Le Monde de L'Écriture

Encore plus loin dans l'écriture ! => Textes non francophones => Traductions => Discussion démarrée par: Maroti le 01 octobre 2019 à 11:01:01

Titre: The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 01 octobre 2019 à 11:01:01
(https://www.royalroadcdn.com/pirateaba/the-wandering-inn-full-ACDGlEOMpQk.jpg)

Une auberge est un lieu de repos, un lieu où l'on peut discuter et partager des histoires. Où un lieu pour trouver l'aventure, un point de départ pour les légendes en devenir.
Du moins, c'est le cas dans ce monde. Pour Erin Solstice, une auberge est plus une relique du Moyen-Age. Mais c'est sa vie désormais, fuyant des gobelins et tentant de survivre dans un monde de monstre et de magie. Elle serait surement plus enthousiaste si tout n'essayait pas de la tuer.
Mais elle est tombée sur une auberge, alors elle doit faire avec. Devenant une aubergiste servant les aventuriers et les monstres...
Enfin surtout les monstres. Mais il faut bien gagner sa croûte, n'est-ce pas?
Ceci est l'histoire de l'Auberge Vagabonde.

Quelques informations complémentaires sur le sujet.

Ceci est la fan-traduction de the Wandering Inn, une histoire écrite par Piratebea. Toutes l'oeuvre que vous vous apprêtez à lire est donc une traduction, autorisé par l'auteur, dont le but principal est de partager ma passion pour son roman, d’entraîner mon anglais, et d'avoir un projet à présenter à la fin de mon année en tant qu'étudiant Erasmus. Ceci est un projet à but non lucratif, accessible à tous et dont le but est de vous faire découvrir la fantastique pépite de fantasy qu'est cette histoire.

Sur ceux, bonne lecture!

[Edit]: Depuis le 28/03/2020, EllieVia rejoint le projet de traduction de The Wandering Inn, elle avait aussi commencé sa traduction en parallèle, et nous avons décider de joindre nos projets! A partir d'aujourd'hui, et pour ne pas perdre une partie de l'excellent travail qu'elle a fourni, tous les chapitres existant de Ryoka seront remplacé par les siens!

De plus, plusieurs termes importants ont été revus et changés, et la liste complète sera postée sur le post du chapitre 1.28!

Un grand merci à EllieVia de me rejoindre dans ce projet! =D

OoOoOoOoOoOoO
1.00
[/b]

L’auberge était sombre et vide. Elle se dressait,  silencieuse, sur une colline recouverte de verdure entourée de ruines. La pourriture et le temps avaient abattu les autres bâtisses ; les intempéries et l’écosystème avaient réduit les fondations de pierres en miettes et les murs de bois étaient devenus un amas de planches pourries mélangées au sol. Mais l’auberge tenait toujours debout.

Elle attendait. Pas de manière consciente ou réfléchie, mais à la manière dont tous les bâtiments attendent. Elle attendait que quelqu’un la trouve.  N’était-ce pas là le but d’une auberge ? Et quelqu’un, en effet, finit par la trouver.

Une jeune femme trébucha à travers les hautes herbes, gravissant la colline. Ses jambes tremblaient et elle luttait pour respirer. Ses poumons la brûlaient. Son bras droit était brûlé, de la fumée continuait de s’échapper des restes calcinés de son épaule, et ses jambes saignaient. Plusieurs entailles, peu profondes, avaient déchiré l’arrière de son pantalon.

Mais elle continuait d’escalader la colline, parce qu’une auberge se trouvait là. Après tout, il n’y avait pas d’erreur possible. Malgré les années, le bâtiment se tenait au milieu des ruines, en majeure partie épargné par le passage du temps. La construction de l’auberge devait avoir été réalisée avec plus de soin que les autres bâtiments, ou alors quelque chose d’autre – encore – l’avait maintenue.
Dans tous les cas, ce n’était pas ce qui avait attiré la jeune femme jusqu’à l’auberge.

Ce n’était qu’une simple pensée.

Une auberge, dans tous les mondes, est comme un symbole. Elle est autant un lieu pour faire des rencontres et se reposer qu’un lieu crucial où des quêtes épiques pourraient commencer. L’âtre d’une auberge et le doux feu qui y brûlait la nuit était un phare pour les épuisés, les affamés et les désespérés. Mais cette auberge était sombre.

L’enseigne de l’auberge était vermoulue, et le temps avait effacé le nom qui s’y trouvait depuis bien des années. Les fenêtres étaient ternes et fermées, mais la jeune femme, la vagabonde, n’avait nul autre endroit où aller. Lentement, avec hésitation, elle tituba vers la porte et tira sur l’humble poignée.

Rien ne se passa.

Après un court instant, elle poussa la poignée et la porte s’ouvrit en grinçant. Prenant son courage à deux mains, la jeune femme jeta un œil dans la pièce sombre qui se trouvait devant elle. Son instinct lui disait qu’il s’agissait d’une salle commune, un lieu où les repas et les boissons étaient normalement servis. Cependant, l’auberge était déserte depuis bien longtemps et une épaisse couche de poussière s’était accumulée dans chaque recoin.

« Bien sûr qu’elle est  vide. »

L’intruse soupira et s’appuya contre l’encadrement de la porte, épuisée. Elle reposa son front contre l’un de ses bras, grimaçant alors que ses brûlures et coupures la faisaient souffrir. Elle luttait pour ne pas pleurer. Elle s’était doutée que l’auberge serait probablement déserte quand elle l’avait vue au loin. Elle s’en doutait, mais elle avait espéré que…

« Depuis que je suis arrivée dans ce monde, tout va de travers, n’est-ce pas ? »

Lentement, elle se redressa et s’aventura dans la pièce. L’auberge, imposante et lugubre, absorbait le bruit de ses pas. Elle avait été construite pour accueillir un grand nombre de personnes, et la nuit la rendait caverneuse. La jeune femme avait l’impression que le bâtiment pourrait l’avaler, mais y avait-il un autre endroit où se réfugier ?

À l’intérieur, les ténèbres. À l’extérieur, pire encore. Il y avait des choses à l’extérieur. Des monstres. Elle les avait vus. Des monstres, et un monde inconnu. Un monde qui n’était pas le sien.
Lentement, la jeune fille marcha jusqu’à une chaise et s’écroula dessus. Un nuage de fumée s’en échappa et elle commença à tousser. La poussière était omniprésente. Mais elle était fatiguée, tellement fatiguée. Et même si elle était vide,  abandonnée et déprimante, l’auberge continuait de l’appeler. Ses murs offraient un peu de sécurité. Alors la jeune femme resta assise et ferma les yeux pendant un instant.

Il commençait à pleuvoir à l’extérieur. Une forte et froide pluie qui s’écrasait contre le toit et s’immisçait à travers les fissures. Tapant, gouttant. Les yeux de la jeune femme s’ouvrirent légèrement alors que le battement se transformait en un rugissement. La pluie se changea en tempête. C’était au moins un problème d’évité.

C’était apaisant. La jeune femme s’installa et la douleur de ses blessures, l’espace d’un instant, s’amenuisa.  La pluie devint un bruit de fond alors qu’elle se détendait pour la première fois depuis ce qui lui semblait être une éternité. Elle décida qu’elle allait se reposer ici, au moins pour commencer. Mais une sensation commença à la déranger, Quelque chose qu’elle ne pouvait dire que maintenant, en sécurité. Alors elle ouvrit les yeux et s’adressa à la pièce vide.

« J’ai super faim. »

Et c’est ainsi que la légendaire histoire de l’Auberge Vagabonde commença.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 01 octobre 2019 à 20:11:24
1.01

Après quelques minutes, la vagabonde se leva. Enfin, elle n’était pas réellement une vagabonde. Elle n’avait pas prévu de voyager cette nuit. La jeune femme fronça les sourcils avant de passer une main sur son visage. Elle était sur la route des toilettes et… avait dû prendre le mauvais chemin quelque part.

Un très mauvais chemin, car elle n’avait jamais atteint le réconfortant siège de porcelaine et s’était soudainement retrouvée dans une cave, face à face avec un…

Un Dragon.

La jeune femme sursauta, son cœur battant la chamade. Elle regarda autour d’elle avant de se rappeler qu’elle était dans l’auberge. Mais le souvenir était vif, et son bras brûlé… Elle le toucha et grimaça.

« Ce n’est pas un rêve. »

Mais elle avait l’impression que c’en était un. Elle semblait être dans un rêve, car cela serait bien plus facile à expliquer que la réalité. La réticente vagabonde prit une grande inspiration, puis une  seconde, avant de tousser.

« C’est poussiéreux. Ahem ! »

Elle tentait de rationaliser ce qui était en train d’arriver. Commençons par le commencement.

« Qui suis-je ? Je suis Erin. C’est bon ! Nous sommes sur la bonne voie. »

Elle sourit de manière hésitante. Oui, son nom était Erin. Erin Solstice. Ce n’était pas un nom facile à oublier, et même si c’était son nom, elle avait quelques objections à son sujet. Par exemple, Erin pouvait être un nom de garçon, et elle était une fille. Du moins, elle avait été une fille. Erin se tâta en fronçant les sourcils.

« Ouaip, toujours une fille. Ravie de voir que cela n’a pas changé. Maintenant … Qu’est-ce que j’ai sur moi ? »

Elle touchait ses poches. Elle avait… Deux poches vides. Fantastique. Erin avait espéré que son téléphone serait avec elle, mais qui prend son portable pour aller aux  toilettes ?

« N’importe qui de sensé, faut croire que je n’en fais pas partie »

La plupart des gens commençaient leurs voyages avec une bonne préparation. Si Erin avait été mise au courant qu’elle allait se retrouver dans ce monde, elle aurait préparé un sac à dos rempli à ras bord de ce qui était essentiel. Puis elle aurait rajouté un pistolet. Pour combattre les petits hommes verts. Mais elle n’avait nullement préparé cette aventure. Elle n’avait pas eu la moindre idée de ce qui allait lui arriver.

Comment quelqu’un pouvait voyager jusqu’à un nouveau monde, jusqu’à un autre… Un autre lieu ? Erin fronçait les sourcils en pensant à sa situation. Ce n’était clairement pas une réalité virtuelle, elle n’avait aucun souvenir de s’être fait kidnapper ou d’avoir consommé de la drogue, et elle était pratiquement certaine qu’elle n’était pas folle… Même si sa situation actuelle la faisait légèrement douter. Mais si toutes les solutions logiques, dignes du monde réel, n’étaient pas applicables, la seule solution restante était…

De la magie. Erin ne croyait habituellement pas en la magie, mais sa rencontre avec un Dragon il y a moins d’une heure avait rapidement changé son regard sur l’existence du fantastique. Cependant… il n’y avait pas eu de portail pour l’invoquer, pas de rituel mystique ou d’impression de marcher dans du vide.  Bon sang, il n’y avait même pas eu de ding bruyant pour lui indiquer que quelque chose venait d’arriver.

« Je voulais juste aller aux toilettes. »

Elle n’avait pas ouvert la mauvaise porte ni n’était rentrée dans son armoire. Erin mit sa tête entre ses mains. C’était impossible. Elle était en train de devenir folle. Non, elle était déjà folle et cette auberge était l’image mentale qu’elle se faisait de la chambre capitonnée dans laquelle on l’avait enfermée. C’était aussi plausible que le reste.  

Cependant, si elle était folle, cela voulait dire qu’elle était assise dans son propre espace mental. Alors Erin regarda les alentours avec précaution. Une auberge était un endroit bien étrange. Erin n’avait jamais mis les pieds dans une auberge… Ni dans un bâtiment entièrement fait de bois. Mais elle en était là. Des murs de bois, des poutres en bois au plafond, des escaliers de bois qui menaient à l’étage…

« Est-ce que je suis dans un monde médiéval ? Ou une sorte de monde fantastique ? »

L’angoissant état d’abandon de l’auberge sauta au visage d’Erin alors qu’elle regardait autour d’elle. Au début, elle avait été pathétiquement reconnaissante d’apercevoir un bâtiment dans les prairies vallonnées dans lesquelles elle s’était retrouvée. Elle avait foncé vers l’auberge sans réfléchir. Mais maintenant qu’elle était à l’intérieur, Erin n’était pas à l’aise.

C’était tellement vide. Vide et poussiéreux. Vraiment poussiéreux.  La pièce centrale avait beau être grande et spacieuse, la présence des tables et des chaises l’étrécissait. Un long comptoir au fond de l’auberge lui donnait l’impression qu’elle était dans un bar. Elle sentait qu’un barman aurait dû se trouver derrière ce comptoir, nettoyant un verre et lui servant une délicieuse boisson rafraîchissante…

Erin soupira et se gifla doucement le visage. Elle avait soif, et faim. Il était temps de penser à autre chose. Elle prit une grande inspiration et toussa, avant d’éternuer.
« C’est dégoûtant ici ! Quelqu’un devrait passer un coup de balai ! »
Elle fit une pause, et après une poignée de secondes, Erin regarda autour d’elle.

« … Je suppose que je suis cette personne. »

Il n’y avait pas beaucoup de confiance dans ses mots. Pourquoi s’embêter à nettoyer un lieu aussi décrépit ? D’un autre côté, c’était tellement poussiéreux qu’Erin était certaine que la moindre tentative de dormir ici se solderait par sa mort via asphyxie ou par une violente crise de toux en plein milieu de la nuit. De plus, il serait appréciable de ne pas soulever un nuage de poussière à chaque fois qu’elle s’asseyait.

« Et puis, c’est un bon coin pour se reposer. S’il n’y a personne ici, je serai peut-être capable de… »

De faire quoi ? Se cacher ? Vivre ici ? Qu’est-ce qu’est ‘ici’ exactement et qu’est-ce qui se passe ?

Erin tentait de ne pas paniquer alors que l’incertitude serrait son cœur. Elle ne pouvait pas paniquer, pas maintenant.  Elle était terrifiée, c’était indéniable, mais son instinct lui disait que paniquer n’était pas une option. Il n’y avait personne pour l’aider, elle était perdue et seule… La panique était un luxe qu’elle ne pouvait pas se permettre.

Alors Erin s’accrocha à la seule vérité qui était encore indéniable.  Si une pièce était sale, c’est que cette dernière ne devrait probablement pas l’être. Elle décida alors de la nettoyer, et prit sa première décision depuis son arrivée dans ce monde. C’était une simple tâche, une humble ambition :
Trouver un chiffon.

Clairement, ce n’était pas la plus impressionnante des décisions, mais l’intégralité du plan d’Erin était basée sur cette simple tâche. Premièrement elle allait trouver un chiffon, puis elle allait trouver un seau. Et puis, s’il n’y avait pas de seau, elle pouvait toujours aller dehors et mouiller le chiffon avec la pluie. Après ça, elle pouvait nettoyer quelques tables et puis elle allait trouver une serpillière…
Le premier endroit où Erin chercha fut derrière le bar. C’était un début prometteur, mais elle ne trouva que plus de poussière et des toiles d’araignées.

« Zut. »

Puis, elle regarda derrière le bar et trouva que ce dernier donnait accès à une cuisine. Elle remarqua plusieurs poêles, vieilles et rouillées, ainsi que plusieurs casseroles et même le précieux seau, mais pas de chiffon.

« Double zut. »

Se sentant de plus en plus désespérée, Erin s’empara du seau et le posa à l’extérieur, le laissant se remplir d’eau avant de retourner dans la salle commune. Bien, il ne restait plus que l’étage.
Le très sombre escalier toisait Erin alors qu’elle posa son pied sur la première marche. La jeune femme leva la tête et déglutit. À cause de la taille du rez-de-chaussée, le premier étage était assez haut et l’escalier était… De mauvais augure.  Il ressemblait aux os d’une sorte de gigantesque monstre tapi dans les ténèbres.

Avec précaution, Erin monta les escaliers. C’était comme si chaque marche grinçait et grognait bruyamment dès qu’elle posait le pied sur l’une d’entre elles, et le bruit résonnait dans l’auberge.  Pour Erin, c’était comme marcher sur des mines… Chaque craquement était assourdissant et faisait tambouriner son cœur dans sa poitrine.

« Courage. Courage. Tu peux le faire. »

Murmurant pour elle-même, Erin  garda sa voix basse pour ne pas… Pour ne pas réveiller ce qui pouvait se trouver en haut.  Son cœur manqua un battement à cette idée, et elle s’arrêta à mi-chemin, tremblant légèrement
.
« C’est stupide. Il n’y a rien en haut. Rien ! »

Elle fit une pause.

« D’accord, peut-être qu’il y a quelque chose.  Je ne sais pas.  Il pourrait y avoir… Plus de ces Gobelins ? Mais il n’y a pas de Dragon ? Bien sûr qu’il n’y a pas de Dragon! Ne sois pas stupide. »

Une légère hésitation. Un nouveau pas.

« Mais un Dragon pourrait se cacher en haut. »

Erin fit un pas en arrière. L’escalier grinça. Elle se réprimanda alors que son cœur tambourinait douloureusement dans sa poitrine.

« Ne sois pas stupide.  Un Dragon est bien trop grand pour tenir là-haut.  Mais des Gobelins ? »

Elle s’arrêta et frissonna à cette idée. Le Dragon était une chose. Sa main toucha les brûlures sur son épaule droite et elle se mordit la lèvre pour lutter contre la douleur. Puis la douleur causée par les coupures sur l’arrière de ses jambes se fit plus sévère et elle se rappela.  Le Dragon l’avait brûlée et elle avait fui en hurlant. Elle avait couru, encore et encore,  avant d’être trouvée par les petits hommes verts qui l’avaient pourchassée.

Elle parlait de Gobelins, pas d’extra-terrestres. En fait, les extra-terrestres auraient été préférables, car ils avaient l’avantage de ne pas vous poignarder avec des couteaux.

« Ou peut-être qu’ils le font. »

Avec un rire nerveux, Erin regarda l’étage. Les ténèbres semblaient l’attendre. De longues ombres transformaient le vieux bois en quelque chose de plus sinistre. Mais ce n’était qu’une illusion, un piège de son esprit. Elle savait qu’il n’y avait probablement rien en haut. Car si c’était le cas, n’aurait-il pas déjà essayé de la manger ?

Mais c’était une peur différente qui la paralysait. La peur que tous les enfants ont, la peur du noir et de l’inconnu. Alors, Erin continua d’hésiter. Mais elle savait qu’elle devait monter.
Au bout d’une minute, elle commença doucement à se parler à elle-même.

« Chiffon.  Chiffon, chiffon, chiffon… »

Erin murmurait les mots comme un mantra. D’une certaine manière, le fait qu’elle doive absolument trouver un chiffon lui donnait la force de continuer à monter les escaliers.

Une marche. C’était la plus difficile. Puis deux marches. Le cœur d’Erin fit un bond lorsque l’escalier grinça sous ses pas, mais rien d’horrible n’arriva. Alors elle continua d’avancer.
Cependant,  si les intimidants escaliers étaient le premier obstacle de son esprit, le couloir vide et grouillant d’ombres était à un tout autre niveau d’intimidation.

C’était tellement sombre. Erin ne pouvait pas voir à plus d’un mètre devant elle, alors même que ses yeux s’étaient habitués à la pénombre. Mais après un tel effort elle ne pouvait pas s’arrêter. Alors elle continua d’avancer avec son cœur battant dans sa poitrine.

« Chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon, chiffon… »

La première pièce qu’elle trouva était très, très sombre. Erin se faufila à l’intérieur et resta figée sur place en entendant un bruit. Est-ce que c’était un… Froissement ?

Non, non, c’était juste son imagination. Elle pouvait entendre la tempête à l’extérieur et la pluie causer un boucan sur le toit au-dessus d’elle. C’était probablement le vent qui soufflait contre l’auberge. Voire une feuille qui…

Froisse, froisse.

Il y avait un bruit. Le cœur d’Erin jouait du tambour dans son torse. Il y avait quelque chose dans la pièce avec elle, et elle espérait de tout son être que ce n’était qu’un rat. Un truc… qui sonnait comme quelque chose en cuir, comme deux ailes qui se déployaient…

«Chiffonchiffonchiffonchiffonchiffonchiffonchiffonchif… »

La foudre tombait au loin alors que le vent soufflait contre l’auberge. Quelque chose de blanc et de pâle se déploya dans les ténèbres et vola vers Erin. Elle hurla, se protégeant de manière désespérée avec ses bras et tomba au sol, emportant la chose avec elle.

Pendant une minute, tout ne fut que confusion et tapage. Erin lutta sauvagement contre le monstre qui l’attaquait alors que la pluie commençait à assaillir son visage ; le monstre s’enroula autour de ses bras et de son visage. Elle arriva à le repousser et retrouva rapidement ses appuis pour voir qu’il était…

Un rideau.

Pendant quelques secondes,  Erin regarda le tissu délavé dans ses mains en état de choc. C’est une fois que son cœur décida d’arrêter de courir un marathon qu’elle se détendit.

« Des rideaux »

Elle ramassa le pâle morceau de tissu et l’observa. C’était… un rideau. Voilà l’étendue de ses talents de détective. C’était un rideau blanc, ou du moins il avait été blanc il y a bien longtemps. La moisissure et la terre avaient l’avaient rendu plus gris que blanc, mais au moins c’était du tissu.

« D’accord, d’accord. »

Le cœur d’Erin continuait de battre la chamade. Elle regarda autour d’elle. La pièce était toujours très sombre, et le vent venant de l’extérieur faisait trembler les fenêtres de manière très inquiétante.
Erin ferma la fenêtre, ce qui arrêta le bruit. C’était mieux que rien. Mais la pièce était toujours trop sombre pour être observée en détail. Bien, elle pourrait continuer de visiter le premier étage ; ou bien, maintenant qu’elle avait un chiffon, elle pouvait redescendre au rez-de-chaussée. Ce familier, réconfortant et poussiéreux rez-de-chaussée.

La pièce était très sombre. Erin jeta un dernier coup d’œil et se dirigea rapidement vers le rez-de-chaussée. Elle jeta le rideau sur l’une des tables à côté du seau qu’elle avait trouvé et regarda autour d’elle.

« Voyons voir. Par où devrais-je commencer ? »

En réalité, la véritable question était : par où ne pouvait-elle pas commencer. À l’exception des murs, toute la pièce était recouverte d’une épaisse couche de poussière. En fin de compte, Erin décida de commencer par la table sur laquelle elle s’était assise.

L’humide rideau… Non, le chiffon leva un nuage de poussière, surprenant Erin et la faisant reculer en toussant. Mais le nettoyage était en fait facilement réalisable.

Dans un premier temps, Erin se contentait de pousser la poussière jusqu’au bord de la table et sur le sol. Après il suffisait de passer un nouveau coup de chiffon sur la désagréable surface de la table jusqu’à ce que cette dernière soit propre. Puis, elle nettoyait le chiffon dans le seau avec un peu d’eau et passait à une autre table.

Après un certain temps, l’eau du seau commençait à devenir grise à cause de la poussière. Erin ouvrit la porte de l’auberge, jeta l’eau et s’installa sur l’une des chaises en attendant que le seau soit de nouveau plein. Puis elle recommença son ménage.

Il y avait un rythme dans cette action. En un rien de temps Erin avait nettoyé l’intégralité des tables, elle décida alors qu’il fallait nettoyer les chaises. Et puis, une fois qu’elle eut terminé, elle pensa qu’il était logique de nettoyer le comptoir.

Le long comptoir était fait d’un bois de haute qualité. Erin admira la manière avec laquelle la faible lumière de l’extérieur faisait briller le bois une fois que la poussière avait été nettoyée. Le bar était suffisamment long pour accueillir au moins vingt personnes en même temps… Ou quinze s’ils étaient pointilleux sur le fait qu’il fallait de la place pour leurs coudes.

Une fois cela terminé, Erin nettoya l’étagère du barman sous le bar et les autres surfaces de la salle commune. Le ménage fini, l’auberge semblait déjà bien plus accueillante, car les meubles nouvellement nettoyés reflétaient la lumière déclinante de l’extérieur.
Cependant, il restait encore un endroit qu’Erin avait évité depuis le début. Le sol.

C’était naturel. Erin n’avait rien qui pouvait lui servir de serpillière et elle avait poussé la poussière sur le sol depuis le début.  En conséquence, d’épais tas d’humide poussière s’étaient agglutinés par terre. Erin donna un coup de pied à l’un d’entre eux avant de hausser les épaules.
« Eh bien, quand on le compare aux tables et aux chaises… »

Elle ne pouvait que rire devant l’étrange fruit de son labeur. Des tables propres, un sol sale. Au moins il était possible de manger sur les tables. Et puis, qui prêtait attention au sol ? Le sol était juste fait pour qu’on marche dessus, pas pour dormir. Erin essuya son front et découvrit qu’elle était trempée de sueur. Et… Il faisait déjà nuit ?

Oui, alors qu’elle faisait le ménage, l’averse avait cessé et la lumière s’était amoindrie jusqu’au point où l’auberge était presque entièrement plongée dans le noir. Désormais, au lieu d’un méli-mélo d’ombres inquiétantes,  il n’y avait plus rien à voir.

« Alors ce n’est plus effrayant, c’est désormais terrifiant. Formidable. »

Au moins, le rez-de-chaussée était rassurant. Erin inspecta la pièce, ses yeux remarquèrent que la lumière de la lune se réfléchissait sur les surfaces lisses des tables et des chaises. Oui, la pièce était légèrement plus accueillante. Elle l’avait nettoyée, et d’une certaine manière, cela voulait dire que c’était désormais sa pièce. Ce qui faisait qu’elle était plus en sécurité. Du moins, elle espérait que ça marchait comme ça.

Erin s’assit de nouveau sur une chaise et réalisa qu’elle était épuisée. Elle commença à basculer la chaise contre la table et soupira. Si jamais elle avait besoin d’une preuve pour justifier qu’elle n’était pas douée dans une situation de vie ou de mort, il lui suffisait de repenser à cette journée.  La voilà, perdue dans un monde terrifiant sans la moindre idée de l’endroit où elle se trouvait, et quel était son premier réflexe ? Nettoyer la pièce.

« Au moins maman serait contente. »

Erin riait toute seule avant de fermer ses yeux, submergée par l’épuisement. C’était l’heure de se reposer. Peut-être que tout irait mieux demain. Peut-être que tout cela n’était qu’un rêve. Probablement pas, mais…

Ses paupières se firent lourdes. Sa respiration se fit plus lente. Erin était juste suffisamment éveillée pour un dernier constat.

« Maintenant j’ai vraiment, vraiment faim. »

[Classe d’Aubergiste Obtenue !]

[Aubergiste Niveau 1]

[Compétence : Récurage Élémentaire obtenue !]

[Compétence : Cuisine Élémentaire obtenue !]

« … C’était quoi ça ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 07 octobre 2019 à 14:42:26
1.02

L’auberge était sombre. Parce que le monde était sombre, du moins pour le moment. Deux lunes étaient suspendues dans le ciel, l’une bleu clair, l’autre jaune pâle. Leurs douces lumières étaient obscurcies par une instable couche de nuages. Donc, la lumière se faisait rare, ce qui avait du sens.

Il faisait nuit.

Cependant, une silhouette continuait de se mouvoir sans répit malgré l’heure tardive. C’était une jeune femme dont les pas laissaient un chemin dans la poussière alors qu’elle arpentait la pièce. Elle allait de mur en mur, se parlant à elle-même. Puis elle trébucha contre une chaise.

« Aïe. »

Erin dépoussiéra son pantalon et son t-shirt avec dégoût. Bien, ses vêtements étaient officiellement sales. Des morceaux de son t-shirt étaient noircis à cause du feu et son pantalon avait été déchiré par les couteaux des Gobelins. Mais tout ceci n’était pas important pour le moment.

« Est-ce que je viens de gagner un niveau ? »

Erin regardait le plafond, allongée sur le dos. Elle aurait pu se lever, mais cela lui aurait demandé des efforts qu’elle ne voulait pas fournir. De plus, Erin était affamée, épuisée et confuse. Rester allongée sur le sol l’aidait à se sentir un peu mieux, même si cela voulait dire qu’elle avait de la poussière dans les cheveux.

Normalement, cela aurait été dégoûtant, mais en cet instant…

« Sérieusement ? J’ai gagné un niveau ? C’est quoi ce délire, un jeu ? »

Lentement, Erin se releva en s’accroupissant avant de se mettre la tête entre les mains.

« Non. Non ce n’est pas possible. Mais un… Un dragon et des gobelins et maintenant des niveaux… C’est un autre monde, n’est-ce pas ? Un qui ressemble à Donjons & Dragons ? Ou… Ou à un jeu vidéo ? »

Elle se redressa et se releva. Le monde semblait tourner autour d’elle. Du bon sens ? Qui avait besoin de bon sens ? Nan. Donnez-lui quelques dragons cracheurs de feu et laissez-la gagner un niveau en nettoyant des tables. Ça avait du sens.

« Bien, bien. Récapitulons. Je suis dans un autre monde qui est en réalité un jeu vidéo.  Il y a des monstres dans ce monde et je peux gagner des niveaux en faisant des trucs. J’obtiens même des compétences, et j’ai une voix dans ma tête… Non, plus comme une pensée qui apparaît pour me dire que j’ai accompli certaines actions. »

Elle hocha la tête.

« Ouaip. C’est parfaitement logique. »



« Bordel ! Ça n’a pas de sens ! »

Erin hurla et donna un coup de pied dans une chaise avec suffisamment de force pour la faire voler. La chaise retomba avec un énorme, et satisfaisant, fracas. Ce qui était moins satisfaisant, c’était le pied d’Erin, qui avait tapé la chaise avec assez de force pour s’écraser les orteils.

Après avoir hurlé de douleur et sautillé, Erin s’assit à l’une des tables et pleura pendant un long moment. Ce n’était pas comme si pleurer changeait quoi que ce soit, mais cela aidait un peu.

Après une dizaine de minutes passées à sangloter, Erin parvint finalement à lutter contre les larmes en reniflant. Elle se sentait mieux, mais se heurta à un énième problème quand elle voulut essuyer les larmes et la morve avant de se rappeler qu’elle n’avait pas de mouchoir à disposition. Elle avait donc utilisé la première chose qui lui était passée sous la main. Le chiffon.

L’humide, dégoûtant chiffon. Mais au moins c’était mieux que son t-shirt. Après ça, Erin s’assit et regarda les alentours sans vraiment prêter attention à ce qui était autour d’elle alors que les ténèbres l’encerclaient petit à petit.

« J’suis fatiguée. »

Ce fut la dernière phrase qu’Erin prononça avant de s’endormir.

***

Le nouveau jour frappa Erin de plein fouet. Elle grogna et se redressa alors que sa tête la lançait. Elle avait l’impression que son cou était tordu, et elle était endolorie après avoir passé la nuit sur le sol. Elle aurait volontiers dormi plus longtemps, si ce n’étaient le soleil et son estomac.

Boitillante, Erin regardait les rayons de soleil se déversant à travers l’une des fenêtres.

« Et c’est pour ça que les rideaux ont été inventés. »

Les fenêtres n’avaient pas de vitre ou de rideau. C’étaient des trous carrés dans les murs, mais elles avaient des volets. C’était dommage qu’Erin ait choisi de faire sa sieste sous l’une des fenêtres ouvertes.

Sans réfléchir, Erin passa ses mains dans ses cheveux et remarqua qu’elle était recouverte de terre et de poussière. Oh, c’est vrai, elle avait passé la nuit sur le sol. Le sol sale où elle avait accumulé toute la poussière.

Erin s’assit sur une chaise et posa sa tête dans ses mains. Après quelques instants, son ventre gargouilla avec entrain.

« Je vois. Reçu cinq sur cinq. »

La jeune femme se leva en gémissant. Une fois debout, elle sentit son corps protester contre les lois de la gravité, et se rassit. Elle était mieux comme ça, mais son estomac protesta. Sa faim et son épuisement se firent la guerre et sa faim l’emporta. Erin se leva, sachant qu’elle devait trouver quelque chose à manger. Il n’y avait rien à manger dans l’auberge, et elle n’avait même pas tenté de chercher dans les placards, à quoi bon ? Toute nourriture présente depuis l’abandon de l’auberge avait probablement eu le temps de devenir consciente et de gagner une paire de pattes.

Cela voulait dire qu’elle devait aller à l’extérieur. Mais Erin était encore hésitante au moment où elle posa ses mains sur la porte de l’auberge.

Des monstres.

Elle frissonna. Les souvenirs de sa dernière journée l’assaillirent, frais et vifs, et ses mains commencèrent à trembler. La douleur de son bras brûlé s’intensifia alors que les coupures sur ses jambes la démangèrent et la piquèrent. Erin ferma les yeux et inspira un grand coup. Des monstres, oui, mais…

« Je vais mourir dans cette auberge si je ne trouve pas quelque chose à manger. »

Alors elle ouvrit la porte. Ce n’était pas du courage qui lui permit d’avancer, c’était juste son envie de survivre.

Le jour était si éblouissant qu’Erin fut aveuglée l’espace d’un instant. Elle marcha vers l’extérieur, protégeant ses yeux, et s’arrêta brusquement. Une réflexion venait soudainement de la frapper, quelque chose qu’elle n’avait pas vraiment assimilé avant cet instant.

« C’est… Vraiment un autre monde, pas vrai ? »

C’était une simple révélation qui lui vint alors qu’elle regardait vers le haut. Bien plus haut, à l’intérieur d’un ciel bien plus vaste que le sien. C’était difficile pour Erin de trouver les mots, elle savait simplement que l’infinité bleue qu’elle observait au-dessus de sa tête était différente du ciel qu’elle avait connu durant toute sa vie.

Les nuages étaient trop épais. Erin n’aurait jamais pu imaginer quelque chose de la sorte, et pourtant elle ne pouvait le nier. Les nuages étaient… Gigantesques. Chez elle, Erin pouvait s’allonger et regarder des centaines, des milliers de kilomètres dans le vide et voir des nuages qui flottaient incroyablement haut. Mais ici…

« Ils vont encore plus haut. C’est tellement grand. »

Erin continua d’observer le ciel et vit un nuage flotter au-dessus d’une montagne suffisamment haute pour projeter une ombre assez grande pour presque atteindre son auberge. Elle semblait gigantesque, et pourtant Erin pouvait voir des prairies, des collines et des vallées s’étendre sur d’innombrables kilomètres à sa base. Le sommet de la montagne était tellement haut qu’Erin était incapable de le voir même en inclinant sa nuque.

Et le nuage était encore plus haut que ça.

À quel point les nuages étaient larges ? Erin n’avait jamais eu à se poser cette question auparavant. Mais elle se souvenait d’avoir vu des nuages aussi larges qu’un… Qu’un petit gratte-ciel, peut-être ? Ou de la taille d’une colline ? Est-ce que les collines étaient plus grandes que les gratte-ciel ? Cela n’avait pas d’importance.

Ce nuage, ce simple nuage parmi tant d’autres, était aussi grand que la montagne qui se trouvait en dessous. Elle pouvait le voir. Erin plissa ses yeux pour voir les bords du nuage, qui avait l’air incroyablement petit depuis son point de vue, mais qui, en réalité, devait être aussi grand que des falaises.  La profondeur du nuage lui coupa le souffle.

Et ce n’était qu’une fraction du ciel. C’est lorsque Erin regarda aux alentours qu’elle réalisa à quel point ce monde était vaste. Des montagnes qui semblaient pousser à l’infini, de larges prairies épargnées par la civilisation… Et jusqu’où avait-elle couru avant d’atteindre ce point ? Au premier coup d’œil, il semblait que l’herbe s’étirait comme une seule et même surface, simple et plate, dans toutes les directions jusqu’à l’infini, mais un regard plus attentif racontait une autre histoire.

« Ce sont des collines ! Des collines et des vallées ! C’est pourquoi je n’arrêtais pas de trébucher hier ! »

En marchant sans faire attention, il était facile de se perdre et de terminer dans une vallée large de plusieurs centaines de mètres. Et tout se ressemblait, seuls quelques fleurs et cailloux brisaient cette tyrannie verte. Les plaines s’étiraient encore et encore sans s’arrêter…

Ou était-ce vraiment le cas ? Erin s’arrêta alors qu’elle commençait à discerner quelques petits détails à l’horizon. Loin, bien loin, entre la chaîne de montagne et le soleil levant, elle pouvait discerner ce qui ressemblait vaguement à des bâtiments. Est-ce qu’il y avait une bourgade là-bas ? Ou un village ? Voire une… Ville ?

C’était impossible de le savoir depuis l’endroit où elle se trouvait, mais cette idée donna à Erin l’espoir qu’elle n’était pas seule dans ce monde. Cependant, rien que l’idée de voyager aussi loin avec son estomac vide était inconcevable, alors elle continua d’observer.

« Est-ce que ce sont… Des arbres ? »

Erin plissa les yeux. Il y avait un petit groupe d’arbres au loin, nichés au creux d’une des vallées. C’était des arbres, n’est-ce pas ? Erin pensait qu’ils semblaient étranges… Jusqu’au moment où elle réalisa qu’elle était en train de les observer par le dessus, depuis son point de vue.

C’était irréel de savoir qu’elle était en train d’observer une forêt par le dessus, mais c’était la seule réponse qu’elle avait trouvée.  Il semblait qu’il y avait une petite, enfin relativement petite, vallée recouverte d’arbres vers l’est. Elle ne semblait pas être si loin que ça, et si Erin regardait avec attention elle pouvait discerner de petits points bleus et jaunes perchés dans les arbres. Des fruits, peut-être ?
Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir. Alors elle commença à marcher en direction de la vallée, ses jambes et son estomac décidant d’abandonner la prudence conseillée par son cerveau. Elle avait besoin de nourriture. Ce n’était pas difficile de descendre les douces pentes de la colline, et même si la remontée n’allait pas être plaisante, Erin pouvait au moins faire le trajet à son rythme. L’herbe était douce sous ses chaussures et elle marchait d’un bon pas. C’était paisible… Trompeusement paisible.

Dans un coin de sa tête, Erin se souvenait des Gobelins. D’accord, peut-être qu’ils n’étaient pas vraiment des Gobelins mais qu’est-ce qu’ils pouvaient être d’autre ? Ils étaient d’étranges, difformes enfants qui ressemblaient à des parodies d’humains avec un nez pointu, des dents pointues, des petits couteaux et…

C'étaient des Gobelins. Et Erin se souvint qu’ils l’avaient trouvée alors qu’elle fuyait, encore fumante et paniquée, le Dragon.  

L’idée que ces petits monstres pouvaient l’assaillir et tenter de la réduire en charpie accéléra le rythme cardiaque d’Erin alors que ses pas faiblissaient. Mais avait-elle vraiment le choix ? Soit elle restait dans l’auberge et mourait de faim, soit elle allait à l’extérieur et trouvait quelque chose à manger. Les arbres n’étaient pas si loin que ça. Elle pouvait prendre un peu de ces étranges fruits, s’ils étaient réellement des fruits, et revenir à l’auberge en courant si quelque chose s’approchait d’elle.

C’était le plan. Et c’était un bon plan jusqu’au moment où Erin se retrouva à marcher près d’un gros caillou.

Il n’y avait rien d’important à propos de ce caillou, sauf le fait qu’il était plutôt un rocher qu’un caillou, un gigantesque monticule de pierre arrondi au sommet et ressemblant à une petite colline. Deux fois plus grand qu’une personne normale et tout aussi long. Pour faire court, c’était juste un gros caillou.

Erin l'avait d'abord ignoré, après avoir envisagé d’éventuellement l’escalader pour essayer de mieux voir les alentours. Mais elle était affamée, alors elle contourna le rocher.

C’est ce qui lui sauva la vie.

Alors que le rocher se trouvait désormais derrière elle, Erin sentit l’air se déplacer et entendit un terrible craquement juste à côté de son oreille. Elle sauta, se retourna et hurla. Elle commença à courir et la seconde pince manqua de la décapiter.

La chose qui s’était cachée en-dessous du rocher souleva ce dernier du sol et commença à se précipiter sur Erin qui fuyait en hurlant. Elle jeta un seul regard par-dessus son épaule, et ce fut suffisant. Elle redoubla sa cadence.

Deux grandes et longues pinces faites d’une chitine brun foncé sortaient de dessous le rocher alors que le monstre-crabe continuait de se précipiter sur elle. Il avait suffisamment soulevé sa gigantesque carapace creuse pour qu’Erin voie d’innombrables jambes de crabe déchirer la terre alors qu’il se propulsait sur le sol.

Oh, nonnonnonnonnonnonnonnonnon…

Faisait la voix dans la tête d’Erin. Elle ne pouvait pas gâcher sa respiration car l’intégralité de l’air se trouvant dans ses poumons était concentrée sur le fait qu’elle devait courir le plus vite possible.
Derrière elle, Erin sentit quelque chose de massif effleurer son dos. Elle accéléra, mais le monstre semblait toujours derrière elle. Le crabe géant faisait du bruit alors qu’il courait derrière elle, un bruit sec qui ressemblait à un coup de feu tiré juste à côté de sa tête.

Alors elle accéléra de nouveau.

Puis le bruit sec s’arrêta et Erin réalisa qu’elle ne pouvait plus rien entendre derrière elle. Elle s’arrêta et se retourna pour voir un rocher avec beaucoup de jambes marcher lentement dans la prairie.

« Qu’est-ce… Bon sang de… Crabe ? »

Erin se tenait les côtes, essoufflée. Elle avait l’impression que ses jambes allaient tomber et que ses poumons allaient exploser.  Sa tête n’arrêtait pas de tourner, mais elle n’était pas sûre de vouloir s’asseoir.

Elle se força à continuer de marcher. Elle avait mal. Tout lui faisait mal. Mais elle était encore vivante, crabe ou pas.

Erin tenta de sourire. Ses jambes la lançaient, mais elle arriva finalement à retrouver son souffle et mieux encore, elle était arrivée à sa destination.

« Est… Est-ce que c’est un arbre ? »

La mâchoire d’Erin se décrocha à la vue des étranges plantes qui se trouvaient devant elle. Bien, même si c’était petit pour un arbre, ce dernier faisait environ trois mètres de hauteur, mais son tronc semblait bien trop étroit pour supporter son propre poids. De plus, ses feuilles étaient énormes.

« Ça ressemble à un palmier, mais avec des branches. Et des fruits bleus. »

C’est ce qu’Erin décida après avoir essayé de déraciner l'arbre. Le bois était incroyablement solide et elle pouvait à peine tordre les petites branches pendantes à sa hauteur.

« Et c’est gris. De l’écorce grise, des feuilles vertes, des fruits bleus. Qui a fait tomber le pot de peinture sur ce truc ? »

Cela étant dit, les couleurs n’étaient pas si contradictoires entre elles. Cependant, ce qui intéressait Erin n’était pas l’esthétique mais plutôt la comestibilité des fruits, et de savoir si elle pouvait les attraper.
La plupart des fruits bleus s’amassaient autour de la cime de chaque arbre. Il y avait quelques fruits jaunes qui se trouvaient plus bas, mais ils étaient plus petits et probablement pas encore mûrs.  Avec hésitation, Erin attrapa une branche et testa si cette dernière pouvait supporter son poids avant d’essayer de grimper dessus.

« Je… Déteste…  Faire des tractions ! »

Ses bras tremblèrent lorsqu’elle lutta pour s’arracher du sol. Après une poignée de secondes, Erin arriva à soulever son menton au-dessus de la branche, mais elle n’allait pas plus loin. Elle lâcha prise une seconde plus tard.

Erin se posa sur le sol et regarda les alléchants fruits bleus, juste hors de sa portée. Si elle n’était pas aussi affamée et épuisée… Eh bien il était probable qu’elle n’arriverait jamais à grimper aussi haut.

« Est-ce que c’est comme ça que je meurs ? Affamée parce que je suis incapable de faire une traction ?»

Non ? C’était stupide. Mais plus Erin y pensait et plus…

« Non. Non ! »

Erin sauta et arriva à se hisser à moitié jusqu’à la première branche par pur désespoir. Mais ses bras l’abandonnèrent et elle tomba sur le dos avec un bruit assourdissant qui lui coupa le souffle.

« Espèce… D’arbre débile ! »

Les cris de frustrations d’Erin se réverbèrent dans la petite vallée. Elle tenta d’attraper la branche une nouvelle fois, mais elle n’arrivait même plus à se hisser. Elle hurla de frustration, attrapa ses cheveux sales et donna un coup de pied à l’arbre.

L’entièreté de l’arbre trembla légèrement sous la force du coup de pied. Les feuilles et les fruits bleus tremblèrent…

Et l’un d’eux tomba au sol.

Erin regarda le fruit bleu, rond et légèrement duveteux. Puis elle regarda l’arbre. Sans un mot, elle s’empara du fruit et regarda aux alentours avec trépidation.

« Hum,  ne devrait-il pas y avoir une sorte d’annonce ? »

Pas de réponse. Erin donna un nouveau coup de pied dans l’arbre et ramassa un autre fruit.

« [Mystérieux Fruit Bleu Acquis !] Dun dun dun dun ! »



Après quelques instants, Erin mit sa tête entre ses mains pour couvrir ses joues rougissantes.

« … Je déteste ce monde. »

Une fois cela terminé, Erin observa le fruit dans ses mains. Il n’y avait pas grand-chose à voir. Il était bleu, c’était probablement un fruit, et il était assez large. Erin avait déjà vu des grosses pommes dans des magasins, celles qui étaient étrangement chères car elles étaient trois fois plus grosses que leurs plus petites cousines. Le fruit avait environ la même taille.
Son estomac gargouilla à la vue du fruit. Erin l’approcha de sa bouche, et hésita soudainement.

« … Est-ce que je vais mourir ? »

C’était une bonne question. Erin étudia le fruit entre ses mains. Elle le renifla prudemment, il sentait légèrement… Sucré. Elle tapota dessus avec un doigt. Tendre, probablement succulent. Puis elle lécha l’extérieur.

« Pheh ! Poilu ! »

Peut-être qu’il était plus judicieux de l’éplucher pour commencer. Ou peut-être que le fruit était en réalité un monstre extra-terrestre et qu’elle s’apprêtait à mordre dans du sang et des viscères. L’idée fit hésiter Erin pendant une poignée de minutes avant qu’elle ne se décide à l’éplucher.

« C’est comme une pêche. Ce n’est pas un monstre, ce n’est pas un monstre… »

Erin termina d’éplucher l’enveloppe extérieure du fruit bleu et trouva une chair violette teintée de bleu. Du jus coula au sol, il avait une forte odeur… L’estomac d’Erin gargouilla mais autre chose attira son attention.

« C’est la plus grosse graine que j’aie jamais vue. Il y a plus de graine que de fruit ! »

Erin observa le centre du fruit bleu, composé d’un noyau qui représentait les deux tiers de l’intégralité du fruit. La carapace avait une teinte violet et marron, mais Erin sentit qu’il y avait quelque chose à l’intérieur lorsqu’elle le secoua.

« Bien, voyons ce qu’il y a à l’intérieur. »

Elle allait avoir besoin d’un caillou pour l’aider. Erin changea la graine de main et se releva, serrant légèrement le noyau.

Craquement, craquement.

Vide. La carapace marron s’ouvrit en deux et dégorgea un fatras de graines pulpeuses et de jus marron sur le pantalon d’Erin et sur le sol. Elle regarda ce mélange en silence jusqu'à ce qu'une odeur âcre attaque son nez… Une terrible odeur semblable à de l’antigel ou une espèce de produit de nettoyage.

Lentement, Erin se leva et nettoya la vomissure de graines de ses vêtements. Cependant, cela n’était pas assez pour se débarrasser de l’odeur. Puis, elle attrapa les graines et les jeta le plus fort possible contre l’un des arbres.

« Je déteste ce monde ! »

***

Après un certain temps, son estomac recommença à gargouiller alors que l’odeur des noyaux se dissipait dans l’air matinal. Avec hésitation, Erin attrapa le second fruit bleu et l’amena à ses lèvres. Cette fois elle mordit directement à travers la peau et mâcha. La texture était désagréablement caoutchouteuse et difficile à mâcher, mais heureusement c’était comestible. Plus que comestible même…

« Wow. C’est délicieux ! »

Telle était la remarque d’Erin après qu’elle eût avalé huit autres fruits bleus sans s’arrêter. Les noyaux étaient intacts et posés sur le sol, mais elle dévora joyeusement la partie extérieure, jusqu'à débarrasser l’arbre de tous ses fruits, avant d’être enfin rassasiée.

Grognant de satisfaction, elle s’appuya contre l’arbre. Elle se sentait bien. Collante et puante, c’était vrai, mais bien. La journée était belle et chaude, son estomac plein et la douceur de l’herbe sur laquelle elle était assise ne laissèrent qu’une seule envie dans son esprit.

Les toilettes.

Peut-être que c’était quelque chose dans les fruits qui avaient déclenché cette envie pressante, ou peut-être que cela aurait dû être fait il y a bien longtemps. Dans tous les cas, Erin était soudainement très consciente de son besoin pressant. Erin soupira et se releva.

« L’appel de la nature. Je déteste la nature. »

Elle marcha derrière un arbre, puis autour de ce dernier. Il n’y avait pas beaucoup… D'intimité ici, mais elle avait vraiment besoin d’y aller.

« De quoi je me cache de toute façon ? »

Erin se posa la question durant quelques instants avant de délibérément tourner autour du tronc jusqu’à ce que le soleil ne soit plus visible. Cela l’aida à se sentir mieux.

Après une poignée de secondes, Erin se sentait rafraîchie et heureuse. Son estomac était plein, d’autres parties étaient vides et mieux encore elle était en vie.

« Maintenant, comment vais-je faire pour passer ce monstrueux crabe-rocher ? »

L’estomac d’Erin se serra de manière inconfortable alors que son cœur commençait à battre dans sa poitrine à cette idée. Mais elle eut un éclair de génie en regardant les innombrables noyaux sur le sol.

***

Plus Erin l’observait, plus le gros rocher semblait louche. Si elle avait été capable de réfléchir par-delà sa faim la première fois elle se serait probablement demandé comment un si gros caillou s’était retrouvé en plein milieu de la plaine sans être touché par les éléments. Bien, il était clair que ce stupide crabe était l’un des prédateurs de ce monde.

Et il était rapide. Erin ne voulait pas courir à nouveau, donc elle espérait vraiment que son plan allait marcher. Est-ce que les crabes avaient des nez ? Probablement pas, mais elle espérait qu’ils étaient capables de sentir.

Lentement, Erin marcha vers sa cible. Le rocher resta immobile. Bien, elle n’allait pas se plaindre.
Erin attrapa une petite pierre et la jeta contre le caillou. Elle rebondit.

Elle attendit. Le rocher ne bougea pas d’un pouce.

Erin attrapa une plus grosse pierre et la jeta contre le caillou. Elle n’était pas une bonne lanceuse et la pierre ricocha contre l’un des bords. Il n’y avait toujours pas de réponse.

« Heu, est… Est-ce que c’est le bon caillou ? »

Erin observa les alentours, il n’y avait pas d’autre rocher suspect en vue. Mais celui-ci ne faisait rien.

« Est-ce que je devrais m’approcher… ? Non, c’est stupide. »

Elle jeta un coup d’œil mauvais au rocher. Bien, s’il ne bougeait pas…

Erin fit demi-tour et commença à faire le tour, prenant soin de bien contourner le rocher avant de s’éloigner.

Click.

C’était un si petit bruit. Mais c’était plus que suffisant pour la figer sur place et la faire se retourner.
Erin vit le crabe-rocher ramper silencieusement vers elle. En une poignée de secondes, ce dernier avait traversé plus de six mètres. Elle le fixait avec horreur alors qu’il se dressait.

Clickclickclickclickclickclickclick…

Le crabe-rocher commença à rapidement se carapater vers elle. Ses deux gigantesques pinces et sa paire d’antennes noires, probablement ses yeux, se déroulèrent depuis le dessous du rocher.
Erin recula, se tournant à moitié pour commencer à courir, avant de se rappeler ce qu’elle avait dans son autre main. Elle visa et jeta le noyau qu’elle avait tenu.

En plein dans le mille. Le noyau frappa directement l’une des antennes et éclata dans une douche de liquide pulpeux. Erin pouvait sentir l’odeur toxique depuis l'endroit où elle se trouvait, portée par la brise.

Pour être honnête, Erin ne savait pas ce qu’elle attendait. De la douleur, ou un crabe-rocher choqué. Elle avait réussi à bien viser directement dans l’antenne, et elle était certaine que ça avait dû lui faire mal. Mais ce n’était pas comme si le noyau était lourd. Elle s’attendait à ce que le crabe recule de surprise, et peut-être qu’il soit repoussé par l’odeur.

Ce qu’elle n’avait pas prévu était que le crabe perde complètement la boule et commence à se frapper avec l’une de ses pinces. Il était en train de paniquer, grattant frénétiquement l’endroit qu’elle avait touché avec le noyau, ignorant les dégâts qu’il faisait à sa propre antenne tout en poussant des cris de détresse.

Ses cris ressemblaient à ceux du plus gros criquet du monde, mais en plus graves et résonnant depuis le dessous de la carapace de pierre du crabe. C’était suffisant pour qu’Erin recule de nouveau jusqu’au couvert des arbres et jusqu’à ce que le crabe devienne à peine visible.

Même après avoir parcouru un bon morceau de chemin, elle pouvait encore voir le crabe faire sa danse du malheur alors qu’il essayait d’essuyer les morceaux de noyau.

« Huh. »

Erin se gratta la tête.

« C’est bon de savoir qu’ils détestent les fruits. »

En parlant de fruits… Erin décida d’aller chercher de nouveaux délicieux fruits bleus. En fait, elle allait essayer d’en prendre un maximum. Le bleu était désormais la couleur de son petit-déjeuner, de son déjeuner et de son dîner et elle aurait aimé avoir plus de mains. Est-ce qu’il y avait moyen de tisser un panier… ? Peut-être avec de l’herbe ?

Elle donna un coup de pied à une touffe qui n’avait rien demandé.

« … Quelle idée à la noix. »

Peut-être qu’elle pouvait utiliser son t-shirt ou son pantalon ? C’était légèrement… Mais il n’y avait personne autour d’elle à part les crabes-rochers, n’est-ce pas ? Enfin même…

« Dommage que je ne sois pas une exhibitionniste, n’est-ce pas ? »

Erin adressa ce commentaire à une touffe d’herbe proche. La touffe d’herbe ne fit pas de commentaire.

Avec un soupir, Erin s’éloigna. Elle escalada lentement une petite colline et se retrouva à regarder le verger depuis les hauteurs à nouveau. Elle observa aussi plusieurs petites créatures vertes. Elles étaient en train de donner des coups de pied aux arbres et ramassaient les fruits bleus qui tombaient au sol.

Pendant une petite poignée de secondes elles ne la remarquèrent pas.  Puis l’une d’entre elles leva la tête et vit l’humaine à la mâchoire décrochée qui les regardait. Elle poussa un cri perçant si bien que les autres levèrent la tête.

« D-Des Gobelins ? »

La créature la plus proche fit un pas vers elle. Le Gobelin avait l’air inoffensif… Pendant un bref instant. Puis il montra ses dents incroyablement pointues et dégaina un couteau. Tous ses amis firent de même et avancèrent vers la jeune femme.

Erin, de son côté, regarda le groupe avec horreur deux secondes de plus avant de les pointer du doigt. Elle ouvrit sa bouche et hurla.

« Gobeliiiiiiiiiiiiiiiins ! »

Les monstres à la peau verte s’arrêtèrent et observèrent la jeune femme hurler et démarrer au quart de tour. Ils la suivirent avec acharnement malgré l’incroyable vitesse avec laquelle elle sprintait. Ces Gobelins avaient appris à chasser les différentes espèces, et ils savaient que les Humains paniquaient facilement et se fatiguaient rapidement. Ils allaient la rattraper une fois qu’elle allait commencer à ralentir.

… En partant du principe qu’elle allait ralentir un jour.

***

C’était le début de la soirée. Le soleil faisait s’étirer de longues ombres sur les plaines. Tout était silencieux. Il n’y avait pas un bruit, à l’exception du crabe-rocher qui hurlait alors qu’il continuait de se frapper la tête, et de l’humaine hurlante.

Tout était calme.

Une silhouette solitaire courait à travers monts et vallées. Elle courait aussi vite que possible, poursuivie par un groupe de créatures accroupies. Il était presque l’heure de dîner.

Erin Solstice, 20 ans ? Une jeune fille, non, une jeune femme du Michigan avec un léger intérêt pour les jeux vidéos et une profonde obsession pour les jeux de stratégie. Ses hobbies incluaient le snowboard, regarder des vidéos sur YouTube, jouer aux échecs, au shôgi, au jeu de go et plus encore. Son rêve était de devenir une présentatrice de jeu de stratégie professionnelle.

Et en ce moment….

Elle courait pour sa vie.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 15 octobre 2019 à 15:40:55
1.03
 
Traduit par Maroti

Erin trouva un ruisseau dans le décor champêtre au pied d’une colline à quelques centaines de mètres de l’auberge. Sa position et sa taille adéquate faisaient que l’endroit était parfait pour récupérer de l’eau, voire se laver si le besoin se faisait ressentir. En y réfléchissant bien, cette découverte était une aubaine.
Elle fit trois pas, s’élança, et passa le ruisseau en l’espace d’un bond, continuant de courir dès l’instant où elle toucha le sol. Le ruisseau coulait toujours alors qu’elle le laissait derrière elle. Erin ne se retourna pas une seule fois, même si sa gorge brûlait.

Elle était pourchassée.

Par des Gobelins. Ils l’encerclaient, pataugeant à travers le ruisseau malgré le puissant courant. Malgré leur petite taille, leurs corps étaient nerveux et leurs bras sales étaient musclés. Ils étaient tous armés.
De manière générale ils avaient des dagues ou de petites épées, mais Erin avait aperçu un couperet à viande sur l’un d’entre eux. Elle était trop occupée à courir pour les étudier avec attention, mais s’ils étaient ceux qu’elle avait rencontrés la dernière fois, leurs armes étaient rouillées, recouvertes de sang séché et d’autres substances croûtées, et tranchantes.

Tout cela combiné avec le faciès des Gobelins les rendait terrifiants. Les Gobelins normaux, selon une idée reçue, étaient moches, mais pas dangereux. Les jeux vidéos les avaient toujours décrits comme de petites créatures ressemblant vaguement à un homme avec un nez crochu, des oreilles pointues et un visage hideux. Mais ces Gobelins étaient différents…

Oreilles pointues ? Oui.

Visage hideux ? Oui.

Leurs nez n’étaient pas si pointus que ça, mais ils étaient vraiment plus proches des carottes que des patates. Ce qui terrifiait Erin par dessus tout était leurs dents.

Ils avaient deux rangées de dents, comme des requins. Ils avaient des yeux rouges, comme des monstres cauchemardesques. Des yeux rouges et brillants. Ils hurlaient tandis qu’ils la pourchassaient.
Ça ne ressemblait pas à un hurlement normal. Erin était habituée à entendre des cris, mais uniquement des cris d’humains. Le son que les Gobelins produisaient n’était pas un son continu mais plutôt une sorte de bruit ondulant qui semblait devenir de plus en plus fort avec le temps.

Yiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyiyeyi…

Cela donnait des sueurs froides à Erin et elle redoublait son pas de course pour remonter la colline. Elle se trouvait dans l’une des vallées, mais savait qu’elle se dirigeait droit vers l’auberge. Elle devait l’atteindre pour, pour…

Ils allaient la tuer là-dedans. Erin allait atteindre l’auberge, ils allaient l’encercler, trouver le moyen de rentrer et la réduire en charpie.  Mais quels étaient ses autres choix ? C’était la seule solution, elle ne pouvait pas fuir éternellement.

Erin avait déjà l’impression que quelqu’un la poignardait entre les côtes et qu’elle luttait pour respirer. Elle n’était pas une athlète. L’unique raison pour laquelle elle avait encore de l’avance sur les Gobelins était qu’ils étaient courts sur pattes. Elle avait aussi deviné qu’ils la laissaient s’épuiser pour mieux l’achever.

Erin escalada la colline, trébucha, se rattrapa, et réalisa que les murs marron de l’auberge se trouvaient à une centaine de mètres. Elle se précipita, jetant toute son énergie dans un sprint désespéré.
Les voix des Gobelins s’étaient légèrement atténuées lorsqu’elle déboula à travers la porte de l’auberge et la referma violemment. Mais elle savait qu’ils n’étaient qu’à une petite poignée de minutes de l’auberge dans le meilleur des cas, alors Erin se redressa malgré le fait que ses jambes et son torse la fissent agoniser.

La porte avait une barre en métal pour se barricader. Erin l’utilisa, et regarda autour d’elle. Les fenêtres. La salle commune avait tellement de fenêtres

« Oh vous vous fou… »

Elle ne perdit pas de temps avec le reste de sa phrase. Erin se précipita vers l’une des fenêtres et ferma violemment les volets. Elle verrouilla le volet avec maladresse. Le loquet n’était qu’un misérable bout de métal, mais il allait peut-être lui offrir quelques secondes de plus.
Erin accéléra à travers la pièce, luttant pour fermer les fenêtres alors que les cris des Gobelins étaient de plus en plus proches. Elle claqua la dernière fenêtre et un long soupir de soulagement lui échappa. Puis elle se rappela que l’auberge avait un second étage.

Les mystérieuses ténèbres du second étage qui avaient terrifié Erin la nuit précédente ne la firent même pas ralentir alors qu’elle se précipitait en haut des escaliers. Elle courait à travers chaque pièce aussi vite que possible, fermant chaque fenêtre. Même si la majorité des rideaux avaient succombé à la pourriture, tous les volets étaient en partie intacts. Au moins, elle allait pouvoir les entendre s’ils se faisaient défoncer. 

Erin courut dans la chambre au fond du couloir et s’arrêta lorsqu’elle vit un squelette dans le dernier lit. Mais même cela ne la ralentit pas vraiment et elle ferma la fenêtre juste à temps pour entendre le premier Gobelin tambouriner à la porte. 

Ils ne pouvaient passer par là. Mais alors qu’Erin accéléra en descendant les escaliers, elle entendit l’un des volets se briser, puis un autre.

Le premier Gobelin se pressa à travers la fenêtre alors qu’Erin resta pétrifiée. Le second et le troisième étaient derrière lui.

Erin recula. Le premier Gobelin s’approcha d’elle alors que ses semblables se séparèrent derrière lui. Ils étaient cinq, non, ils étaient six.

Ses jambes tremblaient. Erin tenta de retourner une table mais le Gobelin était trop rapide. Il bondit et elle tomba à la renverse avec un petit cri. Il rit et sauta vers elle, arme au clair.
Erin roula en arrière et sentit une douloureuse entaille sur sa jambe. Elle retrouva son équilibre et regarda vers le bas.

Du sang. Du sang venant d’une petite coupure sur sa jambe. Elle regarda le Gobelin et vit son visage souriant.

***

C’était presque le même rictus. Ou sourire. Ou la même mine pour être franc. Mais pour Erin, c’était le même visage. Le même que celui des humains. Moqueur. Confiant. Le type de visage que portaient les jeunes hommes…

Il lécha le sang sur son couteau et le visage d’Erin se glaça. La peur qui bouillonnait en elle se changea en colère en l’espace d’un instant. Le Gobelin ne fit pas attention, et se jeta sur elle en souriant.
La jambe d’Erin s’emballa. Elle ne donna pas un coup de pied, c’était plus un tir rapide entre les jambes. Elle aurait juré avoir entendu quelque chose craquer.

Le visage du Gobelin, qui avait été rempli d’une joie perverse, se glaça. Il devint pâle et laissa échapper un son vif et aigu avant de s’effondrer.

Les autres Gobelins regardèrent leurs amis avec stupéfaction. Erin les regarda de la même manière, mais eut l’intelligence d’attraper une chaise avant qu’ils puissent réagir. Elle leva la chaise, de manière menaçante.

« Eh bien ? Allez ! »

Erin se servit de la chaise comme d’une batte. Les Gobelins esquivèrent en passant par-dessous et avancèrent vers elle, attaquant par le bas.

Un coup chanceux entailla la jambe d’Erin et elle hurla de douleur. Par réflexe, elle leva la chaise au-dessus de sa tête et l’abattit sur un Gobelin.

Dans les films, la chaise se serait brisée, laissant Erin avec des morceaux entre les mains. En réalité, l’impact piqua ses mains mais la chaise ne laissa échapper aucun grincement. Le Gobelin, quant à lui, hurla de douleur.

Ses semblables reculèrent alors qu’Erin frappa une nouvelle fois avec la chaise. Sa jambe continuait de saigner abondamment, mais elle était désormais plus folle furieuse qu’effrayée. De plus, elle avait une chaise. La seule chose qu’ils avaient était des couteaux.
En fait, elle en avait plus d’une.

« Mange ça ! »

Erin jeta la chaise à l’un des Gobelins et le toucha à la tête alors qu’il tentait d’esquiver. Il tomba à son tour tandis qu’Erin s’était déjà emparée d’une nouvelle chaise. Elle l’utilisa comme un bouclier, donnant des coups avec les jambes pour faire reculer le Gobelin le plus proche.

Confrontés à cette menace inattendue, les autres Gobelins se séparèrent et tentèrent d’encercler Erin. Bien entendu, elle n’allait pas se laisser faire. Mais même s’ils étaient étonnamment fragiles, ils étaient rapides et difficiles à toucher. Les quatre Gobelins restants encerclèrent rapidement Erin, en se cachant sous les tables, et en feintant pour essayer de la toucher sous la chaise.

« Reculez ! »

Erin agitait sa chaise encore et encore, manquant ses cibles. Mais c’est au moment où les Gobelins esquivèrent qu’elle se retourna et pris la fuite vers les escaliers. Elle avait des jambes plus longues, mais ils étaient rapides et chargèrent derrière elle alors qu’elle montait les marches deux par deux.
Le plus rapide des Gobelins était sur ses talons, caquetant avec cet étrange rire, tout en donnant un coup de couteau à l’arrière des jambes d’Erin. Cette dernière ignora le saignement et arriva en haut des escaliers, le Gobelin à ses trousses. Il rit méchamment…

Et s’arrêta lorsqu’il réalisa qu’il était seul face à la femelle humaine en haut des escaliers. Il regarda vers le haut. La grande femelle humaine serra son poing.


***


Le quatrième Gobelin se fracassa en bas des escaliers, le visage brisé et ensanglanté. Les trois Gobelins restants regardèrent la jeune femme se tenant au-dessus d’eux et hésitèrent. Mais elle était une proie. Les proies ne luttaient pas !

L’un d’entre eux jeta un couteau. Ce dernier toucha Erin en plein estomac, la pointe en avant. Mais le lancer était faible et l’arme n’arriva pas réellement à s’enfoncer à travers sa peau. Elle attrapa le gobelin et se jeta dans les escaliers.

Deux mains sur la rambarde permirent à Erin de balancer ses jambes. Elle n’était nullement une gymnaste, mais sa rage lui donna un moment d’inspiration athlétique. Ses deux pieds s’écrasèrent contre le visage du Gobelin qui avait lancé le couteau.

Il hurla et porta sa main jusqu’à son nez cassé et ensanglanté. Ses deux amis reculèrent alors qu’Erin atterrissait sur le sol. Le Gobelin ensanglanté leva son couteau vers Erin. Elle le gifla.

Crack. C’était une bonne gifle, le type de gifle qui était assez forte pour engourdir la main d’Erin. Le Gobelin tomba au sol, étourdi, et sa main lâcha le couteau.

Erin regarda le couteau. Puis, avant que les deux autres Gobelins ne bougent, elle s’empara de l’arme. Lorsqu’elle se releva, l’expression de son visage était bien différente.

Les Gobelins restants la regardèrent. Ils n’étaient pas deux, pas réellement. Leurs amis n’étaient pas inconscients, juste blessés. Ils étaient en train de se relever en tenant leurs têtes et corps endoloris.
Cependant…

La femelle humaine leur faisant face, couteau en main. Elle n’avait pas l’air d’avoir aussi peur qu’avant. En fait, elle semblait être très en colère. Ce n’était pas bon. Soudainement, elle semblait plus grande, et les Gobelins étaient clairement au courant qu’elle était parvenue à battre deux tiers de leur groupe en quelques secondes.

Et elle avait un couteau.
Les Gobelins regardèrent Erin.  Erin les regarda en retour. Ils étaient tous réveillés et debout, mais ne semblaient pas sur le point d’attaquer. En fait, ils semblaient plutôt nerveux.

Erin les regarda. Ils la regardèrent en retour. Ses yeux commencèrent à pleurer, mais elle n’osa pas cligner des yeux. Elle devait faire quelque chose, n’est-ce pas ?

« Bouh ! »

Les Gobelins hurlèrent et prirent la fuite. Ils passèrent à travers les fenêtres cassées et coururent comme s’ils étaient pourchassés par des démons.

Erin resta immobile pendant un certain temps, ses mains toujours à moitié levées. Finalement, elle les abaissa.

Elle voulut se gratter la tête et manqua de poignarder son œil avec le couteau. Avec précaution, Erin posa le couteau sur une table et s’assit sur une chaise proche. Ses jambes n’avaient plus de force.

« Ha. Haha. »

Erin toussa et ricana de nouveau.

« Hahaha. »

Son torse, ses bras et ses jambes lui faisaient mal. En fait, tout son corps la faisait souffrir. Elle avait l’impression de mourir. Cependant…

« Je ne peux même pas rire normalement. Hahahahaha…ha ? »

Puis elle rit pour de bon. Elle commença à rire alors qu’elle s’allongeait sur l’une des tables, son sang perlant sur le sol de l’auberge. Elle riait et riait jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Elle les ferma et sourit. Puis elle heurta une de ses coupures et arrêta de sourire. Mais elle s’endormit tout de même.

[Aubergiste niveau 4 !]

« … Hey. Qu’est-ce qui est arrivé aux niveaux 2 et 3 ? » 


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 24 octobre 2019 à 00:54:23
1.04

La jeune femme s’asseyait sur une chaise, pensive. Cela semblait stupide. Non, c’était stupide. Mais il n’y avait qu’une explication possible.

« Si tu gagnes un niveau dans tes rêves, tu gagnes réellement ce niveau ? »

Erin pensa à tout cela durant un certain temps.

« Huh. »

Elle resta assise sur sa chaise pendant plusieurs minutes. Ces minutes se transformèrent en une demi-heure, puis presque une heure avant que son estomac ne gargouille.

« C’est vrai, manger. »

Erin décida de se lever après une autre heure. Son corps protesta, mais son estomac guida ses jambes. Elle se leva et tituba sans enthousiasme jusqu’à la porte.

Ses jambes lui faisaient mal. Erin grimaça lorsqu’elle ressentit un éclair de douleur à l’arrière de ses jambes en posant le pied à l’extérieur. 

« C’est vrai, des coupures. »

Elle devrait les nettoyer, mais il lui fallait de l’eau. Et vu qu’elle en n’avait pas ses blessures commençaient déjà à croûter, Erin les ignora et commença à marcher. 

C’était une longue, longue route vers le verger. Erin était soulagée de se souvenir de son emplacement. Et son soulagement s’accentua au fait qu’il n’y avait pas de rochers suspicieux sur la route, même si cela la rendait encore plus méfiante. Est-ce qu’ils pouvaient s’enfouir ? Est-ce qu’il y avait des crabes-herbe ?

S’ils existaient, ils ne semblaient pas s’intéresser à elle à ce moment. Erin retrouva les étranges et chétifs arbres sans difficulté et ramassa une poignée de fruits bleus. Elle s’assit et en mangea quatorze. Elle n’avait pas si faim que ça, mais elle était vraiment assoiffée. Elle suça le plus de jus de fruits bleus possible et emporta un maximum de fruits avant de marcher vers l’auberge. Elle laissa les noyaux là où ils étaient.

… En fait, maintenant qu’elle y pensait…

Erin fit demi-tour et ramassa deux noyaux avant de délicatement les placer sur le dessus de sa pile de fruits bleus.

« Au cas où. Je devrai probablement me trouver un arc et des flèches où quelque chose du genre, pas vrai ? Dommage que je n’ai pas la moindre idée de comment tirer. Ou de comment me tailler un arc. C’est bien les arcs que l’on taille, pas vrai ? »

Erin y réfléchit en descendant la pente, faisant attention à ne pas trébucher et briser les noyaux. Et puis, comment ferait-elle pour construire quoique ce soit ?

« Hum. Est-ce que c’est trois barres de fers et deux bâtons pour une pioche ? Ou peut-être que je peux me faire une épée en bois en frappant les arbres ? Pourquoi ce monde n’est pas Minecraft ? »

Maintenant qu’elle y pensait, Erin se souvint des arbres.

« Du petit bois. Enfin, si je pouvais couper du bois. »

Elle pensa aux branches incroyablement raides.

« … Nan. Attends une petite minute. Il doit y’avoir des branches au sol ? Ou… »

Elle fit demi-tour et recommença à marcher jusqu’au verger. Une fois sur place elle ne trouva ni brindilles utiles, ni longues branches.

« Bizarre. »

Frustrée, Erin donna un coup de pied à l’un des arbres et esquiva un fruit bleu qui venait de tomber. Elle l’ajouta à sa pile et marcha de nouveau vers l’auberge.

La pièce était encore en bazar à cause du combat de la nuit dernière. Erin posa les fruits sur une table et commença à remettre les chaises et les tables à leurs places.

« Gobelins débiles. »

Elle fit une pause en y repensant. Des Gobelins. C’est vrai ça. Elle avait combattu des Gobelins.
Ses yeux retombèrent sur le couteau qu’elle avait pris à l’un d’entre eux. Lentement, Erin plia ses jambes et s’assit de nouveau sur le sol poussiéreux. Puis elle éternua.

« Poussiéreux. C’est stupide. »

Elle se releva et regarda aux alentours ? Où est-ce qu’il était ? Juste là.

« Chiffon. C’est parti. »

Erin s’agenouilla et commença à essuyer la poussière du sol. C’était difficile car elle devait pousser toutes les tables et les chaises hors de son chemin, mais ça l’occupait. Elle avait un petit chiffon sale, donc elle le faisait plus pour réfléchir. Sa bouche était terriblement sèche, mais Erin continua de travailler. Elle devait se concentrer.

« Des Gobelins. »

Erin regarda les vagues de poussière en continuant de frotter.

«Sérieusement. Des Gobelins.»

Elle décala deux tables et poussa la poussière hors de son chemin.

« … Avec des dents de requins. C’est flippant. »

Elle y pensa.

« Mais j’ai gagné. »

« De justesse. »

« Ils ne sont pas si dangereux. »

« A moins qu’ils me poignardent dans mon sommeil. Ou s’ils sont nombreux. »

« Mais je suis probablement en sécurité si je ferme les portes et les fenêtres. »

« … Probablement. »

« Et puis il y a ce crabe-rocher-machin. »

« … Est-ce que ça mange des Gobelins ? »

« Ils mangeaient des fruits bleus. Donc ils vivent dans le coin. »

« Mais je peux les fuir. »

« … Jusqu’au jour où ils me rattraperont et me submergeront et mangeront mes entrailles. »

Erin s’arrêta et mit sa tête entre ses mains. Elle le regretta immédiatement ce geste.

« Pheh !C’est poussiéreux. »

Elle soupira et attrapa le chiffon. Il était temps de continuer à… Nettoyer ?

« Heu. Qu’est-ce qui est arrivé à la poussière ? »

Le sol de l’auberge était fait de plancher. Très judicieux, et il était logique avec le reste de l’auberge qui était aussi fait de bois. Cependant, c’était la première fois qu’Erin voyait le sol. Jusqu’à ce moment ce dernier avait toujours été recouvert d’une épaisse couche de poussière.

Maintenant elle regardait le sol. Un sol propre, et sans aucune poussière. Erin regarda et regarda plus encore. Puis elle observa ses mains.

« J’ai fait ça ? »

Ça ne pouvait qu’être qu’elle, mais comment avait-elle fait ? Parmi ses nombreuses et variées…  Parmi le  peu de compétences qu’Erin possédait, le ménage n’était pas l’une d’entre elles.

Oh, bien sûr qu’elle pouvait nettoyer un verre renversé où quelques petits accidents. Tout ce qui impliquait de jeter de l’eau et de passer un coup de chiffon était faisable. Mais ça ?

« Ça fait combien de temps que je dépoussière ? Une heure ? Deux ? Et maintenant tout est propre. »

Erin traîna ses pieds sur le sol et corrigea cette pensée.

« Techniquement propre. Je suppose qu’il ne faut pas manger par terre. Mais c’est pour ça qu’on a des assiettes. »

C’était une véritable amélioration comparée à l’état du sol avant qu’elle n’intervienne. Distraite, Erin se gratta la tête et sentit la terre sèche et la poussière s’émiettant sur son visage. 

« Le sol est propre. Mais pas moi. »

Erin regarda le sol de nouveau et se sentit brûlante, trempée de sueur et très sale.

« D’accord. J’ai besoin de boire un truc. »

De l’eau, de préférence. Mais Erin aurait tué pour un rafraîchissant verre de… De n’importe quoi, en fait. Dommage qu’il n’y avait pas d’eau aux alentours.

« Il est temps d’en trouver. Ou de mourir. Ça dépend de ce qui va arriver en premier. »

Erin erra en dehors de l’auberge. Quelques minutes plus tard elle rentra de nouveau dans l’auberge, s’empara du couteau, et ferma la porte derrière elle avant de partir. Après une autre poignée de minutes elle rentra une nouvelle fois dans l’auberge et jeta le chiffon au sol. Cette fois, elle claqua la porte derrière elle. 

* * *

« Il fait vraiment chaux. »

Erin titubait à travers l’herbe, regardant autour d’elle avec un regard troublé après quelques pas. Sa bouche était sèche et pâteuse. Elle avait une migraine, et se sentait recouverte de sueur et sale. Mais ce qui la préoccupait vraiment, c’était l’eau.

« De l’eau. De l’eau c’est de l’eau. Parce que l’eau. Où est l’eau ? »

Erin continuait à marcher pendant quelques minutes dans une direction et ne trouva pas d’eau. Alors elle prit à gauche et commença à marcher dans cette direction.

« Je pourrai boire du Gatorade. Ou un Pepsi. J’aime bien le Coca aussi. Et pourquoi pas du Pepsi et du Coca et du Gatorade ? Du Gatopepcola ? Du Pegatorola ? »

Elle se rendait compte qu’elle ce qu’elle disait n’avait pas vraiment de sens. Même pour elle. Elle regarda autour d’elle pour l’eau et sentit que sa tête tournait. Sa tête commença à lui vraiment lui faire mal.

« Cogapeptorade ? »

Son pied glissa. Ou peut-être qu’elle trébucha. Mais soudainement Erin fit un faux pas et fut obligé de tourner sur elle-même pour ne pas tomber. C’était tellement drôle qu’elle commença à tourner en marchant. Elle s’arrêta au bout de quelques secondes et lutta pour ne pas vomir.

« Suis malade. »

Elle essuya son front. Au moins elle ne transpirait pas. Son front était chaud par contre, bizarre.
Elle avait vraiment besoin de s’asseoir à l’ombre. Mais elle ne trouvait pas d’ombre, du moins pas ici. Peut-être qu’en s’allongeant elle allait se sentir mieux ?

Erin se pencha. C’est à mi-chemin qu’elle s’en souvint. 

« Le ruisseau ! »

Elle tenta de se relever et manqua de tomber à la renverse.

« Où… Où est-ce qu’il était ? »

Déboussolée, Erin regarda autour d’elle. L’auberge était toujours visible.

« C’était là. Donc si je suis ici… Là-bas ? »

Tremblante, Erin commença à tituber en direction du ruisseau. Par chance, elle était plus proche qu’elle ne le pensait et trouva le ruisseau en une poignée de minutes.

* * *

Le ruisseau est vif et froid. La jeune femme s’en moque. Dès l’instant où elle le remarque elle s’élance de manière folle dans l’eau et s’effondre la tête la première.

« De l’eau ! »

Elle remplit ses mains d’eau et commença à boire l’eau aussi rapidement qu’elle le pouvait. Puis elle recracha l’eau et nettoya la terre sèche de ses mains avant de réessayer. Elle but toute l’eau dans ses paumes une première, puis une seconde fois, et puis cinq autres fois.

* * *

C’est au bout de la quatrième gorgée qu’Erin réalisa qu’elle venait de faire une erreur. L’eau était délicieuse et froide comme des glaçons, mais elle avait été tellement assoiffée qu’elle l’avait bût comme… De l’eau. Cinq minutes plus tard elle était étendue sur son flanc, luttant pour ne pas vomir.
Trop d’eau pour un corps déshydraté. Erin pouvait sentir son estomac qui essayait de se vider et était déterminé à ne pas le laisser faire.

« Ça fait… Ça fait mal. Ça fait vraiment mal… »

La douleur disparue au bout de quelques instants. Erin se redressa avec difficulté. Elle était contente de ne pas avoir vomi. Elle n’avait qu’une seule tenue après tout.
En parlant de sa tenue… Erin leva un bras et renifla.

« … C’est l’heure du bain. »

* * *

Erin s’assit dans le ruisseau et tenta de ne pas laisser ses dents claquer. C’était froid. Mais pas assez froid pour l’engourdir, ce qui n’était pas bien.

« N-Ne rien sentir serait mieux qu’être gelée comme ça. »

Mais c’était de l’eau, et ça la rendait à peu près propre. En outre, plus elle restait dans l’eau plus cette dernière se réchauffait. C’était probablement parce que son corps était en train de congelé, mais elle s’en fichait.

Erin passa une main à travers ses cheveux mouillés et soupira. Elle les avait durement frottés, mais est-ce qu’elle pouvait vraiment faire quelque chose sans savon ni shampoing ? Puis elle pensa au fait qu’elle n’avait pas utilisé une brosse à dent depuis des jours…

« Hum. Donc, [Nettoyage De Base] était vraiment une compétence après tout ? »

Erin y réfléchit. C’était mieux de penser à ça que de penser aux caries et aux gencives noircies.

« …Hourra. Quelle formidable compétence ! Je veux dire, je vais peut-être devoir affronter des crabes géants et des Gobelins mais au moins je pourrai nettoyer le sol pendant qu’ils me mangent ! »

Elle soupira et plongea sa tête sous l’eau.

« Gah !C’est froid ! »

Le ruisseau était suffisamment grand pour que l’eau arrive aux épaules d’Erin. De plus, il était assez rapide pour qu’il lui suffit de s’allonger sur le dos pour qu’elle se fasse rapidement emporter vers l’aval.

« Est-ce que je me retrouve dans l’océan si je suis le ruisseau ? Ou juste un lac ? »

C’était tentant. Pourquoi ne pas laisser l’eau la porter jusqu’à un autre endroit ? N’importe quel autre coin devait être mieux qu’ici, après tout. Elle pouvait partir, puis…

« Puis je me ferai probablement manger par quelque chose d’autre. Probablement des Gobelins Aquatiques. »

Erin donna un coup de poing dans l’eau avant de soupirer de nouveau.

« Des monstres. Il y a des monstres partout. Aucun d’entre eux à l’air comestible. Mais au moins il y a des fruits bleus qui sentant comme du détergeant, et une auberge poussiéreuse, et j’ai quatre niveaux en tant qu’aubergiste. Hourra pour moi. »

Elle s’éclaboussa, fatiguée. Elle était vraiment fatiguée. Mais être propre l’aidait beaucoup. Maintenant qu’elle avait de l’eau elle pouvait au moins boire et manger. Voir même prendre un bain.

« Un bain super froid. »

Mais c’était bien. Le soleil était chaud. Erin eut l’idée de sortir de l’eau et de s’allonger sur l’herbe alors que le soleil la sécherait. C’était une bonne idée.

« Peut-être qu’aujourd’hui ne sera pas si terrible après tout. »

Erin ria pour elle-même.

« Ou peut-être pas. Je touche du bois. »

Elle se retourna pour rechercher un morceau de bois pour la blague et la remarqua. Une énorme forme dans l’eau.

Erin s’extirpa du ruisseau à la vitesse d’un plongeon inversé. C’est à ce moment que le poisson décida de bondir. Elle sentit quelque chose frôler son nombril, quelque chose de lisse et gluant contre sa peau pendant un moment où son cœur s’arrêta.

Et puis c’était terminé. Erin était allongé sur l’herbe, respirant rapidement alors qu’elle regarda le poisson s’agiter sur l’herbe.

« Q…Qu… »

Le poisson gigota vers elle. Erin gigota en arrière et se releva. Il était peut-être sur terre mais il avait une bouche aussi grande que sa tête. En fait, un tiers du poisson était sa bouche. Une bouche contenant de très, très longues dents.

Le poisson, plat et courtaud, ressemblait à un ballon avec des dents qui continuait de s’agiter sur place. Il était difficile de déterminé si ce dernier était toujours en train d’essayer de mordre Erin ou de retourner dans l’eau. Dans tous les cas, il n’avait pas beaucoup de succès.

Erin le regarda.

« Un poisson. Un poisson avec des dents. Je déteste tellement ce monde. »

Finalement, le poisson arrêta de gigoter. Erin s’approcha doucement du poisson et l’observa. Est-ce qu’il était mort ? Il ne semblait pas respirer. Il était probablement mort.

Elle pointa un doigt tremblant vers le poisson.

« Ha ! Bien fait pour toi ! »

Le poisson resta immobile. Erin se pencha vers lui et le poussa du bout du pied.

Instantanément, le poisson sauta en l’air, se tortillant comme un serpent. Sa queue frappa Erin en plein visage alors qu’ elle se retourna pour tenter de s’enfuir. Elle avait mal.

Erin tomba juste à côté du poisson qui continuait de se tortiller. Elle s’éloigna alors que la mâchoire béante du poisson se fermait et s’ouvrait à quelques dizaines de centimètres de son visage et attendit que le poisson redevienne immobile. Cette fois, elle était pratiquement certaine qu’il était mort.
Juste au cas où, Erin se motiva, prit de l’élan, et donna un grand coup de pied dans le flanc du poisson.

»Aaaaaaaaaah !

Erin sautilla, tenant son pied agonisant.

« Est-ce que ce poisson est fait de pierres ? »

C’était comme donner un coup de pied dans un sac de farine. Erin n’avait jamais donné un coup de pied dans un sac de farine, mais elle imaginait que ça devait faire tout aussi mal. Le poisson avait à peine bougé lorsqu’elle l’avait frappé. Il était allongé sur le sol, la mâchoire grande ouverte. Désormais complètement mort.

Après un certain temps Erin arrêta de sautiller et de jurer. Elle tituba jusqu’au poisson et l’observa. Il avait… Deux yeux. Quatre, en fait. Mais deux de chaque côté. Un gros et un plus petit juste derrière.

« Beurk. Un poisson mutant avec des dents. »

Erin regarda le poisson un peu plus longtemps. Son estomac gargouilla.

« Oui. Le déjeuner. » 

Elle regarda le poisson.

« … Sushi ? »

* * *

« Découverte numéro une : Les poissons sont lourds. »

Le poisson mort était posé sur le comptoir de la cuisine. Il dégoulinait.

« Découverte numéro deux : Les cuisines ont des couteaux. »

Un couteau très aiguisé, en plus. Du moins, il semblait aiguisé. Essayer son tranchant avec son pouce semblait être un bon moyen de perdre son pouce.

« Découverte numéro trois : Le poisson ça pue. »

Elle soupira. Découvertes évidentes misent à part, elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire maintenant. Ou du moins, elle avait une vague idée de ce qu’il fallait faire.

Elle avait un poisson. Il fallait éplucher le poisson… Ou est-ce que c’était pour les oiseaux… ? Puis il fallait le manger. Elle était certaine de ce point. Du feu était probablement à inclure quelque part, mais découper le poisson semblait être un bon début. Après tout, le sashimi était du poisson cru, n’est-ce pas ? En vérité, Erin en avait mangé qu’une seule fois et s’était avec suffisamment de wasabi pour la faire pleurer, mais ça valait le coup d’essayer.

« Et puis j’ai besoin de manger. Donc il est l’heure de découper des trucs. »

Cependant, Erin hésitait. Elle n’avait jamais coupé de poisson. Comment est-ce qu’elle devait faire ? Elle n’avait pas la moindre idée.

« Hum. Je suppose que [Cuisine De Base] ne marche pas sur du poisson. »

Où peut-être pas sur ce poisson. Erin toucha délicatement les dents du poisson et frissonna. Sa peau écailleuse ne semblait pas plus facile à couper. Mais au moins elle avait un couteau.

En vérité, elle aurait pu utiliser un plus grand couteau. Heureusement, il y avait plusieurs couteaux allant de qui n’était pas plus grand qu’un doigt jusqu’au hachoir. Elle avait choisi une lame plus fine car elle ne voulait pas lutter avec quelque chose de plus gros. De plus, celle-ci était la plus tranchante et elle avait besoin de tout le tranchant possible.

Avec précaution, Erin commença à appliquer le couteau contre l’extérieur du poisson. Le couteau patina contre les écailles sans trouver de prise. Tristement, Erin tenta une nouvelle fois. Elle découpa le flanc et sentit la peau lentement se séparer.

« Beurk. Beurk. Beurk. »

Au moins elle savait que le poisson saignait rouge. En fait, cela ne la confortait pas du tout.
Erin continua de trancher et arriva à éplucher une partie de la peau. Elle regarda l’intérieur du poisson et eut un haut le cœur.

« Oh. Oh mon dieu. Pourquoi… Pourquoi est-ce que c’est jaune ? C’est quoi ça ?

Elle le toucha avec le couteau. Le truc jaune vibra. Un peu de pus jaune-blanc commença à couler…

Erin posa le couteau et marcha jusqu’à la salle commune pour reprendre son souffle. Une fois que son estomac s’arrêta de se soulever elle retourna dans la cuisine.

« Hors de question que je mange ce truc. Cru ou cuit. En fait, y’a pas moyen que je mange ce truc sans une poêle à frire. »   

Elle regarda dans la cuisine. Un poêle à frire ? Présent. Bien.

« D’accord, d’accord. Il faut… Retirer les os ? Les os et les… Trucs mous. »

Avec précaution, Erin commença à découper les morceaux facilement détachables. Ce n’était pas un travail facile. Rien ne voulait vraiment lâcher prise, et le couteau qu’elle avait choisi n’était pas vraiment un outil de précision.

« Allez. Sort de là. »

Le truc jaune était collé à l’os. Elle n’arrivait pas à le retirer.

« D’accord. Je ne peux pas aller autour. Je dois passer par-dessous. Au revoir tête, attention ventre, Monsieur Couteau arrive. »

Erin retourna le poisson et tenta de couper de l’autre côté. Une fois encore, les écailles étaient trop solides pour être découpés. De plus, tout était glissant à cause du sang et du jus de poisson.

« Allez. Coupe. Coupe ! »

Elle appuya plus fort sur le couteau, mais il ne passa pas la peau. Enervée, Erin continua d’appuyer.
Et glissa.

C’est arrivé en un instant. Sa main perdit sa traction et la lame glissa contre les écailles.

« … Hein ? »

Erin cligna des yeux et regarda sa main droite. Une ligne rouge séparait sa paume en diagonale. Il n’y avait pas de sang.

Elle plia sa main, et le sang commença à couler. Mais il n’y avait pas de douleur.

Erin regarda autour d’elle. Des bandages ? Il n’y avait pas de bandage aux alentours. Ou de vêtements

Sa main était… Engourdie. Puis elle commença à la picoter.

Des bandages ? Des vêtements ? Il y avait… Des rideaux à l’étage, n’est-ce pas ? Mais ils étaient sales et moisis.

Le sang coulait sur le poisson et sur le comptoir. Erin voulait le nettoyer, mais elle tenait encore le couteau. Et soudainement, sa main commença à lui faire mal.
« … Aie. »

Erin laissa tomber le couteau.

« Ahh. Ah. »

Elle serra son poignet aussi fort que possible, arrêtant le flux sanguin. Mais la douleur continuait de venir, encore et encore.

« Des bandages. »

Elle ne se souvenait pas d’avoir quitté la cuisine. Mais elle était de retour avec l’un des rideaux de l’étage et était en train de le couper pour en faire un bandage alors que le sang imprégnait le vêtement. C’était difficile. Elle ne pouvait utiliser qu’une seule main et l’autre la faisait souffrir.
Finalement, elle enroula fermement le tissu et serra les dents en faisant un nœud. Le sang était déjà en train de se propager, mais au moins quelque chose couvrait la blessure. Même si ça faisait toujours mal.

Elle avait mal ! Erin essaya de penser alors qu’elle tituba jusqu’à la salle commune. La blessure n’était pas profonde. Du moins, c’était profond mais elle ne voyait pas d’os. Même si elle sentait que sa coupure était profonde. 

« Ça fait mal. »

Elle n’avait pas les mots pour décrire l’agonie de sa main. Le reste du monde semblait sombre et sans importance comparé à la douleur qui se propageait depuis la paume de sa main. Tous ses sens étaient concentrés sur ce point, et tout ce qu’Erin pouvait faire était ne pas crier.

« Crier n’est pas bien. Silence. »

Elle le savait. Crier ne ferait qu’empirer les choses. Donc Erin resta assis et serra son poignet. Le sang perlait. Ça faisait mal.

Ça faisait vraiment mal.


* * *

Le soleil commença à descendre. Erin était assis dans une chaise et regarda la flaque de sang sur le sol. Elle n’était pas grande, mais une goutte de sang perlait du bandage jusqu’à la flaque dans un intervalle de quelques secondes.

Plic. Ploc.

La douleur était toujours présente. Elle ne voulait pas partir, même après tout ce temps. Mais c’était… Mieux. Au moins elle pouvait réfléchir, un peu. Elle s’était déplacée pour aller chercher un autre rideau et le déchiré pour en faire un second pansement. Mais elle ne voulait pas retirer le premier donc elle s’était juste assis.

Pour regarder son sang.

Plic.

Quelque chose sentait mauvais. Erin regarda autour d’elle. Quelle était cette odeur ? Elle voulait l’ignorer, mais après quelques minutes elle dut se lever et voir ce que c’était.

L’odeur venait de la cuisine. Erin y entra, serrant le poignet de sa mauvaise main.

« Oh. Bien sûr. »

Le poisson mort l’observait depuis la planche à découper recouverte de sang. Il puait. Au même moment, l’estomac d’Erin gargouilla. Elle n’avait pas une envie de poisson, mais elle avait faim.

Cependant, elle ne voulait pas manger. Erin retourna s’asseoir sur la chaise et se cogna l’arrière des jambes. Les blessures du couteau brûlèrent et la faisaient souffrir d’un autre type de douleur.

« J’ai compris. C’est une mauvaise journée, n’est-ce pas ? »

Erin murmura. Le fait de ne pas parler aussi fort l’aider à se sentir un peu mieux. Elle était réveillée alors lorsqu’elle était fatiguée. La douleur n’allait pas la laisser dormir et elle avait faim sans vraiment vouloir manger.

Donc elle resta assise et regarda le sang couler.
Ploc.

* * *

Il faisait nuit lorsque la flaque de sang arrêta de s’éteindre. Elle avait coulé à travers le plancher, une tache sombre dans la nuit. Erin regarda les ténèbres. Elle ne pouvait pas dormir.

« Ça fait toujours mal. »

Erin regarda la table. Elle regarda l’ancienneté du bois. Insuffisant. Elle ne pouvait pas se distraire, mais elle devait le faire.

Donc elle commença à chuchoter.

« Pion… Pion en E4. »

Elle posa sa main blessée sur la table. La douleur s’accentua avant de continuer à l’élancer. Son autre main traça un carré et ses yeux examinèrent la table vide.

« Pion en E5. Pion en F4. Pion capture F4… Gambit du Roi accepté. Fou en C4, reine en H4. Echec. Gambit du Fou. Roi en F1, pion en B5. Contre-Gambit Bryan. Fou capture B5, cavalier va en F6. Cavalier va en F3… »

Elle continuait de parler tout au long de la nuit. Mais la douleur ne s’arrêtait jamais. Elle continuait de souffrir, encore et encore.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 28 octobre 2019 à 00:03:57
1.05


1.05
 
Traduit par Maroti

Erin se réveilla d’un coup. Sa main était en feu.

Elle n’arrivait pas à retrouver le sommeil malgré sa tête lourde. Erin resta assise et berça sa main une nouvelle fois. Elle ne pouvait pas la bouger sans que la douleur ne s’aggrave, et dormir ou se détendre n’était pas possible. Elle ne pouvait que s’asseoir et agoniser.
La douleur s’effaça petit à petit. Peut-être parce qu’elle venait de se réveiller, ou peut-être était-elle juste engourdie.

« Dans tous les cas. »

Erin se leva. Elle tenait toujours sa main et prenait grand soin de ne pas la bouger. Sa main était… Douloureuse n’était pas un terme suffisant pour commencer à décrire ce qu’elle ressentait. Ce n’était que de la douleur jusqu’au bout de son bras, et cette douleur ne s’arrêtait pas.

Mais en même temps, elle était affamée. Suffisamment pour surpasser la douleur, ne serait-ce qu’un petit instant.

Lentement, très lentement, Erin boita dans l’auberge. Elle s’empara des fruits bleus avec sa bonne main et commença à les dévorer un par un. Elle était tellement affamée qu’elle en mangea quatre sans s’en rendre compte et en termina deux autres en s’asseyant à une table.

Elle aurait pu rester assise jusqu’à la fin des temps. Se lever ne valait pas le coup, mais une entité supérieure l’appela. Parlant avec des mots qu’elle ne pouvait pas ignorer.

Les toilettes.

Erin soupira et posa sa tête contre la table. Mais plus elle restait assise et plus sa situation devenait inconfortable. Malgré cela, le combat entre la douleur de sa blessure et son envie d’aller au petit coin dura pratiquement une heure. Quand Erin décida de finalement se lever, elle marcha jusqu’à la porte de l’auberge et donna un coup de pied pour ouvrir la porte. Elle allait faire ses besoins dans un vallon parmi tant d’autres et puis laver ses mains dans le ruisseau. Histoire de rester propre.

Erin réussit à faire cinq pas en dehors de l’auberge avant de décider de faire demi-tour et de fermer la porte derrière elle. Elle doutait que les Gobelins reviennent, mais… Elle préférait rester prudente. Une fois cela fait, elle se concentra sur son affaire.

Il fallut presque deux heures à Erin pour revenir, en partie parce qu’elle s’était perdue. Étrangement, le ruisseau semblait se trouver à un autre endroit que dans ses souvenirs et elle arriva à se perdre après être passée aux toilettes.

Erin aurait pu crier de joie lorsqu’elle retrouva, enfin, l’accueillante auberge. Tout ce qu’elle désirait était de s’asseoir et de souffrir en paix, et la porte ouverte l’accueillit en son sein.
Machinalement, Erin passa la porte et la ferma derrière elle. Puis elle alla de nouveau s’asseoir à sa table et regarda son pansement, sale et couvert de sang.

« Bon sang. »


***

« Aïe. Ouille. Aïe. »

À chaque fois qu’Erin retirait un peu de son pansement des morceaux de peau et beaucoup de sang partaient avec. Une partie de ce sang était séché, l’autre ne l’était pas.

Après avoir réussi à retirer la moitié du pansement, Erin dut s’arrêter. La douleur était insupportable et le pansement collait à sa peau. Mais avoir un pansement à moitié retiré était pire. Erin ne pouvait pas s’empêcher d’y toucher.

« Peut-être que je pourrais couper le reste ? »

Erin alla jusqu’à la cuisine qui était pleine d’objets tranchants. Comme des couteaux. 

« Pas de couteaux. »

Des ciseaux peut-être ? Une paire de ciseaux ne semblait pas très médiéval, mais qui sait ? Erin décida de fouiller les placards.

Oh, elle avait déjà ouvert un ou deux placards lors de sa recherche pour un chiffon mais cette fois elle entama une fouille méticuleuse de chaque placard et tiroir de la cuisine. La poussière qui s’en échappait la fit tousser et éternuer, mais elle arriva à trouver des ustensiles de cuisine basiques comme des spatules, un tiroir rempli de couverts sales, et même quelques assiettes. Les placards contenaient plein de choses, et il y avait beaucoup de placards, et c’était étrange.

« J’ai vu de vieilles cuisines en visitant des châteaux. Je pensais que les placards étaient des trucs qui sont apparus plus tard. Est-ce que je suis au Moyen- ge ou est-ce que je peux trouver une ampoule quelque part ? »

Erin marmonna en cherchant d’une seule main. Elle ouvrit un autre placard et s’arrêta.

« C’est quoi ce… »

De la nourriture. De la nourriture se trouvait dans le placard. Erin frotta ses yeux avec sa main valide. Puis elle se gifla pour vérifier qu’elle ne rêvait pas. Mais lorsqu’elle regarda de nouveau la nourriture était toujours présente.

« Est-ce que c’est… De la farine ? »

Erin toucha le sac et regarda les grains blancs sur son doigt. 

« Ça peut être de la farine. Ou… Autre alternative, ça peut être de la cocaïne. »

Elle essaya de sourire, mais sa main la faisait trop souffrir.

« … C’est probablement de la farine. »

Mais est-ce qu’elle était comestible ? Erin regarda le sac et tenta de se souvenir combien de temps la farine se conservait. Probablement pas longtemps, surtout lorsqu’elle était à découvert comme ça.

Elle soupira et sortit le sac. Autant vérifier.

Mais derrière le sac se trouvait une autre surprise. Erin plissa les yeux et fronça les sourcils.

« C’est du beurre. »

Il n’y avait pas d’erreur possible, et ce n’était pas que du beurre. Erin était habituée aux belles barres de beurre rectangulaires qui devenaient molles et qui s’étalaient facilement au premier rayon de soleil. Là c’était plus… Comme un bloc de beurre. Elle pouvait entendre ses artères hurler en le voyant, mais son estomac était déjà en train de gargouiller. Cependant…

« C’est pas normal. »

Erin observa le beurre, qui était d’une belle couleur dorée. Elle regarda dans la cuisine autour d’elle. De la poussière et des toiles d’araignée semblaient constituer la majorité de la pièce. Elle regarda le sol qu’elle n’avait pas encore balayé.

« Combien de temps il faut pour que la poussière dépasse les cinq centimètres ? »

Cinq mois ? Deux ans ? Cinq ans ? Dans tous les cas, Erin était presque certaine que le beurre ne se conservait pas aussi longtemps.

« Est-ce que quelqu’un se moque de moi ? »

Erin regarda autour d’elle. Est-ce que quelqu’un avait pu mettre la nourriture dans les placards ? Mais non, ses pas étaient les premiers à déranger la poussière. Donc comment était-ce possible … ?

Ses yeux retournèrent dans les placards et quelque chose de brillant attira son attention.

« Oh. Oh ! »

Une série de symboles lumineux brillaient doucement d’une lumière argentée. Erin effleura les inscriptions et remarqua qu’ils étaient autour des bords du garde-manger.

« Wow. De la magie. »

Elle observa les runes, subjuguée. Puis elle se rendit compte de quelque chose alors qu’elle ouvrait les autres placards.

« Ici. Ici…. Elles sont partout. »

Autour des bords de chaque placard se trouvait la même série de runes. Erin les traça avec ses doigts et à l’inverse des placards avec la nourriture conservée, ceux-là ne brillaient pas.

« Hum. Je suppose qu’elles se sont effacées. Ou peut-être qu’elles se sont cassées d’une manière ou d’une autre ? Je me demande en quoi elles sont faites. »

Elle gratta les runes avec l’un de ses ongles de manière expérimentale. Un petit bout pela sur son doigt.

« Argenté ? Ou quelque chose de brillant. »

Erin toucha les runes un peu plus fort. Elles étaient gravées dans le bois, mais l’âge avait rendu le bois fragile. Un bout du tiroir se décrocha, formant une ligne droite qui trancha la ligne de runes en deux.
Aussitôt, les symboles lumineux s’éteignirent. Erin regarda le bout de bois qu’elle avait retiré et les runes de manière horrifiée.

« Oh vous vous foutez de ma gu… »

Erin recula légèrement trop vite en se relevant, elle perdit son équilibre et tomba en arrière. Elle ne tomba pas sur le sol lourdement mais l’arrière de sa mauvaise main frappa le sol. Aussitôt Erin attrapa sa main et la berça, mais elle pouvait sentir le sang couler de nouveau. Elle se roula en boule et resta comme ça durant un bon moment.

« C’est pas juste. C’est pas juste. »

Erin regarda en l’air alors que la douleur s’atténuait légèrement. Elle regarda le placard sombre. Quand elle se releva, elle remarqua que la nourriture était toujours là, mais la magie avait disparu.
Sourdement, elle regarda les symboles désormais sombres. Morts, juste comme ça.

Erin frotta ses yeux, elle ne pleurait pas. Mais ses yeux piquaient légèrement, rien de plus.

Rien de plus.

***

Erin s’installa à l’une des tables de la salle commune et se parla à elle-même. Principalement pour éviter de penser à la douleur et à sa propre stupidité.

« En fait, c’est normal de laisser des trucs derrière soi avant de partir. Tu ne peux pas tout prendre. Mais il y avait encore de la nourriture comestible et bien plus dans les autres placards. Ainsi qu’une cuisine remplie d’ustensiles… Combien coûte un bon couteau bien tranchant ? »

Erin ferma sa main et grimaça. Des couteaux très tranchants.

« Personne n’abandonne quelque chose comme ça. Alors pourquoi quelqu’un… ? »

Ce n’était pas une bonne idée de penser à ça. Erin se sentit soudainement très mal à l’aise. Les poils de sa nuque se hérissèrent et son estomac se serra de manière inconfortable.

« Question. Comment M. Squelette en haut est-il mort ? »

Un frisson descendit le long de sa colonne vertébrale.

« C’est peut-être une mauvaise question. »

Mais une fois posée, il n’était pas facile de s’en débarrasser. Erin tenta de l’ignorer. Elle regarda le sang séché sur sa main, mangea un autre fruit bleu, mais la question continua de la tarauder. Évidemment, elle ne pouvait plus y tenir et se leva.

« À l’étage. D’accord. Bonjour ténèbres mon vieil ennemi. »

Ce n’était pas difficile de se rendre à l’étage. Maintenant qu’elle savait ce qui se trouvait dans chaque chambre, se rendre dans le couloir sombre n’était pas si terrifiant. Mais se rendre dans la dernière chambre ? C’était toujours aussi effrayant.

Erin prit une grande bouffée d’air avant d’ouvrir la porte. Sa main était moite sur la poignée.

« Est-ce que j’ai peur des gens morts ? Bien sûr. Mais ils ne peuvent pas me faire de mal. Les zombies peuvent, mais les gens morts normaux ne peuvent pas. C’est juste un squelette. Je vais trouver un signe de ce qui l’a tué et je vais aller me coucher. Bon plan. C’est parti. »

Elle ouvra la porte et regarda à l’intérieur. Puis elle courut dans le couloir et commença à ouvrir toutes les portes de l’étage, les claquant à chaque fois avant de passer à la suivante, mais ce qu’elle cherchait n’était pas là.

Lentement, Erin marcha jusqu’à la porte au fond du couloir et regarda de nouveau à l’intérieur. Un lit défait, une petite table, une fenêtre fermée et rien d’autre. Erin murmura dans le silence :

« Il n’est plus là. »

***

Le squelette n’était plus là. Erin en était sûre. Il n’était pas dans l’auberge alors qu’elle avait vérifié, et elle avait méticuleusement fouillé les deux étages. La pire question à se poser en parlant d’un cadavre était de se demander où il était passé.

Erin était assise dans la salle commune. En fait, elle était assise dans l’un des coins de la salle commune avec son dos collé au mur et ses yeux observant la pièce. Ce n’était pas qu’elle attendait de voir un tas d’os tomber depuis le plafond. Mais… Elle aurait préféré savoir où est-ce que les os se trouvaient.

« D’accord. D’accord. C’est quoi le problème ? C’est juste un squelette. Un truc flippant et mort. Et puis, même s’il pouvait bouger d’une manière ou d’une autre, où est-ce qu’il irait ? »

Elle ne savait pas pourquoi elle était en train de se murmurer à elle-même. Cela l’aidait juste à se sentir… Bon, pas mieux, mais adéquate. La nuit commençait à tomber et dans ces circonstances être bruyante ne semblait pas être la meilleure chose à faire.

De plus, le squelette pourrait l’entendre.

« Non, non. Ce n’est pas possible. Il n’est pas là. Il doit être quelque part. De plus, où est-ce qu’il pourrait se cacher ? J’ai vérifié toutes les chambres à l’étage. Où est-ce qu’il peut bien être ? »

Les… placards ?

Ses yeux partirent en direction de la cuisine. Non, impossible. Elle avait vérifié.

Sous le plancher ? Sur le toit ?

Erin se fit très silencieuse et écouta. Rien. C’était une bonne chose, n’est-ce pas ?

Mais les squelettes n’ont pas besoin de respirer. Ils n’ont pas besoin de bouger et attendent le moment où tu t’endors... Puis ils…

Assez. Erin secoua sa tête. Tout ça c’était dans sa tête. Il devait y avoir une explication logique pour qu’un corps disparaisse soudainement…

Et les murs ?

Erin refusa de tourner sa tête. Elle était juste paranoïaque. Ce qui était une bonne chose parce qu’il pouvait être partout.

Non, ce n’était pas ‘il’, mais ‘ils’. Peut-être que quelqu’un, ou quelque chose, avait pris le squelette. Mais pourquoi ? Et quand ?

Son esprit se remémora soudain le moment où elle était retournée à l’auberge. N’avait-elle pas fermé la porte derrière elle ? Elle n’avait pas fait attention sur l’instant mais elle se souvenait de l’avoir fermée avant de partir. Elle ne se souvenait pas de l’avoir à nouveau ouverte en revenant.

Elle frissonna. Elle se sentait tout à coup bien moins en sécurité dans l’auberge.

Mais ce n’était que son imagination. Elle avait une imagination bien trop active. Si elle allait dormir, tout allait bien se passer. Tout ce qu’elle avait à faire était de fermer les yeux et tout irait mieux à son réveil. Elle n’avait pas besoin de s’inquiéter. Erin n’entendait rien à part les battements frénétiques de son cœur et le craquement.

Craquement. Un pas.


Erin se releva en un éclair. Elle avait l’impression que son cœur allait s’arrêter à cause du stress, et ses yeux se plantèrent sur le plafond.

Quelque chose était à l’étage.

Elle pouvait l’entendre bouger. Peut-être que si elle avait été plus calme, elle n’aurait jamais remarqué les légers craquements et gémissements du plancher alors que quelque chose rampait à l’étage. Jugeant par les sons…

Erin suivit la progression de la créature. Elle était en train de se diriger vers les escaliers.

Lentement, Erin serra sa mauvaise main pour éviter de hurler. La douleur causée par sa blessure et le sang qui recommença à couler l’empêcha de paniquer. Silencieusement, elle se releva.

Le couteau était sur la table. Erin l’attrapa de sa bonne main et commença à bouger. Les escaliers étaient sur le côté droit de la pièce. Si quelque chose les descendait, ça n’allait pas pouvoir la voir si elle se cachait dans le coin le plus à droite.

Évitant les tables et les chaises Erin s’y rendit et s’agenouilla. Le manche du couteau de cuisine était glissant à cause de la sueur de ses mains. Son autre main était glissante à cause du sang. Elle regarda la lame du couteau, qui était très tranchante.

Le craquement s’arrêta durant un moment quand l’intrus arriva en haut des escaliers. Erin attendit. Il allait descendre, et quand il le ferait, elle allait avoir l’occasion d’attaquer la première.

Attaquer la première ? Suis-je une espèce de héros ?

Non. Nouveau plan. Dès l’instant où Erin saurait ce que c’était, elle allait courir pour sa vie. Mais elle devait d’abord savoir ce que c’était.

Le squelette apparut dans son esprit. Est-ce que c’était ça ? Ou peut-être que c’était une créature qui avait volé ses os ? Une sorte de créature parasite qui vivait à l’intérieur des cadavres… Ou une créature nocturne décharnée qui se nourrissait de la moelle des décédés ?

S’il vous plaît, faites que ça soit un squelette.

Le monstre commença à descendre les escaliers. Silencieusement, lentement. Même en y prêtant attention, Erin pouvait à peine entendre ses bruits de pas. Elle tenta de deviner où il se trouvait. À mi-chemin. Deux tiers. Plus que quelques marches.

La chose descendit la dernière marche et marcha dans la salle commune. Erin ne respira pas. Elle ne bougea pas, et n’osa pas cligner des yeux.

Lentement, la créature s’approcha. Erin plissa les yeux et son souffle lui échappa lorsqu’elle vit la créature. Elle se releva et soupira.

« Oh. C’était juste un Gobelin. »

La petite créature verte se retourna, surprise, au moment où Erin se releva en soupirant. Il s’abaissa immédiatement, tenant sa dague aiguisée prêt à combattre. Il montra ses dents et grogna sur Erin.

Erin grogna en retour.

***

Le reste de l’embuscade des Gobelins attendait à l’extérieur de l’auberge, leurs oreilles attentives au moindre son. Chacun d’entre eux était un combattant avéré, du moins selon les standards de leur petit clan. Ils étaient armés avec les meilleures armes disponibles. Les plus dangereux avaient des épées qui n’étaient qu’à moitié recouvertes de rouille. Ils attendaient tous le signal.
La porte de l’auberge s’ouvrit brusquement et les Gobelins levèrent la tête. Ils s’attendaient à voir la femelle humaine s’enfuir par cette porte en hurlant, plus ou moins blessée si possible. Dans le pire des cas, ils s’attendaient à voir leur camarade fuir hors de l’auberge avec elle sur ses talons. Ils préparèrent leurs armes.

Et baissèrent la tête alors qu’un corps passa au-dessus d’eux.

« Va en enfer ! »

La femelle humaine claqua la porte.

Les Gobelins regardèrent la porte fermée de l’auberge. Ils regardèrent le visage à peine reconnaissable du Gobelin inconscient et échangèrent un regard. Puis, ils prirent rapidement leur camarade inconscient et partirent dans la nuit.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 30 octobre 2019 à 14:44:17
1.06
 
Traduit par Maroti

Erin se réveilla au petit matin, le dos contre la porte de l’auberge. Son cou était endolori et sa main la brûlait.

« Aïe. »

Elle tenait délicatement sa main, qui la faisait toujours souffrir…

« J’ai l’impression que c’est encore pire qu’hier. C’est probablement mon imagination. »

Elle passa une minute assise sur le sol à bercer sa main. Puis elle se rappela pourquoi elle était assise là et se releva aussitôt.

« Des squelettes ? Des Gobelins. »

Où est-ce qu’ils étaient ? Erin tituba jusqu’à une table. Juste là, deux dagues se trouvaient sur le dessus de la table.

« À ce rythme je vais commencer une collection. »

Erin grommela, plus pour elle-même que pour autre chose, et poussa le pommeau d’une des dagues du bout du doigt. Au moins cela prouvait qu’elle n’avait pas rêvé.

« Pas de squelette ? Pas de problème. J’espère. »

Elle soupira et renifla.

« C’est quoi cette odeur ? »

Il y avait quelque chose qui sentait très mauvais depuis la cuisine. Erin poussa un gémissement en ouvrant la porte.

Le poisson se trouvait sur la planche à découper, recouvert de sang séché et empestant dans la lumière du soleil. Il puait, non, en fait, c’était la pire odeur qu’Erin avait eu la malchance de sentir.

« Ce truc. Ce truc est dégoûtant. »

Erin regarda le poisson pendant quelques secondes. Elle n’avait absolument aucune envie d’y toucher mais…

Quelques bestioles noires rampèrent pour sortir de la bouche du poisson. Erin regarda les petits trucs, eut un haut-le-cœur, et courut en dehors de l’auberge pour éviter de vomir à l’intérieur. Voilà comment sa journée débuta.

* * *

Qu’est-ce qu’il fallait faire pour se débarrasser d’un poisson ? Erin le posa par terre à l’extérieur de l’auberge et l’observa.

« Je pourrais l’enterrer, si j’avais une pelle. Je pourrais le brûler, si j’avais un moyen de commencer un feu. Ou… Je pourrais le laisser là-bas. »

Elle marcha une quinzaine de minute avant d’être certaine qu’elle était suffisamment éloignée de l’auberge. Puis, Erin  laissa glisser le poisson de la planche à découper sans ménagement. Ce fut une erreur.

Au moment où le poisson toucha le sol, ce dernier explosa. Quelque chose à l’intérieur se cassa ou s’écrasa, et soudainement une nuée de petits insectes noir et vert s’échappèrent du corps du poisson par tous ses orifices. Erin se figea, hurla, et commença à courir. Elle commençait à avoir l’habitude.

* * *

Il lui fallut un bon moment avant de trouver le courage de retourner vers le poisson, et encore, c’était juste pour prendre la planche à découper et courir jusqu’au ruisseau.

« Beurk, beurk, beurk. »

Erin plongea la planche dans l’eau et regarda les viscères de poisson et les insectes se faire emporter par le courant. Ce n’était pas le poisson mort qui la dérangeait, ou du moins, il ne le dérangeait pas autant que les insectes vivants qui s’accrochaient tenacement à la planche.

« Toi. Dégage. »

La mouche, tenace, semblait avoir la force de dix insectes car elle refusait de laisser le courant l’emporter. Elle était noire avec un abdomen vert, et Erin n’avait jamais rien vu de semblable.

« Une autre créature étrange. Génial. »

Avec précaution, elle l’observa de plus près.  Connais ton ennemi, n’est-ce pas ? Elle supposait qu’elle devait aussi connaître ces insectes.

« C’est carrément un insecte, et c’est vraiment moche. »

Swish. Swish. L’insecte continua de s’accrocher au bois humide malgré les tentatives désespérées d’Erin pour le déloger.

« … Pourquoi ce truc a quatre jambes ? Je pensais que les insectes en avaient six. »

Agacée, Erin sortit la planche de l’eau. L’insecte éventa ses ailes alors qu’elle l’observait. Il ressemblait principalement à un scarabée, mais avec un derrière vert brillant. Un mélange entre une luciole flippante et un scarabée. Au moins c’était mieux qu’un cafard, et puis il n’y avait qu’un seul bon moyen de s’occuper des insectes.

Erin roula son majeur et donna une bonne pichenette à l’insecte. Il explosa.

L’abdomen vert de l’insecte éclata dans une profusion d’éclaboussures vertes alors que le reste fut projeté dans le ruisseau. Erin cligna des yeux alors que le liquide vert recouvrit la planche à découper et tomba dans l’eau.

Un peu de liquide toucha le bras d’Erin.

Ahh ! Aieaieaieaieaieaieaie !

Son bras plongea dans l’eau. Une réaction instinctive qui atténua la douleur. Erin continua quand même de frotter l’endroit où le liquide l’avait touché jusqu’à ce que la douleur disparaisse totalement.

« Des mouches acides. D’accord, c’est complètement maléfique. »

* * *

Sa peau était rouge et endolorie par le bref contact avec l’acide, mais elle allait bien. Malgré tout, elle en profita pour se laver avec la planche à découper et quitta le ruisseau à l’instant où elle se sentit totalement propre. Ce fut moins plaisant que la première fois car Erin passa son temps à surveiller s’il n’y avait pas d’ombres dans l’eau.

« Génial, maintenant ma main et mon bras me font mal. »

Erin passa devant le poisson mort sur le chemin de retour et jeta un coup d’œil à ce qui se passait. Le corps du poisson était recouvert de ces petites mouches acides. Elles étaient probablement en train de pondre dedans, voire pire.

Brièvement, Erin considéra l’option de traîner le poisson jusqu’au ruisseau pour noyer tous ces insectes. Puis elle pensa à ce qui pouvait arriver si toutes les mouches se posaient sur elle pour exploser.

« D’accord. Bien, il n’y a qu’une chose à faire dans telle situation. »

Erin leva son premier, puis son second majeur. Sa main blessée la faisait souffrir, mais elle sentait qu’elle allait déjà mieux.

« C’est pour vous tous. »

Puis elle retourna dans l’auberge.

* * *

« J’aurais vraiment dû apporter un seau. »

Erin regarda les ingrédients alignés sur le comptoir de la cuisine. Son estomac gargouillait, et elle était d’humeur à manger. Mais elle ne voulait pas d’un autre petit-déjeuner, déjeuner et dîner à base de fruits bleus. Aujourd’hui, elle était d’humeur à manger du pain. Du bon pain frais.

Malheureusement, cela impliquait qu’il fallait de l’eau. Erin n’avait pas particulièrement envie de faire l’aller-retour entre l’auberge et le ruisseau avec un seau plein d’eau. Mais elle avait besoin d’eau, elle le savait, d’une manière ou d’une autre.

Est-ce que c’était son instinct ? Erin fronça les sourcils et tapota son crâne. Elle n’avait jamais cuisiné, enfin pas vraiment. Elle s’était préparé des Mac&Cheese et des ramens instantanés mais ça ne comptait pas vraiment. Pareil pour tout ce qui demandait un micro-ondes ou un four. Donc pourquoi savait-elle que pour faire du pain, elle avait besoin de farine, de sel, de sucre, de levure et d’un peu d’eau ? Ça devait être de la magie.

Ou une compétence.

« [Cuisine Élémentaire], hum ? »

Erin regarda la planche à découper, désormais propre. Oui, tous les ingrédients étaient là, cela avait du sens, c’était une cuisine. Les cuisines avaient des ingrédients, donc elle pouvait faire du pain. Ou de la pâte. Pour faire du pain elle allait devoir le cuire dans un four. Heureusement, cette cuisine avait un vieux four et les instincts d’Erin lui disaient qu’elle pouvait l’utiliser. Mais pour utiliser ce four elle avait besoin de feu.

Elle n’avait pas la moindre idée de comment faire un feu.

Quelle que soit sa nouvelle capacité pour cuisiner, cette dernière ne comportait pas d’instruction pour faire du feu. Erin regarda le foyer vide et pensa à voix haute.

« Des brindilles. Il faut frapper des brindilles l’une contre l’autre. Ou des cailloux. »

Elle regarda autour d’elle. Elle avait du bois, il y avait beaucoup de tables et de chaises, mais ce qu’elle n’avait pas, c’étaient des allumettes, ou un briquet, ou un bidon de gazoline et un lance-flamme.

Erin retourna dans la cuisine, il devait y avoir quelque chose pour démarrer un feu quelque part. Sinon comment faire pour cuisiner ?

« Bien. C’est l’heure de farfouiller. Je sais que j’ai vu une étagère pleine de trucs bizarres quelque part… »

Elle recommença à fouiller les étagères. Dans sa première recherche à travers la cuisine elle avait déposé tout ce qui était vaguement peu utilisé ou sans rouille sur une étagère à côté de la nourriture.

« Voyons voir. Des poêles ? Non. Des pinces ? Non ? Une scie ? Pourquoi une cuisine a besoin d’une scie ? »

Erin mit la petite scie de côté et plissa les yeux. Derrière la scie se trouvait quelque chose qu’elle ne reconnaissait pas. Enfin, deux choses. C’était un caillou et un autre truc. Un truc étrange.

« Est-ce que c’est… Un fer à cheval ? »

Non, c’était bien trop petit pour être un fer à cheval et ça n’avait pas la bonne forme. Ou alors ce monde avait d’étranges petits chevaux. Quand bien même, pourquoi avoir un fer à cheval dans une cuisine ?

« Peut-être qu’il mange des chevaux ? »

Erin observa le truc ressemblant à un fer à cheval. Elle regarda le caillou. Lentement, elle glissa le caillou contre l’allume-feu et regarda les étincelles voler.

« Oh. Donc voilà à quoi ressemble une pierre à feu. Ça ressemble vraiment à Minecraft ! »

Erin s’arrêta avant de soupirer et de gentiment se donner une claque.

« Je suis une idiote. »

* * *

Le briquet à silex était réellement amusant à utiliser. Tant qu’elle ne mettait pas le feu à l’auberge en bois par accident.

Erin regarda le grand foyer et tâtonna une nouvelle fois avec le briquet à silex.

« Des herbes sèches ? C’est bon. Une chaise cassée ? C’est bon. Du feu ? »

Elle fit glisser le silex contre le briquet et recula légèrement alors que les étincelles volaient.

« Aïe. C’est chaud ! »

Les étincelles cascadèrent sur l’herbe comme un nuage de lucioles en colère, l’amadou prit feu à certains endroits, et ce feu grandit.

Erin retint sa respiration avant d’expirer, soufflant sur les petites flammes comme elle avait vu les campeurs à la télévision le faire.

« Mince. Il s’est éteint. »

Elle frappa le silex et le briquet de nouveau. Cette fois elle laissa le feu prendre plus d’ampleur et ne souffla pas dessus. Lentement, les petits feux commencèrent à grandir. Elle ajouta un peu de bois pour nourrir les flammes avant de sourire malicieusement.

« Du feu ! Appelez-moi Prometheus… Promethea »

La chaleur devant elle était désormais un peu trop vive et Erin recula. Mais elle continua de sourire. Puis s’arrêta net quand elle s’assit sur sa mauvaise main.

« D’accord. J’ai mal. Mais au moins je peux faire du pain ! J’ai tous les ingrédients, n’est-ce pas ? Oui. J’ai juste besoin de farine, de levure, de beurre, d’un peu de sel, de sucre et… »

Erin soupira.

« Et zut. De l’eau. Génial. Au moins, je peux toujours sortir et aller en chercher. Ce n’est pas comme si j’avais une limite de temps ou quelque… »

Elle regarda le feu qu’elle venait de démarrer.

« Bon sang. »

* * *

Erin décida de laisser le feu allumé pendant qu’elle allait chercher de l’eau. Le foyer et la cuisine étaient en pierre. Les chances pour qu’une étincelle fasse son bout de chemin jusqu’à la salle commune était minime, mais l’idée la dérangeait quand même.

« C’est comme ça que ça commence, n’est-ce pas ? Tu laisses le foyer allumé alors que tu pars en vacances pour quelques jours et puis on t’apprend que ton auberge a pris feu. Une histoire classique pour rendre tout le monde paranoïaque. »

Erin soupira en continuant de marcher. Elle se demanda une nouvelle fois si elle était vraiment en difficulté. Après tout, elle avait démarré un feu, certes, mais c’était la base même pour les hommes de Cro-Magnon. Qu’est-ce qui pourrait bien se…

Une parcelle de vert bougea dans l’herbe en face d’elle. Erin l’observa, est-ce que c’était une partie de l’herbe ? Quelque chose leva la tête et l’observa en retour. Ce n’était pas de l’herbe après tout, c’était…

Quelque chose se catapulta de l’herbe. Erin hurla, battant de l’air avec son seau avant de tomber. Un gigantesque oiseau avec des ailes en cuir et un bec plus long que son bras s’envola dans le ciel avec un cri perçant. 

« Oh. Oh wow. »

Erin resta assise sur le sol et regarda en l’air.

« Est-ce que c’est… Un ptérodactyle ? Vraiment ? »

Il y ressemblait, et même si Erin ne pouvait voir que son derrière qui disparaissait rapidement, l’oiseau avait un certain… Manque de plumes. Cependant, là où les anciens dinosaures-oiseaux qu’Erin avait vus sur des photos de musée étaient marron et unis, cet oiseau était d’un léger vert avec des marques rouges.

« Des dinosaures camouflés. Maintenant j’ai vraiment tout vu. »

Erin secoua la tête et se releva avant de dépoussiérer son t-shirt sale et son jean.

« Je vais devoir laver ces trucs un jour. Mais ça veut dire que je vais devoir me balader nue. Est-ce que ça va poser un problème ? Et c’est quoi cette odeur ? »

Quelque chose sentait vraiment très mauvais. Erin couvrit son nez et grimaça, elle commença à recherche la source de l’odeur. C’était quelque part au sol, et une dizaine de pas furent suffisants pour qu’elle trouve un nid.

« Huh. Je suppose que sans arbres les oiseaux deviennent fainéants. Mais c’est un gros nid, et qu’est-ce que ce que c’est à l’intérieur… »

Erin jeta un coup d’œil dans le nid et recouvrit sa bouche. Elle eut un haut-le-cœur et prit quelques grandes inspirations.

« D’accord. Au moins je sais où disparaissent les oiseaux normaux. À l’intérieur de l’oiseau-dinosaure. »

Évitant de regarder les restes, Erin se retourna pour s’en aller. Elle fit deux pas avant de trébucher.

« Ouille. »

Elle se leva, berça sa main blessée et souhaita que ce monde explose. Ou juste elle. Elle se pencha pour regarder sur quoi elle avait trébuché.

« Des œufs ? »

* * *

Les seaux pouvaient contenir plein de choses. Idéalement on y mettait de l’eau, mais ils pouvaient aussi contenir des œufs. Ils pouvaient aussi contenir des œufs dans de l’eau, ce qui lui épargnait l’effort de faire deux voyages.

C’était tout de même une corvée de porter le seau à travers la prairie. Erin souffla et lutta tout en laissant s’échapper une myriade de complaintes en traînant le seau d’eau.

« Les gens faisaient vraiment ça tous les jours ? Voilà pourquoi la plomberie a été inventée. Et puis qui a mis le ruisseau si loin de l’auberge ? Pourquoi ne pas avoir fait un bon vieux puits ? »

Elle continua de grommeler jusqu’à atteindre l’auberge. Une fois arrivée, Erin fut forcée de s’appuyer contre la porte et de respirer comme un chien pour reprendre sa respiration. Elle remarqua une pancarte pendue juste à côté de son nez et plissa les yeux pour lire les lettres effacées.

« Huh. ‘Fermé ?’ Est-ce que c’est de l’anglais ? »

Ce n’était pas de l’anglais. Les lettres ne correspondaient clairement pas à de l’anglais. Malgré tout, Erin pouvait comprendre ce qui était marqué sur la pancarte.

« Flippant. Mais pratique. Qui a besoin de Google Traduction face à une bizarrerie magique ? »

Au moins cela confirmait les doutes d’Erin.

« C’était une auberge à une époque. Mais quelqu’un l’a abandonnée. »

Elle tapota ses lèvres en y réfléchissant et plissa les yeux en regardant la pancarte. La corde qui la retenait était effilochée et usée, mais elle était encore utilisable.

« … Bon. Qui trouve, garde. »

Erin donna un coup de pied pour ouvrir la porte et traîna le seau à l’intérieur. Elle s’arrêta et sortit de nouveau pour regarder la pancarte.

C’était plus par caprice qu’autre chose, mais Erin retourna la pancarte pour que cette dernière affiche ‘Ouvert’.

« Maintenant où est-ce que je peux trouver une ardoise et inscrire ‘les Gobelins ne sont pas autorisés’ ? »

C’était une question pour plus tard. En ce moment Erin était bien plus soucieuse de sa précieuse eau. Elle avait de l’eau. Elle avait durement porté son eau jusqu’à l’auberge. Maintenant elle devait trouver un endroit où la ranger. Le seau était pratique, mais il était petit et clairement peu adéquat sur le long terme. En outre, il fuyait un peu. Où allait-elle entreposer son eau ?

Erin erra jusqu’à la cuisine.

« Bon, il y a un chaudron. »

C’était en fait une jarre, mais ça ressemblait à un chaudron. Les deux à la fois. En tout cas, il était possible d’y stocker de l’eau. Malheureusement cela voulait dire qu’elle allait devoir le nettoyer avant tout.

Erin essaya d’utiliser le moins d’eau possible, mais la jarre était large, recouverte de poussière, et le seau n’était pas très grand. Elle fut forcée de faire un nouvel aller-retour, puis un autre.

Quand le chaudron fut finalement rempli et suffisamment propre, Erin était prête à cuisiner, des œufs par exemple.

Elle retourna dans la cuisine et observa les braises grises, puis fronça les sourcils.

« Je vais m’occuper de toi plus tard. Pour l’instant j’ai besoin de pâte. »

Une pâte, ce n’était pas compliqué. Il suffisait tout mélanger. Erin eut soudain une idée en regardant les ingrédients.

La préparation du pain était longue. Il devait lever et faire plein de trucs compliqués liés à l’action des levures, du moins c’était ce que sa compétence de [Cuisine Élémentaire] lui disait. Pour être franche, c’était probablement tout ce qu’elle pouvait faire avec ce qu’elle avait sous la main. Il n’y avait pas tant de possibilités avec de la farine, n’est-ce pas ? Mais des œufs ? Les œufs venaient de tout changer.

Erin regarda la farine, puis elle regarda le beurre et le sel, avant de regarder les œufs de nouveau. Elle plissa les yeux.

« Tant pis pour le pain. C’est l’heure de faire des pâtes. »

* * *

Le bol contenait beaucoup de farine, une pincée de sel, de l’eau et du beurre. De l’huile aurait été préférable, mais Erin n’en avait pas. Le beurre allait donc faire l’affaire. Elle sourit. C’était facile. Puis elle cassa l’œuf.

Un épais jaune brillant tomba dans le bol. Les œufs du dino-oiseau géant étaient trois fois plus gros qu’un œuf normal. Elle allait pouvoir faire beaucoup de pâtes. Mais ces œufs étaient légèrement différents.

« Oh. Oh mon dieu. Pourquoi y a-t-il des lignes rouges… ? »

Erin recouvrit sa bouche.

« C’était vivant. Il y avait un bébé à l’intérieur. »

Son estomac se souleva. Mais il n’y avait rien à vomir. Erin prit plusieurs grandes inspirations et tenta de réfléchir.

« C’est vrai. Les œufs normaux éclosent. D’accord. Ce n’est pas un magasin donc évidemment qu’ils allaient être vivants… Mais ils doivent être frais. Pas de bébé poulets à moitié nés, n’est-ce pas ? »

Elle regarda le reste de ses œufs. N’est-ce pas ?

* * *

Erin essuya sa bouche alors qu’elle continuait de mélanger la pâte. Elle n’avait pas vomi, mais son estomac était toujours un peu dérangé par tout le carnage qu’elle venait de faire. Si le mot était approprié.

« Désolée, bébé dino-oiseau. Mais j’ai vraiment besoin de manger, et désormais vous avez l’air bon et pâteux. »

Elle frappa la pâte délicatement. Le mélange était terminé, il était temps de rouler le tout, et de le couper de manière à former des pâtes.

Pour sa défense, Erin n’hésita presque pas avant de reprendre le couteau. Mais elle prit le temps de nettoyer le sang avant de commencer à couper. Cela lui prit un peu plus de temps car elle découpa avec une seule main tout en prenant bien  soin de ne pas laisser ses doigts sur le chemin du couteau, mais elle parvint finalement à obtenir une pile de longues nouilles prêtes à bouillir.

Erin tenait le premier service de nouilles crues au-dessus de la casserole remplie d’eau bouillante.

« Redoublons, redoublons de travail et de soins… Et tu termines à la casserole. »

Les pâtes tombèrent en éclaboussant le foyer. Erin jappa et sauta en arrière.

« C’est chaud ! »

Après s’être traitée d’idiote, Erin s’assit et attendit. Les nouilles n’allaient pas mettre longtemps à cuire, puis elle allait pouvoir ajouter du beurre, du sel et se régaler. C’était un bon plan.

« Dommage que je n’ai rien à boire avec. Un bon verre de jus aurait été très plaisant. Mais vous savez, ce n’était pas comme si je… Pouvais… »

Erin se leva, marcha jusqu’à la salle commune et regarda autour d’elle.

La pile de fruits bleus était là où elle l’avait laissée. Erin plissa les yeux en les regardant avant de caresser son menton en réfléchissant.

« Jus bleu ? »

Elle secoua la tête.

« Nan. Jus de fruits bleus ? C’est mieux comme ça. »


* * *


Préparer le jus était salissant, elle devait éplucher chaque fruit bleu et puis réduire la pulpe en une purée. Puis vint l’obligatoire aller-retour jusqu’au ruisseau pour avoir suffisamment d’eau pour rajouter à la mixture, sans oublier le fait qu’elle devait nettoyer les verres, les assiettes et les couverts. Après son énième trajet pour aller chercher de l’eau Erin avait l’impression que ses bras allaient tomber, mais ça valait le coup car maintenant elle avait quelque chose à boire.

« Mm ! C’est sucré ! C’est comme du sirop ! Du sirop avec des morceaux ! Ou… Un smoothie. »

Erin déposa le pichet de jus de fruits bleus dans la salle commune et vérifia les nouilles.

« Hum. Moelleux. Savoureux !  Les pâtes sont le meilleur plat du monde. »

Ses yeux se remplirent légèrement de larmes. Erin les essuya rapidement et prépara une grosse assiette de pâtes.

« Hum. Une fourchette… Une fourchette ! Est-ce qu’il me manque quelque chose ? »

Elle avait l’impression qu’il lui manquait quelque chose. Mais elle apporta son assiette dans la salle commune et s’installa quand même.

« Qui aurait cru que porter autant de choses avec une seule main était douloureux à ce point ? Enfin, je veux dire que tout est douloureux. »

Les pâtes étaient chaudes et délicieuses. L’estomac d’Erin gargouilla, mais elle avait toujours l’impression qu’il lui manquait quelque chose, et la douleur était toujours présente.

« Mais c’est un jour meilleur, n’est-ce pas ? Un jour légèrement meilleur. »

Erin regarda l’assiette. Pâtes ? Présent. Fourchette ? Présent. Jus ? Présent.

Elle soupira, un sourire essayant d'apparaître sur son visage. Sa main la faisait souffrir, mais Erin continua d’essayer de sourire et leva sa fourchette. Elle allait manger jusqu’à en vomir. D’accord, peut-être pas à ce point, mais jusqu’à être rassasiée. Elle porta sa première fourchette de nouilles brillantes jusqu’à sa bouche.

Toc, toc

Sans réfléchir, Erin se leva et alla jusqu’à la porte.

« Bonjour, je peux vous aider ? »

Un insecte géant se tenait dans l’ouverture de la porte. Il leva une antenne en guise de salutation et ouvrit ses mandibules.

« Salutations. Pouvons-nous rentrer ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 02 novembre 2019 à 17:05:40
1.07

Un insecte géant se tenait dans l’embrasure de la porte. Il avait de larges yeux globuleux, un corps recouvert d’une chitine marron foncé, et une paire d’épées à la taille. Il avait aussi un grand abdomen, et deux pinces sortaient de sa bouche ; il avait aussi quatre bras.

Erin regarda la fourmi-créature. Cette dernière ouvrit la bouche et commença à parler.

« Bonsoir, Humaine. Je me demandais si mon collègue et moi-même pouvions vous déranger quelques minutes… »

Erin ferma la porte, puis la verrouilla. Où est-ce qu’elle avait mis le couteau de cuisine ?

« Espèce d’idiot. Je t’ai dit que c’est pour ça que j’aurais dû ouvrir la porte. »

Les couteaux des Gobelins se trouvaient sur la table. Elle s’empara des deux et essaya de penser clairement. Couteaux. Chaise ? Il y avait beaucoup de chaises.

« Peut-être que ce n’était pas le bon moment ? »

Ou des fenêtres. Erin regarda autour d’elle, il y avait beaucoup de fenêtres. Elle pouvait sauter d’une d’entre elles si nécessaire.

« Pousse-toi. Je vais te montrer comment il faut faire. »

Quelqu’un frappa de nouveau à la porte. Erin se figea avant d’y retourner. Très lentement, elle ouvrit à nouveau la porte .

Un lézard géant… Non, un dragon miniature qui ressemblait vaguement à un humain baissa les yeux pour regarder Erin. Il devait faire un bon mètre quatre-vingt-cinq. Ses écailles étaient vert clair et il avait des griffes très, très tranchantes sur chacun main. Lorsqu’il sourit, Erin vit ses dents, oh, et il avait une langue fourchue.

« Bonsoir mademoiselle. Nous sommes désolés de vo… »

Erin ferma la porte, la verrouilla, et traîna une table pour se barricader. Elle pouvait sentir son cœur battre la chamade alors qu’elle poussa une nouvelle table pour renforcer sa barricade. Les couteaux n’allaient pas être suffisants, elle allait devoir sauter par une fenêtre.

«Bon travail pour ne pas l’effrayer. »

« La ferme. »

Est-ce qu’ils parlaient ? Erin écoutait avec attention, ses mains tremblaient tant elle était incapable d’attraper quoi que ce soit pour se défendre.

« Et maintenant ? Je ne pense pas qu’enfoncer la porte pour rentrer soit approprié en ce moment. »

« Quoi ? Mais ça va pas la tête ? Laisse-moi parler. C’est simplement une incompréhension causée par la vue de ta tête. Je vais régler ça. »

L’une de ces voix était plus aiguë que l’autre et agrémentée d’un étrange cliquetis. Erin devina que c’était probablement la voix de l’insecte. L’autre, l’homme lézard, prononçait les mots en allongeant les s. Les deux parlaient en anglais.

« Bonsoir ? Mademoiselle ? Nous ne sommes pas dangereux. »

L’un d’entre eux frappait à la porte. Erin tentait de ne pas avoir une crise d’angoisse, ses yeux allèrent vers la fenêtre, mais elle devait demander.

« … Est-ce que vous êtes un dragon ? »

Elle entendit un rire surpris depuis l’autre côté de la porte.

« Est-ce que je suis un dragon ? Aha. Haha. Bien, c’est juste que… Pince-moi. Je veux dire, est-ce que je ressemble à un dragon ? Peut-être que oui. Qu’est-ce que tu en penses ? »

« Tu es en train de rougir. »

« Silence, je suis de bonne humeur. »

La voix de l’homme-lézard se fit entendre de nouveau.

« Excusez-moi ? Je ne suis pas un dragon, Mademoiselle Humaine. Je suis un humble Drakéide au service de la Garde locale. Mon idiot de partenaire et moi étions en train de patrouiller quand nous avons aperçu la fumée. Pouvons-nous entrer ? Je vous promets que nous ne mordons pas. »

« Et que nous n’allons pas infliger d’autre type de blessure, corporelle ou mentale. »

« La ferme. Est-ce que tu essayes de lui faire peur ? »

Erin  réfléchit. Un recoin de son esprit était en train de décider si elle devait rire ou paniquer, et s’il décidait de rire, est-ce que ça devait être un rire hystérique ou non ?

Elle n’arrivait pas à se décider, donc à la place…

« Hum. Donnez-moi un instant. Je vais ouvrir cette porte. »

« Merci beaucoup. »

Erin poussa les tables hors du chemin et déverrouilla la porte, hésitante. Elle l’ouvrit et regarda l’insecte et le lézard géant une nouvelle fois. L’insecte la regarda en retour. Le lézard, de son côté, ouvrit la bouche et remonta ses lèvres dans ce qui était peut-être un sourire.

« … Salut. »

La main d’Erin se serra sur la porte. L’homme-lézard posa sa main sur la porte et l’empêcha de la fermer.

« Désolé, désolé Mademoiselle. Nous ne sommes pas là pour vous faire du mal, c’est promis. »

Erin espérait que c’était vraiment le cas, car elle ne pouvait pas bouger la porte d’un pouce. Mais il était trop tard pour fuir, n’est-ce pas ? Elle devait changer de tactique.

« Vous voulez quelque chose à manger ? »

L’homme-lézard cligna des yeux.

« Hum, pourquoi pas. »

« D’accord. C’est bien. »

Erin ouvrit lentement la porte. L’homme-lézard sourit de nouveau et entra doucement à l’intérieur. L’insecte géant entra à son tour et la salua poliment avec un hochement de tête.

« Bonsoir. »

« … Salut. »

Les deux regardèrent l’auberge vide. Erin pointa la table du doigt sans les quitter des yeux.

« Le repas est ici. »

« Ooh ! Des pâtes ! C’est bon ! »

L’homme-lézard, le Drakéide, frotta ses mains. Le bruit que ses écailles faisaient ressemblait à du papier de verre. Il s’assit sur une chaise alors que l’homme insecte s’arrêta.

« Je participerai volontiers à ce partage de nourriture si c’est offert. Cependant, nous ne souhaitons pas vous priver de votre repas. »

« Quoi ? Non, c’est bon. J’ai beaucoup de pâte. »

Erin pointa vaguement la cuisine du doigt.

« Laissez-moi trouver une assiette et… Des fourchettes. Est-ce que, hum, vous voulez quelque chose à boire ? J’ai de l’eau. »

« Je vais prendre un verre si c’est possible. »

« Je vais aussi accepter les pâtes et l’eau. Mais puis-je savoir si vous avez des insectes ? »

« … Non. Non, je ne fais pas d’insecte. »

« C’est fort dommage. »

Erin alla chercher les assiettes, elle entendit les deux s’asseoir et discuter sans rien faire pendant qu’elle se dirigeait vers la cuisine. Une fois à l’intérieur, elle se laissa tomber au sol et se donna quelques gifles avant de prendre les assiettes.

« Voilà. Hum, j’ai aussi du jus. Vous voulez un verre ? »

« Oh, merci. C’est… Bleu. »

« Ouais. Je l’ai préparé moi-même. C’est délicieux, vraiment. »

« Bien, j’accepte volontiers. Klbkch, tu veux un verre ? »

« Je vais m’en passer pour le moment. Nous devrions commencer notre travail au lieu de dîner. »

« Dans un instant, mangeons d’abord. Ça a l’air délicieux ! »

Erin les regarda, c’était une opportunité en or. Elle avait deux créatures qui, en plus de parler anglais, n’étaient pas enclines à la tuer et étaient en train manger ses plats. Elle avait tellement de questions à poser à propos d’elle-même, à propos de l’endroit où elle était, à propos de tout et n’importe quoi en fait.

Il était possible que ses questions allaient décider de son destin. Probablement pas, mais elles allaient être importantes. Mais avant qu’Erin ne pose une de ses nombreuses questions, incluant comment un ‘Drakéide’ et une fourmi géante savaient utiliser des couverts, elle se devait de demander à nouveau.

« … Vous êtes sûr que vous n’êtes pas un dragon ? »


***

« … Donc quelqu’un sur les murs a aperçu la fumée et a alerté le reste de la Garde. Puisque ça ne ressemblait pas à un feu de brousse et que nous savions que cet endroit était abandonné depuis plusieurs années, notre Capitaine décida de nous envoyer pour voir ce qui se passait. »

« De manière succincte : nous avons vu la fumée et décidé d’enquêter. »

Le lézard géant se tourna et jeta un regard mauvais à son compagnon l’homme-fourmi.

« C’est ce que j’ai dit. »

« Tu ne t’es pas très bien exprimé. Je reformule simplement tes paroles pour le bénéfice de tous. »

« Tu vois, c’est ça. Voilà pourquoi personne d’autre ne veut être ton partenaire. »

« Tes remarques blessantes ne sont pas nécessaires. De plus, je crois que nous nous égarons. Il faut se souvenir que nous sommes en présence d’un membre du grand public. »

« Oh. C’est vrai, désolé. »

L’homme-lézard s’éclaircit la gorge ; le son que cela provoqua était étrange pour Erin, bien plus grave et semblable à une basse.

En fait, tout semblait étrange pour Erin. Mais les deux créatures assises en face d’elle n’étaient pas le bas du panier.

Quoique... ces créatures semblaient injustes. Elles étaient probablement des “humaines”. Elles agissaient comme des humains, mais elles étaient…

Erin regarda les bras de l’homme-lézard. Ils étaient énormes, elle avait vu des bodybuilders sur des premières de magazines et dans de mauvaises pubs pour des salles de gym, mais ce gars était plus musclé que 90% de la population masculine. La population masculine humaine. Puis il était vert, vert avec des écailles.

Il regarda de côté, ses yeux étaient similaires à ceux d’un serpent ou d’un lézard. Elle détourna rapidement le regard et regarda l’homme-fourmi. Du moins, elle pensait qu’il était une fourmi.

Il avait beau être juste en dessous de la moyenne au niveau taille, l’homme insecte semblait petit comparé à son partenaire. Mais il était clairement plus haut sur l’échelle de la bizarrerie.

Principalement parce qu’il était un insecte, il avait des antennes.

« Mademoiselle ? »

Erin sursauta.

« Moi ? Salut, oui, moi. »

L’homme-lézard avala un peu de jus bleu.

« Désolé, mais pouvons-nous vous poser quelques questions à propos de vos origines ? C’est plutôt étrange de trouver une Humaine ici, encore plus dans un endroit abandonné comme celui-ci. Nous ne voulons pas être indiscrets mais c’est un peu notre boulot de poser ce genre de questions. »

« Quoi ? Oh, il n’y a pas de problème. Que voulez-vous savoir ? »

L’homme insecte se pencha vers elle.

« Bien, pour commencer, pouvons-nous nous enquérir de votre provenance ? »

« Je viens du Michigan. »

Les deux échangèrent un regard alors qu’Erin se gifla intérieurement.

« Le Michigan ? Je ne suis pas familier avec ce royaume. Ou peut-être est-ce une cité ? C’est au nord d’ici ? Par-delà les montagnes, peut-être ? »

« Hum. Non. C’est un peu plus loin que ça. »

« Oh, est-ce que vous êtes… Perdue ? En voyage, peut-être ? »

Erin secoua sa tête.

« Non, en fait je me suis perdue et… C’est stupide. Pourquoi est-ce que j’essaie de trouver des excuses ? »

Une nouvelle fois, un regard fut échangé.

« Hum, je ne sais pas ? »

Erin soupira et posa ses mains sur la table.

« Ecoutez. C’est compliqué et je ne peux pas vraiment l’expliquer. Mais vous croyez en… La magie ? Comme un super, super, heu… Sort de téléportation ? »

« Oh, un sort de téléportation ? Est-ce un accident ou est-ce que quelqu’un vous a visée ? »

« Hum. Je n’ai rien vu lorsque c’est arrivé. J’ai juste tourné à un croisement et… Écoutez, je suis apparue d’un coup quelque part dans le coin. Et puis y’avait… Un dragon

« Je te l’ai déjà dit. C’est flatteur, mais je ne suis pas un drag… Oh. »

L’homme-fourmi se pencha en avant.

« Est-ce que vous voulez dire que vous avez croisé un dragon ? Quelque part dans cette région ? »

Erin cligna des yeux.

« Est-ce que… C’est une mauvaise chose ? Je veux dire, c’est un dragon oui, mais est-ce qu’il n’est pas… »

L’homme-fourmi et elle regardèrent l’homme-lézard.

« Écoute. Ça devient un peu embarrassant. Je ne suis pas un dragon, je suis un Drakéide. Et oui, nous sommes de lointains cousins avec eux mais les dragons restent de très mauvaises nouvelles. Ils mangent des gens. Et vous dites que vous en avez vu un ? »

« Il m’a soufflé dessus. Du feu. Et puis j’ai été chassée par de petits hommes verts. »

« Des Gobelins »

« Oui, eux. Et puis j’ai trouvé ce dino-oiseau géant… »

« Un quoi ? »

« Un gros… Truc tanné, avec des ailes. »

« Oh, d’accord. Ces pestes. »

« Et puis il y avait les rochers-crabes, je veux dire, les crabes-rochers, et puis j’ai trouvé des fruits bleus avant et… Je vous ai rencontrés. Un non-dragon et un insecte. Qui ne veulent pas me manger ? Ou est-ce que ça va venir après le repas ? »

L’homme-lézard semblait choqué et offusqué.

« Bien sûr qu’on ne va pas te manger ! Ça serait barbare, en plus d’être illégal. Je veux dire, bien sûr, ça arrive de temps en temps dans un village lointain mais on ne va pas faire ça. N’est-ce pas, Klbkch ? »

L’homme-lézard se tourna vers son ami.

« En effet. Nous ne violerons pas notre devoir en tant que gardes. »

« Votre devoir ? Vous… Êtes des gardes ? Et vous… Vous êtes K… Kbch ? »

L’homme insecte leva une antenne.

« Pardonnez-nous, nous ne nous sommes pas présentés. Permettez-moi de corriger cette erreur. Je suis Klbkch, Garde Senior au service de la ville. Et voici mon partenaire. »

« Relc ! »

L’homme-lézard leva son verre.

« Et ce jus bleu est délicieux ! »

« En effet. Et je vous présente une nouvelle fois mes excuses, mais le véritable but de cette visite était d’évaluer les possibles risques en provenance de ce lieu. »

Erin regarda autour d’elle.

« Quels dangers ? Moi ? »

« Pas vous en particulier. Vraiment, cela aurait pu être n’importe quoi. Nous avons pensé qu’il aurait pu s’agir d’un incendie, ou de quelques Gobelins. D’un autre côté, si la fumée avait été causée par un groupe d’enfants stupides, nous serions en train de les traîner jusqu’à la ville en cet instant même, car il est dangereux de rester ici. »

Erin rencontra son regard, alarmé. Il avait des yeux très jaunes avec des pupilles noires.

« Dangereux ? Pourquoi c’est dangereux ? Il va y avoir un problème si je reste ici ? »

« Et bien, il n’y a pas de problème si vous souhaitez rester là. Excepté votre décès, bien sûr. »

« Mon décès ? »

Relc donna un coup de pied à Klbkch sous la table.

« C’est juste une possibilité. Ce, huh, lieu n’est pas très bon. Pour votre santé. »

Erin était pâle, et Klbkch intervint.

« La peste. Ce lieu était autrefois l’endroit où vivait une petite communauté avant qu’ils ne périssent tous. De manière horrible. »

Erin mit sa tête entre ses mains.

« Donc est-ce que je vais mourir en vomissant mes entrailles ou quelque chose du genre ? »

« Actuellement, les symptômes de la peste se manifestent en tant que… »

Relc donna un nouveau coup de pied à Klbkch.

« Pourquoi tu ne la bouclerais pas pour me laisser parler ? Écoute, Mademoiselle Humaine. Tu n’es probablement pas malade si tu es toujours en train de te balader dans le coin. »

« Et que vous ne suintez pas. »

« La ferme. Ahem. Nous avons juste été envoyés ici pour nous assurer qu’il n’y avait pas de Gobelins ou autres méchantes créatures qui avaient décidé de s’installer ici. Nous n’avons pas de problème avec les Humains. Du moins, pas de problèmes avec ceux qui ne sont pas violents. »

« En effet. Il n’y a pas de lois interdisant l’occupation de ce lieu. »

Les deux la regardèrent. Erin se sentit obligée de dire quelque chose.

« Bien. Merci ? »

« De rien. »

« En effet. »

« … Vous voulez une autre assiette de pâtes ? »

« Oh, bien sûr. »

« Je voudrais aussi une autre assiette.»

Erin servit de nouvelles assiettes de pâtes. L’auberge resta silencieuse tandis que chacun avalait ses nouilles, ou dans le cas de Klbkch, effectuait une action complexe avec le trou qui lui servait de bouche. Erin ne regarda pas de plus près.

Après quelques instants, Relc déposa sa fourchette.

« C’est vraiment très bon. Comment as-tu fait pour préparer tout ça ici ? »

« Oh, j’ai trouvé un peu de farine et du beurre dans l’un des placards. Il y avait des trucs… Runiques gravés dessus. »

« Cela doit être un sortilège de conservation. C’est assez commun dans les établissements de classe supérieure. »

« Mais tu l’as cuisiné, pas vrai ? Alors tu dois avoir des niveaux dans une classe de [Chef], pas vrai ? »

Erin regarda Relc.

« Des niveaux ? Oh, non. J’ai… Des niveaux en tant qu’[Aubergiste]. »

« Oh, je vois, je vois. C’est pratique. Est-ce que tu les as obtenus ici ? »

« Hum, oui. Chaque fois que je m’endors, je monte de niveau. Je suis… Hum, niveau 4. »

« Pas mal ! Surtout si ça ne fait que quelques jours que tu es là. Est-ce que les notifications t’ont réveillée pile au moment où tu allais t’endormir ? Je déteste ça. »

« Oui. »

« C’est vraiment embêtant. »

« … »

« … »

« Donc. Des niveaux. Des Classes. »

« Qu’en est-il ? Oh, tu te demandes ma classe ? Je suis un [Maître des Lances]. Cet idiot est un [Pourfendeur]. Nous avons tous les deux des niveaux en tant que [Gardes], mais pas autant que dans nos classes principales.

« D’accord, d’accord. C’est heu… Bon à savoir. »

« Et tu es une [Aubergiste], n’est-ce pas ? Est-ce que tu as une autre classe ? »

« Hum, non. Non. »

« C’est dommage. Mais tu es jeune, gagner des niveaux prend du temps après tout. »

« D’accord. Je vois. Hum. Admettons que je n’aie pas la moindre idée de ce que c’est de gagner des niveaux et de ce que sont les classes. Je viens de, heu, très loin et nous avons de différentes… Traditions. »

Relc et Klbkch échangèrent un regard.

« … Tu veux dire que tu ne gagnes pas de niveaux dans ton Michigan ? »

« Oh non, non. On gagne des niveaux, c’est juste, heu, différent de vous. Et je n’ai jamais vraiment fait attention en cours et tout… »

« Ils éduquent les Humains sur comment gagner des niveaux ? Bizarre. »

« C’est étrange. J’avais l’impression que le gain de niveau marchait de manière uniforme chez toutes les espèces. À moins que vous fassiez référence à une différence de classe ? »

« Oui. Non. Peut-être ? Écoutez, nous gagnons des niveaux. Vous gagnez des niveaux. Tout le monde gagne des niveaux, n’est-ce pas ? Nous pouvons tous gagner des niveaux dans des, heu, classes et gagner des compétences. Est-ce que j’ai bon jusqu’à présent ? »

Relc acquiesça aimablement. Il était en train d’aspirer des nouilles avec sa longue langue. Erin était fascinée, même si elle se demandait si elle devait être dégoûtée ou non.

« C’est comme ça que ça marche. Qu’est-ce qui te dérange ? »

« Hum. J’ai gagné des niveaux en nettoyant l’auberge. Et je n’étais pas une [Aubergiste] avant. Donc pourquoi… ? »

« Oh, ça. Tu as probablement rempli toutes les exigences pour la classe, c’est tout. Je sais que c’est plutôt bizarre de soudainement gagner une nouvelle classe, mais ça arrive. Je connais un gars qui a gagné quatre niveaux en [Fermier] parce qu’il faisait pousser des carottes dans des pots à côté de sa fenêtre. Gagner des niveaux est simplement bizarre. »

« Bon… D’accord. Laissez-moi y réfléchir. »

Erin dut se masser la tête alors que les deux gardes la regardaient avec inquiétude. Enfin, elle présumait que c’était de l’inquiétude.

« C’est un monde. Tout le monde peut y gagner des niveaux. Humains, homme-lézard, insectes qui parlent, chats, chiens, Gobelins… »

« Hey comment tu viens de m’app… »

Klbkch se pencha vers elle, coupant la parole à Relc.

« En fait, j’aimerais vous corriger sur ce point. Là où les races pensantes peuvent gagner des niveaux, les animaux et les créatures tels que les Dragons sont incapables de gagner des niveaux. »

« Quoi, vraiment ? Qu’en est-il des Gobelins ? »

« Ils peuvent gagner des niveaux. Maintenant sur ce que tu viens de dire. Je ne suis pas un lézard… »

« En effet. C’est une partie de notre héritage commun. Il y a fort longtemps, toutes les races se battaient avec bec, ongles et magie, avant de se diviser. Celles qui ont décidé d’abandonner leur nature et de poursuivre une vérité différente ont reçu le don du [Gain De Niveau], alors que celles qui sont restées fidèles à leur nature ont gardé la puissance de leurs natures. »

« Vraiment ? Est-ce que ça veut dire que… »

« Hey !»

Le poing de Relc frappa contre la table. Toutes les assiettes bondirent en l’air et Erin tomba presque de sa chaise. Elle regarda Relc, qui avait l’air renfrogné, mais lorsqu’il remarqua la pâleur de son visage il s’arrêta avant de prendre un air coupable.

« Hum, désolé pour ça. Vraiment. Mais, heu, est-ce qu’on peut parler de cette insulte ? »

« I-insulte ? »

« Ouais. Tu, hum, m’as appelé un homme-lézard, pas vrai ? »

« Est-ce mal ? »

« … Oui. Oui ça l’est. Je suis un Drakéide, pas un homme-lézard. Il y a une grosse différence. »

« Désolée. Désolée pour ça. »

« Uh, ne t’excuse pas. Écoute, j’ai peut-être un peu réagi de manière excessive. Je ne suis pas, hum, en colère… »

Klbkch donna un coup de pied à Relc sous la table.

« Je crois que c’était à mon tour de faire ça. Présente ton excuse à l’Humaine pour ton impolitesse. »

« … Ouais, pardon. »

Relc inclina sa tête, jusqu’à ce que la crête piquante sur sa tête touche presque le dessus de la table. Erin secoua ses mains avec véhémence.

« Oh non, non. S’il vous plaît, ne faites pas ça. Je ne savais pas que c’était impoli. Si je l’avais su, je n’aurais jamais… Il y a une grande différence entre les hommes-lézards et les Drakéides, pas n’est-ce pas ? »

« Seulement quelques différences, mais l’animosité entre leurs deux cultures est… »

« La ferme. Je suis quand même désolé. Mais oui, il y a une grosse différence. Je veux dire, la plupart des Humains n’arrivent pas à nous différencier, mais les hommes-lézards vivent près de l’eau et peuvent aussi respirer sous l’eau, du moins certains d’entre eux. Alors que les Drakéides préfèrent les climats plus secs. Nous aimons avoir du soleil, de grands espaces ouverts… »

« Des rochers confortables pour faire la sieste en plein milieu du service. »

« Tu es juste une grosse fourmi, alors tu te tais. Dans tous les cas, nous sommes spéciaux. Ces gars sont juste des amphibiens qui ont appris à marcher sur deux pattes. Nous, en revanche, sommes de la même famille que les Dragons. Nous avons des pouvoirs spéciaux. »

« Comme ? »

« Nous pouvons cracher du feu. Ou du moins certains d’entre nous le peuvent. »

Relc s’installa confortablement sur sa chaise et croisa les bras avec un sourire triomphant. Erin et Klbkch le regardèrent en silence.

« Quoi ? C’est un grand pouvoir ! »

« Je suis certain que c’en est un ? »

« Ouais, ça a l’air incroyable. Vraiment… Vraiment cool ! »

Relc donna quelques coups de coude à Klbkch.

« Tu vois ? Elle comprend. Je te l’avais dit que c’était cool. »

« Ouais, c’est génial. »

« Je sens que je dois mentionner le fait que tu es personnellement incapable de cracher du feu, Relc. »
« La ferme, Klbkch ! »

Relc semblait à la fois agacé et gêné.

« Seule une poignée de Drakéides peut le faire, d’accord ? Ne pas pouvoir cracher du feu est parfaitement normal, et certains d’entre nous peuvent le faire, donc voilà. »

Il regarda Erin de manière anxieuse.

« On est réglo, pas vrai ? »

Erin sourit et leva le pouce en guise de confirmation. Puis elle grimaça de regret, elle venait d’utiliser sa mauvaise main.

« Oouh c’est moche. Qu’est-ce qui s’est passé ? »

« Quoi, ça ? C’est rien, c’est juste… »

Klbkch se leva brusquement, Erin sursauta, mais il leva deux de ses bras frêles.

« Pardon. Je ne souhaite pas vous faire de mal. Mais puis-je voir votre main ? »

Erin hésita, avant de lentement avancer sa main. Vu de l’extérieur, le pansement était gris et rouge de sang coagulé. Quelques gouttes tombèrent sur le sol.

Klbkch inspecta sa main avec attention avant de relever les yeux vers Erin.

« Une nouvelle fois, veuillez m’excuser. Mais puis-je vous demander de retirer le pansement ? »

Erin hésita de nouveau, mais elle commença à lentement défaire le pansement entourant sa main avant de grimacer. La douleur qui sourdait dans sa main s’aggrava soudainement, et un liquide commença à couler sur le sol.

C’était du pus jaunâtre et blanc coulant depuis la blessure. Il regarda la plaie pendant quelques secondes, ses antennes bougeant lentement, puis releva la tête.

« Ouais, hum, ouais. »

Erin tenta de respirer, sa main brûlait.

« Ce… Désolé, c’est idiot. Je me suis coupée et je suppose que ça s’est infecté, mais… »

« Ce n’est pas une infection. »

« Quoi ? »

« C’est du poison. D’une certaine manière. »

« Vous êtes certains ? Ça ne ressemble pas à... »

« Il y a un poisson, dans la rivière proche, qui sécrète un mucus qui attaque la surface touchée. Comme dans ce cas. J’ai déjà vu des blessures de ce type chez d’autres gardes. »

« Vraiment ? Je veux dire, ce n’est pas une infection ? »

Erin était en train de trembler. L’homme insecte la tenait avec délicatesse.

« S’il vous plaît, ne soyez pas alarmée. C’est soignable. Permettez-moi. »

L’un de ses bras descendit et Erin le vit sortir un objet d’une des poches de sa ceinture. Elle cligna des yeux alors qu’il lui présentait une bouteille d’un liquide vert émeraude scintillant.

« Ceci est une potion de soin de basse qualité. Si vous en versez sur une blessure, cela devrait soigner vos malheurs. »

Délicatement, Klbkch retira le bouchon de la bouteille et la tendit à Erin qui la prit précautionneusement, avant d’hésiter.

« C’est… Je veux dire, est-ce que c’est sans danger ? Même pour les humains ? »

Klbkch et Relc acquiescèrent, Relc lança un regard à son partenaire mais l’homme-fourmi était résolu.
« Croyez-moi, s’il vous plaît. Cela vous soignera. »

Erin le regarda dans les yeux. Des yeux à facettes, de larges facettes. Marron et fractales, comme chez les fourmis. Ils étaient aussi très effrayants, mais Erin décida qu’elle pouvait leur faire confiance.

Elle agrippa fermement la potion de sa main gauche et versa lentement son contenu sur sa main droite avant de laisser échapper un cri de surprise.

« Est-ce que vous allez bien ? »

« Je… Je n’ai plus mal ! »

Relc renifla doucement, ce qui ressemblait au bruit d’une souffleuse au démarrage.

« Bien sûr que ça ne fait plus mal. Qui voudrait créer une potion de soin qui blesse les gens ? Mais regarde ! »

Il pointa sa main du doigt, Erin la regarda et vit que la coupure se fermait à une vitesse incroyable. La chair se refermait et en un instant la coupure avait disparu. Erin était estomaquée.

Klbkch reprit la bouteille à moitié vide de ses mains avant qu’elle ne la fasse tomber. Elle était trop occupée à toucher sa main du doigt pour y faire attention, mais lorsqu’il eut rangé la bouteille, elle se retourna et l’enlaça.

« Merci beauc… Aïe ! »

« Mes excuses. Il n’est pas conseillé de serrer ceux qui ont un exosquelette dans les bras. Est-ce que vous allez bien ? »

Erin recula et commença à masser l’endroit où ses bouts pointus l’avaient touchée.

« Oui, oui tout va bien. Et comment puis-je… Je ne peux pas suffisamment vous remercier. C’était…C’était une potion de soin, n’est-ce pas ? Comment puis-je vous rembourser ? »

Elle commença à chercher autour d’elle pour donner quelque chose à Klbkch, mais ce dernier leva une de ses… Nombreuses mains.

« S’il vous plaît. Ce n’était rien C’était simplement une potion de basse qualité sans réelle valeur. Disons que cela servira de paiement pour le repas. À moins que vous ne soyez pas d’accord ?

« Oh non, merci. Je veux dire, c’est probablement plus que… Puis-je vous donner une autre assiette ? Ou… ou si vous revenez, je pourrai vous servir à nouveau un repas. »

« J’accepte cette offre avec plaisir. Mais je suis déjà repu, et je pense qu’il est temps pour nous de partir. Nous ne souhaitons pas abuser de votre hospitalité. »

Relc fit une pause alors qu’il venait de reprendre du jus de fruits bleu.

« Ha bon ? »

« Nous sommes toujours en service, tu te souviens ? Le Capitaine attend un rapport de notre part. Nous pourrons toujours prendre le temps de socialiser si nous revenons un jour. »

« Ou, et écoute-moi, Ou… Nous pourrions avoir plus de nourriture et rester ici plus longtemps. »

« Je suis certain que tu préférerais ça. Mais nous sommes payés pour travailler, et non pour nous amuser. De plus, tu es en train de manger tout le dîner de cette Humaine. »

Relc regarda la table et se leva immédiatement.

« D’accord. Bien, partons de ce pas. Hum, pardon Mademoiselle. Là, laisse-moi payer pour le repas… »

Erin tenta de protester mais une main écailleuse ouvrit la sienne avec délicatesse et déposa une poignée de pièces de cuivre et deux pièces d’argent dans sa paume.

« J’insiste. Et au passage, le jus bleu est vraiment bon. »

« Merci. »

« Bien, nous partons. Passez une bonne nuit. »

Les deux quittèrent l’auberge et Erin les regarda partir. Elle chercha un endroit où s’asseoir et décida que le sol allait faire l’affaire, avant de rester immobile pendant l’heure qui suivit.

***

Relc et Klbkch quittèrent l’auberge. Ils commencèrent à marcher à travers l’herbe sous le ciel étoilé. Il faisait froid, mais ils marchaient rapidement. Les deux gardes scannaient le paysage en marchant, les mains sur la lance et les épées à leurs tailles. Ils n’étaient pas nerveux, juste prudents.

Après un certain temps, Relc brisa le silence.

« Cette fille est bien seule. »

« C’est une fille ? Je n’arrive pas à faire la différence. »

« Je peux. Les glandes mammaires. »

« Les seins, du moins je crois que c’est comme ça que ça s’appelle. Ou peut-être que le mot est doudounes ? »

« Vraiment ? Je pensais que c’était un vêtement ? »

« C’est comme ça que j’ai entendu un petit humain les appeler une fois. Mais c’est une femelle, et jeune, correct ? »

« Ouaip, je parierais dessus. Mais je ne sais pas ce qu’une Humaine peut faire là-bas, encore moins dans un endroit pareil ? »

« Fouiller la vie personnelle d’autrui est une affaire pour la Garde pendant que nous sommes en service. Respecter l’espace personnel d’autrui est un principe de bienséance dans les interactions sociales. »

« La ferme, elle avait juste l’air seule, c’est tout. Sinon quelle serait la raison pour qu’une femelle Humaine décide de traîner avec un Drakéide et un gros insecte ? »

Klbkch resta silencieux quelques instants.

« Est-ce que tu penses qu’elle est une criminelle ou qu’elle craint pour sa vie ? »

« Même si elle l’était, qui se cacherait là-bas ? Il faudrait être fou, ou éventuellement être un mage ou un prêtre pour tenter le coup. »

« C’est vrai. Mais au moins nous savons qu’il n’y a pas de danger. Elle serait probablement déjà morte si l’endroit était encore dangereux. »

« Je parie qu’elle n’en savait rien. Et son expression lorsque nous sommes entrés : elle n’avait jamais vu de Drakéide ou d’Insecte de sa vie. »

« J’aimerais que tu parles de mon espèce en utilisant le bon terme. »

« Qu’est-ce que tu en penses ? Je parie qu’elle est en fuite ou quelque chose du genre, ou peut-être un enfant qui a été séparé de son clan. »

« … »

« D’accord. Antinium. Heureux ? »

« Le fait qu’elle soit en fuite est le cas le plus probable. Je trouve difficile de croire qu’un Humain décide d’errer aussi loin dans les prairies par accident et elle ne semblait pas à la recherche de direction. »

« Bâtard. »

« Tu as raison en un sens. Mais spéculer n’apportera rien d’intéressant. Nous avons enquêté sur la fumée et nous pouvons faire notre rapport. Dans tous les cas elle ne brise pas de loi étant donné que l’auberge a été abandonnée il y a presque trois ans. »

« Et il y a cette histoire de dragon, tu penses qu’elle l’a inventée ? »

« Elle ne mentait pas, du moins pas intentionnellement. Cependant… »

« Ouais. Un Dragon ? Vraiment ? »

« Il est plus probable qu’elle était victime d’hallucination. Peut-être qu’elle a rencontré une Wyverne cracheuse de feu, ou un monstre de moindre calibre. Mais je doute qu’elle ait survécu à une rencontre avec un véritable Dragon. »

« De plus, on le saurait si un Dragon vivait dans le coin. Ils sont difficiles à rater. »

« En effet. »

« Donc… Une femelle humaine apeurée ? Qui n’est pas une menace ? »

« C’est ma conclusion. »

« Bien, bien. Allons faire notre rapport au Capitaine et dormir. Enfin, je vais aller me coucher et tu vas faire ce truc flippant d’hibernation où tu te tiens debout. »

« D’accord. Et c’est très reposant. Tu devrais essayer un de ces jours. »

« Sans façon. »



Ils marchèrent en silence pendant un long moment. La route retour jusqu’à la ville était longue, et ils devaient rester sur leurs gardes pour éviter les nombreux dangers potentiels. Même si aucun des deux n’avait réellement peur des prédateurs tant qu’ils gardaient leurs yeux et leurs oreilles (ou trous) ouverts, il valait mieux prévenir que guérir.

Après un long moment, Klbkch brisa le silence.

« Donc, devrions-nous revenir demain ? »

« Oh, absolument. Directement après le boulot ? »

« Nous pourrions peut-être ajouter cette visite dans le cadre de nos fonctions, si nous réussissons à convaincre notre Capitaine que c’est nécessaire. »

Relc donna une grande tape à l’arrière de l’exosquelette de Klbkch.

« Maintenant tu penses comme un vrai Drakéide. »

« Je ferai mon possible pour que cela ne se reproduise pas. »

« Va te faire griller. »

Ils continuèrent de marcher pendant quelques minutes avant que Relc ne brise le silence de nouveau.
« Donc, une faible potion de soin sans réelle valeur, hum ? »

« Est-ce que tu aurais préféré que je lui dise sa véritable valeur ? »

« Non, non. C’est mieux comme ça. Même si je crois qu’elle a quand même compris. »

« … Peut-être »

« Comment tu vas t’expliquer auprès du Capitaine, hum ? »

« Je réduirai le prix de la potion de ma paye. De plus, elle a été utilisée pour protéger un civil. »

« Tu es un véritable saint, pas vrai ? T’essaies de gagner des niveaux dans ta classe de [Saint] ? »

« Tu sais très bien que je n’ai pas de niveau dans une classe de ce type. J’ai simplement fait preuve de générosité. »

« Ouais, ouaaaaaaaaais bien sûr que ce n’était que de la gentillesse. »

« Je n’ai pas d’attraction sexuelle envers les Humains. Contrairement à toi. »

« Moi ? J’aime pas les humains. Ils n’ont pas d’écailles, ils sont poilus et ils sentent bizarre. Je veux dire, celle-là est sympa mais je n’ai clairement pas envie de voir à quoi elle ressemble sous ses vêtements. »

« Hum. Ce n’est pas très intéressant. Ils sont très charnus. »

« Beurk. »

« En effet. »

« Donc, on revient demain ? »

« Ne travaillons-nous pas ce jour-là ? »

« Mince, c’est vrai. »

« Cependant, nous pouvons directement y aller après la fin de notre ronde. »

« Ooh, bonne idée ! Il ne fera pas encore nuit à cette heure. »

Ils marchèrent en silence, et bien évidemment, Relc rompit à nouveau le silence.

« Ce n’est pas que je ne suis pas intéressé. Je garde l’esprit ouvert ! Regarder ne me dérangerait pas. Si elle le proposait. Ça ne vaut pas les bonnes vieilles écailles, mais je pourrais voir au-delà de toute cette chair. Peut-être. »

« Déviant. »

« La ferme. »

« Dans tous les cas, elle était fort sympathique. Lui parler était plaisant. »

« Ouais. Ouais, je suis content qu’on n’ait pas eu besoin de la tuer. »

« En effet. »

***

Erin était assise contre l’un des murs. Elle était en train de s’endormir, même si elle voulait courir dans la pièce en hurlant à propos d’hommes-lézards. Non, de Drakéides, de fourmis sur deux pattes, et de ce monde fou mais cela lui semblait niais. De plus, elle l’avait déjà fait pendant quelques heures.

Son esprit était engourdi, ses paupières étaient lourdes. Erin était sur le point de de s’endormir et sa main ne lui faisait plus mal. Elle était souriante.

Finalement, son esprit succomba au sommeil. Sa respiration se fit plus régulière, ses yeux se fermèrent, et elle s’endormit.

[Aubergiste Niveau 5 !]

[Compétence – Artisanat Élémentaire obtenu !]

« … Laissez-moi dormir. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 06 novembre 2019 à 21:03:25
1.08

Erin se réveilla avec un grand sourire.

En fait, elle se réveilla et se rendormit plusieurs fois avant que la lumière du soleil ne se fasse trop éblouissante pour pouvoir être ignorée. Mais lorsqu’elle décida de se lever et de prendre son petit déjeuner, elle le fit avec un grand sourire.

C’est en mangeant plusieurs fruits bleus qu’elle se rendit compte qu’elle venait d’utiliser ses deux mains. Erin dut s’arrêter pour regarder la paume de sa main droite pendant quelques instants. Elle toucha sa peau, propre, sans cicatrice et sans blessure avant de sourire.

« Les potions de soin sont géniales. »

Elle s’installa confortablement dans sa chaise, contractant ses mains. Elle n’avait pas mal, c’était incroyable à quel point elle n’avait pas mal, et elle le devait à un homme fourmi géant et à un homme léz… À un Drakéide. Comment s’appelaient-ils déjà ?

« Klbkch et… Le gars Drakéide. »

Erin soupira en se remémorant, difficilement, leur rencontre.

« Vraiment. Ils étaient tellement normaux. Mais apparemment je suis aussi normale. Au moins, je sais qu’il y a d’autres humains dans le coin. Mais du gain de niveau ? Des Classes ? Suis-je une Aubergiste ? Comment puis-je diriger une auberge ? Comment ça marche ? »

Puis elle se souvint d’autre chose.

« J’ai encore gagné un niveau. »

Erin tapota son torse. Elle avait l’impression qu’elle devait ressentir une sorte de fierté, mais tout ce qu’elle ressentait était la satiété. Puis elle se souvint.

« [Artisanat De Base]. Autant essayer, en plus j’ai plus de fruits. »


***


Son voyage jusqu’au verger d’arbres à fruits bleus se déroula sans encombre. Alors qu’Erin regardait les fruits bleus, elle se demanda pour la première fois combien elle pouvait encore en manger avant de les compter.

« … J’ai encore quelques semaines avant d’être à court. Mais beurk, manger des fruits bleus durant tout ce temps serait écœurant. Au moins j’ai encore quelques ingrédients pour faire des pâtes si j’arrive à trouver des œufs. »

Mais que se passerait-il lorsque son petit placard s’épuiserait ?

Erin mit la main dans la poche de son jean et entendit le clink des pièces. C’est vrai, elle avait un peu d’argent. Mais combien cela représentait-il ? Plus important encore, comment allait-elle le dépenser ? Ce n’est pas comme si elle pouvait manger du métal.

Se plaignant à elle-même, Erin continua de cueillir des fruits bleus. Devoir les porter à la main devenait de plus en plus pénible car elle en faisait souvent tomber quelques-uns qui s’abîmaient, s’amollissaient et perdaient de leur goût. Pourquoi ne pas chercher une solution ?

Erin regarda le sol, elle vit de… L’herbe. Elle regarda les arbres, elle vit du bois mais rien pour le couper, donc ça ne l’avançait pas. Elle regarda l’herbe et quelque chose dans son cerveau s’éclaira.

« Voyons voir. Si je prends ce long brin d’herbe et que je fais un nœud ici… »

Erin s’agenouilla et commença à prendre de plus longs brins d’herbe avant de tester leur résistance. Elle commença à faire des nœuds et à couper l’herbe avec son couteau. Elle remarqua qu’elle devait rester concentrée sur son travail, elle ne pouvait pas passer en pilotage automatique, mais en même temps ses gestes semblaient sûrs. Et après moins de vingt minutes, elle se releva et regarda un panier en brins d’herbe.

« Wow. »

Erin leva le panier et l’observa, il était léger mais solide. Elle déposa les fruits bleus dedans et le souleva pour voir s’il allait résister. L’herbe se courba vers le bas, mais l’anse d’herbe tressée ne céda pas. C’était un véritable panier, mais fait d’herbe.

Était-ce un vulgaire panier ? Absolument. Avait-elle envie de danser avec des pompons sur une île déserte ? Bien sûr. Est-ce que cela donnerait une piètre image d’elle ? Probablement. Devrait-elle avoir honte d’elle-même ? C’était déjà le cas. Mais elle avait un panier.

Plus important encore, elle avait un plan.

Que pouvait-on faire avec un panier ? On pouvait manger et marcher en même temps car le panier libérait une main. Erin mangea quelques fruits bleus et garda les noyaux, puis elle alla chercher des œufs.

Il lui fallut une heure avant qu’elle tombe sur un autre nid. C’est lorsqu’Erin remarqua la présence révélatrice d’une forme marron tapie dans l’herbe haute qu’elle décida d’aller vers le nid en tapant du pied et en faisant le plus de bruit possible.

Cette fois, la créature qui émergea de l’herbe ne s’échappa pas immédiatement. À la place, l’oiseau-dino poussa un cri perçant et plongea vers elle. Erin ne recula pas, mettant une main à son panier avant de lui jeter un noyau.

Elle le manqua.

Mais l’objet volant effraya le ptérodactyle géant, qui hésita avant de s’envoler au loin pendant qu’Erin continuait de lui lancer des noyaux. Elle rit de manière triomphante et se précipita pour s’emparer des œufs. C’est à ce moment que l’oiseau décida de faire demi-tour et plongea droit sur elle, la piquant et essayant de la mordre. Il n’avait pas peur des noyaux après tout.


***


C’est uniquement après le départ du dino-oiseau qu’Erin arrêta de courir et découvrit l’une des nombreuses morsures ensanglantées de son bras et de son dos tout en essayant de ne pas crier.

« Truc débile. »

Au moins il n’avait pas été trop gros. Erin avait réussi à le frapper quelques fois avant qu’il n’arrête d’essayer de lui manger le visage. Mais cela ne voulait pas dire qu’elle s’en était sortie indemne.
Erin siffla de douleur en appuyant sur une autre blessure. Elle ne voulait rien d’autre que mettre de l’eau fraîche sur ses plaies, malheureusement il y avait de nombreux rochers suspects en chemin. En fait, il y en avait six, dispersés à travers la plaine. Bien, son tour de passe-passe avait beau ne pas marcher sur les oiseaux, les crabes-rochers étaient une autre histoire.   

Sur le chemin du retour, Erin lança des noyaux dégoulinants sur deux des crabes-rochers lorsqu'ils s’approchèrent d’elle. Ils n’apprécièrent pas le liquide nocif sur leurs carapaces et s’enfuirent avec des cliquetis bruyants. Erin essuya le liquide puant de ses mains et dépassa le groupe de manière triomphante.


***


Erin arriva à l’auberge en début d’après-midi, et la bonne nouvelle fut qu’elle avait arrêté de saigner sur le chemin du retour. La mauvaise nouvelle fut qu’à peine la porte de l’auberge passée, Erin cligna des yeux puis vomit.

Après quelques minutes, elle arrêta de tousser et d’avoir des hauts-le-cœur suffisamment longtemps pour observer la flaque de liquide bleu avec horreur. Puis elle vomit de nouveau, et encore une fois.

D’une quelconque manière, Erin arriva à atteindre le ruisseau. Ce fut une combinaison de marche rapide et de pauses régulières pour vomir qui l’amenèrent jusque-là. Elle ne se jeta pas dans l’eau glacée, son mouvement était plus proche de la chute involontaire, et commença à trembler lorsque ce qui la rendait malade devint plus sérieux.


***


L’heure suivante fut passée à être accroupie dans le ruisseau à avaler de l’eau et à la vomir tout en surveillant le cours d’eau pour éviter les poissons fous. Heureusement, ils ne semblaient pas enclins à s’approcher d’elle. En fait, elle vit l’un d’entre eux nager vers elle et manger le contenu de son estomac qui avait été porté par le courant. C’était dégoûtant.

Erin lava sa bouche et ses mains pour la dixième fois et sentit le tremblement et la nausée s’amoindrir pendant un instant.

« C’était… C’était quoi ça ? »

Erin ne pouvait que marmonner en regardant l’eau. Elle bougea la tête, non par choix mais pour surveiller l’eau en guettant l’arrivée des dangereux poissons plats.

Le poisson qui avait avalé son vomi flottait à présent, le ventre en l’air. Erin vit les autres poissons l’éviter tout comme ils l’évitaient elle.

« … Du poison. Ça doit être du poison. »

Mais est-ce que c’était une simple intoxication alimentaire où rendre son repas était suffisant, ou un autre type d’empoisonnement où elle allait devenir verte et mourir ?

« Dans tous les cas, je me sens un peu mieux, et je verrai tout ça plus tard. »

Erin marcha jusqu’à l’auberge alors que les dernières nausées disparaissaient. Elle supposa qu’elle était chanceuse, elle ne s’était sentie mal que pendant une heure seulement. Si cela avait été sérieux…

Erin s’arrêta et sourit. Sérieux ? Elle pouvait se rappeler un temps où elle n’avait pas à lutter pour sa vie, oh, il y a trois jours environ, être malade à ce point l’aurait empêchée de quitter son lit pendant toute une semaine.

« Et j’aurais eu une équipe de docteurs me donnant des médicaments par dizaines. »

Elle rit doucement, puis son sourire disparut, Erin posa ses mains sur son visage.

Elle trembla.

Mais continua d’avancer, la nuit commençait à tomber et elle ne pouvait pas s’arrêter.

C’était trop dangereux pour elle.


***


La clef pour se distraire était le mouvement. Erin bougea dans l’auberge et s’occupa, elle nettoya le vomi sur le sol, fit la vaisselle du mieux possible avec un peu d’eau, prit un maigre repas de pâtes et apporta plus d’assiettes et de couverts dans la salle commune. Puis elle stocka les œufs et les fruits bleus dans un placard, alla à l’étage et nettoya quelques chambres. Si elle bougeait, c’était principalement pour patienter.

« Ils ont dit qu’ils allaient me rendre visite. Mais est-ce qu’ils le pensaient vraiment ou est-ce qu’ils sont occupés ? Dans tous les cas, je peux toujours faire plus de pâtes et garder les restes pour plus tard, pas vrai ? »

Elle avait une casserole remplie à ras-bord de pâtes chaudes dans la cuisine et elle s’était déjà servi une assiette pour la manger avec un peu de jus de fruits bleus avant de réaliser qu’il faisait nuit. Erin regarda par la fenêtre, espérant trouver deux silhouettes s’approchant, mais la prairie était vide. Le ciel était incroyablement large, les étoiles tellement nombreuses. C’était magnifique, terrifiant. Erin aurait adoré les regarder si elle avait été chez elle, malheureusement les deux silhouettes ne paraissaient jamais.

« Ils doivent être occupés. »

Erin soupira, la nuit ne faisait que commencer, elle pouvait attendre.

La jeune femme s’assit à une table, son estomac était plein, ses vêtements déchirés et sales, ses paupières de plus en plus lourdes. Mais toutes les minutes, ses yeux se tournaient en direction de la solide porte de bois, elle attendait.


***


Relc s’étira sur sa chaise dans la caserne. Cette dernière était plutôt vide : en début de soirée, la plupart des gardes avaient déjà terminé leur service ou avaient commencé leurs tours de garde pour la soirée. Ceux qui restaient encore dans le bâtiment étaient presque tous des Drakéides, à l’exception de quelques grands [Gardes] humanoïdes poilus. Tous étaient occupés à leurs propres affaires.

Le Garde Sénior jeta un regard irrité vers le large insecte penché au-dessus d’une table à côté de lui.

« Est-ce que tu as enfin fini de t’enregistrer pour finir ta journée ? »

« Presque. »

Klbkch fit une notation précise avec une plume au bas d’un parchemin.

« Voilà. J’ai officiellement marqué que cette journée était terminée pour nous deux. Une nouvelle fois. »

« Super. Merci. Est-ce que tu veux aller voir cette Humaine ? J’ai entendu… »

Une Drakéide appela Relc depuis l’autre bout de la salle. Elle n’était nullement aussi large que lui, mais elle portait une cotte de maille et une épée à la taille, et elle avança rapidement vers lui.

« Il y a une bagarre sur la place du marché. Vas-y et arrête-moi ce grabuge ! »

« Quoi ? Un abruti devait vraiment commencer une bagarre maintenant ? On allait partir et.. »

« Tu la fermes et tu bouges ! »

« … Idiote. »

« Fort dommage. Ne traînons pas. »

« C’est agaçant. Bon, on va rapidement frapper quelques cerveaux-écailleux. Peut-être qu’on aura toujours le temps d’aller à l’auberge après. »

« Tu sais que nous allons devoir poursuivre ceux qui vont s’enfuir. Et puis, il faut vérifier l’étendue des dégâts, les interrogations, ainsi qu’enquêter s’il y a eu des vols durant la bagarre. »

« Aw. »

« Ne t’inquiète pas. L’humaine n’ira nulle part. »

« Je sais, je sais. Mais je voulais manger plus de pâtes et… »

« Relc ! »

Le cri d’énervement fit grimacer Relc et il recouvrit les deux trous de chaque côté de sa tête.

« D’accord, on y va. Bon sang, je déteste vraiment la Capitaine. »

« Ne l’insulte pas alors qu’elle peut t’entendre. »

« Elle peut s’étouffer sur mes écailles. Allons-y et réglons cette histoire presto. »

« Après toi. »


***


Erin était assise au comptoir de son bar et attendait, tout était parfait.

Enfin, c’était presque parfait. C’était acceptable. Elle avait un panier de fruits bleus, il y avait encore des pâtes dans une grosse casserole, et elle avait même de l’eau fraîche en provenance du ruisseau. La vaisselle était presque entièrement propre, et au fond, elle était prête à accueillir quelques clients.
S’ils décidaient d’arriver un jour.

Évidemment ses paupières s’alourdirent, sa respiration ralentit, et elle s’endormit en rêvant qu’elle était toujours éveillée.


***


Boom. Boom

Erin se réveilla, elle leva la tête et regarda autour d’elle avec des yeux encore engourdis par le sommeil, il faisait nuit.

Boom. Boom

Quelque chose frappait à la porte. Erin essuya la bave qui avait coulé sur son menton et se leva de la table. Elle avait dû s’endormir en attendant, mais ils étaient là. Elle tituba jusqu’à la porte et frissonna. Il faisait froid, en fait, plus que froid. C’était… glacial ?

La poignée de porte était recouverte d’une fine couche de gel. Par-delà la porte, Erin pouvait sentir quelque chose de terriblement froid, et un courant d’air glacé soufflait en-dessous de la porte. Ou était-ce le frisson causé par la peur le long de sa colonne vertébrale ?

Boom.

Erin recula promptement de la porte, ce n’était pas quelqu’un qui toquait à la porte. On la frappait violemment.

« Hey. Qui est là ? »

Elle aurait aimé que sa voix ne soit pas si tremblante.

« Un visiteur. »

Est-ce que c’était un murmure ? Non, c’était plus proche d’un écho. Ça sonnait comme une forte voix qui parlait depuis des milliers de kilomètres, une voix qui n’avait rien d’humain. Une voix ne pouvait pas être aussi profonde et aussi terrifiante. 

« Hum. Nous sommes fermés. D-désolée. »

La chose de l’autre côté de la porte… Ricana. C’était probablement un ricanement. C’était humide et gargouillant.

« Cela n’a pas d’importance. J’ai besoin de me sustenter. De me nourrir. Donne-moi de quoi me nourrir et je te laisserai en paix. »

À manger ? Comme, manger de la chair ? Erin frissonna.

« J’ai rien. Va-t’en ! »

« Tu ne me refuseras pas. Ouvre cette porte ou fais face à ma colère. »

Ce fut la goutte d’eau pour Erin. Elle s’éloigna de la porte.

« Je te préviens ! Si tu rentres, je vais, je vais… »

Elle regarda autour d’elle de manière désespérée. Il faisait trop sombre et elle ne se souvenait pas de l’endroit où elle avait rangé les couteaux des Gobelins. Une arme, elle avait besoin d’une arme.

« Ne m’énerve pas plus que cela. Si tu refuses ma simple requête, je vais… »

Elle n’attendit pas de savoir ce que la voix allait faire, elle pouvait le deviner. Erin préféra courir dans la cuisine, elle avait besoin d’une arme. Un couteau, un bout de bois, une spatule, n’importe quoi.
La main d’Erin trouva le manche d’une casserole quand un bruit de grattement dans le bois stoppa sa respiration. Elle avait oublié, elle attendait Klbkch et son ami, ce qui voulait dire que…

La porte n’était pas verrouillée.

Quelque chose était en train d’ouvrir la porte. Erin courut jusqu’à cette dernière et jeta son corps contre elle. Elle repoussa la chose qui était de l’autre côté, mais ne parvint pas à fermer complètement la porte, la chose était presque entrée.

« C’est imprudent. Ton insolence ne fait qu’aggraver ton cas. »

La créature siffla en direction d’Erin. Elle pouvait l’entendre à travers la porte, elle poussait pour essayer d’ouvrir la porte. Mais Erin était motivée par la peur et parvint à retenir la porte.
« Madame. Je ne souhaite qu’un humble repas. Nourris-moi et je reprendrai mon chemin. »

La créature squelettique passa une main dans l’ouverture de la porte. Quelque chose de noir gouttait depuis ses os, le liquide éclaboussa le bois avant de disparaître.

« Je ne souhaite pas m’énerver. »

Sa main tenait la casserole, son cœur était silencieux dans sa poitrine.

« Non. »

« Non ? »

La créature monstrueuse sembla reculer, surprise. Cette dernière entrouvrit un peu plus la porte et quelque chose de nocif s’y engouffra.

« Quel dommage. Mais tu vas me sustenter que tu le souhaites ou non. »

Erin tenta de maintenir la porte fermée mais la créature l’ouvrit brusquement. Elle tomba en arrière et regarda avec horreur.

Une chose qui avait beaucoup plus d’os que la normale et des bouts de chair qui pendaient de manière hasardeuse baissa les yeux vers elle. Elle avait une odeur épouvantable, et une lumière pourpre jaillissait de ses orbites.

« Donne-moi ce que je désire. Ou je vais… »

Erin hurla et lança la casserole.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 09 novembre 2019 à 20:05:35
1.09

C’était instinctif, la casserole en métal vola vers la créature avant que cette dernière n’ait le temps de finir sa phrase.

« Bordel de… » 

Avant que la casserole n’atteigne la créature, cette dernière fit un bruit différent des murmures et grognements, c’était très humain et très surpris. Puis après s’être prit la casserole la créature ne fit plus de bruit.

L’image du gigantesque squelette recouvert de ténèbres dégoulinantes disparue en un instant. Erin regarda l’individu, bien plus normal et complètement inconscient et portant une robe grise, qui était étendu sur le sol. Une grosse bosse commençait déjà à apparaître sur son front. Erin l’observa de nouveau, avant de concentrer sur son regard sur ses robes.

« … Et bien. »

***

Le jeune homme était en train de rêver. Peut-être qu’il était en train de rêver à quelque chose de confortable, ou peut-être qu’il était en train de réfléchir au chemin qu’avait pris sa vie dans l’un de ces rêve qui pouvait servir de révélation.  Dans tous les cas, le seau d’eau était suffisant pour le réveiller.

« Quoi… Qui ose… ? »

Le jeune homme se leva, se frottant la tête. Erin le regarda, il n’avait pas l’air très magique, ou très impressionnant pour être franc. Sa peau était pale, ses cheveux bruns étaient en bataille et il sentait mauvais. En fait, l’odeur venait probablement de ses vêtements qui donnaient l’impression qu’ils n’avaient jamais été lavés.

Le mage regarda Erin et cligna des yeux, Erin lui retourna son regard.

« Donc. Tu vas me faire du mal si je ne te donne pas à manger, hum ? »

Erin se releva et craqua ses doigts pour paraître menaçante. Ça lui faisait mal, mais elle essaya de ne pas le montrer. Le jeune leva un doigt, tremblant légèrement, et le pointa vers elle.

« Sache que je suis un mage de grande puissance et que je ne serai pas… »

Le mage se tût rapidement alors qu’Erin souleva la casserole en acier avec une main.

« Ceci. Ceci est une poêle à frire. »

Erin agita la casserole devant le visage du jeune homme, elle le vit suivre la casserole des yeux et rougit en réalisant son erreur.

« En réalité Maîtresse, c’est une casserole… »

« Si je dis que c’est une poêle, c’est une poêle. La partie importante c’est que je vais te frapper avec si tu essayes quoique ce soit. »

« Oh, vraiment ? »

Le mage lui ricana au nez avant de disparaître. Ses yeux étaient braqués sur la casserole, avant de retomber vers une ceinture à sa taille.

« Hey, Arrête ! »

Il l’ignora et marmonna quelque chose avant de disparaître. Un profond écho se réverbéra à travers la pièce.

« Sois témoin de mon po… »

Erin donna un coup de casserole à l’endroit où le mage venait de disparaître.

Clong.

« Aie ! »

Le mage réapparu, tenant le côté de son visage qui venait de recevoir le coup. Erin leva une nouvelle fois la casserole et le mage leva ses mains pour se défendre.

« Réessaye et je te frapperai plus fort. »

« Calmons-nous, il n’y a pas besoin de recourir à l’usage de violence. Je peux voir que tu n’es pas une plébéienne ordinaire, mais une extraordinaire plébéienne. Et crois-moi, c’est un grand compliment venant de la part d’un praticien des arcanes tel que moi. »

Erin le regarda.

« Je sais ce que plébéien veut dire. »

« Oh. »

« Une autre insulte ou un sort d’invisibilité débile et je casse quelque chose. »

Le mage semblait surpris.

« Tu… Comment sais-tu que c’était un sort d’invisibilité ? »

Erin leva les yeux au ciel.

« Est-ce que ça pourrait être autre chose ? »

Le mage cligna des yeux en la regardant avant de murmurer sans réel effort pour cacher ses paroles.
« Malin. Elle est très intelligente pour une aubergiste. »

Erin continua de le regarder. Il toussa en évitant son regard.

« Ahem. Bien, je m’en vais. »

Il se leva et essuya ses robes de manière dramatique, de la terre et de la crasse tombèrent sur le sol en grande quantité sur le sol de l’auberge. Erin regarda son sol et le fusilla du regard. Il s’inclina en lui faisant une courbette et lui fit un sourire charmant. Ou du moins il devait penser que son sourire était charmant.

« Mes excuses, chère Aubergiste, pour tous ces malentendus. J’espère que tu accepteras cette récompense pour le temps que je vous ai fait perdre. »

Il mit la main à sa poche et retira quelques pièces de bronze. Il les offrit à Erin, mais elle ne bougea pas quand il les déposa sur la table.

« Donc tu me payes pour m’avoir fait peur et pour avoir tenté de me voler de la nourriture. »

Le mage lui fit un sourire de vainqueur, ce qui ne fit pas partir la mine renfrogné d’Erin.

« Des mots durs, Maîtresse. Mais oui, j’aimerai faire amende, et je suppose que ce payement est acceptable, n’est-ce pas ? »

Erin regarda les quatre morceaux de bronze avant d’observer son visage, impassible et ne trahissant pas le moindre signe d’émotion.

« Tu transpires. »

Il tamponna son front avec sa robe.

« Vraiment ? Je suis terriblement désolé. Juste laisse-moi, ah… »

Trois autres pièces apparurent dans le creux de sa paume avec un mouvement de son poignet, donnant l’impression qu’il venait de faire un tour de passe-passe, mais il n’était pas doué.

« Certaines personnes n’aiment pas être menacées par un monstre squelettique géant venant des enfers. »

« Je vois ? »

Le nombre de pièce dans sa paume ne changea pas, Erin le fusilla du regard.

« Certaines personnes s’offusqueraient du fait que quelqu’un vient d’essayer de les escroquer. »

Il cligna des yeux.

« Traditionnellement ceux qui pratiquent la magie sont des êtres d’une grande puissance qui ne devraient pas être menacé. »

« Ouaip, et ils sont des os très fragiles. Je suis certaine que les mages sont terrifiants lorsqu’ils sont loin, mais les baguettes ne sont très efficaces quand il s’agit de bloquer des poêles à… Des casseroles. »

Il lécha ses lèvres mais son visage resta placide.

« C’est un bon point. Laisse-moi corriger ma dette. »

Une pièce d’argent apparue au creux de sa paume. Erin fronça les sourcils sans rien dire. Une seconde pièce d’argent apparue, suivi pas une troisième.

Elle croisa les bras.

Trois nouvelles pièces d’argent se joignirent à la petite pille, il était définitivement en train de transpirer.

« Je, hum, j’espère que ceci est suffisant, Maîtresse. Je suis parfaitement prêt à payer le prix nécessaire pour… Pour effacer ma dette, mais je suis légèrement sans le sous en ce moment. »

Erin continua de le regarder.

A contrecœur, il mit la main à sa ceinture et en sortit une pièce d’or avant de lui la présenter.

« Est-ce que, hum, cela est suffisant ? »

Erin céda légèrement, elle s’empara des pièces dans sa main sans prendre la pièce d’or. Elle eut l’impression de l’entendre soupirer de soulagement, mais son visage resta passif. Même s’il était toujours en train de transpirer.

« Tu sais, je voulais juste savoir ce qui allait de passer si je continuais de te regarder. »

« Ah. Bien sûr. Et bien, en tant que praticien des arts mystiques je sens qu’il était toujours sage de se montrer… Généreux. »

« C’est certainement plus pratique. Et tu sais, si tu payerais tout ce que tu achètes, tu n’aurais pas à essayer de faire peur aux gens pour obtenir ce que tu veux. »

« Ah, mais l’argent est tellement… Mondain. Ou serait le plaisir de la vie sans un peu de variété ? »

« D’accord, et tu trouves cette variété en terrifiant les gens avec des illusions ? »

« Seulement pour certaine occasion. Et je comprends parfaitement votre agacement. Cependant, je pense que notre désaccord est réglé et je vais… »

Il commença à s’éloigner d’elle pour aller en direction de la porte. Sur le chemin son estomac gargouilla et il devint rouge, mais continua de marcher. Erin soupira avant de rapidement prendre une décision.

« Où est-ce que tu vas ? »

Il pencha ses épaules et Erin vit sa main se resserrer sur la poignée de porte.

« Et bien, si tu n’as plus besoin de moi… Après tout, j’ai payé. Donc je ne souhaite pas te déranger plus que né… »

« Reviens ici et je te donnerai à manger. »

Il se retourna avant de cligner des yeux, mais Erin était déjà dans la cuisine à la recherche d’une assiette et d’un verre.

« Tiens. Du jus bleu et quelque fruit bleu. J’ai aussi des pâtes dans une casserole, mais je vais devoir les réchauffer. »

Erin posa le verre et l’assiette et ajouta trois fruits. Elle s’attendait à voir le mage commencer à manger sans hésitation ou faire une remarque désobligeante, mais il devint plus pale.

« Ah. Est-ce que je dois manger ça ? »

« Ouaip, c’est le repas. »

« Et, je suppose que si je ne le fais pas, tu vas me frapper avec cette casserole, n’est-ce pas ? »
Il la regarda de manière méfiante, Erin lui rendit son regard.

« Mais de quoi tu parles ? Je te donne à manger. Est-ce que tu es allergique à la couleur bleue ou quelque chose genre ? »

Une nouvelle fois, le visage de son invité semblait être prit entre l’envie de dire quelque chose et l’envie de s’enfuir en courant. Il pointa le fruit bleu d’un doigt hésitant.

« Est-ce que tu, hum, est au courant que ce fruit est vénéneux? »

Erin s’arrêta, le fruit qu’elle venait de prendre se trouvant à quelques centimètres de sa bouche.

« Vénéneux ? »

Il lui sourit, son visage encore plus pale qu’auparavant.

« Extrêmement. Le noyau du fruit d’Amentus cause une mort douloureuse en quelque heure si ingéré. Même si la partie extérieure est comestible, les graines sont très toxiques, tu es au courant n’est-ce pas ? »

« Hum. Je le suis désormais ? »

« Je vois. »

« … Tu en veux un ? »

Il regarda le fruit bleu avec appréhension.

« Est-ce que j’ai l’option de refuser ? »

« Écoutes, c’est sans risque. J’en ai déjà mangé plein, il suffit de manger autour du noyau et tout va bien se passer, d’accord ? »

Il ne fit aucun mouvement en direction de l’assiette.
« Imaginons que j’accepte vos mots. Je n’oserai pas remettre en question votre connaissance du sujet Maîtresse, c’est juste que… »

« Mais bon sang. »

Erin se rendit jusque dans la cuisine, agacée, avant de s’emparer d’un couteau. Le mage eut un mouvement de recul en la voyant, mais elle attrapa l’un des fruits et commença à couper l’extérieur du fruit. Elle laissa le noyau sur le comptoir et mit les morceaux de fruits directement dans l’assiette. Deux autres fruits subirent le même sort avant de servir abruptement l’assiette devant le mage.

« Voilà. De la nourriture entièrement non vénéneuse prête à être mangé. Heureux ? »

Elle le fusilla du regard. Il s’empara précautionneusement d’une part et la regarda avec appréhension.
 
« Je suppose que la toxicité est acceptable si ce n’est que le fruit, bien. »

Il mordit dans le fruit avec précaution, après quelques secondes et prit une autre bouchée. En moins d’une minute l’assiette était vide et il essuya quelques gouttes de jeu bleu au coin de sa bouche avec sa robe.

Erin déposa une assiette de pâte fumante devant lui.

« Tu as faim, pas vrai ? Tiens c’est pour toi. »

« Mes remerciements. »

Et ça semblait être de véritables remerciements. Erin devina qu’il devait vraiment avoir faim. En fait, et maintenant qu’elle l’observait d’un peu plus prêt, elle se rendait compte que sa robe semblait trop grande son maigre gabarit. De plus, en prenant en compte l’état de son habit et l’odeur qui s’en échappait, elle devait qu’il devait être dans un sale état.

Cependant, il mangea avec la vigueur et l’appétit de deux hommes, donc elle supposait qu’il était toujours en forme. Il ralentit uniquement quand elle remplit son assiette pour la deuxième fois, avant de s’arrêter, probablement pour digérer, et la regarda.

« Donc, si je peux être curieux, qu’est-ce qu’une délicate fleur d’effervescence fait dans un tel endroit ? »
Erin le regarda.

« Est-ce que tu essayes d’être impressionnant, ou est-ce que tu parles vraiment comme ça ? »

Il se redressa et prit un air offusqué.

« Quelle impolitesse. Mon lexique et ma diction sont juste un résultat de mon éducation, et nullement une façade qui… »

« Arrête. Tu passes pour un idiot. »

Il regarda Erin d’un œil mauvais, mais le regard d’Erin se montra plus puissant.

« D’accord, je suppose que ce n’est pas la peine d’essayer d’impressionner quelqu’un possédant les rudiments d’une éducation. Mais ma question se tient : qu’est-ce qu’une jeune fil…Femme comme toi fait ici ? »

Sa voix était toujours aussi hautaine et condescendante qu’auparavant, mais au moins il avait arrêté de dire des mots à sept lettres comme un joueur de scrabble. Erin décida qu’il venait de gagner quelques secondes de patience supplémentaire, mais cela ne voulait pas dire qu’elle devait se montrer aimable.

« Je me suis perdue. »

Il leva un sourcil dubitatif.

« Perdue ? Il faut un certain talent pour se perdre dans les Plaines Inondées. Est-ce que vous êtes une locale ? Même si je doute sincèrement que vous en êtes une.»

« Les Plaines Inondées ?  Mais de quoi tu parles ? »

Le mage secoua sa main autour de manière désintéressé.

« Cette région est connue sous le nom de Plaines Inondées de par le fait qu’un adorable phénomène climatique lié à la géographie locale fait que… Mais qu’importe, tu ne peux pas être du coin si tu ne connais rien à son propos. Mais j’aurai pu le deviner au fait que tu sembles être humaine au premier regard. »

« Je suis complètement, à 100% humaine, merci. Et pourquoi cela ferait une différence. »
« Les locaux n’aiment pas trop les humains. »

Il avala une autre fourchette de pâte en continuant de l’observer.

« C’est une autre chose que tu ignorais, n’est-ce pas ? Bien, bien. Une voyageuse qui ignore tout de l’endroit où elle se trouve… Un sort de téléportation peut-être ? »

Erin le regarda de manière incrédule.

« Comment tu as deviné ? En fait, c’est à moitié vrai, mais comment tu as deviné ? »

Il haussa les épaules.

« C’est commun. En fait, ce n’est pas réellement commun mais c’est la seule explication que j’ai trouvé. Je suppose que tu aurai pu être emporté par une des espèces aviennes locales, mais elles ont tendances à laisser tomber leurs proies pour manger leurs os. »

Erin frissonna.

« Ils deviennent aussi gros ? Non, ne me dit rien, je n’ai pas envie de savoir. Mais j’ai l’impression que tu as raison, c’était un sort de téléportation ou quelque chose du genre. Ca ne semblait pas être un sort mais… »

« Et tu es une experte en sort de téléportation peut-être ? Je vois. »

Cette fois le ton hautain se fit plus prononcé et la main d’Erin hésita en direction de la casserole.
« Non, mais je paris que ce type de sort créé un grand flash lumineux ou un bruit bizarre, pas vrai ? »

Il semblait réticent.

« … Peut-être. »

« Dans tous les cas, je n’ai pas vu un idiot en robes agiter une baguette en hurlant ‘abracadabra’. De plus il n’y a pas de magiciens de là ou je… Enfin, je veux dire, je suis certain qu’il n’y avait pas de… j’ai pris une intersection et me voilà. »

Erin hésita, mais les yeux du mage étaient soudainement remplis d’intérêt. Il se pencha dans sa chaise.

« Vraiment ? Tu as simplement prit une intersection et tu t’es retrouvé dans un lieu totalement différent ? »

« Ouaip. Puis je n’ai fait que m’amuser depuis mon arrivée. »

Il s’assit de nouveau.

« Fascinant. »

« Fascinant comme ‘je sais quel sort c’était ?’ »

Il secoua sa tête.

« Non, non. Je n’ai pas la moindre idée de quel type de magie est capable d’avoir ce résultat, voir même si un sort est capable d’avoir un tel effet. Cela semble être un sort qui… Et bien, il, disons que seul quelques rares mages vivants ont potentiellement le pouvoir de réaliser un tel exploit. De plus, le fait que tu en sois la cible ne fait aucun sens. Pourquoi quelqu’un gâcherait un sort aussi puissant pour quelqu’un d’aussi commun que… Que… »

« Moi ? »

Il évita son regard.

« Oui, en effet.  Mais je vois que vous êtes bien installé. C’est… C’est un charmant établissement que tu as là. Très pittoresque. »

« Ce n’est pas à moi. Je l’ai juste trouvé et je suis devenu une [Aubergiste] en passant un coup de chiffon. »

« En effet, c’est souvent le cas. Cependant tu sembles t’être bien adaptée. Ce lieu n’est pas hospitalier pour la plupart des hommes. »

« Merci, je suppose. Mais si c’est si inhospitalier, et crois moi je sais à quel point il l’est, pourquoi est-ce que tu es là ? »

Il cligna des yeux.

« Moi ? »

« Oui, toi. Je t’ai dit pourquoi j’étais là. Alors pourquoi en mage débraillé fait ici à effrayer les gens pour un repas ? »

Il dépoussiéra ses robes de manière défensive.

« Mon apparence physique n’a aucun lien avec… »

« Répond à la question. »

Il semblait inconfortable.

« Je, ah, suis ici pour étendre mes horizons. Cette nation, enfin, cette collection de cité-état est hospitalière pour les gens qui essayent d’éviter d’attirer l’attention sur eux. De plus, il y a de quoi se nourrir si quelqu’un à les bonnes capacités. »

« Comme prétendre d’être un horrible monstre ? »

Il évita son regard.

« Certain doivent faire le nécessaire pour survivre. »

Elle le regarda.

« Je suppose que c’est vrai. Est-ce que tu te sens bien, à voler des gens innocents ? »

Il devint rouge à ces mots, il posa sa fourchette et poussa son assiette vide.

« Tu ne serais pas aussi rapide à me juger si tu en savais plus sur les gens que tu défends. »

« Peut-être, peut-être pas. Mais les deux que j’ai rencontré étaient plutôt polis, ont payés pour le repas, et n’ont pas essayé de me menacer lors de notre première rencontre. Alors que tu es le premier humain que je croise. »

Une nouvelle fois, Erin et son invité se regardèrent droit dans les yeux. Cette fois, il détourna le regard en premier avant de se lever.

« Je vois que je ne suis plus la bienvenue. Soit, ton repas était adéquat, Maîtresse. Je te prie d’accepter ma sincère gratitude. »

Son plan était probablement de s’en aller mais Erin lui barra le passage.

« Tiens. »

Elle lui offrit deux fruits bleus, il hésita.

« Prend-les, tu as l’air maigre, et si tu les manges peut-être que ça t’évitera de déranger d’autre personne. Merci d’avoir été un client, reviens et je te redonnerai à manger. Réessaye de me faire peur et je te frapperai plus fort. »

Il la regarda de manière incrédule, mais accepta quand même les fruits.

« Hum. Merci. »

Les deux se tinrent de manière gênante durant quelques instants.

« Je viens de me rendre compte que je n’ai jamais demandé ton nom. »

« Moi ? Oh, je suis Erin. Erin Solstice. Et tu es ? »

Le mage fit un pas en arrière avant de lui faire une courbette distinguée. Erin regarda la tache bleue sur la manche de sa robe.

« Pisces, praticien de magie, étudiant de l’Académie de Wistram, spécialisé dans les écoles magiques d’Illusion et de magie Élémentaire avec des compétences additionnelles dans de nombreux autres écoles de magie. »

Erin leva un sourcil dubitatif.

« C’est bien pour toi, tu as un passe-temps ? »

Il hésita.

« … La Nécromancie. »

La porte se referma, et Erin resta figer devant cette dernière.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 09 novembre 2019 à 20:08:08
Dix chapitres en un peu plus d'un mois! C'est un rythme que j'espère pouvoir continuer de suivre, avec un chapitre le mercredi et un chapitre le samedi.

Je vois que ce projet à prit un d'ampleur, et je remercie tout ceux qui suivent cette traduction! Mais encore une fois je vous conseilles aussi de supporter l'auteur original de cette oeuvre, Piratebea, en se rendant sur le site officiel de l'oeuvre.

Une petite précision par rapport au dernier chapitre, notre nouvel ami (*tousse*) le mage surnomme Erin 'Maîtresse' dans le sens 'Maître d’Hôte', mais je n'ai pas trouvé une traduction plus adéquate qui collait toujours à son tutoiement. Les malheurs de la traduction!

Si vous avez des commentaires ou des questions, le sujet est là pour ça, sinon je me contenterai de poster un autre message pour fêter le vingtième chapitre!
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 14 novembre 2019 à 01:19:22
Le temps passa et Erin trouva le sommeil.  Le temps continua de passer jusqu’au moment où Erin se réveilla. Tout cela n’était que de mineurs détails, l’important était le bruit.

Toc. Toc

Après un certain temps, le bruit se fit trop bruyant pour l’ignorer. Erin ouvrit les yeux et se redressa, le monde était bien trop lumineux et bruyant.

Quelqu’un était en train de frapper à la porte. Erin hésita à retourner se coucher, mais la personne continuait de frappe. Exaspérée, elle se leva et alla ouvrir la porte.

« Qu’est-ce que tu veux ? »

Pisces, le magicien amical, sourit de toutes ses belles dents.

« Bonjour Maitresse. Je me demandais si mon humble personne pouvait s’inviter dans… »

Erin ferma la porte, avant de la rouvrir quelques secondes plus tard.

« Moins de mots. Va droit au but. »

« Hum, soit. Est-ce que tu es ouvert aujourd’hui ? »

Erin regarda autour d’elle.

« Moi ? »

« Toi. Cet établissement. »

« Ici ? »

Pisces cligna des yeux plusieurs fois, avant de parler très lentement.

« Est-ce que cette auberge est ouverte ? Est-ce que tu sers de quoi me susten… De quoi me nourrir ? Je paye, je mange ? »

Erin le regarda d’un mauvais œil.

« Il était tôt. Oui, je suppose que je suis ouvert. Tu peux rentrer. »

Elle retourna à l’intérieur avec le pas lourd, avant d’être suivi par Pisces.

« J’aimerai consulter le menu si po… »

Erin posa une assiette sur la table avant de partir et de revenir avec quatre fruits bleus qui rejoignirent l’assiette sans délicatesse. Pisces regarda les fruits et ouvrit la bouche, puis il vit l’expression sur le visage d’Erin et décida de garder ce qu’il allait dire pour lui.

« Si je peux te déranger et demander un couteau et une fourchette… »

Elle claqua les couverts sur la table et s’en alla. Elle aurait aimé pouvoir retourner se coucher, mais le bruit que faisait Pisces en frappant ses couverts contre l’assiette était trop distrayant. A la place, elle prit un fruit bleu pour elle et alluma un feu pour réchauffer les pâtes. Elle mangea son fruit dans un amer silence.

A l’extérieur, il commença à pleuvoir.

***

La pluie tomba depuis les cieux comme une tempête de grêlons. Enfin, elle tombait comme de la pluie, mais les gouttes étaient bien plus grosses et tombaient bien plus lourdement que d’habitude. Le battement de la pluie contre le toit était presque assourdissant.

Presque, derrière elle Pisces déposa ses couverts et soupira bruyamment. Erin souhaitait pour qu’il ne soit pas là, ce n’était pas qu’elle n’aimait pas un peu de compagnie, elle se sentait terriblement seule après tout, mais elle aurait aimé avoir quelqu’un d’autre pour lui tenir compagnie.

« C'est une sacrée averse. »

Elle parlait toute seule, mais il prit cela comme une invitation pour parler.

« Cela arrive souvent. Un phénomène météorologique naturel, comme il en arrive tant. »

Erin se retourna et lui lança un regard mauvais, ses deux sourcils se dressèrent et il leva son verre.

« Un autre verre s’il te plait, ce dernier est vide. »

« Ou est-ce que tu as… Reste en dehors de ma cuisine. »

« Et c’est tout ce que je souhaite, mais je crois que j’avais terriblement soif et j’aimerais en avoir un autre, si possible… »

Les deux d’Erin tremblèrent d’agacement, mais elle en profita prendre un verre. Elle ne lui servit pas sa boisson, mais posa le pichet à l’autre bout de la table, là où il allait devoir tendre le bras pour l’attraper. 

« Est-ce qu’il pleut comme ça souvent ? »

« Rarement, c’est simplement de saison. Pour être franc, c’est une aberration, normalement il pleut bien plus longtemps, mais quelqu’un est probablement en train de jouer avec la météo. Je suppose que nous allons avoir une petite tempête, et rien de plus. »

Elle le regarda d’un air curieux.

« Jouer avec la météo ? Comment ? »

Il lui fit un sourire narquois. Elle nota, à son grand mécontentement, qu’il était déjà à son deuxième verre de jus bleu.

« Avec de la magie, c’est la seule solution. Un idiot incapable de voir plus loin que le bout de son nez a probablement lancé un sort de contrôle météorologique. Impressionnant, je suppose, mais bâclé dans son exécution. »

Erin jeta un coup d’œil à t’extérieur.

« C’est impressionnant pour moi. Je veux dire, c’est une sacrée tempête, ne faut-il pas être un puissant sorcier pour réussir quelque chose du genre ? »

« Le terme correct est mage, Maîtresse »

« Mon nom est Erin, idiot. »

« Aha. Accepte mes excuses, mais si tu fais référence à l’un de mes collègues exaltés, le bon terme est mage. »

Erin lui lança un nouveau regard, et il ne semblait pas être dérangé.

« Vous n’avez pas de sorcier, d’ensorceleur, ou de… Démonistes ? Des sorcières ? Tout le monde est un mage ? »

« Comment dire… Ce sont des titres pour les mages qui ont atteint certaines conditions? Un sorcier est un chercheur en arcane et un véritable étudiant des arts arcaniques. Ce sont des individus proches de ce que je suis, mais qui préfère étudier des branches de magie plus communes. D’un autre côté, les ensorceleurs sont simples et ceux que l’on prénomme ainsi sont ceux qui se sont instruit dans les arts magiques et qui eut peu de véritables éducations. Les Démonistes sont ceux qui obtiennent leurs pouvoirs via d’autres sources comme les invocations, alors que les sorcières pratiquent de l’alchimie lié à des écoles magiques spécifiques. Donc, mage reste le terme généralement accepté pour parler d’une personne pratiquant la magie »

Il s’arrêta, Erin continua de le dévisager.

« D’accord, je n’avais pas besoin de savoir tout ça. »

Pisces hocha les épaules.

« Tu as demandé, je ne faisais que remplir mon rôle en tant qu’invité. »

« C’est bien. Bien pour toi. Donc, c’est un… Mage qui a fait ça ? »

« Oui. Et ce n’est pas particulièrement difficile, je suppose que pour une non initiée cela peut paraître impressionnant, mais un mage de niveau 30 pourrait facilement lancer ce sort. Voir moins, si l’individu en question est spécialisé. »

« Donc… »

« Comme je viens de le dire, ce n’est pas très impressionnant, n’importe quel mage pourrait lancer un sort de ce type. »

« Est-ce que tu peux ? »

Pisces s’arrêta.

« Ma spécialisation se trouve dans un différend domaine. »

« Comme les cadavres. »

Il évita son regard et vida son verre.

« Ce n’est qu’une autre branche magique, Maîtresse Erin. »

Erin le regarda et s’apprêtait à ajouter quelque chose quand la porte s’ouvrit violemment.  Erin et Pisces se tournèrent pour voir une sombre silhouette trempée rentrer dans l’auberge avant d’ouvrir ses bras en grand.

« Bien le bonjour gens à sang froid, Humain à sang chaud et… Oh. »

Relc s’arrêta et regarda Pisces, Klbkch ferma la porte et s’inclina légèrement.

« Pardonnez notre intrusion. Est-ce que cet établissement est ouvert ? »

« Quoi ? Oh, oui. »

Erin chercha ses mots, Relc continua de regarder Pisces qui faisait particulièrement attention à l’ignorer en se resservant un verre.

« Ça fait un bout de temps, je suppose. Mais entrez, ou installez-vous. Prenez un siège. Vous voulez quelque chose à manger ? »

« Si vous le voulez bien. »

Klbkch essuya ses pieds et s’installa à une table, Relc était toujours en train d’observer Pisces.
« Tu t’es multiplié ? Est-ce que les Humains peuvent faire ça ? »

« Quoi ? Oh non, c’est juste Pisces. Il est agaçant donc il vaut mieux l’ignorer. »

Erin fit signe à Relc de s’asseoir  avant d’aller chercher de nouvelles assiettes.

Relc continua de regarder Pisces jusqu’à ce que Klbkch lui donne un coup de pied et le fasse s’asseoir.
« Je crois que regarder quelqu’un est considéré comme malpoli dans la plupart des cultures. Assied-toi et arrête d’être malpoli. »

Relc continua de regarder Pisces en s’asseyant. Klbkch se tourna vers ce dernier et hocha la tête.
« Veuillez excuser l’impolitesse de mon compagnon. »

Pisces agita sa fourchette de manière désinvolte.

« Je n’y prête pas attention. La masse plébéienne est un fardeau qui doit être enduré ; je n’ai pas de mauvaise volonté envers l’impolitesse des ignorants et des mal informés. »

Klbkch et Relc échangèrent un regard.

« En effet. C’est un plaisir de faire votre connaissance. »

« Les Humains. Ils sont tellement… »

« Vous voulez des pâtes ou des fruits bleus ? »

Erin émergea de la cuisine, essayant de porter une casserole de pâtes fraîches et plusieurs assiettes avec deux mains.

« Ah. Heu. Hm, ce que je voulais dire est que… »

« Cela serait un plaisir d’essayer les fruits bleus. Je crois que mon partenaire, actuellement en train de perdre ses mots, prendra la même chose. »

« Ouais. De la bouffe. Je vais en prendre. »

« De même. Une deuxième assiette et de quoi remplir mon verre, s’il te plait. »

Pisces lui fit signe avec sa fourchette, Erin lui lança un nouveau regard mauvais.

« Tu veux des pâtes ? C’est dans la cuisine. Va te servir. »

Lui tournant le dos, Erin sourit à Relc et Klbkch.

« Donc, heu, re-bonjour. Ça fait un bail, Klbkch et… ? »

Klbkch hocha la tête alors que Relc semblait attendre quelque chose.

« Hum. Heu… »

« Relc. »

Klbkch murmura doucement.

« Relc ! C’est vrai, c’est vrai. »

« Quoi ? Comment ça se fait que tu te souviens du nom de cet idiot et pas du mien. »

Relc semblait blessé et Erin pouvait sentir le rouge monter à ses joues.

« Hum, désolé. »

« Je suis le plus beau de nous deux, alors pourquoi ? »

« Désolé. C’est juste que… Heu… Tu vois. J’ai une mauvaise mémoire. »

« Vraiment ? »

« … Non, désolé. C’est juste que mes deux derniers jours ont été agités. »

« Oh. »

Il semblait déçu, alors Erin essaya de lui remonter le moral.

« J’ai fait plus de pâte. Enfin, ce sont des pâtes d’hier mais elles sont toujours bonnes ! Et j’ai aussi plus de jus bleu, et de fruits bleus ! C’est, hum, pas vénéneux, il suffit juste de manger la partie extérieure. »

« Ooh, des pâtes ! »

Relc regagna aussitôt le sourire. Erin alla chercher les pâtes et déposa deux assiettes fumantes devant ses deux nouveaux clients.

« Mes remerciements. »

Klbkch haussa la tête en direction d’Erin et ils commencèrent à manger. Après quelques bouchées, Relc regarda Erin avant de retourner son regard vers Pisces.

« Donc, comment ça va ? Tu as gagné des niveaux depuis ? »

« Oui, en effet. Directement après que vous soyez partie. »

« Ooh, félicitations ! Est-ce que tu as obtenu une nouvelle compétence ? »

« [Artisanat De Base]. J’ai pu me faire un panier en herbe avec l’aide de cette compétence. »

« C’est pratique ! La majorité des artisans et des ouvriers obtiennent cette compétence après avoir commencé. Je suppose que les aubergistes ne sont un peu dans cette catégorie, pas vrai ? Faut s’occuper de l’auberge après tout, réparé les fenêtres et les tables, ce genre de truc. »

« Je suppose. Je n’ai pas encore essayé et, de plus, je n’ai pas de marteau. En fait, je n’ai jamais utilisé de marteau de ma vie. »

« Dans tous les cas, tu as une compétence pour ça maintenant, donc ça va passer crème. Et puis tu peux t’acheter un marteau sans problème, tu n’as qu’à te rendre dans la ville et tu peux en trouver un de bonne qualité pour une ou deux pièces d’argent. Tu sais quoi, si tu viens dans le coin je t’aiderai à avoir une réduction. »

« Vraiment ? C’est très généreux. Merci. »

Erin sourit de manière hésitante à Relc qui lui rendit son sourire sans hésitation tout en continuant d’aspirer une nouille. Klbkch posa sa fourchette avant de hocher la tête en direction de son compagnon.

« Pas totalement. Je crois savoir que mon compagnon reçoit une petite partie de la somme pour avoir dirigé un nouveau client vers l’un de ses associés. »

Relc lança un regard mauvais à Klbkch.

« La ferme. Est-ce que tu dois ruiner tout ce que je dis ? »

« Je ne fais que souligner la vérité. »

« Et bien… Arrête. »

 Erin sourit en regardant les deux se chamailler. Cependant, elle était la seule amusée. De l’autre côté de l’auberge Pisces vida son verre et l’abattit lourdement sur la table.

« Si cette charmante discussion est terminée, mon verre est vide. Est-ce que prêter attention au client ne fait pas partie de tes services ? »

Erin lui lança un regard noir, Relc lui lança un regard noir à son tour. Klbkch… Elle ne pouvait pas vraiment lire l’expression de l’homme fourmi, mais il avait clairement un air silencieux et désapprobateur.

« Super client que tu as là. »

« Ouaip. Hey, la ferme ! »

Pisces leva un sourcil.

« Quel manque de courtoisie. La prochaine fois, je dépenserai mon argent ailleurs. »

« Je ne veux pas de ton argent. En plus, tu as tenté de me voler la dernière fois. Tu es ici malgré ça, et parce que je me sens mal pour toi. »

Il soupira et leva les yeux au ciel. Erin renifla avant de débattre pour savoir si elle devait remplir son verre ou non, mais quelque chose de tranchant lui toucha la taille, elle hurla et sursauta.

« Désolé »

« Ne… ne fait pas ça ! »

Erin mit la main à l’endroit où la griffe de Relc l’avait touché.

« Désolé de nouveau mais… Tu as dit voler ? Du genre, ce type là-bas a tenté de te voler ? »

La voix de Relc était un sifflement bas alors qu’il jeta un regard discret vers Pisces. La discrétion n’était pas de mise, car Pisces était toujours trop concentré à regarder son verre vide. Erin sourit de manière malicieuse avant de lui murmurer.

« Ouais. Hier soir j’ai été visité par un monstre terrifiant. Mais quand je lui ai donné un coup de poê… De casserole, c’était juste lui. Donc je lui aie fait payer pour m’avoir fait peur et pour la nourriture. »

« Tu m’as extorqué. »

« La ferme ! Tu es chanceux que je ne t’ai pas balancé dans le ruisseau pour laisser les poissons te manger ! »

« Et… Tu l’as laissé revenir pour le petit-déjeuner ? »

« Et bien, il n’est pas vraiment dangereux, juste agaçant. »

« Et tu n’as pas à le reporter à qui que ce soit ? »

« Reporter à qui ? »

Erin regarda Relc sans comprendre. Relc lui rendit son regard. Klbkch termina son assiette de pâte et déposa sa fourchette, puis il regarda Erin à son tour.

« Oh.Oh. J’ai oublié. Et puis, vous n’étiez pas là hier. »

Klbkch acquiesça.

« C’est vrai. Notre absence était plus que déplorable, mais nous pouvons désormais faire notre devoir. Pour changer de sujet, Mademoiselle Solstice, les pâtes étaient délicieuses. »

« Ouais, elles sont bonnes ! Une petite minute. »

Relc attrapa sa fourchette et avala de grandes cuillerées de pâtes. Il arriva à avaler la moitié de son assiette sans grand effort, et dévora le reste en une poignée de secondes. Erin le regarda de manière terrifiée, fascinée et légèrement jalouse à la fois.

Une fois cet exploit réalisé, Relc échangea un regard avec Klbkch avant de se tourner vers Pisces.

« Hey toi ! »

Pisces releva la tête en fronçant les sourcils. Il regarda Relc et laissa échapper un râle irrité.

« Est-ce que je peux vous aider ? Je ne fais pas de la magie sur demande. Si vous recherchez un sort particulier je serais heureux de discuter prix avec vous… Plus tard. »

Relc sourit depuis sa chaise.

« Pourquoi pas un sort qui te change en monstre ? J’adorerai voir ça. Ou mieux encore, est-ce que tu as un sort pour te sortir du pétrin ? Parce que tu vas en avoir rapidement besoin. »

Le visage de Pisces perdit ses couleurs, ses yeux allèrent vers Erin avant de retourner vers Relc et Klbkch.

« Ah. Je vois que notre chère aubergiste est rancunière. Bien, je ne sais pas si elle vous l’a dit, mais je vous assure que je l’ai largement dédommagé pour mon… Erreur. Ce n’est pas la peine que deux soldats comme vous s’en mêlent. »

« Oh, mais bien sûr que ça vaut la peine ! Et au fait tu as tort. »

« A quel propos ? »

Relc échangea un regard avec Klbkch. Il sourit, ou plutôt, sa bouche s’ouvrit et il montra ses dents à Pisces.

« On n’est pas des soldats. On est des gardes. »

« Ah. »

Pendant une seconde, Pisces resta totalement immobile. Puis il sauta de sa chaise avec un surprenant éclair de vitesse et courut vers la porte.

Le bras de Relc bougea. Erin ne vit qu’un geste flou et son bras partit vers l’avant. Elle hurla alors que sa lance frôla son oreille, mais l’arme ne toucha pas Pisces. La lance vola entre les jambes de ce dernier, le faisant trébucher alors qu’il tentait de prendre la fuite. Il s’étala sur le sol alors que Relc se leva de sa chaise, Klbkch était déjà débout.

« Ne bouge pas. Tu es en état d’arrestation pour intimidation et tentative de vol. Restes immobiles. Tout mouvement brusque résultera à des blessures physiques. »

D’un seul bras, Klbkch releva Pisces. Ce dernier ne résistait pas alors que Klbkch le déposa dans sa chaise. Relc sourit à Erin.

« Joli lancer, pas vrai ? »

Elle tenta de répondre et sa voix se brisa.

« O-ouais. »

Les yeux de Relc s’ouvrirent légèrement, trahissant son inquiétude.

« Oups. Désolé, est-ce que je t’ai fait peur ? J’oublie que les gens normaux n’ont pas l’habitude. Ne t’inquiète pas, je ne rate jamais un de mes lancers. »

« J’en suis certaine, j’en suis certaine. Et je n’ai pas peur. J’ai juste été… Surprise. »

« D’accord, d’accord. »

Relc tapota gentiment le dos d’Erin. Elle manqua de tomber de sa chaise mais se rattrapa sur la table, il ne le remarqua pas. Relc se rendit joyeusement vers Pisces et sourit en le regardant de toute sa hauteur.

« En plein dans le mille. Tu as vraiment essayé de fuir ? Personne ne m’échappe. »

Il regarda son compagnon.

« Klbkch, est-ce que tu as quelque chose pour l’attacher ? »

Klbkch secoua sa tête.

« Je suis sans menotte ou corde anti-magie. Nous allons devoir être attentif, à moins que Mademoiselle Solstice possède quelque chose pour l’attacher ? »

Klbkch regarda Erin.

« Heu, non. Non, désolé. »

« Fort dommage. Mais nous allons devoir nous débrouiller. »

« Tu ne vas pas te dérouiller, tu ne vas rien faire. C’est un affront ! »

Pisces essaya de pousser Klbkch, son visage était pale et il transpirait, mais il continua de garder son ton hautain, même si ce dernier était bien moins prononcé.

« Je suis totalement innocent ! Ces accusations infondées sont fausses et… »

« Tu mens. »

La réponse de Klbkch fut monotone, et sans l’ombre d’un doute.

« [Détection De Culpabilité] est une compétence basique que tous les gardes obtiennent au niveau 15. Je peux sentir ta culpabilité, ce qui est assez pour justifier ton arrestation. »

« De plus, on te connait déjà toi et tes crimes. »

Relc croisa ses bras et son sourire s’élargit, ses dents étaient jaunes et très, très pointues.

« Ça fait un bout de temps qu’on te cherche, Monsieur Mage. Ou plutôt, la créature terrifiante qui menace les voyageurs et les gens vivants seuls ? Cela fait presque un mois que tu voles de la nourriture et de l’argent, il y a une récompense sur ta tête, et j’aimerai bien l’obtenir. »

Erin regarda Pisces, qui venait de prendre une teinte plus pale de blanc, mais Relc n’avait pas terminé.

« D’accord, voilà à quoi je pense. Moi et mon ami on va te sortir de l’auberge, te frapper avec des bâtons et des rochers pendant un petit bout de temps, et te traîner jusqu’à la ville pour la récompense. Puis on en donnera la moitié à notre charmante aubergiste ici présente, c’est un bon plan, hein ? »

« En fait, j’aimerai que… »

« C’est dommage ! »

Relc craqua ses doigts. Erin, qui avait regardé la scène avec fascination, leva la main.

« Hum… Mais ce n’est pas bien ça ? »

« Pas bien ? Pourquoi ça ne serait pas bien ? »

Erin chercha ses mots alors que Relc la regarda de manière incrédule.

« Est-ce qu’il n’y a pas de règles ? Comme, une règle qui empêche la police, heu, qui empêche les gardes de blesser les gens après leurs captures ? Comme… Interdiction de frapper quelqu’un une fois qu’il est au sol ? »

Relc la regarda avant de se tourner vers Klbkch.

« On a des règles comme ça ? »

« Je crois que c’est un standard Humain. »

« Oh, ouf. Je me suis inquiété pendant quelques secondes. »

« Oui, nous ne voudrions pas ruiner l’amusement de brutes sans cervelle telle que toi. »

La voix de Pisces dégoulinait de mépris, il semblait que Pisces était incapable de se taire pour son propre bien. Relc fit un poing avec sa main et Pisces tressaillit.

« Un instant, un instant. »

Erin attrapa le bras de Relc. C’était instinctif, mais dès l’instant où elle toucha les écailles de ce dernier elle faillit lâcher prise. Sa peau, ou plutôt, ses écailles étaient étonnamment froides et faciles à attraper. Elles dérangeaient Erin car elles rendaient toute la scène plus réelle que nécessaire.

Relc regarda Erin et la décrocha avec délicatesse, il était tellement fort qu’il brisa son attache avec deux de ses doigts.

« Ne t’en fais pas, Mademoiselle. On va le cogner à l’extérieur comme ça tu n’auras pas à le voir. »

« Ou ! Ou pourquoi ne pas éviter ça ? Ce n’est pas ce que les gentils gardes font ? L’arrêter et passer la partie où vous le frapper ? »

« Ouais, mais il m’a traité de brute sans cervelle, et j’ai envie de le cogner pour ça. »

« Alors…  C’est un crétin. Mais je veux dire, tu es un garde. Tu as surement été insulté par la moitié du dictionnaire. »

« La moitié d’un quoi ? »

« Je crois qu’elle insinue que les insultes sont courantes dans notre métier. »

 Klbkch expliqua avant de regarder Erin qui haussa les épaules de manière gênée en lui faisant un sourire hésitant.

« Quoi ? »

Relc semblait légèrement blessé, il regarde Erin et fronça légèrement les sourcils. Mais plutôt que d’avoir l’air en colère, son visage semblait triste.

« Les gens nous aiment. Tout le monde nous aime. Notre boulot est spécial. »

« Mais c’est un travail pour lequel tu as signé ? Je veux dire, c’est un super boulot mais… Ce n’est qu’un boulot, pas vrai ? »

Erin hésita, Relc la regarda de manière incrédule.

« Ce n’est pas qu’un boulot. C’est un travail prestigieux ! Tout le monde ne peut pas faire partie de la garde, et encore moins être un Garde Senior ! »

Erin cligna des yeux.

« Vraiment ? Je pensais qu’il fallait… Signer et c’est tout. »

Relc la regarda avec outrage avec de se tourner vers Klbkch.

« Signer ? Est-ce que tu peux y croire ? Les Humains »

Klbkch n’était pas impressionné, il continua de mâcher méticuleusement des morceaux de fruit bleu.
« Peut-être que si tu expliquais notre fonction plus précisément tu n’aurais pas besoin de te sentir outrager. Clairement, le rôle de gardes varie selon les cultures. »

« D’accord, et bien. Ce n’est toujours pas… D’accord. »

Erin croisa les bras, Pisces grimaça et prit une autre gorgée de jus bleu. Il commença à marmonner quelque chose, mais Erin, Relc et Klbkch l’ignorèrent.

Relc soupira avant de se gratter les pics qu’il avait sur le dessus de sa tête.

« Écoutes, je ne sais pas comment les Humains font, mais dans nos villes, la garde n’est pas constituée de mercenaires ou de garde du corps. C’est impossible de signer pour y rentrer. Il faut y être voté. »

« Vraiment ? »

« Vraiment. Tu vois, il faut au moins cinquante citoyens ordinaires qui doivent te supporter avant de pouvoir rejoindre la garde. Et pour devenir un Garde Senior, il faut au moins quatre cents personnes, impressionnant, pas vrai ? »

Relc sourit et sortit quelque chose de sa ceinture, il montra un badge pourpre cerclé d’or avec deux bandes violettes. C’était brillant.

« Pas mal. C’est ton badge officiel ? »

« Ouaip. On doit le garder sur soit à tout moment. Certains gars le brode à leur poitrine mais il peut s’arracher, et en plus… »

Il tapa son torse nu.

« Ça ne colle pas bien aux écailles. Dans tous les cas, on doit payer une amende si on le perd alors pourquoi prendre le risque, pas vrai ? J’en ai juste besoin quand je dois prouver mon identité ou mon rang. »

« Fascinant. Mais au fond c’est juste la version mieux gradé d’un homme de main basique, n’est-ce pas ? »

Pisces se moqua de Relc, il semblait avoir soudainement avoir retrouvé sa confiance.

Relc le regarda.

« Tu es toujours en état d’arrestation, et je peux te frapper. C’est uniquement parce que je suis gentil avec Miss Solstice que ce n’est pas encore arrivé. Mais ça va arriver. Si tu ne la fermes pas. »

Levant les yeux au ciel, Pisces mit doigt sur ses lèvres.

« Pardonnez-moi. Je n’oserai pas interrompre un personnage aussi majestueux que vous, je vous en prie, continuez. »

Erin soupira et Klbkch fit un son qui semblait s’en rapprocher. Relc, de son côté, se gratta la tête.
« D’accord. C’est bien. Dans tous les cas, nous sommes ceux qui ont des armes et tu n’es qu’un mage. Même pas de haut niveau, où tu serais déjà en train de te téléporter pour fuir. »

Klbkch acquiesça.

« Où tu nous aurais détruit d’une manière ou d’une autre. Le manque de foudre nous tombant dessus et de boule de feu confirmer ce fait. »
Erin se décala derrière une table.

« Vous en êtes certains ? Vraiment certains ? »

Relc lui sourit avec confiance. C’était un sourire qui avait bien trop de dent.

« Ne t’en fais pas, Mademoiselle. Il n’est pas une menace où il se serait chargé de nous au moment où nous nous sommes rendu compte de qui il était.  Les deux d’entre nous savent si nous sommes en danger ou si l’ennemi est fort. »

« Vraiment ? Comment ? »

Pisces ricana dans son verre.

« Un observateur attentif aurait observé les forces et les faiblesses de son adversaire en se basant sur les actions et talents. Ces deux-là sont en train d’utiliser une compétence. »

Relc lui lança un regard mauvais, Klbkch fit de même mais il était plus subtil.

« Il a raison. Nous deux avons des compétences. C’est une partie intégrante de nos classes, même si dans mon cas j’ai [Instinct De Survie] et Klbkch a appris [Évaluation d’Ennemi]. Mes écailles ne sont pas en train de paniquer, donc ton ami Humain n’est pas un très bon mage. »

« Il n’est pas mon ami. »

« Mais il est Humain. »

« Cela n’a… »

Erin lutta pour trouver les bons mots, pendant ce temps la grimace sur le visage de Pisces s’accentua et il ouvrit de nouveau la bouche, ignorant le danger.

« De véritables mots d’imbéciles ignorants. Qu’est-ce que tu y connais en maîtrise de la magie ? Mes pouvoirs ne résident pas dans une simple confrontation, mais je t’assure, j’ai plus de pouvoir dans l’un de mes ongles que dans l’intégralité de ton corps de brute. »

Relc se releva brusquement.

« Ca suffit. Fermes tes yeux Ma… »

Pendant un instant Erin n’était pas sûr de si elle voulait se mettre entre Pisces et Relc ou sortir du chemin. Klbkch décida à sa place, il attrapa Relc et le fit recula, non pas sans difficulté mais il devait être plus fort qu’il ne le laissait paraître.

« Du calme. J’aimerais ne pas voir cet établissement abîme, ni la propriétaire, et toi-même tu n’aimerais pas voir ça. »

Relc hésita. Il regarda Erin, qui décida d’ajouter son grain de grain sel pour calmer la situation.
« Oui, calmons-nous avant que quelqu’un ne se blesse, comme moi par exemple. »

Erin attrapa le pichet de jus bleu et commença à remplir de nouveau les verres. Relc accepta le sien, le termina en une gorgée, avant de prendre son temps avec le second verre.

Erin s’apprêtait à remplir le verre de Pisces quand ce dernier l’arrêta en mettant une main dans le chemin.

« Non, ce n’est pas la peine, Maîtresse Solstice. Je suis satisfait pour le moment. »

Relc était toujours en train de fusiller Pisces du regard.

« Tch, tu devrais boire. C’est la dernière bonne chose que tu vas manger avant un bon bout de temps.  En fait, pourquoi je te dis ça ? C’est bien trop bon pour toi, tu auras qu’à t’en souvenir une fois qu’on t’aura mis derrière les barreaux. »

« Si vous y arriver. »

Erin étudia Pisces, il avait toujours son air confiant, et elle ne savait pas trop pourquoi, surtout quand elle avait l’impression que Relc était à deux doigts de changer son visage en viande hachée.

Relc fronça les sourcils. Il ferma sa main et Erin vit l’intégralité du son bras se contracter. Elle avait déjà vu des gars musclés auparavant, et ils n’avaient pas été très impressionnant, mais Relc…

« Depuis la dernière fois que j’ai vérifié, tu es toujours à porter de coup de main. Ce qui veut dire que tous tes jolis sorts ne vont pas changer quoi que ce soit une fois que je t’aurai frappé avec assez de force pour faire sortir ta cervelle de ta boite crânienne. Et crois-moi, je l’ai déjà fait. »

Une nouvelle fois, Pisces ne semblait pas affecté par la menace de Relc.

« Je suis un puissant mage, bien au-delà de vos capacités. Même si vos tours de passe-passe ne peuvent pas détecter mes capacités, il serait prudent que vous soyez méfiants de mes talents cachés ? »

Klbkch bougea légèrement la tête, son expression ne changea pas, mais c’est parce qu’il n’y avait pas grand-chose à changer.

« Comme ? »

Pisces se redressa légèrement sur sa chaise.

« J’ai étudié un nombre incalculable d’écoles magiques. Vous avez devant vous un praticien de magie élémentaire, un tisseur d’illusion, un incantateur raffiné, un monstre de l’alchimie, de la pyromancie, de la géomancie… »

« Et de la nécromancie. »

Erin ajouta de manière guillerette. Pisces s’étouffa sur ses prochains mots et la regarda d’un œil mauvais. Elle haussa les épaules.

« Quoi ? Tu me l’as dit hier. Oh, et est-ce que c’est toi qui a volé le squelette à l’étage ? Je viens de me rendre compte que c’est probablement toi. »

Pisces perdit son air hautain et semblait troublé, Relc de son côté, se contant de sourire une nouvelle fois.

« Et bien. Vol de cadavre et réanimation, sans aucun doute. C’est un nouveau point sur la liste des inculpations. Mais de la nécromancie, et bien, ça veut aussi dire que nous n’avons pas besoin de te ramener vivant. »

Erin ouvrit la bouche et Relc l’interrompit en levant sa main.

« Oui, oui. On va juste te frapper et te traîner pour que Mademoiselle Erin n’ai pas à voir quelque chose de moche. Mais tu es dans de beaux draps, Monsieur Nécromancien. »

« Oh, vraiment ? »

Pisces s’installa confortablement dans sa chaise, il était toujours pâle, mais il semblait plus confiant que nécessaire.

« Que vous connaissez mon identité ou non, vous allez rapidement vous rendre compte que me capturer n’est pas tâche facile. »

Relc cligna des yeux avant de se gratter les pics qu’il avait sur le dessus de la tête et de soupirer de manière exaspéré.

« Les Humains. Fous et arrogants. S’en est presque drôle. Si tu es si plein de talent magique, esquive ça. »

Il donna un coup de sa lance, pommeau en avant, mais au moment où la lance aurait dû fracturer le crâne de Pisces, cette dernière ne rencontra que le vide. Pisces avait disparu.

« C’est quoi ce bor… »

Relc cligna des yeux, Erin laissa échapper un cri de surprise, Klbkch dégaina ses épées et fit un arc de cercle, tranchant l’air autour de la chaise, mais ne rencontra que le vide.

« Disparu. »

Relc donna des coups de lance à l’endroit où Pisces s’était trouvé et grogna, profondément, Erin le regarda.

« Il n’est pas invisible ? Il a déjà fait quelque chose du genre. »

 Relc secoua sa tête, énervé.

« Non, je serais capable de le sentir s’il était encore à quelques mètres de moi. Non, c’était un sort d’illusion. Un sort très malin en plus, il nous a fait croire qu’il était là et s’en est allé alors que nous discutions. »

Klbkch regarda en direction de la porte.

« Je ne sais pas quand est-ce qu’il est parti.  Il s’est peut-être échappé il y a quelques minutes seulement, nous pouvons peut-être le rattraper si nous nous dépêchons. »

« D’accord, d’accord. »

Relc jura et fit tourner sa lance de manière agacé, cette dernière fendit l’air en créant un son terrifiant et Erin retint sa respiration de peur que l’arme lui échappe et qu’elle termine blessé.
Klbkch se tourna vers elle et inclina sa tête.

« Merci de nous avoir informé de sa classe, Mademoiselle Erin. Même s’il n’est pas une menace pour Relc ou moi, il est bien plus dangereux que nous avons cru. »

« Vraiment ? Je pensais… Il n’avait pas vraiment l’air dangereux. Je veux dire, je l’ai frappé avec une casserole et il était KO. »

« Oh, il est probablement aussi dangereuse qu’une grenouille en tant que combattant, ce n’est pas ça le problème. »

Relc secoua sa tête.

« Nous pensions qu’il était qu’un simple illusionniste. C’est ennuyeux, mais la seule chose qu’il peut faire c’est effrayé les gens pour un peu d’argent. Mais un nécromancien est pire, bien pire. On pourrait le laisser partir si c’était un mage normal, mais maintenant ont doit le trouver et il le sait. »

« Pourquoi ? »

Relc murmura quelque chose pour lui, il était toujours en train de regarder autour de lui et sa langue sortait et rentrait dans sa bouche, comme s’il goûtait l’air. C’était la première fois qu’il ressemblait véritablement à un lézard du monde d’Erin.

« Un nécromancien en fuite fait des choses terribles. Même un nécromancien de bas niveau peut raser un village s’il a accès a suffisamment de cadavres, et ils gagnent rapidement des niveaux quand ça arrive. On va devoir chasser ce gars, et si on ne l’attrape pas aujourd’hui je vais devoir prévenir la Capitaine pour qu’elle envoie des patrouilles une fois de retour en ville. »

Erin hocha la tête avant d’hésiter.

« Donc. Est-ce… Que ça veut dire que vous allez bientôt être de retour ? »

Relc hocha la tête.

« Dans moins d’une heure, mais nous n’allons pas pouvoir rester. Désolé. Je vais faire mon possible pour que la patrouille soit rapidement mise en place, mais tu sais comment c’est. On va devoir changer des plannings, rajouter des gardes, s’armer en conséquence, etc. »

« Oh. D’accord. Mais heu… Est-ce que ça veut dire… Combien de temps cela va vous prendre pour faire l’aller-retour ? »

« Nous devrions être capable de franchir la distance en approximativement dix minutes en courant. »
Relc hocha la tête.

« Donc on doit partir. Pourquoi ? Tu as peur qu’il ne t’attaque ? »

« Non, c’est pas ça. C’est juste que… La ville. »

« La ville ? Qu’est-ce qu’elle a la ville ? »

« Hum… Elle est où ? »

Relc et Klbkch la regardèrent en silence avant d’échanger un regard.

« … Tu veux dire, que tu ne sais pas ? »

« Non. Je devrai ? Ce n’est pas comme si y’avais un signe ou quelque chose du genre. »

Relc semblait amusé.

« Ne sois pas sur la défense, c’est facile à repérer. Regarde, tu peux même la voir depuis cette fenêtre.»

 Il marcha jusqu’à la fenêtre et pointa du doigt, Erin plissa les yeux.

« … C’est le point noir au fond ? »

« Bah, oui. C’est clair pourtant. »

« Non, non ça ne l’est pas. Ça pourrait être un rocher. »

« Ce n’est pas un rocher. Pourquoi est-ce que tu as du mal à me croire ? Tu ne peux pas voir les bâtiments ? »

« Non, je ne peux pas »

« Je pense qu’elle ne peut vraiment pas, un exemple. »

Relc et Erin se tournèrent pour regarder Klbkch. Il l’étudia et rapprocha son visage du sien, Erin eut un mouvement de recul alors que son visage était proche du sien.

« Ne soyez pas alarmé, je ne vous veux aucun mal. »

« Désolé… Désolé. C’est les pinces. Et les yeux. C’est juste que… Désolé. »

Relc laissa échapper un grand rire.

« Ne t’en fais pas pour Klbkch, il est moche même pour une fourmi. Mais tu ne peux vraiment pas voir la ville d’ici ? »

Klbkch hocha la tête, il semblait concentrer sur les yeux d’Erin.

« Je crois que les Humains ont une vue moins développer que toi ou moi. »

« Quoi ? C’est débile. »

Relc murmura pour lui-même avant de pointer le point noir du doigt depuis la fenêtre.

« Ecoutes, la ville est de ce côté. C’est environ à 20 minutes de marche et il n’y a pas trop de monstres sur le chemin. De plus, une fois dans les dernières centaines de mètres la zone est régulièrement patrouillée donc tu n’auras pas de problèmes. Et si ces idiots t’arrêtent à la porte, ce qu’ils ne vont pas faire, tu n’as qu’à leur dire que tu me connais. »

Klbkch hocha de la tête.

« Ou moi. Cependant, tu ne devrais pas rencontrer de problèmes. Seul ceux qui ont un passé criminel ne sont pas acceptés dans l’enceinte de Liscor. »

« En parlant de ça… On doit partir. C’est mon jour de repos, mais nous devons faire un rapport sur cet agaçant cafard de mage au poste. Si on se dépêche on pourra l’attraper avant qu’il n’aille trop loin. »

Relc était déjà debout, il avait bougé tellement vite qu’Erin fut sous le choc. Il était assis, et l’instant d’après il était déjà à la porte.

« Dit Klbkch, tu viens ? »

D’un seul coup, Klbkch était à ses côtés. Si Erin n’avait pas vu la tâche noire qui l’avait frôlé et sentit le courant d’air juste après, elle aurait juré qu’il s’était téléporté.

« En effet. C’est infortuné que nous devions partir si tôt. Nos excuses, Mademoiselle Solstice. »

« Pas… Pas de problèmes. »

« Fort bien. »

Klbkch hocha la tête, Relc la salua de sa main, et les deux disparurent en un instant. Erin resta seule, assis à une table recouverte de vaisselle sale et légèrement en état de choc.

Elle venait de prendre la première assiette quand la porte s’ouvrit de nouveau en claquant, elle sursauta, mais Relc la salua d’un mouvement de la main.

« Oh, désolé mais nous avons oublié de payer ! On doit se dépêcher donc… Met ça sur notre ardoise ! »

La porte se referma, Erin la regarda avec espoir, mais elle resta fermer.

« … Quelle ardoise ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 16 novembre 2019 à 16:53:49
1.11

Erin se tenait devant les placards et soupira lourdement.

«Les hommes.

Erin s’arrêta avant de réfléchir à ce qu’elle venait de dire.

« Les mâles. Ils mangent, mangent encore et mangent un peu plus. Et c’est à moi de faire la vaisselle. Typique. »   

Certes, elle était aubergiste, ou du moins elle gardait l’auberge relativement propre. Mais cela ne l’aidait pas à se sentir mieux.

« Le garde-manger ? Le garde-manger est vide. La nourriture ? Il n’y a pas de nourriture. Et l’argent… »

Erin regarda la pile de pièce qui se trouvait sur le comptoir de la cuisine.

« L’argent brille. Mais elle est, heu, pas comestible. C’est bien d’avoir de l’argent, mais je ne veux pas mourir de faim. »

Erin regarda le garde-manger vide, mourir de faim pouvait être un vrai problème.

« Est-ce qu’il ne me reste pas quelques fruits bleus dans le coin ? Ici peut-être ? No… Ici ? Ouaip. Juteux et ridé, charmant. »

Elle pouvait toujours aller chercher d’autres fruits bleus, bien sûr, mais elle allait être limitée par le nombre d’arbres restants. Il y avait aussi une limite liée au nombre qu’Erin était prête à continuer de ramener.

« En plus je n’ai plus d’ingrédient. »   

Il n’y avait plus de farine et de beurre. Le sel… D’accord il lui restait un peu de sel, et même du sucre, mais leurs stocks commençaient à diminués et avec le charmant sort-enchantement-truc de préservation brisé il n’allait pas tarder à pourrir.

« Donc je suis dans la mouise. » 

« Cela semble être le cas. »

Erin était certaine que son cœur venait d’arrêter de battre pendant plusieurs secondes, elle se retourna et tomba sur Pisces.

« Si j’avais un couteau dans la main, je serai en train de te poignarder. »

Il sourit de manière narquoise, ce qui semblait être le mode par défaut de son visage.

« Ah, mais quel aubergiste digne de ce nom se priverait d’un invité de renom tel que moi ? »

La main d’Erin se dirigea vers un couteau.

« Calmons-nous ! Calmons-nous Maîtresse, ne nous précipitons pas ! »

Pisces leva rapidement ses mains avant de reculer de quelques pas. Erin le regarda d’un œil mauvais, il était recouvert de poussière, et sale, et en sueur.

« D’où est-ce que tu viens ? Je ne t’ai pas entendu passer par la porte. »

« J’étais, en réalité, à l’étage durant tout ce temps. C’était la solution la plus évidente étant donné l’intelligence de ses deux brutes de gardes. »

Erin cligna des yeux.

« Beau boulot, je suppose. Mais ils sont toujours à ta recherche, tu es un criminel et tu n’as pas d’endroit ou te cacher. »

« A l’exception d’ici. »

Il leva une main avant qu’Erin ne puisse dire quoique ce soit.

« S’il te plait, écoutes moi. Soit rassuré, je ne t’en veux pas d’avoir rapporté mes actions aux gardes. Je connais pleinement la sévérité de mes crimes, cependant… »

« Tu veux quelque chose. Comme quoi ? Rester ici. Non, jamais, même pas en rêve. »

« Je t’assure que je serai un invité très convivial, et je ne demanderai pas beaucoup de ta part. En réalité, tu seras peut-être intéressé de savoir que je suis compétent dans de nombreuses écoles de sort. La Nécromancie est… une de mes passions, mais j’ai aussi étudié pour devenir un praticien de la magie élémentaire, un alchimiste et un enchanteur. Mon niveau est au-dessus de vingt dans la classe de [Mage] et, même parmi mes collègues étudiants, il est difficile de trouver un lanceur de sort aussi polyvalent que moi. Je peux aider de bien des manières pour améliorer votre auberge, et j’ai de l’argent. »

Les deux sourcils d’Erin se haussèrent, car un seul n’était pas suffisant.

« Et tu me dis tout ça parce que… Pourquoi tu me dis tout ça ? »

Il lécha ses lèvres.

«Le point est que, je me demandai s’il y existait une possibilité de te convaincre de me fournir le gite et le couvert pendant cette période troublé. Je peux fournir une récompense adéquate je te l’assure… »

Erin renifla grossièrement

« Pour combien de temps ? Des jours ? Des semaines ? Des mois ? Et je dois te nourrir, m’assurer que personne ne te trouves, et faire le ménage après toi ? Je le répète : c’est non. »

« Est-ce que tu vas vraiment laisser un innocent… »

« Innocent ? Toi ? Tu n’es rien d’autre qu’un voyou avec une baguette magique. Tu te souviens de notre première rencontre ? Tu as essayé de me faire peur pour avoir de la nourriture, et maintenant tu veux que je te protège alors que les conséquences de tes actes te rattrapent? Non. Non, il serait mieux pour toi que tu sois loin d’ici une fois que je revois Relc. Et si tu ne pars pas d’ici maintenant, je vais te sortir d’ici à coup de pied. »

Erin termina sa tirade en croisant les bras en dessous de son buste. Pisces était devenu blanc comme un linge, cependant il ne semblait pas honteux ou effrayé, il semblait être…

En colère.

Il murmura un sort, Erin sentit l’air autour d’elle devenir plus froide, et elle vit que les ombres se distordent autour des mains de Pisces. Les ténèbres l’enveloppèrent comme un manteau, c’était le même sort qu’auparavant, ou quelque chose proche.

Pisces fit un pas vers elle.

« Je suis un homme dans une situation désespérée. Tu ferais mieux de ne pas sous-estimé ce dont je suis capable. »

Le cœur d’Erin battait la chamade, elle fit deux pas en arrière et il la suivi.

« Contrarier l’un de mes pouvoirs est imprudent. Si tu n’es pas dénuée de raison, tu accepteras ma requête, ou tu en subiras les conséquences. »

Sa bouche était sèche, mais elle savait que ce n’était qu’une illusion. Alors Erin se força à répondre avec plus de courage qu’elle avait réellement.

« Et quoi ? Qu’est-ce que tu vas faire si je refuse de t’aider, est-ce que tu vas me faire du mal ? Éclater ma cervelle ? Ou est-ce que tu vas arracher mes vêtements et tenter de me violer ? »

Il semblait choquer.

«Bien sûr que non, je ne ferai jamais quelque chose comme ça. Je ne suis pas un barbare… »

« Tant mieux. »

La main d’Erin bougea en un flash, Pisces baissa les yeux et déglutit, un couteau était en train d’appuyer contre son estomac.

Son cœur battait la chamade, elle pouvait sentir une remontée de bile dans sa bouche, mais sa main était très, très immobile. Elle n’était pas certaine de ce qui se passait dans sa vie en ce moment. Monstres et magie, tout cela lui donnait le vertige, mais certaines choses ne changeaient pas. Elle refusait d’être la victime dans cette situation, surtout que personne n’allait l’entendre crier en ces lieux.

Son couteau eut l’effet escompté sur le mage. Il lécha ses lèvres et leva ses mains, devenant encore plus pâle que d’habitude.

« Allons, allons. Ne nous précipitons pas, Maîtresse. Je disais simplement que… »

« Bouge et je te poignarde. »

Ce n’était pas une menace, c’était une promesse, et à son honneur, Pisces fut assez intelligent pour savoir qu’elle était sérieuse.

« … Laisse-moi te présenter des excuses. Si je peux dire quelques mots… »

 « Non. Dehors. »

Erin avança et Pisces fut forcer de reculer ou d’être poignardé au ralenti. Elle le força hors de la cuisine et jusque dans la salle commune en le poussant vers la porte.

« S’il te plait. S’il te plait reconsidère ton choix. »

« Non, pourquoi est-ce que je devrai le faire ? »

Pisces s’arrêta à la porte, Erin avança de nouveau le couteau vers lui mais il refusa de reculer plus loin. Il leva ses mains plus haut et parla encore plus rapidement, sa voix teintée de désespoir.

« Si je me fais attraper, ils vont m’emmener jusqu’à la ville. Ou je serais jugé et exécuté, c’est une certitude, Maitresse Erin. »

Erin le regarda, incertaine.

« Relc n’a jamais dit que… »

Il ne voulait pas te dire la vérité ! Mais il sait, et je sais aussi, ce qui arrive aux nécromanciens. Nous, n’importe quel mage possédant ne serait-ce qu’un seul niveau dans cette classe, sommes exécutés à vue dans cette région du monde. Il n’y a pas de pitié pour quelqu’un comme moi ici. »

« Et bien… Et bien pas de chance. »

La bouche d’Erin était en auto-pilote. Pisces tenta de rentrer de nouveau dans l’auberge en la contournant, mais elle lui bloqua le chemin.

« Même si tu es en danger, je serais aussi en danger si je te cache. Je ne ferai pas ça. Va-t-en. Enfuit toi et va-t-en. Maintenant. »

« Ils vont patrouiller autour de la ville, ils vont parcourir la plaine à ma recherche. S’il te plait, si je me cache ici je suis certain de pouvoir survivre. »

« Non. Pars. »

Erin pointa la porte du doigt, il vacilla, mais fit une dernière supplique.

« S’il te plait, je t’en supplie. Rien qu’une nuit. Protégez-moi rien qu’une nuit et je jure que j’aurai disparu au petit matin. La mort m’attend sans votre aide. Me tuerais-tu ? Je te le demande, d’un humain à l’autre. S’il te plait. »

« Je… »

Le couteau commença à trembler entre ses mains. Pisces se saisit de l’instant et fit un pas en avant, les mains tendues, suppliant.

« S’il te plait, épargnes ma vie. Si tu as une once de pitié dans ton âme… »

Boomboomboomboomboom.

Les deux humains se tournèrent et regardèrent la porte.

«Trouvé ! »

 Ce fut rapide. Un instant Erin était en train de pointer son doigt à la porte en regardant Pisces, et l’instant d’après quelque chose la frôla et il avait disparu. Deux silhouettes s’écrasèrent dans une table et ses chaises. Erin resta bouche bée.

« Je te tiens ! »

La plus grande des silhouettes laissa échapper un rire triomphant en balançant Pisces autour de lui, le frappant violemment contre le parquet. C’était Relc.

« Mademoiselle Solstice. »

Klbkch apparu à ses côtés. Erin sursauta mais l’homme-fourmi plaça une… Main réconfortante sur son épaule.

« Veuillez pardonner mon impolitesse. Est-ce que vous allez bien ? Nous sommes revenus le plus rapidement possible une fois que nous avons réalisé que le mage n’était pas fui l’auberge. Est-ce que vous êtes blessé ou avez besoin d’assistance ? »

« Quoi ? »

Erin le regarda.

« Est-ce que vous… qu’est-ce que… Je vais bien. Bien. »

« C’est une bonne nouvelle. Alors veuillez rester en dehors de tout cela, s’il vous plait. Nous allons continuer notre travail et je n’aimerai pas vous voir blesser. »

Une fois cela dit, Klbkch guida gentiment Erin dans l’un des coins de l’auberge. Le combat entre Relc et Pisces étaient en train de renverser les tables et les chaises alors que le Drakéide tentait de faire passer l’Humain à travers toutes les pièces de mobiliers existantes alors que l’Humain faisait son possible pour éviter Relc.

Relc rugit depuis le sol.

« Klb ! Vas là-bas et aide-moi ! Ce type est plus glissant que prévu ! »

Klb fit un mouvement de la tête en direction d’Erin et se précipita dans le combat. Elle regarda avec stupéfaction les deux tenter de clouer Pisces au sol. Étonnamment, ce n’était pas si facile que ça. Malgré son avantage au niveau de la taille et des muscles, Pisces parvenait à repousser les deux gardes. Erin se demandait comment jusqu’au moment où elle le vit pousser l’air autour de Relc et d’envoyer le lézard volé, le libérant.

Pisces se remit sur pied de manière paniquée, et bondit vers la porte. Mais Klbkch l’attrapa par le pied et tenta de lui passer un morceau de corde de cuir autour des mains. Pisces hurla… quelque chose et la corde de cuir prit soudainement feu.

C’était un combat rapide et sans honneur qui vit les trois combattants se trainer au sol durant la totalité du combat. Mais Erin n’avait qu’un œil sur le combat, car son second était en train d’observer tout le mobilier de l’auberge était réduit en miettes par le combat.

« Arrêtes de vous battre ! Stop! »

« Cesse de résister ou… »

Les doigts de Pisces firent des étincelles. Une petite explosion de foudre envoya Klbkch voler contre un mur que Relc se baissa. Erin fit de même. Caché derrière une table elle pouvait voir Klbkch fait un inquiétant bourdonnement .

« Espèce de… »

Le bruit sourd de quelque chose frappant quelque chose d’autre résonna dans l’auberge. Mais il fit ponctuer par un autre craquement d’électricité et le cri de douleur de Relc.

Erin quitta la bagarre des yeux et courut dans la cuisine. Elle émergea avec une casserole juste à temps pour voir Relc être projeté contre un mur par ce qui semblait être une explosion d’air.

Pisces s’éloigna du Drakéide, respirant lourdement. Son visage était recouvert de bleu et il saignait du nez et de la bouche, mais ses doigts étaient toujours en train de craquer, remplis d’énergie magique. Il se retourna pour fuir, mais s’arrêta.

Klbkch était déjà sur pied, enfin, sur jambes. L’homme-fourmi se tenait dans l’ouverture de la porte, épée au clair. Il en tenait deux, un pour chaque bras, alors que ses deux autres bras tenaient deux petites dagues. Erin vit Pisces déglutir, et elle ne pouvait qu’être d’accord avec lui. Klbkch semblait être un mur constitué d’épées.

« Je… je ne cherche aucune dispute avec vous. Je suis un étudiant de l’Académie de Wistram et un mage pratiquant. Vous me retenez à vos risques et périls. »

Pisces pointa un doigt tremblant vers Klbkch, le bout de ce dernier craquait d’énergie, mais c’était soudainement moins impressionnant comparé à l’arsenal complet que Klbkch portait sur lui.

« Qu’importe votre affiliation à une académie, vous êtes toujours en état d’arrestation. Rendez-vous maintenant, s’il vous plait, ou je serais dans l’obligation de faire usage de force létale. »

Pisces hésita.

« Ma magie… »

« Est inutile. Rendez-vous. »

« Se rendre ? »

Erin sursauta. Elle vit Relc se relever. Les yeux du Drakéide étaient plissés et sa main tenait sa lance. Elle n’était pas très longue, mais elle semblait extrêmement aiguisée, et rien qu’en voyant la manière dont il tenait son arme, Erin savait instinctivement qu’il était prêt à l’utiliser pour tuer.

Pisces jeta un coup d’œil à la lance et leva les mains en l’air.

« J’… J’abandonne. »

Relc cracha par terre.

« Peu probable. Je vais t’étriper comme un poisson ici et maintenant. »

Erin regarda Relc avec horreur, mais il n’y avait pas la moindre trace de plaisanterie dans son regard. Il était pratiquement en train de trembler de rage, mais ses bras, toujours sur sa lance, étaient fermes et immobile.

« Étriper ? Hey, c’est… »

« Ne nous précipitons pas ! »

Pisces s’éloigna de Relc, parlant rapidement.

« Je vous assure que je vaux bien plus en vie que mort. Nous pouvons régler cela de manière amicale. Je vais entièrement coopéré… »

« Coopérer ? »

Relc s’avança et Pisces pressa ses deux doigts l’un contre l’autre. Un fort coup de vent passa à travers l’auberge alors qu’une barrière de vent apparu devant Relc.

« Je cesserai toutes formes de magie et partirait sans faire d’histoire avec vous si vous me promettez de me garder en vie. Je ne souhaitais pas vous blesser, ou blesser votre compagnon. Mais nous sommes dans une impasse tant que vous refusez de discuter. »

Les yeux de Relc se rétrécirent sous la méfiance.

« Par ça ? Tu penses qu’un misérable petit Mur De Vent va m’arrêter ? »

Le corps du grand Drakéide se tendit. Il s’agenouilla légèrement, avant de se précipiter vers le mur de vent. Le corps massif de Relc s’écrasa contre la barrière semi-transparente de vent et s’enfonça dans la barrière alors que les vents poussèrent en retour.

Malgré la distance Erin sentit la gigantesque force du sort et vit les tables et les chaises s’envoler. Pendant un instant, elle crut que Relc allait s’envoler à son tour, mais elle vit ses griffes s’enfoncer dans le parquet alors que le vent hurla…

Et les tourbillons de vents éclatèrent avec un petit claquement d’air qui envoya les chaises les plus proches s’envoler. Pisces recula en perdant l’équilibre, le visage choqué et pale. Erin regarda la scène.
Relc, de son côté, fit tournoyer sa lance dans sa main avant de cracher dédaigneusement sur le sol.

« Voilà ce que je pense de tes sorts. Je suis un ancien soldat de la 1ere compagnie des Ailes de l’Armée de Liscor. J’ai tué plus de mages que tu as de niveaux. Maintenant, est-ce que va mourir en silence ou est-ce que je vais devoir payer pour repeindre les murs en vert pour cacher ton sang? »

Pisces recula, trébucha contre une chaise renversé, et tomba sur son derrière. Il leva ses mains et hurla d’une voix stridente.

« Je peux être rançonné. A bon prix ! Mon école payera dix… Trente pièces d’or en dénomination de votre choix pour me racheter ! »

Relc leva sa lance.

« J’en ai toujours rien à battre. Je n’ai pas besoin d’argent venant d’un singe puant comme toi. »

Erin leva sa voix avec horreur.

« Quoi ? Non ! Pas de meurtre ! Vous m’entendez? »

Mais personne ne l’entendait. Klbkch se rapprochait, épées et dagues au clair. Relc leva sa lance un peu plus haute.

« Des derniers mots, mage ? »

« Je… je… »

Relc sourit de toutes ses dents, sa lance au clair. Klbkch regarda la scène de manière impassible. Pisces cria et protégea son visage de manière inefficace. Et Erin…

« Hey ! »

Erin claqua la casserole de toutes ses forces sur le dessus d’une table. Relc, Klbkch et Pisces s’arrêtèrent et se retournèrent vers elle d’un seul homme. Elle pointa un doigt tremblant vers eux.

« Pas de combat. Pas ici. Et pas de meurtre ! »

Relc cligna des yeux, sa lance s’abaissa légèrement. Le doigt d’Erin se pointa vers lui.

« Tu arrêtes ! Tu lâches ton arme et tu sors ! »

« Mais il est… »

« Je m’en fiche ! Tu ne tues pas les gens parce qu’ils pratiquent une magie débile ! Et tu ne tues pas les gens parce que tu ne les aimes pas ! Et tu ne tues pas les gens parce que tuer les gens c’est mal ! »

« Quoi ? »

Relc pointa Pisces d’un doigt colérique.

« C’est un criminel. »

« Non, c’est un imbécile. Mais il n’a pas fait quelque chose d’assez pour mériter de mourir, tout ce qu’il a fait c’est essayer de me faire peur. »

« Il m’a attaqué avec de la foudre ! »

« Tu lui as cassé le nez ! Ce n’est pas suffisant pour le tuer ! »

Le Drakéide abaissa sa lance.

« Je n’y crois pas. Tu le défends ? Parce qu’il est Humain ? Ou parce que tu ne veux pas de sang dans l’auberge ? Dans ce cas je vais le sortir et… »

« Non ! »

Erin cria sur Relc.

« Est-ce que tu es débile ? Je ne veux pas que quelqu’un meurt ! Tu ne peux pas faire ça ! Je l’interdis ! Ce n’est pas bien ! C’est illégal. »

« Dans cette situation, les actions de mon camarade ne sont… »

Erin se retourna brusquement vers Klbkch et le pointa du doigt.

« Je m’en fiche ! Pas de meurtre, vous m’entendez ? »

Relc siffla de manière colérique.

« Donc je vais l’arrêter et il sera exécuté demain. Heureuse ? »

Pisces regagna sa teinte pale, Erin ouvrit la bouche de nouveau avant que son cerveau ne la rattrape.

« Je retire mon témoignage. »

« Tu quoi ? »

« Je le retire. Tout ce que j’ai dit. Il ne m’a jamais attaqué hier. Ce mage n’a jamais visité cette auberge, et je ne l’ai jamais vu avant aujourd’hui. Donc vous n’avez pas de raison de l’arrêter. »

« Tu ne peux pas faire ça ! »

Relc se tourna vers Klbkch et le regarda.

« Est-ce qu’elle peut ? »

L’homme-fourmi acquiesça avec réticence.

« Elle est correcte. Sans son témoignage nous ne pouvons pas l’arrêter. »

Relc chancela, il regarda Pisces avec incertitude avant de se souvenir de quelque chose.

« Mais il est toujours un [Nécromancien] ! C’est un crime quel que soit ce qu’il fait ! »

Erin croisa ses bras.

« Prouve-le. »

« Quoi ? »

« Prouve. Le. Est-ce que tu peux ? Est-ce qu’il y a un moyen de vérifier ses, heu, classes ? »

Relc serra les dents.

« … Non. Pas sans un artefact. »

« Alors tu sors. Maintenant. »

Relc regarda Erin, bouche bée. Il abaissa sa lance, attrapa les pics sur sa tête et siffla. Il pointa Pisces du doigt.

« Tu fais un pas dans la ville et je vais… je vais… Tu fais un peu dans la ville et je ferai quelque chose. »

Pisces était toujours allongé au sol, il leva faiblement sa main.

« Je vous assure que… »

Une veine apparue sur le front de Relc.

« La ferme. »

Il sortit de l’auberge d’un pas colérique.

« Les Humains ! »

Relc ouvrit la porte d’un coup de pied et Erin grimaça en entendant le bois craqué. Puis, il disparut.

Klbkch passa Erin et lui fit un mouvement poli de la tête.

« Ne faites pas attention à lui. C’est dans vos droits d’appliquer votre loi dans votre établissement. Veuillez accepter nos excuses pour le désordre. »

Il s’en alla à son tour. Erin resta debout dans la pièce, regarda les chaises cassées, les tables renversée, et le carnage fait de bois qui l’entourait. Derrière elle, Pisces se releva. Il était toujours tremblant, pâle et en sueur.

« Je ne sais pas comment je peux vous remercier m… Madame Erin. S’il vous plait, veuillez accepter mes humbles… »

Bonk

Erin frappa sa tête avec sa casserole. Violemment.

« Dehors. »

« Quoi ? »

Pisces la regarda avec incompréhension. Erin leva la casserole de nouveau.

« Dehors. »

Il sortit en titubant. Erin continua de regarder le chaos dans la pièce. Il fallait le dire, et le répéter encore.

« Les mâles »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 20 novembre 2019 à 21:05:49
Interlude 1

Nettoyer l’intégralité du bois cassé dans la pièce lui prit du temps. C’était une bonne chose qu’elle avait besoin de bois pour le feu de la cuisine, mais toutes les petites échardes étaient agaçantes, encore plus quand elles rentraient dans sa main. Mais elle venait de terminer cette tâche, et maintenant il était tard.

La nuit était fraîche. Dans son auberge, Erin Solstice s’endors.

Aujourd’hui n’avait pas été un jour facile. Elle rêva de squelettes disparus et de mages ennuyeux. Elle rêva de dragons cracheurs de feu et de Gobelins, et de lézards géants mangeant des pâtes. Elle continua de dormir.

Cependant, à une infinité de kilomètres plus loin, quelque chose était en train de se produire.

***

C’était le début de l’aube dans cette partie du monde. Malgré cela, beaucoup restèrent éveillés. Cela faisait des heures qu’ils n’avaient pas dormis, et certains restèrent debout malgré la fatigue. Leurs places sont fixées. Leurs énergies sont nécessaires pour alimenter les innombrables diagrammes lumineux brûlant au sol.

Les spectateurs attendent en silence alors que l’homme au centre continu son chant. Sa voix est vacillante, fatigué après des heures de dialogue. Mais ses mots vacillants sont imbus avec un écho plus profond qui parle de magie et de pouvoir au-delà de la mortalité. Il est épuisant, mais son travail touche à sa fin.

Le sort est terminé.

Ce n’est pas le craquement de la foudre. Ce n’est pas le boom de l’espace-temps qui vient d’être loué. C’est plutôt un murmure, et de la même manière, la lumière n’est pas éblouissante. Mais une brise invisible souffle, et soudainement ils sont là.

Des humains.

De jeunes hommes et femmes. Ils apparaissent en plein mouvement, certains sont assis, d’autre sont allongés. Beaucoup apparaissent en marchant ou regardant leurs téléphones numériques, perplexité. Mais une fois que cette perplexité disparaît, seule la surprise reste.

« Quoi ? »

« Ou-suis-je ? »

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Certains des humains invoqués crient de peur. D’autres essayent de fuir, paniqués, mais voient que leurs jambes refusent de les écouter. Peu d’entre eux regardent la pièce autour d’eux, les hommes en robes et les mages rassemblés au même endroit, et les aristocrates qui les regardent. Ils observent en silence.

Le chef en robes leva ses bras et tomba sur ses genoux. Il regarde les cieux avec un visage recouvert de larme et s’écria.

« Les Grands Héros de la Prophétie sont là ! Nous sommes sauvés ! »

Les autres hommes en robes lèvent leurs voix à leurs tours dans un concert de soulagement alors que les mages s’effondrent, épuisés, au sol. Pendant ce temps, la noblesse murmure et regarde les invoqué avec des yeux calculateurs.

Les humains se regroupent dans leurs peurs. Mais il n’y a pas d’échappatoire pour eux, et pas de menaces vers eux. Du moins, pour le moment. Ils sont confus, élus, invoqués, piégés. Ils ne sont pas les seuls.

***

La nuit est dans sa dernière heure. La campagne est pleine du chant des criquets et des chouettes, du bruit des insectes, et de plein d’autres sons mystérieux. Ou du moins, la nuit devrait être comme cela. Pour le moment tout est silencieux. Anormalement silencieux.

Un vieil homme se tient en dehors de sa maison, épée au clair. La nuit est sombre, et il devrait être chez lui à profiter de son dîner. Mais il a entendu quelque chose dehors et il est parti enquêter. Aussi profondément à la campagne il ne peut pas compter sur les patrouilles de ma milice pour rester en sécurité.

Si c’est un monstre il prendra la fuite. D’un autre côté si c’est un Gobelin solitaire ou un voleur discret tentant de lui voler quelque chose il les fera fuir. Le niveau du vieil homme dans sa classe d’[Épéiste] n’est pas élevé, mais il est assez fort pour se défendre. Cependant, il n’est pas un imbécile. Il sait que si le danger est réel la meilleure chose à faire est de se cacher et de prévenir la guilde des aventuriers le lendemain.

« Qui va là ? »

Il appel dans la nuit et espère ne pas avoir de réponse. Mais il peut le sentir… Les sentir. Quelque chose se cache juste en dehors de sa vision. Il resserre sa main autour du pommeau de son épée.
Lentement, ils s’approchent.

Des enfants. C’est la première chose à laquelle le vieil homme pense. Ce sont des enfants.

Il a beau être vieux, ils sont jeunes, c’est vrai, mais ce ne sont plus des enfants. Tout de même, il ne peut s’empêcher de les voir comme des enfants à cause de leurs apparences. Perdus, effrayé, et seuls malgré leurs nombres.

Dans tous les cas, ils étaient humains et ne représentaient clairement pas une menace, il se détendit et les appela.

« Oh, est-ce que vous vous êtes perdus les petiaux? Entrez, entrez. La temps est bien trop mauvais pour rester à l’extérieur comme ça. »

Le vieil homme rengaine son épée et les invites en ouvrant sa porte. Mais aucun des enfants ne bougent, ils le regardent. Lentement, il se rend compte que quelque chose ne va pas.

Leurs vêtements sont étranges. De toutes ses années le vieil homme n’avais jamais vu des habits aussi bizarres. Mais plus encore, ils semblent… Différents. Il regrette d’avoir rengainé son épée, est-ce qu’ils sont des créatures se déguisant en humain ? Non, ils sont humains, il peut instinctivement le sentir. Alors pourquoi est-ce qu’ils ne bougent pas ?

Leurs expressions sont tellement terrifiées que le vieil homme sait que quelque chose n’est pas normal. Les cheveux essayent de se dresser le long de sa nuque. Est-ce que ce sont des démons ? Des monstres ? Mais ils le regardent. Est-ce que quelque chose ne va pas chez lui ?

 L’un d’entre eux pointe un doigt tremblant dans sa direction. Non ; à sa ceinture.

« Est-ce que c’est une épée ? »

***

Quelques-uns, juste quelques-uns, errent sans prêter attention.

***

Une jeune femme s’arrête d’un coup. Ses cheveux sont recouverts de sueur et attaché dans une queue de cheval. Son Ipod est dans sa main, mais elle arrête la musique pour regarder autour d’elle. Une quinzaine d’hommes armés et un démon recouvert de flammes arrêtent leurs combats et la regardent à leurs tours.

***

Deux jumeaux rires et passent une intersection. Le garçon envoie son téléphone numérique en l’air et le rattrape alors que sa jumelle le réprimande ou cas où il le fasse tomber. Sa main s’arrête. Le téléphone est réduit en miette en tombant sur le sol de marbre de la salle du trône. Un roi lève la tête. Il fronce les sourcils. Les gardes royaux positionnés dans la pièce dégainent leurs épées d’un seul mouvement et charge le duo désorienté.

***

Une fille rit alors qu’ils la traînent en dehors de sa cellule. Elle est poussée en avant, et elle trébuche sur quelque chose de dur et plat. Elle regarde en l’air et vois un aventurier le regarder. Il bouge son corps recouvert d’armure et l’aide à se relever. Une femme se penche au-dessus du comptoir de la guilde des aventuriers et regarde autour. Certains sont des héros, d’autre recherche des héros. Ses gardiens ont disparus. Elle est libre.

***

Il pleut sur le monde. Durant un bref instant. Une averse d’âmes éphémères. Mais leurs impacts provoquent des vagues. Ils ne sont pas des légendes, et ils n’ont pas de pouvoirs spéciaux à l’exception de ceux que les humains possèdent. Mais ils vivent. Ils sont vivants. Et avec leurs arrivées, le monde change.

La nuit est noire. Erin dort. Elle repose sa tête sur une lisse table de bois dans une auberge se trouvant sur une colline dans une prairie recouverte d’herbe. Le silence est sa seul compagnie. Dans ses rêves elle bave un peu et murmure quelque chose à propos de pâte.

Elle est isolée, mais elle n’est plus seule.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 23 novembre 2019 à 21:20:32
1.12

Pour Erin, se lever était un calvaire, mais pas aujourd’hui. C’était parce que le véritable calvaire était pour plus tard.

Juste après le petit-déjeuner, en fait. Erin regarda sombrement les trois fruits bleus flétris qui se trouvaient sur son assiette. Elle mordit l’un d’entre eux de manière expérimentale avant de mâcher, et de mâcher, et de continuer de mâcher.

« Caoutchouteux. »

Les fruits étaient presque impossibles à mâcher. La peau de ses fruits était tellement dure qu’Erin avait l’impression de manger du caoutchouc. Enfin, c’était l’impression qu’elle se faisait du caoutchouc, la dernière fois qu’elle en avait mangée avait dû être dans sa tendre enfance.

De plus, les fruits avaient perdu leurs délicieux jus et avait un gout… Plat. Il n’y avait plus de douceur, et ils n’étaient pas appétissants du tout. Mais Erin les mangea quand même, principalement car elle n’avait rien d‘autre à manger.

« Je suis dans la mouise. Ouaip, ouaip. »

Ce n’était pas qu’elle était à cours de fruits bleus. Loin de là, il lui en restait encore beaucoup dans le verger. Enfin, pas beaucoup, mais suffisamment. Mais ils étaient, comme toute nourriture, présent en quantité limitée. De plus, le problème n’était pas avec elle, mais avec ses clients.

« Qui veut manger des fruits bleus tous les jours ? Levé la main si vous trouvez ça fun. »

Erin ne leva pas la main. Elle devait l’admettre, ils étaient goûtus et faisaient du bon jus de fruit, mais au bout du compte, ils étaient toujours des fruits.

« Et je veux un repas. Un vrai repas. Pas de fruits. Je veux du pain ! Je veux des pâtes ! Je veux une pizza et du soda et une salade et une glace ! Quoique… Non, la glace n’en vaut pas la peine. J’ai besoin de viande. Ou d’un poisson qui ne va pas me mordre en retour ! Je veux des sushis, des cheeseburgers avec des frites, des toasts, des waffles… Des céréales… »

Erin pressa les mains contre son estomac gargouillant et tenta de ne pas pleurer.

« Même des ramens instantanés seraient sympa. Est-ce que c’est vraiment trop demandé ? »

C’était trop demandé. Elle le savait. Mais la simple pensée d’un vrai repas lui mettait la larme à l’œil.

Elle pouvait gérer des Gobelins ou des Nécromanciens malpoli, voir même combattre des crabe-rochers maléfiques. Elle avait même réussi à s’occuper d’un poisson géant qui avait essayé de la manger pendant son bain. Mais elle voulait un repas.

« En plus, j’ai besoin de nourrir mes clients. »

Erin hocha la tête, les mathématiques étaient simples. Pas de nourriture = pas de clients = pas d’argent = mort de faim. L’erreur dans l’équation était que pour avoir de la nourriture, elle devait dépenser de l’argent, et elle n’avait pas moyen de le faire.

« A moins que j’aille dans la ville. »

C’était un véritable plan, elle n’était pas certaine que c’était un bon plan, mais c’était la seule option qu’elle avait. La ville. Erin se rendit à la fenêtre, cherchant l’endroit que Relc lui avait montré.

« Là-bas. »

Erin regarda les lointains bâtiments, ils semblaient se trouver loin, même si tout semblait se trouver loin dans ce monde. Une ville allait avoir des choses, comme de la nourriture, des vêtements et des brosses à dent. Cependant, Erin ne voulait toujours pas partir.

« C’est loin. Mais je dois partir. Peut-être ? Oui… Non. Non ? Oui. J’ai besoin de nourriture. Et j’ai besoin de nourrir mes clients. C’est mon devoir en tant qu’aubergiste. »

Elle s’arrêta et repensa à ce qu’elle venait de dire. Erin s’effondra dans une chaise et berça sa tête entre ses mains.

« Suis-je une aubergiste ? Est-ce que c’est ce que le monde est en train de me faire ? »

Peut-être. C’était probablement la classe d’[Aubergiste].

« Dans pas longtemps je vais avoir un gros ventre à bière et je vais commencer à porter des tonneaux de boisson. C’est ce que font les aubergistes, pas vrai ? »

Elle ne le savait vraiment. Elle n’avait jamais vraiment prêté attention à l’histoire médiévale, au du moins des parties qui étaient réellement historiques.

« Ils n’ont jamais mentionnés d’aubergiste dans les légendes du Roi Arthur. Ou peut-être que oui ? »

Il n’y avait pas de Google disponible pour l’aider donc Erin laissa tomber cette réflexion. En fait, c’était plus une distraction qu’autre chose. Le problème qui se trouvait en face d’elle était simple.

« Se rendre ou ne pas se rendre dans la ville, telle est la question. En fait, il n’y a pas de question. J’ai besoin d’aller en ville. J’ai besoin de… faire les magasins. »

Faire les magasins. Cela serait probablement plus intéressant si elle ne s’y rendait pas pour acheter de quoi survivre. Mais elle devait le faire, elle le savait.

Cependant, Erin n’aimait vraiment, vraiment pas cette idée. Elle aimait les gens, elle les aimait du fond du cœur. Mais elle avait une réaction négative quand il s’agissait de, grand A : Quitter son auberge sûre, et grand B : Voyager jusqu’à une ville lointaine qui était probablement remplie de lézards géants et d’insectes qui marchaient sur deux pattes.

Sombrement, Erin regarda de nouveau les trois fruits bleus sur son assiette. Elle sortit de l’auberge et les laissa le plus loin possible. Le jus avait laissé une désagréable sensation collante sur ses mains, mais elle ne pouvait pas y faire grand-chose.

« Je suppose que je dois me rendre jusqu’au ruisseau maintenant. Qui aurait cru que se laver les mains demandait tellement de travail ? »

Erin grommela en nettoyant ses mains contre son pantalon avant de s’arrêter de regarder ce qu’elle venait de faire.

Son pantalon était bleu, le jus de fruit était bleu. Mais contre toute attente, les tâches bleues étaient facilement visibles sur son vêtement. Ou plutôt, les tâches causées par le fruit bleu était facilement visibles, et elles n’étaient pas que sur son pantalon.

Le t-shirt d’Erin était un simple vêtement commercial avec un charmant logo d’une corporation sur l’avant et l’arrière. En vrai, elle n’y était pas réellement attachée, mais c’était le vêtement parfait à porter quand elle restait chez elle. Il ne représentait pas ses goûts en matière de vêtement.

… Ce qui était une bonne chose, parce qu’Erin aurait pleuré si elle avait abîmé un de ses-t-shirt préféré à ce point. Elle regarda les tâches bleues, toucha les coupures sur les manches et les marques de brûlure qui se trouvaient d’un côté. Elle leva son t-shirt, le renifla, et manqua de vomir.

Pour la première fois Erin toucha ses cheveux, elle mit la main à sa bouche et sentit sa respiration avant de penser à la dernière fois qu’elle s’était brossé les dents, ou qu’elle avait pris un bain avec du savon. Puis, elle écrasa cette pensée.

« Bien, c’est décidé. Je vais me rendre en ville. »

***

Erin marcha à travers la plaine. Elle aurait souhaité avoir une véritable route à suivre, mais les gens ne pouvaient pas se daigner à faire une route pavée en pleine nature. En y repensant, elle se demandait pourquoi quelqu’un avait décidé de construire une auberge au milieu de nulle part.

Peut-être que des gens avaient vécus dans le coin, ou peut-être que c’était un idiot qui avait pensé percer dans un marché encore inexploré. Dans tous les cas, Erin était reconnaissante pour l’auberge.
« Mais pourquoi devait-elle se trouver aussi loin de tout ? »

Erin descendit la pente, il fallait voir le bon côté des choses, au moins l’auberge se trouvait sur une inclinaison. Pas une véritable colline, mais une longue pente qui s’accentuait de plus en plus alors qu’elle continuait de marcher. Tout allait pour le mieux, puis Erin se rendit compte qu’elle allait devoir remonter la colline.

« Wouah. C’est une grosse colline. »

Elle continua de l’observer pendant quelque temps avant de reprendre sa marche. Relc et Klbkch lui avaient dit que la route jusqu’à la ville durait environ une vingtaine de minutes.

« Ils m’ont menti. »

Ou peut-être qu’ils marchaient vite. Erin pouvait désormais voir ce que Klbkch avait appelé Liscor au loin. La ville était encore petite, mais elle semblait bien plus proche que le reste du paysage.

Maintenant, en calculant la distance qu’elle avait parcourue et en multipliant par la vélocité de ses jambes avant de diviser par son envie de continuer de marcher…

« Trente minutes. Non ; probablement une heure. Ouais, une heure semble juste. »

Erin soupira. L’exercice allait lui faire du bien, pas vrai ? Ça forgeait le caractère ou un truc du genre.

« Donc, de quoi ai-je besoin ? »

Elle fit une rapide vérification de ce qu’elle avait sur elle. Ses pièces étaient en sécurité au fond de l’une de ses poches. Elles étaient lourdes. Elle portait ses vêtements, ce qui était important, et donnait l’impression d’être… Et bien, d’être une sans-abri. Mais elle avait de l’argent, donc qu’est-ce qu’elle allait pouvoir s’acheter avec cet argent ?

« Hum. Des vêtements. Bien sûr. Et du savon. Et une brosse à dent, s’ils ont des brosses à dent. Et du dentifrice… Qu’ils n’ont probablement pas. Mais quelque chose. J’ai besoin de nourriture, évidemment, de savon, de serviette, de lessive en… De plus de savon, et d’un peigne. »

Erin continua de marcher.

« Et une épée. J’ai besoin d’une épée. Et d’un bouclier ? D’une armure ? Et de, heu, d’un spray anti-Gobelin ? Oh, et des livres ! Des tonnes de livres. Des cartes, des livres d’histoires… Est-ce que je vais pouvoir les lire ? Quoique Relc et Klbkch parlent Anglais. Ça aussi c’est bizarre. J’ai aussi besoin de pansements, d’une aiguille et de quelqu’un pour m’apprendre à coudre… »

Erin mit la main à sa poche et ses pièces tintèrent, elle aurait aimé faire tinter plus de pièces.

« Et j’ai besoin de braquer une banque. »

D’accord. Erin recommença sa liste.

« Qu’est-ce qui est essentiel ? »

Elle compta sur ses doigts.

« Des vêtements. De la nourriture. Une brosse a dent. Du savon et une lampe. »

Elle claqua des doigts.

« Oui. Une lampe ! Et une épée. »

Elle toucha de nouveau sa poche.

« … Juste la lampe. »

***

« De l’herbe plate, de l’herbe plate, tout ce que je vois c’est de l’herbe plate. »
Erin chantonna en continuant de marcher. Elle n’était pas certaine d’avoir une véritable mélodie, mais au moins la chanson lui tenait compagnie.

« Les chevaux mangent de l’herbe, mais pas de la bombe, je vais à la ville en trombe. Ou je vais mourir de faim ! Une fois sur place je mangerai dix poires et… Hey, est-ce que c’est un Gobelin ? »

Erin tourna rapidement la tête et la petite tête du Gobelin s’abaissa brusquement. Elle plissa les yeux, oui, c’était clairement un Gobelin. Il était en train de se cacher sur une petite colline, mais elle savait qu’il était toujours là, à l’observer.

Bien. Elle est suivie. Erin ne savait pas trop quoi faire de cette révélation. Elle regarda autour d’elle et deux autres têtes disparurent alors que leurs propriétaires se cachèrent. Ils ne semblaient pas vouloir lui tendre un piège, ils étaient juste en train de la suivre.

« Hum. »

Erin s’abaissa et chercha quelque chose dans l’herbe. Éventuellement, elle trouva ce qu’elle cherchait et attendit qu’un Gobelin décide qu’elle les avait probablement oublié et sortit la tête de sa cachette. Erin se retourna brusquement en criant.

« Ouste ! »

Erin lança le caillou, ce dernier manqua la tête du Gobelin et la colline qui se trouvait derrière. Mais le nain vert comprit le message et disparu en un instant. Erin soupira.

« Super. Ils sont comme des cafards. De gros cafards verts et méchants. Avec des dents. Et des couteaux. Et des yeux rouges. »

Elle se demanda ce qu’elle devrait faire. Puis elle pensa à ce qu’elle pouvait faire.

Erin continua de marcher.

La ville continua de s’agrandir au cours de sa marche. Elle avait l’impression qu’elle n’allait pas arrêter de grandir, mais les bâtiments commencèrent à prendre de plus en plus de place dans son champ de vision. Ils n’étaient pas des gratte-ciels, mais Erin avait l’impression qu’ils étaient trop grands pour des bâtiments médiévaux. Cependant, la ville était encore loin, alors elle continua de marcher.

Et elle était toujours observée. De multiples paires d’yeux regardèrent la jeune femme alors qu’elle continua de marcher dans l’herbe. Ils l’observèrent en attendant un signe de faiblesse, quelque chose qui pouvait être exploité. Elle était observée.

De temps en temps, elle se retourna et lança une pierre.

***

Une fois devant les portes, Erin s’arrêta un long moment pour regarder la ville.

« C’est un grand mur. »

C’était un sacré euphémisme. Le mur était grand, même en le comparant aux murs normaux. Il faisait presque treize mètres de hauteur, mais Erin n’avait aucun moyen de savoir que c’était parfaitement normal pour un mur, ou que le mur en question faisait treize mètres. Pour elle, c’était un gros mur.
Mais il y avait quelque chose de particulier avec ce mur, et ce qu’Erin remarqua était la manière dont les portes avaient été bâties. Ce n’était pas une grille de fer ou une herse avec des trous bien pratique quand il fallait tirer sur un ennemi, mais deux solides portes de fers. Erin se demanda pourquoi, car les portes semblaient solides et difficiles à bouger. Elles l’étaient, et pour une bonne raison. Mais Erin n’allait pas comprendre cette raison avant un bon bout de temps.

Erin s’approcha des portes. Personne ne semblait prendre la porte en ce moment, et donc elle se sentit très seule et petite en si dirigeant vers elles. Elle s’arrêta en voyant le garde.

Il était grand, avec une armure. Il était un Drakéide avec des écailles jaunes au lieu de vertes. Jaune pâle, Erin trouvait qu’il faisait très pop-corn. Il avait aussi une épée courbée, et elle s’approcha de lui avec trépidation.
« … Salut. »

Le Drakéide baissa les yeux vers Erin avant de continuer de regarder au loin. Il avait une lance à ses côtes et un bouclier en métal sur son bras gauche. Vu qu’il n’était pas en train d’utiliser ce bouclier pour la battre à mort, Erin considéra que c’était un bon début.

« Hum. Il fait beau aujourd’hui, n’est-ce pas ? »

Une nouvelle fois, le garde lui lança un regard. Une nouvelle fois, il ne lui répondit pas.

« … D’accord. C’est juste que je suis nouvelle ici. Et une Humaine. Ravi de vous rencontrer. Mon nom est Erin. Je, heu, connais un autre type qui travaille avec vous. Relc ? Et Klb… Klb… Le type insecte ? Donc ouais. Ils me connaissent. Je ne suis pas une menace. Et, heu, j’ai vu quelques Gobelins sur la route y’a pas longtemps. Ils ne sont pas là maintenant, mais j’ai pensé qu’il valait mieux vous prévenir.»

Le Drakéide soupira de manière audible, à haute voix.

« Tu peux rentrer, Humain. Tout le monde peut rentrer dans la ville. »

« D’accord. Merci. Hum, passez une bonne journée ! »

Erin sourit. Il ne lui rendit pas son sourire.

« Je vais m’en aller. Maintenant. »

Elle dépassa le garde, et alors qu’elle venait de passer les portes de fer elle l’entendit murmurer.

« Les Humains.

Le sourire d’Erin se figea légèrement sur son visage mais elle continua d’avance jusqu’à ne plus rien entendre. Tout le monde était de mauvaise humeur quand il s’agissait de s’occuper de touristes embêtants. De plus, il était juste un garde. Elle avait passé les imposantes portes de la ville, et elle dût s’arrêter.

Car elle venait d’entrer dans Liscor. Une ville de Drakéides fougueux, construit avec l’aide des laborieux Antinium. Foyer des fiers Gnolls  et des occasionnels Homme-Bêtes, qu’il ne fallait pas confondre. Visitée par de nombreuses races et foyer de plus encore. Acceptant désormais en son sein…

Une Humaine.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 27 novembre 2019 à 16:49:26
1.13

« Hum, est-ce que je suis dans un magasin ? »

Toutes les personnes présentes dans la Guilde des Aventuriers de Liscor se tournèrent vers la voix. Des guerriers Drakéide endurcis, d’immense Gnolls et plusieurs personnes qui ressemblaient à des mages évaluèrent l’interlocutrice qui venait de rentrer dans la pièce.

Un petit humain, peut-être une femelle.

Leurs yeux s’éloignèrent, désintéressés. Le cœur d’Erin recommença à battre après une poignée de seconde, elle décida que ce n’était définitivement pas le magasin qu’elle recherchait.
« Ah, bonjour ? Par ici, nous pouvons vous aider. »

Une voix appela par-dessus les murmures. Elle vit une Drakéide verte clair lui faire signe depuis le comptoir. Elle était bien plus petite et avait des bras bien moins développés que ceux de Relc. Erin devina qu’elle était femelle, principalement par ce que la robe qu’elle portait avait mis la puce à l’oreille.   

Avec hésitation, Erin s’avança jusqu’au comptoir. La réceptionniste lui fit un sourire en gardant ses lèvres serrées.

« Bien le bonjour, Mademoiselle. Comment pouvons-nous vous aider aujourd’hui ? Avez –vous une prime ou une quête à déposer ? Ou est-ce que vous êtes là pour vous enregistrée ? »

« M’enregistrer ? Une quête ? Oh non, je ne suis pas là pour… Heu… Quoique ce soit. J’ai juste crût qu’il y aurait pu avoir un forgeron et j’ai… »

« Oh, je vois ! »

La réceptionniste lui sourit de nouveau, et cette fois Erin sourit en retour.

« Nous ne sommes pas un magasin, Mademoiselle. Vous êtes dans la Guilde des Aventuriers. Il n’y en avait pas une dans votre ville ? »

« La Guilde des Aventuriers ? »

Erin regarda la pièce, son intérêt renouvelé. Maintenant qu’elle n’était pas transpercée par des milliers de regards elle pouvait se permettre d’observer le bâtiment. Ce dernier était grand, Erin l’avait presque confondu pour une auberge ou un bar. Mais maintenant qu’elle savait ce qu’elle regardait, le fait qu’il y ait une réceptionniste derrière un comptoir avait plus de sens.

« Exactement.  C’est ici que vous pouvez informer la Guilde de la présence de dangereux monstres rodant près de votre habitation, déposé une quête et offrir une récompense, ou si vous êtes une aventurière, vous pouvez jeter une œil à requête ou recevoir votre récompense. »

La réceptionniste pointa du doigt un large panneau en bois cloué à un mur. Il était recouvert de nombreux parchemins collé au bois, et plusieurs grands et robustes aventuriers étaient rassemblés autour, discutant.

« Wouah. »

Erin étudia les aventuriers. Tous portaient une armure, même si la qualité et la quantité variait d’une personne à l’autre. La plupart des Drakéides semblaient se contenter de porter des brassards ou un occasionnel casque sans porter d’armure au niveau du torse, mais plusieurs des grands chien-hyène-trucs poilus portaient des cottes de maille, et l’un d’entre eux portait même une armure de plate.
Ce n’était pas tout, bien sûr. Certains aventuriers ne portaient pas d’armure du tout, et se paissaient aussi d’arme. Erin remarqua plusieurs Drakéides portant de légères robes et maniant des bâtons ou des dagues à leurs ceintures.

« De vrais mages. C’est trop cool. »

« … Mademoiselle ? Excusez-moi, Mademoiselle ? »

Erin se retourna et réalisa que la réceptionniste avait tenté d’attirer son attention depuis un certain temps.

