Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

13 décembre 2024 à 07:47:15
Bienvenue, Invité. Merci de vous connecter ou de vous inscrire.


Le Monde de L'Écriture » Salon littéraire » Salle de lecture » Romans, nouvelles » Voyage au bout de la nuit (Louis-Ferdinand Céline)

Auteur Sujet: Voyage au bout de la nuit (Louis-Ferdinand Céline)  (Lu 7715 fois)

Hors ligne ernya

  • Vortex Intertextuel
  • Messages: 7 674
  • Ex-dragonne
    • Page perso
Voyage au bout de la nuit (Louis-Ferdinand Céline)
« le: 05 avril 2009 à 21:35:48 »
Céline, c'est géant.
Au niveau du style, c'est l'un des premiers à mêler le langage oral avec le langage soutenu. Céline c'est aussi le prince de la dérision, de l'alliance entre  le tragique et le grotesque.
C'est une prose quelque peu provocatrice qui prend la plupart du temps les valeurs humaines à rebours.

Vous l'aurez compris, j'admire. Je précise toutefois que le roman peut parfois être un peu indigeste, c'est un peu long quand même. Mais si on prend son temps, si on savoure page après page, c'est génial. Après il faut aimer l'ironie, la dérision parce que Céline et la morale, ça fait deux. Tout est toujours détourné.
Et on ne peut pas dire que c'est une écriture relâchée, c'est une écriture. Je crois que c'est d'ailleurs cette désinvolture dans le langage qui lui donne tout son poids.


Je vous mets trois extraits pour que vous puissiez juger:


"Moi, tu parles, si j'en ai profité ! qu'il ajoutait.  "Robinson, que je me suis dit ! - C'est mon nom Robinson ! ... Robinson Léon! - C'est maintenant ou jamais qu'il faut que tu te les mettes", que je me suis dit ! ... Pas vrai ? J'ai donc pris par le long d'un petit bois et puis là, figure-toi, que j'ai rencontré notre capitaine... Il était appuyé à un arbre, bien amoché le piston! .... En train de crever qu'il était... Il se tenait la culotte à deux mains, à cracher... Il saignait de partout en roulant des yeux... Y avait personne avec lui. Il avait son compte... " Maman ! maman!" qu'il pleurnichait tout en crevant en pissant le sang aussi...
" Finis ça ! que je lui dis. Maman ! Elle t'emmerde!"... Comme ça, dis donc, en passant! ... Sur le coin de la gueule!... Tu parles si ça a dû le faire jouir la vache! [...] Mais je veux pas d'armes moi! ... Si les Allemands te voient avec des armes,  hein ? T'es bon! Tandis que quand t'es en fantaisie, comme moi maintenant... Rien dans les mains... Rien dans les poches... Ils sentent qu'ils auront moins de mal à te faire prisonnier, tu comprends ? Il savent à qui ils ont affaire... Si on pouvait arriver à poil aux Allemands, c'est ça qu'il vaudrait encore mieux... Comme un cheval ! Alors ils pourraient pas savoir de quelle armée qu'on est ?...
-C'est vrai ça!"
Je me rendais compte que l'âge c'est quelque chose pour les idées. Ca rend pratique.



Pour une surprise, c'en fut une. À travers la brume, c’était tellement étonnant ce qu'on découvrait soudain que nous nous refusâmes d'abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu'on était on s'est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous...
Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux mêmes. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur.
On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur. Mais on n'en pouvait rigoler nous du spectacle qu'à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose. et rapide et piquante à l’assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s'engouffraient aussi à la charge du vent. Notre galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une eau caca, toute barbotante d'une kyrielle de petits bachots et remorqueurs avides et cornards.
Pour un miteux, il n'est jamais bien commode de débarquer de nulle part mais pour un galérien c’est encore bien pire, surtout que les gens d’Amérique n’aiment pas du tout les galériens qui viennent d’Europe. C’est tous des anarchistes » qu’ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d’Europe, c’est des fils à Dollar.
J’aurais peut-être pu essayer, comme d'autres l’avait déjà réussi, de traverser le port à la nage et de me mettre à crier : « Vive Dollar ! Vive Dollar ! » C'est un truc. Y a bien des gens qui sont débarqués de cette façon-là et qui après ça on fait des fortunes. C'est pas sûr, ça se raconte seulement. Il en arrive dans les rêves des biens pires encore. Moi j'avais une autre combinaison en tête, en même temps que la fièvre.


