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20 mai 2024 à 06:34:53
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Auteur Sujet: Je suis schizophrène, formée par la CIA. (interdit - 18 ans - violent)  (Lu 281 fois)

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La douleur de guerre.

J’ai les pieds froids. Je regarde ce plafond depuis des heures. Si seulement les pulsations assourdissantes des sirènes de Paris ne venaient pas perturber mon sommeil… Je m’appelle Lucie et je ne suis plus connectée à la vie réelle depuis deux semaines. J’ai démissionné. J’habite un 18m2 dans le 5ème arrondissement de Paris et je découvre le monde tel un enfant de 5 ans. Mon ex a récemment quitté l’appartement pour que je puisse faire le point et je me retrouve, à présent, terriblement seule. Je n’éprouve aucun sentiment à part la peur. La peur de ce qu’il m’attend avec cette sensation nouvelle de me découvrir.

Je suis schizophrène. La schizophrénie est un trouble psychique se développant généralement au début de la vie adulte. Elle est caractérisée par des difficultés à partager une interprétation du réel avec d’autres individus, ce qui entraîne des comportements et des discours bizarres, parfois délirants. OK.

Suite à une crise de delirium aiguë, j’ai abandonné une superbe place dans un groupe bancaire, j’étais responsable de la communication d’une fédération nationale de cautionnement mutuel. J’ai eu un tel succès… Seulement, les harcèlements moraux et les techniques de manipulation affligées pour que je dégage étaient devenus insupportables. Les médecins m’affirment toutefois que cet épisode est le fruit de mon imagination. Honnêtement, je préfère les croire.

5 heures du matin. Je ferme les yeux.

Ce matin, je dois me laver. Je me dirige vers la douche, enclenche l’eau froide. J’éponge ma peau agressivement et arrache mes cheveux que je peine à démêler. Je continue à agresser le corps dans lequel je suis enfermée. Je sors nue de la salle de bain, j’ai oublié de fermer l’eau mais le bruit me rassure. Je me glisse sous la nappe de la table de cuisine. J’ai la tête entre les genoux. Les gouttes d’eau traversent mes cheveux et s’explosent sur le sol. Je me rends compte que je suis bien dans cette position. J’ai la tête à l’envers. Je trouve un stylo et l’empoigne fermement. J’aime bien dessiner sur la nappe en tissu. Je fais des cercles. Je m’acharne. J’appuie fort. Dans cette masse circulaire, je distingue un serpent qui se mord la queue. On dirait l’ouroboros, j’ai envie de me le faire tatouer. Je vais aller me le faire tatouer. Je suis tellement fière de moi ! J’attrape un ciseau et coupe délicatement mon dessin pour l’emmener chez le tatoueur. J’ai mal aux doigts donc j’arrête. Je retourne dans mon lit, trempée, les draps collent à ma peau. Je me masturbe difficilement et je m’endors.

Quarante minutes plus tard, j’ouvre les yeux et je regarde le plafond. Encore. Je suis cloitrée dans cet appartement depuis quelques jours, il faut que j’en sorte. Je m’étire comme un chat. Je me sentais féline depuis ce matin et je sentais que mon côté animal pouvait surgir à tout moment. Je glisse mes doigts dans mes cheveux mouillés et je leur donne du volume. Je saute sur mon lit à quatre pattes, chope mon portable entre les couettes et cherche les musiques de Geoffrey. Je suis convaincue que Géo, mon ex, écrit et chante pour notre « ancien nous » mais selon mon psy et tout le monde, c’est faux, en réalité.

Il est 9 heures du matin et pour moi, le matin, c’est une biscotte, un café, un médoc, tout cela après mon deuxième réveil. Mais cette fois-ci, ce sera du vin blanc uniquement. Je n’aime pas mon traitement. Je peux me régénérer toute seule, j’ai confiance en moi, en ma capacité à me soigner par l’esprit.

J’ouvre le frigo, prends la bouteille de vin entamée de la veille et bois à la santé de Geoffrey aujourd’hui. Cet ex mystique. Je l’écoute et je me sens bien. Les musiques défilaient. Je pose mes mains sur la table, écarte les doigts, les crispe et agrippe la nappe. Je baisse la tête, les yeux fixés sur la fenêtre de la cuisine. Je grogne. Je me déhanche. Je me rends vers la fenêtre avec une allure féroce. J’ouvre la fenêtre. 4ème étage. Je regarde fixement le sol. J’attends. Je me sens puissante. Je me sens puissante puisque je ressens le monde à ma façon, à mes façons. Je pouvais me transformer en n’importe qui mais je ne décidais jamais de qui je voulais être. Je gardais toujours en mémoire que ces personnages devaient être temporaires, une manière pour moi de trouver qui je suis véritablement.

Je pense à Charles. Un autre ex. Celui qui vient de tirer les voiles. Il me manque. J’aurais aimé qu’il me voie en période féline. Il m’avait quitté puisqu’il était nymphomane et je ne pouvais subvenir à ses envies... C'est moi, je vis dans un monde imaginaire et je trouve cela plutôt original. Je n’ai pas peur de la mort bien au contraire. Je profite de la vie derrière des orbites, confortablement installée dans une enveloppe corporelle. Je ne reconnais pas mon corps, je distingue parfaitement le corps de l’esprit. C’est un pouvoir hallucinant et perturbant. C’est comme si on avait envoyé mon esprit sur terre, dans un corps humain. Allez, je me perds dans mes réflexions et il est déjà 11H00, je dois aller chercher une bière. Mes cheveux sont secs et ébouriffés c’est parfait. Je dois aller chercher des bières. Je me dirige vers la porte, je tourne la poignée, fais un demi-tour sur moi-même et ferme la porte discrètement. Puis je rentre dans mon appartement, il ne faut pas descendre tout de suite mais je ne sais pas pourquoi. C’est sans doute à cause du moucheron. Je suis persuadée que le moucheron qui m’accompagne partout est un ange gardien. Je l’avais aperçu quand j’ai ouvert la porte. C’était un signe et je ne préfère plus m’aventurer dehors. Je reste avec le moucheron un petit moment et quand il est partit je suis sortie. J’étais heureuse de le savoir à l’intérieur de chez moi, au chaud. Je descends les escaliers en caressant les murs et je me casse la gueule. Je savais qu’il fallait que je reste chez moi… Je reste plantée là, dans les escaliers, à attendre. J’attends. Puis, je me relève et marche en direction de chez l’arabe du coin. C’est dimanche. La place Contrescarpe est affolante, parfois, quand j’ai de la chance, j’ai un orgasme auditif quand j’écoute le son de l’harmonica qui s’échappe de la bouche du musicien du coin. Ce que j’aime sur cette place, c’est profiter de mon temps avec des SDF. Ils ont tout à nous apprendre, réellement. Jim est mon préféré. Je l’ai rencontré il y a huit jours dans la rue Moufetard. Il ressemble à un troll, les cheveux longs, gras, ondulés, le visage marqué, plissé, il porte un jean 501 et un teeshirt bleu grisé. Je l’avais déjà aperçu dans cette rue, une bouteille de Côte du Rhône à la main. Il chantait souvent des sons incompréhensibles mais une certaine joie se faisait percevoir au son de sa voix. Jim passait le plus clair de son temps à demander des pièces de monnaie, normal. J’avais profité de son temps dans un mini parc, rue Ortelan. Je m’étais allongée à côté de lui, il n’y avait pas eu d’échange. A vrai dire, on ne s’est jamais adressé la parole mais il m’apprenait à savourer la vie. Je m’aventurais dans son passé à travers la pensée, je le regardais et j’arrivais à percevoir des traces de son histoire. Pour l’instant, je sais juste qu’il n’a pas d’enfant. Je l’ai branlé à l'abri des regards et je suis allée boire un verre dans le bar d’à côté.

