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Auteur Sujet: Une traduction : Worm [Anglais/Français]  (Lu 10719 fois)

Hors ligne Drawn

  • Plumelette
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Une traduction : Worm [Anglais/Français]
« le: 21 février 2018 à 17:00:33 »
Bonjour, je suis Drawn, nouvelle ici.
Je voudrais pouvoir partager avec vous une oeuvre que j'ai trouvée absolument fantastique, et dont la lecture m'a transportée. Il s'agit du "web serial" (livre publié chapitre par chapitre sur internet) Worm, écrit par l'auteur John Mcrae sous le pseudonyme de Wildbow. Si vous êtes membre de la communauté web serial anglophone, vous en avez sûrement entendu parler. C'est le premier roman écrit par cet auteur, débuté en 2011 et terminé en 2013 à raison de deux chapitres par semaine en moyenne. Autant vous le dire tout de suite, c'est un Béhémoth, avec un total de plus d'un million et demi de mots.
Vous imaginez bien que la première chose que j'ai faite en sortant de la grotte dans laquelle je m'étais réfugiée pendant un bon mois pour lire ce livre a été d'en parler à qui voulais bien m'écouter pour partager ma passion et donner à cette oeuvre la réputation qu'elle mérite. Et j'ai rapidement réalisé que si l'idée de lire un monstre pareil en anglais était on ne peut plus excitante pour moi, ça n'était pas le cas pour tout le monde. Plus exactement, personne n'en a envie (c'est qu'on aime bien que tout soit traduit nous autres français ^^ ).
Etant moi même traductrice amateure et voyant que personne ne s'était lancé dans l'aventure j'ai entrepris de traduire Worm, et de le partager sur internet sur un site créé par mes soins (rassurez vous, le livre est aussi disponible librement, l'auteur vit de donations, et mon projet est entièrement bénévole)
Bref, assez tergiversé, venons en au livre, ce lien vous amènera au site de l'auteur si vous vous sentez de lire en anglais : https://parahumans.wordpress.com/
Celui ci mène vers mon site si vous voulez vous lancer immédiatement dans la lecture : http://rss.webinage.fr/worm/
Sinon, je compte publier ici un chapitre par semaine, le but pour moi étant de mettre à votre disposition cette histoire sans vous contraindre à quoi que ce soit (et je peux comprendre que débarquer en postant le lien vers un site perso peut paraître osé, si c'est le cas les modos, dites le moi et je vire le lien ^^)
Sans plus attendre :
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(tous crédits de l'oeuvre originale vont à John Mcrae)

Synopsis

Worm
by John Mcrae

Une jeune lycéenne introvertie avec un super pouvoir peu conventionnel, Taylor décide de sortir en costume afin d’oublier sa vie de tous les jours, frustrante et sans joies. Sa première tentative d’affronter un supervaillain la voit se faire prendre pour un de ces derniers, l’envoyant immédiatement au cœur du monde des Capes, un monde avec sa politique propre, ses règles et morales ambiguës. Alors qu’elle met en jeu sa vie et sa santé Taylor va se trouver face au dilemme de devoir faire de mauvaises choses pour de bonnes raisons.

L’histoire, titrée Worm, prend la forme d’un web serial, posté sur un internet chapitre par chapitre, de manière similaire aux travaux de Mark Twain, avant l’apparition de romans à proprement parler. Worm a débuté en Juin 2011 et s’est terminé en Novembre 2013, et fut publié à raison de deux chapitres par semaine. Il est composé de environ 1,680,000 mots soit environ 26 romans de taille moyenne. Les chapitres étaient publiés les mardis et samedis avec des chapitres occasionnels les jeudis.

L’œuvre elle même est séparée en différents arcs narratifs chacun contenant 5 à 16 chapitres. Des interludes entrecoupent l’histoire offrant des informations supplémentaires et un autre point de vue que celui de Taylor. D’autre interludes furent publiés comme bonus lorsque l’audience atteignait un certain niveau de donations, mais ils éloignaient l’attention de l’histoire principale (malgré une réception positive) et furent peu à peu abandonnés.

Les lecteurs devraient être avertis que Worm est un travail de fiction particulièrement sombre et que les choses empirent au fur et à mesure de l’histoire. Les moralités ne sont pas noires ou blanches, Taylor et les autres personnages ne sont pas invincibles, les héros ne gagnent pas la guerre entre le bien et le mal et les super pouvoirs n’ont pas affecté le monde pour le mieux. Le strict opposé en fait. Même à un niveau plus fondamental la vie au quotidien de Taylor n’est pas heureuse, et elle est au bout du rouleau dès le début de l’histoire. Les habitants du Wormverse (comme l’a appelé la communauté) ne sont pas tendres et je fais de mon mieux pour ne pas l’être non plus en tant qu’auteur. Le langage est parfois grossier, il y a de la violence et du sexe (seulement mentionné dans le cas du dernier). Il serait plus simple de noter les trigger warnings qui n’ont pas lieux d’être plutôt que ceux présents dans l’histoire.

