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Auteur Sujet: Naissance  (Lu 178 fois)

Hors ligne Arsinor

  • Aède
  • Messages: 193
Naissance
« le: 04 février 2024 à 15:34:06 »
Naissance


Un jour, les organes se réunirent pour savoir lequel était le plus important. « Sans nous, observèrent les muscles, vous ne pouvez pas aller où vous voulez et vous vous affaissez lamentablement par terre. — Vous êtes tous complémentaires, disait l’esprit, mais je commande à tous.  — Comment départager ? demandèrent les organes. — Je propose que nous vivions sans les muscles pendant une semaine, dit l’esprit, et qu’ensuite vous viviez sans moi ; vous pourrez ainsi savoir celui qui vous a le plus manqué. — C'est une bonne idée » convinrent les organes. Aussi, les muscles s'en allèrent.

Le lundi suivant, dans l’après-midi, ils revinrent en courant, d’un pas alerte : « Alors, pas trop fatigués ? — Ça a été horrible, répondirent les organes, nous étions exténués et nous n'avons rien pu faire de la journée. Nous n’avons même pas réussi à rester assis, car c’était trop fatigant. Heureusement que vous êtes revenus. Vous êtes les plus importants, à n’en pas douter ! — Permettez, permettez, objecta l'esprit ; si avec les muscles vous pouvez aller où vous voulez, sans moi vous ne savez pas où aller. Je m'en vais vous le prouver sur-le-champ. — Soit » dirent les organes ; et l'esprit s'en alla.

« Alors, ça s'est bien passé ? » demanda-t-il au bout d'une semaine, avec un sourire chargé de sous-entendus. « Nous avons vécu comme des fous pendant huit jours et sept nuits, répondirent les organes. Nous avons couru dans tous les sens, nous avons bu de l'eau sale, fait des bonds dans la rue ; nous sommes à l'article de la mort et nous ne parvenons pas à comprendre la posologie du médicament. Heureusement que tu es revenu. C’est toi le plus important ! — Vive l’esprit, c'est lui le plus important ! » renchérirent les muscles, qui avaient l’esprit sportif.

« Permettez, objecta le cœur. Il est sans doute très important de savoir ce qu'on fait, mais il est plus important encore de savoir pourquoi on le fait. L’essentiel, c’est d'aimer. Je vous ai laissé débattre jusqu’à maintenant dans l’espoir que vous veniez à moi, mais je me vois obligé d’intervenir. Je regrette d’avoir à vous quitter pour vous prouver mon importance, mais les retrouvailles, je l’espère, n’en seront que plus sincères. » Le cœur s'en alla et revint au bout de deux jours seulement, car il était inquiet pour ses amis.
« Alors, comment ça va ? demanda-t-il. — Ça a été terrible, dirent les organes, éreintés. Nous avons failli nous entretuer et nous nous sommes disputés avec tout le monde. — Cela a commencé par la cohue des intérêts particuliers et l’échec des négociations, expliqua l’esprit. J’ai édicté un contrat social et une déclaration universelle pour réguler les échanges mais il y a eu la révolution française, la domination de la bourgeoisie, la dictature du prolétariat, la chute du communisme, la guerre économique et l’effondrement du système capitaliste. — Doux Jésus, tout cela en deux jours ! s’exclama le cœur, navré. — Tu es plus important que moi, à n'en pas douter, conclut l’esprit. — Je te remercie pour ton humilité, dit le cœur. Mais je te nomme premier ministre, car si le cœur sait pourquoi, l’esprit sait comment. »

Les organes en liesse élurent le cœur président de la démocratie et l’esprit créa les ministères à la tête desquels il nomma les différents organes : les poumons pour la respiration, le foie pour la régulation sanguin, etc. Le cœur et l’esprit se serrèrent cordialement la main et ils décidèrent de donner une allocution publique. L’esprit expliqua aux organes le fonctionnement du corps avec des vidéos et des supports ludiques à remplir soi-même puis le cœur fit un discours humaniste et fraternel. « Mes chers amis, vous êtes mes égaux. Je vous aime tous et vous êtes tous importants. J’exprime le vœu que nous formions un seul être. Il revient à chacun de faire un effort pour y travailler. »

Les organes voulurent se mettre au travail immédiatement. L’esprit conçut un panneau couvert de post-it amovibles pour déterminer les directives organisationnelles évolutives et tous les organes se mirent à chanter et à travailler dans l’allégresse. Tous ? Non point, car l’un d’eux, le souffle, rêvassait devant la fenêtre ouverte.

Le cœur s’émut que cet organe mineur restât seul dans son coin, penaud, tandis que les préparatifs battaient leur plein ; il pria donc l’esprit de faire quelque chose. « Ne reste pas là, tu es en train d’attraper froid, lui dit ce dernier. Va cueillir des fleurs pour que nous en fassions des colliers. Tu pourras t’asseoir avec nous. » Alors le souffle se dirigea vers un champ d’amaryllidacées asparagales narcissiques plongées d’extase dans un sommeil mystique sous un soleil héraldique ; elles se réveillèrent doucement, surprises par la plus divine des poésies, et le soleil se mit à tourner. Les nuages frissonnèrent de plaisir, car le souffle constituait le lien entre le corps et l’atmosphère.

« Au secours ! Au secours ! s'écrièrent aussitôt les organes comme un seul homme. Nous étouffons ! » Le souffle fut aspiré dans le corps et les organes s’organisèrent, non sans respirer de soulagement. Ils se disposèrent autour du souffle pour former un organisme et le supplièrent de ne plus jamais les quitter. Le souffle, heureux que tout le monde l’estimât à sa juste valeur, soupira d’aise… et fut couronné roi !

D’après le chapitre VI du Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad
ou Upaniṣad du Grand Livre de la forêt.
Les Upaniṣad constituent un ensemble de textes philosophiques
qui forment la base théorique de l’hindouisme.


Hors ligne Marie Czarnecki

  • Tabellion
  • Messages: 38
Re : Naissance
« Réponse #1 le: 15 février 2024 à 09:09:01 »
Bonjour. Je m'intéresse à la culture indienne et je suis contente de lire ce texte inspiré (littéralement  ;)) d'un Upanisad. C'est un mythe assez étrange : imaginer les organes vivre une vie propre et séparée des autres crée des images mentales très spéciales.
On retrouve évidemment le souffle comme élément primordial : discret, humble mais sans qui aucune vie n'est possible.
Les mots, "ces passants mystérieux de l'âme", sont de grands magiciens et de redoutables entraîneurs de foules. (Raymond Poincaré)

 


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