Je traverse la place Contrescarpe en haletant comme une chienne, car il fait chaud. Je pense avoir des soucis d'asthme. Je trouve mes bières dans l’épicerie, les achète. J’attrape un camembert. Je repars vite chez moi en dévisageant les touristes asiate et puis, je bois. L’album de Geo tournait encore, je l’écoute en profitant de ma bière même tiède. Je ne sais pas quoi faire. Je ferme l’eau de la douche, je rejoins ma chambre et bouquine Bukowski… Il me fait penser à Geo.

On discutait par musique, Geo et moi. Par musique. Sur la plateforme SoundCloud. De mémoire, le jour de son anniversaire, je lui avais offert une guitare, persuadée qu'il devait percer dans la musique. Quelques mois plus tard, le voilà musicien. Il a monté un groupe. Il a composé, chanter. Partout, en France. Tout le temps. Sur moi. Et… il postait bien entendu ses sons sur Sound Cloud. SoundCloud. SoundCloud. Toujours, tout le temps, à chaque pause, à chaque moment de vide dans ma vie, à chaque moment, c'était une visite sur SoundCloud. C'était mon lien avec lui. Le manque, je le comblais sur la plateforme. On avait un code qu'il m'a transmis dans une de ses compositions " Mastermind". Il a donc voulu jouer avec les nombres… Le 7 et le 8, les dates clés de nos anniversaires. On a commencé à s'amuser en faisant évoluer le nombre de like sur sa page. Le dernier chiffre du like ou du nombre d'écoute devait impérativement tomber sur le chiffre 7 quand Geoffrey voulait me transmettre un message via sa musique et 8 quand je répondais via ses chansons aussi. Quand j'étais seule, j'augmentais le nombre d'écoute pour sa musique "Seul", quand il me répondait, il augmentait le nombre de like afin que le dernier chiffre face 7 sur "Wolf". Et ainsi de suite. Pendant des mois, des années. J’ai publié de plus en plus de musique sur ma page pour faire comme lui. Je m’en suis tapé des traductions. Il répondait via des profils followers. Il se créait des profils SoundCloud, sous un faux nom et « suivait » son groupe pour que je puisse le retrouver. Il y en avait peu, je comprenais très bien que c’était lui, d’autant plus que son profil affichait des numéros comme « 28 followers, 47 commentaires, 27 musiques ». Mon anniversaire étant le 22/08 et Geoffrey 17/04. Tous les numéros y étaient et il me répondait par ses morceaux non finalisés comme si il sortait des EP en fonction de l’évolution de notre séparation. Tout coïncidait, ses paroles, la tonalité des musiques, le son des voix… Absolument tout pour croire qu’il parlait de nous. Il avait le don de glisser des « clins d'œil » à notre relation dans ses paroles. Elles étaient sombres au départ, narguantes en fin d’EP et violente pour finir. Je n’ai jamais compris sa démarche. Je le rappelais quand il m’appelait sur Sound Cloud avec sa musique « Rappel ». Mais il ne me répondait pas, ou très peu. Je me connectais environ 20 fois par jours sur Sound Cloud. Une véritable drogue. On « discutait » tout le temps. C’était prenant. Je n’arrivais pas vraiment à réaliser ce qu’on était en train de faire. Personne ne pourrait nous croire et c’est bien cela le secret que nous avions en commun et qui nous liait. Sauf que là encore, selon les médecins, je suis bel et bien schizophrène. Et puis, j’en ai eu marre. Son concert avait lieu un soir de semaine à Lyon. J’y suis allée. J’ai pris mon maquillage, mon billet de train de dernières minutes et j’ai foncé à la gare. Mon cœur battait à son maximum. Je rêvais dans le train, j’imaginais nos retrouvailles après tant de temps mais j’étais morte de trouille. Je ne savais pas comment je pouvais réagir. Comment j’allais m’y prendre. J’imaginais toutes sortes de situations. Et puis, je suis allée au bar central de la SNCF et j’ai commandé une bière. Puis quelques-unes supplémentaires. Puis encore une autre. Je sors du train. Je m’arrête devant un distributeur de boisson et je déniche mon rouge à lèvre. Je l’applique comme je peux en me penchant vers la lumière des Schweppes Agrume. Puis je me rends compte qu’il ne va pas pouvoir m’embrasser si j’ai du rouge à lèvre donc je l’enlève avec mes mains, j’en ai partout. C’est la catastrophe. Je sais plus quoi faire. Je continue mon chemin, tout le monde avait quitté les quais sauf moi. Pour me donner de la force, j’ai sorti mon casque, je l’ai bien posé sur mes oreilles et je l’ai écouté à fond. Tout le long du trajet. Quelques arrêts plus tard, je m’aperçois que je suis arrivée. Bon signe. Je rentre dans la boite. Je l’entends. J’ai plus de salive. Je ne sais pas vraiment où me placer dans la salle. Je vais au bar. Je commande un shoot de vodka. Je le bois. Puis un second. Sa voix me pénétrait partout. J’étais fière de lui. J’étais fière ! Puis le concert est terminé. Il s’approche du bar. Je ne sais pas quoi faire ! Il boit un verre avec des amis, tout le monde vient le voir pour le féliciter. Sa famille, ses amies, anciennement miennes. J’y vais.

- Salut… félicitation !

- Quelle surprise. En plus, je ne m’y attendais pas.

- Bravo en tout cas, ton concert était génial !

- On va fumer ?

- Heu… oui !

On monte les escaliers pour rejoindre le fumoir. Quand je suis rentrée, j’ai vu tous mes anciens amis, tous les proches de Géo en cercle. J’ai dérapé mon talon dans une planche en bois et j’ai plongé en avant, la tête sur le parquet. Je me relève, seule, j’ai le cœur qui bat. J’ai choisi de faire comme si de rien ne venait de se passer.

- Ca va ?