C'est un quartier qu'en est rempli d'or, un vrai miracle, et même qu'on peut l'entendre le miracle à travers les portes avec son bruit de dollars qu'on froisse, lui toujours trop léger le Dollar, un vrai Saint-Esprit, plus précieux que du sang.
J'ai eu tout de même le temps d'aller les voir et même je suis entré pour leur parler à ces employés qui gardaient les espèces. Ils sont tristes et mal payés.
Quand les fidèles entrent dans leur Banque, faut pas croire qu'ils peuvent se servir comme ça selon leur caprice. Pas du tout. Ils parlent à Dollar en lui murmurant des choses à travers un petit grillage, ils se confessent quoi. Pas beaucoup de bruit, des lampes bien douces, un tout minuscule guichet entre de hautes arches, c'est tout. Ils ne l'avalent pas l'Hostie. Ils se la mettent sur le coeur.

« Modifié: 28 octobre 2017 à 02:33:58 par Eveil »
"Je crois qu'il est de mon devoir de laisser les gens en meilleur état que je ne les ai trouvés"
Kennit, Les Aventuriers de la Mer, Robin Hobb.

Hors ligne Nolan Llyss

  • Scribe
  • Messages: 95
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #1 le: 06 avril 2009 à 13:29:25 »
J'ai été très long à lire ce roman, ça m'a pris des mois... mais c'est un véritable chef-d'oeuvre que tout étudiant de lettres devrait avoir lu au cours de son existence.

J'ai jamais compris pourquoi, en revanche, lorsque je regarde l'animé Serial Experiments : Lain... eh bien je pense à Bardamu. C'est bizarre.
Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière.

René Char

Hors ligne Salamandre

  • Calliopéen
  • Messages: 428
  • Simon le démon
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #2 le: 06 avril 2009 à 18:50:41 »
J'ai étudié toute la première partie (jusqu'au retour en France) en cours de français, et j'ai 6 extraits comme texte du bac... D'ailleurs j'ai eu 16 à l'oral blanc sur le passage ou Bardamu s'engage dans l'armée...

J'ai vraiment aimé l'écriture. C'est viscéral. C'est une véritable expérience pour le lecteur. On sent physiquement le travail sur le texte. Les mots ont étés pressés, essorés, écorchés... Pour donner une langue précise, coupante...
En revanche, la fin... Et bien je n'ai pas fini !
J'en suis quand Bardamu revient de Toulouse, mais franchement il ne se passe rien, et même le style "actif" n'arrive pas à rattraper la platitude des évenements...  :(
Je ressayerai peut-être cet été
Le langage n'est pas la vérité. Il est notre manière d'exister au monde.

Hors ligne Marygold

  • Comète Versifiante
  • Messages: 4 231
  • marmotte aphilosophique
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #3 le: 06 avril 2009 à 22:43:38 »
ça fait longtemps que je voulais le lire (grâce à ma prof de littérature) et, ernya, je te remercie pour ces passages qui mieux que tout ce que vous pourriez tous en dire, me donne vraiment envie de me plonger dans Voyage au bout de la nuit ! :)
Oh yeah ! 8)

Anlor

  • Invité
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #4 le: 19 avril 2009 à 16:43:10 »
Je suis juste en train de lire Voyage jusqu'au bout de la nuit et vraiment, je trouve l'écriture et le ton fantastique. Par contre, comme tu dis Ernya, je ne peux pas le dévorer comme d'autres livres. Je lis quelques pages et je suis forcée de m'arrêter. Je ne sais pas si c'est à cause de l'ironie, du côté tellement grinçant que j'ai du mal à en lire plus...
Mais bon, je me régale, à petites bouchées  :D

Kezok

  • Invité
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #5 le: 22 avril 2009 à 21:35:51 »
Céline, c'est un peu l'auteur que j'aurais aimé être (avec Ionesco bien sûr).

J'ai lu le Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, ce dernier est encore pire niveau langage et vulgarité (scènes érotiqes fréquentes et rudes, références scatologiques à s'en rendre malade etc...)