En résumé ce n’est pas une histoire pour les jeunes, je le mettrait moi même PG-18 , mais je pense que nous savons tous qu’il y a des enfants qui peuvent supporter ce genre de chose et des adultes qui ne peuvent pas. Utilisez votre jugement et les commentaires si vous n’êtes pas sûrs.

Si je ne vous ai pas déjà fait fuir vous pouvez lire l’histoire de Taylor ici. Amusez vous bien.


Traduction de l’anglais au français par Drawn.
« Modifié: 23 février 2018 à 10:23:43 par Ben.G »

Hors ligne Drawn

  • Plumelette
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Re : Une traduction : Worm
« Réponse #1 le: 21 février 2018 à 19:24:29 »
Note : ce livre n’est pas destiné à un public jeune, si vous êtes sensibles il vous est conseillé de ne pas lire l’œuvre qui va suivre.

Le cours allait se terminer dans cinq minutes et je ne pouvais penser que : une heure c’est trop long pour manger.

Depuis le début du semestre j’avais attendu avec impatience le moment ou le cours de Mr Gladly sur les affaires mondiales* aborderait le sujet des Capes. Et maintenant qu’on y était enfin je n’arrivait pas à me concentrer. Je jouait nerveusement avec mon stylo, le passant de main en main, tapant contre la table ou dessinant sur un coin de mon cahier, la nouvelle figure allant rejoindre les autres déjà présentes. Mes yeux aussi n’arrêtaient pas de bouger passant de l’horloge à Mr Gladly puis à l’horloge de nouveau. Je n’écoutait pas assez son cours pour suivre ce qui se disait. Vingt minutes puis douze puis cinq avant la sonnerie.

Il semblait animé, clairement excité par ce dont il parlait et, pour une fois, la classe l’écoutait. Il était le genre de prof qui veut être pote avec ses élèves, le genre qui se fait appeler « Mr G » au lieu de Mr Gladly. Il aimait bien terminer ses cours un peu avant l’heure, discuter avec les élèves populaires, donnait plein de travaux de groupe pour que les autres puissent traîner avec leurs amis en classe et faisait des cours « sympas » style faux procès.

Pour moi il était un des gars populaire qui était devenu prof. Il était probablement convaincu d’être le favoris de tout le monde. Je me demandais comment il réagirait au fait d’entendre mon avis sur la question. Est-ce que ça détruirait l’image qu’il avait de lui même ou est-ce qu’il mettrait ça sur le compte d’une anomalie de la part de la fille dépressive qui ne parlait jamais en classe ?

J’ai jeté un coup d’œil au dessus de mon épaule. Madison Clements était assise deux rangées derrière moi et deux sièges à ma gauche. Elle vit mon regard et me lança une grimace narquoise, ses yeux se rétrécissant et je baissais mon regard sur mon cahier. J’essayai d’ignorer le pressentiment qui me tordais l’estomac et regardai l’horloge. Onze heure quarante-trois.

« Donc laissez moi résumer » dit Gladly « désolé les gars mais il y a des devoirs pour le week-end. Pensez aux Capes et à la manière dont ils ont impactés le monde qui nous entoure. Vous pouvez faire une liste si vous voulez mais c’est pas obligatoire. Lundi on se répartira en groupes de quatre et on verra qui a la meilleure liste. J’achèterai au groupe des vainqueurs des bonbons au distributeur. »

Il y eut une série d’exclamations de joie suivies du chaos de fin de cours. La salle était remplie de bruits d’arceaux de classeurs qui claquent, de cahiers qui se ferment et de chaise qui raclent contre le carrelage, le tout enrobé du bruit de fond des conversations naissantes. Un groupe des élèves les plus sociaux de la classe se dirigea vers Mr Gladly pour discuter.

Moi ? J’ai rangé mas livres en silence. Je n’avait presque pas pris de notes du cours ; il n’y avait sur les pages que des petits dessins et des numéros écrits alors que je comptais les minutes me séparant de la fin du cors comme si il avait s’agit du compteur d’une bombe. Madison discutait avec ses amis. Elle était populaire mais pas magnifique comme le stéréotype de la fille populaire à la télé. Elle était plus « mignonne ». Petite et fine. Elle jouait le rôle avec des barrettes bleues ciel dans ses cheveux bruns mis longs et son attitude mièvre. Elle portait un haut sans bretelles et une jupe en jean, ce qui était à mon avis stupide puisqu’il faisait encore assez froid les matins pour que nos souffles se condensent.

