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Le Monde de L'Écriture » Salon littéraire » Salle de lecture » Théâtre et poésie » [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)

Auteur Sujet: [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)  (Lu 16099 fois)

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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #15 le: 28 mars 2018 à 12:13:00 »
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La genèse de ses vers me laissait présager du sang et de la sueur, et j'ai trouvé ça très mauvais (en français, en tout cas, donc à relativiser), c'était poli, gentil, vide, à tel point que j'ai pas pu finir les quelques poèmes versifiés qui étaient proposés en complément des lettres.
J'ai voulu lire ses recueils avant ses lettres...erreur... je pense tout comme toi -et anlor et pehache -
mais après tout pourquoi pas un poète qui parle mieux de poésie qu'il n'en fait  :mrgreen:
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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #16 le: 29 mars 2018 à 10:22:07 »
Désolée de contredire certain(e)s. J'ai fait des études de germaniste avant celles des Lettres. J'ai donc la prétention de comprendre, parler et lire l'allemand. Je reste stupéfaite par l'ignorance crasse des Français pour ce qui est de la littérature allemande... qu'il est préférable de lire en allemand, surtout quand il s'agit de poésie.

Certains parlent ici du soi-disant  style de Rilke... mais ils ne parlent que de la traduction. Rien à voir avec l'original, évidemment.

Par ailleurs, Rilke écrivait au début du XXe siècle. Certaines de ses idées peuvent donc nous paraître un peu... démodées ? Il n'en reste pas moins qu'il fait partie du patrimoine littéraire allemand.

Voilà, j'étais en colère, mais je l'ai exprimée, et maintenant, tout va bien. Je vous prie également d'excuser  ce mouvement d'humeur.  :noange:       
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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #17 le: 29 mars 2018 à 10:55:54 »
On n'a pas tous la chance de lire en allemand, malheureusement.
Certains l'ont évoqué mais évidemment que l'on perd avec la traduction ; après, des bonnes traductions existent et si c'est totalement la faute du traducteurs que je me suis ennuyé autant, alors où sont les bons traducteurs ? Et pourquoi n'avoir bien traduit que ses lettres ?  ::) Est-il intraductible ?


Je pense que début du XXèm ne change strictement rien. C'est pas vieux du tout  ::)
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Eveil

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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #18 le: 29 mars 2018 à 11:28:24 »
Je partage ton avis Mercurielle, mais vaut-il mieux lire Rilke en français, ou ne pas le lire du tout ?

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Re : Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #19 le: 29 mars 2018 à 17:39:50 »

On n'a pas tous la chance de lire en allemand, malheureusement.

=> Oui, excusez-moi encore, je me suis énervée toute seule. Réaction viscérale, je pense.

où sont les bons traducteurs ?

=> j'ignore quelle traduction tu as pu lire. 

Et pourquoi n'avoir bien traduit que ses lettres ? 

=> La poésie est toujours difficile à traduire.

Est-il intraductible ?

=> Intraduisible ? Non, pas du tout. Le pire : Georg Trakl.

En sens inverse, mais je sors du sujet, traduire Zola en allemand, c'est hard. Adverbes, adverbes, adverbes...   






Je partage ton avis Mercurielle, mais vaut-il mieux lire Rilke en français, ou ne pas le lire du tout ?

Le lire en français bien sûr. Mais éviter de critiquer son style...  ;)







Modé :

merci d'éviter les doubles posts, tu peux éditer tes messages pour cela ;)
« Modifié: 29 mars 2018 à 18:16:28 par Ben.G »
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Eveil

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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #20 le: 30 mars 2018 à 00:19:13 »
tout de même, je peine à concevoir qu'un traducteur soit si mauvais que cela - je parle de la dernière édition en date (il est quand même, à mon avis, censé connaître l'auteur qu'il traduit un minimum), et je rejoins Ben. Rilke est idolâtré par beaucoup, je me demande pourquoi. J'aimerais bien entendre tes arguments.


Sinon, je te rejoins sur la critique de style d'un auteur traduit, hors sujet, mais on peut néanmoins critiquer la traduction en elle-même, pour ce que ça vaut, sans évidemment faire de fâcheux amalgames entre l'original et la traduction.

