Diane soupirait. Depuis son réveil, deux fois par heure au moins, elle soupirait. Elle avait compté chaque soupir, histoire de passer le temps. Elle avait tout parcouru des ses yeux, avides d’événements : la dernière page du dernier livre de sa bibliothèque, à trois reprises, l'écran inerte de son ordinateur, celui de son téléphone, rien n'y faisait. Diane s'ennuyait ferme.
Elle n'avait pas envie d'envoyer un message à des amis, pour entamer une conversation. Cela aurait pu l'occuper mais elle ne s'en sentait pas la force. Sa dernière alternative ? Facebook. Elle appuya sur l’icône et l’application au graphismes bleus et finement léchés se lança, heureuse d’emplir de son réseau l’ennui morbide de la jeune fille.
Diane fit défiler les photos, vidéos, liens aux titres bonimenteurs et informations aux sources inexistantes. Elle tomba sur un article de presse annonçant la construction, en vue des jeux olympiques, d’un nouveau stade, immense et moderne. Elle se surprit à s’arrêter devant cette information. Elle se foutait éperdument des stades, jeux, flammes ou autres choses olympiques mais ce qu’elle venait d’apprendre la poussa à poser son téléphone, s’allonger et réfléchir.
Nous vivons dans une société océanique. Notre civilisation, dans toute sa splendeur, sa torpeur, sa candeur et finalement sa laideur, n’est qu’une vaste mer, dans laquelle nous nous débattons. Nous, pauvres humains, pauvres moutons inaptes à la vie aquatique, tentons de parcourir sans périr ces flots, alternant brasse et crawl, dans une existence de nage que l’on croit libre. Aussi sommes nous soucieux de la moindre ride sur la surface de cet océan.
Ce stade, ces jeux, chaque match de sport, ces émissions qui transmettent par écran le pire de la connerie humaine, ce sont des vagues. Des vagues qui rythment notre harassante nage, qui nous en distraient, nous la font oublier. Mais ces vagues se meurent rapidement, il faut qu’elles soient là, sans cesse. Peut importe si les vagues se ressemblent toutes, l’important est qu’elles mouvementent notre trajet.
Une poignée de privilégiés, qui contrôlent les vents compliqués au-dessus de ces eaux, sont comme des poissons dans ce bordel aqueux, observant les autres qui nagent tant bien que mal, leur envoyant ces vagues, afin d’éloigner leur vague à l’âme, de pouvoir continuer à se prélasser au ras de la surface. Ne dit on pas qu’il existe des courants de pensées ? Or il faut choisir judicieusement lequel nous portera pour ne pas s’épuiser. La plupart des nageurs suivent en bancs les poissons rois, au gré des vagues choisies pour eux, quand certains osent tenter de suivre d’autres courants, en apparence plus difficiles, mais qui mènent à de plus belles destinations.
Comme l’on peut s’en douter, ces nageurs « à contre-courant », du moins contre celui des autres, sont méprisés de ceux qui préfèrent, par fainéantise, choisir la facile voie des abysses. Ils sont parfois conspués par ces fluctuants flemmards, car ils ne s’attardent que plus rarement près des vagues, encore moins des raz de marrée, qu’eux adorent.
Ainsi va la vie dans l’océan de la bêtise, secouée de vagues et de courants, régi par des seigneurs éoliens et hautains qui dansent, hilares, au-dessus de leurs barbotants sujets.
Diane songea à cet océan qu’elle venait d’imaginer, trouva l’idée belle et propice à écriture, puis que, grâce à Facebook, elle allait écrire un poème. Si on le lui avait dit, elle ne l’aurait pas cru.