Mais je n’était pas vraiment en position de la critiquer, elle avait du succès auprès des mecs et des amis, on ne pouvait pas vraiment dire la même chose à mon sujet. Mon seul atout féminin était mes cheveux bruns et bouclés que j’avais laissé pousser. Les habits que je portais ne montraient pas de peau et je ne me parais pas de couleurs comme un oiseau montrant son plumage.

Les garçons l’aimaient bien, je pense, parce qu’elle était jolie sans être intimidante.

Si seulement ils savaient.

La cloche sonna avec un ding-dong chantonnant et je fus la première à passer la porte. Je ne couru pas mais j’avançais à grandes enjambées alors que je me dirigeait vers l’escalier pour atteindre les toilettes du troisième étage.

Il y avait déjà une bonne demi douzaine de filles lorsque j’arrivai, il me fallu donc attendre qu’une place se libère. Je gardais un œil nerveux sur la porte des toilettes, sentant mon cœur tomber un peu plus bas dans ma poitrine à chaque fois que quelqu’un la poussait pour entrer.

Dès qu’une place fut libre j’y entrais et verrouillait la porte. Je m’appuyais contre le mur et exhalait lentement. Ce n’était pas exactement un soupir de soulagement. Soulagement impliquait de se sentir mieux. Je ne me sentirait pas mieux avant d’être de retour à la maison. Je me sentait juste moins mal à l’aise.

Il fallu environ cinq minutes pour que les bruits cessent complètement. Un coup d’œil sous le mur séparant mes toilettes des autres révéla que plus personne ne se trouvait dans la pièce. Je m’assis sur le couvercle des toilettes et attrapais mon paquet repas brun pour manger.

Déjeuner dans les toilettes était la routine maintenant. Tous les jours d’école je me cachais ici pour finir mon repas avant de faire mes devoirs ou de lire un livre jusqu’à ce que la cloche sonne. Le seul livre dans mon sac que je n’avait pas lu était intitulé « Triumvirat », un biographie des trois membres principaux du Protectorat. Je pensais passer aussi longtemps que possible sur le devoir de Mr Gladly avant de lire, je n’étais pas vraiment fan du bouquin. Les biographies n’étaient pas mon truc, surtout quand j’avais l’impression persistante que ce n’était que des mensonges.

Mais quels qu’aient été mas plans je n’eut même pas le temps de terminer mon wrap. La porte des toilettes s’ouvrit à la volée. Je me figeais. Je ne voulais pas avertir qui que ce soit de ma présence aussi restais-je immobile, l’oreille tendue.

Je ne pouvais comprendre ce que disaient les voix. Elles étaient à demi masquées par des gloussements et le bruit de l’eau d’un des lavabos. Quelqu’un tapa à ma porte me faisant sursauter. Je l’ignorais mais les tapements se firent plus insistants.

« Occupé »dis-je d’une voix hésitante.

« Oh putain c’est Taylor ! » dit une des filles de l’autre côté de la porte, puis en réponse à ce qu’une autre fille lui avait murmuré « Ouais vas-y ! »

Je me levais abruptement, renversant au passage mon sac et mon repas. Me précipitant vers la porte de ma cabine je la déverrouillais et poussais de toutes me forces. Elle ne bougea pas d’un pouce.

Il y avais des bruits dans les cabines de chaque côté de la mienne puis un bruit au dessus de moi. Je levais les yeux pour vois de quoi il s’agissait, uniquement pour me faire arroser. Mes yeux commencèrent à brûler et je fus momentanément aveuglée par le fluide acide dans mes yeux et sur mes lunettes. Je pouvais le goûter alors qu’il pénétrait dans ma bouche et mon nez. Du jus de cranberry.

Elles ne s’arrêtèrent pas là. Je parvint à enlever mes lunettes juste à temps pour voir Madison et Sophia me surplombant, bouteilles de jus à la main. Je me penchais en avant en me protégeant de mes mains juste avant de recevoir une douche de jus de fruit.

Il coula le long de ma nuque trempant mes habits et pétillant dans mes cheveux. Je poussais de nouveau la porte mais la fille de l’autre côté la tenait solidement fermée avec son corps.

Si les deux fille me douchant avec du jus de fruit étaient Sophia et Madison, alors cela signifiait que la fille de l’autre côté était Emma, leader du trio. Sentant ma colère monter je poussais un grand coup contre la porte avec tout le poids de mon corps. Ça ne fit rien et mes chaussures trempées perdirent leur traction contre le sol. Je tombais à genoux dans une flaque de jus.