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Re : Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #21 le: 30 mars 2018 à 09:28:23 »
Bonjour Eveil,

tout de même, je peine à concevoir qu'un traducteur soit si mauvais que cela - je parle de la dernière édition en date (il est quand même, à mon avis, censé connaître l'auteur qu'il traduit un minimum), et je rejoins Ben. Rilke est idolâtré par beaucoup, je me demande pourquoi. J'aimerais bien entendre tes arguments.

Je n'ai pas dit que j'idolâtrais Rilke. J'ai lu des commentaires qui critiquaient son style en français (je me répète), point. 

Pour ce qui est des traductions, c'est un autre problème. Bien sûr qu'il y a de bons traducteurs ! Mais tu sais bien qu'un terme, quel qu'il soit, dans une langue étrangère, a des connotations autres que chez nous et éveille dans "l'inconscient collectif linguistique" (pardon, je ne trouve pas d'autre terme, il est tôt) d'autres notions. Surtout en poésie.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles notamment, on parlait de "belles infidèles" à propos des traductions : rendre l'esprit et non la lettre.

Nerval est le premier à avoir traduit le Faust de  Goethe en français en 1829. Beaucoup d'erreurs, faux-sens et contresens, sans nul doute. Mais Goethe a dit à peu près qu'il comprenait mieux son Faust après avoir lu cette traduction imparfaite. Nerval avait sans doute mieux rendu l'esprit que la lettre...

Pour sortir encore du sujet : comment traduire Mallarmé ?  ::)   
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Eveil

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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #22 le: 30 mars 2018 à 12:03:13 »
vu ta réaction passionnée, j'ai cru que t'étais fan.

si ça sort du sujet, il vaut peut-être mieux ouvrir un autre fil.  ;)

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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #23 le: 30 mars 2018 à 12:07:43 »
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Le lire en français bien sûr. Mais éviter de critiquer son style...  ;)

Citer
Pour ce qui est des traductions, c'est un autre problème.

Je ne comprends pas, si le problème n'est pas spécifiquement dans la traduction bien qu'elle déforme, je ne conçois pas qu'on ne puisse pas critiquer son style. Surtout que je n'ai pas parlé que de style mais d'esprit général en plus. Quel poète ne serait pas critiquable et au nom de quoi  ::)
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Re : Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #24 le: 30 mars 2018 à 17:49:14 »
Bonjour Ben,


Je ne comprends pas, si le problème n'est pas spécifiquement dans la traduction bien qu'elle déforme, je ne conçois pas qu'on ne puisse pas critiquer son style. Surtout que je n'ai pas parlé que de style mais d'esprit général en plus. Quel poète ne serait pas critiquable et au nom de quoi  ::)

Je n'ai cité personne nommément. Je parlais des "Français". Pour la traduction, voir ma réponse à Eveil. Tu as bien le droit de ne pas aimer l'esprit général de Rilke. 
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zevoulon

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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #25 le: 18 juillet 2018 à 10:34:09 »
Presque tout ce qui arrive est inexprimable et s’accomplit dans une région que jamais parole n’a foulée. Et plus inexprimables que tout sont les œuvres d’art, ces êtres secrets dont la vie ne finit pas et que côtoie la nôtre qui passe.
Première lettre du 17 février 1903

Votre regard est tourné vers le dehors ; c’est cela surtout que maintenant vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire [...]
Première lettre du 17 février 1903

Dites vos tristesses et vos désirs, les pensées qui vous viennent, votre foi en une beauté. Dites tout cela avec une sincérité intime, tranquille et humble. Utilisez pour vous exprimer les choses qui vous entourent, les images de vos songes, les objets de vos souvenirs. Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses. Pour le créateur rien n’est pauvre, il n’est pas de lieux pauvres, indifférents. Même si vous étiez dans une prison, dont les murs étoufferaient tous les bruits du monde, ne vous resterait-il pas toujours votre enfance, cette précieuse, cette royale richesse, ce trésor des souvenirs ?
Première lettre du 17 février 1903

