Boh… dans le premier post, Lo parle de détachement de l'auteur, pour autant, je ne le comprends pas comme une absence de « je ». D'ailleurs, son premier exemple est le suivant :
Basho (le père de l'haïku, 2e moitié du XVIIe siècle)
Sur l'éventail
Je mets le vent venant du mont Fuji.
Voilà le souvenir d'Edo.
ou dans celui que j'ai cité :
J'arrose,
pensant pouvoir
vivre encore.
Toshiko Tonomura
Après, je ne sais pas comment était la version japonaise, peut-être que la présence du « je » a été rajoutée à la traduction.
Je vais éclairer ta lanterne de suite : le "je" est rajouté à la traduction. C'est dû principalement au fait que le japonais est une langue contextuelle. En clair, dès qu'un élément est admis, il peut être shinté. Donc traduire des haïkus en français est très difficile à cause de cette subtilité. Une phrase en français, c'est Sujet+Verbe (+complément). En japonais, ça peut être un simple verbe, un adjectif, voire même un nom !
Le haïku est intrisèquement lié à la langue et la culture japonaise (sans déc
lol). Déjà par sa contrainte (17 mores en 5-7-5 le plus classiquement) qui est très différente de la métrique française, car le japonais est syllabique (et à cause de ça pauvre phonétiquement) alors que le français avec ses multiples combinaisons de lettres (syllabes, diérèses, synérèses) et sa prononciation à la con (ce c*nnard d'
e muet
) ne peut pas rivaliser avec la rythmique japonaise malgré un comptage en règle 5-7-5 syllabes (et pas mores). D'autre part, le japonais ne fait pas de rimes (donc n'en faites pas).
Il y a aussi une autre subtilité concernant notre fameux 5-7-5 : les haïkus peuvent s'écrire en une seule ligne (et pas forcément 3 lignes 5/7/5), voire complètement collé.
Par exemple, la liste des haïku de notre fameux Basho :
http://www2.yamanashi-ken.ac.jp/~itoyo/basho/haikusyu/Default.htm (si vous avez un problème avec le japonais, vérifier votre encodage, c'est du
Japonais Shift JIS)
La métrique 5-7-5 est visible en cliquant sur un des haïkus.
Par exemple, celui cité par mon cher Bossu (caressez ma bosse lol) :
http://www2.yamanashi-ken.ac.jp/~itoyo/basho/haikusyu/miyage.htmEt Ô surprise, Le Basho, ben il vous a fait un méchant haïku en 6-7-5 (il suffit de compter les kanas, en japonais kana=more, c'est très pratique, non
)!! Le fourbe !! Comme quoi, le 5-7-5, c'est la règle, mais pas la tradition lol : ふじのかぜや(
6) おうぎにのせて(7) えどみやげ(5)
En traduction mot à mot : 富士(fuji)の(de)風(vent)や(mot rythmique sans sens particulier utilisé dans les haïkus, nommé kireji)/扇(éventail)に(localisation)のせて(monter)江戸(edo)土産(cadeau)
En français (ça va partir à l'envers, c'est un autre cadeau du japonais qui est une langue agglutinante avec le prédicat à la fin mon cousin) : Sur mon éventail, le vent du mont fuji, le cadeau d'édo (là, j'ai un 5-6-5, chui pas trop loin lol).
Je pourrais adapter comme ça pour avoir les 17 syllabes (mais je change substanciellement le sens) : Sur mon éventail, le vent du mont fuji est le cadeau d'édo.
Concernant la traduction citée ci-dessus (où la métrique est déjà à la rue
), je vois pas trop d'où vient le "Je mets le vent venant...". En mettant "mon éventail", je shinte le "je" allègrement
.
Bref, en traduisant, vous avez 2 choix : soit vous restez le plus près du sens et vous vous rapprochez au mieux du 5-7-5 ; soit vous faites un 5-7-5 en adaptant le sens (sous réserve que vous ayez la même perception que votre lecteur lol). On peut louvoyer entre les deux, mais on atteindra rarement la perfection !
En japonais, la rythmique est vraiment importante. La version japonaise me "parle plus" que ma misérable traduction. Mais il faut connaître la langue pour apprécier, je pense. Ce qui est important à mon avis, c'est le "dépouillement", le peu de mots (la contrainte métrique), et les sensations qu'on ressent, imaginer ce que l'auteur à voulu dire. Ici, on peut penser que le paysan se rafraichit d'une brise printanière après un travail harrassant, est qu'il s'envole en rêve pendant une somnolence passagère qui lui rappelle le passé (édo est l'ancien nom de tokyo). Je ne pense pas que la traduction citée ci-dessus ait le même effet lol (ni la mienne bien qu'elle s'en rapproche). Je pense que l'autre traducteur à un peu surfé sur l'éventail lol (mais pourquoi pas après tout).
Voilà toute la philosophie de l'haïku : prenez un petit truc dans la nature et transcendez-le avec quelques mots. Je vous cite un autre haiku de basho très célèbre aussi :
Furui ike ya
Kaeru tobikomu
Mizu no oto
Un Vieil étang
La grenouille saute
Le bruit de l'eau
...Et vous voilà en train de ronquer sous un chêne en plein été
J'ai aussi trouvé (plus difficilement) l'autre haïku, celui de Tonomura :
苗代に 種蒔くしじま 世に残る
Nawashironi Tanemakushijima Yoninokoru
Dans les champs de riz / Ensemencer au calme / reste(nt ?) au monde
Peut être en adaptant comme ça (5-8-4 = 17) : Dans les champs de riz, les graines semées calmement restent au monde.
Vu la scène, je pense que c'est le riz qui est au centre du thème. Le verbe 蒔く (maku) veut bien dire planter, et non arroser (qui se nomme aussi maku mais s'écrirait plutôt 水を撒く, c'est-à-dire répandre de l'eau ; le verber arroser ne semblant pas exister dans mon dico, c'est donc une combinaison verbe+nom). Bien que la traduction précédente (j'arrose, donc je suis
) n'est pas délirante non plus. Une fois de plus, on peut se passer du "je", quoique dans ce haiku ça reste discutable. L'ambiguïté est de mise dans ce genre d'exercice.
Dernière info : il existe aussi des Senryû. Il s'agit aussi de poèmes en 5-7-5 mais dont le thème se concentre plutôt sur la parodie ou les gens. C'est plus un trait d'esprit avec une chute amusante ou inattendue via le dernier vers.
Un exemple pêché sur le net (et qui va bien avec notre époque économiquement torturée) :
貯金なし証券もなし被害なし
Chokkinnashi Shôkenmonashi Higainashi
Sans économies, Sans titre en bourse non plus, Pas de catastrophe ! (moi ça me fait marrer
)
EDIT : fôtes