Des bouteilles en plastique avec des étiquette de jus de cramberry et de raisin tombèrent sur le sol autour de moi. Une bouteille de soda à l’orange rebondit sur mon épaule pour atterrir dans la flaque au sol avant de rouler jusqu’à la cabine suivante. L’odeur sucrée était écœurante.

La porte s’ouvrit en grand et je défiais du regard les trois filles devant moi. Madison, Sophia et Emma. Là ou Madison était mignonne, à la puberté tardive, Sophia et Emma correspondaient à l’image même de la reine de promo. Sophia avait le teint sombre, avec un corps svelte et athlétique qu’elle avait développé en tant que coureuse dans l’équipe du lycée. Emma aux cheveux roux, par contraste, avait toutes le formes que les mecs voulaient. Elle était assez belle pour décrocher le job occasionnel de mannequin amateur pour les catalogues des magasins du coin. Les trois se moquaient de moi comme si c’était la chose la plus drôle au monde, mais les sons de leur amusement parvenaient à peine jusqu’à moi. Toute mon attention était sur le rugissement de mon sang dans mes oreilles et les « craquements » inquiétants et pressants qui ne seraient pas étouffés si je mettais mes mains sur mes oreilles. Je pouvais sentir des restes de jus coulant le long de mes bras et de mon dos, toujours froids à cause du système réfrigérant du distributeur.

Je n’avais pas confiance en ma capacité de rétorquer quoi que ce soit qui ne les face encore plus rire, ainsi restais-je silencieuse.

En faisant attention, je me mis sur mes deux pieds pour aller attraper mon sac toujours sur la cuvette des toilettes. Le voir me fis marquer une pause. Il était kaki, avant, mais était maintenant couvert de tâches violettes. Passant les bretelles sur mes épaules je me retournais. Les filles n’étaient pas là. J’entendis la porte des toilettes claquer, coupant leurs voix excitées et me laissant seule dans la pièce, trempée.

Je m’approchais du lavabo et me regardais dans le miroir sale et abîmé accroché au dessus. J’avais hérité d’une grande bouche fine et expressive de ma mère mais mes yeux larges et mon air maladroit me faisaient ressembler à mon père. Mes cheveux étaient trempés d’une telle manière qu’ils collaient à mon scalp, mon cou et mes épaules. Je portais un sweat à capuche brun au dessus d’un t-shirt vert, mais des tâches rouges, violettes et oranges marbraient les deux. Mes lunettes étaient couvertes de gouttelettes de toutes les couleurs. Une goutte coula le long de mon nez avant de tomber dans l’évier.

A l’aide d’une serviette en papier du distributeur j’essuyais mes lunettes avant de les remettre, mais les traînées résiduelles rendaient la vision tout aussi difficile sinon plus.

Respire profondément Taylor, me dis-je.

J’enlevais de nouveau mes lunettes pour les nettoyer avec une serviette mouillée mais les traces étaient toujours là.

Un cris inarticulé de frustration et de colère s’échappa de mes lèvres, et je donnais un coup de pied dans le sceau en plastique juste en dessous de l’évier, l’envoyant heurter le mur avec la brosse à toilettes qu’il contenait. Lorsque même ça ne suffit pas, je pris mon sac à deux mains pour l’envoyer voler. Je n’utilisait plus mon casier, il avait déjà été vandalisé quatre fois. Mon sac était lourd, chargé qu’il était de mes affaires pour toute la journée. Il y eut un craquement audible lorsqu’il percuta le mur.

« Mais putain quoi ! » Je criais à personne en particulier, ma voix se répercutant dans les toilettes. Il y avait des larmes aux coins de mes yeux.

« Bordel mais qu’est-ce que je suis sensée faire ? » Je voulais frapper quelque chose, casser quelque chose. Prendre ma revanche contre ce monde injuste. Je faillis frapper le miroir mais me retint de justesse. Cela ne servait tellement à rien que j’avais l’impression que ça ne ferait que me faire me sentir plus insignifiante au lien de calmer ma frustration.

J’avais enduré ça tous les jours d’école depuis un an et demi. Les toilettes avaient été ce qui s’approchait le plus d’un refuge. Ça avait été solitaire et peu digne, mais ça avait été un endroit ou je pouvais me réfugier, un endroit hors de leur radar. Maintenant je n’avais même plus ça.

Je ne savais même pas ce que j’étais sensée faire pour les cours de l’après midi. Notre examen d’arts plastiques était dû mais je ne pouvais pas aller en cours comme ça. Sophia y serait et je pouvais déjà imaginer son sourire satisfait si j’arrivais en ayant l’air de sortir d’une poubelle.

