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29 mars 2024 à 08:25:06
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Auteur Sujet: The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)  (Lu 62914 fois)

Hors ligne Maroti

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #30 le: 08 février 2020 à 19:59:44 »
Les ténèbres cachent de nombreuses imperfections. L’ombre dissimule ceux qui trouvent le soleil épuisant et sa vive lumière un anathème. La faible lumière  qui n’est pas les véritables ténèbres mais qui obscure l’ombre, là où seules les indistinctes silhouettes sont visibles pour conjurer des cauchemars pour les humains et ceux lié à leur espèce.

Mais certains habitent dans ces ombres.

Deux individus conversaient dans les ténèbres de la pièce. L’emplacement exact de cette pièce n’avait pas d’importance. Les pièces avaient peu d’importance en ces lieux, dans les catacombes et l’interminable labyrinthe de galeries.

L’un d’entre eux était une femelle. Le second était Klbkch. La femme bougea dans les ombres et sa voix profonde fit trembler l’air.

« T’ai-je bien compris, Klbkch ? Demandes-tu vraiment une Expédition après que le seul résultat obtenu jusqu’à ce point est la folie ? »

Klbkch secoua la tête.

« Non, ma Dame. Je demande humblement que quelques Ouvriers, peut-être une dizaine ou une vingtaine, soit autorisé à quitter la ville sous ma surveillance. Ils visiteront une auberge locale pendant plusieurs heures avant de revenir. »

« Intéressant. »

Le mot se déroula comme un riche drap de velours noir, cachant connotations et sens. La femme s’arrêta.

« Est-ce une de tes idée, mon cher Klbkch ? Puis-je espérer que mon Prognugator a tant changé ? »

Klbkch secoua de nouveau la tête.

« Je reste tel que je l’ai toujours été, ma Dame. Je regrette que cela ne soit pas mon initiative. Elle, l’aubergiste dont je parle, me l’a demandé. »

De la surprise pouvait se faire entendre à travers l’épaisse voix de la femelle alors que ses mots se réverbéraient à travers la caverneuse chambre.

« Elle le demande ?  Quelle espèce désire la présence d’Ouvriers si ce n’est pas pour les faire travailler ? »

« Une Humaine. Et elle n’a pas spécifiquement  demandé des Ouvriers. Plutôt, elle est encline à vendre de la nourriture à notre peuple. Des mouches acides. Elles souhaitent faire du bénéfice en vendant à notre espèce. »

« Est-ce que cette humaine est sincère ? »

« À ma connaissance et au meilleure de mes capacités, je crois qu’elle l’est. »

De nouveau, de la surprise fut la principale émotion présente dans la voix de la femelle.

« Toi, Prognugator ? Tu crois ? Alors tu as véritablement changé. Quel est le nom de cette Humaine qui t’a changé ? »

Klbkch hésita. Il inclina la tête en direction de la femelle.

« Son nom est Erin Solstice, ma Dame. Et je crois… Oui, je crois que son expérience peut aider la progression du Plan. Au moins, cela augmentera la confiance qu’elle porte en notre espèce. »

« Et pourquoi devrai-je écouter sa requête ? »

Klbkch ouvrit ses mains. Elles étaient humanoïdes, ou du moins, ressemblaient plus à des mains que des appendices d’insecte. Cela ne pouvait pas être dit des appendices de la femelle.

« Le Plan as-t-il changé ? Ne souhaitons-nous plus améliorer nos relations avec les autres espèces ? »

La femelle se mût dans les ténèbres. Sa voix changea, sifflant doucement avec regret et frustration.

« Le Plan n’a pas changé, Klbkch. Mais nous avons changé. Et non pas dans la direction que nous désirons. Non, ce changement provient des Autres. Ils ont de nouveau commencé à questionner le Plan. »

Klbkch releva la tête. Ses mains bougèrent aux pommeaux de ses épées sans qu’il ne le réalise.

« Ils questionnent votre volonté, ma Dame ? »

Elle fit un mouvement languissant d’une antenne dans sa direction.

« Pas en tant que tel. Du calme, mon champion. Mon autorité n’est pas diminuée. Et pourtant. Les Autres bougent, Klbkch. Ils parlent d’envoyer des émissaires, ou de lever des armées. »

L’Antinium masculin releva brusquement la tête. Ses antennes tressaillirent.

« Est-ce que cela veut dire que vous voulez de nouveau essayer les Premières Expériences ? Si je peux offrir mes conseils, cela semble… Imprudent. »

Elle hocha la tête dans la pénombre.

« Oui. Mais ils deviennent impatients. Donc leurs idioties peuvent être acceptées si quelque chose n’est pas fait. C’est pourquoi je vais autoriser ce risque. Prends douze Ouvriers. Laisse les visiter cette jeune Solstice. »

Klbkch s’agenouilla sur l’un de ses genoux segmenté.

« Merci, ma Dame. Je ne trahirai pas la confiance que vous avez en moi. »

Un grand soupir retentit dans la pièce, faisant bouger les antennes de Klbkch alors que l’air bougea.

« De cela je ne doute pas. Mais j’ai besoin de plus que ta loyauté. Klbkchhezeim  des Libres. Je dois avoir des résultats. Peux-tu me promettre cela ? »

Il était figer et toujours agenouillé devant elle. Puis Klbkch leva le regard et secoua lentement la tête.

« Je ne le peux. Mais j’essayerai. »

« Très bien. Alors essaye. »

Klbkch hocha la tête. Il se releva, et commença à sortir de la pièce avec des mouvements rapides et précis.

« Klbkch. »

Il se retourna. Depuis les ténèbres une antenne se pointa vers lui et la forme titanesque bougea.

« Tu ne dois pas échouer dans cette mission. Le Plan stagne depuis trop longtemps. Si les prochaines générations échouent, je crains que d’autres retombent dans les anciennes coutumes. »

Klbkch baissa la tête.

« Je m’assurerai que tout se déroule sans problèmes, ma Dame. Erin Solstice n’est pas hostile à notre espèce. Je crois qu’elle aura une influence positive sur eux. »

« Alors pars. Mais j’ai une dernière chose à te demander. »

« Oui, ma Dame. »

« Ahem. Ces mouches… Quel goût ont-elles ? »

« Je vous rapporterai un échantillon, ma Reine. »

« Bien. »

***

Erin était en train de faire une liste.

« D’accord, est-ce que j’ai tout ce qu’il me faut ? Recommençons depuis le début. Le cellier ? Plein à craquer ! La coutellerie ? J’ai ce qu’il faut, même si ce n’est pas de l’argent. »

Elle se retourna et se dirigea vers une autre table.

« Du jus de fruit bleu ? Ouaip. Quatre pichets et un panier de fruits bleus. »

Elle avait nettoyé plusieurs arbres pour préparer le repas de ce soir. À ce point elle avait pratiquement mangé la moitié des fruits du verger. Tôt ou tard, elle allait tomber à court de fruit, ce qui pouvait être un problème. Combien de temps fallait-il avant que les fruits repoussent ? Peut-être que Pisces le savait.

« Des mouches acides ? Ouaip. Sont-elles mortes ? Double ouaip. »

C’était presque triste à quel point il était facile de les attraper dans ses pièges flottants. Presque. Erin avait bien vérifié qu’elles avaient toutes explosées avant de faire rouler les jarres dans l’herbe. Elle pensait que les poissons plats dans la rivière devaient aider, vu qu’ils n’arrêtaient pas de se cogner contre les jarres en essayant de manger les mouches. Peut-être qu’ils allaient véritablement en casser une un de ces jours.

« Bien. Je vais me laver en amont des jarres à partir de maintenant. »

Elle devait aussi probablement mettre des panneaux d’avertissements. Même si Erin ne savait pas qui les panneaux allaient avertir. Vu qu’un certain Humain nécromancien restait éloigné des jarres de verre et qu’elle ne savait pas si les Gobelins savaient lire. Dans tous les cas, elle continua sa liste.

« Des pâtes ? Attends, je n’ai pas besoin de pâte. »

À moins que Relc ne passe. Mais d’après ce que le Drakéide avait dit, il ne semblait pas aimer les Antinium à l’exception de Klbkch donc c’était peu probable. Erin en mit une casserole sur le fourneau juste au cas où, elle pouvait toujours les manger plus tard.

L’un des avantages les plus charmants de vivre prêt d’une ville était qu’il n’était pas nécessaire de faire ses propres pâtes. À la place, il suffisait d’en acheter à une étrange madame Gnoll qui savait exactement quand tu avais tes règles. En d’autres termes, il y avait des avantages et des désavantages à vivre proche de la ville.

« Ok. C’est tout. J’ai du pain au cas où Pisces s’arrête, et j’ai même du fromage. Du délicieux fromage qui sent bien le fromage. Provenant probablement d’une vache. Et je pari que Klbkch est aussi intolérant au lactose. »

Son cellier était plein, ses assiettes et verres étaient propres, et elle avait même sortit et préparer l’échiquier. Elle pensait que Klbkch serait peut-être intéresser par une partie ou deux… Si elle n’était pas occupé à nourrir ses clients.

Pendant un instant, Erin posa la tête contre l’un des murs en se demandant comment elle en était arrivé là. Une fille du Michigan ne devrait pas penser qu’il était normal de vendre des torses de mouches mortes à des gens-fourmis qui pouvaient marcher et qui allaient la payer en pièce d’argent. Elle était probablement en train de les arnaquer, mais Klbkch semblait être prêt à payer n’importe quel le prix pour les mouches. Et il avait mangé six bols avant de s’en aller.

Maintenant tout ce qu’Erin avait à faire était attendre jusqu’à ce que Klbkch vienne avec les amis qu’il avait promis d’amener.  Il avait dit qu’ils seraient là dès qu’ils avaient terminé leur travail. Est-ce qu’ils étaient tous des gardes ? Erin avait oublié de demander.

Quelqu’un frappa à la porte de l’auberge. Erin se retourna et l’ouvrit avec un grand sourire.

« Salut Klb… Oh. »

L’intégralité du groupe de Gobelin fit un pas en arrière alors qu’Erin les regarda. Les huit, non, neuf d’entre eux étaient agglutinés et poussèrent leur leader en avant, un petit Gobelin portant des loques. Erin se souvenait de ce Gobelin.

« C’est… C’est toi. Est-ce que, hum, est-ce que tu veux quelque chose ? »

Le Gobelin loqueteux tendit maladroitement une main vers Erin. Elle cligna des yeux en voyant le tas de pièces de cuivre et d’argent recouvert de terre reposant au creux de la petite paume.

« Oh. Oh ! Tu veux manger, pas vrai ?»

Le Gobelin loqueteux hocha la tête brusquement. Erin ouvrit la porte avant de leur faire signer d’entrer.

« D’accord, rentrez. »

Le Gobelin loqueteux hésita. Il montra de nouveau les pièces à Erin.

« Hum. Le premier repas est gratuit. »

Le Gobelin, qu’Erin avait décidé d’appeler Loques, la regarda sans comprendre. Apparemment ‘gratuit’ n’était pas facile à comprendre pour une race qui prenait ce qu’ils voulaient. Tout était gratuit, ou rien n’était gratuit.

« Et si je prenais l’argent et que je te nourrissais jusqu’à ce qu’il y en ait plus, d’accord ? »

De nouveau, Loques la regarda sans comprendre mais semblait soulagé quand Erin prit l’argent. Erin se dépêcha de déposer les pièces sales sur le comptoir du bar en souhaitant avoir de l’eau chaude et du savon.

« D’accord. Ce n’est pas le meilleur moment, mais pourquoi ne pas t’installer sur cette table avec tes amis ? »

Les Gobelins se rendirent docilement à la table qu’Erin avait pointé du doigt avant de s’asseoir. Erin hésita. Quelle était la suite ?

« C’est vrai, la nourriture. »

Les huit têtes se relevèrent et les Gobelins regardèrent Erin. Celui qu’elle avait déjà nourri auparavant était en train de baver sur la table.

« Donnez-moi cinq… Dix minutes et je vous apporterai tout ce que vous pouvez manger. J’ai juste besoin de mettre une autre casserole sur le feu. Et de faire de la soupe. Mais j’ai du pain ! »

Erin se retourna. Oui, elle allait rapidement leur préparer quelque chose. Elle fonça dans la cuisine et en ressortit avec une miche de pain frais ainsi que du fromage et des saucisses. Les Gobelins regardèrent avidement les assiettes qu’Erin était en train de remplir. Ils sursautèrent quand elle était proche, et quand elle leur tendit une fourchette ils passèrent sous la table comme s’ils s’attendaient à ce qu’elle les poignarde.

« Vous pouvez commencer à manger pendant que je prépare plus de nourriture, d’accord ? »

Les Gobelins regardèrent la nourriture. Loques approcha lentement sa main de la miche et Erin lui tapota le dessus de la tête. Tous les Gobelins sursautèrent.

« Oh, hum. Désolé pour ça. Je vais vous le couper. »

Confus, les Gobelins regardèrent Erin entrer de nouveau dans la cuisine. Leurs yeux errèrent sur le pain qui sentait délicieusement bon, sur la viande et su l’étrange chose jaune, et ils se demandaient s’ils pouvaient le manger. Ils relevèrent la tête et hurlèrent alors qu’Erin rentra de nouveau dans la salle commune avec un couteau de cuisine.

« Oh non, ne courrez pas ! Je ne vais pas vous faire de mal ! »

Erin agita ses mains, paniqué, et manqua de se poignarder avec le couteau. Les Gobelins arrêtèrent leurs courses folles vers la porte.

« Je vais juste découper votre nourriture. Vous voyez ? »

Elle alla lentement et prudemment jusqu’à la miche de pain avant de la couper en tranches. Erin sourit alors que les Gobelins retournèrent vers la table avec suspicion.

« Et maintenant je vais déposer le couteau. Plus de trucs pointus. Vous n’avez pas à vous inquiéter, vous êtes en sécurité ici. D’accord ? »

Elle leur fit un autre sourire rassurant. C’est à cet instant précis qu’un groupe d’Antinium entre dans l’auberge, suivit de prêt par Klbkch. Le sourire d’Erin se figea sur ses lèvres.

Klbkch se figea à son tour et les autres grands et identiques insectes noirs et marrons s’arrêtèrent à leurs tours. Les Gobelins étaient pétrifiés dans leurs sièges, mais la moitié d’entre eux commencèrent à se rapprocher de la fenêtre la plus proche.

Erin secoua les mains de manière paniqué en direction de Klbkch. Puis elle se retourna vers les Gobelins avant de leur faire un autre sourire réassurant.

« Ne vous inquiétez pas ! e vous inquiétez pas. Ces gens ne vont pas vous faire du mal. Ils sont des invités. Ils sont aussi là pour manger, compris ? »

Ils hésitèrent, mais Loques semblait être plus solide que ses camarades malgré sa plus petite taille. Elle retourna dans son siège. Et ce Gobelin était une Gobelin, Erin en était certaine. Les autres Gobelins, qui étaient tous des mâles à l’exception d’un d’entre eux, ne portaient rien sur leurs torses. Ils portaient à peine quelque chose pour cacher leurs parties intimes.

Elle les guida jusqu’à leurs sièges et essaya d’éviter de regarder l’entrejambes des Gobelins quand leurs pagnes bougea de manière infortunée. Il y avait une raison pour laquelle les pantalons avaient été inventés.

« Allez-y et manger autant que vous le voulez. »

De nouveau, les Gobelins regardèrent nerveusement les Antiniums, mais maintenant que le choc était passé, la nourriture fraîche les appelait. Il y eut un moment d’hésitation, puis Loques attrapa un morceau de saucisses et les Gobelins commencèrent à avaler toutes la nourriture présente sur la table avec leurs mains.

Elle grimaça en voyant le fouillis, mais au moins ils étaient occupés. Erin se décala doucement en direction de Klbkch, qui était toujours en train d’attendre avec le groupe d’Antinium.

« Salut, Klbkch. Désolé pour la confusion. J’ai eu quelques visiteurs qui sont arrivé de manière inattendue. »

« Il n’y a pas de problèmes, Mademoiselle Solstice. J’ai amené des gens de mon espèce comme tu l’avais demandé. »

Klbkch hocha la tête en direction d’Erin avant de faire un geste aux Antiniums silencieux derrière lui. Erin regarda ses nouveaux clients avec un peu d’appréhension.

Ils étaient comme Klbkch, et différents de lui en même temps. Par contre, ils étaient identiques l’un à l’autre. Erin ne parvenait pas à les distinguer l’un de l’autre, et les douze autres Antiniums se tenaient et bougeaient comme s’ils étaient une seule et même personne.

Elle nota qu’ils étaient légèrement plus maigres que Klbkch, et un peu plus petit. La couleur de leurs… Carapaces étaient nettement plus marron, et leurs antennes étaient plus petites. Et ils ne semblaient pas intéresser par l’idée de parler. Tous les Antiniums regardaient Klbkch plutôt qu’Erin.

« Sont-ils… Sont-ils tes amis ? Ou d’autres gardes ? »

Klbkch secoua la tête.

« Je crains qu’il y ait erreur. Ce sont des Ouvriers, Mademoiselle Solstice. Ce ne sont pas des confrères gardes, mais ils réalisent des travaux dans une partie de la ville où les Antiniums sont acceptés. Je les aie amené car tu as demandé pour plus de clients, mais je n’ai jamais interagit avec eux auparavant. »

« Oh. »

« Ils se comporteront de manière adéquate sous ma supervision, Miss Solstice. »

Klbkch se dépêcha de rassurer Erin. Il se tourna vers le groupe d’Ouvrier Antinium et pointa une table du doigt.

« Vous êtes entré dans l’auberge. Le protocole de politesse est de se présenter et de prendre un siège. Je m’occuperai de vos salutations. Bougez jusqu’à ces tables. »

Ils marchent jusqu’aux tables d’un pas obéissant. Au début, ils s’agglutinèrent autour de la même table, mais Klbkch les dirigea de manière impatiente jusqu’à ce que les Antiniums soient à quatre par table.

« Asseyez-vous ! »

Klbkch ordonna les autres Antiniums et ces derniers s’assirent immédiatement dans les chaises. Le sourire d’Erin continua de disparaitre alors que Klbkch continua de les diriger avec des ordres courts et sec.

Il traitait les autres Antiniums comme… Des moutons. Ou des enfants. Des enfants stupides qui ne pouvaient pas prendre une fourchette sans se la planter dans l’œil. Oui, c’était ça.

Erin regarda Klbkch du coin de l’œil alors qu’il fit la leçon aux autres ‘Ouvriers’. Il leur disait comment utiliser une cuillère, et comment boire depuis un verre. Et comment commander un autre bol de mouches.

« Hum, merci Klbkch. Est-ce que tu veux que j’aille chercher la nourriture ? J’ai des mouches acides, bien sûr, mais aussi des pâtes… »

Erin écarquilla les yeux.

« Oh non ! Les pâtes ! »

Les Gobelins et les Antiniums regardèrent Erin foncer dans la cuisine pour tenter de sauver les nouilles trop cuite. Elle était de retour quelques minutes plus tard en tenant plusieurs assiettes de pâtes avec des bout de saucisse et d’oignon. Elle plaça les assiettes devant les Gobelins.

« Utilisez des fourchettes, d’accord ? Votre ami sait comment utiliser une fourchette. »

Erin pointa les couverts du doigt avant de sortir les bols de mouches acides qu’elle avait préparé. Elle les déposa devant les Ouvriers Antiniums, légèrement mal à l’aise. Ils bougeaient hors de son chemin, mais ne disait pas un mot.

Du moins, c’était le cas jusqu’à ce que Klbkch leur donne un nouvel ordre sec, et les douze murmurèrent un ‘merci’ dès qu’Erin apportait une assiette ou un verre. Mal à l’aise ? Erin était en train de revoir sa définition du mot en ce moment même.

Une fois cela fait, les Antiniums commencèrent à manger sous les ordres de Klbkch. Au moins ils semblaient quelque peu enthousiastes, car ils étaient en train de gober les mouches à une vitesse respectables. Ils mangeaient silencieusement, ce qui était légèrement dérangeant. Mais au moins ils mangeaient.
Erin laissa s’échapper un sourire de soulagement. Puis la porte de l’auberge s’ouvrit.

Un Drakéide familier passa la tête dans la pièce. Il se lança immédiatement dans ce qui semblait être un discours préparé à l’avance en tenant maladroitement un échiquier devant lui.

« Bonsoir, Mademoiselle Erie ! J’espère que cela ne te dérange pas si je passe, lais je me demandais si tu aimerais faire une partie d’éc… »

Olesm s’arrêta et regarda la pièce silencieuse. Sa mâchoire se décrocha quand il vit les Gobelins, avant de se décrocher un peu plus quand il vit Klbkch et les Antiniums. Il posa lentement une main sur la porte.

« … Ce n’est pas le bon moment, je suppose ? »

***


Erin était allé à des enterrements. Enfin, elle avait assisté à un enterrement. Et même s’ils étaient des occasions tristes et solennelles, elle pouvait dire qu’elle avait assisté des enterrements qui étaient plus bruyant que son auberge en cet instant.

Au moins les enterrements avaient des gens qui toussaient, des reniflements occasionnels, des enfants qui gigotaient et des bébés qui pleuraient. Dans l’Auberge Errante, tout ce que Erin pouvait entendre était les bruits de mastications des Gobelins alors qu’ils avalaient leurs repas et les silencieux craquements que les Antiniums faisaient en mangeant leurs mouches et en cliquetant leurs mandibules.

Chomp. Chomp. Chomp.

Le regard d’Erin passa des Antiniums aux Gobelins avec un sourire désespérément joyeux plâtré sur son visage. Les deux côtés ne se regardaient pas directement, mais elle avait l’impression qu’ils étaient silencieusement en train de jauger. Les Gobelins pour prendre la fuite, et les Antiniums… Ne faisaient que regarder.

L’atmosphère était si tendue qu’il était possible de… Enfin, Erin était pratiquement certaine que sortir un couteau serait une catastrophe. Les Gobelins étaient nerveusement en train de regarder les Antiniums, et les Antiniums étaient effrayants dans leur silence et leur uniformité. Ils mangeaient et bougeaient de manière parfaitement synchronisé.

Erin circulait dans la pièce, un pichet de jus de fruit bleu en main. Elle remplissait les verres, reprenant les assiettes pour les remplir, et enseignait aux Gobelins à ne pas mettre les doigts dans leurs nez. Elle avait l’impression d’être la seule serveuse dans un restaurant complet, mais Erin était prête à relever le challenge. Du moins, elle espérait l’être.

Elle n’était pas en train de prendre des commandes ou de nettoyer les assiettes, pas tout de suite. Tout ce qu’elle faisait était de s’assurer qu’il y avait de quoi manger devant ses clients. Les Gobelins n’étaient pas compliqués, ils mangeaient tout ce qui se trouvait devant eux. Mais les Ouvriers ? Ils étaient difficiles. Erin devait être certaine qu’ils n’avaient pas de bol vide ou ils s’arrêtaient de manger. Ils ne demandaient même pas à être resservit.

Pendant un creux entre ses services, Erin s’arrêta devant la table de Klbkch et d’Olesm. Les deux étaient discrètement en train de se parler, ce qui les rendait extrêmement bruyant dans le silence de l’auberge.

« Comment allez-vous tous les deux ? »

Olesm et Klbkch se regardèrent pour être certain qu’Erin s’adressait bien à eux. Olesm lui fit un léger sourire.

« Je me porte bien, Mademoiselle Solstice. Ou… Puis-je t’appeler Erin ? »

« Je t’en prie. J’en ai assez de me faire appeler par mon nom de famille. J’ai l’impression d’être ma mère. »

« Mes excuses. »

Klbkch inclina la tête et Erin se sentit coupable, elle changea rapidement de sujet.

« Est-ce que vous apprécier votre repas ? Je peux vous apporter quelque chose ? »

« Un autre verre de jus bleu, peut-être ? »

Olesm leva son verre et Erin le rempli à ras-bord, gagnant un sourire de sa part.

« C’est délicieux. »

« Merci. »

Ils s’arrêtèrent tous les deux, gênés. Olesm jeta un coup d’œil dans l’auberge et s’agita légèrement sur sa chaise, mal à l’aise.

« Est-ce que tu… Est-ce que tu sers souvent des Gobelins dans ton auberge ? J’ai vu le panneau, mais je dois l’admettre, c’est la première que je vois un Gobelin n’essayant pas de poignarder quelqu’un ou de prendre la fuite. »

D’un seul mouvement, les Gobelins arrêtèrent de manger et regardèrent en direction d’Olesm. Ce dernier eut un mouvement de recul.

« Hum, non. Ils sont aussi nouveaux. »

« Oh, je vois. »

Plus de silence. Erin regarda la table. Le Tacticien Drakéide avait apporté son échiquier, et même s’il l’avait mis de côté pour manger, elle pouvait voir qu’il y jetait un coup d’œil de temps en temps.

« Pourquoi ne pas faire une partie d’échecs ? Quelqu’un est intéressé ? »

Klbkch et Olesm relevèrent la tête.

« Oh, j’aimerai pouvoir jo… »

Olesm se rattrapa, avant de regarder les autres clients de manière coupable.

« Mais je ne veux pas te déranger dans ton travail, alors peut-être une autre fois. »

Il semblait tellement triste qu’Erin voulait lui tapoter le dessus de la tête. Elle y pensa pendant un instant avant de sourire.

« Oh, ne t’inquiète pas. Nous pouvons faire que ça marche. Je vais jouer contre toi et servir mes plats. »

Klbkch et Olesm la regardèrent de manière incrédule et Erin leur fit un sourire.

« Je suppose que vous n’êtes pas familier avec le système de notations des parties d’échecs ? »

***

« D’accord, donc tu as bougé ton pion de deux cases. C’est E4, donc tu n’as qu’à me dire que tu as bougé ton pion en E4, compris ? Et quand je veux bouger, je te le ferai savoir en disant, oh, pion en D5. »

Olesm hocha la tête en regardant l’échiquier. Il bougea soigneusement le pion noir de deux cases et regarda Erin. Elle hocha la tête.

« Compris ? »

« Je crois que oui, Erin. »

« Bien. Alors jouons ! »

Erin tourna le dos à Olesm et attrapa un verre pour le remplir. De l’autre côté de la pièce, Klbkch et Olesm se penchèrent sur l’échiquier et discutèrent entre eux. Olesm bougea une pièce.

« Pion, ha, pion en F3, Erin. »

« Compris ! Cavalier en C6 ! »

Erin se concentra sur la partie tout en marchant dans l’auberge. Elle ne se rendit pas compte que les Gobelins ralentirent leurs repas et que les Ouvriers Antiniums firent une pause dans leur dégustation pour la suivre du regard. L’esprit d’Erin était concentré sur une seule chose alors qu’elle changeait et remplissait les assiettes de manière mécanique.

La partie. Certains disaient que le golf était le plus grand des jeux jamais joué. Ils avaient peut-être raison, mais Erin aimait les échecs par-dessus tout.

Elle pouvait même y jouer dans sa tête.

***

« Fou en D6. »

« Hum. Dans ce cas je vais bouger… Hum, je pense que je vais bouger mon pion en D4. »

« Reine en H4 ! Échec ! »

Erin sourit aussitôt après avoir terminé sa phrase. Elle entendit Olesm grogner de consternation.

« Ah. Alors… Alors pion en G3 ? »

De nouveau, Erin répondit avant qu’il ne termine sa phrase.

« Fou prends pion en G3. »

« Pion prends fou en G3. »

« Et je vais prendre ta tour en H1. »

Erin sourit de plus belle alors qu’Olesm siffla de détresse. Dans son imagination elle vit son reine assis dans un coin du côté d’Olesm, entouré par de délicieuses pièces non protégées.

La partie continua, mais c’était du simple nettoyage. Erin continua de joyeusement manger les pièces d’Olesm avec sa reine. Il parvint finalement à la prendre avec sa propre reine, mais uniquement après avoir perdu un cavalier et un fou. Après ce mouvement, Erin avait toujours plus de pièces et était mieux positionné sur l’échiquier.

« Je concède. »

Olesm fit tomber sur roi du bout d’une griffe et regarda l’échiquier, découragé. Erin s’arrêta de découper des saucisses pour le Gobelin assez longtemps pour voir Klbkch gentiment tapoter l’épaule d’Olesm pour le consoler.

« C’était une bonne partie. »

Le Drakéide secoua la tête.

« Tu me donnes trop de mérite. J’ai fait de nombreuses erreurs qui m’ont coûté trop de pièces. Mais je crois que tu m’avais dès le début. Aurais-tu la gentillesse de me montrer mes erreurs ? »

« Bien sûr. »

Erin marcha jusqu’à la table. Elle réarrangea les pièces comme elles avaient été au début de la partie et bougea le pion d’Olesm de deux cases.

« Tu as ouvert avec un classique : l’Ouverture du Pion Roi. C’est un bon début. »

Olesm regarda l’échiquier sans comprendre.

« J’ai simplement bougé mon pion en E4. Est-ce un coup si notable qu’il a une stratégie à son nom ? »

Erin hocha la tête avec enthousiaste.

« Oh, c’est un classique. Tu savais qu’un quart des parties d’échecs commencent avec ce coup ? C’est idéal pour prendre l’espace central, mais malheureusement pour toi j’adore jouer contre ce genre de coup. »

Klbkch leva une main.

« Veux-tu dire qu’il existe des contres établis pour stopper cette ouverture ? »

Elle hocha la tête et poussa un pion noir en avant.

« Oh, il existe de nombreuses bonnes stratégies. J’ai contré avec l’un de mes vieux favoris, la Défense Sicilienne. Très efficace contre le Pion Roi, mais tu as fait une erreur que tu as bougé ton pion en F3. Tu n’ouvres pas assez d’espace pour sortir tes pièces, et tu veux un cavalier pour mettre la pression de mon côté de l’échiquier. Bien sûr, tu peux essayer de prendre mon pion, mais ça laisse ton centre ouvert. La plupart des joueurs essayent d’avancer de manière agressive mais c’est pour ça que la Défense Sicilienne marche autant vu que cela veut dire que tu vas devoir perdre un pion si tu veux avancer de l’autre côté. »

Erin s’arrêta et regarda autour de l’auberge. Olesm avait un regard a moitié vitré et à moitié enchanté. Les Gobelins, ainsi que les autres Antiniums et Klbkch la regardaient bouche bée.

« Heu, désolé. J’ai tendance à m’éparpiller quand je me concentre dans les échecs. »

« Non…  Ne t’inquiète pas, Mademoiselle Erin. »

Olesm secoua sa tête avant de lui sourire. Ses yeux étaient vivants d’intérêt et elle remarqua que sa queue s’agitait sur le sol comme celle d’un chien.

« Tu as une impressionnante compréhension de cette partie !  Comment cela se fait-il que tu en saches autant sur les échecs ? J’en ai seulement entendu parler l’année dernière, et pourtant tu dis qu’il existe des stratégies qui ont déjà été mises en place ? »

« Oui ? »

Erin croisa les doigts alors qu’Olesm soupira joyeusement. Elle espérait vraiment qu’elle n’allait pas devoir expliquer qu’elle venait d’un autre monde. Elle jeta un regard à Klbkch et se demande si elle devait jouer contre lui pour la prochaine partie. Puis elle regarda Olesm et Klbkch avant d’avoir une idée.

Elle fit un sourire machiavélique.

« Oui, j’adore jouer aux échecs. En fait, je vais jouer contre vous deux en même temps, si vous le voulez. »

Olesm et Klbkch se lancèrent un regard. Les deux froncèrent légèrement les sourcils. Enfin, Olesm fronça ses sourcils non existants et Erin avait la distincte impression que Klbkch était en train de froncer les sourcils.

« N’es-tu pas en train de nous prendre un peu trop à la légère, Erin, »

Elle cligna des yeux de manière innocente à Olesm.

« Moi ? Bien sûr que nous. Mais je pari que je peux jouer contre vous deux tout en continuant de servir la clientèle tout en gagnant contre au moins l’un de vous deux. Vous voulez tester ma théorie ? »

Ils le voulaient. Erin sourit pour elle-même alors qu’Olesm et Klbkch préparèrent leurs pièces à deux bouts de la pièce. Chaque joueur regardait son échiquier avec intensité qu’elle pouvait pratiquement sentir. Ils lui rappelaient les adultes contre lesquels elle avait joué en étant en primaire. Personne n’aimait être battu par un écolier. Elle luttait pour garder un visage sérieux.

Klbkch bougea en premier. Erin regarda son échiquier et décida de bouger une pièce sur l’échiquier d’Olesm en réfléchissant à son coup. Elle circula dans la pièce, remplissant des verres avec le peu de jus qu’il lui restait. Quand Olesm bougea sa pièce elle frappa Klbkch avec un cavalier. Et puis elle retourna dans la cuisine pour faire des pâtes car les Gobelins avaient de l’appétit.

Les parties continuèrent alors qu’Erin remplie les bols de mouches mortes pour les tendre vers les Ouvriers. Ils mangèrent joyeusement les mouches, mais elle avait la distincte impression qu’ils étaient en train de l’observer alors qu’elle faisait des allez-retours entre les deux échiquiers.

Occasionnellement, Erin attendait que l’un des deux joueurs bouge une pièce, mais quand elle bougeait d’échiquiers en échiquiers, elle attaquait rapidement, ne donnant pas l’impression de s’arrêter pour réfléchir. Elle pouvait voir que Klbkch et Olesm la regardait autant que l’échiquier, mais elle continua de jouer contre les deux joueurs sans effort et en servant ses clients.

Son audience regardait le double jeu avec intensité. Erin gardait aussi un œil sur eux, et vit que Loques et les Ouvriers Antiniums regardaient les pièces de Klbkch et d’Olesm avec intensité. Les yeux des Gobelins étaient plissés alors que les Ouvriers semblaient confus. Erin sourit, mais continua de balayer la pièce pour remplir des verres, et bouger rapidement des pièces sur chaque échiquier.

Eventuellement, les parties se terminèrent avec une victoire pour Klbkch et une défaite pour Erin.

« Félicitations, Klbkch. Et félicitations à toi, Erin. »

« En effet. Je suis très impressionné par tes capacités. »

Erin sourit au deux joueurs et tenta de ne pas rire.

« Oui, c’était une bonne partie. Dommage que je ne jouais pas contre vous. »

« Quoi ? »

Elle pointa l’échiquier d’Olesm du doigt. Son Roi était coincé par une reine et un fou.

« Est-ce que tu remarques quelque chose de similaire à propos de l’échiquier de Klbkch, Olesm ? »

Il le regarda. Du côté de Klbkch, il avait coincé le roi d’Erin avec une reine et un fou. Les pièces étaient exactement au même endroit que sur l’échiquier d’Olesm.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? »

« Je vous ait fait jouer l’un contre l’autre. C’est le plus vieux truc au monde. J’ai entendu dire qu’un gars avait essayé de le faire contre deux Grands Maîtres et avait échoué. Et j’ai toujours voulu le faire au moins une fois.

Erin sourit alors que Klbkch et Olesm s’exclamèrent, avant de lever les mains au ciel et d’immédiatement demander une nouvelle partie. Elle était en train de mettre les pièces en place pour une véritable double partie quand quelque chose arriva.

L’un des Ouvriers se leva.

Instantanément, Klbkch arrêta de mettre ses pièces en place et l’une de ses mains fila à sa hanche. Erin vit qu’il tenait le pommeau d’une de ses épées alors qu’il se leva.

« Qu’est-ce que tu es en train de faire, Ouvrier ? »

La voix de Klbkch était froide et hostile. L’Ouvrier s’inclina docilement devant lui.

« Celui-ci voudrait regarder, Prognugator. »

« Regarder ? »

Klbkch jeta un regard vers l’échiquier avant de se concentrer de nouveau sur l’Ouvrier. Il semblait incertain.

« Il est malpoli de déranger ou d’entraver le chemin de l’aubergiste. »

Erin s’interposa rapidement entre Klbkch et l’Ouvrier docile qui était déjà prêt à se rasseoir dans son siège. Elle lui fit signe de s’approcher.

« Cela ne me dérange pas, Klbkch. Laisse-le regarder. Une audience est toujours apprécié lors d’une partie d’échecs. »

Klbkch hésita.

« Je ne souhaite pas abuser de ton hospitalité ou ta patience… »

« Mais si ! Il n’y a pas de problèmes, ils peuvent en abuser ! »

Erin n’écouta pas ses protestations et tira une autre chaise. Elle guida l’Ouvrier jusqu’à la chaise sans le toucher et le fit s’asseoir. Puis elle nota que les autres Ouvriers et les Gobelins étaient aussi en train de regarder les échiquiers.

« Vous tous, rapprochez-vous si vous voulez regarder. »

Aussitôt, une foule entoura les deux échiquiers. Olesm et Klbkch clignèrent des yeux en direction des spectateurs, mais Erin sourit joyeusement.

« D’accord, maintenant faisons que cela soit drôle pour vous et moi. Je vais jouer contre vous deux, mais nous avons que cinq… D’accord, dix secondes entre chaque coup. »

« Est-ce que c’est une autre manière de jouer aux échecs ? »

« C’est ainsi que certaines parties sont jouées, ouais. Ce style est appelé Jeu Éclair, mais en tournoi tu peux avoir entre une heure et trois minutes pour préparer tes coups. Si nous avions une horloge nous pourrions… Ce n’est pas grave. Je vais vous expliquer alors que nous jouons, d’accord ? »

Klbkch et Olesm hochèrent la tête. Erin s’empara d’une chaise et la plaça entre les deux tables pour pouvoir atteindre les deux échiquiers.

« Je vais devoir m’asseoir pour ça. Je ne suis pas un Grand Maître. »

***

Erin gagna les deux premières manches sans problèmes. Mais à la troisième Olesm parvint à obtenir une égalité.

« Félicitations Olesm. »

Erin mit sa main devant sa bouche pour cacher son bâillement avant de faire un sourire fatigué au Drakéide exalté.

« Oui, c’était une bonne partie ! »

« Mais de rien. »

Les écailles d’Olesm prirent une légère teinte rouge alors qu’il serra la main de Klbkch. Sa queue continua de bouger sur le sol, mais Klbkch et Erin firent semblant de ne pas s’en rendre compte.

« Je dois admettre que c’était très impressionnant… Je me sens soulagé d’être parvenu à faire une égalité contre toi, Erin. Je commençais à croire que c’était impossible. »

Elle rougit avant de secouer les mains dans sa direction. C’était extrêmement embarrassant d’être considéré comme un génie des échecs, surtout quand elle savait qu’elle en n’était pas un. Erin allait suggérer un autre match avec des règles différentes quand elle regarda l’Ouvrier Antinium qui avait observé la partie.

« Est-ce que tu veux jouer ? »

L’Antinium à qui elle s’était adressé se leva de son siège avant de s’incliner.

« Cet indigne celui-ci ne prétendra pas agir de cette façon. »  

Erin fronça les sourcils. Est-ce que cela voulait dire qu’il voulait jouer mais qu’il avait peur de le faire ? »

« Pourquoi ne pas essayer ? Je vais t’apprendre à jouer, et nous pouvons toujours faire plus d’échiquiers. Nous avons simplement besoin de quelques pages et de quoi écrire. »

Elle se rendit dans la cuisine et s’empara de quelques morceaux de papier ainsi qu’une plume et d’un encrier. Elle avait eu l’impression d’être un sorcier quand elle avait acheté la plume, puis elle avait souhaité retrouver un ordinateur et une photocopieuse cinq seconde après s’être rendu compte qu’elle devait tremper sa plume à chaque fois qu’elle écrivait quelques mots.

Alors que ses invités l’observèrent, Erin dessina un échiquier grossier sur des bouts de parchemins avant de les déchirer. Elle dessina précautionneusement des symboles pour désigner les pions et les autres pièces, avant d’installer l’échiquier fait à la va-vite sur une table. Elle installa deux des Ouvriers Antiniums dans des chaises, l’un contre l’autre.

C’était le plus humble échiquier qu’Erin n’avait jamais vu, mais les Antiniums regardaient les morceaux de papier en étant totalement concentré sur eux.

« D’accord, donc qu’est-ce que vous avez vu quand j’ai joué contre Klbkch et Olesm ? Est-ce que vous savez préparer l’échiquier ? »

Immédiatement les deux Antiniums bougèrent. Erin eut un léger mouvement de recul, mais ils étaient simplement en train d’arranger les pièces sur l’échiquier avec une précision mécanique. En quelques secondes, l’échiquier était préparé. Erin cligna des yeux en les regardant.

« Bien, bien. Et, hum, montre-moi comment cette pièce bouge ? »

Obéissant, l’Ouvrier bougea la pièce en avant.

« Et est-ce que tu peux bouger cette pièce de gauche à droite ? »

« Celui-ci ne crois pas. »

Klbkch se tenait au-dessus de l’échiquier, alerte. Comme d’habitude, il n’y avait pas beaucoup d’émotion sur son visage, mais il semblait affligé pour une quelconque raison.

« Adresse-toi à elle par son titre. »

L’Antinium baissa aussitôt la tête en direction d’Erin.

« Mes excuses, Aubergiste Solstice. Celui-ci ne crois pas qu’un pion puisse bouger vers la gauche ou la droite. »

Erin jeta un regard à moitié agacé à Klbkch, avant de se retourner vers l’Ouvrier.

« En effet, c’est vrai ! Très bien. Et montre-moi comment prendre une pièce ? »

Il s’exécuta.

« Bien. Mais savais-tu qu’il existe une autre chose que les pions peuvent faire ? »

Aussitôt, les autres Antiniums et les Gobelins regardant le jeu étaient se concentrèrent. Ils regardèrent alors qu’Erin leur montra comment prendre une pièce en passant et en expliquant les règles spécifique à ce coup. L’Antinium qu’elle était en train d’entraîner baissa immédiatement la tête en sa direction.

« Celui-ci ne connaissait pas ce fait. Celui-ci s’excuse à l’Aubergiste Solstice pour son échec. »

« Quoi ? Ne t’excuse pas. Il n’y a pas beaucoup de joueurs qui connaissent ce coup, alors comment pouvais-tu le connaitre ? Maintenant, faisons en sorte que tu fasses une partie face à ton ami. »

Erin recula alors que les deux Ouvriers Antiniums se regardèrent en silence. Pendant un instant, elle eut peur qu’ils ne fassent rien, mais le premier Ouvrier bougea son pion en E5. Après un moment l’autre Ouvrier répondit avec la Défense Sicilienne, et la partie débuta.

Pièces après pièces avec peu de pause entre les deux. Au début Erin eut peur qu’ils refassent l’une des parties qu’elle avait eues contre Klbkch ou Olesm, mais les deux joueurs étaient en train de jouer leur propre partie. Il lui fallut un moment avant de se rendre compte qu’ils étaient toujours en train de jouer une Partie Éclair. Une fois qu’elle expliqua qu’ils pouvaient prendre leurs temps, le rythme ralenti.

Erin regarda les deux Ouvriers qui jouaient l’un contre l’autre en silence avant de regarder son audience.

« Quelqu’un d’autre veut jouer ? »

***

Le silence. C’était le bruit des funérailles et des églises, sauf que ce ne l’était pas vraiment. Ou plutôt, c’était le bruit que tu imaginais entendre dans de tels lieux, mais c’était plus un objectif à accomplir que la vérité.

Le silence était le son d’un tournoi d’échecs. Erin circulait dans l’auberge, remplissant les assiettes de mouches mortes et servant des verres d’eau (elle n’avait plus de jus de fruit bleu) et elle avait l’impression d’être chez elle alors qu’elle écouta les click des pièces d’échec bougeant et, plus souvent, des bruits de papier sec.

« Oh. Comment la partie se déroule ? Est-ce que quelqu’un veut des mouches ? Ou des pâtes ? Un verre de j… Un verre d’eau ? »

Erin passa près de chaque échiquier et regarda les Antiniums et même les Gobelins jouer l’un contre l’autre. Il y avait huit échiquiers d’installés, et les joueurs changeaient de partenaire quand l’un d’entre eux perdait.

Ses instincts naturels de joueuse étaient en guerre contre son désir de conseiller les nouveaux joueurs. Elle trouva un compromis en laissant Olesm et Klbkch commenter les parties, et en disséquant les parties une fois qu’elles étaient terminées en les récréant et en pointant les bons et les mauvais coups.

Les Ouvriers Antiniums observèrent le moindre mouvement d’Erin et écoutèrent la moindre de ses parole avec une effrayante concentration. Elle avait entendu le terme ‘absorbé’ pour décrire des gens, mais elle n’avait jamais rencontré un groupe qui était aussi concentré que les Ouvriers. Pour être franc, cela était même un peu troublant, mais son amour pour expliquer les coups d’échecs et les stratégies était largement suffisant pour combler cette gêne.

C’était une chose. Mais ce qui impressionnait réellement Erin, et même Olesm et Klbkch était les Gobelins. Ils étaient en train de jouer aux échecs.

D’accord, pas très bien, ni très rapidement, mais les Gobelins s’asseyaient pour jouer des parties pleine d’entrain, même si elles n’étaient pas très réfléchies. L’exception étant la plus petite des Gobelin, Loques, qui avait réussi à battre deux des Ouvriers à la suite.

Erin s’arrêta devant le vrai échiquier alors que Loques s’installa dans le siège qui se trouvait en face. C’était techniquement au tour de Klbkch de jouer, mais la Gobelin la regardait. C’était un challenge.

« Je vais jouer contre toi, si tu veux. Tu as les blancs, donc tu commences. »

Loques regarda Erin en la défiant et commença par bouger son cavalier. Erin cacha son sourire.

« Oh, l’Ouverture Balte, hum ?  Bien… »

Elle bougea un pion à deux cases du cavalier. C’était son coup préféré contre ce genre d’ouverture. Loques fronça les sourcils et bougea une autre pièce, puis une autre. Pendant un certain temps la Gobelin ressemblait à un étrange enfant vert qui jouait aux échecs. Jusqu’au moment où Loques ouvrit sa bouche et qu’Erin vit ses dents pointues. Mais Loques était toujours moins inquiétante qu’auparavant.

Erin l’écrasa alors qu’elle servit ses dernières pâtes aux Gobelins et prit une portion pour elle-même.

***

La Gobelin la challengea trois fois de plus alors qu’Erin jouait contre Olesm et deux Ouvriers. Elle perdit facilement à chaque fois, mais Erin était impressionner par le fait que la petite Gobelin était prête à essayer de nouvelles stratégies à chaque partie. Elle devait l’admettre.

« Vous tous pouvez apprendre beaucoup d’elle. La plupart de ces coups sont des stratégies reconnues. D’accord, directement bouger son fou n’est pas un bon choix, mais tu es meilleure que la plupart des débutants. »

Elle sourit à Loques. La Gobelin s’enfonça sur sa chaise et détourna le regard.

Klbkch hocha la tête, et Olesm exprima son intérêt de jouer contre la Gobelin. Erin regarda les Ouvriers. Ils étaient en train de la regarder subrepticement, Erin avait l’impression qu’ils voulaient aussi faire une partie contre elle.

Elle frappa ses mains entre elle avant de sourire.

« Très bien. Quelqu’un veut faire une autre partie ? »

***

« Et c’est échec et mat. »

Olesm quitta son roi des yeux avant de secouer la tête de manière désespérée.

« Une autre bonne partie, Erin. Je n’avais pas conscience de ton piège jusqu’à ce que tu bouges bouge ton fou. »

Erin bailla avant de faire un sourire fatigué en sa direction. Autour d’elle les Gobelins étaient assis ou allongés sur les tables, regardant la partie d’un œil paresseux.

« Tu sacrifiais trop de pions. Ils ont plus de valeurs que tu ne le crois. »

Olesm inclina la tête et manqua de se laisser tomber. Il se redressa brusquement avant de hocher la tête.

« Je saurais m’en souvenir, Erin. »

Elle hocha la tête avant de bailler de nouveau.

« Quelqu’un pour une autre partie ? Klbkch ? »

L’homme-fourmi secoua la tête. Il jeta un coup d’œil vers la porte, et vers les Ouvriers qui continuaient de jouer aux échecs. Ils étaient toujours en train de regard les échiquiers avec intensité sans montrer le moindre signe de fatigue.

« Il se fait tard. J’ai peur que nous devions prendre congé, Mademoiselle…. Erin. Si je peux me permettre de t’appeler ainsi. »

« Oh, bien sûr que tu peux m’appeler par mon prénom, Klbkch. Et en effet, il est tard ! »

Elle se releva. Aussitôt, les Ouvriers arrêtèrent de jouer aux échecs et se levèrent à leurs tours. Ils s’inclinèrent devant elle.

« Permet-moi de te remercier et de te payer à leur place, Erin. »

Klbkch lui tendit un sac de pièces d’argent et d’or. Erin cligna des yeux en le regardant.

« Oh, c’est beaucoup. »

« C’est simplement le juste payement pour ce que nous avons consommé. Et, puis-je te déranger et emporter une jarre de mouches acides ? J’aimerai en ramener un peu à Liscor. »

« Quoi ? Oh, bien sûr. J’ai une grosse jarre de prête. Est-ce que tu l’as veut ? »

« S’il te plait. »

Erin fini par donner la grosse jarre de mouche à Klbkch pour une pièce d’or. Elle se sentait coupable, mais l’Antinium avait insisté en disant que le prix était juste. Il partit avec Olesm et les Ouvriers, et Erin vit les Gobelins partir alors qu’ils quittaient son auberge.

« Revenez vite ! Je vous donnerai de nouveau à manger si vous passez dans le coin ! Vous n’avez pas besoin de payer, vous m’avez déjà assez payé cette fois, d’accord ? »

Les Gobelins grognèrent et la saluèrent maladroitement de la main. Ils tenaient fermement leurs échiquiers et leurs pièces en silence. Erin avait voulu en donner quelqu’un aux Ouvriers, mais Klbkch l’avait assuré que ce n’était pas une bonne idée.

Le dernier Gobelin, Loques, s’arrêta alors qu’elle passa à côté d’Erin. La petite Gobelin tenait fermement sa main contre sa hanche.

« Hey »

Erin tapota Loques sur la tête avant de tendre la main. Silencieusement, la petite Gobelin rendit le pion noir qu’elle tenait alors que les autres Gobelins la regardèrent.

« Pas de vol. De plus, un échiquier n’est pas complet sans toutes les pièces. »

Les yeux de Loques s’illuminèrent. Erin fronça les siens.

« Cela ne veut pas dire que tu peux les voler. Si tu veux jouer une partie, tu peux revenir ici. D’accord ? »

Pendant un instant la Gobelin hésita, avant de hocher la tête. Erin sourit.

« Passe une bonne nuit. »

Elle ferma la porte. Puis elle la verrouilla, avant de s’assurer que toutes les fenêtres étaient bien fermées. Elle n’avait pas de problèmes avec la petite Gobelin, mais il était hors de question de la laisser repartir avec son jeu d’échec.

***

« Hum, Garde Senior Klbkch ? Puis-je avoir un mot ? »

Klbkch s’arrêta alors qu’il marcha rapidement vers Liscor. Son rythme était énergique, et Olesm avait du mal à suivre.

« Mes excuses, Olesm Swiftail. J’ai oublié que vous étiez avec nous. »

« Non, ce n’est rien. »

Olesm respira avec difficulté et toussa alors que Klbkch ralenti. Les Ouvriers derrière lui ajustèrent silencieusement leurs rythmes pour leur laisser de l’espace.

« Je vous simplement vous parler, si je le peux. »

« Absolument. Puis-je vous demander si vous adressez ce commentaire à la liaison avec les Antiniums ou au Garde Senior Klbkch ? »

« Les deux, je crois. Hum, comment est-ce que je peux le dire ? »

Olesm pausa pendant un instant alors que les deux marchaient dans la nuit. Klbkch attendit patiemment jusqu’à ce que le Drakéide commence.

« En tant que [Tacticien] servant de liaison entre le conseil, les autres guildes, et la garde je suis mis au courant des certaines informations confidentielles. Je suis, hum, conscient de la situation des Ouvriers au sein des Antiniums. »

« En effet ? »

Olesm jeta un coup d’œil en direction des Ouvriers qui se trouvaient derrière lui. Ils le regardèrent en silence.

« Pensez-vous… Pensez-vous qu’il va y’avoir un problème ? »

Klbkch hésita. Il se retourna pour les regarder et les Ouvriers baissèrent aussitôt le regard.

« Nous verrons. Ils seront observés comme d’habitude et je les superviserai personnellement. »

« Ha, bien, bien. Je ne le demanderai pas, mais je sais que ce genre de choses ont de, jeu, lourdes conséquences. Ce n’est pas une Expédition, mais… »

« Je comprends votre inquiétude. Si cela peut aider, j’adresserais ce sujet dans mon rapport mensuel pour te prévenir des changements notables. »

« Merci. »

« Je crois que vous avez trouvé la soirée agréable ? »

« Oh, oui. Absolument. Erin… Enfin, Mademoiselle Solstice est vraiment une remarquable Humaine, n’est-ce pas ? »

« En effet. »

« Absolument remarquable. »

« Sa maîtrise des échecs est peut-être incomparable sur ce continent. »

« Absolument. »

« En effet. »

« … Aimeriez-vous jouer une partie plus tard, à tout hasard ? »

« Cela serait avec plaisir. »


***


Erin passa une bonne nuit. Elle ne fut pas réveillé par une étrange voix lui disant qu’elle était une [Tacticienne Niveau 1]. Elle ne monta pas de niveau. Cependant, plusieurs Antiniums et une Gobelin…

Entendirent cette voix.

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #31 le: 12 février 2020 à 22:35:58 »
R 1.02
Traduit par EllieVia

Les Ruines d’Albez siègent au cœur de ce qui avait été un royaume magique. Ou peut-être une communauté de mages. Ou une ancienne citadelle de… vous savez quoi ? On s’en fout.

La zone toute entière est saturée de magie, et attire par conséquent deux sortes de visiteurs. Les monstres, cherchant à faire leur tanière parmi les bâtiments en ruines et les tunnels sans fin du coin, et les aventuriers, cherchant des trésors perdus exactement aux mêmes endroits. Naturellement, la situation est source de conflits.

Le groupe d’aventuriers actuellement en train d’occuper les ruines est connu sous le nom de Cornes de Hammerad, se distinguant par leur niveau moyen relativement élevé - la plupart des membres sont à un niveau supérieur à 20 - et leur leader, un Minotaure [Combattant]* qui manie une énorme hache de guerre au combat.

* Je ne comprends toujours rien aux classes. Apparemment, [Combattant] est une classe générale, même si certains l’appelle [Guerrier] selon la culture. Est-ce que cela veut dire qu’ils ont les mêmes compétences ? Dans tous les cas, c’est la première classe qu’obtiennent la plupart des guerriers, mais si ce Minotaure avait un plus haut niveau, ce serait un [Maître des Haches] ou un [Chevalier]. Huh.

Le consensus général est qu’ils sont plutôt compétents au combat, et qu’ils ont reçu une autorisation officielle pour fouiller les ruines pendant une semaine. Ce qui signifie que tant que les Cornes sont dans les ruines, les autres groupes d’aventuriers ne peuvent pas interférer ou chercher du trésor. C’était un arrangement qui permettait aux cités du coin de faire profit en taxant l’accès et évitait les conflits entre leurs aventuriers.

C’était très bien, et normalement les Cornes se seraient attendues à au moins trouver un modeste somme. Ils étaient bien équipés, et préparés à toutes les éventualités.

C’est pourquoi la vue de leur compagnie désorganisée se battre en essayant de se réfugier dans les ruines est d’autant plus alarmante. Leur leader était aux pieds d’un grand bâtiment, une pointe de glace géante traversant son abdomen de part en part. Les autres guerriers et les mages - les Cornes de Hammerad étaient une grande compagnie forte de douze membres - étaient soit à terre soit en train d’échanger des coups avec le monstre qui les avait acculés.

Alors même que je regarde la scène, un guerrier en armure contre un coup d’épée de l’un des squelettes en train d’assaillir le groupe et l’écrase avec une masse. Le squelette s’effondre au sol, sans vie. Mais l’action a attiré l’attention du chef des morts-vivants, et une énorme explosion de feu engloutit la zone.

Je grimace en voyant le guerrier en armure fuir du feu en hurlant d’agonie. Il roule au sol tandis qu’un mage armé d’un bâton lance quelques éclairs magiques de lumière chatoyante pour détourner l’attention de lui. Deux autres aventuriers se précipitent en avant et traîne le guerrier brûlé à l’abri tandis qu’une grêle de pointe de glace transforme presque le trio en pelote d'épingles.

Eh bien merde alors. Ça fait un cinquième membre des Cornes hors combat. J’espérais qu’ils allaient gagner la bataille, mais à ce rythme ils vont se faire éliminer. Plus le choix.

Je prends deux profondes inspirations, puis étire mes jambes. Jambe droite ? Check. Jambe gauche ? Étirement… check. Okay.

Je jette un œil par-dessus les décombres où je me cache. La voie est libre. Okay. Je me lance…

Je bondis par-dessus les décombres et sprinte le long de la pente. De là où je suis, il y a une pente modérée qui mène au cœur des ruines, où les bâtiments effondrés et les décombres rendent le sol peu sûr. Mais le pire, c’est le risque que je me fasse tuer par le monstre à quinze mètres devant moi.

Je charge au bas de la colline, droit sur lui. La silhouette vêtue de robes me remarque alors que j’ai déjà traversé la moitié et se retourne. Deux points de lumière bleue dans ses yeux se focalisent sur moi alors que je sprinte directement sur lui. C’est une Liche*, un squelette de mage mort-vivant.

-* Personnellement, ça me pose problème d’appeler ça une Liche. Apparemment, contrairement à ce qu’on voit dans les histoires et les jeux, les Liches sont plutôt communes. C’est plus un type de mort-vivant qu’un exemple rare et exceptionnel de mage capable de vivre à jamais. Ils ne sont même pas si létaux. Enfin, ils sont très létaux, mais apparemment, il existe des types de morts-vivants encore plus terrifiants.

Pendant une seconde, je ne crois pas qu’il sache exactement ce qu’il est en train de voir. Une humaine solitaire lui courant droit dessus sans armes ? La créature hésite, mais finit par lever un doigt. Dans sa théorie, c’est le moment où je meurs. Dans la mienne ? Je pense que je survis.

Si cela vous paraît stupide de charger droit sur un monstre capable de me faire exploser en mille morceaux avec un seul sort, eh bien, oui, ça l’était sûrement. Mais j’avais une bonne raison de le faire. Pendant les trente dernières minutes j’avais étudié la bataille de la Liche contre le groupe d’aventuriers et avait noté quelques détails importants sur sa manière d’agir. J’avais trois bonnes raisons pour mon plan d’action.

Raison numéro 1 : J’avais remarqué que la Liche pouvait jeter plusieurs sorts, de l’éclair miniature aux boules de feu en passant par ces méchantes rafales de pointes de glace. Des trois, je n’avais vraiment qu’à me méfier des pointes de glace et de la boule de feu. Les éclairs avaient l’air dangereux, mais ils s’ancraient trop facilement dans le sol. Et comme je ne porte pas de métal sur moi, c’était beaucoup plus difficile pour la Liche de m’atteindre.

Et en ce qui concernait les boules de feu et les pointes de glaces, elles étaient plus lentes et la Liche devait d’abord pointer du doigt. Sa précision n’était également pas la meilleure du monde. C’était un risque à prendre, mais tant que je ne faisais pas rôtir lorsque la boule de feu explosait, j’avais une chance.

Et aussi, la raison numéro deux était que j’avais remarqué que la Liche avait tendance à se protéger avec des barrières d’os qu’elle conjurait du sol quand n’importe quoi s’approchait de trop près. Ça l’empêchait de jeter des sorts pendant quelques secondes.

Et raison numéro trois : je m’ennuyais.

La Liche pointa un doigt sur moi et caqueta quelques chose qui me fit mal aux oreilles. Je plongeai et roula et sentit mon côté droit s’engourdir légèrement. C’était comme le pire choc d’électricité statique que j’avais jamais senti multiplié par cent, mais cela voulait dire que l'éclair m’avait ratée. Et j’étais toujours en vie.

Touche le sol, saute sur mes pieds et cours. Je fondis sur la Liche et elle leva une main pour se protéger. Comme je l’avais prévu, un mur d’os surgit du sol devant moi, un puzzle grotesque d’os enchevêtrés et de crânes durs comme la pierre*.

* Sérieusement. Comment fait-elle ça ? y a-t-il tant d’os que ça dans le sol ? Ou est-ce simplement de la magie ?

C’est mon ouverture. Je vire immédiatement à gauche et accélère en direction des aventuriers. La Liche caquète en réalisant qu’elle s’est fait duper. Elle essaie d’abaisser la barrière d’os, mais il est trop tard.

Cours. Cours plus vite. Esquive derrière le pilier. Pause. Va à gauche. À droite. Boule de feu ! C’était chaud. Maintenant… sprinte à gauche le plus vite possible.

Dans l’un des séminaires de sécurité auquel mon père me forçait à aller après chaque fusillade de masse, ils nous apprenaient quoi faire dans le cas où un homme armé ouvrait le feu et que l’on devait s’échapper. Une partie des conseils étaient des trucs de bon sens comme ne pas crier ou faire un truc débile et réfléchir avant de bouger. Mais je me suis rappelée d’un conseil important.

Quand quelqu’un te tire dessus, ne cours pas en ligne droite pour t’échapper. Fais des zig-zag, fais-en sorte de ne pas être facile à viser. Et dans mon cas, baisse-toi derrière les décombres et mets le plus d’obstacles possibles entre toi et la Liche.

Je cours, et je cours le plus vite que je le peux. Si je ralentis un seul instant, je meurs. L’air autour de moi est comme empli d’énergie statique, le feu explose autour de moi et des projectiles de glaces menacent de percer ma peau.
Vous ne pouvez pas le savoir, et je n’ai pas de miroir. Mais je suis à peu près sûre d’être en train de sourire.



“Statut ?”

Grogna Calruz, leader des Cornes de Hammerad, à l’attention de l’autre guerrier alors qu’ils se cachaient tous deux derrière l’un des mur effondrés des ruines. L’humain, son second, baissa les yeux sur lui et secoua gravement la tête.

“Je crois que Terr s’est pris une boule de feu. Coblat et Grimsore l’ont traîné hors d’atteinte, mais il est hors combat aussi.”

“Merde.”

Le Minotaure se frappa la cuisse et grimaça. Un sang sombre coula sous l’immense lance de glace dépassant de son estomac. Il se réadossa contre le mur et exhala. Les tendons sur son cou se tendirent et de la sueur perla sur son front malgré le froid mordant.

“Et nos mages ? Pourquoi diable ne sont-ils pas en train de tuer ce truc ?”

“Ils essaient, mais dès qu’ils lui lancent un sort, il se contente de lever sa barrière. Il a plus de mana que tous nos mages réunis. On doit se rapprocher si on veut avoir une chance.”

“Bon courage pour faire ça avec tous les squelettes et le zombies qui le défendent.”

“Je crois que Terr s’est débarrassé des derniers, mais on ne peut quand même pas s’approcher. Tout brûle tellement vite.”

LE vice-capitaine des Cornes de Hammerad tenta de jeter un œil derrière le mur où il se cachait. Il ne semblait plus y avoir de tirs de boule de feu dans leur direction, ce qui était à la fois bien et inquiétant. La Liche avait-elle trouvé une autre occupation ? Il y avait peu d’espoirs. Mais alors pourquoi…

Sa mâchoire se décrocha.

“C’est qui, ça ?”

Calruz grogna et tenta de tourner la tête, mais il retomba rapidement.

“Qui ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”

“C’est une Coursière ! Elle vient juste de dévaler la colline droit sur la Liche ! Elle vient dans notre direction !”

“Tu plaisantes. Elle n’y arrivera jamais.”

“Elle est en train de le faire.”

Le vice-capitaine regarda la coursière à longues jambes foncer à travers le paysage dévasté. Elle bondissait au-dessus des décombres et courait dans un mouvement serpentin tandis que des boules de feu et des échardes de glace pleuvaient autour d’elle. Vu d’ici, il ne pouvait voir que ses cheveux noir corbeau et sa peau bronzée, mais le vice-capitaine était certain de n’avoir jamais vu cette coursière en particulier.

Elle avait des traits étranges, qui lui auraient indiqué qu’elle était en partie Japonaise, ou du moi Asiatique si ces mots avaient eu le moindre sens pour lui. Mais ce n'était pas le cas, et le vice-capitaine la regarda avec angoisse se précipiter vers eux. Il s’attendait à tout moment à ce qu’elle se fasse emporter par une boule de feu ou transpercer par un éclair. Mais non. Puis elle arriva juste devant lui.

Ryoka faillit rentrer dans le grand guerrier armé d’une épée et d’un bouclier. Elle cogna contre lui et sentit le métal frais avant de trébucher en arrière. Il la tira à couvert tandis que des échardes de glace s’écrasaient sur les décombres.

Il lui fallut reprendre deux profondes goulées d’air avant d’être capable de parler de nouveau. Ryoka défit son sac et hocha la tête en direction du vice-capitaine bouche-bée.

“C’est pour une livraison.”

“Grands dieux !”

Le vice-capitaine dévisagea Ryoka. Il la montra elle, les ruines, puis agita vaguement ses mains gantées.

“C’était la chose la plus incroyable que j’aie jamais… tu es juste passée droit devant cette Liche ! Tu es folle ? Ou cinglée ?”

“Je suis une Coursière. J’ai une livraison pour le leader des Cornes de Hammerad. C’est toi ?”

“C’est moi.”

Ryoka jeta un œil au Minotaure. Il hocha la tête dans sa direction et de la sueur goutta de son front.

“J’espère vraiment que tu as notre colis, jeune fille.”

Elle marqua une pause au mot fille, mais acquiesça. Elle ouvrit son sac et plaça les bouteilles lourdement emballées sur le sol devant le Minotaure.

“Quinze potions de soin, cinq potions de mana. Toutes intactes. Livraison pour les Cornes de Hammerad. Ton sceau ?”

“Le sceau ? Ah oui, bien sûr !”

Le vice-capitaine tâtonna dans la bourse à sa ceinture et en tira un jeton cuivre et argent. C’était un sceau unique avec un marteau dressé à côté d’une montagne gravée d’un côté.

“Merci.”

Ryoka rangea soigneusement le sceau à sa bourse de ceinture et jeta un œil derrière le mur. La Liche échangeait des boules de feu avec un autre mage coiffé d’un chapeau de sorcier rouge. Elle hocha la tête et se ramassa dans une position de sprinter.

“Attends… tu pars ?”

Ryoka ne regarda pas le vice-capitaine, elle cherchait le meilleur moment.

“Yup.”

“Tu ne peux pas ! Je veux dire, c’est encore plus cinglé !”

Le vice-capitaine dévisagea Ryoka avec consternation, puis chercha du soutien dans le regard de son leader. Calruz était en train d’essayer d’ouvrir l’une des bouteilles. Il grogna en arrachant le bouchon d’une des bouteilles et engloutit l’épais liquide vert et sirupeux.

“Laisse-la partir si elle veut. Coursière… merci pour ton aide. Peu d’entre vous auraient fait ça.”

Elle réfléchit.

“Pas de problème.”

Il hocha la tête. Elle hocha la tête.

“Laisse-nous au moins nous rallier pour te faire une diversion. Une fois qu’on aura amené ces potions à nos autres membres, on pourra enfin se débarrasser de ce type.”

Ryoka réfléchit à la proposition.

“Ça va être trop long. Vous voulez une ouverture ? Je vais vous en faire une. J’ai d’autres livraisons.”

Le vice-capitaine s’arracha le peu de cheveux qu’il pouvait atteindre sous son casque.

“Elle va t’exploser dès que tu ne seras plus à couvert !”

Elle sourit au vice-capitaine, brisant son masque impassible.

“Il peut essayer.”



La compagnie d’aventuriers connue comme les Cornes de Hammerad regarda la Coursière jaillir des ruines et courir vers l’horizon alors que la Liche lançait un dernier éclair d’adieu dans sa direction. Il la rata.

“Elle l’a fait. Elle l’a vraiment fait.”

“Elle te l’avait dit.”

Calruz sourit, et grimaça lorsque le morceau de glace dans son torse bougea. Il prit une grande inspiration et cassa la glace d’un avant-bras massif pour permettre au reste de glisser hors de son estomac. Alors même qu’il faisait cela, les pouvoirs magiques de la potion de soin qu’il avait avalée se mirent à recoudre la chair de son abdomen.

“C’est une nouvelle Coursière ? Ça doit être ça. Je ne l’ai jamais vue auparavant, et je pense que je me serais souvenu si j’avais entendu parler d’une aussi folle que ça.”

“Elle a l’air différente, pour une humaine. Même si vous vous ressemblez tous, pour moi.”