« Oh, je suis vraiment désolé. Qu’est-ce que vous étiez en train de dire ? »

« Êtes-vous une voyageuse, Mademoiselle ? Ou peut-être… Une aventurière ? Est-ce que vous êtes là pour vous faire enregistrer ?»

Le regard que lui lança la Drakéide souligna le fait que ce n’était pas vraiment une possibilité.

« Oh non. Je… Heu… Je suis une aubergiste. Je suppose. Ou peut-être une voyageuse ? En fait, je suis juste nouvelle dans le coin. »

La réceptionniste semblait intéressée.

« Une aubergiste, vraiment ? Est-ce que vous ouvrez un business dans le coin ? Je suis Selys, au passage. »

Selys offrit sa main à Erin. C’était un geste tellement humain qu’Erin ne put que sourire en lui serrant la main. La sensation de toucher des écailles froides était étrange, mais pas désagréable.

« Je suis Erin, Erin Solstice. Et non, je ne.. hum… Suis pas une aubergiste. Du moins pas dans le coin. Je vis dans un bâtiment en dehors de la ville, je suppose. Je suis ici parce que j’ai besoin de faire du shopping. De manière urgente. »

Elle pointa du doigt ses vêtements tachés et déchirés.

« Et bien, je ne peux pas quitter mon comptoir mais je peux vous donner quelques directions. »

Selys sourit de nouveau.

« C’est vraiment rare de voir un Humain aussi loin de la côte. Votre espèce s’en tiens généralement aux villes. Qu’est-ce qui vous amène si loin ? Oh, et qu’est-ce que vous recherchez ? »

 « Hum. Un sort de téléportation. Et j’ai besoin d’ingrédients. Farine, huile, beurre, sel… Ce genre de trucs. Et j’ai besoin de vêtements, beaucoup de vêtements. »

« Bien, si vous cherchez de la nourriture et des fournitures générales vous pouvez essayer le marché  deux rues plus bas en partant d’ici. Pour vous y rendre il faut prendre à gauche en sortant et tourner à droite. Ils ont aussi des vêtements, mais je ne suis pas certaine qu’ils seront adaptés pour un Humain. »

« Oh, c’est parfait. Merci beaucoup. »

Erin avait déjà oublié les directions. Elle souhaitait avoir son téléphone, ou Google maps. Une carte aurait été inutile car elle ‘n’avait jamais appris à les lire.

« Je suis aussi à la recherche d’autre fourniture. Je suppose que vous ne savez pas ou est-ce que je pourrais… »

Une grande main poilue attrapa l’épaule d’Erin et la fit tourner sur elle-même.

« Huh ? »

Erin était en train de regarder un mur de pelage brun. Elle était certaine que ce mur ne se trouvait pas là il y a une minute. Elle leva la tête.

Le visage d’une hyène était baissé vers le sien. Ou plutôt, le visage d’une hyène sur un corps humanoïde recouvert de pelage. C’était l’un des aventuriers présents dans la Guilde et il ne semblait pas être content.

Mais il ne disait rien. Plutôt, il se contentait d’être intimidant. Erin savait qu’il était volontairement intimidant par le fait qu’elle se sentait comme une fourmi. Elle ne savait pas pourquoi il était en colère, surtout envers elle. Peut-être qu’il voulait juste embêter quelqu’un, elle ouvrit la bouche et tenta d’utiliser la diplomatie.

« Hum. Salut. Est-ce que… Est-ce que vous êtes un loup-garou ? »

C’était définitivement la mauvaise chose à dire. Le regard agacé de l’homme-hyène poilu s’assombrit, et il lui grogna dessus avec une voix grave qui sonnait comme… Et bien, comme la voix d’un chien qui pouvait parler.

« Est-ce que je ressemble à un loup-garou ? »

« N-non ? »

Erin recula d’un pas et trouva que le comptoir était juste derrière elle. Elle jeta un regard par-dessus son épaule et vit que Selys la regardait avec inquiétude, mais la réceptionniste ne l’aida pas.
Le non loup-garou se pencha vers elle et lui grogna au visage.

« Je suis un Gnoll »

Son haleine était épouvantable. Erin sentit ses genoux trembler rien qu’en la sentant.

« D’accord. Je suis vraiment désolé pour ça. Hum. Je peux vous aider ? »

« Tu es dans mon chemin. »

« D’accord. Désolé. Désolé pour ça. »

Erin se décala d’un pas pour lui laisser accès à Selys. Mais il n’avança pas, au contraire, il continua de la regarder.

« Est… Est-ce que vous voulez autre chose ? »

Le Gnoll bougea son cou et fit craquer sa nuque dans un bruit proche du pétard qui explose, terrorisant Erin.

« Je n’aime pas les Humains. Ils puent. »

Erin tenta de s’éloigner, mais le Gnoll colérique continua de la suivre. Elle savait qu’elle était observée par les autres aventuriers présents dans la pièce. Mais comme Selys, ils semblaient se contenter de regard l’humain se faire harceler sans intervenir.

« V-vraiment ? Je ne sens rien. »

« C’est parce que les Humains ne peuvent rien sentir. »

Le commentaire venait de derrière Erin mais elle était trop terrifiée pour se retourner. Celui qui avait dit ça avait le même grognement dans sa voix, dans c’était surement un autre Gnoll.

« D’accord. Et bien. Désolé pour ça. »

Erin tenta de contourner le Gnoll mais il lui bloqua le chemin.

« Je ne veux pas d’humain ici. Tu n’as pas ta place ici. »

« Un instant. »

Selys décida enfin d’aider Erin. La Drakéide se pencha par-dessus le comptoir et s’adressa au Gnoll.
« Vous ne pouvez pas jeter quelqu’un dehors simp… »

Il la regarda et grogna. Selys sursauta et se tût.

A travers la pièce Erin vit les Drakéides s’agiter. L’un d’entre eux siffla doucement.

Le Gnoll regarda les Drakéides et ils lui rendirent son regard. L’une de ses mains se dirigea vers l’épée à sa taille, mais il ne fit pas de signe qu’il s’apprêtait à la prendre. Cependant, la tension était tellement palpable qu’elle était certaine que si le Gnoll et le Drakéide bougeaient la pièce allait exploser.
Erin se demanda si elle devait essayer de doubler le Gnoll lorsque ce dernier quitta son duel visuel se retourna vers elle.

« Toi. Tu pollues cet endroit avec de la terre et de la saleté. Je peux sentir les choses dans lesquels tu t’es roulé. »

Il pointa d’une griffe le t-shirt taché d’Erin, et elle sursauta nerveusement à la vue de l’ongle sale et long.

« Oh. Oui. Hum. Je suis vraiment désolé pour ça. C’est que j’ai dû me défendre et je n’avais pas de rechange donc… »

Le Gnoll se pencha vers elle. Erin pouvait voir les différentes vibrisses sortant de son museau. Elle pouvait sentir son haleine nauséabonde. Mais elle était principalement concentrée sur ses dents pointues.

« Vas-t’en »

Erin hésita, elle lança un regard vers Selys, mais la réceptionniste n’osait pas croiser son regard.

Le Gnoll grogna et Erin recula. Il la guida vers la porte et une fois qu’elle était dehors, il claqua la porte derrière elle.

C’était le premier bâtiment dont Erin fut expulsé lors de sa visite de la ville. Il n’allait pas être le dernier.

 
***

Erin marcha à travers la ville, sentant le soleil oppressant à l’arrière de sa nuque. Elle était en bouillonnante, en sueur, et fatiguée. Mais par-dessus tout elle était anxieuse. C’était une terrible douleur aiguë dans son estomac qui refusait de la quitter même lorsqu’elle essayait de se relaxer. Principalement car elle ne pouvait pas se relaxer.

Elle était perdue, géographiquement et dans les autres sens du terme. Cependant, Erin se devait de continuer d’avancer ou elle allait se rendre encore plus visible. Elle était en train d’essayer de se rendre au marché dont Selys lui avait parlé, et elle était perdue.

Il était étrange de marcher à travers la ville. D’un côté, la ville ressemblait presque à quelque chose construit par des humains. Les bâtiments étaient toujours des bâtiments, faits de pierre et de bois. Les rues étaient en terre, mais en terre dure, et certains endroits étaient pavés. La ville n’avait pas l’air d’être si mal, il était vrai qu’il y avait plus de rondeur dans l’architecture des bâtiments, il y avait beaucoup plus de toits ouverts ou légèrement en pente à la place des habituels bâtiments angulaires dont Erin avait l’habitude. Ce qui la dépaysait vraiment, c’était les gens.

Ils n’étaient pas humains. Peut-être importe compte de temps Erin passait dans les rues et dans la ville, elle n’arrivait pas à assimiler ce fait. Tous les visages présents dans la foule étaient inhumain, et la majorité d’entre eux étaient des Drakéides. Il y avait un Gnoll de temps à en temps, ou un autre faciès recouvert de fourrure, mais ils étaient principalement reptiliens.

Tous les types reptiles étaient présents. Des museaux longs, de délicates pointes sur le cou, des cous allongés, de grands yeux, des yeux étroits, des museaux aplatis. Par contre, ils avaient tous de grandes dents. Il était très rare qu’Erin aperçoivent un homme-fourmi, ou une femme-fourmi elle ne savait pas faire la différence, marcher dans les rues.

Elle souhaitait que tout le monde arrête de la regarder. C’était l’une des choses qui faisait que marcher dans la ville était si compliqué. Alors qu’elle regardait les lieux exotiques et les gens plus exotiques encore, ils la regardaient en retour, et ils semblaient qu’ils n’aimaient pas ce qu’il voyait.
Erin tenta de marcher rapidement le long de la rue. Comme ça elle allait éviter d’offenser quelqu’un d’autre. Elle n’avait pas eu beaucoup de succès pour le moment.

« Expulser de trois magasins, et de deux maisons. »

Pour être franche, certaines d’entre elles ressemblaient à des magasins. Pourquoi personnes installaient des panneaux passait par-dessus la tête d’Erin.

« En fait, il y a des signes. C’est juste que je n’arrive pas à les lire. »

C’était quelque chose de drôle. Erin pouvait parler le même langage que Relc et Klbkch, mais pour une raison quelconque elle ne pouvait pas lire ce qu’ils écrivaient. C’était probablement à cause de la… Magie.

« La magie. C’est ça, ou ils sont tous bilingues. Ou trilingue. Ou quelque chose du genre. »

Un Drakéide marchant dans la direction opposée de la rue lui lança un regard curieux et Erin se tût. Son tic de se parler à elle-même la rendait plus étrange que d’habitude.

Cependant, cela n’était pas suffisant pour expliquer pourquoi l’intégralité de la ville semblait la haïr. Il était vrai qu’elle continuait de rentrer dans différents endroits en se demandant ou elle était mais c’était… Bon d’accord, elle pouvait comprendre pourquoi les gens n’aimaient pas ça. Mais elle recevait le même traitement dans la rue.

« Bouge de là, Humain. »

« Hors de mon chemin, peau lisse. »

« Fait attention, sac à viande. »

En fait, personne ne l’avait insulté en utilisant ce terme, ni le terme qui l’avait précédé, voir le troisième terme. Ils ne lui adressaient pas la parole, presque la totalité des Drakéides se contentaient de l’observer alors que les Gnolls et les autres personnes poilues marchaient le plus loin possible d’elle.
Mais tous étaient constamment en train de l’observer.

Certains la regardaient depuis le coin de l’œil. D’autres étaient moins discrets et la regardaient sans broncher. Erin vit quelques petits enfant-lézards pointant du doigt vers elle et elle sentit qu’elle n’était pas à sa place. Dans une mer d’écailles et de pelage, elle était la seule humaine. Elle se sentait tellement seule qu’elle en avait mal.

Erin tourna à droite et se trouva sur un autre type de rue, cette dernière était plus large, pavée, et avait des étals de bois. C’était un marché.

« Enfin. »

Erin soupira de soulagement et s’avança. Elle avait finalement atteint sa destination et cela lui avait seulement prit une heure… Ou deux.

Sa chance lui souriait, Erin semblait avoir trouvé la session qui vendait de la nourriture. Des dizaines de marchands se tenaient, assis ou debout, derrière leurs étals ombragés présentant des paniers remplis de nourriture. D’un côté il y avait un Drakéide qui vendait d’étranges plantes aux feuilles bleues qui ressemblait à une carotte blanche trop grosse… Ou un asticot mort. Il y avait un autre Drakéide qui coupait de la viande en attendant un client alors que les mouches volaient autour de son étal, et il y avait aussi…

Un Gnoll.

Erin passa devant un étal plus grand que les autres, tenu par un grand Gnoll, même si tous les Gnolls étaient grands à ses yeux. Celui-ci semblait vendre beaucoup de choses, et pas que de la nourriture. Erin fut tenté par l’idée de s’arrêter et de jeter un œil, mais le fait que le marchand était un Gnoll
compliquait les choses. Elle était toujours en train d’hésiter quand le Gnoll l’aperçut et cria par-dessus le brouhaha général.

« Toi, Humain ! Si tu cherches à marchander, viens par ici ! »

Le cœur d’Erin fit un bond. Les Gnolls étaient, comme Relc, bruyants, et sa voix venait de faire tourner tous les regards en direction d’Erin. Elle hésita, avant de s’approcher.

Alors qu’elle s’approchait le museau du Gnoll se plissa et elle agita sa patte devant son visage. Le cœur d’Erin s’assombrit, mais le Gnoll ne fit pas de commentaire.

« Et bien, qu’est-ce que tu cherches ? »

Le Gnoll regarda attentivement Erin. Elle semblait être en colère, ou peut-être que les Gnolls semblaient toujours être brusques et impatients.

« Oh hum. Je ne fais que regarder. »

Erin s’éloigna légèrement de l’étal du Gnoll, elle ne voulait pas se faire chasser du marché.

« Hrmf, fait comme bon te semble. »

Le Gnoll détourna le regarda. Il était définitivement agacé désormais, même s’il ne l’avait pas été auparavant. Erin recula et regarda vers l’étal suivant.

Celui-ci semblait être tout aussi prometteur, et mieux encore, un Drakéide s’en occupait.  Il était vrai que ce n’était pas véritablement une amélioration mais au moins il  ne plissait pas le nez à son approche. Peut-être parce qu’il ne la regardait même pas.

Erin s’approcha de l’étal avec attention et regarda les nombreux articles présentés. Voyons voir, il y avait beaucoup de sac soigneusement plié, et devant ces derniers se trouvait de petits seaux présentant ce qui était dans le sac. C’était bien, puisque Erin ne pouvait pas lire ce qui était écrit sur les panneaux.

Juste là ! Elle vit de la farine, du sel, et même du sucre sur l’étal avec d’autres ingrédients séchés. Le Drakéide vendait des saucisses sèches qui pendaient sur des crochets installés au plafond de son étal, des oignons secs et de l’ail, ainsi que de nombreuses racines séchées et d’épices qui se trouvaient dans un autre coin du magasin.

« Bonjour. Est-ce que ce magasin vend de la nourriture ? »

Le Drakéide tourna son regard vers elle.

« D'après toi, Humain. »

Erin grimaça intérieurement au ton de sa voix. Mais il n’était pas en train de plisser le nez et de la regarder, il semblait juste ennuyé.

« Oh, je suis à la recherche de nourriture. Beaucoup de nourriture. »

Elle entendit un bruyant et énervé reniflement provenant du marchand Gnoll. Elle grimaça extérieurement cette fois.

« Ce que je vends est ce que tu vois.»

Le Drakéide pointa ses articles d’un mouvement d’une de ses griffes. Cela semblait être une invitation pour Erin, donc elle entra dans l’étal et regarda autour d’elle. La farine était ce qui l’intéressait le plus, ainsi qu’un peu d’huile, de seul, etc. Avec ça, elle pouvait faire du pain, des pâtes, et plein d’autre chose nourrissante. C’était le meilleur endroit ou commencer, elle se pencha pour examiner la farine…

« Interdiction de toucher la marchandise avec tes mains crasseuses à moins que tu achètes ! »

La voix du Drakéide fit sursauter Erin, et elle s’éloigna brusquement de la farine. Elle arriva à se rattraper avant de tomber en arrière. Il était en train de la regarder.

« Ne touche à rien. Tu vas répandre ta puanteur d’humain sur la marchandise. »

« Désolé. Désolé. »

Erin recula des articles présentés, les mains en l’air. Elle devinait qu’elle devait vraiment sentir.
Le marchand dirigea la totalité de son agressive attention vers elle.

« Qu’est-ce que tu veux ? Nommes-le et j’irai le chercher pour toi. »

« Oh, d’accord. »

Erin pataugea dans sa phrase.

« Hum. Je suis à la recherche d’une poignée de choses. Est-ce que vous avez du beurre ? »

« C’est marqué sur le panneau. »

Le Drakéide tapa le petit bout de papier épinglé à un présentoir. Erin le regarda avec désespoir, mais tout ce qu’elle pouvait voir était quelques gribouillages accompagnés de lignes qui n’étaient pas au bon endroit.

« Hum. Je ne peux pas lire ça. Désolé. »

Il siffla, agacé, Erin grimaça de nouveau.

« Mais j’aimerai en avoir un peu. Un peu de beurre. »

Il se leva lentement et se retourna à contrecœur avant de sortir une petite jarre avec un couvercle en liège.

« Oh, super. »

Erin ne savait pas si elle pouvait demander de voir combien de beurre il y avait dans la casserole. Elle aurait aimé pouvoir la tenir pour se faire une idée, mais l’expression du marchand était suffisante pour savoir qu’il allait rejeter cette idée.

« Et, heu, j’aimerai aussi un peu d’huile. Est-ce que vous avez une autre jarre ? »

Le Drakéide soupira longuement, agacé.

« Je n’ai pas toute la journée pour jouer avec toi, Humain. Dit moi ce que tu veux acheter. »

« D’accord. »

Il n’était pas en train de lui jeter des trucs ou de la chasser, donc c’était le mieux que Erin allait trouver. Elle prit une grande inspiration et laissa échapper les premières choses qui lui revenaient à l’esprit en pensant à ce dont elle avait besoin.

« Je suis à la recherche de farine, de sel, de beurre, d’huile et de sucre. Oh ! Et de la levure. J’ai besoin de levure, si vous en avez. »

Le Drakéide ne bougea pas.

« Autre chose ? »

Erin regarda autour d’elle rapidement.

« Hum. Ses saucisses. Combien coûte telles ? »

Erin pointa les saucisses pendant depuis un crochet du doigt. Elles avaient l’air appétissant et juteux. Elle avait comme idée de les faire frire et les manger avec des pâtes, l’idée était suffisante pour faire gargouiller son estomac. 

Les yeux du Drakéide se dirigèrent vers les saucisses.

« Combien ? »

Erin fouilla sa poche et sortit quelques précieuses pièces. Elle vit les yeux du Drakéide s’agrandir pendant un court instant alors qu’elle lui montra le mélange d’argent, de bronze et des trois pièces d’or.

« Et bien, si j’ai assez j’aimerai en acheter quelques unes, et quelques oignons. »

Il n’y avait pas beaucoup de légume ici. Seulement un peu d’ail et des racines ridée dans un panier. Mais elle pouvait toujours aller demander au Gnoll, enfin, peut-être pas au Gnoll, mais à un autre étal pour voir ce qu’ils vendaient.

Le Drakéide observa les pièces dans sa main et releva les yeux vers elle. Erin avait l’impression de se faire évaluer, et elle n’aimait pas le sentiment. Elle était une cliente qui allait payer et il semblait toujours être en colère pour une quelconque raison.

Enfin, le marchand arriva à sa décision. Il tira sa langue fourchue et la regarda.

« Trois pièces d’or. Huit pièces d’argent. Avec ça tu peux acheter un sac de farine, d’huile, de beurre, quatre saucisses, deux oignons, un sac de sucre, du sel et de la levure. »

Erin hésita. Elle regarda de nouveau les symboles incompréhensibles sur les petites plaques.

« Est… Est-ce que c’est vraiment le prix ? Je veux dire, ça semble être beaucoup et… »

« Est-ce que tu me traites de menteur ? »

 Le Drakéide haussa sa voix, colérique. Erin pouvait voir les autres clients et marchand regardé autour d’eux.

« Typique d’un Humain. Rentrant ici, empestant le marché, insultant chaque non-Humain que tu trouves. Tu devrais être reconnaissante que la Garde ne t’expulse pas de la ville ! Premièrement ce fichu Nécromancien arrive, et maintenant c’est un Humain puant qui ne peut même pas lire. »

Il semblait gonfler de rage. Erin ne savait pas ce qu’elle lui avait fait, à part l’odeur, elle avait tenté d’être diplomatique.

« Ecoutez, je ne faisais que demander le prix. »

« Je t’ai donné mon prix. Tu le prends ou tu sors. »

« Mais nous pouvons négocier ? Je veux, pourquoi pas deux pièces d’or ? Quel est le prix de la farine ? Si je vous paye… »

Le marchand Drakéide laissa échapper un sifflement étranglé.

« Humain, j’ai un commerce à faire tourner et des clients à m’occuper ! Soit tu payes mon prix, soit tu t’en vas. Tu ne trouveras pas mieux sur ce marché. »

Regardant autour d’elle Erin devina que c’était la vérité. Elle était en train de recevoir des regards hostiles depuis les autres marchants présents sur la rue, surtout le Gnoll dont elle avait ignoré la marchandise.

« D’accord. Je vais tout acheter. »

Elle plaça l’or et l’argent sur le comptoir vu qu’il ne tendait pas la main. Il regarda les pièces, renifla, et s’en empara.

« Tiens. Ta nourriture. Prends-là. »

Le marchand commença à  attraper des articles et les posa lourdement sur le comptoir. Il les rassembla en une pile désorganisée et jeta quelques vieilles pièces de cuivre. Certains roulèrent sur le sol.

Erin hésita mais le marchand avait déjà tourné son dos écailleux. Elle entendit ce qui semblait être des rires sifflant et des commentaires murmurés dans son dos et le rouge lui monta aux joues.

Lentement, Erin s’abaissa et commença à ramasser les pièces de cuivres qui se trouvaient par terre. Elle essaya d’éviter de regarder quoi que ce soit.

Quand elle se releva enfin, le marchand la regardait sans expression. Il pointa une griffe vers elle.
« Si tu as fini de traîner dans la boue, j’ai d’autre client à servir. »

Erin savait que son visage était écarlate. Ses yeux la piquaient, mais elle était déterminée sur la dernière chose qui lui restait à faire. Elle prit une grande inspiration, et tenta de calmer sa voix tremblante. Malgré ses efforts, sa voix chavira légèrement alors qu’elle demanda une dernière chose.

« … Est-ce que je peux avoir un sac ? » 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 30 novembre 2019 à 21:43:19
1.14

Quatre pièces d’argent, c’est ce qu’il restait à Erin après avoir acheté un grand sac et ses articles. C’était assez pour… Elle ne savait pas vraiment. Mais ce n’était certainement pas assez pour acheter une lanterne, et encore moins une épée. Elle doutait que c’était suffisant pour s’acheter des vêtements.
Elle s’assit à l’ombre d’un des bâtiments et regarda les quatre formes argentées reposant dans sa paume. Ce n’était pas si terrible, il lui restait encore un peu d’argent, et elle avait acheté assez de nourriture, c’était juste que…

Elle avait commencé la journée avec deux pièces d’or et une poignée de pièces d’argent et de bronze, et un instant avait suffi pour qu’elles disparaissent. Ce n’était pas si terrible, elle avait acheté de quoi se nourrir. Des trucs comme du sucre était coûteux, pas vrai ? Encore plus vu que ce monde n’était pas moderne, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait erreur.

Elle n’avait pas vu les autres clients acheté leurs produits avec des pièces d’or, pas un seul, et surtout pas pour de la nourriture. Elle avait un mauvais arrière-gout dans le creux de son estomac, elle pensait…

Non. Elle savait qu’elle s’était fait arnaquer.

Et c’était douloureux, vraiment douloureux. Erin voulait faire demi-tour et cogner sur le visage du  marchand Drakéide, mais elle avait une bonne idée de ce qui allait se passer si elle le faisait. De plus, il pouvait probablement lui manger le visage si elle essayait de le frapper.

Donc, Erin resta assis à regarder sa paume. Quatre pièces d’argent.

Elle pouvait continuer de faire ses courses cet argent. Elle pouvait trouver un autre marché, trouver un autre étal et…

Et puis quoi ? Elle ne savait pas combien les choses coûtaient et elle n’avait aucune idée de comment acheter des vêtements à sa taille.

Tout le monde dans la ville portait des vêtements, mais leurs définitions variaient. Certains mâles Drakéides portaient des vêtements hauts en couleur, certains portaient des vêtements très exposants, gardant leurs torses nus à l’exception d’un léger manteau, alors que les femelles étaient généralement plus vêtues. Mais même cela variait parce qu’il semblait que montrer sa peau, ou plutôt ses écailles dans ce cas, était la mode. Seul les Gnolls semblaient adhérer à un code vestimentaire proche de celui des humains.

C’était l’une des vérités cachées de ce monde. L’argent était inutile si tu n’avais aucune idée de comment le dépenser et que tout le monde t’arnaquaient.

Tout serait plus simple si elle savait comment lire, est-ce que c’était trop demander ?

Erin mit sa tête entre ses mains et ferma les yeux quelques instants. Sa tête se releva brusquement et elle manqua de se cogner contre le bâtiment derrière elle alors qu’elle réalisa quelque chose.
Elle ne savait pas lire, mais elle connaissait des gens qui pouvaient le faire à sa place.

Relc. Ou Klbkch. Les deux étaient capables de lui dire tout ce qu’il fallait savoir sur le prix des vêtements, l’argent, et les autres trucs du genre.

Erin se releva avant de remettre les quatre pièces d’argent dans sa poche en souhaitant qu’elle avait pensé à ça avant de perdre tout son argent. Mais peut-être que quatre pièces d’argent était plus que prévu ? Elle devait demander, et ils allaient l’aider, normalement. Parce que c’était ce que les gardes faisaient, pas vrai ? Comme les policiers étaient sensés aider les gens qui allaient à leurs rencontres avec un problème.

Erin abandonna cette idée, les Gardes n’étaient pas des policiers. Ils avaient le droit de tuer dans gens sans procédure, mais d’un autre côté, Relc aimait ses pâtes. Tout ce qui lui restait à faire était de trouver la baraque des gardes sans savoir lire les signes.

Elle commença à marcher le long de la rue, cherchant un endroit ressemblant à une prison ou un tribunal. Elle fit son possible pour ne pas penser à ce qui allait arriver si Relc ou Klbkch n’étaient pas en service.

***

Relc n’était pas en service, tout comme Klbkch. Mais pour le moment Relc passait le temps dans la cantine de la baraque des gardes. Il était en train de jouer un jeu consistant à lancer une dague acérée en l’air et de la rattraper avant qu’elle ne touche le sol. Il attrapait la dague une fois sur deux, l’autre fois elle tombait au sol ou il l’envoyait voler par inadvertance. Il était assis dans un coin vide de la salle, car tout le monde avait décidé de s’éloigner.

Seulement quelques Drakéides étaient assis sur de longs bancs en bois, dévorant du pain dur, du fromage, et des morceaux de viandes difficile à identifier, enfin, difficile à identifier pour un humain, car la viande était plus grise que rouge.

L’un des gardes était en train de parler avec l’un de ses camarades, il se leva et approcha Relc avec précaution. Contrairement à Relc, ses écailles étaient d’un bleu très pale, et il était plus petit que les autres Drakéides. Il s’éclaircit la gorge tout en restant à une respectable distance du jeu de Relc.

« Hey Relc. J’ai entendit dire qu’il y avait un Humain qui faisait un tour en ville. »

Relc regarda en l’air et rata la dague lors de sa descente.

« Aie. »

L’autre garde soupira alors que Relc commença à sucer le point rouge qui commençait à faire couler du sang entre ses écailles.

« Tu n’as aucun talent pour ce jeu. Si tu n’avais pas [Peau Epaisse], tu te serais coupé la main il y a un an de cela. »

Relc sourit avec suffisance.

« Je n’ai pas que [Peau Épaisse]. J’ai aussi [Peau d’Acier]. »

Le Drakéide bleu leva les yeux au ciel.

 « Ceci explique cela. A quel niveau tu obtiens cette compétence ? Personne d’autre ne l’a donc c’est surement une compétence de haut niveau. »

« Ouaip. »

Relc commença à tailler ses griffes avec la dague, même si dans son cas, la dague ne coupait pas les griffes, elle les rendait plus aiguisées.

« C’est la dernière compétence que j’ai obtenu dans ma classe de [Soldat]. Je pense que tu peux l’avoir en devenant un [Maitre Lancier], mais je ne sais pas vraiment. Dans tous les cas, ça me sauve la vie. »

« Je parie. Pas étonnant que tu ne t’inquiètes pas te de faire mal, espèce de bâtard aux écailles lisses. »

« Ooh, soit pas jaloux. »

Relc nettoya les bouts d’ongle en les balayant de la table.

« Dommage que je n’ai jamais eu de compétence de dague. Je n’arrive pas à comprendre comment lancer cette stupide dague. »

« Alors arrête de la lancer. C’est agaçant et tu continus de presque poignarder les gens avec. Tu te souviens de Lism ? Il a encore des cicatrices. »

« Non. Si Klbkch peut le faire, moi aussi je peux le faire. Tout ce que ce fichu insecte peut faire, je peux le faire en mieux. Mais, qu’est-ce que tu disais à propos d’un Humain ? Est-ce que c’est la femelle dont je t’ai parlé ? »

« Je n’en suis pas certain. »

Cette fois un autre Drakéide vert se mêla la conversation.

« Belsc, le gars à la porte ouest, il a dit que c’était une femelle Humaine mais sans plus. Comment s’appelait celle que tu as rencontrée, déjà ? »

Relc se gratta la tête en regardant le plafond.

« Hum… Sol ? Solace ? Quelque chose du genre. Ervin Solace ? Est-ce qu’il a mentionné quelque chose d’autre à son sujet ? »

Le Drakéide vert montra ses dents.

« Ouais. Il a dit qu’elle était vraiment agaçante, et qu’elle parlait trop. »

« C’est elle. »

Relc laissa échapper un rire, l’autre Drakéide secoua la tête.

« Les Humains. Je ne sais même pas pourquoi tu t’intéresses à celui-là. Ce n’est certainement pas pour l’odeur, d’après Belsc. »

« Ouais, mais tu t’y habitues. » 

Relc se pencha dans sa chaise et continua de jouer avec la dague.

« De plus, elle est intéressante. Erin, ou je sais plus son nom. Elle fait une super assiette de pâtes, et laisse-moi te dire, elle est plus solide qu’il n’y parait. Je ne pensais pas qu’un Humain pouvait survivre dans les Plaines Inondées aussi longtemps. En plus elle est drôle. »

Il fit un sourire en coin alors que les autres gardes firent des bruits désobligeants.

« Hey, je dis la vérité. Petite Miss Humaine n’est pas si terrible. Vous devriez la rencontrer, mais laissez-moi vous dire qu’elle peut aussi être très agaçante. Vous vous souvenez de ce Nécromancien dont je vous ai parlé et que Klbklc et moi avons pourchassé ? Elle ne voulait pas qu’on le tue même après nous avoir canardés avec ses sorts. Elle continuait de dire qu’il n’était pas si méchant. »

« Stupides Humains. »

« Je sais ! »

Relc hocha la tête de manière enthousiaste avec l’autre garde.

« Ils sont intéressants et amusants, mais ils n’ont pas grand-chose dans la tête en chair. Je ne ferai jamais confiance à un Humain pour prendre une décision intelligente, pas vrai ? »

Relc regarda autour de lui et les autres Drakéide riaient avec lui. Il ria bruyamment jusqu’au moment où il vit la femme humaine qui le regardait depuis l’autre bout de la cantine. Son rire s’arrêta net.

« Oh. »

Les autres Drakéides regardèrent curieusement la femelle humaine. Elle n’était pas si spéciale pour eux, un humain n’était pas différent d’un autre. Elle était en train de regarder Relc, qui semblait extrêmement inconfortable.

Il racla sa gorge.

« Hum. Je… »

Erin claqua la porte en sortant.

Un mauvais silence s’empara de la cantine, et Relc regarda les autres Drakéides.

« Ça fait combien de temps qu’elle est là ? »

Le Drakéide bleu haussa les épaules.

« Sais pas. Elle est probablement rentrée pendant que tu parlais. »

« Oh, bon sang. »

Relc bondit de sa chaise.

« Hey Mademoiselle Humaine ! Attends ! Je ne voulais pas dire ça ! »

Les autres Drakéides le regardèrent courir hors de la pièce, avant de retourner à leur conversation.
« Donc, quand est-ce que tu l’as vu rentrer ? »

« Dès le début, vous avez vu la tête qu’elle faisait ? Ça ne va pas être facile pour Relc d’expliquer ses propos. »

 « Bien fait pour lui. Mais l’avez-vous sentit ? »

« Ouais. Les Humains. Ils ne se lavent pas. »

« J’ai entendu dire qu’ils se roulaient dans leurs propres déchets. »

« Répugnant. Pourquoi Relc s’intéresse à celle-là en plus ? »

« D’après toi ? »

« Je ne comprends pas. Il n’y a pas d’écailles, rien de ferme à attraper. C’est quoi l’intérêt ? »

« Je ne sais pas. Peut-être que c’est juste Relc. Il est bizarre comme ça. »

« C’est vrai. »

« Dans tous les cas, les Humains. Ça fait un bail que je n’en avais pas vu. Vous avez vu ça ? Tellement charnu. »

« Dégoûtant. Oublions tout ça et allons manger un steak. »

« Bonne idée. »

***

Erin quitta la ville et marcha à travers la prairie le plus vite possible, ce qui n’était pas très vite. Le sac en jute qu’elle portait était plus comme une sacoche, et il était rempli à ras-bord. Elle était impressionnée par le fait que ce dernier pouvait supporter les sacs de farine sans se briser, mais cela voulait aussi dire qu’elle devait tout porter sur ses épaules.

Un sac de farine était lourd, mais Erin le porta quand même, ignora la douleur dans son épaule droite alors que son épaule gauche était déjà engourdie. Elle avait dû changer d’épaule car la douleur devenait insupportable.

« Hey ! Mademoiselle Erin ! Attends ! »

Erin continua de marcher.

« Mais Attends ! S’il te plait ? »

Relc apparu à ses côtés en un instant, il était rapide pour un type de sa carrure. Erin tourna la tête pour ne pas le regarder directement.

« Donc, comment mon Humain préféré va ? Bien ? Pas bien ? Hum. Je, heu, suppose que tu attendus ce que j’ai dit. C’était une blague, juré. Je ne voulais pas… »

Continuer de marcher. Les pieds d’Erin étaient endoloris, mais elle continua de poser un pied devant l’autre. Elle avait de la route à faire jusqu’à son auberge, et le sac qu’elle portait était lourd.

« Ecoutes, je sais que j’étais un peu… D’accord, j’ai été malpoli, mais on peut en parler. Bonjour ? Est-ce que tu m’écoutes ? »

Erin ne le regarda pas et refusa de lui parler, elle continua de marcher. Un pied devant l’autre. Elle était tellement fatiguée et endolorie qu’elle pouvait presque en oublier sa faim.

***

Éventuellement, il s’en alla, mais Erin continua de marcher. Elle voulait rentrer à son auberge avant le coucher du soleil, mais ça allait être un peu juste.

Elle était à mi-chemin lorsque la première pierre passa au-dessus de sa tête, Erin se baissa instinctivement et les deux pierres suivantes la ratèrent et terminèrent leurs vols dans l’herbe. Elle regarda autour d’elle.

Au début, elle n’arrivait pas à trouver la provenance des pierres, deux d’entre elles la manquèrent, mais la troisième la toucha dans son épaule.

« Aie. Aie ! »

Erin trouva l’origine de la pierre, c’était un Gobelin. La petite créature était difficile à repérer dans le soleil couchant. Il se tenait en haut d’une colline et jetait des cailloux vers Erin, et il n’était pas seul.
Deux autres gobelins hurlèrent et jetèrent des pierres depuis le haut de la colline, la faisant reculer et couvrir sa tête avec le sac, mais ils commencèrent à viser ses jambes.

« Ah. Aie. »

Elle couvrit sa tête avec ses bras, mais les pierres continuèrent de s’abattre, et elles étaient douloureuses. Même à cette distance les pierres coupaient ses bras et créaient des bleus sur sa chair. Elle pouvait déjà sentir du sang couler le long d’un de ses bras.

Erin s’agenouilla au sol et protégea sa tête avec son sac, cela faisait qu’elle était plus difficile à toucher, mais le barrage de pierre continua de s’abattre. Ce n’était pas comme si les Gobelins pouvaient vraiment la blesser, pas tant qu’ils continuaient de viser son dos, c’était qu’ils ne s’arrêtaient pas, et elle ne pouvait pas se lever sans exposer sa tête.

QU’est-ce qu’elle pouvait faire ? Erin pouvait sentir la pluie meurtrière couper son dos. Elle devait courir. Vers eux ? Fuir ? Ils allaient voler toute sa nourriture si elle prenait la fuite. Mais est-ce qu’elle pouvait les attaquer ? Les combattre ? Si elle s’approchait les pierres pourraient lui crever un œil ou grièvement la blesser. Qu’est-ce qu’elle pouvait faire ? Qu’est-ce qu’elle…

Quelque chose passa à côté d’Erin en un coup de vent. Elle eut un mouvement de recul et regarda autour d’elle mais la chose avait déjà disparue. Puis ses yeux allèrent jusqu’au sommet de la colline, quelque chose était en train de foncer vers les Gobelins, esquivant leurs pierres et déviant les projectiles qui s’approchaient trop de son visage avec un mouvement rapide de sa… Lance… ?

« Hey ! Cassez-vous bande de petits bâtards ! »

Les pierres s’arrêtèrent soudainement, Erin entendit un cri aigu et plusieurs lourds thwacks. Précautionneusement, elle se releva et regarda autour d’elle.

Les Gobelins étaient en train de fuir, Relc se tenait en haut de la colline, lance à la main. Il lui fit un signe de la main et descendit la colline en quelques longs bonds.

« Salut, Mademoiselle Erin. Sympa de te voir. »

Erin le regarda. Il lui offrit un sourire plein de dents et une main pour l’aider à se relever. Elle se releva d’elle-même et ramassa son sac.

Relc racla sa gorge, il semblait attendre quelque chose.

« Ce n’est pas souvent que j’ai la chance de sauver une demoiselle en détresse. C’est comme ça qu’ils appellent les femelles Humaines, pas vrai ? Les Demoiselles ? Dans tous les cas, j’ai vu que tu avais des ennuis donc j’ai immédiatement couru pour t’aider. »

« Merci. »

Erin commença à marcher de nouveau. Elle entendit Relc la suivre après quelques secondes d’hésitation.

« D’accord, d’accord. Ils n’étaient pas si dangereux que ça. Et je faisais que mon boulot ; c’est vrai. Mais je suis désolé. Vraiment. J’ai exagéré là-bas. »

Elle ne dit rien, ses yeux étaient larmoyants à cause de la douleur de la lanière de la sacoche s’enfonçant dans son épaule.

« Ce sac a l’air lourd, attends, laisse-moi le porter à ta place. »

Relc s’avança pour s’emparer du sac, mais Erin le tira hors de sa portée.

« Non. Je vais bien. »

«Mais bon sang, ne soit pas comme ça. Je veux juste… Enfin, j’ai été un gros lourdaud, d’accord ? On peut discuter, s’il te plait ? »

Erin essaya d’accélérer le pas, mais ses jambes étaient déjà en train d’abandonner. Relc arrivait à la suivre sans problème, il était même capable de marcher en arrière plus rapidement qu’elle.

« Écoutes, je suis vraiment désolé Mademoiselle Erin. Laisse-moi porter ton sac, parce qu’il a l’air vraiment lourd, et on va pouvoir parler sans que l’un d’entre nous ne s’effondre. »

Erin commença à ralentir à contrecœur, l’offre était tentante. Ses jambes étaient en train de lui hurler d’accepter la généreuse offre de Relc et de le laisser la porter en même temps que le sac. Son épaule était déjà dans une autre dimension de douleur.

« D’accord. »

Elle retira le sac de son épaule, grimaçant alors que le sang commença à retourner dans son bras. Relc souleva le sac et le passa par-dessus son épaule avant de suivre le rythme d’Erin comme si rien n’avait changé.

« Donc. »

« Donc. »

Relc gratta les pics qu’il avait à l’arrière de sa tête, regarda de haut en bas, avant de soupirer.

« Je voulais pas vraiment dire ça. C’est juste que… Les Nécromanciens, tu vois ? Ils sont dangereux, et c’est mieux de les tuer à vue. Tu as déjà vu un millier de zombies essayant de manger tout ce qui bouger? Même s’ils sont de bas niveau, et même s’ils ont l’air amicaux, je ne ferai jamais confiance à un Nécromancien. »

« Surtout s’ils sont humains. »

« Je n’ai pas dit ça. »

« Mais c’est ce que tu penses. »

« … »

Relc n’avait rien à ajouter. Ils marchèrent en silence, un peu plus rapidement maintenant qu’Erin n’était pas ralenti par le sac.

« Donc, tu as acheté de quoi manger, pas vrai ? Tu vas faire beaucoup de pâte pour ce soir ? »

« Je vais aller me coucher. »

« D’accord, d’accord. Mais, huh, content de voir que tu es arrivé jusqu’à la ville. Est-ce qu’elle t’a plu ? »

« C’est correct. »

« Bien, bien. »

Relc était clairement, et désespérément, en train d’essayer de trouver un sujet de conversation. Il jeta un coup d’œil au sac, Erin pouvait presque le voir saliver.

« Des saucisses. Mm. Mais, heu, pourquoi tu n’as pas acheté de vêtements ? Je pensais que toutes les femelles aimaient les vêtements, Drakéide ou Humaine. »

L’estomac d’Erin se serra, elle évita son regard en marmonnant.

«Je n’avais pas assez d’argent. »

« Quoi, vraiment ? »

Relc la regarda de travers avant de regarder le contenu du sac qu’il portait.

« Non. Je veux dire, il y a de quoi manger dans ce sac mais ça ne vaut pas plus que quelques pièces d’argents au mieux. Je suis certain que tu avais plus que ça, pas vrai ? Combien tu as dépensé ? »

Erin sentit le rouge lui monter aux joues, elle regarda le sol.

« Quelques pièces d’or, en plus de quelques pièces d’argent et de bronze. »

Il s’arrêta, contrairement à Erin. Elle l’entendit se murmurer à lui-même avant de jurer. Au du moins, ça sonnait comme un juron. Il la rejoignit en un bond.

« Vraiment ? Quel genre d’écailles pourries t’a vendu… Pourquoi as-tu dépensé tant d’argent ? »

Elle regarda l’herbe qu’elle était en train de piétiner. Elle était tentée d’une belle couleur ambré par les rayons du soleil couchant.

« Je pensais que c’était le bon prix, je suppose. Je ne voulais pas me disputer. »

Relc murmura dans sa barbe avant de soupirer d’exaspération.

« Bien, je peux retourner au marché et poser quelques questions. Mais… Je suppose que tu n’as pas vu le nom de l’étal ? »

« Je ne peux pas lire la langue locale. »

Relc soupira de nouveau, plus profondément cette fois.

« D’accord, d’accord. Bien, si tu te souviens de sa tête je pourrais trouver qui t’a vendu tout ça, mais je doute que quelqu’un va appuyer tes paroles. Et je n’ai pas grand-chose pour l’inculper, je veux dire, il t’a vendu des biens pour un prix trop élevé mais c’est aussi de ta faute. Sans offense, Mademoiselle, mais qui achète deux sacs de farine pour une pièce d’or ? »

Erin ne trouva rien à répondre à cela.

« Désolé. »

Ils marchèrent en silence, et enfin l’auberge était en vue. Erin traîna les pieds lors de la dernière montée, ses jambes criant durant toute la montée. Elle s’arrêta à la porte.

« Je peux prendre le sac maintenant. »

Relc hésita.

« Tu es sûre ? Je peux le porter dans… »

« J’en suis sûre. »

 Erin accepta le sac et ses jambes tremblèrent. Elle ouvrit la porte avec une seule main.

« D’accord. Merci. »

Elle voulut fermer la porte, mais Relc l’en empêcha sans réel effort. Il gratta sa nuque de manière gênée.

« Écoutes, je suis toujours désolé pour plus tôt. Je ne voulais pas… Enfin, je suis désolé. Je te revaudrai ça, c’est une promesse. »

Erin le regarda, elle voulait juste fermer les yeux, mais il semblait si sincère. Donc elle se montra un petit peu sincère en retour.

« Merci de m’avoir aidé avec les Gobelins. »

Relc lui fit un grand sourire plein de dents.

« C’était rien. Ils ne sont pas une menace pour moi, ou pour n’importe qui avec quelques niveaux dans une classe de guerriers. Mais ne t’inquiète pas de ces pestes, j’ai dit que je te revaudrai ça, pas vrai ? Je vais faire quelque chose à leurs propos. »

Probablement une fausse promesse pour la rassurer, mais c’était suffisant pour légèrement faire sourire Erin.

« Merci, et bonne nuit. »

Relc enroula sa queue et la salua d’un mouvement commun de sa main et de sa queue.

« A la revoyure, Mademoiselle Erin. »

Erin le regarda rapidement disparaître dans le sombre paysage. Elle fut vaguement jalouse de sa vitesse et de la grâce avec laquelle il bougeait. Puis elle ferma la porte.

Il n’y avait pas beaucoup de lumière donc Erin posa simplement le sac dans al cuisine et s’allongea sur le sol de la salle commune.

« J’ai besoin d’acheter un oreiller et des couvertures. Quand j’aurai l’argent pour. »

Sans autres alternatives, elle utilisa le sac de jute qu’elle avait acheté comme oreiller. Erin tenta de trouver une position confortable sur le plancher en bois, mais le simple fait de dormir par terre rendait la tâche difficile. De plus, ses épaules la faisaient souffrir, et ses jambes étaient endolories par la longue marche. Mais c’était un autre type de douleur qui l’empêchait de dormir.

Erin resta allongé en silence, écoutant les battements de son cœur. Elle voulait dire quelque chose, ou penser à quelque chose de plaisant. Mais rien ne lui vint à l’esprit. Elle regarda les étranges formes de la pièce plongée dans les ténèbres. Il lui fallut longtemps avant qu’elle ne parvienne à fermer les yeux.


[Aubergiste de Niveau 6 !]


Cette fois elle ne trouva rien à dire. Elle se contenta de pleurer avant de trouver le sommeil.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 04 décembre 2019 à 19:30:44
Malheureusement à cause d'une période d'examen plutôt intense, je suis dans l'incapacité de poster le prochain chapitre aujourd'hui, il sera posté samedi prochain (normalement) comme d'habitude, désolé tout le monde.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 07 décembre 2019 à 20:54:51
Erin se réveilla épuisée et avec les yeux larmoyants, elle se leva de manière mécanique avant de se rappeler qu’elle avait oubliée de ramasser des fruits bleus. Elle regarda le sac de nourriture qu’elle avait traîné jusqu’à l’auberge. Faire des pâtes ou du pain était trop compliqué à cette heure, donc elle mangea l’une des saucisses à la place.

Elle était sèche, trop salée, et avait beaucoup de nerfs. Même si Erin était affamée, ce n’était pas la meilleure chose qu’elle ait mangé. Mais elle le mangea quand même, mâchant jusqu’à être capable d’avaler son repas nerveux.

Elle se demanda combien de temps il faudrait avant que ses dents commencent à pourrir ou que ses gencives commencent à saigner. Dans probablement peu de temps.

Aujourd’hui n’était pas une bonne journée, mais au moins elle avait à manger, et même si elle n’avait pas d’argent… Elle était heureuse de pouvoir commencer une nouvelle journée.

Avec son appétit comblé, Erin se sentit légèrement mieux. Ou au moins prête à affronter cette journée. Elle fit une liste mentale de ce qu’elle devait faire. Ramasser des fruits bleus, faire quelques pâtes, un peu de pain, et puis trouvé comment faire pour…

Toc. Toc

Erin se redressa soudainement. Quelqu’un était à la porte, était-ce Pisces ? Bien, il n’était qu’un mauvais point noir dans cette journée, elle allait se charger de lui et…

Toctoctoctoctoctoctoctoctoctoctoctoc…

Ce n’était pas Pisces. Erin se leva et alla jusqu’à la porte, la personne qui se trouvait derrière était sérieusement excitée. Trop énergique pour ce début de journée.

Erin ouvrit brusquement la porte.

« Bon sang, qui… Oh. C’est toi. »

Relc sourit à Erin. Il tenait quelque chose dans l’une de ses mains et sa lance dans l’autre.

« Bien le bonjour, Mademoiselle Humain ! C’est moi, ton Garde préféré ! Comment vas-tu en cette belle matinée ? »

Erin cligna des yeux, il était bien trop tôt pour qu’elle regarde le lézard géant lui sourire avec sa bouche remplie de dents.

« Je me suis occupé de votre problème de Gobelins pour vous ! »

Relc leva sa lance de manière triomphante, quelque chose en tomba avant de toucher le sol. Erin cligna des yeux et regarda ce qui venait de tomber. C’était rouge.

Elle leva les yeux et vit le sang rouge coulant le long de la lance, puis sur les griffes de Relc, pour finalement tomber sur le parquet de l’auberge. Relc s’en rendit compte et éloigna sa lance vers l’extérieur.

« Désolé pour ça, Mademoiselle Erin. Tu vois, j’étais juste en train de me débarrasser des Gobelins. C’est pour m’excuser d’hier. Maintenant qu’ils sont partis les autres devraient te laisser en paix, surtout quand j’aurai installé ce message autour de l’auberge. »

Relc leva les objets que tenait sa main gauche. Erin les regarda  et vit trois melons. Des melons verts ? Non.

Ses yeux retournèrent au visage souriant de Relc. Elle regarda sa lance ensanglantée. Il était en train de parler, mais les mots étaient soudainement inaudibles à travers le bourdonnement qui étouffait les oreilles d’Erin. Elle regarda son sourire, elle regarda la lance.

Elle baissa les yeux et vit les têtes.

Il y en avait trois entre les griffes de Relc. Il les avait attrapées par les oreilles et la force était déjà en train de déchirer la chair. Leurs yeux étaient toujours ouverts, leurs visages sans vie affichaient une expression de peur, du sang coulait de l’une des têtes, ruisselant dans l’orbite d’une autre.

Le regard d’Erin s’éloigna et erra loin des têtes. Elle regarda par-delà l’épaule de Relc, il faisait beau dehors, le soleil brillait, le ciel était bleu, il n’y avait pas un nuage.

Elle baissa les yeux en direction des têtes, qui étaient toujours là. Elle regarda Relc, il était toujours en train de parler, mais il venait de s’arrêter pour la regarder avec inquiétude. Il laissa tomber les têtes sur le sol, Erin entendit les trois thump humide contre le parquet de l’auberge.

Relc leva sa main griffue vers elle, la même main qui avait tenu les têtes.

Erin vomit, elle vomit les saucisses, s’étouffa, et continua de vomir.

“——————!”

Elle sentit une main la retenir, lui permettre de rester debout. Elle la repoussa, luttant contre ses haut-le-cœur.

“——? ——. ————!”

Sa tête ne pouvait pas s’arrêter de tourner. Ses oreilles étaient toujours remplies d’un bourdonnement aigu et perçant.

“——————? ——?”

Erin regarda autour d’elle, les têtes étaient toujours là. Elle vomit une nouvelle fois, mais son estomac était vide. Elle recracha de la bile, et continua d’avoir des haut-le-cœur, encore et encore, jusqu’à ce qu’elle soit incapable de respirer ou de penser.

“——!”

Enfin, Erin s’arrêta. Elle sentit deux fortes mains la soulever et l’asseoir sur l’une des chaises de l’auberge. Le visage anxieux de Relc apparu dans son champ de vision, et elle sentit sa main sur sa tempe. Elle regarda à travers lui pour voir les têtes, elles étaient toujours gisantes sur le sol de l’auberge. Leurs yeux étaient ouverts. Le sang avait séchés sur leurs visages.

Erin prit une grande inspiration. Le monde tournait autour d’elle et elle ne pouvait rien entendre. Tout n’était qu’un bourdonnement statique. Elle se sentait engourdie, comme lors d’une opération chirurgicale. Mais sous cet engourdissement se trouvait quelque chose de terrible.

Elle regarda Relc, le Drakéide était en train aux petits soins, essayant d’attirer son attention. Elle regarda de nouveau les têtes, et commença à hurler.


***

Erin quitta l’auberge avec les trois têtes de Gobelins dans ses bras. Elles n’étaient pas froides, elles n’étaient pas chaudes. Elles étaient juste charnues. Lourdes, charnues, et mortes.
Elle fit attention à ne pas les faire tomber en marchant, elle ne savait pas où elle allait, mais elle devait trouver les corps. Elle laissa l’auberge derrière et commença à marcher.

Relc était parti. Il l’avait quitté un peu plus tôt.

Elle n’arrivait à se souvenir de quoique ce soit. Juste des flashs d’elle hurlait à Relc de partir et jetant des choses. Criant, pleurant, vomissant. Et puis les têtes. Elle les avait prises là où elles étaient tombées.

Erin marcha en les tenants dans ses bras. Tout allait trop vite. Un moment elle était à l’intérieur, l’instant d’après elle était dehors, cherchant pour… Pour…

Les corps.

Les corps reposaient à la vue de tous, trois corps reposants dans un lit d’herbe piétinée.

Erin s’arrêta. Elle déposa les têtes sur le sol et marcha jusqu’au corps. Ils racontaient une histoire, elle n’était pas douée en criminalistique ou quelque chose du genre, mais elle pouvait lire ce qui s’était passé. Le sang recouvrant le sol était encore humide.

Deux étaient morts… Juste là. Ils n’avaient pas couru. Relc les avait probablement tués en un instant. Le dernier avait couru, mais il n’était pas allé loin. Seulement quelques mètres avant que la lance ne le transperce par derrière, plusieurs fois.

Erin regarda les trous ensanglantés et ne ressentit rien. Non. Ce n’était pas ça. Elle ressentait quelque chose. Elle ressentait tellement d’émotion à la fois qu’elle n’arrivait pas à penser. Mais elles étaient profondément enfouies dans son cœur. À cet instant, l’engourdissement lui donnait l’impression qu’elle se tenait au milieu d’un monde silencieux.

Elle déposa les têtes près des corps. Mais à quel corps appartenait chaque tête ? Elle regarda la coupure au niveau de chaque tête, l’une était facile à placer, mais les deux autres étaient trop similaires. Elle devait retourner les corps pour les identifier.

Les rayons du soleil avaient gardé les corps tièdes. Mais ils étaient toujours froids, et les mains d’Erin semblaient plus froides encore. Elle les retourna avec précaution et appris une nouvelle chose.
Elles étaient des femelles. C’était difficile de le deviner avec leurs visages, mais leurs corps étaient féminins.

Erin retourna le dernier corps. Celui qui avait pris la fuite était male, et plus âgé. Ce n’était pas seulement le fait qu’il était plus grand ; il avait de cheveux, des traits plus prononcés, et… Il ne ressemblait pas à un enfant. À l’inverse des deux autres.

Le froid se fit plus prononcé. Erin commença à trembler, elle rampa plus loin pour vomir, avant de se rendre compte qu’elle en était incapable. Alors elle fit demi-tour et regarda les trois cadavres.

Cela faisait déjà bien longtemps que leurs sangs s’étaient arrêtés de couler. Mais l’herbe était toujours rouge. Leurs odeurs étaient celles de la terre et du sang, et non celle de la mort et de la pourriture. Mais ils étaient en train de pourrir. Le soleil allait faire qu’ils allaient empester dans peu de temps.

Erin le savait. Elle ne le savait pas vraiment, mais elle avait lu un livre à ce sujet. Ils allaient pourrir et attirer les insectes, ils étaient déjà en train de le faire.

Une mouche verte se posa sur l’un des corps. Erin la regarda. Une mouche acide, qui fit trembler ses ailes et commença à ramper sur le corps du Gobelin mâle.

Elle gifla la mouche et l’insecte explosa lorsque sa main le toucha, l’acide commença à brûler sa peau. Erin essuya sa main dans l’herbe et frotta de la terre sur sa peau. Sa main était rouge et saignante, mais elle l’ignora dès que la majorité de la sensation de brûlure avait disparu.

Elle devait enterrer les corps, ou ils allaient pourrir.

Elle retourna dans l’auberge avant d’en ressortir quelques minutes plus tard, tenant une longue cuillère en bois probablement utilisé pour mélanger les contenus d’un grand chaudron. Ça allait faire l’affaire.

Elle commença à creuser l’herbe à l’endroit où les corps se trouvaient. Ce n’était pas un travail facile, elle devait arracher l’herbe avant de pouvoir s’attaquer au sol, et le sol restait difficile à briser. Mais elle persista, et les quelques monticules de terre s’agrandirent alors qu’elle continua de creuser.

Au bout d’un certain temps, la cuillère se brisa, alors Erin utilisa ses mains. Elles commencèrent à saigner, mais Erin continua de creuser.

Finalement, le trou était assez profond. Erin s’empara du premier cadavre et le déposa dans la tombe. Elle était suffisamment profonde, en fait, il y avait même de la marge. Le trou qu’elle avait creusé était assez grand pour un humain, ce qui voulait dire qu’il était plus que suffisant pour les trois Gobelins.
Ils étaient de petites créatures. Erin se demanda si elle devait creuser deux autres tombes.
Elle regarda ses mains ensanglantées et ses ongles brisés. Non.

Elle déposa le second corps dans la tombe, à côté du premier. Elle fut obligée de déposer le troisième sur les deux premiers. Puis ce fut au tour des têtes. Elle les déposa sur leurs corps. Une première tête, puis une seconde.

Erin entendit un bruit en s’emparant de la troisième tête. Elle se retourna et vit le Gobelin se tenant dans les hautes herbes.

Le Gobelin était petit et loqueteux. Il portait un pagne gris et sale, ainsi que quelques chiffons attachés autour de son buste. Il tenait un petit couteau. Regardant Erin et à la tête qu’elle tenait entre ses mains.

Erin s’arrêta. Sa tête était remplie de bourdonnement, sa bouche tenta de dire quelque chose, mais trop tard. Le Gobelin bondit vers elle, hurlant et tentant de la poignarder avec la dague.

Erin recula, tenant la dernière tête de Gobelin dans une main et attendant que le Gobelin soit proche. Elle bondit sur le côté au dernier moment et le petit Gobelin la manqua, il se retourna, l’arme au poing.
Elle gifla son visage aussi fort que possible. Sa main craqua et envoya le gobelin s’effondrer au sol, ce dernier perdit sa dague, il gémit avant de fuir, tentant de retrouver son arme.

Erin continua de regarder le Gobelin alors que ce dernier s’empara de son arme et se retourna pour lui faire face. Il était petit, tellement petit, comme un enfant. Ce Gobelin était un enfant, mais un enfant avec des yeux remplis d’envie meurtrière.

L’esprit d’Erin était toujours brumeux. Mais c’est lorsque leurs deux regards se croisèrent dans une silencieuse tension qu’elle se rendit compte de ce qu’elle voulait dire. Elle s’en rendit compte en voyant les larmes couler depuis les yeux rouges du Gobelin.

« Je ne veux pas te tuer. »

Il se précipita vers elle. Erin s’avança et donna un coup de pied dans l’estomac du Gobelin. Elle avait déjà fait ça à un garçon quand elle était enfant. Maintenant, elle faisait ça à un enfant.

Le Gobelin vomit, et se roula en une petite boule de douleur. Il essaya de ramper loin d’elle, mais la douleur l’en empêchait. Erin regarda le Gobelin gisant au sol, tenant toujours la tête de l’autre Gobelin dans sa main.

La chose intelligente à faire serait de le tuer. Elle gagnerait un niveau, et elle serait débarrassé d’un des Gobelins voulant la tuer. En le laissant vivre, il allait chercher des renforts. Elle ne serait jamais en sécurité tant qu’ils seraient toujours dans les parages. Ils étaient des monstres dangereux. Ils la tueraient dans son sommeil pour la manger, ou pire. C’était la loi du plus fort. Le laisser en vie allait avoir de terribles conséquences. C’était elle ou lui. Elle se devait de le…

L’idée passa à travers la tête d’Erin alors qu’elle regarda le Gobelin tremblant. Il était petit. Elle se retourna et déposa la dernière tête avec les corps.

Lorsqu’elle se retourna de nouveau, le Gobelin avait disparu.

Erin regarda la dernière tête dans la tombe, et commença à la remplir.

C’était une longue tâche. Erin tassa la terre avant de remplir la tombe et de pousser le reste pour en faire que la terre soit le plus ferme possible. Elle regarda le tas informe de terre retournée.

Erin joignit ses mains et baissa la tête. Puis, ses mains retombèrent le long de son corps. Il n’y avait pas de mots à dire, donc elle tapota la terre une dernière fois avant de s’asseoir dans l’herbe.

Le soleil était en train de briller. Le ciel était d’un profond bleu, tellement profond. Elle ne pleura pas. Elle resta assise à se bercer en avant et en arrière tout en regardant la tombe qu’elle venait de creuser.
Elle ne cligna pas des yeux.

***

Elle leva la tête quand elle entendit la corne.

Ce n’était pas le lourd grondement du héraut d’une armée, et ce n’était pas non plus un victorieux clairon annonçant la victoire sur un sombre champ de bataille. C’était simplement le son d’une corne, mais c’était bruyant, et lui fit lever la tête.

Un Gobelin se tenait en haut d’une colline et la regardant. Il était pratiquement aussi grand qu’Erin, donc il était vraiment grand pour un Gobelin, mais toujours petit d’une certaine manière. Son corps était musculeux et large. Sa tête couverte par un casque rouillé, et il portait des bouts de différentes armures sur son corps.

Sans qu’on le lui dise, Erin savait que ce Gobelin était le chef, ou l’équivalent d’un chef pour la tribu locale. De plus, elle savait qu’il était assoiffé de sang.

Son sang.

Elle se leva lentement, ce n’était pas qu’elle n’était pas terrifiée, c’était simplement qu’elle était toujours en état de choc. Elle recula lentement alors que le Chef Gobelin s’empara de quelque chose dans son dos.

Les pensées d’Erin étaient confuses. L’auberge ? Ou la cité ? Elle pouvait probablement le distancer, mais les autres Gobelins étaient forcément quelque part, ou est-ce qu’ils étaient ?

Erin était tellement occupée à chercher les autres Gobelins rôdaient autour d’elle qu’elle réalisa que le Chef tenait un arc quand il tira pour la première fois.

Une flèche s’enfonça dans l’herbe juste devant son pied, tremblant dans la terre. Erin se retourna et commença à courir.

Une seconde flèche la manqua, ainsi qu’une troisième. Mais la quatrième passa à travers le creux entre son bras et son torse.

Erin escalada une petite colline et se jeta au sol, elle s’effondra la tête la première sur l’herbe et glissa de manière douloureuse, mais la cinquième flèche traversa l’endroit où elle s’était tenue. Elle commença à se relever pour continuer sa course quand elle vit les Gobelins.

Ils se tenaient ensemble, un mur silencieux de petits corps rouge et d’yeux observateurs. Ils l’observaient, et n’étaient pas si nombreux tout compte fait. Quarante ? Moins ? Elle devina que c’était probablement une petite tribu. Plus petite que celle qu’elle avait distancée lors du jour de son arrivée. Mais ils étaient armés. Elle attendit qu’ils la chargent. Elle attendit sa mort.

Aucun d’entre eux ne s’avança. Ils l’observaient, sans rien faire, sans un bruit.

L’un d’entre eux était tremblant. Il était proche d’Erin et tenait un couteau. Un petit couteau, tenu pas une petite main. Erin le reconnu.

C’était le Gobelin loqueteux qu’elle avait vu plus tôt. Il regarda Erin et Erin lui rendit son regard. Elle savait qu’il voulait l’attaquer, la poignarder, mais il ne le fit pas.

Une corne sonna depuis l’autre côté de la colline. Erin regarda en sa direction, le Chef Gobelin. Il était celui qui orchestrait tout ça.

Elle regarda le Gobelin, il la regarda en retour, ses yeux remplie de haine et d’envie meurtrière. Des yeux pourpres, contre nature, monstrueux.

Mais si proche de ceux d’un humain.

« Je ne les ai pas tués. »

Erin s’exprima à voix haute, elle ne s’attendait pas à ce qu’il la comprenne, mais le Gobelin recula de surprise. Il la regarda, cherchant la vérité.

« Je ne les ai pas tués, mais ça n’a pas d’importante. »

Il regarda ses yeux. Erin lui rendit son regard. Elle se releva et continuer de courir.

***

Ils ne crièrent pas en la pourchassant. C’était le plus terrifiant. La tribu Gobelin la suivait rapidement, courant aussi vite que possible, mais ils ne tentaient pas de lui barrer la route. Ils se contentaient de la suivre.

Peut-être qu’ils l’auraient arrêté si elle avait tenté de courir vers la ville, mais Erin décida de fuir vers l’auberge, alors ils l’avaient laissé partir. Ils n’étaient pas là pour la tuer, juste pour regarder
.
Sans qu’on le lui dise, Erin savait que c’était différent. Si cela avait été un véritable combat ou s’ils avaient essayé de la tuer, ils l’auraient attaqué en masse et réduit en charpie en un instant. Mais c’était une chasse.

Et le Chef était celui qui la chassait.

Peut-être qu’il pensait qu’elle était une proie facile. Il avait raison. Il pouvait probablement deviner qu’Erin n’était pas celle qui avait tué les Gobelins. Cela n’avait pas d’importance. Du sang pour du sang, voilà ce que c’était. La plus vieille des vengeances.

Erin pensa à tout ça alors qu’elle se jeta à travers la porte de son auberge et la bloqua avec autant de tables et de chaises que possible. Elle y pensa en paniquant à la rechercher d’un couteau de cuisine, d’une poêle à frire, de quoi se défendre. Elle y repensa quand elle se posa dans une chaise et que l’air avait un gout de mort.

Elle abandonna sa recherche d’arme, restant assise en regardant la porte. Elle entendit la corne du Chef Gobelin sonner au loin, avant de sonner une nouvelle fois, de plus en plus proche.

Elle n’avait pas d’endroit où fuir. Elle ne pouvait pas se battre.

Elle s’en était rendu compte lorsqu’elle avait tenu le couteau de cuisine aiguisé. Elle s’était imaginée en train de faire face au Gobelin en armure, esquivant ses coups, contrant avec sa propre attaque et poignardant…

Non. C’était impossible.

Elle n’était pas une guerrière.

Erin resta assis dans la chaise en bois et sentit cette dernière contre son t-shirt. Elle sentit ses mains, humide à cause de la sueur. Sa bouche avait un gout de sang suite à sa course effrénée, et chaque respiration déchirait ses poumons. Elle était en vie. Elle savait qu’elle ne rêvait pas.

Elle savait qu’elle allait mourir.

« Échec et mat. »

Elle s’assit à une table dans l’auberge et regarda la porte. Elle venait de s’en rendre compte, soudainement, que c’était la première fois qu’elle s’était posée pour vraiment penser à ce qui lui arrivait. Parce que, dans un sens, c’était la première fois qu’elle ne réagissait pas aux événements à l’aveugle.

Peut-être que si elle avait pris plus de temps plus tôt, elle ne serait pas dans cette situation. Si elle avait pensé à sa situation, peut-être qu’elle aurait demandé à Klbkch et Relc le prix de la nourriture. Si elle y avait réfléchi pendant une seconde, elle aurait compris ce que Relc voulait dire quand il disait qu’il allait s’occuper de son problème de Gobelins. Peut-être qu’elle aurait empêché Relc de tuer les Gobelins.
Mais elle ne l’avait pas fait. Voilà pourquoi elle était dans cette situation. Mais attendre était une terrible chose à faire. Donc Erin resta assis et réfléchit.

« Réfléchit. Réfléchit à ce qui se passe pour une fois. »

Erin ferma ses yeux et essaya d’ignorer la corne alors qu’elle sonna une nouvelle fois, toujours éloignée. Le Chef Gobelin n’était pas rapide. Il était probablement en train marcher pour conserver son énergie. Il n’était pas pressé.

Elle pensa aux Gobelins. Elle pensa au fait qu’ils avaient des leaders, et que c’était le travail du leader de défendre sa tribu. Peut-être qu’il se fichait d’eux, et peut-être qu’il n’essayerait pas de se venger si un garde ou un aventurier se trouvant derrière les épais murs d’une ville avait tué un Gobelin. Mais pourquoi ne pas se venger sur l’humaine idiote qui vivait toute seule au milieu de nulle part ?

Elle pensa au petit Gobelin qui l’avait attaqué, elle pensa à propos des familles, elle pensa à ses parents, elle pensa au sujet du Chef Gobelin et de son armure et ses armes.

Elle pensa à ce qui allait lui arriver quand il mettrait la main sur elle.

« Échec et mat. »

Elle le murmura une nouvelle fois, la phrase semblait fausse, pour une quelconque raison.
Échec et mat. Elle avait entendu ses mots trop de fois auparavant. Mais cela avait été lors de jeu. Cette fois, c’était réel, et elle… Elle ne voulait pas mourir.

Mais elle était sur le point de mourir. Voilà pourquoi elle était assise dans une auberge. Erin entendit la corne sonner une nouvelle fois et elle savait que sa mort approchait. Donc. Échec et mat.

Vraiment ? Elle devait se le demander. Erin se murmura une unique question.

« Est-ce que c’est échec et mat, ou juste échec ? »

Erin regarda ses mains, elle ne les avait pas lavées, et elle pouvait encore sortir les têtes poisseuses et sans vie dans ses paumes. Elle resta assise dans l’auberge et regarda les yeux sans vie des trois têtes de Gobelins.

La corne sonne. Elle regarda la porte. Le gros Gobelin marchait lentement. Il voulait qu’elle soit terrifiée, désespérée, paniquée. Il n’y avait pas d’endroit où courir. Ses seules options étaient de se battre et tuer, ou courir et mourir.

« Ou pire que mourir. »

Erin murmura ses mots. Elle ne voulait pas mourir, mais c’était mieux que ce qu’il pouvait lui faire. Donc. Se battre. Tuer.

« Je ne peux pas le faire. »

Mais elle devait le faire. Erin commença à trembler. Il n’y avait pas d’autre choix. C’était le choix le plus clair de sa vie. Elle pouvait courir et se cacher et peut-être, peut-être survivre. Mais s’il la trouvait elle allait devoir se battre et gagner. Gagner voulait dire qu’elle allait devoir le tuer. C’était le tuer ou abandonner.

« Échec et mat. »

Est-ce qu’elle avait une fièvre ? Le corps d’Erin balançait entre une chaleur étouffante et un froid glacial. Elle était en train de trembler, mais quelque chose au plus profond d’elle était calme, terriblement calme.

Erin ferma ses yeux, elle le savait, mais elle ne voulait pas le savoir. Sa bouche était seche, mais elle se força à parler.

« Notre Père qui es aux Cieux...»

Sa voix s’égara. Elle avait oublié le reste il y a fort longtemps et il n’y avait pas de Dieu pour l’écouter. Aucun dieu miséricordieux n’approuverait ce qu’elle s’apprêtait à faire.

Erin ouvrit ses yeux, elle regarda ses mains avant de se demander ; qui était son ennemi ?

Un Gobelin, mais pas n’importe quel Gobelin, un Chef. Un leader parmi son espèce. Fort ? Oui. Bien plus fort que les autres. Mais peut-être pas plus fort qu’un humain normal, et si elle était meilleure pour se battre…

Mais il avait une épée, un arc et des flèches. Il avait des niveaux, qu’importe ce que cela voulait dire. Il était un meilleur combattant. Alors qu’est-ce qu’Erin avait ?

Elle regarda autour d’elle. Une auberge, une cuisine, les quelques articles qu’elle avait achetés en ville. Une salle commune avec des tables et des chaises, un étage avec aucune sortie sauf pour les fenêtres. Des couteaux de cuisines, des casseroles, des poêles et un four vide.

Erin ferma les yeux et y réfléchit. Elle les ouvrit une minute plus tard et elle avait la solution.

Une corne sonna quelque part au loin. Erin l’écouta et entendit les battements de son cœur étouffer ses pensées. Elle savait ce qu’elle avait à faire.

Erin se leva. Ses oreilles sifflaient, mais le monde était silencieux. Elle avait l’impression d’être une rêveuse, marchant à travers un monde ensommeillé. Même le lourd son de la corne était étouffé. En cet instant, elle avait l’impression d’avoir tout le temps du monde.

Lentement, Erin alla jusqu’à la cuisine. Elle se pencha avant de chercher quelque chose dans le sac de nourriture qu’elle avait acheté. Voilà, juste là. Est-ce que c’était assez ? Ça allait être assez.

Erin regarda autour d’elle avant de prendre une casserole en fer, elle était petite, mais elle allait faire l’affaire.

Toutes les braises présentes dans le four de la cuisine s’étaient éteintes il y a fort longtemps. Erin lança quelques morceaux de bois et se pencha pour créer quelques étincelles. Lentement. La corne continuait d’appeler, de plus en plus bruyamment. Mais ses mains refusèrent de trembler, elle était toujours en train de rêver.

Enfin, le feu s’empara du bois. Erin continua de nourrir la petite braise grandissante, elle rajouta du bois au feu avant de mettre la casserole au-dessus de ce dernier. Elle allait être assez chaude dans pas longtemps, le feu continuait de grandir.

C’était le plan. Erin remplie la casserole à ras-bord avec son achat avant de mettre un couvercle sur cette dernière. Lentement, elle marcha jusqu’à la salle commune avant de s’asseoir.

La corne sonna. Elle était juste à l’extérieur de l’auberge. Erin entendit le pas lourd du Gobelin, le vacarme de son armure, il s’arrêta devant la porte. Puis il y eut un bruit sourd.

Thud.

La porte trembla, les chaises et les tables la bloquant reculèrent sous l’impact. Erin regarda la porte.

« Tout cela n’est qu’un jeu. »

Elle se murmura ses mots sans les croire.

Thud

Un autre impact, cette fois Erin entendit quelque chose craquer. La porte n’allait pas durer, elle n’avait plus qu’une poignée de secondes.

Thud.

Le feu commença dans la cuisine. Il allait lui falloir du temps pour que la casserole soit chaude. Est-ce que ça allait être suffisant ? Il fallait que ça soit suffisant.

Thud/

La porte entière trembla, Erin vit le bois se briser autour des charnières. Elle attendit, la mort était dans ses os. Mais elle ne savait pas si c’était sa mort ou non.

« Cavalier en D4. Pion en E3. »

Elle ne voulait pas mourir, mais la mort serait peut-être préférable à ce qui allait venir. Erin ferma ses yeux.

« Je déteste vraiment ce monde. »

La porte s’écrasa à l’intérieur alors que le Chef Gobelin entra dans l’auberge.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 11 décembre 2019 à 11:08:31
1.16

C’était un magnifique matin. Le ciel était d’un profond bleu et le soleil brillait paisiblement sur la colline.

La porte s’enfonça vers l’intérieur et le Chef Gobelin chargea dans l’auberge. Erin se releva et attrapa une chaise.

Le Chef sourit de manière malsaine en a voyant, il regarda la chaise que tenait Erin et l’ignora. Ses yeux s’arrêtèrent sur Erin, sur son visage, sur son corps… Elle n’aimait pas la manière dont il la regardait.
Elle hésita, la chaise était entre ses mains.

« Je ne veux pas te faire de… »

Le Chef Gobelin rugit avant de charger Erin. Il la percuta et elle s’écrasa à travers la table derrière elle. La chaise qu’elle tenait vola hors de ses mains, elle sentit quelque chose craquer dans son corps.
Le gobelin dégaina son épée. Erin resta au sol, bouchée bée comme un poisson. Il abattit l’épée sur elle et elle roula à gauche, évitant l’arme qui brisa le plancher.

Plus loin. Erin se jeta par-dessus une autre table et sentit l’épée la manquer de quelques centimètres. Elle s’empara d’une chaise et la jeta sur le Gobelin qui l’écarta d’un mouvement dédaigneux de sa main gantelet.

La table était entre eux. Erin se prépara à esquiver à gauche ou à droite mais le Chef attrapa la table et poussa. Il enfonça l’épaisse table dans le nombril d’Erin tel un boulet de canon avant de la renverser.

Un mur de bois s’écrasa sur elle. Erin resta sous la table, sonnée, jusqu’à ce qu’une épaisse main attrape sa cheville et la tire d’en dessous la table.

Le Gobelin ria d’elle alors qu’elle était sur son dos, les yeux vagues. Il retira son pagne et la tira vers lui. Erin le regarda et sentit l’horreur battre dans sa poitrine. Il s’abaissa pour lui arracher les vêtements…
Elle lui donna un coup de pied, directement dans son entrejambe, de toutes ses forces.

Le Gobelin attrapa facilement sa jambe, avant de sourire de manière narquoise. De son autre main, il attrapa son autre jambe…

Erin s’assit. Ses jambes étaient prisonnières, mais ses mains ne l’étaient pas. Elle donna un coup de poing vers la cible pendante qui se trouvait entre les jambes du Gobelin.

Il hurla et la jeta plus loin. Erin roula avant de se relever. Il était en train de tenir ses parties intimes. Elle attrapa une chaise et cette fois, elle n’hésita pas.

Erin abattit la chaise sur la tête du Gobelin dans un Thump retentissant. Une fois. Deux fois. Puis le Gobelin lui donna un coup de poing.

Elle vit le coup de poing venir et tenta de le bloquer avec la chaise. Le poing du Gobelin s’écrasa à travers le bois et fit tomber Erin de nouveau. Elle se releva en sentant que sa bouche était ensanglantée.

Le Chef rugit et s’empara de son épée. Erin recula précipitamment. Elle était proche de la cuisine. Elle se précipita à l’intérieur et claqua la porte.

Voilà. La casserole était sur le feu, et de la fumée noire était en train de s’échapper du couvercle. Erin s’en approcha et sentit la chaleur brulante. Des gants. Il y avait un rouleau à pâtisserie sur le comptoir mais pas de gants ou de mitaines. Où est-ce qu’était-les…

La porte explosa vers l’intérieur dans une terrible crash. Erin se retourna et vit le Chef Gobelin chargeant vers elle.

Elle esquiva. L’épée siffla à travers l’air et s’enfonça dans le mur. L’impact désarma le Gobelin alors qu’il cria quelque chose de guttural à Erin. Elle le frappa au visage avec le rouleau à pâtisserie.

Son nez se brisa. Erin le sentit mais elle releva le rouleau à pâtisserie et le frappa de nouveau. Puis une nouvelle fois. Elle devait le frapper tant qu’il n’était pas armé. Le frapper. Le fra…

Shk.

 Quelque chose de lourd frappa le ventre d’Erin et la fit reculer. Elle recula en titubant avant de regagner son équilibre. Quelque chose l’alourdissait. Quelque chose était… Erin baissa les yeux.
Un couteau était dans son estomac, juste au-dessus de sa hanche. Il n’était pas symétrique, la lame était trop grande vers la gauche, et il était en elle. En elle.

Erin tira sur le couteau. Il était coincé. Elle continua de tirer et sentit la peau autour de son estomac partir alors qu’elle retirait le couteau. Elle serra les muscles de son abdomen et tira
Le couteau sortit accompagner du terrible bruit de la chair se déchirant. Erin regarda le sang sur la lame. Elle le laissa tomber et le couteau s’écrasa au sol avec un lourd thump. Ce n’était pas le bruit qu’un couteau devait faire.

Du sang. Coulant le long de son estomac. Erin mit une main sur sa blessure et essaya d’arrêter le saignement. Mais elle était en train de saigner, de plus en plus abondamment, et le Chef Gobelin s’approchait.

 “————!”
Erin n’arrivait pas à s’exprimer. Elle laissa échapper un cri à moitié étouffé. Elle tituba vers le foyer, la douleur transperçant ses entrailles à chaque pas.

De la fumée s’échappait de la casserole. Son contenu bouillonnait et crachait vers elle. Elle n’avait pas le temps de prendre des gants, elle attrapa la casserole par les poignées.

Le métal la brûla. Erin hurla alors que ses mains commencèrent être recouverte de cloques et que sa peau brûla. La douleur était insoutenable, mais elle continua de tenir la casserole et se retourna.
Le Chef était debout, il gronda vers elle à travers son nez cassé et son visage ensanglanté. Il tenait le couteau de cuisine dans sa main, et se jeta vers elle.

Erin lança le contenu de la casserole vers le Chef Gobelin. L’huile bouillante éclaboussa le visage du Gobelin et ruissela le long de son torse.

Il hurla. Le Chef laissa tomber le couteau de cuisine et hurla si fort qu’Erin devint sourde. Elle lâcha la casserole et tituba pour s’éloigner de lui.

Elle tint ses paumes tremblantes vers l’avant. Sa peau était déjà noire et brûlée, et même blanche à certains endroits. De larges cloques étaient déjà en train de se former sur sa peau ruinée. Mais ce n’était que la moitié. La moitié de la douleur de ce monde.

Le Chef Gobelin griffa son visage avant de tomber au sol, toujours en train de hurler, mais le son qu’il faisait était tellement faible. Elle pouvait l’entendre s’étouffer. Agonisant silencieusement. Elle comprenait. Il n’y avait pas assez de son dans le monde pour traduire toute cette douleur, et crier ne ferait qu’aggraver la douleur. Mais il devait hurler, alors il le faisait silencieusement.

Erin resta assis sur le sol et le regarda. Elle était en train de saigner. Le sang s’échappant de sa blessure n’arrêtait pas de couler. Mais ses mains…

Elles n’étaient plus les mêmes, et l’agonie des deux blessures était insupportable. Donc Erin tenta d’oublier la douleur. Elle regarda le Chef alors qu’il gisant sur le sol. Il était en train de fumer.

Des parties de son visage étaient en train de fondre. L’huile bouillante l’avait… Fondu. Mais il était toujours, il était mourant.

Erin pouvait l’entendre respirer. De courts, respirations aiguës emplie de douleurs. Il resta sur le sol, immobile. Le combat était terminé. Elle avait gagné.

Lentement, Erin commença à pleurer.

***

La fille s’assit dans la cuisine ruinée avec le Gobelin. Les deux étaient silencieux. L’un d’entre eux était mourant, l’autre était morte à l’intérieur.

Une brume de fumée brûlée remplit la pièce. L’odeur de chair brûlée envahissait l’air. L’huile se mélangeait avec le sang et la chair sur le sol.

Éventuellement, la fille bougea. Lentement, si lentement, elle se releva. Titubant, tenant le trou dans son estomac elle marcha jusqu’au large sac de jute rempli de nourriture. Elle ramassa un couteau de cuisine traînant au sol.

Elle prit le couteau et trancha le sac. La douleur qu’elle ressentit en serrant le bandage autour de son estomac manqua de la faire s’évanouir. Ses doigts et ses paumes laissèrent s’échapper un liquide clair alors que le monde sombrait dans le noir. Mais elle agrippa le bandage fermement et fit un nœud.

Puis, elle se retourna.

Une forme sombre gisait au sol, brûlant. De la vapeur s’échappait de sa chair fondue. L’odeur de viande cuite empestait l’air. Une forme sombre gisait au sol. Bougeant légèrement en respirant de laborieuses respirations.

La fille s’assoit à ses côtés. L’huile était toujours chaude, mais elle s’en fichait. Elle s’assoit avec le Gobelin et regarde son visage ruiné. Est-ce qu’il la regarde en retour ? Seulement elle le sait.

Une forme sombre gisait au sol. La fille s’assoit avec et attend. Puis, la respiration s’arrête.
Un soleil chaleureux traverse un ciel bleu et passe à travers l’une des fenêtres de la cuisine. Il n’est même pas midi, et pourtant une douce brise descend depuis les montagnes.

Le monde est silencieux.

La fille s’assoit contre l’un des murs et ferme ses yeux. Son sang coule sur le sol.

[Aubergiste Niveau 9 !]

[Compétence : Combat de Taverne obtenu !]

[Compétence : Lancer Infaillible obtenu !]
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 14 décembre 2019 à 17:43:57
1.17

Son nom était Klbkch. Du moins, c’était ce que les membres des autres espèces l’appelaient. Son nom parmi les siens ne pouvait pas être prononcé avec des mots. Donc il portait le nom de Klbkch ou ‘Klb’ de temps en temps. C’était important d’avoir un nom.

En ce moment, Klbkch n’était pas en service. Il avait signé le registre pour terminer sa journée, et avait aussi signé à la place de Relc. Son partenaire ne signait jamais le registre, ou alors, il le signait mal. Il était important de bien faire les choses.

Klbkch marchait à travers la sombre prairie qui entourant la ville. Il se dirigeait  vers l’auberge ou la jeune humaine femelle résidait. Cette visite n’était pas dans son devoir de garde, il allait la visiter pour améliorer sa relation avec elle. Il était important d’avoir de bonnes relations avec les autres espèces.
Il savait que quelque chose n’était pas normal dès l’instant où il vit la fumée. Instantanément, Klbkch dégaina les deux épées se trouvant à sa taille. Il avait encore deux autres mains de libres, mais il les laissa libres pour l’instant.

Les épées au clair, Klbkch couru vers la petite colline de l’auberge, il bougea extrêmement rapidement. Ses longues jambes combinées avec ses niveaux dans la classe de [Garde] lui donnaient [Mouvement Amélioré], ce qui lui permit de traverser plusieurs kilomètres en un instant.

L’auberge laissait s’échapper de la fumée noire depuis des fenêtres à l’arrière. Klbkch savait que ces fenêtres étaient connectées à la cuisine, la porte était aussi enfoncée, et en s’approchant Klbkch vit plusieurs Gobelins fuirent vers les collines.

Des Gobelins.

Klbkch s’arrêta en dehors de l’auberge s’aplatit contre l’un des murs proche de l’entrée. Il dégaina deux dagues avec ses deux mains inférieures et se prépara. Il ne sous-estimait pas ses chances, mais ils ne les surestimaient pas non plus.

Dans le classement des niveaux des gardes, il était quatrième, plus que capable de s’occuper de la plupart des différentes classes de Gobelins. Mais il se retirerait si les Gobelins étaient trop nombreux. Son objectif était d’analyser la situation et l’était de santé d’Erin Solstice et, si possible, se retirer avec elle. Si cela n’était pas le cas, son rôle était d’être témoin de son destin et de celui des forces occupant l’auberge.

Pour une raison inconnue, Erin Solstice était plus importe qu’analyser la menace pour Klbkch. Il rejeta immédiatement cette pensée et questionna son jugement. Sa survie était plus importe que celle d’un simple humain.

Mais. Elle pouvait être à l’intérieur, blessée ou mourante aux mains des Gobelins. Klbkch savait qu’ils avaient tendance à violer et agresser les femelles de n’importe quelles espèces humanoïdes.
Ses instincts lui disaient d’attendre. Klbkch les ignora. Son esprit lui disait d’agir, il chargea à travers la porte, se préparant au pire.

La salle commune de l’auberge était un chaos de chaises et de tables brisées. Klbkch analysa la pièce. Vide. La porte menant à la cuisine était enfoncée. Il chargea en direction de la cuisine et s’arrêta.

Deux silhouettes reposaient sur le sol. L’une était un Gobelin, mais pas n’importe quel Gobelin ; un Chef. Une véritable menace. La seconde était une fille humaine. Les deux ne bougeaient pas.

Klbkch évalua la situation. Le Chef Gobelin était dangereux, il pouvait être tué si nécessaire mais… Il était déjà mort. Mort. Une menace capable de tuer, à elle seule,  une équipe d’aventuriers de bas-niveau avait été tué par… Une fille ?

Comment ? Mais cela n’avait pas d’importance. Il regarde Erin Solstice.

La jeune femme reposait contre un comptoir. Elle tenait un bandage contre son estomac, ses mains étaient noires et recouvertes de cloques. Des larmes avaient peint des lignes claires à travers la saleté de son visage. Du sang rouge, presque noir après avoir séché, se trouvait autour du bandage sur son estomac.

Sa respiration était faible.

Pour la première fois de sa courte vie, Klbkch des Antiniums Libres n’avait pas la moindre idée de ce qu’il fallait dire.

« Ha. Mademoiselle Solstice ? »

***

La douleur l’avait quitté après quelques temps. Erin flottait, seule, dans une sombre et chaleureuse mer. Elle était en train de s’endormir. Ou peut-être qu’elle était déjà en train de dormir et que tout cela n’était qu’un rêve.

Erin coula lentement dans cette mer noire alors que la lumière du jour disparaissait petit à petit. C’était un sentiment merveilleux alors qu’elle abandonna ses fardeaux et ferma les yeux. Dormir. Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait pas bien dormi.

Mais il y avait quelque chose qui la dérangeait. Quelque chose faisait… Un bruit ? Oui, un bruit. Erin pressa ses paupières, mais maintenant elle était secouée. Elle ne voulait pas se réveiller, mais peut-être que si elle le faisait, elle allait pouvoir se rendormir juste après. Alors elle écouta.

« Mademoiselle Solstice ? Mademoiselle Solstice, vous devez boire. »

Elle était en train de se réveiller, et son réveil apporta la douleur. Erin gémit, ou du moins, essaya de gémir. Sa gorge était terrible sèche. Elle souffrait. Elle souffrait tellement qu’elle ne pouvait pas supporter la douleur, elle ne savait pas quoi faire. Elle voulait retourner dormir, mais la voix était insistante.

« Buvez. »

Quelque chose était à ses lèvres. Erin sentit le liquide froid et lécha instinctivement.

Aussitôt, quelque chose de fantastique commença à se produire. Alors que sa langue goûta quelque chose d’amer et qu’elle eut un haut-le-cœur, la douleur disparue. Durant un instant.

Puis le sentiment de bien-être s’en alla. Désespérément, Erin ouvrit la bouche et goûta la dégoûtante, splendide boisson une nouvelle fois. L’agonie de ses mains disparues, et la terrible douleur brûlante de son estomac s’arrêta.

Erin ouvrit les yeux et se redressa. Son corps retrouva de l’énergie alors que les ténèbres de la mort s’éloignèrent. Elle regarda au-dessus d’elle et vit l’insectoïde géant regarder vers elle.

« Guh. »

Erin s’étouffa sur la dernière gorgée de la potion de soin. Klbkch la tenait de manière ferme alors qu’elle lutta contre la toux et avala.

« Mademoiselle Solstice. Est-ce que vous allez bien ? »

« Je… Je suis en vie. »

Erin bégaya. Elle regarda Klbkch, il était en train de tenir une bouteille de potion vide dans sa main, il l’avait sauvé. Ramener à la vie. Elle voulait le remercier. Elle n’avait pas les mots, mais elle voulait le remercier de l’avoir sauvé. Elle ouvrit la bouche et vit le corps gisant au sol.

Le Chef Gobelin. Ses yeux tombèrent sur son visage ruiné, sur son corps immobile. Erin s’arrêta, et ignora Klbkch qui venait de répéter sa question. Erin regarda le cadavre pendant un certain temps, jusqu’à ce que Klbkch le traine hors de la cuisine. Quand il retourna et qu’elle regarda son visage, elle avait totalement oublié ce qu’elle voulait dire.

***

« Vous n’êtes pas d’ici, n’est-ce pas, Mademoiselle Solstice ? »

Ce fut la première chose que Klbkch lui demanda après s’être assuré qu’elle allait bien.

Erin s’appuyait contre une étagère de la cuisine, son t-shirt relevé alors qu’elle inspectait son estomac. Il était complément soigné, même si le bandage était toujours présent. Elle aurait dû se sentir malaisé en se dévêtant devant Klbkch, mais elle ne l’était pas. C’était probablement parce qu’il était un insecte.
Elle releva la tête, surprise. Klbkch la regardait, elle ne savait pas quoi dire, contrairement à lui.

« Je ne veux pas dire que vous n’êtes pas de ce pays ou de ce continent. Vous n’êtes pas d’ici, n’est-ce pas ? »

Klbkch s’agenouilla à ses côtés, ses longues jambes faisaient que c’était plus facile pour lui que de s’asseoir.

« Non, je ne suis pas d’ici. »

« C’est bien ce que je pensais. »

Erin sourit sans joie.

« C’était si évident ? »

« Disons plutôt que cela est devenu évident. C’était une déduction improbable, mais c’était la seule que j’ai trouvée. »

Erin hésita, avant de hocher la tête. Klbkch hocha la tête à son tour, pour donner son accord.

« Comment est-ce que tu as deviné ? »

« Beaucoup d’indices m’ont mené à cette conclusion. Ta curiosité à propos des niveaux et des classes, ton arrivée mystérieuse et ce ‘Michigan’ qui n’existe pas dans les livres. Mais plus important encore fut ce dernier instant. Aucun Humain ne pleurerait pour un Gobelin. »

Erin essaya son visage, les larmes avaient séché depuis bien longtemps mais…

« Vraiment ? Personne ? Qu’en est-il des Drakéides ? »

« Aucun Humain. Aucun Drakéide, Homme-Bêtes, Gnoll ou créature de Liscor prendrait la peine de pleurer pour un Gobelin. »

« Qu’en est-il de ton peuple ? »

Klbkch ne cligna pas des yeux, il ne pouvait pas le faire, mais il fit un mouvement compulsif.

« Les Antiniums ? Nous ne pleurons pas. »

« Oh. Je vois. »

Erin sentit les mains de Klbkch bouger vers son estomac, il était en train de retirer le pansement.

« Aie. Est-ce que c’était… »

« Ne t’inquiètes pas. La potion de soin à marcher. Le pansement est juste collé à ta peau. »

« Oh… Aie ! C’est bon à savoir. »

« Tu seras affaiblie durant quelques jours, cependant, tu seras entièrement remise de ta blessure. »

Erin poussa un cri de surprise alors qu’un peu de peau s’en alla avec le pansement.

« Tant mieux. Merci. Donc. Qu’est-ce que qui se passe maintenant ? Est-ce que tu… Qu’est-ce que tu as fait du corps ? »

« Je l’ai enterré dehors. Loin de l’auberge pour éviter une réanimation. Ne t’inquiète pas. »

« … Merci. Hum. Merci. »

Klbkch hocha la tête. Rapidement et avec dextérité, il plia le pansement sale et l’ajouta au feu qu’il avait allumé. Ce dernier brûla et sentait terriblement mauvais, mais ce n’était qu’une odeur putride de brûler parmi tant d’autre.

L’homme-fourmi s’en alla vérifier la petite casserole qu’il avait mise sur le feu. Elle était remplie d’eau bouillante, pas d’huile. Après une minute il trempa un autre morceau de vêtement dans la casserole et l’amena à Erin. Elle l’accepta sans un mot et l’utilisa comme éponge pour nettoyer la terre, le sang, et les autres tâches recouvrant sa peau.

« J’ai fait l’observation que tu n’étais pas de ce monde, Mademoiselle Solstice. »

« Ouais. J’ai changé de sujet. Les Humains font ça quand ils ne veulent pas parler de quelque chose. »

Elle frotta violemment son estomac, le torchon était plutôt chaud, mais la chaleur était bienvenue. Elle se sentait froide. Klbkch baissa la tête en la regardant.

« Mes excuses. Je ne devrai pas poser de telles questions en cet instant. Tu es toujours en état de choc.»

Erin releva la tête.

« Je ne suis pas en état de choc. »

« Tu es en train de souffrir à cause de cette rencontre. Ton état mental est déséquilibré. »

« Je ne suis pas en état de choc. Vraiment. Je suis juste… Fatiguée. »

« Comme tu le dis. »

Klbkch baissa la tête une nouvelle fois.

« Je vais bien, vraiment. J’ai juste… Je viens d’un autre endroit. D’un autre monde. Ce lieu est différent. J’ai juste… Je n’ai juste pas envie d’en parler maintenant. Ça a été une mauvaise journée. »

« Bien sûr, pardonne mon impolitesse. Mais si je peux, j’aimerai te suggérer une marche à suivre. »

« Hum. D’accord ? »

« Je me suis débarrassé du corps du Chef Gobelin. Cependant, de nombreux Gobelins sont toujours cachés dans les environs. Si tu te sens en sécurité ici je me débarrasserait du plus grand nombre possible. Si cela n’est pas le cas, je t’escorterai jusqu’à la ville avant de revenir avec des renforts pour…»

« Non. »

Erin coupa la parole de Klbkch. Elle pouvait sentir la surprise de l’homme-fourmi.

« Non ? Si tu te sens incapable de voyager je peux… »

« Non. Interdiction de tuer des Gobelins. »

Il s’arrêta. Elle pouvait sentir qu’il l’observait même si ses yeux à multiples facettes n’avaient pas de pupilles.

« Puis-je demander pourquoi ? »

« Ce mal. »

« Beaucoup diraient le contraire, Mademoiselle Solstice. Les Gobelins sont considérés comme des monstres et des bandits dans le but de déterminer leurs crimes selon les lois Liscoriennes. Ils sont des tueurs qui s’attaquent aux faibles. »

Erin hocha la tête.

« Ce sont de petits monstres vicieux maléfiques. Ils me mangeraient probablement s’ils en avaient l’occasion. »

« Sans aucun doute. »

« Et ce sont des meurtriers. »

« Cela est la vérité. Plus d’un quart des morts de voyageurs sur les routes autour de Liscor sont dût à une attaque de Gobelins. Ils sont des meurtriers. »

« Ouais. »

Erin marmonna. Elle regarda ses mains, propres et intactes.

« Ils sont des meurtriers. Tout comme moi. Ne les tues pas. »

Un silence suivi cette dernière remarque. Erin regarda ses mains. Finalement, la voix saccadée de Klbkch résonna près de son oreille.

« Je ne comprends pas ton raisonnement, mais je vais écouter ta requête. Cependant, sache que  je me défendrai en faisant usage de la force létale si je suis attaqué. »

« Ça me va. »

Klbkch resta silencieux. Erin regarda l’endroit où le corps s’était trouvé. Elle avait l’impression que sa tête tournait. À un certain moment, elle avait l’impression qu’elle aurait dû s’effondrer sur Klbkch et commencer à pleurer. Ou est-ce que c’était trop stéréotypé ? Était-ce une réaction normale ? Mais à la place elle avait l’impression de se sentir un peu… Vide.

« Une dernière chose. »

« Est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaites me demander, Mademoiselle Erin ? »

Erin hocha vaguement la tête avant de pointer vers son torse. Qui était toujours nu. Oups. Elle tira son t-shirt vers le bas, heureusement qu’elle portait toujours son soutien-gorge.

« Après avoir tué le Gobelin… J’ai gagné une nouvelle compétence. Deux, en fait. [Combat de Taverne] et [Lancer Infaillible]. »

« Ce sont des dignes compétences. Inhabituelles pour la classe d’[Aubergiste], mais pas inconnues. »

« Vraiment ? Pourquoi je les ai eues ? Et pourquoi les compétences ne sont pas… Déterminées ? »

« Un autre signe que tu ne proviens pas de ce monde, Mademoiselle Solstice. »

Erin le regarda en fronçant les sourcils, Klbkch fit un mouvement de la main.

« Je ne voulais pas t’offenser. C’est simplement parce que tous les êtres savent comment les classes et les compétences marchent. »

« Très bien, dans ce cas explique-les-moi. »

Klbkch resta silencieux pendant quelques secondes.

« Pour faire simple, les classes sont des chemins communs que l’un emprunte au cours de sa vie. L’un peut choisir de devenir un [Boucher], ou peut-être un [Musicien]. Ce n’est qu’une question de remplir les exigences. Bien souvent, ces conditions sont connues, mais il y a des exceptions. Quelqu’un ne peut pas simplement prendre la classe de type [Régent], par exemple. »

« Je vois, tu dois y naître. »

« C’est en effet l’un des moyens d’apprendre une classe de ce genre. Mais dans tous les cas, les classes améliorent les capacités d’une personne avec chaque niveau gagné, et cette amélioration de capacité peut s’accompagner d’une compétence. Mais il n’y a pas un set prédéterminé de compétence pour une classe. »

« Vraiment ? »

« En effet. Par exemple, deux individus peuvent prendre la classe de [Soldat], mais peuvent apprendre des compétences différentes au même niveau. C’est une question de besoin et de penchant qui permet à quelqu’un d’apprendre une compétence. Par exemple, même si Relc est un guerrier avec plus de niveau que moi, il est en dessous de moi dans la classe de [Garde] et donc ne possède pas la compétence de [Détection De Culpabilité]. »

« D’accord. »

Klbkch regarda Erin, elle haussa les épaules.

« As-tu compris ? »

« Pas vraiment. Un peu, je suppose ? Mais pourquoi est-ce qu’il y a des niveaux en fait ? »

« C’est la voie du monde. Toutes les races pensantes ont reçues la capacité de gagner des niveaux et de prendre des classes. »

« Pourquoi ? »

Erin soupira et frappa doucement son visage.

« Ou plutôt, par qui. Qui l’a fait ? Et pourquoi ? »

« Personne ne le sait. Mais nos plus vieux textes nous disent cette vérité. »

Klbkch récita avec sa voix sans inflexion.

« Tous ceux qui Pensent… Ressentent. C’est par ces Sensations que nous Agissons. C’est dans l’Acte que nous gagnons des Niveaux. Tous ceux qui Pensent ont une Classe. Et c’est dans cette Classe que nous trouvons notre destinée. »

Erin ria, avant de réaliser qu’il était sérieux.

« Est-ce que quelqu’un vous a enseigné ça ? »

Klbkch hocha gravement la tête.

« Cela fait partie des leçons que tous les enfants apprennent. La formulation exacte provient d’un livre : Le Livre des Niveaux, qui a été écrit il y a presque milles ans. »

« Mais pourquoi les choses marchent comme ça ? »

Erin était de plus en plus frustré. De plus, le ton calme et sérieux de Klbkch ne faisait rien pour aider.

« C’est simplement comme ça que nous vivons nos vies. C’est une vérité universelle à travers le monde. Ton monde n’est-il pas semblable ? »

Erin le regarda en fronçant les sourcils.

« Non, non il ne l’est pas. Nous n’avons pas de niveau, et nous n’apprenons pas des compétences comme dans les jeux-vidéos. Nous n’avons pas de classes sauf pour celle qu’on a à l’école, et nous n’avons pas besoin de niveaux pour apprendre quelque chose. »

« L’apprentissage est bien plus qu’une histoire de niveaux. Les classes et le gain de niveau sont simplement les bases de nos vies pour que nous puissions grandir plus vite dans ce que nous faisons. C’est la réalité. »

« C’est stupide. »

Il la regarda, surpris.

« Je te demande pardon ? »

« Ton gain de niveau est stupide. Tes compétences sont stupides. Je déteste les classes de ton monde, je déteste ta ville et je te déteste. »

Elle cria les derniers mots vers Klbkch avant de mettre son visage entre ses mains. Après quelques temps, elle le sentit poser une main réconfortante sur son épaule. Elle était froide, et faite d’un exosquelette lisse, mais réconfortant quand même.

 « … Je ne voulais pas dire ça. »

« Je n’ai pas été offensé, Mademoiselle Solstice. Je sais que tu as traversé un événement traumatique. La faute m’appartient dans le fait que je n’ai pas été assez ouvert à ta détresse. J’aurai dû fournir plus de confort et de camaraderie. Cependant, mon partenaire Relc est plus efficace que moi à ce sujet. »

« Tu t’en sors plutôt bien. »

Erin marmonna cette phrase à travers ses larmes. Elle avait commencé à pleurer. Ce n’était pas des pleurs bruyants ou moches, mais ses yeux étaient subitement remplis de larmes.

« Je passe juste une mauvaise… Je veux dire, ça fait… Je déteste ce monde. Mais je ne pense pas la dernière partie, tu es quelqu’un de bien. Tous les autres peuvent aller en enfer. »

« Je vois. Tiens, accepte ceci, s’il te plait. »

Klbkch tendit un autre morceau de tissu à Erin. Elle se moucha et renifla bruyamment.

« J’aimerais être seule maintenant. »

Klbkch hésita.

« Je resterai ici avec ta permission. Cela serait imprudent de… »

Elle lui coupa la parole.

« Ça va aller. »

« Respectueusement, je dois exprimer mon désaccord. Même si le Chef Gobelin est mort, sa tribu peut chercher à se venger. »

« Ils ne le feront pas. »

« Puis-je demander comment tu peux le savoir ? »

« Je le sais. S’il te plait. J’aimerais vraiment être seule. »

Une nouvelle fois, il hésita. Finalement, Klbkch se releva et marcha jusqu’à la porte de la cuisine avant de se retourner.

« Puis-je poser une dernière question, Mademoiselle Solstice ?  Qu’est-ce qui a poussé le Chef Gobelin à vous attaquer ? Il est rare de voir un chef de tribu prendre des mesures agressives sans être provoqué. »

Erin ferma les yeux. Elle était tellement fatiguée, et les événements de… De ce matin ? Cela semblait être si loin.

« Relc. Il a tué trois Gobelins et les a décapités. »

Klbkch s’arrêta. Du coin de l’œil, Erin le vit fermer l’une de ses quatre mains, puis il s’inclina profondément.

« Permet-moi de te présenter nos excuses mutuelles. Les mots ne peuvent pas exprimer ma honte. »

Elle hocha rapidement la tête.

« Y’a pas de mal. »

Une fois son mensonge terminé, elle attendit que Klbkch s’en aille. Quand il resta dans la cuisine après quelques minutes, elle le regarda droit dans ses yeux.

« Je vais aller me coucher. »

Il hocha la tête.

« Bien. Prends soin de toi, Mademoiselle Erin. »

Il ne ferma pas la porte derrière lui, car la porte était brisée. Mais il la posa contre le trou et installa deux chaises pour la maintenant en place avant de disparaître dans la prairie, devenant rapidement une silhouette dans le ciel orangé.

Erin posa sa tête contre le mur. Ses yeux étaient en train de brûler et son corps semblait lent et confus après la potion de soin. Au moins, il était parti. Ce n’est pas qu’elle n’aimait pas sa compagnie, en fait, elle voulait le serrer dans ses bras ou se faire serrer par ses bras. Mais maintenant elle voulait dormir.
Elle voulait oublier.

Mais elle ne pouvait pas dormir.

Elle voulait tellement trouver le sommeil, son esprit était en train de la supplier de fermer les yeux. Mais quand elle le faisait, elle voyait des choses, donc elle les garda ouverts.

Elle pouvait sentir l’huile bouillante et la chair brûlée, même si Klbkch avait ouvert une fenêtre pour laisser la brise du soir souffler à travers la cuisine. Mais elle sentait toujours la mort, elle pouvait le voir dans les yeux du Chef Gobelin. Il était en train de la regarder…

Thump.

Erin frappa sa tête contre le mur derrière elle. Cela faisait mal. Elle recommença.

Thump. Thump

L’image des yeux morts du Gobelin disparu de son esprit pendant une seconde. Mais dès l’instant où elle pensait à ce qui s’était passé, ils étaient de retour, regardant directement dans son âme.

Thump.

Erin cogna sa tête une nouvelle fois. La douleur fit disparaître son champ de vision pendant un cours instant, et sa tête commença à tourner. Mais si elle devait choisir entre ça et les yeux du…

Thump. Thump Thump.

Elle voulait dormir, mais elle ne le pouvait pas, et la nuit était proche. Apportant avec elle des incertitudes, des peurs, mais pire que tout, des choses auxquels elle ne pouvait pas échapper.
Des souvenirs.

Thump.

***

Klbkch marcha à travers les portes ouest de Liscor et salua le Drakéide à son poste d’un mouvement de la tête. Sa réponse fit un froncement de sourcil, mais il ne fit pas de commentaire. La politesse était importante, entretenir des relations solides et un sentiment d’amabilité envers les Antiniums dans la ville était important.

Ce qui était aussi important était de rendre une prime. Klbkch portait un large sac fait à partir de ce qui était resté du sac d’Erin et son contenu alourdissait son côté gauche de manière non négligeable. Mais le sac était nécessaire, et de plus, cela évitait que l’odeur et la vue ne dérange les autres citoyens qu’il croisait.

Oui, la prime. Il allait la remplir cette nuit, mais avant il avait une mission plus importante à finir.
Klbkch marcha à travers les rues jusqu’au moment où il atteignit un bar qu’il savait fréquenter par de nombreux clients Drakéide. Le bar était un établissement bruyant, tapageur, et remplie de corps reptilien, mais ils firent de la place pour lui. Non pas par respect, car il n’était pas en service, mais parce qu’il ne désirait pas toucher son corps.

L’Antinium solidaire marcha à travers la foule de Drakéide jusqu’au moment où il entendit son nom être appelé bruyamment accompagné du smash causé par une chope violemment pausé sur le bar en sa direction.

« Oi, Klb ! Tu vas pas croire ce que ce stupide Humain à fait cette fois. »

Klbkch approcha Relc en traversa le bar. Le Drakéide se décala pour lui laisser un siège et se retourna, chancelant. Il était entouré d’un troupeau de Drakéide ou, s’il utilisant le terme approprié, une communauté de Drakéide. Certains étaient mâles, la majorité était des femelles. Ou peut-être pas. Il était parfois difficile à Klbkch de définir le sexe d’un individu. 

« C’est une bonne chose que tu sois là. Laisse-moi te dire, cette fille, Erin ? C’est l’Humaine la plus stupide que j’ai vu de ma vie. Tu sais ce qu’elle a fait ce matin ? »

Relc se lança dans son histoire, et en voyant la tête que les autres faisaient, ce n’était pas la première fois qu’il racontait son récit. Klbkch ignora Relc et ignora le siège dans lequel le Drakéide tentait de l’asseoir.

Il plaça deux de ses mains sur les épaules de Relc pour le stabiliser. Une posture correcte était essentielle. Puis, il frappa Relc aussi fort que possible avec ses deux autres mains.

Le Drakéide vit les coups de poing venir, mais il était trop saoul pour bien les esquiver et les mains de Klbkch le retenaient. Il s’écroula violemment au sol alors que les deux poings s’écrasèrent contre sa mâchoire et son estomac en même temps.

Pendant un instant, seul un silence stupéfait se fit entendre. Puis Klbkch entendit un puissant sifflement qui se transforma en un hurlement strident de rage.

Relc bondit sur ses pieds avec un hurlement et rencontra le pied de Klbkch lors de sa remontée. Le coup le toucha dans la mâchoire une nouvelle fois et le sonna durant quelques secondes. Klbkch hocha la tête, une bonne posture était nécessaire pour un bon coup.

Relc était aux pieds de Klbkch, il se releva, reçu deux nouveaux coups poings, et décida de rester au sol. Klbkch hocha la tête une nouvelle fois et s’éloigna de son partenaire.

L’atmosphère dans la pièce était devenue hostile. Klbkch regarda autour de lui mais décida de ne pas dégainer ses dagues. Les autres Drakéides tremblant de rage et leurs poings étaient serrés, mais son expérience lui disait qu’ils n’allaient pas attaquer sans nouvelle provocation.

Klbkch estima que l’image publique envers les Antiniums dans la ville venait de se dégrader de quelques degrés suite à ses actions, qu’importent ses raisons. L’antipathie dans la Garde de la ville serait aussi substantielle, du moins sur le court terme.

Cela était coûteux, mais Klbkch trouvait que c’était adéquat. Il hocha la tête en direction des observateurs du bar silencieux.

« Passez une bonne nuit. Veuillez accepter mes excuses pour le dérangement. Je vais me retirer. »

Klbkch se retourna et marcha hors du bar. Il entendit le brouhaha recommencer dès l’instant ou passa la porte tout en entendant la voix indignée et distinctive de Relc. Oh oui, il y aura des conséquences demain.

Pour une certaine raison, cela ne dérangeait pas Klbkch. A la place, il se demanda à quoi les humains ressemblaient. Est-ce qu’ils étaient comme les Drakéides ? Cette question le dérangeait.

Mais la nuit s’avançait et il avait une prime à rendre. Les bons papiers devaient être remplis de manière adéquate, avec un témoignage en guise de confirmation. Les choses devaient être bien faites, ou cela ne valait pas la peine de le faire.

Klbkch marcha dans la nuit. Il y avait une prime à rendre et des recherches sur les humains à faire. Mais plus important, les Autres devaient connaitre une humaine nommée Erin Solstice. Elle était importante. Après tout, elle était unique.

***

Le cadavre avait disparu, mais Erin pouvait toujours voir son visage. Elle pouvait encore sentir l’odeur de la chair brûlée, ressentir les brûlures sur ses mains. Elle pouvait toujours l’entendre respirer.

Elle ne s’endormit pas, et alors que la nuit se changea en jour, elle continua à regarder le sombre plafond.

Écoutant la respiration.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 18 décembre 2019 à 12:59:44
1.18

Erin s’assit dans une chaise et regarda à l’extérieur. C’était une belle journée, une brise tiède passa à travers la fenêtre, réchauffant tout ce qu’elle touchait.

A l’exception d’elle-même. Elle se sentait froide. Vide et froide.

Des ombres passèrent devant elle, elles avaient des noms. Klbklc, Relc, et même Pisces. Mais ils n’étaient pas importants. Les morts étaient bien plus terribles.

Erin tenait une tête de Gobelin entre ses mains. Elle regardait dans ses yeux blancs et sentait ses mains brûler. Elle s’assit à côté d’un Gobelin mourant et écouta sa respiration.

Le soleil était éblouissant. Au bout d’un certain temps, la nuit se changea en jour, mais Erin avait toujours l’impression qu’il faisait nuit. Dans l’auberge, les ombres étaient longues et continuaient de la plonger dans la pénombre. C’était adéquat.

Le monde semblait vide, tout était en train de se réverbérer et de se flouer autour d’elle. Elle ne faisait rien en particulier, elle était simplement… Existante. Existante, sans être adéquate.

Le petit fantôme d’une petite auberge dans un petit monde. Voilà comment elle se sentait.

C’était froid.

Erin leva la tête, Relc était dans l’auberge. Est-ce que c’était la première fois qu’elle le voyait aujourd’hui ? Probablement. Il était en train de hurler à propos de Gobelins en s’excusant. Klbkch était aussi présent. Silencieux. Sa carapace marron le camouflait parmi les chaises. Peut-être qu’il s’était caché dans l’auberge depuis le début de cette journée. Erin ne pouvait pas s’en rappeler.

« … Tuer tous ses petits salauds ! »

Relc était en train de crier. Il attrapa sa lance. La main d’Erin bougea.

« Whoa ! »

La tête de Relc recula subitement alors que le couteau de cuisine frôla son visage. La lame s’enfonça dans le mur et se coinça dans le bois.

Klbkch et Recl regardèrent Erin. Elle regarda sa main en silence. Oh. D’accord. Une compétence. [Lancer Infaillible]. Est-ce qu’elle en avait parlé à Klbkch hier ? Où est-ce qu’elle voulait lui en parler prochainement ?

Elle regarda Relc.

« Laisse-les tranquille. »

Puis Erin recommença à regarder ses mains. Après un certain temps, Relc s’en alla, suivi de Klbkch, ou peut-être qu’Erin avait arrêté de les voir.

« Cet endroit est mon auberge. C’est moi qui fais les règles. Et si tu n’aimes pas mes règles, va-t’en. »

Est-ce qu’elle avait dit cela à Relc, ou à une auberge vide ? Peut-être qu’elle l’avait crié. Erin ne pouvait pas s’en rappeler. Le temps n’était pas la même chose désormais. Elle continua de regarder ses mains et avait l’impression qu’elles étaient en feu. Elle vit le Gobelin mort gisant sur le sol, hurlant en silence.

C’était la seule chose qu’elle voyait.

Pisces arriva plus tard. Il entra dans l’auberge avec des étincelles partant du bout de ses doigts. Il était comme Relc, mais il était attentionné. Il voulait aussi tuer des Gobelins, ou les effrayer. Les maudire avec un sort. Cela n’avait pas d’importance.

Erin le regarda jusqu’à ce qu’il hésite. Elle lui donna l’une des saucisses séchées avant de lui dire que s’il tuait un des Gobelins elle allait le tuer.

Il prit la saucisse avant de pâlir en attendant ce qu’elle venait de dire. Puis il s’en alla.

Erin resta assis dans l’auberge et sentit les murs l’écraser. Elle ne pouvait pas respirer à l’intérieur, elle devait sortir.

 Le soleil était trop resplendissant et la lumière était trop agressive. Erin retourna à l’intérieur avant de sentir les ténèbres ramper le long de son dos. Les ombres étaient en train de se mouvoir. Le vent semblait porter des murmures.

Elle pouvait entendre une respiration. C’était la sienne.

Il faisait noir, le soleil avait disparu. C’était le pire des moments. Erin pouvait voir des cadavres dans les ombres, couchés sous les tables, avec leur têtes visibles dans la lumière lunaire passant à travers les fenêtres.

Erin ferma ses yeux, mais ils la suivirent dans sa tête. Elle creusa à travers son esprit et les souvenirs refirent surface. Ils lui brisèrent le cœur. Morceau par morceau. Jusqu’à l’arrivé du matin.

***

Klbkch arriva le lendemain. Relc était absent. Il s’assit avec elle et lui posa d’autres questions. Allait-elle bien ? Voulait-elle quelque chose ? Avait-elle faim ?

Erin lui répondu jusqu’à ce cela soit trop fatiguant. Puis elle resta assit et attendit qu’il s’en aille. Éventuellement, c’est ce qu’il fit.

Les ombres se retraitèrent devant la lumière du soleil, Erin resta assis dans sa chaise en se balançant de temps en temps. Elle se releva quand elle entendit un Thump.

Quelqu’un était à la porte. Erin l’ouvrit.

Un rocher géant se tenait devant son auberge. Une longue pince s’approcha d’elle. Le crabe-rocher cliqueta et tentait de l’attraper au niveau de la taille.

Erin ouvrit sa bouche et hurla. Le crabe-rocher tenta d’attraper sa tête avec une de ses pinces. Elle frappa la pince avec une chaise et continua de hurler. Le crabe-rocher recula sa pince et se retraita. Elle continua de hurler dessus. Elle hurla et hurla et hurla jusqu’à ce que sa respiration soit coupée. Puis elle continua de hurler.

Le crabe se retraita en agonisant, essayant de protéger ses orifices lui servant d’oreille avec ses pinces. Il marcha en crabe le plus rapidement possible. à des kilomètres d’ici, les oiseaux ptérodactyles s’envolèrent en paniquant.

Erin hurla et hurla jusqu’à ce que sa voix soit éteinte, elle essuya les larmes de son visage avant de rentrer de nouveau dans l’auberge et de dormir dans une chaise.

***

En se relevant, Erin se rendit compte qu’elle était affamée. Elle tenta d’ignorer la sensation pour rester assis là où elle se trouvait. Mais la douleur commença à mordre ses entrailles. Elle continua de l’ignorer.

La douleur s’en alla, avant de revenir quelques heures plus tard, la déchirant de part en part. Erin se demanda quand est-ce qu’elle avait mangé pour la dernière fois. Peut-être deux jours ?

Son estomac gargouilla et supplia. Erin sentit la douleur causée par la faim ronger son esprit. Eventuellement, cette dernière devint trop pressante pour l’ignorer. Alors Erin décida de manger.

Cuisiner demandait trop de travail, et manger de la viande était impossible. Erin se leva.

L’effort causé après s’être levé lui fit tourner la tête. Erin tituba avant de s’écrouler sur une chaise. Elle resta allongée sur la table en regardant le sol. Après une dizaine de minute elle se força à se relever et marcha jusqu’à la porte.

Le soleil était resplendissant. Erin couvrit ses yeux ? Il était midi, ou demain. C’était probablement la raison pour laquelle elle avait faim.

Elle commença à marcher, c’était difficile. Ses jambes ne voulaient pas la soutenir. Par deux fois, elle trébucha et tomba, avant de se relever et de continuer sa marche. Marcher était difficile, mais ce n’était pas plus difficile que certaines choses.

***


Le verger était au même endroit que la dernière fois. Les arbres, étrangement droits, portaient toujours les fruits bleus. Erin donna un coup de pied à l’un des arbres et attrapa le fruit alors que ce dernier tomba vers son visage.

Erin se posa sur le sol et regarda le fruit bleu durant un certain temps. Les arbres la protégeaient du soleil et le vent faisait voler ses cheveux dans son visage. Finalement, Erin croqua le fruit.

Il était sucré et délicieux. Le jus était rafraîchissant. Pour Erin, ce dernier avait un gout de cendre et de poussière. Mécaniquement, elle termina le fruit avant d’en manger cinq autres. Puis elle vomit.

Une fois que son estomac se calma, Erin mangea un nouveau fruit, retrouvant un semblant de gout. Une fois le fruit terminé, elle regarda les restes du fruit et le noyau taché reposant dans ses mains.

Elle ouvrit le noyau et observa la pulpe qu’il contenait. Du poison. Probablement un moyen extrêmement douloureux de mourir. L’odeur était déjà terrible, le gout serait probablement pire.

Mourir empoisonné était une terrible manière de mourir. Presque aussi terrible qu’avoir son visage fondu.

Thump. Thump.

Erin frappa sa tête contre l’arbre. Ce dernier était robuste, c’était ce qu’il fallait. Des fruits bleus tombèrent autour d’elle.

Thump. Thump. Thump.

Elle s’arrêta lorsqu’elle vit les Gobelins. Quatre d’entre eux se tenaient à l’orée du verger. Ils prirent la fuite dès l’instant où elle posa ses yeux sur eux.

L’un des Gobelins avait fait tomber quelque chose dans sa panique. Erin s’y rendit et ramassa un petit panier fait de brindilles. Il n’était pas très bien fait.

Elle se retourna et regarda le verger et les fruits que les arbres portaient. Bien sûr. Ils avaient probablement faim eut aussi. Elle ne pouvait pas les voir manger des crabe-rochers, et les oiseaux-dinosaures les mangeraient probablement s’il essayait de voler leurs œufs. À part un voyageur de temps en temps, qu’est-ce que les Gobelins pouvaient manger ?

Erin quitta le verger, marchant lentement jusqu’à l’auberge, sentant son corps s’effondrer sur lui-même. Elle avait besoin de manger plus. Mais c’était trop de travail.

Elle pouvait les sentir la suivre, mais ils fuyaient dès qu’elle se retournait. Cependant, ils étaient lents et elle pouvait les entrapercevoir. Des vêtements miteux, des corps famélique. Ils ressemblaient à des enfants affamés, à des réfugiés échappant à une guerre. Mais pas à des monstres. À l’exception de leurs yeux rouges et de leurs dents pointues.

Cela donna une idée à Erin, elle regarda ses mains durant un long moment avant d’accélérer. Soudainement, elle avait commencé à marcher plus vite. Une fois dans l’auberge, elle chercha le sac et trouva que Klbkch avait rangé tous les ingrédients sur le comptoir. Démarrer un feu fit difficile, mais une fois commencé s’arrêter allait être encore plus difficile.

Erin sentit l’odeur de la fumée et de la cuisson. Mais ce n’était que du bois, et la fumée n’était pas envahissante. Elle n’entendait que sa respiration, et son estomac gargouillant.

***


Le soir tomba sur les plaines, sur l’auberge solitaire se tenant sur une petite colline, et sur les quatre Gobelins rampants dans les hautes-herbes. Ils regardaient l’auberge. Ils regardaient la fumée s’échappait de la cheminée. Ils regardaient, et entendaient leur estomac gargouiller.

Ils avaient tous des armes, mais elles n’étaient pas de bonne qualité. Des dagues rouillées, des gourdins rudement fait. Mais ils étaient dangereux.

Malgré cela, ils craignaient l’auberge. Ils craignaient celle qui vivait à l’intérieur. Une escroc, une trompeuse, une meurtrière. Elle avait l’air faible, mais elle était la mort.

Ils le savaient. Cependant, ils sentaient quelque chose de merveilleux venir depuis l’auberge. De la nourriture. Et ils avaient tellement faim.

Les fenêtres de l’auberge étaient fermées, mais ils pouvaient sentir quelque chose cuire à l’intérieur. Quelque chose qui ne sentait pas comme de la viande pourrie ou l’odeur à  l’intérieur des fruits morts bleus. Cela ne sentait même pas comme les créatures rochers mortes qu’ils trouvaient de temps en temps, ça sentait… Bon.

Ils étaient en train de saliver. Mais ils craignaient l’auberge, et ils devaient manger ce soir ou mourir de faim. Ils se relevèrent avec réticence. Ils avaient espéré que la femelle humaine aurait laissé tomber de la nourriture ou serait morte. Mais comme ni l’un ni l’autre n’était arrivé, ils devaient trouver de la nourriture.

Cependant, ils continuaient d’hésiter. Ils restèrent proches de la porte et souhaitèrent avoir le nombre de leurs côtés ou la force de voler de la nourriture. Mais le monstre à l’intérieur était la mort. Elle avait tué le plus Puissant, et elle ne pouvait pas être combattu, c’était la mort.

Mais, ils avaient faim.

Combien de temps restèrent-ils à l’extérieur de l’auberge, salivant ? Trop longtemps. La porte s’ouvrit avec fracas.

Les Gobelins poussèrent des cris de peur et s’apprêtèrent à courir. Mais la Trompeuse ne les pourchassa pas. Elle continua de se tenir dans l’encadrement de la porte, les mains sur ses hanches, un sourcil levé.

« Alors ? Vous pouvez entrer. »

La Trompeuse se retourna et marcha à l’intérieur. Les Gobelins échangèrent un regard et observèrent la porte ouverte. Une délicieuse odeur s’en échappait. Ils hésitèrent, mais l’odeur était délicieuse.

Tellement, tellement délicieuse.

***


Erin se retourna alors que le premier Gobelin rentra lentement dans l’auberge. Il se figea, mais elle pointa une table du doigt.

« Ici. Asseyez-vous. »

Il hésita, avant de se diriger jusqu’à la chaise.

Le Gobelin se percha maladroitement sur la chaise qui n’était pas à sa taille alors qu’Erin plaça une assiette sur la table. Il faisait un mouvement de recul au moindre de ses mouvements, et quand elle sortit les fourchettes, il manqua de détaler. Mais il resta assis et la regarda alors qu’elle amena une casserole dans la salle. 

Le métal était brûlant. Mais Erin utilisa son t-shirt pour protéger ses mains et porter la casserole jusqu’à la table. Elle prit une pince et commença à servir les pâtes avec des oignons et des saucisses dans chaque assiette.

Le Gobelin continua de saliver. Il regarda les pâtes dorées puis Erin avec des yeux ébahis et suppliant. Il avança ses doigts sales vers les pâtes avant d’hésiter avant de regarder Erin.

Elle le regarda en retour. Ses yeux allèrent jusqu’aux doigts du Gobelin qui s’approchaient lentement de l’assiette.

« Cours et je te frappe avec une chaise. Assis-toi. Mange. »

Le Gobelin recula immédiatement ses doigts. Il regarda les pâtes, puis Erin. Elle se demandait pourquoi il ne mangeait pas. Oh. Bien sûr.

« Le premier repas est offert par la maison. »

Le Gobelin regarda le plafond. Erin soupira, mais ses lèvres eurent un léger mouvement vers le haut.

« Ça veut dire que c’est gratuit. »

Une nouvelle fois, le Gobelin la regarda avec ses yeux ébahis.

« Mange. »

Sa main se dirigea vers les pâtes.

« Pas comme ça. »

Le Gobelin recula sa main et manqua de tomber de sa chaise. Erin soupira une nouvelle fois. Cette fois, un sourire se dessina sur le coin de ses lèvres.

« Mange avec une fourchette. Tu vois ça ? Fourchette. »

Elle pointa vers la fourchette. Le Gobelin la regarda. Lentement, il s’en empara avant de piquer une nouille beurrée avant de la porter à sa bouche. Elle resta pendue au-dessus de sa bouche remplie de dents jaunes alors qu’il la regarda. Demandant sa permission.

Erin hocha la tête, la nouille tomba. Le Gobelin avala, avant de devenir raide. Très, très raide.

Puis il sourit. C’était un terrible sourire, plein de dents tordues et d’hésitation, mais c’était un sourire.

Erin sourit en retour. Elle ria, pour la première fois depuis une éternité. Ce fut un rire qui venait du bas de ses pieds avant de passer à travers son cœur. Il explosa hors de sa poitrine. C’était un bon rire, et le monde faisait sens à nouveau.

Le Gobelin regarda l’humaine riante. Il posa sa fourchette avant de détaler à travers la porte. Cela ne fit qu’accentuer son rire.

***

Erin posa la dernière assiette et regarda le dernier Gobelin gémir alors qu’il était affalé sur la table. Quatre Gobelins. Six assiettes. Elle était surprise de voir qu’ils arrivaient à tant manger.

Ils étaient de petites créatures. Cependant, ils mangeaient comme des loups affamés, car c’était exactement ce qu’ils étaient. Du moins, ils étaient affamés.

Mais maintenant ils étaient effondrés dans une paresse d’après repas, ou à la frontière entre la douleur et l’oubli causé par leurs estomacs comblés. Mais ils se redressèrent alors qu’elle s’approcha et la regardèrent.

Erin sortit une chaise avant de s’asseoir. Les Gobelins reculèrent, mais cette fois ils ne prirent pas la fuite en hurlant. Ils la regardèrent. Elle les regarda en retour.

***


Après un long moment, la nuit tomba. L’un des Gobelins regarda la porte et ils se relevèrent en même temps. Erin ne fit pas de mouvement pour les arrêter.

Maladroitement, ils se rendirent jusqu’à la porte, ne la quittant pas du regard. Puis l’un d’entre eux s’arrêta et fit un mouvement aux autres. Ils se rassemblèrent, lui tournant le dos. Erin vit une quelque chose briller dans leurs paumes. Les cheveux se dressèrent sur sa nuque, mais elle resta assise.

L’un des Gobelins était de retour, il tenait quelque chose dans ses mains et lui tendit.

Erin regarda ses mains pour voir trop petites pièces sales en argent. Elle cligna des yeux. Une première fois, puis une seconde fois, avant de lâcher la chaise et de se relever.

Le Gobelin eut un mouvement de recul, mais Erin bougea très lentement. Elle toucha les mains du Gobelins, elles étaient rugueuses, sales, et chaudes. Elle les ferma sur les pièces.

« Le premier repas est gratuit. »

Le Gobelin l’observa. Elle l’observa en retour. Il se retourna et prit la fuite. Mais il s’arrêta à la porte et dit quelque chose qui semblait être un ’sqwsmsch’. Puis il disparut.

Erin se rassit et regarda la porte. Elle cligna des yeux plusieurs fois avant de sourire. Elle regarda l’intérieur de l’auberge avant d’essuyer ses yeux. Puis, elle tira une chaise et posa ses bras sur la table pour former un oreiller.

Elle s’endormit à l’instant ou sa tête toucha la table.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 21 décembre 2019 à 13:26:31
1.19

Erin se réveilla lentement et à la vue d’un sac d’argent sur sa table. Pendant un court instant, elle eut l’impression que l’un des Gobelins le lui avait laissé.
   
Ce n’était pas un des Gobelins. En fait, le mystérieux sac de pièce d’argent était offert par Klbkch. Erin regarda avec curiosité la note qu’il avait écrite et plissa les yeux pour comprendre les mots.


Pour la destruction d’un Chef Gobelin dans la proximité de Liscor, vous êtes présentement récompensée de 40 (quarante) pièce d’argents ou équivalent.

Signé et témoigné par Klbkch des Antiniums.


-Klbkch des Antiniums.

Post Script : Pardonne mon écriture passable, mais je ne parle pas couramment le script utilisé par la majorité des Humains de ce continent.



Erin cligna des yeux en regardant le sac, avant de l’ouvrir et de cligner des yeux une nouvelle fois à la vue des pièces argentées et brillantes. Elle continua de regarder les rayons de soleils faire briller les pièces pendant un certain temps, avant de fermer le sac.

Elle regarda de nouveau la table, avait-elle aussi rêvé de cette rencontre ? Mais non, elle pouvait voir l’endroit ou un Gobelin avait renversé du jus de fruit bleu quand elle lui avait souri. Une grosse mouche luisante plainait au-dessus de la table.

Erin soupira, avant de sourire. Soudainement, elle savait ce qu’elle devait faire.

Premièrement, elle écrasa la mouche acide et couru dans la pièce jusqu’à ce qu’elle lave l’acide. Puis, elle mangea son petit-déjeuner, qui était constitué de pâtes froides avec des saucisses et de l’oignon. C’était délicieux. Puis elle se dirigea vers la ville.
   
Erin réalisa quelque chose en marchant vers la ville. Elle allait devoir retourner au marché, le marché ou elle avait perdu tout son argent. Ses pas ralentirent, avant d’accélérer de nouveau. Soudainement, Erin avait deux choses à faire aujourd’hui et elle avait hâte de faire les deux.

***

Toutes les têtes se tournèrent alors que la femelle humaine entra au marché pour la seconde fois, et ce n’était pas à cause de l’odeur.

Erin marcha directement jusqu’à l’étal ou elle avait été arnaquée. Elle regarda le Drakéide et plissa les yeux.

« Attends une seconde. Est-ce qu’on se connait ? »

La Drakéide secoua sa tête.

« Est-ce que tu veux un collier, Humaine ? »

Erin regarda les pendentifs et autres joyaux présenté.

« Plus tard, peut-être. Là je veux parler au Drakéide qui m’a arnaqué il y a quelques jours de cela. Tu sais ; celui qui à prit tout mon argent. Celui qui est moche. »

Les autres clients et vendeurs qui écoutaient rirent bruyamment. La femelle Drakéide mit une main devant sa bouche pour cacher son sourire, elle pointa du doigt et Erin se tourna vers le Drakéide mécontent qui se trouvait quatre étals plus loin.

« Toi. »

Erin marcha vers le Drakéide, il la toisa, mais cette fois Erin ne baissa pas les yeux. Il bougea son regard au-dessus de sa tête pour lui faire comprendre qu’il ne voulait pas la voir. Elle racla sa gorge pour attirer son attention. Quand il continua de l’ignorer elle donna un coup de pied dans le bas de son étal.

Le Drakéide baissa les yeux et s’adressa brusquement à elle.

« Qu’est-ce que tu veux ? »

Erin lui fit un sourire courtois et sans sincérité.

« C’est très simple, j’aimerai parler affaire, abruti. »

Le Drakéide siffla sous de sa respiration. Il secoua sa tête vers elle et pointa sa queue dans sa direction.

« Mon échappe t’es fermé, Humain. Je refuse de vendre à ceux qui n’ont pas une once de respect pour les autres. »

« Du respect ? J’ai du respect à revendre, mais pas pour toi. »

Plusieurs des autres commerçants rirent en l’attendant. Erin remarqua que son altercation avec le Drakéide commençait à attirer une foule, puis elle remarqua qu’elle s’en fichait.

Le regard du commerçant Drakéide s’alourdit.

« Tu es en train de déranger mes affaires. Va-t’en, avant que j’appelle la Garde. »

Il lui tourna le dos mais Erin frappa sur son comptoir.

« Mes affaires avec toi ne sont pas terminées. Je veux récupérer mon argent. Tu m’as arnaqué. »

Le Drakéide la regarda par-dessus son épaule.

« Alors ? Je t’ai offert mes articles et tu as payé le prix. C’est une règle de base de l’achat et de la vente. Je n’ai rien fait de mal. »

La foule s’agita. Il y eut un murmure d’approbation du côté des commerçants, et un grondement mécontent de la part des clients. Erin se pencha sur le comptoir.

« Vraiment ? Qu’est-ce qui se passe si je ne suis pas contente de ce que tu m’as vendu ? Je pense que pour trois pièces d’or tu aurais dut me vendre assez d’oignons pour remplir le rez-de-chaussée de mon auberge. Donc qu’est-ce qui m’empêche de te rendre la marchandise et de me faire rembourser ? »

Le Drakéide sourit d’un air méprisant.

« Est-ce que tu me prends pour quelqu’un qui vient de sortir de l’œuf, ou un imbécile d’Humain lent d’esprit ? Je ne vais pas accepter de la nourriture qui a déjà plusieurs jours ! De plus, cet établissement ne rembourse pas. »

« Vraiment ? Où est-ce que c’est marqué ? »

« Ici. »

Le Drakéide pointa un panneau du doigt. Erin le regarda en plissant les yeux et en ignorant les rires alentour, avant de sourire.

« Oh, d’accord. C’est vraiment marqué ça, n’est-ce pas ? Dommage que je ne sache pas lire. Mais je me souviens que tu avais listé tes prix, pas vrai ? »

Elle regarda les différents bouts de papier épinglé à l’étal en bois. Le commerçant Drakéide bondit, mais Erin était plus rapide. Elle arracha l’une des étiquettes et le secoua devant son visage.

« Bien. Pourquoi ne pas appeler la Garde après tout. C’est très bien de vendre et d’acheter, mais qu’en est-il de respecter tes propres prix ? »

Le commerçant Drakéide siffla une nouvelle fois, lentement et longuement. Ses yeux faisaient des allez-retours entre l’étiquette et son visage. Il n’était pas en train de transpirer, mais Erin était pratiquement certaine que c’était parce que les lézards ne pouvaient pas transpirer.

« Même… Même si tu as ce bout de papier, qu’est-ce que cela change ? Je réalise de nombreuse vente dans une journée. Et toi… Je n’ai aucun souvenir de ce que je t’ai vendu, je n’arrive même pas à me souvenir de ce que j’ai vendu à mon dernier client. »

« Un sac de farine, une pot d’huile, un petit sac de sel, de sucre et de levure, ainsi que quatre saucisses et deux oignons. »

Erin lista ses achats sans hésitation, avant de s’arrêter pendant un instant.

« Et un sac merdique. »

Le Drakéide la regarda, bouche bée. Elle lui fit un sourire niais.

« J’ai une bonne mémoire. Une très bonne mémoire, en fait. »

Il n’avait pas grand-chose à dire à ce sujet. Mais l’expression sur le visage du commerçant indiquait clairement qu’il ne s’apprêtait pas à sortir les pièces d’or. Elle s’appuya sur le comptoir et le regarda. Elle aurait aimé ne pas être si proche de son visage, son haleine sentait la viande pourrie.
« Je veux récupérer mon argent. Je te donnerai quelques pièces d’argent pour ce que j’ai payé, mais je ne vais pas partir d’ici sans mon argent. Maintenant, nous pouvons faire ça de manière difficile et appeler des gens pour régler cette affaire, et tu perds ton commerce pour la journée, ou tu me rends mon argent et je vais… Hey, est-ce que c’est un échiquier ? »
   
Erin pointa du doigt l’un des articles présenté sur l’étal. Tout le monde se tourna et le regarda.

« Mais oui, s’en est un ! C’est comme… Je veux dire, les pièces sont différentes, mais c’est un jeu d’échec ! »

Le Drakéide grogna et poussa la main d’Erin.

« Éloigne tes sales pattes ! Cet article est précieux ! »

Erin le regarda sans broncher.

« C’est un échiquier. A moins qu’il soit fait d’or, ce qu’il n’est pas, il est fait en pierre… Donc il doit être aussi couteux que la nourriture que tu m’as vendue. Donc je suppose que tu le vends pour trois pièces d’or, pas vrai ? »

Un nouveau rire s’échappa de la foule qui avait continué de s’agglutiner pour observer l’altercation entre Erin et le commerçant. De son côté, le Drakéide attrapa l’échiquier et les pièces avant de les cacher sous son comptoir. Puis, il s’arrêta et se retourna pour la regarder avec une étincelle dans son regard.

« Es-tu un joueur d’échec, Humain ? Si c’est le cas, pourquoi ne pas régler notre différent avec une partie ? »

Erin leva un sourcil dubitatif.

« Tu veux dire, nous jouons une partie pour mon argent ? Pourquoi est-ce que je ferai ça ? »

Le Drakéide croisa ses bras de manière innocente. Erin remarqua que sa queue était en train de remuer, mais elle fit semblant de ne pas le voir.

« Humain, toi et moi avons une dispute. Je refuse de payer pour des articles vendus, et tu refuses de partir. Je ne ferai pas de bénéfices tant que tu bloques mon étal, donc j’offre ce pari en bonne foi. Gagne contre le joueur de mon choix et je te rendrai ton argent, même si cela me coûte de la marchandise que j’ai obtenue honnêtement. Perd, et tu acceptes devant témoin de ne plus me déranger. Cela est ma meilleure offre. »

Erin plissa ses yeux en le regardant. Elle y pensa durant un moment, avant de hocher la tête. Ses lèvres se relevèrent pendant un bref instant, mais elle parvint à cacher son sourire.

« D’accord. Jouons. »

Le commerçant lui sourit en la prenant de haut. Son sourire était plein de dent.

« Donne-moi dix minutes pour trouver mon joueur. Puis je t’apprendrai pourquoi il ne faut pas parier avec quelqu’un qui t’es supérieur. »

Erin sourit en retour.

« Va te faire foutre. »

***

Vingt minutes plus tard, Erin s’assit à une table au milieu de la rue et joua avec un pion. Elle regarda son adversaire, un autre Drakéide, mais celui-ci avait des écailles bleues ciel. Il était plus maigre que le commerçant, mais il était tout de même plus grand qu’elle. Il termina d’installer les pièces de son côté et lui sourit depuis l’autre bout de la table.

« J’ai rarement la chance de jouer une partie dans cette ville. Puis-je savoir qui est mon adversaire ? »

« Bien sûr. Mon nom est Erin. Erin Solstice. »
   
Il hocha la tête.

« Je suis Olesm. Je crois que vous avez fait la connaissance de mon oncle. C’est lui qui m’a demandé de jouer cette partie. »

Erin fit un sourire amical, et sincère, à son adversaire avant de regarder par-dessus son épaule.

« C’est ton oncle ? Et bien, vous ne vous ressemblez pas. »

Le Drakéide planant au-dessus de l’épaule de son neveu siffla dans sa direction. Olesm leva ce qui aurait dû être un sourcil si les Drakéides avaient des poils.

« Je comprends que cette partie est un pari. J’aimerai vous sollicite à ne pas parier contre moi. Je suis un bon joueur. »

Le commerçant intervint aussitôt.

« Nous avons déjà agréé les termes du pari. L’Humain ne peut pas faire demi-tour. »

Olesm regarda son oncle avec irritation, mais Erin secoua sa tête.

« Je ne vais pas retirer ma parole. Jouons. De plus, je ne voudrais pas décevoir la foule. »

Elle fit un signe en direction des gens qui les observaient. Ils étaient définitivement des gens, mais Erin n’était pas certaine de savoir comment réellement les appeler. Drakéides, Gnolls, et même un représentant de l’espèce de Klbkch, un Antinium, étaient rassemblés en cercle pour regarder le jeu. Certains d’entre eux semblaient être en train de parier, et même si Erin n’arrivait pas à comprendre ce qu’ils disaient, ils n’avaient pas l’air d’être en train de parier sur elle.

Olesm soupira, mais ne fit pas d’autre objection. Il regarda vers l’échiquier et s’assura que ses pièces étaient bien alignées sur leurs cases. Erin s’aperçut qu’il était méticuleux et attentionné, ce qu’il faisait qu’il était unique parmi les Drakéides qu’elle avait rencontré.
   
« Je suis surpris que vous connaissez ce jeu. Après tout, ce jeu a été inventé l’année dernière. »

« Sans blague. »

Erin était occupée à examiner l’échiquier. Elle tapota l’une des pièces du doigt.

« Je ne suis pas certaine si les règles sont les mêmes dans ce cas. Cette pièce par exemple. Il est possible d’échanger la place du roi et d’un pion, n’est-ce pas ? »

Le Drakéide cligna des yeux.

« En effet. Je suis surpris que vous connaissiez ce mouvement. »

« Oh, j’ai vu quelque joueur l’utilisé. Les cavaliers bougent de cette manière, pas vrai ? »

« C’est correct. »

« Et les pions peuvent bouger de deux cases lors de leurs premiers mouvements, c’est ça ? »

« Il semblerait que vous connaissez ce jeu. Bien, bien. Cela pourrait s’avérer être un bon challenge après tout. »

Erin sourit affablement au Drakéide.

« Je ne suis pas une experte. Mais il y a des enjeux sur cette partie donc je vais faire de mon mieux. Les blancs commencent. »

« Tout à fait. »

Le commerçant fit un sourire narquois alors que les observateurs s’avancèrent légèrement alors qu’Olesm poussa un pion en avant. Erin lui sourit.

« Peu de joueurs commencent en bougeant un pion sur le côté. La plupart préfèrent commencer par une pièce du centre. »

Elle poussa rapidement un pion en avant, Olesm haussa les épaules en contemplant son prochain mouvement.

« J’ai trouvé que cette stratégie marche dans certaines de mes parties. Il est fascinant de jouer à un nouveau jeu de stratégie, et je m’efforce à tester de nouvelles théories sur l’échiquier. »

Le commerçant continua de tourner anxieusement autour des épaules d’Oslem.

« Tant que tu gagnes. Tu dois absolument gagner. »

Olesm plissa les yeux mais ne les retira pas de l’échiquier. Éventuellement, il poussa un pion pour contrer le pion d’Erin.

« Avez-vous joué de nombreuses parties ? »

Erin poussa un  pion sans hésitation. Olesm cligna des yeux et la foule murmura.

« Quelques-unes. Mais peut-être que vous devriez réfléchir plus longtemps vos coups ? »

Elle balaya son inquiétude d’un mouvement de la main.

« Ça va aller, ça va aller. Je m’amuse. C’est juste que je pense rapidement à mon prochain coup, c’est tout. »

Olesm fronça les sourcils en sa direction.

« Vous devriez y penser plus sérieusement. J’ai joué plus d’une centaine de parties, et j’en ai remporté plus de deux tiers. Si vous êtes vraiment en train de parier quelque chose d’important, cela serait dommage de perdre cette partie si facilement. »

Erin lui fit un sourire.

« Une centaine ? Wow. Mais comme je l’ai dit, ça va aller. Moi aussi j’aime jouer à échec, et j’ai joué une… Petite poignée de partie. Je ne m’inquiète pas. »

« Et pourquoi ça ? »

Le sourire d’Erin s’accentua.

« Parce que je vais gagner. »

***

La partie avait commencé depuis une vingtaine de minutes lorsque Relc arriva à la place du marché. Quelques clients étaient en train de faire leurs achats, mais la majorité était en train de regarder la partie. Un Gnoll plus malin que les autres était en train de vendre de la nourriture à ceux qui regardaient la partie, et les autres commerçants ne semblaient pas déranger par le fait que leurs commerces s’arrêtent le temps de la partie.

Relc n’était pas là pour regarder la partie. Il força le passage à travers la foule et attrapa Erin. La foule protesta bruyamment, tout comme Erin.

« Hey, qu’est-ce que tu fais ? »

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Relc haussa le ton, il pointa l’échiquier avec énervement et ignora Olesm qui prenait son temps pour préparer son prochain coup.

Erin haussa les épaules.

« Ça ? Je suis en train de récupérer mon argent, et lâche le t-shirt, il est neuf. »

Elle essaya de défaire les griffes de Relc de son t-shirt, et il la lâcha, avant de l’emmener plus loin de la partie. Il se pencha vers elle et lui siffla dessus.

« Arrêtes de jouer, la partie n’est pas juste. »

« Quoi ? »

Erin regarda l’échiquier avant de revenir à Relc.

« Tu ne peux pas tricher dans une partie d’échec, une partie est forcément juste. »

« Non, non c’est pas ça. »

Relc haussa sa voix et pointa le commerçant du doigt.

« Hey, toi ! Oui, toi. Je te connais. Arrête la partie. Elle n’est pas juste, le pari est faussé. »

La foule grogna de mécontentement en entendant les mots de Relc. Le commerçant Drakéide présenta ses griffes de manière innocente.

« La partie est juste. Elle m’a laissé choisir mon joueur et nous nous sommes mis d’accord sur les enjeux. Il y a de nombreux témoins. Stopper la partie serait injuste, Garde. »

Relc regarda le commerçant Drakéide d’un air hautain. Depuis son siège Erin nota que la queue du commerçant était légèrement en train de remuer, et si elle parvenait à correctement lire son visage elle pouvait voir qu’il semblait joyeux.

« Je déteste être d’accord avec cet abruti, mais il a raison, Relc. J’ai accepté les enjeux et je veux jouer. Je vais regagner mon argent et faire une partie d’échec au passage. »

« Est-ce que tu es folle ? Tu vas perdre cette partie. »

Relc siffla sur Erin, et elle cligna des yeux.

« Vraiment ? Et pourquoi ça ? »

Relc grogna avant de pointer le Drakéide assis en face d’Erin du pouce, ce dernier était en train d’observer l’échiquier en fronçant les sourcils.

« Ce type contre lequel tu joues ? C’est un [Tacticien]. Celui avec le plus haut niveau de la ville ! »

Erin cligna des yeux une nouvelle fois.

« Et alors ? Est-ce que ça veut dire qu’il est bon pour jouer aux échecs ? »

« Ça veut dire qu’il est très bon ! »

« Tout comme moi. Ce qui fait que la partie n’est pas injuste, pas vrai ? »

« Non ! »

Relc semblait être prêt à arracher les épines de sa tête.

« Tous les [Tacticiens] savent quand quelqu’un leurs tends un piège ! C’est une compétence de leur classe ! Comment ça se fait que tu ne saches pas ça ? Si tu joues contre l’un d’entre eux dans une partie tu es pratiquement assuré de perdre ! En plus cet idiot adore jouer à ce jeu stupide ! »

Olesm releva la tête et regarda Relc en même temps qu’Erin.

« Ce n’est pas un jeu stupide, et qu’est-ce que ça fait s’il aime jouer ? Moi aussi j’aime jouer à ce jeu, et comme je l’ai dit, je suis une bonne joueuse. »

« Tu ne peux pas gagner.

« Je peux. »

« Tu ne peux pas. »

« Oh, bonjour Klbkch. »

Erin arrêta de regarder Relc et salua l’homme fourmi qui venait d’arriver derrière Relc d’un mouvement de la main. Klbkch hocha poliment la tête.

« Mademoiselle Solstice.  Je te prie d’excuser l’interruption de mon compagnon. Nous sommes en service et il est indécent de déranger un membre du public sans raison. Mais Relc insista pour que nous parlions avec toi quand nous avons appris l’existence du pari. »

« Vraiment ? Tu as entendu parler du pari ? »

Klbkch hocha la tête.

« En effet. Il a fait le tour de la ville. »

« Ouaip, tout le monde est en train de parler à propos de l’humaine stupide qui est assez bête pour jouer une partie d’échec contre cet idiot. »

Relc pointa Olesm du doigt, l’autre Drakéide continua de regarder l’échiquier, mais Erin pouvait voir qu’il était en train de grincer des dents dans son siège.

Klbkch hocha la tête.

« Je comprends que ce pari a été réalisé dans le but de regagner ton argent perdu. Cependant, je crains que je dois émettre le même avertissement que Relc. Tes chances de gagner une partie contre Olesm sont très faibles. »

« Olesm. Ah oui, c’est comme ça qu’il s’appelle. »

Erin couvrit son sourire alors que l’œil d’Olesm tiqua. Elle se tourna vers Klbkch et Relc.

« Ecoutez, je suis heureuse que vous vous inquiétez pour moi. Mais je gère, tout va bien. Vous allez voir. »

Les deux gardes l’observèrent, non convaincu. Relc se tourna vers Klbkch et murmura quelque chose. Malheureusement, sa voix était toujours portante et Erin, ainsi que tous ceux qui se trouvaient autour, pouvait l’entendre sans avoir besoin de tendre l’oreille.
   
« Je pense pas qu’elle comprend. Les Humains sont un peu lents. Explique-lui la partie sur la classe de [Tacticien]. »

« Je crois que tu lui as donné les informations adéquates. Si elle ne t’écoute pas, elle ne m’écoutera pas. »

« Exactement. Arrêtes de me traiter d’idiote ou je vais te frapper. »

Erin regarda Relc qui regarda ses pieds. Elle regarda Klbkch qui leva ses quatre mains avant de baisser la tête et de regarder Relc de nouveau.

« Laissez-moi jouer. Vous deux pouvez regarder, mais je vais jouer et gagner. »

« Mais… »

Erin leva un doigt.

« Non. Va-t’en et laisse-moi jouer. »   

Relc ouvrit sa bouche, la ferma, et siffla longuement et bruyamment. Il jeta ses mains en l’air et retourna dans la foule avec le pas lourd.

« Les Humains ! »

Erin s’installa de nouveau dans son siège et sourit à Olesm.

« Désolé pour ça. »

Olesm regarda par-dessus l’épaule d’Erin et renifla en direction de Relc et Klbkch.

« Il n’y a pas de mal. Mais si nous sommes libres de nouvelles interruptions, c’est votre tour. »

« En effet. »

Erin regarda l’échiquier avec intention, avant de glisser une nouvelle pièce en avant.

« Oi, Klbkch. Qu’est-ce qu’elle fait ? C’est un bon coup ça ? Ça ressemble à un mauvais coup. »

« Je suis incertain à ce stade de la partie. Laisse-moi quelques instants pour étudier l’échiquier avant que je te donne mon opinion, et baisse le ton, s’il te plait. »

Erin lutta pour ne pas sourire alors que l’œil d’Olesm fit un mouvement nerveux. Elle commença à étudier l’échiquier en attendant son prochain coup.

Les échecs. Les pièces étaient différentes, et elle était en train de jouer au milieu d’une rue dans une ville pleine de lézards qui pouvaient marcher et de fourmi qui pouvaient parler. Mais c’était toujours des échecs.

C’était fantastique de pouvoir rejouer.

***

Olesm fronça les sourcils en jouant avec l’un des fous qu’Erin avait coincé avec l’un de ses cavaliers. Il bougea le fou en diagonale vers un côté, avant de froncer les sourcils de nouveau. Il le bougea vers un autre côté et son expression s’assombrit une nouvelle fois. Il leva la tête et regarda Erin.

Elle lui rendit son regard de manière innocente.

Il bougea sa pièce en avant et en arrière autour d’un pion qu’elle avait utilisé pour attaquer sa reine, et se décida à prendre un pion avec sa pièce. Son visage ne changea pas, mais il semblait heureux de son coup.

Erin bougea aussitôt une de ses pièces. Son cavalier, un Drakéide avec un bouclier rond dans une main et un cimeterre dans l’autre, prit l’un de ses pions.

« Échec. »

Un murmure traversa l’audience agglutinée autour des deux joueurs, à l’exception de Relc qui était en train de s’acheter quelque chose à manger à l’un des étals. Olesm s’enfonça dans sa chaise et donna un regard admirateur à Erin.

« Bien joué, je n’avais pas anticipé cela. »

« C’était un coup de chance. Enfin, pas vraiment, mais c’est un joli coup, pas vrai ? »

« En effet. »

Olesm bougea son roi sur le côté.

« À toi de jouer. »
   
Erin pointa l’échiquier du doigt.

« Oh, c’est aussi échec. Désolé. »

Erin tapa sa reine du doigt. Le joueur Drakéide fit une grimace avant de bouger son roi de l’autre côté.

« C’est aussi échec, tu vois cette tour ? »

Olesm s’arrêta et regarda l’échiquier. La foule murmura un peu plus bruyamment et Relc était de retour pour regarder la partie.

Après une minute, Olesm fit un mouvement qui n’était pas en échec et la partie continua. Mais il commençait à prendre de plus en plus de temps entre chaque coup et l’air renfrogné  qu’il portait depuis plus de cinq minutes ne s’en alla pas.

Pendant ce temps, son oncle le commerçant continua de regarder l’échiquier en étant de plus en plus angoissé. Il regarda Erin qui sourit sereinement en retour. Dès qu’Olesm bougeait une pièce, elle lui répondait dans l’instant en bougeant une de ses pièces pour prendre une de ses pièces ou menacer son roi. Éventuellement, elle arrêta de regarder l’échiquier et regarda le commerçant avec un sourire sur son visage alors qu’Olesm cherchant une réponse de manière paniquée.

« Échec. »

« Échec. »

« Ooh, pas d’échec pour ce tour. Mais fait attention à ta tour, c’est elle ou ta reine. »

« Échec. »

« Échec. Et aussi échec si tu fais ça, et ça… »

« Échec. »
 
« Échec. »

« Échec. »




Note du traducteur: Je prends une pause pour les fêtes de fin d'année, on se retrouve a début du mois de janvier!
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 15 janvier 2020 à 23:56:19
1.20

« Échec et mat. »

Enfin, Erin glissa sa tour pour clore la partie. Olesm regarda l’échiquier avant de faire tomber sur roi d’une griffe tremblante.

Erin craqua ses doigts en souriant. Cette partie n’était pas sa meilleure partie, mais elle avait préféré le style à l’efficacité. Son adversaire n’avait que son roi, encerclé par une petite armée de ses pièces. Elle sourit en regardant Olesm de plus en plus pale. Son audience était bouche bée, leurs yeux passant d’elle à l’échiquier.

« C’était une bonne partie. Il faut remettre ça une autre fois, d’accord ? »

Elle tendit son bras et tapota Olesm sur son épaule, le Drakéide semblait être légèrement en état de choc et ne lui répondit pas. Erin haussa les épaules et se releva.

Klbkch et Relc traversèrent la foule jusqu’à elle, Relc était bouche bée et regardait l’échiquier de manière confuse.

« Tu as gagné. Mais comment tu… Mais il…  Tu as gagné ! »

« Félicitations pour cette victoire, Mademoiselle Solstice. »

« Tout le plaisir est pour moi, Klbkch. »

Erin sourit en direction de Klbkch, l’homme fourmi hocha la tête en retour.

« Puis-je demander comment tu es parvenu à un résultat aussi impressionnant ? Je ne pensais pas qu’il était possible, ou prudent, de parier contre Olesm à un jeu d’échec jusqu’à aujourd’hui. »

Erin haussa les épaules. Il n’y avait pas de mal à lui dire la vérité. De plus, le marchand et son neveu étaient tous les deux en train de regarder l’échiquier avec incompréhension.
« Tu m’as dit que ça faisait un an qu’il joue aux échecs? »

Klbkch hocha la tête.

« Et il est un [Tacticien] de niveau 22. Il n’y a pas de tacticiens avec un niveau supérieur même dans l’enceinte de l’armée Liscorienne.»

« C’est bien pour lui. Mais je suis une joueuse d’échec depuis douze ans. J’ai commencé un peu tard, mais j’avais pour habitude de jouer au moins trois parties avant de me coucher, et je faisais ça tous les jours. Il a peut-être une jolie compétence, mais un débutant reste un débutant. »

Cette fois ce fut au tour de Klbkch de se retourner pour regarder Relc. Erin leur fit un nouveau sourire avant de tapoter le marchand sur l’épaule.

« Je veux que tu me rembourses. L’intégralité de la somme, merci. Tant que tu y es je vais aussi acheter l’échiquier et les pièces. »

Le Drakéide ouvrit la bouche, puis ses couleurs commencèrent à revenir dans ses écailles et il recula.

« Je… Cette partie était… »

Erin l’interrompit sans hésitation.

« Si tu t’apprêtes à dire que j’ai triché, ce n’est pas la peine. Si tu veux une revanche, je peux parfaitement refaire une partie si c’est quitte ou double. Sinon, ce n’est même pas la peine d’essayer. Je veux que tu me rembourses. »

Le Drakéide pâlit de nouveau devant le sourire d’Erin, sa queue était en train de s’agiter.

« Mon esprit est… Quelque peu troublé. J’ai peur de ne pas me rappeler de la somme que tu as dépensé. Au moins que tu puisses me le dire ? »

Erin lui fit un sourire de vainqueur.

« Je n’en ai pas la moindre idée, mais je suis certaine que Klbkch et Relc peuvent nous aider à trouver le bon montant. »

De manière surprenante, le marchand perdit encore plus de couleurs alors que Klbkch hocha la tête de manière sérieuse avant de s’incliner dans sa direction.

« En tant que Garde Senior, c’est notre plaisir de pouvoir vous aider à évaluer les revenus financiers de votre étals, ainsi que tous les impôts impayés qui pourraient exister. Pour l’instant nous allons devoir fermer votre boutique pendant que nous commençons une fouille approfondie de vos biens et de votre inventaire. »

Relc sourit de malicieusement.

« Parfait. Commençons par tout renverser jusqu’à trouver un reçu. »

Le commerçant Drakéide fit un son aigu et étranglé en essayant de bloquer Relc, mais l’autre Drakéide était déjà en train de joyeusement retourner son magasin. Erin cacha son sourire.

Olesm marcha jusqu’à elle, sa queue traînant au sol.

« Je dois te féliciter, Mademoiselle Solstice. Tu m’as donné une bonne leçon, je te prie d’accepter mes plus plates excuses pour avoir douté de tes capacités. »

Erin devint légèrement gêné, elle détestait ce qui allait suivre.

« Oh non, tu es un bon joueur. Je n’aurai pas dû jouer à ce niveau contre un débu… Contre un autre joueur. »

« C’est fort aimable de ta part, mais je sais reconnaître quand je ne fais pas le poids. Je me pose une question… Est-ce que, par chance, es-tu une [Tacticienne] ? »

« Moi ? Non, non je ne le suis pas. Désolé ? »

Les épaules d’Olesm s’abaissèrent un peu plus bas, et Erin pouvait pratiquement voir son estime de lui baisser. Elle tenta de lui remonter le moral.

« Il faut pas t’en vouloir. Je ne suis pas une joueuse professionnelle, mais j’ai gagné un ou deux tournois d’échecs à l’époque où je jouais. J’ai même joué contre un Grand Maître. L’une des rares femmes à avoir ce titre et qui était vraiment cool. Mais j’étais tellement nerveuse que j’ai complètement oublié de roque et j’ai perdu ma tour… »

Erin s’arrêta avant de racler sa gorge, rougissant légèrement. C’était un mauvais souvenir, mais au moins Olesm ne ressemblait plus à un chiot-lézard battu. À la place, ce dernier la regardait avec intérêt.

« Est-ce que Grand Maître est une classe ? Est-ce qu’il est possible… Est-ce que je pourrai gagner cette classe ? »

Une sonnette d’alarme se déclencha dans l’esprit d’Erin, elle tenta de réfléchir vite à une solution, sans grand succès.

« Hum. Peut-être ? C’est plus un titre de là ou je viens qu’autre chose. De plus, les Grands Maîtres ne jouent qu’aux échecs. Je ne suis pas certaine que cela soit une classe. »

Olesm hocha la tête, et Erin savait qu’il était en train de prendre des notes dans sa tête.

« C’est peut-être une classe qui est atteignable à un au niveau de la branche des [Stratège]. Si j’ai cette opportunité, je prendrai cette classe sans aucune hésitation. »

« Tu peux faire ça ? »

Les mots s’échappèrent de la bouche d’Erin et Olesm hocha de nouveau la tête.

« Bien sûr. Je ne suis qu’un humble [Tacticien], la première étape dans la branche des stratèges. Mais si je gagne des niveaux et apprends de nouvelles compétences je peux être qualifié pour obtenir une classe de [Stratège]. Après cela, je vais peut-être pouvoir devenir un [Grand Maître]… ? Mes écailles tremblent rien qu’en imaginant une telle classe. »

Olesm regarda en l’air de manière rêveuse, Erin se décala légèrement de lui.

« Bien, bon courage avec ça. »

Elle voulait revenir à son argent, que le marchand Drakéide était presque en train d’implorer Relc de prendre alors que ce dernier s’amusait à saccager le magasin. Mais Olesm ne comptait pas lâcher l’affaire et maintenant Klbkch était aussi sur ses talons.

« Mademoiselle Solstice. Je crois que cela t’appartient. »

Il lui offrit trois pièces d’or, ainsi que quelques pièces de bronze et d’argent. Erin s’en apparat avec gratitude.

« Merci, Klbkch. »

« Je suis simplement en train de faire mon devoir en tant que membre de la Garde. Puis-je encore te féliciter pour ta victoire ? J’aimerai grandement jouer une partie contre toi lorsque je ne  serais plus en service.»

Olesm hocha la tête avec ferveur. Erin sourit en se demandant s’ils allaient la suivre jusqu’à l’auberge.

« Une autre partie ? Bien sûr, bien sûr. Après que j’ai terminé mes courses… Un autre jour, peut-être ? »

Klbkch hocha la tête alors qu’Olesm était visiblement déçu. Erin se sentait mal pour lui, mais elle connaissait son type. Le type de joueur qui allait  demander de jouer une autre partie jour et nuit à moins qu’elle ne s’y oppose.

« Vous savez quoi ? Nous jouerons quelques parties la prochaine fois. Pas que des échecs… Si vous en avez, j’adorerai tester d’autres jeux de stratégies. »

Le visage d’Olesm s’illumina de nouveau.

« Est-ce que tu aimes ce genre de jeu, Mademoiselle Erin ? Je suis certain que tu es une excellente joueuse avec n’importe quel type de jeu.»

Erin sourit avant de secouer sa main avec dépréciation. Elle nota que Klbkch était en train de regarder Olesm en silence, mais l’attention de l’homme-fourmi se tourna de nouveau vers elle.

« Oh, j’aime toutes sortes de jeux de stratégies. Je traîne toujours sur Youtube pour… Hum, ce que je voulais dire est que j’avais l’habitude de regarder et de jouer des tonnes de parties d’échecs, mais pas que des échecs. J’ai aussi appris à jouer au shogi, au go, et même quelques jeux de cartes. Mais je n’avais pas de quoi parier donc ça n’a pas duré. »

Erin haussa les épaules et Klbkch la regarda sans émotion.

« Excuse-moi, mais je ne suis pas familier avec ces jeux. Est-ce que le ‘shogi’ est un autre jeu de stratégie, comme les échecs ? »

« Non, non. Le shogi est un jeu provenant du Japon et, hum… Le Japon est… Hum… »

Erin s’arrêta. Klbkch et Olesm la regardèrent attentivement. Elle pouvait presque voir les yeux du Drakéide s’allumer d’intérêt.

Erin se rendit compte qu’essayer d’expliquer un jeu provenant d’un pays et d’un monde dont personne n’avait entendu parler, et qui se basait sur un langage et une culture qui n’existait pas était probablement une mauvaise idée. Mais ils la regardaient tous les deux.

« Hum. Laissez tombé ? »

***


Liscor avait plusieurs marchés qui étaient ouverts à n’importe quelle heure du jour. C’était aussi une ville avec beaucoup de rues, donc il y avait plus d’une rue du Marché, mais seulement une humaine marchant dans cette rue et observant les différents magasins et étals.

Les pieds d’Erin la faisait souffrir, et elle se sentait ridicule. Après tout elle avait joué aux échecs, assise, durant presque une heure. Mais d’un autre côté, elle avait aussi dût se tenir debout et inventer des mensonges créatifs durant une heure avant que Klbkch et Olesm décident de la laisser tranquille.

« Au moins ils sont partis maintenant. »

Erin fit tinter l’argent dans la bourse accrochée à sa ceinture. Klbkch l’avait aidée à acheter une bourse pour tenir tout l’argent qu’elle possédait. Cette dernière était merveilleusement lourde et faisait un adorable chink, chink alors qu’elle marchait, mais elle était désormais inquiète que quelqu’un tente de lui la voler.

C’est pourquoi elle devait rapidement tout dépenser. Erin hésita, avant de marcher quelques magasins plus du Drakéide qui hurlait sur Relc pour son magasin détruit en le maudissant lui et les humains en général. Elle s’approcha d’un autre étal, recouvert de produits qui avaient l’air délicieux, comme elle l’avait pensé la dernière fois.

Cette fois, par contre, la commerçante Gnoll derrière le comptoir ne l’accueillit pas. À la place, elle la regarda s’approcha et renifla bruyamment.

Erin grimaça intérieurement, mais elle le méritait. Elle s’approcha du grand Gnoll et lui fit signe.

« Salut. »

Le Gnoll la toisa. Elle, si c’était bien une ‘elle’, ne souriait pas.

« Humain. Qu’est-ce que tu veux ? Est-ce que tu es encore là pour regarder ma marchandise de haut ? »

« Quoi ? Non, non. En fait, je suis ici pour, hum, m’excuser. »

Erin tenta de deviner la réaction de la commerçante Gnoll. Il était difficile de lire son visage, tout comme Relc ou Klbkch, le visage d’un Gnoll ne semblait pas afficher les mêmes expressions qu’un humain. Mais Erin ne détecta pas le même niveau d’hostilité sur son visage.

« Oh ? Qu’est-ce que tu as à dire ? »

« Hum, désolé ? »

Le Gnoll leva un sourcil et ses oreilles partirent en arrière. Voilà une réaction presque humaine qu’elle pouvait identifier, donc elle continua rapidement.

« C’est juste que je passais une mauvaise journée et que j’ai rencontré cette autre Gnoll qui ne m’appréciait pas du tout. Donc heu, j’avais un peu peur que tu me grogne dessus à ton tour. Mais je suis vraiment désolé pour ça. Je ne devrai pas juger par, heu, l’espèce. »

Le Gnoll la regarda. Erin ne pouvait toujours pas lire son visage, mais… Est-ce que les Gnolls n’étaient pas un peu comme des hyènes ? Ils leurs ressemblaient, en tout cas, et puis les hyènes étaient des chats… Ou peut-être des chiens ? Dans tous les cas, Erin regarda les oreilles du Gnoll.

Elles étaient en train de trembler, et une fois qu’Erin s’en aperçut elle vit les lèvres du Gnoll trembler de la plus petite des fractions. Erin lui fit un sourire hésitant et, à sa grande surprise, le Gnoll lui rendit son sourire, avant de rire.

« C’est la première fois que j’entends un Humain s’excuser. C’est une belle journée, n’est-ce pas ? Il est honorable de faire amende. Je te pardonne, et je pardonne aussi l’odeur dont tu empestes. »

Erin fronça les sourcils, est-ce que c’était bien ou pas bien ?

« Désolé, je ne voulais que tu sois de nouveau en colère. Mais… Est-ce que je sens mauvais à ce point ? Je viens de prendre un bain. »

La commerçante rit de nouveau. Elle, et Erin était désormais certaine que c’était une elle, donna une tape amicale sur l’épaule d’Erin, qui manqua de s’effondrer.

« Je ne me moque pas de tout, Humain. Mais je ris car j’oublie que les autres n’ont pas notre nez. Pardonne-moi, s’il te plait. »

Erin frotta subrepticement son épaule.

« Tu es totalement pardonnée. Mais alors, je sens vraiment mauvais ? »

La commerçante Gnoll hocha la tête, devenant sérieuse.

« Tu sens la cendre calcinée et la saleté. Non ; il n’y a pas que cette terrible odeur. Même des ordures brûlées sentent meilleures. Je ne sais pas ce que c’était, mais je peux toujours le sentir sur toi. »

« Vraiment ? »

Erin renifla son bras de manière expérimentale, mais elle avait toujours la même odeur que d’habitude. En fait, elle sentait même mieux, car elle avait de nouveaux vêtements.

La Gnoll plissa son nez.

« Oh oui. Mais ce n’est pas si terrible maintenant, l’odeur de l’huile et du sang le recouvre. »

Erin se figea, la Gnoll laissa échapper un rire à son expression.

« Tu crois que je n’arrive pas à le sentir sur toi ? Toutes les créatures avec la moitié d’un nez sur elles peuvent sentir que tu t’es battu, et que tu as gagné. Premier sang. Tu n’as plus une odeur de peur désormais. »

« Il n’y a pas de quoi être fier. »

Erin répondit avec automatisme, son estomac s’enfonça jusqu’à ses jambes, mais la commerçante ne semblait pas s’en apercevoir.

« Tu n’es pas fier de ta première victoire ? Tu as fait couler ton premier sang et tuer ta première proie. N’est-ce pas une bonne chose ? »

« Non. »

Erin interrompit la commerçante sans émotions.

« Ce n’est pas quelque chose dont il faut être fier. Pas du tout. »

La Gnoll la regarda de haut en bas, Erin rencontra son regard. Finalement, le Gnoll haussa les épaules.

« Hrm. Si tu insistes. Les Humains sont d’étranges créatures. »

Cette dernière remarque la piqua, et Erin serra les dents.

« Pourquoi est-ce que tout le monde dit ça ? Je suis humain, et alors ? »

La Gnoll lui fit un sourire remplie de dent.

« Parce que tu es Humain. Peu d’entre nous ont déjà vus un des tiens ici, et moins encore on eut l’occasion de leur parler. »

Erin lui fit un sourire aigri.

« Très bien, tu es le premier Gnoll à qui je parle. Du moins, le premier qui n’est pas en colère contre moi. »

La Gnoll rit et donna une nouvelle tape sur l’épaule d’Erin.

« Hah ! Tu es un Humain avec du cran ! Je t’aime bien. Je vais donc me présenter, je suis Krshia, commerçante et vendeuse de biens. Et tu es l’Humaine qui a tué le Chef Gobelin ! Quel est ton nom, courageuse petite ? »

« Je suis Erin, Erin Solstice. »

Erin présenta sa main mais se retrouva attraper et serrer par la commerçante Gnoll. Elle avait l’impression de se faire étreindre par quelqu’un qui avait la force d’un ours, en plus de vraiment ressembler à un ours. Elle était si forte qu’Erin pouvait sentir l’oxygène rapidement quitter son corps.

La Gnoll venait probablement d’entendre son gémissement ou avait dû sentir qu’elle était en train de mourir car elle relâcha la pression. Elle renifla Erin,  et ne plissa que légèrement son nez. Erin, quant à elle, sentait des épices, de la sueur, une forte odeur canine, et l’odeur qui apparaissait après ne pas s’être lavé durant deux ou trois jours. Puis, elle était de nouveau sur le sol et elle cligna des yeux en direction de la Gnoll.

« Voilà. Nous nous sommes rencontrés, et nous sommes désormais amies. Rentre dans mon magasin, Erin Solstice, et dit moi ce que tu veux. »

Erin cligna des yeux, avant d’entrer dans l’étal et regarder autour d’elle.

« Woah. D’accord. Y’a beaucoup de choses, mais c’est bien, car j’ai besoin de beaucoup de choses. De la nourriture, des vêtements, du, hum, savon. Du dentifrice… Est-ce que… ?

« Assez, assez ! »

Krshia coupa Erin.

« Je ne suis pas une créature-insecte avec une mémoire parfaite. Nous allons chercher ce que tu veux avant de le noter, cela prendra du temps, mais nous allons trouver ce qu’il te faut. »

Erin hocha la tête. Krshia montra de nouveau ses dents, mais Erin était pratiquement certaine qu’elle était en train de sourire.

« Je te donnerai un prix juste. Pas trop juste, car tu as beaucoup d’argent. Mais je ne te chargerai pas plus que n’importe quel autre client. Et je ferai en sorte que tes biens soient livrés plutôt que de te faire payer pour un sac. »

Erin cligna des yeux.

« Livrer ? Tu fais des livraisons ? »

Krshia rit de nouveau.

« Bien sûr. Tu pensais que tout le monde portaient les sacs de farine comme tu l’as fait ? Cela est trop difficile. Non ; cet imbécile de Lism, lui qui perd son poil, à volontairement omit le fait que c’était possible et t’a donné un sac. »

Erin jeta un regard vers Lism, il était toujours en train de crier sur son magasin et sur son neveu. Il semblait qu’Olesm était en train de recréer leurs parties sur un autre échiquier. Erin avait déjà acheté celui sur lequel elle avait gagnée.

« Je me sens mal pour ça, en vrai. »

« Mal ? »

Krshia regarda Erin avec surprise avant de rire à nouveau.

« Les Humains sont étranges. Il ne te rendrait pas la pareille s’il était à ta place, sans aucune hésitation. »

Erin haussa les épaules.

« Quand même, ce n’était pas très sympa. Et la loi devrait être la même pour tout le monde. »

De nouveau, Krshia regarda Erin, qui se sentit légèrement inconfortable.

«Bien, c’est ce qu’on m’a toujours appris. »

La Gnoll secoua sa tête.

« Les Humains. Si un est plus fort, il est plus fort que les autres, n’est-ce pas ? Il n’y a pas justice dans la chasse. Et le partage de la proie vient après que le chef de la meute s’en nourrit, n’est-ce pas ? Tu as des amis, et plus de courage que cet imbécile de Lism. Vous ne serez jamais égaux, non. »

« Je suppose que tu as raison. Mais je me sens quand même mal. »

Erin changea de sujet.

« Donc, ces livraisons… Comment marchent-elles ? »

Krshia sourit, elle pointa un petit bol en bois remplie de triangle en bois vivement colorés. Erin les regarda et vit que chacun d’entre eux avaient un complexe design de rouge et d’or qui formait un symbole autour des bords.

« Ce sont des Sceaux de Messagers. Pour les Coureurs. Quand je t’en donne un, je garderai son jumeau, tu vois ? Puis quand un Coureur livrera tes biens tu lui donneras le Sceau que tu auras, et je saurai que mes biens ont été livrés. C’est simple. »

Erin s’empara de l’un des triangles de bois.

« Donc c’est comme un service postal ? »

« Un quoi ? »

« Hum, un service de livraison. »

« C’est ce que je viens de dire, Erin Solstice. »

Erin sentit le rouge lui monter aux joues alors que Krshia lui fit un sourire remplit de dents avant de rire.

« D’accord, désolé. Je n’avais pas entendu parler des Coureurs auparavant. Qu’est-ce qu’ils font d’autre, à part des livraisons ? »

Krshia lui lança un regard, elle semblait chercher si elle se moquait d’elle ou pas.

« Les Coureurs courent. Il existe des gens rapides, qui parcourent de longues distances pour gagner de l’argent. Parfois ils livrent des lettres, parfois des objets de valeurs. Des biens, des objets magiques, des messages qui ne doivent être lut que par une personne. Même si ce genre de requêtes est plus coûteux. Seuls les meilleurs livrent ce genre de choses. La plupart délivrent de la marchandise à bas prix. Je peux en appeler un et livrer la totalité de tes achats pour un bon prix. »

Cela semblait parfait, mais Erin était légèrement septique.

« C’est quoi un bon prix ? »

« C’est l’auberge abandonnée se trouvant à quelques kilomètres à l’Est, n’est-ce pas ? »

Erin hocha la tête, Krshia gratta son menton.

« Quatre pièces d’argent. Ce n’est pas un bas prix. Si ton auberge se trouvait en ville le prix serait probablement une pièce d’argent, voir quelques pièces de bronze. Mais c’est loin, n’est-ce pas ? La marchandise est lourde et il y a des monstres qui rodent, donc le prix augmente. Tu as de la chance que les Gobelins sont éparpillés et que les Rocheux Cachés ne voyagent pas en cette saison. »

Erin y réfléchit. Cela semblait être un bon plan, un très bon plan. Bien mieux que tout porter toute seule.

« C’est parfait. »

Krshia sourit de nouveau, et cette fois Erin lui rendit son sourire de toutes ses dents.

« Je savais que je t’appréciais pour une raison. Dit moi ce que tu veux et ne perdons pas de temps, d’accord ? »

« Ça me va. »

***


Plus tard dans la soirée, Erin s’assit dans son auberge en tenant sa bourse. Elle était bien plus légère maintenant, mais elle se sentait bien mieux à son sujet. En fait, elle se sentait bien mieux à propos de sa vie.

Elle avait des vêtements propres, et elle ne sentait plus le… Elle ne sentait plus. A la place sa peau avait baigné dans l’agréable odeur de menthe du savon qu’elle avait utilisé, et elle n’avait pas eu à éviter les poissons dans la rivière lors de son bain car elle était allée dans les bains communs de la ville.

La journée avait été occupée par de nombreuses choses, et certaines d’entre elles n’étaient pas si terribles. Après avoir acheté ses courses avec Krshia et même négocier une petite ristourne, la Gnoll lui avait montré le chemin des bains communs et comment bien se laver. Puis Erin était retourné à son auberge, s’était servi un plat de pâtes et était en train d’apprécier sa digestion dans une chaise de son auberge.

Erin était en train de jouer avec l’une des pièces d’échec sur la table. Elle avait porté l’échiquier ainsi que quelques objets d’importance, comme le savon, jusqu’à son auberge. Elle ne voulait pas le laisser partir. C’était incroyable, vraiment incroyable. Des échecs ? Dans un monde comme celui-ci ? En fait, cela faisait sens mais Erin était quand même impressionné. Elle continuait de toucher les pièces pour être certaine qu’elles étaient réelles.

Mais elle devait se concentrer. Erin tira son esprit pour le remettre sur les rails. Krshia lui avait dit que le Coureur allait délivrer ses achats demain. En attendant, elle pouvait toujours nettoyer l’auberge. Ou peut-être jouer une partie contre elle-même. C’était amusant de faire ça. C’était simplement…

Erin regarda l’échiquier avant de se murmurer à elle-même.

« Cavalier en D4. Pion en E3. »

Soudainement sa bonne humeur disparue. Erin se sentait glacée. Soudainement la nourriture au fond de son estomac n’était plus confortable mais était devenu un poids lourd et pesant. Ses mains tremblèrent alors qu’elle posa les pièces sur la table. Tout allait mieux, vraiment, cependant…

… SI elle fermait les yeux Erin pouvait toujours voir un Gobelin gisant sur le sol à ses côtés. Si elle ouvrait ses mains elle pouvait toujours sentir le poids mort entre ses paumes.

Erin bougea un pion et s’empara du cavalier. Elle regarda les pièces sur l’échiquier.

« Après tout dans ce monde, c’est tuer ou être tué. »

Elle posa sa tête entre ses mains et frotta ses yeux. Oui. C’était ce qu’elle avait appris. Et elle détestait ça. Tout le bon qu’elle avait fait semblait venir du mal qu’elle avait causé.

Le mal. Le mort. Un jeu d’échec sur une montagne de cadavre. Erin regarda l’échiquier.

Elle était douée pour jouer aux échecs. Elle aimait les échecs. Elle avait grandi en jouer aux échecs et à d’autre jeux de ce genre, malgré le fait que les filles n’étaient pas nombreuses dans les tournois d’échecs. Les échecs avaient été amusant pour elle, jusqu’à ce qu’elle grandit et qu’elle se rende compte qu’elle ne deviendra jamais un Grand Maître. Elle était douée, mais pas excellente. Mais les échecs étaient quand même un de ses passe-temps. Les échecs étaient amusants. Tout se jouait sur le fait qu’il fallait être plus malin que l’adversaire, qu’il fallait utiliser des stratégies…

Ce n’était pas comme tuer quelqu’un.

Erin regarda ses mains, elles étaient en train de trembler. Elle pouvait les sentir brûler. Ce n’était qu’un jeu, n’est-ce pas ? Un jeu avec des niveaux et des classes. Un jeu comme les échecs.

« Ce n’est qu’un jeu. Juste un jeu ? »

Erin regarda l’échiquier. Des pièces. Si elle y pensait de cette manière, et bien la mort semblait être moins importante. Elle avait fait la bonne chose. Elle s’était défendue et avait tué le monstre.

Tuer le monstre.

Elle baissa les yeux et vit trois Gobelins morts. Ils étaient si petits, comme des enfants. Et ils avaient une famille. Des amis. Ceux qui les aimaient.

Le Gobelin loqueteux. Ceux qui se cachaient en dehors de son auberge, maigres et effrayés. Ils étaient aussi des ennemis, si elle jouait ce jeu comme des échecs. La bonne chose à faire était de les chasser et de les tuer. C’était comme ça que les jeux marchaient.

C’était comme ça qu’il fallait jouer aux échecs.

Erin se releva. Elle se rappela la main du Gobelin dans la sienne, la sensation de sa peau. Elle se rappela de son sourire. Elle se rappela des rires.

Et puis elle comprit. Erin glissa sa main en dessous de l’échiquier et le fit voler de la table. Les pièces, blanches et noires, volèrent à travers la salle et se dispersèrent au sol.

Erin se releva.

« Je me souviens pourquoi j’ai arrêté les échecs. Il n’y a qu’un vainqueur et qu’un perdant. Le meilleur jeu pour tous est celui qui se termine en une égalité. »

Elle marcha jusqu’à la porte et l’ouvrit brutalement. Puis elle s’arrêta et fit demi-tour. Elle fit un doigt d’honneur à l’échiquier avant de l’envoyer valser une seconde fois.

« Je vais faire mes propres règles. Et si quelqu’un ne les aiment pas il peut aller pourrir en enfer. »

La porte claqua de nouveau alors qu’Erin sortit. Quelques minutes plus tard elle courut dans l’auberge avant de remettre toutes les pièces à leurs places.

« C’est toujours un bon jeu, hein. Ne le prend pas personnellement. Laisse-moi juste attraper un petit casse-croûte pour la route, et j’ai besoin de savon. Il faut être propre après tout. Ou est-ce que j’ai mis le savon ? Savon, savon, savon… Je devrai vraiment m’organiser plus que ça. Peut-être demain. »

Puis elle disparut, courant vers la ville. Il lui restait encore beaucoup de lumière du jour, et elle avait une dernière chose à faire. La chose la plus importante de toute.

***


Le soleil se coucha sur la prairie. Les ombres s’étendirent et tombèrent sur les vieux bâtiments, cachant des fissures et effaçant l’ancienneté des structures sous un brouillard crépusculaire. Le soleil se couchait, bien au-delà du monde, dans un ciel deux fois plus grand.

Après un certain temps une jeune femme marcha de nouveau jusqu’à l’auberge. Elle portait un seau, un pinceau, ainsi qu’une pièce de bois, quelques clous et un marteau. Tout cela était assez lourd et elle murmurait des insultes en traînant son fardeau.

Finalement, elle parvint à atteindre l’auberge et déposa ses nombreux fardeaux sur le sol avant de lever la tête.

Au-dessus de l’auberge un panneau effacé semblait portait des traces de lettres, mais la jeune femme ne pouvait pas lire la langue. De plus, elle se fichait de ce qui était écrit ici. Elle n’avait d’yeux que pour un seul signe. L’auberge avait perdu son nom, il lui en fallait un nouveau.

La jeune femme s’empare du seau et du pinceau, avant de regarder le panneau et le sol. Ce dernier se trouve au-dessus de l’auberge, bien au-delà de sa portée.

La jeune femme regarda le ciel et poussa un juron. Puis, elle retourna jusqu’à la ville avant de revenir avec une grande échelle, essoufflée et se murmurant à elle-même.

Il faut un certain temps  à  la jeune femme pour qu’elle se rende compte qu’elle a besoin d’ancré l’échelle si elle ne voulait pas immédiatement tomber. Elle se relève et cette fois se rend sur le toit de l’auberge. Une fois qu’elle s’est assurés que l’échelle est bien calée, elle redescend lentement et remonte avec le seau. 

Elle trempe le pinceau dans le seau et commence à pendre sur le grand panneau se trouvant au-dessus de l’auberge. La peinture noire brille au soleil et la jeune femme sourit, satisfaite, et pousse la chansonnette. Elle commence à recouvrir le panneau de peinture.

Il lui faut du temps, et plusieurs couches de peintures. Du noir pour les lettres, du blanc pour effacer ses erreurs. Un outil pour gratter la peinture là ou cette dernière était  trop épaisse. Un marteau pour frapper des choses et éviter de devenir trop frustrée.

Mais finalement, le panneau est terminé. La jeune femme laisse échapper un soupir de soulagement et ramasse la pièce de bois qu’elle a acheté. Elle prend le pinceau et écrit rapidement dessus. Puis elle plante l’écriteau dans le sol avec le marteau avant de retourner dans l’auberge, laissant les outils sur le sol. Elle irait les chercher demain.

Le panneau est fait, et la peinture sèche dans la lumière couchante. L’écriture est fraîche et claire, attirant l’œil des voyageurs passant dans le coin. Mais il n’y a pas de voyageurs, et en effet, personne ne viendra cette nuit.

Cela n’a pas d’importance. Le panneau est le plus important. Le nom et le message sont importants. Ils ont été écrits, et maintenant ils doivent rester. Comme la jeune femme.

Donc elle s’endort alors que le soleil disparaît et que les derniers rayons rencontrent le panneau au-dessus de l’auberge. Les lettres brillent dans le crépuscule.

L’Auberge Vagabonde.

À côté de l’auberge, un grand signe est planté dans le sol. Avec un simple message :


« Interdiction de tuer des Gobelin. »


C’est ainsi que commence l’histoire de l’Auberge Vagabonde.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 18 janvier 2020 à 22:36:41
Interlude 1.00 R
Traduit par EllieVia


Le vent souffle dans mes cheveux. C’est un sentiment merveilleux. Les gens sous-estiment souvent à quel point une bonne brise peut changer ta journée.
 
Et aujourd’hui, alors que le ciel et bleu et clair sans un nuage, qui ne voudrait pas être dehors ? L’air est frais, et la brise est mieux que la climatisation.
 
C’est un jour rêvé pour courir. J’ai couru lors de mauvaises journées où la chaleur peut assommer un cheval, et j’ai couru à travers des orages, des typhons et même des crottes de chiens. Deux fois. Et bien que je puisse serrer les dents et continuer à courir quand le monde est contre moi, je vis pour les jours où il me soutient.
 
Le vent me rafraîchit et m’emplit d’énergie. Je sprinte à travers l’herbe qui m’arrive aux genoux, et je souris. Avec cette température, je ne transpirerai pas autant qu’avant. Ce qui signifie que je ne surchaufferai pas et que je peux courir plus vite. C’est ce genre de petit détail qui fait la différence entre une bonne course et une excellente course.
 
Un caillou apparaît dans l’herbe et je saute par-dessus juste à temps. Prudence. À la vitesse à laquelle je cours, je peux facilement me casser un pied si je trébuche dessus. J’ai fendu mes ongles d’orteils plus d’une fois en cognant des cailloux à vive allure. Pas cool.
 
Continuer de courir. Non, efface ça. Courir plus vite. Le vent souffle sur mon visage et je souris de nouveau. Ce sont les petites choses qui rendent la vie belle. Comme le vent.
 
Le vent rafraîchit. Il donne quelque chose contre lequel courir, il fait se sentir vivant. Il aide également à esquiver les flèches quand les gens te tirent dessus.
 
Une flèche fend l’air et je change légèrement ma trajectoire. Elle fouette l’air devant mon bras gauche. Trop près.
 
J’ajuste mon itinéraire et accumule de la vitesse. Je suis presque hors de portée des Gobelins qui me pourchassent. Quelques secondes de plus et je les aurai semés.
 
Les Gobelins. Ce sont de terrifiants petits monstres avec des yeux rouges et des dents pointues. Ils ressemblent plus à des démons, en fait. Mais ils sont bien assez réels, et ils aiment manger les humains. S’ils peuvent les attraper, du moins.
 
L’un d’entre eux jaillit de l’herbe alors que je cours vers la ville à l’horizon. Il est plus gros que d’habitude, et il porte une cotte de maille rouillée et une épée courte.
 
Il fouette l’air dans ma direction et je bondis. Droit au-dessus de la lame. Le Gobelin reste bouche-bée lorsque j’atterris et se précipite en courant derrière moi.
 
Mes jambes sont floues. Le Gobelin les vise avec son épée mais je suis déjà hors de portée. Il court aussi vite qu’il le peut, mais je file tellement vite qu’on dirait qu’il reste immobile.
 
“Bien essayé.”
 
Je marmonne dans un souffle en continuant à courir. Je n’ai pas le temps ni l’oxygène de dire cela à voix haute, évidemment. De plus, je suis nulle en répartie. Ou… en insultes. Dans tous les cas.
 
Le Gobelin s’arrête après quelques mètres et crie quelque chose dans mon dos d’une voix stridente. Je l’ignore et continue à courir. Au bout d’un moment, j’entends le cri de guerre strident des Gobelins et ils abandonnent la poursuite.
 
Au bout de quelques miles, ou pour rester plus internationale, quelques kilomètres, je m’arrête. Je scanne rapidement la zone autour de moi. Des herbes plus basses dominent dans cette pente douce. On dirait que j’ai semé la tribu de Gobelins.
 
Je respire plusieurs fois profondément et essuie mon front. Pas énormément de sueur. Bien. Je m’inquiéterais si je me fatiguais aussi vite.
 
Ainsi se déroule ma matinée. Je mentirais si je disais qu’elle est ordinaire pour une fille née dans la meilleure ville du monde*, mais je peux m’habituer à n’importe quoi.
 
* New York, de toute évidence.
 
Il est temps de retourner à ma course. Au bout de quelques secondes je commence à marcher, puis j’accélère. Mais le temps, c’est de l’argent et je reviens rapidement à ma vitesse d’origine. Pas un sprint ; je dois conserver autant d’énergie que possible en cas d’urgence, comme une attaque de Gobelins, des Loups Garous, des bandits, des zombies, des squelettes, des Crelers*, et plein d’autres créatures répugnantes vivant dans les plaines**.
 
*Je n’ai jamais vu ces monstres en particulier. Je ne suis même pas sûre que ce soit leur vrai nom - les locaux les appellent simplement des “Rampants des tunnels”. Apparemment, ce n’est pas le genre de trucs qu’on veut croiser.
 
** Si j’en parle comme d’un endroit horrible, c’est seulement parce que je suis consciente des dangers possibles. La plupart du temps, il n’y a pas vraiment tant de monstres que ça dans le coin. C’est juste que l’on ne sait jamais quand l’un d’entre eux va faire son apparition.
 
Bref, je continue de courir. Je profite du vent dans mes cheveux pendant un petit moment avant d’enfin atteindre la ville en question.
 
De hauts murs gris, et des lanciers et archers dans des tours en train de surveiller les monstres. Il s’agit de Cerum, ou un truc comme ça. C’est une ville, appartenant à la Confédération Alliée des Plaines Septentrionales, donc une cité-État*. Et ma destination actuelle.
 
*C’est plus qu’une simple ville. Elle n’est pas si grande, mais toutes les cités ont leurs propres règles. Certaines sont dirigées par un conseil, d’autres ont élu des dirigeants comme on le fait chez nous, et certaines ont toujours des Lords et Ladies, bien qu’apparemment seules une poignée d’entre elles ont gardé ce système. L’idée, c’est qu’elles s’allient toutes en cas de menace, mais gardent leurs objectifs et leurs querelles individuelles. Comme les bons vieux Etats-Unis.
 
Je m’approche des portes ouvertes de la villes. Un garde est en service afin de pouvoir claquer la porte au nez d’un visiteur dangereux ou très moche, mais il ne tressaille même pas à mon approche.
 
“Bien le bonjour.”
 
Me salue-t-il. Enfin, je pense que c’est un salut. Je lui fais un petit signe de la main.
 
“Des Gobelins. À quelques kilomètres de la cité.”
 
Il acquiesce et dit quelque chose que je ne saisis pas. “Dommage qu’ils se soient sauvés” ou un truc du genre. J’acquiesce comme si je l’avais bien entendu et je cours dans la cité, l’herbe faisant place aux durs pavés sous mes pieds. Agaçants et moins pratique d’y courir dessus ; je vais devoir ralentir.
 
D’une course rapide je ralentis à un petit trot, mais pas le genre que l’on voit à la télé. Je déteste l’espèce de jogging rebondissant que les acteurs prétendent faire, et qui passe complètement à côté de ce qu’est la course. Le trot, comme le sprint ou la marche ou n’importe quoi d’autre doit être fluide et concis. On ne perd pas d’énergie à avoir l’air d’être perché sur un bâton sauteur.
 
Voyons voir. Les piétons sont déjà sortis et à leurs affaires malgré que l’aube soit à peine levée. Bien. J’aurais détesté devoir attendre. Je navigue à travers les rues, me guidant à l’aide des panneaux accrochés au-dessus des rues.
 
C’est génial que tout le monde dans le coin parle et écrive en anglais. Cela aurait été incroyablement agaçant* s’ils avaient parlé ou écrit dans une autre langue ? Mais par un quelconque coup du sort, la langue dominante de ce monde est l’anglais. Bien sûr, il existe d’autres langues mais apparemment la plupart des espèces connaissent l’anglais.
 
*et réaliste.
 
Mais bref. Alors que je ralentis pour laisser passer une carriole je réfléchis à ce que m’a dit le garde. Était-ce un avertissement ? Disait-il que c’était dommage que je me sois enfuie sans les combattre ? Ça va me travailler sur la course du retour. Pourquoi les gens ne comprennent-ils pas que ce n’est pas une bonne idée de dire des choses à quelqu’un en train de courir ? On les entend à peine même sans iPod en train de nous cracher de la musique* dans les oreilles. De plus, je ne suis généralement pas une oreille attentive.
 
*De la pop. Et du rock. Et de la techno, mais ça, ça passe ou ça casse. Globalement, si je peux courir dessus, je le fais. J’ai un petit faible pour la musique country, mais c’est difficile de garder une bonne vitesse quand j’entends roucouler un harmonica. La country, c’est pour pleurer ou être nostalgique. Ou du moins, c’est le seul type que je télécharge.
 
Je finis par atteindre ma destination. Par là, j’entends que j’atteins une haute façade de marbre et lève les yeux à la porte de bois peint la plus luxueuse que j’aie jamais vue. Rencontre entre le logement urbain et les riches.
 
Je prends quelques inspirations profondes. C’est le moment que je déteste le plus. Mais impossible d’y échapper, donc je m’arme de courage. Puis hésite. Je reprends une grande inspiration, me dit que je risque l’hyperventilation, et frappe à la porte.
 
Je déteste vraiment ce moment-là.
 

 
Celum, un peu après l’aurore
 
Dès l’instant où Lady Magnolia, membre des nobles de la ville, ouvrit la porte, elle pressa ses mains sur son cœur.
 
“Diantre ! Tu es déjà là avec la livraison ?”
 
La fille - la jeune femme qui s’imaginait encore de temps en temps être une fille en un peu plus vieille - acquiesça en silence. Magnolia n’avait pas besoin de plus d’encouragement.
 
“Je ne t’attendais pas si tôt ? Mais où sont mes manières ? Magnolia Reinhart, pour te servir. Tu es la Coursière que j’attendais, c’est ça ?”
 
“Mmh. Votre sceau ?”
 
Acquiesça la jeune femme. Lady Magnolia hésita, puis toucha ses sourcils du bout des doigts.
 
“Oh. Bien sûr. Cela fait tellement longtemps que je n’ai… j’avais complètement oublié. Je t’en prie, entre pendant que je vais le chercher.”
 
La jeune femme hésita et jeta un œil au manoir immaculé derrière Magnolia. La lady remarqua son hésitation et baissa les yeux. Ses yeux s’écarquillèrent légèrement, mais s’empressa de poursuivre.
 
“Oh, ne t’inquiète pas pour ça. J’ai assez de serviteurs capables de s’occuper d’une petite tache. Je t’en prie, entre, entre !”
 
La jeune femme hésita puis entra avec réticence dans la maison. Elle leva les yeux, regarda autour d’elle puis baissa les yeux sur le sol de marbre qu’elle était actuellement en train de salir, et sur les tapis luxueux, les tapisseries au mur, et souhaita sans ambiguïté être ailleurs. Mais Magnolia était en train de farfouiller dans un petit pot posé près du mur.
 
“Mais où ais-je mis ce sceau ? Normalement je laisserai faire l’intendante - Ressa, mais je savais que c’était mon colis. Hum… hummmm… là !”
 
Sa main sortit un jeton argent et saphir du récipient. Le magnifique sceau était d’un argent brillant d’un côté, et l’autre côté était d’un bleu céruléen semi translucide
 
Elle présenta le jeton à la jeune femme qui le récupéra avec un soin extrême. Magnolia attendit patiemment alors que la jeune femme rangeait soigneusement le jeton dans une bourse à sa ceinture et ouvrait son sac.
 
C’était un sac à dos, mais pas de ceux qui trouveraient grâce aux yeux d’aucun magasin du monde dont la jeune femme était originaire. Au lieu de Velcro, de coutures industrielles et de compartiments individuels et superflus, ce sac était en cuir cousu avec du tissu et était esthétiquement aussi beau qu’un insecte noir en train de ramper sur le dos. Mais il pouvait être attaché solidement avec des cordes et ouvert sans avoir à le poser.
 
Précautionneusement, la messagère - car c’en était une - en ôta un objet lourdement empaqueté. Elle le lui tendit.
 
“Voilà.”
 
Lady Magnolia arracha pratiquement le colis des mains de la jeune femme et ouvrit sans ménagement les épaisses couches de laine et les ficelles qui protégeaient l’objet. La jeune femme cligna des yeux devant les déchets jonchant le sol puis leva les yeux sur le colis qu’elle avait amené ici au prix de beaucoup d’efforts.
 
Une bouteille émaillée de cristal rouge accrocha la lumière entre les mains de Magnolia et illumina pratiquement le foyer.
 
“Magnifique, n’est-ce pas ?”
 
Magnolia fit tournoyer le liquide bleu à l’intérieur de la bouteille et sourit avec douceur. Elle se retourna vers la jeune femme et inclina légèrement la tête.
 
“Je ne peux pas vous remercier assez d’avoir apporté cette bouteille à temps pour le brunch. J’ai invité plusieurs amis et je leur avais promis que nous partagerions un verre de ce breuvage exquis ensemble. Il est vraiment cher, mais tellement délicieux ! Il est distillé à partir d’un fruit très toxique - je crois qu’ils appellent ça l’Amentus. Tellement difficile d’y mettre la main dessus, mais j’avais promis ! Et crois-le ou non, j’ai bu le dernier verre hier. J’ai donc mis la requête et te voilà !”
 
Elle sourit d’un air radieux à la jeune femme. La jeune femme ne répondit pas. Son œil gauche fut agité d’un tic.
 
“Je te prie d’informer la Guilde que je suis ravie de son efficacité.”
 
Hochement de tête. La jeune femme piétina sur place et jeta un œil à la porte.
 
“Vous avez une autre requête ?”
 
C’était la réponse traditionnelle et Magnolia hésita.
 
“Eh bien, je suppose… mais non, je ne crois pas que j’ai besoin de… eh bien, là tout de suite, non, mais ce serait dommage de… non. J’imagine que non.”
 
La jeune femme acquiesça et commença à se glisser vers la porte. Magnolia était en train de faire tinter une cloche d’argent et une flopée de femmes en tablier et de vieux gentlemans se mirent à descendre les marches en direction de leur maîtresse, mais dès qu’elle remarqua que la jeune femme était en train de partir, elle l’appela.
 
“Ne veux-tu pas rester prendre un verre ? Je n’aimerais pas te laisser partir sans une petite récompense.”
 
“... Désolée. J’ai d’autres livraisons à faire.”
 
Magnolia eut un air abattu, mais elle se reprit aussitôt.
 
“En ce cas, prends au moins ce cadeau pour ta peine. Non, non ! J’insiste.”
 
Elle pressa une pièce dans la paume de la jeune femme. La jeune femme tenta de la lui rendre, mais Magnolia ne voulut rien entendre et elle abandonna.
 
“Au revoir.”
 

 
La jeune femme sortit du manoir que Magnolia prenait pour une maison et marcha dans la rue. Son pas se mua en un trot dès qu’elle eut assez d’espace, et elle sortit des beaux quartiers pour entrer dans les quartiers plus populaires. Là, elle frappa à deux autres portes et, avec bien moins de conversation et beaucoup plus d’efficacité, tendit une lettre et un sac et reçut deux sceaux rouges en échange.
 
Une fois ses livraisons terminées, la jeune femme prit soin de placer les deux jetons dans la même bourse que celle où elle avait mis le jeton saphir et argent. Elle s’assura que la bourse était bien fermée. Il était d’une importance cruciale qu’elle ne perde aucun des jetons, ou plutôt des sceaux comme on les appelait ici.
 
Des Sceaux de Messager. Une preuve que la livraison avait bien atteint son destinataire. Sans l’un des morceaux de pierre de couleur vive, une livraison était suspecte. Le messager devait déposer ces sceaux pour recevoir sa récompense, ce qui les rendait précieux.
 
Jusqu'à un certain point.
 
Parmi les classes de patrons les plus riches, les Sceaux de Messager étaient un signe de statut et de pouvoir. Les marchands et les banquiers utilisaient des gemmes mineures plutôt que de la pierre commune, et l’élite de la société avaient même leur forme de Sceau personnelle pour preuve d’une livraison au-delà de tout soupçon.
 
Toutefois, quiconque n’avait pas ce genre de moyens devait utiliser les simples pierres taillées fournies par leur ville à un prix fixé. Elles étaient peu coûteuses, mais pouvaient également être utilisées pour valider de fausses livraisons.
 
Les cas de messagers prenant les marchandises et échangeant de faux Sceaux contre la récompense étaient récurrents. C’est pourquoi la confiance était tout aussi importante en ce qui concernait les messagers. Leur réputation d’honnêteté était un élément clef pour recevoir des contrats individuels, autant sinon plus que leur capacité à livrer des colis rapidement.
 
La jeune femme se dirigea vers les portes de la ville. Elle était fatiguée. Pas physiquement, mais épuisée par l’effort d’interaction sociale. Mais ses foulées s’allongèrent alors qu’elle sortait de la ville et bientôt elle courait sur une route largement fréquentée qui la ramènerait à sa ville. Elle voulait faire d’autres livraisons aujourd’hui, et elle devait donc être rentrée avant la foule du midi si elle voulait en avoir une vraiment avantageuse.
 
Elle était une messagère. Ou Coursière, comme on les appelait. D’autres noms existaient : Voyageurs, Scelleurs - dérivé des Sceaux qu’ils utilisaient -, Porteurs, et d’autres noms impolis que les passant qu’elle croisait utilisaient.
 
Elle préférait se voir comme une Coursière. Cela voulait littéralement dire “coureuse” et elle en était une, car courir était ce qu’elle aimait le plus. Elle pouvait simplement prendre les livraisons et les laisser, à moins que ce ne soit la mauvaise adresse. Ou que le destinataire ne soit mort. Ce qui était déjà arrivé deux fois.
 
Tout ça pour dire qu’elle courait, et qu’il y avait une brise sur son visage. À un tel moment, elle pouvait ignorer le fait qu’elle était dans un autre monde, ou qu’elle n’avait aucun moyen de rentrer, ou même que les Gobelins la prenaient de nouveau en chasse. Elle courait, et elle était libre.
 
Elle était également pieds nus.
 
Son nom est Ryoka Griffin, un nom qu’elle déteste. Elle aime courir, et ne pas parler aux gens. Ses hobbies sont entre autres ne pas mentionner son nom, courir, chasser, et boire du café. En ce moment, c’est surtout…
 
Courir.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 22 janvier 2020 à 15:21:11
Interlude -- 1.01 R
Traduit par EllieVia

Toutes les têtes de la Guilde des Coursiers se tournèrent lorsque la porte s’ouvrit. C’était une réponse conditionnée ; ceux qui couraient étaient soit prompts à remarquer les choses, soit morts.
 
Ryoka s’approcha d’un comptoir d’un côté de la salle, ignorant les regards qui l’évaluaient. Elle attendit que la réceptionniste lève la tête.
 
“Bonjour, Ryoka.”
 
La réceptionniste la gratifia d’un sourire amical. Ryoka hocha la tête. Elle ne sourit pas.
 
“Tu es venue récupérer tes récompenses ?”
 
Ryoka hocha de nouveau la tête.
 
“Trois sceaux.”
 
“Très bien. Je vais signer.”
 
La réceptionniste attendit patiemment que Ryoka écrive son nom et fasse une liste des sceaux qu’elle avait ramenés. Elle devait écrire la composition de chaque sceau. Deux seaux de bois de chêne rouge, et le sceau de saphir et d’argent précieux.
 
“Oh, c’est le sceau de Magnolia ? Tu as eu de la chance de mettre la main sur cette livraison.”
 
“Yup.”
 
Ryoka termina d’écrire et fit glisser le morceau de papier et la plume vers la réceptionniste. Le sourire de cette dernière vacilla, mais elle ajouta sa signature au registre.
 
“La plupart des coursiers se battent pour le droit de lui livrer quelque chose. Elle donne de l’argent en plus pour la rapidité, et elle est évidemment connue pour donner de généreux pourboires.”
 
La réceptionniste attendit une réponse. Elle obtint un hochement de tête silencieux.
 
“Merci.”
 
Ryoka tourna les talons. Elle s’approcha d’un grand tableau d’affichage couvert de morceaux de papier.
 
À l’instar de la Guilde des Aventuriers, la Guilde des Coursiers était basée sur un système de premier arrivé, premier servi en ce qui concernait les demandes de livraisons. C’était ce tableau qu’étudiait Ryoka avec intensité, en ignorant les yeux en train de creuser un trou à l’arrière de son crâne. Elle avait l’habitude.
 
Ce dont elle n’avait pas l’habitude, en revanche, c’était d'entendre une voix forte et pleine d’entrain percer le silence.
 
“Hey, Ryoka !”
 
La jeune femme se tendit. Sa tête se tourna vers la porte, mais il était trop tard.  Une autre fille avançait droit sur elle. Elle était plus petite que Ryoka, mais plus large. Pas à cause du gras ; disons plutôt qu’elle avait l’air solide sans arborer les muscles apparents d’un homme.
 
Garia Strongheart claqua Ryoka sur l’épaule. L’œil gauche de la plus grande des filles s’agita d’un tic, mais Garia ne le remarqua pas.
 
“Tu viens de finir tes livraisons à Celum ? C’était rapide ! J’ai l’habitude de manger un bout aux marchés. Ils font un beignet à la cannelle merveilleux le matin, mais j’imagine que tu as déjà mangé, pas vrai ?”
 
La grande fille baissa les yeux sur Garia et la gratifia d’une fraction de hochement de tête.
 
“Mhm.”
 
“Et tu as couru pieds nus ? Je croyais que les autres me faisaient une farce lorsqu’ils m’ont dit que tu courais partout sans chaussures.”
 
Ryoka émit un soupir inaudible.
 
“Je cours de partout sans chaussures.”
 
“Pourquoi ? Tu n’as pas de quoi t’en acheter ?”
 
Garia éclata de rire. Pas Ryoka.
 
“Je suis simplement plus lente avec des chaussures, c’est tout.”
 
“Oh, c’est un truc de classe ? Logique. Mais est-ce que la classe de [Coursier va-nu-pieds] est meilleure que celle de [Messager] ?”
 
Ryoka haussa les épaules. Sous le tableau d’affichage, il y avait une table remplie de colis à livrer. Elle en choisit un et le soupesa. Trop lourd. Elle le reposa et en essaya un autre. Assez léger pour courir avec.
 
Son silence ininterrompu et son désintérêt évident pour la conversation ne dérangeait pas Garia, du moins à ce qu’elle voyait. L’amicale jeune fille continua d’alpaguer Ryoka, lui demandant comment avait été la route, si elle avait rencontré des menaces, et ainsi de suite. Elle obtenait des réponses monosyllabiques quand elle avait de la chance.
 
Ryoka étudia les requêtes. La plupart étaient des requêtes de livraison générale. Malheureusement, elles étaient toutes tellement espacées qu’il serait difficile d’en faire plus de quelques-unes sans devoir courir deux fois plus loin.
 
Un morceau de papier à moitié couvert derrière deux autres requêtes attira son attention. Ryoka l’attrapa et l’examina. Puis elle le montra à Garia.
 
“Quelle est la récompense pour celle-là ?”
 
Garia regarda le morceau de papier et secoua la tête.
 
“Oh, ça ? C’est une requête à l’ancienne. On en voit passer de temps en temps. Quelqu’un encore un message pour dire qu’il ou elle veut une livraison en promettant une récompense. Mais on n’a aucune idée de combien ils sont prêts à payer et à qui ils veulent livrer le colis. Et encore, celle-ci est confirmée.”
 
“Confirmée ?”
 
“Ça veut dire qu’on peut au moins prouver que ce ne sont pas des bandits. De qui est-elle ? Oh. Ne prends pas cette requête.”
 
“Pourquoi pas ?”
 
“C’est pour les Grandes Passes. L’endroit est très dangereux. Il y eu plus de morts de coursiers là-bas que… enfin bref, c’est risqué. Il y a des tonnes de monstres qui vivent dans la zone.”
 
“Hmmm.”
 
L'expression de Ryoka ne changea pas alors qu’elle examinait la requête. Puis elle regarda ailleurs. Garia décrocha une autre requête et la montra à Ryoka.
 
“Que dirais-tu qu’on fasse ensemble cette livraison de minerai à Perlingor ? Le trajet serait long, mais ils offrent une pièce d’or si le colis arrive aujourd’hui ! Et les routes sont très sûres. T’en dis quoi ?”
 
L’autre fille étudia l’annonce et jeta un œil aux colis. Ils étaient remplis à craquer et étaient aussi lourds qu’ils en avaient l’air.
 
“Non merci.”
 
“Encore ?”
 
Garia avait l’air déçue. Ryoka haussa les épaules, mal à l’aise.
 
“Je ne cours pas très bien en groupe.”
 
“Bon, si tu es sûre. Mais il faudra qu’on coure ensemble un de ces jours. Et si on faisait la course de la Route de la Sterne dans quelques jours pour délivrer les épices à Celers et Remendia ?”
 
Là encore, l’expression de Ryoka ne changea pas, mais elle leva les yeux au plafond en réfléchissant à la proposition de Garia.
 
“D’accord.”
 
Garia lui adressa un sourire radieux et lui mit une claque dans le dos. Là encore, l’œil de l’autre fille tressauta.
 
“Génial ! Je te dirai quand elle arrivera.”
 
“Parfait.”
 
Ryoka sélectionna un morceau de papier alors que Garia se détournait. Mais la porte s’ouvrit de nouveau et elle entendit Garia héler quelqu’un.
 
“Fals !”
 
D’autres Coursiers entrèrent dans la guilde. Leur arrivée fut célébrée avec beaucoup plus d’enthousiasme et d’énergie que celle de Ryoka. Quelques autres coursiers s’approchèrent alors que les trois personnes qui venaient d’entrer se dirigeaient vers la réceptionniste pour lui donner des sceaux d’argent.
 
Garia rejoignit le groupe qui s’amassait autour des coursiers et sourit au plus grand. C’était un coursier blond à la peau mate avec de longues jambes et une tenue rouge de bien meilleure qualité que les vêtements des coursiers qui l’entouraient. Il portait également deux dagues à sa ceinture.
 
“Fals, comment vas-tu ?”
 
Fals sourit à Garia et échangea quelques claques sur les épaules. Il montra les deux autres coursiers qui l’accompagnaient, un jeune homme et une femme.
 
“Nous venons juste de terminer une course pour un groupe d’aventuriers vers les vieilles ruines. On leur a apporté un tas de potions et d’équipement. Ils nous ont donné un bon pourboire, donc on va aller fêter ça.”
 
Garia soupira, envieuse.
 
“Et tu n’as pas une égratignure.”
 
“Nous ne sommes pas assez stupides pour nous approcher des monstres.”
 
Fals éclata de rire et les autres coursiers le joignirent.
 
“Alors, que fais-tu ici ? Tu vas prendre une autre requête ?”
 
Il secoua la tête.
 
“Nah. Je suis trop fatigué pour ça. Non, je voulais juste avoir un mot avec notre nouvelle coursière que voilà.”
 
Il s’approcha de Ryoka. Les autres coursiers qui s’étaient agrégés autour de lui se dispersèrent, ce qui ne laissa plus que ses deux amis et Garia.
 
“Ryoka, comment vas-tu ?”
 
La deuxième fille venait de finir de choisir deux requêtes. Elle leva les yeux du sac à dos où elle était en train de stocker les colis.
 
“Bien.”
 
Fals attendit, mais c’était tout. Garia se dandina, mal à l’aise, et les deux autres coursiers fusillèrent Ryoka du regard. Elle leur rendit leur regard d’un air égal. Toutefois, Fals continua comme s’il n’y avait pas eu de pause.
 
“Bien, bien. Je me demandais si tu avais besoin de conseils, comme du es toute nouvelle. D’habitude, la plupart des coursiers commencent par être des Coursiers des Rues.”
 
Ryoka haussa les épaules. Là encore, Fals rompit le silence avant qu’il ne devienne trop lourd.
 
“Eh bien, j’ai remarqué que tu avais pris la requête de Magnolia ce matin. C’est une bonne course, pas vrai ?”
 
“Il y avait quelques Gobelins sur la route.”
 
“Certes, certes.”
 
Fals se gratta la tête et piétina, mal à l’aise. Ryoka termina de fermer son sac et le hissa sur ses épaules. Elle le regarda, dans l’expectative.
 
“Comment dire, c’est une bonne livraison. Elle est bien payée, sûre - enfin, majoritairement sûre - et les coursiers aiment bien Magnolia. Elle donne de bons pourboires et partage ses livraisons.”
 
Garia sourit.
 
“Une fois, elle m’a donné quelques friandises qu’elle avait importées d’outre-mer. C’étaient des morceaux de fruits gelés sucrés. Le goût était incroyable.”
 
“Exactement. Tout le monde l’aime bien. On sait qu’elle voulait que quelqu’un livre cette boisson bleue qu’elle aime tant. Elle t’en a offert un peu ?”
 
Ryoka secoua la tête en signe de dénégation.
 
“Je n’étais pas intéressée.”
 
Ce coup-ci, elle se fit résolument fusiller du regard par tous les coursiers à portée de voix. Fals se trémoussa de nouveau.
 
“Oui, bon, ce serait mieux que tu laisses un autre coursier prendre la requête la prochaine fois. Non pas que tu n’aies pas le droit de la faire - c’est juste qu’on aime bien partager la requête. Laisse une chance aux autres de se la couler douce, d’accord ?”
 
Il lui adressa un sourire qu’elle ne lui rendit pas. Garia jeta un regard nerveux à Ryoka. Ryoka dévisagea Fals d’un regard sans expression, puis acquiesça.
 
“Compris.”
 
Les deux autres amis de Fals s’agitèrent. Ils regardaient Ryoka avec beaucoup plus d’hostilité que Fals ou Garia. Pour sa part, Fals acquiesça et gratifia Ryoka d’un autre sourire amical.
 
“C’était juste pour que tu sois au courant. Bonne chance pour ta course !”
 
Fals s’éloigna avec les deux autres coursiers. Ryoka les regarda s’éloigner. Son visage ne trahissait aucune émotion, mais Garia la vit lever sa main pour se triturer une oreille.
 
Elle n’avait pas l’air normale. D’ordinaire, les longs cheveux de Ryoka couvraient ses oreilles, mais Garia pouvait voir à présent que son oreille gauche avait été déchirée par le passé. La moitié inférieure de son lobe manquait, et le reste avait guéri en un cicatrice dentelée autour du trou arrondi.
 
Ryoka remarqua le regard de Garia sur son oreille. Elle laissa tomber sa main et se détourna.
 
“Salut.”
 

 
Comme s’appelait la réceptionniste, déjà ? Ça me trotte dans la tête. Je crois que ça commençait par un ‘S’. Ou alors un ‘Y’ ? Non. Je suis sûre que c’était un ‘S’.
 
Dans tous les cas, au moins je me suis débarrassée de cette corvée. Et je peux enfin m’éloigner de la ville et des gens désagréables*.
 
Je me sens bien mieux en courant vers portes de la ville. Courir m’apaise. Et j’ai bien besoin de me calmer après avoir dû subir autant d’idiots**.
 
* Tout le monde
 
** Presque tout le monde.
 
Okay, okay, on se calme. J’ajuste mes foulées en sprintant hors des portes de la ville. Les gens me dévisagent. Non pas que ça n’ait trop d’importance, mais je ne veux pas gaspiller mon énergie à courir trop vite tout de suite.
 
Destination : Remendia. C’est à environ cinquante kilomètres, ce qui en fait l’une des villes les plus lointaines pour les courses. J’y serai dans quelques heures puis je me dirigeai vers sa voisine, Ocre. Ou qu’importe son nom. Mais je passerai la nuit à Remendia étant donné que la ville est plus grande et possède de meilleures auberges.
 
Il y a une Guilde de Coursiers à Remendia. Il y en a une dans presque toutes les grandes villes, donc je peux toujours trouver de nouvelles requêtes où que j’aille. C’est pratique, et ça signifie que je n’ai pas à revenir ici et à me taper les coursiers désagréables du coin.
 
Là encore, ils font également des livraisons de ville à ville, donc j’ai tendance à leur tomber dessus à un moment où à un autre. C’est chiant.
 
Enfin, Garia n’est pas chiante. Elle est juste trop amicale. Mais elle est la meilleure d’entre eux. Le reste des Coursiers des cités peuvent aller se faire foutre. Surtout Fals.
 
Les Coursiers de cité. De ce que j’ai compris sur ces Coursiers, ce sont des sortes de facteurs. Ou factrices. Qu’importe. Mais on les divise globalement en trois catégories. Les Coursiers de rue, les Coursiers des cités et les Courriers.
 
Les coursiers des rues couvrent des cités individuelles et ne s’éloignent guère d’elles. Ils prennent les boulots les plus simples et les plus sûrs, et sont les moins bien payés. Ils n’ont pas l’air d’être à un rang très élevé dans la hiérarchie de la Guilde des Coursiers. Ce sont les plus jeunes, ou les plus vieux, et c’est à peu près tout ce que j’en sais.
 
Je suppose que je tombe dans la catégorie des Coursiers des cités. Ils - nous courons de ville en ville et faisons des livraisons majoritairement dans une région donnée. Un Coursier des cités peut courir pendant quelques jours s’il doit faire une livraison très longues, mais il ne s’éloignera pas de son “territoire”*. Ils prennent des boulots plus dangereux, mais là encore, ce ne sont pas des aventuriers donc un Coursier se contente dans la plupart des cas de s’enfuir en cas de danger et essaie de faire des livraisons le plus rapidement possible.
 
*Territoire. On est quoi, des chiens ? Mais apparemment, c’est le cas, quand on voit tous les petits groupes et les querelles intestines auxquels les coursiers se livrent. Chaque Guilde des Coursiers n’est qu’un gros tas de politique et d’amitiés entremêlées.
 
Puis viennent les Courriers. Je n’en ai jamais rencontré personnellement, mais j’ai entendu dire qu’ils sont l’équivalent des longs courriers. Ils peuvent aller d’un bout du continent à l’autre, ou même traverser les mers si leur livraison le demande. Ils sont rapides, efficaces et il faut apparemment des sommes d’argent faramineuses pour les engager. Mais ils sont supposés être vraiment bons dans leur travail.
 
De ce que m’a dit Garia, chacun d’entre eux est au moins de niveau 30, et ils ont tous des niveaux dans d’autres classes donc il est difficile de les prendre en embuscade. Et c’est…
 
Je regarde les alentours en courant. Je descends l’une des routes principales, mais elle est vide pour le moment. Mais je sors tout de même de la route pour courir dans l’herbe. Ce n’est pas comme si j’allais aller plus lentement dans la plaine. J’attends d’être assez loin de la route avant de crier.
 
“C’est tellement stupide !”
 
Bon, ce n’est pas tellement un cri. C’est difficile de courir en criant, et ça me fait bizarre de me parler à moi-même. Qui fait ça ? Dans tous les cas, je ne m’en suis toujours pas remise.
 
Des niveaux. C’est l’un des trucs le plus bizarre dans ce monde, et ce monde recèle des trésors de bizarrerie. ON dirait un jeu, mais ce n’en est pas un. Au moins, il n’y a pas de seigneur démoniaque du mal ou une fin du monde imminente, et je ne suis pas l'héroïne invoquée d’une autre planète pour défendre cet endroit contre le mal.
 
Je suis une fille d’Ohio. Je suis une étudiante de première année à la fac, et je cours pieds nus. Je me suis retrouvée ici alors que j’étais en train de courir, et j’ai atterri dans cet asile de fous munie de mon iPhone, de mon portefeuille et de ma montre. Je ne suis pas une héroïne.
 
Mais cet endroit est exactement comme un jeu vidéo. Ou, dans tous les cas, comme dans un livre d’heroic fantasy. Un peu dans le genre du Seigneur des Anneaux de Tolkien, sauf que les cités que j’ai visitées n’ont pas d’Elfes ou de Nains. Pour tout dire, il n’y a pas beaucoup d’humains avec une peau plus foncée qu’un léger hâle. Je pratiquement une alien avec mes traits Asiatiques.
 
Bon, revenons à la route. Ce n’est pas bon de s’en éloigner, j’imagine. Mais je déteste devoir esquiver les wagons et entendre chaque idiot que je croise me crier un truc à propos de mes pieds nus. Mais c’est mieux que les Gobelins, j’imagine.
 
À peine.
 
Bref, je pensais à quoi déjà ? Ah oui. Ce monde est stupide. Vraiment stupide, et le pire est qu’il ressemble beaucoup à celui que j’ai quitté.
 
Fals. Il sous-entendait que… non, il me disait de ne plus prendre les bonnes requêtes. Et à en juger par la foule là-bas, ils pensent tous la même chose.
 
La politique. Personne ne prend les bonnes livraisons où on va te pourrir la vie, hein ? Et ce Fals est leur… quoi ? Il est populaire, en tout cas.
 
Je serre les dents. Je ne l’aime pas. Il me donne sans cesse des conseils, la plupart du temps sur les choses que je devrais faire ou non. Et comme il est un Coursier vétéran, il a l’air de passer en priorité sur les livraisons et tout le reste. Je déteste tomber sur lui dans les guildes.
 
Déjà. Cela ne fait qu’une semaine et demie*, mais je me suis déjà habituée à ce monde, au moins un peu. On peut vraiment se faire à tout. Mais je n’ai jamais aimé l’échelle sociale, et on dirait que la moitié du boulot de Coursière tourne autour de ça.
 
*Que ça ? J’ai l’impression d’être là… depuis beaucoup plus longtemps.
 
Je déteste Fals. Je tombe trop souvent sur lui. Et maintenant, il va falloir que je coure avec Garia, en traînant un sac à dos gigantesque sur cinquante kilomètres pour un salaire de misère. Pourquoi j’ai accepté de courir avec elle ?
 
Parce que c’était trop dur de dire non.
 
Merde. Merde pour moi, merde pour elle, et Fals peut aller… il n’y a pas assez de merde dans le coin pour lui. Je déteste tout ça.
 
Donc je coure. Continue à courir. J’augmente mes foulées et mes pensées s’écoulent hors de ma tête. C’est mieux.
 
Les choses vont et viennent, mais au moins je peux courir. Ironiquement, dans ce monde je peux courir encore plus parce que c’est maintenant mon boulot. C’est la seule bonne chose au milieu de ce pétrin. La seule bonne chose.
 
Bon, ça et un autre détail. Je souris en m’en rappelant, et le conducteur du wagon me jette un drôle de regard alors que je coure à côté de lui.
 
Ce monde a un tas de Coursiers. Et ils sont cools. Vraiment. Ils courent loin, et ceux comme Garia sont solides et assez costauds pour courir avec des énormes sacs sur leur dos pendant assez longtemps. Mais vous savez quoi ? C’est peut-être leur régime alimentaire. Ou peut-être qu’ils ne savent rien au sujet d’une bonne hydratation, ou d’une bonne posture de course, ou…
 
L’idée, c’est qu’ils sont cools. Mais ils n’arrivent pas à la cheville d’une fille qui a gagné une bourse en athlétisme.
 
Je m’élance, et les kilomètres défilent derrière moi comme de la pluie. Je ne suis pas une coursière sociale, ou même appréciée. Du tout. Mais je suis à peu près sûre d’être l’une des plus rapides.
 

 
C’est une longue course. Mais je m’en tire bien et je pénètre dans Remendia juste au moment où le soleil commence à peindre le ciel de couleurs orangées. Deux livraisons. Une ici, et l’autre dans cette autre cité. Ocres ? Qu’importe.
 
Je m’en charge, puis retourne mes sceaux à la Guilde des Coursiers locale. Je garde mon visage impassible, rend les sceaux, et repars.
 
Ceci fait, je trouve une auberge. Hm. La première propose des chambres en pension complète pour trois pièces d’argent. C’est cher, mais j’ai gagné plus de trente pièces d’argent aujourd’hui. Je vais me faire plaisir.
 
Si tu es motivée et que tu ne meurs pas sous la dent d’un Gobelin caché dans l’herbe, être Coursière peut vraiment rapporter de l’argent. C’est vrai, une bonne part de mes gains vient de la requête de Magnolia, mais je gagne tout de même plus que la plupart des gens. Ou du moins j’imagine.
 
Le travailleur moyen se fait entre trois et quatre pièces d’argent* par jour. Mais c’est une misère par rapport à ce que peuvent rapporter des marchands ou des commerçants. Même en retirant leurs dépenses journalières, ils gagnent probablement plus de vingt pièces d’argents par jour. Et ça, c’est de la petite monnaie par rapport à ce que peuvent se faire les aventuriers.
 
* La monnaie change d’une ville ou d’une région à l’autre. Ici, la monnaie est appelée Thestal, mais ça veut juste dire qu’ils ont un poids et un pourcentage d’argent ou d’or précis par pièce. Ceux qui doivent gérer beaucoup d’argent vérifient le type de monnaie, mais c’est tout le temps globalement des pièces d’argent, d’or ou de cuivre.
 
Les célèbres aventuriers. Des héros. Des gens qui peuvent trancher, couper en dés et faire exploser des choses. Je pense à eux en me prélassant dans l’une des maisons de bains publiques. C’est très agréable, mais qu’est-ce que je me dis… Ah, oui.
 
Les aventuriers.  Ils ne ressemblent pas exactement aux personnages hauts en couleurs équipés d’armures de folie et d’épées gigantesques que l’on voit dans les jeux vidéo. La plupart ressemblent à des soldats médiévaux. Ou du moins, c’est le cas le cas de ceux de bas niveau. Là encore, Garia me dit que ceux de haut niveau sont vraiment impressionnant, mais je n’en ai pas encore rencontré.
 
Et pourquoi est-ce que je pense aux aventuriers ? Et où est la serviette ? Et pourquoi est-ce que ce type d’entretien des bains me regarde d’un œil noir ?
 
Ah, oui. À cause de mes pieds. Hey, ils sont sales mais probablement moins que d’autres zones corporelles dégoûtantes d’autres gens. Laisser un pourboire ? J’imagine.
 
Bref, où en étais-je. Les aventuriers ? Ouais, ce sont des genre de… d’artistes affamés ? La chasse aux monstres ne leur rapporte pas beaucoup, mais ceux qui survivent à leurs descentes dans des donjons ou de vieilles ruines peuvent gagner des quantités inimaginables de richesses en un instant. J’imagine que c’est attrayant pour les gens qui pensent survivre. Moi ça ira, merci. J’ai vu ce que les Gobelins peuvent faire aux gens, et ce sont les monstres les plus faibles de la région.
 
Quoi qu’il en soit, si les aventuriers représentent le haut du panier en termes de gains, je dirais que les Coursiers tombent dans la catégorie moyenne. Le boulot est dangereux, mais nettement moins que combattre des monstres.
 
Pourquoi je ne m’en fous pas, déjà ? Ah, oui. L’argent. J’en ai assez.
 
Retour sur l’auberge. Je suis fatiguée, mais mon esprit continue de carburer. Depuis combien d’heures, déjà ? Je suis toujours énervée à cause de ces idiots à la Guilde des Coursiers. Et de Garia. Je suis plus agacée qu’en colère contre elle mais...
 
Elle regardait mon oreille. Ce qui est normal. Est-ce que les blessures aux oreilles sont banales dans le coin ? Le motif de la blessure est caractéristique. C’est peut-être la raison pour laquelle elle est curieuse. Ça et le fait que je coure pieds nus. Ce n’est pas commun, même dans les mondes fantastiques, J’imagine.
 
Retour sur l’auberge. Il est temps de manger. JE vais manger, et réfléchir. Quel repas ? Du poulet. Je pourrais prendre du poulet et de la purée. C’est délicieux, surtout que je suis affamée. Mais concentre-toi. Est-ce que ce type est en train de mater mes seins. Oui. Je te hais, random inconnu.
 
Ignore-le. Mange ton poulet. Le gravy va sur la purée. Réfléchis.
 
Refaisons la liste de tout ça. Les priorités d’abord. Pour commencer, et le plus important ? De l’argent pour vivre. En ce moment, je gagne assez pour me payer une chambre d’auberge et des repas réguliers, mais il faut continuer d’économiser.
 
Ensuite, j’ai besoin de plus d’informations. Il n’y a pas de bibliothèque dans le coin, ou du moins elles ne sont pas ouvertes au public. J’ai besoin de cartes, mais également d’un livre sur les villes de la région. L’histoire, la culture… j’ai besoin d’un autochtone. Je ne peux pas trop leur en demander, sinon ils risquent de devenir soupçonneux. Mets cette préoccupation en veilleuse.
 
Quoi d’autre ? Hum. L’équipement. Le boulot que j’ai est à peu près le seul que je puisse faire. Y a-t-il d’autres alternatives ? Je pourrais devenir scribe…. Si j’avais une jolie écriture. Mais savoir écrire autre chose que mon nom est plutôt commode. Dommage que ce ne me soit pas très utile.
 
Concentre-toi. L’équipement. Il y a des objets magiques en vente sur les marchés. Pas beaucoup - et ils sont chers. Mais il existe plusieurs sortes d’objets enchantés pour les Coursiers. J’en veux un. Mais j’essaie toujours de gagner assez d’argent pour acheter une bonne potion de soin en cas d’urgence. Cela doit rester ma principale priorité.
 
J’ai terminé mon repas ? Est-ce que je laisse l’assiette ici ou… ? Hm. Voyons voir. On dirait qu’ils laissent leurs assiettes. Et l’aubergiste met le tout sur mon ardoise… ? Yup. Je paierai demain.
 
De retour dans ma chambre à l’étage, loin des regards indiscrets et des gens qui veulent s’asseoir boire un verre avec moi. Je ne suis pas contre le fait de boire* mais je n’ai vraiment pas besoin de m’occuper d’hommes esseulés en ce moment.
 
* Enfin, si c’est de l’alcool, si.
 
Mon lit est plutôt bien ce coup-ci. Décidément, on obtient vraiment ce pour quoi on paie. J’imagine que je dépenserai dorénavant au moins deux pièces d’argent pour l’auberge. C’est cher, mais c’est toujours mieux qu’un mauvais lit.
 
Hm. Dernières vérifications avant d’aller me coucher. Fals ? Je le déteste. Il faut que je coure avec Garia un de ces jours. Histoire d’en être débarrassée. Je dois dépenser de l’argent pour… une potion de soin. Puis pour de l’équipement. Voilà.
 
Je sais ce que je dois faire demain. Je commencerai par aller à la Guilde des Coursiers et récupérer de bonnes requêtes avec de grosses récompenses. Économise, achète cette potion de soin. Mais quelque chose me turlupine alors que je suis allongée dans mon lit, une plume me piquant l’arrière de la tête.
 
Voilà le problème. Et c’en est un gros. Je n’ai aucune idée de quoi faire après. Pas “après” comme dans “demain”, mais “après” comme dans quels devraient être mes plans pour le futur. Je peux gagner assez d’argent pour vivre, mais quel est mon objectif final ? Vivre et mourir ici ? Ou retourner chez moi ? Et comment vais-je pouvoir faire ça, morbleu* ?
 
*Et d’où vient ce mot, d’abord ? Non. Concentre-toi. Concentre-toi.
 
Quand je cours, je peux m’empêcher de réfléchir à tous ces doutes qui me taraudent. Mais quand je m’arrête et que je m’apprête à dormir, je la sens ramper hors des tréfonds de mon esprit.
 
L’incertitude. Je ne sais toujours pas pourquoi je suis là, quelle magie ou quel destin m’a amenée ici, ou même que faire ensuite. Je gagne de l’argent et je le garde, mais je ne sais pas quoi en faire. Je cours et je cours, et un jour je tomberai sur un truc dangereux. Ce monde est plein de monstres, et je ne sais pas quoi faire.
 
Il n’empêche que je ne peux pas m’en inquiéter maintenant. Je dois dormir. Si je suis fatiguée demain ou que je ne me réveille pas à temps, je vais rater les bonnes livraisons.
 
Je ferme mes yeux. Il est temps de dormir. Mon esprit tourne à toute vitesse, mais mon corps, au moins, est fatigué. Je m’assoupis dans mon matelas. Il n’est pas tellement différent de celui que j’ai à la maison, pour être honnête. Peut-être un peu plus bosselé et globalement moins confortable, mais ça ira. Et je suis tellement fatiguée.
 
Merde. J’ai oublié. Avant de s’endormir. Concentre-toi. Bloque les messages…
 
Classe de la [Coursière va-nu-pieds] obt…
 
Compétence [Coursière va-nu-pieds] obt…
 
[Compétence : …]
 
[Comp…]



Je déteste avoir à faire ça tous les soirs.

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 25 janvier 2020 à 15:39:41
1.21

L’auberge. Un endroit pour les aventuriers en quête d’aventure, pour boire, pour se reposer, et même, de temps en temps, une maladroite histoire d’amour. Ou juste du désir. N’importe quelle taverne digne de ce nom avait au moins une silhouette mystérieuse prête à livrer des messages cryptiques prédisant la fin du monde. Tous les vrais bars pouvaient se vanter d’avoir une atmosphère saturée de potentielle violence faisant vibrer l’air.

Les auberges attiraient de la foule. Donc, un aubergiste se devait d’être constamment occupé. C’était un métier compliqué qui demandait souvent d’avoir plus d’une serveuse ou barman à son service.

Erin Solstice était assise dans son auberge et attendait que la foule déboule à travers ses portes. Cela allait arriver à n’importe quel moment. Ils allaient être tellement nombreux qu’elle allait devoir les repousser à coup d’huile bouillante et de couteau de cuisine. Dans pas longtemps. Ils étaient probablement en train d’attendre la tomber  de la nuit.

***


Deux nuits plus tard Erin devait admettre qu’être une aubergiste était plus difficile que prévu. Et pourtant elle s’était attendue à quelque chose de difficile.

« À quoi ça sert d’avoir une auberge sans client ? »

Erin soupira avant de s’asseoir dans l’une de ses chaises. Elle regarda le parquet étincelant et la robuste porte en bois en se demandant si cela valait le coup de les nettoyer une nouvelle fois. Mais non, elle avait déjà dépoussiérée et fait briller toutes les surfaces disponibles, et elle avait suffisamment de nourriture dans la cuisine pour nourrir une petite armée. Ce qu’elle n’avait pas été de l’argent ou des gens qui voulaient dépenser de l’argent.

« Deux jours. »

Erin mit sa tête entre ses mains, morose. Cela faisait deux jours qu’elle avait peint le panneau et donner un nom à l’auberge. Deux jours, et ses seuls clients avaient été les trois cauchemars qui hantaient ses journées.

Relc, Klbkch et Pisces. Ils étaient tous de terribles clients. Ils étaient tous des types sympas… Enfin, sauf Pisces qui était embêtant quelque soit la situation, mais en tant que clients ils avaient de terribles défauts. Même Klbkch.

Surtout Klbkch.

Ce n’est pas qu’ils étaient embêtants mais… Non, ils étaient embêtants. Erin serra les dents en souhaitant que les Gobelins s’arrêtent à son auberge pour changer sa routine. Au moins eux étaient propres, silencieux, et terminaient leurs assiettes.

Enfin, Relc terminait toujours son assiette. Comme les deux autres, mais dans le cas de Relc il avait tendance à étendre le contenu de son assiette sur la table et le sol. Est-ce que c’était vraiment si difficile d’utiliser des couverts ?

Et celui qui savait utiliser des couverts ne payait jamais. Jamais. Erin avait l’impression de gérer une soupe caritative dès que Pisces venait manger.

Quant à Klbkch ce… Ce…

« Fichu serpent-fourmi menteur et mangeur de pâte ! Idiot ! »

Erin frappa la table. Elle était vraiment en colère contre lui. Comment pouvait-il trahir ses attentes de cette façon ?

Elle aurait été contente de le nourrir de pâte jusqu’au bout de la nuit. Contente, jusqu’au moment où Pisces et Relc lui dirent que les Antiniums ne supportaient pas très bien le pain et les pâtes. Ils étaient tous naturellement intolérant au gluten. Manger des pâtes était aussi amusant pour Klbkch que se piquer la langue avec un couteau. S’il avait une langue.

Les pâtes n’étaient techniquement pas du poison pour lui, mais elles le rendaient léthargique et compliquaient méchamment sa digestion. Dans tous les cas, il avait clairement acheté et mangé des pâtes pour la soutenir.

L’audace. Le culot de cet insecte. Les fourmis étaient des insectes, pas vrai ?

Quand elle avait découvert l’allergie aux pâtes de Klbkch, elle s’était méchamment disputée avec lui. Ou plutôt, elle s’était énervée et il s’était excusé encore et encore. Depuis cette dispute Erin l’avait laissé acheter du jus de fruit bleu ou des fruits bleus, mais plus de pâte. Le problème était qu’en faisant ça elle avait perdu l’une de ses principales sources de revenus, vu que Relc passait de temps en temps et que Pisces venait trop souvent.

« Encore une nuit sans clients. »

Erin soupira et regarda son auberge. Elle nettoya un verre avec automatisme avec un morceau de tissu. Non pas parce que le verre était sale, mais parce qu’elle sentait que c’était une chose qu’un aubergiste devait faire. Et elle s’ennuyait.

« Qu’est-ce que je ne donnerai pas pour un client. »

Deux tables plus loin, Pisces leva son nez de son bol de soupe à l’oignon et à la saucisse.

« Je suis juste là, tu sais. »

Erin le regarda.

« Je veux dire un client sympa et qui paye »

Il renifla et termina le fond de son bol. L’un des aspects positifs du mage, si on pouvait vraiment l’appeler ainsi, était qu’il mangeait comme un carcajou affamé.

« Je crois qu’il existe une charmante tradition connue sous le nom ‘d’ardoise’. Sois sans crainte, je t’assure que je payerai ce que je te dois en temps voulu, Maîtresse. Même si je dois admettre qu’une légère augmentation du nombre de tes plats te ferait le plus grand bien. Des pâtes et de la soupe sont très adéquats, mais j’espère que tu sais qu’il existe d’autres plats en ce bas monde n’est-ce pas ? »

Erin serra les dents avant de pointer la porte du doigt.

« Dehors. »

Pisces se leva avec un ego froissé et secoua sa robe sale. Il offrit une courbette à Erin qui était sardonique sans vraiment être assez offensant pour la mettre en rogne.

« Ta soupe est plus qu’adéquate. Cependant, je te conseille d’ajouter plus d’assaisonnement pour relever le gout fade. »

Erin ouvrit la bouche, mais il était déjà en train de sortir. Elle le regarda fermer la porte et s’arrêter avant de la claquer. Cette fois Erin cogna violemment son poing contre la table.

Après avoir fermé et verrouillé la nouvelle porte que Klbkch l’avait aidé à installer, Erin goûta la soupe froide et fit la grimace. Elle se rendit jusqu’au placard à la recherche d’un sac de sel.

Cuisiner était plus compliqué que prévu. Et malheureusement, même si Erin pouvait réaliser plusieurs plats grâce à sa compétence, cela n’avait pas vraiment d’importance si personne d’autre que Pisces allait les manger. Aujourd’hui elle avait essayé de faire de la soupe, et il lui restait encore la moitié d’une casserole qui l’attendait dans la cuisine. Elle allait devoir attendre que Relc passe demain pour complètement la terminer.

Erin soupira avant de s’asseoir à une table, c’était sa table préférée, la seconde en partant du bar. C’était là qu’elle dormait. C’était vrai qu’elle aurait pu utiliser le sol ou faire quelque chose à propos du second étage, mais elle n’avait pas assez d’argent pour s’acheter des matelas ou des oreillers. Donc pour l’instant, elle dormait, et sa vie n’était pas si terrible. Elle avait survécu aux Gobelins et était véritablement en train de gérer son propre commerce. Elle voulait simplement que…

Elle voulait simplement que les choses commencent à s’arranger pour elle.

***

Le lendemain suivant Erin se réveilla fatiguée. Extrêmement fatiguée. Et c’était étrange car elle avait passé une bonne nuit, enfin, elle pensait qu’elle avait passé une bonne nuit.

Alors qu’Erin se releva elle se sentit soudainement inconfortable. Elle baissa les yeux pour regarder ses vêtements. Elle portait un mélange de t-shirt et de pantalon qu’elle avait commandé sur-mesure à l’un des Gnoll que Krshia lui avait présenté.

La plupart des Drakéides portaient des toges et des robes ressemblant à ce qu’avait porté les grecques, leurs vêtements étaient longs et donnaient une grande liberté de mouvement. Certains d’entre eux portaient des paréos, mais elle certaine que seul les femelles en portaient.

D’un autre côté, les Gnolls s’habillaient de manière minimaliste, généralement juste assez pour couvrir leurs parties intimes, qui n’étaient même pas visible pour commencer. Et même si Erin n’était pas dérangé par ce look, elle n’était pas vraiment partante pour porter un pagne et quelque chose pour cacher sa poitrine en public, d’où son besoin de passer une commande sur mesure.

Le tissu était plus rugueux et solide qu’Erin le voulait, mais ce n’était pas trop inconfortable. Elle avait déjà dormit sans problèmes en les portant l’autre jour. Alors pourquoi c’était soudainement inconfortable contre son… Plus bas…?

Erin baissa les yeux et commença à prier. Elle ferma les yeux. Est-ce qu’elle devait aller aux toilettes ? Non. Nan. Pas du tout. Alors pourquoi est-ce qu’elle sentait quelque chose couler…

« Oh. Mon. Dieu. C’est n’est pas possible ! »

L’humidité de son entrejambe continua de s’éteindre sur son pantalon alors qu’Erin baissa les yeux. Elle commença à jurer alors qu’elle se leva et courut pour aller se changer. Cela ne pouvait pas arriver. Et pourtant. Comment avait-elle put oublier ?

Ses règles. Elle avait ses foutus règles.

Erin se rendit jusqu’au sac qu’elle utilisait pour soigneusement ranger ses courses et commença à fouiller à l’intérieur en jetant le contenu du sac par-dessus son épaule. Des serviettes. Elle devait avoir des serviettes quelque part.

Là. Erin s’en empara ainsi qu’un pantalon propre. Elle retourna dans la salle commune avant d’hésiter. Hors de question de se changer ici, elle alla à l’étage.

Alors qu’Erin changea son pantalon et se nettoya, elle se demanda quel cruel coup du sort l’avait magiquement transporté dans un monde magique… Tout en continuant de lui donner le miracle de la vie tous les mois.

« Je n’ai jamais entendu parler d’un personnage de jeu vidéo avoir ce problème ! Comment veux-tu que Lara Croft escalade une montagne avec une couche géante dans son pantalon ? J’aimerai bien voir Leia affronte des stormtroopers lors de son cycle ! »

Erin se précipita au rez-de-chaussée et jeta la serviette ensanglantée et le pantalon au sol. Puis elle prit une autre serviette et se rendit dans la cuisine pour la couper en deux, avant de mettre l’un des morceaux dans son pantalon.

« Rugueux. »

Les serviettes n’étaient pas faites pour être utilisé de la manière dont elle les utilisait. Erin frissonna. C’était un cauchemar. Elle devait trouver un moyen de se soulager. Et part ça elle voulait dire des tampons.

Ce qu’elle réalisa ensuite lui glaça le sang, car Erin était pratiquement certaine que les tampons n’avaient jamais existé au Moyen-Age. Mais… Ils avaient des serviettes hygiéniques, pas vrai ? Les femmes existaient au Moyen-Age, même si elles étaient oppressées. Et Liscor n’était si primitif. Donc ils avaient des serviettes hygiéniques. Ils devaient en avoir.

« S’il te plait Dieu, si tu es là. Ou le Buddha. Je peux prier n’importe qui. Mais par pitié ne me fait pas porter une couche. »

Elle ne savait même pas s’ils avaient des couches. Elle n’avait pas vu beaucoup de bébés Drakéides en marchant en ville, et ils s’éloignaient de l’humaine qui faisait peur.

Erin se dirigea vers la porte avant d’hésiter. Elle avait l’impression de porter une couche qui la démangeait, mais elle ne pouvait rien y faire. Elle mit la main à sa poche avant de marcher jusqu’au pantalon qu’elle avait laissé tomber et d’en sortir un maigre portefeuille. Il ne lui restait pas beaucoup d’argent, mais c’était probablement assez.

Son pantalon ensanglanté et la serviette était un autre problème. Erin les regarda avant de les passer en dessous d’une table. Puis, elle ouvrit la porte et la claqua derrière elle. Elle était déjà de mauvaise humeur quand elle quitta son auberge.

Après les quarante minutes nécessaires pour atteindre Liscor en se dépêchant. L’humeur d’Erin était passé de mauvaise à terrible. La serviette dans son pantalon la dérangeait. Et ses règles étaient lourdes. Elle voulait tuer tout ce qui bougeait, et c’était avant qu’elle ne trébuche sur un caillou.

***

Erin marcha à travers les portes ouest de Liscor. Dans les faits, elle traversa les portes au quart de tour. En vérité, elle chargea à travers elles avec la furie d’une armée.

Le Drakéide en poste, le même Drakéide jaune qu’elle avait croisé plusieurs fois, ouvrit sa bouche pour faire un commentaire. Erin lui gronda dessus en montrant les dents tout en le dépassant, et il décida de se taire.

***

Un autre obstacle se dressa sur sa route alors qu’elle puisse atteindre la rue du marché. Olesm apparut de nulle part, tenant une boite dans ses mains écailleuses.

« Bonne journée, mademoiselle Solstice. Quelle étrange coïncidence qu’on se croise de cette manière. »

Erin serra les dents. Son abdomen était en train de cramper, et celle-ci était méchante.

« Pas maintenant, Olesm. »

Il baissa la tête, tout en tenant son rythme.

« Je comprends que c’est peut-être un mauvais moment, mais je me demandais si tu étais disponible plus tard pour une par… »

Erin détourna le regard et le doubla. Olesm ravala ses mots et elle le laissa derrière elle en continuant de traverser la rue. Quelques Gnolls grognèrent alors qu’elle passa à côté d’eux, et cette fois elle grogna en retour.

***

« Des serviettes hygiéniques. »

Krshia leva les yeux de la pile de pièce de cuivre et d’argent.

« Oui, Erin Solstice ? »

Erin prit une grande respiration. Elle ne pouvait pas s’énerver. Pas maintenant, alors qu’elle était si proche du but.

« Des serviettes hygiéniques. Je veux acheter des serviettes hygiéniques. Et des tampons, si cette ville en a. »

La marchande Gnoll était assise, mais sa tête était presque aussi haute que celle d’Erin. Elle cligna des yeux en sa direction.

« De quoi est-ce que tu parles ? Est-ce que ce sont des bandages ? »

Le sang d’Erin se glaça. Elle sentit la terre à ses pieds s’ouvrir pour l’avaler, et un chœur de mains de damnés s’élever pour l’emporter en enfer.

« Par pitié dit-moi que c’est une blague. »

Un peu de poil s’envola alors que Krshia secoua la tête.

« Mes excuses. C’est la saison où nous perdons nos poils. Pourquoi est-ce que tu as l’air si concernée, Erin Solstice ? »

Erin se pencha et murmura bruyamment à Krshia.

« Je saigne. J’ai besoin de serviettes, de serviettes hygiéniques, maintenant. »

« Tu saignes ? Où ? »

Peut-être que la Gnoll était véritablement en train de la faire marcher, ou peut-être qu’elle n’avait pas le même sens pudique qu’Erin. Dans tous les cas, Erin se pencha et murmura en direction de l’oreille de Krshia.

La Gnoll haussa les épaules.

« Est-ce que cela est vraiment dérangeant ? »

Erin la regarda bouchée bée. Krshia gratta son pelage à l’arrière de sa nuque tout en donnant l’air de ne pas être concerné.

« Ce n’est que du liquide, n’est-ce pas ? Et tous ceux qui te sentiront le sauront. Pourquoi gâcher du bon tissu ? »

Erin la regarda et Krshia arrêta de se gratter.

« Quoi ? »

« Est-ce que tu te moques de moi ? Car si c’est le cas, je ne suis pas d’humeur. »

« Je ne me moquerai pas d’une jeune femme telle que toi qui arrive en sentant le sang et la sueur. »

Krshia semblait être légèrement offusqué. Erin frotta ses yeux et croisa ses jambes.

« Désolé. C’est juste que… Tu peux le sentir. Sérieusement ? Non, ne me dit pas. Je n’ai vraiment pas envie de savoir. Est-ce que les Gnolls ont aussi leurs règles ? »

Le Gnoll en question pencha sa tête sur le côté et la regarda de manière confuse.

«  Nos règles ? »

« Le cycle menstruel. Tu sais, cette période du mois où tu donnes du sang. Quand tu as tes ragnagnas. La semaine du requin. La vague cramoisie. L’ouverture de la Mer Rouge ! »

Krshia cligna des yeux. Erin sentit sa voix s’emporter.

« Tu sais ! Chevaucher le poney en coton ! Le truc que les femmes ont ! Les chutes de l’enfer ! La baptême du sang ! L’excuse pour ne pas aller en classe de natation ! La preuve que tu es une femme ! La période du mois durant laquelle du sang sort de ton... »

***


Erin était accroupi sur le sol, la tête enfouie dans ses bras. Les autres clients la regardaient. Les autres marchands la regardaient. La moitié d’entre eux avait l’air compatissant. L’autre semblait dégoûté. Les enfants étaient partagés entre être impressionnés et horrifiés.

Une lourde patte velue tapota gentiment Erin sur l’épaule.

« Les Humains ont des corps étranges, n’est-ce pas ? »

« …Oui. »

Elle n’avait pas voulu crier.

« Je ne voulais pas crier. »

« Ce n’est rien. »

Krshia fit un mouvement dédaigneux avec ses doigts.

« Crier est bon pour la santé. Presque aussi bon qu’hurler, mais nous n’avons pas le droit de le faire à moins que cela soit la pleine lune. Mais je suis désolé. Les Gnolls n’ont pas de règles, et nous ne perdons pas de sang tous les mois. »

« Donc vous n’avez rien de la sorte ? »

La Gnoll fit une pause en tapotant ses lèvres avec un doigt avant de hocher la tête.

« Le sang. C’est pour se reproduire, n’est-ce pas ? Nous avons quelque chose de similaire durant lequel tous ceux qui sont toujours capables d’avoir des enfants vont en chaleur. Cela s’appelle œstrus, mais ça n’arrive qu’une ou deux fois l’année. C’est la période pendant laquelle nous nous reproduisons. »

Erin leva la tête pour la regarder.

« Est-ce que c’est douloureux ? »

Krshia se gratta une oreille avant de secouer la tête, envoyant plus de poils voler autour d’elle.

« C’est agréable. Certains attendent cette période avec impatience. C’est le temps de se reproduire et d’avoir des enfants, et donc nous sommes heureux quand cela nous arrive. »

Erin pointa Krshia d’un doigt tremblant.

« Je suis tellement en train de te détester, je ne peux même pas te l’expliquer. »

La Gnoll sourit, mais c’était sans malice.

« Je suis désolé pour cette difficile situation qu’est la tienne. Mais je n’ai pas de vêtement doux. Mais j’ai ceci, ce sont des vêtements en laine, le tissage n’est pas le plus adroit, mais c’est solide. Est-ce que cela te convient ? »

Erin regarda la laine rugueuse qui lui était présenté et frissonna.

« Est-ce que tu as la moindre idée de…Non. Par pitié, par pitié dit moi qu’il y a quelqu’un qui vend ce dont j’ai besoin dans cette ville. »

Une nouvelle fois, Krshia se gratta la tête, et Erin se demanda si elle avait des puces.

« Hum. Non. »

« Non ? »

« Nous Gnolls n’avons pas besoin de serviettes, les Drakéides et les Antiniums n’en n’ont pas besoin. Les Humains sont rares par ici, donc je ne pense pas que les serviettes hygiéniques que tu cherches existent dans un des magasins de cette ville. »

Le visage d’Erin devint soudainement pale, elle regarda la marchande avec la bouche entre-ouverte, qui lui lança un regard concerné en voyant son expression.

« Est-ce vraiment si terrible ? »

« Je… Je vais mourir. »

« Pas à cause de si peu de sang, je pense. Mais je viens d’avoir une idée. »

Erin s’accrocha au rayon d’espoir sans hésitation.

« Oui ? Dit-moi. Quelle est cette idée ? »

« La Guilde des Aventuriers. Ils ont des bandages. Beaucoup de bandages. Si tu ne peux pas arrêter le sang de couler, peut-être qu’ils seront apte à t’aider. Et les bandages sont doux, n’est-ce pas ? »

« Oui… Oui ils le sont. »

Erin était de nouveau sur pied en un instant. Elle commença à partir en canard, avant de s’arrêter.

« Merci. Je, heu, je dois y’aller. À la revoyure. »

Perplexe, la Gnoll regarda Erin marcha maladroitement hors de son champ de vision. Elle jeta un coup d’œil à la femme Drakéide qui était devant son étal, avant de montrer ses dents en souriant.

« Les Humains, eh ? »

***

Le frais comptoir en bois de la réception de la Guilde des Aventuriers était agréable pour la tête d’Erin. Elle reposa sa tête ici en souhaitant qu’elle n’avait pas à gérer le reste du monde.

« Donc tu as vraiment du sang qui coule de là ? Et ça arrive tous les mois ? »

« Oui. »

« C’est trop bizarre. »

Erin grogna. Elle leva les yeux vers Selys, l’amicale réceptionniste. Elle était vraiment reconnaissante du fait que la femelle Drakéide était en train de travailler, mais elle ne pouvait vraiment, vraiment pas gérer son innocente curiosité.

« Je sais. Tout le monde me le répète. Mais par pitié, est-ce que tu as des bandages ? Fin et doux s’il te plait ? »

Selys hocha la tête avant d’ouvrir un tiroir. Elle en sortit un rouleau de tissu fin et blanc avant de le tendre à Erin.

« Nous en avons plein, en cas d’urgence. De combien en as-tu besoin ? »

« Beaucoup. »

Le ton d’Erin était morose alors qu’elle sortit son maigre porte monnaie. Elle essaya de calculer combien de rouleau de bandages elle allait avoir besoin, et comment elle allait les tourner en une serviette hygiénique. Elle avait besoin d’acheter de la nourriture… Mais c’était plus important.

« J’ai besoin d’assez de bandages pour toute une semaine, je crois. Et j’ai besoin d’utiliser les bandages pour faire une serviette. Tu sais, un truc pour recouvrir la zone. Et parfois je change de serviettes toutes les heures, donc… »

Les Drakéides n’avaient pas de sourcils, donc Selys ne pouvait pas les hausser. Mais ses yeux s’écarquillèrent légèrement et sa longue sortit hors de sa bouche durant un court instant avant de disparaître, comme celle d’un serpent.

« C’est coûteux. Désolé Erin, mais je ne pense pas que tu as assez pour tout ça. Les bandages ne sont pas chers, mais tu vas en avoir besoin de beaucoup. »

« Ne m’en parle pas. Lors des pires jours j’utilisais une tonne de serviettes toujours les jours avant de passer aux tampons. Et laisse-moi te dire, ce fut un changement aussi psychologique que corporel. »

Selys la regarda sans un mot. Erin agita sa main. Elle n’allait pas donner un coup de pied dans cette fourmilière.

« Bien, de retour à tes serviettes… Pourquoi ne pas en faire un que tu peux utiliser plus d’une fois ? »

Erin releva la tête pour regarder Selys.

« Quoi ? »

« Ça a du sens, non ? Si tu vas salir tes serviettes, pourquoi ne pas les laver plutôt que de les jeter ? »

Son cerveau s’arrêta alors qu’Erin ouvrit la bouche pour répondre. Elle essaya de penser à une explication logique, mais sans succès.

« Hum. Uh, c’est… C’est une très bonne idée en fait. J’en entendus dire qu’il faisait quelque chose du genre dans les pays en développement mais… D’accord. D’accord. C’est sale mais d’accord. Comment est-ce que je vais faire pour qu’on m’en fasse ? »

Selys sourit à Erin, il y avait bien trop de dents pointues dans ce sourire, mais Erin commençait à être habitué.

« J’ai déjà recousu plus d’un aventurier par le passé, je peux te faire quelques une de ces serviettes assez rapidement si tu le veux. J’ai une compétence de [Couture Rapide] donc je ne vais pas en avoir pour plus de quelques minutes. »

Erin se pencha par-dessus le comptoir et attrapa la main griffue de Selys. La réceptionniste cligna des yeux, surprise.

« Oh, merci, merci, merci. »

« Il n’y a pas de quoi. Vraiment. Je vais commencer, à quoi ça ressemble ? »

« Hum. Quelque chose comme ça. »

Erin montra décrit la forme à Selys alors que la Drakéide fit un hmm compréhensif avant de commencer à coudre plusieurs couches de bandages entre eux. Elles venaient juste de terminer le design de base et Erin venait d’ouvrir son porte-monnaie quand elle entendit un grognement familier derrière elle.

Selys avala bruyamment sa salive, mais Erin fronça les sourcils. Elle se retourna et leva la tête pour voir le visage d’un Gnoll irrité.

« Humain. Tu continus de puer. »

« Je ne te parle pas. Dégage. »

Il cligna des yeux, mais Erin était déjà en train de se retourner vers Selys. Elle sentit une main calleuse la tourner et manqua de faire tomber son argent. Elle plissa les yeux vers le Gnoll.

« Tu empestes le sang. Je t’ai déjà prévenu… Quitte ces lieux. »

Erin sentit ses dents grincer alors qu’elle serra sa mâchoire en regardant le Gnoll. Il était grand et effrayant, mais elle était pratiquement certaine qu’il n’avait pas le droit de la frapper. Et même si elle avait le droit, elle était de mauvaise humeur. Sans être sollicité, le fait qu’elle ne savait toujours pas ce que [Combat de Taverne] faisait lui vint à l’esprit.

« Est-ce que j’ai l’air d’être d’humeur à me faire malmené ? »

Le mâle Gnoll lui grogna dessus. Erin le regarda sans cligner des yeux. Elle était vraiment en train d’avoir de terribles crampes en bas, et la sensation d’écoulement n’aidait pas.

Leur affrontement visuel continua pendant une solide minute. Il était bien plus grand qu’elle, faisait les habituels mouvements intimidants que tous les mâles faisaient. Elle était trop en colère et endolorie pour en avoir quelque chose à faire.

Après une autre minute, les oreilles du Gnoll s’abaissèrent pendant une seconde. Il se retourna avant de partir. Erin lui fit un doigt d’honneur d’une main avant de se retourner vers Selys.

« Désolé. Où est-ce qu’on en était ? »

La femelle Drakéide était en train de regarder Erin bouche bée. Erin la regarda avant de sourire.

« Intimide-moi une fois, honte sur toi. Intimide-moi deux fois… Et je deviens méchante, et violente. »
« Je peux voir ça. Mais j’aurai dû le savoir. Terbore peut te grogner dessus, mais tout le monde en entendu parler du fait que tu as tué un Chef Gobelin toute seule. Sacrée histoire. »

Le sourire d’Erin s’amoindrit pendant une fraction de seconde.

« Oh. Quelqu’un t’en a parlé ? »

« Oh oui. »

Selys hocha la tête alors qu’elle commença à coudre les bandages ensemble avec une aiguille et du fil. Les doigts tenant la longue aiguille passaient d’un bout à l’autre du tissu à une vitesse hypnotique.

« Klbkch a dû nous apporter la tête du Chef Gobelin. Nous avons tous entendu que c’est toi qui l’a tué. C’est incroyable, et au passage… Klb nous as dit que tu n’as même pas un niveau dans une classe de combat. Comment as-tu fait ? »

« Hum. Je lui ai brûlé le visage. »

« Oh, tu es une [Mage] alors ? J’en ai  vu un qui était Humain en ville l’autre jour, mais apparemment c’est un fauteur de troubles et un voleur. »

« Non, non. Je ne suis pas une mage. J’ai juste… Utilisé une astuce. Et j’ai failli mourir. Je suis certaine que Klbkch n’a pas mentionné ce fait. »

« Il a dit que tu avais été blessée. Est-ce que c’était grave ? »

« Très grave. Il m’a donné une potion de soin. Sans ça je serais morte. »

Les mains de Selys s’arrêtèrent de coudre alors qu’elle regarda Erin.

« Il t’a donné une potion de soin ? Mais elles sont coûteuses. Tu devais vraiment être dans un sale état pour que Klbkch te donne sa potion. »

Erin fit une moue nerveuse.

« Est-ce qu’elles… Sont vraiment coûteuses ? Les potions, je veux dire. »

« Très coûteuses. »

Selys hocha la tête avant de dire le prix à Erin. Cette fois ce fut à son tour de la regarder bouche bée.

« En fait, c’est important que les membres de la Garde en aient toujours avec eux si jamais quelqu’un est blessé. Ils sont uniquement sensés les utiliser en cas d’urgence. Et les potions que les Gardes Seniors portent sont encore plus fortes. Elles peuvent soigner la majorité des blessures en un instant. À moins de perdre un bras, tu seras sur pied en quelques secondes. »

« Oui, elles sont très efficaces. »

Erin toucha son estomac du doigt de manière pensive avant de soupirer. Une nouvelle chose à ajouter sur la dette qu’elle devait à Klbkch.

« Je suis juste heureuse que seul le Chef Gobelin m’a attaqué. Si le reste des Gobelins l’avaient suivi, je serais morte. »

« Oh, si cela avait été une Troupe de Raid Gobelin nous aurions envoyé l’intégralité de la Garde pour s’en occuper. Je ne comprends pas pourquoi un Chef en avait après toi. Ça n’a pas de sens. »

Erin cligna des yeux.

« Cette quoi ce truc de Gobelin ? »

« Une Troupe de Raid Gobelin, tu en as jamais entendu parler ? »

« Uh. Non… Non. C’est la première fois. Il n’y a pas beaucoup de Gobelins de là où je viens. »

Selys soupira jalousement en terminant la première serviette et de la faire glisser vers Erin. L’autre fille testa le tissu et laissa échapper un joyeux sourire.

« Tu as de la chance. Les Gobelins sont de vrais problèmes dans le coin. Je veux dire, d’accord, un Gobelin solitaire n’est pas si dangereux que ça. Ils ne sont meurtriers qu’en groupe. C’est pour ça que nous envoyons les Gardes Seniors et postons des primes sur leur tête, c’est pour réduire leur nombre. »

« Donc vous tuez des Gobelins tout le temps ? Qu’est-ce que vous faites des Chefs ? Vous envoyez des aventuriers après eux ? »

Erin ne savait pas trop comment se sentir à ce sujet. Pas très bien. Mais sa sympathie n’était que pour les petits Gobelins, pas les grands, qui étaient vicieux et sadiques.

« Les Chefs ? Non, non. Ils sont bien trop dangereux pour qu’on envoi la majorité des aventuriers  à leurs trousses. »

Selys frissonna.

« Pourquoi pas ? »

« Ce n’est pas qu’ils sont plus fort que la Garde. Relc, Klbkch, et même certains de la Garde normale sont probablement de meilleurs combattants que les Chefs. C’est juste qu’ils sont… Robustes. Et forts. Et ils peuvent faire appel à leurs tribus. En fait, le groupe d’aventuriers moyens se feraient exterminer contre eux. »

« Donc vous n’envoyez pas d’aventuriers contre les raids, c’est ça ? »

« Dieux non. Si nous avons vent que l’une d’entre elle approche, nous formons un groupe de chasse et nous essayons de nous en débarrasser le plus vite possible. Un raid peut rayer un village de la carte en une heure si nous n’arrivons pas à temps. »

« C’est moche. »

« En effet. Voilà une autre serviette. »

« Merci. Désolé mais je ne peux pas te payer plus… C’est juste que mon boulot d’aubergiste ne me rapporte pas grand-chose en ce moment. »

Selys agita son aiguille en direction d’Erin.

« Pas besoin de t’excuser. Je suis heureuse de pouvoir t’aider. Mais j’ai peur que j’aurai pût te prévenir que devenir aubergiste dans cette vieille auberge n’était pas une bonne idée. »

« Pourquoi Pas ? »

« Quel est ton niveau ? Dix ? Vingt ? »

« Neuf. »

« Tu vois, ce n’est pas si bien que ça. Si tu étais en ville je t’aurai de te faire former par un autre aubergiste jusqu’au Niveau 15, au moins. Cela t’aurait peut-être prit un an ou deux, mais tu aurais gagné quelques bonnes compétences pour faire tourner ton auberge. Et je n’aurai pas choisi une auberge aussi éloigné de la ville pour commencer. »

« Ouais. Personne ne vient. Est-ce que c’est parce que je suis un humain ? Ou parce que c’est trop loin ? »

Une autre serviette terminée, Selys s’empara d’un rouleau de bandages et en coupa un peu plus pour la dernière serviette. Elle cousu avec le tout avec un tissu plus solide et raide, avant de coudre le bandage, plus doux, par-dessus.

« Les deux, je pense. C’est dangereux d’aller si loin… Enfin, pas si dangereux mais cela refroidit les gens. Le fait que tu sois Humain n’est pas si terrible mais… »

« Mais… ? »

« En fait, j’ai entendu Relc en parler dans un bar. Il dit que tu fais des pâtes. Est-ce… Est-ce que c’est tout ce que tu proposes ? »

« Hum. Ouais. Je peux faire d’autre chose. J’ai [Cuisine De Base] mais… Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Selys était en train de secouer sa tête en continuant de coudre. Erin était envieuse de sa vitesse, et de ses mains écaillées. Dès que la Drakéide manquait le tissu ou se planter l’aiguille dans la main, l’aiguille ne rencontrait que de solides écailles plutôt que la chair tendre et vulnérable.

« Je ne veux pas être impoli, Erin, mais ce n’est pas très impressionnant. Tous les cuisiniers et les chefs ont [Cuisine De Base] en tant que compétence. Certains d’entre eux ont même [Cuisine Avancée].

« Oh. Et hum, je suppose que les pâtes ne sont pas si intéressantes que ça. »

« Tu pourrais faire d’autres choses, mais il y beaucoup de bonnes auberges en ville. Et nous recevons tout le temps des recettes humaines venant des cités Humaines du nord. Même si tu vends une nouvelle recette, quelqu’un l’aura déjà dupliqué le lendemain. »

Le visage d’Erin s’assombrit. Selys ne semblait pas être heureuse, mais elle continua.

« Dans tous les cas, personne ne fera le trajet si tu ne vends que des pâtes. Je suis désolé. »

Erin soupira alors que sa tête retomba sur le comptoir. Cela expliquait son manque de clientèle. Ses réguliers n’avaient surement pas de problème pour manger la même chose, mais cela allait déranger tout le monde. Elle supposa qu’elle devait être reconnaissante pour ses réguliers, en y repensant.

Relc mangerait probablement tout ce qu’il allait pouvoir avaler. Pisces mangerait tout ce qu’il pourrait voler, et Klbkch mangerait tout ce qu’elle lui présenterait. Les Gobelins étaient probablement plus difficiles que sa clientèle.

Selys fit glissa la dernière serviette à Erin. La jeune femme l’accepta gracieusement et les toucha délicatement. Elles étaient épaisses, mais elles n’allaient probablement pas être si inconfortable à porter. Plus important, elles étaient solides et elle était certaine qu’elle allait les laver pour les réutiliser.

« Tu n’as pas la moindre idée à quel point c’est important pour moi. Merci. »

La Drakéide sourit, et Erin lui rendit son sourire.

« Il n’y a pas de quoi. Et bon courage pour ton auberge. Je suis désolé que j’ai dû te le dire comme ça mais… »

« Non, tu as raison.  Je vais… Y penser. Mais pour l’instant… »

Erin s’éloigna du comptoir.

« Heu, où sont les toilettes ? »


***


La nouvelle serviette qu’Erin était en train de porter de dérangeait pas comme l’ancienne serviette. Ce qui était une excellente bonne nouvelle, parce que sa peau était encore sensible. Son retour de l’auberge fut plus compliqué que prévu, mais au moins elle avait évité une catastrophe.

« Juste à temps pour une nouvelle catastrophe. »

Erin grommela pour elle-même alors qu’elle tenta les précieuses serviettes dans sa poche. Elle devait penser à son business. Le problème était qu’elle n’avait jamais géré de business auparavant, elle n’avait même pas eut un petit boulot à part aider dans une bibliothèque ou dans un tournoi d’échec. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle devait faire.

« Je penserai à ça demain. »

Erin continua de se plaindre en ouvrant la porte. Il était midi, mais elle était épuisée. Elle détestait avoir ses règles. Pourquoi est-ce qu’elles n’avaient pas disparue quand elle était arrivée dans ce monde ? Ou peut-être qu’il y avait une compétence pour s’en débarrasser. [Pas De Crampes] ou [Flot Fluide] ou quelque chose du…

Erin s’arrêta en ouvrant la porte de son auberge. Cette dernière était vide, mais quelque chose était en train de bouger sous la table. Quelque chose qui luisait…

Dans sa course précipitée pour partir, Erin avait jeté la serviette et le pantalon dans un tas. Et l’une des fenêtres avait dû être ouverte, car cela avait attiré des invités.

Un essaim de mouches acides, vertes et brillantes, rampait sur ses vêtements sales. Ils frottaient leurs corps partout sur le vêtement, sur le pied de table, sur le sol…

Des morceaux du bois étaient en train de fumer et de briller à cause du fluide toxique des mouches acides. Erin pouvait apercevoir des trous dans le plancher. Elle regarda avec horreur les points verts qui s’agitaient sur ses vêtements.

« Vous vous foutez de moi.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 29 janvier 2020 à 16:07:11
1.22

Une masse grouillante et brillante d’insectes verts et noirs recouvraient le pied de table et les morceaux de vêtements ensanglantés. Erin regarda les innombrables insectes qui avaient envahi sont auberge et se demanda si crier attirerait leur attention. Probablement.

Ils étaient d’énormes insectes noirs ressemblant vaguement à des lucioles, sauf qu’ils étaient trois fois plus gros que des lucioles, et n’avaient pas de joli petit derrière lumineux, mais un orbe bulbeux et brillant qui explosait lorsqu’elles étaient dérangées.

Et ils étaient dans l’auberge d’Erin.

« Oh non. Non. C’est pas vrai. »

Lentement,  elle marcha en longeant le mur. Les mouches acides ne lui prêtèrent pas attention. Erin alla jusqu’à la cuisine, déposa ses serviettes dans un coin propre, et attrapa un seau avant de longer le mur de nouveau et de sortir de la pièce, courant vers le ruisseau.

***

Dix minutes plus tard, Erin ouvrit la porte de l’auberge et se baissa lorsqu’une mouche vola près de son visage. L’insecte s’éloigna en retournant au tas de vêtements ensanglanté. Erin plissa les yeux et grimaça.

Les mouches avaient probablement dévoré, ou du moins fait fondre, une majeure partie des vêtements. Et elles devaient être repues ou endormies, car la majorité d’entre elles étaient assises sur le pantalon, sans faire le moindre mouvement.

« Parfait. »

Erin s’approcha lentement, faisant des pauses de quelques secondes pour s’assurer qu’elle ne dérangeait pas les insectes. Le seau était lourd entre ses mains, mais elle était proche. Elle avait juste besoin d’être à portée.

Une fois certaine qu’elle était assez proche, Erin prit une grande inspiration et vida le contenu du seau sur les mouches. Ces dernières furent emportées par l’eau et luttèrent inutilement sur leurs dos, leurs ailes trop lourdes pour s’envoler.

Erin se dépêcha. En un instant elle était dans la cuisine et s’empara d’une grande jarre en verre qu’elle avait utilisé pour stocker de la nourriture périssable. Elle sortit les oignons et s’empara d’une spatule avec un long manche.

Les mouches étaient en train de lutter pour se relever lorsqu’Erin retourna dans la pièce. Elle s’accroupie et commença à les pousser dans la jarre, l’un après l’autre. Certaines mouches explosèrent lorsque la spatule en bois les toucha, mais Erin trouva rapidement le moyen d’éviter ce problème. Il suffisait de les pousser par la tête et d’éviter leurs abdomens verts et luisants.

En un rien de temps elle avait rassemblée toutes les mouches dans la jarre. Une fois cela fait, elle se laissa tomber dans une chaise en se demandant si elle était maudite.

« Donc. Apparemment les mouches acides aiment le sang. D’accord. Est-ce que ça veut dire que je dois m’inquiéter du fait qu’elles peuvent se poser sur moi quand je dors ? »

Elle baissa les yeux vers la jarre de mouche. La plupart d’entre elles étaient en train de voler à l’intérieur de cette dernière, d’autre étaient accrochées au verre, éventant leurs ailes de manière innocente.

Erin souleva la jarre avec précaution et observa les mouches avec admiration et horreur.

« Quatre pattes. Je savais que c’était pas mon imagination. »

Ce qui faisait, techniquement parlant, que ces mouches n’étaient pas des mouches, mais cela n’avait pas vraiment d’importance. Elles ressemblaient à des mouches, bougeaient comme des mouches, et à part pour les explosions d’acides, étaient aussi inoffensives que des mouches.

« Et maintenant j’ai une jarre pleine de ces petites créatures. Qu’est-ce que j’en fais ? »

Erin regarda la jarre. Les laisser partir était probablement stupide. Principalement parce qu’elles aimaient le sang, et qu’elle avait ses règles. Ergot, elles allaient probablement se poser sur elle et lui fondre le visage. Qu’est-ce qu’elle pouvait faire ?

« …Hum. »

Erin hésita, avant de secouer la jarre de manière expérimentale. Aussitôt, la moitié des mouches explosèrent. Le liquide vert et luisant coula jusqu’au fond de la jarre de verre alors que les cadavres des mouches flottèrent à la surface.

Après avoir vérifié que le haut de la jarre était bien sécurisée, Erin secoua cette dernière un bon coup. Cette fois le reste des mouches explosèrent et elle se retrouva avec une jarre d’acide vert et des cadavres de mouches flottant à surface.

« Je devrais me sentir mal pour avoir fait ça. Je devrais vraiment me sentir mal. »

Mais elle ne se sentait pas mal. Et alors qu’Erin observa les mouches mortes flottant dans l’acide, elle eut une idée. Elle déposa délicatement la jarre de verre dans un coin de la pièce où elle était certaine de ne pas la renverser par accident, et vida une nouvelle jarre dans la cuisine.

« Une jarre pour les insectes, une autre pour l’acide. Parfait. »

Erin s’empara de la jarre avant d’hésiter.

« L’acide. Est-ce que ça fait fondre le verre ? »

Elle pensait que l’acide en était capable. Du moins, les extra-terrestres dans les films pouvaient faire fondre le verre. Mais c’était dans un film. Enfin, d’un autre côté, elle était dans un monde de fantasy.

« D’accord. Mais en classe de chimie on utilisait du verre. »

Mais de nouveau, c’était un autre monde. Erin souleva délicatement la bouteille de verre avant d’en regarder les bords. Apparemment l’acide ne faisait pas fondre le verre. Elle déposa la jarre dans le coin le plus éloigné de la cuisine, juste au cas où.

« Voilà, une bonne chose de faite. Je fais quoi maintenant ? »

Il lui fallut deux secondes avant de réaliser ce qu’elle avait oublié. Erin se tapa le front.

« C’est l’heure de faire le ménage. »

Elle se releva, fatigué, avant de se rendre de nouveau dans la salle commune. Elle baissa les yeux vers l’endroit où les mouches acides s’étaient agglutinées et jura.

***

Tirer une table hors de l’auberge n’était pas facile, mais le fait que le bois se brisa en chemin voulait dire qu’elle pouvait la sortir pièce par pièce. L’acide avait dévoré le bas de la table et avait troué le plancher. Ce qui voulait dire qu’Erin était aussi confrontée à la charmante réalisation qu’elle allait devoir réparer le sol après en avoir fini avec la table.

Bon, Klbkch l’avait aidé à réparer le plancher après l’attaque du Chef Gobelin, et la compétence [Artisanat De Base] avait fait le reste. Cela lui prit une heure, mais une fois les réparations terminées la seule preuve qu’il y avait eu des mouches à cet endroit était un plancher d’une couleur légèrement différente et son mal de dos.

« Je déteste les insectes. Sauf pour Klbkch. En fait, non, je le déteste aussi. Au moins les insectes ne me mentent pas. »

Erin s’effondra de nouveau dans une chaise et regarda le plafond. Aujourd’hui n’était pas une bonne journée. En fait, aujourd’hui était probablement dans son classement des dix pires jours de sa vie. Malheureusement, cela voulait dire qu’aujourd’hui était une bonne journée comparée à celle qu’elle avait eu depuis son arrivée ici.

« Qui aurait cru que je serais reconnaissante d’être recouverte de sciure et de sueur plutôt que de sang? »

Elle ria, toussa lorsque de la sciure rentra dans ses poumons, et se releva.

« C’est l’heure du bain. »

***

L’une des choses les plus glorieuses à laquelle Erin avait été introduite à Liscor était les bains publics. Ils n’étaient pas gratuits, bien sûr, et elle avait dû payer cinq pièces de cuivre pour rentrer, mais ils étaient chauds, luxurieux et valaient le coût. En y repensant, elle avait eu de la chance de payer le même prix qu’un Drakéide, les Gnolls et les autres Homme-Bêtes devaient payer le double à cause de leurs fourrures.

Oui, les bains fumants étaient un délice digne des accommodations du monde moderne. Il suffisait à Erin de se plonger dans l’eau parfumée pour oublier la douleur du monde réel.

C’est pourquoi se baigner dans l’eau glaciale du ruisseau était deux fois plus difficile maintenant. Erin plongea son pied dans l’eau, jappa, et décida de plonger avant de perdre son courage.

***

Le seul bon point avec le fait de se baigner seul au milieu de nulle part était qu’il était possible de se baigner nu, de jurer et hurler autant que possible. Après qu’Erin supporta le choc causé par son plongeon, elle se nettoya le plus rapidement possible en se recouvrant du savon qu’elle avait acheté à Krshia, et hurla en voyant le poisson dans l’eau.

Ce dernier traversa l’eau comme une torpille. Erin jaillit hors de l’eau comme un missile. Le poisson la suivi, mais était incapable de trouver comment courir sur la terre ferme. Erin paniqua en hurlant, frappa le poisson avec le seau jusqu’à ce que dernier arrête de bouger, et prit la fuite en courant. Elle revint un peu plus tard, car elle venait juste d’avoir une brillante idée.

***

Erin marcha à travers la prairie, une jarre en verre sous un bras ainsi qu’un seau et un couteau dans chaque main. Elle tenait le couteau de manière à ce que la lame soit pointée vers le bas. Elle ne savait pas si cette règle ne s’appliquait qu’aux ciseaux au pas, mais elle se disait que ça ne faisait pas de mal de prendre les mêmes précautions avec un couteau.

La journée continuait. En fait, elle avait l’impression que des jours entiers étaient passés en un clin d’œil. En vérité, c’était toujours la même journée. Le soleil commençait à descendre dans le ciel, donc au moins, cela voulait dire que la journée était à moitié terminée.

À cette distance, elle pouvait voir un point lumineux venant du poisson mort. Erin ralentit et déposa son fardeau avant de se couvrir les yeux pour les protéger sur soleil. Il semblerait que ses cibles l’attendaient déjà.

« Hum. »

Erin plissa les yeux. Toutes les mouches étaient déjà en train de se reposer sur le poisson. Ou dans le poisson. Parfait.

Lentement, très lentement, elle s’approcha du poisson avec le seau en main. Elle regarda les mouches acides et vit qu’elle se frottait contre le poisson. L’acide de leurs derrières dévorait le poisson, et elles mangeaient ce que l’acide avait dissout.

« Oh waouh. C’est répugnant. »

Le poisson plat était désormais plus coulant que plat. Erin se demanda si elle devait se sentir dégoûtée, mais elle était principalement intriguée et révulsée. Elle secoua sa tête et se concentra de nouveau sur sa mission avant que les mouches ne décident qu’elles voulaient un dessert avec leurs dîners.

Furtivement, Erin remplit le seau avec l’eau de la rivière. Puis elle s’approcha du poisson et jeta l’eau sur les mouches et la carcasse.

De nouveau, les mouches acides se retrouvèrent à vrombir inutilement sur leurs dos. Erin s’empressa de faire demi-tour et de s’emparer de la jarre en verre.

« Prends ça ! Et ça ! »

Erin commença à aplatir les mouches avec la jarre en verre. Elles explosèrent en une douche d’acide et en un rien de temps elle les avait toutes tuées. Une fois cela fait, Erin regarda le poisson mort.

Il avait majoritairement fondu à cause de l’acide. Erin le poqua avec son couteau et eut un haut le cœur. Mais elle en avait besoin alors elle se prépara et essaya de couper le poisson en deux.

Le couteau s’enfonça dans la chair comme dans du beurre. Le poisson était plus de liquide que solide, et peu importe combien de fois Erin essayait, elle n’arrivait pas à le séparer. La chair liquide se reformait dès qu’elle coupait le poisson.

Dégoûté de plus d’une manière, Erin recouvrit son visage d’une main.

« Bien sûr que ça allait arriver. »

Elle avait besoin d’une cuillère, et non pas d’un couteau. Mais vu qu’elle n’en avait pas, elle utilisa le couteau pour ramasser la chair liquide. Elle regarda ce qu’il y avait sur son couteau et sentit son estomac protesté. Elle eut un terrible haut le cœur alors qu’une odeur de poisson pourrissant assaillit ses narines.

« Je peux le faire. Pense à l’argent. Pense à la nourriture. Pense à l’auberge. Ne pense pas au poisson. »

Elle prit plusieurs profondes inspirations en détournant le regard. Une fois qu’elle était pratiquement certaine qu’elle n’allait pas vomir, elle se concentra de nouveau sur le poisson.

« D’accord, [Artisanat De Base], activation ! »

Premièrement, Erin prit un peu de poisson-liquide et le versa au fond de sa jarre en verre. Puis, elle retira le dessus en verre de la jarre avant de le poser sur le dessus de manière à ce que les mouches puissent rentrer mais aient des difficultés pour ressortir. Puis elle s’en alla.

« Piège à mouche acide, terminé ! »

Erin regarda la jarre en verre avant de gentiment se gifler. Puis, elle installa trois nouvelles jarre de la même manière.

« On va voir si vous aimez ça, bande d’imbéciles. »

***

« Tu as un talent pour trouver les choses les plus dangereuses, n’est-ce pas ? »

Pisces frissonna en regardant le piège à mouche acide. Il s’en éloigna légèrement et frotta nerveusement ses bras. Erin lui fit un sourire.

« Elles sont dégoûtantes, pas vrai ? Mais regarde, la jarre est déjà à moitié pleine et ça ne fait même pas deux heures. »

« Comme c’est fascinant. »

Il fit un autre pas en arrière. Erin lui jeta un regard, mais elle ne pouvait pas le juger trop sévèrement. Ils étaient tous les dix à une bonne dizaine de mètres des jarres de verre.

Pisces se lécha les lèvres en regardant les jarres, la manière dont les innombrables formes brillantes bougeaient et se cognaient contre le verre était hypnotique.

« J’imagine… J’imagine que si les récipients se brisaient, l’essaim pourrait nous submerger et faire fondre notre chair en quelques instants. »

« Quelle charmante image. »

« Oui. Oui, j’imagine que c’est le genre d’image qui va hanter mes cauchemars cette nuit. »

« Elles ne peuvent pas s’échapper des jarres, elles ne sont pas si intelligentes. Elles remuent, mais le couvercle les empêche de sortir. Je faisais la même chose avec des mouches à fruit chez moi. »

« J’applaudis ton ingénuité. Mais puis-je savoir pourquoi tu as décidé de capturer un essaim d’insecte mortel qui se nourrisse de cadavre ? »

« Eh bien, ce sont des insectes. Je paris que Klbkch adorerai les manger. »

Pisces la regarda avec des yeux de poisson mort avant de secouer la tête.

« Tu peux essayer de la cuisiner à tes risques et périls. Puis-je te suggérer de retirer l’acide avant de les servir à tes clients ? »

Erin jeta un regard noir à Pisces. Elle ne savait pas pourquoi elle avait invité le mage à voir ses pièges. Probablement pour frimer, et il était le seul qui allait venir pour le dîner de ce soir.

« De toute façon je ne sais même pas comment elles peuvent survivre, vu qu’elle explose au moindre contacte. Je veux dire, comment font-elles pour vivre assez longtemps et se reproduire ? »

« Car elles ont peu de prédateurs assez fous pour tenter de les manger. Ceci, et le fait que leur nombre est presque sans limite. »

« Ah. »

Pisces agita sa main en direction des jarres.

« Dans tous les cas, ce ne sont que les mâles de l’espèce. Les femelles sont bien plus larges. En fait, le seul but des mâles est de rassembler le plus de nourriture possible. Il va dissoudre et absorber le plus de nutriment possible dans son abdomen avant de retourner vers une femelle en espérant gagner sa faveur. C’est ce qu’ils font tous. »

« Oh, un peu comme les abeilles et les fourmis font avec leurs reines, n’est-ce pas ? »

Erin jeta un coup d’œil à Pisces et vit qu’il était en train de la regarder, bouche bée.

« Quoi ? »

Il secoua la tête.

« J’ignorais que tu étais familière avec la biologie des insectes, c’est tout. »

« Oh, je connais plein de trucs bizarres sur les animaux. Quand j’étais petite je regardais Discovery Chann… Je veux dire, je lisais beaucoup de livres. »

« Tu peux lire ? »

Pisces lui jeta un regard qui était presque respectueux, et Erin lui fit un autre regard noir.

« Bien sûr que je peux lire. Je peux aussi jouer aux échecs, et je lis de la poésie de temps en temps. »

« Tu peux jouer aux échecs ? »

Erin lui lança un nouveau regard, mais il semblait réellement curieux.

« Oh oui. Je joue aux échecs. Un petit peu. On peut dire que c’est un de mes hobbies. »

« Vraiment ? Par coïncidence, j’étais considéré comme l’un des meilleurs joueurs des cités du nord. Serais-tu intéressé par une partie ? Accompagné d’un petit pari ou deux, peut-être ? »

Pisces lui fit un sourire innocent, Erin leva les yeux au ciel.

***

Une heure plus tard, Pisces regarda les pièces d’échecs devant lui avec une concentration désespérée. Il bougea son roi à gauche, puis à droite. Il se décala pour regarder l’échiquier sous un autre angle.

« Peut-être que si je… »

« Nan. Et même si tu essayes te prendre le pion, c’est toujours échec et mat. »

Erin ne daigna pas lever les yeux de son repas. Elle avait fait des œufs brouillés accompagnés d’une saucisse. Ce n’était pas le plus extravagant des repas, mais ça avait du goût, c’était copieux, et mieux que devoir regarder Pisces.

« Je n’arrive pas à comprendre. J’étais… Je suis l’un des meilleurs joueurs du continent ! J’ai dominé des [Tacticiens] et d’autres mages du même niveau. Comment as-tu fait pour me battre ? »

Elle haussa les épaules.

« Les amateurs sont toujours des amateurs. Au passage, je vais mettre l’argent que tu as parié sur ton ardoise. »

« Ah. Je vois. J’ai clairement fait une erreur de calcul. Est-ce qu’il serait possible que tu réduises ma dette si je… »

« Non. Tu as parié et j’ai gagné. Pas la peine d’argumenter. Maintenant mange tes œufs. »

Erin entendit un reniflement bruyant, mais après quelques instants elle entendit le clink du métal contre la poterie.

« Je dois admettre, ce plat à bien plus de goût que la malheureuse soupe servit hier. »

Elle leva les yeux. Pisces baissa rapidement les siens vers son assiette.

Après l’avoir fusillé du regard pendant quelques instants, Erin posa une question qui lui trottait dans la tête depuis un bon moment.

« Au fait, qu’est-ce que tu fais de tes journées ? »

Pisces releva la tête et avala ses œufs brouillés.

« J’étudie les royaumes mystiques par-delà le plan physique. Ceci dans le but de déverrouiller les secrets de l’éther et commander des forces surnaturelles qui… »

« Tu étudies. »

« Pour faire court. »

Pisces haussa les épaules et retourna à la dégustation de son petit-déjeuner.

« Tu as vraiment besoin d’étudier tant que ça ? Je veux dire, tu ne connais pas déjà des sorts ? »

Il soupira.

« Malgré tout mon talent magique, je n’ai que quelques sorts dépassant le troisième tiers dans tous mes domaines, et je suis relégué à des sorts de premier et second tiers dans les domaines hors de ma spécialisation. »

« Oh. Heu. La magie a des tiers ? »

Pisces leva les yeux au ciel.

« En effet. Sept, ou huit pour être exact. Il y a une spéculation supposant l’existence d’un neuvième tiers de magie, mais il n’existe pas de mages ayant lancé ou découvert une telle magie. Dans tous les cas, pour lancer un tel sort les mages tels que moi requirent de la concentration, du temps, et des efforts pour démêler le fonctionnement de chaque nouvelle incantation. »

Une nouvelle fois, Erin dût s’arrêter pour comprendre ce que Pisces était en train de dire.

« D’accord. Donc tu étudies pour lancer de meilleurs sorts. Et je suppose que cela te fait aussi monter de niveau ? »

« Assurément. C’est épuisant, surtout en prenant compte le fait que je dois aussi prendre en compte les besoins comme le logement ou la sustentation tout en me concentrant sur mes études. »

Erin soutint sa tête avec son coude.

« Tellement épuisant, tu en aurais presque envie de trouver du travail, pas vrai ? »

Pisces la regarda de manière maussade.

« Jusqu’à récemment, j’avais un business secondaire assez rentable qui consistait en la libération des vivres inutiles des locaux en échange de divertissements. Mais désormais je m’abstiens de telles activités pour rester dans tes bonnes grâces. »

« Ouais, et parce que Relc t’a menacé de te poignarder si tu continuais. Tu sais, ce n’est pas vraiment une bonne carrière. »

Il renifla bruyamment.

« J’ai également eu comme occupation bien plus lucrative de libérer des articles inutiles à ceux qui n’étaient pas en mesure de les utiliser, mais apparemment cela est aussi considéré comme une grave violation du respect de la vie privée. »

« Tu as volé des morts ? »

« Je les ai enterrés de nouveau par la suite. »

Erin ouvrit sa bouche, leva un doigt, jeta ses mains en l’air et laissa tomber. Elle regarda Pisces alors que le mage termina rapidement son assiette.

« Pourquoi tu ne fais pas quelque chose d’utile à la place ? »

« Et qu’est-ce que ce que je pourrai faire de si utile ? »

« Je ne sais pas. Qu’est-ce que les mages font pour vivre ? Exploser des trucs avec des boules de feu ? Donner des conseils de vieux sages ? Vendre leurs barbes ? J’ai trouvé quelques runes magiques dans la cuisine. Elles ont gardées la nourriture fraîche pendant… Je ne sais pas, des années. »

« Ah. Un sort de [Préservation] sans aucun doute. Oui, c’est certainement un service que des mages doués dans l’art des runes peuvent fournir aux plébéiens. »

« …Et ? Est-ce que tu peux le faire ? »

« J’en suis incapable. »

« Flûte. »

« Je suis désolé de trahir tes hautes attentes, mais j’ai peur que même un mage de mon calibre ne peut pas étudier toutes les écoles de magie supérieure. »

Erin regarda Pisces. Le mage était en train de racler son assiette avec sa fourchette et son couteau. Elle avait la distincte impression qu’il l’aurait léché si elle n’avait pas été là.

« Je n’ai jamais rien attendu de ta part. Je pense juste que c’est dommage, c’est tout. Tu connais la magie et tu ne fais rien avec. »

Pisces déposa sa fourchette.

« Certains disent que la magie est sa propre récompense. Je suis quelqu’un qui pense de la même manière. »

« Je suppose. »

Erin soupira, elle avait l’impression de parler à un mur. Un mur très agaçant et avec une mauvaise hygiène.

« Tu sais, si tu aidais les gens et que tu étais un peu plus sympa, je pense que ça serait plaisant de passer du temps avec toi. Pourquoi est-ce que tu es si grossier envers tout le monde. »

Erin n’avait pas voulu le blesser, mais il était clair que cela avait touché Pisces là où il était vulnérable. Il se redressa, les yeux vifs.

« Jusqu’à aujourd’hui je n’ai jamais trouvé de personne méritant mon aide. Pourquoi est-ce que je devrais aider ceux qui me jugent avec ignorance et peur ? »

Erin cligna des yeux, le visage du jeune mage était pale et indigné, mais un peu de couleur se trouvait encore dans ses joues. Elle voulut lui poser une autre question, mais il n’était pas d’humeur à converser.

À la place, Erin haussa les épaules et se leva.

« Parce que tu vaux mieux qu’eux. »

Elle ramassa leurs assiettes et laissa le mage assis à la table. Lorsqu’elle sortit de la cuisine, ce dernier était parti.

***

Le jour suivant Erin se leva et alla vérifier ses pièges à mouches. Ils étaient terriblement efficaces.

Les quatre jarres étaient remplies avec des formes grouillantes. Erin jeta un coup d’œil aux jarres, eut haut le cœur, et dut s’asseoir pour ne pas vomir.

« Bon sang. Oh, bon sang. C’est la chose la plus répugnante que j’ai jamais vue. »

C’était aussi, en y repensant, la chose la plus terrifiante qu’elle n’avait jamais vu. Erin se demanda ce qui se passerait si elle faisait tomber le couvercle d’une des jarres, avant de se souvenir du commentaire de Pisces à propos du fait que sa chair pouvait fondre et de frissonner.

Précautionneusement, Erin s’approcha des jarres en se répétant qu’il était très important de ne pas trébucher.

Son pied se cogna contre une touffe d’herbe. Erin fit de grands gestes avec ses bras avant de retrouver son équilibre, bien trop proche d’une des jarres.

« C’est pas bien. C’est pas bien. »

Erin referma le couvercle de chaque jarre avant que son cœur n’arrête de battre. Maintenant les mouches acides ne pouvaient pas sortir.

« C’est bien mieux. »

Erin souleva l’une des jarres et sentit quelques mouches exploser à l’intérieur.

« Oof. C’est lourd »

Elle ajusta son fardeau et les mouches firent de même. Ils avaient beau être petits, les insectes pesaient une tonne.

« C’est surement tout l’acide qu’ils ont dans le derrière. Je vois. Ça va me prendre un moment. »

Erin fit un pas, puis un autre. Elle ajusta une nouvelle fois sa prise sur la jarre de verre pour ne pas la faire tomber. Elle allait devoir faire attention aux trous, mais elle était confiante en sa posture. Elle fit un autre pas et trébucha contre un autre piège à mouche.

Le sol se rapprocha pour rencontrer le visage d’Erin. Elle réalisa qu’elle tenait encore la jarre au dernier moment et la jeta loin d’elle avant de s’écraser au sol et d’avoir le souffle couper. À part ça, elle allait bien.

Puis elle entendit la jarre en verre se briser en touchant le sol, elle roula sur ses pieds et se releva.

De larges morceaux de verre étaient éparpillés dans l’herbe. Un jus épais et vert-gris coula sur le sol, produisant des nuages de vapeur et sifflant en rencontrant le sol. Pendant un moment, rien ne bougea parmi les débris. Puis, un terrifiant bourdonnement produit par un essaim de formes noires s’envola.

Erin sentit son cœur s’arrêter. Elle regarda le nuage de mouches qui s’éleva en tournoyant. Elles volèrent de manière erratique, cherchant ce qui les avaient dérangé. Erin se recula lentement, priant pour qu’elles l’ignorent. Pendant un instant elle eut l’impression qu’elles allaient s’envoler, mais l’essaim changea brusquement de direction. Le nuage de mouches chargea et encercla Erin en un instant.

Son cœur s’arrêta. Il n’était plus en train de battre dans sa poitrine. Erin regarda autour d’elle de manière désespérée, mais tout ce qu’elle pouvait voir était le nuage de mouche bourdonnant, bourdonnant. Elles noircissaient le ciel, le sol, tout ce qu’elle voyait.

« Je… »

Elles se ruèrent sur elle. Erin hurla et recouvrit ses yeux et sa bouche.

Coup de vent !

Erin entendit la voix, puis une bourrasque enragée souffla autour d’elle. Elle recula alors que le vent souffla, mais l’effet sur les mouches fut encore plus sévère. Elles furent repoussées dans un courant d’air qui les emporta et les rassembla en un seul endroit. Elles bourdonnèrent agressivement, désorientées et confuses.

Tout comme Erin. Elle regarda autour d’elle et vit un jeune homme familier portant une tenue grise et sale. Il était en train de pointer un doigt en sa direction.

« Baisse-toi, Erin ! »

Erin se jeta lourdement au sol. Elle leva les yeux et vit Pisces lever une main. Du givre pale se forma autour de ses doigts et un courant d’air à moitié visible souffla au niveau de son bras. Il pointa l’essaim de mouches acides désorientées du doigt.

« [Vent Gelé].

Une douce brise passa par-dessus la tête d’Erin. Puis, l’air craquela et ses cheveux se gelèrent subitement. Erin pouvait voir les infimes traces d’air tournoyant soufflant par-dessus sa tête. Il commença à neiger là où le vent passa et elle sentit un froid glacial l’entourer.

L’essaim de mouches acides vola dans la brise glaciale et tomba du ciel. Erin cria et courut alors que des insectes gelés et éclatant au contact du sol tombèrent autour d’elle.

Elle se jeta dans la rivière, et en ressortit aussitôt au cas où un poisson plat tenterait de la mordre. Une fois qu’elle termina de retirer l’eau de ses yeux, l’essaim brillant avait disparu, et tout ce qu’il en restait était un cercle de terre fumante et d’herbe gelée.

Une fois qu’Erin termina de trembler tellement fort qu’elle en était incapable de bouger, elle se releva. Elle était toujours en train de trembler de manière incontrôlable.

« C’était la chose la plus incroyable que j’ai jamais vu. Merci, merci, merci, merci. »

Elle bondit sur Pisces. Elle n’était pas certaine si elle devait jeter ses bras à son cou ou commencer à pleurer. Elle décida de le serrer brièvement dans ses bras, avant de redoubler son emprise et de l’étreindre suffisamment fort pour lui couper le souffle. Pisces ne semblait pas y prêter attention.

Pisces respirait difficilement. Il regarda le bout de terre fumant comme s’il était hypnotisé. Erin pouvait voir le blanc de ses yeux alors qu’ils se tournèrent vers elle.

« C’est… C’est un sort de débutant. Qui ne peut pas être utilisé en combat et dédaigné par mes instructeurs. Cependant, c’était l’outil le plus adapté dans cette situation. Toute magie vaut le coup d’être utilisé, après tout. »

« Absolument. »

Erin hocha la tête. Pisces hocha la tête. Ses yeux retournèrent vers le cercle de terre fondue.

« Tu m’as sauvé la vie. C’était incroyable. Ton sort était incroyable. »

Il secoua la tête et agita une main dans sa direction.

« Je suis… Je suis un mage de l’Académie de Wistram. En tant que spécialiste de la branche magique des Elémentaliste de Vent, ce genre d’exploit sont second… Secondai…. »

Pisces se pencha et vomit sur l’herbe. Il toussa, et vomit de nouveau. Erin lui tapota le dos et attendit qu’il s’arrête.

Après un certain temps, Pisces essuya sa bouche avec un coin de sa robe. Son visage était toujours pâle, mais il allait un peu mieux.

« Tu as été chanceuse que je sois là. Très chanceuse. »

Erin hocha la tête.

« Je l’étais. Je l’étais vraiment. »

Pisces hocha la tête en réponse. Erin avait l’impression qu’ils étaient des figurines à têtes branlantes, mais ils ne pouvaient rien faire d’autre. Il pointa du doigt les trois autres jarres contenant toujours des mouches acides.

« Si tu souhaites vraiment utiliser des pièges de la sorte, puis te suggérer que tu les ancres dans le ruisseau ? »

Erin le regarda sans comprendre.

« Le ruisseau ? Pourquoi ? »

« Plusieurs raisons. »

Pisces comptait sur ses doigts tremblants.

« Premièrement, la flottabilité naturelle de l’eau empêcherait les jarres de se briser si elles tombent, ou au moins réduire le danger des mouches acides. Deuxièmement, les effets du vent et des autres formes de vie seraient mitigés. Et troisièmement, je n’aurai pas le risque de trébucher sur un tel piège. »

« D’accord. Je peux faire ça. »

Elle n’en était pas vraiment sûre, mais les tremblements dans son corps avaient pratiquement disparu. Erin attrapa un caillou, noua de longs brins d’herbe autour, avant d’ancrer la jarre avec le caillou. Elle déposa le caillou au fond du ruisseau et regarda la jarre flotter de haut en bas dans l’eau.

« Hm. J’ai besoin de quelque chose de lourd pour être certaine qu’elle reste droite. Je suppose que quelques jarres peuvent se retourner… Mais ça va marcher. C’est mieux que de les laisser au sol. Milles fois mieux. »

Pisces hocha de nouveau la tête.

« Bien. »

« C’est une bonne chose que tu sois venus avec moi. »

Les deux hochèrent de nouveau la tête. Pisces ouvrit la bouche et grimaça. Il alla jusqu’au ruisseau et rinça sa bouche en tremblant avant de relever la tête vers elle.