- Oui t’inquiète

Il pose sa main sur une rambarde. Je pose ma main sur la rambarde. Il enlève sa main de la rambarde. On discute. Il m’annonce qu’il va prendre un appartement, sur Paris. Paris. Comme moi. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Je lui en dissuade comme une imbécile. Pour moi, sa vie était avec son groupe de musique à Lyon, enfin pas tout à fait. Il était donc préférable pour lui de rester dans cette ville. Puis mes anciens amis sont arrivés, on a échangé ensemble. Géo est parti. Ça m’a énervé, je suis partie. Puis je l’ai rattrapé en lui disant que je l’aime. Sa réaction m’est restée gravée dans l’esprit pendant des mois. Il s’est retourné, la main contre moi en criant « naaaaaaaaan ». Je suis partie. Choquée. J’ai marché des heures sous la pluie. J’ai cherché désespérément des bars d’ouverts mais je m’étais perdu dans une zone industrielle. Je commande un taxi mais ils sont tous occupés. Je continue ma route et je tombe sur un mec en vélo.

Il s’arrête et me demande si je vais bien. Je lui explique brièvement la situation et il me propose de monter sur son vélo. C’était amusant. On a roulé en papotant de nous un moment.

_ Plus tard, tu vas perdre ton fils. Car tu fais partie de la CIA. Me dit-il.

J’ai explosé de rire. Je n’ai pas d’enfant. Pourtant, à l’heure où j’écris. C’est à dire huit ans après. Il avait raison. Enfin, le nom de la CIA est faux mais l’organisation a le même objectif. A l’heure où j’écris. Je suis au bord du suicide. A l’heure où j’écris. Je suis en lien avec l’Elysée. A l’heure où j’écris. Je suis enceinte de mon deuxième enfant. A l’heure où j’écris. J’écris pour survivre dans la chambre éteinte de mon fils. A l’heure où j’écris. Je vais au resto du cœur. A l’heure où j’écris. Je tombe dans les pommes d’angoisse. A l’heure où j’écris. Nous sommes en guerre.

Retour à Paris. 2017. J’avais trouvé l’astuce de tendre l’oreille vers le jet du lavabo pour atténuer ces hallucinations. Sauf qu’aujourd’hui c’était trop tard, les vibrations divines des cloches de Paris me faisaient progressivement basculer vers un territoire psychique inconnu. Un jeu vidéo. Je suis dans un jeu vidéo où le son des cloches annonce la prochaine partie. Que devais-je comprendre ? Je devais réussir cette partie mais je ne savais pas par où commencer…

Sans doute par comprendre la langue française. Il y a des codes à décrypter dans cette langue, c’est évident. Je décapsule une bière et je réfléchis. Les mots, à l’intérieur des mots. Voilà ce que je devais analyser. Je commence par réfléchir sur les mots ayant des mots liés à la vie en général. « Terrasse », il y a le son « terre » et « race ». J’enfile un manteau et je trouve la place Contrescarpe. Je m’installe au Delmas et commande un café noir. Je commande un « café », superbe ! Je suis tellement heureuse de pouvoir vivre en fonction de la langue française, j’ai découvert un monde parallèle, un monde crypté mais qui d’autre était au courant ? Je recommence l’exercice, je suis donc sur une terre-rat-sse en train de boire un ca-fée au sol-eil. Le sol est un moyen d’avoir les pieds sur terre et cela me ravie. Je continue, il y a une femme à côté de moi, elle porte de l'argent, "l’art-gens" sur elle. Je ne mettrais plus jamais d’or sur moi, je préfère l’art et les gens donc je porterais de l’argent. Je vais arriver à me trouver de cette manière, c’est « é-vie-dent » et vital pour moi.

J’aperçois Jim. Il titubait comme un serpent. Je vais à sa rencontre.

- Salut Jim

Il ne me répond pas. Je lui demande si une petite gâterie lui ferait plaisir et il ne refusa pas. Je le pris par le bras et l’emmena chez moi. Son odeur m’écœurait, je lui propose de prendre une douche, ce qui ne fut pas de refus pour Jim. En l’attendant, je lui prépare un bon petit plat. Des pâtes avec un steak bien cuit. Je pris une bière et l’enfilai d’une traite. Ça faisait un moment que Jim était dans la salle de bain. Je toque à la porte et je lui demande si tout va bien. L’eau coule encore et pas de réponse de Jim. Je commence à m’inquiéter et je démonte la serrure. J’ouvre la porte. Le rasoir de Charles à la main, Jim me regardait fixement. La queue en l’air. Je décide de le rejoindre sous la douche… Mes affaires sont imbibées d’eau. Je le regarde dans ses yeux vitreux. Il me fixe. Moi aussi. Je pose mes mains sur son torse et le caresse doucement. C’est à partir de ce moment-là qu’il me prend violemment par les cheveux et me rase le corps. Je hurle de douleur, il s’acharne, les déchirures de ma peau laissaient giser le sang sur les parois. Il continue, plus je me débattais, plus je me déchirais. Je tombe par terre, il m’enjambe et s’enfuit. C’était terminé. Je ne sais plus quoi faire, je suis sous la douche, ouverte à vif. Je tente d’étirer le bras pour fermer l’eau mais je n’y arrive pas. J’essaye de sortir de la douche à plat ventre mais la douleur est trop violente. C’est insoutenable. Je suis couverte de sang. Mon corps est lasséré, je n’en peux plus. Je pleure. Je m’effondre en larme. Je regarde le sang s’échapper dans le tourbillon de la douche. Je réalise que le temps passe et je suis en train de me vider de mon sang. Il faut réagir. Je me lève avec une force insupportable, je glisse puis je me rattrape sur la porte de la douche. Je sors et je me regarde dans la glace. Je me trouve superbe. Je suis perdue.

Après avoir désinfecté douloureusement mes plaies, je débouchonne rapidement une bouteille de vin blanc et je l’ai bue. Je titube et je me dirige vers ma chambre. Jim était là, planté en plein milieu de mon lit. Il dormait. Je ne sais pas quoi faire. Je n’ai pas peur. Je ne veux pas m’allonger près de lui. J’ai envie de lui rendre l’appareil mais je n’en suis pas capable. Je retourne dans la cuisine et continue à picoler. Mes blessures me font terriblement mal, elles s’écartent quand je bouge. Je me cache sous la nappe, la tête dans les genoux fissurés. Je me sens mieux…

Frissons. Je ressens des frissons. Je sens la peau d’une personne me toucher lentement dans le dos. Ça me fait mal. Il me caresse la peau. Tendrement. Je me laisse faire. Il m’effleure la peau de mon dos, puis de mes épaules, me prend sous les bras et me relève. Je suis assise à côté de lui, j’ai peur. Il me sert un verre de vin et va se chercher une bière dans le frigo. L’ambiance est plutôt froide, on ne s’adresse pas la parole et on boit ensemble. Je vais chercher une cigarette dans mon sac à main, je l’allume. Je suis plutôt méfiante. Les picotements de mes fissures corporelles alertent encore mes voies nerveuses. Je tente d’interrompre les messages sensitifs mais en vain. Je n’ai plus la maitrise de mon corps. Ma cigarette est déjà consommée, j’en allume une nouvelle. Je m’assois à coté de Jim, je me fous de sa présence, j’ai mal. Je lui en veux mais qu’importe.