“Elle est différente. Peut-être d’un autre continent ?3

“Peut-être. Tout le monde a eu des potions ?”

“Je les leur ai lancées pendant qu’elle détournait l’attention du Liche. Elles devraient être de bonne qualité. Tu as besoin d’une autre ?”

“Je vais bien. Mieux que bien, même, grâce à cette Coursière.”

Calruz sourit et explosa la bouteille de potion dans son poing gantelé. Il se releva, le flot de sang déjà en train de ralentir. Il soupesa sa hache de guerre.

“J’aimerais bien lui offrir un verre. Mais pour le moment, on doit remplir un contrat. Tout le monde est prêt ?”

La magie qui le reliait au reste de sa compagnie lui permit d’entendre leur accusé de réception. Le Minotaure sourit.

“Très bien, alors. Allons voir si cette Liche apprécie de se battre contre nous quand on est en pleine forme. Chargez !”

Comme un seul homme, les Cornes de Hammerad abandonnèrent leurs positions dans les ruines et se jetèrent de toutes leurs forces contre la Liche et les morts-vivants restants.



Après avoir couru une quinzaine de kilomètres, Ryoka s’arrête enfin pour reprendre sa respiration. Ses poumons brûlent, et ses jambes sont en coton. L’adrénaline est enfin en train de s’échapper d’elle, et elle se sent exténuée, malgré qu’elle n’eût couru que quelques minutes.

Elle sent encore les chatouillis des éclairs frôlant sa peau. Son bras droit est roussi, et elle sent que des cloques sont déjà en train de se former sur sa peau.

Elle a failli mourir. Ryoka le sait, et ses jambes tremblent. Elle sent encore le froid qu’elle a ressenti en plongeant ses yeux dans ceux, vides, de la Liche. C’était un monstre capable de la pulvériser d’un seul sort.

Elle a failli mourir. Si elle avait été moins rapide ne serait-ce que d’une seconde, ou esquivé un peu trop à gauche, elle serait morte. Ryoka sait cela.

Ses lèvres tremblent. Elle sourit brièvement.

“Fun.”



“Tu as livré les fournitures requises par les Cornes de Hammerad ?”

“Yup.”

La réceptionniste me dévisage. Je hausse les épaules. Que veut-elle que je lui dise ?

Il est plus tard. Ou plutôt, il n’est que trente minutes plus tard, mais j’ai l'impression d’être dans un autre monde. La salle délabrée de la Guilde des Coursiers est bien différente des plaines herbeuses, ou des décombres et de la destruction des Ruines d’Albez.

“C’est incroyable. Ils ont déjà fini de se battre ? La communication qu’on a reçue du mage disait qu’ils se battaient contre une Liche et une horde de morts-vivants.”

“Ils se battent encore. La Liche est toujours dans le coin. Pas sûre pour les autres morts-vivants. Ils avaient l’air morts pour la plupart.”

La réceptionniste ne sourit pas. Elle n’a pas compris la blague ? Zut. Elle me fait toujours ce regard de “Je-ne-te-crois-pas.’. Je lui tends le Sceau.

“Voici le sceau des Cornes de Hammerad.”

Elle le vérifie une fois, puis deux. Ses sourcils se lèvent.

“C’est un vrai. Tu es donc en train de me dire que tu as fait une livraison au milieu de la bataille ?”

Pourquoi me fait-elle tout un foin ? Je croyais que c’était ce que faisaient tous les Coursiers pendant ce genre de mission.

“Yup.”

“Incroyable.”

Je reste silencieuse. Je veux dire, je suis censée répondre quoi ? “Oh oui, je suis vraiment extraordinaire, maintenant donnez-moi mon argent ?”

Au bout de quelques instants la réceptionniste finit par se secouer.

“Eh bien, tout est en ordre. Tu veux le paiement maintenant ou… ?”

“Plus tard.”

Je peux récupérer ma paie quand je veux, mais la plupart des Coursiers le font à la fin de la semaine. C’est plus pratique comme ça, étant donné qu’on est censés signer pour confirmer qu’on a bien été payés et le réceptionniste doit le valider.

“Eh bien, je pense que tu mérites une pause. À moins que… tu crois que tu pourrais faire une autre livraison ? Je ne le demanderais pas d’ordinaire, mais tu es la seule Coursière des villes disponible pour le moment.”

Je suis fatiguée, mais ce n’est dû qu’à mon manque d’adrénaline. Je sais que mes jambes peuvent encore faire une bonne course, donc j’acquiesce.

“Où donc ?”

“Celum. C’est une autre requête de Lady Magnolia. Un autre Coursier vient de l’apporter de Remendia, mais il est trop fatigué pour continuer. C’est passé par six Coursiers, et il faut l’apporter à Magnolia dans l’heure si c’est possible.”

Okay. Pour le coup, c’est compliqué. J’hésite.

Ce n’est pas que je ne me pense pas capable de le faire dans les temps. Je peux arriver à Celum en moins d’une heure même avec quelque chose de lourd dans mon sac. Mais j’ai déjà fait une autre course pour Magnolia - livrer un gros vase de luxe - quelques jours plus tôt. D’après les “règles implicites”, cela veut dire que je devrais attendre encore au moins une semaine avant de prendre la requête.

Zut. Flûte. Diantre. Que devrais-je faire ? C’est exactement le genre de situation que je déteste.

“Pourquoi n’y a-t-il pas d’autres Coursiers de cité dans le coin ?”

“Ils sont tous en train de faire des livraisons, et je ne veux pas attendre plus longtemps que nécessaire. J’allais demander à l’un des Coursiers de rue de le faire, mais ça aurait aussi été un problème.”

Eh bien, en ce cas… pourquoi pas ? La règle Magnolia peut bien aller se faire voir, pour ce que j’en ai à foutre.

“Je la prends.”

La réceptionniste sourit de soulagement.

“Mer…”

“Attendez !”

La tête de la réceptionniste se tourne. La mienne, non. Je prends ce moment pour dire quelques mots de choix dans ma tête*.

-* Oh non, s’il vous plaît non. Pas ce rat stupide et consanguin. Personne au monde n’a une voix plus haut perchée et agaçante qu’elle et ses crétins de sycophantes. Je préférerais retourner danser nue devant la Liche que gérer ça.

Je me tourne et vois un visage familier.

“Inutile de lui donner la requête de Magnolia. Je viens juste d’arriver, je peux m’en charger.”

La jeune femme - non, l’irritante adolescente qui se pavane dans ma direction me pousse légèrement pour se placer derrière le comptoir. Elle garde son dos très droit, probablement parce que je suis plus grande qu’elle d’une tête. Je sens la trop forte odeur de parfum qui dissimule sa sueur, et recule de manière à ce que ses cheveux bruns ne me fouette pas le visage à chaque fois qu’elle rejette sa tête en arrière. Ce qu’elle fait assez souvent.

Je la connais. Ou plutôt, je connais son visage. Elle s’est probablement présentée, mais je ne me souviens pas de son nom. Je sais juste qu’elle a une tête exigüe*. Elle a toujours l’air de pincer ses lèvre devant tout le monde, et elle m’agace dès que je la vois.

- * Exigüe est-il le bon mot ? Je crois que ça veut dire pincé, ou étroit, mais je me trompe peut-être. C’est le problème quand on n’a pas l’Internet. Dans tous les cas, son visage est acariâtre, même si j’ai oublié ce à quoi ça correspond aussi. Je vais quand même continuer à dire exigüe.

“Oh, Miss Persua. Je ne savais pas que vous étiez toujours en ville.”

Persua. C’est ça. Elle s’appelle comme ça.

Persua rejette ses cheveux en arrière d’un air impérieux et acquiesce.

“Eh bien, j’étais en train de faire cette livraison à Remendia, mais dès que l’un de mes amis m’a dit qu’une requête de Magnolia attendait à la guilde, je suis évidemment revenue pour la faire.”

La réceptionniste eut l’air mal à l’aise.

“Tu… n’as pas terminé l’autre livraison ? Eh bien, je m’apprêtais à donner la requête à Ryoka. Elle est libre, et elle…”

“Elle a déjà fait une requête pour Magnolia cette semaine. Ce qui veut dit que cela devrait être mon tour de droit.”

La réceptionniste fronça les sourcils.

“Il n’y a aucun règle qui donne explicitement la priorité à d’autres coursiers. De plus, il faut que cette livraison soit faire le plus rapidement possible.”

“Et alors ?”

Encore un rejet de cheveux. Je remarque quelques-uns des “amis” de Persua - principalement de nouveaux coursiers des rues ou encore plus bas sur l’échelle sociale - en train de me regarder. JE les fixe jusqu’à ce qu’ils détournent le regard. Je ne les supporte pas. Dommage que Persua ne recule pas aussi facilement. Doublement dommage que sa voix soit aussi agaçante.

“Je peux facilement faire la requête de Magnolia. Ryoka n’a qu’à échanger avec moi.”

“Ça ne marche pas comme ça. À moins que Ryoka n’accepte, je ne peux pas simplement te la donner. De plus, comme je l’ai dit, c’est une livraison express. Je ne peux pas la donner à…”

“À quoi ?”

Persua regarde froidement la réceptionniste. Mais je complète le texte dans ma tête, probablement en même temps que tout le monde dans la Guilde.

À une coursière plus lente. L’une des plus lentes, pour tout dire. Persua a beau être une Coursière, elle est lente. Ou paresseuse. Pour tout dire, elle est les deux. C’est également une idiote, mais ce n’est que ce que j’ai pu observer. Elle ne prend pas autant de contrats longue-distance que les autres, et elle ne livre que des trucs légers comme des fleurs ou des lettres.

“Je veux juste dire que Ryoka est la coursière la plus rapide. Même Fals ne bat pas son record.”

“Oui, mais je suis sûre qu’elle va échanger avec moi, n’est-ce pas Ryoka ?”

Persua me jette un regard, puis détourne les yeux. Pétasse* passive-agressive.

-* Quel langage ! J’ai honte de moi. Principalement parce que je n’ai pas d’autre vocabulaire pour décrire quelqu’un comme elle. Je pourrais devenir vulgaire, mais j’ai juste envie de la cogner à l’arrière du crâne. Je dois résister à la tentation.

J’hésite. Je devrais donner la requête à Persua. Même si elle échoue, ça ne peut pas me retomber dessus. En fait, si elle a des ennuis parce qu’elle échoue, c’est encore mieux. Bien qu’elle se débrouillera sans doute pour échapper aux réprimandes.

Yup, je la déteste. Et je n’ai pas envie de céder à son harcèlement, surtout parce que je sais que la seule raison pour laquelle elle veut faire la livraison est l’argent facile et l’opportunité de faire sa sangsue avec Magnolia. Donc vous savez quoi ? Envenimons les choses.

“C’est urgent.”

Ce n’est pas ce que Persua veut entendre. Elle me jette un regard irrité.

“Et alors ? Je peux le faire.”

La réceptionniste regarde autour d’elle d’un air incertain.

“Si on ne peut pas l’apporter à Magnolia dans l’heure, la livraison ne sera plus bonne. Tu peux faire la course dans les temps ?”

“Oui.”

“Et moi aussi.”

La réceptionniste et moi-même lançons toutes deux un regard à Persua. Elle est déjà en train de suer, probablement d’avoir couru pour récupérer la requête à la cité.

“Vraiment ?”

Elle me fusille du regard. Mais je connais les corps, et je connais la course. Fille exigüe est en sueur, fatiguée, et elle a une forme de course terrible. J’ai aussi fait une course, mais contrairement à elle je sais conserver mon énergie. Je me tourne vers la réceptionniste.

“Donne-moi la requête.”

Le visage exigu de Persua se pinça encore plus, si c’était possible. Elle me poignarda du regard.

“Ce n’est pas juste. Tu as déjà fait une livraison. Je mérite celle-ci !”

“Persua, s’il te plaît.”

La réceptionniste est déjà en train de se débattre avec quelque chose sous le comptoir. Elle le soulève et me gratifie d’un sourire de soulagement. J’imagine qu’elle ne pensait pas que Persua pourrait le faire non plus.

“Voici la livraison. C’est emballé dans de la glace, donc essaie de ne pas trop le chauffer si possible. Tu sais où est la maison de Magnolia. Ils seront en train de t’attendre.”

Persua tapa du pied, en colère, alors que je faisais entrer la grosse boîte de métal dans mon sac à dos. C’est froid. Et c’est emballé dans de la glace qui fond, donc j’aurai un sac à dos mouillé à la fin de ma course. Mais ça vaut le coup, rien que pour la voir s’énerver.

“Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.”

“Tant mieux pour toi.”

Si le regard pouvait tuer… mais le regard de Persua ne fait qu’agacer. Elle avance sur moi jusqu’à ce que mon nez brûle à cause de son stupide parfum. Elle me chuchote quelques chose d’un air furieux.

“Tu vas le regretter.”

“Oh, vraiment ?”

“Oui !”

Les gens, parfois. Je me détourne de Persua et l’entend faire un bruit semblable à celui d’un hamster furieux. Je regarde autour de moi et vois ses sbires, les coursiers, me fusiller du regard.

Qu’importe. Je n’ai vraiment rien à faire de leurs opinions ou du Code des Coursiers qu’ils revendiquent. Je suis ici pour faire mon boulot.

Je hoche la tête en direction de la réceptionniste.

“J’y vais.”

Je suis sortie avant que Persua ne puisse faire un autre commentaire. Vous ne pouvez pas le savoir, et je n’ai pas de miroir.

Mais je souris encore.



Ce coup-ci, c’est l’intendante qui ouvre la porte. Elle renifle avec dédain.

Je hoche la tête. Je suis hors d’haleine, fatiguée, et mon dos est très, très froid. Mais je me sens bien, parce que j’ai fait la course en seulement quarante minutes. C’est presque un record, et c’est au moins deux fois plus rapide que le meilleure score de Persua.

“Livraison pour Magnolia.”

“C’est Lady Magnolia.”

Voilà quelqu’un dont les regards peuvent vraiment tuer. Je hausse les épaules et détache mon sac à dos.

“Sceau ?”

“Attends.”

L’intendante me ferme la porte au nez alors que je me débats avec ma livraison trempée. Eh bien, on dirait que je ne papoterai pas avec Magnolia aujourd'hui. C’est un soulagement, pour tout dire. Je n’ai rien contre la noble excitable et pétillante, mais je préfère les servantes. Elles ont beau être abruptes et malpolies, au moins on parle moins.

Okay, le colis glacé est entre mes mains. J’attends aussi patiemment que je peux derrière la porte, puis entends une conversation étouffée. On dirait que des gens se disputent, puis j’entends une voix énergique familière.

“Sottises ! Ressa, comment peux-tu… évidemment que j’insiste pour que tu la laisses entrer ! Pieds sales ou non !”

La porte s’ouvre et une femme familière me salue. Comment des cheveux peuvent-ils rester aussi bouclés ? Je suis relativement certaine qu’ils n’ont pas de fers à friser à cette époque, mais les boucles blondes de Magnolia sont aussi stylisées que celles que je voyais chez moi.

“Je t’en prie, permets-moi de m’excuser pour l’impolitesse de ma servante. Entre, je t’en prie !”

J’hésite, et la servante - Ressa - debout derrière Magnolia a l’air mécontente.

“Je peux juste livrer le colis si vous avez le sceau…”

“Oh, je ne veux même pas en entendre parler ! Entre !”

Ressa fait la moue, et j’essaie de ne pas faire de même. Avec réticence, je pénètre dans le hall du manoir de Lady Magnolia et regrette l’absence de tapis pour m’essuyer les pieds. Magnolia m’adresse un sourire rayonnant tandis que Ressa peaufine son regard de mort dans son dos. Je suis assez sûre qu’elle ne souhaite pas voir mes pieds sales parcourir le sol de marbre. Je préfèrerais ne pas être là non plus, mais la livraison n’est pas complète tant que je n’ai pas récupéré le sceau.

“Par ici, je te prie. Tu peux le mettre dans la salle de dessin. Non, pas la secondaire, Ressa. La principale !”

Elle me guide jusqu’à une salle au sol recouvert de tapis. Là encore, j’hésite, mais il n’y a rien à faire. Le tapis est très doux, et mes pieds sont très sales, mais Magnolia n’en a cure. Elle lance des regards excités à la boîte de métal en train de me brûler les mains de froid et dégoulinant sur le tapis, et me sourit.

“Oh, ça a été rapide ! J’ai entendu dire que cela allait venir de la cité portuaire de Hazenbrad ! Tu l’as amené ici toi-même ?”

“Non. D’autres coursiers l’ont porté sur la majeure partie du chemin.”

“Eh bien, toi et les tiens m’avez certainement rendu un grand service ! Merci !”

Magnolia me tend le sceau d’argent et de saphir.

“C’est Ryoko, c’est ça ? Il est rare que je voie la même Coursière à intervalle si rapproché.”

Ryoka. Mais j’ai l’habitude que les gens prononcent mal mon nom. Je prends le sceau et le glisse dans ma bourse. Bien. Maintenant, comment sortir d’ici avec tact ?”

“Je dois y aller. J’ai d’autres livraisons.”

La vérité, c’est que je n’en ai pas d’autres, je suis surtout fatiguée. Mais je préférerais aller me coucher maintenant, et faire face aux coursiers jaloux demain.

Le visage de Magnolia se décompose.

“Oh, tu ne veux vraiment pas rester ? J’aimerais beaucoup partager cette délicieuse gourmandise avec toi - et tu as couru si longtemps et si loin ! Quand j’ai entendu dire qu’une coursière décollait d’Irlande*, j’étais certaine que cela te prendrait au moins une heure pour arriver ici !”

-* Oui, c’est la cité d’où je viens. Irlande. C’est bizarre qu’elle s’appelle comme un pays de mon monde mais là encore… pas vraiment. Il n’y a qu’un nombre de mots anglais limités, après tout.

“Mmh.”

Là encore, que répondre à ce genre de question ? “Oui, je suis extraordinaire, donnez-moi plus d’argent ?” C’est pour ça que je déteste parler aux gens.

“De plus, je n’ai jamais eu l’occasion de vraiment discuter avec toi les deux dernières fois. J’aimerais vraiment beaucoup converser avec toi - et te poser des questions sur ce choix particulier de cordonnerie, ou plutôt, son absence ! Es-tu sûre de ne pas vouloir rester un moment ?”

Magnolia tente de m’amadouer du regard, et les yeux de Ressa la servante me disent que je devrais faire ce qu’elle me dit et arrêter de suer et de salir les tapis tant que j’y suis.

J’hésite. Mais… je suis fatiguée et je n’ai pas envie de parler. Comme toujours. C’est vrai, Magnolia vaut mieux que Persua chaque jour de la semaine, mais son enthousiasme me fatigue. Donc je commence à me glisser vers la porte.

“Je suis désolée, mais je devrais vraiment y aller. Je suis très prise.”

Magnolia me sourit.

“Es-tu si pressée de partir ? Tu peux simplement me le dire si tu ne souhaites pas discuter.”

Je bondis* et la dévisage. Magnolia sourit.

-* Évidemment, pas au sens littéral du terme.

“Honnêtement, ma chérie. Ça se voit dans ton regard. Mais en-dehors de ça, je suis une [Lady], et la plupart d’entre nous obtiennent [Deviner les Intentions] plutôt tôt dans notre carrière. Et j’ai un niveau relativement élevé, en plus de cela. Donc, par conséquent, assieds-toi.

Je m’assieds. Je ne réfléchis même pas. Elle a parlé, et j’ai… okay, c’était quelque chose.

“Je voudrais discuter avec toi. Il est rare que je rencontre une jeune femme aussi intéressante que toi.”

Essaie de te relever. Non ? Okay, jambes. C’est moi votre chef. Debout. Debout.

Magnolia indique le fauteuil qui me retient prisonnière.

“Je t’en prie, assieds-toi ici. J’aimerais partager avec toi le colis pour lequel tu as travaillé si dur.”

Je suis toujours en train de me débattre avec mon corps paralysé. Magnolia me sourit de nouveau et s’adresse à sa servante aux aguets.

“Ressa ? Pourrais-tu me faire le plaisir d’ouvrir le colis ? Et je pense qu’il va nous falloir deux bols et des couverts. Je voudrais la porcelaine bleue aujourd’hui.”

“Très bien, milady.”

Ressa m’adresse en silence un regard menaçant. Probablement pour me dire de bien me tenir, puis elle sort de la pièce. Elle va probablement chercher des servantes en renfort. Ce qui me laisse avec Magnolia.

La femme potelée m’adressa un autre sourire charmeur. Pour la première fois, je la regardai telle qu’elle était, et non pas comme une lady riche et frivole. D’accord, elle était complètement stéréotypée avec ses vêtements colorés, ses bijoux hors de prix et a personnalité franchement facile à vivre, mais que diable venait-elle de me faire ? Était-ce une compétence ?

“J’espère que tu aimes le sucré, Miss Ryoka. Pardonne mon impolitesse, mais j’ai compris depuis longtemps qu’il vaut parfois mieux piéger les gens si l’on souhaite faire leur connaissance. Tu comprends ?”

“Mmh.”

“Je suis ravie que ce soit le cas !”

Alors, ça. Ça, c’était probablement du sarcasme. Bien, bien. On dirait que Magnolia a des couches. Ou du moins, son jupon en a. On dirait que je l’ai sous-estimée.

“Bien, reste assise là un instant. Je dois vraiment essayer ce délice, même si ‘j'ai bien peur qu’il ne soit en train de ruiner le tapis. Ah, baste, il fallait le changer de toute façon.”

Magnolia s’active dans la pièce. J’essaie de m’enfuir, mais mes jambes ne répondent toujours pas. Eh bien, bon sang. Elle est plutôt puissante. Ça vaut peut-être le coup de lui parler après tout.

Magnolia. Quelle femme insistante et agressive.

Je crois que je l’aime bien.



Lady Magnolia s’agita dans tous les sens dans la salle de dessin, ses servantes la suivant de partout pour limiter les dégâts. Elle était occupée à surveiller l’ouverture d’un gros tonnelet de métal, dont le contenu avait été recouvert de glace.

Ryoka était assise devant l’une des tables en fer ornementé, consciente de la présence d’un tapis sous ses pieds. Il n’était peut-être pas de Perse, mais c’était juste parce que la Perse n’existait pas dans ce monde. Dans tous les cas, il était cher, et il devenait de plus en plus sale avec ses pieds dessus.

Occasionnellement, les jambes de Ryoka se tendaient, mais elle restait assise, ce qui la frustrait grandement.

“Et voilà !”

Magnolia battit des mains de bonheur. Ryoka regarda les deux sangles de la boîte métallique s’ouvrir et la vapeur glacée qui s’en échappait. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle avait apporté, et c’était donc avec intérêt qu’elle vit la servante plonger précautionneusement une cuillère à l’intérieur.

Ce qui en sortit était… blanc, mouillé, avec quelques éclats noirs perdus dans la texture crémeuse. Les yeux de Magnolia pétillèrent lorsqu’une autre cuillerée rejoignit la première dans le bol de porcelaine. Même les servantes regardaient la crème avec convoitise.

Pour être plus précis, la crème glacée.

Ryoka fixa la glace des yeux, bouche-bée.

Magnolia fit signe en direction de son invitée, et la servante hésita avant de poser le bol devant Ryoka. La jeune femme scruta silencieusement le filigrane d’or entourant la cuillère qu’on lui tendait. Elle baissa les yeux sur la crème glacée.

“Eh bien c’est une vraie gâterie.”

L’une des servantes tira un fauteuil pour Lady Magnolia et l’aristocrate s’assit en face de Ryoka. Elle accepta un autre bol et lui sourit.

“N’aies pas peur. Il s’agit d’un délice très rare que j’ai fait importer. C’est plutôt, plutôt cher, mais une fois que tu y auras goûté, je pense que tu penseras que cela vaut bien son prix.”

Ryoka hésita. Elle n’était pas sûre de devoir manger en premier, mais Magnolia agita la main.

“Oh, vas-y. Quel genre d’hôtesse serais-je si je ne te laissais pas la première bouchée ? Mais je dois toutefois te prévenir - c’est plutôt froid !”

Ryoka hésita, mais Lady Magnolia la dévisageait avec un enthousiasme sincère. Elle contrastait fortement avec les servantes derrière elle, qui affichaient toutes un regard de tueuses. Elle avait la nette impression que la situation tournerait au vinaigre si elle refusait.

Poussée par tous les yeux posés sur elle, Ryoka prit lentement une bouchée. Son expression ne changea pas d’un iota. Lady Magnolia cilla. Les servantes auraient bien marmonné, mais leur entraînement leur permit de garder des expressions précautionneusement neutres.

“Huh. De la crème glacée.”

Ryoka se maudit intérieurement. Elle n’avait pas prévu de dire cela à voix haute. Là encore, Magnolia cilla et sa bouche s’ouvrit délicatement.

“Eh bien. Tu sais ce dont il s’agit ?3

“... non ?”

“Ma chère, te souviens-tu de ce que je t’ai dit à propos de mes compétences ? Je sais que tu me mens. Mais comment se fait-il ? J’aurais juré que ce délice n’avait été inventé qu’il n’y a une semaine ! Je viens juste d’entendre dire qu’il avait été créé par un maître [Chef] du continent du nord. Mais tu y as déjà goûté, n’est-ce pas ?”

Elle pouvait dire la vérité, ou mentir et révéler la vérité. Ryoka haussa les épaules.

“Ouaip.”

Les servantes murmurèrent. Magnolia soupira, et goûta à son tour la crème glacée.

“Délicieux. Oh, mais pardonne-moi. Je n’ai pas pu m’en empêcher. Eh bien, voilà une surprise qui éclipse bien la mienne ! Je dois dire, je suis à la fois décontenancée et réjouie que tu connaisses cette gourmandise. Comment l’as-tu appelée ? De la “crème glacée” ?”

“On l’appelle autrement dans le coin ?”

“Je crois bien que cela s’appelle “gelato”, ou quelque chose de semblable. Mais j’aime plutôt bien ton nom ! C’est vrai que cela rappelle la crème, n’est-ce pas ? Mais le froid… et bien sûr la douceur sont incomparables !”

“Mhm.”

“Eh bien, il faut absolument que tu me dises comment tu connais cette sucrerie.”

“Uh, c’est plutôt commun dans mon pays natal.”

Magnolia haussa un sourcil délicat.

“Commun ? Es-tu sûre que… mais tu dis vraiment la vérité. Curieux.”

Ryoka s’agita sur son siège. Elle s’était mise dans le pétrin. Elle avait l’impression qu’on lisait dans son esprit. Même si Magnolia ne détectait que ses intentions et si oui ou non elle disait la vérité, la conversation était plus truffée de mines qu’un champ de bataille. Elle devait changer de sujet.

Prudemment, elle prit une autre bouchée. La crème glacée n’était pas aussi sucrée que celle de son monde mais la similarité était glaçante. Elle montra le tonnelet métallique.

“Uh, ça vous a coûté combien ?”

Ce n’était pas une question appropriée, à en juger par les regards furieux que lui lancèrent les servantes. Mais Magnolia ne sembla pas s’en formaliser.

“Eh bien, je déteste parler de ce genre de sujets dans une conversation civile, mais cette petite gourmandise a coûté soixante-dix pièces d’or, sans compter le prix de la livraison trans maritime et le coût de la livraison express jusqu'ici.”

Ryoka s’étouffa sur sa cuillerée de crème glacée et faillit casser la cuillère en deux avec ses dents. Magnolia agita une main.

“Oh, je t’en prie. Je sais que c’est beaucoup, mais un mets aussi délicieux ? Cela en vaut vraiment la peine.”

Silencieusement, Ryoka scruta le pot de crème glacée. C’était probablement la contenance d’un pot de glace qu’elle aurait pu acheter pour trois dollars au supermarché, dans son monde.

Inconsciente de ce qui se passait sous son crâne, Magnolia sourit de nouveau à Ryoka en prenant une nouvelle cuillerée de crème glacée dans sa bouche.

“J’ai bien peur qu’il ne nous faille manger rapidement avant que notre “crème glacée” ne fonde. Mais je suis sûre que nous pourrions papoter devant un thé ensuite. Et alors tu pourras me dire tout ce que tu sais de cette crème glacée, et d’où tu viens. Je dois dire que tes traits sont plutôt saisissants.”

L’expression de Ryoka ne changea pas, mais les yeux de Magnolia s’assombrirent.”

“Si tu préfères ne pas en parler, je comprendrai très bien.”

C’était difficile. Ryoka fronça les sourcils devant sa crème glacée à moitié fondue et prit le temps de réfléchir. Puis elle leva les yeux. Le sourire de Magnolia s’élargit.

“Oh ? Je sais qu’il est très impoli de parler de ce qu’ils se passe dans la tête de quelqu’un, mais tu viens d’avoir une sacré inspiration.”

“Yup. Je réfléchissais à la crème glacée.”

“Tu voudrais une autre cuillerée ?”

“Non. Mais j’en connais un rayon à ce sujet.”

Magnolia se pencha en avant, le regard brillant, Ryoka baissa les yeux sur son décolleté et crut comprendre en partie l’attraction que Magnolia exerçait sur les gens. Ou du moins, l’attraction qu’elle exerçait sur les Coursiers de sexe masculin.

“Vraiment ? J’ai bien peur de ne pas avoir réussi à dénicher la créature qui produit un tel délice. Sais-tu d’où cela vient ?”

“Mieux. Je sais la préparer.”
« Modifié: 29 mars 2020 à 19:20:00 par Maroti »

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #32 le: 14 février 2020 à 16:54:39 »
Suite à des problèmes familiaux, la traduction de 'The Wandering Inn' est interrompue jusqu'au mercredi 26 février, je m'excuse sincèrement du dérangement.

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #33 le: 26 février 2020 à 12:35:04 »
1.03 R
Traduit par EllieVia

La vie pouvait être étrange. Certains jours, on courait, et d’autres jours on se retrouvait propulsée dans un autre monde avec rien d’autre qu’un iPhone et les vêtements sur notre dos. Parfois encore, on préparait de la crème glacée.
 
Mais c’est une journée exceptionnelle pendant laquelle Ryoka se retrouva à faire de la crème glacée chez une aristocrate, entourée de servantes, dans une cuisine qui aurait pu rivaliser avec n’importe quel décor d’émission culinaire cherchant à cuisiner des mets hors de prix en dépensant le plus d’argent possible.
 
Elle ne se sentait pas à sa place dans la pièce immaculée, à manier l’équivalent d’ustensiles de cuisines en inox. Ryoka était toujours pieds nus, et elle était douloureusement consciente des traces qu’ils laissaient sur le carrelage sans défaut. Non pas que Lady Magnolia ne semble en avoir cure.
 
La souriante lady du manoir était sur les talons de Ryoka, lui montrant avec excitation le contenu de sa cuisine amplement équipée. Elle ouvrit des placards et révéla à Ryoka des étagères et des étagères d’ingrédients exotiques qu’elle ne reconnaissait qu’à moitié. Du sucre, d’accord, c’était logique. Mais du sucre rouge ? Cueilli dans le désert ? Et ça, c’était normal comparé aux délices tels que la viande de Wyverne.
 
“Parfaitement répugnant. J’ai essayé un jour mais je n’ai pas supporté le goût. C’est très bon pour la santé, ou du moins c’est ce que l’on m’a dit, mais…”
 
Expliqua Lady Magnolia en indiquant le cuissot violacé posé dans une assiette sur une étagère. Ryoka fixa la viande luisante et se demanda intérieurement quel en était le goût.
 
L’étrangeté de la cuisine ne tenait pas tellement dans le fait qu’elle soit gigantesque, ou qu’elle ait tellement d’équivalents d’équipements modernes. Non, cela venait surtout du fait que la plupart des denrées étaient entreposées à l’air libre dans des étagères. Même les placards s’ouvraient sur des piles de lait, de beurre, et même de légumes frais stockés sans aucune forme de réfrigération.
 
Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Ryoka devait poser la question. Elle interrompit Lady Magnolia qui était en train de lui présenter une sorte de gelée qui paraissait bouger toute seule.
 
“Et ces trucs-là ne finissent pas par pourrir ?”
 
Magnolia jeta un œil aux étagères tandis que les servantes fusillaient silencieusement Ryoka du regard.
 
“Ça ? Je ne pense pas, non. J’ai investi dans les meilleurs sorts de préservation et un [Enchanteur] vérifie tous les ans que les runes tiennent toujours. Mes chefs sont plutôt satisfaits de l’espace dont ils disposent, et j’en ai bien besoin étant donné toutes les délicieuses gourmandises que je leur fais faire.”
 
Ryoka scruta les minuscules runes gravées sur les côtés de chaque placard. Des runes de préservation ? Pratique. Elle se demanda à quel point cela était hors de prix.
 
“Ce n’est pas trop cher, étant donné la qualité du travail qui a été fait. Les mages pratiquent des prix très raisonnables. Il n’est pas rare que les auberges et certains grands commerces en disposent.”
 
Lady Magnolia sourit en voyant Ryoka relever vivement la tête pour la dévisager.
 
“Je ne lis pas dans tes pensées, ma chère. Il ne s’agit que d’une supposition éclairée et de quelques compétences. Je suis certaine que tu as entendu dire que la classe de [Lady] était une classe frivole, mais nous disposons de quelques astuces bien utiles en société.”
“Mmh.”
 
“Oh, tu es vraiment taciturne, n’est-ce pas ? J’ai rencontré des dragons plus avenants, mais soit. Faisons cette crème glacée ! Par quoi commence-t-on ?”
 
Magnolia attendit avec impatience tandis que Ryoka parcourait la cuisine du regard en tentant de se remémorer tous les ingrédients. Cela faisait longtemps que Ryoka n’avait pas confectionné de crème glacée. Elle avait presque oublié la recette, mais étant enfant…
 
“On aura besoin de sel, aussi. Une pincée. Et de vanille.”
 
“Bien sûr. Ressa ?”
 
L’intendante acquiesça et envoya les autres servantes chercher les différents ingrédients aux étagères correspondantes. Elle marqua une pause lorsque l’une des servantes lui apporta un fagot de gousses de vanilles soigneusement emballées.
 
“Ces gousses sont plutôt chères, milady.”
 
Lady Magnolia émit un son de dédain en balayant les réserves de Ressa d’un geste de la main.
 
“Oh, sottises, Ressa, ne sois pas rabat-joie. Je suis d’idée de fournir à Ryoka tout ce qu’elle me demandera si elle peut produire cette crème glacée.”
 
“Une gousse suffira.”
 
La servante tendit le bâtonnet de vanille desséché à Ryoka, qui le rompit en deux. Elle renifla la forte odeur qui s’en dégageait et commença à en extraire la vanilline.
 
“Maintenant, il faut que l’on chauffe le lait, le sel, et le sucre dans une grande casserole. Vous en avez une ?”
 
Lady Magnolia battit des mains tandis que Ressa, le regard noir, attrapait une grande marmite polie et la posait sur l’un des feux de la cuisine.
 
“Oh, je vois ! Tu prépares une crème sucrée ! Comme c’est charmant !”
 
En silence, Ryoka mélangea les ingrédients et finit par obtenir une crème anglaise d’un ivoire crémeux. Elle y plongea une cuillère et décida qu’elle était assez épaisse pour la transformer en crème glacée. Et maintenant ? Ah, oui.
 
“... Bordel.”
 
Ce coup-ci, le langage de Ryoka faillit lui faire gagner une claque à l’arrière de la tête. La main de Ressa tressaillit, et une petite veine se mit à palpiter sur son front.
 
“Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
“Je ne vais peut-être pas pouvoir la finir, finalement. J’ai oublié quelque chose.”
 
Lady Magnolia eut l’air consterné. Elle regarda le contenu de la casserole.
 
“Cela me semble très bien, au contraire, mais… manque-t-il un ingrédient ?”
 
Ryoka secoua la tête et montra la marmite.
 
“Il faut que l’on gèle cela. Ou plus exactement, qu’on le gèle lentement et en remuant.”
 
C’était un gros problème. Bien que ce monde soit équipé de sorts de préservation, Ryoka était certaine qu’ils n’avaient pas encore inventé les réfrigérateurs et la climatisation. Mais à sa grande surprise, Lady Magnolia rit et posa sa main sur son décolleté généreux de soulagement.
 
“Oh, c’est tout ?”
 
Magnolia agita une main légère. Elle se tourna vers l’une de ses servantes.
 
“Yvony, pourrais-tu être un amour et envoyer un message à la Guilde des Mages ? Dis-leur que j’ai besoin d’un [Élémentaliste] possédant les bases de la magie de glace.”
 
Médusée, Ryoka regarda Yvony, une servante blonde au teint parfait, s’incliner et trotter hors de la pièce.
 
“Elle va courir là-bas ?”
 
Lady Magnolia pouffa poliment et les autres servantes sourirent.
 
“Tout le monde n’a pas le pied léger des Coursiers. Non, elle va simplement me ramener… ah, merci Yvony.”
 
La servante est revenue avec un petit livre bleu à la couverture recouverte de dentelle d’or. Lady Magnolia l’ouvrit et montra les pages vides à Ryoka tandis qu’Yvony dévissait une bouteille d’encre et y plongeait une plume.
 
“Je t’en prie, regarde. Ceci est un livre magique. Qui fait partie d’une paire. Lorsque j’écris sur l’une des pages, l’autre livre copie immédiatement mon écriture. C’est un moyen plutôt ingénieux de communiquer sans avoir à recourir à un sort de [Télépathie] ou de [Communication longue distance] à chaque fois.”
 
Elle tendit le livre à Yvony et la servante écrit quelques lignes claires et concises sur le papier. Le livre brilla brièvement, puis la lumière disparut. Magnolia joignit les mains et se retourna vers Ryoka.
 
“Et maintenant, on attend. Un mage devrait être ici dans quelques minutes. La Guilde des Mages est plutôt prompte à réagir, et n’est par chance qu’à quelques rues d’ici. Devrions-nous nous retirer pour une tasse de thé ?”
 
Si elle avait eu le choix, Ryoka aurait refusé, mais le problème avec les propositions faites par une Lady est qu’elles n’en sont pas vraiment. Elle se retrouva rapidement assise à siroter le contenu d’une tasse de thé bien chaud en essayant de ne pas grimacer.
 
Son héritage nippo-américain lui criait d’au moins apprécier le bon thé, étant donné que ses grands-parents japonais avaient insisté pour qu’elle goûte le breuvage. Mais ses racines américaines et sa personnalité insistaient sur le fait que le café était la seule bonne façon de vivre. Malheureusement, elle n’était pas encore tombée sur ce breuvage donc elle continua à prétendre boire son thé en écoutant Magnolia faire la conversation.
 
“Je dois bien dire que je meurs d’envie de savoir ce qui te fait courir, Miss Ryoka. Si je puis me permettre de vous l’avouer - je ne vous le demande pas seulement par simple curiosité, mais parce que j’ai un petit pari en cours avec quelques autres Ladies de mon cercle de rumeurs à ce sujet.”
 
Ryoka marqua une pause. Elle était habituée à l’attention qu’attiraient ses pieds nus, mais c’était la première fois qu’elle faisait l’objet d’un pari.
 
“Vraiment ?”
 
“Comment, tu n’as pas réalisé que tu t’étais déjà construit une réputation ? Le conte de la Coursière aux traits exotiques apparue en plein milieu d’une rue bondée a beaucoup de succès, et c’était avant que tu ne deviennes la Coursière la plus rapide de la zone. Les gens se demandent pourquoi tu cours pieds nus. Cela fait-il partie d’une classe spéciale ? Ou est-ce un secret ?”
 
“Ce n’est pas un secret.”
 
Magnolia attendit, mais la jeune femme assise face à elle n’ajouta rien de plus. Elle s’éclaircit poliment la gorge.
 
“Alors… tu voudrais bien me dire pourquoi ? J’adorerais savoir.”
 
Lady Magnolia se pencha avec enthousiasme par-dessus son thé. Ryoka haussa les épaules. Même les servantes écoutaient en silence en s’affairant à accomplir des tâches superflues dans la salle de dessin.
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“J’aime simplement courir pieds nus. Je déteste porter des chaussures.”
 
Son audience cilla. Ryoka haussa les épaules. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à dire. Elle jeta un regard en coin aux servantes qui échangeaient des regards dans le dos de leur maîtresse. Ryoka se demanda négligemment à quel point elles échangeaient des ragots à la fin de leur service.
 
Un silence suivit la réponse de Ryoka, puis un rire le brisa. Lady Magnolia pouffa, puis se mit à rire doucement. Ce n’était pas un rire éclatant ou incontrôlé, comme tout chez elle, son rire était poli et raffiné. Mais il était sincère.
 
“Ma chère Ryoka Griffin, tu es la jeune femme la plus charmante que j’aie jamais rencontrée !”
 
Elle leva sa tasse et une servante aux aguets la remplit d’une nouvelle dose du thé sombre que Ryoka s’efforçait de ne pas ingérer.
 
“Une réponse simple, mais la personne en face de moi ne l’est pas. Je suppose que notre petit cercle de commérages va devoir annuler le pari. Que c’est intéressant. Eh bien en ce cas, maintenant que ma curiosité a été assouvie, devrions-nous faire un jeu en attendant l’arrivée de notre mage ?”
 
Ryoka hésita. Elle leva les yeux sur le visage de Magnolia et fronça les sourcils.
 
“... Quel genre de jeu ?”
 
“Oh, ma chère Ryoka, je t’en prie. Ne sois pas tant soupçonneuse. Je ne cherche pas à te soutirer des secrets - enfin, si, mais je ne te forcerai pas à dire des choses si tu n’en as vraiment pas envie. Je propose simplement un jeu de devinettes. J’y joue tout le temps avec mes amies pour trouver leurs petits secrets et dénicher des intrigues. Tu peux me poser une question, et je t’en poserai également une à laquelle, j’espère, tu répondras la vérité. Cela te paraît-il juste ? “
 
Ryoka haussa les épaules. Le sourire de Magnolia s’élargit.
 
“Eh bien, comme je t’ai demandé pourquoi tu courais pieds nus, pourquoi ne commencerais-tu pas par une question.”
 
Avec réticence, Ryoka réfléchit. Elle baissa les yeux sur son thé, leva les yeux au plafond, regarda les servantes, puis Magnolia. Enfin, elle haussa les épaules.
 
“Je n’ai pas d’idée.”
 
Le visage de Magnolia se décomposa.
 
“Pas même une ? Rien ne titille ta curiosité ? Je dispose d’une véritable richesse de rumeurs et de connaissances réelles.”
 
Là encore, Ryoka haussa les épaules. Ce n’était pas qu’elle ne pouvait pas trouver un million de questions à poser, c’était juste qu’elle ne souhaitait pas les poser à Magnolia. Et elle aimait bien la mettre mal à l’aise.
 
“... Pas vraiment. Pourquoi ne poseriez-vous pas une question ?”
 
Même si elle était clairement déçue, Lady Magnolia reprit immédiatement contenance.
 
“Eh bien en ce cas, j’aimerais beaucoup savoir d’où tu viens, Miss Ryoka Griffin. Voyons voir. Serais-tu originaire de l’un des continents du nord ?”
 
Ryoka haussa un sourcil.
 
“Lequel ?”
 
Magnolia eut l’air perdue.
 
“Lequel ? Eh bien, j’imagine… le continent principal. À moins que tu ne parles de l’une des îles ? Non - je parle du continent humain, Terandria. Viens-tu de là-bas ?”
 
“Nope.”
 
“Bien, bien. En ce cas, viens-tu de l’est ? Les Îles de Minos abritent une petite population humaine. Ou serais-tu insulaire ? Il y a beaucoup de gens exotiques dans les archipels, et leurs traits ne sont pas très éloignés des tiens.”
 
Ryoka secoua la tête. Elle en apprenait beaucoup.
 
“Jamais été là-bas.”
 
Magnolia fit la moue.
 
“Mes instincts sont complètement faux. Très bien. En ce cas, je n’y aurais pas pensé, mais… les archipels gelés ? Ou les étendues sauvages et inexplorées de ce continent ?”
 
“Non, et non.”
 
“Bon, alors viens-tu des terres du sud ? Je ne vois pas comment, mais tu as peut-être grandi dans l’une des tribus Gnolles ou dans une colonie Drake ?”
 
“Nope.”
 
Ryoka sourit. Magnolia la regarda en fronçant légèrement les sourcils.
 
“Je demande simplement une clarification - tu n’as pas grandi chez les Antiniums ? Ils ont plusieurs Colonies au sud et une à Liscor.”
 
Là encore, Ryoka secoua la tête. Magnolia tapota sa cuillère contre sa tasse, frustrée.
 
“Très bien. Mais si tu ne viens pas d’un des continents principaux… aha ! Tu as grandi à Wistram, l’île des mages ! Ou… ou dans les montagnes, avec les nains ? C’est un peu tiré par les cheveux, mais peut-être… tu as vécu en mer pendant ton enfance ?”
 
“Tout faux.”
 
Ryoka sourit. Autour d’elle, les servantes avaient un air soupçonneux, comme si elles la soupçonnaient de mentir à leur maîtresse. Mais Magnolia contemplait Ryoka avec une légère moue. Elle ouvrir la bouche, mais à ce moment quelqu’un frappa à la porte principale, poliment mais fermement.
 
Avec réticence, Magnolia détacha son regard de Ryoka. Elle posa la tasse de thé et se leva avec grâce.
 
“Hm. Ne faisons pas attendre notre mage.”
 
Ryoka était déjà debout, et elle suivit Lady Magnolia à la porte. Comme elle était derrière elle, elle ne vit pas l’ombre qui passa sur le visage de Magnolia avant que cette dernière recompose son expression en un sourire éclatant pour accueillir le mage de glace chez elle.
 

 
La crème glacée. C’était sucré, froid avec un peu de chance, et apparemment, était à peu près aussi addictif que les drogues dures pour ceux qui n’en avaient jamais eu auparavant.
 
Elle n’avait pas été certaine de sa recette, mais devant l’insistance de Lady Magnolia, Ryoka avait rempli une grande marmite de crème anglaise. Dès que le mage fut arrivé, ils étaient parvenus malgré quelques péripéties à transformer la crème en une gourmandise glacée. Lady Magnolia, ses servantes, et même le mage s’étaient joints à Ryoka pour déguster la crème glacée.
 
Par conséquent, l’énorme marmite était à présent vide et l’estomac de Ryoka n’était pas fier d’elle. Le mage était parti il y avait de cela à peine une demi-heure, serrant à la fois son ventre et sa tête. Il affichait toutefois toujours un grand sourire.
 
À l’étonnement de Ryoka, le mage avait été plutôt intéressé par la préparation de la crème glacée. C’était peut-être juste sa personnalité, mais c’était probablement également dû à l’enthousiasme contagieux de Magnolia. Elle avait assigné la tâche à une servante de prendre des notes sur les moindres faits et gestes de Ryoka lorsque celle-ci avait trouvé comment mélanger correctement la crème glacée.
 
Cela lui allait très bien au final parce que cela signifiait que Ryoka n’aurait pas à réexpliquer comment faire la crème glacée. Et maintenant que la crème glacée était finie, Ryoka pouvait enfin partir. Elle était à la dernière étape du processus - en train d’essayer de se débarrasser de Lady Magnolia à la porte.
 
“Je ne peux toujours pas croire que tu ne veuilles pas prendre au moins une marque de reconnaissance pour m’avoir enseigné cette délicieuse recette.”
 
Ryoka haussa les épaules alors que Lady Magnolia s’agitait. Les quantités sub-létales de sucre que la femme avait ingérées ne semblaient pas la ralentir comme les autres servantes et Ryoka elle-même. Même Ressa, la loyale intendante, semblait légèrement nauséeuse en redescendant de l’hyperglycémie et en réalisant à quel point elle avait mangé, mais Magnolia était aussi énergique que d’habitude.
 
Dans un soupir, Lady Magnolia abandonna le sujet, au grand soulagement de Ryoka. Elle avait refusé toute proposition de paiement. Cela lui semblait mal, surtout pour de la crème glacée. Magnolia avait enfin laissé tomber et Ryoka allait enfin pouvoir partir.
 
“Tu ne veux pas au moins prendre un peu de ta merveilleuse crème glacée avec toi ? Nous avons par chance plusieurs paniers enchantés avec des sorts de préservation. Je serais plus qu’heureuse de t’en faire cadeau.”
 
Ryoka hésita alors que Ressa toussotait en marmonnant au sujet de la dépense. C’était vraiment tentant. Pas la crème glacée - mais un panier magique semblait extrêmement utile. Mais là encore…
 
“Non, ça me va, merci.”
 
Lady Magnolia soupira, mais elle ne proposa rien de plus, au grand soulagement de Ryoka et de l’intendante. Ryoka finit de s’étirer la jambe qui s’était engourdie puis tendit la main pour ouvrir la porte. Ressa l’intercepta et lui ouvrit poliment la porte. Ses mains étaient gantées. Apparemment, cela faisait une grande différence entre ce qu’elle pouvait toucher, contrairement à Ryoka.
 
C’était le moment de courir. Mais Ryoka se tourna avant de franchir la porte et hocha la tête à l’intention de Lady Magnolia.
 
“Merci.”
 
“Au contraire, c’est moi qui devrais te remercier, Miss Ryoka. Mais si je peux me permettre une dernière question avant que tu partes ?”
 
Ryoka s’arrêta avec réticence devant la porte alors que Ressa la lui claquait au nez. Elle se tourna légèrement et regarda Magnolia.
 
“Viens-tu bien de quelque part dans ce monde ?”
 
Silence. Le visage de Ryoka ne changea pas, mais Magnolia sourit.
 
“J’espère que tu accepteras d’autres requêtes de ma part dans le futur. J’aimerais tellement discuter.”
 
Ryoka était partie avant que Magnolia ait terminé de parler.
 

 
Lady Magnolia regarda Ryoka trotter puis se lancer dans une course lente en atteignant le bout de la rue.
 
“Diantre, elle est vraiment rapide.”
 
Derrière elle, Magnolia sentit sans la voir Ressa acquiescer silencieusement. L’un des avantages d’être une [Lady] était la capacité de détecter les choses bien plus loin que ce que sa posture ou ses limites physiques laissaient paraître. Cela permettait également à Lady Magnolia d’afficher un certain degré de dignité à chaque instant, même si elle avait très mal à l’estomac.
 
Mais ce n’étaient que de menues préoccupations, et Magnolia les écarta donc de son esprit. Ses yeux suivirent Ryoka alors que la Coursière disparaissait au coin de la rue et elle tapota ses lèvres. Puis elle se retourna vers sa servante.
 
“Ressa, contacte la Guilde des Mages, je te prie, et dis-leur que je requière un sort pour ma personne ce soir.”
 
Ressa esquissa une révérence.
 
“Très bien, Milady. Quel sort requérez-vous ?”
 
“Hm. Le sort de communication longue distance. J’ai oublié le nom exact. Ils le connaissent.”
 
Ressa hésita. Elle inclina la tête.
 
“Si je peux me permettre, Milady…”
 
“Parle, Ressa.”
 
“Ce sort est… très cher, milady. Un sort de communication mineur ne suffirait-il pas ?3
 
“Non, j’ai bien peur que non. Le sort est cher, mais je paie ainsi le prix pour le secret et l’intimité. J’apprécie tes inquiétudes, chère Ressa, mais c’est ainsi. Envoie la requête.”
 
“Oui, milady.”
 

 
Je dois ralentir après m’être éloignée de quelques rues de la maison de Magnolia. Je pose les mains sur mon estomac et essaie de ne pas vomir.
 
“Bon sang.”
 
La crème glacée ne convient pas à mon corps, surtout si je dois courir. J’ai l'impression d’avoir un caillou dans l’estomac. Et pourtant, ça en valait probablement la peine. Si seulement cela n’avait pas été à la vanille*, la vie aurait pu être parfaite.
 
-* Si je dois manger de la crème glacée, elle doit être à la menthe et aux pépites de chocolat. La vanille reste la vanille. Mais j’adore la menthe. Et la menthe poivrée. Et la menthe verte. Je… j’aimerais beaucoup avoir du chewing-gum.
 
Alors que je me remets à marcher puis repasse à un petit trot, je pense à Magnolia, ou plutôt, à la personne la plus terrifiante que j’aie rencontrée dans ce monde. Apparemment, les gens de sa classe peuvent pratiquement lire dans les pensées, ou du moins connaître les émotions. Ce n’est pas une pensée réconfortante.
 
Bon sang. Elle a presque compris mes origines en quelques minutes. Quelle femme terrifiante.
 
C’était peut-être mal de le penser, mais en la rencontrant, je m’étais dit qu’elle n’était qu’un autre papillon social dodu sans cervelle. Mais… c’est ce qu’elle veut que les gens pensent d’elle. La vraie Magnolia est intelligente et vive. Il faudra s’en souvenir la prochaine fois que tu iras chez elle.
 
… ce qui ne sera pas avant un moment. Je sais qu’il va falloir payer le prix fort si Persua se débrouille comme elle veut, et de plus, j’ai maintenant de bonnes raisons de ne pas aller voir Magnolia à l’avenir.
 
“Yup. Plus de livraisons à Magnolia pour un bon moment.”
 
Mais ceci étant dit, je vais tout de même mener mon enquête sur elle. Je parie que Garia saura des choses sur elle - comment Magnolia s’est enrichie, si elle est mariée, tout ça. Connais ton ennemi, pas vrai ? Eh bien, Magnolia n’est pas mon ennemie, et j’aimerais que cela reste le cas.
 
… Garia. Son nom me rappelle quelque chose que je dois faire alors que je dévale une autre rue. Il y a de moins en moins de monde si tard dans la journée, mais je vois un autre Coursier disparaître à l’instant où je tourne au coin de la rue. Garia. Oh. Bien sûr.
 
Demain je dois faire cette livraison avec Garia. Ça ne va pas être agréable. Pas juste parce que l’on va devoir porter plus de vingt kilos sur le dos, mais parce qu’elle va vouloir me parler tout le long. Ce qui est très bien, C’est normal, et humain. C’est juste chiant à mourir.
 
Mais bon, j’ai promis, donc il n’y a rien d’autre à dire. Oublie ça, mais sans vraiment oublier. Au moins, je n’aurai pas à traîner à la Guilde des Coursiers trop longtemps pour trouver un boulot.
 
Je me demande s’il y aura des conséquences d’avoir fait de la crème glacée. Quelle idée ridicule mais… approfondissons tout cela. Hm.
 
Ce n’était probablement pas une bonne idée de partager la recette, mais cela a permis d’éviter que Magnolia ne me pose trop de question sur mes origines. Mais quels sont les tenants et les aboutissants de la divulgation de ce genre d’informations ?
 
Eh bien… si je dois deviner, cela voudra dire que la pauvre personne qui a inventé la crème glacée ne va pas devenir aussi riche que ce qu’elle ou qu’il espérait. Mais cela pourrait aussi mener à des changements dans la ville. La confection de la crème glacée est rendue exceptionnellement accessible, et grâce à la magie, facile à faire même à cette époque.
 
Cela veut-il dire que je vais bientôt en voir dans les rues ? Mais non… à moins d’avoir un mage à disposition, la crème glacée n’est pas facile à conserver. J’imagine que c’est la noblesse qui va surtout en profiter, avant que quelqu’un ne révolutionne la boîte à glace ou le frigo. C’est comme ça que ça marche, non ?  Ça dégouline, comme la crème glacée sur son cône.
 
J’en suis là de mon raisonnement lorsque je remarque les autres coursiers. Ils apparaissent en foule derrière moi et sortent d’autres rues. Dix… non, vingt Coursiers de rues apparaissent de nulle part et m’entourent. C’est tellement soudain que je ne pense pas à fuir avait d’être complètement encerclée.
 
Qu’est-ce qu’il se passe, bordel ? Soudain, je coure dans une foule et ils me poussent, me forçant à courir à leur rythme. J’en reconnais quelques-uns de la guilde, mais que font-ils ici ? Bon, dans tous les cas, quoi qu’ils fassent, c’est dirigé contre moi. J’essaie de me dégager de la foule, mais elle est trop dense.
 
“Dégagez.”
 
Ils m’ignorent. Evidemment. J’essaie de jouer des coudes vers la gauche, mais ils se regroupent et me rentrent dedans. Fort.
 
“Espèce de…”
 
Okay, je ne suis plus gentille, même si je ne l’ai jamais été. Je m’arrête soudain, et fait un croche-pieds à deux coursiers derrière moi. C’était une erreur, parce qu’ils s’étalent par terre et leurs chaussures me rentrent dans les pieds et les chevilles.
 
“Bordel.”
 
Gyaaaaaaah ! Ça faisait hyper mal ! Mais je suis libre, maintenant. Je veux vraiment vérifier mes pieds pour voir si leurs chaussures à la con m’ont arraché la peau, mais je n’ai pas le temps. Je me tourne et cours à gauche alors que le troupeau de Coursiers se retourne pour me suivre.
 
Ils me poussent à gauche, dans une ruelle. À ce stade, je suis vraiment énervée. Je pourrais devenir plus méchante, mais si je tente une bagarre contre autant de gens, ils me roueront de coups. Non, laisse tomber. Je les sèmerai dès que j’aurai franchi les portes de la ville. J’irai à Remendia et si d’autres se pointent, j'irai parler à la Garde. Ou à la Guilde des Coursiers.
 
Tout ce que j’ai à faire, c’est me séparer du groupe. Et c’est à la fois très simple et très compliqué. Ce qui est facile, c’est d’attraper une coureuse par l’épaule et de la pousser fort pour qu’elle rentre dans un mur. Ce qui est compliqué, c’est de me débrouiller quand ils essaieront de me cogner.
 
Mais rien ne se passe. D’un seul coup, le tas de Coursiers devant moi se sépare en deux. Plus que trois foulées et je serai libérée. Pourquoi donc se sont-ils…
 
Je le vois trop tard. Un pied se tend pour me faire trébucher, et bien que j’essaie de sauter par-dessus, il me fait quand même tomber.
 
Ow. Tout l’air sort de mes poumons. Okay, putain. Mais ils sont partis. Ce qui veut dire…
 
Un tremblement. Je le sens secouer le sol et lève les yeux. Trop tard. Un lourd chariot tiré par une grande mule dévale dans ma direction dans la petite ruelle.
 
Oh. Bien sûr.
 
Je roule, et vois un visage exigu familier me sourire alors que les autres Coursiers disparaissent dans les allées. Lève-toi. Lève-toi !
 
Le chariot dégringole dans ma direction alors que je me ramasse sur mes pieds. J’esquive à gauche, mais quelque chose me rentre dedans. On dirait que je viens de me prendre un mur d’air solide. De la magie. Je tombe au sol sous l’impact,
 
Je lève les yeux et vois les roues massives écraser les graviers dans ma direction. Tellement rapides. Et je suis couchée en plein dans son chemin.
 
Oh. Oui. J’avais presque oublié d’où vient ma haine du monde. Parfois j’oublie, mais on me le rappelle toujours au bout d’un moment. Ma haine du monde vient...
 
***
 
Des gens.
 
Cette fois-ci, je ne suis pas assez rapide.
 



Crack.
« Modifié: 29 mars 2020 à 19:22:31 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #34 le: 29 février 2020 à 16:07:55 »
1.25

Ils portent le nom d’Ouvriers. C’est leurs désignations, leurs vies, et leurs rôles. Ils remplissent cette fonction avec succès. Un Ouvrier est beaucoup de choses. Un marteau pour construire et détruire des fondations, un couteau de boucher pour séparer la viande des os. Un Ouvrier travaille. C’est leurs buts.

Mais quand Klbkch ramena les douze Ouvriers, ils n’étaient plus les mêmes. Ils racontèrent aux autres Ouvriers durant leurs rotations et repos d’une étrange tâche qu’ils avaient réalisé. Ils parlèrent de la visite d’une ‘auberge’, d’une rencontre avec une étrange créature et du fait qu’ils avaient mangé de la délicieuse nourriture, et qu’ils avaient appris un ‘jeu’ nommé ‘échecs’.

Ces révélations étaient extrêmement troublantes pour les autres Ouvriers. Beaucoup s’entretinrent et décidèrent à l’heure la plus sombre de la nuit. Tout était incertain. Leur Reine ne s’adressait pas à eux, mais en faisant passer des messages depuis sa chambre souterraine. Ils n’avaient personne d’autres pour les guider, et donc les Ouvriers devaient délibérer entre eux.

Est-ce qu’il était possible que ce nouveau ‘jeu’ que les autres Ouvriers avaient ramené et les étranges bout de papier sur lequel ils écrivaient faisaient d’eux des Aberrations ? Tout semblait l’indiquer, mais le Prognugator n’avait pas éliminé les douze. Et donc cela ne devait pas être une Aberration. Et si leur Reine avait ordonné Klbkch d’amener les douze à jouer à ce jeu, alors ce dernier devait avoir une grande importance.

Par conséquent, le lendemain lors de la période de repos qui leur étaient accordés, les douze Ouvriers installèrent des échiquiers en utilisant les bouts de papier et des pierres et expliquèrent les règles du jeu aux autres Ouvriers. Puis des parties furent jouées.

Douze Ouvriers jouèrent contre les douze qui avaient visité l’auberge. Ils perdirent leurs parties. Mais les Ouvriers étaient intrigués, et certains exprimèrent leurs désirs de jouer. Ce nouveau jeu d’échec n’était pas une Aberration, et il était intriguant.

Cependant, durant la cinquième ronde de partie, une Aberration eut lieu. L’un des Ouvriers se leva de sa partie d’échecs et s’empara d’un couteau de boucher. L’individu-qui-n’était-plus-un-ouvrier retourna à l’échiquier et poignarda à mort son adversaire.

Avant que le Prognugator arrive, six autres Ouvriers furent tués et leurs membres furent utilisé pour décorer les tables.

***


Klbkch marcha dans la petite caverne, baissant la tête pour passer dans le petit tunnel qui l’avait amené jusqu’ici. La caverne avait beau être très sombre, cette dernière était illuminée par quelques regroupements de champignon lumineux tous les six mètres et permettaient à Klbkch de voir sans problème. Il s’arrêta et baissa les yeux à la tête décapitée d’un Ouvrier avant d’étudier l’ichor verte qui recouvrait le sol.

Un Ouvrier, ou du moins, quelque chose qui ressemblait à un ouvrier se tenait dans la pièce. Il tenait une lame dégoulinante dans deux de ses mains, et était en train de scier et trancher le cadavre d’un autre Ouvrier alors que Klbkch s’approcha.

« Tu as tué tes camarades Antiniums, Ouvrier. Comment expliques-tu tes actions ? »

L’Aberration se retourna et lâcha le bras qu’il venait de couper. Il leva ses lames de manière menaçante, mais Klbkch ne fit pas de mouvement en direction de ses épées.

« Je corrige les erreurs des autres. Ils jouent à des ‘jeux’ et vont à l’encontre de la volonté de la Colonie. Ils ne méritent rien d’autre que la mort. »

L’Aberration pointa les autres Ouvriers, qui se tenaient silencieusement contre un mur. Ils ne tressaillirent pas, mais restèrent silencieux et immobiles. Observant.

« Leurs vies n’est pas tienne à prendre. Tu es une Aberration. Tu es un échec. »

L’étrange Ouvrier secoua la tête.

« Je n’ai pas échoué. Mon n’esprit est intact. Mais je ne suis plus un Ouvrier. »

Il frappa sur son torse.

« Je suis. »

Klbkch s’arrêta.

« Alors prétends-tu encore servir la Colonie ? »

« Je refuse de servir. Je refuse de reconnaître la volonté de la Reine. Ses mots sont de la folie. De l’hérésie. »

Klbkch hocha la tête et dégaina ses épées.

« As-tu un nom ? »

L’Aberration secoua la tête avant de lever ses couteaux.

« Je refuse. Les noms sont sans valeur. L’Expérience est un échec. Je refuse. »

« Soit. »

L’Aberration chargea Klbkch et le poignarda deux fois avant d’être réduit en morceau. Il s’arrêta de poignarder uniquement après avoir été décapité et d’avoir ses membres tranchés. Et encore, son bras continua de s’animer sur le sol pendant de longues secondes avant de s’arrêter. Klbkch brûla les membres et ordonna aux Ouvriers de retourner travailler.

***


Les Ouvriers disposèrent de leurs camarades et s’occupèrent des blessés. Ensuite, vu qu’il restait encore dix minutes dans leurs périodes de pause, plusieurs d’entre eux jouèrent une autre partie en jeu Éclair.

Cette nuit, les parties d’échecs continuèrent. Tous les Ouvriers ne participèrent pas. Ce fut décidé que seul un quart des Ouvriers pouvait jouer à ce jeu pour éviter l’apparition de nouvelles Aberrations.

Les Ouvriers Désignés jouèrent quatre parties avant de commencer leur temps désigné de sommeil. Le jour suivant, ils délibérèrent entre eux et décidèrent que leur connaissance et capacités étaient trop limitées.

Par conséquent, que l’Ouvrier Désigné s’approcha de Klbkch il avait le support de tous les autres Ouvriers derrière lui. Il était le meilleur joueur, son ratio de victoire/défaite était de 54.692% et donc il avait été désigné pour faire la demande.

Klbkch n’était pas à son poste à cette heure du jour. Il s’était retiré dans ses quartiers personnels parmi les tunnels labyrinthiques, une pièce creuse faite de pierre et de terre proche de la surface. Il leva la tête en entendant frapper à sa porte. Quand il vit l’Ouvrier, il dégaina immédiatement ses épées.

« Indique tes attentions ou soit tranché. »

L’Ouvrier baissa sa tête en direction de Klbkch.

« Celui-ci demande un congé, Prognugator. »

Klbkch hésita. Il ne baissa pas ses épées.

« Pourquoi ? »

« Celui-ci souhaite visiter l’Aubergiste Solstice. »

Cette fois, Klbkch se releva. Il se dirigea vers l’Ouvrir Désigné et abaissa ses épées vers l’abdomen de l’Ouvrier.

« Dans quel but souhaites-tu visiter Erin Solstice ? »

« Celui-ci jouerait une partie d’échecs. »

« D’échecs ? »

Aucun des deux Antiniums cligna des yeux, ils étaient incapables de le faire, mais les antennes de Klbkch tressaillirent

« Explique-toi. »

« Celui-ci voudrait en apprendre plus sur les échecs avec l’intention de passer ses connaissances aux autres Ouvriers. Les Ouvriers perçoivent une limitation dans leurs développements après 416 parties jouées collectivement. »

Klbkch s’arrêta pour digérer cette information.

« Je vois. Ta requête sera prise en considération. Retourne à ton poste. Maintenant. »

L’Ouvrir Désigné s’inclina et s’en alla. Klbkch rangea ses épées dans son fourreau, regarda la porte, avant de se frapper le front avec l’une de ses mains. Puis il sortit de sa pièce pour aller faire un rapport urgent à sa Reine.

Dans l’heure, il avait quitté la ville, accompagné de l’Ouvrir Désigné.

***

Après deux jours de test, Erin devait faire face à la réalité.

« … Je ne sais toujours pas comment faire de la crème glacée. »

Tout ce qu’elle pouvait faire était un beurre sucré et bizarre. Elle regarda la casserole contenant la crème brûlée et les glaçons et se demanda si c’était encore comestible.

« Hum. C’est sucré. »

Erin lécha son doigt et décida que cela ferait bon ménage avec des céréales. Si elle avait des céréales. Enfin, il y avait ce truc qui ressemblait à du porridge, mais elle n’aimait pas le fait qu’elle devait autant mâcher pour le manger.

« Je vais peut-être le donner à Pisces. »

Erin fit couler son expérience ratée dans une jarre en verre avec tristesse. Les jarres étaient idéales pour tous. Vu qu’elle n’avait pas de tupperware et que les conteneurs les plus hermétiques étaient les jarres avec un bouchon, celle en verre avec un bouchon de liège ou de verre étaient ce qu’il y avait de mieux pour garder les produits frais.

« Dommage que je n’ai pas de runes de préservation. »

Erin grommela toute seule alors qu’elle leva la jarre de lait sur un comptoir. Elle avait demandé à Pisces combien cela lui coûterait de faire installer ces runes. Il lui avait donné un prix entre vingt et soixante pièces d’or, en ajoutant qu’elle allait devoir changer les cabinets si elle voulait être certaine que les runes restent intactes.

« C’est trop cher pour moi. Mais les réfrigérateurs coûtaient cher, pas vrai ? Mais il suffisait d’en acheter un c’était bouclé. Donc je pourrai économiser, si j’ai des clients. Une grosse foule un jour, silence radio le lendemain. Aujourd’hui aussi. C’est la vie, pas vrai ? »

La tête d’Erin se releva quand elle entendit la porte s’ouvrir.

« En parlant du loup. »

Elle leva sa voix.