Lisez le moins possible d’ouvrages critiques ou esthétiques. Ce sont, ou bien des produits de l’esprit de chapelle, pétrifiés, privés de sens dans leur durcissement sans vie, ou bien d’habiles jeux verbaux ; un jour une opinion y fait loi, un autre jour c’est l’opinion contraire. Les œuvres d’art sont d’une infinie solitude ; rien n’est pire que la critique pour les aborder. Seul l’amour peut les saisir, les garder, être juste envers elles. Donnez toujours raison à votre sentiment à vous contre ces analyses, ces comptes rendus, ces introductions. Eussiez-vous même tort, le développement naturel de votre vie intérieure vous conduira lentement, avec le temps, à un autre état de connaissance. Laissez à vos jugements leur développement propre, silencieux. Ne le contrariez pas, car, comme tout progrès, il doit venir du profond de votre être et ne peut souffrir ni pression ni hâte. Porter jusqu’au terme, puis enfanter : tout est là. Il faut que vous laissiez chaque impression, chaque germe de sentiment, mûrir en vous, dans l’obscur, dans l’inexprimable, dans l’inconscient, ces régions fermés à l’entendement. Attendez avec humilité et patience l’heure de la naissance d’une nouvelle clarté. L’art exige de ses simples fidèles autant que des créateurs.
Troisième lettre du 13 avril 1903

Si vous vous accrochez à la nature, à ce qu’il y a de simple en elle, de petit, à quoi presque personne ne prend garde, qui, tout à coup, devient l’infiniment grand, l’incommensurable, si vous étendez votre amour à tout ce qui est, si très humblement vous cherchez à gagner en serviteur la confiance de ce qui semble misérable, – alors tout vous deviendra plus facile, vous semblera plus harmonieux et, pour ainsi dire, plus conciliant.
Quatrième lettre du 16 juillet 1903

Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui vous serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les « vivre ». Et il s’agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses.
Quatrième lettre du 16 juillet 1903

La volupté de la chair est une chose de la vie des sens au même titre que le regard pur, que la pure saveur d’un beau fruit sur notre langue, elle est une expérience sans limites qui nous est donnée, une connaissance de tout l’univers, la connaissance même dans sa plénitude et sa splendeur. Le mal n’est pas dans cette expérience, mais en ceci que le plus grand nombre en mésusent, proprement la galvaudent. Elle n’est pour eux qu’un excitant, une distraction dans les moments fatigués de leur vie, et non une concentration de leur être vers les sommets.
Quatrième lettre du 16 juillet 1903

Dans le profond tout est loi. Et pour ceux qui vivent mal ce mystère, qui se fourvoient – et c’est le plus grand nombre, – le mystère n’est perdu que pour eux-mêmes. Ils ne le transmettent pas moins aux autres, comme une lettre scellée, sans en rien connaître. Que l’infinie variété des cas, la multiplicité des mots qui les désignent, ne vous fassent pas douter là. Tout est peut-être régi par une vaste maternité, une commune passion. La beauté de la jeune fille, de cet être qui, comme vous le dites si joliment, « n’a encore rien donné », est faite à la fois du pressentiment, du désir et de l’effroi de la maternité. La beauté de la femme quand elle est mère est faite de la maternité qu’elle sert : et quand elle est parvenue à la vieillesse, de ce grand souvenir qui vit en elle. L’homme, me semble-t-il, est aussi maternité, au physique et au moral ; engendrer est pour lui une manière d’enfanter, et c’est réellement « enfanter » que de créer de sa plus intime plénitude. Les sexes sont peut-être plus parents qu’on ne le croit ; et le grand renouvellement du monde tiendra sans doute en ceci : l’homme et la femme, libérés de toutes leurs erreurs, de toutes leurs difficultés, ne se rechercheront plus comme des contraires, mais comme des frères et sœurs, comme des proches. Ils uniront leurs humanités pour supporter ensemble, gravement, patiemment, le poids de la chair difficile qui leur a été donnée.
Quatrième lettre du 16 juillet 1903