« Puis-je te demander… Quel est ton plan, Erin ? »

Elle le regarda, puis regarda les jarres en verre pleines de mouches acides.

« Je vais ramener les jarres jusqu’à l’auberge. Tu vas m’accompagner au cas où j’en fais tomber une. Et ensuite… »

« Et ensuite ? »

« Je vais te donner à manger jusqu’à ce que tu exploses comme l’une de ces mouches. »

Pisces baissa les yeux vers les jarres de verres, avant de frissonner de nouveau.

« Une adéquate description. »

***


La jarre de mouches acide était un mélange d’acide et de mort. Les corps des centaines… De milliers de petits insectes flottaient dans une mer de jus vert et luisant. Il coula contre les parois de la jarre, un testament obscène d’une mort insectoïde.  

« Attends, je crois qu’il en reste un. »

Erin secoua la jarre et la dernière des mouches acides rebondit contre une paroi avant d’éclater mollement à l’intérieur.

« Qu’est-ce que tu vas en faire ? »

Elle leva les yeux vers Pisces. Le mage était assis sur une table à l’autre bout de la pièce, détournant volontairement les yeux de la jarre.

« Je vais séparer les mouches et l’acide. Je ne sais pas ce que je vais faire avec l’acide par contre. »

« Si tu t’en débarrasses, fait le avec la plus grande des précautions s’il te plait. Même si l’acide de ses mouches ne peut dissoudre le métal ou beaucoup de matériaux conventionnels, il est extrêmement efficace contre les matériaux organiques. »

Erin hocha la tête. Elle déposa la jarre dans un coin avec précaution et se releva.

« D’accord. Hum. Tu veux un autre bout de pain ? Ou un peu plus de jus ? »

La vue du pain frais et du verre de jus fit que le visage du mage prit une inconfortable teinte verte. Il tapota son estomac comblé et eut un haut le cœur. Il recouvrit sa bouche d’une main, mais Erin était pratiquement certaine qu’il avait failli vomir.

« Peut-être pas. »

« Tu as été très généreuse. »

Pisces se releva et serra son estomac. Il tituba, et ses yeux se dirigèrent vers le sol. »

« Très généreuse. Mais il se fait tard, et je pense qu’il est temps pour moi de partir. »

« Tu es sûr ? Je peux te préparer un sac de nourriture pour la route. »

Son teint vert s’accentua et il agita rapidement une main pour la dissuader.

« Tu es très attentionnée, mais non. Non. Je vais m’en aller. Merci de ton hospitalité. »

« De rien. Laisse-moi t’ouvrir la porte… Voilà. Attention sur la sortie. »

Elle regarda Pisces partir et se retourna pour regarder l’endroit où il s’était assis. La place était recouverte de miettes et d’assiettes vides. Elle débâtit sur le fait de tout nettoyer, avant de secouer la tête.

Délicatement, Erin traversa l’auberge. Elle marcha jusqu’aux trois jarres remplies d’acide et de mouches et vérifia pour la énième fois que leurs couvercles étaient bien fermés, et qu’il n’y avait pas de mouches bougeant à l’intérieur.

Parmi les nombreuses choses qu’Erin avait acheté à Krshia, l’une d’entre elle était un tableau noir et de la craie. Elle l’avait utilisé pour tenir compte des choses dont elle avait besoin, mais Erin essuya le tableau et utilisa sa plus belle écriture. Puis elle installa le tableau noir sur le comptoir du bar.

Menu

Pâtes avec saucisse et oignons – 3 pièces de cuivre par assiette.

Jus bleu – 2 pièces de cuivre par verre.

Mouche acide – 1 pièces de cuivre par assiette.


Elle laissa tomber la craie sur le comptoir et jeta un regard vers les jarres de mouches mortes. Erin frissonna. Elle frotta ses bras et se posa dans une chaise. Trop proche. Bien trop proche.

Elle s’endormit en quelques instants. Avant de se réveiller en hurlant et de se rendormir. Elle allait être hantée par un bruit d’ailes bourdonnantes pendant le reste de la semaine. Mais pour le moment, les yeux d’Erin étaient fermés.


[Aubergiste Niveau 10 !]

[Compétence : Brasseuse d’Alcool obtenue !]

[Compétence : Instinct De Survie obtenue !]

« … Je me demande si je peux faire des cookies aux mouches ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 01 février 2020 à 16:55:38
« Du bicarbonate de soude. »

Krshia secoua la tête.

« Je ne sais pas ce que c’est. Je possède bien des choses qui peuvent être soudés, mais aucune d’entre elle est du ‘bicarbonate’. »

Erin soupira. Elle sentait qu’elle ne devait pas si surprise que ça, mais elle détestait se faire surprendre.

« De la levure alors ? Tout le monde a de la levure ! »

De nouveau, Krshia secoua la tête.

« Qu’est-ce que levure est censé faire, Erin Solstice ? »

« Des cookies. »

« Et qu’est-ce que sont ces ‘cookies’ ? »

Erin regarda Krshia bouche bée avant de gesticuler ses mains.

« Des cookies. Tu sais ? Petit, rond et marron ? »

« Est-ce que tu parles de ce que les vaches laissent derrière-elle, Erin Solstice ? »

«Non ! »

Erin tira furieusement sur ses cheveux, avant d’immédiatement les relâcher. Ses cheveux n’étaient plus aussi hygiéniques et propre qu’avant.

« Comment est-ce que… Ce monde n’a pas de cookies ?Comment c’est possible ? Comment !? »

Erin arrêta de s’énerver et frappa son poing dans le creux de sa paume.

« … Et qu’en est-il des glaces ? »

« Qu’est-ce qu’une… »

***

« Stupide monde qui n’a même pas de glace. Stupides Gnolls qui font semblant d’être sympa en me prenant pour une folle. Comment quelqu’un peut vivre sans glace et cookies ? »

Erin grommela pour elle-même en faisant la route retour vers son auberge. Elle donna un coup de pied dans une des hautes touffes d’herbe tout en souhaitant qu’elle avait une tondeuse de la taille des gratte-ciel. Peut-être que ses jambes ne la démangeraient pas autant si elle…

Clickclickclickclickclickclickclickclickclickclickclick…

Un son familier se fit entendre à travers la plaine et le sang d’Erin se glaça. Elle s’arrêta, écouta, et le vit.

Un gigantesque rocher gris semblait léviter au-dessus de la plaine. Mais ce n’était qu’une illusion, il suffisait de regarder d’un peu plus prêt pour voir les nombreuses jambes cliquetant sous le rocher. Mais Erin n’avait aucune intention de regarder de plus près, car elle connaissait ce bruit et savait ce qui vivait sous ce rocher.

C’était un Crabe-Rocher. Erin se figea avant de se retourner pour fuir, mais il ne se dirigeait pas vers elle.

À la place, le rocher géant était en train de cavaler dans la plaine. Ses nombreuses jambes retournaient la terre derrière son passage, mais il n’était pas en train de pourchasser quelque chose. Est-ce qu’il était en train de fuir quelque chose ? Qu’est-ce qu’il pouvait fuir ?

Erin trouva sa réponse quand un groupe de bien plus petites silhouettes apparurent depuis le haut d’une colline, pourchassant le Crabe-Rocher. Des Gobelins. Erin commença à sourire en les voyant, mais son sourire disparu alors que plus en plus de Gobelins apparurent. Au début, ils n’étaient que cinq. Puis dix. Puis vingt … Quarante

Yiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyi…

Les Gobelins étaient en train de crier leurs cris de guerre en pourchassant le Crabe-Rocher. Le crabe semblait les avoir sentis et accéléra de nouveau, mais il était toujours trop lent. Au début, Erin regarda la scène avec stupéfaction, le premier Gobelin bondit et arriva à s’accrocher à la carapace du Crabe-Rocher.

Aussitôt, ce dernier se retourna et éjecta le Gobelin. Une gigantesque pince apparue d’en dessous de la carapace rocheuse du crabe et se referma en direction du Gobelin. Erin couvrit sa bouche alors que le Gobelin hurla en tenant le moignon qu’avait été son bras.

Mais même alors que le Crabe-Rocher fonça sur le Gobelin blessé, d’autres Gobelins bondirent vers lui. Il tournoya, tentant de les faire descendre, et même s’il parvint à faire tomber plusieurs Gobelins, la plupart parvinrent à éviter ses pinces et chargèrent le Crabe-Rocher en hurlant sauvagement.

Les Gobelins submergèrent le Crabe-Rocher. Erin regarda, bouche bée, alors que le crustacé terrestre géant attaqua et fit claquer ses pinces. Trois Gobelins reculèrent, saignant et sévèrement blessé. Il manquait une main à l’un d’entre eux mais les autres…

Ils submergèrent la carapace rocheuse, la frappant avec des massues. Ils esquivèrent en baissant sous la carapace, mordant, poignardant, arrachant.

Erin ne pouvait plus voir ce qu’il se passait alors que plus en plus de Gobelins rampèrent en dessous de la carapace du Crabe-Rocher, mais elle vit qu’il eut un spasme. Il cliqueta rapidement à cause de la douleur et attaqua les Gobelins, mais ils étaient trop proches pour que ses pinces puissent les attraper.

Un liquide bleu coula depuis le dessous de la carapace. Le gigantesque Crabe-Rocher s’effondra et des Gobelins recouverts d’entrailles, de bouts de carapace, et de jus gluant et bleu émergèrent d’en dessous la carapace.

Erin recula lentement, son cœur faisait un million de battements à la seconde. Elle imagina ce qui allait arriver si l’un des Gobelins la remarquerait. Ils allaient la pourchasser et la rattraper en un instant.

Mais ils étaient concentrés sur leurs proies. Les Gobelins étaient en train de réduire le Crabe-Rocher en charpie, avalant goulûment ses entrailles. Erin eut la nausée, mais son estomac était déjà serré à cause de la peur.

Finalement, elle pensa s'être suffisamment éloignée, et se retourna pour fuir.

***

La plupart des Gobelins ne virent pas l’humaine en fuite. Ils étaient trop occupés à craquer la solide carapace du Crabe-Rocher et de s’emparer de la chair gluante. Ils festoyaient.

Mais quelques Gobelins remarquèrent l’humaine. L’un d’entre eux, portant des vêtements loqueteux, arrêta de mordre son morceau de chair amère et regarda la jeune femme partir. Il serra quelque chose dans sa poche. Bientôt. Très bientôt.

La bourse usée cliqueta alors que le Gobelin la secoua. Il… Non, elle regarda autour d’elle, mais les autres Gobelins étaient trop occupés à se gaver pour remarquer le petit bruit. La femelle Gobelin cacha la bourse parmi ses loques.

Bientôt.


***

Quand Relc et Klbkch essayèrent d’ouvrir la porte de l’Auberge Vagabonde, ils trouvèrent que cette dernière était verrouillée. Ce n’est qu’après que Relc toqua deux fois que la porte s’entrouvrit. Quand Erin les laissa rentrer, elle verrouilla la porte dès qu’ils étaient à l’intérieur.

Relc leva un sourcil inexistant avant de pointer sa queue vers Erin

« Qu’est-ce qui t’arrive ? »

« Salutation Mademoiselle Solstice. Est-ce que quelque chose ne va pas ? »

Erin regarda les fenêtres avec suspicion, mais commença à se sentir mieux avec Relc et Klbkch dans l’auberge.

« Des Gobelins. »

« Des Gobelins ? »

Relc rit alors que Klbkch et lui s’assirent à l’une des tables.

« Quoi, est-ce qu’ils étaient encore en train de te lancer des pierres ? Si tu veux je pourrai… Hum, les effrayer. Mais des Gobelins ? Sérieusement ? Tu as tué leur Chef, qu’est-ce qui pourrait t’inquiéter ? »

« Et si je te parle d’un groupe de Gobelins qui peut tuer un crabe-rocher en une poignée de secondes ? »

Erin perdit son sang-froid alors que Relc rit de nouveau.

« C’était la chose la plus terrifiante que j’ai jamais vue. Une sorte de raid l’a submergé et… »

« Un raid ? »

Relc se redressa sur sa chaise et attrapa sa lance.

« Où ça, et combien ? Vite Klbkch. Nous pouvons nous les… »

Il bondit sur ses pieds et Erin agita les mains pour l’en dissuader.

« Non, non ! Ils étaient bien trop nombreux. En plus, je ne veux pas que tu les tues ! Cela serait… »

Relc interrompit Erin alors que Klbkch regarda en silence. Les mains de l’Antinium étaient sur le manche de ses armes.

« Ecoutes, s’il y a un raid Gobelin dehors, on doit s’en occuper. Je peux ignorer quelques Gobelins, mais plusieurs centaines d’entre eux qui rodent dans les parages ? C’est une véritable menace. »

Il alla vers la porte, mais Erin le ramena à l’intérieur. Du moins, elle essaya de le ramener vers l’intérieur. Ses pieds glissèrent sur le sol et il ne semblait même pas se rendre compte qu’elle tentait de l’arrêter.

« Et combien de Gobelins étaient présents dans le groupe que tu as observé, Mademoiselle Solstice ? »

« Et bien… »

Elle s’arrêta pour y réfléchir.

« Pas plus de quarante, je pense. »

Relc cligna des yeux et s’arrêta avant d’arracher la porte de ses gonds. Il regarda Klbkch, avant de tourner son regard vers Erin. Lentement, il se dirigea vers sa chaise avant de se rasseoir, puis il commença à rire.

Erin regarde Relc bouche bée alors que ce dernier continua de ricaner, avant de passer de nouveau à de grands éclats de rire. Il couvrit son visage avec une main griffue et frappa du poing sur la table avec son autre main.

« Qu’est-ce qu’il y a de si marrant ? »

« Un raid Gobelin qu’elle dit ! Hah ! »

« Je crains qu’il y ait un léger malentendu, Mademoiselle Solstice. »

« Oh, vraiment ? »

« Ouais ! »

Relc parvint finalement à reprendre contrôle de son fou rire quand Klbkch écrasa l’un de ses pieds. Il essuya les larmes de ses yeux avant de sourire à Erin.

« C’est juste la tribu locale. Quarante Gobelins ? Franchement. Je pourrais m’occuper de la moitié d’entre eux sans perdre mon souffle. Entre moi et Klbkch, on pourrait tous les tuer en… »

Il s’arrêta et racla sa gorge.

« Mais on va pas le faire. »

Klbkch hocha la tête.

« Malgré leur capacité, une tribu Gobelin n’est dangereuse que pour des individus isolés, Mademoiselle Solstice. D’un autre côté, un petit raid Gobelin est habituellement constitué d’au moins trois cents Gobelins. On sait que des groupes plus importants comptent plus d’un millier d’individus. »

« Ce n’est pas un raid, c’est une armée. »

« Pas si tu es un Gobelin. »

L’expression de Relc se fit plus sérieuse alors qu’il se laissa descendre sur sa chaise.

« Ouais, c’est comme Klbkch vient de le dire, une tribu Gobelin n’est pas dangereuse. Peut-être qu’elle l’est pour toi… Mais tu as tué leur Chef, donc je doute qu’ils seront assez courageux pour attaquer cet endroit. En plus, si tu verrouillés la porte et les fenêtres ils vont avoir des difficultés pour rentrer. Mais quand les Gobelins commencent à apparaitre en grand nombre ? C’est là que ça devient moche. »

Elle entendit le signal silencieux qu’il lui fit et s’en empara.

« Méchant à quel point ? »

Klbkch se pencha sur la table.

« Extrêmement dangereux. Même si les Gobelins sont considérés comme une menace mineure par la plupart des endroits habités, quand ils apparaissent en grand nombre ils sont capables de raser des villages, des villes, et même des nations par le passé. »

« Tu te moques de moi. »

« C’est la vérité, Mademoiselle Solstice. »

Relc hocha la tête.

« J’ai entendu les histoires des Croisades Gobelins, et j’ai été témoin d’une d’entre elles. La dernière fois que cela arriva, plusieurs armées de Gobelins saccagèrent le nord avant de naviguer jusqu’au continent des Humains, Terandria. Il y avait au moins des centaines de milliers de Gobelins dans chaque armée, et leur roi avait un million de Gobelin à ses côtés quand nous l’avons vaincu dans les Champs Sanglants. »

Erin avait l’impression qu’elle avait besoin d’un cours d’histoire, ou d’une carte.

« Les Champs Sanglants ? C’est quoi ? »

« C’était un champ de bataille. Enfin, c’est toujours un champ de bataille. Beaucoup d’armée continue de se battre là-bas, et tellement de sang a coulé que l’endroit a complètement changé. Ce lieu est recouvert d’Herbe Sanglante. Un truc terrible qui boit du sang et mange les gens s’ils ne font pas attention. Je me suis battu deux fois là-bas. »

« Oh. »

Erin avait l’impression qu’elle devait dire autre chose, mais l’expression de Relc était anormalement sérieuse. Elle chercha pour quelque chose qu’elle pouvait ajouter.

« Alors… La tribu Gobelin n’est pas dangereuse ? »

« Pas pour moi ou Klbkch. Ne va pas à leur rencontre et tout devrait bien se passer. Dans tous les cas, la majorité des gens peuvent s’échapper en courant assez vite à moins qu’ils soient piégés. »

Relc fit un mouvement dédaigneux de sa queue.

« Mais ils ont tué un Crabe Rocher ! »

« Ouais, c’est quoi ? »

« Tu sais, le truc géant qui se cache sous un rocher ? Et puis ça fait clickclickclickclick… »

« Oh, ça. C’est comme ça que les Humains les appellent ? Pour nous ce sont des Trompeurs en Pierre Creuse. C’est quoi un crabe ? »

« Une créature marine, je pense. Le nom est adéquat. »

« Peu importe, ils ne sont pas si solides. »

Erin cligna des yeux en direction de Relc.

« Vraiment ? »

Il agita sa main de manière dédaigneuse.

« Oh, on a beaucoup de monstres vivants dans le coin. Bien plus dangereux que ça. Ils sont simplement ailleurs ou en train de dormir en cette période de l’année. »

« Ou enterrés sous terre. »

« Ouais, ou ça. »

Erin n’était pas rassuré du tout.

« Je n’ai pas vu d’autres monstres, à part les oiseaux-dinosaure. »

Klbkch hocha la tête.

« C’est approprié pour la saison. En cette période de l’année, les Plaines Inondées n’ont que peu de créatures à l’exception des Gobelins. À l’exception des troupeaux qui vont pâturés, la majorité des animaux… »

« Des troupeaux ? Vous avez des troupeaux ? »

Klbkch hocha de nouveau la tête.

« Ils sont généralement confinés dans les villages au nord de Liscor. La ville contient de nombreux cochons, moutons, chevaux… »

Relc hocha la tête et lécha ses lèvres.

« Délicieux. Ils sont bons si tu les manges à moitié cru. En parlant de ça, tu as de quoi manger ? »

« Oh, c’est vrai. Pardon. »

Erin se leva et commença à mettre la table de manière mécanique.

« Le dîner serait prêt dans quelques minutes, le temps que je réchauffe le tout sur la braise. Dites, il y a quoi comme créatures que je n’ai pas encore rencontrées ? »

Relc se gratta la tête.

« Quoi d’autre ? Hum. Qu’en est-il des araignées géantes ? Elles sont probablement en train de se cacher dans leurs tunnels à cette période de l’année, mais elles sont toujours là. »

Klbkch tressaillit alors que Relc mentionna les araignées. Erin tressaillit à son tour, et elle eut la chair de poule en les imaginant. Relc sourit aux deux d’entre eux avant de secouer sa tête.

« Faut pas s’inquiéter. Ce n’est pas encore la bonne saison pour eux. Il y aura bien plus d’animaux sauvages dans un mois environ. Là, c’est la période la plus calme de l’année en fait. Une fois qu’il commence à pleuvoir tu vas voir pleins de créatures bizarres, et quand la pluie s’arrête c’est la période où tous les animaux s’arrêtent pour brouter. C’est en hiver que ça devient vraiment dangereux. Il y a ces trucs appelés Esprits d’Hiver qui sont une galère pour nos queues… »

« Fantastique. Je suis certaine que tout le monde visite le coin pour voir les monstres qui veulent leur manger le visage. »

C’était peut-être le fait que les Drakéide étaient hermétiques au sarcasme, ou que c’était simplement le fait que Relc n’y était pas réceptif, mais ce dernier hocha joyeusement la tête en léchant ses lèvres.

« Il y avait une époque où nous avions beaucoup de voyageurs qui descendaient vers le sud. Mais tout s’est arrêté quand ce foutu Nécromancien est apparu. »

« Nécromancien ? Tu veux dire Pisces ? »

« Ce faiblard de mage ? Non. Je parle du mauvais Nécromancien qui a failli détruire la ville il y a dix ans. Est-ce la bouffe est prête ? »

« Pas encore. C’est pourquoi vous aimez par les morts-vivants ? »

Klbkch secoua sa tête alors que Relc regarda en direction de la cuisine d’où s’échappait une bonne odeur de cuisson.

« Je crois que le Nécromancien n’a nullement fait pencher la balance en leur faveur, mais les morts-vivants ont toujours été considéré comme une menace, Mademoiselle Solstice. On dit que les trois choses les plus dangereuses en Liscor sont la pluie, les morts-vivants, et la guerre. »

« Je peux voir pour la guerre, mais pourquoi la pluie et les morts-vivants ? »

« Bah. Ce sont les vraies menaces. La guerre ? Nous n’avons pas peur de la guerre »

« C’est la vérité. La plupart des résidents de Liscor ne craignent pas la guerre. Personnellement, je trouve que c’est très imprudent considérant la nature volatile des conflits entre les différentes nations de ce continent ! »

« Hah ! Même si toutes les villes du nord et du sud brûlent, Liscor ne tombera jamais ! »

Relc frappa du poing sur la table avant de regarder Erin avec des yeux de chien battu.

« Est-ce que je peux au moins avoir quelque chose à boire ? Un verre de jus bleu ? »

« Oh, bien sûr. Une petite seconde. »

Erin se dépêcha de retourner dans la cuisine avant d’attraper des verres et le pichet de fruit bleu fraichement pressé. Avant de revenir pour trouver Klbkch et Relc en pleine argumentation.

« … la certitude des Drakéides dans l’impénétrabilité de Liscor n’est pas imprudente. Mon peuple a, par plusieurs fois, apporté le besoin d’augmenter la vigilance à votre corps gouvernant mais… »

« C’est quoi le problème avec la Garde, hein ? Tu en fais partie. Tu sais que nous pouvons nous occuper de n’importe quels monstres qui nous dérangent. Et si une armée vient frapper à nos portes, qu’est-ce que ça peut nous faire ? Il n’y  a que deux moyens de rentrer dans la vallée. Au nord et au sud. Les montagnes sont pratiquement infranchissables, et les Champs Sanglants gardent la frontière sud. Même si une armée arrive par là, les Plaines Inondées empêchent toute chance de siège. Qu’est-ce que tu as contre ça ? »

« Le nord est relativement non protégé. Si les cités-états Humaines se rallient… »

« Les cités humaines ? »

Erin se pencha sur la table et manqua de renverser le jus bleu sur Relc. Elle regarda ses deux clients.

« Il y a des humains dans le coin ? Ou ça ? »

« Au nord, voyons. »

Relc leva un sourcil alors qu’Erin lutta pour ne pas l’étrangler. Klbkch lança un regard en coin à Erin avant de retourner à sa boisson.

« Et ? Hum, qu’est-ce que les cités humaines font ? »

« Qui sait ? Ce sont des Humains. Nous avons une relation correcte avec eux. Ils ne viennent pas marcher sur nos queues et nous ne les mangeons pas. »

Erin soupira. Klbkch donna un coup de pied à Relc d’en dessous la table et le Drakéide regarda Erin, avant d’écarquiller les yeux.

« Oh. Hum, heu, comme je le disais à Klbkch, Liscor ne tombera jamais ! Même si une armée nous attaquerait par le nord, nous pouvons juste rappeler notre armée. A moins de pouvoir briser les murs en une semaine ou moins, notre armée arriverait et les écraserais. Tu vois ? »

« Est-ce que votre armée est si efficace que ça ? »

Relc hocha fièrement la tête alors que Klbkch exprima son agrément.

« L’armée Liscorienne est célèbre. Tu n’étais pas au courant ? Nous nous battons pour les autres pays et ils nous payent pour réduire leurs ennemis en charpie. Notre force est constituée, à tout moment, de deux mille Drakéides et quelques centaines de Gnolls. Je sais que ça semble être une petite armée, mais ils sont au Niveau 16 en moyenne. Pas mal, hein ? »

Elle n’était pas certaine de ce qu’elle devait ressentir. Leurs niveaux semblaient plutôt bas. »

« Hum. C’est pas mal ? »

« Pas mal ? C’est super ! Le niveau moyen d’un soldat dans une armée est le Niveau 8. Huit. Tu vois ? »

Elle le voyait. Et quand Relc le disait de cette manière c’était impressionnant.

« Donc, heu, l’armée Liscorienne est deux fois plus forte que les autres armées ? »

Klbkch secoua la tête.

« Ceci n’est pas entièrement correct. Les niveaux ne peuvent pas remplacer les tactiques ou la supériorité numérique, voir l’équipement. Cependant, c’est un facteur non négligeable lorsqu’il s’agit de grandes forces. Cela permet à l’armée Liscorienne de se battre en tant que mercenaire sans engagements prolongés. »

« Exactement. Chaque armée affrontant la nôtre sait que si les choses se corsent, ils vont saigner chaque soldat qu’ils feront tomber. C’est pour ça qu’on gagne tant d’argent en combattant à  l’étranger. »

« Alors est-ce qu’ils sont là ? Je veux dire, dans la ville ? »

« Nan. Ils sont pratiquement toujours en campagne quelque part. L’armée Liscorienne n’arrête pas de se battre. Je crois qu’ils sont à l’est, en train de se battre près d’une des Villes Emmurées. »

Cela avait du sens pour Erin, même si elle avait des problèmes pour trouver des comparaisons adéquates dans son monde d’origine. C’était aussi parce qu’elle détestait les cours d’histoire. Mais elle se souvenait que les Mongols avaient fait quelque chose de similaire. Ou est-ce que c’était les Turques ? Les Suisses ? Maintenant elle ne savait plus.

Mais Erin avait une question. Elle leva un sourcil en direction de Relc.

« Donc votre armée s’en va pour combattre et gagner de l’argent ? C’est pas dangereux si quelqu’un attaque la ville ? »

« C’est exactement mon point. Si une étrangère à notre ville se rend compte si facilement de ce point faible, pourquoi la populace est si réticente à des suggestions pour améliorer nos défenses ? »

Relc secoua sa tête en regardant Erin et Klbkch de manière colérique.

« Comme je l’ai dit, Liscor a de bonnes défenses naturelles. De plus, quelle armée qui est saine d’esprit voudrait attaquer une Colonie ? »

Erin sentit que son plat était chaud et prêt à être servit, mais le dernier mot l’intrigua. Elle attendit, posant ses mains sur la table.

« Une quoi ? C’est quoi une Colonie ? »

Relc fit un mouvement de la main en direction de Klbkch.

« Cette ville, Liscor. C’est là où habitent quelques Antiniums… Pas ceux qui sont violents, ceux qui sont pacifiques. Mais ils vivent là, donc ça en fait une Colonie. L’une des six… Non, cinq dans le monde. »

Erin se tourna pour regarder Klbkch, qui hocha la tête pour confirmer.

« Nous avons un contrat avec les gens de Liscor. En échange de notre présence, nous fournissons des biens et des services à la ville. C’est un arrangement mutuellement bénéfique. »

« Ouais, c’était bizarre d’avoir des Antiniums dans le coin, mais c’était une bonne idée. »

Relc haussa les épaules.

« Dans tous les cas, le point est que les Fourmis vont défendre la ville si nous nous faisons attaquer et nous aident pour les constructions et d’autres boulots. Ils envoient quelques uns d’entre eux pour travailler avec nous comme Klbkch ici présent. Et en retour nous les laissons rester. »

« Cela me semble pas très juste ? Qu’est-ce que les Antiniums gagent dans cette histoire ? »

« Personne ne les tues, et crois-moi, y’a beaucoup de personnes qui les haïssent toujours. Même ceux qui sont pacifiques, il n’y a pas beaucoup de pays qui veulent une Colonie proche d’eux. »

Erin regarda Klbkch, il ne semblait pas incliner à être en désaccord, mais elle l’était.

« Ils ont l’air plutôt sympa pour moi. Même si Klbkch est le seul que j’ai rencontré. Mais il ne cause pas de problème, ou insulte les Humains, ou fait quelque chose terrible. À l’inverse de quelques Drakéides que je pourrais nommer. »

« Merci, Mademoiselle Solstice. »

Klbkch baissa la tête alors que Relc le fusilla du regard. Sa queue s’agita et il grogna.

« Oh, les Fourmis sont sympathiques. Ils sont silencieuses, ne boivent pas, et sont aussi intéressantes que du bois… Jusqu’à ce que l’un d’entre elles deviennent fou. »

Klbkch hocha la tête.

« Lan souche de la folie n’a pas été éliminée de ma génération. Mais nous avons réduit la cadence moyenne de folie de 14% par an, mais nous devons rester vigilants. »

« Quoi ? Quatorze…Quoi ? Est-ce que tu peux m’expliquer ? »

Klbkch hocha la tête avant d’ouvrir ses mandibules, mais l’estomac de Relc gargouilla bruyamment. Il tapota Erin dans les côtes et la fit sursauter, gagnant un nouveau pied écrasé de la part de Klbkch, mais il ne semblait pas lui prêter attention. Il commença à se plaindre à Erin.

« Vous deux pouvez parler à propos des Fourmis folles plus tard. Mais maintenant… Manger ? »

Erin hésita, avant de faiblir devant les yeux désespérés de Relc.

« Bon, d’accord »

Elle alla dans la cuisine et traîna une casserole de soupe, un panier de pain chaud légèrement trop sec après être resté près des braises durant tout ce temps, et ses habituelles pâtes avec des saucisses et oignons. Relc commença à saliver dès l’instant où il vit la nourriture.

« Désolé d’avoir pris si longtemps. Je voulais vous parler des Gobelins donc j’ai oublié de le réchauffer. »

« Y’a pas de problèmes. Met ça sur la table et tout est pardonné. Et au fait, nous avons aussi des nouvelles ! »

Relc frotta ses griffes ensemble avec anticipation alors qu’Erin sortit les assiettes et les bols.

« Ooh, c’est de la soupe ? Et du pain ? Et des pâtes ! C’est beaucoup de nourriture ! »

« Ouais, en fait, j’étais en train de célébrer un peu plus tôt. J’ai un peu trop cuisiné par accident. »

« Chélébrer ? Qu’esche qu’tu étais en train de chélébrer ? »

Il était difficile de comprendre le Drakéide quand ce dernier était déjà en train de parler avec la bouche pleine. Erin détourna poliment le regard avant de répondre.

« Oh, tu sais, ne pas mourir. »

« Ché  bien ! Faut Chélébrer ! »

Relc fit descendre sa bouchée de pain et de fromage avec un verre de fruit bleu. Erin avait désormais d’autres liquides en vente, comme du jus de pomme et du lait frais, mais le Drakéide avait développé un appétit pour la boisson sucrée.

« J’aimerais aussi avoir un bol de soupe, si cela ne te dérange pas, Mademoiselle Solstice. »

Erin jeta un regard à Klbkch avant de se souvenir de ce qu’il avait fait. Ses sourcils se froncèrent.

« Attends une petite minute. Est-ce que la soupe est une des choses que les Antiniums ne peuvent pas manger ? »

Klbkch baissa la tête.

« Je t’assure que la soupe est parfaitement comestible pour mon espèce. »

Erin jeta un regard à Relc qui hocha rapidement la tête en continuant d’avaler des pâtes. Elle mit les mains sur ses hanches.

« D’accord, mais je suis toujours en colère pour les pâtes. Donc dis-moi… Et j’espère que tu me diras la vérité ou je jure que je serais réellement en colère cette fois. Dis-moi, est-ce que les Antiniums mangent des insectes, des vers, ou des trucs de genre ? »

Klbkch releva les yeux vers Erin avant d’hésiter.

« Je n’oserai offenser ta sensibilité avec une description de ce que je mange, Mademoiselle Sol… »

« Tu peux offenser ma sensibilité, je t’en prie. »

Une nouvelle fois, il hésita.

« Mon espèce est parfaitement capable de digérer la plupart des plats préparés par les humanoïdes. Cependant, il est vrai que, si proposé, nous mangerons des créatures que les Humains et les Drakéides jugent non comestible. Nous ne le faisons pas en public pour éviter de… »

« D’accord, pas de problème ! Attends trente secondes ! »

Erin retourna dans la cuisine et commença à frapper des casseroles et des assiettes ensemble. Relc et Klbkch échangèrent un regard confus jusqu’à ce qu’elle revienne dans la salle en portant un bol de choses noires qu’elle tenait le plus loin possible.

« Ché quoi ? »

Avec précaution, Erin déposa le bol de mouches acides sur la table. Relc se pencha avec curiosité, mais Klbkch se pencha vers ce dernier comme s’il était hypnotisé.

« Ce sont… Enfin, ce sont les insectes volants et acides que j’ai trouvés. Je n’étais pas certaines si tu en voulais, Klbkch, mais j’ai pensé que ça valait peut-être le coup et… »

Klbkch s’empara d’une cuillère et commença à enfourner les insectes noirs dans sa ‘bouche’. Erin s’arrêta de parler. Et détourner le regard. Elle avait beau apprécié Klbkch, les craquements qu’il faisait et la vision de lui mangeant les mouches était une épreuve pour son estomac.

« Cha l’air beau. »

Relc avala sa bouchée et tendit une main vers le bol. Sans perdre un instant, Klbkch la repoussa d’un mouvement de sa main. Relc et Erin le regardèrent, surpris.

« Hum, est-ce que je peux aussi avoir un bol, Erin ? »

« Tu en veux ? Oh, heu, est-ce que les lézards… »

Relc jeta un regard à Erin et elle corrigea rapidement ses mots.

« …Drakéides aiment les insectes ? »

« Pas autant que ce gars, mais ça ne me dérange pas d’essayer. »

Respectueusement, Erin apporta un autre bol à Relc. Ce dernier goûta les insectes et en mâcha quelques-uns de manière expérimentale.

« Ooh, ça croque sous la dent ! Je ne savais que ces trucs étaient comestibles. Comment tu as fait pour te débarrasser de l’acide ? »

« C’est une longue histoire. Une qui implique du sang et… En fait, j’aimerais plutôt entendre tes nouvelles. Qu’est-ce qui se passe ? »

Relc la regarda sans comprendre, avant de claquer des doigts. Erin était surprise du fait qu’il pouvait le faire avec ses mains écailleuses.

« Ouais, d’accord. C’est une terrible nouvelle ! Tu sais quoi ? Un idiot a trouvé quelques ruines au sud-est de la ville, et c’est apparemment une sorte d’ancien donjon ! Maintenant tous les aventuriers à des kilomètres à la ronde vont venir l’explorer ! »

Erin fronça les sourcils.

« C’est une mauvaise chose ? je pensais que trouver de vieilles ruines et les explorer était ce que les aventuriers faisaient. C’est ce qui arrive dans les jeux que je... heu… C’est ce que les aventuriers font, pas vrai ? Et Liscor a bien une Guilde des Aventuriers? »

« Ouais, mais il n’y a pas tellement de membres. Il n’y a pas beaucoup d’idiots dans notre ville qui ont décidé de devenir des aventuriers car il n’y a pas tant à faire dans le coin. Si tu veux te battre tu rejoins la Garde ou l’armée. C’est les Humain qui sont les stupides… Heu… hum… »

Erin prétendit de ne pas l’avoir entendu.

« Tu n’aimes pas les aventuriers, c’est ça ? Pourquoi ? Est-ce qu’ils ne tuent pas des monstres ? »

« Ouais, et ils nous causent des problèmes. Ils se battent quand ils sont saouls, ils fuient les plus gros monstres, et ils sont malpolis avec les gardes. »

Relc fit violemment descendre son verre sur la table.

« Les aventuriers. Je le déteste. »

Klbkch hocha la tête avant de laisser tomber sa cuillère dans son bol. La cuillère tinta alors qu’Erin cligna des yeux et baissa les yeux vers le bol. Ce dernier n’était pas un petit bol, en fait, il était deux fois plus gros qu’un bol de soupe, et Klbkch le tendit vers elle.

« Une autre ration, s’il te plait, Mademoiselle Solstice. Il est vrai que ce genre de site va améliorer le commerce de la ville, mais les nombreux effets négatifs accompagnant les aventuriers ne peuvent pas être ignorés. »

Erin attrapa le bol et se dirigea vers la cuisine. Elle remplit de nouveau le bol avec la jarre de mouches acides et renversa quelques-unes au passage. Après un moment d’hésitation Erin les ramassa et les jeta dans le bol de Klbkch. Cela n’allait probablement pas le déranger.

« D’accord, c’est une grande nouvelle. Mais pourquoi est-ce qu’ils viendraient tous ici ? Est-ce que les ruines sont vraiment si incroyables ? »

Relc avait poussé son bol de mouche pour reprendre des pâtes et de la soupe. Erin vit Klbkch se servir dans le bol alors qu’elle glissa son bol de nouveau remplit à ras-bord de mouche acide.

« C’est le truc. Personne ne sait ce qu’il y a dans ses ruines. Elles sont peut-être vides, mais il peut y’avoir des tonnes d’artefacts magiques et de trésors. C’est un grand donjon, apparemment. La plupart des ruines, et bien, ont déjà été exploré ou sont trop dangereuses pour continuer l’exploration. Un nouveau donjon comme celui-là va faire venir des centaines d’idiots à Liscor, et devine qui va devoir les surveiller pour s’assurer qu’ils ne causent pas de problèmes ? »

« Vous ? »

« Exactement ! J’en perds mes écailles, et on est déjà assez occupé comme ça. Généralement c’est l’époque où on recrute de nouvelles recrues, donc nous sommes en sous-effectif et en train de faire des heures supplémentaires. »

« C’est une situation difficile. »

Klbkch n’arrêta pas de manger en parlant, ce qui ajouta une sorte de craquement à ses mots, qui étaient déjà naturellement cliquetant.

« Naturellement, l’afflux d’aventuriers apportent de nouveaux problèmes. Cependant, ils vont aussi apporter du commerce dont nous manquons et beaucoup de marchands cherchant à faire affaire. Ainsi, même si les gardes tel que Relc et moi se trouvent dans une situation difficile, la ville est bien plus positive à propos de cette trouvaille. Aussi, puis-je te déranger pour un autre bol ? »

Erin cligna des yeux vers le bol vide.

« Je viens de le remplir. Tu aimes vraiment ses mouches, pas vrai ? »

Klbkch hocha la tête.

« C’est… Surprenant. Je ne savais pas que les mouches acides de cette région avaient tellement… de goût. Jusqu’à maintenant je n’avais jamais essayé d’en consumer. »

« Ouais, je ne t’ai jamais vu manger comme ça, Klb ! Tu es en train de manger comme un cochon ! Ou un Gnoll ! »

Relc rit alors que Klbkch se retourna avec la bouche pleine. Lui et Erin se protégèrent avec leurs mains pour éviter de recevoir des morceaux.

« Bien, si tu les aimes tellement elles vont rester sur le menu ! »

Erin sourit joyeusement.

« Je n’avais pas idée à quel point elles allaient être populaire. Cela valait presque le cout de tout ce que j’ai dû faire pour les avoir. Presque. »

« Etait-ce difficile ? »

« Très. Mais bon, si je suis la seule capable d’attraper ces insectes, ça veut dire que je peux aussi attraper quelques clients ! Klbkch, ça te dérangerait de faire passer le mot à quelques-uns de tes amis à propos de mon auberge ? J’adorerai avoir plus de client. »

L’hésitation de Klbkch était facile à voir.

« Tu me demandes d’inviter d’autres membres de mon espèce, Erin Solstice ? »

Elle haussa les épaules.

« Ouais. Pourquoi pas ? Si tu aimes tant les mouches, je suis certaine que tes amis les aimeront aussi. En plus j’ai une bonne méthode pour les capturer… Faut juste faire attention à  les faire exploser avant de porter les jarres. »

Une nouvelle fois, Klbkch hésita.

« Je ne suis pas certain que cela soit… Prudent. »

« Pourquoi pas ? »

Relc était silencieux alors qu’il avala sa dernière portion de pâte, mais il était en train de regarder Klbkch avec attention du coin des yeux.

« Mes confrères… Ouvriers n’ont pas l’habitude que j’ai pour interagir avec les autres espèces. Cela serait imprudent de te déranger avec leur présence. »

« Hey, s’ils sont comme toi il n’y a pas de problème. Et s’ils ne veulent pas me parler, je peux juste leur servir plus de mouches. »

Klbkch semblait inconfortable.

« Je ne veux pas te déranger d’une quelconque manière. »

« Mais n’est-ce pas le travail d’une aubergiste ? En plus, je m’occupe de Pisces. Allez. Invite quelqu’un de tes amis et je vous servirai des mouches acides jusqu’à ce que l’un de vous explose. »

« Ouais, qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? »

Relc hocha la tête. Il avala ses pâtes et tapota joyeusement Relc dans le dos. Erin et Klbkch le regardèrent. Volontairement, Erin commença à toucher la table de bois.

« Est-ce que quelqu’un a entendu parler de la Loi de Murphy ? »

« C’est quoi ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 05 février 2020 à 19:31:32
Interlude - Roi
Traduit par EllieVia

Un garçon et une fille étaient debout dans la salle du trône, et parlaient. Quand l’un se taisait, l’autre prenait la relève. Ils étaient jumeaux, et étaient suffisamment semblables pour que l’autre puisse reprendre exactement là où le premier s’était arrêté.

         Occasionnellement, on leur posait une question et l’un balbutiait jusqu’à ce que l’autre trouve une réponse. Aucune de leurs réponses n’était fausse, mais certaines soulevaient de nouvelles questions. Au bout d’un moment toutefois, les questions cessèrent. Les jumeaux se turent, et regardèrent d’un air inquiet la silhouette avachie sur le fauteuil devant eux.

    “Hm. Hmm. Fascinant. Et c’est tout ce qu’il y a à savoir sur votre monde ?”

    Au premier regard, on aurait pu croire que l’interlocuteur des jumeaux était un vieil aristocrate quelconque. Bien que les vêtements de l’homme soient finement tissés et couverts de motifs brodés d’or, n’importe quel noble aurait pu se payer ce raffinement. De plus, les habits de cet homme étaient usés et portaient les traces infimes d'anciennes taches ; un signe certain que bien que ses atours soient bien entretenus, ses serviteurs ne possédaient pas l’argent nécessaire pour remplacer sa garde-robe.

    Et bien que l’homme soit âgé, il n’était pas assez vieux pour que cela puisse être un trait particulièrement remarquable non plus. Il était simplement plus vieux que les jumeaux, un homme dans la quarantaine, avec de fines mèches de gris qui commençaient à envahir sa crinière de cheveux roux et or. On pouvait également noter que sa plastique remarquable et son corps musclé étaient inhabituels, mais là encore, beaucoup de guerriers de son âge restaient aussi athlétiques que lui.

    Toutefois, quelques détails singuliers rendaient cet homme unique. Le premier était l’endroit où il était assis.

    Il siégeait dans une salle du trône, devant le garçon et la fille qui restaient debout devant lui. Le gigantesque plafond caverneux faisait paraître la salle encore plus grande, et cette dernière était conçue pour accueillir des milliers de personnes. Mais pour le moment, la salle du trône était vide, et le temps et la rouille avaient craquelé le sol de marbre. Seules quelques-unes des nombreuses fenêtres étaient ouvertes, de manière à ce que la salle du trône ne soit éclairée que par de fins rais de lumière dispersés à travers la pièce.

    L’homme est assis ici, et le gigantesque trône doré attire l’œil de quiconque entre dans la pièce. Mais l’homme n’est pas assis sur le trône. Il est assis sur un fauteuil plus petit posé face au trône.
    Il est assis comme un homme qui attend quelque chose. Et bien que sa posture soit alanguie, détendue, une étincelle brille dans les profondeurs de ses yeux d’émeraude.

    Le deuxième aspect inhabituel chez cet homme était que sous ses vêtements dorés se trouvait une cotte de mailles. Les chaînons métalliques accrochaient les rares rayons de lumière quand il bougeait sur son siège, mais l’homme ne semblait pas sentir le poids de la lourde armure. Lorsqu’il bougeait, c’était avec vivacité et précision, comme s’il ne remarquait même pas le poids qui alourdissait son corps.

    La dernière chose particulièrement notable au sujet de cet homme est qu’il était roi.

    “Magnifique. Vraiment, magnifique.”

    Le roi se leva de son fauteuil d’un mouvement brusque, faisant basculer ce dernier en arrière.  Les jumeaux tressaillirent, mais le roi ne fit pas un geste dans leur direction. Il marcha résolument à travers la gigantesque salle du trône, ses grandes foulées un brouillard de mouvement dans le vide silencieux.

    “Un monde différent de celui-ci, rempli de miracles tels que je n’en ai jamais rêvé ? Inconcevable. Et pourtant… vous dites la vérité.”

    Le roi se tourna vivement en direction des jumeaux et ils sursautèrent de concert.

    “Vous dites la vérité. Je le sais. Ce n’est pas une Compétence qui me le souffle, mais tout simplement le fait que cela est trop incroyable pour être autre chose que la vérité. Je pourrais croire à un monde gouverné par la magie, mais un monde gouverné par… des machines ? Un endroit où la magie est un mythe, où la technologie est tellement avancée que les hommes volent pour aller travailler ou simplement pour le plaisir ? Ce ne peut être un conte de fées.”

    Il passa devant eux une nouvelle fois, se dirigeant cette fois-ci en direction du trône. Le roi posa un pied sur le dais puis secoua la tête. Il n’était pas encore temps. Une fois de plus, il parcourut la salle.

    “Et quand vous avez menti - quand vous avez osé dissimuler la vérité - ce n’était que pour tenter de me leurrer sur la puissance véritable de vos armées ! Sur le pouvoir absolu d’une seule des armes de votre monde qui pourrait brûler une armure comme du papier et pulvériser murs les plus hauts… voilà la puissance de ce monde qui, comme vous le prétendez, existe au-delà de celui-ci ! Un monde où je ne serais rien d’autre qu’une bête primitive venue d’un autre temps.”

    Il écarta les bras en s’arrêtant net devant le garçon et la fille. Ils levèrent craintivement les yeux sur lui. Non pas qu’il eût été violent, mais parce qu’il était un roi à craindre ou à révérer… ou les deux.

    “Donc. Que dois-je faire de deux étrangers venus d’un autre monde ? Que ferait un homme ordinaire ? Il vous tuerait peut-être.”

    Ils frémirent à ces mots. La fille se plaça devant le garçon d’un air protecteur. Les lèvres du roi tressaillirent.

    “N’aie crainte, jeune femme. Je ne suis pas un homme ordinaire, guidé par ses défauts. Je suis un roi, et mes défauts sont les forces d’un homme moindre. Non ; je crois qu’il me faut vous garder en sécurité. Vous possédez encore des connaissances, j’en suis sûr, et vous pourriez bien être la clef pour trouver d’autres qui, comme vous, se seraient égarés.”

    Les deux jumeaux levèrent anxieusement les yeux sur le roi. Ils réfléchirent, puis la fille posa une question. Le roi acquiesça en se caressant la barbe.

    “Il est possible que vous soyez tous deux les premiers à être arrivés. Mais les probabilités pour que d’autres que vous soient arrivés sur cette planète en même temps que vous sont plus grandes. Il est possible qu’un portail soit ouvert, et que les armées de cette autre planète en surgissent déjà pour soumettre les nations tels une Grande Faucheuse.”

    L’idée d’une telle dévastation fit sourire le roi.

    “C’est merveilleux.”

    Les jumeaux échangèrent un regard nerveux mais le roi se contenta de rire. Il ouvrit les bras en grand devant leurs yeux.

    “Vous ne comprenez pas. Comment le pourriez-vous ? Mais pensez pendant un instant, comme un roi le ferait. Pensez comme moi. Venez.”

    D’un mot, le roi fit bouger les pieds récalcitrants des jumeaux. Il marcha à grands pas vers un mur de la pièce et ouvrit en grand les deux battants d’une porte. La lumière rouge d’un soleil couchant brièvement aveugla les deux jeunes gens, mais le Roi s’avança sur le balcon.

    “Là.”

    Il indiqua la cité en ruines sous son balcon.

    “Voici mon empire. Autrefois, chaque rue était pleine à craquer de gens de toutes les nations. Chaque échoppe proposait des marchandises achetées à d'innombrables milliers de lieues d’ici, et des messagers se hâtaient à chaque coins de mon royaume qui ne cessait de s’étendre. De jour comme de nuit, mes armées avançaient, et le monde tremblait au son du tintement des épées et des hommes qui scandaient mon nom.”

    Les jumeaux regardèrent la ville, mais furent incapables d’imaginer la vision que le roi leur décrivait. Ils ne voyaient que des briques effritées, et des gens misérables vagabondant sans but. Les gouttières étaient remplies de lie, et le peu de nourriture sur les étalages était soit pourrie, soit en train de pourrir. Le roi baissa les yeux sur sa cité et secoua la tête.

    “Autrefois. Mais j’ai abandonné mes rêves de conquête et laissé la nation que j’avais bâtie s’effondrer autour de moi. Et pourquoi ? Parce que ma vision était trop étriquée, et mon objectif bien trop atteignable. J’avais balayé un continent, renversé d'innombrables royaumes, et pourtant… ce n’était qu’un édifice bâti dans l’instant, une création dérisoire née d’opportunité et de chance. Vaine.”

    Les jumeaux contemplèrent la cité mourante en contrebas. Ils frissonnèrent en voyant les visages dénutris des gens qui l’habitaient. Le roi baissa les yeux sur eux.

    “Vous avez pitié d’eux ?”

    Ils acquiescèrent.

    “C’est très bien. Ils méritent un meilleur dirigeant que moi. Dans mon regret et ma misère complaisante, je les ai laissés tomber. Mais le feu de mon âme était éteint depuis longtemps. Jusqu’à aujourd’hui.”

    Il s’engouffra de nouveau dans la salle du trône. Les jumeaux coururent derrière lui, entraînés dans son sillage comme les poissons par la marée. Le roi gravit deux à deux les marches du dais, se retourna et baissa les yeux sur les jumeaux. Il paraissait plus grand, tout à coup, et c’était déjà là un homme dont la seule présence physique avait valeur de commande.

    “Autrefois, mon nom résonnait à travers le monde ! Mes hauts faits étaient contés avec effroi et admiration ! Et pourtant vous êtes venus ici - ici, au cœur de mon royaume en déclin, pour me dire qu’un monde plus grand que tout ce dont j’aurais pu rêver existe ?”

    Sa voix tonna à travers la salle du trône. Les jumeaux s’agrippèrent l’un à l’autre, en proie à une peur mortelle. Le roi pointa un doigt sur eux.

“Et entendre dire que l’oeuvre de toute ma vie - toutes les gloires que les empires osent revendiquer, fiers de leur histoire - entendre dire que ceci n’est rien comparé aux merveilles de votre monde. N’est-ce pas intolérable ? Et pourtant, malgré toute la force de mes armées, nous ne pouvons nous comparer à une simple… bombe. Et mes mages ont beau pouvoir travailler pendant un millier d’années, même eux n’ont pas levé les yeux sur les lunes jumelles dans le ciel et osé aller y poser le pied. Marcher sur les Lunes !”

    Il leva les bras et rugit de rire. L’écho du tonnerre de sa voix se répercuta dans la salle caverneuse.
    “Quelle farce ! Quel défi que celui que m’offrent aujourd’hui les cieux !”

    Le garçon et la fille s’enlacèrent. Ils avaient vu beaucoup de choses dans leur vie, du moins par rapport aux citoyens de ce monde. Ils avaient vu des hommes et des femmes voler, avaient vu leur monde comme une sphère bleue et verte, ils avaient vu des armées charger sur des écrans de télévision et des hommes marcher sur la lune. Mais tout cela n’était que poussière face à la réalité de la présence d’un roi. Son rire les assaillait comme une force physique jusqu’à ce qu’il s’arrête.

    D’un coup, le roi s’assit sur son trône. En un instant, sa joie avait disparu, et quelque chose d’autre avait pris la place de la folle énergie qui l’avait empli. À présent, il semblait recouvrir entièrement son trône, et lorsqu’il se releva, il n’était plus le même homme.

    Il était Roi.

    “Venez, alors. Allons réveiller cette nation dormante et apporter de nouveau le trépas et la gloire dans ce monde creux !”

    Il descendit du dais et traversa à grands pas la salle du trône en direction de la porte à double battants. Les jumeaux le suivirent, effrayés à l’idée de se retrouver seuls.

    “Orthenon !”

    Mugit le roi. Il s’arrêta au niveau du plus petit fauteuil et y posa un pied.

    “Orthenon ! Mon Intendant Royal ! Viens à moi !”
 
Pendant un instant, tout ne fut que silence. Puis les doubles portes s’ouvrirent, et un homme pénétra dans la pièce. C’était un homme grand et décharné qui marcha sur le sol de marbre avec une grâce surnaturelle.

    Les jumeaux le regardèrent avec intérêt. Pendant un bref instant, en entrant, l’homme dénommé Orthenon avait jeté un regard plein d’espoir en direction du trône. Mais lorsqu’il avait vu son roi debout à côté du fauteuil, sa tête s’était légèrement courbée. Il approcha de son roi et lui fit une légère révérence.

    “Vous m’avez convoqué, seigneur ?”

    Le Roi acquiesça. Des braises couvaient encore en lui, et le feu grandissait, mais son intendant royal ne le voyait pas. Pas encore.

“Dis-moi, Orthenon. Quel est la situation de mon royaume ?”

    L’homme eut une expression amère. Il répondit sans croiser le regard du roi.

“Comme je vous l’ai déjà dit encore et encore, sire, nous dépérissons. La nation s’effrite. Nos ennemis prennent nos terres, vos vassaux s’agenouillent devant des puissances étrangères, et nous ne pouvons pas nourrir ne serait-ce que nos jeunes.”

    Le Roi acquiesça. Ses yeux paraissaient flamboyer dans la semi-obscurité. Si Orthenon levait la tête… mais il ne le fit pas. L’intendant royal continua de parler, la passion enflammant sa voix alors qu’il faisait la liste des frustrations accumulées pendant des années.

    “L’Empereur des Sables mène ses armées à travers le désert au moment même où je vous parle ! Les armées des autres nations se délitent devant ses forces alors qu’il brûle et pille chaque village sur son chemin. À l’Est, les Minos s’agitent et les tambours de guerre résonnent au large de leurs côtes. Des rumeurs de guerre viennent des continents du nord, et notre peuple meurt de faim dans la rue ! Je vous ai déjà dit cela mille fois, seigneur ! Si vous ne reprenez pas le trône, pourquoi me le demander ?”

    “Parce que je suis ton Roi.”

    Orthenon leva les yeux. Le Roi s’avança et plaça une main sur son épaule. Et le feu s’embrasa d’un homme à l’autre.

    “Réjouis-toi, mon intendant royal. Je suis de retour. Je reprends enfin ma place sur le trône.”

    Pendant un instant, l’homme décharné resta bouche-bée. Puis ses yeux s’emplirent de larmes. Il serra entre ses mains celle de son Roi et les deux s’enlacèrent pendant un moment.

    “J’avais espéré… nous avons attendu tellement longtemps, seigneur…”

    “Je sais.”

    Le Roi tapota gentiment Orthenon pendant que l’homme cherchait ses mots. Mais en quelques secondes, il reprit le contrôle de ses émotions et s’inclina très bas, une jambe tendue en avant, l’autre repliée en arrière. Une main sur la poitrine et l’autre tendue à l’extérieur. C’était révérence différente de celle, plus raide, qu’il avait faite un peu plus tôt.

    Le Roi acquiesça, approbateur. Il leva son pied du fauteuil et le ramassa d’une main.

    “Plus jamais. Tu as ma parole.”

    D’un mouvement brusque, le Roi jeta le fauteuil. Il vola dans les airs à travers la pièce et se fracassa contre le mur à quinze mètres de là. Les jumeaux restèrent bouches-bées devant la pluie d’esquilles de bois. Le Roi hocha la tête et se tourna de nouveau vers son intendant.

    “Reprenons. Fais ton rapport, Orthenon. Donne-moi encore une fois les nouvelles de mon royaume.”

    Orthenon écarta les mains devant son roi. Son conflit intérieur se reflétait sur son visage alors qu’il parlait. Le poids de la famine et la douleur des années l’alourdissaient, et pourtant un feu brillait dans ses yeux. Il ne ressemblait plus à l’homme qu’il était quelques instants plus tôt - un homme brisé, exténué.

    “Quel rapport puis-je faire sur le chaos, sire ? Je pourrais vous faire la liste d’un millier de problèmes urgents et il en resterait encore un millier. Le royaume vacille. Notre salle du trésor est vide, notre peuple meurt de faim, nos cultures et nos animaux sont morts et nos armoiries sont pleines de rouille et de pourriture. Chaque soldat valeureux à part une poignée de loyaux ont fui pour des terres plus vertes, et nous vacillons au bord du précipice.”

    “Merveilleux.”

    Orthenon dévisagea son roi. Les jumeaux dévisagèrent aussi le Roi. Ils le regardèrent comme s’il était devenu fou. Mais cela aussi faisait partie de la condition de Roi, et il était habitué à leur incompréhension.

    “Nous n’étions jamais tombés aussi bas. Mon royaume et moi-même sommes enfouis au fond d’un puits profond. C’est merveilleux. Cela devrait rendre les jours, semaines et années à venir encore plus glorieuses.”

    Les jumeaux ne comprenaient pas. Mais les braises s’embrasèrent, et les yeux d’Orthenon se mirent à briller. Le Roi regarda en direction du balcon.

    “Qu’en est-il de ceux qui me sont loyaux ? Qu'en est-il de mes vassaux, ceux que j’ai choisi pour régner en mon absence ? M’ont-ils abandonné, eux aussi ?”

    “Pas abandonné, mon roi. Mais ils ont été forcés de s’incliner ou d’être détruits par d’autres nations. En ce moment même, des armées étrangères contrôlent tes terres et imposent leurs lois sur ton peuple.”

    Le Roi acquiesça. Il se dirigea vers son trône, et le feu en lui brûlait haut, à présent. Lorsqu’il passa à côté d’eux, les jumeaux se mirent à trembler de manière incontrôlable. Que se passait-il ? Le vieil homme qu’ils avaient rencontré était parti, remplacé par une créature féroce qui menaçait de brûler tout le château. Le Roi était bien plus grand que son enveloppe mortelle. Même ses habits semblaient briller plus qu’à leur arrivée.

    “Envoie une missive à mes vassaux. Dis-leur qu’ils ont trois - non, deux jours pour se débarrasser des chiens pouilleux qui voudraient réduire leur fierté en poussière. Ils me rejoindront ici avec autant de guerriers et de jeunes talentueux qu’ils pourront rassembler.”

    Orthenon hésita.

    “Je ne suis pas certain qu’ils croiront que c’est vous, sire. Et cela fait tellement longtemps… certains pourraient vous tourner le dos.”

    Le Roi resta debout à côté de son trône. Il pointa un doigt sur Orthenon.

    “Alors dis-leur ceci : je les attends. Et je hisserai mes bannières et préparerai en personne les places à ma table. Jusqu’à ce qu’ils soient rassemblés ici, je ne me reposerai pas sur ce trône. Mais que le royaume le sache, et que le monde l’entende ! Je suis de retour !”

    Orthenon posa un poing tremblant sur sa poitrine. Ses yeux étaient brouillés de larmes, mais il ne détourna pas une seconde le regard de son roi.

    “Va !”

    Cette fois, la voix du Roi fut un rugissement. Il rugit encore, et elle se transforma en tonnerre. Il résonna à travers la salle du trône, franchit les doubles portes, et se réverbéra à travers toute la ville. Les jumeaux crurent sentir le sol trembler.

    “Que cette nation se réveille de sa décade de sommeil ! Que chaque main saisisse une épée et une hache ! Levez-vous, tous ceux qui se souviennent encore de mon nom ! Entendez-moi et obéissez ! Levez-vous !”

    Les derniers mots firent trembler l’air. Les jumeaux bondirent en avant puis s’arrêtèrent. Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient, seulement qu’il fallait qu’ils bougent. La voix du Roi se saisissait de quelque chose en eux et allumait des étincelles dans leurs âmes mêmes.

    Orthenon se précipita hors de la pièce. Les jumeaux l’entendirent hurler d’un air sauvage, puis ce fut comme si un feu de forêt alimenté par la folie embrasait le château. Un autre homme rejoignit son cri - non pas un cri de panique ou de rage, mais de joie. Il fut rapidement rejoint par d’autres voix, des hommes et des femmes qui hurlaient, et par le martèlement des pas.

    L’agitation monta dans le château et s’étendit à la ville. La bouche ouverte, les jumeaux regardèrent un homme courir dans la rue, hurlant comme en proie à la folie. Les gens qu’il croisait sur son passage levèrent les yeux, et ce fut comme s’il leur transmettait la même passion sauvage. Certains tombèrent à genoux, d’autres pleurèrent ou hurlèrent, et d’autres se mirent à courir à travers la ville, ou hors de la cité en direction d’autres villages.

    Pas une seule personne ayant entendu les cris ne fut épargnée. Le feu gronda, et se propagea à chaque âme du royaume. Un rugissement sourd s’éleva de la ville et de tous les recoins du château. C’était assourdissant, sauvage, des réjouissances mêlées de soulagement, de tristesse et d’espoir.
    C’était le son d’une cité qui revenait à la vie.

    Le Roi sortit sur son balcon, le peuple hurla et le son s’amplifia dès qu’ils aperçurent son visage. Il leva une main, le vacarme faillit assourdir les jumeaux.

    Il se tourna vers eux. La lumière s’éteignait, et le soleil était presque couché. Mais le Roi brillait, et cela aurait pu être un jeu de lumière ou leur imagination, mais les jumeaux auraient juré que la lumière formait un halo autour de sa tête. Ou bien… non, pas un halo.

    Une couronne.

    Le Roi pointa un doigt sur les jumeaux.

    “J’ai fort à faire. Mais vous deux. Vous allez m’accompagner. Vous serez mes assistants personnels. Mes gardes du corps ? Oui, mes gardes du corps. Je vais vous entrainer convenablement pour ce rôle dans les jours à venir.”

    Les jumeaux furent bouche-bée. Ils commencèrent à protester, mais le Roi éclata de rire. Il écouta le garçon parler, puis la fille, et secoua la tête.

    “Hah ! Peu importe vos souhaits. Vos vies m’appartiennent.”

    Là encore, ils protestèrent, mais leurs mots se perdirent en regardant le Roi. Il baissa les yeux sur eux, nimbé d’un halo de soleil mourant et éclairé par un feu intérieur.

    “Ces choses dont vous parlez. Liberté… ? Justice ? Pah. Elles ne vous appartiennent pas de droit. Si vous voulez les réclamer vous-mêmes, levez les armes contre moi. Car c’est moi qui les détiens.”

    Il indiqua d’un geste la cité qui revenait à la vie.

    “Sachez ceci : où que mon pas me mène, et aussi loin que j’irai, je clame ce monde et le vôtre comme les miens. Tant que vous êtes à ma portée, je régnerai sur vous. Car je suis le Roi.”

    Il leva une main et sa voix devint le tonnerre. Elle résonna à travers la cité, et à travers une nation.

    “Que le monde se dresse contre moi. Que les peuples de chaque race marchent sur mon peuple ; que la terre elle-même s’ouvre et que les gouffres de l’enfer crachent. Peu me chaut. Je suis le Roi, et tous ceux qui me suivront sont mon peuple. Nul ne m’arrêtera. Ce monde est mien !”

    Le Roi ouvrit les bras en grand et éclata de rire. Le feu embrasa la ville et galopa à travers la campagne, se propageant de personne à personne, apportant avec lui un unique message. Il résonna dans chaque colline, dans chaque rue, dans chaque cœur. Il le cria au ciel du haut de son château en ruines, et la nouvelle se propagea aux quatre coins du monde.

    “Flos, le Roi de la Destruction, est de retour !”

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 08 février 2020 à 19:59:44
Les ténèbres cachent de nombreuses imperfections. L’ombre dissimule ceux qui trouvent le soleil épuisant et sa vive lumière un anathème. La faible lumière  qui n’est pas les véritables ténèbres mais qui obscure l’ombre, là où seules les indistinctes silhouettes sont visibles pour conjurer des cauchemars pour les humains et ceux lié à leur espèce.

Mais certains habitent dans ces ombres.

Deux individus conversaient dans les ténèbres de la pièce. L’emplacement exact de cette pièce n’avait pas d’importance. Les pièces avaient peu d’importance en ces lieux, dans les catacombes et l’interminable labyrinthe de galeries.

L’un d’entre eux était une femelle. Le second était Klbkch. La femme bougea dans les ombres et sa voix profonde fit trembler l’air.

« T’ai-je bien compris, Klbkch ? Demandes-tu vraiment une Expédition après que le seul résultat obtenu jusqu’à ce point est la folie ? »

Klbkch secoua la tête.

« Non, ma Dame. Je demande humblement que quelques Ouvriers, peut-être une dizaine ou une vingtaine, soit autorisé à quitter la ville sous ma surveillance. Ils visiteront une auberge locale pendant plusieurs heures avant de revenir. »

« Intéressant. »

Le mot se déroula comme un riche drap de velours noir, cachant connotations et sens. La femme s’arrêta.

« Est-ce une de tes idée, mon cher Klbkch ? Puis-je espérer que mon Prognugator a tant changé ? »

Klbkch secoua de nouveau la tête.

« Je reste tel que je l’ai toujours été, ma Dame. Je regrette que cela ne soit pas mon initiative. Elle, l’aubergiste dont je parle, me l’a demandé. »

De la surprise pouvait se faire entendre à travers l’épaisse voix de la femelle alors que ses mots se réverbéraient à travers la caverneuse chambre.

« Elle le demande ?  Quelle espèce désire la présence d’Ouvriers si ce n’est pas pour les faire travailler ? »

« Une Humaine. Et elle n’a pas spécifiquement  demandé des Ouvriers. Plutôt, elle est encline à vendre de la nourriture à notre peuple. Des mouches acides. Elles souhaitent faire du bénéfice en vendant à notre espèce. »

« Est-ce que cette humaine est sincère ? »

« À ma connaissance et au meilleure de mes capacités, je crois qu’elle l’est. »

De nouveau, de la surprise fut la principale émotion présente dans la voix de la femelle.

« Toi, Prognugator ? Tu crois ? Alors tu as véritablement changé. Quel est le nom de cette Humaine qui t’a changé ? »

Klbkch hésita. Il inclina la tête en direction de la femelle.

« Son nom est Erin Solstice, ma Dame. Et je crois… Oui, je crois que son expérience peut aider la progression du Plan. Au moins, cela augmentera la confiance qu’elle porte en notre espèce. »

« Et pourquoi devrai-je écouter sa requête ? »

Klbkch ouvrit ses mains. Elles étaient humanoïdes, ou du moins, ressemblaient plus à des mains que des appendices d’insecte. Cela ne pouvait pas être dit des appendices de la femelle.

« Le Plan as-t-il changé ? Ne souhaitons-nous plus améliorer nos relations avec les autres espèces ? »

La femelle se mût dans les ténèbres. Sa voix changea, sifflant doucement avec regret et frustration.

« Le Plan n’a pas changé, Klbkch. Mais nous avons changé. Et non pas dans la direction que nous désirons. Non, ce changement provient des Autres. Ils ont de nouveau commencé à questionner le Plan. »

Klbkch releva la tête. Ses mains bougèrent aux pommeaux de ses épées sans qu’il ne le réalise.

« Ils questionnent votre volonté, ma Dame ? »

Elle fit un mouvement languissant d’une antenne dans sa direction.

« Pas en tant que tel. Du calme, mon champion. Mon autorité n’est pas diminuée. Et pourtant. Les Autres bougent, Klbkch. Ils parlent d’envoyer des émissaires, ou de lever des armées. »

L’Antinium masculin releva brusquement la tête. Ses antennes tressaillirent.

« Est-ce que cela veut dire que vous voulez de nouveau essayer les Premières Expériences ? Si je peux offrir mes conseils, cela semble… Imprudent. »

Elle hocha la tête dans la pénombre.

« Oui. Mais ils deviennent impatients. Donc leurs idioties peuvent être acceptées si quelque chose n’est pas fait. C’est pourquoi je vais autoriser ce risque. Prends douze Ouvriers. Laisse les visiter cette jeune Solstice. »

Klbkch s’agenouilla sur l’un de ses genoux segmenté.

« Merci, ma Dame. Je ne trahirai pas la confiance que vous avez en moi. »

Un grand soupir retentit dans la pièce, faisant bouger les antennes de Klbkch alors que l’air bougea.

« De cela je ne doute pas. Mais j’ai besoin de plus que ta loyauté. Klbkchhezeim  des Libres. Je dois avoir des résultats. Peux-tu me promettre cela ? »

Il était figer et toujours agenouillé devant elle. Puis Klbkch leva le regard et secoua lentement la tête.

« Je ne le peux. Mais j’essayerai. »

« Très bien. Alors essaye. »

Klbkch hocha la tête. Il se releva, et commença à sortir de la pièce avec des mouvements rapides et précis.

« Klbkch. »

Il se retourna. Depuis les ténèbres une antenne se pointa vers lui et la forme titanesque bougea.

« Tu ne dois pas échouer dans cette mission. Le Plan stagne depuis trop longtemps. Si les prochaines générations échouent, je crains que d’autres retombent dans les anciennes coutumes. »

Klbkch baissa la tête.

« Je m’assurerai que tout se déroule sans problèmes, ma Dame. Erin Solstice n’est pas hostile à notre espèce. Je crois qu’elle aura une influence positive sur eux. »

« Alors pars. Mais j’ai une dernière chose à te demander. »

« Oui, ma Dame. »

« Ahem. Ces mouches… Quel goût ont-elles ? »

« Je vous rapporterai un échantillon, ma Reine. »

« Bien. »

***

Erin était en train de faire une liste.

« D’accord, est-ce que j’ai tout ce qu’il me faut ? Recommençons depuis le début. Le cellier ? Plein à craquer ! La coutellerie ? J’ai ce qu’il faut, même si ce n’est pas de l’argent. »

Elle se retourna et se dirigea vers une autre table.

« Du jus de fruit bleu ? Ouaip. Quatre pichets et un panier de fruits bleus. »

Elle avait nettoyé plusieurs arbres pour préparer le repas de ce soir. À ce point elle avait pratiquement mangé la moitié des fruits du verger. Tôt ou tard, elle allait tomber à court de fruit, ce qui pouvait être un problème. Combien de temps fallait-il avant que les fruits repoussent ? Peut-être que Pisces le savait.

« Des mouches acides ? Ouaip. Sont-elles mortes ? Double ouaip. »

C’était presque triste à quel point il était facile de les attraper dans ses pièges flottants. Presque. Erin avait bien vérifié qu’elles avaient toutes explosées avant de faire rouler les jarres dans l’herbe. Elle pensait que les poissons plats dans la rivière devaient aider, vu qu’ils n’arrêtaient pas de se cogner contre les jarres en essayant de manger les mouches. Peut-être qu’ils allaient véritablement en casser une un de ces jours.

« Bien. Je vais me laver en amont des jarres à partir de maintenant. »

Elle devait aussi probablement mettre des panneaux d’avertissements. Même si Erin ne savait pas qui les panneaux allaient avertir. Vu qu’un certain Humain nécromancien restait éloigné des jarres de verre et qu’elle ne savait pas si les Gobelins savaient lire. Dans tous les cas, elle continua sa liste.

« Des pâtes ? Attends, je n’ai pas besoin de pâte. »

À moins que Relc ne passe. Mais d’après ce que le Drakéide avait dit, il ne semblait pas aimer les Antinium à l’exception de Klbkch donc c’était peu probable. Erin en mit une casserole sur le fourneau juste au cas où, elle pouvait toujours les manger plus tard.

L’un des avantages les plus charmants de vivre prêt d’une ville était qu’il n’était pas nécessaire de faire ses propres pâtes. À la place, il suffisait d’en acheter à une étrange madame Gnoll qui savait exactement quand tu avais tes règles. En d’autres termes, il y avait des avantages et des désavantages à vivre proche de la ville.

« Ok. C’est tout. J’ai du pain au cas où Pisces s’arrête, et j’ai même du fromage. Du délicieux fromage qui sent bien le fromage. Provenant probablement d’une vache. Et je pari que Klbkch est aussi intolérant au lactose. »

Son cellier était plein, ses assiettes et verres étaient propres, et elle avait même sortit et préparer l’échiquier. Elle pensait que Klbkch serait peut-être intéresser par une partie ou deux… Si elle n’était pas occupé à nourrir ses clients.

Pendant un instant, Erin posa la tête contre l’un des murs en se demandant comment elle en était arrivé là. Une fille du Michigan ne devrait pas penser qu’il était normal de vendre des torses de mouches mortes à des gens-fourmis qui pouvaient marcher et qui allaient la payer en pièce d’argent. Elle était probablement en train de les arnaquer, mais Klbkch semblait être prêt à payer n’importe quel le prix pour les mouches. Et il avait mangé six bols avant de s’en aller.

Maintenant tout ce qu’Erin avait à faire était attendre jusqu’à ce que Klbkch vienne avec les amis qu’il avait promis d’amener.  Il avait dit qu’ils seraient là dès qu’ils avaient terminé leur travail. Est-ce qu’ils étaient tous des gardes ? Erin avait oublié de demander.

Quelqu’un frappa à la porte de l’auberge. Erin se retourna et l’ouvrit avec un grand sourire.

« Salut Klb… Oh. »

L’intégralité du groupe de Gobelin fit un pas en arrière alors qu’Erin les regarda. Les huit, non, neuf d’entre eux étaient agglutinés et poussèrent leur leader en avant, un petit Gobelin portant des loques. Erin se souvenait de ce Gobelin.

« C’est… C’est toi. Est-ce que, hum, est-ce que tu veux quelque chose ? »

Le Gobelin loqueteux tendit maladroitement une main vers Erin. Elle cligna des yeux en voyant le tas de pièces de cuivre et d’argent recouvert de terre reposant au creux de la petite paume.

« Oh. Oh ! Tu veux manger, pas vrai ?»

Le Gobelin loqueteux hocha la tête brusquement. Erin ouvrit la porte avant de leur faire signer d’entrer.

« D’accord, rentrez. »

Le Gobelin loqueteux hésita. Il montra de nouveau les pièces à Erin.

« Hum. Le premier repas est gratuit. »

Le Gobelin, qu’Erin avait décidé d’appeler Loques, la regarda sans comprendre. Apparemment ‘gratuit’ n’était pas facile à comprendre pour une race qui prenait ce qu’ils voulaient. Tout était gratuit, ou rien n’était gratuit.

« Et si je prenais l’argent et que je te nourrissais jusqu’à ce qu’il y en ait plus, d’accord ? »

De nouveau, Loques la regarda sans comprendre mais semblait soulagé quand Erin prit l’argent. Erin se dépêcha de déposer les pièces sales sur le comptoir du bar en souhaitant avoir de l’eau chaude et du savon.

« D’accord. Ce n’est pas le meilleur moment, mais pourquoi ne pas t’installer sur cette table avec tes amis ? »

Les Gobelins se rendirent docilement à la table qu’Erin avait pointé du doigt avant de s’asseoir. Erin hésita. Quelle était la suite ?

« C’est vrai, la nourriture. »

Les huit têtes se relevèrent et les Gobelins regardèrent Erin. Celui qu’elle avait déjà nourri auparavant était en train de baver sur la table.

« Donnez-moi cinq… Dix minutes et je vous apporterai tout ce que vous pouvez manger. J’ai juste besoin de mettre une autre casserole sur le feu. Et de faire de la soupe. Mais j’ai du pain ! »

Erin se retourna. Oui, elle allait rapidement leur préparer quelque chose. Elle fonça dans la cuisine et en ressortit avec une miche de pain frais ainsi que du fromage et des saucisses. Les Gobelins regardèrent avidement les assiettes qu’Erin était en train de remplir. Ils sursautèrent quand elle était proche, et quand elle leur tendit une fourchette ils passèrent sous la table comme s’ils s’attendaient à ce qu’elle les poignarde.

« Vous pouvez commencer à manger pendant que je prépare plus de nourriture, d’accord ? »

Les Gobelins regardèrent la nourriture. Loques approcha lentement sa main de la miche et Erin lui tapota le dessus de la tête. Tous les Gobelins sursautèrent.

« Oh, hum. Désolé pour ça. Je vais vous le couper. »

Confus, les Gobelins regardèrent Erin entrer de nouveau dans la cuisine. Leurs yeux errèrent sur le pain qui sentait délicieusement bon, sur la viande et su l’étrange chose jaune, et ils se demandaient s’ils pouvaient le manger. Ils relevèrent la tête et hurlèrent alors qu’Erin rentra de nouveau dans la salle commune avec un couteau de cuisine.

« Oh non, ne courrez pas ! Je ne vais pas vous faire de mal ! »

Erin agita ses mains, paniqué, et manqua de se poignarder avec le couteau. Les Gobelins arrêtèrent leurs courses folles vers la porte.

« Je vais juste découper votre nourriture. Vous voyez ? »

Elle alla lentement et prudemment jusqu’à la miche de pain avant de la couper en tranches. Erin sourit alors que les Gobelins retournèrent vers la table avec suspicion.

« Et maintenant je vais déposer le couteau. Plus de trucs pointus. Vous n’avez pas à vous inquiéter, vous êtes en sécurité ici. D’accord ? »

Elle leur fit un autre sourire rassurant. C’est à cet instant précis qu’un groupe d’Antinium entre dans l’auberge, suivit de prêt par Klbkch. Le sourire d’Erin se figea sur ses lèvres.

Klbkch se figea à son tour et les autres grands et identiques insectes noirs et marrons s’arrêtèrent à leurs tours. Les Gobelins étaient pétrifiés dans leurs sièges, mais la moitié d’entre eux commencèrent à se rapprocher de la fenêtre la plus proche.

Erin secoua les mains de manière paniqué en direction de Klbkch. Puis elle se retourna vers les Gobelins avant de leur faire un autre sourire réassurant.

« Ne vous inquiétez pas ! e vous inquiétez pas. Ces gens ne vont pas vous faire du mal. Ils sont des invités. Ils sont aussi là pour manger, compris ? »

Ils hésitèrent, mais Loques semblait être plus solide que ses camarades malgré sa plus petite taille. Elle retourna dans son siège. Et ce Gobelin était une Gobelin, Erin en était certaine. Les autres Gobelins, qui étaient tous des mâles à l’exception d’un d’entre eux, ne portaient rien sur leurs torses. Ils portaient à peine quelque chose pour cacher leurs parties intimes.

Elle les guida jusqu’à leurs sièges et essaya d’éviter de regarder l’entrejambes des Gobelins quand leurs pagnes bougea de manière infortunée. Il y avait une raison pour laquelle les pantalons avaient été inventés.

« Allez-y et manger autant que vous le voulez. »

De nouveau, les Gobelins regardèrent nerveusement les Antiniums, mais maintenant que le choc était passé, la nourriture fraîche les appelait. Il y eut un moment d’hésitation, puis Loques attrapa un morceau de saucisses et les Gobelins commencèrent à avaler toutes la nourriture présente sur la table avec leurs mains.

Elle grimaça en voyant le fouillis, mais au moins ils étaient occupés. Erin se décala doucement en direction de Klbkch, qui était toujours en train d’attendre avec le groupe d’Antinium.

« Salut, Klbkch. Désolé pour la confusion. J’ai eu quelques visiteurs qui sont arrivé de manière inattendue. »

« Il n’y a pas de problèmes, Mademoiselle Solstice. J’ai amené des gens de mon espèce comme tu l’avais demandé. »

Klbkch hocha la tête en direction d’Erin avant de faire un geste aux Antiniums silencieux derrière lui. Erin regarda ses nouveaux clients avec un peu d’appréhension.

Ils étaient comme Klbkch, et différents de lui en même temps. Par contre, ils étaient identiques l’un à l’autre. Erin ne parvenait pas à les distinguer l’un de l’autre, et les douze autres Antiniums se tenaient et bougeaient comme s’ils étaient une seule et même personne.

Elle nota qu’ils étaient légèrement plus maigres que Klbkch, et un peu plus petit. La couleur de leurs… Carapaces étaient nettement plus marron, et leurs antennes étaient plus petites. Et ils ne semblaient pas intéresser par l’idée de parler. Tous les Antiniums regardaient Klbkch plutôt qu’Erin.

« Sont-ils… Sont-ils tes amis ? Ou d’autres gardes ? »

Klbkch secoua la tête.

« Je crains qu’il y ait erreur. Ce sont des Ouvriers, Mademoiselle Solstice. Ce ne sont pas des confrères gardes, mais ils réalisent des travaux dans une partie de la ville où les Antiniums sont acceptés. Je les aie amené car tu as demandé pour plus de clients, mais je n’ai jamais interagit avec eux auparavant. »

« Oh. »

« Ils se comporteront de manière adéquate sous ma supervision, Miss Solstice. »

Klbkch se dépêcha de rassurer Erin. Il se tourna vers le groupe d’Ouvrier Antinium et pointa une table du doigt.

« Vous êtes entré dans l’auberge. Le protocole de politesse est de se présenter et de prendre un siège. Je m’occuperai de vos salutations. Bougez jusqu’à ces tables. »

Ils marchent jusqu’aux tables d’un pas obéissant. Au début, ils s’agglutinèrent autour de la même table, mais Klbkch les dirigea de manière impatiente jusqu’à ce que les Antiniums soient à quatre par table.

« Asseyez-vous ! »

Klbkch ordonna les autres Antiniums et ces derniers s’assirent immédiatement dans les chaises. Le sourire d’Erin continua de disparaitre alors que Klbkch continua de les diriger avec des ordres courts et sec.

Il traitait les autres Antiniums comme… Des moutons. Ou des enfants. Des enfants stupides qui ne pouvaient pas prendre une fourchette sans se la planter dans l’œil. Oui, c’était ça.

Erin regarda Klbkch du coin de l’œil alors qu’il fit la leçon aux autres ‘Ouvriers’. Il leur disait comment utiliser une cuillère, et comment boire depuis un verre. Et comment commander un autre bol de mouches.

« Hum, merci Klbkch. Est-ce que tu veux que j’aille chercher la nourriture ? J’ai des mouches acides, bien sûr, mais aussi des pâtes… »

Erin écarquilla les yeux.

« Oh non ! Les pâtes ! »

Les Gobelins et les Antiniums regardèrent Erin foncer dans la cuisine pour tenter de sauver les nouilles trop cuite. Elle était de retour quelques minutes plus tard en tenant plusieurs assiettes de pâtes avec des bout de saucisse et d’oignon. Elle plaça les assiettes devant les Gobelins.

« Utilisez des fourchettes, d’accord ? Votre ami sait comment utiliser une fourchette. »

Erin pointa les couverts du doigt avant de sortir les bols de mouches acides qu’elle avait préparé. Elle les déposa devant les Ouvriers Antiniums, légèrement mal à l’aise. Ils bougeaient hors de son chemin, mais ne disait pas un mot.

Du moins, c’était le cas jusqu’à ce que Klbkch leur donne un nouvel ordre sec, et les douze murmurèrent un ‘merci’ dès qu’Erin apportait une assiette ou un verre. Mal à l’aise ? Erin était en train de revoir sa définition du mot en ce moment même.

Une fois cela fait, les Antiniums commencèrent à manger sous les ordres de Klbkch. Au moins ils semblaient quelque peu enthousiastes, car ils étaient en train de gober les mouches à une vitesse respectables. Ils mangeaient silencieusement, ce qui était légèrement dérangeant. Mais au moins ils mangeaient.
Erin laissa s’échapper un sourire de soulagement. Puis la porte de l’auberge s’ouvrit.

Un Drakéide familier passa la tête dans la pièce. Il se lança immédiatement dans ce qui semblait être un discours préparé à l’avance en tenant maladroitement un échiquier devant lui.

« Bonsoir, Mademoiselle Erie ! J’espère que cela ne te dérange pas si je passe, lais je me demandais si tu aimerais faire une partie d’éc… »

Olesm s’arrêta et regarda la pièce silencieuse. Sa mâchoire se décrocha quand il vit les Gobelins, avant de se décrocher un peu plus quand il vit Klbkch et les Antiniums. Il posa lentement une main sur la porte.

« … Ce n’est pas le bon moment, je suppose ? »

***


Erin était allé à des enterrements. Enfin, elle avait assisté à un enterrement. Et même s’ils étaient des occasions tristes et solennelles, elle pouvait dire qu’elle avait assisté des enterrements qui étaient plus bruyant que son auberge en cet instant.

Au moins les enterrements avaient des gens qui toussaient, des reniflements occasionnels, des enfants qui gigotaient et des bébés qui pleuraient. Dans l’Auberge Errante, tout ce que Erin pouvait entendre était les bruits de mastications des Gobelins alors qu’ils avalaient leurs repas et les silencieux craquements que les Antiniums faisaient en mangeant leurs mouches et en cliquetant leurs mandibules.

Chomp. Chomp. Chomp.

Le regard d’Erin passa des Antiniums aux Gobelins avec un sourire désespérément joyeux plâtré sur son visage. Les deux côtés ne se regardaient pas directement, mais elle avait l’impression qu’ils étaient silencieusement en train de jauger. Les Gobelins pour prendre la fuite, et les Antiniums… Ne faisaient que regarder.

L’atmosphère était si tendue qu’il était possible de… Enfin, Erin était pratiquement certaine que sortir un couteau serait une catastrophe. Les Gobelins étaient nerveusement en train de regarder les Antiniums, et les Antiniums étaient effrayants dans leur silence et leur uniformité. Ils mangeaient et bougeaient de manière parfaitement synchronisé.

Erin circulait dans la pièce, un pichet de jus de fruit bleu en main. Elle remplissait les verres, reprenant les assiettes pour les remplir, et enseignait aux Gobelins à ne pas mettre les doigts dans leurs nez. Elle avait l’impression d’être la seule serveuse dans un restaurant complet, mais Erin était prête à relever le challenge. Du moins, elle espérait l’être.

Elle n’était pas en train de prendre des commandes ou de nettoyer les assiettes, pas tout de suite. Tout ce qu’elle faisait était de s’assurer qu’il y avait de quoi manger devant ses clients. Les Gobelins n’étaient pas compliqués, ils mangeaient tout ce qui se trouvait devant eux. Mais les Ouvriers ? Ils étaient difficiles. Erin devait être certaine qu’ils n’avaient pas de bol vide ou ils s’arrêtaient de manger. Ils ne demandaient même pas à être resservit.

Pendant un creux entre ses services, Erin s’arrêta devant la table de Klbkch et d’Olesm. Les deux étaient discrètement en train de se parler, ce qui les rendait extrêmement bruyant dans le silence de l’auberge.

« Comment allez-vous tous les deux ? »

Olesm et Klbkch se regardèrent pour être certain qu’Erin s’adressait bien à eux. Olesm lui fit un léger sourire.

« Je me porte bien, Mademoiselle Solstice. Ou… Puis-je t’appeler Erin ? »

« Je t’en prie. J’en ai assez de me faire appeler par mon nom de famille. J’ai l’impression d’être ma mère. »

« Mes excuses. »

Klbkch inclina la tête et Erin se sentit coupable, elle changea rapidement de sujet.

« Est-ce que vous apprécier votre repas ? Je peux vous apporter quelque chose ? »

« Un autre verre de jus bleu, peut-être ? »

Olesm leva son verre et Erin le rempli à ras-bord, gagnant un sourire de sa part.

« C’est délicieux. »

« Merci. »

Ils s’arrêtèrent tous les deux, gênés. Olesm jeta un coup d’œil dans l’auberge et s’agita légèrement sur sa chaise, mal à l’aise.

« Est-ce que tu… Est-ce que tu sers souvent des Gobelins dans ton auberge ? J’ai vu le panneau, mais je dois l’admettre, c’est la première que je vois un Gobelin n’essayant pas de poignarder quelqu’un ou de prendre la fuite. »

D’un seul mouvement, les Gobelins arrêtèrent de manger et regardèrent en direction d’Olesm. Ce dernier eut un mouvement de recul.

« Hum, non. Ils sont aussi nouveaux. »

« Oh, je vois. »

Plus de silence. Erin regarda la table. Le Tacticien Drakéide avait apporté son échiquier, et même s’il l’avait mis de côté pour manger, elle pouvait voir qu’il y jetait un coup d’œil de temps en temps.

« Pourquoi ne pas faire une partie d’échecs ? Quelqu’un est intéressé ? »

Klbkch et Olesm relevèrent la tête.

« Oh, j’aimerai pouvoir jo… »

Olesm se rattrapa, avant de regarder les autres clients de manière coupable.

« Mais je ne veux pas te déranger dans ton travail, alors peut-être une autre fois. »

Il semblait tellement triste qu’Erin voulait lui tapoter le dessus de la tête. Elle y pensa pendant un instant avant de sourire.

« Oh, ne t’inquiète pas. Nous pouvons faire que ça marche. Je vais jouer contre toi et servir mes plats. »

Klbkch et Olesm la regardèrent de manière incrédule et Erin leur fit un sourire.

« Je suppose que vous n’êtes pas familier avec le système de notations des parties d’échecs ? »

***

« D’accord, donc tu as bougé ton pion de deux cases. C’est E4, donc tu n’as qu’à me dire que tu as bougé ton pion en E4, compris ? Et quand je veux bouger, je te le ferai savoir en disant, oh, pion en D5. »

Olesm hocha la tête en regardant l’échiquier. Il bougea soigneusement le pion noir de deux cases et regarda Erin. Elle hocha la tête.

« Compris ? »

« Je crois que oui, Erin. »

« Bien. Alors jouons ! »

Erin tourna le dos à Olesm et attrapa un verre pour le remplir. De l’autre côté de la pièce, Klbkch et Olesm se penchèrent sur l’échiquier et discutèrent entre eux. Olesm bougea une pièce.

« Pion, ha, pion en F3, Erin. »

« Compris ! Cavalier en C6 ! »

Erin se concentra sur la partie tout en marchant dans l’auberge. Elle ne se rendit pas compte que les Gobelins ralentirent leurs repas et que les Ouvriers Antiniums firent une pause dans leur dégustation pour la suivre du regard. L’esprit d’Erin était concentré sur une seule chose alors qu’elle changeait et remplissait les assiettes de manière mécanique.

La partie. Certains disaient que le golf était le plus grand des jeux jamais joué. Ils avaient peut-être raison, mais Erin aimait les échecs par-dessus tout.

Elle pouvait même y jouer dans sa tête.

***

« Fou en D6. »

« Hum. Dans ce cas je vais bouger… Hum, je pense que je vais bouger mon pion en D4. »

« Reine en H4 ! Échec ! »

Erin sourit aussitôt après avoir terminé sa phrase. Elle entendit Olesm grogner de consternation.

« Ah. Alors… Alors pion en G3 ? »

De nouveau, Erin répondit avant qu’il ne termine sa phrase.

« Fou prends pion en G3. »

« Pion prends fou en G3. »

« Et je vais prendre ta tour en H1. »

Erin sourit de plus belle alors qu’Olesm siffla de détresse. Dans son imagination elle vit son reine assis dans un coin du côté d’Olesm, entouré par de délicieuses pièces non protégées.

La partie continua, mais c’était du simple nettoyage. Erin continua de joyeusement manger les pièces d’Olesm avec sa reine. Il parvint finalement à la prendre avec sa propre reine, mais uniquement après avoir perdu un cavalier et un fou. Après ce mouvement, Erin avait toujours plus de pièces et était mieux positionné sur l’échiquier.

« Je concède. »

Olesm fit tomber sur roi du bout d’une griffe et regarda l’échiquier, découragé. Erin s’arrêta de découper des saucisses pour le Gobelin assez longtemps pour voir Klbkch gentiment tapoter l’épaule d’Olesm pour le consoler.

« C’était une bonne partie. »

Le Drakéide secoua la tête.

« Tu me donnes trop de mérite. J’ai fait de nombreuses erreurs qui m’ont coûté trop de pièces. Mais je crois que tu m’avais dès le début. Aurais-tu la gentillesse de me montrer mes erreurs ? »

« Bien sûr. »

Erin marcha jusqu’à la table. Elle réarrangea les pièces comme elles avaient été au début de la partie et bougea le pion d’Olesm de deux cases.

« Tu as ouvert avec un classique : l’Ouverture du Pion Roi. C’est un bon début. »

Olesm regarda l’échiquier sans comprendre.

« J’ai simplement bougé mon pion en E4. Est-ce un coup si notable qu’il a une stratégie à son nom ? »

Erin hocha la tête avec enthousiaste.

« Oh, c’est un classique. Tu savais qu’un quart des parties d’échecs commencent avec ce coup ? C’est idéal pour prendre l’espace central, mais malheureusement pour toi j’adore jouer contre ce genre de coup. »

Klbkch leva une main.

« Veux-tu dire qu’il existe des contres établis pour stopper cette ouverture ? »

Elle hocha la tête et poussa un pion noir en avant.

« Oh, il existe de nombreuses bonnes stratégies. J’ai contré avec l’un de mes vieux favoris, la Défense Sicilienne. Très efficace contre le Pion Roi, mais tu as fait une erreur que tu as bougé ton pion en F3. Tu n’ouvres pas assez d’espace pour sortir tes pièces, et tu veux un cavalier pour mettre la pression de mon côté de l’échiquier. Bien sûr, tu peux essayer de prendre mon pion, mais ça laisse ton centre ouvert. La plupart des joueurs essayent d’avancer de manière agressive mais c’est pour ça que la Défense Sicilienne marche autant vu que cela veut dire que tu vas devoir perdre un pion si tu veux avancer de l’autre côté. »

Erin s’arrêta et regarda autour de l’auberge. Olesm avait un regard a moitié vitré et à moitié enchanté. Les Gobelins, ainsi que les autres Antiniums et Klbkch la regardaient bouche bée.

« Heu, désolé. J’ai tendance à m’éparpiller quand je me concentre dans les échecs. »

« Non…  Ne t’inquiète pas, Mademoiselle Erin. »

Olesm secoua sa tête avant de lui sourire. Ses yeux étaient vivants d’intérêt et elle remarqua que sa queue s’agitait sur le sol comme celle d’un chien.

« Tu as une impressionnante compréhension de cette partie !  Comment cela se fait-il que tu en saches autant sur les échecs ? J’en ai seulement entendu parler l’année dernière, et pourtant tu dis qu’il existe des stratégies qui ont déjà été mises en place ? »

« Oui ? »

Erin croisa les doigts alors qu’Olesm soupira joyeusement. Elle espérait vraiment qu’elle n’allait pas devoir expliquer qu’elle venait d’un autre monde. Elle jeta un regard à Klbkch et se demande si elle devait jouer contre lui pour la prochaine partie. Puis elle regarda Olesm et Klbkch avant d’avoir une idée.

Elle fit un sourire machiavélique.

« Oui, j’adore jouer aux échecs. En fait, je vais jouer contre vous deux en même temps, si vous le voulez. »

Olesm et Klbkch se lancèrent un regard. Les deux froncèrent légèrement les sourcils. Enfin, Olesm fronça ses sourcils non existants et Erin avait la distincte impression que Klbkch était en train de froncer les sourcils.

« N’es-tu pas en train de nous prendre un peu trop à la légère, Erin, »

Elle cligna des yeux de manière innocente à Olesm.

« Moi ? Bien sûr que nous. Mais je pari que je peux jouer contre vous deux tout en continuant de servir la clientèle tout en gagnant contre au moins l’un de vous deux. Vous voulez tester ma théorie ? »

Ils le voulaient. Erin sourit pour elle-même alors qu’Olesm et Klbkch préparèrent leurs pièces à deux bouts de la pièce. Chaque joueur regardait son échiquier avec intensité qu’elle pouvait pratiquement sentir. Ils lui rappelaient les adultes contre lesquels elle avait joué en étant en primaire. Personne n’aimait être battu par un écolier. Elle luttait pour garder un visage sérieux.

Klbkch bougea en premier. Erin regarda son échiquier et décida de bouger une pièce sur l’échiquier d’Olesm en réfléchissant à son coup. Elle circula dans la pièce, remplissant des verres avec le peu de jus qu’il lui restait. Quand Olesm bougea sa pièce elle frappa Klbkch avec un cavalier. Et puis elle retourna dans la cuisine pour faire des pâtes car les Gobelins avaient de l’appétit.

Les parties continuèrent alors qu’Erin remplie les bols de mouches mortes pour les tendre vers les Ouvriers. Ils mangèrent joyeusement les mouches, mais elle avait la distincte impression qu’ils étaient en train de l’observer alors qu’elle faisait des allez-retours entre les deux échiquiers.

Occasionnellement, Erin attendait que l’un des deux joueurs bouge une pièce, mais quand elle bougeait d’échiquiers en échiquiers, elle attaquait rapidement, ne donnant pas l’impression de s’arrêter pour réfléchir. Elle pouvait voir que Klbkch et Olesm la regardait autant que l’échiquier, mais elle continua de jouer contre les deux joueurs sans effort et en servant ses clients.

Son audience regardait le double jeu avec intensité. Erin gardait aussi un œil sur eux, et vit que Loques et les Ouvriers Antiniums regardaient les pièces de Klbkch et d’Olesm avec intensité. Les yeux des Gobelins étaient plissés alors que les Ouvriers semblaient confus. Erin sourit, mais continua de balayer la pièce pour remplir des verres, et bouger rapidement des pièces sur chaque échiquier.

Eventuellement, les parties se terminèrent avec une victoire pour Klbkch et une défaite pour Erin.

« Félicitations, Klbkch. Et félicitations à toi, Erin. »

« En effet. Je suis très impressionné par tes capacités. »

Erin sourit au deux joueurs et tenta de ne pas rire.

« Oui, c’était une bonne partie. Dommage que je ne jouais pas contre vous. »

« Quoi ? »

Elle pointa l’échiquier d’Olesm du doigt. Son Roi était coincé par une reine et un fou.

« Est-ce que tu remarques quelque chose de similaire à propos de l’échiquier de Klbkch, Olesm ? »

Il le regarda. Du côté de Klbkch, il avait coincé le roi d’Erin avec une reine et un fou. Les pièces étaient exactement au même endroit que sur l’échiquier d’Olesm.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? »

« Je vous ait fait jouer l’un contre l’autre. C’est le plus vieux truc au monde. J’ai entendu dire qu’un gars avait essayé de le faire contre deux Grands Maîtres et avait échoué. Et j’ai toujours voulu le faire au moins une fois.

Erin sourit alors que Klbkch et Olesm s’exclamèrent, avant de lever les mains au ciel et d’immédiatement demander une nouvelle partie. Elle était en train de mettre les pièces en place pour une véritable double partie quand quelque chose arriva.

L’un des Ouvriers se leva.

Instantanément, Klbkch arrêta de mettre ses pièces en place et l’une de ses mains fila à sa hanche. Erin vit qu’il tenait le pommeau d’une de ses épées alors qu’il se leva.

« Qu’est-ce que tu es en train de faire, Ouvrier ? »

La voix de Klbkch était froide et hostile. L’Ouvrier s’inclina docilement devant lui.

« Celui-ci voudrait regarder, Prognugator. »

« Regarder ? »

Klbkch jeta un regard vers l’échiquier avant de se concentrer de nouveau sur l’Ouvrier. Il semblait incertain.

« Il est malpoli de déranger ou d’entraver le chemin de l’aubergiste. »

Erin s’interposa rapidement entre Klbkch et l’Ouvrier docile qui était déjà prêt à se rasseoir dans son siège. Elle lui fit signe de s’approcher.

« Cela ne me dérange pas, Klbkch. Laisse-le regarder. Une audience est toujours apprécié lors d’une partie d’échecs. »

Klbkch hésita.

« Je ne souhaite pas abuser de ton hospitalité ou ta patience… »

« Mais si ! Il n’y a pas de problèmes, ils peuvent en abuser ! »

Erin n’écouta pas ses protestations et tira une autre chaise. Elle guida l’Ouvrier jusqu’à la chaise sans le toucher et le fit s’asseoir. Puis elle nota que les autres Ouvriers et les Gobelins étaient aussi en train de regarder les échiquiers.

« Vous tous, rapprochez-vous si vous voulez regarder. »

Aussitôt, une foule entoura les deux échiquiers. Olesm et Klbkch clignèrent des yeux en direction des spectateurs, mais Erin sourit joyeusement.

« D’accord, maintenant faisons que cela soit drôle pour vous et moi. Je vais jouer contre vous deux, mais nous avons que cinq… D’accord, dix secondes entre chaque coup. »

« Est-ce que c’est une autre manière de jouer aux échecs ? »

« C’est ainsi que certaines parties sont jouées, ouais. Ce style est appelé Jeu Éclair, mais en tournoi tu peux avoir entre une heure et trois minutes pour préparer tes coups. Si nous avions une horloge nous pourrions… Ce n’est pas grave. Je vais vous expliquer alors que nous jouons, d’accord ? »

Klbkch et Olesm hochèrent la tête. Erin s’empara d’une chaise et la plaça entre les deux tables pour pouvoir atteindre les deux échiquiers.

« Je vais devoir m’asseoir pour ça. Je ne suis pas un Grand Maître. »

***

Erin gagna les deux premières manches sans problèmes. Mais à la troisième Olesm parvint à obtenir une égalité.

« Félicitations Olesm. »

Erin mit sa main devant sa bouche pour cacher son bâillement avant de faire un sourire fatigué au Drakéide exalté.

« Oui, c’était une bonne partie ! »

« Mais de rien. »

Les écailles d’Olesm prirent une légère teinte rouge alors qu’il serra la main de Klbkch. Sa queue continua de bouger sur le sol, mais Klbkch et Erin firent semblant de ne pas s’en rendre compte.

« Je dois admettre que c’était très impressionnant… Je me sens soulagé d’être parvenu à faire une égalité contre toi, Erin. Je commençais à croire que c’était impossible. »

Elle rougit avant de secouer les mains dans sa direction. C’était extrêmement embarrassant d’être considéré comme un génie des échecs, surtout quand elle savait qu’elle en n’était pas un. Erin allait suggérer un autre match avec des règles différentes quand elle regarda l’Ouvrier Antinium qui avait observé la partie.

« Est-ce que tu veux jouer ? »

L’Antinium à qui elle s’était adressé se leva de son siège avant de s’incliner.

« Cet indigne celui-ci ne prétendra pas agir de cette façon. »  

Erin fronça les sourcils. Est-ce que cela voulait dire qu’il voulait jouer mais qu’il avait peur de le faire ? »

« Pourquoi ne pas essayer ? Je vais t’apprendre à jouer, et nous pouvons toujours faire plus d’échiquiers. Nous avons simplement besoin de quelques pages et de quoi écrire. »

Elle se rendit dans la cuisine et s’empara de quelques morceaux de papier ainsi qu’une plume et d’un encrier. Elle avait eu l’impression d’être un sorcier quand elle avait acheté la plume, puis elle avait souhaité retrouver un ordinateur et une photocopieuse cinq seconde après s’être rendu compte qu’elle devait tremper sa plume à chaque fois qu’elle écrivait quelques mots.

Alors que ses invités l’observèrent, Erin dessina un échiquier grossier sur des bouts de parchemins avant de les déchirer. Elle dessina précautionneusement des symboles pour désigner les pions et les autres pièces, avant d’installer l’échiquier fait à la va-vite sur une table. Elle installa deux des Ouvriers Antiniums dans des chaises, l’un contre l’autre.

C’était le plus humble échiquier qu’Erin n’avait jamais vu, mais les Antiniums regardaient les morceaux de papier en étant totalement concentré sur eux.

« D’accord, donc qu’est-ce que vous avez vu quand j’ai joué contre Klbkch et Olesm ? Est-ce que vous savez préparer l’échiquier ? »

Immédiatement les deux Antiniums bougèrent. Erin eut un léger mouvement de recul, mais ils étaient simplement en train d’arranger les pièces sur l’échiquier avec une précision mécanique. En quelques secondes, l’échiquier était préparé. Erin cligna des yeux en les regardant.

« Bien, bien. Et, hum, montre-moi comment cette pièce bouge ? »

Obéissant, l’Ouvrier bougea la pièce en avant.

« Et est-ce que tu peux bouger cette pièce de gauche à droite ? »

« Celui-ci ne crois pas. »

Klbkch se tenait au-dessus de l’échiquier, alerte. Comme d’habitude, il n’y avait pas beaucoup d’émotion sur son visage, mais il semblait affligé pour une quelconque raison.

« Adresse-toi à elle par son titre. »

L’Antinium baissa aussitôt la tête en direction d’Erin.

« Mes excuses, Aubergiste Solstice. Celui-ci ne crois pas qu’un pion puisse bouger vers la gauche ou la droite. »

Erin jeta un regard à moitié agacé à Klbkch, avant de se retourner vers l’Ouvrier.

« En effet, c’est vrai ! Très bien. Et montre-moi comment prendre une pièce ? »

Il s’exécuta.

« Bien. Mais savais-tu qu’il existe une autre chose que les pions peuvent faire ? »

Aussitôt, les autres Antiniums et les Gobelins regardant le jeu étaient se concentrèrent. Ils regardèrent alors qu’Erin leur montra comment prendre une pièce en passant et en expliquant les règles spécifique à ce coup. L’Antinium qu’elle était en train d’entraîner baissa immédiatement la tête en sa direction.

« Celui-ci ne connaissait pas ce fait. Celui-ci s’excuse à l’Aubergiste Solstice pour son échec. »

« Quoi ? Ne t’excuse pas. Il n’y a pas beaucoup de joueurs qui connaissent ce coup, alors comment pouvais-tu le connaitre ? Maintenant, faisons en sorte que tu fasses une partie face à ton ami. »

Erin recula alors que les deux Ouvriers Antiniums se regardèrent en silence. Pendant un instant, elle eut peur qu’ils ne fassent rien, mais le premier Ouvrier bougea son pion en E5. Après un moment l’autre Ouvrier répondit avec la Défense Sicilienne, et la partie débuta.

Pièces après pièces avec peu de pause entre les deux. Au début Erin eut peur qu’ils refassent l’une des parties qu’elle avait eues contre Klbkch ou Olesm, mais les deux joueurs étaient en train de jouer leur propre partie. Il lui fallut un moment avant de se rendre compte qu’ils étaient toujours en train de jouer une Partie Éclair. Une fois qu’elle expliqua qu’ils pouvaient prendre leurs temps, le rythme ralenti.

Erin regarda les deux Ouvriers qui jouaient l’un contre l’autre en silence avant de regarder son audience.

« Quelqu’un d’autre veut jouer ? »

***

Le silence. C’était le bruit des funérailles et des églises, sauf que ce ne l’était pas vraiment. Ou plutôt, c’était le bruit que tu imaginais entendre dans de tels lieux, mais c’était plus un objectif à accomplir que la vérité.

Le silence était le son d’un tournoi d’échecs. Erin circulait dans l’auberge, remplissant les assiettes de mouches mortes et servant des verres d’eau (elle n’avait plus de jus de fruit bleu) et elle avait l’impression d’être chez elle alors qu’elle écouta les click des pièces d’échec bougeant et, plus souvent, des bruits de papier sec.

« Oh. Comment la partie se déroule ? Est-ce que quelqu’un veut des mouches ? Ou des pâtes ? Un verre de j… Un verre d’eau ? »

Erin passa près de chaque échiquier et regarda les Antiniums et même les Gobelins jouer l’un contre l’autre. Il y avait huit échiquiers d’installés, et les joueurs changeaient de partenaire quand l’un d’entre eux perdait.

Ses instincts naturels de joueuse étaient en guerre contre son désir de conseiller les nouveaux joueurs. Elle trouva un compromis en laissant Olesm et Klbkch commenter les parties, et en disséquant les parties une fois qu’elles étaient terminées en les récréant et en pointant les bons et les mauvais coups.

Les Ouvriers Antiniums observèrent le moindre mouvement d’Erin et écoutèrent la moindre de ses parole avec une effrayante concentration. Elle avait entendu le terme ‘absorbé’ pour décrire des gens, mais elle n’avait jamais rencontré un groupe qui était aussi concentré que les Ouvriers. Pour être franc, cela était même un peu troublant, mais son amour pour expliquer les coups d’échecs et les stratégies était largement suffisant pour combler cette gêne.

C’était une chose. Mais ce qui impressionnait réellement Erin, et même Olesm et Klbkch était les Gobelins. Ils étaient en train de jouer aux échecs.

D’accord, pas très bien, ni très rapidement, mais les Gobelins s’asseyaient pour jouer des parties pleine d’entrain, même si elles n’étaient pas très réfléchies. L’exception étant la plus petite des Gobelin, Loques, qui avait réussi à battre deux des Ouvriers à la suite.

Erin s’arrêta devant le vrai échiquier alors que Loques s’installa dans le siège qui se trouvait en face. C’était techniquement au tour de Klbkch de jouer, mais la Gobelin la regardait. C’était un challenge.

« Je vais jouer contre toi, si tu veux. Tu as les blancs, donc tu commences. »

Loques regarda Erin en la défiant et commença par bouger son cavalier. Erin cacha son sourire.

« Oh, l’Ouverture Balte, hum ?  Bien… »

Elle bougea un pion à deux cases du cavalier. C’était son coup préféré contre ce genre d’ouverture. Loques fronça les sourcils et bougea une autre pièce, puis une autre. Pendant un certain temps la Gobelin ressemblait à un étrange enfant vert qui jouait aux échecs. Jusqu’au moment où Loques ouvrit sa bouche et qu’Erin vit ses dents pointues. Mais Loques était toujours moins inquiétante qu’auparavant.

Erin l’écrasa alors qu’elle servit ses dernières pâtes aux Gobelins et prit une portion pour elle-même.

***

La Gobelin la challengea trois fois de plus alors qu’Erin jouait contre Olesm et deux Ouvriers. Elle perdit facilement à chaque fois, mais Erin était impressionner par le fait que la petite Gobelin était prête à essayer de nouvelles stratégies à chaque partie. Elle devait l’admettre.

« Vous tous pouvez apprendre beaucoup d’elle. La plupart de ces coups sont des stratégies reconnues. D’accord, directement bouger son fou n’est pas un bon choix, mais tu es meilleure que la plupart des débutants. »

Elle sourit à Loques. La Gobelin s’enfonça sur sa chaise et détourna le regard.

Klbkch hocha la tête, et Olesm exprima son intérêt de jouer contre la Gobelin. Erin regarda les Ouvriers. Ils étaient en train de la regarder subrepticement, Erin avait l’impression qu’ils voulaient aussi faire une partie contre elle.

Elle frappa ses mains entre elle avant de sourire.

« Très bien. Quelqu’un veut faire une autre partie ? »

***

« Et c’est échec et mat. »

Olesm quitta son roi des yeux avant de secouer la tête de manière désespérée.

« Une autre bonne partie, Erin. Je n’avais pas conscience de ton piège jusqu’à ce que tu bouges bouge ton fou. »

Erin bailla avant de faire un sourire fatigué en sa direction. Autour d’elle les Gobelins étaient assis ou allongés sur les tables, regardant la partie d’un œil paresseux.

« Tu sacrifiais trop de pions. Ils ont plus de valeurs que tu ne le crois. »

Olesm inclina la tête et manqua de se laisser tomber. Il se redressa brusquement avant de hocher la tête.

« Je saurais m’en souvenir, Erin. »

Elle hocha la tête avant de bailler de nouveau.

« Quelqu’un pour une autre partie ? Klbkch ? »

L’homme-fourmi secoua la tête. Il jeta un coup d’œil vers la porte, et vers les Ouvriers qui continuaient de jouer aux échecs. Ils étaient toujours en train de regard les échiquiers avec intensité sans montrer le moindre signe de fatigue.

« Il se fait tard. J’ai peur que nous devions prendre congé, Mademoiselle…. Erin. Si je peux me permettre de t’appeler ainsi. »

« Oh, bien sûr que tu peux m’appeler par mon prénom, Klbkch. Et en effet, il est tard ! »

Elle se releva. Aussitôt, les Ouvriers arrêtèrent de jouer aux échecs et se levèrent à leurs tours. Ils s’inclinèrent devant elle.

« Permet-moi de te remercier et de te payer à leur place, Erin. »

Klbkch lui tendit un sac de pièces d’argent et d’or. Erin cligna des yeux en le regardant.

« Oh, c’est beaucoup. »

« C’est simplement le juste payement pour ce que nous avons consommé. Et, puis-je te déranger et emporter une jarre de mouches acides ? J’aimerai en ramener un peu à Liscor. »

« Quoi ? Oh, bien sûr. J’ai une grosse jarre de prête. Est-ce que tu l’as veut ? »

« S’il te plait. »

Erin fini par donner la grosse jarre de mouche à Klbkch pour une pièce d’or. Elle se sentait coupable, mais l’Antinium avait insisté en disant que le prix était juste. Il partit avec Olesm et les Ouvriers, et Erin vit les Gobelins partir alors qu’ils quittaient son auberge.

« Revenez vite ! Je vous donnerai de nouveau à manger si vous passez dans le coin ! Vous n’avez pas besoin de payer, vous m’avez déjà assez payé cette fois, d’accord ? »

Les Gobelins grognèrent et la saluèrent maladroitement de la main. Ils tenaient fermement leurs échiquiers et leurs pièces en silence. Erin avait voulu en donner quelqu’un aux Ouvriers, mais Klbkch l’avait assuré que ce n’était pas une bonne idée.

Le dernier Gobelin, Loques, s’arrêta alors qu’elle passa à côté d’Erin. La petite Gobelin tenait fermement sa main contre sa hanche.

« Hey »

Erin tapota Loques sur la tête avant de tendre la main. Silencieusement, la petite Gobelin rendit le pion noir qu’elle tenait alors que les autres Gobelins la regardèrent.

« Pas de vol. De plus, un échiquier n’est pas complet sans toutes les pièces. »

Les yeux de Loques s’illuminèrent. Erin fronça les siens.

« Cela ne veut pas dire que tu peux les voler. Si tu veux jouer une partie, tu peux revenir ici. D’accord ? »

Pendant un instant la Gobelin hésita, avant de hocher la tête. Erin sourit.

« Passe une bonne nuit. »

Elle ferma la porte. Puis elle la verrouilla, avant de s’assurer que toutes les fenêtres étaient bien fermées. Elle n’avait pas de problèmes avec la petite Gobelin, mais il était hors de question de la laisser repartir avec son jeu d’échec.

***

« Hum, Garde Senior Klbkch ? Puis-je avoir un mot ? »

Klbkch s’arrêta alors qu’il marcha rapidement vers Liscor. Son rythme était énergique, et Olesm avait du mal à suivre.

« Mes excuses, Olesm Swiftail. J’ai oublié que vous étiez avec nous. »

« Non, ce n’est rien. »

Olesm respira avec difficulté et toussa alors que Klbkch ralenti. Les Ouvriers derrière lui ajustèrent silencieusement leurs rythmes pour leur laisser de l’espace.

« Je vous simplement vous parler, si je le peux. »

« Absolument. Puis-je vous demander si vous adressez ce commentaire à la liaison avec les Antiniums ou au Garde Senior Klbkch ? »

« Les deux, je crois. Hum, comment est-ce que je peux le dire ? »

Olesm pausa pendant un instant alors que les deux marchaient dans la nuit. Klbkch attendit patiemment jusqu’à ce que le Drakéide commence.

« En tant que [Tacticien] servant de liaison entre le conseil, les autres guildes, et la garde je suis mis au courant des certaines informations confidentielles. Je suis, hum, conscient de la situation des Ouvriers au sein des Antiniums. »

« En effet ? »

Olesm jeta un coup d’œil en direction des Ouvriers qui se trouvaient derrière lui. Ils le regardèrent en silence.

« Pensez-vous… Pensez-vous qu’il va y’avoir un problème ? »

Klbkch hésita. Il se retourna pour les regarder et les Ouvriers baissèrent aussitôt le regard.

« Nous verrons. Ils seront observés comme d’habitude et je les superviserai personnellement. »

« Ha, bien, bien. Je ne le demanderai pas, mais je sais que ce genre de choses ont de, jeu, lourdes conséquences. Ce n’est pas une Expédition, mais… »

« Je comprends votre inquiétude. Si cela peut aider, j’adresserais ce sujet dans mon rapport mensuel pour te prévenir des changements notables. »

« Merci. »

« Je crois que vous avez trouvé la soirée agréable ? »

« Oh, oui. Absolument. Erin… Enfin, Mademoiselle Solstice est vraiment une remarquable Humaine, n’est-ce pas ? »

« En effet. »

« Absolument remarquable. »

« Sa maîtrise des échecs est peut-être incomparable sur ce continent. »

« Absolument. »

« En effet. »

« … Aimeriez-vous jouer une partie plus tard, à tout hasard ? »

« Cela serait avec plaisir. »


***


Erin passa une bonne nuit. Elle ne fut pas réveillé par une étrange voix lui disant qu’elle était une [Tacticienne Niveau 1]. Elle ne monta pas de niveau. Cependant, plusieurs Antiniums et une Gobelin…

Entendirent cette voix.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 12 février 2020 à 22:35:58
R 1.02
Traduit par EllieVia

Les Ruines d’Albez siègent au cœur de ce qui avait été un royaume magique. Ou peut-être une communauté de mages. Ou une ancienne citadelle de… vous savez quoi ? On s’en fout.

La zone toute entière est saturée de magie, et attire par conséquent deux sortes de visiteurs. Les monstres, cherchant à faire leur tanière parmi les bâtiments en ruines et les tunnels sans fin du coin, et les aventuriers, cherchant des trésors perdus exactement aux mêmes endroits. Naturellement, la situation est source de conflits.

Le groupe d’aventuriers actuellement en train d’occuper les ruines est connu sous le nom de Cornes de Hammerad, se distinguant par leur niveau moyen relativement élevé - la plupart des membres sont à un niveau supérieur à 20 - et leur leader, un Minotaure [Combattant]* qui manie une énorme hache de guerre au combat.

* Je ne comprends toujours rien aux classes. Apparemment, [Combattant] est une classe générale, même si certains l’appelle [Guerrier] selon la culture. Est-ce que cela veut dire qu’ils ont les mêmes compétences ? Dans tous les cas, c’est la première classe qu’obtiennent la plupart des guerriers, mais si ce Minotaure avait un plus haut niveau, ce serait un [Maître des Haches] ou un [Chevalier]. Huh.

Le consensus général est qu’ils sont plutôt compétents au combat, et qu’ils ont reçu une autorisation officielle pour fouiller les ruines pendant une semaine. Ce qui signifie que tant que les Cornes sont dans les ruines, les autres groupes d’aventuriers ne peuvent pas interférer ou chercher du trésor. C’était un arrangement qui permettait aux cités du coin de faire profit en taxant l’accès et évitait les conflits entre leurs aventuriers.

C’était très bien, et normalement les Cornes se seraient attendues à au moins trouver un modeste somme. Ils étaient bien équipés, et préparés à toutes les éventualités.

C’est pourquoi la vue de leur compagnie désorganisée se battre en essayant de se réfugier dans les ruines est d’autant plus alarmante. Leur leader était aux pieds d’un grand bâtiment, une pointe de glace géante traversant son abdomen de part en part. Les autres guerriers et les mages - les Cornes de Hammerad étaient une grande compagnie forte de douze membres - étaient soit à terre soit en train d’échanger des coups avec le monstre qui les avait acculés.

Alors même que je regarde la scène, un guerrier en armure contre un coup d’épée de l’un des squelettes en train d’assaillir le groupe et l’écrase avec une masse. Le squelette s’effondre au sol, sans vie. Mais l’action a attiré l’attention du chef des morts-vivants, et une énorme explosion de feu engloutit la zone.

Je grimace en voyant le guerrier en armure fuir du feu en hurlant d’agonie. Il roule au sol tandis qu’un mage armé d’un bâton lance quelques éclairs magiques de lumière chatoyante pour détourner l’attention de lui. Deux autres aventuriers se précipitent en avant et traîne le guerrier brûlé à l’abri tandis qu’une grêle de pointe de glace transforme presque le trio en pelote d'épingles.

Eh bien merde alors. Ça fait un cinquième membre des Cornes hors combat. J’espérais qu’ils allaient gagner la bataille, mais à ce rythme ils vont se faire éliminer. Plus le choix.

Je prends deux profondes inspirations, puis étire mes jambes. Jambe droite ? Check. Jambe gauche ? Étirement… check. Okay.

Je jette un œil par-dessus les décombres où je me cache. La voie est libre. Okay. Je me lance…

Je bondis par-dessus les décombres et sprinte le long de la pente. De là où je suis, il y a une pente modérée qui mène au cœur des ruines, où les bâtiments effondrés et les décombres rendent le sol peu sûr. Mais le pire, c’est le risque que je me fasse tuer par le monstre à quinze mètres devant moi.

Je charge au bas de la colline, droit sur lui. La silhouette vêtue de robes me remarque alors que j’ai déjà traversé la moitié et se retourne. Deux points de lumière bleue dans ses yeux se focalisent sur moi alors que je sprinte directement sur lui. C’est une Liche*, un squelette de mage mort-vivant.

-* Personnellement, ça me pose problème d’appeler ça une Liche. Apparemment, contrairement à ce qu’on voit dans les histoires et les jeux, les Liches sont plutôt communes. C’est plus un type de mort-vivant qu’un exemple rare et exceptionnel de mage capable de vivre à jamais. Ils ne sont même pas si létaux. Enfin, ils sont très létaux, mais apparemment, il existe des types de morts-vivants encore plus terrifiants.

Pendant une seconde, je ne crois pas qu’il sache exactement ce qu’il est en train de voir. Une humaine solitaire lui courant droit dessus sans armes ? La créature hésite, mais finit par lever un doigt. Dans sa théorie, c’est le moment où je meurs. Dans la mienne ? Je pense que je survis.

Si cela vous paraît stupide de charger droit sur un monstre capable de me faire exploser en mille morceaux avec un seul sort, eh bien, oui, ça l’était sûrement. Mais j’avais une bonne raison de le faire. Pendant les trente dernières minutes j’avais étudié la bataille de la Liche contre le groupe d’aventuriers et avait noté quelques détails importants sur sa manière d’agir. J’avais trois bonnes raisons pour mon plan d’action.

Raison numéro 1 : J’avais remarqué que la Liche pouvait jeter plusieurs sorts, de l’éclair miniature aux boules de feu en passant par ces méchantes rafales de pointes de glace. Des trois, je n’avais vraiment qu’à me méfier des pointes de glace et de la boule de feu. Les éclairs avaient l’air dangereux, mais ils s’ancraient trop facilement dans le sol. Et comme je ne porte pas de métal sur moi, c’était beaucoup plus difficile pour la Liche de m’atteindre.

Et en ce qui concernait les boules de feu et les pointes de glaces, elles étaient plus lentes et la Liche devait d’abord pointer du doigt. Sa précision n’était également pas la meilleure du monde. C’était un risque à prendre, mais tant que je ne faisais pas rôtir lorsque la boule de feu explosait, j’avais une chance.

Et aussi, la raison numéro deux était que j’avais remarqué que la Liche avait tendance à se protéger avec des barrières d’os qu’elle conjurait du sol quand n’importe quoi s’approchait de trop près. Ça l’empêchait de jeter des sorts pendant quelques secondes.

Et raison numéro trois : je m’ennuyais.

La Liche pointa un doigt sur moi et caqueta quelques chose qui me fit mal aux oreilles. Je plongeai et roula et sentit mon côté droit s’engourdir légèrement. C’était comme le pire choc d’électricité statique que j’avais jamais senti multiplié par cent, mais cela voulait dire que l'éclair m’avait ratée. Et j’étais toujours en vie.

Touche le sol, saute sur mes pieds et cours. Je fondis sur la Liche et elle leva une main pour se protéger. Comme je l’avais prévu, un mur d’os surgit du sol devant moi, un puzzle grotesque d’os enchevêtrés et de crânes durs comme la pierre*.

* Sérieusement. Comment fait-elle ça ? y a-t-il tant d’os que ça dans le sol ? Ou est-ce simplement de la magie ?

C’est mon ouverture. Je vire immédiatement à gauche et accélère en direction des aventuriers. La Liche caquète en réalisant qu’elle s’est fait duper. Elle essaie d’abaisser la barrière d’os, mais il est trop tard.

Cours. Cours plus vite. Esquive derrière le pilier. Pause. Va à gauche. À droite. Boule de feu ! C’était chaud. Maintenant… sprinte à gauche le plus vite possible.

Dans l’un des séminaires de sécurité auquel mon père me forçait à aller après chaque fusillade de masse, ils nous apprenaient quoi faire dans le cas où un homme armé ouvrait le feu et que l’on devait s’échapper. Une partie des conseils étaient des trucs de bon sens comme ne pas crier ou faire un truc débile et réfléchir avant de bouger. Mais je me suis rappelée d’un conseil important.

Quand quelqu’un te tire dessus, ne cours pas en ligne droite pour t’échapper. Fais des zig-zag, fais-en sorte de ne pas être facile à viser. Et dans mon cas, baisse-toi derrière les décombres et mets le plus d’obstacles possibles entre toi et la Liche.

Je cours, et je cours le plus vite que je le peux. Si je ralentis un seul instant, je meurs. L’air autour de moi est comme empli d’énergie statique, le feu explose autour de moi et des projectiles de glaces menacent de percer ma peau.
Vous ne pouvez pas le savoir, et je n’ai pas de miroir. Mais je suis à peu près sûre d’être en train de sourire.



“Statut ?”

Grogna Calruz, leader des Cornes de Hammerad, à l’attention de l’autre guerrier alors qu’ils se cachaient tous deux derrière l’un des mur effondrés des ruines. L’humain, son second, baissa les yeux sur lui et secoua gravement la tête.

“Je crois que Terr s’est pris une boule de feu. Coblat et Grimsore l’ont traîné hors d’atteinte, mais il est hors combat aussi.”

“Merde.”

Le Minotaure se frappa la cuisse et grimaça. Un sang sombre coula sous l’immense lance de glace dépassant de son estomac. Il se réadossa contre le mur et exhala. Les tendons sur son cou se tendirent et de la sueur perla sur son front malgré le froid mordant.

“Et nos mages ? Pourquoi diable ne sont-ils pas en train de tuer ce truc ?”

“Ils essaient, mais dès qu’ils lui lancent un sort, il se contente de lever sa barrière. Il a plus de mana que tous nos mages réunis. On doit se rapprocher si on veut avoir une chance.”

“Bon courage pour faire ça avec tous les squelettes et le zombies qui le défendent.”

“Je crois que Terr s’est débarrassé des derniers, mais on ne peut quand même pas s’approcher. Tout brûle tellement vite.”

LE vice-capitaine des Cornes de Hammerad tenta de jeter un œil derrière le mur où il se cachait. Il ne semblait plus y avoir de tirs de boule de feu dans leur direction, ce qui était à la fois bien et inquiétant. La Liche avait-elle trouvé une autre occupation ? Il y avait peu d’espoirs. Mais alors pourquoi…

Sa mâchoire se décrocha.

“C’est qui, ça ?”

Calruz grogna et tenta de tourner la tête, mais il retomba rapidement.

“Qui ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”

“C’est une Coursière ! Elle vient juste de dévaler la colline droit sur la Liche ! Elle vient dans notre direction !”

“Tu plaisantes. Elle n’y arrivera jamais.”

“Elle est en train de le faire.”

Le vice-capitaine regarda la coursière à longues jambes foncer à travers le paysage dévasté. Elle bondissait au-dessus des décombres et courait dans un mouvement serpentin tandis que des boules de feu et des échardes de glace pleuvaient autour d’elle. Vu d’ici, il ne pouvait voir que ses cheveux noir corbeau et sa peau bronzée, mais le vice-capitaine était certain de n’avoir jamais vu cette coursière en particulier.

Elle avait des traits étranges, qui lui auraient indiqué qu’elle était en partie Japonaise, ou du moi Asiatique si ces mots avaient eu le moindre sens pour lui. Mais ce n'était pas le cas, et le vice-capitaine la regarda avec angoisse se précipiter vers eux. Il s’attendait à tout moment à ce qu’elle se fasse emporter par une boule de feu ou transpercer par un éclair. Mais non. Puis elle arriva juste devant lui.

Ryoka faillit rentrer dans le grand guerrier armé d’une épée et d’un bouclier. Elle cogna contre lui et sentit le métal frais avant de trébucher en arrière. Il la tira à couvert tandis que des échardes de glace s’écrasaient sur les décombres.

Il lui fallut reprendre deux profondes goulées d’air avant d’être capable de parler de nouveau. Ryoka défit son sac et hocha la tête en direction du vice-capitaine bouche-bée.

“C’est pour une livraison.”

“Grands dieux !”

Le vice-capitaine dévisagea Ryoka. Il la montra elle, les ruines, puis agita vaguement ses mains gantées.

“C’était la chose la plus incroyable que j’aie jamais… tu es juste passée droit devant cette Liche ! Tu es folle ? Ou cinglée ?”

“Je suis une Coursière. J’ai une livraison pour le leader des Cornes de Hammerad. C’est toi ?”

“C’est moi.”

Ryoka jeta un œil au Minotaure. Il hocha la tête dans sa direction et de la sueur goutta de son front.

“J’espère vraiment que tu as notre colis, jeune fille.”

Elle marqua une pause au mot fille, mais acquiesça. Elle ouvrit son sac et plaça les bouteilles lourdement emballées sur le sol devant le Minotaure.

“Quinze potions de soin, cinq potions de mana. Toutes intactes. Livraison pour les Cornes de Hammerad. Ton sceau ?”

“Le sceau ? Ah oui, bien sûr !”

Le vice-capitaine tâtonna dans la bourse à sa ceinture et en tira un jeton cuivre et argent. C’était un sceau unique avec un marteau dressé à côté d’une montagne gravée d’un côté.

“Merci.”

Ryoka rangea soigneusement le sceau à sa bourse de ceinture et jeta un œil derrière le mur. La Liche échangeait des boules de feu avec un autre mage coiffé d’un chapeau de sorcier rouge. Elle hocha la tête et se ramassa dans une position de sprinter.

“Attends… tu pars ?”

Ryoka ne regarda pas le vice-capitaine, elle cherchait le meilleur moment.

“Yup.”

“Tu ne peux pas ! Je veux dire, c’est encore plus cinglé !”

Le vice-capitaine dévisagea Ryoka avec consternation, puis chercha du soutien dans le regard de son leader. Calruz était en train d’essayer d’ouvrir l’une des bouteilles. Il grogna en arrachant le bouchon d’une des bouteilles et engloutit l’épais liquide vert et sirupeux.

“Laisse-la partir si elle veut. Coursière… merci pour ton aide. Peu d’entre vous auraient fait ça.”

Elle réfléchit.

“Pas de problème.”

Il hocha la tête. Elle hocha la tête.

“Laisse-nous au moins nous rallier pour te faire une diversion. Une fois qu’on aura amené ces potions à nos autres membres, on pourra enfin se débarrasser de ce type.”

Ryoka réfléchit à la proposition.

“Ça va être trop long. Vous voulez une ouverture ? Je vais vous en faire une. J’ai d’autres livraisons.”

Le vice-capitaine s’arracha le peu de cheveux qu’il pouvait atteindre sous son casque.

“Elle va t’exploser dès que tu ne seras plus à couvert !”

Elle sourit au vice-capitaine, brisant son masque impassible.

“Il peut essayer.”



La compagnie d’aventuriers connue comme les Cornes de Hammerad regarda la Coursière jaillir des ruines et courir vers l’horizon alors que la Liche lançait un dernier éclair d’adieu dans sa direction. Il la rata.

“Elle l’a fait. Elle l’a vraiment fait.”

“Elle te l’avait dit.”

Calruz sourit, et grimaça lorsque le morceau de glace dans son torse bougea. Il prit une grande inspiration et cassa la glace d’un avant-bras massif pour permettre au reste de glisser hors de son estomac. Alors même qu’il faisait cela, les pouvoirs magiques de la potion de soin qu’il avait avalée se mirent à recoudre la chair de son abdomen.

“C’est une nouvelle Coursière ? Ça doit être ça. Je ne l’ai jamais vue auparavant, et je pense que je me serais souvenu si j’avais entendu parler d’une aussi folle que ça.”

“Elle a l’air différente, pour une humaine. Même si vous vous ressemblez tous, pour moi.”

“Elle est différente. Peut-être d’un autre continent ?3

“Peut-être. Tout le monde a eu des potions ?”

“Je les leur ai lancées pendant qu’elle détournait l’attention du Liche. Elles devraient être de bonne qualité. Tu as besoin d’une autre ?”

“Je vais bien. Mieux que bien, même, grâce à cette Coursière.”

Calruz sourit et explosa la bouteille de potion dans son poing gantelé. Il se releva, le flot de sang déjà en train de ralentir. Il soupesa sa hache de guerre.

“J’aimerais bien lui offrir un verre. Mais pour le moment, on doit remplir un contrat. Tout le monde est prêt ?”

La magie qui le reliait au reste de sa compagnie lui permit d’entendre leur accusé de réception. Le Minotaure sourit.

“Très bien, alors. Allons voir si cette Liche apprécie de se battre contre nous quand on est en pleine forme. Chargez !”

Comme un seul homme, les Cornes de Hammerad abandonnèrent leurs positions dans les ruines et se jetèrent de toutes leurs forces contre la Liche et les morts-vivants restants.



Après avoir couru une quinzaine de kilomètres, Ryoka s’arrête enfin pour reprendre sa respiration. Ses poumons brûlent, et ses jambes sont en coton. L’adrénaline est enfin en train de s’échapper d’elle, et elle se sent exténuée, malgré qu’elle n’eût couru que quelques minutes.

Elle sent encore les chatouillis des éclairs frôlant sa peau. Son bras droit est roussi, et elle sent que des cloques sont déjà en train de se former sur sa peau.

Elle a failli mourir. Ryoka le sait, et ses jambes tremblent. Elle sent encore le froid qu’elle a ressenti en plongeant ses yeux dans ceux, vides, de la Liche. C’était un monstre capable de la pulvériser d’un seul sort.

Elle a failli mourir. Si elle avait été moins rapide ne serait-ce que d’une seconde, ou esquivé un peu trop à gauche, elle serait morte. Ryoka sait cela.

Ses lèvres tremblent. Elle sourit brièvement.

“Fun.”



“Tu as livré les fournitures requises par les Cornes de Hammerad ?”

“Yup.”

La réceptionniste me dévisage. Je hausse les épaules. Que veut-elle que je lui dise ?

Il est plus tard. Ou plutôt, il n’est que trente minutes plus tard, mais j’ai l'impression d’être dans un autre monde. La salle délabrée de la Guilde des Coursiers est bien différente des plaines herbeuses, ou des décombres et de la destruction des Ruines d’Albez.

“C’est incroyable. Ils ont déjà fini de se battre ? La communication qu’on a reçue du mage disait qu’ils se battaient contre une Liche et une horde de morts-vivants.”

“Ils se battent encore. La Liche est toujours dans le coin. Pas sûre pour les autres morts-vivants. Ils avaient l’air morts pour la plupart.”

La réceptionniste ne sourit pas. Elle n’a pas compris la blague ? Zut. Elle me fait toujours ce regard de “Je-ne-te-crois-pas.’. Je lui tends le Sceau.

“Voici le sceau des Cornes de Hammerad.”

Elle le vérifie une fois, puis deux. Ses sourcils se lèvent.

“C’est un vrai. Tu es donc en train de me dire que tu as fait une livraison au milieu de la bataille ?”

Pourquoi me fait-elle tout un foin ? Je croyais que c’était ce que faisaient tous les Coursiers pendant ce genre de mission.

“Yup.”

“Incroyable.”

Je reste silencieuse. Je veux dire, je suis censée répondre quoi ? “Oh oui, je suis vraiment extraordinaire, maintenant donnez-moi mon argent ?”

Au bout de quelques instants la réceptionniste finit par se secouer.

“Eh bien, tout est en ordre. Tu veux le paiement maintenant ou… ?”

“Plus tard.”

Je peux récupérer ma paie quand je veux, mais la plupart des Coursiers le font à la fin de la semaine. C’est plus pratique comme ça, étant donné qu’on est censés signer pour confirmer qu’on a bien été payés et le réceptionniste doit le valider.

“Eh bien, je pense que tu mérites une pause. À moins que… tu crois que tu pourrais faire une autre livraison ? Je ne le demanderais pas d’ordinaire, mais tu es la seule Coursière des villes disponible pour le moment.”

Je suis fatiguée, mais ce n’est dû qu’à mon manque d’adrénaline. Je sais que mes jambes peuvent encore faire une bonne course, donc j’acquiesce.

“Où donc ?”

“Celum. C’est une autre requête de Lady Magnolia. Un autre Coursier vient de l’apporter de Remendia, mais il est trop fatigué pour continuer. C’est passé par six Coursiers, et il faut l’apporter à Magnolia dans l’heure si c’est possible.”

Okay. Pour le coup, c’est compliqué. J’hésite.

Ce n’est pas que je ne me pense pas capable de le faire dans les temps. Je peux arriver à Celum en moins d’une heure même avec quelque chose de lourd dans mon sac. Mais j’ai déjà fait une autre course pour Magnolia - livrer un gros vase de luxe - quelques jours plus tôt. D’après les “règles implicites”, cela veut dire que je devrais attendre encore au moins une semaine avant de prendre la requête.

Zut. Flûte. Diantre. Que devrais-je faire ? C’est exactement le genre de situation que je déteste.

“Pourquoi n’y a-t-il pas d’autres Coursiers de cité dans le coin ?”

“Ils sont tous en train de faire des livraisons, et je ne veux pas attendre plus longtemps que nécessaire. J’allais demander à l’un des Coursiers de rue de le faire, mais ça aurait aussi été un problème.”

Eh bien, en ce cas… pourquoi pas ? La règle Magnolia peut bien aller se faire voir, pour ce que j’en ai à foutre.

“Je la prends.”

La réceptionniste sourit de soulagement.

“Mer…”

“Attendez !”

La tête de la réceptionniste se tourne. La mienne, non. Je prends ce moment pour dire quelques mots de choix dans ma tête*.

-* Oh non, s’il vous plaît non. Pas ce rat stupide et consanguin. Personne au monde n’a une voix plus haut perchée et agaçante qu’elle et ses crétins de sycophantes. Je préférerais retourner danser nue devant la Liche que gérer ça.

Je me tourne et vois un visage familier.

“Inutile de lui donner la requête de Magnolia. Je viens juste d’arriver, je peux m’en charger.”

La jeune femme - non, l’irritante adolescente qui se pavane dans ma direction me pousse légèrement pour se placer derrière le comptoir. Elle garde son dos très droit, probablement parce que je suis plus grande qu’elle d’une tête. Je sens la trop forte odeur de parfum qui dissimule sa sueur, et recule de manière à ce que ses cheveux bruns ne me fouette pas le visage à chaque fois qu’elle rejette sa tête en arrière. Ce qu’elle fait assez souvent.

Je la connais. Ou plutôt, je connais son visage. Elle s’est probablement présentée, mais je ne me souviens pas de son nom. Je sais juste qu’elle a une tête exigüe*. Elle a toujours l’air de pincer ses lèvre devant tout le monde, et elle m’agace dès que je la vois.

- * Exigüe est-il le bon mot ? Je crois que ça veut dire pincé, ou étroit, mais je me trompe peut-être. C’est le problème quand on n’a pas l’Internet. Dans tous les cas, son visage est acariâtre, même si j’ai oublié ce à quoi ça correspond aussi. Je vais quand même continuer à dire exigüe.

“Oh, Miss Persua. Je ne savais pas que vous étiez toujours en ville.”

Persua. C’est ça. Elle s’appelle comme ça.

Persua rejette ses cheveux en arrière d’un air impérieux et acquiesce.

“Eh bien, j’étais en train de faire cette livraison à Remendia, mais dès que l’un de mes amis m’a dit qu’une requête de Magnolia attendait à la guilde, je suis évidemment revenue pour la faire.”

La réceptionniste eut l’air mal à l’aise.

“Tu… n’as pas terminé l’autre livraison ? Eh bien, je m’apprêtais à donner la requête à Ryoka. Elle est libre, et elle…”

“Elle a déjà fait une requête pour Magnolia cette semaine. Ce qui veut dit que cela devrait être mon tour de droit.”

La réceptionniste fronça les sourcils.

“Il n’y a aucun règle qui donne explicitement la priorité à d’autres coursiers. De plus, il faut que cette livraison soit faire le plus rapidement possible.”

“Et alors ?”

Encore un rejet de cheveux. Je remarque quelques-uns des “amis” de Persua - principalement de nouveaux coursiers des rues ou encore plus bas sur l’échelle sociale - en train de me regarder. JE les fixe jusqu’à ce qu’ils détournent le regard. Je ne les supporte pas. Dommage que Persua ne recule pas aussi facilement. Doublement dommage que sa voix soit aussi agaçante.

“Je peux facilement faire la requête de Magnolia. Ryoka n’a qu’à échanger avec moi.”

“Ça ne marche pas comme ça. À moins que Ryoka n’accepte, je ne peux pas simplement te la donner. De plus, comme je l’ai dit, c’est une livraison express. Je ne peux pas la donner à…”

“À quoi ?”

Persua regarde froidement la réceptionniste. Mais je complète le texte dans ma tête, probablement en même temps que tout le monde dans la Guilde.

À une coursière plus lente. L’une des plus lentes, pour tout dire. Persua a beau être une Coursière, elle est lente. Ou paresseuse. Pour tout dire, elle est les deux. C’est également une idiote, mais ce n’est que ce que j’ai pu observer. Elle ne prend pas autant de contrats longue-distance que les autres, et elle ne livre que des trucs légers comme des fleurs ou des lettres.

“Je veux juste dire que Ryoka est la coursière la plus rapide. Même Fals ne bat pas son record.”

“Oui, mais je suis sûre qu’elle va échanger avec moi, n’est-ce pas Ryoka ?”

Persua me jette un regard, puis détourne les yeux. Pétasse* passive-agressive.

-* Quel langage ! J’ai honte de moi. Principalement parce que je n’ai pas d’autre vocabulaire pour décrire quelqu’un comme elle. Je pourrais devenir vulgaire, mais j’ai juste envie de la cogner à l’arrière du crâne. Je dois résister à la tentation.

J’hésite. Je devrais donner la requête à Persua. Même si elle échoue, ça ne peut pas me retomber dessus. En fait, si elle a des ennuis parce qu’elle échoue, c’est encore mieux. Bien qu’elle se débrouillera sans doute pour échapper aux réprimandes.

Yup, je la déteste. Et je n’ai pas envie de céder à son harcèlement, surtout parce que je sais que la seule raison pour laquelle elle veut faire la livraison est l’argent facile et l’opportunité de faire sa sangsue avec Magnolia. Donc vous savez quoi ? Envenimons les choses.

“C’est urgent.”

Ce n’est pas ce que Persua veut entendre. Elle me jette un regard irrité.

“Et alors ? Je peux le faire.”

La réceptionniste regarde autour d’elle d’un air incertain.

“Si on ne peut pas l’apporter à Magnolia dans l’heure, la livraison ne sera plus bonne. Tu peux faire la course dans les temps ?”

“Oui.”

“Et moi aussi.”

La réceptionniste et moi-même lançons toutes deux un regard à Persua. Elle est déjà en train de suer, probablement d’avoir couru pour récupérer la requête à la cité.

“Vraiment ?”

Elle me fusille du regard. Mais je connais les corps, et je connais la course. Fille exigüe est en sueur, fatiguée, et elle a une forme de course terrible. J’ai aussi fait une course, mais contrairement à elle je sais conserver mon énergie. Je me tourne vers la réceptionniste.

“Donne-moi la requête.”

Le visage exigu de Persua se pinça encore plus, si c’était possible. Elle me poignarda du regard.

“Ce n’est pas juste. Tu as déjà fait une livraison. Je mérite celle-ci !”

“Persua, s’il te plaît.”

La réceptionniste est déjà en train de se débattre avec quelque chose sous le comptoir. Elle le soulève et me gratifie d’un sourire de soulagement. J’imagine qu’elle ne pensait pas que Persua pourrait le faire non plus.

“Voici la livraison. C’est emballé dans de la glace, donc essaie de ne pas trop le chauffer si possible. Tu sais où est la maison de Magnolia. Ils seront en train de t’attendre.”

Persua tapa du pied, en colère, alors que je faisais entrer la grosse boîte de métal dans mon sac à dos. C’est froid. Et c’est emballé dans de la glace qui fond, donc j’aurai un sac à dos mouillé à la fin de ma course. Mais ça vaut le coup, rien que pour la voir s’énerver.

“Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.”

“Tant mieux pour toi.”

Si le regard pouvait tuer… mais le regard de Persua ne fait qu’agacer. Elle avance sur moi jusqu’à ce que mon nez brûle à cause de son stupide parfum. Elle me chuchote quelques chose d’un air furieux.

“Tu vas le regretter.”

“Oh, vraiment ?”

“Oui !”

Les gens, parfois. Je me détourne de Persua et l’entend faire un bruit semblable à celui d’un hamster furieux. Je regarde autour de moi et vois ses sbires, les coursiers, me fusiller du regard.

Qu’importe. Je n’ai vraiment rien à faire de leurs opinions ou du Code des Coursiers qu’ils revendiquent. Je suis ici pour faire mon boulot.

Je hoche la tête en direction de la réceptionniste.

“J’y vais.”

Je suis sortie avant que Persua ne puisse faire un autre commentaire. Vous ne pouvez pas le savoir, et je n’ai pas de miroir.

Mais je souris encore.



Ce coup-ci, c’est l’intendante qui ouvre la porte. Elle renifle avec dédain.

Je hoche la tête. Je suis hors d’haleine, fatiguée, et mon dos est très, très froid. Mais je me sens bien, parce que j’ai fait la course en seulement quarante minutes. C’est presque un record, et c’est au moins deux fois plus rapide que le meilleure score de Persua.

“Livraison pour Magnolia.”

“C’est Lady Magnolia.”

Voilà quelqu’un dont les regards peuvent vraiment tuer. Je hausse les épaules et détache mon sac à dos.

“Sceau ?”

“Attends.”

L’intendante me ferme la porte au nez alors que je me débats avec ma livraison trempée. Eh bien, on dirait que je ne papoterai pas avec Magnolia aujourd'hui. C’est un soulagement, pour tout dire. Je n’ai rien contre la noble excitable et pétillante, mais je préfère les servantes. Elles ont beau être abruptes et malpolies, au moins on parle moins.

Okay, le colis glacé est entre mes mains. J’attends aussi patiemment que je peux derrière la porte, puis entends une conversation étouffée. On dirait que des gens se disputent, puis j’entends une voix énergique familière.

“Sottises ! Ressa, comment peux-tu… évidemment que j’insiste pour que tu la laisses entrer ! Pieds sales ou non !”

La porte s’ouvre et une femme familière me salue. Comment des cheveux peuvent-ils rester aussi bouclés ? Je suis relativement certaine qu’ils n’ont pas de fers à friser à cette époque, mais les boucles blondes de Magnolia sont aussi stylisées que celles que je voyais chez moi.

“Je t’en prie, permets-moi de m’excuser pour l’impolitesse de ma servante. Entre, je t’en prie !”

J’hésite, et la servante - Ressa - debout derrière Magnolia a l’air mécontente.

“Je peux juste livrer le colis si vous avez le sceau…”

“Oh, je ne veux même pas en entendre parler ! Entre !”

Ressa fait la moue, et j’essaie de ne pas faire de même. Avec réticence, je pénètre dans le hall du manoir de Lady Magnolia et regrette l’absence de tapis pour m’essuyer les pieds. Magnolia m’adresse un sourire rayonnant tandis que Ressa peaufine son regard de mort dans son dos. Je suis assez sûre qu’elle ne souhaite pas voir mes pieds sales parcourir le sol de marbre. Je préfèrerais ne pas être là non plus, mais la livraison n’est pas complète tant que je n’ai pas récupéré le sceau.

“Par ici, je te prie. Tu peux le mettre dans la salle de dessin. Non, pas la secondaire, Ressa. La principale !”

Elle me guide jusqu’à une salle au sol recouvert de tapis. Là encore, j’hésite, mais il n’y a rien à faire. Le tapis est très doux, et mes pieds sont très sales, mais Magnolia n’en a cure. Elle lance des regards excités à la boîte de métal en train de me brûler les mains de froid et dégoulinant sur le tapis, et me sourit.

“Oh, ça a été rapide ! J’ai entendu dire que cela allait venir de la cité portuaire de Hazenbrad ! Tu l’as amené ici toi-même ?”

“Non. D’autres coursiers l’ont porté sur la majeure partie du chemin.”

“Eh bien, toi et les tiens m’avez certainement rendu un grand service ! Merci !”

Magnolia me tend le sceau d’argent et de saphir.

“C’est Ryoko, c’est ça ? Il est rare que je voie la même Coursière à intervalle si rapproché.”

Ryoka. Mais j’ai l’habitude que les gens prononcent mal mon nom. Je prends le sceau et le glisse dans ma bourse. Bien. Maintenant, comment sortir d’ici avec tact ?”

“Je dois y aller. J’ai d’autres livraisons.”

La vérité, c’est que je n’en ai pas d’autres, je suis surtout fatiguée. Mais je préférerais aller me coucher maintenant, et faire face aux coursiers jaloux demain.

Le visage de Magnolia se décompose.

“Oh, tu ne veux vraiment pas rester ? J’aimerais beaucoup partager cette délicieuse gourmandise avec toi - et tu as couru si longtemps et si loin ! Quand j’ai entendu dire qu’une coursière décollait d’Irlande*, j’étais certaine que cela te prendrait au moins une heure pour arriver ici !”

-* Oui, c’est la cité d’où je viens. Irlande. C’est bizarre qu’elle s’appelle comme un pays de mon monde mais là encore… pas vraiment. Il n’y a qu’un nombre de mots anglais limités, après tout.

“Mmh.”

Là encore, que répondre à ce genre de question ? “Oui, je suis extraordinaire, donnez-moi plus d’argent ?” C’est pour ça que je déteste parler aux gens.

“De plus, je n’ai jamais eu l’occasion de vraiment discuter avec toi les deux dernières fois. J’aimerais vraiment beaucoup converser avec toi - et te poser des questions sur ce choix particulier de cordonnerie, ou plutôt, son absence ! Es-tu sûre de ne pas vouloir rester un moment ?”

Magnolia tente de m’amadouer du regard, et les yeux de Ressa la servante me disent que je devrais faire ce qu’elle me dit et arrêter de suer et de salir les tapis tant que j’y suis.

J’hésite. Mais… je suis fatiguée et je n’ai pas envie de parler. Comme toujours. C’est vrai, Magnolia vaut mieux que Persua chaque jour de la semaine, mais son enthousiasme me fatigue. Donc je commence à me glisser vers la porte.

“Je suis désolée, mais je devrais vraiment y aller. Je suis très prise.”

Magnolia me sourit.

“Es-tu si pressée de partir ? Tu peux simplement me le dire si tu ne souhaites pas discuter.”

Je bondis* et la dévisage. Magnolia sourit.

-* Évidemment, pas au sens littéral du terme.

“Honnêtement, ma chérie. Ça se voit dans ton regard. Mais en-dehors de ça, je suis une [Lady], et la plupart d’entre nous obtiennent [Deviner les Intentions] plutôt tôt dans notre carrière. Et j’ai un niveau relativement élevé, en plus de cela. Donc, par conséquent, assieds-toi.”

Je m’assieds. Je ne réfléchis même pas. Elle a parlé, et j’ai… okay, c’était quelque chose.

“Je voudrais discuter avec toi. Il est rare que je rencontre une jeune femme aussi intéressante que toi.”

Essaie de te relever. Non ? Okay, jambes. C’est moi votre chef. Debout. Debout.

Magnolia indique le fauteuil qui me retient prisonnière.

“Je t’en prie, assieds-toi ici. J’aimerais partager avec toi le colis pour lequel tu as travaillé si dur.”

Je suis toujours en train de me débattre avec mon corps paralysé. Magnolia me sourit de nouveau et s’adresse à sa servante aux aguets.

“Ressa ? Pourrais-tu me faire le plaisir d’ouvrir le colis ? Et je pense qu’il va nous falloir deux bols et des couverts. Je voudrais la porcelaine bleue aujourd’hui.”

“Très bien, milady.”

Ressa m’adresse en silence un regard menaçant. Probablement pour me dire de bien me tenir, puis elle sort de la pièce. Elle va probablement chercher des servantes en renfort. Ce qui me laisse avec Magnolia.

La femme potelée m’adressa un autre sourire charmeur. Pour la première fois, je la regardai telle qu’elle était, et non pas comme une lady riche et frivole. D’accord, elle était complètement stéréotypée avec ses vêtements colorés, ses bijoux hors de prix et a personnalité franchement facile à vivre, mais que diable venait-elle de me faire ? Était-ce une compétence ?

“J’espère que tu aimes le sucré, Miss Ryoka. Pardonne mon impolitesse, mais j’ai compris depuis longtemps qu’il vaut parfois mieux piéger les gens si l’on souhaite faire leur connaissance. Tu comprends ?”

“Mmh.”

“Je suis ravie que ce soit le cas !”

Alors, ça. Ça, c’était probablement du sarcasme. Bien, bien. On dirait que Magnolia a des couches. Ou du moins, son jupon en a. On dirait que je l’ai sous-estimée.

“Bien, reste assise là un instant. Je dois vraiment essayer ce délice, même si ‘j'ai bien peur qu’il ne soit en train de ruiner le tapis. Ah, baste, il fallait le changer de toute façon.”

Magnolia s’active dans la pièce. J’essaie de m’enfuir, mais mes jambes ne répondent toujours pas. Eh bien, bon sang. Elle est plutôt puissante. Ça vaut peut-être le coup de lui parler après tout.

Magnolia. Quelle femme insistante et agressive.

Je crois que je l’aime bien.



Lady Magnolia s’agita dans tous les sens dans la salle de dessin, ses servantes la suivant de partout pour limiter les dégâts. Elle était occupée à surveiller l’ouverture d’un gros tonnelet de métal, dont le contenu avait été recouvert de glace.

Ryoka était assise devant l’une des tables en fer ornementé, consciente de la présence d’un tapis sous ses pieds. Il n’était peut-être pas de Perse, mais c’était juste parce que la Perse n’existait pas dans ce monde. Dans tous les cas, il était cher, et il devenait de plus en plus sale avec ses pieds dessus.

Occasionnellement, les jambes de Ryoka se tendaient, mais elle restait assise, ce qui la frustrait grandement.

“Et voilà !”

Magnolia battit des mains de bonheur. Ryoka regarda les deux sangles de la boîte métallique s’ouvrir et la vapeur glacée qui s’en échappait. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle avait apporté, et c’était donc avec intérêt qu’elle vit la servante plonger précautionneusement une cuillère à l’intérieur.

Ce qui en sortit était… blanc, mouillé, avec quelques éclats noirs perdus dans la texture crémeuse. Les yeux de Magnolia pétillèrent lorsqu’une autre cuillerée rejoignit la première dans le bol de porcelaine. Même les servantes regardaient la crème avec convoitise.

Pour être plus précis, la crème glacée.

Ryoka fixa la glace des yeux, bouche-bée.

Magnolia fit signe en direction de son invitée, et la servante hésita avant de poser le bol devant Ryoka. La jeune femme scruta silencieusement le filigrane d’or entourant la cuillère qu’on lui tendait. Elle baissa les yeux sur la crème glacée.

“Eh bien c’est une vraie gâterie.”

L’une des servantes tira un fauteuil pour Lady Magnolia et l’aristocrate s’assit en face de Ryoka. Elle accepta un autre bol et lui sourit.

“N’aies pas peur. Il s’agit d’un délice très rare que j’ai fait importer. C’est plutôt, plutôt cher, mais une fois que tu y auras goûté, je pense que tu penseras que cela vaut bien son prix.”

Ryoka hésita. Elle n’était pas sûre de devoir manger en premier, mais Magnolia agita la main.

“Oh, vas-y. Quel genre d’hôtesse serais-je si je ne te laissais pas la première bouchée ? Mais je dois toutefois te prévenir - c’est plutôt froid !”

Ryoka hésita, mais Lady Magnolia la dévisageait avec un enthousiasme sincère. Elle contrastait fortement avec les servantes derrière elle, qui affichaient toutes un regard de tueuses. Elle avait la nette impression que la situation tournerait au vinaigre si elle refusait.

Poussée par tous les yeux posés sur elle, Ryoka prit lentement une bouchée. Son expression ne changea pas d’un iota. Lady Magnolia cilla. Les servantes auraient bien marmonné, mais leur entraînement leur permit de garder des expressions précautionneusement neutres.

“Huh. De la crème glacée.”

Ryoka se maudit intérieurement. Elle n’avait pas prévu de dire cela à voix haute. Là encore, Magnolia cilla et sa bouche s’ouvrit délicatement.

“Eh bien. Tu sais ce dont il s’agit ?3

“... non ?”

“Ma chère, te souviens-tu de ce que je t’ai dit à propos de mes compétences ? Je sais que tu me mens. Mais comment se fait-il ? J’aurais juré que ce délice n’avait été inventé qu’il n’y a une semaine ! Je viens juste d’entendre dire qu’il avait été créé par un maître [Chef] du continent du nord. Mais tu y as déjà goûté, n’est-ce pas ?”

Elle pouvait dire la vérité, ou mentir et révéler la vérité. Ryoka haussa les épaules.

“Ouaip.”

Les servantes murmurèrent. Magnolia soupira, et goûta à son tour la crème glacée.

“Délicieux. Oh, mais pardonne-moi. Je n’ai pas pu m’en empêcher. Eh bien, voilà une surprise qui éclipse bien la mienne ! Je dois dire, je suis à la fois décontenancée et réjouie que tu connaisses cette gourmandise. Comment l’as-tu appelée ? De la “crème glacée” ?”

“On l’appelle autrement dans le coin ?”

“Je crois bien que cela s’appelle “gelato”, ou quelque chose de semblable. Mais j’aime plutôt bien ton nom ! C’est vrai que cela rappelle la crème, n’est-ce pas ? Mais le froid… et bien sûr la douceur sont incomparables !”

“Mhm.”

“Eh bien, il faut absolument que tu me dises comment tu connais cette sucrerie.”

“Uh, c’est plutôt commun dans mon pays natal.”

Magnolia haussa un sourcil délicat.

“Commun ? Es-tu sûre que… mais tu dis vraiment la vérité. Curieux.”

Ryoka s’agita sur son siège. Elle s’était mise dans le pétrin. Elle avait l’impression qu’on lisait dans son esprit. Même si Magnolia ne détectait que ses intentions et si oui ou non elle disait la vérité, la conversation était plus truffée de mines qu’un champ de bataille. Elle devait changer de sujet.

Prudemment, elle prit une autre bouchée. La crème glacée n’était pas aussi sucrée que celle de son monde mais la similarité était glaçante. Elle montra le tonnelet métallique.

“Uh, ça vous a coûté combien ?”

Ce n’était pas une question appropriée, à en juger par les regards furieux que lui lancèrent les servantes. Mais Magnolia ne sembla pas s’en formaliser.

“Eh bien, je déteste parler de ce genre de sujets dans une conversation civile, mais cette petite gourmandise a coûté soixante-dix pièces d’or, sans compter le prix de la livraison trans maritime et le coût de la livraison express jusqu'ici.”

Ryoka s’étouffa sur sa cuillerée de crème glacée et faillit casser la cuillère en deux avec ses dents. Magnolia agita une main.

“Oh, je t’en prie. Je sais que c’est beaucoup, mais un mets aussi délicieux ? Cela en vaut vraiment la peine.”

Silencieusement, Ryoka scruta le pot de crème glacée. C’était probablement la contenance d’un pot de glace qu’elle aurait pu acheter pour trois dollars au supermarché, dans son monde.

Inconsciente de ce qui se passait sous son crâne, Magnolia sourit de nouveau à Ryoka en prenant une nouvelle cuillerée de crème glacée dans sa bouche.

“J’ai bien peur qu’il ne nous faille manger rapidement avant que notre “crème glacée” ne fonde. Mais je suis sûre que nous pourrions papoter devant un thé ensuite. Et alors tu pourras me dire tout ce que tu sais de cette crème glacée, et d’où tu viens. Je dois dire que tes traits sont plutôt saisissants.”

L’expression de Ryoka ne changea pas, mais les yeux de Magnolia s’assombrirent.”

“Si tu préfères ne pas en parler, je comprendrai très bien.”

C’était difficile. Ryoka fronça les sourcils devant sa crème glacée à moitié fondue et prit le temps de réfléchir. Puis elle leva les yeux. Le sourire de Magnolia s’élargit.

“Oh ? Je sais qu’il est très impoli de parler de ce qu’ils se passe dans la tête de quelqu’un, mais tu viens d’avoir une sacré inspiration.”

“Yup. Je réfléchissais à la crème glacée.”

“Tu voudrais une autre cuillerée ?”

“Non. Mais j’en connais un rayon à ce sujet.”

Magnolia se pencha en avant, le regard brillant, Ryoka baissa les yeux sur son décolleté et crut comprendre en partie l’attraction que Magnolia exerçait sur les gens. Ou du moins, l’attraction qu’elle exerçait sur les Coursiers de sexe masculin.

“Vraiment ? J’ai bien peur de ne pas avoir réussi à dénicher la créature qui produit un tel délice. Sais-tu d’où cela vient ?”

“Mieux. Je sais la préparer.”
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 14 février 2020 à 16:54:39
Suite à des problèmes familiaux, la traduction de 'The Wandering Inn' est interrompue jusqu'au mercredi 26 février, je m'excuse sincèrement du dérangement.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 26 février 2020 à 12:35:04
1.03 R
Traduit par EllieVia

La vie pouvait être étrange. Certains jours, on courait, et d’autres jours on se retrouvait propulsée dans un autre monde avec rien d’autre qu’un iPhone et les vêtements sur notre dos. Parfois encore, on préparait de la crème glacée.
 
Mais c’est une journée exceptionnelle pendant laquelle Ryoka se retrouva à faire de la crème glacée chez une aristocrate, entourée de servantes, dans une cuisine qui aurait pu rivaliser avec n’importe quel décor d’émission culinaire cherchant à cuisiner des mets hors de prix en dépensant le plus d’argent possible.
 
Elle ne se sentait pas à sa place dans la pièce immaculée, à manier l’équivalent d’ustensiles de cuisines en inox. Ryoka était toujours pieds nus, et elle était douloureusement consciente des traces qu’ils laissaient sur le carrelage sans défaut. Non pas que Lady Magnolia ne semble en avoir cure.
 
La souriante lady du manoir était sur les talons de Ryoka, lui montrant avec excitation le contenu de sa cuisine amplement équipée. Elle ouvrit des placards et révéla à Ryoka des étagères et des étagères d’ingrédients exotiques qu’elle ne reconnaissait qu’à moitié. Du sucre, d’accord, c’était logique. Mais du sucre rouge ? Cueilli dans le désert ? Et ça, c’était normal comparé aux délices tels que la viande de Wyverne.
 
“Parfaitement répugnant. J’ai essayé un jour mais je n’ai pas supporté le goût. C’est très bon pour la santé, ou du moins c’est ce que l’on m’a dit, mais…”
 
Expliqua Lady Magnolia en indiquant le cuissot violacé posé dans une assiette sur une étagère. Ryoka fixa la viande luisante et se demanda intérieurement quel en était le goût.
 
L’étrangeté de la cuisine ne tenait pas tellement dans le fait qu’elle soit gigantesque, ou qu’elle ait tellement d’équivalents d’équipements modernes. Non, cela venait surtout du fait que la plupart des denrées étaient entreposées à l’air libre dans des étagères. Même les placards s’ouvraient sur des piles de lait, de beurre, et même de légumes frais stockés sans aucune forme de réfrigération.
 
Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Ryoka devait poser la question. Elle interrompit Lady Magnolia qui était en train de lui présenter une sorte de gelée qui paraissait bouger toute seule.
 
“Et ces trucs-là ne finissent pas par pourrir ?”
 
Magnolia jeta un œil aux étagères tandis que les servantes fusillaient silencieusement Ryoka du regard.
 
“Ça ? Je ne pense pas, non. J’ai investi dans les meilleurs sorts de préservation et un [Enchanteur] vérifie tous les ans que les runes tiennent toujours. Mes chefs sont plutôt satisfaits de l’espace dont ils disposent, et j’en ai bien besoin étant donné toutes les délicieuses gourmandises que je leur fais faire.”
 
Ryoka scruta les minuscules runes gravées sur les côtés de chaque placard. Des runes de préservation ? Pratique. Elle se demanda à quel point cela était hors de prix.
 
“Ce n’est pas trop cher, étant donné la qualité du travail qui a été fait. Les mages pratiquent des prix très raisonnables. Il n’est pas rare que les auberges et certains grands commerces en disposent.”
 
Lady Magnolia sourit en voyant Ryoka relever vivement la tête pour la dévisager.
 
“Je ne lis pas dans tes pensées, ma chère. Il ne s’agit que d’une supposition éclairée et de quelques compétences. Je suis certaine que tu as entendu dire que la classe de [Lady] était une classe frivole, mais nous disposons de quelques astuces bien utiles en société.”
“Mmh.”
 
“Oh, tu es vraiment taciturne, n’est-ce pas ? J’ai rencontré des dragons plus avenants, mais soit. Faisons cette crème glacée ! Par quoi commence-t-on ?”
 
Magnolia attendit avec impatience tandis que Ryoka parcourait la cuisine du regard en tentant de se remémorer tous les ingrédients. Cela faisait longtemps que Ryoka n’avait pas confectionné de crème glacée. Elle avait presque oublié la recette, mais étant enfant…
 
“On aura besoin de sel, aussi. Une pincée. Et de vanille.”
 
“Bien sûr. Ressa ?”
 
L’intendante acquiesça et envoya les autres servantes chercher les différents ingrédients aux étagères correspondantes. Elle marqua une pause lorsque l’une des servantes lui apporta un fagot de gousses de vanilles soigneusement emballées.
 
“Ces gousses sont plutôt chères, milady.”
 
Lady Magnolia émit un son de dédain en balayant les réserves de Ressa d’un geste de la main.
 
“Oh, sottises, Ressa, ne sois pas rabat-joie. Je suis d’idée de fournir à Ryoka tout ce qu’elle me demandera si elle peut produire cette crème glacée.”
 
“Une gousse suffira.”
 
La servante tendit le bâtonnet de vanille desséché à Ryoka, qui le rompit en deux. Elle renifla la forte odeur qui s’en dégageait et commença à en extraire la vanilline.
 
“Maintenant, il faut que l’on chauffe le lait, le sel, et le sucre dans une grande casserole. Vous en avez une ?”
 
Lady Magnolia battit des mains tandis que Ressa, le regard noir, attrapait une grande marmite polie et la posait sur l’un des feux de la cuisine.
 
“Oh, je vois ! Tu prépares une crème sucrée ! Comme c’est charmant !”
 
En silence, Ryoka mélangea les ingrédients et finit par obtenir une crème anglaise d’un ivoire crémeux. Elle y plongea une cuillère et décida qu’elle était assez épaisse pour la transformer en crème glacée. Et maintenant ? Ah, oui.
 
“... Bordel.”
 
Ce coup-ci, le langage de Ryoka faillit lui faire gagner une claque à l’arrière de la tête. La main de Ressa tressaillit, et une petite veine se mit à palpiter sur son front.
 
“Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
“Je ne vais peut-être pas pouvoir la finir, finalement. J’ai oublié quelque chose.”
 
Lady Magnolia eut l’air consterné. Elle regarda le contenu de la casserole.
 
“Cela me semble très bien, au contraire, mais… manque-t-il un ingrédient ?”
 
Ryoka secoua la tête et montra la marmite.
 
“Il faut que l’on gèle cela. Ou plus exactement, qu’on le gèle lentement et en remuant.”
 
C’était un gros problème. Bien que ce monde soit équipé de sorts de préservation, Ryoka était certaine qu’ils n’avaient pas encore inventé les réfrigérateurs et la climatisation. Mais à sa grande surprise, Lady Magnolia rit et posa sa main sur son décolleté généreux de soulagement.
 
“Oh, c’est tout ?”
 
Magnolia agita une main légère. Elle se tourna vers l’une de ses servantes.
 
“Yvony, pourrais-tu être un amour et envoyer un message à la Guilde des Mages ? Dis-leur que j’ai besoin d’un [Élémentaliste] possédant les bases de la magie de glace.”
 
Médusée, Ryoka regarda Yvony, une servante blonde au teint parfait, s’incliner et trotter hors de la pièce.
 
“Elle va courir là-bas ?”
 
Lady Magnolia pouffa poliment et les autres servantes sourirent.
 
“Tout le monde n’a pas le pied léger des Coursiers. Non, elle va simplement me ramener… ah, merci Yvony.”
 
La servante est revenue avec un petit livre bleu à la couverture recouverte de dentelle d’or. Lady Magnolia l’ouvrit et montra les pages vides à Ryoka tandis qu’Yvony dévissait une bouteille d’encre et y plongeait une plume.
 
“Je t’en prie, regarde. Ceci est un livre magique. Qui fait partie d’une paire. Lorsque j’écris sur l’une des pages, l’autre livre copie immédiatement mon écriture. C’est un moyen plutôt ingénieux de communiquer sans avoir à recourir à un sort de [Télépathie] ou de [Communication longue distance] à chaque fois.”
 
Elle tendit le livre à Yvony et la servante écrit quelques lignes claires et concises sur le papier. Le livre brilla brièvement, puis la lumière disparut. Magnolia joignit les mains et se retourna vers Ryoka.
 
“Et maintenant, on attend. Un mage devrait être ici dans quelques minutes. La Guilde des Mages est plutôt prompte à réagir, et n’est par chance qu’à quelques rues d’ici. Devrions-nous nous retirer pour une tasse de thé ?”
 
Si elle avait eu le choix, Ryoka aurait refusé, mais le problème avec les propositions faites par une Lady est qu’elles n’en sont pas vraiment. Elle se retrouva rapidement assise à siroter le contenu d’une tasse de thé bien chaud en essayant de ne pas grimacer.
 
Son héritage nippo-américain lui criait d’au moins apprécier le bon thé, étant donné que ses grands-parents japonais avaient insisté pour qu’elle goûte le breuvage. Mais ses racines américaines et sa personnalité insistaient sur le fait que le café était la seule bonne façon de vivre. Malheureusement, elle n’était pas encore tombée sur ce breuvage donc elle continua à prétendre boire son thé en écoutant Magnolia faire la conversation.
 
“Je dois bien dire que je meurs d’envie de savoir ce qui te fait courir, Miss Ryoka. Si je puis me permettre de vous l’avouer - je ne vous le demande pas seulement par simple curiosité, mais parce que j’ai un petit pari en cours avec quelques autres Ladies de mon cercle de rumeurs à ce sujet.”
 
Ryoka marqua une pause. Elle était habituée à l’attention qu’attiraient ses pieds nus, mais c’était la première fois qu’elle faisait l’objet d’un pari.
 
“Vraiment ?”
 
“Comment, tu n’as pas réalisé que tu t’étais déjà construit une réputation ? Le conte de la Coursière aux traits exotiques apparue en plein milieu d’une rue bondée a beaucoup de succès, et c’était avant que tu ne deviennes la Coursière la plus rapide de la zone. Les gens se demandent pourquoi tu cours pieds nus. Cela fait-il partie d’une classe spéciale ? Ou est-ce un secret ?”
 
“Ce n’est pas un secret.”
 
Magnolia attendit, mais la jeune femme assise face à elle n’ajouta rien de plus. Elle s’éclaircit poliment la gorge.
 
“Alors… tu voudrais bien me dire pourquoi ? J’adorerais savoir.”
 
Lady Magnolia se pencha avec enthousiasme par-dessus son thé. Ryoka haussa les épaules. Même les servantes écoutaient en silence en s’affairant à accomplir des tâches superflues dans la salle de dessin.
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“J’aime simplement courir pieds nus. Je déteste porter des chaussures.”
 
Son audience cilla. Ryoka haussa les épaules. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à dire. Elle jeta un regard en coin aux servantes qui échangeaient des regards dans le dos de leur maîtresse. Ryoka se demanda négligemment à quel point elles échangeaient des ragots à la fin de leur service.
 
Un silence suivit la réponse de Ryoka, puis un rire le brisa. Lady Magnolia pouffa, puis se mit à rire doucement. Ce n’était pas un rire éclatant ou incontrôlé, comme tout chez elle, son rire était poli et raffiné. Mais il était sincère.
 
“Ma chère Ryoka Griffin, tu es la jeune femme la plus charmante que j’aie jamais rencontrée !”
 
Elle leva sa tasse et une servante aux aguets la remplit d’une nouvelle dose du thé sombre que Ryoka s’efforçait de ne pas ingérer.
 
“Une réponse simple, mais la personne en face de moi ne l’est pas. Je suppose que notre petit cercle de commérages va devoir annuler le pari. Que c’est intéressant. Eh bien en ce cas, maintenant que ma curiosité a été assouvie, devrions-nous faire un jeu en attendant l’arrivée de notre mage ?”
 
Ryoka hésita. Elle leva les yeux sur le visage de Magnolia et fronça les sourcils.
 
“... Quel genre de jeu ?”
 
“Oh, ma chère Ryoka, je t’en prie. Ne sois pas tant soupçonneuse. Je ne cherche pas à te soutirer des secrets - enfin, si, mais je ne te forcerai pas à dire des choses si tu n’en as vraiment pas envie. Je propose simplement un jeu de devinettes. J’y joue tout le temps avec mes amies pour trouver leurs petits secrets et dénicher des intrigues. Tu peux me poser une question, et je t’en poserai également une à laquelle, j’espère, tu répondras la vérité. Cela te paraît-il juste ? “
 
Ryoka haussa les épaules. Le sourire de Magnolia s’élargit.
 
“Eh bien, comme je t’ai demandé pourquoi tu courais pieds nus, pourquoi ne commencerais-tu pas par une question.”
 
Avec réticence, Ryoka réfléchit. Elle baissa les yeux sur son thé, leva les yeux au plafond, regarda les servantes, puis Magnolia. Enfin, elle haussa les épaules.
 
“Je n’ai pas d’idée.”
 
Le visage de Magnolia se décomposa.
 
“Pas même une ? Rien ne titille ta curiosité ? Je dispose d’une véritable richesse de rumeurs et de connaissances réelles.”
 
Là encore, Ryoka haussa les épaules. Ce n’était pas qu’elle ne pouvait pas trouver un million de questions à poser, c’était juste qu’elle ne souhaitait pas les poser à Magnolia. Et elle aimait bien la mettre mal à l’aise.
 
“... Pas vraiment. Pourquoi ne poseriez-vous pas une question ?”
 
Même si elle était clairement déçue, Lady Magnolia reprit immédiatement contenance.
 
“Eh bien en ce cas, j’aimerais beaucoup savoir d’où tu viens, Miss Ryoka Griffin. Voyons voir. Serais-tu originaire de l’un des continents du nord ?”
 
Ryoka haussa un sourcil.
 
“Lequel ?”
 
Magnolia eut l’air perdue.
 
“Lequel ? Eh bien, j’imagine… le continent principal. À moins que tu ne parles de l’une des îles ? Non - je parle du continent humain, Terandria. Viens-tu de là-bas ?”
 
“Nope.”
 
“Bien, bien. En ce cas, viens-tu de l’est ? Les Îles de Minos abritent une petite population humaine. Ou serais-tu insulaire ? Il y a beaucoup de gens exotiques dans les archipels, et leurs traits ne sont pas très éloignés des tiens.”
 
Ryoka secoua la tête. Elle en apprenait beaucoup.
 
“Jamais été là-bas.”
 
Magnolia fit la moue.
 
“Mes instincts sont complètement faux. Très bien. En ce cas, je n’y aurais pas pensé, mais… les archipels gelés ? Ou les étendues sauvages et inexplorées de ce continent ?”
 
“Non, et non.”
 
“Bon, alors viens-tu des terres du sud ? Je ne vois pas comment, mais tu as peut-être grandi dans l’une des tribus Gnolles ou dans une colonie Drake ?”
 
“Nope.”
 
Ryoka sourit. Magnolia la regarda en fronçant légèrement les sourcils.
 
“Je demande simplement une clarification - tu n’as pas grandi chez les Antiniums ? Ils ont plusieurs Colonies au sud et une à Liscor.”
 
Là encore, Ryoka secoua la tête. Magnolia tapota sa cuillère contre sa tasse, frustrée.
 
“Très bien. Mais si tu ne viens pas d’un des continents principaux… aha ! Tu as grandi à Wistram, l’île des mages ! Ou… ou dans les montagnes, avec les nains ? C’est un peu tiré par les cheveux, mais peut-être… tu as vécu en mer pendant ton enfance ?”
 
“Tout faux.”
 
Ryoka sourit. Autour d’elle, les servantes avaient un air soupçonneux, comme si elles la soupçonnaient de mentir à leur maîtresse. Mais Magnolia contemplait Ryoka avec une légère moue. Elle ouvrir la bouche, mais à ce moment quelqu’un frappa à la porte principale, poliment mais fermement.
 
Avec réticence, Magnolia détacha son regard de Ryoka. Elle posa la tasse de thé et se leva avec grâce.
 
“Hm. Ne faisons pas attendre notre mage.”
 
Ryoka était déjà debout, et elle suivit Lady Magnolia à la porte. Comme elle était derrière elle, elle ne vit pas l’ombre qui passa sur le visage de Magnolia avant que cette dernière recompose son expression en un sourire éclatant pour accueillir le mage de glace chez elle.
 

 
La crème glacée. C’était sucré, froid avec un peu de chance, et apparemment, était à peu près aussi addictif que les drogues dures pour ceux qui n’en avaient jamais eu auparavant.
 
Elle n’avait pas été certaine de sa recette, mais devant l’insistance de Lady Magnolia, Ryoka avait rempli une grande marmite de crème anglaise. Dès que le mage fut arrivé, ils étaient parvenus malgré quelques péripéties à transformer la crème en une gourmandise glacée. Lady Magnolia, ses servantes, et même le mage s’étaient joints à Ryoka pour déguster la crème glacée.
 
Par conséquent, l’énorme marmite était à présent vide et l’estomac de Ryoka n’était pas fier d’elle. Le mage était parti il y avait de cela à peine une demi-heure, serrant à la fois son ventre et sa tête. Il affichait toutefois toujours un grand sourire.
 
À l’étonnement de Ryoka, le mage avait été plutôt intéressé par la préparation de la crème glacée. C’était peut-être juste sa personnalité, mais c’était probablement également dû à l’enthousiasme contagieux de Magnolia. Elle avait assigné la tâche à une servante de prendre des notes sur les moindres faits et gestes de Ryoka lorsque celle-ci avait trouvé comment mélanger correctement la crème glacée.
 
Cela lui allait très bien au final parce que cela signifiait que Ryoka n’aurait pas à réexpliquer comment faire la crème glacée. Et maintenant que la crème glacée était finie, Ryoka pouvait enfin partir. Elle était à la dernière étape du processus - en train d’essayer de se débarrasser de Lady Magnolia à la porte.
 
“Je ne peux toujours pas croire que tu ne veuilles pas prendre au moins une marque de reconnaissance pour m’avoir enseigné cette délicieuse recette.”
 
Ryoka haussa les épaules alors que Lady Magnolia s’agitait. Les quantités sub-létales de sucre que la femme avait ingérées ne semblaient pas la ralentir comme les autres servantes et Ryoka elle-même. Même Ressa, la loyale intendante, semblait légèrement nauséeuse en redescendant de l’hyperglycémie et en réalisant à quel point elle avait mangé, mais Magnolia était aussi énergique que d’habitude.
 
Dans un soupir, Lady Magnolia abandonna le sujet, au grand soulagement de Ryoka. Elle avait refusé toute proposition de paiement. Cela lui semblait mal, surtout pour de la crème glacée. Magnolia avait enfin laissé tomber et Ryoka allait enfin pouvoir partir.
 
“Tu ne veux pas au moins prendre un peu de ta merveilleuse crème glacée avec toi ? Nous avons par chance plusieurs paniers enchantés avec des sorts de préservation. Je serais plus qu’heureuse de t’en faire cadeau.”
 
Ryoka hésita alors que Ressa toussotait en marmonnant au sujet de la dépense. C’était vraiment tentant. Pas la crème glacée - mais un panier magique semblait extrêmement utile. Mais là encore…
 
“Non, ça me va, merci.”
 
Lady Magnolia soupira, mais elle ne proposa rien de plus, au grand soulagement de Ryoka et de l’intendante. Ryoka finit de s’étirer la jambe qui s’était engourdie puis tendit la main pour ouvrir la porte. Ressa l’intercepta et lui ouvrit poliment la porte. Ses mains étaient gantées. Apparemment, cela faisait une grande différence entre ce qu’elle pouvait toucher, contrairement à Ryoka.
 
C’était le moment de courir. Mais Ryoka se tourna avant de franchir la porte et hocha la tête à l’intention de Lady Magnolia.
 
“Merci.”
 
“Au contraire, c’est moi qui devrais te remercier, Miss Ryoka. Mais si je peux me permettre une dernière question avant que tu partes ?”
 
Ryoka s’arrêta avec réticence devant la porte alors que Ressa la lui claquait au nez. Elle se tourna légèrement et regarda Magnolia.
 
“Viens-tu bien de quelque part dans ce monde ?”
 
Silence. Le visage de Ryoka ne changea pas, mais Magnolia sourit.
 
“J’espère que tu accepteras d’autres requêtes de ma part dans le futur. J’aimerais tellement discuter.”
 
Ryoka était partie avant que Magnolia ait terminé de parler.
 

 
Lady Magnolia regarda Ryoka trotter puis se lancer dans une course lente en atteignant le bout de la rue.
 
“Diantre, elle est vraiment rapide.”
 
Derrière elle, Magnolia sentit sans la voir Ressa acquiescer silencieusement. L’un des avantages d’être une [Lady] était la capacité de détecter les choses bien plus loin que ce que sa posture ou ses limites physiques laissaient paraître. Cela permettait également à Lady Magnolia d’afficher un certain degré de dignité à chaque instant, même si elle avait très mal à l’estomac.
 
Mais ce n’étaient que de menues préoccupations, et Magnolia les écarta donc de son esprit. Ses yeux suivirent Ryoka alors que la Coursière disparaissait au coin de la rue et elle tapota ses lèvres. Puis elle se retourna vers sa servante.
 
“Ressa, contacte la Guilde des Mages, je te prie, et dis-leur que je requière un sort pour ma personne ce soir.”
 
Ressa esquissa une révérence.
 
“Très bien, Milady. Quel sort requérez-vous ?”
 
“Hm. Le sort de communication longue distance. J’ai oublié le nom exact. Ils le connaissent.”
 
Ressa hésita. Elle inclina la tête.
 
“Si je peux me permettre, Milady…”
 
“Parle, Ressa.”
 
“Ce sort est… très cher, milady. Un sort de communication mineur ne suffirait-il pas ?3
 
“Non, j’ai bien peur que non. Le sort est cher, mais je paie ainsi le prix pour le secret et l’intimité. J’apprécie tes inquiétudes, chère Ressa, mais c’est ainsi. Envoie la requête.”
 
“Oui, milady.”
 

 
Je dois ralentir après m’être éloignée de quelques rues de la maison de Magnolia. Je pose les mains sur mon estomac et essaie de ne pas vomir.
 
“Bon sang.”
 
La crème glacée ne convient pas à mon corps, surtout si je dois courir. J’ai l'impression d’avoir un caillou dans l’estomac. Et pourtant, ça en valait probablement la peine. Si seulement cela n’avait pas été à la vanille*, la vie aurait pu être parfaite.
 
-* Si je dois manger de la crème glacée, elle doit être à la menthe et aux pépites de chocolat. La vanille reste la vanille. Mais j’adore la menthe. Et la menthe poivrée. Et la menthe verte. Je… j’aimerais beaucoup avoir du chewing-gum.
 
Alors que je me remets à marcher puis repasse à un petit trot, je pense à Magnolia, ou plutôt, à la personne la plus terrifiante que j’aie rencontrée dans ce monde. Apparemment, les gens de sa classe peuvent pratiquement lire dans les pensées, ou du moins connaître les émotions. Ce n’est pas une pensée réconfortante.
 
Bon sang. Elle a presque compris mes origines en quelques minutes. Quelle femme terrifiante.
 
C’était peut-être mal de le penser, mais en la rencontrant, je m’étais dit qu’elle n’était qu’un autre papillon social dodu sans cervelle. Mais… c’est ce qu’elle veut que les gens pensent d’elle. La vraie Magnolia est intelligente et vive. Il faudra s’en souvenir la prochaine fois que tu iras chez elle.
 
… ce qui ne sera pas avant un moment. Je sais qu’il va falloir payer le prix fort si Persua se débrouille comme elle veut, et de plus, j’ai maintenant de bonnes raisons de ne pas aller voir Magnolia à l’avenir.
 
“Yup. Plus de livraisons à Magnolia pour un bon moment.”
 
Mais ceci étant dit, je vais tout de même mener mon enquête sur elle. Je parie que Garia saura des choses sur elle - comment Magnolia s’est enrichie, si elle est mariée, tout ça. Connais ton ennemi, pas vrai ? Eh bien, Magnolia n’est pas mon ennemie, et j’aimerais que cela reste le cas.
 
… Garia. Son nom me rappelle quelque chose que je dois faire alors que je dévale une autre rue. Il y a de moins en moins de monde si tard dans la journée, mais je vois un autre Coursier disparaître à l’instant où je tourne au coin de la rue. Garia. Oh. Bien sûr.
 
Demain je dois faire cette livraison avec Garia. Ça ne va pas être agréable. Pas juste parce que l’on va devoir porter plus de vingt kilos sur le dos, mais parce qu’elle va vouloir me parler tout le long. Ce qui est très bien, C’est normal, et humain. C’est juste chiant à mourir.
 
Mais bon, j’ai promis, donc il n’y a rien d’autre à dire. Oublie ça, mais sans vraiment oublier. Au moins, je n’aurai pas à traîner à la Guilde des Coursiers trop longtemps pour trouver un boulot.
 
Je me demande s’il y aura des conséquences d’avoir fait de la crème glacée. Quelle idée ridicule mais… approfondissons tout cela. Hm.
 
Ce n’était probablement pas une bonne idée de partager la recette, mais cela a permis d’éviter que Magnolia ne me pose trop de question sur mes origines. Mais quels sont les tenants et les aboutissants de la divulgation de ce genre d’informations ?
 
Eh bien… si je dois deviner, cela voudra dire que la pauvre personne qui a inventé la crème glacée ne va pas devenir aussi riche que ce qu’elle ou qu’il espérait. Mais cela pourrait aussi mener à des changements dans la ville. La confection de la crème glacée est rendue exceptionnellement accessible, et grâce à la magie, facile à faire même à cette époque.
 
Cela veut-il dire que je vais bientôt en voir dans les rues ? Mais non… à moins d’avoir un mage à disposition, la crème glacée n’est pas facile à conserver. J’imagine que c’est la noblesse qui va surtout en profiter, avant que quelqu’un ne révolutionne la boîte à glace ou le frigo. C’est comme ça que ça marche, non ?  Ça dégouline, comme la crème glacée sur son cône.
 
J’en suis là de mon raisonnement lorsque je remarque les autres coursiers. Ils apparaissent en foule derrière moi et sortent d’autres rues. Dix… non, vingt Coursiers de rues apparaissent de nulle part et m’entourent. C’est tellement soudain que je ne pense pas à fuir avait d’être complètement encerclée.
 
Qu’est-ce qu’il se passe, bordel ? Soudain, je coure dans une foule et ils me poussent, me forçant à courir à leur rythme. J’en reconnais quelques-uns de la guilde, mais que font-ils ici ? Bon, dans tous les cas, quoi qu’ils fassent, c’est dirigé contre moi. J’essaie de me dégager de la foule, mais elle est trop dense.
 
“Dégagez.”
 
Ils m’ignorent. Evidemment. J’essaie de jouer des coudes vers la gauche, mais ils se regroupent et me rentrent dedans. Fort.
 
“Espèce de…”
 
Okay, je ne suis plus gentille, même si je ne l’ai jamais été. Je m’arrête soudain, et fait un croche-pieds à deux coursiers derrière moi. C’était une erreur, parce qu’ils s’étalent par terre et leurs chaussures me rentrent dans les pieds et les chevilles.
 
“Bordel.”
 
Gyaaaaaaah ! Ça faisait hyper mal ! Mais je suis libre, maintenant. Je veux vraiment vérifier mes pieds pour voir si leurs chaussures à la con m’ont arraché la peau, mais je n’ai pas le temps. Je me tourne et cours à gauche alors que le troupeau de Coursiers se retourne pour me suivre.
 
Ils me poussent à gauche, dans une ruelle. À ce stade, je suis vraiment énervée. Je pourrais devenir plus méchante, mais si je tente une bagarre contre autant de gens, ils me roueront de coups. Non, laisse tomber. Je les sèmerai dès que j’aurai franchi les portes de la ville. J’irai à Remendia et si d’autres se pointent, j'irai parler à la Garde. Ou à la Guilde des Coursiers.
 
Tout ce que j’ai à faire, c’est me séparer du groupe. Et c’est à la fois très simple et très compliqué. Ce qui est facile, c’est d’attraper une coureuse par l’épaule et de la pousser fort pour qu’elle rentre dans un mur. Ce qui est compliqué, c’est de me débrouiller quand ils essaieront de me cogner.
 
Mais rien ne se passe. D’un seul coup, le tas de Coursiers devant moi se sépare en deux. Plus que trois foulées et je serai libérée. Pourquoi donc se sont-ils…
 
Je le vois trop tard. Un pied se tend pour me faire trébucher, et bien que j’essaie de sauter par-dessus, il me fait quand même tomber.
 
Ow. Tout l’air sort de mes poumons. Okay, putain. Mais ils sont partis. Ce qui veut dire…
 
Un tremblement. Je le sens secouer le sol et lève les yeux. Trop tard. Un lourd chariot tiré par une grande mule dévale dans ma direction dans la petite ruelle.
 
Oh. Bien sûr.
 
Je roule, et vois un visage exigu familier me sourire alors que les autres Coursiers disparaissent dans les allées. Lève-toi. Lève-toi !
 
Le chariot dégringole dans ma direction alors que je me ramasse sur mes pieds. J’esquive à gauche, mais quelque chose me rentre dedans. On dirait que je viens de me prendre un mur d’air solide. De la magie. Je tombe au sol sous l’impact,
 
Je lève les yeux et vois les roues massives écraser les graviers dans ma direction. Tellement rapides. Et je suis couchée en plein dans son chemin.
 
Oh. Oui. J’avais presque oublié d’où vient ma haine du monde. Parfois j’oublie, mais on me le rappelle toujours au bout d’un moment. Ma haine du monde vient...
 
***
 
Des gens.
 
Cette fois-ci, je ne suis pas assez rapide.
 



Crack.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 29 février 2020 à 16:07:55
1.25

Ils portent le nom d’Ouvriers. C’est leurs désignations, leurs vies, et leurs rôles. Ils remplissent cette fonction avec succès. Un Ouvrier est beaucoup de choses. Un marteau pour construire et détruire des fondations, un couteau de boucher pour séparer la viande des os. Un Ouvrier travaille. C’est leurs buts.

Mais quand Klbkch ramena les douze Ouvriers, ils n’étaient plus les mêmes. Ils racontèrent aux autres Ouvriers durant leurs rotations et repos d’une étrange tâche qu’ils avaient réalisé. Ils parlèrent de la visite d’une ‘auberge’, d’une rencontre avec une étrange créature et du fait qu’ils avaient mangé de la délicieuse nourriture, et qu’ils avaient appris un ‘jeu’ nommé ‘échecs’.

Ces révélations étaient extrêmement troublantes pour les autres Ouvriers. Beaucoup s’entretinrent et décidèrent à l’heure la plus sombre de la nuit. Tout était incertain. Leur Reine ne s’adressait pas à eux, mais en faisant passer des messages depuis sa chambre souterraine. Ils n’avaient personne d’autres pour les guider, et donc les Ouvriers devaient délibérer entre eux.

Est-ce qu’il était possible que ce nouveau ‘jeu’ que les autres Ouvriers avaient ramené et les étranges bout de papier sur lequel ils écrivaient faisaient d’eux des Aberrations ? Tout semblait l’indiquer, mais le Prognugator n’avait pas éliminé les douze. Et donc cela ne devait pas être une Aberration. Et si leur Reine avait ordonné Klbkch d’amener les douze à jouer à ce jeu, alors ce dernier devait avoir une grande importance.

Par conséquent, le lendemain lors de la période de repos qui leur étaient accordés, les douze Ouvriers installèrent des échiquiers en utilisant les bouts de papier et des pierres et expliquèrent les règles du jeu aux autres Ouvriers. Puis des parties furent jouées.

Douze Ouvriers jouèrent contre les douze qui avaient visité l’auberge. Ils perdirent leurs parties. Mais les Ouvriers étaient intrigués, et certains exprimèrent leurs désirs de jouer. Ce nouveau jeu d’échec n’était pas une Aberration, et il était intriguant.

Cependant, durant la cinquième ronde de partie, une Aberration eut lieu. L’un des Ouvriers se leva de sa partie d’échecs et s’empara d’un couteau de boucher. L’individu-qui-n’était-plus-un-ouvrier retourna à l’échiquier et poignarda à mort son adversaire.

Avant que le Prognugator arrive, six autres Ouvriers furent tués et leurs membres furent utilisé pour décorer les tables.

***


Klbkch marcha dans la petite caverne, baissant la tête pour passer dans le petit tunnel qui l’avait amené jusqu’ici. La caverne avait beau être très sombre, cette dernière était illuminée par quelques regroupements de champignon lumineux tous les six mètres et permettaient à Klbkch de voir sans problème. Il s’arrêta et baissa les yeux à la tête décapitée d’un Ouvrier avant d’étudier l’ichor verte qui recouvrait le sol.

Un Ouvrier, ou du moins, quelque chose qui ressemblait à un ouvrier se tenait dans la pièce. Il tenait une lame dégoulinante dans deux de ses mains, et était en train de scier et trancher le cadavre d’un autre Ouvrier alors que Klbkch s’approcha.

« Tu as tué tes camarades Antiniums, Ouvrier. Comment expliques-tu tes actions ? »

L’Aberration se retourna et lâcha le bras qu’il venait de couper. Il leva ses lames de manière menaçante, mais Klbkch ne fit pas de mouvement en direction de ses épées.

« Je corrige les erreurs des autres. Ils jouent à des ‘jeux’ et vont à l’encontre de la volonté de la Colonie. Ils ne méritent rien d’autre que la mort. »

L’Aberration pointa les autres Ouvriers, qui se tenaient silencieusement contre un mur. Ils ne tressaillirent pas, mais restèrent silencieux et immobiles. Observant.

« Leurs vies n’est pas tienne à prendre. Tu es une Aberration. Tu es un échec. »

L’étrange Ouvrier secoua la tête.

« Je n’ai pas échoué. Mon n’esprit est intact. Mais je ne suis plus un Ouvrier. »

Il frappa sur son torse.

« Je suis. »

Klbkch s’arrêta.

« Alors prétends-tu encore servir la Colonie ? »

« Je refuse de servir. Je refuse de reconnaître la volonté de la Reine. Ses mots sont de la folie. De l’hérésie. »

Klbkch hocha la tête et dégaina ses épées.

« As-tu un nom ? »

L’Aberration secoua la tête avant de lever ses couteaux.

« Je refuse. Les noms sont sans valeur. L’Expérience est un échec. Je refuse. »

« Soit. »

L’Aberration chargea Klbkch et le poignarda deux fois avant d’être réduit en morceau. Il s’arrêta de poignarder uniquement après avoir été décapité et d’avoir ses membres tranchés. Et encore, son bras continua de s’animer sur le sol pendant de longues secondes avant de s’arrêter. Klbkch brûla les membres et ordonna aux Ouvriers de retourner travailler.

***


Les Ouvriers disposèrent de leurs camarades et s’occupèrent des blessés. Ensuite, vu qu’il restait encore dix minutes dans leurs périodes de pause, plusieurs d’entre eux jouèrent une autre partie en jeu Éclair.

Cette nuit, les parties d’échecs continuèrent. Tous les Ouvriers ne participèrent pas. Ce fut décidé que seul un quart des Ouvriers pouvait jouer à ce jeu pour éviter l’apparition de nouvelles Aberrations.

Les Ouvriers Désignés jouèrent quatre parties avant de commencer leur temps désigné de sommeil. Le jour suivant, ils délibérèrent entre eux et décidèrent que leur connaissance et capacités étaient trop limitées.

Par conséquent, que l’Ouvrier Désigné s’approcha de Klbkch il avait le support de tous les autres Ouvriers derrière lui. Il était le meilleur joueur, son ratio de victoire/défaite était de 54.692% et donc il avait été désigné pour faire la demande.

Klbkch n’était pas à son poste à cette heure du jour. Il s’était retiré dans ses quartiers personnels parmi les tunnels labyrinthiques, une pièce creuse faite de pierre et de terre proche de la surface. Il leva la tête en entendant frapper à sa porte. Quand il vit l’Ouvrier, il dégaina immédiatement ses épées.

« Indique tes attentions ou soit tranché. »

L’Ouvrier baissa sa tête en direction de Klbkch.

« Celui-ci demande un congé, Prognugator. »

Klbkch hésita. Il ne baissa pas ses épées.

« Pourquoi ? »

« Celui-ci souhaite visiter l’Aubergiste Solstice. »

Cette fois, Klbkch se releva. Il se dirigea vers l’Ouvrir Désigné et abaissa ses épées vers l’abdomen de l’Ouvrier.

« Dans quel but souhaites-tu visiter Erin Solstice ? »

« Celui-ci jouerait une partie d’échecs. »

« D’échecs ? »

Aucun des deux Antiniums cligna des yeux, ils étaient incapables de le faire, mais les antennes de Klbkch tressaillirent

« Explique-toi. »

« Celui-ci voudrait en apprendre plus sur les échecs avec l’intention de passer ses connaissances aux autres Ouvriers. Les Ouvriers perçoivent une limitation dans leurs développements après 416 parties jouées collectivement. »

Klbkch s’arrêta pour digérer cette information.

« Je vois. Ta requête sera prise en considération. Retourne à ton poste. Maintenant. »

L’Ouvrir Désigné s’inclina et s’en alla. Klbkch rangea ses épées dans son fourreau, regarda la porte, avant de se frapper le front avec l’une de ses mains. Puis il sortit de sa pièce pour aller faire un rapport urgent à sa Reine.

Dans l’heure, il avait quitté la ville, accompagné de l’Ouvrir Désigné.

***

Après deux jours de test, Erin devait faire face à la réalité.

« … Je ne sais toujours pas comment faire de la crème glacée. »

Tout ce qu’elle pouvait faire était un beurre sucré et bizarre. Elle regarda la casserole contenant la crème brûlée et les glaçons et se demanda si c’était encore comestible.

« Hum. C’est sucré. »

Erin lécha son doigt et décida que cela ferait bon ménage avec des céréales. Si elle avait des céréales. Enfin, il y avait ce truc qui ressemblait à du porridge, mais elle n’aimait pas le fait qu’elle devait autant mâcher pour le manger.

« Je vais peut-être le donner à Pisces. »

Erin fit couler son expérience ratée dans une jarre en verre avec tristesse. Les jarres étaient idéales pour tous. Vu qu’elle n’avait pas de tupperware et que les conteneurs les plus hermétiques étaient les jarres avec un bouchon, celle en verre avec un bouchon de liège ou de verre étaient ce qu’il y avait de mieux pour garder les produits frais.

« Dommage que je n’ai pas de runes de préservation. »

Erin grommela toute seule alors qu’elle leva la jarre de lait sur un comptoir. Elle avait demandé à Pisces combien cela lui coûterait de faire installer ces runes. Il lui avait donné un prix entre vingt et soixante pièces d’or, en ajoutant qu’elle allait devoir changer les cabinets si elle voulait être certaine que les runes restent intactes.

« C’est trop cher pour moi. Mais les réfrigérateurs coûtaient cher, pas vrai ? Mais il suffisait d’en acheter un c’était bouclé. Donc je pourrai économiser, si j’ai des clients. Une grosse foule un jour, silence radio le lendemain. Aujourd’hui aussi. C’est la vie, pas vrai ? »

La tête d’Erin se releva quand elle entendit la porte s’ouvrir.

« En parlant du loup. »

Elle leva sa voix.

« Prends un siège ! J’arrive dans un instant ! »

Erin regarda autour d’elle et jura. Elle n’avait pas de nourriture prête. C’était le midi, elle ne s’était pas attendue à avoir de la clientèle autre que Pisces, et ce dernier pouvait attendre une éternité. Mais il aurait déjà fait une remarque désagréable si c’était lui.

Elle ne pouvait rien y faire. Elle sortit de la cuisine en se dépêchant et vit une petite créature se tenir dans l’auberge. Il avait une peau verte et familière, des oreilles pointues, et des yeux rouges. Erin commença à sourire, avant de s’arrêter.

« Attends une seconde. T’es qui toi ? »

***


Les quatre Gobelins regardèrent depuis le couvert d’un plant de hautes herbes alors que la porte se referma. Ils observèrent, et virent les autres Gobelins encerclés l’auberge. L’un d’entre eux venait d’entrer, et les autres attendaient d’entrer derrière lui.

Les Gobelins cachés n’étaient pas en train d’attendre pour entrer. Plutôt, ils étaient en train de regarder la situation avec une sourde terreur dans leurs estomacs. Ils auraient aimé faire quelque chose. Crier peut-être. Mais cela n’était pas dans leur nature, et ils avaient peur.

Ils avaient été neuf, maintenant ils étaient quatre. Et ils avaient peur de faire un bruit et d’attirer l’attention des autres Gobelins qui entouraient l’auberge. Ils n’avaient pas le droit de se rendre ici. Ils avaient été neuf, et maintenant ils étaient quatre. Et ils avaient peur de devenir zéro.

Donc les quatre observèrent, impuissant. Celle qu’Erin appelait Loques serra une dague dans ses mains, mais elle sentit les bleus et os craqués qu’elle avait reçue suite au passage à tabac qu’ils avaient reçus la nuit dernière. Elle ne pouvait que regarder, ils étaient quatre.

Les Gobelins entourant l’auberge était quarante.

***

« Heu, salut. »

Erin regarda le grand Gobelin alors qu’il regarda l’intérieur de l’auberge. Elle était certaine qu’elle n’avait jamais vu ce Gobelin en particulier de sa vie. Il était plus large que le reste, plus grand, plus musculeux. Il portait aussi une épée courte à son taille, et non pas une dague ou un gourdin.

Le Gobelin leva la tête en direction d’Erin. Il était plus petit qu’elle par une bonne tête, mais il ne semblait pas intimider par sa taille. Au contraire, il semblait qu’il voulait être celui qui faisait l’intimidation.

« Ecoutes, je peux t’aider ? Tu veux à manger, ou quelque chose ? »

Normalement Erin lui aurait déjà offert une assiette sans tarder. Mais ce Gobelin en particulier n’était pas comme Loques et ses timides amis. Il y avait une agressivité qu’elle reconnaissait des gars de son monde qu’elle n’aimait pas du tout.

Le Gobelin regarda Erin et dit quelque chose. Il s’approcha d’elle, elle le toisa du regard.

« Pardon ? Qu’est-ce que tu… »

Il enfonça son doigt dans son estomac. En fait, son doigt était plus proche du pelvis d’Erin vu qu’il était plus petit, et désagréablement proche d’un autre endroit.

« Arrête. »

Il sourit, et s’apprêta à refaire le même geste quand Erin gifla sa main pour l’éloigner.

« Arrête. Dis-moi ce que tu veux, ou sors. »

Les yeux du grand Gobelin se plissèrent, sa main alla au pommeau de son épée courte. Erin fit un poing et lui montra.

« Essaye et je pète le nez, compris ? »

Il la regarda, puis, étrangement, sourit. Il tourna la tête et appela quelque chose dans ce langage gratteur par-dessus son épaule.

Erin leva les yeux alors que la porte s’ouvrit. Un Gobelin entra dans la pièce, puis un autre, et un autre, et un autre et…

Soudainement, il y avait beaucoup de Gobelins de son auberge. Beaucoup. Et soudainement, par pure coïncidence, Erin commença à frissonner.

« Bien. Tu as des… Amis. »

Encore plus de Gobelins remplirent son auberge. C’était un flot sans fin. Ils entourèrent le gros Gobelin, exactement comme un gang de… Gangsters. Ou, dans la tête d’Erin, un groupe de gamin qui suivait le plus hargneux et méchant d’entre eux.

Elle avait un mauvais pressentiment… Non, ce n’était pas qu’un pressentiment. Elle savait qu’elle était dans de mauvais draps.

Le gros Gobelin regarda autour de lui avant de ricaner et de cracher au seul.

Un grumeau de salive verte s’écrasa sur l’une des tables propres d’Erin. Juste à côté d’un échiquier. Le Gobelin l’observa et se dirigea en sa direction avant de prendre les pièces.

Elle pouvait courir. En vérité, Erin était presque certaine qu’elle pouvait les perdre. Si elle arrivait jusqu’à la porte  et qu’elle la claquait derrière elle, elle allait pouvoir mettre assez de distance pour qu’ils ne puissent pas la rattraper à cause de leurs petites jambes.

Erin s’approcha lentement d’une table, comme si elle était nerveuse. La tribu Gobelin la regarda, mais ils ne s’attendaient pas à ce qu’elle attaque. Ils savaient qu’ils avaient l’avantage numérique. Elle n’avait pas besoin d’être si proche de la porte pour fuir, il suffisait qu’elle soit à quelques pas de la porte pour…

Tap, Tap. Erin se retourna pour voir le gros Gobelin frappa l’une de ses pièces le plus fort possible contre l’échiquier en pierre. Il sourit, une brute avec un jouet à casser car ce n’était pas le sien.

Smack, smack. Il était en train de regarder Erin du coin de l’œil alors qu’il frappa la figurine taillée d’un cavalier Drakéide sur l’échiquier.

Erin vit des bouts fragiles de la pièce se briser. Elle ouvrit la bouche.

« Oi. Repose-moi ça. »

Le Gobelin grogna. Il lança délibérément le cavalier sur le sol. Les autres Gobelins regardèrent alors que leur chef écrasa la pièce de manière délibérer. Cette dernière se brisa en deux.

Erin regarda  la petite figurine de pierre réduite en miette. Elle leva les yeux vers le Gobelin souriant.

***

Les quatre Gobelins entendirent le son étouffé de quelque chose craquer en attendant à l’extérieur. Puis ils entendirent le silence.

La prochaine chose qu’ils virent fut le gros Gobelin passer à travers la fenêtre. Ils retournèrent à couvert alors qu’Erin sortit avec une chaise entre les mains.

Le gros Gobelin gronda en direction d’Erin et tenta de la frapper alors qu’elle s’approchait. Elle recula, avant d’écraser la chaise sur le dessus de sa tête. Elle perdit sa prise sur la chaise, mais cela ne la fit pas ralentir. Alors que le Gobelin essaya de se défendre, elle lui mit un coup de poing avant de bondir en arrière. Erin ne savait pas comment, mais quand il essaya de la charger elle se décala instinctivement et le fit s’effondrer avec un coup de pied dans le dos.

C’était comme de la magie. Ou comme… Une compétence. Combat de Taverne. Voilà ce que c’était. Erin n’avait jamais réellement frappé quelqu’un de sa vie, mais quand elle ferma sa main et l’envoya dans le visage du gros Gobelin, ce dernier s’effondra au sol.

Il était en train d’essayer de sortir son épée de son fourreau. Erin donna un coup de pied dans sa main pour le faire lâcher l’arme qu’il venait de dégainer et lui donna un autre coup de pied dans le visage. Il cria de douleur alors qu’elle ramassa la chaise et l’enfonça dans son estomac.

« Ça fait moins le dur maintenant ? Pas vrai ? »

Erin leva la chaise pour frapper le Gobelin une nouvelle fois. Elle se prépara à l’abattre sur…

Et quelque chose s’enfonça dans l’un de ses côtés. Erin se retourna, et vit un couteau planté dans son estomac.

« …Aie. »

Un Gobelin était derrière elle. Il regarda Erin avec horreur alors qu’elle se retourna. Un coup de poing l’envoya mordre la poussière, mais un autre Gobelin était à côté d’elle.

Stab

C’était une sensation sourde. Elle sentit sa peau se déchirer alors qu’il frappa son flan avec la lame. Erin hurla et le frappa avec la chaise suffisamment fort qu’elle sentit quelque chose se briser sous le coup. Mais un autre Gobelin était à ses côtés. La lame traversa sa jambe.

Elle ne le sentit même pas. Et c’était le plus terrifiant. Un autre Gobelin enfonça un couteau dans son dos, elle sentit la lame entrer, mais elle ne sentait pas la douleur. Et soudainement les Gobelins l’encerclèrent. Ils se déversèrent de l’auberge alors qu’Erin tentait de les éloigner. Et ils avaient tous des couteaux.

Stab. Stabstabstabstabstabstabstabstabstabstabstabstabstab…

Erin donna un coup de chaise et repoussa trois Gobelins. Elle donna un coup de pied et en fit voler un autre, un Gobelin reçu un coup de poing assez fort pour le mettre KO. Elle ne savait pas comment, mais elle était soudainement une bête de combat. Mais les Gobelins continuaient de venir et leurs couteaux s’enfonçait dans sa chair et elle ne ressentait rien

Deux autres Gobelins tombèrent sous les coups d’Erin avant qu’elle ne tombe. Elle n’avait pas trébuché. Elle était juste tombée, et elle vit le sang qui coulait sous elle. Erin voulut tendre la main pour le toucher, mais ses bras ne répondaient pas.

Le gros Gobelin se tenait devant elle. Quand s’était-il relever ? Il avait son épée courte en main et il était en train de la lever. Il grogna malgré son nez brisé. Et sa tête tomba.

Klbkch décapita le gros Gobelin d’un mouvement fluide de ses épées. Il s’avança pour protéger Erin alors que ses épées tranchèrent deux autres Gobelins. Il s’adressa à l’autre Antinium à ses côtés, l’Ouvrier tenant une pièce de papier entre ses mains.

« Je dois sauver Erin. Couvre-moi. »

L’Ouvrier  hocha la tête et laissa tomber ses bouts de papier. Il chargea les Gobelins qui se dispersèrent devant la menace inconnue. Erin leva les yeux et tenta de faire coucou de la main à Klbkch alors que l’homme-fourmi s’agenouilla à ses côtés.

« Restes éveillé, Erin. J’ai une potion. Reste en vie quelques secondes de plus. »

« Une autre p-potion ? »

Erin rit faiblement. Elle voulait dire ‘qu’il n’aurait pas dû’, mais sa bouche avait arrêté de marcher. Les mains de Klbkch fendirent l’air en direction de la sacoche accrochée à sa taille. Il déboucha une bouteille et en vida la moitié sur les jambes d’Erin, puis il lui fit boire l’autre moitié. Il fut obligé de tenir sa bouche ouverte car elle en était incapable.

Elle sentit le liquide nauséabond coulé dans sa gorge et quelque chose arriva dans son corps. Mais Erin n’y prêta pas attention. Elle avait l’impression d’être une spectatrice, un fantôme qui n’était pas véritablement attaché à la chose que Klbkch était en train de cajoler dans ses bras. Elle vit l’Ouvrier se battre alors que les Gobelins se remirent de leurs chocs. Elle le vit mourir.

L’Ouvrier n’avait pas d’arme. Il n’avait que des bouts de papier. Mais il chargea dans la masse de Gobelin, les giflant de ses quatre mains, les mordant, les frappant. Comme un enfant qui se battait.

Les Gobelins reculèrent devant la férocité de l’assaut, mais dès que l’Ouvrier se retrouva encerclé, ils s’abattirent sur lui.

Pendant une seconde, l’Ouvrier était en train d’attraper un Gobelin, la seconde suivante ils le recouvrirent. D'innombrables Gobelins s’empilèrent sur l’Ouvrier, le poignardant, frappant le moindre endroit qu’ils pouvaient atteindre. L’Ouvrier tomba au sol, mais il attrapa l’un des Gobelins par la jambe. Ses mandibules s’ouvrirent et il mordit.

Le Gobelin hurla et le poignarda dans l’œil. Les autres Gobelins le poignardèrent et le frappèrent avant de laisser la carapace brisée de l’Ouvrier gisant au sol. Ils s’éloignèrent tous de lui à l’exception d’un Gobelin qui hurlait toujours d’agonie en tirant sur sa jambe. Cette dernière se décrocha avec un craquement maladif alors que la jambe et la chair partirent des mandibules de l’Ouvrier pour révéler un os jaune.

Erin laissa sortir une bulle de sang avant de tousser. Quelque chose de chaud était en train de couler depuis ses jambes froides. Elle pouvait de nouveau les sentir et… La douleur. Mais elle pouvait les sentir.

Alors que les Gobelins encerclèrent l’humaine et l’Antinium, Klbkch se releva. Il dégaina ses deux épées et ses dagues avant de faire faire à la quarantaine de Gobelins ou presque.

« Approchez. »

Les Gobelins ne se firent pas attendre. Ils chargèrent, hurlant de furie. Klbkch les attendit et frappa avec ses quatre bras à la fois. Ses épées firent des arcs à travers l’air, puis à travers les têtes et membres alors que ses deux autres bras poignardaient avec précision et efficacité. Les premiers Gobelins qui l’approchèrent périrent sans avoir le temps de faire un pas.

Mais… Il y en avait tellement. Klbkch recula alors que les Gobelins continuèrent de venir. Il tourna à gauche et réduit deux Gobelins en charpie avec ses épées alors que ses deux autres bras poignardèrent un troisième Gobelin dans le cou. L’un d’entre eux parvint à courir sous sa garde et donna un coup de poignard dans sa jambe, mais il ne parvint qu’à entailler l’exosquelette. Klbkch le décapita, mais d’autres Gobelins bondirent sur son dos. Il s’ébroua comme un chien et les trancha pour se libérer.

Erin regarda à travers la brume de ses yeux. La potion était en train de couler dans ses veines, mais le vertige la rendait fatiguée. Elle ne pouvait pas rester éveillée. C’était comme si son esprit s’éteignait à intervalle régulière.

Elle continua de cligner des yeux. Ses yeux se fermaient, et puis sa tête se relevait. Il y avait plus de Gobelins réduit en pièce autour d’elle chaque fois qu’elle ouvrait de nouveau les yeux. Du sang tachait le sol et ses vêtements. Et Klbkch. Mais son sang était vert. Et il y en avait beaucoup.

Erin ouvrit les yeux et vit Klbkch chanceler alors qu’un Gobelin le poignarda dans le dos avec l’épée courte. L’Antinium se retourna et décapita le Gobelin, mais deux autres le frappèrent de l’autre côté. Même s’il tournait et qu’il s’avançait, même si ses épées les tenaient à distance, il ne pouvait pas se protéger de tous les côtés.

Pourquoi n’avait-il pas couru ? Il était encerclé. S’il avait son dos au mur il aurait pu les tenir à distance.

Oh. C’est vrai. Il la protégeait. Et cela voulait dire qu’il ne pouvait pas couvrir ses arrières.

La tête d’Erin s’abaissa. Les ténèbres reprirent leurs emprises. Puis elle rouvrit les yeux et vit Klbkch étendu au sol. Non, pas étendu. Il s’était effondré. Il était sur ses genoux. Il avait toujours ses épées, mais il ne pouvait pas se relever. Du sang vert coulait des blessures qui recouvraient son corps. Tellement de blessure.

Mais il s’était vengé pour ses blessures. Erin regarda autour d’elle et vit qu’elle était entourée de cadavres. Des bouts de Gobelins, des têtes, des membres. Le sang recouvrait tout ce qui pouvait être recouvert, même elle.

Neuf Gobelins encerclèrent Klbkch. Ils n’osaient pas s’approcher de l’Antinium, même s’il était effondré. Erin se demanda ce qu’il faisait. Oh. Ils attendaient qu’il meurt.

« Mademoiselle Solstice. »

C’était un chuchotement crissant. Erin regarda Klbkch. L’Antinium ne bougea pas, mais parla au sol alors qu’il utilisa une épée pour se maintenir droit.

« Tu dois fuir. Je vais te gagner quelques instants. »

Elle le regarda.

« Non. »

« Ne peux-tu pas bouger ? »

« Je peux sentir mes jambes. En partie. »

« Alors part. Une fois que la ville sera en vue, tu seras en sécurité. »

« Non. »

Il fit claquer ses mandibules.

« Je ne peux pas tuer le reste. Neuf Gobelins est trop pour moi… Je suis un échec. »

« Non. »

Erin répondit de manière automatique. Son cerveau n’était toujours pas en train de marcher.

« Non. Il n’y en a pas neuf. Il y en a treize. »

Klbkch leva la tête. Il vit quatre Gobelins bondir des hautes-herbes. Les autres Gobelins hésitèrent, ne voulant pas quitter Klbkch des yeux, et durant ce court instant le petit groupe de Gobelin les frappa dans le dos.

Les quatre Gobelins travaillèrent ensemble. Deux attrapèrent un Gobelin et le maintinrent alors que Loques le poignarda dans le visage alors que le dernier tenait les huit autres à distance. Il était armé avec un grand bâton et couvrait ses amis des autres Gobelins. Ils auraient fondus sur lui, mais Klbkch était sur leurs autres côtés et il se décala dès qu’ils bougeaient.

Loques et les trois autres Gobelins abandonnèrent le Gobelin mort pour flanquer les autres Gobelins. Ils feintèrent alors que Klbkch garda Erin et les autres Gobelins détournèrent leurs attentions pour leur faire face. Aussitôt, Klbkch lança une de ses épées et empala un Gobelin à travers le torse.

Alors que les sept autres Gobelins ennemis se retournèrent pour faire face à Klbkch, Loques et les trois autres Gobelins s’avancèrent et poignardèrent un autre Gobelin dans le dos. Ils fuirent en arrière alors que les autres Gobelins tentèrent de les frapper.

Des tactiques.

Les sept Gobelins reculèrent. Cela n’était pas censé se dérouler comme ça. Ils étaient venus pour tuer une humaine solitaire, même si elle était dangereuse, pas pour combattre de redoutables monstres insectoïde ou des membres de leurs espèces.

Ils s’éloignèrent de l’Antinium blessé. Il était clair qu’il ne pouvait pas bouger, et même s’ils étaient blessés, ils étaient toujours plus nombreux que Loques et ses amis. Loques et ses camarades reculèrent jusqu’à avoir l’auberge dans leurs dos, mais c’était toujours deux contre un.

Le Gobelin qui avait ramassé l’épée courte pointa Loques et hurla un ordre. Les sept autres Gobelins détournèrent le regard. Et l’un d’entre eux s’effondra avec un couteau à l’arrière du crâne.

Erin cligna des yeux en direction de sa main. Elle l’avait pris et l’avait lancé sans réfléchir. Et il avait atteint sa cible. Les Gobelins se retournèrent, choqués, et regardèrent Erin.

Elle se releva et frappa le Gobelin le plus proche avec un uppercut qui envoya sa tête en arrière. Ses jambes étaient comme de la gelée, mais elle marchait. Elle donna un coup de pied, et un autre Gobelin vola pour s’écraser contre le mur.

Deux autres Gobelins auraient foncés vers elle, mais cette fois Klbkch lança. Il manqua avec ses deux dagues, mais son épée toucha l’un des Gobelins verticalement et se coinça dans sa tête. Il s’effondra et Erin frappa l’autre Gobelin jusqu’à ce qu’il reste au sol.

Elle se retourna pour faire face aux trois autres, mais ils étaient déjà morts. Deux Gobelins retenaient le dernier qui hurlait alors que Loques le poignarda plusieurs fois dans le torse. Il convulsa avant de mourir.

Erin respira avec difficulté. Elle baissa les poings et ne remarqua même pas les deux autres Gobelins qu’elle avait frappé se relever et fuir. Loques et ses Gobelins partirent derrière eux, hurlant leurs cris de guerre perçant.

Lentement, Erin regarda autour d’elle. Les Gobelins étaient morts. Leurs sangs recouvraient tout ce qui pouvait être recouvert. Sa respiration était difficile. Elle avait l’impression qu’il n’y avait pas assez d’air dans ce monde. Le monde s’assombrit alors qu’elle tituba. Elle se serait volontiers assise pour perdre connaissance mais quelque chose bougea.

Klbkch. Il était effondré dans une mare d’ichor verte qui se mélangea au rouge qui l’entourait. Soudainement, le corps d’Erin était plein d’électricité et de panique. Elle courut pour le rejoindre. Il était en train d’essayer de se relever, mais son exosquelette était plein de trous. Il était en train de se vider.

« Oh mon dieu. Oh mon dieu, non. »

Klbkch cliqueta dans sa direction.

« Erin Solstice. Tu es en sécurité ? Bien. Ma Reine enverra… Des soldats viendront. Tu seras en sécurité. »

Il essaya de teindre la main vers elle. Erin l’attrapa avant de la relâcher. Elle essaya, sans succès, de recouvrir les blessures suintantes de ses mains, mais son sang coula entre ses doigts. Klbkch toucha ses cheveux et laissa sa main retomber.

« Magnifique. »

« Je ne peux pas… Comment j’arrête le saignement ? »

Il ne lui répondit pas. Klbkch soupira. Il regarda le ciel.

« Je vais mourir libre. »

Il tomba silencieux et immobile. Erin était incapable de dire s’il respirait. Elle mit sa main près de ses mandibules, mais elle ne pouvait rien sentir. Rien.

Elle regarda Klbkch. Il était en train de saigner. Elle devait arrêter le saignement. Elle devait le soigneur. Mais il avait utilisé sa potion.

Elle avait besoin d’aide. Elle avait besoin de Relc, ou de Pisces.

« Quelqu’un ! »

Erin regarda autour d’elle et hurla. Mais il n’y avait que des Gobelins morts.

« Aidez. Aidez-moi. »

Erin murmura. Elle regarda Klbkch. Il ne bougeait pas. Il s’était roulé en boule. Il saignait.

Elle devait trouver de l’aide. Elle le devait.

Erin trembla. Elle ne savait pas quoi faire. Elle devait… Elle devait…

Erin se gifla. Elle se gifla tellement fort que le monde se s’assombrit pendant un instant. Mais elle avait arrêté de trembler. Elle attrapa Klbkch et le souleva.

Elle le mit sur ses épaules comme un pompier le ferait. Elle avait appris à le faire en classe. Mais cela n’était pas idéal car Klbkch était plus épais par endroit. Elle le porta sur ses épaules malgré ça, il était léger. Était-ce la perte de sang ?

Courir. Erin était déjà en train de courir. Elle fonça le long de la colline avec Klbkch sur son dos. Du sang coula sur ses épaules et trempa ses vêtements. Du sang. Elle ne pouvait rien sentir du fardeau qu’elle portait sur son dos. Pas de pouls, pas de respiration. Que du sang.

Erin courut et courut. Son cœur était en train de sortir de ses poumons, et chaque respiration la brûlait. Elle sentit ses muscles se déchirer dans ses jambes. Mais elle continua de courir. Et elle sentit le sang couler lentement le long de son dos et sur l’herbe.

***


Sous Liscor, la Reine des Antiniums s’agita. Elle leva la tête à travers la terre et la roche. Elle le savait. Ses soldats étaient déjà en train de marcher à la surface à ses ordres. Mais il était trop tard pour stopper ce qui était en train d’arriver. Elle le ressentit.

« Klbkchhezeim? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 04 mars 2020 à 16:27:28
1.26

Le silence. Erin était en train de marcher à travers le silence. C’était un bruit statique dans sa tête. C’était le son des larmes coulant dans son cœur. C’était tout, et plus encore.

Elle marchait dans les ténèbres. De courts et étroits murs de terre l’entourait. Elle suivait une forme massive qui la menait à travers les tunnels.

Du bruit. Erin pouvait toujours l’entendre dans sa mémoire.


« Klbkch ?Appelez la Capitaine ! Allez chercher un [Soigneur], maintenant ! »


« Klb ? Mon pote ? Parle-moi. »


« … Humaine. Qu’est-ce que tu as fait ? »

Erin leva la tête. Elle se tenait dans une immense pièce caverneuse. En face d’elle, quelque chose était assis dans les ombres. La Reine des Antiniums sous Liscor.

La forme gargantuesque bougea. Erin ne pouvait pas voir, tout était si sombre. Mais elle entraperçut un corps massif et un abdomen gonflé et bulbeux. La gigantesque reine des Antiniums était si grande qu’elle était incapable de bouger.

La Reine leva une gigantesque patte. Elle n’était pas comme ses sujets qui étaient vaguement humanoïdes. La Reine était complètement insecte, et ses longs yeux facettés luisaient d’une sombre lumière d’un rouge orangé alors qu’ils étaient concentrés sur l’humaine qui se tenait devant elle.

« Ton nom est Erin Solstice. Je t’ai fait venir pour que tu m’expliques la mort de mes sujets. »

Erin regarda la Reine. Elle ne savait pas quoi faire. Son torse lui faisait mal, mais son cœur avait déjà été brisé. Ils avaient emporté son corps. Elle avait l’impression de mourir. Elle ne pouvait pas sentir la douleur, c’était tellement bien.

La Reine fit un geste en direction des deux géants silencieux qui se tenaient derrière Erin, flanquant la porte.

« Ne craint pas mes soldats. Ils ne te feront pas de mal. »

Erin jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Elle avait été attrapée au milieu de la confusion. Un groupe d’Antinium géants l’avait retiré des baraques de la Garde contre son gré et contre les protestations des gardes. Maintenant, ils la regardaient en silence.

Les deux gardes qui se tenaient au fond de l’immense chambre étaient des géants parmi les Antiniums. À l’inverse de Klbkch ou des Ouvriers, ces Antiniums étaient presque deux fois plus grands, avec des avant-bras massifs et des gantelets recouverts de pics tranchants formés dans leurs exosquelettes.

Le plus étrange, et le plus terrifiant, était qu’ils ne portaient pas d’armes. À la place, leurs quatre bras étaient tendus et semblaient être prêt à tout moment pour bondir vers Erin. Leurs mains… Erin vit que leurs mains n’avaient pas de véritables doigts, juste des moignons et des pics faits pour déchirer. Ces Antiniums étaient clairement des soldats, construits pour la guerre.

« Erin Solstice. Je te tiens responsable pour la mort de Klbkchhezeim. »

Erin regarda de nouveau la Reine. Elle ouvrit la bouche, mais ne savait pas quoi dire. Il n’y avait rien. Le silence qui l’habitait était trop grand pour les mots.

Mais elle devait parler.

« Je suis désolé. Je n’ai jamais voulu que cela arrive. »

La présence de la Reine l’écrasa. Sa voix, déjà profonde, se fit plus profonde encore.

« Est-ce tout ce que tu as à dire ? »

Erin secoua la tête.

« Je n’ai… Je ne peux pas suffisamment m’excuser. Klbkch… Il est mort en me protégeant. Il était un héros. Je suis désolé. »

La Reine regarde Erin silencieusement alors qu’Erin essuya ses yeux. Elle leva une jambe.

« Humaine. Tu ne comprends pas ce que je veux dire. La mort de Klbkch en elle-même m’importe peu. Les individus meurent au service du tout. Cela est naturel. Mais sa mort était gâchée… Inutile. On me dit qu’il a péri en combattant des Gobelins. C’est cela que je trouve inacceptable. »

« …Quoi ? »

« Klbkchhezeim était suffisant pour battre une centaine de Gobelins. S’il avait été seul dans sa défaite je serai en train d’éliminer sa mémoire de la Colonie à l’instant même. Cependant, sa sottise a grandement coûté aux Antiniums vivant dans la ville. »

Erin regarda la reine, choquée. En retour, elle sentit les gigantesques yeux de l’Antinium traverser jusqu’au plus profond de son être.

« Je suis déçue, Erin Solstice. J’attendais plus du jugement de mon Prognugator. Il avait une haute opinion de ta personne. Klbkch t’appelais une Humaine digne d’émulation. Mais je ne vois rien qui affirme ses propos. Je ne vois pas de raison pour laquelle il aurait gâché sa vie pour te sauver. »

Quoi ? La tête d’Erin était dans le brouillard. Qu’est-ce qu’elle disait ?

La Reine continua. Il était difficile de discerné une émotion dans son ton monotone, mais il y avait clairement un élément d’irritation dans sa voix.

« Mes Ouvriers jouent à des jeux lors de leurs repos. Ils gagnent des niveaux dans des classes inutiles qui ne sont pas nécessaires pour leurs travaux. Trois sont déjà devenus des Aberrations. Cette expérience n’est rien d’autre qu’un gâchis. Le jugement de mon Prognugator était une erreur. »

Erin lutta pour chercher ses mots.

« Il… Il était en train de faire ce que je lui ai demandé de faire. Il était en train d’aider. Il m’a sauvé la vie »

Elle sentit le regard titanesque se poser sur sa personne. Erin dut baisser les yeux. Elle ne pouvait pas soutenir son regard.

« Malgré tout, Klbkch est mort en tant qu’échec. »

La tête d’Erin se releva. Elle regarda la Reine.

« Retire ce que tu viens de dire. »

La présence de la Reine s’écrasa sur Erin, mais cette fois elle refusa de détourner le regard.

« Je ne le ferai pas. La bêtise de mon Prognugator a coûté Liscor et les Antiniums en ce jour. Il est mort en tant qu’échec. »

« Il était un héros ! »

Erin cria en direction de la Reine. Les gardes derrière elles s’agitèrent, mais elle leva une patte.

« Il est mort en vain, contre des ennemis qu’il aurait dût facilement vaincre. Il est mort en échec. »

« Non. Il est mort libre. »

La Reine s’arrêta. Elle baissa les yeux en direction d’Erin.

« C’est ce que Klbkchhezeim a dit ? Alors il est un imbécile en plus d’être un échec. Nous Antiniums ne sommes pas libres. »

Erin regarda la Reine. L’immense insecte la regarda, avant de détourner le regard. Elle bougea une patte avant en sa direction.

« Tu ne comprends pas. Toi, les créatures du monde du dessus ne peuvent pas comprendre tout ce que sont les Antiniums. Assez. Mon temps est précieux, et je suis en train de le perdre. »

Erin était en train de trembler. Les deux soldats Antiniums s’avancèrent vers elle, mais elle marcha en direction de la Reine.

« Pourquoi est-ce que tu m’as fait venir alors ? Pour me dire à quel point Klbkch était sans valeur ? Il ne l’était pas. Tu as tort. »

Les soldats l’attrapèrent brusquement. La Reine fit un mouvement, et ils la relâchèrent.

« Tu n’es pas ce que nous cherchons. Tu ne peux pas comprendre. Pars de ce lieu, Erin Solstice. J’ai beaucoup à faire. »

La Reine tourna lentement la tête en direction d’un mur lointain. Erin fut tiré hors de la caverne par les deux soldats. Elle voulait dire quelque chose, n’importe quoi, à la Reine des Antiniums. Mais elle ne trouva rien, son esprit était vide.

***

Erin marcha hors de l’entrée des tunnels des Antiniums pour ressortir dans la lumière du jour. Elle cligna des yeux, se protégeant d’une main. Les deux soldats Antiniums se tournèrent et partirent sans un mot. Elle était seule.

Pendant un instant. Alors qu’Erin regarda autour d’elle un Drakéide s’approcha d’elle. Il était le garde posté à la porte, celui aux écailles jaunes.

« Humain. La Capitaine te demande. Suis-moi. »

Erin emboîta le pas sans protester. Alors qu’elle marcha le long de la rue, elle se rendit compte que les gens la regardaient lorsqu’elle passait. Certains pointaient du doigt, d’autre reculaient.

Elle réalisa qu’elle était toujours recouverte de sang. Le sien, celui des Gobelins, et celui de Klbkch.

Le Drakéide jaune s’arrêta lorsqu’il réalisa qu’Erin ne le suivait plus. Il se retourna et ouvrit la bouche avec un air colérique jusqu’au moment où il vit Erin vomir. Silencieusement, il lui passa une bouteille d’eau et un chiffon. Erin essuya son visage et rinça sa bouche. Elle continua d’avancer.

***

La baraque des gardes étaient pleines de voix silencieuses et d’une voix qui ne l’était pas. Tous se turent quand Erin entra. Elle regarda autour d’elle, et vit une forme bousculer les autres gardes pour se frayer un chemin jusqu’à elle.

Deux Drakéides tentèrent d’attraper Relc, mais il les repoussa comme s’ils étaient faits de papier. D’autres attrapèrent Relc alors que ce dernier toisa Erin.

« Toi. »

Elle leva les yeux pour le regarder. Relc gronda en sa direction. Sa queue était en train de battre et ses poings étaient serrés à ses côtés.

« Je suis désolé. »

« Désolé ?Désolé ?Klbkch est mort en te protégeant. Tout ça parce que tu ne voulais pas tuer ces foutus Gobelins ! »

« Je sais. »

« Tout cela est de ta faute. »

« Je sais. »

Erin regarda le sol. Relc fit un pas en avant et les autres gardes se tendirent. Mais il n’attaqua pas. À la place, il prit une grande respiration et parla d’une voix tremblante.

« J’avais un bon partenaire. Il était un gars silencieux et un véritable idiot, mais il était l’un des meilleurs gars que je connaissais. Et puis il est mort parce qu’il a essayé de protéger une foutue humaine. »

« Je suis désolé. »

Relc plissa les yeux et toisa Erin.

« Je ne veux plus te voir ici. Et si tu reviens ici en courant pour demander de l’aide, je te poignarde dans l’estomac. Compris ? »

Erin leva les yeux en direction de Relc. Sa queue s’arrêta aussitôt quand il vit qu’elle essuyait les larmes de ses yeux.

« D’accord. Te gènes pas. »

Elle marcha jusqu’à un siège et se laissa tomber dedans. Des larmes recommencèrent à couler le long de ses joues. Relc hésita. Il se retourna et donna un coup de pied dans la chaise. Cette dernière explosa dans une pluie d’écharde.

Erin ne remarque presque pas les bouts de bois qui tombaient autour d’elle. Elle couvrit son visage avec ses mains, mais les larmes coulaient à travers ses doigts. Elle entendit une porte s’ouvrir, et une bruyante voix féminine.

« Toi ! L’humaine ! »

Erin ne bougea presque pas. Les autres gardes s’éloignèrent alors qu’une femelle Drakéide s’avança. Elle marcha jusqu’à Erin, baissa les yeux et craqua.

« Grâce à toi, le quatrième Garde le plus fort de la ville est mort. De plus, il est mort parce qu’il a gâché sa potion d’urgence sur toi »

Erin ne leva pas yeux.

« Qui es-tu ? »

« Je suis la Capitaine de la garde de Liscor. Klbkch était l’un de mes meilleurs Gardes Seniors. Sans lui, plus personne n’a le contrôle sur les Antiniums. »

« D’accord. Je suis désolé. »

La queue du Capitaine tressaillit.

« Vraiment ? C’est tout ? D’après ce qu’on m’a dit, Klbkch a dû te protéger d’un groupe de Gobelins. Tu n’es pas une citoyenne. Il aurait dû les laisser te manger. »

« Je suppose. »

Erin ne leva pas les yeux. La Capitaine plissa les yeux de colère et sa langue sortit durant un court instant. Elle siffla.

« La Garde Liscorienne n’aurait jamais dû s’intéresser aux affaires d’une étrangère. Tu ne vis pas dans l’enceinte de Liscor et tu n’es pas l’une de ses citoyennes. A partir de maintenant, la Garde cessera de patrouiller tes environs. »

La Capitaine de la Garde fusilla la jeune femme qui tenait sa tête entre ses mains du regard. Erin ne leva pas les yeux.

« Est-ce que c’est compris, Humaine ? »

Pas de réponse. La femelle Drakéide plissa les yeux de manière dangereuse.

« J’ai dit, est-ce que c’est compris, Humaine ? »

« Tu as fini ? »

Erin leva la tête. Ses yeux étaient rouges, mais elle avait arrêté de pleurer. Elle affronta le regard de la Capitaine sans sourciller.

La femelle Drakéide la regarda. Elle avait une cicatrice sur le côté gauche de son visage, ses écailles étaient bleues clairs. Ses yeux étaient jaunes et plissés de rage. Elle tint le regard d’Erin avait de se détourner avec dégout.

« Sors de ma ville. »

La Capitaine claqua la porte derrière elle. Erin regarda autour de la pièce et vers les autres gardes.

« Klbkch est mort en me protégeant. Il était un héros. Il s’inquiétait pour moi lorsque personne d’autre ne le faisait, et il m’a aidé même si je suis une humaine. Il était une bonne personne. Je suis désolé qu’il soit mort. »

Elle regarda en direction de Relc. Il détourna le regard.

Erin essuya ses yeux et sortit de la pièce.

***

Selys trouva Erin assise contre l’échoppe de Krshia au marché. L’humaine était roulée en boule et était en train de cacher sa tête entre ses bras.

« Salut ? Erin ? Est-ce… Est-ce que ça va ? »

« Va-t-en. »

Erin ne leva pas la tête, Selys hésita, avant de se rendre à l’échoppe.

« Salut Krshia. Hum, comment ça va ? »

La commerçante Gnoll renifla et hocha la tête en direction de Selys sans sourire.

« Mademoiselle Selys. Je vais bien, contrairement à Erin. Elle se repose, loin des mots cruels. Je te ferai partir si tu en as, d’accord ? »

Selys leva une main et sa queue trembla légèrement.

« Non, pas moi. Je voulais juste savoir comment Erin allait. J’ai, heu, entendu ce qu’il s’était passé. »

« Tout le monde en ville sait ce qu’il s’est passé. »

Krshia hocha la tête. Elle termina de ranger un bac d’oignon.

« L’heure est sombre. Certains portent le deuil, mais beaucoup sont en colère. La mort de Klbkch, c’est un mauvais signe pour la ville. Il était fort. Sans lui, il y aura des problèmes. Mais c’est à tort qu’ils font porter la faute à l’Humaine. C’est ainsi que moi et les autres Gnolls pensent. »

« Vraiment. Vraiment ? C’est surprenant. Je, heu, pensais que vous Gnolls en penserai autrement. »

Krshia haussa les épaules. Elle écrasa un oignon pourri et le jeta dans une poubelle derrière elle avec plus de force que nécessaire.

« Le sang et la mort. Ce n’est pas la faute d’Erin Solstice si Klbkch a fait le choix de se battre et de mourir. Ce n’est pas sa faute si les Gobelins ont attaqué, n’est-ce pas ? Nous ne blâmons pas ceux qui ne sont pas coupables. »

« C’est bien. »

Selys regarda Erin. Elle ne bougeait pas. Des larmes coulaient sur ses joues.

« Ecoute, Erin, je voulais te parler. Je sais que ce n’est pas le bon moment, mais je pense que tu ne devrais pas retourner dans ton auberge. Tu devrais rester là, au moins pour cette nuit. »

Erin ne bougea pas. Selys jeta un coup d’œil à Krshia. La Gnoll haussa les épaules de manière impassible. Selys essaya de nouveau.

« Je sais que tu te sens en sécurité dans l’auberge, mais après ce qui vient de se passer ça va être différent. Ce ne sont pas que les Gobelins. Si la Garde ne patrouillent pas les plaines, d’autres monstres commenceront à apparaitre. Sans protection, ou niveau élevé, tu ne vas pas survivre. »

De nouveau, le silence fut sa seule réponse. Mais Erin essuya ses yeux sur sa manche avant d’enterrer sa tête dans ses bras une nouvelle fois.

« Ecoutes… Je peux te trouver un boulot à la Guilde des Aventuriers en tant que réceptionniste. Certains ne vont surement pas apprécier, mais tu seras en sécurité et tu gagneras assez pour manger et vivre en ville.

Cette fois Erin bougea. Elle secoua légèrement la tête.

« Non. »

Selys ouvrit sa bouche, mais Krshia plaça une grande patte velue sur son épaule et secoua la tête. Elle s’agenouilla à côté d’Erin.

« Erin. Je regrette la perte de Klbkch. Il était une étrange créature, mais il était juste, n’est-ce pas ? Beaucoup dans la ville pleurent sa perte. Mais il ne voudrait pas que tu meurs. Et la mort t’attend si la Garde n’est pas là pour repousser les monstres. Tu dois le savoir. »

« Et ce n’est pas comme si tu vas devoir rester là pour toujours. Nous pouvons te chercher un endroit dans une cité humaine si tu veux vraiment partir. C’est juste un mauvais moment. Je sais que ce n’est pas ta faute mais les autres… »

« Je ne pars pas. »

« Ecoute, Erin, je sais comment tu te sens mais… »

« Je ne pars pas. »

Erin se leva. Ses yeux étaient rouges et gonflés à cause des larmes. Son nez était en train de couler alors qu’elle essuya son visage contre sa manche. Elle regarda Selys.

« Je retourne là-bas. »

« Ce n’est pas une bonne idée. Ces Gobelins sont peut-être toujours là-bas. »

« Ils sont tous morts. »

« Mais… Il y a des monstres. Reste ici. J’ai un appartement. Tu peux rester dormir ici, d’accord ? »

« Non. »

« Erin, s’il te plait. »

Selys voulait ajouter quelque chose, mais elle regarda par-dessus l’épaule et s’arrêta.

« Oh mon… »

Erin se retourna. La rue était devenue silencieuse. Tous les commerçants et les clients du marché étaient en train de regarder dans la même direction. Ils reculèrent lentement alors que la procession d’insectes noirs marcha lentement à travers le marché.

Ils n’étaient pas de soldats. Ils étaient de simples Ouvriers, mais ils étaient presque une centaine, marchant lentement en direction d’Erin. Le groupe s’arrêta a quelques pas d’elle alors que Selys recula derrière le comptoir pour rejoindre Krshia qui éternua.

Erin regarda les environs. Des Ouvriers aux corps noirs emplissaient la rue. Ils se tenaient devant elle. Soudainement, ils baissèrent tous la tête et l’Ouvrier devant elle lui adressa la parole.

« Ceux-là offrent des condoléances à l’Aubergiste Solstice. »

Selys murmura à Krshia et Erin d’une voix paniquée.

« Qu’est-ce qu’ils font. Ils ne devraient pas être là ! Que quelqu’un aille chercher la Garde ! »

Krshia donna un coup de coude à Selys.

« Silence. Ecoute. »

« Ceux-ci souhaitent à l’Aubergiste Solstice de se remettre des blessures qu’elle a reçus. Ceux-ci expriment leurs regrets face à sa souffrance. »

Erin le regarda stupidement.

« Pourquoi ? »

L’Ouvrier menant le groupe semblait confus.

« Cela fait partie de la tradition. Ceux-ci apprennent à exprimer du regret/tristesse/perdition face à la mort. »

« Mais je ne suis pas morte. Qu’en est-il de Klbkch ? Qu’en est-il de votre… Ami, l’autre Ouvrier ? Il est mort pour me protéger. »

L’Ouvrier pausa, avant de secouer la tête.

« Le Prognugator a fait son devoir. L’Ouvrier est mort en faisant son devoir. Il n’y a pas de deuil pour les carapaces brisées et les individus morts.  Ceux-ci expriment simplement leurs regrets face à l’échec de l’individu Klbkch à protéger. »

Erin le regarda.

« Donc vous dites que vous êtes désolé que j’ai été blessé ? »

« Ceux-ci expriment leurs regrets pour l’échec du Prognugator dans la protection de l’Aubergiste Solstice. »

« Ce n’était pas un échec. Ne… Ne dis pas ça. »

L’Ouvrier baissa de nouveau la tête.

« Celui-ci offrent ses excuses pour son erreur. »

« Est-ce que tu ne peux pas te sentir désolé ? Pour Klbkch ? Et pour ton ami ? »

« Celui-ci s’excuse. Mais celui-ci ne peux pas. Ceux-ci offrent leurs regrets à l’Aubergiste Solstice. »

Erin attendit. Mais l’Ouvrier garda sa tête baissée.

« C’est tout ? »

« Oui. Ceux-ci se disperseront vers le poste qui leur aient désignés. Pardonnez ceux-ci pour avoir déranger l’Aubergiste Solstice et les autres. »

D’un seul homme, les Ouvriers se tournèrent. Erin hésita.

« Attendez. »

Ils s’arrêtèrent, et se retournèrent. Elle fit une pause, et ferma les yeux. Elle prit une profonde inspiration, avant de regarder l’Ouvrier.

« … Viens dans mon auberge. Je vais te donner à manger, et tu peux jouer aux échecs avec moi. »

« Quoi ?Erin ! »

Selys tenta de l’attraper, mais Erin était déjà en train de bouger. Elle tendit la main et toucha l’Ouvrier sur l’épaule. Ce dernier se figea intensément.

« Tu dis que tu es désolé ? Je suis désolé. C’est de ma faute si Klbkch et l’autre Ouvrier sont morts. Et c’est une mauvaise chose. Même si tu ne peux pas le comprendre, je veux faire quelque chose. Laisse-moi t’aider. D’une manière ou d’une autre. »

L’Ouvrier hésita.

« Ceux-ci n’ont pas l’autorisation de quitter la ville sans permission. »

« Pourquoi pas ? »

« Ceux-ci ne sont pas conçus pour des actions indépendantes. Ceux-ci ne peuvent pas rester sans compagnie. »

« Alors je vais t’accompagner. Juste… Viens avec moi. S’il te plait ? Vous n’avez pas tous besoin venir. Pourquoi pas juste toi ? Quel est ton nom ? »

L’Ouvrier se figea. Tous les Ouvriers se figèrent. Erin les regarda avec curiosité. Selys prit une respiration paniquée et courut vers elle.

« Erin ! »

Selys attrapa l’épaule de l’humaine avec urgence. Elle murmura bruyamment dans l’oreille d’Erin.

« Tu ne demandes jamais leurs noms ! Ils n’en ont pas ! »

« Pourquoi pas ? »

L’Ouvrer trembla et regarda Erin. Selys leva une main alors que sa queue bougeait de manière paniquée.

« Ils n’en ont simplement pas ! »

« Celui-ci n’a pas de nom. Celui-ci n’est pas important. Celui-ci n’est pas un individu. »

« Tu peux l’être. »

«Erin ! »

Cette fois, Selys tenta d’attraper Erin et de la tirer. Erin repoussa ses mains.

« Pourquoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Elle tapa son doigt contre le torse de l’Ouvrier.

« Tu es un individu. Tu es toi. Et l’Ouvrier qui est mort ? Il était quelqu’un. Klbkch était quelqu’un. Vous êtes tous important, et cela veut dire que quand l’un d’entre vous meurt, c’est quelque chose de terrible. »

L’Ouvrier secoua la tête alors que les autres Ouvriers s’éloignèrent de lui.

« Celui-ci n’est pas un individu. Celui-ci est incapable d’en être un. »

« Tu l’es. Tu ne comprends pas ? Vous êtes tous spécial. »

L’Ouvrier se figea, et il regarda Erin. Quelque chose changea dans ses yeux.

« Celui-ci… Je comprends. Celui-ci est devenu Je. »

Selys resta sans voix, l’horreur clairement affiché sur son visage. L’Ouvrier baissa les yeux vers ses mains avant de lever la tête.

« Je comprends le chagrin. Je comprends le regret pour la mort de l’individu Klbkch et l’Ouvrier. »

« C’est bien. »

Erin ne sembla pas remarquer les autres Ouvriers qui s’éloignaient. L’Ouvrier à qui elle s’adressait trembla. Ses mains se fermaient et s’ouvraient de manière mécanique et répétée. Selys et les autres Drakéides reculèrent instantanément. Krshia tendit lentement la main vers derrière le comptoir.

« Je. Je suis. Je suis devenu Je. Je ne comprends pas. »

Il regarda autour de lui, vers le ciel, vers Erin. Il trembla comme une feuille.

« Si celui-ci… N’est pas… Combien sont des Je ? Un individu ne peut pas exister… Les nombreux sont… Comment suis-je ? »

Il trembla. Erin posa la main sur lui.

« Je ne sais pas. J’essaye ne de pas y penser. Viens. Allons jouer une partie d’échec. »

Il la regarda. Selys était en train de trembler, et l’atmosphère dans le marché était tendue. Mais l’Ouvrier hocha la tête.

Erin se retourna.

« Je m’en vais. »

Elle commença à sortir du marché. L’Ouvrier la suivit, et le reste des Antiniums suivirent en formant une procession silencieuse. Selys regarda le dos d’Erin, les yeux écarquillés, avant de se tourner vers Krshia.

« Elle est folle. Ils vont la tuer. Ça va la tuer. »

Krshia hocha la tête.

« Oui. Il faut les suivre, n’est-ce pas ? »

« Quoi ? »

Selys laissa échapper un cri, mais Krshia avait déjà quitté son comptoir. Elle aboya quelque chose en direction d’un autre Gnoll et marcha dans la direction que les Antiniums avaient pris. Selys regarda les autres Drakéides aux yeux écarquillés et courut à la suite de Krshia.

***

L’Ouvrier marcha à la suite d’Erin, et ses comparses Ouvriers suivirent les deux en formant une masse silencieuse. Elle laissa les portes de la ville derrière elle, ignorant le Drakéide qui lui cria dessus. Elle marcha le plus vite possible, essayant de ne pas penser, de ne pas ressentir.

Derrière elle, l’Ouvrier trembla et tressaillit en marchant. Erin l’ignora, mais elle l’entendit murmurer alors qu’il marchait.

« Je. Je suis. Mais cela est mal. Tout est mauvais. Quand beaucoup deviennent un, c’est une Aberration. Je suis une Aberration. »

« Pourquoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Je ne peux pas être un individu. Je ne peux pas avoir de noms. Je ne peux pas choisir mes propres actions. C’est mal. »

« Klbkch le faisait. »

L’Ouvrier secoua la tête. Il ouvrit et ferma ses quatre mains de manière erratique.

« Il est un Prognugator. Je suis… J’étais un Ouvrier. Cela ne devrait pas être. »

Erin tourna la tête.

« Tu vas bien. Tu devrais être. C’est normal d’être une personne, et non pas une chose. »

« Je ne peux pas comprendre. Je suis une Aberration. Tout est une Aberration. Cette expérience… je ne peux pas l’accepter. »

« … Je suis désolé. Mais je voulais que tu ressentes quelque chose. »

« Je ressens. Je ressens tout ce qu’il y a à ressentir. »

« C’est bien. »

Erin continua de marcher. Mais l’Ouvrier s’arrêta. Il recommença à tressaillir, et son regard se figea sur la nuque d’Erin. Lentement, l’Ouvrier accéléra le pas jusqu’à être directement derrière Erin. Elle ne le remarqua pas, perdue dans ses pensées.

Dans le silence, l’Ouvrier tendit une main vers Erin en continuant de marcher derrière elle. Les autres Ouvriers regardèrent en suivant. Ils ne dirent pas un mot.

« Je ne sais pas ce que cela signifie d’être moi. »

Erin s’exprima en continuant de marcher. Elle ne savait pas comment l’expliquer à l’Ouvrier. Elle devait dire… Quelque chose. Lui dire comment cela était.

« Je ne sais même pas ce que c’est d’être humain. Tout ce que je sais c’est qu’il y a un grand vide dans mon cœur. Parce que Klbkch et l’Ouvrier sont morts. Je ne sais pas qui je suis ou ce que je suis en train de faire. Je suis juste… Triste. »

L’Ouvrier s’arrêta. Ses mains hésitèrent à la nuque d’Erin.

« Pourquoi ? »

Erin sourit. Des larmes coulèrent sur ses joues alors qu’elle marcha à travers l’herbe.

« Je suis, tout simplement. C’est comme ça que ça marche. Tu ne choisis pas d’être quelqu’un. Tu es, tout simplement. Même si tu n’es pas spécial. Même si tu ne veux pas être. Tu es, tout simplement. »

Il s’arrêta. Lentement, l’Ouvrier abaissa ses mains.

« Je ne comprends pas. Mais… Je suis. Et je suis triste moi aussi. »

« Bien. C’est… C’est bien. »

Erin renifla et essuya ses yeux et son nom. L’Ouvrier accéléra lentement jusqu’à être à ses côtés.

« Aubergiste… Erin Solstice. Je suis désolé pour la mort de Klbkch et de l’Ouvrier. Je regrette leurs morts et ta souffrance. »

« Merci. »

Ils marchèrent en silence. Éventuellement, l’Ouvrier parla de nouveau.

« Je ne suis pas un Ouvrier. Je suis un individu. J’aimerais avoir un nom. »

Elle le regarda.

« Je ne peux pas t’aider. Je ne suis pas… Je ne peux pas te donner un nom. Tu ne peux pas demander à ta Reine ? »

Il secoua la tête.

« Je… Ne le souhaite pas. Je dois avoir un nom. Ou est-ce que je pourrais en trouver un ? »

« Je ne sais pas. Tu ne peux en choisir un toi-même ? »

L’Ouvrier s’arrêta. Il tourna la tête vers Erin et hésita avant de hocher la tête.

« C’est ce que je vais faire. »

Elle attendit. Après une minute de marche, l’Ouvrier parla de nouveau.

« J’aimerais être connu comme ‘Pion’. C’est un nom adéquat pour cet individu. »

Erin hocha la tête avant de lui offrir un léger sourire.

« Salut, Pion. »

« Bonjour. Erin Solstice. »

« … Est-ce que tes amis seront comme toi ? »

Pion regarda par-dessus son épaule. Les autres Ouvriers regardèrent ailleurs. Il baissa la tête.

« Ils ont peur. Ils ne seront pas comme moi. »

« Il n’y a pas de problème. »

« Mais je leur ai expliqué ce que signifiait le regret lié à la perte d’un individu. Ils comprennent. »

« Vraiment ? C’est bien. »

Pion hocha la tête.

« Ils… Nous. Nous sommes tous tristes. »

« Je suis contente. »

Ils arrivèrent à l’auberge sur la colline, et au corps. Erin regarda le sang et s’effondra. Elle avait oublié qu’ils étaient encore là.

Pion l’attrapa avant qu’elle ne touche le sol. Il l’aida à se relever, et Erin s’assit alors que les autres Ouvriers encerclèrent l’endroit. Ils s’arrêtèrent en regardant les dégâts faits à l’auberge et les corps, et semblèrent prendre une décision. D’un même mouvement, les Ouvriers commencèrent à transporter les corps alors que d’autres creusèrent à plusieurs dizaines de mètres de l’auberge. D’autres entrèrent dans l’auberge et commencèrent à sortir le bois brisé.

Erin resta assis dans l’herbe et détourna le regard. Elle leva les yeux pour voir un Ouvrier s’empara d’un corps et le jeter à l’un de ses camarades. Puis elle vomit.

Éventuellement, Erin sentit quelqu’un taper sur son épaule. Elle leva les yeux, et vit que c’était Krshia.

« Erin Solstice. Je te cherchai, n’est-ce pas ?  Les Ouvriers, ils ont terminé leur nettoyage. »

Elle regarda, et c’était la vérité. L’endroit autour de l’auberge était propre. Même l’herbe avait été nettoyée avec de l’eau, et les Ouvriers se tenaient silencieusement autour de l’auberge. Ils la regardaient.

« Merci. »

Elle s’adressa à Pion, puis aux autres Ouvrier. Ils hochèrent la tête d’un même mouvement.

« Nous assistons pour maintenir l’ordre et préserver la paix. »

« Merci. »

Krshia regarda le panneau au-dessus de l’Auberge Errante. Elle regarda autour d’elle, et suivi Erin alors que l’humaine ouvrit la porte.

« Donc, c’est ton auberge, n’est-ce pas ? C’est mieux que je pensais. Digne d’être défendue. »

Erin hocha la tête. Elle regarda autour d’elle dans la pièce vide. Les Ouvriers l’avait nettoyé à la perfection ou presque. Toutes les chaises et tables cassées avaient disparues. Mais il y avait une chose à laquelle ils n’avaient pas touché.

Une pièce d’échec brisée gisait au sol. Erin marcha lentement vers elle. Cette dernière la regarda, un Drakéide prêt à frapper, une lance en main.

Elle baissa les yeux vers le cavalier brisé sur le sol, et ramassa la pièce en prenant sa base. Doucement, Erin la mit dans sa poche et regarda autour d’elle. Des Ouvriers silencieux remplissaient la pièce. D’autres regardaient à travers les fenêtres.

Ses yeux la piquaient, mais elle n’avait plus de larmes à pleurer. Erin nettoya ses yeux avant de se tourner vers l’échiquier.

Lentement, Erin s’empara de l’échiquier et le posa dans l’herbe à l’extérieur de l’auberge. Les Antiniums formèrent un grand cercle autour d’elle, et Pion se tenait au milieu de ce dernier à côté d’Erin. Elle s’assit, et plaça l’échiquier en face d’elle. Elle fit un mouvement, et Pion hésita, avant de s’asseoir en face d’elle.

Erin le regarda. Il était légèrement plus petit que Klbkch, plus maigre, et ses traits étaient mais accentués que ceux de Klbkch. En fait, il ne ressemblait pas du tout à Klbkch, et pourtant son cœur se serra en le voyant.

Lentement, Erin posa le cavalier cassé de son côté de l’échiquier. Pion réarrangea les pièces de son côté. Elle le regarda. Elle leva les yeux au ciel. Il était trop bleu, trop parfait pour une telle journée. Il ne faisait pas encore nuit.

Il devrait pleuvoir du sang. Le monde devrait être recouvert de ténèbres, et la terre aurait dû s’ouvrir pour l’avaler. Elle aurait dû être paralysée par la tristesse, mais Erin se sentait simplement vide. Elle ne comprenait rien. Ce n’était pas juste. Ce n’était pas bien.

Et elle ne pouvait rien y faire. Alors Erin bougea une pièce sur l’échiquier. Le cavalier brisé bougea en C3. Elle regarda Pion. Il la regarda en retour, et le reste des Ouvriers regardèrent avec lui l’humaine qui pleurait pour un Antinium.

Erin baissa la tête.

« Jouons aux échecs. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 07 mars 2020 à 15:27:09
1.27

Erin était assise sur le sommet de la colline herbeuse et jouait aux échecs. Cela rendait la vie plus facile. Lorsqu’elle jouait, elle pouvait oublier sa vie. Elle pouvait oublier la douleur.

Elle bougea ses pièces sur l’échiquier, s’arrêtant, considérant, bougeant, se retraitant, prenant des pièces. C’était une danse de stratégie et de perception dont elle avait appris les pas il y a bien longtemps. Mais les échecs étaient toujours différents. C’est pourquoi elle pouvait se perdre dedans.

Et pourtant, Erin faisait plus que de simples calculs. Un joueur d’échec jouait contre son adversaire, et à moins que ce dernier soit un ordinateur, ils lisaient l’autre joueur et dansait avec eux. Les jeux psychologiques faisaient partie des échecs, tout comme la plus basique des stratégies et la connaissance des coups fondamentaux. Mais Erin n’avait jamais joué face à un adversaire avec un esprit comme celui qui était assis en face d’elle.

Elle leva les yeux en direction des pièces de Pion. Il était en train de regarder l’échiquier, considérant son prochain coup. Quelque chose n’allait pas avec lui et ce n’était pas le fait qu’il avait un nom. Erin ne comprenait pas l’Antinium, mais elle comprenait les joueurs d’échecs. Et quelque chose s’était sérieusement mal passé pour lui.

Il était trop bon.

« Je ne comprends toujours pas. D’où viennent les niveaux ? Pourquoi tout le monde en a ? Pourquoi tout le monde montent de niveau quand ils dorment ? »

« Je ne sais pas, Erin Solstice. Ce sont les mystères de ce monde. Ils sont ce qu’ils sont, n’est-ce pas ? »

Krshia changea de position, assise dans l’herbe. Elle était assise avec Selys à l’intérieur du cercle d’Ouvriers Antiniums qui regardaient la partie, mais elle se trouvait à une respectable distance d’eux.  Elle était calme, du moins dans son observation de la partie entre Erin et Pion, mais Selys continuait de jeter des coups d’œil nerveux en direction des Ouvriers.

« D’accord. Mais si c’est le cas, pourquoi n’avons-nous pas des niveaux pour tout ce qui nous arrive ? Comme… marcher. Est-ce qu’il existe une classe de [Marcheur] ?

Krshia secoua sa tête.

« Marcher est quelque chose que nous faisons, et non pas quelque chose pour laquelle nous vivons, n’est-ce pas ? Seules les choses qui font nos objectifs et nos rêves forment des classes. »

« Mais est-ce que cela veut dire qu’il est possible d’obtenir une classe pour manger ? »

« Tu parles de la classe de [Gourmet] ? J’ai entendu dire que quelques riches marchands et nobles ont cette classe. »

« D’accord, je crois que je comprends. Mais les gens peuvent avoir plusieurs classes, pas vrai ? »

Selys hocha la tête. Elle était l’experte à ce sujet, apparemment. C’était probablement dût au fait qu’elle était réceptionniste. Erin fronça les sourcils, regarda un cavalier qui avait failli tomber dans un piège que Pion avait tendu. Comment avait-il fait pour devenir si bon ?

« En théorie, tu peux avoir autant de classe que tu veux. Mais dans la pratique, même la plupart des Aventuriers n’ont que trois ou quatre classes maximum. Ce n’est pas parce que tu es qualifié pour obtenir une classe que tu vas la débloquer. Elle doit devenir une partie inhérente de ta vie. »

« Oh, je vois. »

Selys s’arrêta. Sa queue était enroulée alors qu’elle était assise avec ses griffes poliment posées sur son giron. Erin avait remarqué que les Drakéides s’exprimaient avec leurs queues alors que leurs visages n’exprimaient rien du tout. Krshia, d’un autre côté, avait une parfaite poker face, et sa queue n’était pas si expressive.

« Heu, est…. Est-ce que personne ne t’a appris ça en grandissant, Erin ? Je veux dire, tout le monde sait ça. C’est la base. »

« Même les Antiniums ? Même les Ouvriers ? »

Pion leva les yeux de l’échiquier.

« Oui, Erin Solstice. Nous apprenons ce genre d’information peu de temps après notre éclosion. Tous les Ouvriers savent comment gagner un niveau, mais peu d’entre nous en gagnons. »

« Pourquoi ? J’ai gagné dix… Ouaip, dix niveaux ce mois-ci. »

Krshia et Selys s’échangèrent un regard. Même les Ouvriers firent bouger leurs antennes l’un vers l’autre.

« Sérieusement ? »

Erin leva les yeux et vit que Selys la regardait bouche bée.

« Quoi ? Je suis que Niveau 10. Ce n’est pas beaucoup, pas vrai ? »

« C’est vrai… Mais… Je veux dire, c’est vrai mais personne ne gagne des niveaux si rapidement ! Erin, normalement quelqu’un à besoin d’être l’apprenti d’une personne ayant la classe durant des années avant d’atteindre le Niveau 10. La plupart des jeunes… Enfin, la plupart des personnes de notre âge sont à peine au-dessus du Niveau 12 dans le métier qu’ils ont choisi. »

« Vraiment ? Ça semble si… Bas. »

De nouveau, Erin avait l’impression qu’elle était la seule personne du groupe qui pensait de cette manière.

« Enfin, le Niveau 100 est le plus haut, pas vrai ? Est-ce que ça ne veut pas dire que la majorité des gens atteignent… Je sais pas, le Niveau 60 ou plus avant de mourir ? »

Selys rit… Plus d’incrédulité que de politesse.

« Tu plaisantes, pas vrai ? »

Erin haussa les épaules. Elle bouge un autre pion avant de prendre un fou. Puis elle réalisa que c’était un autre piège. Elle allait perdre son autre cavalier.

« Est-ce que j’ai tort ? »

Krshia hocha la tête.

« J’ai connu de nombreuses vieilles personnes. Ils avaient tous des niveaux autour de la vingtaine, parfois la trentaine, n’est-ce pas ? Pas l’un d’entre eux n’avait atteint le Niveau 40. Peu d’entre eux avait atteint leur trentième niveau. Si je devais nommer ceux qui se trouvent au-dessus du Niveau 50, il n’y en aurait qu’une petite poignée par continent, n’est-ce pas ? »

« Donc quelqu’un qui se trouve au-dessus du Niveau 70, par exemple… ? »

Selys regarda Krshia. La Gnoll haussa les épaules.

« Je ne pense pas en connaitre un de vivant, quel qu’en soit la classe. J’ai entendu des légendes parlant de guerriers ayant atteints ce niveau, mais ce sont d’anciennes histoires. Le genre d’histoire où le héros affronte des armées seul ou abat des Hydres et des Krakens d’une main. Les gens ne gagnent pas autant de niveau. »

Erin hocha la tête.

« D’accord. Je crois que je comprends. Donc les gens gagnent des niveaux, mais pas tant que ça. Et tu peux avoir plus d’une classe, mais tu dois commencer au Niveau 1 avec cette nouvelle classe. »

Selys hocha la tête. Son hochement de tête était différent de celui d’Erin, son cou était plus long, donc elle mettait plus de temps à accomplir le mouvement.

« En effet. Si tu étais un [Maître Lancier] comme Relc et que, par exemple, tu commençais à te battre à l’épée, tu obtiendrais probablement la classe de [Guerrier] jusqu’à ce que tu sois assez haut niveau et avec suffisamment de compétence pour devenir un [Épéiste Meurtrier], un [Duéliste] ou quelque chose du genre. »

« Donc les classes changent de nom ? »

« Tu es sûre que personne ne t’en a déjà parlé ? »

« Klbkch m’en a expliqué une partie. »

« Oh. Hum. Oh je… Enfin, oui, les classes changent. C’est généralement le nom qui permet de représenter ta spécialisation ou… Ou si tu as un niveau plus élevé. Par exemple, des [Tacticiens] peuvent devenir des [Leaders] ou des [Généraux] ou garder la même classe selon leurs compétences. »

« Et… Je pense que je me souviens de ça. Les compétences définissent leurs classes, pas vrai ? Mais est-ce que cela veut dire que tout le monde a les mêmes compétences en montant de niveau ? »

« Non, elles sont différentes. »

Krshia regarda Erin. Ses yeux étaient plissés alors que son front était froncé dans une expression troublée. Erin n’y prêta pas attention. Elle pouvait voir que ce que les gens devinaient quand elle jouait aux échecs, et elle en apprenaient plus que ce qu’elle laissait savoir. Mais maintenant ? Cela n’avait pas d’importance.

« Tout le monde obtient des compétences différentes en montant de niveau. Souvent, ce sont les mêmes, mais certaines personnes les obtiennent à différents moment, ou obtiennent différentes variations… Tout est une question de besoin. Le besoin et la volonté déterminent les compétences que nous obtenons. »

« Et ce que nous faisons ? C’est ce qui détermine nos classes, qui déterminent ensuite comment nos gains de niveaux nous affectent et si notre classe change ou non. »

Selys semblait soulagé qu’Erin comprenne enfin.

« Exactement »

Erin regarda Pion. Lui et les autres Ouvriers étaient profondément concentrés sur l’échiquier.

« Est-ce que les Ouvriers ont beaucoup de niveaux ? Vous travaillez tout le temps, donc vous devez en avoir beaucoup ? »

Il s’arrêta et Erin remarqua quelque chose d’étrange. Tous les Ouvriers étaient concentrés sur l’échiquier, mais dès que Pion bougeait une pièce ils étaient soudainement tous en train de la regarder, ou de regarder ailleurs. Mais dès qu’elle bougeait une pièce, ils se reconcentraient de nouveau sur l’échiquier en ignorant tout ce qu’il y avait autour d’eux.

« Nous avons très peu de niveaux, Erin. Je suis moi-même un [Boucher] de Niveau 2 et un [Charpentier] de Niveau 1. »

« Quoi ? C’est… C’est parce que tu es jeune ou un truc du genre ? »

« J’ai vécu plus de la moitié de l’espérance de vie moyenne d’un Ouvrier. Les Ouvriers ne montent pas souvent de niveau. Certains ne gagnent pas de niveau du tout. »

Erin se retourna dans son siège d’herbe pour regarder Selys et Krshia. La Drakéide fit tressaillir sa langue de surprise. 

« Je… Ne savais pas ça. »

« De même. Mais ce n’est pas inattendu, n’est-ce pas ? Gagner des niveaux vient de l’apprentissage et des épreuves. Sans cela il n’y a pas de gain d’expérience. Si l’un fait la même chose sans changer, il ne gagnera pas de niveau. »

« Et c’est pourquoi tu gagnes tes niveaux si rapidement, Erin. Ouvrir une auberge toute seule… Cela doit être bien plus difficile que de travailler dans une auberge ou d’en racheter une. »

« Oh, d’accord. »

Cela avait été la chose la plus difficile qu’Erin avait faite de sa vie. Elle baissa les yeux vers son estomac et ses jambes en tailleur. Elles devraient être pleines de trous, ou recouvert d’innombrables cicatrices causées par des couteaux. Ouais, c’était différent qu’être une aubergiste en ville.

« Donc les Antiniums ne montent pas beaucoup de niveau ? Je suppose que Klbkch était une exception. »

« Une très grande exception. »

« Mais est-ce que cela veut dire qu’ils sont faibles ? Si la plupart des Drakéide de mon âge sont autour du Niveau 10 ou plus, pourquoi ne sont-ils pas bien plus forts que les Antiniums ? »

« Erin, as-tu vu les gigantesques Antiniums soldats qui patrouillent les tunnels ? J’en ai entraperçu un marchant dans les rues ce matin. »

Selys frissonna, sa queue tressaillit plusieurs fois.

« Ils n’ont pas besoin de niveaux, Erin. Ils sont déjà assez meurtriers comme ça. Si tu leur donne des niveaux élevés et la vitesse à laquelle ils peuvent être créés, les Antiniums pourraient avoir une armée incapable d’être stoppée. »

« Ouais, c’est vrai. Je suppose que les niveaux ne peuvent pas remplacer le nombre ou les muscles, pas vrai ? »

« En fait, c’est possible, mais c’est seulement s’il y a une grande différence de niveau. Relc, par exemple… Il est fort. Il pourrait probablement affronter beaucoup de ses soldats. Il ne va pas le faire, bien sûr ! Mais il est Niveau 32, je crois. C’est une incroyable différence par rapport à un [Guerrier] de Niveau 13. Est-ce que ça fait sens, Erin ? »

Erin bougea une autre pièce et vit comment la partie allait se terminer.

« Je crois que je comprends. Merci de m’avoir expliqué. »

« Je ne comprends pas pourquoi tu ne savais pas to… »

Selys fut coupée lorsque Krshia lui donna un coup de coude dans les côtes. Elle siffla au lieu de gémir et redressa son dos. Krshia se mêla à la conversation.

« Il est curieux que tu ne connaisses pas les niveaux, mais peut-être que ton peuple n’y croient pas de la même manière, n’est-ce pas ? »

« Ouais. Quelque chose du genre. Est-ce que gagner des niveaux est si important que ça dans la vie des gens ? »

« Certains appelleraient ça une religion. Certains, oui, certains vénèrent les niveaux. Personne ne vénère les dieux, Erin. Ils sont morts. Dans certains endroits gagner un niveau est prêché et ceux qui ont le plus haut niveau sont vénérés. J’ai entendu dire que chacun d’entre nous reçoit un niveau maximal, et qu’atteindre ce niveau signifie que nous avons atteint la fin de notre vie. »

Le silence tomba sur l’audience assise dans l’herbe. Erin se tourna et regarda Krshia.

« Sérieusement ? Certaines personnes croient en ça ? »

Le regard de Krshia ne broncha pas.

« Oui. »

« C’est stupide. »

Selys prit une inspiration surprise, mais Krshia hocha les épaules.

« Certains croient en cela, Erin. Et qui peut dire que cela n’est pas vrai ? »

« … Je suppose. »

Erin se retourna pour se reconcentrer sur le jeu et vit que Pion avait joué son tour. Elle fit tomber sur roi du bout du doigt.

« Je concède. Bon match. »

Pion inclina sa tête, et Erin retourna le geste.

« C’est une bonne partie, Erin. »

« C’était une très bonne partie ! »

Selys se releva et regarda les deux joueurs.

« Je ne m’y connais pas beaucoup, mais j’ai vu Olesm jouer. Tu es bien plus forte que lui, Erin. Et toi aussi… Hum… Pion. »

Il s’inclina et elle sursauta.

« Je ne fais qu’apprendre en regardant Erin Solstice. Elle est une experte. »

« Et c’est autre chose. Comment fais-tu pour être aussi douée, Erin ? Olesm dit que tu es la meilleure joueuse qu’il n’a jamais vue. Est-ce que tu es une [Tacticienne] de haut-niveau ? »

« Non. »

« Alors une autre classe, peut-être ? Ou est-ce que c’est une compétence rare ? »

« Non, c’est juste mes compétence. Pas ceux que tu obtiens en gagnant des niveaux. C’est mon talent pour le jeu. Je n’ai pas de niveau en dehors de ma classe d’[Aubergiste]. »

« Mais alors comment fais-tu pour être aussi douée ? »

Erin prit quelques instants avant de répondre. Elle réinstalla les pièces sur l’échiquier et le fit tourner. Silencieusement, Pion avança une pièce et elle contra. Une nouvelle partie commença, mais elle avait le même sentiment.

« J’y joue simplement depuis que je suis gamine, c’est tout. Tous les jours. Au début c’était juste un hobby, tu sais ? Quelque chose que je voyais les adultes faire, puis j’ai découvert que j’aimais bien ça. Quand j’ai gagné mon premier tournoi, j’étais au septième ciel. Et après ça j’ai continué de jouer. »

Selys regarda Krshia.

« Mais les échecs ont été inventés il y a qu’un… »

De nouveau, elle reçut un coup de coude dans les côtes et lança un regard noir à Krshia, puis elle regarda Erin avec un intérêt soudain. 

« Je suppose que c’est nouveau par ici. Mais les échecs existent depuis un bon bout de temps de là où je viens. »

Erin sourit brièvement.

« Depuis un sacré bout de temps. Et beaucoup de personnes aimaient y jouer de là où je viens. Il y avait des livres de stratégie, des leçons en ligne, des tuteurs… J’avais tout appris. Anecdote marrante. J’ai appris à jouer aux échecs les yeux bandés avant de savoir pédaler à vélo. »

Elle bougea une autre pièce. Après une seconde ou Pion regarda l’échiquier, il bougea sa reine et s’empara de la pièce. Elle fronça les sourcils et continua à jouer. Sa mémoire se mélangeait à la réalité.

« Je n’ai jamais été la meilleure. Mais j’étais douée. Vraiment douée. Pour mon âge ? C’était incroyable. Je jouais dans des tournois, je restais débout tard le soir pour jouer aux échecs… Mes parents me l’autorisaient. Ils savaient que j’avais un don. Donc j’étudiais les échecs dès que j’avais du temps livre, jouais contre des adultes, allait à des clubs d’échecs et aux tournois après les cours, et je continuais de gagner. Mais une fois que tu montes assez haut, tu commences à perdre. »

Comment maintenant. Exactement comme maintenant, et comme avant. Erin regarda l’échiquier et sentit qu’elle était dépassée. Elle bougea un pion et le vit mourir deux tours plus tard pour protéger sa reine.

« Ça arrive. Et ce n’est pas surprenant. Même un enfant qui est un génie ne peut pas battre un adulte qui a joué des milliers… Des dizaines de milliers de partie. Mais je me sentais écrasée après chaque défaite. Donc j’ai arrêté. »

« Tu as ar…Aie ! Arrête de me frapper ! »

Erin était en train de sourire, mais c’était passager. Toute son attention était dévouée à la partie qui se trouvait devant elle, et à sa parole.

« Quelque part… Je ne sais plus quand, j’ai perdu intérêt dans le jeu, ou peut-être que j’ai arrêté de m’amuser. Je ne sais pas comment l’expliquer. J’étais juste une gamine, mais je passais chaque instant éveillée à jouer à ce jeu stupide, allé au tournoi, étudier, gagner, perdre… Je ne vivais pas vraiment. Je ne jouais jamais avec mes amis. »

Elle bougea un pion. Les Ouvriers s’arrêtèrent, et puis Pion bougea une pièce.

« Quand j’ai réalisé ça, j’ai arrêté. J’ai simplement arrêté de jouer, j’ai jeté mon échiquier et mes pièces… J’ai fait des choses normales. Il m’a fallu des années avant que je regarde un échiquier de nouveau, et là je m’amusais en jouant. Mais je n’ai jamais voulu devenir un Grand Maître de nouveau. La pression, vivre uniquement pour un jeu… C’est trop. »

Pion prit sa reine avec, ironiquement, un pion. Cela était inévitable, mais Erin savait comment la partie allait se terminer.

« Je suppose que je suis juste une fille normale qui est plus forte que 99% du monde aux échecs. Mais ce dernier 1%. C’est un sacré gouffre. »

« Si cela est le cas, Mademoiselle Erin, je tremble en imaginant quelle sorte de génies vivent dans ton pays natal. »

A un certain point Olesm les avait rejoint, et Pisces aussi, et même trois des quatre Gobelin. Loques était assise dans l’herbe au milieu des Ouvriers, regardant la partie en silence. L’Antinium regarda les Gobelins avant de détourner le regard, mais Selys agrippa une dague à sa ceinture en fixant les Gobelins du regard et Ksrhia éternua. Mais tout le monde faisait la paix, même si cette dernière était fragile. Peut-être que cela était lié au fait qu’une pile de cadavres de Gobelins étaient enterrés dans une tombe anonyme quelques centaines de mètres plus loin.

« Je suis certain que tu ne penses pas de la même manière, mais je ne peux pas imaginer un meilleur joueur que toi, Erin. J’ai des compétences qui me permettent de jouer au jeu mieux que la majorité, mais je n’arrive pas à te battre même si j’essaye de toutes mes forces. »

Pisces hocha la tête, agréant. Erin sourit sans joie. Ils n’avaient pas vu comment les dernières parties s’étaient déroulées.

« Alors pourquoi je ne gagne pas de niveaux ? Je n’ai pas de niveau en tant que [Tacticienne], mais Pion m’a dit que les autres Ouvriers ont gagné un niveau dans cette classe. Les Gobelins ont aussi probablement gagné un niveau dans cette classe. »

Erin bougea une autre pièce et vit Pion hésita. Bien.

« Nous avons un système de rang dans mon monde. Les gens qui jouent aux échecs en tournoi ont un score qui monte et qui descend selon les victoires et les défaites. Un Grand Maître a environ 2600 points ou plus, et les joueurs vraiment incroyables ont tous plus de 2200 points. Si tu as autant de point, tu es pratiquement l’un des meilleurs joueurs de ton pays. »

Il décida de perdre un cavalier au lieu d’un fou. Erin fronça les sourcils. La partie se terminait. Comment était-il aussi doué ? C’était impossible. Elle avait l’impression de jouer contre…

Un Grand Maître. Mais c’était impossible.

« J’avais juste au-dessus de 2000 points quand j’étais enfant. C’est incroyable mais… Il y a quand même une grande différence entre ça et un Grand Maître. Si j’avais continué de jouer, je serais peut-être autour de 2400 en ce moment. Mais dans tous les cas, j’étais l’une des meilleures là où j’ai vécu. Dans ce monde… Je suis probablement la meilleure. Alors pourquoi est-ce que je ne gagne pas de niveau ? »

Olesm semblait troublée.

« … Je ne saurai dire. Cela n’a pas de sens. »

« Je peux le dire. »

Pisces hocha la tête alors que tout le monde le regarda. Il était toujours arrogant, mais son arrogance semblait muette, étouffée. Erin en était reconnaissante.

« Les classes sont basées sur ce que nous voulons atteindre. Et pourtant… Dans la même idée, ce que nous considérons sans importance ou trivial n’arrivent pas à nous faire gagner une classe que quelqu’un d’autre a obtenue. C’est un phénomène connu que j’ai étudié durant mon temps à l’Académie de Wistram. J’ai écrit une thèse sur… Enfin, cela pour dire, si tu ne considères pas les échecs comme autre chose qu’un jeu, tu ne gagneras pas de niveaux. »

Olesm et Selys regardèrent Pisces de manière incrédule.

« Un jeu ? Mais bien sûr que c’est un jeu. »

« Permettez-moi de reformuler ma déclaration. »

Pisces semblait agacé en cherchant une meilleure explication.

« Ce que je veux dire par cela est que si Maîtresse Solstice ne considère pas les applications tactiques des échecs… Comme, par exemple, que bouger des pions est similaire à organiser des guerriers… Elle ne gagnera pas de niveaux dans la classe de [Tacticien]. Pour commencer, l’expérience gagnée en jouant aux échecs est bien inférieure à celle qu’un stratégiste gagne en travaillant, donc si elle ne soucie pas du rapprochement entre le jeu de la guerre et le jeu des pièces… »

« Je ne gagne pas de niveaux. Logique. »

Erin fit tomber son roi du bout de doigt et soupira.

« Je perds. Encore. »

Elle s’allongea dans l’herbe et regarda le ciel coloré par le soleil couchant. Olesm et Pisces regardèrent bouche bée à Pion alors que ce dernier réorganisa l’échiquier avec soin.

« Comment est-ce que tu fais ? Personne ne devient aussi bon en si peu de temps. Même un génie ne peut pas jouer comme ça du premier coup. »

Pion baissa la tête devant le regard d’Erin.

« Mes excuses. Mais l’Aubergiste Solstice fait erreur. Celui-ci… Je suis désolé. Tu te méprends, Erin. En ce moment tu n’es pas en train de jouer contre moi, mais contre tous les Antiniums présents ici. »

Il gesticula autour du monticule où les innombrables Ouvriers, deux Drakéides, deux Humains, des Gobelins et une Gnoll étaient assis.

« La centaine joue d’un même esprit. Nous voyons une centaine de coups et les jouons tous dans le même tour. Nous pensons ensemble et jouons depuis un seul corps. »

Erin le regarda.

« Un esprit de ruche, une colonie. »

« Exactement. Nous pensons comme un. Telle est la nature des Antiniums. Même si… Cette nature a été compromise par l’expérience. Même si je suis un individu, cela est toujours ma vérité. »

« Et Klbkch ? Et l’Ouvrier ? »

« Nous avons ressenti leurs pertes, Erin. Nous savions leurs morts et leurs intentions au moment de leurs morts. Ils ne nous sont pas perdus. Même si leurs mémoires individuelles et leurs corps sont perdus à tous à l’exception de la Reine, les Ouvriers se souviennent. »

Erin arrêta de placer les pièces d’échecs sur l’échiquier. Elle regarda dans les yeux fragmentés de Pion, recherchant urgemment la vérité.

« De tout ? »

« De tout. »

« Et vous n’allez pas oublier ? »

Il secoua la tête.

« Nous sommes les Antiniums. Tant que l’un d’entre nous existe, nous ne mourrons jamais vraiment. »

Erin s’arrêta. Elle baissa les yeux avant d’essuyer ses larmes.

« J’aimerais que ça soit vrai. »

Selys s’agita sur l’herbe, avant de baisser la tête. Olesm racla sa gorge.

« Cela m’attriste de la dire, mais Klbkch était vraiment unique. Il était le premier, et l’unique, Antinium à être accepté en tant que membre de la Garde. Depuis que les Antiniums sont entrés dans la ville il y a huit ans de cela, il était celui qui faisait la liaison entre leur Reine et notre ville. Il est… Etait le représentant de leur espèce. »

« Je ne savais pas qu’il était si important. »

Krshia hocha la tête.

« Il était humble. C’était pourquoi beaucoup l’appréciait. Et maintenant il est parti. »

« Pas tant que les Antiniums vivent. »

Pion regarda les alentours avec quelque chose s’approchant de la défiance. Erin secoua sa tête.

« Mais il ne peut pas nous parler, Pion. Pour nous, il est parti. »

Il hésita.

« Je… Vois. J’ai le sentiment que bien est mal compris, mais je respecte ta peine. »

De manière gênée, il plaça son roi en position.

« Vas-tu jouer une autre partie, Erin ? »

« Est-ce que cela en vaut la peine ? Je ne peux pas gagner. Tu… Tu es plus fort que moi. »

Olesm et Pisces commencèrent à protester, mais ils furent couvert par le bruit de chaque Ouvrier cliquant leurs mandibules d’un même mouvement pour contredire ce qu’Erin venait de dire. Ils firent un lourd bourdonnement qui était silencieux de manière individuel, mais qui s’entremêlaient pour former le bruit d’une apocalypse d’abeille. Selys s’accrocha à la fourrure de Krshia.

« Nous apprenons beaucoup de chaque partie, Erin Solstice. S’il te plait, ne t’arrête pas de nous enseigner comment jouer. »

Erin sourit sans joie.

« Enseigner ? »

Elle n’avait pas l’impression que cela se passait comment ça. Elle avait l’impression de fuir tout ce qui s’était passé. Mais soit. Elle devait cela aux Ouvriers. Elle devait cela aux Antiniums. Donc soit.

Lentement, elle éloigna l’échiquier de Pion, repoussant ses mains.

« Arrêtes. Laisse-moi te montrer quelque chose. »

Elle fit tourner l’échiquier et bougea un pion blanc en avant.

« Ceci… Est une Partie Immortelle. »

Aussitôt, Pion arrêta de protester. Pisces et Olesm échangèrent un regard, et s’approchèrent. Loques était déjà assise à côté de l’échiquier. Erin bougea lentement le pion noir qui faisait face au pion blanc.

« Dans l’histoire des échecs, il y a beaucoup de parties célèbres que nous étudions parce qu’elles sont brillantes. Certaines personnes appellent d’autres parties des Parties Immortelles, et il y en a quelques-unes qui sont célèbres. Mais celle-là. Celle-là est la Partie Immortelle. Certains coups ne sont même plus considérés comme bons de nos jours, mais elle est quand même considérée comme l’un des pinacles de l’histoire des échecs de mon monde. »

Krshia prit une inspiration pincée, mais les mots d’Erin passèrent par-dessus l’audience alors qu’elle bougea lentement les pièces sur l’échiquier. Lentement, les deux côtés jouèrent l’un contre l’autre. Erin expliqua chaque gambit, chaque stratégie, attaques et contres en continuant le jeu.

« Le Gambit du Roi Accepté pour ouverture, puis le Gambit du Fou… Ici, il essaya le Contre Gambit de Byran avec le pion ? Et puis le côté blanc attaqua la reine avec un cavalier ici… »

Elle joua la partie qu’elle connaissait par cœur. Elle l’avait vu tellement de fois que cela était naturel pour elle. Les joueurs d’échecs regardèrent, les sourcils froncés, tentant de suivre la déroutante présentation. Mais les Ouvriers regardèrent l’échiquier, et alors qu’Erin entra dans la dernière phase de la partie, Pion parla.

« Nous pouvons voir la fin. »

Erin leva les yeux. Olesm et Pisces regardèrent Pion avec incrédulité.

« Montre-moi. »

Pion hésita, avant de tendre la main et d’avancer le pion blanc. Erin regarda l’échiquier et joua le coup suivant, mettant le roi blanc en échec avec la reine. Pion bougea le roi en diagonale, et la partie continua.

Une partie parfaite. Il joua la partie exactement comme dans la mémoire d’Erin. Dans le silence, elle fit tomber le roi noir et leva les yeux. Olesm et Pisces étaient en train de dévisager Pion comme s’il était soudainement devenu un monstre horrifiant.

« Bien. Maintenant joue contre moi. Une dernière fois. »

Silencieusement, Pion s’assit en face d’Erin et installa les pièces une nouvelle fois. Elle regarda l’échiquier. Elle était le côté blanc. Lentement, elle bougea un pion en avant.

« J’avais toujours peur de perdre quand j’étais enfant. Toujours. J’étudiais de toutes mes forces pour ne pas perdre. Peut-être c’était pourquoi je ne m’améliorais pas. Je pensais que perdre était quelque chose de terrible. »

Pion attendit, et étudia l’échiquier. Il bougea un cavalier en réponse. Erin murmura.

« Mais les échecs ? Les échecs ne font pas peur. Pas comparé à d’autres choses. »

Ce fut la dernière chose qu’Erin prononça. Elle essuya ses yeux larmoyants et mit son cœur de côté pendant un instant pour pouvoir jouer. C’était un soulagement. Cela était tellement plaisant de tout laisser de côté, et de tout laisser sortir en même temps. De souffrir et de jouer en même temps.

Elle pouvait sentir le sang pulser à l’arrière de son crâne. Le monde autour de l’échiquier disparu, et ce dernier grandit sous ses yeux. Chaque pièce consuma sa vision, et elle n’entendit que le click des pièces bougées. Ce sont était comme de la foudre dans sa tête.

Pion était assis en face d’elle, mais elle ne se concentra pas sur lui. Il ne pouvait pas être lut. Il ne pouvait pas être déstabilisé. Il y avait une centaine de lui pensant à chaque coup. Alors Erin joua. L’échiquier était son monde, les pièces faisaient partie de son âme.

Elle regarda son adversaire et vit un autre Antinium assit en face d’elle. Erin rêva en jouant. Elle était en train de jouer dans son cœur, dans les tréfonds de son être, dans les souhaits de ce qui aurait pût être.

Dans ce lieu, il n’y avait que la partie. Et Klbkch.

Erin était en train de pleurer en jouant. Ses larmes tombèrent sur l’échiquier et sur l’herbe. Elle joua et bougea des pièces avant de les perdre. Mais tout cela n’était qu’une partie d’un plus grand plan, un qu’elle ne pouvait pas voir, qu’elle ne pouvait pas comprendre. Elle pouvait comprendre les échecs. C’était facile. Mais elle ne pouvait pas comprendre le reste.

Elle prit les pions de l’ennemi. Elle prit ses tours, ses cavaliers, ses fous, et sa reine. Elle le traqua, l’attira dans des pièges et le repoussa dans ses retranchements tout en gardant ses pièces à l’abri, ou les donna pour le déchiqueter. Elle poussa, et poussa, jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien.

Dans le silence de son sombre monde, Erin vit le roi tomber. Elle cligna des yeux, et l’instant se termina.

Pion inclina la tête. Erin entendit un bourdonnement dans ses oreilles, puis un reniflement. Elle regarda autour d’elle et vit qu’Olesm était en train de pleurer. Le [Tacticien] essuya ses larmes.

« Je ne… Je ne reverrai jamais… Je ne peux pas expliquer ce que c’est. »

Pisces était en train de couvrir ses yeux, les frottant avec le bas de ses paumes. Loques était en train de regarder, les yeux rouges, comme si elle n’avait pas cligné des yeux depuis in long moment.

« C’était… Une performance dépassant tout ce que j’ai vu. C’était pur ! J’étais incapable de voir comment cela allait se terminer ! Je ne pouvais pas prédire le prochain coup ! Comment est-il possible que tu ne sois pas une [Générale] ou… Ou une [Tacticienne] du plus haut calibre ? »

Erin secoua sa tête. Elle regarda l’échiquier.

« Ce n’est qu’un jeu. Je ne suis pas une tacticienne ou une guerrière. »

Elle regarda ses mains.

« Je suis juste une Aubergiste. Je ne veux pas être quelque chose d’autre. Je ne veux même pas l’être, mais je le suis. C’est tout. »

Elle se releva. Pion la regarda. Les Ouvriers la regardèrent. Elle croisa leurs regards et inclina sa tête. Elle essuya ses yeux et laissa ses larmes tomber dans l’herbe.

« Je suis désolé. »

Puis elle s’en alla. Erin marcha lentement à l’intérieur de son auberge et s’écroula sur le sol. Elle dormit, miraculeusement, dans les ténèbres de l’oubli et sans rêves.


[Aubergiste Niveau 11 !]

[Compétence : Force Inférieure Obtenue !]


[Compétence : Moment Immortel Appris]
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 11 mars 2020 à 22:34:28
R 1.04
Traduit par EllieVia

Ow.

Bordel.

Ow. Ow. Ow. Ow. Ouch. Ow.


C’est pour cette raison qu’on a inventé les antidouleurs. Putain. Arrête de bouger.
 
Tourne la page.
 
Il fait chaud. Pourquoi les gens de ce monde à la con n’inventent-ils pas la clim, bon sang ? Et la salle commune d’une auberge n’est pas le meilleur endroit pour lire en paix. Mais c’est toujours mieux que de rester dans ma chambre pour entendre des gens bourrés se cogner dans les murs du couloir ou coucher ensemble.
 
C’est pour cette raison que je déteste les gens.
 
Okay. Concentre-toi. Ignore-les. Qu’est-ce que ça dit ?
 
“... De l’incursion des colonies Antiniumes au sud du continent découla un an de guerre sanglante connue sous le nom de la Guerre de l’Incursion, ou plus généralement de la Première Guerre Antiniume, durant laquelle des centaines de milliers de soldats Antiniums établirent d’immenses colonies à travers les plaines australes, rasant des villes et forçant les tribus Gnolles à se replier dans les plaines les plus basses.
Initialement, les cités septentrionales et les confédérations alliées furent lentes à réagir à la vague d’Antiniums balayant les plateaux et les régions montagneuses accidentées du continent, sous-estimant les dangers d’une colonie Antiniume retranchée et les véritables effectifs cachés sous terre. Ce ne fut qu’après la perte de cinq cités que…”
 
GYAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! Mon pied !
 
Pourquoi, pourquoi, pourquoi fallait-il que cette chaise stupide se trouve juste là ? La douleur !
 
Merde. Est-ce que j’ai rouvert la blessure ? Voyons voir.
 
C’est difficile pour moi de me reculer suffisamment de la table pour regarder dessous, mais j’arrive à apercevoir la lourde gaze blanche. Elle est tachée de sang, mais pas plus que la dernière fois que j’ai vérifié. Merveilleux.
 
Et j’ai toujours mal. J’ai déjà eu des os cassés, mais jamais encore je n’avais connu ce niveau de douleur. Mais vue la blessure...
 
Ouais.
 
Bordel.
 
L’une des serveuse me regarde. Je lui rends son regard d’un air appuyé et elle se détourne. Je ne suis vraiment pas d’humeur pour ce type d’attention. Et penser à la douleur me donne envie de hurler à pleins poumons. À moitié de douleur, à moitié d’une rage sans nom. Donc. Retournons au livre.
 
Okay. Ignore la douleur. Que disait-il à propos des Antiniums ? Sont-ils toujours dans le coin ? Je tourne les pages.
 
Confédération d’états… alliance précipitée… sautons tout ça. Ah.
 
“Ce n’est qu’après la découverte de la faiblesse fatale des Antiniums que la guerre connut son premier revirement de situation. Forte de ses nouvelles tactiques, l’Alliance Australe se mit à utiliser des sorts longue portée pour assaillir les colonies Antiniumes et entraver leurs forces d’attaques.
 
Plusieurs colonies furent entièrement détruites avant qu’une trêve temporaire ne soit mise en place entre les Reines Antiniumes et les dirigeants des cités-États. Cette paix, toutefois, était ténue et ne dura que huit ans avant que les Antiniums n’attaquent de nouveau, entamant la Seconde Guerre de l’Incursion…”
 
Faiblesse. Ils avaient une faiblesse ? J’avais dû rater ce passage.
 
Voyons voir. Que pouvait-ce être ? Et pourquoi n’avais-je pas croisé ce peuple fourmi dans le coin ? Bon, ce sont des parias dans la plupart des sociétés, donc j’imagine que c’est pour cette raison. Mais ont-ils des caractéristiques intéressantes ou est-ce que c’est juste des espèces d’insectes bipèdes ?
 
Oh, voilà leur faiblesse.
 
Je laisse mon doigt s’attarder sur le passage en question lorsque j’entends une voix enthousiaste crier mon nom par-dessus le brouhaha de l’auberge. Oh. Oh non. Pas encore elle.
 
____________
 
Ryoka Griffin était assise au milieu d’une auberge. Ce n’était pas une auberge extraordinaire - juste l’une des nombreuses auberges de la cité humaine de Celum.
 
Elle lisait en fronçant les sourcils. Grâce à son talent, elle était capable de faire les deux actions à la fois. Elle était également assise seule, mangeant occasionnellement le contenu froid de l’assiette posée devant elle. Un verre de jus de fruit frais, embué par la condensation, devant elle. Au moins, elle buvait régulièrement, ce qui était nécessaire dans la chaleur dégagée par la foule pressée dans l’auberge.
 
“Salut, Ryoka !”
 
Une voix joyeuse fit taire le bruit de conversations ambiant et toutes les têtes se tournèrent vers la personne qui venait d’entrer dans l’auberge. Ryoka leva les yeux de son libre et repéra la fille en train de se frayer un passage dans sa direction. Son expression ne changea pas, mais son œil tressaillit.
 
“Salut Ryoka, comment vas-tu ?”
 
“Je vais bien, Garia.”
 
Garia Strongheart se glissa sur la chaise vide en face de Ryoka et lui adressa un sourire radieux.  Sa joie de vivre n’était pas réciproque. Ryoka leva brièvement les yeux sur Garia et retourna à sa lecture.
 
Sans se laisser décourager, Garia fit un signe à une serveuse et commanda l’une des boissons locales, un breuvage fort et légèrement alcoolisé qui était à la fois frais et plein de saveurs. Dommage, de l’avis de Ryoka, que les saveurs en question soient celles de la bière.
 
“Alors, comment vas-tu ? Ta jambe va un peu mieux ?”
 
Ryoka leva les yeux et la dévisagea d’un air mécontent.
 
“Devine.”
 
Le sourire de Garia vacilla.
 
“Est-ce que… est-ce que tu es allée voir la [Guérisseuse] dont je t’ai parlé ? Elle est très douée. Elle bosse avec nous autres Coursiers tout le temps.”
 
“Pas pu aider. L’os est trop abîmé.”
 
“Oh. Je suis désolée.”
 
“¨Pas ta faute.”
 
Ryoka était douée pour clore les conversations. Garia la dévisagea, et essaya de jeter un œil furtif à sa jambe enrubannée. Elle grimaça, et dissimula sa grimace en changeant de sujet.
 
“C’est un livre ?”
 
Ryoka leva les yeux de son livre. Elle la regarda fixement.
 
“... Oui.”
 
“Ça parle de quoi ?”
 
“D’Histoire.”
 
“Tu veux dire, l’histoire mondiale sur laquelle tu m’avais posé des questions l’autre jour ? Désolée de ne pas en avoir su plus.”
 
Ryoka secoua la tête.
 
“L’histoire des cités.”
 
“Oh. Et c’est, euh, intéressant ?”
 
“Pas vraiment.”
 
C’était fascinant. Ryoka n’était pas spécialement férue d’histoire, mais être transportée dans un autre monde faisait des miracles sur sa capacité à s’intéresser aux choses banales comme l’économie et la politique.
 
“Ça doit être chouette de savoir lire.”
 
L’envie dans la voix de Garia fit enfin lever la tête à Ryoka.
 
“... Tu ne sais pas lire ?”
 
Garia rougit.
 
“Pas trop. Je peux lire les panneaux et faire des calculs, mais… je veux dire, la plupart des gens ne savent pas trop lire. Pas des livres, ou des trucs coûteux dans le genre. Fals sait lire, par contre. Je l’ai vu lire des livres.”
 
Ryoka haussa les sourcils.
 
“Tant mieux pour lui.”
 
Là encore, Garia se trouva obligée de poursuivre une conversation majoritairement à sens unique.
 
“Où as-tu eu ce livre ?”
 
“Je l’ai acheté au marché. Pas trop cher.”
 
“Ah bon ? Je croyais que la plupart des livres coûtaient plusieurs pièces d’or… au minimum.”
 
“Certains se vendent pour des pièces d’argent. Dans tous les cas, ça me va.”
 
Ryoka fronça le sourcils en mordant dans une nouvelle tranche de jambon tiède. Le manque de bibliothèque dans la ville la forçait à acheter tous les livres qu’elle voulait lire, et certains étaient tellement chers que c’en était énervant. Mais elle n’allait pas s’engager dans une discussion sur l’économie avec Garia et alimenter la conversation.
 
Le problème avec Garia, c’est qu’elle était parfaitement capable de trouver des sujets toute seule. La fille regarda fixement la pile de livres sur la table.
 
“Tu vas tous les lire, alors ?”
 
“Je vais les lire.”
 
“Quoi, tous ?”
 
“Pas comme si j’avais autre chose à faire.”
 
Ryoka tourna délibérément une autre page.


_____________


J’aimerais vraiment qu’elle s’en aille. Ou pas ? Au moins, elle empêche les mecs bourrés de venir me draguer.
 
Je déteste ça. Je la déteste, je déteste cette auberge, et je déteste ce monde. SI je pouvais tout faire cramer je…
 
Probablement pas. Ou du moins, ce n’est pas elle que je hais. Donc peut-être détruire le monde mis à part quelques personnes.
 
Mais la douleur. Et l’ennui, n’oublions pas. Quelle tristesse de s’imaginer que le moment le plus intéressant de ma journée est la visite quotidienne de Garia.
 
Cela fait une semaine que j’ai eu mon “accident”. Encore une semaine et je risque sérieusement de péter un plomb. Mais ma jambe…
 
Bon sang. Si je pouvais tuer tous les putains de Coursiers de Rues de ce monde je le ferais d’un claquement de doigt. Même si je devais plonger mes yeux dans les leurs en les étranglant. J’aurai ma vengeance, je le jure.
 
Mais en attendant, comment diable vais-je pouvoir guérir ma jambe ? Comment, comment, comment ? Si c’est vraiment hors de portée de la plupart des magies…
 
Demande à Garia. Elle aura peut-être une meilleure idée, même si sa première a échoué. Ça vaut le coup d’essayer, et j’espère avoir assez d’argent pour me payer ce dont j’aurai besoin. Merde, elle parle depuis tout à l’heure et je n’ai rien suivi. Autant improviser.
 
Huh. Il y a une sacrée foule qui vient d’entrer. J’espère qu’ils ne voudront pas partager la table. Ils me disent quelque chose, cependant.
 
Qui c’est ? Une autre Cours…
 
Elle.
 
Tue-la. Plante-la. Brise ses os. Non. Si. Fais-lui mal. Éclate son crétin de visage en deux. Tue.
 
Tuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetuetue…
 
________


Garia comprit que Ryoka n’avait pas entendu sa question la troisième fois où elle la répéta. L’autre jeune femme s’était figée sur place, regardant fixement quelque chose derrière l’épaule de Garia. Garia se retourna, regarda, et sut qu’il y allait y avoir du grabuge.
 
“Toi.”
 
Ryoka jeta sa chaise en arrière et bondit sur sa jambe valide. Persua lui adressa un sourire méprisant.
 
‘Oh, Ryoka ? Je ne t’avais pas vue. Quelle surprise de te voir dans cette auberge. Comment vas-tu ?”
 
C’était dur de sortir sa jambe de sous la table. Mais quand elle y parvint, Ryoka se dressa sur sa jambe valide et plongea sur Persua plus vite que quiconque n’aurait pu le prévoir. Elle ne l’atteint jamais, toutefois.
 
Garia attrapa Ryoka par l’épaule et la tira doucement en arrière. Malgré les efforts de Ryoka pour la faire lâcher prise, elle refusa de la lâcher et la traîna en arrière, loin de Persua, son sourire narquois et son troupeau de Coursiers de Rues.
 
“Lâche-moi.”
 
“Non, calme-toi Ryoka. Si tu démarre une bagarre, c’est toi qui auras des ennuis.”
 
L’expression sur le visage de Ryoka montrait que cela ne lui posait aucun problème, mais Garia savait compter. Il y avait au moins huit Coursiers derrière Persua, et ils avaient l’air prêts pour la bagarre. D’une main, elle tira Ryoka en arrière et la fit s’asseoir.
 
Cela aurait dû être difficile à faire, même avec une Ryoka blessée, mais Garia était plus costaude qu’elle n’en avait l’air. Et elle avait l’air d’une fermière capable de lever des bottes de foin d’une seule main.
 
En maintenant Ryoka sur sa chaise, Garia se déplaça de manière à s’interposer entre son amie et Persua.
 
“Pourquoi ne nous installerions pas tous ? Persua, toi et tes amis peuvent aller boire un coup ailleurs, d’accord ?”
 
Persua écarta les mains d’un air innocente et haussa le ton de sa voix d’une octave pour protester d’un air candide.
 