« Prends un siège ! J’arrive dans un instant ! »

Erin regarda autour d’elle et jura. Elle n’avait pas de nourriture prête. C’était le midi, elle ne s’était pas attendue à avoir de la clientèle autre que Pisces, et ce dernier pouvait attendre une éternité. Mais il aurait déjà fait une remarque désagréable si c’était lui.

Elle ne pouvait rien y faire. Elle sortit de la cuisine en se dépêchant et vit une petite créature se tenir dans l’auberge. Il avait une peau verte et familière, des oreilles pointues, et des yeux rouges. Erin commença à sourire, avant de s’arrêter.

« Attends une seconde. T’es qui toi ? »

***


Les quatre Gobelins regardèrent depuis le couvert d’un plant de hautes herbes alors que la porte se referma. Ils observèrent, et virent les autres Gobelins encerclés l’auberge. L’un d’entre eux venait d’entrer, et les autres attendaient d’entrer derrière lui.

Les Gobelins cachés n’étaient pas en train d’attendre pour entrer. Plutôt, ils étaient en train de regarder la situation avec une sourde terreur dans leurs estomacs. Ils auraient aimé faire quelque chose. Crier peut-être. Mais cela n’était pas dans leur nature, et ils avaient peur.

Ils avaient été neuf, maintenant ils étaient quatre. Et ils avaient peur de faire un bruit et d’attirer l’attention des autres Gobelins qui entouraient l’auberge. Ils n’avaient pas le droit de se rendre ici. Ils avaient été neuf, et maintenant ils étaient quatre. Et ils avaient peur de devenir zéro.

Donc les quatre observèrent, impuissant. Celle qu’Erin appelait Loques serra une dague dans ses mains, mais elle sentit les bleus et os craqués qu’elle avait reçue suite au passage à tabac qu’ils avaient reçus la nuit dernière. Elle ne pouvait que regarder, ils étaient quatre.

Les Gobelins entourant l’auberge était quarante.

***

« Heu, salut. »

Erin regarda le grand Gobelin alors qu’il regarda l’intérieur de l’auberge. Elle était certaine qu’elle n’avait jamais vu ce Gobelin en particulier de sa vie. Il était plus large que le reste, plus grand, plus musculeux. Il portait aussi une épée courte à son taille, et non pas une dague ou un gourdin.

Le Gobelin leva la tête en direction d’Erin. Il était plus petit qu’elle par une bonne tête, mais il ne semblait pas intimider par sa taille. Au contraire, il semblait qu’il voulait être celui qui faisait l’intimidation.

« Ecoutes, je peux t’aider ? Tu veux à manger, ou quelque chose ? »

Normalement Erin lui aurait déjà offert une assiette sans tarder. Mais ce Gobelin en particulier n’était pas comme Loques et ses timides amis. Il y avait une agressivité qu’elle reconnaissait des gars de son monde qu’elle n’aimait pas du tout.

Le Gobelin regarda Erin et dit quelque chose. Il s’approcha d’elle, elle le toisa du regard.

« Pardon ? Qu’est-ce que tu… »

Il enfonça son doigt dans son estomac. En fait, son doigt était plus proche du pelvis d’Erin vu qu’il était plus petit, et désagréablement proche d’un autre endroit.

« Arrête. »

Il sourit, et s’apprêta à refaire le même geste quand Erin gifla sa main pour l’éloigner.

« Arrête. Dis-moi ce que tu veux, ou sors. »

Les yeux du grand Gobelin se plissèrent, sa main alla au pommeau de son épée courte. Erin fit un poing et lui montra.

« Essaye et je pète le nez, compris ? »

Il la regarda, puis, étrangement, sourit. Il tourna la tête et appela quelque chose dans ce langage gratteur par-dessus son épaule.

Erin leva les yeux alors que la porte s’ouvrit. Un Gobelin entra dans la pièce, puis un autre, et un autre, et un autre et…

Soudainement, il y avait beaucoup de Gobelins de son auberge. Beaucoup. Et soudainement, par pure coïncidence, Erin commença à frissonner.

« Bien. Tu as des… Amis. »

Encore plus de Gobelins remplirent son auberge. C’était un flot sans fin. Ils entourèrent le gros Gobelin, exactement comme un gang de… Gangsters. Ou, dans la tête d’Erin, un groupe de gamin qui suivait le plus hargneux et méchant d’entre eux.

Elle avait un mauvais pressentiment… Non, ce n’était pas qu’un pressentiment. Elle savait qu’elle était dans de mauvais draps.

Le gros Gobelin regarda autour de lui avant de ricaner et de cracher au seul.

Un grumeau de salive verte s’écrasa sur l’une des tables propres d’Erin. Juste à côté d’un échiquier. Le Gobelin l’observa et se dirigea en sa direction avant de prendre les pièces.

Elle pouvait courir. En vérité, Erin était presque certaine qu’elle pouvait les perdre. Si elle arrivait jusqu’à la porte  et qu’elle la claquait derrière elle, elle allait pouvoir mettre assez de distance pour qu’ils ne puissent pas la rattraper à cause de leurs petites jambes.

Erin s’approcha lentement d’une table, comme si elle était nerveuse. La tribu Gobelin la regarda, mais ils ne s’attendaient pas à ce qu’elle attaque. Ils savaient qu’ils avaient l’avantage numérique. Elle n’avait pas besoin d’être si proche de la porte pour fuir, il suffisait qu’elle soit à quelques pas de la porte pour…

Tap, Tap. Erin se retourna pour voir le gros Gobelin frappa l’une de ses pièces le plus fort possible contre l’échiquier en pierre. Il sourit, une brute avec un jouet à casser car ce n’était pas le sien.

Smack, smack. Il était en train de regarder Erin du coin de l’œil alors qu’il frappa la figurine taillée d’un cavalier Drakéide sur l’échiquier.

Erin vit des bouts fragiles de la pièce se briser. Elle ouvrit la bouche.

« Oi. Repose-moi ça. »

Le Gobelin grogna. Il lança délibérément le cavalier sur le sol. Les autres Gobelins regardèrent alors que leur chef écrasa la pièce de manière délibérer. Cette dernière se brisa en deux.

Erin regarda  la petite figurine de pierre réduite en miette. Elle leva les yeux vers le Gobelin souriant.

***

Les quatre Gobelins entendirent le son étouffé de quelque chose craquer en attendant à l’extérieur. Puis ils entendirent le silence.

La prochaine chose qu’ils virent fut le gros Gobelin passer à travers la fenêtre. Ils retournèrent à couvert alors qu’Erin sortit avec une chaise entre les mains.

Le gros Gobelin gronda en direction d’Erin et tenta de la frapper alors qu’elle s’approchait. Elle recula, avant d’écraser la chaise sur le dessus de sa tête. Elle perdit sa prise sur la chaise, mais cela ne la fit pas ralentir. Alors que le Gobelin essaya de se défendre, elle lui mit un coup de poing avant de bondir en arrière. Erin ne savait pas comment, mais quand il essaya de la charger elle se décala instinctivement et le fit s’effondrer avec un coup de pied dans le dos.

C’était comme de la magie. Ou comme… Une compétence. Combat de Taverne. Voilà ce que c’était. Erin n’avait jamais réellement frappé quelqu’un de sa vie, mais quand elle ferma sa main et l’envoya dans le visage du gros Gobelin, ce dernier s’effondra au sol.

Il était en train d’essayer de sortir son épée de son fourreau. Erin donna un coup de pied dans sa main pour le faire lâcher l’arme qu’il venait de dégainer et lui donna un autre coup de pied dans le visage. Il cria de douleur alors qu’elle ramassa la chaise et l’enfonça dans son estomac.

« Ça fait moins le dur maintenant ? Pas vrai ? »

Erin leva la chaise pour frapper le Gobelin une nouvelle fois. Elle se prépara à l’abattre sur…

Et quelque chose s’enfonça dans l’un de ses côtés. Erin se retourna, et vit un couteau planté dans son estomac.

« …Aie. »

Un Gobelin était derrière elle. Il regarda Erin avec horreur alors qu’elle se retourna. Un coup de poing l’envoya mordre la poussière, mais un autre Gobelin était à côté d’elle.

Stab

C’était une sensation sourde. Elle sentit sa peau se déchirer alors qu’il frappa son flan avec la lame. Erin hurla et le frappa avec la chaise suffisamment fort qu’elle sentit quelque chose se briser sous le coup. Mais un autre Gobelin était à ses côtés. La lame traversa sa jambe.

Elle ne le sentit même pas. Et c’était le plus terrifiant. Un autre Gobelin enfonça un couteau dans son dos, elle sentit la lame entrer, mais elle ne sentait pas la douleur. Et soudainement les Gobelins l’encerclèrent. Ils se déversèrent de l’auberge alors qu’Erin tentait de les éloigner. Et ils avaient tous des couteaux.

Stab. Stabstabstabstabstabstabstabstabstabstabstabstabstab…

Erin donna un coup de chaise et repoussa trois Gobelins. Elle donna un coup de pied et en fit voler un autre, un Gobelin reçu un coup de poing assez fort pour le mettre KO. Elle ne savait pas comment, mais elle était soudainement une bête de combat. Mais les Gobelins continuaient de venir et leurs couteaux s’enfonçait dans sa chair et elle ne ressentait rien

Deux autres Gobelins tombèrent sous les coups d’Erin avant qu’elle ne tombe. Elle n’avait pas trébuché. Elle était juste tombée, et elle vit le sang qui coulait sous elle. Erin voulut tendre la main pour le toucher, mais ses bras ne répondaient pas.

Le gros Gobelin se tenait devant elle. Quand s’était-il relever ? Il avait son épée courte en main et il était en train de la lever. Il grogna malgré son nez brisé. Et sa tête tomba.

Klbkch décapita le gros Gobelin d’un mouvement fluide de ses épées. Il s’avança pour protéger Erin alors que ses épées tranchèrent deux autres Gobelins. Il s’adressa à l’autre Antinium à ses côtés, l’Ouvrier tenant une pièce de papier entre ses mains.

« Je dois sauver Erin. Couvre-moi. »

L’Ouvrier  hocha la tête et laissa tomber ses bouts de papier. Il chargea les Gobelins qui se dispersèrent devant la menace inconnue. Erin leva les yeux et tenta de faire coucou de la main à Klbkch alors que l’homme-fourmi s’agenouilla à ses côtés.

« Restes éveillé, Erin. J’ai une potion. Reste en vie quelques secondes de plus. »

« Une autre p-potion ? »

Erin rit faiblement. Elle voulait dire ‘qu’il n’aurait pas dû’, mais sa bouche avait arrêté de marcher. Les mains de Klbkch fendirent l’air en direction de la sacoche accrochée à sa taille. Il déboucha une bouteille et en vida la moitié sur les jambes d’Erin, puis il lui fit boire l’autre moitié. Il fut obligé de tenir sa bouche ouverte car elle en était incapable.

Elle sentit le liquide nauséabond coulé dans sa gorge et quelque chose arriva dans son corps. Mais Erin n’y prêta pas attention. Elle avait l’impression d’être une spectatrice, un fantôme qui n’était pas véritablement attaché à la chose que Klbkch était en train de cajoler dans ses bras. Elle vit l’Ouvrier se battre alors que les Gobelins se remirent de leurs chocs. Elle le vit mourir.

L’Ouvrier n’avait pas d’arme. Il n’avait que des bouts de papier. Mais il chargea dans la masse de Gobelin, les giflant de ses quatre mains, les mordant, les frappant. Comme un enfant qui se battait.

Les Gobelins reculèrent devant la férocité de l’assaut, mais dès que l’Ouvrier se retrouva encerclé, ils s’abattirent sur lui.

Pendant une seconde, l’Ouvrier était en train d’attraper un Gobelin, la seconde suivante ils le recouvrirent. D'innombrables Gobelins s’empilèrent sur l’Ouvrier, le poignardant, frappant le moindre endroit qu’ils pouvaient atteindre. L’Ouvrier tomba au sol, mais il attrapa l’un des Gobelins par la jambe. Ses mandibules s’ouvrirent et il mordit.

Le Gobelin hurla et le poignarda dans l’œil. Les autres Gobelins le poignardèrent et le frappèrent avant de laisser la carapace brisée de l’Ouvrier gisant au sol. Ils s’éloignèrent tous de lui à l’exception d’un Gobelin qui hurlait toujours d’agonie en tirant sur sa jambe. Cette dernière se décrocha avec un craquement maladif alors que la jambe et la chair partirent des mandibules de l’Ouvrier pour révéler un os jaune.

Erin laissa sortir une bulle de sang avant de tousser. Quelque chose de chaud était en train de couler depuis ses jambes froides. Elle pouvait de nouveau les sentir et… La douleur. Mais elle pouvait les sentir.

Alors que les Gobelins encerclèrent l’humaine et l’Antinium, Klbkch se releva. Il dégaina ses deux épées et ses dagues avant de faire faire à la quarantaine de Gobelins ou presque.

« Approchez. »

Les Gobelins ne se firent pas attendre. Ils chargèrent, hurlant de furie. Klbkch les attendit et frappa avec ses quatre bras à la fois. Ses épées firent des arcs à travers l’air, puis à travers les têtes et membres alors que ses deux autres bras poignardaient avec précision et efficacité. Les premiers Gobelins qui l’approchèrent périrent sans avoir le temps de faire un pas.

Mais… Il y en avait tellement. Klbkch recula alors que les Gobelins continuèrent de venir. Il tourna à gauche et réduit deux Gobelins en charpie avec ses épées alors que ses deux autres bras poignardèrent un troisième Gobelin dans le cou. L’un d’entre eux parvint à courir sous sa garde et donna un coup de poignard dans sa jambe, mais il ne parvint qu’à entailler l’exosquelette. Klbkch le décapita, mais d’autres Gobelins bondirent sur son dos. Il s’ébroua comme un chien et les trancha pour se libérer.

Erin regarda à travers la brume de ses yeux. La potion était en train de couler dans ses veines, mais le vertige la rendait fatiguée. Elle ne pouvait pas rester éveillée. C’était comme si son esprit s’éteignait à intervalle régulière.

Elle continua de cligner des yeux. Ses yeux se fermaient, et puis sa tête se relevait. Il y avait plus de Gobelins réduit en pièce autour d’elle chaque fois qu’elle ouvrait de nouveau les yeux. Du sang tachait le sol et ses vêtements. Et Klbkch. Mais son sang était vert. Et il y en avait beaucoup.

Erin ouvrit les yeux et vit Klbkch chanceler alors qu’un Gobelin le poignarda dans le dos avec l’épée courte. L’Antinium se retourna et décapita le Gobelin, mais deux autres le frappèrent de l’autre côté. Même s’il tournait et qu’il s’avançait, même si ses épées les tenaient à distance, il ne pouvait pas se protéger de tous les côtés.

Pourquoi n’avait-il pas couru ? Il était encerclé. S’il avait son dos au mur il aurait pu les tenir à distance.

Oh. C’est vrai. Il la protégeait. Et cela voulait dire qu’il ne pouvait pas couvrir ses arrières.

La tête d’Erin s’abaissa. Les ténèbres reprirent leurs emprises. Puis elle rouvrit les yeux et vit Klbkch étendu au sol. Non, pas étendu. Il s’était effondré. Il était sur ses genoux. Il avait toujours ses épées, mais il ne pouvait pas se relever. Du sang vert coulait des blessures qui recouvraient son corps. Tellement de blessure.

Mais il s’était vengé pour ses blessures. Erin regarda autour d’elle et vit qu’elle était entourée de cadavres. Des bouts de Gobelins, des têtes, des membres. Le sang recouvrait tout ce qui pouvait être recouvert, même elle.

Neuf Gobelins encerclèrent Klbkch. Ils n’osaient pas s’approcher de l’Antinium, même s’il était effondré. Erin se demanda ce qu’il faisait. Oh. Ils attendaient qu’il meurt.

« Mademoiselle Solstice. »

C’était un chuchotement crissant. Erin regarda Klbkch. L’Antinium ne bougea pas, mais parla au sol alors qu’il utilisa une épée pour se maintenir droit.

« Tu dois fuir. Je vais te gagner quelques instants. »

Elle le regarda.

« Non. »

« Ne peux-tu pas bouger ? »

« Je peux sentir mes jambes. En partie. »

« Alors part. Une fois que la ville sera en vue, tu seras en sécurité. »

« Non. »

Il fit claquer ses mandibules.

« Je ne peux pas tuer le reste. Neuf Gobelins est trop pour moi… Je suis un échec. »

« Non. »

Erin répondit de manière automatique. Son cerveau n’était toujours pas en train de marcher.

« Non. Il n’y en a pas neuf. Il y en a treize. »

Klbkch leva la tête. Il vit quatre Gobelins bondir des hautes-herbes. Les autres Gobelins hésitèrent, ne voulant pas quitter Klbkch des yeux, et durant ce court instant le petit groupe de Gobelin les frappa dans le dos.

Les quatre Gobelins travaillèrent ensemble. Deux attrapèrent un Gobelin et le maintinrent alors que Loques le poignarda dans le visage alors que le dernier tenait les huit autres à distance. Il était armé avec un grand bâton et couvrait ses amis des autres Gobelins. Ils auraient fondus sur lui, mais Klbkch était sur leurs autres côtés et il se décala dès qu’ils bougeaient.

Loques et les trois autres Gobelins abandonnèrent le Gobelin mort pour flanquer les autres Gobelins. Ils feintèrent alors que Klbkch garda Erin et les autres Gobelins détournèrent leurs attentions pour leur faire face. Aussitôt, Klbkch lança une de ses épées et empala un Gobelin à travers le torse.

Alors que les sept autres Gobelins ennemis se retournèrent pour faire face à Klbkch, Loques et les trois autres Gobelins s’avancèrent et poignardèrent un autre Gobelin dans le dos. Ils fuirent en arrière alors que les autres Gobelins tentèrent de les frapper.

Des tactiques.

Les sept Gobelins reculèrent. Cela n’était pas censé se dérouler comme ça. Ils étaient venus pour tuer une humaine solitaire, même si elle était dangereuse, pas pour combattre de redoutables monstres insectoïde ou des membres de leurs espèces.

Ils s’éloignèrent de l’Antinium blessé. Il était clair qu’il ne pouvait pas bouger, et même s’ils étaient blessés, ils étaient toujours plus nombreux que Loques et ses amis. Loques et ses camarades reculèrent jusqu’à avoir l’auberge dans leurs dos, mais c’était toujours deux contre un.

Le Gobelin qui avait ramassé l’épée courte pointa Loques et hurla un ordre. Les sept autres Gobelins détournèrent le regard. Et l’un d’entre eux s’effondra avec un couteau à l’arrière du crâne.

Erin cligna des yeux en direction de sa main. Elle l’avait pris et l’avait lancé sans réfléchir. Et il avait atteint sa cible. Les Gobelins se retournèrent, choqués, et regardèrent Erin.

Elle se releva et frappa le Gobelin le plus proche avec un uppercut qui envoya sa tête en arrière. Ses jambes étaient comme de la gelée, mais elle marchait. Elle donna un coup de pied, et un autre Gobelin vola pour s’écraser contre le mur.

Deux autres Gobelins auraient foncés vers elle, mais cette fois Klbkch lança. Il manqua avec ses deux dagues, mais son épée toucha l’un des Gobelins verticalement et se coinça dans sa tête. Il s’effondra et Erin frappa l’autre Gobelin jusqu’à ce qu’il reste au sol.

Elle se retourna pour faire face aux trois autres, mais ils étaient déjà morts. Deux Gobelins retenaient le dernier qui hurlait alors que Loques le poignarda plusieurs fois dans le torse. Il convulsa avant de mourir.

Erin respira avec difficulté. Elle baissa les poings et ne remarqua même pas les deux autres Gobelins qu’elle avait frappé se relever et fuir. Loques et ses Gobelins partirent derrière eux, hurlant leurs cris de guerre perçant.

Lentement, Erin regarda autour d’elle. Les Gobelins étaient morts. Leurs sangs recouvraient tout ce qui pouvait être recouvert. Sa respiration était difficile. Elle avait l’impression qu’il n’y avait pas assez d’air dans ce monde. Le monde s’assombrit alors qu’elle tituba. Elle se serait volontiers assise pour perdre connaissance mais quelque chose bougea.

Klbkch. Il était effondré dans une mare d’ichor verte qui se mélangea au rouge qui l’entourait. Soudainement, le corps d’Erin était plein d’électricité et de panique. Elle courut pour le rejoindre. Il était en train d’essayer de se relever, mais son exosquelette était plein de trous. Il était en train de se vider.

« Oh mon dieu. Oh mon dieu, non. »

Klbkch cliqueta dans sa direction.

« Erin Solstice. Tu es en sécurité ? Bien. Ma Reine enverra… Des soldats viendront. Tu seras en sécurité. »

Il essaya de teindre la main vers elle. Erin l’attrapa avant de la relâcher. Elle essaya, sans succès, de recouvrir les blessures suintantes de ses mains, mais son sang coula entre ses doigts. Klbkch toucha ses cheveux et laissa sa main retomber.

« Magnifique. »

« Je ne peux pas… Comment j’arrête le saignement ? »

Il ne lui répondit pas. Klbkch soupira. Il regarda le ciel.

« Je vais mourir libre. »

Il tomba silencieux et immobile. Erin était incapable de dire s’il respirait. Elle mit sa main près de ses mandibules, mais elle ne pouvait rien sentir. Rien.

Elle regarda Klbkch. Il était en train de saigner. Elle devait arrêter le saignement. Elle devait le soigneur. Mais il avait utilisé sa potion.

Elle avait besoin d’aide. Elle avait besoin de Relc, ou de Pisces.

« Quelqu’un ! »

Erin regarda autour d’elle et hurla. Mais il n’y avait que des Gobelins morts.

« Aidez. Aidez-moi. »

Erin murmura. Elle regarda Klbkch. Il ne bougeait pas. Il s’était roulé en boule. Il saignait.

Elle devait trouver de l’aide. Elle le devait.

Erin trembla. Elle ne savait pas quoi faire. Elle devait… Elle devait…

Erin se gifla. Elle se gifla tellement fort que le monde se s’assombrit pendant un instant. Mais elle avait arrêté de trembler. Elle attrapa Klbkch et le souleva.

Elle le mit sur ses épaules comme un pompier le ferait. Elle avait appris à le faire en classe. Mais cela n’était pas idéal car Klbkch était plus épais par endroit. Elle le porta sur ses épaules malgré ça, il était léger. Était-ce la perte de sang ?

Courir. Erin était déjà en train de courir. Elle fonça le long de la colline avec Klbkch sur son dos. Du sang coula sur ses épaules et trempa ses vêtements. Du sang. Elle ne pouvait rien sentir du fardeau qu’elle portait sur son dos. Pas de pouls, pas de respiration. Que du sang.

Erin courut et courut. Son cœur était en train de sortir de ses poumons, et chaque respiration la brûlait. Elle sentit ses muscles se déchirer dans ses jambes. Mais elle continua de courir. Et elle sentit le sang couler lentement le long de son dos et sur l’herbe.

***


Sous Liscor, la Reine des Antiniums s’agita. Elle leva la tête à travers la terre et la roche. Elle le savait. Ses soldats étaient déjà en train de marcher à la surface à ses ordres. Mais il était trop tard pour stopper ce qui était en train d’arriver. Elle le ressentit.

« Klbkchhezeim? »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #35 le: 04 mars 2020 à 16:27:28 »
1.26

Le silence. Erin était en train de marcher à travers le silence. C’était un bruit statique dans sa tête. C’était le son des larmes coulant dans son cœur. C’était tout, et plus encore.

Elle marchait dans les ténèbres. De courts et étroits murs de terre l’entourait. Elle suivait une forme massive qui la menait à travers les tunnels.

Du bruit. Erin pouvait toujours l’entendre dans sa mémoire.


« Klbkch ?Appelez la Capitaine ! Allez chercher un [Soigneur], maintenant ! »


« Klb ? Mon pote ? Parle-moi. »


« … Humaine. Qu’est-ce que tu as fait ? »

Erin leva la tête. Elle se tenait dans une immense pièce caverneuse. En face d’elle, quelque chose était assis dans les ombres. La Reine des Antiniums sous Liscor.

La forme gargantuesque bougea. Erin ne pouvait pas voir, tout était si sombre. Mais elle entraperçut un corps massif et un abdomen gonflé et bulbeux. La gigantesque reine des Antiniums était si grande qu’elle était incapable de bouger.

La Reine leva une gigantesque patte. Elle n’était pas comme ses sujets qui étaient vaguement humanoïdes. La Reine était complètement insecte, et ses longs yeux facettés luisaient d’une sombre lumière d’un rouge orangé alors qu’ils étaient concentrés sur l’humaine qui se tenait devant elle.

« Ton nom est Erin Solstice. Je t’ai fait venir pour que tu m’expliques la mort de mes sujets. »

Erin regarda la Reine. Elle ne savait pas quoi faire. Son torse lui faisait mal, mais son cœur avait déjà été brisé. Ils avaient emporté son corps. Elle avait l’impression de mourir. Elle ne pouvait pas sentir la douleur, c’était tellement bien.

La Reine fit un geste en direction des deux géants silencieux qui se tenaient derrière Erin, flanquant la porte.

« Ne craint pas mes soldats. Ils ne te feront pas de mal. »

Erin jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Elle avait été attrapée au milieu de la confusion. Un groupe d’Antinium géants l’avait retiré des baraques de la Garde contre son gré et contre les protestations des gardes. Maintenant, ils la regardaient en silence.

Les deux gardes qui se tenaient au fond de l’immense chambre étaient des géants parmi les Antiniums. À l’inverse de Klbkch ou des Ouvriers, ces Antiniums étaient presque deux fois plus grands, avec des avant-bras massifs et des gantelets recouverts de pics tranchants formés dans leurs exosquelettes.

Le plus étrange, et le plus terrifiant, était qu’ils ne portaient pas d’armes. À la place, leurs quatre bras étaient tendus et semblaient être prêt à tout moment pour bondir vers Erin. Leurs mains… Erin vit que leurs mains n’avaient pas de véritables doigts, juste des moignons et des pics faits pour déchirer. Ces Antiniums étaient clairement des soldats, construits pour la guerre.

« Erin Solstice. Je te tiens responsable pour la mort de Klbkchhezeim. »

Erin regarda de nouveau la Reine. Elle ouvrit la bouche, mais ne savait pas quoi dire. Il n’y avait rien. Le silence qui l’habitait était trop grand pour les mots.

Mais elle devait parler.

« Je suis désolé. Je n’ai jamais voulu que cela arrive. »

La présence de la Reine l’écrasa. Sa voix, déjà profonde, se fit plus profonde encore.

« Est-ce tout ce que tu as à dire ? »

Erin secoua la tête.

« Je n’ai… Je ne peux pas suffisamment m’excuser. Klbkch… Il est mort en me protégeant. Il était un héros. Je suis désolé. »

La Reine regarde Erin silencieusement alors qu’Erin essuya ses yeux. Elle leva une jambe.

« Humaine. Tu ne comprends pas ce que je veux dire. La mort de Klbkch en elle-même m’importe peu. Les individus meurent au service du tout. Cela est naturel. Mais sa mort était gâchée… Inutile. On me dit qu’il a péri en combattant des Gobelins. C’est cela que je trouve inacceptable. »

« …Quoi ? »

« Klbkchhezeim était suffisant pour battre une centaine de Gobelins. S’il avait été seul dans sa défaite je serai en train d’éliminer sa mémoire de la Colonie à l’instant même. Cependant, sa sottise a grandement coûté aux Antiniums vivant dans la ville. »

Erin regarda la reine, choquée. En retour, elle sentit les gigantesques yeux de l’Antinium traverser jusqu’au plus profond de son être.

« Je suis déçue, Erin Solstice. J’attendais plus du jugement de mon Prognugator. Il avait une haute opinion de ta personne. Klbkch t’appelais une Humaine digne d’émulation. Mais je ne vois rien qui affirme ses propos. Je ne vois pas de raison pour laquelle il aurait gâché sa vie pour te sauver. »

Quoi ? La tête d’Erin était dans le brouillard. Qu’est-ce qu’elle disait ?

La Reine continua. Il était difficile de discerné une émotion dans son ton monotone, mais il y avait clairement un élément d’irritation dans sa voix.

« Mes Ouvriers jouent à des jeux lors de leurs repos. Ils gagnent des niveaux dans des classes inutiles qui ne sont pas nécessaires pour leurs travaux. Trois sont déjà devenus des Aberrations. Cette expérience n’est rien d’autre qu’un gâchis. Le jugement de mon Prognugator était une erreur. »

Erin lutta pour chercher ses mots.

« Il… Il était en train de faire ce que je lui ai demandé de faire. Il était en train d’aider. Il m’a sauvé la vie »

Elle sentit le regard titanesque se poser sur sa personne. Erin dut baisser les yeux. Elle ne pouvait pas soutenir son regard.

« Malgré tout, Klbkch est mort en tant qu’échec. »

La tête d’Erin se releva. Elle regarda la Reine.

« Retire ce que tu viens de dire. »

La présence de la Reine s’écrasa sur Erin, mais cette fois elle refusa de détourner le regard.

« Je ne le ferai pas. La bêtise de mon Prognugator a coûté Liscor et les Antiniums en ce jour. Il est mort en tant qu’échec. »

« Il était un héros ! »

Erin cria en direction de la Reine. Les gardes derrière elles s’agitèrent, mais elle leva une patte.

« Il est mort en vain, contre des ennemis qu’il aurait dût facilement vaincre. Il est mort en échec. »

« Non. Il est mort libre. »

La Reine s’arrêta. Elle baissa les yeux en direction d’Erin.

« C’est ce que Klbkchhezeim a dit ? Alors il est un imbécile en plus d’être un échec. Nous Antiniums ne sommes pas libres. »

Erin regarda la Reine. L’immense insecte la regarda, avant de détourner le regard. Elle bougea une patte avant en sa direction.

« Tu ne comprends pas. Toi, les créatures du monde du dessus ne peuvent pas comprendre tout ce que sont les Antiniums. Assez. Mon temps est précieux, et je suis en train de le perdre. »

Erin était en train de trembler. Les deux soldats Antiniums s’avancèrent vers elle, mais elle marcha en direction de la Reine.

« Pourquoi est-ce que tu m’as fait venir alors ? Pour me dire à quel point Klbkch était sans valeur ? Il ne l’était pas. Tu as tort. »

Les soldats l’attrapèrent brusquement. La Reine fit un mouvement, et ils la relâchèrent.

« Tu n’es pas ce que nous cherchons. Tu ne peux pas comprendre. Pars de ce lieu, Erin Solstice. J’ai beaucoup à faire. »

La Reine tourna lentement la tête en direction d’un mur lointain. Erin fut tiré hors de la caverne par les deux soldats. Elle voulait dire quelque chose, n’importe quoi, à la Reine des Antiniums. Mais elle ne trouva rien, son esprit était vide.

***

Erin marcha hors de l’entrée des tunnels des Antiniums pour ressortir dans la lumière du jour. Elle cligna des yeux, se protégeant d’une main. Les deux soldats Antiniums se tournèrent et partirent sans un mot. Elle était seule.

Pendant un instant. Alors qu’Erin regarda autour d’elle un Drakéide s’approcha d’elle. Il était le garde posté à la porte, celui aux écailles jaunes.

« Humain. La Capitaine te demande. Suis-moi. »

Erin emboîta le pas sans protester. Alors qu’elle marcha le long de la rue, elle se rendit compte que les gens la regardaient lorsqu’elle passait. Certains pointaient du doigt, d’autre reculaient.

Elle réalisa qu’elle était toujours recouverte de sang. Le sien, celui des Gobelins, et celui de Klbkch.

Le Drakéide jaune s’arrêta lorsqu’il réalisa qu’Erin ne le suivait plus. Il se retourna et ouvrit la bouche avec un air colérique jusqu’au moment où il vit Erin vomir. Silencieusement, il lui passa une bouteille d’eau et un chiffon. Erin essuya son visage et rinça sa bouche. Elle continua d’avancer.

***

La baraque des gardes étaient pleines de voix silencieuses et d’une voix qui ne l’était pas. Tous se turent quand Erin entra. Elle regarda autour d’elle, et vit une forme bousculer les autres gardes pour se frayer un chemin jusqu’à elle.

Deux Drakéides tentèrent d’attraper Relc, mais il les repoussa comme s’ils étaient faits de papier. D’autres attrapèrent Relc alors que ce dernier toisa Erin.

« Toi. »

Elle leva les yeux pour le regarder. Relc gronda en sa direction. Sa queue était en train de battre et ses poings étaient serrés à ses côtés.

« Je suis désolé. »

« Désolé ?Désolé ?Klbkch est mort en te protégeant. Tout ça parce que tu ne voulais pas tuer ces foutus Gobelins ! »

« Je sais. »

« Tout cela est de ta faute. »

« Je sais. »

Erin regarda le sol. Relc fit un pas en avant et les autres gardes se tendirent. Mais il n’attaqua pas. À la place, il prit une grande respiration et parla d’une voix tremblante.

« J’avais un bon partenaire. Il était un gars silencieux et un véritable idiot, mais il était l’un des meilleurs gars que je connaissais. Et puis il est mort parce qu’il a essayé de protéger une foutue humaine. »

« Je suis désolé. »

Relc plissa les yeux et toisa Erin.

« Je ne veux plus te voir ici. Et si tu reviens ici en courant pour demander de l’aide, je te poignarde dans l’estomac. Compris ? »

Erin leva les yeux en direction de Relc. Sa queue s’arrêta aussitôt quand il vit qu’elle essuyait les larmes de ses yeux.

« D’accord. Te gènes pas. »

Elle marcha jusqu’à un siège et se laissa tomber dedans. Des larmes recommencèrent à couler le long de ses joues. Relc hésita. Il se retourna et donna un coup de pied dans la chaise. Cette dernière explosa dans une pluie d’écharde.

Erin ne remarque presque pas les bouts de bois qui tombaient autour d’elle. Elle couvrit son visage avec ses mains, mais les larmes coulaient à travers ses doigts. Elle entendit une porte s’ouvrir, et une bruyante voix féminine.

« Toi ! L’humaine ! »

Erin ne bougea presque pas. Les autres gardes s’éloignèrent alors qu’une femelle Drakéide s’avança. Elle marcha jusqu’à Erin, baissa les yeux et craqua.

« Grâce à toi, le quatrième Garde le plus fort de la ville est mort. De plus, il est mort parce qu’il a gâché sa potion d’urgence sur toi »

Erin ne leva pas yeux.

« Qui es-tu ? »

« Je suis la Capitaine de la garde de Liscor. Klbkch était l’un de mes meilleurs Gardes Seniors. Sans lui, plus personne n’a le contrôle sur les Antiniums. »

« D’accord. Je suis désolé. »

La queue du Capitaine tressaillit.

« Vraiment ? C’est tout ? D’après ce qu’on m’a dit, Klbkch a dû te protéger d’un groupe de Gobelins. Tu n’es pas une citoyenne. Il aurait dû les laisser te manger. »

« Je suppose. »

Erin ne leva pas les yeux. La Capitaine plissa les yeux de colère et sa langue sortit durant un court instant. Elle siffla.

« La Garde Liscorienne n’aurait jamais dû s’intéresser aux affaires d’une étrangère. Tu ne vis pas dans l’enceinte de Liscor et tu n’es pas l’une de ses citoyennes. A partir de maintenant, la Garde cessera de patrouiller tes environs. »

La Capitaine de la Garde fusilla la jeune femme qui tenait sa tête entre ses mains du regard. Erin ne leva pas les yeux.

« Est-ce que c’est compris, Humaine ? »

Pas de réponse. La femelle Drakéide plissa les yeux de manière dangereuse.

« J’ai dit, est-ce que c’est compris, Humaine ? »

« Tu as fini ? »

Erin leva la tête. Ses yeux étaient rouges, mais elle avait arrêté de pleurer. Elle affronta le regard de la Capitaine sans sourciller.

La femelle Drakéide la regarda. Elle avait une cicatrice sur le côté gauche de son visage, ses écailles étaient bleues clairs. Ses yeux étaient jaunes et plissés de rage. Elle tint le regard d’Erin avait de se détourner avec dégout.

« Sors de ma ville. »

La Capitaine claqua la porte derrière elle. Erin regarda autour de la pièce et vers les autres gardes.

« Klbkch est mort en me protégeant. Il était un héros. Il s’inquiétait pour moi lorsque personne d’autre ne le faisait, et il m’a aidé même si je suis une humaine. Il était une bonne personne. Je suis désolé qu’il soit mort. »

Elle regarda en direction de Relc. Il détourna le regard.

Erin essuya ses yeux et sortit de la pièce.

***

Selys trouva Erin assise contre l’échoppe de Krshia au marché. L’humaine était roulée en boule et était en train de cacher sa tête entre ses bras.

« Salut ? Erin ? Est-ce… Est-ce que ça va ? »

« Va-t-en. »

Erin ne leva pas la tête, Selys hésita, avant de se rendre à l’échoppe.

« Salut Krshia. Hum, comment ça va ? »

La commerçante Gnoll renifla et hocha la tête en direction de Selys sans sourire.

« Mademoiselle Selys. Je vais bien, contrairement à Erin. Elle se repose, loin des mots cruels. Je te ferai partir si tu en as, d’accord ? »

Selys leva une main et sa queue trembla légèrement.

« Non, pas moi. Je voulais juste savoir comment Erin allait. J’ai, heu, entendu ce qu’il s’était passé. »

« Tout le monde en ville sait ce qu’il s’est passé. »

Krshia hocha la tête. Elle termina de ranger un bac d’oignon.

« L’heure est sombre. Certains portent le deuil, mais beaucoup sont en colère. La mort de Klbkch, c’est un mauvais signe pour la ville. Il était fort. Sans lui, il y aura des problèmes. Mais c’est à tort qu’ils font porter la faute à l’Humaine. C’est ainsi que moi et les autres Gnolls pensent. »

« Vraiment. Vraiment ? C’est surprenant. Je, heu, pensais que vous Gnolls en penserai autrement. »

Krshia haussa les épaules. Elle écrasa un oignon pourri et le jeta dans une poubelle derrière elle avec plus de force que nécessaire.

« Le sang et la mort. Ce n’est pas la faute d’Erin Solstice si Klbkch a fait le choix de se battre et de mourir. Ce n’est pas sa faute si les Gobelins ont attaqué, n’est-ce pas ? Nous ne blâmons pas ceux qui ne sont pas coupables. »

« C’est bien. »

Selys regarda Erin. Elle ne bougeait pas. Des larmes coulaient sur ses joues.

« Ecoute, Erin, je voulais te parler. Je sais que ce n’est pas le bon moment, mais je pense que tu ne devrais pas retourner dans ton auberge. Tu devrais rester là, au moins pour cette nuit. »

Erin ne bougea pas. Selys jeta un coup d’œil à Krshia. La Gnoll haussa les épaules de manière impassible. Selys essaya de nouveau.

« Je sais que tu te sens en sécurité dans l’auberge, mais après ce qui vient de se passer ça va être différent. Ce ne sont pas que les Gobelins. Si la Garde ne patrouillent pas les plaines, d’autres monstres commenceront à apparaitre. Sans protection, ou niveau élevé, tu ne vas pas survivre. »

De nouveau, le silence fut sa seule réponse. Mais Erin essuya ses yeux sur sa manche avant d’enterrer sa tête dans ses bras une nouvelle fois.

« Ecoutes… Je peux te trouver un boulot à la Guilde des Aventuriers en tant que réceptionniste. Certains ne vont surement pas apprécier, mais tu seras en sécurité et tu gagneras assez pour manger et vivre en ville.

Cette fois Erin bougea. Elle secoua légèrement la tête.

« Non. »

Selys ouvrit sa bouche, mais Krshia plaça une grande patte velue sur son épaule et secoua la tête. Elle s’agenouilla à côté d’Erin.

« Erin. Je regrette la perte de Klbkch. Il était une étrange créature, mais il était juste, n’est-ce pas ? Beaucoup dans la ville pleurent sa perte. Mais il ne voudrait pas que tu meurs. Et la mort t’attend si la Garde n’est pas là pour repousser les monstres. Tu dois le savoir. »

« Et ce n’est pas comme si tu vas devoir rester là pour toujours. Nous pouvons te chercher un endroit dans une cité humaine si tu veux vraiment partir. C’est juste un mauvais moment. Je sais que ce n’est pas ta faute mais les autres… »

« Je ne pars pas. »

« Ecoute, Erin, je sais comment tu te sens mais… »

« Je ne pars pas. »

Erin se leva. Ses yeux étaient rouges et gonflés à cause des larmes. Son nez était en train de couler alors qu’elle essuya son visage contre sa manche. Elle regarda Selys.

« Je retourne là-bas. »

« Ce n’est pas une bonne idée. Ces Gobelins sont peut-être toujours là-bas. »

« Ils sont tous morts. »

« Mais… Il y a des monstres. Reste ici. J’ai un appartement. Tu peux rester dormir ici, d’accord ? »

« Non. »

« Erin, s’il te plait. »

Selys voulait ajouter quelque chose, mais elle regarda par-dessus l’épaule et s’arrêta.

« Oh mon… »

Erin se retourna. La rue était devenue silencieuse. Tous les commerçants et les clients du marché étaient en train de regarder dans la même direction. Ils reculèrent lentement alors que la procession d’insectes noirs marcha lentement à travers le marché.

Ils n’étaient pas de soldats. Ils étaient de simples Ouvriers, mais ils étaient presque une centaine, marchant lentement en direction d’Erin. Le groupe s’arrêta a quelques pas d’elle alors que Selys recula derrière le comptoir pour rejoindre Krshia qui éternua.

Erin regarda les environs. Des Ouvriers aux corps noirs emplissaient la rue. Ils se tenaient devant elle. Soudainement, ils baissèrent tous la tête et l’Ouvrier devant elle lui adressa la parole.

« Ceux-là offrent des condoléances à l’Aubergiste Solstice. »

Selys murmura à Krshia et Erin d’une voix paniquée.

« Qu’est-ce qu’ils font. Ils ne devraient pas être là ! Que quelqu’un aille chercher la Garde ! »

Krshia donna un coup de coude à Selys.

« Silence. Ecoute. »

« Ceux-ci souhaitent à l’Aubergiste Solstice de se remettre des blessures qu’elle a reçus. Ceux-ci expriment leurs regrets face à sa souffrance. »

Erin le regarda stupidement.

« Pourquoi ? »

L’Ouvrier menant le groupe semblait confus.

« Cela fait partie de la tradition. Ceux-ci apprennent à exprimer du regret/tristesse/perdition face à la mort. »

« Mais je ne suis pas morte. Qu’en est-il de Klbkch ? Qu’en est-il de votre… Ami, l’autre Ouvrier ? Il est mort pour me protéger. »

L’Ouvrier pausa, avant de secouer la tête.

« Le Prognugator a fait son devoir. L’Ouvrier est mort en faisant son devoir. Il n’y a pas de deuil pour les carapaces brisées et les individus morts.  Ceux-ci expriment simplement leurs regrets face à l’échec de l’individu Klbkch à protéger. »

Erin le regarda.

« Donc vous dites que vous êtes désolé que j’ai été blessé ? »

« Ceux-ci expriment leurs regrets pour l’échec du Prognugator dans la protection de l’Aubergiste Solstice. »

« Ce n’était pas un échec. Ne… Ne dis pas ça. »

L’Ouvrier baissa de nouveau la tête.

« Celui-ci offrent ses excuses pour son erreur. »

« Est-ce que tu ne peux pas te sentir désolé ? Pour Klbkch ? Et pour ton ami ? »

« Celui-ci s’excuse. Mais celui-ci ne peux pas. Ceux-ci offrent leurs regrets à l’Aubergiste Solstice. »

Erin attendit. Mais l’Ouvrier garda sa tête baissée.

« C’est tout ? »

« Oui. Ceux-ci se disperseront vers le poste qui leur aient désignés. Pardonnez ceux-ci pour avoir déranger l’Aubergiste Solstice et les autres. »

D’un seul homme, les Ouvriers se tournèrent. Erin hésita.

« Attendez. »

Ils s’arrêtèrent, et se retournèrent. Elle fit une pause, et ferma les yeux. Elle prit une profonde inspiration, avant de regarder l’Ouvrier.

« … Viens dans mon auberge. Je vais te donner à manger, et tu peux jouer aux échecs avec moi. »

« Quoi ?Erin ! »

Selys tenta de l’attraper, mais Erin était déjà en train de bouger. Elle tendit la main et toucha l’Ouvrier sur l’épaule. Ce dernier se figea intensément.

« Tu dis que tu es désolé ? Je suis désolé. C’est de ma faute si Klbkch et l’autre Ouvrier sont morts. Et c’est une mauvaise chose. Même si tu ne peux pas le comprendre, je veux faire quelque chose. Laisse-moi t’aider. D’une manière ou d’une autre. »

L’Ouvrier hésita.

« Ceux-ci n’ont pas l’autorisation de quitter la ville sans permission. »

« Pourquoi pas ? »

« Ceux-ci ne sont pas conçus pour des actions indépendantes. Ceux-ci ne peuvent pas rester sans compagnie. »

« Alors je vais t’accompagner. Juste… Viens avec moi. S’il te plait ? Vous n’avez pas tous besoin venir. Pourquoi pas juste toi ? Quel est ton nom ? »

L’Ouvrier se figea. Tous les Ouvriers se figèrent. Erin les regarda avec curiosité. Selys prit une respiration paniquée et courut vers elle.

« Erin ! »

Selys attrapa l’épaule de l’humaine avec urgence. Elle murmura bruyamment dans l’oreille d’Erin.

« Tu ne demandes jamais leurs noms ! Ils n’en ont pas ! »

« Pourquoi pas ? »

L’Ouvrer trembla et regarda Erin. Selys leva une main alors que sa queue bougeait de manière paniquée.

« Ils n’en ont simplement pas ! »

« Celui-ci n’a pas de nom. Celui-ci n’est pas important. Celui-ci n’est pas un individu. »

« Tu peux l’être. »

«Erin ! »

Cette fois, Selys tenta d’attraper Erin et de la tirer. Erin repoussa ses mains.

« Pourquoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Elle tapa son doigt contre le torse de l’Ouvrier.

« Tu es un individu. Tu es toi. Et l’Ouvrier qui est mort ? Il était quelqu’un. Klbkch était quelqu’un. Vous êtes tous important, et cela veut dire que quand l’un d’entre vous meurt, c’est quelque chose de terrible. »

L’Ouvrier secoua la tête alors que les autres Ouvriers s’éloignèrent de lui.

« Celui-ci n’est pas un individu. Celui-ci est incapable d’en être un. »

« Tu l’es. Tu ne comprends pas ? Vous êtes tous spécial. »

L’Ouvrier se figea, et il regarda Erin. Quelque chose changea dans ses yeux.

« Celui-ci… Je comprends. Celui-ci est devenu Je. »

Selys resta sans voix, l’horreur clairement affiché sur son visage. L’Ouvrier baissa les yeux vers ses mains avant de lever la tête.

« Je comprends le chagrin. Je comprends le regret pour la mort de l’individu Klbkch et l’Ouvrier. »

« C’est bien. »

Erin ne sembla pas remarquer les autres Ouvriers qui s’éloignaient. L’Ouvrier à qui elle s’adressait trembla. Ses mains se fermaient et s’ouvraient de manière mécanique et répétée. Selys et les autres Drakéides reculèrent instantanément. Krshia tendit lentement la main vers derrière le comptoir.

« Je. Je suis. Je suis devenu Je. Je ne comprends pas. »

Il regarda autour de lui, vers le ciel, vers Erin. Il trembla comme une feuille.

« Si celui-ci… N’est pas… Combien sont des Je ? Un individu ne peut pas exister… Les nombreux sont… Comment suis-je ? »

Il trembla. Erin posa la main sur lui.

« Je ne sais pas. J’essaye ne de pas y penser. Viens. Allons jouer une partie d’échec. »

Il la regarda. Selys était en train de trembler, et l’atmosphère dans le marché était tendue. Mais l’Ouvrier hocha la tête.

Erin se retourna.

« Je m’en vais. »

Elle commença à sortir du marché. L’Ouvrier la suivit, et le reste des Antiniums suivirent en formant une procession silencieuse. Selys regarda le dos d’Erin, les yeux écarquillés, avant de se tourner vers Krshia.

« Elle est folle. Ils vont la tuer. Ça va la tuer. »

Krshia hocha la tête.

« Oui. Il faut les suivre, n’est-ce pas ? »

« Quoi ? »

Selys laissa échapper un cri, mais Krshia avait déjà quitté son comptoir. Elle aboya quelque chose en direction d’un autre Gnoll et marcha dans la direction que les Antiniums avaient pris. Selys regarda les autres Drakéides aux yeux écarquillés et courut à la suite de Krshia.

***

L’Ouvrier marcha à la suite d’Erin, et ses comparses Ouvriers suivirent les deux en formant une masse silencieuse. Elle laissa les portes de la ville derrière elle, ignorant le Drakéide qui lui cria dessus. Elle marcha le plus vite possible, essayant de ne pas penser, de ne pas ressentir.

Derrière elle, l’Ouvrier trembla et tressaillit en marchant. Erin l’ignora, mais elle l’entendit murmurer alors qu’il marchait.

« Je. Je suis. Mais cela est mal. Tout est mauvais. Quand beaucoup deviennent un, c’est une Aberration. Je suis une Aberration. »

« Pourquoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Je ne peux pas être un individu. Je ne peux pas avoir de noms. Je ne peux pas choisir mes propres actions. C’est mal. »

« Klbkch le faisait. »

L’Ouvrier secoua la tête. Il ouvrit et ferma ses quatre mains de manière erratique.

« Il est un Prognugator. Je suis… J’étais un Ouvrier. Cela ne devrait pas être. »

Erin tourna la tête.

« Tu vas bien. Tu devrais être. C’est normal d’être une personne, et non pas une chose. »

« Je ne peux pas comprendre. Je suis une Aberration. Tout est une Aberration. Cette expérience… je ne peux pas l’accepter. »

« … Je suis désolé. Mais je voulais que tu ressentes quelque chose. »

« Je ressens. Je ressens tout ce qu’il y a à ressentir. »

« C’est bien. »

Erin continua de marcher. Mais l’Ouvrier s’arrêta. Il recommença à tressaillir, et son regard se figea sur la nuque d’Erin. Lentement, l’Ouvrier accéléra le pas jusqu’à être directement derrière Erin. Elle ne le remarqua pas, perdue dans ses pensées.

Dans le silence, l’Ouvrier tendit une main vers Erin en continuant de marcher derrière elle. Les autres Ouvriers regardèrent en suivant. Ils ne dirent pas un mot.

« Je ne sais pas ce que cela signifie d’être moi. »

Erin s’exprima en continuant de marcher. Elle ne savait pas comment l’expliquer à l’Ouvrier. Elle devait dire… Quelque chose. Lui dire comment cela était.

« Je ne sais même pas ce que c’est d’être humain. Tout ce que je sais c’est qu’il y a un grand vide dans mon cœur. Parce que Klbkch et l’Ouvrier sont morts. Je ne sais pas qui je suis ou ce que je suis en train de faire. Je suis juste… Triste. »

L’Ouvrier s’arrêta. Ses mains hésitèrent à la nuque d’Erin.

« Pourquoi ? »

Erin sourit. Des larmes coulèrent sur ses joues alors qu’elle marcha à travers l’herbe.

« Je suis, tout simplement. C’est comme ça que ça marche. Tu ne choisis pas d’être quelqu’un. Tu es, tout simplement. Même si tu n’es pas spécial. Même si tu ne veux pas être. Tu es, tout simplement. »

Il s’arrêta. Lentement, l’Ouvrier abaissa ses mains.

« Je ne comprends pas. Mais… Je suis. Et je suis triste moi aussi. »

« Bien. C’est… C’est bien. »

Erin renifla et essuya ses yeux et son nom. L’Ouvrier accéléra lentement jusqu’à être à ses côtés.

« Aubergiste… Erin Solstice. Je suis désolé pour la mort de Klbkch et de l’Ouvrier. Je regrette leurs morts et ta souffrance. »

« Merci. »

Ils marchèrent en silence. Éventuellement, l’Ouvrier parla de nouveau.

« Je ne suis pas un Ouvrier. Je suis un individu. J’aimerais avoir un nom. »

Elle le regarda.

« Je ne peux pas t’aider. Je ne suis pas… Je ne peux pas te donner un nom. Tu ne peux pas demander à ta Reine ? »

Il secoua la tête.

« Je… Ne le souhaite pas. Je dois avoir un nom. Ou est-ce que je pourrais en trouver un ? »

« Je ne sais pas. Tu ne peux en choisir un toi-même ? »

L’Ouvrier s’arrêta. Il tourna la tête vers Erin et hésita avant de hocher la tête.

« C’est ce que je vais faire. »

Elle attendit. Après une minute de marche, l’Ouvrier parla de nouveau.

« J’aimerais être connu comme ‘Pion’. C’est un nom adéquat pour cet individu. »

Erin hocha la tête avant de lui offrir un léger sourire.

« Salut, Pion. »

« Bonjour. Erin Solstice. »

« … Est-ce que tes amis seront comme toi ? »

Pion regarda par-dessus son épaule. Les autres Ouvriers regardèrent ailleurs. Il baissa la tête.

« Ils ont peur. Ils ne seront pas comme moi. »

« Il n’y a pas de problème. »

« Mais je leur ai expliqué ce que signifiait le regret lié à la perte d’un individu. Ils comprennent. »

« Vraiment ? C’est bien. »

Pion hocha la tête.

« Ils… Nous. Nous sommes tous tristes. »

« Je suis contente. »

Ils arrivèrent à l’auberge sur la colline, et au corps. Erin regarda le sang et s’effondra. Elle avait oublié qu’ils étaient encore là.

Pion l’attrapa avant qu’elle ne touche le sol. Il l’aida à se relever, et Erin s’assit alors que les autres Ouvriers encerclèrent l’endroit. Ils s’arrêtèrent en regardant les dégâts faits à l’auberge et les corps, et semblèrent prendre une décision. D’un même mouvement, les Ouvriers commencèrent à transporter les corps alors que d’autres creusèrent à plusieurs dizaines de mètres de l’auberge. D’autres entrèrent dans l’auberge et commencèrent à sortir le bois brisé.

Erin resta assis dans l’herbe et détourna le regard. Elle leva les yeux pour voir un Ouvrier s’empara d’un corps et le jeter à l’un de ses camarades. Puis elle vomit.

Éventuellement, Erin sentit quelqu’un taper sur son épaule. Elle leva les yeux, et vit que c’était Krshia.

« Erin Solstice. Je te cherchai, n’est-ce pas ?  Les Ouvriers, ils ont terminé leur nettoyage. »

Elle regarda, et c’était la vérité. L’endroit autour de l’auberge était propre. Même l’herbe avait été nettoyée avec de l’eau, et les Ouvriers se tenaient silencieusement autour de l’auberge. Ils la regardaient.

« Merci. »

Elle s’adressa à Pion, puis aux autres Ouvrier. Ils hochèrent la tête d’un même mouvement.

« Nous assistons pour maintenir l’ordre et préserver la paix. »

« Merci. »

Krshia regarda le panneau au-dessus de l’Auberge Errante. Elle regarda autour d’elle, et suivi Erin alors que l’humaine ouvrit la porte.

« Donc, c’est ton auberge, n’est-ce pas ? C’est mieux que je pensais. Digne d’être défendue. »

Erin hocha la tête. Elle regarda autour d’elle dans la pièce vide. Les Ouvriers l’avait nettoyé à la perfection ou presque. Toutes les chaises et tables cassées avaient disparues. Mais il y avait une chose à laquelle ils n’avaient pas touché.

Une pièce d’échec brisée gisait au sol. Erin marcha lentement vers elle. Cette dernière la regarda, un Drakéide prêt à frapper, une lance en main.

Elle baissa les yeux vers le cavalier brisé sur le sol, et ramassa la pièce en prenant sa base. Doucement, Erin la mit dans sa poche et regarda autour d’elle. Des Ouvriers silencieux remplissaient la pièce. D’autres regardaient à travers les fenêtres.

Ses yeux la piquaient, mais elle n’avait plus de larmes à pleurer. Erin nettoya ses yeux avant de se tourner vers l’échiquier.

Lentement, Erin s’empara de l’échiquier et le posa dans l’herbe à l’extérieur de l’auberge. Les Antiniums formèrent un grand cercle autour d’elle, et Pion se tenait au milieu de ce dernier à côté d’Erin. Elle s’assit, et plaça l’échiquier en face d’elle. Elle fit un mouvement, et Pion hésita, avant de s’asseoir en face d’elle.

Erin le regarda. Il était légèrement plus petit que Klbkch, plus maigre, et ses traits étaient mais accentués que ceux de Klbkch. En fait, il ne ressemblait pas du tout à Klbkch, et pourtant son cœur se serra en le voyant.

Lentement, Erin posa le cavalier cassé de son côté de l’échiquier. Pion réarrangea les pièces de son côté. Elle le regarda. Elle leva les yeux au ciel. Il était trop bleu, trop parfait pour une telle journée. Il ne faisait pas encore nuit.

Il devrait pleuvoir du sang. Le monde devrait être recouvert de ténèbres, et la terre aurait dû s’ouvrir pour l’avaler. Elle aurait dû être paralysée par la tristesse, mais Erin se sentait simplement vide. Elle ne comprenait rien. Ce n’était pas juste. Ce n’était pas bien.

Et elle ne pouvait rien y faire. Alors Erin bougea une pièce sur l’échiquier. Le cavalier brisé bougea en C3. Elle regarda Pion. Il la regarda en retour, et le reste des Ouvriers regardèrent avec lui l’humaine qui pleurait pour un Antinium.

Erin baissa la tête.

« Jouons aux échecs. »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #36 le: 07 mars 2020 à 15:27:09 »
1.27

Erin était assise sur le sommet de la colline herbeuse et jouait aux échecs. Cela rendait la vie plus facile. Lorsqu’elle jouait, elle pouvait oublier sa vie. Elle pouvait oublier la douleur.

Elle bougea ses pièces sur l’échiquier, s’arrêtant, considérant, bougeant, se retraitant, prenant des pièces. C’était une danse de stratégie et de perception dont elle avait appris les pas il y a bien longtemps. Mais les échecs étaient toujours différents. C’est pourquoi elle pouvait se perdre dedans.

Et pourtant, Erin faisait plus que de simples calculs. Un joueur d’échec jouait contre son adversaire, et à moins que ce dernier soit un ordinateur, ils lisaient l’autre joueur et dansait avec eux. Les jeux psychologiques faisaient partie des échecs, tout comme la plus basique des stratégies et la connaissance des coups fondamentaux. Mais Erin n’avait jamais joué face à un adversaire avec un esprit comme celui qui était assis en face d’elle.

Elle leva les yeux en direction des pièces de Pion. Il était en train de regarder l’échiquier, considérant son prochain coup. Quelque chose n’allait pas avec lui et ce n’était pas le fait qu’il avait un nom. Erin ne comprenait pas l’Antinium, mais elle comprenait les joueurs d’échecs. Et quelque chose s’était sérieusement mal passé pour lui.

Il était trop bon.

« Je ne comprends toujours pas. D’où viennent les niveaux ? Pourquoi tout le monde en a ? Pourquoi tout le monde montent de niveau quand ils dorment ? »

« Je ne sais pas, Erin Solstice. Ce sont les mystères de ce monde. Ils sont ce qu’ils sont, n’est-ce pas ? »

Krshia changea de position, assise dans l’herbe. Elle était assise avec Selys à l’intérieur du cercle d’Ouvriers Antiniums qui regardaient la partie, mais elle se trouvait à une respectable distance d’eux.  Elle était calme, du moins dans son observation de la partie entre Erin et Pion, mais Selys continuait de jeter des coups d’œil nerveux en direction des Ouvriers.

« D’accord. Mais si c’est le cas, pourquoi n’avons-nous pas des niveaux pour tout ce qui nous arrive ? Comme… marcher. Est-ce qu’il existe une classe de [Marcheur] ?

Krshia secoua sa tête.

« Marcher est quelque chose que nous faisons, et non pas quelque chose pour laquelle nous vivons, n’est-ce pas ? Seules les choses qui font nos objectifs et nos rêves forment des classes. »

« Mais est-ce que cela veut dire qu’il est possible d’obtenir une classe pour manger ? »

« Tu parles de la classe de [Gourmet] ? J’ai entendu dire que quelques riches marchands et nobles ont cette classe. »

« D’accord, je crois que je comprends. Mais les gens peuvent avoir plusieurs classes, pas vrai ? »

Selys hocha la tête. Elle était l’experte à ce sujet, apparemment. C’était probablement dût au fait qu’elle était réceptionniste. Erin fronça les sourcils, regarda un cavalier qui avait failli tomber dans un piège que Pion avait tendu. Comment avait-il fait pour devenir si bon ?

« En théorie, tu peux avoir autant de classe que tu veux. Mais dans la pratique, même la plupart des Aventuriers n’ont que trois ou quatre classes maximum. Ce n’est pas parce que tu es qualifié pour obtenir une classe que tu vas la débloquer. Elle doit devenir une partie inhérente de ta vie. »

« Oh, je vois. »

Selys s’arrêta. Sa queue était enroulée alors qu’elle était assise avec ses griffes poliment posées sur son giron. Erin avait remarqué que les Drakéides s’exprimaient avec leurs queues alors que leurs visages n’exprimaient rien du tout. Krshia, d’un autre côté, avait une parfaite poker face, et sa queue n’était pas si expressive.

« Heu, est…. Est-ce que personne ne t’a appris ça en grandissant, Erin ? Je veux dire, tout le monde sait ça. C’est la base. »

« Même les Antiniums ? Même les Ouvriers ? »

Pion leva les yeux de l’échiquier.

« Oui, Erin Solstice. Nous apprenons ce genre d’information peu de temps après notre éclosion. Tous les Ouvriers savent comment gagner un niveau, mais peu d’entre nous en gagnons. »

« Pourquoi ? J’ai gagné dix… Ouaip, dix niveaux ce mois-ci. »

Krshia et Selys s’échangèrent un regard. Même les Ouvriers firent bouger leurs antennes l’un vers l’autre.

« Sérieusement ? »

Erin leva les yeux et vit que Selys la regardait bouche bée.

« Quoi ? Je suis que Niveau 10. Ce n’est pas beaucoup, pas vrai ? »

« C’est vrai… Mais… Je veux dire, c’est vrai mais personne ne gagne des niveaux si rapidement ! Erin, normalement quelqu’un à besoin d’être l’apprenti d’une personne ayant la classe durant des années avant d’atteindre le Niveau 10. La plupart des jeunes… Enfin, la plupart des personnes de notre âge sont à peine au-dessus du Niveau 12 dans le métier qu’ils ont choisi. »

« Vraiment ? Ça semble si… Bas. »

De nouveau, Erin avait l’impression qu’elle était la seule personne du groupe qui pensait de cette manière.

« Enfin, le Niveau 100 est le plus haut, pas vrai ? Est-ce que ça ne veut pas dire que la majorité des gens atteignent… Je sais pas, le Niveau 60 ou plus avant de mourir ? »

Selys rit… Plus d’incrédulité que de politesse.

« Tu plaisantes, pas vrai ? »

Erin haussa les épaules. Elle bouge un autre pion avant de prendre un fou. Puis elle réalisa que c’était un autre piège. Elle allait perdre son autre cavalier.

« Est-ce que j’ai tort ? »

Krshia hocha la tête.

« J’ai connu de nombreuses vieilles personnes. Ils avaient tous des niveaux autour de la vingtaine, parfois la trentaine, n’est-ce pas ? Pas l’un d’entre eux n’avait atteint le Niveau 40. Peu d’entre eux avait atteint leur trentième niveau. Si je devais nommer ceux qui se trouvent au-dessus du Niveau 50, il n’y en aurait qu’une petite poignée par continent, n’est-ce pas ? »

« Donc quelqu’un qui se trouve au-dessus du Niveau 70, par exemple… ? »

Selys regarda Krshia. La Gnoll haussa les épaules.

« Je ne pense pas en connaitre un de vivant, quel qu’en soit la classe. J’ai entendu des légendes parlant de guerriers ayant atteints ce niveau, mais ce sont d’anciennes histoires. Le genre d’histoire où le héros affronte des armées seul ou abat des Hydres et des Krakens d’une main. Les gens ne gagnent pas autant de niveau. »

Erin hocha la tête.

« D’accord. Je crois que je comprends. Donc les gens gagnent des niveaux, mais pas tant que ça. Et tu peux avoir plus d’une classe, mais tu dois commencer au Niveau 1 avec cette nouvelle classe. »

Selys hocha la tête. Son hochement de tête était différent de celui d’Erin, son cou était plus long, donc elle mettait plus de temps à accomplir le mouvement.

« En effet. Si tu étais un [Maître Lancier] comme Relc et que, par exemple, tu commençais à te battre à l’épée, tu obtiendrais probablement la classe de [Guerrier] jusqu’à ce que tu sois assez haut niveau et avec suffisamment de compétence pour devenir un [Épéiste Meurtrier], un [Duéliste] ou quelque chose du genre. »

« Donc les classes changent de nom ? »

« Tu es sûre que personne ne t’en a déjà parlé ? »

« Klbkch m’en a expliqué une partie. »

« Oh. Hum. Oh je… Enfin, oui, les classes changent. C’est généralement le nom qui permet de représenter ta spécialisation ou… Ou si tu as un niveau plus élevé. Par exemple, des [Tacticiens] peuvent devenir des [Leaders] ou des [Généraux] ou garder la même classe selon leurs compétences. »

« Et… Je pense que je me souviens de ça. Les compétences définissent leurs classes, pas vrai ? Mais est-ce que cela veut dire que tout le monde a les mêmes compétences en montant de niveau ? »

« Non, elles sont différentes. »

Krshia regarda Erin. Ses yeux étaient plissés alors que son front était froncé dans une expression troublée. Erin n’y prêta pas attention. Elle pouvait voir que ce que les gens devinaient quand elle jouait aux échecs, et elle en apprenaient plus que ce qu’elle laissait savoir. Mais maintenant ? Cela n’avait pas d’importance.

« Tout le monde obtient des compétences différentes en montant de niveau. Souvent, ce sont les mêmes, mais certaines personnes les obtiennent à différents moment, ou obtiennent différentes variations… Tout est une question de besoin. Le besoin et la volonté déterminent les compétences que nous obtenons. »

« Et ce que nous faisons ? C’est ce qui détermine nos classes, qui déterminent ensuite comment nos gains de niveaux nous affectent et si notre classe change ou non. »

Selys semblait soulagé qu’Erin comprenne enfin.

« Exactement »

Erin regarda Pion. Lui et les autres Ouvriers étaient profondément concentrés sur l’échiquier.

« Est-ce que les Ouvriers ont beaucoup de niveaux ? Vous travaillez tout le temps, donc vous devez en avoir beaucoup ? »

Il s’arrêta et Erin remarqua quelque chose d’étrange. Tous les Ouvriers étaient concentrés sur l’échiquier, mais dès que Pion bougeait une pièce ils étaient soudainement tous en train de la regarder, ou de regarder ailleurs. Mais dès qu’elle bougeait une pièce, ils se reconcentraient de nouveau sur l’échiquier en ignorant tout ce qu’il y avait autour d’eux.

« Nous avons très peu de niveaux, Erin. Je suis moi-même un [Boucher] de Niveau 2 et un [Charpentier] de Niveau 1. »

« Quoi ? C’est… C’est parce que tu es jeune ou un truc du genre ? »

« J’ai vécu plus de la moitié de l’espérance de vie moyenne d’un Ouvrier. Les Ouvriers ne montent pas souvent de niveau. Certains ne gagnent pas de niveau du tout. »

Erin se retourna dans son siège d’herbe pour regarder Selys et Krshia. La Drakéide fit tressaillir sa langue de surprise. 

« Je… Ne savais pas ça. »

« De même. Mais ce n’est pas inattendu, n’est-ce pas ? Gagner des niveaux vient de l’apprentissage et des épreuves. Sans cela il n’y a pas de gain d’expérience. Si l’un fait la même chose sans changer, il ne gagnera pas de niveau. »

« Et c’est pourquoi tu gagnes tes niveaux si rapidement, Erin. Ouvrir une auberge toute seule… Cela doit être bien plus difficile que de travailler dans une auberge ou d’en racheter une. »

« Oh, d’accord. »

Cela avait été la chose la plus difficile qu’Erin avait faite de sa vie. Elle baissa les yeux vers son estomac et ses jambes en tailleur. Elles devraient être pleines de trous, ou recouvert d’innombrables cicatrices causées par des couteaux. Ouais, c’était différent qu’être une aubergiste en ville.