En plus je venais de jeter mon sac contre le mur et je doutais que mon projet soit toujours entier.

Le bourdonnement aux frontières de ma conscience empirait. Mes mains tremblèrent alors que je me penchais en avant, agrippant le bord de l’évier, laissant s’échapper un long soupir et mes défenses tomber. J’avais passé les trois derniers mois à me retenir. Mais maintenant ? J’en avais plus rien à faire.

Je fermais mes yeux, laissant le bourdonnement se transformer en information concrète. Aussi nombreux que des étoiles des nœuds de données complexes firent leur apparition tout autour de moi. Je pouvais me pencher sur chacun individuellement, me concentrer sur les détails. L’ensemble des données s’était approché de moi régulièrement depuis que j’avais été arrosée. Elles répondaient à mon subconscient et mes émotions, autant le reflet de ma frustration, ma colère, ma haine pour ces trois filles que mon cœur battant et mes mains tremblantes. Je pouvais les faire s’arrêter et bouger presque sans y penser, comme pour bouger un bras ou un doigt.

J’ouvris mes yeux. Je pouvais sentir l’adrénaline parcourir mon corps, mon sang s’écouler dans mes veines. Je tremblais en réaction à la fraîcheur des jus de fruit dont on m’avait trempée, à mon anticipation et à un peu de peur. Sur chaque surface des toilettes se trouvaient des insectes ; des mouches, des fourmis, des araignées, des milles-pattes, des perces-oreilles, des scarabées des guêpes et des abeilles. A chaque seconde qui passait plus arrivaient par la fenêtre ouverte et d’autres ouvertures variées dans la pièce avançant à une vitesse surprenante. Certains arrivèrent par un trou là ou l’évier rejoignait le mur, d’autres par une ouverture triangulaire dans le plafond, ou par la fenêtre à la peinture écaillée couverte de mégots de cigarettes écrasés dans les cavités. Ils se regroupèrent autour de moi sur chaque surface disponible, un ensemble primitif de signaux et de réponses, à l’attente des ordres.

Mes sessions d’entraînement m’avaient appris que je pouvais diriger un seul insecte afin qu’il bouge une antenne ou commander toute une horde pour qu’elle se déplace en formation. D’une simple pensée je pouvais sélectionner un groupe particulier, espèce ou maturité, et les diriger comme bon me semblait. Une armée de soldat sous mon contrôle total.

Il me serait tellement simple, tellement simple, de simplement partir en mode Carrie**. Donner au trio la leçon qu’elles méritaient et leur faire regretter tout ce qu’elles m’avaient fait subir ; les e-mails vicieux, les déchets sur mon bureau, la flûte – celle de ma mère- qu’elles avaient volé dans mon casier. Et pas seulement elles. D’autres filles et un petit nombre de garçons avaient participé, oubliant « par accident » de récupérer mes devoir à rendre, ajoutant leurs voix aux moqueries et aux marées d’e-mails injurieux, tout pour attirer l’attention d’une des trois filles les plus belles et populaires de notre niveau.

J’étais bien consciente que je serais attrapée et arrêtée si j’attaquais d’autres élèves. Il y avait trois équipes de super héros et un certain nombre de héros indépendants dans la ville. Je m’en moquais un peu. La pensée de mon père découvrant mon arrestation à la télé, sa honte ? Voilà qui était plus terrifiant, mais même ça ne contrebalançait pas complètement la colère et la frustration.

Sauf que je valais mieux que ça.

Avec un soupir j’envoyais une instruction à l’ensemble de l’essaim. Dispersion. Le mot n’était pas aussi importait que l’idée derrière. Ils commencèrent à quitter la pièce disparaissant entre les fissures du carrelage et par le fenêtre. Je m’appuyais contre la porte d’entrée des toilettes afin de m’assurer que personne ne surprendrait la scène.

Peu importe à quel point je le voulais, je ne pouvais sévir. Alors même que je tremblais d’humiliation je parvint à me convaincre de récupérer mon sac à dos et à sortir des toilettes. Je quittais l’école ignorant les regards et les rires sur mon chemin et attrapais le premier bus allant dans la direction générale de ma maison. Le jus de fruit que me recouvrait encore, trempant mes vêtements, aggravait le vent frais de début de printemps, me faisant frissonner.

Je serais une super héroïne. C’est cet objectif que j’utilisais pour me calmer dans les moments comme ça. Ce qui me faisais me lever le matin pour aller à l’école. Le rêve fou qui rendait tout tolérable. C’était quelque chose à attendre, quelque chose à espérer. Ça m’aidait à supporter le fait que Emma Barnes, leader du trio, était avant ma meilleure amie.