“Je ne comprends pas de quoi tu parles, Garia. Je disais juste bonjour à Ryoka qui a eu un petit accident. Ne peux-tu donc pas comprendre cela ? Ou est-ce que les choses vont trop vite pour que tu arrives à suivre ?”
 
Ce fut au tour de Garia de rougir, mais elle ne mordit pas à l’hameçon.
 
“Tu t’es bien amusée, mais je pense que tu devrais partir, Persua.”
 
Persua adressa à Garia et Ryoka un faux sourire d’une douceur maladive.
 
“Mais en tant que camarade Coursière, je veux faire savoir à Ryoka à quel point je suis terriblement désolée qu’elle se soit trouvée sur le chemin de ce chariot. Si seulement elle avait écouté ses camarades. Nous étions tous en train d’essayer de la prévenir, tu sais. Mais c’est Ryoka. Elle n’écoute jamais, pas vrai ?”
 
Garia sentait l’épaule de Ryoka trembler sous sa main. Cela devenait de plus en plus difficile de la maintenir assise, et c’était avant que Persua ne mentionne “accidentellement” à quel point il était affreux que personne n’ait été là pour aider Ryoka qui avait dû se traîner jusqu’à la baraque de garde la plus proche pour trouver des secours.
 
Ce qui aurait pu arriver alors, chacun devrait se l’imaginer. Persua était toujours en train de jubiler, inconsciente du danger, mais Garia pouvait percevoir Ryoka en train de regarder le couteau affûté posé dans son assiette. Les Coursiers de Rues derrière Persua étaient nombreux, mais ils s’attiraient des regards peu amènes de la part des autres clients réguliers de l’auberge qui semblaient prêts à se délecter d’une rixe si cela leur permettait de se débarrasser des intrus.
 
Garia était en train de peser le pour et le contre entre se faire poignarder et empêcher une bagarre, ou assister à la mort de Persua, malgré les conséquences qui suivraient.
 
Mais alors la porte s’ouvrit de nouveau, et un silence frissonna au-dessus de la foule. Si les Coursiers des Rues avaient amené avec eux bruit et chaos, le groupe qui suivit apporta le silence.
 
Les clients ordinaires de l’auberge, marchands, fermiers, commerçants et autres s’écartèrent précipitamment lorsqu’un Minotaure gigantesque et armé se fraya un passage dans la pièce. Il avait une énorme hache de guerre en acier attachée dans le dos, et il était suivi de cinq autres aventuriers : trois mages et deux autres guerriers, tous armés jusqu’aux dents.
 
Les Cornes d’Hammerad balayèrent la pièce du regard et repérèrent Ryoka et Garia à l’autre bout de l’auberge. Leur leader se dirigea immédiatement droit sur elles, marchant au milieu d’un espace libéré juste pour lui. Personne ne voulait se mettre en travers du chemin du Minotaure.
 
Persua se moquait toujours de Ryoka et Garia, n’ayant pas entendu les nouveaux venus arriver. Les Coursiers de Rues dans son dos regardaient les aventuriers d’approcher d’un air nerveux, mais ils ne bougèrent pas.
 
Le Minotaure du nom de Calruz s’arrêta devant les Coursiers et les fusilla du regard. Persua se retourna et laissa échapper un cri haut perché en voyant son visage. Il agita un pouce et les pointa du doigt.
 
“Vous. Les Coursiers. Dégagez.”
 
Les Coursiers de Rue échangèrent un regard puis s'écartèrent précipitamment du passage. Calruz renifla d’un air méprisant et leur passa devant sans ménagement.
 
Persua afficha un air dégoûté et se pinça le nez sur son passage. Mais lorsque l’une des mages la fusilla du regard, elle se recroquevilla aussi. Il y avait une différence de statut tacite entre les Coursiers et les Aventuriers, et dès qu’ils comprirent que les Cornes d’Hammerad étaient venus voir Ryoka, ils décidèrent de partir en vitesse.
 
Garia regarda, bouche-bée, les six aventuriers debout devant la table. Ils portaient tous une armure, ou des robes de haute qualité. Les deux guerriers debout derrière Calruz portaient des cottes de mailles scintillantes, et les mages étaient équipés de crosses luisantes et d’une baguette émettant des étincelles flamboyantes éthérées.
 
Ce dernier point inquiétait particulièrement l’aubergiste qui regardait la baguette d’un air nerveux, mais il n’émit pas d’objection à voix haute. Le grand guerrier humain moustachu à côté de Calruz hocha la tête à l’attention de Ryoka et lui adressa un sourire amical.
 
‘Ryoka Griffin ? Nous sommes la compagnie d’aventuriers des Cornes d’Hammerad. Tu nous as sortis d’une situation épineuse la semaine dernière. On peut s’asseoir ?”
 
Ryoka leva les yeux sur la compagnie. Elle n’eut pas l’air trop impressionnée.
 
“Vous me faites de l’ombre.”
 
Le vice-capitaine cligna des yeux. Il échangea un regard avec l’autre guerrier et les mages froncèrent les sourcils, mais le Minotaure éclata de rire.
 
“Hah ! Fougueuse ! Il est bon de voir enfin ce trait chez une Humaine !”
 
Il tendit une main massive et gantelée.
 
“Je suis Calruz des Bériades. Je suis capitaine des Cornes d’Hammerad, une compagnie d’aventuriers locale. Je te suis redevable, Ryoka Griffin. Pouvons-nous nous asseoir ?”
 
Ryoka cligna des yeux face à cette approche directe. Elle réfléchit un instant, puis, réticente, finit par hocher la tête, et serra la main de Calruz.
 
“Très bien.”
 
Immédiatement, les Cornes d’Hammerad se tirèrent des chaises et une autre table pour s’asseoir à côté de Ryoka et Garia. Calruz était obligé de rester perché sur sa chaise qui émettait des craquements de mauvaise augure sous son poids, mais il semblait relativement satisfait.
 
Une fois que tous les aventuriers se furent installés, une serveuse s’approcha et ils commandèrent à boire et à manger. Ryoka n’avait pas faim, et Garia, impressionnée par la tablée, était trop timide pour manger.
 
Entre les allers-retours des serveuses qui apportaient assiettes et boissons, le vice-capitaine se pencha en avant et s’adressa à Ryoka.
 
“Nous te devons une dette de gratitude pour la livraison que tu as faite pour nous il y a une semaine. Sans ça, nous aurions tous été tués par cette saleté de Liche. Grâce à toi, nous sommes parvenus à la tuer et à récupérer beaucoup d'artefacts magiques. Ceria a un nouvel ensemble de robe de mage et elle te le doit.”
 
L’une des mages acquiesça et désigna ses vêtements. Elle portait un assortiment de robes d’un bleu sombre brodés de symboles dorés aux ourlets du tissu luxueux.
 
Cela pouvait sembler crétin de porter un vêtement aussi cher dans une auberge, mais Ryoka remarqua que lorsque Calruz éclaboussa accidentellement la robe en se penchant pour attraper une chope, le liquide se contenta simplement se rouler le long du tissu et de tomber au sol. Elle fut immédiatement impressionnée et se demanda combien coûtait le tissu magique.
 
Garia regardait autour de la table avec des yeux ronds/
 
“J’ai juste entendu dire que Ryoka avait fait une livraison dans les Ruines. C’était important à ce point ?”
 
L’un des guerriers étouffa un rire.
 
“Une livraison ? Hah ! Elle a foncé droit devant la Liche qui nous avait coincés et a laissé les potions en plein milieu du champ de bataille ! Il lui lançait des boules de feu et des éclairs dessus, mais elle a même attiré ses tirs en partant - ce qui nous a laissé une chance de nous regrouper !”
 
Ryoka se tortilla, mal à l’aise, sous le regard béat de Garia. Le problème, dans une auberge, c’est que les gens écoutaient. Elle pouvait déjà voir que d’autres clients tendaient l’oreille pour écouter leur conversation. Elle haussa les épaules.
 
“Faisais juste mon boulot.”
 
“Ton boulot ? Aucun autre Coursier n’aurait pu réaliser un tel exploit. Tu nous as sauvé la vie.”
 
Elle avait du mal à croiser le regard sincère du vice-capitaine. Ryoka haussa les épaules et tritura son jambon lorsqu’il reprit la parole.
 
“Sans les potions, le mieux qu’on aurait pu espérer aurait été de battre en retraite sans perdre trop de membres. Dans les pire des cas, on aurait perdu la moitié de nos membres, et c’était à la condition que la Liche ne nous suive pas.”
 
Calruz acquiesça.
 
“Au lieu de cela, on a réussi à enfoncer le crâne de ce maudit squelette. Le trésor qu’on a récupéré a largement dépassé les coûts de l’expédition. Et pendant que le reste de notre groupe se remet de la bataille, nous sommes ici pour payer notre dette.”
 
Ryoka haussa les sourcils. Minotaures. Honneur ? Les deux termes ne semblaient pas très bien appariés, mais soit Calruz était une exception, ou alors les Minotaures avaient un sens du bien et du mal très prononcé.
 
Le vice-capitaine se racla la gorge d’un air embarrassé.
 
“Nous nous attendions à tomber sur toi, comme nous avions entendu dire que tu étais une Coursière populaire dans le coin. Mais quand nous avons appris pour ta blessure, nous avons décidé de passer te voir ici.”
 
Garia eut l’air surprise. Les Ruines d’Albez étaient loin pour quelqu’un qui n’était pas Coursier.
 
“Vous êtes venus jusqu’ici juste pour ça ?”
 
Calruz acquiesça d’un air impatient.
 
“Bien sûr. Qu’importe la distance ? Mais laisse-nous nous présenter correctement.”
 
Il donna un coup de coude à la mage assise à côté de lui. Elle sursauta et fusilla le Minotaure du regard. La mage hocha la tête en direction de Ryoka et Garia. Elle avait gardé son chapeau à l’intérieur, ce qui était probablement impoli, mais elle le retira et elles comprirent pourquoi.
 
Ses oreilles étaient légèrement pointues, et bien qu’elle eût l’air humaine, la mage paraissait légèrement différente du reste de ses compagnons. Ryoka remarqua que sa peau était… non pas plus pâle, mais subtilement plus vibrante. C’était comme si son corps était simplement plus réel et vivide que le reste du monde. C’était léger, mais plus Ryoka regardait, et plus la sensation s’amplifiait.
 
Ses yeux se dirigèrent sur le visage de la jeune femme. Là encore, ses traits étaient beaux, mais pas d’un seul point de vue esthétique. Ils possédaient une autre dimension qu’elle ne pouvait expliquer et qui s’ajoutait à la nature exotique du visage de la mage. Ryoka s’aperçut que ses yeux étaient jaune pâle, mais elle ne fit pas de commentaire.
 
La mage tendit une main et Ryoka la saisit. Elle n’était pas une elfe. Mais elle n’était pas humaine non plus.
 
Demie-elfe.
 
“Ceria Springwalker.”
 
“.. . Ryoka Griffin.”
 
“Je suis Garia Strongheart. C’est un plaisir de vous rencontrer.”
 
“De même.”
 
Le reste de la compagnie se présenta, mais Ryoka pensait toujours à Ceria. Elle serra machinalement des mains, hochant la tête d’un air impassible alors que la vice-capitaine ne tarissait pas d’éloges sur la manière dont elle les avait sauvés. Elle avait déjà oublié son nom.
 
“Bon, ça suffit maintenant.”
 
Déclara Calruz d’un ton impatient dès que tout le monde eût fini de se présenter. Il pointa du doigt la jambe de Ryoka qui dépassait bizarrement de sous la table.
 
“On n’est pas venus ici pour papoter. Nous sommes liés par notre honneur de payer notre dette, et c’est pour cela que nous sommes ici. Et tu es blessée. Comment est-ce arrivé ?”
 
“Me suis fait rouler dessus par un chariot.”
 
“Quoi ?”
 
Les aventuriers dévisagèrent Ryoka d’un air de franche incrédulité.
 
“Je voudrais bien le croire s’il s’agissait de quelqu’un d’autre, mais une Coursière ? Je croyais que vous étiez rapides.”
 
Ryoka haussa les épaules, peu encline à répondre, et regarda fixement son assiette. D’un air incertain, Garia s’éclaircit la gorge.
 
“Ce n’était… pas vraiment un accident.”
 
Elle devint rouge comme une pivoine lorsque tous les regards des Cornes d’Hammerad se tournèrent vers elle. Calruz tapota d’un doigt sur la table.
 
“Explique-nous, s’il te plaît.”
 
“Eh bien, je ne sais pas vraiment comment expliquer ça, mais Ryoka a en quelque sorte enfreint une règle tacite de la Guilde des Coursiers. Elle a fait cette livraison et ça a énervé pas mal de gens…”
 
“Et ils ont décidé de lui rouler dessus avec un chariot ?”
 
Le vice-capitaine dévisageait Garia d’un air incrédule.
 
“Tu es sérieuse ?”
 
“La plupart d’entre nous n’en avions pas entendu parler avant que cela n’arrive. Mais certains Coursiers des rues et Coursiers… ils font partie d’un groupe qui font appliquer les règles. Je veux dire, ce ne sont pas de vrais règles mais on y obéit tous.”
 
Garia sursauta lorsque le mug que tenait Calruz craqua et se brisa en morceaux sous sa poigne. Il balaya furieusement les éclats de verre d’un revers de la main et serra les dents.
 
“Quelle bande de lâches pathétiques. Je les défierais tous à un duel d’honneur si j’en avais l’occasion.”
 
Ceria secoua la tête en remettant son chapeau.
 
“La loi ne reconnaît pas les duels, et ils s’enfuiraient en courant si tu les regardais de travers dans tous les cas. On dirait que la Guilde des Coursiers est plus politisée qu’il n’y paraît… et on parle ici de politiques dangereuses, si c’est ce qui arrive à celles et ceux qui enfreignent les règles.”
 
Les autres aventuriers murmurèrent et grognèrent de dégoût.
 
“Les coursiers.”
 
“Des vide-poches qui vous poignardent dans le dos.”
 
“Valent à peine l’argent qu’on les paie pour les employer. Et avec leurs taux, je pourrais m’acheter une épée neuve !”
 
Garia semblait vouloir objecter face aux insultes, mais elle n’osa pas. Ils avaient piqué l’intérêt de Ryoka.
 
“Vous n’aimez pas les Coursiers ?”
 
L’un des guerrier secoua la tête.
 
“Toi, on t’aime bien. Et ton amie n’a pas l’air trop mal. Mais le reste d’entre vous ne sont que des ordures en ce qui nous concerne.”
 
“On n’est pas tous comme ça.”
 
Protesta faiblement Garia. Le vice-capitaine et les mages secouèrent la tête.
 
“Tu ne comprends pas, Miss, euh, Garia, c’est bien ça ? La plupart des Coursiers ne font pas de livraisons sur les champs de bataille, et les rares qui le font attendent la fin de la bataille. Même si on est sur le point de mourir, ils ne s’approchent pas avant que tous les monstres n’aient disparu. Et même alors, on doit payer le triple - voire le quintuple de ce qu’on devrait pour des zones qu’on a déjà nettoyées.”
 
“De plus, les Coursiers ne s’intéressent qu’à leur argent, et à rien d’autre. Ils ne s’arrêtent pas pour aider, même en cas d’urgence, sauf si on les paie. Même les aventuriers sont plus intègres que ça.”
 
Les Cornes d’Hammerad grognèrent, mais leur ire n’était pas dirigée en direction de Garia ou Ryoka. Ceria jeta un regard à Garia, qui semblait découragée, et s’éclaircit la gorge.
 
“Ce n’est pas pour dire que tous les Coursiers sont mauvais. Je sais que beaucoup d’entre vous font des livraisons rapides pour des prix raisonnables. C'est juste qu’il y a beaucoup de mauvais Coursiers dans vos Guildes, et c’est principalement à eux qu’on a affaire.”
 
Elle hocha la tête à l’attention de Ryoka.
 
“Ta jambe en est un exemple concret.”
 
Calruz souffla furieusement des naseaux en attrapant une autre chope, effrayant la serveuse.
 
“C’est intolérable. Une bonne Coursière ne devrait pas être handicapée. Vous. Les mages. Est-ce que l’un d’entre vous peut la soigner ?”
 
Ceria regarda la jambe de Ryoka tandis que les autres mages secouaient la tête en signe de dénégation.
 
“Aucun d’entre nous ne connaît de sorts avancés de guérison, Calruz. De plus, la fracture semble compliquée.”
 
Il grogna.
 
“Bon. Et une potion de soin ?”
 
Les mages grimacèrent. Le mage qui tenait la baguette qui faisait des étincelles secoua la tête.
 
“Oh, si. Si tu veux ressouder l’os, ça fonctionnera. Mais soigner de cette manière n’est bon qu’à court terme. J’ai déjà vu des combattants revenir avec des os ressoudés à l’envers, ou décalés par rapport au reste.”
 
“Est-ce que c’est juste un os cassé ?”
 
Ryoka secoua la tête et grimaça.
 
“L’os a été écrasé. Les esquilles sont dans la chair.”
 
Tous les gens attablés - et ceux qui entendaient la conversation - grimacèrent. Ceria, toutefois, acquiesça simplement et posa un doigt sur ses lèvres.
 
“Je me disais bien. S’ils voulaient vraiment te faire du mal, il fallait qu’ils te blessent suffisamment pour que tu ne sois pas en mesure de te soigner facilement.”
 
“Pourquoi est-ce que les potions ne marcheraient pas ? Elles soignent les blessures par lame en quelques secondes. Pourquoi pas les os ?”
 
Ceria haussa les épaules.
 
“Les potions de soin accélèrent simplement les facultés régénératrices de l’organisme. Mais c’est bien trop compliqué pour une potion. Dans ce genre de situation, les seules solutions sont le temps ou la magie.”
 
Ceria regarda Ryoka.
 
“Ce dont tu as besoin, c’est d’un [Guérisseur] de haut niveau... non, mieux, un [Clerc]. S’il y en avait encore, je veux dire. Un [Guérisseur] avec une classe de [Mage] serait l’idéal.”
 
Garia semblait perdue. Ryoka l’était aussi, mais son visage resta impassible.
 
“Quelle est la différence ? Je croyais que c’était tous les deux la même chose.”
 
Là encore, les mages secouèrent la tête. La mage équipée du bâton avec l’orbe luisante dont Ryoka avant oublié le nom répondit.
 
“La plupart des [Guérisseurs] n’utilisent que des herbes et des sorts mineurs pour soigner les blessures. C’est très bien, mais si tu veux soigner ta jambe, il te faudra de la véritable magie, pratiquée par un mage. Et un mage de haut niveau, avec ça.”
 
“Et combien ça me coûterait ?”
 
La mage hésita. Ceria répondit d’un air grave.
 
“Pour quelque chose comme ça… quelques centaines de pièces d’or, minimum. Et ce n’est qu’à la condition de trouver un guérisseur de haut niveau. Et ils sont rares.”
 
Un silence de mort tomba autour de la table. Calruz grimaçait d’un air sombre, et le vice-capitaine secoua la tête avec réticence à son attention.
 
“Dommage.”
 
Ryoka poussa sa chaise en arrière et se leva. Elle s’arrêta en grimaçant lorsque son pied blessé toucha le sol, mais se mit à boiter en direction des escaliers. Garia, affligée, l’appela.
 
“Où vas-tu, Ryoka ?”
 
La fille ne se retourna pas.
 
“Dormir. Je suis fatiguée.”
 
Instantanément, le vice-capitaine se leva d’un bond.
 
“En ce cas, permet-moi de t’aider à monter les escaliers.”
 
Ryoka regarda la montée d’escalier et lui lança un regard.
 
“C’est bon, je gère.”
 
“J’insiste. Je t’en prie, laisse-moi…”
 
“Non.”
 
Le vice-capitaine hésita. Son regard alternait entre les escaliers raides et la jambe de Ryoka, prise dans une attelle et une large couche de bandages. Elle carra sa mâchoire, têtue.
 
“Je n’ai pas besoin d’aide.”
 
“Mais…”
 
“Fous. Moi. La paix.”
 
Ryoka passa entre ses mains tendues et commença à monter les marches, péniblement. Elle avait sa méthode : elle les montait à l’envers de manière à ne pas avoir à bouger sa jambe blessée plus que nécessaire. C’était embarrassant et lent, mais son regard noir dissuada quiconque de l’aider.
 
Penaud, le vice-capitaine retourna s’asseoir à la table. L’autre guerrier lui tapota le dos. Garia s’excusa, gênée.
 
“Désolée. Elle est juste… peu amicale.”
 
“Je l’aime bien.”
 
Tout le monde regarda Calruz. Le Minotaure regardait Ryoka se balancer jusqu’en haut des marches avec approbation.
 
“Elle me rappelle les femelles de mon espèce. Féroces. Celles qui poignarderaient n’importe quel mâle offensant. Bien mieux que ces humaines niaises que je n’arrête pas de rencontrer.”
 
Il se leva. Le vice-capitaine le regarda d’un air inquiet. Ceria se pencha en avant et assena à Calruz un grand coup de poing dans le dos.
 
“Calruz. Je n’irais pas l’embêter si j’étais toi. Les femelles Humaines ne sont pas comme les Minotaures.”
 
Il souffla avec dédain.
 
“Bah. Il suffit d’un peu de courage et de fougue pour la conquérir.”
 
Il renversa sa chaise en arrière et se dirigea vers les escaliers. Le vice-capitaine semblait vouloir dire quelque chose, mais il rata le bon moment pour le faire. Calruz cria par-dessus son épaule.
 
“Ne m’attendez pas. Je vous retrouverai à la Guilde plus tard.”
 
Le reste des aventuriers regardèrent Calruz monter les marches et marmonnèrent entre eux.
 
“Est-ce qu’il faut qu’on aille l’arrêter ?”
 
“Si on essaie, on va se battre. Vous savez ce qui arrive quand il s’énerve.”
 
“Encore une auberge détruite ? On va encore perdre tout l’argent qu’on a gagné !”
 
Les yeux du vice-capitaine se plissèrent. Il vida sa chope et se leva.
 
“C’est inacceptable. Je monte.”
 
Ceria l’attrapa par l’épaule.
 
“Calme-toi, Gerial.”
 
Il la fusilla du regard.
 
“Tu le laisses y aller ? Tu es malade ?”
 
Elle secoua la tête.
 
“Calruz n’est pas idiot. Il connaît la loi. Il partira s’il n’est pas le bienvenu, mais ce n’est pas ce que je voulais dire. Ryoka Griffin peut se débrouiller. Ou est-ce que tu as oublié pourquoi on est venus ici ?”
 
Il hésita, mais tout le monde dans la grande salle entendit alors le grondement sourd caractéristique de Calruz. D’en bas, Garia entendait la voix agacée de Ryoka. Elle ne la connaissait pas depuis longtemps, mais Garia pouvait deviner ce qu’elle disait.
 
Garia se mit à se ronger les ongles lorsque la voix de Calruz répondit ce qui semblait être une tentative de blague. Ryoka répondit quelque chose d’un ton sec mais il continua de parler.
 
D’un air incertain, Garia se leva. Aucun des aventuriers ne l’arrêta lorsqu’elle se dirigea vers les escaliers et leva la tête. L’humaine et le minotaure étaient debout devant la chambre, en train de se disputer. Ou du moins, Ryoka se disputait et Calruz… flirtait.
 
Ce qui était une très mauvaise idée, d’après Garia. Elle entendit Ryoka répondre vertement à Calruz.
 
“Dégage.”
 
Il répondit quelque chose, et elle le poussa. Comme il portait une armure et faisait au moins quatre-vingt-dix kilos de plus qu’elle, il ne bougea pas. Calruz captura la main de Ryoka dans la sienne. Garia vit Ryoka plisser les yeux.
 
Les clients au rez-de-chaussée entendirent tous les craquement, et le mugissement de rage de Calruz. De son poste d’observation, Garia vit et entendit Ryoka mettre un coup de poing en plein visage au Minotaure puis vit la silhouette de Calruz vaciller au-dessus des escaliers. Elle vit la silhouette massive du Minotaure reculer au ralenti sous l’impact. Il se rattrapa au mur, mais le bois se brisa sous son poids.
 
Si. Si Calruz n’avait pas insisté pour porter son armure de plates. Si Ryoka ne l’avait pas cogné aussi fort. Si l’auberge avait été plus récente, pas si vieille. Mais il n’y eut pas de si. Calruz bascula en arrière dans les escaliers dans un crash terrifiant de métal sur du bois, faisant éclater les marches en bois et défonçant le plancher là où il atterrit.
 
Tout le monde dévisagea le Minotaure étalé au sol alors qu’il gardait les yeux fixés sur le plafond. La moitié des clients de l’auberge étaient déjà en train de fuir, tandis que l’autre moitié attendait de voir le bain de sang qui allait suivre.
 
Au sommet de l’escalier, Ryoka leva son majeur, fit un doigt d’honneur au Minotaure en guise de salut, puis boita jusqu'à sa chambre. La porte claqua derrière elle.
 
Calruz cligna des yeux tandis que le reste des éclats d’escaliers pleuvaient autour de lui et l’aubergiste poussa un cri d’horreur. Il regarda Garia et le reste de sa compagnie d’un air perplexe. Puis il sourit.
 
“Puissante. Je l’aime vraiment beaucoup.”
 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 14 mars 2020 à 15:05:40
Malheureusement, l'Ecosse vient de prendre les mêmes mesures pour lutter contre le Coronavirus qu'en France. Cela veut dire que mes cours sont annulé et viennent d'être remplacé par des dissertations à rendre et que la majorité de mes examens viennent de changer de date. J'ai déjà utilisé mes chapitres d'avance, mais je vais devoir changer mon planning pour le mois de Mars.

Cela veut dire, pas de chapitre pour aujourd'hui, désolé! Je me rattraperai la semaine prochaine, j'espère.

Soyez prudent et lavez-vous les mains!
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 25 mars 2020 à 15:18:19
R 1.05
Traduit par EllieVia

Ryoka s’effondra sur son lit à peine la porte claquée. Un mugissement emplissait ses oreilles et une vague noire semblait vouloir engloutir ses yeux.
 La douleur. Elle revenait.
 Elle serait volontiers restée allongée là, mais la douleur la força à bouger. Il n’y avait qu’un moyen de la soulager.
Ryoka tituba jusqu'à un coffre au pied de son lit. Elle commença à se débattre avec la poignée avant de réaliser qu’il était fermé à clef. La clef. Ou était la putain de clef ?
 
Les ténèbres l’entouraient et la douleur ne faisait qu’empirer. Ryoka avait à peine terminé d’ouvrir le verrou qu’elle eut un haut-le-corps et faillit vomir. Elle avait mal.
 
Dans le coffre se trouvaient un rouleau de bandages d’un aspect étrange et quelques potions vertes. Ryoka se rua sur elles et débouchonna une bouteille.
 
Adossée à son lit, elle étendit sa jambe blessée le plus possible. Les bandages étaient rougis de sang, à présent, et la chair commençait à enfler. Elle avait trop forcé.
 
Précautionneusement, manquant s’évanouir de douleur, Ryoka versa le liquide vert sur sa jambe et se retint de crier. Mais les effets furent instantanés.
 
La douleur… disparut. Pendant un instant, un merveilleux instant, Ryoka put se détendre. Elle regarda avec une sérénité béate sa jambe se dégonfler, la peau éclatée et les chairs torturées se refermer sous le bandage.
 
Mais son répit fut de courte durée. Quelques secondes plus tard, la douleur se réinstalla dans la zone. Une agonie mordante, terrifiante.
 
Les os. Les esquilles d’os qui ne pouvaient guérir. Ils perçaient ses chairs, empêchaient la guérison. Ryoka regarda fixement sa jambe. Elle lui faisait mal, mais beaucoup moins à présent. Du moins, pour le moment. Elle avait quelques heures devant elle, voire une demi-journée, selon ce qu’elle infligerait à sa jambe, avant que ses chairs se déchirent et que…
 
Le pansement était complètement trempé de sang, à présent, mais Ryoka n’osait pas le changer. Il était tout ce qui rattachait le reste de sa jambe à son corps.
 
De la magie. Elle la sentait agir sous les couches de tissu. La bande de tissu lui avait coûté quoi, dix pièces d’or ? Encore plus cher que les potions de soin. Mais les coutures étaient infusées de magie, ou du moins c’était ce que la [Guérisseuse] avait affirmé. Et elle le sentait. Le pansement était l’unique raison pour laquelle elle pouvait encore se déplacer, sans parler de garder sa jambe… en un seul morceau.
 
La magie dont le bandage était imbibé lui offrait de la stabilité, une structure, et empêchait que la blessure s’aggrave. Le pansement anesthésiait la zone sous son genou, et maintenait sa jambe en place, ce qui lui permettait de se déplacer. Et tant qu’elle continuait à appliquer la potion de soin toutes les heures, elle pouvait faire abstraction des dégâts.
 
Mais la magie finissait toujours par s’épuiser. Et alors sa jambe se remettait à enfler, et si elle la laissait faire trop longtemps, elle finirait par se gangrener.
 
Des bandages magiques et des potions de soin. Ryoka cogna sa tête contre le pied du lit. Ils maintenaient tout juste ses blessures sous contrôle, mais ne pouvaient pas les guérir. Ils n’étaient là que pour lui faire gagner du temps. Du temps, pour qu’elle puisse trouver un moyen de se soigner…
 
Ou perdre sa jambe
 
Elle ne sentait plus rien, à présent. C’était surtout le moignon écrasé juste au-dessus de sa rotule qui la mettait à l’agonie dès qu’elle bougeait. Mais son pied et la partie inférieure de sa jambe ?
 
Rien.
 
La [Guérisseuse] l’avait assurée que les deux morceaux étaient toujours reliés, et que la partie inférieure resterait vivante tant qu’elle continuerait de la tartiner de potion, mais il n’y avait aucune chance que cela guérisse tout seul. Les dégâts étaient trop importants.
 
Peut-être qu’un chirurgien pourrait la soigner. Un de son monde. Il aurait pu réaligner les os et les connecter avec des broches. Si elle avait eu accès à un hôpital, elle aurait eu une chance. Mais ici ?
 
Ryoka enfouit son visage dans ses mains. Garia ne cessait de suggérer de meilleures [Guérisseuses], ou parlait de ses blessures comme de quelque chose qui finirait par guérir avec le temps. Mais Ryoka n’avait pas ce temps-là.
 
“Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans “os broyé” ?”
 
Garia ne comprenait pas. Mais elle n’avait pas vu la jambe de Ryoka quelques instants après l’accident. Elle n’avait pas vu à quel point ce n’était plus attaché, plus solide. Les aventuriers comprenaient.
 
Un os broyé. Un os brisé en mille morceaux. Pas une fêlure, ou une fracture. Ce n’était pas comme si on pouvait se contenter de rejoindre les deux bouts. La jambe droite de Ryoka n’était plus qu’une masse d’esquilles d’os sans espoir de jamais se ressouder.
 
D’un point de vue médical, la réponse était simple. Elle n’aurait pas eu d’autre solution jusqu'à l’époque moderne. Et même là… ses jambes n’auraient plus jamais été les mêmes. Ryoka savait ce qu’il fallait faire. Ils le lui avaient dit lorsqu’elle était assise, en état de choc, tandis que la [Guérisseuse] versait des potions sur sa jambe en tentant de préserver les chairs.
 
L’amputation. Soit ça, soit un sort qu’elle ne pouvait se permettre.
 
Pendant un instant, elle espéra que tout cela n’était que le fruit de son imagination. Elle avait acheté la bande chez la [Guérisseuse], dépensé toutes ses économies pour acheter assez de potions de soin pour la soigner jusqu’à aujourd’hui, et prié pour que sa jambe commence à guérir. Mais chaque jour s’écoulait dans le sang et la douleur, et aucun répit.
 
Personne ne pouvait l’aider. Ryoka le savait. Garia voulait l’aider, et même les Cornes d’Hammerad étaient passés la voir. Mais que pouvaient-ils faire ? Cent… non, des centaines de pièces d’or. Pourquoi les laisser s’inquiéter ? Pourquoi gaspiller de l’énergie à les rassurer avec des mots inutiles ?
 
Donc Ryoka faisait semblant de ne pas s’inquiéter et se débrouillait seule. Par fierté. Parce qu’elle ne voulait pas avoir l’air faible… parce que même cela, c’était de la faiblesse.
 
Parce que personne ne pouvait faire quoi que ce soit pour l’aider.
 
Ryoka posa sa tête sur son bras. La douleur. Oublie-la. Ils ont dit que ce serait rapide. Non. Mais c’est la seule option. Il lui restait… trois potions. Assez pour un jour ou deux. Et alors, elle n’aurait plus d’argent, ni de temps. À moins qu’elle puisse payer. Mais elle n’avait pas d’argent.
 
Elle connaissait bien quelqu’un qui avait des milliers, des dizaines de milliers de pièces d’or, pas vrai ? Bien sûr. Et c’était jouable. Il lui restait une chance.
 
Mais le prix à payer…
 
Ah, le prix.
 
Ryoka ferma les yeux. Damnation. C’était le prix. Et elle n’était pas encore sûre que sa jambe en vaille la peine.  Elle y avait beaucoup réfléchi. Et elle n’en était toujours pas sûre. Mais elle voulait savoir le prix. Et pour cela, elle devait négocier.
 
Donc ce que Ryoka faisait, en réalité, ce à quoi elle réfléchissait, assise dans une flaque humide de potion de soin et de sang, était à rien. Rien. Elle pouvait s’inquiéter, angoisser, et elle avait peur, et mal, mais il n’y avait rien qu’elle puisse réellement faire. Tout ce qu’elle faisait, en vérité, derrière tout cela, c’était attendre.
 
Attendre. Attendre qu’elle arrive. Attendre de faire un choix.
 
Dans son esprit, elle pouvait sentir le vent sur son visage et sentir le sol voler sous ses pieds. Dans son esprit, elle pouvait voir les conséquences de ses choix.
 
Un monde englouti par les flammes. Les morts empilés. La guerre, sans fin et putride. C’était le prix.
 
Ryoka ferma les yeux et tenta de retenir ses larmes.
 
____
 
Le temps que Garia parvienne à sortir de l’auberge et à revenir à la Guilde des Coursiers, c’était déjà le soir. Elle avait eu le temps d’absorber une grande quantité de liquides, principalement alcoolisés.
 
Garia avait une très forte tolérance à l’alcool, donc elle se contentait de tituber de temps en temps en trottinant jusqu’à la Guilde. Elle n’avait pas l’intention de faire de livraison, bien entendu : ce serait dangereux avec la lumière déclinante, même sans être en état d’ébriété, mais elle voulait récupérer son argent de la semaine. Ses fonds s’étaient brutalement amenuisés après qu’elle eut insisté pour payer son repas.
 
Elle avait laissé le reste des Cornes d’Hammerad dans l’auberge à moitié détruite, en train de boire et de réfléchir à des solutions pour Ryoka. Garia n’avait entendu parler des Cornes que comme d’une de ces bandes d’aventuriers pleine d’avenir, mais elle n’avait pas vraiment prêté foi aux rumeurs selon laquelle ils étaient tous liés par l’honneur comme leur leader.
 
Bon, tout le monde savait que les Minotaures étaient censés être honorables, mais c’était difficile à croire quand on en voyait un de près. Le serment d’un Minotaure était aussi fort que celui d’un Chevalier, en théorie, mais comment associer ça à leurs têtes de vaches et leurs tempéraments féroces ? Mais Calruz n’avait pas été trop violent - il avait même payé pour tous les dégâts qu’il avait causé.
 
C’était étrange. Garia pouvait probablement compter les non-humains qu’elle avait croisés, sans parler de rencontrer, dans sa vie sur les doigts des mains. Si loin au nord, on ne voyait pas d’autres races, pas même des Drakéïdes ou des Gnolls. Mais Calruz lui avait paru tellement… tellement humain.
 
Et il était amoureux de Ryoka. Et Garia n’allait pas réfléchir à ce détail. Au lieu de cela, elle allait ouvrir la porte de la Guilde des Coursiers sans s’étaler par terre et entrer.
 
La plupart des Coursiers levèrent les yeux puis ignorèrent Garia lorsqu’elle entra. Elle n’était pas spécialement influente dans la Guilde, mais les gens l’aimaient assez, et personne ne l’embêtait. C’était ce qui lui convenait. Passer inaperçue était plus sûr.
 
Garia remarqua un attroupement autour du comptoir de la réceptionniste, et son cœur se serra. Sa faible réputation impliquait aussi qu’on ne s’occuperait pas d’elle avant d’avoir réglé le problème en cours. Maussade, Garia était en train d’aller s’asseoir à une table lorsqu’une voix l’appela.
 
“Garia ! Comment se porte ma Coursière préférée ?”
 
Le coeur de Garia manqua un battement puis accéléra subitement lorsqu’elle reconnut la voix. Fals. Elle se retourna et lui adressa ce qu’elle espérait être un regard agacé.
 
“Je parie que tu dis ça à tous les Coursiers, Fals.”
 
“Juste à ceux que j’aime bien.”
 
Fals s’approcha et lui sourit. Il était beau et grand, et Garia aperçut plusieurs Coursières lui lancer un regard noir en le voyant s’avancer vers elle.  Elle essaya de ne pas lui rendre son sourire trop vite.
 
“Tu as fini tes livraisons pour aujourd’hui ?”
 
“Yup. Rien d’extraordinaire ; j’ai fait quelques allers-retours à Lindol, mais c’est tout. Et toi ? Tu viens prendre une requête de fin de soirée ?”
 
Garia secoua la tête en signe de dénégation.
 
“Je viens juste récupérer ma paie. Tu sais ce qu’il se passe ?”
 
Elle montra du doigt le groupe de Coursiers et de personnel de la Guilde des Coursiers agglutinés autour du comptoir, se disputant d’un air paniqué. Fals fit la moue.
 
“Tu ne vas pas y croire, mais Lady Magnolia a commandé une livraison il y a quelques jours. Le problème, c’est qu’elle ne veut qu’une seule Coursière pour le job. Devine qui ?”
 
Garia ne prit même pas le temps de réfléchir.
 
“Ryoka. Oh. Et que lui a répondu la Guilde ?”
 
“Oh, je ne connais pas les détails…”
 
Fals agita la main d’un air modeste, mais il jouait la comédie. Garia n’avait aucun doute qu’il savait parfaitement ce qui avait été dit, et avait probablement aidé à écrire la missive. Lui était l’un des Coursiers avec le plus d’influence de toutes les cités-États du nord et les Maîtres de Guildes locaux l’écoutaient.
 
“La Guilde a dit que Ryoka était indisposée. Nous n’avons cessé de proposer des Coursiers pour la remplacer, mais Magnolia a insisté qu’elle ne voulait que Ryoka. Et là… eh bien, on dirait qu’elle est venue en personne réclamer des explications il y a de cela quelques minutes. J’étais sur le point d’aller voir ce qu’il se passait. Tu veux venir écouter ?”
 
Garia hésita. Ce n’était sans doute pas très sage de se mettre sous le feu des projecteurs… mais là encore, c’était Fals qui menait la danse. Elle acquiesça donc et le suivit à travers la pièce.
 
Fals siffla en passant devant le panneau plein à craquer de demandes de livraisons. Il s’arrêta et pointa du doigt une anonyme que Garia reconnut.
 
“Wow. Regarde cette requête anonyme. La personne qui l’a mise offre vingt pièces d’or pour une livraison.”
 
Garia regarda plus attentivement la requête.
 
“C’est la même qu’il y a une semaine. Pourquoi n’a-t-elle pas encore été prise ? J’aurais pensé que tu sauterais sur l’occasion, Fals.”
 
Il secoua la tête.
 
“Tu plaisantes ? Je tiens à ma vie. Tu n’as pas vu l'adresse ? Les Grandes Passes. C’est un piège mortel pour n’importe qui.”
 
“Même pour toi ?”
 
Il fit mine de la regarder d’un œil noir.
 
“Même pour moi. Pour d’importe quel Coursier qui la prendrait. J’espère que personne ne sera assez stupide pour aller là-bas, mais avec cette récompense… Je pense qu’on risque d’en perdre quelques-uns.”
 
“Alors qui la fera ?”
 
“Sais pas. Peut-être un Courrier si la récompense continue de grimper. Mais même un [Coursier] avec un niveau décent n’est pas assez rapide pour éviter tous les monstres du coin. Peut-être que celui qui l’a postée abandonnera l’idée dans un mois ou deux.”
 
Il haussa les épaules.
 
“Mais honnêtement, même s’il doublait la récompense, aucun Coursier sain d’esprit ne se risquerait à faire ce genre de livraison. Le profit, c’est important, mais nos vies valent bien plus que ça.”
 
Garia se souvint des propos qu’avait tenu l’un des aventuriers. Elle fronça les sourcils.
 
“Fals ? Je sais que tu es l’un de nos meilleurs Coursiers, mais pourquoi n’y en a-t-il pas des plus vieux que toi ? Tu n’as que vingt-deux ans…”
 
“Vingt-trois. Je vieillis, Garia. Inutile de remuer le couteau dans la plaie.”
 
Elle rougit et essaya de ne pas bégayer.
 
“... Vingt-trois, alors. Mais pourquoi n’y a-t-il pas d’autres Coursiers ? Je sais que beaucoup d’entre nous meurent ou se font blesser, mais il devrait y en avoir plus, non ?”
 
Fals réfléchit à la question. Il soupira, et passa sa main entre ses boucles blondes.
 
“Nous n’avons pas plus de Coursiers expérimentés parce que personne ne vit vieux en faisant ce boulot. Nous sommes les seules personnes assez folles pour faire des livraisons. La plupart des gens changent de classes une fois qu’ils ont gagné suffisamment d’argent.”
 
“J’ai entendu dire que les Coursiers n’en ont qu’après l’argent.”
 
Fals la dévisagea d’un air sévère.
 
“Qui t’a dit ça, Garia ?”
 
Il n’attendit pas sa réponse.
 
“Qu’importe. Okay, d’accord, beaucoup de Coursiers veulent seulement gagner de l’argent. Mais c’est normal, non ? Les aventuriers, les commerçants, les marchands… même les nobles s’intéressent à l’argent. Pourquoi ne devrions-nous pas faire payer nos services et faire les bonnes livraisons en priorité ? On a un boulot difficile ! Et on risque nos vies tous les jours, fuyant les monstres, affrontant le mauvais temps, les catastrophes naturelles… c’est suffisant pour que la plupart des gens abandonnent dès la première semaine.”
 
Il se frappa le torse.
 
“Mais nous... Nous sommes des Coursiers. On n’abandonne pas ! Tous ceux qui dépassent la première année sont de véritables Coursiers, Garia. Nous sommes ceux qui maintiennent les cités du nord… non, le monde entier connecté. Sans nous, rien ne serait fait dans les temps. Donc si les gens nous traitent de grippe-sous, laisse-les faire. Nous avons notre propre honneur et on mérite chaque pièce qu’on reçoit, pas vrai ?”
 
Ses mots allumèrent une étincelle dans le cœur de Garia, et dans celui de tous les Coursiers à portée de voix. Elle acquiesça avec enthousiasme lorsque d’autres Coursiers se mirent à acclamer Fals.
 
“Ça, c’est notre chef des Coursiers !”
 
“Pas étonnant que tu sois le meilleur des cités !”
 
Persua apparut de nulle part et battit des cils à l’attention de Fals. Garia sursauta lorsque la jeune femme menue sourit et se mit à flatter Fals avec son troupeau de Coursiers des Rues, écartant Garia du chemin.
 
“Pas étonnant qu’ils t’appellent Fals au Pied Léger !”
 
Il sourit et secoua la tête.
 
“C’est un vieux surnom, les gars. Et puis, Ryoka est plus rapide. Je me demande si elle a une compétence particulière ?”
 
Le visage de Persua s’aigrit. Garia se gratta la tête.
 
“Maintenant que tu le dis… elle n’a jamais dit à quel niveau elle était. Mais elle doit être de haut niveau.”
 
“Bah, elle a beau être rapide, elle ne court pas en ce moment, pas vrai ? Et puis, elle est tellement désagréable. Qui voudrait d’une Coursière comme elle qui ne sourit jamais ?”
 
Garia grimaça sous le regard noir que lui lança Persua par-dessus l’épaule de Fals. Pour sa part, Fals fit la moue et se déplaça délibérément à côté de Garia, l’empêchant de se faire pousser plus loin.
 
“Oui, bon. À ce sujet. Je sais que Ryoka a enfreint quelques règles récemment, mais ‘est une bonne coursière. Et on a besoin de tous les Coursiers possibles.”
 
Il sourit à Persua, et la jeune fille soupira et rougit lorsqu’il croisa son regard.
 
“Donc… Persua. Je ne veux pas que toi ou tes amis aillent encore embêter Ryoka, d’accord ?”
 
Elle fit la moue et bouda, mais finit par adresser un sourire mielleux à Fals. Il se retourna avec une légère grimace qu’elle ne sembla pas remarquer.
 
“Tout ce que tu voudras, Fals. Non pas que nous ayons fait quoi que ce soit à Ryoka. Elle a juste eu un… accident.”
 
“Eh bien, faisons-en sorte que cela ne se reproduise pas, c’est clair ? On est tous du même côté, pas vrai ?”
 
Les autres Coursiers acquiescèrent et exprimèrent leur accord. Fals fit le tour de la pièce, serrant des mains et tapant des Coursiers dans le dos. Il finit par se débarrasser de Persua en sous-entendant qu’elle et ses sbires sentaient la sueur, et Garia et lui finirent par enfin se retrouver de nouveau seuls. Il soupira, mais sourit à Garia.
 
“Tu vois ce que je veux dire, non ? On ne peut pas se permettre d’être divisés. On doit se serrer les coudes, entre Coursiers.”
 
Garia le fusilla du regard. Elle chuchota du coin des lèvres.
 
“Tu sais qu’elle est à l’origine de l’accident. Tout le monde le sait.”
 
Il parut mal à l’aise. Fals donna un coup de pied par terre de ses pieds chaussés de coûteuses chaussures en cuir et soupira. Il se peigna les cheveux d’une main en répondant à Garia.
 
“Ryoka a enfreint une règle. Ils n’auraient pas dû aller si loin, mais je l’avais prévenue. On doit travailler ensemble, Garia. Même si l’un d’entre nous est plus rapide, c’est mieux de partager les richesses que d'entrer en compétition. Tu es nouvelle, mais tu l’avais compris. Ryoka, non. Et à présent… à présent, nous avons des ennuis avec Lady Magnolia et il nous manque une Coursière.”
 
Cette réponse mit Garia mal à l’aise. Elle grimaça et dévisagea Fals d’un air appuyé. Mais quand il croisa son regard avec un sourire piteux et haussa les épaules, elle rougit et détourna le regard.
 
“Je n’aime quand même pas ça. Persua est folle. Ryoka ne pourra pas courir pendant au moins un an ! Même avec des potions pour l’aider à guérir ! Tu as vu sa jambe ?”
 
Fals hésita.
 
“J’ai entendu dire que c’était juste une méchante fracture que les [Guérisseurs] ne peuvent pas soigner tout de suite. C’est pire que ça ?”
 
Garia eut l’air misérable en secouant la tête.
 
“Je ne sais pas. Je ne suis pas une experte, et elle l’a entourée d’un tas de bandages. Ils ont l’air magique, cependant, et… et j’ai rencontré une mage qui a dit que la seule manière pour elle de guérir était de payer des centaines de pièces d’or pour avoir un [Guérisseur] de haut niveau.”
 
Il siffla entre ses dents.
 
“C’est… non ! Je ne peux pas le croire ! Ils m’avaient dit qu’ils n’iraient pas…”
 
Garia interrompit Fals.
 
“Tu savais ? Tu savais et… Je n’arrive pas à croire que tu aies pu faire ça, Fals !”
 
Garia haussa la voix, incrédule. Elle avança sur Fals en serrant les poings. Il leva ses mains, sur la défensive, en reculant vers le comptoir.
 
“Je n’avais pas le choix ! Écoute, tu sais comment sont Persua et ses amis. Je leur ai dit de ne rien faire de drastique, mais même si je les avais arrêtés, un autre Coursier aurait organisé quelque chose. Tu connais les règles, Garia. Tu te souviens de Perial, quand il avait désobéi ?”
 
Garia se souvenait de Perial. Elle ne se souvenait plus de ce qu’il avait fait de mal, mais elle se souvenait qu’une bande de Coursiers avait jeté une des clous rouillés sur son chemin et l’avait forcé à courir dessus.
 
Fals ferma les yeux, fort, et les rouvrit. Il avait l'air fatigué.
 
“Okay. Ça change des choses. Écoute, Garia. Je… je vais parler au Maître de la Guilde quand je l’aurai vue de mes propres yeux. Persua est allé trop loin, même si Ryoka a enfreint les règles.”
 
“Ça ne guérira pas sa jambe.”
 
“Non, mais c’est tout ce que je peux faire. D’accord ? Et je n’ai jamais entendu parler d’une blessure qui demanderait un sort à plusieurs centaines de pièces d’or, Garia. J’irai voir Ryoka en personne, mais même si ses os sont trop cassés pour être soignés par une potion de soin, ça ne peut pas être si grave que ça, si ?”
 
“C’est grave.”
 
“On verra. Je connais plusieurs excellents [Guérisseurs] et même un [Mage] qui me doit une faveur. Si Ryoka est vraiment grièvement blessée, je ferai appel à plusieurs faveurs et je ferai en sorte que la Guilde aide. Elle sera sur pied à la fin du mois, je te le promets. Mais maintenant, peut-on aller voir de quoi il retourne ?”
 
Garia acquiesça. Elle se sentait soulagée après la promesse de Fals. Il tenait toujours parole. Elle le suivit jusqu’au comptoir au milieu de la foule qui s’écartait sur son passage. Fals s’adressa à la réceptionniste qui paraissait harassée.
 
“Qu’est-ce qu’il se passe ? Magnolia pose encore des problèmes ?”
 
“Des problèmes ? Oh oui, c’est sûr qu’on a des problèmes.”
 
La réceptionniste éclata d’un rire quelque peu hystérique.
 
“Lady Magnolia était là il y a une demi-heure. Elle est venue en personne se plaindre au Maître de Guilde, mais il était sorti ! Elle voulait savoir où était Ryoka, et quand elle a entendu dire qu’elle avait été blessée, elle n’était pas ravie. Elle a même suggéré qu’elle allait peut-être arrêter de passer par notre Guilde !”
 
Garia et Fals la dévisagèrent avec horreur. Lady Magnolia était l’une des clientes les plus importantes de la Guilde. Sans parler du fait qu’elle était influente. Les gens connaissaient son nom même à l’autre bout du continent.
 
“Elle voulait autre chose ?”
 
“Elle voulait savoir où était Ryoka en ce moment. Heureusement, on savait au moins son adresse donc elle était à peu près satisfaite, mais est-ce que cela suffira ? Si elle cesse de passer des commandes…”
 
Garia l’interrompit précipitamment.
 
“Attends, elle voulait savoir où était Ryoka ?”
 
La réceptionniste cligna des yeux. Normalement, Garia aurait été rapidement ignorée, mais Fals était avec elle.
 
“Oui, elle voulait savoir.”
 
“Et tu lui as dit ?”
 
La réceptionniste répondit sur la défensive devant le ton accusateur de Garia.
 
“Quoi ? C’est dans l’intérêt de la guilde de la satisfaire. Si elle veut savoir où se trouve un de nos Coursiers, on le lui dit.”
 
“Mais elle voulait Ryoka ! Et si elle sait où elle est, elle va aller la voir !”
 
Fals grogna et se tira les cheveux. Il regarda frénétiquement autour de lui, mais Magnolia était partie depuis longtemps.
 
“Tu as déjà rencontré Ryoka ? Tu te souviens de ce qu’il s’est passé quand elle a rencontré le Maître de Guilde ? Elle ne respecte personne ! Si Magnolia débarque, elle va probablement la faire sortir de sa chambre ! Ou… ou…”
 
“Lui mettre un coup de poing.”
 
Fals se tourna vers Garia.
 
“Non. Elle ne ferait pas ça. Personne ne serait assez fou pour frapper… elle ne ferait pas ça.”
 
Garia eut l’air nerveuse.
 
“Elle a cogné un Minotaure quand il a essayé d’entrer dans sa chambre ce matin.”
 
Fals et la réceptionniste pâlirent.
 
“On doit l’arrêter. Ou arrêter Ryoka.”
 
“Suis-moi !”
 
Garia fit volte-face et se rua hors de la Guilde, Fals sur ses talons. Elle n’était pas du genre à prier, mais Garia pria tout de même que Ryoka resterait courtoise, ou au moins acceptable, jusqu’à ce qu’ils arrivent. Elle n’avait toutefois pas beaucoup d’espoir.
 
Elle connaissait Ryoka.
 
________
 
Lady Magnolia était assise dans la petite chambre confinée de la Queue de Rat, une auberge modérément prospère de la cité de Celum. Elle n’était clairement pas à sa place ici. Pour commencer, sa riche robe rose pâle, lacée, à motifs, parsemée de broderies florales coûtait probablement plus cher que l’auberge en question.
 
Mais elle était assise sur le fauteuil bancal que l’aubergiste avait apporté en personne dans la chambre de Ryoka, et semblait parfaitement satisfaite tandis qu’elle discutait avec l’occupante de la chambre. Derrière elle, Ressa l’intendante était debout dans un coin de la pièce, ses yeux lançant des éclairs sur la pauvreté, la saleté incrustée sous le rebord de la fenêtre, et Ryoka elle-même.
 
“Ma chère, j’ai vraiment reçu un choc en apprenant que tu avais eu un accident. Ne veux-tu donc pas m’expliquer ce qu’il s’est passé ?”
 
“Je m’ennuyais donc j’ai joué au chat avec un chariot.”
 
“Tu es toujours débordante de réponses originales, n’est-ce pas Ryoka ? Je ne peux imaginer comment tu arrives à plaisanter face à une telle blessure.”
 
Non pas que Lady Magnolia ait réellement vu la blessure en question, songea Ryoka. Elle était allongée sur son lit, ses draps enroulés autour de sa jambe. Magnolia était entrée alors qu’elle se reposait, et Ryoka n’avait pas encore pu dérouler la housse de protection qu’elle avait improvisée pour sa jambe blessée.
 
En la voyant s’agiter, Lady Magnolia leva rapidement une main.
 
“Inutile de te redresser, Ryoka. J’imagine que tu dois souffrir énormément, même si tu utilises des potions de soin. Non, je voulais simplement te parler.”
 
“Me proposer un marché, vous voulez dire.”
 
Lady Magnolia cligna des yeux, mais son sourire sincère revint aussitôt.
 
“Tu comprends vite, à ce que je vois. Eh bien, oui, s’il faut le dire de manière aussi inélégante, je souhaite te proposer un marché. Quand j’ai entendu parler de ta blessure, tu peux être certaine que j’ai été époustouflée et plus qu’offensée - surtout que j’ai cru comprendre que l’événement en question était arrivé à deux pas de mon manoir après son départ.”
 
“Vous avez mis du temps à l’apprendre ?”
 
Une fois encore, le sourire sur le visage de Magnolia vacilla pendant un très bref instant avant de revenir, plus éclatant que jamais. Il aurait fallu être vraiment aux aguets pour le remarquer, et Ryoka l’était.
 
“La Guilde des Coursiers a été… très peu coopérative en ce qui concerne ton état, et pour me fournir une explication sur la manière dont tu as été blessée. Je continue à mener discrètement mon enquête, mais j’aurai mes réponses, fais-moi confiance. Mais ce n’est pas la raison de ma venue. Je souhaite…”
 
“Vous voulez me proposer un marché pour soigner ma jambe, pas vrai ?”
 
Ryoka déplaça discrètement son poids sur le lit tandis que Lady Magnolia clignait de nouveau des yeux avant de se remettre. Elle ignora la servante qui la fusillait du regard et se souvint qu’elle ne devait pas se montrer si impatiente. Cela aurait pu être drôle si elle n’avait pas eu si mal. Mais Lady Magnolia avait beau être une aristocrate rusée et une fine politicienne, elle n’était pas aussi imprévisible qu’elle voulait bien le croire. Dommage que rien ne semblait la dérouter.
 
“Eh bien en ce cas, laisse-moi passer directement aux détails, Ryoka. Je comprends qu’étant donné que tu es toujours blessée, les potions de soin ne fonctionnent pas. Et j’ai... disons une amie - capable de jeter [Reconstitution] ainsi que d’autres sorts d’échelon 6.”
 
Le visage de Ryoka demeura impassible alors qu’elle tentait de comprendre ce que cela voulait dire. Clairement, c’était impressionnant, mais que venait-elle de dire à propos de la magie ? Puis elle se souvint.
 
La Magie à Échelons. Elle contrastait fortement avec la magie indisciplinée, quoi que cela puisse être.  Mais d’après ce que Ryoka avait lu dans sa très brève introduction à la magie, la Magie Échelonnée organisait la magie en… échelons.
 
Ce qui signifiait qu’un sort accessible à tous les mages était considéré comme de la magie d’échelon 1 ou 0, alors qu’un sort d’échelon 2 était plus puissant, et requérait un meilleur mage et de plus longues années d’étude pour l’apprendre. L’échelon 3 était le maximum pour la plupart des mages, et ils ne connaissaient généralement qu’un ou deux sorts de ce niveau. Tout ce qui était plus haut était considéré comme de la magie extrêmement puissante, d’une force exponentiellement supérieure, tout comme la difficulté d’apprentissage.
 
Ce qui signifiait présumablement que l’amie de Magnolia était une mage incroyable, mais le livre disait que des mages de faible niveau pouvait jeter des sorts d’un échelon supérieur s’ils avaient assez de pratique et de temps. Ce qui voulait aussi dire que cette mystérieuse amie était probablement extrêmement puissante.
 
Les yeux de Ryoka se plissèrent. Magnolia lui adressa un sourire éclatant.
 
“J’imagine que je dois être impressionnée ? Mais si votre amie est si puissante, pourquoi ne puis-je aller la voir toute seule ?”
 
“Eh bien, elle est très occupée, comme on peut s’y attendre de quelqu’un ayant accès à ce genre de magie. Et je dois bien admettre… qu’il s’agirait d’un véritable exploit d’obtenir une audience avec elle, sans parler de la persuader de d’exécuter un sort aussi épuisant.”
 
“Mais vous pouvez le faire.”
 
“Disons simplement qu’elle me doit quelques faveurs.”
 
Ryoka leva les yeux au ciel.
 
“Et vous voulez quelque chose en retour. Venez-en au fait.”
 
Ressa rétorqua sèchement à Ryoka depuis son poste derrière Lady Magnolia.
 
“Soyez respectueuse ! Vous vous adressez à une Lady de l’une des cinq Maisons Fondatrices et…”
 
“Ressa, je t’en prie.”
 
Ryoka dénuda les dents pendant que Magnolia calmait sa servante. Elle regarda Ressa droit dans les yeux tandis que la servante à l’allure sévère tentait de la faire s’évaporer en fumée du regard.
 
“Est-ce que votre servante sait se battre ?”
 
Lady Magnolia cilla d’amusement.
 
“Ressa est relativement douée dans un grand nombre de matières, ma chère Ryoka. Parmi ces dernières se trouve en effet un talent pour gérer les invités aux manières fâcheuses, je dois bien l’admettre.”
 
“Et pour éliminer la vermine qui s’approcherait trop de ma lady.”
Lady Magnolia émit un tsk désapprobateur, mais Ryoka se contenta de déplacer son poids sur le lit.
 
“Allez-y, balancez le deal.”
 
Le regard de Ressa suggérait que si Lady Magnolia sortait de la pièce - ou se contentait de tourner la tête pendant une minute, la pièce connaîtrait une bonne dose de violence. Mais là encore, Magnolia agita une main nonchalante.
 
“Je n’essayerais pas, ma chère Ressa. Je crois bien que cela pourrait se retourner contre toi, et de plus, je ne pense pas que Ryoka Griffin bénéficierait d’une correction, quelle que soit la ferveur avec laquelle elle serait administrée, ni même que cela la rendrait plus humble.”
 
Le regard de Ressa suggérait qu’elle serait prête à essayer. Mais elle se retint et Ryoka reporta son attention sur Magnolia.
 
“Donc, si je n’accepte pas votre “offre généreuse”, vous serez… quoi ? Offensée ?”
 
Lady Magnolia éclata de nouveau de rire.
 
“Ma chère, je ne suis offensée que par ceux qui n’ont rien à m’offrir. Non, j’imagine qu’il faudrait vous donner beaucoup de mal pour que je ne ressente une véritable offense. Si vous refusez, je serai simplement…”
 
“Agacée ?”
 
“Déçue. Extrêmement déçue. Après tout, c’est dans nos intérêts à toutes les deux que tu te remettes à courir. Pour toi, il s’agit de ton gagne-pain, et pour moi… eh bien, je pense que tu serais beaucoup plus aimable si la douleur ne te rendait pas irritée et grognon.”
 
“Peut-être. Peut-être pas. Pouvez-vous simplement en venir au fait et me dire ce que vous voulez en retour ?”
 
Lady Magnolia soupira.
 
“Ryoka, je me dois de demander. J’ai un grand nombre de compétences, parmi lesquelles se trouve [Allure Amicale], et pourtant cela ne semble avoir aucun effet sur toi. J’ai traité avec des généraux obtus et des Dragons orgueilleux et obtenu de meilleurs résultats. Pourrais-tu m’expliquer d’où vient ton extraordinaire résistance ?”
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“J’ai rencontré des gens plus charmants que vous. Et je ne les ai pas non plus aimés. Que voulez-vous ?”
 
Lady Magnolia fit la moue d’un air gentiment vexé.
 
“Eh bien. Je suis prête à payer le prix que demandera mon amie, quel qu’il soit, et de l’amener ici en un clin d’œil, même si je dois payer pour la téléportation. Mais je veux en effet quelque chose en échange, Ryoka. Rien de trop ardu… simplement des réponses à un certain nombre de questions brûlantes qui me pèsent.”
 
“Des réponses. Combien ?”
 
“Combien ? Ryoka, ma chère, il me semble que ce que j’offre mérite autant de questions que je le souhaite. Non pas que je veuille en faire un argument, mais soigner ta jambe sera coûteux. Que sont quelques réponses face à cela ?”
 
Ryoka secoua la tête en signe de dénégation.
 
“C’est beaucoup, pour moi.”
 
Pour une fois, Lady Magnolia parut décontenancée. Elle échangea un regard furtif avec sa servante.
 
“Alors qu’avais-tu en tête ?”
 
“Vingt réponses pour vingt questions.”
 
“Tu dois plaisanter. Ryoka, ma chère…”
 
“Je ne vous dirai pas tout. Je répondrai à un nombre limité de questions, mais pas à tout.”
 
Pour la première fois, Lady Magnolia parut sincèrement choquée. Elle chercha une relique.
 
“Tu sais, c’était peut-être naïf de ma part mais il me semblait en venant ici que je pourrais imposer mon prix pour cette aide discrète. Mais ti as déjà fixé un prix, à ce que je vois. Ryoka, est-ce que ta jambe vaudrait, disons, quatre cent questions ?”
 
Ryoka serra les dents.
 
“Pas plus de quatre-vingts… non, quarante questions.”
 
“... Je ne peux pas accepter cela. Même deux-cents questions… possèdes-tu donc des secrets tellement sinistres que tu doives y mettre un tel prix ?”
 
“Si vous le demandez, c’est que vous connaissez la réponse. Quarante questions. À prendre ou à laisser.”
 
Lady Magnolia souffla d’un air exaspéré.
 
“Je suis choquée. Vraiment. Et si je te prenais au mot ?”
 
Les yeux de Ryoka se plissèrent. Elle rejeta les draps et sortit d’un bond de son lit. Sa chair hurla de douleur, mais les bandages maintinrent sa jambe en place.
 
“La porte est juste là.”
 
Lady Magnolia ne bougea pas. Ses yeux étaient fixés avec horreur sur la jambe enrubannée de Ryoka, et même Ressa paraissait au bord de la nausée. Mais Magnolia était réellement sous le choc. Elle savait reconnaître la gravité d’une blessure.
 
“Ryoka. Comment peux-tu encore te déplacer avec cette jambe ?”
 
“Par magie. Duh.”
 
Lady Magnolia cilla. Elle leva les yeux et croisa le regard de Ryoka.
 
“Et combien de potions de soin as-tu utilisées jusqu’ici ?”
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“Quarante ? Cinquante ? J’ai arrêté de compter.”
 
“Et tu es restée ici, sans aller voir un véritable [Guérisseur] ? Pourquoi ?”
 
“‘Pas assez d’argent.”
 
“Et tu n’es pas venue me voir ou demander mon aide parce que…”
 
“Si j’essayais de vous rejoindre, ils m’auraient encore roulé dessus.”
 
Lady Magnolia fronça les sourcils d’un air sombre.
 
“Personne n’oserait agresser un invité sur le pas de ma porte.”
 
Ryoka haussa de nouveau les épaules.
 
“Ça pourrait arriver. Et je ne veux pas perdre mes deux jambes.”
 
“Je ne peux pas croire… c’est bien plus qu’un acte de sabotage. Ceux qui t’ont fait ça voulaient réellement que tu perdes l’usage de ta jambe. Je pense que tu le sais ? Même un [Guérisseur] expérimenté serait presque incapable de sauver ta jambe.”
 
Ryoka sourit. Son visage était livide, mais elle resta dressée sur ses coudes.”
 
“Ils voulaient l’amputer tout de suite. J’ai dit non.”
 
“Et tu ne veux pas accepter mon offre ?”
 
Lady Magnolia dévisageait Ryoka. Ses yeux transperçaient son âme, cherchant la vérité. C’était ce qui effrayait Ryoka. Mais elle lui rendit son regard et secoua la tête.
 
“Quarante questions. C’est tout ce auquel je répondrai. Un nombre limité de réponses.”
 
Là encore, elle eut l’impression d’avoir réellement surpris Lady Magnolia en voyant la femme hésiter et considérer l’offre de Ryoka. Mais l’aristocrate finit par secouer la tête.
 
“Un bon joueur sait quand miser et quand abandonner. Mon offre tient. Réponds à toutes mes questions et ta jambe sera guérie avant la fin de l’heure, tu as ma parole.”
 
Ryoka se mordit l’intérieur de la lèvre jusqu’au sang et essaya de ne pas laisser paraître sa déception. Mais là encore, Magnolia devait déjà la ressentir, n’est-ce pas ? Mais elle ne dit rien. Au lieu de cela, Ryoka s’effondra sur son lit et plongea son regard sur le plafond.
 
Magnolia la dévisagea, encore sous le choc.
 
“Incroyable. Et tu refuses quand même. Quels secrets caches-tu qui valent un tel prix, Ryoka Griffin ?”
 
Ryoka ne répondit pas. Au bout d’un moment Lady Magnolia se leva.
 
“Très bien. Je pense que tu finiras par changer d’avis. J’attendrai tra réponse.”
 
Là encore, Ryoka ne répondit pas. Elle entendit un bruit de froissement, puis Magnolia pressa un objet froid et dur dans sa main. Ryoka leva légèrement la tête et vit qu’il s’agissait d’un médaillon étrange - de bronze ouvragé, qui ne semblait pas si coûteux, mais serti d’un précieux saphir bleu en son centre.
 
“Contente-toi de briser la gemme au centre et je saurai que tu acceptes mes conditions.”
 
Lady Magnolia dévisagea Ryoka qui était toujours allongée dans son lit. Elle ne leva même pas les yeux sur l’aristocrate. Au lieu de cela, Ryoka eut un sourire amer.
 
“Vous êtes dure en affaires, hein ?”
 
“Je joue avec les vies et les opportunités, ma chère Ryoka. Et je suis convaincue que c’est un pari qui en vaut la peine. Accepte mon offre.”
“Ne laissez pas la porte vous claquer dessus en sortant.”
 
Un autre silence, puis Ryoka sentit Lady Magnolia se diriger vers la porte. Ressa l’ouvrit pour elle, mais l’aristocrate resta sur le pas de la porte une longue minute.
 
“Une information peut-elle vraiment valoir un prix aussi élevé ?”
 
Ryoka finit par lever la tête. Elle vit Lady Magnolia la dévisager avec ce qui semblait être une inquiétude sincère. Ryoka sourit. Son front était couvert de sueur et elle était pâle sous son hâle. Elle ne souriait pas vraiment, non plus. Elle montrait simplement beaucoup de dents.
 
“Vous voulez ma confiance. C’est un prix trop élevé pour moi.”
 
Lady Magnolia réfléchit et ouvrit la bouche. Puis elle secoua la tête.
 
“J’attendrai. Mais hâte-toi, Ryoka. Tu n’as presque plus de temps.”
 
La porte se referma. Ryoka se retrouva seule. Elle se couvrit les yeux.
 
“Fait chier. Bon sang.”
 
__________
 
Je suis une idiote. Je dois couvrir mes yeux pour empêcher les larmes de couler. Je suis tellement une idiote stupide et bornée.
 
J’aurais dû accepter l’offre immédiatement. Non… même si Magnolia avait voulu que je devienne son esclave, ou sa servante, ou travailler pour elle pendant dix ans j’aurais accepté son offre en un clin d’œil.
 
Mais elle voulait que je lui dise la vérité. Merde. Putain de Magnolia et son instinct. C’est la seule chose que je ne puisse pas lui donner. Jamais.
 
Ma jambe est à l’agonie. Mais mon cœur est de glace. Et maintenant que l’offre m’a été donnée, le chemin est clair. Deux routes se dessinent devant moi, et un monde attend mon choix.
 
Est-ce que c’est trop théâtral ? Oui. Mais c’est vrai.
 
Lève-toi. J’ai besoin d’une autre potion de soin. Ma jambe me fait mal… il faut que j’aie les idées claires.
 
Je me lève et ouvre le coffre. La douleur transperce ma jambe. Trois potions de soin. Merde, encore. Je ne peux pas les gâcher. Pas si…
 
Bon, si je refuse, elles n’ont aucun intérêt. Elles sont peu efficaces, dans tous les cas. Mais ils m’ont dit que des potions plus puissantes feraient pousser chaque fragment d’os qui transperceraient alors ma peau, et ça détruirait ma jambe, et il n’y aurait plus de guérison possible.
 
Un truc du genre. Oh. J’aperçois au fond de mon coffre la seule chose que je possède réellement dans ce monde. De mon monde. Il est posé au fond de mon coffre. Inutile, sans batterie. Au moins, les écouteurs y sont toujours attachés, mais ils restent là encore inutiles sans électricité.
 
Je regarde le morceau de plastique et de métal posé au fond du coffre. Est-ce qu’elle l’accepterait à la place ? Mais je devrais quand même lui dire ce dont il s’agit, et ce serait potentiellement aussi dangereux que…
 
Non. Non, il n’a aucune valeur dans tous les cas. S’il y avait encore de la batterie je pourrais peut-être encore négocier mais là… non. Elle veut des connaissances. Et ce prix est simplement trop grand pour que je le paie.
 
“Le savoir.”
 
Le mot pourrit sur ma langue. Ça semble si bête, si facile à offrir quand on le dit comme ça. Et ce serait facile pour moi d’accepter de répondre à n’importe quel nombre de questions.
 
Sauf que Magnolia peut lire dans les pensées. Ou déceler les mensonges. Et elle est rusée, assez intelligente pour continuer à poser des questions. Si je lui donnais accès à des réponses illimitées, elle finirait par avoir toute la vérité.
 
Je pourrais mentir. Mais elle le sentirait si je n’avais pas l’intention de tenir ma part du marché. Piégée, encore.
 
Maudite soit ma fierté. J’allais la retrouver et l'implorer s’il le fallait. Le prix… j’y réfléchirais plus tard. Mais même si cela signifiait vendre un bout de mon âme ou des secrets de mon monde, je pourrais encore courir.
 
Mais… non. Je ne peux pas faire ça. Non, jamais. Parce que si elle pose des questions…
 
Si elle pose des questions elle saura pour mon monde. Et alors ? Ce n’est pas grave. Même si elle apprend son existence, est-ce qu’elle peut s’y rendre facilement ? Je ne crois pas que ce soit la question. Si quelqu’un était en mesure de voyager entre les mondes à sa guise, on serait déjà au courant. Peut-être qu’elle pourrait, mais on a des armes à feu, et notre technologie est bien plus avancée que la sienne.
 
Mais c’est bien le problème, pas vrai ? Nous avons la science, et si elle pose plus de questions, elle l’aura aussi. Pas seulement ce qui concerne l’hygiène ou les bactéries, mais ce qu’elle ne devrait jamais savoir. Des secrets, des bonds en avant qui transformeraient n’importe quelle nation en superpuissance en un instant.
 
La poudre à canon. Les armes à feu. Les armes bactériologiques. Comment utiliser la vapeur, l’électricité pour créer de l’énergie. Les moyens de locomotion. Tout, que ce soit les techniques d’interrogatoire ou la meilleure manière de construire un tank ou une bombe. Les armes nucléaires.
 
Est-ce que ça paraît crétin de dire cela comme ça ? Je suis incapable de faire une bombe nucléaire. Mais je sais ce qui entre dans la composition de la poudre à canon. J’étais la meilleure en chimie. Je sais exactement comment fonctionne une turbine, et je suis à peu près sûre de me souvenir de toutes les techniques du FBI utilisées illégalement contre les terroristes.
 
Bordel. C’est un choix moral, pas vrai ? Perdre ma jambe, ou révéler les secrets de la mort et de la destruction. Si c’était quelqu’un d’autre, je pourrais mentir, ou me contenter de demi-vérités. Mais elle peut lire dans mes putains de pensées. Et je sais exactement comment récupérer les ingrédients pour la poudre à canon. Et faire des armes à feu serait un jeu d’enfant, dans ce monde.
 
Lady Magnolia. Je ne sais rien d’elle. Juste des rumeurs et le fait que c’est une riche aristocrate, puissante, influente, et qui a un réseau important. Même si elle semble gentille - surtout si elle semble gentille - je n’ai aucun moyen de savoir si elle utiliserait ce savoir pour faire le bien ou le mal.
 
Non. C’est encore plus simple que ça.
 
Même si je pouvais lui faire confiance, le secret s’ébruiterait. C’est comme ça que ça marche. Elle voudrait une démonstration, et quelqu’un d’autre ferait le lien. Sa servante Ressa, peut-être. Tôt ou tard, les technologies tomberaient entre d’autres mains que les siennes. Et je serai responsable d’avoir apporté les armes à feu dans ce monde. Et il a beau n’être sans doute pas très loin de ce niveau de technologie…
 
“Belfast. Beruit. Phnom Penh. All flesh is grass.”*
 
·  Traduction : “Belfast. Beyrouth. Phnom Penh. Toute chair est comme l’herbe.”
 
Quand j’étais petite, j’étais allée au Newseum à Washington D.C. J’avais vu les images sur le mur. J’avais vu les enfants, les mourants et les morts. Mon père pensait que j’étais trop jeune pour comprendre.
 
Toute chair est comme de l’herbe. Le “Photographe de Guerre” de Carol Ann Duffy. Est-ce qu’apporter les capacités de la poudre à canon dans ce monde mènerait directement à une guerre immonde ? Non. Mais là où il y a la connaissance, il y a le pouvoir. Et même si elle utilisait ce pouvoir pour aider son pays, cela ne pourrait mener qu’à la guerre.
 
Le napalm. Un mélange de pétrole et de latex naturel ou synthétique. Ce ne serait pas très difficile de créer le même genre de substance. Pas pour quelqu’un avec l’influence de Magnolia.
 
Je veux courir. Je veux marcher de nouveau.
 
Je ne suis pas Walter White. Mais je me souviens de trop de choses. Trop de programmes de National Geographic ou autres documentaires sur le monde. Je n’ai pas une mémoire parfaite. Mais j’en suis trop proche.
 
Bordel. Je ne peux pas faire ça. Je ne veux pas être celle qui aura créé Hitler ou qui aura donné à une autre… femme blanche un fusil et un mandat pour conquérir le monde. Mais je veux courir.
 
Je ne trouve pas de solution. Je suis incapable de décider. J’ai attendu une semaine… une putain de semaine qu’elle vienne me voir. Dans la douleur et la peur. Et quand elle a fini par m’offrir ce dont je rêve, j’aurais dû sauter sur l’occasion. Mais j’hésite. Je me défile.
 
Je suis perchée au bord de l’abysse et je me demande si mon âme brûle déjà bien en enfer. Ce n’est pas juste. Tout ce que j’aie jamais voulu dans ma vie, c’est courir. Je ne veux pas perdre ma jambe. Je veux courir. Je veux vivre. Je veux marcher.
 
Je ne veux pas voir l’enfant assise toute seule. Je ne veux pas voir le vautour. Je ne veux pas que ce soit de ma faute.
 
Seule, je suis assise dans ma chambre, assise avec le destin de deux mondes entre mes mains. Ce monde, et mon monde. Je vis pour courir. Mes jambes sont ce qui me définit.
 
Le médaillon est froid entre mes mains. Je pourrais écraser la gemme en un instant. La broyer contre le plancher. Ce serait tellement rapide, tellement facile.
 
Je pourrais…
 
La porte s’ouvre. Je lève les yeux. Un visage mêlant rêve et perfection me regarde. Moitié perfection, moitié mortelle. Les choses les plus cruelles des deux mondes. Ceria Springwalker.
 
Elle hésite, puis entre dans la chambre. Je m’attends à des mots vides et des promesses plus creuses encore. Je m’attends à être abandonnée, ou à ne ressentir rien d’autre que le désespoir. Mais elle n’apporte rien de tout cela.
 
Elle m’offre le salut.
 
***
 
“Je sais que c’est grave.”
 
Ryoka est assise sur le lit. Ceria regarde sa jambe, puis détourne les yeux.
 
“J’ai déjà vu une blessure comme ça. Je sais que c’est presque impossible à soigner. Je ne suis pas sûre que ton amie ait réellement compris…”
 
“Non. Mais c’est sans importance. Elle ne peut pas m’aider. Et toi non plus.”
 
“Nous avons une dette envers toi. Tu ne le comprends peut-être pas, mais Calruz a engagé chacun des membres des Cornes d’Hammerad parce que nous croyons en l’honneur. Si nous pouvons t’aider, nous le ferons.”
 
Ryoka dénuda ses dents.
 
“Vous avez quelques centaines de pièces d’or ?”
 
“Non. C’est trop pour nous, pour être honnête. Même si on vendait nos armures et nos armes - et Calruz en serait capable, pour t’impressionner - je doute qu’on serait capable d’approcher un [Guérisseur] de ce niveau. Ils sont très occupés, la demande est constante. Des milliers de gens campent tous les jours devant la maison d’un [Guérisseur] célèbre à Tenbault, dans l’espoir qu’il s’occupera d’eux. Mêmes si on avait l’argent qu’ils réclament ce serait un miracle si on arrivait à décrocher une audience.”
 
Ryoka grogna. Sa main était crispée sur un médaillon que Ceria reconnut. Un simple sort était gravé dans la gemme en son centre. Elle ne fit aucun commentaire. Au lieu de cela, Ceria regarda Ryoka. Ryoka la dévisagea.
 
Ceria pouvait deviner ce que voyait la jeune femme. Une métisse, peut-être. Un souvenir de ce qui avait été perdu, ou peut-être qu’elle voyait simplement une mage, quelqu’un qui poursuivait des objectifs que peu comprenaient. C’était sans importance. Et pour une raison qui lui échappait, Ceria songea que la Coursière connue sous le nom de Ryoka Griffin n’avait pas le même regard que la plupart des gens. Mais le devoir était le devoir. L’honneur était l’honneur.
 
“Mon peu… Je n’ai pas confiance en la noblesse.”
 
Ceria lança à Ryoka un regard en coin, semblant espérer une confirmation. Ryoka grogna.
 
“Je n’ai confiance en personne.”
 
“Je sais que Lady Magnolia t’a offert… quelque chose. Je l’ai vue en venant ici. Tu veux sans doute accepter son offre, mais tous les marchés ont un coût. Et même si elle ne le dit pas, elle voudra quelque chose en retour.”
 
“Je sais.”
 
“Un sort est probablement le seul moyen de soigner ta jambe. Mais il existe d’une part la magie qu’elle t’offre, et… d’autres moyens.”
 
“D’autres moyens ?”
 
Ryoka dévisagea Ceria. Ses yeux parurent transpercer la demie-elfe. Ceria Springwalker avait vécu plus de soixante années, mais elle n’avait jamais vu quelqu’un avec un regard aussi désespéré que celui de Ryoka Griffin.
 
“Dis-moi.”
 
Ses yeux semblaient tracer un chemin directement vers son âme. Ceria prit une profonde inspiration.
 
“... Que penses-tu de la nécromancie ?”
 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 28 mars 2020 à 19:30:01
Depuis le 28/03/2020, EllieVia rejoint le projet de traduction de The Wandering Inn, elle avait aussi commencé sa traduction en parallèle, et nous avons décider de joindre nos projets! A partir d'aujourd'hui, et pour ne pas perdre une partie de l'excellent travail qu'elle a fourni, tous les chapitres existant de Ryoka seront remplacé par les siens! Allez y jeter un œil!

De plus, plusieurs termes importants ont été revus et changés, et seront corrigé dans les jours à venir, la liste complète se trouve juste en-dessous!

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.




1.28
Traduit par Maroti

Après quelques jours, Erin conclut qu’elle avait trois types de clients. Le premier était les Antiniums, c’est-à-dire Pion et les Ouvriers. Il les amenait tous les jours, ou à chaque fois que le soleil touchait les pics des montagnes au sud.

Au sud. Apparemment, le soleil se couchait plus proche du sud que de l’ouest dans ce monde. Erin se sentait un peu bête de ne pas l’avoir remarqué plus tôt, mais pour sa défense, elle ne se baladait pas avec une boussole.

Mais les Ouvriers arrivaient toujours à la même heure, beaucoup ramenait des échiquiers fait de pierre et de papier. Apparemment, les Ouvriers recevaient bien une sorte de payement et utilisaient leur argent sur la nourriture et les échecs uniquement.

Erin était dérangée par ce fait, surtout vu le prix qu’elle avait mis sur les mouches acides. Mais Pion lui avait dit qu’avant ça, les Ouvriers ne clamaient jamais leurs salaires hebdomadaires. De plus, ils mangeaient comme des cochons, des cochons affamés avec un goût pour des mouches croquantes.

Mais malgré leurs obsessions avec la nourriture, les Antiniums étaient polis et silencieux, à l’exception des repas, et ils jouaient aux échecs. Dans un autre monde, Erin aurait été heureuse de les inviter chez elle tous les jours.

Le second type de clients qu’elle avait était les Gobelins. Ils étaient comme les Ouvriers, mais ils sentaient plus, ils étaient plus sales et payaient avec des pièces recouvertes de terre, de sang et parfois de…

Erin avait établi une règle dans son auberge. Les Gobelins devaient se laver dans le ruisseau, ou au moins faire trempette, avant de pouvoir rentrer. Même s’il n’y en avait pas beaucoup qui venait. En vérité, il n’y avait que Loks et sa troupe.

Et c’était une troupe. Ou un groupe. Ou un gang. Erin était certaine qu’elle était la chef de ce petit rassemblement, mais même si elle était à sa tête, c’était aussi clair qu’elle n’était pas la chef de sa tribu, s’il y avait toujours une tribu.

Occasionnellement, la petite Gobeline venait seule, mais elle avait généralement deux plus grands Gobelins qui la suivait. Ils étaient presque toujours blessés, pas gravement, mais avec de petites blessures qui laissaient suggérer des échauffourées et des combats. Erin se demandait si la raison pour laquelle elle ne voyait pas les autres Gobelins était parce qu’ils récupéraient de leurs blessures.
Dans tous les cas, Loks payait pour tous les repas de son groupe et mangeait en silence. Occasionnellement, elle jouait une partie d’échec, mais Erin avait la distincte impression que la petite Gobeline l’observait.

Ce qui ne la dérangeait pas, mais Erin était devenu plus… Méfiante ces derniers jours. Elle vérifiait constamment le nombre de Gobelin autour de l’auberge, et même si Loques venait seule, Erin ne laissait jamais un couteau ou une autre arme visible. Elle faisait aussi vider les poches des Gobelins avant d’entrer dans l’auberge.

Mais, même si les Gobelins étaient quelque chose qui faisait occasionnellement s’arrêter les Ouvriers et qu’Erin comptait les couteaux qu’elle avait dans sa cuisine, ils étaient des clients décents. Ils payaient, et c’était plus que ce qu’Erin pouvait dire du troisième type de client : Un mage agaçant.

« Est-ce que tu sais combien tu me dois pour tous ces repas ? »

Pisces leva les yeux, la bouche pleine de soupe. Il avala, s’empara d’un morceau de pain qu’il mâcha avant de répondre.

« Je suis à jamais reconnaissant pour ta bonté et ta tolérance, Maîtresse. Soit assuré que je payerai mes dettes en temps et en heure dès l’instant où j’acquiers la somme nécessaire. »

Erin planta ses mains sur ses hanches. L’auberge était vide à l’exception de Loks assise dans un coin, buvant bruyamment un autre bol de soupe.

« Tu continu de dire ça, mais est-ce que tu as de l’argent sur toi ? »

Pisces leva ses sourcils.

« Qu’est-ce que l’argent excepté un concept ? Si tu fais référence à la notion de l’argent, je suis riche en… »

« Des pièces. Est-ce que tu as de pièces ? »

« Pas en cet instant, non. »

Il haussa les épaules alors qu’Erin lui lança un mauvais regard, et retourna à sa soupe. C’était incroyable comment Pisces était capable d’avaler sa nourriture et donner l’impression de grimacer en même temps.

« Je sais que tu passes tes journées à étudier la magie, mais est-ce que ça te tuerai de trouver un emploi ? Tu pourrais alors payer pour tes repas au lieu de constamment quémander. Et tu pourrais payer quelqu’un pour laver ta robe ! »

Pisces baissa les yeux vers sa robe, tachée par ses voyages et sa nourriture. Elles étaient probablement blanches, mais l’utilisation constante et le manque d’entretien les avait rendues grises et tachées.

« Je ne vois pas où tu veux en venir. »

« Tes vêtements. Sont sales. »

Il haussa les épaules.

« Est-ce qu’ils émettent une sorte d’odeur désagréable ? »

« … Non. »

« De nouveau, la magie a éliminée une autre épuisante tâche ménagère. Quant au fait que je suis sans emploi, je te rappelle que je suis banni de Liscor dût à mon inclination en matière de magie. »

« Et parce que tu as volé de la nourriture et de l’argent en prétendant être un monstre. »

« Aussi, je suppose. Dans tous les cas, cela me force à rester éloigner de la Garde. Même aussi loin de la ville, je dois parfois éviter leurs épuisantes patrouilles. »

« En fait, tu ne vas plus être dérangé par ça. »

Erin soupira et jeta son torchon sur la table, juste à côté de Pisces. Il lui jeta un regard, avant de se concentrer sur elle à nouveau.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Oh, ils ne vont plus patrouiller autour de l’auberge. Après… Après Klbkch… Enfin, cette stupide Capitaine a dit que la Garde ne patrouillera plus cet endroit. Et Relc ne vient plus par ici, donc je suppose que tu n’as plus à t’inquiéter de la Garde. »

Pisces répéta lentement les mots d’Erin.

« Ils ne patrouillent plus cette région ? »

« C’est ce que je viens de dire. »

Il se gratta le menton et jeta un coup d’œil à la fenêtre. C’était encore le matin, mais Erin avait fermé la plupart des volets. Le jour était anormalement frisquet, et elle n’avait pas envie de faire un feu.

« Cela est… Problématique. »

« Oh ? Pourquoi ? »

Pisces s’appuya contre le dossier de sa chaise et commença à s’occuper les mains avec sa cuillère. Il regarda le plafond, et Erin savait que cela voulait dire qu’elle allait recevoir un autre sermon. Résignée, elle s’empara du torchon et commença à nettoyer une autre table.

Loks était assise deux tables plus loin. Erin cligna des yeux alors que la Gobeline détourna rapidement le regard. Elle n’avait même pas entendu la petite Gobeline bouger. Est-ce qu’elle… Écoutait leur conversation ?

« La faune et la flore locale de la région autour de Liscor n’est pas le plus hostile des environnements, mais il y existe de nombreuses espèces de monstres qui pose une véritable menace, même pour moi. »

Erin jeta un regard vers Pisces.

« Même pour un grand et glorieux mage comme toi ? »

« Disons simplement que plusieurs espèces de la région dissuadent les aventuriers d’exercer leurs professions. Même si, après tout, les Drakéides et les Gnolls ne sont pas très intéressés par le métier d’aventurier. Mais sans la Garde pour réduire la population locale, cet endroit deviendra rapidement très dangereux. Je te suggérerai d’engager un moyen d’assurer ta protection avant que cela arrive. »

« Quoi, comme un garde du corps ? Je n’ai pas l’argent pour ça. »

Pisces secoua la tête.

« Je faisais référence aux brutes armées généralement connu sous le nom de videurs, mais tu soulèves un bon point. Je doute que beaucoup de personnes acceptent de venir aussi loin pour te protéger… Et même s’ils le feront, leurs prix seraient sûrement exorbitants. »

« C’est ce que je viens de dire. »

« Oui, mais dans tous les cas, trouver une manière de te protéger est hautement conseillé. »

« Je peux me battre. J’ai, heu, la compétence de [Rixe de Taverne], tu sais. Je peux totalement éclater une chaise sur la tête de quelqu’un. »

Pisces leva un sourcil et applaudit silencieusement. Erin lui lança un regard.

« C’est vraiment, ah, impressionnant. Cependant, je doute que ta prouesse avec une chaise en bois sera suffisante pour repousser autre chose qu’un Gobelin. Je crains que la plupart des créatures sont un peu plus solides que ça. »

Cette fois Erin et Loques lancèrent un regard à Pisces. Il ignora Erin, mais semblait prendre plus  de précautions avec Loks, qui avait bougé pour s’asseoir à la table voisine. Avec précaution, comme s’il s’attendait à ce qu’elle morde, Pisces agita l’une de ses mains en direction Loks qui leva les mains pour se protéger.

« Laisse-moi formuler ça d’une autre manière, Maîtresse Solstice. En des mots qui sont plus faciles à comprendre. Monstres, forts. Toi, faible. Qu’importe ton niveau, tu as seulement une classe d’[Aubergiste] qui a peu de compétence tournées vers la survie. »

Pisces prit une autre bouchée de pain avant de tendre le bras vers son verre alors qu’Erin était furieuse.

« Je ne suis pas totalement sans défense, tu sais. »

« Je n’ai jamais dit que tu l’étais. Mais il y a une différence entre combattre et se défendre. »

Il avait raison. En vérité, Pisces avait souvent raison, mais le problème était qu’il était tellement agaçant en ayant raison qu’Erin n’avait pas envie de l’admettre. Elle changea le sujet vers quelque chose dont elle voulait parler avec lui.

« Au passage, j’ai appris une nouvelle compétence après la… La partie. »

Pisces s’arrêta avec son verre aux lèvres.

« Oh ? »

« Son nom est [Instant Immortel]. Je n’ai pas la moindre idée de ce que ça fait. »

« Hum. »

Il fronça les sourcils et prit une grande gorgée, grimaçant au goût de l’eau.

« Je n’ai jamais entendu parler d’une compétence de la sorte dans les répertoires que j’ai épluché lorsque j’étais un étudiant. De plus, je n’ai jamais entendu parler d’une telle compétence. As-tu trouvé ce qu’elle fait ? »

« Nan. »

Pisces haussa de nouveau les épaules.

« Pour être franc, cette compétence semble être bien inutile. »

« C’est ce que je pense moi aussi. Mais est-ce que tu penses que ça a quelque chose à voir avec les échecs ? Vu que je l’ai probablement apprise en jouant. »

Il y pensa en buvant.

« C’est possible, même si les compétences qui se concentrent sur une seule tâche sont généralement plus faciles à identifier à leurs noms. Il est fort probable que tu es gagné cette compétence durant la partie. Mais sur ce qui est de son utilité ou la manière de l’utiliser… »

Il leva une main et termina son verre. Puis il fronça les sourcils et posa brusquement le verre sur le bar.

« N’as-tu pas d’alcool ? Ou si tu dois vraiment servir à boire, peux-tu avoir la politesse d’apporter du jus d'Amentus ? »

Erin leva les sourcils. Pisces pointa son verre vide du regard et elle suivit son regard, sans faire le moindre mouvement pour remplir son verre.

« Seuls les gens qui paient leurs ardoises ont le droit à du jus bleu. Et pour l’alcool… Je suis mineure, espèce d’idiot. Je n’ai que 20 ans. »

Pisces la regarda de manière incrédule et Erin lui rendit son regard de l’autre bout du comptoir.

« Une mineuse, je pensais que tu n’étais qu’une Aubergiste ? »

« Non ! Cela veut dire que je suis en dessous de l’âge de… »

Erin s’arrêta.

« … Laisse tomber. D’accord, ouais, je pourrais acheter de l’alcool, mais c’est cher. »

« Et coutume pour une auberge. »

Erin y pensa pendant une seconde, avant de vaguement se rappeler quelque chose.

« C’est vrai que j’ai la compétence de [Distilleure]. Je suppose que je pourrai… Faire de la bière ? »

De nouveau, le ton de Pisces était lacé de sarcasme.

« Ah. Je vois qu’avoir une compétence remplace le besoin d’avoir du houblon, des tonneaux, le processus de fermentation, la levure et bien sûr le grain nécessaire pour faire cette boisson. J’aimerais bien voir comment tu fais de la ‘bière’, et préviens moi quand tu auras décidé quel type de ‘bière’ tu vas vouloir créer. »

Erin lui lança un regard. Ce qui était étrange était qu’elle comprenait parfaitement ce que Pisces voulait dire. La compétence dans sa tête lui soufflait plein de choses folles, comme le temps nécessaire pour faire fermenter moût qu’elle allait obtenir après avoir ajouté de l’eau bouillante au grain, ainsi que tout ce dont elle allait avoir besoin. Et en vrai ? Il semblerait que faire de l’alcool était une véritable emmerde.

« Je peux aussi faire du vin. Le vin, c’est plus simple. »

Il secoua sa tête.

« Je fais confiance en ton opinion d’experte, bien sûr. Mais puis-je recommander que tu essayes ta boisson sur les Gobelins, ou peut-être sur les Antiniums, avant de les servir ? »

Cette fois, Loks enfonça son doigt dans les côtes de Pisces. Il jappa, tenta de la frapper, et manqua de tomber sa chaise. Il jeta un regard noir à Loques.

« Maîtresse Solstice, peux-tu, s’il te plaît, garder ton invitée loin de moi? Sinon je serais dans l’obligation d’utiliser ma magie pour régler ce problème par moi-même. »

Loques recula aussitôt de Pisces, alarmée. Erin croisa les bras et le regarda.

« Tu ne feras rien de la sorte tant que tu veux manger ici. Arrête d’embêter la Gobeline, et arrête aussi de les insulter tant qu’on y est. De plus, elle te battrai probablement dans un combat. »

« J’en doute fortement. »

Pisces murmura sombrement ces mots, mais il resta assis dans sa chaise et commença à avaler plus de soupe. Loks regarda délibérément dans la direction opposée des deux humains et prétendit être occupée à gratter des croûtes sèches sur ses côtes. Erin soupira. Des mages sensibles et des Gobelins indiscrets. Les Antiniums lui manquaient déjà.

«  Je comprends que les Ouvriers et les Gobelins voyagent en groupe et fuient les monstres, mais comment tu fais pour survivre dehors par toi-même ? »

Il haussa les épaules, boudeur.

« Tous les mages dignes de ce nom connaissent des sorts pour éviter de se faire repérer. [Invisibilité] est l’une de mes spécialités, par exemple. »

« Oh. D’accord. J’oubliais que tu pouvais faire ça. Alors, est-ce que tu connais beaucoup de sorts ? »

« Je suis adepte dans de nombreux domaines. Mais oui, [Invisibilité] est un sort du 4eme Échelon Magique que j’ai acquis après de longues études et en m’entrainant. Il est efficace dans presque toutes les situations. »

« Comme quoi, par exemple ? Espionner les gens ? Dis… Tu n’es jamais venu ici en étant invisible, pas vrai ? Parce que si c’est le cas… »

Erin fit un poing avec sa main. Pisces leva ses deux mains et grimaça.

« Loin de moi cette idée, j’ai quand même des standards que je respecte, de plus, tu es consciente que la plupart des mages utilisent les sorts de [Vision Lointaine] et [Scruter] pour espionner qui ils veulent sans impunités, n’est-ce pas ? »

« Quoi ? »

Erin le regarda avec horreur, et Pisces sourit légèrement.

« Est-ce vraiment si surprenant ? La plupart des résidences de la haute société et des bains ont des sorts pour se protéger de ce type d’intrusion. Mais ne craint rien… Il n’y a pas d’autres mages humains dans la région, à mon exception, et je suspecte que si des mages Drakéides existent, ils préféreraient observer leurs propres espèces. »

Erin frissonna.

« C’est la chose la plus flippante que j’ai jamais entendue. Vous les mages, vous êtes tous des pervers. »

Il semblait s’indigner de ses paroles.

« La magie est un art sacré, Maîtresse. Le fait que quelques individus l’utilisent à des fins néfastes est une petite conséquence qui ne peut pas être évitée. Mais pour tous ceux qui poursuivent les arts magiques, les bénéfices sont démesurés. Par exemple, je n’ai pas à m’inquiéter des attaques de monstres même si la Garde abandonne leurs patrouilles dans cette zone. »

« Donc tu es Monsieur Tout Puissant, hum ? »

« Tu as vu mon efficacité face aux mouches acides, n’est-ce pas ? »

Erin s’arrêta.

« Oh. Ouais. Tu étais plutôt cool là-bas. Hum, merci encore. »

Pisces agita sa main et se concentra de nouveau sur son bol de soupe. Erin pensa que ses joues étaient légèrement rosées. Elle sourit, avant de penser à autre chose.

« Pourquoi tu ne m’apprends pas de la magie ? J’effacerai ton ardoise si tu le fais. »

Le mage leva les yeux de sa soupe et regarda Erin.

« T’enseigner. De la magie ? Chère Maîtresse… »

Elle lui lança un regard.

« … Erin. Tu réalises que la magie n’est pas aussi simple qu’agiter une baguette et chanter quelques mots, pas vrai ? Devenir un mage de mon calibre demande des années, voir des décennies d’études intensive. »

« Je sais. »

Erin ne le savait pas, mais cela avait du sens. Mais maintenant qu’elle avait l’idée en tête, elle ne voulait pas la lâcher. La magie. Cela semblait si étrange et incompréhensible et pourtant…

« Mais, heu, tu ne peux pas m’apprendre un peu de magie ? J’adorerai apprendre. Je pense que les mages sont cools. J’étais un grand fan d’Harry Potter en grandissant, même si je pensais que Draco était plutôt mignon… »

Pisces jeta un coup d’œil à Loks qui lui rendit avec un regard vide.

« … Qui ? »

Erin rougit.

« C’est pas grave. Oublie ce que je viens de dire. Mais est-ce que tu vas m’apprendre quelque chose ? Ça n’a pas besoin d’être beaucoup. Je veux juste apprendre de la magie. »

Loques leva les yeux et arrêta de gratter ses croûtes. Erin sentit que la Gobeline s’approchait de plus en plus alors que Pisces considéra son offre.

« Et tu effacerais mon ardoise ? »

« J’effacerai ton ardoise et je commencerai à acheter de l’alcool. »

Cela sembla faire pencher la balance, et Pisces hocha la tête. Il se rassit dans sa chaise avec un air penseur et entonna avec sa voix importante.

« Soit. Très bien. Commençons avec le Test des Mages. Observe. »

Pisces leva un doigt qui commença à briller d’une lueur bleue-blanche. Il commença à tracer quelque chose dans l’air. La lumière suivit le tracé de son doigt en laissant des résidus éthérés. Erin plissa les yeux en le regardant, fascinée.

« C’est le test basique pour déterminer tes aptitudes. Je suis en train de dessiner… »

Le tracé de la douce lueur bleue était à moitié complet quand quelque chose interrompit la leçon de Pisces. Un flash de lumière éclata sous son nez. Pisces poussa un petit cri de surprise, perdit le contrôle de sa chaise, et s’écroula au sol.

Erin recula. Pisces s’agita au sol alors que Loques bondit de sa chaise pour se cacher sous une table.

« C’était quoi ça ? Fait le disparaître ! »

Quelque chose était en train de flotter devant Pisces. Il essaya de le repousser de ses mains, avant de s’arrêter en voyant ce que c’était. Lentement, il se releva et Erin vit quelque chose flotter autour de sa tête. Cela semblait être… Une luciole ? Une luciole faite de rouge et d’or… Non, plus comme une gamme de toutes ces couleurs, clignant et scintillant devant le visage du mage. C’était magnifique et mystérieux.

« C’est quoi ça »

Pisces se redressa. Il approcha lentement sa main, et la luciole devint des étincelles de lumières qui dansèrent autour de sa main. Il les regarda.

« C’est un sort de communication, mais je n’en ai pas vu un de la sorte depuis… »

Il s’arrêta, fronçant les sourcils. Les étincelles de lumière commencèrent à se condenser en d’étranges formes scintillantes. Erin plissa les yeux, mais les formes ne ressemblaient pas à des lettres. Ou… Est-ce qu’ils étaient des mots ? Elle n’arrivait pas à les décrire… Non, elle ne pouvait pas les comprendre.

Chaque étincelle se tordit et devint une rune ou un symbole, flottant dans la main du mage, mais Erin pensait qu’ils étaient aussi des mots. Mais est-ce qu’il était possible de transformer une lettre ou une forme en un véritable concept ? Et ils… Ils étaient douloureux à observer. Les yeux d’Erin la lançaient alors qu’elle essayer de comprendre les étranges formes magiques.

C’était comme s’ils n’existaient pas dans un monde normal et en trois dimensions. Et plus Erin les regardait, plus elle développait une migraine douloureuse et plus la douleur devenait vive derrière ses yeux. Elle dut détourner le regard.

Loks était désespérément en train d’essayer de regarder le message magique, mais elle semblait souffrir comme Erin, tenant sa tête et forçant ses yeux à rester ouverts avec ses doigts crasseux.

Seul Pisces semblait être capable de regarder les formes sans aucune forme de douleur. Il fronça les sourcils, et se leva.

« Je dois lire ceci. Je, ah, vais m’en aller. Merci pour le repas. »

« De… Rien. »

Erin protégea ses yeux et regarda la robe tachée et les sandales sales aller jusqu’à la porte, puis elle entendit de nouveau la voix de Pisces.

« … Qu’importe tes sentiments, tu devrais engager une sorte de protection. Les monstres et la faune les plus agressifs retourneront bientôt dans cette zone. »

Erin leva les yeux, avant de cligner alors qu’une des formes pulsa un message que son cerveau ne pouvait pas comprendre. Elle couvrit de nouveau ses yeux, et quand elle osa retirer sa main, Pisces avait disparu.

***

Des gardes du corps. De l’aide. Des videurs. De la sécurité. Des gens avec des bâtons pointus. Ils allaient des gens qui étaient doué dans une bagarre jusqu’aux aventuriers actifs ou à la retraite qui voulaient bien prendre un travail plus facile en échange d’un salaire.

Ils étaient coûteux, mais c’était mieux que de se faire poignarder à répétition ou manger par un monstre. C’était l’opinion de Pisces. Erin entendit à peu près la même chose quand elle posa la question à Selys.

Les deux jeunes femmes ou jeunes… Adultes femelles étaient en train de marcher à travers la place du marché de Liscor, faisant les boutiques. Erin était en train d’accompagner Selys, cette dernière ayant déjà acheté ce dont elle avait besoin chez Krshia.

C’était très étrange. D’une certaine manière, Selys était comme n’importe quelle autre jeune femme qui avait à peu près le même âge qu’Erin. La Drakéide suivait les dernières tendances, admirait les bijoux, achetait de la nourriture pour la semaine, et parlait joyeusement avec les marchands comme n’importe quelle jeune femme vivant sa vie.

Si Erin fermait les yeux elle pouvait s’imaginer qu’elle était de retour dans son monde. Mais quand elle regardait Selys, il était difficile d’ignorer les écailles, et la queue, et le sujet de la conversation.

« Ecoute Erin, je sais que tu veux rester dans ton auberge, mais ce n’est pas sûr. Engage au moins un aventurier bas niveau. Ils ne sont pas si forts,, mais je peux te trouver un bon deal. Peut-être que tu peux appeler ça une requête d’extermination perpétuelle. Alors la Guilde couvrirait une partie des frais. »

Erin secoua la tête en continuant de marcher dans la rue.

« Je ne vois pas pourquoi j’ai besoin de protection, Selys. Je n’ai pas vu de monstre récemment, même pas un Crabe-Rocher. La seule chose que je vois sont ses oiseaux-dinosaures dans le ciel ainsi que Loques et les Gobelins. »

« Ils sont déjà terribles. Mais tu n’as pas encore vu les monstres véritablement dangereux parce que la Garde les éloigne ! Ecoute Erin, je ne veux pas apprendre que tu t’es fait manger ou découper en petits morceaux. »

« Charmante image. »

« Merci. Mais la Garde est là pour notre protection Si tu ne te protèges pas… »

Selys s’arrêta, plissant les yeux. Elle et Erin commencèrent à ralentir leurs progressions. Il y avait une foule devant eux, principalement des Drakéides avec quelques Gnolls dans le lot.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Une personne était en train de crier. Non, des personnes étaient en train de crier. Erin se mit sur la pointe des pieds mais elle ne pouvait pas voir au-dessus de la marée de personne qui la séparait de la scène. Puis, d’un coup, la foule s’ouvrit et plusieurs Drakéides s’engouffrèrent dans l’ouverture.

« Laissez passer ! »

Erin sauta sur le côté et regarda un groupe de quatre Drakéides armés sortir de la foule. Ils n’étaient pas des gardes, mais ils n’étaient clairement pas des civils.

« Des aventuriers. »

Selys murmura à Erin alors qu’elle la tira vers un bord de la rue. En effet, tous les piétons laissaient de l’espace pour les aventuriers Drakéides.

Les Drakéides crièrent, énervés, en direction de la foule derrière eux et commencèrent à s’avancer le long de la rue. Erin les regarda partir, et vit une silhouette familière sortir de la foule.

Relc poussa la foule et émergea de la mer de corps, sa queue s’agitant de manière colérique. Il se retourna, attrapa par le col un plus petit garde Drakéide qui semblait secoué.

« Stop ! »

Il hurla dans le dos des aventuriers Drakéides, mais ils l’ignorèrent. Furieux, Relc s’apprêta à les pourchasser, mais l’autre garde l’attrapa. Relc et le Drakéide se disputèrent furieusement.

Le regard de Selys passa des aventuriers à Relc de manière anxieuse.

« Ils ont dû se battre avec la Garde. Cela va causer des problèmes. »

Erin regarda Relc avec incertitude. Sa queue fouetta furieusement le sol alors qu’il continua de se disputer avec l’autre garde.

« Est-ce qu’il va les arrêter ? »

« J’espère pas. Les aventuriers et la Garde ne s’entendent pas. S’il le fait, cela aussi causé des problèmes. Enfin, il y aura déjà des problèmes à la Guilde, mais les arrêter ne ferait qu’empirer les choses. »

Selys regarda anxieusement alors que Relc semblait devenir de plus en plus furieux, malgré les efforts de l’autre garde pour calmer la situation. Il se libéra et commença à marcher à la suite des aventuriers qui étaient déjà hors de vue. Par coïncidence, son chemin le mena devant Selys et Erin.

Le Drakéide se figea en voyant Erin. Elle hésita, incertaine de ce qu’elle devait dire, voir si elle devait dire quoique ce soit. Avant qu’elle ne puisse se décider, Relc se retourna et marcha dans la direction opposé, traînant l’autre Garde sur le chemin. Il ne se retourna pas.

Selys relâcha sa respiration.

« Bien, c’était chanceux. C’est une bonne chose qu’il a décidé de ne rien faire. Je déteste voir des combats arriver dans le marché, surtout que nous n’avons pas terminé notre shopping. C’est une bonne chose que tu l’as calmé, n’est-ce pas, Erin ? Erin… ? »

Elle regarda le visage d’Erin. L’humaine était en train de frotter ses yeux. Les yeux de Selys s’élargirent et sa queue commença à tressaillir.

« Oh. Heu. Désolé. Je ne voulais… Enfin… Partons. »

Délicatement, elle prit Erin par le bras et l’éloigna. La foule regarda l’humaine avec curiosité, mais perdit intérêt maintenant que les aventuriers et Relc étaient partis. Seuls quelques Gnolls regardèrent le dos d’Erin, mais détournèrent rapidement le regard quand une certaine marchande Gnoll sortit de son étal et les regarda.

***


« Tiens. Prends une tasse de thé. »

Selys tendit une tasse fumante de quelque chose qui était doux-amer. Erin la sirota poliment et goûta ce qu’elle imaginait être une infusion de racines. Ce n’était pas si mauvais, et c’était chaud.

« Désolé pour ça. »

« … Y’a pas de mal. J’ai juste… je suppose que Relc ne s’attendait pas à me voir. Il semblait en colère. »

« Oui, en effet. »

Selys s’activa dans sa petite maison, allant chercher une autre tasse de thé aux racines pour elle-même alors qu’elle mit Erin à l’aise. La pièce dans laquelle elle avait amené Erin rappelait à cette dernière un appartement normal, à l’exception qu’il était plus ouvert et spacieux.  La chaise sur laquelle elle était assise avait aussi une taille différente, légèrement plus en hauteur que la normale.

Enfin, la femelle Drakéide prit un siège à côté d’Erin.

« Je suppose que c’est un autre accident avec les aventuriers. Je ne les ai pas reconnus, donc ils doivent probablement venir du sud. Et ceux que nous avons accueilli récemment, et bien, ils n’aiment pas obéir aux lois tant que ça donc la Guilde des Aventuriers a reçu beaucoup de plaintes récemment. »

« Hum. »

Erin avait presque oublié que Selys était une réceptionniste à la Guilde.

« Ils étaient tous des Drakéides. N’y a-t-il pas aussi des aventuriers Gnolls ? »

« Oh, quelques-uns. Mais c’était probablement une équipe entièrement faite de Drakéide. Les Gnolls… Enfin, les Gnolls n’aiment pas trop travailler avec les autres espèces. Et peu d’entre eux deviennent des aventuriers, donc nous en n’avons pas beaucoup. »

« Et qu’en est-il des humains ? Est-ce que beaucoup d’entre eux sont des aventuriers ? »

« Beaucoup. La majorité, en fait. Mais ce groupe vient du sud. »

« … D’accord ? »

Erin fronça les sourcils en regardant Selys. Selys fronça ses non-sourcils en retour.

« Ils viennent du sud, donc ils sont tous des Drakéides. »

« D’accord, d’accord. Parce que tous les Drakéides vivent dans le sud… ? »

Selys s’arrêta.

« …Erin. Est-ce que tu connais la géographie locale ? »

« Hum, non. »

Erin se tortilla dans son siège. Selys soupira, avant de sourire.

« Tu as vraiment besoin de faire plus attention. Attends un instant. »

Elle déposa sa tasse et s’agita dans sa demeure, parcourant différents tiroirs. Erin continua de siroter son thé jusqu’à ce que Selys retourne avec un bout de papier.

« Est-ce que tu sais quelque chose sur ce continent ? »

« Je sais que nous sommes sur un continent. C’est déjà pas mal ? »

Selys donna un coup de griffe taquin dans les côtes d’Erin. Cette dernière laissa échapper un petit cri de surprise et manqua de faire tomber son thé.

« Désolé, désolé ! J’oublie à quel point les Humains peuvent être tendre ! Désolé ! »

« Y’a pas de mal. »

Embarrassée, Selys prit une plume et ouvrit un pot d’encre.

« Attends, laisse-moi te montrer. Le continent sur lequel nous sommes s’appelle Issrysil… Enfin, les Humains ont un autre nom. Ça ressemble à ça, environ. »

Selys commença à dessiner sur un bout de papier, et traça une terre qui ressemblait vaguement à un triangle sur la partie supérieure, avant de s’amincir vers le centre et de vaguement prendre la forme d’une chaussure vers le bas. C’était plutôt ovoïde au final, mais c’est peut-être lié au talent de dessinatrice de Selys.

« D’accord, c’est rudement là ou tous les Humains vivent. Tu vois ? L’intégralité de la partie nord du continent à part l’endroit où les montagnes commencent. De là… À… là. »

Erin regarda le gigantesque gribouillage que Selys venait de dessiner autour de la partie nord du continent. Puis elle ajouta plusieurs petits triangles pour les montagnes à deux tiers de la carte, et une longue ligne s’étirant le long du continent, coupant le tiers supérieur de la partie basse.

« Et ici c’est Liscor. Tu vois, nous sommes le seul chemin à travers la chaîne de montagnes à part pour les Hautes-Passes ici… Et bien sûr, il y a aussi les routes côtières à l’est et l’ouest. »

Selys dessina des flèches à travers deux sections de la chaîne de montagne et entoura le petit point qui représentait Liscor. Le point était approximativement au centre de la carte, là où le continent était le plus étroit. Erin n’était pas douée en géographie, ou topographie, ou qu’importe ce que les cartes étaient, mais il semblait que Liscor était dans une sorte de vallée.

« Tu vois, c’est pourquoi Liscor est si important. Sans nous, toutes les marchandises devraient passer par la terre ou la mer en contournant l’intégralité du continent, ou en bravant les Hautes-Passes. Et ce n’est pas une bonne idée. »

« Ces Hautes-Passes sont dangereuses ? »

« Même pour les aventuriers de haut-niveau. Il y a de terribles créatures vivant dans le coin… Ils rendent les monstres locaux inoffensifs en comparaison. »

« Oh. Mais si tous les humains vivent au nord, qu’en est-il du sud ? Est-ce que c’est que… Les Gnolls et les Drakéides ? »

« Et les Antiniums, mais quelques autres espèces vivent ici. »

Selys secoua la tête alors qu’elle commença à marquer le bas de la carte.

« C’est ici que sont les six colonies Antiniums connues. Après ce point c’est leur territoire. Maintenant, ce n’est pas véritablement dangereux, mais personne ne s’aventure dans ce coin. Principalement parce que les Antinium là-bas sont différents de ceux de Liscor. Ils sont… Sauvages. »

« Sauvage ? »

« Je suppose que je veux dire… Enfin, c’est plus qu’ils sont hostiles au lieu d’être que terrifiants comme ceux ici. Je ne sais pas vraiment la différence, mais ceux qui sont ici ont une sorte de marché avec les cités du sud. Ils ne se battront pas et ils n’ont pas d’armée, mais les autres colonies… »

« Mauvaises nouvelles. Compris. »

« Aucunes cités ne veut faire du commerce avec eux. Même s’il n’y a pas beaucoup de commerce, avec tous les conflits qui sont constamment en train d’arriver là-bas. »

« Beaucoup de guerres ? Oh, attends. C’est là que se trouve votre armée, pas vrai ? »

« En effet. Ils sont toujours engagés par l’une des cités ou alliances qui apparaissent. Et il y en a beaucoup. »

Selys commença à furieusement marqué la partie inférieure de la carte avec des villes et des cercles.

« D’accord, ça se complique un peu, mais les gros groupes sont les Villes Emmurées là-bas, les Tribus Gnolls des plaines, et les ports et villes indépendantes dans ce coin. La plupart des habitants sont des Drakéides, c’est vrai, mais il y a d’autres races. Par exemple, presque un quart de la population dans ce coin sont des Gnolls. Nous avons quelques centaines d’humains là et là… Et de temps en temps, nous avons même des Tissés, des Centaures, des Selphides et des gens d’autres peuples, mais ce sont plus des individus que des communautés. Cependant, nous avons une bonne portion de Minotaure qui vont et viennent. »

Certaines races ne faisaient pas de sens pour Erin. Qu’est-ce qu’était un Tissé ? Ou un Selphide ? Ou…

« Qu’en est-il des Garous?  J’entends parler qu’ils vivent dans le coin, mais j’en ai jamais vu. A moins qu’ils sont exactement comme les Gnolls. Où vivent-ils ? »

« Partout et nulle part. Je suppose que tu peux en trouver plus parmi les Tribus Gnolls, mais ils ne leur appartiennent pas. Ils viennent d’un autre continent à l’est, mais ils sont pacifiques et il est facile de travailler avec eux. »

« Hum, est-ce qu’il y a d’autre type de personne comme vous. Qu’en est-il des Hommes-Lézards ? »

Selys prit un air renfrogné.

« Pas de lézards. Nous ne toléreront pas leurs espèces dans les villes, de toute façon.»

Erin regarda la carte. Selys termina de la dessiner et sourit à Erin.

« Alors, est-ce que tout ça fait sens ? »

« Oui, je pense. Tu as bien expliqué, mais la carte me fait mal aux yeux. »

« Hey ! Qu’est-ce qui ne va pas avec ma carte ? »

Selys baissa les yeux vers le cafouillis confus de gribouillis et de point sur le bout de papier.

« …Oh. »

Erin tenta de rester sérieuse, et échoua. Elle rit, et après quelques instants Selys commença à rire avec elle. Voilà un peu de bonheur.

Une fois qu’elles se calmèrent, Selys pointa l’un des points près de Liscor.

« La plupart des aventuriers viennent de Lyszen. Je parie que ce n’est que le début, et qu’on aura même quelques humains dans le lot, mais pas avant quelques jours. En tout cas, la raison pour laquelle tous les aventuriers sont ici c’est à cause de ces nouvelles ruines. Tu en as entendu parler ? Apparemment, ça serait une sorte de temple souterrain, et il serait immense ! »

Erin se rappela entendre parler des ruines, mais cela semblait être un lointain souvenir.

« Oh oui. C’est un sacré morceau, pas vrai ? »

Selys hocha sérieusement la tête.

« C’est très important. Nous recevons beaucoup de marchands, d’aventuriers, et de business venant avec eux. Mais bien sûr cela veut dire qu’il y aura plus de troubles quand ils vont se battre avec les Antiniums, ou briser la loi. J’ai entendu dire que la Gard met les bouchées doubles et maintenant que Klbkch est… »

Elle s’arrêta et tenta de faire marcher arrière.

« Hum, ce que je veux dire c’est que sans, sans assez de gardes… »

« Je comprends. »

Erin tapota Selys sur l’épaule.

« Donc il va bientôt y’avoir beaucoup d’aventuriers ? Je vais peut-être bientôt avoir un peu de clientèle dans mon auberge. »

« Seulement si tu peux te protéger. Comme je te le disais, Erin… »

« J’ai besoin de protection. Compris. »

Erin soupira.

« C’est trop bizarre. Je suppose que je me suis habitué à l’auberge et à la région, tu vois ? Je n’ai pas encore vu de monstres, donc je ne peux pas vraiment m’inquiéter. »

« Enfin, tu es dans l’ancien emplacement de plusieurs villages. »

Selys avoua en faisait quelques croix autour de Liscor.

« Ils ont tous été abandonnés ou détruit par le temps, surtout après le Nécromancien. »

« Pisces ? »

« Qui ? Non, pas cet humain. Le Nécromancien. Il remonte à quelque temps et… Enfin, nous avons perdu beaucoup de terre autour de Liscor. Mais l’endroit où tu te trouves est relativement en sécurité. Mais si tu vas à quelques kilomètres dans n’importe quelle direction, tu peux tomber sur beaucoup de trucs étranges. »

Erin était intriguée et commença à étudier la seconde carte que Selys était en train de dessiner.

« Vraiment ? Je suppose que je n’ai jamais… Huh. Tu sais, je ne suis jamais vraiment partie explorer. Je veux dire, à part pour trouver l’auberge et quelques autres endroits, je ne me suis pas vraiment éloigné. J’ai commencé à réparer l’auberge et… Ouais, je ne suis pas vraiment allé plus loin. »

Selys secoua la tête.

« Tant mieux. Certains endroits sont vraiment dangereux. Je veux dire, c’est pas évident car ce n’est pas la bonne saison, et que la Garde fait le ménage, mais j’ai entendu des histoires. »

« Du genre ? »

« Oh, tu connais les aventuriers. Ils parlent toujours de trésors et de trouver des artefacts dans des caves ou des trucs du genre. Mais ceux du coin sur toujours pauvres, donc je n’y prêterai pas attention. La plupart rampent discrètement vers la ville peu de temps après avoir dépassé ton auberge et c’est pourquoi aucun d’entre eux n’a osé s’aventurer dans les ruines. Ils attendent des aventuriers plus compétents pour ouvrir la voie avant de s’y engouffrer. »

« Donc ce que tu me dis c’est qu’il y a beaucoup de terres inexplorées dans le coin ? »

« Je suppose que c’est vrai si tu sors des sentiers battus. Mais qui risquerait de s’aventurer là-bas. »

Selys s’arrêta, réalisant ce qu’elle venait de dire, et lança un regard suspicieux à son amie. Erin resta de marbre.

« Erin… »

« Quoi » ? »

« Non ! C’est trop dangereux ! Ne soit pas stupide ! »

« Je veux juste voir ce qu’il y a autour de l’auberge. Je ne vais pas m’éloigner. Et je prendrai mes jambes à mon cou si je vois quelque chose. »

« Non. Je ne te laisserai pas partir seule. »

« Oh, allez. Je serais prudente. Je marcherai que quelques kilomètres dans toutes les directions, d’accord ? Mais je ne sais vraiment pas ce qui se trouve autour de l’auberge. J’ai envie d’explorer un peu. »

« Erin… »

« Ça va aller, je te le promets, Selys. Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? »

Toc, toc. Erin décida de toucher du bois et frappa ses doigts contre la table.

« Tu vas te faire blesser ! Ou tuer ! »

« Il n’y a rien dehors qui puisse me faire du ma… Qui puisse m’attraper. »

Toc. Toc.

« Nous étions en train de parler du fait que tu as besoin de protection ! Sans Relc ou Klbkch… Erin, tu te souviens des Gobelins ? Il y a bien pire dehors ! Crois, je travaille avec des Aventuriers, je sais de quoi je parle. »

« Rien ne va se déranger pour pourchasser une humaine solitaire dans une auberge au milieu de nulle part, j’en suis certaine. »

Toc. Toc.

« Pourquoi est-ce que tu continus de faire ça ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 01 avril 2020 à 16:55:36
R 1.06
Traduit par EllieVia

Elle s’était cassé le bras, une fois. Quand c’était arrivé, Ryoka n’avait même pas eu mal. La douleur était principalement liée au choc. Ça n’avait été qu’une fois qu’elle se fut traînée de sous la moto pour attendre l’ambulance qu’elle avait commencé à avoir mal.
 
Elle avait eu mal. Mais étrangement, le pire n’avait pas été la douleur.
 
Non, si ses os brisés avaient réellement percé sa peau à ce moment-là, elle aurait eu bien plus mal que ça. Mais à l’époque, Ryoka avait été plus que bouleversée par la nausée qui l’avait saisie à ce moment-là, le sentiment que son bras n’était pas normal. C’était cela qui l’avait le plus éprouvée tandis qu’elle attendait les secours.
 
Elle se souvenait de ce moment à présent. Le souvenir flottait dans son esprit brumeux comme une bulle du passé. C’était important de se souvenir. Elle ne le faisait pas assez souvent.
 
Ryoka s’appuya sur la table avec le bras qu’elle avait jadis cassé - le gauche. C’était vraiment chiant de se casser sa main dominante. À quoi pensait-elle, déjà ? Ah oui.
 
Les souvenirs.
 
Peut-être que si elle s’était souvenue du passé, elle n’aurait pas répété les mêmes erreurs. Mais elle ne cessait de répéter les mêmes erreurs. Encore et encore. Faisant chier les gens jusqu’à ce qu’ils la traînent dans la boue. La même chose, encore et encore. Les symptômes de la folie - sauf que ce n’était pas ça. C’était ce que croyaient les idiots mais c’était un mensonge.
 
Ryoka regarda autour d’elle. À cette heure de la nuit, la salle commune de l’auberge était déserte. L’aubergiste était dans son lit et les serveuses étaient toutes parties. Mais il lui avait laissé une bougie allumée. Non pas qu’il l’aurait fait si elle le lui avait demandé, mais ce n’est pas la même chose quand c’est un Minotaure qui le demande gentiment.
 
Elle posa sa tête sur la table. Elle avait chaud. Et elle était épuisée. Mais elle avait surtout chaud, dans le sens fiévreux du terme. Pas le chaud qui poussait les Minotaures impétueux à tenter d’entrer dans sa chambre.
 
C’était la nuit. Elle était peut-être sombre et orageuse, mais Ryoka était assise dans l’auberge, donc elle ne pouvait pas le savoir. Elle ne faisait rien en ce moment. Elle restait assise et… attendait.
 
Les souvenirs. La douleur. Des os brisés. Ryoka sentit le temps glisser autour d’elle. Au début, elle attendait puis… une demi-elfe vint lui parler.
 
“Ryoka ? C’est l’heure d’y aller.”
 
Pourquoi chuchotait-elle ? Oh. C’était la nuit. Ryoka repoussa sa chaise. Le bras de Ceria autour de sa taille, elle se redressa. Elle devait se faire aider pour aller jusqu’à la porte. Humiliant. Ou pragmatique ?
 
Ils l’aidèrent à monter dans le chariot. Un autre petit moment honteux, mais il n’y avait pas de marches. Et ils mirent de la paille pour soutenir sa jambe. Les autres aventuriers acquiescèrent lorsque Ryoka s’adossa contre un oreiller de paille.
 
Il fallait bien accorder du crédit lorsqu’il y en avait. Car les Cornes d’Hammerad avaient beau se chamailler et leur leader avait beau être un homme-vache pervers, ils ne traînaient pas. En moins d’une heure, Ceria avait reçu une réponse du mystérieux Nécromancien qu’elle connaissait, ils avaient loué un chariot et des chevaux et déterminé leur itinéraire.
 
Ils se rendaient dans une cité loin au sud du nom de Liscor. Ryoka n’en avait jamais entendu parler. Apparemment, il n’y avait pas d’Humains là-bas, juste des Drakéïdes et des Gnolls, quoi que ça puisse être. Elle les laissait faire. Pour tout dire, les seules actions qu’avait effectuées Ryoka depuis le départ de Magnolia avaient été d’accepter l’idée de Ceria et de dormir.
 
Non, pas de dormir. Dès lors que le chariot se mit en branle dans un cahot qui cogna la jambe de Ryoka, elle sut que cela n’avait pas été du sommeil. La brume d’éveil douloureuse entrecoupée d’assoupissements brefs ne méritait pas ce nom. Mais maintenant, elle était épuisée. Épuisée à mourir.
 
Une anecdote à propos des os cassés ? Ryoka cilla alors que le chariot se bringuebalait sur la route pavée. Elle essayait de se souvenir. Qu’est-ce que c’était ?  À l’époque, ce n’était pas la douleur qui était le plus inconfortable.
 
Oui, c’était le reste. La pression, le sentiment de malaise, l’étourdissement et la nausée. Tout ce qu’elle ressentait en ce moment. Sa jambe était chaude sous ses bandages. L’esprit de Ryoka était embrouillé. Mais la douleur avait disparu.
 
Ryoka regarda les bandages trempés de sang qu’elle discernait à peine dans la lumière lunaire. Si elle ôtait les bandages, elle serait incapable de réfléchir ou de bouger. Et alors la vraie douleur reviendrait et sa jambe pendillerait comme un poisson mort. Elle était toujours tentée, toutefois. Juste pour voir sa jambe se balancer comme un ver obscène au bout de sa peau morte.  Blop, blop. Bloppy la Jambe-Poisson.
 
Elle était consciente de ne pas… avoir les idées très claires. Le manque de sommeil dû à la douleur rendait tout tellement plus difficile. Mais à présent, la douleur avait disparu. Disparu pour de bon, et loin.
 
La magie.
 
Elle entendait les autres aventuriers parler autour d’elle. Quatre Cornes d’Hammerad étaient assis dans le chariot - ou était-ce une carriole ? Suffisamment grand pour cinq avec de la place à revendre, donc une carriole.
 
“Est-ce qu’elle tient le coup ?”
 
C’était Gerry - Gerial. Le vice-capitaine. Il l’aimait bien, elle le sentait. Ce n’était pas réciproque.
 
Ceria jeta un œil à Ryoka. La mage était assise à côté d’elle dans le chariot. Ses yeux brillaient sous l’effet de la lumière qui sortait du bout de son bâton de mage.
 
“Ça devrait aller. Je pense.”
 
“Elle a l’air… bizarre. Tu as lancé quoi ?”
 
Calruz. Ryoka ne l’aimait pas non plus. Pas comme ça.
 
“Ce n’était pas moi. Peminac a lancé [Engourdissement], je crois. Ça enlève la douleurs, mais ça rend la personne un peu… bizarre. Mais ça devrait aller, et c’est mieux que de ressentir la douleur. On doit juste s’assurer qu’on continue à jeter le sort toutes les deux heures.”
 
“Tu ne nous as pas encore expliqué comment ton mystérieux ami nécromancien aidera à soigner la jambe, Ceria.”
 
L’un des aventurier dont Ryoka avait oublié le nom se retourna dans le chariot. Ce n’était pas l’un des mages. Il attrapa la masse d’armes à côté de lui.
 
“Tu veux dire le Nécromancien ? Je croyais qu’on allait juste voir un autre mage !”
 
Le guerrier en armure paraissait horrifié. Il secoua vigoureusement la tête.
 
“Si c’est le cas, ce sera sans moi. Je suis désolé, mais même un dette d’honneur ne me ferait pas aller voir ce monstre en face à face.”
 
Calruz gronda. Il marchait à côté du chariot. Il ne sembla pas remarquer le changement d’allure lorsqu’ils finirent par sortir de la ville et accélérer en retrouvant la route.
 
“Dans ce cas, dégage. Et considère-toi banni des Cornes d’Hammerad tant que tu y es.”
 
“Calruz… “
 
Intervint Gerial. Il tapota l’épaule du guerrier.
 
“Ce n’est pas la Nécromancien. Juste un nécromancien ordinaire donc pas de panique.”
 
“On n’a pas besoin de lâches ! Saute et rentre à la ville !”
 
“Fuir devant le Nécromancien n’est pas de la lâcheté, espèce de crétin.”
 
Déclara Ceria en assenant un coup de bâton sur la tête du Minotaure pour appuyer ses propos.
 
“Tu n’étais pas sur le continent quand le Nécromancien a attaqué avec ses légions il y a dix ans. Mais même à Wistram, j’ai entendu parler de la dévastation qu’il a causée. Et crois-moi, même si on avait tous dix niveaux de plus, on ne serait quand même pas à la hauteur. Donc arrête de remettre en question la bravoure de ta propre compagnie !”
 
Calruz la regarda d’un œil noir, mais il lâcha l’affaire et reprit le rythme des chevaux. Ryoka l’entendait marmonner ce qui semblait être des insultes.
 
Elle gardait les yeux fermés parce que cela lui permettait d’empêcher le monde de trop tourner autour d’elle. Mais Ryoka se devait de demander.
 
“Donc ce Nécromancien est toujours vivant ?”
 
Un moment de silence. Avaient-ils cru qu’elle était endormie ? Mais Gerial finit par répondre.
 
“Personne n’a retrouvé son corps. Et quand on ne retrouve pas le corps d’un mage, il y a de bonnes chances pour qu’il soit toujours dans les parages. Mais on ne l’a pas vu depuis, si c’est ce que tu veux savoir.”
 
Ceria s’éclaircit la gorge.
 
“Dans tous les cas, le mage qu’on va voir n’est pas le Nécromancien. Il est juste… il pratique la nécromancie.”
 
“Ah.”
 
Quelqu’un s’agite dans le chariot. Ryoka entendit le métal grincer contre le bois. Elle ouvrit un œil et vit la demi-elfe dévisager l’autre mage assise dans le chariot.
 
“Ça ne me plaît toujours pas. Ceria, comment cela se fait-il que tu connaisses un type comme ça ?”
 
Elle haussa les épaules.
 
“On a étudié ensemble à l’Académie de Wistram. J’étais son amie… avant. On s’est brouillés il y a quelques années, mais je savais qu’il était dans le coin. De plus, Pisces n’est pas vraiment dangereux. Agaçant, mais pas dangereux. Il est vénal, arrogant, et malpoli mais c’est tout.”
 
Gerial se pencha en avant.
 
“Tu lui as dit ce que tu voulais qu’il fasse ?”
 
“Je lui ai donné le minimum de détails. Le sort de communication que j’ai lancé ne m’a pas laissé le temps d’en dire plus, mais il m’a répondu qu’il était d’accord. Il va nous retrouver à une auberge à quelques kilomètres au sud-est de Liscor. Ne vous inquiétez pas, il est compétent. Mais je pense qu’il voudra une grosse somme d’argent en échange.”
 
“On peut se le permettre.”
 
Interrompit Calruz avant que Ryoka ne puisse parler. Ce qui était plutôt chouette, parce qu’elle était complètement à sec en ce moment. Les Cornes d’Hammerad avaient déjà payé pour les potions des soin et le chariot.
 
“Pourquoi est-il là-bas ?”
 
“Il est en cavale.”
 
“Pourquoi est-ce qu’il fait de la nécromancie ?”
 
Un silence. Les paupières de Ryoka commencèrent à se faire lourdes. Puis Ceria répondit.
 
“Je suppose que c’est parce qu’il préfère les morts aux vivants la plupart du temps.”
 
“Je le comprends.”
 
Ryoka fit retomber sa tête contre le chariot agité de soubresauts. Elle aurait voulu poser d’autres questions, mais elle avait tellement chaud. Et elle était tellement épuisée. Les rares morceaux de sa jambe qu’elle pouvait encore sentir pulsaient. Mais la douleur avait disparu, grâce à la magie.
 
Et à ce moment précis, c’était suffisant pour transformer en paradis le chariot rempli de paille qui rebondissait en grinçant. Ryoka s’enfonça de nouveau dans la paille.
 
Elle ferma les yeux, et s’endormit.
 
***

Voyager dans un chariot tiré par un cheval n’est pas agréable quand on a une jambe broyée. Même avec les potions de soin et les sorts anti-douleurs. Mais quand on comparait cela avec le fait de dormir dans une auberge sans sorts anti douleurs et avec un stock limité de potions de soin, c’est un véritable bonheur.
 
Je dormis jusqu’à la fin de la matinée. Quand je me réveillai, il était déjà plus de midi et apparemment, nous avions déjà parcouru les deux tiers du chemin qui nous menait à notre destination*.
 
Ce qui est, quand on sait à quel point Liscor est loin des terres humaines, est vraiment très impressionnant. Les Cornes d’Hammerad avaient dû aller à un train d’enfer pour arriver là si vite.
 
Je n’ai pas su ce qu’il s’était passé pendant mon sommeil. Mais apparemment, les Cornes d’Hammerad s’étaient brièvement arrêtés à une autre ville. D’une part, pour informer leurs membres blessés de ce qu’ils faisaient, et d’autre part, pour prendre des chevaux frais. Puis ils avaient poursuivi le voyage de nuit, une moitié dormant dans le chariot pendant la nuit pour prendre la place des autres au matin.
 
Ils s’étaient même occupés de ma jambe. Les bandages n’avaient pas été changés, évidemment, mais ils avaient versé une autre potion de soin pour que ma jambe n’ait plus l’air aussi horriblement rouge et enflée. À présent, elle était juste… rouge et enflée.
 
“Comment tu te sens ?”
 
Ceria se penche par-dessus la paille dès qu’elle voit que je me suis réveillée. Elle me tend un rouleau de pain sucré et effritable tartiné de beurre et de confiture. C’est délicieux.
 
“C’est très bon. Merci pour tout.”
 
Ma voix réveille l’un des hommes allongés dans le chariot. Gerial cligne des yeux puis me fait un sourire plein de charme. Enfin, j’imagine que c’est plein de charme. Quelqu’un d’autre se dirait que c’est plein de charme, en tout cas.
 
“Nous sommes heureux d’honorer nos dettes, Ryoka. Et pour le moment, ça n’a pas été plus difficile que ça.”
 
Dis le gars en train de dormir dans de la paille après avoir voyagé toute la nuit. Mais après tout, peut-être que c’est normal dans ce monde.
 
“Je ne suis pas près de l’oublier.”
 
Merde. On aurait dit une menace. Et maintenant… il a l’air perdu. Super. Changement de sujet, vite.
 
“... Et donc. À propos de ce mage.”
 
Ceria hoche la tête. Elle triture son bâton. Il ne brille plus, à présent. J’imagine qu’il requiert du mana pour rester allumé. *
 
*Du mana. De l’énergie magique. Ce monde ressemble déjà un jeu vidéo de base, et il utilise des termes sortis tout droit de la plupart des jeux que je connais. Mais bon, l’idée qu’on ait tous un réservoir de magique interne est plutôt cool.
 
“Pisces. Je t’ai dit qu’il était un nécromancien. Pour dire la vérité, ce n’est sans doute pas un nécromancien de très haut niveau - je me souviens qu’il était à peu près au Niveau 22 quand on était tous les deux étudiants à l’Académie de Wistram. Même s’il a gagné quelques niveaux, il ne devrait pas représenter une menace, si c’est ce qui t’inquiète.”
 
J’entends un ricanement. Hue. Calruz suit toujours le rythme. Est-ce qu’il a … couru toute la nuit ? Même moi, je ne suis pas folle à ce point.
 
“Je n’ai peur d’aucun mage, et surtout pas d’un faible qui pratique une magie de lâche comme la nécromancie.”
 
Gerial secoua la tête.
 
“Il a à peu près le même niveau que la plupart des membres du groupe. Ce n’est déjà pas mal. Mais pourquoi dis-tu qu’il est en cavale, Ceria ?”
 
“Il a été renvoyé de l’Académie de Wistram. Et il est recherché dans plusieurs villes pour délits mineurs, je crois. Pas des crimes - juste des escroqueries et un comportement globalement perturbateur.”
 
C’est le moment de partir à la pêche aux infos.
 
“Laisse-moi deviner. Il a été renvoyé quand ils ont découvert qu’il pratiquait la nécromancie, pas vrai ?”
 
“Oh, non. Ce n’était pas que ça. Non, c’est pour ce qu’il a fait grâce à la nécromancie qu’il a été renvoyé.”
 
Là encore, silence rempli de malaise. Je déteste ce genre de conversation, mais il faut bien que quelqu’un pose les questions évidentes. Heureusement, c’est Gerial qui s’y colle et pas moi.
 
“Qu’est-ce qu’il voulait faire ?”
 
Ceria serre les lèvres.
 
“Je ne peux pas révéler les détails de ce qu’impliquait sa recherche. Disons simplement que ça allait à l’encontre du peu de lois magiques qu’on a là-bas. Et disons qu’il y a une raison pour laquelle il reste vers Liscor.”
 
Curieux. J’imagine. Je ne suis pas plus intéressée que ça par le passé mystérieux de ce nécromancien, je veux juste savoir s’il est compétent.
 
“Est-ce qu’il est compétent ?”
 
“Oh oui. Il a assez de niveaux pour faire ce qu’on lui demande et il est intelligent. On pourrait même le qualifier de génie, au sens restreint du terme.”
 
“Comment ça ?”
 
Ceria fronce les sourcils et enfonce son chapeau sur sa tête. *
 
*C’est un joli chapeau de sorcière, d’ailleurs. C’est bien de savoir qu’on se conforme tous aux clichés dans le coin. Je devrais d’ailleurs aller de ce pas acheter un katana et me mettre à parler comme une ninja tant que j’y suis.
 
“Eh bien ce n’est qu’un gamin - je veux dire, il n’a qu’une vingtaine d’années humaines, ce qui le rend vieux, j’imagine. Mais il a des niveaux dans plusieurs classes de mage. Si on les ajoute toutes, il en a plus que moi et je suis trois fois plus vieille que lui.”
 
On ne dit pas qu’il ne faut pas mentionner l’âge d’une femme en public ? Mais j’imagine que les demi-elfes n’ont pas grand-chose à faire de ce genre de détail.
 
“Donc pour cette opération. Qu’est-ce que…”
 
Je m'interromps pour étouffer un bâillement. Sérieusement ? Je viens juste de me réveiller.
 
“Qu’est-ce que…”
 
Je bâille encore ? C’est quoi mon problème ?
 
“Fatiguée ?”
 
J’ai envie d’effacer le sourire du visage de Gerial d’un coup de poing.
 
“... J’imagine que je suis fatiguée.”
 
Ceria hoche la tête.
 
“Le sort d’[Engourdissement] et tous les soins que tu enchaines doivent t’épuiser. Si tu as besoin de dormir… dors. On n’arrivera pas à Liscor avant plusieurs heures, et il faut encore qu’on passe prendre de l’eau pour les chevaux.”
 
“Fichues bestioles.”
 
“Si tu veux aller plus vite, tu n’as qu’à tirer le chariot, Calruz.”
 
… Merde. Je me sens replonger dans le sommeil. Pourquoi ? J’imagine… fatiguée à ce point ?
 
J’entends un dernier fragment de réponse en me rendormant.
 
“... Je pense personnellement qu’il est dans un délire complet et qu’il n’atteindra jamais son but. Mais dans tous les cas, il ne restera pas longtemps dans le coin. Chaque fois que l’Académie apprend où il se trouve, elle envoie une équipe le capturer. Il a réussi à s’échapper à chaque fois, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne reste trop longtemps dans une région et se fasse attraper.”
 
Et ensuite… ensuite…
 
Je me rendors.
 
***

Quand Ryoka se réveilla pour la seconde fois, elle regarda autour d’elle et vit qu’elle n’était plus au même endroit. La prairie s’étalait toujours devant elle, mais l’herbe “tait pus haute ici, et elle voyait de hautes montagnes se dresser de part et d’autre de la route.
 
Elle était au fond d’une vallée. Une passe entre les chaînes de montagnes qu’elle n’apercevait d’ordinaire que comme des formes lointaines. Et la carriole qui avait jusque-là roulé sur un chemin de terre était à présent sur de la roche. Les cahots des roues sur la pierre inégale était probablement ce qui l’avait réveillée. Et il y avait aussi quelque chose qui puait horriblement et elle avait du mal à en faire abstraction.
 
“Bonsoir.”
 
Ce coup-ci, Ceria tendit à Ryoka un morceau de pain garni de morceaux de viande et de fromage. Là encore, Ryoka dévora le repas rapidement avant de parler.
 
“Comment s’est passé le trajet ?”
 
L’un des autres mages occupé à déguster son repas leva les yeux et répondit.
 
“Plutôt calme. On a chassé quelques Becs-rasoirs qui voulaient grignoter ta jambe, mais on n’a pas vu d’autre monstre.”
 
Ryoka cilla d’un air stupide. Son cerveau était toujours embrumé.
 
“Des Becs-rasoirs ?”
 
“De gros oiseaux verts. Avec du cuir, pas des plumes. Ils ont des dents plus tranchantes qu’une lame mais ils ne sont pas très dangereux. Quelques étincelles et ils s’enfuient.”
 
“Pas un véritable défi.”
 
Ryoka leva la tête et comprit d’où venait l’odeur. Calruz était assis à l’autre bout du chariot - en aval du vent par rapport au reste des aventuriers. Il suait, beaucoup. Pour le dire poliment, il puait. L’odeur faisait penser à Ryoka à un mélange entre une salle de sport pendant l’heure de pointe et une étable à un autre genre d’heure de pointe.
 
“On est proches de Liscor ?”
 
“Plus que quelques kilomètres. Mais on devrait apercevoir l’auberge dont Pisces a parlé dans un instant. Tu te réveilles au bon moment.”
 
Ryoka haussa les épaules. Elle continua à scruter les alentours. Les plaines étaient vraiment désertes. Elle imaginait que le fait d’avoir dormi pendant tout le trajet n’arrangeait pas les choses, mais le paysage qu’elle voyait changeait vraiment très peu. Juste quelques arbres… là-bas, quelques rochers bizarres éparpillés un peu partout dans une autre direction. Et là-bas…
 
“Des Gobelins.”
 
Ryoka et Ceria l’avaient dit en même tempos. Les autres aventuriers s’assirent et plissèrent des yeux pour les voir en attrapant leurs armes. Calruz regarda brièvement la menace puis se réadossa.
 
“Bah.”
 
Gerial plissa les yeux tandis que le guerrier à côté de lui sortait un arc posé dans les affaires du chariot et y plaçait une corde.
 
“Des Gobelins. On dirait une bagarre au sein de la tribu.”
 
Ryoka pouvait voir deux groupes de Gobelins s’échanger des coups de couteau et de massue au loin. C’était difficile à dire, mais on aurait dit qu’un côté était mené par un petit Gobelin, tandis que l’autre n’avait pas de leader. Mais les nombres étaient en faveur du groupe sans chef.
“Hum. On dirait que l’un de ces Gobelins a de l’expérience. Regardez... ils utilisent des formations et se battent ensemble.”
 
Calruz ne leva même pas les yeux et s’étira.
 
“De la vermine. Inutile de salir nos lames pour ça.”
 
“Tu ne dirais pas ça si tu voyais une troupe de raid - ou pire, une troupe de guerre. De plus, la Guilde offre une pièce de cuivre pour chaque double paire d’oreilles de Gobelins.”
 
L’archer encocha une flèche et visa.
 
“Je peux probablement les tirer comme des lapins si on ralentit le chariot. Ça évitera peut-être qu’un nouveau chef se fasse élire pendant quelques jours. Vous voulez que je tente le coup ?”
 
Calruz agita nonchalamment la main, ne se sentant clairement pas concerné par l’affaire. Le guerrier lança un regard à Gerial. Et Gerial regarda Ryoka. Il hésita, puis secoua la tête.
 
“Ce n’est pas notre zone, et de plus, c’est une tribu minuscule. Laissons les aventuriers locaux s’en occuper s’ils deviennent un problème. Allons trouver ce nécromancien.”
 
“Il devrait nous attendre à l’auberge. Quelqu’un la voit ?”
 
Les autres aventuriers scrutèrent les alentours tandis que l’archer enlevait sa corde, marmonnant au sujet d’une opportunité manquée. Ryoka chercha aussi, mais le paysage était tellement bourré de collines dissimulées et de creux qu’il était difficile de regarder droit.
 
Ce n’est qu’une demi-heure plus tard que l’un des mages pointa du doigt.
 
“L’auberge est là. On y est.”
 
Ryoka redressa brusquement la tête. Elle vit à l’horizon une colline, assez large pour être qualifiée de plateau, et dessus…
 
Une auberge.
 
Elle n’avait rien de particulier. Ryoka regarda une seconde la façade lessivée par les intempéries et l’oublia aussitôt. Parce qu’au sommet de la colline en pente douce, observant l’arrivée des aventuriers, se dressait un mage.
 
C’était clairement un mage. Il avait une robe, son teint était terreux et il semblait plus prompt à brandir un livre qu’une épée. Sa robe était blanche - elle se teinta de gris au fur et à mesure que le chariot avança, mais il était tout de même vêtu d’une robe.
 
Le chariot s’arrêta en grinçant et les chevaux couverts de sueurs arrêtèrent enfin leur voyage interminable. Les aventuriers sortirent lentement et en silence du chariot. Ryoka essaya de se lever, mais Calruz se contenta de la prendre dans ses bras et sauta du wagon avant de la poser sur ses pieds. Elle le fusilla du regard, mais finit par se concentrer sur le mage.
 
Pisces. Il avait l’air plutôt inoffensif avec les Cornes d’Hammerad debout devant lui. Mais Ryoka remarqua que bien qu’aucun aventurier n’ait tiré d’épée, ils n’étaient pas détendus devant lui. Et ils étaient en formation- deux mages à l’arrière avec le guerrier à la masse debout devant eux. Calruz et Gerial étaient de part et d’autre de Ceria lorsqu’elle s’avança.
 
La demie-elfe avança jusqu’à se trouver à quelques mètres de Pisces. Ils s’évaluèrent du regard. L’une, à moitié immortelle et dotée d’une beauté presque surnaturelle, et vêtue d’une robe d’un tissu des plus fin et filée de magie. L’autre, un mage vêtu de robes sales debout devant une auberge délabrée.
 
Ceria inclina légèrement la tête. Pisces acquiesça.
 
“Pisces.”
 
“Ceria.”
 
“Ça fait longtemps, pas vrai ?”
 
“Certes.”
 
Les deux se turent et Ryoka tenta de maintenir son équilibre sur une jambe. Elle dévisagea les deux mages. Clairement, ils ne s’appréciaient pas plus que cela, mais ils n’étaient pas des ennemis. C’était encore l’un de ces moments sociaux malaisant qu’elle détestait.
 
Ceria rompit le silence. Elle hocha la tête en direction de l’auberge.
 
“Il y a quelqu’un ici ? Est-ce qu’on peut acheter des vivres et se reposer, ou est-ce qu’il vaut mieux qu’on aille dans la cité ?”
 
Il haussa les épaules.
 
“Pas pour le moment. La propriétaire n’est pas encore revenue.”
 
“Eh bien, j’imagine qu’on peut tout aussi bien faire cela ici.”
 
“Je suppose.”
 
Un autre silence. Ceria resserra sa prise sur son bâton.
 
“Tu sais comment t’y prendre ?”
 
“Pour réparer un os broyé ? Naturellement.”
 
Pisces haussa les épaules d’un air nonchalant. Le geste parut agacer Gerial. Le vice-capitaine s’avança.
 
“Nous avons voyagé sur plus de cent kilomètres pour venir ici, mage. Tu es censé être un nécromancien capable de nous aider, mais on ne m’a toujours pas expliqué comment tu étais capable de ressouder des os. Les Nécromanciens jouent avec les morts, donc pourquoi serais-tu capable de soigner ?”
 
Si les regards pouvaient tuer… le regard glacé de Pisces se serait contenté de faire mal. Il prit son temps pour répondre et renifla bruyamment en dévisageant Gerial par-dessus son nez.
 
“Nécromancie est un terme inapproprié pour décrire la véritable nature de ma magie La réanimation n’est qu’une composante permettant de ressusciter les morts. Un autre aspect crucial de cette magie est la manipulation et la compréhension fondamentale de…”
 
Ceria l’interrompit.
 
“Des os. Il peut contrôler les os.”
 
Pisces renifla.
 
“Merci pour l’explication simpliste. J’imagine que c’est suffisant, cependant. Qu’importe, saches simplement que je suis un nécromancien capable d’effectuer votre requête. Merci de ne plus m’adresser de questions inutiles.”
 
Il se tourna de nouveau vers Ceria, ignorant purement et simplement Gerial qui paraissant outragé.
 
“Et mon dû ? Comme promis ?”
 
Ceria grimaça.
 
“Nous te donnerons vingt pièces d’or. Pas plus, pas moins.”
 
Il leva un sourcil.
 
“Pour ce que vous me demandez ? Alors que n’importe quel [Mage] vous demanderait deux cent pièces d’or pour un sort de [Reconstitution] ? Soixante, pas moins.”
 
“Trente. Et même là, c’est du vol.”
 
“Cinquante.”
 
“Quarante.”
 
“... D’accord.”
 
Pisces acquiesça. Ceria échangea un regard avec Calruz, qui hocha imperceptiblement la tête.
 
“On a un accord, alors.”
 
“Très bien. Où est la personne que je dois guérir ?”
 
Cette fois-ci, toutes les Cornes le fusillèrent du regard. Ceria montra la jambe blessée de Ryoka. Pisces la regarda et renifla.
 
“Bien sûr.”
 
Ceria poussa un long soupir qui résonna dans les oreilles de Ryoka comme celui de longues années de douleur. Elle agita sa main en direction de l’auberge et de la prairie.
 
“Où veux-tu jeter le sort ?”
 
“Inutile de se déplacer. Maintenant que nous avons conclu notre marché, commençons.”
 
Pisces se pencha en avant et posa une main sur la jambe de Ryoka. Elle sentit quelque chose se mettre à bouger à l’intérieur de sa jambe et retint un cri de surprise.
 
Pisces !”
 
Hurla Ceria tandis que les autres Cornes portaient la main à leurs armes. Calruz serra le poing et se pencha en avant d’un air menaçant, mais Pisces ne leva pas les yeux.
 
Il déplaçait son doigt en regardant la jambe de Ryoka avec intensité. Et quelque chose se déplaçait là-dedans. Ryoka pouvait sentir de multiples points de contacts tandis que la peau sur sa jambe ondoyait et se tordait.
 
  Elle n’avait pas mal. Mais c’était la chose la plus désagréable qu’elle n’ait jamais vécue. Pour une fois, son elle ne contrôlait pas son corps et Ryoka n’aimait pas cela du tout.
 
Mais presque aussitôt que l’opération eut commencé, le sentiment s’estompa. Pisces leva les yeux et regarda Ceria d’un air pincé.
 
“J’apprécierais que personne ne crie pendant le processus. Tu sais à quel point cela requiert de la concentration même sans interruption.”
 
La demi-elfe s’avança et enfonça durement un doigt sur le torse de Pisces, le faisant grimacer.
 
“Espèce d’idiot ! Laisse-la au moins s’allonger avant de faire ça !”
 
Pisces haussa les épaules d’un air insolent.
 
“Le confort de la patiente n’est pas mon problème. Dans tous les cas… j’ai fini. Où est mon dû ?”
 
Les aventuriers le dévisagèrent d’un air incrédule.
 
“Déjà ?”
 
“Impossible !”
 
Gerial s’avança et poussa Pisces d’un air furieux.
 
“Tu ne peux pas avoir fini si vite ! Tu mens !”
 
Pisces recula plutôt que de laisser Gerial s’approcher. Il renifla d’un air méprisant.
 
“Tu peux douter à ta guise, mais il me semble que mon ancienne camarade de classe peut attester de ma compétence. De plus, n’importe quel sort pourrait confirmer la véracité de mes allégations. Dis-leur, Springwalker.”
 
Ceria acquiesça avec réticence.
 
“C’est vrai. Il a ramené l’os à son état normal.”
 
Les Cornes d’Hammerad poussèrent des exclamations de surprise et de choc. Ils réévaluèrent immédiatement Pisces, tous sauf Ryoka. Elle regardait fixement sa jambe.
 
“Très bien, en ce cas. Ton argent.”
 
Ceria regarda Calruz. Le Minotaure grogna et plongea la main dans sa bourse. Il lança à Ceria un petit sac de pièces. Elle l’attrapa et le versa dans sa main. Des pièces s’en écoulèrent - bien plus que ce que la bourse aurait dû contenir.
 
Pisces attendit que Ceria eût compté les pièces. Il y en avait trop pour qu’elle les tienne toutes dans sa main, mais cette dernière brillait d’une faible lueur verte et elles se mirent à flotter dans les airs.
 
Les pièces d’or volèrent et se reposèrent en quatre tas parfaits de dix dressés dans la paume de la demie-elfe. Elle les tendit à Pisces avec l’expression de quelqu’un en train de s’arracher une dent. Il sourit en versant les pièces dans la bourse à sa ceinture. Ceria fit volte-face et les Cornes d’Hammerad se détournèrent pour discuter autour de la jambe de Ryoka.
 
“J’ai de grands plans pour cet or. Et il me permettra enfin de faire taire une aubergiste insupportable…”
 
Il s’arrêta lorsqu’il réalisa que personne ne l’écoutait. Pisces les fusilla du regard, se détourna, et partit.
 
***

“Désolée pour ça.”
 
Ceria s’excusa dès que Pisces fut hors de portée de voix. Elle soupira et se frotta le front.
 
“J’avais oublié à quel point il peut être agaçant, et pourtant j’ai bonne mémoire.
 
Gerial était sur le point de s’arracher les cheveux. Il fusilla le dos de Pisces du regard avant de répliquer sèchement.
 
“Si c’était si simple, pourquoi n’as-tu pas pu le faire ? Le sort n’a pas pris plus de quelques secondes !”
 
“Exactement.”
 
Gronda Calruz. Une large veine pulsait sur sa tempe et il serrait les poings.
 
“Cette vermine d’Humain se moquait de nous. On a fait tout ce chemin et payé si cher pour un sort que n’importe lequel d’entre vous aurait pu faire ? Explique-toi, Ceria !”
 
Le capitaine et le vice-capitaine des Cornes d’Hammerad fusillaient tous les deux leur mage du regard, mais elle projetait une ire au moins équivalente à la leur.
 
Moi, je n’aurais pas pu le faire. Et ce n’était pas un sort… ou du moins, pas un sort écrit dans un bouquin.”
 
Calruz hésita. Son visage imposant se plissa.
 
“Que veux-tu dire ?”
 
“Pisces déplaçait chaque esquille d’os et les soudait ensemble. Il pouvait sentir où ils étaient et il savait comment les rassembler. Ce n’est pas à la portée de n’importe quel mage.”
 
L’un des autres mages frissonna.
 
“Ceria a raison, Calruz. Je ne saurais pas par où commencer avec une blessure de ce genre. Mais la vitesse et la précision de ce nécromancien… et tu dis qu’il n’est qu’au Niveau 22 ?”
 
Ceria vit tournoyer son bâton entre ses mains pendant qu’elle réfléchissait à sa réponse.
 
“Pisces est un génie Il possède une connaissance intime des corps humains. Personne d’autre qu’un autre nécromancien n’aurait pu faire cela aussi facilement. Si un mage ordinaire s’y essayait il échouerait… et je ne recommanderais pas d’essayer.”
 
“Et ça a marché ?”
 
À présent, tous les aventuriers regardaient la jambe de Ryoka. Elle semblait… inchangée, en tout cas avec le bandage. C’est-à-dire que le bandage en question était tellement rouge et sale qu’il était impossible de distinguer la chair en-dessous. Au moins, la jambe ne paraissait pas enflée.
 
“La chair reste probablement déchirée, mais l’os en-dessous devrait être ressoudé si Pisces dit vrai. Il ne connaît pas de sorts de soin mais il est parfaitement capable de ressouder et renforcer l’os.”
 
Ceria jeta un regard en coin à Ryoka. La jeune fille était restée immobile tout le long… depuis que Pisces avait commencé à modifier sa jambe, elle était restée figée, à la regarder fixement.
 
“Ryoka ? Comment te sens-tu ?”
 
Pas de réponse. C’était comme si Ryoka était partie loin, très loin. Ceria fronça les sourcils, l’inquiétude balayant son visage.
 
“... Ryoka ?”
 
***

“... Ryoka ?”
 
Quelqu’un m’appelle. Et je veux lui répondre, vraiment. Mais mon esprit est occupé par quelque chose d’autre. Il pourrait bien y avoir la seconde venue de Jésus, l’Armageddon, une invasion alien, et Elvis Presley qui ressusciterait juste devant moi, je serais incapable de lever les yeux.
 
Parce que je peux le sentir.
 
La magie est toujours présente dans ma jambe, mais je peux le sentir. La chair a beau être déchirée, l’os est réparé. Mes os sont réparés.
 
Je. Suis réparée.
 
“Ryoka ? Tout va bien ? Comment te sens-tu ?”
 
Qu’est-ce que c’est que cette question ? Comment je me sens ? Est-ce que je vais bien ? Comment… comment des mots, de simples mots, pourraient-ils décrire ce que je ressens en ce moment.
 
Cela n’a pris qu’un instant, mais la différence entre la moi d’avant et celle de maintenant est… est la différence de toute une vie. Je suis guérie. Je suis moi-même, de nouveau.
 
“Ryoka ?”
 
Ceria pose une main sur mon épaule. Cela me ramène dans l’instant présent, pendant une seconde. Et c’est énervant parce que je souhaiterais que ce moment soit éternel. Si je pouvais capturer ce sentiment… si je pouvais m’en souvenir, jamais plus je ne replongerais dans le désespoir. C’est ce que signifie la réalisation d’un vœu.
 
Mais elle veut une réponse. Comment je me sens ? Est-ce que je me sens bien ? Quelle question stupide. Mais il faut que je réponde quelque chose. Quelque chose… quelque chose de piquant, comme “Comment crois-tu que je me sente ?”.
 
J’ouvre la bouche, et d’un coup, quelque chose m’en empêche.
 
… Quoi ?
 
Pour une fois, il n’y a aucune colère en moi, pas de cœur plein de rage et de peine. Au lieu de cela… au lieu de cela, j’ouvre la bouche et hésite. Les mots durs et amers se heurtent contre ma langue et refusent de sortir. Et quelque chose en moi me questionne : pourquoi ? Pourquoi, et quand ?
 
Pourquoi étais-je sur le point de m’en prendre à celle qui m’avait sauvé la vie ? Sauvé. La vie. Pourquoi voudrais-je faire une chose aussi atroce, et me montrer grossière avec celle qui m’avait montré tant de bonté ? Suis-je ce genre de personne ?
 
Quand ais-je oublié la gratitude ?  Depuis quand la seule réponse qui me vient est toujours la colère ? Depuis quand ais-je oublié le sens du mot “merci” ?
 
Qui suis-je, et où s’en est allée la fille qui savait sourire ?
 
Je ne réponds rien. Je ravale les mots amers inexprimés. Et je me tourne vers Ceria et plonge mon regard dans le sien. Ses yeux sont d’or, deux noyaux de soleils en fusion et d’or bruni. La couleur des champs de blé au crépuscule, et, dans leurs abysses, un éclat furtif de quelque chose de plus profond, de plus grand. Un morceau d’éternité.
 
J’incline la tête, profondément. Je n’avais pas regardé mes propres pieds depuis bien longtemps. Je ressens la surprise des gens autour de moi, mais c’est tout naturel. C’est le moins que je puisse faire. Dois faire.
 
“Merci.”
 
Là encore, cette surprise. Mais je garde ma tête inclinée. Je ne peux pas encore croiser leurs regards. Le sol est brouillé. Donc je continue de répéter le même mot.
 
“Merci. Merci, merci. Merci.”
 
Un mot imparfait. Il ne suffit pas. Comment un simple mot pourrait-il jamais être suffisant ?
 
Les Japonais - le peuple d’où provient la moitié de mon héritage - ont un type de révérence qu’ils font pour s’excuser. On dirait une prosternation, et on le traduit ainsi en anglais.
 
土下座. Dogeza. Un jour, j’avais juré de ne jamais le faire pour qui que ce soit. Ni rois, ni reines, ni Dieu s’il existait. Mais je le ferais instantanément si je savais que cela ne les mettrait pas terriblement mal à l’aise. Mais je le fais en ce moment, avec mon esprit et mon âme. Remerciant les gens qui m’ont rendu ce que j’avais de plus cher.
 
Mes jambes. Mes ailes. Ma capacité à voler. Je les remercie donc de toutes les manières possibles.
 
“Ce n’était rien…”
 
Je lève les yeux. Ceria rougit. Et sur son visage, c’est vraiment joli plutôt que simplement beau à voir. Je souris, et me retourne. Calruz baisse le regard sur moi. Surpris ? Mais je pense savoir comment le remercier, et ce n’est pas de la même manière que pour Ceria.
 
“Je suis vraiment reconnaissante. Et je suis désolée pour l’impolitesse dont j’ai pu faire preuve. Je vous dois une dette que je ne pourrai jamais honorer. Mais je connais les Cornes d’Hammerad à présent, et je sais ce qui vous définit.”
 
Je lui tends ma main.
 
“L’honneur.”
 
Calruz hésite un instant. Mais il finit par saisir ma main et la serre, fort. Ses yeux sont d’un bleu profond - je ne l’avais pas remarqué. On se serre la main.
 
“Honneur et devoir par-dessus tout. Sans eux, nous ne sommes que des animaux.”
 
Je me tourne vers Ceria et serre sa main. Puis celle de Gerial. Et celles du reste des aventuriers. Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps n’avais-je pas serré des mains correctement et agi comme une personne décente ?
 
Poigne ferme, regard droit dans les yeux. Comme papa me l’a appris. Et ils me rendent mon sourire. Ils sourient, et je la sens de nouveau.
 
La confiance.
 
“Je m’appelle Ryoka Griffin. Et je suis en votre dette. Tout ce dont je suis capable - si jamais vous avez besoin de moi, il vous suffit de demander.”
 
Et je me tiens droite. Entière, de nouveau. Et mon esprit continue là où ma voix s’arrête.
 
Ryoka Griffin. Étudiante de première année à l’Université de Columbia, ou… j’aurais dû l’être. Je n’ai jamais eu l’occasion de poser un pied sur le campus. Admise avec une bourse d’Athlétisme, spécialiste du 400 mètres. 19.45 de moyenne générale, hobbies incluant la chasse, le tir, et la lecture. Pas encore décidé de ses matières principales. Fan de vidéos YouTube et gameuse, mais je n’avais pas mentionné cela sur le formulaire de candidature.
 
Ryoka Griffin, coureuse, fille peu aimable qui n’aime pas son père, 4ème Dan de Muay-Thaï bien que j’apprécie le Parkour et beaucoup d’autres sports. A refusé de devenir membre au Mensa, renvoyée de deux lycées. Une fille en colère. Une âme perdue.
 
Adore les chansons sur lesquelles elle peut courir, grande fan de rock et ennemie de la pop, de la techno, et de l’opéra. Échantillon d’artistes favoris : Meatloaf, Imagine Dragons, Fun, Lady Gaga* et… Five for Fighting.
 
*Toutes les chansons pop ne sont pas forcément mauvaises, ok ?”



En ce moment…
 
Pleine de gratitude.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 04 avril 2020 à 15:51:55
1.29
Traduit par Maroti

Quand ils défirent les bandages de la jambe de Ryoka, les autres aventuriers, à l’exception de Ceria et Calruz, tresaillirent.
 
Ryoka baissa les yeux vers sa jambe, qui était plus un fouillis de peau déchirée et sanglante, et fut de nouveau très reconnaissante envers la magie qui engourdissait sa jambe. Gerial semblait pâle alors qu’il entassait les bandages. Ils étaient trempés de sang et de saleté, mais ils avaient encore de la valeur.
 
“La chair…”
 
“Ça va.”
 
Ceria rassura les autres. Elle fouilla dans son sac pour une potion rouge et la déboucha.
 
“C’est ce qui arrive quand on fait bouger l’os. Mais maintenant la jambe peut être proprement soignée vu que l’os est réparé.”
 
Elle versa précautionneusement la potion sur la jambe de Ryoka. Cette dernière était plus forte, et plus coûteuse, mais son effet fut immédiat une fois que le liquide toucha la chair. Ryoka regarda avec un intérêt nauséeux alors que la chair et les veines commencèrent à se lier de nouveau, bougeant comme des vers sous sa peau. À ce point, la plupart des Cornes d’Hammerad furent forcés de détourner le regard, mais elle continua de regarder. C’était son corps après tout.
 
Après une minute, la partie externe de sa chair commença à se refermer. Ryoka vit sa chair fusionner et devenir lisse et complète. C’était la chose la plus satisfaisante qu’elle avait jamais vu.
 
Ceria tapota la bouteille pour que les dernières gouttes de potion de soin tombent et la rangea dans sa ceinture.
 
“Cela me semble bon. Je vais désormais dissiper la magie. Ryoka, comment est-ce que tu te sens?”
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“Je ne ressens rien. Mais ça me semble bon. Vas’y.”
 
Ceria hocha la tête et s’empara de son bâton. Elle murmura quelques mots et Ryoka grimaça. Les mots… Ne faisaient pas partie d’un langage qu’elle avait déjà entendu. La voix de la Demi-Elfe semblait résonner, et le son, ou plutôt, le sens que les sons transmettaient lui faisait mal à la tête.
 
Après quelques secondes d’incantation, Ceria leva son bâton et l’abaissa doucement. Puis elle observa la jambe de Ryoka, et les autres aventuriers se regroupèrent autour d’elle, alternant entre jeter des regards vers sa jambe et vers son visage.
 
Pendant quelques secondes, le visage de Ryoka resta de marbre. Puis, lentement, elle se releva. Elle testa son poids sur ses deux jambes, puis sur sa mauvaise jambe. Elle fit un pas, puis un autre. Et…
 
Elle sourit.
 
« Comment tu te… »
 
Calruz tapota Gerial et l’empêcha de parler. Il regarda Ryoka faire un autre pas, avant d’étirer sa jambe. Elle appuya sur sa jambe avec précaution en faisant quelque pas forcés. Puis elle commença à sautiller.
 
Ryoka tourna sur une jambe, avant de bondir et de donner un coup de pied. Puis, elle retomba et fit un coup de pied rotatif qui fendit l’air. Les aventuriers clignèrent des yeux, impressionnés.
 
Bond, rotation, coup, saut. Ryoka bondit dans l’herbe comme un singe, ou une karatéka pour être généreux. Elle fit une roue, avant d'enchaîner avec un coup de pied retourné qui fendit l’air. À ce point, Gerial et les autres aventuriers étaient en train de la regarder bouche bée, et c’était avant que Ryoka ne commence à faire des pirouettes et des saltos avant.
 
« Je pense que cela veut dire que tu te sens mieux, Ryoka ? »
 
La jeune femme s’arrêta et sourit à Celia. Elle essuya un peu de sueur de son front.
 
« Je me sens bien. Je me sens plus que bien. »
 
Cette fois ce fut Calruz qui resta sans voix. Mais Gerial retrouva la sienne, toujours en train de dévisager Ryoka.
 
« Comment est-ce… Je n’ai jamais vu quelqu’un faire ça »
 
Les autres aventuriers hochèrent la tête du même accord, mais l’un des mages secoua la sienne.
 
« J’ai déjà vu quelque chose comme ça. Les acrobates et les artistes de rues ont ce genre de compétence. Est-ce que tu as la classe d’[Artiste de Rue], mademoiselle Ryoka ? »
 
Elle lui jeta un regard, légèrement insulté.
 
« Non, j’ai du talent. Tu devrais me voir faire du parkour. »
 
« Par…Quoi ? »
 
« C’est un type de course. Ou… je suppose que tu peux aussi l’appeler un type d’art martial. »
 
Ryoka perdit de nouveau son audience.
 
« Matrimonial ? »
 
« J’en ai entendu parler. »
 
Ceria hocha la tête et sourit à Ryoka.
 
« Tu espleine de surprises, pas vrai ? Et ta jambe ne te fait pas souffrir ? Tu ne ressens pas de pincements ou de douleur ? »
 
Ryoka sourit.
 
« Pas du tout. »
 
« Pisces a fait du bon travail alors. Je savais qu’il le ferait. C’est peut-être un idiot, mais c’est un idiot compétent. »
 
Gerial se racla la gorge.
 
« Je suis content. Bon, heu, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Le voyage a été long et il y a l’auberge ou Liscor… Ryoka, est-ce que tu, heu, veux quelque chose ? »
 
Les Cornes d’Hammerad regardèrent Ryoka. Elle était pratiquement en train de vibrer d’énergie, incapable de rester immobile.
 
« Je vais recommencer à courir. »
 
« Quoi ? »
 
« Je dois courir. Désolé mais… »
 
Gerial et les autres Cornes d’Hammerad échangèrent un regard. Le guerrier hocha la tête avant de lui faire un sourire.
 
« Nous comprenons. Moi aussi je me suis déjà cassé des os. »
 
Ryoka hocha la tête. Elle était déjà en train de regarder les grandes plaines ouvertes, mais elle se retourna et hésita.
 
« Je ne veux pas vous gêner. Je peux probablement retrouver le chemin par moi-même si vous voulez… »
 
« Cesses d’être absurde. »
 
Cette fois, ce fut Calruz qui lui coupa la parole. Le minotaure grogna.
 
« Nous te suivrons dans le chariot. Il y a plus de cent-cinquante kilomètres entre ici et Celum. Même moi… Même toi tu ne peux pas courir aussi loin. »
 
Elle lui sourit.
 
« Tu veux parier ? »
 
Ryoka s’arrêta, et essaya d’ajuster ses mots.
 
« Um, merci en tout cas. Mais si vous avez besoin de vous reposer… Je sais que vous êtes resté debout toute la nuit. »
 
« Nous donnerons une potion de stamina aux chevaux. »
 
Ceria sourit à Ryoka.
 
« Si tu vas courir, reste sur la route. Les monstres du coin sont plutôt dangereux. Restes éloigné des gros rochers. Ils sont des monstres géants camouflés. »
 
Tous les autres Cornes d’Hammerad regardèrent Ceria, se demandant si elle était sérieuse. Mais Ryoka hocha simplement la tête, son corps était tendu comme un ressort. Mais de nouveau, elle s’arrêta avant de courir.
 
« Merci. Je suis sincère. »
 
Calruz grogna de nouveau.
 
« Assez de mots. Commence à courir ! »
 
Ryoka hocha la tête en direction des aventuriers. Elle leur donna un rare véritable sourire, et au moins quelques cœurs dans les Cornes d’Hammerad manquèrent un battement. Puis elle décolla.
 
Calruz devait avoir l’idée de courir avec Ryoka, du moins pendant quelque temps, car il décolla avec elle. Il fit dix pas avant qu’elle le laisse dans sa poussière. Ceria siffla doucement en voyant Ryoka fulgurer à travers les prairies.
 
« Occupons-nous des chevaux et allons sur la route si tu veux la suivre, Gerial. Il semblerait qu’elle soit partie pour faire cinquantaine de kilomètres avant d’être à court d’énergie. »
 
Gerial haussa la tête et commença à donner des ordres aux Cornes, même s’ils savaient déjà quoi faire. Calruz fit demi-tour, le pas lourd, semblant à moitié satisfait et à moitié mécontent.
 
« Rapide. Mais c’est pour ça qu’elle est digne. »
 
Ceria le regarda alors que Gerial commença à délibérément tripoter une potion bleue qu’il avait sortie de son sac.
 
« Cela valait le coup de payer notre dette envers elle, mais c’est dommage que nous ne puissions pas rester sur Liscor, Calruz. Mais… Tu sais que ces nouvelles ruines sont proches. Cela vaut peut-être le coup de dépasser les autres compagnies d’aventuriers et l’explorer en premier. »
 
Calruz secoua la tête.
 
« Mais pas sans une compagnie entière. Il y a une raison pour laquelle aucun des couards des environs ont osés s’enfoncer dans les premiers niveaux. Si nous revenons, cela sera après avoir connaissance de quels montres nous attends et quand nos blessé auront récupérés. »
 
« Pratique, je suppose. Je suis surpris de t’entendre dire ça, Calruz. »
 
Calruz jeta un regard irrité en direction de Ceria.
 
« Pourquoi ? Parce que je suis un Minotaure ? »
 
Elle ne broncha pas.
 
« Tout juste. »
 
Il grogna avant de sourire.
 
« Je ne suis pas un imbécile, et les Cornes d’Hammerad ne sont pas encore au niveau Or. Nous attendrons. Maintenant, suivons la rapide Ryoka Griffin. »
 
La mage grogna en montant dans le wagon.
 
« Un nouveau jour et nuit à cheval. Dommage que nous ne pouvons pas rester à l’auberge. »
 
Calruz regarda l’auberge vide avant de secouer la tête.
 
« Bah, elle ne semble pas très accueillante de toute façon. En avant ! »
 
Les Cornes d’Hammerad démarrèrent, descendant sur plusieurs kilomètres avant de retrouver la route principale. Ils continuèrent pendant une heure quand Gerial leva la tête et prit une grande inspiration depuis son siège de conducteur.
 
« … Est-ce quelqu’un sent de la fumée ? »
 
***

Ryoka courut. Elle courut à travers l’herbe et en détalant du sol. Elle se sentait renaître avec chaque pas. Et elle rapide, c’était même peut-être la première fois qu’elle était aussi rapide. Ses ailes étaient de retour.
 
Elle gravit une colline, la descendant une demi-seconde plus tard, avant de nouveau toucher un terrain plat avant qu’une nouvelle montée lui fit enfoncer ses pieds dans l’herbe tendre. La région pleine de bosses était parfaite pour entraîner les muscles, si elle le voulait. Mais en ce moment, Ryoka était simplement en train d’apprécier la sensation que courir lui donnait.
 
Elle restait sur la route principale. Même avec toute la passion dans son âme, Ryoka n’allait pas prendre le risque de courir dans l’un des monstres que Ceria avait mentionnés. Elle observa les gros rochers immobiles en courant et se demanda ce qui rôdait en dessous.
 
À cette heure du jour, la route était en fait habitée de quelques voyageurs. Soit Ryoka ne les avait pas vus lors de son trajet délirant vers Liscor, soit il avait été trop tard ou tôt dans la journée pour les croiser. Mais elle pouvait désormais voir des marchands faisant route dans des caravanes accompagnées de gardes, des fermiers dans leurs wagons, et même des voyageurs solitaires. Certains étaient humains, la plupart ne l’était pas.
 
Des lézards géants. Des hommes-chiens poilus. Ryoka se serait volontiers arrêter pour les regarder… ou les observer discrètement, mais le feu de la course brûlait en son sein. Elle courut une bonne distance de la route en doublant les voyageurs. En retour, ils regardèrent l’humaine les dépassant avec une curiosité stupéfaite et non déguisée.
 
Des marchands, des vendeurs, des voyageurs, des colporteurs, des gardes de caravanes, des fermiers et l’occasionnelle compagnie d’aventuriers voyageaient sur la route de Liscor. Oh, il y avait encore un dernier groupe.
 
Les Gardes.
 
Ryoka doubla un groupe de Gnolls qui sentirent l’air et tournèrent la tête presque trop tard pour la voir passer quand elle vit le groupe de Drakéide armés. Ils réagirent à sa présence en mettant la main sur leurs armes, mais quand ils virent l’humaine solitaire, ils se détendirent. Tous, excepté un seul d’entre eux.
 
Ses jambes et son corps étaient encore en forme, mais Ryoka pensait à ralentir un peu pour conserver de l’énergie quand elle vit quelque chose de flou sortir du groupe de garde et la pourchasser. Elle entendit les cris d’encouragement et les exclamations venant du groupe de Drakéides et réaliser que l’un d’entre eux tentait de faire la course avec elle. Ryoka regarda au-dessus de son épaule.
 
Quelque chose de flou et de vert était juste derrière elle. C’était l’un des gardes, un grand Drakéide avec une lance dans son dos. Un autre de ses idiots qui pensaient être capable de la dépasser juste pour frimer devant ses potes. Elle accéléra le rythme. Et… Il fit de même.
 
Il était rapide. Ryoka pouvait le sentir derrière elle, puis juste à côté d’elle. Elle prit une grande inspiration de surprise alors qu’il apparut à ses côtés, lui faisant un sourire imbu de soi. Il était grand, et il portait une arme et une armure, et il était presque aussi rapide qu’elle. Presque.
 
Ses pieds s’enfoncèrent dans l’herbe tendre. Ryoka augmenta le tempo de ses jambes et passa en overdrive. Le Drakéide cligna des yeux alors qu’elle accéléra. Il tenta d’accélérer, et parvint à tenir le rythme pendant quelques secondes. Mais Ryoka avait des ailes sur ses pieds et c’était sa première course en une semaine. Cela revenait au même qu’essayer de rattraper le vent.
 
Quelle était sa vitesse ? Ryoka vit les voyageurs sur la route se flouter, et disparaître à chaque pas. Elle était dans son propre monde à part, et même le Drakéide qui était incroyablement rapide ne parvint pas à tenir le rythme. C’était son monde, un monde que peu de gens allaient connaître.
 
Les gens sont fantastiques. Pendant une seconde Ryoka souhaita que son Iphone fonctionne encore pour qu’elle puisse écouter de la musique ou se filmer pour une de ses compilations sur Youtube. Mais elle abandonna cette idée derrière elle, et continua de courir.
 
Le garde perdit du terrain. Il avait beau essayer de toutes ses forces, il ne pouvait la rattraper. Ryoka tourna la tête et lui fit un sourire pour le remercier de cette bonne course. Il utilisa désespérément ses bras et ses jambes, mais son étrange vitesse n’était pas de taille pour sa course. Et sa posture était horrible.
 
Elle l’entendit l’appeler, mais Ryoka avait atteint la zone et elle ne pouvait pas s’arrêter. Elle continua de courir, souriant dans la brise. La sensation était de retour. Elle était de retour.
 
Elle était libre.
 
***

Relc abandonna sa course quand il réalisa que la femelle humaine avait déjà plus d’une trentaine de mètres d’avance. Dégoutée, il s’arrêta, déchirant l’herbe avec la force de son élan. Une caravane de marchands humains proche le regarda, impressionnés, mais c’était parce qu’ils avaient été trop lents pour admirer la coureuse qui continuait de sprintée au loin.
 
Frustré, Relc sortit sa lance et la planta dans le sol. C’était une première. Il n’avait jamais été… Enfin, rarement été battu à la course. Et jamais par un humain. Il regarda le dos de plus en plus petit de Ryoka avec un soupçon d’admiration dans ses yeux.
 
Puis il se retourna et commença à péniblement faire le trajet vers le groupe de garde qu’il avait quitté. Ils étaient à plusieurs kilomètres de distance. Relc grommela en se rendant compte de l’inconvenance, oubliant commodément qu’il avait été celui qui avait défié Ryoka à la course. Il jeta un dernier coup d’œil vers l’horizon, mais il ne pouvait déjà plus voir la forme de Ryoka.
 
« Les humains. Huh. Je me demande si Erin la connaît ? »
 
***

Quelque part en même temps, Erin n’était pas en train de faire les courses. Ni d’être à Liscor. En fait, elle avait quitté la ville il y a plusieurs heures de cela. Maintenant, elle était perdue.
 
Pas completement perdue. Elle savait où Liscor se trouvait, approximativement. Elle pouvait suivre la chaîne de montagne pour s’y rendre, et donc elle pouvait rentrer dans son auberge. Donc elle n’était pas perdue sur une grande échelle.
 
Mais sur une plus petite échelle mieux localisée, elle était perdue. En vérité, Erin se serait même aventuré à dire qu’elle était complètement perdue.
 
Elle avait quitté l’Auberge Vagabonde derrière elle en prenant son équipement et puis…
 
C’était comme se retrouver dans un labyrinthe, mais cette fois les murs n’étaient pas verticaux, ils étaient horizontaux. Erin fronça les sourcils. Est-ce que cela faisait sens ?
 
Les collines et les vallées de la prairie étaient pratiquement indiscernables à du sol plat depuis une certaine distance, et l’herbe verte et uniforme aggravait la situation. Erin devait naviguer en utilisant le peu de repère qu’elle pouvait discerner.
 
Par exemple, il y avait des rochers utiles à l’horizon… Sauf qu’ils bougeaient occasionnellement et que s’approcher de l’un d’entre eux étaient une mauvaise idée. Et il y avait des parcelles de fleurs rouges et de fleurs blanches qu’Erin voyait de temps en temps, mais elle avait un mauvais sentiment à leur propos.
 
« [Instinct de Survie] »
 
Du moins, c’était probablement ça. Cela pouvait aussi être un mauvais pressentiment hasardeux, mais c’était pratiquement la même chose quand elle y réfléchissait. Dans tous les cas, Erin avait décidé de ne pas sentir les jolies fleurs.
 
Elle observa les alentours alors qu’elle marcha dans les prairies. C’était incroyable. Dans plus d’un sens. Premièrement, elle avait vu une route à quelques kilomètres sur la gauche. Une route. Liscor avait une route !
 
Enfin, ce n’était probablement pas une si grande surprise. Mais Erin venait de réaliser à quel point son petit monde avait été étroit. Elle avait presque uniquement vécue dans son auberge et occasionnellement dans Liscor, sans explorer dans une direction. Et pourquoi ?
 
Oh oui, à cause des monstres. Enfin… Il n’y en avait pas qu’elle pouvait voir. Erin n’était pas trop loin de la route principale, et Selys lui avait dit que c’était la zone la plus sûre. Elle avait fait promettre à Erin de rester proche des zones que la Garde patrouillait.
 
Mais Erin venait de trouver une forêt, et elle allait l’explorer. Car c’était une forêt. Littéralement les seuls arbres qu’Erin avait trouvé excepté pour les arbres à fruits bleus. Mais ceux-là semblait être de vrais arbres… Excepté pour le fait qu’ils n’avaient pas de feuilles.
 
Cela était peut-être lié à la saison. Apparemment, c’était l’automne, proche de l’hiver. Erin n’y avait pas cru, mais Selys lui avait assuré que c’était la vérité. Apparemment les montagnes faisaient en sorte que les saisons ne les touchaient pas trop violemment ou quelque chose du genre.
 
« Ou peut-être que c’est comme en Floride ou en Californie. Pas de neige, pas de chaleur étouffante. Cela serait sympa. »
 
Erin murmura à elle-même alors qu’elle approcha l’arbre qui semblait sec. C’était une charmante forêt, et elle n’était pas trop loin de son auberge. Environ… Quarante minutes si elle marchait droit ? D’accord, c’était assez loin, mais uniquement parce qu’elle était à pied.
 
Hum ? Le bois marron de l’arbre était définitivement d’une couleur plus claire que les arbres de son monde. Leur couleur était actuellement plus proche de la couleur d’un arbre dessiné et non pas comme ils étaient en réalité avec toute l’écorce sombre, la mousse, et le reste. Erin voulue s’approcher mais une cloche retentit dans sa tête.
 
Son [Instinct de Survie]. Il pulsait quand Erin avait pensé à s’approcher des fleurs, mais maintenant il était clairement en train de sonner dans sa tête. C’était comme un mauvais pressentiment dans le creux de son estomac, sauf que cette fois c’était dans sa tête. Et cela disait à Erin qu’elle ne voulait pas s’approcher des arbres.
 
Erin recula rapidement. Quelque chose n’allait pas avec cette forêt. Mais quoi ? Ils étaient juste des arbres. Est-ce qu’il y avait quelque chose qui vivait dans cette forêt ? Dans les arbres ?
 
Erin mit la main dans son sac avec précaution. Elle avait apporté un sac d’essentiel pour une journée d’exploration. Cela ne lui avait pas coûté trop cher, et elle avait voulu se préparer. Ce n’était pas comme si elle était complétement insouciante comme Selys et Krshia pensait qu’elle était.
 
Erin fouilla avec une main en gardant un œil sur la forêt. C’était difficile de fouiller à tâtons dans le sac sans regarder à l’intérieur, surtout parce qu’elle ne voulait pas casser un certain objet. Où est-ce que c’était… ?
 
Elle sortit un briquet et de l’amadou, dont elle savait comment utiliser au cas où elle avait besoin de faire une torche. Ce n’est pas qu’elle comptait explorer une cave, mais cela semblait être un choix logique. Il y avait aussi des bandages, mais Erin ne voulait pas les utiliser. Sa main fouilla à travers le sac à l’aveugle.
 
Elle avait aussi un long couteau dans un fourreau de cuir qu’elle avait acheté à la Guilde des Aventuriers. Il vendait beaucoup d’objet pour les aventuriers derrière leur comptoir, et une fois que Selys avait compris qu’Erin n’allait pas changer d’avis, elle avait insisté pour qu’Erin en prenne un.

Et une potion de soin, bien sûr. C’était coûteux, presque une pièce d’or même pour une faible potion, mais Erin en aurait acheté une quelqu’en soit le prix. Elle avait appris sa leçon.
 
Quelque chose de lisse. C’était le miroir à main. Apparemment, c’était un outil que les aventuriers utilisaient pour regarder des blessures comme des dards empoisonnés ou en cas d’attaque de Basilic. Erin l’avait acheté parce qu’elle voulait vraiment en avoir un, mais aussi parce que  la vision d’un guerrier grisonnant se regardant dans la glace était plutôt drôle.
 
Erin avait rigolé, puis Selys  lui avait raconté comment certains insectes pouvaient s’enfoncer dans la peau d’un aventurier pour y pondre des œufs qui allaient éclore pour les manger de l’intérieur. Cela avait dégoutant et Erin avait l’impression d’être une mauvaise personne pour avoir ri. Mais cela ne l’avait pas stoppé son exploration, surtout après que Selys ai admis que ses insectes ne vivaient pas prêt de Liscor.
 
Selys ne semblait pas comprendre. Et en fait, Krshia ne semblait pas comprendre non plus. La Gnolle semblait penser qu’Erin était en train d’essayer de venger Klbkch. Elle avait offert d'accompagner Erin pour ‘chasser’ avec Erin, mais Erin avait refusé.
 
Aucune d’entre elles ne comprenaient réellement. Elles pensaient qu’Erin était folle et elle l’était probablement, mais ses raisons avaient du sens pour Erin. C’était quelque chose qu’elle devait faire.
 
« J’aimerai… »
 
Erin s’arrêta et secoua la tête. Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ? Erin regarda l’objet qu’elle venait de sortir de son sac, le regard vide. Oh, oui.
 
Elle était en train de tenir un caillou. Pour être franc, c’était un beau caillou. Rugueux sur les bords, c’était vrai, mais un splendide spécimen de caillou malgré tout. Erin pouvait tenir ce caillou et sentir qu’il était définitivement fait de pierre. Il était aussi lourd comme il fallait, et c’était sa principale défense envers quoique ce soit.
 
Erin le pesa et plissa les yeux en direction de l’arbre. Hm. Elle recula jusqu’à se trouver à une quinzaine de mètres. Cela semblait assez prudent. Puis elle leva le bras, visa, et lança.
 
Erin n’avait jamais joué au baseball quand elle était petite. C’était un jeu de garçon, du moins de là où elle venait, et ils étaient tous des imbéciles quand il était question de laisser son tour à une fille. Mais elle avait joué à la balle de temps en temps, et il y avait beaucoup de parties de baseball qu’elle avait pu regarder à la télévision de temps à autre. Pour faire court, Erin avait une solide idée de la vitesse à laquelle une balle de baseball pouvait être lancée.
 
Le caillou qu’elle avait lancé avait environ la même vitesse qu’une balle rapide. Pas une balle rapide de joueur professionnel, le type qui pouvait tordre du métal ou tuer quelqu’un mais… En fait, c’était un caillou. Il pouvait totalement tuer quelqu’un même à  la vélocité réduite du lancer d’Erin.
 
Et il avait une trajectoire parfaite. Erin regarda le caillou qu’elle avait lancé touché l’un des arbres en plein centre, suffisant fort pour tordre l’écorce. Une autre compétence. [Lancer Infaillible]. Avec elle, Erin ne pouvait pas se rater.
 
Le caillou tomba au sol. Erin regarda l’arbre. Les branches étaient en train de trembler à cause de l’impact, mais rien n’arriva. Peut-être qu’il n’y avait rien de vivant dans les arbres après tout. Ou peut-être que c’était en train de se cacher, ou vivait que dans certains arbres, ou plus profondément dans la forêt. Ou peut-être…
 
Attendsuneminute. Erin se figea. Les branches étaient toujours en train de trembler bien longtemps après l’impact. Pourquoi est-ce qu’elle faisait ça ? Mais l’arbre semblait se fléchir et…
 
Des feux d’artifices. Chaque branche et brindilles sur la partie supérieure de l’arbre détonna  en avant instantanément et spontanément  comme une bombe de shrapnel. Des glands, des morceaux d’écorces, et des petits morceaux de branche furent projetés en avant, des milliers de balles.
 
Erin se jeta au sol alors que la pluie de bois mortel tomba autour d’elle. Elle fut chanceuse. L’explosion était assez lointaine pour que la majorité de ce qui la toucha avait perdit son élan. Elle sentit des bouts de bois tomber autour d’elle alors qu’elle protégeait sa tête de ses mains. Erin décida de lever les yeux uniquement après qu’elle soit bien, bien certaine que tout s’était arrêté.
 
L’arbre était complètement dénudé de son écorce et de la majorité de ses petites branches. Il se tenait parmi les siens, montrant le sale mélange de jaune, de vert et de blanc de son tronc. Des bouts de l’arbre jonchaient le sol dans un radius d’une centaine de mètres.
 
Tremblante, Erin se releva. Elle sentit quelque chose couler le long de son visage et toucha sa joue. Quelque chose, un gland, avait coupé une entaille peu profonde le long de sa joue gauche. Elle regarda le sang sur le bout de ses doigts et tenta de ne pas vomir.
 
***

 
Ce ne fut qu’après avoir mis au moins presque deux kilomètres entre elle et les arbres explosifs qu’Erin s’arrêta pour insulter sa propre bêtise. Puis elle décida de ne plus jamais s’approcher de quelque chose qui ressemblait de près ou de loin à un arbre sans un lance-flamme. Les monstres étaient quelque chose, mais ça…
 
Erin soupira avant de s’asseoir sur une petite colline. Du coup, voilà pourquoi personne n’explorait cette région. Des arbres explosifs. Ces choses étaient mortelles à moins de porter une armure, et encore. Elle imagina ce qui pouvait arriver si Loks ou un de ses amis Gobelins s’ils essayaient de ramasser du bois depuis ces arbres et frissonna.
 
Curieusement, le fait qu’elle avait frôlé la mort avait affamé Erin. Elle ouvrit son sac et fouilla précautionneusement à l’intérieur jusqu’à sortir quelque chose de mou. Elle déballa le papier de cire pour révéler un sandwich légèrement écrasé. Apparemment, les Drakéides n’étaient pas très friand de pain, ils avaient un régime constitué de beaucoup de viandes, de poissons et d’insecte de temps en temps, mais les Gnolls  en mangeaient.
 
Ce sandwich en particulier avait de la moutarde, ou quelque chose de sucré qui avait légèrement le goût de moutarde, du fromage, et beaucoup de viande. Erin le dévora en souhaitant qu’elle ne l’avait pas mangé si rapidement. Elle se tint l’estomac et puis elle remarqua l’araignée.
 
« Oh mon dieu. »
 
C’était une grosse araignée. Une grosse… Non, énorme araignée. Et elle avait…
 
« Oh mon dieu. Est-ce que c’est de l’armure ? »
 
Peut-être que ce n’était pas une armure. Peut-être que cela en était une. Mais le paterne argenté et noir sur le dos de l’araignée faisait passer l’épaisse couche de… Carapace encore plus sinistre qu’elle l’était. Cela ressemblait à de l’armure, surtout dans la façon dont les plaques couvraient les jambes de l’araignée géante et le haut de son corps. Erin était pratiquement certaine que c’était de l’armure.
 
Click
 
L’araignée fit cliqueter ses mandibules en s’approchant d’Erin. Elle se figea, avant d’attraper son sac et reculer. L’araignée s’approcha plus vite, Erin recula encore plus vite.
 
Erin se retourna et commença à courir. Du moins, jusqu’au moment où son [Instinct de Survie] s’enclencha comme une alarme. Elle s’arrêta. Qu’est-ce qui…
 
C’était presque trop tard. Erin s’apprêtait à faire un autre pas quand elle remarqua que le sol devant ses pieds semblait fragile. Elle fit un pas en arrière, l’araignée géante était encore assez loin. Elle donna un coup de pied sur le sol, et ce dernier s’effondra.
 
Un grand trou s’ouvrit dans le sol devant Erin. La fausse terre, en vérité, une sorte d’amalgame vert fait d’herbe morte et de brindilles s’effondra et Erin baissa les yeux vers les enfers. Un nid rempli d’araignée. Et d’œufs.
 
Elles étaient partout, des petites, des grosses, et des œufs. Tellement d'amoncellement d’œufs blancs qui recouvraient le sol et les murs de l’immense caverne comme d’obscènes champignons. Et alors que le piège tomba, elles se ruèrent d’un même mouvement frénétique.
 
Des araignées commencèrent à se précipiter dans leur nid, se précipitant l’une sur l’autre à la recherche de la proie qui était tombé dans leurs nids. Pendant ce temps, la proie en question se tenait aux abords du nid et recula lentement avec horreur.
 
Ce fut uniquement quand elle entendit l’approche de l’autre araignée cuirassée qu’Erin se souvint qu’elle était derrière elle. Elle se retourna, hurla, et courut autour des bords du piège. Elle la suivit mais, de façon intéressante, les autres araignées ne le firent pas. Elles étaient toujours en train de grouiller de manière inconsidérée dans le sol, protégeant les œufs et cherchant quelque chose à manger. Mais la grosse était toujours en train de la chasser.
 
Elle courut. L’araignée la suivit. Même après qu’Erin fit plusieurs centaines de mètres elle pouvait se retourner et la voir s’approcher. Et puis elle réalisa qu’elle n’allait pas s’arrêter. C’était une prémonition. L’araignée allait la chasser jusqu’à ce qu’elle s’arrête.
 
Donc Erin ralentie sa course pour marcher. Elle se retourna, et retira son sac à dos. Erin chercha à l’intérieur et sortit deux choses. Un caillou et une jarre qui avait été bouchée avec extrême préjudice.
 
Explorer avait été une idée stupide. Selys lui avait dit une centaine de fois. Krshia lui avait dit la même chose, mais elle avait suggéré de l’accompagner avec quelques autres Gnolls. Mais Erin avait refusé les deux idées. Elle devait le faire seule.
 
Et cela allait peut-être la tuer. Mais Erin s’était réveillée en hurlant et en pleurant chaque nuit depuis la mort de Klbkch. Donc elle ne prit pas la fuite. Elle s’empara du caillou et visa l’araignée.
 
Sa tête était noire et Erin ne pouvait pas discerner des yeux ou quelque chose qui se dégageait. Elle s’attendait à ce que l’araignée est une large mâchoire ou quelque chose du genre, mais c’était juste blanc et terrifiant. Elle lui lança le caillou au visage.
 
Le caillou s’écrasa contre la tête de l’araignée. Cette dernière chancela et poussa un son strident qu’Erin ne pouvait qu’entendre à moitié. Pendant une seconde elle pensait que cela avait marché et qu’ l’araignée allait prendre la fuite. Mais l’araignée baissa la tête et avança
 
Elle n’était même pas en train de saigner, même si Erin ignorait sur les araignées pouvaient saigner. Mais l’armure recouvrant l’araignée n’avait même pas été craquée par le caillou. Erin regarda l’araignée qui s’approchait.
 
Énorme. Presque la moitié de sa taille. Tous les instincts d’Erin lui hurlaient de courir. Mais elle refusa. Si elle courait, l’araignée allait la suivre.
 
Si elle courait assez loin, peut-être qu’elle serait capable d’atteindre la cité avant de tomber à court d’énergie. Peut-être qu’elle allait tomber dans un autre piège. Mais dans tous les cas, quelqu’un allait devoir tuer cette araignée. Si ce n’était pas elle, un garde. Relc, ou Pisces. Voir même Loks. Quelqu’un allait finir par se battre, et quelque allait peut-être mourir.
 
Donc Erin ne courra pas. Elle resta sur place et regarda l’araignée. L’araignée allait la tuer, ou elle allait la tuer. Elle savait que cela allait terminer comme ça, et elle ne courra pas. Parce que c’était la raison pour laquelle elle était ici.
 
Pour ne plus jamais voir quelqu’un mourir pour elle. Pour ne plus jamais devoir les tenir dans ses bras et écouter leurs derniers mots. Pour ne plus jamais pleurer et sans cesse se sentir coupable.
 
Pour ne plus jamais être faible.
 
Donc, au lieu de courir, Erin ramassa la jarre de verre qu’elle avait posé dans l’herbe. Elle la jeta à l’araignée qui continua de charger.
 
La jarre se brisa et l’acide recouvrit l’armure de l’araignée. De nouveau, cette dernière poussa un cri perçant et cette fois Erin vit de la fumée s’élever de son armure. L’acide mordit dans l’armure de l’araignée, mais de nouveau, c’était insuffisant. L’araignée se roula en boule dans l’herbe alors que de la fumée continua de s’élever de son armure, et griffa frénétiquement son ‘visage’. Éventuellement, la fumée se dissipa et l’araignée se releva.
 
Erin attendit. Elle avait aveuglé la créature, mais maintenant elle affrontait une araignée à moitié aveugle recouverte d’acide qui mangeait la chair. L’araignée s’approcha, et elle vit que le délicat exosquelette gris et noir plaqué avait été troué par l’acide des mouches. Mais ce n’était pas assez.
 
Erin mit la main dans son sac et sortit un de ses couteaux. Elle le lança et la lame fendit l’air pour rebondir sur la tête de l’araignée. Inutile. Erin vida son sac et l’entoura autour de sa main. Elle marcha, lentement.
 
Ses oreilles étaient en train de vrombir. Le bruit du sang et des battements de son cœur étouffaient tout le reste. L’araignée hésita alors qu’Erin marcha vers elle. Elle toucha délicatement le sol d’une de ses pattes et tenta de la contourner. Erin continua d’avancer vers elle. Ses yeux fixés sur un monstre bien plus terrifiant que tout ce qu’elle avait vu dans ce monde. Mais elle ne prit pas la fuite.
 
Erin s’arrêta à quelque pas de l’araignée. Son pouls était électrique, son estomac était absent. Elle baissa les yeux, et l’araignée hésita. Erin lui adressa la parole.
 
« J’ai tenu un ami mourant  dans mes bras et j’ai connu la douleur. Essaye de me tuer. Tu ne peux pas manger un cœur brisé. »
 
Elle leva ses poings.
 
« Approche. Ta tombe sera profonde. »
 
***

Une brise souffla depuis les montagnes. C’était une brise puissante, mais fatiguée. Après des milliers de kilomètres le souffle qui avait traversé l’océan n’était plus qu’un murmure. Mais c’était assez. Elle porta la fumée et le brulé dans le vent.
 
L’aventurière s’arrêta et regarda au nord. Le vent fit bouger ses dreadlocks, et elle frotta ses yeux. La fumée était gênante, mais elle avait appris il y a bien longtemps à voir même dans des tempêtes de sables.
 
Cependant, cela était curieux. Alors l’aventurière marcha vers la fumée. Elle ne s’embarrassa pas à sortir la large épée à sa hanche. Elle en n’avait pas besoin, pas encore. De plus, sa confiance n’était pas injustifiée.
 
Elle portait une armure faite d’un métal sombre. Pas sombre comme de l’acier de jais ou la couleur dépourvue de lumière de l’obsidienne… Juste un métal sombre, de couleur marron-orangée. De loin, cela donnait une impression de rouille, mais l’armure n’était pas rouillée. En fait, elle était plutôt propre, c’est juste que le métal donnait cette impression.
 
L’aventurière la portait comme une seconde peau, et cela ne la gênait pas dans ses mouvements alors qu’elle avança vers la fumée. Mais elle s’arrêta quand elle vit l’araignée.
 
Elle était en train de ramper hors d’un trou situé sur le flanc d’une colline. Du bois brûlant avait été placé autour du trou, mais l’araignée était déterminée. Elle poussa par-delà le feu, hurlant horriblement et fumant. Quand elle vit l’aventurière, elle réagit par instinct et bondit.
 
L’aventurière dégaina son épée et coupa deux fois. L’araignée tomba au sol, ses jambes et son abdomen trancher. Du pus jaune coula de son postérieur alors que l’aventurière l’examina.
 
« Des Araignées Tueuses de Rois ? Non… Des Araignées Cuirassée. »
 
Elle laissa l’Araignée Cuirassée là où elle gisait. L’aventurière continua en avant jusqu’à atteindre le haut de la colline, elle vit la source de la fumée.
 
Un large trou était en train de laisser s’échapper de la fumée noire. Des étincelles oranges et une terrible lumière rouge éclairèrent les bords du trou comme un passage vers une quelconque abyme. Mais ce ne fut pas ce qui attira l’attention de l’aventurière.
 
Une fille était assise, toute seule, au bord du trou fumant. Elle était en train de regarder à l’intérieur, ignorant le petit feu de camp à sa droite. Elle était en train de serrer ses genoux dans ses bras et de baisser les yeux. Elle ne vit et n’entendit pas la seconde araignée s’approcher derrière elle.
 
L’araignée bondit. L’aventurière agrippa son épée, mais la fille au bord du gouffre bougea en un éclair. Elle roula sur le côté au moment où l’araignée bondit vers elle. L’élan de l’araignée l’emporta par-delà les bords du trou fumant. L’aventurière entendit un cri d’agonie perçant de l’araignée alors que la fille retourna s’asseoir au bord du trou.
 
Avec précaution, l’aventurière s’approcha. Elle n’avait pas peur pour sa vie, mais elle était en train d’étudier la fille avec beaucoup de confusion. Son œil se plissa alors qu’elle évalua la fille. Et elle n’était qu’une fille, surtout pour l’aventurière.
 
Alors qu’elle s’approcha, la fille leva les yeux vers elle. Elle était humaine. Elle ne se releva pas, mais changea légèrement l’angle de la chose qui se trouvait à ses pieds avec plus de précision.
 
Un petit miroir se tenait aux pieds de la fille, réfléchissant le paysage derrière elle. Il était tenu par un sac, ou quelque chose qui rappelait vaguement un sac. En vérité, c’était plus un tas de bouts de tissus.
 
L’aventurière regarda la fille. Elle ne semblait pas être blessée. Mais elle ne semblait pas être inclinée à parler. Alors l’aventurière s’éclaircit la gorge.
 
« Bien le bonjour. »
 
« Bonjour. »
 
La fille ne leva pas les yeux. Elle serra ses genoux et continua de fixer la fumée. Curieuse, l’aventurière s’avança. Sa main n’était pas sur le pommeau de son arme, mais elle n’était pas détendue.
 
Maintenant qu’elle n’était qu’à quelques pas elle pouvait sentir la chaleur radiée du trou. C’était intense, mais c’était un brasier dans ses derniers stages. Clairement, le feu brûlait depuis longtemps, mais ce ne fut pas ce qui attira l’attention de l’aventurière. Non, ce fut les nombreuses formes qui reposaient recroquevillée au fond de la fournaise.
 
Des araignées.
 
Elles gisaient en grands nombres, leurs carcasses cuirassées fumante et brûlante de manière horrible dans les flammes qui dansaient autour des bords du trou dans le sol. Certaines avaient tentées de grimper. Elles pendaient, balançant, leurs jambes encore plantées dans les murs de terre où elles avaient péries.
 
« Un nid. »
 
« Oui. »
 
L’aventurière cligna son œil en direction de la fille.
 
« As-tu fait cela? Par toi-même ? »
 
« Oui. »
 
« Puis-je demander comment ? »
 
La fille humaine s’arrêta. Elle avait été en train de se balancer d’avant en arrière avant de répondre.
 
« J’ai fermé toutes les entrées avec de l’herbe sèche et du bois. Puis j’ai commencé à lancer des branches enflammées dans le trou. »
 
« Où as-tu trouvé le bois ? »
 
« Il y a une forêt plus loin. Des arbres et beaucoup de bois sec. »
 
L’aventurière jeta un coup d’œil dans la direction que la fille pointait du doigt. Elle hocha la tête.
 
« Des arbres Krakk. Ils brûlent bien, mais tu as été chanceuse qu’aucun d’entre eux n’a explosé. Ils le font souvent et le shrapnel est mortel. »
 
« Ils ont explosés. »
 
L’aventurière leva un sourcil. Elle regarda à la fille d’un œil, avant d’ouvrir plusieurs autres yeux pour l’étudier dans son intégralité.
 
« Oh ? »
 
« J’ai lancé des cailloux sur les arbres jusqu’à ce qu’ils explosent. Puis j’ai ramassé les branches. Ce n’est pas dangereux si tu les fais exploser avant. »
 
« Je vois. Astucieux. »
 
« Merci. »
 
L’un des yeux de l’aventurière regarda vers sa droite.
 
«Es-tu aussi responsable pour ça ? »
 
« Oui. »
 
« Peu peuvent vaincre une Araignée Cuirassée à mains nues. »
 
La fille haussa de nouveau les épaules. Elle serra ses bras sans s’en rendre compte.
 
« Ce n’était pas difficile. Je l’ai retourné et j’ai commencé à piétiner. »
 
« Tu as une compétence. [Force Mineure]. Tout de même, je vois que tu as été blessée. »
 
La fille… Non, l’aventurière vit que son nom était Erin Solstice… Frotta ses bras. L’aventurière pouvait voir que ses avants bras étaient recouverts de  morceaux de peau qui avaient repoussé, presque invisible à tous les yeux sauf les siens.
 
« Oui. J’avais une potion de soin. »
 
« Si tu avais été mordue une potion ne t’aurait pas beaucoup aidée. Les Araignées Cuirassées ont un venin décemment puissant. »
 
« J’ai eu de la chance de ne pas me faire mordre, alors. »
 
Plus de puissance. L’aventurière était légèrement surprise. Elle était habituée au silence, surtout lors de ses longs voyages, mais elle était aussi habituée aux conversations quand elle rencontrait les gens. Du moins, elle s’attendait à des questions sur son apparence, mais le fille ne lui avait lancé qu’un regard. Elle était toujours en train de regarder le trou brûlant.
 
« Les Araignées Cuirassées sont considérées comme des menaces au niveau Argent. Mais un nid d’entre-elle… Je ne serais pas surprise si une compagnie d’aventurier d’Or était dépêchée pour s’en occuper. »
 
« D’accord. Merci de me l’avoir dit. »
 
« Tu es une [Aubergiste], Niveau 11, n’est-ce pas ? Je suis surprise que tu as été capable d’accomplir un tel exploit, ou que tu ne risques ta vie de cette manière. »
 
« Comment est-ce que tu sais ça sur moi ? »
 
« Je le vois. »
 
« Ah. »
 
Erin regarda le trou pendant un certain temps. Elle continua de se balancer en avant et en arrière.
 
« Je voulais voir si je pouvais me battre. Et les araignées… Elles allaient me suivre. »
 
« Les Araignées Cuirassées sont connues pour traquer et tuer leurs proies à travers des milliers de lieux. Tu as été judicieuse de ne pas courir. »
 
« Je suppose. Mais je voulais me battre. Pour voir si je le pouvais. »
 
« Ah. »
 
L’aventurière s’assit aux côtés d’Erin. Elle sentit la chaleur, mais n’était pas dérangé par elle. Cependant, son œil picota.
 
« Et ? Qu’as-tu appris ? »
 
Erin était silencieuse. Elle regarda à l’intérieur des tunnels brûlants. Au milieu du craquement des flammes elle pouvait entendre les araignées crier.
 
« … Que je suis douée pour tuer des choses. »
 
L’aventurière était silencieuse. Erin se balança. En avant, en arrière. En avant, en arrière.
 
« C’est étrange. Jusqu’à ce point, je n’avais jamais réalisé à quel point j’étais une meurtrière. »
 
L’aventurière leva son sourcil.
 
« Une meurtrière ? C’est un mot intéressant. Je ne l’utiliserai pas pour te décrire. »
 
« Oh, vraiment ? Pourquoi ? »
 
« Le meurtre est le péché de prendre des vies qui ont de l’importance. Ceux qui se battent contre de tels monstres sont des exterminateurs. Des tueurs, peut-être ; mais pas de meurtriers. »
 
« Je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas une aventurière. Et je ne veux pas l’être. C’est ce que j’ai appris. »
 
« Oh ? Alors pourquoi te battre ? Les aubergistes ne gagnent pas de niveau en combattant des monstres. »
 
Le rire d’Erin fut court et sans joie.
 
« Vous dites tous la même chose. C’est toujours une histoire de niveau avec vous. Ce n’est pas ce que je veux dire. Je… Je suis une tueuse. Mais je ne veux pas l’être. Et je ne veux pas être une guerrière. »
 
L’aventurière se pencha en arrière et s’appuya sur ses mains. Elle étudia Erin avec son œil.
 
« Alors pourquoi se battre ? Pourquoi ne pas fuir ? »
 
« Pour que je puisse me défendre. Pour que je ne tue pas les gens qui essayent de me protéger. »
 
« Ah. Mais tu as fait plus que cela. Ce nid était une menace pour beaucoup. Tu l’as éliminé. Tu dis la vérité : tu as véritablement un talent pour te battre. »
 
Erin continua d’observer le trou.
 
« Je ne veux pas être une tueuse. Donc je suppose que je suis coincé et que je dois rester aubergiste. »
 
« Tu as un talent pour tuer des choses. Tu peux être une bonne aventurière, encore plus vu que tu as exterminé un nid par toi-même. »
 
L’aventurière s’arrêta lorsqu’Erin commença rire méchamment.
 
« Tuer ? C’est terrible d’être doué pour tuer. Non. »
 
« Quel gâchis. »
 
Erin tourna lentement la tête. Elle regarda l’aventurière, et l’aventurière eut une nouvelle légère surprise. Peu étaient ceux qui pouvaient rencontrer sur regard aussi longtemps sans tressaillir.
 
« …Vas-t’en. »
 
« Mes excuses. Je ne voulais pas t’offenser. »
 
« C’est dommage. Ceci… Il n’y a pas de quoi être fier. »
 
Erin pointa vers le trou brûlant. Elle fit un geste en direction des araignées et des œufs brûlant lentement. L’aventurière pouvait encore entendre les faibles cris depuis l’intérieur de la résistante toile.
 
« Je les ai tuées. »
 
Erin murmura.
 
« Je les ai tous tuées. Et elles… Elles hurlent quand elles meurent. »
 
« Elles t’auraient tué. »
 
« Oui. »
 
Erin regarda un des regroupements œufs s’ouvrir. Des petites araignées firent frénétiquement leurs chemins à travers la toile et hurlèrent alors qu’elles se retrouvèrent dans les flammes. Elles se déplacèrent parmi les braises, brûlant et mourant.
 
« Des bébés. »
 
« Une progéniture. Ils sont aussi dangereux que les adultes en grand nombre. »
 
« Ce sont des bébés. »
 
L’aventurière haussa les épaules.
 
« Tu peux les appeler comme ça. »
 
Erin regarda vers le trou. Elle fut silencieuse pendant une minute. Les araignées étaient en train de fuir, mais la chaleur du feu était moins puissante. Elles étaient en train de mourir, mais plus lentement. Elle vit une araignée prisonnière d’un des œufs, essayant frénétiquement de se libérer.
 
« Si tu veux je peux les achever maint… »
 
L’aventurière se tourna vers Erin pour lui offrir la proposition. Elle cligna de l’œil quand Erin bondit dans le trou brûlant.
 
La fumée obscurcie la vision d’Erin pendant quelques secondes, mais l’aventurière pouvait toujours la voie bouger dans le trou. Elle fit Erin se battre à travers les flammes, tendant la main vers quelque chose. Puis elle la vit se ruer vers le bord du trou.
 
La fille lutta contre la terre et trouva un appui. Mais elle était gênée par son fardeau. Elle arriva à se tirer jusqu’au bord mais n’arriva pas à aller plus haut. L’aventurière l’observa jusqu’à ce qu’Erin ne lui adresse la parole.
 
« Tu vas me remonter ? »
 
« Bien sûr. »
 
L’aventurière se pencha et tira Erin hors du trou sans effort. La fille était brûlée, mais son court passage dans le trou ne lui avait donné que de légères brûlures. Elle ouvrit sa main gauche et montra ce qu’elle tenait à l’aventurière.
 
Un bébé araignée lutta et mordit furieusement les doigts d’Erin. Elle l’avait capturé depuis le haut, donc le bébé ne pouvait pas réellement la mordre, mais ses jambes aiguisées étaient toujours en train de griffer ses doigts.
 
« Que vas-tu faire avec cela ? »
 
Erin haussa les épaules.
 
« Sais pas. Je pourrai l’élever. »
 
« Je ne le ferai pas. Elle te mordra et te consumera à la première occasion. Les Araignées Cuirassées ne peuvent pas être dressées. À moins que tu aies la classe de [Maître des Bêtes], cet enfant prendra éventuellement ta vie. »
 
« Oui, c’est probable. C’était une idée stupide. »
 
Erin regarda l’araignée dans sa main. Elle était en train d’essayer de la mordre.
 
« … Désolé. Je suis sincèrement désolé. »
 
Elle le tint pour une autre seconde jusqu’à ce que la jambe de l’araignée lui entaille un autre doigt. Puis elle la jeta dans le trou brûlant. L’aventurière l’étudia. Une larme coula le long de la joue recouverte de cendres d’Erin.
 
« Quelle curieuse Humaine tu es. »
 
« … Est-ce que c’est ta manière de me dire que je suis une idiote ? »
 
« Pas du tout. Mais j’ai rencontré de nombreux Humains. Beaucoup d’Humains et beaucoup de races, mais jamais aussi curieux que toi. »
 
« Merci. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi. »
 
« Je suis en partie Scruteur. C’est dans ma lignée. Tu peux m’appeler par le nom que ceux qui ne sont pas de ma race m’appelle. Scruta. »
 
« Oh ? Je suis Erin Solstice. Une… Une [Aubergiste]. »
 
« Oui, j’ai vu. »
 
Scruta tendit sa main. Après un moment, Erin s’en empara. C’était étrange de serrer la main de la Scruteuse. Premièrement, elle avait d’étranges bras avec une articulation supplémentaire. Et quatre doigts. Mais sa peau était douce et lisse, même si elle était d’un marron rougeâtre. En vérité, ses cheveux étaient plutôt normaux, longs, noirs et noués dans des dreadlocks. La seule chose qui la différenciait vraiment était son visage.
 
Un énorme œil regardait Erin au-dessus d’une bouche remplie de dents acérée. Scruta n’avait pas de nez. Et autour de son œil central se trouvait quatre autres plus petits yeux qui l’étudiaient avec intérêt.
 
« Je suis ravie de te rencontrer Erin Solstice, Aubergiste. Je suis une aventurière vagabondant à travers ses terres. »
 
« Ravi te faire ta connaissance. De nouveau. J’ai une auberge dans le coin. Est-ce que… Tu veux quelque chose à manger ? »
 
« Cela serait le bienvenue. »
 
« D’accord. Alors d’accord. Suis-moi. »
 
Erin ramassa son miroir. Elle laissa le sac déchiqueté derrière elle et commença à s’éloigner du trou brûlant. Scruta baissa les yeux vers le trou avant de nouveau se concentrer sur Erin.
 
« Est-ce que tu veux clamer les récompenses sur les Araignées Cuirassées avant de partir ? Leurs carcasses ne vont pas brûler dans les flammes. »
 
Erin s’arrêta et se retourna.
 
« Il y a une récompense sur les Araignées Cuirassées ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 08 avril 2020 à 12:49:46
1.30
Traduit par EllieVia

Au début, la charrette traversant cahin-caha les portes nord de la cité n’attira que peu d’attention. Si tard dans la journée, le trafic entrant et sortant de la cité s’était fluidifié, mais voir deux passagers assis à l’arrière d’un chariot pendant qu’un paysan Drakéïde apportait sa marchandise au marché n’avait rien d’étonnant.
 
En revanche, l’expression du conducteur du chariot et la manière dont les gardes réagirent en inspectant les encombrants paquets fixés sous la bâche attirèrent un peu d’attention. Quelques marchands prirent sans doute bonne note de s’informer sur la nature de l’inhabituelle cargaison, et quelques passants en train de s’ennuyer firent sans doute de même. Mais des quantités de choses transitaient par Liscor, parfois des objets considérés comme illégaux dans les terres humaines, ou extrêmement illégaux de partout. Ces derniers étaient généralement confisqués.
 
Les deux passagers n’attirèrent pas particulièrement l’attention non plus, du moins au début. L’un des deux était une silhouette humanoïde dissimulant son visage sous une banale capuche de laine. Cela n’avait rien d’anormal, bien que quiconque apercevait le visage caché sous la capuche réagissait d’une manière très précise. Mais comme ils devaient passer d’abord par le choc, le déni, et la peur ou l’admiration, au choix, leur passage n’attira pas plus d’attention que cela. Là encore, au début.
 
L’Humaine était un cas particulier. Pour la plupart des Drakéïdes qui l’apercevaient, ce n’était rien d’autre qu’un autre Humain qui arrivait avec l’afflux d’aventuriers, de marchands, et de tous ceux qui cherchaient à profiter des ruines. Au mieux, elle était exploitable et possédait beaucoup d’argent, au pire la Garde la jetterait dehors si elle faisait n’importe quoi comme la plupart des humains.
 
Mais quelques Drakéïdes reconnurent l’Humaine, et se souvinrent que c’était la fille qui avait battu Olesm à une partie d’échecs et qui avait disait-on rencontré la Reine des Antiniums. Enfin, les Antiniums s’inclinaient sur son passage, ce qui était relativement perturbant. C’était donc elle qui attirait le plus l’attention, mais seulement de la part de Drakéïdes intrigués.
 
Cependant, l’apparition d’Erin fut parfaitement remarquée et notée par les quelques Gnolls présents dans la foule. Une poignée d’entre eux s’en furent immédiatement prévenir une certaine commerçante, et le reste suivit Erin et la mystérieuse charrette.
 
Certes, mystérieux n’était pas le bon terme. Car les Gnolls, chez qui l’odorat était encore plus développé que la vue, étaient profondément perturbés par l’odeur qui émanait de la charrette. Ce n’était que parce que le contenu était aussi nettement olfactivement mort qu’ils voulaient bien s’en approcher. Et même alors, une grande partie d’entre eux fronçaient le nez devant l’immonde odeur de brûlé.
 
Les foules ont un flux et un instinct qui leur est propre. Malgré eux, les passants furent alertés par le changement dans le flot de la foule. Et comme quelques personnes criaient le nom de la compagne d’Erin et que quelques enfants jetèrent un œil sous sa capuche et s’enfuir en hurlant…
 
Eh bien, à ce stade, Erin aurait vraiment aimé qu’ils arrêtent tous de les dévisager, Scruta et elle ? Non pas que l’attention la mette mal à l’aise…
 
Enfin, si, l’attention la mettait mal à l’aise. Mais plus que cela, elle avait vraiment besoin d’aller aux toilettes. Mais elle ne voulait pas se mettre à se tortiller devant tous les passants, donc elle souffrait en silence. Le chemin jusqu'à la Guilde des Aventuriers était long. Elle avait le sentiment qu’un dixième de l'excitement général était dû aux cadavres d’araignées entassés dans la charrette, mais que les 90% restants étant destinés à Scruta.
 
***
 
Quand Selys vit Erin entrer dans la Guilde des Aventuriers, elle ne put s’empêcher de crier.
 
“Erin ! Je suis soulagée que tu sois encore en vie !”
 
Selys sortit de derrière le comptoir pour aller à la rencontre d’Erin, mais elle battit précipitamment en retraite lorsqu’un flot de gens entra dans la pièce derrière Erin. Elle regarda fixement la foule de piétons puis Erin. Ses yeux se plissèrent d’un air suspicieux.
 
“... Erin ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
Erin sourit d’un air gêné.
 
“Salut Selys. Euh, je suis venue récupérer une récompense ? C’est bien comme ça que ça marche, non ?”
 
“La récompense… ?”
 
La Drakéïde dévisagea Erin d’un air confus avant de réaliser que tout le monde était à présent en train de la regarder elle. Alors elle rougit, ou plutôt, les écailles sur son visage changèrent de couleur.
 
“Oh, bien sûr ! Tu peux me montrer… tu viens récupérer une récompense ?”
 
“Yup.”
 
Selys regarda Erin de la tête aux pieds. L’humaine n’avait pas l’air de porter quoi que ce soit dans ses mains ou dans sa bourse.
 
“Est-ce qu’il s’agit… d’oreilles de Gobelins ?”
 
“Non… Je crois qu’on les appelle des Araignées à Cuirasse. C’est bien ça ?”
 
Erin jeta un regard à sa compagne. Le regard de Selys s’accrocha aux traits bien particuliers de la semi-Scruteuse lorsqu’elle repoussa sa capuche. Une sonnette d’alarme se déclencha sous son crâne, mais elle fut brièvement assourdie par une phrase d’Erin.
 
“Des Araignées à Cuirasse ? Erin, ce n’est pas très… tu dois te tromper. Ou est-ce que c’est une blague ? Tu ne peux pas être sérieuse.”
 
Erin secoua la tête.
 
“Non, vraiment. Il y en a une pleine charrette dehors. Je ne les ai pas comptées mais…”
 
Erin s’interrompit. Selys la dévisageait d’un regard fixe et incrédule qu’elle n’avait vu jusqu’alors qu’à la télévision.
 
“Des Araignées à Cuirasse ?”
 
“Uh, ouais.”
 
“Tu. Les as tuées.”
 
“Ouaip.”
 
“Toi. Erin Solstice. A tué des Araignées à Cuirasse.”
 
Erin avait l’impression de répéter une routine comique, sauf que c’était plus malaisant que drôle. Elle pointa la porte du doigt.
 
“Va voir, elles sont dehors. Je peux aller t’en chercher une si tu veux.”
 
Le regard de Selys passa par-dessus l’épaule d’Erin. Elle interpella les Drakéïdes dans la foule, la plupart étant en train de suivre l’échange.
 
des Araignées à Cuirasse ?”
 
Erin sentit une foule de têtes acquiescer dans son dos. L’un des Drakéïdes - un aventurier, d’après l’épée à sa ceinture et sa cotte de maille - pointa un pouce sur la porte.
 
“Elles sont empilées dans une charrette. Je les ai vues - au moins seize adultes, mortes et couvertes de suie. La Garde essaie de demander à des Ouvriers de les déplacer, mais il y a une grosse foule qui bloque le passage et les Ouvriers ne veulent pas s’en occuper.”
 
Maintenant qu’elle tendait l’oreille, Selys pouvait entendre les cris dehors. Elle était toujours concentrée sur le cas d’Erin, toutefois, donc elle garda le regard braqué sur cette dernière.
 
Comment ? Est-ce qu’un aventurier s’en est chargé ? Ça ne peut pas être juste toi.”
 
Erin fronça les sourcils, blessée dans sa dignité. Mais comme elle était d’accord avec l’incrédulité donc Selys faisait preuve, elle ne pouvait pas avoir l’air suffisamment indignée.
 
“Je l’ai carrément fait toute seule. J’ai brûlé tout un nid. Avec du bois. Et du feu.”
 
Elle ne savait pas pourquoi elle s’était sentie obligée de rajouter ces précisions, mais cela eut au moins le mérite de faire taire Selys. L’un des Drakéïdes - celui avec la cotte de mailles - hocha la tête d’un air approbateur et décocha un sourire à Erin.
 
“Du bon boulot. Je ne t’avais jamais vue dans la Guilde. Tu es l’une de ces humaines du nord ?”
 
“Quoi ? Non. Je ne suis pas une aventurière. Je suis une [Aubergiste].”
 
Il la dévisagea. Erin commençait à s’y habituer. Selys tira sur la crête au sommet de son crâne.
 
“Comment as-tu… Tu sais qu’elles recouvrent quiconque tombe dans leur nid et le déchirent en lambeaux ?”
 
Erin acquiesça.
 
“Elles ont essayé de faire ça. Le truc qu’elles font quand elles essaient toutes de monter en même temps ? C’était pas marrant.”
 
Elle regarda longuement Selys. Selys lui rendit son regard. Au bout d’un moment, Selys jeta les bras en l’air.
 
“Okay. Okay, j’imagine que… il va falloir que je les inspecte. Et ensuite il faudra peser les corps. Ce qui va probablement prendre toute la journée, mais si tu signes je pourrai avoir ta récompense prête pour plus tard.”
 
Elle tendit la main sous le comptoir et en tira un registre qu’elle tendit à Erin, ainsi qu’une plume et un encrier. Erin fronça les sourcils et se mit à gratter quelques mots sur le papier.
 
“Est-ce qu’il faut que je trouve un endroit pour m’en débarrasser quand tu auras fini ? Parce que je n’ai vraiment pas envie de creuser un trou et le nid est loin d’ici.”
 
“Non… on va définitivement les garder. Est-ce que tu connais la valeur des corps d’Araignées à Cuirasses ? Avec les bonnes compétences, un [Forgeron] peut en faire des boucliers, des armures…”
 
“Vraiment ? Donc la récompense…”
 
“Onze pièces d’argent pour chaque Araignée à Cuirasse pourfendue, mais on te paiera encore plus si tu nous laisse les corps.”
 
Moi, je n’en veux pas. Mais tu risques d’avoir du mal à les décharger. Aucun Ouvrier ne veut s’en approcher.”
 
Selys jeta un œil vers la porte.
 
“Les Antiniums détestent les araignées. Pas étonnant que les Ouvriers paniquent. Je demanderai à quelques porteurs de s’en charger.”
 
Selys enfouit brièvement son visage entre ses griffes puis elle releva les yeux sur son amie humaine.
 
“Erin, comment as-tu réussi à exterminer un nid d’Araignées à Cuirasse ? Même si tu les as brûlées, la plupart des aventuriers préfèrent fuir plutôt que s’en prendre à une Araignée à Cuirasse s’ils ne sont pas au moins classés Argent.”
 
“Vraiment ? Elles sont si difficiles à tuer que ça ?”
 
Selys acquiesça sérieusement.
 
“Extrêmement. Les lames d’acier ne peuvent même pas transpercer leur cuirasse.”
 
Erin cilla. Mais elle finit par pointer l’aventurière debout à côté d’elle du doigt.
 
“Eh bien elle, elle en a coupé une en deux.”
 
Tous les regards se tournèrent sur la Scruteuse debout à côté d’Erin. Ou - Selys s’en rendit compte - la Semi-Scruteuse. Une espère rare, que le métissage rendait encore plus rare. Tellement rares, pour tout dire, que les chances d’en croiser une…
 
Les écailles de Selys reflétaient généralement bien son humeur, tout comme sa queue. Erin regarda cette dernière se raidir comme celle d’un chat, et ses écailles vert clair pâlir jusqu’à devenir presque grises.
 
“Oh. Excusez-moi.”
 
La Semi-Scruteuse regarda Selys et lui adressa un sourire poli. Selys en était réduite à un bégaiement nerveux.
 
“Hu-Hum. Vous ne seriez pas… je veux dire, est-ce que vous êtes… ?”
 
“Je suis Scruta de Reim.”
 
Un silence de mort s’abattit sur la foule. Si le commentaire d’Erin sur la manière dont elle avait détruit un nid d’Araignées à Cuirasse avait engendré un brouhaha discret, le nom de Scruta engendra un silence stupéfait. Erin regarda la foule silencieuse. Elle ne comprenait pas.
 
Mais c’était un moment comme un autre pour faire ce qu’elle devait faire. Lorsque Selys se remit à bégayer quelque chose et que les aventuriers et les civils entourant Scruta reculèrent pour lui faire de la place, Erin joua des coudes pour aller aux toilettes.
 
Curieusement, les architectes de Liscor n’utilisaient pas les classiques symboles en bâtonnets pour séparer les toilettes des dames et les toilettes de hommes. Au lieu de cela, ils utilisaient des queues. Une longue queue droite indiquait les toilettes des mâles, et une queue enroulée indiquait celle des femelles. C’était très simple une fois qu’on s’y était fait. Queue enroulée, queue droite.
 
Mais Erin préféra tout de même vérifier avant d’entrer. Elle en avait assez de voir accidentellement des organes génitaux, surtout que le matos dont les Drakéïdes et les Gnolls étaient équipés était clairement différent de celui des humains de son monde. Non pas qu’elle fût une experte à ce sujet. Elle n’avait vu que des images mais…
 
Après quelques minutes de soulagement intense et de réflexion sur les différences biologiques, Erin émergea des toilettes. Vive la plomberie et les boules de savon. Elle vit que Scruta était toujours au cœur de la foule de gens la bombardant de questions qu’elle déclinait poliment. Son énorme œil ne quittait pas le Gnoll qui lui posait des questions avec ferveur, mais l’un de ses plus petits yeux se focalisa immédiatement sur Erin dès qu’elle sortit des toilettes.
 
Ça, c’est flippant.” marmotta Erin.
 
“Ne sois pas malpolie !”
 
Siffla Selys dans son oreille, manquant de peu de faire hurler la jeune femme. La Drakéïde était en train de se diriger vers les toilettes, probablement pour soulager une pression liée à la tension ambiante. Elle tira Erin sur le côté et les deux se mirent à chuchoter furieusement dans un coin, bien qu’une seule personne dans la pièce ne soit en train de les observer.
 
“Erin, comment se fait-il que tu la connaisses ?”
 
“Scruta ?”
 
“Tu l’appelles par son prénom ?”
 
“Elle a un nom de famille ?”
 
“Cherchevoie ! Et c’est Aventurière Cherchevoie ! C’est comme ça que tu dois t’adresser à elle.”
 
“Ce n’est pas très pratique comme nom.”
 
“Erin ! C’est une personne très, très importante ! Je pourrais perdre mon job si je la mettais en colère !”
 
“Vraiment ?”
 
Selys acquiesça précipitamment.
 
“Scruta l’Omnisciente. C’est comme ça qu’ils l’appellent sur les autres continents. Il paraît qu’elle est au-dessus du niveau 40.”
 
“Hum. Wow... ?”
 
Erin ! Comment peux-tu ne pas être impressionnée ?”
 
“Eh bien Relc est bien au niveau trente-quelque chose ? C’est une différence d’une dizaine de niveaux, pas plus, pas vrai ?”
 
Le regard que Selys lui adressa était un mélange d’incrédulité et de pure indignation. Selys se demanda, et pas pour la première fois, si Erin n’était pas un peu lente, ou tout au moins étrange. Mais elle disait venir d’un… autre pays ? Dans tous les cas, elle s’efforça de lui expliquer l’évidence.
 
“Erin, c’est une aventurière célèbre ! Tu sais, le genre que les gens mettent dans les listes du top 100 d’aventuriers dans le monde !”
 
“Oh.”
 
“Tu ne comprends donc pas ? Il y a bien des aventuriers plus puissants qu’elle, il n’en demeure pas moins que peu viennent à Liscor. Et elle te connait, toi. Est-ce qu’elle t’a sauvé des Araignées Cuirassées ?”
 
“Non, elle en a simplement coupé une en deux. Mais elle m’a prêté de l’argent pour louer une charrette pour ramener le tout en ville.”
 
“Elle t’a prêté de l’argent ?”
 
“Oui, et je la rembourserai donc arrête de tirer sur mon t-shirt, Selys. Écoute, elle avait juste l’air d’être intéressée par moi, mais je ne la connais pas si bien que ça. Mais pourquoi est-ce que tu crois que…”
 
Erin dut s’interrompre car les griffes de Selys s’enfonçaient dans son bras. Elle glapit et tenta de déloger les doigts de la Drakéïde de son bras.
 
“Oh dieux ! Elle vient dans notre direction !”
 
Comme un requin nageant à travers un banc de poissons, la présence de Scruta paraissait littéralement fendre le mur de corps en deux. Elle s’approcha, souriant à Erin.
 
“J’ai bien peur que nos chemins ne doivent se séparer pour le moment, Erin Solstice. Je dois saluer le maître de cette guilde et le corps dirigeant local. Mais j’espère pouvoir aller te visiter à ton auberge pour déguster le repas promis.”
 
Les yeux exorbités de Selys étaient difficiles à ignorer, mais Erin sourit tout de même à Scruta.
 
“Bien sûr. Je vais rentrer, là, donc tu pourras passer quand ça t’arrangera le plus.”
 
Scruta adressa un sourire amusé à Erin et à la Drakéïde pétrifiée à ses côtés. L’un de ses petits yeux se retourna et Erin ne vit plus que la couleur rose-orangé de son orbite.
 
“Cela risque d’être un peu compliqué là tout de suite.”
 
Quelqu’un était en train de crier dehors. Ou plutôt, quelqu’un criait par-dessus le brouhaha à l’extérieur. C’était une voix familière, d’ailleurs.
 
“Hey ! Dégagez le passage !”
 
La voix de Relc était furieuse, et il semblait être en train de hurler sur les aventuriers et les passants qui essayaient de se masser devant la guilde des aventuriers. Il paraissait sur le point d’exploser, ce qui n’était pas inhabituel, mais n’était clairement pas la chose à faire à cet instant précis.
 
“Vous êtes en train de troubler l’ordre public ! Dégagez la rue, j’ai dit ! Bougez-vous !”
 
Tous ceux à l’intérieur de la guilde entendirent un bruit sourd suivi d’un cri et d’un bruit de fracas. Leur attention avait beau être focalisée sur Scruta, ils la tournèrent rapidement vers l’extérieur.
 
“Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
Selys atteint la fenêtre avant Erin et faillit s’arracher ses épines crâniennes. Erin n’était pas encore sûre du meilleur terme à donner à cette crête de… d’écailles durcies ou de poiles que possédaient tous les Drakéïdes sur le sommet du crâne.
 
“Oh non. Il vient chercher l’embrouille avec les aventuriers ! Cette espèce de crétin !”
Erin jeta un œil par la fenêtre juste à temps pour voir un aventurier être soulevé de terre tandis que Relc soulevait un garde et le jetait dans les bras de ses camarades. On aurait dit que la colère l’avait emporté et qu’un garde s’était fait assommer par un aventurier. C’était probablement l’inverse, mais Erin s’aperçut que les deux côtés étaient entièrement masculins, donc elle se doutait de ce qui allait se passer ensuite.
 
Scruta rejoignit Erin à la fenêtre tandis que six aventuriers s’alliaient pour encercler Relc et les deux autres gardes. Relc les fusilla du regard et serra les poings, mais ne sortit pas sa lance. Scruta le dévisagea et sourit.
 
“Ah. Il est puissant.”
 
L’un des aventuriers tenta d’atteindre Relc d’un coup d’épée qu’il évita aisément. L’humain qui l’attaquait était presque aussi grand que lui, un géant plein de muscles qui ressemblait au type qui soulevait cent trente kilos de fonte pour le plaisir à la salle de sport.
 
Erin donna un petit coup de coude à Scruta. Selys cessa de regarder le combat suffisamment longtemps pour la fusiller du regard, mais Scruta se contenta de baisser les yeux. Elle portait une armure, de toute manière, donc Erin était certaine que cela ne la dérangeait pas.
 
“Hey, tu es censée être forte, non ?”
 
Scruta acquiesça. Elle garda son gros œil focalisé sur Relc mais en baissa deux autres sur Erin.
 
“Certains le disent, oui.”
 
“Pourquoi ne vas-tu pas l’aider ? Ils sont à six contre un.”
 
Erin montra l’aventurier. Il n’avait pas encore réussi à toucher Relc, mais à présent il semblait qu’un autre était prêt à lui mettre un coup de poing à l’entrejambe. Les yeux de Relc étaient plissés, mais il avait l’air entièrement concentré sur l’esquive pour le moment.
 
Scruta sourit à Erin. Elle haussa les épaules et montra l’épée qu’elle portait au côté.
 
“Mon aide dans cette situation causerait des morts. Je ne me bats pas avec mes poings, Erin.”
 
Elle montra Relc de la tête. Le Drakéïde esquiva un coup en se penchant en arrière.
 
“De plus… ce n’est pas lui qui a besoin d’aide.”
 
Relc venait de sauter adroitement en arrière lorsque le compagnon du grand aventurier plongea en avant. C’était un autre humain, pas aussi grand que lui, mais son poing fendit l’air en direction du dos de Relc.
 
Il était trop lent. Le Drakéïde se pencha sur le côté, laissant filer le poing, et assena un uppercut dans le dos de l’homme. Erin crut voir ses pieds décoller du sol avant qu’il ne s’écroule.
 
Relc tournoya et balaya d’un revers le premier aventurier qui essayait toujours de l’atteindre. Le grand gaillard partit en arrière et s’étala au sol. Deux de ses amis essayèrent de venir le secourir, mais Relc en attrapa un - avec son armure et tout le reste - et le jeta dans la foule.
 
Bouche-bée, Erin regarda Relc mettre une raclée au reste des aventuriers. Elle regarda Selys. La Drakéïde se couvrait les yeux en grommelant.
 
“Il fait toujours ça. Et ça va créer un tas de problèmes, et il en a probablement blessé certains suffisamment grièvement pour qu’il faille sortir des potions de soin !”
 
“Comment…”
 
Erin cilla et montra Relc du doigt.
 
“Je croyais… ce n’est qu’un garde, pas vrai ? Comment Relc peut-il étaler ces gars-là comme des mouches ?”
 
Scruta étudia Relc d’un air pensif.
 
“Il a plus de 30 niveaux dans sa classe de [Maître des Lances]. C’est largement suffisant. Le niveau le plus élevé chez les aventuriers est un niveau 21 - c’est celui qu’il vient d’assommer.”
 
Selys acquiesça d’un air sombre. Elle essaya d’expliquer la situation à Erin de manière à ce que l’humaine comprenne.
 
“Si on ne se réfère qu’aux membres actifs des gardes urbains - alors c’est le plus fort du continent, et largement. Peut-être du monde.”
 
Erin cilla. Deux fois.
 
“Du monde. Genre… du monde entier ?”
 
Selys acquiesça.
 
“La plupart des gens à son niveau finissent soit aventuriers, soit gardes du corps, soit soldats. La paie de garde n’est pas énorme, mais Relc aime bien le job. Probablement parce que c’est aussi facile.”
 
Erin marqua une pause. Elle ne remarqua pas Scruta qui la regardait d’un œil. Le gros. Il l’étudia brièvement de sa pupille jaune cernée d’un iris noir - non, d’un iris d’un gris graphite avant de se détourner lorsque Selys leva les yeux sur elle.
 
“Mais Klbkch…”
 
Erin hésita et se força à continuer.
 
“C’était un garde Vétéran aussi, non ? Est-ce qu’ils avaient tous les deux le même niveau ?”
 
Selys secoua la tête. Elle regarda d’un air sombre Relc jeter un aventurier en armure de plates sur le bâtiment et grimaça lorsque le plâtre craqua.
 
“Klbkch était le quatrième garde de la ville en termes de niveaux. En termes de force toutefois, il n’y avait sans doute que Relc au-dessus de lui. Écoute, Erin, les deux ont d’autres niveaux dans d’autres classes, c’est pour ça qu’ils sont aussi forts, d’accord ? Mais même Klbkch avait dix niveaux de moins que Relc.”
 
“Ce qui est beaucoup, j’ai compris. Mais comment a-t-il fait pour devenir aussi fort ?”
 
“Il était dans l’armée. Mais il a tout lâché pour devenir garde. Grâce à lui, on n’a pas eu à s’inquiéter des attaques de monstres depuis les quatre dernières années. Je ne sais pas trop pourquoi, toutefois. Il était célèbre en tant que soldat, aussi.”
 
Scruta haussa les épaules. Sa main recouvrit le pommeau de son épée tandis que ses yeux se perdirent brièvement dans le vague.
 
“Il y a beaucoup de raisons pour quitter la guerre. J’ai également été soldate, autrefois. Comme beaucoup ici le savent sans doute. Mais j’ai abandonné ma position pour devenir aventurière. Sans une cause pour laquelle se battre, un leader à suivre, et une bonne raison de rester en vie, cela ne vaut pas la peine d’être soldat.”
 
Erin et Selys la dévisagèrent. Scruta leur sourit.
 
“J’imagine que c’est difficile à comprendre. Mais je pense que votre ami Relc profite de ces moments de calme.”
 
Erin jeta un œil par la fenêtre.
 
“Même dans un combat de rue contre une douzaine de types ?”
 
“C’est plutôt calme, comparé à la guerre.”
 
Le combat était terminé. Relc posa son pied sur une pile d’aventuriers et leva ses poings comme un boxeur. Les vivats qu’il récolta de la foule ne le firent que se prélasser encore plus sous le feu des projecteurs.
 
Scruta se détourna de la fenêtre et hocha la tête en direction d’Erin.
 
“Eh bien, je n’ai pas manqué de divertissement depuis que je voyage dans ces terres. Je vais chercher un logement en ville, à présent. Bonne journée à toi, Erin Solstice. Nous nous reverrons.”
 
Erin leva un sourcil sceptique.
 
“Oh ? Tu en es si sûre que ça ?”
 
Scruta lui sourit sans dénuder ses dents.
 
“Je le prédis.”
 
La Scruteuse ouvrit la porte et sortit. Tellement rapidement que toute la tension qu’elle avait amené dans la pièce s'évanouit en un instant. Selys exhala bruyamment en retournant à son comptoir. Elle n’alla pas derrière, mais elle s’y appuya, soufflant comme si elle était essoufflée.
 
“Je ne peux pas croire que tout ça soit réellement arrivé.”
 
L’un des aventuriers plia la main et l’observa.
 
“J’ai serré sa main. Et quand elle m’a regardé… c’était comme si elle connaissait mes pensées.”
 
“Incroyable.”
 
Approuva l’un des aventuriers. D’autres acquiescèrent.
 
“Quelle expérience extraordinaire.”
 
“Eh.”
 
Eh ?”
 
Erin haussa les épaules.
 
“Elle ne m’a pas plus épaté que ça. Elle a cette espèce d’aura de mystère, mais c’est surtout lié à son œil, pas vrai ? Je me souviens de ce magicien de rue - David Blaine. Vous avez déjà vu… ?”
 
Elle ne se souvint que trop tard d’à qui elle s’adressait. Selys et le reste des aventuriers la regardaient d’un air incrédule.
 
“Quoi ?”
 
Selys secoua lentement la tête. À ce stade elle n’était même plus agacée, juste impressionnée.
 
“Tu es une humaine extraordinaire, Erin. Tu ne te démontes jamais, hein ?3
 
“Si, souvent.”
 
Erin mit ses poings sur ses hanches.
 
“Pourquoi vous a-t-elle fait tant d’effet que ça, de toute façon ? Elle a dit qu’elle n’était qu’une vagabonde.”
 
“Oui, mais la voir si loin de son continent d’origine… Je suppose qu’elle en a vraiment fini avec la guerre.”
 
Les autres aventuriers acquiescèrent. Ils se mirent à parler tous en même temps, débattant dans un chaos bruyant.
 
“Je me demande ce qu’elle fait si loin de son suzerain… ?”
 
“J’ai entendu dire qu’elle allait de continent en continent pour trouver des défis à relever. Mais venir jusqu’ici… est-ce à cause des nouvelles ruines ?”
 
“Peut-être, mais comment aurait-elle pu en entendre parler si tôt ? À moins que… peut-être qu’elle était déjà en route pour rejoindre les guerres au nord comme mercenaire ?”
 
“Il y a peu de chances. Les aventuriers n’aiment pas les guerres, même les anciens soldats. Il en faudrait beaucoup plus que ça pour qu’elle redevienne soldate. Et hey… où est passée l’humaine ?”
 
Tout le monde scruta les alentours. L’humaine, qui sortait d’ordinaire du lot parce que, justement, elle était humaine, manquait à l’appel. Selys regarda la porte. Elle se referma.
 
Erin !”
 
***
 
Erin entendit Selys l’appeler, mais à ce stade elle était déjà sortie et n’avait aucune intention de retourner dans la guilde. Elle aimait bien entendre les derniers potins et apprendre de nouveaux trucs comme n’importe qui, mais ce n’était pas le moment. Elle avait faim, elle était fatiguée et elle avait mal partout. Et la dernière chose qu’elle voulait à ce moment précis c’était d’avoir encore plus de gens en train de lui poser des questions et de la dévisager comme… comme…
 
Comme une humaine.
 
Ils étaient de partout. Enfin, pas de partout, à la vérité il y avait une poignée d’humains - peut être un pour quarante non humains. Mais aux yeux d’Erin, un humain était suffisant pour l’arrêter net.
 
Deux hommes, un aventurier dans la vingtaine à l’apparence rude et un marchand ventru et richement vêtu étaient assis à une sorte de terrasse de bar, en train de discuter. Erin n’était pas certaine que ce soit un restaurant. Elle hésita, puis ses pas la menèrent à eux, inexorablement.
 
“Euh, salut.”
 
L’aventurier et le marchand levèrent les yeux. Ils semblaient courroucés d’avoir été interrompus mais leur expression s’éclaira lorsqu’ils virent Erin.
 
“Oh… bonjour ! Est-ce qu’on peut ‘aider, demoiselle ?”
 
“Désolée de vous interrompre. C’est juste que… cela faisait un bout de temps que je n‘avais pas vu d’autres humains.”
 
Le marchand haussa les sourcils.
 
“Tu es née ici ?”
 
“Quelque chose comme ça. Je croyais que j’étais la seule humaine dans le coin, mais voilà que tout à coup… vous êtes plein.”
 
“Ah, on fait partie de l’expédition venue examiner les ruines qui viennent d’être exhumées.”
 
L’aventurier se leva et tendit une main.
 
“Gabriel Dermondy, aventurier. Enchanté de faire ta connaissance, mademoiselle… ?”
 
“Erin Solstice, hum, [Aubergiste]. Ça… ça vous dérangerait que je me joigne à vous ?”
 
“Mais pas du tout, assieds-toi.”
 
Le marchand décala sa chaise tandis que l’aventurier en tirait une pour Erin. Un instant plus tard, le marchand lui avait commandé à boire et ils discutaient tous les trois. Erin en fut d’abord étonnée, mais elle se fondit facilement dans la conversation. C’était comme discuter avec quelqu’un de son monde.
 
C’était tellement banal qu’Erin en aurait pleuré.
 
L’aventurier et le marchand énuméraient leurs doléances sur le trajet qui les avaient menés jusqu’à Liscor. Leur caravane semblait avoir souffert de tout, des wagons cassés aux gens qui s’égaraient, et les auberges sur la route avaient toutes été pleines jusqu’aux chevrons, à leur grand déplaisir.
 
“C’est bon à savoir, ça, qu’il y a des humains qui vivent dans le coin. J’ai dû gérer des Gnolls têtus et des Drakéïdes hautains toute la journée.”
 
Le marchand sourit à Erin en faisant la moue en direction des passants non-humains. Erin sirota le breuvage tiède dans sa chope et fit un son poli d’approbation. L’aventurier acquiesça, mâchant sa pomme de terre au four bourrée d’épices.
 
“Je vous jure, ils ont augmenté les prix juste parce qu’ils savaient qu’on venait. Il n’aime pas nous autres humains, et la Garde locale a cherché des noises aux aventuriers toute la semaine. Pour couronner le tout, il paraît qu’un voleur humain est arrivé avec l’une des caravanes.”
 
“Vraiment ?”
 
Erin n’en avait pas entendu parler. Mais elle avait été… occupée ces derniers jours. Le marchand secoua la tête et fit un bruit de dégoût.
 
“Evidemment, cela pourrait très bien être un Gnoll ou un Drakéïde du coin, mais évidemment, ça retombe sur nous jusqu'à ce que le coupable soit démasqué. Saletés de lézards et leurs suspicions de merde.”
 
Erin cilla, mais l’aventurier acquiesçait. Elle changea rapidement de sujet.
 
“Hey, est-ce que vous avez entendu parler de cette nouvelle aventurière ? Scruta ?”
 
Ils la regardèrent d’un air confus. Erin tenta d’élaborer.
 
“Elle a attiré beaucoup d’attention ce matin. Elle, euh, ressemble un peu à une humaine, mais elle a un gros œil sur la tête et quatre plus petits…”
 
“Oh, une Scruteuse.”
 
L’aventurier secoua la tête. Le marchand se pencha en avant et hocha la tête.
 
“J’en ai entendu parler. Apparemment, c’est une aventurière célèbre mais…”
 
Il haussa les épaules. Erin le regarda avec curiosité.
 
“Vous n’en avez pas entendu parler ? Mais tout le monde disait à quel point elle était connue.”
 
Gabriel l’aventurier renifla d’un air méprisant.
 
“Peut-être qu’elle est impressionnante pour des non-humains, mais moi, je n’en ai pas entendu parler, en tout cas. Mais assez parlé de ça… tu es une [Aubergiste], dis-tu ? Je n‘ai pas vue ton auberge en ville, et je suis sûr que je l’aurais remarquée.”
 
Erin lui sourit. Il avait l’air sympathique, ou peut-être qu’elle était toujours étourdie face au premier visage dépourvu de fourrure ou d’écailles qu’elle voyait depuis longtemps.
 
‘J’ai une auberge… elle est à quelques kilomètres de la ville.”
 
“Vraiment ?”
 
Les deux hommes se penchèrent par-dessus la table. L’aventurier rendit son sourire à Erin.
 
“Si tu as encore des places, je serai heureux de payer une chambre. Ce serait chouette de voir des visages humains, plutôt que toutes les écailles et la fourrure du coin. Sans parler de l’odeur ! Tous ces non-humains ne savent vraiment pas se laver, pas vrai ?”
Le sourire d’Erin se figea sur son visage et elle dévisagea l’aventurier. Il n’avait même pas essayé de baisser la voix. Elle sentit plutôt qu’elle ne les vit les autres Drakéïdes assis aux tables voisines se retourner lentement pour les dévisager. Les deux hommes ne parurent rien remarquer.
 
“Oh. Hum, eh bien, j’aimerais beaucoup vous accueillir. Mais, euh… j’ai bien peur que l’étage soit encore en travaux.”
 
Les deux hommes parurent déçus.
 
“Quel est le problème ? Si ce n’est pas trop grave, je peux te présenter quelques bons artisans…”
 
Erin agita rapidement les mains.
 
“Non, inutile. Je me débrouille. C’est juste qu’on a eu un accident avec des disparitions de squelettes. Et… il faut que j’y retourne pour vérifier qu’il n’en manque pas.”
 
Erin s’empressa de se lever de table et de les saluer. L’aventurier et le marchand lui dirent au revoir et suivirent la jeune femme du regard alors qu’elle disparaissait dans la foule. Quand elle fut partie, ils échangèrent un regard. Le marchand but une longue goulée de la chope qu’un Drakéïde lui avait servie et grimaça. Comme tout en ville, il aurait juré que la bière qu’ils lui avaient servie avait été brassée avec l’eau des égouts.
 
“Des disparitions de squelettes… ?”
 
***
 
Bien en-dessous de la surface de Liscor, ou du moins aussi loin que les Antiniums étaient autorisés à creuser d’après leur contrat avec la ville, la Reine écoutait un rapport. Elle n’était pas contente.
 
“Des Humains à Liscor ? Ils viennent pour les ruines, sans aucun doute, pour exhumer des trésors et chercher fortune.”
 
L’Antinium au rapport inclina vivement la tête. Il était en équilibre parfait sur un genou devant sa souveraine.
 
“Oui, ma Reine.”
 
Elle agita un palpe.
 
“Cette situation est fâcheuse, surtout à un moment pareil. Occupe-toi du Conseil jusqu’à ce que j’en ai terminé. Je ne dois pas être dérangée, sous aucun prétexte. Terminer ce projet aussi rapidement va requérir toute mon attention. Suis-je claire ?”
 
“Parfaitement, ma Reine. Je vais gérer toutes vos affaires concernant les étrangers à la colonie.”
 
“Très bien. Et étudie l’aberration quand tu seras à la surface. S’il est réellement libre, je voudrai lui parler ensuite. Si non…”
 
L’Antinium porta les mains aux lames à sa ceinture. Le Soldat qui montait la garde ne tressaillit pas, bien qu’il soit très proche de leur Reine.
 
“J’éliminerai toutes les Aberrations que je trouverai, ma Reine. Ne vous inquiétez pas.”
 
“Je place donc ma confiance en toi. Alors va, mon Prognugator.”
 
L’Antinium s’inclina puis se redressa. Il fit volte-face, et les épées jumelles à sa ceinture se balancèrent au gré de ses pas jusqu’à la surface. La voix de sa Reine gronda dans les tunnels caverneux qui défilaient derrière lui.
 
“Va. Assure-toi que l’humanité n’apporte pas la ruine. Protège la Colonie. Va et exécute mes ordres en mon nom…”
 
“Krsmvr.”
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 11 avril 2020 à 14:26:55
1.31
Traduit par Maroti

Erin marcha le long de la rue avec une forte envie de soupirer. Non, en fait, elle avait l’impression que son existence était un long et lent soupir.

Elle était fatiguée. Fatiguée et épuisée au plus profond de ses os, mais plus encore, elle était déçue. Et c’était le pire sentiment dans toute cette histoire.

Les Humains.

Ils lui avaient manqué, vraiment. Ses amis et sa maison lui manquaient. Même la manière avec laquelle les gens disaient bonjour en rentrant dans un supermarché lui manquait. Et tout cela lui avait tellement manqué qu’elle en avait oublié à quel point les gens pouvaient être teigneux.

Les Humains n’aimaient pas les Drakéides et les Gnolls. Et maintenant qu’Erin le savait, et avait entendu la manière avec laquelle les aventuriers et les marchands parlaient, elle pouvait comprendre pourquoi l’animosité était partagée.

C’était malpoli d’insulter une espèce entière dans leur propre cité. Erin n’était pas certaine de beaucoup de choses quand il fallait parler de race, mais elle était certaine de ça.

Erin traîna des pieds le long de la Rue du Marché. Elle ne savait pas si elle voulait acheter quelque chose, mais elle ne voulait pas quitter la ville tout de suite. Non pas parce qu’elle avait quelque chose à faire, c’était juste que la randonnée qu’elle devait faire pour retourner à l’auberge était trop pour elle.

La politesse. C’était normal d’être poli. Et cela valait double pour avoir jugé une espèce entière simplement parce que tu n’aimais pas leur odeur. C’est vrai que les Gnolls pouvaient être irritables, mais ils pouvaient aussi être très sympas. Même chose pour les Drakéides.

« Elle est là ! La voleuse est là ! »

Mais, après tout, il y avait des idiots dans toutes les espèces.

Erin se retourna au son de la voix. C’était une voix familière qui lui fit grincer les dents et vérifier sa bourse pour une autre raison que la mention d’une voleuse.

Se pavanant rapidement le long de la rue était le marchand Drakéide. Erin plissa les yeux alors qu’il l’approcha et commença à crier.

« Je savais que c’était toi ! Tu ne pouvais pas résister à l’envie d’attaquer un honnête marchand et de te venger, hein ? »

« Quoi ? »

Erin cligna des yeux en regardant le Drakéide qui était rouge de rage. Il la pointa du doigt et elle fit un pas en arrière.

« Assez ! »

Un autre Drakéide se fraya un chemin à travers la foule. Celui-ci était un Garde, et il était visiblement tourmenté. Il s’interposa entre le marchand et Erin.

« Lism, je vous l’ai déjà dit. Vous ne pouvez pas commencer à accuser des humains sans raisons ! »

« Ah, mais celle-ci est différente ! »

Lism le marchand pointa Erin du doigt en contournant le garde et leva sa voix pour que plus de personnes puissent l’entendre.

« Ceci est l’humaine qui m’a volé ma marchandise ! Elle a aussi triché dans une partie d’échec contre mon neveu, j’en suis certain ! Elle n’a été qu’une source de problèmes depuis son arrivé en ville, et maintenant elle vole aux honnêtes gens qui essayent de gagner leurs pains ! »

Qu’est-ce qu’il y avait entre Erin et les problèmes? Ils semblaient la suivre partout où elle allait. Erin serra les dents.

« Je n’ai rien volé. Je n’ai pas été dans la ville de la… »

« Mademoiselle, s’il vous plait. »

Le garde lui coupa la parole, avant de gentiment faire reculer Lism.

« Je vais examiner vos revendications, Monsieur, mais je ne peux pas l’arrêter. À moins que vous ayez des preuves… »

« Hey, j’ai dit que je n’avais rien volé ! »

« Hah ! Encore un mensonge d’humain ! »

Lism pointa de nouveau le doigt vers Erin, malgré les efforts du garde pour les éloigner. Erin devint de plus en plus en colère. Elle ouvrit la bouche et serra les points.

« J’ai en dehors de la ville toute la journée ! J’ai des preuves ! »

« Et bien… »

Le commerçant hésita, mais il était trop profondément enfoncé pour faire demi-tour.

« Cela aurait put être elle. Vous savez comment les humains sont ! Toujours à fouiner, à mettre leurs nezs là où personne ne veut d’eux. »

« Nous allons examiner vos revendications. Reculez s’il vous pla… »

« Vous ne pouvez pas croire ce qu’elle dit ! Tous ces humains n’ont fait que causer des problèmes depuis leurs arrivées ! D’abord ils volent, et c’est quoi la prochaine étape ? Ils vont voler notre travail, nous attaquer dans la rue… »

« Reculez ! S’il vous plait ! »

Le garde parvint finalement à éloigner le commerçant enragé d’Erin. Il lutta et hurla,  mais se laissa finalement faire. Il lança tout de même un dernier regard remplie de venin à Erin par-dessus son épaule, et Erin le lui rendit.

C’était déplaisant. Erin s’apprêtait à partir avant que l’idiot ne revienne lui crier dessus quand le garde l’interpella.

« Mademoiselle ? »

« Oh, bonjour. Merci de m’avoir débarrassé de lui. Est-ce qu’il était en colère car quelqu’un lui vole ses produits ? »

Le Drakéide hocha la tête, il semblait être épuisant de dix différentes manières.

« Il y a eu de nombreux vols à travers la ville. Le commerce de Lism a été le dernier à être touché. »

« Et bien… Je suis désolé pour ça. Bonne chance pour trouver le criminel. »

Erin tenta de s’en aller, mais le garde secoua la tête.

« Je suis désolé, Mademoiselle, mais je crains que je sois obligé d’investiguer son témoignage. Si vous voulez bien me suivre, je vais prendre votre déclaration. Je vais aussi avoir besoin d’une preuve pour m’assurer que vous étiez bien en dehors de la ville ce matin. »

« Quoi ? »

« C’est la procédure standard… »

« Mais Je… Il… Il est juste en colère parce que j’ai l’ai battu à une partie d’échecs ! O… Que j’ai battu son cousin et… Ecoutez, je n’ai rien fait »

Le garde souffla avec lassitude et leva ses mains.

« Je comprends, Mademoiselle, mais je dois examiner toutes les pistes. S’il vous plait, cela ne prendra pas trop longtemps… »

Erin regarda autour d’elle, impuissante. Ce n’était pas juste. Mais qui allait l’aider ? Les autres Drakéides et Gnolls, et bien, semblaient indifférents, voir compatissants. Mais ils étaient tous en train de la regarder, et aucun d’entre eux n’allait l’aider. Qu’est-ce qu’ils pouvaient faire ?

Beaucoup de choses, si l’un des gens dans la foule était une femme Gnolle qui jouait des coudes à travers la foule pour s’approcher du garde. Ce dernier flétrit alors que Krshia, commerçante, Gnolle, et en cet instant précis, l’héroïne numéro un d’Erin croisa les bras.

« Puis-je demander ce que vous faite, garde ? J’ai entendu dire que vous emmeniez une humaine innocente sur les mots d’un marchand teigneux. Mais cela n’est pas une bonne, n’est-ce pas ? »

Le garde fit deux pas en arrière pour s’éloigner de la Gnolle en colère. Il n’était pas un petit Drakéide, mais Krshia était grande même pour un Gnoll, et d’autres Gnolls étaient en train de quitter la foule pour la rejoindre.

« Ecoutez, Madame Krshia, je suis simplement en train d’enquêter… »

« C’est ce que j’ai entendu. »

Krshia renifla et lança un regard à l’autre bout de la rue. Lism décida de rentrer dans son étal alors qu’elle regarda dans sa direction.

« Lism, ce détritus, parle trop et ment quand il ne sait rien. Quelqu’un s’est introduit dans son étal, mais il n’a rien, rien entendu. Alors il proclame que le coupable est la fille qui l’a vaincu purement par rancune. Et vous vous apprêtez à l’emmener sans la moindre preuve ? »

« Ce n’est pas… Je suis simplement en train de faire mon travail. »

« Fort bien, trouves Erin Solstice quand tu auras une raison de le faire. Mais jusqu’à ce moment, vous laisserez une humaine innocente en paix, n’est-ce pas ? »

« Je… »

Le garde était tiraillé entre son devoir et le fait qu’il ne voulait pas s’approcher des problèmes que le visage de Krshia promettait. Il hésita, et se décida quand plusieurs Gnolls quittèrent la foule de manière casuelle pour rejoindre Krshia.

« Je crois que je vais continuer mon enquête en examinant chaque vol séparément. Ah, je contacterai Mademoiselle Solstice si quelque chose ressort. »

Krshia sourit froidement.

« Oui, c’est une sage décision. »

« Très bien. »

Le garde recula rapidement. Erin cligna des yeux toujours confuse par ce qui venait de se passer. Cette discussion, et même si elle était reconnaissante envers Krshia, la gênait légèrement dans le fait que l’autorité locale pouvait faire marcher arrière devant un groupe de civil.

Quoique, les civils en question étaient des Gnolls, Erin pouvait comprendre pourquoi. Même s’ils faisaient des efforts, ils donnaient une énergie bien plus…. Bestial que les Drakéides. Ce n’était pas qu’Erin s’attendait à ce qu’ils perdent leur sang-froid, mais elle ne serait pas surprise s’ils le faisaient. Ce genre de sensation.

Krshia baissa la tête et sourit vers Erin alors que les autres Gnolls murmurèrent ou aboyèrent en sa direction. Elle grogna quelque chose en retour et ils marchèrent de nouveau dans la foule.

« Erin Solstice. Je te cherchais. Et c’était une bonne chose que je t’ai trouvé, n’est-ce pas ? »

« Oui. Merci pour ça, Krshia. Je ne savais pas quoi faire et ce marchand… »

Krshia plissa les yeux avant de grogner.

« Lism. Il cause des problèmes, n’est-ce pas ? Même après que tu l’as battu de manière équitable, et que son neveu t’admire. Mais assez, je vais m’assurer qu’il ne cause pas plus de problèmes. Je souhaite te parler. »

« Hum, d’accord ? À propos de quoi ? Le voleur ? »

Krshia fit un mouvement dédaigneux de ses doigts.

« Pshaw. Ce n’est qu’une chose bien couarde qui se cache et nous vole sur la Rue du Marché et ailleurs. Personne ne sait si c’est un humain ou autre. Non, je ne me m’inquiète pas d’un tel voleur. Je souhaite te parler en privée. Je t’invite dans ma maison pour un repas et de la boisson. »

Erin hésita de nouveau. Elle était reconnaissante mais…

« Hum, est-ce que ça doit être maintenant ? Je suis vraiment épuisé, Krshia. Une sieste me ferait du bien… »

« J’ai aussi un lit à la maison. Tu pourras l’utiliser si tu souhaites te reposer. Viens. »

Les Gnolls étaient insistants. Ou peut-être que c’était Krshia. Mais Erin se retrouva traîner le long de la rue avant d’avoir le temps de comprendre ce qu’il se passait.

« Ecoute, je suis reconnaissante, mais maintenant n’est pas le bon moment. J’ai dû m’occuper d’araignées maléfiques et… »

« Erin ! »

Krshia ignora Erin et la personne l’appelant. Elle accéléra le pas à travers la foule.

« Si nous attendons pour un bon moment, nous n’aurons jamais le temps. Viens, ma maison n’est pas loin. »

« Erin ! Erin Solstice ! »

Krshia soupira et ses oreilles tressaillirent alors que l’inconnu qui appelait Erin s’approcha. Elle s’arrêta et Erin parvint finalement à extraire sa main de la grosse paluche de la Gnolle. Elle se retourna pour voir un Drakéide s’approcher d’eux.

« Olesm ? »

Le plus petit, et plus jeune Drakéide s’arrêta devant Erin et Krshia, haletant. Il était en train d’agripper une pièce de parchemin et… Un pot d’encre ? Pendant un instant, Erin fut perturbé par l’inconvenance causée par le fait que ce monde n’avait pas de stylo, puis Olesm lui mit le papier sous le nez.

« Regarde ça, Erin ! Je viens de le recevoir et la première fois que je vois quelque chose d’aussi fascinant! Une nouvelle manière de jouer aux échecs ! »

Erin cligna des yeux, mais le papier disparu et Krshia éloigna gentiment mais fermement Olesm.

« Très intéressant, mais Erin est occupée. Je lui parlerai, et tu la trouveras plus tard, n’est-ce pas ? »

Elle voulait éloigner Erin, mais au grand désarroi de la Gnolle, Erin était déjà en train de se tenir aux côtés d’Olesm.

« Qu’est-ce que tu viens de dire à propos d’une nouvelle manière de jouer aux échecs ? »

Cette fois Krshia grogna, mais Erin était déjà en train de regarder le morceau de papier qu’Olesm était vivement en train de lui présenter. Elle essaya une dernière fois.

« Il y aura du temps pour jouer aux échecs plus tard, n’est-ce pas ? Erin… »

Mais à ce point, Erin et Olesm étaient déjà captivés. Les oreilles de Krshia tressaillirent de nouveau, mais elle ne pouvait rien y faire.

« Regarde ça, Erin ! »

« Je le ferai si tu arrêtes de bouger. C’est quoi ? »

Erin arracha le papier des griffes d’Olesm et le regarda. C’était une pièce de papier, et sur ce papier était des… Illustrations ? Erin fronça les sourcils, avant de comprendre. C’était des échecs. Quelqu’un avait dessiné un échiquier sur un bout de papier.

Elle regarda l’image, ou plutôt le dessin de l’échiquier. Quelqu’un avait pris le temps de dessiner une grille et d’illustrer, de manière plutôt détaillée, chaque pièce sur l’échiquier imaginaire. Elle baissa les yeux vers un roi blanc, une reine dans un coin, et un cavalier et un pion coincé au milieu d’une partie contre deux pions noirs, deux tours et, naturellement, un roi se cachant derrière les pions dans le coin gauche.

Olesm s’agitait au-dessus de l’épaule d’Erin, lui parlant directement dans son oreille.

« Je viens de recevoir une livraison longue distance qui a été envoyée à tous les [Tacticiens] et joueurs d’échecs du continent ! C’était ce papier, et c’est un challenge, tu vois. Tu dois le… »

« Le résoudre en cinq coups ? »

« Comment est-ce que tu le sais? »

Olesm regarda Erin qui pointa la feuille du doigt.

« C’est marqué ici. Et les blancs commencent. »

« Oui, n’est-ce pas incroyable ? Je n’aurai jamais pensé à ça… Mais quelqu’un a trouvé le moyen de faire des parties malgré la distance sans sort ! Mais ce n’est pas un jeu, c’est… »

« Oh, je sais. C’est un puzzle d’échecs. »

Olesm dégonfla de manière visible.

« Tu sais ce que c’est ? Bien sûr que… Comme je suis bête. »

Krshia marcha jusqu’à eux pour observer l’échiquier. Elle plissa les yeux vers le papier en fronçant les sourcils devant l’arrangement des pièces.

« Je n’arrive pas à comprendre ce… Puzzle. Pourquoi est-ce que quelqu’un t’a envoyé ceci, Olesm. »

« C’est comme un défi pour s’améliorer. »

Erin expliqua sans véritablement prêter attention tout en continuant de regarder les pièces.

« C’est un défi ou un problème pour les autres joueurs. Tu dois trouver un moyen de gagner en un certain nombre de coup. Cela permet d’apprendre aux gens à jouer aux échecs, et comme ça tu peux l’écrire. »

Olesm hocha vivement la tête en pointa le papier d’une griffe.

« Dans ce cas la solution est de mettre le roi noir en échec, mais je n’ai pas encore réussi à la trouver. J’imagine que la majorité des joueurs du continent sont en train d’essayer de trouver la solution. Cela prendra du temps, mais j’espère être le premier à trouver la… »

Erin était toujours en train de regarder le papier. Elle cligna des yeux, fronça les sourcils, et claqua ses doigts. Krshia et Olesm sursautèrent.

« Hm~~ ! J’ai trouvé ! »

Erin sourit avant de redresser le puzzle d’une main.

« Fait, et fait ! »

« Quoi ? »

Olesm se figea et regarda Erin qui lui sourit.

« Tu… Tu l’as fini ? Comme ça ? »

« Ouaip. Ce n’était pas trop compliqué. Mais j’ai vu plusieurs problèmes comme celui-là donc… »

Krshia baissa les yeux et lança un regard empli de sympathie vers Olesm. Le pauvre Drakéide regarda Erin, puis le puzzle d’échec.

« … J’aimerais vraiment savoir comment tu es parvenu à le résoudre si rapidement. Mais je devrais… Oui, je devrais le résoudre par même. Pas vrai ? »

Il regarda le bout de parchemin qu’Erin tenait avec envie, cette dernière sourit avant de le plier.

« Tu devrais. Cela t’aidera sur le long terme. Ne te sens pas mal, c’est juste que je savais comment ce problème marchait. Mais c’était assez amusant. »

« Amusant. »

Olesm répéta le mot, avant de baisser les yeux vers le papier.

« Cela fait plus d’une heure que je suis en train de lutter contre ce problème. Mais… Bien sûr que je  devrais m’attendre à ce que quelqu’un de ton niveau ne soit pas troublé. Bien sûr. »

« Est-ce que tu en as d’autre ? »

Olesm secoua la tête. Il accepta le bout de parchemin que lui rendait Erin.

« C’était le premier, enfin, je suppose que nous pouvons nous attendre à d’autres puzzles de ce type dans le futur, n’est-ce pas ? Ce puzzle a été envoyé à d’innombrables cités, donc la personne qui a désigné ceci veut clairement toucher une large audience. Je ne serais pas surpris s’il continuait. »

Erin hocha la tête.

« Oh, tu veux dire comme une sorte de magasine, pas vrai ? Ou un journal ? »

« Un quoi ? »

Krshia et Olesm regardèrent Erin avec incompréhension. Elle tenta d’expliquer et Olesm hocha la tête avec incertitude.

« Oui… Oui, cela semble être juste. »

« Je suis juste surprise. Je pensais que ce genre de truc était apparemment coûteux. »

Olesm secoua la tête.

« Ce n’est pas si coûteux, particulièrement si tu l’envois avec les livraisons lentes. »

« Les livraisons lentes… ? »

Le Drakéide hocha la tête avant de gesticuler vers le parchemin dans sa main.

« Ceci fut envoyé avec un tas d’autres lettres dans une caravane depuis le nord. Cela a probablement traversé la mer, mais ça n’a pas été livré par un Coursier. Tu vois, les Coursiers livrent des choses rapidement, mais les marchands, les caravanes et même les capitaines de bateau peuvent prendre des livraisons longues distances pour une somme modique. »

Erin fronça les yeux. Elle comprenait ce qui se passait, en quelque sorte. C’était comme le courriel postal envoyé par bateau et une livraison de colis par avion. Mais des morceaux du processus continuaient de la troubler.

« Comment ça marche si tu fais passer la lettre plus d’une fois ? Est-ce que paye le premier gars une grosse somme et il en donne une partie au suivant ? Ça semble risqué. »

Olesm se gratta les écailles en essayant d’expliquer.

« C’est plus comme… Et bien, je suppose que les lettres sont une forme de monnaie. Les voyageurs les achèteront pour quelques pièces pour les livrer à destination en espérant gagner un peu plus quand ils les revendent ou les délivrent à leur propriétaire. »

« Oh. C’est une sorte de pari. »

« Exactement, mais c’est presque certain que la lettre arrivera à bon port à la fin. Bien sûr, envoyé quelque chose de personnel est une mauvaise idée, mais tu peux envoyer un message à l’autre bout du continent pour une ou deux pièces de cuivre. Cela prendra peut-être un mois ou deux mais elle y arrivera. »

Erin hocha la tête, ça faisait sens. Et cela lui rappelait, d’une certaine manière, la poste. Juste sans les timbres. C’était pratique, vraiment pratique.

C’était juste qu’en ce moment elle rêvait des emails, de l’internet, et d’être capable d’appeler sa famille en deux secondes. Donc elle n’était pas si impressionnée que ça, même si elle essayait de l’être.

« Je me demande… Est-ce que tu penses que je pourrais répondre à la personne qui t’a envoyé la lettre ? »

« Je ne vois pas pourquoi tu ne le pourrais pas. Je connais le marchand qui livre les lettres… Je pourrais lui demander de renvoyer les lettres quand il partira. »

« Je peux marquer la réponse. Est-ce que tu as du papier ? »

« Marque-la en bas. Je ne regarderai pas. »

Olesm tendit un autre bout de parchemin à Erin et détourna le regard alors qu’elle gribouilla dessus. Elle le plia et lui rendit.

« D’accord, donc tu l’envoie à cette personne. Et puis cette personne m’enverra quelque chose de plus compliqué ? »

« Peut-être. Ou peut-être qu’il attendra les réponses d’autres personnes. Cela va peut-être prendre quelques semaines, voire un mois. »

« C’est un sacré bout de temps. »

« Mais c’est fascinant de jouer des parties à travers une telle distance, n’est-ce pas ? »

Erin tenta de trouver l’enthousiasme d’Olesm, mais la vérité était que cette révolution ne valait pas grand-chose comparé à ce qu’elle avait dans son monde. Elle soupira, avant d’avoir une idée.

« J’ai une meilleure idée. Tiens, rends-moi ce papier. »

Elle prit la plume et la trempa dans le pot qu’Olesm tenait.

« Ils m’ont envoyé un puzzle, donc je vais leur renvoyer un. Voyons voir s’ils aiment ça »

Erin dessina un échiquier avec chaque pièce sur sa position de départ. Elle n’était pas une artiste, mais elle faisait ce qu’elle pouvait. Puis elle écrit dans le coin gauche.

’Le côté noir effectue les mêmes coups que le côté blanc. Forcez l’échec et mat en quatre coups’

« C’est un peu simple, mais cela devrait être un bon défi pour des débutants »

Elle le montra à Olesm et Krshia. Olesm fronça les sourcils alors que Krshia secoua la tête, confuse, puis le Drakéide sourit.

« Ah. Je connais déjà celui-là. »

« Attends, quoi ? »

« Plusieurs nouveaux joueurs aiment me défier de cette façon. Donc je suis devenu adepte à les battre. La solution est simple, je suis certain que tu le sais déjà. Si tu bouges ta reine de cette maniè… »

Erin fronça les sourcils et arracha le parchemin des griffes d’Olesm.

« Donne-moi ça. »

Elle retourna le parchemin et commença à furieusement écrire sur le dos. Olesm cligna des yeux et Krshia sourit, amusée. Quand Erin montra le nouveau problème à Olesm, ce dernier cligna des yeux.

« C’est… C’est beaucoup de pièces. »

« Echec et mat en quatre coups. Les noirs commencent. »

Erin fit un sourire maléfique à Olesm.

« Quatre coups »

Il dévisagea le papier d’une manière qu’Erin n’avait jamais vue auparavant.

« Non, c’est impossible. Mais… Non, cela ne devrait pas… »

Il fronça les sourcils, sa queue s’agitant au sol.

« Je ne peux pas commencer à… Comment as-tu inventé ce problème si rapidement ? »

« C’était l’un des puzzles qui m’a donné une migraine à l’époque où je jouais beaucoup. Il m’a presque fallu une semaine entière pour le résoudre. »

« Je ne peux pas… Puis-je le copier ? S’il te plait ? »

« Bien sûr. Et si tu le renvois à la personne qui a envoyé l’autre puzzle, je paye pour la livraison. »

« Oh, bien sûr. Certainement. Hum, tu peux me donner quelques pièces de cuivre et il y arrivera, mais plus d’argent veut dire une livraison plus rapide. »

« Je comprends. »

Erin y pensa un instant et fouilla dans sa bourse. Elle se sentait généreuse, donc elle donna deux pièces d’argent à Olesm. D’après ce que Selys lui avait dit, elle allait rouler dans les pièces brillantes dans pas longtemps.

Le Drakéide cligna des yeux en voyant les pièces, mais les accepta et promis d’envoyer la lettre le plus tôt possible alors qu’il était en train de copier le puzzle d’Erin. Il s’en alla, laissant Erin et Krshia derrière.

Elle sourit, se demandant avec un brin de malice combien de temps il faudrait au mystérieux joueur d’échec pour résoudre son problème, avant de complètement oublier cette histoire une minute plus tard.

Krshia était toujours en train d’essayer d’avoir un repas avec Erin, mais Erin était fatiguée, endolorie et affamée. Et malgré toutes ses bonnes intentions envers les Gnolls, leur nourriture était légèrement trop crue selon les standards humains.

« Ecoute, j’aimerais vraiment visiter. Et je le ferai… Pourquoi pas demain ? »

« Mais aujourd’hui est plus rapide, n’est-ce pas ? »

« Oui, mais… »

Erin faiblit. Krshia était en train de la séduire avec des promesses de plats préparés et de viande cuite. Et cela serait appréciable, même si elle avait l’impression que la Gnolle voulait lui parler de quelque chose d’important. Peut-être qu’elle pouvait se relaxer ?

Mais alors qu’elle s’apprêtait à partir avec Krshia, quelqu’un appela le nom d’Erin. Cette fois les oreilles de Krshia étaient aplatit sur sa tête et elle se retourna pour envoyer un regard mauvais à la personne qui allait les déranger. Mais la Gnolle s’arrêta aussitôt.

Scruta Cherchevoie se tenait derrière Erin dans un vortex d’attention. Elle leva la tête et sourit à Krshia alors que la Gnoll l’observa. Erin cligna des yeux et soupira alors que la demi-Scruteur la salua.

« Erin. Est-ce un bon moment ? »

« Je suppose. Est-ce que tu as rencontré toutes les personnes que tu devais voir ? »

Scruta haussa les épaules.

« J’ai rencontré une variété d’individus. Mais je suis certaine que le reste se présenteront d’eux-mêmes quand ils sauront que je suis en ville. Cependant, je me demandais si j’allais accepter ton offre. »

« Mon offre ? Quelle offre ? »

Erin cligna des yeux en direction de Scruta. L’aventurière sourit et agita une main.

« Tu as mentionné le fait que tu possèdes une auberge. Si cela ne te dérange pas j’aimerais bien la visiter et prendre un repas, si possible. »

« Oh. Bien sûr. »

Erin jeta un regard vers Krshia.

« Désolé Krshia. J’ai juste promis à Scruta… Elle m’a aidé ce matin. Ça ne te dérange pas… ? »

Krshia se tenait totalement immobile et fit un signe de la main à Erin. Scruta sourit dans la direction de la Gnolle.

« Merci, marchante Krshia. Je m’excuse pour mon impolitesse. »

La Gnolle murmura quelque chose, mais Erin était déjà en train de guider Scruta plus loin. Krshia regarda le dos de l’aventurière, et secoua la tête. Elle se retourna attrapa le Gnoll le plus proche et commença à lui parler rapidement. Elle continua de lancer des regards au dos de Scruta alors que l’aventurière continua de s’éloigner. Elle n’avait pas osé croiser le regard de la Scruteur, et même maintenant elle avait son poil hérissé.

Elle observa Scuta. Mais Krshia n’avait pas la moindre idée, ou peut-être qu’elle le savait, qu’elle se faisait observer en retour.

***


Erin regarda avec une fascination horrifiée l’un des yeux de Scruta lentement tourner pour de nouveau regarder devant elle alors que les deux marchèrent dans la rue. Apparemment, les Scruteurs avaient une vision de 360° degré, ce qui était super cool et extrêmement troublant. 

Elle parla à Scruta alors que les yeux de l’aventurière erraient. Elle gardait son gros œil concentré sur Erin alors qu’elles avançaient, Erin devinait que c’était probablement par politesse, mais ses quatre yeux bougeaient dans toutes les directions. En fait, c’était assez troublant de voir comment le gros œil de Scruta ne quitta pas Erin pendant un seul instant. Vu qu’elle avait d’autres yeux, elle pouvait se concentrer uniquement sur Erin tout en évitant les autres piétons.

Enfin, il n’y avait pas le moindre piéton qui se mettait sur sa route ou sur celle d’Erin. Soit les autres passants connaissaient Scruta, soit ils ne voulaient pas se retrouver sur le chemin de l’aventurière. Elle était toujours habillée comme une guerrière après tout, et même si son armure donnait l’impression d’être rouillée, elle lui donnait un air sérieux.

Dans l’ensemble… Non, Erin n’allait pas y penser. Mais elle ne pouvait s’y empêcher. Elle avait vraiment l’impression de parler à une version féminine de Maugrey Fol Œil, même si cela n’était pas très gentil. Bien moins grincheux, et avec plus d’un œil fou, mais l’idée était dans sa tête et elle ne pouvait pas s’en séparer.

Et comme tous les personnages d’Harry Potter, Scruta semblait être un gouffre qui attirait l’attention. À un tel point qu’Erin se sentait inconfortable alors que les deux marchaient le long de la rue vers les portes. Elle était habituée à être épié, mais cette fois les Drakéides et les Gnolls n’étaient même pas en train de cacher leurs regards. Bon, certes, la plupart était en train d’observer Scruta, mais beaucoup d’entre eux étaient aussi en train de regarder l’étrange humaine qui lui parlait.

« Tu es vraiment célèbre à ce point, pas vrai ? »

Scruta haussa les épaules et l’armure accompagna son mouvement.

« Certains le disent. Je m’excuse si l’attention te dérange. Tu n’aimes pas ce genre d’attention ? »

« Sais pas. Je n’ai jamais été populaire, ou célèbre. »

Scruta hocha la tête.

« Je crois que je suis surtout tristement célèbre. »

« Ça aussi je ne l’ai jamais été. »

« Je crois que la différence entre les deux est assez subtile dans un sens. D’un autre côté… Et bien disons que je préfère les regards plutôt que d’autres réactions. »

« Oui, oui. Je te comprends. »

Erin et Scruta s’arrêtèrent à une intersection noire de monde. Aujourd’hui semblait être le week-end, même si Erin ne comprenait pas bien le déroulement des jours dans ce monde. Elle remarqua plusieurs familles à l’extérieur, ce qui voulait dire qu’elles étaient dans un district résidentiel. Elle allait rarement ici, la vue des enfants…

Ils étaient si petits. Et adorable ! Enfin, les enfants Gnolls lui rappelait de vicieux chiots, mais les petits Drakéides étaient si mignons que cela en devenait terrifiant. Ils courraient comme des enfants normaux, traînant leurs petites queues en se chamaillant et en jouant… Comme tous les autres enfants normaux, en fait.

Certains adultes les regardèrent alors qu’ils remarquèrent Erin et Scruta. Mais un gang de Drakéide et de Gnolls pointèrent Erin du doigt. L’un des enfants couru vers les deux avant de s’enfuir. C’était un petit Drakéide, ou du moins elle pensait que s’en était un.

C’était charmant, surtout dans la manière avec laquelle le groupe d’enfant était clairement fasciné par elle. Erin était en train de sourire, jusqu’au moment où elle vit les parents.

Deux Drakéides aux écailles bleues claires regardèrent leur progéniture courir avec ses amis avec un intérêt affectueux. Il courut vers Erin, et ses parents l’appelèrent, ne voulait pas déranger Erin. Elle fut saisit par l’instant et une pensée la frappa avant qu’elle puisse la bannir.

Mère, père, et enfant.

Son sourire vacilla et disparut. Mais Erin le remit aussitôt sur son visage. Elle se pencha vers le jeune Drakéide, ne regardant pas en direction des parents.

« Salut toi ! »

Erin sourit au petit Drakéide. Il fit immédiatement un pas en arrière, mais les autres enfants le poussèrent de nouveau en avant.

« Est-ce que je peux vous demander quelque chose ? »

Les parents du petit Drakéide étaient en train de lui faire signe, lui disant de ne pas déranger l’humaine. Mais Erin sourit. Elle forçait se sourire, mais c’était tout de même un sourire.

« Va s’y, ça ne me dérange pas. Tu peux me poser n’importe quelle question. »

Le Drakéide lui sourit. Ses dents étaient très pointue. Mais son sourire était innocent, et légèrement malicieux

« Est-ce que vous pouvez vraiment cracher du sang depuis votre... »

***

Pisces était assis à une table de l’Auberge Vagabonde, sirotant tranquillement un verre avec les pieds sur la table. Il avait tiré une autre table à côté de lui et avait organisé une planchette de fromage, de viande, de pain et même de quelques sucreries qu’Erin avait achetées pour elle lors de sa dernière visite en ville.

Il sursauta alors que la porte s’ouvrit à la volée et qu’Erin tapa des pieds en entrant. Elle avait un air terrible sur le visage, qui contrastait avec le sourire amusé de la Scruteur qui la suivait.

Elle n’eut même pas besoin de dire quelque chose. Un regard et les pieds de Pisces descendirent de la table alors qu’il commença à nettoyer la table avec sa robe, qui était bien plus sale.

« Salutations, Maîtresse Solstice. Ah, ta journée à telle été plaisante ? »

Erin s’arrêta au milieu de la pièce et lança un regard noir à tout et à rien.

« Je déteste les enfants. Je déteste les Drakéides, et je déteste les gens qui ne comprennent rien à l’anatomie des femmes. »

Le dernier commentaire fut accompagné d’un regard vers Pisces. Il ouvrit sa bouche pour protester avant de sagement se taire.

« Au cas où tu te poses la question. Non, je ne peux pas cracher du sang depuis mon entrejambe. »

« Je ne me posais pas la question. Mais je trouve ta réaction devant la question de cet enfant très amusante. »

Erin lança un regard par-dessus son épaule à l’aventurière. Pisces la regarda. Il y avait quelque chose de familier…

« Qui demande ça ? Franchement ! »

L’aventurière haussa les épaules. Elle était en train de regarder autour de l’auberge… Avec plus d’un œil ? Les sourcils de Pisces se levèrent alors qu’il la regarda.

« Est-ce vraiment étrange que les autres espèces ne connaissent pas grand-chose à la reproduction des humains ? »

« Oui ! Non ! C’est juste… »

Erin leva ses mains en l’air.

« Oublie-ça. Ceci est mon auberge. Je vais te chercher de quoi manger. Tu peux prendre un siège. Fais attention à Pisces, l’idiot assis là-bas. Il vole des choses. Comme ma nourriture. »

Elle jeta un œil aux sucreries à moitié mangées sur la table et Pisces tressaillit. Furieuse, elle marcha dans la cuisine, le laissant seul avec… Avec…

Alors que l’aventurière s’installa à une table proche de la sienne, les yeux de Pisces s’écarquillèrent. Si ce dernier avait été en train de manger quelque chose, il se serait étouffé probablement  dessus. S’il avait été en train de boire il aurait probablement tout recraché. Vu qu’il ne faisait ni l’un, ni l’autre il se contenta d’écarquiller les yeux en regardant Scruta.

Elle lui fit un sourire.

« Salutations, Nécromancien. »

***

Erin fouilla sa cuisine, cherchant quelque chose à servir. Elle déposa une casserole de pâte sur le feu, versa un peu de fruit bleu,  remarquant que Pisces s’était aussi servi, et coupa un peu de fromage, de pain et de saucisse. Elle réalisa qu’elle n’avait pas la moindre idée de ce que l’espèce de Scruta mangeait, mais décida de quand même tout sortir.

Pisces était toujours dans son siège, et c’était la première fois qu’elle le voyait aussi humble alors qu’il discutait avec Scruta. Enfin, elle était en train de poser des questions et il y répondait rapidement et nerveusement. Une autre personne qui reconnaissait la célèbre aventurière.

« Et voilà. »

Erin mit la collation devant Scruta.

« Laisse-moi savoir si tu veux quelque chose d’autre ou si tu ne peux pas manger quelque chose. Aussi, c’est du jus bleu. C’est… C’est bleu. Mais c’est sucré. »

« Cela semble délicieux. Merci de me permettre de m’imposer. »

« Pas de problème. Je reçois rarement des visiteurs… »

Erin s’arrêta alors que la porte s’ouvrit.

« Je reçois rarement des visiteurs. »

Elle s’attendait à recevoir les Gobelins, ou peut-être Olesm, voir Pion et quelques Ouvriers. Mais à la place ce fut la dernière personne qu’elle attendait qui entra dans l’auberge.

Relc

Il lui sourit, il se balada dans l’auberge, la lance à l’épaule. Il n’était pas seul, quatre autres Drakéides, tous des gardes au premier regard, entrèrent avec lui en regardant autour d’eux de manière méfiante.

Erin ne savait pas quoi dire. Elle regarda Relc. Le Drakéide croisa ses yeux avant de détourner le regard.

« Salut, Relc. »

« Mademoiselle Erin. Comment est-ce que tu vas ? »

« Bien. Hum. Tu as amené des amis ? »

« Pour un repas. Tu peux nous servir quelque chose ? J’ai faim. »

« Bien… Bien sûr. »

Troublée, Erin entra de nouveau dans la cuisine pour doubler ses préparations. Elle émergea de nouveau pour trouver Relc et ses amis s’asseoir proche de Scruta. Vu qu’elle avait choisi de s’asseoir proche de Pisces, il y avait un drôle de triangle au centre de son auberge.

Il y avait aussi un silence de mort. Erin déposa les boissons et les collations devant ses clients, gênée. Les autres Drakéides acceptèrent les collations et regardèrent le jus bleu d’un œil suspicieux, mais ils étaient polis. Relc, de son côté, était tapageur et bruyant, la remerciant et vidant rapidement son verre. Il regardait partout autour de lui, à l’exception de Scruta et elle.

Ce fut le premier indice d’Erin, mais elle était si occupée qu’elle ne le remarqua pas. Mais alors qu’elle commença à égoutter ses pâtes mélanger les oignons elle entendit Relc se lever et marcher jusqu’à Scruta.

« Donc. Tu es la fameuse aventurière qui est entrée dans notre petite ville. Ravi de te rencontrer. »

Erin jeta un coup d’œil depuis sa cuisine juste à temps pour voir Relc se pencher sur la table, il présenta une gigantesque main à Scruta.

« Je suis Relc. Un Garde Vétéran de Liscor. »

Est-ce que c’était elle ou Relc semblait… Plus grand qu’avant ? Mais Scruta se contenta de lui sourire et de lui serrer la main avec sa main gantelet. Elle vit les muscles du bras de Relc se crisper, mais Scruta ne cligna pas de l’œil en lui serrant la main.

« Je suis Scruta Cherchevoie, une aventurière errante. »

« Oh, une aventurière ? C’est cool. J’ai pensé à en devenir un, mais ça semblait être trop compliqué pour en valoir le coût. »

« La vie d’aventurier n’est pas pour tout le monde. »

« Oh, il y a toute cette terre, cette boue et les monstres qui essayent de te tuer. »

« Cela devient désagréable de temps en temps. »

« Oui, oui. »

Erin n’avait pas besoin d’une compétence spéciale pour sentir la tension dans l’air. Elle vit les quatre gardes que Relc avait amené subrepticement observer Scruta. Pendant ce temps, Pisces s’était décalé au bord de la table pour s’éloigner des deux groupes.

Relc s’arrêta. Puis il racla sa gorge et regarda Scruta.

« Donc. Ça te dérange de me dire ce que tu fais dans ma ville ? Et, uh, combien de temps tu vas rester dans le coin ? »

Relc appuya son ‘ma’ et il se penchait vers Scruta d’une manière pas très subtile. Même si cela ne semblait pas la gêner.

« Je suis simplement en train d’explorer ce continent. Sois assuré, je ne souhaite pas perturber l’ordre public tant que je suis là. »

Le grand Drakéide hocha la tête avec un air approbateur.

« C’est bien. Je détesterai voir ça. J’ai l’impression que je dois passer mes jours à m’occuper d’aventuriers qui nous causent des problèmes. C’est parce que je suis celui avec le plus haut niveau de la Garde, tu sais. Tout le monde m’appelle quand ils ont besoin d’aide. »

« Cela semble un métier difficile. Je suis impressionnée. »

« Ouaip, enfin, je suis juste bon. »

« En effet. »

Scruta semblait se contenter de ça. Relc se gratta les écailles, sa queue tressaillit quelques fois sur le sol.

« Donc, ce que je veux dire, c’est que je détesterai que ta visite devienne désagréable, compris ? Ce n’est pas une bonne place pour créer des problèmes car tu n’es pas sur ton continent. Tu p… »

Erin frappa Relc à l’arrière du crâne avec une assiette pleine de nourriture, violemment.

« Aie ! »

Il se retourna et lança un regard à Relc, Erin lui rendit.

« Oi. Arrête d’harceler mon invité. »

« Je n’étais… »

« Arrête d’harceler. Mon invité. Et rassis toi. Le repas est prêt. »

Relc la regarda, mais il semblait avoir fini. Il baissa les yeux vers Scruta et s’en alla. La Scruteur sourit à Erin.

« Ah. Des pâtes ? Cela m’a l’air bien délicieux. Merci, Erin. »

« Ouais, ça à l’air bon ! »

Relc commença à creuser dans son assiette dès l’instant qu’Erin la déposa sur la table. Après quelques hésitations, les autres gardes firent de même. Leurs expressions douteuses changèrent, et ils commencèrent à avaler leurs nouilles avec un sourire.

Pisces regarda autour de lui. Tout le monde était en train de manger, et Erin s’était même servie une assiette. Mais il était le seul sans assiette ou repas.

« Ah, je crois que tu as raté quelqu’un. »

« Vraiment ? »

Erin le regarda d’un œil mauvais. Elle appuya son regard sur les restes de ses gâteaux sur la table.

« Dommage. Je suppose que j’ai de la nourriture uniquement pour les clients qui payent. »

Il lui fit un sourire narquois.

« À vrai dire, je crois qu’aujourd’hui est le jour où j’efface mon ardoise. J’ai acquis une coquette somme il y a peu. »

« Vraiment ? »

Erin leva un sourcil dubitatif. Pisces sortit une bourse pleine à craquer et en montra son contenu.

« Si tu veux bien observer. »

Elle observa.

« C’est beaucoup d’or. Hey! Est-ce que tu as volé ça?”

Il semblait insulter.

« Pas du tout. J’ai simplement réalisé un peu de magie complexe et reçu une rémunération. Mais je crois que c’est plus qu’assez pour  payer plusieurs fois ma dette. Laisse-moi repayer ma dette et te donner un pourboire pour ton temps. »

Il mit la main à sa bourse, mais avant de pouvoir prendre la moindre pièce d’or le sac disparu de sous sa main. Relc venait de s’en emparer et déposa la bourse sur la table.

« Yoink. »

« Hey ! »

Pisces se releva. Il tenta d’attraper l’argent, mais Relc leva le sac hors de sa portée.

« Rends-moi ça ! Cela m’appartient ! »

« Nope ! Confisqué par la Garde ! »

« Relc ! »

Erin cria sur le Drakéide alors que Pisces devenait de plus en plus rouge. Le mage pointa un doigt tremblant vers Relc.

« C’est un abus d’autorité ! Tu n’as pas le droit de voler ma propriété ! »

Relc sourit et agita une griffe vers Pisces.

« J’ai tous les droits. Ou est-ce que je dois te rappeler que tu es toujours recherché pour tous les vols que tu as faits. Effrayer les gens, piller des tombes, tout cela devrait être gentiment couvert avec ce don à la ville, n’est-ce pas ? »

Pisces pâlit, avant de tourner rouge d’outrage. Il bafouilla, mais n’avait rien à dire à part une indignation impie. Relc rit devant le mage, jusqu’à ce qu’Erin lui mette un coup de poing dans l’épaule.

« Aie. Tu es devenu plus forte ? »

« C’est une compétence. Arrête de te chamailler avec mes clients. »

« D’accord. Mais je garde ça. Pisces le Nécromancien sera de nouveau admis dans la ville et nous le poignarderont pas une fois que toutes ses amendes seront payées… Mais je continuerai de l’observer. »

« C’est injuste… Ce n’est pas… »

Pisces serra les poings mais Erin parvint à le rasseoir. Il resta assis en soufflant, donc elle lui donna sa propre assiette pour le calmer.

« Honnêtement. J’ai un nouveau client. Est-ce que vous ne pouvez pas vous tenir à carreau pendant une nuit ? »

« Je suis en train d’admirer le spectacle. Ne faîtes pas attention à moi. »

Relc lança un regard de côté vers Scruta, mais il l’ignora avant de sourire en direction d’Erin.

« Désolé, Erin. Je voulais juste te dire bonjour, après tout ce temps. »

Elle le regarda d’un air douteux.

« Vraiment ? »

« Vraiment. Je t’ai vu ce matin et j’ai pensé… Enfin, cela serait sympa de voir une humaine amicale de nouveau. Je dois tous les jours gérer les problèmes causés par les aventuriers et les mages, après tout. »

Pisces murmura quelque chose de sombre. Erin lui jeta un regard et il se tût.

« J’ai vu ça. Tu étais plutôt impressionnant. Je ne savais pas que tu étais aussi bon. »

Relc sourit en mettant ses mains derrière sa tête en balançant sa chaise.

« Je fais de mon mieux, je fais de mon mieux. Mais je ne suis pas le meilleur garde dans la ville sans raison. »

Les quatre gardes arrêtèrent de manger et regardèrent Relc. L’un d’entre eux ricana.

« Le plus grand garde ? Bien sûr, un qui ne peux même pas attraper une Coursière humaine. »

Les trois autres gardes ricanèrent. Relc fit retomber sa chaise et les regarda.

« J’étais en armure, et j’avais ma lance, d’accord ? Elle a été chanceuse ! »

Erin cligna des yeux en regardant Relc alors que les autres gardes continuèrent de se moquer de lui.

« Tu t’es fait battre à la course par une Coursière ? »

« Elle était vraiment rapide ! Je n’ai jamais rien vu de telle ! Les autres Coursiers je les laisse dans ma poussière. Mais elle… »

« Tu es certain que tu n’as pas perdu la course parce que tu l’admirais ? »

« Trop occupé à haleter et plus assez de place pour respirer ? »

« La ferme ! »

Relc regarda les deux gardes et leur jeta un peu de nourriture. Cela lui valut un nouveau coup d’assiette de la part d’Erin. Il lui lança un regard avant de changer de ton.

« … Au passage, Mademoiselle Erin. Tu… Ne connaitrais pas une Coursière, n’est-ce pas ? »

« Moi ? »

Erin cligna des yeux en le regardant et Relc hocha la tête.

« Ouais, enfin, peut-être ? Elle avait environ ton âge ? »

« À quoi elle ressemblait ? »

Cette question venait de Pisces. Le mage était en train de regarder Relc avec intérêt. Le Drakéide fronça les sourcils et haussa les épaules.

« Elle avait des… Cheveux noirs. Et elle était… Grande ? Plus grande qu’Erin. Et, heu, elle était rapide. Ça te rappelle quelque chose ? »

Pisces et Erin échangèrent un regard. Erin planta ses mains sur ses hanches.

« Comment est-ce que je suis censé connaitre quelqu’un avec que ça ? »

« Hey ! Je fais de mon mieux ! Vous les humains vous êtes tous… Un peu similaire. Dans tous les cas, je pensais que tu la connaîtrais. »

« Parce que je suis humaine ? Et que tous les humains se connaissent entre eux ? »

Relc se gratta le côté de la tête.

« Hum. Ouais ? »

« J’y crois pas. »

Erin commença à ramasser et claquer les assiettes entre elle alors que le Drakéide leva ses griffes de manière innocente.

« Hey, je me demandais… Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je suis venu ! J’allais te parler à propos du voleur dans la ville. »

« Je sais déjà qu’il y a un voleur dans la vile ! Et avant que tu ne causes d’autres problèmes, ce n’était pas Pisces. S’il était le voleur vous l’auriez déjà attrapé. »

« Oh, nous le savons. Il n’y avait pas de magie détectée dans les endroits volés. Non, c’était probablement un humain. Mais je voulais te conseiller d’engager un peu de protection dans le coin. Tu as eu de la chance avec ces Araignées Cuirassées, mais tu ne seras pas chanceuse pour toujours. Il faut que tu engages un aventurier. »

« Et les payer avec quoi ? Les aventuriers ça coûte cher ! »

L’un des gardes hocha la tête.

« En effet. À moins d’en connaitre un personnellement, leurs prix sont bien trop faramineux. »

Relc lança un regard au garde.

« Merci pour le coup de main, queue-épaisse. »

« Je n’ai pas l’argent pour ça. À moins que… »

Erin réapparu dans la salle commune. Elle sourit à Scruta qui était en train d’observer la discussion avec un amusement urbain.

« Hey, Scruta, tu veux un boulot. Je ne peux pas beaucoup te payer, mais je te donnerai à manger si tu restes. Je n’ai pas encore fixé l’étage supérieur, mais je peux commencer à travailler dessus. »

Relc, Pisces, et les quatre autres gardes commencèrent à s’étouffer sur leurs nourritures. Scruta sourit et secoua la tête.

« Malgré le fait que ton offre est tentante, je dois refuser. Mais je crois qu’il serait sage de chercher une manière de te défendre vu que tu n’es pas une guerrière. »

« Je verrai après avoir touché l’argent des Araignées Cuirassées. Mais je ne suis pas faite d’argent. Je n’ai même pas beaucoup d’argent. »

Pisces, qui avait suivi la conversation en mangeant une grosse assiette de pâte, soudainement eut un regard calculateur alors qu’il regarda Erin.

« J’ai peut-être le moyen de t’aider, Mademoiselle Erin, vu que mes réserves ont été confisquées… Est-ce que tu accepterais une forme alternative de payement. »

Elle le regarda.

« À ce stade, je serais contente tant que tu me payes avec quelque chose »

Erin s’arrêta et reformula rapidement sa phrase.

« Mais rien de dégueu, ou de sale, ou… Rien que je n’aime pas. »

Il lui fit un sourire.

« Je crois que j’ai quelque chose qui nous bénéficiera tous les deux. »

Pour une quelconque raison, cela semblait très mauvaise augure, et elle espérait que Pisces n’allait pas causer trop de troubles. Mais c’était pratiquement certain qu’il allait en causer. Erin secoua la tête.

« Si on a terminé de parler de choses que je ne peux pas acheter, est-ce quelqu’un veut quelque chose d’autre ? Les gardes, j’ai des mouches acides si vous voulez essayer. Je sais que Relc en mange. »

Les gardes échangèrent un regard alors que Relc tapota son estomac en essayant de se décider s’il avait encore faim. Pisces secoua rapidement les mains en voyant le bol que qu’Erin présentait.