« Donc les Antiniums ne montent pas beaucoup de niveau ? Je suppose que Klbkch était une exception. »

« Une très grande exception. »

« Mais est-ce que cela veut dire qu’ils sont faibles ? Si la plupart des Drakéide de mon âge sont autour du Niveau 10 ou plus, pourquoi ne sont-ils pas bien plus forts que les Antiniums ? »

« Erin, as-tu vu les gigantesques Antiniums soldats qui patrouillent les tunnels ? J’en ai entraperçu un marchant dans les rues ce matin. »

Selys frissonna, sa queue tressaillit plusieurs fois.

« Ils n’ont pas besoin de niveaux, Erin. Ils sont déjà assez meurtriers comme ça. Si tu leur donne des niveaux élevés et la vitesse à laquelle ils peuvent être créés, les Antiniums pourraient avoir une armée incapable d’être stoppée. »

« Ouais, c’est vrai. Je suppose que les niveaux ne peuvent pas remplacer le nombre ou les muscles, pas vrai ? »

« En fait, c’est possible, mais c’est seulement s’il y a une grande différence de niveau. Relc, par exemple… Il est fort. Il pourrait probablement affronter beaucoup de ses soldats. Il ne va pas le faire, bien sûr ! Mais il est Niveau 32, je crois. C’est une incroyable différence par rapport à un [Guerrier] de Niveau 13. Est-ce que ça fait sens, Erin ? »

Erin bougea une autre pièce et vit comment la partie allait se terminer.

« Je crois que je comprends. Merci de m’avoir expliqué. »

« Je ne comprends pas pourquoi tu ne savais pas to… »

Selys fut coupée lorsque Krshia lui donna un coup de coude dans les côtes. Elle siffla au lieu de gémir et redressa son dos. Krshia se mêla à la conversation.

« Il est curieux que tu ne connaisses pas les niveaux, mais peut-être que ton peuple n’y croient pas de la même manière, n’est-ce pas ? »

« Ouais. Quelque chose du genre. Est-ce que gagner des niveaux est si important que ça dans la vie des gens ? »

« Certains appelleraient ça une religion. Certains, oui, certains vénèrent les niveaux. Personne ne vénère les dieux, Erin. Ils sont morts. Dans certains endroits gagner un niveau est prêché et ceux qui ont le plus haut niveau sont vénérés. J’ai entendu dire que chacun d’entre nous reçoit un niveau maximal, et qu’atteindre ce niveau signifie que nous avons atteint la fin de notre vie. »

Le silence tomba sur l’audience assise dans l’herbe. Erin se tourna et regarda Krshia.

« Sérieusement ? Certaines personnes croient en ça ? »

Le regard de Krshia ne broncha pas.

« Oui. »

« C’est stupide. »

Selys prit une inspiration surprise, mais Krshia hocha les épaules.

« Certains croient en cela, Erin. Et qui peut dire que cela n’est pas vrai ? »

« … Je suppose. »

Erin se retourna pour se reconcentrer sur le jeu et vit que Pion avait joué son tour. Elle fit tomber sur roi du bout du doigt.

« Je concède. Bon match. »

Pion inclina sa tête, et Erin retourna le geste.

« C’est une bonne partie, Erin. »

« C’était une très bonne partie ! »

Selys se releva et regarda les deux joueurs.

« Je ne m’y connais pas beaucoup, mais j’ai vu Olesm jouer. Tu es bien plus forte que lui, Erin. Et toi aussi… Hum… Pion. »

Il s’inclina et elle sursauta.

« Je ne fais qu’apprendre en regardant Erin Solstice. Elle est une experte. »

« Et c’est autre chose. Comment fais-tu pour être aussi douée, Erin ? Olesm dit que tu es la meilleure joueuse qu’il n’a jamais vue. Est-ce que tu es une [Tacticienne] de haut-niveau ? »

« Non. »

« Alors une autre classe, peut-être ? Ou est-ce que c’est une compétence rare ? »

« Non, c’est juste mes compétence. Pas ceux que tu obtiens en gagnant des niveaux. C’est mon talent pour le jeu. Je n’ai pas de niveau en dehors de ma classe d’[Aubergiste]. »

« Mais alors comment fais-tu pour être aussi douée ? »

Erin prit quelques instants avant de répondre. Elle réinstalla les pièces sur l’échiquier et le fit tourner. Silencieusement, Pion avança une pièce et elle contra. Une nouvelle partie commença, mais elle avait le même sentiment.

« J’y joue simplement depuis que je suis gamine, c’est tout. Tous les jours. Au début c’était juste un hobby, tu sais ? Quelque chose que je voyais les adultes faire, puis j’ai découvert que j’aimais bien ça. Quand j’ai gagné mon premier tournoi, j’étais au septième ciel. Et après ça j’ai continué de jouer. »

Selys regarda Krshia.

« Mais les échecs ont été inventés il y a qu’un… »

De nouveau, elle reçut un coup de coude dans les côtes et lança un regard noir à Krshia, puis elle regarda Erin avec un intérêt soudain. 

« Je suppose que c’est nouveau par ici. Mais les échecs existent depuis un bon bout de temps de là où je viens. »

Erin sourit brièvement.

« Depuis un sacré bout de temps. Et beaucoup de personnes aimaient y jouer de là où je viens. Il y avait des livres de stratégie, des leçons en ligne, des tuteurs… J’avais tout appris. Anecdote marrante. J’ai appris à jouer aux échecs les yeux bandés avant de savoir pédaler à vélo. »

Elle bougea une autre pièce. Après une seconde ou Pion regarda l’échiquier, il bougea sa reine et s’empara de la pièce. Elle fronça les sourcils et continua à jouer. Sa mémoire se mélangeait à la réalité.

« Je n’ai jamais été la meilleure. Mais j’étais douée. Vraiment douée. Pour mon âge ? C’était incroyable. Je jouais dans des tournois, je restais débout tard le soir pour jouer aux échecs… Mes parents me l’autorisaient. Ils savaient que j’avais un don. Donc j’étudiais les échecs dès que j’avais du temps livre, jouais contre des adultes, allait à des clubs d’échecs et aux tournois après les cours, et je continuais de gagner. Mais une fois que tu montes assez haut, tu commences à perdre. »

Comment maintenant. Exactement comme maintenant, et comme avant. Erin regarda l’échiquier et sentit qu’elle était dépassée. Elle bougea un pion et le vit mourir deux tours plus tard pour protéger sa reine.

« Ça arrive. Et ce n’est pas surprenant. Même un enfant qui est un génie ne peut pas battre un adulte qui a joué des milliers… Des dizaines de milliers de partie. Mais je me sentais écrasée après chaque défaite. Donc j’ai arrêté. »

« Tu as ar…Aie ! Arrête de me frapper ! »

Erin était en train de sourire, mais c’était passager. Toute son attention était dévouée à la partie qui se trouvait devant elle, et à sa parole.

« Quelque part… Je ne sais plus quand, j’ai perdu intérêt dans le jeu, ou peut-être que j’ai arrêté de m’amuser. Je ne sais pas comment l’expliquer. J’étais juste une gamine, mais je passais chaque instant éveillée à jouer à ce jeu stupide, allé au tournoi, étudier, gagner, perdre… Je ne vivais pas vraiment. Je ne jouais jamais avec mes amis. »

Elle bougea un pion. Les Ouvriers s’arrêtèrent, et puis Pion bougea une pièce.

« Quand j’ai réalisé ça, j’ai arrêté. J’ai simplement arrêté de jouer, j’ai jeté mon échiquier et mes pièces… J’ai fait des choses normales. Il m’a fallu des années avant que je regarde un échiquier de nouveau, et là je m’amusais en jouant. Mais je n’ai jamais voulu devenir un Grand Maître de nouveau. La pression, vivre uniquement pour un jeu… C’est trop. »

Pion prit sa reine avec, ironiquement, un pion. Cela était inévitable, mais Erin savait comment la partie allait se terminer.

« Je suppose que je suis juste une fille normale qui est plus forte que 99% du monde aux échecs. Mais ce dernier 1%. C’est un sacré gouffre. »

« Si cela est le cas, Mademoiselle Erin, je tremble en imaginant quelle sorte de génies vivent dans ton pays natal. »

A un certain point Olesm les avait rejoint, et Pisces aussi, et même trois des quatre Gobelin. Loques était assise dans l’herbe au milieu des Ouvriers, regardant la partie en silence. L’Antinium regarda les Gobelins avant de détourner le regard, mais Selys agrippa une dague à sa ceinture en fixant les Gobelins du regard et Ksrhia éternua. Mais tout le monde faisait la paix, même si cette dernière était fragile. Peut-être que cela était lié au fait qu’une pile de cadavres de Gobelins étaient enterrés dans une tombe anonyme quelques centaines de mètres plus loin.

« Je suis certain que tu ne penses pas de la même manière, mais je ne peux pas imaginer un meilleur joueur que toi, Erin. J’ai des compétences qui me permettent de jouer au jeu mieux que la majorité, mais je n’arrive pas à te battre même si j’essaye de toutes mes forces. »

Pisces hocha la tête, agréant. Erin sourit sans joie. Ils n’avaient pas vu comment les dernières parties s’étaient déroulées.

« Alors pourquoi je ne gagne pas de niveaux ? Je n’ai pas de niveau en tant que [Tacticienne], mais Pion m’a dit que les autres Ouvriers ont gagné un niveau dans cette classe. Les Gobelins ont aussi probablement gagné un niveau dans cette classe. »

Erin bougea une autre pièce et vit Pion hésita. Bien.

« Nous avons un système de rang dans mon monde. Les gens qui jouent aux échecs en tournoi ont un score qui monte et qui descend selon les victoires et les défaites. Un Grand Maître a environ 2600 points ou plus, et les joueurs vraiment incroyables ont tous plus de 2200 points. Si tu as autant de point, tu es pratiquement l’un des meilleurs joueurs de ton pays. »

Il décida de perdre un cavalier au lieu d’un fou. Erin fronça les sourcils. La partie se terminait. Comment était-il aussi doué ? C’était impossible. Elle avait l’impression de jouer contre…

Un Grand Maître. Mais c’était impossible.

« J’avais juste au-dessus de 2000 points quand j’étais enfant. C’est incroyable mais… Il y a quand même une grande différence entre ça et un Grand Maître. Si j’avais continué de jouer, je serais peut-être autour de 2400 en ce moment. Mais dans tous les cas, j’étais l’une des meilleures là où j’ai vécu. Dans ce monde… Je suis probablement la meilleure. Alors pourquoi est-ce que je ne gagne pas de niveau ? »

Olesm semblait troublée.

« … Je ne saurai dire. Cela n’a pas de sens. »

« Je peux le dire. »

Pisces hocha la tête alors que tout le monde le regarda. Il était toujours arrogant, mais son arrogance semblait muette, étouffée. Erin en était reconnaissante.

« Les classes sont basées sur ce que nous voulons atteindre. Et pourtant… Dans la même idée, ce que nous considérons sans importance ou trivial n’arrivent pas à nous faire gagner une classe que quelqu’un d’autre a obtenue. C’est un phénomène connu que j’ai étudié durant mon temps à l’Académie de Wistram. J’ai écrit une thèse sur… Enfin, cela pour dire, si tu ne considères pas les échecs comme autre chose qu’un jeu, tu ne gagneras pas de niveaux. »

Olesm et Selys regardèrent Pisces de manière incrédule.

« Un jeu ? Mais bien sûr que c’est un jeu. »

« Permettez-moi de reformuler ma déclaration. »

Pisces semblait agacé en cherchant une meilleure explication.

« Ce que je veux dire par cela est que si Maîtresse Solstice ne considère pas les applications tactiques des échecs… Comme, par exemple, que bouger des pions est similaire à organiser des guerriers… Elle ne gagnera pas de niveaux dans la classe de [Tacticien]. Pour commencer, l’expérience gagnée en jouant aux échecs est bien inférieure à celle qu’un stratégiste gagne en travaillant, donc si elle ne soucie pas du rapprochement entre le jeu de la guerre et le jeu des pièces… »

« Je ne gagne pas de niveaux. Logique. »

Erin fit tomber son roi du bout de doigt et soupira.

« Je perds. Encore. »

Elle s’allongea dans l’herbe et regarda le ciel coloré par le soleil couchant. Olesm et Pisces regardèrent bouche bée à Pion alors que ce dernier réorganisa l’échiquier avec soin.

« Comment est-ce que tu fais ? Personne ne devient aussi bon en si peu de temps. Même un génie ne peut pas jouer comme ça du premier coup. »

Pion baissa la tête devant le regard d’Erin.

« Mes excuses. Mais l’Aubergiste Solstice fait erreur. Celui-ci… Je suis désolé. Tu te méprends, Erin. En ce moment tu n’es pas en train de jouer contre moi, mais contre tous les Antiniums présents ici. »

Il gesticula autour du monticule où les innombrables Ouvriers, deux Drakéides, deux Humains, des Gobelins et une Gnoll étaient assis.

« La centaine joue d’un même esprit. Nous voyons une centaine de coups et les jouons tous dans le même tour. Nous pensons ensemble et jouons depuis un seul corps. »

Erin le regarda.

« Un esprit de ruche, une colonie. »

« Exactement. Nous pensons comme un. Telle est la nature des Antiniums. Même si… Cette nature a été compromise par l’expérience. Même si je suis un individu, cela est toujours ma vérité. »

« Et Klbkch ? Et l’Ouvrier ? »

« Nous avons ressenti leurs pertes, Erin. Nous savions leurs morts et leurs intentions au moment de leurs morts. Ils ne nous sont pas perdus. Même si leurs mémoires individuelles et leurs corps sont perdus à tous à l’exception de la Reine, les Ouvriers se souviennent. »

Erin arrêta de placer les pièces d’échecs sur l’échiquier. Elle regarda dans les yeux fragmentés de Pion, recherchant urgemment la vérité.

« De tout ? »

« De tout. »

« Et vous n’allez pas oublier ? »

Il secoua la tête.

« Nous sommes les Antiniums. Tant que l’un d’entre nous existe, nous ne mourrons jamais vraiment. »

Erin s’arrêta. Elle baissa les yeux avant d’essuyer ses larmes.

« J’aimerais que ça soit vrai. »

Selys s’agita sur l’herbe, avant de baisser la tête. Olesm racla sa gorge.

« Cela m’attriste de la dire, mais Klbkch était vraiment unique. Il était le premier, et l’unique, Antinium à être accepté en tant que membre de la Garde. Depuis que les Antiniums sont entrés dans la ville il y a huit ans de cela, il était celui qui faisait la liaison entre leur Reine et notre ville. Il est… Etait le représentant de leur espèce. »

« Je ne savais pas qu’il était si important. »

Krshia hocha la tête.

« Il était humble. C’était pourquoi beaucoup l’appréciait. Et maintenant il est parti. »

« Pas tant que les Antiniums vivent. »

Pion regarda les alentours avec quelque chose s’approchant de la défiance. Erin secoua sa tête.

« Mais il ne peut pas nous parler, Pion. Pour nous, il est parti. »

Il hésita.

« Je… Vois. J’ai le sentiment que bien est mal compris, mais je respecte ta peine. »

De manière gênée, il plaça son roi en position.

« Vas-tu jouer une autre partie, Erin ? »

« Est-ce que cela en vaut la peine ? Je ne peux pas gagner. Tu… Tu es plus fort que moi. »

Olesm et Pisces commencèrent à protester, mais ils furent couvert par le bruit de chaque Ouvrier cliquant leurs mandibules d’un même mouvement pour contredire ce qu’Erin venait de dire. Ils firent un lourd bourdonnement qui était silencieux de manière individuel, mais qui s’entremêlaient pour former le bruit d’une apocalypse d’abeille. Selys s’accrocha à la fourrure de Krshia.

« Nous apprenons beaucoup de chaque partie, Erin Solstice. S’il te plait, ne t’arrête pas de nous enseigner comment jouer. »

Erin sourit sans joie.

« Enseigner ? »

Elle n’avait pas l’impression que cela se passait comment ça. Elle avait l’impression de fuir tout ce qui s’était passé. Mais soit. Elle devait cela aux Ouvriers. Elle devait cela aux Antiniums. Donc soit.

Lentement, elle éloigna l’échiquier de Pion, repoussant ses mains.

« Arrêtes. Laisse-moi te montrer quelque chose. »

Elle fit tourner l’échiquier et bougea un pion blanc en avant.

« Ceci… Est une Partie Immortelle. »

Aussitôt, Pion arrêta de protester. Pisces et Olesm échangèrent un regard, et s’approchèrent. Loques était déjà assise à côté de l’échiquier. Erin bougea lentement le pion noir qui faisait face au pion blanc.

« Dans l’histoire des échecs, il y a beaucoup de parties célèbres que nous étudions parce qu’elles sont brillantes. Certaines personnes appellent d’autres parties des Parties Immortelles, et il y en a quelques-unes qui sont célèbres. Mais celle-là. Celle-là est la Partie Immortelle. Certains coups ne sont même plus considérés comme bons de nos jours, mais elle est quand même considérée comme l’un des pinacles de l’histoire des échecs de mon monde. »

Krshia prit une inspiration pincée, mais les mots d’Erin passèrent par-dessus l’audience alors qu’elle bougea lentement les pièces sur l’échiquier. Lentement, les deux côtés jouèrent l’un contre l’autre. Erin expliqua chaque gambit, chaque stratégie, attaques et contres en continuant le jeu.

« Le Gambit du Roi Accepté pour ouverture, puis le Gambit du Fou… Ici, il essaya le Contre Gambit de Byran avec le pion ? Et puis le côté blanc attaqua la reine avec un cavalier ici… »

Elle joua la partie qu’elle connaissait par cœur. Elle l’avait vu tellement de fois que cela était naturel pour elle. Les joueurs d’échecs regardèrent, les sourcils froncés, tentant de suivre la déroutante présentation. Mais les Ouvriers regardèrent l’échiquier, et alors qu’Erin entra dans la dernière phase de la partie, Pion parla.

« Nous pouvons voir la fin. »

Erin leva les yeux. Olesm et Pisces regardèrent Pion avec incrédulité.

« Montre-moi. »

Pion hésita, avant de tendre la main et d’avancer le pion blanc. Erin regarda l’échiquier et joua le coup suivant, mettant le roi blanc en échec avec la reine. Pion bougea le roi en diagonale, et la partie continua.

Une partie parfaite. Il joua la partie exactement comme dans la mémoire d’Erin. Dans le silence, elle fit tomber le roi noir et leva les yeux. Olesm et Pisces étaient en train de dévisager Pion comme s’il était soudainement devenu un monstre horrifiant.

« Bien. Maintenant joue contre moi. Une dernière fois. »

Silencieusement, Pion s’assit en face d’Erin et installa les pièces une nouvelle fois. Elle regarda l’échiquier. Elle était le côté blanc. Lentement, elle bougea un pion en avant.

« J’avais toujours peur de perdre quand j’étais enfant. Toujours. J’étudiais de toutes mes forces pour ne pas perdre. Peut-être c’était pourquoi je ne m’améliorais pas. Je pensais que perdre était quelque chose de terrible. »

Pion attendit, et étudia l’échiquier. Il bougea un cavalier en réponse. Erin murmura.

« Mais les échecs ? Les échecs ne font pas peur. Pas comparé à d’autres choses. »

Ce fut la dernière chose qu’Erin prononça. Elle essuya ses yeux larmoyants et mit son cœur de côté pendant un instant pour pouvoir jouer. C’était un soulagement. Cela était tellement plaisant de tout laisser de côté, et de tout laisser sortir en même temps. De souffrir et de jouer en même temps.

Elle pouvait sentir le sang pulser à l’arrière de son crâne. Le monde autour de l’échiquier disparu, et ce dernier grandit sous ses yeux. Chaque pièce consuma sa vision, et elle n’entendit que le click des pièces bougées. Ce sont était comme de la foudre dans sa tête.

Pion était assis en face d’elle, mais elle ne se concentra pas sur lui. Il ne pouvait pas être lut. Il ne pouvait pas être déstabilisé. Il y avait une centaine de lui pensant à chaque coup. Alors Erin joua. L’échiquier était son monde, les pièces faisaient partie de son âme.

Elle regarda son adversaire et vit un autre Antinium assit en face d’elle. Erin rêva en jouant. Elle était en train de jouer dans son cœur, dans les tréfonds de son être, dans les souhaits de ce qui aurait pût être.

Dans ce lieu, il n’y avait que la partie. Et Klbkch.

Erin était en train de pleurer en jouant. Ses larmes tombèrent sur l’échiquier et sur l’herbe. Elle joua et bougea des pièces avant de les perdre. Mais tout cela n’était qu’une partie d’un plus grand plan, un qu’elle ne pouvait pas voir, qu’elle ne pouvait pas comprendre. Elle pouvait comprendre les échecs. C’était facile. Mais elle ne pouvait pas comprendre le reste.

Elle prit les pions de l’ennemi. Elle prit ses tours, ses cavaliers, ses fous, et sa reine. Elle le traqua, l’attira dans des pièges et le repoussa dans ses retranchements tout en gardant ses pièces à l’abri, ou les donna pour le déchiqueter. Elle poussa, et poussa, jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien.

Dans le silence de son sombre monde, Erin vit le roi tomber. Elle cligna des yeux, et l’instant se termina.

Pion inclina la tête. Erin entendit un bourdonnement dans ses oreilles, puis un reniflement. Elle regarda autour d’elle et vit qu’Olesm était en train de pleurer. Le [Tacticien] essuya ses larmes.

« Je ne… Je ne reverrai jamais… Je ne peux pas expliquer ce que c’est. »

Pisces était en train de couvrir ses yeux, les frottant avec le bas de ses paumes. Loques était en train de regarder, les yeux rouges, comme si elle n’avait pas cligné des yeux depuis in long moment.

« C’était… Une performance dépassant tout ce que j’ai vu. C’était pur ! J’étais incapable de voir comment cela allait se terminer ! Je ne pouvais pas prédire le prochain coup ! Comment est-il possible que tu ne sois pas une [Générale] ou… Ou une [Tacticienne] du plus haut calibre ? »

Erin secoua sa tête. Elle regarda l’échiquier.

« Ce n’est qu’un jeu. Je ne suis pas une tacticienne ou une guerrière. »

Elle regarda ses mains.

« Je suis juste une Aubergiste. Je ne veux pas être quelque chose d’autre. Je ne veux même pas l’être, mais je le suis. C’est tout. »

Elle se releva. Pion la regarda. Les Ouvriers la regardèrent. Elle croisa leurs regards et inclina sa tête. Elle essuya ses yeux et laissa ses larmes tomber dans l’herbe.

« Je suis désolé. »

Puis elle s’en alla. Erin marcha lentement à l’intérieur de son auberge et s’écroula sur le sol. Elle dormit, miraculeusement, dans les ténèbres de l’oubli et sans rêves.


[Aubergiste Niveau 11 !]

[Compétence : Force Inférieure Obtenue !]


[Compétence : Moment Immortel Appris]

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #37 le: 11 mars 2020 à 22:34:28 »
R 1.04
Traduit par EllieVia

Ow.

Bordel.

Ow. Ow. Ow. Ow. Ouch. Ow.


C’est pour cette raison qu’on a inventé les antidouleurs. Putain. Arrête de bouger.
 
Tourne la page.
 
Il fait chaud. Pourquoi les gens de ce monde à la con n’inventent-ils pas la clim, bon sang ? Et la salle commune d’une auberge n’est pas le meilleur endroit pour lire en paix. Mais c’est toujours mieux que de rester dans ma chambre pour entendre des gens bourrés se cogner dans les murs du couloir ou coucher ensemble.
 
C’est pour cette raison que je déteste les gens.
 
Okay. Concentre-toi. Ignore-les. Qu’est-ce que ça dit ?
 
“... De l’incursion des colonies Antiniumes au sud du continent découla un an de guerre sanglante connue sous le nom de la Guerre de l’Incursion, ou plus généralement de la Première Guerre Antiniume, durant laquelle des centaines de milliers de soldats Antiniums établirent d’immenses colonies à travers les plaines australes, rasant des villes et forçant les tribus Gnolles à se replier dans les plaines les plus basses.
Initialement, les cités septentrionales et les confédérations alliées furent lentes à réagir à la vague d’Antiniums balayant les plateaux et les régions montagneuses accidentées du continent, sous-estimant les dangers d’une colonie Antiniume retranchée et les véritables effectifs cachés sous terre. Ce ne fut qu’après la perte de cinq cités que…”
 
GYAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! Mon pied !
 
Pourquoi, pourquoi, pourquoi fallait-il que cette chaise stupide se trouve juste là ? La douleur !
 
Merde. Est-ce que j’ai rouvert la blessure ? Voyons voir.
 
C’est difficile pour moi de me reculer suffisamment de la table pour regarder dessous, mais j’arrive à apercevoir la lourde gaze blanche. Elle est tachée de sang, mais pas plus que la dernière fois que j’ai vérifié. Merveilleux.
 
Et j’ai toujours mal. J’ai déjà eu des os cassés, mais jamais encore je n’avais connu ce niveau de douleur. Mais vue la blessure...
 
Ouais.
 
Bordel.
 
L’une des serveuse me regarde. Je lui rends son regard d’un air appuyé et elle se détourne. Je ne suis vraiment pas d’humeur pour ce type d’attention. Et penser à la douleur me donne envie de hurler à pleins poumons. À moitié de douleur, à moitié d’une rage sans nom. Donc. Retournons au livre.
 
Okay. Ignore la douleur. Que disait-il à propos des Antiniums ? Sont-ils toujours dans le coin ? Je tourne les pages.
 
Confédération d’états… alliance précipitée… sautons tout ça. Ah.
 
“Ce n’est qu’après la découverte de la faiblesse fatale des Antiniums que la guerre connut son premier revirement de situation. Forte de ses nouvelles tactiques, l’Alliance Australe se mit à utiliser des sorts longue portée pour assaillir les colonies Antiniumes et entraver leurs forces d’attaques.
 
Plusieurs colonies furent entièrement détruites avant qu’une trêve temporaire ne soit mise en place entre les Reines Antiniumes et les dirigeants des cités-États. Cette paix, toutefois, était ténue et ne dura que huit ans avant que les Antiniums n’attaquent de nouveau, entamant la Seconde Guerre de l’Incursion…”
 
Faiblesse. Ils avaient une faiblesse ? J’avais dû rater ce passage.
 
Voyons voir. Que pouvait-ce être ? Et pourquoi n’avais-je pas croisé ce peuple fourmi dans le coin ? Bon, ce sont des parias dans la plupart des sociétés, donc j’imagine que c’est pour cette raison. Mais ont-ils des caractéristiques intéressantes ou est-ce que c’est juste des espèces d’insectes bipèdes ?
 
Oh, voilà leur faiblesse.
 
Je laisse mon doigt s’attarder sur le passage en question lorsque j’entends une voix enthousiaste crier mon nom par-dessus le brouhaha de l’auberge. Oh. Oh non. Pas encore elle.
 
____________
 
Ryoka Griffin était assise au milieu d’une auberge. Ce n’était pas une auberge extraordinaire - juste l’une des nombreuses auberges de la cité humaine de Celum.
 
Elle lisait en fronçant les sourcils. Grâce à son talent, elle était capable de faire les deux actions à la fois. Elle était également assise seule, mangeant occasionnellement le contenu froid de l’assiette posée devant elle. Un verre de jus de fruit frais, embué par la condensation, devant elle. Au moins, elle buvait régulièrement, ce qui était nécessaire dans la chaleur dégagée par la foule pressée dans l’auberge.
 
“Salut, Ryoka !”
 
Une voix joyeuse fit taire le bruit de conversations ambiant et toutes les têtes se tournèrent vers la personne qui venait d’entrer dans l’auberge. Ryoka leva les yeux de son libre et repéra la fille en train de se frayer un passage dans sa direction. Son expression ne changea pas, mais son œil tressaillit.
 
“Salut Ryoka, comment vas-tu ?”
 
“Je vais bien, Garia.”
 
Garia Strongheart se glissa sur la chaise vide en face de Ryoka et lui adressa un sourire radieux.  Sa joie de vivre n’était pas réciproque. Ryoka leva brièvement les yeux sur Garia et retourna à sa lecture.
 
Sans se laisser décourager, Garia fit un signe à une serveuse et commanda l’une des boissons locales, un breuvage fort et légèrement alcoolisé qui était à la fois frais et plein de saveurs. Dommage, de l’avis de Ryoka, que les saveurs en question soient celles de la bière.
 
“Alors, comment vas-tu ? Ta jambe va un peu mieux ?”
 
Ryoka leva les yeux et la dévisagea d’un air mécontent.
 
“Devine.”
 
Le sourire de Garia vacilla.
 
“Est-ce que… est-ce que tu es allée voir la [Guérisseuse] dont je t’ai parlé ? Elle est très douée. Elle bosse avec nous autres Coursiers tout le temps.”
 
“Pas pu aider. L’os est trop abîmé.”
 
“Oh. Je suis désolée.”
 
“¨Pas ta faute.”
 
Ryoka était douée pour clore les conversations. Garia la dévisagea, et essaya de jeter un œil furtif à sa jambe enrubannée. Elle grimaça, et dissimula sa grimace en changeant de sujet.
 
“C’est un livre ?”
 
Ryoka leva les yeux de son livre. Elle la regarda fixement.
 
“... Oui.”
 
“Ça parle de quoi ?”
 
“D’Histoire.”
 
“Tu veux dire, l’histoire mondiale sur laquelle tu m’avais posé des questions l’autre jour ? Désolée de ne pas en avoir su plus.”
 
Ryoka secoua la tête.
 
“L’histoire des cités.”
 
“Oh. Et c’est, euh, intéressant ?”
 
“Pas vraiment.”
 
C’était fascinant. Ryoka n’était pas spécialement férue d’histoire, mais être transportée dans un autre monde faisait des miracles sur sa capacité à s’intéresser aux choses banales comme l’économie et la politique.
 
“Ça doit être chouette de savoir lire.”
 
L’envie dans la voix de Garia fit enfin lever la tête à Ryoka.
 
“... Tu ne sais pas lire ?”
 
Garia rougit.
 
“Pas trop. Je peux lire les panneaux et faire des calculs, mais… je veux dire, la plupart des gens ne savent pas trop lire. Pas des livres, ou des trucs coûteux dans le genre. Fals sait lire, par contre. Je l’ai vu lire des livres.”
 
Ryoka haussa les sourcils.
 
“Tant mieux pour lui.”
 
Là encore, Garia se trouva obligée de poursuivre une conversation majoritairement à sens unique.
 
“Où as-tu eu ce livre ?”
 
“Je l’ai acheté au marché. Pas trop cher.”
 
“Ah bon ? Je croyais que la plupart des livres coûtaient plusieurs pièces d’or… au minimum.”
 
“Certains se vendent pour des pièces d’argent. Dans tous les cas, ça me va.”
 
Ryoka fronça le sourcils en mordant dans une nouvelle tranche de jambon tiède. Le manque de bibliothèque dans la ville la forçait à acheter tous les livres qu’elle voulait lire, et certains étaient tellement chers que c’en était énervant. Mais elle n’allait pas s’engager dans une discussion sur l’économie avec Garia et alimenter la conversation.
 
Le problème avec Garia, c’est qu’elle était parfaitement capable de trouver des sujets toute seule. La fille regarda fixement la pile de livres sur la table.
 
“Tu vas tous les lire, alors ?”
 
“Je vais les lire.”
 
“Quoi, tous ?”
 
“Pas comme si j’avais autre chose à faire.”
 
Ryoka tourna délibérément une autre page.


_____________


J’aimerais vraiment qu’elle s’en aille. Ou pas ? Au moins, elle empêche les mecs bourrés de venir me draguer.
 
Je déteste ça. Je la déteste, je déteste cette auberge, et je déteste ce monde. SI je pouvais tout faire cramer je…
 
Probablement pas. Ou du moins, ce n’est pas elle que je hais. Donc peut-être détruire le monde mis à part quelques personnes.
 
Mais la douleur. Et l’ennui, n’oublions pas. Quelle tristesse de s’imaginer que le moment le plus intéressant de ma journée est la visite quotidienne de Garia.
 
Cela fait une semaine que j’ai eu mon “accident”. Encore une semaine et je risque sérieusement de péter un plomb. Mais ma jambe…
 
Bon sang. Si je pouvais tuer tous les putains de Coursiers de Rues de ce monde je le ferais d’un claquement de doigt. Même si je devais plonger mes yeux dans les leurs en les étranglant. J’aurai ma vengeance, je le jure.
 
Mais en attendant, comment diable vais-je pouvoir guérir ma jambe ? Comment, comment, comment ? Si c’est vraiment hors de portée de la plupart des magies…
 
Demande à Garia. Elle aura peut-être une meilleure idée, même si sa première a échoué. Ça vaut le coup d’essayer, et j’espère avoir assez d’argent pour me payer ce dont j’aurai besoin. Merde, elle parle depuis tout à l’heure et je n’ai rien suivi. Autant improviser.
 
Huh. Il y a une sacrée foule qui vient d’entrer. J’espère qu’ils ne voudront pas partager la table. Ils me disent quelque chose, cependant.
 
Qui c’est ? Une autre Cours…
 
Elle.
 
Tue-la. Plante-la. Brise ses os. Non. Si. Fais-lui mal. Éclate son crétin de visage en deux. Tue.
 
Tuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetue…
 
________


Garia comprit que Ryoka n’avait pas entendu sa question la troisième fois où elle la répéta. L’autre jeune femme s’était figée sur place, regardant fixement quelque chose derrière l’épaule de Garia. Garia se retourna, regarda, et sut qu’il y allait y avoir du grabuge.
 
“Toi.”
 
Ryoka jeta sa chaise en arrière et bondit sur sa jambe valide. Persua lui adressa un sourire méprisant.
 
‘Oh, Ryoka ? Je ne t’avais pas vue. Quelle surprise de te voir dans cette auberge. Comment vas-tu ?”
 
C’était dur de sortir sa jambe de sous la table. Mais quand elle y parvint, Ryoka se dressa sur sa jambe valide et plongea sur Persua plus vite que quiconque n’aurait pu le prévoir. Elle ne l’atteint jamais, toutefois.
 
Garia attrapa Ryoka par l’épaule et la tira doucement en arrière. Malgré les efforts de Ryoka pour la faire lâcher prise, elle refusa de la lâcher et la traîna en arrière, loin de Persua, son sourire narquois et son troupeau de Coursiers de Rues.
 
“Lâche-moi.”
 
“Non, calme-toi Ryoka. Si tu démarre une bagarre, c’est toi qui auras des ennuis.”
 
L’expression sur le visage de Ryoka montrait que cela ne lui posait aucun problème, mais Garia savait compter. Il y avait au moins huit Coursiers derrière Persua, et ils avaient l’air prêts pour la bagarre. D’une main, elle tira Ryoka en arrière et la fit s’asseoir.
 
Cela aurait dû être difficile à faire, même avec une Ryoka blessée, mais Garia était plus costaude qu’elle n’en avait l’air. Et elle avait l’air d’une fermière capable de lever des bottes de foin d’une seule main.
 
En maintenant Ryoka sur sa chaise, Garia se déplaça de manière à s’interposer entre son amie et Persua.
 
“Pourquoi ne nous installerions pas tous ? Persua, toi et tes amis peuvent aller boire un coup ailleurs, d’accord ?”
 
Persua écarta les mains d’un air innocente et haussa le ton de sa voix d’une octave pour protester d’un air candide.
 
“Je ne comprends pas de quoi tu parles, Garia. Je disais juste bonjour à Ryoka qui a eu un petit accident. Ne peux-tu donc pas comprendre cela ? Ou est-ce que les choses vont trop vite pour que tu arrives à suivre ?”
 
Ce fut au tour de Garia de rougir, mais elle ne mordit pas à l’hameçon.
 
“Tu t’es bien amusée, mais je pense que tu devrais partir, Persua.”
 
Persua adressa à Garia et Ryoka un faux sourire d’une douceur maladive.
 
“Mais en tant que camarade Coursière, je veux faire savoir à Ryoka à quel point je suis terriblement désolée qu’elle se soit trouvée sur le chemin de ce chariot. Si seulement elle avait écouté ses camarades. Nous étions tous en train d’essayer de la prévenir, tu sais. Mais c’est Ryoka. Elle n’écoute jamais, pas vrai ?”
 
Garia sentait l’épaule de Ryoka trembler sous sa main. Cela devenait de plus en plus difficile de la maintenir assise, et c’était avant que Persua ne mentionne “accidentellement” à quel point il était affreux que personne n’ait été là pour aider Ryoka qui avait dû se traîner jusqu’à la baraque de garde la plus proche pour trouver des secours.
 
Ce qui aurait pu arriver alors, chacun devrait se l’imaginer. Persua était toujours en train de jubiler, inconsciente du danger, mais Garia pouvait percevoir Ryoka en train de regarder le couteau affûté posé dans son assiette. Les Coursiers de Rues derrière Persua étaient nombreux, mais ils s’attiraient des regards peu amènes de la part des autres clients réguliers de l’auberge qui semblaient prêts à se délecter d’une rixe si cela leur permettait de se débarrasser des intrus.
 
Garia était en train de peser le pour et le contre entre se faire poignarder et empêcher une bagarre, ou assister à la mort de Persua, malgré les conséquences qui suivraient.
 
Mais alors la porte s’ouvrit de nouveau, et un silence frissonna au-dessus de la foule. Si les Coursiers des Rues avaient amené avec eux bruit et chaos, le groupe qui suivit apporta le silence.
 
Les clients ordinaires de l’auberge, marchands, fermiers, commerçants et autres s’écartèrent précipitamment lorsqu’un Minotaure gigantesque et armé se fraya un passage dans la pièce. Il avait une énorme hache de guerre en acier attachée dans le dos, et il était suivi de cinq autres aventuriers : trois mages et deux autres guerriers, tous armés jusqu’aux dents.
 
Les Cornes d’Hammerad balayèrent la pièce du regard et repérèrent Ryoka et Garia à l’autre bout de l’auberge. Leur leader se dirigea immédiatement droit sur elles, marchant au milieu d’un espace libéré juste pour lui. Personne ne voulait se mettre en travers du chemin du Minotaure.
 
Persua se moquait toujours de Ryoka et Garia, n’ayant pas entendu les nouveaux venus arriver. Les Coursiers de Rues dans son dos regardaient les aventuriers d’approcher d’un air nerveux, mais ils ne bougèrent pas.
 
Le Minotaure du nom de Calruz s’arrêta devant les Coursiers et les fusilla du regard. Persua se retourna et laissa échapper un cri haut perché en voyant son visage. Il agita un pouce et les pointa du doigt.
 
“Vous. Les Coursiers. Dégagez.”
 
Les Coursiers de Rue échangèrent un regard puis s'écartèrent précipitamment du passage. Calruz renifla d’un air méprisant et leur passa devant sans ménagement.
 
Persua afficha un air dégoûté et se pinça le nez sur son passage. Mais lorsque l’une des mages la fusilla du regard, elle se recroquevilla aussi. Il y avait une différence de statut tacite entre les Coursiers et les Aventuriers, et dès qu’ils comprirent que les Cornes d’Hammerad étaient venus voir Ryoka, ils décidèrent de partir en vitesse.
 
Garia regarda, bouche-bée, les six aventuriers debout devant la table. Ils portaient tous une armure, ou des robes de haute qualité. Les deux guerriers debout derrière Calruz portaient des cottes de mailles scintillantes, et les mages étaient équipés de crosses luisantes et d’une baguette émettant des étincelles flamboyantes éthérées.
 
Ce dernier point inquiétait particulièrement l’aubergiste qui regardait la baguette d’un air nerveux, mais il n’émit pas d’objection à voix haute. Le grand guerrier humain moustachu à côté de Calruz hocha la tête à l’attention de Ryoka et lui adressa un sourire amical.
 
‘Ryoka Griffin ? Nous sommes la compagnie d’aventuriers des Cornes d’Hammerad. Tu nous as sortis d’une situation épineuse la semaine dernière. On peut s’asseoir ?”
 
Ryoka leva les yeux sur la compagnie. Elle n’eut pas l’air trop impressionnée.
 
“Vous me faites de l’ombre.”
 
Le vice-capitaine cligna des yeux. Il échangea un regard avec l’autre guerrier et les mages froncèrent les sourcils, mais le Minotaure éclata de rire.
 
“Hah ! Fougueuse ! Il est bon de voir enfin ce trait chez une Humaine !”
 
Il tendit une main massive et gantelée.
 
“Je suis Calruz des Bériades. Je suis capitaine des Cornes d’Hammerad, une compagnie d’aventuriers locale. Je te suis redevable, Ryoka Griffin. Pouvons-nous nous asseoir ?”
 
Ryoka cligna des yeux face à cette approche directe. Elle réfléchit un instant, puis, réticente, finit par hocher la tête, et serra la main de Calruz.
 
“Très bien.”
 
Immédiatement, les Cornes d’Hammerad se tirèrent des chaises et une autre table pour s’asseoir à côté de Ryoka et Garia. Calruz était obligé de rester perché sur sa chaise qui émettait des craquements de mauvaise augure sous son poids, mais il semblait relativement satisfait.
 
Une fois que tous les aventuriers se furent installés, une serveuse s’approcha et ils commandèrent à boire et à manger. Ryoka n’avait pas faim, et Garia, impressionnée par la tablée, était trop timide pour manger.
 
Entre les allers-retours des serveuses qui apportaient assiettes et boissons, le vice-capitaine se pencha en avant et s’adressa à Ryoka.
 
“Nous te devons une dette de gratitude pour la livraison que tu as faite pour nous il y a une semaine. Sans ça, nous aurions tous été tués par cette saleté de Liche. Grâce à toi, nous sommes parvenus à la tuer et à récupérer beaucoup d'artefacts magiques. Ceria a un nouvel ensemble de robe de mage et elle te le doit.”
 
L’une des mages acquiesça et désigna ses vêtements. Elle portait un assortiment de robes d’un bleu sombre brodés de symboles dorés aux ourlets du tissu luxueux.
 
Cela pouvait sembler crétin de porter un vêtement aussi cher dans une auberge, mais Ryoka remarqua que lorsque Calruz éclaboussa accidentellement la robe en se penchant pour attraper une chope, le liquide se contenta simplement se rouler le long du tissu et de tomber au sol. Elle fut immédiatement impressionnée et se demanda combien coûtait le tissu magique.
 
Garia regardait autour de la table avec des yeux ronds/
 
“J’ai juste entendu dire que Ryoka avait fait une livraison dans les Ruines. C’était important à ce point ?”
 
L’un des guerriers étouffa un rire.
 
“Une livraison ? Hah ! Elle a foncé droit devant la Liche qui nous avait coincés et a laissé les potions en plein milieu du champ de bataille ! Il lui lançait des boules de feu et des éclairs dessus, mais elle a même attiré ses tirs en partant - ce qui nous a laissé une chance de nous regrouper !”
 
Ryoka se tortilla, mal à l’aise, sous le regard béat de Garia. Le problème, dans une auberge, c’est que les gens écoutaient. Elle pouvait déjà voir que d’autres clients tendaient l’oreille pour écouter leur conversation. Elle haussa les épaules.
 
“Faisais juste mon boulot.”
 
“Ton boulot ? Aucun autre Coursier n’aurait pu réaliser un tel exploit. Tu nous as sauvé la vie.”
 
Elle avait du mal à croiser le regard sincère du vice-capitaine. Ryoka haussa les épaules et tritura son jambon lorsqu’il reprit la parole.
 
“Sans les potions, le mieux qu’on aurait pu espérer aurait été de battre en retraite sans perdre trop de membres. Dans les pire des cas, on aurait perdu la moitié de nos membres, et c’était à la condition que la Liche ne nous suive pas.”
 
Calruz acquiesça.
 
“Au lieu de cela, on a réussi à enfoncer le crâne de ce maudit squelette. Le trésor qu’on a récupéré a largement dépassé les coûts de l’expédition. Et pendant que le reste de notre groupe se remet de la bataille, nous sommes ici pour payer notre dette.”
 
Ryoka haussa les sourcils. Minotaures. Honneur ? Les deux termes ne semblaient pas très bien appariés, mais soit Calruz était une exception, ou alors les Minotaures avaient un sens du bien et du mal très prononcé.
 
Le vice-capitaine se racla la gorge d’un air embarrassé.
 
“Nous nous attendions à tomber sur toi, comme nous avions entendu dire que tu étais une Coursière populaire dans le coin. Mais quand nous avons appris pour ta blessure, nous avons décidé de passer te voir ici.”
 
Garia eut l’air surprise. Les Ruines d’Albez étaient loin pour quelqu’un qui n’était pas Coursier.
 
“Vous êtes venus jusqu’ici juste pour ça ?”
 
Calruz acquiesça d’un air impatient.
 
“Bien sûr. Qu’importe la distance ? Mais laisse-nous nous présenter correctement.”
 
Il donna un coup de coude à la mage assise à côté de lui. Elle sursauta et fusilla le Minotaure du regard. La mage hocha la tête en direction de Ryoka et Garia. Elle avait gardé son chapeau à l’intérieur, ce qui était probablement impoli, mais elle le retira et elles comprirent pourquoi.
 
Ses oreilles étaient légèrement pointues, et bien qu’elle eût l’air humaine, la mage paraissait légèrement différente du reste de ses compagnons. Ryoka remarqua que sa peau était… non pas plus pâle, mais subtilement plus vibrante. C’était comme si son corps était simplement plus réel et vivide que le reste du monde. C’était léger, mais plus Ryoka regardait, et plus la sensation s’amplifiait.
 
Ses yeux se dirigèrent sur le visage de la jeune femme. Là encore, ses traits étaient beaux, mais pas d’un seul point de vue esthétique. Ils possédaient une autre dimension qu’elle ne pouvait expliquer et qui s’ajoutait à la nature exotique du visage de la mage. Ryoka s’aperçut que ses yeux étaient jaune pâle, mais elle ne fit pas de commentaire.
 
La mage tendit une main et Ryoka la saisit. Elle n’était pas une elfe. Mais elle n’était pas humaine non plus.
 
Demie-elfe.
 
“Ceria Springwalker.”
 
“.. . Ryoka Griffin.”
 
“Je suis Garia Strongheart. C’est un plaisir de vous rencontrer.”
 
“De même.”
 
Le reste de la compagnie se présenta, mais Ryoka pensait toujours à Ceria. Elle serra machinalement des mains, hochant la tête d’un air impassible alors que la vice-capitaine ne tarissait pas d’éloges sur la manière dont elle les avait sauvés. Elle avait déjà oublié son nom.
 
“Bon, ça suffit maintenant.”
 
Déclara Calruz d’un ton impatient dès que tout le monde eût fini de se présenter. Il pointa du doigt la jambe de Ryoka qui dépassait bizarrement de sous la table.
 
“On n’est pas venus ici pour papoter. Nous sommes liés par notre honneur de payer notre dette, et c’est pour cela que nous sommes ici. Et tu es blessée. Comment est-ce arrivé ?”
 
“Me suis fait rouler dessus par un chariot.”
 
“Quoi ?”
 
Les aventuriers dévisagèrent Ryoka d’un air de franche incrédulité.
 
“Je voudrais bien le croire s’il s’agissait de quelqu’un d’autre, mais une Coursière ? Je croyais que vous étiez rapides.”
 
Ryoka haussa les épaules, peu encline à répondre, et regarda fixement son assiette. D’un air incertain, Garia s’éclaircit la gorge.
 
“Ce n’était… pas vraiment un accident.”
 
Elle devint rouge comme une pivoine lorsque tous les regards des Cornes d’Hammerad se tournèrent vers elle. Calruz tapota d’un doigt sur la table.
 
“Explique-nous, s’il te plaît.”
 
“Eh bien, je ne sais pas vraiment comment expliquer ça, mais Ryoka a en quelque sorte enfreint une règle tacite de la Guilde des Coursiers. Elle a fait cette livraison et ça a énervé pas mal de gens…”
 
“Et ils ont décidé de lui rouler dessus avec un chariot ?”
 
Le vice-capitaine dévisageait Garia d’un air incrédule.
 
“Tu es sérieuse ?”
 
“La plupart d’entre nous n’en avions pas entendu parler avant que cela n’arrive. Mais certains Coursiers des rues et Coursiers… ils font partie d’un groupe qui font appliquer les règles. Je veux dire, ce ne sont pas de vrais règles mais on y obéit tous.”
 
Garia sursauta lorsque le mug que tenait Calruz craqua et se brisa en morceaux sous sa poigne. Il balaya furieusement les éclats de verre d’un revers de la main et serra les dents.
 
“Quelle bande de lâches pathétiques. Je les défierais tous à un duel d’honneur si j’en avais l’occasion.”
 
Ceria secoua la tête en remettant son chapeau.
 
“La loi ne reconnaît pas les duels, et ils s’enfuiraient en courant si tu les regardais de travers dans tous les cas. On dirait que la Guilde des Coursiers est plus politisée qu’il n’y paraît… et on parle ici de politiques dangereuses, si c’est ce qui arrive à celles et ceux qui enfreignent les règles.”
 
Les autres aventuriers murmurèrent et grognèrent de dégoût.
 
“Les coursiers.”
 
“Des vide-poches qui vous poignardent dans le dos.”
 
“Valent à peine l’argent qu’on les paie pour les employer. Et avec leurs taux, je pourrais m’acheter une épée neuve !”
 
Garia semblait vouloir objecter face aux insultes, mais elle n’osa pas. Ils avaient piqué l’intérêt de Ryoka.
 
“Vous n’aimez pas les Coursiers ?”
 
L’un des guerrier secoua la tête.
 
“Toi, on t’aime bien. Et ton amie n’a pas l’air trop mal. Mais le reste d’entre vous ne sont que des ordures en ce qui nous concerne.”
 
“On n’est pas tous comme ça.”
 
Protesta faiblement Garia. Le vice-capitaine et les mages secouèrent la tête.
 
“Tu ne comprends pas, Miss, euh, Garia, c’est bien ça ? La plupart des Coursiers ne font pas de livraisons sur les champs de bataille, et les rares qui le font attendent la fin de la bataille. Même si on est sur le point de mourir, ils ne s’approchent pas avant que tous les monstres n’aient disparu. Et même alors, on doit payer le triple - voire le quintuple de ce qu’on devrait pour des zones qu’on a déjà nettoyées.”
 
“De plus, les Coursiers ne s’intéressent qu’à leur argent, et à rien d’autre. Ils ne s’arrêtent pas pour aider, même en cas d’urgence, sauf si on les paie. Même les aventuriers sont plus intègres que ça.”
 
Les Cornes d’Hammerad grognèrent, mais leur ire n’était pas dirigée en direction de Garia ou Ryoka. Ceria jeta un regard à Garia, qui semblait découragée, et s’éclaircit la gorge.
 
“Ce n’est pas pour dire que tous les Coursiers sont mauvais. Je sais que beaucoup d’entre vous font des livraisons rapides pour des prix raisonnables. C'est juste qu’il y a beaucoup de mauvais Coursiers dans vos Guildes, et c’est principalement à eux qu’on a affaire.”
 
Elle hocha la tête à l’attention de Ryoka.
 
“Ta jambe en est un exemple concret.”
 
Calruz souffla furieusement des naseaux en attrapant une autre chope, effrayant la serveuse.
 
“C’est intolérable. Une bonne Coursière ne devrait pas être handicapée. Vous. Les mages. Est-ce que l’un d’entre vous peut la soigner ?”
 
Ceria regarda la jambe de Ryoka tandis que les autres mages secouaient la tête en signe de dénégation.
 
“Aucun d’entre nous ne connaît de sorts avancés de guérison, Calruz. De plus, la fracture semble compliquée.”
 
Il grogna.
 
“Bon. Et une potion de soin ?”
 
Les mages grimacèrent. Le mage qui tenait la baguette qui faisait des étincelles secoua la tête.
 
“Oh, si. Si tu veux ressouder l’os, ça fonctionnera. Mais soigner de cette manière n’est bon qu’à court terme. J’ai déjà vu des combattants revenir avec des os ressoudés à l’envers, ou décalés par rapport au reste.”
 
“Est-ce que c’est juste un os cassé ?”
 
Ryoka secoua la tête et grimaça.
 
“L’os a été écrasé. Les esquilles sont dans la chair.”
 
Tous les gens attablés - et ceux qui entendaient la conversation - grimacèrent. Ceria, toutefois, acquiesça simplement et posa un doigt sur ses lèvres.
 
“Je me disais bien. S’ils voulaient vraiment te faire du mal, il fallait qu’ils te blessent suffisamment pour que tu ne sois pas en mesure de te soigner facilement.”
 
“Pourquoi est-ce que les potions ne marcheraient pas ? Elles soignent les blessures par lame en quelques secondes. Pourquoi pas les os ?”
 
Ceria haussa les épaules.
 
“Les potions de soin accélèrent simplement les facultés régénératrices de l’organisme. Mais c’est bien trop compliqué pour une potion. Dans ce genre de situation, les seules solutions sont le temps ou la magie.”
 
Ceria regarda Ryoka.
 
“Ce dont tu as besoin, c’est d’un [Guérisseur] de haut niveau... non, mieux, un [Clerc]. S’il y en avait encore, je veux dire. Un [Guérisseur] avec une classe de [Mage] serait l’idéal.”
 
Garia semblait perdue. Ryoka l’était aussi, mais son visage resta impassible.
 
“Quelle est la différence ? Je croyais que c’était tous les deux la même chose.”
 
Là encore, les mages secouèrent la tête. La mage équipée du bâton avec l’orbe luisante dont Ryoka avant oublié le nom répondit.
 
“La plupart des [Guérisseurs] n’utilisent que des herbes et des sorts mineurs pour soigner les blessures. C’est très bien, mais si tu veux soigner ta jambe, il te faudra de la véritable magie, pratiquée par un mage. Et un mage de haut niveau, avec ça.”
 
“Et combien ça me coûterait ?”
 
La mage hésita. Ceria répondit d’un air grave.
 
“Pour quelque chose comme ça… quelques centaines de pièces d’or, minimum. Et ce n’est qu’à la condition de trouver un guérisseur de haut niveau. Et ils sont rares.”
 
Un silence de mort tomba autour de la table. Calruz grimaçait d’un air sombre, et le vice-capitaine secoua la tête avec réticence à son attention.
 
“Dommage.”
 
Ryoka poussa sa chaise en arrière et se leva. Elle s’arrêta en grimaçant lorsque son pied blessé toucha le sol, mais se mit à boiter en direction des escaliers. Garia, affligée, l’appela.
 
“Où vas-tu, Ryoka ?”
 
La fille ne se retourna pas.
 
“Dormir. Je suis fatiguée.”
 
Instantanément, le vice-capitaine se leva d’un bond.
 
“En ce cas, permet-moi de t’aider à monter les escaliers.”
 
Ryoka regarda la montée d’escalier et lui lança un regard.
 
“C’est bon, je gère.”
 
“J’insiste. Je t’en prie, laisse-moi…”
 
“Non.”
 
Le vice-capitaine hésita. Son regard alternait entre les escaliers raides et la jambe de Ryoka, prise dans une attelle et une large couche de bandages. Elle carra sa mâchoire, têtue.
 
“Je n’ai pas besoin d’aide.”
 
“Mais…”
 
“Fous. Moi. La paix.”
 
Ryoka passa entre ses mains tendues et commença à monter les marches, péniblement. Elle avait sa méthode : elle les montait à l’envers de manière à ne pas avoir à bouger sa jambe blessée plus que nécessaire. C’était embarrassant et lent, mais son regard noir dissuada quiconque de l’aider.
 
Penaud, le vice-capitaine retourna s’asseoir à la table. L’autre guerrier lui tapota le dos. Garia s’excusa, gênée.
 
“Désolée. Elle est juste… peu amicale.”
 
“Je l’aime bien.”
 
Tout le monde regarda Calruz. Le Minotaure regardait Ryoka se balancer jusqu’en haut des marches avec approbation.
 
“Elle me rappelle les femelles de mon espèce. Féroces. Celles qui poignarderaient n’importe quel mâle offensant. Bien mieux que ces humaines niaises que je n’arrête pas de rencontrer.”
 
Il se leva. Le vice-capitaine le regarda d’un air inquiet. Ceria se pencha en avant et assena à Calruz un grand coup de poing dans le dos.
 
“Calruz. Je n’irais pas l’embêter si j’étais toi. Les femelles Humaines ne sont pas comme les Minotaures.”
 
Il souffla avec dédain.
 
“Bah. Il suffit d’un peu de courage et de fougue pour la conquérir.”
 
Il renversa sa chaise en arrière et se dirigea vers les escaliers. Le vice-capitaine semblait vouloir dire quelque chose, mais il rata le bon moment pour le faire. Calruz cria par-dessus son épaule.
 
“Ne m’attendez pas. Je vous retrouverai à la Guilde plus tard.”
 
Le reste des aventuriers regardèrent Calruz monter les marches et marmonnèrent entre eux.
 
“Est-ce qu’il faut qu’on aille l’arrêter ?”
 
“Si on essaie, on va se battre. Vous savez ce qui arrive quand il s’énerve.”
 
“Encore une auberge détruite ? On va encore perdre tout l’argent qu’on a gagné !”
 
Les yeux du vice-capitaine se plissèrent. Il vida sa chope et se leva.
 
“C’est inacceptable. Je monte.”
 
Ceria l’attrapa par l’épaule.
 
“Calme-toi, Gerial.”
 
Il la fusilla du regard.
 
“Tu le laisses y aller ? Tu es malade ?”
 
Elle secoua la tête.
 
“Calruz n’est pas idiot. Il connaît la loi. Il partira s’il n’est pas le bienvenu, mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Ryoka Griffin peut se débrouiller. Ou est-ce que tu as oublié pourquoi on est venus ici ?”
 
Il hésita, mais tout le monde dans la grande salle entendit alors le grondement sourd caractéristique de Calruz. D’en bas, Garia entendait la voix agacée de Ryoka. Elle ne la connaissait pas depuis longtemps, mais Garia pouvait deviner ce qu’elle disait.
 
Garia se mit à se ronger les ongles lorsque la voix de Calruz répondit ce qui semblait être une tentative de blague. Ryoka répondit quelque chose d’un ton sec mais il continua de parler.
 
D’un air incertain, Garia se leva. Aucun des aventuriers ne l’arrêta lorsqu’elle se dirigea vers les escaliers et leva la tête. L’humaine et le minotaure étaient debout devant la chambre, en train de se disputer. Ou du moins, Ryoka se disputait et Calruz… flirtait.
 
Ce qui était une très mauvaise idée, d’après Garia. Elle entendit Ryoka répondre vertement à Calruz.
 
“Dégage.”
 
Il répondit quelque chose, et elle le poussa. Comme il portait une armure et faisait au moins quatre-vingt-dix kilos de plus qu’elle, il ne bougea pas. Calruz captura la main de Ryoka dans la sienne. Garia vit Ryoka plisser les yeux.
 
Les clients au rez-de-chaussée entendirent tous les craquement, et le mugissement de rage de Calruz. De son poste d’observation, Garia vit et entendit Ryoka mettre un coup de poing en plein visage au Minotaure puis vit la silhouette de Calruz vaciller au-dessus des escaliers. Elle vit la silhouette massive du Minotaure reculer au ralenti sous l’impact. Il se rattrapa au mur, mais le bois se brisa sous son poids.
 
Si. Si Calruz n’avait pas insisté pour porter son armure de plates. Si Ryoka ne l’avait pas cogné aussi fort. Si l’auberge avait été plus récente, pas si vieille. Mais il n’y eut pas de si. Calruz bascula en arrière dans les escaliers dans un crash terrifiant de métal sur du bois, faisant éclater les marches en bois et défonçant le plancher là où il atterrit.
 
Tout le monde dévisagea le Minotaure étalé au sol alors qu’il gardait les yeux fixés sur le plafond. La moitié des clients de l’auberge étaient déjà en train de fuir, tandis que l’autre moitié attendait de voir le bain de sang qui allait suivre.
 
Au sommet de l’escalier, Ryoka leva son majeur, fit un doigt d’honneur au Minotaure en guise de salut, puis boita jusqu'à sa chambre. La porte claqua derrière elle.
 
Calruz cligna des yeux tandis que le reste des éclats d’escaliers pleuvaient autour de lui et l’aubergiste poussa un cri d’horreur. Il regarda Garia et le reste de sa compagnie d’un air perplexe. Puis il sourit.
 
“Puissante. Je l’aime vraiment beaucoup.”
 
« Modifié: 29 mars 2020 à 19:25:22 par Maroti »

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #38 le: 14 mars 2020 à 15:05:40 »
Malheureusement, l'Ecosse vient de prendre les mêmes mesures pour lutter contre le Coronavirus qu'en France. Cela veut dire que mes cours sont annulé et viennent d'être remplacé par des dissertations à rendre et que la majorité de mes examens viennent de changer de date. J'ai déjà utilisé mes chapitres d'avance, mais je vais devoir changer mon planning pour le mois de Mars.

Cela veut dire, pas de chapitre pour aujourd'hui, désolé! Je me rattraperai la semaine prochaine, j'espère.

Soyez prudent et lavez-vous les mains!

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #39 le: 25 mars 2020 à 15:18:19 »
R 1.05
Traduit par EllieVia

Ryoka s’effondra sur son lit à peine la porte claquée. Un mugissement emplissait ses oreilles et une vague noire semblait vouloir engloutir ses yeux.
 La douleur. Elle revenait.
 Elle serait volontiers restée allongée là, mais la douleur la força à bouger. Il n’y avait qu’un moyen de la soulager.
Ryoka tituba jusqu'à un coffre au pied de son lit. Elle commença à se débattre avec la poignée avant de réaliser qu’il était fermé à clef. La clef. Ou était la putain de clef ?
 
Les ténèbres l’entouraient et la douleur ne faisait qu’empirer. Ryoka avait à peine terminé d’ouvrir le verrou qu’elle eut un haut-le-corps et faillit vomir. Elle avait mal.
 
Dans le coffre se trouvaient un rouleau de bandages d’un aspect étrange et quelques potions vertes. Ryoka se rua sur elles et débouchonna une bouteille.
 
Adossée à son lit, elle étendit sa jambe blessée le plus possible. Les bandages étaient rougis de sang, à présent, et la chair commençait à enfler. Elle avait trop forcé.
 
Précautionneusement, manquant s’évanouir de douleur, Ryoka versa le liquide vert sur sa jambe et se retint de crier. Mais les effets furent instantanés.
 
La douleur… disparut. Pendant un instant, un merveilleux instant, Ryoka put se détendre. Elle regarda avec une sérénité béate sa jambe se dégonfler, la peau éclatée et les chairs torturées se refermer sous le bandage.
 
Mais son répit fut de courte durée. Quelques secondes plus tard, la douleur se réinstalla dans la zone. Une agonie mordante, terrifiante.
 
Les os. Les esquilles d’os qui ne pouvaient guérir. Ils perçaient ses chairs, empêchaient la guérison. Ryoka regarda fixement sa jambe. Elle lui faisait mal, mais beaucoup moins à présent. Du moins, pour le moment. Elle avait quelques heures devant elle, voire une demi-journée, selon ce qu’elle infligerait à sa jambe, avant que ses chairs se déchirent et que…
 
Le pansement était complètement trempé de sang, à présent, mais Ryoka n’osait pas le changer. Il était tout ce qui rattachait le reste de sa jambe à son corps.
 
De la magie. Elle la sentait agir sous les couches de tissu. La bande de tissu lui avait coûté quoi, dix pièces d’or ? Encore plus cher que les potions de soin. Mais les coutures étaient infusées de magie, ou du moins c’était ce que la [Guérisseuse] avait affirmé. Et elle le sentait. Le pansement était l’unique raison pour laquelle elle pouvait encore se déplacer, sans parler de garder sa jambe… en un seul morceau.
 
La magie dont le bandage était imbibé lui offrait de la stabilité, une structure, et empêchait que la blessure s’aggrave. Le pansement anesthésiait la zone sous son genou, et maintenait sa jambe en place, ce qui lui permettait de se déplacer. Et tant qu’elle continuait à appliquer la potion de soin toutes les heures, elle pouvait faire abstraction des dégâts.
 
Mais la magie finissait toujours par s’épuiser. Et alors sa jambe se remettait à enfler, et si elle la laissait faire trop longtemps, elle finirait par se gangrener.
 
Des bandages magiques et des potions de soin. Ryoka cogna sa tête contre le pied du lit. Ils maintenaient tout juste ses blessures sous contrôle, mais ne pouvaient pas les guérir. Ils n’étaient là que pour lui faire gagner du temps. Du temps, pour qu’elle puisse trouver un moyen de se soigner…
 
Ou perdre sa jambe
 
Elle ne sentait plus rien, à présent. C’était surtout le moignon écrasé juste au-dessus de sa rotule qui la mettait à l’agonie dès qu’elle bougeait. Mais son pied et la partie inférieure de sa jambe ?
 
Rien.
 
La [Guérisseuse] l’avait assurée que les deux morceaux étaient toujours reliés, et que la partie inférieure resterait vivante tant qu’elle continuerait de la tartiner de potion, mais il n’y avait aucune chance que cela guérisse tout seul. Les dégâts étaient trop importants.
 
Peut-être qu’un chirurgien pourrait la soigner. Un de son monde. Il aurait pu réaligner les os et les connecter avec des broches. Si elle avait eu accès à un hôpital, elle aurait eu une chance. Mais ici ?
 
Ryoka enfouit son visage dans ses mains. Garia ne cessait de suggérer de meilleures [Guérisseuses], ou parlait de ses blessures comme de quelque chose qui finirait par guérir avec le temps. Mais Ryoka n’avait pas ce temps-là.
 
“Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans “os broyé” ?”
 
Garia ne comprenait pas. Mais elle n’avait pas vu la jambe de Ryoka quelques instants après l’accident. Elle n’avait pas vu à quel point ce n’était plus attaché, plus solide. Les aventuriers comprenaient.
 
Un os broyé. Un os brisé en mille morceaux. Pas une fêlure, ou une fracture. Ce n’était pas comme si on pouvait se contenter de rejoindre les deux bouts. La jambe droite de Ryoka n’était plus qu’une masse d’esquilles d’os sans espoir de jamais se ressouder.
 
D’un point de vue médical, la réponse était simple. Elle n’aurait pas eu d’autre solution jusqu'à l’époque moderne. Et même là… ses jambes n’auraient plus jamais été les mêmes. Ryoka savait ce qu’il fallait faire. Ils le lui avaient dit lorsqu’elle était assise, en état de choc, tandis que la [Guérisseuse] versait des potions sur sa jambe en tentant de préserver les chairs.
 
L’amputation. Soit ça, soit un sort qu’elle ne pouvait se permettre.
 
Pendant un instant, elle espéra que tout cela n’était que le fruit de son imagination. Elle avait acheté la bande chez la [Guérisseuse], dépensé toutes ses économies pour acheter assez de potions de soin pour la soigner jusqu’à aujourd’hui, et prié pour que sa jambe commence à guérir. Mais chaque jour s’écoulait dans le sang et la douleur, et aucun répit.
 
Personne ne pouvait l’aider. Ryoka le savait. Garia voulait l’aider, et même les Cornes d’Hammerad étaient passés la voir. Mais que pouvaient-ils faire ? Cent… non, des centaines de pièces d’or. Pourquoi les laisser s’inquiéter ? Pourquoi gaspiller de l’énergie à les rassurer avec des mots inutiles ?
 
Donc Ryoka faisait semblant de ne pas s’inquiéter et se débrouillait seule. Par fierté. Parce qu’elle ne voulait pas avoir l’air faible… parce que même cela, c’était de la faiblesse.
 
Parce que personne ne pouvait faire quoi que ce soit pour l’aider.
 
Ryoka posa sa tête sur son bras. La douleur. Oublie-la. Ils ont dit que ce serait rapide. Non. Mais c’est la seule option. Il lui restait… trois potions. Assez pour un jour ou deux. Et alors, elle n’aurait plus d’argent, ni de temps. À moins qu’elle puisse payer. Mais elle n’avait pas d’argent.
 
Elle connaissait bien quelqu’un qui avait des milliers, des dizaines de milliers de pièces d’or, pas vrai ? Bien sûr. Et c’était jouable. Il lui restait une chance.
 
Mais le prix à payer…
 
Ah, le prix.
 
Ryoka ferma les yeux. Damnation. C’était le prix. Et elle n’était pas encore sûre que sa jambe en vaille la peine.  Elle y avait beaucoup réfléchi. Et elle n’en était toujours pas sûre. Mais elle voulait savoir le prix. Et pour cela, elle devait négocier.
 
