Couleurs, multiples couleurs qui s'imposent et envahissent la ville.
Celle-ci, si terne, nous rendait tristes, nous rendait las. Toute vie semblait grisonnante. Une ville pour les seniors qui n'osent s'embellir de teinture.
Une ville sans joie, sans étincelle.
Tant d'années poussiéreuses et maussades.
Tant de générations au regard morose où ne reflétait que la sombre poésie des puissants occupés à s'emplir les poches d'argent sale.
Et lorsqu'un arc-en-ciel, enfant de la pluie, naissait dans le firmament, en crevant la brume polluée, les rares gamins qui levaient les yeux au cieux, s'extasiaient devant l'apparition.
Mais les nuages gagnaient toujours et s'incrustaient dans les pupilles des bambins.
On ne sut jamais qui lança l'idée. Quand elle s'imposa aux cendres de la ville On ne se rappelait pas quel messie réussit ce tour de force. Quelle importance d'où vient la joie si elle est réelle et assumée.
Mais ce que l'on sait, ce que l'on peut assurément croire c'est qu'un matin, les pinceaux colorés sortirent des greniers, défilèrent aux bras d'illuminés qui donnèrent l'envie.
Et les bleus, les jaunes, les verts , les violets, les rouges, les indigos et toutes les couleurs, même celles les plus introuvables jaillirent en éclats merveilleux.
Il fallait voir cette multitude de bras s'attaquant à la vile noirceur.
Ce fut inimaginable, grandiose que cette liesse étonnante s'emparant des hommes, des femmes, des enfants.
En quelques semaines, ces armées de couleurs attaquèrent la laideur avec ardeur.
Rien n'y résista.
Lorsque les derniers récalcitrants, ces costumes de banquiers irascibles s'allumèrent de jaunes, le peuple sut qu'il avait gagné.
En voyant ces immeubles, ces rues, ces automobiles, ces trottoirs, ces passants multicolores et la gaieté remplaçant la terreur dans le cœur de tous, la véritable vie refit surface
Il fut difficile de s'attaquer aux nuages. Mais, je vous le jure, on y arriva et les bambins émerveillés purent ainsi regarder, à loisirs, ce ciel parcouru incessamment d'arc-en-ciel.
La légende dit que c'est cette façade qui servit de déclic. Qu'elle fut la première à recevoir les assauts des hommes de couleur.
Que les légendes sont belles.