Scruta leva son unique sourcil.

« Des mouches acides ? »


***


Cette nuit, alors qu’Erin était en train de servir de la nourriture, une autre fille pesa le pour et le contre à propos de l’argent et de la nourriture.

Cachée, elle rodait dans une allée, n’essayait pas de se cacher de vue, mais refusant d’aller dans la rue principale. Elle ne serait pas dérangée même si elle le faisait. Certains gardes étaient en train de chercher des voleurs, mais ils ne la suspecteraient jamais. Son attire, et plus important, son allure lèverait tout de suite la moindre suspicion de culpabilité.

Alors, c’était une honte et une disgrâce qu’elle soit forcée de s’abaisser de cette manière pour survivre. Le vol n’était pas digne de son rang, mais les marchands véreux et les commerçants étaient pratiquement en train de l’inviter à prendre leurs biens. De plus, elle n’avait pas de quoi payer… Et elle ne le ferait pas même si elle en avait.

Ce qui lui appartenait lui appartenait. Ce qui leur appartenait lui appartenait aussi, pour être précis.

Elle avait fait l’erreur de voyager dans le sud. La ville vers laquelle elle avait voulu voyager était Celum, pas cette… Ce que cette ville était. Mais cet idiot de caravanier avait échoué à lui donner la bonne direction, elle n’avait certainement pas fait d’erreur ! Et maintenant elle était échouée, et forcé de s’enfoncer pour survivre.

L’estomac de la jeune fille gargouilla. Elle avait volé quelques fruits plus tôt dans la journée, mais les commerçants étaient plus attentifs après quelques jours passé à les voler. Elle allait devoir attendre la nuit noire avant de pouvoir manger à nouveau.

Bientôt. La fille lécha ses doigts et étudia la rue remplie d’hideuses créatures canines et de lézards maléfique. Elle devait juste obtenir assez de pièces pour quitter cette ville remplie de monstres. Elle devait juste trouver cette Magnolia Brynshart et elle serait accueillie avec les honneurs dignes de quelqu’un de son rang.

Bientôt.

L’estomac de la fille gargouilla.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 15 avril 2020 à 14:21:02
R 1.07
Traduit par EllieVia

 
Courir est une chose étrange. Et c’est l’une des rares choses dont je suis qualifiée pour parler dans n’importe quel monde. Pour moi, courir est la chose que je fais qui se rapproche le plus du fait d’être en vie. La course, je l’ai étudiée, je l’ai pratiquée, et je me la suis appropriée. Je ne peux pas en dire autant de quoi que ce soit d’autre.
 
Mais si la course est pure, la vie ne ‘est pas. Mon corps ne l’est pas, si cela a une quelconque importance.
 
C’est drôle. Apparemment, battre un record de marathon de 50 km à ma vitesse maximale n’est pas sans conséquences, surtout avec une jambe tout juste guérie. Autant dire que lorsque les Cornes d’Hammerad me rattrapèrent, ils furent obligés de me laisser monter dans le chariot sur la majeure partie du trajet qui nous ramena à Celum.
 
S’étendre au milieu d’un champ dans un épuisement physique total s’avère être très relaxant. J’étais tellement fatiguée que je ne me suis même pas demandé ce qu’il se passerait si un monstre me trouvait là. *
 
*Pas très dur à deviner. Apparemment, la plupart des monstres séparant les cités humaines de Liscor sont des Gobelins et quelques espèces aviaires. On m’a dit qu’il était préférable de se faire dévorer vivante par les oiseaux que de supporter ce que les Gobelins mâles infligeaient aux femmes. La prochaine fois que je vois un de ces salauds je lui éclate la tête.
 
Bref, j’ai de la chance que Ceria connaisse plein de sorts de localisation. Les Cornes ont rapidement compris ce qu’il s’était passé quand j’ai arrêté de bouger. Là encore, courir un marathon sur un ventre vide n’est pas une très bonne idée. J’ai fait des ultra-marathons et la clef de ces courses ce n’est pas la vitesse ni même tellement la pratique. Il suffit d’y aller mollo et de manger tout le long. Tout ce que j’aime.
 
Où en étais-je ? Ah oui. Courir. Courir est une chose aisée, à l’inverse de la vie. Même les boulots impliquant de courir sont difficiles.
 
Exemple concret : pourquoi suis-je encore plantée devant la guilde au lien d’entrer. Je ne veux vraiment pas faire face aux gens à l’intérieur - ou à qui que ce soit - là tout de suite. Pour tout dire, la seule chose qui me maintienne à peu près d’aplomb est le fait que ma jambe soit guérie.
 
Ma jambe est guérie. Quatre mots, mais qui changent tout pour moi. Passer de l’idée que je ne courrais plus jamais à celle que je peux courir où bon me chante ?
 
La vie est belle.
 
… à moins bien sûr que l’on soit une clocharde sans job et sans argent qui doit emprunter aux gens pour survivre. Papa m’a toujours dit que ça risquait de m’arriver si je ne filais pas droit. *
 
*C’est à dire, pour lui, partir dans la politique pour lécher des bottes et mentir 24h sur 24, 7 jours sur 7, donc il peut aller se jeter d’une falaise.
 
Je suis très littéralement sans le sou. Sans Garia et les Cornes d’Hammerad, je n’aurais même pas pu dormir dans l’auberge ces derniers jours, sans parler de manger. Il y a deux raisons à cela. L’une, et là encore, c’est entièrement ma faute, est que j’ai dû me reposer après le marathon débile que j’ai fait sur le chemin du retour. Même avec une potion, il m’a fallu faire un peu de rééducation. Cela a pris deux jours avant que Ceria me dise que c’était bon.
 
L’autre raison ?
 
Les gens.
 
Toutes les têtes se tournent vers la porte de la guilde lorsque je l’ouvre d’un coup de pied. Presque aussitôt, les Coursiers détournent le regard. * On dirait bien que la plupart des Coursiers de ville réguliers sont ici, ainsi que plusieurs personnes que je reconnais.
 
*Et un très bon regard avec ça. On dirait qu’ils attendaient clairement quelqu’un, n'importe qui d’autre que moi mais je suis là à présent et il va falloir qu’ils me supportent - principalement en prétendant que je n'existe pas. Bon sang. C’est pour cette raison que je n’aime pas regarder les gens dans les yeux.
 
Fals est en train de parler avec Garia à côté du comptoir de la réceptionniste. Les deux m’aperçoivent, mais Fals continue de parler et Garia est trop dans la lune pour l’interrompre. Et à l’autre bout de la pièce, en train d’observer Fals avec son gang, se trouve une autre charmante personne d’intérêt.
 
Persua.
 
Elle me fusille du regard puis se met immédiatement à m’ignorer et à parler fort et avec animation avec ses amis. Il faut que je trouve le temps de regarder quelle est le châtiment pour meurtre dans ce monde. Mais ce n’est pas elle qui m'intéresse, donc je m’approche du comptoir de la réceptionniste.
 
Fals et Garia sont devant moi dans la file tandis que la réceptionniste s’occupe d’un gamin en train d’apporter une livraison. Normalement, je resterais loin de Fals et irais attendre ailleurs, mais Persua viendrait probablement me piquer ma place et prendre son temps juste pour me faire chier. De plus, leur conversation a l’air intéressante donc je supporte Fals le temps de laisser traîner mes oreilles.
 
Garia a l’air plutôt bouleversée. Les des Coursiers parlent de quelque chose. Ah oui, cette requête anonyme qu’elle m’avait montrée il y a une semaine. J’ai l’impression que ça fait un bail, à présent.
 
“... troisième Coursier qu’on a perdu jusque-là. Pestrom.”
 
“Quoi ? Non. C’était un Coursier de ville expérimenté… Niveau 19 ! Je l’ai vu la semaine dernière.”
 
Fals secoue la tête. Il a l’air sincèrement en colère et frustré mais j’ai déjà vu des gens mimer parfaitement les émotions.
 
“Rien de cela n’a de l’import]ance dans les Hautes Passes, Garia. Les monstres là-bas… il faudrait des compétences de combat, ou un niveau extraordinairement haut… probablement au moins un niveau 30 pour sortir de là-bas sans dégâts. Je l’ai dit à Pestrom, mais il n’a pas voulu m’écouter.”
 
“Tu dois faire quelque chose à ce sujet, Fals. La récompense est passée à quarante pièces d’or. Il y a un groupe de Coursiers de rue… ils savent que c’est dangereux. Mais pour une récompense comme ça…”
 
Fals acquiesça d’un air grave. Le Coursier devant lui a fini, donc il s’avance et s’adresse à la réceptionniste.
 
“Teressa, ne laisse aucun Coursier prendre cette requête. Fais passer le mot aux autres Guildes. Quiconque tentera d’affronter les Hautes Passes mourra. On doit l’enlever du tableau de requêtes.”
 
La réceptionniste - Teressa, dont j’oublierai très vite le nom - semble bouleversée. Elle veut clairement aider Fals, et elle est également très clairement attirée par lui, mais il y a un problème.
 
“On ne peut pas la retirer, Fals. Tu connais les règles de la Guilde.”
 
Fals acquiesce. Il se penche sur le comptoir et adresse un sourire charmeur* à la réceptionniste**.
 
*J’imagine qu’il est charmeur. Le problème, c’est que j’ai vu tellement de sourires charmeurs que ce genre-là me donne systématiquement envie de casser quelque chose.
 
** Pourquoi est-ce que ce sont toujours des femmes ? Oh, oui. Le féminisme n’est pas mort dans ce monde, il n’a tout simplement probablement jamais existé. À moins qu’on ne compte quelqu’un comme Lady Magnolia, et elle est probablement une rare exception liée à son influence et à sa richesse. Charmant.
 
“Je sais. Mais pourrais-tu, disons, suggérer aux autres Coursiers de ne pas accepter la requête ? Crois-moi, tu sauverais des vies.”
 
La réceptionniste et Garia rougissent devant le sourire de Fals, ce qui ne fait que m’agacer un peu plus. Elle acquiesce.
 
“Je peux faire ça. Et je le ferai savoir aux autres.”
 
“En ce cas, Garia et moi allons dire aux autres Coursiers de faire passer le mot. Merci, Teressa, tu es une véritable sauveuse. Littéralement.”
 
Fals lui sourit de nouveau. Elle rougit et se met à jouer avec les Sceaux sur son comptoir.
 
“Nul besoin de me flatter, Fals. Et de toute façon, tu n’as pas trop de travail pour ça ?”
 
“J’ai toujours le temps de discuter avec une femme aussi charmante. Comment vont les enfants ? Est-ce que…”
 
Okay, je n’avais pas de problème tant que la discussion était intéressante, mais je ne vais pas attendre pour un flirt. Je ne pousse pas exactement Fals hors de mon chemin*, mais j’avance. Il sursaute et se retourne vers moi.
 
* Vraiment, je ne le pousse pas. Mais je lui ai peut-être un peu marché sur le pied.
 
“Oh, Ryoka…”
 
Fals jette un regard d’avertissement et elle se tait. Encore une raison pour moi de ne pas l’aimer.
 
“Tu as fini ?”
 
Il m’adresse un sourire que je ne lui retourne pas.
 
“Elle est toute à toi, Ryoka.”
 
“Bien.”
 
Okay, c’est le moment d’être méchante. Je pose mes mains sur le comptoir. La réceptionniste est clairement beaucoup moins contente de me voir, ou peut-être que c’est parce que j’ai fait partir M. Le Beau Coursier des Villes. Je n’en ai rien à foutre.
 
“Tu as des livraisons pour moi aujourd’hui ?”
 
Elle me jette un regard nerveux, mais ses yeux passent brièvement sur le visage de Fals.
 
“Oh, Mademoiselle Ryoka, je suis désolée, mais nous n’avons plus de requête. Encore.”
 
“Vraiment ? Vous n’en avez plus ? Absolument aucune ?”
 
Je trouve incroyable la manière dont les gens qui me mentent sont systématiquement incapable de croiser mon regard.
 
“C’est un problème... de timing.”
 
Vraiment ? Est-ce qu’il s’agit d’un euphémisme pour parler de politiques internes et de la volonté d’un groupe de crétins ? À ce stade, je me contente de la fusiller du regard. Cela me met très mal à l’aise, mais je parie qu’elle n’aime pas cela non plus. Elle craque en environ cinq secondes et sort un tas de papiers qu’elle avait préparé pour moi.
 
“Toutefois, nous avons plusieurs contrats pour Lady Magnolia si tu veux bien y jeter un œil…”
 
“Ça ira, merci.”
 
Merde, merde, [et]merde[/i]. Je savais que rien n’aurait changé. Mais qu’est-ce que je peux faire, putain ? C’est la vie à présent. Apparemment, me faire broyer la jambe n’était pas un avertissement suffisant. À présent, c’est soit je joue le jeu, soit je n’ai pas de job.
 
Pas de requête. Pas de livraison, et pas de paie. C’est le message qui m’a été transmis tous les jours depuis que je suis revenue. J’ai essayé d’aller dans trois Guildes de cités voisines et elles font toutes la même chose. Elles font faire toutes les requêtes avant que j’arrive, même si ça implique que les autres Coursiers bossent sans répit pour s’en charger.
 
En ce cas, je vais rester à Celum juste pour voir combien de temps ils peuvent tenir. La moitié des Coursiers de Rue et de Ville ici sont à moitié morts sur pied, mais ils le font quand même. Et on dirait qu’ils ont mis les meilleurs Coursiers de Ville dans le coup, comme Fals.
 
En gros, je suis bloquée jusqu’à ce que j’accepte de céder à leurs demandes. Ce que je ne ferai pas. Ce qu’ils veulent n’est pas si dur que ça…
 
Mais je ne le ferai pas. Je ne cède pas au harcèlement et à la pression de groupe. Et le regard innocent que m’adresse la réceptionniste me donne envie de l’assommer.
 
Qu’ils aillent se faire foutre. C’est le moment de devenir désagréable.
 
***
 
Garia observa Ryoka et sut qu’il y allait y avoir des ennuis. Elle n’avait pas de compétence spéciale comme [Instinct de Survie] mais elle n’en avait pas besoin. Elle connaissait Ryoka, pas seulement comme une amie mais comme un météorologue connaît le ciel. Et si Ryoka était un orage, alors ce serait un ouragan causeur de naufrages, bourré d’éclairs et de grêle pour faire bonne mesure.
 
La grande fille sans chaussures se pencha sur le comptoir et fusilla la réceptionniste du regard. Garia eut mal pour la femme. Teressa était gentille et serviable avec tout le monde - elle ne faisait que son boulot, même si Garia n’était pas d’accord. Ce n’était pas sa faute.
 
Là encore, Garia n’aurait pas souhaité une Ryoka aussi énervée à qui que ce soit. Sauf peut-être Persua. Les yeux d’un vert brillant de Ryoka lançaient des éclairs d’agacement.
 
“Ça fait quatre jours.”
 
Ryoka s’appuya au-dessus du comptoir et fusilla la réceptionniste recroquevillée du regard.
 
“Et tu es en train de me dire qu’il n’y a aucune requête ? Sauf, évidemment, celles de Magnolia.”
 
Teressa ouvrit la bouche, hésita, et regarda sur le côté d’un air implorant. Fals s’avança et sourit à Ryoka d’une manière qui fit battre le cœur de Garia. Ryoka tourna son regard noir sur lui.
 
“Nous ne voulons pas te mettre de bâtons dans les roues, Ryoka…”
 
“Oh vraiment ? Alors arrêtez de prendre toutes les demandes de livraisons.”
 
Fals se gratta l’arrière du cou et sourit de nouveau, mal à l’aise.
 
“On aimerait bien. Vraiment. Mais Ryoka, ce serait mieux que tu prennes d’abord l’une des requêtes de Magnolia.”
 
Elle savait pourquoi, mais Ryoka n’était pas d’humeur à être serviable. Elle croisa ses bras sur sa poitrine.
 
“Pourquoi ?”
 
Un autre sourire, légèrement contraint.
 
“Lady Magnolia refuse de prendre d’autres livraison tant que tu n’auras rien livré en personne. Tous les Coursiers des villes voisines sont impactés.”
 
“Et alors ? Vous n’avez qu’à faire les livraisons vous-même. Elle les prendra si je ne livre rien.”
 
“On aimerait bien, vraiment, Ryoka. Mais Lady Magnolia… personne ne lui dit quoi faire, Ryoka. Jette un œil à ses requêtes, peux-tu ? Elles ne sont vraiment pas difficiles.”
 
De ce que savait Garia, la facilité aurait encore moins d’attrait pour Ryoka. Mais elle regarda quand même avec réticence le tas de requêtes que lui tendait Teressa. Elle retroussa les lèvres en les lisant une par une.
 
“Des poivrons ? Des choux ? Elle peut les acheter n’importe où.3
 
“Mais elle veut un Coursier. Toi, pour être précis.”
 
“Donc tant que je ne serai pas passée la voir je n’aurai rien d’autre, c’est ça ? Et je suis censée lui demander de laisser les autres Coursiers prendre ses requêtes, c’est bien ça ?”
 
“On n’a pas dit ça.”
 
“Oh ?”
 
Fals parut choisir soigneusement ses mots.
 
“Si tu pouvais… suggérer à Lady Magnolia de rouvrir ses requêtes à tout le monde, les choses seraient… plu faciles.”
 
“Bien sûr. Et vous êtes tous payés donc tout le monde est content ?”
 
Ryoka se détourna de Fals et balaya la Guilde du regard. Les Coursiers de Rue et de Ville lui rendirent son regard. Ils regardaient tous Ryoka en silence, et pas d’un air amical/
 
“Donc tant que ce ne sera pas fait, vous allez continuer à prendre les requêtes.”
 
Fals haussa les épaules d’un air piteux comme s’il venait de se faire prendre à faire une blague.
 
“On ne fait que notre travail, Ryoka. Mais tu as raison sur ce point. On est tous dans le coup, Coursiers et Guilde.”
 
“Je n’aime pas qu’on me mette la pression. Que quiconque me mette la pression.”
 
Fals posa une main sur l’épaule de Ryoka, qui se tendit instantanément. Il lui fit un sourire rassurant qui fit bondir l’estomac de Garia.
 
“Ryoka, je suis parfaitement d’accord avec toi. Mais, s’il te plaît, regarde la situation du point de vue du reste des Coursiers.”
 
Il montra le reste des Coursiers et hocha la tête en direction de Persua. La fille transforma instantanément son regard meurtrier à Ryoka en un sourire maladif.
 
“On est une équipe. Okay, on ne s’entend pas tous parfaitement bien, mais si c’était chaque Coursier pour soi ce serait n’importe quoi. On travaille ensemble pour achever les requêtes difficiles et on partage la richesse pour que tout le monde soit tiré vers le haut.”
 
Il tapota légèrement sa poitrine.
 
“On est des Coursiers. On coûte peut-être cher, mais on fait le boulot ! Et si certaines personnes n’aiment pas ça, c’est parce qu’ils ne comprennent pas à quel point notre job est dur. On risque nos vies et notre intégrité physique pour aider les autres.”
 
Le reste des Coursiers dans la pièce sourire devant le discours de Fals. Ils murmurèrent leur accord et il poursuivit.
 
“Donc si on travaille tous ensemble - si on s’entraide - on survivra. Des centaines de Coursiers meurent chaque années, mais les Guildes locales sont celles qui en perdent le moins. On ne prend pas les requêtes dangereuses et on se serre les coudes si l’un d’entre nous est en danger. C’est sûr qu’on ne gagne pas autant que d’autres Coursiers mais au moins on peut compter les uns sur les autres.”
 
Ryoka dévisagea Fals tandis que le reste des Coursiers l’acclamaient. Puis, calmement, délibérément, elle attrapa son poignet et ôta sa main de son épaule.
 
“Joli discours. Mais tu n’es qu’un putain d’hypocrite.”
 
Le sourire de Garia s’effaça. L’ambiance de la pièce se refroidit instantanément. Ryoka dévisagea fermement les autres Coursiers. Elle se tourna de nouveau vers Fals qui la dévisageait d’un air confus. Puis elle secoua la tête.
 
“Tu veux faire un discours du les Coursiers et prêcher l’entraide et les faux-semblants ? PaaS de souci. Mais ne m’inclue pas dans ta petite clique.”
 
Elle pointa le pouce sur sa poitrine.
 
“Je cours pieds nus. Si j’avais quelque chose à foutre de l’opinion publique, je ne courrais pas du tout. Les Coursiers courent. On fait des livraisons. C’est un job, pas une vocation.”
 
Elle regarda de nouveau autour d’elle et cette fois-ci croisa le regard de Garia.
 
“Je me fous de si vous m’aimez ou pas. Tout ce que je suis ici pour faire, c’est livrer des trucs et gagner de l’argent. Je ne veux pas des requêtes à la noix de Magnolia. Si vous voulez gagner sa faveur, débrouillez-vous mais laissez-moi tranquille. Je ne prendrai plus aucune de ses offres si c’est ce que vous voulez.”
 
Fals écarta les mains d’un air impuissant.
 
“On aimerait bien te croire, Ryoka, mais…”
 
“Tu penses que je mens ?”
 
Fals hésita devant l’avertissement dans la voix de Ryoka. Elle avança et il recula.
 
“Je ne mens pas. Et je déteste les menteurs. Quand on fait une promesse, on la tient. Quand on parle, on regarde son interlocuteur droit dans les yeux en pensant chaque mot que l’on dit. Quand je dis que je ferai quelque chose, c’est que je le ferai. Si tu veux faire des livraisons à Magnolia, tu n’as qu’à prendre les putains de requêtes. Je me fous de la politique.”
 
Elle poussa le torse de Fals suffisamment fort pour le faire reculer.
 
“Mais si tu te mets en travers de mon chemin je t’éclaterai la tête.”
 
Fals ouvrit la bouche mais Garia le tira en arrière. Ryoka se retourna et fusilla l’assemblée du regard. Aucun Coursiers ne voulait croiser son regard mais le sentiment général…
 
Elle se dirigea d’un pas vif vers le panneau d’offres et le regarda d’un œil noir. Il était couvert de requête, et aucune pour elle.
 
Aucun intérêt à prendre l’une d’entre elles, elle le savait. Même si elle en amenait une au comptoir elle serait “miraculeusement” déjà prise par un autre Coursier. Et ils iraient la faire de ce pas.
 
Mais… elle eut une idée. Ryoka écarta plusieurs requêtes et en sélectionna une cachée au fond. Elle la ramena au comptoir et la tendit à la réceptionniste.
 
“Celle-là. Je prends la requête pour les Hautes Passes.”
 
“Quoi ?”
 
Teressa cilla. Elle se mit à bégayer.
 
“Celle-ci… mais tu ne peux pas…”
 
“Mauvaise idée, Ryoka.”
 
Fals se dégagea doucement de la poigne de Garia et se plaça de nouveau devant Ryoka. Il paraissait inquiet.
 
“Les Hautes Passes ne sont pas un endroit pour les Coursiers ni même pour la plupart des aventuriers. Celui ou celle qui a mis cette requête ne sait pas ce qu’il fait. Tu ne devrais pas la prendre.”
 
“Pourquoi pas ? Je n’ai rien d’autre à faire.”
 
Ryoka arracha le morceau de papier des mains de Fals. Puis elle sourit.
 
“À moins que tu n’aies envie de la faire ? Je te suivrai pour m’assurer que tu y arrives.”
 
Ryoka adressa à Fals un sourire plein de malice. Il eut un mouvement de recul visible et elle acquiesça.
 
“C’est bien ce que je me disais. Je la prends.”
 
“Tu vas mourir !”
 
Interrompit Garia. Elle rougit lorsque tous les regards se tournèrent vers elle mais elle reprit la parole d’un air désespéré.
 
“Ryoka, Fals a raison. C’est très sérieux. Prends l’une des requêtes de Magnolia ! Les Hautes Passes…”
 
“Je survivrai. Et je ferai la livraison même si c’est dangereux - pas juste pour l’argent. Apparemment, les Coursiers ne pensent qu’à ça.”
 
Ryoka poussa Fals et passa devant Garia. Elle marcha jusqu’à la porte et s’arrêta lorsqu’une autre personne lui barra la route. Persua et son gang de Coursiers dévisageaient Ryoka avec une hostilité non dissimulée. Elle croisa le regard de Persua.
 
“Tu vas aussi essayer de m’en empêcher ?”
 
Le regard de Persua disait clairement qu’elle aimerait l’arrêter, le plus douloureusement possible. Elle jeta ses cheveux en arrière à la manière d’un fouet avec lequel elle aurait voulu fouetter Ryoka.
 
Je n’ai pas besoin de faire quoi que ce soit. Tu vas mourir dans les Hautes Passes.”
 
“Oh vraiment ?”
 
Persua lui répondit d’un air méprisant.
 
“Pourquoi crois-tu qu’aucun des Coursiers expérimentés ne prend ce genre de requête ? Nous sommes suffisamment intelligents pour ne pas risquer nos vies. Nous travaillons ensemble, pas comme toi. Tu mourras seule parce que tu es une idiote.”
 
Ryoka acquiesça.
 
“Tu as probablement raison.”
 
Persua cilla, prise au dépourvu. Fals, Garia et le reste des Coursiers dévisagèrent Ryoka. Ryoka hocha la tête et parcourut de nouveau la foule du regard.
 
“Si je m’y prends à votre manière, je vivrai probablement jusqu’à la retraite. Et peut-être même que je gagnerai beaucoup d’argent, qui sait ? Et si je vous lèche les bottes suffisamment longtemps, vous finirez peut-être même par m’apprécier. Si j’étais comme vous, je ne prendrais pas cette offre.”
 
Elle s’arrêta. Puis elle plongea son regard dans les yeux de Fals pour finir sa tirade.
 
“Dommage que je ne sois pas lâche.”
 
Ryoka se détourna et sortit de la guilde au moment où le silence choqué se brisait et les cris furieux se déchaînaient.
 
***
 
Je brûle les ponts comme je respire. C’est un talent. Je l’ai toujours fait et j’imagine que certaines choses ne changent pas. Moi et ma grande gueule. Je me suis faite virer du lycée pour avoir dit au proviseur ce que je pensais de lui et à présent les autres…
 
Sont en rage. Je les entends hurler lorsque j’ouvre la porte. Mais je souris encore en sortant du bâtiment.
 
Une seule chose a de l’importance. Quelque chose à laquelle je me raccroche même mes jours les plus sombres. Et cette chose, c’est l’intégrité.
 
Je suis ce que je suis. Je suis qui je suis. Et je ne changerai pour personne d’autre que moi-même. Les pays et les cultures ont leurs propres règles. La société pousse et tâte. Tout le monde a ses plans et aucune intention n’est honnête.
 
Mais je ne m’inclinerai devant personne, surtout pas devant des tyrans et des menteurs comme Fals. Donc je souris, même en brisant les liens. Peut-être qu’après ça, de devrai aller ailleurs. En fait, pas “peut-être”. Je devrai probablement trouver une autre guilde si je ne voulais pas me faire broyer les deux jambes, cette fois-ci.
 
Jusqu’où s’étend l’influence de ces Coursiers ? Bon, où que j’aille je serai probablement précédée par un tissu de rumeurs et de mensonges. Et ce sera toujours pareil.
 
Quel groupe de gens petits et minables. Mais quel monde merveilleux. Si je le souhaite, je pourrai courir jusqu’aux bords de ce monde pour trouver un endroit où être libre.
 
Si seulement tout le monde n’était pas aussi mesquin. Enfin, ceux qui ne sont pas comme ça sont comme Fals, qui ne vaut rien non plus, à sa manière. Mais l’une d’entre eux…
 
“Ryoka…”
 
Merde. Garia est la seule personne du groupe à valoir son grain de sel. Dans son cas, elle vaut même bien une petite montagne de sel. Une colline, au moins.
 
Elle trottine pour me rattraper. Une partie de moi veut juste continuer à marcher jusqu’à ce qu’elle abandonne, mais même moi ne suis pas assez méchante pour faire ça. De plus, elle m’a tellement aidée que je lui dois bien ça.
 
Garia hésite en ralentissant pour s’ajuster à mon rythme. Je m’attends à ce qu’elle défende les autres Coursiers, mais elle me surprend.
 
“Je les empêcherai de te tomber dessus si j’y arrive. Mais ils sont en colère. Très, très en colère.”
 
Huh. Mais peut-être que j’aurais dû m’y attendre ? Garia est une fille droite dans ses bottes. C’est pour ça que je l’aime bien.
 
“Ils sont énervés parce que je leur ai dit ce que je pensais de leur petit culte ?”
 
Garia hésita.
 
“Je ne… je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’a dit Fals, Ryoka, mais je pense qu’il a raison sur certains points. Je pense que tu as aussi raison, cependant. Mais tu es unique. Tu… tu peux faire des livraisons toute seule mais certains d’entre nous ont besoin de travailler ensemble. Si la Guilde n’était pas comme ça, on serait plus souvent blessés.”
 
“Donc on travaille ensemble et on traîne dans la boue ceux qui ne sont pas d’accord, c’est bien ça ?”
 
“Je n’ai jamais dit que c’était parfait.”
 
“Une mentalité de meute. Et Fals croit tout savoir. Sommes-nous des chiens ou des dieux ?”
 
Je croyais que c’était une phrase intelligente. Ou stupide. Ouch. Le regard de Garia me fait me sentir comme la pire des connasses.
 
“Ni l’un ni l’autre. On est juste des gens, Ryoka. Et ils ne sont pas parfaits, je sais. Mais on ne peut pas tous être comme toi. Certains d’entre nous doivent travailler ensemble pour survivre.”
 
… Bordel. Ça devient douloureux.
 
“J’aimerais être capable de courir comme toi. Mais je ne peux pas. Je suis trop lente… je ne peux que porter des trucs très lourds au lieu de prendre les offres de livraison rapides. Si ce n’était pour la manière de travailler de la Guilde, je ne pourrais pas courir.”
 
“... Je sais. Mais je n’accepterai pas de me coucher pour eux.”
 
Garia acquiesce, puis prend visiblement son courage à deux mains. C’est le moment où elle va dire ce qui lui tient sur le cœur.
 
“Ne pourrais-tu pas… ne pourrais-tu pas simplement aller parler à Magnolia ? Ce serait si difficile que ça de simplement lui demander… ?”
 
D’un certain côté ? Non. D’un autre côté toutefois…
 
“D’une certaine manière non. Mais d’une autre manière, si. Je n’irai pas dans tous les cas.”
 
“Je savais que tu dirais ça. J’avais prévenu Fals.”
 
Ce bâtard. Il a demandé à Garia de me suivre. Cet espèce de manipulateur…
 
“Quand comptes-tu partir ?”
 
“Maintenant. Fals et les autres Coursiers vont probablement essayer de m’arrêter sinon. Je sais que Persua essaiera.”
 
“D’accord, d’accord.”
 
Soudain, Garia me saisit dans une étreinte d’ours. Et elle est… costaude. Sérieusement, je crois qu’elle va me casser une côte. Mais elle finit par me relâcher.
 
“Va. Je vais essayer de les distraire un petit moment. Et ne meurs pas, d’accord ?”
 
Elle fait volte-face et s’enfuit. Lentement, d’après les standards des Coursiers de ville. Sa posture est vraiment terrible. Mais elle a un grand cœur, et ça en fait la meilleure Coursière du lot selon moi.
 
Okay. Okay. C’était… surprenant ou gratifiant ? Les deux. Et une leçon d’humilité. Mais bon. Il faut que j’y aille.
 
Vérification du corps. Je suis en un seul morceau, et je ne suis pas blessée. Et comme je n’ai pas encore fait de livraison… je dirais que je suis prête au moins à 92%. Parfait.
 
La motivation, de l’autre côté… 60%. Ni bon, ni mauvais. * J’aimerais bien un peu plus, mais j’ai beau être heureuse de pouvoir courir, je ne suis plus émerveillée.
 
* Selon moi, une course est bonne quand je suis au-dessus de 80%. Pendant ces courses j’arrive à me glisser dans la zone et à battre mes records. Evidemment, je peux toujours courir très vite même si je ne suis pas motivée, mais il y a une grosse différence entre les moments où je me sens bien et les moments où je me sens mal. La Ryoka à 80% de motivation pourrait facilement battre à plates coutures la Ryoka à 40% et lui faire bouffer ma poussière.
 
Normalement, c’est suffisant pour n’importe quelle course. Je pourrais faire un marathon dans ces conditions, mais comme tout le monde l’a dit, ces Hautes Passes sont différentes. J’ai lu un peu à leur sujet dans la littérature locale et…
 
Oui, je risque de mourir. Donc il faut que je me prépare un peu avant de partir, et vite. Heureusement, je suis à Celum, et encore mieux, il y a un certain Minotaure et un groupe d’aventuriers à mon auberge.
 
Je me mets à courir à l’auberge. Garia pourra sans doute ralentir les autres Coursiers, mais je doute qu’elle arrive à me faire gagner plus d’une minute. Je vais faire un arrêt minute à l’auberge et décoller.
 
Il faut que je me dépêche de toute façon. C’est déjà midi, et les Hautes Passes sont suffisamment loin pour qu’il me faille me dépêcher. Je devrai atteindre un lieu à mi-chemin à l’intérieur de la passe, donc j’aurai besoin de provisions. Et les Cornes d’Hammerad sont les seules personnes qui voudront bien me prêter des trucs. Si je ne compte pas Magnolia. Elle peut aller se faire foutre avec le reste des Coursiers.
 
Bordel. Je déteste ne pas avoir d’argent.
 
***
 
Les contre temps.
 
Ryoka essaya de ne pas serrer les dents. Elle détestait les contre temps. Mais les explications prenaient du temps, surtout quand ceux à qui elle les faisait étaient longs à comprendre.
 
Gerial cilla encore une fois. Ryoka les avait trouvés alors que lui, Ceria, et le magicien des Cornes d’Hammerad étaient en train de déjeuner.
 
“Laisse-moi résumer. Tu pars faire une livraison dangereuse, et tu as besoin de notre aide. Et… tu veux qu’on prenne tes possessions ?”
 
Ryoka acquiesça.
 
“Je vais partir pendant au moins une journée, et le reste des Coursiers vont probablement mettre ma chambre à sac quand je serai partie.”
 
“Pourquoi feraient-ils ça ?”
 
Ryoka haussa les épaules.
 
“Si Persua ressemble à d’autres filles que j’ai connues, c’est l’une des premières choses qu’elle fera. Heureusement que je n’ai pas de chaussures, sinon elle les remplirait de punaises.”
 
Là encore, Gerial cilla d’un air d’incompréhension. Mais Ceria acquiesça.
 
“On gardera tes trucs. Les Coursiers n’oseront pas cambrioler la Guilde des Aventuriers et on a notre propre espace de stockage. Mais que disais-tu à propos d’une aide ? On pourrait t’escorter aux Passes, mais Calruz n’est pas là et on est en sous-nombre. Et franchement, même au complet on ne serait pas capables d’aller très loin dans les Passes.”
 
“Je n’ai pas besoin d’escorte. J’ai juste besoin de provisions. Des potions de soin, de la nourriture… je les achèterais bien moi-même mais je n’ai plus d’argent. Je vous rembourserai le double de ce que je vous aurai emprunté.”
 
Gerial et Ceria échangèrent un regard. Il acquiesça. Elle récupéra son sac de voyage de sous la table.
 
“J’ai quelques potions de soin là-dedans. Et quelques rations sèches. Suffisamment pour quatre repas.”
 
“C’est largement assez.”
 
“Alors prends-les.”
 
Ceria sortit plusieurs potions colorées de son sac et les tendit à Ryoka.
 
“Elles sont de meilleure qualité que celles que tu trouverais au marché, de toute manière. Et tu en auras besoin.”
 
Ryoka hésita.
 
“Tu es sûre ? Je peux en acheter…”
 
“On n’a pas encore de contrat et Calruz n’est toujours pas rentré. Prends les potions, Ryoka. Si ce qu’on a entendu dire des Hautes Passes est vrai, tu vas en avoir besoin.”
 
Elle avait raison. Ryoka acquiesça et se mit à remplir son propre sac avec les potions. Elles étaient de diverses teintes rouges et jaunes. Ryoka attache ces dernières à l’extérieur de son sac pour pouvoir les atteindre rapidement.
 
Les potions de soin jaunes faisaient bizarre à Ryoka, mais apparemment la couleur n’avait pas vraiment d’importance pour la plupart des potions. N’importe qui pouvait rajouter du colorant alimentaire dans une bouteille pour colorer une potion de la couleur qu’il voulait. Elle supposait qu’elle devait s’estimer heureuse que les potions de soin ne ressemblent pas à du vomi. Elles en avaient le goût mais c’était une autre histoire.
 
Ryoka posa doucement son sac par terre à côté de celui de Ceria.
 
“Merci. Vraiment.”
 
Gerial fronça les sourcils, inquiet.
 
“Je ne suis pas certain d’être d’accord avec tout ça. Tu es sure que tu dois faire ça ? Si la Guilde des Coursiers te cause tant de problèmes, pourquoi ne pas aller chercher du travail ailleurs ?”
 
Ryoka secoua la tête.
 
“J’ai pris une requête de livraison. La récompense est de quarante pièces d’or.”
 
Les trois aventuriers sifflèrent.
 
“De plus, si je prends cette requête, je devrais pouvoir retrouver du travail même s’ils continuent d’essayer de me bloquer. J’ai juste besoin de sous.”
 
“On pourrait t’en prêter…”
 
“Non.”
 
Ryoka se leva.
 
“Je vais récupérer mes affaires.”
 
Gerial la regarda, impuissant, monter dans sa chambre. Le mage lui tapota gentiment l’épaule.
 
“Bien essayé. Mais elle est déterminée, pas vrai ?”
 
“Je ne savais pas que la Guilde des Coursiers était comme ça.”
 
Ceria secoua la tête.
 
“C’est pareil dans toutes les guildes. La nôtre est pareil.”
 
“Mais…”
 
“Crois-moi, Gerial. Si tu regardes de plus près tu verras que les mêmes choses se répètent encore et encore. Les humains sont comme ça.”
 
Les deux hommes regardèrent Ceria du coin de l’œil mais ne firent pas de commentaire. Ils regardèrent les escaliers, silencieux dans le brouhaha général de l’auberge. Ils ne virent pas la fille que Ryoka avait décrite comme ayant un visage exigu se faufiler vers les sacs au sol et en réarranger vivement le contenu.
 
Quelques minutes plus tard, Ryoka redescendit les escaliers, tellement encombrée qu’elle faillit renverser une serveuse. Elle avait entassé toutes ses possessions dans ses bras et elle les lâcha sur la table, quasiment dans les assiettes des aventuriers. Ce n’est que grâce au coup de poignet vif de Ceria que les bols et les assiettes parvinrent à s’envoler sur la table voisine.
 
“Voilà.”
 
Ryoka n’avait pas grand-chose. Juste quelques vêtements, le bandage magique, et quelques livres qui intéressaient beaucoup Ceria. Elle tendit le tout à Gerial, ignorant ses joues rouges lorsqu’elle lui tendit ses sous-vêtements et l’équivalent d’une brassière de sport. Puis elle hésita et sortit un dernier objet de sa poche.
 
“Prenez-en soin. C’est très fragile.”
 
Gerial cligna des yeux devant le rectangle de métal et de plastique dans ses mains. Il n’avait jamais vu son pareil - pour tout dire, la coque lisse de l’iPhone lui était complètement et horriblement étrangère.
 
Ceria se pencha par-dessus la table, soudain fascinée. L’autre mage et elle regardaient fixement l’iPhone d’un air ébahi.
 
“Qu’est-ce que c’est que ça ?”
 
“Un appareil. J’expliquerai si je rentre.”
 
Gerial le tint à bout de bras.
 
“Est-ce que… est-ce que ça va faire quelque chose ?”
 
Ryoka secoua la tête, d’un air presque triste. Elle toucha l’écran vide d’un air de regret.
 
“Il est cassé. Juste… prenez-en soin. N’y posez rien de lourd dessus et ne le faites pas tomber.”
 
“S’il est cassé, tu ne peux pas le réparer ?”
 
Ryoka sourit comme si Gerial avait fait une blague très drôle.
 
“Aucun forgeron ou artisan au monde ne pourra le réparer. Crois-moi.”
 
“Et pourquoi pas un mage ?”
 
“Quoi ?”
 
Le mage haussa les épaules. Il poussa ses assiettes sur le côté et ramassa une baguette dégageant une faible lueur posée sur la table.
 
“Tu veux bien me laisser essayer un sort ?”
 
Ryoka hésita. Elle semblait clairement déchirée, mais elle acquiesça. Lentement, elle tendit l’iPhone au mage. Il l’inspecta, parcourant l'écran tactile d’un doigt léger.
 
“Quel savoir-faire exquis. Je ne détecte aucun défaut, mais peut-être que les dégâts sont à l’intérieur ? Dans tous les cas, si ce n’est pas une création magique…”
 
“Ce n’est pas le cas.”
 
“Alors ça devrait marcher. [Réparation].”
 
Le mage agita sa baguette en un demi-cercle puis tapota l’iPhone. L’extrémité de la baguette émit un flash vert lorsqu’elle toucha la coque…
 
Et l’iPhone revint à la vie.
 
Ceria émit une exclamation étouffée, mais la réaction de Gerial fut bien plus spectaculaire. Il se propulsa en arrière sur sa chaise et s’étala au sol sous l’effet de la surprise. Ryoka se contenta de regarder l’iPhone fixement. Une seconde. Deux secondes.
 
“Fait.”
 
Le mage sourit et tendit son iPhone à Ryoka. Il regarda avec fascination l’écran aux couleurs vives, puis le visage de Ryoka. Elle regardait juste l’iPhone dans sa main. Encore et encore. Mais alors elle toucha l’écran et fit glisser son doigt.
 
L’affichage se modifia. Ceria et le mage étaient de plus en plus ébahis, peut-être parce qu’ils ne sentaient pas de magie émaner de l’iPhone malgré ce qui était en train de se passer, mais Ryoka se contenta de soupirer. Elle se tourna vers le mage.
 
“Désolée, je n’ai jamais eu ton nom. Ou j’ai peut-être oublié. Comment t’appelles-tu ?”
 
Il cilla, puis sourit.
 
“Sostrom Reidez, à votre service Miss Ryoka Griffin.”
 
“Sostrom.”
 
Ryoka lui prit la main et la serra. Elle le regarda droit dans les yeux.
 
“J’ai une immense dette de gratitude envers toi.”
 
Sostrom rougit légèrement. Il était dans la trentaine, ou dans la fin de sa vingtaine, mais malheureusement chauve - sauf des sourcils. Il tira son chapeau pointu un peu plus bas sur sa tête.
 
“Ce n’était rien, vraiment. Un simple sort…”
 
“Pas un simple sort.”
 
Ryoka lui sourit. Dans la lumière tamisée de l’auberge, l’iPhone éclairait son visage.
 
“Pas un simple sort. Un jour, il faudra que tu me l’apprennes. Si je peux faire de la magie, ce serait pour ne jeter que ce sort-là. Et à présent… ces connards ne vont rien comprendre à ce qui va leur arriver.”
 
Elle se tourna et sortit de l’auberge. Les trois Cornes d’Hammerad échangèrent un regard puis se levèrent pour la suivre. Ils n’auraient pas su dire quoi... mais quelque chose en Ryoka avait changé au moment où Sostrom avait réparer son téléphone.
 
Elle avait l’air différente.
 
Elle était différente.
 
***
 
L’iPhone est chaud dans ma main, et le monde me paraît différent à présent. Les couleurs vives de ce monde sont très, très différentes des couleurs artificielles sur l’écran. Les deux sont magnifiques à leur façon.
 
Il est réparé. Complètement, totalement. La batterie indique 100% au sommet de l’écran. Et c’est la chose la plus glorieuse qu’il m’ait été donné de voir si j’oublie la guérison de ma jambe. Et il est réparé.
 
Je sens à peine mon corps en sortant. On dirait que je flotte dans un monde qui m’est propre. Jambes - opérationnelles. iPhone - opérationnel. C’est tout ce dont j’ai besoin.
 
Il est temps. Temps de faire ce que j’ai toujours voulu faire.
 
Je m’avance au milieu de la rue. Aucun chariot n’est en vue, et les piétons sont principalement en train de déjeuner. Certains regardent mon iPhone, mais je ne suis qu’une Coursière parmi d’autres. Tout ce que j’aime.
 
Sauf évidemment qu’il y a toujours quelqu’un pour regarde. Ceria, Gerial et Sostrom sont sortis de l’auberge pour me regarder partir, mais je peux voir plusieurs Coursiers de Rue nonchalamment adossés le long de la rue. Prêts à me suivre et à m’intercepter ? Probablement.
 
Et bien sûr, je ne vois personne d’autre, mais j’e ressens un picotement à l’arrière de la nuque. Je me demande si Lady Magnolia engage des assassins, et si ses servantes ont un large panel de compétences. Ou peut-être que c’est quelqu’un d’autre. Qui sait ? Qui s’en inquiète ?
 
La mort. C’est ce que les gens me disent que je vais trouver dans les Hautes Passes. Et ils ont raison. C’est probablement l’endroit le plus dangereux de la région. Et même si ce n’est pas une mort certaine, c’en est plus proche que ce qu’une personne saine d’esprit tenterait.
 
Mais je ne suis pas saine d’esprit. Et je ne suis pas non plus une personne normale. La peur et l’euphorie se partagent mon cœur à parts égales en cet instant. Je veux les voir. Quelqu’un me dit que quelque chose est mortel et dangereux ? Je veux le voir de mes propres yeux.
 
De plus, qu’est-ce qui est normal dans ce monde ? Qu’est-ce qui est sain ? Depuis que je suis arrivée ici, j’ai lentement reconstitué le puzzle de la véritable forme de cette planète de fous. D’ici, on pourrait croire qu’on y est relativement en sécurité, une sorte de culture médiévale avec des avancées techniques de plusieurs siècles grâce à la magie, mais ce n’est pas le cas. Je le sais.
 
Dans ce monde, la sauvagerie menace la paix fragile de la civilisation. Bien que les races pensantes de ce monde soient nombreuses et possèdent la technologie et la magie, leur survie ne tient qu’à un fil. Quand le nombre de zombies augmente ou que les choses enfouies aux confins de la terre s’aventurent à la lumière, les nations brûlent.
 
Les livres que j’ai achetés m’ont appris des choses différentes que celles que me disaient les gens. C’est parce que les livres sont écrits par des individus, alors que les gens peuvent être très bêtes. Les gens ne savent que ce qu’ils veulent savoir. Les individus qui ont écrit mes bouquins ont monté leur affaire sur le fait de savoir un maximum de choses.
 
La paix et la stagnation. La guerre ne change pas. Ce continent est décimé par elle. Les nations humaines se battent contre les non-humains du sud, envoyant des armées se battre et mourir dans les Plaines Sanglantes chaque année. Une guerre distinguée ayant juré de ne se battre qu’à un endroit donné ? Non. Mais le coût d’une véritable guerre lors de laquelle des cités sont rayées de la carte est trop élevé pour les deux côtés en ce moment. Donc c’est plutôt une longue guerre d’usure, durant laquelle les alliances ont le temps de changer. Dans tous les cas, l’environnement et les attaques de monstres causent suffisamment de problèmes aux Cités-Etats.
 
Mais ce continent est calme. Comparé à d’autres.
 
À l’est, de l'autre côté des mers, le Roi Maudit mène une guerre éternelle contre les tribus de monstres et les démons. Son continent est en guerre depuis deux mille ans et sa nation est l’une des dernières à ne pas avoir été consumée. Des nations envoient leurs propres armées supporter la sienne, mais son peuple n’a jamais connu la paix. Leurs héros et leurs soldats sont les plus pauvres et les plus forts. Il mène une guerre quotidienne dont il perd un peu plus de batailles chaque année.
 
Au sud, un désert interminable empêche les armées d’envahir les terres plus fertiles. La pauvreté est omniprésente là-bas aussi, mais les nations se battent pour avoir ce qu’il reste comme une meute de chiens affamés.
 
Un jour, un chef de guerre extraordinaire est parvenu à conquérir tout le putain de continent et commençait à balayer celui-ci lorsque son empire s’est soudain effondré. Aucun livre n’explique pourquoi. Ce roi n’est pas mort - ni n’a été blessé. Mais il a abandonné ses rêves de conquête du monde. À présent, il siège dans son royaume en ruines tandis que d’autres pays démembrent pièce par pièce le prestigieux empire qu’il avait unifié. Le Roi de la Destruction dort.
 
Le continent au nord de celui-ci est rempli d’humains. Ils ont civilisé leurs terres et ont créé un continent où vivre en paix, ou du moins avec moins de monstres. Malgré cela, ils se battent entre eux dans une bataille interminable pour la suprématie. Leurs familles royales cachent des artefacts puissants dans leurs coffres mais ont peur de les utiliser au cas où cela entraînerait une destruction mutuelle assurée.
 
D’autres nations. J’ai lu des choses à leur sujet. Les océans à l’ouest sont pour la majeure partie inexplorés, mais j’ai lu qu’il y existait un continent proche d’une jungle, avec peu de cités et où les tribus avaient repoussé toutes les armées venues essayer de les conquérir. Une Amérique suffisamment forte pour résister aux envahisseur coloniaux.
 
Une armée de Minotaures comme Calruz se battent également contre… quelque chose au sud-est. Un quelconque ennemi du monde suffit à garder un million de Minotaures dans un état constant de paix et de guerre. Enfin, un million est le nombre écrit dans le livre, mais les informations dataient de plusieurs dizaines d’années. Mais l’Empire de Minos a ses propres mœurs étranges dont les humains et les autres races ne veulent pas entendre parler pour une raison qui m’est inconnue.
 
D’autres continents, d’autres îles et des lieux que mon livre ne pouvait que mentionner. Une calotte glaciaire Antarctique avec des pics de glaces plus hauts que des gratte-ciels. Un cimetière de bateaux naufragés et un maelstrom sans fin. Une île légendaire où les mages se rassemblent pour apprendre des sorts et où chacun est libre d’étudier. Des mythes de royaumes célestes anciens qui seraient tombés dans la mer.
 
Ce sont les légendes et les merveilles dont ce monde est pétri. Et pourtant, je suis ici, à l’un des endroits les plus ennuyeux, des plus sûrs du monde et les gens me disent de faire attention aux Hautes Passes comme si c’était là que résidait le danger ? Malgré les troubles, on est dans une ère de paix. Toutes les terribles batailles sont finies depuis longtemps.
 
Les Dieux sont morts à la guerre des dizaines de milliers d’années plus tôt. Comme je savais quoi chercher, j’ai lu des indices sur l’existence des Elfes, mais aucun livre mentionnant une liste de leurs pays ou nations où que ce soit. Les Nains sont cachés au cœur de montagnes qui réduisent l’Himalaya à de petites collines.
 
L’âge des grandes guerres, des mythes et des légendes est achevé. La magie demeure, mais ceux qui la pratiquent se sont effacés. Les nations sont en guerre, mais l’équilibre des pouvoirs est resté le même.
 
Ce n’est pas un temps pour les héros. Et cela me va très bien. Je ne suis pas une héroïne. Mais je veux voir ce qu’il en reste. Je veux voir les merveilles qui se cachent dans ce monde. Car j’en suis certaines : elles sont légions.
 
Le monde que j’ai vu jusqu’ici - les villes et les gens d’ici - sont tellement mesquins. Seules leurs misères et ce qu’ils pensent les uns des autres leur importe. Magnolia a beau être rusée, elle n’est qu’une petite propriétaire de terrain dans une petite partie du monde. Et c’est merveilleux.
 
La pire chose qui est arrivée dans mon monde est la mondialisation. Quand on a atteint le bout de la terre, on a perdu notre curiosité, notre volonté de grandir. Mais je la sens. Elle m’appelle.
 
L’aventure. Pure et simple.
 
Je vois les autres Coursiers en train de m’épier. Mais je n’en ai cure. L’iPhone au creux de ma main est chaud.
 
Je tapote l’écran et il s’allume. Gerial et le reste des Cornes d’Hammerad s’exclament encore une fois, et même Ceria a l’air émerveillée. Mais pour moi, c’est comme revoir un vieil ami.
 
Un vieil ami. Un iPhone 4, pour être précise. Noir, lisse. Il était plein de rayures et d’impacts accumulés le nombre de fois où je l’avais fait tomber, mais à présent le plastique brille au soleil. On dirait qu’il sort à peine de l’emballage.
 
Glisser pour déverrouiller. Pas de mot de passe. Si je perds mon iPhone je mérite de le laisser se faire hacker. Non pas qu’il y ait beaucoup de choses dessus. Quelques livres, des fichiers sauvegardés, une liste de contacts vide, des utilitaires comme Safari qui ne sont pas utiles ici… une seule chose remplit presque entièrement les 32GB de mon téléphone.
 
La musique.
 
Tout est là. Des milliers de chansons, certaines extraordinaires, d’autres médiocres. Mais chaque chanson que j’ai pu aimer dans ma vie et pu télécharger plus ou moins légalement est ici. Tout est là.
 
Je ne peux pas m’en empêcher. J’éclate de rire. Un rire qui rend hommage au salut pur et joyeux de la magie. Elle m’a donné tout ce que j’ai toujours voulu. Mes ailes, et maintenant ma musiques. Avec ça… avec ça…
 
Je suis libre.
 
***
 
Ryoka regarda son iPhone et se mit à rire. Pour elle, c’était un rire joyeux. Mais pour tous les autres…
 
Gerial et Sostrom s’écartèrent de Ryoka et les gens dans la rue lui lancèrent un regard qu’ils détournèrent aussitôt. Ceria ne put que sourire d’étonnement.
 
“Quel rire machiavélique.”
 
Peut-être que Ryoka l’entendit, parce qu’elle s’arrêta. Elle plongea la main dans sa poche et en sortit deux écouteurs. À la confusion de tous ceux qui observaient la scène, elle les brancha dans son iPhone puis dans ses oreilles. Puis elle se retourna et se mit à courir à petites foulées.
 
Les Coursiers de Rue quittèrent leurs positions et se mirent à la suivre, mais Ryoka accéléra brutalement le rythme. Elle disparut au loin devant les yeux des Cornes d’Hammerad.
 
“Qu’est-ce que vous pensez que c’était ? Tu as déjà vu quelque chose comme ça à Wistram, Ceria ?”
 
Ceria se tourna vers Sostrom et haussa un sourcil.
 
“Aucune idée. De plus, ce n’était absolument pas magique. Que c’est étrange. Mais je vois à présent pourquoi Magnolia est tellement fascinée par Ryoka et …”
 
Une idée lui vint. Elle plongea la main dans le sac qu’elle avait amené avec elle, à présent rempli des vêtements de Ryoka, et se mit à fouiller dedans.
 
“Et…”
 
Ceria pâlit en vérifiant ses sacoches et en sortit une potion bleue.
 
“Oh non. Comment est-ce possible ? Je vous jure que j’avais vérifié…”
 
“Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?”
 
Elle se tourna vers Gerial et Sostrom et leur montra la potion qu’elle avait dans les mains.
 
“Les potions que je lui ai données… la moitié étaient des potions de mana.”
 
Ils la dévisagèrent, frappés d’horreur. Mais quand ils se retournèrent pour crier, Ryoka était partie depuis longtemps. Elle courait. Et elle n’aurait pas pu les entendre, de toute façon.
 
La musique était sur le point de commencer.
 
***
 
Ryoka sentit les autres Coursiers de Rue essayer de suivre le rythme alors qu’elle fonçait à travers les rues, esquivant les piétons et leurs jurons et se tenant loin de tous les chariots, les wagons ou n’importe quel gros véhicule. Les pavés étaient merveilleusement lisses sous ses pieds.
 
Hm. Les Coursiers de rue tenaient bien le rythme. Elle pouvait s’y attendre, elle devait esquiver trop de choses à son goût. Mais ils n’étaient pas malins. Ils ne savaient pas comment équilibrer leur poids pour tirer profit de chaque foulée au maximum, ni comment prendre rapidement les virages. Ils n’étaient que des amateurs talentueux, ou pour la plupart, simplement des amateurs.
 
Ryoka atteint les portes et sentit d’autres Coursiers la suivre. Des Coursiers de Ville. Ils étaient plus rapides. Elle se demanda si Persua était dans la foule, en train d’essayer de la rattraper. Eh bien, ils pouvaient préparer autant de pièges qu’ils voulaient, il leur faudrait déjà l’attraper. Elle courait déjà plus vite que d’habitude, mais c’était le moment.
 
Elle pouvait à peine contenir l’excitation brûlant dans sa poitrine. Enfin. Après si longtemps, l’idée même lui donnait la chair de poule. Ryoka courut en gardant l’iPhone dans sa main. Elle parcourut les pages, sélectionna l’application de musique. Et là… c’était au sommet de l’écran, une paire de flèches croisées.
 
Elle pressa le bouton.
 
Mode aléatoire.
 
***
 
J’ai fait des courses, des marathons, et même un ultra-marathon, une fois. J’ai couru à travers la neige, la pluie, la grêle, à travers le tonnerre et les éclairs et même des ouragans. Mais je n’ai jamais couru comme ça.
 
La motivation. Après tant de temps à courir dans le silence, dès l’instant où j’entends les premiers accords de guitare la force dans mes jambes est démultipliée.
 
“Sweet Home Alabama” tonne dans mes oreilles alors que je fonce hors de la ville. Les paroles de Lynryrd Skynryrd explosent dans mes oreilles tandis que j’amasse de la vitesse, éparpillant des Coursiers à droite et à gauche. La musique n’est pas la meilleure pour courir - mais c’est loin d’être la pire. Et ce n’est pas tellement la chanson qui importe à ce moment. C’est juste la musique.
 
Courir. Musique. Courir en musique. La meilleure chose de toute l’histoire à avoir été inventée. Cela enlève la douleur de la course et me met directement dans la zone. Je pourrais courir pieds nus sur des clous et…
 
C’est une idée stupide. Mais je pourrais probablement esquiver la circulation sur une autoroute et faire un six-minute mile sans jamais m’arrêter en écoutant de la musique. Comment se fait-il que cela puisse à la fois me déconnecter complètement de ma course tout en me faisant me concentrer encore plus dessus ? Je ne sais pas.
 
C’est juste la musique.
 
Sweet home Alabama, where the skies are so blue. J’ai toujours voulu aller en Alabama juste pour courir en écoutant cette chanson.
 
Un mouvement. Un tas de Coursiers devant moi. Fals et quelques-uns des Coursiers de Ville de plus haut niveau. Ils veulent m’intercepter et ils sprintent le plus vite qu’ils peuvent. Et c’est peut-être dû à du talent ou à une Compétence, mais ils sont tellement rapides qu’ils pourraient m’attraper.
 
N’importe quel autre jour.
 
Je n’ai même pas à baisser les yeux. J’ai mémorisé l’emplacement du bouton suivant et mon doigt le trouve immédiatement. Ce n’est pas que je n’aime pas une bonne vieille chanson de rock country, mais si je dois y aller à fond, il va me falloir quelque chose de plus rapide. Le dieu de l’aléatoire fait son tour de magie. Et je l’entends.
 
Oh. Bon sang, oui. Je sais dès que la première cloche tinte de quelle chanson il s’agit. “I Will Not Bow” de Breaking Benjamin. Puis la guitare et la batterie explosent et tout disparaît. Je cours comme je n’ai jamais couru.
 
J’aperçois brièvement le visage stupéfait de Fals avant que je ne passe en coup de vent devant lui et le reste des Coursiers de Ville. Ils ne peuvent même pas tourner la tête assez vite pour me voir. Le paysage se brouille et disparaît sous mes pieds. Je cours aussi vite que le jour où j’ai retrouvé ma jambe. Aussi vite. Plus vite.
 
Je suis l’Heavy metal. Je suis le death et le rock. Je cours et la course devient moi. Nul ne m’arrêtera.
 
Le chanteur hurle dans mes oreilles et je continue ma course. Les Hautes Passes m’attendent. Une requête de livraison mystérieuse, des monstres mortels, et du mystère. Je laisse un peu plus derrière moi les intrigues, les Coursiers en colère, et les querelles mesquines à chaque foulée. Devant, toujours devant. Je cours et la musique efface la douleur du monde et je cours pour empêcher la mort de me rattraper.
 
Enfin.
 
Je suis libre.


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 18 avril 2020 à 11:56:38
R 1.08
Traduit par EllieVia


Je commence à ralentir après une vingtaine de minutes de sprint. Pas parce que je n’ai plus envie de courir plus vite mais parce que je sais que la route est encore longue.

Je réduis donc mon rythme. Je passe d’un record de vitesse à un trot soutenu. Un peu plus rapide que d’habitude, mais je ne peux pas m’en empêcher.

J’ai la musique.

En ce moment, je cours au son de la musique au rythme pas si rapide de Twenty-One Pilots, “Heathens”. J’adore. Et le film pour lequel elle a été écrite - Suicide Squad… je voulais vraiment le voir, même si je me doute qu’il ne devait pas être aussi terrifiant que ce que j’avais espéré. Déconseillé aux moins de treize ans ? Sérieusement ?

Il est sorti seulement un mois avant que je n’arrive dans ce monde. J’avais prévu d’y aller mais je n’arrêtais pas de repousser. J’imagine que je ne le verrai jamais, à présent.

Hm. Penser à chez moi, ou au monde d’ù je viens, fait toujours un peu mal. Mais c’est plus comme une épine que j’aurais déjà ôtée de mon pied* il y a un petit moment. C’est toujours douloureux, mais l’endroit où j’ai atterri compense un peu la perte que je ressens. Parfois, c’est juste de la merde, mais au moins…

*Plus d’une fois. Ça fait mal, bien plus que de marcher sur du verre. Pour tout dire, les coureurs pieds nus marchent rarement sur du verre. Tout le monde pense que si, mais si vous courriez pieds nus, est--ce que vous iriez mettre vos pieds sur du verre brisé ? Sérieusement. Pensez-y.

Ouaip. Au moins la vue est magnifique.

Le paysage s’étend à perte de vue, des collines verdoyantes et une route de terre qui se déroule sous mes yeux, rarement ponctuée de désagréments comme des pierres ou, au loin, de petites constructions. C’est la vue la plus splendide pour un Coursier.

Pour tout dire, le paysage me rappelle beaucoup la Mongolie. Il m’arrivait de me perdre dans les images des prairies de là-bas et de rêver d’y courir seule pendant des jours. Mais le paysage qui m’entoure fait passer la Mongolie pour un petit café hipster coincé au milieu d’une grande ville.

Ce monde est grand. Et même ce mot est trop petit pour comprendre la terre qui m’entoure. Infinie est probablement le meilleur terme pour décrire cette planète. Même le ciel est plus grand, ou du moins il me semble. Mais comment marcherait la gravité si c’était le cas ?

Par magie. Probablement. Dans tous les cas, j’avais dit que j’arrêtais de penser à ça. Concentre-toi, Ryoka. Pense à ton boulot.

Hm. Voyons voir. J’ai distancé Fals et le reste des connards qui essaient de se faire passer pour des Coursiers. C’est déjà un excellent début. À présent, réfléchissons. Celum est loin des Hautes Passes. À la vérité, a ville la plus proche des passes est Liscor, bien qu’il faille faire le tour de la chaîne de montagnes pour y accéder.

Dans tous les cas, je peux me détendre. Je cours à un rythme soutenu, mais je n’y serai pas avant plusieurs heures. Je me détends donc, et laisse mon esprit vagabonder.

***

Cours. Cours et mange. Cours et arrête-toi pour pisser. Cours et ralentis pour marcher un peu. Normalement, je serais en train de réfléchir pendant tout ce temps mais je me contente d’écouter la musique. Cela fait tellement longtemps que chaque musique me semble nouvelle et incroyable à écouter.

J’arrête de temps en temps la musique pour me concentrer. En tant que Coursière, c’est important d’être consciente de ce qui m’entoure. Et quelques détails me chagrinent.

Premièrement, je connais le paysage local. Dans le coin… dans le nord du continent de manière générale, la géographie alterne entre des terres relativement plates et des passes montagneuses qui mènent aux continents austraux. Certes, il y a quelques forêts denses plus au nord et à ce que j’ai entendu, plusieurs grosses rivières qui créent un réseau de transport qui rend les Coursiers un peu obsolètes. Mais c’est le nord, et je ne suis pas encore allée aussi loin.

De la même manière, je ne suis pas descendue au sud plus loin que Liscor. C’est là que le coin devient dangereux, apparemment. Des marécages, des zones montagneuses, et ce que les gens du coin appellent les Champs Sanglants dominent la majeure partie de la section sud. Pas étonnant qu’aucun humain ne s’y rende.

Donc je suis en train de courir dans l’un des meilleurs endroits du continent - les plaines. Les seuls monstres dans les parages sont des Gobelins et quelques spécimens de monstres un peu plus faibles. Mais plus j’approcherai des Hautes Passes, plus les probabilités de tomber sur quelque chose de dangereux augmenteront. Je ne sais pas exactement quel genre de monstres vivent dans les montagnes, mais ils relèguent les monstres vivant dans les terres humaines au rang d’adorables créatures.

C’est le premier problème. Le second, c’est qu’une nuée de lucioles est en train de me suivre.

Des lucioles. Ou… des étincelles animées ? C’est la description la plus fidèle que je puisse ne faire. C’est comme… c’est peut-être comme une sorte de manifestation magique ? Ces… symboles ne cessent de clignoter autour de ma tête et je jure que j’entends quelque chose à chaque fois que ces éclairs colorés passent autour de ma tête. Ils essaient sans cesse de s’accrocher, mais à chaque fois qu’ils tentent le coup j’accélère et les laisse derrière moi.

C’est probablement une sorte de malédiction. Je ne sais pas si Persua a assez d’argent pour engager un mage ou s’il est possible d’invoquer un éclair pour me griller, mais je ne compte pas faire face à ce truc, quel qu’il soit.

Continue de courir. J’aimerais simplement que la personne qui lance le sort abandonne. Ça devient agaçant. Mais je peux toujours augmenter le volume de ma musique pour faire disparaître le discours gargouillant. Okay. Quoi d’autre ?

J’ai mémorisé et noté les détails de la requête ouverte, et grand bien m’en fasse. C’est une requête de livraison de colis, mais je n’ai aucune idée de la nature du colis en question ou de l’identité de la personne qui requiert la livraison. C’est toujours le côté incertain des requêtes ouvertes, et aussi la raison pour laquelle peu de Coursiers veulent bien les accepter. Mais la récompense est extraordinaire, et ça me suffit.

L'avantage avec les requêtes ouvertes, c’est que je me rends au lieu indiqué et que je reçois ma paie en avance. L’expéditeur me dit où aller et on peut négocier un deuxième prix, ou je ramène la livraison à la Guilde où quelqu’un pourra finir le travail.

Ce n’est pas le meilleur des systèmes, mais il fonctionne et il permet de s’occuper des zones où l’identification et la sécurité ne peuvent pas être assurées. Apparemment, toutes les livraisons fonctionnaient plus ou moins comme ça avant, mais le nouveau système mis en place par la Guilde des Coursier est plus sûr pour les Coursiers.

Je suis peut-être en train de courir dans un piège. Pitié, faites que ce ne soit pas un piège.

Bref, dans tous les cas, je cherche une caverne le long de la route principale* des Hautes Passes. Elle sera marquée d’une sorte de bannière jaune.

*J’utilise le mot “route” au sens le plus large du terme. C’est plus un terrain vaguement plat qui file à travers les montagnes, entre les passes pierreuses et le réseau de cavernes, qu’une route.

C’est tout ce que j’ai comme information, et je ne suis plus qu’à quelques kilomètres des Hautes Passes. Je peux à présent apercevoir les montagnes dressées devant moi, des gigantesques masses de pierre couleur rouille qui tutoient le ciel. Et elles sont immenses. Je peux lever les yeux sans voir la masse montagneuse diminuer avant de disparaître dans le ciel brumeux et nuageux au-dessus d’elles.

Une montagne plus haute que l’Everest ? Peut-être pas, mais c’est probablement à peu près l’idée. Et ce n’est qu’une montagne au milieu de la chaîne. Cette dernière forme une barricade impénétrable, hormis à travers le petit espace qui dessine un passage à travers les passes.

Bon, par petit espace, j’entends une route aussi large que deux terrains de foot mis côte à côte. Et là encore, je parle de route mais si c’en est une, c’est la plus merdique du monde. Celle-ci a des rochers éparpillés un peu partout et plus gros que des chênes bicentenaires. Mais elle est à peu près plate, et ça suffira.

J’espère vraiment ne pas me couper les pieds sur les rochers. Ça devrait aller, mes cals sont vraiment durs, mais…

Quelque chose passe devant mes yeux et s’écrase dans l’herbe. Instinctivement, je plonge par terre, et c’est alors que je les vois. Une horde de petits hommes verts, sauf qu’on ne parle pas d’aliens, ici.

“Merde.”

J’imagine qu’écouter de la musique à fond n’est pas vraiment une bonne idée quand on est censé rester à l’affût du moindre danger. C’est probablement la raison pour laquelle je ne remarque le groupe de Gobelins que maintenant qu’ils me sont presque dessus.

Ils commencent à m’encercler, une foule de Gobelins. Pas trop grosse, du moins selon leurs standards, mais ils sont quand même nombreux. Je n’ai pas le temps de les compter. Ils sont vingt… trente ? Certains ont des arcs, comme celui qui vient de me tirer dessus, mais la plupart ont des armes. Des épées rouillées, des dagues, et même un bouclier ou deux. Mais ils n’ont pas d’armures, ils portent des loques.

Ils pourraient me découper en morceaux en quelques secondes. Et ils m’ont encerclée, ce coup-ci.

C’est pas bon, ça. Mais je lève les mains et serre les poings. Je n’ai jamais eu besoin de me battre avant, mais ce n’est pas parce que j’en suis incapable. Et aujourd’hui, je suis au top niveau.

Les Gobelins sourient. Ils ne voient qu’une humaine, seule, séparée du reste, et sans armes. Pas une menace. Ça me convient. Je vois un groupe de gars que je peux taper aussi fort que je veux et qui ont beaucoup moins de muscles et d’allonge que les voyous normaux. Et je connais le kung-fu. *

*Non, je ne connais pas le kung-fu. Je fais une version du Muay-Thai orientée MMA, bien que je ne fasse pas vraiment de mixed martial arts.  Putain de parents surprotecteurs.

Ajuste ta posture, tiens-toi basse sur tes appuis et penche-toi légèrement en avant, les mains levée et serrée en deux poings détendus. Je mets plus de poids sur ma jambe de devant. Je sautille, prête à bouger au dernier moment.

J’ai me suis déjà battue. Pas beaucoup, et certainement pas le genre de bain de sang sans détour dont on entend parler dans les cités, mais j’ai déjà eu à me défendre, et plus d’une fois. Mieux, après ma première bagarre les parents m’ont fait apprendre les arts martiaux pour que je sache me défendre. J’ai étudié l’art du combat.

Les Gobelins sont toujours en train d’essayer de m’encercler, attendant que l’un d’eux se lance. Peut-être qu’ils voient que je ne suis pas une fille ordinaire parce que je ne suis pas en train de courir ou d’essayer de m’enfuir. Au lieu de cela, j’oscille d’avant en arrière, maintenant de la distance entre eux et moi, essayant de les empêcher d’arriver dans mon dos.

L’une des règles lorsque qu’on se bat contre un groupe est de ne jamais les laisser vous encercler. Essayez de les faire se mettre en ligne si possible. Deuxio, ne jamais laisser passer une occasion d’attaquer. Soyez certaines de savoir quand ils vont vous attaquer.

Et porter le premier coup est un bon point. Donc dès que le premier Gobelin décide qu’il est temps de s’y mettre et se précipite en avant avec un cri aigu, j’avance.

Un pas en avant, tourne les hanches, et concentre tout le mouvement dans un coup de poing. J’atteins le Gobelins en pleine tête pendant sa charge. C’est un solide coup de poing, satisfaisant, et je le sens cueillir le salaud proprement.

Il s’effondre. Pas de clignement d’yeux confus, pas de chute comique. Le Gobelin tombe simplement par terre et ne se relève pas. C’est ce qu’on obtient avec un vrai coup de poing.

Les autres Gobelins cillent, consternés. Ce n’était pas comme ça que ça devait se passer. Mais ce sont des combattants. Ils ont l’air mignons, du côté méchant du spectre, mais ce sont tous des tueurs. Les gangsters normaux ne sont sans doute pas aussi vicieux que ces types. Donc dès qu’ils voient le premier type s’étaler au sol, sept d’entre eux me tombent dessus.

Je recule. Puis je me retourne et cogne. Sans vraiment viser, mais pour forcer les Gobelins derrière moi à reculer. Ils allaient charger mais ils esquivent et je passe en courant devant eux. Okay, à présent personne ne peut m’arriver dans le dos. Je me retourne donc et laisse les autres me foncer dessus.

Une ligne. Ils appliquent la technique débile de ne pas me foncer dessus tous ensemble. Je bondis donc en avant, frappe un coup, deux coups. Deux Gobelins s’effondrent et je saute en arrière, laissant leurs amis leur trébucher dessus.

Un Gobelin saute par-dessus ses amis et je le cueille en plein élan au creux de l’estomac. Il vomit en atterrissant. Un autre s’approche et ce coup-ci, il est assez malin pour se mettre à essayer de balayer l’air de son couteau avant de m’atteindre. J’attend. Un coup, deux coups…

Quand son couteau passe trop près de moi, je m’avance et le cogne. J’ai plus d’allonge en me penchant, bien plus longue que ses petits bras. Et voilà un autre Gobelin inconscient.

Les trois derniers Gobelins ralentissent, mais l’un d’entre eux est plus bête que le reste. Il continue de me foncer dessus, et je décide de faire un truc stylé. Au lieu de lui mettre un coup de poing, je recule et fait un coup de pied circulaire.

Le Muay Thai est un art martial qui insiste sur les coups de pieds   très puissants. Et l’un de ces célèbres coups de pieds est le coup de pied circulaire. Naturellement, c’était un de mes coups préférés à l’entraînement.

Le Gobelin me laisse le mettre en place. Il regarde mes mains, donc il ne voit pas ma jambe se lever d’un seul coup. Je peux donner des coups de pieds aussi rapidement que des coups de poings, et je le cueille en pleine tête. Les Gobelins sont si petits que leur tête est plus à hauteur de mon pied que leur taille ou leur poitrine comme chez les humains.

Mon pied touche sa tête et je sens sa chair s’écraser. Puis je sens quelque chose céder et j’entends un craquement. Le Gobelin vacille, s’envole, et roule dans l’herbe avant de s’arrêter, immobile. Il ne bouge plus. Et mon cœur s’arrête.

Les autres Gobelins regardent leur ami au sol, puis moi. Je sais que je devrais surveiller qu’ils ne me foncent pas dessus, mais mes yeux sont fixés sur le Gobelin. Je… je n’avais pas prévu de le taper si fort. Pas en pleine tête.

Il est trop immobile. Le Gobelin ne tressaille même pas. Il… Il est…

Il est mort. Je l’ai tué. Je n’avais jamais tué d’autre créature avant. J’ai déjà chassé pour le plaisir, mais je ne tue pas d’animaux. Même en combat, je me contente de briser des os. Je ne tue pas.

Mais il est mort. Et c’était tellement rapide.

Je contemple le Gobelin puis je vois une forme sombre foncer sur ma tête. J’esquive et la flèche manque ma joue de quelques centimètres. L’archer Gobelin baisse son arc et crie quelque chose à ses amis.

Bordel. Je dois me concentrer. Je dois réfléchir ! Les Gobelins se remettent en mouvement, essaient de m’encercler. Ils ne veulent pas s’approcher, cette fois-ci, et leurs archers se mettent à tirer leurs flèches, courtes et de confection maladroite.

Je dois fuir ou me battre. Je vais foncer sur les archers, les cogner, puis m’enfuir. Mes yeux se plissent et je me mets à courir en zigzag, alternant d’un profil à l’autre pour réduire la cible.

L’archer est au fond, celui qui a déjà tiré deux flèches est leur leader. Je dois le cogner et peut-être que les Gobelins lâcheront l’affaire. Il a quelques Gobelins devant lui, mais si je fonce dans le tas…

Le Gobelin encoche une flèche et me vise. Mon corps se tend…

Et la tête de l’Archer disparaît. Pas de manière mignonne, comme s’il s’était baissé d’un coup ou qu’il était tombé. Non. La totalité du cou et de la peau est tirée vers le haut tandis qu’une mâchoire gigantesque se ferme sur sa tête et arrache proprement sa tête.

Bon sang de ...”

Les Gobelins se retournent. L’un d’entre eux hurle, lève son épée et une griffe lui ouvre le ventre. Je recule. Les Gobelins reculent. Et le gigantesque loup attrape nonchalamment un autre Gobelin, mord dedans, le secoue, et le jette sur le côté comme un confetti.

Un loup. Un énorme loup géant. Pas comme ceux de mon monde : un véritable Grand Méchant Loup des plaines, presque aussi grand que moi. Plus grand. Il a plus de masse.

Le loup renifle et me regarde. Les Gobelins sont déjà en train de courir, mais il n’en s’en occupe plus. Il me regarde droit dans les yeux.

Calme-toi. * Ce n’est pas un Loup-Garou comme dans l’œuvre de George R. Martin. Ces trucs sont aussi grands que des chevaux, c’est ça ? Celui-ci… celui-ci n’est deux fois plus grand qu’un loup ordinaire. Juste deux fois plus grand.

*Calme-toi ! Ne panique pas ! Bon sang qu’il est gros !

Il a une fourrure d’un rouge rouillé. Pourquoi diable… est-ce que c’est à cause du sang ? Il gratte le sol, renifle de nouveau, puis se met à me tourner autour lentement. Il est tellement grand, et contrairement aux Gobelins, je peux voir ses muscles rouler sous sa fourrure.

Pas le temps de courir ou même de réfléchir. Je baisse de nouveau les mains. Les loups peuvent courir plus vite que les humains, tout comme les ours. Et courir me fait passer pour une proie. Je dois soit le faire abandonner, soit le faire fuir.

“Allez mon gros, donne tout ce que tu as.”

Le problème, c’est que ce loup n’est pas ordinaire. Les loups de mon monde ne chassent en général pas les humains. Mais celui-ci vient de manger une tête de Gobelin. Donc peut-être que les loups du coin ont un goût pour les humanoïdes.

Il me renifle une nouvelle fois. Puis le loup baisse la tête. Oh merde. Il va…

Je vois à peine le loup bouger. Il se jette sur moi et je me jette sur le côté. Le loup atterrit, fait volte-face, et je lui fonce dessus et lui met un coup de poing dans la tête.

Ne pas réfléchir. Agir. J’ai suffisamment pratiqué ces coups pour que mon corps prenne le dessus sur mon cerveau paniqué. Frappe, frappe, recule. Le loup claque les mâchoires et j’entame une torsion. Ma jambe se lève d’un coup sur le côté et cueille le loup en plein entre les yeux. Un bon coup.

Le coup de pied circulaire. J’avais vu un documentaire qui expliquait la puissance des coups de pieds du Muay Thai. Se faire frapper par l’un des champions du monde de coup de pied circulaire est comme se faire rentrer dedans par une voiture à 60 km/h. Je ne suis pas championne du monde mais je loup géant cille quand même, et secoue la tête. Il vacille sur ses pattes et je m’avance.

Un autre coup illégal en MMA est de mettre un coup de genou à l’adversaire lorsqu’il est à terre. C’est un coup létal. Tous les coups du Muay Thai sont faits pour tuer, mais les coudes et les genoux sont vraiment dangereux. On m’a répété des centaines de fois de ne jamais mettre de coup de genou dans la tête de quelqu’un à moins de vouloir le tuer.

J’espère simplement que mon professeur n’exagérait pas. Je cours en avant et lance mon genou aussi fort que je peux en plein dans la face du loup. J’entends quelque chose craquer. J’ai l’impression que c’est mon genou.

Le loup cligne des yeux, recule un peu, puis se met à gronder.

… Ah.

C’est drôle. Dans mon monde, je me prenais vraiment pour quelque chose. Je n’ai jamais perdu de combat contre des crétins de mon âge. Et j’étais douée.

J’ai atteint le 4e dan, qu’il est extrêmement difficile à obtenir, surtout à mon âge. À ce stade je pouvais enseigner les arts martiaux moi-même si je ne voulais pas être harcelée sexuellement et moquée toute la journée. Atteindre ce stade à mon âge est très rare*, et je sais me battre.

Je me suis déjà battue dans la rue, ou du moins j’ai assisté à quelques bagarres à l’école et j’ai été agressée pendant que je courrais. Il y a une différence entre connaître les arts martiaux et avoir obtenu sa ceinture noire à un McDojo.

*Avoir sa salle de sport personnelle et une mémoire quasiment parfaite aide pas mal, par contre. Sans parler d’avoir des parents qui te laisse t’entraîner aux arts martiaux tant que tu veux tant que ça t’évite les problèmes.


**McDojo. Très bon terme. Cela décrit toutes les cafétérias et les salles de sports pour les ados qui veulent plus se la péter qu’apprendre de véritables techniques. J’ai déjà mis un coup de pied à un “expert” ceinture noire et lui ai cassé deux côtes. C’était le bon temps.

Je sais me battre. Et même si je ne suis pas aussi bonne que quelqu'un de rôdé au combat ou qui s’entraîne depuis plus longtemps, je parie que je pourrais battre la plupart des aventuriers en-dessous du rang Or. Parce qu’ils sont humains, ou humanoïdes. Et les arts martiaux n’existent pas dans ce monde, du moins à ma connaissance.

Mais les arts martiaux n’ont jamais été prévus pour se battre contre des monstres.

Le loup que je viens juste de cogner de toutes mes forces du pied et du genou en pleine tête se relève et se secoue comme s’il ne s’était rien passé. Puis il me regarde en grogne. Sa truffe a l’air mouillé, mais je ne pense pas lui avoir fait si mal que ça. En fait, je crois que je l’ai juste énervé.

Il me fonce dessus. Je lance un coup de poing, mais le loup claque des mâchoires et je manque de peu perdre une main. Il galope autour de moi et je tourne pour suivre le mouvement. Il est tellement rapide !

Le loup claque les mâchoires près de ma jambe, je recule et lance un coup de pied. Mais il est trop rapide et sa fourrure le protège comme une armure. Il fond de nouveau sur moi et ce coup-ci, je peux sentir son souffle chaud sur moi au moment où je bondis en arrière.

Le Muay Thai n’est pas fait pour se battre contre une créature qui se bat avec ses dents. J’essaie de rester à distance mais il gagne du terrain.

Bordel. Il ne va pas me laisser partir. Et je ne sais pas quoi faire. Si j’étais plus rapide j’essaierais de lui arracher ses putains d’yeux. Mais il esquive tous mes coups.

J’essaie de lui mettre un coup de poing, mais la fourrure amortit encore une fois le choc. Puis le loup tord le cou et referme ses crocs sur…

Aaaaaaah !

C’est un véritable feu d’artifices qui explose devant mes yeux. Je martèle la tête du loup puis lui écrase un œil. Il me relâche et hurle d’agonie. Moi aussi.

Mon bras ! Il l’a mordu pendant moins d’une seconde, mais je crois qu’il a fendu l’os ! Je recule en titubant et heureusement, il ne me suit pas. Il secoue la tête et je sens quelque chose d’humide sur mes doigts. Je crois que je lui ai explosé l’œil mais il faut que je m’enfuie.

Je me mets à courir. En un instant, je suis en plein sprint. Derrière moi, j’entends le loup hurler. À l’agonie ? Non. Je crois que c’est pire que ça.

On dirait qu’il appelle sa meute.

Au moment même où je me dis ça, j’entends d’autres hurlement, cette fois-ci au loin. Mais ils deviennent de plus en plus forts donc je continue de courir. Mon bras saigne abondamment, mais je continue de courir. Je n’ai pas le temps de m’arrêter.

Coup d’œil par-dessus l’épaule. Je vois que le loup suit, mais seulement pour me garder à l’œil. Il veut rassembler sa meute. Et la voilà qui arrive. Des formes indistinctes foncent à travers la colline, vite, très vite.
 
Mon bras !
Je ne peux pas… le loup a arraché une énorme portion de chair. Il me faut une potion.

Elles sont dans mon sac, attachées à l’extérieur pour que je puisse facilement les attraper. J’en attrape une, fait sauter le bouchon et l’avale cul sec, m’étouffant à moitié. Puis je jette la bouteille sur le loup le plus proche, qui doit s’éloigner pour esquiver.

Le liquide infâme me coule dans la gorge et j’attends le soulagement en continuant mon sprint effréné vers les Hautes Passes. Le paysage change sous mes pieds. Soudain, je cours sur quelque chose qui ressemble plus à de l’argile et la terre et même les cailloux se teintent d’un rouge orangé. Et je suis au pied des montagnes.

Les loups me suivent, hurlant de plus belle tandis que d’autres loups foncent à travers la plaine pour les rattraper. Ils arrivent.

Je ne les sèmerai jamais à découvert. J’entends un grognement et je m’écarte à gauche alors même qu’un loup tente de me sauter dessus. Il atterrit et j’entame la pente rocailleuse. Les loups ne sont-ils pas censés avoir du mal à grimper ou un truc du genre ?

Ça fonctionne. La meute ralentit et je les vois peiner à crapahuter sur les rochers. Mais ils arrivent. Et ils continuent de hurler, et ça me glace le sang.

Doit continuer à courir. Continuer à bouger. Je grimpe sur l’aplomb rocheux, m’entaillant les jambes et les mains sur la surface inégale. Et j’ai la nausée ? Pourquoi ? Mon bras me brûle toujours. Il devrait… il devrait être en train de guérir.

Plus haut. Je vois une plateforme et je me jette dessus. C’est haut, mais je parviens à attraper le bord et à m’y hisser. Les loups chargent, mais ils arrivent trop tard. Je suis au-dessus d’eux, en sécurité, du moins pour le moment.

Je recule sur mon rebord pour m’écarter de la meute et m’adosse à la roche, pantelante. J’ai envie de vomir. La nausée, l’épuisement et l’adrénaline qui sature mon sang me font trembler. Et je continue de saigner ? Pourquoi ?

Une autre potion. Je tâtonne dans mon sac, en sort une autre bouteille de potion rouge et l’avale cul sec. J’attends que la douleur disparaisse. Rien.

Dans ma confusion et ma douleur, j’avale encore une potion avant de réaliser que quelque chose ne va pas à ce stade…

Je vomis. Quelque chose est… la potion que j’ai bue brûle dans mes veines. Qu’est-ce qu’il se passe, bordel ? Ce n’est pas une potion de soin. Qu’est-ce que…

Quelque chose bondit au-dessus de moi. Je hurle, lance la fiole de potion et manque de peu glisser dans mon propre vomi. La chèvre me jette un regard plein de reproches et me bêle bruyamment dessus alors même que les loups continuent à hurler et à gronder en-dessous de moi.

“Une chèvre ?”

Une putain de chèvre. Elle a failli me faire mourir de peur. Mais elle ne semble pas avoir peur de moi ou des loups. Plus précisément, elle jette un œil à la meute de loups qui essaie de grimper et bêle de nouveau, fort.

D’autres bêlements. Ce coup-ci, elles m’ont encerclée. Je lève les yeux et voit des chèvres dressées tout le long des crêtes et des rochers des Hautes Passes. Elles bondissent et dévalent les falaises sans difficulté, fonçant droit sur la meute et moi-même. Qu’est-ce qu’il se passe, bordel ? Elles n’ont pas peur des loups ? Mais lesdits loups se mettent à reculer et à gronder à l’attention des chèvres.

Pourquoi…

La chèvre la plus proche bêle de nouveau. Fort. À ce stade, on dirait d’ailleurs plus un cri. Un cri, et il se rapproche. J’ai soudain un très mauvais pressentiment. Je recule et les chèvres avancent.

La chèvre ouvre la bouche et je vois ses dents. Les chèvres ne sont pas censées avoir des dents pointues. Et sa bouche est disproportionnée. Elle crie et je crie et je me mets à courir mais elles sont de partout et...

***

“Les Hautes Passes.”

Lady Magnolia souffla les mots en dévisageant l’homme qui était dans son foyer. Il était… eh bien, à ce qu’elle savait de l’homme en question, Magnolia se serait attendue à ce qu’il porte des habits noirs et qu’il soit armé jusqu’aux dents, mais alors il ne serait pas discret, n’est-ce pas ? Les [Assassins] devaient être furtifs.

Mais cet homme était tellement banal qu’il était difficile de ne pas l’oublier. Magnolia était certaine que c’était une sorte de compétence, tout comme elle était certaine de ne pas apprécier la présente situation.

“Je te prie de m’expliquer, Assassin Théofore, comment cela se fait-il que Ryoka Griffin ait non seulement réussi à vous échapper, à toi et à tes congénères, mais qu’elle est de plus pressentiment, si j’ai bien compris, seule dans les Hautes Passes, en train d’être poursuivie par des Loups Carnassiers ?”

L’assassin connu sous le nom de Théofore n’aimait clairement pas qu’on l’appelle par son prénom, mais il était également assez malin pour ne pas se formaliser quand c’était Magnolia qui le faisait. Il écarta ses mains gantées et inclina la tête.

“Mes associés et moi-même étions parfaitement prêts à protéger Ryoka Griffin d’attaques venant de l’intérieur de la ville, voire même à l’extérieur. Mais nous n’étions pas prêts à ce qu’elle accepte la requête pour les Hautes Passes, sans parler de sa capacité à partir aussi vite.”

“Je vous avais prévenus qu’elle était rapide. Et la meute ?”

“Nous n’avons pas réussi à faire plus que tuer quelques loups avant qu’ils ne remarquent notre odeur. Et notre groupe n’était pas équipé pour des combats contre des monstres, lady. Nous avions supposé qu’il s’agirait d’une mission de protection contre d’autres humains et nous étions équipés en fonction. Nous avons été forcés de battre en retraite, et vous serez intégralement remboursée pour notre échec. Mais la Guilde ne peut prendre plus de responsabilité à ce sujet, Lady Magnolia.”

Lady Magnolia fit la moue, mais l’[Assassin] avait raison. Personne n’aurait pu prédire…

Pour être honnête, elle aurait pu le prédire si elle avait été au courant de la requête anonyme à l’avance. Magnolia connaissait bien la personnalité de Ryoka, de son expérience personnelle et grâce à sa Compétence. C’était un détail qui lui coûtait à présent, et qui coûterait à Ryoka… probablement sa vie.

Elle examina l’[Assassin] et se tapota les lèvres, et contempla les montagnes impérieuses à travers sa fenêtre.

“Si je faisais jouer mon réseau pour envoyer plusieurs équipes d’aventuriers dans les Hautes Passes, arriveraient-ils à temps ?”

“Peut-être pour récupérer ce qu’il restera de son cadavre, Lady Magnolia. Mais même cela risque d’être déjà dévoré quand ils arriveront.”

Là encore, Magnolia dut dissimuler sa contrariété. Enfin, contrariété était un terme léger pour décrire ses sentiments. Elle était considérablement bien plus que contrariée, mais une [Lady] prenait toujours soin de dissimuler ses émotions. Mais il lui fallait tout de même se défouler un peu.

“On m’avait assurée qu’embaucher au sein de votre guilde m’assurerait un service de la plus haute qualité. Je crois bien avoir été claire sur l’importance de garder Ryoka en vie ?”

L’[Assassin] n’était clairement pas au bon endroit en ce moment. Techniquement, il était un vétéran de sa Guilde et parfaitement capable d’ôter la plupart des vies d’un simple geste de l’une de ses lames dissimulées. Mais il était face à une femme qui pouvait résolument prendre n’importe quelle vie, y compris la sienne. Peut-être pas directement, mais la servante debout derrière Lady Magnolia activait toutes les sonnettes d’alarmes de Théofore. Il la regarda d’un air méfiant en choisissant les meilleurs mots pour répondre à l’accusation de Magnolia.

“Si nous avions su que la Coursière s’aventurerait dans une zone comme les Hautes Passes, nous aurions demandé dix fois le prix et envoyé nos meilleurs agents. Et même alors, nous n’aurions pu garantir sa sécurité. Pour rester pragmatique, nous aurions tenté de maîtriser Ryoka Griffin bien avant qu’elle n’ait pénétré dans la zone. Un nombre incalculable de monstres y abonde, lady. Les loups font partie des proies, là-bas.”

“Vraiment ?”

Le visage de Magnolia s’illumina à ces mots.

“Y a-t-il une chance pour que les autres monstres dévorent les loups et laissent Ryoka en vie ?”

“J’en doute, Lady. Ils essaieront de tuer tout ce qui les dérangerai. Et il est probable que même si Ryoka parvient à distancer les loups, elle ne puisse échapper aux monstres les plus abondants dans les Hautes Passes.”

“Et quels sont-ils ?”

“Les Gargouilles.”

“Les Gargouilles ? De quoi s’agit-il ?”


***

Des Gargouilles !

Je crois que je suis en train de hurler. Je suis définitivement en train de courir, mais je sens à peine mes pieds qui s’écorchent sur les rochers, entre ma nausée et la terreur qui électrifie mon corps.

Le rocher biscornu le plus proche déploie ses immenses ailes de pierre et saisit la première chèvre qui tente de me lacérer. La chèvre tente de s’échapper, bêlant de panique, mais la gargouille se contente de tirer et la déchire en deux. Une pluie de sang tombe autour de moi tandis que de plus en plus de rochers à l’air innocents prennent vie autour de moi.

Je viens de foncer droit dans un nid de gargouilles. Ce serait déjà terrible s’il n’y avait en plus les meutes de loups et de chèvres qui essayaient déjà de me dévorer.

L’abrupt rocheux derrière moi est déjà couvert de loups et de chèvres en train de s’entre déchirer. Et le pire, c’est que ce sont les loups qui perdent. Les chèvres ont dévalé les falaises en horde et se sont mises à dévorer les loups, les démembrant avant de se disputer les morceaux.

J’ai couru vers les hauteurs pour fuir celles qui me poursuivaient, mais je suis juste tombée dans un nid d’embrouilles bien pire. Du point de vue des gargouilles, c’est comme si j’étais venue apporter le repas sur un plateau en ramenant un gros tas e hors d’œuvres.

La gargouille qui vient de dépecer la chèvre jette les morceaux en l’air. Son espèce de bec-bouche incurvé claque, accompagnée par un horrible craquement. Les chèvres esquivent et se mettent instantanément à battre ne retraite, mais les autres gargouilles avancent d’un pas pesant. La moitié d’entre elles sautent en bas sur les chèvres et les loups à présent en train de décamper. L’autre moitié se précipite sur moi.

Je continue de courir. Je ne m’étais jamais arrêtée, mais j’arrive à trouver un peu plus de jus et à convaincre mes jambes d’aller encore plus vite. Je ne sais pas comment elles font.

J’ai envie de vomir. C’est comme si j’étais en train de s’évanouir, mais que quelqu’un me frappait avec un taser* en même temps. J’ai beau vouloir m’asseoir pour vomir, je cours plus vite que jamais. C’est comme si je ne pouvais épuiser mon énergie, et j’ai besoin de chaque goutte d’adrénaline disponible.

*Jamais été tasée. Cours !

Une énorme gargouille se déploie devant moi. On dirait vaguement un mélange entre un oiseau et un ogre, c’est une énorme bête géante avec une peau qui ressemble à de la pierre mais qui bouge comme de la chair. Elle ouvre la bouche et je vois une grande ouverture avant que quelque chose n’en surgisse.

Je sens quelque chose me faire pivoter puis tituber en avant. Ma main attrape mon épaule. La chair est déchirée. Une plaie profonde. La gargouille fait de nouveau feu et je titube sur le côté. Les éclats de pierre qu’elle crache me manquent et éviscèrent le loup derrière moi.

C’était quoi, ça, putain ? On dirait un fusil à pompe ! Et le bruit que font les gargouilles… un gazouillis rugissant qui déclenche des avalanches de pierres. Je le sens dans mes os.

Je ne peux pas me battre. Je ne songe même pas à essayer. Le Muay Thai n’enseigne pas comment éviter les balles ou briser la pierre.

Donc je cours. Je suis née pour courir. Je suis née pour voler.

Le nid de gargouilles est haut perché. C’est une zone relativement à découvert, surplombant les Hautes Passes se trouvant… quinze, vingt mètre en contrebas ? Ce n’est pas un à-pic, plutôt une pente très inclinée. Normalement, je la descendrais avec les plus grandes précautions mais les gargouilles s’avancent vers moi, et vite. Donc je me précipite vers le rebord alors même qu’une gargouille se précipite sur moi.

Je bondis, et mes pieds quittent le sol. Je saute par-dessus la queue de pierre de la gargouille qui tente de me faucher, et atterris sur un affleurement rocheux. Dès que mes pieds touchent le sol, je trouve un nouveau point d’appui et bondis. Un saut, et je vise à présent la pente rocheuse.

La roche craque et des crevasses trompeuses se jettent sous mes pieds tandis que je tombe au ralentis. La pente est un labyrinthe d’endroit où tordre ou casser mes chevilles. Mais je perçois toutes les failles de la face rocheuse.  Mon pied accroche le bord de la falaise et le plonge en avant, sprintant vers la passe tandis que plusieurs monstres de pierre se lancent à mes trousses, me crachant des aiguilles de roche.

Pied gauche, rocher. Pied droit évite la mousse verte et fragile. Je me penche en avant en dévalant la pente. Droit, gauche, saute, tourne…

Je perds l’équilibre et m’écrase contre un rocher. Je manque tomber mais je corrige mes appuis et repousse la roche. Je suis dans les airs pendant cinq secondes puis atterrit et convertit la force de ma chute en énergie pour descendre.

Vite. Tellement vite. La pente se brouille sous mes pieds, et je peux voir la passe s’ouvrir sous moi. Je vais trop vite pour m’arrêter. Donc j’entame une torsion...

***

La pente presque verticale menant au repaire des gargouilles s’effondre sous les tremblements de la descente de Ryoka. De petits cailloux rebondissent follement sur le paysage accidenté, délogeant des roches plus grosses et entraînant un petit tremblement de terre. Mais même l’avalanche est trop lente pour pouvoir la rattraper.

Les pieds de Ryoka étaient flous alors qu’elle accélérait encore dans la pente, prête à entrer en collision avec le sol. Elle allait trop vite. Même en essayant, la pression qu’exercerait sur sa jambe le fait de se prendre toute l’accélération qu’elle avait acquise dans la descente de plein fouet en atteignant le sol plat pourrait la briser. Elle se lança donc dans une roulade.

Ryoka rentra dans le sol et roula sur près de cinq mètres avant d’atterrir sur le dos. Elle leva les yeux au ciel nuageux, à bout de souffle. Mais l’instant d’après, elle se relevait et se remettait à courir. Elle était poursuivie.

Les formes rocheuses mi- pataudes, mi- aériennes des gargouilles s’élancèrent de la falaise. Elles ne craignaient pas de se briser quoi que ce soit. L’une d’entre elle s’écrasa au sol derrière Ryoka, faisant trembler le sol autour d’elle. Elle continua sa course alors que la gargouille bondissait à ses trousses.

Son corps était comme électrifié. Elle avait l’impression de mourir de fièvre, mais elle se sentait paradoxalement plus vivante que jamais. Ryoka saignait. Ses pieds déchirés saignaient, son bras mordu saignait, tout comme les endroits que les shrapnels de la gargouille avaient lacérés. Ses vêtements étaient déchirés et elle était meurtrie par un nombre incalculable de coups.

Le sol trembla sous le poids d’autres gargouilles qui s’élancèrent de la falaise pour atterrir au sol comme des bombes. Elles ne pouvaient pas vraiment voler, lourdes comme elles l’étaient… mais elles pouvaient orienter leur descente. Ryoka poursuivit sa course tandis que des monstres de pierre de deux fois sa taille se posaient lourdement tout autour d’elle.

Des oiseaux croassèrent dans le ciel, sauf que ce n’étaient pas des oiseaux. Une nuée de Becs-Rasoirs, ces créatures préhistoriques volantes aux ailes de cuir et aux becs pleins de dents plongèrent au sol. Ils fondirent au sol, saisissant des carcasses et des entrailles des monstres en train de se battre. D’autres fondirent sur Ryoka, mordant, lacérant ses chairs. Elle agita violemment les bras en continuant de courir.

La mort était partout. Ryoka la sentait à chaque morsure, chaque coup de griffe. Elle saignait d’une douzaine de blessures différentes, et il lui semblait mourir à chaque pas. Et elle était perdue. Elle avait peur - elle était terrifiée, et elle avait mal. Donc pourquoi ? Pourquoi….

Pourquoi était-elle en train de sourire ?

Un sourire sauvage couvrait le visage de Ryoka, se tordant en une grimace lorsqu’elle esquiva un coup sur sa gauche à gauche, se teintant de surprise en voyant le petit morceau de tissu jaune élimé s’agitant à l’entrée d’une gigantesque caverne. Ses yeux brillaient de vie, et tandis qu’elle pénétrait en courant dans un hall caverneux où un Boeing-747 aurait largement pu se garer…

Elle souriait. Les gargouilles firent volte-face et s’enfuirent, les Becs-Rasoirs s’éparpillèrent, criant de détresse, et le reste des loups et des chèvres s’enfuirent retrouver leurs tanières. Ryoka tituba dans la caverne.

***

La Coursière entra en titubant dans la caverne, sanguinolente, blessée, et malade. L’unique habitant de la gigantesque caverne leva les yeux et cilla. Il avait un visiteur. Quelle surprise. Il avait beau en avoir demandé un, il ne s’était pas attendu à ce que quelqu’un n’arrive avant encore quelques mois.

Ryoka tituba en avant, et se rendit compte que le socle de pierre rugueuse avait changé. Elle marchait soudain sur du… marbre ? Peut-être pas du marbre, mais une pierre lisse et brillante avait remplacé le sol rocheux d’un rouge sombre. Elle laissa des trace de pas teintés de sang en s’avançant dans la caverne, presque insensible aux différentes agonies qui se disputaient son corps.

Les monstres étaient partis. Ils avaient soudain cessé de poursuivre Ryoka. Elle avait du mal à digérer l’information, par contre. Elle regardait autour d’elle. Autour et au-dessus.

La caverne où elle venait de pénétrer paraissait déjà grande de loin. Mais plus Ryoka s’y enfonçait, et plus il devenait clair qu’au lieu de parler de caverne, il serait plus juste de dire que quelqu’un avait vidé l’intérieur de la montagne. Elle entra dans un immense auditorium rempli de… trucs.

C’était le seul terme pour décrire cela. Des trucs. D’énormes piliers gravés se dressaient de part et d’autre de Ryoka qui s’enfonçait de plus en plus dans la grotte. Ils furent remplacés par des tapisseries accrochées aux murs de paysages épiques et de personnages importants. Puis des rangées d’étagères pleines de livres apparurent soudain à sa gauche, puis des tables et un nombre incalculable de piédestaux mettant en valeur des objets brillant de magie et d’une lumière mystérieuse. Des bouts de parchemins et des liquides bouillonnants s’entassaient sur une gigantesque table aussi grande qu’un bus. Un laboratoire d’alchimie, installé juste à côté d’un miroir qui ne renvoya pas son reflet à Ryoka lorsqu’elle passa devant, laissant simplement apercevoir une brume d’étranges couleurs.

Des armures et des armes étaient posées contre un mur au loin, armurerie parmi les armureries. Des épées et des masses d’armes se mélangeaient aux armures de plates et aux armes que Ryoka ne pouvait pas nommer. La pièces caverneuse était remplie de richesses. C’était un trésor constitué d’un assemblage de tout et n’importe quoi, tant que c’était hors de prix.

Et debout au milieu de tout cela était un homme. Pas juste un homme, cependant. Ryoka tituba dans sa direction.

Son esprit…

Lui faisait défaut. Elle se sentait perdre des quantités astronomiques de sang, mais elle devait continuer à avancer. Si elle s’arrêtait, elle s’effondrerait. Ryoka plissa les yeux. C’était trop loin, elle n’y arriverait jamais. Mais elle continua sa marche.



Qui était-il ? Ryoka plissa les yeux. Elle avait l’impression d’être à la fois loin de lui et tout proche donc elle tituba en avant. Elle vit…

Un gigantesque dragon était assis dans la cave, les yeux baissés vers Ryoka. Ses yeux jaunes et ses écailles dorées luisaient dans la pénombre, il leva une griffe...

“Qu’est-ce que… ?”

Ryoka cligna des yeux. Sa tête… elle tituba en direction de l’homme vêtu de vêtements royaux, pressant sa main contre son flanc. C’était un vieil homme, avec une véritable crinière de cheveux argentés. Malgré cela, il était grand… plus grand qu’elle, même. Et ses habits semblaient être la chose la plus chère qu’elle ait jamais vue, comparable aux atours de Lady Magnolia.

Mais Ryoka fut saisie par son visage. Il était ridé comme celui d’un vieux chef d’état, mais ses traits auraient pu servir de modèle à une sculpture. C’était le plus beau vieillard qu’elle ait jamais vu, et elle n’était pas attirée par les hommes plus vieux. Mais il l’attirait, lui.

On aurait dit l’archétype de l’humanité, avec soixante ou soixante-dix ans. Il était splendide.

Et il était un Dragon.

Ryoka cilla. Elle était allongée par terre. Elle se redressa et vit le sang. Il coulait sur la pierre luxueuse. Elle se releva, lentement. Elle ne sentait pas grand-chose, mais elle vit l’homme s’avancer vers elle.

Elle carra les épaules. L’habitant de la caverne la regarda, une humaine sanguinolente, mourante. Elle lui sourit et leva la main.

“C’est pour une livraison.”

Puis elle s’effondra au sol, inconsciente. Le vieillard baissa les yeux sur la jeune fille inconsciente à ses pieds et cligna plusieurs fois des yeux. Que c’était surprenant.

… Si on y regardait de plus près, ses oreilles étaient pointues. Si Ryoka avait pu inspecter quoi que ce soit, elle l’aurait vu. L’”homme” soupira et marmotta quelques mots qui étaient à la fois doux et bruyants. L’hémorragie de Ryoka s’arrêta. Il claqua des doigts et les traces de sang se rejoignirent en une petite orbe cramoisie qui flotta jusqu’à lui.

Il l’attrapa et la jeta sur le corps de Ryoka. Le sang coula jusqu’à elle puis en elle. Elle s’agita puis soupira. Il soupira aussi.

“Ces Humains.”

Il était probablement préférable de laisser la magie agir. Elle souffrait d’intoxication au mana, ce qui était bien plus difficile à soigner qu’une hémorragie. Pendant ce temps-là, il pourrait examiner cette étrange humaine à loisir. Ses sorts ne lui permettaient pas d’afficher son Niveau ou sa Classe, pour une raison quelconque.

L’habitant de la caverne se détourna et s’éloigna d’un pas majestueux. Il fit cinq pas avant de trébucher sur un gobelet et de s’étaler par terre. Il se releva vivement et vérifia que l’humaine dormait toujours. Le vieillard fronça les sourcils, jeta un coup de pied dans le calice doré, et grimaça en l’entendant briser quelque chose au loin. Il fronça les sourcils.

“Fichtre.”
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 22 avril 2020 à 14:59:11
1.32
Traduit par EllieVia

Erin sortit trois fois de son auberge pendant les deux jours qui suivirent. La première fois, elle alla voir Selys et les deux discutèrent longuement - ou plutôt, Selys la sermonna - sur le fait qu’il ne fallait pas aller se battre toute seule contre des monstres. Puis elles allèrent aux thermes, choisirent ensemble des vêtements pour Erin, et allèrent voir les ruines.

Les ruines étaient à une quinzaine de kilomètres de la ville, mais la circulation était tellement dense entre les ruines et la ville qu’il était facile d’attraper un chariot pour s’y rendre. Erin se demanda comment se faisait-il qu’il soit possible d’aller visiter les ruines en toute sécurité. Selys lui montra le nombre incalculable d’aventuriers, tous niveaux confondus, massés devant les ruines.

Il devait y avoir au moins une centaine d’aventuriers à présent, pour la plupart humains, dans la cité et dans la ville de tentes qui avait commencé à se former autour des ruines ; Mais le campement avait beau être énorme, c’était un nain comparé aux ruines excavées.

Elles étaient gigantesques. Le site de fouille en soi était un énorme cratère dans le sol - trois fois plus grand qu’un stade de foot - où s’élevait une entrée en pierre sombre, des portes gargantuesques qui menaient à une crypte, à ce qu’avaient entendu dire Erin et Selys.

Elles ne s’approchèrent pas du bâtiment. Et peu parmi les aventuriers s’y risquèrent. Les marchands proposant différents articles s’étaient placés au bord du cratère.

Apparemment, les ruines étaient toujours remplies de terre et de boue séchée après avoir passé des années enfouies. Les aventuriers devaient donc creuser tout en combattant les monstres qui y vivaient. Apparemment, le lieu grouillait de rats fouisseurs géants - un délice, d’après Selys - différentes sortes de morts-vivants, plusieurs espèces d’araignées, et d’autres monstres faibles à moyennement puissants.

C’était cela qui freinait les compagnies d’aventuriers, ça et la taille des ruines. Mais à la vérité, c’était principalement parce qu’aucun des mineurs qui avaient été embauchés ne voulaient creuser trop profondément par crainte de tomber sur quelque chose, et que la plupart des aventuriers pensaient la même chose. C’était vrai que plusieurs d’entre eux avaient trouvé des petits coffrets de trésors comme de l’argent et des bijoux, ce qui indiquait qu’il s’agissait en partie d’une vieille crypte, mais d’autres s’étaient aventurés un peu plus loin et n’étaient jamais revenus.

Ou alors ils étaient revenus en traînant des pieds et en grognant et avaient tenté de manger la chair des vivants.

C’était sa première visite, et Erin eut la chance de ne pas voir l’un des zombies morts - en particulier parce qu’elle partagea un charmant repas en compagnie de Selys en observant les gens s’agiter sans vraiment faire grand-chose autour des ruines. Elle attirait elle-même pas mal l’attention, étant connue comme l’aubergiste tueuse d’Araignées à Cuirasse et, plus précisément, comme l’Aubergiste humaine.

Plusieurs humains aventuriers vinrent lui parler, mais il leur fut difficile de tenir longtemps sous les regards noirs de Selys. Ils lui promirent de passer à son auberge plus tard, une promesse qu’Erin ne pensait pas qu’ils tiendraient à présent qu’elle leur avait expliqué ne pas encore vendre d’alcool.
.

***

Le jour suivant, Erin retourna voir Selys, mais cette fois-ci pour les affaires. Pour être payée, pour être plus exacte.

Erin tendit joyeusement le sac en tissu devant ses yeux et le secoua. Un son métallique étouffé s’en échappa. Elle fronça les sourcils, mais l’absence de tintement satisfaisant ne la découragea pas.

“Des sous~ !”

Selys lui sourit en rangeant le reçu signé sous son bureau de la Guilde des Aventuriers.

“Ne dépense pas tout d’un coup, d’accord Erin ?”

“Bien sûr, bien sûr. Je vais juste m’en servir pour des trucs importants. Comme… des chiffons de luxe ! Ou de l’alcool ! Ou… une robe ?”

Selys la regarda d’un air sévère et secoua la tête.

“Pourquoi pas une arme ? Tu pourrais probablement t’en acheter une de bonne qualité, avec une telle somme.”

Tout compris, avec la récompense sur les Araignées Cuirassées et l’argent de la vente de leurs carcasses, Erin avait gagné un peu plus de onze pièces d’or, après avoir enlevé le prix des carcasses trop brûlées pour être utilisables. C’était généralement considéré comme une belle somme d’argent, mais ce n’était pas énorme pour les carcasses.

L’un des aventuriers Drakéïdes les plus âgés qui n’était pas en train d’examiner les Ruines se pencha par-dessus le comptoir pour parler à Erin. Il était amical et avait des écailles jaunes, et Erin n’arrivait pas à se souvenir de son nom.

“Tu aurais pu en tirer beaucoup plus si tu les avais vendues ailleurs. Probablement moitié plus, surtout si tu t'étais adressée aux bons marchands. La Guilde taxe beaucoup trop ses services.”

Selys fusilla le Drakéïde du regard.

“La Guilde paye un bon taux pour les carcasses de monstres ! Si tu as un problème avec ça, Ylss, parles-en à la Maîtresse de Guilde...ou au conseil.”

Ylss darda sa langue d’un air nonchalant.

“La Guilde ne veut rien entendre, et le conseil non plus. Mais j’ai discuté avec les aventuriers Humains et ils disent que leur guilde les paie beaucoup plus que la nôtre.”

“C’est parce que les aventuriers Humains vont combattre les monstres hors de la ville à la place de leur Garde. Si tu veux négocier les prix, va tuer un nid d’Araignées Cuirassées tout seul. Erin ici présente…”

Selys balaya la pièce du regard. Elle repéra Erin qui avait posé sa main sur la porte.

“Erin, tu t’en vas déjà ?”

Erin agita la main, sourit et ouvrit la porte avant que Selys puisse lui demander si elle voulait rester. Elle ne voulait pas, surtout si c’était pour entendre encore des gens se disputer. Les Drakéïdes avaient étonnamment - ou peut-être n’était-pas si étonnant ? - un tempérament de feu.

Il était temps de rentrer à l’auberge, avant de faire des folies. Erin se contenta donc de faire quelques emplettes nécessaires chez Krshia et dans d’autres échoppes, esquiva l’invitation de la Gnolle pour une tasse de thé, et rentra déjeuner.

***

Selys devait à moitié courir pour rester à la hauteur d’Erin qui traversait le marché d’un air furieux.

“Attends, laisse-moi résumer. Des monstres t’attaquent et tu t’en fiches, mais dès que quelqu’un te dérobe quelque chose tu veux trouver quelque chose pour te protéger ?”

Erin la regarda d’un œil noir.

“Oui !”

“Mais ils ne t’ont rien volé de très grave. Un peu de nourriture et quelques pièces…”

“Une pièce d’or et trois pièces d’argent !”

“Pourquoi ne les avais-tu pas mieux cachées ? Ou mis dans un coffre fermé à clef ?”

“Je n’ai pas de coffre. Ni de clef !”

“On peut t’acheter un coffre-fort, si tu veux. Ou un verrou et une clef enchantés si tu le souhaites. Je connais un bon magasin…”

“Non. Je veux une arme.”

“Comme tu veux. Les aventuriers aiment bien ce magasin-là”

Selys pointa ledit magasin tenu par un Gnoll massif du doigt et Erin s’y dirigea tout droit. Le Gnoll dénuda ses dents à l’attention d’Erin et hocha silencieusement la tête.

“Humaine Erin. Salutations.”

“Salut.”

Erin rendit son sourire au Gnoll, dénudant également ses dents. C’était un truc de Gnoll qu’elle avait appris. Selys hocha la tête sans dénuder ses dents.

“Je cherche une arme.”

Le Gnoll acquiesça et tendit un bras pour montrer ses marchandises. Erin regarda fixement la véritable armurerie d’armes présentées. La plupart lui disaient quelque chose, mais seulement parce qu’elle les avait vues dans des films. Elles avaient toutes l’air très aiguisées.

“Pour une amie de Krshia, je ferai de mon mieux pour t’aider, oui ? Te bats-tu avec autre chose que tes mains, Erin Solstice ? “

“Um… Non. Non… pour tout dire, je n’ai jamais tenu quoi que ce soit de plus gros qu’un couteau.”

Le Gnoll s’arrêta alors qu’il était en train de décrocher un cimeterre à l’allure démoniaque d’un présentoir. Il reposa l’arme et hocha la tête.

“Nous avons beaucoup d’armes pour les débutants et l’auto défense, oui ? Des dagues, des massues… ces armes seraient meilleures.”

Erin regarda attentivement la dague qu’il lui tendit, poignée en avant. Elle avait l’air pointue, et le métal était tellement poli qu’elle y voyait son reflet. Mais c’était là à peu près toutes les connaissances des armes qu’elle possédait.

“Je ne suis pas certaine qu’une dague aiderait contre la plupart des monstres que je vois vagabonder autour de mon auberge.”

Là encore, elle n’était pas sûre que même des haches de guerre seraient utiles contre un crabroche.

“... Et pourquoi pas une arbalète* ? Vous auriez ça ?”

Selys parut décontenancée.

“Un quoi ? Un arbre belette ?”

Selys la regarda avec des yeux ronds. Erin éclata de rire.

“Non ! Laissez tomber.”

Le Gnoll se gratta la tête puis se secoua. On aurait dit un chien et Erin s’écarta inconsciemment de peur qu’il ait des puces.

“J’ai entendu parler de ces armes. Les Minotaures les utilisent et certains humains des continents du sud. Mais elles ne sont pas communes ni faciles à obtenir ici, oui ? Cela coûterait beaucoup de pièces d’or et prendrait des mois pour arriver.”

“Okay, pas d’arbalète alors.”

Erin soupira et regarda longuement l’étal d’armes.

“Tu n’es pas obligée d’acheter une arme, tu sais. Je me tue à te dire que nos aventuriers n’auraient aucun problème à monter la garde à ton auberge.”

“Pour huit pièces d’argent par jour pour chaque aventurier ? Et c’est juste pour ceux de bas niveau ? Non merci.”

Erin secoua la tête. Elle avait une meilleure idée en tête que l’option de Selys, et heureusement, elle n’impliquait pas qu’elle doive apprendre à planter des bouts de métal dans des gens.

“Est-ce que vous auriez de bonnes épées courtes ? Est-ce que c’en est une ?”

Le Gnoll acquiesça. Il sortit une épée qui était courte, en effet, et la posa sur le comptoir. Erin en tâta précautionneusement la garde, gardant ses doigts soigneusement éloignés de la lame. Selys était jute à côté d’elle, et s’assurait qu’Erin gardait ses doigts loin de la lame. Elle et le Gnoll semblaient plus sur leurs gardes qu’Erin devant des lames.

“Tu sais qu’acheter une épée de te fera pas immédiatement gagner une classe ? Il te faudra des semaines … des moins d’entraînement avant que tu ne gagnes une compétence. Et je n’essayerais pas de brandir cette épée seule si j’étais toi, Erin.”

“Je ne suis pas stupide.”

“Non, mais…”

“Combien ?”

“Pour toi, deux pièces d’or et trois d’argent.”

Erin regarda Selys. La Drakéïde acquiesça d’un air prudent.

“C’est cher. Mais c’est en effet un excellent ouvrage.”

“Du bon acier. Tu ne trouveras pas mieux ici en ville.”

Le Gnoll acquiesça et tapota la lame. Il semblait honnête, ou plutôt Erin n’avait pas encore croisé de Gnoll qui ne l’était pas. Ils étaient plus francs que les Drakéïdes, et ces derniers étaient plus comme des humains.

“Okay, et un bouclier ? Euh, un écu ? Je ne sais pas comment vous les appelez ?”

Elle en pointa un du doigt et le Gnoll ramena un bouclier en métal arrondi au centre. C’était un tout petit bouclier, fait pour tenir à une main pour dévier les armes plus que les flèches.

Selys objecta.

“Il est trop petit. Écoute, il te faudra un plus grand bouclier si tu veux t’équiper. Ce que je ne recommande toujours pas, d’ailleurs.”

“Je sais ce que je fais, Selys. Dans tous les cas, ce n’est pas pour moi. Combien pour les deux ?”

“Nous ne vendons pas beaucoup de boucliers. Je te vendrai le tout pour quatre pièces d’or, Erin Solstice, tant que tu promettras de n’utiliser aucun des deux avant d’avoir été instruites dans leur maniement.”

Elle lui sourit, ses mains plongeant déjà dans sa bourse.

“Marché conclu. Mais comme je l’ai dit, ce n’est pas pour moi. C’est un cadeau. Ou peut-être un pot-de-vin.”

Selys secoua la tête en voyant l’argent changer de main et le Gnoll ajouta un fourreau pour l’épée courte.

“Un pot-de-vin ? Pour qui ? Qui utiliserait quelque chose d’aussi petit que… attends. Tu ne penses pas à… Erin ! Non !”

Erin souleva les deux armes dans ses bras. Même avec sa compétence de [Force Mineure], elles étaient lourdes. Elle se tourna vers Selys et imita l’air exaspéré de la Drakéïde.

“Pourquoi pas ? Ils ne coûtent pas cher, je les connais personnellement, et ils vivent près de mon auberge.”

“Ils te poignarderont dans le dos pendant ton sommeil !”

Erin s’éloigna du marchand Gnoll, se disputant avec Selys tandis qu’il les regardait partir d’un air médusé.

“Ils n’en ont encore rien fait. De plus, ils sont gentils. Enfin, en quelque sorte. Je leur ai déjà donné à manger.”

“C’est une très mauvaise idée, tu verras.”

“Non, c’est une excellente idée. Tu verras.”

***

Loks baissa les yeux sur les armes brillantes que lui offrait Erin puis les releva pour dévisager l’humaine qui la regardait avec un grand sourire. Lentement, la petite Gobeline secoua la tête.

Le visage d’Erin se décomposa. Elle tendit l’épée dans son fourreau à la Gobeline qui recula au milieu de ses gardes du corps.

“Non ? Pourquoi donc ? C’est une bonne affaire !”

Loks secoua de nouveau la tête, et les Gobelins qui la suivaient se mirent devant elle pour bloquer le passage d’Erin. L’aubergiste, bien plus grande qu’eux, fronça les sourcils et ils se recroquevillèrent un peu, mais ils étaient sept Gobelins dans l’auberge, dont Loks, et Erin était seule. Si ça devait en arriver là…

Ils fuiraient probablement. Mais étonnamment, Loks était sûre qu’Erin n’essaierait jamais de leur faire du mal. C’était une Humaine étrange, probablement gentille. Elle avait simplement de très mauvaises idées, comme le marché qu’elle proposait aux Gobelins.

“Écoute. C’est très simple, d’accord ? Je vous donne ces armes et je vous nourris autant que vous le voulez. En échange, vous gardez mon auberge. Vous éloignez les monstres et les voleurs. Ce n’est pas un mauvais marché, si ?”

C’était un mauvais marché. Loks n’était pas une oratrice très éloquente, mais son chemin de pensée était très clair. Sa tribu divisée était petite même avant la mort de leur Chef. À présent, c’était une lutte pour le pouvoir qui s’y déroulait où Loks menait la faction la plus petite qui pensait que tous les humains ne devraient pas être dévorés sur place.

De plus, la petite Gobeline connaissait bien les Plaines Inondées et elle était certaine que protéger l’auberge revenait à une condamnation à mort. Ce que l’étrange humaine offrait était un très mauvais marché. Les armes magnifiques tentaient terriblement Loks, mais elles ne pouvaient pas contrebalancer les énormes désavantages du marché que proposait Erin.

Et maintenant, comment expliquer cela à une idiote ? Les sourcils de Loks se plissèrent et elle essaya de faire de son mieux. Elle gargouilla quelques syllabes de son propre langage à Erin, puis essaya le langage d’Erin. Rien n’y fit. Erin se contenta de la dévisager d’un air décontenancé, on aurait dit l’un des animaux ruminants - les vaches.

“Tu ne veux pas l’épée ?”

Loks acquiesça. Elle montra du doigt les autres Gobelins, puis le sol, puis secoua la tête.

“Mais tu ne veux pas monter la garde.”

Loks acquiesça de nouveau.

“Pourquoi ? Est-ce que c’est parce que vous n’êtes pas beaucoup ?”

Acquiescement, acquiescement. Erin commençait enfin à comprendre.

“Eh bien… vous pourriez avoir une stratégie, non ? Et si je vous trouvais un arc et des flèches ? Ce serait probablement mieux que gambader en un seul bloc comme vous le faites d’habitude.”

Ce coup-ci, tous les Gobelins la fusillèrent du regard. C’était une tactique Gobeline valide. Loks avait amélioré la formule en faisant des charges contrôlées et en incorporant des tactiques effroyablement rusées comme des feintes à leur stratégie, mais charger en masse était ce que les Gobelins faisait le mieux.

“Je disais juste que se battre tous dans un gros tas ne me semblait pas plus malin que ça, c’est tout. Mais si vous aviez tous des arcs ou autre ?”

Là encore, Loks secoua la tête. Elle fit mine de tirer une flèche puis cogna doucement son voisin à la tête.
 “Oh, pas assez forts ? Vraiment ?”

Acquiescement. Loks aurait vraiment voulu savoir parler d’autres langues, ou au moins qu’une humaine puisse la comprendre. C’était déjà bien qu’elle soit une génie et qu’Erin soit assez maligne pour qu’elles arrivent à communiquer comme ça.

Et Erin parut comprendre. Les arcs étaient des armes utiles, mais pas autant qu’une bonne quantité de couteaux. La faible allonge des Gobelins et leurs forces réduites impliquaient qu’ils ne pouvaient pas tirer de flèches aussi loin ou aussi fort qu’un archer humain ou Drakéïde dans tous les cas.

“Je comprends. Des petits bras pour de petits arcs, c’est ça ? La taille compte. Dommage que vous n’ayez pas d’arbalète dans le coin.”

Les oreilles de Loks se dressèrent. Mais ce fut la seule réaction que la Gobeline se permit, laissant l’humaine continuer à bavasser, inconsciente de l’intérêt que ses mots avaient suscité.

“J’imagine que… eh bien, oui, n’importe qui en armure ne pourrait pas se faire tuer par des flèches. Mais les arbalètes et les arcs longs peuvent les traverser, non ? Mais les arcs longs…”

Erin examina les Gobelins. Ils faisaient environ un mètre vingt en moyenne, et seuls les Gobelins bizarres comme le Chef de tribu grandissaient plus que ça. Et même lui aurait eu du mal à tendre un arc long, qui pouvait attendre plus de deux mètres de haut.

“La vie est dure, hein ?”

Cette fois-ci, tous les Gobelins acquiescèrent. La vie était dure. Ils étaient en guerre… enfin, les Gobelins étaient toujours en guerre, mais cette fois-ci, il s’agissait d’une guerre interne. La tribu était petite, la nourriture était rare parce que l’hiver approchait, et ils n’avaient qu’une étrange humaine dans une auberge pour les nourrir quand ils ne fuyaient pas les innombrables aventuriers qui affluaient dans la région.

“Bon, j’imagine que je pourrai ramener ces machins.”

Erin soupira et posa l’épée courte et le bouclier sur une table. Elle remarqua les regards pleins de convoitise que jetaient les Gobelins sur les armes. Zut. Elle avait cru que ce serait une bonne idée, mais en y réfléchissant elle comprenait la situation de Loks.

De plus, quand elle avait la toute petite Gobeline devant les yeux, Erin avait toujours l’impression de parler à une enfant. Peut-être… peut-être que c’était le cas. Combien de temps fallait-il aux Gobelins pour grandir ? Comment pouvait-on savoir leur âge, déjà ?

Erin regarda les Gobelins qui semblaient discuter avec leur leader, Loks. Ils étaient blessés, pour la plupart. Ils venaient dans son auberge de temps en temps et mangeaient le plus possible avant de repartir en se dandinant, et ils payaient. Mais Erin avait la nette impression que la bataille qui avait débuté dans son auberge ne s’était pas terminée avec la mort de Klbkch. Les visages des Gobelins étaient difficiles à retenir, mais certains changeaient à chaque visite. Et le corps de Loks était parsemé de ses propres blessures et cicatrices.

Ils étaient… eh bien, certains d’entre eux étaient méchants. Mais ceux qui se tenaient devant Erin faisaient résonner quelque chose en elle. Une souffrance partagée, peut-être. Et Erin avait une idée qui pourrait les aider, et peut-être un peu l’aider elle.

Elle se leva. Les Gobelins levèrent immédiatement les yeux sur elle. Erin pointa du doigt.

“Restez ici. Et ne volez pas l’épée ou je vous écrase, compris ?”

Elle rentra dans sa cuisine ravagée qu’elle n’avait pas encore eu le temps de ranger. Elle avança jusqu’au fond de la cuisine, ouvrit un placard et regarda les fioles qu’il contenait. Le voleur qui avait pillé son auberge ne s’était pas approché de ce placard, et n’avait pas essayé de boire son contenu. Ce qui était très sage, étant donné la nature de ce qu’il y avait dans les fioles.

Les gobelins étaient tous massés autour de l’épée courte quand Erin ramena l’énorme jarre de jus de mouche acide dans la pièce. Ils étaient en train de toucher la lame avec précaution et de se couper les doigts sur son tranchant lorsqu’ils levèrent les yeux. Quand ils virent ce que portait Erin ils s’enfuirent immédiatement vers la porte.

“Attendez !”

Loks s’arrêta et fit un croche-pied au Gobelin derrière elle. Ils s’étalèrent tous en tas et elle regarda Erin d’un air suspicieux tandis que l’humaine posait la jarre au sol en grogna. Elle se frotta le dos et appela les Gobelins.

“J’ai une idée qui devrait nous aider tous. Et je vous donnerai l’épée et le bouclier, okay ? Je le mettrai sur votre ardoise.”

L’astuce fonctionna. Loks revint instantanément caresser la lame. Erin pointa le liquide du doigt.

“Vous savez ce que c’est ?”

Loks acquiesça. Elle garda une distance très respectueuse entre elle et l’acide vert luisant dans la jarre et fit reculer le reste de Gobelins. Erin en fut soulagé. Elle pouvait aisément imaginer ce qu’il se passerait si l’un des Gobelins trébuchait sur la jarre, et ce n’était pas une vision réjouissante.

Elle caressa la jarre de verre.

“Un truc dangereux. Et je n’en veux pas. Mais si je vous donnais quelques jarres plus petites ? Vous pourriez le jeter sur les gens, non ? Pas sur les Araignées Cuirassées, par contre. Ça ne marche pas vraiment sur elles. Mais sur d’autres trucs… ouaip. Vous en pensez quoi ?”

Elle sortit une petite fiole de la taille d’un poing humain et la montra à Loks. Les Gobelins cillèrent devant la petite fiole puis regardèrent la grosse jarre d’un air confus.

“Je vous vendrai ces fioles d’acides et vous pourrez me payer, okay ?”

Erin patienta. Loks examina le liquide vert de mouche acide où apparaissait de temps à autre un cadavre de mouche. Elle savait très bien à quel point ces mouches pouvaient être dangereuses. Elle était également très impressionnée qu’Erin soit assez brave pour récolter les mouches acides, surtout quand on savait à quel point certaines pouvaient être grosses. Et le marché qu’elle proposait ?

Ça, c’était un bon marché.

La Gobeline regarda les fioles et vit un millier de tactiques possibles, dont celle de laisser d’autres Gobelins boire l’acide mortel en le laissant traîner. Erin regarda les Gobelins et vit une machine de recyclage bien pratique qui pourrait peut-être la payer.

L’humaine et la Gobeline sourirent.

***

Passer un marché en langage des signes était étrange, mais Erin avait déjà joué contre des joueurs d’échecs d’autres pays par le passé. Même un sourd et deux muets. L’un d’entre eux l’avait écrasée deux fois d’affilée, et elle avait passé un excellent moment à s’esclaffer avec lui à propos d’un coup terriblement mauvais qu’elle avait fait…

Tout ça pour dire qu’elle pouvait plus ou moins communiquer avec Loks. La petite Gobeline était extrêmement intelligente, et c’était déjà avant d’avoir pu la comparer avec le reste des Gobelins qui la suivaient. Ils étaient satisfaits de se contenter de se gratter le nez et de s’essuyer les doigts sur les autres gobelins pendant qu’Erin et Loks “discutaient”’.

Elles avaient fini par s’accorder sur le fait que Loks et ses Gobelins paieraient une poignée de pièces de bronze par fiole d’acide. Ce n’était pas beaucoup, surtout qu’Erin allait devoir aller acheter de nouvelles fioles plus petites pour que les Gobelins puissent les porter. Mais c’était toujours mieux que de verser l’acide dehors comme elle le faisait jusqu’à maintenant. La terre était brûlée sur une grosse surface à l’extérieur de l’auberge, ce qui montrait bien à quel point l’idée était maligne.

Mais c’était un bon marché. Un excellent marché, même. Cela permettait à l’auberge d’Erin d’avoir un nouveau revenu, surtout que Loks acheta immédiatement toutes les fioles d’Erin et les remplit d’acide. Cela lui permettait de se débarrasser de quelque chose qu’elle ne voulait pas, et cela permettrait peut-être à la bande de Loks de survivre un peu plus longtemps.

C’était un bon marché. Ce n'était juste pas celui que voulait Erin.

Elle regarda la jarre d’acide. Elle pouvait faire ses propres fioles d’acide si elle le voulait. C’était une arme utile, même si les Crabroches et les Araignées à Cuirasse étaient globalement résistants à l’acide. Elle avait ses poings et sa compétence de [Rixe de taverne], ainsi que [Lancer Infaillible]. C’était suffisant pour se défendre contre la plupart des monstres qu’elle avait croisé, et elle pouvait fuir les autres.

Mais rien de cela ne permettait de protéger son auberge. Les gens pouvaient facilement entrer et voler tant qu’ils le voulaient quand Erin n’était pas là, ou ils pouvaient se cacher et l’attaquer à son retour. Elle n’avait pas de moyens de se défendre devant des hordes d’ennemis, et elle était sûre qu’un Crabroche pouvait soulever l’auberge s’il le voulait. Les noyaux ne suffiraient pas à faire fuir une horde de ces crabes pourris si quelque chose des effarouchait.

Elle avait besoin de protection. Sans ça, Erin était vraiment dans le pétrin. Et… et il fallait qu’elle nettoie son auberge ravagée, qu’elle achète de nouvelles provisions, et qu’elle espère qu’elle aurait assez d’argent après ça pour s’acheter… quelque chose. Et que le voleur mystérieux ne pointerait pas de nouveau son nez quand Erin ressortirait.

Rien de tout cela n’était particulièrement difficile à faire, mais c’était trop pour Erin en ce moment. Elle posa sa tête sur la table, épuisée.

Toc. Toc.

Erin ne leva pas la tête de la table.

“Entrez.”

Toc. Toc.

“J’ai dit, entrez.”

Pas de réponse. L’individu continua de toquer à la porte. Erin attendit que cela passe, mais l’individu était obstiné. Une minute, puis cinq, la personne continua à toquer en rythme, sans s’arrêter. Erin finit par se lever en grognant.

Elle marcha vers la porte et l’ouvrit à la volée.

“J’ai dit ...”

Un squelette était debout dans l’embrasure de la porte, aussi grand qu’Erin. Non, plus grand. Juste un squelette. Aucune chair ne s’accrochait à ses os jaunis, et pourtant il était debout, défiant les lois de la biologie et de la physiqueµ. Erin regarda la paire de flammes bleues et blanches qui vacillaient dans les orbites du squelette. Le squelette ouvrit la mâchoire et lui cliqueta quelque chose.

Erin ferma la porte. Puis elle hurla. Puis elle fit volte-face pour aller prendre des couteaux à la cuisine.

Ce ne fut que quand elle eut le dos tourné qu’Erin réalisa qu’elle n’avait pas fermé la porte à clef. Elle s’ouvrit et elle se retourna pour voir le squelette entrer silencieusement dans son auberge.

Erin recula. Le squelette avança. Il ne l’attaquait pas. Il ne l’attaquait pas, mais Erin était proche de la crise cardiaque. Il s’avança vers elle et Erin faillit trébucher sur la jarre d’acide encore par terre.

Soudain, le squelette leva une main. Erin se recroquevilla et leva les mains mais le mort-vivant ne l’attaquait pas. Il n’avait… pas d’arme. Et non, il n’était pas en train de l’attaquer. Au lieu de cela, il tenait quelque chose dans sa main.

Erin cilla. Le squelette lui tendit silencieusement le bout de parchemin. Elle recula et il avança. Pas trop près d’elle, mais il ne la laissait pas non plus s’enfuir.

Elle hésita. Le squelette se contentait de la dévisager, même s’il n’avait pas vraiment d’yeux, juste des orbites brûlant dans son crâne. Ce qui était pire. Il attendait. Elle devait faire quelque chose. Erin prit donc quelques profondes inspirations puis tendit la main.

Elle prit le morceau de papier des doigts du squelette d’une main tremblante. Erin s’éloigna du squelette et baissa rapidement les yeux sur le papier, lisant tout en surveillant le monstre mort-vivant. Elle cligna des yeux devant les mots écrits à la va-vite, regarda le squelette, puis autour d’elle. Elle regarda de nouveau le squelette, puis s’énerva.

Pisces !”

Il apparut dans la pièce, son image se précisant lorsque le sort d’invisibilité s’éteignit. Peut-être qu’il avait voulu faire une entrée théâtrale, mais Erin n’était pas très impressionnée. Ce n’était clairement pas aussi cool qu’une cape d’invisibilité.

Pisces ouvrit la bouche et Erin avança et lui mit un coup de poing au visage. Fort. Il tomba, et manqua renverser la jarre d’acide. D’un geste vif, Erin attrapa la jarre et la rangea dans la cuisine avant que l’un des deux ne la fasse tomber.

Le mage ou plutôt - le nécromancien - leva les yeux sur Erin d’un air de reproche lorsqu’elle revint dans la salle commune. Elle ne l’aida pas à se relever donc il se redressa seul avec réticence, en époussetant sa robe.

“Ce n’était pas très aimable, surtout pour un client loyal, Bonne Maîtresse.”

“Crétin. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?”

Erin pointa d’un doigt tremblant le squelette. Il avait regardé la scène en silence.

Boudeur, Pisces montra le morceau de papier par terre.

“Je pensais que mon explication répondrait à toutes les questions que tu pourrais avoir.”

Erin saisit le mage par la robe et attira son visage vers le sien.

“Qu’est-ce. Que. C’est ?”

Il plongea son regard dans le sien et choisit soigneusement ses mots.

“C’est un squelette. Un squelette mort-vivant, ranimé pour être plus précis.”

“Et que fait-il ici ?”

“Il est là pour te protéger, bien sûr. Et pour rembourser ma dette conséquente.”

Erin relâcha Pisces. Elle regarda le squelette et se tira les cheveux.

“Pourquoi est-ce que… Pourquoi as-tu...

Ses mains s’agitèrent d’un spasme et elle s’empêcha d’étrangler Pisces sur place. Il recula et lissa sa robe d’un air froissé.

“Ce n’est donc pas ce que tu cherchais ?”

“Tu as de la chance que je ne te jette pas d’acide à la figure.”

“S’il te plaît, Erin. Je n’ai à cœur que ton intérêt … et le mien. Je te prie de considérer l’acquisition de ce guerrier mort-vivant.”

Pisces montra le squelette silencieux.

“Pas cher, une protection compétente qui n’a besoin ni de sommeil ni de nourriture. Je dirais que c’est toi qui devrais être reconnaissante envers moi, Erin.”

Il sourit, fier de lui. Erin ne sourit pas. Elle regarda le squelette.

“C’est pour moi ? Il obéit aux ordres, c’est ça ?”

Pisces parut légèrement insulté.

“Bien sûr. Je l’ai déjà accordé à toi. Ce squelette va obéir à toutes tes commandes et montera la garde pour toi et tes possessions loyalement. Donne-lui un ordre et vois par toi-même.”

Erin ne voulait pas vraiment. Mais le squelette était trop près pour qu’elle se sente à l’aise.

“Va par là-bas.”

Immédiatement, le squelette se tourna et alla dans un coin, naviguant entre les chaises et les tables. Là, il s’arrêta et pivota la tête, guettant Erin en attendant son prochain ordre.

Pour une raison inconnue, avoir un squelette qui la dévisageait de l‘autre bout de la pièce était encore pire que de l’avoir à côté d’elle. Erin frissonna.

“Je n’aime pas ça.”

Elle lui ordonna de revenir. Il s’approcha de nouveau, docile, et Erin tourna autour du squelette. Elle dut lui ordonner de ne pas bouger, et le squelette se figea comme la statue la plus flippante qui soit.

“Pourquoi t’es-tu dit que ce serait une bonne idée, Pisces ?”

Pisces regarda Erin, déconfit que l’interrogatoire se poursuive.

“J’avais entendu tes plaintes répétées sur ton manque de protection adéquate. Et quand j’ai remarqué le ah, l’état de ton auberge ce matin…”

“Oh oui ! C’est toi qui as fait ça ?”

Il leva les mains et recula.

“Pas moi. Le coupable était déjà parti quand je suis arrivé.”

Le mage détourna le regard. Erin se demanda si c’était lui qui s’était servi dans ses pièces… ou sa nourriture. Elle gronda et le squelette bougea. Il se plaça dans une posture de combat basse et se tourna vers Pisces. Il parut aussi alarmé qu’Erin.

“Rappelle-le.”

“C’est toi le nécromancien, fais-le.”

“Je l’ai fait de manière à ce qu’il t’obéisse à toi. Rappelle-le ou je devrai le désassembler.”

“Hey, arrête !”

Erin mit une taloche à l’arrière de la tête du squelette. Elle le regretta immédiatement. La sensation de l’os lisse sous sa main était…

Le squelette pivota pour dévisager Erin alors qu’elle s’essuyait la main sur son t-shirt. Elle le pointa d’un doigt tremblant.

“Ne l’attaque pas. À moins que je ne te le dise. Compris ?”

Il acquiesça. C’était flippant. Erin frissonna.

“C’est un guerrier compétent qui se battra pour toi. Et je crois que c’est ce dont tu as besoin, à moins que je ne sois complètement dans l’erreur.”

Il avait raison, mais sa manière d’avoir raison était terriblement problématique. Erin ne savait pas comment l’expliquer à Pisces. Lui pensait clairement avoir accordé une faveur à Erin, et l’absence de gratitude inconditionnelle de sa part le rendait brusque. Mais elle remarqua un autre problème.

“Si c’est une sorte de guerrier, ne devrait-il pas au moins avoir une épée ?”

“Les épées sont chères, Mademoiselle Solstice. Et je suis - regrettablement - pauvre en ce moment. Tu pourras sans aucun doute te permettre d’équiper toi-même ton nouveau garde du corps ?”

Et elle venait de donner l’épée courte et le bouclier à Loks. Erin grinça des dents.

“Okay, très bien. Tu m’as donné un squelette de compagnie. Que fait-il, exactement ? À part me faire peur à mourir ?”

Pisces haussa les épaules.

“Ce que tu veux. Il obéira à n’importe lequel de tes ordres, mais ah, sa capacité à penser est plutôt limitée en ce moment. Cela s’améliorera peut-être avec le temps. J’ai fait quelques améliorations sur les sorts de ranimation traditionnels...”

“Donc c’est un monstrueux squelette mort-vivant en édition spéciale. Merveilleux. Et qu’est-ce qu’il se passe s’il se casse ou devient fou ?”

“Le sortilège ne s’épuisera pas. Le corps peut-être, au cours d’un combat normal. Je serais heureux de réparer n’importe quel dégât pour une modique somme…”

Erin secoua la tête.

“La maintenance du squelette. C’est comme ça qu’ils t’ont à chaque fois.”

D’un œil sombre, elle regarda le squelette. Était-ce parce qu’elle était devenue folle ou simplement parce qu’elle s’était habituée à ce monde ? Elle n’était pas à moitié aussi affolée qu’elle aurait dû l’être par le squelette. Et pire, elle était vraiment en train de réfléchir à garder le truc.

“Et c’est censé payer ta dette ? Tout l’or que tu me dois ?”

Pisces s’éclaircit la gorge, mal à l’aise.

“Eh bien, les sorts de réanimations avancés de ce type valent traditionnellement... ”

Il s’interrompit vivement en voyant Erin pencher légèrement la tête.

“Je suppose qu’un remboursement total de mes dettes et un petit crédit pour le futur ne serait pas trop demander ?”

“Peut-être.”

Erin regarda le squelette d’un air sombre. Il lui rendit son regard, attendant patiemment ses ordres.

“Okay, disons que j’accepte ça. La Garde ne risque pas de se fâcher ?”

Pas de réponse. Erin soupira.

“Et cela ne serait pas un corps appartenant à qui que ce soit à Liscor, non ? Mais non… C’est un squelette humain. À part…”

Elle fronça les sourcils. Maintenant qu’elle l’observait de plus près, le squelette n’avait pas l’air tout à fait normal. Certes, il avait un crâne humain, mais ses côtes avaient l’air légèrement différentes de celles des livres de biologie. Et à ce propos, quelques os autour du pelvis semblaient subtilement différents.

“Hey, tu n’as pas pillé un tas de tombes pour faire ça, pas vrai Pisces ? Parce que si c’est le cas… Pisces ?”

Fronçant les sourcils, Erin regarda autour d’elle. Elle ne vit pas de mage peu obligeant, juste le squelette. Juste une porte ouverte et une absence très nette de mage. Il était parti.

Erin regarda la porte ouverte. Puis elle se demanda si Pisces était toujours dans l’auberge. Avec ses sorts d’Invisibilité et tout le barda. Délibérément, Erin marcha dans la pièce avec les bras écartés, essayant de rentrer dans n’importe quoi d’invisible et écoutant les bruits.

Rien. Il était probablement parti. Probablement. Mais Erin se changerait sous une serviette à partir de maintenant.

Elle soupira, se tourna, faillit rentrer dans le squelette et retint un cri. Il la regarda fixement, dans l’expectative.

“Va par là-bas !”

Docile, le squelette s’éloigna, mais il tourna la tête, attendant les ordres. Erin essaya de ne pas paniquer. Elle ne pouvait pas s’occuper de ça maintenant. Même si ça avait l’air d’être une solution, c’était la solution la plus cogne-toi-la-tête-contre-un-mur qu’elle ait jamais vue.

Que faire ? que faire ? La première chose à faire était de sortir le squelette de la pièces, et possiblement de sa vie. Erin soutint d’un air sombre le regard du squelette et réalisa qu’elle allait forcément devoir baisser les yeux en premier.

Elle eut une idée. Erin pointa le squelette du doigt.

“Toi. Squelé-truc.”

Il la regarda avec un vif intérêt.

“Suis-moi.”

Erin entra dans la cuisine, attrapa quelques trucs et les fourra dans les bras du squelette qui l’avait suivie.

“Prends ça. Et suis-moi.”

Le squelette marcha derrière Erin, silencieux comme un fantôme. Ses pieds osseux cliquetaient silencieusement sur le plancher alors qu’elle montait les escaliers. C’était une zone de l’auberge qu’Erin visitait rarement pour une seule véritable raison :

La poussière.

Elle était partout. Et Erin avait beau pouvoir garder le sol du rez-de-chaussée globalement propre grâce à sa compétence de [Récurage Élémentaire], elle n’avait même pas tenté de l’essayer à l’étage.

Si on avait pu comparer l’effort associé au nettoyage de la salle commune à un petit footing, nettoyer l’étage était comparable à faire les sommets de l’Himalaya dos à dos avec quelqu’un. Même le squelette paraissait impressionné par les couches de poussière accumulées dans la pièce où l’emmena Erin.

“Donne-moi ça.”

Erin prit le seau et le vieux chiffon des mains du squelette. L’eau croupie éclaboussa le sol, dissolvant plusieurs années d’accumulation de poussière en un instant. Elle plongea le chiffon dans l’eau, l’essora, et le tendit au squelette. Il prit le chiffon et le regarda d’un air d’incompréhension. Erin montra la pièce.

“Nettoie ça.”

Le squelette la dévisagea. Erin montra les chambres poussiéreuses et le plancher moisi.
“Tout ça. Nettoie-le. Compris ?”

Lentement, le squelette regarda son chiffon. Puis le sol. Il jeta le chiffon par terre et se mit à frotter faiblement avec son pied. Erin secoua la tête.

“Non ! Tu prends ça…”

Elle attrapa le tissu et frotta énergiquement le plancher, ôtant une couche de poussière, de terre et de taches noires qui teintèrent immédiatement le chiffon de noir.

“Et tu nettoies. Tu vois ? Comme ça.”

Le squelette hésita, puis essaya d’imiter Erin. Elle le regarda, corrigeant, montrant ses erreurs.

“Frotte plus fort ici. Non… Ne bouge pas le chiffon comme ça. Fait des mouvements fluides et circulaires. Comme ça. Tu vois ?”

Après quelques minutes, Erin fut impressionnée malgré elle lorsque le squelette dévoila une surface brillante de plancher sous le tapis de saletés.

“Bien.”

Le squelette s’arrêta et la regarda. Elle agita sa main.

“Ne t’arrête pas ! Continues !”

Il regarda autour de lui, confus. Erin secoua la tête. Elle alla à la porte et montra les autres pièces au squelette.

“Tu vois ? Tout l’étage. Nettoie-le. Nettoie le sol, les murs, et les fenêtres. Ne t’arrête pas avant d’avoir terminé !”

Erin descendit brutalement les escaliers, laissant le squelette seul à l’étage dans la semi-obscurité. Il baissa les yeux sur le chiffon. Puis le squelette regarda la pièce. Elle était couverte des résidus dus à l’humidité, les fenêtres ouvertes, la poussière, les déjections d’animaux et la pourriture. Même le plafond était parsemé de moisi et même de vilaines taches. Et ce n’était qu’une seule chambre.
Les squelettes ne pouvaient pas soupirer. C’était un truc de pulmonés, et ils n’avaient pas de poumons. Mais le feu dans ses yeux diminua légèrement. Puis le squelette se baissa et se mit au travail.

Il ne gagna pas de niveau cette nuit-là. Les squelettes ne pouvaient devenir des aubergistes. Mais quelque chose était bel et bien dans son esprit. Quelque chose d’unique. Des mots qui avaient résonné à sa création. Des mots qu’aucun mort-vivant n’avait jamais entendus.

[Sans nom, Guerrier Squelette Niveau 1]

Il ne savait pas trop ce qu’il en pensait.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 25 avril 2020 à 14:46:26
1.33
Traduit par Maroti

[Aubergiste Niveau 12 !]
 
 
Un de ces jours, Erin allait entendre un de ces énervants messages résonner dans sa tête et sauter d’une falaise. Mais au moins elle avait réussi à avoir huit solides heures de sommeil après.
 
Erin se demanda tristement si elle avait gagné un niveau à cause du squelette. Ou quelque chose en lien avec le squelette ? Est-ce que les [Aubergistes] gagnaient des niveaux en engageant des gardes du corps ? Ou des… Videurs ?
 
« Est-ce que les squelettes vident ? »
 
Erin cligna des yeux en regardant sa pièce pendant de longues minutes. Il était trop tôt pour penser à ce genre de sujet complexe. Elle voulait, et rapidement, pas mal de chose. Les toilettes, de quoi manger et… C’était tout.
 
Les toilettes étaient difficiles. Il n’y avait pas de véritables toilettes dans son auberge. Erin n’avait pas d’idée pourquoi, mais quelques pots brisés à l’étage et une terrible tache présente dans chaque chambre lui laissait deviner que les pots de chambre avaient été à la mode.
 
Erin ne s’apprêtait pas à utiliser un pot de chambre. Elle avait pris l’habitude de creuser (et de recouvrir le trou avec un peu de terre et de sciure de bois) des latrines à l’arrière de son auberge. C’était le bazar, c’était dégoûtant… Et elle n’était pas vraiment heureuse du fait qu’elle devait squatter dehors.
 
Quelque chose devait être fait. C’est ce qu’Erin décida alors qu’elle termina sa courte affaire avant d’attraper un rouleau de papier toilette. Au moins, ce monde avait quelque chose ressemblant du papier toilette, même s’il n’était pas aussi duveteux et plus difficile sur la peau. Mais cette absence de véritables toilettes était problématique. Un jour, quelqu’un allait la trouver et Erin allait mourir de honte ou se faire poignarder.
 
Mais une fois que son affaire fut terminée, Erin pouvait laver ses mains  avec l’eau qu’elle avait dans l’un de ses seaux et prendre son petit-déjeuner. Elle était aussi en train de tomber à court d’eau, ce qui voulait dire qu’elle allait devoir retourner au ruisseau pour en chercher et possiblement éviter des poissons volant à l’humeur mordante.
 
À ce stade l’idée d’esquiver des monstres d’une cinquantaine de kilos recouverts de dents ne dérangeait presque pas Erin. C’était juste une autre corvée. Elle ouvrit les placards de la cuisine de manière mécanique, souhaitant une nouvelle fois qu’elle avait des runes de préservation. Mais elles étaient coûteuses et Erin n’avait ‘’qu’une dizaine de pièces d’or’’. Une autre chose dont elle allait s’inquiéter plus tard. Elle allait juste le mettre sur sa liste.
 
Erin se retourna, une jarre de lait dans sa main et manqua de trébucher sur l’endroit où elle dormait. Elle attrapa le comptoir pour se stabiliser et ajouta sur sa liste qu’elle devait bouger l’endroit où elle dormait. Elle ne voulait vraiment, vraiment pas trébucher un de ces jours et se renverser de l’eau bouillante sur le visage.
 
Mais c’était tellement un bon coin où dormir. Et le bouger représentait… Tellement de boulot.
 
Elle avait une charmante petite couverture et des oreillers qu’elle utilisait pour faire un couvre-lit à moitié permanant dans un coin de sa cuisine. En vérité, cela aurait été mieux d’avoir un matelas, mais Erin avait dût faire la pingre jusqu’à récemment.  Maintenant elle pouvait s’en payer un, Erin rêva d’un lit grand format avec des draps en soie. Elle n’avait jamais essayé des draps de soie, mais peut-être que Krshia en avait… ? Probablement pas.
 
Toujours à moitié endormie, Erin marcha dans sa cuisine, assemblant son petit-déjeuner. En fait, il y avait des céréales tout à fait acceptables qui allaient bien avec le riche lait de vache qu’Erin avait acheté. Il suffisait de saupoudrer le tout d’un peu de sucre pour avoir un délicieux petit-déjeuner.
 
Mais vu que le sucre était trop coûteux pour ça, Erin coupait un fruit bleu dans son bol à la place, c’était presque la même chose.
 
Nourriture, fait. Erin marcha jusqu’à la salle commune et posa son bol sur une table. Elle tira une chaise… Et remarqua que quelque chose se tenait derrière elle. Elle se retourna lentement.

Deux flammes bleues illuminant un visage dépourvu de chair. Un squelette sourit à quelques centimètres du visage d’Erin.
 
« Aaaaaaaaaaaaaaah ! »
 
Erin hurla en donnant un coup de poing. Le squelette reçu le coup en plein visage et tituba en arrière avant de tomber. Erin serra son poing.
 
« Aie ! Aie, aie… Va là-bas ! »
 
Le squelette se leva et marcha jusqu’au coin avec obéissance. Il regarda alors qu’Erin agita sa main et jura pendant quelques instants. Une fois sa crise de juron terminé, Erin marcha et tapota énergiquement son doigt contre l’une des côtes du squelette.
 
« Hey ! Je croyais t’avoir dit de rester à l’étage ! »
 
Il secoua la tête. Erin cligna des yeux et s’énerva. Elle tapota de nouveau le squelette, mais cette fois son doigt passa à travers les côtes et directement à l’intérieur de la cage thoracique. Erin retira son doigt, frissonnante.
 
« Je me souviens t’avoir distinctement demandé de nettoyer l’étage. »
 
Le squelette hocha la tête. Erin lui jeta un regard noir.
 
« Alors ? Pourquoi est-ce que tu es en bas ? »
 
Il la regarda. Enfin, Erin supposa qu’il était en train de le faire vu qu’il n’avait pas répondu. Elle jeta un coup d’œil en direction des escaliers.
 
« D’accord, gros malin. Voyons voir ce qui est arrivé pendant que je dormais. »
 
Elle tapa du pied en montant les escaliers, le squelette sur ses pas. Erin entra dans l’une des pièces sales…

Et s’arrêta.
 
« Wouah. »
 
Quelque chose avait changé. C’était comme l’un des jeux des sept différences dans un journal, sauf que cette fois la différence était toute la pièce. Erin cligna des yeux en regardant la pièce propre comme un sou neuf et se demanda si elle était en train d’halluciner. Si elle l’était, elle préférait ne pas se réveiller.
 
Lentement, elle regarda les murs, le sol, et les fenêtres. Il n’y avait plus une tâche. Tout était propre. Elle pouvait même voir la couleur d’origine du parquet. Au lieu d’être d’un gris-marron sale, la couleur du parquet s’était transformée en un marron doré et lustré qui était agréable à l’œil.
 
« D’accord. D’accord, c’est, heu… »
 
Erin se retourna et cligna des yeux en direction du squelette.
 
« Est-ce que tu as fait toutes les pièces comme ça ? »
 
Il hocha la tête. Le squelette marcha jusqu’à un coin de la pièce et souleva quelque chose. Il ramena un seau et un minuscule bout de quelque chose à Erin. Elle plissa les yeux. Cela semblait être… Un bout de chiffon. Minuscule.
 
« Mais où est le reste ? »
 
Le squelette haussa les épaules. Erin se demanda où le reste de la terre et de la saleté était passé. Il y avait une substance visqueuse dans le seau, mais il semblait que le squelette avait jeté la majorité de saleté par la fenêtre. Ce qui était un style de ménage qu’Erin comprenait.
 
Et toutes les chambres étaient propres. Enfin, à part pour quelques tâches. Malgré les meilleurs efforts du squelette, il ne pouvait pas nettoyer la moisissure. Quelques planches pourries avaient besoin d’être remplacées, mais Erin avait [Artisanat Élémentaire] et un marteau. Elle était la déesse des petites réparations.
 
L’étage était soudainement, et miraculeusement, habitable. Erin erra dans chaque pièce d’un air hébété. Elle retourna dans la première pièce et se demanda si le sol était plus doux ici que dans la cuisine. Eh bien, le squelette avait vraiment fait du bon boulot en fin de compte. Erin n’était pas certaine de ce qu’elle devait faire de ça. Mais les pièces étaient propres.
 
Puis elle se rendit compte de quelque chose. Erin leva la tête.
 
« Hey ! Tu as oublié le plafond ! »
 
Le squelette la regarda, avant de lever la tête vers le plafond sale. Erin fronça les sourcils.
 
« J’ai dit que tu devais tout nettoyer. Le sol, les murs, les fenêtres… Et le plafond. C’est ce que j’ai dit, pas vrai ? »
 
Le squelette secoua la tête. Les sourcils d’Erin se froncèrent de nouveau.
 
« Bah, je pensais l’avoir dit. Et tu aurais quand même dut le faire ! »
 
Il n’y avait pas de moyen de dire si un squelette était en colère, triste ou… les squelettes n’avaient pas d’émotion, pas vrai ? Mais les flammes des yeux du squelette semblaient s’obscurcir pendant un court instant alors qu’Erin le regarda.
 
Elle se sentit coupable. Non pas parce qu’elle s’intéressait aux sentiments du squelette, mais parce qu’Erin pouvait se rendre compte qu’elle était une idiote. Elle s’adoucit.
 
« D’accord. Tu as fait du beau boulot. »
 
Le squelette sembla s’illuminer légèrement en entendant ça. Il suivit Erin dans les escaliers. Elle s’assit devant son petit-déjeuner avec un soupir et s’arrêta. Le squelette se tenait juste à côté d’elle. Elle pointa un coin du doigt.
 
« Va là-bas. »
 
Il marcha jusqu’au coin. Erin regarda le squelette et parla de nouveau.
 
« Retourne-toi. »
 
Il l’écouta. Enfin, Erin pouvait profiter de son repas sans avoir deux yeux brillants l’observer à chaque bouchée.
 
Le petit-déjeuner se termina rapidement. Erin avait faim, mais elle n’était pas en train de savourer son repas comme elle le faisait habituellement. À la place, elle passa son repas à penser. Une fois terminé, elle éloigna son bol et plissa les yeux en direction du squelette. C’était quoi déjà le proverbe avec les citrons et la vie ? Quand la vie te donne des citrons… Brûle l’usine de citrons ? Quelque chose du genre.
 
En tout cas, c’était l’heure de retourner travailler. Erin se racla la gorge.
 
« Hey, toi. »
 
Le squelette se retourna aussitôt. Elle secoua la tête.
 
« Prends le seau et suis-moi, d’accord ? »
 
Elle se leva alors que le squelette courut immédiatement à l’étage avant de rentrer dans la cuisine. Erin était désormais assez riche pour avoir plus d’un seau, et donc elle et le squelette étaient équipés en quittant l’auberge pour se diriger vers le ruisseau.
 
C’était une marche silencieuse. Erin dit au squelette de la reculer un peu en la suivant et elle essaya de l’ignorer alors qu’elle se balada. Peut-être qu’elle pouvait lui parler, mais… Non. Le jour où Erin commencerait à discuter avec des squelettes serait le jour où elle aurait définitivement pété les plombs.
 
Ils se rendirent au ruisseau. Erin dit au squelette de bien laver son seau avant de le remplir d’eau. C’était aussi bien qu’elle ait un seau pour l’eau potable et un seau pour se laver. Elle avait délibérément marqué les deux seaux avec un peu de peinture pour éviter de boire… Les trucs qui continuaient de s’accrocher au seau du squelette.
 
« C’est bon, partons. »
 
Erin tendit la main vers son seau, mais le squelette arriva en premier. Il s’empara de l’anse de son propre seau puis du sien et tenta de soulever les deux. Il força, et tira, mais il n’arriva pas à soulever l’un des deux seaux de plus d’un centimètre. Erin secoua la tête.
 
« Tu vois, c’est juste triste »
 
Le squelette claqua ses dents. Erin frissonna. Elle attrapa son seau et le souleva. Il était lourd, mais elle était plus forte que le squelette.
 
« Ne fais pas ça. Prends un seau et suis-moi. »
 
Le squelette souleva maladroitement l’un des seaux d’eau et tituba derrière Erin. Elle marcha rapidement, tentant de trouver le juste-milieu entre marcher rapidement et ne pas perdre trop d’eau.
 
Elle était habituée au chemin retour, mais ses bras étaient quand même endoloris lorsqu’elle arriva à l’auberge. Mais depuis qu’elle avait obtenu la compétence de [Force Mineure] le trajet était devenu bien moins douloureux. Et cette fois elle n’avait pas à faire deux fois le trajet.
 
« Okay ! L’eau c’est fait. Maintenant allons trouver de quoi manger. »
 
Erin laissa les deux seaux à l’intérieur de l’auberge, attrapa un panier, et quitta l’auberge. Le squelette la suivit avec obéissance alors que les deux traversèrent les collines recouvertes d’herbe qui formait le paysage. Ils marchèrent pendant six minutes avant qu’Erin arrête le squelette d’un bras. Il la regarda, confus.
 
« Attention. Crabroche. »
 
Elle pointa du doigt. Le squelette suivit son doigt et vit, à environ deux cents mètres, un gros rocher marchant lentement le long de la prairie. Sous la large carapace creuse, le squelette pouvait voir les massives jambes propulsant lentement le rocher.
 
Quand le squelette réalisa ce qu’était véritablement le Crabroche, il leva immédiatement ses poings et tenta de charger le monstre. Erin dût attraper l’un des bras du squelette pour le retenir.
 
« Attends ! Qu’est-ce que tu fais ? »
 
Le squelette lutta pour aller affronter le crabroche. Erin lui ordonna de s’arrêter.
 
« N’essaye pas d’affronter ce truc ! Il va te manger. Ou… Te casser en deux comme un tas de brindilles. »
 
Le squelette se calma à contrecœur. Il regarda le Crabroche qui ignora Erin et le squelette en s’éloignant. Quand il disparut derrière une colline, Erin relâcha le squelette.
 
« Ne sois pas stupide. Viens et suis-moi. »
 
Le squelette marcha derrière Erin. Éventuellement, ils arrivèrent au verger de fruit bleu. Erin montra comment ramasser les fruits au squelette.
 
« Tu vois ce panier ? Rempli ce panier. »
 
En disant cela, Erin tendit le panier au squelette et s’assit. Aussitôt, le squelette commença à courir dans le verger pour ramasser les fruits tombés et donnant des coups de pieds dans les arbres pour les faire tomber. Erin s’installa sous un arbre et en profita pour faire une petite sieste.
 
***

Avoir un squelette était bien pratique. En une poignée de minutes le squelette avait déjà rempli le panier à ras bord. Il marcha soigneusement jusqu’à Erin en faisant attention à ne pas renverser les fruits.
 
Erin ne réagit pas alors que le squelette s’approcha, elle était en train de dormir. Le squelette hésita, et plaça le panier à ses pieds. Il se releva et attendit, mais elle continua de dormir. Elle n’était pas sur le point de se réveiller.
 
Le squelette hésita, il semblait être en train de penser. Du moins, il se tourna et commença à scanner le paysage autour d’Erin. Est-ce qu’il était en train de rechercher une menace ? Erin ne pouvait pas le dire.
 
L’une de ses paupières s’était légèrement entrouverte lorsque le squelette s’était approché. Maintenant qu’il regardait de l’autre côté, Erin soupira de manière inaudible avant de se rasseoir. Bien, au moins le squelette n’était pas en train d’essayer de la tuer dans son sommeil. Elle avait passé une terrible nuit en s’inquiétant de ça. Mais Pisces semblait avoir fait un boulot correct sur le squelette. Mais quand même, elle allait garder un œil sur lui.
 
Il était pratique, mais elle ne lui faisait pas encore vraiment confiance.
 
Erin claqua dans ses mains. Le squelette pirouetta, et se relaxa quand il vit que ce n’était qu’Erin.
 
« D’accord, c’était du bon boulot. Rentrons à l’auberge. »
 
***

 
Erin montra au squelette où placer le panier de fruits bleus avant de s’étirer.
 
« D’accord. Les corvées sont presque terminées. Qu’est-ce qu’il faut faire maintenant ? »
 
Le squelette regarda Erin. Il n’allait certainement pas proposer ses propres idées.
 
« Je pourrai aller en ville. »
 
Erin y réfléchit, regardant le squelette. Elle ne voulait pas vraiment le laisser seul, pas tout de suite, mais il y avait bien plus à faire à Liscor qu’ici. Elle était en train de se demander si elle pouvait donner une tache simple au squelette, comme rassembler des mouches acides, quand elle entendit la porte s’ouvrir.
 
Le squelette et elle se retournèrent. Erin vit Pion et deux Ouvriers entrer. Elle sourit et leur fit un signe de la main. Le squelette eut une autre réaction. Il ouvrit sa mâchoire et les flammes jumelles dans son crâne s’embrasèrent.
 
« —— ! »
 
Le squelette chargea Pion et les deux Antiniums avec un cri sans mot, à la fois murmuré et hurlé. C’était un son qui ressemblait à quelqu’un qui soupirait, mais en bien plus fort.
 
Pion et les deux Ouvriers se figèrent, incertain. Ils reculèrent l’un dans l’autre, mais ils étaient trop larges pour se glisser à travers la porte. Le squelette bondit vers eux…
 
« Hey ! »
 
Le poing d’Erin toucha la tête du squelette et décrocha son crâne du reste de son corps. Pion et les Ouvriers s’arrêtèrent. Le squelette bougea les bras de manière désordonnée, avant de s’arrêter.
 
Sa tête roula sous une table. Le corps du squelette semblait savoir où elle était. Erin le regarda mettre le bazar en se dirigeant vers sa tête, renversant des chaises et se cognant contre des tables.
 
Le squelette ramassa sa tête et la replaça sur sa tête. La lumière réapparu dans ses orbites et il regarda Erin.
 
« Pas bien ! »
 
Erin ne savait pas pourquoi elle parlait à un squelette comme s’il était un chien. Elle le pointa du doigt.
 
« Tu ne les attaques pas. Compris ? »
 
Le squelette hésita et hocha la tête. La lumière dans ses yeux diminua. Erin le regarda pendant une seconde avant de se tourner vers Pion.
 
« Désolé pour ça. J’ai, heu, un problème de squelette. »
 
Pion inclina sa tête.
 
« Je ne suis pas offensé, Erin. Et je te remercie de nous avoir protégés. »
 
Les deux Ouvriers la saluèrent aussi de la tête et Erin secoua ses mains.
 
« Non, c’est ma faute. Je viens juste de recevoir ce truc squelette et je… Désolé. Mais rentrez. »
 
Elle se décala de manière gênée pour laisser entrer Pion et les autres Ouvriers dans l’auberge. Ils jetèrent un coup d’œil au squelette qui était toujours en train de les observer. Erin s’approcha de lui et tapa son doigt sur le squelette jusqu’à ce qu’il s’éloigne.
 
« Comment je peux vous aider les gars ? »
 
« Nous sommes venus pour jouer aux échecs si tu le veux bien, Erin Solstice. Nous aimerons aussi acheter des mouches pour les consommer. »
 
« D’accord. Pas de problème ! »
 
Erin se dirigea vers la cuisine et s’arrêta. Elle pointa le squelette du doigt.
 
« Restes. Ici. Ne fais rien. »
 
Quand elle retourna dans la salle commune avec un bol rempli de mouches mortes et du jus bleu, les Antiniums avaient déjà choisi une table et installé un échiquier. Erin s’assit avec eux et commença à jouer contre Pion. Ce fut une partie rapide, vu qu’il avait essayé de nouveaux coups qui avaient échoués de manière spectaculaire. Mais Erin l’aida en lui montra de meilleure manière d’attaquer l’ennemi avec son cavalier et les deux autres Ouvriers la défièrent un à un.
 
Elle discuta avec Pion tout en continuant de jouer.
 
« Qu’est-ce qui se passe chez les Antiniums ? Est-ce que vous aussi êtes déranger par tous les humains dans la ville ? »
 
Pion secoua la tête, regardant Erin commencer à amasser les pièces des ouvriers une à une.
 
« Nous travaillons. Nous vivons. Nous mourrons. Tout reste inchangé chez les Ouvriers, Erin Solstice. Mais nous entendons des… Choses. Quelque chose se passe en dessous. »
 
« En dessous ? Tu veux dire là où la Reine vit ? »
 
Pion hésita. Les deux Ouvriers levèrent la tête pour le regarder avant de baisser les yeux vers l’échiquier.
 
« Oui. Notre Reine agit. Elle est en train de faire… Quelque chose. Nous ne savons pas ce que c’est, mais nous le ressentons. Et il y a un autre Prognugator. »
 
La main d’Erin se figea au-dessus d’une pièce. Puis elle la bougea.
 
« Vraiment ? Un autre ? Ce Prog… Ce type, il a repris le boulot de Klbkch ? »
 
« Oui. Il garde la Colonie et observe. Mais aucun Ouvrier ne l’a encore vu. Il marche seul. »
 
« D’accord. Hum. D’accord. »
 
Distraite, Erin perdit un cavalier avant de se reconcentrer. Elle écrasa rapidement les deux Ouvriers avant de soupirer.
 
« D’accord. C’était une bonne partie, les gars. Vous vous améliorez. »
 
Pion hocha la tête.
 
« Nous gagnons rapidement des niveaux. Il est rare pour les Ouvriers de gagner un niveau. Nous te sommes endettés, Erin Solstice. »
 
« Vraiment ? Je ne fais pas grand-chose. »
 
« Tu enseignes. Tu aides. Tu es attentionnée. Nous savons et nous apprenons de toi sur comment être humain. »
 
Elle fit un sourire dépourvu de joie.
 
« Être humain n’est pas si bien que ça. Mais je suis contente de savoir que j’aide un peu. »
 
Elle eut soudainement une idée. Elle lança un regard de côté à Pion.
 
« Et peut-être que tu pourrais m’aider ? J’aimerai t’engager toi et les autres Ouvriers, si tu as le temps. Je sais que c’est ton jour de congé, mais… »
 
Pion secoua la tête.
 
« Nous serons heureux de t’aider. Que désires-tu ? »
 
« Des toilettes. »
 
Pion pencha la tête.
 
« Des toilettes ? »
 
Erin essaya d’expliquer en pointant à l’extérieur.
 
« Là j’ai… Je dois creuser un trou. Ce qui n’est pas fun. Je ne sais pas si les Antiniums vont aux toilettes, mais nous les humains nous aimons avoir un bon siège de toilette. »
 
« Un siège de toilette ? »
 
« … Laisse tombé. Comment les Antiniums, heu, excrètent ? Est-ce que vous avez quelque chose ressemblait à des toilettes ? »
 
« Nous avons une zone commune où les eaux usées sont accumulées. Nous recyclons les produits de ce genre dans la Colonie. »
 
« Ah. Heu. Les humains ne font pas ça. Jamais. Et j’aimerais vraiment avoir des toilettes. Rien de formidable. »
 
Pion et les deux Ouvriers hochèrent la tête.
 
« Nous sommes familiers avec la construction de ce genre de bâtiment. Cela serait une tâche simple de t’en construire un. »
 
« Oh. C’est… Bien. J’ai un peu de bois avec des clous et des trucs du genre au fond. Je peux vous en fournir plus si vous voulez. Est-ce que vous avez, hum, besoin de quelque chose en particulier ? »
 
« Nous sommes Antinium. Construire est dans notre nature. »
 
Parfois il était vraiment difficile de faire tourner la conversation avec Pion. Erin racla sa gorge de manière maladroite.
 
« Et combien je vous devrai ? »
 
Pion hésita.
 
« Nous ne souhaitons pas te faire payer pour notre service. »
 
Erin était de nouveau incertaine de ce qu’il fallait dire. Elle y réfléchit pensa pendant un moment.
 
« Tu sais quoi… Je donnerai gratuitement à manger à toi et à tes amis pour le reste de la semaine si tu me construis des toilettes. »
 
Vu qu’il y avait encore quatre jours restant dans la semaine, Erin pensa que c’était une offre correcte. Pion semblait penser la même chose, car il hocha la tête.
 
« Nous agréons. Nous allons commencer tout de suite. »
 
Les trois Antiniums se levèrent d’un seul mouvement et marchèrent jusqu’à la porte. Erin se leva, avant de s’en souvenir. Elle tourna la tête et vit que le squelette se tenait là où elle l’avait laissé.
 
« Quant à toi… »
 
Erin regarda le squelette, qui ne broncha pas.
 
« N’attaque pas mes clients, compris ? Pas sans qu’ils m’attaquent ou qu’ils font quelque chose de dangereux. Sinon, je dirai aux Ouvriers de te balancer dans la fosse et de t’y enterrer. Compris ? »
 
Le squelette hocha faiblement la tête. Erin se retourna.
 
« D’accord, commençons à travailler. Essaye de ne pas nous déranger. »
 
***

Qu’importe le nombre de fois qu’Erin le voyait, elle était toujours impressionnée par l’efficacité des Antiniums quand ils faisaient… N’importe quoi, en fait. Dès qu’elle avait choisi un bon coin pour les cabinets extérieurs, juste un peu plus loin de l’auberge et là où le vent ne ferait pas tourner l’odeur dans sa direction, ils commencèrent immédiatement à creuser et à poser les fondations du cabinet.
 
Heureusement, Erin avait encore pas mal de bois de côté. Et Pion connaissait un bon endroit où acheter du bois de qualité, donc elle leur donna de l’argent et les laissa partir. Elle avait peut-être [Artisanat Élémentaire] comme compétence, mais cela ne voulait pas forcément dire qu’elle était douée pour construire des trucs. Un cabinet extérieur était un peu en dehors de ses capacités.
 
Et apparemment, les Antiniums n’avaient pas besoin de Compétences, ou du moins pas pour quelque chose du genre. Ils étaient juste doués pour construire des trucs, et leurs corps étaient naturellement adaptés pour des tâches comme creuser ou construire. Quatre bras étaient mieux que deux.
 
Le cabinet était quelque chose de simple, du moins selon les standards modernes. Un bâtiment de bois solide qui se tenait droit, protégeant le seul occupant de la météo et des yeux curieux alors qu’une petite fosse attrapait ce qui passait à travers le trou des toilettes. C’était fonctionnel, solide, et ce dont Erin avait besoin en ce moment.
 
Cela les occupa toute la journée, mais Erin supposa que les Ouvriers n’avait pas à être rapide. Tout de même, est-ce que construire un cabinet à partir de rien était vraiment difficile ? Pion et les Ouvriers continuaient de parler d’une fondation quand elle leur apporta des mouches acides comme casse-croûte.
 
Le squelette trottina autour, poussant de la terre hors du chemin pour aider les Antiniums, remplissant les seaux d’Erin d’eau, et vérifiant les pièges à mouche acide. Elle dut tout lui expliquer la première fois, ce qui avait été une véritable corvée, mais une fois cela fait le squelette se souvenait comment faire.
 
Erin devait admettre, à contrecœur, que le squelette était sacrément pratique. Il était efficace, il ne s’arrêtait pas pour prendre une pause et ne se plaignait pas comme un certain humain. Grace à lui, son auberge était complétement prête quand le soleil commença à se coucher et que le rush de la soirée commença.
 
Aujourd’hui Loks et huit Gobelins visitèrent l’auberge d’Erin. Puis Pisces arriva, apportant sa suffisance, les Antiniums arrivèrent pour annoncer qu’ils avaient terminé le cabinet, et Scruta apparut de nulle part.
 
C’était une foule record qui était assise dans l’Auberge Vagabonde. Ils occupaient à peine plus d’un cinquième de la salle commune, même s’il était difficile de s’en rendre compte, vu comment ils étaient éparpillés.
 
Ce n’était pas surprenant. Les Gobelins avaient beau de pas avoir peur d’Erin, mais Pisces n’était qu’un autre humain pour eux et Scruta était une mauvaise nouvelle ambulante. Ils restèrent loin d’elle et du squelette. Erin avait pensé qu’ils allaient tous prendre la fuite quand le squelette leur avait ouvert la porte, mais Loks les avait empêchés de fuir vers les collines.
 
La réaction des Gobelins avait été normale. Pisces n’avait, bien sûr, pas été surpris par le squelette, et les Antiniums traitaient le squelette avec une certaine méfiance. Quand Scruta avait vu le squelette elle avait juste cligné son immense œil et froncer son sourcil sans faire de commentaire. Maintenant, elle continuait de regarder entre le squelette et Pisces en mangeant, mais elle n’engagea pas directement le [Nécromancien] pour discuter.
 
Donc tous les clients d’Erin se tenaient dans leurs propres bulles. Les Antiniums jouaient aux échecs, Pisces avalait sa nourriture, Scruta observait, les Gobelins mangeaient et parlaient entre eux et personne ne se mélangeaient aux autres.
 
Mais tous parlaient à Erin. Ou du moins, les Gobelins grognaient et Loks hochait la tête quand Erin parlait. Mais tout le monde lui parlait.
 
« J’ai remarqué ton nouveau bâtiment. Je suppose que cela fait office de toilette ? »
 
Erin sourit à Scruta et pointa Pion et les autres Ouvriers du doigt.
 
« Ouaip. Ils l’ont monté aujourd’hui. C’est super, pas vrai. Maintenant je n’ai plus à squatter dans l’herbe. Ahem. »
 
Scruta sourit alors qu’Erin toussa légèrement en rougissant.
 
« C’est pratique. Même si je te préviens qu’entretenir un tel endroit peut être difficile. Tu as bien fait de la construire loin de ton auberge et loin d’un point d’eau. »
 
Erin hocha la tête.
 
« Pion m’a parlé de tous les problèmes que des toilettes extérieures peuvent causer. Ils sentent et attirent les mouches. Mais je pense que je peux résoudre ce problème avec l’aide du plus grand liquide de nettoyage du monde. »
 
Scruta leva son sourcil, souriant légèrement.
 
« Et qu’est-ce que c’est ? »
 
« De l’acide. J’ai en plus que nécessaire, et ça mange à travers tout ce qui n’est pas de la pierre, du métal ou du verre très rapidement. Je jette un peu de ça tous les matins et voilà ! Problème résolu ! »
 
Scruta cligna de nouveau de l’œil. Depuis sa table, Pisces regarda vers elle et secoua la tête.
 
« Une nouvelle fois, ta fascination avec une substance aussi dangereuse est alarmante dans le meilleur des cas, Mademoiselle Solstice. J’espère que tu as au moins quelques potions de soin prête pour le jour où tu vas te verser de l’acide dessus. »
 
Erin le regarda.
 
« Je ne suis pas celle qui va porter l’acide. C’est trop dangereux. Il va le faire à ma place. »
 
Erin pointa le squelette du doigt alors que ce dernier arriva avec un autre panier de fruits bleus. Elle désigna la cuisine du doigt et il s’y engouffra rapidement.
 
Pisces regarda le squelette de manière incrédule.
 
« Es-tu… En train de lui faire ramasser des fruits ? Et tu veux lui faire nettoyer tes toilettes ? Tu réalises qu’il est là pour ta protection, n’est-ce pas ? »
 
« Bien sûr, bien sûr. Mais il est plus pratique en aidant l’auberge. »
 
Pisces grimaça en direction d’Erin alors qu’elle fit un tour pour une seconde tournée de jus fruits bleus.
 
« C’est un squelette guerrier, fait pour le combat ! »
 
Elle lui rendit son regard et remplit son verre d’eau.
 
« Il est plus faible que moi ! Je lui ai mis un coup de poing ce matin et sa tête s’est détachée ! »
 
Pisces rougit et fit ce qu’Erin identifia comme son expression de pré-boudage.
 
« Ma création est une œuvre d’art, mais elle doit d’abord grandir dans son potentiel. Elle n’est pas à utiliser pour des travaux manuels. »
 
Erin leva les yeux au ciel.
 
« Les travaux manuels sont tout ce dont pourquoi il est bon. Si je l’envoie essayer de tuer un de ces Crabroches il se fera écraser en un instant. Tu es un champion des [Nécromanciens], pas vrai ? Tu ne devrais pas être capable de lever un squelette de Niveau 15 ou un truc du genre ? »
 
Pisces secoua la tête.
 
« Je pourrai certainement créer des morts-vivants plus forts, ne comprends-tu pas l’importance de ce squelette ? »
 
« Non. Il est vraiment si spécial que ça ? »
 
Il cligna des yeux en la regardant.
 
« Ah. En effet, il l’est. »
 
Scruta parla. Son œil si dirigea vers le squelette, qui s’arrêta alors qu’il s’apprêtait à apporter des bols de mouches acides pour les Antiniums. Elle murmura dans sa boisson.
 
« Un [Guerrier Squelette] de Niveau 1. »
 
Pisces hocha la tête. Scruta cligna de l’œil en sa direction et inclina son verre vers lui dans une sorte de reconnaissance. Erin ne comprenait pas, mais Pisces semblait soudainement incroyablement content de soi.
 
« D’accord. Il est bien. Mais j’aimerais qu’il soit plus fort. »
 
Elle grommela en traversant la pièce, remplissant des verres avec son pichet. Scruta arrêta Erin et lui murmura quelque chose lorsqu’elle passa à sa table.
 
« Mais qui est ce [Nécromancien], exactement ? »
 
« Pisces ? »
 
Erin lança un regard à Pisces. Il était en train de sourire à son squelette alors que ce dernier faisait des va et vient dans la pièce.
 
« Oh, il est juste un type bizarre que j’ai rencontré il n’y a pas longtemps. Il est… Enfin, je suppose qu’il est un bon mage. Il fait ses trucs de nécromancien, mais le squelette est la première chose mort-vivante que je l’ai vu faire. Il fait aussi d’autres sorts. Pourquoi ? »
 
Scruta regarda Pisces et son œil s’éloigna quand il regarda dans sa direction. Elle lui hocha la tête de manière imperceptible alors qu’Erin remplissait de nouveau son verre.
 
« Il est… Talentueux. »
 
« Oh. »
 
Scruta hocha la tête. Après un certain moment Erin hocha les épaules et s’éloigna. Qu’est-ce que tu étais sensé répondre à ça ?
 
***

 
Une heure venait de passer, et Erin était en train de continuer de tenir l’auberge alors que les clients mangeaient, parlaient et, occasionnellement, utilisaient les nouvelles toilettes. Scruta ne bougea presque pas de son siège, mais son œil central continua de suivre Pisces et son squelette.
 
Puis, alors que le soleil commençait à disparaître derrière les montages et que la lumière se faisait de plus en plus faible, l’œil principal de Scruta tourna vers l’une des fenêtres. Elle tapa ses lèvres et sourit de nouveau.
 
Erin remarqua la Semi-Scruteur se leva et laisser des pièces sur la table. Scruta hocha la tête en sa direction alors qu’Erin s’approcha.
 
« Excuse-moi Erin, mais je dois m’occuper de quelques affaires. Je serais de retour sous peu. »
 
« Oh, d’accord. Amuse-toi ? »
 
Scruta sourit et s’en alla rapidement. Erin haussa les épaules et retourna à son service. Environ dix minutes plus tard, elle entendit quelqu’un frapper à sa porte.
 
« Entrez ! »
 
La porte s’ouvrit. Erin se retourna avec un sourire.
 
« Hey, bienvenue ! »
L’aventurier humain qui venait d’ouvrir la porte lui fit un grand sourire.
 
« Merci. Mes amis et moi sommes à la recherche d’un endroit ou rester et… »
 
Il vit Loks et les Gobelins en premier. L’aventurier jura et s’empara de son épée.
 
« Des Gobelins »
 
L’estomac d’Erin se retourna. L’aventurier recula et ses deux compagnons, deux aventuriers bourrus en armure, dégainèrent immédiatement leurs armes. Loks et son gang levèrent les yeux, soudainement tendus. Pion et les Ouvriers se figèrent lors de leur partie. Pisces avait déjà disparu.
 
« Non, non, attendez ! Ne faites rien ! »
 
Laissant tomber son pichet de jus sur la table, Erin courut pour se mettre entre les aventuriers et les Gobelins.
 
« Ils sont amicaux ! N’attaquez pas ! »
 
Le premier aventurier la dévisagea. Il portait un casque en métal qui donnait un aspect de pot à sa tête.
 
« Mais tu es folle ou quoi ? Ce sont des Gobelins ! »
 
Ses deux amis bougèrent derrière lui. L’un d’entre eux s’exclama lorsqu’il vit Pion et les Ouvriers.
 
« Ce sont les insectes ! Et… Un squelette ? »
 
Le premier aventurier était blanc comme un linge, il était difficile de dire si c’était de rage ou de peur. Erin le regarda, sa main serrant le pommeau de son épée.
 
« Qu’est-ce qui se passe ici ? »
 
« Ecoutez, que tout le monde respire un coup! Du calme ! Ces Gobelins sont pacifiques. Vous n’avez pas lu le signe… ? »
 
Le troisième aventurier, un immense homme qui faisait une bonne tête de plus que les deux autres, devint rouge. Il grogna en direction de Loks et de ses Gobelins, qui étaient tous debout, l’arme au clair.
 
« La ferme ! Ces créatures ne sont pas pacifiques. Ce sont des monstres ! J’ai perdu de bons amis à cause d’eux ! »
 
Il s’apprêta à dégainer sa hache. Erin attrapa sa main.
 
« Non, attends, laisse-moi… »
 
« Dégage ! »
 
L’aventurier bourru rugit et envoya valser Erin. Il la repoussa et Erin s’écrasa dans une table. Elle cligna des yeux de manière stupide en regardant le plafond alors que le monde tourna pendant un moment. Du coin de ses yeux, elle vit un mouvement aussi rapide que l’éclair.
 
Les aventuriers étaient en train de bouger vers les Gobelins, les armes aux clairs, quand le squelette sauta par-dessus une table, chargeant le premier aventurier et s’écrasant contre lui. Le guerrier squelette n’était pas armé, mais il leva un poing squelettique et l’enfonça dans le visage de l’aventurier.
 
La protection en métal du casque arrêta le coup, mais il ne pouvait pas protéger l’homme de se faire renverser lorsque le squelette le percuta. Le mort vivant donna un coup de pied et l’épée vola hors des mains de l’homme. Il jura alors que les deux autres aventuriers se dispersèrent. L’un de ses amis tira soudainement son épée, mais soudainement Loks et les autres Gobelins étaient sur lui.
 
Le grand aventurier rugit et leva sa hache, mais Erin le percuta. Elle tenta de tirer son bras vers le bas, mais c’était comme tiré sur une pièce de granite. Il la frappa dans les côtes, et Erin tomba. Ca faisait mal. Pas aussi mal que de se faire poignarder, mais elle ne pouvait plus respirer. Il montra les dents en la regardant, et puis Pion était devant lui. L’Antinium fit voler ses deux poings gauches et l’aventurier recula.
 
L’aventurier au sol jura et donna un coup vers le squelette, essayant de se relever. Le squelette se recula alors que l’aventurier donna des coups hasardeux. Donner des coups de poings sur le côté de la tête de l’homme ne faisait pas grand-chose. Mais le squelette frappait, et frappait et frappait.
 
L’aventurier au casque attrapa le pied du squelette et l’envoya en l’air. Il grogna et se releva alors que le squelette tomba à la renverse. Puis il s’empara de son épée.
 
Sa main venait de se fermer autour du pommeau de son épée quand Erin alla jusqu’à lui et lui donna un coup de pied sur sa tempe. Il retomba au sol, bien plus lourdement que lorsque le squelette l’avait frappé.
 
Elle regarda autour d’elle. Le deuxième homme était en train de se battre contre les Gobelins, donnant des coups d’épée alors qu’ils dansaient autour de des tables et des chaises. Il n’avait pas assez d’espace pour faire de grands mouvements, mais les Gobelins avaient plus de liberté. Ils bondirent sur lui, lui coupant les jambes, le frappant avec des massues, lançant des assiettes à son visage…
 
Un Ouvrier s’écrasa dans une table proche d’Erin. Il resta sur le dos, sonné, avant de se relever. Elle regarda dans sa direction. Le grand aventurier était en train de se battre contre les trois Antiniums qui l’encerclaient.
 
Il donna un coup vers Pion, mais Pion attrapa ses deux poings avant de le frapper avec deux autres poings. Le grand aventurier cligna des yeux, avant de repousser l’Antinium. Pion fit un vol plané, mais les deux autres Ouvriers prirent le relai. Il les rossa de coup de poings, mais ce que les Antiniums manquaient en puissance, ils le comblaient en durabilité.
 
C’était le foutoir. Erin ne savait pas quoi faire, mais quand l’un des aventuriers attrapa Loks et la jeta au sol, elle bougea. Il écrasa son estomac alors que la Gobeline hurla d’agonie. Erin leva le poing, et puis le squelette écrasa une chaise à l’arrière du crâne de l’aventurier.
 
Il s’effondra. Il ne restait plus que le plus grand des aventuriers, mais il était capable de gérer tous ceux qui voulaient l’attaquer. Il frappa l’un des Ouvriers si forts que la carapace de l’Antinium craqua, et mit un coup de poing au squelette pour l’envoyer valser au sol avant de donner un coup de pied dans le torse du mort-vivant. Deux côtes se brisèrent alors que les Gobelins se ruèrent sur l’homme.
 
Erin hésita, avant de courir dans la cuisine. Elle sortit avec un lourd objet entre les mains, juste à temps pour voir le squelette s’écraser dans une autre table, avec une hache dans le torse.
 
Le plus grand des aventuriers donna un coup de pied dans un Gobelin qui s’écrasa contre un mur plusieurs mètres plus loin. Fit un revers de main à Pion avant de grogner. Il se retourna, et la poêle à frire s’écrasa en plein milieu de son front. Erin avait l’impression qu’elle s’était déboitée l’épaule avec ce lancer, mais sa compétence avait envoyé la poêle là où elle voulait qu’elle aille.
 
Le combat était terminé. Erin devait encore rappeler le squelette et empêcher Loks et les Gobelins de poignarder les aventuriers au sol. Le squelette était en train de d’essayer de piétiner la tête de l’homme avec le casque alors que Pion et les deux autres Ouvriers étaient en train de vérifier leurs blessures.
 
Erin regarda autour de son auberge. Elle regarda le squelette, avec une hache coincée dans ses côtes brisées, les Gobelins blessés, le trio d’aventuriers au sol, Pion et les Ouvriers blessés, et puis sa salle commune. La moitié des tables et des chaises étaient réduites en miette, impossible à sauver, et toute la nourriture et la vaisselle avait été éparpillée dans la salle.
 
Elle avait envie de pleurer. Mais le premier des aventuriers était en train de se réveiller. Erin regarda l’homme gémissant au sol et pointa le squelette du doigt.
 
« Toi. Seau. »
 
Il hésita, avant de marcher dans la cuisine. Erin regarda autour d’elle, marcha jusqu’à sa poêle, en s’en empara.
 
***

Le jet d’eau froide réveilla les trois hommes d’un seul coup. Ils bredouillèrent, de nouveau dans le monde des vivants, haletant, avant de se rendre compte qu’ils n’étaient pas en train de se noyer. À la place, ils se trouvaient sur le parquet d’une auberge.
 
Les trois aventuriers levèrent les yeux pour voir le visage de la justice. Dans leurs cas, c’était l’arrière d’une poêle à frire. Erin se tenait au-dessus d’eux, flanquée par un groupe de Gobelin à sa gauche, et un squelette et trois terrifiantes monstres fourmis connues sous le nom d’Antinium à sa droite.
 
« Vous avez bousillé mon auberge. »
 
Erin toisa les trois hommes. Elle était en train de trembler. À moitié à cause du stress, et l’autre moitié à cause de sa rage.
 
« Tu… »
 
L’aventurier au casque hésita. Il lutta pour se relever, cherchant son épée. Il la vit dans les mains du squelette et pointa un doigt tremblant vers lui, reculant alors que ses deux amis se relevèrent.
 
« C’est quoi ce genre d’auberge ? C’est plein de monstres ! »
 
« Ce ne sont pas des monstres ! Ces Gobelins sont mes invités, et personne ne leur fait du mal ici ! Vous n’avez pas lu le signe ? »
 
Le plus grand des aventuriers tituba debout. Ses poings étaient serrés et il était en train de rougir jusqu’au cou. Loks et les autres Gobelins s’éloignèrent de lui, mais Erin vit Loks sortir une jarre pleine de liquide vert. Elle secoua sa tête en direction de la Gobeline.
 
« Tu es folle ! Espèce de… De tordue ! Tu nourris des monstres qui tuent des humains ! Et tu nourris des insectes et un monstre mort-vivant. Nous allons brûler cet endroit et te livrer à la Garde ! »
 
« Brûler mon auberge ? Je ne pense pas, non. »
 
Erin resserra son emprise sur le manche de sa poêle à frire. Les Antiniums bougèrent derrière elle et les deux plus petits aventuriers firent un pas en arrière.
 
« Salope ! »
 
Le grand aventurier hurla sur Erin. Sa salive était presque en train de recouvrir le squelette s’interposant entre lui et Erin.
 
« Ce n’est pas terminé ! On va ramener tous les aventuriers de la ville et revenir. Puis on va voir si tu veux toujours protéger ces monstres ! »
 
« Je ne pense pas que cela arrivera. »
 
Quelqu’un tapa sur l’épaule du grand aventurier. Il se retourna, donna un coup de poing, et manqua d’hurler alors qu’une poigne d’acier attrapa son poignet.
 
Scruta l’Omnisciente regarda l’aventurier qu’elle avait attrapé avec le même regard qu’un entomologiste étudiait un insecte qu’il avait attrapé dans son jardin. Elle repoussa la main de l’aventurier d’une pichenette désintéressé avant de se tourner vers Erin avec un sourire.
 
« Erin Solstice. Tu es pleine de surprises. »
 
Erin cligna des yeux.
 
« Oh. Scruta. »
 
Les deux aventuriers derrière le grand homme réagirent au nom du Scruteur, et à son œil, mais le dernier d’entre eux était toujours aveuglé par sa rage.
 
« Si tu comptes protéger cette salo… »
 
Scruta ne bougea pas. Elle ne bougea pas, mais son œil trésaillit. La pupille jaune sembla s’agrandit et briller pendant un instant et Erin se sentait mal à l’aise. Scruta était immédiatement, et sans aucune raison, absolument terrifiante. Et elle n’était même pas en train de regarder Erin. L’effet sur les aventuriers, surtout sur le grand homme, fût immédiat. Ils tremblèrent, pâlirent, et s’éloignèrent d’elle.
 
« Personne n’attaquera cette auberge. Ou je vous retrouverai et que vous ferai souffrir. Maintenant, vous allez tous partir. »
 
L’aventurier au casque frissonna, ses yeux se dirigèrent vers l’épée qui se trouvait toujours dans les mains du squelette.
 
« Mais… »
 
L’œil de Scruta tourna et sa large pupille jaune fixa le visage de l’aventurier, et les mots s’arrêtèrent.
 
« Hors de ma vue. »
 
L’aventurier regarda une dernière seconde le large œil de Scruta et manqua de se pisser dessus.  Il se tourna et courut avec ses deux amis au moment au Scruta se tourna et sourit à Erin.
 
« Je suis heureuse que tu ne sois pas blessée. »
 
« Quoi ? »
 
Erin cligna des yeux de manière stupide en regardant Scruta, avant de réaliser qu’elle tenait toujours sa poêle à frire. Elle la déposa sur la table, légèrement gênée.
 
« Hum, merci. Vraiment. Tu viens de tous nous sauver. »
 
Scruta agita sa main de manière dédaigneuse.
 
« Je les ai simplement empêchés de causer plus de problèmes. Mais tu te serais occupé d’eux de manière admirable si je n’avais pas été là. »
 
Ses plus petits yeux observèrent la pièce.
 
« Tout de même, je vois qu’ils ont causé beaucoup de dégâts. Je m’excuse. J’aurai dût les forcer à te payer les réparations. »
 
« Oh, ce n’est rien… »
 
Erin s’arrêta. Loks boita jusqu’à elle, tenant son estomac, et tapa son doigt dans son flan. Le Gobelin offrit un sac de pièce à Erin.
 
« Oh. Oups ? »
 
Loks hocha les épaules en direction d’Erin avant de grimacer. Elle serra son estomac, là où l’aventurier l’avait écrasé. Erin oublia aussitôt l’argent et se mit à genou, regardant anxieusement la Gobeline.
 
« Est-ce que tu vas bien. J’ai quelques potions de soins que je peux parta… »
 
Loks secoua la tête. Se tenant les côtes, elle tira quelque chose de sa bourse. Une potion de soin. La Gobeline retira le bouchon et but une gorgée du liquide violet et saumâtre.
 
Erin était certaine que les Gobelin n’avait pas leur propres potions de soin. Elle était aussi certaine que ce n’était pas l’une de ses potions, ou une potion de Scruta. Elle regarda en direction des autres Gobelins et vit qu’ils faisaient la même chose avec quelques autres potions de soin. Elle savait exactement d’où elle provenait.
 
Les aventuriers étaient venus avec des bourses, et des sacs à dos avec leurs armures et leurs armes. Et même s’ils étaient partis avec leurs armures, il semblait que quelqu’un avait coupé leurs bourses et leurs sacs de potion de soin lorsqu’ils étaient au sol. Les Gobelins se chamaillaient déjà sur le butin.
 
Erin avait l’impression qu’elle allait se faire blâmer pour la majorité de… Pour la totalité de cette affaire. Mais en ce moment, et en regardant les blessés de son auberge, elle s’en fichait.
 
« Tiens. »
 
Elle redressa une table, et fit s’asseoir Pion et les Ouvriers. Erin trouva quelques bandages dans ses sacs, aida à retirer la hache de la cage thoracique du squelette, et laissa Pisces travailler sur le squelette. Elle était si occupée à prêter attention à ses amis, les remerciant et leur offrant un second repas, qu’elle ne remarqua pas l’absence de Scruta lorsque cette dernière quitta l’auberge.
 
***

Scruta l’Omnisciente fit la route retour vers Liscor, le sol flou sous ses pieds. Elle n’avait pas d’autre affaire a réalisée à l’Auberge Vagabonde en ce moment. Erin Solstice était trop occupée à soigner ses clients pour une conversation, et elle avait vu tout ce dont elle avait besoin.
 
Encore plus important, elle en avait trouvé un. Enfin, elle en avait trouvé un. Et pas qu’un.
 
« Deux. »
 
Elle sourit pour elle-même. Elle avait cherché en long et en large pour des individus dignes de réveiller son lord et seigneur. Durant des années. Et elle avait désespéré. Mais maintenant elle en avait trouvé un. Non pas un, mais deux.
 
« Une mystérieuse enfant avec une compétence unique et un mage qui peut créer de nouveaux morts-vivants. »
 
Erin Solstice. Elle était différente de tous les humains que Scruta avait rencontrés, à l’exception d’un seul. Elle avait rencontré qu’un seul autre être capable d’unifier autant de races différentes de la sienne. Et le fait qu’elle avait dût intervenir pour la protéger de sa propre espèce ne la rendait que plus rare aux yeux de la Scruteur.
 
Mais il y avait plus que cela. Les origines d’Erin, sa manière de penser, et oui, même sa compétence d’[Instant Immortel] que Scruta n’avait jamais rencontré auparavant étaient tous unique. Elle était digne. Le mage était aussi digne, mais d’une manière différente. C’était un génie, tout simplement.
 
« Mais elle est différente. »
 
Scruta fronça son sourcil, laissant une unique paupière tomber sur son œil central. Oui, Erin Solstice était différente. Elle passa les portes de la ville, hochant la tête en direction du garde qui la regarda alors qu’elle marcha paresseusement dans les rues.
 
Erin Solstice. Elle était la bonne, et si Scruta devait choisir cela allait être elle. Mais c’était mieux de ne pas avoir à choisir. Il fallait mieux attendre et faire des plans. Scruta pouvait toujours agir maintenant, bien sûr, mais elle si elle voulait bien faire les choses elle devait prendre son temps.
 
Du temps et de la patience étaient deux choses que Scruta n’avait pas, mais elle ne voulait pas ruiner les choses, pas quand elle avait trouvé non pas une, mais deux personnes dignes. Elle se languissait de commencer, mais la patience… La patience était une vertu qu’elle avait appris à pratiquer.
 
Oui, peut-être que c’était mieux d’attendre. Mais elle était venue de loin après des milliers de kilomètres et d’innombrables années. Son Roi sommeillait toujours ; il allait devoir attendre un peu plus longtemps avant de s’éveiller. Ceux qu’elle allait apporter devaient être véritablement digne de son attention.
 
Alors que Scruta marcha dans les rues, elle remarqua qu’elle était suivie. Elle garda son œil principal devant elle, mais ses plus petits yeux pouvaient détecter du mouvement autour d’elle. Des Gnolls. Deux la filaient au loin, prétendant être des clients tardifs et des piétons rentrant chez eux.
 
Ils étaient sans aucun doute envoyés par une certaine marchande Gnolle. Elle les avait sans aucun doute organisé pour suivre Scruta, ignorant probablement la capacité que les Scruteurs avaient de tout voir. Ou peut-être qu’elle le savait et qu’elle laissait Scruta savoir qu’elle était suivit. Dans tous les cas, cela n’avait que peu d’importance. Les Gnolls étaient les moins expérimentés des observateurs de Scruta, mais ils n’étaient pas les seuls qui l’observaient.
 
Mais ce fut leur présence qui décida Scruta. Il y avait tant de choses cachées sous Erin que même ses yeux ne pouvaient pas tout voir. Elle allait attendre. Attendre, et en apprendre plus à propos de cette étrange humaine. Peut-être qu’un autre était digne. Trois étaient mieux que deux.
 
Alors que Scruta passa dans la rue du marché, elle remarqua un infime mouvement. Une petite humaine attrapa plusieurs objets d’une échoppe alors que le vendeur était en train de regarder de l’autre côté. Scruta prétendit de ne pas l’avoir vu, mais l’un de ses petits yeux traqua l’humaine alors qu’elle s’enfuit.
 
La voleuse disparu sous le couvert d’une allée, mais les yeux des Scruta n’étaient pas assez faible pour être arrêtés par de simples objets comme les murs à cette distance. Son grand œil bougea, et elle vit plus que la silhouette de la voleuse. Son nom et sa nature apparurent devant elle. Tel était le pouvoir des yeux de Scruta.
 
Mais dans ce cas, Scruta fut déçu. Elle secoua la tête.
 
« Ah. Ce n’est qu’une [Princesse]. »
 
Elle détourna le regard. Elle n’avait pas de temps à prendre pour la noblesse humaine. D’insignifiants lords et princesses de petites nations ne pouvaient pas soulever l’intérêt de son souverain.
 
Scruta leva son œil. Elle vit les vents changeants à des kilomètres au-dessus d’elle, vit le vent froid souffler à une vitesse que même son œil peinait à suivre. Oui, l’hiver approchait. Et rapidement. Cette région ne connaissait que peu de saison à l’exception de celle des pluies, mais le souffle hivernal allait tout de même geler cette région pendant une semaine au moins. Du temps, alors, pour observer les deux humains.
 
« Oui, du temps. »
 
Les aventuriers avaient été une aubaine. Leurs idioties avait donné à Scruta une idée sur la nature d’Erin. Elle allait s’assurer qu’aucune représaille ne prennent place, du moins pas sous la forme d’une foule, mais elle allait continuer d’observer Erin Solstice.
 
Elle voulait tout savoir sur elle.
 
***

Erin était assise dans son auberge, regardant la pièce récemment nettoyée. La moitié des tables et des chaises étaient désormais du petit bois pour le feu, mais au moins la nourriture renversée et la vaisselle brisée avaient été nettoyées. Elle allait en acheter d’autre chez Krshia demain.
 
Tout le monde était parti. Ils étaient partis en boitant, en marchant vers la ville, ou dans le cas de Pisces, en faisant un numéro de disparition. Ils étaient partis, et Erin était seule.
 
Avec le squelette, bien sûr.
 
Il était entièrement réparé et en train de balayer de la poussière. Erin le regarda travailler. Il s’arrêta, leva les yeux, et la vit en train de le regarder.
 
« Ouais. Toi non plus tu n’aimes pas ça, hein ? »
 
Après un moment le squelette recommença à travailler. Il se leva, pelle à poussière en main et marcha dehors pour jeter la poussière. Puis il entra de nouveau et se tint prêt à intervenir de nouveau, en regardant Erin.
 
Elle soupira, le squelette la regarda en attendant un ordre.
 
« Les squelettes. Tu sais,  je détestais les cours de biologie à l’école. Le squelette dans la classe me fichait les jetons, et celui-là ne bougeait pas tout le temps. »
 
Pas de réponse. Enfin, Erin y était habituée.
 
« Je n’aime pas les choses mortes. Et je ne te fais pas vraiment confiance. »
 
La lumière dans les yeux du squelette baissa légèrement, Erin soupira de nouveau.
 
« Mais. Je suppose que tu es ok. »
 
Les étincelles dans les yeux de squelettes s’allumèrent, Erin hocha la tête pour elle-même.
 
« Je vais te garder après tout. Tu es utile, et tu peux te battre. D’une certaine manière. Ne fais rien de stupide, d’accord ? »
 
Après une seconde, le squelette hocha la tête.
 
« C’est cool. Maintenant je suppose… Je suppose qu’il te faut un nom ? »
 
Pas de réponse. Mais le squelette semblait attendre quelque chose. Erin se gratta la tête. Elle avait vraiment besoin de dormir, mais c’était important.
 
« Qu’est-ce qui est un bon nom pour un squelette. Papyrus... ? Nah, t’es pas assez cool pour ça. »
 
Le squelette ne réagit pas. Erin pencha la tête, concentrée sur la question. Elle fit claquer des doigts.
 
« Je suppose que je vais t’appeler Clatter. Non… Claptrap ! Mais même toi tu n’es pas aussi agaçant que ce… Truc. »
 
Erin se gratta de nouveau la tête et commença à faire des rondes dans la pièce. Les yeux bleus et enflammés du squelette la suivirent dans la pièce alors qu’elle commença à jeter des noms au hasard.
 
« M.Os ? Trop simple. Pourquoi pas Carnage ? Mais ça sonne horrible. Steve le Silencieux… ? Non. Smitty Werbenjagermanjensen ? Trop long. »
 
Après un certain temps le squelette se retourna et marcha à l’étage. Il commença à nettoyer une décennie de saleté agglutiné sur le plafond en entendant Erin se parler à elle-même un étage en dessous.
 
« Pourquoi pas Napoleon ? Mais tu n’es pas petit. Skeletron ? Mais je vais me tromper. Paul Hendrickson Cinquième du nom ? Blanchot ? Attends, est-ce que c’est raciste ? »
 
Le squelette étouffa volontairement la voix d’Erin dans sa tête, du moins le plus possible. Il nettoya le plafond avec le fragment de chiffon avec force, souhaitant, autant qu’il pouvait souhaiter, qu’il était en train de tenir une arme à la place. Erin lui avait fait déposer la hache et l’épée dans la cuisine lorsqu’elle avait nettoyé.
 
Il n’avait pas de volonté. Les squelettes n’étaient pas censés avoir une volonté propre. Mais ils n’étaient pas supposés monter de niveaux non plus, et ce [Guerrier Squelette] était désormais au Niveau 2. Il ne savait pas comment se sentir à ce sujet. Il n’avait qu’une seule fonction : servir. Si gagner des niveaux lui permettait de mieux réaliser cette tâche, alors il allait gagner des niveaux.
 
Il souhaitait juste qu’Erin se taise.
 
« Osangle. Ossorama. Tête d’Os. Friedman? Tape Vertèbre. Harambe. Jack? Jack Sparrow? Jack Skellington? M.Squelette? Tête de Smiley? »
 
Une pause. Le squelette ne laissa pas échapper un soupir de soulagement.
 
« …Mike ? »
 
[Aubergiste Niveau 13 !]
 
[Compétence – Voix de Stentor obtenue !]
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 29 avril 2020 à 13:46:39
1.09 R
Traduit par EllieVia

“Éveille-toi, humaine.”

J’ai déjà eu pas mal de réveil à travers les années. Quand j’étais petite, mes parents m’en avait donné un à l’ancienne* que je devais rembobiner tous les soirs pour qu’il ne s’éteigne pas. Dès que je l’ai pu, je suis passée aux réveils digitaux, puis à mon iPhone.

*Vintage, pour les hipsters. Et si c’est ton cas, inutile de m’adresser la parole.

J’aime me lever tôt pour aller courir - et donc avec l’âge, mes alarmes sont devenues de plus en plus fortes. J’ai dû acheter le réveil dans ma chambre parce que mon iPhone n’était pas assez puissant pour me réveiller. Je pouvais réveiller toute la maisonnée si je le laissais pour aller courir en oubliant de l’éteindre. Et mes parents ont une grande maison.

Mais aucune alarme, de réveil ou d’incendie, ne m’a jamais ramenée au monde éveillé aussi vite. Dès l’instant à j’ai entendu ces trois mots, je me suis réveillée. On aurait dit de la magie. *

*Probablement parce que c’était de la magie.

Je redresse la tête et me prépare instinctivement à accueillir la douleur. Je n’en ressens aucune, ce qui est déjà alarmant en soi. Je devrais être à l’agonie… ou morte. Et si je suis morte, qui m’a réveillée ?

Pitié, faites que ce ne soit pas un vieux mec qui se fait appeler Dieu.

“Assieds-toi.”

Là encore, la voix de Dieu fait exactement comme c’est marqué sur l’étiquette. Je me redresse sans vraiment réaliser ce que je fais. J’étais allongée au sol, mais à présent le monde se redresse dans le bon sens pour moi. Que se passe-t-il ?

Je me souviens m’être étalée par terre. Sur des carreaux de marbre, pour être exacte. Un sol pavé de carreaux de marbre au milieu d’une vaste caverne, tapissée d’un laboratoire ou d’une bibliothèque du trésor ou de l’armurerie d’un mage. En quelque sorte.

J’aimerais regarder autour de moi, mais mon corps est figé. Je suis complètement paralysée, incapable de tourner la tête. Je peux voir des rangées d'étagères sombres devant moi, puis quelqu’un entre dans mon champ de vision.

Un homme… oui, un homme est debout devant moi. L’homme le plus étrange, le plus séduisant…

Séduisant ? Lui ? C’est un vieux mec avec une barbe. Je déteste les hommes plus âgés que moi, principalement parce qu’ils me font penser à mon père. Mais cet homme… il est différent. Différent de tous les gens que j’aie jamais rencontrés.

D’une part, son apparence est extraordinaire de mille façons. Ses cheveux sont d’un blanc pâle, mais pas gris. Disons plutôt… argentés ? Ils ont un lustre qui me fait me demander s’il utilise l’équivalent de ce monde du gel. Mais même les icônes des défilés de mode et les top modèles de mon monde n’ont pas des cheveux comme ceux-là.

Et il a l’apparence d’un modèle. Un athlète Olympique plus dans la prime jeunesse mais qui aurait gardé le même corps. Il ressemble aux statues que faisaient les sculpteurs à la Renaissance, mais même David n’était pas aussi bien sculpté.

De plus, il porte une robe semblable à celle de Ceria. Une robe magique qui semble faite de soie et de lumière… mais en plus lumineux encore. *

*Je crois que mon cerveau est en train de lâcher définitivement. Il y a un problème. Les gens… personne ne devrait être aussi parfait.

Et je lève alors les yeux et croise un regard à la fois bleu et violet.

Non. Bleu et violet ? J’ai quoi, sept ans ? Les couleurs que je vois sont bien plus profondes que cela. Je plonge mon regard dans le sien…

Et je vois un fragment de magie éternel.

Cela devrait être impossible, mais c’est comme si je plongeais mon regard dans une de ces nébuleuses au fin fond de l’espace. L’améthyste et l’azur… non, même ces mots ne sont pas suffisants. Quand je vois les couleurs célestes de ces yeux, les mots héliotrope et céruléen me traversent l’esprit. Des mots de luxe pour une vision sans mots.

Les couleurs se mélangent dans ses iris, exactement comme les couleurs éternellement changeants des nuages d’étoiles. Nébulae. Les pupilles se focalisent sur moi et j’ai l’impression d’avoir été prise dans un aiguillon électrique à bétail. * Je ne sais toujours pas comment je peux être saine et sauve ni ce qu’est cet endroit, mais je crois que je peux imaginer ce qu’il est, lui.

*Je ne sais pas ce que c’est censé faire, je n’ai pas cette expérience personnelle, mais… c’est comme si mon corps tout entier était parcouru d’un courant électrique, et pas juste pour ses mauvais côtés.

Un mage. Ou plutôt, un sorcier ou un enchanteur. Parce que si ce type est un mage, c’est un archimage ou un magus.

Le mystérieux vieil homme-mage fait un crochet du doigt en ma direction.

“Lève-toi, je te prie.”

Je me redresse sur mes pieds aisément, là encore sans douleur et sans les trous béants dont mon corps devrait être recouvert. Pourquoi ?

À présent que je suis sur pieds je peux aussi voir que je suis plus petite que cet homme d’au moins dix centimètres. Et je fais un mètre quatre-vingt. Il est grand, beau, et bien que sa peau ne soit pas sombre elle est…

Je cille brièvement. Étrange, j’aurais juré que sa peau était blanche mais elle est plus sombre que ça. Il a l’air… de venir du Moyen-Orient ? Oui, un brun olive modéré blanchi par l’absence d’exposition au soleil, peut-être. Mais j’aurais juré qu’il avait la peau blanche la première fois que je l’avais vu.


Ses écailles scintillent à la lumière. Le dragon d’or me regarde et...


Non… C’est la lumière. Je veux lever les yeux, mais la lumière de la pièce a changé, d’une manière ou d’une autre. C’est comme si un filtre de couleur géant s’était posé au-dessus de la pièce, en changeant les apparences. Est-ce qu’il y a un gros miroir ou quelque chose… ?

Mais alors le mage me regarde et je comprends qu’il y a un autre problème. Plus exactement, un problème avec mes vêtements.

Ma chair est guérie, mais le tissu est fragile. Et quand un tas d’oiseaux aux allures de ptérodactyles essaie de te déchirer en morceaux et que des Gargouilles te crache des éclats de pierre dessus, il est inévitable d’avoir des dysfonctionnements de garde-robe.

L’un des éclats de pierre a dû m’atteindre à l’épaule droite, parce que ma bretelle de soutien-gorge a été coupée en deux. Ce qui ne serait pas si grave… s’il ne manquait pas également une bonne partie de mon t-shirt. Juste au niveau de la poitrine.

Il fait froid dans la caverne. Mais le vieil homme regarde ma poitrine d’un œil dédaigneux et soupire. Il n’a même pas l’air vaguement intéressé, et mon agacement à cette idée l’emporte sur le soulagement à l’idée qu’il ne soit pas une sorte d’enchanteur pervers.

*Écoute, je suis évidemment pour la dignité des femmes. Quelqu’un qui me siffle dans la rue me donne furieusement envie de lui enfoncer la tête dans une poubelle. Mais quand on est nue, on s’attend au moins à une réaction de la part d’un mâle, qu’il soit gay ou hétéro ou asexuel. Même s’il s’agit simplement de se couvrir les yeux et de se détourner poliment, ou alors de regarder fixement comme un singe. Mais ce type de cligne même pas des yeux. Même un aveugle serait plus heureux que ça d’entendre dire qu’il y a une femme nue devant lui. Le respect, c’est très important, mais j’aimerais avoir une quelconque reconnaissance du fait que je suis un peu plus importante qu’un bête caillou.

“Ah, bien sûr. Des vêtements.”

Il claque la langue d’un air agacé et lève un doigt. J’aimerais vraiment esquiver ou demander ce qu’il va faire, mais je suis impuissante.

“[Réparation].”

Son doigt ne brille même pas. Contrairement au moment où Sostrom a réparé mon iPhone, je ne vois aucun éclair de magie. Mais la magie opère.

En un instant, ma bretelle glisse de nouveau sur mon épaule et se répare. Je sens sans pouvoir tourner la tête le tissu pousser pour remplacer les morceaux manquants, se recousant en quelques secondes.

C’était… incroyablement terrifiant. Mais je suis plus heureuse à présent que je ne vais pas attraper un rhume et le vieux mage a l’air content aussi. Il acquiesce, une fois. Puis il me regarde de nouveau.

“Humaine, reste silencieuse et immobile. Ne parle point, ne bouge pas, sauf lorsque je requerrai une réponse. Je vais poser des questions et tu répondras au meilleur de tes capacités, promptement et distinctement. Tu ne feras point de magie, et aucun acte violent tant que tu seras dans ma demeure.”

Il marque une pause. Wow. La plupart des gens se contentent de dire bonjour quand ils me rencontrent, ou me demandent si je veux une paire de chaussures.

“De plus, ne défèque pas, ne ternit pas et ne souille ce lieu d’aucune manière, forme ou terme. Et reste droite.”

Okay, je ne sais pas avec quel genre d’humain il a l’habitude de traiter, mais… ma colonne vertébrale est déjà en train de se redresser. Je ne peux même pas le fusiller du regard. Merde. Est-ce que c’est une sorte de sort d’hypnose ? Mais à présent il tourne autour de moi, lentement. M’observant comme un morceau de poisson au supermarché.

“Je n’ai cure de ton nom, mais tu es une Coursière, une messagère, n’est-ce pas ?”

“Oui.”

J’ai essayé de dire “oui, connard” mais apparemment pas de violence implique pas d’impertinence non plus. Il acquiesce comme s’il s’était attendu à cette réponse.

“Très bien. Mais alors dis-moi… pourquoi t’es-tu risquée à faire une requête aussi dangereuse ? Trois des tiens ont déjà péri en tentant d’atteindre ma demeure. Qu’est-ce qui t’a poussée à tenter la mort pour cette livraison ?”

Là encore, la réponse me vient instantanément, avant même que j’aie pu réfléchir à une réponse.

“Pour la récompense. Quarante pièces d’or.”

À présent, il a l’air déçu.

“Simplement pour cela ? Aucune autre raison ?”

Huh. Était-ce une sorte de test ? Très bien, bouche motorisée, fais ton truc.

“J’ai accepté la requête pour l’argent, mais aussi parce que je voulais me donner un défi. Je n’aurais pu prendre aucune autre requête à la Guilde des Coursiers, de toute manière. Mes camarades Coursiers m’empêchent de faire les autres livraisons, et c’était la seule que je pouvais prendre.”

“Hum. Je vois. Quelle banalité.”

Il secoue la tête. Dans la mienne, je suis un peu agacée. C’est bien de savoir que même un archimage anciennement athlète peut être un connard.

“Très bien, alors dis-moi : d’où viens-tu ? Je n’ai pas vu de traits ou de couleur de peau telle que la tienne sur ce continent depuis… longtemps. Où es-tu née ?”

Ah, voilà les questions difficiles. Mais je suis prête pour ça. Enfin, pas de manière aussi franche mais après avoir rencontré Lady Magnolia, j’ai réfléchi à la meilleure manière de répondre à quelqu’un qui détecte les mensonges ou qui peut te forcer à dire la vérité. Dans tous les cas, la seule réponse qui peut les empêcher de découvrir la vérité est… une fraction de la vérité.

“Je suis née à Oakland, Californie.”

Il hésite. Le mage fronce brièvement les sourcils.

“Je ne suis familier d’aucun des termes. De quelle nation cette Oakland Californie est-elle originaire ?”

“L’Amérique.”

“Hum. Une autre nouvelle nation. Que c’est troublant.”

L’homme caresse sa barbe argentée. Puis il secoue la tête.

“J’imagine que cela n’a pas d’importance. À présent, je souhaite que tu répondes à cette question librement, mais honnêtement.”

Il me pointe du doigt.

“Mes sorts d’évaluation et d’identification ne m’ont pas révélé ta classe ni ton niveau. Et pourtant, tu n’es ni morte-vivante ni construite, et tu es entièrement humaine. Pourquoi ne puis-je voir ta classe ?”

Enfin, il semblerait que je peux dire ce que je pense. J’actionne ma mâchoire et ouvre la bouche pour lancer quelques jolies obscénités.

“___”

… Eh bien merde. On dirait que je ne peux toujours pas l’insulter, et je dois dire la vérité. Très bien. Je plonge mon regard dans celui du mage et prend la parole.

“Je me suis empêchée de gagner des niveaux. Vous ne pouvez voir ma classe parce que je n’en ai pas.”

Pour la première fois depuis que j’ai posé les yeux sur son visage, l’homme semble sincèrement étonné. Il penche la tête pour m’observer de plus près, et je remarque qu’il a les oreilles pointues. Oh. Bien sûr.

“Tu n’as pas de niveau ? Et tu refuses d’accepter une classe ? Pourquoi ?”

“Je n’aime pas être contrôlée. Et je pense… oui, je pense que les classes et les niveaux sont un moyen du monde ou d’un quelconque système pour contrôler les gens. Je ne veux pas y être mêlée. Et… ça ressemble très fort à de la triche.”

Là encore, il m’adresse une expression de pure incrédulité. C’est la première fois que j’ai aussi bien décrit mes sentiments à ce sujets, et je suis moi-même surprise de ma réponse. De la triche. J’imagine que c’est vraiment l’une des grandes raisons pour laquelle je n’aime pas le socle même de ce monde. Mais les gens gagnent des niveaux ou meurent, ce qui est probablement la raison pour laquelle il me regarde avec des yeux de merlan frit.

“Tu as refusé des niveaux. C’est possible ?”

Je hausse les épaules. C’est le seul mouvement que je puisse faire en guise de réponse.

“Je peux annuler le level up si je réfléchis très fort. Donc c’est clairement possible.”

Très bien, ce petit morceau d’impertinence m’a rassérénée. Il me jette un regard glacial.

“C’était une question rhétorique, il n’était nul besoin de répondre. Bien que… tu ne saches probablement pas de quoi je parle, n’est-ce pas ? L’éducation des humains étant ce qu’elle est…”

Pendant un instant les yeux du mage s’égarent. Je suis plutôt persuadée à présent que ce n’est pas un humain, mais il semble se concentrer de nouveau sur moi et son attitude change. Du mage impérieux, il devient ce que je m’attendrais d’un vieux professeur d’université en cours magistral. Il marche autour de moi, parlant à moitié à moi, à moitié à l’air qui nous entoure.

“Vois-tu, la question rhétorique a été inventée en premier lieu par les Dragons. Très naturellement. Bien sûr, les Elfes et les Nains adoptèrent la pratique, mais c’est bien le genre Dragon qui a imaginé le premier les questions qui ne nécessitaient pas de réponse. Les elfes étaient beaucoup trop en phase avec la nature, ils s’attendaient à ce que les réponses tombent, possiblement des rochers et des arbres auxquels ils parlaient. Les nains, d’un autre côté, sont des créatures littérales. S’ils vous posent une question, ils exigent une réponse. Les humains, c’est une autre paire d’écai… de manches...”

Il s’interrompit, secoua la tête et soupira.

“Mais j’oublie mon audience. Tu ne sais même pas de quoi je te parle, n’est-ce pas ?”

Il reste un con arrogant. Mais j’ai la nette impression qu’il manque cruellement de compagnie. Eh bien, je peux toujours répondre donc voyons ce qu’on peut faire. Même si jurer est hors de question, je suis très douée pour agacer les gens. C’est pratiquement une de mes Compétences… [Être une Connasse Sarcastique].

“Je sais ce qu’est une question rhétorique.”

Il agite une main dans ma direction et secoue la tête d’un air compatissant.

“Oui, oui, je suis certain que c’est le cas. Ah, j’avais oublié la tendance des humains à exagérer et à mentir.”

A-t-il oublié que je ne pouvais pas mentir en ce moment ? J’essaie de le fusiller du regard, mais mes muscles faciaux ne fonctionnent toujours pas.

“Est-ce que je pourrais être assez stupide pour mentir au sujet des questions rhétoriques ?”

“Eh bien naturellement, je pourrais supposer que…”

Pause. J’apprécie l’expression de son visage pendant quelques secondes avant qu’il ne me regarde d’un regard plat. Eh bien si je meurs, au moins je mourrai en faisant ce que je faisais de mieux. Vous pourrez mettre ça sur ma tombe. *

*Ryoka Griffin, 1995 - 2016. “N’a jamais su quand fermer sa gueule.”

“Ah. Je vois que tu es marginalement plus intelligente que ceux que j’ai rencontré. Très bien, en ce cas. Peut-être seras-tu également capable de répondre à ma prochaine question.”

Il lève un doigt, et une carte vole de nulle part et se déroule dans les airs. C’est une véritable carte, vieille et poussiéreuse. Je veux vraiment éternuer mais je ne peux pas. Elle s’immobilise dans les airs tandis que le mage me montre une carte du continent. Merde. Je voulais vraiment voir une carte du monde.

M. Mage tapote le vieux parchemin d’un doigt.

“Je souhaite savoir quelles sont les guerres en cours entre les différentes nations, quelles nouvelles technologies ou sorts ont été inventés, quels monstres légendaires ont été vus ou pourfendus… des informations de cette nature. Dis-moi tout ce que tu sais de l’actualité ou ce que tu as entendu dire pendant les dernières années. Qu’est-ce qu’il s’est passé tandis que j’étais… reclus ici ?”

Oh bon sang, je vais adorer ça. Je fais mon meilleur haussement d’épaules et ouvre les bras.

“Sais pas.”

“Je te demande pardon ?”

“Je ne prête pas attention aux nouvelles du monde. Tu en sais probablement plus que moi sur ce qu’il se passe.”

Cligne, cligne. Oh oui, un point pour Ryoka Griffin. *



*Il lui en reste quelques centaines de milliers de plus que moi, par contre.



Une fois encore, le mage se racla la gorge avec désapprobation et me jeta un regard noir, mais son sort de vérité fonctionne encore et lui comme moi le savons. Il soupire, triture sa barbe de nouveau et tente une nouvelle approche.

“Sais-tu au moins si Magnolia Reinhart est toujours en vie ?”

“... Oui.”

“Bien, bien. C’est très bien. Eh bien en ce cas, as-tu entendu parler d’une étrange enfant nommée Ryoka Griffin ? C’est une Coursière, comme toi, bien qu’elle soit probablement d’un très haut niveau dans la classe de [Coursière], contrairement à toi. J’ai entendu dire que sa jambe était blessée en ce moment, ou qu’elle aurait pu être guérie récemment. En as-tu entendu parler ?”

Bon sang. Poker face. P-p-p-poker face. Okay, arrête. Ne pense pas à la chanson de Lady Gaga maintenant. Je veux poser tellement de questions là tout de suite mais… ne dit que la vérité !

“J’ai entendu parler d’une Ryoka Griffin, oui.”

“Vraiment ? Connais-tu son adresse, un lieu où elle dort la nuit ? J’ai tenté de la voir magiquement mais soit son nom n’est pas le bon, soit elle est protégée par une magie très puissante.”

Pourquoi diable Magnolia… ? Non, c’est une question stupide. Je connais la réponse. Mais pourquoi ne peut-il pas me trouver ? Je n’ai pas de protection magique sur moi, du moins pas que je sache. * Et comme diable vais-je pouvoir répondre ? Ah, oui. Encore une fois avec la vérité.

*Note pour moi-même : vérifier ça et acheter quelque chose très vite.

“Ryoka Griffin… Ryoka n’a pas de lieu de résidence permanente. Elle se déplace beaucoup et elle ne reste pas très longtemps dans une ville ou une auberge si elle peut l’éviter.”

Le vieil homme soupire et secoue la tête.

“Très bien, très bien. Je devrai demander son véritable nom encore une fois. Bien que je sois époustouflé d’apprendre que Reinhart aurait pu échouer à récupérer son véritable nom.”

Aha ! Je l’ai. Je sais pourquoi il ne peut pas me trouver avec la magie. Il peut probablement jeter un sort de voyance de haut niveau ou autre, mais il ne lui sert à rien, s’il ne peut pas épeler mon nom. Comme quoi, avoir un père qui te donne un nom traditionnel Japonais peut être utile de temps à autre. Ryoka. Essaie d’en épeler le kanji, mon pote.

*Kanji, l’écriture du Japon. Mon nom est Japonais, et mon certificat de naissance américain a beau l’écrire en Anglais - Ryoka - mon véritable nom est 涼香. Je veux bien parier qu’il faut qu’il le sache pour pouvoir me trouver.

Bloquer sur un problème semble être une expérience inédite pour ce type. Il a l’air décontenancé, en tout cas, mais il finit par se tourner de nouveau vers moi et je me prends de nouveau toute l’intensité de son regard en pleine face.

“Eh bien, tout cela était bien intéressant mais je n’ai plus de questions pour toi. Coursière, dis-moi, fais-tu partie des meilleures de ta guilde, malgré ton manque de niveaux ?”

“Oui.”

Nul besoin d’exagération ou de duperie. Le vieux semble peu convaincu, mais il finit par acquiescer de mauvaise grâce.

“Très bien. En ce cas, écoute ma requête. Tu es venue ici en quête de récompense et d’un colis. Je t’offrirai la misérable somme que tu es venue chercher, mais tu accompliras la tâche que je vais te confier, et tu n’épargneras aucun effort pour l’accomplir, que ce soit de tes propres mains ou en déléguant la tâche à une personne plus qualifiée. Est-ce bien compris ?”

“... Oui.”

Je n’aime vraiment pas l’idée. Et j’ai le mauvais pressentiment que quoi qu’il me demande, je serai à présent tenue d’obtempérer. Un gessi*. Bon sang.

*Un gessi, ou geis si vous préférez la version Irlandaise, est un type de quête. Ou… un serment lié par le destin et la magie. Allez voir ce que c’est si vous n’en avez jamais entendu parler. Les vieux contes et les mythes en regorgent, et ça ne finit jamais bien pour ceux qui les acceptaient. Espérons juste que celui-ci sera facile.

Il me pointe du doigt. J’entends déjà l’orchestre silencieux commencer à jouer en arrière-plan. Parfait. Et pourquoi pas un peu de vent et quelques effets spéciaux pour rendre le tout plus théâtral, mon vieux ?

“Tu te rendras à l’endroit connu sous le nom de Champs Sanglants et trouveras l’individu connu sous le nom d’Az’Kerash. Ou… peut-être utilise-t-il son ancien nom humain. Perril. Perril Chandler, me semble-t-il.”

Perril Chandler ? Aucun rapport avec Az’Kerash. Mais comme je peux encore parler, j’imagine que c’est le moment de poser plein de questions.

“Qui est ce type ?”

L’homme me dévisage de nouveau, comme si je devrais le savoir. Je hausse les épaules, il renifle et secoue la tête.

“C’est un mage puissant. Un [Nécromancien], pour être plus exact. Mais je pense qu’il te sera plus facile d’identifier son apparence. Ses cheveux sont d’un blanc pâle, comme sa peau. Ses yeux sont violets. Bien que… il soit possible qu’il use de sorts d’illusions pour dissimuler ses traits lorsqu’il voyage.”

Oh merde.

Le type à la barbe argentée se caresse ladite barbe et marque une pause. Il paraît réfléchir un moment puis il hoche la tête.

“Je présume que le moyen le plus simple de le trouver est d’aller là où la population de morts-vivants est la plus dense. Il a une armée. Un royaume des morts, pour être plus exact.”

Oh merde. Oh bon sang. Oh vous, dieux tout-puissants et décédés en train de faire des claquettes sur ma tombe anonyme. Cela ne ressemble en effet pas du tout à une quête avec un pourcentage élevé de chances de survie.

Le vieux mage est déjà en train de se détourner, mais je ne peux pas simplement accepter ça et filer. Je m’éclaircis la gorge et il se retourne de mauvaise grâce vers moi.

“Parle.”

“Ah. Si ce type… Az’Kerash est entouré de morts, comment suis-je censée le trouver sans me faire tuer ?”

Il paraît agacé par la question, ou peut-être par ma stupidité.

“Naturellement, ses gardes du corps vont tenter de te pourfendre. Ils perçoivent sans aucun doute les vivants comme une menace. Tu dois simplement aller le retrouver, et qu’importe le péril. De plus, la plupart des morts réanimés sont lents et faciles à distancer.”

“Oui, mais ils ont des flèches. Comment suis-je censée les éviter, elles ?”

“Tu es une Coursière, non ? Ne peux-tu simplement les esquiver ?”

“... Non. Je ne peux pas non plus distancer les sorts, et j’ai vu des mages morts-vivants. Je ne survivrai pas plus de quelques secondes si je me retrouve seule face à une Liche.”

Barbe Argentée paraît décontenancé. Il tire une nouvelle fois sa barbe, presque comme s’il voulait l’arracher.

“Saleté de poils… je suppose que j’aurais dû m’y attendre de la part d’une Coursière humaine. Très bien. En ce cas…”

Il ne termine pas sa phrase. On dirait qu’il réfléchit intensément, mais j’ai encore des questions. Je me racle la gorge et ses sourcils se rejoignent d’un seul coup. Il me fusille du regard.

“Pourquoi ne pouvez-vous pas simplement envoyer le colis ou autre par la magie ou un truc du genre ? Il est trop lourd à transporter ? Parce que si c’est le cas…”

“La magie n’est pas la solution, ici. Celui à qui je souhaite livrer une lettre et un petit objet… cache sa localisation sous un écran magique qui empêche toute communication, qu’elle soit mal intentionnée ou non. Et moi aussi. Je ne puis déterminer sa localisation ni lui parler sans recourir à la méthode la plus lente, ce qui est la raison pour laquelle j’ai demandé un Coursier. Par conséquent, je requière également ton retour pour confirmer que la livraison a été faire avec succès.”

Encore mieux. Je n’aurais vraiment pas dû ouvrir ma grande gueule.

“J’ai failli mourir rien que pour venir ici. Je ne survivrai probablement pas à une deuxième fois. Et si retrouver ce [Nécromancien] est aussi dangereux que cela en a l’air…”

“Je t’ai entendue. Silence.”

Et hop, plus de parole. Je reste debout, impuissante, et regarde le vieil homme se parler à lui-même.

“C’est pour cela… humains… pas le choix. Hm. Un Courrier aurait été bien préférable. Mais si le problème est simplement une question de survie et de rapidité, je suppose que…”

Il tourne la tête. Puis il pointe du doigt et fait un signe. Je vois une bouteille s’envoler d’un coin de la caverne et atterrir dans sa main. Les Mages utilisent la Force. Qui l’eût cru ?

Barbe Argentée me tend la bouteille. Je la regarde fixement. C’est une mixture orange… non, d’un orange rosé lumineux dans une bouteille de verre. Ça ne ressemble à rien de ce que je voudrais mettre dans mon corps, mais ma main se tend pour la prendre dans tous les cas.

“Voici. Prends ceci comme récompense pour la livraison. Et en ce qui concerne ta récompense pour être arrivée jusqu’ici, bien que blessée…”

Un autre geste, et une pluie d’argent s’envole en tourbillonnant dans les airs et tombe dans le sac qu’il tient à la main. Malgré la quantité d’or, le sac ne se tend même pas lorsque les pièces tombent à l’intérieur.

Le mage me tend le sac et je l’accroche instinctivement à ma ceinture.

“La potion est une concoction qui augmentera grandement ta vitesse. Ne la bois pas d’un seul coup. Une simple dose devrait suffire pour distancer n’importe quel monstre, mort-vivant ou autre créature que tu pourrais rencontrer. Avec cela, tu devrais pouvoir atteindre Perril Chandler plus ou moins intacte. Assure-toi également de ne plus confondre les potions de mana et les potions de soin. Ton intoxication au mana a été très embarrassante à éliminer.”

Oh. C’était donc de cela qu’il s’agissait. Bordel. Tout s’explique maintenant. Pas étonnant que je ne guérissais pas. Mais j’aurais juré que Ceria m’avait donné les bonnes potions.

“L’intoxication au mana était si grave que cela ? Si c’est le cas… merci, j’imagine.”

Cheveux d’Argent lève les sourcils, en prenant un air surpris.

“L’intoxication au mana ? Tu ne serais certainement pas morte de la quantité de mana que tu as imbibée. Tu n’aurais pas subi bien pire pendant les jours qui suivent qu’une nausée violente, de la fièvre, et des excrétions corporelles incontrôlables si je ne m’en étais pas occupé.”

Wow. Soudain, je suis extrêmement contente qu’il ait pris le temps de soigner ça.

“Était-ce intentionnel ? Si tu étais en train d’essayer d’améliorer tes capacités, permets-moi de te dire que c’était très maladroit. La seule manière appropriée d’acclimater un corps humain à la magie est d’en ajouter des doses minuscules à ton régime. Non pas que je m’attends à ce que les mages modernes sachent comment naturaliser la magie en eux.”

Okay, si mes oreilles pouvaient bouger elles se seraient définitivement dressées à cette idée. Et j’adorerais poser plus de questions, mais mon employeur semble soudain très pressé de me voir partir. Il secoue la tête et agite ses doigts dans ma direction.

“Dans tous les cas, ne te blesse pas inutilement tant que tu accompliras la tâche que je t’ai confiée. Prends cette lettre et cet anneau.”

Deux autres objets sortent de nulle part et le mage me les tend. Le premier est un rouleau de parchemin, bien scellé d’un cachet de cire. Le second est un petit anneau fait d’un métal semblable à de l’argent et serti d’un onyx. Je dis bien “ressemble”, parce que dès que ma main se referme sur le métal, je me rends compte qu’il est chaud, et le métal comme la gemme semblent luire de l’intérieur. De la magie. Ça en jette, par contre.

Le vieil homme me regarde d’un air sévère et montre les deux objets du doigt.

“Ne porte pas l’anneau, ou tu souffriras atrocement. Idem si tu tentes d’ouvrir la lettre, suis-je bien clair ?”

“Comme de l’eau de roche.”

Il me regarde de nouveau d’un air méfiant puis secoue la tête.

“Je pense que tu feras au mieux pour survivre. Retourner chercher mon message et mon présent serait incommode.”

“Cool de voir que ça vous inquiète. J’imagine que je vais y aller, alors ?”

“Et perdre du temps ? Non. Je vais expédier le premier pas de ton voyage. J’ai eu beau te soigner, tu devras sans doute te reposer quelques jours pour récupérer après toute la magie que tu as consommée et te préparer pour le voyage qui t’attend. Ne lambine pas.”

Il pointe le sol sous mes pieds. Je sursaute et trébuche lorsqu’un cercle alambiqué d'innombrables runes et formes entrelacées apparaît à mes pieds.

Oh, apparemment je peux de nouveau bouger. Mais Crinière-d ’Argent fronce les sourcils et mes pieds reviennent immédiatement au centre du cercle.

“Que… c’est quoi, ça ?”

“Un sort de téléportation. N’as-tu jamais… mais oui, j’imagine que vos mages sont trop faibles pour cela. À présent dis-moi, où habites-tu ?”

“Celum. Mais hey, je peux rentrer en courant. La potion que vous m’avez donnée…”

“Ne gaspille pas ses effets. Elle vaut bien plus que l’or que je t’ai donné. À présent dis-moi, cette cité, Celum… ce n’est pas trop loin d’ici, non ?”

“Moins de deux cent kilomètres. Pas trop loin, non.”

Mon sarcasme lui glisse dessus sans qu’il lui prête attention. Le mage se caresse la barbe en marmonnant.

“Celum ? Celum… ah. Je pense me souvenir des alentours.”

Il pointe de nouveau, et le cercle se met à luire. Je me demande s’il doit chanter son incantation comme j’ai vu d’autres mages le faire. Mais alors… ce type a l’air d’être largement au-dessus de tous les autres mages, donc j’imagine que les mots ne sont qu’une option pour lui.
LE mage finit par hocher la tête. Les runes magiques à mes pieds se mettent à luire d’une lumière aveuglante.

“Le sort te mènera au cœur de la ville. Va, et accomplis ma quête du mieux que tu le pourras.”

“Merci pour les encouragements.”

Il agite une main, puis marque une pause. Il me regarde tandis que le cercle magique à mes pieds se met à briller à différents gradients d’intensité et reprend la parole de mauvaise grâce.

“Je suppose que ce serait briser les lois de l’hospitalité les plus élémentaires que de ne pas le demander. Donc dis-moi, Coursière. Quel est ton nom ? Je suis Teriarch.”

Je lui souris. J’imagine que je peux me permettre une belle sortie. Les runes brillent à mes pieds… et je me sens entraînée par une force gigantesque. J’ouvre la bouche et déclare deux mots.

“Ryoka Griffin.”

Et je disparais.

***

Teriarch se figea et contempla l’endroit où l’Humaine connue sous le nom de Ryoka Griffin venait de disparaître. D’un geste désespéré, il tendit la main mais même magiquement, elle était déjà hors de portée. À moins de jeter des sorts imprécis qui feraient se téléporter une bonne partie de la cité ici, elle lui avait échappé.

Jurant silencieusement dans sa propre langue, Teriarch se morigéna de ne pas avoir suivi l’étiquette. Certes, c’était une humaine mais… comment était-il censé savoir que c’était cette Coursière, précisément, qui se présenterait à sa porte ?

Ah, baste. Il connaissait ses traits, et cela lui permettrait de la localiser un peu plus facilement. Teriarch ne comprenait toujours pas quel étrange pouvoir la protégeait de ses sorts de localisation, surtout que Ryoka n’avait ni pouvoirs magiques ni classes. C’était une humaine étrange, et il comprenait à présent en partie la fascination qu’elle exerçait sur Reinhart.

Cela pourrait s’avérer réellement problématique si elle mourait en livrant son message. S’il avait su que c’était elle, il lui aurait donné un objet bien plus puissant. Si elle mourait, Magnolia aurait son cuir.

C’était l’une de ses inquiétudes. L’autre était que soit la terre s’était de nouveau abaissée lors des dernières années, soit il avait mal calculé les coordonnées exactes de la cité de Celum. Pour être plus précis, il avait calculé les bonnes coordonnées, en longitude comme en latitude. La seule qu’il ait peut-être mal évaluée était…

L’altitude.

Teriarch grimaça en voyant Ryoka arriver dans sa vision magique de Celum. Elle était plus au moins au centre de la cité, comme il l’avait prévu, mais elle était vraiment trop haut. Il la regarda tomber du ciel, d’une dizaine de mètres.

“Oups. Ah, baste. C’est la raison pour laquelle les humains utilisent les potions de soin, après tout.”

Il se détourna. Ryoka vivrait, et il avait à faire. Teriarch fit quelques pas, puis trébucha de nouveau. Cette fois-ci, il s’était pris les pieds dans sa robe. Il gronda.

“Écailles écorchées et trésor maudit !”
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 02 mai 2020 à 13:07:26
1.10 R
Traduit par EllieVia

Ryoka était attablée dans une auberge devant une assiette de ragoût et de pommes de terre qu’elle dégustait avec appétit. Elle se sentait un peu coupable, mais le menu du soir n’avait pas vraiment présenté beaucoup d’options et elle avait faim. Mais quand même, elle se sentait un peu coupable.

Son assiette était composée à 80% de pommes de terre et 20% de viande. Et ce n’était pas de la très bonne viande, avec ça. Les pommes de terre n’étaient pas si terribles - les gens du coin avaient la main lourde sur le mélange épicé de poivres et de fines herbes, ce qui rendait le tout relativement mangeable, mais ce n’était vraiment pas le genre de viande qu’une coureuse devrait consommer.

Et en plus, c’était déjà sa deuxième assiette. La culpabilité était tangible, mais Ryoka n’y pouvait pas grand-chose. Elle prit une autre bouchée de pommes de terre fumantes, et essaya de ne pas penser à l’apport nutritionnel approprié ni à un quelconque régime.

Elle évitait de se charger en glucide à moins de s’apprêter à faire une course mais… elle méritait bien de se régaler. De plus, elle était officiellement en train de se reposer en ce moment, pour se remettre de tous les sorts de guérison qu’elle avait subis. Et puis au risque de se répéter, l’auberge ne servait rien d’autre de toute façon donc il fallait bien qu’elle fasse avec.

Des patates et de la viande, avec beaucoup plus de gras et de nerfs que ce dont elle avait l’habitude. Mais elle était bonne et elle avait l’habitude de manger une cuisine un peu rustiques, surtout lorsqu’elle campait.

Et on ne parle pas ici de camping des temps modernes, non. Ryoka méprisait les gens qui dormait dans leur voiture ou pire, dans des camping-cars qu’ils traînaient sur les campings. Non, elle préférait y aller à la dure avec un sac de couchage, assez de nourriture pour quelques jours et quelques outils nécessaires. C’était la vraie vie.

Mais elle devait bien admettre que ce serait sympa d’avoir un hamburger de temps en temps. Et des légumes frais, comme du chou kale. Les moissons étaient terminées et l’automne tirait à sa fin (bien qu’il ne parût pas faire très froid), et il y avait moins de légumes à disposition.

Plus de viande, plus de légumes, beaucoup moins de glucides. Ce serait mieux. Mais elle avait ce pour quoi elle avait payé. Ryoka soupira et mangea un autre morceau de pomme de terre. Ce n’était pas mauvais. Ce n’était juste pas particulièrement bon non plus. Au moins, il y avait quelqu’un qui profitait du repas.

Garia termina sa troisième assiette de pommes de terre et de ragoût et but une longue goulée de sa chope avant de soupirer de contentement. Elle avait bon appétit. Ce qui était logique. Ryoka regarda discrètement les bras et le corps de Garia. Elle n’avait peut-être pas de tablettes de chocolat, mais Ryoka n’avait pas vu de bras aussi épais chez une femme en-dehors des tournois de MMA.

Non pas que ses muscles ressemblent à ceux de ces idiotes qui se bourraient de stéroïdes. Garia était juste une fille solide, qui avait clairement l’habitude de soulever des choses lourdes.

“Tu fais toujours les livraisons les plus lourdes ?”

Garia marqua une pause en levant sa chope à ses lèvres.

“Hum, oui. Normalement. JE veux dire, je ne suis pas très rapide mais je peux quand même gagner pas mal d’argent sur une livraison pendant la nuit.”

“Les épices que tu avais apportées ici. En faisant tout le chemin depuis Galles. Elles étaient lourdes. J’avais vu la taille de ton sac. Ça devait faire entre trente et quarante kilos. Et tu as couru tout le long du chemin ?”

Garia se tortilla et rougit légèrement.

“Bah, en distribuant bien le poids ce n’est pas si dur. Et parfois je marche un peu si je suis fatiguée.”

“Hm. Impressionnant.”

Ryoka mordit dans une autre pomme de terre et contempla ses oignons brunis, laissant Garia rougir tranquillement. Elle n’avait clairement pas l’habitude des compliments, mais Ryoka était impressionnée par quiconque était capable de courir avec un tel poids sur le dos.

“Les requêtes de la Guilde des Coursiers sont un mélange de livraisons rapides, livraisons sécurisées et livraisons lourdes, c’est bien ça ?”

“C’est ça. La plupart du temps, les gens qui sont loin préfèrent avoir leur commande rapidement, comme tu le fais toi. Mais parfois ils veulent être sûrs que personne ne lira leurs messages, et c’est important aussi. Mais quand ils ont besoin d’avoir quelque chose rapidement - enfin, plus vite que par chariot ou wagon, et si c’est suffisamment petit, ils font des commandes lourdes. Je prends celles-là, la plupart du temps. Ce n’est pas dangereux. Personne ne veut voler du minerai brut ou quelques sacs de sucre. Les trucs les plus précieux qu’il m’arrive de porter sont des armes et des épices.”

“Hm.”

Ryoka se demanda à quel point les Coursiers étaient plus efficaces que les wagons. Mais elle avait vu les bouchons dans les villes et à quel point les routes pouvaient devenir boueuses. Les Coursiers avaient beau être chers, quand on voulait quelque chose tout de suite ils restaient la seule option valable.

Lorsque Ryoka leva sa fourchette à sa bouche, elle leva les yeux et vit un homme la dévisager à l’autre bout de la pièce. Il baissa immédiatement les yeux sur son assiette en croisant son regard, mais il était loin d’être le seul. Plusieurs autres personnes, jeunes et vieilles, détournèrent le regard ou, plus rarement, croisèrent celui de Ryoka lorsqu’elle parcourut la pièce du regard. Même les serveuse la dévisageaient discrètement lorsqu’elle apportait une assiette à Garia.

Ryoka fronça les sourcils. Garia remarqua immédiatement l’expression de la Coursière et comprit tout de suite la source de son mécontentement.

“Ils sont juste curieux, Ryoka. Inutile de prendre cet air furieux.”

“S’ils sont tellement curieux ils peuvent venir me parler ici. Sinon, ils peuvent se la tailler en biseau et se la carrer où je pense.”

Garia cligna des yeux. Ryoka utilisait souvent des expressions étranges, mais elle pouvait comprendre ce qu’elle voulait dire la plupart du temps. Il était toutefois impossible de se tromper sur la signification du regard noir que Ryoka adressait à ceux qui l’observaient. Garia essaya de paraître raisonnable.

“Bah, peut-on vraiment les blâmer ? Je veux dire, tu es la première Coursière à survivre au Hautes Passes depuis des années - et tu t’en tires sans une égratignure, avec ça ! Et quand tu es tombée du ciel...”

“Ne m’en parle pas.”

Ryoka fronça les sourcils en regardant son assiette et essaya d’écarter le souvenir. Son dos était toujours courbatu, même après avoir pris une potion de soin. Au moins, elle ne s’était pas cassé quelque chose cette fois-ci, ou atterri sur la tête.

“Putain de bâtard de mage elfique.”

“Quoi ?”

“Rien. Dans tous les cas, je ne m’en suis pas sortie indemne. Je me suis faite à moitié dévorer à l’aller et il a fallu sérieusement me soigner ou j’aurais pu mourir.”

“Oh, donc tu as trouvé une potion de soin ? Ceria était tellement inquiète quand elle a compris qu’elle t’avait donné les potions de mana.”

“... un truc du genre. Et c’est bizarre. J’aurais juré qu’elle m’avait donné les potions de soin, aussi.”

“Elle est vraiment, vraiment désolée, tu sais.”

“Je sais. Dans tous les cas, c’est de notre faute à toutes les deux de ne pas avoir revérifié.”

Ryoka contempla d’un air sombre son assiette à moitié terminée. Garia s’agita, visiblement, elle tenait vraiment à laver l’honneur de Ceria.

“Elle a dit qu’elle avait essayé de te contacter plusieurs fois. Tu n’as pas, euh, remarqué ?”

Ryoka fusilla du regard son assiette innocente. Elle essaya de ne pas avoir l’air trop sur la défensive, mais c’était difficile.

“Comment étais-je censée savoir qu’il fallait que je touche ces putains de lucioles pour lui parler ? Je croyais qu’on me jetait une malédiction ou un truc du genre.”

“Oh, non. C’est la façon dont les élèves de l’Académie de Wistram communiquent, apparemment. Ceria ne connait pas d’autre sort de communication, du coup…”

“Je comprends. Je ne lui en veux pas. Et de toute façon, j’ai survécu. Tout va bien.”

Sauf si on considérait le fait qu’elle avait plus de problèmes qu’avant. Ryoka sentait encore les mots de Teriarch brûler au fond de son esprit. Mais elle pouvait les ignorer, tant qu’elle se disait qu’elle devait encore faire ses préparatifs. La potion étrange qu’il lui avait donnée était enfermée à double tours dans son coffre à l’étage.

“En parlant de ça, est Ceria ? Je ne l’ai pas vue. Je pensais qu’elle serait ici avec Gerial et Calruz.”

Garia secoua la tête.

“Ils sont tous partis. Calruz est passé et a récupéré tous les membres de la compagnie. Apparemment ils vont à Esthelm pour se préparer à entrer dans les ruines de Liscor.”

“Oh.”

L’expression de Ryoka ne changea pas de manière notable, mais elle jura intérieurement. Elle leva sa chope à ses lèvres, ouvrit la bouche pour poser une autre question, puis jura de nouveau, à voix haute cette fois.

“Bordel.”

Fals avançait dans leur direction, souriant à l’une des serveuses et serrant la main d’une connaissance. Il s’arrêta à la table de Ryoka et hésita. Il y avait trois chaises, mais le pied de Ryoka était apparu comme par magie sur le troisième.

“Ryoka, comment vas-tu ? J’espérais pouvoir te parler !”

“Vraiment ?”

Ryoka fusilla Fals du regard tandis qu’il attrapait une autre chaise et s’asseyait à côté de Garia, qui rougit et s’écarta de lui. Ryoka n’était pas vraiment en train de le fusiller du regard - principalement parce que Garia lui lançait des coups de pieds peu discrets dans les tibias pour lui dire d’être gentille. Elle n’avait pas envie d’être gentille.

“Je voulais simplement te féliciter pour ta livraison. Tout le monde en parle.”

“Cool pour eux.”

Garia la regarda d’un œil noir, et Ryoka diminua un peu l’hostilité omniprésente dans sa voix. Fals s’éclaircit la gorge, l’air confus.

“Écoute, je suis, ah, désolé pour l’autre jour. Nous ne nous sommes pas séparés en bons termes, pas vrai ?”

Ryoka le dévisagea. Fals hésita, puis reprit la parole.

“La Guilde - et moi-même - voulons nous excuser. Tu es clairement une excellent Coursière et on ne veut pas te perdre. On parlera à Magnolia, et si tu veux prendre d’autres requêtes on sera ravis de te laisser choisir celle que tu veux.”

Ryoka traduit mentalement sa déclaration. Comme elle avait gagné et qu’elle n’avait pas besoin de la Guilde, ils avaient décidé de la récupérer. Bah, ça lui allait. Et à la Guilde aussi.

Elle ne répondit pas, toutefois. AU lieu de cela, Ryoka prit lentement, délibérément, une bouchée de pomme de terre et la mâcha lentement en dévisageant Fals. C’était affreusement gênant, mais elle adorait le voir mal à l’aise.

Fals s’éclaircit la gorge et jeta un regard en coin à Garia, mais elle était en train d’éviter de croiser son regard tout en dévorant le contenu de son assiette.

“Du coup, euh, comment ça s’est passé dans les Hautes Passes ? Tu as croisé beaucoup de monstres où tu as réussi à tous les distancer ?”

“Croisé beaucoup de monstres. Dangereux.”

“Vraiment ?”

“Yup.”

“...des monstres intéressants ?”

Ryoka haussa les épaules.

“Des Gargouilles, des oiseaux avec des dents, des chèvres tueuses, et des meutes de loups. Tu adorerais.”

“Ah. Bien… bien joué d’avoir réussi à les éviter. Et le client ? J’imagine que tu lui as pris la livraison en mains propres, non ? À quoi ressemblait-il ? Ou est-ce que c’est une femme ?”

Garia leva les yeux, curieuse. Ryoka regarda autour d’elle. Elle avait l’impression que plusieurs clients à portée de voix l’écoutaient. Elle hocha la tête et revient à Fals.

“C’est confidentiel.”

“Ah.”

La conversation s’éteint. Bah, elle ne se déroulait pas très bien depuis le début et Ryoka écrasa toutes les tentatives de Fals de parler des Hautes Passes ou de sa livraison. Il finit par se pencher en avant et à décocher son sourire le plus charmant à Ryoka.

“Je sais que tu es toujours en train de récupérer, mais j’adorerais aller faire une livraison avec toi un de ces jours. On pourrait peut-être prendre une requête tous les trois, toi, moi et Garia ?”

“Peut-être.”

C’était sa manière de dire non, et les trois Coursiers le savaient. Fals ne faiblit pas.

“Est-ce que je peux, hum, faire quoi que ce soit pour toi ? Je sais que tu es probablement toujours en colère, mais j’aimerais vraiment me rattraper. Est-ce que tu me laisserais, disons, te payer quelques verres ?”

Ryoka y réfléchit pendant que Garia essayait de lui indiquer discrètement de dire “oui”. Elle finit par acquiescer.

“Il y a bien un truc que tu pourrais faire.”

Fals sourit, soulagé.

“Vraiment ? Qu’est-ce que c’est ?”

Ryoka hocha la tête.

“Tu peux partir. Je discute avec Garia.”

Il cilla et Garia grogna de manière audible. Fals essaya d’essuyer la remarque d’un sourire, mais l’expression de Ryoka resta impassible. Au bout de quelques secondes, il se leva, mal à l’aise.

“Eh bien ah, je vais y aller. C’était sympa de discuter avec toi, Ryoka. À plus, Garia.”

Il contourna la table et s’arrêta une seconde près de Ryoka. Elle l’entendit murmurer juste assez fort pour qu’elle soit la seule à l’entendre.

“Fais attention à toi. Persua est partie de la Guilde avec sa clique ce matin. Elle va probablement tenter un truc.”

Elle leva les yeux. Fals lui vit un haussement d’épaules à la française puis s’éloigna. Ryoka secoua la tête, dégoûtée, puis reçut un coup de pied sec dans le tibia. Elle leva les yeux.

“Tu n’étais pas obligée d’être aussi malpolie.”

Siffla Garia à Ryoka, son visage d’ordinaire amical assombri par ses sourcils froncés. Elle regarda Fals sortir de l’auberge, déçue. Puis elle se retourna vers Ryoka.

“Il essayait de s’excuser, Ryoka. Pourquoi tu l’as chassé ?”

“Je ne vais pas pourrir mon dîner à écouter un type me faire des excuses forcées en essayant de trouver le contenu de ma livraison. Je sais qu’il était venu pour ça.”

Garia hésita.

“Pas… forcément. Il euh… pourquoi est-ce que tu ne l’aimes pas ?”

Ryoka cilla devant le brusque changement de sujet.

“Il m’agace. Je déteste les charmeurs, et il n’est même pas vraiment charmant de base. Et de toute manière, il est de quel côté ?”

“Il n’est du côté de personne. Il essaie de garder la Guilde soudée, Ryoka.”

“En écrasant quiconque enfreint les règles ? Excellent méthode. Il n’a pas empêché Persua et ses sbires de m’attaquer - et il ne s’en occupera pas plus aujourd’hui, apparemment.”

“Il le ferait si tu le laissais rester. Fals ne peut rien faire d’autre à Persua que lui parler, mais il essaie d’aider. Il t’aime bien.”

Ryoka haussa les sourcils. Elle ne s’était pas attendue à ça. Et elle n’y croyait pas vraiment.

“Tant mieux pour lui, mais je n’ai pas besoin d’aide.”

“Pas même avec Persua ?”

Garia vit la main de Ryoka se serrer sur sa fourchette, écrasant presque le pauvre ustensile en fer blanc.

“Pas même avec elle. Je m’occuperai de Persua, maintenant que je sais à quoi m’en tenir.”

Garia était sceptique.

“Elle est comme un clébard, Ryoka. Même si tu la frappes, elle revient te japper dessus. Et si tu la mets effectivement en colère, elle devient vicieuse.”

“Oh, oui, c’est bien un clébard. Une clébarde. Et tu sais quoi ? Je suis fatiguée de ses conneries. Si elle tente de nouveau quelque chose je l’écraserai.”

Ryoka allait continuer, mais Garia se mit à lui faire des signes frénétiques pour qu’elle s’arrête. Ryoka, pourtant, continua sa tirade. Elle avait déjà vu les reflets dans sa chope, mais il fallait que ça sorte.

“Elle est agaçante, stupide, lâche, et elle ne sait pas courir. Je lui dois encore une jambe cassée. Si elle pense pouvoir tenter autre chose contre moi…”

Salut Persua !”

Ryoka leva les yeux. Persua était devant la table, souriant d’un air peu amical aux deux Coursières. Elle avait ses sbires habituels avec elle, et Ryoka repéra un type plus baraqué derrière eux.

“Ryoka, Garia ! Je suis tellement ravie que vous alliez bien ! J’ai failli ne pas vous remarquer, mais j’ai fini par repérer Garia - impossible de la rater, même dans cette foule - et j’ai décidé de venir vous dire bonjour !”

Garia tourna rouge pivoine et baissa les yeux sur sa pile d’assiettes tandis que Ryoka croisait le regard de Persua. Une étincelle de haine n’aurait pas suffi à décrire le regard qu’échangèrent les deux jeunes femmes.

Les méchantes filles. Ryoka se rappelait d’elles, à l’école. Persua était la représentation parfaite de la parvenue qui était prête à écraser quiconque lui déplaisait.

Et comme le reste des filles contre qui Ryoka s’était battue, Persua n’avait pas besoin d’invitation pour continuer de parler. Ses yeux balayèrent Garia, puis revinrent sur Ryoka.

“Navrée d’interrompre votre conversation. Vous parliez de moi, à tout hasard ?”

Garia se recroquevilla, mais l’expression de Ryoka ne changea pas. Elle acquiesça, leva sa chope en direction de Persua et sourit légèrement.

“Oui, désolée, je viens de te traiter de garce.”

Le sourire de Persua s’effaça en un instant. La bouche de Garia s’ouvrit en un “o” d’horreur parfait et elle dévisagea Ryoka.

“Ce n’est pas très gentil. Je n’aimerais vraiment pas me dire que tu m’insultes dans mon dos, Ryoka.”

“Ne t’inquiète pas. Je vais t’insulter en face. Je suis occupée, Persua. Va jouer ailleurs.”

“Et si j’ai envie de rester ? J’ai le droit de venir dans cette auberge, tout comme toi.”

“Trouve une autre table. Mais si j’étais toi, je me tirerais d’ici.”

“C’est une menace ?”

“Oui, en gros.”

Persua hésita. Elle ne s’était probablement pas attendue à ce que Ryoka la confronte aussi rapidement, mais Ryoka savait comment se serait déroulée la conversation dans tous les cas. Elle hocha la tête en direction de Persua et ses sbires.

“Vous allez dégager tout seuls ou il faut que je vous aide ?”

Si Garia avait pu s’éloigner plus de la table elle serait assise à la table derrière elle. Pendant un instant, Persua et ses amis hésitèrent. Ils avaient beau être des Coursiers, et avoir l’avantage numérique, Ryoka avait un côté tranchant qui les déstabilisait. Mais alors quelqu’un fendit la foule et vient se placer à côté de Persua.

Ryoka quitta Persua du regard et tomba sur un visage carré. Carré, ou moche, si on voulait être méchante. L’aventurier fronça les sourcils et se pencha par-dessus la table.

“Je ferais gaffe à ce que je dis si j’étais toi, Coursière. Tu devrais montrer plus de respect à tes aînés et tes supérieurs.”

Bien sûr. Ryoka plongea son regard dans les yeux d’un vert boueux et se morigéna de ne pas s’en être souvenue. Une autre astuce qu’appréciaient les filles méchantes lorsqu’elles ne pouvaient régler un problème par les mots et les méchants tours : courir chercher le plus grand garçon dans la pièce.

“Je ne sais pas qui tu es, mais tu me gâches la vue. Dégage, et prend Persua et ses petits camarades avec toi.”

L’aventurier cligna des yeux. Il était en train de faire la technique masculine classique de se pencher sur Ryoka d’un air menaçant et ça ne fonctionnait pas. Elle ne reculait même pas alors qu’ils étaient presque nez à nez.

“Je te présente Arnel. C’est un Aventurier Bronze de Celum.”

Persua sourit derrière l’aventurier. Elle tapota Arnel sur l’épaule, il se redressa et lui sourit. Elle grimaça lorsqu’il se retourna pour fusiller Ryoka du regard. C’était presque triste de voir le mépris qu’elle avait pour lui, et à quel point Arnel se faisait rouler dans la farine. Presque. Ryoka n’avait pas beaucoup de compassion pour les types qui venaient jouer les harceleurs.

Arnel se pencha de nouveau en avant, ce coup-ci sur Garia qui se recroquevilla en arrière. Il regarda Ryoka d’un œil noir et elle lui rendit son regard jusqu’à ce qu’il cligne des yeux.

“Je pense que tu devrais montrer un peu plus de respect à Mademoiselle Persua. Des excuses seraient un bon début, et j’insiste sur ce point.”

“Ou sinon quoi ?”

Garia donna un autre coup de pied à Ryoka, fort.

“Ou sinon quoi ?”

Arnel se retourna vers Persua, qui éclata d’un rire perçant. Il sourit à Ryoka avec hostilité.

“J’imagine qu’il faudra alors que je t’apprenne les bonnes manières, Coursière.”

“Vraiment ? Ce serait amusant à regarder.”

L’aventurier eut un regard vide pendant un instant. Là encore, la conversation n’allait pas dans le sens que son cerveau avait prévu. Mais Persua vint à sa rescousse. Elle fusilla Ryoka d’un regard méprisant.

“Arnel est un aventurier. Il a combattu des monstres, et pourfendu un nombre incalculable de Gobelins. Tu n’as pas ce gros nigaud de Minotaure et cette affreuse demie-elfe pour te protéger aujourd’hui, Ryoka.”

“Qui dit que j’ai besoin de protection ? “

C’était trop pour l’impressionnable Arnel. Il était conscient que des amateurs de l’auberge riaient sous cap, et même le gros aubergiste se préparait à prendre son courage à deux mains pour lui demander d’aller se battre ailleurs. Il grogna et poussa violemment Ryoka dans son siège.

“Ecoute-moi bien, espèce d’idiote. Ce serai ton dernier avertissement…”

Ryoka se leva. Il apparut qu’elle était plus grande qu’Arnel, et lorsqu’elle repoussa sa chaise en arrière, le silence s’abattit sur l’auberge. Elle avait encore sa chope dans les mains. Arnel essayait de trouver une bonne menace à proférer, mais Persua recula lorsque Ryoka leva sa chope à ses lèvres.

Elle prit une gorgée de boisson - principalement pour rajouter un peu de spectacle - puis jeta le reste du contenu de sa chope au visage de l’aventurier. Il cligna des yeux tandis que la bière pisseuse lui coulait dessus. Le visage de Garia semblait s’être transformé en un masque de cire. Persua sourit d’un air méchant.

L’aventurier était encore en train de passer du choc à l’outrage lorsque Ryoka lui assena un revers solide. Il s’écrasa au sol et elle jeta la chope sur Persua. Pas trop fort - enfin, d’accord, suffisamment fort pour que la fille soit obligée de plonger pour éviter de se faire casser le nez, mais pas aussi fort qu’elle aurait pu le lancer. Le pot de terre cuite explosa en mille morceaux et Ryoka attendit qu’Arnel se relève.

“Sale pute !”

Il hurla et se jeta sur elle. Ryoka attendit patiemment qu’il lui arrive dessus. Elle s’était déjà suffisamment éloignée de la table et avait enlevé la chaise derrière elle.

L4aventurier fondit sur elle, plus de soixante - non disons plutôt quatre-vingt-dix kilos de type en colère. Ryoka décala son centre d’équilibre et prépara son coup. Quand l’aventurier ne fut plus qu’à quelques dizaines de centimètres, elle se mit en mouvement.

Ryoka s’appuya sur une jambe en tendant la seconde. Elle ne mit pas un véritable coup de pied, c’était plus une sorte de poussée. Une poussée puissante qui brisa la charge de l’aventurier et l’envoya tituber en arrière.

Il revint à la charge, bien sûr. Ils revenaient toujours à la charge. Mais à ce stade, Ryoka avait l’espace, la puissance et le timing pour préparer son coup de pied circulaire. Elle l’atteint en pleine poitrine, et la collision émit un bruit sourd.

L’aventurier, le souffle coupé, tituba en arrière, cherchant son souffle. Mais il ne tomba pas.

Ryoka essaya de ne pas grimacer. Elle l’avait cogné fort, mais il portait quelque chose de rigide sous ses vêtements. Une cotte de mailles ? Ça y ressemblait, en tout cas.

Vivement, avant qu’il n’ait pu se remettre à bouger, elle lui mit un coup de pied éclair dans la poitrine. Ce n’était pas un coup de Muay Thai - mais elle n’avait pas assez de place pour autre chose.

Cette fois-ci, Arnel tomba, mais il se releva aussitôt. Ryoka grimaça et il bondit en agitant les poings. Elle balança un coup de poing mais il l’attrapa et tenta d’atteindre son visage.

Ryoka bloqua son poing d’un bras et sentit la puissance du coup. Merde. Ça ne sentait pas bon, cette histoire. Arnel était très énervé à présent, et il donnait des coups de gorille en direction de Ryoka. Elle esquiva et recula, mais elle avait peu de place pour manœuvrer. Et de plus, Ryoka était mal partie mentalement.

Elle n’avait pas l’habitude que les gens se relèvent une fois qu’elle les avait cognés.

Esquive, esquive… Ryoka contra et l’atteint en pleine mâchoire. Mais il était costaud, et il finit par réussir à l’atteindre.

Ryoka sentit l’impact sur sa tête et tordit le cou, mais elle avait bel et bien mal. Elle recula, et l’aventurier s’avança sur elle. Elle essaya de le garder à distance en cognant des poings, mais il était plus que ravi d’échanger des coups.

Il continua à la pourchasser, et les tables et les chaises rendaient l’esquive telle qu’elle l’avait apprise difficile. Elle préféra lever les mains autour de sa tête, formant une garde des deux côtés de sa tête. C’était une garde traditionnelle du Muay Thai, mais le problème était que l’aventurier n’essayait pas tant de la cogner ou de lui mettre des coups de poings.

C’était un mec, et elle avait la certitude qu’il ne voulait pas tant la cogner que la soumettre. Il essayait sans cesse de l’envelopper dans une prise d’ours. Elle le laissa s’approcher, mais attrapa ses épaules et lui balaya les pieds lorsqu’il tenta de l’attraper.

Il mordit de nouveau la poussière. Ryoka voulait lui donner un coup de pied au visage ou dans les noix ou les deux… mais quelque chose vola en direction de sa tête. Elle dévia la chope d’une main et leva les yeux. Persua la fusilla du regard et lança un autre verre qui atterrit à des kilomètres de Ryoka.

Son moment d’inattention lui coûta. Arnel se redressa et elle fut trop lente pour lui échapper. Il saisit son bras droit et se mit à la cogner. Elle lui martela le visage, mais il ne voulait pas la lâcher.

Il était fort. Elle ne pouvait pas s’échapper en se contentant de tirer, même si elle n’en avait pas l’intention. Arnel cogna Ryoka deux fois sur le côté du visage - pas très fort parce qu’il ne pouvait pas trouver le bon angle. Elle lui ensanglanta le nez et l’atteignit deux fois au visage, mais il rassemblait ses forces pour lui mettre un énorme coup de poing.

Impossible de s’échapper. Ryoka se prépara. Elle encaisserait le coup puis le cognerait du genou. Avec un peu de chance elle ne le tuerait pas et n’endommagerait pas d’organe vital, mais trop, c’était trop.

Elle se prépara à encaisser le coup dans ses côtes. Arnel leva le poing…

Et Garia la bloqua la main.

L’énergie qu’il avait mise dans le coup poussa l’homme en avant, mais Garia était un arbre et il s’y écrasa. Il se débattit pour la faire lâcher prise, mais Garia tenait sa main dans la sienne et sa poigne était de fer.

C’était un tire-à-la-corde à trois, avec Arnel qui tenait Ryoka et Garia qui le tenait lui. Pas pendant très longtemps, cependant. Dès que son attention fut détournée par Garia, Ryoka entra en mouvement. Elle lui mit un coup de coude à l’arrière du crâne tellement rapide qu’il la lâcha et elle s’échappa avant qu’il n’ait eu le temps de ciller.

“On se calme ! Tout le monde se calme !”

Ryoka entendit enfin ce que Garia disait par-dessus le rugissement du sang dans ses oreilles. Arnel était toujours en train de l’injurier, tirant sur le bras de Garia et Persua criait à ses amis d’aller l’aider. Mais les autres Coursiers ne voulaient pas s’approcher, surtout lorsqu’ils virent que Garia maintenait sans effort le grand costaud à distance.

“Lâche-moi, sale garce !”

“Je suis sûre qu’on peut s’arranger…”

Ryoka tenta de bloquer le coup, mais le point d’Arnel atteignit Garia en pleine bouche alors qu’elle était en train de parler. La grande fille tituba et il arracha sa main de sa poigne. Triomphal, Arnel se tourna vers Ryoka et leva les poings.

Garia vacilla, leva la main à son visage, puis regarda l’homme qui faisait reculer Ryoka. Ses yeux s’enflammèrent, et elle se redressa. Garia serra maladroitement les poings, puis s’avança.

Ryoka jouait au chat avec ses poings, et c’était le visage d’Arnel le chat. Il ne s’effondrait pas, ne ralentissait même pas, mais une planète s’interposa entre elle et l’aventurier. Garia. Arnel leva les mains pour un coup de taureau, mais trop tard. Elle avait beau être lente, la Coursière était devant lui. Et c’est à ce moment que tout changea.

Garia lança un coup de poing.

Il était lent. Ryoka vit la fille décomposer le mouvement, et sa posture était terriblement mauvaise. Mais quand elle cogna l’aventurier, il fit un bruit. Ou plutôt, son corps fit un bruit.

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Ryoka n’avait jamais vu les pieds de quelqu’un quitter le sol après un coup de poing. Arnel lévita pendant un bref instant, puis atterrit lorsque le poing de Garia le laissa redescendre sur terre. Il s’effondra comme un sac de patates.

Il était hors-jeu. Complètement hors-jeu, et sans aucune chance d’objecter. Ryoka cilla en voyant que la cotte de maille de l’aventurier s’était déformée autour du coup de poing de Garia. La fille se frotta la main et secoua la tête tandis que le bruit s’éteignait.

Quand Arnel fut au sol, les autres Coursiers réalisèrent que c’était le moment de partir. Persua s’était éclipsée avant même la fin du combat. Ses larbins tentèrent de la suivre, mais Ryoka en attrapa un et le jeta sur une table. Elle parvint à cogner une autre fille suffisamment fort pour lui faire un bleu sur la joue, puis ils étaient partis.

***

Les moments qui suivaient les rixes de tavernes n’étaient jamais plaisants, surtout quand un aubergiste vous criait dessus. Mais Arnel avait de l’argent - suffisamment pour rembourser les dégâts - et Ryoka n’était pas près de payer pour quelque chose qu’elle n’avait pas commencé. Enfin, si, elle l’avait commencé, mais elle n’allait pas payer pour ça.

La conséquence de tout cela fut que Garia et Ryoka se firent jeter dehors, au moins jusqu’à la fin du dîner. Elles descendirent le long de la rue, Garia parlant avec excitation avec Ryoka.

“Tu as été incroyable ! Il a à peine réussi à te toucher !”

“Meh. J’aurais dû l’assommer dès le début. Il était plus solide que je ne le pensais. Il m’a eu deux ou trois fois.”

Avec précautions, Ryoka se tâta la joue et les bras. Des bleus. Pas trop graves, mais agaçants. Elle les méritait, de toute façon, pour avoir été aussi maladroite.

“Mais cette manière dont tu bougeais ! C’était un aventurier, et tu l’as traité comme si c’était une espèce de [Voyou] de niveau 1 ! Comment as-tu fait ?”

“Oh, c’est juste des arts martiaux. Un peu de Muay Thai et d’autres styles.”

Ryoka vit du coin de l’œil le regard perdu de Garia et élabora.

“C’est une manière de se battre sans armes. On apprend à donner correctement des coups de pieds, de poings, etc..”

“Vraiment ? Et c’est efficace, ce Muy - Muy thaï ? C’est une Compétence ?”

Ryoka voulait gémir ou lever les yeux au ciel.

“Pas une compétence. C’est un truc qu’on apprend, pas une classe ou autre. Je l’ai appris quand j’étais petite. Tu pourrais apprendre aussi.”

“Vraiment ? Enfin, je veux dire, j’adorerais apprendre à bouger comme ça. Tu étais incroyable là-dedans ! Tu es pratiquement aussi bonne qu’un aventurier !”

Ryoka éclata d’un rire bref.

“Il n’était pas très fort. Et les arts martiaux ne marchent pas contre les monstres. Crois-moi, je m’en suis rendue compte à la dure.”

“Mais quand même, je n’arrivais pas à y croire. Quand tu lui as jeté la bière au visage j’ai cru qu’on allait devoir s’enfuir. Mais tu l’as battu !”

Ryoka s’arrêta. Elle lança un regard à Garia et secoua la tête, les sourcils froncés.

“C’est toi qui l’a battu. D’un seul coup de poing.”

“Oui, mais…”

Garia rougit et secoua la tête.

“J’étais juste énervée. Tu l’as beaucoup plus frappé que moi.”

Cette fois-ci, ce fut au tour de Ryoka d’objecter.

“Ne te sous-estime pas comme ça. Ce dernier coup de poing, c’en était un sévère. J’ai cogné plusieurs fois le type et il ne tombait pas, mais tu as réussi à traverser d’un coup sa cotte de maille. Tu es beaucoup plus forte que nous deux. Le dernier coup de poing que tu as lancé était plus fort que mon coup de pied.”

“Bah, tu sais… je porte plein de trucs lourds…”

Ryoka réalisa que Garia rougissait, et pas à cause des compliments. La fille aux pieds nus s’arrêta au milieu de la rue presque vide et dévisagea Garia.

“Qu’est-ce qu’il y a ? C’était un super coup de poing. Ta posture était horrible, mais ce n’est pas un problème d’être forte.”

“C’est juste que… c’est un peu embarrassant, c’est tout. Tu vois ce que je veux dire ?”

“Non. Explique-moi.”

Garia n’en avait clairement nulle envie, mais Ryoka n’allait pas la laisser s’en tirer aussi facilement. Elle soupira.

“Je suis une [Coursière]. Et… je sais que je suis plus grande que la plupart des filles. Je n’aime juste pas parler de ma taille.”

“Tu es très bien.”

“Je suis contente que tu le penses mais… c’est à cause de ma classe. Et de tout ce que je mange, mais ma classe fait partie du problème. C’est la raison pour laquelle je suis forte, aussi, mais c’est embarrassant.”

“Pourquoi ?”

Impossible de s’en sortir facilement... Garia regarda autour d’elle, mais il n’y avait personne à portée de voix. Elle baissa quand même la voix.

“Hum, j’étais une [Journalière] avant de devenir [Coursière]. J’ai atteint le Niveau 14 avant de changer de classe. C’est pour ça que je suis tellement… tellement…”

Elle rougit violemment. Ryoka la regarda d’un air confus.

“Tellement forte ? C’est quoi le problème.”

“Je suis corpulente, Ryoka ! Je n’ai pas envie de l’être, mais les [Paysans] prennent du muscle et c’est impossible de perdre du poids. Je n’ai pas envie d’être grande. J’ai envie d’être petite et légère comme toi et…”

Garia avait l’air sur le point de pleurer. Son visage était rouge et elle commençait à bégayer. Au bout d’un moment, Ryoka lui tapota gentiment l’épaule.

“Je ne suis pas légère. Je suis en forme, mais toi aussi. Qu’est-ce qu’il y a de mal à être aussi forte ? Et puis, [Journalière] ne me semble pas être un mauvais job… classe, je veux dire. Pourquoi est-ce que ça te préoccupe ?”

Garia secoua la tête d’un air désespéré. Elle ne savait pas comment l’expliquer.

“Ce n’est pas une super classe. Ni un super boulot, en fait. Même les [Paysans] ont plus de respect, comme ils savent vraiment labourer la terre et s’en occuper comme il faut. Moi, j’aidais juste avec la charrue, à lever des trucs, et tout et tout. Mais quand je disais ma classe aux gens ils se moquaient de moi - ou ils s’en doutaient à cause de mon apparence.”

Ryoka ne comprenait pas. Elle ne comprenait vraiment pas, mais il lui semblait qu’il y avait une sorte d’élitisme entre les classes. Une guerre des classes dans un sens plus que littéral ? Mais elle comprenait le problème de manière générale.

“Les gens sont vraiment des connards, peu importe le monde où tu es. Écoute, oublie ça. Cette classe t’a aidée si tu es aussi forte que ça sans avoir eu besoin de t’entraîner, pas vrai ?”

Garia acquiesça et renifla.

“Oui, ça m’a aidée. Même si personne n’aime la classe, on obtient quand même de bonnes compétences. [Force Mineure] est la première compétence qu’obtiennent la plupart des guerriers, mais les [Journaliers] l’obtiennent aussi. Euh, je l’ai obtenue à mon deuxième niveau. Mais après, il y a [Force Majeure], qui est ce que j’ai, et j’ai entendu dire qu’aux très hauts niveaux on pouvait avoir [Force de la Nature].”

“Et c’est rare ?”

“Je n’ai jamais croisé quiconque qui l’ait. Mais oui, les guerriers n’obtiennent [Force Majeure] qu’aux alentours du niveau 30. Comme je l’ai eue aussi rapidement, je suis plus beaucoup plus forte que la moyenne. Je peux soulever trente kilos sans les sentir passer.”

“Whoa.”

C’était impressionnant. Ryoka s’était toujours doutée que Garia était très musclée mais elle en avait eu la confirmation cet après-midi. Elle marqua une pause, et réfléchit avant de poser une autre question.

“Si cette compétence est si efficace, pourquoi est-ce que personne ne devient [Journalier] pendant un petit moment avant de devenir aventurier ? Ça m’a l’air d’être une bonne stratégie.”

Garia parut surprise.

“Pourquoi feraient-ils ça ? Personne ne veut travailler à la ferme. C’est fatiguant et ennuyeux, Ryoka.”

“Mais si c’est pour obtenir la Compétence…”

“Tu ne peux pas être sûre que tu l’obtiendras directement. J’ai juste eu de la chance. D’accord, pas mal de travailleurs dans mon genre obtiennent au moins [Force Mineure] rapidement, mais ça dépend. Dans tous les cas, j’ai bossé dans la ferme de mon père jusqu’à mes dix-huit ans et je n’étais qu’au niveau 14 alors que je bossais tous les jours de l’aube au crépuscule. Ça n’en vaut pas la peine.”

“Ah.”

On aurait dit… eh bien, on aurait dit que la manière dont les gens prévoyaient leurs compétences n’était pas très efficace. Ryoka ne jouait pas beaucoup aux jeux vidéo, mais si elle pouvait avoir cette [Force Majeure] en bossant à la ferme enfant, elle l’aurait fait. Mais quand on y réfléchissait… dix-huit ans, c’était long.

C’était une idée inutile dans tous les cas comme Ryoka ne comptait gagner de niveaux, même si elle était jalouse de la force de Garia. Mais l’autre fille était clairement embarrassée par son corps et sa classe, donc Ryoka abandonna le sujet.

“Au moins Persua a appris sa leçon, même si j’ai raté l’occasion de lui casser le bras. Il faudra que je fasse ça la prochaine fois que je la croise.”

Garia grimaça. Elle savait que Ryoka ne plaisantait pas.

“Pitié, pas ça. Si tu le fais elle fera quelque chose de pire encore.”

“Pire que d’embaucher un aventurier pour me mettre une raclée ? Je pense que je vais tenter ma chance.”

Ryoka secoua la tête. Elle allait devoir faire quelque chose au sujet de cette fille. La tuer était tentant, mais elle ne pourrait probablement pas le faire sans conséquences.

“Mais qu’importe. Merci pour les conseils. Mais j’ai d’autres chats à fouetter.”

“Des chats à… pourquoi donc ?”

“Je veux dire que j’ai d’autres choses à faire. Écoute, tu disais que Ceria était à Esthelm, non ? C’est où ?”

Garia se gratta la tête en essayant de se souvenir.

“Au bord de la route qui mène à Liscor. C’est au sud, à une centaine de kilomètres d’ici je crois ?”
Ryoka hocha la tête. Elle pouvait atteindre la ville en une nuit. Elle regarda attentivement les toits et examina les alentours. D’un air nonchalant, elle haussa la voix en répondant à Garia.

“Je vais passer la nuit ici. Et demain j’y irai peut-être. Si tu veux apprendre à te battre correctement, rejoins-moi là-bas.”

“Peut-être. Je ne suis pas sûre que je serai libre - ou même que je veuille apprendre à me battre. Je n’aime pas la violence.”

Ryoka fit une bourrade à Garia.

“C’est ton choix. Mais avec un coup de poing comme ça, ce serait dommage de ne pas apprendre à cogner proprement. Je t’enseignerai la prochaine fois qu’on se verra, ça te dit ?”

C’était la première fois que Garia voyait Ryoka insister pour… eh bien, insister tout court. Elle admit qu’elle essaierait peut-être et regarda la fille trotter pieds nus à son auberge pour y passer la nuit.

“Les arts martiaux ?”

Garia regarda son poing. Il portait toujours les cals de ses longues journées de labeur sous le soleil. Elle serra le poing à titre expérimental. Elle avait l’impression d’être incroyablement pataude. Mais elle avait impressionné Ryoka. C’était suffisamment rare.

“Mais faire tout le chemin jusqu’à Esthelm. C’est loin…”

Mais elle n’avait pas d’autre engagement, et il y avait toujours du travail pour quelqu’un qui voulait bien traîner de la marchandise lourde sur de grandes distances. Et pour être honnête, c’était probablement mieux si Garia s’éloignait de la ville pendant quelque temps, elle aussi.

La Coursière réfléchit à quelle serait la réaction de Persua aux événements de la journée. Sans parler de la Guilde d’Aventuriers locale. Ils ne seraient pas contents d’apprendre que l’un des leurs s’était fait battre par une civile, et encore moins par une Coursière. Garia frissonna, et songea qu’elle allait peut-être bien accepter quelques requêtes longues distances cette semaine. Probablement en direction d’Esthelm, mais dans tous les cas loin de Celum.

Elle courut à petites foulées jusqu’à son auberge. Sur son toit, l’[Assassin] regarda Garia partir. Elle n’avait pas d’importance, mais il se devait de mentionner tous les amis de Ryoka à Magnolia. Il était heureux que la fille ait arrêté le combat avant qu’il n’ait eu besoin d’intervenir.

Silencieusement, l’homme aux traits indéfinissables suivit furtivement Ryoka à son auberge. Normalement, protéger la fille des représailles inévitables des Guildes des Coursiers et des Aventuriers aurait représenter une véritable corvée, mais ce soir était une exception. Tout ce qu’il avait à faire, c’était attendre. Quelqu’un d’autre avait rendez-vous avec Ryoka Griffin, qu’elle le veuille ou non.

***

Ryoka se retira tôt dans sa chambre, et dormit une petite heure. Enfin, dormit est un bien grand mot. Elle fit une sieste légère, et se réveilla l’Osque son iPhone se mit doucement à sonner.

Avoir un iPhone était incroyablement pratique. Elle aurait simplement voulu être capable de jeter le sort de [Réparation] elle-même plutôt qu’avoir à le demander à un mage. Encore une bonne raison d’aller voir Ceria.

La nuit était tombée lorsque Ryoka s’habilla. Elle se déplaça en silence dans la chambre, récupérant différents objets en gardant les oreilles à l’affût du moindre bruit.

Rien. Eh bien, elle ne s’était pas attendue à entendre quoi que ce soit. Elle espérait juste que les rideaux fermés suffisaient à dissimuler ses mouvements.

Les yeux de Ryoka se dirigèrent vers la fenêtre. À Celum - ou dans n’importe quelle ville de ce monde - la nuit était vraiment sombre. Il n’y avait pas de néons, ni de voitures pour illuminer la ville. Et bien que quelques lampes et quelques torches éclairaient la rie, les toits et la plupart des rues n’avaient que la pâle lumière de la lune pour les éclairer.

Parfait.

Ryoka n’avait pas grand-chose. Juste quelques vêtements, un peu d’argent, son iPhone et ses libres. Et elle avait vendu deux livres qu’elle avait déjà lus, donc l’ensemble de ses possessions rentraient parfaitement dans son sac à dos de Coursière. Elle laissa quelques pièces sur la table, et ouvrit la fenêtre en silence.

***

L’[Assassin] qui était connu bien malgré lui sous le nom de Théophore était debout sur le toit de l’auberge et tentait de garder ses sens en alerte. C’était difficile. Il était vêtu de vêtements sombres indéfinissables, mais qui ne suffisaient pas vraiment à le protéger du froid de la brise nocturne. L’hiver allait bientôt atteindre ces terres, et quand cela arriverait, les missions de surveillance de ce genre deviendraient extrêmement douloureuses sans cristaux chauffants ni sorts coûteux.

Mais c’était son job et c’était un professionnel. Il n’avait pas un très haut niveau, mais il restait suffisamment compétent pour être assigné à Lady Magnolia sur demande. C’était aussi parce que la Guilde ne voulait vraiment pas gaspiller un membre de haut niveau sur une tâche aussi triviale, mais surveiller cette Ryoka Griffin s’était avérée être un véritable défi. L’incident des Hautes Passes avait été désastreux. Mais au moins elle était endormie à présent…

Un mouvement en-dessous de lui fit sursauter Théophore. Il entendit une fenêtre s’ouvrir, puis une silhouette agile se hissa sur le toit. Il n’y avait nulle part où se cacher, et Ryoka aperçut donc Théophore recroquevillé en silence au-dessus de sa chambre.

Pendant un instant, les deux silhouettes perchées à une courte distance l’une de l’autre se dévisagèrent. Puis Ryoka se leva.

Théophore bondit, les mains se précipitant sur ses couteaux mais il ne pouvait évidemment pas l’attaquer. Il devait la garder dans l’auberge, par contre, et cela impliquerait un combat à mains nues. Là encore, il était également entraîné pour cela, mais Ryoka Griffin était bien plus forte que l’aventurier Bronze moyen.

Ryoka s’avança sur le toit et Théophore se pencha en arrière juste à temps pour éviter le crochet qu’elle avait dirigé vers son visage. Il tenta de lui asséner un coup avec son unique compétence de combat à mains nues - [Point de Pression : Paralysie], mais elle dévia sa main d’une pichenette.

Damnation. C’était mal parti. Le toit de l’auberge était en pente, ce qui rendait l’esquive et le combat deux fois plus durs, même pour un [Assassin]. Si Théophore avait eu la compétence de [Foulée Équilibrée], les choses auraient peut-être été différentes mais…

Ryoka tenta de lui asséner une frappe verticale. Il le bloqua facilement, et c’était le but. Lorsque le bras de l’[Assassin] se releva, Ryoka avança et lui donna un coup de pied.

Il l’avait vue se battre, mais il n’était pas prêt pour le coup de pied bas qui s’écrasa dans sa jambe gauche, juste au-dessus du genou. Théophore vacilla. On aurait dit qu’une hache venait de rentrer tans sa jambe, l’engourdissant de douleur. Il recula, essayant de ne pas montrer son agonie sur son visage.

Mais Ryoka ne s’avança pas. Elle ajusta son sac à dos et fit volte-face. Théophore jura et se précipita, mais elle était déjà en train de courir. Les pieds nus de Ryoka claquèrent sur le long de la pente du toit. Elle atteint le bord et bondit.

Dans la noirceur de la nuit, une silhouette solitaire fila au-dessus du toit et atterrit avec un bruit sourd sur un autre toit. Elle courut, rebondit sur une cheminée avec ses deux mains et se mit à bondir de toit en toit dans un style connu dans son monde sous le nom de Parkour.

Pour Théophore, cela ressemblait affreusement aux mouvements des [Assassins] de très haut niveau. Il la pourchassa, jurant à cause de sa jambe blessée qui le ralentissait. Ryoka gagnait déjà du terrain. Il ne pouvait se permettre de la perdre de vue.

Elle savait qu’il la suivait. Sa tête se retourna un instant et elle le vit foncer sur les toits derrière elle. Théophore ne pouvait pas distinguer ses traits dans les ténèbres, mais il aurait juré qu’elle lui avait souri pendant un instant.

Ryoka détourna la tête, et accéléra le rythme. Une main se leva et un doigt se dressa dans un geste sans équivoque.

Théophore grogna et courut plus vite, ignorant la douleur de son membre blessé. Il ne la perdrait pas. Il était un professionnel, et il avait été entraîné à rattraper même des [Coursiers] si c’était nécessaire.

Les deux filèrent de toit en toit, bondissant, roulant, et sautant, faisant probablement sursauter les habitants dessous lorsqu’ils atterrissaient sur le terrain inégal. Ryoka avait une avance de quelques maisons, mais il finirait par la rattraper. C’était un [Assassin], et elle n’était qu’une [Coursière].

Il finirait par l’attraper. Les [Assassins] étaient connus pour leur capacité à poursuivre leurs cibles sur des courses à grande vitesse. Ils étaient connus pour leur maîtrise de l’escalade et leur agilité sur les toits. Ils étaient connus pour…

Ryoka bondit sur un autre toit et glissa sur les tuiles, en en faisant sauter quelques-unes. Elle sauta du toit, fit un salto et enchaîna sur une roulade en atteignant les pavés de la rue en-dessous. Théophore regarda, bouche-bée, Ryoka se relever et continuer à courir sans marquer de pause. En quelques secondes, elle était hors de vue.

Il s’arrêta sur le toit. Même s’il avait su ce qu’elle allait faire, il aurait perdu quelques secondes cruciales à trouver une prise et à descendre. Il n’aurait jamais essayé de sauter comme elle venait de le faire. Était-ce une Compétence ? Ou…

C’était sans importance. Elle était au sol, et Théophore savait qu’il ne la rattraperait pas. Il savait où elle allait, ce qui était déjà ça.

Mais Théophore savait que Lady Magnolia ne serait pas contente de son échec. Lentement, avec réticence, il rentra à l’auberge où Ryoka avait dormi. Il devrait faire un rapport. Il y aurait des conséquences, et elles retomberaient sur sa tête. Il serait probablement réaffecté ou un membre vétéran de la Guilde serait envoyé. Mais c’était seulement les problèmes qui concernaient la Guilde. Il y avait plus grave. Lady Magnolia ne serait pas contente.

Elle ne serait pas contente du tout.

***

Lady Magnolia était une femme joyeuse la plupart du temps. Elle était délibérément joyeuse, et de nature aimable parce que les gens aimaient bien les gens joyeux. Cela permettait de leur faire baisser leur garde, et de plus, elle trouvait la joie préférable aux soupçons ou au pessimisme, dans tous les cas.

Et dans ce cas précis, Magnolia était joyeuse parce qu’elle allait enfin avoir sa confrontation. Certes, ce n’était pas selon ses termes, mais on ne pouvait pas gagner à chaque bataille. Ryoka était parvenue à éviter de venir la voir pendant un bon bout de temps, donc Magnolia allait la voir, elle.

C’était une position de négociation inconfortable que d’être le côté qui avait besoin de l’autre plutôt que celui en possession de toutes les cartes, mais parfois, il était nécessaire d’être proactive. Et en ce cas précis, Magnolia avait décidé de mettre le paquet.

La joie, c’était très bien, tout comme la gentillesse et la générosité. La générosité ouvrait bien des portes que les menaces ne pouvaient ouvrir. Et la générosité couplée à des menaces implicites mais voilées ouvrait encore plus de portes, d’après l’expérience personnelle de Magnolia.

Exemple concret. Magnolia visitait une auberge, un établissement indigne d’une femme de son rang et de sa position. Personnellement, elle aurait adoré venir dans des auberges si ce n’était pas considéré comme répréhensible par les gens de sa société, mais en ce cas précis, sa visite était uniquement pour les affaires. Et la générosité avait bien marché ici. Une suggestion aimable ou deux, quelques pièces d’or et l’aubergiste avait vidé l’auberge pour elle.

Il était tard, et les clients avaient sans doute été vexés d’avoir été réveillés et envoyés dehors. Mais un peu d’argent et un repas, courtoisie de Lady Magnolia, adouciraient la plupart des humeurs.

Un serviteur ouvrit la porte de la voiture et Magnolia laissa Ressa l’aider à sortir. Une légère pluie s’était mise à tomber sur la ville, et un parapluie en tissu enchanté avec le meilleur sort d’[Imperméabilité] fut par conséquent immédiatement placé au-dessus de la tête de Magnolia.

Ses servantes et une poignée d’hommes et de femmes qu’elle avait discrètement employés s’étaient déployés autour de l’auberge, pour “décourager” plusieurs Coursiers et quelques aventuriers qui rôdaient près de la porte du fond.

Ressa accompagna Lady Magnolia au deuxième étage. Le reste des [Assassins] et des [Servantes] restèrent en bas, attendant les ordres de Magnolia. Elle n’avait pas peur. Son Intendante était suffisante comme escorte dans le cas où Ryoka se montrerait belligérante, et une [Lady] avait naturellement ses propres moyens de se défendre.

Mais Magnolia ne pensait pas qu’il y aurait trop de problèmes. Ou plutôt, elle s’attendait à pouvoir gérer n’importe quel problème à l’aide de ses Compétences. Elle s’arrêta devant la porte de Ryoka et frappa.

Pas de réponse. Magnolia échangea un regard avec Ressa et frappa de nouveau, plus fort.

Là encore, pas de réponse. Magnolia fronça les sourcils. Elle s’était attendue à ce que Ryoka remarque que le reste des clients se faisaient réveiller, mais ah, peut-être que la fille faisait sa forte tête. Très bien.

Lady Magnolia haussa la voix.

“Bonsoir, Miss Griffin. Puis-je entrer ?"

Il n’y eut aucune réponse.

Étrange. Lady Magnolia savait que ça aurait dû marcher. Elle haussa la voix.

“Ryoka, ma chérie ? Bonjour ? Y a-t-il quelqu’un ?”

Un silence de mort. Lady Magnolia fronça les sourcils.

“... Bonjour ?”

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 06 mai 2020 à 18:44:51
1.34
Traduit par Maroti

Erin s’assit avec Loks et regarda le mage dans son auberge. Un bazar d’assiettes vides, les restes d’un grand petit-déjeuner, était éparpillé autour du trio.

Ryoka s’assit dans une petite salle de la Guilde des Aventuriers à Esthelm et attendit alors que la mage Demi-elfe se préparait devant elle.

Elles étaient séparée par de nombreux kilomètres de distance, mais les deux jeunes femmes avaient toutes les deux posé la même question. L’une avait réveillé et soudoyé le mage avec de la nourriture et avait invité une Gobeline à apprendre. L’autre avait couru à travers la nuit et été arrivé fatigué et en sueur pour frapper à la porte de la mage et demander à être enseigné.

Les mages étaient aussi différents. L’un était une fille en partie humaine qui semblait être légèrement plus vieille que Ryoka, mais dont l’apparence supposait quelque chose d’intemporel, et dont la beauté attirait l’œil. Mais tout cela n’était que des indices, et sa beauté était autant dût à son héritage qu’à son apparence physique. Et pourtant, elle était une rare vision dans toutes les nations ; une demi-Elfe nommée Ceria.

L’autre mage était Pisces. Ses robes grises et sales étaient toujours tachées par la terre, la météo, ou les endroits sombres dans lesquels il errait. Il avait encore un peu d’œufs brouillés sur l’une de ses manches.

Différents mages, différentes chercheuses, dans des lieux différents. Mais les questions demandées et les réponses données étaient presque les mêmes. Car la nature des questions tournait autour de la magie, et, qu’il y a fort longtemps, les deux mages avaient étudiés ensemble.

 
***

Pisces termina enfin son morceau de toast au fromage et secoua sa robe pour faire tomber les dernières miettes sur le sol. Erin le regarda, mais il était toujours imperméable à son courroux. Il soupira, avant de regarder Erin et la Gobeline assise à ses côtés.

« Si nous devons faire cela, devons-nous vraiment inclure la Gobeline ? »

Le regard d’Erin se transforma en un froncement de sourcil.

« Son nom est Loks. »

Pisces leva un sourcil.

« C’est le nom que tu lui as donné, certainement. Son nom de Gobelin est probablement imprononçable pour toi et moi, mais je suspecte qu’elle proteste autant que moi à l’idée d’avoir un tel surnom. »

« C’est mieux que de l’appeler ‘Gobeline’. De plus, elle semble ne pas s’en plaindre. Pas vrai, Loks ? »

Erin lança un regard du coin de l’œil. Loks n’évita pas son regard, elle était juste occupée à ne pas quitter Pisces des yeux.

« Ahem. Nom à part, pourquoi est-ce qu’elle est ? Tu m’as demandé de t’apprendre de la magie. »

« Ouaip, et j’ai pensé qu’elle aimerait bien apprendre aussi. »

Loks hocha la tête. Pisces soupira et frotta ses yeux.

« C’est juste que… Puis-je désormais exprimer mes objections ? La magie n’est pas un jeu ou un ‘tour de passe-passe’. J’ai accepté ta demande malgré ma réticence parce que je crois que tu as réellement envie d’apprendre. Enfin, la Gobeline a peut-être le même souhait, mais cela n’est pas une triviale affaire. Me promets-tu de prendre cet enseignement avec le sérieux nécessaire ? »

« Je suis on ne peut plus sérieuse. Plus sérieuse que sérieuse. »

Erin sourit et Pisces lui lança un regard. Puis elle sursauta alors que Loks enfonça un ongle cassé dans sa hanche. La fille lança un regard à la Gobeline, qui lui rendit sans sourciller.

« D’accord. D’accord. Je suis sérieuse à ce sujet, Pisces. Et je veux vraiment savoir. Alors est-ce que tu peux m’apprendre ? S’il te plait ? »

Pisces hésita.

***


« Bien sûr que je peux t’enseigner, Ryoka. Je serais heureuse de t’aider, mais je suis curieuse, pourquoi ce soudain intérêt ? »

Ceria s’affaira dans la petite chambre qu’elle avait louée dans la Guilde des Aventuriers, cherchant pour sa baguette parmi ses affaires éparpillées.

« Tu as couru au milieu de la nuit pour venir ici ? Et tu as évité un… [Assassin] ? J’ai du mal à y croire, mais tu l’a parfaitement décrit. »

Ryoka se percha sur une chaise en bois et admira les cheveux brun-clair de Ceria capté la lumière du soleil. Malgré le fait qu’elle avait déjà traîné avec Ceria auparavant, la demi-Elfe était toujours différente dans l’air surnaturelle qu’elle exsudait, mais Ceria était trop occupé à soulever le matelas et regarder sous son oreille pour remarquer la curiosité de Ryoka.

La fille aux pieds nus essaya de ne pas bâiller en cherchant une réponse. Au moins, elle n’était pas en sueur. La Guilde des Aventuriers n’avait pas de douche, mais au moins il avait des lavabos et un puits qui était bien pratique.

« C’est juste quelque chose qui m’intéresse vraiment. Et pouvoir me défendre fait partie de cette raison, mais je veux juste apprendre des choses sur la magie. Ce n’était pas… Enormément pratiqué de là ou je viens. »

« Je vois. Mais, s’il te plaît, ne soit pas déçue si tu ne commences pas à envoyer des [Boules de Feu] à tout, d’accord ? La plupart des Humains à qui j’ai essayé d’enseigner étaient, et bien, plutôt impatients. Et ce n’était pas comme si avoir une demi-Elfe comme professeure accélérait l’apprentissage. »

« Loin de moi cette idée. »

Finalement, Ceria trouva ce qu’elle cherchait. Elle sortit sa baguette de derrière ses sacs de voyage et la place sur la table à côté de Ryoka avant de tirer une chaise pour s’asseoir en face.

« Très bien, par où pourrai-je commencer ? Je suppose qu’il serait important de savoir ce que tu sais déjà sur la magie. »

Ryoka présenta ses mains sans un mot. Ceria secoua la tête avec un sourire.

« Cela simplifie les choses. Fort bien, je suppose que je vais t’expliquer ce qu’est la magie. »

***


Pisces se leva de sa chaise. Son attitude changea dès l’instant où il avait véritablement décidé d’enseigner à Erin. Il libéra le sol autour de lui et commença à faire les cent pas. Il parlait comme l’un des vieux professeurs qu’Erin avait eu au lycée, ceux qui était pointilleux et pédants.