Je conseille donc, mais soyez prévenu

Hors ligne oeildenuit

  • Tabellion
  • Messages: 27
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #6 le: 07 mai 2009 à 19:26:56 »
Céline, c'est le dernier grand.
Son meilleur à mes yeux c'est Mort à crédit. Même si c'est vrai que le voyage est plus accessible, stylistiquement parlant, j'entends.

pehache

  • Invité
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #7 le: 16 décembre 2009 à 07:18:29 »

Messages: 46


Voir le profil Courriel Message personnel (Hors ligne)
   
   
Re : Re : Coucher mélancolique
« Répondre #18 le: Hier à 21:37:40 »
   Citer en réponseCitation
Citation de: pehache le Hier à 21:17:25
Si, contradictoire, comme l'humain.
Non ?
C'est intéressant. Finalement, on se rejoint plus qu'on ne le croit.

Que sa lecture fasse surgir en toi, par son excès-même, un sentiment de pudeur, je peux tout à fait le comprendre et tu as peut-être raison en un certain sens. Mais, en l'état, il reste que son écriture ne l'est pas. Elle est excessive, par moment vulgaire, très sincère, allant droit au but,voire provocante, sans souci des mœurs et des réactions qu'elle va donc provoquer chez les bienpensants, je suis ok, mais dire qu'elle fait preuve de pudeur, non. Je ne sais pas trop comment aurait réagi Céline si quelqu'un de son vivant était venu l'aborder en lui disant qu'il trouvait son écriture grandement emplie de pudeur, c'est-à-dire de réserve, de retenue, de délicatesse, de discrétion, de timidité !...

Arf ! L'écriture de Céline, timide ?...
« Dernière édition: Hier à 21:40:17 par Giacinto »



Je ne parlais pas de réception, mais d'écriture. Je t'ai invité à lire le début de Mort à crédit, l'as-tu fait ? Je ne crois pas.
Quant à sa réaction ? Écoute plutôt ses interviews, notamment la superbe donnée à Jean Guénot. Ou celle de Sadoul, en 55.
Après, alors, si tu veux, on en reparlera.
(Si tu confonds pudeur et timidité, là, effectivement, il y a un os.)

Hors ligne Giacinto

  • Tabellion
  • Messages: 56
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #8 le: 16 décembre 2009 à 10:54:36 »
(Si tu confonds pudeur et timidité, là, effectivement, il y a un os.)

Ce n'est pas moi qui confonds, c'est mon dico des synonymes. ;-)

Mais je te donne raison que la pudeur est plus une timidité, une réserve liée à la sexualité.

Arf, et pourtant, d'avoir lu moi la première partie du Voyage, j'ai bien plutôt eu l'impression d'avoir affaire à la description sans retenue (et sans pudeur) d'une sexualité complètement crue et débridée. Et il parait même que Mort à crédit est encore plus cru que le Voyage.
« Modifié: 16 décembre 2009 à 12:18:05 par Giacinto »

Hors ligne Silvertaler

  • Tabellion
  • Messages: 40
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #9 le: 25 janvier 2010 à 15:06:03 »
Je l'étudie en fin d'année cette année, j'avais déjà lu une critique de cet auteur en cours. Et en lisant ces extraits c'est vrai qu' en provocant le lecteur, comme par exemple quand il parle de l'"eau caca" et quand il racconte la petite histoire du dollar (ce qui porte quand même un regard péjoratif envers les Américains) il attise nôtre curiosité et nous donne envie de lire.

Je sens que je vais me faire plaisir en le lisant plus tard. ^^
"...peu importe la puissance que j'ai acquis, peu importe les efforts que je fasse pour elle, cela ne veut rien dire, je suis complètement impuissant. Ça ne fait pourtant aucun sens. On répond toujours à la haine par la haine, alors pourquoi ne répondrait-on pas à l'amour par l'amour?"
~Silvertaler

Hors ligne lulli

  • Aède
  • Messages: 185
    • Page-publique.
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #10 le: 25 janvier 2010 à 19:42:16 »
Je l'ai lu il y a très longtemps maintenant (six ? huit ans ?) et il ne me reste rien de ce que vous décrivez... Je me souviens d'un voyage, d'Afrique (de boite de conserve dans une case miteuse), d'insectes, de maladies, de la médecine, des pauvres, des descriptions qui m'avaient transporté (je l'avais lu plutôt rapidement)... Il m'en reste une douceur quand vous parlez de choses crues et dures... C'est drôle comment le temps joue sur les ressentis (et comment les ressentis diffèrent d'un lecteur à l'autre aussi)... J'en ai été émerveillé comme vous...
Un livre qui laisse un gout, à y repenser.



