J'apporte ma 1ère contribution à cet Univers Collectif, je le situe juste après le texte, "le Négociateur".
J'écris un peu de fantasy sur un texte long du coup écrire pour l'Univers Collectif m'a replongé dans le bain et ça me permet de m'entraîner également pour mon autre texte
ça m'a pris plus de temps que je ne le pensais à l'écrire celui-là, mais ça m'a bien remis un coup de pied aux fesses :p
Je croise les doigts de ne pas avoir fait d'étourderies ni d'incohérences avec les autres textes.
Deux compagnons de fortune
Le lustre ancestral s’illumina et projeta sa lumière aveuglante comme un phare en pleine nuit. Les murs s’évanouirent, plongeant le hall de Gaya, la cité céleste, dans un éblouissement total.
Naan, l’elfe de maison, secoua la tête face à cette intrusion. Il avait tenté maintes fois de régler l’intensité de l’éclairage.
L’imposante structure surplombait la table en chêne et les fauteuils de velours au centre de la pièce. Le lustre chancela légèrement, puis fut saisi de soubresauts de plus en plus violents, les perles et diamants roulèrent sur la table et s’éparpillèrent sur le sol de marbre. Les elfes de maison aux quatre coins de la pièce couraient en tous sens pour rattraper ces précieux atours qu’il faudrait replacer ensuite.
Le lustre donna une dernière ruade avant de s’immobiliser, et lorsque le calme régna à nouveau, neuf figures se tenaient sur les dix fauteuils de velours.
— Où est passé Kandaar ? tonna une voix à gauche.
Quelques murmures se perdirent entre les convives.
— Encore une fois, il manque une de nos réunions. Nous allons devoir en parler avec lui. Revenons au sujet principal, reprit la même voix. Comment avancent les négociations entre les Marchands et Trois Pattes ?
— Il y a eu de nombreuses avancées, Monseigneur. Le Roi a décidé d’envoyer son fils, Ulric, à la rencontre du Prince.
— Ce polichinelle royal envoie sa propre progéniture ? Autant livrer une brebis en pâture !
Des effluves de surprise circulaient à présent autour de la table.
— Il y a une autre complication.
Toutes les têtes couronnées se tournèrent vers la voix humaine qui avait interrompu le conflit sacré.
— Dame Brunehilde, comment Hadvast en est-elle arrivée à choisir pareil diplomate ?
— Monseigneur, le Roi semble plus distrait et moins enclin à mes conseils. Certains disent que le mal de sa jambe se propage. Je tiens tout de même à vous mettre en garde. Une fois dans l’enceinte du palais du Prince, l’Estoc semble s’être épris de l’impétueuse Irda.
Cette fois-ci, les murmures distillèrent de la frayeur. Nul ne pouvait ignorer le poing serré du dieu de la guerre, Horkar, qui tentait visiblement de contenir sa fureur.
— Allons, allons, un peu de calme. Devrions-nous vraiment nous soucier d’un nabot à peine sorti du sein de sa mère ?
— L’histoire nous pousse à rester vigilants, Monseigneur, souligna Dame Brunehilde humblement.
Les murmures s’intensifièrent, les vibrations du lustre vinrent envelopper la tension palpable dans la salle, les phalanges du roi de la guerre émettaient des grincements de plus en plus inquiétants et les elfes semblaient à bout de force dans ce marathon intérieur.
— Je peux vous proposer une solution, suggéra une voix raisonnable dont la clarté contrasta avec le chaos.
Elle attendit que le silence se fit avant de reprendre :
— Je connais quelqu’un qui pourrait nous débarrasser de cet individu ou du moins le détourner de son but.
— Il n’est pas question de faire appel à cette fripouille de neveu que tu protèges !
— Je vous demanderai de prendre garde à vos paroles quant à Celui Qui Ne Recule Jamais, fils de notre défunte Tular, déesse de la Mobilité, paix à son âme. Nul ne peut ignorer ses liens avec notre dynastie. Quant à ses capacités pour mener à bien cette mission, je saurais le rallier à notre cause.
Le silence persistait, les murmures écrasés par l’implacable vérité de la déesse de la Persuasion. Il n’avait échappé à personne l’absence de marque de respect qui était due au seigneur. De fait, le règne de la dynastie céleste était menacé par des conflits internes, des forces extérieures, voire même disaient certains des trahisons. Les failles au sein du système n’étaient plus un secret depuis fort longtemps, hélas les membres de cette table continuaient à fuir le problème et à s’ensevelir dans l’ignorance.