Donc ce que Ryoka faisait, en réalité, ce à quoi elle réfléchissait, assise dans une flaque humide de potion de soin et de sang, était à rien. Rien. Elle pouvait s’inquiéter, angoisser, et elle avait peur, et mal, mais il n’y avait rien qu’elle puisse réellement faire. Tout ce qu’elle faisait, en vérité, derrière tout cela, c’était attendre.
 
Attendre. Attendre qu’elle arrive. Attendre de faire un choix.
 
Dans son esprit, elle pouvait sentir le vent sur son visage et sentir le sol voler sous ses pieds. Dans son esprit, elle pouvait voir les conséquences de ses choix.
 
Un monde englouti par les flammes. Les morts empilés. La guerre, sans fin et putride. C’était le prix.
 
Ryoka ferma les yeux et tenta de retenir ses larmes.
 
____
 
Le temps que Garia parvienne à sortir de l’auberge et à revenir à la Guilde des Coursiers, c’était déjà le soir. Elle avait eu le temps d’absorber une grande quantité de liquides, principalement alcoolisés.
 
Garia avait une très forte tolérance à l’alcool, donc elle se contentait de tituber de temps en temps en trottinant jusqu’à la Guilde. Elle n’avait pas l’intention de faire de livraison, bien entendu : ce serait dangereux avec la lumière déclinante, même sans être en état d’ébriété, mais elle voulait récupérer son argent de la semaine. Ses fonds s’étaient brutalement amenuisés après qu’elle eut insisté pour payer son repas.
 
Elle avait laissé le reste des Cornes d’Hammerad dans l’auberge à moitié détruite, en train de boire et de réfléchir à des solutions pour Ryoka. Garia n’avait entendu parler des Cornes que comme d’une de ces bandes d’aventuriers pleine d’avenir, mais elle n’avait pas vraiment prêté foi aux rumeurs selon laquelle ils étaient tous liés par l’honneur comme leur leader.
 
Bon, tout le monde savait que les Minotaures étaient censés être honorables, mais c’était difficile à croire quand on en voyait un de près. Le serment d’un Minotaure était aussi fort que celui d’un Chevalier, en théorie, mais comment associer ça à leurs têtes de vaches et leurs tempéraments féroces ? Mais Calruz n’avait pas été trop violent - il avait même payé pour tous les dégâts qu’il avait causé.
 
C’était étrange. Garia pouvait probablement compter les non-humains qu’elle avait croisés, sans parler de rencontrer, dans sa vie sur les doigts des mains. Si loin au nord, on ne voyait pas d’autres races, pas même des Drakéïdes ou des Gnolls. Mais Calruz lui avait paru tellement… tellement humain.
 
Et il était amoureux de Ryoka. Et Garia n’allait pas réfléchir à ce détail. Au lieu de cela, elle allait ouvrir la porte de la Guilde des Coursiers sans s’étaler par terre et entrer.
 
La plupart des Coursiers levèrent les yeux puis ignorèrent Garia lorsqu’elle entra. Elle n’était pas spécialement influente dans la Guilde, mais les gens l’aimaient assez, et personne ne l’embêtait. C’était ce qui lui convenait. Passer inaperçue était plus sûr.
 
Garia remarqua un attroupement autour du comptoir de la réceptionniste, et son cœur se serra. Sa faible réputation impliquait aussi qu’on ne s’occuperait pas d’elle avant d’avoir réglé le problème en cours. Maussade, Garia était en train d’aller s’asseoir à une table lorsqu’une voix l’appela.
 
“Garia ! Comment se porte ma Coursière préférée ?”
 
Le coeur de Garia manqua un battement puis accéléra subitement lorsqu’elle reconnut la voix. Fals. Elle se retourna et lui adressa ce qu’elle espérait être un regard agacé.
 
“Je parie que tu dis ça à tous les Coursiers, Fals.”
 
“Juste à ceux que j’aime bien.”
 
Fals s’approcha et lui sourit. Il était beau et grand, et Garia aperçut plusieurs Coursières lui lancer un regard noir en le voyant s’avancer vers elle.  Elle essaya de ne pas lui rendre son sourire trop vite.
 
“Tu as fini tes livraisons pour aujourd’hui ?”
 
“Yup. Rien d’extraordinaire ; j’ai fait quelques allers-retours à Lindol, mais c’est tout. Et toi ? Tu viens prendre une requête de fin de soirée ?”
 
Garia secoua la tête en signe de dénégation.
 
“Je viens juste récupérer ma paie. Tu sais ce qu’il se passe ?”
 
Elle montra du doigt le groupe de Coursiers et de personnel de la Guilde des Coursiers agglutinés autour du comptoir, se disputant d’un air paniqué. Fals fit la moue.
 
“Tu ne vas pas y croire, mais Lady Magnolia a commandé une livraison il y a quelques jours. Le problème, c’est qu’elle ne veut qu’une seule Coursière pour le job. Devine qui ?”
 
Garia ne prit même pas le temps de réfléchir.
 
“Ryoka. Oh. Et que lui a répondu la Guilde ?”
 
“Oh, je ne connais pas les détails…”
 
Fals agita la main d’un air modeste, mais il jouait la comédie. Garia n’avait aucun doute qu’il savait parfaitement ce qui avait été dit, et avait probablement aidé à écrire la missive. Lui était l’un des Coursiers avec le plus d’influence de toutes les cités-États du nord et les Maîtres de Guildes locaux l’écoutaient.
 
“La Guilde a dit que Ryoka était indisposée. Nous n’avons cessé de proposer des Coursiers pour la remplacer, mais Magnolia a insisté qu’elle ne voulait que Ryoka. Et là… eh bien, on dirait qu’elle est venue en personne réclamer des explications il y a de cela quelques minutes. J’étais sur le point d’aller voir ce qu’il se passait. Tu veux venir écouter ?”
 
Garia hésita. Ce n’était sans doute pas très sage de se mettre sous le feu des projecteurs… mais là encore, c’était Fals qui menait la danse. Elle acquiesça donc et le suivit à travers la pièce.
 
Fals siffla en passant devant le panneau plein à craquer de demandes de livraisons. Il s’arrêta et pointa du doigt une anonyme que Garia reconnut.
 
“Wow. Regarde cette requête anonyme. La personne qui l’a mise offre vingt pièces d’or pour une livraison.”
 
Garia regarda plus attentivement la requête.
 
“C’est la même qu’il y a une semaine. Pourquoi n’a-t-elle pas encore été prise ? J’aurais pensé que tu sauterais sur l’occasion, Fals.”
 
Il secoua la tête.
 
“Tu plaisantes ? Je tiens à ma vie. Tu n’as pas vu l'adresse ? Les Grandes Passes. C’est un piège mortel pour n’importe qui.”
 
“Même pour toi ?”
 
Il fit mine de la regarder d’un œil noir.
 
“Même pour moi. Pour d’importe quel Coursier qui la prendrait. J’espère que personne ne sera assez stupide pour aller là-bas, mais avec cette récompense… Je pense qu’on risque d’en perdre quelques-uns.”
 
“Alors qui la fera ?”
 
“Sais pas. Peut-être un Courrier si la récompense continue de grimper. Mais même un [Coursier] avec un niveau décent n’est pas assez rapide pour éviter tous les monstres du coin. Peut-être que celui qui l’a postée abandonnera l’idée dans un mois ou deux.”
 
Il haussa les épaules.
 
“Mais honnêtement, même s’il doublait la récompense, aucun Coursier sain d’esprit ne se risquerait à faire ce genre de livraison. Le profit, c’est important, mais nos vies valent bien plus que ça.”
 
Garia se souvint des propos qu’avait tenu l’un des aventuriers. Elle fronça les sourcils.
 
“Fals ? Je sais que tu es l’un de nos meilleurs Coursiers, mais pourquoi n’y en a-t-il pas des plus vieux que toi ? Tu n’as que vingt-deux ans…”
 
“Vingt-trois. Je vieillis, Garia. Inutile de remuer le couteau dans la plaie.”
 
Elle rougit et essaya de ne pas bégayer.
 
“... Vingt-trois, alors. Mais pourquoi n’y a-t-il pas d’autres Coursiers ? Je sais que beaucoup d’entre nous meurent ou se font blesser, mais il devrait y en avoir plus, non ?”
 
Fals réfléchit à la question. Il soupira, et passa sa main entre ses boucles blondes.
 
“Nous n’avons pas plus de Coursiers expérimentés parce que personne ne vit vieux en faisant ce boulot. Nous sommes les seules personnes assez folles pour faire des livraisons. La plupart des gens changent de classes une fois qu’ils ont gagné suffisamment d’argent.”
 
“J’ai entendu dire que les Coursiers n’en ont qu’après l’argent.”
 
Fals la dévisagea d’un air sévère.
 
“Qui t’a dit ça, Garia ?”
 
Il n’attendit pas sa réponse.
 
“Qu’importe. Okay, d’accord, beaucoup de Coursiers veulent seulement gagner de l’argent. Mais c’est normal, non ? Les aventuriers, les commerçants, les marchands… même les nobles s’intéressent à l’argent. Pourquoi ne devrions-nous pas faire payer nos services et faire les bonnes livraisons en priorité ? On a un boulot difficile ! Et on risque nos vies tous les jours, fuyant les monstres, affrontant le mauvais temps, les catastrophes naturelles… c’est suffisant pour que la plupart des gens abandonnent dès la première semaine.”
 
Il se frappa le torse.
 
“Mais nous... Nous sommes des Coursiers. On n’abandonne pas ! Tous ceux qui dépassent la première année sont de véritables Coursiers, Garia. Nous sommes ceux qui maintiennent les cités du nord… non, le monde entier connecté. Sans nous, rien ne serait fait dans les temps. Donc si les gens nous traitent de grippe-sous, laisse-les faire. Nous avons notre propre honneur et on mérite chaque pièce qu’on reçoit, pas vrai ?”
 
Ses mots allumèrent une étincelle dans le cœur de Garia, et dans celui de tous les Coursiers à portée de voix. Elle acquiesça avec enthousiasme lorsque d’autres Coursiers se mirent à acclamer Fals.
 
“Ça, c’est notre chef des Coursiers !”
 
“Pas étonnant que tu sois le meilleur des cités !”
 
Persua apparut de nulle part et battit des cils à l’attention de Fals. Garia sursauta lorsque la jeune femme menue sourit et se mit à flatter Fals avec son troupeau de Coursiers des Rues, écartant Garia du chemin.
 
“Pas étonnant qu’ils t’appellent Fals au Pied Léger !”
 
Il sourit et secoua la tête.
 
“C’est un vieux surnom, les gars. Et puis, Ryoka est plus rapide. Je me demande si elle a une compétence particulière ?”
 
Le visage de Persua s’aigrit. Garia se gratta la tête.
 
“Maintenant que tu le dis… elle n’a jamais dit à quel niveau elle était. Mais elle doit être de haut niveau.”
 
“Bah, elle a beau être rapide, elle ne court pas en ce moment, pas vrai ? Et puis, elle est tellement désagréable. Qui voudrait d’une Coursière comme elle qui ne sourit jamais ?”
 
Garia grimaça sous le regard noir que lui lança Persua par-dessus l’épaule de Fals. Pour sa part, Fals fit la moue et se déplaça délibérément à côté de Garia, l’empêchant de se faire pousser plus loin.
 
“Oui, bon. À ce sujet. Je sais que Ryoka a enfreint quelques règles récemment, mais ‘est une bonne coursière. Et on a besoin de tous les Coursiers possibles.”
 
Il sourit à Persua, et la jeune fille soupira et rougit lorsqu’il croisa son regard.
 
“Donc… Persua. Je ne veux pas que toi ou tes amis aillent encore embêter Ryoka, d’accord ?”
 
Elle fit la moue et bouda, mais finit par adresser un sourire mielleux à Fals. Il se retourna avec une légère grimace qu’elle ne sembla pas remarquer.
 
“Tout ce que tu voudras, Fals. Non pas que nous ayons fait quoi que ce soit à Ryoka. Elle a juste eu un… accident.”
 
“Eh bien, faisons-en sorte que cela ne se reproduise pas, c’est clair ? On est tous du même côté, pas vrai ?”
 
Les autres Coursiers acquiescèrent et exprimèrent leur accord. Fals fit le tour de la pièce, serrant des mains et tapant des Coursiers dans le dos. Il finit par se débarrasser de Persua en sous-entendant qu’elle et ses sbires sentaient la sueur, et Garia et lui finirent par enfin se retrouver de nouveau seuls. Il soupira, mais sourit à Garia.
 
“Tu vois ce que je veux dire, non ? On ne peut pas se permettre d’être divisés. On doit se serrer les coudes, entre Coursiers.”
 
Garia le fusilla du regard. Elle chuchota du coin des lèvres.
 
“Tu sais qu’elle est à l’origine de l’accident. Tout le monde le sait.”
 
Il parut mal à l’aise. Fals donna un coup de pied par terre de ses pieds chaussés de coûteuses chaussures en cuir et soupira. Il se peigna les cheveux d’une main en répondant à Garia.
 
“Ryoka a enfreint une règle. Ils n’auraient pas dû aller si loin, mais je l’avais prévenue. On doit travailler ensemble, Garia. Même si l’un d’entre nous est plus rapide, c’est mieux de partager les richesses que d'entrer en compétition. Tu es nouvelle, mais tu l’avais compris. Ryoka, non. Et à présent… à présent, nous avons des ennuis avec Lady Magnolia et il nous manque une Coursière.”
 
Cette réponse mit Garia mal à l’aise. Elle grimaça et dévisagea Fals d’un air appuyé. Mais quand il croisa son regard avec un sourire piteux et haussa les épaules, elle rougit et détourna le regard.
 
“Je n’aime quand même pas ça. Persua est folle. Ryoka ne pourra pas courir pendant au moins un an ! Même avec des potions pour l’aider à guérir ! Tu as vu sa jambe ?”
 
Fals hésita.
 
“J’ai entendu dire que c’était juste une méchante fracture que les [Guérisseurs] ne peuvent pas soigner tout de suite. C’est pire que ça ?”
 
Garia eut l’air misérable en secouant la tête.
 
“Je ne sais pas. Je ne suis pas une experte, et elle l’a entourée d’un tas de bandages. Ils ont l’air magique, cependant, et… et j’ai rencontré une mage qui a dit que la seule manière pour elle de guérir était de payer des centaines de pièces d’or pour avoir un [Guérisseur] de haut niveau.”
 
Il siffla entre ses dents.
 
“C’est… non ! Je ne peux pas le croire ! Ils m’avaient dit qu’ils n’iraient pas…”
 
Garia interrompit Fals.
 
“Tu savais ? Tu savais et… Je n’arrive pas à croire que tu aies pu faire ça, Fals !”
 
Garia haussa la voix, incrédule. Elle avança sur Fals en serrant les poings. Il leva ses mains, sur la défensive, en reculant vers le comptoir.
 
“Je n’avais pas le choix ! Écoute, tu sais comment sont Persua et ses amis. Je leur ai dit de ne rien faire de drastique, mais même si je les avais arrêtés, un autre Coursier aurait organisé quelque chose. Tu connais les règles, Garia. Tu te souviens de Perial, quand il avait désobéi ?”
 
Garia se souvenait de Perial. Elle ne se souvenait plus de ce qu’il avait fait de mal, mais elle se souvenait qu’une bande de Coursiers avait jeté une des clous rouillés sur son chemin et l’avait forcé à courir dessus.
 
Fals ferma les yeux, fort, et les rouvrit. Il avait l'air fatigué.
 
“Okay. Ça change des choses. Écoute, Garia. Je… je vais parler au Maître de la Guilde quand je l’aurai vue de mes propres yeux. Persua est allé trop loin, même si Ryoka a enfreint les règles.”
 
“Ça ne guérira pas sa jambe.”
 
“Non, mais c’est tout ce que je peux faire. D’accord ? Et je n’ai jamais entendu parler d’une blessure qui demanderait un sort à plusieurs centaines de pièces d’or, Garia. J’irai voir Ryoka en personne, mais même si ses os sont trop cassés pour être soignés par une potion de soin, ça ne peut pas être si grave que ça, si ?”
 
“C’est grave.”
 
“On verra. Je connais plusieurs excellents [Guérisseurs] et même un [Mage] qui me doit une faveur. Si Ryoka est vraiment grièvement blessée, je ferai appel à plusieurs faveurs et je ferai en sorte que la Guilde aide. Elle sera sur pied à la fin du mois, je te le promets. Mais maintenant, peut-on aller voir de quoi il retourne ?”
 
Garia acquiesça. Elle se sentait soulagée après la promesse de Fals. Il tenait toujours parole. Elle le suivit jusqu’au comptoir au milieu de la foule qui s’écartait sur son passage. Fals s’adressa à la réceptionniste qui paraissait harassée.
 
“Qu’est-ce qu’il se passe ? Magnolia pose encore des problèmes ?”
 
“Des problèmes ? Oh oui, c’est sûr qu’on a des problèmes.”
 
La réceptionniste éclata d’un rire quelque peu hystérique.
 
“Lady Magnolia était là il y a une demi-heure. Elle est venue en personne se plaindre au Maître de Guilde, mais il était sorti ! Elle voulait savoir où était Ryoka, et quand elle a entendu dire qu’elle avait été blessée, elle n’était pas ravie. Elle a même suggéré qu’elle allait peut-être arrêter de passer par notre Guilde !”
 
Garia et Fals la dévisagèrent avec horreur. Lady Magnolia était l’une des clientes les plus importantes de la Guilde. Sans parler du fait qu’elle était influente. Les gens connaissaient son nom même à l’autre bout du continent.
 
“Elle voulait autre chose ?”
 
“Elle voulait savoir où était Ryoka en ce moment. Heureusement, on savait au moins son adresse donc elle était à peu près satisfaite, mais est-ce que cela suffira ? Si elle cesse de passer des commandes…”
 
Garia l’interrompit précipitamment.
 
“Attends, elle voulait savoir où était Ryoka ?”
 
La réceptionniste cligna des yeux. Normalement, Garia aurait été rapidement ignorée, mais Fals était avec elle.
 
“Oui, elle voulait savoir.”
 
“Et tu lui as dit ?”
 
La réceptionniste répondit sur la défensive devant le ton accusateur de Garia.
 
“Quoi ? C’est dans l’intérêt de la guilde de la satisfaire. Si elle veut savoir où se trouve un de nos Coursiers, on le lui dit.”
 
“Mais elle voulait Ryoka ! Et si elle sait où elle est, elle va aller la voir !”
 
Fals grogna et se tira les cheveux. Il regarda frénétiquement autour de lui, mais Magnolia était partie depuis longtemps.
 
“Tu as déjà rencontré Ryoka ? Tu te souviens de ce qu’il s’est passé quand elle a rencontré le Maître de Guilde ? Elle ne respecte personne ! Si Magnolia débarque, elle va probablement la faire sortir de sa chambre ! Ou… ou…”
 
“Lui mettre un coup de poing.”
 
Fals se tourna vers Garia.
 
“Non. Elle ne ferait pas ça. Personne ne serait assez fou pour frapper… elle ne ferait pas ça.”
 
Garia eut l’air nerveuse.
 
“Elle a cogné un Minotaure quand il a essayé d’entrer dans sa chambre ce matin.”
 
Fals et la réceptionniste pâlirent.
 
“On doit l’arrêter. Ou arrêter Ryoka.”
 
“Suis-moi !”
 
Garia fit volte-face et se rua hors de la Guilde, Fals sur ses talons. Elle n’était pas du genre à prier, mais Garia pria tout de même que Ryoka resterait courtoise, ou au moins acceptable, jusqu’à ce qu’ils arrivent. Elle n’avait toutefois pas beaucoup d’espoir.
 
Elle connaissait Ryoka.
 
________
 
Lady Magnolia était assise dans la petite chambre confinée de la Queue de Rat, une auberge modérément prospère de la cité de Celum. Elle n’était clairement pas à sa place ici. Pour commencer, sa riche robe rose pâle, lacée, à motifs, parsemée de broderies florales coûtait probablement plus cher que l’auberge en question.
 
Mais elle était assise sur le fauteuil bancal que l’aubergiste avait apporté en personne dans la chambre de Ryoka, et semblait parfaitement satisfaite tandis qu’elle discutait avec l’occupante de la chambre. Derrière elle, Ressa l’intendante était debout dans un coin de la pièce, ses yeux lançant des éclairs sur la pauvreté, la saleté incrustée sous le rebord de la fenêtre, et Ryoka elle-même.
 
“Ma chère, j’ai vraiment reçu un choc en apprenant que tu avais eu un accident. Ne veux-tu donc pas m’expliquer ce qu’il s’est passé ?”
 
“Je m’ennuyais donc j’ai joué au chat avec un chariot.”
 
“Tu es toujours débordante de réponses originales, n’est-ce pas Ryoka ? Je ne peux imaginer comment tu arrives à plaisanter face à une telle blessure.”
 
Non pas que Lady Magnolia ait réellement vu la blessure en question, songea Ryoka. Elle était allongée sur son lit, ses draps enroulés autour de sa jambe. Magnolia était entrée alors qu’elle se reposait, et Ryoka n’avait pas encore pu dérouler la housse de protection qu’elle avait improvisée pour sa jambe blessée.
 
En la voyant s’agiter, Lady Magnolia leva rapidement une main.
 
“Inutile de te redresser, Ryoka. J’imagine que tu dois souffrir énormément, même si tu utilises des potions de soin. Non, je voulais simplement te parler.”
 
“Me proposer un marché, vous voulez dire.”
 
Lady Magnolia cligna des yeux, mais son sourire sincère revint aussitôt.
 
“Tu comprends vite, à ce que je vois. Eh bien, oui, s’il faut le dire de manière aussi inélégante, je souhaite te proposer un marché. Quand j’ai entendu parler de ta blessure, tu peux être certaine que j’ai été époustouflée et plus qu’offensée - surtout que j’ai cru comprendre que l’événement en question était arrivé à deux pas de mon manoir après son départ.”
 
“Vous avez mis du temps à l’apprendre ?”
 
Une fois encore, le sourire sur le visage de Magnolia vacilla pendant un très bref instant avant de revenir, plus éclatant que jamais. Il aurait fallu être vraiment aux aguets pour le remarquer, et Ryoka l’était.
 
“La Guilde des Coursiers a été… très peu coopérative en ce qui concerne ton état, et pour me fournir une explication sur la manière dont tu as été blessée. Je continue à mener discrètement mon enquête, mais j’aurai mes réponses, fais-moi confiance. Mais ce n’est pas la raison de ma venue. Je souhaite…”
 
“Vous voulez me proposer un marché pour soigner ma jambe, pas vrai ?”
 
Ryoka déplaça discrètement son poids sur le lit tandis que Lady Magnolia clignait de nouveau des yeux avant de se remettre. Elle ignora la servante qui la fusillait du regard et se souvint qu’elle ne devait pas se montrer si impatiente. Cela aurait pu être drôle si elle n’avait pas eu si mal. Mais Lady Magnolia avait beau être une aristocrate rusée et une fine politicienne, elle n’était pas aussi imprévisible qu’elle voulait bien le croire. Dommage que rien ne semblait la dérouter.
 
“Eh bien en ce cas, laisse-moi passer directement aux détails, Ryoka. Je comprends qu’étant donné que tu es toujours blessée, les potions de soin ne fonctionnent pas. Et j’ai... disons une amie - capable de jeter [Reconstitution] ainsi que d’autres sorts d’échelon 6.”
 
Le visage de Ryoka demeura impassible alors qu’elle tentait de comprendre ce que cela voulait dire. Clairement, c’était impressionnant, mais que venait-elle de dire à propos de la magie ? Puis elle se souvint.
 
La Magie à Échelons. Elle contrastait fortement avec la magie indisciplinée, quoi que cela puisse être.  Mais d’après ce que Ryoka avait lu dans sa très brève introduction à la magie, la Magie Échelonnée organisait la magie en… échelons.
 
Ce qui signifiait qu’un sort accessible à tous les mages était considéré comme de la magie d’échelon 1 ou 0, alors qu’un sort d’échelon 2 était plus puissant, et requérait un meilleur mage et de plus longues années d’étude pour l’apprendre. L’échelon 3 était le maximum pour la plupart des mages, et ils ne connaissaient généralement qu’un ou deux sorts de ce niveau. Tout ce qui était plus haut était considéré comme de la magie extrêmement puissante, d’une force exponentiellement supérieure, tout comme la difficulté d’apprentissage.
 
Ce qui signifiait présumablement que l’amie de Magnolia était une mage incroyable, mais le livre disait que des mages de faible niveau pouvait jeter des sorts d’un échelon supérieur s’ils avaient assez de pratique et de temps. Ce qui voulait aussi dire que cette mystérieuse amie était probablement extrêmement puissante.
 
Les yeux de Ryoka se plissèrent. Magnolia lui adressa un sourire éclatant.
 
“J’imagine que je dois être impressionnée ? Mais si votre amie est si puissante, pourquoi ne puis-je aller la voir toute seule ?”
 
“Eh bien, elle est très occupée, comme on peut s’y attendre de quelqu’un ayant accès à ce genre de magie. Et je dois bien admettre… qu’il s’agirait d’un véritable exploit d’obtenir une audience avec elle, sans parler de la persuader de d’exécuter un sort aussi épuisant.”
 
“Mais vous pouvez le faire.”
 
“Disons simplement qu’elle me doit quelques faveurs.”
 
Ryoka leva les yeux au ciel.
 
“Et vous voulez quelque chose en retour. Venez-en au fait.”
 
Ressa rétorqua sèchement à Ryoka depuis son poste derrière Lady Magnolia.
 
“Soyez respectueuse ! Vous vous adressez à une Lady de l’une des cinq Maisons Fondatrices et…”
 
“Ressa, je t’en prie.”
 
Ryoka dénuda les dents pendant que Magnolia calmait sa servante. Elle regarda Ressa droit dans les yeux tandis que la servante à l’allure sévère tentait de la faire s’évaporer en fumée du regard.
 
“Est-ce que votre servante sait se battre ?”
 
Lady Magnolia cilla d’amusement.
 
“Ressa est relativement douée dans un grand nombre de matières, ma chère Ryoka. Parmi ces dernières se trouve en effet un talent pour gérer les invités aux manières fâcheuses, je dois bien l’admettre.”
 
“Et pour éliminer la vermine qui s’approcherait trop de ma lady.”
Lady Magnolia émit un tsk désapprobateur, mais Ryoka se contenta de déplacer son poids sur le lit.
 
“Allez-y, balancez le deal.”
 
Le regard de Ressa suggérait que si Lady Magnolia sortait de la pièce - ou se contentait de tourner la tête pendant une minute, la pièce connaîtrait une bonne dose de violence. Mais là encore, Magnolia agita une main nonchalante.
 
“Je n’essayerais pas, ma chère Ressa. Je crois bien que cela pourrait se retourner contre toi, et de plus, je ne pense pas que Ryoka Griffin bénéficierait d’une correction, quelle que soit la ferveur avec laquelle elle serait administrée, ni même que cela la rendrait plus humble.”
 
Le regard de Ressa suggérait qu’elle serait prête à essayer. Mais elle se retint et Ryoka reporta son attention sur Magnolia.
 
“Donc, si je n’accepte pas votre “offre généreuse”, vous serez… quoi ? Offensée ?”
 
Lady Magnolia éclata de nouveau de rire.
 
“Ma chère, je ne suis offensée que par ceux qui n’ont rien à m’offrir. Non, j’imagine qu’il faudrait vous donner beaucoup de mal pour que je ne ressente une véritable offense. Si vous refusez, je serai simplement…”
 
“Agacée ?”
 
“Déçue. Extrêmement déçue. Après tout, c’est dans nos intérêts à toutes les deux que tu te remettes à courir. Pour toi, il s’agit de ton gagne-pain, et pour moi… eh bien, je pense que tu serais beaucoup plus aimable si la douleur ne te rendait pas irritée et grognon.”
 
“Peut-être. Peut-être pas. Pouvez-vous simplement en venir au fait et me dire ce que vous voulez en retour ?”
 
Lady Magnolia soupira.
 
“Ryoka, je me dois de demander. J’ai un grand nombre de compétences, parmi lesquelles se trouve [Allure Amicale], et pourtant cela ne semble avoir aucun effet sur toi. J’ai traité avec des généraux obtus et des Dragons orgueilleux et obtenu de meilleurs résultats. Pourrais-tu m’expliquer d’où vient ton extraordinaire résistance ?”
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“J’ai rencontré des gens plus charmants que vous. Et je ne les ai pas non plus aimés. Que voulez-vous ?”
 
Lady Magnolia fit la moue d’un air gentiment vexé.
 
“Eh bien. Je suis prête à payer le prix que demandera mon amie, quel qu’il soit, et de l’amener ici en un clin d’œil, même si je dois payer pour la téléportation. Mais je veux en effet quelque chose en échange, Ryoka. Rien de trop ardu… simplement des réponses à un certain nombre de questions brûlantes qui me pèsent.”
 
“Des réponses. Combien ?”
 
“Combien ? Ryoka, ma chère, il me semble que ce que j’offre mérite autant de questions que je le souhaite. Non pas que je veuille en faire un argument, mais soigner ta jambe sera coûteux. Que sont quelques réponses face à cela ?”
 
Ryoka secoua la tête en signe de dénégation.
 
“C’est beaucoup, pour moi.”
 
Pour une fois, Lady Magnolia parut décontenancée. Elle échangea un regard furtif avec sa servante.
 
“Alors qu’avais-tu en tête ?”
 
“Vingt réponses pour vingt questions.”
 
“Tu dois plaisanter. Ryoka, ma chère…”
 
“Je ne vous dirai pas tout. Je répondrai à un nombre limité de questions, mais pas à tout.”
 
Pour la première fois, Lady Magnolia parut sincèrement choquée. Elle chercha une relique.
 
“Tu sais, c’était peut-être naïf de ma part mais il me semblait en venant ici que je pourrais imposer mon prix pour cette aide discrète. Mais ti as déjà fixé un prix, à ce que je vois. Ryoka, est-ce que ta jambe vaudrait, disons, quatre cent questions ?”
 
Ryoka serra les dents.
 
“Pas plus de quatre-vingts… non, quarante questions.”
 
“... Je ne peux pas accepter cela. Même deux-cents questions… possèdes-tu donc des secrets tellement sinistres que tu doives y mettre un tel prix ?”
 
“Si vous le demandez, c’est que vous connaissez la réponse. Quarante questions. À prendre ou à laisser.”
 
Lady Magnolia souffla d’un air exaspéré.
 
“Je suis choquée. Vraiment. Et si je te prenais au mot ?”
 
Les yeux de Ryoka se plissèrent. Elle rejeta les draps et sortit d’un bond de son lit. Sa chair hurla de douleur, mais les bandages maintinrent sa jambe en place.
 
“La porte est juste là.”
 
Lady Magnolia ne bougea pas. Ses yeux étaient fixés avec horreur sur la jambe enrubannée de Ryoka, et même Ressa paraissait au bord de la nausée. Mais Magnolia était réellement sous le choc. Elle savait reconnaître la gravité d’une blessure.
 
“Ryoka. Comment peux-tu encore te déplacer avec cette jambe ?”
 
“Par magie. Duh.”
 
Lady Magnolia cilla. Elle leva les yeux et croisa le regard de Ryoka.
 
“Et combien de potions de soin as-tu utilisées jusqu’ici ?”
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“Quarante ? Cinquante ? J’ai arrêté de compter.”
 
“Et tu es restée ici, sans aller voir un véritable [Guérisseur] ? Pourquoi ?”
 
“‘Pas assez d’argent.”
 
“Et tu n’es pas venue me voir ou demander mon aide parce que…”
 
“Si j’essayais de vous rejoindre, ils m’auraient encore roulé dessus.”
 
Lady Magnolia fronça les sourcils d’un air sombre.
 
“Personne n’oserait agresser un invité sur le pas de ma porte.”
 
Ryoka haussa de nouveau les épaules.
 
“Ça pourrait arriver. Et je ne veux pas perdre mes deux jambes.”
 
“Je ne peux pas croire… c’est bien plus qu’un acte de sabotage. Ceux qui t’ont fait ça voulaient réellement que tu perdes l’usage de ta jambe. Je pense que tu le sais ? Même un [Guérisseur] expérimenté serait presque incapable de sauver ta jambe.”
 
Ryoka sourit. Son visage était livide, mais elle resta dressée sur ses coudes.”
 
“Ils voulaient l’amputer tout de suite. J’ai dit non.”
 
“Et tu ne veux pas accepter mon offre ?”
 
Lady Magnolia dévisageait Ryoka. Ses yeux transperçaient son âme, cherchant la vérité. C’était ce qui effrayait Ryoka. Mais elle lui rendit son regard et secoua la tête.
 
“Quarante questions. C’est tout ce auquel je répondrai. Un nombre limité de réponses.”
 
Là encore, elle eut l’impression d’avoir réellement surpris Lady Magnolia en voyant la femme hésiter et considérer l’offre de Ryoka. Mais l’aristocrate finit par secouer la tête.
 
“Un bon joueur sait quand miser et quand abandonner. Mon offre tient. Réponds à toutes mes questions et ta jambe sera guérie avant la fin de l’heure, tu as ma parole.”
 
Ryoka se mordit l’intérieur de la lèvre jusqu’au sang et essaya de ne pas laisser paraître sa déception. Mais là encore, Magnolia devait déjà la ressentir, n’est-ce pas ? Mais elle ne dit rien. Au lieu de cela, Ryoka s’effondra sur son lit et plongea son regard sur le plafond.
 
Magnolia la dévisagea, encore sous le choc.
 
“Incroyable. Et tu refuses quand même. Quels secrets caches-tu qui valent un tel prix, Ryoka Griffin ?”
 
Ryoka ne répondit pas. Au bout d’un moment Lady Magnolia se leva.
 
“Très bien. Je pense que tu finiras par changer d’avis. J’attendrai tra réponse.”
 
Là encore, Ryoka ne répondit pas. Elle entendit un bruit de froissement, puis Magnolia pressa un objet froid et dur dans sa main. Ryoka leva légèrement la tête et vit qu’il s’agissait d’un médaillon étrange - de bronze ouvragé, qui ne semblait pas si coûteux, mais serti d’un précieux saphir bleu en son centre.
 
“Contente-toi de briser la gemme au centre et je saurai que tu acceptes mes conditions.”
 
Lady Magnolia dévisagea Ryoka qui était toujours allongée dans son lit. Elle ne leva même pas les yeux sur l’aristocrate. Au lieu de cela, Ryoka eut un sourire amer.
 
“Vous êtes dure en affaires, hein ?”
 
“Je joue avec les vies et les opportunités, ma chère Ryoka. Et je suis convaincue que c’est un pari qui en vaut la peine. Accepte mon offre.”
“Ne laissez pas la porte vous claquer dessus en sortant.”
 
Un autre silence, puis Ryoka sentit Lady Magnolia se diriger vers la porte. Ressa l’ouvrit pour elle, mais l’aristocrate resta sur le pas de la porte une longue minute.
 
“Une information peut-elle vraiment valoir un prix aussi élevé ?”
 
Ryoka finit par lever la tête. Elle vit Lady Magnolia la dévisager avec ce qui semblait être une inquiétude sincère. Ryoka sourit. Son front était couvert de sueur et elle était pâle sous son hâle. Elle ne souriait pas vraiment, non plus. Elle montrait simplement beaucoup de dents.
 
“Vous voulez ma confiance. C’est un prix trop élevé pour moi.”
 
Lady Magnolia réfléchit et ouvrit la bouche. Puis elle secoua la tête.
 
“J’attendrai. Mais hâte-toi, Ryoka. Tu n’as presque plus de temps.”
 
La porte se referma. Ryoka se retrouva seule. Elle se couvrit les yeux.
 
“Fait chier. Bon sang.”
 
__________
 
Je suis une idiote. Je dois couvrir mes yeux pour empêcher les larmes de couler. Je suis tellement une idiote stupide et bornée.
 
J’aurais dû accepter l’offre immédiatement. Non… même si Magnolia avait voulu que je devienne son esclave, ou sa servante, ou travailler pour elle pendant dix ans j’aurais accepté son offre en un clin d’œil.
 
Mais elle voulait que je lui dise la vérité. Merde. Putain de Magnolia et son instinct. C’est la seule chose que je ne puisse pas lui donner. Jamais.
 
Ma jambe est à l’agonie. Mais mon cœur est de glace. Et maintenant que l’offre m’a été donnée, le chemin est clair. Deux routes se dessinent devant moi, et un monde attend mon choix.
 
Est-ce que c’est trop théâtral ? Oui. Mais c’est vrai.
 
Lève-toi. J’ai besoin d’une autre potion de soin. Ma jambe me fait mal… il faut que j’aie les idées claires.
 
Je me lève et ouvre le coffre. La douleur transperce ma jambe. Trois potions de soin. Merde, encore. Je ne peux pas les gâcher. Pas si…
 
Bon, si je refuse, elles n’ont aucun intérêt. Elles sont peu efficaces, dans tous les cas. Mais ils m’ont dit que des potions plus puissantes feraient pousser chaque fragment d’os qui transperceraient alors ma peau, et ça détruirait ma jambe, et il n’y aurait plus de guérison possible.
 
Un truc du genre. Oh. J’aperçois au fond de mon coffre la seule chose que je possède réellement dans ce monde. De mon monde. Il est posé au fond de mon coffre. Inutile, sans batterie. Au moins, les écouteurs y sont toujours attachés, mais ils restent là encore inutiles sans électricité.
 
Je regarde le morceau de plastique et de métal posé au fond du coffre. Est-ce qu’elle l’accepterait à la place ? Mais je devrais quand même lui dire ce dont il s’agit, et ce serait potentiellement aussi dangereux que…
 
Non. Non, il n’a aucune valeur dans tous les cas. S’il y avait encore de la batterie je pourrais peut-être encore négocier mais là… non. Elle veut des connaissances. Et ce prix est simplement trop grand pour que je le paie.
 
“Le savoir.”
 
Le mot pourrit sur ma langue. Ça semble si bête, si facile à offrir quand on le dit comme ça. Et ce serait facile pour moi d’accepter de répondre à n’importe quel nombre de questions.
 
Sauf que Magnolia peut lire dans les pensées. Ou déceler les mensonges. Et elle est rusée, assez intelligente pour continuer à poser des questions. Si je lui donnais accès à des réponses illimitées, elle finirait par avoir toute la vérité.
 
Je pourrais mentir. Mais elle le sentirait si je n’avais pas l’intention de tenir ma part du marché. Piégée, encore.
 
Maudite soit ma fierté. J’allais la retrouver et l'implorer s’il le fallait. Le prix… j’y réfléchirais plus tard. Mais même si cela signifiait vendre un bout de mon âme ou des secrets de mon monde, je pourrais encore courir.
 
Mais… non. Je ne peux pas faire ça. Non, jamais. Parce que si elle pose des questions…
 
Si elle pose des questions elle saura pour mon monde. Et alors ? Ce n’est pas grave. Même si elle apprend son existence, est-ce qu’elle peut s’y rendre facilement ? Je ne crois pas que ce soit la question. Si quelqu’un était en mesure de voyager entre les mondes à sa guise, on serait déjà au courant. Peut-être qu’elle pourrait, mais on a des armes à feu, et notre technologie est bien plus avancée que la sienne.
 
Mais c’est bien le problème, pas vrai ? Nous avons la science, et si elle pose plus de questions, elle l’aura aussi. Pas seulement ce qui concerne l’hygiène ou les bactéries, mais ce qu’elle ne devrait jamais savoir. Des secrets, des bonds en avant qui transformeraient n’importe quelle nation en superpuissance en un instant.
 
La poudre à canon. Les armes à feu. Les armes bactériologiques. Comment utiliser la vapeur, l’électricité pour créer de l’énergie. Les moyens de locomotion. Tout, que ce soit les techniques d’interrogatoire ou la meilleure manière de construire un tank ou une bombe. Les armes nucléaires.
 
Est-ce que ça paraît crétin de dire cela comme ça ? Je suis incapable de faire une bombe nucléaire. Mais je sais ce qui entre dans la composition de la poudre à canon. J’étais la meilleure en chimie. Je sais exactement comment fonctionne une turbine, et je suis à peu près sûre de me souvenir de toutes les techniques du FBI utilisées illégalement contre les terroristes.
 
Bordel. C’est un choix moral, pas vrai ? Perdre ma jambe, ou révéler les secrets de la mort et de la destruction. Si c’était quelqu’un d’autre, je pourrais mentir, ou me contenter de demi-vérités. Mais elle peut lire dans mes putains de pensées. Et je sais exactement comment récupérer les ingrédients pour la poudre à canon. Et faire des armes à feu serait un jeu d’enfant, dans ce monde.
 
Lady Magnolia. Je ne sais rien d’elle. Juste des rumeurs et le fait que c’est une riche aristocrate, puissante, influente, et qui a un réseau important. Même si elle semble gentille - surtout si elle semble gentille - je n’ai aucun moyen de savoir si elle utiliserait ce savoir pour faire le bien ou le mal.
 
Non. C’est encore plus simple que ça.
 
Même si je pouvais lui faire confiance, le secret s’ébruiterait. C’est comme ça que ça marche. Elle voudrait une démonstration, et quelqu’un d’autre ferait le lien. Sa servante Ressa, peut-être. Tôt ou tard, les technologies tomberaient entre d’autres mains que les siennes. Et je serai responsable d’avoir apporté les armes à feu dans ce monde. Et il a beau n’être sans doute pas très loin de ce niveau de technologie…
 
“Belfast. Beruit. Phnom Penh. All flesh is grass.”*
 
·  Traduction : “Belfast. Beyrouth. Phnom Penh. Toute chair est comme l’herbe.”
 
Quand j’étais petite, j’étais allée au Newseum à Washington D.C. J’avais vu les images sur le mur. J’avais vu les enfants, les mourants et les morts. Mon père pensait que j’étais trop jeune pour comprendre.
 
Toute chair est comme de l’herbe. Le “Photographe de Guerre” de Carol Ann Duffy. Est-ce qu’apporter les capacités de la poudre à canon dans ce monde mènerait directement à une guerre immonde ? Non. Mais là où il y a la connaissance, il y a le pouvoir. Et même si elle utilisait ce pouvoir pour aider son pays, cela ne pourrait mener qu’à la guerre.
 
Le napalm. Un mélange de pétrole et de latex naturel ou synthétique. Ce ne serait pas très difficile de créer le même genre de substance. Pas pour quelqu’un avec l’influence de Magnolia.
 
Je veux courir. Je veux marcher de nouveau.
 
Je ne suis pas Walter White. Mais je me souviens de trop de choses. Trop de programmes de National Geographic ou autres documentaires sur le monde. Je n’ai pas une mémoire parfaite. Mais j’en suis trop proche.
 
Bordel. Je ne peux pas faire ça. Je ne veux pas être celle qui aura créé Hitler ou qui aura donné à une autre… femme blanche un fusil et un mandat pour conquérir le monde. Mais je veux courir.
 
Je ne trouve pas de solution. Je suis incapable de décider. J’ai attendu une semaine… une putain de semaine qu’elle vienne me voir. Dans la douleur et la peur. Et quand elle a fini par m’offrir ce dont je rêve, j’aurais dû sauter sur l’occasion. Mais j’hésite. Je me défile.
 
Je suis perchée au bord de l’abysse et je me demande si mon âme brûle déjà bien en enfer. Ce n’est pas juste. Tout ce que j’aie jamais voulu dans ma vie, c’est courir. Je ne veux pas perdre ma jambe. Je veux courir. Je veux vivre. Je veux marcher.
 
Je ne veux pas voir l’enfant assise toute seule. Je ne veux pas voir le vautour. Je ne veux pas que ce soit de ma faute.
 
Seule, je suis assise dans ma chambre, assise avec le destin de deux mondes entre mes mains. Ce monde, et mon monde. Je vis pour courir. Mes jambes sont ce qui me définit.
 
Le médaillon est froid entre mes mains. Je pourrais écraser la gemme en un instant. La broyer contre le plancher. Ce serait tellement rapide, tellement facile.
 
Je pourrais…
 
La porte s’ouvre. Je lève les yeux. Un visage mêlant rêve et perfection me regarde. Moitié perfection, moitié mortelle. Les choses les plus cruelles des deux mondes. Ceria Springwalker.
 
Elle hésite, puis entre dans la chambre. Je m’attends à des mots vides et des promesses plus creuses encore. Je m’attends à être abandonnée, ou à ne ressentir rien d’autre que le désespoir. Mais elle n’apporte rien de tout cela.
 
Elle m’offre le salut.
 
***
 
“Je sais que c’est grave.”
 
Ryoka est assise sur le lit. Ceria regarde sa jambe, puis détourne les yeux.
 
“J’ai déjà vu une blessure comme ça. Je sais que c’est presque impossible à soigner. Je ne suis pas sûre que ton amie ait réellement compris…”
 
“Non. Mais c’est sans importance. Elle ne peut pas m’aider. Et toi non plus.”
 
“Nous avons une dette envers toi. Tu ne le comprends peut-être pas, mais Calruz a engagé chacun des membres des Cornes d’Hammerad parce que nous croyons en l’honneur. Si nous pouvons t’aider, nous le ferons.”
 
Ryoka dénuda ses dents.
 
“Vous avez quelques centaines de pièces d’or ?”
 
“Non. C’est trop pour nous, pour être honnête. Même si on vendait nos armures et nos armes - et Calruz en serait capable, pour t’impressionner - je doute qu’on serait capable d’approcher un [Guérisseur] de ce niveau. Ils sont très occupés, la demande est constante. Des milliers de gens campent tous les jours devant la maison d’un [Guérisseur] célèbre à Tenbault, dans l’espoir qu’il s’occupera d’eux. Mêmes si on avait l’argent qu’ils réclament ce serait un miracle si on arrivait à décrocher une audience.”
 
Ryoka grogna. Sa main était crispée sur un médaillon que Ceria reconnut. Un simple sort était gravé dans la gemme en son centre. Elle ne fit aucun commentaire. Au lieu de cela, Ceria regarda Ryoka. Ryoka la dévisagea.
 
Ceria pouvait deviner ce que voyait la jeune femme. Une métisse, peut-être. Un souvenir de ce qui avait été perdu, ou peut-être qu’elle voyait simplement une mage, quelqu’un qui poursuivait des objectifs que peu comprenaient. C’était sans importance. Et pour une raison qui lui échappait, Ceria songea que la Coursière connue sous le nom de Ryoka Griffin n’avait pas le même regard que la plupart des gens. Mais le devoir était le devoir. L’honneur était l’honneur.
 
“Mon peu… Je n’ai pas confiance en la noblesse.”
 
Ceria lança à Ryoka un regard en coin, semblant espérer une confirmation. Ryoka grogna.
 
“Je n’ai confiance en personne.”
 
“Je sais que Lady Magnolia t’a offert… quelque chose. Je l’ai vue en venant ici. Tu veux sans doute accepter son offre, mais tous les marchés ont un coût. Et même si elle ne le dit pas, elle voudra quelque chose en retour.”
 
“Je sais.”
 
“Un sort est probablement le seul moyen de soigner ta jambe. Mais il existe d’une part la magie qu’elle t’offre, et… d’autres moyens.”
 
“D’autres moyens ?”
 
Ryoka dévisagea Ceria. Ses yeux parurent transpercer la demie-elfe. Ceria Springwalker avait vécu plus de soixante années, mais elle n’avait jamais vu quelqu’un avec un regard aussi désespéré que celui de Ryoka Griffin.
 
“Dis-moi.”
 
Ses yeux semblaient tracer un chemin directement vers son âme. Ceria prit une profonde inspiration.
 
“... Que penses-tu de la nécromancie ?”
 
« Modifié: 29 mars 2020 à 19:28:23 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #40 le: 28 mars 2020 à 19:30:01 »
Depuis le 28/03/2020, EllieVia rejoint le projet de traduction de The Wandering Inn, elle avait aussi commencé sa traduction en parallèle, et nous avons décider de joindre nos projets! A partir d'aujourd'hui, et pour ne pas perdre une partie de l'excellent travail qu'elle a fourni, tous les chapitres existant de Ryoka seront remplacé par les siens! Allez y jeter un œil!

De plus, plusieurs termes importants ont été revus et changés, et seront corrigé dans les jours à venir, la liste complète se trouve juste en-dessous!

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.




1.28
Traduit par Maroti

Après quelques jours, Erin conclut qu’elle avait trois types de clients. Le premier était les Antiniums, c’est-à-dire Pion et les Ouvriers. Il les amenait tous les jours, ou à chaque fois que le soleil touchait les pics des montagnes au sud.

Au sud. Apparemment, le soleil se couchait plus proche du sud que de l’ouest dans ce monde. Erin se sentait un peu bête de ne pas l’avoir remarqué plus tôt, mais pour sa défense, elle ne se baladait pas avec une boussole.

Mais les Ouvriers arrivaient toujours à la même heure, beaucoup ramenait des échiquiers fait de pierre et de papier. Apparemment, les Ouvriers recevaient bien une sorte de payement et utilisaient leur argent sur la nourriture et les échecs uniquement.

Erin était dérangée par ce fait, surtout vu le prix qu’elle avait mis sur les mouches acides. Mais Pion lui avait dit qu’avant ça, les Ouvriers ne clamaient jamais leurs salaires hebdomadaires. De plus, ils mangeaient comme des cochons, des cochons affamés avec un goût pour des mouches croquantes.

Mais malgré leurs obsessions avec la nourriture, les Antiniums étaient polis et silencieux, à l’exception des repas, et ils jouaient aux échecs. Dans un autre monde, Erin aurait été heureuse de les inviter chez elle tous les jours.

Le second type de clients qu’elle avait était les Gobelins. Ils étaient comme les Ouvriers, mais ils sentaient plus, ils étaient plus sales et payaient avec des pièces recouvertes de terre, de sang et parfois de…

Erin avait établi une règle dans son auberge. Les Gobelins devaient se laver dans le ruisseau, ou au moins faire trempette, avant de pouvoir rentrer. Même s’il n’y en avait pas beaucoup qui venait. En vérité, il n’y avait que Loks et sa troupe.

Et c’était une troupe. Ou un groupe. Ou un gang. Erin était certaine qu’elle était la chef de ce petit rassemblement, mais même si elle était à sa tête, c’était aussi clair qu’elle n’était pas la chef de sa tribu, s’il y avait toujours une tribu.

Occasionnellement, la petite Gobeline venait seule, mais elle avait généralement deux plus grands Gobelins qui la suivait. Ils étaient presque toujours blessés, pas gravement, mais avec de petites blessures qui laissaient suggérer des échauffourées et des combats. Erin se demandait si la raison pour laquelle elle ne voyait pas les autres Gobelins était parce qu’ils récupéraient de leurs blessures.
Dans tous les cas, Loks payait pour tous les repas de son groupe et mangeait en silence. Occasionnellement, elle jouait une partie d’échec, mais Erin avait la distincte impression que la petite Gobeline l’observait.

Ce qui ne la dérangeait pas, mais Erin était devenu plus… Méfiante ces derniers jours. Elle vérifiait constamment le nombre de Gobelin autour de l’auberge, et même si Loques venait seule, Erin ne laissait jamais un couteau ou une autre arme visible. Elle faisait aussi vider les poches des Gobelins avant d’entrer dans l’auberge.

Mais, même si les Gobelins étaient quelque chose qui faisait occasionnellement s’arrêter les Ouvriers et qu’Erin comptait les couteaux qu’elle avait dans sa cuisine, ils étaient des clients décents. Ils payaient, et c’était plus que ce qu’Erin pouvait dire du troisième type de client : Un mage agaçant.

« Est-ce que tu sais combien tu me dois pour tous ces repas ? »

Pisces leva les yeux, la bouche pleine de soupe. Il avala, s’empara d’un morceau de pain qu’il mâcha avant de répondre.

« Je suis à jamais reconnaissant pour ta bonté et ta tolérance, Maîtresse. Soit assuré que je payerai mes dettes en temps et en heure dès l’instant où j’acquiers la somme nécessaire. »

Erin planta ses mains sur ses hanches. L’auberge était vide à l’exception de Loks assise dans un coin, buvant bruyamment un autre bol de soupe.

« Tu continu de dire ça, mais est-ce que tu as de l’argent sur toi ? »

Pisces leva ses sourcils.

« Qu’est-ce que l’argent excepté un concept ? Si tu fais référence à la notion de l’argent, je suis riche en… »

« Des pièces. Est-ce que tu as de pièces ? »

« Pas en cet instant, non. »

Il haussa les épaules alors qu’Erin lui lança un mauvais regard, et retourna à sa soupe. C’était incroyable comment Pisces était capable d’avaler sa nourriture et donner l’impression de grimacer en même temps.

« Je sais que tu passes tes journées à étudier la magie, mais est-ce que ça te tuerai de trouver un emploi ? Tu pourrais alors payer pour tes repas au lieu de constamment quémander. Et tu pourrais payer quelqu’un pour laver ta robe ! »

Pisces baissa les yeux vers sa robe, tachée par ses voyages et sa nourriture. Elles étaient probablement blanches, mais l’utilisation constante et le manque d’entretien les avait rendues grises et tachées.

« Je ne vois pas où tu veux en venir. »

« Tes vêtements. Sont sales. »

Il haussa les épaules.

« Est-ce qu’ils émettent une sorte d’odeur désagréable ? »

« … Non. »

« De nouveau, la magie a éliminée une autre épuisante tâche ménagère. Quant au fait que je suis sans emploi, je te rappelle que je suis banni de Liscor dût à mon inclination en matière de magie. »

« Et parce que tu as volé de la nourriture et de l’argent en prétendant être un monstre. »

« Aussi, je suppose. Dans tous les cas, cela me force à rester éloigner de la Garde. Même aussi loin de la ville, je dois parfois éviter leurs épuisantes patrouilles. »

« En fait, tu ne vas plus être dérangé par ça. »

Erin soupira et jeta son torchon sur la table, juste à côté de Pisces. Il lui jeta un regard, avant de se concentrer sur elle à nouveau.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Oh, ils ne vont plus patrouiller autour de l’auberge. Après… Après Klbkch… Enfin, cette stupide Capitaine a dit que la Garde ne patrouillera plus cet endroit. Et Relc ne vient plus par ici, donc je suppose que tu n’as plus à t’inquiéter de la Garde. »

Pisces répéta lentement les mots d’Erin.

« Ils ne patrouillent plus cette région ? »

« C’est ce que je viens de dire. »

Il se gratta le menton et jeta un coup d’œil à la fenêtre. C’était encore le matin, mais Erin avait fermé la plupart des volets. Le jour était anormalement frisquet, et elle n’avait pas envie de faire un feu.

« Cela est… Problématique. »

« Oh ? Pourquoi ? »

Pisces s’appuya contre le dossier de sa chaise et commença à s’occuper les mains avec sa cuillère. Il regarda le plafond, et Erin savait que cela voulait dire qu’elle allait recevoir un autre sermon. Résignée, elle s’empara du torchon et commença à nettoyer une autre table.

Loks était assise deux tables plus loin. Erin cligna des yeux alors que la Gobeline détourna rapidement le regard. Elle n’avait même pas entendu la petite Gobeline bouger. Est-ce qu’elle… Écoutait leur conversation ?

« La faune et la flore locale de la région autour de Liscor n’est pas le plus hostile des environnements, mais il y existe de nombreuses espèces de monstres qui pose une véritable menace, même pour moi. »

Erin jeta un regard vers Pisces.

« Même pour un grand et glorieux mage comme toi ? »

« Disons simplement que plusieurs espèces de la région dissuadent les aventuriers d’exercer leurs professions. Même si, après tout, les Drakéides et les Gnolls ne sont pas très intéressés par le métier d’aventurier. Mais sans la Garde pour réduire la population locale, cet endroit deviendra rapidement très dangereux. Je te suggérerai d’engager un moyen d’assurer ta protection avant que cela arrive. »

« Quoi, comme un garde du corps ? Je n’ai pas l’argent pour ça. »

Pisces secoua la tête.

« Je faisais référence aux brutes armées généralement connu sous le nom de videurs, mais tu soulèves un bon point. Je doute que beaucoup de personnes acceptent de venir aussi loin pour te protéger… Et même s’ils le feront, leurs prix seraient sûrement exorbitants. »

« C’est ce que je viens de dire. »

« Oui, mais dans tous les cas, trouver une manière de te protéger est hautement conseillé. »

« Je peux me battre. J’ai, heu, la compétence de [Rixe de Taverne], tu sais. Je peux totalement éclater une chaise sur la tête de quelqu’un. »

Pisces leva un sourcil et applaudit silencieusement. Erin lui lança un regard.

« C’est vraiment, ah, impressionnant. Cependant, je doute que ta prouesse avec une chaise en bois sera suffisante pour repousser autre chose qu’un Gobelin. Je crains que la plupart des créatures sont un peu plus solides que ça. »

Cette fois Erin et Loques lancèrent un regard à Pisces. Il ignora Erin, mais semblait prendre plus  de précautions avec Loks, qui avait bougé pour s’asseoir à la table voisine. Avec précaution, comme s’il s’attendait à ce qu’elle morde, Pisces agita l’une de ses mains en direction Loks qui leva les mains pour se protéger.

« Laisse-moi formuler ça d’une autre manière, Maîtresse Solstice. En des mots qui sont plus faciles à comprendre. Monstres, forts. Toi, faible. Qu’importe ton niveau, tu as seulement une classe d’[Aubergiste] qui a peu de compétence tournées vers la survie. »

Pisces prit une autre bouchée de pain avant de tendre le bras vers son verre alors qu’Erin était furieuse.

« Je ne suis pas totalement sans défense, tu sais. »

« Je n’ai jamais dit que tu l’étais. Mais il y a une différence entre combattre et se défendre. »

Il avait raison. En vérité, Pisces avait souvent raison, mais le problème était qu’il était tellement agaçant en ayant raison qu’Erin n’avait pas envie de l’admettre. Elle changea le sujet vers quelque chose dont elle voulait parler avec lui.

« Au passage, j’ai appris une nouvelle compétence après la… La partie. »

Pisces s’arrêta avec son verre aux lèvres.

« Oh ? »

« Son nom est [Instant Immortel]. Je n’ai pas la moindre idée de ce que ça fait. »

« Hum. »

Il fronça les sourcils et prit une grande gorgée, grimaçant au goût de l’eau.

« Je n’ai jamais entendu parler d’une compétence de la sorte dans les répertoires que j’ai épluché lorsque j’étais un étudiant. De plus, je n’ai jamais entendu parler d’une telle compétence. As-tu trouvé ce qu’elle fait ? »

« Nan. »

Pisces haussa de nouveau les épaules.

« Pour être franc, cette compétence semble être bien inutile. »

« C’est ce que je pense moi aussi. Mais est-ce que tu penses que ça a quelque chose à voir avec les échecs ? Vu que je l’ai probablement apprise en jouant. »

Il y pensa en buvant.

« C’est possible, même si les compétences qui se concentrent sur une seule tâche sont généralement plus faciles à identifier à leurs noms. Il est fort probable que tu es gagné cette compétence durant la partie. Mais sur ce qui est de son utilité ou la manière de l’utiliser… »

Il leva une main et termina son verre. Puis il fronça les sourcils et posa brusquement le verre sur le bar.

« N’as-tu pas d’alcool ? Ou si tu dois vraiment servir à boire, peux-tu avoir la politesse d’apporter du jus d'Amentus ? »

Erin leva les sourcils. Pisces pointa son verre vide du regard et elle suivit son regard, sans faire le moindre mouvement pour remplir son verre.

« Seuls les gens qui paient leurs ardoises ont le droit à du jus bleu. Et pour l’alcool… Je suis mineure, espèce d’idiot. Je n’ai que 20 ans. »

Pisces la regarda de manière incrédule et Erin lui rendit son regard de l’autre bout du comptoir.

« Une mineuse, je pensais que tu n’étais qu’une Aubergiste ? »

« Non ! Cela veut dire que je suis en dessous de l’âge de… »

Erin s’arrêta.

« … Laisse tomber. D’accord, ouais, je pourrais acheter de l’alcool, mais c’est cher. »

« Et coutume pour une auberge. »

Erin y pensa pendant une seconde, avant de vaguement se rappeler quelque chose.

« C’est vrai que j’ai la compétence de [Distilleure]. Je suppose que je pourrai… Faire de la bière ? »

De nouveau, le ton de Pisces était lacé de sarcasme.

« Ah. Je vois qu’avoir une compétence remplace le besoin d’avoir du houblon, des tonneaux, le processus de fermentation, la levure et bien sûr le grain nécessaire pour faire cette boisson. J’aimerais bien voir comment tu fais de la ‘bière’, et préviens moi quand tu auras décidé quel type de ‘bière’ tu vas vouloir créer. »

Erin lui lança un regard. Ce qui était étrange était qu’elle comprenait parfaitement ce que Pisces voulait dire. La compétence dans sa tête lui soufflait plein de choses folles, comme le temps nécessaire pour faire fermenter moût qu’elle allait obtenir après avoir ajouté de l’eau bouillante au grain, ainsi que tout ce dont elle allait avoir besoin. Et en vrai ? Il semblerait que faire de l’alcool était une véritable emmerde.

« Je peux aussi faire du vin. Le vin, c’est plus simple. »

Il secoua sa tête.

« Je fais confiance en ton opinion d’experte, bien sûr. Mais puis-je recommander que tu essayes ta boisson sur les Gobelins, ou peut-être sur les Antiniums, avant de les servir ? »

Cette fois, Loks enfonça son doigt dans les côtes de Pisces. Il jappa, tenta de la frapper, et manqua de tomber sa chaise. Il jeta un regard noir à Loques.

« Maîtresse Solstice, peux-tu, s’il te plaît, garder ton invitée loin de moi? Sinon je serais dans l’obligation d’utiliser ma magie pour régler ce problème par moi-même. »

Loques recula aussitôt de Pisces, alarmée. Erin croisa les bras et le regarda.

« Tu ne feras rien de la sorte tant que tu veux manger ici. Arrête d’embêter la Gobeline, et arrête aussi de les insulter tant qu’on y est. De plus, elle te battrai probablement dans un combat. »

« J’en doute fortement. »

Pisces murmura sombrement ces mots, mais il resta assis dans sa chaise et commença à avaler plus de soupe. Loks regarda délibérément dans la direction opposée des deux humains et prétendit être occupée à gratter des croûtes sèches sur ses côtes. Erin soupira. Des mages sensibles et des Gobelins indiscrets. Les Antiniums lui manquaient déjà.

«  Je comprends que les Ouvriers et les Gobelins voyagent en groupe et fuient les monstres, mais comment tu fais pour survivre dehors par toi-même ? »

Il haussa les épaules, boudeur.

« Tous les mages dignes de ce nom connaissent des sorts pour éviter de se faire repérer. [Invisibilité] est l’une de mes spécialités, par exemple. »

« Oh. D’accord. J’oubliais que tu pouvais faire ça. Alors, est-ce que tu connais beaucoup de sorts ? »

« Je suis adepte dans de nombreux domaines. Mais oui, [Invisibilité] est un sort du 4eme Échelon Magique que j’ai acquis après de longues études et en m’entrainant. Il est efficace dans presque toutes les situations. »

« Comme quoi, par exemple ? Espionner les gens ? Dis… Tu n’es jamais venu ici en étant invisible, pas vrai ? Parce que si c’est le cas… »

Erin fit un poing avec sa main. Pisces leva ses deux mains et grimaça.

« Loin de moi cette idée, j’ai quand même des standards que je respecte, de plus, tu es consciente que la plupart des mages utilisent les sorts de [Vision Lointaine] et [Scruter] pour espionner qui ils veulent sans impunités, n’est-ce pas ? »

« Quoi ? »

Erin le regarda avec horreur, et Pisces sourit légèrement.

« Est-ce vraiment si surprenant ? La plupart des résidences de la haute société et des bains ont des sorts pour se protéger de ce type d’intrusion. Mais ne craint rien… Il n’y a pas d’autres mages humains dans la région, à mon exception, et je suspecte que si des mages Drakéides existent, ils préféreraient observer leurs propres espèces. »

Erin frissonna.

« C’est la chose la plus flippante que j’ai jamais entendue. Vous les mages, vous êtes tous des pervers. »

Il semblait s’indigner de ses paroles.

« La magie est un art sacré, Maîtresse. Le fait que quelques individus l’utilisent à des fins néfastes est une petite conséquence qui ne peut pas être évitée. Mais pour tous ceux qui poursuivent les arts magiques, les bénéfices sont démesurés. Par exemple, je n’ai pas à m’inquiéter des attaques de monstres même si la Garde abandonne leurs patrouilles dans cette zone. »

« Donc tu es Monsieur Tout Puissant, hum ? »

« Tu as vu mon efficacité face aux mouches acides, n’est-ce pas ? »

Erin s’arrêta.

« Oh. Ouais. Tu étais plutôt cool là-bas. Hum, merci encore. »

Pisces agita sa main et se concentra de nouveau sur son bol de soupe. Erin pensa que ses joues étaient légèrement rosées. Elle sourit, avant de penser à autre chose.

« Pourquoi tu ne m’apprends pas de la magie ? J’effacerai ton ardoise si tu le fais. »

Le mage leva les yeux de sa soupe et regarda Erin.

« T’enseigner. De la magie ? Chère Maîtresse… »

Elle lui lança un regard.

« … Erin. Tu réalises que la magie n’est pas aussi simple qu’agiter une baguette et chanter quelques mots, pas vrai ? Devenir un mage de mon calibre demande des années, voir des décennies d’études intensive. »

« Je sais. »

Erin ne le savait pas, mais cela avait du sens. Mais maintenant qu’elle avait l’idée en tête, elle ne voulait pas la lâcher. La magie. Cela semblait si étrange et incompréhensible et pourtant…

« Mais, heu, tu ne peux pas m’apprendre un peu de magie ? J’adorerai apprendre. Je pense que les mages sont cools. J’étais un grand fan d’Harry Potter en grandissant, même si je pensais que Draco était plutôt mignon… »

Pisces jeta un coup d’œil à Loks qui lui rendit avec un regard vide.

« … Qui ? »

Erin rougit.

« C’est pas grave. Oublie ce que je viens de dire. Mais est-ce que tu vas m’apprendre quelque chose ? Ça n’a pas besoin d’être beaucoup. Je veux juste apprendre de la magie. »

Loques leva les yeux et arrêta de gratter ses croûtes. Erin sentit que la Gobeline s’approchait de plus en plus alors que Pisces considéra son offre.

« Et tu effacerais mon ardoise ? »

« J’effacerai ton ardoise et je commencerai à acheter de l’alcool. »

Cela sembla faire pencher la balance, et Pisces hocha la tête. Il se rassit dans sa chaise avec un air penseur et entonna avec sa voix importante.

« Soit. Très bien. Commençons avec le Test des Mages. Observe. »

Pisces leva un doigt qui commença à briller d’une lueur bleue-blanche. Il commença à tracer quelque chose dans l’air. La lumière suivit le tracé de son doigt en laissant des résidus éthérés. Erin plissa les yeux en le regardant, fascinée.

« C’est le test basique pour déterminer tes aptitudes. Je suis en train de dessiner… »

Le tracé de la douce lueur bleue était à moitié complet quand quelque chose interrompit la leçon de Pisces. Un flash de lumière éclata sous son nez. Pisces poussa un petit cri de surprise, perdit le contrôle de sa chaise, et s’écroula au sol.

Erin recula. Pisces s’agita au sol alors que Loques bondit de sa chaise pour se cacher sous une table.

« C’était quoi ça ? Fait le disparaître ! »

Quelque chose était en train de flotter devant Pisces. Il essaya de le repousser de ses mains, avant de s’arrêter en voyant ce que c’était. Lentement, il se releva et Erin vit quelque chose flotter autour de sa tête. Cela semblait être… Une luciole ? Une luciole faite de rouge et d’or… Non, plus comme une gamme de toutes ces couleurs, clignant et scintillant devant le visage du mage. C’était magnifique et mystérieux.

« C’est quoi ça »

Pisces se redressa. Il approcha lentement sa main, et la luciole devint des étincelles de lumières qui dansèrent autour de sa main. Il les regarda.

« C’est un sort de communication, mais je n’en ai pas vu un de la sorte depuis… »

Il s’arrêta, fronçant les sourcils. Les étincelles de lumière commencèrent à se condenser en d’étranges formes scintillantes. Erin plissa les yeux, mais les formes ne ressemblaient pas à des lettres. Ou… Est-ce qu’ils étaient des mots ? Elle n’arrivait pas à les décrire… Non, elle ne pouvait pas les comprendre.

Chaque étincelle se tordit et devint une rune ou un symbole, flottant dans la main du mage, mais Erin pensait qu’ils étaient aussi des mots. Mais est-ce qu’il était possible de transformer une lettre ou une forme en un véritable concept ? Et ils… Ils étaient douloureux à observer. Les yeux d’Erin la lançaient alors qu’elle essayer de comprendre les étranges formes magiques.

