Une onde passe au-dessus de sa tête. Comme une météorite délestée de son poids, l’ombre portée de la forme se reflète dans l’immensité bleutée du ciel. Tournoyant et virevoltant allègrement, l’espace se disloque sous l’effet de l’apesanteur.
L’orage menace.
Antoine est désespérément désenchanté. Longtemps il s’était promis de veiller sur ses pensées, mais aujourd’hui à la venue du temps maussade tout son travail acharné se voyait anéanti.
Il avait tant travaillé cette terre maternelle où jadis il foulait d’un pas hardi le moindre monticule. Il s’était juré de protéger la plus infime partie de ce coin nourricier.
Ses fleurs représentent sa simplicité de vivre, de bouger aux contours de ses souvenirs heureux, de ses fous rires partagés en famille. Il aime retourner cette terre aux parfums enivrants et voir pousser ses fantaisistes couleurs. Ses paumes de mains, cabossées par tout le labeur, ont l’empreinte de ces efforts, elles ont la grandeur de l'acharnement.
Chacune d’elles malaxe, pétrit, aplanit la substance vitale pour laisser grandir les germes malicieusement vigoureux.
C’est donc avec passion que depuis des années, son temps s’écoule doucement, entrecoupé de moments de pur plaisir, où déployant son courage dans son antre arborée, il vit aisément avec toute la simplicité d'un homme dévoué. Ces fleurs représentent toute la quiétude sollicitée par tant de concentration et d’une certaine adresse paysanne.
Par ses gestes décuplés dans cette tâche méticuleuse, il honore tout l’amour que la vie lui prodigue. Jamais il ne crut à son anéantissement. Cependant, ce jour n’est plus à la beauté mais à la crainte , à l’angoisse de voir un brin de vie s’achever, emportant avec lui cette force et cette faiblesse entremêlées.
Talentueux, il réussit à coupler ses pensées avec des bulbes de lys, si bien que cette merveille jaillissante de la matrice mère devient un sujet d’étude très intéressant sur l’hybridation des végétaux. D’ordinaire il n’aurait jamais triché sur les phénomènes naturels, mais c’est par un heureux hasard que ces fleurs typiquement fantastiques sont la preuve de son pouvoir sur la vie. Et pensant à sa suprématie, il amplifie son autorité sur sa petitesse d’homme humble et modestement désoeuvré. Homme fragile, il troque ses peurs contre un sentiment de puissance inaltérable. C’est pour cette raison qu’il ne cesse de croire que l’énergie terrestre provient de l’attraction céleste des astres et que nulle méfiance ne peut contrevenir à sa destinée.
Alors armé d’une volonté inégalable, Antoine s’enhardit et métamorphose le substrat en germe puissant capable de démultiplier des possibles en pensées.
Mais ce matin, l’inquiétude l’envahit, comme un mauvais présage. D’ordinaire confiant, la crainte de voir son ouvrage dévasté le pousse à la résignation, comme épuisé, désenchanté.
Son corps ne répond plus, ses mains se crispent, ses membres se raidissent, il se laisse succomber à la peur. Ses fleurs sont pourtant toujours là, resplendissantes, mais elles ne reflètent plus l’espoir. Comme une ultime heure dédiée à la destruction et à la fin, Antoine pense à son propre retour à la terre. Son œuvre ne brille plus, l’amer se perd dans le désarroi. Bientôt son corps ne soutiendra plus son ambition. Il redeviendra poussière…
Dans son jardin on peut y lire un ex voto: les pensées fleurissent pour mon éternité.