« La magie est un art. C’est une chose que seul les plus talentueux et dévoué peuvent espérer atteindre. Ceux qui possèdent une véritable maîtrise des arts magiques créent des œuvres de beauté et d’émerveillement avec chaque incantation. »

***


Ceria haussa les épaules et toucha délicatement le bout de sa baguette. Cette dernière produisit quelques étincelles violettes qui se dissipèrent en tombant au sol.

« Je ne sais pas exactement ce qu’est la magie. C’est un mystère, mais je peux t’assurer qu’elle est dans l’air que nous respirons, dans tous les pas que nous prenons et dans le battement de nos cœurs. C’est quelque chose d’incroyable, mais elle est dangereuse. Terriblement dangereuse, et les Humains surestiment leur maîtrise de la magie depuis fort longtemps. »

***


Pisces pointa Erin et Loks du doigt. Il rencontra leur regard de manière sérieuse.

« Ne sous-estime jamais la magie. Ne la prends jamais à la légère. Même en pratique, et même si tu penses avoir entièrement maîtrisé un sort. Contrairement au maniement du marteau ou de l’aiguille, la magie est parfaitement capable d’occire un praticien négligeant. »

***


Ceria soupira. Ses yeux se perdirent dans le vide alors qu’elle regarda à travers Ryoka.

« Il existait une époque où tout le monde savait utiliser de la magie, ou du moins c’est ce que mon grand-père m’a dit. C’était aussi simple que de prendre une respiration, même pour les enfants, et tous les demi-Elfes apprenaient un sort du Second Echelon avant de devenir adolescent.  Mais dans les villes humaines et dans les autres nations, les étudiants étudient sous la tutelle de plus vieux mages ou voyagent jusqu’à des écoles comme l’Académie de Wistram. »

« Les vrais [Mages] sont rares. Ceux accrédités par l’Académie de Wistram ou une institution magique similaire  sont plus rares encore. »

***


Pisces sourit avec suffisance aux deux membres de son audience sachant qu’il était le plus rares d’entre eux. Il agita sa main de manière dédaigneuse avant de continuer.

« Les [Mages] en général ? Pah. Tout le monde peut obtenir cette classe, ou l’une de ses variations, mais nombreux sont ceux qui stagnent et luttent pour attendre le Niveau 20. En effet, le manque d’éducation centralisé entre les nations a donné naissance à des variations moins puissantes basées sur la classe de [Mage]. [Sorciers des Haies], [Féticheurs], les [Sorcières] en général, les [Magelames] qui sont douteusement qualifiable, les [Druides]… Et bien, je suppose que les [Druides] sont l’exception qui confirme la règle, et bien sûr réservons la majorité de notre dédain pour les soi-disant [Ensorceleurs]… »

Pisces se rendit compte qu’il était en train de perdre son audience et s’arrêta. Erin était furieusement en train d’écrire le nom des classes alors que Loks était en train de nettoyer une de ses oreilles avec son auriculaire. Il s’arrêta avec reluctance.

« Même ces lanceurs de sort sont uniques. Élus. Ils sont capable de lancer des sorts, ce qui est déjà plus que la majorité de l’humanité. »

***


Ceria soupira et hocha tristement la tête.

« Tous les Humains n’ont pas le potentiel de devenir des [Mages]. C’est une histoire de talent et du potentiel magique inné de ton corps. »

Les oreilles de Ryoka se levèrent de manière métaphorique en entendant cette dernière phrase. Elle fronça les sourcils en regardant Ceria.

« ‘Tous les Humains n’ont pas le potentiel’ ? Est-ce que ça veut dire qu’il y a certaine race qui sont ont plus ou moins de potentiel ? Qu’en est-il de ton espèce ? »

***

Pisces sourit avec suffisance aux deux membres de son audience sachant qu’il était le plus rare d’entre eux. Il agita sa main de manière dédaigneuse avant de continuer.

« Les [Mages] en général ? Pah. Tout le monde peut obtenir cette classe, ou l’une de ses variations, mais nombreux sont ceux qui stagnent et luttent pour attendre le Niveau 20. En effet, le manque d’éducation centralisé entre les nations a donné naissance à des variations moins puissantes basées sur la classe de [Mage]. [Sorciers des Haies], [Féticheurs], les [Sorcières] en général, les [Magelames] qui sont douteusement qualifiable, les [Druides]… Et bien, je suppose que les [Druides] sont l’exception qui confirme la règle, et bien sûr réservons la majorité de notre dédain pour les soi-disant [Ensorceleurs]… »

Pisces se rendit compte qu’il était en train de perdre son audience et s’arrêta. Erin était furieusement en train d’écrire le nom des classes alors que Loks était en train de nettoyer une de ses oreilles avec son auriculaire. Il s’arrêta avec réluctance.

« Même ces lanceurs de sort sont uniques. Élus. Ils sont capables de lancer des sorts, ce qui est déjà plus que la majorité de l’humanité. »

***


Ceria soupira et hocha tristement la tête.

« Tous les Humains n’ont pas le potentiel de devenir des [Mages]. C’est une histoire de talent et du potentiel magique inné de ton corps. »

Les oreilles de Ryoka se levèrent de manière métaphorique en entendant cette dernière phrase. Elle fronça les sourcils en regardant Ceria.

« ‘Tous les Humains n’ont pas le potentiel’ ? Est-ce que ça veut dire qu’il y a certaines races qui sont ont plus ou moins de potentiel ? Qu’en est-il de ton espèce ? »

***


Pisces semblait mécontent en entendant la question d’Erin. Il croisa ses bras et fronça les sourcils.

« Je suppose que tu parles des demi-Elfes. Oui, leurs affinités pour la magie est bien plus grande que la nôtre. Cependant, un avantage lié à l’espèce ne se traduit pas dans le talent d’un individu, et cela ne veut pas dire que les plus grands mages ne sont jamais humains. En vérité, certains des plus grands archimage de cette ère son humain. Et des exceptions naissent dans des races qui ont normalement peu de talent magique. Les Minotaures, par exemple, sont presque dénués de potentiel, mais certains ont réussi à atteindre des sorts du Second Echelon. »

Erin tenta de s’imaginer un Minotaure, mais la seul image qu’elle avait été celle des monstres à tête de taureau et au corps humain représentés sur d’anciennes fresques grecques. Elle avait du mal à imaginer l’un d’entre eux murmurant des sorts ou lisant un livre.

Pisces fronça les sourcils et Erin arrêta de sourire.

« Bon, d’accord. Tous les humains ne sont pas des mages. Certains d’entre nous sont des Moldus. C’est bien ça ? »

« Des Moldus ? »

« Heu… Qu’en est-il des Gobelins ? »

Pisces renifla.

« Je n’ai jamais entendu parler d’un Gobelin avec des capacités rivalisant avec celle d’un vrai mage. Leur talent inné pour la magie est probablement trop bas pour supporter l’effort nécessaire pour lancer un sort. L’intégralité de leur race peut à peine éteindre une bougie, encore moins magiquement. »

Erin et Loks se redressèrent dans leurs sièges, indignées. Erin ouvrit sa bouche, mais Loks leva son doigt en première.

Vu qu’elle venait de lever son index plutôt que son majeur, Erin et Pisces la regardèrent avec curiosité. Elle murmura quelques mots dans sa propre langue et regarda le bout de son doigt.

Rien n’arriva. Erin échangea un regard avec Pisces, puis une étincelle de lumière lui fit cligner des yeux. Elle regarda le doigt de Loks et fut surprise de voir une petite flamme danser au bout de son doigt. Erin l’admira, avant de regarder Loks.

« Tu peux faire de la magie. »

Pisces secoua la tête. Il souffla sur le doigt de Loks et la flamme s’éteignit. Elle plissa les yeux, mais il n’était pas impressionné par sa magie ou son regard.

« De la magie tribale. Feh. »

« Attends une seconde. »

Erin était extrêmement confuse et elle voulait le faire savoir à tout le monde.

« Mais c’est de la magie ? Pourquoi est-ce que t’appelles ça de la magie tribale ? »

Pisces se frotta la tempe.

« Je devrai vraiment bannir tes questions. Pour résumer une histoire complexe, la magie que ta petite amie utilise n’est pas de la véritable magie. Ou du moins, pas la magie pratiquée par les [Mages]. Sa magie actuelle est un amalgame de mana tiré de sa tribu. »

Erin regarda Pisces avec incompréhension.

« Quoi ? »

Il soupira et serra son nez.

« Laisse-moi te l’expliquer d’une autre manière. La magie nous entoure. Elle est dans tout, mais la capacité de chaque individu pour la magie varie, et cela vaut aussi pour ce qui nous entoure. Ainsi donc, dans un environnement chargé magiquement, les sorts sont plus faciles à lancer. Dans une zone sans magie, un [Mage] ne peut compter que sur ses propres réserves internes de magie pour lancer des sorts. »

« D’accord, ça j’ai compris. »

Pisces hocha la tête. Il pointa Loks du doigt qui se pencha pour ne pas être dans la ligne de mire de l’index.

« Les Gobelins, de leur côté, pratique une autre forme de magie. Ils tirent leur mana non pas que de l’environnement, mais aussi des autres Gobelins. Donc un seul Gobelin peut utiliser le mana d’une tribu entière à laquelle il est affilié pour lancer des sorts. »

Erin claqua des doigts et Loks sursauta. La Gobeline regarda la main d’Erin de manière suspecte et tenta aussitôt de reproduire le geste.

« Oh, je comprends. Tu approvisionnes ta magie par la foule. »

Pisces cligna des yeux en regardant Erin, avant de décider d’ignorer son étrange commentaire et les tentatives de Loks de faire claquer ses doigts.

« Oui, enfin, c’est quelque chose de grossier. Mais je suppose que c’est suffisamment puissant à sa propre manière, vu que cela permet aux tribus Gobelines d’avoir un ou deux lanceurs de sorts. Ces, hum, ‘Shaman’ tirent leur pouvoir de la collectivité. Plus le groupe est large, plus ils sont puissants. Et donc, alors que les Gobelins de cette zone ne peuvent probablement pas créer plus que quelques étincelles là ou une tribu de plus de mille individus est capable de créer un [Shaman] décemment puissant. Mais cela est inefficace. »

Pisces secoua la tête.

« Un millier d’individus pour une seule personne capable de lancer des sorts ? Un ridicule gâchis. »

« Hey, si ça marche… »

Il renifla.

« Ce n’est pas de la véritable magie, c’est tout. Il est vrai que ces [Shamans] sont peut-être capable de copier de nombreux sorts, mais ils naissent d’une volonté collective en manquant de formes et de structures. Ce genre de sorts appartient plus à l’ancienne magie des Miracles plutôt qu’aux véritables Arts Magiques. »

Erin commençait à avoir mal à la tête. Elle leva la main comme si elle était en classe.

« Attends une minute. Les Miracles ? »

Un nouveau soupir. Loks arrêta d’essayer de faire claquer ses doigts et se rassit pour écouter.

« Une forme de magie plus ancienne et éteinte. Enfin, j’appelle cela de la magie, mais même aujourd’hui nous ne savons pas si les Miracles étaient de la magie ou… Autre chose. Tu peux les imaginer comme des prières prenant forme dans la réalité. Comme, par exemple, souhaiter qu’un ami soit guérit. Un miracle fermerait ses blessures et restaurera son essence à travers la foi. »

Erin cligna des yeux. Cela sonnait… Comme un vrai miracle, directement tiré d’un des passages de la bible qu’elle se rappelait vaguement de son temps à l’église lorsqu’elle était petite.

« Attends, tu veux dire qu’il y a un moyen de marcher sur l’eau ou d’ouvrir les mers ? Pourquoi est-ce que tout le monde ne fait pas ça ? »

Pisces cligna des yeux et lui lança un regard qu’elle commençait à reconnaître. C’était le ‘tu n’as vraiment pas compris?’ que Selys lui faisait souvent.

« Peut-être parce que les miracles étaient tirés de la foi et de la croyance envers les dieux. Et les dieux n’existent plus. Ergo, les miracles se sont aussi éteints. »

Erin ouvrit la bouche et la ferma silencieusement pour digérer ce qu’elle venait d’entendre. Pisces continua, ne prêtant pas attention.

« Mais tu es correcte. Il existait une époque où les miracles égalaient la magie dans sa capacité à distordre le monde. Il était dit qu’un [Clerc] du plus bas niveau pour faire des choses qu’un [Archimage] ne pouvait pas réaliser. »

Il s’arrêta et ferma les yeux. Pisces sembla réciter quelque chose de tête.

«Par la foi et uniquement par la foi ils distordent les chaînes de la réalité. Leurs désirs et croyances créent des Dieux et forment un passage entre l’impossible et la vérité. Même si les lames et les sorts peuvent prendre leur vie, leurs inviolables volontés feront bouger ce monde. »

Il secoua la tête.

« Tellement pour ça. Les dieux sont morts. Ainsi que les anciennes méthodes de la foi et des miracles. »

Erin ne savait pas pourquoi, mais elle sentit un poids dans son cœur en entendant ces mots. Comme si quelque chose avait été perdu avant qu’elle ne puisse le découvrir. Elle leva de nouveau la main.

« Donc il n’y a plus de miracles ? Je pensais qu’il y avait quelque [Guérisseur] à Liscor. Qu’en est-il d’eux ? »

« Ah, et bien. Les [Guérisseurs] sont simplement des pratiquants des arts de la restauration, et dont certains sont capable de lancer des sorts. Beaucoup comptent sur les potions ou de simples bandages plutôt que des miracles. La définition de cette classe a évolué, et accordement, les compétences et les sorts appris ont changé à leurs tours. En réalité, c’était un phénomène fascinant. Je l’ai étudié lors de l’un de mes cours à l’époque où j’étais à Wistram… »

Pisces secoua la tête.

« Mais je n’ai pas le temps de m’aventurer dans la variation des classes au fil des siècles. Ou est-ce que j’en étais ? Oh, bien sûr. La Magie. N’oublions pas que nous sommes là pour apprendre. Fort bien, je suppose que tu comprends un peu ce qu’est la magie. Maintenant, pour te tester. »

Pisces leva ses mains et s’avança soudainement vers Loks et Erin. Leurs chaises reculèrent, et il s’arrêta, irrité.

« Ce n’est pas un processus dangereux. Je souhaite simplement vérifier si l’une d’entre vous a la capacité de devenir mage. Je vous testerai de manière traditionnelle. Ne bougez pas, je vais saturer la zone autour de vous de mana brut et vous permettre de démontrer vos capacités magiques… Ou l’absence des dîtes capacités. »

***

Ryoka regarda Ceria.

« Est-ce que ça va faire mal ? »

« Oh, bien sûr que non. Ce n’est qu’un test, c’est tout. C’est comme ça que j’ai appris lorsque j’étais enfant. Je sais que les Humains le font différemment, mais il devrait marcher sur toi. »

Elle leva sa baguette et le bout brilla d’une lueur blanc-argenté. Ceria sourit pour calmer l’appréhension de Ryoka.

« Regarde. Je vais dessiner un symbole dans l’air. Je veux que tu le regardes et que tu me dises ce que tu vois. Ne t’inquiète pas, il n’y a pas de limite. Et tu peux détourner le regard si tes yeux commencent à te faire mal. »

Lentement, Ceria commença à bouger sa baguette à travers l’air, laissant derrière elle une image différée qui flotta et scintilla dans le champ de vision de Ryoka. La baguette de Ceria bougea et crépita, traçant un paterne qui ressemblait à une sorte de gribouillage et quelques lignes droites rassemblées de manière aléatoire.

Mais… Ce n’était pas qu’en deux dimensions. Ryoka cligna des yeux et se les frotta. Elle ne savait pas comment, mais la baguette de Ceria avait commencé à tracer l’image en trois dimensions. Et puis l’image changea de nouveau et la rune… Ou est-ce que c’était un mot ? Prit une nouvelle dimension qui ne pouvait pas être capturée par une caméra.

Ryoka pensa qu’elle avait entendu le mot magique se dessiner dans l’air. Ou elle le ressentit. Et quand Ceria reposa sa baguette, le symbole blanc et luisant brûla la vision de Ryoka.

« Calme-toi. Regarde-le tant que ce n’est pas inconfortable. Il n’y a pas de problème si tu ne peux pas le comprendre. »

La voix de Ceria provenait de derrière le nuage de lignes luisantes. Ryoka ouvrit les yeux et se força à se concentrer sur les lignes.

C’était si difficile à comprendre.

***

« Je ne comprends pas. »

Erin se plaint à Pisces alors qu’elle tenait ses mains en avant. Le mage grogna. Il était aussi ses mains en avant, paumes vers Erin et Loks. De la sueur coulait sur son front, mais rien ne semblait se produire.

« Je… Suis en train d’infuser l’air qui vous entoure de mon mana. Cela vous permettra de lancer des sorts si vous avez le potentiel. »

« Mais comment ? Tu ne nous as pas dits comment ? »

Une veine apparut sur le front en sueur de Pisces. Il grogna de nouveau.

« Pense à quelque chose. »

« Comme quoi ? »

« N’importe quoi ! Ce que tu désires ! Du feu, de l’eau, une nouvelle casserole neuve. Force la magie à obéir à tes ordres ! »

***

« Détends-toi. Ne le regarde pas trop fort. Laisse-toi faire. »

Ryoka tenta d’obéir. Vraiment. Mais le mot magique était comme un problème non résolu brûlant dans sa tête. Elle voulait le regarder, pour comprendre ce qu’il disait, et plus elle le regardait avec insistance, plus le cerveau devenait confus.

C’était comme un problème de math. Un problème difficile, bien plus difficile que ceux qu’elle avait eu dans sa classe de Calcul Avancé à la FAC.

Oui… Exactement comme un problème de math. Ryoka cligna des yeux. Soudainement, des parties du symbole avait du sens. Il y avait des… Facettes qui ressemblaient à une équation mathématique. Des choses qui devaient être balancées. Tu ne pouvais pas prendre la magie et l’utiliser sans répercussion. Couts et échange.

La Loi de Conservation de l’Energie. Il n’y avait que l’énergie qui pouvait être détruite par la magie. Mais le coût était tiré de la magie, et donc la loi restait approximativement intacte. Mais la magie n’était pas basée dans la science. Ce qui était détruit pouvait être plus ou moins que ce qui était gagné. La Magie était. Mais elle obéissait à certaines règles, comme l’osmose. Elle coulait. Et elle coulait autour du monde.

Ryoka posa sa tête entre ses mains et essaya d’arrêter de penser. Mais le mot était en train de la brûler de l’intérieur. Elle était sur le point de comprendre, et il lui parlait. C’était un mot. Mais est-ce qu’il y avait un nom pour ce mot dans son langage limité ?

Ceria croisa ses mains sur son giron et sourit légèrement en regardant Ryoka.

***

Pisces siffla alors que son visage se froissa de concentration. Il était déjà en train de devenir rouge, mais l’Humaine et la Gobeline ne faisait rien.

Erin se concentra. Vraiment. Elle essaya de penser à une flamme identique à celle que Loks avait conjurée, mais elle terminait par penser aux briquets et aux allumettes.  Elle tenta de murmurer des mots.

« Expelliarmus. Alohamora. Wingardium Leviosa. Wingardium leviosa. »

« Qu’est-ce que tu murmures? »

«Rien. »

Cela ne marchait pas. Erin ne ressentait rien, à part une légère douleur dans ses bras causé par le fait qu’elle tenait ses bras en l’air depuis trop longtemps. Elle serra les dents. Elle pouvait le faire. Elle ferma les yeux et poussa


Une flamme apparut et s’évapora dans un nuage de fumée. Erin laissa échapper un petit cri de surprise et sourit de soulagement et de triomphe…


Loks cligna des yeux en regardant son doigt et pointa de nouveau. Pisces poussa un petit cri alors qu’une petite flamme partit du bout de son doigt et se dirigea vers lui. La flamme se changea en fumée avant de l’atteindre et provoqua une quinte de toux.

« Oh. Encore de la magie tribale ? »

Le mage secoua la tête en toussant, dispersant la fumée. Mais il ne semblait pas en colère. À la place, il regarda Loks pendant quelques secondes avant de répondre lentement.

« Ce n’était pas de la magie tribale. C’était le tout début du sort de [Luciole]. »

« Vraiment ? »

Encouragée, Erin étira ses doigts et essaya le plus fort possible de réaliser la même chose. Mais Pisces n’était pas en train de la regarder. Son attention était fixée sur la fière Gobeline. Il mit l’une de ses mains à son menton et commença à murmurer dans sa barbe.

« Les Gobelins ne peuvent pas apprendre de la magie de manière traditionnelle. C’est impossible. Surement, s’ils avaient le potentiel il aurait été découvert et analysé il à des siècles. Les potentielles ramifications… Où n’est-ce qu’un accident de la nature ? Un ancêtre ? »

Il se retourna et pointa Loks du doigt, la Gobeline se pencha en arrière.       

« Toi. Enfant Gobeline. Est-ce que ta mère n’était pas une Gobeline ? Ou… Ton père ? »

Elle secoua la tête.

« Pourquoi est-ce que cela aurait de l’importance ? »

Erin s’adressa brusquement à Pisces. Il sursauta et regarda ses mains. Il les tendit de nouveau dans sa direction et se reconcentra en parlant.

« Cela expliquerait certaines choses. La descendance des Gobelins sont toujours des Gobelins, qu’importe le partenaire ou son sexe. Mais parfois les Gobelins peuvent hériter de traits de leurs… Parents. La, ah, victime peut permettre d’expliquer des talents inhabituels. Mais si cette jeune Gobeline… Loks n’a pas d’ancêtres directs non-Gobelins cela veut dire… »

« Qu’elle peut devenir mage. Je comprends. »

Erin fronça les sourcils en regardant ses mains. Elle se força à les imaginer en feu.

« Ne t’arrête pas. C’est à mon tour maintenant. Le test n’est pas terminé, pas vrai ? Je peux toujours continuer ? »

Pisces hésita. Quelque chose dans son visage s’adoucit alors qu’il regarda Erin.

« … Bien sûr. Continue d’essayer. »

Elle ignora ce qu’il y avait dans son regard et la manière dont Loks le regardait. Erin regarda ses mains. Elle lancerait de la magie. Elle le pouvait. Elle lancerait de la magie. Elle lancerait

***

Ryoka essaya de ne pas hurler alors qu’elle regarda le mot et que la magie lui rendit son regard. Elle ne pouvait pas lui échapper, même en fermant les yeux. Le mot était le début, et le mot était la magie et la magie était avec elle et la magie était en train de se réaliser…

Il brûla l’esprit de Ryoka comme un feu de forêt. Le savoir brûla à travers ses hypothèses et ce qu’elle avait sût jusqu’à ce jour, détruisant des murs dans sa tête dont elle avait ignoré l’existence. L’agonie était impossible à supporter.

Ceria était en train de la secouer, essayant de faire bouger Ryoka. Elle lui disait que cela n’aurait pas dû arriver, essayant d’effacer le mot magique. Mais il était enraciné dans l’âme de Ryoka. C’était un bout de la vérité, quelque chose à quoi s’accrocher même lorsque le reste du monde s’écroulait.

Ryoka rouvrit les yeux. La magie s’engouffra à travers elle, un sentiment différent de tout autre. Ce n’était pas comme se sentir plus vivant. La vie était la vie, mais la magie… Étais ouvrir une autre porte et entrer dans un autre monde.

Soudainement, la douleur disparue. Ryoka se rassit et retira les mains de Ceria.

« Je vais bien. Je suis. Je l’ai vu. »

Ceria regarda anxieusement le visage de Ryoka. La coursière avait mordu sa lèvre si fort qu’elle avait commencé à saigner, mais elle ne semblait pas s’en rendre compte.

« Je l’ai vu. »

Ryoka se répéta et regarda la forme qui se dissipait dans l’air. Elle n’avait pas besoin de le voir. Elle s’en rappelait. Elle allait s’en rappeler pour toujours.

Le savoir était dans ses yeux, dans la manière avec laquelle Ryoka bougeait, dans tout ce qu’elle était. Ceria regarda Ryoka, et ce qu’elle vit la rassura. Elle sourit, soulagée.

« Alors ? Est-ce que tu as vu ce que j’ai écrit ? Peux-tu me dire ce qui était écris ? »

Ryoka prit une grande inspiration. Cela n’avait pas de véritable nom. Pas en anglais, ni dans un langage qu’elle était capable d’exprimer, même avec un millier de mots. Mais il y avait tout de même un moyen de le dire.
Elle ouvrit la bouche.

« [Lumière]. »

Dans l’immobilité du matin, une lumière brilla à travers la fenêtre. Tout était immobile, et puis la lumière du soleil fut rejointe par autre chose.

Une douce lumière apparut depuis le torse de Ryoka. Elle descendit le long de ses bras, et à travers ses paumes, qui commencèrent à luire. Un balbutiement de couleurs luisantes flotta depuis les paumes de Ryoka, s’élevant jusqu’à son visage alors qu’elle la regarda.

C’était la chose la plus magique que Ryoka avait vu de sa vie. C’était la sienne. Un orbe brillant et nettement définit, composé de ce qui ne pouvait qu’être que de la lumière manifestée. C’était plus brillant qu’une ampoule car ce n’était que de la lumière, mais ce n’était pas éblouissant pour autant. Elle pouvait voir ce qu’il y avait derrière en regardant suffisamment fort.

Et ce n’était pas de la lumière blanche. Même pendant que Ryoka le regarda, de délicats éclats violets fusionnaient avant de lentement prendre un bleu profond et de s’illuminer pour devenir vert, puis jaune. La lumière était vivante, et elle se mouvait entre ses mains.

Si Ryoka était honnête, c’était… C’était un peu comme le logo de chargement d’un ordinateur Mac, mais en trois dimensions. Et alors qu’elle pensa à ça, les lumières changèrent et commencèrent à tourner d’une manière familière et agaçante.

Ceria cligna des yeux en regardant l’orbe lumineux de Ryoka. Elle mit une main sur ses hanches et toucha l’orbe du doigt de l’autre. Son doigt passa à travers l’orbe, faisant tourner la lumière autour de son doigt.

« Je n’ai jamais des couleurs comme celle-ci. Elles sont si… Chatoyante. »

Elle prit sa baguette et la tapa dans sa paume. Aussitôt, et bien plus rapidement que le sort de Ryoka, un autre orbe de lumière s’éleva depuis la paume de Ceria. Mais sa lumière était différente. Quand elle approcha son orbe de celle de Ryoka, les couleurs de l’orbe chargèrent et se devinrent plus sombres d’une manière que les couleurs de Ryoka ne pouvaient pas atteindre.

Les couleurs de l’orbe de Ceria étaient les mêmes qu'illuminant l’orbe de Ryoka, mais elles étaient, de manière inexplicable, encore plus réelles. Le bleu qui illuminait la petite pièce n’était pas plus vivide ou brillant, mais semblait plus profond, plus subtil, aux yeux de Ryoka. C’était une compréhension plus profonde de ce qu’était le ‘bleu’ et rendait ses couleurs digitales en comparaison.

« Wouah. »

Alors que Ryoka regarda, les lumières dans l’orbe commencèrent à changer, prenant les mêmes que celle de l’orbe de Ceria. Elle regarda l’orbe et se concentra.

La boule de lumière devint soudainement blanche, avant de changer pour prendre un noir ultraviolet qui fit sursauter Ceria de surprise. De la lumière noire. Ryoka cligna des yeux. Soudainement, l’orbe était un spectre arc-en-ciel de couleurs, une boule de disco de lumières changeantes…

Et d’un seul coup, elle fit à court de magie. La lumière disparue, et Ryoka se rassit dans sa chaise. Sa tête commença soudainement à tourner, comme si tout le sang était soudainement revenu vers sa tête. Elle tenta faiblement de se relever, mais Ceria la fit se rasseoir avec délicatesse.

« Du calme, du calme Ryoka ! C’était incroyable ! Je ne pense pas avoir déjà vu quelqu’un faire quelque chose de la sorte avec un sort de [Lumière] de base… Encore moins comprendre comment changer le sort si rapidement ! Tu as utilisé tout le mana dans ton corps. Tu seras fatigué jusqu’à reprendre des forces. Tiens… Restes assise et je vais te chercher de quoi boire et manger. Ça va t’aider. »

Ceria courut hors de la pièce. Ryoka regarda ses mains. Elle sourit.

***

La dernière goutte de sueur tomba du menton de Pisces. Il prit une grande inspiration et leva ses mains.

« Je suis presque drainé. Je suis désolé, je ne peux pas continuer. »

Erin continua de regarder le bout de ses doigts. Si seulement elle pouvait juste forcer quelque chose à arriver. Cela ne prendrait qu’une seconde, elle le savait. Une seconde de réalisation et elle serait capable de le refaire. Elle avait essayé et essayé mais…

Psices leva le verre d’eau que Loks lui avait amené et le vida, ne faisant pas attention à l’hygiène. Il hésita, avant de gentiment tapoter l’épaule d’Erin.

« Il n’y a plus de magie dans l’air. Tout s’est dissipé, Erin. »

« Oh. »

Erin regarda ses mains. Elles étaient toujours les mêmes mains, mais elles semblaient plus petites, moins importantes. Elles étaient de bonnes mains, calleuses à cause du travail, mais dépourvues de cicatrices. Mais elles n’étaient que des mains. Normales.

Pisces racla sa gorge en évitant le regard d’Erin.

« Je, ah, suis désolé, Mademoiselle Solstice. »

« Non, ce n’est rien. Je savais que la magie n’était pas pour tout le monde. Et Loks peut le faire, pas vrai ? »

Erin sourit à Loks. La Gobeline leva les yeux. Étonnamment, elle avait trouvé le temps d’aller chercher quelques saucisses et un peu de fromage depuis la cuisine d’Erin. Elle les cacha dans son dos de manière coupable.

« Mange. Je parie que tu as faim. Et toi… »

Pisces cligna des yeux, mais Erin était déjà hors de son siège. Elle se précipita dans la cuisine et en ressortit avec du jus bleu et de la nourriture dans les mains et les déposa devant lui.

« Tiens. Le déjeuner et le dîner sur offert par la maison. »

« Tu es… Vraiment généreuse. Merci. »

Il commença à dévorer la nourriture comme s’il était affamé. Et il l’était probablement. Erin regarda par la fenêtre et vit que le soleil était en train de se coucher plutôt que de se lever. Est-ce que cela avait vraiment duré si longtemps ?

Pisces avala et ingurgita son repas à la même vitesse que Loks. Ils semblaient tous les deux affamées, probablement à cause de la magie. Erin les regarda sans un mot avant de s’asseoir.

« Donc, c’est quoi la suite ? »

L’humain s’arrêta et regarda Erin avec précaution. Loks continua d’avaler son repas.

« Qu’est-ce que, ah, tu veux di.. »

« Je veux dire pour elle. Pas pour moi. »

Erin pointa Loks du doigt. La Gobeline releva la tête.

« Elle peut faire de la magie, pas vrai ? Et pas que sa magie tribale, mais ta magie aussi. Elle peut apprendre. Est-ce que tu vas lui enseigner ? »

Le visage de Pisces devint blanc comme linge, il regarda Loks.

« Moi ? Enseigner ? »

« Tu allais m’apprendre quelques sorts, pas vrai ? Je ne peux pas faire de magie, mais Loks peut. Alors est-ce que tu vas lui enseigné quelque chose ? »

Pisces ouvrit la bouche pour protester, la ferma, mâcha, et avala. Il lança un regard en coin à la Gobeline, puis vers Erin, puis vers le plafond comme s’il était en train de rapidement réfléchir.

« Je n’ai… Enfin, je n’ai jamais considéré de prendre un apprenti. Tu sais que je me spécialise dans la nécromancie, n’est-ce pas ? Mais d’un autre côté… Je suis compétent dans les autres domaines magiques. Et bien sûr n’importe qui avec une simple maîtrise des fondamentaux peut apprendre. Mais un Gobelin en tant qu’étudiant… ? »

« Tu sais quoi ? Si tu viens tous les jours pour lui faire cours, je te nourris gratuitement. Vendu ? »

Cela prit encore quelques minutes de négociations, mais Pisces finit par accepter. Loks n’avait pas d’argent pour le payer, mais il était heureux de pouvoir manger gratuitement. Et de toute façon,  ce n’était pas comme si Erin avait vu de l’argent venant de lui.

Elle quitta l’auberge et Pisces commença à expliquer l’histoire de la magie et les théories fondamentales de l’Art de la Magie à une Gobeline abasourdie et marcha descendit rapidement la colline. Sa destination était Liscor.

Après quelques minutes, Erin remarqua que quelque chose était en train de la suivre. Elle marchait assez vite pour que le squelette doive trotter derrière pour la suivre. Erin s’arrêta et il continua de courir jusqu’à s’arrêter à quelques pas derrière elle et d’attendre patiemment. Elle fronça les sourcils.

« C’est toi. Va-t’en, toi. »

Le squelette, toujours sans nom, hésita. Avant de claquer sa mâchoire. Erin le regarda. Elle ne pouvait pas le comprendre, et sa compréhension d’elle semblait limitée.

« Je vais visiter quelques amis. Ne me suis pas dans la ville. Attends-moi à l’auberge jusqu’à mon retour. Fait quelque chose d’utile. Je serais de retour avant la tombée de la nuit. »

Il hésita.

« Allez. Ouste ! »

Erin le pointa du doigt avant d’agiter les mains comme si elle voulait faire fuir des poules. Le squelette fit demi-tour avec réluctance et s’en alla vers l’auberge.

Erin soupira. Puis elle continua de marcher.

***

Elle n’avait pas de destination particulière en tête, elle ne voulait juste pas être dans son auberge en ce moment. Donc Erin décida d’explorer des parties de la ville qu’elle n’avait pas encore visitée. Ce n’était pas difficile. Elle n’avait pas visité une majorité de la ville. Elle ne connaissait que le district du marché, la partie du district résidentiel pou Selys vivait, et la rue principale qui menait à la Guilde des Aventuriers.

Il était grand temps d’explorer le reste de la ville. Erin décida de marcher jusqu’à la Guilde des Aventuriers et de faire son chemin à partir de là. Elle fit une dizaine de pas dans la foule quand une main velue l’attrapa et la tira hors de la foule.

« Ah, Erin Solstice. J’attendais ton retour, n’est-ce pas ? »

Sans savoir ce qui se passait, Erin se sentit entraîné aux côtés d’une grande Gnolle.

« Tu n’es pas occupé ? Nous allons prendre quelque chose à boire dans ma demeure. »

« Quoi ? Oh, bien sûr. Je ne suis pas occupé. »

« Bien ! Ma maison n’est qu’à une poignée de minutes d’ici. Suis-moi. »

Krshia relâcha Erin et l’humaine marcha plutôt que de se faire tirer. Elle n’entendit pas le silencieux soupir de soulagement que les autres Gnolls qui avaient observé les portes de la ville laissèrent échapper.

***

Krshia déposa un grand bol de viande luisante devant Erin. Cela contrastait avec la tasse de thé aux couleurs de racines qui se trouvait dans la main de la fille.

Erin regarda le plat de viande, mais elle était assez habituée aux Gnolls pour comprendre qu’elle n’était pas délibérément insultée.

Avec un soupir, Erin attrapa une pièce de viande avec précaution. Le plat semblait… Cru. Mais si les Gnolls pouvaient en manger, elle pouvait probablement en prendre aussi. Le sentiment d’Erin était que Krshia n’allait pas volontairement lui servir de poison.

Mais quand même, tous les articles qu’elle avait lus à propos du E. Coli et de la viande crue lui revinrent en tête alors qu’elle mit le morceau de viande dans sa bouche et commença à mâcher.

« Hm ? Hm~.Mm ! »

En vérité, c’était vraiment bon. Erin était surprise. Elle s’était attendu à ce que la viande est un goût de bacon, mais c’était une expérience plus riche et complexe. Bon et gras, mais c’est la graisse. Elle s’empara aussitôt d’un autre cube de viande et le mâcha. Elle décida aussi de ne jamais demander de quel animal venait cette viande.

« Ah, tu aimes les amuse-bouche ? C’est bien. »

Krshia s’assit avec un soupir dans le siège en face d’Erin. C’était une bonne chaise, merveilleusement remboursée, légèrement usée et bien trop grande pour Erin.

L’appartement d’un Gnoll était différent de celui d’un Drakéide comme Selys. Les espaces ouverts étaient importants pour les deux maisons, ou peut-être que ce n’était que l’architecture, mais la maison de Krshia avait bien plus de tapis, de fournitures rembourrées, et d’oreilles en général. C’était aussi dans un état qui méritait un bon coup de balais.

Mais en vérité, ce n’était pas si terrible que ça. Mais Erin pouvait définitivement sentir la différence dans les standards de propreté entre les Drakéides et les Gnolls. Cependant, l’échoppe de Krshia n’avait pas le moindre poil perdu ou la moindre tâche, donc c’était peut-être la différence entre le travail et maison.

« Comment est-ce que ça va, Krshia ? »

Erin sirota délicatement son thé et continua de sa gaver. Krshia se servit de la viande dans son bol et mâcha rapidement.

« Mm. Je vais bien, merci de demander. Et je suis heureuse de pouvoir enfin te parler. Bien des gens et biens des choses ce sont misent sur le chemin de notre discussion, n’est-ce pas ? Mais c’est important que nous puissions parler. C’est ce que j’ai décidé. »

Erin cligna des yeux. Etrangement, Krshia semblait plus intense que d’habitude. Elle soupira, une autre chose dont elle allait devoir s’inquiéter.

« D’accord. Qu’est-ce qui se passe ? »

Krshia cligna ses gros yeux marron à Erin. Elle observa la petite humaine et fronça les sourcils.

« Tu sembles être découragée. Quelque chose ne va pas ? »

« Oh, ce n’est rien. »

« Mm. C’est un autre mensonge poli des Humains, n’est-ce pas ? »

« Ouais, mais vraiment, ce n’est rien. »

Krshia regarda Erin. C’était étrange. Il n’y avait pas de blanc dans ses yeux. Il n’y avait que la pupille, et une cornée brune. Cela aurait du être vraiment troublant, mais Erin s’y était habitué.

Elle soupira. Krshia attendit patiemment alors qu’Erin prît une autre pièce de viande avant de la reposer dans son bol.

« J’ai appris que je ne suis pas un mage, c’est tout. Je ne peux pas faire de magie et je serais incapable d’en faire. »

Elle soupira de nouveau. Krshia prit une longue gorgée de son thé bouillant.

« Ah. Et qui est celui qui te dit tout cela ? »

« Pisces. »

« Bah. »

« Il n’était pas méchant. Il a fait un test… Il semblerait que je sois juste un des humains qui ne puissent pas faire de magie, c’est tout. Ce n’est pas sa faute ou quoique ce soit. »

Krshia secoua la tête et quelques cheveux tombèrent sur le parquet.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire. Il te dit que tu n’es pas une magie. Mais ce n’est pas à lui de décider, n’est-ce pas ? »

Erin cligna des yeux.

« Mais il y a eu un test. Je ne peux pas faire de magie, Krshia. »

La Gnolle haussa les épaules.

« Si tu étais née Gnolle, cela ne serait pas un problème, n’est-ce pas ? La magie des Humains est différente de la nôtre. Nous donnons de la magie à ceux qui sont choisis. Un shaman est choisi dans chaque tribu, et ils utilisent la magie de la meute. Nous choisissons tous qui peut utiliser la magie, pas une seule personne. »

« Oh, de la magie tribale. Oui, Pisces m’en a parlé. Mais je ne suis pas née Gnolle. »

Krshia haussa un sourcil.

« Oui, et tu es dit que tu ne pourras jamais devenir un mage car quelqu’un te l’a dit. C’est regrettable, n’est-ce pas ? »

Erin ne s’avait pas quoi dire à ça. Elle baissa les yeux vers son thé.

Krshia cliqua sa langue.

« Assez de tristesse. Ce n’est pas pourquoi je t’ai appelé ici. Laisse la magie aux [Mages], Erin. Ce n’est pas aussi important qu’ils le pensent. Les gens sont importants. La meute est importante. Les amitiés et les liens sont importants. »

Elle tendit la main et tapota délicatement Erin sur le torse. C’était un geste légèrement brusque tout de même, mais Erin se sentit mieux.

« Bon, d’accord. De quoi voulais-tu tant discuter, Krshia ? »

La Gnolle s’arrêta et sembla chercher ses mots.

« J’ai réfléchi à bien des choses depuis que je t’ai regardé joué le jeu des échecs. Contre l’Antinium nommé Pion. Tu as dit bien des choses que j’ai entendit et sur lesquels j’ai réfléchi. »

Erin semblait perdue.

« Comme quoi ? Tu parles des échecs ? Ne t’en fais pas, personne ne comprend. »

Pendant une seconde elle pouvait jurer que Krshia était en train de l’observer pour voir si elle allait rire. Mais la Gnolle secoua brusquement la tête.

« No. C’est ce que tu as dit. Tu viens d’un autre monde. Je t’ai entendu parler et je me suis questionné sur ce miracle. »

Erin devint pale comme un linge, ses yeux s’écarquillèrent.

« J’ai dit ça ? »

Krshia hocha gravement la tête. Ses yeux étaient fixés sur le visage d’Erin.

L’humaine ne savait pas comment réagir. Un bref moment de chagrin fut remplacé par un grattement de tête. Après quelques secondes Erin releva la tête et haussa les épaules.

« Oh, hum, ouaip. Je viens d’un autre monde. Désolé de ne pas te l’avoir dit plus tôt. »

Krshia la regarda. C’était possiblement la manière blasée avec laquelle Erin l’avait dit, sans aucune considération, qui fit manquer un battement de cœur à la Gnolle. Erin continua, ignorant cela.

« Je viens d’un endroit qui s’appelle le Michigan. C’est plutôt sympa comme coin. Il y a plein de grands lacs et un super temps… Sauf quand il neige ou qu’il pleuve très fort, bien sûr. Je vivais dans une bonne maison, avec mes parents… »

Elle s’arrêta, pendant une seconde Erin baissa les yeux vers sa tasse et continua comme si rien n’était arrivé.

« Hum, un jour je me suis retrouvé là. J’ai simplement passé un coin et blam. »

« Blam ? »

« Je me suis retrouvé nez à nez avec ce gros lézard. Avec des ailes. Un dragon. »

« Un Dragon ? »

« Ouaip. Il m’a craché du feu dessus et j’ai pris la fuite. Puis il y avait quelques Gobelins… Et j’ai trouvé l’auberge. Après ça, c’était que de la survie jusqu’à ce que je rencontre Klbkch et Relc et puis… Tu connais la suite. »

De nouveau, il y avait quelque chose de dérangeant en écoutant la facilité avec laquelle Erin parlait de ce qui lui était arrivé. Krshia dut secouer plusieurs fois sa tête et prendre plusieurs gorgées de son thé pour se calmer.

« Tu as survécu à bien des choses. »

« Je suppose. »

Erin haussa les épaules. Cela ne semblait pas être beaucoup. En fait, elle avait l’impression que c’était arrivé il y a une éternité durant laquelle elle avait continué d’avancer, luttant pour survivre. Et au fond, qu’est-ce qu’elle avait vraiment fait ? Réparé quelques portes, un petit coup de ménage, gagner quelques niveaux en tant qu’[Aubergiste]… Et causé la mort d’un de ses amis.

Pas grand-chose.

« Je te demande tout cela en secret, n’est-ce pas ? Je promets par ma tribu, par le ciel ouvert et par la terre que je ne trahirai jamais ta confiance ou les secrets que tu m’as confiés. Mais je dois te demander, et mon peuple doit savoir. Cette terre dont tu viens… Elle est différente de la nôtre, n’est-ce pas ? »

Erin s’arrêta et cligna des yeux en regarda Krshia. Cela semblait être un serment très sérieux, mais qu’est-ce que Krshia avait dit à propos de son peuple.

« Tu veux dire que tu vas en parler… Aux autres Gnolls ? »

« Mm. Oui. C’est la vérité. Et ces Gnolls en parleront à d’autres Gnolls si nécessaire. Mais c’est une promesse, n’est-ce pas ? Ton secret restera un secret pour tous ceux qui ne sont pas Gnolls. C’est cela que je veux dire. Par le plus grave de nos serments, nous jurons de garder tes secrets. »

La promesse qu’une espèce entière taise ce secret. Erin aurait bien rit, mais elle sentait que cela risquait de mal se finir si elle le faisait. Krshia semblait sérieuse, et Erin savait que la Gnolle était sérieuse.

Et… Qu’est-ce qu’elle avait à perdre ? À part sa vie ? Donc elle haussa les épaules.

« Mon monde ? Ce n’est pas comme lui. Pas du tout. C’est si différent que je ne peux commencer à expliquer à quel c’est étrange d’être là. »

Comment décrire un monde sans magie et sans niveau à quelqu’un qui n’avait jamais vécu dans ce monde ? En fait, comment décrire un monde qui était mille fois plus avancé technologiquement ? Erin se gratta la tête et fit de son mieux.

« En fait… Nous avons bien plus de technologie. Et moins de magie. Pas de magie, en fait. Et nous n’avons pas de Niveaux ou de Classes ou de Compétences, mais nous avons bien plus d’humains. En fait, nous avons que des humains. Il n’y a pas de Gnolls, ou de Drakéides ou de monstres. Et… Est-ce que ça va Krshia ? »

La Gnolle avait les yeux écarquillés. C’était un changement si brusque par rapport aux yeux habituellement entrouvert de la Gnolle qu’Erin s’inquiéta.

« Ne fais pas attention çà moi. »

Krshia vida sa tasse, et s’empara d’une large théière dentée. Elle remplit de nouveau sa tasse avec des mains velue et offrit une nouvelle tasse à Erin. L’humaine refusa la tasse avec politesse.

« Tu sais que ce monde est plein d’humain ? Cela est étrange, n’est-ce pas ? Est-ce qu’il y a d’autres créatures ? »

Erin hocha la tête et reformula rapidement sa phrase.

« Oh, des tonnes des créatures. Pleins d’animaux. Des chiens, des chats, des pingouins, des vaches… Mais pas de gens comme… Comme toi. Je veux dire des gens qui pensent et parlent. »

« Je… Vois… »

Krshia avait mal à la tête. La Gnolle aurait aimé s’asseoir dans un coin et frapper sa tête contre un mur rien qu’en imaginant ce qu’Erin était en train de dire. Mieux encore, elle aurait aimé retourner la table et appelé Erin une menteuse qui mordait sa queue. Mais [Détection d'arnaque] était une compétence de [Marchand] et de [Commerçant] et même si ce n’était pas aussi puissant que [Détection de Culpabilité] ou [Détection d’Intention], c’était plus que suffisant pour voir à travers un tel mensonge. Ce qu’Erin disait était la vérité.

« Ces Humains. Tes Humains. »

Krshia se mordit la langue et tenta de parler avec plus casuellement.

« Combien sont-ils ? Combien de nations ? Est-ce que ce monde est petit ? »

« Un peu ? Il semble petit, parfois. Je sais que la surpopulation est un problème. »

Erin leva les yeux au ciel en réfléchissant.

« Hum… Est-ce que c’est six ou sept ? Ou huit ? Je crois que nous sommes autour de huit maintenant. «

« Huit quoi ? Huit nations ? »

« Non. Huit milliards d’humains. »

Krshia semblait pale.

« Je ne connais pas ce mot. Erin, qu’est-ce qu’un ‘milliard’ ? C’est un nombre pour compter, n’est-ce pas ? »

« Ouaip. Est-ce que tu sais ce qu’est un, hum, million ? »

Les sourcils de la Gnolle se froncèrent.

« C’est un mot que j’ai entendu en parlant de Gobelins. Un million est un grand nombre. Plus grand que les montagnes. Mille fois mille, n’est-ce pas ? »

« … Oui ? Je crois que oui. Attends… Laisse moi faire le calcul. »

Erin tenta d’imaginer combien de zéros il y avait dans un million.

« Ouaip, c’est ça. »

« Mm. Donc un milliard est deux millions ? »

« Oh, non. »

Erin rit devant l’air confus de Krshia. Elle ne remarqua pas les mains de la Gnolle tremblait autour de sa tasse.

« Un milliard est mille millions. Donc cela serait mille fois mille fois mille. Quel virelangue. Cela serait… Dix mille fois cent-mille. Est-ce que ça fait sens ? »

Erin regarda Krshia. La Gnolle était assise de manière très droite dans sa chaise.

« Krshia ? »

Les Gnolls n’avaient pas de peau visible, rien que de la fourrure. Mais ses oreilles étaient droites sur sa tête. Erin pouvait voir que sa queue était hérissée et droite entre les pieds de sa chaise.

Sans un mot, et sans le moindre avertissement, la Gnoll pencha soudainement en envie et tomba dans les pommes. Erin hurla et se jeta sur le côté juste à temps alors que Krshia s’écrasa sur la table, brisant de la porcelaine et tordant la théière.

« Krshia, qu’est-ce qui ne va pas ? »

Erin se pencha vers la Gnolle inconsciente et la releva avec beaucoup de difficulté. Les bouts de porcelaine brisés n’avaient pas coupé la Gnolle, arrêtés par sa fourrure, mais Krshia était quand même inconsciente. Erin ne pouvait voir que le… Noir de ses yeux.

« Est-ce que ça va ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Parle-moi, Krshia. »

Mais Erin avait beau essayé de la réveiller, la Gnolle restait inconsciente. Désespérée, Erin poussa Krshia dans sa chaise et hésita entre chercher de l’aide et attendre que Krshia se réveille. Elle ne semblait pas être blessée.

Erin s’assit parmi la viande renversée et le thé refroidissant. Sa tête lui faisait toujours mal, mais au moins, elle avait une raison de paniquer. Elle posa sa tête entre ses mains.

« Pourquoi est-ce que ça m’arrive toujours. »

Pourquoi Krshia avait voulu lui parler, en plus ? Parler de son monde n’était probablement pas la meilleure chose à faire… Ou du moins elle allait devoir éviter de parler des hyènes qui étaient chassées… Ou toutes les mauvaises choses, en fait. Elle avait été tellement intéressée. Et Erin s’était souvenue…

Elle avait coupé son cerveau de la moindre pensée de son monde. Non, concentre-toi. Krshia était importante. Si elle ne se réveillait pas dans dix minutes elle allait aller chercher de l’aide. Un autre Gnoll, probablement. Vu qu’elle en voyait plus que d’habitude dernièrement.

Mais pourquoi Krshia s’était évanoui ? Si c’était ce qui était arrivé.

« Pourquoi ? »

Erin secoua la tête. Elle n’en avait pas la moindre idée. Mais…

« J'ai dit quelque chose qui ne fallait pas ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 09 mai 2020 à 15:38:49
1.35
Traduit par Maroti

Quand Krshia se réveilla, elle se réveilla de manière dramatique. Les Gnolls n’étaient pas aussi… Aussi civilisés que les autres races. Mais Erin devait éviter de penser comme ça, bien sûr. C’était simplement le fait que les Gnolls vivaient encore proches à proximité des monstres, encore plus que les Drakéides. Ils devaient être prêts à se défendre au cas où un monstre attaquait leurs villages. C’était probablement pourquoi Krshia se réveilla en prenant une grande inspiration avant de sortir ses griffes de ses pattes en manquant de décapiter Erin.

C’était un accident. Erin en était presque 100% certaine. Et Krshia s’était excusé à maintes reprises.

Après avoir bandagé la joue d’Erie et versé une goutte de potion de soin sur la griffure pour qu’elle disparaisse plus rapidement, la Gnolle et l’Humaine nettoyèrent la table brisée et le thé qui avait été renversé. Ils recommencèrent à prendre le thé, même si le thé était froid, et qu’il y avait moins de place pour poser sa tasse.

Krshia avait un charmant fromage qu’Erin n’hésitait pas à grignoter. Il était délicieusement goûtu et le thé n’était pas si mauvais froid, probablement parce qu’il n’était pas si bon que ça quand il était chaud.

« Je te présente mes excuses de nouveau, Erin. »

La grande Gnolle soupira avant de s’asseoir de nouveau dans sa chaise en repoussant les restes de la table du pied. Elle avait ramené un tabouret sur lequel se balançait l’assiette de fromage comme remplacement.

« C’était rien. Vraiment. Mais pourquoi est-ce que tu t’es évanouie ? »

« Mm. J’étais simplement surprise. Pardonne-moi. »

Krshia prit une gorgée de son thé et frissonna pendant un instant.

« Les humains de ta planète… Je n’étais pas prête pour un tel nombre. »

« Quoi ? Oh, tu veux dire les sept milliards ? Je suppose que c’est beaucoup.»

« Oui, en effet. »

« Ah. Heu. Est-ce que c’était si surprenant que ça ? »

La complète incompréhension d’Erin donna l’envie de gentiment mettre une gifle à Erin. Mais les Humains étaient tellement fragiles et elle se garda sa voix plaisante malgré le tressaillement de sa patte.

« C’était peut-être le choc, ou c’était peut-être quelque chose que j’ai mangé, n’est-ce pas ? »

La jeune femme lança un regard au bol de viande qu’elle n’avait pas fini.

« Je n'espère pas. »

« C’était une blague. »

Krshia secoua la tête. Les Humains n’avaient vraiment aucun sens de l’humour. Ils n’arrivaient jamais à savoir quand elle était ironique, sardonique, sarcastique, ou simplement en train de gentiment plaisanter. Par contre, il était facile de lire leur expression.

« Mettons cette interruption derrière nous. Tu étais en train de me parler de ton monde. Il est très peuplé, je le réalise désormais. Mais qu’est-ce qui est différent ? »

Erin fronça les sourcils, se gratta l’oreille d’un doigt avant de hausser les épaules, impuissante.

« Heu, tout ? Enfin, la majorité. Nous avons des montagnes et de l’eau et les mêmes trucs que vous, mais en terme de technologie et de bâtiments ou de… Tout est différent. »

Krshia se pencha en avant.

« J’aimerais connaître les détails dans ces différences. Peux-tu me donner quelques importantes différences entre nos mondes ? A l’exception de l’absence des Niveaux et des Classes. »

« Enfin… Il y a beaucoup de choses. Je veux dire, nos cultures sont tellement différentes. La nôtre est plus avan… Différente sur bien des choses. Genre… Vous avez des armes et nous avons des armes mais les nôtres sont plus à base de tir. »

« À base de tir ? »

« Ouais. Genre ‘pan’. »

Erin imita un pistolet avec ses doigts en faisant le son. Krshia cligna des yeux en la regarda avec incompréhension.

« Ce que je veux dire, c’est que nous n’utilisons plus les épées ou les haches. Nous avons des armes à feu. Ce sont comme des, heu, des sortes d’arbalètes mais en mieux ? Est-ce que tu sais ce qu’est une arbalète ? »

« Je… Vois. Oui, j’ai entendu parler des arbalètes ? Et vous avez beaucoup de ces armes ? Et elles sont puissantes, n’est-ce pas ? »

« Ouais. Mais nous ne les utilisons pas pour tuer des monstres, nous les utilisons pour nous entretuer. Et nous n’utilisons plus les chevaux… Enfin, nous les utilisons, mais nous avons d’autre moyen de nous déplacer. Comme des voitures. »

D’une certaine manière, s’évanouir avait été moins compliqué que parler à Erin pour Krshia. Elle commençait à avoir mal à la tête.

« Des voitures ? Quelles sont ces créatures ? »

« Ce ne sont pas des animaux. Ce sont des, heu, boites de métal qui bougent. Sur des roues. »

« Vous… Les poussé, n’est-ce pas ? »

« Non… Elles bougent parce que nous brûlons des choses à l’intérieur. La combustion. Elles avancent toutes seules. Enfin, elles n’avancent pas toutes seules. Tu as besoin d’un humain pour la conduire et la faire avancer. Mais les voitures les plus récentes peuvent se conduire d’elle-même. Mais la plupart ne le peuvent pas. Et elles ont besoin d’essence. Du gasoil. Je crois que c’est un type d’huile. »

Erin regarda Krshia avec impuissance. La Gnolle était en train de se masser les tempes.

« Heu. Est-ce que j’arrive à me faire comprendre ? »

***

Elles essayèrent pendant une autre demi-heure avant d’abandonner. Erin fit de son mieux, mais elle ignorait comment la moitié des choses de son monde marchait. La meilleure explication qu’elle donna pour les voitures était qu’elles avaient une sorte de créature-engin dans leurs estomacs qui mangeait l’huile pour rendre la voiture plus rapide qu’un cheval. Et elle n’avait pas la moindre idée de comment les avions volaient, surtout quand Krshia continuait de lui demander comment quelque chose fait de métal pouvait voler sans magie.

Ce n’était pas comme si elle avait ratée ses cours de science ou ne savait pas comment ce genre de choses marchaient. Mais elle n’avait pas participé à une classe d’ingénierie. En fait, elle n’était jamais allée à la fac, préférant travailler en tant que tutrice pour joueur d’échec et participer à des tournois pour gagner de l’argent avant de commencer sa première année.

Tout cela voulait dire… Que même si Erin racontait beaucoup de choses fantastiques à Krshia, elle donnait l’impression de tout inventer. Et Krshia était clairement distraite. Elle n’arrêtait pas de se frotter les tempes. Erin supposa qu’elle s’était fait mal lorsqu’elle était tombée dans les pommes.

« Assez, assez. Je suis las et tu es assoiffée. Bois, et parlons d’autre chose pour le moment. »

Erin hocha la tête et accepta de se faire servir une tasse de thé que Krshia avait infuser durant leur discussion. Elle regarda la Gnolle.

« Je suppose que je n’arrive pas vraiment à bien décrire mon monde. Mais ton monde est tout aussi étrange pour moi. Les choses comme la magie… Ce ne sont que des contes de fées dans mon monde. »

« Ah, vous avez des fées ? »

« Non, je… Tu sais quoi ? Oublie ça. Je dis simplement que nous n’avons pas de magie. Donc quand je suis venue ici je n’avais pas la moindre idée de comment tout cela marchait. »

« Hum. Je me souviens. Alors, tu étais perdue et effrayée. Mais tu t’es bien débrouillée depuis, n’est-ce pas ? »

« Je suppose. »

« Il n’y a pas de supposition. J’ai vu que tu t’es amélioré et que tu as fait de ce lieu ta maison. Nous avons été témoins de tes triomphes. Nous avons vu tes victoires. Il y a de quoi en être fier, Erin Solstice. »

Erin soupira et secoua la tête avec déni. Puis, elle releva soudainement la tête, un brin de suspicion sur le visage.

« Krshia. Pourquoi voulais-tu que je parle de mon monde ? »

Krshia réfléchit rapidement en gardant un visage impassible. Elle répondit avec précaution.

« J’étais simplement curieuse. Il est naturel de questionner de telles déclarations, n’est-ce pas ? »

« Je suppose. Mais tu as dit que tu m’avais observé. Et tu as dit ‘nous’. Est-ce que c’est pourquoi je continue de voir des Gnolls partout où je vais ? »

Erin pouvait parfois être étonnamment perceptive pour une humaine. Krshia maudit son dérapage et continua de garder un visage impassible. Mais était avait joué trop de parties d’échecs, elle pouvait voir quand quelqu’un essayait de ne pas trahir ses émotions et plissa les yeux.

« D’accord. Je suppose que c’est à mon tour de poser les questions. Krshia, qu’est-ce que les Gnolls me veulent ? »

Krshia tapa ses griffes contre la tasse de thé. Elle choisit de nouveau sa phrase avec beaucoup de soin, comme si elle négociait un contrat valant plusieurs centaines de pièces d’or.

« Les Gnolls de Liscor ont de nombreux désirs. Nous espérons… Que tu pourrais nous aider sur certaines choses. Mais ce n’est qu’une partie de la raison pour laquelle je t’ai fait venir ici. L’autre raison était de poser une question. Qu’est-ce qu’Erin Solstice veut ? »

Erin cligna des yeux alors que Krshia lui renvoya une question.

« Ce que je veux ? »

« Un donné pour un rendu, c’est comme ça que cela marche, n’est-ce pas ? Nous pouvons te donner bien des connaissances. Des objets de valeurs. Des choses qui pourraient aider notre peuple. Mais toutes les choses ont un prix. Nous pouvons exaucer tes souhaits si tu as quelque chose à nous offrir en échange. »

« Je n’ai rien à t’offrir. À part de la nourriture. Mais c’est à toi qui me vends ça. »

« Il est possible que tu ne réalises pas ta propre valeur. Une étrangère provenant d’un pays lointain possède bien des secrets, bien des talents de valeur qu’elle ne sait pas qu’elle possède, n’est-ce pas ? »

« Peut-être, mais j’en doute. »

« Qu’importe. Je t’ai posé une question. Que désires-tu ? Nous t’aiderons, si possible. Et si ma tribu n’est pas d’accord je ne t’aiderai pas en tant qu’une personne cherchant à faire un marché, mais en tant qu’amie. »

Erin sourit à Krshia.

« Et bien, quand tu le dis comme ça… Je ne sais toujours pas. »

Krshia fronça les sourcils.

« Il y a bien de choses que les humains veulent. Tu souhaites sûrement quelque chose, n’est-ce pas ? De l’argent ? »

« Sur quoi je l’utiliserai ? Pour réparer l’auberge ? Je suppose que ça serait plaisant, mais je vais bien. »

« Hrm. Alors souhaites-tu plus de Niveaux ? De meilleures armes ? Ce sont les choses que les humains désirent. Ou un compagnon attirant et fertile ? »

« Non, non, non et définitivement non. Je ne suis pas vraiment intéressé par tout ça. Vraiment. j’ai déjà beaucoup à faire avec ces aventuriers qui m’abordent dans la rue. »

« Hrrm. »

C’était délicat. Krshia avait déjà fait le tour de ce qu’elle voulait. Erin ne semblait pas être intéressée dans sa reproduction pour le moment et elle n’était pas une guerrière… Ou du moins elle n’aimait pas se battre. Mais elle n’était toujours pas heureuse.

« Alors quel est ton souhait ? »

Erin haussa les épaules. Elle regarda la coupe à moitié vide, puis le plafond, et autour de la pièce de Krshia… Avant de réaliser ce qui lui manquait. Elle regarda Krshia.

« Je veux rentrer à la maison. »

C’était une simple phrase, prononcée avec facilité. Mais la vague d’émotion que Krshia pouvait sentir en provenance d’Erin racontait une autre histoire. La commerçante Gnolle avait une forte envie de froisser son nez ou de se gratter, mais cela l’aurait trahit.

« Je vois. Mais si tu n’es pas déjà rentré, c’est que tu ne connais pas le chemin retour, n’est-ce pas ? »

« Oui… Enfin, non. Je ne le connais pas. »

Erin secoua la tête, distraite. Son attitude changea maintenant qu’elle avait dit ce qu’elle avait sur le cœur. Son langage corporel était en train de changer, et la tempête d’émotion en son sein fait tressaillir le nez de Krshia.

« Ce désir qui est le tien. Tu le souhaites ardemment, n’est-ce pas ? »

« Non. »

Erin mentit, avant de corriger son mensonge quand Krshia leva un sourcil.

« Peut-être. Oui. Je ne veux pas insulter cet endroit. C’est un magnifique monde que tu as, Krshia. Il est plus fantastique que tout ce que j’ai dans mon monde. Et je me suis fait des amis. Selys, Pion, toi… Même Pisces. Et c’est super mais… »

Elle s’arrêta, avant de regarder dans sa tasse. La voix d’Erin était faible.

« J’ai ma famille à la maison. Ma mère et mon père. Et j’avais des amis. Ce n’est pas comme s’ils me manquent constamment… J’essaye de ne pas y penser. Mais… Je n’ai même pas pu leur dire au revoir, tu vois ? »

Pendant deux secondes, Erin donna l’impression qu’elle allait se briser. Elle cligna rapidement des yeux et essuya ses yeux. Mais les larmes ne vinrent jamais. Elle soupira et le moment passa.

« Désolé. C’est juste que… J’aimerais vraiment rentrer chez moi. Si possible. Je c’est que c’est peut-être impossible. Je ne sais même pas si c’était un sort ou un… Accident cosmique qui m’a amené ici. Mais je veux juste rentrer chez moi. »

Krshia fixa Erin de ses yeux noirs sans ciller. Elle ne dit rien de vive-voix, mais elle était en train de réfléchir. Pendant une seconde, le comportement joyeux et lumineux d’Erin s’était brisé. C’était un masque, une couche de protection autour de son cœur. Elle était forte, mais fragile, comme les Antiniums sous leurs carapaces. Sa peau était solide, mais elle se briserait si Krshia poussait un tout petit plus…

La Gnolle prétendit de ne rien avoir vu et continua de parler jusqu’à ce qu’Erin reprenne le contrôle de ses émotions. Aujourd’hui n’était pas le jour pour de telles choses.

« Cela peut être de la magie. Peut-être. Je ne connais pas ce genre de choses. Je ne suis qu’une simple [Commerçante]. Mais je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un qui aurait changé de monde à la suite d’un sort. Seuls les plus sombres des créatures et les démons font de telles choses. Mais il y a bien des magies qui téléportent. Peut-être qu’un très grand [Mage] a utilisé ce sort par accident ou par erreur. »

Erin fronça les sourcils de manière spectaculaire.

« Peut-être. Mais je n’avais pas l’impression que c’était de la magie. Mais je n’ai jamais été téléporté donc peut-être que c’était bien de la magie et que je ne me suis pas rendu compte. Cela avait vraiment l’air d’un accident. »

« Accident ou non, tu es là. Et peut-être que la cause est révélant, n’est-ce pas ? Tu es là. La question n’est pas de savoir ce qui t’a amené ici, mais comment tu vas pouvoir rentrer. »

« Et est-ce que la magie est la solution ? »

« Fort probable. Je ne connais pas d’autre moyen. Mais comme je te l’ai dit, cela il faudrait être un [Mage], non… Un [Archimage] pour lancer un sort de cette envergure si cela peut être fait. »

« D’accord. Tu n’aurais pas l’un d’entre eux traînant dans le coin, à tout hasard ? »

Krshia secoua la tête.

« Ce sont les plus rares des lanceurs de sorts. Je n’en connais que peu, et aucun d’entre eux ne vit sur ce continent. »

« Super. »

Erin secoua la tête et Krshia sourit.

« Ne désespère pas avant d’avoir entendu parler d’eux, n’est-ce pas ? Il y a plusieurs archimages. Un sur le continent des Humains au nord. Deux autres sur d’autres continents. Mais au moins trois d’entre eux se trouve à Wistram, l’Ile des Mages. »

Erin releva la tête.

« Vraiment ? Trois ? »

« Ils partent et viennent. Mais Wistram est leur maison. Si tu attends là-bas pour un moins tu en verras forcément un, n’est-ce pas ? Et peut-être que tu n’as pas besoin d’un archimage, mais du sortilège adéquat. »

« Donc ce que tu dis c’est que Wistram est l’endroit que je dois visiter si je veux trouver un moyen de rentrer à la maison, c’est ça ? »

« Mm. Peut-être. »

Erin imita Krshia et fronça les sourcils à son tour.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Ce n’est rien. Je suis certaine que si tu voyageais jusqu’à Wistram ils te laisseraient entrer. Mais ce n’est pas un endroit où je te conseille de voyager seule, n’est-ce pas ? »

« Vraiment ? Mais je pensais que c’était comme Poud… Une, heu, école de magie. Pourquoi ça ne serait pas un endroit sécurisé remplie de sorts sympas et de truc du genre ? »

Krshia fit un mouvement dédaigneux de sa main.

« Peut-être que certain l’appel ainsi. Mais ton Pisces, il a obtenu son diplôme à Wistram, n’est-ce pas ? Et il est un [Nécromancien], un voleur et un pilleur de tombe. »

« Quand tu le dis de cette manière. »

« Et Wistram est habité par de nombreux humains, n’est-ce pas ? Ils sont sournois et se chamaillent comme beaucoup de ton espèce font. Des non-humains vivent parmi eux, bien sûr, mais ce n’est pas un paradis. Wistram n’est pas une amie de ceux dépourvus de magie. »

Une sombre expression passa sur le visage de Krshia. Erin se raidit dans son siège, se rappelant de respirer. Elle avait oublié à quel point les Gnolls pouvaient être terrifiants. D’un côté, ils étaient comme des ours en peluche géant, de l’autre ils ressemblaient à des ours en peluche géants avec des griffes plus tranchants que des rasoirs.

« Est-ce que quelque chose t’es arrivé, Krshia ? Est-ce… Est-ce que tu t’es déjà rendu à Wistram ? »

« Moi ? »

Krshia renifla de manière dédaigneuse avant de secouer la tête.

« Je ne visiterai jamais un tel endroit. Ni quelqu’un de mon espèce, même pour marchander et gagner de l’argent. Nous ne faisons pas affaire avec ces imbéciles. »

« Imbéciles ? »

Krshia secoua la tête.

« C’est une vieille histoire. Je ne te troublerai pas avec ça, Erin. »

« Non, raconte là moi s’il te plaît. Je suis intriguée. »

La Gnolle hésita, mais Erin semblait vraiment intéressée. Et car Krshia était clairement énervée, elle décida de raconter cette histoire.

« Wistram est un lieu de magie. C’est l’endroit où les mages se rendent et apprennent, n’est-ce pas ? Les autres villes ont leurs propres guildes et même des écoles, certaines nations payent des mages pour apprendre et servir. Mais Wistram est sans nation et une nation en elle-même. Ils ne se sont jamais inclinés devant un souverain et ils ne le feront jamais. Donc ils sont bien vus de tous ceux qui pratiquent la magie. Mais ce sont des imbéciles. »

Ses doigts serrèrent sa tasse et se relaxèrent avant qu’ils ne brisent la délicate porcelaine.

« Il y a presque vingt ans de cela, les tribus Gnolles ce sont rassemblées pour parler et forger des alliances et planifier le future. Ce rassemblement prend place tous les dix ans, et c’est une période importante. À cette époque nous avons tous entendu parler de Wistram et beaucoup d’entre nous souhaitaient que les Gnolls apprennent les secrets que l’Académie enseigne. »

Erin s’assit dans sa chaise, écoutant la profonde voix et pensant. Elle pensait déjà savoir comment cette histoire allait se finir, mais elle se demandait d’autre chose. Est-ce que Krshia avait été là ? À quel âge. Et… Qu’est-ce que les Gnolls voulaient ? Mais Krshia continua, et Erin fut absorbée dans son histoire.

« Il fut décidé que les tribus enverraient l’un de nos meilleurs [Shaman] à Wistram pour intégrer l’Académie. Nous avons choisi quelqu’un de jeune mais talentueux au-delà de ses années et nous lui avons donné des artefacts magiques et plus d’argent que nécessaire pour faire le voyage. Nos guerriers l’ont amené jusqu’à une ville portuaire et il a pris un bateau jusqu’à Wistram, bravant les tempêtes et les pirates lors de son long voyage. »

L’expression de Krshia se fit plus colérique encore. Son poil se hérissa, et Erin regarda avec fascination les cheveux sur la nuque de Krshia se tenir droit.

« Les mages de Wistram lui firent passer un test pour rejoindre l’Académie. Ils ne le crurent pas quand clama être un lanceur de sort comme eux. Ils lui demandèrent de lancer des sorts, mais il était seul, n’est-ce pas ? Seul, sans personne sur qui tirer du mana. Sans les autres, il n’y a pas de magie pour les [Shamans]. C’est pour cela qu’il a demandé à être éduqué comme les autres étudiants. Mais les mages, ils n’écoutèrent pas. Ils le chassèrent et déclarèrent que tous les Gnolls étaient dépourvus de magie. Sans talent. »

Krshia grogna et cracha. Erin regarda le glaviot couler le long d’une des armoires de la Gnolle et se demanda si elle allait le nettoyer plus tard.

« C’est pour cela que depuis ce jour les [Mages] de Wistram ne sont pas admis parmi les tribus et que nous ne commerçons pas avec leur île. Et c’est pour cela que même si tu pars, tu ne dois pas leur faire confiance, Erin Solstice. Les mages de Wistram ne croient pas ceux qui ont une magie qu’ils ne reconnaissent pas. »

Erin hocha la tête. L’histoire de Krshia ressemblait à un bon vieux cas de racisme, ou peut-être de l’ignore. Sans tous les cas, elle comprenait la colère des Gnolls. Mais cela ne changeait pas les choses.

« J’aimerais toujours parler à un mage. Ou plutôt, à un autre mage que Pisces. »

Krshia haussa les épaules, fatigué de raconter son histoire.

« Il y en a plusieurs dans la ville. Mais les meilleurs mages Drakéides se battent avec leur armée, n’est-ce pas ? Et la magie n’est pas grandement pratiquée dans cette région. Tu trouveras peut-être quelqu’un d’assez sage pour t’aider, mais tu devras chercher longtemps. »

« Donc Wistram est ma seule option ? Je veux dire, je dis pas que je vais me lever et me rendre là-bas directement mais… »

« Si tu souhaites rentrer chez toi, cela est peut-être ton meilleur choix. »

Erin resta assise pendant un long moment, regardant sa tasse de thé. Elle la leva à ses lèvres et prit une longue gorgée de son thé qui était désormais froid et amer.

« D’accord, d’accord. C’est… C’est un objectif, au moins. »

« Il est bon d’avoir des objectifs. Et c’est peut-être quelque chose pour laquelle nous pouvons t’aider. »

« Vraiment ? Je veux dire, pourquoi ? Est-ce que c’est vraiment si difficile de se rendre à Wistram ? »

Krshia haussa les épaules.

« Peut-être pas pour quelqu’un avec beaucoup d’argent, mais la route est longue pour une humaine qui n’est pas une guerrière, et même pour une humaine qui en est une, n’est-ce pas ? Tout le monde peu essayer de voyager jusqu’à Wistram, mais réussir ce voyage et y survivre est une autre histoire. »

Ça ce n’était pas rassurant. Pas du tout. Erin fronça les sourcils.

« Qu’est-ce qui est si difficile ? Tu prends un chariot, va dans un port, prends un bateau et tu es presque arrivé, pas vrai ? »

Krshia rit doucement et tapa amicalement l’épaule d’Erin. De nouveau, les Gnolls avaient les pattes lourdes et une simple tape donnait l’impression de s’être fait bousculer.

« Qu’il est bon d’être jeune et pleine d’entrain. Mais ce n’est pas bon d’arrêter de penser, n’est-ce pas ? Wistram est protégé par d’autres choses que des mages. La mer autour de l’université est parfois calme, mais elle peut aussi être agitée et dévorer des bateaux et faire couler des flottes. Surtout l’hiver. »

Elle secoua la tête en regardant Erin.

« Même si tu pars maintenant, l’hiver te gèlera en mer alors que tu voyages vers le nord et les tempêtes craqueraient la coque de n’importe quel navire assez fou pour braver l’océan. Et il faut penser au coût de tout ça. »

« Oh, c’est vrai. Prendre un bateau doit être vraiment coûteux, pas vrai ? »

« Tu chercherais une place dans un bateau pour Wistram. Cela ne serait pas trop coûteux, mais je parle du coût du voyage. Pour voyager au nord jusqu’aux villes portuaires en sécurité il faudra que tu rejoignes une caravane qui engage des aventuriers. Cela te coûtera cher. Une bonne place sur un bon bateau avec un capitaine compétant te coûtera cher. Un garde du corps ou quelqu’un pour te protéger te coûtera cher. Et trouver un endroit ou se loger à Wistram te… »

« J’ai compris. Cela va me coûter cher, pas vrai ? »

Krshia renifla en regardant Erin avant de donner une petite pichenette sur son front comme si elle disciplinait un enfant. Sauf que cela faisait vraiment mal.

« Aie ! Arrête ! Tes griffes sont coupantes ! »

« Mes excuses. Mais tu n’es toujours pas en train de réfléchir. Disons que tu atteignes Wistram après ce long voyage. Dis-moi, Erin Solstice, comment comptes-tu trouver un mage pour te ramener à la maison ? »

« Et bien… »

Erin s’arrêta et cligna des yeux.

« Je, heu… n’ai pas vraiment pensé à ça. Je suppose que j’irai directement voir leur directeur et demander de l’aide. »

Le rire de Krshia fut long et profond.

« Je demande à voir quelque chose comme ça. Oui, et parler à un leader parmi les mages serait déjà un succès en soi ! Tu n’es qu’une enfant parlant d’autres mondes. Et même s’il y est facile de prouver ce que tu avances, comment vas-tu les convaincre de t’aider ? »

« Et bien… Je viens d’un autre monde, n’est-ce pas suffisant ? »

« Peut-être pour certain. Mais pour les mages ? Beaucoup s’en moqueraient. Et comment trouveras-tu ceux qui veulent t’aider ? »

Le cœur d’Erin s’enfonça dans sa poitrine.

« Donc tu es en train de me dire qu’il faut que je paye un mage pour m’aider ? »

Krshia hocha la tête.

« Tu dois soit payer un mage pour t’aider ou trouver un mage digne et capable de t’aider. C’est le réel coût dont je te parle. »

Les choses n’étaient jamais aussi simples que dans les livres. Ce fut au tour d’Erin de se frotter les tempes en mettant la tête entre les mains. Si elle était dans Harry Potter elle serait simplement capable d’entrer dans le Chemin de Traverse et… Enfin, elle était une moldue et elle avait oublié le mot de passe donc ils ne la laisseraient pas rentrer, et même si elle entrait pour demander au gens s’ils étaient des sorciers…

« Ça craint. Tu me dis que je vais devoir payer pour rentrer chez moi ? »

« N’est-ce pas toujours le cas ? »

Erin fronça les sourcils en direction de Krshia, mais le Gnolle lui fit un sourire en retour. Erin commença à compter sur ses doigts avec réluctance.

« D’accord. Disons que c’est mon but. Tu penses qu’il me faut combien? Cent pièces d’or pour le voyage ? Et peut-être cent autres pièces d’or pour le logement ? Et, hum, disons six-cent pièces d’or pour trouver un mage qui prêt à m’aider ? C’est… Beaucoup. »

« Beaucoup trop, je pense. »

Krshia secoua la tête en direction d’Erin.

« Tu n’as pas idée des prix, n’est-ce pas ? Je pourrais probablement t’amener à Wistram pour quarante pièces d’or. Le voyage sera plus long et tu devras trouver quelqu’un pour te protéger, mais c’est réalisable. Et une centaine de pièces d’or te permettra de durer plusieurs années à Wistram. Mais le véritable prix est pour les mages. »

Erin sentit son cœur descendre plus bas encore dans sa poitrine.

« Six cent pièces d’or n’est pas assez ? »

« Ce n’est pas à propos d’argent. Les mages ont beaucoup d’argent, et offrir de les payer peut ou ne peut pas marcher. Ton argent serait de piètre intérêt pour tous sauf les plus avides d’entre eux. Ils ne sont pas ceux que tu veux, je pense.»

« Non, définitivement non. »

« Nous avons parlé des Archimage, n’est-ce pas ? Ils sont ceux que tu recherches. Trouver une audience avec l’un d’entre eux à travers ta ruse ou un pot de vin, c’est cela ton véritable challenge. Et pour cela il faudrait tout l’argent que je possède, et quelque chose pour attirer leur attention. »

Erin se rassit dans sa chaise, accablée par l’idée et par le coût. Krshia rit de nouveau.

« Ne désespère pas. Ces choses sont grandes, mais elles ne sont pas accablantes, n’est-ce pas ? Assis-toi et bois. Et laisse-moi te parler de ce que les Gnolls peuvent faire. Et ce que tu peux faire pour nous. »

Erin resta assise alors que Krshia se leva. Elle laissa la Gnolle fouiller sa maison, remplir la tasse d’Erin de thé et lui offrir plus de nourriture. Elle pensa au voyage, à ce que Krshia proposait, et au danger et la difficulté qui l’attendait à chaque pas. Mais elle pensa aussi à autre chose.

Elle se souvint d’une maison silencieuse, à deux personnes avec qui elle pouvait confier tous ses soucis. Elle pensa à son lit, à ses amis. Elle pensa à la maison et réalisa que c’était là qu’elle voulait vraiment se rendre.

***

Il faisait presque nuit une fois qu’Erin sortit de la maison de Krshia. La Gnolle insista pour accompagner Erin jusqu’aux portes de la ville et Erin dut la convaincre qu’elle pouvait rentrer seule. Elle avait aperçu une tête brillante et sans… Cheveux ou peau se cachant sur une colline proche et elle ne voulait pas que la Gnolle ne panique.

Il aurait fallu beaucoup pour que Krshia panique à ce stade, et c’était si elle savait encore correctement paniquer. Leur conversation avait été longue, passant par la logistique nécessaire pour voyager de Liscor jusqu’à Wistram, traversant des centaines… Peut-être des milliers de kilomètres. Erin avait oublié de demander une distance précise, probablement parce qu’elle était trop effrayée d’avoir les données exactes.

Mais entre les discussions d’argent et le voyage, Krshia avait parlé avec Erin de son monde, et avait extrait la promesse que l’humaine reviendrait parler de son monde une autre fois. C’était cette promesse qui faisait faire des tours à l’estomac de la Gnolle, et la raison principale pour laquelle elle n’avait pas senti l’odeur putride des os, de la magie et de la moelle porter par le vent.

Elle regarda Erin disparaitre dans la nuit, ignorant le garde posté à la porte jusqu’à ce que l’humaine franchisse le col d’une colline. Elle pouvait entendre Erin crier quelque chose, mais elle était trop loin pour comprendre ce qu’elle disait, même pour ses oreilles de Gnolle.

Elle attendit cet instant pour se tourner vers le garde qui était délibérément en train de l’ignorer et lui tapoter l’épaule.

« Il n’y a personne qui nous observe. Tu peux arrêter de faire la comédie, Tkrn. Dans tous les cas, tu es terrible pour prétendre des choses. »

Tkrn, le garde Gnoll qui avait été assigné à la porte pour plusieurs jours de suite, fit un sourire plein de dents à Krshia.

« Tu es enfin venu. Je me demandai si tu avais choisi l’autre option quand je ne t’ai pas entendu venir. Mais si cela avait été le cas, j’aurais déjà senti le sang. »

Krshia fronça les sourcils vers l’autre Gnoll et lui donna un méchant coup dans les côtes. Le Gnoll grimaça même à travers sa cote de maille.

« Je t’ai dit que cela ne viendrait pas à ça. Et toi et les autres sont des imbéciles pour le suggérer et espérant que sa disparition passerait inaperçue. »

Tkrn fronça les sourcils en se frottant les côtes. Mais il n’osa pas lui répondre. À la place, il regarda l’endroit où Erin avait disparu.

« Elle n’est pas une menace ? »

« Je l’ai dit, donc ça l’ait. Elle n’est pas une menace ; simplement une fille perdue cherchant à rentrer chez soi. »

Tkrn secoua la tête.

« Donc c’est vrai ? Elle vient d’un autre monde ? »

« C’est une partie de la vérité. Oui, elle est celle qui est venue ici par erreur. »

De nouveau, l’autre Gnoll secoua la tête, incrédule.

« La première fois que je l’ai senti, elle empestait un lieu rempli de métal, d’huile et de choses brûlée. Est-ce que son monde est comme ça ? »

Krshia s’arrêta, pensante.

« De ce qu’elle a dit, et qu’elle n’a pas dit, c’est un monde d’Humain. Ce sont les seuls à l’habiter. Est-il meilleur que le nôtre, je ne le sais pas. »

« Mais il est différent. »

« Oui. Très. De manière troublante et grandiose. Mais elle ne parla pas beaucoup de ces différences et je n’ai que peu compris ce qu’elle disait. Mais elle est… Utile. Elle est importante. »

« Ah, mais elle veut rentrer chez elle. Je vous ai entendu parler. Donc, nous allons la faire faire ce dont nous avons besoin qu’elle fasse, n’est-ce pas ? »

Krshia lança un regard sinistre en direction de Tkrn et il baissa la tête.

« Tu étais supposé guetter d’autres oreilles curieuses, pas écouté aux portes, imbécile. Quel est le point d’écouter ce que je m’apprête à dire au clan ? »

« Mais cela n’a pas d’importance, pas vrai ? Je n’ai vu personne écouter. »

Tkrn gémit en direction de Krshia, mais la Gnolle ne céda pas. Elle secoua la tête.

« Nous avons besoin d’Erin Solstice plus qu’elle a besoin de nous, n’est-ce pas ? Et nous ne voulons pas qu’elle parle avec d’autre capable de voir sa vraie valeur. »

Krshia appuya lourdement son doigt sur le torse de Tkrn.

« Alors sois plus alerte ! Je veux savoir quand elle revient. Et ce soir, demande çà l’un des Coursiers. Lv or Tshana. Ils doivent envoyer un message aux tribus. »

Tkrn leva la tête. C’était sérieux. Il écouta attentivement alors que Krshia lui parla de nouveau.

« Ils doivent envoyer plus des nôtres. Des sages. Je demande aussi des conseils, sur tout ce que j’ai appris. Je parlerai à ceux dans la cille dès que nous nous serons rassemblé et que nous aurons envoyé un second Coursier. Mais le premier doit partir le plus tôt possible. »

« Qu’est-ce que tu leur demandes ? »

« Demande leur s’ils y ont trouvé d’autres tels qu’Erin. Et s’ils n’ont rien, demande leurs de chercher ! Demande leur de chercher parmi les humains pour ceux qui sortent du lot, qui parlent et agissent de manière différente. Nous en avons trouvé quelques-uns. »

« Jusqu’ici ils étaient tous mort de longue date. »

« Oui. C’est pour cela que celle-là ne doit pas mourir. »

Tkrn se redressa. Il avait une épée à sa hanche et un bouclier rond sur l’un de ses bras. Mais il aurait été dangereux même sans arme. Ses yeux luirent à la lumière de la lune.

« Souhaites-tu que je rassemble certains d’entre nous pour surveiller l’auberge ? Nous pouvons installer un camp à quelques kilomètres en secret. »

De nouveau, Tkrn reçu un autre coup de coude pour sa proposition et fit de nouveau la grimace. Krshia aplatit ses oreilles et le regarda.

« Hst. Tu es un imbécile, Tkrn. Comme un chiot lors de sa première chasse. Elle s’en rendra compte si nous plaçons des nôtres autour de son auberge, n’est-ce pas ? Et avant qu’elle ne s’en rende compte, d’autre l’auront remarqué et se poserons des questions. Et nous avons déjà assez peu de guerriers dans la ville. »

Tkrn gémit. Il n’aimait pas parler à Krshia, surtout quand la punition pour chaque erreur était si douloureuse.

« Comment pouvons-nous la protéger si nous ne sommes pas proches d’elle ? »

Krshia ne se retourna pas en s’éloignant. Elle parla brusquement par-dessus son épaule en si dirigeant vers d’autres Gnolls.

« Nous lui donnons des crocs pour qu’elle se défende. »

***

Toren était en train de se faire gronder. Ou plutôt, Toren était en train de se faire crier dessus. C’était presque la même chose, mais le volume était la vraie différence.

Erin marcha à travers l’herbe vers son auberge, s’énervant contre le squelette qui la suivait, un poisson à la main.

« Pourquoi est-ce que tu m’as suivi jusqu’ici ? Tu sais ce qui aurait pu arriver si le garde t’avait vu ? Il t’aurait réduit en pièce et je me serais probablement retrouvé dans la mouise. D’une manière ou d’une autre. »

Toren le squelette ne dit rien, il ne pouvait rien dire, mais il ne l’aurait pas fait s’il le pouvait. Il se sentait mal, et bien, c’était un sentiment confus. Mal parce qu’Erin lui criait dessus, bien parce qu’il avait un nom.

Toren. Ou Tor pour faire court. Le squelette ne comprenait pas pourquoi quelqu’un voulait un nom plus court, mais Erin lui avait dit que c’était son nom. Toren. Cela voulait dire pion dans une autre langue, Toren n’avait pas la moindre idée de ce qu’était un pion. C’était juste une pièce de pierre taillé sur l’objet qu’Erin aimait tant regarder. »

Erin marcha à travers l’herbe avec colère, Toren la suivant doucement. Sa colère envers le squelette était rapidement en train de se dissiper, principalement parce qu’il ne faisait qu’encaisser son savon. Mais elle s’énervait à chaque fois qu’elle se retournait pour le voir tenir son poisson plat et mort.

« Et à quoi est-ce que tu pensais ? Est-ce que tu pensais ? Est-ce que tu peux penser ? Pourquoi est-ce que tu pensais qu’attraper l’un de ces fichus poissons était une bonne idée ? »

Toren baissa la tête et ne répondit pas. Le poisson qu’il portait dans ses deux bras continua de pendre mollement alors qu’il la suivit.

Vraiment, le squelette n’avait pas eu l’attention de tuer le poisson. Il lui avait sauté dessus lorsqu’il avait été en train de remplir les seaux d’eau. Mais en le traînant hors de sa maison aquatique, Toren avait appris une importante leçon : les poissons ne peuvent pas respirer hors de l’eau.

Il n’avait pas été certain de la dangerosité des poissons-plats, mais le squelette était conscient de leur écrasante force et de leurs dents mortellement aiguisées. De plus, le squelette désormais connu sous le nom de Toren ou ‘Tor’ avait senti quelque chose de précieux pouvait être gagné. Il était… Oui, il était déjà au Niveau 2 en combattant les aventuriers. Peut-être qu’il pouvait gagner un autre Niveau en tuant le poisson ?

Après tout, un niveau n’était pas grand-chose, surtout à ce stade. Mais le squelette avait senti un léger changement dans sa condition, sa force, son endurance et la totalité de ses aptitudes au combat. La connexion était simple dans sa tête. Les Niveaux étaient du pouvoir. Comme la compétence de [Escrime Elémentaire] qu’il avait obtenu.

Il avait des ordres. Faire quelques choses de productifs. Cela pouvait dire tuer des poissons. Donc le squelette avait mis ses bras dans l’eau en les bougeant pour attirer l’attention. Tuer des choses était facile, contrairement au ménage.

Et donc, il avait tué plusieurs poissons plats et les avait ramenés à l’auberge. Et il en avait rapporté un à Erin comme quelque chose de ‘pratique’. Cela avait clairement échoué.

« Écoute, ce n’est pas que je n’aime pas le poisson. J’aime le poisson. Un poisson mort avec un peu de jus de citron pressé sur eux après avoir été bien grillé. Et peut-être avec un peu de sel et de poivre. J’aime bien ce genre de poisson. Mais ce poisson est une mauvaise nouvelle. J’ai déjà essayé de couper ses écailles et j’ai failli me couper la main. »

Cela semblait être un problème mais Toren ne sait pas trop ce qu’elle voulait qu’il fasse à ce sujet.

Erin ouvrit la porte de l’auberge avec un coup de pied, s’arrêtant quand son nez sentit l’odeur de poisson et se tourna vers Toren. Le squelette eut un mouvement de recul et son exclamation fit presque trembler les lattes du parquet.

« C’est quoi ça ? »

Les poissons étaient faciles à attraper, surtout lorsque Toren n’était pas dérangé par le fait qu’ils s’accrochent à ses bras. Mais ils étaient difficiles à retirer, donc ils devaient les faire tomber avec son épée. Et donc, les poissons dans la cuisine d’Erin étaient plus que morts, ils étaient…

Désassemblés.

En fait, le poisson que Toren tenait était le seul poisson qui était presque intact. Toren avait collecté les autres… Bouts, les nettoyant de la terre et du sang, avant de la déposer en une pile organisée sur l’une des planches à couper de la cuisine.

Des entrailles de poissons coulaient sur le sol. Toren posa son poisson de manière automatique sur le comptoir et se dirigea pour nettoyer la mare d’eau sanglante.

« Arrête. »

Le squelette s’arrêta avec le chiffon dans ses mains alors qu’Erin se frotta le visage en essayant de ne pas crier. Il pouvait sentir qu’Erin était en colère, mais il ne savait clairement pas pourquoi. Erin soupira et pointa le poisson mort du doigt.

« Tu as fait ça. »

Le squelette hocha la tête.

« Je crois que je comprends. Tu voulais être utile. C’est de la nourriture. Ce qui est… Utile, pas vrai ? »

Un autre hochement de tête. Erin soupira.

« Mais écoutes… Je ne peux pas manger. Personne ne peut. Même pas le Gob… D’accord, peut-être les Gobelins. Mais nous ne mangeons pas de nourriture comme ça. »

Elle fit un signe en direction de la pile de poisson. Toren semblait confus.

« C’est à cause des écailles, tu vois ? »
Erin pointa en direction des écailles brillantes et tranchantes sur le comptoir.

« Elles ne sont pas comestibles, et celles-là sont tranchantes. Si tu veux manger du poisson, tu dois d’abord de débarrasser des écailles. Et je… Je ne peux pas le faire. Sérieusement. Comme je te l’ai dit, la dernière fois… »

Erin s’arrêta. Le squelette, elle continuait d’oublier qu’elle l’avait appelé Tor, était en train de hocher la tête. Il marcha jusqu’au poisson en attrapant un couteau, avant de s’emparer du poisson et de lever le couteau.

Il n’avait pas de talent de cuisinier et probablement pas la moindre idée de ce qu’était la cuisine. Il trancha le poisson de manière énergique et complètement inefficace avec le couteau. Des écailles et des viscères volèrent autour de lui. Erin se couvrit le visage et cria alors que le squelette coupa, força, et généralement arracha les écailles et la chair du poisson.

« Arrête, arrête ! »

Tor s’arrêta et la regarda. Erin pointa.

« Dehors. Fais ça dehors, sur une table ou quelque chose. Et après ça, nettoie… Non, laisse tomber. Je vais nettoyer tout ça, tu commences à retirer ses écailles, d’accord ? »

Le squelette hocha la tête. Il mit le couteau entre ses cotes avec précaution pour le tenir en place, souleva le gros poisson avec ses deux mains, et marcha hors de la cuisine avec lui. Erin le regarda jusqu’à entendre le crissement du bois sur le bois alors que le squelette commença à tirer un table vers la porte.

« Je… Ne sais même pas. Je ne sais pas. »

Elle baissa les yeux vers les écailles et le sang sur le sol de la cuisine, puis vers le tas de morceaux de poissons éviscérés. C’était le foutoir.

Mais… Peut-être était-ce parce qu’ils étaient coupés en morceaux ? Mais d’une certaine manière, Erin savait ce qu’elle pouvait faire avec les tripes de poisson maintenant qu’elles étaient coupées en morceaux qu’elle pouvait cuisinier. Sans les écailles, elle pouvait les frire, les utiliser dans une soupe, en faire une tarte si elle avait la pâte…

« Je suppose que [Cuisine élémentaire] n’inclut pas l’épluchage des écailles. Ou… L’épluchage des poissons tueurs. »

Erin se rappela de quelque chose. Elle marcha jusqu’à l’entrée de la cuisine et appela à l’extérieur.

« Retire aussi les dents, les os et les nageoires ! »

Elle n’entendit pas de réponse, mais elle commençait à s’y habituer. Avec un soupir, Erin entra de nouveau dans la cuisine et regarda la saleté.

Ce n’était pas très difficile à nettoyer, et le squelette avait de trouver une nouvelle source de nourriture. Ou plutôt, il avait transformé une ancienne source de nourriture en quelque chose de comestible. Pour elle. Il l’avait fait pour elle.

C’était sympa. Et Erin avait finalement trouvé un nom grâce aux parties d’échecs en ligne et aux conversations qu’elle avait eu avec des joueurs étrangers. Les Allemands avaient de super noms.

Tout allait bien. Même sa conversation avec Krshia…

« C’était pas un peu bizarre ? »

Erin murmura pour elle-même et commença à séparer les parties clairement inutilisables du poisson. Les tripes firent des bruits horrible mais son esprit était autre part.

La maison. Elle essayait vraiment de ne pas y penser. Mais maintenant qu’elle l’avait fait, elle l’appelait. Et c’était toujours si loin. Un mage ? Un Archimage ? Bon sang, où est-ce qu’elle allait trouver un truc du genre ? Mais elle avait désormais quelque chose sur quoi se concentrer, un but.

Et c’était bien. Tout allait bien. Mais maintenant qu’Erin était de retour dans l’auberge, elle se souvint de quelque chose. Ou de quelques personnes. Loks et Pisces étaient partis. Enfin, bien sûr qu’ils étaient partit une fois qu’ils avaient réalisés qu’elle n’allait pas revenir pour le dîner. Et c’était mieux comme ça. Erin ne pensait pas être capable de leur faire face.

Les viscères étaient totalement séparés et Erin avait les dents, les os et les autres bouts inutiles prêts à être emporté par Tor pour qu’ils s’en débarrassent. Loin de là. Elle allait devoir lui préciser, car il serait capable de les jeter dans le ruisseau.

Elle baissa les yeux vers le poisson presque entièrement sans écailles. Le sang et les entrailles lui rendirent son regard. Elle pouvait les cuisiner, après tout. Elle pouvait les tourner en quelque chose d’utile. C’était une Compétence pratique, une qu’elle avait obtenue sans avoir à s’entraîner. C’était presque comme de la magie.

Le poing d’Erin frappa la pile de viscères de poisson.

« Merde. »

Elle frappe le poisson de nouveau. Des gouttelettes de sang s’écrasèrent sur son visage, mais Erin frappa de nouveau.

« Merde. Merde, merde, merde, merde, merde. »

Elle frappa le poisson vidé, ignorant le bruit et les projections de sang. Elle donna un coup de pied dans le comptoir, frappa le poisson jusqu’à ce que ses mains soient rouges et la picotent. Des morceaux de poisson s’accrochèrent à sa peau, et elle s’arrêta.

« Putain. Stupide, stupide… »

Il n’y avait pas de bons termes. Et tous ceux qu’elle connaissait semblaient creux et pitoyable. Erin mit ses mains sur son visage avant d’aussitôt les retirer. Des morceaux de poisson s’accrochèrent à sa peau alors qu’elle regarda autour d’elle.

Le comptoir et le sol étaient encore plus sales qu’avant. Tout comme les cheveux et les vêtements d’Erin. Elle empestait le poisson mort. Il allait lui falloir du temps pour tout nettoyer, même avec l’aide de Tor.

Si elle avait été un mage elle aurait été capable de tout nettoyer avec un sort, ou un mouvement de baguette magique. Si elle avait été un mage, elle serait capable de tout cuisiner et de se reposer sans avoir à se soucier de la moindre chose. Si elle avait été un mage, elle aurait pût apprendre un sort pour rentrer chez elle.

Si elle pouvait utiliser de la magie…

Mais elle ne le pouvait pas.

Quelques larmes coulèrent sur les joues d’Erin. Elle aurait bien essayé ses yeux, mais ses mains étaient sales. Elles étaient sales. Et elle n’avait pas de magie pour tout faire disparaître. Elle ne pouvait même pas rêver de magie. Car elle n’en n’avait pas. Et être consciente de ça aggravait la chose.

Ses larmes coulèrent sur la planche à découper et se mélangèrent avec le sang et la mort sous elle. Erin s’en fichait. Elle laissa les larmes tomber, et entendit le son d’ailes de chouette s’envoler, les premières notes d’une céleste et, loin, très loin de là, des cuivres et des violons.

Durant un instant elle était habillée de robes en tenant une baguette brillante et crépitante. Durant cet instant, elle pouvait voler, même si c’était avec un balai et il n’y avait rien qu’elle ne pouvait résoudre sans l’aide de quelques mots de latin et un sort. Durant un instant.

Mais la magie avait disparu. Il ne resta qu’Erin, recouverte de poisson mort et perdue.

Seule, et rêvant de sa maison.

« … Bon sang. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 13 mai 2020 à 15:41:46
1.11 R
Traduit par EllieVia

Cinq personnes siégeaient autour de la table et se dévisageaient avec attention. Tous étaient des guerriers, et tous sauf l’un d’entre eux étaient humains. Et bien que certains parmi eux soient amis,  ils n’étaient pas là pour socialiser. On parlait affaires ici, et en ce moment précis, on se disputait sur un sujet précis.

 Le Minotaure fut le premier à prendre la parole. Calruz, capitaine des Cornes d’Hammerad, n’était pas du genre à attendre de manière générale, et sa patience atteignait déjà ses limites. Il cogna légèrement la table de bois massif de la Guilde des Aventuriers du poing - légèrement dans le sens où il ne la fendit pas en deux. Le bruit fit sursauter deux des autres capitaines de compagnies et tout le monde se tourna vers lui.

 “N’avez-vous donc aucun courage ? C’est l’opportunité d’une vie et vous n’osez pas vous lancer ! Prenez vos haches et allons fouiller ces maudites ruines !”

 La femme assise à côté de lui secoua la tête. C’était une guerrière à la peau pâle et aux cheveux blonds, vêtue d’une armure d’argent poli, qui contrastait vivement avec le torse nu de Calruz et sa nature impatiente. Toutefois, ils étaient tous deux d’accord sur un point.

 “La plupart d’entre nous ne nous battons pas à la hache, Calruz. Et tu as beau présenter de bons arguments, ta témérité est la véritable raison pour laquelle tout le monde hésite. Nous devons prendre nos précautions, mais je dis que c’est jouable.”

 Le Minotaure lui lança un regard en coin hargneux, mais il était suffisamment sage pour ne pas s’attaquer à la seule alliée qu’il avait dans la salle. Il se réadossa à sa chaise en marmonnant.

“Si on n’est pas là-bas les premiers, une compagnie Or va organiser une expédition et tout rafler avant nous !”

L’un des capitaines assis face à lui secoua la tête. C’était un archer, du moins si l’on se fiait à l’arc long massif qui reposait contre la table à ses côtés.

 “C’est ce qu’avait dit Charlez. Il y a emmené tout son groupe dès qu’il a eu la nouvelle et ils en sont tous ressortis sous forme de zombies. Pas une éraflure sur leurs lames, mais leur armure était à moitié arrachée. On sait tous ce que ça veut dire.”

 “Moi pas. Cesse de jouer aux devinettes et dis-moi le fond de ta pensée.”

 Déclara l’un des capitaines en se penchant en avant d’un air menaçant. C’était un homme trapu, équipé d’une hache presque aussi large que celle attachée dans le dos de Calruz. Il adressa un regard noir au capitaine à l’arc.

 Cette fois-ci, ce fut l’homme en robe assis à côté de lui qui répondit au capitaine.

 “Ce que ça signifie, Gregor, c’est que quel que soit le monstre sur lequel Charlez et son groupe sont tombés, ils n’ont eu aucune chance de le combattre avant de se faire réduire en miettes. Et alors quelque chose - ça pourrait être un autre monstre ou peut-être bien le même - les a réanimés et renvoyés à la surface. C’est une menace sérieuse.”

 “Et qui dépasse nos compétences.”

Ajouta un homme couturé de cicatrices qui ne portait qu’une épée longue à la ceinture. Il n’était pas en armure comme le reste des capitaines aventuriers, mais ils avaient tous voyagé dans la nuit pour arriver à temps à cette réunion. Il croisa les bras et secoua la tête en direction de Calruz et de la capitaine.

 “On a tous entendu le nombre de Bronze et d’aventuriers en solo qui ont été perdus dans ces maudites Ruines jusqu’à aujourd’hui. Certes, la plupart d’entre eux se sont précipités là-bas sans s’y être préparés mais Charlez n’était pas de ce genre-là. Il avait de l’expérience et il y est entré en étant prêt à battre en retraite si nécessaire. La chose qui l’a coincé les a tous tués. Et tu suggères qu’on entre là-dedans sans savoir ce que ces ruines renferment ?”

 La femme à l’armure argentée secoua la tête.

 “Je suggère qu’on s’allie et que l’on lance un raid à six équipes dans ces ruines. On fait des provisions, on regroupe nos meilleurs guerriers et on fortifie le chemin en allant aussi loin que possible.  On aura une bien meilleure chance de s’en sortir si on  travaille ensemble et les Ruines n’ont pratiquement pas été touchées en-dessous du premier étage. J’ai entendu dire que Liscor ne veut pas les examiner elle-même et laisse la mission aux aventuriers. Si on veut récupérer les trésors qui y sont enterrés, c’est notre chance.”

 Calruz acquiesça vigoureusement, mais les autres ne parurent pas convaincus. L’archer se pencha en avant et s’adressa à la tablée.

 “Pourquoi ne pas laisser d’autres aventuriers y aller avant et attendre qu’au moins un ou deux en ressortent avec un peu plus d’informations ? Ça ne te ressemble pas, Yvlon. Je vois bien Calruz vouloir entrer là-dedans, mais comment a-t-il réussi à te convaincre ?”

 Yvlon, la femme à l’armure argentée, sourit au capitaine.

 “L’impatience et l’audace, Cervial. J’étais aussi excitée que le reste d’entre vous lorsque j’ai entendu parler des Ruines. Mais tu as raison. Ce n’est pas Calruz qui m’a convaincue d’agir au plus vite. J’ai entendu dire qu’une compagnie d’aventuriers Or a entendu parler des ruines. Ils descendent au sud et y seront d’ici une semaine, voire moins.”

 Ces mots agitèrent la tablée. Le reste des capitaines marmonnèrent, mécontents.

 “Eh bien, c’est sûr que cette information change la donne.”

 “Vraiment ? Je ne suis pas d’accord. Les Ruines restent trop dangereuses.”

 “Mais laisser des Ors rafler tout le trésor ? C’est une autre histoire.”

 “Vraiment ? Ce n’est pas du tout ce que j’ai entendu dire. Et mes infos sont bien plus dérangeantes.”

 Cette fois-ci, c’était le capitaine-mage qui avait pris la parole. Il parcourut l’assemblée du regard.

 “Une Aventurière Légendaire est déjà dans la ville au moment où je vous parle. Vous en avez peut-être déjà entendu parler. Scruta l’Omnisciente.”

 Tous les capitaines se turent. Ils n’avaient peut-être pas entendu parler de cette Scruta en particulier, mais une aventurière Légendaire, c’était une autre affaire.

 L’Or était le niveau le plus haut dans le système de rangs autorisé sur tous les continents. En règle générale, les aventuriers Bronzes étaient à peine plus que des débutants, tandis que les Argents valaient plus que la milice d’une petite cité. L’équipement et la magie dont disposait une compagnie comme celle des Cornes d’Hammerad leur permettait de relever des défis qui donneraient du fil à retordre même à une grosse garnison.

 Au-delà de ça. Les aventuriers Or étaient des groupes expérimentés et hautement entraînés qui pouvaient aisément gérer la plupart des menaces de monstres. Au sommet de ce classement, les compagnies d’aventuriers étaient l’équivalent d’une petite armée et pouvaient affecter les conflits internationaux.

 Certains pays avaient des systèmes de classement bizarres qui s’étendaient au-delà du rang Or au rang Platine, Adamantium, et cætera. Mais d’un point de vue fonctionnel, si un individu ou une compagnie d’aventuriers atteignait ce niveau de renommée, il n’était plus classé.

Au lieu de cela, ces aventuriers devenaient des aventuriers Légendaires car leurs noms étaient connus dans toute la région du monde où ils voyageaient. Ils devenaient des légendes vivantes pour les aventuriers à en début de carrière comme les capitaines Argentés de la salle.

 L’homme couturé de cicatrices à l’épée longue interrompit le premier le silence.

 “Eh bien, c’est différent. Très différent. Si une aventurière Légendaire est dans la ville, il n’y a probablement qu’une seule raison pour laquelle elle peut y être. Les Ruines. Mais la véritable question est : pourquoi n’y est-elle pas encore entrée ?”

 “Je vais vous dire pourquoi. Parce qu’elle est prudente. Et si une aventurière Légendaire ne veut pas y entrer tout de suite…”

 “Elle n’a peut-être aucune idée de ce qu’il y a là-dedans. C’est peut-être jouable.”

 “Ou il pourrait y avoir des monstres qui feraient passer les Hautes Passes pour une petite caverne à ours ! Non ! Mon groupe ne participera pas à cette mission suicide.”

 “Espèce de lâche. Où est ta fierté de guerrier ?”

 Calruz haussa la voix en s’adressant au capitaine à la hache. L’homme rougit et repoussa violemment sa chaise, mais le mage à ses côtés posa une main sur son épaule.

 “Aucun d’entre nous n’est lâche, et tu ferais bien de te le rappeler avant de lancer des insultes, Calruz. Mais ça change la donne.”

 “Seulement si on regarde le point de vue négatif.”

 C’était l’archer qui avait parlé. Il réfléchissait, caressant la poignée de son arc d’un air pensif en reprenant la parole.

 “Je pourrais, je dis bien pourrais, vouloir tenter ma chance. Les Cornes de Hammerad et les Lances d’Argent représentent une grosse force de frappe. Si mon équipe les rejoint, on aura une compagnie assez grande pour défier même les menaces des tréfonds des Ruines d’Albez.”

 “Ne sois pas stupide, Cervial. Tu ne peux pas croire que ces Ruines seront semblables à celles d’Albez.”
 Cervial secoua la tête et répondit.

 “Je ne suggère pas que ce soit le cas. Mais entre nos trois équipes, on vaut au moins une ou deux équipes Or, et si le reste d’entre vous nous rejoignaient, ça pourrait marcher. Ça pourrait.”
 Calruz se pencha en avant et s’adressa à Cervial.

 “Si tu es avec nous, je veux un engagement total, pas des promesses incertaines. Mon équipe a entendu ma décision et ils sont avec nous. Si tu n’as pas leur courage, on n’a pas besoin de toi.”

 Yvlon grimaça et Lir, le mage, secoua la tête. Calruz n’était pas un négociateur. Mais Cervial n’avait pas l’air particulièrement offensé. Il dévisagea Calruz puis lui demanda :

 “Que pense Ceria Springwalker des Ruines ?”

 Tout le monde se tut pour entendre la réponse et se tourna vers Calruz. Les naseaux du Minotaure s’écartèrent et il souffla de colère.

 “Ceria n’est pas la capitaine des Cornes d’Hammerad. C’est moi.”

 “Oui, mais elle a plus d’expérience en tant qu’aventurière que nous tous réunis. Si elle pense que ça vaut le coup, je me joindrai à vous.

 Gregor, le capitaine à la hache, dévisagea d’un air incrédule Calruz et Cervial. Il se leva.

 “Vous êtes tous fous à lier et la chose qui est là-bas va vous bouffer vivants. Je m’en vais, et  ma compagnie aussi.”

 La femme à l’armure d’argent soupira et secoua la tête. Elle regarda avec espoir le capitaine mage.

 “Lir ? Tu en es ?”

 L’homme en robe hésita, puis secoua la tête à contrecœur.

 “Je suis désolé, mais Gregor a raison. C’est trop risqué, et mon groupe a besoin de place pour jeter nos sorts. Si on savait vraiment ce qu’il y a là-dessous, je viendrais avec vous. Cervial, tu devrais prendre le temps d’y réfléchir toi aussi.”

 Le capitaine à l’arc réfléchit, puis haussa les épaules.

 “Je comprends, mais je vais faire confiance à notre vétérane Demie-Elfe sur ce coup. Si elle pense que le risque en vaut la peine, j’emmène mon équipe, que les couloirs soient étroits ou pas. Tu crois que ce genre d’opportunité se représentera souvent ?”

 Sa question resta sans réponse. Gregor et Lir quittèrent la pièce en secouant la tête et en parlant à voix basse. Au bout d’un moment, le capitaine aux cicatrices se leva et les suivit, laissant les trois capitaines seuls à la table.

 “Eh bien, ça aurait pu mieux se passer.”

 La capitaine courba la tête d’un air abattu tandis que Calruz fusillait la porte fermée du regard.
 “On n’a pas besoin de lâches. S’ils n’ont pas le courage de risquer leurs vies, on est mieux sans eux. Ce genre de faiblesse ne ferait que rendre les choses plus difficiles.”

 “Oui, mais maintenant on va devoir les remplacer par des Bronzes, et ça, c’est une faiblesse. J’imagine que ça dépendra du nombre d’aventuriers qui traîneront autour des Ruines. Il nous faudra plus de mages et de guerriers de première ligne. Au moins, on a une équipe qui peut détecter et désamorcer les pièges.”

 L’archer leva une main en signe d’avertissement.

 “Seulement si...”

 “Oui, si Ceria pense que ça en vaut la peine. Mais je pense que ces Ruines sont peut-être encore plus grandes que celles d’Albez, pas vous ?”

 “Alors pourquoi est-ce que Ceria ne nous a pas rejoints pour nous prêter main forte quand on se disputait ? Si elle était venue…”

 Calruz grogna d’un air moqueur.

 “Bah. Elle voulait rester à Celum.”

 “Pourquoi ?”

 “Elle attendait une Coursière. Elle a fait une erreur et lui a donné des potions de mana au lieu de potions de soins juste avant qu’elle ne se rende dans les Hautes Passes.”

 Les deux autres capitaines pâlirent. Cervial secoua tristement la tête, mais Calruz ne paraissait pas inquiet.

“Je lui ai dit que ça n’avait pas d’importance. Cette Coursière n’est pas une lâche comme le reste d’entre eux. Erreur ou pas, elle aura survécu au voyage. Et pendant ce temps, on a une expédition à préparer.”

 “Tu as l’air bien confiant, Calruz. Les Hautes Passes ne sont pas une plaisanterie. Si on allait explorer la région, je ne me sentirais pas en sécurité même en alliant nos trois équipes.”

 “Elle survivra. C’est une Humaine qui mérite mon toute mon admiration et mon respect. Elle survivra.”
 Yvlon haussa les sourcils à l’attention de Cervial. Il était rare que quiconque entende Calruz parler en bien des humains, et encore moins avec tant d’emphase.

 “Ça ne pourrait pas être cette Coursière pieds nus donc j’ai tant entendu parler, si ? Est-ce que c’est celle qui vous a sortis d’affaire quand vous vous battiez contre la Liche ?”

“Celle-là même. Son nom est Ryoka Griffin et elle ne connaît pas la peur.”

Cervial claque légèrement des doigts. Les deux autres capitaines le dévisagèrent, surpris.

“Je me demandais où j’avais vu sa tête. Cette fille… je crois que je l’ai vue la nuit dernière. Elle a couru droit dans la ville juste avant la nuit. Elle est ici en ce moment-même, d’ailleurs. Je l’ai vue entrer dans la guilde.”

Calruz écarquilla les yeux. Sa bouche s’entrouvrit légèrement. Les grandes oreilles poilues du Minotaures s’immobilisèrent totalement. Il cligna des yeux devant Cervial puis les fixa sur le plafond.

“Ryoka Griffin est ici ?”
 
***

C’était étrange. Ryoka était certaine qu’elle n’avait pas brûlé tant de calories que cela avec son petit tour de magie, mais elle avait englouti sans s’en rendre compte un gros tas de fromage, une demie miche de pain, un bon morceau de viande et une demi-tablette de beurre.

Pas séparément, évidemment ; c’était sous forme de sandwiches, mais c’était quand même répugnant de penser qu’elle avait dévoré autant de nourriture d’un seul coup.

Ceria balaya d’un revers de la main le dégoût de Ryoka. Elle expliqua qu’être affamée était normal pour quelqu’un qui venait de jeter son premier sort, et pour les mages de manière générale.

“C’est pour cette raison qu’on ne voit pas beaucoup de mages gras - enfin, du moins parmi les mages qui utilisent vraiment leurs sorts en combat. Il m’est déjà arrivé de manger un jambon entier après une bataille particulièrement éprouvante.”

 Ryoka cilla et la mage rougit. Il ne paraissait pas possible qu’un jambon puisse entrer dans le corps menu de la Demie-Elfe.

 “Ton peuple n’est-il pas censé être… végétarien ?”

Le visage de Ceria s’assombrit d’un seul coup.

“Pas tout le monde. Je ne sais pas ce que tu as entendu dire, mais on mange comme les Humains.”

 “Oh, bien sûr. Désolée.”

 Ryoka se donna un coup de pied mental. Elle était vraiment fatiguée, pour faire des erreurs de ce genre. Mais au moins elle ne s’était pas mise à parler des elfes de Tolkien ou d’autres stéréotypes. Et en parlant de ça, elle n’y connaissait pas grand-chose en Demis-Elfes de toute façon. Elle n’était pas une grande fan de fantasy.

Passant à autre chose, Ceria tapota sa baguette et pointa Ryoka du doigt.

 “Tu vas probablement atteindre ton premier niveau de [Mage] dès que tu feras une sieste. Avec un peu de chance, tu l’auras avec une Compétence ou un sort, mais ne t’inquiète pas si ce n’est pas le cas. Après ça, tu pourras réfléchir à quelle spécialité tu voudrais te consacrer.”

 “Oh. Les niveaux.”

 Un autre problème. Ryoka soupira.

“Est-ce que… est-ce qu’il est nécessaire de gagner des niveaux pour apprendre la magie ? Est-ce que je ne pourrais pas apprendre la magie sans gagner de… de classe ?”

 Ceria parut surprise et prit le temps de réfléchir à sa question.

“Bien sûr que tu n’as pas besoin de niveaux pour apprendre des sorts. Mais ça accélère tellement les choses. Par exemple… quand j’ai atteint le niveau 18 dans ma classe d’[Élémentaliste], j’ai appris le sort de [Boule de Feu]. Ça m’aurait pris un mois à étudier les bons parchemins pour ne serait-ce que commencer à jeter ce sort, sinon.”

 Elle regarda Ryoka d’un air légèrement soupçonneux.

 “Pourquoi ? Tu ne fais pas partie de ces gens qui croient à la Limite, si ?”

 “La Limite ?”

 “Une limite des niveaux. Certaines personnes… pensent qu’on a tous une quantité de niveaux limitée. Si on en gagne trop dans différentes classes, on n’en aura plus. Tu n’en as jamais entendu parler ?”

 “Non. Et je n’y crois pas non plus. Je voulais juste savoir si je pouvais étudier seule ou si je devais… attendre d’avoir gagné des niveaux pour apprendre plus de sorts.”

 “Oh. Eh bien, c’est une erreur fréquente. Les mages gagnent des niveaux en jetant des sorts, mais on gagne beaucoup d’expérience en étudiant la magie. Tu ne peux pas juste te contenter de jeter des boules de feu et t’attendre à gagner plein de niveaux d’un coup.”

   Et c’était un autre élément. En continuant de parler avec Ceria, spéculant avec légèreté sur la branche de magie qu’elle souhaiterait étudier, Ryoka réfléchissait furieusement.

   Des limites de niveaux ? Ça, ça ressemblait à un jeu, selon elle. Mais les gens traitaient l’idée comme une sorte de superstition. Que savaient-ils exactement sur les niveaux, d’abord ?

   Ryoka avait beau être exténuée, une partie de son esprit se posait des milliers de questions, mais elle n’en posa délibérément aucune à Ceria. Elle aimait bien la Demie-Elfe, elle lui faisait même confiance, mais il était préférable de ne pas poser certaines questions. Du moins, pour le moment.

   “Tu as l’air à plat. Je te proposerais bien mon lit, mais tous les autres aventuriers sont en train de se réveiller. Ils vont se mettre à traîner leurs gros pieds et à faire du bruit dans quelques minutes.”

   Ryoka était relativement certaine qu’elle pourrait s’endormir sous un chemin de fer en ce moment précis, mais elle déclina tout de même la proposition de Ceria.

  “J’aimerais bien discuter un peu plus de la magie, et jeter un œil à la Guilde des Aventuriers si c’est possible.”

“Bien sûr. Je suis libre jusqu’à la fin de la réunion de Calruz avec le reste des chefs de compagnies Argent. Et puis, de toute manière, c’est l’heure du petit-déjeuner et tout le monde devrait être en bas. On peut aller les retrouver et manger avec eux.”

Ceria ne remarqua pas la brève expression de dégoût qui passa sur le visage de Ryoka. La fille ne voulait pas descendre et parler avec des gens, mais elle n’avait pas le choix. Avec réticence, elle descendit les escaliers derrière Ceria.
 
***

Merde. Je déteste parler aux gens. Non… ce n’est pas exactement ça. Je déteste parler aux gens en groupes. Les individus, ça va. Ceria est cool, Garia est cool... Sostrom est cool...

 … C’est à peu près tout. Je serais très contente de parler avec n’importe lequel d’entre eux, mais je préfèrerais que le reste aille en enfer plutôt que de venir m’embêter. Mais malgré tout ça, je me retrouve à suivre Ceria pour descendre faire la conversation.

 Je déteste l’idée. Mais je lui dois bien ça, et pas seulement parce qu’elle m’a aidée à apprendre la magie. Moi. Apprendre la magie.*
 
*Si je n’étais pas aussi fatiguée, je pense que je courrais de partout en agitant les bras et en hurlant d’une voix suraiguë.**
 
**Probablement pas. Mais je suis vraiment, vraiment excitée. C’est de la magie ! De la magie ! Je me demande quels sorts je peux apprendre et… bordel, voilà des gens.
 
Je suis Ceria dans la pièce principale de la Guilde des Aventuriers. Le rez-de-chaussée est doté d’un hall où les gens peuvent soumettre des requêtes d’assistance à la guilde et les aventuriers peuvent rapporter les monstres mis à prix et récupérer leurs récompenses comme à la Guilde des Coursiers, mais il y a aussi d’autres sections prévues pour pallier aux besoins de la vie d’aventuriers.

 Le petit couloir se termine par une petite échoppe tenue par des employés de la guilde de la ville avant de déboucher sur ce que je ne peux que décrire comme une cantine. C’est un réfectoire, mais la disposition des tables me hurle immédiatement “cantine scolaire”. Et ce n’est pas une association plaisante.

 La cantine est principalement constituée d’un mur au fond dévoilant partiellement une cuisine bruyante et d’un long comptoir où les aventuriers peuvent payer leur repas sans avoir à se rendre dans une auberge. La Guilde des Aventuriers d’Esthelm est même assez grande pour disposer de quelques chambres à louer comme celle où Ceria dormait. Je suppose que c’est logique - on peut gagner encore plus d’argent si on nourrit les gens qui tue les monstres pour nous.

 À notre arrivée dans la pièce, tout le monde se tourne pour nous dévisager. J’imagine que c’est un truc d’aventuriers - et de Coursiers maintenant que j’y pense - de ne pas vouloir se faire surprendre.

 Mais la vérité, c’est que Ceria et moi attirerions probablement l’attention où que nous allions. Ceria est Ceria - sublime et à moitié immortelle. Et je suis… moi. Je suis pieds nus et plus grande que pas mal des gars ici. De plus, j’ai des traits Asiatiques et on est dans un monde vachement anglo-saxon.*
 
*Sérieusement. C’est quoi le délire ? Est-ce que c’est juste une règle globale que les Blancs soient toujours les colons qui déboîtent les indigènes ? Je sais que les humains ne sont pas natifs de ce continent, mais est-ce que ça veut dire que les blancs - excusez-moi, les caucasiens** sont l’ethnie dominante de ce monde ? Ou… est-ce que ça reflète notre monde, d’une manière ou d’une autre ? Hm.

**Techniquement, caucasien n’est pas non plus politiquement correct comme cela implique qu’on parle de quelqu’un qui descend de la région du Caucase; ce qui n’est pas nécessairement vrai. De plus, le mot désigne littéralement les gens blancs, juste sans dire le mot blanc explicitement. Le terme correct serait ici Européen-Américain, sauf que ça ne s’applique pas aux gens d’ici comme il n’y a pas d’Amérique ou d’Europe, ce qui veut dire que “les blancs” est littéralement le meilleur terme à utiliser dans cette situation et arrête de réfléchir à ça...

“Ryoka Griffin !”

Une voix interrompt mon monologue intérieur incohérent. C’est une voix familière, mais cela ne signifie pas que je sois ravie de l’entendre. Mais bon, il faut que je sois gentille. Et j’ai vraiment une dette envers ces gens, même si on dirait que la moitié d’entre eux sont un peu trop intéressés par ma personne en tant que membre du sexe opposé.

 Je souris donc, me retourne, et serre la main de Gerial, Sostrom et le reste des Cornes d’Hammerad lorsqu’ils se lèvent de leurs sièges. Il y a plusieurs personnes que je ne reconnais pas, et ils hochent la tête à mon intention lorsque Ceria et Gerial me les présentent.

 “Hey, Ryoka, voici bla bla ou quelqu’un quelqu’un qui est ici pour taper des trucs ou tirer des flèches sur des gens”. Je m’en fous pas mal, surtout que j’ai encore faim, je suis fatiguée, et grognon de devoir rencontrer des gens. Mais ma dette envers les Cornes me force à serrer des mains, à sourire et à faire semblant de les apprécier, ce qui n’est pas mon point fort.

 Je suis juste fatiguée. C’était une erreur de dire à Ceria que je voulais jeter un œil à la Guilde des Aventuriers. Ce que j’aurais dû dire, c’était que je voulais regarder vite fait la guilde, lui parler pendant encore trois heures, puis aller me coucher pendant le reste de la journée avant de faire quoi que ce soit d’autre.

 Au lieu de cela, je suis coincée. Et vous savez quoi ? J’ai oublié que les gens n’avaient pas encore entendu parler du fait que je suis allée dans les Hautes Passes, ce qui signifie qu’un tas de gens agaçants veulent soudain que je leur raconte exactement ce qu’il s’est passé.

 “Je suis tombée sur un tas de Gobelins, quelques loups, quelques chèvres, puis quelques gargouilles. J’ai juste continué de courir jusqu’à ma destination.”

 Gerial émet un son poli d’incrédulité pendant que Ceria me dévisage en nous ramenant un peu plus de bouffe. De la bouffe de cantine pour aventuriers. Charmant.

 Pour être honnête, c’est de la saucisse, du pain d’orge, et un peu de soupe de légumes fumante dans un bol. Et une boisson mentholée légèrement alcoolisée que les gens du coin adorent. Et on est sur de la super cuisine selon les standards médiévaux. C’est bien plus élaboré que ce que mangeaient la plupart des pauvres gens de manière générale.*
 
*De l’orge. Du pain d’orge, des pizzas d’orge, des pancakes d’orge, de la soupe d’orge… ouaip. Ils n’avaient pas beaucoup d’options à l’époque.
 
Je mange tandis qu’ils m’assaillent de questions. Les Cornes d’Hammerad ont leur propre table, mais on dirait qu’un bon nombre d’aventuriers errent vers notre table comme par hasard pour laisser traîner des oreilles.

“Il y a forcément plus à raconter que ça. Quel genre de loups ? Des loups normaux ou des vrais monstres ?”

 Je lève les yeux sur Gerial. Il sourit toujours en essayant de jouer à M. Gentil. Okay, peut-être qu’il est vraiment gentil, mais je n’arrive quand même pas à l’apprécier facilement comme Ceria. Probablement parce que c’est un mec et que même lui n’arrive pas à résister à l’envie de regarder mes seins une ou deux fois.*
 
  *Mes yeux sont là-haut. Non pas que je veuille spécialement croiser le regard des gens. J’aime bien quand ils regardent par-dessus mon épaule, mais j’ai aussi l’habitude qu’ils regardent mes pieds, aussi. Et au moins Gerial a la bonne grâce de ne pas trop mater et de s’arrêter quand il réalise ce qu’il est en train de faire. C’est le signe que c’est un gars presque décent, contrairement au type assis à côté de lui qui ne peut pas s’empêcher de les regarder.
 
Okay, j’ai capté le problème. Je décroise les bras et me redresse sur ma chaise. Quand on les a, mieux vaut éviter d’en faire l’étalage sauf quand on veut que les gens aient envie de les toucher. Un truc du genre.

 “Je ne sais pas. Ils étaient bien plus gros que des loups normaux. Et ils avaient le poil roux.”
 Et des corps d’acier. Gerial regarde autour de lui. L’un des mages assis à côté de Sostrom hoche la tête.

 “Des Loups Carnassiers.”

 “Pas de doute.”

 Plusieurs aventuriers autour de nous sifflent et Ceria a l’air peinée. Ah oui, elle culpabilise vraiment de m’avoir donné des potions de mana par accident. Je lui ai dit qu’au final tout s’était bien passé mais…

 “Ils étaient assez vicieux. Ils ont mangé les Gobelins qui m’avaient tendu une embuscade puis ils se sont fait dévorer par les Gargouilles et les chèvres.”

 Les aventuriers murmurent une nouvelle fois et se dévisagent. Gerial secoue la tête et se penche en avant, me regardant cette fois-ci droit dans les yeux.

 “Tu vois, je comprends les Gargouilles. Ce sont des monstres terrifiants quand on les trouve dans des cavernes ou en train de terroriser un village. Mais les chèvres ? Qu’est-ce que tu entends par “chèvres” ?”

 “Probablement les chèvres carnivores, celles avec les dents acérées qui peuvent dévorer même des Loups Carnassiers.”

 C’est un type debout au milieu du reste des aventuriers qui a parlé. Il a une cicatrice sur tout un côté du visage et il porte une épée longue à la ceinture. Ce qui veut dire qu’il a peu d’équipement par rapport au reste des aventuriers qui paradent avec leurs cottes de mailles ou avec des armures de cuir même en mangeant.

 Il hoche la tête dans ma direction tandis que Gerial et le reste des Cornes se retournent sur leurs sièges.

 “Hendric, aventurier Argent. Tu dois être la célèbre Coursière va-nu-pieds. C’est ce genre de chèvres que tu as vues ?”

 Je le dévisage. Malgré la foule qui se forme à présent autour de notre table, les gens lui laissent de l’espace et personne ne lui donne de coups de coude. C’est clairement un type important.
 “Oui, j’imagine. Elles avaient des dents tranchantes. Et elles crient.”

 Le mec aux cicatrices acquiesce d’un air sombre.

 “C’est bien elles. Ces chèvres chassent en meute et peuvent grimper n’importe où. Ce sont des monstres capables de raser des villages. Dès qu’elles sortent des Hautes Passes, elles dévorent tout sur leur passage sur des kilomètres. Si tu as réussi à leur échapper, Miss Coursière, tu peux t’estimer chanceuse.”

 Tous les autres aventuriers paraissent impressionnés. Le type à la cicatrice a l’air d’avoir combattu les satanées chèvres plus d’une fois, et Gerial et les autres se mettent à lui poser des questions à leur sujet.

 Je me penche vers Ceria.

 “Qui est-ce ?”

 Elle marque une pause, avale, et jette un œil au gars aux cicatrices en train d’expliquer comment décapiter correctement les chèvres.

 “C’est Hendric, le capitaine des Chiens de Contrépée. Une compagnie d’Argent, plus connue au nord. Il était censé parler avec Calruz et le reste d’entre eux mais…”

 “D’accord, d’accord. Tu as échappé aux monstres, mais qu’est-ce qui t’attendait à l’autre bout ?”

 Ceria arrête de parler lorsqu’un des nouveaux membres des Cornes d’Hammerad nous interrompt. Connard malpoli. C’est également le mec le plus jeune, avec des cheveux châtains en bataille. Il me dévisage et demande à savoir qui j’ai rencontré.

 “Qui c’était ? Un riche ermite ? Un mage exilé ? Une silhouette entourée d’ombres ?”

 Comme si j’allais lui dire, à lui ou à qui que ce soit d’autre, d’ailleurs. Teriarch le mystérieux archimage, potentiellement elfe, a beau m’agacer, il reste mon mystère personnel.

 “Personne d’intéressant.”

 J’ai beau détester les gens, je suis douée pour garder un visage impassible lorsque je mens.* Et au moins, ici, je peux jouer la carte de la confidentialité des Coursiers donc je n’ai pas à répondre à d’autres questions à son sujet.
 
*Des mensonges du genre, “oh, je suis tellement navrée” que ton hamster pourri soit mort” ou “je n’arrive pas à croire que ton crétin de copain consanguin t’ait larguée ! C’est affreux !” et autres.
 
“Mais des Gargouilles ? Je n’en ai jamais vue de près. Elles ressemblaient à quoi ?”

 “Grandes. Rocheuses. Elles crachent des cailloux et essaient de te manger.”

 Qu’est-ce qu’ils me veulent, bon sang, un dessin d’observation avec des légendes anatomiques ? … Bon sang, j’achèterais bien un bestiaire de monstres s’ils en ont un dans le coin. Mais tout ce que veulent ces aventuriers, c’est savoir comment les tuer, et je ne suis certainement pas la bonne personne à qui demander ça.

 “J’en m’en suis à peine tirée. J’ai surtout eu de la chance de m’en sortir.”

 “Je ne suis pas d’accord. Quiconque parvient à distancer une horde de Gargouilles ne peut pas être simplement chanceuse.”

 Cette fois-ci, la voix claire me parvient de derrière le reste des aventuriers. Les gens se tournent, et s’écartent pour laisser passer les trois aventuriers. C’est probablement aussi lié au fait que l’un d’entre eux n’est autre que Calruz. Personne ne se place en travers de son chemin.

 Calruz, un type armé d’un énorme arc long aussi grand que lui, et une femme en armure argentée s’avancent jusqu’à ma table. Super. Encore plus de gens, et ceux-ci ressemblent à des capitaines. La femme aux longs cheveux blonds flottants derrière elle me sourit et me tend une main gantelée.

 “Yvlon Byres, aventurière Argent. Je suis la Capitaine des Lances d’Argent, et je voulais faire ta connaissance.”

 Bon dieu on dirait qu’elle sort tout droit d’un film. Je lève les yeux sur elle, le visage couvert de miettes, puis lui serre la main. Une poignée ferme et voilà qu’elle et le reste des capitaines sont assis à notre table.

 Génial. Je n’en avais pas déjà suffisamment bavé. À présent, Calruz est assis à côté de moi, et je ne suis pas ravie d’avoir un Minotaure géant et poilu comme voisin. Et maintenant quatre capitaines Argent sont assis autour de moi, bloquant parfaitement toute conversation possible avec Ceria tandis qu’une bande de gens me dévisagent comme si j’étais un étron* incroyablement fascinant.

 *Ou autre chose. Honnêtement, je pourrais bien être un caniche doré pour ce que j’en ai à foutre. Je déteste être dévisagée quand je ne cours pas, et même lorsque je cours je n’apprécie pas particulièrement. Mais au moins je peux fuir loin des regards.
 
“Traverser les Hautes Passes et s’en sortir indemne n’avait pas été fait depuis des années. Non pas que beaucoup de Coursiers aient tenté l’exploit, mais il faut être quelqu’un d’extraordinaire pour le tenter.”

Calruz souffla des naseaux et le reste des aventuriers acquiescèrent tandis qu’Yvlon, la magnifique capitaine à l’armure fabuleuse, continua de chanter mes louanges. Ça risquait de devenir encore plus exaspérant que les questions.

“C’était une requête. Je l’ai réglée - enfin, à moitié. Je n’ai plus qu’à terminer ma livraison et ce sera fini.”

 “Vraiment ?”

 Cette fois-ci, tout le monde a l’air intéressé. L’un des aventuriers tente de paraître nonchalant.

 “Où donc ? À qui ?”

 “C’est confidentiel.”

 Ils font tous la moue. Mais je doute qu’un seul d’entre eux se soit réellement attendu à ce que je leur dise la vérité dans tous les cas. Mais dès que je mentionne la livraison, l’anneau et la lettre qui m’ont été confiés brûlent dans mon esprit. Je les ai laissés dans mon sac dans la chambre de Ceria. Merde. J’aurais dû être plus prudente. Il faut que je les livre…

 Je cligne des yeux, la vision floue pendant un instant. Le sort. Pendant un instant, j’avais failli me lever pour me mettre à courir. Ce crétin de mage…

 “Ryoka ?”

 Je lève les yeux. Tout le monde me regarde. J’ai dû rater un épisode. J’essaie de ne pas rougir, échoue, puis regarde Yvlon.

 “Désolée, tu disais ?”

 C’est pour cette raison que je déteste parler aux gens. Mais elle sourit comme s’il ne s’était rien passé et me repose sa question.

 “Je me demandais simplement si tu avais des niveaux dans une classe de combat, ou si tu n’en avais qu’en tant que Coursière. Tu as eu d’autres classes avant celle-ci ?”

 Pour le coup, ça, c’est une sacrée question à laquelle je n’étais pas préparée. Je cherche une réponse… abandonne.

 “Pourquoi ça t’intéresse ?”

 Oui, je sais. Je suis à peu près aussi crue qu’un marteau dans la face. Mais Yvlon se contente de sourire.

 “Simple curiosité. J’aimerais savoir à quel point tu t’en sortirais en combat. On m’a dit que tu étais une sacrée pugiliste malgré ton métier de Coursière.”

 Pugiliste ? Qui donc utilise encore ce terme ? Oh, c’est vrai. On n’a probablement pas encore inventé la boxe.

 Gerial a l’air décontenancé. Les aventuriers autour de la table échangent un regard.

 “C’est quoi, une “pugiliste”?”

 Ceria soupire et fournit la réponse.

 “Une boxeuse.”

 Tous les aventuriers comprennent tout de suite et hochent la tête. D’accord, peut-être que la boxe existe bel et bien dans ce monde et qu’Yvlon est juste une imbécile. Ou alors quelqu’un qui apprécie la littérature. Je pourrais respecter ça.*
 
*Mais je ne le ferai pas. Je suis trop fatiguée. Et pugiliste est un mot débile, de toute façon.
 
“Qui t’a dit ça ?”

La rumeur selon laquelle j’ai écrasé ce crétin d’aventurier à Celum ne peut pas s’être propagée jusqu’ici. Impossible. J’ai littéralement couru au-devant de la rumeur. Donc comment cette femme peut-elle savoir qui je suis et que je peux me battre ?

 “C’est ma tante au deuxième degré qui m’en a parlé. Elle me tient au courant des gens intéressants et elle m’a dit que te trouver en vaudrait la peine.”

 Tous les aventuriers semblent comprendre cela, et me regardent avec curiosité. Mais je suis encore à la ramasse.

 “Qui est ta tante ? Je la connais ?”

 Ceria toussota, comme si je faisais une erreur stupide.

 “Yvlon Byres est la leader des Lances d’Argent, mais elle est également membre de la noblesse, Ryoka.”

 Je ne saisis pas et ça se voit. Ceria soupire.

 “La famille Byres ? L’aristocratie ?”

 “L’aristocratie mineure.”

 Yvlon corrige Ceria avec un sourire.

 “Nous faisons commerce d’argent et possédons plusieurs grosses mines dans la région. Et nous sommes de distants cousins des Reinhart.”

 Elle dit ça comme si ça voulait dire quelque chose. Les qui... ?

 Oh. Ah merde. Le nom de famille de Magnolia est Reinhart, c’est ça ? Ce qui veut dire…

 Cette putain de femme. Même quand je me dis que je lui ai échappé, elle arrive à trouver quelqu’un pour m’embêter.

 Pendant un instant, je fronce les sourcils et Gerial ferme la bouche et se rassied. Yvlon me dévisage, le sourire toujours plaqué sur son visage.

 “Je suis désolée si ma tante t’a embêtée, Ryoka, mais elle est plutôt opiniâtre. Et elle a dit à toute ma famille - vraiment tout le monde, de garder l’œil ouvert pour elle.”

 Gerial cligne des yeux en la dévisageant. Clairement pas le plus fûté du lot, tout comme le reste des aventuriers. Mais l’archer… Cervial, je crois - et Ceria dévisagent Yvlon avec intensité. Et Calruz aussi. J’imagine qu’il est plus intelligent qu’il n’en a l’air.

 Mais si Ceria et Cervial ne pipent mot, Calruz n’a pas leur délicatesse. Ni la leur, ni aucune, d’ailleurs. Il pose le bras sur la table et se penche en avant - un peu, parce qu’il est déjà tellement massif - pour dévisager Yvlon d’un air sévère.

 “Ses affaires la regardent. Si Magnolia Reinhart cherche Ryoka Griffin, elle devrait soit respecter sa vie privée soit venir la voir en personne.”

 Yvlon fait une moue gracieuse et hausse les épaules avec regrets.

 “Désolée, Calruz, mais personne dans ma famille ne défie Lady Magnolia. Et je ne comptais pas faire quoi que ce soit à Ryoka. Je voulais juste savoir si elle était vraiment douée au combat à mains nues.”

 “Et je suppose que toi, tu l’es ?”

 Là encore, elle est peut-être connue, mais tout le monde me regarde comme si j’étais d’une incommensurable bêtise. Yvlon sourit.

 “J’ai une certaine réputation. Les Lances d’Argent sont connues pour se battre avec n’importe quelle arme, et les poings en font partie.”

 Sostrom me donne un coup de coude à ma droite et marmonne suffisamment fort pour que je l’entende.

 “Elle a déjà battu cinq bandits à mains nues après avoir perdu son épée.”

 Wow. Woooow. Et je suis censée être impressionnée ? Battre cinq types à mains nues ne me paraît pas vraiment extraordinaire. Et ça l’est encore moins parce qu’Yvlon Byres est vêtue d’une armure de plates faite d’un métal coûteux. Si elle se battait “à mains nues” avec ces gantelets de métal sur cinq types mal armés, moi aussi j’aurais parié sur elle.

Peut-être que mon manque d’émerveillement se vit*, parce qu’Yvlon leva un sourcil parfait et les autres aventuriers parurent… mécontents. Pourquoi ? Parce que je ne suis pas impressionnée par une meuf en armure qui donne une fessée à une bande d’idiots ?
 
*Ça s’est carrément vu. Je n’étais pas impressionnée.

 “J’ai entendu dire que tu avais réussi à battre un [Assassin] de bas niveau à mains nues et que tu avais également combattu un Loup Carnassier sans armes.”

Cette fois-ci, tout le monde se tait. Okay, ça suffit. Magnolia est passée du rang de personne à qui je ne veux vraiment pas parler à quelqu’un que je ne peux plus ignorer. L’assassin, c’est une chose, comme j’imagine qu’elle l’a embauché mais… comment a-t-elle su pour le loup ?

“J’aimerais beaucoup voir tes compétences par moi-même. Je sais que tu es fatiguée, mais si tu as le temps pour un match rapide je pourrais t’accorder un handicap.”

Il n’y a aucune malice dans la voix d’Yvlon. En fait, elle a été plutôt fair-play de me dire pour Magnolia et le reste. Et c’est probablement une offre équitable, comme les aventuriers gagnent des niveaux et tout et tout. Le reste des aventuriers - Gerial, Sostrom, etc. ne sont certainement pas mécontents. Seul Calruz paraît se renfrogner.

 Mais… un handicap. Un handicap pour moi de la part de cette femme qui ressemble à une top model qui aurait été renvoyée dans le temps ? Ou l’une de ces chevalières d’Hollywood ?

 Yup, ça y est. Je suis fatiguée, grincheuse, et je viens de me faire une centaine de kilomètres dans la nuit après m’être battue contre un mystérieux assassin, m’être retrouvée dans une rixe de taverne, et être parvenue à faire de la magie pour la première fois de ma vie.

 Primo. Je vais défoncer la tête d’Yvlon, deuxio, défier Calruz en combat, et tertio,  aller me coucher.
 Exactement dans cet ordre.

 La bouteille de potion à ma ceinture clapote doucement lorsque je souris de toutes mes dents à Miss Aventurière - Chevalière Parfaite.

 “Mais je serais ravie de faire un match. Dis-moi, as-tu déjà entendu parler du MMA ?”

 Elle paraît confuse.

 “MMA ?”
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 16 mai 2020 à 19:40:49
Note des traducteurs: Suite à la longueur graduellement grandissante des chapitres, certain chapitre seront coupés en deux, voir en trois, dans le futur à cause de la limite du nombre de mots, désolé pour le dérangement et bonne lecture!


1.12 R
(Partie 1)
Traduit par EllieVia

Quand Garia arriva à Esthelm juste avant midi, elle vit l’agitation devant la Guilde des Aventuriers avant même d’avoir déposé sa livraison.

Du sucre. Plusieurs sacs - assez pour une commande expresse pour l’une des boulangeries de la ville. La livraison, lourde et collante, avait bousillé l’intérieur du sac de Garia. Elle allait devoir passer pas mal de temps à le laver avec de l’eau et une balle de savon.

L’idée déprimait la jeune femme, mais elle oublia tout ça dès l’instant où elle aperçut Ryoka. Comme toujours, la fille était au centre d’une attention quelconque. En ce cas précis, elle était entourée d’une foule d’aventuriers dans la cour ouverte que la Guilde des Aventuriers utilisait pour l’entraînement et les duels.

Elle n’était pas dans un duel, n’était pas armée. Pas encore. Mais Garia pouvait voir, aussi clairement que son propre niveau, que Ryoka était sur le point de se battre. La fille avait toujours cette espèce… d’expression sur le visage dans ces moments-là.

Extérieurement, on aurait pu croire qu’elle était la Ryoka normale. C’est-à-dire, avec son visage impassible qui ne laissait rien transparaître et ses yeux distants et réservés qui avait fascinés Garia le premier jour où elle avait rencontré l’autre fille.

Mais dans ces moments-là, bien que le masque ne se brise pas, Garia pouvait apercevoir une autre Ryoka derrière le masque. Et ses yeux… oui, il fallait regarder là. Derrière les yeux de Ryoka luisait faiblement une lumière féroce.

Cela fit hésiter Garia, mais elle était encore plus gentille que curieuse. Cet instinct la poussa à se frayer délicatement un passage à travers la foule d’aventuriers pour empêcher Ryoka d’entamer une bagarre avec quelqu’un de dangereux.



***


Ryoka s’étirait les jambes, touchant ses orteils, lorsqu’elle vit quelqu’un soulever un type en armure de cuir et le déposer hors de son chemin. Garia, le visage rouge sous l’effet de l’effort et de l’embarras, s’excusa et traversa la cour en direction de Ryoka.

Huh. Mais Ryoka avait suggéré à Garia de venir ici, pas vrai ? C’était juste… bizarre. Sa conversation avec Garia lui semblait avoir eu lieu longtemps auparavant. Mais elle n’avait pas dormi depuis.

Elle était fatiguée. Ce qui n’était pas bien. Ryoka devait être au top niveau de ses capacités pour la suite.

Ryoka hocha la tête tandis que Garia s’approcha plus près avec prudence. Elle aurait bien souri - ou du moins pensé à un sourire - mais elle n’en avait pas envie. Elle devait se concentrer.

“Salut.”

“Um, salut, Ryoka. Qu’est-ce qu’il se passe ?”

“Rien de particulier. Tu vois cette personne ? Celle en armure d’argent ? Elle m’a défié en combat.”

Ryoka hocha la tête en direction du bout de terrain où Yvlon discutait avec Ceria, Calruz, et plusieurs membres des Cornes d’Hammerad. Garia lui jeta un coup d’œil, déglutit, puis se baissa pour chuchoter à Ryoka.

“Ryoka ? Est-ce que tu as fait quelque chose pour… hum, l’énerver ?”

Ryoka découvrit ses dents. C’était peut-être un sourire.

“Je ne crois pas. Pas encore, dans tous les cas. Elle m’a défié à un match “amical”. J’ai accepté. Pourquoi ?”

“Oh. Pour rien. C’est juste que… c’est Yvlon Byres,  la Capitaine des Lances d’Argent. Elle est connue dans le coin.”

“C’est ce qu’on m’a dit.”

“Et elle t’a défiée. En duel ?”

“Oui, enfin, une joute. C’est moi qui ai voulu la transformer en duel.”

Pourquoi ?”

Ryoka hésita. Elle dévisagea Yvlon à l’autre bout du terrain. L’autre jeune femme - elle était assez proche de l’âge de Ryoka, probablement plus âgée d’un an ou deux - souriait en parlant à une Ceria à l’air inquiet. Elle se tourna, croisa le regard de Ryoka, et hocha poliment la tête.

La fille aux pieds nus détourna le regard. Elle se mit à étirer son autre jambe et marmonna à Garia.

“Je… je veux juste lui démolir un peu la tête, pas toi ? Elle est un peu trop belle et parfaite.”

Garia attendit, mais Ryoka se contenta de se pencher de nouveau en avant pour toucher ses orteils, respirant lentement et régulièrement.

“C’est tout ?”

“Yup.”

“Ryoka, c’est… je connais Yvlon. Son groupe, les Lances d’Argent, ont aidé à chasser un groupe de bandit qui m’avait attaquée, une fois. Et j’ai entendu parler d’elle. C’est une très bonne personne ! Elle est gentille, elle donne aux pauvres, son équipe accepte les requêtes pour aider les gens même si la récompense n’est pas très élevée…”

“Je comprends. C’est une super personne. Une fille populaire. Quelqu’un que tout le monde adore.”

L’expression de Ryoka disait qu’elle ne partageait pas cette opinion. Ses yeux étaient durs lorsqu’elle balaya de nouveau Yvlon du regard.

“Tu n’aimes pas qu’elle soit comme ça ?”

“Peut-être. Peut-être pas. Elle me… elle me rappelle juste des gens que je n’aime pas. Et elle a l’air trop gentille pour une aventurière. Je n’aime pas les gens gentils.”

“Ça n’a aucun sens, Ryoka.”

“J’imagine. Dommage.”

Ryoka termina d’étirer ses mollets et se redressa en soupirant. Sa conversation avec Garia… l’empêchait de se concentrer. Elle n’avait pas vraiment de bonne explication à fournir à Garia, pas d’explication qu’elle pouvait formuler. C’était juste ce qu’elle ressentait. Plus que tout, se battre avec Yvlon faisait plaisir à Ryoka.

L’autre aventurière remarqua qu’elle la dévisagea et lui sourit de nouveau. Ryoka fronça les sourcils. Ce sourire. Ce petit sourire poli. Elle voulait l’effacer du visage d’Yvlon.

“Elle est juste beaucoup trop séduisante, c’est tout.”

Garia secoua la tête. Elle sembla débattre intérieurement puis finit par craquer.

“Vous ressemblez toutes les deux à… à des princesses !”

Ryoka cilla. Garia lui rendit son regard, embarrassée.

“Vraiment. Vous êtes toutes les deux… beaucoup plus belles que moi. Ou que Persua. Ou que n’importe qui, vraiment. Je ne comprends pas pourquoi tu veux te battre avec elle.”

“Elle veut aussi me tester. Elle bosse pour Magnolia.”

“Elles sont parentes, Ryoka.”

“Hum.”

“Tu sais qu’elle a déjà battu cinq hommes, non ? Et elle les a battus à mains nues.”

“Avec son armure, non ? Pas vraiment à mains nues.”

Garia était sur le point de s’arracher les cheveux. Elle serra sa tête entre ses mains et le regretta à l’instant où ses paumes incrustées de sucres entrèrent en contact avec sa sueur.

“Ça reste cinq personnes, Ryoka ! La plupart des aventuriers ne pourraient pas le faire même avec une arme !”

Ryoka savait que c’était vrai. Elle savait que c’était… probablement… impressionnant, mais même dans sa propre tête, elle ne voulait pas accorder trop de crédit à cette pensée. Garia était encore en train de parler. Ryoka hésita à l’ignorer mais finit par l’écouter avec réticence.

“Je sais qu’elle ne va pas te faire de mal - pas si tu ne cherches pas à lui faire de mal à elle. Mais les aventuriers Argent ne sont pas comme le type que tu as battu à la taverne, Ryoka. Si tu la forces à s’y mettre sérieusement elle va… qu’est-ce que tu fabriques ?”

“Je m’échauffe.”

La fille aux pieds nus n’avait pas terminé ses étirements de préparation au combat. Une fois l’étirement de ses jambes terminé, elle passa aux bras. Et si les aventuriers l’avaient regardée toucher ses orteils et s’étirer les jambes avec intérêt, la seconde phase de son échauffement était… différente.

Ryoka secoua les bras en un mouvement d’éventail. Elle avait l’air ridicule, elle le savait. Un peu comme un enfant qui faisait semblant d’être un poulet. Mais c’était un étirement nécessaire si elle voulait pouvoir jeter des crochets pendant le combat. Elle se mit à faire des moulinets avec les bras, dans un sens, puis dans l’autre.

Les aventuriers riaient à gorge déployée. Ryoka les ignora. Elle leva le bras et s’attrapa le coude, le poussant gentiment en arrière. Puis elle répéta l’opération avec l’autre bras.

En tout, les étirements lui prirent cinq minutes. Ryoka fit la totale, de se toucher les orteils à s’étirer les jambes en passant par agiter les hanches dans un mouvement lent de Hula Hoop.

Quand elle en eut terminé, Ryoka sentit que toutes les parties de son corps étaient prêtes. Elle avait également attiré une audience. Un groupe de vendeurs de rue hardis ainsi qu’un large groupe de piétons s’étaient joints aux aventuriers qui étaient déjà venus voir son combat avec Yvlon. Ils étaient déjà en train de prendre les paris au cœur du cercle qui s’était formé, papotant, mangeant, et riant aux excentricités de Ryoka.

Yvlon sourit quand Ryoka s’avança au centre du ring. Elle hocha la tête en direction de Ceria et s’avança de quelques pas en direction de Ryoka.

“Intéressant. Tu es plutôt souple. C’était censé t’aider à te battre ?”

“Tu ne t’étires jamais avant un combat ?”

Les autres aventuriers éclatèrent de rire ou pouffèrent. Yvlon secoua la tête et répondit sèchement.

“Pas comme ça. Je ne pense pas qu’aucun des guerriers que je connais ferait ça… surtout en public.”

“Dommage. Bah, ça me fait un avantage de plus, du coup.”

C’était extraordinaire, songea Garia en regardant Ryoka, à quel point cette fille était complètement - et tout le temps - sûre d’elle. Même face à une aventurière en armure.

“Excuse-moi. Je souhaitais simplement rassurer tes amis sur le fait que tu ressortirais indemne de ce spectacle amical. Si tu me laisses une minute, je vais retirer mon armure.”

Ce disant, Yvlon commença à retirer ses gantelets, mais Ryoka secoua la tête.

“Tu peux garder ton armure. Les gantelets, aussi.”

La foule qui avait été en train de parler et de plaisanté en attendant le début de la joute se tut en entendant les mots de Ryoka comme si quelqu’un avait jeté un sort de [Silence]. Yvlon leva les sourcils et derrière elle, Ceria se claqua le front.

“Je ne voudrais pas te faire mal.”

“Ce n’est pas moi qui vais avoir mal.”

“Ryoka, ne sois pas stupide !”

Ceria s’avança, furieuse contre la coursière aux pieds nus. Elle baissa la voix pour que tout le monde ne puisse pas l’entendre, mais ses mots furent parfaitement audibles dans le silence.

“Tu es folle ? Tu ne peux pas combattre quelqu’un en armure ! Yvlon est une Capitaine Argent. Même si elle retient ses coups, elle va te blesser. Ce n’est qu’un match amical… aucune d’entre vous n’est censée finir blessée.”

“Vraiment ? Alors battons-nous sérieusement.”

Ceria grogna et Calruz sourit pour marquer son approbation. Le Minotaure dévisageait Ryoka d’un air approbateur, appréciant ses fanfaronnades. Ce n’était pas le cas de Ceria. Elle siffla à Ryoka de manière à ce que seule la Coursière puisse l’entendre.

“Yvlon n’est pas quelqu’un à prendre à la légère, Ryoka. Elle est honorable, fière… même si elle se montre patiente. Cesse d’être aussi malpolie.”

“Je la considère sérieusement, crois-moi. Mais je veux voir ce que ça fait de se battre contre quelqu’un en armure. Et de plus… tu ne m’as jamais vue me battre, non ?”

Ceria cilla. Elle dévisagea Ryoka des pieds à la tête.

“Non... mais...”

“Fais-moi confiance.”

“Si Miss Ryoka Griffin dit qu’elle se sent confiante, je vais la croire, Ceria.”

Yvlon sourit à la Demie-Elfe, croisant le regard inquiet de Ceria. Un message informulé passa entre les deux et les oreilles pointues de Ceria s’abaissèrent légèrement. Elle recula.

À présent, Ryoka et Yvlon étaient seules au centre du ring. Ryoka rebondissait sur l’avant de ses pieds, guettant Yvlon pendant que la femme se soulageait de ses bourses et de son épée.

“J’ai bien peur que Ceria ait raison, toutefois, Ryoka. Je n’aimerais vraiment pas que tu te casses les mains sur mon armure ou que je te blesse au visage avec mes gantelets. Je suis sûre que je pourrais te proposer un match équitable même sans armure.”

“C’est bon. Tu ne portes même pas de heaume, de toute façon.”

Là encore, les mots de Ryoka agitèrent l’assemblée, et pas de manière très positive. De là où elle se trouvait, Garia pouvait voir d’autres aventuriers - surtout les femmes en armures qui étaient membres des Lances d’Argent - être agacés voire complètement énervés par les mots de Ryoka.

Mais Yvlon ne fit que sourire poliment. C’était un sourire assez similaire à celui de Lady Magnolia, en fait. Un sourire de [Lady] qui ne laissait rien transparaître.

“Très bien. J’ai entendu dire que tu pratiquais un art de combat sans armes ? Tu as dit que c’était du...MMA ? J’avoue que je n’ai eu que peu d’entraînement formel moi-même. Je suis principalement autodidacte.”

“Ouais. Je pratique les Arts martiaux mixtes. Le Muay Thai.”

“Et tu es une praticienne douée de ce… Muay Thai ?”

“De là d’où je viens, oui.”

“Intéressant. En ce cas, nous devrions peut-être commencer ? Je crois qu’il serait courtois de t’autoriser le premier coup.”

Yvlon s’avança de quelques pas, puis leva ses bras gantelés en quelque chose approchant une garde de boxe. Les murmures de la foule s’amplifièrent lorsque Ryoka se mit à tourner autour de la jeune femme, les mains levées.

Sa posture était différente de ce qu’elle aurait été dans un combat de Muay Thai. Ryoka considérait ce combat comme un combat de MMA, bien qu’elle n’y ait jamais participé en personne. Mais elle s’était entraînée au cas où ses parents l’auraient finalement autorisée à combattre sur le ring.

Sa posture et son centre de gravité étaient baissés, sa position était plus large et ses mains étaient serrées en des poings lâches. Elle déplaça plus de poids sur sa jambe avant en observant Yvlon.

À présent qu’elle était enfin face à la femme, Ryoka trouva le temps de regretter un peu de l’avoir laissée garder son armure. Combattre quelqu’un en armure à mains nues était complètement crétin. Elle le savait.

Mais une partie de Ryoka le voulait. Elle voulait du défi, elle voulait voir jusqu’où elle pourrait dépasser ses limites avec des chances aussi peu en sa faveur. Mais surtout, elle voulait gagner même avec Yvlon en armure de plates. Elle voulait vraiment gagner, en fait.

La femme tourna lentement pour suivre Ryoka tandis que la jeune femme aux pieds nus lui tournait autour. Elle attendait le premier coup de Ryoka, comme elle l’avait dit.

Eh bien, ça lui allait. Ryoka feinta avec ses mains. Celles d’Yvlon bougèrent instinctivement pour la bloquer. Ryoka mit tout son poids sur sa jambe de devant et tourna, jetant sa jambe arrière dans les airs et la ramenant vers le côté de la tête d’Yvlon dans un mouvement connu sous le nom de coup de pied circulaire.

La jambe de Ryoka bondit dans les airs et Yvlon parvint de justesse à lever les bras pour protéger sa tête. Malgré l’armure qu’elle portait, elle vacilla sous l’impact.

C’était le moment qu’avait réellement attendu Ryoka. Avant même de s’être complètement redressée, elle se décala sur le côté et lança un coup de poing à la tête d’Yvlon.

Ses mains étaient incroyablement rapides. Garia ne put même pas voir Ryoka jeter un coup de poing éclair au visage de l’aventurière.

La main droite de Ryoka vola en avant dans un coup qui aurait dû cueillir Yvlon droit sur le menton. Mais avant qu’elle ait pu l’atteindre, une main gantée d’argent se leva et saisit la main de Ryoka.

De là où elle était, Garia vit les yeux de la fille aux pieds nus s’écarquiller, puis elle tordit la tête et le corps pour éviter le poing d’Yvlon. Elle ne put pas s’échapper parfaitement, tenue comme elle l’était par l’aventurière. Le gantelet frappa Ryoka sur le côté de la mâchoire et fit couler le premier sang.

Les aventuriers dans la foule acclamèrent Yvlon qui relâcha la main de Ryoka. C’était probablement une sage décision, car le regard de la jeune fille relevait de la furie pure. Ryoka jura, la bouche ensanglantée, et cracha.

Yvlon sourit poliment à Ryoka en levant de nouveau les poings. La lumière scintilla sur le métal poli et les gouttelettes de sang sur son gantelet droit.

“Je comprends ta fierté, Ryoka Griffin, mais nous autres aventuriers avons notre propre dignité. Tu nous sous-estimes à tes risques et périls. Es-tu certaine de ne pas vouloir que je retire mon armure ?”

C’était la mauvaise chose à dire. Ceria cria quelque chose à Ryoka mais Garia vit le regard de la Coursière. Lentement, elle se redressa, essuyant le reste de sang de sa bouche coupée.

“Je vais y aller sérieusement, maintenant.”

Yvlon parut soupirer, mais en un instant sa garde était de nouveau levée et elle observait Ryoka avec méfiance. Elle ne sous-estimait pas la jeune femme,  même si elle avait déjà marqué le premier point.

Ryoka réfléchit un moment, observant Yvlon avec intensité. Puis elle avança lentement, les mains au-dessus de la tête.

Les aventuriers d’Esthelm admiraient la bravoure. La moitié d’entre eux encouragèrent Ryoka, riant et lançant des vivats en la voyant avancer sur Yvlon, tandis que l’autre moitié pariait sur si elle allait ne serait-ce que réussir à toucher le visage de la guerrière.

Yvlon plissa les yeux en voyant Ryoka s’approcher de plus en plus près. Avant qu’elle n’ait pu faire le moindre mouvement, elle s’avança et jeta un coup de poing éclair à la tête de Ryoka.

Ryoka n’esquiva pas vraiment, elle s’appuya simplement sur sa jambe avant et baissa la tête. Le poing métallique rata sa tête de quelques centimètres, et l’audience retint sa respiration. Mais les deux femmes n’en avaient pas terminé.

Lorsque Ryoka esquiva le premier coup, le deuxième poing d’Yvlon se releva pour atteindre Ryoka au menton. Mais là encore, Ryoka recula d’un pas et évita le coup de quelques centimètres. Puis elle asséna un revers au visage d’Yvlon.

Là encore, l'aventurière bloqua mais Ryoka ne cherchait pas à la frapper du pied, cette fois. Elle se précipita derrière Yvlon qui peina à suivre le mouvement avec sa lourde armure. Ryoka crocheta sa jambe par derrière et exécuta un jeté, envoyant l’aventurière en armure au tapis.

Le fracas du métal fut le seul son à troubler le silence. Yvlon bondit sur ses pieds en un instant, prête pour l’attaque, mais Ryoka se contenta d’attendre qu’elle se relève.

“Eh bien.”

Un sourire contrit ? C’est ce qui lui parut passer sur le visage d’Yvlon avant qu’elle ne passe à l’attaque. Elle se rua sur Ryoka, lançant des coups de poings rapides qui firent reculer la jeune fille.

Le combat n’était pas égal. Même Garia pouvait voir que Ryoka restait principalement sur la défensive, incapable de frapper Yvlon qui se protégeait le visage. Le combat n’était pas égal.

Mais il était silencieux. À présent, tous les aventuriers observaient Ryoka comme des faucons. Elle esquivait, laissant Yvlon l’attaquer, toujours en mouvement, tentant des frappes rapides à la tête d’Yvlon avant de s’échapper.

Ryoka rata un timing pendant l’une de ses attaques et Yvlon la roua de coups. Ryoka encaissa un coup de poing au ventre et un autre coup à l’épaule - puis donna un coup de pied à Yvlon en plein estomac suffisamment puissant pour que l’aventurière titube en arrière.

De nouveau, Ryoka se rua sur Yvlon. Elle esquiva un coup de poing, puis se retrouva de nouveau dans le dos de la femme. Elle posa une jambe derrière Yvlon, puis la jeta de nouveau à genoux d’un coup de coude. Là encore, le fracas du métal résonna seul dans le silence.

Cette fois-ci, Ryoka ne permit pas à Yvlon de se relever. Elle se précipita sur l’aventurière qui essayait de se relever. Yvlon se retourna et tenta un coup de poing, presque trop rapide pour Garia. Mais Ryoka s’y était attendue. Elle se pencha en arrière puis attrapa le bras de la femme.

Garia vit Yvlon cogner en l’air en direction de Ryoka, un mouvement trop rapide pour l’œil nu, tandis que Ryoka se tordait autour d’elle… pendant un instant, ce fut le chaos, puis Ryoka était sur Yvlon, un genou dans son dos et tordant son bras en l’air.

C’était fini. Ryoka tenait le bras aussi haut que le permettait l’armure d’Yvlon. Elle s’apprêtait à l’étrangler lorsqu’’elle vit la main d’Yvlon pousser le sol…

Ryoka fut projetée en arrière par l’explosion de force lorsqu’Yvlon se rejeta en arrière, la faisant lâcher prise. Elle se retourna et lui donna un coup de pied, et Ryoka vacilla sous la force de l’impact.


Yvlon essayait de faire tourner son bras pour calmer la douleur lorsqu’elle aperçut Ryoka rouler au sol et se relever d’un saut périlleux en un seul mouvement. Elle cilla - et se prit un poing en pleine figure pour la première fois. La main de Ryoka lui fit légèrement pencher la tête en arrière. Sonnée, elle reçut deux nouveaux coups éclairs dans la joue et dans la mâchoire.

Yvlon intercepta le troisième coup avec une poigne de fer. Ryoka se prépara pour le choc, mais nul poing de fer ne vint dans sa direction.

La Capitaine des Lances d’Argent secouait la tête, et sa bouche s’agitait. Par-dessus le grondement du sang dans ses oreilles, Ryoka comprit que les gens criaient, et l’aventurière relâcha sa main et se détendit en se massant la bouche.

Le combat était terminé.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 16 mai 2020 à 19:41:42
Attention, ceci est la deuxième partie du chapitre! Remontez au post d'au-dessus pour avoir la première partie du chapitre!


1.12 R
(Partie 2)
Traduit par EllieVia


“Qu’est-ce que c’était que ça ?

Ce fut la première question que Garia posa à Ryoka dès qu’elle en eut l’occasion. C’était principalement parce que tout le monde faisait la queue dans le réfectoire de la Guilde pour manger un morceau.

Ryoka haussa les épaules et repoussa sa nourriture d’un air dégoûté. Ce n’était pas qu’elle n’avait pas faim - elle était affamée - mais elle en avait déjà assez de répondre à des questions.

Avec réticence, elle mordit dans un morceau de saucisse juteuse et répondit à la jeune femme émerveillée assise devant elle.

“C’étaient des coups. Des mouvements spéciaux pour faire tomber un adversaire. Tu n’avais jamais vu quelqu’un jeter un adversaire au sol ?”

“Bah, si, bien sûr, mais…”

Garia hésita, cherchant ses mots.

“Ça avait l’air si facile, pour toi. Yvlon était en armure et tu l’as juste jetée par terre… deux fois !”

“J’aurais préféré réussir à la maintenir au sol ensuite.”

Ryoka grogna en mastiquant sa nourriture avec détermination. Au moins, elle arrivait à la savourer. Une potion de soin avait guéri ses blessures… et celles d’Yvlon.

Garia la dévisagea avec incrédulité.

“Tu as maîtrisé une Capitaine Argent. N’importe qui en serait fier.”

Ryoka sourit.

“Ouais. Et j’ai réussi à la cogner.”

“Ces deux derniers coups étaient inutiles.”

La voix de Ceria leur fit lever les yeux. La Demie-Elfe se glissa devant la table et fronça les sourcils avant de s’adresser à Ryoka.

“Tu n’avais pas besoin de la frapper autant de fois. C’était censé être un match amical, pas un moment pour que tu essaies de lui briser la mâchoire.”

Ryoka ne semblait pas avoir le moindre remords.

“Oups.”

Ceria émit un son qui ressemblait à un soupir croisé avec un sifflement et marmotta un mot que ni Garia, ni Ryoka ne connaissait. Elles en comprirent toutefois parfaitement le sens.

S’asseyant en face de Ryoka, Ceria transperça vigoureusement sa nourriture. Jusqu’à présent, Garia et elle étaient les deux seules personnes à s’être jointes à Ryoka dans le réfectoire, malgré les nombreux aventuriers autour d’elles.

De manière prévisible, Ryoka avait choisi la table la plus éloignée de la porte, ce qui signifiait que moins de gens arriveraient à venir lui parler. Mais on aurait dit que bon nombre d’entre eux auraient voulu venir discuter, peu d’entre eux s’exécutèrent.

Ces derniers étaient les Cornes d’Hammerad et les différents capitaines Argent que Ryoka avait rencontrés. Deux d’entre eux, l’homme à l’arc long nommé Cervial, et Yvlon, prirent place à côté de Ryoka.

Ce n’était peut-être pas intentionnel, mais Cervial s’assit directement à côté de Ryoka, se plaçant entre les deux femmes. Ce n’était pas comme si les deux étaient ouvertement hostiles l’une envers l’autre - en effet, elles restaient plutôt polies.

Mais si Yvlon était réellement polie et admirait sincèrement Ryoka depuis le combat, les réponses de cette dernière étaient relativement tranchantes, et cela ne passa pas inaperçu à la table.

Yvlon mâcha poliment un morceau d’asperge bouillie ou un morceau d’un légume qui ressemblait à une asperge, et parlait à la table en général, en excluant un peu Garia et Ryoka.

“Vous voyez, ce n’est pas comme si le travail ou l’argent manquent en ce moment. Il y a toujours du boulot et on peut régulièrement défier les Ruines d’Albez pour un joli profit de manière générale. Mais ce n’est pas tenable sur le long terme.”

Cervial acquiesça. Il piqua violemment sa nourriture et grimaça.

“À notre niveau, l’aventure n’est pas aisée. On est pile au moment où on est suffisamment bons pour que les petites quêtes comme l’élimination de tribus gobelines - à moins qu’elles ne soient très grosses - ne vaillent pas vraiment qu’on y perde du temps, mais nous ne sommes pas encore assez forts pour nous attaquer aux plus gros monstres. Tôt ou tard, on a un coup de malchance et on se prend une blessure dont on n’arrive pas à se remettre - ou qui nous tue. C’est pour cela que ces ruines pourraient bien être notre chance. Si on peut y entrer et trouver des artefacts magiques ou de l’équipement qui en valent la peine, on pourrait facilement atteindre le rang Or.

“La seule question, c’est de savoir si les risques dans ce cas précis en valent la chandelle. Pour le moment, l’équipe de Cervial - les Francs Tireurs -, la mienne, et celle de Calruz sont les seules à vouloir se lancer.”

“Ça a pris du temps, mais Ceria m’a convaincu que ces ruines pourraient être pleines à craquer d’anciens artéfacts.  Elles sont assez similaires à d’anciennes cryptes, apparemment.”

Cervial vida sa chope et hocha poliment la tête à l’attention de la Demie-Elfe en face de lui.

“Dans tous les cas, on y va mais en restant prudents. Yvlon et moi n’y allons que pour le trésor.”

Ryoka s’agita. Elle regarda le comptoir à l’autre bout de la pièce où les aventuriers attendaient pour se faire servir. C’était peut-être à cause de sa taille, mais Calruz s’était retrouvé relégué à l’arrière de la file, et l’attente le rendait grincheux. Il ne cessait de jeter des regards irrités à la table, à présent pleine, où était Ryoka.

“Et Calruz alors ?”

Yvlon pouffa poliment et Cervial secoua la tête.

“Il n’y va que pour le défi. Ce crétin de Minotaure n’a cure de l’ennemi qu’il combat tant qu’il peut en retirer de l’expérience. C’est un Niveleur, à l’ancienne. Pas comme le reste d’entre nous.”

Ryoka hocha la tête. Elle pensait comprendre, ne serait-ce qu’avec le contexte. Si Yvlon et Cervial étaient deux aventuriers qui comptaient sur leur équipement magique autant que sur leurs niveaux pour devenir plus forts, Calruz était le genre de personne qui pensait que gagner des niveaux était tout ce dont il avait besoin. Elle regarda Cervial.

“Quelle est la différence de niveau entre un aventurier Argent et un Or ?”

“La différence ? Eh bien… ça peut très bien n’être qu’une poignée de niveaux selon l’équipement. Rappelle-toi que dans la plupart des cas, c’est la compagnie entière qui atteint le rang Or. J’imagine que les Argents sont pour la plupart dans la petite vingtaine tandis que les rangs Or se trouvent à partir du niveau 24.”

“Bien sûr, les talents individuels jouent un rôle assez important aussi.”

Yvlon désigna d’un hochement de tête Calruz qui attendait toujours son repas, clairement mécontent de rater la conversation et d’avoir à attendre derrière des aventuriers de moindre rang.

“Calruz n’est qu’au niveau 20, mais il reste un Minotaure. Il aurait déjà pu se trouver une place dans une équipe Or, mais il voulait être en charge.”

Ledit Minotaure finit enfin par se faire servir une double portion sur son assiette. Il se dirigea vers la table à pas lourds, et s’arrêta en s’apercevant qu’il n’y avait plus de place.

Il s’avança de deux pas en direction de Ryoka et pointa Garia du doigt. La fille se recroquevilla lorsque Calruz lui gronda :

“Toi. La Coursière. Dégage.”

“O… oh. Bien sûr.”

Garia allait se lever, mais Ryoka - et, étonnamment, Cervial - la retinrent en attrapant sa tunique.

“Attends, Calruz. Tu ne peux pas juste dire à quelqu’un de partir. Va te chercher une chaise ou assieds-toi de l’autre côté de la table.”

Déclara Cervial. Calruz fronça les sourcils.

“Ce n’est pas une guerrière. Cette place est réservée aux aventuriers, pas aux simples Coursiers.”

Ryoka haussa un sourcil. Apparemment, elle ne comptait pas. Garia gémit et trembla à côté d’elle.

“Je… je peux y aller. Pas de problème. Je ne veux pas déranger…”

“Espèce de crétin borné. Prends mon siège si tu es tellement désespéré !”

Ceria se leva, agacée. Elle attrapa son assiette et la posa sur la table derrière elle.

“Pour un Capitaine qui prêche tant l’honneur, tu n’en montres certainement pas beaucoup !”

Ce commentaire fut suivi d’un silence chez les aventuriers attablés et en particulier chez le reste des Cornes d’Hammerad, mais Calruz ne parut pas ébranlé. Il s’assit, ignorant Ceria comme s’il s’était agi d’un tabouret.

“L’honneur est pour ceux qui le méritent. Ceux qui ne risquent pas leurs vies à la bataille ne sont pas à la hauteur des vrais guerriers.”

Ryoka fronça les sourcils, mais ne fit pas de commentaire tandis que Garia retournait instantanément à son repas, évitant de regarder Calruz. Il avait beaucoup de choses qu’elle aurait voulu dire, mais enfoncer la tête du Minotaure dans son assiette était une perspective plus attrayante.

Mais comme elle avait l’impression que Garia subirait au moins une partie de l’ire du Minotaure si elle le faisait, Ryoka s’en empêcha - avec réticence. Mais l’attitude du Minotaure l’agaçait.

Mais quand même… maintenant qu’elle y réfléchissait, Ryoka ne pensait pas avoir déjà entendu Calruz adresser la parole à Garia. Il parlait et elle parlait quand ils étaient à l’auberge, mais ils ne s’étaient jamais adressé la parole.

Lorsqu’elle vit Ryoka jeter un regard en coin à Calruz et son expression s’assombrir, Yvlon donna un coup de coude à Cervial. L’homme baissa les yeux sur Ryoka et déclara d’un ton léger.

“Tes compétences au combat à mains nues sont incroyables. Je vois bien à quel point ça peut être utile pour éloigner les bandits et les Gobelins.”

“Mmh ?”

Ryoka leva les yeux, comprit que la phrase lui était adressée, et haussa les épaules.

“Ça aide.”

“Tu ne saurais pas te servir d’autres armes que tes poings, par hasard ? Un arc, par exemple ?”

De l’autre côté de la table, Gerial s’indigna.

“Attends une seconde, Cervial. Si tu t’apprêtes à recruter Ryoka, les Cornes d’Hammerad sont en droit de faire la première offre.”

Sostrom et le reste des aventuriers acquiescèrent tandis que les Francs Tireurs s’insurgeaient de leur côté du réfectoire. Cervial éclata de rire et leva les mains en signe de reddition avant de se tourner vers Ryoka.

“Je n’utilise pas d’armes. Et je ne suis pas intéressée.”

“Dommage. Mais j’espère que si tu vois une requête de notre part tu la prendras. En fait, si tu veux, on pourrait s’arranger pour que nos requêtes te soient réservées si tu es dans la même région que nous.”

Ceci retint l’attention de Ryoka. Cervial suggérait de former un contrat personnalisé avec la guilde des Coursiers. De cette manière, il pourrait lui offrir des requêtes exclusives.

“Pourquoi ? N’importe quel Coursier peur livrer des potions de soin.”

“Mais aucun n’a les tripes de le faire quand une Liche essaie de nous massacrer à coups de sorts.”

La remarque de Sostrom fut suivie de murmures approbateurs de la part des autres aventuriers. Cervial acquiesça.

“Être un aventurier réside principalement en trouver des contrats de confiance. Les bonnes Coursières comme toi par exemple - avoir quelqu’un sur qui on peut compter quand on explore des donjons est bien plus précieux qu’envoyer une requête de livraison d’urgence et espérer qu’on tombera sur un Coursier compétent.”

Il haussa les épaules.

“Non pas qu’on se mette volontairement dans les ennuis, bien sûr, mais quand on est coincé… à notre niveau, on a besoin de créer des liens et de bâtir notre groupe. Ce n’est pas à ça que les gens pensent, mais il n’y a pas vraiment d’autre moyen de survivre. Les aventuriers doivent se faire confiance ou on échouera tous ensemble.”

Quelque chose dans cette phrase titilla la mémoire de Ryoka. Elle grogna puis regarda Cervial. Les mots lui échappèrent avant qu’elle n’ait eu le temps de les retenir. La même colère et le mépris bondissant de son esprit à travers sa bouche.

“Vous ressemblez à une bande de Coursiers quand vous dites ça.”


L’humeur de la tablée de refroidit pendant un bref instant. Garia dévisagea Ryoka, les yeux écarquillés, puis essaya de reculer sur son siège. Le sourire de Cervial vacilla, mais il reprit rapidement contenance.

“Vraiment ? Ce n’est pas une très bonne chose, d’ordinaire. La Guilde des Coursiers et celle des Aventuriers ne s’entendent pas très bien. Ils pensent que nous sommes des tas de muscles écervelés et on pense qu’ils sont…”

“Des lâches.”

Gronda Calruz en engloutissant une demie-saucisse en une énorme bouchée.

“Je ne dirais pas de lâches.”

Répliqua Yvlon, mais la plupart des aventuriers avaient l’air d’accord avec Calruz. Yvlon soupira et sourit à Garia d’un air rassurant.

“Pas tous. C’est simplement que la comparaison est plutôt malvenue, Ryoka.”

“Elle me semble plutôt juste.”

Ryoka mangea délibérément son dernier morceau de saucisse et but, consciente des yeux fixés sur elle. Cervial souriait toujours, mais le sourire était fragile.

“Vraiment ? Et à quels Coursiers te faisons-nous penser ?”

“Un type appelé Fals. Il dit les mêmes choses que vous. Les Coursiers doivent se serrer les coudes pour survivre. Sacrifier le bien de l’individu pour le groupe. ‘Travailler ensemble ou mourir’’’.

Pensif, Cervial posa la tête sur sa main. Il souriait toujours, mais une étincelle de colère brillait dans ses yeux. Ryoka la reconnut comme quelque chose de similaire à la sienne. Elle se sentait… tendue. Encore plus que d’habitude.

“Je peux comprendre ça. Et je connais Fals. Ce n’est pas un lâche, même s’il incarne en effet la plupart des défauts qui me hérissent dans la Guilde des Coursiers. Mais il n’a pas tort. Le monde est dur. Et pourtant, tu sembles n’être pas d’accord ?”

Ryoka laissa la question en suspens quelques secondes. Elle vida sa chope, réhydratant l’eau qui était partie en sueur. Elle essuya sa bouche et haussa les épaules.

“Je n’ai pas l’esprit d’équipe.”

La discussion fut close. Il n’y avait vraiment pas grand-chose à répondre à ça. Garia but sa soupe d’un air nerveux et essaya de ne croiser aucun regard.

“Eh bien, dans tous les cas, si tu veux bosser un jour pour n’importe laquelle de nos équipes, nous serions ravis de conclure un accord. Avec tes compétences, nous n’aurions pas à nous inquiéter que tu te fasses poursuivre par des monstres. D’ailleurs, si tu voulais te joindre à notre expédition aux ruines vers Liscor pour livrer des provisions, on pourrait faire affaire.”

Yvlon se pencha par-dessus la table et sourit à Ryoka. Calruz secoua la tête.

“Il est plus prudent, même pour Ryoka Griffin, qu’elle fuie les monstres qu’elle rencontre. Ses poings ne suffiraient pas à survivre dans les ruines de Liscor.”

Ryoka haussa un sourcil dans sa direction.

“Tu ne penses pas que je puisse me défendre ? TU m’as vue me battre.”

Le Minotaure avait un morceau de saucisse coincé entre les dents. À l’aide d’un de ses longs ongles, il le délogea.

“C’est un simple constat. Tes poings seraient peu efficaces contre la plupart des monstres que mon équipe affronte. Inutiles, même, comme tu es femelle et donc plus faible.”


Il regarda la tablée soudain silencieuse. Calruz ne vit peut-être pas la façon dont la tension de Ceria qui s’était retournée pour le dévisager, ni même la manière dont la main d’Yvlon se crispa sur sa fourchette. Il ne put toutefois pas ignorer le regard de Ryoka, et c’était à elle qu’il s’adressait.

“N’est-ce donc pas vrai ? Les humains sont plus faibles que les Minotaures dès la naissance. Et vous les femmes êtes plus faibles que les hommes.”

“Vraiment. C’est ce que tu penses ?”

“Ryoka.”

L’avertissement provenait-il de Ceria ou d’Yvlon ? Ryoka l’ignora. Elle tendit la main et tira l’assiette de Calruz au moment où le Minotaure tentait de piquer sa fourchette dans une saucisse. Il leva les yeux sur elle.

“Ok. C’est ton tour. Donne tout ce que tu as.”

Pendant un instant, le Minotaure parut désorienté. Puis amusé.

“Toi. Toi, Ryoka Griffin, souhaites me provoquer en duel ?”

Il éclata de rire, mais pas Ryoka. Ni le reste des aventuriers. Gerial haussa la voix, s’adressant d’une voix grave et pressante à Ryoka de l’autre côté de la table.

“Ryoka. Ce n’est pas une bonne idée.”

Elle l’ignora.

“Je suis mortellement sérieuse. Viens te battre. À moins que tu n’aies peur de perdre ?”


***


“Espèce d’idiote.”

Cette fois-ci, Ceria ne se contenta pas de simples mots. Elle cogna Ryoka, fort, dans l’épaule.

“On ne défie pas à Minotaure au combat. Où as-tu donc la tête ? Est-ce que tu t’en sers, au moins ?”

Ryoka haussa les épaules en s’échauffant de nouveau dans la cour d’entrainement. Son cœur battait à mille à l’heure, mais un gouffre d’émotions sombres grondait dans sa poitrine.

“Tu as entendu ce qu’il a dit à propos des femmes.”

“En effet. Et il a raison, même s’il a exposé son argument avec la délicatesse d’un bœuf. Mais c’est Calruz. Et même quand il agit comme un crétin, il y a une grosse différence entre lui reprocher son attitude et le défier au combat. Tu sais que tu vas perdre, pas vrai ?”

“Pas forcément.”

Ceria dévisagea Ryoka, bouche-bée, tandis que la fille s’étirait au sol. Elle jeta un regard désespéré à Yvlon.

“Aide-moi à la raisonner ?”

Yvlon acquiesça.

“Ceria a raison, Ryoka. Fanfaronner est une chose, là, c’en est une autre. Me combattre alors que je porte une armure est complètement différent. Calruz est un Minotaure. Il pourrait m’arracher la tête à mains nues sans même forcer.”

“Et c’est ce qu’il se passera s’il commet une erreur.”

“J’imagine qu’il va falloir que j’esquive, alors.”

Ryoka ignora le cri de rage étouffé de Ceria. Elle observa Calruz. Le Minotaure était en train de finir son repas, une assiette à la main, en attendant qu’elle s’échauffe. Son indifférence nonchalante alluma un feu dans son ventre.

“De plus, je voulais le défier depuis le début. Pour voir jusqu’où j’irais.”

“La réponse est simple : le nez dans la poussière lorsqu’il te mettra au sol ! Ryoka ! Il doit peser au moins quatre-vingt-dix kilos de plus que toi !”

“La taille ne fait pas tout.”

“C’est plutôt diablement important dans un combat !”

Ceria avait raison, bien sûr. Ryoka regarda Calruz pour la première fois comme une menace potentielle. Quand on le regardait en tant que personne, Calruz était juste immense, parfois un peu trop pour que ce soit pratique. Mais en tant qu’ennemi ? Il était largement plus effrayant que n’importe quel humain que Ryoka avait jamais vu.

Il devait faire dans les deux mètres ? Peut-être quelques centimètres de plus, sans compter les cornes. Et son corps était tout en muscles. Pas des muscles humains, des muscles de Minotaure, c’est-à-dire qu’il ressemblait à un mur de tendons.

Le défier était la chose la plus stupide du monde. Mais Ryoka voulait vraiment, vraiment essayer. Elle voulait juste cogner le Minotaure, presque autant qu’elle voulait cogner Yvlon.

Yvlon. L’aventurière examinait Ryoka d’un air pensif. Ce qui lui donnait envie de la cogner encore une fois. Elle était tellement fatiguée et… et frustrée que cogner n’importe quoi lui paraissait être une bonne idée.

Comme Ceria, si ça pouvait faire en sorte que la Demie-Elfe la ferme.

“Les potions ne réparent pas les os brisés ! Tu le sais. Et si tu le mets en colère…”

“Écoute, je vais le faire. Tu veux me laisser me concentrer ou partir et la boucler ?”

Un silence. Ryoka leva les yeux et vit que Ceria la regardait d’un air blessé et plein de reproches. Le cœur de la fille aux pieds nus saigna, mais elle écarta la douleur et la culpabilité de son esprit. Elle devait se concentrer.

Ryoka était en colère. Elle sentait cette colère bouillonner dans ses tripes, une boule de furie en ébullition. D’où venait-elle ?

Des Hautes Passes, voilà tout. D’avoir failli mourir, impuissante, malgré ses années de pratique des arts martiaux. De Teriarch et de sa magie toute puissante et son arrogance. De la Guilde des Coursiers et des gens stupides. D’avoir à être confrontée tous les jours au système ridicule de niveaux de ce monde, sans oublier d’avoir à rencontrer une chevalière parfaite et un Minotaure misogyne. Tout cela bouillait en Ryoka et elle ne pouvait pas l’arrêter. Elle voulait cogner quelque chose, et Calruz était une grosse cible.

Yvlon soupira.

“Si tu veux vraiment le faire… donne tout dès le premier coup.”

Ceria prit la parole, amère.

“Il va prendre tous les coups juste pour montrer qu’il le peut. C’est un truc de Minotaure… une marque d’irrespect. Et… une manière de faire la cour.”

“Génial.”

Ryoka observa Calruz. Le Minotaure avait fini de manger. Il jeta nonchalamment l’assiette par-dessus son épaule. Ignorant le fracas lorsque la terre cuite se brisa, il s’avança au centre du ring et croisa les bras, attendant qu’elle ait terminé.

La fille finit par se redresser. Elle brûlait d’un désir de se battre, en tremblait presque. Ryoka était incapable de rester immobile et rebondissait sur place, remplie à ras bord d’énergie nerveuse.

Ceria dévisagea la fille lorsqu’elle passa devant elle. Ryoka s’arrêta.

“Qu’y a-t-il ?”

“Tu… tu souris.”

Vraiment ? Ryoka était incapable de savoir. Elle savait simplement qu’elle était prête, plus prête qu’elle ne l’avait jamais été, à faire mal à quelqu’un d’autre. Elle tremblait de désir de donner des coups. Elle s’avança vers Calruz, et le Minotaure baissa les yeux sur elle d’un air impassible.

“Tu t’apprêtes à commettre une folie, Ryoka Griffin. Certaines choses ne peuvent pas être surpassées.”

Il savait vraiment,  vraiment comment l’énerver. Ryoka serra les dents et lui sourit.

“Oh, vraiment ? On verra ce que tu diras dans quelques minutes.”

“Comme tu veux.”

Calruz leva d’un geste négligent une main massive et lui fit signe d’avancer d’un doigt. Les autres aventuriers murmurèrent et encouragèrent Ryoka à le frapper de toute sa puissance. Le Minotaure ne prit même pas la peine de lever l’autre main.

Il allait essayer de la bloquer d’une main ? Mais sa fourrure et ses muscles allaient probablement pouvoir encaisser n’importe quel coup que porterait Ryoka. Elle le savait. Alors Ryoka posa un pied déterminé devant Calruz et se tordit.

L’un des principes clefs de la plupart des coups puissant était la torsion. Ryoka mit tout son poids sur sa jambe avant, se tordit, et cogna le Minotaure de l’arrière du talon avec toute l’accélération qu’elle avait emmagasinée.

Le coup de pied circulaire arrière. Ryoka visa haut. Sa jambe n’atteignit toutefois le Minotaure qu’au niveau de l’estomac, et non pas à la poitrine. Elle sentit l’impact et entendit le Minotaure souffler tout l’air qu’il avait dans ses poumons. Elle avait mis tout son poids derrière cette attaque.

C’était le genre de coup qu’on utilisait pour mettre les autres gens K.O et qu’on utilisait très peu, comme il était difficile d’atteindre l’adversaire de la sorte. Mais Calruz était arrogant. Il avait baissé sa garde et Ryoka avait mis toutes ses forces dans le coup.

L’expression du Minotaure changea. Il essayait de toute évidence de ne pas montrer sa douleur, mais sa main se leva automatiquement pour protéger son ventre et il se plia très légèrement en deux. Ryoka n’attendit pas. Dès que son pied atterrit, elle s’en servit d’ancrage pour lancer son autre jambe en l’air en un coup de pied circulaire.

Sa jambe s’écrasa sur le visage de Calruz. Son nez ne se brisa pas, mais c’était probablement parce que les Minotaures n’avaient pas le joli petit bout de chair et de cartilage des humains.

Cette fois-ci, il mugit, mais Ryoka n’en avait pas terminé. Elle atterrit et se rua sur le Minotaure, faisant pleuvoir sur lui une pluie de coups de poings puissants.

Il tenta de l’atteindre d’une main. Ryoka esquiva en passant dessous et lui assena deux atémis dans l’estomac. Calruz laissa s’échapper une exclamation lorsqu’elle le frappa au même endroit où elle l’avait atteint avec le pied et la poussa d’un bras.

Ryoka fut projetée sur le côté, mais elle se réceptionna, bondit, et donna un coup de pied au Minotaure en pleine poitrine. Il tituba en arrière, l’air outragé. Elle frappa de nouveau son torse.

À présent, il commençait vraiment à s’énerver. Calruz lança un poing dans sa direction, bien plus vif qu’elle ne l’en aurait cru capable, mais Ryoka lui fit la même chose qu’à Yvlon. Sa tête et son corps étaient toujours en mouvement et elle plongea et recula en zigzagant, laissant le Minotaure tenter de porter un coup le plus loin possible.

Balayage. Ryoka martela les jambes de Calruz à coups de pieds puissants, grimaçant intérieurement sous l’impact. Le Minotaure avait des jambes semblables à des pattes de chèvres avec des sabots fendus, et elle avait l’impression de cogner une batte de baseball.

Il faillit lui assener un uppercut. Ryoka sourit, tourna, et lui assena à son tour un nouveau coup de pied en plein dans l’estomac. Elle leva les mains, le cogna deux fois à l’estomac…

Puis il la cogna.


***


Ryoka se redressa en sursaut et sentit de multiples paires de mains la forcer à se rallonger. Quelqu’un était au-dessus d’elle. Quelqu’un de léger ?

Une paire d’oreilles pointues et des cheveux noisette. Ceria couvrait Ryoka d’un air protecteur en criant quelque chose. Quelque chose ?

Un rugissement de furie semblable au tonnerre fit s’asseoir Ryoka. Elle leva les yeux et vit que dix hommes empêchaient Calruz de se ruer sur elle. Les yeux du Minotaures étaient littéralement rouges de colère et un filet de sang s’échappait de ses deux narines.

Que s’était-il passé ? Ryoka tenta de bouger, sentit l’agonie dans sa poitrine et comprit qu’elle avait pris un coup. Un coup.

Elle ne pouvait pas respirer. Merde, elle pouvait à peine bouger. Calruz hurlait quelque chose, ses oreilles tintaient, et Ceria lui disait de rester couchée. Mais le sang de Ryoka était toujours en feu. Elle voulait toujours se battre.

Elle se leva.

“Attends !”

Ceria fis se rasseoir Ryoka au sol, mais la fille la repoussa et se mit sur ses pieds. Elle leva les poings, mais à présent Garia, Yvlon et Ceria étaient toutes les trois en train de la retenir.

À quelques mètres de là, Gerial jurait et tirait sur Calruz de toutes ses forces tandis que le Minotaure rugissait son défi à Ryoka.

“Calme-toi, Calruz ! Reste ici, par les malédictions des dieux !”

Ceria parlait désespérément à Ryoka, tandis que la fille essayait de se jeter sur le Minotaure.

“Tu as démontré ta théorie, Ryoka. Personne ne te sous-estime à présent. Arrête, maintenant, avant que quelqu’un ne soit sérieusement blessé.”

Son cerveau n’était plus synchronisé avec sa bouche. Ryoka essaya tout de même de parler quelques fois.

“Non. Reprenons.”

“Est-ce que tu es folle ?”

“Je n’ai pas fini. Laissez Calruz. Je vais m’en occuper.”

Les hommes retenant le Minotaure regardèrent Ryoka, bouche-bée, puis redoublèrent d’efforts pour retenir le Minotaure enragé.

“Assez !”

Un autre homme s’avança et se plaça entre Ryoka et Calruz. Il avait un énorme hache sur le dos et il était presque aussi musclé que le Minotaure, bien qu’il ne fût pas aussi grand. Il fusilla Ryoka du regard.

“Gerial, gère de ton capitaine. Et toi, ma fille, n’insiste pas !”

Gregor, l’un des Capitaines Argent, fronça les sourcils et les hommes finirent par réussir à faire reculer Calruz. Le Minotaure soufflait encore lourdement, mais ses yeux n’étaient plus rouges de rage.

“Ce spectacle était ridicule. Qu’est-ce que vous faites, tous les deux ? La Guilde des Aventuriers n’est pas l’endroit pour les duels, et encore moins les folies à mains nues.”

Il pointa Ryoka du doigt.

“Tu es une tête brûlée, et défier un Minotaure ne fait que prouver ton idiotie. Tu as beau savoir te battre à mains nues, cela ne te sera d’aucun secours contre les monstres. Tu as vu ceux des Hautes Passes. Les épées et même les haches de guerre sont sans effet sur leur cuir.”

Ryoka le fusilla du regard. Ses mots étaient justes, et ils la blessaient.

“J’ai survécu.”

“Ça a dû être un miracle, alors. Avec ton attitude, je suis surpris que tu ne te sois pas encore tuée. Tu es soit suicidaire, soit idiote. Même les aventuriers ne font pas des folies comme ça.”

“Je n’ai pas besoin de hache pour faire mon boulot. Et je n’ai pas besoin que tu me dises ce que je dois faire. N’insiste pas. Je veux me faire Calruz sans que vous vous mettiez en travers de mon chemin.”  

Gregor ouvrit et ferma la bouche, en proie à une furie muette.

“Espèce d’aveugle… d’arrogante … si Ceria ne s’était pas interposée, il t’aurait fait éclater la tête comme un fruit mûr. Tu ne peux pas te mesurer à lui. Lâche l’affaire."

Ryoka dévisagea Calruz. Il se retenait - avec difficulté - mais elle savait que si les autres hommes arrêtaient de le retenir il se ruerait sur elle. Et elle avait envie de faire pareil. Son sang bouillait .

“Je peux encore me battre.”

“Même si tu étais niveau 20 il pourrait quand même t’écraser comme un insecte ! Et tu n’es pas une guerrière. Je ne t’ai pas vue utiliser la moindre compétence de combat…”

“Je n’ai pas besoin de Compétences pour me battre.”

“Mais tu n’as même pas de niveaux.”

Tout le monde arrêta de parler. Gregor hésita, le visage rouge, prêt à hurler, et dévisagea la personne qui avait parlé. Yvlon sourit à Ryoka et hocha la tête poliment.

“Je ne comprends pas. Et pour dire la vérité, je n’ai pas cru ma tante lorsqu’elle me l’a dit. Mais c’est vrai , n’est-pas ? Je ne pouvais pas le croire jusqu’à maintenant, mais ça doit être vrai. Tu n’as ni niveaux, ni classe, n’est-ce pas ?”

Ryoka la dévisagea, sans mots. La colère monta dans son ventre. Comment osait-elle ? Comment avait-elle su ?

“Pas un.”

Cervial prit la parole de derrière Ryoka. Il l’examinait. Lorsqu’elle se retourna pour le fusiller du regard il se tapota un œil.

“[Évaluation]. C’est une Compétence qu’acquièrent parfois les [Tireurs d’élite]. Je ne peux voir ni ton Niveau ni ta Classe.”

Même Calruz restait bouche-bée devant cette révélation. Les aventuriers échangèrent des regards, et Ryoka les entendit murmurer.

“Pas de niveaux ?”

“Pourquoi ?”

“Est-ce que c’est une sorte de semi-humaine… non, un monstre ?”

“Pourquoi est-ce qu’elle ne prend pas de niveaux ? Est-ce qu’elle est folle ?”

“Maudite ?”

Ryoka serra les dents.

“Je n’ai pas besoin de niveaux pour me battre.”

Gregor secoua la tête, incrédule.

“Tu es quoi alors, une idiote ? Comment comptes-tu survivre une seule seconde contre un monstre si tu n’as pas de niveaux ?”

La furie qui bouillonnait à l’intérieur de Ryoka prit le contrôle de sa langue.

“Les niveaux ne sont pas le sujet. Votre petit système stupide ne m’intéresse pas. Je ne crois pas en la nécessité des niveaux ou des classes. C’est stupide et ça fait de vous des lâches. Rang Argent ? Rang Or ? Vous utilisez ces mots simplement parce que vous n’avez pas les tripes de vous battre.

Les mots lui échappèrent sans que Ryoka ne puisse les retenir. Elle pointa Gregor du doigt et le visage de l’homme devint rouge. Mais le reste des aventuriers l’écoutait et Ryoka n’arrivait pas à s’arrêter.

“J’ai survécu aux Hautes Passes sans un seul niveau. Je l’ai fait, parce que je n’avais pas peur et que je n’avais pas besoin qu’une demi-douzaine de gens en armure me tiennent la main. Et si vous autres aviez des tripes, vous ne resteriez pas assis là à geindre en disant que des ruines inexplorées sont trop dangereuses.”

“Tu crois réellement que tu peux nous surpasser sans avoir besoin de niveaux, pas vrai ?”

Yvlon dévisagea Ryoka d’un air dur, son sourire habituel ayant déserté pour la première fois son visage. Même Garia dévisageait Ryoka comme si elle la voyait pour la première fois.

Ryoka ne répondit pas. Elle se contenta d’essuyer le sang qui coulait de sa bouche. Mais c’était une réponse en soi.

“Quelle arrogance.”

La réplique avait jailli de la foule. Ryoka se retourna, et cette fois-ci le sang dans ses veines rugissait. Toute retenue s’était envolée.

"Vraiment ? De l’arrogance ? Je ne vois que des gens trop peureux pour faire quoi que ce soit avant d’avoir gagné des niveaux. Des gens qui doivent se cacher dans un groupe pour ne pas montrer à quel point ils sont pathétiques.”

Un murmure de colère noire traversa la foule. Ryoka leva les poings.

“Je vais vous affronter un par un ou tous à la fois. Allez. Venez vous battre.”

“Assez !”

Cette fois-ci, ce fut au tour de Ceria de pousser Ryoka. La Demie-Elfe était en colère.

“Tu dis n’importe quoi. Mais je ne vais pas te laisser rester ici et te faire blesser. Arrête ça ou je devrai utiliser la magie…”

C’était juste un impulsion. Mais une fois qu’elle l’avait amorcée, Ryoka ne put l’arrêter. Sa main surgit et frôla le menton de Ceria. La Demie-Elfe cilla, tituba, puis s’assit.

Ryoka dévisagea la Demie-Elfe, sa rage éclipsée par un regret soudain. Elle n’avait pas voulu faire ça. Elle avait simplement voulu que la mage la ferme pendant un instant. Mais comme avant, comme tant de fois auparavant, son corps avait bougé avant son cerveau.

Un mugissement de colère surgit de Calruz. Soudain, il envoya valser le reste des aventuriers qui tentèrent désespérément de le ralentir. IL s’approcha de Ryoka, et elle se raidit.

Mais il ne la frappa pas. Au lieu de cela, Calruz prit délicatement Ceria dans ses bras. Il baissa les yeux sur elle, fumant pratiquement de rage.

“Tu as piétiné l’honneur de Ceria. Pour cette raison seule, je devrais de défier à un duel armé.”

“Je te prends quand tu veux.”

Quelque chose cédait en Ryoka. Elle était pleine de rage et au-delà de tout instinct de préservation. Calruz sembla vibrer sous le défi, mais d’un incroyable effort, il se détourna.

“Tu ne vaux pas la peine que je perde mon temps.”

La colère de Ryoka s’embrasa. Elle s’adressa au dos du Minotaure, entendant chaque mot se détacher de ses lèvres tandis qu’une part d’elle-même lui hurlait de se taire.

“Je ne pensais pas que tu étais un lâche, Calruz.”

Gerial plongea. Pas sur Ryoka, mais lui et le reste des Cornes d’Hammerad saisirent le Minotaure. La tête de Calruz se tourna et ses yeux s’assombrirent de sang et de rage. Mais il ne bougea pas, le corps inanimé de Ceria entre ses mains. Sa voix trembla d’une furie contenue.

“Je me suis trompé sur ton compte. Tu n’es pas une guerrière. Tu veux juste quelque chose à cogner.”

Il commença à s’éloigner. Ryoka hurla pour le retenir.

“Calruz ! Viens te battre ! Reviens ici, espèce de lâche ! Tu as peur ?”

Le dos du Minotaure se raidit, mais il continua d’avancer. Gregor dévisageait Ryoka, furieux, la main se crispant sur le manche de sa hache.

“Assez ! Je ne vais pas rester ici à écouter ça. Si tu veux te battre, essaie de mesurer tes poings à ma hache, ma fille.”

“Vas-y.”

Ryoka leva les poings. Mais Yvlon s’avança.

“Assez. Contrôle-toi, Ryoka Griffin.”

Quelque chose cédait à l’intérieur de Ryoka. C’était le même sentiment, exactement le même. Une partie d’elle lui hurlait de baisser les poings, de s’excuser. De se mettre à genoux, la tête sur les mains, de se prosterner devant Ceria et Calruz. Mais comme par le passé, comme toutes ces fois où elle avait été renvoyée de l’école, elle avait dépassé les limites de sa furie.

Elle voulait juste cogner. Frapper quelque chose. Et à présent qu’elle avait vidé toute sa bile, Ryoka ne connaissait plus rien d’autre que la violence. Elle y céda.

Son poing bougea si vite qu’il disparut et se matérialisa devant le visage d’Yvlon. Mais il fut intercepté par un éclat argenté.

Ryoka sentit le coup la soulever de terre. Elle tenta d’avancer, mais son corps oublia soudain comment rester debout. Elle s’assit, bras et jambes tout simplement éteints. Le monde tourna, et Ryoka aperçut le visage d’Yvlon, plein de regrets et de frustration. Sa tête partie en arrière…


***


Et quand Ryoka se réveilla, elle était seule. Pas physiquement, mais seule tout de même.

Le crépuscule avait englouti le ciel. La cour d’entraînement des Aventuriers était vide, il ne restait plus que Ryoka et la Demie-Elfe assise par terre à côté d’elle.

Ceria leva les yeux et Ryoka se redressa en position assise. La fille aux pieds nus regarda autour d’elle, étourdie, et lorsqu’elle ouvrit la bouche Ceria lui tapota la tête de sa baguette.

“[Silence]"

Ryoka était muette. La bouche de la jeune fille s’ouvrit mais aucun son n’en sortit. Ceria la regarda, puis secoua la tête. Elle tendit la main derrière elle, attrapa le sac de Ryoka et le posa délicatement à côté de la jeune fille. Puis Ceria soupira et contempla le ciel.

“J’ai déjà été témoin de beaucoup d’arrogance pendant ma vie. La plupart du temps, chez des Humains, mais l’arrogance se retrouve chez tout le monde, y compris chez moi. Mais quelqu’un qui rejette le fonctionnement même du monde, simplement parce qu’elle ne l’aime pas… c’est du jamais vu. Cela faisait également longtemps que je n’avais pas été frappée par quelqu’un que je considère comme une amie.”

Elle leva les yeux sur Ryoka. La fille fut incapable de croiser son regard.

“Si tu souhaites continuer à te battre contre tous ceux qui te tendront la main, j’irai poser une fleur sur ta tombe. Mais avant ça, remets ta stupide tête d’humaine sur tes épaules. Tu as de la chance - beaucoup de chance que Calruz soit honorable, et que le reste des aventuriers ont écouté Yvlon et Cervial ou tu serais en ce moment même en grande souffrance.

Ryoka était silencieuse. Elle regardait le sol, rouge de honte. La mémoire lui revenait à présent.

“Je ne te comprends pas. Vraiment pas. Je croyais que tu étais quelqu’un de sensé, mais tu es une tête brûlée pire encore que Calruz. Et tu as moins de bon sens que lui.”

Ceria secoua la tête lorsque Ryoka ouvrit la bouche et essaya de répondre.

“Non. Silence. Je suis en colère contre toi. Et je vais partir jusqu’à ce que cette colère se soit dissipée. Les Cornes d’Hammerad et le reste des aventuriers font route vers Liscor. Nous y allons tous. Tes mots ont eu le mérite d’éveiller un peu de courage dans cette foule. Mais je reste furieuse. Quand nous en aurons fini avec ces ruines, nous reparlerons.”

La mage demie-elfe se leva et épousseta sa robe. Elle agita une main, et Ryoka sentit le sort se dissiper.

“J’espère que nous nous reverrons dans de nouvelles forêts, Ryoka Griffin.”

En silence, Ryoka regarda Ceria s’éloigner. Un millier de mots tourbillonnèrent dans son esprit, et elle ouvrit la bouche pour l’interpeller. Mais les portes de la Guilde des Aventuriers se refermèrent derrière Ceria sans qu’un mot ne soit parvenu à franchir ses lèvres.

La fille resta assise au centre de la cour d’entraînement et sentit la douleur de ses contusions s’éveiller. Elle était toujours exténuée, toujours blessée. Mais pour une raison qu’elle ignorait, tout cela n’était rien par rapport à l’incroyable et terrible vide qui emplissait son cœur.

Elle avait fini par le faire. Comme par le passé, l’histoire se répétait. Regardez… une fille qui détruit tout ce qu’elle touche. Qui vagabonde d’école en école, sans jamais s’intégrer, se battant avec ses amis et tous ceux qui la croisaient.

Une enfant sans rien à frapper qui décide de combattre le monde entier. Une coureuse va-nu-pieds qui parle avec ses poings. Un cœur empli de furie noire et de mots blessants qui corrompt tout sur son passage.

Une fille en colère. Un chien enragé. Une berserk. D’une compétitivité suicidaire. Une solitaire sans amis. Une âme perdue.

Ryoka Griffin.

Elle a déjà perdu des amis par le passé. Elle s’est fait des ennemis, brûlé des ponts. Où qu’elle aille, quelle que soit l’école où on la transférait, elle ne laissait derrière elle que des souvenirs amers. À chaque fois qu’elle avait perdu le contrôle elle n’avait laissé que des larmes et des regrets derrière elle. Elle avait l’habitude que les sourires s’effacent en sa présence.

Mais jamais cela ne lui avait fait aussi mal.

Ryoka se leva et sentit le silence se refermer sur elle. Le silence, et le désespoir vide qui l’accompagnait. Elle baissa les yeux au sol et vit le sang d’une personne honorable. Elle regarda derrière elle et vit que personne n’était derrière elle. Une vision familière, douloureuse.

Elle sentait à peine ses mains. Elle était exténuée, bouleversée, elle se sentait coupable et en colère. Elle ne savait pas quoi faire.

Lentement, les pieds de Ryoka se mirent en mouvement. Elle fit un pas, puis un autre. Ryoka ramassa son sac par terre et se mit à marcher.

Elle sortit de la Guilde des Aventuriers. Elle ignora les voix, les chances de se retourner. Elle vit la carriole décorée, ignora les [Servantes] et les [Assassins] qui lui coupaient la route. Elle se mit simplement à courir.

Loin, loin, toujours loin. Jusqu’à l’aurore et la fin du jour. Fuyant sans distinction la peur et les amis, son cœur lui hurlant de toujours courir, toujours fuir. Et bien que son cœur douloureux saigne, elle continue de courir.

En direction de Liscor et des Plaines Sanglantes, sans avoir prévu de plan. En direction de la mort et de l’inconnu. Courant. Courant toujours sans jamais s’arrêter. Laissant son passage des traces de pas ensanglantés faits de ses larmes contenues et de ses liens brisés.

Courant.

Fuyant loin de tout.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 20 mai 2020 à 15:02:28
1.36
Traduit par Maroti

Quand Erin se réveilla le lendemain, ses yeux étaient fatigués et elle était pleine de bleh.

Bleh était le mot pour décrire son humeur.

« Bleh. »

Tor s’arrêta et la regarda. Erin cligna des yeux en direction du squelette qui avait des flammes bleues dans ses yeux et lui fit faiblement signe de s’éloigner de sa main jusqu’à ce qu’il s’en aille.

Elle n’avait pas envie de s’occuper de ça. Et par ça elle voulait dire tout ce qu’elle avait à faire, et cela incluait exister.

Erin baissa les yeux vers le bol d’équivalent d’avoine moelleux et se demanda pourquoi les grains avaient un extérieur orange-doré. C’était peut-être la terre ?

Ils avaient le goût de bleh. Et même si Erin avait de l’argent, elle n’avait pas les moyens d’ajouter du sucre dans ses repas. Elle devait économiser pour l’avenir.

Et c’était bleh de devoir faire ça. L’idée de l’argent dont elle avait besoin, la logistique de son auberge et du travail journalier nécessaire pour l’entretenir était… Tout cela était bleh, et ça pouvait allait se faire bleh.

Au moins elle était désormais capable de faire la majorité du travail de manière automatique, ou plutôt, elle faisait faire tout le travail à Toren. Le squelette s’agitait dans l’auberge, frottant des taches récalcitrantes, apportant des seaux d’eau, et il avait même trouvé comment mettre de la nourriture sur un plateau et de les amener aux tables.

Il n’avait cependant pas la moindre idée de comment charpenter ou cuisiner. Erin avait essayé, mais le squelette n’arrivait pas à capter l’idée qu’il ne fallait pas mélanger le repas avec son bras osseux ou à quoi un lit devait ressembler.

Cela n’avait pas d’importance. Avec un peu de travail, Erin était parvenu à transformer l’étage en un endroit qui était vivable. Tous les matelas avaient horriblement pourri et avaient dût être jeté, mais certains cadres de lit avaient pût être réparés en changeant quelques lattes.

L’auberge d’Erin pouvait désormais accueillir un bon nombre de clients. Le seul problème était qu’Erin n’avait personne à accueillir dans son étage, et elle ne se comptait pas. Pour le moment Erin dormait dans un petit nid qu’elle avait fait dans un coin de sa cuisine. Elle avait des couvertures, des oreillers, et monter tout ça à l’étage allait être un calvaire.

Il y avait toujours Pisces, bien sûr, mais Erin n’avait pas besoin d’un squatter permanent dans son auberge. Surtout quand ses payements venait sous la forme d’un occasionnel cours pour Loks.

« Bleh. »

Cette fois Toren lui tendit un verre de jus. Erin s’en empara et la vida. Cela aidait, mais même un ventre plein n’arrivait pas à lui remonter le moral.

Loks. Des Gobelins et de la magie. La Magie. L’estomac d’Erin gargouilla, même si c’était probablement une réaction dût au jus de fruit et à l’avoine.

Elle passa une dizaine ou une vingtaine de minutes dans le cabinet neuf, testant l’équipement. Après cela, Erin tituba à l’extérieur en remerciant le fait qu’un équivalent au papier toilette existait dans ce monde. Mais, à son avis, cela était la preuve qu’aujourd’hui n’allait pas être sa journée.

S’il y avait un rayon d’espoir à l’horizon, c’était ce soir. Car ce soir, c’était la nuit d’échecs.

En vérité, toutes les nuits étaient généralement des nuits d’échecs. Pion avait fait venir des groupes d’Ouvriers avait une surprenante régularité, et Erin appréciait de jouer contre les Antiniums.

Ils ne gagnaient jamais, bien sûr. Et même les meilleurs joueurs, Pion et un autre Ouvrier, n’arrivait pas à effleurer la victoire du doigt. Mais Erin adorait les échecs jusqu’au plus profond de ses os, et plus encore, elle adorait voir les Ouvriers s’améliorer.

Mais c’était pour plus tard. Parce que maintenant, Erin devait se rendre en ville. Elle avait besoin d’oreiller pour ses tous nouveaux lits.

« Prends soin de l’auberge, d’accord ? »

Tor hocha la tête de manière mécanique alors qu’Erin sortit de l’auberge, sa précieuse bourse coincé au fond de l’une de ses poches. Il leva son torchon humide comme une épée et attaqua la poussière.

Si le squelette avait la moindre pensée de cette journée, c’était simplement que c’était dommage qu’il n’était pas en train de tuer quelque chose. Il comprenait vaguement qu’il n’obtiendrait pas la classe d’[Aubergiste] car, dans les faits, il n’était pas propriétaire d’une auberge, mais il avait l’impression que sa classe de [Serveur] était quelque peu inapproprié.

Au moins il était déjà Niveau 2.

***

Alors qu’Erin marcha à travers les portes de la ville, le garde Gnoll lui fit un sourire plein de dents.

« Bonne journée à toi, Erin Solstice. »

« Salut… Toi. »

Elle n’avait pas la moindre idée de son nom. Mais le Gnoll semblait amical, et en train de s’ennuyer, possiblement parce qu’Erin était la seule visiteuse.

Il n’y avait pas beaucoup de personne qui utilisait la route sud. Le nord était là ou il y avait de l’action, là où la route principale t’amenait aux cités du nord et là d’où tous les aventuriers, les marchands et l’afflux général d’humanité venait. En revanche, la plaine du côté d’Erin était aussi peuplé qu’un désert.

Et c’était quelque chose d’étrange. Erin savait qu’il y avait une route qui passait au sud de son auberge, elle l’avait vu. Mais elle semblait plus récente et moins bien entretenue comparé à la route nord. Elle serpentait autour de Liscor, plutôt que de commencer aux portes.

Pourquoi ? Et pourquoi est-ce qu’il y avait une auberge à la fois aussi proche et aussi éloigné de la ville ? Est-ce qu’il y avait eu une route à cet endroit?

« Ouaip, mais elle a été détruite il y a une dizaine d’années. Depuis ça plus personne ne vit au sud de la ville. À part toi. »

Pendant plusieurs secondes, Erin pensa que la voix venait d’une étrange partie de son esprit. Puis elle se retourna.

« Relc ! »

Le Drakéide s’appuya sur sa lance, lui souriant. Enfin, c’était un sourire dans le même genre que celui du Gnoll, il y avait beaucoup de dents.

« Yo. »

« Heu, salut. Je ne t’ai pas vu venir. Quoi de neuf ? »

« Je te cherchais. T’es libre? Vu que tu l’es plus maintenant. »

« J’allais m’acheter des oreillers… »

« Vraiment ? Tu risques d’avoir des problèmes pour ça. Tu as entendu ce qui est arrivé la nuit dernière ? »

« La nuit dernière ? »

Curieuse, Erin suivit Relc alors que la Drakéide s’avança vers la Rue du Marché. C’était déconcertant de voir à quel vitesse il avançait alors qu’il donnait l’impression de traîner du pied. C’était certainement l’œuvre d’une Compétence.

Erin s’arrêta alors qu’elle passa le coin de la Rue du Marché.

« Oh mince. »

« Ouaip. »

Relc fit paresseusement tourner sa lance alors qu’Erin observa les décombres. Car c’était tout ce que c’était.

Des décombres.

Presque la moitié de la Rue du Marché avait été détruite. Brûlée, pour être précis. Réduis en cendres. Un feu avait ravagé les étals de bois qui avaient été bien trop proche. Ils avaient été conçus pour être des constructions temporaires, facilement désassemblages pour que le prochain marchand puisse prendre la place et exposer ses produits. Mais le problème était que le bois brûlait facilement, et qu’en cas d’incendie…

Même les pierres de la rue s’étaient craquées sous la chaleur. Erin ne savait même pas que des pierres pouvaient se casser sous la chaleur, mais la rue avait été brisée de manière impressionnante.

« Normalement quelqu’un aurait donné l’alerte et nous aurions rapidement éteint le feu. Mais c’est arrivé au milieu de la nuit dernière, et le feu était déjà trop chaud quand on a réussi à avoir un des mages sur place. »

Erin leva les yeux vers Relc et ce dernier haussa les épaules.

« Un mage de bas-niveau. Et il n’y a pas grand besoin de spécialiste de magie d’eau dans le coin. Nous avons dût laisser le feu brûlé et dégagé le reste de la rue avant qu’il ne se propage. »

C’était de la destruction. Pour affamé le brasier, la Garde et les équipes misent en place pour lutter contre le feu avait détruit et nettoyé le reste des étals, éloignant le bois du brasier.

Une telle vision faisait mal au cœur d’Erin. Et elle souffrait encore plus car la rue n’était pas vide. Elle pouvait voir des Drakéides et des Gnolls, des marchands regardant leurs biens abandonnés. Cela lui faisait mal au cœur, car elle pouvait voir que certains d’entre eux pleuraient.

Ils pouvaient être écailleux ou poilus, mais leurs larmes étaient identiques.

Relc regarda la rue calcinée d’un regard noir. Il parla doucement à Erin.

« Tout le monde dit qu’un Humain l’a fait. »

« Vraiment ? »

Tout le monde disait probablement ça, ou du moins toutes les personnes à qui Relc s’adressait. Les Humains avaient probablement une opinion différente. Mais c’était probablement un humain, du moins dans la tête d’Erin. Elle ne pouvait pas voir les Drakéides être assez bêtes pour brûlé une partie de leur ville par accident, et les Gnolls étaient hautement inflammable. Et les Antiniums…

Non. Il y avait déjà des Ouvriers ramassant les décombres, nettoyant lentement et méthodiquement des parties de la rue. Ils ne pouvaient pas avoir commencé un incendie.

« Mais pourquoi un humain aurait fait ça ? »

Relc jeta un regard à Erin.

« Oh, c’était notre voleur mystère. Quelqu’un les a attraper la nuit dernière et il a commencé l’incendie pour s’échapper.

« Comment ? Avec une allumette ou… ? »

« Une quoi ? Il a utilisé de la magie de feu. Un sort. »

Oh. Bien sûr. Les yeux d’Erin s’arrêtèrent sur un vieux Drakéide essayant de trouver quelque chose qui pouvait être sauver dans les ruines de son étals. Elle parla avec distance.

« N’y a-t-il pas un moyen de remonter la piste du voleur ? Ou… Une compétence pour ça ? »

Relc secoua la tête.

« Ce voleur a de la bonne magie… Et pas que de la magie de feu. Un objet magique, peut-être. Et un [Garde] de haut niveau obtient bien des compétences pour remonter une piste, mais presque toute la Garde du coin sont d’anciens soldats. Nous avons plus de niveaux dans nos classes de combats que dans notre classe actuelle. Nous avions bien un [Garde] avec un haut niveau, mais c’était Klbkch. Et il est mort. »

Le commentaire frappa Erin comme un coup de poing dans l’estomac, et pendant un instant Relc eut une expression coupable. Mais il ne s’excusa pas.

« Nous sommes sur l’affaire. Personne n’est heureux. Normalement, nous aurions déjà attrapé le voleur, mais il y a tellement de foutus Humains dans la ville… Sans offense. »

Erin était offensée, mais elle laissa tomber. Relc n’était pas heureux. Il était en train de regarder sa ville endommagée avec des yeux plissés et elle n’avait rien à dire. Certainement pas quelque chose pour défendre le voleur. Elle décida de changer de sujet.

« Je… Ne t’ai pas vu autour de l’auberge récemment. »

Relc haussa les épaules de manière indifférente.

« Il y a trop de foutus Gobelins. Je ferai bien le ménage, mais apparemment, c’est interdit. »

Erin lança un regard en coin à Relc. Le Drakéide croisa son regard avant d’étudier de nouveau la rue.

« Ils ne sont pas tous méchants, tu sais. »

Il ricana.

« Tu penses que les petits monstres que tu nourris sont bons ? J’ai entendu dire qu’ils sont en guerre avec le reste de leur tribu… Quand ils ne sont pas en train d’effrayer des voyageurs pour voler leurs biens. »

Pendant un instant, Erin sentit une pointe de panique et de peur traversée son torse.

« Tu ne… Tu ne vas pas les chasser, n’est-ce pas ? »

« Je m’en fiche. Nous les laissons tranquille tant que ne nous recevons pas d’ordre et qu’ils ne s’approchent pas de la ville. Les Gobelins font partie de la nature, si on les extermine les plus gros monstres n’auront plus rien à manger. »

« Oh. Hum, m… »

« Ne me remercie pas. J’ai juste pas envie de faire plus que nécessaire pour mon boulot, c’est tout. »

Du silence. Erin baissa les yeux tandis que ceux de Relc se plissèrent en regardant les Ouvriers balayant lentement la rue.

« Ils s’en fiche que Klb soit mort. »

« Ouais. Ils, hum, ne semble pas porter de l’importance à la mort. Ce n’est pas leur faute. »

« Je sais. Ce sont des insectes. Mais Klbkch était spécial. »

« Il l’était. »

« Et pas parce qu’il était un garde, t’sais ? Il était différent. Il avait un nom. Je n’arrivais pas à y croire quand il s’est présenté. Et il est le seul Antinium que je connais avec un niveau supérieur à 10. Il était spécial. »

Erin était silencieuse. Elle regarda le grand Drakéide et vit son torse se soulever sous l’émotion. Les poings du Drakéide se serrèrent sur le manche de sa lance.

« Mais ils s’en fichent. Ils parlent de Klb comme s’il était simplement parti quelque part. Comme si sa mort n’était jamais arrivée. Même la Reine n’a pas fait trop de bruit. »

Erin repensa aux soldats Antiniums marchant dans la salle des gardes pour l’amener jusqu’à la Reine.

« Tu penses ? »

Relc lui jeta un regard noir.

« Tu n’es pas morte, donc je pense qu’elle l’a bien prit. Elle continuait de parler du ‘temps perdu’ et des ‘précieuses ressources dépensées’ quand elle a discuté avec la Capitaine. Mais jamais à propos de Klbkch. »

La Drakéide baissa la tête. Il poignarda le pavé avec sa lance et les pierres craquèrent et bougèrent autour de la pointe. Il s’appuya dessus, regardant sombrement le sol.

« Tout le monde s’en fiche. »

« Pas moi. »

« Je sais. Mais tu es différente. »

Ils restèrent immobiles pendant un long moment, inconfortables, seuls plutôt qu’ensemble. Le cœur d’Erin la faisait souffrir. Mais même si la chose humaine à faire serait de lui tapoter le dos ou de dire quelque chose vide de sens, elle savait qu’il ne voulait rien d’elle.

Il la détestait toujours. Ou s’il ne la détestait pas, il la blâmait.

Et elle n’avait rien à dire contre ça.

Finalement, Relc bougea son poids et tira sa lance de la rue. Il baissa les yeux vers Erin.

« Au passage, et même si je m’en fiche pas mal, mais tu devrais le savoir, y’a un nouveau Prognugator en ville. »

Le mot semblait familier. Erin fronça les sourcils.

« Un quoi ? »

« C’était ce que Klbkch était. Me demande pas ce que c’était. C’est une sorte de rôle important dans la colonie Antinium. Je crois que c’est leur version d’un garde. »

L’idée que les Antinums avaient besoin de quelqu’un pour faire la police semblait ridicule pour Erin. Elle n’arrivait pas à les imaginer en train de faire quelque chose de criminel, puis elle se rappela Klbkch guider les Ouvriers comme des moutons. Peut-être qu’un Prognugator était comme une sorte de chien de berger, sauf que c’était avec des gens.

« D’accord. Est-ce qu’il va faire partie de la Garde ? »

Etonnament, Relc fronça les sourcils.

« J’espère pas. Pas si j’ai quelque chose à dire là-dessus. Je pense que celui-là va rester dans la Colonie. »

« D’accord. Mais alors pourquoi tu m’en parles ? »

Relc hésita.

« Il a l’air… Familier. Ne panique pas, d’accord ? »

« Bien sûr. »

Le Drakéide gratta les épines sur sa tête.

« Bien. Bon, je dois retourner bosser. Oh, c’est vrai. Je suis supposé de donner un avertissement. »

« Un avertissement ? »

« Ouais. Apparemment, tu t’es battu contre des aventuriers, pas vrai ? Tu les as passé à tabac avant de volé leurs affaires ? »

Oh. Erin avait envie de s’en coller une. Bien sûr.

« Hum, oui. J’ai fait ça. Mais ils allaient attaquer… »

« Les foutus Gobelins. Qu’importe. T’en fait pas ; je ne vais pas t’arrêter. Je te donne simplement un avertissement. J’ai aussi entendu dire que tu as un squelette comme animal de compagnie. »

« Oui. Son nom est Toren. Heu… »

« J’m’en fiche. Ça semble flippant, mais si c’est le genre de truc que les Humains aiment ça me dérange pas. Tant que tu le laisse en dehors de la ville. J’avais juste besoin de te donner un avertissement. »

« De ne pas le refaire ? »

Relc semblait surpris, puis il sourit.

« Oh, non. Quand nous avons entendu parler des trois aventuriers Humains qui se sont fait botter la queue par une Aubergiste, des Ouvriers et quelques Gobelins, nous avons ri au point d’en perdre des écailles. On se fiche de ce qui arrive à ces humains. Faut juste que tu éloignes le squelette et si ce Nécromancien fou essaye de faire revenir plus de corps à la vie, arrête-le. »

« Vous n’allez rien faire ? Vraiment ? »

« Peut-être que nous avions plus de temps… Mais on ne l’a pas. La Garde est accablée en ce moment. Ces foutus aventuriers continus de disparaître dans les ruines et nous avons dût patrouiller la zone pour attraper tous les trucs qui sorte du coin en rampants. »

Relc fit une grimace avant de faire tourner sa lance.

« Des trucs ? Quel… Genre de trucs ? »

« Des trucs grouillants. Avec pleins de tentacules blancs et de chair. Dégoutante. Nous pensons qu’il y a une espèce de progéniture de monstre là-dedans, mais personne n’est descendu assez bas pour nous dire ce que s’était. Et le reste de ses couards sont en train de nettoyer les pièces une par une. »

Relc soupira, murmura quelque chose à propos des humains et des aventuriers en général, et leva les yeux au ciel.

« Je dois retourner bosser. »

« Oh, d’accord. À la revoyure. »

« Peut-être. »

Le Drakéide leva une main en guise d’au-revoir et s’éloigna. Erin le regarda partir avant de se retourner vers la rue en ruine.

Misère et dévastation. Ce n’était pas la sienne, mais elle était compatissante avec les gens qui avaient été affecté par l’incendie. Un voleur et des ruines.

Rien de cela n’était son problème. Mais ils étaient ses problèmes parce qu’elle vivait ici. Pas par choix, mais Erin avait l’impression que la ville souffrait, et elle se demandait ce qu’il fallait pour la soigner.

Tout au moins, Erin n’allait pas avoir ses oreillers aujourd’hui. Sauf si une certaine Gnolle en avait en stock.

***

« Je suis désolé Erin Solstice, mais tout est chaos, non ? J’ai été chanceuse de ne pas perdre mes biens, mais beaucoup ont tout perdu. Les oreillers doivent attendre. Reviens un autre jour, s’il te plaît. »

Krshia n’avait presque pas de temps à consacrer à Erin alors qu’elle parlait sérieusement avec un groupe de marchands Gnolls et Drakéides en colère. Les marchands de la Rue du Marché étaient rassemblés ensemble dans une sorte de conclave, et Krshia était l’un des marchands les plus influent, et vocal, de la foule.

Erin les laissa, principalement parce qu’elle recevait beaucoup de regards hostile. C’était complètement compréhensible que les commerçants soient en colère, et il y avait d’autre chose qu’elle pouvait faire. Comme aller parler à ses amis.

***

« Quoi ? »

Selys dut crier par-dessus le brouhaha de la Guilde des Aventuriers pleine à craquer. Elle et les trois autres réceptionnistes Drakéides étaient en train d’essayer de gérer de multiples aventuriers en même temps alors que la salle était pleine de disputes, de petites échauffourées, de dialogue houleux et, pas des moindres, le clank d’innombrables armes et armures se cognant l’une à l’autre.

La Drakéide secoua la tête alors qu’Erin répéta sa question.

« Je ne peux pas, Erin. Nous sommes tous en train de faire des heures supplémentaires. Tous les aventuriers arrivant… Pardon, l’Humain avec les cheveux rouges et le truc sur le visage ? »

Plusieurs aventuriers levèrent la tête, et l’aventurier moustachu s’avança, tenant un sac duquel coulait quelque chose.

« Donne ça à Warsh, s’il te plaît. Le Drakéide là-bas ? Celui avec les écailles jaunes ? Merci. »

Selys se retourna vers Erin et secoua la tête. L’autre fille hocha, essaya de ne pas toucher un aventurier bruyant recouvert de sang et de… Viscère avant de sortir du bâtiment.

Tout allait bien. Selys avait beaucoup à faire, après tout, et la Guilde des Aventuriers de Liscor n’avait pas été construite pour gérer l’énorme afflux de chasseurs de trésors. C’était dommage. Mais c’était juste…C’était juste…

***

« C’est juste que je ne sais pas ce que je devrais faire, tu vois ? »

Erin continua de se plaindre alors qu’elle bougea un cavalier sur l’échiquier pour prendre l’une des tours de Pion. L’Antinium fit un bruit de consternation mais continua de regarder l’échiquier alors qu’Erin continua de parler.

« Je comprends que Krshia et Selys soit occupées. Et Relc aussi même si nous ne parlons pratiquement pas et qu’il me déteste. Mais qu’est-ce que je devrais faire ? Je veux dire, bien sûr que je suis en train de faire tourner l’auberge, mais j’ai l’impression que je devrais faire autre chose. Quelque chose… D’autre que cuisiner, manger, et payer pour des oreillers. »

Pion bougea précautionneusement un de ses cavaliers en avant. Erin s’en empara aussitôt avec un fou, sacrifiant sa pièce. Ce n’était pas un bon échange vu que les fous avaient techniquement la même valeur stratégique que les cavaliers, mais ce coup venait d’ouvrir Pion pour une charmante attaque de la reine d’Erin sur son roi.

« Je veux dire, qu’est-ce que je devrais faire ? J’ai besoin d’argent, mais ce n’est pas comme si cette auberge était complète. Et j’ai besoin de plusieurs centaines de pièces d’or. Ça prend des années. Le seul moyen d’obtenir ce genre de somme d’un coup est devenir aventurier, mais je n’ai pas envie de poignarder des trucs ou d’avoir mes entrailles tirées par mes narines. »

Pion chercha désespérément pour une stratégie gagnante du côté envahi d’échiquier. Il en trouva une, la même stratégie qui se terminerait en échec et mat dans huit coups. Erin s’en était rendu compte, il y a trois coups de cela.

L’Antinium bougea délicatement un pion en avant et parla.

« Je ne suis pas sûr d’avoir des conseils à te donner, Erin Solstice. Je n’ai pas l’expérience de ce monde. »

« Tu connais probablement plus que moi. »

« Cela est peut-être le cas, mais mon savoir s’étend principalement à la Colonie. Je n’étais Je jusqu’à peu. Donc, ma conscience est au commencement de sa croissance. »

« Je comprends. »

Erin soupira, prit l’une des pièces de Pion et attendit qu’il prenne sa tour.

« J’aimerais juste ne pas me sentir comme ça. »

« Et comment te sens-tu ? »

Pion prit sa tour. Erin prit sa reine.

« Si inutile. »

Un léger gémissement échappa l’Ouvrier Antinium. Il étudia l’échiquier et secoua la tête.

« J’ai perdu. »

Les autres Ouvriers opinèrent de la tête en regardant l’échiquier. La paire qui était en train de jouer levèrent leur tête et regardèrent silencieusement l’échiquier de Pion avant de retourner à leur partie.

« Bonne partie. Tu veux faire un autre round ? »

Pion hocha la tête et les deux joueurs commencèrent à réarranger l’échiquier. C’était leur quatrième partie, et ils avaient joué assez longtemps pour que le soleil était déjà en train de disparaître derrière le sommet des montagnes.

C’était amusant de jouer. Mais Erin ressentait le même sentiment qu’elle essayait d’exprimer à Pion. C’était amusant de jouer, mais elle ne perdait jamais. Et donc, elle avait la nette impression qu’elle ne progressait pas en tant que joueuse, ou qu’elle progressait trop lentement.

« J’aimerais juste pouvoir faire quelque chose d’important, c’est tout. Quelque chose d’utile. »

« Erin était-elle importante dans son monde ? »

« Quoi ? Non. Pas du tout. J’étais juste une fille qui jouait aux échecs. Zut, je n’étais même pas encore à la fac. J’étais en train d’économiser pour ça. »

« Donc l’Erin actuelle est sûrement une amélioration car elle est à la fois une [Aubergiste] et une qui enseigne les échecs. Je n’arrive pas à comprendre le problème. »

« Enfin, ouais mais… »

Quelques tables plus loin, Loks ronfla bruyamment. Erin la regarda. La Gobeline était silencieusement en train de la regarder, avant de tendre le bras et de renverser le roi de l’Ouvrier d’un doigt.

« Hey ! C’est très malpoli ! »

Loks grimaça alors qu’Erin la regarda. Mais l’Ouvrier contre qui elle avait joué baissa la tête en direction d’Erin.

« Celui-ci a perdu la partie. Celui-ci s’excuse pour le temps perdu. »

« Ce n’est pas ta faute. Même si la partie est presque terminée, tu es celui qui décide ça. Renverser le roi de l’autre joueur est malpoli. Compris ? »

L’Ouvrier baissa la tête, mais Loks fronça les sourcils. Erin accentua son regard de la mort et Loks murmura quelque chose avec réluctance.

C’était pratiquement le seul problème qui arrivait quand Erin et tout le monde jouaient aux échecs. Dans la hiérarchie du talent de l’auberge, Erin était la championne incontestée. Suivi de Pion et Loks, avec Pion étant le meilleur joueur, mais de rien. En-dessous deux étaient les différents Ouvriers qui pouvait jouer des parties décentes, mais Loks n’était jamais vraiment heureuse sauf quand la petite Gobeline jouait contre Erin.

C’était un problème  d’arrogance, et Erin se rappelait comment s’était d’être impatiente à devoir jouer contre des joueurs médiocres. Mais Loks était toujours au rang de novice selon ses standards, et l’impolitesse dans les échecs était quelque chose qu’elle n’allait pas tolérer.

Cependant, Loks n’avait pas encore joué contre Erin. Erin regarda Pion avec réluctance.

« Désolé, mais est-ce que tu… ? »

L’Antinium était déjà en train de bouger de la table. Sa nature courtoise n’arrêtait jamais de surprendre Erin. Elle soupira alors que Loks sauta de sa chaise et marcha jusqu’à la table.

« D’accord, jouons. Mais si tu touches mon roi je vais te couper en rondelle, compris ? »

La Gobeline ne répondit pas. Elle était déjà en train de réarranger ses pièces.

Soupira de manière exaspérée, Erin agita sa main.

« Tor ! Je vais prendre un peu d’eau. »

Le squelette qui avait été en train de bouger autour de la pièce avec un grand bol de mouche acide se retourna et hocha la tête. Il disparut dans la cuisine et émergea avec un grand verre d’eau dans sa main osseuse.

Il y avait quelque bénéfice à avoir un squelette serveur. Celui de pouvoir dévouer l’intégralité de son temps sur ses parties n’était pas des moindres. Elle s’installa dans sa chaise alors que Loks étudia l’échiquier et attendit le premier coup.

La Gobeline jouait constamment d’étranges stratégies, et jouait contre elle était un délice. Au contraire, Pion avait mémorisé les coups fondamentaux et jouait de solides parties. Il gagnait la majorité de ses parties, mais Erin devait admettre qu’elle admirait l’audace de la Gobeline dans ses agressives tactiques.

Les doigts de Loks se fermèrent sur un pion et la Gobeline se figea. Ses oreilles pointues tressaillirent et elle regarda la porte.

Erin leva les yeux. Quelques secondes de silence passèrent avant qu’elle entende quelqu’un frapper poliment à la porte.

« Entrez ! »

La porte s’ouvrit. Erin entraperçut une familière carapace noire et quatre bras et sourit. Un autre Ouvrier avec lequel jouer. Puis ses pensées rattrapèrent ses yeux. Les Ouvriers ne pouvaient pas quitter la ville sans Pion. Ils étaient…

L’Antinium entra pleinement dans l’auberge et Erin se figea. Elle était en train de rêver. Loks l’avait poignardé dans le torse et elle était en train de mourir sur la table. Elle avait eu une crise cardiaque, ou un AVC, et c’était la dernière chose qu’elle allait voir avant de mourir. Elle devait être en train de rêver.

Car l’Antinium qui venait d’entrer dans l’auberge ne pouvait pas être qui elle pensait qu’il était.

À première vue, il ressemblait à tous les autres Antiniums. Il avait quatre bras, des antennes, de grands yeux à multiples facettes, et deux jambes curieusement segmentées et alignées d’exosquelette noir. Cela était normal.

Mais cet Antinium était différent. Il était plus fin que les Ouvriers, sa carapace était peut-être légèrement plus sombre. Mais plus que ça, il ressemblait à quelqu’un qu’Erin connaissait. Dans tous les petits détails, dans toutes les parties de son corps, de la manière dont il se tenait jusqu’au deux épées et deux dagues à sa taille, il ressemblait à…

« Klbkch ? »

L’Antinium tourna sa tête et Erin sentit son cœur s’arrêter pendant un moment. Il inclina sa tête et s’approcha.

« Bonsoir. Suis-je en train de parler à l’[Aubergiste] connue sous le nom d’Erin Solstice ? »

Sa voix était identique à celle de Klbkch. Erin lutta pour exprimer ses mots avec une langue qui avait arrêté de marcher.

« Oui… Oui je… Es-tu… ? »

L’Antinium hocha la tête.

« Permettez-moi de me présenter. Je ne suis pas Klbkch. Mon nom est Ksmvr des Antiniums de Liscor. Je sers ma Reine en tant que Prognugator. Je suis ici pour m’occuper d’une affaire concernant la Colonie. »

Il n’était pas Klbkch. Mais il l’était. Erin était à court de mots. Elle était en train d’essayer de trouver une réponse tout en luttant pour ne pas pleurer alors qu’elle digérait ses mots.

Ksmvr s’arrêta, avant de hocher la tête.

« Je comprends que ma ressemblance avec mon prédécesseur cause problème. Je m’excuse pour cette confusion. »

« Oh, no.. »

Erin voulait dire que ‘ce n’était rien’, mais cela serait un mensonge. Elle s’assit de manière droite, rigide dans son siège alors que Loks fixa Ksmvr du regard. Tous les autres Ouvriers étaient figés dans leurs sièges. Mais Pion…

Ksmvr regarda autour de la pièce. Son regard silencieux et pointilleux examina chaque Ouvriers alors que les autres Antiniums regardèrent le sol. Puis il remarqua Pion. L’Ouvrier hésita avant de commencer à sortir de son siège.

Aussitôt, l’air trembla alors que les épées de Ksmvr sortirent de leurs fourreaux. L’Antinium se mit en garde avec ses quatre bras et pointa l’une de ses dagues vers Pion.

« Reste immobile, Ouvrier. »

Erin ouvrit la bouche. Pion commença à trembler alors que les autres Ouvriers s’éloignèrent. Ksmvr s’avança l’épée au clair.

« Attends. Qu’est-ce que tu es en train de faire ? »

La tête de Ksmvr bougea d’une fraction dans sa direction alors qu’il parla, mais ses épées ne bougèrent pas d’un millimètre.

« Je suis venu établir l’état de l’Ouvrier qui se réfère à lui-même sous le nom de ‘Pion’. J’amènerai cet Ouvrier avec moi dans la ville. Je m’excuse pour cette inconvenance. »

Il se tint au-dessus de Pion et leva une épée juste sous le bout du menton de l’autre Antinium.

« Debout. Ne fais pas le moindre mouvement brusque. Tu seras questionné. »

Pion suivit faiblement les instructions. Erin regarda la scène, horrifiée, Cela semblait comme…

« Attends, je ne comprends pas. Pourquoi est-ce que tu l’emmènes ? Est-ce qu’il a fait quelque chose de mal ? »

Ksmvr s’arrêta. Il semblait réticent à donner des explications.

« … Il est notoire que les Antiniums qui se réfèrent en tant qu’individus ou qui ont des noms sont sujets à des crises de violences imprévisibles. Je ne peux en dire plus, mais mon rôle est de juger ces individus égarés et de les détruire si nécessaire. »

La manière décontractée avec laquelle il prononça ses mots glaça le sang d’Erin. Et maintenant qu’elle y repensait, elle vit Pion trembler alors que Ksmvr tenait son épée sous son menton.

« Attends une seconde. Attends une seconde. Je connais Pion. Il n’a rien fait de mal, et j’ai joué aux échecs avec lui tous les jours depuis quelques semaines. Pourquoi est-ce que tu l’emmènes maintenant ? »

Ksmvr s’arrêta de nouveau avant de répondre.

« La Colonie de Liscor se trouvait en… Désarroi. Ma nomination à cette position a été une nécessité. Tout rentrera dans l’ordre sous peu. Jusqu’à là, je remplirai mon devoir. »

Il regarda Pion.

« Nous allons retourner dans l’enceinte de la Colonie. Toutes actions rencontrera une punition adéquate. Est-ce que cela est clair ? »

Pion hocha la tête. Il bougea lentement avec l’épée de Ksmvr dans le dos. Le Prognugator l’aurait fait par la porte si Erin ne s’était pas mise en travers du chemin.

« Attends. »

« Décalez-vous, Erin Solstice, s’il vous plaît. »

« Tu ne m’as rien expliqué. Pion n’a rien fait. Il a un nom, mais je suis celle qui lui ait donné. Qu’est-ce que tu veux dire par le détruire ? Et… Pourquoi est-ce que tu ressembles à Klbkch ? C’est quoi un Prognugator ? »

« Je suis ici pour m’occuper des affaires de la Colonie. Je ne peux pas répondre à vos questions. Décalez-vous, s’il vous plaît. »

« Non. »

Pion parla. Sa voix était tremblante à cause du stress alors qu’il s’adressa à Erin.

« S’il te plaît, Mademoiselle Solstice. C’est une affaire concernant les Antiniums. Je savais que cela viendrait. N’interfère pas… »

Ksmvr bougea. Son épée flasha et Pion hurla, tenant une antenne coupée.

« L’Ouvrier gardera le silence. »

Tremblant, Pion tint son moignon sanglant et se tût. Ksmvr le poussa en avant avec ses épées, le bout de la lame s’enfonça dans l’exosquelette de l’Ouvrier, mais cette fois Erin était juste devant lui.

« Ça suffit. Pion est min invité. Je ne te laisserai pas le prendre. »

Ksmvr regarda Erin sans expression.

« Interférer avec mes devoirs est un crime. »

« Tu l’as tranché pour avoir parlé. Tu ne t’approcheras pas de lui tant que tu ne m’auras pas tout expliqué. No, encore mieux, je veux venir avec lui. »

« Ceci est inacceptable. Décalez-vous. »

« Non. »

« Je ne le demanderai pas une seconde fois. Soyez prevén… »

« J’ai dit non. Tu ne m’as pas entendu ? »

« Je vous ait entendu. Fort bien. »

Erin ne vit pas la main de l’Antinium bouger. Mais elle sentit quelque chose de solide la frapper suffisamment fort pour qu’elle voie des étoiles et qu’elle sente le gout du sang dans sa bouche. Erin tituba, avant d’entendre un claquement furieux.

Toren fonça sur Ksmvr, désarmé à part pour une cuillère qu’il avait pris depuis une table. Ksmvr tourna calmement sa tête et ses deux bras bougèrent.

Le pommeau de son épée et dague s’écrasèrent contre le squelette avec assez de force pour arrêter la création mort-vivante. Les bras de Ksmvr devinrent flous une nouvelle fois et Tor était soudainement décapité.

Avec une jambe, l’Antinium donna un coup de pied qui envoya voler le squelette à l’autre bout de la pièce, dispersant les os de Toren. Il se retourna calmement vers Pion.

« Bouge. Marche lentement et sans dévier. »

« A-attends. »

Erin pouvait voir des étoiles danser dans son champ de vision. Et sa mâchoire était déjà en train d’enfler, mais elle tituba quand même vers Ksmvr. Elle s’arrêta alors que deux dagues pointèrent dans sa direction.

« Votre interférence a été notée. Vos complaintes seront entendues par ma Reine une fois ses affaires terminées. Regrettablement, elle est indisposée en ce moment mais tu pourras demander une audience avec elle à une autre date. »

« Je ne te… Laisserai pas prendre Pion. Tu n’as pas à faire ça. »

Ksmvr s’arrêta, avant de secouer la tête. Il parla sans hésitation.

« Ma position est temporaire. Mais la moindre possibilité qu’un Ouvrier devienne une Aberration doit être géré avec efficacité. Interférez, et je serais obligé de vous considérer comme un ennemi. »

Il ouvrit la porte. Pion quitta faiblement l’auberge. Ksmvr s’arrêta, une main sur la porte. Il hocha la tête en direction d’Erin alors que la fille la regarda, horrifiée.

« Passez une bonne soirée. Mes excuses pour l’interruption. »

La porte se ferma doucement derrière lui.

***

Erin regarda la porte pendant une longue minute, le cerveau en feu, avant de bouger. Elle s’arrêta uniquement pour s’assurer que Toren était en train de se réassembler. Loks était en train de squatter à côté du squelette, lui offrant ses os et le regardant se reformer pièce par pièce avec intérêt.

Elle n’avait pas le temps d’attendre le squelette. Erin courus dans la cuisine et ressortit avec une poêle à frire, la plus grosse qu’elle avait. Elle ouvrit la porte, manquant de la sortir de ses gonds, et fit deux pas à l’extérieur avant que les autres Ouvriers ne l’attrapent.

« Laissez… Moi partir ! »

« L’Aubergiste Solstice ne doit pas intervenir. L’Aubergiste Solstice ne doit pas. »

« Lâche-moi ! Je dois sauver Pion ! Lâche-moi ! »

Erin lutta, mais les trois Ouvriers avaient une poigne d’acier et les autres l’encerclaient. Ils parlaient, un groupe s’exprimant d’une seule voix.

« Le Prognugator ne doit pas être perturbé. Le Prognugator tuera tous ceux qui interviendront. L’Aubergiste Solstice ne doit pas mourir. L’Aubergiste Solstice ne doit pas mourir. »

Erin lutta. Les Ouvriers ne voulaient pas lui faire du mal. Elle arriva finalement à se défaire de leurs poignes. Elle s’échappa de la foule et courut en descendant l’auberge en direction de Liscor.

Elle fit plusieurs kilomètres avant que les Ouvriers ne l’arrêtent. Ils n’étaient pas rapides, mais ils ne se fatiguaient pas. Ils la tinrent.

« L’Aubergiste Solstice ne doit pas. »

« Pourquoi ? »

Elle cria sur l’Ouvrier qui l’avait attrapé. Il fit un pas en arrière, mais elle n’arrivait plus à s’en soucier.

« Qu’est-ce que type est en train de faire ? Pourquoi est-ce qu’il est exactement comme Klbkch ! »

L’Ouvrier hésita, avant de secouer la tête.

« Il est interdit de parler des affaires de la Colonie aux étrangers. Celui-ci ne peut pas parler.

Erin craqua. Elle prit une grande inspiration, et cria au visage de l’Ouvrier.

« Je suis votre professeur d’échecs ! Je suis l’Aubergiste Solstice, et je t’ordonne de me le dire ! »

Il hésita. Erin l’attrapa par son exosquelette froid et lisse.

«Dis-moi !

L’Ouvrier hésita. Il regarda les autres Ouvriers l’entourant et les vit agréer d’un mouvement presque uniforme. Il regarda de nouveau Erin avec hésitation.

« Celui-ci… Ceux-là croient que l’individu connu sous le nom de Pion sera interrogé. »

« Interrogé ? Pourquoi ? »

« Pour déterminer si l’individu connu sous le nom de Pion est une Aberration. »

« Et s’il en est une ? »

« Il sera exécuté. »

Le sang d’Erin se figea. Elle lutta, mais les Ouvriers continuèrent de la tenir.

« C’est dingue ! Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il a fait de mal ? »

« Ceux qui sont des Aberration tue. Ils sont des individus et rejettent la Colonie. Ils détruisent. »

« Mais Pion n’est pas violent ! »

Erin s’arrêta et regarda l’Ouvrier.

« Il ne l’est pas. Tu le sais. Je le sais. Il n’a rien fait. Il n’est pas une Aberration, pas vrai ? »

L’Ouvrier hésita de nouveau et regarda ses camarades.

« Cela est peut-être le cas. »

« C’est le cas ! »

« Aucun Ouvrier qui est devenu un individu n’est pas devenu une Aberration. »

« Aucun ? »

Erin regarda l’Ouvrier. Lui et les autres secouèrent la tête.

« Mais Pion est différent. Il l’est. Donc… Ce type, Ksmvr, va le laisser partir, pas vrai ? »

Ils hésitèrent.

« Pas vrai ? »

« Si l’individu connu sous le nom de Pion n’est pas une Aberration il aura peut-être le droit d’être libre dans la Colonie. »

Erin n’était pas doué pour lire le visage de l’Ouvrier. Mais même elle pouvait deviner que les Ouvriers pensaient que cela avait peu de chance de se passer comme ça. Elle les regarda.

« Je vais l’arrêter. »

« C’est trop tard. La Colonie sera fermée alors que l’individu portant le nom de Pion sera questionné. L’Aubergiste Solstice sera incapable de rentrer. »

« Je dois le faire. »

« C’est impossible. L’Aubergiste Solstice doit revenir dans son auberge. »

« Je dois y aller. Je dois le faire. »

« Cela est impossible. »

« Je dois y aller. »

« Cela est impossible. »

« Je… »

***

Les Ouvriers finirent par partir, laissant Erin derrière eux. Elle resta debout, tenant sa poêle à frire au milieu des plaines et regarda les Ouvriers marcher lentement à travers les plaines sombres en direction de Liscor.

Elle voulait courir derrière eux. Mais ils l’avaient, finalement, convaincu que même si elle les suivait il n’y avait rien qu’elle puisse faire. Ils allaient entrer dans la Colonie, mais apparemment cette dernière serait scellée pour les terrifiants soldats Antiniums. Et Ksmvr serait profond dans la Colonie, interrogeant Pion pour des signes d’Aberration, qu’importe ce que cela voulait dire.

Erin ne l’atteindrait jamais. Donc elle resta en arrière, avec la sensation d’avoir trahi Pion. Mais elle n’arriverait jamais à l’atteindre. Tout ce qu’Erin pouvait faire était prier.

Erin marcha lentement vers son auberge. Son esprit était un tourbillon de confusion, de peur et de panique. Mais ses pensées s’évaporèrent de son esprit quand elle entendit les cris.

Ils venaient de son auberge. Erin leva les yeux vers le sommet de la colline, et vit un groupe de sombres silhouettes se tenir en dehors de l’auberge. Ils étaient en train de crier quelque chose.

« Des Gobelins ! »

« Il y en a plus là-bas ! Tuez-les ! »

« Attention ! L’un d’entre eux sait faire de la magie ! »

« Enlevez-moi ça ! Il y a un squelette aussi ! Lancez-moi mon épée ! »

Erin courus. Elle chargea en remontant la colline aussi rapidement que possible. Son auberge était allumée depuis l’intérieur, les lampes que Tor avait allumées étant les seules lumières à l’exception des étoiles. Avec cette faible lumière provenant des fenêtres elle pouvait voir sept, peut-être plus, personnes frapper en direction de Loks et de son groupe de Gobelin.

Ils avaient été pris par surprise, mais les aventuriers étaient déjà en train de s’emparer de leurs armes. L’un d’entre eux, un énorme minotaure, s’empara d’une massive hache de guerre et donna un coup en poussant un cri furieux. Loks esquiva l’énorme lame alors que cette dernière s’enfonça dans le sol meuble et poussa un cri d’alarme. Elle donna un coup de son épée courte, mais un mage en robe pointa la Gobeline et cette dernière dût se jeter au sol pour ne pas être dévoré par les flammes provenant du bâton du mage.

« Hey ! »

Erin ne s’occupa pas des mots. Alors que les aventuriers chargèrent, elle leva sa poêle à frire et la jeta aussi fort que possible sur le Minotaure. La poêle vola droit vers la tête du massif homme-taureau grâce à la Compétence [Lancer Infaillible] d’Erin.

Le Minotaure cligna des yeux en voyant la poêle voler vers lui. Il leva la main, attrapa la poêle par le manche en plein vol et l’arrêta.

Erin se figea. Les Gobelins lancèrent un regard vers le Minotaure tenant la poêle et prirent la fuite. L’un des aventuriers leva un arc, mais Erin couru vers lui et lui donne un coup de pied dans l’estomac. Il s’écroula, plié en deux.

Soudainement, Erin était seule et entourée d’aventuriers. Ils la regardèrent, confus. L’un d’entre eux, une fille aux oreilles pointues, leva la main et empêcha les autres aventuriers d’attaquer. Le Minotaure regarda Erin, curieux.

Il avait arrêté la poêle à frire de la justice avec une main. Erin avala sa salive et pensa rapidement. Ses attaques avaient échouées, même si Loks et ses amis étaient en sécurité. Donc cela ne laissait que la parole.

« Hey ! Qu’est-ce que vous croyez faire ? »

Les aventuriers la regardèrent de manière incrédule.

« Qu’est-ce que tu crois faire ? »

« Cet endroit est à moi ! Qu’est-ce que vous avez à attaquer mes clients ? »

« Clients ? »

Un gars avec une longue moustache regarda Erin d’un air hébété. Il regarda en direction des Gobelins en fuite.

« Ce sont des Gobelins ! Et il y a un squelette là-dedans ! »

Il pointa en direction de Toren, qui gisait désassemblé à l’intérieur de l’auberge d’Erin.

« Ce sont mes clients. Et c’est mon squelette que vous venez de tabasser ! C’est mon auberge, et personne ne tues des Gobelins dans le coin ! Vous n’avez pas lu le signe ? Est-ce que quelqu’un lit ce foutu signe ? »

Les aventuriers, ou plutôt, la compagnie d’aventuriers Argents connue sous le nom des Cornes d’Hammerad se regardèrent avec confusion. Le ciel nocturne faisait qu’il était presque impossible de voir quelque chose. Gerial regarda Erin, avant de regarder autour de lui.

« Il y a un signe ? »

***

Erin s’assit dans son auberge, regarda le groupe d’homme, de femme, ainsi qu’une Elfe et un Minotaure assit de manière embarrassé en face d’elle. Les regards des aventuriers alternaient entre elle et Toren, tandis que le squelette marchait à travers l’auberge, nettoyant les assiettes des Ouvriers et les pièces d’échecs.

Ils ne s’apprêtaient pas à dire quelque chose, donc Erin lança la conversation.

« Donc, pour faire court. Vous êtes une compagnie d’aventurier, et vous passiez dans le coin par pur hasard. »

« C’est cela. Nous savions qu’il y avait une auberge dans le coin, et nous nous demandions si vous étiez toujours ouvert. »

Ces paroles venaient de l’Elfe, qui était assise la plus proche d’Erin. Elle était assez belle pour être une distraction, avec des traits qui étaient totalement différents à tout ce qu’Erin avait vu dans son monde. Elle sourit de manière polie à Erin et la fille dut lutter pour ne pas rester bouche bée.

Erin regarda le Minotaure à la place. Il était aussi quelque chose qu’elle n’avait jamais vu, mais elle n’était pas aussi distraite par lui. Plutôt, sa tête de bœuf et ses muscles ondulants lui donnait l’impression qu’elle parlait à une vache qui avait décidé de faire de la musculation et de marcher sur deux pattes.

Ce qui, quand on y réfléchissait bien, résumait plutôt bien les Minotaures.

« Donc vous êtes tous venu ici, avez vu l’auberge pleine de Gobelins, et avait décidé de tous les tuer, c’est ça ? »

Les aventuriers bougèrent sur leurs sièges. L’un d’entre eux haussa les épaules.

« Eh bien… Oui. »

« Pourquoi ? »

Les aventuriers échangèrent des regards. L’un d’entre eux, un homme en armure avec une gracieuse moustache, secoua la tête.

« Ce sont des Gobelins. Ce sont des monstres. Nous sommes des aventuriers. Je suis désolé, Mademoiselle, mais nous ne faisons que notre travail. »

Erin le savait, mais cela ne voulait pas dire qu’elle l’appréciait. Mais ils n’avaient pas tué de Gobelins et elle les avait déjà fait s’expliquer trois fois. Et ils étaient en train de la regarder, donc elle décida de changer de sujet.

« D’accord. Donc vous êtes des aventuriers venant du nord. Vous avez dit que vous aviez un nom… ? »

« Les Cornes d’Hammerad. »

Cela provenait du Minotaure. Il était toujours en train de regarder Erin curieusement, mais sans menace de lui arracher la tête, ce qui était avait assumé être un comportement de Minotaure.

« Et comment avez-vous su que l’auberge était là ? »

L’homme à la moustache racla sa gorge de manière gênée.

« Nous nous sommes, ah, déjà rendus ici. »

« Je ne me souviens pas de ça. »

« Je crois que vous étiez dehors à ce moment. »

Ceria sourit en direction d’Erin avant d’hocher la tête en direction du squelette.

« Mais je peux prouver que nous ne faisions rien de mal. Nous étions ici pour rencontrer un certain nécromancien. C’est une supposition, mais je pari que vous le connaissez. »

Erin regarda Tor, et le squelette lui rendit son regard de manière curieuse. Il était toujours en train de porter son épée à sa taille osseuse, et le squelette était en train de surveiller les Cornes d’Hammerad comme s’il les considérait toujours comme des menaces.

« Je le connais peut-être. Ce, heu, nécromancien. Tu peux me le décrire ? »

« Il est plutôt agaçant. »

« D’accord, c’est Pisces. Bon, vous le connaissez. Et vous êtes là. Et je suppose que vous n’avez pas vu le signe qui dit de ne pas tuer les Gobelins. Des erreurs ont été faites. »

Erin soupira en essayant de se relaxer. Elle regarda de nouveau le groupe d’aventurier.

« Donc, qu’est-ce que les Cornes d’Hammerad me veulent ? »

L’œil du Minotaure tressaillit, mais l’Elfe parla de nouveau. Elle était peut-être leur chef, ou peut-être que c’était monsieur-moustache.

« Nous cherchons un endroit ou passer la nuit. »

Erin les regarda sans expression. Elle pointa la fenêtre du doigt.

« La ville c’est par là. »

« Certes, mais chaque taverne, auberges, et maisons sont pleines à craquer d’aventuriers. Il n’y a pas d’endroit où dormir, même pas une cabane, donc nous sommes venu ici. »

Erin les regarda sans comprendre.

« Pourquoi ? »

« C’est… Une auberge, correcte ? N’avez-vous pas de chambre à louer ? »

« Quoi ? Oh. Oh. Ouaip, j’ai des chambres. Des tonnes. Toutes vides. »

Silence. Les Cornes d’Hammerad échangèrent un regard. Ceria toussa poliment et sourit à Erin.

« Pouvons-nous rester ici, si possible ? Je promets que nous ne causerons pas de problème, et nous avons de quoi payer. »

Cela sonnait creux après l’accident qui avait eu lieu plus tôt. Erin y repensa, se mordant la lèvre.

« Je n’aime pas les gens qui attaque les Gobelins. Ce sont mes invités et vous les avez chassés. »

Ce commentaire sembla sérieusement agacé le Minotaure. Il se pencha en avant, soufflant de l’air par ses naseaux, mais monsieur-moustache lui repoussa dans sa chaise. Le Minotaure s’adressa brusquement à Erin.

« Ces créatures sont des salauds. Ils devraient être exterminés. »

Erin fronça brusquement les sourcils. Les autre Cornes grognèrent alors l’Elfe donna un coup de talon en arrière, frappant le minotaure dans le tibia. La seule chose qui arriva fut qu’elle grimaça.

Monsieur-moustache lissa sa moustache et semblait inquiet. Il parla à Erin, essayant de sourire de manière charmante.

« Je vous assure, Mademoiselle, hum, Erin. Que tout cela est une erreur. Nous n’aurions jamais attaqué si nous avions vu le signe. »

« Hum. »

Erin regarda les aventuriers. Elle n’était pas heureuse, et ce n’était pas du tout à cause du fait qu’il était sur son chemin alors qu’elle pensait toujours à Pion. Elle prit rapidement sa décision.

« Écoutez, vous n’avez pas tué de Gobelins. Donc je peux oublier cette histoire. Mais si vous restez ici, vous obéissez à mes règles ou vous dormez dehors. Compris ? »

Tous les membres des Cornes d’Hammerad hochèrent la tête d’un même mouvement, à l’exception du Minotaure. Erin lui jeta un regard noir.

« T’en pense quoi le Tête de Boeuf? »

Ses sourcils tressaillirent et le reste de l’auberge grimaça. Le Minotaure fusilla Erin du regard, mais elle ne détourna pas les yeux.

« Tout le monde semble être d’accord, mais est-ce que tu vas obéir à mes règles ou est-ce que je vais devoir te jeter dehors à coup de pied ? »

L’idée de jeter le Minotaure dehors à coup de pied était ridicule, mais Erin était trop en colère pour s’en soucier. Le Minotaure continua de la fixer du regard, laissa échapper de l’air par ses naseaux de manière exaspéré, et repoussa l’Elfe alors que cette dernière lui donna silencieusement des coups de pieds sous la table.

« Je promets sur mon honneur. Je n’attaquerai pas les invités de ton auberge à moins d’être provoqué. »

Cela semblait être ce qu’elle allait avoir de mieux. Erin hocha la tête.

« Alors d’accord. Dans ce cas j’ai quelques chambres à l’étage. Assez pour vous tous, mais je n’ai pas d’oreillers. »

Les Cornes d’Hammerad sourirent de soulagement. L’elfe s’adressa à Erin.

« Il n’y a pas de problème. Nous pouvons nous débrouiller. »

Erin hocha la tête et se releva. Son esprit était vide. Qu’est-ce qu’elle était supposée faire dans ce genre de situation ? Des clients. Elle avait des clients. Elle choisit une direction et fit marcher sa bouche en autopilote.

« Vos chambres sont à l’étage. Allez-y et prenez celle qui vous plaît. Nous allons peut-être avoir besoin de deux lits pour la tête de boeuf, mais ça devrait aller. »

Elle pointa la cuisine du doigt.

« Le petit-déjeuner est le matin. Il n’y a pas d’alcool, mais j’ai ce qu’il faut au niveau de la nourriture. Il y a un cabinet dehors, soyez juste prudent pour ne pas tomber sur un monstre. Si vous voyez un gros rocher qui bouge, fermez la porte et restez silencieux. N’allez pas dans la cuisine si vous voulez quelque chose à manger, il y a plein de jarres d’acide qui traînent. Ne buvez rien de vert en général. Interdiction de tuer des Gobelins, le squelette travaille pour moi, et si vous voyez un homme-fourmi avec deux épées et deux dagues, frappez le et assurez-vous qu’il ne s’en aille pas. Compris ? »

Les Cornes d’Hammerad hésitèrent, avant de hocher la tête. Erin attendit, avant de hausser les épaules.

« C’est tout. Je peux vous cuisiner un truc si vous voulez quelque chose. »

Elle alla dans la cuisine en tapant du pied. Perplexes, les aventuriers la regardèrent partir. Pendant quelques secondes ils l’entendirent parler au squelette, puis elle rentra de nouveau dans la salle commune. Elle pointa les aventuriers du doigt.

« Une dernière chose. Est-ce que l’un d’entre vous joue aux échecs ? »

Une nouvelle fois, les aventuriers échangèrent des regards confus. Finalement, l’homme moustachu regarda Erin et leva un sourcil.

« Qu’est-ce que sont ses ‘échecs’ ? »

Erin soupira.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 23 mai 2020 à 14:51:20
1.37
Traduit par EllieVia

Erin rêva d’épées en train de ferrailler, de boulets de canons explosant à côté d’elle, et de sang. Des rivières de sang.
 
Klbkch se dressa devant Erin et lui demanda si elle était prête. Elle le regarda se vider de son sang dans ses bras. Ses mandibules s’ouvrirent et il lui déclara d’une voix rauque au creux de l’oreille :
 
“J’obéis à ma Reine.”
 
Elle secoua la tête. L’Erin de son rêve pointa du doigt pour montrer à Klbkch une pièce d’échec gigantesque dressée au sommet d’une colline.
 
“Le Roi. Tout tourne autour du Roi. Le roi est intelligent. Il…”
 
Elle ne tenait plus Klbkch dans ses bras. Au lieu de cela, Erin s’assit et regarda un corps tomber par terre et l’huile brûler autour d’elle. Le visage d’un Gobelin mort plongea les yeux dans les siens et elle se réveilla, en sueur, pour découvrir Toren planté dans un coin de sa chambre.
 
C’était mieux. Définitivement mieux que de voir le mort. Erin lui envoya tout de même un oreiller dessus. Il l’atteint en pleine tête… pas très fort, mais le bruit suffit à surprendre quelqu’un.
 
“Whu ?”
 
La voix provenait de l’autre côté du mur de la cuisine. Erin fut immédiatement prise de panique. Elle chercha des yeux sa poêle à frire puis se souvint.
 
Elle avait des invités.
 
Le regard encore trouble, Erin rejeta ses draps dans un coin de la cuisine et sortit. C’était encore l’aube, mais, étonnamment, quelqu’un était levé.
 
Ceria cilla plusieurs fois devant Erin puis hocha la tête. La Demie-Elfe semblait être une lève-tôt, mais même elle était encore à moitié endormie.
 
“Whu ?”
 
Elle répéta le mot. Erin tituba.
 
“Hrgh.”
 
“Mm.”
 
Une fois la conversation terminée, Erin revint d’un pas mal assuré dans la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Toren resta à côté d’elle, lui tendant la poêle, les spatules, et différents aliments tandis qu’elle les pointait du doigt en grognant. Le petit déjeuner allait être composé d’œufs brouillés, de pain grillé, d’une sorte de lard issu d’un quelconque animal, et de tranches de fromage.
 
Sa capacité à faire un petit déjeuner digne de ce nom était alarmante, mais Erin n’y pensait pas en ce moment. Ses mains bougeaient automatiquement et elle repensait à son rêve.
 
Il avait voulu dire quelque chose. Et pour une raison qui lui échappait, bien que le rêve d’Erin ait été un rêve de mort et de bataille, il lui avait fait penser aux échecs. Elle pensait toujours aux échecs, même quand elle dormait.
 
Toujours plongée dans les derniers fragments de son rêve, Erin marmotta les mots.
 
“Le roi… le roi est intelligent. Il utilise quelque chose. Sa tête ?”
 
Erin se gratta la sienne, se demandant d’où lui était venue cette phrase. Bon, cela lui venait évidemment des échecs. Mais l’avait-elle entendue quelque part ? Il lui semblait que c’était important.
 
Le bacon était cuit et grésillait dans la poêle. Erin sortit les morceaux de viande grillée de la poêle, grimaçant lorsqu’une goutte d’huile atterrit sur son bras.
 
“Ow. Ow. Ow !
 
Trop d’huile. Erin avait oublié. Elle devenait vraiment chaude quand on la chauffait…
 
L’odeur de la chair brûlée. Erin s’immobilisa et regarda autour d’elle. Un Chef Gobelin mort était étendu au sol.
 
La tranche de lard glissa de ses pinces. Toren plongea, attrapa adroitement le morceau de viande et le reposa délicatement dans l’assiette. Erin cilla, et revint à l’instant présent.
 
“Oh… merci.”
 
Elle porta une main à sa tête et termina rapidement de frire et d’empiler le reste de la viande. Elle en avait fait beaucoup. Suffisamment pour nourrir une petite armée, et c’était exactement à cela qu’elle associait les dix aventuriers et le Minotaure.
 
Mais comme ils n’étaient pas encore levés, quand Erin eût terminé de brouiller les œufs, elle ne prépara qu’une assiette pour Ceria. Elle empila négligemment le lard, les œufs, et le pain, faisant fi de l’esthétique du repas et se focalisant plutôt sur le concept inhérent à la nourriture : la manger.
 
Pourquoi repensait-elle au Chef Gobelin ? Pourquoi avait-elle fait ce rêve ? Parfois, oui, Erin se réveillait en hurlant, la peau recouverte de sueur, pleurant au milieu de la nuit. Mais jamais encore ses rêves ne l’avaient poursuivie ainsi après son réveil.
 
C’était un signe. Un signe qu’Erin devait trouver un autre endroit pour dormir, peut-être.
 
Son estomac gargouilla. Un autre signe, qui indiquait qu’elle avait faim. Erin baissa les yeux sur le petit-déjeuner, qui s’approchait le plus possible d’un petit déjeuner à l’américaine, et sourit. Ceria allait probablement adorer, surtout avec du jus bleu. Trop tard, Erin se souvint que c’était une Elfe qui l’attendait dans l’autre pièce.
 
“Oh non.”
 
Erin regarda son petit-déjeuner aux œufs brouillés et au lard. Elle ne pouvait pas sortir avec ça. Désespérément, elle fouilla ses placards, à la recherche de quelque chose qui ressemblât de près ou de loin à des aliments végétariens. C’était tellement difficile de conserver les légumes dans son auberge, sans frigo !
 
Elle trouva une tête de salade et quelques tomates. Fiévreusement, Erin mit quelques œufs de plus à frire et les posa sur du pain grillé. Il faudrait que ça convienne. Elle espérait que Ceria mangeait des œufs. Les Elfes étaient-ils végétariens ou véganes ?
 
***

Ceria regardait la table, les yeux dans le vague, luttant contre le sommeil. Elle n’était pas du matin. Les gens s’attendaient toujours à ce que les Demis-Elfes se lèvent à l’aurore et gambadent dans les fleurs et la rosée, ou d’autres bêtises du genre. Mais Ceria avait vécu trop longtemps parmi les Humains et d’autres espèces pour aimer se lever tôt, et elle n’aimait pas gambader.
 
Une odeur alléchante sortait de la cuisine, accompagnée de bruits de casseroles et de portes de placards qui claquaient. Ceria essayait d’en faire abstraction. Elle se concentrait sur un sort.
 
“[Illumination]. Non. Je ne m’y prends peut-être pas correctement ?”
 
 
Elle aurait dû déjà maîtriser ce sort, mais il lui donnait du fil à retordre. [Illumination] était une version avancée du sort de Lumière que Ryoka avait appris, et ne dépassait pas l’échelon 2 de magie. Mais à la vérité, sa complexité le rapprochait plus de l’échelon 3. Normalement, Ceria n’aurait pas pris la peine de l’apprendre, mais le sort permettait d’illuminer une zone de plus de cent mètres autour du mage qui le lançait en produisant des orbes de lumières. Il était parfait pour les donjons.
 
“Et évidemment, c’est à la mage de Wistram de s’en charger. Est-ce que le sort est complexe ? Oui ! Oh, eh bien laissez la Demie-Elfe s’en occuper ! Inutile de déranger les autres mages. Ceria s’en charge !”
 
Grogna Ceria en refermant le grimoire devant elle d’un coup sec. Elle avait faim, et elle n’arrivait vraiment plus se concentrer avec l’odeur du petit-déjeuner.


À ce moment précis, quelqu’un sortit de la cuisine en tenant deux énormes assiettées de nourriture. Le visage de Ceria s’illumina…
 
Et elle faillit faire exploser la tête du squelette lorsqu’elle l’aperçut. La créature morte-vivante s’immobilisa et observa la baguette de Ceria. La mage se reprit. Il avait levé un bras pour lui jeter une assiette à la tête.
 
“Tor ! Arrête ça !”
 
Quelqu’un donna une taloche au squelette à l’arrière du crâne, le faisant tituber et manquant de lui faire lâcher son fardeau. Ceria vit l’étrange aubergiste fusiller le squelette du regard et pointer du doigt la table où elle était assise.
 
Ceria baissa vivement la baguette dont l’extrémité s’était illuminée lorsque Erin s’approcha.
 
“Ooooh, est-ce que c’est une baguette ?”
 
La Demie-Elfe cilla. Elle hésita, puis tendit la baguette à Erin.
 
“Oui. Tu veux voir ?”
 
Erin observa, excitée, le long morceau de bois lisse. Il ne paraissait pas gravé comme les baguettes qu’elle avait pu voir dans certains films. Au lieu de cela, on aurait dit qu’il avait été arraché à un arbre et qu’on s’était contenté de l’élaguer. Le bois était d’un blanc pâle teinté d’un soupçon de vert. Pour résumer, la baguette était plutôt ordinaire, si on omettait les fumées d’un bleu pâle qui s’échappaient de l’extrémité.
 
“C’est tellement stylé !”
 
Ceria était légèrement surprise par l’enthousiasme d’Erin. Elle tendit la baguette à Erin, à la grande surprise de cette dernière.
 
Erin hésita, ses mains clairement tentées de tenir la baguette. Elle jeta un regard en coin à Ceria.
 
“Ça ne te dérange vraiment pas si je la touche ?”
 
Ceria ne put retenir un sourire.
 
“Elle n’est pas si fragile que ça. Vas-y.”
 
Avec révérence, Erin fit courir ses doigts le long de la baguette. Le contact n’était pas différent de celui d’un bout de bois, ce qui était légèrement décevant. Le bois était lisse et poli mais il n’avait pas l’air d’avoir quoi que ce soit de spécial. Ses doigts effleurèrent l’extrémité de la baguette.
 
Ah ! C’est froid !”
 
Ceria arracha la baguette des mains d’Erin et examina ses mains. Les doigts qui avaient effleuré le bout de la baguette étaient blancs et du givre en avait recouvert les extrémités. La Demie-Elfe jeta la baguette sur la table et attrapa la main d’Erin.
 
“Est-ce que ça va ?”
 
Derrière Erin, les yeux luisants de Toren s’illuminèrent d’un air menaçant. Le squelette s’avança et se prit un coup de coude dans les côtes de la part d’Erin. Elle le fusilla du regard jusqu’à ce qu’il recule, puis se focalisa de nouveau sur Ceria. Le contact de la peau de la Demie-Elfe sur la sienne était léger et éthéré, comme l’apparence de l’Elfe. Prudemment, elle retira sa main.
 
“Je vais bien. Va-t’en, Tor ! Va nous chercher quelque chose à boire.”
 
“Je suis vraiment désolée. Je ne m’attendais pas à ce que tu touches le bout de la baguette. Tu n’en avais jamais vue une avant ?”
 
Erin souffla sur ses doigts et les frotta énergiquement pour les réchauffer. Ils la démangeaient horriblement, mais mis à part la première morsure de froid extrême ils lui semblaient en bon état.
 
“Non… désolée. Je ne savais pas qu’on n’était pas censé le toucher.”
 
“C’était ma faute. J’oublie tout ce que les non-mages ne savent pas.”
 
Ceria avait l’air confuse. Elle tendit la baguette et tapota le doigt près de l’extrémité.
 
“Toute la magie de la baguette est canalisée à travers l’extrémité. C’est pour cela qu’il luit ou réagit selon le sort qui y est contenu. C’est aussi la raison pour laquelle il ne faut jamais casser une baguette au risque de déclencher le sort.”
 
Elle ramassa sa baguette et la rangea dans sa manche. Erin aperçut qu’un brassard entourait le bras de Ceria de manière à ce qu’elle puisse tenir la baguette le long de son bras. Elle frissonna.
 
“Ça ne risque pas de te geler le bras ?”
 
“Oh, non. Je peux désactiver la magie. Je l’avais simplement activée parce que… Enfin… ton squelette m’a surprise.”
 
Erin se tourna et fusilla Toren du regard alors qu’il émergeait de la cuisine avec un pichet dans une main et des verres dans l’autre.
 
“Désolée pour ça. Il n’arrête pas de faire ça alors que je ne cesse de lui dire d’arrêter.”
 
En silence, Ceria regarda le squelette poser deux verres devant Erin et elle et les remplir jusqu'à ras bord.
 
 
Toren ! Comment est-ce qu’on va pouvoir boire comme ça ? Ne remplis pas les verres jusqu’en haut, il faut laisser  un peu de place !”
 
Le squelette avait l’air confus. Erin le fusilla du regard puis se tourna vers Ceria. La Demie-Elfe parvint à prendre une gorgée du liquide sucré et pulpeux sans en renverser. Elle leva les sourcils.
 
“C’est très bon !”
 
“Je sais, pas vrai ? Ça vient d’un fruit que j’ai trouvé dans le coin. Bref, voilà le petit-déjeuner !”
 
Ce disant, Erin poussa une assiette devant Ceria. La Demie-Elfe baissa les yeux et se retrouva face à des œufs brouillés, du pain grillé et du fromage à tartiner sur le côté… et pour une raison inconnue, un énorme bol de ce qui ressemblait fort à de la laitue et des tomates. Et pas de lard.
 
Elle jeta un regard en coin à l’assiette d’Erin et vit qu’elle avait une assiette pleine d’œufs et de lard. L’estomac de Ceria gargouilla et elle se demanda comment elle allait pouvoir corriger cette erreur.
 
“Eh bien. Tout ceci m’a l’air… charmant. Merci d’avoir préparé le petit-déjeuner si tôt, Miss Solstice. Et j’ai un peu de retard, mais bonjour.”
 
“Oh. Merci !”
 
Erin réfléchit puis claqua des doigts.
 
“Oh, attends. Je connais celle-là !”
 
Médusée, Ceria dévisagea la fille qui se grattait la tête. Elle marmotta derrière ses dents puis regarda Ceria.
 
“Hum… Elen síla lúmenn’ omentielvo ? C’est bien ça ?”
 
La Demie-Elfe se figea, la bouche ouverte, une cuillerée d’œufs lévitant juste au-dessus de son assiette. Erin cligna des yeux d’un air innocent.
 
“Que… c’était quoi, ça ?”
 
Erin rougit.
 
“J’essayais de dire bonjour dans ta langue. Ou peut-être juste salut. Est-ce que c’était ça… ?”
 
“Ma langue ?”
 
“L’elfe, c’est bien ça ?”
 
Le morceau d’œuf retomba de la cuillère de Ceria. Erin était de plus en plus embarrassé par son regard donc elle essaya d’expliquer.
 
“Je suis allée à un tournoi d’échecs sur le thème du Seigneur des Anneaux parce que j’avais entendu dire qu’un champion national y jouait. Les gens ne voulaient pas jouer contre moi à moins que je ne sache au moins dire “bonjour”.”
 
Ceria ne comprit exactement rien de tout ce qu’Erin venait de dire. Elle avait la tête qui tournait et posa sa cuillère, calmement.
 
“Erin, je ne suis pas sûre de ce que tu es en train de croire mais… je ne suis pas une Elfe.”
 
Cette fois-ci, ce fut au tour d’Erin de la dévisager.
 
“Tu n’es pas une Elfe. Oh bon sang. J’ai juste cru que…”
 
Ceria porta la main aux extrémités pointues de ses oreilles qu’Erin regardait.
 
“Je ne suis pas une Elfe. Je suis une Demie-Elfe. Et de toute manière…. tu ne risques pas de croiser une Elfe.”
 
“Vraiment ? Pourquoi ?”
 
Erin était pleine d’une curiosité aux yeux ronds. Devant la confusion évidente d’Erin et par égard pour ses amis encore endormis à l’étage, Ceria fit de son mieux pour garder une voix égale et ne pas crier.
 
“Personne n’a vu d’Elfe depuis des milliers d’années. Ils sont tous morts il y a longtemps.”
 
“Oh.”
 
Ceria observa Erin se rasseoir au fond de sa chaise, la déception couvrant son visage. La conversation s’éteint le temps que les deux jeunes femmes essayent de digérer tout ce qui avait été dit. Ceria était… stupéfiée par l’ignorance d’Erin, mais la nature de leur conversation étrange lui était familière. Elle avait déjà dû faire ce genre d’explications, mais quand… ?
 
“Eh bien, euh, je suis vraiment désolée pour le quiproquo. Je me suis simplement dit que tu étais incroyablement belle et… hum…. les Demis-Elfes sont-ils comme les Elfes ? Ou… ou est-ce qu’il y a d’autres trucs que je devrais savoir ?”
 
Gênée, Erin pointa du doigt l’assiette de Ceria.
 
“Je ne sais pas ce que vous… je veux dire, ce que tu peux manger. Si tu veux quelque chose en particulier je peux te l’amener. On a de la salade. Hum… il y a des espèces de tomates que j’ai achetées au marché, des carottes… beaucoup de soupe. Et, euh, j’ai aussi du pain et du fromage si tu veux en manger.
 
Ceria haussa les sourcils, amusée.
 
“Je peux manger de la viande, tu sais.”
 
Là encore, l’Humaine hésita et sembla se débattre intérieurement avec quelque chose. Puis, silencieusement, elle échangea son assiette avec celle de Ceria. La mage s’illumina lorsque l’arôme de la viande grillée atteint ses narines.
 
“Du coup, tu manges de la viande ?”
 
Ceria acquiesça, heureuse.
 
“Je ne sais pas trop ce que tu as entendu dire, mais mon peuple n’a pas de problème avec la viande. J’aime beaucoup le porc, par exemple, surtout quand il est bien cuisiné.”
 
Erin dévisagea Ceria, les yeux ronds.
 
“Vraiment ? C’est tellement bizarre !”


***


Quand le reste des Cornes d’Hammerad se réveilla enfin, ce fut à cause de l’odeur de la nourriture. Les aventuriers étant habitués à se réveiller rapidement pour éviter de mourir, ils faisaient souvent la grasse matinée quand ils en avaient l’occasion. Mais ils aimaient également beaucoup manger, et c’est pour cette raison que lorsque les odeurs s’échappant de la cuisine atteignirent l’étage, leurs estomacs les tirèrent du lit.
 
Gerial entra en titubant dans la salle commune de l’auberge et son visage s’illumina à l’instant où il vit ce que Ceria était en train de manger. Il s’assit à une table, se demandant s’il devait appeler une serveuse, lorsqu’il vit le squelette sortir de la cuisine.
 
Ceria bloqua le poignet du vice-capitaine des Cornes d’Hammerad lorsqu’il plongea pour prendre sa dague.
 
“On se calme. Ne le menace pas et il ne t’attaquera pas.”
 
Gerial s’immobilisa puis hocha la tête. Il laissa son cœur ralentir après le coup d’adrénaline qu’il venait de recevoir puis, méfiant,  laissa le squelette poser devant lui une énorme assiettée de nourriture. Le squelette posa un verre, pointa du doigt le pichet de liquide bleu sur la table de Ceria, et retourna en cuisine. Penaud, Gerial croisa le regard de Ceria.
 
“Heureusement que tu m’as retenu. J’avais oublié…”
 
“Ne t’inquiète pas pour ça. J’ai fait la même erreur un peu plus tôt.”
 
“Bonjour !”
 
Gerial leva les yeux et sourit à Erin lorsqu’elle s’approcha de lui, des couverts à la main. Le serveur squelette les avait oubliés et Erin remplit également le verre de Gerial de l’étrange liquide bleu après lui avoir donné le choix entre ça ou de l’eau.
 
“Merci pour le repas, Miss… ah…”
 
Ceria lui souffla le nom.
 
“Solstice.”
 
“Oh, appelez-moi Erin. Bref, dans tous les cas, j’ai encore à manger donc criez si vous en voulez plus.”
 
“Vous êtes bien aimable. Et tout cela m’a l’air délicieux.”
 
Erin sourit et s’éloigna, discutant déjà avec Sostrom et l’autre mage des Cornes d’Hammerad qui était descendue en même temps que lui. Gerial regarda son assiette d’un air réjoui en voyant l’huile luisant sur ses épaisses tranches de lard et les montagnes d’œufs brouillés et de morceaux de pain empilés à côté.
 
Il prit une première bouchée et sourit à Ceria.
 
“C’est excellent.”
 
Elle s’était déjà remise à manger.
 
“Pas vrai ? Essaye le truc bleu.”
 
Prudemment, car il était habitué à l’humour de Ceria, Gerial s’exécuta. Ses yeux s’écarquillèrent.
 
“C’est sucré !”
 
Ceria et les autres Cornes d’Hammerad sourirent devant la réaction de Gerial. Il avait déjà vidé son verre lorsque Erin revint avec le pichet.
 
“Le service est bien, la nourriture est bonne et personne ne nous regarde de travers. On a eu de la chance de venir ici !”
 
“C’est bien qu’on n’ait pas eu à la partager avec les Gobelins.”
 
Ceria acquiesça et Gerial essuya du gras sur son menton avec sa serviette.
 
“Mais tout de même…”
 
Gerial tordit le cou et ne vit que le squelette en train de proposer de remplir leurs verres à des aventuriers réticents à accepter l’offre. Rassuré, il reprit la conversation avec Ceria. Aucun des deux aventuriers ne remarqua la fréquence avec laquelle Toren passait à côté de leur table malgré leurs verres remplis.
 
“Quelles étrange aubergiste.”
 
“C’est certain qu’elle est bizarre. Des Gobelins et un squelette. Mais Pisces est probablement à blâmer pour le squelette. Mais tout de même… des Gobelins.”
 
“Tu as vu ce que portait l’un d’eux à la ceinture ? Une… fiole de quelque chose ?”
 
Ceria sourit d’un air sombre.
 
“Mon [Instinct de Survie] s’est déclenché lorsqu’il l’a sortie. Devine ce qu’il y avait de dans ? De l’acide. Je suis allée voir dans la cuisine. Elle a des fioles de mouches acides…. une créature locale. On dirait qu’elle les a récoltées pour faire à manger.”
 
Gerial s’immobilisa en mâchant son pain, son appétit soudain volatilisé. Ceria secoua la tête.
 
“Oh, ne fait pas ton délicat. Les Drakéides en mangent, et les Antiniums aussi. Non pas qu’on ait vu beaucoup d’hommes-fourmis dans le coin mais je vois l’intérêt.”
 
“Mais des insectes…”
 
Gerial regarda son assiette, mal à l’aise, imaginant la manière dont un insecte aurait pu se faufiler dans un plat cuisiné. Ceria lui lança un regard noir.
 
“Tu crois vraiment qu’elle en a gardé en vie ? Ils étaient tous morts. Sérieusement, vous autres humains…”
 
Elle laissa sa phrase en suspens et secoua la tête.
 
“Mais bon, je comprends. Les insectes ne sont pas mes plats préférés non plus.”
 
C’est cette phrase qui faillit faire s’étouffer Gerial. Mais Ceria poursuivit, réfléchissant à voix haute.
 
“Je ne suis pas sûre de savoir si elle est simplement distraite ou si elle ne réalise pas à quel point armer des Gobelins peut être dangereux. L’acide en question fait fondre la peau en quelques secondes. Mais en plus ce ça, c’est bizarre qu’elle vive si loin de la ville.”
 
“Pas si loin que ça. Ça ne nous a pas pris plus d’une heure alors qu’on s’est perdus.”
 
“C’est vrai. Mais les monstres n’ont cure de la distance. Et ce squelette n’a pas l’air si puissant que ça.”
 
Gerial acquiesça. Le squelette ne tirait aucune de ses sonnettes d’alarmes internes lorsqu’il y réfléchissait comme à une ennemi. Il était dangereux, aucun doute… mais ce n’était pas une Liche ou une entité de mort-vivant encore plus puissante.
 
“Peut-être que c’est la seule protection qu’elle ait pu se permettre.”
 
“En ce cas, elle est soit téméraire, soit folle. Ou… pauvre. Pour tout dire, elle me rappelle Ryoka.”
 
Gerial dévisagea Erin avec incrédulité alors qu’elle se mettait à haranguer Toren.
 
“Et pourquoi donc, exactement ?”
 
Ceria haussa les épaules, incapable d’expliquer.
 
“Elles ne se ressemblent pas en termes de personnalité, mais c’est… juste une intuition.”
 
“Bah. Tant que les monstres ne sont pas un problème ici. Et c’est une bonne auberge.”
 
“Oui. Si on veut rester, il va falloir qu’on prévienne les autres. S’ils viennent et commencent à causer des problèmes… “
 
“Compris. Je le dirai aux autres quand je les verrai. Tu travailles toujours sur le sort… ?”
 
Ceria grimaça.
 
“Oui, j’y bosse. Il est complexe. Donne-moi deux jours et ce sera bon. On a probablement suffisamment de temps pour ça, non ?”
 
“Probablement. Calruz et le reste vont se voir pour en discuter ce soir, mais il va falloir interviewer d’autres aventuriers et voir ce qui a déjà été trouvé. À mon avis, tu as au moins quatre jours pour te préparer.”
 
“D’accord, en ce cas…”
 
Tous les aventuriers levèrent les yeux au son de pas excessivement lourds et massifs descendant les escaliers. Calruz cligna des yeux, et fronça les sourcils à l’attention du squelette lorsqu’il entra dans la salle commune.
 
“Salut, toi !”
 
Erin était déjà en train de poser un énorme tas de nourriture à la table à côté de Ceria et Gerial. Calruz grogna d’appréciation et s’assit.
 
Son repas était composé principalement d’œufs et de pain… et d’un bol de salade et de tomates pour une raison inconnue. Gerial fronça les sourcils en voyant qu’il n’y avait absolument pas de viande dans l’assiette et Ceria se frappa légèrement le front.
 
“Salut Mr Tête de Bœuf !”
 
De l’autre côté de la pièce, Gerial vit Sostrom s’étouffer sur sa boisson lorsque Erin s’adressa à Calruz. Le Minotaure fronça les sourcils et l’humaine lui sourit. Même assis, le Minotaure était presque à sa hauteur.
 
“Je n’étais pas certaine que tu manges de la viande. J’ai aussi du lard. Qui vient d’un porc… je crois, donc il n’y a pas de bœuf.”
 
“Je peux manger du bœuf.”
 
Grogna Calruz en réponse. Elle sourit, soulagée, et agita la main en direction de Toren. Le squelette s’approcha avec une énorme assiettée de lard grésillant. Le Minotaure l’accepta des mains d’Erin et grogna de satisfaction. Puis il l’examina de plus près.
 
“Un détail, Aubergiste. Mon nom est Calruz et je mène les Cornes d’Hammerad. N’importe quel titre me convient mais… je préférerais que tu ne m’appelles pas “Tête de Bœuf”.”
 
Erin se frappa la main sur le front.
 
“Oh non. Est-ce que c’est raciste ? Je suis désolée ! Je ne voulais pas t’appeler par le nom de ton peuple. Je dois dire quoi à la place ?”
 
La paupière gauche de Calruz tressaillit involontairement. Il prit une grande inspiration puis exhala lentement. Ceria et Gerial retinrent leur respiration.
 
“Nous ne sommes pas des bœufs. Ni du bétail.”
 
“Qu’est-ce que vous êtes, du coup ?”
 
Cette fois-ci, Calruz dévisagea longuement Erin pour voir si elle plaisantait. Mais elle paraissait parfaitement sincère.
 
“Un Minotaure.”
 
Wow. Je pensais que c’était peut-être le cas, mais tu ne ressembles pas du tout aux dessins.”
 
“Tu pensais que je ressemblerais à quoi, alors ?”
 
Erin agita vaguement les mains dans sa direction.
 
“Oh, je ne sais pas. Moins… poilu. Un peu comme un humain avec une tête de Minotaure. Et tes cornes sont vraiment cools.”
 
Elle pointa du doigt les longues cornes de Calruz et Gerial crut que le Minotaure allait exploser. Mais l’émerveillement d’Erin parut l’adoucir.
 
“Je ne sais pas de quels Minotaures tu as entendu parler. Mais j’accepte tes excuses.”
 
Il se mit à manger, de manière considérablement plus rapide que Gerial et Ceria mais en utilisant ses couverts et sans en mettre de partout. Erin hésita, clairement en train de penser à une autre question. Avec réticence, Calruz leva les yeux.
 
“Quoi ?
 
“Hum. Est-ce que tu aimes les labyrinthes ?”
 
***

Erin apprit beaucoup de choses sur les Minotaures ce jour-là. Ils étaient plutôt polis, de bons mangeurs, pouvaient vraiment manger du bœuf s’ils le voulaient - mais n’aimaient pas trop répondre à beaucoup de questions.
 
Elle regarda les Cornes d’Hammerad quitter l’auberge et se diriger vers la ville et regarda tout ce qu’ils avaient laissé derrière eux. De l’argent, bien sûr - ils avaient payé en avance, et une belle somme avec ça, et ce n’était que pour la première nuitée. Et ils allaient revenir pour le dîner, mais c’était la dernière chose qu’ils avaient laissée qui la dérangeait.
 
De la vaisselle. Beaucoup, beaucoup de vaisselle.
 
Erin regarda les couverts et la porcelaine empilés et pointa Toren du doigt.
 
“Lave ça.”
 
Le squelette acquiesça - d’un air presque grincheux, nota Erin. Il souleva le seau d’eau et le versa dans une marmite pour chauffer l’eau sur le feu tandis qu’Erin ouvrait ses placards, appréhendant avec anxiété ce qu’elle allait y trouver.
 
Deux minutes plus tard, Erin sortit en trombes de l’auberge.
 
“Je n’ai plus de nourriture !”
 
Elle s’arrêta, courut à l’intérieur pour attraper sa bourse puis ressortit de nouveau en courant. Tor se précipita derrière elle.
 
“Reste ici ! Fais la vaisselle !”
 
Il stoppa net, les mâchoires s’entrechoquant, et Erin dévala la colline.
 
***

“Okay, mets-moi dixsaucisses et j’aurai besoin d’un sac de sel, aussi. Oh, et d’un peu d’huile de cuisson.”
 
Krshia acquiesça et cria quelque chose dans sa langue grondante à un autre Gnoll de l’autre côté de la rue. Les deux commerçants disparurent et se mirent à sortir les différents aliments qu’Erin avait demandé.
 
Erin s’était rendu compte qu’il était plus simple de s’adresser à Krshia pour faire ses courses. La Gnolle pouvait lui indiquer les bons commerçants et Erin savait ainsi qu’elle ne se faisait jamais arnaquer.
 
“Je te mets quelque chose d’autre avec ceci, Erin Solstice ?”
 
“Hum…”
 
Erin regarda autour d’elle. La Rue du Marché était encore à moitié détruite, mais les affaires avaient repris dans la partie qui n’avait pas été brûlée comme d’habitude. Et en effet, une grande partie de la rue brulée avait déjà été rénovée par des Ouvriers travailleurs. Les commerçants avaient déjà remis leurs étals en place, et si on faisait abstraction de la suie noire qui recouvrait certains bâtiments et une partie du sol, tout semblait relativement normal.
 
Les seules différences étaient la présence du Garde qui descendait la rue toutes les trois minutes et les regards noirs qu’adressaient les passants à n’importe quel humain qui pointait le bout de son nez. Erin en recevait une bonne partie, mais on aurait dit que les commerçants la connaissaient, et eux au moins ne marmottaient pas des insultes sur son passage. Ou du moins, nulle insulte qu’elle puisse entendre.
 
“Je ne sais pas. Qu’est-ce que tu me recommanderais, Krshia ?”
 
La Gnolle mit les mains sur les hanches et réfléchit.
 
“Hum. Ce sont des aventuriers qui restent à ton auberge, oui ? En ce cas achète de la bière, ou quelque chose à boire, oui ?”
 
“De la bière ? Oh, bien sûr ! Parfait ! Mets-en moi, euh, un fût.”
 
Krshia sourit mais secoua la tête.
 
“Il faudra se contenter d’un tonnelet pour le moment. Transporter un fût est difficile, oui ? Et mon Coursier est… surmené. Il ne pourra pas t’amener tes marchandises avant demain, même sans avoir à traîner un fût, oui ?”
 
“Quoi ? Demain ?”
 
Le visage d’Erin se décomposa. Elle s’était habituée au Gnoll silencieux et peu aimable qui amenait un chariot à son auberge à chaque fois qu’il lui fallait une livraison. Certes, il ne “courait” pas, mais Krshia lui avait dit que les Coursiers de Rues utilisaient souvent des chariots pour porter les livraisons lourdes, au contraire des Coursiers de Ville. Elle n’avait aucune idée de ce que cela voulait dire.
 
“Tu ne pourrais pas t’arranger pour me l’amener plus tôt ? Je n’ai plus de nourriture à l’auberge !”
 
Krshia secoua de nouveau la tête et Erin dut reculer pour éviter une touffe de poils bruns volante.
 
“Mes excuses. Mais il y a beaucoup de travail en ce moment, oui ? Donc beaucoup de clients, ce qui est bien. Mais pas pour toi, oui ? Je peux te prêter un chariot, mais c’est tout.”
 
Inconsolable, Erin regarda la petite montagne de produits qu’elle avait achetés. Krshia l’avait marquée et mise de côté pour que le Coursier la récupère. C’était… eh bien, c’était beaucoup. Elle avait fait tous ces achats en se disant qu’elle n’aurait pas à les porter. Mais comme il fallait qu’elle le fasse, Erin regrettait soudain d’avoir commandé autant de choses.
 
Elle se demanda brièvement si elle pourrait se contenter d’en emmener un peu. Mais les aventuriers mangeaient tellement et c’étaient ses premiers véritables clients. Elle ne voulait pas les décevoir, mais le soleil était déjà haut dans le ciel et elle allait bientôt devoir faire le repas de midi.
 
Il n’y avait rien à faire. Amener Toren en ville causerait plus de problèmes qu’il n’en résoudrait. Si elle voulait ramener tout ça, elle allait devoir faire plusieurs voyages avec son chariot et s’arrêter entre-temps pour nourrir ses invités. Erin soupira.
 
Mais son visage s’illumina soudain. Elle remarqua un groupe de gens qui fendaient la foule. Des gens qui sortaient de l’ordinaire selon elle, par rapport aux gens habituels qui composaient la foule de Liscor. Elle repéra une femme en armure d’argent, un type gigantesque avec un hache et plusieurs autres humains marchant aux côtés d’un grand Minotaure qu’elle reconnaissait.
 
Erin leva la main et l’agita.
 
“Hey ! Hey ! Capitaine des Cornes !”


***

“Quelqu’un peut me rappeler pourquoi on fait ça ? “
 
Se plaignit Gerald, Capitaine de la compagnie Argent connue sous le nom de la Fierté de Kyrial, en atteignant enfin le sommet de la petite colline où se dressait L4AUberge Vagabonde. Il portait son armure, évidemment, et sa hache de guerre iconique, mais l’homme musclé portait un autre fardeau.
 
Un sac d’oignons et cinq miches de pain frais, pour être précis. Et une expression agacée, mais ça ne pesait rien.
 
“Nous sommes ici parce que nous voulons utiliser cette auberge pour faire nos plans, et parce que l’aubergiste a besoin de provisions. Et parce qu’aider est poli.”
 
Yvlon sourit à Gerald et fit un clin d’œil silencieux à Erin en portant deux jambons.
 
“Exactement. Et ce n’est pas si lourd que ça.”
 
Ce dernier commentaire venait d’un Gerial pantelant. Il avait porté un sac de farine tout seul et regrettait son geste, surtout avec le poids de son armure.
 
Calruz grogna, irrité. Il lâcha d’un air déterminé les sacs de farine qu’il avait porté dans les bras de Toren lorsque le squelette sortit de l’auberge. Le squelette tituba sous le poids et porta son fardeau dans la cuisine.
 
“Ce n’était pas un travail de guerrier.”
 
“Non, mais c’était nécessaire, et j’apprécie beaucoup le geste.”
 
Erin sourit à Calruz en portant un sac plus petit dans la cuisine. Elle sortit la tête par l’entrebâillement de la porte.
 
“De plus, si vous ne m’aviez pas aidée, je n’aurais pas pu préparer le déjeuner ! Comme ça, tu pourras manger et de plaindre en même temps, M. Grincheux !”
 
Ceria sourit et posa les chapelets de saucisses sur la table.
 
“Touché. Elle t’a eu, là, Calruz.”
 
Yvlon et le reste des capitaines aventuriers lâchèrent leurs fardeaux sur les tables et examinèrent l’auberge. Cervial siffla d’un air appréciateur.
 
“Et vous avez eu toute cette auberge pour vous tous seuls ? On avait à peine la place de tenir debout dans notre auberge et on dormait à trois par chambre. Ça vous embête si on partage ?”
 
Gerial éclata de rire en se massant l’épaule.
 
“Parles-en à l’aubergiste, mais on occupe déjà la moitié du deuxième étage.”
 
“Et on ne cèdera pas nos chambres !”
 
Ajouta Ceria. La Demie-Elfe soupira en s’asseyant sur une chaise et accepta un verre d’eau de la part du squelette. Elle s’était habituée à la créature morte-vivante, mais les yeux des autres capitaines suivirent Toren alors qu’il rentrait dans la cuisine.
 
“Tu nous avais prévenus mais je n’avais pas cru que…”
 
“Ce n’est pas si extraordinaire. D’autres nations utilisent les morts-vivants, même si je n’avais jamais entendu parler d’un squelette serveur.”
 
Yvlon rejeta sa chevelure en arrière et sourit pour remercier Erin qui lui tendait un verre. Elle regarda le reste des capitaines qui se faisaient aussi servir des rafraîchissements et des promesses de repas pour les récompenser de leur travail.
 
“Eh bien, on est arrivés plus tôt que je ne le pensais, mais est-ce qu’on commence à planifier ?”
 
***

Le temps ne semblait pas être du côté d’Erin. Enfin, il passait, mais beaucoup trop vite à son goût.
 
On aurait dit qu’elle avait à peine eu le temps de se réveiller, faire le petit-déjeuner, et acheter un peu de nourriture avant midi. Et ensuite elle avait préparé le déjeuner, nettoyé, et soudain il était déjà l’heure du dîner.
 
Mais c’était le principe de s’occuper d’une foule de gens : ça prenait du temps, et Erin devait constamment préparer de la nourriture en prévision du moment où ils allaient la manger. Donc la nuit eut beau tomber rapidement, elle était très, très consciente du fait qu’elle avait dû travailler toute la journée pour y arriver.
 
Erin s’arrêta pour essuyer une pellicule de sueur de son front et grimaça en se rendant compte qu’elle venait de s’étaler de la sauce tomate dessus. Oh, soit. Ce n’était pas comme si son visage avait été immaculé avant ça. Et elle était trop occupée pour aller se laver.


Elle jeta un regard au ciel noir nuageux et se demanda s’il était temps de fermer les fenêtres de la cuisine. Elle avait ouvert les volets ici pour rafraîchir la cuisine, autrement affreusement chaude, mais on aurait dit qu’il allait pleuvoir et elle n’avait vraiment pas besoin d’ajouter à ses tâches un sol mouillé.
 
Les nuits se rafraîchissaient. Déjà, Erin s’était mise à fermer toutes les fenêtres dans la soirée, et ce soir il faisait particulièrement frais. De sombres nuages orageux avaient englouti le soleil plusieurs heures plus tôt et promettaient de larguer leur chargement à un moment dans la soirée.


“L’hiver vient.”
 
Toren s’immobilisa et tourna la tête dans sa direction. Il n’avait probablement pas entendu ce qu’Erin avait dit. Elle agita la main et il sortit de la cuisine.
 
Elle avait fini son assiette de spaghettis. Enfin… ses assiettes. Erin en souleva une dans chaque main avec précaution - elle pouvait en prendre plus, mais la porcelaine était lourde et elle n’était pas si pressée que ça - et entra dans la salle commune.
 