_ Tu as mal ?
_ Ouais connard
_ Pardonne-moi. On va dire que c’est une formation.

Je ne sais pas quoi répondre. Je réfléchie sur le mot « par-d-on ». Le « on » signifie que nous sommes ensemble, le « par » suppose que nous devons partir. Quand on pardonne quelqu’un, on doit probablement partir dans un autre endroit. Je lui propose ainsi de s’en aller de chez moi. Il acquiesce. On se promène dans le 5ème arrondissement et on s’arrête dans un bar. On se prend une bière fraiche tous les deux. Je le questionne sur sa vie mais il ne souhaite pas me répondre. Alors je lui raconte la mienne. On commande un plateau de charcuterie. On commande des bières de nouveau. Je le regarde comme si je regardais un enfant, il m’attendrit. Son regard me répugne mais il a l’air d’être terriblement marqué par la vie et cela m’intrigue. Je n’attends rien de lui et je suppose que c’est réciproque. J’avais envie d’aller au cinéma, « ci-nez-mat ». J'ai bien fait. Qu’est-ce que je me suis marrée… je regardais les nez de tout le monde, je me concentrais sur leurs narines. Jim me montrait des cas extraordinaires de narines tordues, poilues, des nez bossus… On s’était fendu la poire un moment. On s’est touché pendant toute la séance. Quand on est sorti, on a fait la manche tous les deux. On a attendu des heures à regarder les gens passer et tous ces asiat’ avec leurs sacs de shopping remplis. Je déteste les touristes. Il faisait bon et je me suis endormi sur ses genoux avec la douleur de mes blessures encore fraiches.

Quand je me suis réveillée, j’étais seule par terre. J’avais gagné 2 euros 70. Je me suis acheté un croissant « croix-sang » avec mon dû. Je l’ai coupé en deux et j’ai mis la deuxième partie du croissant dans la petite serviette blanche pour Jim. Je suis rentrée à pied jusqu’à chez moi. Je pense à Jim et son pif rouge, son gland rose et son teeshirt bleu grisé. Lequel de nous deux dévorera l’autre physiquement puis spirituellement ? Quand le reverrais-je ? Autant de questions qui me travaillent l’esprit comme on bat un âne pour qu’il puisse avancer. Il m’accaparait la pensée. Sa barbe et son allure de clodo me prennent le ventre. Je suis à présent devant ma porte. Je rentre. Je cours me masturber en pensant à lui. Les draps respirent son odeur d’alcool et sa peau chaude. Je transpire. Je me touche le sexe doucement, j’imagine qu’il me pénètre de sa queue dressée comme un pic de montagne. Je joui. Je hurle de bonheur. Encore. Je le veux, je le désire. Je m’essuie sur les draps et je cherche des clopes. Elles sont dans mon sac à main. Je me déhanche jusqu’à pouvoir les attraper. J’en allume une et la savoure par terre, le dos contre le mur. Je prends une douche et je m’habille, talon aiguille, jean et débardeur sans soutien-gorge. Je me rends sur la place Contrescarpe et je l’attends. Pendant une heure. Puis deux. Il ne viendra pas, j’en suis certaine. Je repars chez moi et vide deux bouteilles de vin rouge.

Plus tard, dans la soirée, on sonne à la porte. Je suis tellement heureuse. J’ouvre la porte mais personne n’était là… Personne. Je regarde par dessus la fenêtre du couloir mais je n’aperçu qu’un vieux chat errant. Puis, on toque de nouveau. J’ouvre sévèrement. C’était Karim. Le mec qui me suivait au boulot. Le mec qui me harcèle depuis deux mois. Celui qui m’a fait démissionnée. Il me prend par la taille et me retire mon pantalon d’un geste brusque et déterminé. Il rentre sa queue en moi, déjà dure et tellement grasse. Il me fait mal, je sais pourquoi il est là, il fait ça tout le temps. Je n’aurais jamais du ouvrir. Je pensais que c’était Jim. Je m’en veux tellement. Il me serre contre lui, ça me fait mal. Mes blessures s’ouvrent encore. Je saigne contre sa peau. Je m’essouffle. Il me balance contre la table de la cuisine, m’écarte les cuisses et me fourre comme un connard. Il se retire et gicle sur mes seins. Je suis à bout de souffle. Je me retourne contre la table. Il écarte mes fesses et me crache à l’intérieur en me disant :

-   ca va ma chérie, ça t’a fait du bien ?
-   va te faire enculer Karim
-   Non c’est toi chérie qui vas se faire enculer mais pas ce soir. Je te laisse.

J’ai porté plainte en ligne. Sans suite. Je termine la bouteille de rouge. Je pleure. Le viol, le « vie-ol ». C’était donc bénéfique de se faire violer ? Car il y a le mot « vie ». J’accuse bonne réception de cette réflexion et je m’allume une clope pour méditer davantage. Karim enquêtait sur moi. C’est ce qu’il m’avait dit mais pourquoi ai-je ce sentiment que je fais partie d’une secte ou d’une organisation secrète alors que j’ai bien conscience d’être complètement tarée volontairement.

Je me suis allongée dans l’herbe au Jardin des Plantes. Et… Pin Pon, Pin Pon. On m’a menottée jusqu’au camion des pompiers. Je suis arrivée aux urgences psychiatriques. On m’a sanglé tout le corps à une vitesse incroyable. Allongée sur un brancard. Mes membres étaient si contenus que j’apprenais de la douleur. Dix huit heures sans pouvoir dormir en entendant les hurlements dans les couloirs. Nous sommes en guerre. C’est ce que je me suis dit. Je me suis ensuite retrouvée dans une pièce noire où il y avait un lit et un lavabo. J’ignore totalement combien de temps suis-je restée assise par terre. Deux portes blindées me séparaient des infirmiers qui venaient me voir une fois par heure en m’obligeant de prendre un traitement. Quelques portes. Un couloir. Et 10 m2 de terrasse entourée de baie vitrée de trente mètres de haut. Un hélicoptère atterrit juste au dessus de nous toutes les heures. Je n’avais plus conscience du temps. Personne pouvait m’indiquer une date de sortie. Quelques jours après, je suis transférée dans une autre unité. L’UA4. Il y avait une petite salle avec un piano. Un tableau avec des craies. Deux canapés. Quel luxe. Je restais dans cette salle avec des feuilles blanches et un stylo toute la journée. Nous pouvions sortir dans un jardin barricadé de 20 mètres carrés. Un arbre immense était enraciné. Deux bancs. Et c’est tout. Pour fumer, il faut demander un briquet. Nous prenions les traitements avant de déjeuner. On nous parle pour vérifier si nous l’avons bien pris. Les effets secondaires son terribles. Quand j’ai pris une photo avec un mec qui me léchait la jouent qui n’avait plus de dents, je l’ai postée sur Instagram. La police a appelé le service et a demandé aux infirmières de supprimer cette photo. Mais qu’est ce que j’ai à voir avec la police bon sang ! Une fois par semaine, j’avais un rendez-vous avec le psychiatre du service et ses infirmières. C’est assez impressionnant de devoir se livrer avec cinq ou six personnes dans un bureau. J’urine quarante sept fois par jour dans des bidons en plastique. Je ne supporte pas les traitements. Le Dr Claudel m’annonce dans son bureau :