Évitez de nourrir le drame toujours pendant entre parents et enfants ; il use tant la force des enfants, et il épuise cet amour des vieux qui n’a pas besoin de comprendre pour agir et pour réchauffer. Ne leur demandez pas conseil. Renoncez à être compris d’eux. Croyez seulement en un amour, qui vous est gardé comme un bien d’héritage. Soyez certain qu’il y a dans cet amour une force, une bénédiction qui peuvent vous accompagner, aussi loin que vous alliez.
Quatrième lettre du 16 juillet 1903

Vos événements intérieurs méritent tout votre amour. Vous devez pour ainsi dire y travailler, sans perdre trop de temps ni trop de force à éclaircir vos rapports avec les autres.
Sixième lettre du 23 décembre 1903

Si vous éprouvez angoisses et tourments en évoquant votre enfance dans tout ce qu’elle a de simple et de secret, parce que vous ne pouvez plus croire en Dieu qui s’y trouve à chaque pas, alors demandez-vous, cher Monsieur Kappus, si vous avez vraiment perdu Dieu. N’est-ce pas plutôt que vous ne l’avez jamais possédé ? Quand donc, en effet, l’auriez-vous possédé ? Croyez-vous que l’enfant puisse le tenir dans ses bras, Lui que l’homme fait porte avec tant de peine et dont le poids écrase le vieillard ? Croyez-vous que celui qui le possède pourrait le perdre comme on perd un caillou ? Ne pensez-vous pas plutôt que celui qui possède Dieu ne risque que d’être perdu par Lui ? – Mais si vous reconnaissez que Dieu n’était pas dans votre enfance, et même qu’il n’était pas avant vous, si vous pressentez que le Christ a été dupe de son amour, comme Mahomet le fut de son orgueil, si vous éprouvez avec effroi le sentiment, à l’heure même où nous parlons de Lui, que Dieu n’est pas, comment donc vous manquerait-il, ainsi que vous manquerait un passé, puisqu’il n’a jamais été, et pourquoi le chercher comme si vous l’aviez perdu ?
Pourquoi ne pas penser qu’il est celui qui viendra, qui de toute éternité doit venir, qu’il est le futur, le fruit accompli d’un arbre dont nous sommes les feuilles ? Quoi donc vous empêche de projeter sa venue dans le devenir et de vivre votre vie comme un des jours douloureux et beaux d’une sublime grossesse ? Ne voyez-vous donc pas que tout ce qui arrive est toujours un commencement ? Ne pourrait-ce pas être Son commencement à Lui ? Il est tant de beauté dans tout ce qui commence. Étant lui-même le parfait, ne doit-il pas être précédé de moindres accomplissements, afin qu’il puisse tirer sa substance de la plénitude et de l’abondance ? Ne faut-il pas qu’il vienne après tout, pour tout contenir ? Quel sens aurait notre poursuite si celui que nous cherchons appartenait déjà au passé ? À la façon des abeilles, nous le construisons avec le plus doux de chaque chose. Le plus petit, le moins apparent, venant de l’amour, nous est matière pour l’ébaucher. Nous le commençons dans ce travail, dans ce repos qui suit, dans ce silence, dans ce court élan de joie intérieure. Nous le commençons dans tout ce que nous faisons seul, sans l’assistance, sans l’adhésion des autres. Nous ne le connaîtrons pas dans notre existence, pas plus que nos ancêtres n’ont pu nous connaître dans la leur. Et pourtant ces êtres du passé vivent en nous, au fond de nos penchants, dans le battement de notre sang : ils pèsent sur notre destin : ils sont ce geste qui ainsi remonte de la profondeur du temps. Quoi donc pourrait nous priver de l’espoir d’être un jour en Lui, par-delà toute limite ?
Sixième lettre du 23 décembre 1903