*(World Affairs) sujet disponible au lycée aux US, qui porte sur la géographie, la politique, l’économie, et les sujets de société actuels.

**Référence au film Carrie dans lequel une jeune fille dotée de pouvoirs mais persécutée par les élèves de son lycée finit par craquer et tous les tuer. Expression utilisée aux US to go Carrie signifie perpétrer un massacre lié à la vengeance, à la colère ou la folie.

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Re : Une traduction : Worm [Anglais/Français]
« Réponse #2 le: 27 février 2018 à 19:07:42 »
Gestation 1.2

Pendant que je rentrais chez moi en bus, mes pensées se tournèrent vers Emma. Pour une personne extérieure, je crois qu’il est facile de sous estimer l’importance d’un « meilleur ami », mais quand tu es un enfant, personne n’est plus important. Emma avait été ma « BFF »* de la maternelle au collège. Ça n’avait pas été assez pour nous de passer tout notre temps à l’école ensemble, on alternait les week-end passés chez l’autre. Je me rappelle de ma mère disant qu’on était tellement proche qu’on était pratiquement sœurs.

Une amitié aussi profonde est intime. Pas de manière grossière, juste un échange sans hésitation de chaque vulnérabilité et faiblesse.

Donc quand je suis rentrée d’un camp d’été, juste avant que notre première année de lycée ne commence, pour me rendre compte qu’elle ne me parlait plus ? Qu’elle appelait Sophia sa meilleure amie ? Découvrir qu’elle utilisait maintenant chacun de ces secrets et points faibles que je lui avait confié pour me blesser de la manière la plus vicieuse possible ? Ce fut dévastateur. Il n’y a pas d’autre moyen de le dire.

Refusant de ruminer ces pensées plus longtemps je tournais mon attention vers mon sac, le posant sur le siège à côté de moi et en triant le contenu. Le jus de raisin l’avait taché et je soupçonnais qu’il allait me falloir en trouver un autre. Je l’avais acheté il y a à peine quatre mois, après que mon ancien ait été prit dans mon casier, et il n’avait coûté que douze euros, ce n’était donc pas un gros problème. Le fait que mes cahiers, mes livres de cours et les deux bouquins que j’avais fourré dans mon sac soient trempés de jus de fruit était plus inquiétant. Je soupçonnais que la fille qui avait tenu le jus de raisin avait visé le dessus du sac ouvert alors qu’elle le versait. Je notais aussi la destruction de mon projet d’art plastique – la boîte dans laquelle je l’avais mis avait un côté écrasé. Ça c’était de ma faute.

Mon cœur coula dans ma poitrine à la vue du carnet à la couverture noire et blanche. Le coin du papier était trempé au point qu’un quart de la page était teinté de violet. L’encre était diluée et les pages commençaient déjà à gondoler.

Ce carnet était – avait été – l’ensemble de mes notes et de mon journal pour ma carrière de super héro. Les tests et entraînements que j’avais fais avec mon pouvoir, des pages d’idées de noms barrées, même les mesures que j’utilisais pour mon costume en cours de fabrication. Après que Emma, Madison et Sophia aient volé mon ancien sac pour le mettre dans une poubelle, j’avais réalisé à quel point il était dangereux d’avoir tout écrit comme ça. J’avais tout recopié dans un nouveau carnet dans un code simple et de bas en haut. Maintenant ce carnet était fichu, et il allait me falloir copier plus de deux cent pages de notes détaillées dans un autre cahier si je voulais conserver ces informations. Et il fallait encore me rappeler de ce qui était inscrit sur toutes les pages détruites.

Le bus s’arrêta à un pâté de maisons de chez moi et j’en sortis en tentant d’ignorer les regards qu’on me lançait. Même avec cela, le fait que mon carnet était ruiné et la nervosité liée au fait que je séchais un après midi entier de cours, je me sentis mieux alors que j’approchais de la maison. C’était tellement plus agréable de savoir que je pouvais baisser ma garde, arrêter de surveiller mes arrières et de me demander quand le prochain incident se produirait. J’entrai dans la maison, et me dirigeai immédiatement vers la douche, sans même enlever mon sac ou mes chaussures avant d’arriver dans la salle de bain. Je me tenais sous le jet d’eau avec mes vêtements au fond de la baignoire, espérant que l’eau aiderait à enlever la majeure partie du jus. Je réfléchissais. Je ne sais pas qui l’a dit, mais à un moment j’étais tombé sur cette notion de prendre un fait négatif pour le transformer en fait positif. J’essayais alors de considérer les événements de la journée et de les retourner dans ma tête pour voir si je ne pouvais pas les considérer sous un jour plus positif.