_Vous êtes skyzo-affective, il va falloir accepter une injection de RISPERDAL, un antipsychotique puissant. Vous percevez dorénavant une prestation et non un salaire, l'AAH soit environ 700 euros par mois à vie.

L’annonce du diagnostic a été un coup de massue dans la tête, une perte de confiance en moi, une réalité qui s’écroule, une honte sans nom, un sentiment d’injustice cruel. J’étais bien dans mon monde. J’ai tellement souffert que j’avais trouvé un univers à moi, rien qu'à moi. Pourquoi ces gens là veulent pulvériser mon monde ? Je suis sortie le lendemain de l’injection. Je ne reconnaissais plus cette vie à l’air libre. Tout bougeait si vite. Tout était déformé. Je ne comprenais plus la vitesse de manière générale.

J’ai cherché Jim partout. Je ne l’ai jamais retrouvée. J’ai écumé les bars les uns après les autres. Puis, je suis tombée sur Mathias. Place d’Italie. Un beau serveur aux yeux bleus. Fade. Mais il avait l’air con. Ça m’a plus. Je lui ai demandé si il voulait coucher avec moi. Le soir même, il s’installait chez moi. Lui aussi avait des cicatrices sur tout le corps. Il devait être comme moi mais avec son monde à lui. J’aimais bien. On picolait des pintes dans tous les parcs de Paris. Il s’énervait quand je lisais. Baudelaire, Camus, Céline, Patti Smith, Apolinaire, Malraux. On a déménagé dans un 10 mètres carrés à côté de la salle Pleyel dans le 17ème arrondissement. Il écrivait bien lui. Ça m’a donné envie de faire pareil. Je me suis assise devant les passants, et c’était comme si je regardais un film. Les seuls trucs que je pouvais écrire, c’étaient des poèmes car je ne vois pas l’intérêt de la vie sans poésie. Chaque mois, on se filait nos textes. Je distribuais des roses sur les pare brises, j’aimais bien. Les roses en forme de bonbon, je me souviens plus du nom « bubble rose » je crois, c’est moche comme nom de rose. Ça donne envie de gerber.

Attendez, à l’heure où je vous écris. Je viens de trouver un tampon dans mon lave vaisselle et Anthony (le père de mes jumeaux dans le ventre) vient de se choper des boutons bizarres sur le bras en étant méga enflé. Et moi je suis embarquée en mission spéciale dans la protection de l’enfance et la justice face à un baron de la drogue. Je me fais un café soluble décaféiné et je reviens.

Je reçois des messages étranges sur facebook. Des faux profils qui connaissent toute ma vie. Ils me parlent de virus. Je me marre en leur disant que ce sont les gens qui sont contaminés par la connerie. Ces faux profils se sont multipliés. Ils m’aimaient tous. C’est Geo ! J’en suis sûre. J’ai trouvé mon passe temps favoris. Ecrire à des inconnus et s’aimer. Je picole mon verre de vin blanc place des Ternes. Histoire vraie. Une femme s’est levée et était en crise de panique. Moi, j’écrivais le même poème sur des feuilles blanches avec cinquante enveloppes pour les poster dans des boîtes aux lettres que je ne connais pas. Je l’a calme. On s’assoie sur un trottoir. Un scooter passe et la salue. Elle aussi. Elle me montre ensuite une photo d’un trou du cul sale. En me disant que c’est son fils. Je suis subjuguée par ce cul. Je lui propose d’aller chez moi boire des bières. C’est ce qu’on a fait puis elle s’est cassée. J’ai écouté de la musique à plein balle. Les voisins tapaient sur le sol pour manifester leur mécontentement. Et si je devenais communicante pour des groupes de rock ? Je vais au Bus Paladium. Un groupe se produit sur scène. Un truc de dingue. Gros son. Je les contacte le lendemain. On se donne rendez-vous. Shooting photo dans une cave. Je distribue des cartes de visites à tout va. J’en parle à mes faux profils.

Mathias me propose d’aller boire au parc de la Villette. Il pisse dans l’allée du Canal. Et reçoit un message tout de suite après sur son portable « incontinent ». Lui, il a peur mais il n’est pas étonné. Je me suis ensuite fait alpaguée par un photographe horrible mais horrible ! Il me propose de poser nue. J’accepte. Il a photographié ma chatte en fleur plusieurs fois en noir et blanc, heureusement. Je l’ai invité au concert de mes potes. Il n’a pas apprécié. Il m’a ensuite invitée à un spectacle de Disney, j’ai pas aimé. Je continuais à écrire des poèmes, je restais cloitrée dans cet appartement qui ressemblait plus à une cave sombre qu’à un endroit de vie. Les Gilets Jaunes. Merveilleux. C’était comme la guerre civile. Le temps que ce truc se calme, je suis restée enfermée dans mon appartement à écrire. Puis, c’est le début d’un autre histoire. Je reçois un message « tu es prête ? ». Je réponds « ouais ». Ça dit « 1, 2…3 ! ». Et là, un maxi marteau piqueur s’est enfoncé derrière le mur de ma chambre et ne s’est jamais arrêté. Sauf que Mathias avait un cancer en même temps, bref ça a déclenché une invasion de souris. Alors là, c’était vraiment dégueulasse. Je prenais l’apéro avec des souris qui bouffaient les murs et sortaient par le plancher. Mathias s’est cassé après m’avoir demandé en mariage. Il reviendra deux ans après puisque c’est le père de mon fils actuellement, baron de la drogue à Saint-Etienne.