Nous savons peu de choses, mais qu’il faille nous tenir au difficile, c’est là une certitude qui ne doit pas nous quitter. Il est bon d’être seul parce que la solitude est difficile. Q’une chose soit difficile doit nous être une raison de plus de nous y tenir. Il est bon aussi d’aimer ; car l’amour est difficile. L’amour d’un être humain pour un autre, c’est peut-être l’épreuve la plus difficile pour chacun de nous, c’est le plus haut témoignage de nous-même ; l’oeuvre suprême dont toutes les autres ne sont que les préparations. C’est pour cela que les êtres jeunes, neufs en toutes choses, ne savent pas encore aimer ; ils doivent apprendre. De toutes les forces de leur être, concentrées dans leur coeur qui bat anxieux et solitaire, ils apprennent à aimer. Tout apprentissage est un temps de clôture. Ainsi pour celui qui aime, l’amour n’est longtemps, et jusqu’au large de la vie, que solitude, solitude toujours plus intense et plus profonde. L’amour ce n’est pas dès l’abord se donner, s’unir à un autre. (Que serait l’union de deux êtres encore imprécis, inachevés, dépendants ?) L’amour, c’est l’occasion unique de mûrir, de prendre forme, de devenir soi-même un monde pour l’amour de l’être aimé. C’est une haute exigence, une ambition sans limite, qui fait de celui qui aime un élu qu’appelle le large.
Septième lettre du 14 mai 1904

Enclins à ne voir dans l’amour qu’un plaisir, les hommes l’ont rendu d’accès facile, bon marché, sans risques, comme un plaisir de foire.
Septième lettre du 14 mai 1904

Mais si, à force de constance, nous acceptons de subir l’amour comme un dur apprentissage, au lieu de nous perdre aux jeux faciles et frivoles qui permettent aux hommes de se dérober à la gravité de l’existence, – alors peut-être un insensible progrès, un certain allègement pourra venir à ceux qui nous suivront, et longtemps encore après nous. Et ce serait beaucoup.
Septième lettre du 14 mai 1904

La jeune fille et la femme, dans leur développement propre, n’imiteront qu’un temps les manies et les modes masculines, n’exerceront qu’un temps des métiers d’hommes. Une fois finies ces périodes incertaines de transition, on verra que les femmes n’ont donné dans ces mascarades, souvent ridicules, que pour extirper de leur nature les influences déformantes de l’autre sexe. La femme qu’habite une vie plus spontanée, plus féconde, plus confiante, et sans doute plus mûre, plus près de l’humain que l’homme, – le mâle prétentieux et impatient, qui ignore la valeur de ce qu’il croit aimer, parce qu’il ne tient pas aux profondeurs de la vie, comme la femme, par le fruit de ses entrailles. Cette humanité qu’a mûrie la femme dans la douleur et dans l’humiliation verra le jour quand la femme aura fait tomber les chaînes de sa condition sociale. Et les hommes qui ne sentent pas venir ce jour seront surpris et vaincus. Un jour (des signes certains l’attestent déjà dans les pays nordiques), la jeune fille sera ; la femme sera. Et ces mots « jeune fille », « femme », ne signifient plus seulement le contraire du mâle, mais quelque chose de propre, valant en soi-même ; non point un simple complément, mais une forme complète de la vie : la femme dans sa véritable humanité.
Septième lettre du 14 mai 1904

Il est nécessaire – et c’est en cela que tient tout notre développement – que nous ne rencontrions rien qui ne nous appartienne déjà depuis longtemps. La science a dû déjà bien souvent modifier ses idées sur le mouvement : de même n’apprendrons-nous que peu à peu que ce que nous appelons la destinée ne vient pas du dehors à l’homme, mais qu’elle sort de l’homme même. C’est pour ne pas avoir absorbé leur destinée alors qu’elle n’était qu’en eux, et ne pas s’y être transformés, que tant d’hommes en sont venus à ne pas la reconnaître au moment où elle leur échappait pour s’accomplir. Elle apparut alors si étrange à leur effroi que dans leur trouble ils crurent qu’elle leur venait subitement, au point qu’ils auraient juré n’avoir jamais rien rencontré de pareil en eux-mêmes jusque-là. De même qu’on s’est trompé longtemps sur la marche du Soleil, on se trompe encore sur la marche de l’avenir. L’avenir est fixe, cher Monsieur Kappus, c’est nous qui sommes toujours en mouvement dans l’espace infini.
Huitième lettre du 12 août 1904