Okay donc le premier truc qui me vint à l’esprit fut « une raison de plus de tuer le trio ». Ce n’était pas un pensée sérieuse – j’étais en colère mais ce n’étais pas comme si j’allais vraiment les tuer. D’une certaine manière je soupçonnais que je me ferais du mal avant de leur faire du mal. J’étais humiliée, frustrée et énervée et j’avais toujours une arme de disponible – mon pouvoir. C’était comme d’avoir un flingue chargé à la main à tout moment. Mais mon pouvoir n’étais pas si fort que ça, donc peut être que c’était plus comme d’avoir un taser. Il étais difficile de ne pas penser à l’utiliser quand les choses devenaient vraiment difficiles. Mais je ne pensais quand même pas avoir cet instinct de tueur en moi.

Non, je me dis, me forçant à penser positif, y avait-il un bon côté à ce qui s’était produit ? Projet d’art foutu, fringues probablement irrécupérables, besoin d’un nouveau sac… carnet. Mon esprit semblait fixé sur ce fait.

J’éteignais la douche, puis m’essuyais, réfléchissant. Je m’enroulais dans une serviette de bain et plutôt que de me diriger vers ma chambre pour m’habiller, je mis mes vêtements dans le panier à linge sale, pris mon sac et me dirigeais vers l’étage du dessous, à travers la cuisine et vers la cave.

Ma maison était vieille, et la cave n’avait jamais été rénovée. Les murs et le sol étaient en ciment et le plafond en planche de bois nues couvertes de câbles électriques. La chaudière fonctionnait auparavant au charbon et il y avait toujours une vieille chute à charbon, de deux mètres sur deux, d’où des camions pouvaient verser dans la cave les réserves de charbon pour l’hiver. La chute était condamné, mais environ à l’époque ou j’avais commencé à recopier mon « carnet de super pouvoir », j’avais décidé d’être prudente et de commencer à devenir créative pour protéger mes affaires personnelles. C’était à ce moment que j’avais commencé à l’utiliser.

J’enlevais une vis et le carré de bois couvert de peinture blanche écaillée qui fermaient la partie inférieure de la chute. J’y récupérais un sac de gym et remettais le panneau en place sans le visser.

Je vidais le contenu du sac sur l’établi désaffecté que le propriétaire précédent de la maison avait laissé dans la cave, puis ouvrit les fenêtres qui étaient au même niveau que la rue et que le jardin à l’avant de la maison. Je fermais mes yeux et passais une minute à exercer mon pouvoir. Je ne me contentais pas de choper chaque trucs rampant dans le quartier cela dit. J’étais sélective, et j’en réunissais un paquet.

Cela prendrait du temps pour qu’ils arrivent. Les insectes peuvent bouger plus vite qu’on ne le pense quand ils avancent en ligne droite et avec un objectif, mais tout de même, deux pâtés de maison était un long chemin à traverser pour quelque chose d’aussi petit. Je m’occupais d’ouvrir le sac et d’en trier le contenu. Mon costume.

Les premières araignées commencèrent à arriver et à se réunir sur l’établi. Mon pouvoir ne me donnait pas la connaissance du nom officiel des insectes avec lesquels je travaillais, mais n’importe qui pouvait reconnaître celles qui s’introduisaient dans la pièce. C’était des veuves noires. Une des espèces les plus dangereuses présentes aux États Unis. Leurs morsures peuvent être létales, bien qu’elles le soient rarement, et elles ont tendances à mordre pour un rien. Même sous mon contrôle total, elles m’effrayaient. A mon ordre, les douzaines d’araignées se mirent en place sur l’établi et commencèrent à esquisser les lignes d’une toile, étirant les lignes les unes sur les autres et les tissant ensemble.

Il y a trois mois, après avoir récupéré suite à la manifestation de mon pouvoir, j’avais commencé à me préparer pour l’objectif que je m’étais fixé. Cela avait compris une routine sportive, des entraînements pour mes pouvoirs, des recherches et la fabrication de mon costume. Cette dernière était beaucoup plus compliquée qu’on ne pouvait le penser. Là ou les membres d’équipes officielles avaient bien entendu des ressources pour ce genre de choses, nous autres ne pouvions que les acheter, les bricoler à partir de pièces trouvées ici et là ou les fabriquer de a à z. Chaque option avait son lot de problèmes. Si tu achetais un costume en ligne, tu courais le risque de te faire repérer, ce qui foutrais en l’air ton identité secrète avant même d’avoir enfilé le costume. Tu pouvais le fabriquer en achetant des parties séparément dans un magasin et en les collant ensemble, mais très peu de personnes pouvaient faire ça avec un bon résultat. La dernière option, tout faire sois même, était tout simplement un sacré boulot et tu pouvais toujours rencontrer les problèmes des options précédentes – te faire repérer ou finir avec un costume pourri – dépendant de ou tu te procurais tes matériaux et de comment tu t’y prenais.