C’était comme s’ils n’existaient pas dans un monde normal et en trois dimensions. Et plus Erin les regardait, plus elle développait une migraine douloureuse et plus la douleur devenait vive derrière ses yeux. Elle dut détourner le regard.

Loks était désespérément en train d’essayer de regarder le message magique, mais elle semblait souffrir comme Erin, tenant sa tête et forçant ses yeux à rester ouverts avec ses doigts crasseux.

Seul Pisces semblait être capable de regarder les formes sans aucune forme de douleur. Il fronça les sourcils, et se leva.

« Je dois lire ceci. Je, ah, vais m’en aller. Merci pour le repas. »

« De… Rien. »

Erin protégea ses yeux et regarda la robe tachée et les sandales sales aller jusqu’à la porte, puis elle entendit de nouveau la voix de Pisces.

« … Qu’importe tes sentiments, tu devrais engager une sorte de protection. Les monstres et la faune les plus agressifs retourneront bientôt dans cette zone. »

Erin leva les yeux, avant de cligner alors qu’une des formes pulsa un message que son cerveau ne pouvait pas comprendre. Elle couvrit de nouveau ses yeux, et quand elle osa retirer sa main, Pisces avait disparu.

***

Des gardes du corps. De l’aide. Des videurs. De la sécurité. Des gens avec des bâtons pointus. Ils allaient des gens qui étaient doué dans une bagarre jusqu’aux aventuriers actifs ou à la retraite qui voulaient bien prendre un travail plus facile en échange d’un salaire.

Ils étaient coûteux, mais c’était mieux que de se faire poignarder à répétition ou manger par un monstre. C’était l’opinion de Pisces. Erin entendit à peu près la même chose quand elle posa la question à Selys.

Les deux jeunes femmes ou jeunes… Adultes femelles étaient en train de marcher à travers la place du marché de Liscor, faisant les boutiques. Erin était en train d’accompagner Selys, cette dernière ayant déjà acheté ce dont elle avait besoin chez Krshia.

C’était très étrange. D’une certaine manière, Selys était comme n’importe quelle autre jeune femme qui avait à peu près le même âge qu’Erin. La Drakéide suivait les dernières tendances, admirait les bijoux, achetait de la nourriture pour la semaine, et parlait joyeusement avec les marchands comme n’importe quelle jeune femme vivant sa vie.

Si Erin fermait les yeux elle pouvait s’imaginer qu’elle était de retour dans son monde. Mais quand elle regardait Selys, il était difficile d’ignorer les écailles, et la queue, et le sujet de la conversation.

« Ecoute Erin, je sais que tu veux rester dans ton auberge, mais ce n’est pas sûr. Engage au moins un aventurier bas niveau. Ils ne sont pas si forts,, mais je peux te trouver un bon deal. Peut-être que tu peux appeler ça une requête d’extermination perpétuelle. Alors la Guilde couvrirait une partie des frais. »

Erin secoua la tête en continuant de marcher dans la rue.

« Je ne vois pas pourquoi j’ai besoin de protection, Selys. Je n’ai pas vu de monstre récemment, même pas un Crabe-Rocher. La seule chose que je vois sont ses oiseaux-dinosaures dans le ciel ainsi que Loques et les Gobelins. »

« Ils sont déjà terribles. Mais tu n’as pas encore vu les monstres véritablement dangereux parce que la Garde les éloigne ! Ecoute Erin, je ne veux pas apprendre que tu t’es fait manger ou découper en petits morceaux. »

« Charmante image. »

« Merci. Mais la Garde est là pour notre protection Si tu ne te protèges pas… »

Selys s’arrêta, plissant les yeux. Elle et Erin commencèrent à ralentir leurs progressions. Il y avait une foule devant eux, principalement des Drakéides avec quelques Gnolls dans le lot.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Une personne était en train de crier. Non, des personnes étaient en train de crier. Erin se mit sur la pointe des pieds mais elle ne pouvait pas voir au-dessus de la marée de personne qui la séparait de la scène. Puis, d’un coup, la foule s’ouvrit et plusieurs Drakéides s’engouffrèrent dans l’ouverture.

« Laissez passer ! »

Erin sauta sur le côté et regarda un groupe de quatre Drakéides armés sortir de la foule. Ils n’étaient pas des gardes, mais ils n’étaient clairement pas des civils.

« Des aventuriers. »

Selys murmura à Erin alors qu’elle la tira vers un bord de la rue. En effet, tous les piétons laissaient de l’espace pour les aventuriers Drakéides.

Les Drakéides crièrent, énervés, en direction de la foule derrière eux et commencèrent à s’avancer le long de la rue. Erin les regarda partir, et vit une silhouette familière sortir de la foule.

Relc poussa la foule et émergea de la mer de corps, sa queue s’agitant de manière colérique. Il se retourna, attrapa par le col un plus petit garde Drakéide qui semblait secoué.

« Stop ! »

Il hurla dans le dos des aventuriers Drakéides, mais ils l’ignorèrent. Furieux, Relc s’apprêta à les pourchasser, mais l’autre garde l’attrapa. Relc et le Drakéide se disputèrent furieusement.

Le regard de Selys passa des aventuriers à Relc de manière anxieuse.

« Ils ont dû se battre avec la Garde. Cela va causer des problèmes. »

Erin regarda Relc avec incertitude. Sa queue fouetta furieusement le sol alors qu’il continua de se disputer avec l’autre garde.

« Est-ce qu’il va les arrêter ? »

« J’espère pas. Les aventuriers et la Garde ne s’entendent pas. S’il le fait, cela aussi causé des problèmes. Enfin, il y aura déjà des problèmes à la Guilde, mais les arrêter ne ferait qu’empirer les choses. »

Selys regarda anxieusement alors que Relc semblait devenir de plus en plus furieux, malgré les efforts de l’autre garde pour calmer la situation. Il se libéra et commença à marcher à la suite des aventuriers qui étaient déjà hors de vue. Par coïncidence, son chemin le mena devant Selys et Erin.

Le Drakéide se figea en voyant Erin. Elle hésita, incertaine de ce qu’elle devait dire, voir si elle devait dire quoique ce soit. Avant qu’elle ne puisse se décider, Relc se retourna et marcha dans la direction opposé, traînant l’autre Garde sur le chemin. Il ne se retourna pas.

Selys relâcha sa respiration.

« Bien, c’était chanceux. C’est une bonne chose qu’il a décidé de ne rien faire. Je déteste voir des combats arriver dans le marché, surtout que nous n’avons pas terminé notre shopping. C’est une bonne chose que tu l’as calmé, n’est-ce pas, Erin ? Erin… ? »

Elle regarda le visage d’Erin. L’humaine était en train de frotter ses yeux. Les yeux de Selys s’élargirent et sa queue commença à tressaillir.

« Oh. Heu. Désolé. Je ne voulais… Enfin… Partons. »

Délicatement, elle prit Erin par le bras et l’éloigna. La foule regarda l’humaine avec curiosité, mais perdit intérêt maintenant que les aventuriers et Relc étaient partis. Seuls quelques Gnolls regardèrent le dos d’Erin, mais détournèrent rapidement le regard quand une certaine marchande Gnoll sortit de son étal et les regarda.

***


« Tiens. Prends une tasse de thé. »

Selys tendit une tasse fumante de quelque chose qui était doux-amer. Erin la sirota poliment et goûta ce qu’elle imaginait être une infusion de racines. Ce n’était pas si mauvais, et c’était chaud.

« Désolé pour ça. »

« … Y’a pas de mal. J’ai juste… je suppose que Relc ne s’attendait pas à me voir. Il semblait en colère. »

« Oui, en effet. »

Selys s’activa dans sa petite maison, allant chercher une autre tasse de thé aux racines pour elle-même alors qu’elle mit Erin à l’aise. La pièce dans laquelle elle avait amené Erin rappelait à cette dernière un appartement normal, à l’exception qu’il était plus ouvert et spacieux.  La chaise sur laquelle elle était assise avait aussi une taille différente, légèrement plus en hauteur que la normale.

Enfin, la femelle Drakéide prit un siège à côté d’Erin.

« Je suppose que c’est un autre accident avec les aventuriers. Je ne les ai pas reconnus, donc ils doivent probablement venir du sud. Et ceux que nous avons accueilli récemment, et bien, ils n’aiment pas obéir aux lois tant que ça donc la Guilde des Aventuriers a reçu beaucoup de plaintes récemment. »

« Hum. »

Erin avait presque oublié que Selys était une réceptionniste à la Guilde.

« Ils étaient tous des Drakéides. N’y a-t-il pas aussi des aventuriers Gnolls ? »

« Oh, quelques-uns. Mais c’était probablement une équipe entièrement faite de Drakéide. Les Gnolls… Enfin, les Gnolls n’aiment pas trop travailler avec les autres espèces. Et peu d’entre eux deviennent des aventuriers, donc nous en n’avons pas beaucoup. »

« Et qu’en est-il des humains ? Est-ce que beaucoup d’entre eux sont des aventuriers ? »

« Beaucoup. La majorité, en fait. Mais ce groupe vient du sud. »

« … D’accord ? »

Erin fronça les sourcils en regardant Selys. Selys fronça ses non-sourcils en retour.

« Ils viennent du sud, donc ils sont tous des Drakéides. »

« D’accord, d’accord. Parce que tous les Drakéides vivent dans le sud… ? »

Selys s’arrêta.

« …Erin. Est-ce que tu connais la géographie locale ? »

« Hum, non. »

Erin se tortilla dans son siège. Selys soupira, avant de sourire.

« Tu as vraiment besoin de faire plus attention. Attends un instant. »

Elle déposa sa tasse et s’agita dans sa demeure, parcourant différents tiroirs. Erin continua de siroter son thé jusqu’à ce que Selys retourne avec un bout de papier.

« Est-ce que tu sais quelque chose sur ce continent ? »

« Je sais que nous sommes sur un continent. C’est déjà pas mal ? »

Selys donna un coup de griffe taquin dans les côtes d’Erin. Cette dernière laissa échapper un petit cri de surprise et manqua de faire tomber son thé.

« Désolé, désolé ! J’oublie à quel point les Humains peuvent être tendre ! Désolé ! »

« Y’a pas de mal. »

Embarrassée, Selys prit une plume et ouvrit un pot d’encre.

« Attends, laisse-moi te montrer. Le continent sur lequel nous sommes s’appelle Issrysil… Enfin, les Humains ont un autre nom. Ça ressemble à ça, environ. »

Selys commença à dessiner sur un bout de papier, et traça une terre qui ressemblait vaguement à un triangle sur la partie supérieure, avant de s’amincir vers le centre et de vaguement prendre la forme d’une chaussure vers le bas. C’était plutôt ovoïde au final, mais c’est peut-être lié au talent de dessinatrice de Selys.

« D’accord, c’est rudement là ou tous les Humains vivent. Tu vois ? L’intégralité de la partie nord du continent à part l’endroit où les montagnes commencent. De là… À… là. »

Erin regarda le gigantesque gribouillage que Selys venait de dessiner autour de la partie nord du continent. Puis elle ajouta plusieurs petits triangles pour les montagnes à deux tiers de la carte, et une longue ligne s’étirant le long du continent, coupant le tiers supérieur de la partie basse.

« Et ici c’est Liscor. Tu vois, nous sommes le seul chemin à travers la chaîne de montagnes à part pour les Hautes-Passes ici… Et bien sûr, il y a aussi les routes côtières à l’est et l’ouest. »

Selys dessina des flèches à travers deux sections de la chaîne de montagne et entoura le petit point qui représentait Liscor. Le point était approximativement au centre de la carte, là où le continent était le plus étroit. Erin n’était pas douée en géographie, ou topographie, ou qu’importe ce que les cartes étaient, mais il semblait que Liscor était dans une sorte de vallée.

« Tu vois, c’est pourquoi Liscor est si important. Sans nous, toutes les marchandises devraient passer par la terre ou la mer en contournant l’intégralité du continent, ou en bravant les Hautes-Passes. Et ce n’est pas une bonne idée. »

« Ces Hautes-Passes sont dangereuses ? »

« Même pour les aventuriers de haut-niveau. Il y a de terribles créatures vivant dans le coin… Ils rendent les monstres locaux inoffensifs en comparaison. »

« Oh. Mais si tous les humains vivent au nord, qu’en est-il du sud ? Est-ce que c’est que… Les Gnolls et les Drakéides ? »

« Et les Antiniums, mais quelques autres espèces vivent ici. »

Selys secoua la tête alors qu’elle commença à marquer le bas de la carte.

« C’est ici que sont les six colonies Antiniums connues. Après ce point c’est leur territoire. Maintenant, ce n’est pas véritablement dangereux, mais personne ne s’aventure dans ce coin. Principalement parce que les Antinium là-bas sont différents de ceux de Liscor. Ils sont… Sauvages. »

« Sauvage ? »

« Je suppose que je veux dire… Enfin, c’est plus qu’ils sont hostiles au lieu d’être que terrifiants comme ceux ici. Je ne sais pas vraiment la différence, mais ceux qui sont ici ont une sorte de marché avec les cités du sud. Ils ne se battront pas et ils n’ont pas d’armée, mais les autres colonies… »

« Mauvaises nouvelles. Compris. »

« Aucunes cités ne veut faire du commerce avec eux. Même s’il n’y a pas beaucoup de commerce, avec tous les conflits qui sont constamment en train d’arriver là-bas. »

« Beaucoup de guerres ? Oh, attends. C’est là que se trouve votre armée, pas vrai ? »

« En effet. Ils sont toujours engagés par l’une des cités ou alliances qui apparaissent. Et il y en a beaucoup. »

Selys commença à furieusement marqué la partie inférieure de la carte avec des villes et des cercles.

« D’accord, ça se complique un peu, mais les gros groupes sont les Villes Emmurées là-bas, les Tribus Gnolls des plaines, et les ports et villes indépendantes dans ce coin. La plupart des habitants sont des Drakéides, c’est vrai, mais il y a d’autres races. Par exemple, presque un quart de la population dans ce coin sont des Gnolls. Nous avons quelques centaines d’humains là et là… Et de temps en temps, nous avons même des Tissés, des Centaures, des Selphides et des gens d’autres peuples, mais ce sont plus des individus que des communautés. Cependant, nous avons une bonne portion de Minotaure qui vont et viennent. »

Certaines races ne faisaient pas de sens pour Erin. Qu’est-ce qu’était un Tissé ? Ou un Selphide ? Ou…

« Qu’en est-il des Garous?  J’entends parler qu’ils vivent dans le coin, mais j’en ai jamais vu. A moins qu’ils sont exactement comme les Gnolls. Où vivent-ils ? »

« Partout et nulle part. Je suppose que tu peux en trouver plus parmi les Tribus Gnolls, mais ils ne leur appartiennent pas. Ils viennent d’un autre continent à l’est, mais ils sont pacifiques et il est facile de travailler avec eux. »

« Hum, est-ce qu’il y a d’autre type de personne comme vous. Qu’en est-il des Hommes-Lézards ? »

Selys prit un air renfrogné.

« Pas de lézards. Nous ne toléreront pas leurs espèces dans les villes, de toute façon.»

Erin regarda la carte. Selys termina de la dessiner et sourit à Erin.

« Alors, est-ce que tout ça fait sens ? »

« Oui, je pense. Tu as bien expliqué, mais la carte me fait mal aux yeux. »

« Hey ! Qu’est-ce qui ne va pas avec ma carte ? »

Selys baissa les yeux vers le cafouillis confus de gribouillis et de point sur le bout de papier.

« …Oh. »

Erin tenta de rester sérieuse, et échoua. Elle rit, et après quelques instants Selys commença à rire avec elle. Voilà un peu de bonheur.

Une fois qu’elles se calmèrent, Selys pointa l’un des points près de Liscor.

« La plupart des aventuriers viennent de Lyszen. Je parie que ce n’est que le début, et qu’on aura même quelques humains dans le lot, mais pas avant quelques jours. En tout cas, la raison pour laquelle tous les aventuriers sont ici c’est à cause de ces nouvelles ruines. Tu en as entendu parler ? Apparemment, ça serait une sorte de temple souterrain, et il serait immense ! »

Erin se rappela entendre parler des ruines, mais cela semblait être un lointain souvenir.

« Oh oui. C’est un sacré morceau, pas vrai ? »

Selys hocha sérieusement la tête.

« C’est très important. Nous recevons beaucoup de marchands, d’aventuriers, et de business venant avec eux. Mais bien sûr cela veut dire qu’il y aura plus de troubles quand ils vont se battre avec les Antiniums, ou briser la loi. J’ai entendu dire que la Gard met les bouchées doubles et maintenant que Klbkch est… »

Elle s’arrêta et tenta de faire marcher arrière.

« Hum, ce que je veux dire c’est que sans, sans assez de gardes… »

« Je comprends. »

Erin tapota Selys sur l’épaule.

« Donc il va bientôt y’avoir beaucoup d’aventuriers ? Je vais peut-être bientôt avoir un peu de clientèle dans mon auberge. »

« Seulement si tu peux te protéger. Comme je te le disais, Erin… »

« J’ai besoin de protection. Compris. »

Erin soupira.

« C’est trop bizarre. Je suppose que je me suis habitué à l’auberge et à la région, tu vois ? Je n’ai pas encore vu de monstres, donc je ne peux pas vraiment m’inquiéter. »

« Enfin, tu es dans l’ancien emplacement de plusieurs villages. »

Selys avoua en faisait quelques croix autour de Liscor.

« Ils ont tous été abandonnés ou détruit par le temps, surtout après le Nécromancien. »

« Pisces ? »

« Qui ? Non, pas cet humain. Le Nécromancien. Il remonte à quelque temps et… Enfin, nous avons perdu beaucoup de terre autour de Liscor. Mais l’endroit où tu te trouves est relativement en sécurité. Mais si tu vas à quelques kilomètres dans n’importe quelle direction, tu peux tomber sur beaucoup de trucs étranges. »

Erin était intriguée et commença à étudier la seconde carte que Selys était en train de dessiner.

« Vraiment ? Je suppose que je n’ai jamais… Huh. Tu sais, je ne suis jamais vraiment partie explorer. Je veux dire, à part pour trouver l’auberge et quelques autres endroits, je ne me suis pas vraiment éloigné. J’ai commencé à réparer l’auberge et… Ouais, je ne suis pas vraiment allé plus loin. »

Selys secoua la tête.

« Tant mieux. Certains endroits sont vraiment dangereux. Je veux dire, c’est pas évident car ce n’est pas la bonne saison, et que la Garde fait le ménage, mais j’ai entendu des histoires. »

« Du genre ? »

« Oh, tu connais les aventuriers. Ils parlent toujours de trésors et de trouver des artefacts dans des caves ou des trucs du genre. Mais ceux du coin sur toujours pauvres, donc je n’y prêterai pas attention. La plupart rampent discrètement vers la ville peu de temps après avoir dépassé ton auberge et c’est pourquoi aucun d’entre eux n’a osé s’aventurer dans les ruines. Ils attendent des aventuriers plus compétents pour ouvrir la voie avant de s’y engouffrer. »

« Donc ce que tu me dis c’est qu’il y a beaucoup de terres inexplorées dans le coin ? »

« Je suppose que c’est vrai si tu sors des sentiers battus. Mais qui risquerait de s’aventurer là-bas. »

Selys s’arrêta, réalisant ce qu’elle venait de dire, et lança un regard suspicieux à son amie. Erin resta de marbre.

« Erin… »

« Quoi » ? »

« Non ! C’est trop dangereux ! Ne soit pas stupide ! »

« Je veux juste voir ce qu’il y a autour de l’auberge. Je ne vais pas m’éloigner. Et je prendrai mes jambes à mon cou si je vois quelque chose. »

« Non. Je ne te laisserai pas partir seule. »

« Oh, allez. Je serais prudente. Je marcherai que quelques kilomètres dans toutes les directions, d’accord ? Mais je ne sais vraiment pas ce qui se trouve autour de l’auberge. J’ai envie d’explorer un peu. »

« Erin… »

« Ça va aller, je te le promets, Selys. Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? »

Toc, toc. Erin décida de toucher du bois et frappa ses doigts contre la table.

« Tu vas te faire blesser ! Ou tuer ! »

« Il n’y a rien dehors qui puisse me faire du ma… Qui puisse m’attraper. »

Toc. Toc.

« Nous étions en train de parler du fait que tu as besoin de protection ! Sans Relc ou Klbkch… Erin, tu te souviens des Gobelins ? Il y a bien pire dehors ! Crois, je travaille avec des Aventuriers, je sais de quoi je parle. »

« Rien ne va se déranger pour pourchasser une humaine solitaire dans une auberge au milieu de nulle part, j’en suis certaine. »

Toc. Toc.

« Pourquoi est-ce que tu continus de faire ça ? »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #41 le: 01 avril 2020 à 16:55:36 »
R 1.06
Traduit par EllieVia

Elle s’était cassé le bras, une fois. Quand c’était arrivé, Ryoka n’avait même pas eu mal. La douleur était principalement liée au choc. Ça n’avait été qu’une fois qu’elle se fut traînée de sous la moto pour attendre l’ambulance qu’elle avait commencé à avoir mal.
 
Elle avait eu mal. Mais étrangement, le pire n’avait pas été la douleur.
 
Non, si ses os brisés avaient réellement percé sa peau à ce moment-là, elle aurait eu bien plus mal que ça. Mais à l’époque, Ryoka avait été plus que bouleversée par la nausée qui l’avait saisie à ce moment-là, le sentiment que son bras n’était pas normal. C’était cela qui l’avait le plus éprouvée tandis qu’elle attendait les secours.
 
Elle se souvenait de ce moment à présent. Le souvenir flottait dans son esprit brumeux comme une bulle du passé. C’était important de se souvenir. Elle ne le faisait pas assez souvent.
 
Ryoka s’appuya sur la table avec le bras qu’elle avait jadis cassé - le gauche. C’était vraiment chiant de se casser sa main dominante. À quoi pensait-elle, déjà ? Ah oui.
 
Les souvenirs.
 
Peut-être que si elle s’était souvenue du passé, elle n’aurait pas répété les mêmes erreurs. Mais elle ne cessait de répéter les mêmes erreurs. Encore et encore. Faisant chier les gens jusqu’à ce qu’ils la traînent dans la boue. La même chose, encore et encore. Les symptômes de la folie - sauf que ce n’était pas ça. C’était ce que croyaient les idiots mais c’était un mensonge.
 
Ryoka regarda autour d’elle. À cette heure de la nuit, la salle commune de l’auberge était déserte. L’aubergiste était dans son lit et les serveuses étaient toutes parties. Mais il lui avait laissé une bougie allumée. Non pas qu’il l’aurait fait si elle le lui avait demandé, mais ce n’est pas la même chose quand c’est un Minotaure qui le demande gentiment.
 
Elle posa sa tête sur la table. Elle avait chaud. Et elle était épuisée. Mais elle avait surtout chaud, dans le sens fiévreux du terme. Pas le chaud qui poussait les Minotaures impétueux à tenter d’entrer dans sa chambre.
 
C’était la nuit. Elle était peut-être sombre et orageuse, mais Ryoka était assise dans l’auberge, donc elle ne pouvait pas le savoir. Elle ne faisait rien en ce moment. Elle restait assise et… attendait.
 
Les souvenirs. La douleur. Des os brisés. Ryoka sentit le temps glisser autour d’elle. Au début, elle attendait puis… une demi-elfe vint lui parler.
 
“Ryoka ? C’est l’heure d’y aller.”
 
Pourquoi chuchotait-elle ? Oh. C’était la nuit. Ryoka repoussa sa chaise. Le bras de Ceria autour de sa taille, elle se redressa. Elle devait se faire aider pour aller jusqu’à la porte. Humiliant. Ou pragmatique ?
 
Ils l’aidèrent à monter dans le chariot. Un autre petit moment honteux, mais il n’y avait pas de marches. Et ils mirent de la paille pour soutenir sa jambe. Les autres aventuriers acquiescèrent lorsque Ryoka s’adossa contre un oreiller de paille.
 
Il fallait bien accorder du crédit lorsqu’il y en avait. Car les Cornes d’Hammerad avaient beau se chamailler et leur leader avait beau être un homme-vache pervers, ils ne traînaient pas. En moins d’une heure, Ceria avait reçu une réponse du mystérieux Nécromancien qu’elle connaissait, ils avaient loué un chariot et des chevaux et déterminé leur itinéraire.
 
Ils se rendaient dans une cité loin au sud du nom de Liscor. Ryoka n’en avait jamais entendu parler. Apparemment, il n’y avait pas d’Humains là-bas, juste des Drakéïdes et des Gnolls, quoi que ça puisse être. Elle les laissait faire. Pour tout dire, les seules actions qu’avait effectuées Ryoka depuis le départ de Magnolia avaient été d’accepter l’idée de Ceria et de dormir.
 
Non, pas de dormir. Dès lors que le chariot se mit en branle dans un cahot qui cogna la jambe de Ryoka, elle sut que cela n’avait pas été du sommeil. La brume d’éveil douloureuse entrecoupée d’assoupissements brefs ne méritait pas ce nom. Mais maintenant, elle était épuisée. Épuisée à mourir.
 
Une anecdote à propos des os cassés ? Ryoka cilla alors que le chariot se bringuebalait sur la route pavée. Elle essayait de se souvenir. Qu’est-ce que c’était ?  À l’époque, ce n’était pas la douleur qui était le plus inconfortable.
 
Oui, c’était le reste. La pression, le sentiment de malaise, l’étourdissement et la nausée. Tout ce qu’elle ressentait en ce moment. Sa jambe était chaude sous ses bandages. L’esprit de Ryoka était embrouillé. Mais la douleur avait disparu.
 
Ryoka regarda les bandages trempés de sang qu’elle discernait à peine dans la lumière lunaire. Si elle ôtait les bandages, elle serait incapable de réfléchir ou de bouger. Et alors la vraie douleur reviendrait et sa jambe pendillerait comme un poisson mort. Elle était toujours tentée, toutefois. Juste pour voir sa jambe se balancer comme un ver obscène au bout de sa peau morte.  Blop, blop. Bloppy la Jambe-Poisson.
 
Elle était consciente de ne pas… avoir les idées très claires. Le manque de sommeil dû à la douleur rendait tout tellement plus difficile. Mais à présent, la douleur avait disparu. Disparu pour de bon, et loin.
 
La magie.
 
Elle entendait les autres aventuriers parler autour d’elle. Quatre Cornes d’Hammerad étaient assis dans le chariot - ou était-ce une carriole ? Suffisamment grand pour cinq avec de la place à revendre, donc une carriole.
 
“Est-ce qu’elle tient le coup ?”
 
C’était Gerry - Gerial. Le vice-capitaine. Il l’aimait bien, elle le sentait. Ce n’était pas réciproque.
 
Ceria jeta un œil à Ryoka. La mage était assise à côté d’elle dans le chariot. Ses yeux brillaient sous l’effet de la lumière qui sortait du bout de son bâton de mage.
 
“Ça devrait aller. Je pense.”
 
“Elle a l’air… bizarre. Tu as lancé quoi ?”
 
Calruz. Ryoka ne l’aimait pas non plus. Pas comme ça.
 
“Ce n’était pas moi. Peminac a lancé [Engourdissement], je crois. Ça enlève la douleurs, mais ça rend la personne un peu… bizarre. Mais ça devrait aller, et c’est mieux que de ressentir la douleur. On doit juste s’assurer qu’on continue à jeter le sort toutes les deux heures.”
 
“Tu ne nous as pas encore expliqué comment ton mystérieux ami nécromancien aidera à soigner la jambe, Ceria.”
 
L’un des aventurier dont Ryoka avait oublié le nom se retourna dans le chariot. Ce n’était pas l’un des mages. Il attrapa la masse d’armes à côté de lui.
 
“Tu veux dire le Nécromancien ? Je croyais qu’on allait juste voir un autre mage !”
 
Le guerrier en armure paraissait horrifié. Il secoua vigoureusement la tête.
 
“Si c’est le cas, ce sera sans moi. Je suis désolé, mais même un dette d’honneur ne me ferait pas aller voir ce monstre en face à face.”
 
Calruz gronda. Il marchait à côté du chariot. Il ne sembla pas remarquer le changement d’allure lorsqu’ils finirent par sortir de la ville et accélérer en retrouvant la route.
 
“Dans ce cas, dégage. Et considère-toi banni des Cornes d’Hammerad tant que tu y es.”
 
“Calruz… “
 
Intervint Gerial. Il tapota l’épaule du guerrier.
 
“Ce n’est pas la Nécromancien. Juste un nécromancien ordinaire donc pas de panique.”
 
“On n’a pas besoin de lâches ! Saute et rentre à la ville !”
 
“Fuir devant le Nécromancien n’est pas de la lâcheté, espèce de crétin.”
 
Déclara Ceria en assenant un coup de bâton sur la tête du Minotaure pour appuyer ses propos.
 
“Tu n’étais pas sur le continent quand le Nécromancien a attaqué avec ses légions il y a dix ans. Mais même à Wistram, j’ai entendu parler de la dévastation qu’il a causée. Et crois-moi, même si on avait tous dix niveaux de plus, on ne serait quand même pas à la hauteur. Donc arrête de remettre en question la bravoure de ta propre compagnie !”
 
Calruz la regarda d’un œil noir, mais il lâcha l’affaire et reprit le rythme des chevaux. Ryoka l’entendait marmonner ce qui semblait être des insultes.
 
Elle gardait les yeux fermés parce que cela lui permettait d’empêcher le monde de trop tourner autour d’elle. Mais Ryoka se devait de demander.
 
“Donc ce Nécromancien est toujours vivant ?”
 
Un moment de silence. Avaient-ils cru qu’elle était endormie ? Mais Gerial finit par répondre.
 
“Personne n’a retrouvé son corps. Et quand on ne retrouve pas le corps d’un mage, il y a de bonnes chances pour qu’il soit toujours dans les parages. Mais on ne l’a pas vu depuis, si c’est ce que tu veux savoir.”
 
Ceria s’éclaircit la gorge.
 
“Dans tous les cas, le mage qu’on va voir n’est pas le Nécromancien. Il est juste… il pratique la nécromancie.”
 
“Ah.”
 
Quelqu’un s’agite dans le chariot. Ryoka entendit le métal grincer contre le bois. Elle ouvrit un œil et vit la demi-elfe dévisager l’autre mage assise dans le chariot.
 
“Ça ne me plaît toujours pas. Ceria, comment cela se fait-il que tu connaisses un type comme ça ?”
 
Elle haussa les épaules.
 
“On a étudié ensemble à l’Académie de Wistram. J’étais son amie… avant. On s’est brouillés il y a quelques années, mais je savais qu’il était dans le coin. De plus, Pisces n’est pas vraiment dangereux. Agaçant, mais pas dangereux. Il est vénal, arrogant, et malpoli mais c’est tout.”
 
Gerial se pencha en avant.
 
“Tu lui as dit ce que tu voulais qu’il fasse ?”
 
“Je lui ai donné le minimum de détails. Le sort de communication que j’ai lancé ne m’a pas laissé le temps d’en dire plus, mais il m’a répondu qu’il était d’accord. Il va nous retrouver à une auberge à quelques kilomètres au sud-est de Liscor. Ne vous inquiétez pas, il est compétent. Mais je pense qu’il voudra une grosse somme d’argent en échange.”
 
“On peut se le permettre.”
 
Interrompit Calruz avant que Ryoka ne puisse parler. Ce qui était plutôt chouette, parce qu’elle était complètement à sec en ce moment. Les Cornes d’Hammerad avaient déjà payé pour les potions des soin et le chariot.
 
“Pourquoi est-il là-bas ?”
 
“Il est en cavale.”
 
“Pourquoi est-ce qu’il fait de la nécromancie ?”
 
Un silence. Les paupières de Ryoka commencèrent à se faire lourdes. Puis Ceria répondit.
 
“Je suppose que c’est parce qu’il préfère les morts aux vivants la plupart du temps.”
 
“Je le comprends.”
 
Ryoka fit retomber sa tête contre le chariot agité de soubresauts. Elle aurait voulu poser d’autres questions, mais elle avait tellement chaud. Et elle était tellement épuisée. Les rares morceaux de sa jambe qu’elle pouvait encore sentir pulsaient. Mais la douleur avait disparu, grâce à la magie.
 
Et à ce moment précis, c’était suffisant pour transformer en paradis le chariot rempli de paille qui rebondissait en grinçant. Ryoka s’enfonça de nouveau dans la paille.
 
Elle ferma les yeux, et s’endormit.
 
***

Voyager dans un chariot tiré par un cheval n’est pas agréable quand on a une jambe broyée. Même avec les potions de soin et les sorts anti-douleurs. Mais quand on comparait cela avec le fait de dormir dans une auberge sans sorts anti douleurs et avec un stock limité de potions de soin, c’est un véritable bonheur.
 
Je dormis jusqu’à la fin de la matinée. Quand je me réveillai, il était déjà plus de midi et apparemment, nous avions déjà parcouru les deux tiers du chemin qui nous menait à notre destination*.
 
Ce qui est, quand on sait à quel point Liscor est loin des terres humaines, est vraiment très impressionnant. Les Cornes d’Hammerad avaient dû aller à un train d’enfer pour arriver là si vite.
 
Je n’ai pas su ce qu’il s’était passé pendant mon sommeil. Mais apparemment, les Cornes d’Hammerad s’étaient brièvement arrêtés à une autre ville. D’une part, pour informer leurs membres blessés de ce qu’ils faisaient, et d’autre part, pour prendre des chevaux frais. Puis ils avaient poursuivi le voyage de nuit, une moitié dormant dans le chariot pendant la nuit pour prendre la place des autres au matin.
 
Ils s’étaient même occupés de ma jambe. Les bandages n’avaient pas été changés, évidemment, mais ils avaient versé une autre potion de soin pour que ma jambe n’ait plus l’air aussi horriblement rouge et enflée. À présent, elle était juste… rouge et enflée.
 
“Comment tu te sens ?”
 
Ceria se penche par-dessus la paille dès qu’elle voit que je me suis réveillée. Elle me tend un rouleau de pain sucré et effritable tartiné de beurre et de confiture. C’est délicieux.
 
“C’est très bon. Merci pour tout.”
 
Ma voix réveille l’un des hommes allongés dans le chariot. Gerial cligne des yeux puis me fait un sourire plein de charme. Enfin, j’imagine que c’est plein de charme. Quelqu’un d’autre se dirait que c’est plein de charme, en tout cas.
 
“Nous sommes heureux d’honorer nos dettes, Ryoka. Et pour le moment, ça n’a pas été plus difficile que ça.”
 
Dis le gars en train de dormir dans de la paille après avoir voyagé toute la nuit. Mais après tout, peut-être que c’est normal dans ce monde.
 
“Je ne suis pas près de l’oublier.”
 
Merde. On aurait dit une menace. Et maintenant… il a l’air perdu. Super. Changement de sujet, vite.
 
“... Et donc. À propos de ce mage.”
 
Ceria hoche la tête. Elle triture son bâton. Il ne brille plus, à présent. J’imagine qu’il requiert du mana pour rester allumé. *
 
*Du mana. De l’énergie magique. Ce monde ressemble déjà un jeu vidéo de base, et il utilise des termes sortis tout droit de la plupart des jeux que je connais. Mais bon, l’idée qu’on ait tous un réservoir de magique interne est plutôt cool.
 
“Pisces. Je t’ai dit qu’il était un nécromancien. Pour dire la vérité, ce n’est sans doute pas un nécromancien de très haut niveau - je me souviens qu’il était à peu près au Niveau 22 quand on était tous les deux étudiants à l’Académie de Wistram. Même s’il a gagné quelques niveaux, il ne devrait pas représenter une menace, si c’est ce qui t’inquiète.”
 
J’entends un ricanement. Hue. Calruz suit toujours le rythme. Est-ce qu’il a … couru toute la nuit ? Même moi, je ne suis pas folle à ce point.
 
“Je n’ai peur d’aucun mage, et surtout pas d’un faible qui pratique une magie de lâche comme la nécromancie.”
 
Gerial secoua la tête.
 
“Il a à peu près le même niveau que la plupart des membres du groupe. Ce n’est déjà pas mal. Mais pourquoi dis-tu qu’il est en cavale, Ceria ?”
 
“Il a été renvoyé de l’Académie de Wistram. Et il est recherché dans plusieurs villes pour délits mineurs, je crois. Pas des crimes - juste des escroqueries et un comportement globalement perturbateur.”
 
C’est le moment de partir à la pêche aux infos.
 
“Laisse-moi deviner. Il a été renvoyé quand ils ont découvert qu’il pratiquait la nécromancie, pas vrai ?”
 
“Oh, non. Ce n’était pas que ça. Non, c’est pour ce qu’il a fait grâce à la nécromancie qu’il a été renvoyé.”
 
Là encore, silence rempli de malaise. Je déteste ce genre de conversation, mais il faut bien que quelqu’un pose les questions évidentes. Heureusement, c’est Gerial qui s’y colle et pas moi.
 
“Qu’est-ce qu’il voulait faire ?”
 
Ceria serre les lèvres.
 
“Je ne peux pas révéler les détails de ce qu’impliquait sa recherche. Disons simplement que ça allait à l’encontre du peu de lois magiques qu’on a là-bas. Et disons qu’il y a une raison pour laquelle il reste vers Liscor.”
 
Curieux. J’imagine. Je ne suis pas plus intéressée que ça par le passé mystérieux de ce nécromancien, je veux juste savoir s’il est compétent.
 
“Est-ce qu’il est compétent ?”
 
“Oh oui. Il a assez de niveaux pour faire ce qu’on lui demande et il est intelligent. On pourrait même le qualifier de génie, au sens restreint du terme.”
 
“Comment ça ?”
 
Ceria fronce les sourcils et enfonce son chapeau sur sa tête. *
 
*C’est un joli chapeau de sorcière, d’ailleurs. C’est bien de savoir qu’on se conforme tous aux clichés dans le coin. Je devrais d’ailleurs aller de ce pas acheter un katana et me mettre à parler comme une ninja tant que j’y suis.
 
“Eh bien ce n’est qu’un gamin - je veux dire, il n’a qu’une vingtaine d’années humaines, ce qui le rend vieux, j’imagine. Mais il a des niveaux dans plusieurs classes de mage. Si on les ajoute toutes, il en a plus que moi et je suis trois fois plus vieille que lui.”
 
On ne dit pas qu’il ne faut pas mentionner l’âge d’une femme en public ? Mais j’imagine que les demi-elfes n’ont pas grand-chose à faire de ce genre de détail.
 
“Donc pour cette opération. Qu’est-ce que…”
 
Je m'interromps pour étouffer un bâillement. Sérieusement ? Je viens juste de me réveiller.
 
“Qu’est-ce que…”
 
Je bâille encore ? C’est quoi mon problème ?
 
“Fatiguée ?”
 
J’ai envie d’effacer le sourire du visage de Gerial d’un coup de poing.
 
“... J’imagine que je suis fatiguée.”
 
Ceria hoche la tête.
 
“Le sort d’[Engourdissement] et tous les soins que tu enchaines doivent t’épuiser. Si tu as besoin de dormir… dors. On n’arrivera pas à Liscor avant plusieurs heures, et il faut encore qu’on passe prendre de l’eau pour les chevaux.”
 
“Fichues bestioles.”
 
“Si tu veux aller plus vite, tu n’as qu’à tirer le chariot, Calruz.”
 
… Merde. Je me sens replonger dans le sommeil. Pourquoi ? J’imagine… fatiguée à ce point ?
 
J’entends un dernier fragment de réponse en me rendormant.
 
“... Je pense personnellement qu’il est dans un délire complet et qu’il n’atteindra jamais son but. Mais dans tous les cas, il ne restera pas longtemps dans le coin. Chaque fois que l’Académie apprend où il se trouve, elle envoie une équipe le capturer. Il a réussi à s’échapper à chaque fois, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne reste trop longtemps dans une région et se fasse attraper.”
 
Et ensuite… ensuite…
 
Je me rendors.
 
***

Quand Ryoka se réveilla pour la seconde fois, elle regarda autour d’elle et vit qu’elle n’était plus au même endroit. La prairie s’étalait toujours devant elle, mais l’herbe “tait pus haute ici, et elle voyait de hautes montagnes se dresser de part et d’autre de la route.
 
Elle était au fond d’une vallée. Une passe entre les chaînes de montagnes qu’elle n’apercevait d’ordinaire que comme des formes lointaines. Et la carriole qui avait jusque-là roulé sur un chemin de terre était à présent sur de la roche. Les cahots des roues sur la pierre inégale était probablement ce qui l’avait réveillée. Et il y avait aussi quelque chose qui puait horriblement et elle avait du mal à en faire abstraction.
 
“Bonsoir.”
 
Ce coup-ci, Ceria tendit à Ryoka un morceau de pain garni de morceaux de viande et de fromage. Là encore, Ryoka dévora le repas rapidement avant de parler.
 
“Comment s’est passé le trajet ?”
 
L’un des autres mages occupé à déguster son repas leva les yeux et répondit.
 
“Plutôt calme. On a chassé quelques Becs-rasoirs qui voulaient grignoter ta jambe, mais on n’a pas vu d’autre monstre.”
 
Ryoka cilla d’un air stupide. Son cerveau était toujours embrumé.
 
“Des Becs-rasoirs ?”
 
“De gros oiseaux verts. Avec du cuir, pas des plumes. Ils ont des dents plus tranchantes qu’une lame mais ils ne sont pas très dangereux. Quelques étincelles et ils s’enfuient.”
 
“Pas un véritable défi.”
 
Ryoka leva la tête et comprit d’où venait l’odeur. Calruz était assis à l’autre bout du chariot - en aval du vent par rapport au reste des aventuriers. Il suait, beaucoup. Pour le dire poliment, il puait. L’odeur faisait penser à Ryoka à un mélange entre une salle de sport pendant l’heure de pointe et une étable à un autre genre d’heure de pointe.
 
“On est proches de Liscor ?”
 
“Plus que quelques kilomètres. Mais on devrait apercevoir l’auberge dont Pisces a parlé dans un instant. Tu te réveilles au bon moment.”
 
Ryoka haussa les épaules. Elle continua à scruter les alentours. Les plaines étaient vraiment désertes. Elle imaginait que le fait d’avoir dormi pendant tout le trajet n’arrangeait pas les choses, mais le paysage qu’elle voyait changeait vraiment très peu. Juste quelques arbres… là-bas, quelques rochers bizarres éparpillés un peu partout dans une autre direction. Et là-bas…
 
“Des Gobelins.”
 
Ryoka et Ceria l’avaient dit en même tempos. Les autres aventuriers s’assirent et plissèrent des yeux pour les voir en attrapant leurs armes. Calruz regarda brièvement la menace puis se réadossa.
 
“Bah.”
 
Gerial plissa les yeux tandis que le guerrier à côté de lui sortait un arc posé dans les affaires du chariot et y plaçait une corde.
 
“Des Gobelins. On dirait une bagarre au sein de la tribu.”
 
Ryoka pouvait voir deux groupes de Gobelins s’échanger des coups de couteau et de massue au loin. C’était difficile à dire, mais on aurait dit qu’un côté était mené par un petit Gobelin, tandis que l’autre n’avait pas de leader. Mais les nombres étaient en faveur du groupe sans chef.
“Hum. On dirait que l’un de ces Gobelins a de l’expérience. Regardez... ils utilisent des formations et se battent ensemble.”
 
Calruz ne leva même pas les yeux et s’étira.
 
“De la vermine. Inutile de salir nos lames pour ça.”
 
“Tu ne dirais pas ça si tu voyais une troupe de raid - ou pire, une troupe de guerre. De plus, la Guilde offre une pièce de cuivre pour chaque double paire d’oreilles de Gobelins.”
 
L’archer encocha une flèche et visa.
 
“Je peux probablement les tirer comme des lapins si on ralentit le chariot. Ça évitera peut-être qu’un nouveau chef se fasse élire pendant quelques jours. Vous voulez que je tente le coup ?”
 
Calruz agita nonchalamment la main, ne se sentant clairement pas concerné par l’affaire. Le guerrier lança un regard à Gerial. Et Gerial regarda Ryoka. Il hésita, puis secoua la tête.
 
“Ce n’est pas notre zone, et de plus, c’est une tribu minuscule. Laissons les aventuriers locaux s’en occuper s’ils deviennent un problème. Allons trouver ce nécromancien.”
 
“Il devrait nous attendre à l’auberge. Quelqu’un la voit ?”
 
Les autres aventuriers scrutèrent les alentours tandis que l’archer enlevait sa corde, marmonnant au sujet d’une opportunité manquée. Ryoka chercha aussi, mais le paysage était tellement bourré de collines dissimulées et de creux qu’il était difficile de regarder droit.
 
Ce n’est qu’une demi-heure plus tard que l’un des mages pointa du doigt.
 
“L’auberge est là. On y est.”
 
Ryoka redressa brusquement la tête. Elle vit à l’horizon une colline, assez large pour être qualifiée de plateau, et dessus…
 
Une auberge.
 
Elle n’avait rien de particulier. Ryoka regarda une seconde la façade lessivée par les intempéries et l’oublia aussitôt. Parce qu’au sommet de la colline en pente douce, observant l’arrivée des aventuriers, se dressait un mage.
 
C’était clairement un mage. Il avait une robe, son teint était terreux et il semblait plus prompt à brandir un livre qu’une épée. Sa robe était blanche - elle se teinta de gris au fur et à mesure que le chariot avança, mais il était tout de même vêtu d’une robe.
 
Le chariot s’arrêta en grinçant et les chevaux couverts de sueurs arrêtèrent enfin leur voyage interminable. Les aventuriers sortirent lentement et en silence du chariot. Ryoka essaya de se lever, mais Calruz se contenta de la prendre dans ses bras et sauta du wagon avant de la poser sur ses pieds. Elle le fusilla du regard, mais finit par se concentrer sur le mage.
 
Pisces. Il avait l’air plutôt inoffensif avec les Cornes d’Hammerad debout devant lui. Mais Ryoka remarqua que bien qu’aucun aventurier n’ait tiré d’épée, ils n’étaient pas détendus devant lui. Et ils étaient en formation- deux mages à l’arrière avec le guerrier à la masse debout devant eux. Calruz et Gerial étaient de part et d’autre de Ceria lorsqu’elle s’avança.
 
La demie-elfe avança jusqu’à se trouver à quelques mètres de Pisces. Ils s’évaluèrent du regard. L’une, à moitié immortelle et dotée d’une beauté presque surnaturelle, et vêtue d’une robe d’un tissu des plus fin et filée de magie. L’autre, un mage vêtu de robes sales debout devant une auberge délabrée.
 
Ceria inclina légèrement la tête. Pisces acquiesça.
 
“Pisces.”
 
“Ceria.”
 
“Ça fait longtemps, pas vrai ?”
 
“Certes.”
 
Les deux se turent et Ryoka tenta de maintenir son équilibre sur une jambe. Elle dévisagea les deux mages. Clairement, ils ne s’appréciaient pas plus que cela, mais ils n’étaient pas des ennemis. C’était encore l’un de ces moments sociaux malaisant qu’elle détestait.
 
Ceria rompit le silence. Elle hocha la tête en direction de l’auberge.
 
“Il y a quelqu’un ici ? Est-ce qu’on peut acheter des vivres et se reposer, ou est-ce qu’il vaut mieux qu’on aille dans la cité ?”
 
Il haussa les épaules.
 
“Pas pour le moment. La propriétaire n’est pas encore revenue.”
 
“Eh bien, j’imagine qu’on peut tout aussi bien faire cela ici.”
 
“Je suppose.”
 
Un autre silence. Ceria resserra sa prise sur son bâton.
 
“Tu sais comment t’y prendre ?”
 
“Pour réparer un os broyé ? Naturellement.”
 
Pisces haussa les épaules d’un air nonchalant. Le geste parut agacer Gerial. Le vice-capitaine s’avança.
 
“Nous avons voyagé sur plus de cent kilomètres pour venir ici, mage. Tu es censé être un nécromancien capable de nous aider, mais on ne m’a toujours pas expliqué comment tu étais capable de ressouder des os. Les Nécromanciens jouent avec les morts, donc pourquoi serais-tu capable de soigner ?”
 
Si les regards pouvaient tuer… le regard glacé de Pisces se serait contenté de faire mal. Il prit son temps pour répondre et renifla bruyamment en dévisageant Gerial par-dessus son nez.
 
“Nécromancie est un terme inapproprié pour décrire la véritable nature de ma magie La réanimation n’est qu’une composante permettant de ressusciter les morts. Un autre aspect crucial de cette magie est la manipulation et la compréhension fondamentale de…”
 
Ceria l’interrompit.
 
“Des os. Il peut contrôler les os.”
 
Pisces renifla.
 
“Merci pour l’explication simpliste. J’imagine que c’est suffisant, cependant. Qu’importe, saches simplement que je suis un nécromancien capable d’effectuer votre requête. Merci de ne plus m’adresser de questions inutiles.”
 
Il se tourna de nouveau vers Ceria, ignorant purement et simplement Gerial qui paraissant outragé.
 
“Et mon dû ? Comme promis ?”
 
Ceria grimaça.
 
“Nous te donnerons vingt pièces d’or. Pas plus, pas moins.”
 
Il leva un sourcil.
 
“Pour ce que vous me demandez ? Alors que n’importe quel [Mage] vous demanderait deux cent pièces d’or pour un sort de [Reconstitution] ? Soixante, pas moins.”
 
“Trente. Et même là, c’est du vol.”
 
“Cinquante.”
 
“Quarante.”
 
“... D’accord.”
 
Pisces acquiesça. Ceria échangea un regard avec Calruz, qui hocha imperceptiblement la tête.
 
“On a un accord, alors.”
 
“Très bien. Où est la personne que je dois guérir ?”
 
Cette fois-ci, toutes les Cornes le fusillèrent du regard. Ceria montra la jambe blessée de Ryoka. Pisces la regarda et renifla.
 
“Bien sûr.”
 
Ceria poussa un long soupir qui résonna dans les oreilles de Ryoka comme celui de longues années de douleur. Elle agita sa main en direction de l’auberge et de la prairie.
 
“Où veux-tu jeter le sort ?”
 
“Inutile de se déplacer. Maintenant que nous avons conclu notre marché, commençons.”
 
Pisces se pencha en avant et posa une main sur la jambe de Ryoka. Elle sentit quelque chose se mettre à bouger à l’intérieur de sa jambe et retint un cri de surprise.
 
Pisces !”
 
Hurla Ceria tandis que les autres Cornes portaient la main à leurs armes. Calruz serra le poing et se pencha en avant d’un air menaçant, mais Pisces ne leva pas les yeux.
 
Il déplaçait son doigt en regardant la jambe de Ryoka avec intensité. Et quelque chose se déplaçait là-dedans. Ryoka pouvait sentir de multiples points de contacts tandis que la peau sur sa jambe ondoyait et se tordait.
 
  Elle n’avait pas mal. Mais c’était la chose la plus désagréable qu’elle n’ait jamais vécue. Pour une fois, son elle ne contrôlait pas son corps et Ryoka n’aimait pas cela du tout.
 
Mais presque aussitôt que l’opération eut commencé, le sentiment s’estompa. Pisces leva les yeux et regarda Ceria d’un air pincé.
 
“J’apprécierais que personne ne crie pendant le processus. Tu sais à quel point cela requiert de la concentration même sans interruption.”
 
La demi-elfe s’avança et enfonça durement un doigt sur le torse de Pisces, le faisant grimacer.
 
“Espèce d’idiot ! Laisse-la au moins s’allonger avant de faire ça !”
 
Pisces haussa les épaules d’un air insolent.
 
“Le confort de la patiente n’est pas mon problème. Dans tous les cas… j’ai fini. Où est mon dû ?”
 
Les aventuriers le dévisagèrent d’un air incrédule.
 
“Déjà ?”
 
“Impossible !”
 
Gerial s’avança et poussa Pisces d’un air furieux.
 
“Tu ne peux pas avoir fini si vite ! Tu mens !”
 
Pisces recula plutôt que de laisser Gerial s’approcher. Il renifla d’un air méprisant.
 
“Tu peux douter à ta guise, mais il me semble que mon ancienne camarade de classe peut attester de ma compétence. De plus, n’importe quel sort pourrait confirmer la véracité de mes allégations. Dis-leur, Springwalker.”
 
Ceria acquiesça avec réticence.
 
“C’est vrai. Il a ramené l’os à son état normal.”
 
Les Cornes d’Hammerad poussèrent des exclamations de surprise et de choc. Ils réévaluèrent immédiatement Pisces, tous sauf Ryoka. Elle regardait fixement sa jambe.
 
“Très bien, en ce cas. Ton argent.”
 
Ceria regarda Calruz. Le Minotaure grogna et plongea la main dans sa bourse. Il lança à Ceria un petit sac de pièces. Elle l’attrapa et le versa dans sa main. Des pièces s’en écoulèrent - bien plus que ce que la bourse aurait dû contenir.
 
Pisces attendit que Ceria eût compté les pièces. Il y en avait trop pour qu’elle les tienne toutes dans sa main, mais cette dernière brillait d’une faible lueur verte et elles se mirent à flotter dans les airs.
 
Les pièces d’or volèrent et se reposèrent en quatre tas parfaits de dix dressés dans la paume de la demie-elfe. Elle les tendit à Pisces avec l’expression de quelqu’un en train de s’arracher une dent. Il sourit en versant les pièces dans la bourse à sa ceinture. Ceria fit volte-face et les Cornes d’Hammerad se détournèrent pour discuter autour de la jambe de Ryoka.
 
“J’ai de grands plans pour cet or. Et il me permettra enfin de faire taire une aubergiste insupportable…”
 
Il s’arrêta lorsqu’il réalisa que personne ne l’écoutait. Pisces les fusilla du regard, se détourna, et partit.
 
***

“Désolée pour ça.”
 
Ceria s’excusa dès que Pisces fut hors de portée de voix. Elle soupira et se frotta le front.
 
“J’avais oublié à quel point il peut être agaçant, et pourtant j’ai bonne mémoire.
 
Gerial était sur le point de s’arracher les cheveux. Il fusilla le dos de Pisces du regard avant de répliquer sèchement.
 
“Si c’était si simple, pourquoi n’as-tu pas pu le faire ? Le sort n’a pas pris plus de quelques secondes !”
 
“Exactement.”
 
Gronda Calruz. Une large veine pulsait sur sa tempe et il serrait les poings.
 
“Cette vermine d’Humain se moquait de nous. On a fait tout ce chemin et payé si cher pour un sort que n’importe lequel d’entre vous aurait pu faire ? Explique-toi, Ceria !”
 
Le capitaine et le vice-capitaine des Cornes d’Hammerad fusillaient tous les deux leur mage du regard, mais elle projetait une ire au moins équivalente à la leur.
 
Moi, je n’aurais pas pu le faire. Et ce n’était pas un sort… ou du moins, pas un sort écrit dans un bouquin.”
 
Calruz hésita. Son visage imposant se plissa.
 
“Que veux-tu dire ?”
 
“Pisces déplaçait chaque esquille d’os et les soudait ensemble. Il pouvait sentir où ils étaient et il savait comment les rassembler. Ce n’est pas à la portée de n’importe quel mage.”
 
L’un des autres mages frissonna.
 
“Ceria a raison, Calruz. Je ne saurais pas par où commencer avec une blessure de ce genre. Mais la vitesse et la précision de ce nécromancien… et tu dis qu’il n’est qu’au Niveau 22 ?”
 
Ceria vit tournoyer son bâton entre ses mains pendant qu’elle réfléchissait à sa réponse.
 
“Pisces est un génie Il possède une connaissance intime des corps humains. Personne d’autre qu’un autre nécromancien n’aurait pu faire cela aussi facilement. Si un mage ordinaire s’y essayait il échouerait… et je ne recommanderais pas d’essayer.”
 
“Et ça a marché ?”
 
À présent, tous les aventuriers regardaient la jambe de Ryoka. Elle semblait… inchangée, en tout cas avec le bandage. C’est-à-dire que le bandage en question était tellement rouge et sale qu’il était impossible de distinguer la chair en-dessous. Au moins, la jambe ne paraissait pas enflée.
 
“La chair reste probablement déchirée, mais l’os en-dessous devrait être ressoudé si Pisces dit vrai. Il ne connaît pas de sorts de soin mais il est parfaitement capable de ressouder et renforcer l’os.”
 
Ceria jeta un regard en coin à Ryoka. La jeune fille était restée immobile tout le long… depuis que Pisces avait commencé à modifier sa jambe, elle était restée figée, à la regarder fixement.
 
“Ryoka ? Comment te sens-tu ?”
 
Pas de réponse. C’était comme si Ryoka était partie loin, très loin. Ceria fronça les sourcils, l’inquiétude balayant son visage.
 
“... Ryoka ?”
 
***

“... Ryoka ?”
 
Quelqu’un m’appelle. Et je veux lui répondre, vraiment. Mais mon esprit est occupé par quelque chose d’autre. Il pourrait bien y avoir la seconde venue de Jésus, l’Armageddon, une invasion alien, et Elvis Presley qui ressusciterait juste devant moi, je serais incapable de lever les yeux.
 
Parce que je peux le sentir.
 
La magie est toujours présente dans ma jambe, mais je peux le sentir. La chair a beau être déchirée, l’os est réparé. Mes os sont réparés.
 
Je. Suis réparée.
 
“Ryoka ? Tout va bien ? Comment te sens-tu ?”
 
Qu’est-ce que c’est que cette question ? Comment je me sens ? Est-ce que je vais bien ? Comment… comment des mots, de simples mots, pourraient-ils décrire ce que je ressens en ce moment.
 
Cela n’a pris qu’un instant, mais la différence entre la moi d’avant et celle de maintenant est… est la différence de toute une vie. Je suis guérie. Je suis moi-même, de nouveau.
 
“Ryoka ?”
 
Ceria pose une main sur mon épaule. Cela me ramène dans l’instant présent, pendant une seconde. Et c’est énervant parce que je souhaiterais que ce moment soit éternel. Si je pouvais capturer ce sentiment… si je pouvais m’en souvenir, jamais plus je ne replongerais dans le désespoir. C’est ce que signifie la réalisation d’un vœu.
 
Mais elle veut une réponse. Comment je me sens ? Est-ce que je me sens bien ? Quelle question stupide. Mais il faut que je réponde quelque chose. Quelque chose… quelque chose de piquant, comme “Comment crois-tu que je me sente ?”.
 
J’ouvre la bouche, et d’un coup, quelque chose m’en empêche.
 
… Quoi ?
 
Pour une fois, il n’y a aucune colère en moi, pas de cœur plein de rage et de peine. Au lieu de cela… au lieu de cela, j’ouvre la bouche et hésite. Les mots durs et amers se heurtent contre ma langue et refusent de sortir. Et quelque chose en moi me questionne : pourquoi ? Pourquoi, et quand ?
 
Pourquoi étais-je sur le point de m’en prendre à celle qui m’avait sauvé la vie ? Sauvé. La vie. Pourquoi voudrais-je faire une chose aussi atroce, et me montrer grossière avec celle qui m’avait montré tant de bonté ? Suis-je ce genre de personne ?
 
Quand ais-je oublié la gratitude ?  Depuis quand la seule réponse qui me vient est toujours la colère ? Depuis quand ais-je oublié le sens du mot “merci” ?
 
Qui suis-je, et où s’en est allée la fille qui savait sourire ?
 
Je ne réponds rien. Je ravale les mots amers inexprimés. Et je me tourne vers Ceria et plonge mon regard dans le sien. Ses yeux sont d’or, deux noyaux de soleils en fusion et d’or bruni. La couleur des champs de blé au crépuscule, et, dans leurs abysses, un éclat furtif de quelque chose de plus profond, de plus grand. Un morceau d’éternité.
 
J’incline la tête, profondément. Je n’avais pas regardé mes propres pieds depuis bien longtemps. Je ressens la surprise des gens autour de moi, mais c’est tout naturel. C’est le moins que je puisse faire. Dois faire.
 
“Merci.”
 
Là encore, cette surprise. Mais je garde ma tête inclinée. Je ne peux pas encore croiser leurs regards. Le sol est brouillé. Donc je continue de répéter le même mot.
 
“Merci. Merci, merci. Merci.”
 
Un mot imparfait. Il ne suffit pas. Comment un simple mot pourrait-il jamais être suffisant ?
 
Les Japonais - le peuple d’où provient la moitié de mon héritage - ont un type de révérence qu’ils font pour s’excuser. On dirait une prosternation, et on le traduit ainsi en anglais.
 
土下座. Dogeza. Un jour, j’avais juré de ne jamais le faire pour qui que ce soit. Ni rois, ni reines, ni Dieu s’il existait. Mais je le ferais instantanément si je savais que cela ne les mettrait pas terriblement mal à l’aise. Mais je le fais en ce moment, avec mon esprit et mon âme. Remerciant les gens qui m’ont rendu ce que j’avais de plus cher.
 
Mes jambes. Mes ailes. Ma capacité à voler. Je les remercie donc de toutes les manières possibles.
 
“Ce n’était rien…”
 
Je lève les yeux. Ceria rougit. Et sur son visage, c’est vraiment joli plutôt que simplement beau à voir. Je souris, et me retourne. Calruz baisse le regard sur moi. Surpris ? Mais je pense savoir comment le remercier, et ce n’est pas de la même manière que pour Ceria.
 
“Je suis vraiment reconnaissante. Et je suis désolée pour l’impolitesse dont j’ai pu faire preuve. Je vous dois une dette que je ne pourrai jamais honorer. Mais je connais les Cornes d’Hammerad à présent, et je sais ce qui vous définit.”
 
Je lui tends ma main.
 
“L’honneur.”
 
Calruz hésite un instant. Mais il finit par saisir ma main et la serre, fort. Ses yeux sont d’un bleu profond - je ne l’avais pas remarqué. On se serre la main.
 
“Honneur et devoir par-dessus tout. Sans eux, nous ne sommes que des animaux.”
 
Je me tourne vers Ceria et serre sa main. Puis celle de Gerial. Et celles du reste des aventuriers. Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps n’avais-je pas serré des mains correctement et agi comme une personne décente ?
 
Poigne ferme, regard droit dans les yeux. Comme papa me l’a appris. Et ils me rendent mon sourire. Ils sourient, et je la sens de nouveau.
 
La confiance.
 
“Je m’appelle Ryoka Griffin. Et je suis en votre dette. Tout ce dont je suis capable - si jamais vous avez besoin de moi, il vous suffit de demander.”
 
Et je me tiens droite. Entière, de nouveau. Et mon esprit continue là où ma voix s’arrête.
 
Ryoka Griffin. Étudiante de première année à l’Université de Columbia, ou… j’aurais dû l’être. Je n’ai jamais eu l’occasion de poser un pied sur le campus. Admise avec une bourse d’Athlétisme, spécialiste du 400 mètres. 19.45 de moyenne générale, hobbies incluant la chasse, le tir, et la lecture. Pas encore décidé de ses matières principales. Fan de vidéos YouTube et gameuse, mais je n’avais pas mentionné cela sur le formulaire de candidature.
 
Ryoka Griffin, coureuse, fille peu aimable qui n’aime pas son père, 4ème Dan de Muay-Thaï bien que j’apprécie le Parkour et beaucoup d’autres sports. A refusé de devenir membre au Mensa, renvoyée de deux lycées. Une fille en colère. Une âme perdue.
 
Adore les chansons sur lesquelles elle peut courir, grande fan de rock et ennemie de la pop, de la techno, et de l’opéra. Échantillon d’artistes favoris : Meatloaf, Imagine Dragons, Fun, Lady Gaga* et… Five for Fighting.
 
*Toutes les chansons pop ne sont pas forcément mauvaises, ok ?”



En ce moment…
 
Pleine de gratitude.
« Modifié: 04 avril 2020 à 15:56:49 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #42 le: 04 avril 2020 à 15:51:55 »
1.29
Traduit par Maroti

Quand ils défirent les bandages de la jambe de Ryoka, les autres aventuriers, à l’exception de Ceria et Calruz, tresaillirent.
 
Ryoka baissa les yeux vers sa jambe, qui était plus un fouillis de peau déchirée et sanglante, et fut de nouveau très reconnaissante envers la magie qui engourdissait sa jambe. Gerial semblait pâle alors qu’il entassait les bandages. Ils étaient trempés de sang et de saleté, mais ils avaient encore de la valeur.
 
“La chair…”
 
“Ça va.”
 
Ceria rassura les autres. Elle fouilla dans son sac pour une potion rouge et la déboucha.
 
“C’est ce qui arrive quand on fait bouger l’os. Mais maintenant la jambe peut être proprement soignée vu que l’os est réparé.”
 
Elle versa précautionneusement la potion sur la jambe de Ryoka. Cette dernière était plus forte, et plus coûteuse, mais son effet fut immédiat une fois que le liquide toucha la chair. Ryoka regarda avec un intérêt nauséeux alors que la chair et les veines commencèrent à se lier de nouveau, bougeant comme des vers sous sa peau. À ce point, la plupart des Cornes d’Hammerad furent forcés de détourner le regard, mais elle continua de regarder. C’était son corps après tout.
 
Après une minute, la partie externe de sa chair commença à se refermer. Ryoka vit sa chair fusionner et devenir lisse et complète. C’était la chose la plus satisfaisante qu’elle avait jamais vu.
 
Ceria tapota la bouteille pour que les dernières gouttes de potion de soin tombent et la rangea dans sa ceinture.
 
“Cela me semble bon. Je vais désormais dissiper la magie. Ryoka, comment est-ce que tu te sens?”
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“Je ne ressens rien. Mais ça me semble bon. Vas’y.”
 
Ceria hocha la tête et s’empara de son bâton. Elle murmura quelques mots et Ryoka grimaça. Les mots… Ne faisaient pas partie d’un langage qu’elle avait déjà entendu. La voix de la Demi-Elfe semblait résonner, et le son, ou plutôt, le sens que les sons transmettaient lui faisait mal à la tête.
 
Après quelques secondes d’incantation, Ceria leva son bâton et l’abaissa doucement. Puis elle observa la jambe de Ryoka, et les autres aventuriers se regroupèrent autour d’elle, alternant entre jeter des regards vers sa jambe et vers son visage.
 
Pendant quelques secondes, le visage de Ryoka resta de marbre. Puis, lentement, elle se releva. Elle testa son poids sur ses deux jambes, puis sur sa mauvaise jambe. Elle fit un pas, puis un autre. Et…
 
Elle sourit.
 
« Comment tu te… »
 
Calruz tapota Gerial et l’empêcha de parler. Il regarda Ryoka faire un autre pas, avant d’étirer sa jambe. Elle appuya sur sa jambe avec précaution en faisant quelque pas forcés. Puis elle commença à sautiller.
 
Ryoka tourna sur une jambe, avant de bondir et de donner un coup de pied. Puis, elle retomba et fit un coup de pied rotatif qui fendit l’air. Les aventuriers clignèrent des yeux, impressionnés.
 
Bond, rotation, coup, saut. Ryoka bondit dans l’herbe comme un singe, ou une karatéka pour être généreux. Elle fit une roue, avant d'enchaîner avec un coup de pied retourné qui fendit l’air. À ce point, Gerial et les autres aventuriers étaient en train de la regarder bouche bée, et c’était avant que Ryoka ne commence à faire des pirouettes et des saltos avant.
 
« Je pense que cela veut dire que tu te sens mieux, Ryoka ? »
 
La jeune femme s’arrêta et sourit à Celia. Elle essuya un peu de sueur de son front.
 
« Je me sens bien. Je me sens plus que bien. »
 
Cette fois ce fut Calruz qui resta sans voix. Mais Gerial retrouva la sienne, toujours en train de dévisager Ryoka.
 
« Comment est-ce… Je n’ai jamais vu quelqu’un faire ça »
 
Les autres aventuriers hochèrent la tête du même accord, mais l’un des mages secoua la sienne.
 
« J’ai déjà vu quelque chose comme ça. Les acrobates et les artistes de rues ont ce genre de compétence. Est-ce que tu as la classe d’[Artiste de Rue], mademoiselle Ryoka ? »
 
Elle lui jeta un regard, légèrement insulté.
 
« Non, j’ai du talent. Tu devrais me voir faire du parkour. »
 
« Par…Quoi ? »
 
« C’est un type de course. Ou… je suppose que tu peux aussi l’appeler un type d’art martial. »
 
Ryoka perdit de nouveau son audience.
 
« Matrimonial ? »
 
« J’en ai entendu parler. »
 
Ceria hocha la tête et sourit à Ryoka.
 
« Tu espleine de surprises, pas vrai ? Et ta jambe ne te fait pas souffrir ? Tu ne ressens pas de pincements ou de douleur ? »
 
Ryoka sourit.
 
