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Rita, quand elle danse, on dirait qu'elle meurt. C'est tout son corps qui part en vrille, qui se détraque et qui collapse, ça a l'air bizarre comme ça mais c'est beau à voir. Y a un mec là-bas qui la regarde, il a pas encore compris comment c'était beau. Il a les yeux qui lui sortent de la tête, il a Rita qui l'hypnotise et il sait pas encore ce qu'il se passe, comment ça marche, mais il approche déjà.
Moi comme d'habitude j'espère qu'elle va l'envoyer bouler et non, comme d'habitude elle se colle, elle continue de danser, les hanches qui se déboîtent, les mains de l'autre sur sa taille, elle lui susurre dans l'oreille et ses doigts lui griffent la nuque, et je sais que dans une ou deux minutes c'est à l'étage qu'ils vont monter, et continuer de danser.
Merde.
Rita, c'est la femme que j'aime.
*
J'aime Rita de toute ma jalousie à la con, comme aiment les sales types. Je voudrais l'enfermer dans une petite boîte et la garder juste pour moi mais c'est pas possible, parce que si j'essayais, elle me péterait les jambes et jamais plus je la verrais. Peut-être même qu'elle irait cramer mon appart avant de se barrer. Elle est comme ça Rita. Je sais pas trop si elle m'aime aussi. Des fois, j'ai l'impression que si, et puis elle monte avec des cons à l'étage et je me demande si c'est pas moi, l'imbécile.
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Ça fait deux ans que je la connais, Rita. C'est une Artiste, tu sais, de ceux qui se présentent avec un grand A. Une petite pimbêche un peu bêcheuse, et arrogante avec ça, quand j'y pense je me demande ce que je lui trouve. Rita, c'est cette nana qui a débarqué un jour sur l'île et qui a hypnotisé tout le monde avec son sac à dos, ses rangers et la weed qu'elle avait plein les poches. Elle jouait à la voyageuse fauchée mais elle avait une carte de crédit pleine à craquer. C'est une hypocrite, Rita, mais une hypocrite qui s'ignore, et ça la rend gentille, ça la rend meilleure que ce qu'elle devrait être. Elle aime bien se faire des films sur elle-même, alors on la laisse faire, parce qu'elle a un sourire à tomber. Et que quand elle danse, on dirait qu'elle meurt.
Moi je suis tombé amoureux de Rita presque de suite, comme un con. Elle avait cette petite boîte en argent qu'elle trimbalait partout. Dessus ça disait « bonbons à la violette ». Dedans, c'était des dizaines de petites pilules pour t'envoyer au paradis. Le premier soir on en a partagé sur la plage et je l'ai sautée dans le sable. Enfin, je dis « je l'ai sautée » mais c'est pas vrai, c'est pas comme ça. C'est plutôt Rita qui vous saute, en vrai. Moi je regardais son cou se tendre et ses doigts se tordre et elle était belle, alors voilà, paf, amoureux. Comme un con.
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Elle m'a plus jamais laissé la toucher. Elle disait, « deux fois, c'est le début, et moi je veux rien commencer». Alors j'ai pris le rôle du pote qui regarde de loin, et j'avais quand même mes petits moments avec Rita, nos moments pilule à nous. On montait dans son grenier-bohème et on fumait en les suçotant comme des bonbons, puis Rita se levait, elle attrapait un pinceau et elle peignait, et moi je regardais. Un vrai cliché sur pattes, ma Rita. Parfois elle enlevait son haut et j'admirais les muscles de son dos, qui jouaient et glissaient. Ça me foutait en vrac, complètement. Je crois qu'elle le faisait exprès.
Un jour, Rita est venue chez moi, quand j'habitais encore chez mes parents. Elle a vu la cage dorée où ma mère enfermait ses beaux oiseaux et elle m'a regardé comme si j'étais un asticot dégueulasse. J'ai pas trop compris sur le coup, et elle s'est barrée, comme ça, sans rien dire. Le lendemain matin, quand on s'est levés, la fenêtre était défoncée et la cage vide. J'ai rien dit. J'ai jamais compris comment elle avait fait. Et quand elle a vu que je disais rien et que personne la soupçonnait, elle est revenue vers moi et on a continué comme si de rien n'était.
Je lui demandais souvent de me peindre un tableau ou de m'en donner un, mais à chaque fois, elle se marrait en secouant la tête. Sais pas pourquoi. « Quand je me casse, je t'en donne un ». Ça me faisait trembler et j'avais envie de chialer comme un gosse. Mais je pensais pas que Rita allait partir, et plus elle restait, moins je le pensais. Et regarde, ça fait deux ans. Mais bon, je te l'ai déjà dit, je suis con. Alors je me trompe peut être.
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Quand elle est redescendue sans le type, avec son petit sourire à la con j'ai eu envie de hurler. Elle est venue jusqu'à moi et elle s'est laissée tomber sur le canapé, puis elle a ouvert sa petite boîte et me l'a mise sous le nez. J'ai pioché une pilule violette, de mes préférées, et elle une verte. Elle l'a glissée sur le bout de sa langue, petite chose rose et délicieuse, puis elle s'est laissé vriller, la tête rejetée en arrière. J'avais envie de lui mordre la gorge, de lui gober les yeux, de m'enrouler dans ses cheveux. C'était quelque chose, les cheveux de Rita. Une masse brune qui lui dégringolait en cascade jusqu'en bas du ventre, on aurait dit des longs serpents, et parfois je les entendais siffler. On se casse ? J'ai dit. Elle a attrapé ma main, on s'est levés et on a valsé jusqu'à chez elle. Enfin, c'est l'impression que j'avais. On a grimpé les escaliers, et elle a disparu dans sa salle de bain pendant que je m'endormais sur son lit. Un peu plus tard, il y a son corps chaud qui s'est plaqué contre le mien, et sa peau nue et douce et ses cheveux humides. Elle avait les lèvres un peu sucrées par les pilules, elle était sucrée de partout On s'est endormis comme ça, ma main dans son dos et ses doigts dans mon cou, et c'était doux, c'était la première fois. Enfin, la deuxième.
Rita, c'est la femme que j'aime.
Je l'aime tellement que j'en crève.
*
Quand je me suis réveillé le lendemain, elle était plus là, ça m'a carrément vexé. Je me suis rhabillé et je suis parti. Je l'ai cherchée un peu partout dans la ville toute la matinée. Introuvable. Ça me gonfle, les conneries de Rita, son affection en yoyo, si tu savais. J'ai laissé tomber. Plus tard l'après-midi, je l'ai vue passer de loin, je sais pas où elle allait. Elle s'est arrêté une seconde, elle a pris une petite bille dans son pilulier, et elle est repartie. Et sur le coup je me suis dit que je m'en foutais. Je me suis dit que cette fois là j'irais pas lui courir après.
Quel con.
J'arrive même pas à me souvenir si elle avait son sac à dos avec elle.
Il y avait comme une odeur de cramé dans l'air, comme une odeur de mort, et j'ai couru vers le centre. C'était tout son immeuble qui flambait, avec toutes ses toiles dedans. J'ai essayé d'aider à l'éteindre, puis je suis rentré chez moi. Il y avait un tableau sur le lit, un truc à la con, moche en plus, et ça m'a fait chialer. C'était une cage ouverte sur fond de pilules roses. Et aucun oiseau en vue, comme si il était déjà trop loin. J'ai eu envie de le défoncer, et à la place je l'ai posé contre ma tête de lit.
Putain, Rita.
Tu fais vraiment chier.