Oeildenuit parle de dernier grand, je ne puis être de cet avis, il y a des "grands" de tout temps, Céline est l'un d'eux, selon certains...
« Modifié: 25 janvier 2010 à 20:17:23 par Loredan »
Amicalement et dyslexiquement votre,
Lulli

Hors ligne Meilhac

  • Comète Versifiante
  • Messages: 4 047
Re : Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #11 le: 02 mai 2012 à 05:19:25 »
Yô, moi j'ai lu les 4/5e du livre, et c'était à l'époque où tout ce qui n'était pas proust me tombait littéralement des mains, donc ça doit être pas mal comme bouquin :-).
Blaque à part yep je me souviens que j'étais lassé vers la fin, j'avais l'impression d'avoir un peu fait le tour.
Et sinon je ne me souviens pas particulièrement d'une sexualité crue et débridée des personnages - mais bon ça fait quelques années tout ça quand même.
J'ai relu les cinquante premières pages il y a quelques mois, pas mal aussi.

Mais je me dis que peut-être que la raison qui fait que céline se lit volontiers, comme dit anlor, par petites bouchées, ça tient au style oral. parce que en fait c'est pas un mélange entre style oral et style soutenu. c'est du style oral, pendant tout le livre. Et ce style oral, bien mené, etc., et qui contribue à l'intérêt et à l'originalité de l'écriture de céline, contribue peut-être aussi à rendre la lecture moins confortable que celle de livres dont le style est moins oral.

enfin je sais pas, c'est une hypothèse - qui m'intéresse d'autant plus qu'il m'arrive parfois quand j'écris (et ça varie, vu que j'ai pas vraiment un style ou pas encore ou je sais pas bref  :-¬? ) d'avoir un style un peu oral et je trouve que ça peut avoir de grandes qualités, mais c'est difficile de faire en sorte que ça reste confort pour le lecteur, enfin bref. (Le petit Nicolas de goscinny est d'ailleurs un chef-d'oeuvre dans le genre style oral).

après, qu'un livre se lise à petites bouchées, c'est vraiment pas un problème en soi. lire une phrase, la trouver sublime, refermer le livre, ruminer la phrase pendant quatre jours, et lire la phrase suivant le cinquième jour, ça peut sans doute être une manière de surkiffer un bouquin

Sinon j'ai lu y a quelques temps des textes pamphlétaies de céline, j'ai trouvé ça un peu chiant (c'est le cas de le dire, s'agissant d'un auteur assez branché sur le caca). un peu facile, quoi. mais bon c'est des pamphlets, bon.
J'ai un vague pote fan de céline, c'est drôle de voir à quel point on retrouve certaines qualités et certains défauts de céline dans la moindre phrase qu'il écrit.

céline c'était le nom de sa mère je crois? comme d'hab' ? (ils font tous ça quand ils se choisissent un pseudo :--))

céline était médecin je crois, sacré atout pour décrire des tas de trucs.

Quant à sa réaction ? Écoute plutôt ses interviews, notamment la superbe donnée à Jean Guénot. Ou celle de Sadoul, en 55.
Après, alors, si tu veux, on en reparlera.
Elles sont facilement trouvables ces interviews ? J'avais tapé céline une fois sur youtube, y avait quelques trucs mais pas grand-ch' je crois.

« Modifié: 02 mai 2012 à 05:21:51 par Meilhac »

Hors ligne Menthe

  • Prophète
  • Messages: 899
Re : Voyage au bout de la nuit (Céline)
« Réponse #12 le: 02 mai 2012 à 21:03:07 »
 :mrgreen: ça me rassure de pas avoir été la seule à le lire en un an et demie (en fait : un mois / pause d'un an et cinq mois pour raison non identifiée / deux semaines)

Ce que j'ai aimé en Céline, c'était cette façon de prendre tout le monde de haut, d'écraser le moustique avec élégance et raffinement, et en même temps, t'envoyer dans la bouse d'un bon coup de pied.

Ah la la, je vous recopie un des passages les plus épiques de ce bouquin (mais ils sont nombreux), qui m'a spécialement touchée dans mon avenir de future dentiste  :mrgreen:

"Quand on s'arrête à la façon par exemple dont sont formés et proférés les mots, elles ne résistent guère nos phrases au désastre de leur décor baveux. C'est plus compliqué et plus pénible que la défécation notre effort mécanique de la conversation. Cette corolle de chair bouffie, la bouche, qui se convulse à siffler, aspire et se démène, pousse toutes espèces de sons visqueux à travers le barrage puant de la carie dentaire, quelle punition ! Voilà pourtant ce qu'on nous adjure de transposer en idéal. C'est difficile. Puisque nous sommes que des enclos de tripes tièdes et mal pourries nous aurons toujours du mal avec le sentiment. Amoureux ce n'est rien c'est tenir ensemble qui est difficile. L'ordure elle, ne cherche ni à durer, ni à croître. Ici sur ce point nous sommes bien plus malheureux que la merde, cet enragement à persévérer dans notre état constitue l'incroyable torture."