« Pas du tout. »
 
« Pisces a fait du bon travail alors. Je savais qu’il le ferait. C’est peut-être un idiot, mais c’est un idiot compétent. »
 
Gerial se racla la gorge.
 
« Je suis content. Bon, heu, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Le voyage a été long et il y a l’auberge ou Liscor… Ryoka, est-ce que tu, heu, veux quelque chose ? »
 
Les Cornes d’Hammerad regardèrent Ryoka. Elle était pratiquement en train de vibrer d’énergie, incapable de rester immobile.
 
« Je vais recommencer à courir. »
 
« Quoi ? »
 
« Je dois courir. Désolé mais… »
 
Gerial et les autres Cornes d’Hammerad échangèrent un regard. Le guerrier hocha la tête avant de lui faire un sourire.
 
« Nous comprenons. Moi aussi je me suis déjà cassé des os. »
 
Ryoka hocha la tête. Elle était déjà en train de regarder les grandes plaines ouvertes, mais elle se retourna et hésita.
 
« Je ne veux pas vous gêner. Je peux probablement retrouver le chemin par moi-même si vous voulez… »
 
« Cesses d’être absurde. »
 
Cette fois, ce fut Calruz qui lui coupa la parole. Le minotaure grogna.
 
« Nous te suivrons dans le chariot. Il y a plus de cent-cinquante kilomètres entre ici et Celum. Même moi… Même toi tu ne peux pas courir aussi loin. »
 
Elle lui sourit.
 
« Tu veux parier ? »
 
Ryoka s’arrêta, et essaya d’ajuster ses mots.
 
« Um, merci en tout cas. Mais si vous avez besoin de vous reposer… Je sais que vous êtes resté debout toute la nuit. »
 
« Nous donnerons une potion de stamina aux chevaux. »
 
Ceria sourit à Ryoka.
 
« Si tu vas courir, reste sur la route. Les monstres du coin sont plutôt dangereux. Restes éloigné des gros rochers. Ils sont des monstres géants camouflés. »
 
Tous les autres Cornes d’Hammerad regardèrent Ceria, se demandant si elle était sérieuse. Mais Ryoka hocha simplement la tête, son corps était tendu comme un ressort. Mais de nouveau, elle s’arrêta avant de courir.
 
« Merci. Je suis sincère. »
 
Calruz grogna de nouveau.
 
« Assez de mots. Commence à courir ! »
 
Ryoka hocha la tête en direction des aventuriers. Elle leur donna un rare véritable sourire, et au moins quelques cœurs dans les Cornes d’Hammerad manquèrent un battement. Puis elle décolla.
 
Calruz devait avoir l’idée de courir avec Ryoka, du moins pendant quelque temps, car il décolla avec elle. Il fit dix pas avant qu’elle le laisse dans sa poussière. Ceria siffla doucement en voyant Ryoka fulgurer à travers les prairies.
 
« Occupons-nous des chevaux et allons sur la route si tu veux la suivre, Gerial. Il semblerait qu’elle soit partie pour faire cinquantaine de kilomètres avant d’être à court d’énergie. »
 
Gerial haussa la tête et commença à donner des ordres aux Cornes, même s’ils savaient déjà quoi faire. Calruz fit demi-tour, le pas lourd, semblant à moitié satisfait et à moitié mécontent.
 
« Rapide. Mais c’est pour ça qu’elle est digne. »
 
Ceria le regarda alors que Gerial commença à délibérément tripoter une potion bleue qu’il avait sortie de son sac.
 
« Cela valait le coup de payer notre dette envers elle, mais c’est dommage que nous ne puissions pas rester sur Liscor, Calruz. Mais… Tu sais que ces nouvelles ruines sont proches. Cela vaut peut-être le coup de dépasser les autres compagnies d’aventuriers et l’explorer en premier. »
 
Calruz secoua la tête.
 
« Mais pas sans une compagnie entière. Il y a une raison pour laquelle aucun des couards des environs ont osés s’enfoncer dans les premiers niveaux. Si nous revenons, cela sera après avoir connaissance de quels montres nous attends et quand nos blessé auront récupérés. »
 
« Pratique, je suppose. Je suis surpris de t’entendre dire ça, Calruz. »
 
Calruz jeta un regard irrité en direction de Ceria.
 
« Pourquoi ? Parce que je suis un Minotaure ? »
 
Elle ne broncha pas.
 
« Tout juste. »
 
Il grogna avant de sourire.
 
« Je ne suis pas un imbécile, et les Cornes d’Hammerad ne sont pas encore au niveau Or. Nous attendrons. Maintenant, suivons la rapide Ryoka Griffin. »
 
La mage grogna en montant dans le wagon.
 
« Un nouveau jour et nuit à cheval. Dommage que nous ne pouvons pas rester à l’auberge. »
 
Calruz regarda l’auberge vide avant de secouer la tête.
 
« Bah, elle ne semble pas très accueillante de toute façon. En avant ! »
 
Les Cornes d’Hammerad démarrèrent, descendant sur plusieurs kilomètres avant de retrouver la route principale. Ils continuèrent pendant une heure quand Gerial leva la tête et prit une grande inspiration depuis son siège de conducteur.
 
« … Est-ce quelqu’un sent de la fumée ? »
 
***

Ryoka courut. Elle courut à travers l’herbe et en détalant du sol. Elle se sentait renaître avec chaque pas. Et elle rapide, c’était même peut-être la première fois qu’elle était aussi rapide. Ses ailes étaient de retour.
 
Elle gravit une colline, la descendant une demi-seconde plus tard, avant de nouveau toucher un terrain plat avant qu’une nouvelle montée lui fit enfoncer ses pieds dans l’herbe tendre. La région pleine de bosses était parfaite pour entraîner les muscles, si elle le voulait. Mais en ce moment, Ryoka était simplement en train d’apprécier la sensation que courir lui donnait.
 
Elle restait sur la route principale. Même avec toute la passion dans son âme, Ryoka n’allait pas prendre le risque de courir dans l’un des monstres que Ceria avait mentionnés. Elle observa les gros rochers immobiles en courant et se demanda ce qui rôdait en dessous.
 
À cette heure du jour, la route était en fait habitée de quelques voyageurs. Soit Ryoka ne les avait pas vus lors de son trajet délirant vers Liscor, soit il avait été trop tard ou tôt dans la journée pour les croiser. Mais elle pouvait désormais voir des marchands faisant route dans des caravanes accompagnées de gardes, des fermiers dans leurs wagons, et même des voyageurs solitaires. Certains étaient humains, la plupart ne l’était pas.
 
Des lézards géants. Des hommes-chiens poilus. Ryoka se serait volontiers arrêter pour les regarder… ou les observer discrètement, mais le feu de la course brûlait en son sein. Elle courut une bonne distance de la route en doublant les voyageurs. En retour, ils regardèrent l’humaine les dépassant avec une curiosité stupéfaite et non déguisée.
 
Des marchands, des vendeurs, des voyageurs, des colporteurs, des gardes de caravanes, des fermiers et l’occasionnelle compagnie d’aventuriers voyageaient sur la route de Liscor. Oh, il y avait encore un dernier groupe.
 
Les Gardes.
 
Ryoka doubla un groupe de Gnolls qui sentirent l’air et tournèrent la tête presque trop tard pour la voir passer quand elle vit le groupe de Drakéide armés. Ils réagirent à sa présence en mettant la main sur leurs armes, mais quand ils virent l’humaine solitaire, ils se détendirent. Tous, excepté un seul d’entre eux.
 
Ses jambes et son corps étaient encore en forme, mais Ryoka pensait à ralentir un peu pour conserver de l’énergie quand elle vit quelque chose de flou sortir du groupe de garde et la pourchasser. Elle entendit les cris d’encouragement et les exclamations venant du groupe de Drakéides et réaliser que l’un d’entre eux tentait de faire la course avec elle. Ryoka regarda au-dessus de son épaule.
 
Quelque chose de flou et de vert était juste derrière elle. C’était l’un des gardes, un grand Drakéide avec une lance dans son dos. Un autre de ses idiots qui pensaient être capable de la dépasser juste pour frimer devant ses potes. Elle accéléra le rythme. Et… Il fit de même.
 
Il était rapide. Ryoka pouvait le sentir derrière elle, puis juste à côté d’elle. Elle prit une grande inspiration de surprise alors qu’il apparut à ses côtés, lui faisant un sourire imbu de soi. Il était grand, et il portait une arme et une armure, et il était presque aussi rapide qu’elle. Presque.
 
Ses pieds s’enfoncèrent dans l’herbe tendre. Ryoka augmenta le tempo de ses jambes et passa en overdrive. Le Drakéide cligna des yeux alors qu’elle accéléra. Il tenta d’accélérer, et parvint à tenir le rythme pendant quelques secondes. Mais Ryoka avait des ailes sur ses pieds et c’était sa première course en une semaine. Cela revenait au même qu’essayer de rattraper le vent.
 
Quelle était sa vitesse ? Ryoka vit les voyageurs sur la route se flouter, et disparaître à chaque pas. Elle était dans son propre monde à part, et même le Drakéide qui était incroyablement rapide ne parvint pas à tenir le rythme. C’était son monde, un monde que peu de gens allaient connaître.
 
Les gens sont fantastiques. Pendant une seconde Ryoka souhaita que son Iphone fonctionne encore pour qu’elle puisse écouter de la musique ou se filmer pour une de ses compilations sur Youtube. Mais elle abandonna cette idée derrière elle, et continua de courir.
 
Le garde perdit du terrain. Il avait beau essayer de toutes ses forces, il ne pouvait la rattraper. Ryoka tourna la tête et lui fit un sourire pour le remercier de cette bonne course. Il utilisa désespérément ses bras et ses jambes, mais son étrange vitesse n’était pas de taille pour sa course. Et sa posture était horrible.
 
Elle l’entendit l’appeler, mais Ryoka avait atteint la zone et elle ne pouvait pas s’arrêter. Elle continua de courir, souriant dans la brise. La sensation était de retour. Elle était de retour.
 
Elle était libre.
 
***

Relc abandonna sa course quand il réalisa que la femelle humaine avait déjà plus d’une trentaine de mètres d’avance. Dégoutée, il s’arrêta, déchirant l’herbe avec la force de son élan. Une caravane de marchands humains proche le regarda, impressionnés, mais c’était parce qu’ils avaient été trop lents pour admirer la coureuse qui continuait de sprintée au loin.
 
Frustré, Relc sortit sa lance et la planta dans le sol. C’était une première. Il n’avait jamais été… Enfin, rarement été battu à la course. Et jamais par un humain. Il regarda le dos de plus en plus petit de Ryoka avec un soupçon d’admiration dans ses yeux.
 
Puis il se retourna et commença à péniblement faire le trajet vers le groupe de garde qu’il avait quitté. Ils étaient à plusieurs kilomètres de distance. Relc grommela en se rendant compte de l’inconvenance, oubliant commodément qu’il avait été celui qui avait défié Ryoka à la course. Il jeta un dernier coup d’œil vers l’horizon, mais il ne pouvait déjà plus voir la forme de Ryoka.
 
« Les humains. Huh. Je me demande si Erin la connaît ? »
 
***

Quelque part en même temps, Erin n’était pas en train de faire les courses. Ni d’être à Liscor. En fait, elle avait quitté la ville il y a plusieurs heures de cela. Maintenant, elle était perdue.
 
Pas completement perdue. Elle savait où Liscor se trouvait, approximativement. Elle pouvait suivre la chaîne de montagne pour s’y rendre, et donc elle pouvait rentrer dans son auberge. Donc elle n’était pas perdue sur une grande échelle.
 
Mais sur une plus petite échelle mieux localisée, elle était perdue. En vérité, Erin se serait même aventuré à dire qu’elle était complètement perdue.
 
Elle avait quitté l’Auberge Vagabonde derrière elle en prenant son équipement et puis…
 
C’était comme se retrouver dans un labyrinthe, mais cette fois les murs n’étaient pas verticaux, ils étaient horizontaux. Erin fronça les sourcils. Est-ce que cela faisait sens ?
 
Les collines et les vallées de la prairie étaient pratiquement indiscernables à du sol plat depuis une certaine distance, et l’herbe verte et uniforme aggravait la situation. Erin devait naviguer en utilisant le peu de repère qu’elle pouvait discerner.
 
Par exemple, il y avait des rochers utiles à l’horizon… Sauf qu’ils bougeaient occasionnellement et que s’approcher de l’un d’entre eux étaient une mauvaise idée. Et il y avait des parcelles de fleurs rouges et de fleurs blanches qu’Erin voyait de temps en temps, mais elle avait un mauvais sentiment à leur propos.
 
« [Instinct de Survie] »
 
Du moins, c’était probablement ça. Cela pouvait aussi être un mauvais pressentiment hasardeux, mais c’était pratiquement la même chose quand elle y réfléchissait. Dans tous les cas, Erin avait décidé de ne pas sentir les jolies fleurs.
 
Elle observa les alentours alors qu’elle marcha dans les prairies. C’était incroyable. Dans plus d’un sens. Premièrement, elle avait vu une route à quelques kilomètres sur la gauche. Une route. Liscor avait une route !
 
Enfin, ce n’était probablement pas une si grande surprise. Mais Erin venait de réaliser à quel point son petit monde avait été étroit. Elle avait presque uniquement vécue dans son auberge et occasionnellement dans Liscor, sans explorer dans une direction. Et pourquoi ?
 
Oh oui, à cause des monstres. Enfin… Il n’y en avait pas qu’elle pouvait voir. Erin n’était pas trop loin de la route principale, et Selys lui avait dit que c’était la zone la plus sûre. Elle avait fait promettre à Erin de rester proche des zones que la Garde patrouillait.
 
Mais Erin venait de trouver une forêt, et elle allait l’explorer. Car c’était une forêt. Littéralement les seuls arbres qu’Erin avait trouvé excepté pour les arbres à fruits bleus. Mais ceux-là semblait être de vrais arbres… Excepté pour le fait qu’ils n’avaient pas de feuilles.
 
Cela était peut-être lié à la saison. Apparemment, c’était l’automne, proche de l’hiver. Erin n’y avait pas cru, mais Selys lui avait assuré que c’était la vérité. Apparemment les montagnes faisaient en sorte que les saisons ne les touchaient pas trop violemment ou quelque chose du genre.
 
« Ou peut-être que c’est comme en Floride ou en Californie. Pas de neige, pas de chaleur étouffante. Cela serait sympa. »
 
Erin murmura à elle-même alors qu’elle approcha l’arbre qui semblait sec. C’était une charmante forêt, et elle n’était pas trop loin de son auberge. Environ… Quarante minutes si elle marchait droit ? D’accord, c’était assez loin, mais uniquement parce qu’elle était à pied.
 
Hum ? Le bois marron de l’arbre était définitivement d’une couleur plus claire que les arbres de son monde. Leur couleur était actuellement plus proche de la couleur d’un arbre dessiné et non pas comme ils étaient en réalité avec toute l’écorce sombre, la mousse, et le reste. Erin voulue s’approcher mais une cloche retentit dans sa tête.
 
Son [Instinct de Survie]. Il pulsait quand Erin avait pensé à s’approcher des fleurs, mais maintenant il était clairement en train de sonner dans sa tête. C’était comme un mauvais pressentiment dans le creux de son estomac, sauf que cette fois c’était dans sa tête. Et cela disait à Erin qu’elle ne voulait pas s’approcher des arbres.
 
Erin recula rapidement. Quelque chose n’allait pas avec cette forêt. Mais quoi ? Ils étaient juste des arbres. Est-ce qu’il y avait quelque chose qui vivait dans cette forêt ? Dans les arbres ?
 
Erin mit la main dans son sac avec précaution. Elle avait apporté un sac d’essentiel pour une journée d’exploration. Cela ne lui avait pas coûté trop cher, et elle avait voulu se préparer. Ce n’était pas comme si elle était complétement insouciante comme Selys et Krshia pensait qu’elle était.
 
Erin fouilla avec une main en gardant un œil sur la forêt. C’était difficile de fouiller à tâtons dans le sac sans regarder à l’intérieur, surtout parce qu’elle ne voulait pas casser un certain objet. Où est-ce que c’était… ?
 
Elle sortit un briquet et de l’amadou, dont elle savait comment utiliser au cas où elle avait besoin de faire une torche. Ce n’est pas qu’elle comptait explorer une cave, mais cela semblait être un choix logique. Il y avait aussi des bandages, mais Erin ne voulait pas les utiliser. Sa main fouilla à travers le sac à l’aveugle.
 
Elle avait aussi un long couteau dans un fourreau de cuir qu’elle avait acheté à la Guilde des Aventuriers. Il vendait beaucoup d’objet pour les aventuriers derrière leur comptoir, et une fois que Selys avait compris qu’Erin n’allait pas changer d’avis, elle avait insisté pour qu’Erin en prenne un.

Et une potion de soin, bien sûr. C’était coûteux, presque une pièce d’or même pour une faible potion, mais Erin en aurait acheté une quelqu’en soit le prix. Elle avait appris sa leçon.
 
Quelque chose de lisse. C’était le miroir à main. Apparemment, c’était un outil que les aventuriers utilisaient pour regarder des blessures comme des dards empoisonnés ou en cas d’attaque de Basilic. Erin l’avait acheté parce qu’elle voulait vraiment en avoir un, mais aussi parce que  la vision d’un guerrier grisonnant se regardant dans la glace était plutôt drôle.
 
Erin avait rigolé, puis Selys  lui avait raconté comment certains insectes pouvaient s’enfoncer dans la peau d’un aventurier pour y pondre des œufs qui allaient éclore pour les manger de l’intérieur. Cela avait dégoutant et Erin avait l’impression d’être une mauvaise personne pour avoir ri. Mais cela ne l’avait pas stoppé son exploration, surtout après que Selys ai admis que ses insectes ne vivaient pas prêt de Liscor.
 
Selys ne semblait pas comprendre. Et en fait, Krshia ne semblait pas comprendre non plus. La Gnolle semblait penser qu’Erin était en train d’essayer de venger Klbkch. Elle avait offert d'accompagner Erin pour ‘chasser’ avec Erin, mais Erin avait refusé.
 
Aucune d’entre elles ne comprenaient réellement. Elles pensaient qu’Erin était folle et elle l’était probablement, mais ses raisons avaient du sens pour Erin. C’était quelque chose qu’elle devait faire.
 
« J’aimerai… »
 
Erin s’arrêta et secoua la tête. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ? Erin regarda l’objet qu’elle venait de sortir de son sac, le regard vide. Oh, oui.
 
Elle était en train de tenir un caillou. Pour être franc, c’était un beau caillou. Rugueux sur les bords, c’était vrai, mais un splendide spécimen de caillou malgré tout. Erin pouvait tenir ce caillou et sentir qu’il était définitivement fait de pierre. Il était aussi lourd comme il fallait, et c’était sa principale défense envers quoique ce soit.
 
Erin le pesa et plissa les yeux en direction de l’arbre. Hm. Elle recula jusqu’à se trouver à une quinzaine de mètres. Cela semblait assez prudent. Puis elle leva le bras, visa, et lança.
 
Erin n’avait jamais joué au baseball quand elle était petite. C’était un jeu de garçon, du moins de là où elle venait, et ils étaient tous des imbéciles quand il était question de laisser son tour à une fille. Mais elle avait joué à la balle de temps en temps, et il y avait beaucoup de parties de baseball qu’elle avait pu regarder à la télévision de temps à autre. Pour faire court, Erin avait une solide idée de la vitesse à laquelle une balle de baseball pouvait être lancée.
 
Le caillou qu’elle avait lancé avait environ la même vitesse qu’une balle rapide. Pas une balle rapide de joueur professionnel, le type qui pouvait tordre du métal ou tuer quelqu’un mais… En fait, c’était un caillou. Il pouvait totalement tuer quelqu’un même à  la vélocité réduite du lancer d’Erin.
 
Et il avait une trajectoire parfaite. Erin regarda le caillou qu’elle avait lancé touché l’un des arbres en plein centre, suffisant fort pour tordre l’écorce. Une autre compétence. [Lancer Infaillible]. Avec elle, Erin ne pouvait pas se rater.
 
Le caillou tomba au sol. Erin regarda l’arbre. Les branches étaient en train de trembler à cause de l’impact, mais rien n’arriva. Peut-être qu’il n’y avait rien de vivant dans les arbres après tout. Ou peut-être que c’était en train de se cacher, ou vivait que dans certains arbres, ou plus profondément dans la forêt. Ou peut-être…
 
Attendsuneminute. Erin se figea. Les branches étaient toujours en train de trembler bien longtemps après l’impact. Pourquoi est-ce qu’elle faisait ça ? Mais l’arbre semblait se fléchir et…
 
Des feux d’artifices. Chaque branche et brindilles sur la partie supérieure de l’arbre détonna  en avant instantanément et spontanément  comme une bombe de shrapnel. Des glands, des morceaux d’écorces, et des petits morceaux de branche furent projetés en avant, des milliers de balles.
 
Erin se jeta au sol alors que la pluie de bois mortel tomba autour d’elle. Elle fut chanceuse. L’explosion était assez lointaine pour que la majorité de ce qui la toucha avait perdit son élan. Elle sentit des bouts de bois tomber autour d’elle alors qu’elle protégeait sa tête de ses mains. Erin décida de lever les yeux uniquement après qu’elle soit bien, bien certaine que tout s’était arrêté.
 
L’arbre était complètement dénudé de son écorce et de la majorité de ses petites branches. Il se tenait parmi les siens, montrant le sale mélange de jaune, de vert et de blanc de son tronc. Des bouts de l’arbre jonchaient le sol dans un radius d’une centaine de mètres.
 
Tremblante, Erin se releva. Elle sentit quelque chose couler le long de son visage et toucha sa joue. Quelque chose, un gland, avait coupé une entaille peu profonde le long de sa joue gauche. Elle regarda le sang sur le bout de ses doigts et tenta de ne pas vomir.
 
***

 
Ce ne fut qu’après avoir mis au moins presque deux kilomètres entre elle et les arbres explosifs qu’Erin s’arrêta pour insulter sa propre bêtise. Puis elle décida de ne plus jamais s’approcher de quelque chose qui ressemblait de près ou de loin à un arbre sans un lance-flamme. Les monstres étaient quelque chose, mais ça…
 
Erin soupira avant de s’asseoir sur une petite colline. Du coup, voilà pourquoi personne n’explorait cette région. Des arbres explosifs. Ces choses étaient mortelles à moins de porter une armure, et encore. Elle imagina ce qui pouvait arriver si Loks ou un de ses amis Gobelins s’ils essayaient de ramasser du bois depuis ces arbres et frissonna.
 
Curieusement, le fait qu’elle avait frôlé la mort avait affamé Erin. Elle ouvrit son sac et fouilla précautionneusement à l’intérieur jusqu’à sortir quelque chose de mou. Elle déballa le papier de cire pour révéler un sandwich légèrement écrasé. Apparemment, les Drakéides n’étaient pas très friand de pain, ils avaient un régime constitué de beaucoup de viandes, de poissons et d’insecte de temps en temps, mais les Gnolls  en mangeaient.
 
Ce sandwich en particulier avait de la moutarde, ou quelque chose de sucré qui avait légèrement le goût de moutarde, du fromage, et beaucoup de viande. Erin le dévora en souhaitant qu’elle ne l’avait pas mangé si rapidement. Elle se tint l’estomac et puis elle remarqua l’araignée.
 
« Oh mon dieu. »
 
C’était une grosse araignée. Une grosse… Non, énorme araignée. Et elle avait…
 
« Oh mon dieu. Est-ce que c’est de l’armure ? »
 
Peut-être que ce n’était pas une armure. Peut-être que cela en était une. Mais le paterne argenté et noir sur le dos de l’araignée faisait passer l’épaisse couche de… Carapace encore plus sinistre qu’elle l’était. Cela ressemblait à de l’armure, surtout dans la façon dont les plaques couvraient les jambes de l’araignée géante et le haut de son corps. Erin était pratiquement certaine que c’était de l’armure.
 
Click
 
L’araignée fit cliqueter ses mandibules en s’approchant d’Erin. Elle se figea, avant d’attraper son sac et reculer. L’araignée s’approcha plus vite, Erin recula encore plus vite.
 
Erin se retourna et commença à courir. Du moins, jusqu’au moment où son [Instinct de Survie] s’enclencha comme une alarme. Elle s’arrêta. Qu’est-ce qui…
 
C’était presque trop tard. Erin s’apprêtait à faire un autre pas quand elle remarqua que le sol devant ses pieds semblait fragile. Elle fit un pas en arrière, l’araignée géante était encore assez loin. Elle donna un coup de pied sur le sol, et ce dernier s’effondra.
 
Un grand trou s’ouvrit dans le sol devant Erin. La fausse terre, en vérité, une sorte d’amalgame vert fait d’herbe morte et de brindilles s’effondra et Erin baissa les yeux vers les enfers. Un nid rempli d’araignée. Et d’œufs.
 
Elles étaient partout, des petites, des grosses, et des œufs. Tellement d'amoncellement d’œufs blancs qui recouvraient le sol et les murs de l’immense caverne comme d’obscènes champignons. Et alors que le piège tomba, elles se ruèrent d’un même mouvement frénétique.
 
Des araignées commencèrent à se précipiter dans leur nid, se précipitant l’une sur l’autre à la recherche de la proie qui était tombé dans leurs nids. Pendant ce temps, la proie en question se tenait aux abords du nid et recula lentement avec horreur.
 
Ce fut uniquement quand elle entendit l’approche de l’autre araignée cuirassée qu’Erin se souvint qu’elle était derrière elle. Elle se retourna, hurla, et courut autour des bords du piège. Elle la suivit mais, de façon intéressante, les autres araignées ne le firent pas. Elles étaient toujours en train de grouiller de manière inconsidérée dans le sol, protégeant les œufs et cherchant quelque chose à manger. Mais la grosse était toujours en train de la chasser.
 
Elle courut. L’araignée la suivit. Même après qu’Erin fit plusieurs centaines de mètres elle pouvait se retourner et la voir s’approcher. Et puis elle réalisa qu’elle n’allait pas s’arrêter. C’était une prémonition. L’araignée allait la chasser jusqu’à ce qu’elle s’arrête.
 
Donc Erin ralentie sa course pour marcher. Elle se retourna, et retira son sac à dos. Erin chercha à l’intérieur et sortit deux choses. Un caillou et une jarre qui avait été bouchée avec extrême préjudice.
 
Explorer avait été une idée stupide. Selys lui avait dit une centaine de fois. Krshia lui avait dit la même chose, mais elle avait suggéré de l’accompagner avec quelques autres Gnolls. Mais Erin avait refusé les deux idées. Elle devait le faire seule.
 
Et cela allait peut-être la tuer. Mais Erin s’était réveillée en hurlant et en pleurant chaque nuit depuis la mort de Klbkch. Donc elle ne prit pas la fuite. Elle s’empara du caillou et visa l’araignée.
 
Sa tête était noire et Erin ne pouvait pas discerner des yeux ou quelque chose qui se dégageait. Elle s’attendait à ce que l’araignée est une large mâchoire ou quelque chose du genre, mais c’était juste blanc et terrifiant. Elle lui lança le caillou au visage.
 
Le caillou s’écrasa contre la tête de l’araignée. Cette dernière chancela et poussa un son strident qu’Erin ne pouvait qu’entendre à moitié. Pendant une seconde elle pensait que cela avait marché et qu’ l’araignée allait prendre la fuite. Mais l’araignée baissa la tête et avança
 
Elle n’était même pas en train de saigner, même si Erin ignorait sur les araignées pouvaient saigner. Mais l’armure recouvrant l’araignée n’avait même pas été craquée par le caillou. Erin regarda l’araignée qui s’approchait.
 
Énorme. Presque la moitié de sa taille. Tous les instincts d’Erin lui hurlaient de courir. Mais elle refusa. Si elle courait, l’araignée allait la suivre.
 
Si elle courait assez loin, peut-être qu’elle serait capable d’atteindre la cité avant de tomber à court d’énergie. Peut-être qu’elle allait tomber dans un autre piège. Mais dans tous les cas, quelqu’un allait devoir tuer cette araignée. Si ce n’était pas elle, un garde. Relc, ou Pisces. Voir même Loks. Quelqu’un allait finir par se battre, et quelque allait peut-être mourir.
 
Donc Erin ne courra pas. Elle resta sur place et regarda l’araignée. L’araignée allait la tuer, ou elle allait la tuer. Elle savait que cela allait terminer comme ça, et elle ne courra pas. Parce que c’était la raison pour laquelle elle était ici.
 
Pour ne plus jamais voir quelqu’un mourir pour elle. Pour ne plus jamais devoir les tenir dans ses bras et écouter leurs derniers mots. Pour ne plus jamais pleurer et sans cesse se sentir coupable.
 
Pour ne plus jamais être faible.
 
Donc, au lieu de courir, Erin ramassa la jarre de verre qu’elle avait posé dans l’herbe. Elle la jeta à l’araignée qui continua de charger.
 
La jarre se brisa et l’acide recouvrit l’armure de l’araignée. De nouveau, cette dernière poussa un cri perçant et cette fois Erin vit de la fumée s’élever de son armure. L’acide mordit dans l’armure de l’araignée, mais de nouveau, c’était insuffisant. L’araignée se roula en boule dans l’herbe alors que de la fumée continua de s’élever de son armure, et griffa frénétiquement son ‘visage’. Éventuellement, la fumée se dissipa et l’araignée se releva.
 
Erin attendit. Elle avait aveuglé la créature, mais maintenant elle affrontait une araignée à moitié aveugle recouverte d’acide qui mangeait la chair. L’araignée s’approcha, et elle vit que le délicat exosquelette gris et noir plaqué avait été troué par l’acide des mouches. Mais ce n’était pas assez.
 
Erin mit la main dans son sac et sortit un de ses couteaux. Elle le lança et la lame fendit l’air pour rebondir sur la tête de l’araignée. Inutile. Erin vida son sac et l’entoura autour de sa main. Elle marcha, lentement.
 
Ses oreilles étaient en train de vrombir. Le bruit du sang et des battements de son cœur étouffaient tout le reste. L’araignée hésita alors qu’Erin marcha vers elle. Elle toucha délicatement le sol d’une de ses pattes et tenta de la contourner. Erin continua d’avancer vers elle. Ses yeux fixés sur un monstre bien plus terrifiant que tout ce qu’elle avait vu dans ce monde. Mais elle ne prit pas la fuite.
 
Erin s’arrêta à quelque pas de l’araignée. Son pouls était électrique, son estomac était absent. Elle baissa les yeux, et l’araignée hésita. Erin lui adressa la parole.
 
« J’ai tenu un ami mourant  dans mes bras et j’ai connu la douleur. Essaye de me tuer. Tu ne peux pas manger un cœur brisé. »
 
Elle leva ses poings.
 
« Approche. Ta tombe sera profonde. »
 
***

Une brise souffla depuis les montagnes. C’était une brise puissante, mais fatiguée. Après des milliers de kilomètres le souffle qui avait traversé l’océan n’était plus qu’un murmure. Mais c’était assez. Elle porta la fumée et le brulé dans le vent.
 
L’aventurière s’arrêta et regarda au nord. Le vent fit bouger ses dreadlocks, et elle frotta ses yeux. La fumée était gênante, mais elle avait appris il y a bien longtemps à voir même dans des tempêtes de sables.
 
Cependant, cela était curieux. Alors l’aventurière marcha vers la fumée. Elle ne s’embarrassa pas à sortir la large épée à sa hanche. Elle en n’avait pas besoin, pas encore. De plus, sa confiance n’était pas injustifiée.
 
Elle portait une armure faite d’un métal sombre. Pas sombre comme de l’acier de jais ou la couleur dépourvue de lumière de l’obsidienne… Juste un métal sombre, de couleur marron-orangée. De loin, cela donnait une impression de rouille, mais l’armure n’était pas rouillée. En fait, elle était plutôt propre, c’est juste que le métal donnait cette impression.
 
L’aventurière la portait comme une seconde peau, et cela ne la gênait pas dans ses mouvements alors qu’elle avança vers la fumée. Mais elle s’arrêta quand elle vit l’araignée.
 
Elle était en train de ramper hors d’un trou situé sur le flanc d’une colline. Du bois brûlant avait été placé autour du trou, mais l’araignée était déterminée. Elle poussa par-delà le feu, hurlant horriblement et fumant. Quand elle vit l’aventurière, elle réagit par instinct et bondit.
 
L’aventurière dégaina son épée et coupa deux fois. L’araignée tomba au sol, ses jambes et son abdomen trancher. Du pus jaune coula de son postérieur alors que l’aventurière l’examina.
 
« Des Araignées Tueuses de Rois ? Non… Des Araignées Cuirassée. »
 
Elle laissa l’Araignée Cuirassée là où elle gisait. L’aventurière continua en avant jusqu’à atteindre le haut de la colline, elle vit la source de la fumée.
 
Un large trou était en train de laisser s’échapper de la fumée noire. Des étincelles oranges et une terrible lumière rouge éclairèrent les bords du trou comme un passage vers une quelconque abyme. Mais ce ne fut pas ce qui attira l’attention de l’aventurière.
 
Une fille était assise, toute seule, au bord du trou fumant. Elle était en train de regarder à l’intérieur, ignorant le petit feu de camp à sa droite. Elle était en train de serrer ses genoux dans ses bras et de baisser les yeux. Elle ne vit et n’entendit pas la seconde araignée s’approcher derrière elle.
 
L’araignée bondit. L’aventurière agrippa son épée, mais la fille au bord du gouffre bougea en un éclair. Elle roula sur le côté au moment où l’araignée bondit vers elle. L’élan de l’araignée l’emporta par-delà les bords du trou fumant. L’aventurière entendit un cri d’agonie perçant de l’araignée alors que la fille retourna s’asseoir au bord du trou.
 
Avec précaution, l’aventurière s’approcha. Elle n’avait pas peur pour sa vie, mais elle était en train d’étudier la fille avec beaucoup de confusion. Son œil se plissa alors qu’elle évalua la fille. Et elle n’était qu’une fille, surtout pour l’aventurière.
 
Alors qu’elle s’approcha, la fille leva les yeux vers elle. Elle était humaine. Elle ne se releva pas, mais changea légèrement l’angle de la chose qui se trouvait à ses pieds avec plus de précision.
 
Un petit miroir se tenait aux pieds de la fille, réfléchissant le paysage derrière elle. Il était tenu par un sac, ou quelque chose qui rappelait vaguement un sac. En vérité, c’était plus un tas de bouts de tissus.
 
L’aventurière regarda la fille. Elle ne semblait pas être blessée. Mais elle ne semblait pas être inclinée à parler. Alors l’aventurière s’éclaircit la gorge.
 
« Bien le bonjour. »
 
« Bonjour. »
 
La fille ne leva pas les yeux. Elle serra ses genoux et continua de fixer la fumée. Curieuse, l’aventurière s’avança. Sa main n’était pas sur le pommeau de son arme, mais elle n’était pas détendue.
 
Maintenant qu’elle n’était qu’à quelques pas elle pouvait sentir la chaleur radiée du trou. C’était intense, mais c’était un brasier dans ses derniers stages. Clairement, le feu brûlait depuis longtemps, mais ce ne fut pas ce qui attira l’attention de l’aventurière. Non, ce fut les nombreuses formes qui reposaient recroquevillée au fond de la fournaise.
 
Des araignées.
 
Elles gisaient en grands nombres, leurs carcasses cuirassées fumante et brûlante de manière horrible dans les flammes qui dansaient autour des bords du trou dans le sol. Certaines avaient tentées de grimper. Elles pendaient, balançant, leurs jambes encore plantées dans les murs de terre où elles avaient péries.
 
« Un nid. »
 
« Oui. »
 
L’aventurière cligna son œil en direction de la fille.
 
« As-tu fait cela? Par toi-même ? »
 
« Oui. »
 
« Puis-je demander comment ? »
 
La fille humaine s’arrêta. Elle avait été en train de se balancer d’avant en arrière avant de répondre.
 
« J’ai fermé toutes les entrées avec de l’herbe sèche et du bois. Puis j’ai commencé à lancer des branches enflammées dans le trou. »
 
« Où as-tu trouvé le bois ? »
 
« Il y a une forêt plus loin. Des arbres et beaucoup de bois sec. »
 
L’aventurière jeta un coup d’œil dans la direction que la fille pointait du doigt. Elle hocha la tête.
 
« Des arbres Krakk. Ils brûlent bien, mais tu as été chanceuse qu’aucun d’entre eux n’a explosé. Ils le font souvent et le shrapnel est mortel. »
 
« Ils ont explosés. »
 
L’aventurière leva un sourcil. Elle regarda à la fille d’un œil, avant d’ouvrir plusieurs autres yeux pour l’étudier dans son intégralité.
 
« Oh ? »
 
« J’ai lancé des cailloux sur les arbres jusqu’à ce qu’ils explosent. Puis j’ai ramassé les branches. Ce n’est pas dangereux si tu les fais exploser avant. »
 
« Je vois. Astucieux. »
 
« Merci. »
 
L’un des yeux de l’aventurière regarda vers sa droite.
 
«Es-tu aussi responsable pour ça ? »
 
« Oui. »
 
« Peu peuvent vaincre une Araignée Cuirassée à mains nues. »
 
La fille haussa de nouveau les épaules. Elle serra ses bras sans s’en rendre compte.
 
« Ce n’était pas difficile. Je l’ai retourné et j’ai commencé à piétiner. »
 
« Tu as une compétence. [Force Mineure]. Tout de même, je vois que tu as été blessée. »
 
La fille… Non, l’aventurière vit que son nom était Erin Solstice… Frotta ses bras. L’aventurière pouvait voir que ses avants bras étaient recouverts de  morceaux de peau qui avaient repoussé, presque invisible à tous les yeux sauf les siens.
 
« Oui. J’avais une potion de soin. »
 
« Si tu avais été mordue une potion ne t’aurait pas beaucoup aidée. Les Araignées Cuirassées ont un venin décemment puissant. »
 
« J’ai eu de la chance de ne pas me faire mordre, alors. »
 
Plus de puissance. L’aventurière était légèrement surprise. Elle était habituée au silence, surtout lors de ses longs voyages, mais elle était aussi habituée aux conversations quand elle rencontrait les gens. Du moins, elle s’attendait à des questions sur son apparence, mais le fille ne lui avait lancé qu’un regard. Elle était toujours en train de regarder le trou brûlant.
 
« Les Araignées Cuirassées sont considérées comme des menaces au niveau Argent. Mais un nid d’entre-elle… Je ne serais pas surprise si une compagnie d’aventurier d’Or était dépêchée pour s’en occuper. »
 
« D’accord. Merci de me l’avoir dit. »
 
« Tu es une [Aubergiste], Niveau 11, n’est-ce pas ? Je suis surprise que tu as été capable d’accomplir un tel exploit, ou que tu ne risques ta vie de cette manière. »
 
« Comment est-ce que tu sais ça sur moi ? »
 
« Je le vois. »
 
« Ah. »
 
Erin regarda le trou pendant un certain temps. Elle continua de se balancer en avant et en arrière.
 
« Je voulais voir si je pouvais me battre. Et les araignées… Elles allaient me suivre. »
 
« Les Araignées Cuirassées sont connues pour traquer et tuer leurs proies à travers des milliers de lieux. Tu as été judicieuse de ne pas courir. »
 
« Je suppose. Mais je voulais me battre. Pour voir si je le pouvais. »
 
« Ah. »
 
L’aventurière s’assit aux côtés d’Erin. Elle sentit la chaleur, mais n’était pas dérangé par elle. Cependant, son œil picota.
 
« Et ? Qu’as-tu appris ? »
 
Erin était silencieuse. Elle regarda à l’intérieur des tunnels brûlants. Au milieu du craquement des flammes elle pouvait entendre les araignées crier.
 
« … Que je suis douée pour tuer des choses. »
 
L’aventurière était silencieuse. Erin se balança. En avant, en arrière. En avant, en arrière.
 
« C’est étrange. Jusqu’à ce point, je n’avais jamais réalisé à quel point j’étais une meurtrière. »
 
L’aventurière leva son sourcil.
 
« Une meurtrière ? C’est un mot intéressant. Je ne l’utiliserai pas pour te décrire. »
 
« Oh, vraiment ? Pourquoi ? »
 
« Le meurtre est le péché de prendre des vies qui ont de l’importance. Ceux qui se battent contre de tels monstres sont des exterminateurs. Des tueurs, peut-être ; mais pas de meurtriers. »
 
« Je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas une aventurière. Et je ne veux pas l’être. C’est ce que j’ai appris. »
 
« Oh ? Alors pourquoi te battre ? Les aubergistes ne gagnent pas de niveau en combattant des monstres. »
 
Le rire d’Erin fut court et sans joie.
 
« Vous dites tous la même chose. C’est toujours une histoire de niveau avec vous. Ce n’est pas ce que je veux dire. Je… Je suis une tueuse. Mais je ne veux pas l’être. Et je ne veux pas être une guerrière. »
 
L’aventurière se pencha en arrière et s’appuya sur ses mains. Elle étudia Erin avec son œil.
 
« Alors pourquoi se battre ? Pourquoi ne pas fuir ? »
 
« Pour que je puisse me défendre. Pour que je ne tue pas les gens qui essayent de me protéger. »
 
« Ah. Mais tu as fait plus que cela. Ce nid était une menace pour beaucoup. Tu l’as éliminé. Tu dis la vérité : tu as véritablement un talent pour te battre. »
 
Erin continua d’observer le trou.
 
« Je ne veux pas être une tueuse. Donc je suppose que je suis coincé et que je dois rester aubergiste. »
 
« Tu as un talent pour tuer des choses. Tu peux être une bonne aventurière, encore plus vu que tu as exterminé un nid par toi-même. »
 
L’aventurière s’arrêta lorsqu’Erin commença rire méchamment.
 
« Tuer ? C’est terrible d’être doué pour tuer. Non. »
 
« Quel gâchis. »
 
Erin tourna lentement la tête. Elle regarda l’aventurière, et l’aventurière eut une nouvelle légère surprise. Peu étaient ceux qui pouvaient rencontrer sur regard aussi longtemps sans tressaillir.
 
« …Vas-t’en. »
 
« Mes excuses. Je ne voulais pas t’offenser. »
 
« C’est dommage. Ceci… Il n’y a pas de quoi être fier. »
 
Erin pointa vers le trou brûlant. Elle fit un geste en direction des araignées et des œufs brûlant lentement. L’aventurière pouvait encore entendre les faibles cris depuis l’intérieur de la résistante toile.
 
« Je les ai tuées. »
 
Erin murmura.
 
« Je les ai tous tuées. Et elles… Elles hurlent quand elles meurent. »
 
« Elles t’auraient tué. »
 
« Oui. »
 
Erin regarda un des regroupements œufs s’ouvrir. Des petites araignées firent frénétiquement leurs chemins à travers la toile et hurlèrent alors qu’elles se retrouvèrent dans les flammes. Elles se déplacèrent parmi les braises, brûlant et mourant.
 
« Des bébés. »
 
« Une progéniture. Ils sont aussi dangereux que les adultes en grand nombre. »
 
« Ce sont des bébés. »
 
L’aventurière haussa les épaules.
 
« Tu peux les appeler comme ça. »
 
Erin regarda vers le trou. Elle fut silencieuse pendant une minute. Les araignées étaient en train de fuir, mais la chaleur du feu était moins puissante. Elles étaient en train de mourir, mais plus lentement. Elle vit une araignée prisonnière d’un des œufs, essayant frénétiquement de se libérer.
 
« Si tu veux je peux les achever maint… »
 
L’aventurière se tourna vers Erin pour lui offrir la proposition. Elle cligna de l’œil quand Erin bondit dans le trou brûlant.
 
La fumée obscurcie la vision d’Erin pendant quelques secondes, mais l’aventurière pouvait toujours la voie bouger dans le trou. Elle fit Erin se battre à travers les flammes, tendant la main vers quelque chose. Puis elle la vit se ruer vers le bord du trou.
 
La fille lutta contre la terre et trouva un appui. Mais elle était gênée par son fardeau. Elle arriva à se tirer jusqu’au bord mais n’arriva pas à aller plus haut. L’aventurière l’observa jusqu’à ce qu’Erin ne lui adresse la parole.
 
« Tu vas me remonter ? »
 
« Bien sûr. »
 
L’aventurière se pencha et tira Erin hors du trou sans effort. La fille était brûlée, mais son court passage dans le trou ne lui avait donné que de légères brûlures. Elle ouvrit sa main gauche et montra ce qu’elle tenait à l’aventurière.
 
Un bébé araignée lutta et mordit furieusement les doigts d’Erin. Elle l’avait capturé depuis le haut, donc le bébé ne pouvait pas réellement la mordre, mais ses jambes aiguisées étaient toujours en train de griffer ses doigts.
 
« Que vas-tu faire avec cela ? »
 
Erin haussa les épaules.
 
« Sais pas. Je pourrai l’élever. »
 
« Je ne le ferai pas. Elle te mordra et te consumera à la première occasion. Les Araignées Cuirassées ne peuvent pas être dressées. À moins que tu aies la classe de [Maître des Bêtes], cet enfant prendra éventuellement ta vie. »
 
« Oui, c’est probable. C’était une idée stupide. »
 
Erin regarda l’araignée dans sa main. Elle était en train d’essayer de la mordre.
 
« … Désolé. Je suis sincèrement désolé. »
 
Elle le tint pour une autre seconde jusqu’à ce que la jambe de l’araignée lui entaille un autre doigt. Puis elle la jeta dans le trou brûlant. L’aventurière l’étudia. Une larme coula le long de la joue recouverte de cendres d’Erin.
 
« Quelle curieuse Humaine tu es. »
 
« … Est-ce que c’est ta manière de me dire que je suis une idiote ? »
 
« Pas du tout. Mais j’ai rencontré de nombreux Humains. Beaucoup d’Humains et beaucoup de races, mais jamais aussi curieux que toi. »
 
« Merci. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi. »
 
« Je suis en partie Scruteur. C’est dans ma lignée. Tu peux m’appeler par le nom que ceux qui ne sont pas de ma race m’appelle. Scruta. »
 
« Oh ? Je suis Erin Solstice. Une… Une [Aubergiste]. »
 
« Oui, j’ai vu. »
 
Scruta tendit sa main. Après un moment, Erin s’en empara. C’était étrange de serrer la main de la Scruteuse. Premièrement, elle avait d’étranges bras avec une articulation supplémentaire. Et quatre doigts. Mais sa peau était douce et lisse, même si elle était d’un marron rougeâtre. En vérité, ses cheveux étaient plutôt normaux, longs, noirs et noués dans des dreadlocks. La seule chose qui la différenciait vraiment était son visage.
 
Un énorme œil regardait Erin au-dessus d’une bouche remplie de dents acérée. Scruta n’avait pas de nez. Et autour de son œil central se trouvait quatre autres plus petits yeux qui l’étudiaient avec intérêt.
 
« Je suis ravie de te rencontrer Erin Solstice, Aubergiste. Je suis une aventurière vagabondant à travers ses terres. »
 
« Ravi te faire ta connaissance. De nouveau. J’ai une auberge dans le coin. Est-ce que… Tu veux quelque chose à manger ? »
 
« Cela serait le bienvenue. »
 
« D’accord. Alors d’accord. Suis-moi. »
 
Erin ramassa son miroir. Elle laissa le sac déchiqueté derrière elle et commença à s’éloigner du trou brûlant. Scruta baissa les yeux vers le trou avant de nouveau se concentrer sur Erin.
 
« Est-ce que tu veux clamer les récompenses sur les Araignées Cuirassées avant de partir ? Leurs carcasses ne vont pas brûler dans les flammes. »
 
Erin s’arrêta et se retourna.
 
« Il y a une récompense sur les Araignées Cuirassées ? »

Hors ligne Maroti

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #43 le: 08 avril 2020 à 12:49:46 »
1.30
Traduit par EllieVia

Au début, la charrette traversant cahin-caha les portes nord de la cité n’attira que peu d’attention. Si tard dans la journée, le trafic entrant et sortant de la cité s’était fluidifié, mais voir deux passagers assis à l’arrière d’un chariot pendant qu’un paysan Drakéïde apportait sa marchandise au marché n’avait rien d’étonnant.
 
En revanche, l’expression du conducteur du chariot et la manière dont les gardes réagirent en inspectant les encombrants paquets fixés sous la bâche attirèrent un peu d’attention. Quelques marchands prirent sans doute bonne note de s’informer sur la nature de l’inhabituelle cargaison, et quelques passants en train de s’ennuyer firent sans doute de même. Mais des quantités de choses transitaient par Liscor, parfois des objets considérés comme illégaux dans les terres humaines, ou extrêmement illégaux de partout. Ces derniers étaient généralement confisqués.
 
Les deux passagers n’attirèrent pas particulièrement l’attention non plus, du moins au début. L’un des deux était une silhouette humanoïde dissimulant son visage sous une banale capuche de laine. Cela n’avait rien d’anormal, bien que quiconque apercevait le visage caché sous la capuche réagissait d’une manière très précise. Mais comme ils devaient passer d’abord par le choc, le déni, et la peur ou l’admiration, au choix, leur passage n’attira pas plus d’attention que cela. Là encore, au début.
 
L’Humaine était un cas particulier. Pour la plupart des Drakéïdes qui l’apercevaient, ce n’était rien d’autre qu’un autre Humain qui arrivait avec l’afflux d’aventuriers, de marchands, et de tous ceux qui cherchaient à profiter des ruines. Au mieux, elle était exploitable et possédait beaucoup d’argent, au pire la Garde la jetterait dehors si elle faisait n’importe quoi comme la plupart des humains.
 
Mais quelques Drakéïdes reconnurent l’Humaine, et se souvinrent que c’était la fille qui avait battu Olesm à une partie d’échecs et qui avait disait-on rencontré la Reine des Antiniums. Enfin, les Antiniums s’inclinaient sur son passage, ce qui était relativement perturbant. C’était donc elle qui attirait le plus l’attention, mais seulement de la part de Drakéïdes intrigués.
 
Cependant, l’apparition d’Erin fut parfaitement remarquée et notée par les quelques Gnolls présents dans la foule. Une poignée d’entre eux s’en furent immédiatement prévenir une certaine commerçante, et le reste suivit Erin et la mystérieuse charrette.
 
Certes, mystérieux n’était pas le bon terme. Car les Gnolls, chez qui l’odorat était encore plus développé que la vue, étaient profondément perturbés par l’odeur qui émanait de la charrette. Ce n’était que parce que le contenu était aussi nettement olfactivement mort qu’ils voulaient bien s’en approcher. Et même alors, une grande partie d’entre eux fronçaient le nez devant l’immonde odeur de brûlé.
 
Les foules ont un flux et un instinct qui leur est propre. Malgré eux, les passants furent alertés par le changement dans le flot de la foule. Et comme quelques personnes criaient le nom de la compagne d’Erin et que quelques enfants jetèrent un œil sous sa capuche et s’enfuir en hurlant…
 
Eh bien, à ce stade, Erin aurait vraiment aimé qu’ils arrêtent tous de les dévisager, Scruta et elle ? Non pas que l’attention la mette mal à l’aise…
 
Enfin, si, l’attention la mettait mal à l’aise. Mais plus que cela, elle avait vraiment besoin d’aller aux toilettes. Mais elle ne voulait pas se mettre à se tortiller devant tous les passants, donc elle souffrait en silence. Le chemin jusqu'à la Guilde des Aventuriers était long. Elle avait le sentiment qu’un dixième de l'excitement général était dû aux cadavres d’araignées entassés dans la charrette, mais que les 90% restants étant destinés à Scruta.
 
***
 
Quand Selys vit Erin entrer dans la Guilde des Aventuriers, elle ne put s’empêcher de crier.
 
“Erin ! Je suis soulagée que tu sois encore en vie !”
 
Selys sortit de derrière le comptoir pour aller à la rencontre d’Erin, mais elle battit précipitamment en retraite lorsqu’un flot de gens entra dans la pièce derrière Erin. Elle regarda fixement la foule de piétons puis Erin. Ses yeux se plissèrent d’un air suspicieux.
 
“... Erin ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
Erin sourit d’un air gêné.
 
“Salut Selys. Euh, je suis venue récupérer une récompense ? C’est bien comme ça que ça marche, non ?”
 
“La récompense… ?”
 
La Drakéïde dévisagea Erin d’un air confus avant de réaliser que tout le monde était à présent en train de la regarder elle. Alors elle rougit, ou plutôt, les écailles sur son visage changèrent de couleur.
 
“Oh, bien sûr ! Tu peux me montrer… tu viens récupérer une récompense ?”
 
“Yup.”
 
Selys regarda Erin de la tête aux pieds. L’humaine n’avait pas l’air de porter quoi que ce soit dans ses mains ou dans sa bourse.
 
“Est-ce qu’il s’agit… d’oreilles de Gobelins ?”
 
“Non… Je crois qu’on les appelle des Araignées à Cuirasse. C’est bien ça ?”
 
Erin jeta un regard à sa compagne. Le regard de Selys s’accrocha aux traits bien particuliers de la semi-Scruteuse lorsqu’elle repoussa sa capuche. Une sonnette d’alarme se déclencha sous son crâne, mais elle fut brièvement assourdie par une phrase d’Erin.
 
“Des Araignées à Cuirasse ? Erin, ce n’est pas très… tu dois te tromper. Ou est-ce que c’est une blague ? Tu ne peux pas être sérieuse.”
 
Erin secoua la tête.
 
“Non, vraiment. Il y en a une pleine charrette dehors. Je ne les ai pas comptées mais…”
 
Erin s’interrompit. Selys la dévisageait d’un regard fixe et incrédule qu’elle n’avait vu jusqu’alors qu’à la télévision.
 
“Des Araignées à Cuirasse ?”
 
“Uh, ouais.”
 
“Tu. Les as tuées.”
 
“Ouaip.”
 
“Toi. Erin Solstice. A tué des Araignées à Cuirasse.”
 
Erin avait l’impression de répéter une routine comique, sauf que c’était plus malaisant que drôle. Elle pointa la porte du doigt.
 
“Va voir, elles sont dehors. Je peux aller t’en chercher une si tu veux.”
 
Le regard de Selys passa par-dessus l’épaule d’Erin. Elle interpella les Drakéïdes dans la foule, la plupart étant en train de suivre l’échange.
 
des Araignées à Cuirasse ?”
 
Erin sentit une foule de têtes acquiescer dans son dos. L’un des Drakéïdes - un aventurier, d’après l’épée à sa ceinture et sa cotte de maille - pointa un pouce sur la porte.
 
“Elles sont empilées dans une charrette. Je les ai vues - au moins seize adultes, mortes et couvertes de suie. La Garde essaie de demander à des Ouvriers de les déplacer, mais il y a une grosse foule qui bloque le passage et les Ouvriers ne veulent pas s’en occuper.”
 
Maintenant qu’elle tendait l’oreille, Selys pouvait entendre les cris dehors. Elle était toujours concentrée sur le cas d’Erin, toutefois, donc elle garda le regard braqué sur cette dernière.
 
Comment ? Est-ce qu’un aventurier s’en est chargé ? Ça ne peut pas être juste toi.”
 
Erin fronça les sourcils, blessée dans sa dignité. Mais comme elle était d’accord avec l’incrédulité donc Selys faisait preuve, elle ne pouvait pas avoir l’air suffisamment indignée.
 
“Je l’ai carrément fait toute seule. J’ai brûlé tout un nid. Avec du bois. Et du feu.”
 
Elle ne savait pas pourquoi elle s’était sentie obligée de rajouter ces précisions, mais cela eut au moins le mérite de faire taire Selys. L’un des Drakéïdes - celui avec la cotte de mailles - hocha la tête d’un air approbateur et décocha un sourire à Erin.
 
“Du bon boulot. Je ne t’avais jamais vue dans la Guilde. Tu es l’une de ces humaines du nord ?”
 
“Quoi ? Non. Je ne suis pas une aventurière. Je suis une [Aubergiste].”
 
Il la dévisagea. Erin commençait à s’y habituer. Selys tira sur la crête au sommet de son crâne.
 
“Comment as-tu… Tu sais qu’elles recouvrent quiconque tombe dans leur nid et le déchirent en lambeaux ?”
 
Erin acquiesça.
 
“Elles ont essayé de faire ça. Le truc qu’elles font quand elles essaient toutes de monter en même temps ? C’était pas marrant.”
 
Elle regarda longuement Selys. Selys lui rendit son regard. Au bout d’un moment, Selys jeta les bras en l’air.
 
“Okay. Okay, j’imagine que… il va falloir que je les inspecte. Et ensuite il faudra peser les corps. Ce qui va probablement prendre toute la journée, mais si tu signes je pourrai avoir ta récompense prête pour plus tard.”
 
Elle tendit la main sous le comptoir et en tira un registre qu’elle tendit à Erin, ainsi qu’une plume et un encrier. Erin fronça les sourcils et se mit à gratter quelques mots sur le papier.
 
“Est-ce qu’il faut que je trouve un endroit pour m’en débarrasser quand tu auras fini ? Parce que je n’ai vraiment pas envie de creuser un trou et le nid est loin d’ici.”
 
“Non… on va définitivement les garder. Est-ce que tu connais la valeur des corps d’Araignées à Cuirasses ? Avec les bonnes compétences, un [Forgeron] peut en faire des boucliers, des armures…”
 
“Vraiment ? Donc la récompense…”
 
“Onze pièces d’argent pour chaque Araignée à Cuirasse pourfendue, mais on te paiera encore plus si tu nous laisse les corps.”
 
Moi, je n’en veux pas. Mais tu risques d’avoir du mal à les décharger. Aucun Ouvrier ne veut s’en approcher.”
 
Selys jeta un œil vers la porte.
 
“Les Antiniums détestent les araignées. Pas étonnant que les Ouvriers paniquent. Je demanderai à quelques porteurs de s’en charger.”
 
Selys enfouit brièvement son visage entre ses griffes puis elle releva les yeux sur son amie humaine.
 
“Erin, comment as-tu réussi à exterminer un nid d’Araignées à Cuirasse ? Même si tu les as brûlées, la plupart des aventuriers préfèrent fuir plutôt que s’en prendre à une Araignée à Cuirasse s’ils ne sont pas au moins classés Argent.”
 
“Vraiment ? Elles sont si difficiles à tuer que ça ?”
 
Selys acquiesça sérieusement.
 
“Extrêmement. Les lames d’acier ne peuvent même pas transpercer leur cuirasse.”
 
Erin cilla. Mais elle finit par pointer l’aventurière debout à côté d’elle du doigt.
 
“Eh bien elle, elle en a coupé une en deux.”
 
Tous les regards se tournèrent sur la Scruteuse debout à côté d’Erin. Ou - Selys s’en rendit compte - la Semi-Scruteuse. Une espère rare, que le métissage rendait encore plus rare. Tellement rares, pour tout dire, que les chances d’en croiser une…
 
Les écailles de Selys reflétaient généralement bien son humeur, tout comme sa queue. Erin regarda cette dernière se raidir comme celle d’un chat, et ses écailles vert clair pâlir jusqu’à devenir presque grises.
 
“Oh. Excusez-moi.”
 
La Semi-Scruteuse regarda Selys et lui adressa un sourire poli. Selys en était réduite à un bégaiement nerveux.
 
“Hu-Hum. Vous ne seriez pas… je veux dire, est-ce que vous êtes… ?”
 
“Je suis Scruta de Reim.”
 
Un silence de mort s’abattit sur la foule. Si le commentaire d’Erin sur la manière dont elle avait détruit un nid d’Araignées à Cuirasse avait engendré un brouhaha discret, le nom de Scruta engendra un silence stupéfait. Erin regarda la foule silencieuse. Elle ne comprenait pas.
 
Mais c’était un moment comme un autre pour faire ce qu’elle devait faire. Lorsque Selys se remit à bégayer quelque chose et que les aventuriers et les civils entourant Scruta reculèrent pour lui faire de la place, Erin joua des coudes pour aller aux toilettes.
 
Curieusement, les architectes de Liscor n’utilisaient pas les classiques symboles en bâtonnets pour séparer les toilettes des dames et les toilettes de hommes. Au lieu de cela, ils utilisaient des queues. Une longue queue droite indiquait les toilettes des mâles, et une queue enroulée indiquait celle des femelles. C’était très simple une fois qu’on s’y était fait. Queue enroulée, queue droite.
 
Mais Erin préféra tout de même vérifier avant d’entrer. Elle en avait assez de voir accidentellement des organes génitaux, surtout que le matos dont les Drakéïdes et les Gnolls étaient équipés était clairement différent de celui des humains de son monde. Non pas qu’elle fût une experte à ce sujet. Elle n’avait vu que des images mais…
 
Après quelques minutes de soulagement intense et de réflexion sur les différences biologiques, Erin émergea des toilettes. Vive la plomberie et les boules de savon. Elle vit que Scruta était toujours au cœur de la foule de gens la bombardant de questions qu’elle déclinait poliment. Son énorme œil ne quittait pas le Gnoll qui lui posait des questions avec ferveur, mais l’un de ses plus petits yeux se focalisa immédiatement sur Erin dès qu’elle sortit des toilettes.
 
Ça, c’est flippant.” marmotta Erin.
 
“Ne sois pas malpolie !”
 
Siffla Selys dans son oreille, manquant de peu de faire hurler la jeune femme. La Drakéïde était en train de se diriger vers les toilettes, probablement pour soulager une pression liée à la tension ambiante. Elle tira Erin sur le côté et les deux se mirent à chuchoter furieusement dans un coin, bien qu’une seule personne dans la pièce ne soit en train de les observer.
 
“Erin, comment se fait-il que tu la connaisses ?”
 
“Scruta ?”
 
“Tu l’appelles par son prénom ?”
 
“Elle a un nom de famille ?”
 
“Cherchevoie ! Et c’est Aventurière Cherchevoie ! C’est comme ça que tu dois t’adresser à elle.”
 
“Ce n’est pas très pratique comme nom.”
 
“Erin ! C’est une personne très, très importante ! Je pourrais perdre mon job si je la mettais en colère !”
 
“Vraiment ?”
 
Selys acquiesça précipitamment.
 
“Scruta l’Omnisciente. C’est comme ça qu’ils l’appellent sur les autres continents. Il paraît qu’elle est au-dessus du niveau 40.”
 
“Hum. Wow... ?”
 
Erin ! Comment peux-tu ne pas être impressionnée ?”
 
“Eh bien Relc est bien au niveau trente-quelque chose ? C’est une différence d’une dizaine de niveaux, pas plus, pas vrai ?”
 
Le regard que Selys lui adressa était un mélange d’incrédulité et de pure indignation. Selys se demanda, et pas pour la première fois, si Erin n’était pas un peu lente, ou tout au moins étrange. Mais elle disait venir d’un… autre pays ? Dans tous les cas, elle s’efforça de lui expliquer l’évidence.
 
“Erin, c’est une aventurière célèbre ! Tu sais, le genre que les gens mettent dans les listes du top 100 d’aventuriers dans le monde !”
 
“Oh.”
 
“Tu ne comprends donc pas ? Il y a bien des aventuriers plus puissants qu’elle, il n’en demeure pas moins que peu viennent à Liscor. Et elle te connait, toi. Est-ce qu’elle t’a sauvé des Araignées Cuirassées ?”
 
“Non, elle en a simplement coupé une en deux. Mais elle m’a prêté de l’argent pour louer une charrette pour ramener le tout en ville.”
 
“Elle t’a prêté de l’argent ?”
 
“Oui, et je la rembourserai donc arrête de tirer sur mon t-shirt, Selys. Écoute, elle avait juste l’air d’être intéressée par moi, mais je ne la connais pas si bien que ça. Mais pourquoi est-ce que tu crois que…”
 
Erin dut s’interrompre car les griffes de Selys s’enfonçaient dans son bras. Elle glapit et tenta de déloger les doigts de la Drakéïde de son bras.
 
“Oh dieux ! Elle vient dans notre direction !”
 
Comme un requin nageant à travers un banc de poissons, la présence de Scruta paraissait littéralement fendre le mur de corps en deux. Elle s’approcha, souriant à Erin.
 
“J’ai bien peur que nos chemins ne doivent se séparer pour le moment, Erin Solstice. Je dois saluer le maître de cette guilde et le corps dirigeant local. Mais j’espère pouvoir aller te visiter à ton auberge pour déguster le repas promis.”
 
Les yeux exorbités de Selys étaient difficiles à ignorer, mais Erin sourit tout de même à Scruta.
 
“Bien sûr. Je vais rentrer, là, donc tu pourras passer quand ça t’arrangera le plus.”
 
Scruta adressa un sourire amusé à Erin et à la Drakéïde pétrifiée à ses côtés. L’un de ses petits yeux se retourna et Erin ne vit plus que la couleur rose-orangé de son orbite.
 
“Cela risque d’être un peu compliqué là tout de suite.”
 
Quelqu’un était en train de crier dehors. Ou plutôt, quelqu’un criait par-dessus le brouhaha à l’extérieur. C’était une voix familière, d’ailleurs.
 
“Hey ! Dégagez le passage !”
 
La voix de Relc était furieuse, et il semblait être en train de hurler sur les aventuriers et les passants qui essayaient de se masser devant la guilde des aventuriers. Il paraissait sur le point d’exploser, ce qui n’était pas inhabituel, mais n’était clairement pas la chose à faire à cet instant précis.
 
“Vous êtes en train de troubler l’ordre public ! Dégagez la rue, j’ai dit ! Bougez-vous !”
 
Tous ceux à l’intérieur de la guilde entendirent un bruit sourd suivi d’un cri et d’un bruit de fracas. Leur attention avait beau être focalisée sur Scruta, ils la tournèrent rapidement vers l’extérieur.
 
“Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
Selys atteint la fenêtre avant Erin et faillit s’arracher ses épines crâniennes. Erin n’était pas encore sûre du meilleur terme à donner à cette crête de… d’écailles durcies ou de poiles que possédaient tous les Drakéïdes sur le sommet du crâne.
 
“Oh non. Il vient chercher l’embrouille avec les aventuriers ! Cette espèce de crétin !”
Erin jeta un œil par la fenêtre juste à temps pour voir un aventurier être soulevé de terre tandis que Relc soulevait un garde et le jetait dans les bras de ses camarades. On aurait dit que la colère l’avait emporté et qu’un garde s’était fait assommer par un aventurier. C’était probablement l’inverse, mais Erin s’aperçut que les deux côtés étaient entièrement masculins, donc elle se doutait de ce qui allait se passer ensuite.
 
Scruta rejoignit Erin à la fenêtre tandis que six aventuriers s’alliaient pour encercler Relc et les deux autres gardes. Relc les fusilla du regard et serra les poings, mais ne sortit pas sa lance. Scruta le dévisagea et sourit.
 
“Ah. Il est puissant.”
 
L’un des aventuriers tenta d’atteindre Relc d’un coup d’épée qu’il évita aisément. L’humain qui l’attaquait était presque aussi grand que lui, un géant plein de muscles qui ressemblait au type qui soulevait cent trente kilos de fonte pour le plaisir à la salle de sport.
 
Erin donna un petit coup de coude à Scruta. Selys cessa de regarder le combat suffisamment longtemps pour la fusiller du regard, mais Scruta se contenta de baisser les yeux. Elle portait une armure, de toute manière, donc Erin était certaine que cela ne la dérangeait pas.
 
“Hey, tu es censée être forte, non ?”
 
Scruta acquiesça. Elle garda son gros œil focalisé sur Relc mais en baissa deux autres sur Erin.
 
“Certains le disent, oui.”
 
“Pourquoi ne vas-tu pas l’aider ? Ils sont à six contre un.”
 
Erin montra l’aventurier. Il n’avait pas encore réussi à toucher Relc, mais à présent il semblait qu’un autre était prêt à lui mettre un coup de poing à l’entrejambe. Les yeux de Relc étaient plissés, mais il avait l’air entièrement concentré sur l’esquive pour le moment.
 
Scruta sourit à Erin. Elle haussa les épaules et montra l’épée qu’elle portait au côté.
 
“Mon aide dans cette situation causerait des morts. Je ne me bats pas avec mes poings, Erin.”
 
Elle montra Relc de la tête. Le Drakéïde esquiva un coup en se penchant en arrière.
 
“De plus… ce n’est pas lui qui a besoin d’aide.”
 
Relc venait de sauter adroitement en arrière lorsque le compagnon du grand aventurier plongea en avant. C’était un autre humain, pas aussi grand que lui, mais son poing fendit l’air en direction du dos de Relc.
 
Il était trop lent. Le Drakéïde se pencha sur le côté, laissant filer le poing, et assena un uppercut dans le dos de l’homme. Erin crut voir ses pieds décoller du sol avant qu’il ne s’écroule.
 