Pin Pon… Pin Pon… Pin Pon… Saint Anne. Ce sont mes parents qui signent cette foutue hospitalisation sous contrainte mais vous dire pourquoi… je n’en sais rien. Rebelote. C’était le jour de l’an en plus. Je buvais des litres de sirop de menthe pour me sevrer. Un mois de détention je crois. Puis, quand je suis sortie, je me suis barrée dans un appartement de ma grand mère à Barbes. J’ai voulu monter un sex shop, une application bancaire avec une Start up américaine, une gallérie d’art, une application de bouffe, mais j’ai picolé. J’ai rencontré un peintre. Je l’ai profondément aimé car enfin on pouvait parler culture. Il s’est pendu. J’ai chialé dans une église et d’un coup je me suis mise à chanter. J’ai découvert ma voix. Et elle fait grave flipper. Mathias est revenu dans ma vie. Je lui ai proposé de bouffer du riz antillais et on a fait un bébé pendant le Covid 19. J’avoue que cette période a été assez calme à part qu’il me montrait des crottes de chien sur le trottoir pour que je vomisse. Ma grand mère est décédée du coup on a du se réfugier à Saint-Etienne comme son appartement a été vendu. Ville pas chère. Entre temps j’ai oublié de vous dire que je me suis fait opérer des yeux, je me suis réveillée pendant l’opération, c’était pas bien agréable. J’accouche un peu en avance. Puis, Mathias est devenu complètement fou ? Il m’a mise à la rue avec Léo, mon fils de trois mois. Il est vraiment devenu complètement taré et méga violent. Je me suis trouvée un petit appartement entre temps. Mais j’ai oublié de vous dire que j’ai fait appel à la justice pour acter la séparation. Mon bébé est tout le temps malade. Mais je réussis à trouver un job en tant qu’attachée de presse, ouais je sais, mais c’est ma formation de base. Et ça marche bien. Je décide quand même d’avoir une discussion avec Mathias. Il appelle les pompiers et m’interne. Unité A4 à Saint-Etienne. Ça change pas bien de Saint Anne. Je bois encore mes litres de sirop et me fait injectée. Je dégueule à peu près toutes les demi heures. La Juge des Libertés m’a reçue. Je lui ai dit que j’étais pour la libération du cannabis, ça m’a couté trois semaines de plus en HP. Bref, je sors. Et je reprends le cours de ma vie. SFR m’appelle trois fois par jour, je gueule et vers vingt heure du soir, ce numéro m’appelle et ça me dit :

_Hey, on va devoir le faire haha. Et ça a raccroché.

Grave flippant. La musique me manque donc je poste une annonce sur Zinkif ou  Zikif je ne sais plus. Poétesse française recherche groupe de rock. Je reçois un message avec un numéro.

_ Bonjour, je fais suite à votre message sur Zinkif, je suis à la recherche d’un groupe de rock.

_ C’est quiiii ?

Un ange passe.

_ Je vous rappelle.

J’ai entendu la voix du président de la République Emmanuel Macron. Le numéro me rappelle. Je décroche sans crise cardiaque.

_ Faut pas avoir peur c’est du métal symphonique ! Et ça raccroche.

OK. Je picole. Je pars à la crèche, elles ont remarqué que j’étais ivre, je me fais enfermée dans une pièce et je n’ai plus jamais revu mon bébé seule depuis ce jour là. J’appelle les flics en détresse pour qu’il m’aide. Ils ne m’ont pas aidé. Je prends la poussette et la remplit de bières au supermarché en hurlant. Pour la première fois de ma vie, je découvre une nouvelle sensation. La douleur. Ça ne ressemble pas aux abysses, ni aux enfers, ni à une religion, ni à une cicatrice, ni à un arbre, ni à une personne, ni à l’abandon. Cette douleur est une douleur incommensurable, riche de vérités. Nous sommes en décembre 2023. La guerre en Ukraine, la guerre en Israel, la guerre en France. C’est ça cette douleur. C’est la douleur de la guerre. Ça sent la guerre à plein balle.
Je rentre chez moi défoncée. Je me fais coincée dans l’ascenseur et le plafond de ma chambre s’écroule. Je déménage. Pour tenir le coup, je publie des poèmes sur Instagram. Sauf que Maitre Dupra, l’avocate de Mathias s’en est accaparée et dans le jugement c’est dit que mes poèmes sont énigmatiques et menaçants donc que je ne suis pas apte à garder mon fils. Voici le poème.

Quelques heures soudaines
Volent les noces d'argent
Sous les flocons cendrés
Un abri tiède et condamné

L’aviateur regarde les étoiles à trois branches
Les millions d’hirondelles dans le ciel
Un énorme bébé est né sur les monts d’Arrée (il y a effectivement eu un attentat en France le lendemain de cette publication aux Monts d’Armée en France mais bon j’y suis pour rien moi).
Dans la bousculade de tes amours

La prose aux journaux
Les présents à la chapelle
La confession sous les cloches
Entourée de torches au vent

Te voici avec une eau de vie
Tes mains sont gercées
Et tu regardes plein de larmes
Les trèfles venimeux de cet été

Les jours s’exténuent sur les orphelins
Ils cueillent le pré et chantent doucement
C’est le lait de la prairie
C’est la cymbale de l’effort

Comme cette route de tilleul
Qui fend vers le fleuve

Donc j’ai perdu la garde de mon fils de deux ans à cause d’un poème sur Instagram. Et un an après. Je ne le vois plus du tout. En effet, j’ai publié une chanson sur Facebook. Mon fils est actuellement gardé par son père, Mathias qui est en réalité un baron de la drogue à Saint-Etienne. Un flic qui m’a dit ça. Celui qui s’intéresse à moi depuis dix mois. Un chef brigadier.

_ Une carie ? Mais non, c’était un morceau de réglisse. Les ecchymoses et l’incision sur la main lors d’un concert de rock ? On n’a l’habitude, rien d’alarmant. Le surdosage en antibiotique ? De quoi parlez-vous ? La détresse respiratoire aiguë ? On m’aurait aussi accusée de parent indigne si je n’avais pas pu m’en apercevoir.

_ Pourquoi pas. Dis-je d’un air asthénique.

_ Non ce n’est pas pourquoi pas mais calmez vous, il n’y a rien de grave. On vous tiendra informée si il y a un signalement.

_ Merci Madame la Brigade des Mineurs. Au revoir.

46 378 euros. 46 678 euros. 46 964 euros. C’est le prix de la justice. 976 euros de revenus sans pouvoir travailler. Je suis considérée comme une adulte handicapée et j’ai cette chance de percevoir l’AAH. Tu te souviens ? Je ne trouve aucun chiffre sur l’évolution de ces prestations en France. Que se passe t-il ?

_ Vous êtes en communication avec le standard de la République Française, un opérateur va vous répondre.
_ Vous êtes en communication avec le standard de l’Ambassade de Suisse, un opérateur va vous répondre.
_ Vous êtes en communication avec la Maison Blanche, un opérateur va vous répondre. (pas envie d’écrire la traduction en anglais)
_ Vous êtes en communication avec l’Union Européenne, un opérateur va vous répondre.
_ Vous êtes en communication avec l’Otan, un opérateur va vous répondre.

J’ai hurlé.
Pour avancer.