Une vague de bruit l’accueillit. Les aventuriers étaient assis dans la pièce, bavardant, riant, se disputant. La vision était si étrange dans son auberge qu’Erin dut marquer une pause. Mais elle travaillait et les assiettes étaient lourdes, donc elle se reprit et se dirigea vers les deux tables qui avaient été regroupées au centre de la pièce.
 
“Comment ça, il faut attendre?”
 
Calruz assena un poing sur la table, manquant de faire sursauter Erin. Il hurlait sur un groupe d’hommes et une femme - tous des aventuriers, apparemment. Ils étaient arrivés à l’auberge vers midi avec quelques amis et étaient restés après le repas pour discuter.
 
Enfin, surtout se disputer. Ceria et Gerial étaient assis à côté de Calruz, grimaçant lorsque le Minotaure exprimait son mécontentement. Chaque autre capitaine avait également son vice-capitaine avec lui.
 
“Nous ne sommes pas prêts à entrer là-dedans, Calruz. On a besoin de matériel, de provisions. On pensait pouvoir refaire nos stocks ici, mais tout est hors de prix et les commerces sont mal approvisionnés. De plus, il faut qu’on envoie des équipes de reconnaissance là-dedans. Et il y a d’autres aventuriers dont il faut que nous considérions la candidature…”
 
“On sait ce qu’il y a là-dedans. Et les Ruines ne sont qu’à une heure de marche de la ville ! On n’a pas besoin de provisions ni d’éclaireurs !”
 
“On a convenu qu’on se joindrait à vous, Calruz, mais ça ne veut pas dire qu’on se met tous sous ton commandement. Nous sommes tous égaux ici, et on ira là-dedans comme il se doit ou on n’ira pas du tout.”
 
C’était Lir qui avait parlé, le seule mage à la table si on ne comptait pas Ceria. Il sourit et remercia Erin lorsqu’elle posa son assiette devant lui. Puis il tourna de nouveau son attention sur Calruz.
 
“Il y a quelques rangs Argent dans la ville. Certains sont bons, je les connais. Ça ne ferait pas de mal de se joindre à eux, et comme l’a dit Cervial, on a besoin de temps. Un jour ou deux de délai ne nous en fera pas perdre. Moi, je suis surtout inquiet pour nos formations. Ceria a dit qu’elle pouvait apprendre le sort d’[Illumination] à temps, mais même si on a ça, comment est-ce qu’on compte s’y prendre pour la véritable phase d'exploration ? Je ne suis pas partant pour diviser notre avant-garde…”
 
Gerial s’agita. Il avait cessé de mâcher ses tranches de jambon pour regarder Lir d’un œil noir.
 
“Tu ne peux pas vouloir garder toutes nos forces en un seul bloc. Le temps que ça prendrait…”
 
Erin n’écouta plus. Elle était occupée, et les aventuriers se disputaient depuis le début de la journée. C’était mieux ça que, disons, une rixe de taverne, mais elle avait du boulot.
 
Elle tourbillonna dans l’auberge, prenant les commandes, remplissant les chopes, et, de manière générale, souhaitant être moins occupée. La porte s’ouvrit et Erin se tourna pour sourire et expliquer au nouveau venu que les squelettes et les Gobelins en général étaient gentils.
 
Elle n’eut pas besoin d’expliquer, parce que Pisces se tenait dans l’encadrement de la porte, clignant des yeux de surprise devant la foule massée dans l’auberge. Il s’arrêta, regardant autour de lui comme s’il pensait qu’il s’était trompé d’endroit. Erin lui fit un signe de la main.
 
“Va t’asseoir là-bas !”
 
Elle pointa du doigt une table isolée. Pisces hésita; examinant toujours les aventuriers, mais il finit par aller s’asseoir. Il marqua une pause en voyant la table où les capitaines aventuriers étaient assis.  Ils levèrent les yeux, et Ceria ouvrit la bouche.
 
“Pisces.”
 
Le [Nécromancien] hocha la tête.
 
“Ceria.”
 
“Arrête de déranger mes clients !”
 
Erin donna un coup de pied dans le dos du mage, à la grande joie de certains aventuriers. Pisces la fusilla du regard, et son indignation s’intensifia lorsque Toren s’approcha pour lui tendre un menu.
 
“Je me dois de protester ! Ma création n’est pas conçue pour les tâches subalternes. De plus, je suis un [Mage] accrédité et je mérite d’être traité…”
 
“À manger !”
 
Erin lâcha l’assiette devant Pisces et partit. Elle avait tant à faire ! Si c’était à ça que ressemblait la vie d’aubergiste, elle allait sérieusement avoir besoin d’un autre squelette. Ou de deux. Toren se précipitait de partout, servant les aventuriers vigilant avec une précision mécanique.
 
C’était pour cela qu’une auberge devait avoir des gens pour s’occuper de la cuisine et du bar. Maintenant qu’elle y pensait, un barman n’aurait pas été de trop, tout comme un autre tonnelet de bière. Erin n’en avait plus depuis longtemps et les aventuriers avaient été déçus de découvrir qu’elle n’en avait plus. Elle aurait probablement pu se faire une fortune rien qu’avec ça.
 
La porte s’ouvrit. Erin se tourna, prête à sourire, puis sourit pour de vrai.
 
“Olesm ?”
 
Le Drakéide bleu entra d’un pas incertain dans l’auberge, regardant autour de lui avec des yeux ronds. Il la repéra et se précipita vers Erin, sans se préoccuper des aventuriers qui s’étaient tus à son arrivée.
 
“Erin ! J’y suis arrivé ! J’y suis arrivé !”
 
“À quoi ?”
 
“Je l’ai enfin résolu !”
 
Le Drakéide fit une danse de joie autour d’Erin, en agitant le bout de parchemin. Elle cilla, confuse.
 
“Ça m’a pris des jours… non, presque une semaine ! Au final, j’ai dû rester enfermé, mais j’y suis arrivé ! Et j’ai gagné des niveaux ! Deux !”
 
“Quoi, deux ? Comment ça ?”
 
Elle l’obligea, non sans difficultés, à arrêter de s’agiter pour qu’il lui montre. Erin vit un morceau de papier quasiment recouvert d’encre et la notation pour quatre coups d’échecs. La solution d’un puzzle d’échecs. Son puzzle.
 
“Oh, tu y es arrivé ! Félicitations !”
 
Elle sourit à Olesm et il répondit par un sourire plein de dents. Il délirait de joie, mais ses yeux étaient également légèrement dans le vague, ce qui indiquait que le délire ne s’appliquait pas qu’aux échecs.
 
Les lézards n’avaient pas de blanc dans les yeux. Comme les Gnolls, leurs yeux étaient unis, et munis d’une pupille sombre de serpent au centre. Les yeux d’Olesm étaient d’une merveilleuse teinte de bleu avec un extraordinaire motif ressemblant à des gouttes de pluies en train de tomber.
 
Ils étaient aussi infectés de sang et plein de folie. Erin remarqua qu’Olesm avait l’air émacié, et plus maigre que la dernière fois qu’elle l’avait vu. Il avait également une odeur de saleté et… était-ce de la peau morte sur le côté de son cou ? Non… des écailles mortes. Elles s’écaillaient, et plus Erin les regardait, plus cela ressemblait à une horrible mycose.
 
Elle essayait vraiment de ne pas y prêter attention, vraiment. Mais c’était extrêmement difficile d’en faire abstraction.
 
Olesm remarqua ce qu’Erin regardait et rougit. Il couvrit immédiatement la zone de la main.
 
“Hum… je suis tellement désolé. Je ne me suis pas lavé depuis un bout de temps. J’étais juste tellement heureux d’y être arrivé que je me suis précipité ici. Mais j’y suis enfin arrivé ! C’était le plus grand défi que j’aie jamais eu, et les récompenses étaient… extraordinaires !
 
Il sourit, proche de l’extase. Erin ne put s’empêcher de sourire avec lui en l’amenant à une table vide et en faisant signe à Toren de lui amener à boire.
 
“Ça t’a pris une semaine, huh ?”
 
“Je pense un tout petit peu moins.”
 
Olesm accepta la chope avec reconnaissance puis dévisagea avec horreur la créature qui la lui avait apportée. Pendant ce temps, Erin essayait de se souvenir. Elle lui avait donné un problème d’échecs ? Oh ! Oh oui, c’était celui qu’elle avait envoyé au mystérieux amateur d’échecs. Olesm avait dit qu’il allait en faire une copie.
 
Et cela ne lui avait pris qu’une semaine ? Erin était… impressionnée.
 
Elle était impressionnée. Elle avait mis presque une semaine à résoudre le problème aussi. Certes, elle avait dû chercher pendant ses pauses entre les cours. Et elle avait été au collège. Mais quand même.
 
La différence, c’était qu’Olesm n’avait jamais appris les stratégies de base qu’Erin avait utilisées pour bâtir sa connaissance des échecs. C’était en partie la raison pour laquelle elle pouvait encore rouler sur lui et sur n’importe qui d’autre, même si Olesm était probablement le meilleur. Et ça expliquait pourquoi il n’était pas passé depuis longtemps. Elle l’avait oublié, pour tout dire…
 
“Erin ! Erin!”
 
Olesm tirait la main d’Erin. Elle s’ébroua et vit que les écailles bleues du Drakéide avaient pâli.
 
“Qu’est-ce qu’il y a ?”
 
“Il y a un… un squelette !”
 
IL pointa d’une griffe et sa serre trembla en voyant Toren apporter une autre assiette de nourriture à Calruz. Erin regarda le squelette d’un air désabusé.
 
“Ouais. C’est Toren.”
 
“Toren ? C’est… que fait un squelette ici ? Est-ce que ce [Nécromancien] l’a invoqué ?”
 
Erin réalisa qu’Olesm n’avait encore jamais vu Toren. Elle essaya d’expliquer. Olesm essaya d’écouter. La salle commune était plutôt bruyante.
 
“Quoi ? Et tu l’as accepté ? Mais les morts-vivants…. ils sont tellement dangereux ! De plus, un squelette ne vaut pas tous les repas que Pisces a mangés !”
 
Les yeux d’Erin se plissèrent et elle fusilla Pisces, qui était à l’autre bout de la pièce, du regard. Il essayait déjà d'éviter le regard de Ceria, la Demie-Elfe le dévisageant de temps en temps, mais il se recroquevilla aussi sous le regard d’Erin, bien qu’il n’eût pas pu savoir ce dont Olesm et elle parlaient.
 
“Oh vraiment ?”
 
Olesm acquiesça. Il se mit à dévorer la nourriture que Toren lui avait apporté, clairement affamé.
 
“Leurs sorts d’entrave ne durent pas si longtemps que ça. Le squelette moyen s’effondre en une journée ou deux après son animation, et même si le nécromancien utilise une entrave infinie, le sortilège s’éteint dès qu’ils accumulent trop de dégâts. Et ils sont étonnamment fragiles !”
 
“Eh bien, celui-ci ne s’est pas effondré et il a déjà été mis en pièces une fois.”
 
Olesm fronça les sourcils.
 
“Vraiment ?  C’est inhabituel. La plupart des mages ne perdent pas autant de mana sur un simple squelette.”
 
“Je pense que celui-ci est différent. Il est assez intelligent pour prendre les commandes et servir à boire, par exemple.”
 
 
Le Drakéide suivit des yeux le circuit de Toren dans la salle et hocha lentement la tête.
 
“C’est vrai. Et c’est bizarre, ça aussi. Il est très intelligent… est-ce qu’il peut jouer aux échecs, par hasard ?”
 
“Quoi ?”
 
Erin sourit et Olesm éclata de rire.
 
“Tu ne penses donc qu’à ça ? On dirait moi quand j’étais petite !”
 
Le Drakéide rougit et baissa la tête. Puis il hésita et regarda autour de lui.
 
“Je ne pensais pas que tu serais aussi débordée… j’espérais faire une partie, mais je ne voudrais pas t’empêcher de travailler. Où est la petite Gobeline ou l’Ouvrier, Pion ?”
 
Le sourire d’Erin s’effaça. Elle avait presque oublié les événement de la veille.
 
“Je n’ai pas vu Loks ou ses amis aujourd’hui. Ils doivent être en train de faire des trucs de Gobelins. Mais… les Ouvriers ne viendront probablement pas avant un petit moment. Il y a eu un… incident avec Pion.”
 
Olesm parut inquiet.
 
“Que s’est-il passé ?”
 
Quelqu’un appelait Erin. Elle regarda autour d’elle, distraite, et fit la moue.
 
“Je te dirai plus tard ! Attends que les choses se calment un peu et on fera une partie, d’accord ?”
 
Avec réticence, Olesm acquiesça. Toutefois, son visage s’illumina lorsque Erin lui apporta à manger, et il attaqua son assiette. Erin alla voir l’aventurier qui lui faisait signe, et sa quête sans fin pour la satisfaction du client continua.
 
***


Plus tard. Plus tard dans la nuit. Erin était épuisée jusqu’à l’os, mais elle souriait toujours et, étonnamment, elle s’amusait bien. Les aventuriers n’étaient pas des imbéciles et ils aimaient bien sa cuisine. Et ils avaient de l’argent ! Ce n’était pas mal de travailler pour une fois, et Erin se demanda combien d’argent lui aurait rapporté la soirée.
 
Pas une mauvaise pioche. Mais elle était fatiguée. Elle s’arrêta, s’essuya le front et accepta un verre des mains de Toren.
 
“Hey, bon travail. Tu ne t’en sors pas si mal.”
 
Le squelette s’immobilisa et hocha la tête. Elle cligna des yeux, perplexe, en le voyant ressortir de la cuisine.
 
“Ces squelettes. Ils pensent qu’ils sont aussi bons que des vrais gens.”
 
Elle rit, et ressortit. Les commandes s’étaient enfin arrêtées, et il lui suffisait à présent de remplir les verres et faire la monstrueuse vaisselle entassée à la cuisine. Toren pourrait s’en occuper. Erin allait simplement remplir un seau d’eau au torrent et la faire bouillir avant d’aller s’asseoir faire une partie d’échecs avec Olesm, et peut-être Pisces.
 
Elle avait un seau à la main et se dirigeait vers la porte lorsque cette dernière s’ouvrit. Deux Ouvriers entrèrent. Erin leva une main pour les saluer…
 
Et la moitié des aventuriers de la pièce empoignèrent leurs armes.
 
“Whoa ! Hey ! Baissez vos épées !”
 
Hurla Erin lorsque les aventuriers se mirent à repousser leurs chaises en arrière, faisant tressaillir les Ouvriers. Elle se mit entre les aventuriers et la porte.
 
“Ce sont mes invités ! Mes invités ”
 
“Des Antiniums !”
 
“Les Insectes !”

Certains aventuriers étaient en train de crier, mais les capitaines furent les premiers à se remettre de leur surprise. Gerald attrapa l’épaule d’un aventurier qui était en train de se lever et le fit se rasseoir.
 
“Pas de bagarre !”
 
C’était Cervial. Il haussa la voix et cria sur les aventuriers.
 
“Ils font partie de Liscor ! Si vous les blessez, c’est la cité qui se retournera contre vous ! Ils ne sont pas ici pour se battre ! Ce sont des Ouvriers.”
 
Erin ignora les cris et laissa les Capitaines restaurer l’ordre dans l’auberge. Elle regarda les Ouvriers, confuse.
 
“Pourquoi êtes-vous ici ? Je croyais que vous ne pouviez pas sortir de la ville.”
 
Pas sans Pion. Mais l’esprit d’Erin rattrapa ce qu’elle venait de dire.
 
“Pion ?”
 
“Oui, Aubergiste Solstice. Mais il y a un problème…”
 
L’Ouvrier ouvrit la porte. Erin vit deux autres Ouvriers en train d’aider l’un des leurs à entrer. Il leur ressemblait, ils étaient tous identiques, mais il était pourtant différent.
 
Pion.
 
Il allait bien. Il était vivant. Erin sourit lorsqu’il entra en titubant dans l’auberge. Mais alors son sourire se figea.
 
Les aventuriers, qui avaient été en train de protester contre la présente des Ouvriers, jetèrent un regard à Pion et se turent. Plusieurs armes furent ressorties des fourreaux. Dans le silence de mort, quelqu’un jura bruyamment.
 
Les deux Ouvriers durent aider Pion à entrer dans l’auberge. Il vacilla. Une traînée de sang vert le suivait. Les yeux d’Erin furent happés par la couleur. Tellement verte. Tellement vibrante.  Une couleur qu’elle avait déjà vue sur ses propres mains.
 
L’Antinium du nom de Pion leva les yeux sur Erin. Elle lui rendit son regard. Ses pensées s’étaient… arrêtées. Elle le dévisagea.
 
C’était toujours Pion. Mais il lui manquait une antenne, celle que Ksmvr avait coupée. Et il lui manquait aussi des bras. Trois. Et une partie d’une jambe.
 
La porte se referma et une pluie froide se mit à tomber.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 27 mai 2020 à 14:12:52
1.38
Traduit par Maroti

« Je suis un individu. Je suis un Antinium. »

Ce fut la première chose qu’Erin entendit Pion murmurer. Il s’était assis et avait arrêté de saigner sur le plancher alors qu’elle enroulant un bandage autour de ses moignons.

Les potions de soins que les aventuriers avaient utilisés avait arrêté le saignement, mais il n’y avait aucun moyen de restaurer des membres coupés. Et ses plaies ouvertes étaient toujours exposés à l’air libre. L’Antinium n’avait pas de peau, que de l’exosquelette, et cela faisait que les moignons soignés étaient toujours vulnérables.

Il murmura alors qu’Erin s’assit pret de lui. La demi-elfe nommé Ceria et les autres aventuriers s’était regroupé autour d’elle ou la regardait depuis leurs tables en tant que spectateurs silencieux. Mais toute l’attention d’Erin était concentrée sur l’Antinium devant elle.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

Il trembla.

« Des questions m’ont été posées. J’ai été testé. J’ai réussi. »

Erin regarda son cœur brisé. Trois bras avaient été coupés. Et une partie de son pied… Sa carapace était craquées à plusieurs endroits, et coupé à d’autres.

De la torture.

« Est-ce qu’il va revenir pour toi ? Ksmvr ? »

Le nom figea Pion comme un… Un cafard se faisant prendre dans la lumière. Il commença à trembler de manière incontrôlable alors que les deux Ouvriers durent le tenir pour qu’Erin puisse terminer le pansement.

« Il… Le Prognugator m’a laissé partir. Il m’a laissé partir. Je suis un individu. Pas une Aberration. Il m’a laissé partir. »

Pion répéta les mots à plusieurs reprises, se balançant en avant et en arrière. Erin le regarda. Elle ne savait pas quoi faire.

« Erin… »

Elle regarda autour d’elle. Ceria était en train de regarder l’Antinium.

« Qui est-ce ? »

« Pion. C’est Pion. Il est un Ouvrier. »

« Non. »

Les quatre Ouvriers prononcèrent le nom d’une même voix. Erin les regarda. Ils parlèrent à l’unisson.

« L’individu connu sous le nom de Pion n’est plus un Ouvrier. »

« Alors qu’est-ce qu’il est ? »

« Un Individu. Un Antinium. Pas une Aberration. »

Ceria regarda Erin.

« Cela doit avoir quelque chose en lien avec les Antiniums en ville, pas vrai ? Est-ce qu’ils se sont… Battus ? J’ai entendu parler des Prognugators. Si ce Ksmvr en a après ton ami… »
« Non. Non ! »

Pion agita son bras valide. Les Ouvriers durent le maintenir de nouveau.

« Je ne suis pas une Aberration. Je ne le suis pas. Je suis… »

Il était incohérent, au du moins Erin n’avait jamais vu un Antinium plus incohérent. Elle le regarda, alors qu’il continuait de trembler. Et s’il le pouvait, Erin était certaine qu’il serait en train de pleurer. Mais trembler était la seule chose qu’il pouvait faire.

C’était étrange. Erin pensa qu’elle devait être pleine de… Quelque chose en cet instant. De la rage, peut-être, ou de chagrin. Mais à la place, il n’y avait rien. À l’exception de quelques pensées.

Pion était toujours en train de babiller. Il continuait de répéter son innocence alors que les autres aventuriers le regardaient, impuissant. Certains semblaient dégoûtés, d’autres étaient véritablement compatissants. Et certains étaient simplement silencieux, car ce n’était pas le moment pour s’exprimer.

Erin n’avait pas de temps à perdre avec eux. À la place, elle marcha lentement jusqu’à une table. Olesm était paralysé dans son siège. Il leva de grands yeux ébahis vers elle. Mais elle ne s’adressa pas à lui. À la place, elle s’empara de ce qui se trouvait devant le Drakéide.

Un échiquier.

Ceria cligna des yeux alors qu’Erin le ramena à la table. Mais les yeux de Pions étaient fixés sur la planche de bois alors qu’Erin la déposa en face de lui. Pion leva les yeux et croisa son regard, et elle sentit le vide en elle s’approfondir.

Lentement, les deux Ouvriers dressèrent Pion et il bougea pour pouvoir atteindre l’échiquier avec son bras restant. L’ancien Ouvrier hésita avant de bouger.

Il trembla comme une feuille en pleine tempête. Pion tâtonna vers les pièces d’échecs avec son dernier bras, essayant maladroitement d’organiser les pièces et les faisant tomber, tremblant.

Erin regarda l’Antinium et ne ressentit pas la moindre trace de furie en elle. Pas de furie noire, pas de rage brûlant avec le pouvoir d’un millier de soleils. Rien.

Ses mains étaient calmes alors qu’elle prit les pièces de Pion et les installa sur l’échiquier. Elle arrangea ses pièces et les siennes avec précautions. Il avait les blancs, elle avait les noirs. Il fit maladroitement avancer un pion et elle répondit.

Gambit Dame. Défense Hollandaise. Erin écrasa Pion en quelques coups. Sans aucune pitié. Sans culpabilité ou hésitation.

L’Antinium vacilla. Elle le sentit et le vit hésiter, et vit les autres Ouvriers autour de lui le regarder. Mais elle prépara de nouveaul’échiquier et commença de un autre partie.

Ouverture du Pion Roi. Défense Française. Erin joua l’inverse que ce qu’à quoi Pion s’attendait, restant sur la défense et capturant ses pièces lentement. Elle gagna de nouveau, de manière écrasante.

Rien. Pas de sensation. Erin joua dans un vide de calme, jouant de son mieux contre un Pion brisé qui pouvait à peine bouger ses pièces. Elle reprépara l’échiquier et ils jouèrent de nouveau.

Encore, et encore. Un silence de glace, un silence de forêt. Le silence des jours sans fin des déserts ouverts ou le vent dévorait tout et où le sable était la seule chose qui changeait. Le silence de l’océan béant lors d’un jour ensoleillé, vaste et bruyant, engouffrant toutes choses et transformant le monde en un paysage turquoise.

Le silence de l’éternité, retransmit dans le doux claquement des pièces d’échecs sur un échiquier.

De nouveau, Pion joua et Erin gagna. Elle fit tourner l’échiquier et fit le premier coup. Elle gagna de nouveau.

Il était seul. Seul, et à peine la moitié de la joueuse qu’elle était. Mais quelque chose qui avait été coupé revenait avec chaque partie. Lentement, l’Antinium arrêta de trembler.

Il joua. Il perdit. Et Erin ne ressentit rien. Mais chaque partie était une petite tranche d’éternité coupé et partagé entre les deux, un moment de guérison, un moment de concentration et de silence. Un moment immortel.

Et quand cela se termina, les parties se terminèrent quand le soleil se coucha et que la nuit tomba avant de redevenir le jour de nouveau. Elle laissa l’Antinium pousser son roi avec douceur. L’Antinium avait arrêté de trembler, et il était assis au milieu d’un cercle silencieux d’Ouvriers, de Gobelins, et même de quelques aventuriers qui regardaient toujours les parties. Un unique squelette errait autour d’eux avec un plateau de nourriture en main, regardant avec de yeux qui voyait pour toujours dans la mort et à jamais piégé dans une partie d’échecs.

Mais Erin ne ressentait toujours rien. Il n’y avait pas  de lueur de douleur, de colère ou de tristesse. Les émotions étaient trop grandes pour elle. Mais qu’importe ce qui était en elle, cela la poussa en avant. Erin le sentit bouger en elle, comme le changement d’une marée. Un sentiment vaste et profond.

Elle parla alors que Pion baissa la tête, engourdie par le sommeil.

« Ksmvr. »

Le mot tira l’Antinium de son engourdissement en tremblant. Mais il était désormais assez fort pour entendre le nom, assez fort pour écouter et ne pas pleurer. Erin croisa les yeux de Pion et vit une personne lui rendre son regard à travers des yeux d’insectes à plusieurs facettes.

Elle ne fit pas de promesses, elle ne prononça pas de mensonge. Erin se pencha et serra l’insecte Ouvrier, sa carapace glacial au contact, l’enlaçant avec douceur. Elle se leva et prononça trois mots.

« Je suis désolé. »

La porte se ferma doucement derrière Erin. Et pendant un instant tous les aventuriers observèrent, toujours prit dans un fragment d’éternité. Puis le silence fut brisé par un choc et des insultes alors que la moitié des aventuriers de l’auberge foncèrent pour la rattraper.

***

« Erin ! »

Ceria fut la première hors de l’auberge. Elle n’était pas une guerrière, mais son héritage lui donnait grâce et vitesse, et elle n’était pas ralenti par de l’armure.

La Demi-Elfe couru dans la nuit pluvieuse et réalisa que l’autre fille avait déjà disparu. La porte s’ouvrit alors qu’Yvlon et Cervial s’arrêtèrent juste derrière elle.

« Où est-elle passé ? »

« Vers la ville, sans doute. Mais elle doit êtrerapide. Je n’arrive même pas à la voir d’ici. »

« Alors partons derrière elle ! Si elle essaye de se battre avec… »

« Les humains »

Ceria cracha le mot, plutôt comme un juron face à la situation qu’une attaque contre Erin. Elle regarda Yvlon.

« Je peux y aller mais cette Antinium à besoin d’être surveillé. Et je n’ai pas de Compétences de mouvement. Est-ce que tu… ? »

« Bien sûr. Tu retiens Calruz. »

« D’accord. Et si elle arrive en premier, n’affronte pas celui qui s’appelle Ksmvr. L’attaquer reviens au même qu’attaquer la colonie. »

Cervial hocha la tête. Il regarda autour de lui, sa vision nocturne bien plus efficace que celle de Ceria.

« Allons-y. Je n’arrive pas à la voir. La fille doit avoir une Compétence pour courir. »

Sans un mot, les deux capitaines partirent vers la ville, devenant rapidement des taches floues au loin. Ceria les regarda partir et se retourna. Elle vit les autres aventuriers se tenir dehors, en proie à l’indécision.

« Si vous voulez partir, partez. Mais uniquement pour ramener l’aubergiste. Se battre là-bas serait une erreur. Mais cela serait mieux si moins de gens se retrouvent dans les ténèbres. Nous ne savons pas quel genre de monstre vit dans les environs. »

À ces mots, la plupart des aventuriers retournèrent dans l’auberge. Ou du moins, essayèrent de rentrer dans l’auberge. Ils durent reculer alors qu’une grande forme les bouscula pour se frayer un chemin.

Calruz émergea de l’auberge, le visage noir et colérique. Aucun humain ne voulait se mettre en travers de son chemin, mais Ceria se planta sur le passage du Minotaure.

« Où est-ce que tu penses aller ? »

« Après l’aubergiste. Où d’autre ? »

« Yvlon et Cervial sont déjà à sa recherche. Dans tous les cas, tu n’es pas capable de la rattraper. »

Calruz grogna.

« Qui dit que je vais la rattraper ? L’enfant a besoin d’une seconde personne pour un vrai duel à mort. »

« Tu ne partira pas. Si nous causons une perturbation… »

« L’honneur est en jeu. Tu ne m’arrêteras pas. »

Ceria sentit une massive main la pousser sur le côté. Elle pensa à plusieurs sorts qu’elle pouvait utiliser et abandonna l’idée en voyant l’expression du visage de Calruz. Elle regarda, impuissante, le Minotaure s’éloigner en direction de la ville.

« Les deux autres seront peut-être capables de l’arrêter. S’ils trouvent l’aubergiste à temps. »

Gerial s’exprima bruyamment derrière Ceria. Elle dut hausser la voix pour se faire entendre par-dessus la pluie battante. Elle était déjà trempée, mais au moins ses robes enchantées ne se gorgeaient pas d’eau.

« J’espère juste qu’elle ne va pas véritablement essayer de combattre cette Antinium… Ou qu’importe qui il est. Elle n’est pas une guerrière. »

« Non. »

Les deux membres principaux des Cornes d’Hammerad échangèrent un regard. Ils le ressentirent tous les deux. Ce soupçon de déjà-vu

« Si tu veux y’aller… »

« Non. Calruz ne t’écouteras pas plus que moi. Et s’il commence vraiment un combat, c’est mieux qu’il soit le seul à se battre. Surtout que… »

« Surtout que ? »

Gerial regarda à travers la pluie, les poings serrés.

« Si je me rends là-bas je ne sais pas si je serais capable de m’arrêter. »

Ceria suivit son regard. La nuit était sombre et orageuse. Elle parla avec distance.

« Ce n’est pas ce qui m’inquiète. »

« Quoi ? »

« C’est la nuit. Et… Le timing de cette histoire. »

Ceria s’arrêta. Gerial la regarda. Ils se faisaient confiance, et les aventuriers avaient appris à suivre leurs instincts. Ceria trouva ce que son instinct lui disait et parla de nouveau.

« Ça ressemble à un piège. »

***

Ksmvr se tenait au sommet d’une colline. Il n’était pas dans l’enceinte des frontières de Liscor. C’était important qu’il ne le soit pas.

Les frontières. Les lois. Ksmvr les comprenait. Elles étaient importantes. Les lois et l’ordre était les fondations de la Colonie, et s’était en les suivant que tout pouvait être compris.

Des pactes avaient été faits. Les soldats de la Colonie n’était pas permis sur la surface à l’exception des urgences, ou de guerre. Et même si la définition d’urgence pouvait être utilisé dans bien des occasions, emporter des soldats au-dessus du sol amènerait quand même son lot de questions. Et la Reine ne devait pas être distraite.

Mais il n’y avait pas de pacte de la sorte en dehors du territoire de la ville. Par conséquent, quatre Soldats Antiniums se tenaient silencieusement aux côtés de Ksmvr, des géants silencieux attendant un ordre. Ils étaient l’élite, peut-être pas aussi puissants que lui de manière individuel, mais proche. Ensemble, ils étaient plus que suffisant pour maîtriser une [Aubergiste].

Cela était peut-être trop pour un seul humain, mais l’Antinium ne voulait rien laisser au hasard. Et Erin Solstice avait établi sa valeur. Initialement, Ksmvr n’avait su que ce que sa Reine lui avait dit, et il avait pensé qu’elle était insignifiante. Sans valeur.

Mais, et voilà ce qui était difficile, Erin Solstice était importante. Elle avait de la valeur. Elle était peut-être unique. Sa Reine s’était trompé quand elle avait jugé la valeur d’Erin et cela dérangeait grandement Ksmvr.

Mais son devoir en tant que Prognugator était de protéger et servir la Colonie. Et c’était ce que Ksmvr s’apprêtait à faire. Il attendait Erin Solstice avec la certitude qu’elle allait venir.

Ses actions étaient consignées dans un dossier. Plus encore, le processus de pensée des humains était bien connu de Ksmvr. Elle viendrait, furieuse et pleine de vengeance pour se faire prendre et l’individu connu sous le nom de Pion serait récupérer sans la moindre difficulté. Des obstacles mineurs comme les Gobelins, les aventuriers et le squelette n’étaient pas des menaces.

Ksmvr modifia sa position sur le sommet de la colline qui lui offrait une vue de la zone entourant la ville. Il ne s’ennuyait pas. Il était incapable de s’ennuyer. Mais le temps qu’il avait passé à atteindre le dérangeait.

Les Soldats derrière Ksmvr ne bougeaient pas. Ils attendaient, alerte et prêt à réagir contre n’importe quelle menace. Ils étaient aussi incapables de s’ennuyer.

Mais Relc s’ennuyait franchement. Le Drakéide bailla et les cinq Antiniums se tournèrent vers lui. Les épées et dagues de Ksmvr sortirent de leurs fourreaux et les Soldats levèrent immédiatement leurs mains aussi épaisses que des gourdins.

« Du calme. »

Relc s’assit dans l’herbe, apparaissant hors du paysage sombre comme par magie. Ce n’était pas de la magie, bien sûr, mais la boue et les écailles noires du Drakéide l’avait rendu pratiquement invisible dans l’herbe.

Ksmvr leva une main et donna un ordre mental aux Soldats, mais ni lui ni les soldats se relaxèrent. Il garda ses épées pointées vers le sol.

« Garde Vétéran Relc. Avez-vous affaire avec moi à cette heure ? Si cela est le cas, je sollicite que cela attende demain. »

Relc se gratta l’arrière de la tête. Il regarda Ksmvr et détourna le regard.

« Quoi ? Oh, non, non. J’ai rien à faire avec toi »

Ksmvr attendit, mais Relc n’ajouta rien. Un questionnement plus en profondeur était nécessaire.

« Puis-je m’enquérir sur la raison de votre présence ici ? »

« Vas-y, enquiert-toi autant que tu veux. »

Plus de silence. Ksmvr était conscient que Relc était délibérément obstiner et conflictuel. Une troublante complication.

« Pourquoi avez-vous suivi mon groupe ? »

Relc leva ce qui aurait dû être un sourcil.

« Je n’ai pas… »

« Ne mentez pas, s’il vous plaît. Il n’y a pas d’autre raison pour laquelle vous serez dehors et ici à cette heure de la nuit. En outre, vous n’êtes actuellement pas en poste. Pourquoi êtes-vous ici ? »

Les Soldats Antiniums bougèrent légèrement. Relc les regarda sans être impressionné. Il tira sa langue à la manière des serpents et hocha les épaules.

« Je suis juste en train de me balader. Et j’ai, heu, fait une sieste. Dans la pluie. Ce qui m’arrive assez souvent. »

Parler avec les gens, ou plutôt, interagir avec ceux qui n’étaient pas de la Colonie était difficile. Et Ksmvr n’était pas habitué aux conversations avec les étrangers en premier lieu. Cependant, il persista, garda un œil sur le paysage sombre pendant tout ce temps.

« Alors allez-vous retourner en ville ? »

« Peut-être. Quand le temps sera venu. Je suis juste en train de m’amuser. »

« Je vois. Et vous allez rester ici tant que nous restons ici ? »

« Oh, non. Je vais bientôt partir. Dès qu’une certaine idiote d’humaine rentre dans son auberge saine et sauve. »

Ksmvr interpréta cette information et les Soldats l’entourant levèrent leurs mains. Relc les salua d’un mouvement de sa queue.

« Arrête ça. Je ne suis pas là pour me battre. Et tu n’es pas ici pour te battre non plus, vu que je gagnerai. »

C’était une déclaration qui n’était pas dépourvu de sens, du moins, les chances de victoires de Relc étaient plus élevées que celle de Ksmvr. Et cela compliquait profondément les choses. Par conséquent, Ksmvr essaya un plus haut degré de diplomatie qu’auparavant.

« Votre présence n’est pas nécessaire. Si Erin Solstice coopère, elle ne sera pas blessée. »

« Ouais, mais je ne pense pas qu’elle va coopérer. Pas vrai ? Et franchement, même si tu comptes la nourrir avec une cuillère en or, je ne pense pas que tu devrais la prendre. »

« Erin Solstice n’est pas une citoyenne de Liscor. Vos devoirs ne s’étendent pas… »

« Tu peux pas te la fermer ? »

Relc se prononça de manière aimable, mais avec un tranchant qui fit décida à Ksmvr que le silence était la plus appropriée des réponses. Le Drakéide secoua la tête.

« Tu sonnes tout comme Klb quand… Enfin, quand je l’ai rencontré pour la première fois. Je n’aime pas ça. Donc tu la fermes vu qu’il faut que je te l’épele. Voilà ce qui va se passer, Erin Solstice va courir jusqu’à la ville, probablement avec sa stupide poêle à frire et elle ne va pas te trouver toi et tes grands amis Antiniums. Elle va donc rentrer dans son auberge saine et sauve. »

« Vous la protégez. »

« Je suppose. »

« Pourquoi ? »

Relc s’arrêta.

« Je l’aime bien. Enfin, je l’aimais bien. Maintenant je pense qu’elle est une foutue idiote d’humaine comme les autres. Mais au moins elle fait de bonnes pâtes. Et… Disons que c’est une faveur. Klbkch est mort en la protégeant. Je me suis dit que ça serait dommage si tous ses efforts étaient gâchés. »

Il y avait une incohérence dans ce que Relc venait de dire et Ksmvr se jeta dessus, confiant dans son succès.

« Klbkch était un membre de la Colonie. En obstruant mon travail, vous obstruez la Colonie. »

Étrangement, Relc ne répondit pas avec cette inconsistance logique comme Ksmvr l’avait prévit. Il haussa simplement les épaules.

« Ouaip. Mais toi, je t’aime pas. »

Parler avec les non-Antiniums était tellement… Tellement frustrant. Ksmvr sentit une émotion inconnue en lui. Troublant. Mais il persista.

« Je suis Prognugator des Antiniums Libres de Liscor. Mon autorité… »

« Ta gueule. »

Nouvelle tactique.

« J’ai quatre Soldats avec moi. »

Relc bailla. Il regarda les Antiniums silencieux, dont les mains étaient littéralement des armes. Leurs carapaces étaient aussi résistante qu’une armure de plaque non enchantée, et ils possédaient de nombreuses habilités inhérentes aux Antiniums que les autres espèces ne possédaient pas. Quand bien même, Relc ne semblait pas intimider.

« J’ai entendu dire qu’un soldat qui vient de finir sa croissance est équivalent à un [Guerrier] de Niveau 15 pour la plupart des espèces. Intéressant. Mais si vous pensez vraiment pouvoir me foutre la frousse, j’arracherai volontiers leurs têtes pour toi. Les Antiniums n’ont jamais attaqué Liscor dans la seconde guerre, donc vous n’avez pas la moindre idée à quel point je suis puissant. »

Ksmvr fit une pause et pencha sa tête alors qu’il accéda aux informations nécessaires.

« Relc Grasstongue, ancien sergent du 1er régiment des Ailes de l’armée de Liscor. Actuellement Niveau 33 dans la classe de [Maître des Lances], et Niveau 12 dans la classe de [Garde]. Des niveaux négligeables dans la classe d’[Archer] et aussi dans la classe de [Charpentier]. Possède principalement des compétences de combats ainsi que la rare compétence de [Triple Estoque].

« … Foutus insectes. Est-ce que Klbkch t’as dit tout ça ? »

Du dialogue. Enfin. Ksmvr n’avait pas de muscle facial, ou du visage, pour sourire, mais une partie de lui se sentait soulagé. Il essaya de continuer la conversation.

« Klbkch avait estimé que, si nécessaire, il serait capable de vous retenir pendant cinq minutes et d’infliger de sévères blessures avant de mourir. Si l’ordre était donné de vous éliminer, il prédisait qu’une attaque surprise avait une chance non-négligeable de vous tuer. »

Le regard que lui lança Relc n’indiqua pas une réaction positive à la conversation.

« Je ne t’aime vraiment pas, tu sais. »

« Vos sentiments n’ont que peu d’importance pour moi. Ma position est temporaire. »

« Tant mieux pour toi, je suppose. Au fait, pourquoi est-ce que tu parles autant ? »

« Je suis en train d’essayer de construire le même niveau de camaraderie partagé entre vous et l’ancien Prognugator Klbkch. »

Une nouvelle pause, et cette fois l’expression de Relc s’assombrit.

« Enfin. Je… Non. Je vais me tenir là-bas et atteindre qu’Erin passe. »

Il commence à s’éloigner. Ksmvr l’appela.

« Seize autres Soldats sont actuellement en train de converger vers cet emplacement. Vous ne serez pas capable de tous les arrêter. »

Relc s’arrêta. Ksmvr ne pouvait pas le voir, mais le Drakéide donna l’impression qu’il était en train de sourire.

« C’est drôle, d’une certaine manière. Je suppose que tous les Antiniums ne sont pas pareils, hein ? »

« Qu’est-ce qui vous amène à une telle conclusion ? »

« Tu n’as pas [Instinct de Survie]. Tu as intérêt à prier pour l’obtenir bientôt, ça ou une autre compétence du genre. »

Relc hocha la tête vers une colline lointaine. Ksmvr suivit son regard et ordonna mentalement aux Soldats quittant la Colonie de tenir leur position. Peut-être que s’il avait été humain il n’aurait jamais aperçu la silencieuse silhouette accroupi et souriant aux deux guerriers. Mais il était un Antinium et il reconnut aussitôt Scruta.

Le Drakéide s’assit sur la colline mine de rien, ignorant l’Antinium qui continuait de l’observer. Il hocha la tête en direction de la lointaine silhouette de Scruta.

« Alors elle est capable de te manger toi et tes gentils petits soldats comme petit-déj. Avec moi ? Elle s’étoufferait probablement. »

Ksmvr était capable de libre pensée, une preuve de sa position et de son importance dans la Colonie. Il était un leader, fait pour diriger des soldats et s’occuper des situations inattendues quand elles apparaissaient. Qu’importe le fait qu’il soit devenu Prognugator avant que son entraînement soit terminé… Sa Reine avec confiance en lui. Mais… Mais…

Mais qu’importe la manière dont il réfléchissait, il n’arrivait pas à se décider sur la marche à suivre. Erin Solstice était importante. Mais avec la présence de Scruta l’Omnisciente et de Relc, le coût nécessaire pour capturer Erin Solstice était soudainement devenu trop élevé.

Mais elle était importante. Mais c’était trop coûteux. Mais elle était importante. Mais c’était trop coûteux. Qu’est-ce qu’il devait faire ? Sa Reine lui avait donné l’ordre de ne pas la déranger. Mais il connaissait l’importante des individus. La totalité de son devoir… La totalité des Antiniums de Liscor tournait autour de l’importance des individus. Mais c’était trop dangereux.

Qu’est-ce qu’il devait faire ? Pour la première fois de sa courte vie, Ksmvr n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire.

***

C’était une silencieuse… Enfin, impasse n’était pas le bon terme. Depuis leurs positions profondément enfouie dans une épaisse bande d’herbe les autres observateurs pouvaient voir que les Antiniums étaient en mauvaise posture. Alors qu’ils observaient, le leader des Antiniums se décida. Il adressa quelques mots à Relc et les Antiniums l’entourant commencèrent à marcher en direction de la ville.

C’était une bonne chose.

« Voilà. Cela est une bonne chose que nous ne soyons pas intervenus, n’est-ce pas ? »

Krshia commenta discrètement la scène, mais même malgré la pluie battante les autres Gnolls allongés dans l’herbe l’entendirent sans le moindre problème. Tkrn et six autres Gnolls relâchèrent l’emprise qu’ils avaient sur leurs arcs. Tkrn hocha la tête alors que l’Antinium descendit rapidement la colline, flanqué de ses Soldats.

« Il serait peut-être préférable d’abattre l’insecte avant qu’il ne retourne dans la ville, pas vrai ? Cela ne serait pas difficile, surtout s’il compte faire du mal à Erin Solstice. »

« Imbécile. »

Tkrn vit à peine la patte qui lui donna une tape à l’arrière de la tête. Krshia le regarda à travers les longs brins d’herbe.

« Il n’était pas en train d’essayer de la tuer. Utilise ton cerveau, imbécile que tu es. »

Les autres Gnolls ricanèrent alors que les oreilles de Tkrn s’écrasèrent contre sa tête, embarrassé. En tant que plus jeunes des Gnoll, et le plus inexpériencé d’entre eux, c’était encore plus humiliant de faire une erreur devant leur leader.

« Mais il avait des Soldats »

Krshia soupira.

« Oui, pour la capturer. Mais il attendait qu’Erin Solstice arrive, n’est-ce pas ? Cela était suspicieux. Qui attend pour un challenge ? Seuls les Humains dans la fleur de l’âge et les Drakéides font cela, n’est-ce pas ? Nous nous battons sans avoir besoin de grands espaces ouverts et de gens pour regarder. Mais les Antiniums… Ils sont encore plus différents que nous. »

Elle pointa Ksmvr et les Antiniums d’un mouvement de la tête alors que ces derniers marchèrent à travers la prairie. Les Antiniums étaient alertes, analysant constamment le paysage. Mais malgré l’impressionnante vision nocturne des Antiniums, ils n’étaient pas des chasseurs des plaines. Krshia et les autres Gnolls étaient parfaitement caché derrière leur couverture.

« S’il, Ksm, voulait qu’Erin Solstice soit morte, alors elle le serait déjà. Il la poignarderait avant qu’elle le voit, n’est-ce pas ? Mais il la voulait ici, et il avait de nombreux soldats avec lui. »

Elle secoua la tête.

« Quelqu’un d’autre voulait Erin Solstice. Et en excluant ce déraisonnable Drakéide, trois côtés différents sont venus pour elle cette nuit. »

« Il semblerait que tu es raison. Cette Erin Solstice, elle est importante. »

Un autre Gnoll fit ce commentaire et les autres hochèrent la tête. S’ils avaient doutés Krshia auparavant, et s’ils étaient assez sages pour ne jamais le dire à voix haute devant elle, cela venait de changer cette nuit. Elle les regarda.

« Je l’ai dit, n’est-ce pas ? C’est malheureux que cela se sache. Nous devons nous dépêcher. »

Les autres Gnolls hochèrent la tête. L’un d’entre eux parla.

« Les autres guerriers arrivent bientôt. Dans la semaine. »

Tkrn remua. Il regarda la colline sur laquelle la silhouette silencieuse de Scruta était toujours agenouillée, et en plein combat du regard avec Relc.

« Alors devons-nous partir ? Ou est-ce que Scruta va faire quelque chose ? »

Les autres Gnolls murmurèrent. Ils connaissaient leurs chances de succès face à un Aventurier Légendaire. Krshia secoua la tête.

« Je ne le pense pas. Elle est ingénieuse, et elle attend. Je ne pense pas qu’elle serait intervenu à moins que tous les autres aient échoué, nous inclus. »

« Mais elle est toujours là. »

« Oui. »

Krshia fronça les sourcils vers Scruta. C’était impossible, ils étaient parfaitement cachés, mais l’œil de la Scruteur se détourna de Relc pour se tourner vers eux durant une fraction de seconde. Krshia murmura quelque chose et les autres Gnolls grognèrent.

« Elle aime regarder. »

« Eh bien, elle ne peut rien nous faire même s’il elle sait que nous sommes là. »

Cette fois Tkrn reçu plusieurs tapes désaprobatrices à l’arrière de la tête. Krshia s’ébroua et envoya plusieurs gouttelettes d’eau vu qu’ils avaient été repérés.

« Peut-être pas. Mais c’est une mauvaise chose de se faire repérer. Nous devons être certains qu’elle ne fait rien. Juste au cas où. »

Les Gnolls s’installèrent dans l’herbe, se relaxant. Relc ne les avait toujours pas remarqué, mais le Drakéide ne comptait que son sa Compétence. Et le problème avec [Instinct de Survie] était qu’il ne le prévenait que des menaces potentielles.

Cependant, ils ne voulaient pas lui faire du mal. Ils étaient du même côté, au moins lors de cette nuit. Donc les Gnolls attendirent. La Scruteur resta assise avec patience, et le Drakéide arracha des touffes d’herbes. La nuit était silencieuse.

Ils attendirent.

Et attendirent.

Et…

Depuis sa position dans l’herbe, les Gnolls virent Relc bouger et se gratter les écailles, irrité. Il regarda autour de lui et posa la question qui était dans l’esprit de tous.

« Où est-ce qu’elle est ? »

***

« Nous ne l’avons pas trouvé. »

Ceria regarda Yvlon et Cervial avec incrédulité alors que les deux aventuriers venaient de revenir, haletants. Ils avaient fait l’aller-retour vers Liscor en moins de trente minutes.

« Quoi ? »

« Nous sommes allés jusqu’aux portes, mais le garde a dit que personne n’est passé par là. »

Les deux aventuriers haussèrent les épaules, impuissants. Ceria se mordit la lèvre.

« Peut-être qu’elle s’est perdue ? »

« J’en doute. »

« Alors un monstre… »

« Nous aurions remarqué quelque chose comme ça. »

« Alors ou est-ce qu’elle est ? »

« Je ne sais pas. Est-ce que vous avez repéré Calruz à tout hasard? »

Cervial fit un sourire de travers.

« Ouais. Il a essayé d’entrer dans la ville, mais le garde lui a dit que les portes étaient fermées. Il est en train de faire demi-tour, probablement en tapant du pied. »

Bon, c’était un problème de résolu. Mais le plus gros problème était toujours présent. Où était Erin Solstice ? Ceria regarda autour d’elle, mais la nuit était encore pluvieuse et il était impossible de percer ce voile de ténèbres.

« Nous allons devoir attendre. Rentre, le squelette est fou de colère, mais il reste immobile pour une raison ou une autre. Je pense que nous devons faire pareil. »

Yvlon and Cervial entrèrent de nouveau dans l’auberge. Ceria regarda une dernière fois autour d’elle. C’était tellement étrange. Elle avait assumé…

Quelque chose tomba depuis le toit de l’auberge et atterrit juste à côté de Ceria. La demi-elfe poussa un cri de surprise, attrapa sa baguette, et s’arrêta.

Erin se releva, grimaçant à cause de sa mauvaise chute. Elle essuya la boue de son haut et s’arrêta en voyant Ceria.

« Oh. Salut. »

Ceria mit la main sur son cœur, elle avait eut l’impression qu’il s’était arrêté.

« Qu’est-ce que tu… Où étais-tu ? »

Erin cligna des yeux dans sa direction avant de pointer en haut.

« J’étais sur le toit. »

Ceria leva les yeux. Le toit.

« … Pourquoi ? »

Erin haussa les épaules avant d’essuyer son visage, ce qui ne changea pas grand-chose dans la pluie.

« J’étais en train de pleurer. Qu’est-ce que tu pensais que j’étais en train de faire ? »

Ses yeux étaient rouges. Ceria pouvait parfaitement le voir. Elle répondit, se sentant soudainement bête.

« Nous… Nous avons cru que tu allais chercher Ksmvr. »

« Pourquoi je ferais quelque chose comme ça ? »

Ceria dû s’arrêter de nouveau pour chercher ses mots.

« En fait, après ce qu’il a fait à ton ami… Je dirais que tout le monde dans l’auberge t’aurai suivi. Surtout Calruz. »

« Vraiment. Vraiment ? »

Erin renifla de nouveau et essuya son nez.

« C’est gentil de votre part. Je suppose. Vous auriez pu le tenir en place tandis que je lui ouvre le crâne avec ma poêle à frire, pas vrai ? »

« Nous n’aurions pas fait ça. Calruz… Pensait que tu allais le provoquer en duel. »

« Et le tuer ? »

Erin regarda Ceria. C’était un étrange regard. Accusateur. Blessé. Ceria remua, soudainement inconfortable.

« Mais ce qu’il a fait… »

« C’était mal. »

Erin prononça ses mots sans changer d’intonation.

« Pion était innocent. Il ne méritait pas quelque chose comme ça. Et quand j’ai vu ce que bâtard à fait… »

« Oui. Donc nous avons pensé que… »

Ceria s’arrêta faiblement. Erin était toujours en train de la regarder. Comme si c’était la chose la plus évidente du monde, elle secoua la tête.

« Il a fait souffrir Pion. Mais est-ce que cela veut dire que je devrais sortir et le battre à mort ? Comment ? Il est un guerrier et je suis… Je suis une aubergiste. Et je n’assassine pas les gens. Je tue des monstres et j’ai tué pour me défendre. Mais je n’assassine pas les gens. Jamais. »

C’était trop difficile de supporter le regard de la jeune femme. Ceria détourna les yeux. C’était comme si elle parlait à quelque chose d’étrange. Quelque chose…

Elle n’avait pas de mot pour ‘extra-terrestre’ dans sa langue. Les mots s’en rapprochant le plus étaient 'étranger, bizarre, anormal'. Erin était en train de la regarder avec un soupçon d’accusation dans les yeux. Et c’était difficile à supporter. Il y avait quelque chose d’innocent dans son regard, quelque chose que Ceria avait perdu il y a bien longtemps quand elle avait regardé pour la première fois dans les yeux d’un homme mort.

« Je suis désolé. J’ai simplement assumé… »

Erin haussa les épaules. Elle s’arrêta, et regarda le sombre paysage autour d’elle. Ceria vit ses lèvres bouger.

« Est-ce que je peux te dire quelque chose ? Quelque chose d’un peu insultant. »

« Bien sûr. »

Erin regarda le sol et l’herbe humide. Sa respiration apparaissait dans l’air froid.

« Vous avez un monde sacrement merdique. Absolument terrible. »

« Vraiment… ? »

« Je ne l’aime pas. C’est tellement magnifique de temps en temps, tellement beau et plein de magie. Puis quelque chose comme ça arrive. Tout le temps. Enfin. Presque tout le temps. Je déteste ça. »

Ceria n’avait rien à dire devant ça.

« Pendant un instant j’ai vraiment voulu tuer Ksmvr. Mais je serais morte si j’essayais quelque chose comme ça, pas vrai ? Il est rapide. Fort. Un guerrier. Peut-être que je pourrais le tuer. Et c’est quoi la suite ? »

« Il serait mort. »

« Tout comme Pion. Probablement. Cette Reine aurait envoyé ses soldats pour lui arracher sa tête et la mienne. »

« Je comprends, tu as pris la bonne décision. »

Erin frissonna.

« Vraiment ? J’ai l’impression que la seule chose que je peux faire dans ce genre de situation c’est accepter ce qui vient de se passer et continuer d’avancer. »

Elle frissonna. Ceria savait à quel point il faisait froid. Les enchantements dans sa robe la réchauffait même dans la pluie glaciale mais l’humaine s’était juste assise sur le toit pendant… Pratiquement une heure, au moins.

« Tu devrais rentrer. Je suis certaine que Pion veut te voir. »

Elle attrapa le bras d’Erin. la peau de la jeune fille était glaciale. Elle murmura quelque chose.

« … Pas. »

« Quoi ? »

« Je sais pas. Je ne sais pas quoi faire pour l’arrêter. Mais je sais quoi faire. »

Elle dépassa Ceria et entra dans l’auberge. La demi-elfe la suivit, observatrice. Il y avait quelque chose dans les yeux de l’humaine.

Pion tenta de se redresser sur son siège quand il la vit. Son visage exprimait une profonde anxiété, même si Erin était la seule à pouvoir le voir. Elle lui sourit et éternua.

Les autres aventuriers regardèrent Erin et elle les ignora. Ils n’étaient pas importants. À la place, elle s’assit alors que Toren fonça vers elle avec une serviette. Elle essuya l’eau glaciale qui l’avait trempée et se sentit un peu plus vivante quand il lui donna une chope d’eau bouillante.

Olesm avait été en train de jouer avec Pion. Mais le Drakéide se leva aussitôt de son siège, et Erin secoua la tête.

« Vas-y, continue de jouer. »

Le Drakéide cligna des yeux, avant de se rasseoir avec maladresse alors qu’Erin s’assit à côté de Pion. L’Antinium la regarda, et elle lui fit un nouveau sourire. La pièce était extrêmement silencieuse. Après quelques instants, Olesm toussa et bougea timidement une pièce en avant.

Pion joua. Les deux jouèrent. Erin regarda les Ouvriers et leur sortit un échiquier. C’était étrange. Les Ouvriers s’assirent et commencèrent à jouer. Les aventuriers s’assirent maladroitement, et après quelque temps Erin demanda à Toren de sortir quelques restes.

Et tout était silencieux. Donc quand la sensation ne pouvait plus être retenu, elle ouvrit sa bouche.

Et commença à chanter.

Cela prit Pion par surprise, il se figea en tenant un cavalier dans sa main et regarda Erin. Comme le reste de l’auberge. Mais la gêne, la peur qu’elle aurait put ressentir n’était rien. Donc Erin chanta.

Elle n’avait jamais été une bonne chanteuse. Ou plutôt, elle n’était pas aussi douée pour chanter que pour jouer aux échecs. Mais quand elle avait été enfant, avant qu’elle arrête d’aller à l’église, elle avait fait partie de la chorale. Elle avait chanté dans la chorale de l’école et, juste une fois, le professeur l’avait encouragé à suivre des études de chants.

Mais elle ne l’avait pas fait. Erin avait joué aux échecs et avait oublié comment bien respirer, elle avait arrêté de chanter chaque semaine. Mais la musique était restée là, et elle n’avait jamais réellement oublié.

« I don’t know why you hurt inside or what was said to make you cry… »

Elle ne savait pas pourquoi elle avait commencée avec une chanson de Lady Gaga. Mais elle avait toujours aimé celle-là car elle l’aidait à se sentir mieux. Et Greatest était probablement sa meilleure chanson.

Erin n’avait pas de piano. Pas de synthétiseur pour sa voix, pas de chorale pour l’accompagner, elle n’avait même pas de microphone. Mais elle n’avait pas besoin de telles choses.

Sa voix emplie la pièce, et son audience avait l’impression qu’il pouvait entendre quelque chose d’autre alors qu’une seule personne était en train de chanter. La même chanson qu’Erin avait entendue la première fois qu’elle s’était assise dans sa chambre pour jouer aux échecs.

Est-ce qu’une personne chantait ? Ou peut-être est-ce deux ? Ils entendaient une autre voix. D’étranges tambours, le son d’un piano, une voix chantait avec des sons électroniques d’une manière qu’il n’avait jamais pu imaginer.

Ceria écouta, et entendit une autre voix, et un type de musique qu’elle n’avait jamais entendu auparavant. Elle ferma les yeux, et pensa à une fille qui connaissait des couleurs que Ceria n’avait jamais vue de sa vie.

Olesm était en train de jouer. Pion continua de bouger des pièces, mais cela était un arrière-plan de la musique. Erin termina sa chanson et le silence s’abattit de nouveau. C’était trop oppressant, donc elle choisit une nouvelle chanson.

« Somewhere over the rainbow way up high… »

Elle avait toujours préféré la version d'Israel Kamakawiwoʻole’ plutôt que la version de Judy Garland. Mais elle aimait les deux de tout son cœur.

La chanson était plus légère, plus joyeuse d’une manière, mais elle était triste d’une autre manière. Quelqu’un était en train de pleurer. Erin continua de pleurer, conjurant une pièce de quelque chose que les gens dans son auberge n’avait jamais entendu. Une pièce de musique immortelle.

Un autre instant immortel.

Et bien sûr, elle continua de changer. Erin commença à chanter Hallelujah et sourit en se rappelant regarder Shrek pour la première fois. La musique continua de s’écouler alors que Pion joua une partie d’échecs, s’arrêtant pour la regarder.

Les autres aventuriers étaient silencieux. Ceria écouta sans un mot. Elle était demi-elfe. La moitié d’elle avait grandi en connaissant une partie d’infini… Mais son autre partie était émerveillée.

Mais les humains écoutèrent quelque chose qui ne faisait pas partie de leur monde. Ils écoutèrent alors qu’Erin chanta jusqu’à leurs cœurs.

« I have died everyday, waiting for you. Darling, don’t be afraid, I have loved you for a thousand years… »

Gerial pleura dans sa moustache. Les aventuriers s’assirent en silence. Yvlon ferma les yeux et Cervial continua se frotter les siens.

Un moment d’éternité. Une chanson. Un fragment du passé. Un souvenir.

L’immortalité prenant vie avec chaque couplet.

***

Elle leur apprit une chanson. Here I Am Lord, une chanson de l’église. Cela avait son importance. Et quand elle chanta, Pion leva les yeux.

Erin commença à chanter.

«I, the Lord of Sea and Sky. I have heard my people cry. All who dwell in dark and sin, my hand will save.»

*Moi, Seigneur de la Mer et des Cieux. J'ai entendu mon peuple pleurer. Tous ceux qui demeurent dans le noir et le pêché, de ma main seront sauvé.

Erin chanta avec Ceria, deux douces voix s’unissant alors que la demi-elfe se joignit à Erin.

« Here I am, Lord. Is it I, Lord? I have heard You calling in the night. »

*Me voilà, Seigneur. Est-ce moi, Seigneur ? Je t’ai entendu appeler cette nuit.

Et d’autres se joignirent à eux. Homme et femme, chantant une chanson pour un dieu que ce monde n’avait jamais connu. À la fin du troisième verset tous les humains étaient en train de chanter. Calruz était appuyé contre l’encadrement de la porte, fronçant les sourcils, les yeux fermés et écoutant silencieusement. Pion écouta alors qu’Erin chanta, appuyé contre lui, le réchauffant.

« I will hold Your people in my heart.»

*Je garderai Ton people dans mon cœur.

Il frissonna à cet instant. Et quand elle le regarda, il ne pleurait pas. Les Antiniums ne pleuraient pas. Mais elle vit les larmes coulées dans son âme.

Et la nuit se changea en jour alors qu’Erin continua de chanter. De petites chansons, de grandioses chansons. Et la magie était avec elle, disparaissait avec chaque note. Jusqu’à ce qu’elle termine par simplement chanter et que l’instant ne soit plus immortel. Mais c’était suffisant. Quand elle ferma les yeux, l’auberge était silencieuse.

Et même si l’Antinium en était incapable, elle sourit. Pour lui. Pour eux deux.

Erin ferma les yeux et dormit.

[Aubergiste Niveau 15 !]
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 30 mai 2020 à 15:43:09
1.39
Traduit par EllieVia

Ceria se réveilla en premier. C’était un acte inconscient de son corps et son esprit ne voulait pas y être mêlé. Aux premiers rayons de l’aurore, elle ouvrit les yeux et s’assit sur son lit.
 
Il était trop tôt. Et Ceria avait beau se lever tôt, elle n’était pas du matin.
 
Mais certaines choses étaient trop difficiles à oublier. Cela faisait des années - des décennies, mêmes - que Ceria n’avait pas eu à se réveiller si tôt. Elle était en sécurité dans cette auberge, entourée de ses amis et de ses compagnons. En sécurité.
 
Et pourtant il lui était impossible d’oublier certaines choses.
 
Se frottant le visage entre ses mains, Ceria décida qu’elle était réveillée. Se remémorer le passé ne ferait que raviver ses cauchemars, et elle n’était pas prête à se réveiller en hurlant dans l’auberge.
 
C’est pour cette raison que malgré le fait qu’il soit encore beaucoup trop tôt et qu’elle manquait encore de sommeil, Ceria descendit les escaliers. Elle cligna des yeux en arrivant en bas.
 
“‘Zar.”
 
Elle avait voulu dire “bizarre” mais sa bouche ne fonctionnait pas. Ce n’était pas le désordre ambiant de la salle commune qui était bizarre, mais plutôt le fait qu’au contraire tout était rangé.
 
La nuit dernière. Ceria se frotta de nouveau les yeux et se rappela. La musique. Une nuit qui avait duré une éternité. Des musiques et… quelque chose d’autre. Des instruments qu’elle n’avait jamais entendus, et des paroles poétiques.
 
On aurait dit un rêve. Mais il avait été trop réel, ce qui renforçait sa dimension onirique. Elle se rappela avoir réussi à atteindre son lit en titubant tandis que le reste des aventuriers repartaient, flottant toujours dans ce moment magique.
 
Oui... ils étaient partis, mais les aventuriers semaient toujours le désordre où qu’ils aillent. La plupart du temps sous forme de cadavres de monstres et de sang, mais dans ce cas précis sous la forme de vaisselle sale, de poussière, de taches de nourriture et de boissons et de pièces étalées sur les tables.
 
Rien de tout cela n’était présent en ce moment. La pièce était propre. Pour tout dire, dans la lumière matinale, le bois bien astiqué lui paraissait presque étinceler.
 
Elle en était presque offensée. Mais la faim l’empêchait de trop y réfléchir. Elle s’avança en titubant vers la cuisine….
 
Et se figea devant le squelette qui lui bloquait la route.
 
“Stérée hirsute.”
 
Cela faisait deux fois à présent qu’elle manquait avoir une crise cardiaque. Elle recula d’un pas mal assuré et pointa un doigt tremblant sur le squelette.
 
“Ne… ne fais pas ça !”
 
Le squelette demeura silencieux. Ceria cilla, incapable de réfléchir correctement. Il avait un nom, non ? Erin l’appelait…
 
“Toren, c’est bien ça ?
 
Le squelette ne répondit pas. Mais bon, c’était probablement lui qui avait nettoyé la salle commune. La dernière fois que Ceria l’avait vue, Erin Solstice était endormie à côté de l’Antinium nommé Pion.
 
Qui n’était pas là non plus.
 
Ce fut ce détail qui déclencha une sonnette d’alarme dans la tête de Ceria, mais elle en fut distraite par des besoins pressants et le mort-vivant qui lui faisait face.
 
“Est-ce que ta maîtresse est levée ? J’aimerais petit-déjeuner, mais je peux m’en occuper seule.”
 
Ceria s’avança pour passer devant le squelette mais son bras surgit pour lui bloquer le passage. Elle s’arrêta et le fusilla du regard.
 
“Qu’est-ce que tu…”
 
Il posa un doigt sur ses dents jaunies au moment où Ceria aperçut Erin emmitouflée dans une couverture dans un coin de la cuisine. Elle cilla.
 
“Elle dort ici ?”
 
Le squelette ne répondit pas, mais il parut irrité de constater que Ceria continuait à faire du bruit. La Demie-Elfe secoua la tête. Il était trop tôt pour tout ça.
 
“J’ai faim.”
 
Pas de réponse. Le squelette la dévisagea.
 
“J’ai besoin de nourriture.”
 
Là encore, les flammes froides et sans pitié la dévisagèrent pour seule réponse. Ceria tenta d’écarter le squelette de son chemin mais il attrapa sa main d’un air d’avertissement .Elle le dévisagea. Il avait l’air… enfin, c’était une création de Pisces. Elle retira prudemment sa main.
 
“Très bien. On ne la réveille pas. Mais est-ce que tu pourrais me trouver quelque chose à manger ? Ou… cuisiner quelque chose ?
 
Le squelette parut réfléchir à la requête. Au bout d’un moment, il acquiesça avec réticence et entra dans la cuisine. Contrairement aux nombreux squelettes que Ceria avait vus ou tués, celui-ci se mouvait avec une sorte de grâce. Il était la version améliorée d’une créature morte-vivante mineure, et il n’y avait qu’un mage assez stupide pour créer une chose pareille.
 
Pisces. Ceria plissa les yeux en examinant le squelette qui trottinait dans la cuisine. Il avait de toute évidence amélioré son artisanat depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu. D’une part, ce squelette était relativement intelligent. Mais cela ne signifiait pas que ce soit nécessairement un bon signe. Cela signifiait simplement qu’il approchait de son but. S’il créait un jouir un mort-vivant capable de gagner des niveaux…
 
Elle cligna des yeux lorsque Toren réapparut devant elle. Il tenait quelque chose.
 
“Est-ce que c’est… une miche de pain ?”
 
C’en était une. Une miche entière, dépourvue des imperfections qu’auraient constituées des tranches ou des condiments. Toren la lui fourra dans les mains.
 
Ceria la prit et le dévisagea.
 
“Je suis censée manger ça ?  J’aurai besoin d’autre chose, tu sais.”
 
Le squelette ne pouvait soupirer. Mais Ceria eut la nette impression qu’il l’aurait fait s’il le pouvait. Il la dévisagea, puis retourna silencieusement dans la cuisine.
 
Médusée, Ceria s’assit à une table et regarda fixement sa miche de pain. Au bout d’un moment, elle prit le couteau à sa ceinture.
 
Elle venait juste de réussir à se couper quelques tranches lorsque le squelette réapparut. Il posa un bol devant Ceria. Elle regarda fixement le bol. Il contenait des œufs.
 
Tor lâcha les œufs devant Ceria juste à côté de la miche de pain. Puis il ajouta un sac de sucre. Il repartit et amena un verre et une cruche d’’eau puis il retourna dans la cuisine.
 
Ceria regarda fixement la nourriture étalée devant elle sur la table. Elle examina les œufs, le pain, le sucre, et l’eau. Elle rattrapa un œuf avant qu’il ne roule de la table et l’étudia.
 
Puis elle haussa les épaules.
 
***


Lorsque Gerial arriva en bas des escaliers en baillant et en se frottant les yeux, il trouva Ceria en train de plonger des tranches de pains dans un bol de jaunes d’œufs. Un sandwich constitué d’une tranche de pain recouverte de sucre puis pliée en deux lui fit également entièrement passer l’envie de petit déjeuner.
 
La demie-elfe leva les yeux en mâchonnant son morceau de pain recouvert de jaune. Elle lisait son grimoire.
 
“Oh. Hey. L’aubergiste dort encore donc il n’y a pas de petit déjeuner. Mais le squelette m’a apporté à manger. Tu en veux ?”
 
Gerial dévisagea l’œuf cru qui coulait de la tranche de pain. Il frissonna.
 
“C’est répugnant.”
 
Ceria leva les yeux au ciel.
 
“Vous autres Humains. Vous mangez tout le temps des œufs. Quelle différence entre les faire cuire ou les ramasser dans un nid ?”’
 
“Une très grosse différence, merci bien.”
 
Gerial s’assit à table et essaya d’ignorer Ceria en train d’engloutir son repas. Il regarda son verre.
 
“Est-ce que c’est du sucre ?”
 
“L’eau et le sucre vont bien ensemble quand on en met assez. Tu en veux ?”
 
Il hésita.
 
“Je pense que je préférerais manger quelque chose de normal, merci. Où est l’aubergiste ?”
 
“Elle dort toujours, je pense. Elle est là-dedans.”
 
Ceria fit un signe de tête en direction de la cuisine.
 
“Ce satané squelette monte la garde, par contre, donc n’essaies pas d’entrer. C’est tout ce qu’il m’a donné à manger.”
 
“Je vois.”
 
“Yup. Donc c’est la seule nourriture que tu auras avant un bon moment. Tu en veux ?”
 
“Ça ira.”
 
Les deux aventuriers restèrent assis en silence pendant un moment. Ce n’était pas la première fois qu’ils faisaient ça. Gerial était une personne matinale, et il trouvait souvent Ceria qui s’était réveillée avant lui. Son estomac gargouilla et il tenta de l’ignorer.
 
Au bout d’un moment, le silence devint trop inconfortable. Gerial ne put s’empêcher de reprendre la parole. Il se frotta la moustache et se racla la gorge, mal à l’aise. Ceria leva les yeux et haussa un sourcil.
 
“Du coup. À propos d’hier soir.”
 
“C’était quelque chose, pas vrai ?”
 
“Quelque chose ? C’était…”
 
Gerial était incapable de trouver les mots pour décrire la soirée. Il n’était pas mage, et ses souvenirs de la nuit dernière lui semblaient magiques.
 
“Qu’est-ce que c’était ? Un sortilège ?”
 
“Une Compétence, je pense. Que je ne connais pas. Ça doit en être une rare.3
 
“Mais ce n’était pas que ça. Ces chansons…”
 
“Magnifiques.”
 
Ceria sourit et Gerial acquiesça avec ferveur.  Mais elle ne paraissait pas aussi émerveillé que lui à ce souvenir. Elle fronça légèrement les sourcils.
 
“C’était incroyable. Mais bizarre, aussi.”
 
“Bizarre ?”
 
“Je n’ai jamais entendu les chansons qu’elle a chantées. Aucune. Et la musique qui l’accompagnait…. tu avais déjà entendu ça ?”
 
“Pas même en rêve.”
 
Mais Gerial avait rêvé de ces musiques cette nuit. Il sentit ses yeux le picoter légèrement au souvenir et il détourna la tête pour les essuyer. Ceria secoua la tête.
 
“Elles étaient bouleversantes, mais ce n’est pas ce qui me chiffonne, Gerial. C’est un autre mystère. D’où venait la musique ? Comment cette fille…”
 
Elle leva les yeux et cessa soudain de parler. Là encore, Gerial y était habitué, donc lorsqu’Erin sortit en titubant de la cuisine, il était déjà en train de se retourner pour la saluer.
 
“Bonjour, Mademoiselle Erin.”
 
Elle s’arrêta et le dévisagea. Elle portait encore les vêtements tâchés de nourriture de la veille. Elle avait également l’air misérable.
 
“B’jour.”
 
Ceria adressa un signe de tête à Erin. La fille secoua la tête.
 
“Est-ce que tout va bien ?”
 
Elle secoua de nouveau la tête. Erin s’immobilisa, fit la moue et finit par ouvrir la bouche avec réticence.
 
“J’ai mal à la gorge. Et je suis enrhumée.”
 
“Oh.”
 
“Je vois. Mes condoléances.”
 
Erin avança d’un pas mal assuré vers sa table et s’avachit devant. Gerial vit le squelette sortir de la cuisine pour se mettre derrière elle. Erin ne parut pas le remarquer - ou y prêter attention.
 
Ceria posa son livre et poussa sur le côté son bol de jaunes d’œufs pour jeter un regard en coin à Erin .Elle secoua la tête.
 
“Ça doit être parce que tu as passé la nuit sous la pluie.”
 
“Je zay.”
 
La demie-elfe était déjà en train de se concentrer sur Erin, ses doigts brillant d’une pâle lumière verte.
 
“Je peux faire quelque chose pour ta gorge, mais les potions de soin ne soignent pas les rhumes.”
 
“Vraiment ? Tu peux…”
 
Erin glapit lorsque Ceria tâta sa gorge. Instantanément, le squelette derrière elle leva un poing menaçant mais Erin se rassit sur sa chaise.
 
“Ow, c’était…. hey ! Ma gorge va mieux !”
 
Elle avait encore le nez bouché, par contre. En silence, Gerial lui offrit son mouchoir. Erin se moucha et lui jeta un regard plein de gratitude.
 
“Désolée.”
 
“Je t’en prie.”
 
Erin renifla et lui rendit le mouchoir.
 
“Je déteste les rhumes.”
 
Elle regarda Gerial et Ceria d’un air implorant.
 
“Un petit tour de magie ?”
 
Ceria secoua la tête.
 
“Je suis désolée, mais je ne peux pas soigner ça facilement. Je ne connais que quelques sorts de guérison de base et les rhumes sont compliqués. Il n’y a que la [Reconstitution] qui les soigne, à ce que je sais.”
 
“Quoi ? Mais c’est un rhume.”
 
Gémit Erin. La demie-elfe soupira, mais ne perdit pas patience.
 
“C’est un rhume. La maladie la plus commune. Les gens le soignent magiquement depuis tellement longtemps que la magie n’agit plus.”
 
Gerial parut surpris.
 
“Ça arrive, ça ? Je croyais… enfin, c’est juste une maladie, non ?”
 
Erin grogna.
 
“Des super virus résistants à la magie. C’est bien ma veine.”
 
Encore des mots que les aventuriers ne saisirent pas complètement, mais ils comprirent tous deux leur signification. Ceria haussa les épaules d’un air de regrets. Puis elle regarda Gerial avec un petit sourire.
 
“On dirait que le petit-déjeuner est annulé, Gerial. À moins que tu ne veuilles risquer de tomber malade avant les Ruines.”
 
Il soupira.
 
“J’imagine qu’il n’y a rien à y faire.”
 
“Je peux faire à manger.”
 
Erin essaya de s’asseoir, mais Ceria secoua gentiment la tête.
 
“Il vaut mieux que tu dormes, c’est la seule chose qui te remettra d’aplomb. Et tousser dans tes plats ne fera de bien à personne.”
 
Elle avait raison, et Erin s’avachit de nouveau sur sa chaise.
 
“Désolée.”
 
“Ne t’inquiète pas.”
 
Gerial s’était déjà levé et était en train de s’étirer. il avait faim, mais ce ne serait pas la première fois qu’il manquait ou retardait un petit déjeuner. Il hocha la tête.
 
“ON va aller en ville. Je pense que Calruz est déjà parti, mais les autres dorment encore. Ne t’inquiète pas pour les repas - ils n’auront qu’à aller en ville.”
 
Ceria parut surprise. Elle leva les yeux en direction de l’étage.
 
“Calruz est parti ? Je ne l’ai pas entendu s’agiter.”
 
“Je ne crois pas qu’il ait dormi. Il est parti avec l’insecte…. je veux dire, celui qui s’appelle Pion.”
 
Erin se redressa sur sa chaise, soudain parfaitement réveillée. Elle regarda autour d’elle dans la salle vide.
 
Pion ?”
 
***

Pion des Antiniums n’avait pas dormi depuis la nuit. Il n’avait pas raté beaucoup de sommeil, cependant. Erin Solstice avait chanté jusque tard le matin et ce n’était donc qu’une ou deux heures plus tard qu’il était allé s’asseoir devant l’Auberge Vagabonde, pensif.
 
Il souffrait. Il pouvait encore sentir les appendices manquants, ou plutôt, les endroits où ils auraient dû être. C’était… horrible. Horrible, d’une manière qu’il ne pouvait décrire, de ne pas pouvoir bouger normalement. Mais il n’y pouvait rien, et au moins, la douleur avait disparu.
Une petite grâce. Mais le souvenir de la manière dont il avait perdu ses membres le hantait encore. Et pourtant, le souvenir de la nuit dernière était également avec lui. Il entendait toujours la musique; sentait toujours son âme voguer, souffrir, se réjouir au son de la musique d’Erin.
 
La douleur et l’émerveillement. Les émotions se battaient en lui, chacune cherchant à établir sa domination, mais la douleur n’était rien par rapport à l’émerveillement qui l’emplissait encore.
 
C’était pour cela qu’il restait assis là, et qu’il réfléchissait. Il réfléchissait à beaucoup de choses, de son rôle au sein de la Colonie, avant et après ses changements. Il réfléchissait à ses souffrances, et à ce qu’il se passait en ce moment. Il réfléchissait à beaucoup de choses et il ne trouvait pas de réponse. Mais lorsqu’il pensa à Erin Solstice, il ressentit autre chose.
 
Et il n’avait pas de mots pour cette émotion. Et c’était troublant. Dans le bon sens du terme, et dans le mauvais sens, aussi, mais assez pour que lorsque le Minotaure s’avança d’un pas lourd vers lui, Pion soit heureux de l’interruption.
 
“Toi, là.”
 
Pion inclina la tête d’un air respectueux. Il ne savait pas s’il le devait, mais il savait que c’était son rôle en tant qu’Ouvrier. Mais il n’en était plus un, à présent. Devait-il être respectueux ? Cela lui paraissait approprié.
 
“Aventurier-Capitaine Calruz. Comment puis-je vous aider ?”


Le grand Minotaure fronça les sourcils en dévisagea Pion. Ses yeux étaient cernés et il avait l’air épuisé. Et en colère. Il était allé marcher dehors, apparemment, mais il venait de s’arrêter et dévisageait Pion.
 
“Réponds à ma question, insecte. Pourquoi ne t’es-tu pas battu ?”
 
Pion dévisagea Calruz.
 
“Je vous demande pardon ?”
 
Le Minotaure fusilla Pion du regard. Il enfonça un doigt dans la poitrine de Pion.
 
“Toi.  Pourquoi ne t’es-tu pas battu ? Quand tu te faisais torturer par ta propre espèce…. pourquoi n’as-tu pas résisté ? Est-ce que tous les membres de ta race sont des lâches ou n’as-tu simplement aucune fierté ?”
 
La question surprit tellement Pion qu’il lui fallut réfléchir longuement avant de répondre.
 
“Je n’avais pas le droit de résister. Celui qui m’a emmené…. c’était un Prognugator.  Il juge les Antiniums. Il peut user de nos vies comme bon lui semble.”
 
Calruz regarda Pion d’un air incrédule.
 
“Et donc. Tu vas laisser la mort et le déshonneur s’abattre sur toi pour une simple histoire de rang ?”
 
“Les Antiniums n’ont pas d’honneur. Et je suis… j’étais un Ouvrier. Ma vie appartient à la Colonie. Et si la Colonie désire ma mort, alors je mourrai.”
 
Pendant un long moment, Calruz dévisagea Pion. Pion soutint son regard, se demandant si le Minotaure allait le frapper. C’était déjà arrivé à plusieurs Ouvriers par le passé. Mais le Minotaure se contenta d’un reniflement bruyant de dédain et s’éloigna.
 
“Je n’en attendais pas moins d’un esclave.”
 
Il se dirigea d’un pas déterminé vers la porte et l’ouvrit à la volée. Erin s’écrasa sur son torse et le Minotaure cilla.
 
Pion !
 
Elle repéra l’Antinium et se figea. Pion se leva et hocha la tête.
 
“Erin. Est-ce que quelque chose ne va pas ?”
 
Erin s’affaissa et des couleurs revinrent sur ses joues pâles.
 
“Tu m’as fait peur ! J’ai cru que tu étais retourné en ville !”
 
“J’allais le faire. Je ne voudrais pas te déranger…”
 
“Non !”
 
Pion fut surpris par la véhémence d’Erin. Elle le saisit.
 
“Tu ne peux pas y retourner ! Pas vers ce… ce type démoniaque !”
 
“Ksmvr ?”
 
“Oui !”
 
Erin acquiesça. Elle pointa l’auberge du doigt.
 
“Ce type… je vais le… enfin, j’aimerais… le plus important, c’est que tu restes ici. Pas dans cette stupide Colonie. Je vais te faire un lit et tu pourras rester aussi longtemps que tu le souhaites. Gratuitement.”
 
Pion regarda l’auberge, puis les deux aventuriers qui avaient suivi Erin dehors. Il secoua la tête.
 
“Ton offre est incroyablement généreuse. Mais j'appartiens à ma Colonie.”
 
“Quoi ?”
 
Ses mots parurent stupéfier les autres. Mais Pion y était habitué. Il tenta d'expliquer.
 
“On m’attend. Je dois accomplir mes devoirs.”
 
“Mais Ksmvr…”
 
Le nom fit frissonner Pion, mais légèrement.
 
“Il ne me fera pas de mal.”
 
“Foutaises.”
 
Pion croisa le regard d’Erin, calmement. Il se souvint de quand elle l’avait enlacé. Se souvint de son étrange chaleur. La musique était toujours en lui.
 
“Il ne me fera pas de mal, Erin. Il a déterminé que j’étais un individu. Il ne me torturera plus. Et je serai protégé, là-bas. À présent qu’il est établi que je suis un Individu et donc… important.”
 
“Important ?”
 
Cela parut surprendre Erin. Et sa surprise surprit Pion. Comment ne pouvait-elle pas réaliser ? Mais il avait appris à quel point les autres savaient peu de choses des Antiniums. Mais elle comprenait sûrement cela…
 
“Je ne fais pas confiance à ce type, Ksmvr. Il est dangereux.”
 
“Il ne faisait qu’accomplir son devoir. Mais dès que la Reine sera notifiée de tout cela, je suis certain qu’elle me convoquera.”
 
Cela ne parut pas rassurer du tout Erin. Elle dévisagea Pion, anxieuse, paraissant incapable de comprendre l’incroyable honneur que cela serait.
 
“La Reine ? Et où était-elle quand il était en train de te charcuter ?”
 
“Elle est occupée en ce moment. C’est le Processus des Anastases.”
 
“Le quoi de quoi ?”
 
Pion haussa les épaules. C’était un geste bien pratique qu’il avait appris. Il remarqua que l’a demie-elfe le dévisageait avec intensité de derrière Erin tandis que l’humain et le Minotaure discutaient.
 
“Je ne sais pas. J’ai juste entendu les mots au détour d’une conversation. Mais c’est un rituel important qui ne peut pas être interrompu. Je… sens cela.”
 
Erin le dévisagea. Elle ne comprenait pas, et Pion fut inquiet soudain qu’elle allait essayer de le garder ici. Ceci mènerait à des conflits, et il ne pouvait pas se permettre qu’elle soit blessée. Mais la demie-elfe lui adressa la parole.
 
“Toi, euh, Pion. Peux-tu répondre à ma question ? Que veulent les Antiniums ?”
 
“Prospérer.”
 
C’était une réponse automatique, et pas celle qu’elle espérait. Ceria secoua la tête.
 
“J’ai entendu cette réponse de la part de tous les Antiniums. Je veux dire…. que veulent-ils ici ? Les Antiniums n’ont jamais établi de Colonie si proche des membres d’une autre espèce, encore moins au sein de leur ville. Pourquoi ce Ksmvr t’a-t-il emmené et… questionné ?”
 
Encore des questions difficiles. Pion essaya de répondre du mieux qu’il le pouvait.
 
“Nous sommes arrivés ici il y a dix ans. Pour faire… faire quelque chose. Je ne sais pas. Je ne sais pas quoi. Mais cela fut Décidé. Les Reines envoyèrent une unique Colonie à la ville. Payèrent en or pour un endroit avec ceux qui n’étaient pas de la Colonie. Pour faire quelque chose. Une nouvelle sorte d’Antiniums.”
 
“Et ce processus des… est-ce que ça a un rapport avec ça ?”
 
“Non. Oui. C’est important. Je ne peux pas vous dire ce que c’est. On ne me l’a pas dit. Je ne peux que sentir que cela requière toute l’attention de ma Reine.”
 
“Mais quand elle en aura terminé, elle voudra te voir, c’est bien ça ?”
 
“Oui.”
 
“Et tu es important.”
 
“Oui.”
 
Des réponses plus faciles. Pion vit une lueur de compréhension dans les yeux de la Demie-Elfe. Mais Erin ne comprenait toujours pas. Pion comprit cela, aussi. Mais la Demie-Elfe, si. Elle tira sur le bras d’Erin.
 
“Je crois que j’ai compris, Erin. Pion doit retourner dans sa Colonie. Tu ne peux pas ôter un Antinium de sa Colonie. Si tu fais ça…. ils feront tout pour le récupérer. Ou s’ils ne peuvent pas le récupérer, l’Antinium meurt.”
 
“Vraiment ?”
 
Simplement en temps de guerre. Pion savait avec une certitude absolue que jamais sa Reine n’ordonnerait son exécution. Il était trop important. Mais le mensonge…
 
“Ceci est correct. Je serais compromis ou te mettrais en danger en restant ici.”
 
Mentir à Erin lui fit mal. Mais c’était vrai, en partie. Une fois que sa Reine apprendrait sa nature elle ferait tout pour le récupérer. Et si Ksmvr essayait de le récupérer en amenant des soldats….
 
L’idée était trop pour lui. Donc Pion mentit. Il mentit pour protéger celle nommée Erin Solstice, l’aubergiste qui jouait aux échecs et chantait. Celle qui lui avait donné son individualité et plus de choses encore. Celle qui était importante. Celle que les autres Ouvriers…
 
Admiraient. C’était peut-être le mot pour cela. Mais Pion songea que ce n’était pas le bon mot. Ce qu’Erin était pour les Ouvriers était différent. Elle avait apporté quelque choses dans leurs vies stagnantes, leur avait appris ce que cela avait été de vivre dans l’ennui et la monotonie. Elle avait sorti l’un d’entre eux du lot, et ce que les Ouvriers ressentaient pour elle n’était donc pas de l’admiration. C’était autre chose. Un autre mot.
 
Mais Pion n’avait aucune idée de ce que ce mot pouvait être.


***


Pion partit. Ceria et Gerial partirent avec lui, et Calruz partit de son pas lourd lorsqu’il apprit qu’Erin était malade. Ils la laissèrent seule.
 
Elle se sentait mal. Elle était bouleversée que Pion parte. Émotive. Elle jeta un verre d’eau à Toren.
 
Elle détestait être malade. Et elle était tellement fatiguée… elle n’avait dormi que, quoi, quelques heures ? Donc Erin posa sa tête sur son oreiller dans la cuisine. Juste pour une petite sieste. C’était juste un peu trop pour elle.
 
Elle s’endormit instantanément. Tout bien considéré, c’était mieux pour elle. Erin était fatiguée, aussi bien émotionnellement que physiquement, et rien ne pouvait la réveiller. Même pas Selys lorsqu’elle vit Toren.
 
***

Pisces entendit le hurlement et se demanda s’il fallait fuir. Mais il y avait de grandes chances qu’il reste des aventuriers dans l’auberge, et par conséquent que le cri ne signifiait pas que quoi que ce soit de vraiment dangereux soit apparu.
 
Mais il jeta tout de même son sort d’[Invisibilité] avant d’entrer. C’était un sort vraiment merveilleux. Une magie d’échelon 4 comme celle-ci lui procurait plus de sécurité qu’une armure, et lui procurait beaucoup d’opportunités, aussi. Cela valait bien l’année entière d’études que cela lui avait pris pour l’apprendre.
 
Il tendit toutefois la tête à l’intérieur de l’auberge avec précautions. La sécurité était essentielle. Il courrait au moindre signe de danger….
 
Malédiction. Erin Solstice avait peut-être des ennuis. Après la nuit dernière, il ne pouvait tout simplement pas l’abandonner. Non pas parce qu’il avait entendu ce qu’avaient dit ces Gnolls arrogants. Ils avaient beau être furtifs, ils comptaient trop sur leurs nez. Pisces sentait exactement comme la nature parce qu’il ne s’embêtait jamais à se laver. Encore un avantage.
 
Et la musique. Il ne pouvait oublier la musique. Un [Instant Immortel], en effet. Tout ce que cela voulait dire, c’était que… que…
 
Qu’il était en train de faire quelque chose de stupide, que Pisces regrettait. Il prépara plusieurs sorts en regardant dans l’auberge. Si c’était un monstre, il attaquerait et battrait immédiatement en retraite. C’était tout ce qu’il pouvait faire. Plus qu’il ne devrait faire, d’ailleurs.
 
Il n’y avait pas de monstre dans l’auberge. Pas si on ne comptait pas le squelette et Pisces n’avait pas peur de sa propre création. La Drakéide tétanisée ne semblait toutefois pas partager son opinion.
 
Pisces se détendit et laissa le sort d’invisibilité se relâcher. Son cœur battait beaucoup, beaucoup trop vite. Malédictions. Il reconnut la Drakéide. C’était la réceptionniste de la Guilde des Aventuriers, celle qui parlait souvent avec Erin .Selys Shivertail.
 
Elle était encore en train de gémir et d’essayer de se protéger de Toren alors que le squelette se contentait de la regarder. Pisces secoua la tête. Les non-mages. Ils étaient tellement…
 
Il chercha Erin Solstice du regard. Elle n’était nulle part en vue, ce qui ne l’arrangeait pas.  Il avait voulu trouver quelque chose à manger....
 
Pisces avait l’habitude d’entrer se servir dans la cuisine de l’Auberge Vagabonde. Il l’avait déjà fait plusieurs fois, et cela fut un choc pour lui lorsque Toren tendit un bras osseux pour lui barrer la route. Il glapit et recula.
 
“Qu’est-ce que tu fais ?”
 
Sa création étudia Pisces. Toren ne répondit pas - non pas que Pisces lui eût donné la capacité de parler. Le mage hésita, puis fit un geste de la main.
 
“Ôte-toi de mon chemin. Je requière un sustentation.”
 
Une étincelle d’hésitation… puis le squelette secoua la tête. Pisces fronça les sourcils.
 
“Je suis ton créateur. Ôte-toi de mon chemin.”


Une nouvelle fois, le squelette secoua la tête. Pisces fronça les sourcils d’un air sombre. Mais évidemment, il s’était attendu à des complications lorsqu’il avait créé ce squelette. Il ne s’était simplement pas attendu à ce que l’entrelac de sortilèges interfère avec l’obéissance du squelette…
 
“Décale-toi.”
 
Le squelette claqua les mâchoires à l’attention de Pisces et leva un doigt pour lui indiquer de ne pas faire de bruit. Il cilla.
 
“Qu’est-ce que tu…. Moi, Pisces, t’ordonne de te décaler et de me laisser passer.”


Nouveau signe de dénégation. Pisces serra les dents. Il allait essayer quelque chose de plus drastique lorsque que quelque chose le cogna l’arrière du crâne. Il tituba et regarda autour de lui.
 
“Toi !”
 
Quelque chose l’attaquait. Pisces glapit lorsque Selys lui fonça dessus, en le frappant des poings.
 
“Tu es celui qui a fabriqué cette… cette chose, pas vrai ? Espèce de misérable, malfaisant petit…!”
 
Selys émit un son étouffé lorsque Toren lui attrapa la main. Elle faillit crier, mais une autre main osseuse lui couvrir la bouche. Pisces se figea. Sa création allait-elle… ?
 
Toren tint Selys dans une étreinte de mort. Lentement, très lentement, il ôta sa main de sa bouche et la leva en direction de ses dents. Il leva un doigt et lui fit signe de se taire.
 
Selys frissonna en acquiesçant. Toren relâcha doucement sa main. Puis le squelette pointa du doigt l’intérieur de la cuisine.
 
Pisces et Selys regardèrent tous deux à l’intérieur de la cuisine et virent Erin roulée en boule, toujours endormie pour une raison inconnue. Ils échangèrent un regard.
 
Toren retourna devant l’entrée de la cuisine et resta là, en sentinelle. Il dévisagea d’un air déterminé le mage et la Drakéide. Lentement, le squelette tendit la main vers l’épée attachée à sa taille osseuse. Il la sortit d’un centimètre de son fourreau. Ils reculèrent.


***


“Qu’est-ce que c’était que ça ?”
 
“C’était ma création. Un squelette. Il ne fait que monter la garde pour sa maîtresse, Erin Solstice.”
 
“Tu as créé cette chose ?”


Selys dévisagea Pisces, horrifiée. Il leva son nez en l’air.
 
“Bien sûr. C’est un garde du corps pour Erin et un serviteur compétent.”
 
“C’est un monstre mort-vivant. Et toi… je croyais que tu n’étais qu’un [Illusionniste] qui effrayait les pauvres gens. Mais tu es le [Nécromancien] dont parlait Relc, pas vrai ? Eh bien, laisse Erin tranquille ! Elle n’a pas besoin que tu viennes l’embêter !”
 
“Je suis un client favori de son auberge. J’ai parfaitement le droit d’être ici.”
 
“Tu avais encore une récompense sur ta tête il y a une semaine ! Restes loin d’elle ou je… je…”
 
Il ricana d’un air méprisant.
 
“Que vas-tu faire ? Me frapper ? Je suis un mage.”
 
“Et je suis une réceptionniste à la Guilde des Aventuriers .Je mettrai une récompense de vingt pièces d’or sur ta tête si tu décides de ne serait-ce qu’éveiller un mort-vivant à moins de trente kilomètres de la ville.”
 
“Tu… tu n’as pas l’autorité pour faire ça.”
 
“Donne-moi une seule bonne raison. Et dégage de mon chemin !”
 
“Je fais aller en ville. Erin étant… indisposée, j’irai chercher de quoi me sustenter là-bas.”
 
“Alors marche derrière moi ! Je ne veux pas être près de toi !”
 
“J’ai le droit de marcher où je veux. Si cela t’embête tant que cela, tu peux attendre.”
 
“Espèce d’abruti à tête molle…”
 
Loks observa avec curiosité le mage et la Drakéide qui passèrent devant elle en se disputant. Ils ne la remarquèrent même pas - non pas qu’elle soit vraiment visible dans les hautes herbes dans tous les cas. Sa peau verte la camouflait bien et si elle fermait les yeux, elle pouvait pratiquement disparaître parfois.
 
Les autres Gobelins la rendaient un peu plus repérable, bien sûr, mais à sa grande surprise, Pisces et Selys avaient également réussi à les rater. Et c’était dur de rater une trentaine de Gobelins.
 
Cela n’avait pas vraiment d’importance dans tous les cas, Loks secoua la tête et se dirigea vers l’auberge. Elle cria sur les Gobelins qui la suivaient et ils se dispersèrent dans l’herbe tandis que cinq d’entre eux attendirent avec elle devant l’auberge. En tant qu’escorte, ils étaient importants, mais l’auberge était une zone paisible. De plus, ses éclaireurs avaient déjà déterminé que l’auberge était vide si on exceptait la présence du squelette et d’Erin Solstice.
 
C’est pour cette raison que lorsque Loks entra dans l’auberge, seul Toren la vit. Libérée à présent des regards de ceux qui la suivaient, Loks prit un instant pour grimacer et tâter son flanc qui était à l’agonie. Elle marmonna pour elle-même en tâtant l’énorme bleu, mais c’est avec détermination qu’elle décida que cela ne valait pas la peine de gâcher une potion de soin dessus.
 
Le squelette ne prêta guère attention à la Gobeline, sauf pour évaluer le danger qu’elle représentait. Il remarqua qu’elle fronçait les sourcils en cherchant Erin Solstice et soupira intérieurement.
 
***

Heureusement, Loks comprit qu’Erin dormait et qu’il ne fallait pas la déranger, battant à plates coutures tous les clients de l’auberge aujourd’hui. La petite Gobeline n’était pas contente, mais Toren n’eut pas besoin de la dissuader d’entrer dans la cuisine.
 
Au lieu de cela, la Gobeline sauta sur une chaise et attrapa un échiquier. Elle marmotta tandis que Toren attendait patiemment devant la cuisine. Il regarda d’un air impassible la Gobeline qui l’ignorait.
 
Peut-être que quelqu’un qui n’était pas un squelette mort-vivant aurait réagi un peu plus devant l’apparence de Loks. Ils se seraient demandé d’où venaient les plaies sur le côté de son visage, pourquoi elle grimaçait en bougeant, ou peut-être d’où venait la potion rose-orangée à sa ceinture. C’était l’un des objets précieux qu’un observateur aiguisé aurait pur rapprocher du pillage de voyageurs.
 
Mais Toren ne s’intéressait à rien de tout cela. Au lieu de cela, le squelette était troublé par ses propres pensées. Il montait la garde pour sa maîtresse et c’était très bien. Mais il avait manqué à son devoir quelques jours plus tôt. Il avait perdu face à l’Antinium, et c’était problématique. Mal. Il sentait que cela n’aurait pas dû se passer ainsi.
 
Mais il n’était encore qu’un [Guerrier Squelette] de Niveau 3. Il n’avait pas de moyen de gagner des niveaux sauf dans sa classe de [Serveuse], et Tor sentait que cela ne l’aiderait pas particulièrement.
 
Loks continua de marmotter en se mettant à jouer une partie d’échecs. Sans adversaires, elle était obligée de jouer les deux côtés et cela ne lui plaisait pas. Elle rouspétait dans sa langue.
 
Là encore, ses mots n’auraient rien signifié pour la plupart des gens. Le langage des Gobelins était râpeux, gargouillant, et ressemblait vaguement au bruit de cailloux jetés dans un mixeur. En gros, incompréhensible pour n’importe qui qui n’était pas Gobelin.
 
Mais les morts parlent une langue universelle, et Toren la comprenait parfaitement. Il écouta, au début surtout parce qu’il n’avait pas le choix, mais ensuite avec une fascination grandissante. Il était fasciné par les commentaires de Loks sur la classe de [Stratégiste] et les échecs et il regarda l’échiquier.
 
La Gobeline joua une longue partie toute seule, puis une deuxième. Elle gagna et perdit la troisième partie, leva les yeux et faillit tomber de son siège.
 
Toren était debout, silencieux, derrière elle, et regardait l’échiquier. Loks commença à sortir son épée courte de son fourreau, mais le squelette n’essaya pas de l’attaquer. Il baissa les yeux sur l’échiquier puis s’assit, lentement, devant Loks.
 
Avec une précision mécanique, il se mit à bouger des pièces d’échecs pour les mettre dans leur position initiale. Devant les yeux éberlués de Loks, Toren choisit un pion et l’avança sur le plateau.
Elle dévisagea le squelette mort-vivant. Ses yeux d’un feu bleu fixés sur elle. Lentement, Loks se rassit sur sa chaise et examina le plateau. Elle dévisagea le squelette. Puis elle haussa les épaules.
 
Et se mit à jouer.
 
***

Ceria et Gerial marchaient dans les rues de Liscor, en bavardant et en riant. Ils descendaient une rue remplie de restaurants et de pubs. Ils étaient observés.
 
Les yeux de Scruta balayèrent la rue et elle sourit en avançant. Relc se dirigeait droit sur le leader des Cornes d’Hammerad, plusieurs rues plus loin. La [Princesse] était accroupie à une autre table, sous une cape de sort d’[Invisibilité], mais elle n’interférerait pas.
 
L’homme était un aventurier dans la moyenne. Un [Guerrier] niveau 17 - sans grand-chose qui le distingue du reste. Mais la demie-Elfe attirait au moins autant l’attention que le Minotaure. Elle ne pouvait qu’être Ceria Springwalker, membre des Cornes d’Hammerad.
 
C’était précisément eux que Scruta cherchait.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 03 juin 2020 à 15:14:20
1.40
Traduit par Maroti

C’étaient les échiquiers utilisés en tournoi grâce à ses senseurs et le minuteur électronique directement branché à l’échiquier.

Le bruit des échecs.

Un son doux, la plupart du temps, et dont elle avait appris toutes les subtilités. Les échecs sonnaient différemment.

L’échiquier avait son importance, pour commencer. Erin jouait habituellement avec des pièces en bois, ceux de la série d’échiquiers électronique DGT produit en masse. C’étaient les échiquiers utilisés en tournoi grâce à ses senseurs et le minuteur électronique directement branché à l’échiquier.

Il avait même un ordinateur programmé pour jouer contre qui faire des parties. C’était vraiment de la haute-technologie, et pas vraiment au gout d’Erin.

Elle aimait le son et la sensation des pièces de pierre, comme celle qu’elle avait achetée pour son auberge et qu’elle avait dans sa collection personnelle chez elle. Son chez elle du monde réel, enfin, son monde.

Le doux claquement de la pierre sur la pierre réveilla doucement Erin. Elle se redressa et tendit la main vers le chiffon qu’elle avait laissé prêt de sa tête avant de se moucher.

Bien sûr, les pièces de pierre étaient bien plus fragiles et il était inévitable que quelqu’un laisse tomber une pièce tôt ou tard. C’était pourquoi elle sortait uniquement ces pièces quand elle jouait contre quelqu’un qui partageait son respect pour les échecs.

Oui… Le rythme lui racontait aussi d’autres choses. C’est une partie plus lente, car l’un des joueurs était moins fort que l’autre. Il était presque possible de le sentir. L’un des deux joueurs était décisif, confiant et assez talentueux pour prouver la raison de sa confiance. Il bougeait presque après le coup de l’autre joueur. Mais l’autre s’arrêtait et hésitait.

Différents sons pour différents joueurs. Erin se souvenait du son des pièces en plastique de mauvaise qualité brusquement claquer sur l’échiquier par des joueurs impatients, ceux qui devenaient colériques quand ils perdaient et s’excitait sur de petits gains. De mauvais joueurs ? Non, de jeunes joueurs. Des amateurs.

Les joueurs professionnels s’énervaient aussi, mais différemment. Parfois il devenait bruyant, mais beaucoup devenait glacial et concentrait toute leurs attention dans un combat silencieux. Il était possible de dire quand est-ce qu’une partie allait devenir intéressante, non pas par le bruit…

Mais par le silence.

Mais dans ce cas, ce n’était pas une bonne partie. Erin pouvait le deviner dès qu’elle sortit de la cuisine, frottant le sommeil de ses yeux.

Loks était assise en face de l’échiquier, les bras croisé alors qu’elle regardait le squelette assis devant elle. Erin regarda aussi, la présence de Toren là surpris, mais les échecs… Les échecs étaient faciles à comprendre.

C’était une mauvaise partie. Une très mauvaise partie. Loks avait presque toutes ses pièces, en comptant les pions, alors que les pièces de Toren étaient en pagaille.

Contrairement à ceux que les gens pensaient, une partie qui n’était pas équilibré n’était pas amusante. Gagner contre un adversaire plus faible que soit n’était pas amusant.

Erin fit passer ce message au reste de la salle alors que Loks mit le roi de Toren en échec sans réel effort. La Gobeline et le squelette se tournèrent vers elle.

« Je ne sais pas comment tu as réussi à le faire jouer, mais il ne sait clairement pas comment jouer. »

Loks haussa les épaules de manière nonchalante alors que Toren bondit de sa chaise. Erin soupira. Son squelette était en train de jouer aux échecs.

« Rassie-toi. »


Toren se rassit. Erin tira une chaise et s’étala sur la table, reposant sa tête sur ses bras. Elle regarda Loks. La Gobeline était en train de réarranger son côté, s’attendait probablement à jouer contre Erin.

La petite Gobeline semblait… Battue. Est-ce qu’elle était blessée ? Si elle l’était, elle ne le montrait pas.

« Combien de parties vous avez joué ? »

Loks s’arrêta et réfléchit. Elle leva ses deux mains en montrant tous ses doigts, avant de donner un coup de pied à Toren qui leva aussi ses deux mains, mais en gardant deux doigts baissés.

« Dix-huit parties ? C’est beaucoup. Il en a gagné combien ? »

Loks sourit.

« C’est bien ce que je pensais. »

Après tout, il y avait peu de joueurs qui se plaisaient à battre des amateurs. Encore plus des enfants. Erin avait été l’un de ses enfants prodiges des échecs en grandissant. Elle avait connu quelques enfants de son âge qui aimait malmener les adultes.

C’était un signe d’immaturité. Erin fronça les sourcils et la Gobeline détourna les yeux, renfrogné. Quel âge avait-elle ? Combien cela représentait en année Gobeline ?

« Tu devrais au moins lui apprendre à jouer. Tiens. »

Erin pointa à un autre échiquier et Toren alla le chercher. Mécaniquement, elle installa son coin sur les deux échiquiers lui faisant face.

« Je vais t’apprendre à jouer et te venger, d’accord ? »

Le squelette ne dit rien, mais il s’assit de manière obéissante en face d’Erin alors que Loks fronça les sourcils et bougea soigneusement son cavalier en avant.

« Tout est une histoire de positionnement, tu vois ? Je ne sais pas si tu m’as vu jouer aux échecs, mais c’est légèrement différent que ce que les gens pensent. »

Erin bougea nonchalamment une pièce sur l’échiquier de Loks et montra à Toren.

« Tu vois cette partie centrale ? La majorité des ouvertures et des stratégies tournent autour du contrôle de cette zone. Et c’est parce que tes pièces ont besoin de bouger pour attaquer l’ennemi. Ça ne tourne pas toujours autour de la capture de pièces adverses. Tout est une histoire de bon placement, et attirer l’adversaire dans des pièges. »

Elle joua quelques coups avec Toren, regardant et commentant alors que le squelette joua.

« Tout le monde… Enfin, tout le monde de là ou je viens… Connais les ouvertures basiques. C’est nécessaire si tu veux jouer aux échecs. Mais les échecs sont autant ta capacité de lire ton adversaire que la manière de préparer ton côté. Tu les pièges, tu ouvres des trous dans leur défense. Il y a plein de manières de faire ça. Fourchettes, épingles, déviations, échecs, enfilades, batteries… »

Elle commença à se laisser porter par la conversation, une enthousiaste des échecs sur une victime impuissante. Toren absorba les informations comme une éponge alors qu’elle joua une très calme partie contre lui, laissant le squelette apprendre dans la défaite.

Loks murmura alors qu’elle perdit sa reine. Erin pointa du doigt vers Tor alors qu’elle essaya de bouger son roi et secoua la tête.

« Je vais te laisser refaire ce coup. Essaye de ne pas trop bouger ton roi. Tu peux toujours le roc si tu veux le faire bouger, mais il ne devrait pas être la pièce que tu fais bouger lors de ton tour. C’est généralement mauvais signe. »

Elle sourit, envahit par la nostalgie. Elle avait aussi appris à là dur.

« Je sais que tu veux le bouger car il est très important et que tu veux le garder en sécurité, mais tu dois le faire avec les autres pièces. Ils sont l’épée et le bouclier du roi. Ouais, ne bouge pas ton roi. Parce que… »

Le reflet d’un souvenir. Les mots s’échappèrent de la bouche d’Erin avec automatisme.

« Le roi est malin et utilise sa tête. Car s’il bouge, cela bientôt la fin de sa quête. »

Loks et Toren regardèrent Erin et elle cligna des yeux. C’était ça. Elle se souvenait.

« Oh. Hum. C’était une petite rime que j’ai créé quand j’étais petite. C’est… C’est important. »

Erin avait l’impression que c’était important, mais elle ne se souvenait plus pourquoi. C’était quelque chose d’un peu bête qu’elle avait fait. Mais…

« Où est-ce que j’en étais ? »

Elle regarda l’échiquier et trouva un moyen de mettre Tor en échec. Elle lui montra, et lança un regard vers Loks qui était fumante.

« Pourquoi est-ce que tu n’essayes pas de nouveau ? Tu vas probablement perdre, mais… »

Erin regarda Toren. C’était… Il était une créature mort-vivante. Qui savait à quelle vitesse il pouvait apprendre ? Ce n’était pas qu’il avait une mauvaise mémoire, c’était juste qu’il n’avait pas de cerveau. Erin était soudainement en proie à la curiosité, probablement comme Loks. Elle voulait voir Toren jouer.

Elle montra avec précaution quelques ouvertures classiques et joua lentement une nouvelle partie alors qu’elle écrasa de nouveau Loks. Puis elle prépara un échiquier pour la Gobeline et le squelette avant de se préparer à observer la partie.

« Tu as compris ? Voyons voir. »

Loks et Erin attendirent. Après un moment, Toren bougea une pièce et Loks contrecarra. La partie dura encore seize coups avant qu’elle ne le mette en échecs.

« Tu ne comprends pas. »

Toren fit claquer sa mâchoire et Erin soupira.

« N’essaye pas de faire sortir sa tour si rapidement. Souviens-toi, capture le centre et essaye de le renforcer. Réessaye. »

C’est ce qu’il fait. Deux parties plus tard Erin dut faire face à la réalité.

« Super. Mon squelette mort vivant est nul aux échecs. »

Ce n’était pas qu’il n’était pas bon, c’était…

Non, il n’était pas bon. Erin le vit alors qu’elle jouait une partie contre Loks et Toren à la fois. Il était un amateur.

Et il n’y avait rien de mal avec ça. Mais c’était un véritable contraste comparé aux Antiniums et Loks. Les Ouvriers manquaient peut-être d’expérience, mais ils apprenaient rapidement et mémorisaient les ouvertures et les contres avec facilités. Et Loks était douée.

Comparé à ça, Toren était juste normal. Pas sans espoir, elle pouvait voir que ses parties s’étaient amélioré de la travestie qu’elle avait vu avant de le coacher. C’était juste qu’il n’avait pas d’étincelle.

Erin soupira. Elle prit l’un des cavaliers de Loks et ignora la petite Gobeline siffler de colère.

« Echecs. »

C’était dommage. Mais il y avait une partie d’elle qui était toujours heureuse. Même si son squelette était nul, il était quand même en train de jouer aux échecs. Même si elle était assise dans un autre monde, dans une auberge en train de jouer contre une Gobeline, elle était toujours en train de jouer aux échecs.

C’était bien. Cela la rassurait. C’était la seule chose qui la rendait heureuse, vraiment. Car c’était la seule chose pour laquelle elle était douée. C’était la seule chose qu’elle savait faire.

***

Ceria et Gerial marchaient à travers la ville en discutant. Ils étaient seuls, seuls dans une mer de Drakéide, de Gnolls et de l’occasionnel Antinium.

Ils étaient des étrangers. Mais après tout, les aventuriers étaient toujours des aventuriers. Ils étaient habitués.

Et peut-être que si cela avait été une autre semaine, dans un autre lieu, ils auraient été en train de rire et de plaisanter tout en explorant une nouvelle ville. Mais c’était différent. Ils parlaient et marchaient sérieusement ; ignorant les regards hostiles que les habitants locaux leur envoyaient.

C’était facile de se faire entraîner dans l’auberge qu’ils avaient trouvé. C’était un endroit apaisant, et assez loin pour qu’ils puissent vraiment se détendre. Mais ici, dans la ville, ils étaient trop proches. Les Ruines étaient à plusieurs kilomètres de la ville, mais cela ne faisait pas de différence pour les aventuriers. Leurs nerfs bourdonnaient, et leurs cœurs battaient légèrement plus fort à cause de l’anticipation de ce qui allait venir.

« Bientôt. »

Ceria hocha la tête. Elle toucha le couteau à sa taille et sentit la baguette attachée à son bras.

« Pourriture, j’aimerais que ça soit demain. Ce n’est pas étonnant que les autres aventuriers voulaient rester dans l’auberge. Je ne peux pas me détendre ici. »

Gerial hocha la tête. Il s’écarta poliment d’un chemin d’une Drakéide et l’ignora quand elle fit tressaillir sa langue dans sa direction.

« La, ah, réception locale n’aide pas beaucoup. »

« À quoi est-ce que tu t’attendais ? Ils n’aiment pas trop les humains dans le coin et je suis juste une autre embêtante aventurière. Mais je ne parle pas de ça. Tu peux le sentir, n’est-ce pas ? »

Il le pouvait. Gerial était un aventurier vétéran, et il sentait la même chose que Ceria sentait. Il y avait une émotion sous-jacente chez les aventuriers en ville. De la peur… Et de l’expectation.

Les Ruines de Liscor étaient une grosse trouvaille, potentiellement la plus grosse de la décennie. D’innombrables trésors jamais découvert les attendaient, le genre de récompense qui pouvait élever n’importe quel groupe d’aventurier vers le rang d’Or, ou plus encore. Mais de la même manière, les dangers qui les attendaient étaient inconnus.

« Nous ne savons toujours pas ce qu’il y a en bas. Cervial à trouver quelqu’un qui était partant pour exploser et cartographier le premier niveau, mais personne ne veut descendre plus bas. »

« Et il n’as toujours pas trouvé quelqu’un qui s’est aventuré plus loin ? »

« Personne qui est allé au-delà des escaliers n’est revenu. »

Gerial mit la main sur sa ceinture sans s’en rendre compte. Il posa la main sur le pommeau de son épée et la retira quand un garde Gnoll regarda dans sa direction.

C’était ça. C’était de la peur. Il y avait quelque chose en bas, et qu’importe ce que c’était, c’était mortellement dangereux. Tellement dangereux que c’était suffisant pour calmer la soif de trésor des aventuriers.

Qu’est-ce qui pouvait se cacher là-dessous ? Une Bagrhaven ? Où un de leur nid, peut-être. Mais quelque chose qui pouvait tuer une compagnie classée Argent sans laissé un seul survivant…

Un piège ? Une colonie de guivres ? Une espèce… Une sorte d’armée mort-vivante ? Ou, le sang de Gerial se glaça à l’idée, ils avaient déterré le site d’enterrement de l’un de ces Grands Anciens ?

Non. Non, y penser ne servait à rien. Mais c’était le truc. L’incertitude gardait les aventuriers à distance. Une fois qu’ils allaient savoir ce qui se trouvait en bas, ceux qui pouvaient s’occuper de la menace se rassembleraient et réglerait cette histoire en un instant. Les aventuriers allaient fondre sur les ruines, volant, se battant entre eux, pour en ressortir avec le plus de butin possible.

Tout ce qu’il fallait était un premier groupe, plus courageux que le reste, pour découvrir les secrets tapis dans les profondeurs en payant de leur sang. Et cette fois, c’était les Cornes d’Hammerad qui allaient payer ce prix.

« Hey. »

Gerial cligna des yeux et tourna la tête de surprise alors qu’il se prit un coup de coude dans les côtes. Il baissa les yeux vers Ceria qui croisa son regard.

« Ne va pas me paniquer dessus. On va s’en sortir, donc arrête de t’inquiéter. »

Il sourit, mais le coup de Ceria l’avait fait revenir à la réalité. Il passa la main sur l’endroit ou elle l’avait frappé, se demandant s’il allait avoir un bleu.

« Quelqu’un doit s’inquiéter. Car selon notre leader, cela sera une simple mission d’extermination, rien de plus. »

Ceria grimaça.

« Calruz est arrogant. Mais il est confiant et audacieux et c’est pourquoi il est parfait pour un vice-capitaine comme toi. »

Gerial avait le sentiment que cela aurait dû être l’inverse, mais il sourit devant le compliment, avant de froncer les sourcils.

« Le sort d’[Illumination]. S’en est où ? »

Ceria haussa les épaules.

« Ma maitrise est Incomplète. Je vais continuer d’étudier, mais selon mes meilleures estimations je serais capable de le lancer une fois et j’aurai besoin d’une potion de mana après. C’est trop épuisant de l’utilise plusieurs fois de suite. »

« Une fois devrait être suffisante. Nous avons juste besoin d’une zone illumination vers laquelle nous pouvons nous retraiter. »

« Nous avons déjà fait les formations. Arrêt… »

« Oui, oui. Et l’équipement est en route. C’est juste que… »

« Je sais. »

Ceria tapota Gerial sur l’épaule.

« Je sais, crois-moi. Je le ressens aussi. Mais nous nous sommes préparés pour ça et nous pouvons faire demi-tour dès que la situation s’envenime. Ne t’inquiète pas. »

Il lui fit un sourire. C’était rassurant de savoir que quelqu’un d’aussi vieux que Ceria était dans le groupe avec lui. Elle avait plus de soixante ans, et même si elle ‘n’avait pas passé tout ce temps à être une aventurière, il était tout de même heureux qu’elle soit là. En vérité, il avait le sentiment qu’elle devait être la vice-capitaine, mais elle avait toujours refusé.

Principalement, parce qu’elle ne voulait pas faire toute la logistique qu’il y avait à faire.

Leur discussion changea vers des sujets plus légers. Gerial et Ceria n’étaient pas débutants et connaissaient les risques lié à l’exploration des donjons. Gerial était un aventurier depuis huit ans, et Ceria avait commencé il y a quatorze ans.

« Dit, si nous trouvons de l’or et des gemmes plutôt qu’un artéfact magique, nous avons la plus grosse part après le capitaine. Qu’est-ce que tu t’achèterais ? »

Ceria sourit et regarda quelques bracelets présenté sur la devanture d’une boutique Gnoll. La grande Gnolle regarda la demi-elfe et montra ses dents de manière courtoise, l’invitant d’un geste. Ceria agita sa main et continua sa route.

« Si j’ai assez, j’aimerais m’acheter un autre grimoire. J’ai déjà plus ou moins maîtrisé ceux que j’ai déjà. Avec assez de pièces d’or, quelques centaines tout au plus, je pourrais m’acheter un grimoire avec quelques sorts du 4eme échelon. »

« Rien que ça ? Si la récompense est à la hauteur des attentes de Calruz, tu auras bien plus d’argent que ça. »

Ceria leva un sourcil dubitatif en direction de Gerial.

« Tu n’as jamais acheté de livres de sorts, n’est-ce pas ? Un seul d’entre eux coûte plusieurs centaines de pièces d’or, voire des milliers, et c’est pour les sorts de bas Echelons. J’économise depuis longtemps pour pouvoir m’acheter un grimoire avec un sort du 4eme Échelon. »

« Mais si tu gagnes un niveau dans ta, hum, classe de [Mage] tu les aurais appris quand même, pas vrai ? »

« C’est compliqué. Je n’ai pas de garantis sur les sorts que je vais apprendre et de plus, j’ai besoin de gagner plusieurs niveaux avant que cela arrive. Mais avec un grimoire, je pourrais étudier un sort et l’apprendre en quelques mois. »

« En quelques mois ? »

« Un mois, un an, deux ans… Alors quoi ? Si je maîtrise un seul bon sort mon Niveau augmentera. Et après nous allons être capable de combattre de plus puissants monstres. »

Gerial secoua la tête.

« C’est une bonne chose que je ne suis pas né avec du talent pour la magie. Je n’ai pas ta patience, ou ton temps. »

« Oh, alors qu’est-ce que tu t’achèterais ? »

« Une armure. Une bonne épée. Ou une bague magique, peut-être. »

Ceria rit.

« Tu n’es pas plus aventureux que ça ? »

Gerial sourit et secoua la tête, un guerrier parlant à un mage.

« Un bon set d’armure magique ? Je serais capable de me battre sans m’inquiéter d’avoir un monstre enfoncer mon casque toutes les cinq secondes. »

« Je suppose. Mais cela me semble être du gâchis, c’est tout. »

« La moindre partie compte. Si j’avais une bonne armure je pourrais m’inquiéter à propos d’autre dépense. Mais c’est le début. »

« C’est vrai. »

L’argent. C’était tellement simple. Mais c’était le fléau de l’existence des aventuriers. Ils gagnaient plus que des ouvriers compétent, mais ils avaient besoin de plus pour continuer d’être des aventuriers. La Guilde avaient ses propres tarifs pour s’enrôler, réparer les armures et les potions de soins étaient coûteuses, et une blessure pouvait empêcher quelqu’un de travailler pendant plusieurs mois. C’était tellement difficile de gagner de l’argent.

« Une bonne épée. »

Gerial murmura dans sa moustache.

« Si j’avais ça, je pourrais affiner mes compétences à l’épée. Gagner un niveau. Commencer à gagner un salaire d’aventurier Or… »

« Et puis peut-être que tu seras capable de parler à une certaine Coursière sans que j’ai besoin de te donner un coup de main, hm ? »

Gerial devint rouge.

« Je ne vois pas de quoi tu parles. »

« Bien sûr que non. Vous les humains… Non, vous les mâles. Toi et Calruz, vous êtes des idiots qui tombent amoureux de la première femme exotique que vous voyez. »

Gerial prit la pique avec humour même s’il ne pointa pas que la première femme exotique sur lequel il avait posé les yeux était Ceria. Cela aurait fait rougir la demi-elfe et partir en retraite. Il avait appris il y a bien longtemps que son cœur s’était fermé au homme humain.

Dans tous les cas, il était content d’apercevoir un visage familier assis à une table extérieure, mangeant des morceaux de viande braisée sur une brochette.

« Sostrom ! »

Le mage leva les yeux et sourit entre deux bouchées alors que Gerial et Ceria le rejoignirent. Ils commandèrent une brochette chacun alors que le marchand Drakéide fit tourner la viande autour d’un feu.

« J’ai vu que vous étiez déjà parti. L’aubergiste… Miss Solstice était malade, donc nous sommes tous parti sans prendre de petit-déjeuner. »

Gerial hocha la tête. Il avait pris un petit-déjeuner tardif avec Ceria, mais son appétit était en train de revenir alors qu’il sentait l’odeur des animaux en train de rôtir.

« Est-ce que tu as vu Calruz ? »

« Pas depuis la nuit dernière. Pourquoi ? »

« Il a quitté l’auberge et il n’a pas dormi depuis la nuit dernière, je crois. Tu sais comment il est quand il est irrité. »

Sostrom grimaça.

« Laissons la Garde se charger de lui. Je ne suis pas assez payé pour le retenir quand il cause des problèmes. »

« S’il se fait arrêter avant que nous entrions dans les Ruines… »

« La ville le laissera partir si nous payons son amende. Et ils seront plus heureux de le laisser combattre des monstres que de l’avoir causé des problèmes en prison. »

Il y avait de la vérité dans ce qu’il disait, donc Gerial laissa tomber.

« Donc. Nous avons rencontré une étrange aubergiste. »

« Cela est bien vrai. Mais il semble que nous ayons rencontré plus d’une étrange fille dernièrement. »

« Ryoka. »

Gerial accepta une brochette et paya pour lui et Ceria. Il mordit dans la viande chaude et regarda Ceria.

« Ce qu’Yvlon a dit l’autre jour. Tu es certaine qu’elle n’a pas de niveaux ? »

Ceria haussa les épaules.

« C’est ce que Cervial a dit. Et Yvlon semblait savoir quelque chose sur elle. »

« Quel malheureux incident. »

« C’était sa faute. »

« Peut-être, mais Yvlon n’avait pas besoin de la défier. Le combat n’était pas juste qu’importe la manière dont tu regardes l’histoire. »

C’était la vérité. Gerial regarda Sostrom.

« Tu as raison. Je l’ai oublié car elle a gagné, mais depuis quand les Lances d’Argents combattent des civils ? »

« Encore plus en armure. Même si c’était de la bravade, Yvlon n’aurait normalement jamais pris ce combat. Cela pose des questions, pas vrai ? Sur ce qu’Yvlon savait. Ou… Sur ce que sa tante lui a dit. »

Gerial et Ceria échangèrent un rapide regard.

« Lady Magnolia. »

Sostrom hocha la tête.

« Voilà un nom qui te dis à quel point elle est importante. »

« Importante ? »

« Importante. »

Le mage humain hocha de nouveau la tête. Il se gratta le front sous son chapeau pointu. Sostrom était complètement chauve, et donc il portait son chapeau à chaque occasion.

« L’objet que j’ai réparé, ses compétences de combat à main nue. Son manque de niveaux… C’est assez pour m’intéresser, mais pourquoi un scion des Cinq Familles ? Il y a quelque chose d’autre sur elle, retenez mes mots. »

« J’espère qu’elle ne fera rien d’imprudent. »

Ceria rit et manqua de s’étouffer. Gerial grimaça.

« Vous voyez ce que je veux dire. »

« Espère simplement qu’elle survive. Une fois qu’on en a fini ici nous allons pouvoir lui poser plus de questions. »

« Cela pourrait prendre pas mal de temps si les ruines sont aussi profondes que prévu. »

« Elle est une grande humaine. Elle va s’en sortir. »

« Bien, tant que nous sommes sur le sujet des secrets… C’est quoi l’histoire derrière toi et ce Pisces ? Je pensais l’avoir vu la nuit dernière mais vous avez à peine partagé un mot. »

« C’était intentionnel. J’ai une migraine dès que je parle à cet idiot trop longtemps. »

Ceria soupira, mais Sostrom fronça les sourcils.

« Tu peux te moquer de lui, mais il est diplômé de Wistram à la fin de l’histoire. Et ce qu’il a fait pour soigner la jambe de Ryoka était tout à fait phénoménal. Je n’aimerai absolument pas tester mes compétences en l’affrontant. »

Gerial cligna des yeux en direction de Sostrom. Des trois mages des Cornes d’Hammerad, il était le second plus fort et même s’il ne pouvait pas lancer de [Boule de Feu] Gerial avait appris à apprécier son talent.

« Ce Pisces est un mage aussi bon ? »

Sostrom hocha sérieusement la tête.

« Je l’ai senti. Je suspecte qu’il a plus d’un niveau sur moi. Peut-être le même que notre Ceria ? »

Les deux hommes la regardèrent. Ceria fit la moue et haussa les épaules.

« Peut-être. Mais il est toujours un idiot. »

« Un idiot venant de Wistram. »

« Il n’est… Enfin, techniquement il est diplômé. Mais certains mages ne le considéreront pas tel quel. »

« Attends. Tu as dit… »

« Il a été renvoyé. Mais tu as raison. Il était toujours à la tête de sa classe quand il venait en cours. S’il avait l’argent il aurait pu avancer très rapidement. Mais il a quitté vers la même période où je, uh, suis tombé à court d’argent. »

« Et il a été renvoyé à cause de ses expériences. Oui, je m’en souviens. Mais est-ce qu’il a des compétences de combat ? Nous pourrions l’engager pour notre expédition. »

Ceria lança un regard incrédule à Gerial.

« Je ne ferai pas confiance à cet idiot pour couvrir mes arrières. »

« Est-ce que tu n’es pas un peu trop sévère ? »

« Non »

« Mais quel est son niveau ? Un mage vivant seul comme lui doit bien avoir quelques compétences. Et un [Nécromancien] sera parfait s’il y a un grand nombre de mort-vivants dans les ruines. Allez Ceria, dit-nous au moins ses classes. »

Ceria grimaça.

« Je… Bon d’accord. Autant que je me souviens sa classe de [Nécromancien] est celle avec le plus de niveau, mais il connaît aussi plusieurs sorts d’[Elementaliste]. Il était toujours doué pour… »

« Pardonnez-moi. »

Les trois aventuriers se tournèrent. Gerial et Sostrom clignèrent des yeux alors qu’ils regardèrent un très grand œil et un léger sourire. Ceria lâcha sa brochette à moitié terminé.

Scruta Cherchevoie sourit poliment aux trois aventuriers et inclina légèrement la tête.

« Salutations. J’espère que je ne suis pas en train d’interrompre quelque chose ? »

Gerial et Sostrom passèrent à travers un bref moment d’évaluation. Les yeux notèrent la qualité de l’armure de Scruta. Contrairement aux piétons, la couleur brune et rouille de son équipement de les trompait pas. Son armure était clairement de haute-qualité et son épée donna plusieurs informations aux aventuriers.

Cela voulait déjà dire qu’elle était classée Or ou plus. Mais Scruta ne portait pas de bracelets ou de marques indiquant son rang. Cela voulait dire qu’elle n’était pas affiliée avec la Guilde ou…

Gerial se racla la gorge et se leva de son siège, il essaya de ne pas bégayer.

« Hum, mes excuses. Mais ne seriez-vous pas… ? »

« Je suis Scruta. »

Ils n’avaient jamais vu son visage, mais les deux hommes avaient entendu son nom. Sostrom se leva aussitôt de son siège et l’offrit à Scruta alors que cette dernière refusa poliment. Ceria était toujours en train de regarder.

Quand Gerial se calma, il essaya d’être aussi accommodant que possible.

« Hum, comment pouvons-nous vous aider, Miss, ah…. Aventurière Cherchevoie ? »

Elle sourit à Gerial. Il ressentit un choc quand son œil croisa le sien. Légèrement étourdie, Gerial souhaita brièvement que Ceria arrête de regarder et soit plus respectueuse.

« Vous êtes des membres des Cornes d’Hammerad, n’est-ce pas ? »

« Hum oui, je veux dire, c’est correct. Nous le sommes. Nous tous. »

« C’est bien. »

Scruta sourit de nouveau. Ce n’était pas un grand sourire, plutôt quelque chose de mystérieux qui lui allait à la perfection. Elle hocha la tête.

« Je souhaitais vous parler. »

Gerial et Sostrom étaient enthousiastes.

« Avec nous ? Vous connaissez notre nom ? »

« N’est-ce pas approprié ? Les Cornes d’Hammerad sont connues dans les citées voisines. »

Ceci était assez pour faire gonfler le torse des deux hommes. L’œil de Scruta alla rapidement vers Ceria durant un bref instant alors qu’elle continua de parler.

« J’ai visité plusieurs cités humaines vers le nord. Et étrangement, je suis revenu ici en pourchassant des rumeurs. J’espérais que vous puissiez m’aider. »

« Tout ce que vous voulez. »

Gerial murmura les mots. Le sourire qu’il reçut en retour fit bondir son estomac.

« J’ai entendu, de plusieurs sources, qu’une extraordinaire humaine vit dans les environs. Une coursière. Je crois que son nom est Ryoka Griffin. Une fille sans niveau qui a défié les Hautes Passes et survécut. Une personne… Réellement intéressante, pour faire court. Et on m’a dit que les Cornes d’Hammerad faisaient partie de ses connaissances. »

Gerial et Sostrom échangèrent un regard. A quel point cela pouvait être une coïncidence ? Gerial remarqua vaguement que Ceria venait de s’approcher pour se tenir à ses côtés.

« Nous… Nous connaissons bien cette fille ! Nous étions en sa compagnie il n’y a pas moins de deux jours. »

Le sourire de Scruta se fit plus grand encore.

« Ah. Donc vous la connaissez. Bien. Dites-moi, est-elle tout ce qu’on dit qu’elle est ? »

« Cela, et bien plus encore. »

Sostrom hocha la tête avec enthousiaste. Gerial lui lança un regard, car le mage chauve avait été plus rapide que lui.

« Elle… Enfin, je ne sais pas si elle est sans niveau, mais une autre aventurière avec [Évaluation] affirme que c’est la vérité. Et elle a véritablement survécu aux Hautes Passes. Et elle a la faveur de Lady Magnolia. Et elle court pied nus. »

« Vraiment ? Comme s’est fascinant. J’aimerais la rencontrer. Vous ne sauriez pas où se trouve-t-elle, à tout hasard ? »

Gerial et Sostrom ouvrirent la bouche d’un même mouvement mais, de manière incroyable, ce fut Ceria qui fut plus rapide que les deux autres.

« J’ai peur que nous ne le savons pas. Elle est constamment en train de bouger, donc c’est difficile de la retrouver. »

Gerial sentit quelque chose sur son pied et baissa les yeux. Ceria venait de marcher dessus pour une raison ou une autre. Et aussi sur le pied de Sostrom. Pourquoi ? Il regarda Sostrom et vit que l’autre homme était en train de cligner des yeux et de se toucher la tête.

Mais Scruta était en train de regarder Gerial et elle avait de nouveau toute son attention.

« Ah, mais j’aimerais sincèrement la rencontrer. Ne saurais-tu pas où elle réside ? »

« Celum. Il y a une auberge où elle s’arrête trouvent et elle prend la majorité de ses requêtes là-bas. »

Ceria marcha de nouveau sur son pied. Gerial la regarda, irrité. Elle prononça silencieusement quelque chose mais Scruta était en train de parler.

« Quelle auberge ? »

« La Chope Sanglante. »

Cette fois Ceria abandonna toute forme de subtilité et frappa violemment Gerial dans les côtes. Il grimaça et la regarda, confus.

Ceria soupira et repoussa Gerial. Sostrom se met entre Scruta et le vice-capitaine, évitant de croiser le regard avec Scruta. Tout comme Ceria, qui s’adressa en regardant par-delà l’épaule de Scruta.

« Pardonnez-moi, mademoiselle Scruta. Mais pourquoi êtes-vous intéressé par Ryoka ? »

L’œil de Scruta se tourna vers Ceria, mais la demi-elfe refusa de croiser son regard.

« J’aimerais simplement la rencontrer. »

Son œil se concentra sur Ceria et son sourire se fit légèrement plus grand. Ceria mordit l’intérieur de sa lèvre jusqu’au sang.

« Et bien vous avez le nom de son auberge. Et nous ne l’avons pas vu. Donc si c’est tout v… »

« Elle était à Esthelm il y a deux jours ! »

Ceria jura et ce retourna pour regarder Gerial. Elle entendit Scruta légèrement rire derrière elle.

« Et as-tu un moyen de la trouver ? Ou peut-être sais-tu où elle se rend ? »

« Nous l’ignorons. »

Ceria coupa la parole à Gerial. Elle regarda Scruta, se concentrant, et chargeant son mana dans ses yeux pour se protéger.

« Nous ne savons rien d’autre. Alors arrêtez de demander. Nous aimerions être laissés tranquilles. »

Scruta était toujours en train de sourire.

« Mais j’ai encore des questions à poser sur Ryoka. Et j’ai l’impression que vous pouvez y répondre. »

« Je n’ai rien pour toi. Donc tu peux prendre tes réponses et les mettre là où je pense. »

Scruta cligna de l’œil. Ceria reprit sa respiration alors que la pression disparue. La demi-Scruteur semblait déçue.

« Hum. Tu ne souhaites pas répondre à mes questions ? Je suis une Aventurière Légendaire, tu sais. Et vous êtes... Ah, oui, Argent. La tradition voudrait normalement que vous m’aidiez au maximum de vos capacités. »

Ceria perdit patience avec Scruta.

« Je sais qui tu es. Et un ancien soldat n’est pas la même chose qu’un véritable aventurier. Nous gagnons nos niveaux en combattant des monstres, pas des gens. »

« Mais je suis toujours à un rang supérieur au tien. Cela pourrait être… Fâchant si vous refusez d’aider. »

« Je n’aide pas les fous. Toi et ton roi dément peuvent aller brûler en enfer pour le peu que j’en… »

Scruta ne bougea pas, elle disparue. Un instant elle était en train de sourire, avec une posture relaxée, parlant calmement à Ceria. L’instant d’après, le bout de son épée courbée était soudainement à la gorge de Ceria, et elle ne souriait plus.

« Je ne tolère pas les insultes envers mon roi. »

Il fallut une seconde pour que les deux hommes derrière Ceria réagissent. Mais Gerial jura et se prépara à dégainer alors que Sostrom mit la main sur sa baguette. Les deux se figèrent alors que le bout tranchant de l’épée de Scruta s’enfonça légèrement plus loin dans le cou de Ceria.

« Comme c’est inconvénient. Et nous faisions si bien au niveau de la politesse. Mais j’aurais une réponse. Mais d’abord, une excuse. Je l’entendrais de toi à genoux, demi-elfe. »

Ceria était en train de transpirer. L’épée n’était pas en train de lui chatouiller la gorge, mais déjà enfoncé dans sa peau. Elle était déjà en train de saigner, encore un centimètre et…

Peut-être était-ce le fait que tout avait été si rapide. Scruta n’avait pas attiré l’attention quand elle avait dégainé son épée car elle avait été si rapide que personne n’avait vu l’arme quitter son fourreau. Mais il était difficile d’ignorer une épée au clair à la gorge d’une demi-elfe au milieu de la rue.

Les gens commencèrent à remarquer l’impasse et à paniquer en l’espace de quelques instants. En quelques secondes les piétons s’écartèrent et les aventuriers entendirent quelqu’un appelé la Garde.

Ils utilisaient des sifflets stridents pour cela, qui créaient un bruit perçant impossible à ignorer. Scruta ne baissa pas son épée, mais l’un de ses petits yeux roula vers l’arrière de sa tête. Gerial et Sostrom ne bougèrent pas, et Ceria était déjà sur la pointe des pieds. Ils savaient à quelle vitesse la Garde allait arriver, et ne paniquèrent pas.

Cependant, la fille crasseuse derrière l’étal n’était pas une aventurière habituée aux situations de stress, et pensa que le sifflet était pour elle. Elle détala de derrière un étal de marchand, apparaissant au milieu de la rue alors que son sort d’[invisibilité] échoua.

Ceria avait peur de tourner la tête, mais Sostrom et Gerial virent une masse de cheveux blonds, des vêtements de voyage crasseux, une peau pale, et un flash magique. La fille leva une bague en émeraude et la pointa vers les aventuriers en criant quelque chose avant de prendre la fuite.

De sa bague, une épaisse vrille de ce qui semblait être de la toile d’araignée se projeta, devenant de plus en plus gros en s’étirant. La toile vola vers les aventuriers comme un oiseau.

Gerial et Sostrom virent le sort et étaient déjà en train de plonger au sol. La toile toucha leur dos et se cola à eux, les clouant aussitôt au sol avec une toile aussi solide que de la pierre.

Ceria ne put que regarder alors que les toiles d’araignées volèrent vers elle. Elles s’enroulèrent autour d’elle et elle tomba au sol, aussitôt enfermé dans un cocon.

Scruta regarda la toile s’ouvrant vers elle et fit deux mouvements de son épée. La toile tomba à ses pieds, proprement coupée.

Les autres aventuriers ne furent pas aussi chanceux. Gerial et Sostrom étaient collés au sol et Ceria était recouverte de la tête au pied. Scruta fit claquer sa langue, irritée, et regarda autour d’elle alors que le sifflet strident continua de sonner.

La fille avec la magie était introuvable. Elle avait déjà pris la fuite dans une ruelle.

« Comme c’est inconvénient. Je suppose que je vais devoir poser mes questions une autre fois. »

Elle baissa les yeux vers Ceria, et les yeux de l’Aventurière Légendaire étaient colériques.

« Mais ne vous méprenez pas. Je reviendrai vous voir, et je vous poserai d’autres questions. À moins que je ne trouve Ryoka Griffin. »

Elle sourit du sourire léger et mystérieux qu’était le sien.

« Au revoir. »

Scruta se tourna et s’éloigna. Ses jambes étaient floues alors qu’elle disparut dans une allée.

« Damnation ! »

Gerial jura alors qu’il lutta contre les toiles, mais elles l’avaient clouée au sol.

« C’est quoi ce genre de magie ? Sostrom, je suis cloué au sol. Est-ce que tu p… »

« Ma baguette est collée ! »

Le mage humain jura alors qu’il lutta pour extirper sa baguette de la toile. Gisant au sol, impuissante, Ceria prit plusieurs respirations. Elle n’avait pas l’impression que sa gorge était perforée.

« [Embrasement Éclair]. »

L’épaisse toile brûla en un instant, créant d’épais nuages de fumée noire. Elle cria de surprise en sentant la chaleur des flammes, mais en quelques instants la toile avait disparue.

Elle se releva et dégaina sa dague. Ceria couru jusqu’à Gerial et Sostrom et tenta de défaire leurs liens, mais la lame se coinça.

Elle retira la dague et la pointa du doigt. Un jet de flamme s’échappa de son doigt et englouti la lame qui devint rouge sous la chaleur. Ceria recommença à couper la toile qui tomba sous l’effet de la lame chauffée à blanc.

Gerial poussa un cri alors que la lame le brûla, mais Ceria le releva de sa main libre.

« Plaint toi plus tard. Partons ! Si la Garde nous attrape… »

Les trois aventuriers échangèrent un regard. Ils regardèrent la rue. Sostrom pointa une allée du doigt et ils prirent la fuite alors que la Garde arriva sur les lieux, menée par un Drakéide irrité avec une lance.

***

« Nous étions sous l’emprise d’un sort ? »

Ceria hocha la tête alors qu’elle, Sostrom et Gerial marchèrent vers l’auberge. Elle grimaça à chaque pas. Sa peau était rouge et brûlé sur l’intégralité de son corps. Les seuls endroits encore intacts étaient ceux qui avaient été protégés par ses robes enchantées.

Sostrom s’empara d’une potion et lui tendit alors qu’il marchait, mais aucune des aventuriers ne ralentit. La commotion ne s’était pas propagée au reste de la ville mais ils n’avaient aucune envie d’être du mauvais côté de la Garde.

« Oui. Elle lançait un sort de [Charme] avec son œil. Vous avez été touché dès l’instant où vous l’avez regardé. J’ai à peine réussi à le bloquer. »

« Mais elle était simplement en train de nous regarder. »

« Les Scruteurs peuvent lancer des sorts d’un simple regard. Il semblerait qu’une Demi-Scruteur puisse faire la même chose. »

« Une Demi-Scruteur ? C’est ce qu’elle est ? »

Ceria jeta un regard en coin à Gerial. L’homme était toujours pâle de la rencontre et de la magie qui l’avait affecté.

« Tu n’as jamais entendu parler d’elle ? »

« Je sais seulement que c’est une Aventurière Légendaire. Pourquoi ? »

Ceria murmura sombrement alors qu’elle appliqua du baume sur ses brûlures.

« Elle ne l’a pas toujours été. Elle a d’abord été une soldate. Elle devait être efficace, je suppose, mais cela veut simplement dire qu’elle a tué de nombreux innocents. Elle est devenue une aventurière après… C’est une histoire foutrement longue. Allons prendre quelque chose à boire à l’auberge. Je vous la raconterais une fois que nous sommes plus loin que ça. »

« Dit nous le maintenant. Si elle est après nous… »

« Pas nous. Elle veut Ryoka, et je ne sais pas pourquoi. Possiblement pour la même raison que Magnolia s’intéresse à elle, mais c’est une supposition. Cette histoire ne sent pas bon et nous devons la prévenir le plus vite possible. »

« Donne nous les détails sur Scruta avant que nous arrivions. À quel point est-elle forte ? D’où est-ce qu’elle vient ? »

Ceria hocha la tête. Elle prit une grande respiration en marchant. La douleur de ses brûlures était lentement en train de se calmer, mais elle était toujours tremblante. Mais un aventurier devait être calme ou il était mort. Elle rassembla ses pensées et commença à parler. »

« D’accord, donc vous connaissez le continent désertique au sud ou au sud-est d’ici ? Il est gigantesque, mais il y a de nombreux royaumes d’importance. Dans l’un d’entre eux dort un roi… »

***

« Bonsoir, Erin. »

Erin cligna des yeux en regardant Scruta.

« Oh, salut Scruta. Quoi de neuf ? »

Scruta sourit à Erin. Elle n’entra pas, même si Erin tint la porte pour elle.

« Je ne resterai pas longtemps ici. Je souhaitais simplement te dire que je vais partir de cette ville pendant quelque temps. »

« Oh ? »

« J’ai à faire autre part. Je souhaitais simplement savoir si tu comptais voyager dans les semaines à venir. »

Erin cligna des yeux. Certaines personnes étaient étranges. Scruta venait d’apparaître sur le pas de sa porte pour demander… Elle était en train de fixer Erin du regard avec son grand œil. Mais peut-être que c’était comme ça que les Scruteurs regardaient.

« Oh, non. Je ne compte pas bouger d’ici. Pourquoi ? »

Scruta l’étudia avec son œil central avant de sourire.

« J’étais simplement curieuse. J’apprécierais grandement prendre un autre repas ici un autre jour, et je ne souhaite pas te voir partir d’ici avant. »

Erin rit.

« J’ai peur qu’il n’y ait pas beaucoup de chance que ça arrive. »

« Fort bien. Au revoir, jusqu’à ce qu’on se revoit. »

Scruta s’éloigna avec un sourire. Erin la regarda, perplexe. Scruta se retourna, et s’arrêta. Quelqu’un était sur son chemin.

« Excusez-moi. »

Calruz cligna des yeux et baissa le regard vers Scruta. Le grand Minotaure n’avait clairement pas eut l’intention de s’arrêter, préférant probablement renverser Scruta ou la laisser se pousser, mais quand il vit son visage ses sabots s’arrêtèrent en chemin.

Les yeux du Minotaure se fixèrent sur l’immense œil de Scruta et s’écarquillèrent en la reconnaissant. Il fit aussitôt de la place pour la laisser passer, lui donnant beaucoup d’espace. Elle le frôla avec un léger sourire.

« Merci, guerrier. »

Calruz regarda son dos alors qu’elle s’en alla. Il se tourna vers Erin.

« Tu la connais ? »

« D’une certaine manière. Pourquoi ? »

Calruz regarda Erin, puis vers la silhouette s’éloignant de Scruta, et secoua la tête.

« Elle ressemblait à… Ce n’est rien. Tu ne la connaîtrais pas. »

Erin se sentit légèrement insultée par ça, mais elle ne corrigea pas l’erreur du Minotaure. Il rit, se passa une main sur le visage, et entra dans l’auberge en manquant de la renverser. Elle fit un bond en arrière et lança un regard noir vers le Minotaure. Ses yeux étaient injectés de sang et il semblait épuisé.

« Alors, je peux t’aider, Monsieur le Râleur ? »

« De quoi manger. De quoi boire. Je vais prendre des deux. »

Il semblait se moquer de savoir si elle était malade ou nous. Erin soupira, marcha dans sa cuisine, et prit un sandwich for Calruz. Il regarda les épaisses tranches de jambon et de fromage écrasé par les deux petites tranches de pain, mais dévora son repas sans se plaindre. Puis il se relaxa sur sa chaise et la regarda.

Erin le regarda en retour. Son auberge était bien silencieuse. Loks était partie après avoir partie plusieurs fois face à Erin, et Toren était occupé à faire la vaisselle.

« Hum, c’est une belle journée, n’est-ce pas ? Je ne suis pas vraiment allé dehors, mais je suppose qu’elle doit être bien. »

Calruz continua de la regarder. Erin s’agita dans son siège. Il était très silencieux.

« Ce n’est pas une mauvaise journée quand il n’y a pas de monstre essayant de te tuer, pas vrai ? »

Il continua de la regarder, et elle détourna le regard.

« Au moins il ne pleut pas. »

«Tu aurais dû te battre. »

Erin releva les yeux vers Calruz. Le Minotaure était toujours en train de la regarder avec ses yeux parcourus de veines.

« Pardon ? »

« Toi. Tu aurais dû te battre. »

« Me battre contre… Qui ? »

« La nuit dernière. Tu es sorti pour venger l’insecte. Tu ne l’as pas fait. Mais tu aurais dû te battre. »

Erin ouvrit la bouche avant de la fermer durant un instant.

« Tu parles de Pion et Ksm. Je ne suis pas sorti pour me battre. »

« Tu ne l’as pas fait. »

Calruz agréa. Il bougea dans son siège et posa ses coudes sur ses genoux en lui faisant face.

« Mais tu aurais dû le faire. C’était une histoire d’honneur. Si tu tiens à celui qui s’appelle Pion, tu aurais dû te battre pour le protéger.»


« Hum. »

Erin ne savait pas quoi dire. D’où est-ce que ça venait ? Mais Calruz était aussi direct et abrupte que… Sa hache géante si elle allait vers sa tête. Enfin, pas aussi brutal. Elle avait rencontré des joueurs d’échecs comme lui.

« Je suis désolé, mais combattre aurait été plu… Vraiment stupide. J’aurai perdu et je me serais fait découper. »

« Cela n’a pas d’importance. »

« Hum. Non, c’est faux. Je ne veux pas mourir. »

Il lui rit au nez. Erin s’attendait presque à voir de la vapeur sortir de ses naseaux.

« Ceux qui pensent perdre le combat avant que ce dernier ne commence ont déjà perdu. »

« Ouais, mais je savais que j’allais perdre. Le gars que tu veux que je combatte ? Ksm ? Il m’a déjà donné un coup et j’ai eu la tête qui tournait pendant une heure. Il est un guerrier, je n’en suis pas un. »

« Si tu n’es pas une guerrière, tu devrais en devenir une. Cela n’est pas convenable pour une femelle d’être seule et de ne pas être une guerrière. »

Cette conversation venait de prendre un autre tournant à 90° dans l’absurde. Erin tenta de trouver une réponse.

« J’ai un squelette. Pour… Me protéger. »

Toren sortit la tête de la cuisine. Calruz lui jeta un regard et rit.

« Il n’a pas de valeur. Il est faible. »

Pour une quelconque raison Erin pensa que Toren se sentait insulter, mais les squelettes n’avaient pas d’émotion, n’est-ce pas ?

« Eh bien… Je, heu, je peux aussi me battre. Si je dois vraiment me battre. J’ai [Rixe de Taverne] comme compétence, tu sais. »

Calruz lança un regard plat à Erin qui rougit.

« Je peux me battre. Mais je ne peux pas me lancer dans des combats que je sais que je vais perdre. Écoute, ce Ksm a des niveaux dans une espèce de classe de combat, pas vrai ? Il me tuerait si je l’affrontais. »

« La force est plus que de simples niveaux. »

« Ouais, mais je ne suis pas un Minotaure. Je n’ai pas de muscle. Ou de cornes pour embrocher les gens. »

Calruz leva les yeux au ciel.

« Je parle des compétences »

« Ouais, je t’ai dit que j’en avais une. Et, heu, [Force Mineure]. Je l’avais oublié. »

« Ce n’est pas ce que je veux dire. Je parle des compétences de combat. »

Erin regarda Calruz avec une telle incompréhension qu’il semblait surpris.

« Tu… Ne sais pas ? »

« A propos de quoi ? Des compétences ? »

« Des compétences activées. Des compétences de combat. »

« … Noooooooon. »

Il cligna des yeux dans sa direction. Puis il se releva.

« Suis-moi. »

***

« Observe. Ceci est ma compétence. »

Calruz pointa un rocher qu’il avait trouvé au sol. C’était un rocher d’une bonne taille, arrivant aux hanches d’Erin. Elle cligna des yeux en le regardant, avant de se concentrer sur la hache que le Minotaure tenait.

« Ça ne va pas se casser ? »

« Non. »

Calruz leva son immense hache de combat au-dessus de sa tête comme un bûcheron qui s’apprêtait à fendre une bûche. Mais il parla. Ou plutôt… Il Hurla. Erin sursauta alors qu’il abattit sa hache.

La hache frappa le rocher et la prochaine chose qu’Erin se rendit compte vu que Toren venait de la tacler au sol. Tout n’était que confusion alors qu’un le tonitruant impact arrêté de faire sonner ses oreilles jusqu’à ses os. Quand Erin se releva, le rocher était devenu du gravier.

Quelques fragments de pierres étaient tout ce qu’il restait d’un point d’impact. Le regard du rocher avait été réduit en un million de morceaux. Erin cligna des yeux en regardant le rocher, puis la hache de Calruz.

« Oh. C’est ce que tu veux dire par compétence. »

« Oui. Cela est ma seule compétence. »

« Et c’est heu… Wouah. »

Erin regarda le rocher.

« Wouah. Wouah. Heu. Wouah »

Calruz semblait heureux de la voir impressionnée. Il planta sa hache de guerre dans le sol et s’appuya dessus.

« C’est ce que tu devrais apprendre. Des compétences. Si tu dois être seule, tu ne dois pas être sans défense. Tu dois te battre. »

« Mais je ne suis pas une guerrière. Je veux dire, je n’ai pas la classe. »

Calruz eut un léger rire.

« Cela n’a pas d’importance. Les classes, les niveaux, ils ne sont que des additions. Ce dont tu manques c’est l’âme d’une guerrière. Tu dois l’avoir. Une femme ne doit pas être seule sans le pouvoir de se défendre. La chanteuse ne doit pas se taire. Tu dois être plus forte. »

Il pointa Erin d’un doigt deux fois plus épais que les siens.

« Je l’ai décidé. Je t’enseignerai à partir de demain. Il reste deux jours avant que j’aille dans les Ruines. Je t’apprendrais à proprement te battre durant ce temps. »

Erin ouvrit la bouche. Elle regarda le caillou en morceau, puis Calruz.

« Hum. D’accord. Merci. »

Il hocha la tête.

« Je vais aller me reposer. Ma compagnie arrivera bientôt. Ils doivent être nourris. Je te laisse t’en charger.

« Heu.. »

Calruz entra dans l’auberge. Erin le regarda partir, avant de se tourner vers le caillou. Elle s’en approcha lentement.

Le rocher n’était pas chauffé par l’impact. Mais ils étaient très coupants. Erin se coupa le doigt.

« Aie. »

Elle regarda le sang, et entendant un bruit. Elle se retourna et vit Toren à côté de la hache de guerre que Calruz avait planté dans le sol.

Le squelette était en train de tirer et pousser la hache de guerre coincée dans le sol aussi fort que possible. La lourde arme ne bougea pas.

Erin soupira. Elle regarda le squelette se battre pour la faire bouger, poussant avec ses pieds s’enfonçant dans l’herbe en essayant de la déloger.

« C’est vraiment super triste »

***

Faible.

Calruz pensa le mot à voix haute alors qu’il s’allongeait dans sa chambre et sur les deux lits qu’Erin avait rapprochés pour lui. C’était quelque chose auquel il n’avait jamais eu à penser.

Mais elle était faible. Pitoyablement faible. Normalement, il n’y avait rien de dérangeant. C’était ce qu’il attendait des humains. Mais elle…

Sa faiblesse était une offense. Et ce n’était pas bien. Cela dérangeait Calruz. Elle ne devrait pas être aussi faible. Elle n’avait pas le droit d’être aussi faible. Parce qu’il y avait quelque chose en elle qui demandait de la force.

Il était en train de penser à propos d’Erin ; Ou était-ce Ryoka ? Les deux ou… Non. La Coursière était forte. Elle n’était simplement pas une guerrière. Elle devait apprendre l’honneur. C’est une fois qu’elle le fera qu’elle deviendra une vrai guerrière. Si elle gagnait des niveaux elle serait digne.

Mais Erin Solstice était différente. Même maintenant Calruz se souvenait de la musique. Elle le hantait. C’était absurde. Elle le rendait…

Faible ? L’affaiblissait ? Ce n’était pas la musique de ses origines. Il n’y avait pas de tambours retentissants, pas de voix levées pour combattre. Ce n’était pas une musique forte, mais ce n’était pas une musique faible.

C’était unique. Et cela devait être protégé. Mais elle était faible. Donc elle devait devenir plus forte.

Calruz bougea dans son lit, ignorant le grognement du bois. Elle devait devenir plus forte. Il le regretterait si elle périssait. Perdre une vie innocente à cause de son inaction était la pire chose qu’une personne avec de l’honneur pouvait faire. Il lui apprendrait.

Mais bien sûr, ce n’était pas à Erin que Calruz voulait apprendre. Mais cela ferait un bon… Entrainement, oui. Elle était femelle. Ryoka était femelle. Il apprendrait à gérer les femelles humaines. Parce qu’au moins une… Deux d’entre-elles étaient dignes de respect. Pour différentes raisons.

Un visage tanné apparu dans l’esprit de Calruz, et il vit une forme rapide courir loin de lui. Un oiseau cloué au sol. Un oiseau de proie cherchant une maison.

Magnifique. Féroce. Et elle avait de vrais seins, pas comment les femelles dépourvues de mamelles qu’il continuait de rencontrer.

Il se demandait où elle était en cet instant.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 06 juin 2020 à 18:21:43
Note des Traducteurs: Il y aura (peut-être) un chapitre de manqué la semaine prochaine car c'est la fin du semestre et les mémoires sont bientôt à rendre! On fait de notre mieux, mais on préfère prévenir juste au cas où!

1.13 R
Traduit par EllieVia

Le premier jour, elle vit les Gobelins. Elle était alors en train de courir à travers les prairies autour de Liscor, les Plaines Inondées, qui barraient le chemin des armées et des marchandises au printemps et se vidaient pendant le bref hiver de ce continent.

Elle s’arrêta en atteignant le sommet d’une colline et le vit se battre dans la petite vallée en-dessous. Ryoka s’accroupit immédiatement pour éviter d’attirer leur attention. Il était possible de distancer une tribu de Gobelins, mais leurs arcs et leurs frondes représentaient tout de même une menace.

De plus, Ryoka ne pouvait pas courir très vite. Pas aujourd’hui.

Sa flamme l’avait quittée.

Mais ce n’était pas une seule tribu en bas de la colline. C’en étaient deux. Et elles se battaient. Des cris stridents et des cris de guerres flottaient jusqu’à la cachette de Ryoka dans l’herbe. Elle pouvait apercevoir…. oui, l’un des groupes de Gobelins portait des plumes. Une sorte d’ornementation.

Ils suivaient un énorme Gobelin - qui faisait presque deux fois la taille de ses amis. Il restait plus petit que Ryoka mais il avait les os plus épais était trapu. Il avait des morceaux d’armure rouillée attachée à la poitrine, et une hache dans une main. C’était probablement le chef.

C’était difficile de repérer l’autre chef Gobelin. Il n’y avait pas de Gobelin qui sorte particulièrement du lot, mais cette tribu - sur la défensive - paraissait plus coordonnée que la tribu à plumes.

Ils maintenaient l’autre tribu à distance avec une ligne de massues et de dagues et leurs archers et manieurs de fronde attaquaient de derrière la ligne de leurs amis. On aurait presque dit une ligne d’infanterie.

Et alors même que Ryoka observait, un autre groupe de Gobelins émergea soudain de l’herbe et enfonça le flanc droit de la charge ennemie. Les Gobelins attaquants vacillèrent et furent lent à répondre à ce nouveau groupe qui commençait à percer leurs lignes.

Le groupe d’attaque surprise était constitué des Gobelins les plus costauds et les mieux équipés. Un groupe d’infanterie lourde ? Mais les Gobelins ne faisaient pas ce genre de choses. Sauf que ceux-là, si. Et ils étaient organisés. Ils ne rompirent pas les rangs en attaquant les autres Gobelins. Ils restèrent en formation et protégèrent les arrières de leurs copains et cela fit toute la différence. Ils se mirent à gagner du terrain.

L’une de ces étranges Gobelins avait une épée et un bouclier qui semblaient luire entre ses mains. Ils brillaient, réfléchissaient vivement la lumière tandis qu’elle cognait et parait, tuant les autres Gobelins, menant l’attaque. C’était un jeu de lumière. Elle était minuscule - petite, même pour son espèce. Mais elle menait les étranges Gobelins, Ryoka en était sûre. Toute la bataille tournait autour d’elle et elle se frayait un passage droit vers le chef de la tribu ennemie.

Il tenait bon et sa tribu se rassembla autour de lui. Il rugit et leva sa hache en voyant la petite Gobeline s’approcher avec son propre garde du corps. D’un coup de hache, il fendit le crâne du Gobelin qui le chargea et frappa la Gobeline minuscule.

Elle battit en retraite. Il fondit sur elle, donnant de grands coups de hache dans les airs, mais elle leva son bouclier et céda du terrain. Ryoka fronça les sourcils .La bouche de la Gobeline était ouverte et on aurait dit qu’elle disait quelque chose. Et son doigt… brillait ?

Un éclair de lumière aveugla brièvement Ryoka. Elle cilla et se frotta les yeux. Quand sa vision se fut rétablie, le chef de tribu se roulait au sol en hurlant.

Il était en feu. Et les Gobelins autour de lui se faisaient pourchasser par… des flammes ? Oui. C’était une espèce de sort. On aurait dit des oiseaux clignotants, ou peut-être des insectes de feu, qui se posaient sur les ennemis et les enflammaient. La petite Gobeline les avaient conjurés à partir de rien.

C’en était trop. Leur leader étant mort, encerclés par l’ennemi, le reste des Gobelins ennemis s’enfuirent ou tombèrent au sol en se recroquevillant. Ryoka vit la petite Gobeline rallier son camp, pointant du doigt les blessés et criant des ordres, se tournant vers le Gobelin qui venait de se précipiter vers elle. Se tourner. Pointer du doigt…

Ryoka cilla. Puis son cœur se mit à battre à tout rompre. La minuscule Gobeline pointait directement son doigt sur elle. Comment savait-elle que Ryoka était ici ?

Ryoka se leva. Elle regarda autour d’elle et finit par repérer le Gobelin assis sur l’autre colline. Une sentinelle ? Des Gobelins qui utilisaient des éclaireurs ?

Il cria et tous les Gobelins se tournèrent vers Ryoka pour la dévisager. La sentinelle balança sa fronde et la première pierre manqua de peu la tête de Ryoka.

Elle s’enfuit.

Les Gobelins sur ses talons.

***

Elle était plus rapide. Mais sa flamme l’avait quittée. Et Ryoka était toujours épuisée. Mais tout de même… elle n’avait pas dormi. Pas depuis l’événement. Elle s’était contentée de courir.

Par conséquent, elle ne parvint pas à distancer les Gobelins assez rapidement .C’est la raison pour laquelle ils réussirent à la rabattre vers eux. Différents groupes ne cessaient d’apparaître et d’essayer de lui tendre des embuscades, fonçant devant elle et la poussant vers la horde principale.

Elle ne les laissa pas faire. Mais Ryoka ne connaissait pas les collines et les vallées. Quand elle courut dans une forêt d’étranges arbres, une bande de Gobelins armés de frondes l’assaillirent de pierres, la faisant s’enfuir sur sa gauche. Et c’est à ce moment-là qu’elle vit la petite Gobeline.

Elle était entourée par ses gardes d’élite, d’énormes Gobelins. Mais la petite Gobeline était la mieux équipée d’entre eux. Elle avait une épée courte et un bouclier qui avaient l’air neufs. Qui sortaient de la forge, si on les comparait à l’équipement du reste des Gobelins.

Ryoka allait devoir percer leurs lignes. Elle leva le poing et étendit le premier Gobelin qui lui fonça dessus au sol. Pas assez fort pour lui briser le crâne comme la dernière fois. Pas assez fort pour le tuer.

Les Gobelins ne s’étaient pas attendus à ça. Ryoka jeta un pied en l’air et en assomma un autre. Ils hésitèrent, et la petite Gobeline cria quelque chose d’une voix perçante. Elle fonça en avant et donna un coup d’épée dans la jambe de Ryoka.

Petite. Mais rapide. Et ses amis étaient trop nombreux. Ryoka battit en retraite et sentit le reste des Gobelins converger sur elle. Elle devait fuir.

Elle fondit sur les Gobelins de droite et ils reculèrent. Ils avaient toujours peur d’elle, malgré la compétence de leur leadeuse. Elle donna des coups de pied, de poing. Puis au moment où elle allait se dégager, quelque chose taillada son sac à dos.

Ryoka tournoya et la lame la rata de peu. La petite Gobeline. Elle était en train de viser les bretelles de son sac. Malin.

Les Gobelins fondirent sur elle. Ryoka jura et les écarta à coups de pieds, les étalant durement au sol. Ils essayaient d’attraper son sac de Coursière. Voler sa…

Elle se secoua comme un chien et les Gobelins s’envolèrent. Les mains de Ryoka s’animèrent de mouvements fulgurants et les Gobelins s’écrasèrent au sol.

La petite Gobeline lui bloqua le passage lorsque Ryoka tenta de nouveau d’avancer. Il n’y avait plus qu’elle et un autre Gobelin pour lui bloquer le passage, mais d’autres membres de la tribu hurlaient en lui fonçant dessus.

La fille s’accroupit et donna un coup de pied bas. Un Gobelin encaissa le coup dans l’entrejambe et se plia silencieusement en deux. Pendant un instant, ce ne fut plus qu’elle et la petite Gobeline. Leurs regards se croisèrent.

La petite Gobeline sourit. Elle leva un doigt et Ryoka n’hésita pas. Elle plongea en avant et mit un coup de pied dans la petite Gobeline de toute ses forces.

Son pied nu se cogna contre du métal froid plutôt que de la chair. La Gobeline avait réussi_ à lever son bouclier, mais le coup de pied de Ryoka la catapulta tout de même à plusieurs mètres.

Elle ne prit pas le temps de voir si la Gobeline allait se relever. Ryoka fit volte-face et s’enfuit à toutes jambes, esquivant les Gobelins qui dévalaient la colline. Elle sentit quelque chose érafler son bras puis de la chaleur sur son dos....  elle fit un brusque écart sur sa gauche et l’oiseau de feu la manqua de peu. Ryoka continua sa course puis ils furent derrière elle.

***


Une dizaine de minutes plus tard, Ryoka n’entendait plus les cris des Gobelins. Elle ne s’arrêta toutefois pas de courir. Elle n’avait aucune confiance en ses oreilles.

Mais son corps entier lui faisait mal. Elle était à bout de forces et elle finit par devoir ralentir le rythme. Ses jambes étaient de plomb. Comme si quelqu’un était accroché à chacun de ses pieds. Elle était fatiguée.

Mais elle poursuivit sa course. Les Gobelins disparurent, abandonnant leur proie ou en ayant repérée une meilleure.

Et Ryoka poursuivit sa course.

Elle s’était échappée avec tout ce qui importait. L’anneau que Teriarch lui avait donné… la lettre… la bourse… et ses potions étaient toujours attachées à son sac à dos. Elle abandonna les Gobelins derrière elle et poursuivit sa course.

Ryoka courut.


***

En bandant sa huitième coupure, Ryoka fit l’inventaire de ce qui lui restait. Elle détacha le sac à dos, soulagée de voir qu’il n’avait pas été trop abîmé par les Gobelins .Elle n’avait pas grand-chose. Mais elle transportait encore pas mal d’objets.

Elle avait trois potions de soin, un anneau de rubis, une lettre, des rations sèches, deux flasques d’eau, des vêtements de rechange, une boule de savon pour la lessive, une brosse à dents enveloppée dans du papier ciré, du sel, une petite lanterne, l’équivalent de papier toilette dans ce monde, son iPhone et ses écouteurs, une couverture légère en laine, une bourse de pièces d’or, et ses péchés.

Ces derniers étaient les plus lourds à porter. Mais Ryoka avait cessé de réfléchir. Elle ne savait que courir. Et c’est ce qu’elle fit. Elle courut de colline en vallée, jusqu’à retrouver la route. Elle dépassa les hautes portes de Liscor, dévalant la route où le trafic s’amenuisait, jusqu’à une bande de route tellement dévorée par l’herbe qu’elle en était presque invisible.

Poursuivant sa course. Vers les Plaines Sanglantes.

***

Après une soixantaine de kilomètres, les prairies se modifièrent. Les collines s’aplatirent, et elle se sentit descendre le long d’un pan incliné.

La plus longue colline du monde.

Elle aurait pu rire. Ou hurler lorsque les araignées sortirent de leurs trous. Mais elle poursuivit sa course, abandonnant les pièges mortels derrière elle et restant sur la route. L’herbe n’était pas sûre.

Et la route était déserte.

Car les terres derrières Liscor étaient désolées sur des kilomètres, que même les bandits évitaient. Les bandits attaquaient les voyageurs, et qui voyagerait si loin au nord ? Autant prendre un bateau. Ou, s’il fallait vraiment faire le trajet, mieux valait le faire dans une caravane armée jusqu’aux dents.

La route qui s’étirait derrière Liscor courait à travers les plaines et se divisait en plusieurs chemins qui menaient à différentes cités majeures, les terres des tribus Gnolles, et même la côte. Mais pour les atteindre, tout voyageur devait d’abord traverser les Plaines Sanglantes.

Et c’était un aller simple vers la mort.

Ryoka le savait et pourtant elle poursuivit sa course. Le paysage changea sous ses pieds. L’herbe se fit plus rare, plus rude ; moins plaisante sous la foulée de ses pieds et plus riche en mauvaises herbes. Elle marcha sur un tas de quelque chose qui ressemblait à des orties et dut s’arrêter.

À la lumière du premier feu de camp, Ryoka regarda fixement ses chevilles et ses pieds enflés. Elle prit un peu de ses précieuses potions de soin, étalant un peu de liquide sur les zones les plus touchées, et les observa désenfler.

Mais la démangeaison persista. Elle ne voulait pas gaspiller plus de potion donc elle resta éveillée.

Après le deux-mille trentième mouton Ryoka but quelques gorgées d’eau, vidangea son corps d’un peu d’eau, et s’endormit.

***

Lorsqu’elle trouva le deuxième ruisseau, Ryoka était presque à court d’eau et c’était le troisième jour. Elle avait couru toute la journée le premier jour, mais elle avait marché pendant le second.

À cause des cailloux.

La route et le sol s’étaient débarrassés de la végétation, sauf quelques buissons virulents et pleins d’épines et quelques plantes sèches. Et sans ce tampon mou, le sol s’était transformé en graviers. Et Ryoka eut beau essayer, elle ne put se forcer à continuer de courir après des kilomètres et des kilomètres de douleur.

Elle remplit sa bouteille d’eau, espérant que l’eau claire était potable, et poursuivit sa marche. Ses pieds lui faisaient mal. Mais elle devait continuer. Impossible de faire marche arrière.

***

En éclatant la cinquième ampoule sanglante, Ryoka aurait aimé avoir apporté des chaussures. Mais elle ne l’avait pas fait et la douleur n’était que justice. Donc elle continua à marcher. Et seulement maintenant, dans le silence du mouvement lent, ses pensées revinrent la hanter.

Elle aurait bien aimé qu’elles s’en abstiennent.

***

C’était une erreur. Tout ça*. Je n’aurais jamais dû venir à Esthelm. J’aurais dû continuer à courir.

*Pas une erreur. Ta faute. Espèce d’idiote. Idiote.

Mes pieds me font mal. Ils sont à l’agonie. Le sol est brisé. Mais si je continue à marcher je peux continuer à avancer. Mes cals sont durs. Ils sont…

Je l’ai frappée. Je n’aurais pas dû. Et Calruz. Et cette Yvlon…

Je…. n’aurais pas dû faire ça.**

**Evidemment. Putain d’idiote.

Mais qu’est-ce que j’aurais pu faire d’autre ? Elle m’a défiée et Calruz était… c’est parce qu’il était malpoli avec Garia***.

***Non, ce n’est pas ça. C’était toi. Espèce de crétine. D’idiote. Espèce de stupide, d’idiote, de pute consanguine sans une once de gratitude pour les gens qui t’ont sauvée ! SOIGNÉE. Tendu la main quand tout le monde te tournait le dos et TU LES AS ATTAQUÉS ET BLESSÉS...

J’essaie d’effacer la voix dans ma tête. Mais elles continuent de parler. De me blâmer. Et elles ont raison.

Tout est de ma faute.

Je brûle les ponts en respirant. Je blesse les gens avec mes mots et mes actes. Et ça me va bien, jusqu’au moment où je me souviens qu’il y a des gens bons dans ce monde. Dans tous les mondes.

Je me souviens encore de la sensation lorsque j’ai frappé Ceria. J’ai encore le goût du sang dans ma bouche. Je sens encore mes poings et mes pieds cogner Calruz.

On dirait un rêve. Ou… un cauchemar éveillé. Mais c’est arrivé. Et la sensation m’est familière.

J’ai déjà fait ça par le passé. Beaucoup de fois.

Combien de fois compte pour beaucoup ? Suffisamment pour que je me souvienne d’être restée assise dans de petites pièces, attendant que mes parents parlent aux professeurs ou à la police. Mais c’était des bagarres et je n’avais principalement agi que pour me défendre, ou du moins selon moi.

C’est différent.

C’était mal.

Mes pieds me font mal. Un bref éclair d’agonie… je m’arrête et retire le caillou acéré de ma plante de pied. Ce n’est que de la douleur physique. Ce n’est pas important.

Pourquoi est-ce que j’ai fait ça ? Parce que je voulais me battre. Parce que je déteste leurs niveaux. C’est ce que j’ai dit. Mais Ceria…

”Mais quelqu’un qui rejette le fonctionnement même du monde, simplement parce qu’elle ne l’aime pas… c’est du jamais vu.“

Pas parce que je ne l’aime pas. Parce que le monde ne va pas.

D’après qui ? Moi. Mais c’est idiot. Sans les Niveaux, comment quiconque pourrait-il survivre contre les monstres ? Peut-être… qu’il y a des moyens. Mais c’est le fonctionnement du monde. Pourquoi est-ce que je tente d’y résister ?

C’est mieux… c’est mieux de mourir idiote qu’esclave.

Folie. Tout va mal. Je les ai blessés. J’ai blessé ceux qui étaient gentils envers moi. Qu’est-ce que je croyais faire ? J’ai brisé des liens, me suis éloignée des aventuriers, de Magnolia, de la Guilde des Coursiers…

Qu’ils aillent au diable. Je n’ai pas besoin d’eux.

Si.

Non.

Ryoka Griffin n’a pas besoin d’amis. Elle a réussi à vivre sans eux jusqu’à aujourd’hui.

Vécu grâce à l’influence et l’argent de ses parents, tu veux dire. Ryoka Griffin n’a pas goûté la réalité du monde. Et elle n’en aurait jamais eu l’occasion. Mais ici, je ne peux pas survivre comme ça.

Pourquoi pas ? Qui est Ryoka Griffin ? Pourquoi aurait-elle besoin de qui que ce soit ?

Je suis Ryoka Griffin. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? C’est juste un nom. Et même pas un nom que j’ai choisi. Mais c’est le mien. C’est tout ce que j’ai.

Définis-moi Ryoka Griffin alors. Allez. Vas-y.

Intelligente. Brillante. Ou forte en tests de QI. Jamais été malade - pas de maladies physiques, de défauts, ou autre. Talentueuse. Le genre d’étudiante qu’ils recherchent pour les écoles de l’Ivy League.

Criblée de défauts.

Des défauts terribles et paralysants. Des défauts issus de ma perfection , c’est-à-dire que je n’ai rien qui me définisse vraiment. Certaines personnes se forment dans l’adversité et se mesurent à ce qu’ils ont accompli, ce pour quoi ils se sont battus. Mais la malédiction des privilégiés, c’est qu’à ne plus avoir à se battre pour quoi que ce soit, ils ne créent rien de valeur.

J’ai pratiqué les arts martiaux pour pouvoir être capable de me défendre, pas parce que j’en avais besoin. J’ai étudié à l’école et obtenu des notes parfaites parce que j’aimais apprendre et gagner, pas parce que je n’avais pas le choix.

Je…

suis vide.

Ou est-ce que je ne regarde pas tout cela sous le bon angle ? L’arrogance. Même dans ma propre tête je prends ce que j’ai pour de la perfection. La perfection est parfaite - si j’étais parfaite je n’aurais pas ces problèmes-là, n’est-ce pas ? Non. Ce n’est pas la perfection.

Comment définis-tu Ryoka Griffin ? Une équation ?


(|Perfection| - Interactions Sociales) + Colère + Un peu de magie = Ryoka Griffin ? Ou est-ce plutôt…
 
(|Perfection - Interactions Humaines| + Rage + Solitude) + Encore une chance = Ryoka Griffin ?


Eh bien, je ne suis de toute évidence pas parfaite. Mais dans certains domaines il me manque des défauts ou des désavantages. Mon score de QI…

N’a aucun sens. C’est une mesure arbitraire qui ne prend pas en compte les aptitudes sociales, la créativité ou la stabilité émotionnelle. Au lieu de prendre tes aptitudes physiques et mentales pour un standard de perfection, prends-le plutôt comme une tabula rasa. Tu es une ardoise vide, mais tout ce qui a été tracé dessus est l’arrogance, des comportements antisociaux, de la rage. Tu as corrompu la pureté de ce qui t’a été donné.

Corrompu ? Est-ce que c’est ma faute si j’ai été une marginale dès ma naissance ? Ma faute que ces petits bâtards aient été incapables de voir au-delà de la couleur de ma peau ou de qui avaient la meilleure note en classe ?

Et revoilà les excuses. Toujours la même rhétorique. Toujours les mêmes mensonges. Pourquoi es-tu incapable d’admettre que tu as causé la plupart de tes ennuis toute seule ? Même tes problèmes liés à ton père sont...

Je n’ai pas de “problèmes liés à mon père”.

Mais tu le détestes. Tu le détestes pour des choses qu’il n’était pas. Et c’est injuste. Tu détestes tes camarades de classe pour ce qu’ils n’étaient pas. Tu les détestes de ne pas t’avoir acceptée et cela, peut-être, est juste. Mais tu finis toujours par détester tôt ou tard tout ce qui croise ta route. Ils ne valent jamais rien. Ils finiront tous par t’abandonner.


Qu’aime-donc Ryoka Griffin ? Une liste :
Courir
 
La musique
 
La connaissance
 
La Magie*
 
Les Arts Martiaux
 
Être en colère
 
Le ciel ouvert et la brise sur mon visage lorsque mon regard se perd à l’horizon de milliers de kilomètres de terres inexplorées
 
L’aventure


Qu’est-ce que je voulais l’autre jour ? Être libérée d’Yvlon… non, de Magnolia. Elle et ses putains de tentatives pour me contrôler. C’est sa faute. Si elle n’avait pas autant insisté.

Elle n’avait fait que te poser des questions. Elle t’a offert son aide et tu l’as refusée. Elle a mis un ninja sur ton toit, mais était-il là pour te faire du mal ou pour te protéger ? Quand a-t-elle jamais essayé de te blesser ? Elle n’est pas comme Persua.

Cette garce. C’est l’exemple concret de la raison pour laquelle ces gens ne valent même pas le temps qu’on prend à les distancer. Ces lâches...

Garia n’est pas lâche. Elle est brave et honnête, à sa manière. Mais elle ne peut pas courir seule. Juste parce que tu le peux, pourquoi est-ce que tu voudrais que tout le monde suive les mêmes standards ?

Je… n’arrive pas à réfléchir correctement. Je dois aller livrer ce satané anneau et cette putain de lettre. De la part d’un mage elfique. Tant de questions. C’est ce que j’aurais dû faire. Mais je me suis embourbée dans toutes ces bêtises d’aventuriers…

Tu voulais les voir. Ce n’était pas juste pour apprendre la magie, tu voulais leur parler, pas vrai ?

Je blesse tous ceux que je vois. Je n’aurais jamais dû retourner les voir. Et ils ne sont pas parfaits.

Calruz est un crétin patriarcal et arrogant. Gerial ne vaut pas grand-chose. Ceria est...

Écoute-toi deux secondes. Et Sostrom, alors ? Qu’est-ce qu’il t’a jamais fait ? Il t’a réparé ton iPhone. Il t’a rendu la musique.

Mais le reste des aventuriers… ils ressemblaient à quoi ? Tous les mêmes. Ils ont adoré me voir me battre. Il y avait une hiérarchie là-dedans, et la manière dont ils parlaient. “Travaillez ensemble. Ne faites pas tanguer le bateau. Baissez la tête et vous serez peut-être tranquilles.”

Tous les mêmes. Les mêmes que ceux qui me harcelaient. Ces petits bâtards qui se pavanaient dans leur petit monde, en poussant tout le monde pour se sentir plus grands. Et si on leur tenait tête ils s’enfuyaient et allaient se cacher, pleurer, reculer devant n’importe quelle forme de bravoure mais toujours revenir vous poignarder en douce dans les recoins et les ombres avec des mots et des gestes, ces espèces de...



void Methodologieduharceleur() {
 
       do {
 
              if (taille.harceleur() >= 1){
 
                             System.out.print(motsBlessants);
 
                             System.out.print(racismeIntégré);
 
                             System.out.print(bileIrréfléchie);
 
                             if (agression.harceleur >= 2){
 
                                    blesser(harceleur, victime);
 
                             }
 
               }else{
 
                      Harceleur b = nouveau Harceleur(individu, victime);
 
                      Harceleurs.add(b);
 
              }
 
              if (victime.resisteToujours== true){
 
                 agression.harceleur++;
 
                  if (victime.competenceCombat >= harceleur.compétenceCombat) {
 
                         faireFaussesAccusations(harceleur, victime);
 
                         attaqueLâche(harceleur, victime);
 
                         répandreMensonges(harceleur, victime);
 
                    }
 
              }
 
        } while (victime.enVie== true);
 
}

//Bien sûr, un harceleur n’est pas un individu mais un groupe. Et la dynamique de groupe implique que tous harcèlent celui qui sort du lot pour que le groupe reste un groupe. Il ne peut y avoir d’unité sans bouc émissaire sur lequel le groupe peut se déchaîner.


Je les déteste tous. Je ne les oublierai jamais, eux ou leur mesquinerie. Le monde se porterait mieux sans eux.

Ouais. Il vaudrait mieux qu’ils soient tous morts.

Je ne peux pas continuer à penser comme ça. Quand la furie bout en moi et que je veux me déchaîner… c’est la même chose. La même chose. Mais sur les mauvaises cibles, cette fois.

Je m’arrête et fouille dans ma poche. Là. Mon iPHone. L’écran s’allume, et c’est merveilleux, et c’est magique. Il n’y a plus beaucoup de batterie. J’ai trop écouté de musique la nuit. J’aurais dû baisser la luminosité de l’écran. Mais ça suffira.

Je clique sur aléatoire et la musique se lance. Centuries des Fall Out Boys se met à résonner. De la bonne musique. Mais… pas la bonne, en ce moment.

Je passe. Counting Stars de One Republic. Mieux. Plus rapide.

Tu ne peux pas te cacher. Tu ne peux pas fuir ce que tu as fait. Pas ici.

Normalement, la musique peut faire taire toutes les voix. Mais pas cette fois. Elles sont trop fortes. Mais je continue ma route. J’accélère le rythme de ma marche et je passe à la chanson suivante. Une encore meilleure.

Une autre chanson de One Republic se met à jouer, mais celle-ci est une collaboration. Apologize de Timbaland ft One Republic.

Pendant un instant, mon doigt oscille au-dessus du bouton suivant. Mais je continue de marcher. La chanson me blesse. Mais ce n’est pas grave.

“It’s too late to apologize.”*

*Trop tard pour s’excuser.

Je murmure les mots aux terres désolées. La brise froide, ténue, emporte mes mots.

Ouais. Trop tard.

Sauf qu’il n’est pas trop tard.

Si je pouvais arracher l’intérieur de ma tête je le ferais. Mais je ne peux pas. Mes pieds saignent. Ils sont à l’agonie. Mais même la douleur et la musique ne suffisent pas.

Retournes-y. Traîne-toi à leurs pieds. Met ta fierté inutile de côté pour une fois et peut-être que si tu es sincère et humble ils trouveront le cœur de te pardonner.

Trop tard. Trop tard et j’en suis incapable. Je ne sais pas comment.

Tu n’as jamais essayé. Et ce sont les meilleures personnes que tu aies rencontrées. De bonnes personnes. Tu les admires. Secrètement, tu veux être comme eux, pas vrai ? Libre. Tu préférerais être une aventurière qu’une Coursière, mais tu as peur de ce que tu trouveras peut-être en toi si tu te mets à tuer.

Ferme-là.

Tu préférerais gagner des niveaux et faire partie de ce monde, mais tu n’arrives pas à croire que tout cela est réel. Tu ne peux pas faire partie de quoi que ce soit de plus grand que toi parce que cela te fait peur. Mais tu aimes les Cornes d’Hammerad. Tu leur es redevable.

Ceria.

Elle t’a enseigné la magie. Gerial est un homme d’honneur. Ils ont voyagé sur des centaines de kilomètres et payé pour te soigner. Tu les as peut-être remboursés en or, mais ta dette reste plus grande que cela. Tu les aimes.

Je ne peux pas… je ne peux pas y retourner.

Si, tu peux. Ils te pardonneront. Et si ce n’est pas le cas, ils ne sont pas ceux que tu croyais.

Je ne peux pas.

Essaie. Tu dois essayer. Si tu te donnes une chance, qui sait ce qui pourrait arriver ?

De plus, le Minotaure est plutôt très bien foutu. Et tu baves devant les types musclés, pas vrai ? Tu pourrais complètement oublier la fourrure. La taille pourrait bien poser problème mais...

Okay, c’est fini. Je monte le volume sur mon iPhone au maximum et attend que mes oreilles tintent avant de l’éteindre. Le soleil commence à se coucher, à ce stade.

Il commence à faire sombre. Et le sol gris-brun couvert de cailloux a changé sous mes pieds. À présent… la terre est devenue sombre. Cramoisie. D’un rouge tirant sur le noir. Sangria et terre brûlée par endroits ,mais principalement des teintes de rouge. Acajou, bois de rose, vermillon, lie-de-vin.

Rouge.

        Ce n’est pas normal. Comment le sang peut-il tacher le sol pendant si… si longtemps ? Mais les couleurs sombres sont partout. Ça ne peut pas être que du sang.

Si ?

Les Plaines Sanglantes. Lieu de mort où les armées se sont battues et combattent encore à ce jour. Des terres désolées et vides désignées comme champs de bataille. Cela paraît ridicule - une zone où les nations amènent leurs armées pour se battre comme des gentlemen en duel ? - mais c’est un bon endroit pour ça. C’est l’une des passerelles entre le Nord et le Sud du continent et les armées Drakéides et Humaines viennent se confronter ici lorsqu’un côté envahit l’autre.

Et apparemment, là où des milliers de personnes meurent lors d’événements tels que des pestes ou des guerres, les probabilités pour que les morts se relèvent sont plus élevées que nulle part ailleurs. Seulement, les Plaines Sanglantes n’ont pas ce genre de problème. Quelque chose… j’ai lu quelque chose qui disait que les morts ne semblaient pas se relever ou disparaître dans le coin ?

Un lieu de guerre. Un lieu de mort. J’ai atteint la lisière des Plaines Sanglantes, d’après la couleur de la terre. Je regarde à l’horizon. Le sol est plat, mais au loin une bande rouge semble occuper à la fois la terre et une partie du ciel.

Il est temps de dormir. Je monte mon camp sans faire de feu et mange et bois de manière mécanique. Je me brosse les dents. Je fais pipi.

J’essaie de dormir. Mais la nuit est froide et je suis seule. Et les voix ne cessent de parler. Hantent mes pensées et mes rêves. Murmurent.


Essaie.

***

Lorsque je m’éveille le matin du quatrième jour, je suis gelée. Il fait plus froid aujourd’hui… beaucoup, beaucoup plus froid qu’avant. La fine couverture que j’ai apportée n’est pas suffisante et le sol est dur de gel.

L’hiver. Apparemment, il ne frappe pas ce continent plus fort que ça avant d’arriver. Aucune idée de ce que ça veut dire. La météo, comme tout ici, est tordue.

Je me lève, mange, et continue ma route.

La terre devient complètement rouge. Mais en marchant je découvre la vérité derrière les couleurs de mauvais augure. La terre est rouge, oui. Mais pas de sang.

La couleur vient plutôt des plantes qui ont envahi chaque parcelle de terrain. C’est une sorte de mousse. Une espèce de plante bizarre avec des racines. Puis je finis par comprendre. Les Plaines Sanglantes n’abritent qu’un seul type de plante. Des plantes qui boivent du sang.

D’où le nom. Et le sol sombre se met à bourgeonner au fur et à mesure que je m’approche du centre. De l’herbe rouge, des rameaux étranges et des feuilles de plantes se mettent à s’élever vers le ciel. Comme des mains ou… ou des champignons bizarres.

Ça ne ressemble à rien de mon monde. S’il y a un enfer, il ressemble peut-être à cela. Je poursuis ma marche. Les plantes ne sont pas dangereuses. J’ai fait un test cutané avec l’une d’entre elles et je n’ai pas fait de réaction. Elles sont juste glauques.

Des plantes rouges. Je vois à présent ce qui était à l’horizon. L’évolution finale de ces plantes sont de hautes structures tordues qui ressemblent vaguement à des arbres. Seulement, ces plantes n’ont pas d’écorce et elles se dressent, seules, comme des sentinelles. Leurs formes étroites et mutilées s’élèvent au-dessus de moi alors que je marche à travers les Plaines de Sang.

Les plantes me dérangent. Que font-elles ? Est-ce qu’elles se contentent de boire le sang et de pousser comme des plantes normales ? Cela correspondrait à ce que je comprends de la biologie, mais cela n’a pas de sens en ce monde. C’est un lieu de malédictions et des magie de la mort. Il doit forcément y avoir un danger inhérent à ces plantes.

Mais c’est peut-être aussi le froid qui les maintient inactives. Non seulement il fait froid, mais on est en hiver. Oui. Elles sont peut-être en train d’hiberner. Sans nourriture, ni beaucoup de soleil… à quoi ressemblerait cet endroit au printemps ?

Je regarde fixement de long rameaux qui semblent se tordre dans tous les angles possibles et me demande quel genre de fleur éclorait dessus. Quels fruits sombres pousseraient ici ?

Et je suis mal à l’aise, pendant un instant. Mais j’ai fait tout ce chemin. Je suis ici.

Et maintenant, je fais quoi ?

***

Cinq heures après s’être réveillée, Ryoka était au bord du désespoir. Elle avait atteint les Plaines de Sang, mais elle n’y avait rien trouvé.

Rien. Il n’y avait pas de dragon. Pas de monstre à combattre. Pas de montagne à franchir. Les Plaines Sanglantes étaient des terres désolées. Des terres de mort.

Mais pas des terres où mourir.

Elle s’était attendue à de la terreur comme dans les Hautes Passes, à une espèce de gardien, un paysage terrible qui lui aurait demandé toute son intelligence pour survivre et le traverser. Mais ce lieu était simplement vide.

Et elle eut beau essayer, celui qu’elle cherchait, le mystérieux destinataire de l’anneau et de la lettre qu’elle portait - Az’Kerash - était introuvable.

Ryoka chercha. Elle chercha désespérément. Les Plaines Sanglantes étaient vastes. Elles faisaient plusieurs kilomètres de diamètre. Mais elle pouvait voir assez loin à travers la flore indigène et elle ne vit aucun signe de vie.

Elle courut à travers les gigantesques arborescences cramoisies, scrutant l’horizon. Mais les plaines étaient sans fin et elle était fatiguée. Elle finit par simplement s’arrêter.

Ryoka, debout au centre de la jungle rouge, se mit à rire. La mort l’entourait. Elle voyait d’innombrables morceaux d’armures brisées. Des squelettes demeuraient… des armes et des cicatrices dans la terre, vestiges de batailles terminées depuis longtemps.

Elle s’était déjà entaillé les pieds sur des fragments d’armes. Le sol avait bu son sang et les plantes paraissaient se tourner vers elle.

Désespérée, elle s’arrêta dans une zone dégagée au centre des Plaines de Sang et regarda autour d’elle. Rien. Rien du tout.

Que devait-elle faire ? Elle avait une tâche à accomplir. Mais elle n’avait aucun moyen de l’achever. Que devait-elle faire ?

Ryoka ferma les yeux. Son esprit était toujours…. toujours brisé. Toujours blessée. Toujours confus. Mais une part d’elle murmurait encore.

Alors elle écouta.

***

Ça ne sert à rien. Il n’y a rien ici. Tu as été stupide de venir.

Je… est-ce que Teriarch m’aurait menti ? Ou est-ce que Az’Kerash n’est pas ici ?

Il a dit qu’il pensait qu’il était ici. Pas qu’il y était. Et il a dit qu’il serait entouré par les morts. Eh bien, il y a beaucoup de trucs morts dans le coin. Mais personne d’autre.

Je fais quoi, maintenant ?

Ryoka s’assit et enfouit son visage entre ses mains. Rien. Elle était venue jusqu’ici, prête à se battre pour sa vie. Elle avait brûlé ses amitiés, déchiré ses pieds en lambeaux, couru ici au milieu de la douleur et des regrets. Et il n’y avait… rien...

“Ha. Haha. Ahahahaha.”

Elle se mit à rire. C’était un rire hystérique, amer. Elle ne pouvait pas s’arrêter.




Dis-moi. Qui es Ryoka ?





Personne.




Qu’est-ce qu’elle possède ? Qu’est-ce qu’elle désire ?





Elle n’a rien. Elle n’est rien.




Elle a une famille. Un père. Une mère.



Rien de plus. Elle ne les aime pas comme elle le devrait et ils ne la comprennent pas. La famille n’a jamais été unie. Les parents travaillent et passent rarement du temps avec leur enfant et l’enfant explose. Ryoka Griffin est seule.




Elle a beaucoup de talents.





C’est le problème, pas vrai ? Beaucoup de talents. Une jolie maison. Une famille riche avec un père influent. Tout ce qu’il fallait pour que je devienne pourrie gâtée. Inutile.  




Je n’ai rien construit. Rien perdu. Je n’ai rien pour quoi me battre. Pas de cause. Je ne suis pas une rebelle sans cause parce que je n’ai rien contre quoi me rebeller.





La société. Mais c’est juste une excuse. Je déteste tout et tous. Parfois. Encore une excuse.




Je suis une prisonnière. Mais pas une prisonnière enchaînée par la classe sociale ou l’argent ou aucune des choses contre lesquelles la plupart des gens luttent. Je suis victime de mon succès. Je n’ai jamais eu de choses dont j’avais vraiment besoin.



Question. De quoi Ryoka Griffin a-t-elle besoin ?

Tellement inutile. Je suis venue ici pour livrer quelque chose et il n’y a nulle part d’autre ou aller. Je ne saurais même pas où commencer. Il n’y a aucun indice. Cet endroit est complètement vide. Est-ce que je me mets simplement à courir dans une direction aléatoire et prie de trouver… quelque chose ?

Teriarch. Ce bâtard. Me donner une mission aussi inutile. Comment a-t-il osé m’ordonner de...

Il avait l’air certain que ce Az’Kerash existait, pourtant. Et il est puissant. Mais quelque chose cloche avec ce mage. Est-ce que c’est un Elfe ? Qui vit dans un endroit aussi dangereux sans défenses apparentes ? Même si elles étaient magiques, pourquoi est-ce que je ne suis pas tombée dessus.


Je suis perdue. Désemparée. Qu’est-ce que je fais à présent ?



Question. Quelle est la prochaine étape de Ryoka Griffin ?


Qu’est-ce que je veux ? Une fois que j’aurai livré l’anneau et la lettre et que je serai retournée chez Teriarch, je ferai quoi ? Est-ce que je continuerai à courir ?

Non… apprends la magie. Demande à… pas à Ceria. Quelqu’un d’autre. Apprends plus de magie sans ces Classes et ces Niveaux stupides. Apprends des sorts… un moyen d’aller plus vite ? Quelque chose pour me défendre. Gagner de l’argent. Quand j’aurai assez pour m’acheter des potions et me nourrir où que j’aille j’irai voyager.

Où ? … n’importe où.



Et ensuite je grimperai dans les plus hautes montagnes. J’irai sur la mer et je verrai de mes yeux la pleine furie d’un orage en pleine mer. Je verrai tout ce que ce monde a à offrir. Je me mesurerai à ce monde et je verrai des merveilles. C’est mon rêve. C’est ce que j’ai toujours rêvé de faire.


Être seule.



Être libre.


Être maîtresse de ma propre destinée.



Et ensuite je mourrai. Au bout d’un moment, ma chance ou mon corps s’épuisera. Si je continue à escalader les montagnes je finirai par tomber. C’est ce que chaque alpiniste sait. Si je continue de courir je finirai par m’arrêter. Mais c’est suffisant. Si je peux vivre assez, cela m’ira très bien.


Que veut Ryoka Griffin ? Réponse :
 
Un endroit pour mourir.



Ce n’est pas vrai.


Je sais. Mais il n’y a rien d’autre pour moi. Je n’ai jamais ressenti de joie qu’au moment où je cours au-delà de mes limites, où je m’arrête pour respirer au sommet du monde. Lève les yeux sur le ciel étoilé et me sens insignifiante en réalisant à quel point cet univers infini est vaste.



Il doit y avoir autre chose. Quelque chose. Ou alors tu ne cherches qu’un moyen de te tuer.



Que veut Ryoka Griffin ? Addendum :
 
Quelque chose, une cause pour laquelle mourir. Quelque chose qui vaille la peine de mourir.

J’aurais travaillé pour la charité dans mon monde après avoir quitté l’université. Ou… une soldate. Une mercenaire, peut-être. Une justicière ? Une pompière. Rien qui ne soit sans danger. Rien de routinier. J’aurais toujours tenté de repousser les limites. De trouver quelque chose qui vaille la peine de tout donner.




Je les ai blessés. Je les ai fait souffrir. Et ils étaient bons. Si...


Trop tard. Je suis brisée. Un morceau de verre ébréché qui coupe tout ce qui me touche.



J’aimerais qu’il y ait un autre moyen. J’imagine que je vais continuer de chercher jusqu’à ce que je n’aie plus rien à manger. Qu’est-ce que j’ai d’autre ? Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ?


Qu’est-ce qu’il manque à Ryoka Griffin ? Réponse :
 
Un ami.



Mes pensées… se mettent en pause. Je m’arrête. Pendant un instant, je me tourne et regarde le chemin qui m’a amenée ici.

Oui.

Non. C’est stupide.

Mais.

Mais c’est tout ce que je veux. Et maintenant que je l’entends, la vérité de ces mots résonne dans mon esprit. Oui. Depuis que j’étais petite, peut-être…

J’ai toujours eu peur. Et quand j’ai tendu la main, on m’a blessée.



Mais c’est ce que je veux.


Et soudain, je suis pleine de regrets. Vraiment, douloureusement. Ils viennent et me mordent après que je les aie repoussés pendant si longtemps et la douleur poignarde mon cœur pour la première fois. De la véritable culpabilité. De vrais regrets.

Je n’aurais pas dû m’enfuir. J’aurais dû courir après Ceria. Mais je me suis contentée de faire ce que Ryoka Griffin fait le mieux : m’enfuir.

Un ami. Quelque chose que je n’ai jamais eu. Jamais vraiment. Jamais… jamais quelqu’un en qui j'avais vraiment confiance. Et les Cornes d’Hammerad - Garia - étaient la chose la plus proche que j’aie jamais eu d’amis. Mais quand j’ai failli commencer à ouvrir mon cœur je leur ai claqué la porte sur les doigts.

Je regrette.

Lentement, je m'agenouille dans la douce herbe rouge. Elle est douce. Comme la mort. Maladroitement, je joins mes mains. Cela fait si longtemps. J’ai oublié comment on fait.

Mais je commence. Je joins mes mains et je prie.

Oh Dieu. Dieux et déesses. Esprits et bodhisattvas, et déités mortes depuis longtemps en ce monde. N’importe qui qui m’écoute, en fait.

Je vous en prie…

Ne me laissez pas mourir seule.

Ne me laissez pas mourir…

Sans avoir eu un seul ami.

***
 


Au bout d’un moment, je me relève. Je n’avais jamais prié avant. Ce n’est pas quelque chose que je fais. S’il y a un Dieu, le devoir des humains est sans doute de se rebeller contre lui. C’est ce qu’écrit Philip Pullman dans sa trilogie Les Royaumes du Nord. Des mots qui ont résonné dans mon âme lorsque je les ai entendus.

Mais cette fois-ci, ma supplique vient du cœur. Je veux un ami. Je ne veux pas mourir seule. Et si possible…

Je voudrais m’excuser.

Je dois y retourner.

Je regarde le chemin qui m’a amenée ici. La route est longue. J’ai mis quatre jours à venir ici. Et je n’ai presque plus d’eau ni de nourriture. Mais je peux le faire. Le temps n’est pas un obstacle. Ma livraison devra attendre.

Je dois rectifier les choses.

Je fais deux pas pour m’éloigner du sol rouge et m’arrête. Mes pieds ont cessé de bouger. J’essaie de bouger, et soudain, j’en suis incapable. Je suis enracinée sur place.

Je veux rentrer. Mais une autre part de moi veut continuer de chercher. Je dois finir ma livraison. Je l’ai promis.

Sauf que c’est faux. C’est ce que l’on m’a dit. Et soudain… je comprends.

Teriarch. Quand il m’a rencontrée pour la première fois, il a contrôlé chacun de mes gestes. Et, oui, il m’a ordonné de livrer son message. Et j’ai obéi à ses ordres très religieusement depuis que je l’ai vu, pas vrai ? Et c’est bizarre, parce que Ryoka Griffin est d’une obstination notoire. Elle n’aime pas qu’on lui donne des ordres.

Mais j’ai tracé ma route droit sur les Plaines Sanglantes aussi vite que je le pouvais. À cause de Teriarch.

Depuis que je l’ai rencontré, je n’ai fait qu’aller tout droit. Vers les Plaines Sanglantes. Vers mon objectif, ce Az’Kerash ou qu’importe son véritable nom.

En clair, j’ai simplement suivi la tâche que Teriarch m’avait assignée.

“De la magie.”

Je suis sous l’emprise d’un sortilège.

J’essaie de bouger mes pieds. Ils refusent de se déplacer d’un millimètre. Le sort n’a aucun mal à me paralyser. Et… est-ce que c’est quelque chose qui trafique avec mon esprit ? Qui m’empêche de vouloir retourner sur mes pas ?

Peut-être. Mais j’ai compris mes erreurs. Je dois y retourner. Et aucune magie ne pourra m’arrêter.

Plus facile à dire qu’à faire. J’essaie de lever mon pied. C’est étonnamment facile. Mais l’avancer pour faire un pas ?

Impossible.

Je lutte. Pendant une heure, j’essaie de bouger mon pied. Une heure. C’est une éternité. J’essaie de reculer, et c’est possible. Je peux courir. Mais dès l’instant où je tente de bouger dans l’intention de retourner d’où je viens…

L’immobilité. Je suis paralysée. Je ne peux pas résister.

Mais je trouverai un moyen.

C’est comme essayer de remonter un rocher en haut d’une montagne avec des allumettes pour bras. Impossible. C’est de la magie. Comment pourrait-on y résister ? Mais je trouverai un moyen.

Je dois revenir. Je serre les dents et pousse. Mon pied se lève…

Et je fais un pas.

Instantanément, ma peau se met à brûler. Je crie, à l’agonie, et baisse les yeux. Quelque chose… il y a des runes brillantes, des symboles magiques comme ceux que Ceria a écrits tatoués sur mes bras ! Est-ce que c’est lui qui les a écrits ? Cela fait partie d’un sortilège. Ils brûlent, carbonisant ma chair.

La douleur est incroyable. Chaque partie de moi me hurle de reculer mon pied. Pendant un instant, je manque céder à la tentation, puis quelque chose en moi se rebelle.

Teriarch est peut-être un mage légendaire. Il est peut-être le putain d’ensorceleur le plus puissant du monde. Mais il a commis une erreur.

Il a choisi le mauvais sort. La mauvaise personne sur qui le jeter. Peut-être que le geis sera ma mort. Peut-être que je vais mourir. Mais ce n’est pas grave.

Je préfère mourir libre.

La magie me brûle. Est-ce que je hurle ? Je crois…

Je pousse contre un mur dans ma tête. Sauf qu’il n’y a pas de mur. Comment peut-on combattre nos propres pensées ? Il n’y a pas de mur. Il n’y a rien contre quoi se battre et c’est pour cela que c’est si dur. Mais je suis douée pour me déchaîner contre du vent. Et je refuse de rester. Mes pieds bougent.

Vers le nord. Je reviens là où je devrais être. Mais le feu me brûle. C’est une véritable torture. Une douleur brûlante. Un désir. je dois le chercher. Délivrer le message. J’ai un devoir.

Mais c’est faux. Je n’ai jamais donné mon accord. J’ai une volonté propre. Mon choix.

Ma destinée.

L’air me paraît chaud. Les symboles sur mes bras sont incandescents et brûlent mes chairs. Je suis dressée au bord d’une falaise. Si je continue à avancer je mourrai.

Mais je serai libre.

Donc je fais un autre pas. La douleur cesse. Quelque chose se brise en moi. Je…
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 13 juin 2020 à 18:08:13
1.41
Traduit par Maroti

« Le Feu ! Éteint-moi le feu ! »

De tous les moyens de se réveiller, entendre ce genre de phrase était toujours mieux que de se réveiller avec un couteau dans le torse. Mais les Cornes d’Hammerad étaient quand même hors de leurs lits et en train de se précipiter vers le rez-de-chaussée quelques secondes après l’avoir entendue.

Un nuage de fumée noire s’échappait de la cuisine alors qu’Erin s’en extirpa, agitant les mains et toussant. Toren la suivie, tenant une poêle enflammée et fumante. Il se précipita dehors et les Cornes d’Hammerad le virent jeter la poêle au sol et commencer à piétiner ce qui avait été à l’intérieur.

La fumée commença à légèrement se dissiper, mais elle continuait de piquer les yeux. L’odeur de la graisse brûlée et du charbon continuait d’alourdir l’air, la rendant déplaisante.

Erin leva les yeux vers les aventuriers qui avaient regardé la scène depuis les escaliers. Elle sourit faiblement avant de leur faire signe de la main.

« Oh. Salut… Hum. Quelqu’un veut des pancakes ? »

***

A sa grande surprise, les Cornes d’Hammerad savaient ce qu’était des pancakes. Apparemment, les pancakes n’étaient pas un produit du monde moderne et elle servit plusieurs assiettes à ses clients avant qu’ils soient tous rassasiés.

Les pancakes étaient marrants. Les pancakes étaient faciles à faire. Erin pouvait laisser Toren battre la pâte alors qu’elle les cuisait avec une poêle au-dessus du feu. Elle utilisait une spatule et huilait sa poêle jusqu’à ce que les pancakes arrêtent de coller. Elle essayait de les retourner en les faisant sauter, mais elle s’arrêta rapidement car les pancakes n’arrêtaient pas d’atterrir sur Toren et sur le feu.

Elle les rejoignit pour la dernière partie du repas une fois qu’elle avait atteint une masse critique de pancake. Erin mâcha son petit-déjeuner alors que les aventuriers continuèrent de se réveiller en mangeant.

« Qu’est-ce qu’était toute cette histoire ? »

Erin regarda le mage chauve et essayant de se souvenir de son nom. Soulstorm ? Quelque chose du genre.

« Oh, hey, j’essayais de lui apprendre à cuisiner. »

Erin pointa Toren du doigt alors que le squelette marcha dans la pièce avec un pichet de lait. Elle le laissa remplir son verre alors que les autres aventuriers la dévisagèrent.

« Quoi ? Je pensais que ça allait être facile ? Info intéressante : c’est pas facile. »

« Un squelette… Aux fourneaux ? »

« Eh bien, il est déjà en train de faire les autres corvées. S’il peut faire des trucs comme faire des œufs, touiller la soupe et retourner les pancakes ça faciliterait ma vie. Mais, heu, les squelettes ne voient pas vraiment la différence entre ‘cuire’ et ‘cramer’. »

Gerial échangea un regard avec la mage et secoua la tête. Mais Ceria semblait intrigué.

« Ce n’est pas une mauvaise idée. Mais je ne suis pas certaine que c’était ce que Pisces avait en tête quand il t’a donné un squelette pour te protéger, mais je suppose que c’était tout ce que ta réserve de mana peut supporter. »

Erin se figea, sa fourchette empalant un pancake.

« Ma quoi ? Je n’ai pas de magie. Je veux dire, je ne peux pas utiliser de magie. »

Ceria fronça les sourcils en regardant Erin.

« Vraiment ? Qui t’as dit cela ? »

« Pisces. »

« Ah. Mais je ne parlais pas de ta capacité à lancer des sorts. Je parlais de ta réserve interne de mana. »

Ceria regarda autour d’elle pour voir l’incompréhension marquée sur les visages de ses compagnons, à l’exception des deux autres mages.

« Oh, voyons. Vous savez tous que vous avez de la magie en votre sein, pas vrai ? »

Gerial baissa les yeux vers son estomac, perplexe.

« Vraiment ? »

« Bien sûr. La magie fait partie de nous. C’est dans l’air que nous respirons, la nourriture que nous mangeons… Nous avons tous notre réserve de mana, même si elle est infime. Mon espèce possède un fort potentiel de magie interne que nous générant simplement en existant, donc nous sommes de bon mages. Les humains d’un autre côté… »

Elle haussa les épaules et mangea un autre bout de pancake. Elle mâcha et continua de parler.

« Pas autant. Mais des exceptions existent et ils deviennent de bons mages. Mais même si tu ne peux pas lancer de sorts, tu as du mana en toi. Assez pour soutenir des sorts basiques et nourrir une créature invoquée avec assez de magie pour qu’elle survive si elle ne peut pas le faire d’elle-même. »

« Donc j’ai de la magie ? En moi ? Est-ce que cela veut dire que si Toren n’était pas là je serais capable de lancer des sorts ? »




Ceria s’arrêta et secoua la tête avec sympathie.

« Je suis désolé. Mais si Pisces t’a testé, cela est peu probable. Peut-être qu’il y aurait une plus grande chance mais… »

« Oh. »

Erin se prononça doucement. Elle continua de manger silencieusement alors que les autres aventuriers parlèrent.

« J’aimerais aller en ville et prendre notre partie de l’équipement. Nous avons aussi besoin de visiter la Guilde des Aventuriers pour nous assurer que nous avons l’autorisation d’explorer les ruines. Mais, ah, nous n’allons pas pouvoir le faire si cette aventurière est toujours dans le coin. »

Calruz fronça les sourcils en mangeant deux pancakes d’une seule bouchée.

« Scruta l’Omnisciente. Cela serait inconvénient si elle commence à nous gêner. Je vous accompagnerai. »

Erin cligna des yeux et leva le regard vers les aventuriers.

« Scruta ? Oh, elle est partie. »

Les autres Cornes d’Hammerad la regardèrent.

« Tu en es certaine ? »

« Ouais. Elle m’a dit qu’elle s’en allait autre part pour chercher quelque chose. »

Erin était consciente que les autres aventuriers étaient en train d’échanger un regard autour de la table, mais elle ne comprenait pas ce que cela voulait dire. C’était un regard qui disait que c’était important sans laisser fuiter le moindre détail. Cela pouvait être un regard qui signifiait que le monde était en train de changer et que ceux présent était au précipice d’une nouvelle ère. Ou cela pouvait aussi être le regard admettant subtilement que quelqu’un de malchanceux avait marché dans une crotte de chien et ne s’en était pas rendu compte. C’était difficile à dire.

« Bien, cela simplifie les choses. Du moins pour l’instant. »

Gerial secoua la tête et se leva de la table.

« Nous allons voir s’il reste quelque chose à faire en ville. Calruz, tu veux toujours nous accompagner ? »

Le Minotaure laissa échapper un long souffle de ses naseaux.

« Il n’y a pas besoin de perdre plus de temps avec des discussions inutiles et du cirage d’arme. Nous nous battons demain. Dites aux autres que je serais prêt une fois le temps venu. »

Les aventuriers hochèrent la tête et commencèrent à sortir de l’auberge. Erin regarda la vaisselle sale et pointa silencieusement Toren du doigt, puis vers la table. Le squelette s’approcha de manière obéissante et commença à les rassembler.

Calruz était toujours en train de manger, mais Erin pouvait entendre les aventuriers débattre sur comment passer leur dernière journée. Certains étaient pour acheter des souvenirs pour leurs familles, d’autre voulait voir quel type de divertissements étaient disponibles en ville. Erin entendit clairement Gerial s’adresser amicalement aux autres aventuriers en fermant la porte derrière lui.

« C’est étrange. Est-ce que ce gros caillou était ici hier? »

Erin se leva de son siège.

« Attendez ! »

Elle ouvrit la porte et surprit les aventuriers alors qu’ils descendaient la colline. Erin agita désespérément ses bras et cria de manière incohérence vers eux.

« Stop ! Attendez ! N’allons pas plus loin. »

Ils se retournèrent et la regardèrent. Erin pointa d’un doigt tremblant le grand, visiblement peu visible rocher bloquant leur chemin vers la ville.

« Ne bougez pas ! Si le rocher bouge, taper le avec quelque chose ou envoyé un sort ! »

« Taper le rocher ? »

Perplexe, Gerial et les autres aventuriers regardèrent le Crabroche camouflé. Ceria, de son côté, plissa les yeux et fit quelque pas en arrière.

Erin courut vers son auberge et en ressortir en tenant un panier de noyau. Calruz la suivit et regarda le gigantesque rocher.

« De quoi est-ce que tu t’inquiètes ? »

Erin s’empara de l’un des noyaux et la tint avec précaution dans sa main. Elle pointa le rocher du doigt et regarda Calruz.

« Il y a un monstre là-dessous. »

Il plissa les yeux.

« Je ne le vois pas. Est-ce qu’il se cache dans le sol ? »

« Non ! »

Erin pointa de nouveau du doigt.

« Tu vois ça ? Ce truc ? »

Calruz regarda et fronça les sourcils.

« C’est un caillou. Et alors ? »

Ceria toussa.

« En fait, ce n’est pas un caillou, Calruz. C’est un monstre, se cachant sous le caillou. Ce que tu vois est sa coquille. »

Les autres aventuriers réagirent à cette nouvelle. Plusieurs d’entre eux jurèrent alors que ceux qui étaient armés reculèrent en s’emparant du pommeau de leurs armes.

« Tu en es certaine ? »

Ceria hocha la tête.

« Je ne l’avais pas remarqué au premier regard, mais il y a véritablement quelque chose d’étrange à propos de ce rocher. Il n’est pas… à sa place. Tu vois comment l’herbe est aplati tout autour ? Et qu’il ne s’est pas enfoncé dans la terre comme il aurait dut le faire ? »

Gerial fronça les sourcils alors qu’il dégaina à moitié son épée.

« Je te crois, mais mon [Instinct de Survie] ne s’est pas déclenché. »

« Tout ne déclenche pas ton [Instinct de Survie]. Et si c’était une embuscade il se déclencherait au moment où tu serais tout proche de la créature et tu serais déjà mort. »

Il souffla dans sa moustache.

« Bon point. Alors, comment est-ce qu’on s’en charge ? Sort de gel puis nous le chargeons ? »

Calruz hocha la tête avant de tendre la main vers sa hache.

« Je briserai sa carapace. »

« Pas besoin. »

Le visage de Calruz afficha son incrédibilité.

« Impossible. »

« Alors admire. »

Erin visa et lança. Le premier noyau s’écrasa sans conséquence sur la carapace du Crabroche. Le second et le troisième firent de même alors que les graines et le liquide bleu-noir commencèrent à couler le long du rocher.

Les aventuriers commencèrent à s’agiter quand le Crabroche bondit soudainement sur ses pattes. Ils mirent immédiatement la main sur leurs armes, mais le crabe géant commença à s’éloigner alors qu’Erin continua de le pelleter de noyaux. Grace à sa Compétence, chaque lancer fut juste jusqu’à ce que le Crabroche passe la crête d’une colline et disparaisse.

Erin se tourna, souriante, et vit que les Cornes d’Hammerad la regardaient bouche bée.

« Comment est-ce que tu as fait ça ? »

Elle leur montra les noyaux et expliqua les étranges arbres du verger qu’elle avait trouvé. Ceria fronça les sourcils en regardant les noyaux.

« Je pense que je sais de quoi tu parles. Est-ce que je peux, ah, voir l’un de ses noyaux ? »

« Tiens. »

Erin jeta un noyau à Ceria de manière désinvolte. La Demi-elfe cria, attrapa désespérément le noyau avant de le tenir avec précaution de ses deux mains comme si c’était une grenade.

« Stérée hirsute ! Ne fais pas ça ! »

« Pourquoi ? »

Les mains de Ceria tremblaient alors qu’elle tint le noyau dans ses mains avec extrême précaution.

« C’est bien ce que je pensais. Des fruits bleus, des noyaux creux, c’est un noyau du fruit de l’Amentus. C’est extrêmement toxique. Tu ne le sais pas ? »
« Hum. Non. »

En réalité, Erin se souvenait que Pisces avait mentionné quelque chose de la sorte.

« C’est toxique. Très dangereux. Tu as surement réalisé qu’en manger était mauvais ? »

« Ils sentent tellement mauvais que je n’ai jamais essayé. »

« Tiens. »

Ceria rendit précipitamment le noyau à Erin et la regarda le remettre dans le panier.

« Il n’y a pas de danger si tu ne les brise pas, mais ne laisse pas le moindre liquide couler sur ta peau. »

« Pourquoi ? »

« Tu pourrais tomber malade. Mais pas au point d’en mourir, mais il est possible que même toucher le liquide puisse légèrement t’empoisonner. »

Erin repensa à la fois ou elle avait commencé à vomir sans comprendre pourquoi.

« Oh.»

« Encore une fois, tu ne vas pas en mourir. Mais si tu ingères assez de liquide et de graines tu mourras dans la journée. »

« Ooh. Cela explique pourquoi je suis tombé malade la dernière fois. J’ai accidentellement écrasé un noyau en faisant le jus bleu. »

Ceria écarquilla les yeux.

« C’est ce que nous buvons ? Est-ce que tu es folle ? »

« Ce n’est que la partie extérieure ! »

Erin se dépêcha de rassurer Ceria. La Demi-elfe semblait pale, mais après quelques instants elle accepta qu’Erin ne les avait probablement pas empoisonné.

Gerial fronça les sourcils en regardant les noyaux dans le panier d’Erin, confus.

« Cela explique pourquoi le crabe à prix la fuite. Mais pourquoi est-ce qu’il a peur d’un peu de poison ? Il est plus gros que nous. »

« Il ne doit pas avoir une grande résistance au poison. C’est ça ou son corps est incapable de réduire l’effet des toxines comme nous corps. Ces créatures doivent peut-être porté la maladie pour le reste de leurs jours si elles ne sont pas prudentes. »

Gerial et les autres aventuriers murmurèrent alors qu’Erin tendit le panier à Toren pour le ranger dans l’auberge. Plus loin de la cuisine, cette fois.

« Bien, tu nous as sauvé d’une méchante rencontre. Cette chose était énorme et je n’aimerais pas gâcher plus de potion de soins avant d’aller dans les ruines. »

« Mm. »

Calruz croisa les bras et regarda l’endroit où le Crabroche s’était trouvé. Il ne semblait pas très impressionné.

« Alors partez. Je vais rester ici. »

Ceria et les autres le regardèrent avec curiosité.


« Pour faire quoi ? Dormir ? »

« Non. Enseigner. »

***

« Il n’y a que Calruz pour avoir l’idée d’apprendre à se battre à une aubergiste. »

Gerial secoua la tête alors que lui et Ceria avancèrent dans la foule de la Guilde des Aventuriers de Liscor. Le bâtiment était bien plus petit que ce dont à quoi ils étaient habitué et noir de monde. D’innombrables aventuriers Bronzes étaient en train d’essayer d’empocher les primes sur les monstres qu’ils avaient chassés ou de prendre l’une des requêtes postées sur le panneau.

« Là-bas. »

Ceria pointa du doigt la plus courte des queues et les deux s’y rendirent. Ils continuèrent de parler alors qu’une réceptionniste Drakéide aux traits tirés était harcelée par les aventuriers qui se trouvaient devant elle.

« Je veux dire, pourquoi est-ce qu’elle a besoin de s’entraîner ? Tu as vu comment elle s’est occupée de ce truc-crabe. »

« Ce n’est pas la même chose que savoir se battre. De plus, ces noyaux ne feront pas grand-chose devant un groupe de bandit ou même quelques Gobelins. »

Ceria dut lever la voix pour s’exprimer au-dessus du brouhaha de la pièce. La réceptionniste devant eux avait une forte voix et l’utilisait délibérément pour s’occuper de la ligne d’aventurier devant eux.

« Écoutez, je m’en fiche de savoir comment ils font dans les cités Humaine. Nous ne donnons pas de récompense pour avoir tabassé des voyous. Comment êtes-vous certains qu’ils étaient coupables ? La prochaine fois, laissez la Garde s’en occuper. Suivant ! »

« Quand même. Est-ce que tu penses qu’il va lui apprendre à utiliser une arme ? En un jour ? »

« C’est Calruz. Il s’attend probablement à ce qu’Erin soit comme un enfant Minotaure. Ils grandissent en sachant utiliser des lames. »

« Des Gobelins maléfiques ? Vous dévalisant ? Et qu’est-ce que nous sommes sensé faire ? Allez poster une prime si vous êtes si énervé. Mais ce sont des Gobelins. Prenez une épée et allez-vous en charger vous-même ! »

« J’espère qu’il ne va pas être trop dur avec elle. Je n’aimerai pas qu’il ne la blesse par accident. »

« Vous les Humains. Toujours à vous inquiéter. Elle a survécu jusque-là. Calruz ne l’aura pas tué lorsque nous allons revenir. Probablement. »

« Non, il n’y a plus de requêtes disponible. Désolé. Suivant ! Vous deux, l’Humain et heu, l’Humaine aux oreilles pointues ! »

Gerial et Ceria levèrent la tête. Selys leur fit signe et ils s’approchèrent.

« Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? Si c’est à propos d’un endroit où dormir ou de l’équipement, ce n’est pas la peine. La Guilde est à court de tout. »

« Non, ah, ce n’est pas cela Mademoiselle. »

Gerial racla sa gorge et sourit à Selys. La Drakéide ne lui rendit pas son sourire.

« Nous faisons partie des Cornes d’Hammerad. Nous, et quatre autres compagnies, avons déposé une requête il y a quelques jours pour entrer dans les ruines dans le cadre d’une expédition. Nous nous demandions si nous avions la permission… »

« Oh, vous êtes eux »

Les yeux de Selys s’écarquillèrent alors qu’elle regarda Gerial et Ceria.

« Vous êtes la première compagnie de rang Argent que nous avons eu en ville depuis un certain temps. Je m’attendais à ce que vous soyez plus grand. Et n’aviez-vous pas un Minotaure dans votre groupe. S’il vous plait ne le laissez pas causé des dégâts. »

Elle continua de parler avant qu’un des aventuriers puisse répondre.

« Dans tous les cas, la Guilde à approuvé votre requête et vous n’avez pas à vous inquiéter. Vous pouvez y aller. »

Ceria et Gerial échangèrent un regard curieux, Gerial éclairci de nouveau sa gorge.

« Hum. N’avons-nous pas besoin de seaux ? Ou d’une lettre prouvant que nous pouvons entrer ? »

Cette fois ce fut au tour de Selys d’apparaître confuse.

« Pourquoi auriez-vous besoin de quelque chose du genre ? Vous êtes des aventuriers, pas vrai ? Alors allez simplement dehors et tuer des monstres en essayant de ne pas vous tuer. »

« Oh, c’est juste que… »

« C’est juste que les cités Humaines avec une Guildes sont bien plus régulées. »

Ceria se pencha sur le comptoir et sourit à Selys.

« Nous ne voulons simplement pas causer de problèmes, vu que nous sommes des étrangers et tout ce qui va avec. »

Selys sourit à Ceria, ses yeux se détournèrent un court instant vers ses oreilles pointues.

« Bien, j’apprécie cela. La plupart de vos Humains... Heu, les Humains que nous avons n’obéissent pas à nos lois. Si vous pouviez nettoyer ces Ruines pour qu’ils s’en aillent je pense que la ville organisera une célébration en votre honneur. »

« Je suis impatiente d’y être. Nous nous y rendons demain. Donc pour être bien clair, nous n’avons rien à faire ? »

Selys agita une main.

« Vous êtes bons. Entrer dès que vous voulez, ne ramenez pas de problèmes avec vous, c’est tout. La Garde est déjà assez occupée. »

Elle se tourna pour appeler le prochain aventurier quand un autre Drakéide s’avança et mit la main sur l’épaule de Selys. Il lui murmura quelque chose à l’oreille et Selys appela Gerial et Ceria alors qu’ils étaient sur le point de partir.

« Attendez ! Vous deux ! »

Ils se retournèrent et Selys leur fit un autre sourire.

« Désolé, mais vous venez du nord, n’est-ce pas ? Il y a un messager Humain dans la ville qui continue de déranger les gens. »

« Oh ? »

Intrigués, Gerial et Ceria retournèrent au comptoir. Les rumeurs et le papotage étaient le gagne-pain des aventuriers, et ils étaient toujours curieux de plus en apprendre sur la politique même dans les villes comme Liscor.

« Apparemment il est le représentant d’une sorte de fleur. Non… Oh ! Je vois. Une Lady Magnolia. Cela a plus de sens. »

« Lady Magnolia ? »

« Oui, quelque chose du genre. Il veut parler à quelqu’un d’important. Enfin, nous avons un Conseil mais ils ne vont pas écouter le moindre noble Humain qui appelle. Mais il est persistant et il ne veut pas partir. Est-ce que cette Magnolia est importante ? »

« Très importante ! Elle fait partie d’une des Cinq Familles ! »

« Les quoi ? »

« Vous n’avez pas entendu parler d’eux ? »

Selys roula les yeux alors que sa queue tressaillit d’agacement.

« Si je l’avais je ne serais pas en train de demander. »

« Les familles Reinharts, Veltras, Terland, Wellfar et El furent les premiers humains à arriver sur ce continent. Ils étaient l’aristocratie proche des rois du continent de Terandria. Ils sont toujours très riches et influant à ce jour. »

La Drakéide fronça les sourcils.

« El ? C’est quoi ce nom ? Vous les Humains vous avez d’étranges noms. »

Elle secoua la tête et continua.

« D’accord, je suppose que cela veut dire qu’elle est importante ? Est-ce que vous voulez dire qu’elle est la maire d’un village ? »

« Elle est au-dessus du dirigeant d’une ville. Les Reinharts ont tellement de connection que s’ils déclarent la guerre, la moitié d’une douzaine de ville marcherons sous ses ordres. »

La queue de Selys arrêta de bouger. La réceptionniste à côté d’elle fit tressaillir sa langue hors de sa bouche.

« Hum. Vraiment ? »

Ceria et Gerial hochèrent sérieusement la tête, tout comme tous les autres humains à porter de voix.

« Les quatre autres familles ont des scions à différents degrés de pouvoirs, mais en ce qui concerne les Reinharts, Lady Magnolia dirige la totalité de sa maison. Elle est riche, puissante, et probablement l’une des personnes les plus importante du continent.

« Er. Vous voulez dire du nord, pas vrai ? »

« Du continent »

Selys échangea un regard avec l’autre Drakéide, dont les vives écailles oranges et vertes avait légèrement ternies.

« Hum. Alors… merci. Nous allons… Nous allons faire quelque chose à ce sujet. »

L’autre réceptionniste était presque en train de sprinter quand elle quitta le bâtiment. Selys la regarda partir avant de secouer la tête. Elle regarda la pièce remplie par une majorité d’humain et soupira avant de hausser la voix.

« Suivant ! »

***

Erin fit un poing avec ses mains. Elle le leva et se prépara à frapper avant d’hésiter.

« Tu ne vas pas bloquer ? »

Calruz secoua la tête.

« Frappe-moi de toutes tes forces. Je souhaite le ressentir. »

Erin hocha la tête. Elle leva son poing et hésita de nouveau.

« Tu es certain que je peux te frapper ? »

Calruz laissa échapper brusque souffle par ses naseaux et la regarda avec impatience.

« Si tu peux me blesser je déposerai ma hache et arrêterais de vivre en tant que guerrier dans l’instant. »

« Alors d’accord. Mais c’est toi qui l’as demandé ! »

Erin ferma sa main. Elle respira plusieurs fois, essayant de se motiver. D’une manière ou d’une autre, et même si Calruz ne faisait que se tenir dans l’herbe à l’extérieur de son auberge, il semblait gigantesque… Enfin, encore plus grand que ce qu’il était.

Presque cent quarante kilo et plus de deux mètres dix de solide Minotaure était en train de toiser Erin. Elle prit une grande inspiration et attaqua.

« Hiyah ! »

Erin essaya de frapper fort et rapidement. Son poing se cogna contre l’estomac de Calruz et elle cria.

« Aie ! »

Ses abdominaux étaient durs comme de la pierre.

« Essaye encore. »

C’est ce qu’Erin fit. Son poing rebondit sur l’estomac de Calruz.

« Aie ! Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que je me fais plus mal à moi qu’à toi ? »

« Ta posture est terrible. »

« Merci. »

« Ce n’est pas un compliment. »

Calruz soupira.

« Tu ne sais même pas donner un vrai coup de poing ? »

Erin le regarda.

« Est-ce qu’il y a un moyen de donner un bon coup de poing ? Il faut juste serrer sa main et… »

Elle donna un coup-de-poing dans l’air et vit l’expression de Calruz.

« Bah moi je ne sais pas ! Je ne me suis jamais battu avant de venir ici ! »

Cette fois, ce fut au tour de Calruz d’observer Erin.

« Jamais ? »

« Jamais. »

« Qu’en est-il de ta créature ? Surement il sait se battre. »

Calruz pointa Toren du doigt, qui était silencieusement en train de le regarder enseigner à Erin. Le squelette fit un poing qui semblait adéquat à Erin, mais Calruz jeta un regard et secoua la tête.

« Le fait que ni toi, ni ton… animal de compagnie sachent se défendre est fort dommage. Personne ne t’a appris à te battre ? »

Le Minotaure semblait être à la fois surpris et mécontent. Il secoua sa tête.

« Je vois que j’ai bien des choses à t’apprendre. En commençant sur comment frapper. »

« Et ta compétence alors ? Cette attaque de [Coup de Marteau] était incroyable ! Comment est-ce que tu peux m’apprendre un truc comme ça ? »

« Quelqu’un qui ne sait même pas mettre un vrai coup de poing n’apprendra jamais une compétence. »

Cela avait du sens, mais Erin avait encore des questions. Elle n’avait pas vraiment eu le temps de les poser à Calruz hier, occupée à préparer le dîner.

« D’accord, ta compétence est super avancée. Mais comment tu le fais ? Je veux dire, est-ce que c’est de la magie. »

Calruz laissa échapper un brusque souffle par ses naseaux.

« Je ne suis pas un mage. C’était une Compétence. Cela me permet de transcender le plus fort de mes coups et de le transformer en quelque chose de plus fort encore. »

« Ouais… Je ne comprends toujours pas. »

Erin pointa la hache de Calruz du doigt.

« Si tu donnes un coup de ça le plus fort possible, comment est-ce que tu peux frapper plus fort que le plus fort de tes coups ? » Hum ? Ce que je voulais dire… »

« C’est l’acte de dépasser ses limites. »

Calruz attrapa le manche de la hache sur son dos. Toren avait à peine réussi à la sortir du sol, mais le Minotaure la faisait fendre l’air autour de lui sans aucun problème.

« Il y a un art dans cela. Mon espèce pratique peu de magie. Nous ne sommes pas assez ‘talentueux’ pour étudier les sorts comme les autres races le font. »

Il fit un bruit dédaigneux.

« Mais nous ne sommes pas faibles. Nous comprenons la guerre et le combat. Et ceci… Nous comprenons le rythme d’un combat. Pour apprendre et utiliser une compétence de la sorte, tu dois oublier tes fragilités et frapper avec ton cœur. »

« C’est très profond. Un peu comme un art martial. »

« Est-ce que c’est un type de combat que les Humains pratiquent ? »

« Ouais. C’est un peu comme… Hum… Un moyen de se battre avec ses mains ? Tu donnes des coups de pied et des coups-de-poing d’une certaine manière. »

Erin essaya de démontrer un chop de karaté. Calruz semblait intéressé, même s’il grimaça en la regardant.

« Je connais une Humaine qui se bat avec ses poings. Elle est… Douée. Mais sauvage. Et elle ne comprend pas. Elle se bat avec astuce et grâce, mais elle se bat dans ses limites. Elle ne pense pas qu’elle puisse aller plus loin. Donc… Elle n’ira jamais plus loin. »

Il regarda au loin.

« Elle manque de vision. Je lui ferai comprendre cela. »

Cela ne faisait pas de sens à Erin, mais c’était bien de voir que Calruz avait le béguin pour quelqu’un. Elle espéra que cette personne appréciait les grands… Homme taureau. Étrangement, elle avait des doutes sur son futur romantique, mais elle continua sans poser de question.

« Donc qu’est-ce qu’il y a derrière une compétence ? De l’envie ? »

« Pas que de l’envie. C’est le raffinement d’un même coup en un moment de perfection. Mais c’est quelque chose qui t’ai hors de portée pour l’instant. Maintenant, je vais t’apprendre à donner un coup-de-poing. »

Il leva une massive main, deux fois plus grand que la sienne, vers elle.

« Frappe ma paume. Je te monterai comment bien frapper. »

Erin fit un poing et Calruz secoua immédiatement la tête.

« Pas comme ça. Tu te briseras les doigts si tu frappes de manière inégale. »

Il leva son autre main et fit un poing. Cela ressemblait à une brique poilue et Erin se demanda ce qui lui arriverait s’il la frappait avec ça.

« Comme cela. Frappe avec tes jointures ici et ici. Et garde ton pouce en dehors de ton poing. »

Calruz pointa l’index et l’annuaire d’Erin, lui montrant avec son propre poing. Elle le copia, bougeant de manière maladroite ses doigts à la bonne place.

« Et puis tu frappes, un pas en avant et en bougeant tes hanches de cette manière. »

Il déplaça ses hanches alors qu’il lança un jab aussi rapide que l’éclair. Erin cligna des yeux. Elle sentit le souffle de son coup.

« D’accord, laisse-moi essayer. Comme… Ça? »

Elle frappa sa main. Cela semblait mieux, d’une certaine manière. Elle mit plus de poids dans son coup et Calruz hocha la tête en grognant.

« Encore. »

Erin frappa encore et encore, changeant de main selon ses instructions. Il hocha la tête après quelques essais.

« Bien. C’est la bonne technique. Maintenant… Coup de pied ! »

Il montra a Erin comment donner un coup de pied vers ses hanches et la laissa essayer. Elle tomba deux fois, mais après une dizaine de minutes elle commença à frapper assez fort pour le faire bloquer avec deux mains plutôt qu’une.

« Maintenant le squelette. Frappe-le. »

Erin regarda Toren. Il leva immédiatement ses mains comme celle de Calruz, mais le Minotaure le pointa du doigt.

« Toi. Chose. Esquive ses coups. »

Le squelette tourna la tête pour regarder Calruz en silence, comme s’il se demandait s’il devait obéir. Mais il commença à esquiver à gauche et à droite.

« Essaye de le frapper. »

C’est ce qu’Erin fit. Il était plutôt rapide. Elle donna des coups-de-poing et des coups de pieds mais il continua d’esquiver.

« Tu es terriblement lente. Va plus vite ! Ne frappe pas là où il est, frappe là où il sera. »

Calruz continua de conseiller, ou d’insulter, Erin alors qu’elle essaya, en sueur. Elle donna un coup-de-poing à Toren mais il se pencha en arrière sans effort.

« Vite. Plus vite. Rétracte ton bras plus rapidement. »

Erin poursuivit Toren sans résultats pendant plusieurs minutes, et puis s’arrêta pour regarder Calruz.

« Pourquoi est-ce que j’apprends à me battre avec mes poings ? Est-ce que je ne devrais pas plutôt utiliser une épée ? »

Il secoua sa tête.

« Je suis en train de d’apprendre une simple vérité. Tu dois savoir te battre sans armes ou cela deviendra une faiblesse que les autres exploiteront. De plus, tu ne comprends rien au rythme du combat. Tu dois apprendre à frapper ton adversaire avant d’être digne de manier une lame. »

Il regarda Toren. Le squelette n’était pas essoufflé comme Erin, n’ayant pas à s’inquiéter pour ses poumons, mais Erin était trempée et en train de lutter pour reprendre sa respiration. »

« Fort bien. Nous allons essayer autre chose. Le squelette montera sa garde et tu la détruiras. Met lui des coups-de-poing, des coups de pied. Détruit ton adversaire. »

Quelque chose dans la manière avec laquelle il prononça ses mots dérangea Erin. Elle remonta les bras en regardant Toren et tenta de le frapper. Cette fois, le squelette bloqua.

« Aie. »

« Si tu te casses un doigt ou tu te coupes, il y a des potions. Continue d’attaquer. »

C’est ce qu’Erin fit. Toren eut plus de difficulté pour la bloquer. Elle était plus forte que lui, ce qui était plutôt étrange. Erin frappe et il recula légèrement dans l’herbe alors que son bras arrêta son poing. Elle lui donna un coup de pied et il tituba.

Erin attendit que Toren reprenne son équilibre ce qui lui valut un rugissement désapprobateur de la part de Calruz.

« Ne t’arrête pas ! Continue d’attaquer ! Ton but est de vaincre ton ennemi ! Fais-lui mal. La pitié est un luxe que seul les forts peuvent se permettre. Attaque-le jusqu’à ce qu’il gît en pièces. »

Les mots dérangèrent de nouveau Erin, mais elle continua de frapper. C’était simple. Tant que Toren ne faisait que bloquer et qu’il ne bondissait pas pour éviter ses coups elle pouvait faire des feintes puis donner un coup de pied et

Cette fois son pied frappa l’une des jambes du squelette qui tomba à genoux, Erin s’avança et le frappa à la tête avec assez de force pour la décaler sur le côté. Erin ignora la sensation de douleur dans sa main et se prépara de le frapper à nouveau pour le faire tomber au sol.

Elle baissa les yeux vers le crâne vide et se figea. Pendant une seconde, elle était au sol en train de regarder le Chef Gobelin avec une épée dans ses mains. Elle sentit la chair brûlée.

Elle se souvint. Elle se souvint d’un autre visage. Et d’une mare de sang vert. Elle le tint dans ses bras alors qu’il mourut.

Lentement, Toren se redressa et se remit sur ses pieds. Il regarda Erin, tout comme Calruz. Elle ne pouvait pas savoir que son visage était soudainement devenu pale comme un linge, ou qu’elle était en train de trembler.

« Je ne peux pas le faire. »

Calruz secoua la tête.

« Tu le dois. Tu dois apprendre à te battre. »

« Non. »

Erin secoua la tête, ou peut-être est-ce tout son corps qui tremblait. Elle se sentait malade, elle était sur le point de vomir.

« Je ne peux pas le faire. Je ne suis pas un guerrier. »

Sans sollicitation, les mots dont elle avait rêvé s’échappèrent de sa bouche, sa comptine enfantine.

« Le roi est malin et utilise sa tête. Car s’il bouge, cela sera bientôt la fin de sa quête. »

Calruz la regarda.

« Qu’est-ce que cela veut dire ? »

« Ça veut dire… Ça veut dire que dès que j’ai eu des problèmes des gens meurent pour moi. Ou je tue. Où je frôle la mort. Je ne peux pas le faire. Plutôt laisser Toren apprendre à se battre. Tu ferais mieux de lui apprendre. »

Erin pointa Toren du doigt. Le squelette hocha la tête, mais Calruz secoua la sienne.

« Ton roi. Même lui ce défend en temps de crise, n’est-ce pas ? »

Il pensait au véritable roi, mais c’était tout aussi vrai pour les échecs.

« Seulement en dernier recours. »

« C’est le dernier recours auquel je parle. Un jour, tu te retrouveras sûrement seule et sans protection. Alors est-ce que tu périras, ou est-ce que tu te battras ? »

Erin n’avait pas de bonne réponse pour cela, elle baissa la tête.

« Frapper un adversaire au sol ne peut pas être quelque chose de bien.»

Il y avait quelque chose dans la voix de Calruz qui fit lever les yeux d’Erin. Il n’aboya pas ses prochains mots, mais parla avec plus doucement, les choisissant avec précaution.

« Peut-être… Oui. Il y a plus d’honneur en toi que je ne le pensais. Fort bien. J’ai peu de temps donc je vais simplement t’apprendre à te battre. Si tu t’entraines contre ta créature, tu pourras peut-être apprendre les bases assez rapidement. »

Il fit un signe, et Toren leva de nouveau sa garde.

« Le squelette bloquera. Frappe-le, tout simplement. Il est mort dans tous les cas donc ce que tu fais n’as que peu d’importance. Oublie la mort et le combat durant un moment. Connais la simple pureté du combat. »

Cela sonnait mieux. Erin hocha la tête et bomba le torse. Elle fit un poing et Toren le bloqua.

« Ce ne veut pas dire que tu dois frapper par une pathétique faiblarde ! Frappe plus fort ! »

Erin s’exécuta.

« Aie. »

Ce n’était pas comme s’il y avait une partie molle sur laquelle frapper. Erin frappa de nouveau et son pied rencontra son bras osseux.

« Aie. »

Après quelques minutes, Calruz apprit à Erin à bloquer. Cette fois, ce fut au tour de Toren d’attaquer, frappant durement avec ses bras et jambes. Mais c’était simple, étonnamment simple de voir ce qui allait venir. Les bras d’Erin la faisaient souffrir, mais le squelette ne réussit pas à mettre un coup-de-poing ou de pied sur elle. Il était probablement en train d’y aller doucement avec elle, tout comme Calruz, mais le Minotaure était en train de hocher la tête.

« Maintenant, faites un combat d’entraînement. »

« Est-ce que l’on ne peut pas se reposer à la place ? »

Erin se plaint en massant ses bras. Elle avait besoin d’une potion de soin, elle pouvait déjà sentir les bleus se former.

« Non. Considère ceci comme ton dernier test. Vous deux, affrontez-vous. Vous faites une bonne paire. Faible de la même manière. Enfin, le squelette sait comment se battre, mais cela devrait être un bon entraînement. »

Elle voulait protester, mais essayer de convaincre Calruz était pire qu’essayer de faire bouger un taureau réticent. Erin tituba vers Toren alors que le squelette leva sa garde. Il feinta vers elle et elle bloqua mécaniquement.

Bloquer était simple. Mettre des coups de poings était simple. C’était trop simple. Se battre était… Quelque chose qu’Erin n’aimait pas.

Toren donna un coup de pied dans son torse et le bras d’Erin fut repoussé. Il la frappa dans le sein.

« Aie ! Hey… »

Son poing toucha sa mâchoire. Erin tituba, avant de s’énerver. Elle attrapa son poing et lui donna un crochet dans le crâne. Cette fois, ce fut le squelette qui tituba en arrière, avant de regarder Erin avec précaution et de la charger.

C’était trop rapide, et il n’avait jamais essayé quelque chose de la sorte sur Erin. Mais elle était en colère. Elle fit un pas de côté au dernier moment et le bouscula depuis le côté. Toren s’étala au sol et Erin lui mit un coup dans les côtes alors qu’il était en train de se lever.

Elle ne vit pas les yeux de Calruz s’écarquiller quand elle bloqua Toren alors qu’il frappa rapidement à son visage et à ses côtes, mettant des coups de pied et des coups-de-poing, frappant sans arriver à percer sa garde. Erin était juste en train de réagir instinctivement. Toren était tellement lent. Il était une machine de combat, mais il se battait comme une machine. Il n’était pas original.

Elle écrasa son pied et le poussa. Toren roula alors qu’elle lui donna un coup de pied quand il bondit sur ses pieds. Il feinta vers son visage et Erin ne bougea pas. Elle savait que c’était une feinte. Toren rétracta son poing, confus. Erin le frappa futilement dans l’épaule. Le problème était qu’elle ne pouvait pas vraiment le blesser. Il était fait d’os.

Mais elle était en train de gagner. Elle pouvait le sentir.

Erin était toujours malade, et fatiguée. Et ses mains la faisaient souffrir. Mais il y avait aussi quelque chose d’autre.

De la frustration. Et un peu de colère.

Non, pas qu’un peu. Un océan calme, tapis sous les profondeurs des pensées d’Erin. Une partie d’elle détestait la violence. Mais une autre partie était heureuse qu’elle pouvait rendre les coups. Cette partie voulait qu’elle ne soit plus jamais sans défense. C’était de la colère, et quelque chose d’autre.

Et cela… Faisait du bien de la laisser sortir.

Toren donna un coup-de-poing et reçu un cross-counter en pleine tête. Erin ne savait pas ce qu’elle venait de faire, elle avait juste vu l’ouverture et l’avait prise.

Elle donna un coup de pied et Toren bloqua. Elle esquiva un poing dans ses côtes et gifla son bras vers le bas avant de frapper son autre bras alors qu’il couvrit son visage.

Sa garde était en train de faiblir. Erin sentit un moment d’énergie. Elle frappa plus vite, mettant ses hanches dans le coup comme Calruz lui avait montré. Plus de force. Elle était plus forte que Toren grâce à sa compétence.

Elle voulait juste mettre ce stupide squelette au sol. Il continua de venir encore, encore, et encore. Cela n’avait pas d’importance qu’elle le frappait. Il était mort, et il n’avait pas de chair à blesser. Mais il ne se retenait pas et ses bras la faisaient souffrir.

Toren venait de donner un coup de pied dans l’une des jambes d’Erin et elle était en train de tituber. Mais elle le vit courir vers elle et quelque chose dans son esprit cliqua. Elle se redressa, leva sa main, fit un pas et donna un coup de pied.

L’une des jambes de Toren se cassa. Pas les os en eux-mêmes, mais la jambe se déconnecta alors que le squelette tomba. Il leva son bras et fit le poing d’Erin volé vers sa tête.

Elle le sentit. Un coup parfait. Un moment de vérité. Erin mit tout son corps dans un seul coup, lançant l’entièreté de son poids dans un coup qui traversa la garde de Toren et s’écrasa à l’endroit ou son nez aurait été s’il avait été vivant.

Thud

Sa tête se détacha. Au ralenti, Erin vit la tête du squelette volé loin de son corps. Elle regarda sa tête volée loin du sommet de la colline, rebondit contre la pente, et s’arrêter de rouler une quinzaine de mètres plus loin.

Erin regarda au torse décapité de Toren avec choc. Après une seconde, le corps tressaillit et s’effondra.

Elle regarda sa main. Elle s’était ouvert la peau de ses phalanges et elle était en train de saigner. Mais elle l’avait senti. Elle avait frappé Toren plus fort qu’elle avait frappé, ou fait, quelque chose dans sa vie. Elle l’avait senti.

Erin regarda autour d’elle. Elle voulait savoir si c’était ce dont Calruz parlait. Elle se tourna vers le Minotaure qui la regardait bouche bée et les yeux écarquillés.

Après quelques instants, Calruz ferma la bouche. Il regarda Toren, puis Erin, avant de racler sa gorge quelques fois et de s’adresser à Erin.

« … Est-ce que tu peux me refaire ça ? »

***

« Regardez-moi ça. »

Gerial siffla et fit signe Ceria. Elle termina sa conversation avec Yvlon et les deux femmes le rejoignirent pour voir ce qui était si intéressant.

Cervial était en train de tenir une massive arbalète, fait de métal noir et de mort pointue. Elle n’était pas chargée, bien sûr, mais rien qu’en la regardant les deux aventuriers pouvaient voir la puissance de l’arme.

« Quelle sorte d’arme est-ce, Cervial ? »

Il sourit à Yvlon et lui tendit. Elle l’accepta avec précaution et regarda curieusement l’arme.

« Une arbalète. Fait par des Nains. C’est comme un arc, mais un que tu peux charger et attendre avant de tirer. Celle-ci est une œuvre d’art. »

« Magnifique. »

Gerial prit l’arbalète alors Yvlon lui tendit et Ceria leva les yeux au ciel. Elle n’était pas aussi impressionnée que les deux autres humains, mais elle écouta assez attentivement alors que Cervial lista les bienfaits de l’arme.

« Elle m’a couté pratiquement toutes les pièces d’or que j’avais, mais cela valait le coup. Nous avons craqué l’armure d’un Golem de Pierre en un tir et nous avons abattu plus d’ennemis avec des boucliers que nous pouvons compter avec cette arme. »

« Et c’est notre atout dans l’expédition ? »

« Nous allons peut-être être désavantagés si nous allons dans des couloirs étroits, mais avec ceci nous serons capable de faire pencher la balance. »

« Bien, nous sommes tous prêt. Nous avons un plan de combat et ma compagnie ainsi que les Cornes d’Hammerad sont prêts. Lir dit que son équipe à assez de potions de mana. Le seul groupe qui manque est celui de Gerald. Ou est-il ? »

Cervial sourit.

« Gerald est occupé à passer à travers les derniers aventuriers qui veulent rejoindre l’expédition. Il dit qu’il les refusera probablement tous, mais on ne sait jamais qui peut se pointer. »

Gerial rendit l’arbalète à contre cœur à Cervial. Il pouvait facilement imaginer armer tous les membres des Cornes d’Hammerad avec l’une de ces armes meurtrières. Enfin, tous sauf Calruz et Ceria.

« Est-ce que nous avons trouvé des gens utiles ? »

« Quelques-uns. »

Yvlon haussa les épaules et compta sur ses doigts gantelets.

« Quelques mages, un Argent avec une épée et un bouclier… Pas beaucoup, mais c’est mieux que rien. J’ai demandé au mage dont tu m’as parlé, Gerial, mais il a refusé. »

Ceria lança un regard à Gerial alors qu’il détourna les yeux.

« C’était, heu, juste une idée. Nous avons besoin de tout l’aide que nous pouvons avoir. »

Cervial haussa les épaules. Il commença à défaire la corde de l’arbalète noire.

« Cela ne sert à rien de s’inquiéter pour une épée ou deux. Nous avons cinq compagnies d’aventuriers. En comptant les extras, nous avons plus de quarante personnes tous de rang Argent. S’il y a une compagnie Or mieux que cela j’aimerais bien la rencontrer. »

Gerial hocha la tête. Il lança un regard avide vers l’arbalète alors que Cervial la rangea dans un caisson qu’il verrouilla, avant de lever les yeux. Yvlon et Ceria levèrent les yeux à leur tour.

Ils étaient dans la Guilde des Aventuriers, assis à une table. Mais quelqu’un venait de s’approcher. Un Drakéide. Il semblait… Jeune, ou du moins c’est ce qu’il pensait. Ses écailles étaient d’un bleu plus léger que le reste, et il était en train de sourire. Enfin, cela ressemblait à un sourire. Avec beaucoup de dents.

« Hum. Excusez-moi ? J’ai entendu dire que vous êtes l’équipe qui va dans les ruines. Est-ce que cela vous dérangerai si je me joins à votre groupe. »

Les aventuriers se regardèrent entre eux. Yvlon se racla la gorge et sourit au Drakéide.

« Je suis désolé, mais nous avons assez de combattants et c’est une dangereuse expédition dans laquelle nous nous embarquons. Nous ne pouvons pas prendre de débutants ou des gens qui ne sont pas des aventuriers. »

Le Drakéide semblait surpris.

« Comment savez-vous que je ne suis pas un aventurier ? »

« Tu n’as pas d’arme ou d’armure, et tu bouges comme un civil. »

« Oh. »

Le Drakéide hocha la tête.

« Mais je pense que vous serez peut-être toujours partant pour me prendre. J’ai des compétences utile et je pourrais contribuer et… J’aimerais m’améliorer. »

« Oh ? Et quelle est ta classe, alors ? Et je ne pense pas avoir entendu ton prénom. »

Rougissant, le Drakéide baissa légèrement la tête.

« Pardonnez-moi, j’ai oublié de me présenter. Mon nom est Olesm. Je suis un [Tacticien] de Niveau 24. »

***

Ceria et Gerial retournèrent à l’auberge et s’arrêtèrent. Au lieu du dîner ils virent un étrange spectacle. Toutes les Cornes d’Hammerad étaient assis dans l’herbe, regardant Calruz chasser Erin. Il était en train de lui donner des coups-de-poing et des coups de pieds, pas aussi fort qu’il le pouvait, mais avec assez de force pour qu’Erin hurle et court, esquivant frénétiquement.

« Aaaaah ! Au secours !

Erin baissa la tête et s’eloigna alors que Calruz lança un énorme poing vers sa tête. Il fronça les sourcils.

« Arrête de courir ! Ne… Ne t’abaisses pas comme ça. Si tu dois te retraiter, fais-le rapidement et sans mouvements inutiles. Ne tourne jamais ton dos à l’ennemi. »

« Calruz ! Qu’est-ce que tu es en train de faire ? »

Ceria courut vers Erin qui bondit et sa cacha derrière elle. La demi-Elfe bloque le chemin de Calruz alors que le Minotaure essaye de suivre Erin.

« Hors de mon chemin Ceria. Je suis en train de lui apprendre à se battre. »

« En la harcelant ? »

« Elle doit apprendre à combattre un ennemi plus fort et grand qu’elle. »

« Oui, mais il y a des limites. Je ne chercherais jamais un combat contre un Minotaure. Si je n’ai plus de sort ou de mana je prendrais mes jambes à mon cou. »

« Exactement ! »

Erin essaya de garder Ceria entre elle et Calruz alors qu’elle regarda le Minotaure.

« J’ai faim ! Je suis fatigué ! Et je n’ai fait que me battre toute la journée ! J’ai même pas eut de déjeuner ! »

« Est-ce vrai ? »

Calruz ne semblait pas déranger par les regards désapprobateurs des deux femmes. Il laissa échapper un souffle par ses naseaux et ne répondit pas. Ceria croisa les bras.

« Je suis certain qu’Erin était heureuse que tu lui enseignes, mais si elle ne veut plus apprendre, tu dois respecter cela. »

Calruz bougea sa main de manière dédaigneuse.

« Prendre la fuite ne réglera rien. Elle doit aiguiser ses instincts. Je la laisserai se reposer quand elle me donnera un vrai coup. Maintenant bouge… »

Il poussa Ceria sur le côté. La demi-Elfe grogna mais Erin se précipita en avant.

« Prends ça ! »

Erin mit un coup de pied vers le haut. Aussitôt, les jambes de Calruz essayèrent de le bloquer mais c’était trop tard. Gerial, Sostrom, et tous les mâles des Cornes d’Hammerad grimacèrent alors que Calruz beugla d’agonie.

Prenant de nouveau la fuite, Erin s’arrêta cinq mètres plus loin et regarda Calruz.

« En voilà un vrai coup, abruti ! T’es content ? »

Ceria commença à rire alors que Calruz jura dans sa propre langue, grognant plusieurs sons gutturaux alors qu’il se redressa. Il couvrit ses parties… Intimes avec une main en regardant Erin.

« C’était… Un coup bas. »

« Mais c’était ce que tu voulais. Continue de me poursuivre et je… Je le referai ! »

Il lui lança un regard, mais Erin était capable de faire des combats du regard avec les meilleurs et elle était fatigué et agacée. Il laissa finalement échapper de l’air par ses naseaux, des veines pulsants sur son front.

« Va. Te reposer. »

Erin prit la fuite avant qu’il ne change d’avis. Ceria était toujours en train de rire.

Il se tourna vers Toren et le pointa du doigt.

« Je vais t’apprendre. Si tu dois la protéger, tu dois mieux te battre. Viens. Frappe-moi. »

Le squelette fonça sur Calruz sans hésitation. Les Cornes d’Hammerad commencèrent à faire des paris pour savoir s’il allait arriver à toucher Calruz.

Toren feinta vers Calruz, et puis essaya de reproduire le coup qu’Erin venait d’utiliser. Son pied se leva. Calruz attrapa sa jambe et plissa les yeux en direction du squelette.

Erin venait juste de se verser un verre d’eau quand elle revint dehors juste à temps pour voir Calruz jeta la tête de Toren de la colline. Elle éclaircit sa gorge et les Cornes d’Hammerad regardèrent autour d’eux.

« Si vous avez fini de taper sur mon squelette, est-ce que quelqu’un veut quelque chose à manger ? »

***

« C’était hilarant. »

« C’était un coup bas. »

« Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi drôle. »

Ceria était toujours en train de rire alors qu’elle s’assit avec Calruz dans l’auberge, mangeant ses pâtes. C’était toujours l’option d’Erin quand elle était pressée par le temps ou fatiguée. Bouillir de l’eau, mettre les pâtes, couper des oignons, rajouter un peu de beurre ou d’autre morceau et c’était bon. Rien de plus simple.

Calruz était toujours en train de regarder son assiette, mais il s’était presque entièrement remis du littéral coup bas d’Erin. Il secoua la tête alors que la Demi-elfe continua de se moquer.

« Au moins elle a été capable de me frapper, même pas surprise. C’est bien. »

Ceria arrêta de rire et se devint sérieuse pendant un moment.

« Mais vraiment Calruz, pourquoi est-ce que tu voulais tellement lui apprendre ? Je pensais que tu allais simplement lui apprendre à bien mettre un coup-de-poing, pas d’essayer de la tourner en aventurière en une nuit. »

Le Minotaure grogna et avala une grande fourchette de pâte et de sauce.

« C’était ce que je voulais faire. Mais elle a montré qu’elle avait plus de potentiel que cela. »

« Oh ? »

Il acquiesça.

« Elle est… Talentueuse. Très talentueuse. Ceria. En l’espace de quelques heures, elle est devenue capable de vaincre le squelette dans un combat à mains nues. Et elle à débloquer une compétence. »

Ceria avait été en train de boire du jus bleu. Elle s’étouffa dessus et Calruz dut lui taper le dos pour qu’elle puisse retrouver sa respiration.

« Tu plaisantes. »

« Non. »

« C’est impossible »

« Elle a un sens pour le combat. J’ai déjà rencontré des gens comme elle auparavant. Elle est douée. Talentueuses. C’est dommage qu’elle ne se soit jamais entraînée avant aujourd’hui. »

« Arrête. J’ai les oreilles toutes rouges. »

Erin sourit à Calruz alors qu’elle apporta une autre assiette de saucisses brûlantes pour les deux. Le Minotaure et Ceria firent tous deux des bruits d’appréciation, mais il l’arrêta alors qu’elle s’apprêtait à retourner dans la cuisine.

« Tu as du potentiel, mais si tu te fais attaquer maintenant, ce que je t’ai appris ne suffira pas. Tu dois t’entraîner. Te souvenir que tu es encore faible, pour l’instant. »

« Oh, je sais. Je ne vais pas faire quelque chose de stupide même si j’apprends à me battre. De plus, si quelque chose m’attaque, je vais jeter un jarre d’acide dessus. »

Ceria s’arrêta en tendant sa fourchette vers la plus grosse saucisse de l’assiette.

« Quoi ? »

Erin sortit avec précaution l’une des petites jarres qu’elle avait fait pour les gobelins et la montra à Calruz et Ceria, expliquant où elle obtenait l’acide. Au même moment, Ceria décala sa chaise le plus loin possible du liquide vert.

« Est-ce… N’as-tu donc pas de sens des risques ? Pourquoi est-ce que tu es si détendue avec ce truc ? Qu’est-ce qui se passera si tu le fais tomber ? »

« Hey ! Ce n’est pas moi qui porte ce genre de truc ! Toren n’a pas de chair pour fondre donc c’est pratique. »

Ceria secoua la tête.

« Vous les Humains… Non, tu es folle. Pardonne moi Erin, mais tu l’es. »

Gerial se pencha sur la table et étudia la jarre d’acide avant de lever les yeux vers Erin.

« Puis-je en acheter une ? »

« Toi ? Est-ce que tu es fou, Gerial ? »

« Cela pourrait s’avérer pratique pour plus tard, Ceria. De plus, la jarre ne devrait pas se briser dans mon sac. »

« Ce sont tes funérailles, mais ne marche pas à côté de moi quand on se bat. »

Erin hocha la tête et prit les pièces d’argent de Gerial.

« J’en ai encore si tu en veux. »

Gerial hésita. il regarda la jarre d’acide et secoua la tête.

« Un est suffisant. Cela pourrait être fort pratique, mais je vais faire confiance à mes préparations habituelles plutôt que de me reposer sur ça. »

« En parlant de ça… »

Ceria éclaircit sa gorge et hocha la tête en direction des autres Cornes d’Hammerad. Ils se rassemblèrent et la demi-Elfe pointa un grand sac à dos qu’elle et Gerial avait ramené de la ville.

« Il est l’heure. Yvlon a acheté des provisions, mais je vais les distribuer dès maintenant pour que vous puissiez les mettre dans votre sac. Nous avons des rations, de l’eau et quatre potions de soin et quatre potions de mana chacun. Des torches et du silex, les bases, mais nous allons avoir besoin de chariot pour prendre tout cela. »

Erin était curieuse.

« Seulement quatre potions ? Est-ce que cela ne serait pas mieux de, je ne sais pas, en prendre plein ? Comme ça tu pourrais te soigner encore et encore, pas vrai ? »

Les aventuriers rirent, mais pas de manière condescendante. Ceria secoua la tête et sourit en expliquant.

« Il y a une limite sur combien de fois nous pouvons nous soigner. Après trop de potions le corps… Abandonne. De plus, si nous parlons d’avoir trop de blessures pour que les potions ne suffisent plus, c’est que nous avons déjà des problèmes. »

Gerial hocha la tête alors qu’il distribua les épais paquets de rations sèches et de gourde autour.

« Le plus long combat que nous avons fait était contre une Liche il y a quelque temps. Nous sommes tombés à court de potions et la moitié de notre groupe était presque immobile à cause des soins. Nous ne pouvons pas compter sur la magie pour tout. »

« Juste tout ce qui est important. »

Ceria murmura à elle-même et sourit alors que Gerial la regarda. Calruz éclaircit sa gorge et les gens dans les pièces devinrent silencieux.

« Je ne suis pas quelqu’un qui fait des discours. Mais demain nous allons dans de nouvelles ruines, et nous allons peut-être trouver des trésors allant au-delà de nos rêves les plus fous ou les plus grands des ennemis. Qu’importe ce qui nous attend, car nous y allons ensemble. Les Cornes d’Hammerad reviendront triomphants. »

Il leva sa choppe.

« Pour l’honneur et la gloire. »

« Pour l’honneur. »

Les Cornes d’Hammerad trinquèrent. Erin regarda, silencieuse, alors qu’ils vidèrent leur verre d’un seul trait. Elle était impressionnée. Même Ceria était parvenu à le faire. Elle ne s’attendait pas à voir une personne aussi svelte si bien tenir sa liqueur, surtout quand elle vide de nouveau son verre.

« Est-ce que tu peux vraiment autant d’alcool ? »

Ceria sourit et haussa les épaules.

« Ce n’est pas si fort. De plus, nous partons le matin. Si je suis vraiment saoul je me ferai soigner par quelqu’un. Ou je prendrais une potion de mana. »

Erin semblait confuse, alors Ceria s’expliqua.

« Les potions de mana et l’alcool ne se mélangent pas. Je la bois, et tout ressort. C’est salissant, mais efficace. »

D’une certaine manière, l’idée d’une gracieuse demi-Elfe vomissant comme un étudiant de FAC après une soirée arrosait l’outrait plus qu’autre chose.

« Tant que tu ne te trompes pas et que tu bois de l’acide. »

Ceria frissonna et Gerial secoua la tête.

« Pas d’inquiétude. Je l’ai bien mis en sécurité. »

Ils allèrent se coucher de bonne heure. Ce qui surprit Erin. Elle aurait été incapable de trouver le sommeil, mais peut-être que c’était l’alcool qui faisait effet.

Les Cornes d’Hammerad se dirigèrent à l’étage. Erin resta dans la salle commune. Elle n’était pas fatiguée, enfin si, elle l’était, mais il y avait une autre part d’elle qui était toujours éveillée.

Elle s’assit dans la pièce vide, regardant Toren bougeant dans la pièce en ramassant les verres et dépoussiérant. Vaguement, Erin massa les phalanges de sa main droite qui la faisait toujours souffrir.

Elle regarda sa main. C’était juste une main. Elle bougeait des pièces d’échec avec depuis si longtemps que ses doigts avaient des callosités. Mais maintenant elle regardant ses phalanges. Elle n’avait jamais rien frappé de sa vie, mais aujourd’hui elle avait gagné u combat.

Erin ferma ses doigts pour former un poing et soupira avant de secouer la tête.

« C’est bien de la merde d’être douée pour ça. »


[Compétence – Coup Puissant Apprise]


***

Lorsque Ryoka se leva le premier jour, sa tête hurlait mais son esprit était clair. Elle entendit une voix dans sa tête, une voix qui n’était pas la sienne.


[Compétence – Volonté Indomptable Apprise]


Elle l’annula. Une compétence était inutile. Elle n’avait pas besoin de ce qu’elle avait déjà. Elle ne serait jamais contrôlée de nouveau.

Ryoka se leva et commença à courir.

Vers le nord.

Vers Liscor.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 17 juin 2020 à 15:17:44
1.00 H
Traduit par EllieVia

Le jour de l’expédition, tous les membres des Cornes d’Hammerad se levèrent et descendirent prendre leur petit déjeuner en silence. Erin, l’aubergiste souriante, avait préparé le petit déjeuner - des œufs et du lard.
 
Ceria se posa à l’une des tables, clignant des yeux et tâtant le jaune tremblotant de son œuf poché du bout de sa fourchette. Elle était encore à moitié endormie, mais le jus de fruit bleu la réveilla agréablement.
 
Elle leva le nez de sa nourriture et balaya la pièce du regard. Bien. Tout le monde était là. Chacun des dix membres des Cornes d’Hammerad étaient assis, en train de manger ou de parler doucement. Calruz et Gerial étaient assis ensemble, en train de discuter du plan, sans aucun doute. Sostrom et la seule autre mage de la compagnie, Marian, étaient assis à la même table en train de papoter, tandis que les cinq guerriers mangeaient en silence à une autre table.
 
 
Hunt, le plus vétéran d’entre eux, mis à part, Ceria ne les connaissait pas très bien .Ils étaient des collègues et amis, naturellement, mais elle ne se battait avec eux que depuis moins d’un an - et pour les membres les plus jeunes de la compagnie, un mois seulement.
 
Sostrom éclata de rire à un commentaire de Marian. Il l’aimait bien. Ou plutôt, il l’appréciait en tant que seule autre mage humain du groupe, et en tant qu’unique personne qui ne se moquait jamais de son début de calvitie. Ceria n’avait pas encore réussi à savoir s’ils couchaient ensemble ou non.
 
Si c’était le cas, elle espérait que Marian ne lui briserait pas le cœur lorsqu’elle partirait. Elle était une bonne mage, avec un solide niveau 16 dans la classe d’[Élémentaliste] - banale à la fois dans le choix de sa classe et de ses sorts de prédilection - mais elle faisait bien sa part du boulot.
 
Simplement…
 
Elle n’était pas une véritable aventurière, une vraie membre des Cornes d’Hammerad. Ceria la respectait tout de même, mais Marian voulait simplement gagner assez d’argent pour monter sa propre boutique ou auberge. L’aventure n’était qu’un job pour elle.
 
C’était également le cas pour Ceria, bien sûr, mais c’était aussi sa vie. Elle vivait pour l’aventure. En gagnant de l’or, elle pouvait maîtriser de nouveaux sorts, et grâce aux artefacts rares qu’elle dénichait elle pouvait continuer à s’améliorer en tant que mage et gagner des niveaux. Elle allait juste s’acheter une nouveau grimoire ou une baguette et continuer l’aventure.
 
Ceria était une carriériste, même si ce mot ne lui aurait rien dit. Elle, Gerial, Calruz, Sostrom, et Hunt étaient tous des aventuriers qui n’abandonneraient jamais. Même avant qu’ils ne s’allient pour former les Cornes d’Hammerad deux ans plus tôt, chacun d’entre eux avait passé des années à grimper les échelons pour atteindre leur rang actuel.
 
Un jour, Marian arrêterait. Et ils trouveraient quelqu’un d’autre pour prendre sa place. Peut-être juste après l’expédition. Si elle ne mourait pas.
 
C’était une sombre pensée, et pas le genre qu’elle aurait dû avoir. Ceria secoua la tête et se concentra sur son repas. Elle fendit son jaune d’œuf et le regarda imbiber son pain grillé. Délicieux.
 
Elle adorait les œufs. Elle adorait grimper dans les arbres et les voler dans leurs nids. Les humains avaient tendance à désapprouver ces pratiques de manière générale, mais Ceria avait grandi une partie de sa vie en cherchant à manger dans les bois. Elle n’était pas difficile sur l’origine de sa nourriture.
 
Elle avait mangé des lombrics, des scarabées, de l’écorce qui n’était bonne ni pour les intestins ni pour la santé, des oiseaux, crus et même pas cuisinés, et, à l’occasion, des champignons, des racines, ce genre de choses. Elle avait failli mourir de faim tellement de fois qu’elle avait développé un appétit pour des choses inhabituelles. Comme les insectes, même si Ceria n’aimait pas devoir en ôter les bouts de ses dents après coup. Mais ils étaient rigolos à manger.
 
Mmh. Elle se demandait quel goût avaient les mouches acides d’Erin…
 
***

“Mm. On est prêts. On y va ?”
 
Gerial but une goulée de jus bleu sucré avant de répondre à Calruz.
 
“On a encore une heure. Plein de temps. Inutile de se précipiter.”
 
Le Minotaure acquiesça en silence et indiqua d’un geste à Toren de lui apporter une autre assiette de lard. Gerial se demanda comment il faisait pour manger autant. Son estomac à lui ne lui permettait pas de manger plus qu’un petit bout de petit déjeuner. Il était tellement plein d’adrénaline à la fois de stress et d’anticipation qu’il avait envie de se lever faire les cent pas.
 
Mais évidemment, il allait devoir s’en abstenir. Le vice-capitaine des Cornes d’Hammerad devait projeter du calme, et c’était ce que Gerial allait faire. Il prenait son travail très au sérieux. Il devait être un leader comme Calruz.
 
Et Ceria, aussi. Gerial la vit assise à sa table, regardant son assiette d’u air pensif. Elle n’avait pas l’air le moins du monde stressée. Il l’enviait pour cela.
 
Le regard de la Demie-Elfe s’était perdu dans le vague, et son expression s’était faite distante. Gerial connaissait bien ce regard. Encore une chose à envier.
 
Il sentait qu’il ne comprendrait jamais la véritable complexité et les pensées hors de ce monde qui passaient sûrement dans son esprit. Elle avait beau avoir l’air humaine de plein de façons, Ceria restait une Demie-Elfe. La moitié d’elle descendait de légendes et qui pouvait deviner quelles pensées profondes l’habitaient dans des moments comme ceux-ci ?
 
“Salut !”
 
Gerial sursauta et détourna rapidement le regard de Ceria. Il sourit à Erin et se lissa la moustache. Voilà enfin quelqu’un qu’il pouvait comprendre. Erin Solstice était l’aubergiste la plus aimable et accessible qu’il ait jamais rencontrée. Il aurait de la peine à dire au revoir.
 
“Ah. Miss Erin. J’espère que vous vous remettez de votre rhume ? Nous avions l’intention de vous laisser de l’argent et de nous en aller sans vous déranger, mais vous étiez debout avant nous.”
 
Erin parut étonnée.
 
“Quoi ? Oh, non, je n’aurais pas pu faire ça. Je me sens beaucoup mieux. Et vous m’avez tellement bien payée… je ne pouvais pas faire moins que de vous préparer un gros petit-déjeuner. Vous, euh, vous rendez dans les ruines aujourd’hui, c’est ça ?”
 
Calruz grogna et Gerial acquiesça.
 
“En effet. Nous et quatre autres équipes d’aventuriers.”
 
“Vous n’étiez pas censés être six ?”
 
“Gerial grimaça et jeta un regard en coin à Calruz.
 
“Le dernier Capitaine aventurier s’est , euh, retiré au dernier moment de l’expédition.”
 
“Hendric. Quel lâche.”
 
Gronda Calruz d’un air sombre. Gerial espéra qu’il ne se mettrait pas à hurler. C’était bien la dernière chose dont ils avaient besoin juste avant l’expédition.
 
À son grand soulagement, Erin ne parut pas déstabilisée par l’ire du Minotaure. Elle enfonça un doigt dans le flanc de Calruz, et le Minotaure la fusilla du regard tandis que Gerial s’étouffait à moitié.
 
“Allez, souris un peu, grincheux. Je suis sûre que ça va bien se passer.”
 
Elle jeta un œil à Gerial.
 
“Donc… je dois m’attendre à ce que vous reveniez demain ? Ou ce soir… ? Combien de temps va prendre cette, euh, exploration de donjon ?”
 
“On ne sait pas vraiment. Je ne parierais pas sur notre retour, mais ça pourrait arriver.”
 
Gerial se tortilla inconfortablement, n’appréciant guère l’incertitude de sa propre voix.
 
“On a assez de provisions pour au moins quatre jours. Mais je doute que nous serons là-dessous pendant aussi longtemps à moins de devoir creuser.”
 
De l’autre côté de la pièce, Hunt leva les yeux de son repas. Il avait de l’œuf dans sa barbe, mais Gerial ne fit pas de commentaire.
 
“Ces ruines sont peut-être profondes, par contre. Impossible de dire jusqu’où elles vont.”
 
“On ne fera pas toutes les pièces. Dès qu’on trouve un trésor ou qu’on a ramassé assez pour justifier les coûts de l’expédition, on s’en ira.”
 
“Ha ! Va dire ça aux autres équipes. Gerial dit que son équipe ne lâchera rien tant qu’ils n’auront pas atteint l’étage le plus bas. C’est un tout autre discours que celui qu’il tenait un peu plus tôt.”
 
“Eh bien, si on doit y aller autant donner tout ce qu’on a.”
 
“D’ailleurs… Gerial, est-ce qu’il est l’heure ?”
 
Ceria regarda le ciel d’un air appuyé. Gerial acquiesça.
 
“J’imagine qu’il faut y aller. La réunion est dans à peu près une heure de toute façon et on ne voudrait pas être en retard. Est-ce que tout le monde a fini ?”
 
Ils avaient terminé. Ou alors ils terminèrent rapidement leur repas à ces mots. L’étrange squelette passa récupérer les assiettes et Erin alla raccompagner les Cornes d’Hammerad à la porte.
 
“Bonne chance. Ne vous faites pas, euh, tuer par un dragon ou autre.”
 
Gerial et le reste d’entre eux éclatèrent de rire à ces mots.
 
“Il n’y a pas de dragons de ce côté du monde, miss. Probablement plus de dragon nulle part.”
 
“Hum. Il y en a. J’en ai vu un.”
 
Leurs rires s’arrêtèrent net. Gerial dévisagea l’expression honnête d’Erin. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose…
 
“Bonjour ? Bonjour ! Désolé d’être en retard !”
 
Une silhouette grimpait la colline à toute vitesse. Un Drakéide d’un bleu pâle vêtu d’une armure de cuir était en train de courir dans leur direction. Il essayait désespérément d’attacher le fourreau de son épée à sa ceinture lorsqu’il s’arrêta devant les Cornes d’Hammerad.
 
“Je ne suis pas en retard, si ? J’avais oublié qu’on avait prévu de se retrouver ici.”
 
“Olesm ?”
 
Erin dévisageait le Drakéide d’un air incrédule.
 
“Qu’est-ce que tu… tu vas faire partie de l’expédition aussi ? Mais tu n’es pas un aventurier !”
 
Olesm, le [Tacticien] qu’ils avaient embauché la veille, écarquilla les yeux et sa queue se mit à s’agiter lorsqu’il remarqua Erin.
 
“Oh, Erin. Je ne savais pas… mais bien sûr que tu es là. C’est ton auberge… oui, je me joins à l’expédition ! J’espère gagner des niveaux. Tu m’as tellement inspiré que j’ai décidé qu’il était temps de sortir de ma carapace, pour ainsi dire.”
 
“Mais est-ce que tu sais te défendre ? Je veux dire, je ne veux pas paraître impolie mais…”
 
Le regard que lui lança Erin suffisait à décrire l’avis qu’elle se faisait de ses prouesses au combat. Le Drakéide rougit, mais bomba le torse.
 
“Je ne suis peut-être pas un bon guerrier, mais mes compétences devraient bien aider. Crois-moi, je reviendrai meilleur que jamais. Et peut-être qu’alors j’arriverai à gagner une partie contre toi.”
 
“Mais on parle d’échecs, là. Ça n’a rien à voir avec un… un combat.”
“Je stagne au même niveau depuis trop longtemps, à force de me cacher dans la cité au lieu de rejoindre l’armée ou de partir à l’aventure. Aujourd'hui, je vais changer tout ça.”
 
“Assez parlé.”
 
Gronda Calruz, faisant sursauter et rougir Olesm. Il pointa du doigt.
 
“Il faut y aller. Suis-nous, mais ne traîne pas.”
 
“Oh, bien sûr. Excusez-moi.”
 
Olesm se glissa derrière le Minotaure et adressa un sourire plein de dents à Gerial. L’homme tenta de lui rendre son sourire, en se demandant visiblement s’il devait aussi dénuder ses dents.
 
Erin était en train de parler à Ceria, essayant d’offrir aux Cornes d’Hammerad un panier de nourriture à emporter.
 
“Je serai heureuse de vous servir si vous revenez ce soir, qu’importe l’heure. Il vous suffit de frapper, ok ? De toute manière, j’aurai des invités.”
 
“Oh ? Qui ?”
 
“On y va.”
 
Calruz enfonça un doigt dans le dos de Ceria, la faisant vaciller. Elle se retourna et donna un coup de pied au Minotaure, mais il était temps d’y aller. Gerial dit adieu à Erin et les Cornes d’Hammerad se mirent à descendre la colline.
 
Ils virent les invités d’Erin au bout de quinze minutes de marche. Cinq Antiniums avaient quitté la ville. Deux d’entre eux en portait un que Gerial reconnut. Son estomac se serrait toujours à la vue des membres mutilés de Pion, mais l’Antinium les salua sans que la douleur de colore sa voix.
 
“Salutations, aventuriers. Olesm.”
 
“Oh ? Pion ! Est-ce que tu vas aller jouer aux échecs chez Mademoiselle Erin ?”
 
Olesm salua l’Antinium d’un air joyeux et les autres aventuriers marmonnèrent des salutations maladroites. Pion hocha la tête.
 
“Oui. Nous n’avons pas de devoirs donc nous allons jouer.”
 
“Oh ? Je croyais que vous travaillez toujours le matin. Quelque chose ne va pas ?”
 
“Rien ne va pas. Nous n’avons pas de tâches car nous attendons.”
 
“Vous attendez ? Vous attendez quoi ?”
 
Calruz gronda et reprit la route. Olesm le suivit, mais Pion et le reste des Antiniums se contentèrent de suivre le groupe pour continuer la conversation.
 
“Nous attendons la Reine.”
 
“La Reine ? est-ce que… est-ce qu’elle prépare quelque chose ?”
 
“Oui. Elle a bientôt fini sa tâche.”
 
“J’en ai entendu parler. Elle n’a parlé à personne et a envoyé ce nouveau Prognugator en ville. Ksmvr, c’est bien ça . Qu’est-ce qu’elle peut donc bien faire qui soit si important ?”
 
“Nous ne savons pas. Mais ce sera demain.”
 
Olesm dévisagea Pion. Gerial vit Ceria jeter un regard en coin à l’Antinium.
 
“Qu’est-ce qui sera demain ?”
 
“Cela sera. Bonne chance pour ta mission, Olesm.”
 
“Oh, hum, au revoir…”
 
Les Antiniums s’en allèrent. Calruz gronda et marcha d’un pas déterminé, marmottant quelque chose au sujet des délais tandis que Gerial réfléchissait à la conversation. Qu’est-ce que ça avait voulu dire ? Est-ce que cela avait déjà la moindre importance ? Les Antiniums étaient étranges. Gerial avait appris il y a longtemps à quel point ils pouvaient être dangereux, et à quel point ils étaient étranges. Mais Pion ne lui paraissait pas méchant. Bizarre, peut-être, mais…
 
Les pensées de Gerial lui sortirent entièrement de la tête lorsqu’il aperçut les ruines au loin. Même à des kilomètres, la roche sombre, grise et noire, de l’énorme structure tranchait sur la colline d’où on l’avait exhumée.
 
Les Cornes d’Hammerad s’arrêtèrent, puis se mirent à accélérer le pas. Soudain cette matinée, leurs petits soucis, et, pour tout dire, le reste du monde n’existaient plus à leurs yeux. Ils avaient attendu patiemment, au moins quelques heures. Ils s’étaient amusés, s’était attiré des ennuis ou en avaient réglés certains, mais ils n’avaient en réalité fait qu’attendre.
 
Attendre ce moment. Les Ruines se dressaient, massive, inexplorées. Elles les appelaient. Ils étaient des aventuriers.
 
Ils reprirent leur marche. Inconsciemment, leur rythme accéléra. Ils les sentaient dans leur sang, leurs os, et dans le battement de leurs cœurs.
 
Le danger et la gloire, qui les attendaient dans les ténèbres des tréfonds.


***

Les ruines avaient été découvertes pour la première fois quelques mois plus tôt par un berger en train de s’occuper de son troupeau. Les Drakéides élevaient des moutons et d’autres animaux tout comme les humains, et l’un d’entre eux avait été en train de les mener par la colline lorsqu’il avait trébuché sur un caillou.
 
Après s’être pratiquement fracturé le pied en essayant d’y donner un coup de pied, le Drakéide avait creusé un peu et compris que le caillou n’était pas un simple caillou mais faisait partie d’un bâtiment. Et lorsqu’il avait fait des fouilles avec quelques amis, ils avaient découvert que le bout de ruine était en réalité une petite partie de toute une structure enterrée sous terre.
 
Et une fois que les Antiniums eurent été sollicités et que des jours et de jours de fouilles eurent lieu, la cité avait découvert que la colline sous laquelle avait été trouvé le bâtiment n’était pas tant une colline que la totalité de la structure.
 
Aujourd’hui, les ruines étaient à moitié exhumées de la colline, l’entrée de pierre noire béant à la lumière du soleil. Ceria, Gerial et le reste des Cornes d’Hammerad levèrent les yeux pour l’admirer.
 
Un mur de roche noire. Une entrée de pierre gravée et, par endroits, des fenêtres ouvertes qui permettait de ventiler la structure massive.
 
Vues de près, les solides portes de pierre étaient encore plus imposantes. Bien qu’une partie de la terre qui recouvrait la structure avait été dégagée, il était clair que ce… bâtiment était gigantesque et sur une échelle entièrement différente des constructions de Liscor.
 
Le toit n’avait pas été dégagé, pas plus que les étages inférieurs de la structure. Apparemment, un Antinium avait creusé en allant de plus en plus en profondeur, mais il avait fait plus de trente mètres sans trouver le fond de ces ruines massives. La cité avait décidé de ne creuser que ce qui était nécessaire, et c’est pour cette raison que la porte d’entrée avait été dégagée mais qu’on avait laissé le reste du bâtiment tranquille.
 
Cela rendait la vision de l’entrée noire dépassant du flanc de la colline recouverte d’herbe et de fleurs encore plus étrange. Et dérangeante. Deux créatures massives faisant deux fois la taille de Calruz pouvaient aisément passer à travers les portes massives et on pouvait y faire passer deux wagons en même temps. À côté d’elles, la grande assemblée d’aventuriers dressés devant l’entrée en apparaissait comme diminuée.
 
Peut-être qu’il y avait eu jadis une fresque ou des décorations quelconques sur la façade, mais le temps avait estompé tous les détails. Et de plus, les majestueuses portes de pierre n’étaient là que pour livrer un message. Personne n’était censé pénétrer facilement ce lieu.... ou en sortir.
 
“Dieux, j’avais vu ça de loin, mais c’est encore autre chose vu de près.”
 
Gerial secoua la tête en levant les yeux sur les ruines en compagnie de Ceria. Elle acquiesça.
 
“Les Ruines d’Albez semblent petits à côté de celles-ci. Enfin, elles sont plus étalées dans l’espace, mais tout de même.”
 
“Regardez-moi ça.”
 
Sostrom pointa un côté des portes du doigt. Mis à part le village miniature composé de commerçants hardis, d’aventuriers, et de badauds curieux qui avait poussé autour des ruines, un autre groupe occupait déjà la zone.
 
Environ quinze guerriers armés, principalement des Drakéides et quelques Gnolls - étaient assis ensembles autour d’un feu de camp, en train de discuter et de manger tandis que deux d’entre eux montaient la garde aux portes.
 
Hunt gronda du fond de la gorge et saisit la masse accrochée à sa ceinture en observant le groupe d’un œil mauvais.
 
Encore des aventuriers ? Je croyais qu’on était les seuls à entrer. S’ils essaient de nous couper l’herbe sous le pied…”
 
Olesm secoua la tête avant que quiconque n’ait eu le temps de réagir.
 
“Ce ne sont pas des aventuriers. C’est la Garde locale.”
 
“La Garde ? Que font-ils ici ?”
 
Ceria hocha la tête en direction du groupe de gardes puis pointa du doigt un autre groupe de guerriers assis en face d’eux. Ils n’avaient pas fait de feu, mais ils surveillaient aussi les portes.
 
“Il y a plusieurs équipes d’aventuriers Bronzes en poste de surveillance permanent en plus de plusieurs membres de la Garde. On dirait que cet endroit crache des monstres régulièrement. Rien de plus dangereux qu’une bande de zombies ou la faune locale, mais ils restent prudents.”
 
Hunt se détendit et le reste des Cornes d’Hammerad acquiesça. Ils n’avaient pas l’habitude qu’une milice urbaine soit si active, mais tous étaient familiers de la notion de surveillance de donjon.
 
“Heureusement qu’on entre aujourd’hui. Sinon la ville posera probablement une requête pour nettoyer cet endroit dans un mois ou deux.”
 
“Ce n’est pas impossible qu’ils le fassent quand même. À moins qu’ils ne détruisent ce maudit endroit, quelque chose viendra y faire son nid.”
 
“C’est vrai.”
 
Gerial acquiesça pour marquer son accord en étudiant l’imposant bâtiment. Clairement, c’était un problème qu’elle soit si proche de la ville. Elle attirerait sans doute des monstres et, pire, leur fournirait un lieu où se reproduire.
 
Ce n’était pas comme si les monstres apparaissaient par génération spontanée. Sauf ceux pour lesquels c’était le cas, évidemment. Mais les cavernes, les bâtiments abandonnés, et les sites magiques avaient tendance à attirer les monstres comme le miel attire les abeilles. Les monstres se reproduisaient dans les ténèbres ou s’y réanimaient dans le cas des morts. Parfois, ils s’entretuaient, mais la plupart du temps ils vivaient dans une harmonie dérangeante… jusqu’à ce que l’aventurier malchanceux tombe dans leur repaire.
 
“Voilà Yvlon. Allez, on y va.”
 
Calruz avait enfin repéré la personne qu’il cherchait. Il se mit à avancer vers Yvlon et son groupe d’aventurières équipées d’armures en métal argenté poli. Gerial accéléra le pas pour arriver pile au même moment que son Capitaine. Calruz n’avait pas le temps pour ce genre de détails, mais la courtoisie élémentaire était importante. C’était l’une des rares choses desquelles se plaignait Gerial et le Minotaure l’oubliait souvent.
 
Mais Yvlon n’était pas le genre de personne assez mesquine pour être gênée par ce genre de choses.  Elle sourit à Gerial et Calruz lorsqu’ils s’approchèrent et son cœur rata un battement. Elle était vraiment belle. Presque aussi belle que Ryoka, mais en différent, bien sûr…
 
“Calruz. Gerial. Je suis heureuse de voir que votre équipe est arrivée à temps. Tout le monde s’est déjà rassemblé. Pouvons-nous commencer ?”
 
“Pourquoi perdre du temps à attendre ?”
 
Yvlon acquiesça. Elle recula et laissa Calruz la dépasser. Gerial appela les Cornes d’Hammerad et ils se joignirent au groupe d’aventurier en train d’attendre devant les portes.
 
Ceria avança avec les Cornes d’Hammerad, se fondant avec le corps principal des aventuriers en levant les yeux pour regarder les portes sombres. C’était difficile - même pour quelqu’un qui avait vécu aussi longtemps qu’elle - de rester immobile dans cette foule. Et en effet, le reste des aventuriers autour d’elle ne cessaient de s’agiter, se déplaçant avec la même énergie qu’elle ressentait.
 
Ils étaient tellement nombreux ! C’était une foule d’aventuriers semblable à celle d’un jour en heure pleine à la Guilde des Aventuriers, mais ici, chacun était de rang Argent. Ils laissèrent les Cornes d’Hammerad se joindre à eux, les saluant avec bonhomie et échangeant des tapes dans le dos dans le cas des guerriers, des hochements de têtes polis et occasionnellement la claque qui manquait systématiquement de rompre une colonne vertébrale dans le cas des mages.
 
À la tête de la foule, Yvlon et Calruz rejoignirent les trois autre capitaines. Lir, Geral, et Cervial hochèrent la tête à l’attention du Minotaure et de l’aventurière et la foule se tut.
 
L’aventurière blonde leva les mains pour demander le silence, mais il n’y avait déjà aucun bruit. Les aventuriers - et, d’ailleurs, la grande foule de badauds - attendaient, dans l’expectative, retenant leur souffle.
 
“Capitaines, je suis ravie de vous voir tous présents. Êtes-vous tous prêts ?”
 
Ils acquiescèrent. Calruz fut le premier à reprendre la parole. La voix grondante du Minotaure était assez forte pour être clairement entendue même du fond de la foule.
 
“Les Cornes d’Hammerad sont toutes rassemblées ici.”
 
“Les Francs-Tireurs sont tous prêts à partir.”
 
“La Fierté de Kyrial est armée et prête à se battre !”
 
“Nous autres du Cercle de Reneë avons préparé nos sorts.”
 
“Et les Lances d’Argent sont réunies.”
 
Yvlon hocha la tête à l’attention du reste des Capitaines aventuriers et haussa la voix pour s’adresser à la foule.
 
“Je suis ravie de voir que tout le monde est présent. Mais je n’en attendais pas moins des meilleurs aventuriers de ce côté du continent ! Nous sommes ici aujourd’hui pour entrer dans l’histoire en pénétrant dans les Ruines de Liscor. Nous ne savons pas exactement ce qu’il y a là-dessous, mais nous savons que quelque chose de dangereux s’y tapit. Et là où il y a du danger, il y a des trésors et de la gloire.”
 
Les aventuriers s’agitèrent à ces propos. Yvlon parlait leur langage, et son regard était ouvert et honnête. Elle ne mentait pas au sujet du danger et ils appréciaient cela.
 
“Certains d’entre nous périront peut-être dans cette expédition. Si les seigneurs le permettent, il y en aura peu, voire aucun. Mais je jure que chacun d’entre vous recevra une partie de la récompense, et que vos familles et vos proches ne seront pas sans le sou si vous veniez à tomber. C’est ls serment que je prête à toutes mes Lances d’Argent et c’est celui que je vous offre aujourd’hui.”
 
Elle secoua la tête, et sa chevelure d’un blond doré s’agita dans les airs, accrochant la lumière. Ceria ne put s’empêcher de sourire : Yvlon savait forcément exactement ce qu’elle faisait et la manière dont son armure et sa chevelure brillaient.
 
“Mais assez de pensées sinistres. Nous nous préparons à entrer dans les Ruines. Armez-vous de courage. Ayez confiance les uns envers les autres .Nous savons ce que nous devons faire. Calruz, tes Cornes d’Hammerad, et Gerald, ta Fierté de Kyrial, avez été choisis pour mener cette expédition. Nous en ferez-vous l’honneur ?”
 
Calruz et Gerald acquiescèrent. Ils avancèrent d’un pas vers l’entrée et levèrent le poing.
 
“La Fierté de Kyrial… en formation !
 
“Suivez-moi, Cornes d’Hammerad.”
 
C’était le signe qu’ils attendaient. Ceria sortit de la foule, ignorant les regards des autres aventuriers. Certains de leur groupe ne furent pas aussi gracieux et trébuchèrent, ou rougirent, mais ils se mirent en formation derrière Calruz, le Minotaure debout à côté de Gerald.
 
L’homme massif vêtu d’armure et armé d’une hache de guerre presque aussi large que celle de Calruz fronça les sourcils en voyant Olesm se joindre aux aventuriers.
 
“Qui est le Drakéide ? Je croyais qu’on avait convenu de n’embaucher personne d’autre, Yvlon.”
 
Olesm sursauta et ses écailles perdirent de leur couleur, mais Yvlon secoua la tête.
 
“C’est un [Tacticien], pas un guerrier, Gerald. Niveau 24. Il est venu nous voir hier. Je pensais que tu serais d’accord pour dire qu’il nous sera forcément utile.”
 
Gerald fronça les sourcils, mais Yvlon avait raison. Il hocha la tête à contrecœur.
 
“Humph. Très bien. tant qu’il ne se met pas à essayer de nous donner des ordres”.
 
“Oh, jamais je ne ferais ça. Je suis juste ici pour aider.”
 
“Bien.”
 
“Tu as fini ?”
 
Gronda Calruz à Gerald. Il soufflait plus fort, et ses yeux étaient plissés tandis qu’il essayait de percer les ténèbres des ruines. Gerald ouvrit la bouche pour rétorquer quelque chose, puis il se ravisa.
 
“J’ai fini. On s’y met ?”


“Oui. Commençons.”



Les deux Capitaines Argent échangèrent un regard. Puis, d’un geste commun, ils détachèrent leurs haches de guerre. Ce n’était que pour le spectacle - aucun aventurier ne s’attendait à se faire attaquer dès l’instant où ils pénétreraient dans les ruines, mais la foule adora.
 
Les aventuriers et les civils lancèrent des vivats et des encouragement lorsque Calruz et Gerald avancèrent dans les ruines, les armes levées. Leurs vice-capitaines, Gerial et un grand homme nommé Ulgrim, les suivirent. Ceria était juste derrière Gerial lorsqu’ils pénétrèrent dans les ténèbres. Elle tint sa baguette brillante prête tandis que les aventuriers autour d’elle allumaient des torches ou jetaient des sorts de [Lumière].
 
Les ténèbres enveloppèrent les aventuriers alors même qu’Yvlon et les deux autres capitaines se mirent à faire suivre leurs équipes. Ceria sentit l’air changer, devenir mort et rance alors que les ténèbres se refermaient derrière eux. L’herbe et la terre furent remplacée par de la roche sculptée, et leurs pas se mirent à résonner dans le silence.
 
Les aventuriers se préparèrent à toutes les éventualités. Ils pouvaient le sentir. Ils avaient violé le sanctuaire de ce lieu sombre, et ils ne partiraient pas avant d’en avoir découvert tous les secrets.
 
C’était parti.
 
***

“Tu sais, je pensais qu’il se serait déjà passé quelque chose à ce stade.”
 
“Oh vraiment ? Tu n’as pas exploré beaucoup de donjons en ce cas.”
 
Même dans la lumière dansante de leur torche, Ceria put voir qu’Olesm rougissait.
 
“C’est mon premier, pour tout dire.”’
 
“Oh ? Ne te paralyse pas et tout ira bien. De plus, quand ce sera fini tu pourras tout raconter à tes amis. Je suis sûre qu’Erin serait très impressionnée. Tout le monde aime les aventuriers… expérimentés. Surtout ceux qui ont de grosses… épées. Et qui ont déjà exploré beaucoup de donjons, bien sûr.”
 
Ceria s’amusait beaucoup à voir à quel point elle pouvait faire rougir les écailles d’Olesm. Le Drakéide s’éclaircit la gorge et chercha rapidement un autre sujet.
 
“Ces pièces… sont plutôt étranges, non ?”
 
Ceria acquiesça. Cela faisait quinze minutes que l’expédition avait commencé, mais pour le moment les aventuriers n’avaient vu que très peu de choses. Ils avaient traversé une sorte de long corridor d’entrée, et avaient débouché dans de grandes salles ouvertes avec peu d’ornementations et beaucoup de poussière. Leur groupe s’était divisé - des éclaireurs du groupe de Cervial partant devant tandis que le groupe principal visitait chacune des pièces, mais ils n’avaient pas trouvé grand-chose.
 
“Des sièges cassés, du métal… je ne vois pas. Cela fait trop longtemps et tout a été tourné en poussière à présent. C’était peut-être une sorte de temple à l’époque ? Un énorme temple.”
 
“Ça doit être antique. Beaucoup plus vieux que Liscor. Je n’imagine pas comment ils ont fait pour construire tout ça - et en pierre en plus ! Ils doivent avoir eu des centaines, des milliers d’ouvriers ou une espèce de magie très puissante.”
 
Ceria acquiesça en contournant une table qui s’était effondrée par terre et avait probablement été en mesure d’accueillir une vingtaine d’invités à la fois.
 
“Un autre temps. Un autre monde. Ils savaient comment construire à l’époque. Est-ce que cela pourrait être une Ville Emmurée, peut-être, qui aurait été oubliée avec le temps ? Ou quelque chose comme Liscor ?”
 
“Le style de l’entrée suggère certainement cela. Bien sûr, il faut un toit ou de la bonne magie quand la saison des pluies arrive. Je suppose que mon peuple aurait pu construire cela.”
 
Olesm regarda autour de lui et frissonna. Ceria savait ce qu’il ressentait. Elle ne se sentait pas plus à l’aise dans les salles sombres qui résonnaient au moindre bruit que lui. Elles avaient beau être spacieuse, elle se sentait serrée, confinée. Elle pouvait gérer la sensation, mais Olesm était nerveux et bavardait pour calmer son stress, et elle n’avait pas de problème à discuter.
 
Ce n’était pas comme si le reste des aventurier ne papotait pas. Les éclaireurs et les meneurs étaient silencieux en marchant devant, mais le groupe principal d'aventuriers discutait doucement, en maintenant une conversation légère, en plaisantant, tout ce qu’il fallait pour éloigner la tension.
 
“Donc… je suis avec ton groupe. Les, ah, Cornes d’Hammerad ? J’ai bien peur de ne pas bien les connaître. Liscor n’avait jamais eu autant d’aventuriers prestigieux auparavant.”
 
Ceria haussa les sourcils.
 
“Prestigieux ? Tu as entendu ça Gerial ? J’aimerais bien avoir ce genre de célébrité.”
 
Gerial regarda derrière lui et sourit d’un air ironique à Ceria. Olesm était perdu.
 
“Mais vous êtes des aventuriers Argent. Je m’étais dit que…”
 
“Ceria vous taquine Monsieur, ah, Olesm. Nous sommes plutôt connus localement. C’est simplement que nous sommes loin d’être les seules équipes Argent du nord. Et si on compte les cités côtières… eh bien, il y a beaucoup d’Ors, équipes comme aventuriers, et on ne peut guère se comparer à eux. »
 
“Eh bien, ma foi, vous m’avez l’air compétents. Que fait votre groupe ? À part explorer les ruines, bien sûr.”
 
Gerial sourit.
 
“Nous nous spécialisons dans l’élimination de monstres. Si un groupe de monstres cause problème et infeste une région, nous sommes d’ordinaire l’un des premiers groupes à répondre à l’appel. Les Cornes d’Hammerad sont un groupe de combat rapproché. Nous nous précipitons sur l’ennemi pendant que nos mages nous couvrent. Le groupe de Gerald, la Fierté, est pareil que nous.”
 
“Oh je vois, je vois. Et les Lances d‘Argent ?”
 
“Fortes en défense, en coordination, en stratégie : une solide équipe. Les Francs-Tireurs, de leur côté, font beaucoup de missions d’éclairage et de chasse de monstres qui se cachent.”
 
“Et le… Le Cercle ? Ce sont tous des mages. C’est habituel ?”
 
Ceria haussa les épaules.
 
“Pas habituel, mais pas inhabituel non plus. Ils prennent presque toutes les requêtes. Mais ils ont plutôt mauvaise réputation.”
 
“Pourquoi donc ?”
 
Ceria sourit.
 
“Parce qu’ils s’enfuient régulièrement.”
 
Un mage un peu plus loin l’avait entendue. Il se tourna et adressa un doigt à Ceria qui sourit et lui fit un signe de la main pour s’excuser. Radouci, la mage retourna à sa conversation.
 
Baissant la voix afin de ne pas être entendu, Gerial murmura à Olesm.
 
“S’ils sont à court de mana ils ne peuvent pas faire grand-chose. Donc oui, souvent, l’équipe de Lir abandonne une mission si quelque chose les fait consommer toutes leurs potions ou si l’ennemi est plus nombreux ou plus fort qu’ils ne l’avaient prévu.”
 
“Oh. Je vois.”
 
“Ils font du bon boulot la plupart du temps, cependant.”
 
Gerial acquiesça.
 
“Mais ils ont leur propre style. Ils prennent en priorité les contrats lié à la magie. C’est leur spécialité, comme Cervial et ses archers et Yvlon et ses armures argentées.
 
“Est-ce que les Cornes d’Hammerad ont, euh, une particularité ?”
 
“... pas tant une particularité qu’un code. Nous ne brisons pas nos promesses. Nous ne battons pas en retraite et si on doit abandonner un travail, on rembourse tout ce qu’on avait pris d’avance.”
 
Gerial murmura dans sa moustache.
 
“La mort avant le déshonneur.”
 
“Vraiment ?”
 
“C’est notre règle de vie. Notre leader est Calruz. Et tu sais comment sont les Minotaures.”
 
“Oh. Bien sûr.”
 
Olesm resta silencieux pendant un moment tandis que les aventuriers continuaient d’avancer. Ils atteignirent une sorte de salle d’audience avec un large autel sur le devant. Ceria le pointa du doigt pendant que les Capitaines annonçaient une petite pause.
 
“Regardez-moi ça. On voit que l’endroit est vieux, ils avaient un endroit pour prier.”
 
Yvlon acquiesça.
 
“Certes. Qu’en dis-tu, Olesm ? Est-ce que cet endroit a été bâti par ton peuple ?”
 
Il ne put que hausser les épaules d’un air impuissant.
 
“On dirait, en tout cas. Comment expliquerait-on sinon que ce soit si près de Liscor ?”
 
“Et si c’était le cas, est-ce que l’on pourrait y trouver beaucoup de trésors ?”
 
Chaque aventurier à portée de voix se retourna vers Olesm, dans l’expectative. Il réfléchit et acquiesça.
 
“Oh, définitivement, oui. On adore collectionner des choses. On descend des dragons, après tout. SI cet endroit était important, je m’attends à trouver une sorte de coffre-fort.”
 
À ces mots, les aventuriers se rassérénèrent, y compris Gerial et Ceria. Savoir que leurs efforts ne seraient probablement pas en vain était toujours bienvenu.
 
Ils s’apprêtaient à se remettre en marche lorsqu’une voix tonitruante coupa les murmures des conversations.
 
“Contact.”
 
À ce mot, chaque aventurier redressa la tête et ils guettèrent le moindre mouvement. Mais la personne qui avait parlé faisait passer un message des éclaireurs.
 
“L’un de nos éclaireurs a trouvé un nid d’Araignées Cuirassées. Ces maudites bestioles doivent déjà être en train d’infester la zone.”
 
Plusieurs aventuriers poussèrent des jurons, mais Gerald les fit taire d’un mouvement sec d’une main.
 
“Fermez-la. De quelle taille est le nid ?”
 
“Pas très gros. À peu près huit adultes et quelques douzaines de jeunes, à ce qu’on a pu voir. Il y en a peut-être plus dans une autre pièce, mais ils n’ont mis de la toile que dans une salle pour le moment.”
 
Gerald se tourna vers Olesm.
 
“Tu es l’expert local. Que nous conseilles-tu ?”
 
Le Drakéide hocha la tête.
 
“Les Araignées Cuirassées craignent le feu. Deux mages avec des guerriers armées les protégeant avec des boucliers devraient être en mesure de brûler le nid s’ils connaissent le sort de [Boule de feu] ou équivalent.”
 
Yvlon acquiesça.
 
“Mon équipe peut se charger du combat. Lir, si tu veux bien envoyer quelques mages… ?3
 
“Ça marche.”
 
L’éclaireur mena un détachement de neuf aventuriers tandis que les autres se préparaient à repartir. C’était l’avantage des grands groupes. Ils pouvaient continuer à avancer même lorsqu’ils tombaient sur de petits groupes de monstres.
 
Leurs pas les menèrent plus en avant, à travers des salles sinueuses. Si les ruines avaient été entièrement exhumées, ils auraient pu avancer beaucoup plus vite, mais les excavateurs et les aventuriers qui étaient venus avant eux avaient creusé au hasard et créé un labyrinthe dans le labyrinthe. L’expédition dut s’arrêter plus d’une fois pour recreuser un tunnel effondré.
 
Cervial secoua la tête lorsqu’ils passèrent devant un corridor bloqué par un mur de terre.
 
“Je n’aime pas ces zones enterrées. N’importe quoi pourrait creuser un chemin pour nous tendre une embuscade.”
 
Yvlon réfléchit à la situation. Lir lui tapota l’épaule et désigna sa baguette d’une main.
 
“Nous n’avons pas le temps de tout bloquer. Que dirais-tu de simplement poser des alarmes qui sonneront si quelque chose passe devant ?”
 
Elle jeta un œil à Calruz et Gerald. Ils hochèrent la tête.
 
“Ça m’a l’air bien. Faites-le.”
 