— Je te donne trois jours pour le retrouver et nous l’envoyer en mission. Considère ceci comme une opportunité pour te rattraper. Procédons maintenant aux autres sujets de discussion.
Yular prêta une oreille distraite aux conversations qui s’ensuivirent. Des dissonances dans leur cercle, des rumeurs qui couraient, la poigne du seigneur Nargar qui se resserrait de jour en jour, son règne frôlant la tyrannie, une menace personnelle envers elle. Des choses bien plus sombres que des batailles entre deux chefs assoiffés de pouvoir se tramaient. Une fois qu’elle aurait vu son neveu, elle se lancerait dans une enquête. À commencer par cette Dame Brunehilde.
***
Athos fixait les inscriptions sur la dalle de marbre. Un scintillement attira son regard sur le côté. Scrutant le reflet dans l’eau du lac, il y reconnut l’éclat d’une couronne de jade. Il poussa un soupir. Les dieux et leur sens de l’hospitalité.
— Je suppose que tu es venue rendre hommage à ta sœur ?
Le silence qui l’accueillit ne le surprit guère, non qu’il soupçonna sa divine tante d’être malentendante ou de suffoquer sous le coup de l’émotion. Il pouvait sentir la désapprobation du ton familier qu’il usait avec sa famille irradier du corps puissant de la déesse. Il aurait même jurer entendre les écailles de son armure d’acier frémir d’agacement mais il connaissait mieux que personne la rigidité enchanteresse de leur stature.
— Toutes mes condoléances, répondit la présence qui demeurait dans son dos d’une voix caverneuse où il était impossible d’y déceler une trace de chaleur tant le timbre était grave. Les cieux m’envoient ici. Nous sommes venus te chercher.
Athos plissa les yeux, un instant partagé à l’idée de se retourner, mais il préférait continuer de feindre la nonchalance, ou l’insolence, selon certains. Bien que la déesse de la Persuasion avait fait preuve de tolérance à son égard, une forme de bienveillance de la part des dieux, une visite divine n’était jamais à prendre à la légère.
— Que me voulez-vous ?
— Nous t’envoyons en mission afin d’empêcher l’Estoc de courir après l’impétueuse Irda, de Nargarone. L’histoire prouve que son caractère têtu et borné peut nous rendre la tâche difficile.
Un sourire se dessina sur les lèvres d’Athos. Bien qu’ils se proclamassent puissants et qu’ils fissent partie sans l’ombre d’un doute d’une des races les plus craintes, les dieux confiaient souvent leur travail ingrat à leurs subalternes humains afin de ne pas perdre l’adulation de ceux-ci auquel cas les choses tourneraient mal.
La déesse de la Persuasion savait aussi que son neveu ne portait pas dans son cœur le jeune fils de Trois Pattes. Quand bien même, une petite récompense n’aurait pas été de refus.
— Et si je refuse ?
— Prends garde, jeune Athos, la protection des dieux n’est pas éternelle. Nous pourrions cependant t’apporter une aide dans ta quête.
Les yeux d’Athos brillèrent. Ses intentions et ses allers et venues dans le royaume n’avaient pas échappé aux yeux célestes. Il hocha la tête.
— Où puis-je trouver le malheureux ?
— Dans une auberge, le Poney Fringant il me semble, au sein de sa fratrie mère. Reste sur tes gardes, ce peuple n’a pas renié la protection divine pour rien. Nous nous reverrons dans quelques jours.
Athos voulut se retourner cette fois-ci et retenir sa tante, mais elle s’était déjà volatilisée. Maudite famille, maugréa-t-il.
***
L’auberge ressemblait plus à une échoppe à y regarder de plus près, bien que les fenêtres à l’étage semblaient indiquer des commodités adjacentes. Les effluves de l’alcool et de la fumée de Nihar semblaient s’échapper à chaque fois qu’un client ouvrait cette satanée porte. Le cocktail toxique attaquait déjà le gosier d’Athos et piquait ses yeux. Fidèle à ses paroles et à son sens du devoir, le dos droit, il empoigna la porte et s’engouffra dans l’atmosphère gluante des lieux.