Relc tournoya et balaya d’un revers le premier aventurier qui essayait toujours de l’atteindre. Le grand gaillard partit en arrière et s’étala au sol. Deux de ses amis essayèrent de venir le secourir, mais Relc en attrapa un - avec son armure et tout le reste - et le jeta dans la foule.
 
Bouche-bée, Erin regarda Relc mettre une raclée au reste des aventuriers. Elle regarda Selys. La Drakéïde se couvrait les yeux en grommelant.
 
“Il fait toujours ça. Et ça va créer un tas de problèmes, et il en a probablement blessé certains suffisamment grièvement pour qu’il faille sortir des potions de soin !”
 
“Comment…”
 
Erin cilla et montra Relc du doigt.
 
“Je croyais… ce n’est qu’un garde, pas vrai ? Comment Relc peut-il étaler ces gars-là comme des mouches ?”
 
Scruta étudia Relc d’un air pensif.
 
“Il a plus de 30 niveaux dans sa classe de [Maître des Lances]. C’est largement suffisant. Le niveau le plus élevé chez les aventuriers est un niveau 21 - c’est celui qu’il vient d’assommer.”
 
Selys acquiesça d’un air sombre. Elle essaya d’expliquer la situation à Erin de manière à ce que l’humaine comprenne.
 
“Si on ne se réfère qu’aux membres actifs des gardes urbains - alors c’est le plus fort du continent, et largement. Peut-être du monde.”
 
Erin cilla. Deux fois.
 
“Du monde. Genre… du monde entier ?”
 
Selys acquiesça.
 
“La plupart des gens à son niveau finissent soit aventuriers, soit gardes du corps, soit soldats. La paie de garde n’est pas énorme, mais Relc aime bien le job. Probablement parce que c’est aussi facile.”
 
Erin marqua une pause. Elle ne remarqua pas Scruta qui la regardait d’un œil. Le gros. Il l’étudia brièvement de sa pupille jaune cernée d’un iris noir - non, d’un iris d’un gris graphite avant de se détourner lorsque Selys leva les yeux sur elle.
 
“Mais Klbkch…”
 
Erin hésita et se força à continuer.
 
“C’était un garde Vétéran aussi, non ? Est-ce qu’ils avaient tous les deux le même niveau ?”
 
Selys secoua la tête. Elle regarda d’un air sombre Relc jeter un aventurier en armure de plates sur le bâtiment et grimaça lorsque le plâtre craqua.
 
“Klbkch était le quatrième garde de la ville en termes de niveaux. En termes de force toutefois, il n’y avait sans doute que Relc au-dessus de lui. Écoute, Erin, les deux ont d’autres niveaux dans d’autres classes, c’est pour ça qu’ils sont aussi forts, d’accord ? Mais même Klbkch avait dix niveaux de moins que Relc.”
 
“Ce qui est beaucoup, j’ai compris. Mais comment a-t-il fait pour devenir aussi fort ?”
 
“Il était dans l’armée. Mais il a tout lâché pour devenir garde. Grâce à lui, on n’a pas eu à s’inquiéter des attaques de monstres depuis les quatre dernières années. Je ne sais pas trop pourquoi, toutefois. Il était célèbre en tant que soldat, aussi.”
 
Scruta haussa les épaules. Sa main recouvrit le pommeau de son épée tandis que ses yeux se perdirent brièvement dans le vague.
 
“Il y a beaucoup de raisons pour quitter la guerre. J’ai également été soldate, autrefois. Comme beaucoup ici le savent sans doute. Mais j’ai abandonné ma position pour devenir aventurière. Sans une cause pour laquelle se battre, un leader à suivre, et une bonne raison de rester en vie, cela ne vaut pas la peine d’être soldat.”
 
Erin et Selys la dévisagèrent. Scruta leur sourit.
 
“J’imagine que c’est difficile à comprendre. Mais je pense que votre ami Relc profite de ces moments de calme.”
 
Erin jeta un œil par la fenêtre.
 
“Même dans un combat de rue contre une douzaine de types ?”
 
“C’est plutôt calme, comparé à la guerre.”
 
Le combat était terminé. Relc posa son pied sur une pile d’aventuriers et leva ses poings comme un boxeur. Les vivats qu’il récolta de la foule ne le firent que se prélasser encore plus sous le feu des projecteurs.
 
Scruta se détourna de la fenêtre et hocha la tête en direction d’Erin.
 
“Eh bien, je n’ai pas manqué de divertissement depuis que je voyage dans ces terres. Je vais chercher un logement en ville, à présent. Bonne journée à toi, Erin Solstice. Nous nous reverrons.”
 
Erin leva un sourcil sceptique.
 
“Oh ? Tu en es si sûre que ça ?”
 
Scruta lui sourit sans dénuder ses dents.
 
“Je le prédis.”
 
La Scruteuse ouvrit la porte et sortit. Tellement rapidement que toute la tension qu’elle avait amené dans la pièce s'évanouit en un instant. Selys exhala bruyamment en retournant à son comptoir. Elle n’alla pas derrière, mais elle s’y appuya, soufflant comme si elle était essoufflée.
 
“Je ne peux pas croire que tout ça soit réellement arrivé.”
 
L’un des aventuriers plia la main et l’observa.
 
“J’ai serré sa main. Et quand elle m’a regardé… c’était comme si elle connaissait mes pensées.”
 
“Incroyable.”
 
Approuva l’un des aventuriers. D’autres acquiescèrent.
 
“Quelle expérience extraordinaire.”
 
“Eh.”
 
Eh ?”
 
Erin haussa les épaules.
 
“Elle ne m’a pas plus épaté que ça. Elle a cette espèce d’aura de mystère, mais c’est surtout lié à son œil, pas vrai ? Je me souviens de ce magicien de rue - David Blaine. Vous avez déjà vu… ?”
 
Elle ne se souvint que trop tard d’à qui elle s’adressait. Selys et le reste des aventuriers la regardaient d’un air incrédule.
 
“Quoi ?”
 
Selys secoua lentement la tête. À ce stade elle n’était même plus agacée, juste impressionnée.
 
“Tu es une humaine extraordinaire, Erin. Tu ne te démontes jamais, hein ?3
 
“Si, souvent.”
 
Erin mit ses poings sur ses hanches.
 
“Pourquoi vous a-t-elle fait tant d’effet que ça, de toute façon ? Elle a dit qu’elle n’était qu’une vagabonde.”
 
“Oui, mais la voir si loin de son continent d’origine… Je suppose qu’elle en a vraiment fini avec la guerre.”
 
Les autres aventuriers acquiescèrent. Ils se mirent à parler tous en même temps, débattant dans un chaos bruyant.
 
“Je me demande ce qu’elle fait si loin de son suzerain… ?”
 
“J’ai entendu dire qu’elle allait de continent en continent pour trouver des défis à relever. Mais venir jusqu’ici… est-ce à cause des nouvelles ruines ?”
 
“Peut-être, mais comment aurait-elle pu en entendre parler si tôt ? À moins que… peut-être qu’elle était déjà en route pour rejoindre les guerres au nord comme mercenaire ?”
 
“Il y a peu de chances. Les aventuriers n’aiment pas les guerres, même les anciens soldats. Il en faudrait beaucoup plus que ça pour qu’elle redevienne soldate. Et hey… où est passée l’humaine ?”
 
Tout le monde scruta les alentours. L’humaine, qui sortait d’ordinaire du lot parce que, justement, elle était humaine, manquait à l’appel. Selys regarda la porte. Elle se referma.
 
Erin !”
 
***
 
Erin entendit Selys l’appeler, mais à ce stade elle était déjà sortie et n’avait aucune intention de retourner dans la guilde. Elle aimait bien entendre les derniers potins et apprendre de nouveaux trucs comme n’importe qui, mais ce n’était pas le moment. Elle avait faim, elle était fatiguée et elle avait mal partout. Et la dernière chose qu’elle voulait à ce moment précis c’était d’avoir encore plus de gens en train de lui poser des questions et de la dévisager comme… comme…
 
Comme une humaine.
 
Ils étaient de partout. Enfin, pas de partout, à la vérité il y avait une poignée d’humains - peut être un pour quarante non humains. Mais aux yeux d’Erin, un humain était suffisant pour l’arrêter net.
 
Deux hommes, un aventurier dans la vingtaine à l’apparence rude et un marchand ventru et richement vêtu étaient assis à une sorte de terrasse de bar, en train de discuter. Erin n’était pas certaine que ce soit un restaurant. Elle hésita, puis ses pas la menèrent à eux, inexorablement.
 
“Euh, salut.”
 
L’aventurier et le marchand levèrent les yeux. Ils semblaient courroucés d’avoir été interrompus mais leur expression s’éclaira lorsqu’ils virent Erin.
 
“Oh… bonjour ! Est-ce qu’on peut ‘aider, demoiselle ?”
 
“Désolée de vous interrompre. C’est juste que… cela faisait un bout de temps que je n‘avais pas vu d’autres humains.”
 
Le marchand haussa les sourcils.
 
“Tu es née ici ?”
 
“Quelque chose comme ça. Je croyais que j’étais la seule humaine dans le coin, mais voilà que tout à coup… vous êtes plein.”
 
“Ah, on fait partie de l’expédition venue examiner les ruines qui viennent d’être exhumées.”
 
L’aventurier se leva et tendit une main.
 
“Gabriel Dermondy, aventurier. Enchanté de faire ta connaissance, mademoiselle… ?”
 
“Erin Solstice, hum, [Aubergiste]. Ça… ça vous dérangerait que je me joigne à vous ?”
 
“Mais pas du tout, assieds-toi.”
 
Le marchand décala sa chaise tandis que l’aventurier en tirait une pour Erin. Un instant plus tard, le marchand lui avait commandé à boire et ils discutaient tous les trois. Erin en fut d’abord étonnée, mais elle se fondit facilement dans la conversation. C’était comme discuter avec quelqu’un de son monde.
 
C’était tellement banal qu’Erin en aurait pleuré.
 
L’aventurier et le marchand énuméraient leurs doléances sur le trajet qui les avaient menés jusqu’à Liscor. Leur caravane semblait avoir souffert de tout, des wagons cassés aux gens qui s’égaraient, et les auberges sur la route avaient toutes été pleines jusqu’aux chevrons, à leur grand déplaisir.
 
“C’est bon à savoir, ça, qu’il y a des humains qui vivent dans le coin. J’ai dû gérer des Gnolls têtus et des Drakéïdes hautains toute la journée.”
 
Le marchand sourit à Erin en faisant la moue en direction des passants non-humains. Erin sirota le breuvage tiède dans sa chope et fit un son poli d’approbation. L’aventurier acquiesça, mâchant sa pomme de terre au four bourrée d’épices.
 
“Je vous jure, ils ont augmenté les prix juste parce qu’ils savaient qu’on venait. Il n’aime pas nous autres humains, et la Garde locale a cherché des noises aux aventuriers toute la semaine. Pour couronner le tout, il paraît qu’un voleur humain est arrivé avec l’une des caravanes.”
 
“Vraiment ?”
 
Erin n’en avait pas entendu parler. Mais elle avait été… occupée ces derniers jours. Le marchand secoua la tête et fit un bruit de dégoût.
 
“Evidemment, cela pourrait très bien être un Gnoll ou un Drakéïde du coin, mais évidemment, ça retombe sur nous jusqu'à ce que le coupable soit démasqué. Saletés de lézards et leurs suspicions de merde.”
 
Erin cilla, mais l’aventurier acquiesçait. Elle changea rapidement de sujet.
 
“Hey, est-ce que vous avez entendu parler de cette nouvelle aventurière ? Scruta ?”
 
Ils la regardèrent d’un air confus. Erin tenta d’élaborer.
 
“Elle a attiré beaucoup d’attention ce matin. Elle, euh, ressemble un peu à une humaine, mais elle a un gros œil sur la tête et quatre plus petits…”
 
“Oh, une Scruteuse.”
 
L’aventurier secoua la tête. Le marchand se pencha en avant et hocha la tête.
 
“J’en ai entendu parler. Apparemment, c’est une aventurière célèbre mais…”
 
Il haussa les épaules. Erin le regarda avec curiosité.
 
“Vous n’en avez pas entendu parler ? Mais tout le monde disait à quel point elle était connue.”
 
Gabriel l’aventurier renifla d’un air méprisant.
 
“Peut-être qu’elle est impressionnante pour des non-humains, mais moi, je n’en ai pas entendu parler, en tout cas. Mais assez parlé de ça… tu es une [Aubergiste], dis-tu ? Je n‘ai pas vue ton auberge en ville, et je suis sûr que je l’aurais remarquée.”
 
Erin lui sourit. Il avait l’air sympathique, ou peut-être qu’elle était toujours étourdie face au premier visage dépourvu de fourrure ou d’écailles qu’elle voyait depuis longtemps.
 
‘J’ai une auberge… elle est à quelques kilomètres de la ville.”
 
“Vraiment ?”
 
Les deux hommes se penchèrent par-dessus la table. L’aventurier rendit son sourire à Erin.
 
“Si tu as encore des places, je serai heureux de payer une chambre. Ce serait chouette de voir des visages humains, plutôt que toutes les écailles et la fourrure du coin. Sans parler de l’odeur ! Tous ces non-humains ne savent vraiment pas se laver, pas vrai ?”
Le sourire d’Erin se figea sur son visage et elle dévisagea l’aventurier. Il n’avait même pas essayé de baisser la voix. Elle sentit plutôt qu’elle ne les vit les autres Drakéïdes assis aux tables voisines se retourner lentement pour les dévisager. Les deux hommes ne parurent rien remarquer.
 
“Oh. Hum, eh bien, j’aimerais beaucoup vous accueillir. Mais, euh… j’ai bien peur que l’étage soit encore en travaux.”
 
Les deux hommes parurent déçus.
 
“Quel est le problème ? Si ce n’est pas trop grave, je peux te présenter quelques bons artisans…”
 
Erin agita rapidement les mains.
 
“Non, inutile. Je me débrouille. C’est juste qu’on a eu un accident avec des disparitions de squelettes. Et… il faut que j’y retourne pour vérifier qu’il n’en manque pas.”
 
Erin s’empressa de se lever de table et de les saluer. L’aventurier et le marchand lui dirent au revoir et suivirent la jeune femme du regard alors qu’elle disparaissait dans la foule. Quand elle fut partie, ils échangèrent un regard. Le marchand but une longue goulée de la chope qu’un Drakéïde lui avait servie et grimaça. Comme tout en ville, il aurait juré que la bière qu’ils lui avaient servie avait été brassée avec l’eau des égouts.
 
“Des disparitions de squelettes… ?”
 
***
 
Bien en-dessous de la surface de Liscor, ou du moins aussi loin que les Antiniums étaient autorisés à creuser d’après leur contrat avec la ville, la Reine écoutait un rapport. Elle n’était pas contente.
 
“Des Humains à Liscor ? Ils viennent pour les ruines, sans aucun doute, pour exhumer des trésors et chercher fortune.”
 
L’Antinium au rapport inclina vivement la tête. Il était en équilibre parfait sur un genou devant sa souveraine.
 
“Oui, ma Reine.”
 
Elle agita un palpe.
 
“Cette situation est fâcheuse, surtout à un moment pareil. Occupe-toi du Conseil jusqu’à ce que j’en ai terminé. Je ne dois pas être dérangée, sous aucun prétexte. Terminer ce projet aussi rapidement va requérir toute mon attention. Suis-je claire ?”
 
“Parfaitement, ma Reine. Je vais gérer toutes vos affaires concernant les étrangers à la colonie.”
 
“Très bien. Et étudie l’aberration quand tu seras à la surface. S’il est réellement libre, je voudrai lui parler ensuite. Si non…”
 
L’Antinium porta les mains aux lames à sa ceinture. Le Soldat qui montait la garde ne tressaillit pas, bien qu’il soit très proche de leur Reine.
 
“J’éliminerai toutes les Aberrations que je trouverai, ma Reine. Ne vous inquiétez pas.”
 
“Je place donc ma confiance en toi. Alors va, mon Prognugator.”
 
L’Antinium s’inclina puis se redressa. Il fit volte-face, et les épées jumelles à sa ceinture se balancèrent au gré de ses pas jusqu’à la surface. La voix de sa Reine gronda dans les tunnels caverneux qui défilaient derrière lui.
 
“Va. Assure-toi que l’humanité n’apporte pas la ruine. Protège la Colonie. Va et exécute mes ordres en mon nom…”
 
“Krsmvr.”
« Modifié: 22 avril 2020 à 14:48:08 par Maroti »

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #44 le: 11 avril 2020 à 14:26:55 »
1.31
Traduit par Maroti

Erin marcha le long de la rue avec une forte envie de soupirer. Non, en fait, elle avait l’impression que son existence était un long et lent soupir.

Elle était fatiguée. Fatiguée et épuisée au plus profond de ses os, mais plus encore, elle était déçue. Et c’était le pire sentiment dans toute cette histoire.

Les Humains.

Ils lui avaient manqué, vraiment. Ses amis et sa maison lui manquaient. Même la manière avec laquelle les gens disaient bonjour en rentrant dans un supermarché lui manquait. Et tout cela lui avait tellement manqué qu’elle en avait oublié à quel point les gens pouvaient être teigneux.

Les Humains n’aimaient pas les Drakéides et les Gnolls. Et maintenant qu’Erin le savait, et avait entendu la manière avec laquelle les aventuriers et les marchands parlaient, elle pouvait comprendre pourquoi l’animosité était partagée.

C’était malpoli d’insulter une espèce entière dans leur propre cité. Erin n’était pas certaine de beaucoup de choses quand il fallait parler de race, mais elle était certaine de ça.

Erin traîna des pieds le long de la Rue du Marché. Elle ne savait pas si elle voulait acheter quelque chose, mais elle ne voulait pas quitter la ville tout de suite. Non pas parce qu’elle avait quelque chose à faire, c’était juste que la randonnée qu’elle devait faire pour retourner à l’auberge était trop pour elle.

La politesse. C’était normal d’être poli. Et cela valait double pour avoir jugé une espèce entière simplement parce que tu n’aimais pas leur odeur. C’est vrai que les Gnolls pouvaient être irritables, mais ils pouvaient aussi être très sympas. Même chose pour les Drakéides.

« Elle est là ! La voleuse est là ! »

Mais, après tout, il y avait des idiots dans toutes les espèces.

Erin se retourna au son de la voix. C’était une voix familière qui lui fit grincer les dents et vérifier sa bourse pour une autre raison que la mention d’une voleuse.

Se pavanant rapidement le long de la rue était le marchand Drakéide. Erin plissa les yeux alors qu’il l’approcha et commença à crier.

« Je savais que c’était toi ! Tu ne pouvais pas résister à l’envie d’attaquer un honnête marchand et de te venger, hein ? »

« Quoi ? »

Erin cligna des yeux en regardant le Drakéide qui était rouge de rage. Il la pointa du doigt et elle fit un pas en arrière.

« Assez ! »

Un autre Drakéide se fraya un chemin à travers la foule. Celui-ci était un Garde, et il était visiblement tourmenté. Il s’interposa entre le marchand et Erin.

« Lism, je vous l’ai déjà dit. Vous ne pouvez pas commencer à accuser des humains sans raisons ! »

« Ah, mais celle-ci est différente ! »

Lism le marchand pointa Erin du doigt en contournant le garde et leva sa voix pour que plus de personnes puissent l’entendre.

« Ceci est l’humaine qui m’a volé ma marchandise ! Elle a aussi triché dans une partie d’échec contre mon neveu, j’en suis certain ! Elle n’a été qu’une source de problèmes depuis son arrivé en ville, et maintenant elle vole aux honnêtes gens qui essayent de gagner leurs pains ! »

Qu’est-ce qu’il y avait entre Erin et les problèmes? Ils semblaient la suivre partout où elle allait. Erin serra les dents.

« Je n’ai rien volé. Je n’ai pas été dans la ville de la… »

« Mademoiselle, s’il vous plait. »

Le garde lui coupa la parole, avant de gentiment faire reculer Lism.

« Je vais examiner vos revendications, Monsieur, mais je ne peux pas l’arrêter. À moins que vous ayez des preuves… »

« Hey, j’ai dit que je n’avais rien volé ! »

« Hah ! Encore un mensonge d’humain ! »

Lism pointa de nouveau le doigt vers Erin, malgré les efforts du garde pour les éloigner. Erin devint de plus en plus en colère. Elle ouvrit la bouche et serra les points.

« J’ai en dehors de la ville toute la journée ! J’ai des preuves ! »

« Et bien… »

Le commerçant hésita, mais il était trop profondément enfoncé pour faire demi-tour.

« Cela aurait put être elle. Vous savez comment les humains sont ! Toujours à fouiner, à mettre leurs nezs là où personne ne veut d’eux. »

« Nous allons examiner vos revendications. Reculez s’il vous pla… »

« Vous ne pouvez pas croire ce qu’elle dit ! Tous ces humains n’ont fait que causer des problèmes depuis leurs arrivées ! D’abord ils volent, et c’est quoi la prochaine étape ? Ils vont voler notre travail, nous attaquer dans la rue… »

« Reculez ! S’il vous plait ! »

Le garde parvint finalement à éloigner le commerçant enragé d’Erin. Il lutta et hurla,  mais se laissa finalement faire. Il lança tout de même un dernier regard remplie de venin à Erin par-dessus son épaule, et Erin le lui rendit.

C’était déplaisant. Erin s’apprêtait à partir avant que l’idiot ne revienne lui crier dessus quand le garde l’interpella.

« Mademoiselle ? »

« Oh, bonjour. Merci de m’avoir débarrassé de lui. Est-ce qu’il était en colère car quelqu’un lui vole ses produits ? »

Le Drakéide hocha la tête, il semblait être épuisant de dix différentes manières.

« Il y a eu de nombreux vols à travers la ville. Le commerce de Lism a été le dernier à être touché. »

« Et bien… Je suis désolé pour ça. Bonne chance pour trouver le criminel. »

Erin tenta de s’en aller, mais le garde secoua la tête.

« Je suis désolé, Mademoiselle, mais je crains que je sois obligé d’investiguer son témoignage. Si vous voulez bien me suivre, je vais prendre votre déclaration. Je vais aussi avoir besoin d’une preuve pour m’assurer que vous étiez bien en dehors de la ville ce matin. »

« Quoi ? »

« C’est la procédure standard… »

« Mais Je… Il… Il est juste en colère parce que j’ai l’ai battu à une partie d’échecs ! O… Que j’ai battu son cousin et… Ecoutez, je n’ai rien fait »

Le garde souffla avec lassitude et leva ses mains.

« Je comprends, Mademoiselle, mais je dois examiner toutes les pistes. S’il vous plait, cela ne prendra pas trop longtemps… »

Erin regarda autour d’elle, impuissante. Ce n’était pas juste. Mais qui allait l’aider ? Les autres Drakéides et Gnolls, et bien, semblaient indifférents, voir compatissants. Mais ils étaient tous en train de la regarder, et aucun d’entre eux n’allait l’aider. Qu’est-ce qu’ils pouvaient faire ?

Beaucoup de choses, si l’un des gens dans la foule était une femme Gnolle qui jouait des coudes à travers la foule pour s’approcher du garde. Ce dernier flétrit alors que Krshia, commerçante, Gnolle, et en cet instant précis, l’héroïne numéro un d’Erin croisa les bras.

« Puis-je demander ce que vous faite, garde ? J’ai entendu dire que vous emmeniez une humaine innocente sur les mots d’un marchand teigneux. Mais cela n’est pas une bonne, n’est-ce pas ? »

Le garde fit deux pas en arrière pour s’éloigner de la Gnolle en colère. Il n’était pas un petit Drakéide, mais Krshia était grande même pour un Gnoll, et d’autres Gnolls étaient en train de quitter la foule pour la rejoindre.

« Ecoutez, Madame Krshia, je suis simplement en train d’enquêter… »

« C’est ce que j’ai entendu. »

Krshia renifla et lança un regard à l’autre bout de la rue. Lism décida de rentrer dans son étal alors qu’elle regarda dans sa direction.

« Lism, ce détritus, parle trop et ment quand il ne sait rien. Quelqu’un s’est introduit dans son étal, mais il n’a rien, rien entendu. Alors il proclame que le coupable est la fille qui l’a vaincu purement par rancune. Et vous vous apprêtez à l’emmener sans la moindre preuve ? »

« Ce n’est pas… Je suis simplement en train de faire mon travail. »

« Fort bien, trouves Erin Solstice quand tu auras une raison de le faire. Mais jusqu’à ce moment, vous laisserez une humaine innocente en paix, n’est-ce pas ? »

« Je… »

Le garde était tiraillé entre son devoir et le fait qu’il ne voulait pas s’approcher des problèmes que le visage de Krshia promettait. Il hésita, et se décida quand plusieurs Gnolls quittèrent la foule de manière casuelle pour rejoindre Krshia.

« Je crois que je vais continuer mon enquête en examinant chaque vol séparément. Ah, je contacterai Mademoiselle Solstice si quelque chose ressort. »

Krshia sourit froidement.

« Oui, c’est une sage décision. »

« Très bien. »

Le garde recula rapidement. Erin cligna des yeux toujours confuse par ce qui venait de se passer. Cette discussion, et même si elle était reconnaissante envers Krshia, la gênait légèrement dans le fait que l’autorité locale pouvait faire marcher arrière devant un groupe de civil.

Quoique, les civils en question étaient des Gnolls, Erin pouvait comprendre pourquoi. Même s’ils faisaient des efforts, ils donnaient une énergie bien plus…. Bestial que les Drakéides. Ce n’était pas qu’Erin s’attendait à ce qu’ils perdent leur sang-froid, mais elle ne serait pas surprise s’ils le faisaient. Ce genre de sensation.

Krshia baissa la tête et sourit vers Erin alors que les autres Gnolls murmurèrent ou aboyèrent en sa direction. Elle grogna quelque chose en retour et ils marchèrent de nouveau dans la foule.

« Erin Solstice. Je te cherchais. Et c’était une bonne chose que je t’ai trouvé, n’est-ce pas ? »

« Oui. Merci pour ça, Krshia. Je ne savais pas quoi faire et ce marchand… »

Krshia plissa les yeux avant de grogner.

« Lism. Il cause des problèmes, n’est-ce pas ? Même après que tu l’as battu de manière équitable, et que son neveu t’admire. Mais assez, je vais m’assurer qu’il ne cause pas plus de problèmes. Je souhaite te parler. »

« Hum, d’accord ? À propos de quoi ? Le voleur ? »

Krshia fit un mouvement dédaigneux de ses doigts.

« Pshaw. Ce n’est qu’une chose bien couarde qui se cache et nous vole sur la Rue du Marché et ailleurs. Personne ne sait si c’est un humain ou autre. Non, je ne me m’inquiète pas d’un tel voleur. Je souhaite te parler en privée. Je t’invite dans ma maison pour un repas et de la boisson. »

Erin hésita de nouveau. Elle était reconnaissante mais…

« Hum, est-ce que ça doit être maintenant ? Je suis vraiment épuisé, Krshia. Une sieste me ferait du bien… »

« J’ai aussi un lit à la maison. Tu pourras l’utiliser si tu souhaites te reposer. Viens. »

Les Gnolls étaient insistants. Ou peut-être que c’était Krshia. Mais Erin se retrouva traîner le long de la rue avant d’avoir le temps de comprendre ce qu’il se passait.

« Ecoute, je suis reconnaissante, mais maintenant n’est pas le bon moment. J’ai dû m’occuper d’araignées maléfiques et… »

« Erin ! »

Krshia ignora Erin et la personne l’appelant. Elle accéléra le pas à travers la foule.

« Si nous attendons pour un bon moment, nous n’aurons jamais le temps. Viens, ma maison n’est pas loin. »

« Erin ! Erin Solstice ! »

Krshia soupira et ses oreilles tressaillirent alors que l’inconnu qui appelait Erin s’approcha. Elle s’arrêta et Erin parvint finalement à extraire sa main de la grosse paluche de la Gnolle. Elle se retourna pour voir un Drakéide s’approcher d’eux.

« Olesm ? »

Le plus petit, et plus jeune Drakéide s’arrêta devant Erin et Krshia, haletant. Il était en train d’agripper une pièce de parchemin et… Un pot d’encre ? Pendant un instant, Erin fut perturbé par l’inconvenance causée par le fait que ce monde n’avait pas de stylo, puis Olesm lui mit le papier sous le nez.

« Regarde ça, Erin ! Je viens de le recevoir et la première fois que je vois quelque chose d’aussi fascinant! Une nouvelle manière de jouer aux échecs ! »

Erin cligna des yeux, mais le papier disparu et Krshia éloigna gentiment mais fermement Olesm.

« Très intéressant, mais Erin est occupée. Je lui parlerai, et tu la trouveras plus tard, n’est-ce pas ? »

Elle voulait éloigner Erin, mais au grand désarroi de la Gnolle, Erin était déjà en train de se tenir aux côtés d’Olesm.

« Qu’est-ce que tu viens de dire à propos d’une nouvelle manière de jouer aux échecs ? »

Cette fois Krshia grogna, mais Erin était déjà en train de regarder le morceau de papier qu’Olesm était vivement en train de lui présenter. Elle essaya une dernière fois.

« Il y aura du temps pour jouer aux échecs plus tard, n’est-ce pas ? Erin… »

Mais à ce point, Erin et Olesm étaient déjà captivés. Les oreilles de Krshia tressaillirent de nouveau, mais elle ne pouvait rien y faire.

« Regarde ça, Erin ! »

« Je le ferai si tu arrêtes de bouger. C’est quoi ? »

Erin arracha le papier des griffes d’Olesm et le regarda. C’était une pièce de papier, et sur ce papier était des… Illustrations ? Erin fronça les sourcils, avant de comprendre. C’était des échecs. Quelqu’un avait dessiné un échiquier sur un bout de papier.

Elle regarda l’image, ou plutôt le dessin de l’échiquier. Quelqu’un avait pris le temps de dessiner une grille et d’illustrer, de manière plutôt détaillée, chaque pièce sur l’échiquier imaginaire. Elle baissa les yeux vers un roi blanc, une reine dans un coin, et un cavalier et un pion coincé au milieu d’une partie contre deux pions noirs, deux tours et, naturellement, un roi se cachant derrière les pions dans le coin gauche.

Olesm s’agitait au-dessus de l’épaule d’Erin, lui parlant directement dans son oreille.

« Je viens de recevoir une livraison longue distance qui a été envoyée à tous les [Tacticiens] et joueurs d’échecs du continent ! C’était ce papier, et c’est un challenge, tu vois. Tu dois le… »

« Le résoudre en cinq coups ? »

« Comment est-ce que tu le sais? »

Olesm regarda Erin qui pointa la feuille du doigt.

« C’est marqué ici. Et les blancs commencent. »

« Oui, n’est-ce pas incroyable ? Je n’aurai jamais pensé à ça… Mais quelqu’un a trouvé le moyen de faire des parties malgré la distance sans sort ! Mais ce n’est pas un jeu, c’est… »

« Oh, je sais. C’est un puzzle d’échecs. »

Olesm dégonfla de manière visible.

« Tu sais ce que c’est ? Bien sûr que… Comme je suis bête. »

Krshia marcha jusqu’à eux pour observer l’échiquier. Elle plissa les yeux vers le papier en fronçant les sourcils devant l’arrangement des pièces.

« Je n’arrive pas à comprendre ce… Puzzle. Pourquoi est-ce que quelqu’un t’a envoyé ceci, Olesm. »

« C’est comme un défi pour s’améliorer. »

Erin expliqua sans véritablement prêter attention tout en continuant de regarder les pièces.

« C’est un défi ou un problème pour les autres joueurs. Tu dois trouver un moyen de gagner en un certain nombre de coup. Cela permet d’apprendre aux gens à jouer aux échecs, et comme ça tu peux l’écrire. »

Olesm hocha vivement la tête en pointa le papier d’une griffe.

« Dans ce cas la solution est de mettre le roi noir en échec, mais je n’ai pas encore réussi à la trouver. J’imagine que la majorité des joueurs du continent sont en train d’essayer de trouver la solution. Cela prendra du temps, mais j’espère être le premier à trouver la… »

Erin était toujours en train de regarder le papier. Elle cligna des yeux, fronça les sourcils, et claqua ses doigts. Krshia et Olesm sursautèrent.

« Hm~~ ! J’ai trouvé ! »

Erin sourit avant de redresser le puzzle d’une main.

« Fait, et fait ! »

« Quoi ? »

Olesm se figea et regarda Erin qui lui sourit.

« Tu… Tu l’as fini ? Comme ça ? »

« Ouaip. Ce n’était pas trop compliqué. Mais j’ai vu plusieurs problèmes comme celui-là donc… »

Krshia baissa les yeux et lança un regard empli de sympathie vers Olesm. Le pauvre Drakéide regarda Erin, puis le puzzle d’échec.

« … J’aimerais vraiment savoir comment tu es parvenu à le résoudre si rapidement. Mais je devrais… Oui, je devrais le résoudre par même. Pas vrai ? »

Il regarda le bout de parchemin qu’Erin tenait avec envie, cette dernière sourit avant de le plier.

« Tu devrais. Cela t’aidera sur le long terme. Ne te sens pas mal, c’est juste que je savais comment ce problème marchait. Mais c’était assez amusant. »

« Amusant. »

Olesm répéta le mot, avant de baisser les yeux vers le papier.

« Cela fait plus d’une heure que je suis en train de lutter contre ce problème. Mais… Bien sûr que je  devrais m’attendre à ce que quelqu’un de ton niveau ne soit pas troublé. Bien sûr. »

« Est-ce que tu en as d’autre ? »

Olesm secoua la tête. Il accepta le bout de parchemin que lui rendait Erin.

« C’était le premier, enfin, je suppose que nous pouvons nous attendre à d’autres puzzles de ce type dans le futur, n’est-ce pas ? Ce puzzle a été envoyé à d’innombrables cités, donc la personne qui a désigné ceci veut clairement toucher une large audience. Je ne serais pas surpris s’il continuait. »

Erin hocha la tête.

« Oh, tu veux dire comme une sorte de magasine, pas vrai ? Ou un journal ? »

« Un quoi ? »

Krshia et Olesm regardèrent Erin avec incompréhension. Elle tenta d’expliquer et Olesm hocha la tête avec incertitude.

« Oui… Oui, cela semble être juste. »

« Je suis juste surprise. Je pensais que ce genre de truc était apparemment coûteux. »

Olesm secoua la tête.

« Ce n’est pas si coûteux, particulièrement si tu l’envois avec les livraisons lentes. »

« Les livraisons lentes… ? »

Le Drakéide hocha la tête avant de gesticuler vers le parchemin dans sa main.

« Ceci fut envoyé avec un tas d’autres lettres dans une caravane depuis le nord. Cela a probablement traversé la mer, mais ça n’a pas été livré par un Coursier. Tu vois, les Coursiers livrent des choses rapidement, mais les marchands, les caravanes et même les capitaines de bateau peuvent prendre des livraisons longues distances pour une somme modique. »

Erin fronça les yeux. Elle comprenait ce qui se passait, en quelque sorte. C’était comme le courriel postal envoyé par bateau et une livraison de colis par avion. Mais des morceaux du processus continuaient de la troubler.

« Comment ça marche si tu fais passer la lettre plus d’une fois ? Est-ce que paye le premier gars une grosse somme et il en donne une partie au suivant ? Ça semble risqué. »

Olesm se gratta les écailles en essayant d’expliquer.

« C’est plus comme… Et bien, je suppose que les lettres sont une forme de monnaie. Les voyageurs les achèteront pour quelques pièces pour les livrer à destination en espérant gagner un peu plus quand ils les revendent ou les délivrent à leur propriétaire. »

« Oh. C’est une sorte de pari. »

« Exactement, mais c’est presque certain que la lettre arrivera à bon port à la fin. Bien sûr, envoyé quelque chose de personnel est une mauvaise idée, mais tu peux envoyer un message à l’autre bout du continent pour une ou deux pièces de cuivre. Cela prendra peut-être un mois ou deux mais elle y arrivera. »

Erin hocha la tête, ça faisait sens. Et cela lui rappelait, d’une certaine manière, la poste. Juste sans les timbres. C’était pratique, vraiment pratique.

C’était juste qu’en ce moment elle rêvait des emails, de l’internet, et d’être capable d’appeler sa famille en deux secondes. Donc elle n’était pas si impressionnée que ça, même si elle essayait de l’être.

« Je me demande… Est-ce que tu penses que je pourrais répondre à la personne qui t’a envoyé la lettre ? »

« Je ne vois pas pourquoi tu ne le pourrais pas. Je connais le marchand qui livre les lettres… Je pourrais lui demander de renvoyer les lettres quand il partira. »

« Je peux marquer la réponse. Est-ce que tu as du papier ? »

« Marque-la en bas. Je ne regarderai pas. »

Olesm tendit un autre bout de parchemin à Erin et détourna le regard alors qu’elle gribouilla dessus. Elle le plia et lui rendit.

« D’accord, donc tu l’envoie à cette personne. Et puis cette personne m’enverra quelque chose de plus compliqué ? »

« Peut-être. Ou peut-être qu’il attendra les réponses d’autres personnes. Cela va peut-être prendre quelques semaines, voire un mois. »

« C’est un sacré bout de temps. »

« Mais c’est fascinant de jouer des parties à travers une telle distance, n’est-ce pas ? »

Erin tenta de trouver l’enthousiasme d’Olesm, mais la vérité était que cette révolution ne valait pas grand-chose comparé à ce qu’elle avait dans son monde. Elle soupira, avant d’avoir une idée.

« J’ai une meilleure idée. Tiens, rends-moi ce papier. »

Elle prit la plume et la trempa dans le pot qu’Olesm tenait.

« Ils m’ont envoyé un puzzle, donc je vais leur renvoyer un. Voyons voir s’ils aiment ça »

Erin dessina un échiquier avec chaque pièce sur sa position de départ. Elle n’était pas une artiste, mais elle faisait ce qu’elle pouvait. Puis elle écrit dans le coin gauche.

’Le côté noir effectue les mêmes coups que le côté blanc. Forcez l’échec et mat en quatre coups’

« C’est un peu simple, mais cela devrait être un bon défi pour des débutants »

Elle le montra à Olesm et Krshia. Olesm fronça les sourcils alors que Krshia secoua la tête, confuse, puis le Drakéide sourit.

« Ah. Je connais déjà celui-là. »

« Attends, quoi ? »

« Plusieurs nouveaux joueurs aiment me défier de cette façon. Donc je suis devenu adepte à les battre. La solution est simple, je suis certain que tu le sais déjà. Si tu bouges ta reine de cette maniè… »

Erin fronça les sourcils et arracha le parchemin des griffes d’Olesm.

« Donne-moi ça. »

Elle retourna le parchemin et commença à furieusement écrire sur le dos. Olesm cligna des yeux et Krshia sourit, amusée. Quand Erin montra le nouveau problème à Olesm, ce dernier cligna des yeux.

« C’est… C’est beaucoup de pièces. »

« Echec et mat en quatre coups. Les noirs commencent. »

Erin fit un sourire maléfique à Olesm.

« Quatre coups »

Il dévisagea le papier d’une manière qu’Erin n’avait jamais vue auparavant.

« Non, c’est impossible. Mais… Non, cela ne devrait pas… »

Il fronça les sourcils, sa queue s’agitant au sol.

« Je ne peux pas commencer à… Comment as-tu inventé ce problème si rapidement ? »

« C’était l’un des puzzles qui m’a donné une migraine à l’époque où je jouais beaucoup. Il m’a presque fallu une semaine entière pour le résoudre. »

« Je ne peux pas… Puis-je le copier ? S’il te plait ? »

« Bien sûr. Et si tu le renvois à la personne qui a envoyé l’autre puzzle, je paye pour la livraison. »

« Oh, bien sûr. Certainement. Hum, tu peux me donner quelques pièces de cuivre et il y arrivera, mais plus d’argent veut dire une livraison plus rapide. »

« Je comprends. »

Erin y pensa un instant et fouilla dans sa bourse. Elle se sentait généreuse, donc elle donna deux pièces d’argent à Olesm. D’après ce que Selys lui avait dit, elle allait rouler dans les pièces brillantes dans pas longtemps.

Le Drakéide cligna des yeux en voyant les pièces, mais les accepta et promis d’envoyer la lettre le plus tôt possible alors qu’il était en train de copier le puzzle d’Erin. Il s’en alla, laissant Erin et Krshia derrière.

Elle sourit, se demandant avec un brin de malice combien de temps il faudrait au mystérieux joueur d’échec pour résoudre son problème, avant de complètement oublier cette histoire une minute plus tard.

Krshia était toujours en train d’essayer d’avoir un repas avec Erin, mais Erin était fatiguée, endolorie et affamée. Et malgré toutes ses bonnes intentions envers les Gnolls, leur nourriture était légèrement trop crue selon les standards humains.

« Ecoute, j’aimerais vraiment visiter. Et je le ferai… Pourquoi pas demain ? »

« Mais aujourd’hui est plus rapide, n’est-ce pas ? »

« Oui, mais… »

Erin faiblit. Krshia était en train de la séduire avec des promesses de plats préparés et de viande cuite. Et cela serait appréciable, même si elle avait l’impression que la Gnolle voulait lui parler de quelque chose d’important. Peut-être qu’elle pouvait se relaxer ?

Mais alors qu’elle s’apprêtait à partir avec Krshia, quelqu’un appela le nom d’Erin. Cette fois les oreilles de Krshia étaient aplatit sur sa tête et elle se retourna pour envoyer un regard mauvais à la personne qui allait les déranger. Mais la Gnolle s’arrêta aussitôt.

Scruta Cherchevoie se tenait derrière Erin dans un vortex d’attention. Elle leva la tête et sourit à Krshia alors que la Gnoll l’observa. Erin cligna des yeux et soupira alors que la demi-Scruteur la salua.

« Erin. Est-ce un bon moment ? »

« Je suppose. Est-ce que tu as rencontré toutes les personnes que tu devais voir ? »

Scruta haussa les épaules.

« J’ai rencontré une variété d’individus. Mais je suis certaine que le reste se présenteront d’eux-mêmes quand ils sauront que je suis en ville. Cependant, je me demandais si j’allais accepter ton offre. »

« Mon offre ? Quelle offre ? »

Erin cligna des yeux en direction de Scruta. L’aventurière sourit et agita une main.

« Tu as mentionné le fait que tu possèdes une auberge. Si cela ne te dérange pas j’aimerais bien la visiter et prendre un repas, si possible. »

« Oh. Bien sûr. »

Erin jeta un regard vers Krshia.

« Désolé Krshia. J’ai juste promis à Scruta… Elle m’a aidé ce matin. Ça ne te dérange pas… ? »

Krshia se tenait totalement immobile et fit un signe de la main à Erin. Scruta sourit dans la direction de la Gnolle.

« Merci, marchante Krshia. Je m’excuse pour mon impolitesse. »

La Gnolle murmura quelque chose, mais Erin était déjà en train de guider Scruta plus loin. Krshia regarda le dos de l’aventurière, et secoua la tête. Elle se retourna attrapa le Gnoll le plus proche et commença à lui parler rapidement. Elle continua de lancer des regards au dos de Scruta alors que l’aventurière continua de s’éloigner. Elle n’avait pas osé croiser le regard de la Scruteur, et même maintenant elle avait son poil hérissé.

Elle observa Scuta. Mais Krshia n’avait pas la moindre idée, ou peut-être qu’elle le savait, qu’elle se faisait observer en retour.

***


Erin regarda avec une fascination horrifiée l’un des yeux de Scruta lentement tourner pour de nouveau regarder devant elle alors que les deux marchèrent dans la rue. Apparemment, les Scruteurs avaient une vision de 360° degré, ce qui était super cool et extrêmement troublant. 

Elle parla à Scruta alors que les yeux de l’aventurière erraient. Elle gardait son gros œil concentré sur Erin alors qu’elles avançaient, Erin devinait que c’était probablement par politesse, mais ses quatre yeux bougeaient dans toutes les directions. En fait, c’était assez troublant de voir comment le gros œil de Scruta ne quitta pas Erin pendant un seul instant. Vu qu’elle avait d’autres yeux, elle pouvait se concentrer uniquement sur Erin tout en évitant les autres piétons.

Enfin, il n’y avait pas le moindre piéton qui se mettait sur sa route ou sur celle d’Erin. Soit les autres passants connaissaient Scruta, soit ils ne voulaient pas se retrouver sur le chemin de l’aventurière. Elle était toujours habillée comme une guerrière après tout, et même si son armure donnait l’impression d’être rouillée, elle lui donnait un air sérieux.

Dans l’ensemble… Non, Erin n’allait pas y penser. Mais elle ne pouvait s’y empêcher. Elle avait vraiment l’impression de parler à une version féminine de Maugrey Fol Œil, même si cela n’était pas très gentil. Bien moins grincheux, et avec plus d’un œil fou, mais l’idée était dans sa tête et elle ne pouvait pas s’en séparer.

Et comme tous les personnages d’Harry Potter, Scruta semblait être un gouffre qui attirait l’attention. À un tel point qu’Erin se sentait inconfortable alors que les deux marchaient le long de la rue vers les portes. Elle était habituée à être épié, mais cette fois les Drakéides et les Gnolls n’étaient même pas en train de cacher leurs regards. Bon, certes, la plupart était en train d’observer Scruta, mais beaucoup d’entre eux étaient aussi en train de regarder l’étrange humaine qui lui parlait.

« Tu es vraiment célèbre à ce point, pas vrai ? »

Scruta haussa les épaules et l’armure accompagna son mouvement.

« Certains le disent. Je m’excuse si l’attention te dérange. Tu n’aimes pas ce genre d’attention ? »

« Sais pas. Je n’ai jamais été populaire, ou célèbre. »

Scruta hocha la tête.

« Je crois que je suis surtout tristement célèbre. »

« Ça aussi je ne l’ai jamais été. »

« Je crois que la différence entre les deux est assez subtile dans un sens. D’un autre côté… Et bien disons que je préfère les regards plutôt que d’autres réactions. »

« Oui, oui. Je te comprends. »

Erin et Scruta s’arrêtèrent à une intersection noire de monde. Aujourd’hui semblait être le week-end, même si Erin ne comprenait pas bien le déroulement des jours dans ce monde. Elle remarqua plusieurs familles à l’extérieur, ce qui voulait dire qu’elles étaient dans un district résidentiel. Elle allait rarement ici, la vue des enfants…

Ils étaient si petits. Et adorable ! Enfin, les enfants Gnolls lui rappelait de vicieux chiots, mais les petits Drakéides étaient si mignons que cela en devenait terrifiant. Ils courraient comme des enfants normaux, traînant leurs petites queues en se chamaillant et en jouant… Comme tous les autres enfants normaux, en fait.

Certains adultes les regardèrent alors qu’ils remarquèrent Erin et Scruta. Mais un gang de Drakéide et de Gnolls pointèrent Erin du doigt. L’un des enfants couru vers les deux avant de s’enfuir. C’était un petit Drakéide, ou du moins elle pensait que s’en était un.

C’était charmant, surtout dans la manière avec laquelle le groupe d’enfant était clairement fasciné par elle. Erin était en train de sourire, jusqu’au moment où elle vit les parents.

Deux Drakéides aux écailles bleues claires regardèrent leur progéniture courir avec ses amis avec un intérêt affectueux. Il courut vers Erin, et ses parents l’appelèrent, ne voulait pas déranger Erin. Elle fut saisit par l’instant et une pensée la frappa avant qu’elle puisse la bannir.

Mère, père, et enfant.

Son sourire vacilla et disparut. Mais Erin le remit aussitôt sur son visage. Elle se pencha vers le jeune Drakéide, ne regardant pas en direction des parents.

« Salut toi ! »

Erin sourit au petit Drakéide. Il fit immédiatement un pas en arrière, mais les autres enfants le poussèrent de nouveau en avant.

« Est-ce que je peux vous demander quelque chose ? »

Les parents du petit Drakéide étaient en train de lui faire signe, lui disant de ne pas déranger l’humaine. Mais Erin sourit. Elle forçait se sourire, mais c’était tout de même un sourire.

« Va s’y, ça ne me dérange pas. Tu peux me poser n’importe quelle question. »

Le Drakéide lui sourit. Ses dents étaient très pointue. Mais son sourire était innocent, et légèrement malicieux

« Est-ce que vous pouvez vraiment cracher du sang depuis votre... »

***

Pisces était assis à une table de l’Auberge Vagabonde, sirotant tranquillement un verre avec les pieds sur la table. Il avait tiré une autre table à côté de lui et avait organisé une planchette de fromage, de viande, de pain et même de quelques sucreries qu’Erin avait achetées pour elle lors de sa dernière visite en ville.

Il sursauta alors que la porte s’ouvrit à la volée et qu’Erin tapa des pieds en entrant. Elle avait un air terrible sur le visage, qui contrastait avec le sourire amusé de la Scruteur qui la suivait.

Elle n’eut même pas besoin de dire quelque chose. Un regard et les pieds de Pisces descendirent de la table alors qu’il commença à nettoyer la table avec sa robe, qui était bien plus sale.

« Salutations, Maîtresse Solstice. Ah, ta journée à telle été plaisante ? »

Erin s’arrêta au milieu de la pièce et lança un regard noir à tout et à rien.

« Je déteste les enfants. Je déteste les Drakéides, et je déteste les gens qui ne comprennent rien à l’anatomie des femmes. »

Le dernier commentaire fut accompagné d’un regard vers Pisces. Il ouvrit sa bouche pour protester avant de sagement se taire.

« Au cas où tu te poses la question. Non, je ne peux pas cracher du sang depuis mon entrejambe. »

« Je ne me posais pas la question. Mais je trouve ta réaction devant la question de cet enfant très amusante. »

Erin lança un regard par-dessus son épaule à l’aventurière. Pisces la regarda. Il y avait quelque chose de familier…

« Qui demande ça ? Franchement ! »

L’aventurière haussa les épaules. Elle était en train de regarder autour de l’auberge… Avec plus d’un œil ? Les sourcils de Pisces se levèrent alors qu’il la regarda.

« Est-ce vraiment étrange que les autres espèces ne connaissent pas grand-chose à la reproduction des humains ? »

« Oui ! Non ! C’est juste… »

Erin leva ses mains en l’air.

« Oublie-ça. Ceci est mon auberge. Je vais te chercher de quoi manger. Tu peux prendre un siège. Fais attention à Pisces, l’idiot assis là-bas. Il vole des choses. Comme ma nourriture. »

Elle jeta un œil aux sucreries à moitié mangées sur la table et Pisces tressaillit. Furieuse, elle marcha dans la cuisine, le laissant seul avec… Avec…

Alors que l’aventurière s’installa à une table proche de la sienne, les yeux de Pisces s’écarquillèrent. Si ce dernier avait été en train de manger quelque chose, il se serait étouffé probablement  dessus. S’il avait été en train de boire il aurait probablement tout recraché. Vu qu’il ne faisait ni l’un, ni l’autre il se contenta d’écarquiller les yeux en regardant Scruta.

Elle lui fit un sourire.

« Salutations, Nécromancien. »

***

Erin fouilla sa cuisine, cherchant quelque chose à servir. Elle déposa une casserole de pâte sur le feu, versa un peu de fruit bleu,  remarquant que Pisces s’était aussi servi, et coupa un peu de fromage, de pain et de saucisse. Elle réalisa qu’elle n’avait pas la moindre idée de ce que l’espèce de Scruta mangeait, mais décida de quand même tout sortir.

Pisces était toujours dans son siège, et c’était la première fois qu’elle le voyait aussi humble alors qu’il discutait avec Scruta. Enfin, elle était en train de poser des questions et il y répondait rapidement et nerveusement. Une autre personne qui reconnaissait la célèbre aventurière.

« Et voilà. »

Erin mit la collation devant Scruta.

« Laisse-moi savoir si tu veux quelque chose d’autre ou si tu ne peux pas manger quelque chose. Aussi, c’est du jus bleu. C’est… C’est bleu. Mais c’est sucré. »

« Cela semble délicieux. Merci de me permettre de m’imposer. »

« Pas de problème. Je reçois rarement des visiteurs… »

Erin s’arrêta alors que la porte s’ouvrit.

« Je reçois rarement des visiteurs. »

Elle s’attendait à recevoir les Gobelins, ou peut-être Olesm, voir Pion et quelques Ouvriers. Mais à la place ce fut la dernière personne qu’elle attendait qui entra dans l’auberge.

Relc

Il lui sourit, il se balada dans l’auberge, la lance à l’épaule. Il n’était pas seul, quatre autres Drakéides, tous des gardes au premier regard, entrèrent avec lui en regardant autour d’eux de manière méfiante.

Erin ne savait pas quoi dire. Elle regarda Relc. Le Drakéide croisa ses yeux avant de détourner le regard.

« Salut, Relc. »

« Mademoiselle Erin. Comment est-ce que tu vas ? »

« Bien. Hum. Tu as amené des amis ? »

« Pour un repas. Tu peux nous servir quelque chose ? J’ai faim. »

« Bien… Bien sûr. »

Troublée, Erin entra de nouveau dans la cuisine pour doubler ses préparations. Elle émergea de nouveau pour trouver Relc et ses amis s’asseoir proche de Scruta. Vu qu’elle avait choisi de s’asseoir proche de Pisces, il y avait un drôle de triangle au centre de son auberge.

Il y avait aussi un silence de mort. Erin déposa les boissons et les collations devant ses clients, gênée. Les autres Drakéides acceptèrent les collations et regardèrent le jus bleu d’un œil suspicieux, mais ils étaient polis. Relc, de son côté, était tapageur et bruyant, la remerciant et vidant rapidement son verre. Il regardait partout autour de lui, à l’exception de Scruta et elle.

Ce fut le premier indice d’Erin, mais elle était si occupée qu’elle ne le remarqua pas. Mais alors qu’elle commença à égoutter ses pâtes mélanger les oignons elle entendit Relc se lever et marcher jusqu’à Scruta.

« Donc. Tu es la fameuse aventurière qui est entrée dans notre petite ville. Ravi de te rencontrer. »

Erin jeta un coup d’œil depuis sa cuisine juste à temps pour voir Relc se pencher sur la table, il présenta une gigantesque main à Scruta.

« Je suis Relc. Un Garde Vétéran de Liscor. »

Est-ce que c’était elle ou Relc semblait… Plus grand qu’avant ? Mais Scruta se contenta de lui sourire et de lui serrer la main avec sa main gantelet. Elle vit les muscles du bras de Relc se crisper, mais Scruta ne cligna pas de l’œil en lui serrant la main.

« Je suis Scruta Cherchevoie, une aventurière errante. »

« Oh, une aventurière ? C’est cool. J’ai pensé à en devenir un, mais ça semblait être trop compliqué pour en valoir le coût. »

« La vie d’aventurier n’est pas pour tout le monde. »

« Oh, il y a toute cette terre, cette boue et les monstres qui essayent de te tuer. »

« Cela devient désagréable de temps en temps. »

« Oui, oui. »

Erin n’avait pas besoin d’une compétence spéciale pour sentir la tension dans l’air. Elle vit les quatre gardes que Relc avait amené subrepticement observer Scruta. Pendant ce temps, Pisces s’était décalé au bord de la table pour s’éloigner des deux groupes.

Relc s’arrêta. Puis il racla sa gorge et regarda Scruta.

« Donc. Ça te dérange de me dire ce que tu fais dans ma ville ? Et, uh, combien de temps tu vas rester dans le coin ? »

Relc appuya son ‘ma’ et il se penchait vers Scruta d’une manière pas très subtile. Même si cela ne semblait pas la gêner.

« Je suis simplement en train d’explorer ce continent. Sois assuré, je ne souhaite pas perturber l’ordre public tant que je suis là. »

Le grand Drakéide hocha la tête avec un air approbateur.

« C’est bien. Je détesterai voir ça. J’ai l’impression que je dois passer mes jours à m’occuper d’aventuriers qui nous causent des problèmes. C’est parce que je suis celui avec le plus haut niveau de la Garde, tu sais. Tout le monde m’appelle quand ils ont besoin d’aide. »

« Cela semble un métier difficile. Je suis impressionnée. »

« Ouaip, enfin, je suis juste bon. »

« En effet. »

Scruta semblait se contenter de ça. Relc se gratta les écailles, sa queue tressaillit quelques fois sur le sol.

« Donc, ce que je veux dire, c’est que je détesterai que ta visite devienne désagréable, compris ? Ce n’est pas une bonne place pour créer des problèmes car tu n’es pas sur ton continent. Tu p… »

Erin frappa Relc à l’arrière du crâne avec une assiette pleine de nourriture, violemment.

« Aie ! »

Il se retourna et lança un regard à Relc, Erin lui rendit.

« Oi. Arrête d’harceler mon invité. »

« Je n’étais… »

« Arrête d’harceler. Mon invité. Et rassis toi. Le repas est prêt. »

Relc la regarda, mais il semblait avoir fini. Il baissa les yeux vers Scruta et s’en alla. La Scruteur sourit à Erin.

« Ah. Des pâtes ? Cela m’a l’air bien délicieux. Merci, Erin. »

« Ouais, ça à l’air bon ! »

Relc commença à creuser dans son assiette dès l’instant qu’Erin la déposa sur la table. Après quelques hésitations, les autres gardes firent de même. Leurs expressions douteuses changèrent, et ils commencèrent à avaler leurs nouilles avec un sourire.

Pisces regarda autour de lui. Tout le monde était en train de manger, et Erin s’était même servie une assiette. Mais il était le seul sans assiette ou repas.

« Ah, je crois que tu as raté quelqu’un. »

« Vraiment ? »

Erin le regarda d’un œil mauvais. Elle appuya son regard sur les restes de ses gâteaux sur la table.

« Dommage. Je suppose que j’ai de la nourriture uniquement pour les clients qui payent. »

Il lui fit un sourire narquois.

« À vrai dire, je crois qu’aujourd’hui est le jour où j’efface mon ardoise. J’ai acquis une coquette somme il y a peu. »

« Vraiment ? »

Erin leva un sourcil dubitatif. Pisces sortit une bourse pleine à craquer et en montra son contenu.

« Si tu veux bien observer. »

Elle observa.

« C’est beaucoup d’or. Hey! Est-ce que tu as volé ça?”

Il semblait insulter.

« Pas du tout. J’ai simplement réalisé un peu de magie complexe et reçu une rémunération. Mais je crois que c’est plus qu’assez pour  payer plusieurs fois ma dette. Laisse-moi repayer ma dette et te donner un pourboire pour ton temps. »

Il mit la main à sa bourse, mais avant de pouvoir prendre la moindre pièce d’or le sac disparu de sous sa main. Relc venait de s’en emparer et déposa la bourse sur la table.

« Yoink. »

« Hey ! »

Pisces se releva. Il tenta d’attraper l’argent, mais Relc leva le sac hors de sa portée.

« Rends-moi ça ! Cela m’appartient ! »

« Nope ! Confisqué par la Garde ! »

« Relc ! »

Erin cria sur le Drakéide alors que Pisces devenait de plus en plus rouge. Le mage pointa un doigt tremblant vers Relc.

« C’est un abus d’autorité ! Tu n’as pas le droit de voler ma propriété ! »

Relc sourit et agita une griffe vers Pisces.

« J’ai tous les droits. Ou est-ce que je dois te rappeler que tu es toujours recherché pour tous les vols que tu as faits. Effrayer les gens, piller des tombes, tout cela devrait être gentiment couvert avec ce don à la ville, n’est-ce pas ? »

Pisces pâlit, avant de tourner rouge d’outrage. Il bafouilla, mais n’avait rien à dire à part une indignation impie. Relc rit devant le mage, jusqu’à ce qu’Erin lui mette un coup de poing dans l’épaule.

« Aie. Tu es devenu plus forte ? »

« C’est une compétence. Arrête de te chamailler avec mes clients. »

« D’accord. Mais je garde ça. Pisces le Nécromancien sera de nouveau admis dans la ville et nous le poignarderont pas une fois que toutes ses amendes seront payées… Mais je continuerai de l’observer. »

« C’est injuste… Ce n’est pas… »

Pisces serra les poings mais Erin parvint à le rasseoir. Il resta assis en soufflant, donc elle lui donna sa propre assiette pour le calmer.

« Honnêtement. J’ai un nouveau client. Est-ce que vous ne pouvez pas vous tenir à carreau pendant une nuit ? »

« Je suis en train d’admirer le spectacle. Ne faîtes pas attention à moi. »

Relc lança un regard de côté vers Scruta, mais il l’ignora avant de sourire en direction d’Erin.

« Désolé, Erin. Je voulais juste te dire bonjour, après tout ce temps. »

Elle le regarda d’un air douteux.

« Vraiment ? »

« Vraiment. Je t’ai vu ce matin et j’ai pensé… Enfin, cela serait sympa de voir une humaine amicale de nouveau. Je dois tous les jours gérer les problèmes causés par les aventuriers et les mages, après tout. »

Pisces murmura quelque chose de sombre. Erin lui jeta un regard et il se tût.

« J’ai vu ça. Tu étais plutôt impressionnant. Je ne savais pas que tu étais aussi bon. »

Relc sourit en mettant ses mains derrière sa tête en balançant sa chaise.

« Je fais de mon mieux, je fais de mon mieux. Mais je ne suis pas le meilleur garde dans la ville sans raison. »

Les quatre gardes arrêtèrent de manger et regardèrent Relc. L’un d’entre eux ricana.

« Le plus grand garde ? Bien sûr, un qui ne peux même pas attraper une Coursière humaine. »

Les trois autres gardes ricanèrent. Relc fit retomber sa chaise et les regarda.

« J’étais en armure, et j’avais ma lance, d’accord ? Elle a été chanceuse ! »

Erin cligna des yeux en regardant Relc alors que les autres gardes continuèrent de se moquer de lui.

« Tu t’es fait battre à la course par une Coursière ? »

« Elle était vraiment rapide ! Je n’ai jamais rien vu de telle ! Les autres Coursiers je les laisse dans ma poussière. Mais elle… »

« Tu es certain que tu n’as pas perdu la course parce que tu l’admirais ? »

« Trop occupé à haleter et plus assez de place pour respirer ? »

« La ferme ! »

Relc regarda les deux gardes et leur jeta un peu de nourriture. Cela lui valut un nouveau coup d’assiette de la part d’Erin. Il lui lança un regard avant de changer de ton.

« … Au passage, Mademoiselle Erin. Tu… Ne connaitrais pas une Coursière, n’est-ce pas ? »

« Moi ? »

Erin cligna des yeux en le regardant et Relc hocha la tête.

« Ouais, enfin, peut-être ? Elle avait environ ton âge ? »

« À quoi elle ressemblait ? »

Cette question venait de Pisces. Le mage était en train de regarder Relc avec intérêt. Le Drakéide fronça les sourcils et haussa les épaules.

« Elle avait des… Cheveux noirs. Et elle était… Grande ? Plus grande qu’Erin. Et, heu, elle était rapide. Ça te rappelle quelque chose ? »

Pisces et Erin échangèrent un regard. Erin planta ses mains sur ses hanches.

« Comment est-ce que je suis censé connaitre quelqu’un avec que ça ? »

« Hey ! Je fais de mon mieux ! Vous les humains vous êtes tous… Un peu similaire. Dans tous les cas, je pensais que tu la connaîtrais. »

« Parce que je suis humaine ? Et que tous les humains se connaissent entre eux ? »

Relc se gratta le côté de la tête.

« Hum. Ouais ? »

« J’y crois pas. »

Erin commença à ramasser et claquer les assiettes entre elle alors que le Drakéide leva ses griffes de manière innocente.

« Hey, je me demandais… Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je suis venu ! J’allais te parler à propos du voleur dans la ville. »

« Je sais déjà qu’il y a un voleur dans la vile ! Et avant que tu ne causes d’autres problèmes, ce n’était pas Pisces. S’il était le voleur vous l’auriez déjà attrapé. »

« Oh, nous le savons. Il n’y avait pas de magie détectée dans les endroits volés. Non, c’était probablement un humain. Mais je voulais te conseiller d’engager un peu de protection dans le coin. Tu as eu de la chance avec ces Araignées Cuirassées, mais tu ne seras pas chanceuse pour toujours. Il faut que tu engages un aventurier. »

« Et les payer avec quoi ? Les aventuriers ça coûte cher ! »

L’un des gardes hocha la tête.

« En effet. À moins d’en connaitre un personnellement, leurs prix sont bien trop faramineux. »

Relc lança un regard au garde.

« Merci pour le coup de main, queue-épaisse. »

« Je n’ai pas l’argent pour ça. À moins que… »

Erin réapparu dans la salle commune. Elle sourit à Scruta qui était en train d’observer la discussion avec un amusement urbain.

« Hey, Scruta, tu veux un boulot. Je ne peux pas beaucoup te payer, mais je te donnerai à manger si tu restes. Je n’ai pas encore fixé l’étage supérieur, mais je peux commencer à travailler dessus. »

Relc, Pisces, et les quatre autres gardes commencèrent à s’étouffer sur leurs nourritures. Scruta sourit et secoua la tête.

« Malgré le fait que ton offre est tentante, je dois refuser. Mais je crois qu’il serait sage de chercher une manière de te défendre vu que tu n’es pas une guerrière. »

« Je verrai après avoir touché l’argent des Araignées Cuirassées. Mais je ne suis pas faite d’argent. Je n’ai même pas beaucoup d’argent. »

Pisces, qui avait suivi la conversation en mangeant une grosse assiette de pâte, soudainement eut un regard calculateur alors qu’il regarda Erin.

« J’ai peut-être le moyen de t’aider, Mademoiselle Erin, vu que mes réserves ont été confisquées… Est-ce que tu accepterais une forme alternative de payement. »

Elle le regarda.

« À ce stade, je serais contente tant que tu me payes avec quelque chose »

Erin s’arrêta et reformula rapidement sa phrase.

« Mais rien de dégueu, ou de sale, ou… Rien que je n’aime pas. »

Il lui fit un sourire.

« Je crois que j’ai quelque chose qui nous bénéficiera tous les deux. »

Pour une quelconque raison, cela semblait très mauvaise augure, et elle espérait que Pisces n’allait pas causer trop de troubles. Mais c’était pratiquement certain qu’il allait en causer. Erin secoua la tête.

« Si on a terminé de parler de choses que je ne peux pas acheter, est-ce quelqu’un veut quelque chose d’autre ? Les gardes, j’ai des mouches acides si vous voulez essayer. Je sais que Relc en mange. »

Les gardes échangèrent un regard alors que Relc tapota son estomac en essayant de se décider s’il avait encore faim. Pisces secoua rapidement les mains en voyant le bol que qu’Erin présentait.

Scruta leva son unique sourcil.

« Des mouches acides ? »


***


Cette nuit, alors qu’Erin était en train de servir de la nourriture, une autre fille pesa le pour et le contre à propos de l’argent et de la nourriture.

Cachée, elle rodait dans une allée, n’essayait pas de se cacher de vue, mais refusant d’aller dans la rue principale. Elle ne serait pas dérangée même si elle le faisait. Certains gardes étaient en train de chercher des voleurs, mais ils ne la suspecteraient jamais. Son attire, et plus important, son allure lèverait tout de suite la moindre suspicion de culpabilité.

Alors, c’était une honte et une disgrâce qu’elle soit forcée de s’abaisser de cette manière pour survivre. Le vol n’était pas digne de son rang, mais les marchands véreux et les commerçants étaient pratiquement en train de l’inviter à prendre leurs biens. De plus, elle n’avait pas de quoi payer… Et elle ne le ferait pas même si elle en avait.

Ce qui lui appartenait lui appartenait. Ce qui leur appartenait lui appartenait aussi, pour être précis.

Elle avait fait l’erreur de voyager dans le sud. La ville vers laquelle elle avait voulu voyager était Celum, pas cette… Ce que cette ville était. Mais cet idiot de caravanier avait échoué à lui donner la bonne direction, elle n’avait certainement pas fait d’erreur ! Et maintenant elle était échouée, et forcé de s’enfoncer pour survivre.

L’estomac de la jeune fille gargouilla. Elle avait volé quelques fruits plus tôt dans la journée, mais les commerçants étaient plus attentifs après quelques jours passé à les voler. Elle allait devoir attendre la nuit noire avant de pouvoir manger à nouveau.

Bientôt. La fille lécha ses doigts et étudia la rue remplie d’hideuses créatures canines et de lézards maléfique. Elle devait juste obtenir assez de pièces pour quitter cette ville remplie de monstres. Elle devait juste trouver cette Magnolia Brynshart et elle serait accueillie avec les honneurs dignes de quelqu’un de son rang.

Bientôt.

L’estomac de la fille gargouilla.
« Modifié: 15 avril 2020 à 14:11:07 par Maroti »

 


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