Tout, même l’inconcevable, doit y devenir possible. Au fond, le seul courage qui nous est demandé est de faire face à l’étrange, au merveilleux, à l’inexplicable que nous rencontrons. Que les hommes, là, aient été veules, il en a coûté infiniment à la vie. Cette vie que l’on appelle imaginaire, ce monde prétendu « surnaturel », la mort, toutes ces choses nous sont au fond consubstantielles, mais elles ont été chassées de la vie par une défense quotidienne, au point que les sens qui auraient pu les saisir se sont atrophiés. Et encore je ne parle pas de Dieu. La peur de l’inexplicable n’a pas seulement appauvri l’existence de l’individu, mais encore les rapports d’homme à homme, elle les a soustraits au fleuve des possibilités infinies, pour les abriter en quelque lieu sûr de la rive.
Huitième lettre du 12 août 1904

[...]celui qui s’efforce de vous réconforter, ne croyez pas, sous ses mots simples et calmes qui parfois vous apaisent, qu’il vit lui-même sans difficulté. Sa vie n’est pas exempte de peines et de tristesses, qui le laissent bien en deçà d’elles. S’il en eût été autrement, il n’aurait pas pu trouver ces mots-là.
Huitième lettre du 12 août 1904

Pour ce qui est des sentiments, purs sont tous les sentiments sur lesquels vous concentrez votre être entier et qui vous élèvent ; impur est un sentiment qui ne répond qu’à une partie de vous-même et par conséquent vous déforme.
Huitième lettre du 4 novembre 1904

Hors ligne extasy

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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #26 le: 26 mars 2020 à 17:31:22 »
Oui mais d'après ce que j'ai compris, ces lettres ont une portée didactique, du coup je pense que le style n'est pas vraiment de première nécessité, enfin je sais pas.

Hors ligne Meilhac

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Re : [Poésie] Lettres à un jeune poète (Rainer Maria Rilke)
« Réponse #27 le: 03 avril 2020 à 11:08:27 »
salut
moi j'ai un avis pas très nuancé sur ces lettres : tout ce que dit Rilke est juste (très, très juste) et bien dit

après, c'est difficile à mettre en pratique à cause d'internet notamment, et du fait que nous sommes dans des sociétés où nous sommes autorisés à/enjoints de nous exprimer tout le temps, pour un oui ou pour un non

"les grands livres sont les enfants de la solitude et du silence" (Proust), "les autres regardent autour d'eux, je regarde en dedans de moi" (Montaigne), c'est sûr qu'avec internet c'est plus difficile à mettre en oeuvre, et qu'on y est moins encouragés/obligés

n'empêche, si on croit en la poésie, en l'art, et en la beauté (je mets pas de majuscules à ces mots, mais on pourrait, ça serait pas péché hein, on a le droit de trouver certaines choses grandes et belles et fortes et puissantes), si on croit en ces choses là, les conseils de Rilke sont bons.
et les conseils de Rilke, c'est pas "le poète sur son piédestal" (cf. certains avis postés en page 1 de ce fil), c'est seulement "tu as, comme tout le monde, un univers fantastique, merveilleux, poétique en toi. si tu veux y accéder - et si tu veux, y a moyen - ça passe par la mise en oeuvre de certaines techniques - cf. "l'inspiration obéit" (Baudelaire) - ça passe par une certaine discipline, etc.
je dis ça rapport à ce que disaient deux ou trois d'entre nous en page 1 de cet intéressant fil  ;)

après je ne connais pas les poèmes de Rilke, si ça se trouve je n'aimerais pas - mais autant 100% des grands poètes sont de grands critiques, autant 100% des grands critiques (et ce texte de rilke est un grand texte critique) ne sont pas des grands poètes  8)

mais ce texte,  ouais, c'est de l'immense critique d'art

version https://www.franceinter.fr/emissions/ca-peut-pas-faire-de-mal/ca-peut-pas-faire-de-mal-19-octobre-2019 audio, très très bien lue  ;)

 


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