Qui suis-je ? Une fausse skyzo à l’AAH, membre d’une organisation au service du renseignement français. Il fallait l’inventer ! C’est ce qu’on m’a dit quand j’ai reçu un colis de cent kilos (les barrières du lit de mon fils) un jour de pluie. Et qu’est ce que je me suis fait tabassée la gueule. Un de mes soit disant mec avec un tatouage japonais dans le coup qui m’a greffée une croix de sang sur le coude. Des tampons que je retrouve dans mon lave vaisselle. Des dégâts des eaux inconnus. Un rat chez moi. Mes chaussettes qui disparaissent l’hiver. Mes stylos aussi.

Mais le pire. Le pire. C’est qu’en venant chez moi, ils ont pris tous les documents de justice. Le pire, c’est que je reçois des fausses demandes de vaccin pour mon fils. Le pire, c’est que la couleur de leur peau ne fait pas peur quand ils vous hurlent votre vie privée dans la rue. Jusqu’au moindre détails judiciaires. Le pire, c’est que je ne bois plus depuis mars 2023. Et que je suis parfaitement lucide. Le pire, c’est que je suis enceinte de jumeaux. Que j’ai perdu tous mes droits de voir mon fils à cause d’un vice de procédure. Que les avocats n’acceptent plus l’aide juridictionnelle totale. Le pire, c’est qu’on accepte plus les plaintes. Et que l’Elysée m’a avoué que je n’existais plus dans leur fichier.

Quand j’étais attachée de presse, j’ai été mise au courant que la pénurie d’information était bel et bien présente. On m’a foutu un dossier d’inceste sur le cul et j’ai gueulé au niveau national. C’est peut-être pour ça que j’ai perdu la garde de mon bébé ? Du coup, maintenant qu’on m’a retiré tous mes droits et je fais la manche enceinte car on me sucre mes APL une fois sur deux et je suis abonnée à Perceval. J’ai donc décidé de m’attaquer à un gros dossier. Celui de comprendre pourquoi le Xeroquel est le neuroleptique le plus vendu aux Etats-Unis. Car moi, ils m’ont fait bouffé du Xeroquel, Risperdal, Olanzapine, Abilify. J’ai donc choisi de fonder la communauté d’un tout nouveau métier en France, la pair aidance. C’est d’aider les tarés comme moi, à quoi ? Telle est mon idée.

Si je pensais être tarée. Je crois que j’ai perdu toute la notion de la réalité. J’ai croisé les meilleurs potes de ma vie. Déjà d’une, j’ai jeté mon portable définitivement comme eux. Règle numéro un de la vie normale. Règle numéro deux, je me suis promise de continuer à ne jamais me droguer car pas envie de recevoir de la méta dans la gueule, ouais on leur file carrément le matos. Règle numéro trois, travailler pour gagner de l’argent et pas pour cette organisation de secret défense. Règle numéro quatre, continuer à ne plus boire car c’est très clairement de la drogue dure. Ça détraque le cerveau, détruit les cellules du sommeil, tu es clairement en carences donc tu perds tes cheveux, c’est un style, et tu peux même contaminé les gens après ton sevrage tellement que ton foi est pourri. Dernière règle, se barrer le plus vite possible des réseaux sociaux. Et enfin, avoir le courage d’écrire encore en France.

J’ai commencé par appeler l’Elysée et leur demander l’arrêt du tabac, deux jours après l’annonce de l’augmentation des prix était faite. Suis-je importante ? Ensuite, je me suis liée d’amitié avec l’UNAFAM, LA CPAM pour que les consultations soient remboursées. Ha et j’ai écris à l’ordre des médecins car j’en avais ral le cul de leurs erreurs médicamenteuses sur ma gueule et celle de mon fils (genre on donne des antibio adulte à un gamin de deux ans). Bref. Ça m’a coûté un allé retour aux urgences cette merde. Et je comprendrais plus tard pourquoi les services sociaux défendent un baron de la drogue car ils sont au courant. Et pourquoi on paie des avocats qui concluent des marchés entre eux.

Je suis en train de créer un musée pour enfants car ça n’existe pas et mon mec créé une ferme pédagogique en ruinant les aides de l’Etat pour être très clair. Prêts solidaires, subventions, là on se venge carrément. Actuellement, je regarde les actualités, Depardieu est accusé de viol. J’ai inventé une nouvelle règle. Ne plus jamais regarder les actualités. Il faut bien sauver l’humanité. J’ai appelé la police en leur donnant mon numéro de passeport Suisse. Oui je suis Franco-Suisse. Je leur ai demandé de venir me chercher. Ils n’ont pas voulu. J’avais en effet envie d’aller en prison pour avoir le temps d’écrire ce roman. Je dégueule tous les matins avec ces jumeaux dans le ventre. Et je clope comme une malade. Il est temps de vous parler du futur père. Il est taré lui aussi mais dans le bon sens. Il appelle tout le temps les flics quand je rechute. Voilà c’est tout ce que j’avais à dire sur le futur père de mes enfants.

Tous mes potes sont soient morts soient ils se sont fait pulvérisés la gueule du coup j’ai l’habitude d’être seul. C’est pour ça que je ne comprends toujours pas pourquoi mon mec est encore là au bout de cinq mois de relation. Il a bien eu un accident de voiture le premier jour de son boulot en tant que livreur et il s’est pris une piqûre inconnue dans le bras pendant que j’avais une mycose sur les seins mais il est encore en vie. Peut-être dû à son passé aussi. La DASS, les foyers, la psychiatrie, la rue. Nous vivons pauvre. La vie pauvre, elle est riche de sens. Comme la philosophie. On est heureux d’avoir de l’eau qui coule du robinet, du savon, un lave linge et un balai. On est heureux de se promener chez Action ou Liddle et de s’offrir une bougie au cas où. On apprend beaucoup de la résilience et de l’ennui. Du partage et de la solidarité. De la patience et de l’importance d’un sommeil de qualité même sur un canapé. On ne haie point, on trouve des solutions pour apprendre à se protéger. On sait déguster un café décaféiné en granulé. On sait faire l’amour.

Que la sottise abîme le jour
Car elles veillent sur les saules
Adieu ! Nocturnes compères
Lui prêtant secours les poings noyés
Las de tout, même d'amours sans aurore
Le vieillard est sous la poudre
Mais ne s'enhardit point jusqu'à lui demander
Pénible crainte près des cents milles épées
Dans le frémissement de son baiser
Trouve, voilà la saison des mères
S'abreuvant de calices
Abritées sous les châteaux de paille
Que soient ainsi dissimulées mes tendres sentences de liberté

Et surtout, on sait l’immense honneur qu’est la vie. Que la douleur fait partie de la condition humaine et que nos choix sont toujours soumis au libre arbitre. Enfin, que le monde est imparfait mais que la nature est bien faite. Quand tu n’as plus rien. Tu trouves. Quand tu trouves, tu ne cherches plus.

