La mort des vaguesTic-tac. Le réveil gémit. Tic-tac. Le lit se réveille. Tic-tac. Je pousse le drap. Tic-tac. Je saute hors du sommeil.
C’est l’heure. Ça commence. Les vagues. Les vagues se mettent en branle.
Tic-tac. Je grignote. Tic-tac. Je m’astique. Tic-tac. Je m’arrange. Tic-tac. Je mets ma montre. Tic-tac. Comme hier. Tic-tac. Comme demain. Tic-tac. Au quotidien.
C’est le bruit des vagues. C’est la course. C’est la mer.
Tic-tac. Je marche dans la rue. Tic-tac. Au rythme des vagues. Tic-tac. Les autres aussi avancent à la vitesse des vagues. Tic-tac. Qui déferlent d’avant en arrière dans la circulation. Tic-tac. On traverse les passages piétons. Tic-tac. On entre dans les magasins. Tic-tac. On fume sur le goudron. Tic-tac. On râle sur le bitume. Tic-tac. On se bouscule dans les allées. Tic-tac. On klaxonne. Tic-tac. On court. Tic-tac. On se presse. Tic-tac. On est toujours dans la cadence. Tic-tac.
C’est l’heure des vagues. Il faut les suivre. Il faut se laisser porter.
Tic-tac. Pas le temps de s’arrêter. Tic-tac. Pas le temps de regarder. Tic-tac. Il faut aller travailler. Tic-tac. Il faut revenir du travail. Tic-tac. Rentrer à la maison. Tic-tac. Sortir. Tic-tac. Aller. Tic-tac. Venir. Tic-tac. Le long des routes, le long des trottoirs, toujours aller venir. Tic-tac.
Dans ma montre, les vagues.
Tic-tac. Il faut suivre le rythme. Tic-tac. Ne pas rater une seule respiration. Tic-tac. Ne pas manquer une vague. Tic-tac. Je cours après les vagues. Tic-tac. Je vais au café. Tic-tac. Elles reviennent. Tic-tac. Aller à droite. Tic-tac. Je vais toujours après les vagues. Tic-tac. Aller à gauche. Tic-tac. Les vagues ne s’arrêtent jamais. Tic-tac. Je marche au rythme des vagues. Tic-tac. Je rentre chez moi. Tic-tac.
Les vagues tombent malades. Ma montre s’enrhume.
Tic-tac. Elle tousse. Tic-tac. Elle éternue. Tic-tac. Elle pousse un râle. Tic-tac. Je suis les dernières vagues qui vont et viennent. Tic-tac. Je souffle. Tic. Je ralentis. Tac. Je marche moins vite. Tic. Je vois les gens qui vont à toute allure. Tac. Je regarde les bâtiments qui hurlent et blessent le ciel et les cœurs battants des pas qui avancent sur le goudron. Tic. J’entends la naissance d’un silence... Le silence des vagues.
Hébété, sur le trottoir, je suis arrêté. L’heure s’est arrêtée, je ne vois plus le temps passer. Je ne vois plus les vagues du temps traverser les passages piétons et rouler dans les cieux sablés de la journée. Je ne sais plus où aller et je reste planté comme un lampadaire cassé au milieu d’une allée entre la vingtième et la vingt-et-unième vague. J’aimerais relancer les vagues des heures dans le petit cadran qui déferlaient sur mon poignet. Mais c’est la fin des vagues.
C’est la fin de la journée. A jamais.
Je me recroqueville, dehors, dans le froid et l’absence.
J’oublie.
J’oublie le temps.
Les vagues…
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La couverture du Mout du défi