(et je ne résiste pas à ces deux-trois autres citations, tout aussi savoureuses :

"c'est toujours la Seine à circuler comme un grand glaire en zigzag d'un pont à l'autre"

"Il y a les boyaux. Vous avez vu à la campagne chez nous jouer le tour au chemineau ? On bourre un vieux porte-monnaie avec les boyaux pourris d'un poulet. Eh bien, un homme, moi je vous le dis, c'est tout comme, en plus gros et mobile, et vorace, et puis dedans, un rêve."

"La ville entière manquait de concierges. Une ville sans concierges, ça n'a pas d'histoire, pas de goût, c'est insipide, telle une soupe sans poivre ni sel, une ratatouille informe. Oh ! Savoureuses raclures !"

"Je me prenais pour un idéaliste, c'est ainsi qu'on appelle ses propres petits instincts habillés en grands mots."
)
C'est pas que je suis loin du but, c'est que je suis à côté de la plaque !

Hors ligne marécage désolé

  • Aède
  • Messages: 159
Re : Voyage au bout de la nuit (Louis-Ferdinand Céline)
« Réponse #13 le: 26 août 2024 à 14:54:46 »
alors, j'ai récemment relu les 200 dernières pages du voyage, alors que je l'avais lu en entier il y a 15 ans. eh bien je ne me rappelais pas du tout cette dernière partie, qui commence avec le voyage à toulouse avec la crypte de la mère henrouille, madelon, robinson, l'asile de fous de baryton, la mort de robinson... je trouve que ça se lit très bien et que les descriptions sont magnifiques, avec des métaphores et des tournures très originales. contrairement à ce qu'on dit souvent, ce n'est pas du "style oral", mais un idiome tout à fait unique propre à céline. l'histoire a un côté un peu vaudeville et se termine en drame, madelon flingue robinson. et je dois dire que, si l'écriture est différente, la philosophie pessimiste, matérialiste et naturaliste de céline m'a parfois rappelé zola, pour le côté sordide, mais avec l'humour et la dérision en plus.
« Modifié: 27 août 2024 à 18:18:56 par marécage désolé »
"En vert et contre tout."

Hors ligne Marcel Dorcel

  • Calliopéen
  • Messages: 423
Re : Voyage au bout de la nuit (Louis-Ferdinand Céline)
« Réponse #14 le: 30 août 2024 à 22:31:16 »
Céline, c'est très compliqué à critiquer parce qu'avant moi  trois millions de gens sont passés en donnant leur avis.

Disons que celui, celle, qui n'a pas lu Céline n'a rien lu. Comme Dostoievski (dans la psychologie) qui avait tout compris, Freud, Nietzche et consorts, Céline réinvente la langue.
Depuis Shakespeare, mis à part Proust, qui demeure une énigme à jamais, je ne vois pas d'autre écrivain, je parle au niveau de la langue, entendons-nous bien, qui ait pu mettre une aussi grosse claque au vocabulaire,, à la syntaxe, à la phrase.
Peut-être Joyce, je ne vois que lui.

Maintenant, en étant un lecteur inconditionnel de Dostoievski, de Faulkner,  Kafka,  Joyce, Mishima, il n'est pas loin mais ne franchit pas encore la porte.

Mais il faut le lire, c'est une expérience à nulle autre pareille.

Un imbécile ne s'ennuie jamais il se contemple
De Gourmont

Tout dire ou se taire
J Green

 Croyez-vous que je me sois donné la peine de me lever tous les jours de ma vie à quatre heures du matin pour penser comme tout le monde 
J Hardouin

Tout ce qui est atteint est détruit
Montherlant

 


Écrivez-nous :
Ou retrouvez-nous sur les réseaux sociaux :
Les textes postés sur le forum sont publiés sous licence Creative Commons BY-NC-ND. Merci de la respecter :)

SMF 2.0.19 | SMF © 2017, Simple Machines | Terms and Policies
Manuscript © Blocweb

Page générée en 0.021 secondes avec 18 requêtes.