La deuxième semaine après avoir compris comment fonctionnaient mes pouvoirs, quand je n’étais pas encore tout à fait sûre de ce qu’il se passait, j’étais tombée sur un reportage de la discovery channel sur une tenue faite pour résister à des attaques d’ours. Le reportage expliquait que la tenue était faite de soie d’araignée synthétique, ce qui avait inspiré ce projet. Pourquoi s’embêter avec de la soie synthétique quand on pouvait en produire de la vraie ?

Bon okay, ça avait été un peu plus compliqué que ça. Ça ne marchait pas avec n’importe quelle araignée, et les veuves noires elles mêmes étaient difficiles à trouver. On ne les trouvait généralement pas dans le nord est des États Unis mais heureusement pour moi ce qui faisait de Brockton Bay une destination touristique et un lieu à concentration importante de Capes en faisait aussi un lieu dans lequel les veuves noires pouvaient vivre, voire même prospérer. A savoir, il y faisait chaud. Grâce à la géographie et à l’océan qui bordait la ville à l’est, Brockton Bay avait certains des hivers les plus doux du nord est, et certains des étés les plus confortables aussi. Et tout comme les veuves noires, les gens qui se baladaient en costume moulant appréciaient cette caractéristique.

Avec mon pouvoir je m’étais assurée que les araignées puissent se multiplier. Je les avait gardées dans des endroits sûrs et engraissées avec des proies que je dirigeait droit vers elles. J’avais activé la commande mentale qui leur disait de se reproduire et de pondre des œufs comme si c’était l’été, et nourris les jeunes avec encore plus de proies, ce qui m’avait valu un bon nombres d’ouvrières pour mon costume en récompense pour mes efforts. Le plus gros problème avait été le fait que les veuves noires sont territoriales, donc il m’avait fallu les disperser afin d’être sûre qu’elles ne s’entre tueraient pas quand je n’étais pas dans le coin pour les contrôler. Environ une fois par semaine, lors d’un footing, j’organisais une rotation des araignées afin de toujours avoir un stock prêt à l’usage pour fabriquer les matériaux nécessaires. Tout cela faisait que les araignées étaient toujours prêtes à travailler sur le costume quand je rentrais des cours.

Ouais, il fallait vraiment que je m’achète une vie.

Mais j’avais un putain de costume.

Ce n’était pas un super costume, pas encore. Le tissu était jaune gris. Les parties avec de l’armure étaient faites de coquilles et d’exosquelettes pris à la population d’insectes locale, finement arrangés et renforcés de câbles de soie. Au final, l’armure avait fini d’une couleur sombre tachetée de brun-gris. Quand tout serai terminé j’avais prévu de teindre le tissu et de peindre l’armure.

J’étais aussi fière de mon costume car il était flexible, durable et extrêmement léger étant donné la quantité d’armure que j’avais mis dessus. A un moment je m’étais trompée dans les proportions d’une des jambes, et quand j’avais essayé de la couper pour recommencer, j’en avais été incapable même avec un cutter. Il m’avait fallu utiliser des cisailles, et même ça avait été compliqué. Mais en ce qui me concernait, c’était tout ce qu’un super héro voulait de son costume.

Je n’avais pas vraiment envie de le tester mais j’avais bon espoir qu’il soit aussi pare balles. Ou au moins que les plaques d’armure protégeant mes organes vitaux le soient.

Le plan était de terminer mon costume dans le mois qui suivait puis alors que l’année scolaire se terminait et que l’été commençait, débuter ma carrière de super héroïne.

Mais le plan avait changé. J’enlevais ma serviette pour la poser sur un coin de l’établis, puis je commençais à enfiler mon costume afin de tester la taille pour la millième fois. Les araignées se poussèrent docilement hors de mon chemin.

Quand j’étais encore dans la douche, à tenter de trouver un aspect positif à ma journée, mes pensées s’étaient tournées vers mon carnet. J’avais alors réalisé que je procrastinais. Je passais mon temps à planifier, préparer, considérer chaque possibilité. Il y aurais toujours plus de préparations, de trucs à étudier ou tester. La destruction du carnet avait été une chance d’aller de l’avant. Je ne pouvais pas tout recopier dans un autre cahier ou en commencer un nouveau sans retarder mes plans d’au moins une semaine ou deux. Il fallait que j’aille de l’avant.

Il était temps de le faire. Je fléchissais ma mains dans son gant. Je sortirais la semaine prochaine – non. Non plus de délais. Ce week-end je serais prête.

 


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