Les rires gras et les éclats de voix l’assaillirent, les jupes et les froufrous des serveuses le frôlèrent sans perdre une seule goutte des breuvages remplis à ras bord qu’elles distribuaient. D’ailleurs, on lui planta bien rapidement dans la main droite une de ces merveilles, ce qui l’embêta car cette main empoignait son épée et lui sauvait sa vie en moins de temps qu’il ne le fallait pour dire ouf. Il avisa du regard le comptoir où il reconnut la silhouette pompeuse du jeune prince. Il éprouvait peu d’estime pour ce personnage sachant qu’il avait jeté son père de sa maison, le contraignant à se retrouver à la rue et perdre ses biens. Or, cette mission n’avait pas un goût de vengeance, car Athos estimait que ce sentiment était réservé aux faibles qui s’apitoyaient sur leur propre sort.
— Honorable peuple de Haldvast, ne serait-ce pas là le fils bâtard de l’ancien Amiral ? C’est bien lui ! Que nous vaut l’honneur de la visite d’un traître ? Es-tu ici afin de demander le pardon à ton Roi ? En as-tu marre de dormir à la belle étoile comme ton père ?
Les dents d’Athos grincèrent face à cette dernière remarque mais il ne mordit pas à l’hameçon et ne rétorqua rien. Les joutes verbales ne l’intéressaient point ; il était un homme d’action, pas de paroles.
— Ô grand Prince, je n’ai que faire de ton Roi et du pardon de son peuple. J’ai les étoiles pour compagne comme tu l’as si bien dit, l’opulence de ton pays, à défaut d’avoir raffermi ton corps mou et fainéant, a affuté ton esprit pour proférer d’aussi vaines paroles Les exclamations de la salle explosèrent, les hommes affalés sur leur tabouret se redressèrent et brandissaient leurs poings devant leurs mines rougies.
— Messieurs, je ne souhaite vous offenser et j’espère sincèrement avoir tort. Viens donc me prouver ta force et ton adresse, Prince ! Viens donc me montrer si l’Estoc est un conte d’enfant ! Je te défie avec mon épée devant cette auberge ici-même !
D’un bond, l’Estoc quitta son tabouret chancelant légèrement et fonça droit devant franchir le seuil. Sa réponse fut claire, sans fioritures et c’est ce qui plaisait à Athos. Il avait piqué l’égo du Prince et l’avait provoqué dans un duel dans lequel il s’était jeté tête baissée, sans réfléchir.
Il franchit lui aussi la porte et put enfin respirer à plein poumon l’air frais, chaque muscle de son corps s’éveilla à cette bouffé d’oxygène, un élixir coulait dans ses veines et l’emplissait de vitalité. Face à lui, l’autre sautillait sur place, dansant d’un pied sur l’autre, comme une petite fille jouant à la marelle, tout en esquissant des tourbillons du bout de son allumette en acier trempé.
Le tableau l’amusait un peu, puis cela faisait longtemps qu’il n’avait pas pu avoir un combat digne de ce nom. Une poignée de jours, certes, tout au plus, mais c’était suffisant pour se relâcher et perdre son agilité. Il espérait sincèrement que l’Estoc soit à la hauteur de sa réputation, afin de pouvoir la réduire en poussière.
À quelques pas l’un de l’autre, Ulric commença à marcher lentement en cercle. Athos le suivit du regard, sans broncher, sans esquisser un seul mouvement. Il avait horreur de ces minauderies. Il leva les yeux au ciel puis en quelques enjambées, fut sur Ulric, renversa sa garde puis de la pointe de son épée, trancha le tissu de sa chemise si bien que la manche ainsi sectionnée vint s’effondrer au sol.
À bien y réfléchir, peut-être s’était-il trompé sur les aptitudes de son adversaire et devrait-il ralentir son jeu. Un instant pris de court, Ulric se ressaisit, et enchaîna plusieurs coups qui firent reculer Athos. Celui-ci, bon joueur, fit croire qu’il était en mauvaise posture et se retrouve acculé de plein gré contre un mur. Lorsqu’il vit les yeux de son ennemi s’illuminer face à cette victoire factice, il bondit, agrippa le rebord d’une fenêtre au-dessus de lui, ses pieds prirent appui sur le mur, et il balança son poids en avant, afin de sauter à quelques mètres derrière Ulric et de se réceptionner au sol. Furieux, l’autre revint à la charge, cinglant l’air avec sa lame, soufflant comme une forge.
