Je suis assis. Une façade me bloque la vue. Ce pan de mur m’enferre. Ce tas de pierres m’enterre. Il y a une muraille de verre qui m’empêche de voir, bien que transparente. Car je suis comme un enfant, je ne vois bien qu’avec les doigts et je ne comprends qu’avec le cœur. J’ai besoin de toucher pour créer. Une sculpture d’argile ne peut se former sans les doigts habiles du potier.
Je suis assis et je suis bloqué. J’ai l’impression de dérailler. C’est une chute lente, surprenante et incontrôlable. Après avoir gravi si laborieusement les monts ébréchés qui me tendaient leurs bras noirs et boisés à pointes rocailleuses, je ne m’attendais pas à voir ma course interrompue de la sorte. Je parcourais l’itinéraire tortueux d’une création en pleine effervescence, un bouillonnement sauvage que je n’ai eu de cesse de contrôler jusqu’à le dompter. Je me croyais tiré d’affaire. Je gravissais fièrement ce chemin solitaire.
Il y a eu un imprévu. Le fil de mes idées s’est rompu, cette corde était ma sécurité. Je marchais avec assurance dans le brouillard mais il s’est accru et m’a avalé. J’ai tenté de cracher les brumes qui me gonflaient la gorge, un trop plein ne demandant qu’à se déverser. Coincé.
Je suis assis devant cette étendue blanche, si vaste qu’elle a gommé pour moi le reste de l’univers.
Je suis assis dans un coin de la pièce, loin de la fenêtre, loin du monde extérieur et de ses excentricités, loin du Lointain.
Je mordille la gomme scellée par un anneau doré sur mon crayon.
Sa mine est cassée.
Syndrome de la page blanche.