Je suis l'exemple de Rain
L'idée m'avait trotté dans la tête un moment mais je crois que sans le blind test je l'aurais pas écrite, je trouvais pas assez de matière autour pour en faire une nouvelle. Mais comme les textes du blind test sont courts... hahaha. Finalement c'était une bonne occasion.
La signification du titre est un spoil :
Virvatuli signifie feu-follet en finnois. J'trouvais ça joli et j'avais pas d'autre idée.***
« Tu es en retard, Eliane. »
Anaël balance un instant ses jambes dans le vide, avant de sauter du rocher où il était assis. Je le laisse s’approcher de moi. Il porte une chemise claire entrouverte, et ne semble pas se soucier de la petite brise qui agite contre sa gorge des mèches de cheveux fins.
« Tu m’as dit de venir à la tombée de la nuit. Le soleil n’est pas couché depuis longtemps. »
Avec une petite moue, il lève son visage vers le ciel. Seules deux étoiles brillent dans la voûte sans nuages. Le bleu, déjà très sombre à l’est, est encore pâle du côté du village. Je n’ai croisé personne sur mon chemin ; il est tard et tout le monde se repose, à l’intérieur, de la chaleur étouffante de la journée. Anaël hausse les épaules comme si, finalement, cela n’avait pas d’importance.
« Qu’est-ce que tu voulais me montrer ? »
Malgré mes efforts, je ne peux cacher mon intérêt. Cela le fait sourire ; il attrape ma manche et m’attire doucement derrière lui.
« Chut. Suis-moi. »
Nous marchons à vive allure pendant un moment. Quand Anaël ralentit, il fait déjà presque noir. Il n’y aura pas de lune, ce soir. Je me demande s’il a fait exprès de me donner rendez-vous à ce moment précis. Nous atteignons la forêt, et je crains un instant qu’il ne m’y emmène ; je n’aime pas l’idée de traverser le bois, sans aucune lumière. Mais il se contente de le longer.
Le temps me paraît long. C’est comme si nous avions toujours marché dans le soir qui fraîchit, au milieu des odeurs qui restent de la lourde journée. Je finis par me demander pourquoi j’ai accepté de le suivre. Il n’a même pas pris de torche.
« Nous y sommes. »
Après une côte légère, nous débouchons sur un ancien champ à l’abandon ; je suis venue ici quelques fois, quand on y cultivait des céréales. L’herbe, qui commence à être humide, chatouille mes chevilles. Je regarde Anaël s’asseoir par terre et l’imite. Je n’ai toujours pas compris pourquoi il m’a amenée là, mais il semble tellement pensif que je n’ose rien lui demander.
Le temps passe. Recroquevillée, le menton sur mes genoux, je crois que je me suis assoupie un instant. J’ai l’impression de me refroidir tout doucement. Je ne réalise pas tout de suite que c’est Anaël, en me pressant l’épaule, qui m’a tirée de ma torpeur.
« Regarde, Liane. »
Je lève les yeux au ciel. L’immensité étoilée me donne le vertige. Puis je repose le regard sur la plaine, et plisse les yeux. Il y a de petites lumières autour de nous. Je pense d’abord à des lucioles, mais celles-ci sont bien plus fortes, et tout près du sol.
« Tu les vois ? »
Des flammèches bleues et vertes tout autour de la plaine. Comme si des étoiles étaient tombées du ciel pour venir s’enflammer ici. Le spectacle est à couper le souffle, et en même temps, me paralyse. Je sais que je suis éveillée ; je sens l’herbe froide sous moi, et la brise dans mon cou. La main d’Anaël, toujours posée sur mon épaule, me secoue doucement. Je m’efforce de respirer lentement, puis, d’une voix enrouée :
« Qu’est-ce que c’est ? »
Il ne me répond pas tout de suite. Les lumières dansantes sont éphémères, elles disparaissent et se rallument à quelques pas de nous. Il y en a parfois deux, ou trois en même temps.
« Ce sont des feux follets. On en voit quelques fois dans les cimetières. On dit que ce sont des esprits qui veillent sur les morts. C’est joli, hein ?
- Oui. »
Les lumières bleues et vertes me fascinent. Mais j’ai senti une tension dans le ton d’Anaël, une inquiétude qui ne lui ressemble pas. Comme s’il parlait avec ironie.
« Rien ne te dérange ?
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
- Je les ai vus pour la première fois il y a quelques jours, mais c’était par hasard. Personne ne vient par ici la nuit. Je savais ce que c’était, j’en ai déjà vu dans le cimetière. On en voit dans les marais, aussi. Mais pas ici. Ils ne devraient pas être là. »
Une lumière sur ma gauche me fait sursauter. Quand je comprends ce qu’il veut dire, je me relève précipitamment, les bras serrés sur ma poitrine, mes ongles enfoncés dans ma peau.
« Qu’est-ce qui se passe, Anaël ? Pourquoi les esprits viennent-ils ici ? »
Il reste assis et rit doucement, avec douleur, me semble-t-il.
« Je ne pense pas que ce soient des esprits. Ce ne sont que des flammes. Mais je me suis posé la même question. J’ai fouillé un peu, par ici. Regarde ce que j’ai trouvé. »
Il renverse sa poche et me tend de petits objets. Je me baisse pour les prendre entre mes doigts. Ils sont froids, métalliques. Le premier est une bague. Il y a aussi un médaillon, des choses qui ressemblent à des boucles d’oreilles, des pierres.
Le dernier objet m’intrigue. Il y en a deux autres du même type. Sa texture est très douce, et sa forme ne ressemble à rien que je connaisse. Je le tourne plusieurs fois entre mes phalanges. Contre mes phalanges. Et puis je comprends. Je ne peux m’empêcher de crier ; je serre mon crâne entre mes mains en lâchant par terre une pluie de petits bijoux, et d’osselets.
« Ce n’est pas un champ, Liane. C’est un tombeau. »