Un coup effroyable vint heurter Athos sur la tempe qui le projeta au sol. Un instant, sa vision se brouilla, menaçant de s’éteindre et de sombrer dans l’inconscience mais il tint bon. Ulric était aussi étendu au sol, probablement déjà évanoui ; il ne bougeait point. La foule poussait des cris et se dispersa rapidement, bientôt la rue fut déserte. Toujours allongé, Athos ne distingua rien, il tenta péniblement de se mettre debout. Enfin il posa un genou à terre et fut de nouveau terrassé par un coup de massue. Il perdit connaissance.
Des cavaliers vinrent ramasser les corps inertes et les attacher solidement à la selle de leurs montures avant de filer tout aussi vite qu’ils étaient venus, en direction du Nord. Galopant comme si le diable était à leurs trousses, ils finirent par établir un bivouac improvisé dans un bois, vers les Chutes de Haldevast.
Un mal de crâne monstrueux cueillit Athos à son réveil. Les yeux toujours clos, il constata les liens enserrant ses poings et pieds, ligoté comme un gigot, les flammes d’un feu de camp lui léchant le visage. Il s’écarta précipitamment de la source de chaleur en roulant sur lui-même et aperçut Ulric non loin de lui. Il maugréa devant le sommeil profond de ce rustre. Il balaya la scène du regard, tentant de s’asseoir. Trois chevaux étaient attachés à un arbre derrière, ils devaient se situer dans le bois de Langue Sèche de Haldevast, en direction Nord-Ouest du palais, estima Athos, selon la configuration du ciel. Ils étaient seuls vraisemblablement, leurs ravisseurs les avaient délaissé, par imprudence peut-être. Un excès de confiance se payait toujours tôt ou tard. Il ne pouvait distinguer son épée mais il espérait qu’elle se trouvât dans l’une des sacoches au dos des chevaux. Jetant un coup d’œil à la forme inerte de son compagnon, il plia ses deux jambes et lui assena un coup de pied de bienvenue dans cette nouvelle aventure qui ne lui soutira qu’un grognement. Il réitéra jusqu’à ce que son compagnon se réveille enfin. Ulric écarquilla les yeux et ouvrit la bouche, hoquetant comme un poisson hors de l’eau, sans produire de sons cohérents autre qu’un « Que, quoi, qui » aux intonations interrogatoires qui laissèrent Athos indifférent.
— Bon sang, Ulric, un peu de nerf ! Allez, debout là-dedans ! J’ai une lame cachée à l’intérieur de ma botte droite, il suffit que tu la prennes et tranche mes liens.
Ulric s’ébroua, sembla reprendre un peu ses esprits puis suivit les instructions d’Athos. Perdant patience face aux essais infructueux du Prince, il prit la lame et trancha les liens d’Ulric. Celui-ci enfin libéré jaillit en avant sans un regard pour son camarade toujours prisonnier de ses liens. Il fonça sur les chevaux, s’empara de son épée, sous les appels insistants d’Athos qui le conjurait de le libérer.
— Sale petit bourge ingrat, tu vas voir…
Attirés par les éclats de voix, les trois ravisseurs revinrent, lames brandies et attaquèrent Ulric. Athos rampait tant bien que mal en direction de la lame qu’avait laissée tomber Ulric et roula sur lui-même lorsqu’un coup s’abattit à côté de lui. Il planta la lame dans le pied de son ennemi, la retira, produisant un chuintement couvert par un hurlement de douleur. Un orteil vint s’échapper des sandales en cuir sanguinolentes face à lui. Enfin libre, il se précipita vers les chevaux mais un mouvement dans son champ de vision capta son attention, et il saisit au vol son épée qu’avait lancée Ulric. En moins de temps qu’il ne faut pour dire Trois Pattes, ils réduisirent en purée leurs assaillants.
— C’était la Cavalerie Royale, j’ai peut-être même combattu avec ces hommes-là.
Athos demeura interdit. Pourquoi cette trahison ? Non que la vie du Prince et les conflits de son pays ne l’intéressa, il ne comprenait pas l’objet de cette capture.
Le Roi était-il derrière toute cette mascarade ?
Athos entendit un bruit sourd et vit Ulric enfourcher un des destriers. L’air déterminé, il réajusta les sacoches et prit les rennes d’un air hautain, comme à la tête d’une armée.
— La prochaine cité se trouve à moins d’une demi-journée de chevauchée d’ici. Je connais un ami qui pourrait nous héberger le temps de nous reposer. Mon père va payer pour son erreur !
La vengeance était un sentiment pour les faibles, songea Athos. Elle dotait cependant de témérité et de force celui qui se mettait en quête d’assouvir sa soif de revanche.