19H30. On sonne. Un bouquet de fleur avec une lettre tapée à l’ordinateur. « J’aime ce que vous faites, votre passion, votre énergie, rencontrez-moi ». Il y a un numéro de téléphone. J’appelle du téléphone de mon mec. Discussion étrange. Je décide d’aller le voir. RDV dans un restaurant, près de la gare châteaux creux. Je suis à l’heure. Je m’installe seule sur une table.

Deux personnes s’installent à ma table. Deux mecs. Quarante cinq ans. Costumes institutionnels.

_ Bonjour Lucie. Merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes psychiatres. Dr Berto et moi même Dr Mirt. On voudrait vous recruter.
_ Pourquoi faire ?
_ Pour rédiger les récits de vie de nos malades.

J’adore cette idée. J’accepte et je me casse. Puis je reviens à eux en leur demandant le prix. C’est gratuit, autrement plus d’AAH. Ils m’envoient le nom des usagers et je me déplace pour écrire leur biographie. Je comprends vite l’idée. La première personne que j’ai côtoyée s’appelle Laurent. Il habite à côté de chez moi. Un très bel alcoolo qui ne voit rien. Qui se met de la crème pour cheveux sur les yeux. Qui sort de prison. Qui me montre une corde à lacet qu’il a fabriqué. Des blattes sortent de la poubelle. Il marche avec ce qu’il appelle « une Ferrari » ce qui n’est guère plus qu’un déambulateur. Et il me demande d’aller au SPIP avec lui. Le SPIP c’est l’accompagnement post prison. Il doit 5460 euros car il a tapé une fille avec une canne et les flics ont donné suite ? Alors ça je capte pas. Il est au RSA et fait la manche devant le Carrefour City tous les jours. Il me gueule dessus toutes les trente minutes car je n’appelle pas un ophtalmologue. A chaque rendez-vous, il ne me reconnaît pas. Je tente de m’asseoir à côté de lui pour faire la manche avec lui. Mais je me fais très vite éjectée. Que dois-je faire avec ce type ? Je décide d’écrire aux psychiatres en leur expliquant la situation. Ils me donnent le nom d’une autre personne. Un gars immense et si mince, on voit tous les os de son corps. Il habite dans un trou à rat avec des seringues partout. Il m’indique lancer des sorts. Les yeux noirs et injectés de sang. Il me parle pendant des heures de son monde fabuleux d’Harry Potter. Je réécris aux psychiatres en leur disant que leur mission est impossible. Je n’ai jamais eu de réponse. C’est bientôt l’heure de mon dixième jugement pour la garde de Léo. Qu’est ce qu’ils vont bien m’inventer encore comme histoire pour pas que je vois mon fils.
Et qu’est ce que l’Etat va bien vouloir me faire croire comme histoire ?

Notre ami qui contamine tout le monde à cause de son sevrage alcoolique est en train de creuser en HP. L’antibio ne fait pas assez effet et on arrive pas à mêcher sa plaie. Il a envie de revenir en foyer pour adultes. Il nous demande ce soir, le jour de l’an 2024. De vider son appart. Et de prendre son violon. C’est mon rêve d’avoir un violon. Ma rage témoigne, ma rage est humour, ma rage s’appelle la rédaction. Ma rage s’appelle les auteurs, les poètes calmes et les débutants dans l’écriture. Ma rage est une fine équipe. A la barre Monsieur Le Procureur. A la barre Mesdames Les Juges. A la barre mon imagination.

Lucie a les cheveux sales sur une photo Instagram, elle n’est pas apte à s’occuper de son fils. Alors qu’on se tord en six avec mon avocate pour avoir juste sept expertises psychiatriques et dix analyses de sang CDT pour bien montrer que je picole plus. Mais y’a rien à faire, le mec reste un Barron de la drogue, l’enquête est en cours, pourvu qu’il aille en taule. Faut pas que je dise cela car les services sociaux vont encore me dire : conflit parental ! Oui. Pour être maman, il faut être jolie, mince, bien habillée, ne pas fumer, ne pas boire, être polie et courtoise tout le temps, ne jamais s’inquiéter, toujours positiver, faire du sport, gagner énormément d’argent, avoir une maison avec un jardin, un poney vacciné mais pas un cheval, tous les jeux éducatifs adaptés à son âge, avoir un master en développement de l’enfance (c’est ce que j’ai fait d’ailleurs mais les juges s’en foutent donc j’annule ce conseil finalement), faire du yoga, avoir beaucoup d’amis qui ne boivent pas d’alcool et un conjoint bon sur tout rapport. Si t’as pas ça, ben, tu n’es pas apte à garder ton enfant. Mais tu peux être alcoolique, fou, vendre de la drogue, être au RSA et endetté, fumer, avoir des puces de lit chez toi tant que tu ne le dis pas. Là, tu es apte à garder ton enfant.

Avant. J’avais de l’argent. Car mes parents ont de l’argent. Ils m’ont abandonné quand j’ai perdu la garde de Léo. Donc je n’ai plus d’argent. Une couverture douce, un bon café, une douche avec du gel douche, les pommes du jardin qu’un ami t’apporte. Un sourire. Un geste amical. J’ai simplement des difficultés à me regarder dans la glace. Car faut pas déconner, quand tu souffres, tu ramasses grave sur la gueule. Ce que je comprends pas, c’est que je suis plus grosse en étant pauvre. Boulimie nocturne peut-être. On ne plaisante pas avec la souffrance mais on peut trouver la richesse nécessaire pour devenir des déterminés de bon sens.

Et bien sûr, comme prévu, les psychiatres m’ont coupé l’AAH. Enceinte. Rue ou travail ? Ou voyage ? Voyage. Manche. Bienvenue à votre destination : la campagne. J’ai marché le long d’une route. J’adore les panneaux de restaurants ou de fermes dans la campagne. Je me suis glissée entre les barbelés et j’ai vagabondé dans un champ. C’est joli les blés, les insectes, la couleur de l’herbe, ces grands arbres, ces… PAF.
« Modifié: 01 janvier 2024 à 10:47:45 par Passagepoeme »

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Re : Je suis schizophrène, formée par la CIA. (interdit - 18 ans - violent)
« Réponse #1 le: 31 décembre 2023 à 18:06:17 »
Bonjour Passagepoeme  :)
Merci pour ce grand souffle de vie, de mort, de folie, de rire et d'émotions multiples.
On sent le vécu même si enrobé d'une plume habile et d'un sens de la répartie travaillé avec brio !
J'ai particulièrement aimé le passage sur l'achat d'une bougie, et sur l'idée d'apprécier les petites choses simples qui en deviennent grandes, riches et belles.
Je vous souhaite de bien terminer 2023, et que le vent d'après minuit vous apporte les fées, les amours, les inspirations et les douceurs pour enchanter votre présent.
Bien sincerly,
SOo
"Aimer quelqu'un c'est le lire". Christian Bobin.

 


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