Ils laissèrent quelques mages et guerriers prendre soin de poser les alarmes et poursuivirent leur route. Environ trente minutes plus tard, ils atteignirent un long, très long couloir assez large pour que huit personnes y marchent côte à côte lorsqu’ils entendirent un cri.
 
Cette fois-ci, ils virent une femme courir vers eux. C’était une [Voleuse], et ses pieds ne faisaient presque aucun bruit malgré sa course. Elle s’arrêta et, pantelante, délivra son message tandis que d’autres éclaireurs les rejoignaient.
 
“Des zombies. Au moins trente devant. Probablement plus. Ils arrivent d’en bas.”
 
Cette fois-ci, tous les aventuriers sortirent leurs armes. Olesm tira maladroitement son épée de son fourreau et les Capitaines échangèrent un regard.
 
“Mon équipe va aller au front…”
 
“Laissez mes archers les affaiblir d’abord. On pourra en achever au moins la moitié dans cette zone dégagée. Gardez votre énergie.”
 
“Bien. Essayez de ne pas gaspiller de magie pour le moment si on peut l’éviter. En formation !”
 
Calruz se retourna et se mit à crier des ordres aux Cornes d’Hammerad tandis que le reste des capitaines faisaient de même. Les aventuriers comprenaient sans avoir besoin qu’on le leur dise ce qu’ils devaient faire et se mirent immédiatement en position, mais Olesm cligna des yeux, déboussolé.
 
“Par ici.”
 
Ceria le tira dans la ligne derrière les guerriers, qui formaient une ligne de boucliers   et d’armes en alternance de manière à pouvoir battre en retraite si besoin. Les mages attendaient au fond, prêts à lancer des sorts au besoin tandis que Cervial emmenait son équipe sur le front.
 
Huit aventuriers, y compris lui-même, encochèrent des flèches sur une série d’arcs. Plusieurs arcs longs et arcs courts, mais également une arbalète Naine et deux frondes. Cervial tenait l’arbalète, visant calmement en s’agenouillant avec un genou levé pour stabiliser l’arme.
 
Il leva une main. Les aventuriers, déjà silencieux, ne firent plus un bruit.
 
“Je les entend.”
 
Ceria aussi les entendait. Et bientôt, chaque humain put entendre l’écho des pieds rapides s’entrechoquant au loin. Le bruit était faible, mais il s’amplifiait.
 
Olesm tremblait d’énergie nerveuse. Ceria aurait voulu le calmer, mais elle avait peur que le toucher ne le fasse crier. Donc elle attendit.
 
Les sons s’amplifiant, elle commença à entendre des gémissements et des grondements au loin. Les zombies faisaient du bruit. Elle vit les yeux de Cervial se plisser, et il leva l’arbalète.
 
Le carreau se relâcha avec un bruit sec et deux des aventuriers à arcs longs tirèrent aussi. Ceria ne pouvait même pas voir aussi loin dans les ténèbres, mais Cervial hocha la tête.
 
“J’en ai eu un.”
 
Un membre de son équipe acquiesça et l’autre secoua la tête.
 
“J’en ai eu un dans la jambe.”
 
“Tir en pleine poitrine. Ça ne l’a même pas ralenti.”
 
Ils rechargèrent leurs armes en discutant. En quelques secondes, ils levèrent leurs arcs et tirèrent de nouveau. Ils firent cela deux fois de plus avant que les zombies n’apparaissent dans la lumière des aventuriers.
 
Des cadavres coururent sur les aventuriers. Des cadavres revenus à la vie. Ils n’étaient pas humains. Impossible, avec leurs chairs tellement pourries que les intestins et les os sortaient à travers leur peau morte. Ils étaient sombres, aussi, certains verts de champignons et de pourriture, d’autres bleus ou noirs dans la mort, leur peau relâchant un peu de leurs intérieurs liquéfiés.
 
Olesm déglutit lorsqu’ils apparurent dans son champ de vision, mais l’équipe de Cervial n’hésita pas. Chaque arme se dressa et ils se mirent à tirer, les frondes faisant tournoyer de lourdes pierres dans les yeux et les visages des zombies tandis que les flèches en déchiraient d’autres.
 
Un carreau de l’arbalète noire traversa les têtes de deux zombies, faisant trébucher leurs compagnons lorsqu’ils se précipitèrent sur les aventuriers.
 
Dix zombies tombèrent. Puis douze. Puis seize. Lorsqu’ils ne furent plus qu’à six mètres, Cervial bondit sur ses pieds.
 
“On recule !”
 
Le reste de son équipe se précipita à travers les interstices dans la ligne de front que les guerriers leur avaient laissés. Instantanément, les aventuriers au front serrèrent les rangs. Les zombies fondirent sur eux, mordant, les bouches béant de manière obscène alors qu’ils se précipitaient sur les aventuriers.
 
Calruz était devant à côté de Gerial. Ceria le vit lever sa hache, mais pas pour la balancer sur le zombie qui lui courait dessus. Il se contenta de regarder le zombie droit dans les yeux et de tendre le bras.
 
Les lames aiguisées de la hache de guerre s’écrasèrent contre le torse du zombie, le faisant s’envoler en arrière. Il retomba et Calruz assena sa hache d’un air nonchalant sur ses côtes. Les os se brisèrent et le zombie s'immobilisa.
 
Le reste des aventuriers traitèrent la charge des zombies sensiblement de la même manière. Des boucliers enfoncèrent les corps frêles, les forçant à reculer tandis que des épées, des haches, et des masses leur rentraient dedans, écrasant leurs crânes, arrachant leurs têtes. Il n’y avait même pas une once de combat à la loyale. Les aventuriers travaillaient en tandems, étaient largement plus nombreux que les morts, et avaient des Niveaux et des Compétences. Les morts n’avaient que leurs corps pourrissants, et, rapidement, même plus cela.
 
Lorsque le dernier zombie rampant eut été achevé, Yvlon regarda autour d’elle.
 
“Y a-t-il des blessés ? Des blessures à soigner ?”
 
Il n’y en avait pas. Elle alla inspecter les corps avec Cervial et quelques autres éclaireurs.
 
“Hm. Regarde ça, Yvlon.”
 
Cervial lui montra certains cadavres. Yvlon vit des visages humains dévastés, leur chair empestant la décomposition. Elle toussa et un mage murmura un sort.
 
“[Vent Purifiant].”
 
“Merci. Qu’est-ce que je suis censée voir, Cervial ?”
 
“Ça. Ces zombies sont principalement des humains. Et leur mort est récente. Si ce n’était pas le cas, on se battrait contre des squelettes.”
 
“Ce sont encore des aventuriers qui sont venus avant nous ?”
 
“C’est très probable. Mais regarde derrière eux ?”
 
Yvlon vit ce dont il parlait.
 
“Des Drakéides. Et très pourris, avec ça.”
 
“Mais pas assez pour être inutiles. On dirait un sort de conservation, su tu veux mon avis. Quelque chose les empêche de pourrir.”
 
“Ou restaure leurs chairs. Merveilleux. Est-ce que tu penses que la menace principale sera les morts-vivants, alors ?”
 
“Ils attaquent régulièrement le reste des monstres. Je parierais bien là-dessus, oui.”
 
Cervial sourit, ses dents réfléchissant la lumière des torches. Mais son sourire s’effaça.
 
“Mais quand même, c’était un sacré groupe. Pas vraiment un petit comité d’accueil, pas vrai ?”
 
Yvlon secoua la tête.
 
“Pour une première rencontre ici ? Je dirais que c’était un groupe raisonnablement petit.”
 
L’homme hocha la tête, mais il semblait toujours perturbé.
 
“Les zombies peuvent sentir la présence des vivants. C’est naturel qu’ils nous aient sentis et soient venus nous attaquer, on est tellement nombreux.”
 
Il marqua une pause.
 
“Mais tout de même. C’était un peu trop facile et rapide à mon goût. Normalement, je m’attendrais à ce qu’ils se propagent en nous sentant, et qu’ils se suivent les uns les autres, pas qu’ils nous chargent tous d’un seul coup comme ça.”
 
La femme en armure prit le temps de réfléchir.
 
“Ça pourrait être une coïncidence.”
 
“Ou pas.”
 
Elle hocha la tête à l’attention des éclaireurs.
 
“Restez sur vos gardes.”
 
Ils acquiescèrent, et disparurent devant, la lumière de leurs torches rapidement étouffées par les ténèbres.
 
Lorsque Ceria retrouva Olesm, il tremblait, mais pas de peur après la courte bataille. Il regardait les morts, réprimant sa nausée jusqu’à ce que le vent magique chasse la puanteur.
 
“C’était tellement… impressionnant ! Ils étaient tellement nombreux, mais vous vous en êtes débarrassés comme s’ils étaient… comme si…”
 
Le Drakéide tenta de claquer ses doigts tremblants. Ceria sourit.
 
“Les si n’avaient rien à voir là-dedans. Le bon vieux métal s’est chargé de tout, en l’occurrence. Ce qui est une bonne chose. Si on avait dû commencer à jeter des sorts pour une poignée de morts-vivants, on serait mal partis.”
 
“Ceria !“
 
La demie-Elfe leva les yeux. Yvlon lui faisait signe à côté du reste des Capitaines. Elle faisait également signe à Olesm.
 
Ceria s’approcha, Olesm sur ses talons. Yvlon leur sourit à tous les deux.
 
“On n’est pas trop mal partis, non ? On travaille bien ensemble.”
 
“Mais tout de même, c’était beaucoup de morts-vivants. Est-ce qu’on doit s’attendre à ce qu’il y en ait plus devant ?”
 
“C’est plus que probable. On était en train de se demander si ce ne serait pas le moment d’utiliser ton sort d’[Illumination], Ceria. Qu’en penses-tu ?”
 
Ceria hésita.
 
“Je ne peux pas me servir des lumières pour illuminer des endroits où je n’ai pas encore été. Je pourrais m’en servir pour illuminer le chemin qu’on a parcouru mais… je pense qu’on devrait attendre. Ce n’est pas comme si on était tellement loin de la sortie qu’on aurait du mal à trouver le chemin du retour, et quand je le jetterai, il faudra que ce soit à un endroit où on voudra rester un petit moment.”
 
Yvlon acquiesça.
 
“Quand on montera le camp, alors. On trouvera un endroit. Mais on a encore des heures devant nous avant de devoir nous reposer donc on va attendre.”
 
“Est-ce qu’on va se remettre à avancer maintenant ?”
 
“Presque. Les éclaireurs disent que le corridor commence à s’incliner vers le bas. C’est l’endroit qui mène au deuxième sous-sol.”
 
“C’est là où le reste des équipes ont disparu.”
 
“Exactement. On va y entrer prêts pour toutes les éventualités.”
 
Gerald et Calruz étaient en effet en train de mettre tous les meilleurs aventuriers au front, créant un mur de chair et de métal, tandis que les mages et les aventuriers à armes à distance se mettaient derrière.
 
“Je reste au centre tandis que l’équipe de Cervial forme l’arrière-garde. Est-ce que tu voudras bien marcher avec moi, Ceria ?”
 
“J’en serais ravie. Olesm ?”
 
“Oh, j’en serais honoré. Et ils se mettent en mouvement. Est-ce qu’on y va… ?”
 
Yvlon et Ceria avancèrent en position au milieu du groupe. Les Lances d’Argent se dispersèrent pour couvrir le corridor de part en part, formant une deuxième ligne qui pourrait tenir si le front devait se replier.
 
L’aventurière humaine et Ceria papotèrent doucement tandis qu’Olesm traînait derrière eux, essayant, mal à l’aise, d’entretenir une conversation avec Sostrom en descendant le long de la pente de plus en plus inclinée du corridor.
 
“Je suis contente que tu ne m’en veuilles pas.”
 
“T’en vouloir ? Pourquoi donc ?”
 
Yvlon sourit d’un air piteux.
 
“J’ai l’impression que j’ai en grande partie déclenché le… l’incident avec Ryoka, quelques jours plus tôt. Je n’avais vraiment pas prévu de causer tant de problèmes.”
 
Ceria haussa les épaules, mal à l’aise.
 
“C’était principalement sa faute.”
 
“Mais tout de même. Ma tante avait souligné à quel point elle voulait rencontrer cette Coursière, et je n’arrivais pas à comprendre pourquoi. Je voulais la tester, mais pas la faire sortir de ses gonds.”
 
“Cette fille n’a que des gonds. Je ne comprends pas pourquoi Magnolia… enfin, il y a quelques détails qui me frappent chez elle. Mais pourquoi est-ce que la Lady de Reinhart voudrait dépenser autant d’énergie sur elle me dépasse.”
 
“Cela me dépasse aussi, pour tout dire. Ma tante ne se confie à personne, et ses intérêts sont… éclectiques. Mais j’espère vraiment que Ryoka ne fera rien d’inconsidéré. Une fois qu’on tombe dans les machinations de ma tante, c’est difficile d’en sortir.”
 
Ceria était surprise. Elle observa Yvlon à la lueur dansante des torches et vit l’aventurière sourire.
 
“Tu ne veux pas capturer Ryoka pour gagner ses faveurs ?”
 
“Disons que j’admire son indépendance, sinon son sang-froid. De plus, ce n’est pas bon pour Tante Magnolia de toujours obtenir ce qu’elle veut. Attend, qu’est-ce que c’est que ça ?”
 
Les aventuriers s’étaient arrêtés dans une grande pièce ouverte, emplie d’autels de pierre et des restes de tables en bois. Et, curieusement, des dalles en pierres surélevées, placées de manière symétrique autour de la pièce.
 
“Une autre salle de prières ? Que c’est étrange. Mais c’est définitivement un temple, alors.”
 
“Mais pourquoi mettre le sanctuaire sous le sol ? Ça n’a aucun sens.”
 
Ceria secoua la tête en observant les dalles de pierre disposées autour de la pièce.
 
“Non. C’est… différent de ce qu’on avait au-dessus. À quoi servent ces plaques de pierres ? Elles m’ont l’air… grandes. Assez grandes pour qu’un corps s’allonge dessus.”
 
“Un endroit où dormir ? Mais alors à quoi servent les autels ?”
 
Ceria haussa les épaules. Puis ses yeux s’écarquillèrent.
 
“Je sais. C’est un endroit où mettre les cadavres pour les laver avant de les enterrer. Ce n’est pas un temple. C’est une crypte.”
 
Les aventuriers qui l’avaient entendue marmonnèrent, la moitié d’entre eux exprimant leur accord, l’autre moitié exprimant leur inquiétude. C’était à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Ceria entendit Gerial expliquer pourquoi à Olesm derrière elle.
 
“Une crypte ou une tombe, c’est bien, parce qu’il y a probablement des trésors enterrés avec les morts. Mais ça va souvent de concert avec des pièges, d’anciennes malédictions et mauvais sorts sur les couvercles des tombes, et. cætera. Sans parler des morts-vivants.”
 
Yvlon haussa la voix pour se faire entendre des autres.
 
“Ça reste bon signe, toutefois. Nous savons qu’il y a des choses de valeur ici. N’importe quel endroit doté de ce genre d’architecture devait être important.”
 
Gerald acquiesça. Il avait l’air plus heureux que Ceria ne se souvenait de l’avoir jamais vu.
 
“Il pourrait y avoir des artefacts puissants là-dessous. Remettons-nous en route.”
 
“C’est un bon endroit où se replier, par contre. Regardez - il n’y a que deux entrées et on peut se servir de ce long couloir comme zone d'abattage avec nos arcs si besoin.”
 
Cervial montra les différents éléments autour de la pièce. Yvlon et le reste des Capitaines acquiescèrent.
 
“Si on ne trouve rien de mieux, on montera le camp ici. Mais pour le moment… remettons-nous en route.”
 
Les aventuriers se remirent en formation et avancèrent, un peu plus rapidement maintenant qu’ils savaient ce qui les attendait peut-être. Une tombe, ou peut-être une offrande pour les morts. L’idée faisait battre leurs cœurs un peu plus vite, faire des pas un petit peu plus grands.
 
Ceria s’apprêtait à demander plus d’informations sur Ryoka à Yvlon et ce qu’on lui avait dit sur la jeune fille lorsque quelqu’un poussa une exclamation devant. Yvlon et elle pressèrent le pas et découvrirent une fissure dans le chemin.
 
“Qu’est-ce que c’est que ça ? Une fissure dans la route ? De quel côté sont partis les éclaireurs ?”
 
Gronda Gerald tandis que Calruz s’accroupissait au sol et pour chercher des indices.
 
“Pas de marque aux murs. Pourquoi n’ont-ils pas fait demi-tour pour nous prévenir ?”
 
Yvlon fronça les sourcils tandis que Cervial et Lir continuaient à avancer.
 
“En effet, c’est bizarre. Est-ce qu’on devrait leur envoyer un sort pour les contacter ? Lir, tu as dit que ton groupe utilisait un sort de communication courte distance, c’est bien ça ?”
 
Lir acquiesça. Il leva son bâton brillant.
 
“Je vais leur parler. Un inst… attendez, qu’est-ce que c’est que ça ?”
 
La lumière d’un bleu vif qu’émettait son bâton avait illuminé quelque chose un peu plus loin dans le couloir. Lir pointa, et s’approcha de quelque chose au sol, suivi par les autres capitaines.
 
“C’est plutôt gros… un sac ?”
 
C’était en effet un sac, ou plutôt, un énorme fourre-tout ventru posé par terre. Ce n’était pas le seul. Ceria pouvait voir d’autres objets posés au sol, même si la lumière ne les éclairait pas.
 
“Attention, Lir. C’est peut-être un piège.”
 
“Hum. [Détection de Magie]. Rien.”
 
Avec prudence, Lir tâta le sac du bout de son bâton. Il poussa légèrement les bords et quelque chose tomba au sol. Lir abattit le bout de son bâton et ses yeux s’élargirent.
 
“De l’or ? De l’or ?”
 
C’était en effet de l’or. Tandis que le reste des aventuriers s’exclamaient, Lir ramassa précautionneusement l’or et l’examina.
 
“Ce n’est de toute évidence pas une sorte de monnaie. Mais qu’est-ce que c’est ? On dirait… que ça fait partie de quelque chose. Un morceau d’or qui se serait détaché d’un mur ou… ou d’une statue, par exemple.”
 
Geral fronça les sourcils.
 
“Est-ce qu’il y en a d’autres dedans ?”
 
Un aventurier ouvrir précautionneusement le sac et s’exclama, émerveillé.
 
“Encore de l’or ! Et des pierres précieuses ! Dieux, c’est une petite fortune !”
 
Plusieurs aventuriers s’attroupèrent instantanément autour de lui, mais Cervial les repoussa. Il se pencha et ramassa un petit rubis, l’examinant avec attention.
 
“C’est étrange.”
 
“Quoi donc ?”
 
Il montra la gemme à Yvlon et les autres. Ceria pouvait la voir scintiller à la lumière. C’était clairement une pierre de haute qualité mais à la voir, quelque chose qui ne tournait pas rond.
 
“Regardez les bords. C’est de la pierre. Elle était attachée à quelque chose. Un mur peut-être, ou une sorte d’œuvre d’art…”
 
“Tu dis que ça vient d’un autre endroit dans les Ruines. Le butin d’un aventurier… ?”
 
“Forcément. Et les autres… oui, ce sont des sacs plein de butin ! Abandonnés. Pourquoi ?”
 
“Quelque chose les a attrapés. Ou… leur a fait suffisamment peur pour qu’ils lâchent tout et s’enfuient.”
 
“Mais personne n’est jamais revenu du deuxième sous-sol.”
 
Les aventuriers se turent. Ceria sentit un léger picotement de malaise au creux de son estomac.
 
Étrangement, ce fut Olesm qui rompit le silence. Il regarda autour de lui dans les ténèbres, les yeux se tournant vers lui.
 
“Ces éclaireurs. Ils ne nous ont pas indiqué la fissure dans le tunnel. Et ils seraient revenus nous voir. Où sont-ils passés ?”
 
Yvlon ouvrit la bouche, puis ses yeux s’écarquillèrent. Un tiers des aventuriers dans la pièce sursautèrent ou attrapèrent leurs armes. Ceria l’avait senti aussi.
 
Ceria et Yvlon échangèrent un regard.
 
“Mon [Instinct de Survie]...”
 
Une embuscade !
 
Ce fut leur seul avertissement. Quelque chose poussa un cri aigu au loin, puis les murs autour d’eux se fendirent en deux, et les morts se déversèrent sur eux.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 20 juin 2020 à 13:31:09
1.01 H
Traduit par Maroti

Les morts chargèrent tapit dans les ténèbres dans une interminable marée de corps desséchés. Leur chair en lambeau et les yeux brillants dans leurs orbites vides tressaillirent dans les torches et la magie. Les zombies coururent, rampèrent ou titubèrent dans une vague de peau décolorée, mais ils n’étaient pas seul.

Plus de morts-vivants venaient apparaître : des squelettes bondirent sur les aventuriers les plus proches avec une grâce inhumaine ainsi que des goules, la forme évoluée des zombies qui se battaient et bougeaient avec une vitesse et une force surnaturel. Et bien pire encore, de grandes silhouettes et des visages pâles pouvait être aperçus entre les variétés communes des mort-vivants.

« Seigneurs des Cryptes !»

« Non pas un ! Il y a en quatre ! »

« Nous sommes encerclés ! Battez en retraite ! »

« Tenez votre position ! »

La voix massive de Calruz s’éleva au-dessus des autres. Il trancha un zombie en deux en criant aux aventuriers.

« Tenez, bon sang ! Retraitez-vous de manière ordonnée ! Guerriers, tenez la position alors que les mages battent en retraite vers la chambre ! »

C’était impossible de savoir si quelqu’un l’avait entendu. Les mort-vivants venaient de tous les côtés, non pas que des deux passages, mais aussi depuis derrière les aventuriers.

Yvlon et Ceria se tenaient côte à côté, leurs yeux allant de gauche à droite. Les mort-vivants étaient partout. Ils étaient déjà en train d’attaquer les aventuriers autour de Ceria et d’Yvlon, et seule leur position au milieu du groupe leur avait offert une chance de réagir.

Ceria leva sa baguette, mais il y avait trop de corps sur son chemin. Yvlon était dans la même situation. L’aventurière blonde regarda derrière elle. Les aventuriers étaient en train d’essayer de se retraiter, mais un groupe de morts était apparu derrière eux, les maintenant en place.

« D’où est-ce qu’ils viennent ? »

Ceria pointa du doigt.

« Là ! Des passages secrets ! »

Des parties du mur de pierre s’étaient ouvertes pour laisser les mort-vivants se déverser. Ils étaient de petites alcôves, juste assez grande pour laisser un petit groupe se tenir de manière confortable. Mais les morts étaient entassés à l’intérieur, attendant que quelqu’un déclenche leur piège.

Et maintenant, le piège s’était déclenché et ils étaient encerclés par la mort.

Les guerriers devant Ceria étaient en train de lutter contre les mort-vivants, mais ils étaient encerclés, et luttaient pour pouvoir lever leurs armes. Yvlon fit un pas en arrière et donna un coup à une squelette qui était en train de poignarder un mage. La femme s‘effondra, ensanglantée, et disparue sous les jambes des mort-vivants avant que Ceria ne puisse l’attraper.

Désespérément, Ceria s’aligna pour lancer un sort, mais elle était prise au piège. Ils étaient trop proche l’un de l’autre. Elle regarda le dos d’un guerrier en cotte de maille et leva sa baguette. Elle pouvait l’aider avec un sort…

Une énorme main griffue attrapa le guerrier autour de la taille et le tira en l’air alors qu’il hurla. Ceria se figea alors que le monstre mort-vivant qui avait attrapé l’homme en armure le projeta dans la masse de mort-vivant où il faut aussitôt déchiqueter.

Les autres aventuriers autour de Ceria se retraitèrent plutôt que d’être à portée de la chose griffue. Elle essaya de se retraiter, mais le groupe était désormais à son désavantage. Elle était soudainement en première ligne et le monstre était en face d’elle. Ce n’était pas un zombie. Elle savait qu’elle regardait un Seigneur des Cryptes, un mort-vivant capable de pensée.

Un Seigneur des Cryptes était une créature morte animée par une puissante magie qui avait continué de devenir plus puissante au fil des années après sa réanimation. Qu’importe la forme qu’ils avaient eue lors de leurs vies, cette dernière était désormais déformée par la pourriture.  Ils étaient plus grands que tous les aventuriers, à l’exception de Calruz, leurs dos courbés et leurs immenses visages boursouflés souriant pour révéler plus de dents tranchantes qu’un humain pouvait avoir.

Ce n’était pas des dents, mais des os. Des os jaunies qui avaient été brisé et bougé pour créer l’illusion d’un sourire. Les Seigneurs des Cryptes mangeaient les morts pour soigner leurs corps. C’était la raison pour laquelle leurs puissants bras et jambes avaient une terrible apparence recousue alors que la chair et les os s’étaient assemblés pour ne former qu’un.

Le Seigneur des Cryptes sourit à Ceria, un liquide noir coula entre ses dents. Ils avaient du sang, d’une certaine manière. Du sang toxique et noir porteur de mort et de maladie.

Il cracha et Ceria plongea aussitôt. Le poison noir la toucha, mais la majorité toucha ses robes. Elle roula en sûreté et leva la tête pour voir deux yeux bleus luisants baissés vers elle.

Pendant un instant, Ceria se relaxa. C’était juste Toren. Mais… Ce squelette n’était pas pareil. Il était couvert de sang rouge et tenant une épée tordue et brisée dans ses mains. Et Toren était à des kilomètres au-dessus du sol.

Le squelette ensanglanté leva son arme et l’abattit sur Ceria alors qu’elle essaya de rouler de nouveau. Il la toucha dans le dos.

Ceria hurla d’agonie, mais sa robe reçu de nouveau la majorité du coup. Elle avait l’impression que quelque chose venait d’essayer de lui écraser la colonne vertébrale, mais elle était encore en vie. Mais pas pour longtemps. Le squelette leva de nouveau son épée.

Ceria leva sa baguette. Un pic de glace emporta la tête du squelette alors que le reste de son corps s’écroula au sol.

Elle bondit sur ses pieds, tremblante. Elle était à découvert. Le Seigneurs des Cryptes cracha de nouveau. Mais cette fois vers un autre aventurier. C’était trop dangereux. Elle leva sa baguette et visa.

Le monstre avait une amalgamation d’œil qu’il avait volé à différent cadavres. Ils s’entassaient ensemble dans une énorme orbite de chair, environ une vingtaine de globe oculaire dans chaque ‘œil’. Ils se tournèrent vers elle alors qu’elle parla.

« [Stalactites] ! »

L’épais pic de glace s’enfonça dans la tête du Seigneur des Crypte et un jet de sang noir se déversa de son orbite détruite. Le Seigneur des Cryptes hurla silencieusement et courut vers Ceria.

« Esquive ! »

Ceria ne savait pas d’où venait la voix, mais elle se baissa aussitôt. Elle sentit ses cheveux accrocher quelque chose et plusieurs d’entre eux furent arracher alors que Cervial planta un carreau d’arbalète directement dans l’autre œil du Seigneur des Cryptes.

Cette fois, il hurla de pleine voix, un cri déchirant provenant de plusieurs voix à la fois. Ceria tituba et commença à se débattre, frappant les autres zombies autour d’elle alors qu’ils cherchaient quelque chose à tuer.

Ceria se retourna, mais cinq zombies apparurent soudainement de la mêlée et se précipitèrent vers elle et le Capitaine-archer. Il jura et dégaina son épée courte plutôt que de recharger. Ceria en abattit un autre avec un [Stalactites] avant que deux autres ne bondissent sur elle.

Ceria connaissait plus de cinquante sorts qu’elle pouvait utiliser, mais sa baguette contenait le sort [Stalactite] et donc elle pouvait le lancer plus rapidement que le reste. Elle planta un pic de glace dans le torse d’un zombie, le clouant au sol, avant de fuir pour éviter les mains de l’autre zombie.

Le Drakéide mort-vivant bondit après elle, mais une femme avec une masse l’envoya au sol d’un coup. Elle était l’un des Lances d’Argent d’Yvlon, et son armure argenté était recouverte de sang.

Ceria ne prit pas la peine de la remercier, l’instant d’après elle et la guerrière était déjà en train de se battre. Elle tira au-dessus de la tête d’un archer et toucha une goule qui venait de bondir sur un homme. Il leva la tête, recula, et tira trois flèches dans le visage de la créature.

Plus de mouvement. Ceria se retourna et vit une figure au sol qu’elle reconnaissait.

Une goule était accroupie sur Gerial, l’attaquant avec ses griffes. Ceria n’hésita pas. Elle courut en avant, dégainant sa dague de son fourreau. Elle la planta à l’arrière du crâne de la goule, l’enfonçant à travers le crâne fragile et le cerveau exposé.

A sa grande horreur, la goule était toujours vivante après son attaque. Elle tourna sa tête, des yeux pourpres et luisants la regardant avec haine. Il leva une main griffue, et Gerial lui donna un coup de pied pour se libérer. La goule fut repoussée de lui et il se redressa en lui plantant son épée à travers l’épaule.

Ceria leva sa baguette et anéanti le visage de la créature. Elle tomba pour de bon et elle aida Gerial à se releva. Son visage était un masque sanglant, mais il attrapa une potion et la vida sur ses blessures. Elles commencèrent à ce soigner alors que Ceria le regarda.

Il lutta pour reprendre sa respiration et frissonna alors que Ceria les couvrit avec sa baguette.

« Bon sang, c’est un foutoir. Où sont les autres ? »

« Je ne sais pas. »

La plupart des torches avaient été lâchées au sol, et seul quelques sorts de [Lumière] éclairait les ténèbres. Cela rendait les choses deux fois plus compliqué, alors que les aventuriers se confondaient pour des ennemis.

« Gerial. Nous ne pouvons pas nous regrouper comme ça. J’ai besoin de lancer le sort d’[Illumination], mais j’ai besoin que tu me défendes. »

Il hocha la tête.

« Fait-le. »

Ceria leva sa baguette et commença à se concentrer. C’était difficile alors que les aventuriers se battaient et que les monstres hurlaient autour d’elle, mais elle devait le faire. Son esprit était concentré sur un seul point, et ce point solitaire se multiplia. Elle tint l’image de ce qu’elle voulait dans sa tête et la força à devenir réalité.

« Autour de moi ! Cornes d’Hammerad, à moi ! »

Gerial hurla alors qu’il frappa et donna des coups de pieds au mort-vivants autour d’eux, essayant de les éloigner de Ceria. La magie en elle continua de surgir alors qu’elle regarda autour d’elle. Elle était dans un demi-endroit, à moitié dans ce monde, regardant, craignant, essayant désespérément de lancer le sort un peu plus vite pour sauver ses amis, à moitié dans le monde de la magie, chevauchant les remous et les courants en cherchant la vérité.

Du mouvement. Elle vit un Drakéide, le seul qui n’était pas mort dans ce lieu, fuir. Une ouverture dans les morts derrière eux avait créé une opportunité, et il s’y engouffra, fuyant le combat.

Une partie d’elle voulait hurler, mais la magie était presque prête. Olesm était en train de courir dans l’autre direction plus rapidement que Ceria pensait qu’il pouvait bouger. Huit autres aventuriers prirent la fuite avec lui, tous des mages en jugeant selon leurs vêtements.

Un groupe de squelette était sur leurs talons. Ils disparurent dans les ténèbres et Ceria pria pour qu’elle ne soit pas trop lente. La magie arriva à un point de non-retour, et elle ouvrit la bouche.

« [Illumination »

De la lumière illumina soudainement le couloir. Les aventuriers crièrent, protégeant leurs visages alors que des orbes de lumière volèrent depuis le sol, de lumineuses balises de lumière brillante espacées de trois mètres chacun. Ils transformèrent les ténèbres de la crypte en jour.

Pendant une seconde, les morts titubèrent avec les vivants. Ils hésitèrent, peut-être que les Seigneurs des Cryptes sentirent que leurs avantages venaient de disparaître. Les aventuriers dissipèrent l’aveuglement temporaire qu’ils avaient subits. Et désormais, ils pouvaient voir l’ennemi. Ils hurlèrent et attaquèrent.

Gerial fonça dans deux squelettes, dispersant leurs os. Ceria leva sa baguette et utilisa un autre sort.

Une petite vague d’eau frappa Gerial derrière les genoux. Il tituba, mais son armure lourde le garda debout. Les squelettes ne furent pas aussi chanceux. Ils tombèrent au sol et tentèrent aussitôt de se relever.

Cependant, cela n’était pas son objectif. Ceria visa l’eau avec sa baguette et la gela. Gerial jura alors que l’eau se transforma en glace, mais il était aussitôt entouré d’une grande zone de sol gelé. Les aventuriers bondirent hors du chemin plutôt que de se battre sur un terrain instable, mais les morts étaient moins intelligents. Ils glissèrent et tombèrent en venant vers eux, des cibles faciles.

D’autres zombies foncèrent vers Ceria alors qu’elle battit en retraite. Les aventuriers avaient formé un cercle instable et elle trouva un autre mage lançant des gerbes de feu depuis son bâton. Il se retourna et lui fit un sourire. 

« Ceria ! »

« Sostrom ! »

« Tu prends ce côté et je me charge de l’autre. »

Ils se tinrent dos à dos, détruisant des corps avec leurs magies. Ceria remarqua Calruz et plusieurs autres aventuriers combattre les Seigneurs des Cryptes, tenant les quatre massives créatures à distance alors que les plus petits mort-vivants essayaient de briser les rangs des aventuriers.

« Nous avons besoin de plus d’espace. ! »

Sostrom hurla dans l’oreille de Ceria. Elle hocha la tête.

« Là ! Vers Lir ! »

Les deux mages se retraitèrent, laissant les autres guerriers fermer la faille. Le Capitaine-mage était en train de lancer de la foudre vers un Seigneur des Cryptes. Ceria l’attrapa par l’épaule et il se retourna.

« Nous avons besoin de les séparer ! Est-ce que tu peux lancer un sort ? »

Il hurla en retour.

« Je peux ! Mais j’ai besoin d’une ouverture ! Et les morts sont aussi derrière nous ! »

« Non ! »

Lir et Ceria regardèrent Sostrom qui pointa du doigt.

« Regardez ! »

Un autre trou s’était ouvert derrière les aventuriers pris en étaux. Des flashs de lumière et de sorts réduisaient des zombies en cendres et éparpillaient des squelettes. Plusieurs aventuriers se battant dans le caveau qu’ils avaient passés.

« Voilà notre ouverture ! Si tu peux nous faire gagner du temps… »

« Donne-moi une minute. Est-ce que tu peux nettoyer la zone d’abord ? »

Ceria hocha la tête.

« Sostrom.»

« Je m’en charge. »

Il couvrit les deux mages alors qu’ils commencèrent à se concentrer de nouveau. Ceria leva sa baguette et sentit la chaleur s’emmagasiner dans sa baguette. Elle visa et cria aux aventuriers devant elle.

« Je vais en lancer un gros. Que tout le monde recule ! »

Ils regardèrent autour d’eux, virent la baguette luisant et distordant l’air, et se précipitèrent à gauche et à droite. Ceria vit Gerial percuter Calruz pour le faire bouger. Elle visa l’un des Seigneurs des Cryptes alors qu’il visa les aventuriers battant en retraite.

« [Boule de Feu] ! »

Un orbe de feu orange aussi gros qu’un ballon de basket fut projeté de la baguette. Il vola et percuta le Seigneur des Cryptes dans le torse.

Ceria sentit l’explosion la projeter en arrière et n’entendit qu’un bourdonnement dans ses oreilles. Sostrom la rattrapa, et pendant plusieurs secondes tout ne fut que fumée et confusion. Puis Ceria vit le Seigneur des Cryptes hurler, embrasé alors que les morts autour de lui se dispersèrent, prenant feu ou était envoyé au sol.

Elle hurla vers le mage à côté d’elle.

« Lir, maintenant ! »

Son visage était recouvert de sueur. Lir leva son bâton et pointa dans l’ouverture alors que les mort-vivants se regroupèrent pour une autre charge.

Du feu jaillit de son bâton et passa à côté des aventuriers, certains d’entre eux furent assez malchanceux pour être roussi par les flammes magiques. Un rideau de flamme bloqua le couloir, chaque flamme touchant presque le plafond. Les aventuriers en première ligne reculèrent, alors que les mort-vivants passèrent le rideau en se retraitèrent, brûlant et hurlant.

« Maintenant ! Tout le monde vers l’arrière ! »

La voix d’Yvlon s’éleva et les aventuriers se retournèrent. Certains mort-vivants avaient été coincé derrière le feu. Ils furent hachés en morceau et le groupe courut vers la grande pièce.

« Le sort va bientôt s’arrêter ! Mages, faites nous gagner du temps. »

Lir hocha la tête. Il leva son bâton et deux autres mages se joignirent à lui. Ils pointèrent à l’unique entrée à la pièce et des murs de lumière et des runes magiques apparurent sur le sol, bloquant l’entrée.

« [Bouclier de Sécurité]. »

« [Barrière Mineure]. »

« [Sanctuaire de Lumière]. »

Aucun de ses sorts n’était particulièrement de haut-échelon, ils étaient tous des sorts du Premier Échelon ou du Second Échelon, mais ensemble ils faisaient ce qu’un sort individuel ne pouvait pas faire.

Ceria vit le sort de mur de flammes de Lir s’éteindre, et les mort-vivants coururent vers la barrière. Ils s’écrasèrent contre les sorts et même s’ils poussèrent et frappèrent les murs magiques, ils n’arrivaient pas à le franchir.

Les aventuriers regardèrent, tendus, jusqu’à ce que les morts commencèrent à se retraiter. Les quatre Seigneurs des Cryptes regardèrent la magie en silence et commencèrent à marcher dans les ténèbres. Les morts les suivirent en silence. Ils disparurent en quelques minutes.

Le combat était terminé. Et comme si un sort venant d’être lancé, Ceria pouvait soudainement entendre les autres sons autour d’elle. Des hommes et des femmes étaient en train de pleurer de douleur, les voix, le grincement du métal et l’écoulement des potions versé sur les blessures ou défirent leurs armures pour regarder la gravité des plaies. Tous les sons qui avaient été couverts par les battements de son cœur.

« Baisez-moi avec une dent de Wyverne, c’était quoi ce bordel ? »

Gerial était en train de crier au milieu des aventuriers. Il tenait une pièce de vêtement pour arrêter le saignement alors qu’une potion de soin régénérait une grosse morsure qui avait pris un morceau de sa jambe. Il pointa le couloir recouvert de cadavres.

« Ils nous ont déchiquetés là-bas ! C’était une embuscade ! Une foutue embuscade de la part de mort-vivants »

« Combien de personnes sont-elles blessés ? Il nous manque qui ? »

Yvlon s’avança dans la pièce, écoutant les aventuriers répondre à son appel. Ceria regarda autour d’elle pour son groupe et courut vers les Cornes d’Hammerad. Miraculeusement, ils étaient tous là. Marian, Gerial, Calruz, Sostrom… »

« Hunt ? Où est Hunt ? »

Ceria regarda autour d’elle, soudainement paniqué.

« Là. Il est là. Ceria. »

L’un des guerriers, Barr, pointa au sol. Ceria vit que Hunt était allongé au sol avec sa tête sur un sac, son visage grimaçant et ses mains figés dans une position crispée.

« Que… »

« Un Nécrophage là eu par-derrière. Il l’a touché avec l’une de ses foutues griffes paralysantes et il s’est figé. Il va bien, mais la magie ne va pas se défaire avant un bout de temps. » 

Ceria soupira de soulagement. Ce n’était pas idéal, Hunt était hors de la partie, mais il n’était pas mort. Elle regarda les autres aventuriers. Ils étaient tous en piteux états, incluant elle. Ils avaient tous des blessures, même avec des potions de soins. Tous à l’exception de Calruz. Le Minotaure semblait n’avoir pas pris plus qu’une égratignure durant le combat, et seulement le sang recouvrant le moindre centimètre de sa hache de guerre prouvait qu’il s’était battu.

« Ceria. C’est bien que tu sois encore là. Tu as lancé le sort de lumière au bon moment, ainsi que la boule de feu. »

Il hocha la tête et scanna la pièce. Elle ouvrit sa bouche pour une réponse cinglante, et la referma.

« Ouias. Je suis content que tout le monde soit là. Nous avons perdu combien de personne ? »

La réponse était six, ce qui était un miracle en soi. Mais ce n’était que six morts, et bien plus de blessés. La plupart des blessures que les aventuriers avaient reçues pouvaient être soignées avec des potions de soins, mais beaucoup avaient perdus des doigts ou des membres, et certains avaient des os brisés qu’une potion n’allait pas pouvoir soigner.

Le groupe qui avait été le plus touché avait été les Francs-Tireurs de Cervial. Ils avaient perdu deux membres dans l’embuscade, et deux de plus dans le groupe d’éclaireur. Il était en train de sangloter alors qu’il rechargea son arbalète avec un autre carreau.

« J’ai tiré sur ce foutu monstre, mais il a juste attrapé Elise et l’a mangé. Putain. Bande de saloperies »

« C’était un désastre. »

Lir hocha la tête en de reposant sur une pierre. Son visage était gris, un signe qu’il avait utilisé trop de magie. Ceria était pareil, même si la potion de mana qu’elle avait prise avait aidé.

« Comment ont-ils pu-nous prendre par surprise comme ça ? Nous avons baissé notre garde, pensant que les morts ne pouvaient pas le faire. »

« Ils étaient menés par des Seigneurs des Cryptes, voilà comment. Ces bâtards commandent les autres morts. »

« Des Seigneurs des Cryptes. Je ne les ai jamais combattus. Ces choses géantes au fond, ils peuvent… Ils peuvent réfléchir »

Lir et Ceria hochèrent la tête.

« A quel point sont-ils dangereux ? »

« Un Seigneur des Cryptes est une menace capable de massacrer une compagnie d’Argent s’ils ne sont pas prudents. Le niveau nécessaire pour les affronter est estimé… Autour de 22. Possiblement 26 si tu comptes leurs capacités spéciales. Ils sont principalement dangereux car ils peuvent diriger les morts autour d’eux pour faire des choses comme se cacher et attendre et effectuer des formations stratégiques. »

Gerald jura.

« Par les Dieux. Ce n’est pas une surprise que Charlez et sa compagnie ne s’en sont pas sortie. Nous avons bien failli ne pas nous en sortir aussi. »

« Beau travail pour ce soir d’[Illumination], Ceria. Sans ça nous aurions été cuit. »

Ceria baissa la tête alors qu’Yvlon lui fit un signe respectueux de la sienne. Cervial hocha lentement la tête et Gerald grogna.

« Oui, et les mages nous ont certainement sauver la vie. Mais il y a un problème. Où est-ce foutu lézard ? »

« Q-qui ? Moi ? »

Gerald fronça les sourcils en regardant Olesm à l’autre bout de la pièce. Le Drakéide tressaillit alors qu’il fonça vers lui.

« Toi ! Je t’ai vu prendre la fuite. Je devrais te finir ici moi-même, couard ! »

Olesm leva ses mains alors que les poings de Gerald se serrèrent.

« S’il vous plait, laissez-moi m’expliquer… »

« Attend Gerald ! »

Un autre mage assez avec son dos contre le mur leva une main avec précaution alors que le visage de Gerald devint rouge. Il pointa vers Olesm.

« Ce Drakéide n’a pas fui. Il nous a sauvé. Et toi aussi. Quand les mort-vivants nous ont chargé, il a pris un groupe de mage et utilisé une compétence pour nous laisser nous échappons de l’embuscade. Ce qui nous a permit de revenir ici et d’ouvrir un chemin pour vous tous. »

« Quoi ? »

Gerald regarda Olesm de manière incrédule. Le Drakéide lui fit un sourire nerveux.

« [Retraite Rapide]. C’est, ah, une compétence de [Tacticien], même si beaucoup de [Voleurs] et de classes similaires la connaissent. J’ai entendu Calruz hurler de revenir par ici et je pensais que le reste d’entre vous étaient juste derrière moi.

Les aventuriers murmurèrent leurs appréciations. Gerald hésita, avant de hocher lentement la tête.

« Eh bien. Bon travail. Mes excuses. Merci pour avoir fait cela. Si tu ne l’avais pas fait… »

« C’était une terrible embuscade. Mon [Instinct de Survie] en s’est déclenché qu’à la dernière seconde. Si nous avions fait plus attention à nos éclaireurs… »

« Ils étaient nous meilleurs. Rien n’aurait du être capable de les vaincre sans faire un bruit. Pas sans une horde de morts-vivants. Ils avaient tous des compétences pour fuir. Donc comment… »

Yvlon posa une main réconfortante sur l’épaule de Cervial. Elle regarda les autres aventuriers.

« Nous pouvons nous inquiéter une fois que la menace est partie. Ces sorts ne vont pas durer pour l’éternité. Et nous avons rapidement besoin de prendre une décision. Est-ce que nous continuons d’avancer, maintenant que nous savons combien de mort-vivants nous attendent, en comptant les Seigneurs des Cryptes ? Où est-ce que nous battons en retraite. »

« Battre en retraite ? »

Même Cervial leva la tête à ses mots. Il secoua la tête, une sombre furie dans ses yeux.

« Non. Nous ne faisons pas ça. C’était une embuscade, pas un véritable combat. Nous allons après ces monstres et nous les découpons en morceaux. »

« Une idée sur comment faire ? »

Cela venait de Gerial. Il se tenait à la barrière et regardait dans les ténèbres. Le sort d’[Illumination] de Ceria avait éclairé l’intégralité de la salle, mais seulement jusqu’à ou elle avait marché. Les couleurs partant de la pièce étaient toujours vides, et pas le moindre mort-vivants n’était visible de là où il se tenait.

« Ils se sont déjà cachés de nouveau. Si nous continuons, nous allons remettre les pieds dans une nouvelle embuscade. Certes, nous savons ce qui nous attend, mais je préférerai ne pas refaire cela. »

Lir hocha la tête alors qu’il se remit lentement sur pied.

« Nous pouvons préparer des pièges et fortifier cette zone. Si nous avons besoin de battre en retraite… »

« Un combat d’usure comme celui-là est risqué. Nous allons devoir constamment regarder par-dessus notre épaule, et nous ne saurons jamais si nous les avons tous eut. »

Yvlon soupira alors qu’elle nettoya son épée avec un chiffon.

« Ces Seigneurs des Cryptes sont mortels. Nous avons besoin de les éliminer en premier. En faisant cela, le reste des mort-vivants deviennent bien moins menaçant. »

« Est-ce que nous avons un moyen de les détecter ? Un sort ? »

« Nous pouvons chercher pour les pièces piégées, mais nous brûlerons rapidement notre magie de cette manière. C’est risqué. »

Cervial montra les dents.

« Il n’y moyen que je batte en retraite, pas sans un gros sac d’or à mettre sur la tombe de mes compagnons. »

« Je suis entièrement d’accord avec toi, mais comment ? »

« J’ai un plan. »

Chaque aventurier se tourna et les débats s’arrêtèrent alors que Calruz parla. Ceria arrêta de boire sa seconde potion de mana et dut lutter pour ne pas lever un sourcil dubitatif. Calruz ? Ses plans étaient aussi complexes que ceux d’un Gobelin, et tout le monde le savait. Même lui. Il laissait toute la finesse pour Gerial et Ceria.

Mais le Minotaure venait de capturer l’attention de tous et c’était son devoir de le suivre. Ou de lui donner un coup de pied dans la queue s’il disait quelque chose de stupide.

« Nous devrions tous les affronter de face. »

Le pied de Ceria tressaillit, mais Gerald fut plus rapide.

« Est-ce que tu es fou, Calruz ? Qu’est-ce qui te fait putain de penser que l’on veut faire ça ? Ils nous ont tous pratiquement réduit en charpie dans cette embuscade et tu veux tous les affronter en même temps ? »

Le Minotaure laissa échapper une bouffée d’air de ses naseaux.

« Tu parles de les chercher dans leurs domaines, mais cela est de l’inconscience. Nous sommes des aventuriers. Nous sommes plus forts qu’eux. Si nous leurs retirons l’élément de surprise et les attaques de couard dans notre dos, nous avons une plus grande chance de les massacrer d’un coup que de nous battre dos au mur toutes les cinq minutes. »

Les autres Capitaines et vice-Capitaines restèrent silencieux après cela. Yvlon leva ses sourcils et regarda Lir, qui hocha la tête.

« Calruz à raison. Dans un vrai combat sans embuscade nous avons l’avantage. Si nous pouvons transformer le combat de cette manière je parierai tous mon argent sur nous sans hésitation. Mais comment est-ce que tu proposes que nous fassions cela, Calruz ? Ces monstres ne sont pas très malins, mais ils sont suffisamment intelligents pour ne pas tout donner dans une attaque d’envergure. Tu as vu comment ils se sont retraités une fois que les barrières furent levées. »

« Je les attirerai. Si l’un d’entre vous possède un sort d’[Amplification] ou quelque chose de la sorte, je les provoquerai pour qu’ils nous attaque. »

« Je connais ce sort. Mais est-ce que le reste d’entre vous est d’accord ? »

Lir regarda autour de lui. Yvlon hésita avant de hocher la tête, mais Gerald et Cervial était déjà en train de prendre leurs armes.

Calruz regarda autour de lui.

« Toi. [Tacticien]. As-tu une compétence pour renverser le cours d’un combat ? »

Olesm déglutit.

« Oui. Qu… Quelques-uns. Un bon. Est-ce que je devrais l’utiliser maintenant… ? »

« Non. Attends. Nous allons reprendre nos forces pendant quelques instants. Et puis après nous allons détruire ceux qui nous ont volés les nôtres. »

Les yeux de Calruz flashèrent. Il leva sa hache de guerre et les aventuriers commencèrent à se tenir. Cela s’écoula sur eux, un moment de passion qui devint de la colère. Ils avaient été attaqués, blessés, certains de leurs amis étaient morts. C’était l’instant de se battre à nouveau.

Ceria sentit la même sensation passé à travers elle. Elle regarda sa baguette et estima qu’elle pouvait encore lancer suffisamment de sort avant d’être à court de mana. Oui, les mort-vivants avaient frappé et causé des dégâts. Mais ils n’avaient pas tué tous les aventuriers.

Maintenant, c’était à leur tour de contre-attaquer.

***

Calruz s’avança dans le couloir et attendit que les aventuriers se rassemblent autour de lui. Il n’était pas assez trop loin de la pièce qui était désormais leur camp pour les blesser et là où ils avaient placé leurs morts avec respect. Il attendit avec ses mains sur sa hache alors que Lir lança un sort pour amplifier sa voix.

« C’est fait. Je vais lancer un sort d’[Assourdissement] pour que nous ne prenions pas le pire de ce que tu t’apprêtes à faire. »

Calruz hocha la tête. Il regarda dans les ténèbres dans lesquels tous les mort-vivants avaient disparu, ne laissant que les vrais morts derrière eux. Yvlon se tint aux côtés de Calruz, le regardant curieusement.

« Est-ce que tu as une compétence de [Provocation] ? Je ne sais même pas si cela marchera sur les morts… »

« Pah. »

Ce simple mot résonna bruyamment dans les ténèbres. La voix déjà bruyante et profonde de Calruz avait été amplifiée plusieurs fois et Yvlon grimaça. Il lui fit signe de s’approcher et murmura, ce qui était toujours plus fort qu’un cri avec le sort.

« Je n’ai pas besoin d’un compétence. Soit prête. Nous les écraseront quand ils nous attaquerons. »

Yvlon hocha la tête et revint dans la ligne. Cette fois, tous les meilleurs guerriers et les quatre capitaines aventuriers étaient en tête, avec tous les mages et les archers dans le fond. Ceria se tenait prêt de Sostrom, son cœur battant la chamade. En assumant que le plan de Calruz marcherait, il serait en parfaite position pour affronter les mort-vivants. S’il savait ce qu’il faisait.

Une fois le sort d’[Assourdissement] lancé, Calruz plissa les yeux. Il leva sa hache de guerre et l’agrippa fermement. Puis il leva sa voix et hurla.

Non. Ce n’était pas qu’un hurlement. Son premier mot fit sonner les oreilles de Ceria, et elle devint temporairement sourde alors que sa voix trembla à travers l’intégralité du bâtiment.

« Pathétiques esprits des morts ! Je suis Calruz, meneur des Cornes d’Hammerad ! Je vous challenge. Affrontez-moi et faîtes face à votre fin ! »

En dehors des ruines, les gardes et aventuriers montant la garde regardèrent autour d’eux. Ils pensaient avoir entendu quelque chose, et le léger tremblement de la terre leur fit portée la main à leurs armes. Mais l’attaque ne vint pas, du moins, à la surface.

Même avec ses deux mains couvrant ses oreilles et le sort d’[Assourdissement], Ceria pouvait encore entendre ses oreilles bourdonnées une fois que Calruz avait terminé. Sa voix avait fait écho dans ses os et elle se sentait presque nauséeuse.

Elle essaya de dire quelque chose, et réalisa qu’elle ne pouvait toujours pas entendre. Elle cria, et entendit légèrement quelque chose.

« Quoi ? »

Sostrom la regarda. Ceria pointa du doigt. Il suivit son indication, et le vit.

Du mouvement. Dans les ombres, des choses bougeaient dans les ténèbres du long couloir aux abords du sort d’[Illumination] de Ceria. Une grande forme apparut avec un sourire constitué de dents jaunâtres et de longues griffes faite d’os jaunis par le temps.

Un Seigneur des Cryptes, puis deux, trois… Quatre d’entre eux apparurent depuis les ténèbres, suivit par une horde de mort-vivants. Ils ouvrirent leurs bouches et hurlèrent sur Calruz alors que le Minotaure prit sa place dans la ligne des aventuriers.

« Tu m’impressionnes, Calruz ! »

Gerial dut crier pour s’entendre par-delà le bourdonnement de ses oreilles. Il sourit vers le Minotaure qui lui rendit son sourire.

« Comment est-ce que tu savais que ça allait marcher ? »

« Les morts n’aiment pas le bruit, comme n’importe qui. C’est une intrusion. J’ai challengé leur honneur. Et donc... Nous commençons ! »

Lir aurait vraiment dû retirer le sort d’[Amplification] de Calruz. Il le fit, mais seulement après que la voix de Calruz refit bourdonner les oreilles de tout le monde pour la seconde fois. Le Minotaure pointa.

Les morts-vivants étaient en train de se rassembler pour charger. Les aventuriers attendirent, leurs cœurs battant, leurs oreilles remplies des échos de la foudre.

Olesm éclaircit sa gorge. Du moins, Ceria pensa qu’il venait de le faire. Elle avait toujours des problèmes pour entendre, mais le Drakéide parla fort.

« J’ai l’impression que c’est à mon tour. »

« Quoi ? »

« J’ai dit… Laisse tomber. Voilà ! »

Le Drakéide pointa alors que les morts-vivants commencèrent à courir le long du couloir. Il ouvrit la bouche, et cette fois, Ceria l’entendit clairement.

« [Formation Offensive]. »

Tous les aventuriers furent surpris et regardèrent autour d’eux. Quand Olesm avait parlé, leurs armes et armures étaient soudainement devenues plus légères. Même les mages sentirent un second souffle alors que leur magie leur revint plus puissante qu’avant.

Ceria regarda Olesm bouche bée et il lui fit un sourire.

« C’était quoi ça ? Une compétence ? »

Il hocha la tête.

« Je peux uniquement le faire une fois par jour à mon niveau. Mais oui, cela peut changer un combat. le reste de mes compétences sont principalement défensives ou orientées vers la recherche d’information donc c’est tout ce que je peux faire. »

« Quoi ? »

« C’est pas grave ! »

Les mort-vivants étaient désormais en train de courir, franchissant la distance à une alarmante vitesse. Olesm éleva sa voix et pointa du doigt l’un des Seigneurs de Cryptes. C’était celui que Ceria avait touché avec la boule de feu, et même s’il avait mangé quelques yeux, il était toujours à moitié aveugle.

« Celui-ci est plus blessé que les autres. Abattez-le en premier. »

Les mages autour de lui hochèrent la tête et préparèrent leurs sorts. Ceria regarda les mort-vivants s’approcher. Cervial laissa partir carreaux après carreaux avec les autres aventuriers de son groupe, abattant zombies et squelettes, mais les Seigneurs de Cryptes et le reste de la horde continua de courir.

Yvlon leva la voix alors que les mort-vivants s’approchèrent. Ils étaient environ à une trentaine de mètres et se rapprochant rapidement. Elle dégaina son épée et pointa.

« Mages !

Les lanceurs de sorts n’avaient pas besoin d’une autre invitation. Ceria et Sostrom pointèrent leurs baguettes et firent partir leurs sorts avec les autres mages, remplissant le couloir de magie alors que les guerriers gardèrent leurs têtes baissées.

Le premier rang de mort-vivants rencontra la vague de magie et… disparu, tout simplement. De la foudre craquela à travers les gerbes de flammes et les spirales d’énergies qui faisaient exploser des membres. Toutes les magies n’étaient cependant pas des attaques, des flaques de liquides glissants apparurent au sol, ralentissant les zombies alors qu’un second mur de flammes transforma un groupe de zombie en des torches hurlantes.

La moitié des mages lancèrent un autre sort avec que les mort-vivants ne soient trop proche. Calruz se redressa et Gerald hurla.

« Maintenant guerriers, suivez-moi ! Chargez ! »

Les combattants se levèrent et rugirent, noyant les hurlements des mort-vivants. Ceria vit le premier zombie leva sa main pour frapper Gerial avant que l’immense main de Calruz traversât sa main d’un coup-de-poing.

Les aventuriers et les mort-vivants entrèrent en collision dans un fracas de son qui faillit presque rendre Ceria sourde à nouveau. Mais elle était déjà en train de courir avec les autres mages, lançant des pics de glace à l’un des Seigneurs des Cryptes.

***

Tout n’était que mouvement. Gerial tourna et trancha la tête d’un zombie sans effort. Il avait l’impression que son corps était en feu. Il avait l’impression que son cœur était en feu. Il se battait de son mieux grâce à la compétence d’Olesm. Et ce n’était pas que lui. Autour de lui, les capitaines étaient en train de couper à travers les mort-vivants maintenant qu’il n’y avait pas le risque de blesser un allié devant eux.

« [Attaque Tourbillon] ! »

La hache de Gerald passa à travers l’estomac de trois zombies et d’une goule, les faisant tomber au sol, ou il utilisa sa forte carrure pour écraser leurs têtes avec la botte de son armure. Il se tourna et esquiva la massive main d’un Seigneur des Cryptes, mais Cervial leva son arbalète et tira un carreau directement dans le visage du monstre.

« [Tir à Bout Portant] ! »

La chair autour du carreau s’effondra et le monstre recula. Gerald et deux autres guerriers l’attaquèrent par en-dessous alors qu’il tenta de reprendre ses appuis et Gerial attrapa un squelette alors que ce dernier tentait de l’attaquer par-derrière. Il écrasa plusieurs fois le pommeau de ses épées et le regarda s’effondrer alors qu’il brisa son crâne.

Le bout de l’épée d’Yvlon quitta le cou d’un zombie alors qu’elle frappa un squelette dans la tête avec son bouclier. Le coup réduisit le crâne du mort-vivant en morceau et il s’effondra, la lumière pourpre disparaissant de ses yeux.

Elle tournoya, et son bouclier se leva pour stopper l’attaque d’une goule. Elle repoussa le monstre et ce dernier tituba. Gerial vit Yvlon sortir son épée de l’estomac du mort et la goule s’effondra. Il ne l’avait même pas vu frapper.

Gerial se retourna et trouva un autre Seigneur de Crypte s’apprêtant à cracher sur lui et Yvlon. Il la tacla au sol alors que la pluie noire toucha un autre aventurier qui s’effondra au sol en hurlant.

« Repli, repli ! »

Quelqu’un remonta Gerial sur ses pieds. Il leva les yeux et vit Sostrom alors que le mage frappa le Seigneur des Cryptes avec plusieurs éclairs de magie. Il rugit et l’attrapa dans un gigantesque poing.

« Sostrom ! »

Le mage hurla d’agonie alors que le Seigneur des Cryptes serra le poing. Gerial le poignarda dans l’estomac de manière désespérée, mais il était trop grand et ne voulait pas relâcher son ami.

« Bouge ! »

Il sentit quelque chose le pousser sur le côté et Calruz était là. Le Minotaure leva sa hache de guerre et Sostrom tomba au sol, la main coupée le tenant toujours.

Le Seigneur des Cryptes rugit et attrapa Calruz, mais le Minotaure lâcha sa hache et attrapa la tête du mort-vivant avec ses mains. Il hurla de furie et arracha la tête du Seigneur des Cryptes. Le sang noir jailli du cou décapité et recouvrit la fourrure du Minotaure alors qu’il jeta la tête et un morceau de colonne vertébrale.

« Gerial ! Couvre-moi ! »

Gerial hocha la tête et repoussa une goule alors que Calruz reprit sa hache. La peau du Minotaure était en train de cloquer là où le sang noir l’avait atteint et il jeta deux potions sur sa fourrure avant d’avaler un antidote.

Plusieurs mètres plus loin, Ceria était dans une mauvaise situation. Elle avait été séparée de Sostrom quand le monstre l’avait attaqué, et une Goule était en train d’essayer de l’attraper alors qu’elle esquiva en arrière.

Gerial trancha une partie du torse de la goule, offrant une ouverture à Ceria. Elle frappa la goule avec trois pics de glace, l’envoyant valser plus loin.

Un zombie frappa Gerial par-derrière, le frappant dans le dos et le projetant au sol. Il tomba sur Gerial, le mordant et arrachant sa chair alors qu’il hurla à l’aide.

Ceria n’hésita pas. Elle pointa sa baguette vers le dos du zombie.

« [Embrasement Eclair] ! »

Aussitôt, le zombie s’embrasa. Il arrêta d’attaquer Gerial et commença à se tordre, essayant d’éteindre les flammes. Gerial repoussa le corps et se releva. Le zombie essaya de ramper après lui, mais Calruz envoya sa tête volé d’un coup de pied.

« Combien de Seigneurs des Cryptes sont morts ? »

« Deux… Non, trois ! »

Gerald venait juste de décapiter la tête du Seigneur des Cryptes qu’il avait été en train d’affronter. Le dernier monstrueux mort-vivant hésita alors que ses sbires l’entourèrent.

« Je me charge de lui si vous m’ouvrez la voie. »

« On s’en charge ! »

Ceria hocha la tête et elle et Sostrom coururent vers Lir. Le mage tourna la tête, et les trois commencèrent à lancer des sorts sur les mort-vivants, envoyant des carcasses calcinées et des corps brisés au sol.   

Calruz regarda Gerial alors que l’autre homme luttait pour reprendre sa respiration.

« Avec moi ? »

« Bien sûr ! »

Les chargèrent dans les rangs des mort-vivants. Gerial percuta un squelette et planta son épée dans le torse d’un zombie alors que Calruz fit tournoyer sa hache et envoya des morceaux de mort-vivants volés autour d’eux. Le Seigneur des Cryptes leva la tête et regarda en direction du Minotaure, voyant possiblement une menace dans la seule créature plus grande que lui.

Il leva une main griffue et cette fois Calruz leva sa hache. Gerial savait ce qu’il allait faire et partie en arrière alors que Calruz rugit. 

Le Minotaure abattit sa hache, coupant à travers l’arme pourri du Seigneur des Cryptes alors qu’il essaya de bloquer. Sa hache continua de trancher, ne s’arrêtant pas sur les os ou les artères alors qu’il trancha verticalement l’avant du Seigneur des Cryptes et frappa le sol avec assez de force pour détruire le sol de pierre.

Même à plusieurs mètres de là, Ceria sentit l’impact dans ses os. Le Seigneur des Cryptes était au sol, os et peau déchirés et coupés.

Les morts-vivants titubèrent, puis recommencèrent à attaquer. Mais ils étaient soudainement sans intelligence pour les contrôler. Calruz rugit, et les aventuriers se regroupèrent autour de lui. Ils repoussèrent les mort-vivants jusqu’à un mur et les réduire en miette.

Dans le silence qui suivit le combat, Olesm marcha en tremblant autour des quelques cadavres qui continuaient de tressaillir et regarda le Seigneur des Tombes que Calruz avait tué avec sa compétence de [Coup de Marteau]. Il regarda Calruz alors que le Minotaure s’appuya sur sa hache de guerre, reprenant sa respiration.

« Je… Je ne vous ai pas entendu dire quelque chose. »

Calruz leva calmement sa hache de guerre et secoua un peu de viscère pour les faire tomber.

« Toutes les compétences et sorts ne doivent pas être criés. »

Le Drakéide hocha lentement la tête et regarda autour de lui. Le combat était terminé. Il regarda sa propre épée. Il était resté en arrière ligne et s’était battu avec les mages, mais il avait quand même tué plusieurs zombies et squelettes. Il se sentait tremblant, malade, et épuisé alors que l’adrénaline quitta son corps. Il regarda Ceria alors que la demi-elfe avala d’une traite une autre potion de mana et essuya sa bouche.

« Nous sommes en vie. C’est quoi la suite ? »

La demi-elfe sourit à Olesm, vomit légèrement alors que la potion de mana coula dans son système, et sourit de plus belle. Du sang et des entrailles avait peint son visage, mais elle ne semblait pas s’en soucier.

« La suite ? Nous allons chercher le trésor. »

***

Lors du second jour, Ryoka trouva les Gnolls morts alors qu’elle était en train de courir dans les sous-bois. Les six guerriers avaient été dépouillés de tous leurs équipements, mais elle vit qu’ils avaient été poignardés à plusieurs reprises avant d’être laissés à pourrir. Ils étaient morts récemment, mais les insectes étaient déjà en train de se rassembler et la scène empestait.

Elle regarda les cadavres pendant un long moment, jusqu’à ce que les mouches acides la firent partir. Il n’y avait rien qu’elle pouvait faire. Donc elle continua de courir, ne sachant pas qu’elle était en train d’être observé.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 24 juin 2020 à 13:56:01
1.02 H - Partie 1
Traduit par EllieVia

“Et cette pièce ?”

“Vide.”

Sostrom secoua la tête en ressortant d’une autre salle sombre, son bâton luminescent. Calruz le suivait d’un pas lourd, grondant de colère. Ceria essaya de ne pas froncer les sourcils à l’attention de son ami, mais c’était difficile.

“Rien du tout ?”

“Tu peux aller vérifier.”

Sostrom montra la pièce sombre du pouce et secoua la tête.

“Quoi qui ait été là-dedans, ce n’était pas un trésor. Et ça a disparu depuis longtemps.”

“Bon sang.”

Ceria jura et donna un coup de pied par terre. Olesm regarda par-dessus son épaule la salle vide.

“Je ne comprends pas. C’est le niveau le plus bas, non ? Et tu avais dit qu’il y aurait des trésors…”

“En effet. Mais qui aurait pu savoir que cette maudite ruine était aussi grande ?”

“Mais le trésor doit être dans le coin, non ?”

Ceria gronda pour toute réponse et Olesm recula, les mains levées. Gerial posa une main sur son épaule, mais elle sentit qu’il était tendu, lui aussi.

“C’est très probable. Nous ne l’avons tout simplement pas encore trouvé, et nous sommes fatigués. Pourquoi ne vas-tu pas fouiller dans ces pièces avec Sostrom ?”

Sostrom fit la moue, mais s’enfonça avec Olesm dans le long couloir pour jeter un œil à une pièce.

Ceria grimaça et tapota gentiment sa main.

“Désolée, Gerial.”

“Je sais ce que tu ressens. Mais il essaie d’aider.”

“Je sais. C’est juste que…”

On était plus tard. Deux heures plus tard, pour être exact. Le dernier des morts-vivants avait été tué et leurs restes avaient été incinérés grâce à un sort et les aventuriers trop gravement blessés pour se déplacer avaient été renvoyé dans la chambre funéraire.  Quelques-uns étaient restés pour les protéger si des morts-vivants surgissaient de nouveau, mais le reste des aventuriers n’avaient cessé de fouiller les ruines depuis lors.

À la recherche de trésors.

“On a eu des nouvelles de l’équipe de Gerald ?”

Ils s’étaient séparés en deux groupes, l’un descendant le chemin de gauche, l’autre celui de droite. De toutes les équipes, celle de Calruz n’avait perdu aucun aventurier à part Horn dans aucune des batailles, donc ils avaient pris quelques mages de Lir tandis que le reste des aventuriers étaient partis sous le commandement de Gerald dans le passage de gauche. Yvlon était restée avec les blessés et ils maintenaient un canal de communication avec plusieurs aventuriers qui couraient porter les messages de part et d’autre des vastes ruines.

“Il vient d’y avoir un messager. Le voilà…”

Gerial guida Ceria en direction d’un aventurier essoufflé en train de se désaltérer en discutant avec Calruz.

“Des nouvelles des progrès des autres équipes ?”

L’homme fit la moue.

“Rien de concret. Ils sont aussi tombés sur d’autres chambres vides, comme vous. Il y a des espèces d’urnes dans l’une d’entre elles - mais il n’y a plus que de la poussière dedans, ce qu’elles contenaient a disparu depuis longtemps. De vieux parchemins dans une autre salle, aucun de magique.  Ils sont tombés sur quelques morts-vivants, mais rien d’autre. Comment ça se passe de votre côté ?”

“Pas d’événement particulier.  On a tué quelques zombies mais on a largement nettoyé cette zone aussi. Est-ce qu’Yvlon a vu quelque chose ?”

“Rien. Je vais retourner voir du côté de Gerald si vous n’avez rien de plus.”

Calruz grogna d’un air irrité et l’homme repartit. Gerial secoua la tête en regardant l’homme disparaître au petit trot dans les ténèbres, une boule de lumière flottant derrière lui.

“C’est dans ce genre de cas qu’un Coursier serait utile.”

“C’est dans ce genre de cas qu’une centaine de Coursiers seraient utiles. Ils pourraient fouiller cet endroit bien plus vite que nous.”

Ceria donna un coup de pied dans un mur. Elle savait qu’elle était frustrée, mais elle était épuisée par les combats et irascible à cause des innombrables questions que lui avait posé un certain Drakéide. Calruz avait suggéré avec pertinence - ce qui était étonnant - qu’au lieu de se séparer, leur équipe devrait se déplacer d’un seul bloc pour éviter les mauvaises surprises. Le fait de vérifier qu’aucune des pièces et des couloirs ne comportait de pièges ou d’embuscades avant de s’y engager leur avait évité bien des mauvaises surprises, mais cela impliquait qu’ils devaient se déplacer à une vitesses d’escargot.

Le feu de la bataille avait certes fatigué les aventuriers, mais ce n’était pas la seule chose qui rendait la fouille ardue. Les ruines étaient de nouveau silencieuses, et, pour une raison qui leur échappait, l’absence des morts-vivants rendait l’atmosphère encore plus menaçante.

Ceria ne cessait d’imaginer qu’un zombie allait surgir des ombres, et deux ou trois en avaient effectivement surgi - mais le sentiment n’avait pas disparu. Le pire, après une embuscade, c’est qu’on ne cesse de s’inquiéter quand on y a survécu. Ou plutôt, on s’inquiète que ce ne soit que la première d’une longue série.

Gerial avait probablement le même sentiment, mais il essayait de rester raisonnable.

“Tu sais bien qu’il n’a jamais fait ça avant. Et il nous a aidé à nous sortir de ce combat beaucoup plus facilement que s’il n’avait pas été là. Essaie de ne pas être trop sèche avec lui.

“Je sais. Je sais. Mais il n’arrête pas de poser des questions et… s’il avait raison ?”

“Ouais.”
Gerial, Ceria et Calruz se turent. Les trésors. Ils étaient tous certains… avaient tous été certains qu’ils les attendaient ici. On n’avait jamais de ruines avec autant de gardiens sans qu’il n’y ait des trésors de quelque nature que ce soit. Mais et si les biens précieux avaient été des connaissances, ou quelque chose d’encore plus intangible ?

Et si les morts s’étaient simplement rassemblés ici parce que c’était un mausolée glorifié, et que les seuls biens qu’ils y trouveraient étaient les quelques sacs d’or et de joyaux qu’ils avaient pillé sur les aventuriers défunts ? C’était un bon butin pour une seule équipe, mais ça ne rembourserait même pas les frais de leur expédition.

Les ruines pouvaient être les sources potentielles d’incroyables richesses, comme les Ruines d’Albez où des objets magiques étaient encore cachés sous les décombres. Mais parfois, les ruines n’étaient que de vieilles bâtisses.

On entendait parfois des histoires d’aventuriers qui se frayaient un passage à coups de haches jusqu’au plus profond d’un donjon, sacrifiant tout ce qu’ils possédaient, perdant des amis et leur sang à chaque étape du chemin, et découvrir qu’ils n’avaient fait que nettoyer un ancien entrepôt de céréales, ou les habitations d’un peuple souterrain. C’était le cauchemar dissimulé derrière le rêve, et Ceria et le reste des aventuriers étaient en train de le vivre en ce moment-même.

“On a encore de la route à faire. Il y a de grandes chances que la chambre forte se trouve juste devant nous.”

“Bien sûr.”

Ceria hocha la tête et Calruz grogna. Elle soupira, et s’apprêtait à se lever lorsqu’elle entendit des bruits de pas.

Les trois aventuriers saisirent leurs armes et ceux un peu plus loin dans le couloir se retournèrent, prêts pour la bataille. Mais la femme qui s’était élancée dans leur direction avait un grand sourire sur le visage et agitait les bras.

“On a trouvé quelque chose ! Possiblement un trésor !”

Le choc qui parcourut le corps de Ceria l’électrisa. Elle sourit et les autres aventuriers lancèrent des vivats.

“Où est-il ? Quelle taille ?”

“C’est juste de l’autre côté des ruines, au fond de l’autre passage.”

La femme montra la direction du doigt en expliquant.

“On n’est pas sûrs que ce soit un trésor, mais ça y ressemble beaucoup - ils ont trouvé une énorme double porte. Scellée. Il y a des runes magiques et des alarmes devant et Lir dit que certaines ressemblent à des avertissements.”

Ceria fronça les sourcils en même temps que Gerial.

“Attends une seconde. On ne dirait pas une chambre forte, pour moi. On dirait plutôt un trésor gardé, le genre qui a le pire des monstre qui attend derrière la porte. Vous n’avez pas essayé de l’ouvrir, hein ?”

L’aventurière leva les yeux au ciel.

“Nous ne sommes pas idiots. Lir et le reste des mages sont déjà en train de poser des pièges près de l’entrée avec l’équipe de Cervial. Yvlon veut que le couloir soit plein à craquer de pièges avant qu’on ne brise le sceau.”

Elle sourit.

“Le groupe de Cervial a même deux pièges à ours. Je ne sais pas pourquoi ils les ont transporté tout ce chemin, mais ils sont en train de les installer. Même si ce qu’il y a à l’intérieur est aussi gros qu’un Ogre, il ne pourra pas passer outre un piège à ours.”

Ceria avait vu les trucs plein de fer voire d’acier à l’occasion qui servaient à chasser les ours et les gros monstres. Ils étaient vicieux, pervers, et elle avait déjà failli marcher dans l’un d’eux plus d’une fois. Elle frissonna, mais c’était le moment où ce genre d’arme valait le coup.

“Dès que vous aurez fini de votre côté on scellera ce passage avec un sort et on ouvrira ces portes. Yvlon va nous rejoindre et on verra exactement ce qui nous attend dedans. Lir dit que les runes nous préviennent peut-être qu’il y a des gardiens morts-vivants, et si c’est le cas, on les a déjà tous tués !”

“Ou d’autres nous attendent derrière ces portes.”

“Combien de temps ça va vous prendre pour finir ici ? C’est Gerald qui demande.”

Ceria et Gerial regardèrent Calruz. Il haussa les épaules.

“Nous n’avons rien trouvé qui en vaille la peine pour le moment. accordez-nous un instant pour rassembler tout le monde et on vous suit.”

“Eh bien dépêchez-vous. Gerald veut briser le sceau tout de suite et ce n’est que les deux autres Capitaines qui le retiennent.”

La femme sourit et repartit en courant tandis que le reste des aventuriers se mettaient à discuter avec animation. Ceria et Gerial échangèrent un regard.

“Des portes scellées ? Ça sort tout droit des histoires classiques qu’on entend. Le chances pour qu’elles soient piégées ou que quelque chose de vilain soit tapi derrière sont de soixante-quinze pour cent. Gerald a intérêt à nous attendre avant d’ouvrir.”

“Il n’est pas idiot. Mais Yvlon a raison. Quoi qu’il se trouve derrière, on peut transformer le couloir en zone d’abattage. Même une dizaine de Seigneurs des Cryptes ne survivraient pas un passage entièrement ensorcelé si on unit nos ressources.”

“Hey, hey, tout le monde !”

La voix venait de derrière les autres. Ils se retournèrent pour voir Olesm en train de courir vers eux, les yeux pétillants d’excitation.

“Olesm ? Tu ne vas pas y croire, mais on a trouvé quelque chose ! Une chambre forte, scellée par la magie de l’autre côté des ruines.”

Le Drakéide s’arrêta dans une glissade et resta bouche-bée. Il sourit.

“Vraiment ? Ce sont d’excellentes nouvelles ! Mais on a aussi trouvé quelque chose !”

“Vraiment ?”

Ceria échangea un regard avec les autres, mais ils suivirent Olesm avec enthousiasme lorsqu’il les guida dans le couloir en pente. Ils s’arrêtèrent devant une large ouverture dans le mur, qui avait probablement été recouvert par des portes autrefois. Olesm pointa l’intérieur du doigt.

“Regardez - mais pas un bruit !”

Il fit un geste de la main et Ceria retint son souffle en scrutant l’intérieur de la pièce gigantesque. On aurait dit une crypte. Enfin, les ruines étaient en elles-mêmes une crypte géante. Mais ceci, c’était la crypte à l’intérieur de la crypte. Ce qui voulait dire qu’il y avait…

“Des tombes”.

“Des cercueils.”

Des centaines. Chaque structure était en pierre, et elles étaient réparties de manière régulière dans la pièce qui était tellement gigantesque que Ceria avait l’impression d’être ressortie à l’extérieur. Elle pouvait à peine voir le mur opposé. La seule lumière à l’intérieur de la salle démesurée provenait d’un unique bâton.  Sostrom était dedans, et examinait l’un des murs.

“C’est l’endroit où vont les morts.”

Murmura bruyamment Olesm dans l’oreille de Ceria.

“Il doit y avoir un nombre incalculable de tombes, probablement avec des gens importants dedans ! Et probablement des trésors s’ils enterraient leurs morts avec leurs biens comme les Drakéides !”

C’était vrai, mais Ceria observa les tombes et en arriva à une autre conclusion.

“Il pourrait y avoir plein de morts-vivants dans ces tombes. Impossible d’évaluer le nombre qui se sont ranimés avec les Seigneurs des Cryptes dans le coin.”

Les aventuriers massés derrière elle grognèrent et saisirent leurs armes. Gerial leur souffla de se taire pendant qu’Olesm chuchotait.

“C’est ce qu’a dit Sostrom. Mais il a trouvé quelque chose d’autre ici.”

Il pointa du doigt, et Ceria vit que le mage examinait quelque chose sur le mur. Elle donna un petit coup de coude à Calruz et il hocha la tête, donc Ceria et le reste des aventuriers pénétrèrent lentement dans la salle.

Sostrom sursauta lorsque Ceria posa sa main sur son épaule. Il tournoya, le bâton levé, et se détendit lorsqu’il vit son visage. Il se pencha et lui murmura à l’oreille.

“Ceria. Tu as failli me faire pisser de peur.”

“Vaut mieux ça plutôt que tu hurles. Qu’est-ce que tu regardes ?”

Prudemment, Sostrom se décala et leva son bâton de manière à ce que Ceria puisse jeter un œil à ce qu’il regardait. La lumière blanche éclairait un mur de pierre sombre, mais se gravait en particulier à l’endroit où se trouvaient…

“Des mots ?”

“Un truc du genre. Ce n’est pas de la magie - enfin du moins, ce ne sont pas des runes que j’ai déjà vues. Mais je suis incapable de dire de quel langage il s’agit même si cela pouvait me sauver la vie.”

Ceria observa en silence les mots étranges, s’il s’agissait même de mots. Elle connaissait plusieurs langages écrits et elle avait beaucoup voyagé, mais malgré cela elle n’avait jamais vu ce style d’écriture. Elle fit un signe, et Olesm s’approcha à pas de loup, suivi par le reste des aventuriers.

“Olesm… que dis-tu de ça ?”

Le Drakéide fronça les sourcils en regardant le mur pendant que Gerial se retourna, surveillant le reste de la pièce au cas où quelque chose y bougerait. Rien de bougea, mais les innombrables tombes le perturbaient beaucoup. Il ne pouvait s’empêcher d‘imaginer quelque chose en train de ramper dans leur direction pendant qu’ils étudiaient le mur, et donc il resta le dos tourné à celui(ci pendant que ses amis réfléchissaient.

“Je ne suis pas sûr. On dirait une espèce de message, mais est-ce que c’est une prière ou quelque chose d’autre ?”

“Tu n’arrives pas à le lire ? Est-ce que ça ressemble à quelque chose que ton peuple aurait pu écrire il y a longtemps ?

IL hésita.

“Ça… ça pourrait avoir été écrit par le passé. Mais nous n’écrivons pas dans la vieille langue de nos jours. En tout cas, je suis incapable de al lire.”

“Est-ce que c’est important ?”

Gerial grimaça lorsque la voix de Calruz résonna à travers la pièce. Le Minotaure n’avait pas peur de réveiller quoi que ce soir. Il croisa les bras en examinant les gravures.

“Ça pourrait ne rien vouloir dire. Mais ça pourrait nous donner un indice sur ce qu’était cet endroit ou ce qu’il contenait.”

“Mais tu ne peux pas le lire.”

“Moi si.”

Gerial tourna la tête et dévisagea Ceria d’un air incrédule. Elle leva sa baguette, et la couleur était passée à un violet léger lorsqu’elle en éclaira le mur.

“C’est un petit sort que j’ai appris quand j’étais à Wistram. [Traduction].”

Sostrom siffla doucement.

Ça, c’est pratique.”

Ceria hocha la tête tandis que les mots se mettaient à luire d’une faible lueur violette. Elle fronça les sourcils pour se concentrer et reprit la parole.

“En effet. Mais je préférerais quand même qu’on ait un traducteur. Le sort prend du temps, et il ne marche pas à moins qu’il y ait suffisamment de mots à lire d’un coup. Et j’obtiens souvent un message embrouillé, parfois sans aucun sens selon le contenu. Mais ça devrait… oh.”

Aucun aventurier ne vit quoi que ce soit changer, mais le pouls de Ceria se mit à accélérer alors que les mots sur le mur…

Ils ne changèrent pas, pas exactement, mais elle les comprit d’une certaine façon. Et elle pouvait les traduire dans sa langue. Elle se tourna vers Olesm, les yeux écarquillés.

“Je ne crois vraiment pas que ce soit une prière pour les morts.”

“Quoi ? Qu’est-ce que ça dit ?”

“Je… c’est perturbant. Très perturbant.”

Calruz grogna.

“Nous ne sommes pas de petits enfants humains qui miaulent. Parle.”

La demie-Elfe hésita, puis elle s’éclaircit la gorge et se mit à lire avec hésitation. Les mots ressemblaient presque à une chanson, et en avaient la même cadence, les mêmes rythmes innocents. Ses mots étaient engloutis par les ténèbres de la pièces démesurée.

“Écorcheur, Écorcheur !

Il déchirera ta peau, il te mangera la queue !

Il dévorera ta famille et t’arrachera les yeux !

Écorcheur, Écorcheur !

Fuis tant que tu le peux !

Ne laisse pas sa main t’effleurer, ou ta chair sera son trophée !

Qu’importe les ombres, qu’importe le soleil, surtout reste bien caché,

L’affronter est futile, la peur est son alliée

Il vole nos écailles, emporte nos os décharnés

Et transforme cet endroit en notre mausolée.

Écorcheur, Écorcheur, garde sa porte bien scellée

Ou bientôt tes ossements joncheront ces pavés.”

Ses mots furent accueillis dans un silence de plomb. Puis l’un des aventuriers éclata d’un rire nerveux, et quelqu’un se joignit à lui. Leur rire résonna dans la vaste salle, puis s’y perdirent dans un malaise.

Gerial ne rit pas. Pas plus que Calruz ou la plupart des aventuriers. Le visage de Ceria était pale à la lumière de sa baguette et les lettres luisantes s’estompèrent, laissant les ténèbres reprendre leurs droits.

La voix de Gerial se brisa légèrement lorsqu’il prit la parole.

“C’était pour le moins perturbant, en effet. Mais qu’est-ce que ça veut dire ?”

Sostrom hésita en regardant fixement les mots au mur.

“On dirait… presque une comptine. Mais pas le genre de comptine que je chanterais à un de mes enfants.”

Olesm frissonna.

“Je n’avais jamais entendu… ce genre de chanson avant. Aucune personne saine d’esprit ne chanterait ce genre de chose, si ?”

“C’était un avertissement.”

Murmura Ceria, et Calruz acquiesça. La main du Minotaure faisait mine d’attraper le manche de sa hache de guerre, et la vue de ce tressaillement ne fit qu’augmenter la nervosité de Gerial. Il essaya d’en rire, mais il fut incapable de sourire.

“Un avertissement ? Qui écrirait un avertissement aussi… cryptique ?”

“Peut-être quelqu’un qui a peur de s’exprimer franchement. Ou… ou alors ce n’est pas un avertissement. Peut-être que c’est une comptine, ou une prière. La sorte qui existe depuis toujours au sujet de quelque chose qui a toujours été là.”

Sostrom secoua la tête.

“Qui est cet Écorcheur, alors ? Un mort-vivant ? Ou une sorte de [Nécromancien] ? Quiconque a écrit ce message semblait le craindre.”

“Peut-être qu’il est la raison pour laquelle cet endroit existe.”

Olesm fronça les sourcils en regardant autour de lui. Le reste des aventuriers cillèrent et il pointa les tombes du doigt.

“C’est clairement une chambre funéraire, mais c’est bizarre parce que nous autres Drakéides n'avons pas tendance à enterrer nos morts dans la pierre. C’est trop cher. On se contente la plupart du temps de les incinérer. Mais ce vers…”

Il leva les yeux et murmura.

“‘Il vole nos écailles, emporte nos os décharnés...’. Il n’y a que mon peuple qui aurait pu écrire ça. Donc… donc ils ont construit des cercueils de pierre pour lui dissimuler leur chair ? Mais il est enfermé avec les morts là-dessous ? Ça n’aurait aucun sens. Pourquoi ne pas brûler les corps ? Ils voudraient sûrement le garder le plus loin possible.”

Sostrom leva un doigt.

“Une idée. Est-ce que ça aurait pu être un piège pour cette créature, Écorcheur, ou… ou est-il le gardien de ce lieu ?”

Un autre silence. Gerial frissonna. Il avait froid, le frisson de peur plein de malaise qu’il ressentait lors des missions les plus dangereuses. Il ouvrit la bouche, mais un autre aventurier éleva la voix.

“Que diable peut être un Écorcheur ? Une espèce de mort-vivant particulier ?”

“Nous ne savons pas. Mais il y a de grande chances que ce soit ça qui attend derrière la porte que Gerald et le reste ont trouvée. On devrait y retourner et leur dire qu’il va y avoir de la baston.”

Calruz hocha la tête.

“D’accord. Nous allons nous abstenir d’ouvrir la porte avant d’être prêts. Et peut-être…”

Il hésita.

“... Peut-être devrions-nous envoyer un message à la surface. Demander si quelqu’un a déjà entendu parler de cette créature Écorcheur.”

Ceria acquiesça. Elle était soulagée qu’il parle par la voix de la raison, pour une fois. Elle se tourna.

“Dépêchons-nous avant que Gerald ne commette une grosse erreur. Je vais partir en prem…”

Tout se passa d’un coup. Ceria hurla et lâcha sa baguette, portant vivement ses mains à la tête. Gerial tira son épée, mais les aventuriers autour de lui étaient également en train de crier ou de tomber à genoux. Il regarda d’un air affolé autour de lui mais rien ne les attaquait.

La moitié des Cornes d’Hammerad se tenaient la tête entre les mains. Ceria tomba à genoux. Son [Instinct de Survie] s’était déclenché, mais ce n’était pas comme pendant l’embuscade. C’était une prémonition. De la peur, un pressentiment, la connaissance du danger lui glaçant soudain le cœur.

C’était…

C’était la terreur. C’était la mort. Elle entendit des hurlements dans son esprits, et sut qu’elle allait mourir si elle restait ici. Elle…

“Ceria !”

La main massive de Calruz la ramena à la réalité. Elle leva les yeux sur lui. Il la leva d’une main.

“Relève-toi ! Qu’est-ce qu’il se passe ?”

“Mon [Instinct de Survie]... Il vient de se passer quelque chose ! La porte… la chambre forte…”

Il jura.

“Ils l’ont ouverte ? Les fous !”

Il se mit à se précipiter vers le couloir, mais Ceria l’attrapa.

“Calruz ! Ce n’est pas comme avant. C’est… ma Compétence me dit que quelque chose de grave est arrivé. Quelque chose de très grave. Bien pire que l’embuscade.”

Il la dévisagea, ne saisissant visiblement pas toute l’ampleur de la situation. Il ne pouvait pas sentir la certitude, la terreur absolue qui envahissait son esprit et son cœur. Olesm tituba vers eux, l’épée levée.

“Nous sommes en danger. En très grave danger. Il faut qu’on se replie.”

Olesm s’essuya la bouche d’une serre tremblante. Il avait vomi. Sa queue s’agitait violemment alors qu’il scrutait les ténèbres autour de lui.

“Je n’ai jamais ressenti quelque chose de semblable. Lorsque j’étais petit et que le [Nécromancien] avait attaqué il y a dix ans… c’était le sentiment le plus proche que j’en ai eu. Mais c’est différent. J’ai peur, et l’[Instinct de Survie] ne transmet pas la peur. On doit partir d’ici.”

“Regroupons-nous. Rapidement. Guerriers, en formation, les mages, vous suivez de près. Préparez-vous à…”

Il s’interrompit lorsque Ceria attrapa son bras. Le Minotaure baissa les yeux sur elle alors qu’elle scrutait les alentours.

“Chut ! Silence. Vous entendez ça ?”

Le reste des aventuriers ses tut. Il ne leur fallut qu’une seconde pour comprendre ce que Ceria avait entendu. Un son aigu, au loin. Non… un chœur regroupant beaucoup de sons différents.

“Des cris.”

C’était ténu, mais les cris se répercutaient le long du corridor jusqu’à cette pièce. Et comme si cela avait déclenché quelque chose, ils entendirent un autre bruit.

Des craquements. Des sons sourds qui résonnaient derrière eux. Des sifflements et des gémissements étouffés. Les aventuriers se retournèrent.

La main de Gerial blanchit sur son épée. Il scruta les cercueils autour d’eaux lorsque soudain, des sons se mirent à en sortir.

“Que les dames et seigneurs, nous préservent…”

La moitié des couvercles des tombes de pierres tressaillirent ou s’écrasèrent au sol au moment où leurs occupants se mirent soudain en mouvement. La lumière des aventuriers n’éclairait pas toute la pièce, mais ils virent des choses sortir en rampant de leurs lits de pierre, se redresser d’un coup, et des éclairs de lumière cramoisie apparaitre soudain lorsque leurs crânes se tournèrent pour dévisager les vivants.

Leurs gémissements et leurs sons cauchemardesques emplirent l’immense pièce, résonnant, s’amplifiant… puis ils se mirent à crier en bondissant pour se précipiter sur les vivants.

Fuyez !”

Gerial n’était pas sûr de qui avait crié. C’était peut-être lui. Mais tous les aventuriers présents dans la pièce étaient soudain en train de se précipiter vers la porte tandis que des centaines de morts-vivants fondaient sur eux.

“La porte !”

Calruz attrapa Sostrom lorsque le mage passa le pas de la double porte. Il pointa le couloir du doigt.

“Peux-tu les ralentir ?”

L’homme chauve hésita. Il leva son bâton.

“Je… je pourrais lancer [Sol Collant]. La toile les ralentirait mais un tel nombre ne…”

“Jette-le ! Le reste, suivez-moi !”

Calruz se mit à courir avant même que les mots aient jailli de sa bouche. Sostrom leva désespérément son bâton et jeta le sort tandis que le reste des aventuriers se précipitaient dans le couloir à la suite de Calruz. Soudain, les étages inférieurs s’emplirent de nouveau de bruits, le fracas du métal, les cris de surprise au-dessus d’eaux.

Les hurlements.

Sostrom rattrapa Ceria, ses longues jambes s’agitant follement alors qu’il courait, le bâton levé devant lui. Il cria sauvagement.

“On n’a pas beaucoup de temps ! Une poignée de minutes avant qu’ils ne nous rattrapent !”

Personne ne répondit. Ils dévalèrent le couloir, et lorsqu’ils tournèrent au coin ils virent un groupe d’aventuriers armées, une quatorzaine menée par Yvlon. Ils levèrent leurs armes mais les baissèrent en apercevant leur identité.

“Calruz !”

Yvlon fit signe au Minotaure qui arrivait en courant. Son épée était levée et elle avait mis son groupe en formation, une ligne solide qui bloquait le couloir où était allé Gerald.

Calruz s’arrêta et pointa du doigt. Ceria et Gerial s’ajoutèrent à la ligne d’aventuriers, bouchant le chemin par lequel ils étaient arrivés pendant que le Minotaure parlait avec Yvlon.

“Qu’est-ce qu’il se passe ? Où sont Gerald et le reste ?”

Elle secoua la tête.

“La dernière fois que j’ai eu des nouvelles, ils étaient devant, en train de poser des pièges dans le couloir. Mais notre [Instinct de Survie] s’est déclenché et… la porte. Ils ont dû l’ouvrir.”

“Pauvres fous !”

“Ils n’ont pas dit qu’ils allaient ouvrir la chambre forte. J’avais été claire avec Gerald : il devait attendre que nous nous soyons regroupés. Alors pourquoi… ?”

“Est-ce que tu as envoyé quelqu’un là-bas ?”

Calruz scruta le couloir sombre et Yvlon acquiesça.

“Deux personnes. Je leur ai dit de revenir en courant dès qu’elles apercevaient quelque chose. Elles… elles ne sont jamais revenues.”

Elle avait l’air pâle.

“Les hurlements se sont arrêtés il y a quelques minutes. J’attendais que vous reveniez. Vous avez trouvé quelque chose ?”

Il acquiesça.

“Un message. Trop long à expliquer. Sache que nous allons probablement affronter Écorcheur, le gardien des lieux. Il… vole la peau.”

“Il vole ? La peau ?”

Le reste des aventuriers s’agitèrent nerveusement. Calruz hocha la tête.

“C’est ce qui était écrit. Et son réveil a entraîné celui du reste des morts-vivants, aussi. Il y a une horde qui approche derrière nous.

Les aventuriers gémirent et Yvlon fronça les sourcils.

“D’accord, alors, il semblerait que nous avons le choix. On ne peut plus combattre ici, on est en sous-nombre. On devrait se replier.”

Calruz secoua la tête.

“Et que fait-on de Gerald et du reste, en ce cas ?”

L’expression de son visage était sombre lorsqu’elle répondit.

“Je crois qu’il nous faut craindre le pire, pas toi ?”

Calruz serra les dents.

“Je ne veux pas m’enfuir sans avoir vu le visage de l’ennemi.”

“Ce sera la dernière chose que tu verras si on reste ici. Si on se retrouve coincé entre deux attaques…”

“Calruz.”

Le Minotaure ignora Ceria. Il pointa du doigt le couloir par lequel ils étaient arrivés.

“Mettez des sorts en place pour ralentir l’avancée de l’ennemi. Je vais aller voir s’il reste de vivants avant que nous nous repliions. Si on abandonne nos camarades…”

Calruz !”

Les deux capitaines se retournèrent. Ceria avait replié une main en coupe autour de l’une de ses oreilles pointues. Elle leva sa baguette en tremblant et la pointa sur les ténèbres devant eux.

“J’entends quelque chose. Quelque chose arrive par là-bas.”

Ils se turent, et les entendirent aussi. Des pas lourds.

Sostrom leva son bâton, mais hésita en voyant un aventurier surgir des ténèbres. C’était un homme, qu’il reconnaissait. Un guerrier de la Fierté de Kyrial. L’homme était cependant désarmé. Il avait les yeux écarquillés et courait comme s’il avait une légion de monstres à ses trousses. Mais rien de le poursuivait.

Gerial se leva et attrapa l’homme alors qu’il se précipitait vers les aventurier. Il avait failli s’étaler sur leur ligne de front, et il essaya d’esquiver Gerial lorsqu’il le saisit.

“Hey, qu’est-ce qu’il se passe ? Où sont Gerald et…”

Le guerrier lança un poing gantelé dans le visage de Gerial. Gerial tituba en arrière, et l’homme essaya de se dégager. Calruz le saisit et le plaqua contre un mur.

“Toi ! Comment oses-tu ?”

L’homme plongea son regard apeuré dans celui, furieux, de Calruz. Il ne paraissait même pas voir le Minotaure. Il se tortilla violemment dans la poigne de Calruz, cherchant à se dégager à tout prix.

“Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Il faut que je parte d’ici !”

Yvlon regarda dans le couloir, scrutant les ténèbres.

“Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce qu’il y avait derrière ces portes scellées ?”

L’homme cracha et se débattit dans la poigne de Calruz, lançant des coups de pieds futiles pour tenter de se dégager. Il avait à peine l’air conscient alors qu’il balbutiait des mots presque incohérents.

“Fuyez, fuyez ! Il est juste derrière nous !”

“Quoi donc ?”

Calruz raffermit encore sa poigne sur l’homme, et Gerial aurait juré avoir entendu les os craquer. Le Minotaure haussa le ton.

Pourquoi les portes ont-elles été ouvertes ? Nous avions dit à Gerald d’attendre ! Qui...”

“Nous n’avons pas ouvert les portes !”

Le Minotaure dévisagea l’homme. Il pantelait, ruisselant de sueur, ses yeux roulant dans leurs orbites alors qu’il tentait de s’échapper.

“Si vous ne les avez pas ouvertes, alors qui…”

La chose les a ouvertes de l’intérieur !”

Hurla l’homme dans le couloir, son cri se répercutant contre les parois.

La chose les a ouvertes, et elle a pris Gerald et le reste ! Laissez-moi partir. Elle arrive. On doit fuir, tous. Ne pouvez-vous pas la sentir ? Elle arrive !”

“Qui donc ? Écorcheur ? Est-ce que c’est un mort-vivant ?”

Mais l’homme refusa de répondre. Son pied se leva et il le lança dans le ventre de Calruz suffisamment fort pour que le Minotaure grogne et recule. Il lâcha le guerrier et l’homme bondit sur ses pieds. Il se précipita entre les rangs des aventuriers, courut dans le couloir, ses bruits de course résonnant et finissant par disparaitre avec lui en haut des escaliers.

Calruz poussa un juron en se frottant l’estomac. Il regarda Yvlon et les deux Capitaines marquèrent une pause.

“Ils sont morts. Mais qu’est-ce qui les a attrapé ? Cet Écorcheur…”

“On devrait se replier. Allons récupérer les blessés, et on part d’ici. Les mages pourront jeter des sorts pour ralentir la poursuite…”

Yvlon acquiesça. Elle se retourna et haussa la voix pour lancer des ordres aux aventuriers, mais les mots moururent dans sa gorge.

Quelque chose. En écoutant les hurlements de l’aventurier paniqué, ils ne l’avaient pas entendu. C’était un bruit tellement ténu. Une sorte de son… traînant, grattant. Il s’était amplifié, lentement. Et cela n’aurait pas eu d’importance. Mais à présent, il était tout proche et… quelque chose… était apparu au fond du couloir.

Les lumières émises par les baguettes, les bâtons, et les lanternes et les torches vacillantes n’illuminaient peut-être qu’une trentaine de mètres du long couloir de pierre vide. À la limite de cette lumière, quelque chose était apparu.

Quelque chose de blanc. C’était tellement loin, et pourtant cela remplissait le corridor. On aurait dit… un nuage ? Ou de la brume, rampant lentement dans leur direction, s’extirpant des ténèbres. Un mur de blanc qui bougeait.

Mais ce n’était pas cela qui avait saisi la voix d’Yvlon au fond de sa gorge. C’était le détail, ténu, qu’elle pouvait voir au milieu de ce nuage surnaturel, une forme familière qui se découpait dans la pénombre, et la dévisageait.

Un visage.

“Gerald… ?”

Il ne réagit pas à la voix d’Yvlon. Le Capitaine de la Fierté de Kyrial regardait droit devant lui d’un air vide, son visage mouvant dans la brume. Il regardait droit devant lui, sans expression, le visage pâle et exsangue. Et sa tête… elle bougeait d’une manière complètement alien pour une tête, lorsqu’elle était rattachée à un corps.

La mer blanche qui l’entourait avança, mais à présent les aventuriers pouvaient voir un autre visage flotter lentement à la surface. Cervial. Il regardait droit devant lui, le regard vide et vacant, ondulant de la même horrible manière que Gerald.

“Cervial ! C’est toi ?”

Là encore, pas de réponse.

Plus près encore. À présent les brumes ne paraissaient plus si transparentes. Ce n’était pas de la brume, mais quelque chose d’autre. Quelque chose qui ondulait et tremblait en se trainant le long du couloir. Toujours plus près.

“Gerald, Cervial ! Répondez-moi ! Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que ça va ?”

Aucun des visages ne bougea. Aucune tête ne tressaillit. Les aventuriers dévisagèrent Gerald qui regardait devant lui, ses yeux vides.

De la chair. De la chair morte. Elle ondulait, tremblait, se tordait, luisant à la lumière. Elle était jaunie par endroits, rosée par ailleurs, tachetée de sang. Mais principalement blanche. Blanche de vieillesse et de mort dépourvue de sang. C’était de la peau morte, accumulée et agglomérée.

C’était un corps. Et les visages de leurs amis, les Capitaines…

En faisaient partie.

Pas seulement leurs visages. Leur peau. Alors que la créature approchait, plusieurs hommes et femmes furent pris de haut-le-corps et vomirent. Cette… chose était faite de corps. De corps entiers, écorchés. Arrachés à leurs propriétaires et collés ensemble.

Et ces corps agglomérés formaient un corps long, enflé, semblable à celui d’une limace qui se redressait en avant. Deux bras massifs se tendirent et saisirent le sol, traînant le reste du corps à leur suite. Il n’y avait pas de tête. Ou plutôt, un visage cave, un simulacre de visage humain. Pas de nez. Pas d’oreilles ou de cheveux. Juste deux orbites creusées et emplies d’une lumière cramoisie et une bouche béante, vide.

Des morceaux de chair blanchâtre pendent derrière la créature alors qu’elle se tracte en avant sur une autre dizaine de mètres. Elle se décompose, sème des morceaux d’elle-même sur son chemin. Mais elle reste gigantesque, ses mains sont suffisamment larges pour s’enrouler autour de n’importe quel humain, ses longs doigts de chair nue et glissante, presque délicats, pointant de ses paumes à travers lesquelles transparaît de la chair rouge.

Quelque chose. Quelque chose vivait dans le corps de peau morte. Et cette chose arrivait sur eux. La créature s’avança lentement en direction des aventuriers, se tractant sur le sol alors que les visages de leurs camarades - tous leurs camarades - regardaient droit devant eux d’un air vide, dernier ajout à sa peau.

Parce que voilà ce que c’était. Et Ceria sut aussitôt. Elle sut, alors qu’il baissait les yeux sur elle et qu’elle sentit la mort dans ses os.

Elle sut son nom.

Écorcheur.


***

Il avança sur eux, lentement, se tractant d’un bras en descendant dans le couloir. Il n’avait pas de jambes. Il n’était qu’un torse, un simulacre défiguré de quelque chose d’humain. Et encore, pas même cela.

Il n’était même pas humanoïde. Contrairement aux Seigneurs des Cryptes qui ressemblaient à des simulacres gonflés et tordus de quelque chose qui avait un jour vécu, Skinner avait tout simplement l’air mort.

Ceria savait qu’elle devait bouger. Elle savait qu’elle devait lever sa baguette et se mettre à lancer des sorts sur la créature maintenant qu’elle était apparue. Elle et le reste des aventuriers devaient faire pleuvoir du feu sur elle, l’éradiquer de la surface de la terre. Elle était devant elle.

Mais elle était incapable de bouger. Elle ne pouvait lever sa baguette. Elle était pétrifiée.

Deux yeux de rubis luirent, profondément enfouis dans les couches de peau séchée, agglutinée. Ils ne bougeaient pas, pas comme des yeux normaux. Écorcheur devait se tordre et tourner la tête pour voir, mais la lumière qu’ils émettaient créait un cône de… de…

Terreur.

Cela l’avait frappée dès qu’il était apparu au bout du couloir. Quelque chose avait plongé à l’intérieur d’elle, et saisi son cœur. Elle tremblait à son approche, et elle était complètement paralysée.

“Ce n’est que... de la peau morte.”

Marmotta Yvlon. Ceria dut tourner la tête pour la voir. La femme tremblait, sa main crispée sur son épée. Elle essayait de la lever, mais elle en était incapable.

La peur.

“Nous sommes ensorcelés.”

Annonça Ceria à travers ses lèvres engourdies. Elle tenta de concentrer du mana en elle, de combattre la magie. Mais elle était trop puissante. Et la terreur la consumait toute entière. Elle ne pouvait même pas penser à résister. Tout ce qu’elle voulait, c’était s’enfuir.

Mais elle avait trop peur pour faire même cela.

C’était comme les cauchemars que faisait Ceria enfant, entre le sommeil et l’éveil, à minuit. Elle était dans son lit, en train de regarder une porte, une fenêtre. Elle savait que quelque chose était derrière, que quelque chose la regardait. Elle savait, mais elle avait trop peur pour se lever et aller voir. Si elle bougeait - si elle faisait le moindre mouvement - la chose l’attraperait.

Donc elle restait étendue, immobile, et elle finissait par s’endormir et le matin se levait. Ses terreurs nocturnes disparaissaient à la lumière du jour.

Mais c’était différent. C’était l’horreur faite chair, et elle n’allait pas disparaître. Mais comme dans ses peurs d’enfants, Ceria était piégée. Elle ne pouvait pas bouger.

“Cornes d’Hammerad…”

La voix de Calruz s’étouffa dans le silence. Elle le vit lever un pied et se battre de toutes ses forces pour avancer. Même le Minotaure, même leur meneur sans peur était paralysé.

“Nous devons… nous replier.”

C’était Olesm qui avait dit ça. Il essayait de reculer, mais même la fuite était difficile. Ils étaient paralysés.

Écorcheur se tracta un peu plus près. Trop près. Il était devant eux à présent, et ils le sentaient. De la chair morte. Du sang, aussi. Du sang, la mort et la pourriture. C’était horrifiant.

Ses yeux se baissèrent sur eux, la peur suivit. Calruz tenta de lever sa hache, mais ses bras tremblaient. La bouche d’Écorcheur s’ouvrit.

Il sourit.

Une main fondit en avant. Une femme, au front - une guerrière armée d’une hache et d’un bouclier - hurla, prise d’une terreur soudaine. Le cri tira les aventuriers de leur torpeur. Ils s’éparpillèrent lorsque Skinner l’encercla d’une main et tira.

Sa peau se déchira. Tout d’un coup. Elle laissa… elle laissa un corps sanglant qui tomba au sol. Possiblement mort. Ou pire… vivant.

La peau de la femme claqua et tremblota dans la main d’Écorcheur. Il la leva et la posa délicatement en travers d’un bras. Sa peau… fondit dans sa chair et soudain elle apparut. Son visage vide dévisagea les aventuriers.

Ils s’enfuirent. Leur terreur n’avait pas disparu, elle s’était simplement déplacée. Au lieu de cela, les Aventuriers Argents expérimentés lâchèrent leurs armes et s’enfuirent, poussant, jouant des coudes, tentant de sortir d’ici.

Mais en se retournant pour fuir, ils s’aperçurent qu’ils n’étaient plus seuls. Des corps se dressaient en travers de leur chemin, bloquant le couloir. Des corps morts.

Des zombies. Des Squelettes. Des goules. Encore d’autres Seigneurs des Cryptes et des Esprits des Tertres. Les morts-vivants étaient revenus, et ils empêchaient les aventuriers de s’enfuir. Ils leurs fondirent dessus en silence, les saisirent, les mordirent, les repoussant vers Écorcheur.

“Repli !”

C’était Calruz qui avait mugi. Il saisit sa hache de guerre entre des mains tremblantes et décapita un zombie. Ceria bougea aussi. Elle leva lentement sa baguette et jeta un pic de glace sur l’un des morts tandis que ses pieds la ramenaient en arrière.

Elle pouvait bouger. Gerial et elle coururent dans le couloir avec le reste des aventuriers,  poussant les morts-vivants hors de leur chemin. Elle pouvait se battre. Mais dès l’instant où elle se tournait vers Écorcheur ou qu’elle ne faisait même que penser à lever sa baguette sur lui…

Paralysie. Peur. Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait que fuir. Elle devait s’échapper d’ici. Elle devait s’échapper d’ici.

Les aventuriers hurlèrent et coururent dans le couloir, certains trébuchants, d’autres combattant les morts-vivants et d’autres encore traînant derrière. Écorcheur saisit un mage qui cria à l’aide mais personne ne se retourna pour l’aider.

Ils s’enfuirent. Mais ils s’arrêtèrent lorsqu’ils virent le mur de guerriers morts-vivants. Ils bloquaient le chemin vers la surface. Ils attendaient, le cadavre du guerrier qui s’était enfui plus tôt écrasé contre un mur, son cerveau étalé sur la pierre.

“On doit fuir.”

“On doit se battre.”

Yvlon et Calruz avaient parlé au même moment. Elle tremblait, mais il s’était arrêté. Sa tête était tournée. Il regardait Écorcheur.

Ceria ne voulait pas regarder. Elle voulait fuir, mais Calruz s’était arrêté. Il haussa la voix, sans crier, mais parlant fort, sa voix résonnant dans le silence.

“Cornes d’Hammerad. Si vous avez la moindre fierté, tournez-vous et faites face à votre ennemi.”

Elle n’en avait pas envie. Mais elle le devait. Juste pour savoir à quel point il était proche. Ceria se tourna…

Et vit Sostrom.

Il pendait des mains d’Écorcheur. Ou une partie de lui seulement. Sa peau avait été arrachée et faisait à présent partie du corps d’Écorcheur. Le monstre lâcha ce qui en restait.

Il avait crié à l’aide. Mais Ceria l’avait ignoré. Il avait crié. Et à présent, il était mort.

Ceria le vit. Elle le vit, mais ses yeux fuirent Écorcheur. Elle trembla, incapable de le regarder. Il avançait lentement, prenant son temps tandis que les morts-vivants cognaient le reste des aventuriers. Elle… Sostrom était mort. Mais elle devait fuir.

Ses pieds reculèrent. Mais une paire de sabots avancèrent.

Calruz fit un pas, puis deux. Ses mouvements étaient saccadés - son corps était penché en avant comme s’il luttait contre quelque chose. Mais il avança vers Écorcheur, et déclara :

“Ne fuyez pas. Vous êtes les Cornes d’Hammerad. Cette chose a tué les nôtres. Nous devons venger…”

“Calruz. On doit y aller. Aide-nous.”

Ceria souffla les mots. Le Minotaure secoua la tête.

“L’honneur. Nous ne devons pas fuir. Fais face à ta mort avec fierté.”

Il soupesa sa hache de guerre. Écorcheur s’immobilisa de l’autre côté du couloir, dévisageant l’unique aventurier qui ne fuyait pas devant lui.  Il semblait… intrigué, autant que son visage sans expression pouvait l’être. Il leva une main.

“Je suis Calruz. Je te défie.”

Le Minotaure souleva sa hache. Il esquiva l’une des mains d’Écorcheur lorsqu’il fondit sur lui et courut jusqu’à son corps. Il leva sa hache et découpa la poitrine d’Écorcheur.

L’arme mordit profondément dans la chair. Calruz rugit en déchirant la peau morte, et pendant un instant Ceria osa espérer. Les aventuriers interrompirent leur combat, et les morts firent de même, dévisageant Écorcheur.

La hache de Calruz détacha le morceau qu’il avait creusé dans Écorcheur et il tomba au sol. Écorcheur cligna des yeux. C’était…

C’était de la peau morte. Calruz plongea le regard dans la plaie béante qu’il avait faite. Il ne vit que de la peau morte. Juste de la peau morte. Pas de sang. Pas même d’organes ou dos. Juste de la peau morte, empilée pour former une armure.

Il leva de nouveau sa hache et mordit profondément dans la chair. Mais il ne rencontra rien d’autre que de la peau. Et au-dessus de lui, le monstre bougea.

Une main massive fondit sur Calruz. Le Minotaure avait logé sa hache dans la peau et il dut rouler au sol et l’abandonner. Il esquiva sur le côté, mais trop lentement. Trop tard.

Écorcheur se tourna et saisit le bras de Calruz d’une main. Il tordit, et le Minotaure cria et recula. Le monstre jeta nonchalamment son bras au sol et sa bouche bougea.

Il sourit.

Ceria hurla alors que Calruz titubait en arrière, l’une de ses épaules brutalement réduite à un moignon sanglant. Il rugit de douleur, de furie, et de peur. Il leva sa main pour cogner Écorcheur, mais quelque chose l’attrapa par derrière.

Un zombie. Le Drakéïde mort attrapa Calruz par les jambes. Il tourna et donna un coup de pied, et il tomba au sol, le crâne fracturé. Mais un squelette lui fondit dessus, attrapant son bras, et alors d’autres zombies se saisirent de lui. Calruz les jeta sur le côté, cognant, combattant, mais il fut englouti par leur nombre.

Il disparut sous une foule de cadavre, rugissant d’agonie alors que leurs griffes et leurs lames déchiraient ses chairs. Les ténèbres avalèrent le Minotaure alors qu’Écorcheur se retournait vers Ceria.

Elle trembla. Elle était tétanisée sur place alors que les yeux cramoisies la dévisageaient. Elle voulait fuir. Elle devait fuir. Mais la peur la clouait sur place.

Un squelette s’approcha, souriant, une épée dans les mains. Il leva la lame et Gerial plongea sur lui, le faisant tomber au sol.

“Ceria !”

Il hurla, la protégeant avec son dos du regard d’Écorcheur. Elle put soudain de nouveau bouger, et elle haleta en tremblant alors qu’il la forçait à reculer.

Gerial serra Ceria dans ses bras alors qu’elle s’accrochait à lui, sa tête tournant de part et d’autre pour voir les morts combattant les vivants, les aventuriers toujours en train de hurler et de tenter de s’échapper. Ses bras se resserrèrent et il la tint tout contre lui. Il lui parla, sa voix étant l’unique son qu’elle pouvait entendre par-dessus le rugissement dans ses oreilles.

“Va. Fuis.”

“Quoi ?”

Ceria le dévisagea. Le visage de Gerial était livide, et il avait l’air presque aussi exsangue que le corps d’Écorcheur. Il frissonna et elle le sentit.

“Fuis. Je… je vais te faire gagner un peu de temps.”

Il pointa le fond du couloir du doigt. Les pieds de Ceria se mirent à bouger, mais elle les força à s’arrêter.

“Gerial…”

Il la repoussa.

Fuis, bon sang !”

Il se retourna et avança vers Écorcheur. Il pouvait le regarder, et ses jambes tremblaient. Elles cessèrent de trembler à cinq mètres d’Écorcheur. Gerial ne pouvait pas s’approcher plus.

Là encore, Écorcheur s’arrêta et le regarda avec intérêt. Gerial tenta de lever son épée, mais il en fut incapable. La terreur se saisit de lui, et il ne put même pas lever son arme.

Ce n’était pas juste. Mais il entendit et sentit Ceria se retourner et s’enfuir derrière lui. C’était suffisant. C’était…

Il leva l’autre objet dans sa main droite. Une fiole d’acide clapota dans sa main gantelée. Peut-être. S’il pouvait forcer Écorcheur à se retourner, peut-être…

Il allait mourir. Gerial le savait. Les morts-vivants l’encerclaient, mais ne l’attaquaient pas. Les aventuriers étaient en train de fuir ou étaient déjà morts, mais les morts attendaient qu’Écorcheur le prenne. Il devait gagner du temps. Pour qu’elle vive. Pour qu’une d’entre eux survive.

“La mort avant le déshonneur.”

Les mots suffirent à le faire lever les yeux, à croiser le regard terrifiant. Écorcheur lui sourit, et le cœur de Gerial s’arrêta. La main se tendit vers lui, et il leva le bras, le tira en arrière pour jeter la fiole.

Mais il hésita. La peur agita son bras d’un spasme et la fiole d’acide s’écrasa au sol devant Écorcheur, n’éclaboussant que la moitié inférieure du monstre d’acide.

Écorcheur se jeta en arrière. La peau se mit à fumer et à peler, mais la créature ne laissa pas l’acide le consumer plus. Il tendit la main et retira plusieurs couches de son propre corps, plongeant les mains dans la peau blanche et jetant les morceaux fumants par terre où ils finirent de se consumer.

Gerial regarda, engourdi, la peau morte. Il leva son épée, mais Écorcheur fouetta l’air d’un doigt et l’arme s’envola. La main de Gerial se brisa sous l’impact.

Il leva les yeux, amer. Écorcheur se pencha sur lui. Il ne souriait plus, au moins.

“Si…”

Une main se saisit de lui, et Gerial sentir un déchirement... puis le froid. Il était parti avant même d’atteindre le sol.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 24 juin 2020 à 13:58:18
Note des traducteurs: Attention, ceci est la seconde partie du chapitre!

1.02 H - Partie 2
Traduit par EllieVia

Ceria vit Gerial mourir. Elle s’arrêta dans le couloir et hurla. Il tomba au sol lorsque Écorcheur prit délicatement sa peau. La créature la plaça là où l’acide l’avait atteint puis se remit à avancer comme si rien ne s’était passé.

Elle devait fuir. Mais quelque chose en Ceria hurlait plus fort que la peur. Sostrom. Calruz. Gerial. Ses amis étaient morts. Sa famille était en train de mourir.

Elle fit face à Écorcheur, son corps tremblant de peur. Ceria ne pouvait même pas regarder son visage. Il se moqua d’elle, sans bruit, ses lèvres gercées révélant un corps vide. Il n’était constitué que de peau. De peau et de quelque chose de rouge qui se tordait dans son corps et lui donnait vie.

Elle ne pouvait pas lever sa baguette. La peur consumait la totalité de son être. Ceria hurla de désespoir et s’enfuit. Elle ne pouvait faire que cela. Elle laissa son ami derrière elle et s’enfuit.

Vivre. Elle mourrait si elle faisait face à Écorcheur. Elle devait vivre.

Une main saisit sa jambe. Ceria hurla lorsque la peau à l’arrière de sa jambe se déchira.

Sa peau se recroquevilla alors qu’Écorcheur la contemplait dans une main. Il l’apporta à sa “bouche” comme pour la goûter, puis il jeta le morceau de peau par terre. Et il ne prêta aucune attention à Ceria. Écorcheur se détourna et se mit à se tracter au sol, reprenant sa poursuite des humains.

Pendant un moment, Ceria resta au sol, incrédule. Mais elle vit les morts se diriger vers elle, et la réalité la frappa en même temps que la douleur.

Elle se leva. Sa jambe… elle pouvait bouger. Mais tout juste. Ceria boîta et se traîna dans le couloir. Les morts-vivants étaient autour d’elle, déchiquetant des aventuriers recroquevillés au sol ou poursuivant ceux qui s’enfuyaient.

C’était le chaos. Ceria leva sa baguette et fit exploser un squelette qui se dressait sur son chemin. Elle n’était pas loin de la salle avec les blessés mais…

Yvlon était devant elle, dans une mêlée d’aventuriers qui hurlaient et se battaient pour passer devant deux Seigneurs des Cryptes. Les abominations gigantesques bloquaient le passage, fracassant des aventuriers contre les murs et les écrasant avec une aisance méprisante.

Il n’y avait aucune tentative de se battre en tant que groupe. Les hommes et les femmes se poussaient, frappant même leurs amis en tentant de s’échapper. Écorcheur se traîna lentement le long du couloir, déchirant les humains qui hurlaient de terreur.

La capitaine des Lances d’Argent criait, tentant de se faire entendre par-dessus le boucan. Elle était saisie de terreur comme le reste d’entre eux, mais elle restait au moins assez cohérente pour essayer de combattre les Seigneurs des Cryptes. Mais personne ne l’écoutait.

Les morts-vivants étaient partout. Ils sortaient des tunnels, mordaient, griffaient, déchiraient. Ceria hurla lorsqu’un squelette lui planta une dague dans le dos. Là encore, sa robe la sauva mais elle sentit la peau se déchirer alors même que la lame la tailladait.

Il lui taillada la jambe. Ceria hurla en sentant ses tendons exposés se déchirer et ses os se briser.

Elle leva sa baguette et cette fois-ci le brûla. Le squelette tituba en arrière alors que ses os craquaient sous la chaleur. Ceria se releva. Elle pouvait utiliser le reste des aventuriers comme des boucliers dans qu’Écorcheur l’ignorait. Si Ceria les sacrifiait elle pourrait…

Yvlon se battait. Sa chevelure blonde était couverte de sang, mais elle tournoyait, pourfendant goules et zombies en se démenant pour protéger ses amis. Elle essayait de tailler un chemin avant qu’Écorcheur ne les atteigne. Mais les Seigneurs des Cryptes étaient trop forts, les aventuriers trop désorganisés.

Ils allaient tous mourir. Ceria regarda Écorcheur, et sa bouche s’ouvrit. Elle ne pouvait toujours pas lever sa baguette malgré tout cela. La magie était trop puissante. Elle avait trop peur. Elle se maudit pour cela.

Mais les autres… le visage de Gerial flotta devant Ceria. Elle ferma les yeux.

“La mort avant le déshonneur.”

Ceria brisa sa baguette. Elle dut la casser sur son bon genou, mais lorsqu’elle y parvint, la magie explosa. Un froid, un froid sans fin couvrit instantanément les murs et le sol autour d’elle de givre, et les morts-vivants qui tentaient de l’attaquer gelèrent sur place. Mais Ceria prit la magie et la transforma.

Un sortilège.

Yvlon se tourna, son épée levée juste à temps pour voir Ceria viser. La demie-Elfe était debout au fond du couloir, derrière Écorcheur, mais elle visait le Seigneur des Cryptes le plus proche d’Yvlon. Son doigt brilla d’une lumière d’un blanc bleuté et un blizzard était apparu autour d’elle.

L’aventurière plongea au sol alors qu’un pic de glace deux fois plus long et large qu’un humain fonçait à travers le couloir, explosant en une multitude d’aiguilles de glace contre un mur. Les morts-vivants, et même les aventuriers suffisamment malchanceux pour être pris sur sa trajectoire tombèrent au sol, gelés. Ou morts.

La moitié inférieure du Seigneur des Cryptes tomba, et les aventuriers se précipitèrent dans l’ouverture. L’autre Seigneur des Cryptes saisit deux hommes, mais d’autres hommes et femmes plongèrent en avant, poursuivis par les morts-vivants les plus rapides.

Ceria faillit s’évanouir lorsque l’effort magique la rattrapa. Elle aurait crié, mais la douleur n’était qu’une couche de plus sur son agonie. Mais le froid qu’elle avait canalisé la frappa aussi. La main qu’elle avait utilisée pour le sort était déjà engourdie, mais à présent elle ne pouvait même plus la bouger.

Sa main se gela. Sa peau se mit à peler, et devint noire par endroits. Elle tomba à genoux alors qu’Yvlon se retournait.

Cinq mètres. Une distance frôlant l’infini. C’était ce qui séparait les deux femmes. Mais les morts couraient, et Écorcheur suivait, arrachant des vies. Yvlon vacilla un instant, et ses yeux croisèrent le regard de Ceria.

Leurs regards se croisèrent pendant une longue seconde, puis la Capitaine des Lances d’Argent s’en arracha. Elle se remit à courir, et les morts se précipitèrent à ses trousses.

La plupart d’entre eux. Écorcheur ignorait la demie-Elfe, mais le reste d’entre eux étaient attirés par elle. Elle se releva, et se mit à courir tandis qu’une poignée de morts-vivants se lançaient à sa poursuite.

Plus loin dans le couloir, à droite. À travers le labyrinthe de couloirs qu’elle avait explorés. Ceria courut, esquivant des bras qui tentaient de la saisir et des mâchoires béantes, sachant qu’il n’y avait pas d’échappatoire.

Elle trébucha et tomba en atteignant l’endroit où elle avait lu le message d’Écorcheur. Ceria essaya de se relever et réalisa qu’elle n’avait pas trébuché. Sa jambe cassée avait cessé de bouger.

C’était la fin. Elle tenta de se relever, poussant le sol de son bras et de sa jambe valides. Elle s’appuya contre un mur, sentant quelque chose d’important fuir son corps.
Une silhouette apparut dans les ténèbres. Une goule avançait dans le couloir, ses yeux jaunes luisants fixés sur Ceria.  Cela avait été une femelle, jadis. Elle dévisagea Ceria, souriant de ses dents ébréchées.

Ceria prit sa dague dans sa main droite tremblante. Elle était lourde dans sa main.

La goule s’avança plus près, feintant, dansant autour de Ceria pour aller dans son dos. Elle tituba, en essayant de la garder devant elle.

Ceria se sentait creuse. Vide. Elle pleurait. Elle sanglotait. Elle aurait voulu…

Elle aurait voulu que rien ne soit arrivé. Rien de tout cela. Mais c’était trop tard à présent.

La goule fouetta l’air, faisant couler son sang, et recula. Elle se préparait à porter le coup final.

Les larmes coulèrent de ses yeux, mais Ceria cilla pour les chasser. Elle plongea en avant et sa dague atteint la goule dans la joue. Elle se débattit violemment, lui arrachant la lame des mains, puis ses dents se mirent à la mordre, à déchirer son oreille, sa chair.

Ceria tendit la main, mais personne ne la prit. Elle ferma les yeux et attendit la fin. Elle vint avec des dents tranchantes pour l’arracher à la douleur. Puis elle était partie.



***

Les ténèbres recouvrirent les ruines alors que les orbes de lumière jetées par le sort d’[Illumination] de Ceria disparaissaient une à une au passage d’Écorcheur. La chose qui volait la chair et traquait les vivants leva la tête en direction de la surface et les morts la suivirent, par paquets, affamés. Un flot de morts sortit des catacombes, à travers les tunnels et les passages secrets, courant, rampant, vers la surface.
 
Au-dessus.
 
Et Écorcheur se remit à avancer. La chose… ou plutôt, il… avait récolté assez de chair. À présent il allait récolter le reste. Il quitta les ruines, et ne laissa que la mort derrière lui.
 
La mort.
 
Et le silence.
 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 29 juin 2020 à 10:50:06
Notes des traducteurs: Désolé de ce léger retard! Ellie aurait dût posté le chapitre samedi, mais elle a eut quelques problèmes de connexions! Mais le voilà!

1.42
Traduit par Maroti

Erin s’assit dans son auberge, regardant fixement une table. Elle n’avait rien de mieux à faire. Normalement elle aurait été en train de servir des clients, de bavarder, ou de jouer aux échecs, mais elle ne pouvait rien faire de cela aujourd’hui.
 
Ils étaient tous partis. Pion avait quitté la ville avec les autres Ouvriers, promettant de revenir demain.
 
Il… ne pouvait toujours pas marcher correctement. Mais les autres Ouvriers l’aidaient à marcher et à bouger et…
 
« Il a quelque chose de différent. »
 
Toren leva les yeux de sa table et regarda Erin. Il s’arrêta, attendant un ordre, et recommença à frotter.
 
« Je veux dire, il semble différent. Il agit différemment. Avec plus de confiance, t’vois ? »
 
Toren attrapa un petit scarabée qui avait erré dans le bâtiment et l’écrasa entre ses doigts.
 
« Beurk ! Ne fais pas ça ! Débarrasse-toi d’eux en les remettant dehors ! »
 
Le squelette marcha jusqu’à la porte avec obéissance. Erin essaya de ne pas laisser son estomac se souvenir de la vision de l’intérieur orange de l’insecte suintant…
 
« Il n’y’ a pas beaucoup d’insectes. Mais apparemment, c’est l’hiver. »
 
Il ne faisait pas très froid. Toren rouvrit la porte et entra dans l’auberge, les doigts propres, mais Erin ne frissonna presque pas.
 
« Est-ce que je suis proche de l’équateur ? »
 
Le squelette haussa les épaules, au moins c’était quelque chose. Il ne répondait généralement pas aux questions qui lui étaient posées, mais il était bien plus pratique qu’il l’avait été.
 
Erin se pencha sur la table. Elle n’avait personne d’autre à qui parler et au moins Toren semblait confus quand quelqu’un lui parlait, ce qui était mieux que rien.
 
« C’était les échecs. Pion était totalement offensif ce matin ! Est-ce que tu as remarqué ? Il était plus fort… Enfin, il était toujours en train d’apprendre, mais il tentait sa chance. J’ai hâte de voir ce qui peut arriver si lui et Loks font une partie. C’est comme s’il avait eu un massif boost de confiance. Tu penses que s’est passé avec Ksmvr ? »
 
Toren regarda Erin et s’empara d’un torchon et le trempa dans un sceau. Erin soupira et se balança sur sa chaise, se demandant à quel point elle aurait mal si elle tombait. Cela ferait encore plus mal Toren bondissait pour essayait de la rattraper, comme il l’avait fait deux fois auparavant. Atterrir sur du plancher ? Aie. Atterrir sur des bouts de squelette ? Double aie.
 
Erin ferma les yeux, et elle les écarquilla. Elle perdit l’équilibre et l’élan l’entraîna en avant, la faisait se cogner sur la table. Mais elle ne s’en rendit même pas compte.
 
Une alarme. Cela sonnait… Non, cela se ressentait comme une sirène d’alarme de tornade sonnant à plein volume dans sa tête. Mais ce n’était pas un son, c’était une sensation, un gémissement aigu qui lui disait qu’elle était en danger
 
Erin regarda autour d’elle. Toren la regarda, tenant le torchon dans une main. Erin renversa sa chaise et courut dans la cuisine pour attraper une poêle à frire et une jarre d’acide. Toren leva les yeux et laissa tomber son torchon quand il vit qu’Erin était armée.
 
« Il y a quelque chose dehors. »
 
Il se précipita dans la cuisine et sortit avec l’épée qu’il avait prise à l’un des aventuriers. Erin s’agenouilla près d’une table, son cœur battant la chamade. L’alarme était toujours en train de sonner dans sa tête, et elle se sentait terrifiée.
 
 
 Toren était derrière elle. Il leva son épée et jeta un œil dans l’auberge. Il regarda Erin avec impatience et pointa vers la porte.
 
« Je ne sais pas où est-ce que c'est. Mais il y a quelque chose. Quelque chose de terrible. »
 
Mais il semblait ne rien y avoir dehors, du moins s’ils se fiaient au son. Erin ouvrit la porte avec précaution et jeta un œil. Elle fit signe, et Toren courut vers l’étage avant de revenir quelques instants plus tard en secouant la tête. Elle regarda par la fenêtre, et décida d’abandonner la prudence.
 
Elle courut dehors, se tenant sur le sommet de la colline, regardant les plaines alentour. Rien. Elle se précipita de l’autre côté de l’auberge et regarda dans l’autre direction. Toren l’aida à monter sur le toit et elle observa depuis sa position surélevée.
 
Après quelques temps, Erin redescendit et Toren s’écroula quand il essaya de l’attraper.
 
« Aïe ! Ne te mets pas en-dessous la prochaine fois ! »
 
Il l’aida à se relever et Erin regarda les plaines alentours. Rien. Le soleil était toujours en train de descendre dans le ciel, et il ne faisait pas encore nuit. Mais elle ne pouvait rien voir. Mais elle l’avait senti, avec une certitude qui ne la quittait pas.
 
« Alors, qu’est-ce que c’était ? »
 
Erin marcha, tendant l’oreille, et scanna l’horizon pendant dix minutes de plus. Mais elle ne pouvait rien voir. Et rester à découvert commençait à la déranger plus qu’autre chose.
 
Peut-être… Peut-être que cela n’avait été qu’une fausse alarme ? Ou que ce qui était en train d‘arriver était trop loin. Comme…
 
« Peut-être que quelqu’un a lancé une bombe nucléaire ? Ou une bombe nucléaire… Magique ? »
 
Erin secoua la tête alors que Toren la regarda. Ce n’était pas ça.
 
« Peut-être que ce n’est rien. Reste… reste sur tes gardes, d’accord ? »
 
Il hocha la tête, Erin soupira avant de secouer la sienne. Elle retourna dans l’auberge mais garda la poêle à frire, la jarre d’acide, et l’un des couteaux de cuisine sur la table.
 
Juste au cas où.
 
***

Les morts se déversèrent hors des ruines en hurlant. Ils coururent à travers l’herbe, le soleil couchant dans leurs dos. Ils coururent vers la ville, les bras tendus, les yeux brillants alors qu’ils chassaient les vivants. Pour les ajouter à leurs rangs.
 
La petite ville de fortune qui s’était élevée autour des ruines avait disparu. Du bois brisé et des cadavres étaient tout ce qui restait des aventuriers et des marchands qui avaient vécu ici. Ils avaient été décimés en essayant de fuir lors des premières minutes de l’attaque.
 
Tellement de morts. Des centaines, marchant d’un même pas. Ce n’était pas une horde de monstres qui s’était rassemblée par hasard, ou un groupe contrôlé par une Liche ou un Seigneur des Cryptes. C’était une invasion, menée par une unique créature.
 
Les morts coururent vers Liscor alors que les portes commencèrent à se fermer. Mais elles s’arrêtèrent quand les gardes fermant les portes jetèrent soudainement leurs armes et prirent la fuite, hurlant. Quelque chose les avait touchés. Quelque chose d’invisible.
 
Les yeux d’Écorcheur quittèrent les portes et Loks s’aplatit et tira le Gobelin à ses côtés dans l’herbe. Elle et ses compagnons s’écrasèrent dans la terre, se faisant le plus petit possible.
 
La peur les toucha, faisant battre leurs cœurs la chamade. C’était quelque chose de familier. Les Gobelins levèrent la tête pour jeter un coup d’œil et Loks murmura des insultes pour qu’ils gardent la tête baissée.
 
Ils osèrent regarder uniquement après plusieurs minutes. Bien en dessous, la créature connue sous le nom d’Écorcheur avait concentré son attention sur la ville. Les morts étaient déjà en train de se déverser dans la ville, et ils pouvaient entendre les cris s’élever au loin.
 
Depuis le sommet de la colline le groupe de Gobelin armé regarda le carnage. Loks toucha le fourreau de son épée à sa taille, mais uniquement pour être certaine qu’elle était là. Elle n’avait aucune intention de bouger de cet endroit.
 
Écorcheur bougeait lentement. Il devait se tirer dans l’herbe alors que même les Seigneurs des Cryptes le dépassaient. Mais il était la chose la plus dangereuse du lot, Loks en était certaine.
 
Elle vit la chose distordue et grotesque faite de chair morte tourner sa tête vers elle et Loks s’étala de nouveau dans l’herbe. Les Gobelins autour d’elle frémirent et tinrent leurs armes. Loks secoua la tête alors qu’elle regarda Écorcheur lentement se tirer vers la ville.
 
Il était intelligent. Et mortel. Elle le savait dans ses os. Mais encore plus mortel qu’une ville pleine de Drakéides et de Gnolls ? Elle s’assit sur la colline et regarda la mort se déverser dans Liscor. Regardant. Attendant.
 
Calculant.
 
Après quelques minutes, son estomac gargouilla.
 
***

« Hum. Loks devrait déjà être là. »
 
Erin regarda la position du soleil dans le ciel, protégeant ses yeux alors que Toren mettait des assiettes et des couverts. Enfin, un couvert pour être précis. Tout ce dont les Gobelins avaient besoin était une fourchette, et c’était uniquement parce qu’Erin insistait.
 
Elle avait cuisiné un bon plat de pâtes à la saucisse, ou peut-être que c’étaient des saucisses avec des pâtes. Les Gobelins aimaient la viande, donc elle avait principalement rempli la marmite avec ça, avec quelques nouilles pour ajouter de la couleur.
 
Erin hésita. La nourriture était chaude, mais elle ne voulait pas manger seule, ou avec Toren. Elle pouvait attendre, et de plus, Loks et son groupe ne manquaient jamais un repas. Ils étaient probablement en train de fuir un Crabroche ou d’attaquer des voyageurs innocents. Elle devrait probablement leur parler de ça.
 
Mais tout de même. Erin jeta un regard vers la fenêtre. La nuit allait tomber dans une heure tout au moins, et les Gobelins détestaient voyager la nuit, ce qui était compréhensible.
 
« Tu penses qu’elle a oublié ? »
 
Toren haussa les épaules. Il leva sa tête et regarda en direction de Liscor. Il sentit… Quelque chose. Une voix ? Un appel. Mais c’était ténu. Il haussa les épaules et continua de mettre la table. Mais l’avertissement d’Erin combiné avec ce sentiment décida le squelette. Elle avait raison.
 
Quelque chose était dehors.
 
***

« Fermez les portes ! »
 
Les rues de Liscor étaient envahies par les morts. Des civils hurlaient, fuyaient ou se barricadaient dans leurs maisons alors que des zombies, squelettes et autres formes imposantes couraient à travers les rues. Mais ils s’empalèrent contre un mur de lames avant de pouvoir s’engouffrer profondément dans les rues.
 
La Garde se tenait épaule contre épaule, tirant des flèches dans la foule alors que des Gnolls et des Drakéides armés repoussaient le front. La Capitaine de la Garde, une grande Drakéide nommée Zevara, hurla en direction des murs tout en taillant en tranches un autre zombie.
 
« Où sont donc le reste de ces foutus gardes ? Pourquoi les portes ne sont-elles pas en train de se fermer ? »
 
Beugla-t-elle en découpant le bras d’un squelette, tranchant l’os. Le garde devant elle ferma les rangs et repoussa le mort-vivant. Un Gnoll courut vers Zevara et elle se tourna vers lui.
 
« Tkrn. Qu’est-ce qui se passe dehors ? »
 
Il sourit, la fourrure sur son torse recouverte de sang et d’entrailles.
 
« Des combats, Capitaine. Nous avons fermé les rues selon votre ordre. Ça les arrête, mais il y a de plus grandes créatures dehors. »
 
« Des Seigneurs des Cryptes. Ils sont extrêmement dangereux. Abattez-les si vous le pouvez. Qu’en est-il des portes sud ? Si elles sont tombées… »
 
Tkrn secoua la tête et Zevara protégea son visage alors que des bouts de chair volaient autour d’elle.
 
« Désolé, Capitaine. Les Portes Sud sont fermées et nous avons des archers qui tirent sur les morts-vivants qui essayent de grimper. Mais tous nos gardes sur les murs nord ont pris la fuite ! »
 
« Cela n’a pas de sens. J’ai vu les portes se fermer ! Qu’est-ce qui aurait pu… ? »
 
Un zombie repoussa un Drakéide et bondit vers Zevara, sa mâchoire grande ouverte. Elle recula et la hache de Tkrn s’enfonça dans son cerveau exposé.
 
« Fermez les rangs ! »
 
La voix de Zevara retentit comme un coup de fouet et les gardes autour d’elle sursautèrent. Elle pointa et plus de guerriers se précipitèrent pour renforcer le point faible dans la ligne. Toute la Garde ne se battait pas, Zevara avait gardé plusieurs groupes en retrait à plusieurs points de la ville pour renforcer les failles.
 
Maintenant elle éleva la voix alors que plus de morts-vivants descendaient dans les rues et attaquaient les rangs de guerriers armés avec plus d’ardeur.
 
« Est-ce que vous êtes des couards humains ou des gardes ? Mettez vos queues dans l’effort ! »
 
Les Drakéides et les Gnolls et répondirent avec un rugissement. Ils repoussèrent les morts-vivants de plusieurs mètres et Zevara se retourna vers Tkrn alors qu’il essuyait sa hache sur sa fourrure.
 
« Quoi d’autre ? »
 
Il lui sourit, montrant ses dents.
 
« Les aventuriers demandent ce qu’ils peuvent faire. Ils se battent avec nos gens, mais médiocrement. Il n’y a pas beaucoup de bonnes compagnies ici. »
 
« Faites qu’ils s’occupent des morts-vivants qui passent à travers les rangs. Nous allons tenir la ligne ici et avancer. Alors, où est Relc ? »
 
« Il est en train de tenir la Rue Tessaract. »
 
Zevara grogna.
« Bien. Alors ils ne passeront pas par là. Mais c’est de la folie. »
 
Elle pointa les massives portes, visible depuis l’endroit où Tkrn et elle se tenait.
 
« Nous ne devrions pas nous battre dans les rues ! Si nous devons nous rapprocher de ces portes et les fermer pour les tuer en dehors de la ville. Pourquoi ces foutues portes sont-elles encore ouvertes ? »
 
Tkrn grogna.
 
« Beaucoup de ses grandes choses se tiennent dans l’entrée. Nous ne pouvons pas les tuer et d’autres continuent d’arriver. »
 
« Des Seigneurs des Cryptes qui montent la garde ? C’est… »
 
Zevara s’arrêta. Elle regarda les morts-vivants et, soudainement, un léger frisson d’effroi se glissa dans son cœur. Elle pensa à quelque chose.
 
« Le Nécromancien ? »
 
Tkrn leva sa hache.
 
« Je l’ai vu en ville plus tôt aujourd’hui. Je peux le traquer et le tuer… »
 
« Pas cet imbécile. Je parle du Nécromancien. »
 
« Oh. »
 
Tkrn semblait inquiet. Zevara secoua la tête.
 
« Si c’était lui, nous serions vraiment morts. Il n’y a pas de géants, de Nécrophages, de fantômes ou des horreurs qu’il traîne sur son passage. Non, c’est autre chose. »
 
Elle pointa du doigt le reste de la rue.
 
« Cette zone est sécurisée. Je veux des civils avec des arcs et quelques mages pour arrêter le moindre Seigneur des Cryptes qu’ils aperçoivent. Pars et organise les aventuriers. Dites à Relc que je veux le voir, et trouvez-moi Olesm ! Nous avons besoin de ses compétences ! »
 
« Personne ne l’a vu de la journée. Ils l’ont vu quitter la ville, mais… »
 
« S’il est là, trouvez-le ! Je dois partir. Les rues à l’est ont besoin d’aide. »
 
Tkrn hocha la tête et s’en alla. Zevara échangea rapidement quelques mots avec un grand sergent Drakéide et courut à travers les rues.
 
Les morts-vivants avaient pris la ville par surprise, mais la milice de cette ville n’était pas celle d’une ville humaine, et ses habitants non plus. Les morts-vivants avaient renversé les premières rues, mais leur élan s’était arrêté une fois que la Garde et les groupe de civils capable de se battre avait formé des barricades et arrêté leur avancée.
 
Le problème était que les morts-vivants ne s’attaquaient pas qu’aux rues. Ils passaient à travers les maisons, au-dessus des toits, attaquant les défenseurs par-derrière. Ils étaient chassés et tués dès que possible, mais cela ajouta une autre couche de complexité au cauchemar de Zevara.
 
Zevara sortit d’une ruelle juste à temps pour voir un Seigneur des Cryptes tailler son chemin à travers un groupe de garde et de civils, les envoyant voler. Le corps boursouflé du Drakéide fut immédiatement attaqué de toute part et repoussé avec un pilier de terre, mais alors que tout le monde concentrait ses efforts sur la créature, un groupe de zombie les dépassa pour se précipiter vers les archers civils.
 
La quinzaine ou presque de Drakéides et de Gnolls se figèrent avec une seule exception. Krshia abattit calmement un zombie d’une flèche dans l’orbite. Elle dégaina une longue dague à l’air sinistre et attrapa un second zombie alors que Zevara s’écrasait de plein fouet dans deux autres.
 
Le dernier zombie dépassa les deux combattantes et fendit les écailles d’un Drakéide avec un coup dévastateur. Il avait un morceau d’épée enfoncée dans sa main, rendant mortel le moindre de ses coups.
 
Le Drakéide s’effondra, hurlant, et sa compagnonne recula, horrifiée. Selys leva son arc, mais le zombie le trancha en deux d’un seul coup. Elle appela à l’aide, mais le corps du Gnoll courut vers elle, la mâchoire ouverte pour la déchiqueter.
 
« Hors de ma vue, peste. »
 
Selys hurla d’horreur lorsque le cou du zombie pivota brusquement. Le Gnoll mort-vivant s’effondra en tressaillant.
 
« Pour être clair : Je ne les ai pas réveillés. »
 
Pisces apparut de nulle part à côté de Selys et Zevara, les mains brillantes d’énergie violette. Selys le regarda bouche-bée, les écailles presque blanches.
 
« Toi ! »
 
« Ah. Bien le bonjour, réceptionniste. N’attends pas de me remercier de t’avoir sauvé la vie. »
 
Pisces fit une salutation moqueuse et se retourna. il pointa, et deux autres zombies et un squelette tombèrent au sol avec leurs cous brisés.
 
Krshia serra les dents en écrasant la tête d’un zombie contre les pavés, brisant ses os jusqu’à ce qu’il n’y ait plus vraiment de tête.
 
Elle se redressa et vit Zevara décapiter son adversaire. La Drakéide se tourna vers Pisces alors que Selys s’éloignait de lui. Il leva les mains et un mur de vent se leva autour de lui.
 
« Je ne veux pas vous offenser. Et ceci n’est pas ma faute ! J’étais en ville toute la journée, et je ne sais rien sur ce qu’il… se passe. »
 
La Drakéide la regarda. Elle secoua la tête et cria sur les gardes alors qu’ils faiblissaient, essayant de reformer les rangs.
 
Une autre groupe de huit Drakéides armés courut dans la rue. Ils foncèrent dans le combat en rugissant alors que Pisces pointa et un autre zombie qui avait évité la charge s’effondra, mort.
 
« Croyez-moi, ah, Capitaine. Je ne compromettrais jamais mes bonnes relations avec votre ville. En vérité, je suis en train d’aider pour prouver mon innocence. Je…
 
« Je te crois. »
 
Pisces cligna des yeux, tout comme Selys, Krshia continua de tirer dans la foule des morts.
 
« Nous avons d’innombrables témoins qui ont vu les morts-vivants émerger des ruines. De plus, je doute qu’un [Nécromancien] de ton niveau puisse réanimer plus de cinq corps, encore moins une horde comme celle-là. »
 
Pisces fronça les sourcils.
 
« Je… »
 
Il hésita et regarda Zevara.
 
« Um, cela est correct. Mais cela est plutôt incommode, n’est-ce pas ? »

Elle le fusilla du regard.
 
« Est-ce que tous les humains sont aussi fous que toi ? Liscor est en train d’être attaquée ! »
 
Il haussa les épaules.
 
« Ce ne sont que des morts-vivants. Facile à maîtriser. J’ai entièrement confiance en le fait que votre Garde protégera les citoyens innocents tels que moi. »
 
Il se retourna.
 
« Si vous voulez bien m’excuser… »
 
« C’est hors de question ! »
 
Selys marcha sur sa robe et le mage tituba. Il agita les bras en essayant de garder l’équilibre et se tourna pour regarder Selys qui s’avança vers lui, la queue battante.
 
« Tu restes ici et tu nous aides ! Si cela n’est pas ta faute, alors aide-nous ! »
 
Pisces hésita. Zevara hésita. Elle n’aimait pas le mage, mais elle avait besoin de toute l’aide disponible.
 
« Est-ce que tu peux faire ton truc qui brise le cou plusieurs fois ? »
 
Il renifla et claqua des doigts. Trois squelettes s’effondrèrent comme des marionnettes sans fils.
 
« Je brise leur colonne vertébrale, et j’ai une ample réserve de mana. Je suppose que si cela m’exonère… »
 
« D’accord. Fais-le ! »
 
Le Seigneur des Tombes s’écroula finalement, éclaboussant ceux autour de lui de son sang toxique. Zevara jura et ceux qui avaient été touchés hurlèrent et reculèrent derrière les rangs pour se faire soigner. Elle courut vers un rang de garde, déjà en train de crier. Selys regarda Pisces, leva le doigt. Il leva sa main.
 
« Je comprends. Je vais aider. Reste ici et ah, essaye de ne pas me mettre une flèche dans le dos. »
 
Elle commença à bafouiller une réponse, mais Pisces était déjà en train d’avancer. Il garda une distance de sécurité entre les combattants et les morts et regarda la masse de morts-vivants courant dans les rues.
 
« Il va sans dire que je serais payé de manière appropriée pour mes services ? »
 
« Tue ces foutues choses et je te donnerai une médaille. Maintenant commence à lancer des sorts ou je vais personnellement te couper les mains ! »
 
Pisces renifla et conjura une sphère de feu dans le creux de la main. Il visa la foule des morts qui descendaient dans la rue.
 
« Personnellement, je préfère l’or. »
 
Il lança l’orbe, et le feu consuma les cadavres.
 
***

« Quelque chose ne va pas. »
 
Toren leva les yeux depuis le plancher. Il était en train d’utiliser un couteau rouillé pour retirer un peu de nourriture coincé entre les planches du parquet. Erin regarda par la fenêtre.
 
« Tu ne le sens pas ? Que quelque chose ne va pas ? »
 
Elle pointa la fenêtre du doigt. Il faisait nuit, désormais, mais il y avait un léger point lumineux venant de l’extérieur.
 
« C’est Liscor. Pourquoi est-ce que c’est rouge ? Est-ce que quelque chose est en train de brûler ? »
 
Toren s’approcha et vit que les cieux autour de Liscor étaient bien en train de lueur. Et il y avait de la fumée, s’élevant et presque invisible sous le clair de lune.
 
Erin regarda à la fenêtre en ‘inquiétant. La casserole de viande et de pâte était encore intouchée sur la table. Elle s’appuya contre le rebord de la fenêtre et se massa le ventre. L’anxiété était en train de l’affecter physiquement.
 
« Je sens… Les toilettes. »
 
Elle pointa Toren du doigt.
 
« Continue de surveiller ça, d’accord ? Si tu vois quoi que ce soit… »
 
Son estomac gargouilla et Erin sortit par la porte, laissant le squelette à lui-même.
 
Toren hésita. Il regarda le couteau et le plancher. Puis il déposa délicatement le couteau sur l’une des tables et prit son épée qui reposait sur l’un des murs. Il ouvrit la porte et marcha vers l’extérieur.
 
Le squelette fit la moitié du chemin quand l’Antinium l’attrapa et arracha la tête de son corps. L’Ouvrier jeta le crâne de Toren au sol et attrapa son épée. Il abandonna le corps écroula du squelette derrière lui et s’avança vers l’auberge.
 
***

Une goule attrapa la hallebarde d’un Drakéide d’une main et lui mit un coup-de-poing dans le ventre avec l’autre. Le Garde s’effondra, le souffle coupé, alors que la goule jeta son arme et essaya de courir après les autres gardes.
 
L’épée de Zevara coupa le haut du crâne de la goule, coupant de la chair et de la cervelle pourrie. La goule s’écroula et elle aida le Drakéide à se relever.
 
« Surveillez ces foutues goules ! Elles sont assez fortes pour vous arracher les écailles si vous les laissez faire ! »
 
Un autre zombie courut vers eux. Zevara tourna la tête et un grognement guttural lui échappa. Elle prit une grande inspiration et expira.
 
Un jet de feu s’échappa de sa mâchoire et envoya le zombie valser. Il tomba au sol, hurlant et brûlant alors que Zevara toussa.
 
« Où sont ces foutus Antiniums »
 
La Garde s’était repliée dans une autre rue, perdant du terrain alors que plus de morts-vivants s’engouffrait dans la ville. Ils se battaient bien, et les potions de soin, les pluies de flèches et la magie leur donnaient un avantage, mais les morts-vivants ne cessaient d'affluer.
 
Et la Garde n’était pas équipée pour s’en occuper. Au du moins, elle était bien équipée, mais elle avait besoin de renforts. Et les renforts n’arrivaient pas.
 
La Garde était la moitié des défenses de la ville, mais en vérité, elle ne s’occupait que des raids de bandits, des criminels, des occasionnelles meutes de monstres, et ainsi de suite. La nature autour de la ville s’occupait de la majorité des armées ; mais l’autre moitié des considérables défenses de Liscor étaient les Antiniums. Et ils étaient la plus grande des deux moitiés, et de loin, la Garde représentant plutôt le tiers, voire le quart des défenses. Un gros quart.
 
Mais les fourmis, toujours présentes d’une manière ou d’une autre dans la ville, étaient introuvables.
 
Zevara grogna de nouveau et toussa de la fumée. Elle recula alors que le Drakéide trouva sa hallebarde et reforma les rangs et cria.
 
« Tkrn ! Où est-ce que tu rampes ? Reviens par-là ! »
 
Le Gnoll courut vers Zevara, essoufflé. Il était toujours recouvert de sang, mais désormais il était aussi en train de saigner, du sang noir recouvrait sa fourrure.
 
« Présent, Capitaine. »
 
« Où sont les fourmis ? Envoie un message à la Reine sur-le-champ ! Nous avons besoin de ses soldats ! »
 
« Cela ne sera pas nécessaire, Capitaine Zevara. Nous sommes là. »
 
Zevara et Tkrn se retournèrent. Ksmvr marcha veux eux, deux épées et deux dagues dégainées. Quinze soldats le suivaient.
 
Ksmvr pointa vers les rangs vacillants des gardes.
 
« Joignez-vous au combat. Tuez les morts-vivants. Battez en retraite si vous subissez des blessures graves. »
 
Les Soldats chargèrent aussitôt. Poussant les gardes surpris et les civils sur le côté, ils s’écrasèrent contre les morts-vivants comme une vague noire.
 
Une goule bondit vers un Soldat Antinium. L’énorme homme-fourmi attrapa la femme morte-vivante et lui tint les épaules à deux mains. Ses deux autres mains se mirent à lui asséner des coups de poings vers le bas.
 
Comme Erin l’avait remarqué, les mains des Soldats étaient plus comme des bêches ou des armes plutôt que des mains. Elles rouèrent de coups la goule, brisant des os et perçant la chair avec facilité. Le Soldat continua de tenir la goule, la réduisant en purée. Quand il termina, il attrapa la tête du zombie et l’arracha.
 
Un squelette poignarda le soldat Antinium dans le dos. Il ne tituba pas lorsque l’épée s’enfonça et se coinça dans la carapace. Il se retourna et commença à démanteler le squelette.
 
Ksmvr regarda les Soldats combattre alors que les Drakéides, Gnolls et quelques humains titubèrent en arrière, soudainement libéré du combat. Il hocha la tête alors que Zevara s’approcha de lui.
 
« Capitaine de la Garde Zevara. C’est un plaisir de vous voir en vie. »
 
Zevara n’était pas d’humeur à échangé des politesses.
 
« Bordel, où est-ce que tu étais ? Et où sont les autres Soldats ? Je n’ai pas besoin d’une quinzaine de soldats, j’ai besoin de tous les soldats de la colonie ! Fait les sortir ! »
 
Ksmvr répondit calmement alors que Zevara garda un œil sur le combat.
 
« Vu que cela n’est pas une période de guerre ou une crise déclarée par le Conseil, je dois décliner cette requête. Le nombre maximal de soldats dont le Capitaine de la Garde à la permission commander est de cinquante Soldats et une centaine d’Ouvriers dans une période de crise. »
 
« C’est exactement ce qui est en train de se passer ! Où est-ce que tu ne vois pas les morts-vivants ? Ramène les Soldats, et même les Ouvriers ! Nous avons besoin de barricades, de fortifications… »
 
« Je suis au regret de vous dire que cela est impossible pour le moment. J’ai amené quinze Soldats. C’est tout ce qui peut être sacrifié en ce moment. »
Zevara regarda Ksmvr bouche bée. Elle ouvrit sa bouche et un filet de fumée s’en échappa alors qu’elle lui hurla dessus, furieuse.
 
« Pourquoi, par tous les œufs brisés, t… »
 
Ksmvr coupa, de nouveau, poliment la parole à Zevara.
 
« Les Soldats gardent l’entrée de la Colonie et des rues voisines. Nous ne pouvons pas laisser notre Reine est perturbée. Elle est en plein milieu d’un processus critique. Il lui faut encore des heures, peut-être moins, pour terminer.
 
« Ta Reine peut prendre son foutu rituel et ce le mettre là ou… »
 
Zevara s’arrêta alors que les lames dans les mains de Ksmvr tressaillirent. La moitié des gardes levèrent leurs armes mais leur Capitaine fit un mouvement de la main pour l’arrêter. Elle regarda Ksmvr et essaya de moduler son ton.
 
« Ceci est une urgence. Si nous ne repoussons pas les morts-vivants sous peu, ils envahiront cet endroit. Tes Soldats peuvent nous faire gagner du temps, mais cela ne sera pas assez. Nous avons avoir besoin de la cinquantaine sous peu. Plus que cela. Nous avons besoin de tous les soldats ! Parle à ta Reine. Dis-lui que nous avons besoin d’aide ! »
 
« Je regrette de vous informer que cela est impossible. La Reine ne doit pas être dérangé en cet instant. Je suis désolé. »
 
Des flammes s’échappèrent de la bouche de Zevara alors qu’elle l’ouvrit, furieuse. Ksmvr leva une main.
 
« Nous coopérons pour défendre la ville dès que notre Reine aura terminé le Rituel des Anastases. »
 
Ce n’était pas la peine d’essayer de convaincre l’Antinium, donc malgré la chaleur grandissante derrière les yeux, dans le cœur et dans les… Poumons de Zevara, elle mordit sa réponse.
 
« Les Ouvriers alors. Nous pouvons les utiliser. Non pas que pour les constructions mais s’ils se battent… »
 
« Il est aussi impossible de les commander en cet instant. »
 
« Pourquoi ? »
 
Pour la première fois, Ksmvr hésita visiblement. Il cliqua ses mandibules ensemble et regarda le combat. Les soldats étaient déjà en train de repousser les morts-vivants, et deux étaient en train d’attaquer un Seigneur des Cryptes alors qu’il cracha du sang noir sur eux.
 
« Les Ouvriers sont en train de rebeller. Nombreux sont ceux qui ont quitté la Colonie et ont combattu les Soldats à l’entrée. »
 
Ksmvr abaissa sa voix et Zevara le regarda avec horreur.
 
« Trois d’entre eux sont déjà devenus des Aberration. Nous craignons que le reste le soit aussi devenu. Ils sont violents, et nombreux sont armés. »
 
« Tu es sérieux. »
 
« Extrêmement sérieux. »
 
Durant un instant l’esprit de Zevara s’arrêta sur des images des Ouvriers Antinium déchiquetant des Drakéides et des Gnolls. Puis elle se força à revenir à la réalité alors qu’elle regarda les cadavres dans la rue.
 
« Je m’inquiéterai une fois qu’il n’y aura plus une horde de morts-vivants qui essaye de nous dévorer. Les citoyens sont soient dans leurs maisons, soient en train de se battre. Si ces Ouvriers tuent quelques zombies, je ne m’en plainerai pas. »
Ksmvr secoua la tête.
 
« Je crains que les Ouvriers ne soient plus en ville. Ils sont en train de se diriger vers une humaine. Erin Solstice.
 
« Celle qui a fait que Klbkch est mort ? »
 
« Oui. L’une des Aberrations qui s’est échappées avait pour but de la tuer. »
 
Zevara n’avait pas le temps de penser à ça. Elle fit signe vers les morts-vivants. Le Seigneur des Cryptes était mort, mais les deux Soldats Antinium qui l’avait tué était roulé en boule, leur bras et jambes recroquevillés, tués à cause du poison.
 
« Qu’importe la raison, je ne peux pas laisser partir quelqu’un. Elle n’est pas une citoyenne et nous sommes dans les problèmes jusqu’au cou. Cette humaine sera livrée à elle-même. »
 
Ksmvr hocha rapidement la tête.
 
« La Reine est la plus importante. Elle ne soit pas être dérangée. Erin Solstice… Est juste importante. »
 
Zevara le regarda. Les mots qu’il venait de dire… Elle ne pouvait pas s’en préoccuper maintenant. Elle pointa vers les Soldats Antiniums alors qu’elle fit signe aux gardes de se regrouper.
 
« Est-ce que tu vas rester et te battre ? »
 
Ksmvr hocha la tête. Il suivit Zevara alors qu’elle descendit la rue, des Drakéides et des Gnolls prirent leurs armes et se formèrent derrière elle.
 
« Je vais remplir mon devoir en tant que Prognugator en Liscor. Cependant, ma position cessera dans quelques heures. Un autre prendra ma place. »
 
« Alors suis-moi jusque-là. Nous devons utiliser ce moment jusqu’à ce que tous tes soldats meurent. »
 
Tkrn se plaça à côté de Zevara, souriant alors que les gardes et l’Antinium solitaire coururent après les soldats.
 
« Est-ce que je peux faire quelque chose, Capitaine ? »
 
« Tu as entendu la fourmi. J’ai l’impression que nous n’avons pas le choix. Nous avons besoin de fermer les portes. Aller me chercher Relc. Il est le seul qui a une chance de se tailler un chemin. »
 
Le Gnoll hocha la tête et s’éloigna du groupe. Zevara et les autres gardes se rassemblèrent autour d’un coin de rue et s’arrêtèrent. Les Soldats Antiniums avaient repoussé les morts-vivants, se frayant un chemin sans merci jusqu’à atteindre la rue principale là où se trouvait les portes nord. Mais ils avaient été arrêtés.
 
Zevara vit un Soldat écrasant un Seigneur des Cryptes sous son poids et un autre jetant des goules au sol alors qu’ils se ruèrent sur lui. Elle vit un groupe de garde, luttant pour contenir le flot des morts-vivants. Mais ce ne fut pas ça qui la terrifia au plus profond de son âme. Elle pointa vers les portes, ou quelque chose était en train de se tirer à travers les portes ouvertes.
 
Son cœur se figea. Les épées dans ses mains se firent plus lourdes, et autour d’elle les Gnolls, Drakéides et Humains frémirent alors qu’ils sentirent la terreur traverser leur corps. Tout autour d’elle, des gardes et des civils s’enfuirent en hurlant, incapable de se battre.
 
Zevara força les mots à travers ses lèvres engourdies.
 
« C’est quoi ça ? »
 
***

Ce fut presque dix minutes plus tard qu’Erin parvint à s’extirper des toilettes et de tituber jusqu’à l’auberge. Elle tint son estomac colérique et passa la porte.
 
« Toren ? »
 
L’auberge était sombre. Erin regarda autour d’elle. Le squelette venait normalement aussitôt qu’elle l’appelait. Où est-ce qu’il était.
 
« Hey Toren. Tu es où ? »
 
Pas de réponse. Erin n’entendit pas le claquement des os sur le parquet. Elle regarda autour d’elle. Il avait laissé le couteau sur la table. Est-ce qu’il était parti chercher de l’eau ?
 
Erin regarda autour de l’auberge. Il aurait au moins pu allumer les lanternes. Ou une bougie. Il faisait si sombre… La seule lumière disponible était celle de la lune.
 
Où était-il ? Et pourquoi…
 
Pourquoi Erin avait le même avertissement dans sa tête ?
 
Elle se retourna. Rien. L’herbe luisait dans le clair de lune depuis la porte ouverte. Erin se relaxa. Mais un sensation coula le long de sa colonne vertébrale.
 
Elle marcha à travers la porte ouverte. Mais Toren fermait toujours la porte derrière lui. Et s'il ne l’avait pas ouverte…
 
Qui l’avait fait ?
 
« Bonsoir ? »
 
Erin recula vers la porte. Quelque chose avait bougé dans les ombres et l’avait fermé. Elle se retourna, les poings levés, et se relaxa.
 
« Oh. Pion. C’est juste toi. »
 
L’Antinium se tenait dans l’ouverture de la porte, presque invisible dans la lumière. Erin fronça les sourcils, et fit un pas en arrière.
 
« Attends une seconde. »
 
L’Antinium avait quatre bras. Et deux jambes. Pion… Pion n’avait plus tous ses membres. Mais les Ouvriers n’étaient autorisés à quitter la ville sans surveiller, et cet Antinium avait une épée.
 
« Qui… Es-tu ? »
 
Il était familier. Du moins, il semblait familier, mais il n’était définitivement pas Pion ou Ksmvr. L’Ouvrier, si c’était ce qu’il était, trembla. Il se secoua légèrement, et fit un pas brusque vers Erin. Elle recula rapidement.
 
« B-bonsoir ? Tu peux m’entendre ? Qui es-tu ? Qu’est-ce que tu veux ? »
 
La tête de l’Ouvrier s’agitait de manière incontrôlable. Erin eut un mouvement de recul alors qu’il leva la voix, tremblant d’émotion.
 
« je sUis AnTiNium. j’aI uN NoM. »
 
Erin recula plus encore. Ce n’était pas la voix normale d’un Ouvrier. Celui en face d’elle parlait rapidement, sa voix faisait des graves et des aigus. Il semblait…
 
Fou.
 
« Tu as un nom ? Hum. Bien. C’est bien, pas vrai ? »
 
Il la regarda.
 
« JE Suis iNdivIDu. MaiS je reJETTE. Je reJEtTE tOUT. »
 
« Rejeter ? Rejeter quoi ? »
 
Il la pointa avec deux bras.
 
« TOi. C’eSt tA FAuTE. »
 
« Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? »
 
L’Ouvrier leva sa main et une épée brilla dans le clair de lune. Il marcha vers Erin, continuant de parler.
 
« TU M’as FAIT çA. tU M’as Fait dEveNIR AinSi. J’ai fait ça POUR TOI. mAIs tOUt eST SouffRAnce. »
 
Erin recula, parlant rapidement. Elle essaya de sentir ou se trouver sa poêle et sa jarre d’acide, mais c’était impossible dans l’obscurité.
 
« Qu’est-ce que j’ai fait ? Je ne m’en souviens p… »
 
« tU sAis. »
 
« S’il te plaît… »
 
Erin fit un autre pas en arrière et tomba à la renverse quand son pied se prit dans une chaise. Elle s’écroula au sol et tenta désespérément de se relever. Mais l’Ouvrier était trop rapide, et il était déjà au-dessus d’elle.
 
Erin tenta de lui donner un coup dans l’entrejambe, mais l’Antinium attrapa sa jambe. Il la cloua au sol avec ses trois bras et pointa le bout de l’épée vers son visage. Erin essaya d’hurler, de crier. Mais elle n’arrivait plus à respirer. Elle regarda l’épée luisant au clair de lune alors que l’Ouvrier frissonna et la regarda.
 
« mEURs. »
 
L’épée fila vers son œil. Erin hurla…
 
Et un autre Antinium attrapa son assaillant et le jeta loin d’Erin. Elle reprit sa respiration alors que l’épée tomba au sol et que les deux Antiniums s’écrasèrent dans des chaises, se battant, donnant des coups-de-poing et de pied dans les ténèbres.
 
Erin rampa et se cogna contre une table. Elle courut et ouvrit une fenêtre à grand battant. Le clair de lune inonda la pièce juste à temps pour voir l’un des deux Ouvriers monter le second. L’Antinium attrapa la tête de son adversaire et tourna avec ses quatre bras.
 
La nuque se brisa. L’Ouvrier arrêta de bouger. L’autre Ouvrier se leva et regarda Erin.
 
Elle tint la poêle à frire et la jarre d’acide dans ses mains tremblantes.
 
« Recule ! Je te préviens ! »
 
L’Ouvrier s’avança vers Erin. Elle leva la poêle à frire et s’arrêta. L’Ouvrier leva ses quatre bras.
 
« S’il te plaît. Je ne veux pas te faire de mal. »
 
Les mots étaient familiers. La manière de parler était familière. Erin hésita.
 
« …Pion ? »
 
« Je ne suis pas Pion. »
 
L’Ouvrier secoua la tête, mais il n’était pas Ksmvr non plus. Il s’agenouilla devant Erin d’un mouvement brusque et elle manque de jeter la jarre d’acide. Mais l’Ouvrier ne bougea pas, il parla, sa voix retentissant dans le silence.
 
« Je suis Cavalier. »
 
« Cavalier ? »
 
Il hocha la tête. L’Ouvrier regarda Erin.
 
« Je me suis moi-même nommé. J’ai choisi. Je suis un individu, premier et dernier de mon espèce. Je suis Cavalier et nul autre est comme moi. Et je suis ici pour te protéger. Nous sommes ici pour te protéger. »
 
Erin le regarda. La poêle à frire manqua de lui échapper des mains. Sa tête tourna. Elle regarda Cavalier. Il y avait quelque chose de familier avec lui.
 
« Je… je ne te connais pas. Je n’ai jamais… »
 
Cavalier se redressa.
 
« S’il te plaît, Erin Solstice. Tu dois rester calme. Nous sommes ici pour te protéger. »
 
« Nous ? »
 
Du mouvement. Erin le vit soudainement depuis la fenêtre. Elle abandonna toute forme de prudence et se précipita à l’extérieur, effleurant Cavalier. Puis elle s’arrêta.
 
Des Antiniums. Des Ouvriers. Ils se tenaient autour de l’auberge, les bras croisés ou tenant des armes. Des épées, des masses, des haches… Mais pas que. Des rouleaux à pâtisserie, des caillou, de grandes branches… Et même un vase pour l’un d’entre eux. Ils la regardèrent silencieusement alors qu’Erin se figea.
 
« Qui… »
 
Cavalier émergea de l’auberge et inclina la tête vers Erin.
 
« Les morts approchent. Reste à l’intérieur, s’il te plaît. Nous allons te protéger de nos vies. »
 
Elle le regarda.
 
« Toi ? Mais qui es-tu ? Où est Pion ? »
 
« Il est forcé de rester à la Colonie sur ordre du Prognugator. Il y reste. Mais nous sommes venus. Nous avons choisi. Nous sommes des individus. »
 
« Des individus ? »
 
Cavalier hocha la tête. Devant Erin, un Ouvrier se tourna. Il s’inclina devant elle, bas, aussi bas que son exosquelette le lui permettait.
 
« J’ai choisi. Je suis Fou. »
 
Un autre Antinium se tourna, puis un autre.
 
« J’ai aussi choisi. J’ai décidé. Mon nom est Vladimir. »
 
« Je suis Calabrian. »
 
« Je suis Emanuel. »
 
« Appelle-moi Garry. »
 
« Je souhaite être connu sous le nom de Milner-Barry. »
 
« Belgrade. Je mourrais pour toi. »
 
« Nous sommes tous capable de mourir pour toi. Je suis Jose. »
 
Ils parlèrent, l’un après l’autre, dans le léger clair de lune. Les Antiniums regardèrent Erin, se ressemblant tous de l’extérieur. Mais tous différent, tous des individus.
 
Ils lui étaient tous familiers. Et Erin s’en rendit compte soudainement. Elle les connaissait. Elle les connaissait bien. Ils n’avaient jamais eu de nom, mais elle connaissait leur visage, la manière dont ils jouaient. Elle les connaissait.
 
Ils étaient son club d’échec.
 
Une trentaine d’Ouvrier environ se tinrent au sommet de la colline, entourant l’auberge, attendant. Erin pouvait à peine parler. Elle le sentait. Un terrible sursaut d’émotion, il lui était impossible de dire si cela était de la peur, de la joie ou de la tristesse. Mais elle savait que quelque chose s’était produit. Ils avaient tous choisit des noms.
Mais ce n’était que la moitié de la question. L’autre moitié brûlait en elle. Elle se tourna vers Cavalier. L’Antinium était en train de regarder dans les ténèbres, des éclaboussures de sang vert recouvrant sa carapace.
 
« Pourquoi est-ce que vous êtes tous là ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette nuit ? Qu’est… Qu’est-ce qui se passe ? »
 
Il ouvrit ses mandibules pour répondre. Et ce fut quand le premier zombie sortit de la nuit et essaya de bondir au visage d’Erin. Toren bondit des ténèbres et percuta le zombie alors que les deux roulèrent le long de la colline.
 
Erin hurla. Plus de corps titubèrent et coururent dans l’herbe alors que les Ouvriers les interceptèrent. Et la nuit fut remplie de mort, et Erin se retrouva à se battre pour sa vie.
 
***

« Retraite ! Retraite ! »
 
Zevara hurla alors qu'Écorcheur attrapa un Drakéide et arracha ses écailles et peau comme un enfant retirant le papier d’un bonbon. Le terrifiant visage souriant se tourna vers elle, des yeux pourpre la regardant entouré par des couches et des couches de peau morte.
 
 
Elle essaya de lever son bras pour lui asséner un coup, mais son bras refusa de bouger. Zevara avait combattu d’innombrable monstre, avait fait face à la mort et l’avait frôlé plus d’une fois. Mais la terreur qu’Écorcheur lui infligea était mille fois plus immense que tout ce qu’elle avait ressenti auparavant.
 
Zevara recula, tremblante, alors que la main d’Écorcheur attrapa un garde qui essayait de lutter. La Gnoll n’eut qu’un instant pour hurler de peur et d’agonie avant de mourir.
 
Tout autour de Zevara, des gardes étaient en train de fuir ou de mourir. Les morts inondaient la ville à travers les portes, massacrant les guerriers impuissants. Seuls les Antiniums se battaient, Ksmvr et les cinq dernier Soldats bloquant une rue, mais même eux étaient en train de perdre du terrain. Personne ne pouvait battre Écorcheur, et à chaque fois qu’il tendait ses mains, quelqu’un mourrait.
 
Zevara pria pour les morts. Vivre sans peau… Elle espéra qu’ils étaient mort sur le coup, plutôt que d’imaginer qu’il y avait encore de la vie dans les piles silencieuses d’os, d’intestins et de peau qui gisaient au sol.
 
Écorcheur lui fit un sourire. Ses replis d’épaisse peau blanche lui sourire aussi, le visage des morts étendu sur son corps comme une macabre toile.
 
Elle devait fuir. Zevara le sentait dans ses os, dans sa moelle. Mais elle était la Capitaine de la Garde. Elle ne pouvait pas fuir. Elle devait se battre. Mais son corps n’écoutait pas son esprit.
 
Écorcheur la toisa. Il jeta les restes de la Gnoll au sol et leva sa main vers Zevara. Elle se jeta hors du chemin, lâchant son épée, et la paume s’écrasa le sol à côté d’elle.
 
L’impact projeta la Drakéide sur le côté, mais elle se remet sur pied. Les points rouges. C’était les points rouges sur la main d’Écorcheur. Les toucher voulait dire que ta peau allait être épluché. Elle devait s’éloigner, elle devait fuir.
 
Trop tard, Zevara vit l’autre main l’encercler. Elle allait courir droit dedans. Elle essaya de s’arrêter, mais c’était trop tard. Écorcheur ferma sa main autour des écailles de Zevara…
 
« Attaque de Relc ! »
 
Quelque chose fila à ses côtés et poignarda la main. De la peau morte tomba autour de la peau alors qu’un Drakéide vert attrapa sa lance et Zevara and courut habilement à côté d’Écorcheur. Zevara regarda bouche bée Relc, Garde Senior de la Garde, lui faire un sourire plein de dents en faisant tournoyer sa lance.
 
« Salut Capitaine ! Ça te dérange si je m’occupe de celui-là ? »
 
« Relc ! »
 
C’était un avertissement. Relc tourna la tête et lui et Zevara se jetèrent au sol alors qu’Écorcheur essaya de les faucher. Sa main s’écrasa contre un bâtiment en bois et fit trembler les fondations. Écorcheur regarda les deux et Zevara sentit ses écailles se figer de peur. Mais Relc se secoua et montra les dents.
 
« C’est fun, pas vrai ? Recule, Capitaine. Je vais avoir besoin d’espace pour celui-là. »
 
En disant cela, Relc bondit et roula vers la mêlée vers Écorcheur. Un zombie arriva sur sa droite, mais Relc leva sa lance et transperça l’humain de part en part. Il donna un coup de pied pour défaire le cadavre qui percuta un squelette, il mit un coup-de-poing et éclata la tête d’une goule au sol, et leva les yeux vers l’autre main d’Écorcheur venant vers lui.
 
Relc leva sa lance et rencontra la main qui s’approchait de lui. La pointe de sa lance poignarda plusieurs fois, et rapidement, dans les parties rouges de la main d’Écorcheur. Le monstre eut un mouvement de recul, et pour la première fois Zevara crut entendre un son venir de la bouche de la créature.
 
Non, pas depuis sa bouche. Cela venait de l’intérieur d’Écorcheur, un cri aigu qui retentit dans la ville.
 
C’était bruyant, mais à peine audible depuis l’emplacement de Zevara. Elle mit les mains sur ses oreilles et Relc tituba en arrière, faisant de même.
 
Écorcheur faucha vers Relc, et lui attrapa la jambe d’une main. Relc rugit et lui planta la lance dans la paume, et Écorcheur le laissa aussitôt repartir. Le Drakéide tituba en arrière, et Zevara vit qu’une partie de ses écailles sur sa jambe avait été retiré.
 
Relc rugit et poignarda et coupa le bras d’Écorcheur, mais le monstre éloigna son membre de l’arme.
 
De nouveau, Écorcheur fixa Relc de son regard pourpre. Mais Zevara vit Relc trembler et serra les dents en luttant contre la magie l’affectant. Il leva sa lance et fonça vers Écorcheur, coupant et poignardant alors qu’il longea le côté du monstre.
 
Des bouts de chair s’effondrèrent au sol alors que le monstre envoya ses mains vers Relc. Le Drakéide esquiva, restant proche trop proche du corps d’Écorcheur pour se faire prendre. Le massif mort-vivant roula soudainement et Relc dut bondir en arrière pour éviter d’être écrasé.
 
« Espèce de salaud ! »
 
Relc courut à travers les morts-vivants, poignardant et les repoussant comme des mouches. Les zombies et squelette n’était même pas capable de le ralentir, et les goules étaient proprement abattu d’un coup dans le crâne ou la nuque.
 
Soudainement libérés du regard d’Écorcheur, les gardes autour de Zevara se retournèrent et formèrent de nouveau les rangs. Le Capitaine Drakéide trouva une nouvelle épée et découpa un zombie alors que Relc fila de nouveau vers eux.
 
Plus rapide, plus fort, et non affecté par la peur. C’était Relc, Garde Senior, le plus fort garde de la ville. Peut-être du monde. Un [Maitre Lancier] de Niveau 33.
 
Il s’arrêta devant Zevara, essoufflé. Elle vit le sang coulé le long de sa jambe et attrapa une potion de soin depuis sa ceinture.
 
« Tiens ! »
 
« Merci. »
 
Il hocha la tête et éclata la bouteille contre sa jambe. Le liquide violet entra dans la plaie et il soupira.
 
« Bordel. C’est pas bon. »
 
« Est-ce que tu sais quel est ce truc ? »
Zevara pointa vers Écorcheur alors que le monstre se releva lentement, les morts autour de lui formant un mur vivant. Relc secoua la tête.
 
« Quelque chose de moche ? Mais c’est fort. Toute cette peau morte est comme une armure. J’ai besoin de trancher pour atteindre ce qu’il y a en dessous. Mais un contact avec ses mains… »
 
« Tu peux le tuer ? »
 
Relc s’arrêta, et sourit à Zevara.
 
« Je peux. Peut-être. Probablement. Mais donner moi quelques Antiniums pour en être certain. »
 
« Les Antiniums ? Pourquoi… »
 
Relc pointa. Ksmvr était en train de trancher des zombies alors que les quatre Soldats encore vivants le couvrait. Même alors qu’Écorcheur se releva et regarda Ksmvr, il continua de se battre sans être déranger par le regard pourpre.
 
« Les Fourmis sont immunisées à ce qu’il est en train de faire. Tout comme moi ? »
 
« Pourquoi ? »
 
Relc sourit et il tapa sa tête d’une griffe.
 
« [Volonté Indomptable]. Tout le monde sans une compétence proche doit se replier. Ce truc… Il projette de la peur. »
 
« J’ai bien compris ça. Mais est-ce que tu peux t’en débarrasser avec eux ? »
 
« Je peux essayer. Mais donne-moi plus d’archer et de mages pour me débarrasser des morts-vivants. Je ne peux pas les avoir aux fesses avec ce truc. »
 
« Laisse-moi le temps d’appeler un repli. Nous allons nous regrouper dans une autre rue et te donner une chance… »
 
Zevara s’arrêta et Relc se retourna. Écorcheur était en train de bouger. La créature géante regarda longuement Relc et le Drakéide leva sa lance. Mais soudainement, Écorcheur se retourna. Il se tira et commença à faire demi-tour dans la foule de morts-vivants.
 
Relc rit alors qu’Écorcheur se tira pour s’éloigner. Il fit tourner sa lance et brisa le crâne d’un squelette avec le bout de sa lance en criant vers Écorcheur.
 
« Ouais, c’est ça ! Cours !Cours ! Tu as finalement trouvé quelqu’un qui avait trop d’écailles pour toi, hein ? Cours et… Attends une seconde. »
 
Relc cligna des yeux. Écorcheur était en train de partir. Ce n’était pas qu’une retraite, il était en train de se tirer à travers les portes alors qu’un mur de morts-vivants protégeait son ‘dos’.
 
« Il… Part ? »
 
Zevara regarde Écorcheur avec confusion. Ou est-ce qu’il allait ?
 
« Il a dû sentir que tu es une menace. »
 
Relc jura et Zevara manqua de cracher du feu vers Pisces alors que le mage apparut de nulle part. L’humain eut un mouvement de recul, mais pointa vers Écorcheur alors que Relc le regarda.
 
« Cette créature est hautement intelligente, garde. Il ne combattra pas quelque chose puisse résister à sa peur et est une menace crédible. Il peut peut-être gagner, mais il ne va pas prendre le risque. »
 
« Pourquoi ? »
 
Pisces haussa les épaules.
 
« La plupart des plus grands spécimens morts-vivants ont une sorte d’instinct de survie. Je suppute que c’est pareil pour cet être. »
 
« Un être ? Ce n’est pas un mort-vivant ? »
 
« Non. »
 
Relc attrapa Pisces alors que Zevara le regarda. Le Drakéide secoua le mage sans gentillesse.
 
« D’accord, mais ça va ou tout ça ? Est-ce qu’il retourne aux ruines ou est-ce qu’on doit s’inquiéter de renfort ? Même sans ce monstre ont croule toujours sous les morts-vivants ! »
 
« Je ne sais pas ! Je ne sais pas ! »
 
Pisces lutta pour que Relc le libère. Il cria alors que les morts-vivants recommencèrent leurs attaques contre les rangs des gardes.
 
« Peut-être qu’il veut nous affaiblir d’abord ! Ou peut-être qu’il cherche une proie plus facile ! Je ne peux pas dire ! »
 
Relc libéra Pisces avec dégoût.
 
« Alors c’est juste super. S’il revient avec une autre horde, nous sommes foutus. Mais où est-ce qu’il peut aller s’il veut plus de victimes ? Il n’y a pas de villages ou de villes dans le coin. Donc où… »
 
Il s’arrêta, écarquillant les yeux. Zevara le regarda alors que Relc se tourna vers le sud. Il laissa échapper ses morts dans un souffle.
 
« Oh non. »
 
Pisces regarda le visage de Relc, puis vers le sud. Il cligna les yeux de réalisation et son visage pâlit légèrement.
 
« Erin. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 01 juillet 2020 à 14:07:23
1.43
Traduit par EllieVia



Pourquoi les morts tentent-ils de tuer les vivants ? Est-ce par haine ?

Cherchent-ils à souiller les vivants, à les entraîner dans les mêmes tourments sans fin que ceux qu’ils ont vécu ? Envient-ils ceux qui respirent encore ? Ou est-ce un mystère plus grand encore ? Les morts-vivants souhaitent-ils simplement que d’autres les rejoignent, et s’ajoutent à leurs nombres infinis ?

Peut-être… oui, peut-être que les morts éprouvent simplement un vif ressentiment à l’égard des vivants. Peut-être qu’ils se souviennent du passé, et que cela les blesse. Ou qu’ils peuvent comprendre les vivants et aimeraient apaiser leurs souffrances.

Ou peut-être qu’ils savent juste à quel point ils sont moches et qu’ils ne veulent pas que quiconque les regarde.

Erin hurla lorsqu’un Gnoll presque décomposé s’approcha. Il n’avait pas de visage. Aucune structure à laquelle elle voudrait appliquer ce terme. Juste… de la pourriture. D’horribles entrailles noirâtres qui tressaillaient encore et claquaient avec un bruit mouillé alors qu’il se précipitait sur elle.

Une main saisit le zombie autour de ce qui lui restait de sa tête détruite. Ignorant complètement la chair et autres éléments organiques qui coulaient avec un bruit de succion par-dessus son poing, Cavalier resserra sa prise jusqu’à avoir entièrement écrasé la tête du zombie qui sursauta puis resta immobile. L'Ouvrier lâcha le cadavre par terre et l’écarta d’un coup de pied. Il resta dressé devant la porte de l’auberge, s’interposant d’un air protecteur entre Erin et l’extérieur.

Sur la colline, les morts se débattaient contre les vivants. Mais aucun cri n’échappait de ces derniers. Plus précisément, les Antiniums de criaient pas. Les morts, si. Ils hurlaient, ou émettaient des sons de succion sinistres, voire grognaient, mais les cris terrifiaient Erin. Elle avait le sentiment qu’ils n’auraient pas dû en être capables. Les morts devraient être silencieux.

Mais ils ne l’étaient pas. Pour tout dire, c’étaient surtout les Ouvriers qui ressemblaient le plus à des faucheurs silencieux. Ils se mouvaient à l’unisson, combattant, bloquant des lames, formant une ligne vivante en se battant contre les morts-vivants. Parfois, ils parlaient, mais avec un calme terrifiant qui leur était propre.

“Meurs.”

“Souffre.”

“Péris.”

Deux Antiniums saisirent chacun un bras d’un zombie et le déchirèrent en deux. Un autre encore prit un squelette à deux mains et arracha ses côtes avec les deux autres.

Ils combattaient comme des machines. Des machines dépourvues de compassion qui désassemblaient des morts-vivants comme des enfants les legos. Parfois c’était une dissection propre. D’autres fois, ils écrasaient les cadavres pour les faire s’écrouler.

Mais hormis ces détails, ils étaient comme des enfants. Aucun Ouvrier ne savait se battre. Ils étaient extrêmement forts, mais maladroits. Et les morts-vivants avaient beau se décomposer, ils étaient tous des tueurs.
Un Ouvrier tituba en arrière, faisant des moulinets avec ses bras lorsqu’un squelette glissa en avant et lui enfonça la tête avec une masse.  Il esquiva habilement l’Ouvrier lorsqu’il plongea pour lui attraper son bras osseux, et leva sa masse pour écraser le crâne de l’Antinium.

“Non !”

Le squelette leva les yeux et une poêle volante s’écrasa sur sa face. Les flammes jaunes au creux de ses orbites s’atténuèrent et l’Antinium en profita pour l’attraper.

Erin regarda l’Ouvrier commencer à démanteler le squelette puis contempla sa main. Elle n’avait même pas réalisé qu’elle avait lancé la poêle à frire. Mais d’autres morts-vivants gravissaient la colline au pas de course, droit sur l’auberge.

“Restez derrière moi, je vous prie.”

Cavalier repoussa Erin en arrière tandis que de nouveaux morts-vivants venaient s’écraser contre la ligne Antiniume, cette fois-ci derrière l’auberge. Les Antiniums vacillèrent, luttant pour repousser les mots. Erin vit l’un des Ouvriers glisser et tomber lorsqu’une goule le saisit à bras-le-corps. La morte-vivante se mit à le déchiqueter.

Il avait un nom. Il l’avait dit à Erin. Magnus. Magnus, comme Magnus Carlsen, un nom qu’il avait emprunté au Champion du Monde d’Échecs. Il tomba et Erin vit son sang se mettre à couler. Il était vert.

Non !

Elle essaya de se précipiter vers lui, mais Cavalier la saisit par la taille et la souleva.

“Vous ne devez pas. Vous ne devez pas vous mettre en danger. Nous sommes ici pour vous protéger.”

Magnus tomba, en se protégeant le visage des mains. Erin se débattit plus fort, mais Cavalier refusa de la laisser partir.

“Il meurt !”

“Oui. L’ennemi nous encercle. Nous sommes désavantagés. Cela doit être rectifié.”

Cavalier repoussa Erin en arrière et leva la main. Il parla, calmement.

“[Formation Défensive]”.

Magnus repoussa la goule et leva la main, ignorant le sang vert qui éclaboussait le sol autour de lui.

“[Formation de Combat].”

Il s’effondra silencieusement alors qu’une goule finissait de déchirer son exosquelette. Le Drakéide mort-vivant tira quelque chose des entrailles de Magnus et ouvrit la bouche pour le manger.

Un cri de rage précéda une fiole d’acide d’une seconde. La goule tituba en arrière, s’arrachant le visage de ses griffes alors que l’acide faisait fondre sa chair. Elle tomba en arrière, et un autre Antinium le frappa calmement avec un balai, l’envoyant s’étaler par terre.

Erin sentit les effets des deux Compétences la frapper alors qu’elle levait une autre fiole d’acide pour la lancer. Elle se sentait plus légère… tellement plus légère ! Et on aurait dit qu’elle avait une nouvelle paire d’yeux derrière la tête. Elle était consciente des morts-vivants autour d’elle, tout comme elle était consciente du nombre d’Antiniums qui se déplaçaient.
Ils tenaient la ligne. Alors que les morts-vivants gravissaient la colline, les Ouvriers les affrontaient, se regroupant calmement par paires ou par trinômes contre chaque mort-vivant. Les Antiniums ne connaissaient pas le combat à la loyale, et les morts-vivants avaient du mal à se défendre contre trois quadruplets de mains qui les poignardaient en même temps.

Une goule parvint à passer entre deux Antiniums et se précipita sur Cavalier. L’Antinium leva son épée, mais un squelette bondit par-dessus lui et transperça la goule en plein cœur. Toren et la goule roulèrent au sol en se mordant et en s’assenant des coups de couteau.
Erin tournoya. Elle souleva une casserole et la lança. Un zombie tituba en arrière. Elle avait… elle avait un bon nombre de casseroles et de poêles qu’elle avait récupéré dans la cuisine, mais elle commençait à manquer de munitions. Elle les jetait dans la foule, faisant confiance à son [Lancer Infaillible] pour atteindre ses cibles.

À présent les morts-vivants tombaient, se repliaient. Erin regarda les zombies se mettre à faire volte-face, à fuir. Était-ce une feinte ? Est-ce que d’autres morts-vivants arrivaient ? Elle regarda vivement autour d’elle, cherchant la moindre trace de mouvements dans les ténèbres.
Non. Aucun mort-vivant n’arrivait pour le moment - ils étaient tous morts. Toren s’arracha à la goule, récupérant son bras tandis que la goule sursautait une dernière fois avant de s’immobiliser.

Combien d’horreurs étaient-elles mortes ici ? Cent ? Deux cent ? On aurait dit des milliers.

“Trente-quatre.”

Déclara calmement Cavalier lorsqu’un squelette tomba, son crâne fendu en deux sous l’assaut d’une des poêles à frire d’Erin. Elle regarda fixement l’Ouvrier alors que le silence retombait et que le dernier cadavre cessait ses soubresauts.

Quoi ?”
“Nous avons tué trente-quatre morts-vivants. Le reste a battu en retraite. Ils reviendront en force, je pense.”
Erin dévisagea Cavalier qui nettoyait calmement les viscères accrochées à son épée. Autour d’elle, les Ouvriers s’aidaient à se relever, transportaient des corps, et… creusaient ?

Oui, les Ouvriers indemnes creusaient le sol. De la terre s’envolaient alors qu’ils creusaient une longue et large tranchée autour de l’auberge. Ils construisaient des douves. Des douves.
“Qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce donc que tout ceci ?”

Erin contempla les morts, les Ouvriers, et Cavalier. Elle fut prise de vertige et de nausée. Et pas seulement à cause du carnage. Un instant plus tôt, elle avait été en train d’attendre Loks, et maintenant elle se retrouvait face à des Ouvriers avec des noms et des morts vivants.
Et l’odeur. Erin vomit légèrement dans sa bouche mais empêcha son estomac de rejeter quoi que ce soit d’autre.

Cavalier inclina la tête une nouvelle fois. Il était comme Pion simplement… différent. Physiquement, ils étaient identiques, mais ils avaient beau avoir la même voix, le même corps, et s’être tous deux nommés d’après des pièces d’échecs, il était différent. Erin ne pouvait pas expliquer pourquoi ou comment. Elle savait, c’était tout.
“La ville de Liscor et la zone qui l’entoure est assiégée, Erin Solstice. Une horde de morts-vivants a surgi des Ruines et assiégé la ville il y a à peu près une heure.”
Erin dévisagea Cavalier, frappée d’horreur. Elle lutta pour refaire fonctionner sa bouche.

“Les ruines ? Des morts-vivants ? Tu veux dire qu’ils en sont sortis ? Est-ce que quelque chose a déclenché…”

Son cœur rata un battement et son estomac se serra.

“Oh non. Les Cornes d’Hammerad. Ils sont entrés dedans. Est-ce qu’ils sont… ?”
Cavalier secoua la tête.

“Plusieurs aventuriers ont atteint la ville vivants. Je n’en sais pas plus.”
Erin saisit Cavalier par l’épaule, ignorant les fluides qui recouvraient sa carapace.

“Un Minotaure ? Quelqu’un avec des oreilles pointues ? Une elfe ? Demie-Elfe, je veux dire.”

Là encore, il secoua la tête.

“Aucun aventuriers de ce genre n’ont été aperçus. Les seuls qui ont survécu étaient des humains. Une… capitaine de l’une des compagnies. Une femme qui porte une armure argentée. Et quelques autres humains. Personne d’autre.”
Erin dévisagea Cavalier, les yeux écarquillés. Ses pensées s’entremêlèrent puis s’éteignirent. Cavalier hocha la tête.

“Je suis désolé.”

Elle vomit, alors. Erin se pencha en avant et rejeta son déjeuner et son dîner. Elle sentit une main fraîche sur son cou, rassurante, et alors qu’elle hoquetait et pleurait, Cavalier l’aida à se relever.

Cela prit plusieurs minutes pour qu’Erin regagne… le contrôle d’elle-même. Elle pleurait, balbutiait des mots incohérent, serrant la main de Cavalier dans une poigne mortelle tandis que Toren lui apportait un peu d’eau. Elle la but, cracha, vomit, but un peu plus, puis finit par s’arrêter.

Elle ne cessa pas de paniquer. L’agonie dans son cœur, le sentiment de perte terrible ne la quittèrent pas. Mais elle les enferma à l’intérieur d’elle-même pour se concentrer sur le présent. Erin regarda Cavalier tandis que l’Antinium étudiait la tranchée qui s’approfondissait autour de son auberge.

“Qu’est-ce qu’il se passe ? Combien de zombies se trouvent-ils dans la ville ?”
Il s’arrêta, et un autre Ouvrier - Calabrian - se porta volontaire pour donner des détails.

“Le combat s’intensifiait lorsque nous sommes partis. Plus de quarante mille créatures mortes-vivantes ont attaqué Liscor, et la Garde les combat dans les rues.”

Quarante mille. Erin essaya de se souvenir du nombre de gardes qu’elle avait vus aux portes de la ville, ou en patrouille. Il y en avait tellement, mais contre des dizaines de milliers de morts-vivants ? Plus encore ?

Elle se retourna vers Cavalier.

“Devrait-on… je veux dire, est-ce qu’on peut les aider ? À quel point la situation est-elle critique ?”

Il secoua la tête et fit un signe en direction de l’auberge.

“Sortir ne serait pas sage. Les morts-vivants recouvrent les prairies et attaqueront quoi que ce soit qui soit en vie. Ils sont venus ici et attaqueront de nouveau bientôt. Nous sommes ici pour vous protéger, mais vous devez rester ici.”

Erin le dévisagea, frappée d’horreur. Elle bégaya et sa voix se fêla.

“Moi ? Mais… je ne suis qu'une personne. Pourquoi moi ?”

Il lui rendit son regard d’un air grave, ses yeux noirs à facettes dévisageant son visage avec intensité.

“Vous êtes en vie. C’est la seule raison dont ils ont besoin.”

“Et ils sont dehors ? En train de se rassembler ?”

“Oui. Pouvez-vous les voir ?”

Il pointa du doigt, et Erin regarda au loin. Il n’y avait que peu de lumière - les étoiles et la lune étaient les seules sources lumineuses par ici, mais ses yeux s’étaient accoutumés à la pénombre. Elle regarda et ce qu’elle vit fit contracter son ventre de peur.

Des silhouettes sombres se mouvaient sous la lumière de la lune. Elles recouvraient les plaines, avançant lentement, un tas de formes floues entourant quelque chose de blanc qui avançait en direction de l’auberge.

“Oh dieux. Il y en a des milliers.”

“Des centaines. Ils se dirigent vers nous.”
Les mots de Cavalier firent courir un frisson glacé le long du dos d’Erin. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose puis se figea.

“Attends. C’est quoi ce truc là-bas ?”

Erin plissa les yeux. C’était une masse blanche autour de laquelle les morts s’étaient regroupés. Au début, elle avait cru que ce n’était qu’un groupe de morts-vivants qui se déplaçaient d’un seul bloc, mais c’était quelque chose d’autre. C’était loin, mais… ça se rapprochait ?
“Est-ce que c’est… une limace géante ?”

***


La Garde de Liscor recula, luttant, tirant des flèches dans la foule de morts-vivants, jetant des sorts. Combattant, reculant.

Mourant.

Ils étaient en sous-nombre et la zone de combat s’élargissait à vue d’œil. Les portes avaient laissé les morts-vivants pénétrer dans la ville comme un virus. Et tant qu’ils étaient restés confinés dans les quelques premières rues, la bataille avait été égale, voire même un peu en faveur des défenseurs.

Mais l’arrivée d’Écorcheur avait brisé leurs rangs et le flux sans fin de morts avait fini par avoir raison de leur résistance initiale et ils avaient perdu les premières rues. Et de plus en plus de morts avaient surgi des allées, ce qui avait forcé Zevara à faire reculer ses guerriers encore plus loin s’ils ne voulaient pas être encerclés. En reculant, la zone de bataille s’était élargie, jusqu’à ce que des douzaines de rues se trouvent bloquées dans des combats désespérés, amenuisant ses effectifs déjà réduits.
L’un des signes qui montraient l’état de la bataille était les civils. Ils les évacuaient vers la partie sud de la ville, ou plutôt ils évacuaient les enfants et ceux incapables de se battre. Tout le reste se battait. Ceux avec des niveaux et des classes tout comme ceux qui en étaient dépourvus.

Ils combattaient, Drakéides et Gnolls et les quelques Humains, se soignant avec des potions, faisant payer chaque pas de l’ennemi par du sang. Mais les morts n’avaient pas de sang. Et leur flot était intarissable.

Zevara et une vingtaine de gardes combattaient dans la rue principale, tentant d’endiguer le flot de morts. Ils n’étaient pas assez nombreux, pas pour un passage aussi large. Mais des wagons avaient été retournés pour barricader une partie de la rue et créer une zone d’abattage.

Le problème, c’était que les morts tombaient des toits, escaladaient les murs, couraient à travers les ruelles. Les archers de Zevara en tiraient le plus possible, mais les défenseurs auraient de toute manière été bientôt submergés si ce n’était pour les humains et les Drakéides qui se battaient au front.

Pisces pointa du doigt et une autre goule fut agitée d’un soubresaut. Sous sa peau pourrie, sa colonne se tordit et se brisa net, et la morte-vivante s’effondra Le [Nécromancien] se retourna et d’autres morts-vivants tombèrent comme des marionnettes dont on aurait coupé les ficelles. La moitié des morts tombés au combat empilés de ça de là dans la rue étaient de son fait. L’autre moitié était due à Relc.

Le Drakéide était debout au milieu de la foule de morts-vivants, sa lance tournoyant autour de lui, trop vite pour la suivre à l’œil nu. Il transperça la tête d’un zombie avec le manche de sa lance, remonta vivement l’arrière de sa lance pour briser la mâchoire d’un squelette, esquiva un autre squelette, donne un coup de poing si violent à une goule qu’il lui brisa les côtes, puis décapita un zombie d’un coup de lance vicieux.

Zevara pourfendit un squelette et prit une vive inspiration lorsqu’il lui érafla le bras en tombant. Elle le transperça jusqu’à ce que les lumières dans ses yeux s’éteignent et vit l’énorme créature surgir dans le dos de Relc.

Relc !

Le Garde Vétéran tournoya et lança sa lance. Le Seigneur des Cryptes tituba en arrière, la lance logée profondément dans sa poitrine. Relc se précipita en avant et saisit le manche de la lance. Il l’arracha avec un rugissement, repoussant le géant en arrière d’un coup de pied. Le Seigneur des Cryptes tomba sur le dos et Relc plongea, lame en avant, sa lance tellement vive qu’elle en devint floue jusqu’à ce que la créature boursouflée s’immobilise.
Il recula d’un pas mal assuré, puis se précipita de nouveau en courant vers la barricade alors que les morts-vivants tentaient de l’encercler. Les gardes s’écartèrent légèrement pour le laisser se faufiler, puis il se retrouva à côté de Zevara et ils continuèrent à repousser les morts.

“Malédiction.”

Jura Relc en toussant alors que Zevara se repliait derrière la ligne avec lui. Ses écailles étaient recouvertes d’une bile noire. Elle saisit instantanément une potion dans l’une des caisses et la lui tendit.

Relc prit une gorgée de potion, recracha du liquide noire, et but le reste. Il jeta la flasque vide par-dessus la barricade et hocha la tête à l’attention de Zevara.

“Merci. J’avais avalé un peu de poison.”

Elle fronça les sourcils, mais fut incapable de mettre sa force habituelle derrière ses mots.

“Sois prudent. Si on te perd, notre ligne s’effondrera.”

Relc lui sourit d’un air las.

“Hey, t’inquiète, Capitaine Z. Aucun de ces trucs ne peut érafler mes écailles. S’il n’y en avait pas autant, ce serait aussi facile que de faire du poisson pané.”

“Mais ils sont nombreux et le flot ne se tarit pas.”

Zevara feula de furie et sa queue fouetta le sol lorsqu’elle fit remarquer :

“Ça n’a aucun sens. Ils ne s’agglutinent pas dans un seul endroit et ils attaquent par tous les côtés. Comme une véritable armée. Et le garde qu’ils ont vers les portes n’est…”

“Pas comme eux. Je sais.”
Les yeux de Relc se plissèrent et ils regardèrent dans la direction de la porte nord grande ouverte. Ils avaient eu beau tout essayer, ils n’étaient pas parvenu à la reprendre aux morts, pas même avec Relc. Les morts autour des gigantesques portes de pierre refusaient de bouger, et les portes étaient trop lourdes pour se refermer seules. Normalement, ils auraient pu empêcher n’importe quelle force d’entrer bien avant qu’elle ne soit parvenue à traverser les plaines, mais le regard terrifiant d’Écorcheur avait fait fuir tous les gardes.

“C’est cette saloperie de créature de peau qui les organise. Tant qu’elle est dans le coin, ils n’arrêteront pas d’arriver. Si tu me laisses aller à sa poursuite…”

Zevara secoua sèchement la tête.

“Tu ne pourrais pas traverser les portes sans être encerclé. Et cette chose est trop puissante pour que tu t’en charges seul.”

Il la fusilla du regard.

“Et on va juste la laisser partir ? Je te l’ai déjà dit, elle se dirige vers Erin…”

“Tu attends de moi que j’essaies de sauver une humaine seule avec tout ce chaos ?”

Hurla Zevara. Relc cilla et elle reprit la parole.

“Quel que soit le plan de cette chose, on ne peut pas se permettre d’envoyer qui que ce soit derrière elle, et encore moins toi. Si on savait ce qu’elle fait, alors peut-être…”

“Elle attend.”

Zevara et Relc se retournèrent. Pisces avança d’un pas mal assuré vers eux. Son visage était pâle, ses cheveux et sa robe étaient trempés de sueur. Il tituba vers une caisse remplie de flasques d’eau et but avidement.

La Capitaine de la Garde se retourna en direction du combat. En l’absence de Relc et Pisces, les gardes étaient déjà en train de se faire repousser.

“On a besoin que tu continues à lancer des sorts, humains. Si tu ne peux plus nous avons plein de potions de mana…”

Pisces fusilla Zevara du regard.

“Les potions ne soignent pas l’épuisement. Même mes sorts les moins coûteux sapent mon énergie. Je dois me reposer.”

“Je vais y aller. Le poison a été purgé.”

Ce disant, Relc se précipita en courant vers l’un des wagons et bondit. Il donna un coup de pied au squelette qui était en train de l’escalader et atterrit de l’autre côté, sa lance déjà floue. Pisces but un peu plus et Zevara et lui observèrent le combat de Relc.

Zevara jeta un coup d’œil à Pisces.

“Qu’est-ce que tu disais ? Cette créature est en train d’attendre ?”

Il acquiesça et s’essuya la bouche.

“Il est évident que ces morts protègent d’une manière ou d’une autre cette créature de peau. Elle a sans doute un certain niveau de contrôle sur les morts ou la capacité de jeter des sorts… dans tous les cas, ils servent habilement de réserves puisqu’elle prend la peau de créatures pour s’alimenter.”

“Alors pourquoi est-elle partie ?”

“Le danger. Comme je l’ai dit, votre Garde Vétéran représente une véritable menace. Elle a réalisé cela et s’est retirée du combat. Elle laissera les morts continuer le combat jusqu’à ce que nous soyons épuisés avant de revenir. N’oubliez-pas… chaque mort de notre camp est un nouveau serviteur qu’il peut utiliser contre nous.”

Zevara fronça les sourcils.

“Il ne récolte pas tous les morts, alors ? S’ils ne sont constitués que d’os et d’entrailles, ils ne peuvent pas se réanimer.”

Pisces haussa les épaules.

“Il doit y avoir une limite de, ah, chair que cette créature peut porter. Je présume que le reste est réanimé ou stocké pour plus tard, d’où les morts-vivants. Les Seigneurs des Cryptes sont sans doute un dérivé de ce processus. Autant de morts rassemblés au même endroit pendant si longtemps…”

“Et pourquoi la fille ? Pourquoi cette Erin dont tu as parlé ? Est-ce qu’elle est importante ?”

Pisces hésita encore une fois, et Zevara se demanda s’il s’apprêtait à mentir. Lorsqu’il reprit la parole, c’était avec une réticence certaine.

“... Non. Elle n’a probablement aucune importance. C’est simplement la manière dont fonctionne la créature. Il va éliminer chaque être vivant de la zone et encercler la ville avec son armée. Il la sent, sans aucun doute, et souhaite éliminer toute menace potentielle.”

“Bien. Nous avons peut-être un peu de temps si c’est le cas.”

Pisces ouvrit la bouche, regarda Zevara, et la referme.

“Oui. Peut-être. Mais nous serons bientôt submergés s’il y a de nouveaux morts-vivants.”

C’était un constat qu’ils savaient tous deux être vrai. Zevara secoua la tête. Elle leva son épée, sentant l’épuisement dans son bras. Des flammes dansèrent aux commissures de sa bouche lorsqu’elle reprit la parole.

“Bois toutes les potions dont tu as besoin. Repose-toi si tu le dois. Mais retourne vite au combat, mage.”

Elle retourna en courant vers les gardes qui luttaient pour repousser plusieurs zombies. Pisces la dévisagea puis secoua la tête. Il recula de quelques pas, puis se dirigea vers une pile de cadavres que les archers avaient fait tomber des toits.

Les squelettes, les goules et les zombies s’étaient fendus le crâne ou s’étaient écrasés au sol lorsque les flèches les avaient fait tomber de leurs perchoirs. Mais lorsque Pisces leva les mains, la chair et les os écrasés se ressoudèrent, et les morts se relevèrent, des flammes surnaturelles apparaissant dans leurs orbites.

Six zombies, trois squelettes, et quatre goules se levèrent regardant fixement Pisces. Il pointa le nord, dans la direction des portes.

“Allez. Évitez le combat jusqu’à atteindre l’auberge. Protégez la fille. Tuez quiconque cherche à lui faire du mal. Allez.”

Pisces regarda les morts-vivants se précipiter vers la barricade, dépasser les défenseurs surpris. Il fit un sourire en coin, et dut s’asseoir pour accuser le coup du sortilège.

“Eh bien, eh bien. Je suppose que je suis un peu trop investi en ce qui concerne cette fille pour mon propre bien.”

Il rit, et leva les yeux vers le ciel.

“Un acte symbolique, alors. Cela ne changera pas grand-chose. Pas si…”

Sa voix se perdit. Pisces regarda d’un œil vide les morts se battre contre la Garde. Il était un [Nécromancien]. Il pouvait sentir le nombre de morts dans la ville et au-dehors, un fait qu’il s’était bien gardé de mentionner.

Un instant plus tard, il sourit de nouveau et se releva. Son sang brûlait d’agonie, et il se sentait nauséeux, épuisé. Une potion ne l’aiderait pas, mais les morts se mirent tout de même à tomber sous ses sorts méthodiques.

Pisces éclata de rire tandis que les morts tombaient autour de lui, sans se soucier du prix à payer. Ils allaient mourir. Tous. Les quelques gardes et citoyens encore en vie ne pourraient pas plus endiguer le flot de morts qu’Erin ne pourrait survivre. Il rit et leva de nouveau les yeux vers le ciel, peut-être pour la dernière fois.

“Ah, mais quelle merveilleuse nuit pour mourir !”

Il agita sa main et un groupe de zombies s’effondra. Il pointa du doigt et les morts moururent. Mais ils continuèrent à affluer. Encore. Et encore.

Et encore.

***


“Grands dieux. Qu’est-ce que c’est que ça ?”

Erin regarda la forme blanche qui se dirigeait droit sur eux. Chaque fois qu’elle se traînait un peu plus près d’elle, de nouveaux détails horrifiants émergeaient. Au début, ce n’était qu’une forme blanche, une limace maladive. Puis ce fut une limace avec des bras, puis… une espèce de créature. Mais alors elle vit que sa peau n’était pas de la peau mais de la chair morte empilée. Et puis elle vit les visages, étirés par-dessus la peau et…

Les morts-vivants coururent en direction des Antiniums. La petite armée d’Écorcheur. Ils tombèrent dans la gigantesque tranchée que les Antiniums avaient creusée, se brisant les os, escaladant les parois simplement pour se faire renvoyer dans le trou d’un coup de pied par les Ouvriers.

Ils n’étaient pas nombreux. Peut-être une centaine, ou moins. C’était ce qu’avait dit Cavalier. Comme si ce n’était pas déjà largement suffisant pour les ensevelir sous les corps. La plupart des morts-vivants étaient retournés vers la ville. Mais la créature continuait d’avancer dans leur direction, se traînant sur l’herbe.

Elle laissait des morceaux luisants d’elle-même dans son sillage. Des morceaux de peau morte. Cela horrifiait Erin plus que tout.

Mais elle devait se battre. Erin leva une autre fiole d’acide et la jeta sur un Seigneur des Cryptes. L’énorme créature boursouflée poussa un cri perçant et se frappa de ses mains griffues. Mais l’acide dévora la peau, fit fondre l’enveloppe du monstre en quelques minutes.

C’était son rôle .Erin était debout devant la porte de son auberge, et lançait des filles d’acide, des casseroles, des poêles, des couteaux, tout ce qu’elle pouvait. Elle avait une poêle à frire à côté d’elle en cas d’urgence et elle avait déjà jeté la plupart de ses chaises dans la colline.

Ça fonctionnait. Ça fonctionnait. Les morts emplissaient les tranchées, mais ils n’avaient pas encore réussi à passer à travers la ligne d’Ouvrier. Ça fonctionnait…

Écorcheur avait atteint le pied de la colline où se dressait l’auberge. Il leva la tête, et regarda en haut. Deux yeux cramoisis étincelèrent et Erin connut soudain la peur.

La peur.

“Non… non.
Les yeux d’Écorcheur étincelèrent dans sa direction sous la lueur de la lune. Son regard toucha Erin et la cloua sur place. Il l’attrapa et lui fit ressentir une terreur telle qu’elle n’en avait jamais connue. Elle était impuissante.

Elle trembla. Erin était consumé par une horreur pure, une terreur sans filtre qui la paralysait jusqu’aux tréfonds. Le regard cramoisi était la mort. Sa mort.

Elle ne pouvait même pas bouger. Elle ne pouvait même pas crier.

Elle sentit quelque chose lui tirer le bras. Cavalier l’attrapa et la fit reculer, vers les portes de son auberge. Il la fourra dedans et elle tituba, partiellement libérée du regard d’Écorcheur.

“Cette créature projette une sorte de peur. Je vous en prie, reculez. Nous allons nous en charger.”

Erin dévisagea Cavalier. Elle actionna sa mâchoire, sans un bruit.

“Je…”

Elle voulait lui dire qu’elle allait continuer à se battre. Mais elle en était incapable. Elle regarda dehors et Écorcheur la dévisagea. Il souriait, sa bouche édentée, vide, un simple trou béant. Elle se figea et Cavalier bloqua la porte de son corps.

“Restez derrière moi.”

Les morts-vivants se précipitèrent en avant à l’unisson. Les Ouvriers allèrent à leur rencontre lorsqu’ils tentèrent de bondir par-dessus les douves et échouèrent et firent retomber les morts-vivants dans le gouffre. Plusieurs zombies parvinrent à entraîner l’un des Ouvrier dans le gouffre où il disparut sous une pile de membres décolorés. Mais la ligne tenait.

Elle tenait.

Le regard d’Écorcheur quitta l’auberge pendant un instant. Il parut contempler le fossé puis retourna son regard sur l’auberge. Pendant une seconde, Cavalier se demanda ce qui venait de se passer. Puis les rangs des morts se retirèrent et une créature plus imposante se précipita en avant.

Un Seigneur des Cryptes était dressé de l’autre côté de la tranché. Mais il - ou plutôt elle - n’essaya pas de traverser. Au lieu de cela, le Seigneur des Cryptes se mit à cracher, projetant d’immenses gouttes de sang noir qui pleuvaient sur les Ouvriers.

Plusieurs Ouvriers lancèrent leurs armes à travers les douves, mais elles rebondirent sur la l’épaisse peau décolorée du Seigneur. Il leur cracha du sang dessus, et les ouvriers se protégèrent inutilement le visage des mains.

Soudain, les douves n’étaient plus une barrières mais un handicap. Les Antiniums ne pouvaient pas les traverser pour aller combattre le Seigneur des Cryptes, et au lieu de cela devaient se replier pendant qu’il les empoisonnait.

Cavalier regarda deux Ouvriers tomber, se recroqueviller en boule alors que le poison les tuait. Il contempla les morts-vivants se précipiter dans les tranchées et remonter de l’autre côté. Il soupira.

Les échecs ne ressemblaient à rien à une bataille. Il y avait quelques similitudes, et la classe de [Tacticien] gagnait des niveaux grâce aux échecs. Mais ils n’enseignaient pas le combat. Ils ne prenaient pas en compte l’imprévisible. Les échecs étaient une chose merveilleuse. Mais la bataille…

La bataille n’était qu’incertitudes.

“Ah. Hélas.”

Cavalier s’assura que son corps recouvrait la porte. Le reste des volets de l’auberge étaient germés, et le deuxième étage était également barricadé. Mais n’importe quelle créature morte pouvait y pénétrer. Il fit un signe et haussa la voix.

“Resserrez les rangs.”

Les Ouvriers reculèrent, formant un mur autour de l’auberge. Ils n’étaient à peine plus de vingt encore debout, certains blessés, beaucoup désarmés. Ils avaient toutefois appris quelque chose pendant le combat. Ils ne mourraient pas facilement.

Cavalier tourna légèrement la tête et vit qu’Erin était toujours en train de contempler les morts qui gagnaient les douves. Qu’aurait dit Pion à un moment comme celui-là ? Quelle était la bonne chose à dire dans ces conditions ?

“Je vous en prie, restez à l’intérieur. Vous y serez en sécurité.”

Elle essaya de répondre quelque chose. Mais le regard d’Écorcheur la paralysait, lui ôtait les mots de la gorge. Cavalier ferma la porte et y appuya son dos.

Vingt ouvriers. Une centaine de créatures mortes-vivantes. Écorcheur. Ils protégeraient l’auberge de toutes leurs forces. Aussi longtemps qu’ils le pourraient.

Jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus bouger. Jusqu’à ce qu’ils ne soient plus en vie. Chaque Ouvrier était résolu à mourir. C’était simple. Cavalier aurait simplement voulu… il aurait simplement voulu…

Il aurait simplement voulu qu’ils soient plus nombreux.

***

Loks étaient assise sur la colline et observait. Elle ne regardait plus la ville de Liscor. L’endroit allait soit tomber, soit brûler. Cela n’avait aucune importance à ses yeux.

Au lieu de cela, elle regardait une petite colline, où des mouvements scintillaient à la lumière de la lune. Les yeux de Loks étaient bons. Même au milieu de la nuit, elle pouvait voir les ouvriers en train de lutter contre les morts-vivants. Elle était également forte en calcul. C’était pour cela que malgré la présence des membres de sa tribu toute entière avec elle sur la colline, elle ne leur ordonna pas de bouger.

C’était le choix sensé. Loks toute entière était d’accord. Sans parler d’Écorcheur, le monstre terrifiant qui plantait la peur dans son cœur, les morts-vivants étaient trop nombreux, trop mortels. Les Gobelins n’étaient pas doués pour tuer les choses qui étaient déjà mortes, et ils auraient été submergés par les morts même s’ils s’étaient joints aux Ouvriers. Pas un bon combat. Donc pourquoi se battre ?

Loks toute entière était d’accord avec son choix, même si une partie des membres de sa tribu n’était pas d’accord. La partie d’elle qui était un Gobelin pathétique et apeuré lui disait de fuir. Et la partie d’elle qui était une [Tacticienne] qu’elle avait appris à rendre froide lui   disait que la bataille était perdue d’avance. Loks savait cela. Mais une autre partie d’elle avait mal.

C’était une toute petite partie. Ce n’était pas une partie pragmatique, ni une partie particulièrement utile. Cette partie-là savait qu’elle n’avait pas d’autre choix. Mais cela faisait mal. Et cela l’empêchait de se concentrer alors qu’elle observait la bataille.

D’un air absent, la main de Loks se leva et tâta sa chair. Non. Cela n’arrêterait pas de faire mal. Elle savait qu’elle ne pouvait rien faire. Donc pourquoi essayer.

Un Gobelin s’agita à côté de Loks. Il voulait descendre là-bas. Mais un regard noir de sa part et il s’immobilisa. C’était elle la Cheftaine. C’était elle qui décidait. Et elle avait décidé de ne pas interférer. C’était de la pure logique.

Elle aurait juste aimé que cette part d’elle-même cesse de lui faire mal.

Loks toucha de nouveau son cœur. Il n’y avait rien qu’elle pouvait faire. Rien d’autre que regarder. Elle regarderait jusqu’à la fin.

C’était tout ce qu’elle pouvait faire.

***


Cavalier était debout devant la porte, les bras grands ouverts, appuyant de tout son poids sur la porte derrière lui. Ses jambes plièrent. Mais il refusa de tomber.

Les morts-vivants avaient traversé les douves. Ils avaient atteint l’auberge elle-même, et c’était ici que les Ouvriers menaient leur dernière bataille.

Ils se débrouillaient bien. Suffisamment bien. L’unique Seigneur des Cryptes était tombé, entraînant cinq Ouvriers dans sa chute. Mais le reste des Ouvriers se battaient ensemble, protégeant l’auberge, laissant leurs corps solides prendre les assauts de plein fouet pour protéger le bois fragile.

Ils avaient appris. Quelques courtes minutes - ou étaient-ce des heures ? de batailles les avaient rendus plus forts. Ils se battaient avec des armes, de manière méthodique, et tuaient, protégeaient. Ils tenaient.

C’était juste que les morts ne connaissaient pas le répit. Et ils s’agglutinaient principalement autour de la porte de l’auberge, cherchant à s’y frayer un passage.

Cavalier les bloquait. Il accusait les coups d’épées et de griffes, ne cherchant même pas à les dévier. Il ne pouvait de toute manière plus bouger ses bras. Il n’avait qu’à les empêcher de passer la porte. C’était tout simple. Tout simple. Mais tellement difficile.

Du sang vert coulait sur ses flancs. Il avait froid. Il avait été transpercé. Il était en train de se faire transpercer. Un groupe de morts-vivants l’assaillait violemment, à coups de lames, à coups de dents.

Un Ouvrier lui arracha un zombie. Deux autres le rejoignirent, et ils écrasèrent le reste, les brisèrent, les démembrèrent comme ils l’auraient fait d’un bâtiment ou d’une carcasse à équarrir.

Cavalier tenta de bouger, mais se sentit couler au sol. Pas bon. Il devait rester debout. Il devait être un bouclier. Un Cavalier. Il se déplaçait dans une forme de L, mais son nom était plus que ça. C’était un protecteur. Un champion des innocents, le dernier bastion d’une forteresse. Elle le lui avait dit. Il se souvenait. Il se souvenait de tout.

L’un des Ouvriers s’arrêta devant Cavalier. Cavalier lutta pour se rappeler de son nom. Garry ? Oui, Garry. Nommé d’après Garry Kasparov, l’un des plus grands Grand Maître de tous les temps. Un bon nom.

Garry se dressa devant Cavalier alors que le reste des Ouvriers les couvrait. Il parla.

“Tu es en train de mourir.”

Cavalier ne sentait plus son corps. Mais il pouvait voir. Du sang vert - son sang - tachait le sol.

“Oui.”

C’était un commentaire inutile. Il lutta pour poser la question la plus importante.

“Est-elle toujours en sécurité ?”

“Oui.”

“Bien.”

Il n’y avait vraiment pas grand-chose d’autre à dire. La vision de Cavalier s’assombrissait. Mais il lutta pour bouger, pour bloquer la porte avec ne serait-ce qu’un pan de son corps de plus. C’était important. D’une voix rauque, il s’adressa de nouveau à Garry.

“Protégez-la.”

L’Ouvrier acquiesça.

“Bien sûr. Jusqu’à notre trépas.”

“Bien.”

Le monde devenait sombre. Et froid. Mais Cavalier n’en avait cure. Il voulait juste jouer aux échecs une dernière fois. Il était certain qu’il s’était amélioré. Et si… si elle était en vie, peut-être qu’elle se souviendrait. Il avait adoré jouer avec elle. Chaque fois, qu’importe la durée, qu’importe le nombre de joueurs.

Il aurait voulu faire une dernière partie. Il ouvrirait avec le Gambit Danois, risqué, mais il jouerait de son mieux. Juste pour l’entendre rire de joie ou le complimenter. S’il pouvait faire une dernière partie dans cette pièce chaleureuse, ce serait un bonheur parfait s’il…

Cavalier ne ferma pas les yeux. Il n’avait pas de paupières à baisser. Mais il se raidit, et quelque chose le quitta. Le reste des Ouvriers n’y prêtèrent pas attention. Ils se battaient, leur sang coulant sur le sol, repoussant l’ennemi. Une seule personne le remarqua parmi les morts et les vivants. Une seule personne faisait attention à lui.

Erin.

***


Ils mouraient. Erin était assise dans son auberge, et elle les entendait. Elle le savait. Ils mouraient.

Ils mouraient tous.

Les Ouvriers combattaient dehors, tellement proches qu’elle pouvait les entendre parler. Des phrases courtes qui arrachaient des morceaux de son cœur.

“Je suis tombé.”

“Mon bras a été arraché.”

“Continuez sans moi. Protégez-la. S’il vous plaît.”

Des inflexions dépourvues de passion. Mais les mots, eux n’étaient pas dépourvus de passion. Elle les entendait tomber et mourir, supplier les autres de continuer le combat. Pour protéger. Pour la protéger.

Cela lui faisait plus mal que tout le reste. Plus qu’être transpercée par des lames, plus que la douleur physique. Mais elle ne pouvait pas bouger. Elle était clouée sur place, incapable de faire quoi que ce soit d’autre que rester cachée.

Rester cachée dans son auberge pendant que ses amis mouraient.

Elle ne savait pas leurs noms. Elle les avait oubliés alors même qu’ils les lui offraient. Mais elle les connaissait. Elle avait joué aux échecs avec chacun d’entre eux. Leur avait enseigné. Klbkch et Pion les avaient tous amenés ici un nombre incalculable de fois et Erin connaissait chacun de leurs coups aux échecs.

Et ils mouraient. Pour elle.

Elle essaya de bouger ses jambes. Elles tremblèrent contre le plancher, refusant de porter ne serait-ce qu’une fraction de son poids. Ses mains faisaient de même.

Ils mouraient .Elle devait faire quelque chose.

Erin attrapa sa poêle, puis lâcha le manche. Elle couvrit ses oreilles de ses mains et se roula en boule. Elle avait peur.

Peur.

La peur la submergeait. Ce n’était même pas une chose conscience, quelque chose contre laquelle Erin pouvait se battre. C’était comme une équation mathématique de base, une vérité universelle immuable. Si elle se battait, si elle essayait de se battre, elle mourrait. Elle ne pouvait pas battre cela.

Mais elle pouvait encore bouger. Erin le sentait. Elle pouvait fuir. Les Ouvriers la protégeraient. Si elle fuyait...

Quelque chose ne Erin se rebella contre cette pensée. Fuir ? Fuir tandis qu’ils mouraient pour elle ?

C’était le seul choix sensé. Mais ils mouraient. Pour elle. Et cela rendait la fuite immorale.

Même si cela la sauvait ? Non. C’était impossible. Ils étaient tous piégés. Les morts-vivants étaient partout. Cette chose arrivait. Fuir n’était rien d’autre qu’une mort plus lente.

Erin frissonna. Elle avait entendu les derniers mots de Cavalier. Ils la lacéraient, arrachant des morceaux de son âme. Elle aurait tellement aimé pouvoir bouger. Elle aurait aimé...

Son pied trembla, et se cogna contre la table. Erin entendit quelque chose claquer contre le plancher et elle se recroquevilla. Elle baissa les yeux.

À la lumière de la lune, quelque chose roula près de la chaise et s’arrêta. Erin contempla l’objet.

Elle vit une pièce d’échecs par terre. C’était un cavalier brisé, un Drakéide armé d’une épée et d’un bouclier, mais quelqu’un l’avait cassé en deux et il ne restait que les jambes et la base.

Lentement, Erin se pencha pour la ramasser. Elle tint la pièce dans sa main, et sentit ses arêtes aiguës.

Elle posa la pièce sur l’échiquier. Elle regarda les deux côtés, blanc et noir, baignés de la lumière rouge des yeux d’Écorcheur. Son cœur était empli de peur. Son esprit était brisé par la terreur. Mais son âme hurlait alors que ses amis mouraient.

La main d’Erin bougea. Elle poussa le pion blanc en avant. Elle hésita, puis poussa un pion noir de deux cases.

Pion en E4. Pion en E5. C’était le tour du fou, en C4. Une ouverture classique.

Lentement, Erin se mit à jouer. C’était mal. C’était mal de faire cela alors que les Ouvriers saignaient et périssaient. Mais elle joua quand même, mécaniquement, jouant la partie uniquement à l’instinct.

Les pièces bougeaient mécaniquement. Erin joua le jeu et le temps ralentit autour d’elle. Le temps s’arrêta. Le temps…

Le temps était une chose étrange. Parfois, il n’avait aucune importance, et d’autres fois, il était d’une importance cruciale. Pour Erin, le temps avait toujours disparu quand elle jouait aux échecs. C’était pour cette raison que la compétence qu’elle avait apprise était tellement adaptée.

Quelle idiotie. Inutile. Cela allongeait un instant. C’était bien pour un petit moment, mais c’était tout. Cela ne faisait qu’étendre une seconde à l’infini. Cela ne pouvait pas soulever les montagnes ou lui accorder la chance ou quoi que ce soit d’autre.

Cela rendait simplement un instant immortel. Alors Erin joua. Elle joua tandis que les morts-vivants massacraient ses amis et que le regard d’Écorcheur touchait son cœur. Elle joua.

Une partie inutile. Une partie dépourvue de toute valeur. Elle perdit contre elle-même avec la moitié de ses pièces encore sur le plateau. Mais ce n’était pas l’important. Erin remit l’échiquier en place et rejoua, déplaçant les pièces avec un abandon téméraire.

Le sujet n’était pas les échecs. C’était simplement le temps. Chaque seconde, la peur se gravait dans son esprit, toujours présente, toujours là. Elle faisait partie d’elle, elle faisait partie des parties infinies qui se déroulaient sous ses doigts. Encore. Et encore. Jouant, jouant toujours, jusqu’à ce que la peur et la vie ne fasse qu’un.

“Le roi, rusé, utilise sa tête. Car s’il bouge, c'est la défaite.”

Erin marmotta une nouvelle fois les mots. Elle se souvint de son rêve, et de la certitude qui l’avait accompagné. Le Cheftain Gobelin mort. Le sang. L’odeur de l’huile.

La mort et la violence.
Si elle était un roi, bouger, combattre ne mènerait qu’à la misère. Et la mort. Elle avait perdu des amis parce qu’elle avait combattu. Mais elle les perdrait encore si elle ne faisait rien.

“S’il bouge, c’est la défaite.”

Mais c’était tout. Quelqu’un mourait, même si ce n’était pas le roi. Le roi était un connard égoïste, qui laissait les gens souffrir à sa place. La main d’Erin bougea vers le roi, et le renversa lentement.

“Je ne suis pas un roi.”

Erin se leva. La peur était toujours en elle, toujours mordante, toujours en train d’essayer de la paralyser. Mais elle faisait partie d’elle à présent. Elle tentait encore de figer ses pensées ,mais elle était vieille à présent .Et il y avait des choses plus importantes que la peur. Plus importantes que la douleur ou la mort.

“Je suis une reine. Et c’est mon auberge.”

Combien de minutes étaient-elles passées ? Combien de secondes ? Il lui semblait que des années étaient passées, mais la bataille faisait toujours rage. La seule différence à présent était qu’Erin pouvait bouger. Elle saisit la poêle à frire, puis hésita.

Lentement, Erin alla dans la cuisine et en ressortit avec une immense jarre de verre. C’était l’une des énormes jarres qu’elle utilisait pour stocker ses réserves d’acides de mouches corrosives. Elle ouvrit lentement la porte et vit Cavalier étendu devant.

Pendant un instant, Erin vacilla. La jarre d’acide s’inclina dans ses mains. Elle la stabilisa, puis regarda autour d’elle.

Les morts étaient partout. Mais en bas de la colline, Écorcheur regardait en haut. Il commandait le flux de la bataille. Comme un général. Comme un roi.

Erin supposa que cela faisait d’elle l’autre roi. Et elle était en échec. Très bien. Elle s’accordait une promotion et devenait reine.

Écorcheur dévisagea Erin. Le regard cramoisi se fixa sur elle, propulsant des tentacules de terreurs pour enserrer son cœur. Mais elle l’avait déjà ressentie par le passé. C’était une vieille astuce à présent. Elle souleva la jarre d’acide.

“Allez, viens te battre, espèce de bâtard !”

Sa voix résonna par-dessus la colline, transperçant les sons de la bataille comme un coup de tonnerre. Erin en fut surprise, mais elle se souvint de sa Compétence. [Voix de Stentor].

Écorcheur ne cilla pas. Il en était incapable. Mais il parut surpris, d’après Erin. Son regard se déplaça et elle sentit des morts-vivants arriver dans son dos. Les Ouvriers les pourfendirent.

La jarre d’acide clapotait dans ses mains. Elle était lourde. Sans sa compétence de [Force Mineure] elle aurait été presque incapable de la soulever. Mais elle la leva sur une épaule puis la poussa dans les airs comme un javelot géant.

Le projectile d’un vert lumineux vola en contrebas droit sur le visage d’Écorcheur, droit comme une flèche. Il leva la main, trop lentement. La jarre s’écrasa sur lui et un liquide vert trempa le monstre géant.

L’acide recouvrit le visage et le corps d’Écorcheur. Il hurla, un son suraigu qui fit mal aux dents d’Erin et força les Antiniums à se couvrir les tympans. Mais il ne mourut pas. Il arracha sa propre chair, arrachant des couches de peau. Puis il leva les yeux vers Erin et hurla.

Les morts recouvrirent la colline et Écorcheur hurla de rage, se tractant vers Erin, ses mains s’enfouissant dans la terre et la poussière.

“Allez, viens là !”

Erin était dressée en haut de la colline, sa poêle levée, et les Ouvriers l’encerclaient .Son sang était en feu. Son cœur saignait. Mais elle continuerait à se battre.

Écorcheur la dévisagea. Erin lui rendit son regard. Aucun ne cilla. Il était sa cible. Elle pouvait continuer à se battre jusqu’à la mort.

Elle ne s’arrêterait pas. Elle continuerait, et qu’importe la peur ou la mort.

Jusqu’au moment où il cesserait de bouger. Jusqu’à ce qu’elle exhale son dernier souffle. Jusqu’à ce que ses amis soient en sécurité, ou qu’ils soient tous morts.

Jusqu’à la fin.

Les morts se précipitèrent sur Erin, et elle leva la poêle à frire et cogna le premier zombie tellement fort que toutes ses dents sautèrent. Les ténèbres bougeaient, et les morts étaient partout.

Partout.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 04 juillet 2020 à 20:02:32
1.44
Traduit par Maroti

Elle sut lorsque le premier squelette la trancha qu’elle allait mourir. Erin regarda la plaie béante sur son bras et se demanda si elle pouvait recoller la coupure en la pinçant très fort. Elle leva sa poêle à frire et frappa le squelette de toutes ses forces.

Il s’écroula. Erin lui donna un coup de pied alors que ses yeux s’éteignirent. Elle était forte ? Aussi forte qu’un homme ? Assez forte pour tuer. Elle frappa un Drakéide mort jusqu’à ce que la poêle à frire de fer se plie et que son crâne soit écrasé en laissant suinter et voler des bouts de ce qu’il y avait à l’intérieur.

Mais les morts étaient partout, et d’une quelconque manière, à chaque fois qu’Erin se retournait, il y avait moins d’Antinium autour d’elle. Mais il y avait toujours plus de mort-vivants. Leurs yeux brillants observaient Erin, et leurs mains griffues voulaient prendre sa vie.

Une fois, elle crût voir Toren. Son squelette dansait parmi les mort-vivants, l’épée au clair, poignardant et tranchant. Ces semblables ne semblaient qu’à moitié le remarquer, ne se défendant uniquement après qu’il ait donné le premier coup. Mais il était seul, et elle ne pouvait pas le discerner des autres squelettes.

Erin ne resta pas immobile, se baissant sous de lentes attaques, lançant les quelques jarres d’acide qu’elle avait vers les goules, frappant des squelettes et voyant des formes noires la protéger. À chaque fois qu’une épée plongeait vers son cœur ou qu’elle trébucha, un Ouvrier était là, repoussant un zombie ou attrapant une goule par la gorge.

La fille se battit, et à chaque fois qu’elle se retourna, un autre Ouvrier, un autre ami, était en train de mourir.

Et puis elle se retourna et il n’y avait que les morts. Les quelques Ouvriers qui restaient luttaient seuls, isolés.

Erin recula vers son auberge, huit Ouvriers la suivirent. Le reste gisait silencieusement. Ils barricadèrent les portes alors que les mort-vivants commencèrent à rentrer à travers les fenêtres. Erin jeta sa poêle à frire qui était pratiquement impossible à reconnaître et réalisa qu’elle s’était arraché la peau des paumes alors qu’elle s’empara d’une chaise.

Les morts tapèrent sur la porte alors que les Antiniums frappaient des bras et des têtes passant à travers les volets, et dehors, le regard pourpre d’Écorcheur alluma l’auberge. Il était proche.

Erin était en train de saigner. Du sang coulait depuis ses bras et ses jambes. Quelque chose l’avait poignardé dans l’un de ses seins, et elle était certaine qu’elle n’avait jamais entendu quelque chose de la sorte arrivée dans une histoire. Elle appuya contre son torse ensanglanté et s’assit.

Juste pour une seconde.

Tout était sombre.

***

Zevara se tenait au centre de la rue alors que les mort-vivants foncèrent vers elle. Elle prit une grande respiration et cracha du feu.

Un torrent de flamme ardente s’échappa de sa bouche et incinéra le premier rang des mort-vivants et arrêtant les autres pour qu’ils débattent leurs corps brûlants. Zevara continua le jet de flamme le plus longtemps possible. Cinq secondes. Dix. Puis elle dut s’arrêter pour reprendre sa respiration.

Le monde était sombre. Il tournait. Elle ne pouvait pas respirer. Mais l’ennemi avait été stoppé pour un instant. Mais rien qu’un instant.

Ils étaient partout. Et ils avaient repoussé les défenseurs de la ville en arrière, puis plus loin encore, jusqu’à ce qu’ils se battent dans la rue principale, à côté de la caserne, en dehors de l’entrée de la Colonie des Antiniums. Et même si le combat continuait, Zevara savait ce que cela était.

La fin. Quand leurs rangs se briseraient cette fois, il n’y aurait plus d’endroit où aller. Les enfants et les citoyens qui ne se battaient pas seraient exposés. Ils étaient déjà entassés comme des sardines alors que les gardes avaient dû les bouger de plus en plus loin pour les éloigner du combat. Encore un peu et…

Ce n’était pas sa faute. C’était ce que Zevara voulait dire. Elle avait fait de son mieux, bordel. Elle avait tenu des milliers de guerriers avec quelques centaines. Qui pouvait demander plus que ça ?

Mais elle avait échoué, même si c’était la seule chose qui pouvait arriver. La Garde n’avait jamais été faite pour protéger la ville d’un siège. Ils étaient un peu plus de quatre cent dans une ville de plus de quatre-vingts mille civils. Ils étaient capables d’arrêter les combats, attraper les voleurs, empêcher les raids de bandits…

Mais pas une armée. Encore moins une armée de mort-vivants.

Combien est-ce qu’ils étaient ? Des milliers. Des dizaines de milliers. Ils continuaient de se relever. Les vivants devenaient les morts, et les morts refusaient de mourir. Les entailles ne les ralentissaient pas. Le feu réduisait leur peau en cendre, mais il fallait briser leurs os pour vraiment les arrêter. Les décapiter ne faisait pas ralentir quelques squelettes et les Seigneurs des Tombes pouvaient tuer des dizaines avant d’être abattus.

Si. SI les murs avaient tenu la Garde aurait vaincu. S’ils avaient tenus les premières rues au lieu de se battre dans chaque putain de ruelles. Et si les Antiniums les avaient rejoints, ils auraient pu vaincre.

Ils étaient toujours en train de se battre. Les soldats de Ksmvr tenaient plusieurs rues menant vers leurs Colonie. Encore plus de guerriers gardaient les tunnels descendant dans la terre, mais aucun d’entre eux n’avait rejoint la Garde. Ils étaient tous en retrait, protégeant leur Reine.

Un autre groupe de mort-vivants se précipita le long de la rue. Zevara avala une autre goulée d’air.

Maudit soit-il. Maudit soit-il. Elle avait compté sur les Antiniums. Ils étaient ce dont elle avait besoin, mais il refusait de les envoyés. Les Soldats de la Colonies et les Ouvriers auraient fait toute al différence. Ils pouvaient faire sortir bien plus que trois cent si le besoin se présentait. Mais Ksmvr avait refusé. Il était sans pitié. A l’inverse de son prédécesseur.

Une goule bondit avant les zombies et squelettes courant dans la rue. Trop rapide. Zevara leva son épée et trancha son buste. La femme morte tituba, avant de lever la main. Trop rapide, et son épée fut coincés sur de l’os.

Zevara ouvrit sa bouche et exhala. Du feu alluma ses poumons et se déversa de sa bouche. Le torrent de feu brûla l’air, les morts, et même elle. C’était le pouvoir ancien de son sang, mais ça ne lui appartenait pas.

Le monde devint gris et recommença à tourner alors que Zevara tituba. La goule était en train de reculer, hurlant et griffant son visage calciné, avant de se jeter sur elle. Une pointe de lance transperça sa tête et elle s’écroula.

Quelqu’un était aux côtés de Zevara. La Capitaine de la Garde sentit un grand bras l’aider à se relever.

« Attention, Z. Tu commences à t’essouffler. »

Zevara lutta pour reprendre sa respiration et repoussa la main de Relc. Elle essaya d’avaler une grande goulée d’air, mais sa respiration venait par petit à-coup. Elle se griffa la gorge. Elle pouvait à peine respirer, mais elle devait le faire. Elle cracha de nouveau du feu, et une partie de la foule de morts-vivants s’embrasa.

Toussant. Crachant. C’était douloureux et elle ne pouvait pas respirer. Zevara tituba en arrière alors que les mort-vivants s’emparèrent du répit dans le torrent de flamme et bondirent en avant.

Relc s’avança, sa lance fendant l’air. Il poignarda deux zombies dans le torse plus rapidement que l’œil ne pouvait suivre, pivota, donna un coup-de-poing qui fit s’étaler un squelette, et leva sa lance alors qu’un autre zombie bondit vers lui.

« [Triple-] ! »

La tête du zombie explosa alors que la lance de Relc le frappa trois fois. Le Drakéide reçu un peu de chair dans sa bouche et s’étouffa sur le reste de sa phrase. Il cracha, toussant, et fit tournoyer sa lance.

Plus de gardes foncèrent vers eux et Zevara tituba en arrière. Elle leur avait donné tous le temps qu’elle pouvait. Si elle continuait, elle n’allait plus pouvoir respirer, elle le savait.

Elle lutta pour respirer avant de lever la voix. Elle devait savoir.

« Tkrn. Comment vont les autres ? »

Les gardes luttaient en face d’elle, une fine ligne de soldats épuisés aux armures et épées recouverts de sang et de chair. Zevara regarda autour d’elle.

« … Tkrn ? »

Le Gnoll n’était pas là. Zevara tenta de se rappeler ou est-ce qu’elle l’avait vu pour la dernière fois. Courant dans une rue pour délivrer un message ? Elle secoua la tête.

Parti. Ils étaient tous parti. Ou en train de partir.

Relc recula en jurant alors que les mort-vivants avancèrent. La petite ligne rouge s’amincit encore alors que les mort-vivants continuèrent de pousser. Et cette rue n’était pas la seule.

À travers la ville, des gardes se retraitaient alors que des barricades s’effondraient. Des goules courraient sur les toits, trop nombreuses pour être arrêté par les quelques sorts et flèches venant du sol. Ils foncèrent vers les rues contenant les citoyens de Liscor gardé par les blessés, sentant que leurs proies étaient sans défense.

« Nous sommes à court de potions de soin. »

Tkrn apparu à travers le chaos, boitant pour dire à Zevara que la Garde s’était retraitée dans une autre rue. Elle hocha simplement la tête. Qu’est-ce qu’elle pouvait dire d’autre.

« Retraitez-vous vers la Rue du Marché. C’est ici que nous allons tenir notre position. »

Il hocha la tête alors que les gardes coururent ou se portèrent en dépassant Zevara. Relc ferma la marche, sa lance sifflant. Mais même lui était en train de ralentir. L’épuisement était en train de faire ce que les mort-vivants ne pouvaient pas faire.

« Relc. Peux-tu… ? »

Il lui fit un sourire.

« Laisse-moi gérer. Garde moi un coin quand je reviens, d’acc ? »

Elle hocha la tête et courut avec le reste des gardes. En arrière, encore en arrière. Relc n’avait pas besoin de le dire. Elle et lui le sentaient.

La garde rencontra une plus grande force tenant l’entrée de la Rue du Marché. Les rues calcinées avaient été de nouveau retournées, cette fois les étals et portes avaient été tournés en une autre barricade. Les Drakéides et les Gnolls qui tenaient l’endroit étaient épuisés, blessés, mais les morts bouchant la rue était un testament de leurs volontés de se battre.

Zevara monta sur la barricade et se retourna vers les gardes. Elle savait qu’elle devait parler, leur donner espoir, leur donner une raison de se battre. Elle n’avait rien d’autre à dire.

Une voix se leva par-dessus les cris et les bruits toujours présents au loin, parlant d’un ton calme et sans émotion.

« Capitaine de la Garde Zevara. Je dois vous parler. »

Zevara se tourna et vit Ksmvr. Le Prognugator des Antiniums s’avança vers elle, deux soldats à ses côtés.

Son exosquelette avait été écrasé sur l’un de ses bras et quelque chose lui avait déchiré un de ses côtés. Un bandage qui avait été appliqué était déjà recouvert de sang vert, mais à part ça, il était encore capable de se battre.

L’un des soldats était en train de boiter et Zevara vit que son pied gauche avait été à moitié arraché. Mais le Soldat ne pleurait pas et ne se plaignait pas. Ils s’arrêtèrent en face d’elle et Ksmvr hocha la tête comme s’il n’y avait rien d’urgent dans le monde.

« Capitaine des Gardes Zevara. Je regrette que nous devons nous séparer. »

Elle le regarda.

« Quoi ? »

« Ce combat est trop proche de la Colonie. Je dois retirer les Soldats Antinium des rues, pour mieux garder la Colonie. Je vous préviens par simple courtoisie. »

Zevara lutta pour trouver ses mots. La seule raison pour laquelle ils avaient tenu aussi longtemps était que les Soldats étaient en train de tenir plusieurs rues. Sans eux…

« Couard. »

Tkrn aboya sur Ksmvr. L’Antinium fit un regard en coin vers le Gnoll, avant de le détourner de manière dédaigneuse.

« Je regrette cet décision. Mais je dois prioriser ma Colonie. J’espère que vous comprenez. Vos devoirs sont similaires au mien, Capitaine de la Garde Zevara. »

Elle le regarda. Tkrn était en train de grogner, mais elle posa une main sur son épaule.

« Je comprends. »

Ksmvr hocha la tête.

« Fort bien. J’espère que tu… »

« Je comprends que tu es un couard et un imbécile. »

Ksmvr s’arrêta. Zevara leva sa voix alors que les gardes l’entourant regardèrent autour d’eux.

« Nous nous sommes battus et avons saigné pour cette ville, et pour ta foutue colonie. Si nous tombons ici, tout le monde meurt ! Mais tu ne nous donnes pas plus qu’une poignée de Soldats ! Est-ce que tu ne réalises pas ce qui est en train d’arriver ? Où est-ce que ta foutue Reine n’est pas au courant de ce qui se passe ? »

L’air autour de Ksmvr et les deux Soldats Antiniums se figèrent. Ses mains touchèrent les pommeaux de ses épées.

« Ma Reine est en train de réaliser son devoir. Tout comme moi. L’insulter est… »

« Que la pourriture emporte ta foutue Reine ! »

Zevara cria sur Ksmvr. Elle pointa vers les rues détruites et les bâtiments en ruine.

« Nous avons protégé Liscor ! Nous avons tenu notre partie du Marché… Les Antiniums ont juré de protéger cette ville des attaques ! Et ou êtes-vous lorsque nous avons besoin de vous ?! »

Ksmvr s’arrêta.

« Je dois protéger ma Colonie. »

« Liscor tombera ! »

« Liscor peut tomber. Mais la Colonie ne sera jamais prise, même si cent-mille mort-vivants attaquent. »

Le pire, c’était que Zevara le croyait. Elle le maudit, mais Ksmvr resta impassible. Il secoua la tête.

« Ce que vous dites est sans importance. Mais la sécurité de la Reine est… »

« Zevara ! »

Relc cria derrière elle, désespéré. Un Seigneur des Cryptes venait d’apparaître au bout de la rue, du mauvais côté. Il avait dû forcer le passage à un autre endroit. Des gardes arrivèrent vers lui, criant alors que Relc tenait les mort-vivants venaient des autres directions.

Zevara jura et se tourna vers Ksmvr, mais l’Antinium était déjà en train de s’éloigner. Elle ouvrit la bouche, avant de la fermer. Ce n’était pas la peine de gâcher sa respiration pour lui.

La Capitaine de la Garde regarda le dos de Ksmvr avec amertume. Elle avait une forte envie de lui planter l’épée dans le dos, ou de le frapper, mais cela ne ferait que la tuer plus tôt. À la place, elle se retourna. Des Drakéides et des Gnolls étaient déjà en train de se battre contre le Seigneur des Cryptes alors qu’il cracha du sang noir sur eux, les tranchants avec des griffes fait d’os brisés.

Zevara leva son épée et courut vers le combat.

Pour la dernière fois.

***

« Erin. »

Pendant un moment, Erin pensa que quelqu’un était en train de la secouer. Elle leva les yeux pour voir les yeux sombres et les quatre bras de l’Antinium, qu’elle confondit avec quelqu’un d’autres.

« Quoi ? »

L’Ouvrier la leva sur ses pieds.

« Tu ne dois pas dormir. Tiens. »

Il donna quelque chose à Erin. Elle le prit et regarda le liquide rouge. Une potion… ? Une potion de soin. L’une des siennes. C’était vrai. Elle en… Avait acheté après ce jour.

« Bois. »

La bouteille était à ses lèvres. Erin avala, grimaça, et sentit sa vie revenir. Elle était fatiguée. Tellement fatigué que le monde semblait l’appeler de nouveau vers le sommeil. Mais la potion continua de la faire vivre.

Elle se releva. L’Ouvrier l’aida, et elle vit qu’il était blessé. Il lui manquait une antenne et deux doigts sur sa main droite. Sa carapace était brisée en différent endroits, mais quand elle lui offrit la potion il secoua la tête.

« Bois. »

C’est ce qu’elle fit, termina la bouteille de liquide malodorant et sentant sa vie revenir avec chaque gorgée. Erin jeta la bouteille à l’autre bout de la pièce et l’écrasa contre le visage d’un squelette essayant de monter à une fenêtre. Cela ralenti assez la créature pour qu’un Ouvrier le décapite avec une hache.

Erin regarda l’Ouvrier qui lui avait donné la potion. Cela semblait un peu bête, surtout avec les mort-vivants griffant et hurlant dehors, mais elle devait le dire.

« Je suis désolé. J’ai oublié ton nom. »

« Bird. Je suis Bird. »

Il hocha la tête dans sa direction, et Erin lui rendit la politesse.

« Alors, je suppose que ça y est. »

« Nous te protégerons jusqu’à la fin. »

« Qui arrive maintenant. »

« Oui. »

Elle s’arrêta. La tête d’Erin continua de tourner, mais elle regarda autour d’elle et ne vit que les morts. Les morts-vivants, mais aussi les Ouvriers au sol. La mort.

Tout cela était éclairé par de la lumière pourpre. Les yeux luisants d’Écorcheur éclairaient plus l’auberge que les rayons lunaires. Bird reprit sa place à l’une des fenêtres, maniant une épée et un bouclier.

« Il ne reste plus beaucoup de mort-vivants. La majorité se dirige vers la ville. »

« Mais cette chose est toujours dehors. »

« Oui. Il est proche. »

Erin jeta un œil dehors. Elle pouvait voir Écorcheur, son corps massif et sa forme obscène n’était qu’une ombre autour des deux yeux luisants dans les ténèbres. Une garde de mort-vivants se tenait autour de lui, attendant silencieusement dans les ténèbres.

« Il attend. »

« Oui. »

Bird hocha de nouveau ma tête. Erin regarda les mort-vivants. Ils étaient toujours en train de frapper aux portes, aux murs, essayant de grimper aux fenêtres alors que les sept autres Antiniums bougeaient dans la pièce, tranchant des membres et écrasant des têtes.

Les murs de l’auberge les protégeaient. Pour l’instant. Erin savait que cela n’allait pas durer.

« Nous devons partir. Ils nous réduiront cet endroit en miette si nous restons. »

Erin marcha dans la cuisine. Il lui restait une jarre d’acide. Elle s’en empara. Bird attrapa son bras alors qu’elle marcha vers la porte. L’Ouvrier la regarda.

« C’est la mort dehors, Erin Solstice. »

Elle hocha la tête.

« Oui. Mais c’est la mort partout. »

Il s’arrêta, regardant son visage. Un autre Ouvrier se tourna.

« Plutôt mettre l’ennemi en échec que de le subir soi-même. »

Erin cligna des yeux dans sa direction, avant de sourire.

« Absolument. »

Elle ouvrit la porte. Un zombie la regarda, surpris, un bras levé pour taper sur le bois une nouvelle fois. Erin jeta une jarre d’acide à son visage et il recula en hurlant. Elle était presque à court d’acide. Elle l’avait fait pleuvoir sur Écorcheur et les autres mort-vivants.

Elle avait un couteau dans sa main. C’était tranchant. Erin le tint dans sa main et pensa qu’elle était en train de rêver. Elle passa le cadavre de Cavalier, son cœur battant de plus en plus vite. Le couteau était glissant dans sa main.

Écorcheur la regarda, ses yeux projetant la peur. Erin serra les dents.

« Va te faire foutre. »

Elle courut hors de la porte, et les huit Antiniums la suivirent. Erin poignarda un zombie dans le visage, lui donna un coup-de-poing, et regarda l’immense main d’Écorcheur écraser le Gnoll mort-vivant. Deux yeux brillants s’abaissèrent vers elle.

Elle leva son couteau de cuisine.

« Vas-y. Terminons ça. »

***

Ksmvr marcha à travers les rues alors que le bruit des combats devint un rugissement sourd autour de lui. Il pensa en marchant, considérant ce qui arrivait et ce qui allait arriver.

Zevara et les gardes allaient bientôt tomber. Peut-être que les citoyens allaient se battre jusqu’au bout. C’était même possible qu’ils puissent vaincre, le nombre de la horde de mort-vivants s’était réduit. Mais ils étaient toujours en danger.

Le devoir envers Liscor et l’Arrangement obligeait la Colonie d’envoyer des soldats pour défendre Liscor. Mais en tant que Prognugator, Ksmvr était capable de déterminer si de telles actions étaient sages ou non. Et avec la Reine encore occupée avec le Rituel des Anastases, il avait déterminé que sa sécurité était primordiale.

Zevara l’avait maudit. Lui avait crié dessus. Sa colère était compréhensible, mais il n’y avait rien que Ksmvr pouvait faire. Ses actions étaient la seule bonne solution.

Elles étaient logiques. La Reine devait être protégée, surtout lorsqu’elle réalisait le Rituel. Ce qu’il devait prioriser était clair, sa vie était bien plus importante que l’arrangement fait avec la ville de Liscor.

Il parla à l’un des Soldats l’accompagnant. S’adresser à l’un d’entre eux était s’adresser à tous.

« Sonnez la retraite pour tous les soldats. Les rues sont sans valeur. Nous devons protéger la Colonie. »

Le Soldat ne répondit pas, mais Ksmvr pouvait sentir les autres Antiniums abandonner leurs positions à l’entrée des rues. Ils allaient se retraiter vers la Colonie, gardant les deux entrées dans la ville.

Il y avait trois entrées dans la Colonie, seulement deux étaient connues du Conseil de Liscor. La troisième était en dehors de la ville, ensevelie sous plusieurs tonnes de terre. Elles pouvaient facilement être creusées, mais les mort-vivants n’avaient pas encore localisé cette entrée.

Ksmvr continua de considérer le siège alors qu’il se tint à l’entrée du tunnel, surveillant les mort-vivants dans les rues alors que les Soldat battirent en retraite dans la Colonie. Les Antiniums avaient des vivres et de l’équipement pour survivre au moins un mois d’opération continue, ce qui rendait les choses simples. La créature qui était apparue avec les mort-vivants était encore en dehors de la ville, mais elle n’avait montré que peu d’intérêt envers les Antiniums.

Qu’importe l’aboutissement de ce qui se passait à la surface, Ksmvr estimait que la Reine allait terminer sa tâche avant la fin de la nuit. Puis il allait pouvoir demander d’autres ordres. Si elle souhaitait voir la ville purger, les Soldats étaient absolument capables de le faire. Sinon la Colonie pouvait être facilement scellée.

Ksmvr ne s’inquiéta pas de la réaction de sa Reine envers ses décisions. Il ne s’inquiéta pas. Il avait rempli la plus haute priorité, même si cela voulait dire sacrifier de moindres obligations envers la ville. Elle comprendra, n’est-ce pas ? Elle ne lui avait pas donné d’autre directive.

« La ville est sacrifiable. Les Aberrations sont un moindre problème et pourront être chassées plus tard. L’aubergiste… »

Il hésita. Elle avait de la valeur. La ville avait de la valeur. Mais…

« La Colonie est tout. La Reine est tout. »

Elle comprendrait. Il n’osait pas risquer sa sécurité en sacrifiant les soldats qui la protégeaient. Elle lui avait donné l’ordre explicite de ne pas la déranger qu’importe la gravité de la situation. Qu’importe la gravité de la situation. Il était en train de suivre les ordres.

Et il avait rapatrié l’individu connu sous le nom de Pion. Ce qui était un exploit. Ksmvr se rappela ce que l’ancien Ouvrier avait dit et s’agita. Il avait été… Incertain de la manière de répondre aux mots de Pion, aussi proche de la trahison qu’ils avaient été.

« Mon jugement n’est pas une erreur. Ma logique fait sens. »

Réassuré, Ksmvr hocha de nouveau la tête. Les derniers des Soldats s’apprêtaient à rentrer dans la Colonie. Mais soudainement, ils ralentirent, et s’arrêtèrent.

Ksmvr regarda l’un des Soldats alors qu’il semblait regarder le ciel, écoutant. Puis, soudainement, il se retourna et commença à courir dans la rue.

« Toi. Halte ! »

Le Soldat s’arrêta alors que Ksmvr s’approcha de lui. Le Prognugator mit sa main au pommeau d’une de ses épées et s’arrêta à quelques pas du Soldat.

« Qu’est-ce que tu fais ? J’ai donné l’ordre de revenir à la Colonie et de garder l’entrée. »

Le Soldat s’arrêta et regarda silencieusement Ksmvr. Il ne pouvait pas répondre, bien sûr, mais Ksmvr ne sentait pas de changement dans les pensées du Soldat. Il était en train de suivre les ordres. Suivre des ordres, mais de qui ? Ksmvr avait donné l’ordre de…

Quelque chose frôla le Prognugator. Ksmvr tournoya, mais c’était un autre Soldat. Et il n’était pas seul.

Soudainement, les massifs Soldats Antiniums étaient en train de se déverser des entrées de la Ruche. Ksmvr se retourna.

« Qu’est-ce qu’ils font ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Ils le dépassèrent en silence. Il se retourna et les vit courir dans la ville et charger vers les mort-vivants.

« Quoi… ? »

Une main tapa poliment Ksmvr sur l’épaule. Il se retourna, et l’Antinium vit un autre poing s’écraser dans son visage. Il s’écroula, ses mains cherchant ses épées.

Ksmvr était un Prognugator des Antiniums. Il avait été créé pour la guerre, et donc il dégaina ses deux épées et ses dagues en roulant. Il ne pouvait pas mourir. Sa vie était importante, il dirigeait la Colonie lorsque la Reine était absente. Mais il se figea en levant les yeux.

Le monde était différent. Ksmvr le sentit. En cet instant, sa réalité changea. Il leva les yeux et sût. Il sentit la colère de sa Reine ; il sentit son agacement dans sa tête. Elle était de retour. Elle avait complété le Rituel. Et il…

Il se tint au-dessus de Ksmvr.

« Toi. »

Le monde commença à tourner.

***

Selys n’avait jamais utilisé une épée au combat. Elle s’était entraîné avec une, mais… Les épées étaient pour les guerriers, et elle était une réceptionniste. Elle avait quelques compétences de ses quelques niveaux en tant que [Chasseuse], mais elle n’avait jamais touché une épée sauf pour la vendre ou l’évaluer.

Mais elle avait utilisé une épée aujourd’hui. Selys tituba en arrière et regarda le zombie s’effondrer, son pommeau sortant de son estomac.

La Drakéide se sentait malade. Mais Krshia arracha l’épée hors du cadavre de l’humain mort et lui rendit.

« Hrr. C’est une bonne chose que tu es tué. Tu vas peut-être gagner une nouvelle classe, n’est-ce pas ? Si nous survivons à la nuit. »

Cela semblait hautement improbable. Selys était derrière le rang principal de gardes que Zevara commandait, mais les mort-vivants avaient déjà attaqué leur position deux fois. Ils étaient partout. Noyant les rues.

« Nous allons mourir. »

Krshia la frappa sur le dessus de la tête. Selys poussa un cri de surprise et leva une main pour se protéger, mais la Gnolle se contenta de rire.

« Garde tes pleurnichements pour quand tu es morte, n’est-ce pas ? Nous n’avons pas terminé. Bas-toi. Bas-toi jusqu’à ce que tout soit perdu. »

Mais tout était perdu. Plus de mort-vivants était en train d’arriver aux barricades, luttant pour passer. Ce n’était qu’une question de temps.

Une partie de Selys voulait jeter son sort et attendre pour la mort. Mais cela serait une terrible mort, elle le savait. Et elle ne périra pas vraiment à la fin. Donc elle leva maladroitement sa lame, attendant la fin. Si seulement elle était devenue une aventurière, gagnée des niveaux dans une autre classe…

Une voix. Un cri. Selys se tourna, levant son épée. Elle était tombée à court de flèches il y a bien longtemps. Mais ce n’était pas une nouvelle attaque. Tkrn couru le long de la rue, agitant la hache dans sa main. Il était en train de sprinter, mais ses yeux étaient grands ouvert. Et il était en train de… Sourire ?

« Les Fourmis ! Les Antiniums arrivent ! »

Selys regarda Krshia. Cela n’était pas possible. Ils s’étaient retraités. Mais un autre garde avait repris le cri.

« La marée noire avance ! »

« Les Soldats se battent dans les rues ! »

Un feu de forêt s’embrasa dans les veines de Selys, lui donnant un nouvel espoir. Cela n’était pas possible. Mais elle les vit. Des formes. Sortant des ténèbres. Pas un, ni deux. Une masse mouvante. Un torrent sans fin de corps.

Les Antiniums.

Des Soldats descendaient les rues. Ils s’écrasèrent contre le rang des mort-vivants alors que Selys les regarda, bouche bée. Au début, ce furent vingt Soldats qui remplirent la rue en fonçant sur l’ennemi, puis cinquante. Une centaine. Des milliers.

Et ils n’étaient pas seuls. Ksmvr, e Prognugator était parmi eux. Il taillada un zombie avec ses dagues alors qu’un Ouvrier était soudainement à ses côtés. Le plus petit Antinium se saisit du zombie mort et le plaqua au sol, alors que deux autres apparurent aux côtés de Ksmvr, écrasèrent la tête du Drakéide mort jusqu’à ce qu’elle soit de la bouillie.

Des Soldats et et des Ouvriers se déversèrent des tunnels, une marée sans fin de corps noirs. Mais ce n’était pas tout. Le sol et les rues commencèrent à onduler et des mains sortirent des pavés. Un mort-vivant s’arrêta, et une immense main ressemblant à une pelle le traîna sous terre. Une Soldat Antinium émergea du sol alors qu’il termina de démembrer la mort-vivante.

Les mort-vivants dans la rue hésitèrent. Ils étaient une armée sans peur, une marée sans fin qui ne craignait pas la douleur ou la fatigue. Ils continuaient de se battre même sans bras ou jambes. Ils étaient sans merci, des tueurs sans émotions. Mais c’était aussi la nature des Antiniums.

Hors des tunnels. Hors des ténèbres. Des Ouvriers se précipitèrent aux côtés des gigantesques Soldats. Ils ne ralentirent pas alors que le premier groupe apparu devant eux. Le premier Soldat percuta une goule et écrasa le plus petit Gnoll mort derrière. Il ne s’arrêta pas et continua de courir. Le Gnoll mort lutta pour se relever, mais un Ouvrier le piétina. Puis un autre. Le torrent d’Antinium ne s’arrêtait pas.

Une foule de zombies rencontra un Soldat. Il les déchira, des mains semblables à des pelles frappant, arrachant leur fragile chair. Des Ouvriers se ruèrent sur un autre zombie, le tirant et l’arrachant dans toutes les directions.

Un Seigneur des Cryptes leva une main griffue pour protéger son visage. Un Soldat bondit depuis un toit, tombant d’une dizaine de mètres pour écraser son genou dans le visage du Seigneur des Cryptes. Des os et de la chair furent réduits en bouillie alors que le Soldat commença à arracher des morceaux du grand mort-vivant. Le Soldat se redressa, sa carapace recouverte de sang noir. Sa jambe droite brisée sous l’impact alors que du sang vert et noir coula le long de sa carapace brisée. Il fit deux pas en avant, donna un coup-de-poing qui envoya voler un squelette, et s’écroula.

Les Ouvriers et les Soldats ne prêtèrent pas attention au Soldat mort. Ils foncèrent autour de lui, enjambant son cadavre, réduisant les rangs des mort-vivants en miette, se battant avec une incontrôlable furie.

Les gardes et soldats dans les rues regardèrent. Des centaines de corps noirs coururent dans la rue en tuant, écrasant arrachant.

Les Antinium. Ils étaient sortis de la colonie, la laissant pratiquement sans défense. Mais pourquoi ?

Krshia sortit Selys du chemin alors qu’un groupe de Soldats passa en trombe en les dépassants. Ils remarquèrent à peine les Drakéides et les Gnolls. Mais l’un d’entre eux était en train de mener la charge. Ksmvr s’arrêta alors qu’en face de lui, Zevara venait de lui bloquer le chemin.

« Toi ! Qu’est-ce qui se passe ? »

La Drakéide regarda le Prognugator, mais il secoua la tête. Selys vit que l’Antinium avait la chitine de son visage craqueler. Il semblait… Confus. Elle l’entendit lever sa voix.

« Nous sommes en train d’attaquer. Nous allons repousser les mort-vivants hors de la ville. »

« Quoi ? »

Zevara lança un regard incrédule à Ksmvr, et elle n’était pas la seule. Selys avait entendu l’Antinium sonner la retraite pour les Soldats. Alors pourquoi est-ce qu’il avait changé d’avis ?

Ksmvr secoua sa tête.

« Je ne l’ai pas ordonné. Je ne l’ai pas ordonné. Ni la Reine. Il… »

« Qui ? »

« Il est parti vers Erin Solstice avec de nombreux Soldats. »

« Qui ? »

Relc dépassa Selys, ses écailles recouvertes de sang et de viscères. Selys l’attrapa et Relc faillit l’envoyer au sol avant de s’arrêter.

« Relc ? Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi est-ce que les Antiniums sont en train de se battre ? »

Il la regarda, les yeux égarés. Selys fit un pas en arrière. Cela faisait longtemps qu’elle connaissait Relc, mais elle ne l’avait jamais vu comme ça. Ses écailles étaient grises. Il pointa.

« Je l’ai vu. J’ai vu… Il était en train de mener la charge. »

« Qui ? Relc ? »

Le Drakéide ne répondit pas. Il baissa les épaules, regardant les Antiniums alors qu’ils remplissaient les rues en se battant. Il gémit d’une manière si faible que seul Selys et Krshia l’entendirent.

« Il est de retour. »

***

Voilà comment cela allait se terminer. Dans les dernières heures de la nuit, Erin se battit en dehors de son auberge, les mort-vivants et les Antiniums se mélangeant. Elle leva les yeux vers Écorcheur et vit la mort et les horreurs de son visage. Elle leva son couteau de cuisine, une petite arme, et jura dans son cœur de le blesser avant de mourir.

Voilà comment cela allait commencer.

Écorcheur essaya d’attraper Erin. Elle esquiva et poignarda son bras. Sa lame s’enfonça de quelques centimètres dans sa peau morte et s’arrêta.

Erin roula hors du chemin alors que la main revint. Il la percuta, mais elle ne toucha pas les points rouges, ne volant pas sa peau. Il avait déjà tué deux des Ouvriers. Leurs carapaces avaient été volées par Écorcheur et jetées au sol.

Un Ouvrier attrapa la main d’Écorcheur. Il le repoussa, mais trois autres bras attrapèrent son bras et l’arrêtèrent. Écorcheur leva son autre main et Erin lança sa jarre d’acide.

L’acide s’écrasa sur son visage et il crissa. Le son traversa ses os. Elle couvrit ses oreilles alors qu’il se griffa le visage et que les Antiniums firent de même.

Mais quelque chose bougea malgré le son strident. Toren courut hors des ténèbres et bondit vers Écorcheur, dague en main. Il bondit sur le visage d’Écorcheur et commença à le poignarder sans retenue. Écorcheur essaya de secouer la tête, mais il n’avait pas de cou.

Ses yeux. Ses yeux pourpres. Toren s’agrippa au visage d’Écorcheur, passant sa main dans les orbites effondrées, arrachant et tranchant avec sa dague alors que la créature géante essaya de le déloger.

Écorcheur crissa de nouveau, et il retira Toren en emportant un large morceau de chair. Il jeta le squelette plus loin.

Toren tomba avec quelque chose de rouge dans ses mains. Mais pas de sang. Écorcheur hurla et tenta de le frapper avec une main, mais Toren était déjà loin.

L’un des yeux d’Écorcheur avait disparu. Il ne restait qu’un large cratère de chair morte à sa place. De la chair morte.

C’était comme si Écorcheur n’était fait que de chair. Mais il devait y avoir des os, ou de la chair ou des… Des organes Mais tout ce que les Ouvriers et elle avait arraché était de la peau.

Quelque chose la frappa par-derrière. Elle se retourna et une zombie montra ses dents pourries, tentant de la mordre. Erin le frappa avec son couteau, mais ce n’était pas bon pour tuer ce qui était déjà mort. Il glissa contre un os et elle hurla alors que le zombie tenta d’attraper son visage.

Une main bleue s’avança et tira le zombie en arrière. Une goule, une femme morte depuis bien longtemps avec de la peau bleu et moisie, éloigna le zombie.

Erin cligna des yeux. La goule arracha la tête du zombie avant de foncer vers un autre squelette. Le groupe de mort-vivant se retourna contre leurs alliés.

« C’est quoi ce… ? »

Au-dessus d’elle, Écorcheur était toujours en train de se tenir le visage. Il était en train de tâter ses yeux, comme s’il ne pouvait pas savoir qu’il lui manquait un œil. Ses doigts touchèrent le trou béant et il crissa de nouveau. Son visage en ruine se tourna vers Erin.

Écorcheur tenta d’écraser Erin et elle plongea sur le côté. Elle se releva avec précipitation et lança le couteau dans sa main droite. Il se planta dans l’œil d’une goule qui s’effondra alors qu’un Ouvrier continua de creuser dans la chair d’Écorcheur. L’Antinium creusa la solide peau comme si c’était de la terre, arrachant de grosses couches et de gros morceaux alors qu’Écorcheur se débattit en essayant d’atteindre l’Ouvrier. Mais ils étaient trop proches, trop difficiles à attraper.

Plus de mort-vivants courrait autour d’Écorcheur, combattant Erin et l’Antinium. Mais quelque chose était en train d’arriver. La moitié d’entre eux semblait être en train d’essayer de tuer l’autre moitié. Même lorsque qu’Erin regarda, deux squelettes plaquèrent au sol une goule avec une épée dans le ventre.

Erin s’empara de l’épée et la sortit. Elle était lourde et difficile à manier dans ses mains, mais elle frappa le bras d’Écorcheur avec. Des morceaux de chairs volèrent autour d’elle.

Écorcheur recula. Il était en train d’essayer de protéger son corps, mais les Ouvriers étaient partout, et l’humaine revenait constamment.

Cela ne devait pas se passer comme ça. Elle devrait être roulée en boule, paralysée par la peur. Les Antinium devraient être mort. Et ses propres mort-vivants se retournaient contre lui. Rien ne se déroulait comme prévu.

Mais la fille ignorait sa peur. Les morts ne pouvaient pas être tourmentés par la peur, et les Antiniums ne craignaient rien. Écorcheur ne pouvait que les écraser, luttant pour attraper les Ouvriers et les mort-vivants.

Il était juste une grosse chose paresseuse. Il n’avait pas de jambes. Il n’avait même pas une bonne coordination entre ses mains et ses yeux. Ce n’était que ses mains, son toucher écorcheur et son aura de peur qui était des menaces. Et Erin revenait de loin. Elle refusait de courir.

Elle plongea l’épée dans le bras d’Écorcheur. Profondément. Presque jusqu’à la garde. Elle toucha quelque chose, autre chose que de la peau morte. Écorcheur hurla d’agonie.

Il fit un retour de la main et Erin vola. Elle se sentit projeter en l’air avant de s’écraser au sol et elle oublier tout ce qui se passait autour d’elle pendant une seconde. Quand elle se redressa, il était en train de lever sa main pour l’écraser.

Elle roula sur le côté au dernier moment. La main s’écrasa et elle l’agrippa. Elle n’avait pas le temps de penser. Alors que le bras se leva de nouveau et qu’Écorcheur cherchait Erin elle bondit sur sa tête. Les grotesques couches de chair amortirent sa chute et elle essaya de ne pas vomir.

Elle grimpa la chair morte, la sentant, glissante et terriblement froide au toucher. Erin leva l’épée et l’enfonça dans la tête d’Écorcheur, essayant maladroitement de trancher et de hacher la peau avec la lame.

Écorcheur hurla de nouveau. Et seulement maintenant, le touchant directement, qu’Erin sentit des vibrations venant de l’intérieur. Elle enfonça l’épée plus profondément et trancha de nouveau, coupant un carré de peau compacté.

Sous elle, des zombies essayaient de la tirer. Ils l’entouraient, mais les Ouvriers les repoussaient en se battant. Erin s’accrocha désespérément à Écorcheur alors qu’il se secoua, tranchant comme si elle coupait du bois. Elle s’était déjà coupée deux fois, mais elle continua désespérément.

Les mort-vivants amicaux étaient en train de se battre avec les Ouvriers, et la moitié était en train de monter sur Écorcheur, arrachant des morceaux de chair comme elle l’était en train de le faire.

Erin venait de retirer un autre morceau de chair quand elle vit quelque chose changer. Au lieu du blanc putride et de la peau jaune elle vit autre chose au clair de lune.

Quelque chose de rouge. Erin s’arrêta. Le morceau de peau morte glissa et quelque chose leva la tête depuis l’intérieur du corps d’Écorcheur pour la regarder. Elle lui rendit son regard.

« Oh. »

C’était tout ce qu’elle pouvait dire. Quelque chose à l’intérieur d’Écorcheur leva sa tête autour de la peau qu’Erin avait coupée. Quelque chose d’humide et de serpentin.

Un visage rouge, dépourvue d’yeux, se jeta vers Erin. Une tête segmentée avec deux longues… Antennes faite de chair semblait s’abaisser vers elle, alors qu’une bouche charnue s’ouvrit, révélant des dents tranchantes.

Écorcheur, le véritable Écorcheur, la chose se cachant dans sa marionnette de chair, glissa hors de sa carapace ruinée. Deux longs filaments suivirent son corps, de longues et épaisses cordes de chair. Ils étaient les véritables ‘mains’ d’Écorcheur et ils étaient recouverts des restes de l’Ouvrier qu’il avait saisi.

Erin abandonna le visage ruiné d’Écorcheur au dernier moment. Le ver rouge utilisa ses filaments comme un fouet, ses filaments fendant l’air avec assez de vitesse qu’elle les entendit siffler. Ils touchèrent une goule et coupèrent à travers son torse, brisant les os et la chair.

Un Ouvrier attrapa Erin alors qu’elle tomba. Bird. Il tira Erin et lui tendit un couteau avec l’une de ses mains. Écorcheur était de nouveau en train de hurler, le parasite ayant vaguement une forme de ver émit un cri strident, deux fois plus bruyant maintenant qu’il était hors de sa carapace de chair.

« Mon dieu, mon dieu, mon dieu. C’est quoi ça ? »

Bird secoua la tête alors que le visage aveugle d’Écorcheur bougea de gauche à droite, les antennes charnues s’agitant autour de lui.

« Je ne sais pas. C’est dangereux. S’il te plaît. Recu… »

Un filament fonça vers Bird. Il s’étouffa et Erin hurla alors que le filament coupa le côté de l’Antinium. Elle trancha le filament avec son couteau et Écorcheur hurla de nouveau et retira son filament. Bird s’écroula au sol, saignant.

Erin lança le couteau. Il tourna vers la tête d’Écorcheur, mais le ver rouge évita le projectile sans effort.

Deux squelettes foncèrent vers Écorcheur. La créature siffla et envoya ses filaments, éparpillant les deux squelettes. Il se retourna, et frappa comme un cobra.

Un zombie fut envoyé en l’air et sa peau fut retiré avec un terrible son de déchirement. Seul Erin était certaine que c’était l’un des zombies d’Écorcheur. Le ver pourpre glissa à l’intérieur des couches de peau et passa la chair du zombie sur la peau brisé, comme s’il réparait une poupée de papier mâché.

« Ne le laissez pas se reconstruire. Tuer le maintenant. »

Erin ne savait pas quel Ouvrier venait de parler. Mais ils foncèrent tous vers Écorcheur d’un même mouvement, tranchant la grande créature segmentée.

Écorcheur se retourna, et sa queue envoya plusieurs Antiniums valsés. Il attrapa deux Antiniums avec ses filaments et déchira leur corps. Il était incroyablement rapide, et il poignarda deux autres Antiniums alors qu’ils foncèrent vers lui.

« Non ! »

Erin était sur ses pieds. Elle tituba en cherchant quelque chose à lancer. De l’acide. Elle devait avoir une autre jarre d’acide dans l’auberge. Elle courut vers le bâtiment, mais Écorcheur glissa vers elle et lui bloqua l’entrée. Il baissa sa tête et tenta de la mordre.

Elle esquiva. Elle sentit le corps lisse et gluant d’Écorcheur juste au-dessus du sien, puis il la percuta. Elle s’écrasa au sol, confuse, alors qu’Écorcheur leva sa tête. Il la regarda, deux antennes tâtant son visage, et puis un filament de chair se leva pour l’empaler.

Erin n’arrivait pas à hurler. Elle se contenta de regarder Écorcheur en tenant sa respiration, attendant. Le filament charnu s’éleva et fila vers son cou.

La mort venait vers Erin, et s’arrêta à mi-chemin. Une épée trancha l’air, une paire de lames argentées. Elles flashèrent ensemble et Écorcheur recula, hurlant. Du pus jaune goutta de la coupure, tomba sur Erin alors qu’elle regarda autour d’elle.

« Qu… »

Quelqu’un était en train de se tenir au-dessus d’elle. Un Antinium. Mais différent de tous ceux qu’elle avait déjà vu. Il n’avait que deux bras, et un corps fin et gracieux, différent de celui d’un Ouvrier ou d’un Soldat. Il tenait dans ses mains deux épées qu’elle reconnaissait, et il faisait face à Écorcheur avec calme alors que la créature s’agita et hurla.

Autour d’Erin, des formes sombres apparurent hors des ténèbres, attrapant les mort-vivants et les réduisant en miette. De larges Soldats Antiniums. Ils coururent après Écorcheur alors que le ver pourpre battit en retraite. Mais ce n’était pas lui qui capturer le regard d’Erin.

Elle était toujours en train de regarder l’Antinium qui l’avait sauvé. Il était grand. Un type de Soldat ? Une nouvelle espèce ? Mais…

« Est-ce que tu es blessé, Mademoiselle Solstice ? »

Pendant un instant sa voix de fut qu’un souvenir. Et puis les yeux d’Erin s’écarquillèrent. Un souvenir. L’Antinium pencha la tête en la regardant. Son cœur se figea dans sa poitrine, et commença à battre la chamade.

Cela ne se pouvait pas. C’était impossible. Mais la voix était la même. Il parlait de la même manière. Son corps était différent mais il…

« Impossible. »

« Tu es tombé. Laisse-moi te redresser. »

Elle cligna des yeux. Il tendit la main et la releva. Elle s’accrocha à lui, ignorant le pus malodorant collant à ses vêtements, Écorcheur et les mort-vivants. Elle ignora tout de cela.

« Tu… Tu ne peux pas être vrai. Je t’ai vu mourir. Tu étais mort. »

Ses yeux se remplirent de larmes. Une partie d’elle était en train de hurler quelque chose d’incohérent. Erin tendit la main et ses doigts tremblèrent en touchant la carapace noire de l’Antinium.

« Toi… Comment ? »

Il sourit. Klbkch des Antiniums Libres rengaina ses épées et s’inclina devant elle.

« N’as-tu pas entendu ce que j’ai dit ? Les Antinium ne meurent jamais réellement. »

Le monde s’arrêta. La nuit se stoppa. De la lumière emplie la tête d’Erin. Elle tituba, et Klbkch l’attrapa avec un bras. Elle sentit la froide, solide chitine sur sa peau. Une carapace dure et lisse. Une sensation venant d’un autre monde. Une sensation qui n’était pas naturelle.

Mais elle leva les yeux et vit un ami.

Erin regarda Klbkch. Il tourna la tête et leva ses épées. Une goule s’empala sur l’une de ses lames alors qu’il la décapita de l’autre. Il se retourna vers Erin.

« Ce lieu n’est pas sûr. Reste derrière moi, Erin. »

Elle était incapable de parler ou de former une pensée cohérence. Klbkch sembla faire un signe, et deux Soldats apparurent depuis les ténèbres. Ils l’encerclèrent alors que Klbkch donna des ordres.

« Harceler les mort-vivants. Poursuivez cette créature. »

« Oh ! »

Erin regarda alors que les Soldats coururent vers Écorcheur. Le ver rouge et charnu glissa vers sa peau morte, mais les soldats ne le laissaient pas passer. Ils essayèrent de coincer Écorcheur, mais il attrapa un Soldat et déchira sa carapace avant de glisser en descendant une colline.

Écorcheur hurla de furie en courant. Et il était en train de courir, glissant le long de la pente, une monstruosité venant des profondeurs de l’enfer. Mais il était tout de même en train de fuir. Son corps de peau avait disparu. Les Soldats le pourchassèrent, écrasant l’herbe sous leurs pas.

Mais ils étaient trop lents. Trop lents. Ils avaient blessé Écorcheur. L’une de ses ‘mains’ était manquante grâce à l’une des lames de Klbkch, et il était en train de saigner et écraser à une dizaine d’endroits. Mais il était trop rapide. Sans son corps, il pouvait se retraiter. 

« Ne ralentissez pas ! Cette créature ne doit pas se retraiter dans les Ruines ! »

Klbkch ordonna ses Soldats. Mais même Erin pouvait le voir. Écorcheur était trop rapide. Et il était… Il était…

Le ver rit. Il laissa échapper un horrible ricanement saccadé qui donna la chair de poule à Erin. Il se retourna en continuant de se retraiter, comme s’il se moquait d’Erin et des autres, riant.

Erin serra les dents. Si elle avait eu une arme ou quelque chose à lancer elle aurait put… Mais il était trop loin. Tout ce qu’elle pouvait entendre était son rire moqueur et résonnant. Ce son strident. Elle voulait se couvrir les oreilles, mais elles étaient déjà recouvertes de sang et pire. C’était si bruyant, répété. En réalité…

« C’est quoi ce bruit ? »

Klbkch pencha sa tête. Erin regarda autour d’elle. Elle entendait autre chose, un autre son aigu, résonnant à travers les plaines. Il ne venait pas d’Écorcheur. C’était autre chose.

« Ce son. C’est quoi ? »

C’était léger, mais de plus en plus bruyant. C’était un son aigu, d’innombrables… D’innombrables voix, hurlant, hululant sauvagement.

Yiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyiyi…

Erin savait. Elle murmura le mot.

« Gobelins. »

Ils descendirent l’une des collines, d’innombrables petites formes éclairés de torche. La lumière se réfléchissait sur leurs armes et leurs armures incomplètes alors qu’ils courraient vers Écorcheur, plus vite qu’il ne pouvait fuir. Il s’arrêta, levant son corps serpentin, ne sachant pas quoi faire.

Alors que les Gobelins s’approchèrent d’Ecorcheur il attaqua. Il éventra deux Gobelins et arracha la peau d’un autre, mais ils étaient tellement nombreux.

L’un des yeux de la carcasse d’Écorcheur s’alluma. Erin sentit la peur, mais les Antiniums ignoraient la peur. Et les Gobelins... Les Gobelins étaient différents. Les Gobelins avaient toujours peur.

Ils attaquèrent le massif ver de toute part, esquivant sous ses attaques. Il mordit et crissa, mais les Gobelins hurlaient plus fort que lui. Ecorcheur essaya de se défaire, mais il était pris au piège.

« J’y crois pas. »

Erin laissa s’échapper les mots, incrédules. Mais les Gobelins continuaient de venir, de petits démons verts avec des yeux rouges qui luisaient à la lueur de la lune. Ils n’étaient que des pestes. Les plus faibles des monstres.

Mais ils étaient rapides. Et ils étaient partout. Pour chaque Gobelin qu’Écorcheur tuait, cinq autres étaient en train de poignarder de mordre.

Ils n’étaient pas de taille pour Écorcheur, pas de taille pour les mort-vivants. Mais ils tuaient les blessés, attaquaient par-derrière.

Ils étaient des couards, tout simplement.

Écorcheur attaque. Il arracha de gauche à droite, un ennemi, un ver, un parasite vivant de chair morte. Il était sorti des Ruines, une horreur du passé. Mais les Gobelins poignardaient et poignardaient, et sa peau vulnérable saigna.

Il s’écroula, écraser par le poids d’innombrable petits corps. Écorcheur s’agita et hurla, mais les Gobelins noyèrent aussi ce son. Ils poignardèrent, mordirent, le brûlèrent avec de l’acide et du feu.

Des petites jarres d’acide. Ils les écrasèrent sur Écorcheur, s’éloignant alors que sa peau rouge fuma et qu’il hurla d’agonie. Un feu… Une créature enflammée était en train de danser autour d’Écorcheur, le brûlant, agitant le ver alors que les flammes embrasaient sa chair non protégée.

Loks. Depuis son poste sur la colline, Erin vit la petite Gobeline contrôler le feu. Ses mains luisaient alors que son visage et son corps étaient illuminé par les flammes alors que le sort continua de frapper Écorcheur, encore et encore.

Elle leva son épée qui brilla comme de l’or même si c’était du bronze et le poignarda dans la tête. Écorcheur hurla, et les morts hurlèrent avec lui. Puis, lentement, il s’effondra.

Écorcheur, le gardien des Ruines de Liscor, la mort des aventuriers et le voleur de chair, ouvrit sa bouche pour rugir une dernier fois. Loks lança une jarre d’acide dans sa bouche et il se convulsa. Elle poussa son épée plus profondément dans sa bouche et il convulsa. Une fois. Deux fois.

Et puis il mourut.

Les morts s’arrêtèrent, regardant les restes d’Écorcheur. Et puis, lentement, ils bougèrent. Les plus proches des vivants continuèrent de combattre et périrent. Mais les autres s’éloignèrent en marchant. Hors de la ville, loin de l’auberge. Vers les ruines, dans les longs corridors, dans les endroits sombres. De retour vers l’endroit ou ils étaient morts et ou ils s’étaient relevés. Vers leurs domaines.

Vers leurs maisons.

C’était terminé.

***

Klbkch des Antiniums Libres, Prognugator de la Colonie et Garde Senior de Liscor rengaina ses lames alors que le dernier zombie arrêta de bouger. Il regarda le champ de bataille en silence, s’assurant qu’aucun corps ne bougeait.

Erin se tint à ses côtés, silencieuse. Regardant.

La mort. Elle la voyait partout. Les corps, les morceaux et le sang tachant le sol…

Et ses amis.

Cavalier gisait contre la porte de l’auberge, les bras toujours tendus. D’autres Ouvriers gisaient à ses côtés, toujours en train de combattre. Plus encore étaient éparpillés sur la colline. Les yeux d’Erin les remarquèrent tous alors que des Soldats collectèrent les corps.

Tellement de morts. Tellement de douleur et douleur. Mais au moins une petite partie du monde allait bien.

Erin regarda Klbkch. Ses mains tremblèrent, mais il les prit dans les siennes. Ses mains étaient froides et lisses. Les mains d’un alien. Les mains d’un ami.

Il fit un geste vers l’auberge, toujours débout. De la lumière baignait son extérieur abîmé, mais c’était sa maison. Sa maison. Un endroit où se reposer. Un endroit où être en sécurité.

Un endroit à protéger. Et après tout ce temps, son premier client venait de revenir.

Les yeux d’Erin baignaient dans ses larmes. Mais Klbkch cliqua ses mandibules et les leva. La chose la plus proche d’un sourire.

Ils marchèrent jusqu’à la porte en silence. Erin regarda Cavalier, et croisa délicatement les bras de l’Antinium sur son torse. Klbkch la regarda le faire alors qu’elle essuya ses larmes.

Erin se tint dans l’encadrure de la porte et fit face à Klbkch. Il la regarda, et vit une fille. Peut-être une femme selon certains standards, mais quelqu’un de jeune. Ses vêtements étaient recouverts de sang et de viscères, elle était coupé à plusieurs endroits et avaient des hématomes sur d’autres. Elle avait été veillée par la violence, la mort et la peine. Mais quelque chose continuait de luire en eux. Quelque chose de brillant.

Il y avait de nombreuses choses que Klbkch aurait pu dire. Mais aucune n’était assez adéquate. Donc il dit la seule chose qu’il pouvait dire.

« Salutations, Erin Solstice. Puis-je rentrer ? »

Et elle sourit et pleura, et pendant un instant…

Tout allait bien dans le monde.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 09 juillet 2020 à 01:40:13
1.45
 
Traduit par EllieVia

Elle revint en courant. Elle revint, à la cité où se trouvaient ses amis. Peut-être qu’ils étaient ses amis et peut-être que ce n’était qu’un mot. Mais ils l’appelaient. Et elle courait les rejoindre.


***


[Aubergiste Niveau 18 !]

[Compétence - Immunité à l’Alcool obtenue !]

[Compétence - Prompt Rétablissement obtenue !]

Erin ne savait pas qu’elle avait dormi. Elle leva la tête et s’aperçut qu’elle était assise. L’aube était là, mais elle ne s’était assoupie qu’un instant.

Le ciel était encore très sombre. Mais de la lumière illuminait toujours les prairies. Des ombres dansantes. Des flammes en train de s’enrouler.

Du feu.

Les Antiniums brûlaient les morts. Tous les morts. Ils avaient créé un gigantesque bûcher de cadavres et y avaient mis le feu. La fumée terrible, suffocante, était entraînée par le vent loin de l’auberge d’Erin, mais cela n’empêchait pas ses yeux de brûler. Ou peut-être que ce n’était dû qu’à sa peine.

Les corps des Ouvriers n’étaient plus là. À un moment où elle ne les regardait pas, le Soldat les avait emportés. Erin avait demandé à l’un des Ouvriers survivants - Bird - où ils étaient allés. Il lui avait répondu qu’elle ne voulait pas savoir.

Elle avait peur de poser plus de questions. Même à Klbkch. Il ne l’avait presque pas quittée de la nuit. À présent il était dressé en haut de la colline, les yeux baissés sur l’énorme silhouette qui se détachait à plusieurs centaines de mètres.

Erin se leva et alla à ses côtés. Il tourna légèrement la tête, mais garda les yeux braqués en contrebas. Erin regarda fixement la longue créature rouge qui avait vécu dans des couches de chair morte et mené l’armée des morts. Elle était encore entourée par les Gobelins qui l’avaient terrassée.
Mais quelque chose chez le cadavre d’Écorcheur était différent ce matin. Il paraissait… diminué. Erin regarda les Gobelins s’agiter autour de lui, puis elle comprit ce qu’il se passait.

“Est-ce qu’ils sont en train de le manger ?”

“Oui.”

Son estomac fut agité d’un soubresaut. Mais Klbkch restait impassible et les Gobelins aussi. Ils déchiraient le corps rouge d’Écorcheur, le démembraient, buvaient les fluides et…

Elle ne pouvait pas regarder ça. Erin retourna à son auberge et vomit dans les latrines. Elles étaient toujours debout, c’était déjà ça. Il allait quand même falloir y refaire des travaux. Comme partout ailleurs.

Elle s’assit sur la cuvette que Pion et le reste des Antiniums avaient fabriquée et posa sa tête entre ses mains. Elle était encore tellement fatiguée. Elle aurait donné n’importe quoi pour dormir. Mais le sommeil était un luxe et elle se devait de souffrir un peu.

Commençons par le commencement. Son… niveau. Oui, elle avait gagné trois niveaux d’un coup. Est-ce que c’était beaucoup ? Sans doute. Et elle avait de nouvelles compétences.

C’étaient des compétences d’[Aubergiste]. Et elles ne valaient rien. Poubelle.

“C’est de la merde.”

Oui. Erin regarda fixement les murs de bois des latrines. Ça ne valait pas une crotte. C’était ce qu’elle ressentait au sujet de ses niveaux et de ses compétences en ce moment.

C’était mal d’avoir gagné des niveaux alors que ses amis étaient morts. C’était mal de devenir plus forte d’avoir tué des choses. Mais Erin ne pouvait rien y faire. Elle avait envie de vomir, ou d’exploser le mur des latrines à coups de poings. Elle faillit le faire, mais s’en empêcha.

Erin ressortit et revint se placer à côté de Klbkch. Au bout d’un moment, elle eut le courage de lui poser la question qu’elle n’avait pas réussi à poser la veille.

“Combien ?”

Il la regarda, et Erin se demanda s’il allait lui mentir. Mais au bout d’un moment, il reprit la parole.

Elle écouta les nombres défiler. Quand elle n’y pensait qu’en termes de nombres, cela ne paraissait pas si terrible. Mais quand elle contemplait les cadavres, leur nombre semblait trop terrible pour les compter.

Vingt-sept Gobelins étaient étendus dans l’herbe. Beaucoup trop. Même à l’agonie, Écorcheur avait été capable de tuer avec une effroyable facilité.

Des trente-deux Ouvriers qui avaient choisi de la sauver, quatre étaient encore en vie. Bird, Garry, Belgrade, et Anand. Ils se reposaient dans son auberge, ou étaient assis avec des attelles, leurs blessures couvertes d’une espèce de substance rouge collante. Les Antiniums n’avaient pas beaucoup de médicaments, mais ils étaient coriaces. Ils guériraient.

Moins d’une centaine de gens étaient morts autour de l’auberge d’Erin. C’était trop, mais cela avait été pire en ville, ou du moins c’était ce que Klbkch lui avait dit.

“Plus de quatre-vingts gardes et presque deux cents civils ont péri avant que la Colonie ne soit mobilisée.”

Elle n’avait pas su qu’il y avait autant de garde en ville. Mais ils avaient des potions de soin et des armures et… ce n’étaient que des nombres.

“Combien d’Antiniums ? Ton peuple… ?”

“Soixante-cinq Ouvriers et quarante-sept Soldats. Encore la moitié sont blessés, mais les pertes ont été minimes.”

“...Vraiment ?”

Il haussa les épaules.

“Ce n’était pas un prix trop élevé à payer, et il aurait été moindre si mon prédécesseur n’avait pas commis d’erreur. S’il s’était battu aux côtés de la Garde, nous aurions réussi à repousser les morts-vivants sans subir autant de pertes.”

“Alors pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?”

Une pause.

“Ksmvr croyait que la Reine devait être protégée par-dessus tout. Il a fait rentrer tous les Soldats dans la Colonie le temps qu’elle finisse le Rite des Anastases.”

“Qu’est-ce que c’est ? Quel Rite ?”

“Le processus pour me ressusciter.”

“Oh.”

Klbkch hocha calmement la tête. Il continua de lister les choses qu’il avait faites sur une main.

“Il reste beaucoup à faire. La ville a besoin de réparations. Les Antiniums n’ont pas honoré leur promesse. Nous devons reconstruire, mettre des barrières devant les Ruines.”

“Et c’est toi qui va faire ça ? Tu es le nouveau Prognugator ? Ou est-ce que c’est toujours Ksmvr qui a le job.”

“Ce n’est plus lui.”

Klbkch secoua la tête en regardant un Soldat traîner un cadavre vers le tas brûlant.

“Ksmvr était un sot. Il a failli coûter cette cité à la colonie, notre position ici et notre statut sur ce continent et… d’autres atouts. Je m’occuperai de lui bien assez tôt.”

Pendant un moment, Erin et l’Antinium regardèrent les morts brûler. Elle se balançait sur ses pieds. Klbkch regardait en silence.

“Oui. Beaucoup de choses.”

“Klbkch ?

“Oui, Erin ?”

“Comment as-tu fait pour revenir ?”

“On appelle cela le Rite des Anastases. C’est un… processus qu’une Reine des Antiniums peut décider de mettre en place. Cela permet au mort de revenir dans un nouveau corps.”

“Oh”.

Erin réfléchit à cela pendant un instant.

“Okay. Je comprends. Je crois. Alors… est-ce que ça veut dire que tu peux ressusciter ceux qui sont morts ?”

“D’autres ? Ah. Tu veux dire les individus qui étaient autrefois des Ouvriers. Non.”

“Pourquoi non ?”

Il hésita.

“En réalité, seul un Prognugator pourrait être considéré comme… valant la peine de dépenser l’effort et le temps requis pour un tel acte. De plus, ce n’est pas quelque chose à prendre à la légère. Il y a des conséquences. J’ai perdu dix niveaux dans chaque classe. Un contrecoup considérable, bien que mon nouveau corps en réduise l’impact sur mes capacités de manière considérable. Et le temps qu’il a fallu… ma Reine a travaillé sans relâche pendant presque trois semaines pour restaurer mon être.”

“C’est beaucoup de boulot.”

“Il y avait également un coût matériel. La Colonie ne pourrait pas supporter de réitérer ce genre d’acte plus d’une ou deux fois. Les autres…”

“Je comprends.”

Cela ne lui faisait presque pas mal. Presque. Mais ce n’était qu’une nouvelle blessure dans un cœur saignant par des milliers de failles.

“Ils sont morts avec honneur. Je ne me serais pas attendu à ce que de simples… ils sont devenus plus que ce qu’ils étaient. Pour cela, je les honore.”

“Merci.”

Pour une fois, Klbkch ne parut pas savoir quoi répondre. Erin le regarda. Il était comme avant, mais en différent.

“C’est quoi, ce nouveau corps ? Des améliorations ?”

Il acquiesça.

“Le rôle de Prognugator n’a jamais été prévu pour des actions spécialisées. De plus, on pensait que la forme Ouvrière permettrait au Prognugator de se fondre dans la foule pour réduire les probabilités d’assassinat en temps de guerre. Cette nouvelle forme va grandement améliorer mes capacités.”

“Deux bras valent mieux que quatre ?”

“Oui. Je suis plus rapide, plus mobile, et je possède plusieurs modifications dans mon corps qui ne sont pas incorporés dans les autres Antiniums. Le vieux design de quatre bras était inefficace. Ce nouveau corps me servira mieux.”

“Toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus fort, hein ?”

“C’est correct dans les grandes lignes, oui.”

“Okay.”

Klbkch la dévisageait. Erin le savait, même s’il n’avait pas des pupilles pour la suivre. Il ne l’avait jamais vraiment laissée quitter son champ de vision depuis cette nuit-là. Elle était tellement fatiguée.

“Merci de m’avoir sauvée. Vraiment.”

“Ce n’était rien.”

“C’était quelque chose.”

“Oui.”

Elle le regarda. Toujours le même. Puis elle regarda son auberge. Elle regarda le bois fendu, les marques de violences, et l’endroit où un Ouvrier nommé Cavalier était mort. Elle regarda les morts et les Soldats. Elle se souvint d’une demi-Elfe, d’un Minotaure, d’un Drakéide obsédé par les échecs, et d’un tas de visages souriants.

Klbkch vit Erin se plier en deux et tomber en arrière. Il tenta de l’attraper, mais elle rebondit sur l’herbe douce.

“Miss Solstice. Allez-vous bien ?”

Erin sourit d’un air vide tandis que Klbkch la dévisageait d’un air inquiet. Elle leva une main et la laissa retomber.

“Je vais juste rester allongée un moment.”

Elle resta étendue dans l’herbe piétinée tandis que les Gobelins festoyaient, écoutant les morts brûler.

Erin pleura.



***

Durant la nuit du deuxième jour, Ryoka trouva les Gnolls morts. Ils étaient étendus là où ils étaient tombés. Huit guerriers armés de lances, d’arcs et, dans un cas, d’un fléau d’arme. Chacun avait été décapité d’un seul coup.

Elle regarda fixement les cadavres pendant un long moment. Ils étaient déjà en train de pourrir et les mouches vertes lumineuses rampaient sur leurs blessures ? Elle ne pouvait rien faire pour eux, mais Ryoka resta quand même un moment avant de reprendre sa course.

Elle savait qu’elle était suivie, mais à chaque fois qu’elle tournait la tête, elle ne voyait rien.


***

Selys était assise à la Guilde des Aventuriers, en train d’écouter Zevara se disputer avec la maîtresse de guilde. Elle regardait d’un air rêveur son poignet enrubanné, et sentait les coupures fraîches sur ses jambes et son torse la brûler et la démanger.

Même après une journée entière, Liscor était silencieuse. Les rues étaient toujours bondées, et les gens continuaient de parler. Mais c’était un endroit différent à présent. La mort et la destruction avaient prélevé leur dû, et les gens étaient en deuil.

Mais ils avaient survécu. Ils étaient sortis plus forts de leurs épreuves. Selys était à présent une [Guerrière] et avait gagné plusieurs niveaux dans sa classe de [Chasseuse]. C’était une merveilleuse chose, surtout qu’elle n’avait pas gagné de niveaux depuis un mois.

Mais elle était encore fatiguée. Et la dispute qu’elle entendait de son bureau la dérangeait.

“Je veux que les humains qui ont relâché ces morts-vivants soient tenus pour responsables !”

C’était Zevara, la Capitaine de la Garde. Selys la connaissait, sinon en personne, au moins par réputation. Elle était une bonne meneuse, et elle avait sauvé un nombre incalculable de vies pendant la bataille contre les morts-vivants. Sa voix était rauque et elle toussait tous les deux mots à présent.

Le Rejet. Le Lignage. L’enfant des Dragons.

Selys pensa les mots, mais ne les dit pas à voix haute. Zevara avait craché du feu pour repousser les morts-vivants. Elle était une héroïne. Mais elle avait tort à ce sujet.

“Tous les aventuriers qui sont entrés sont morts. Seule une poignée est encore en vie, et ils ne sont pas en condition de payer qui que ce soit pour quoi que ce soit. Ils ont assez souffert. Laisse-les tranquille.”

Rétorqua la Maîtresse de Guilde de la Guilde des Aventuriers de Liscor, une vieille Drakéide avec des écailles d’un violet sombre et qui était également la grand-mère de Selys lorsque Zevara reprit son souffle. La Capitaine Drakéide toussa et fusilla la vieille, mais elle resta de marbre.

“Ils n’ont rien. Rien ne ressortira non plus de leur faire porter la faute. Le Conseil était bien content lorsqu’ils se sont portés volontaires pour explorer les Ruines. Cette catastrophe est aussi bien sur leurs queues que sur les nôtres.”

“Le Conseil veut désigner un responsable. Et si ce n’est pas les aventuriers, ce sera cette Guilde. À toi de choisir.”

Selys grimaça, mais sa grand-mère se contenta de soupirer.

“Quelle enfant têtue. Si tu veux vraiment insister… Selys !”

Selys sursauta et essaya d’agiter quelques papiers pour paraître occupée. Sa grand-mère haussa la voix.

“Emmène Zevara à la chef des aventuriers qu’elle tient tant à blâmer. Laisse-là exposer ses arguments là-bas.”

Ce n’était clairement pas ce à quoi Zevara s’était attendue. La grande Drakéide hésita lorsque Selys pointa sa tête au détour du couloir.

“Hum. Salut. Suivez-moi, Capitaine de la Garde.”

Elle emmena Zevara au fond du couloir, dans la zone de la Guilde réservée pour les aventuriers blessés. Comme le reste du bâtiment, c’était petit, juste assez large pour soigner un aventurier à la fois. Et il y avait quelqu’un dedans.

Selys ouvrit doucement la porte. Zevara retint sa respiration lorsque la porte s’ouvrit pour dévoiler son unique occupante.

L’humaine était assise sur le lit blanc, regardant d’un œil vide à travers l’unique fenêtre. C’était une belle journée, le ciel de Liscor était dégagé. Un peu froid, comme on était en hiver, mais l’hiver n’était pas encore arrivé et Yvlon Byres n’avait cure de la température.

Elle ne prêtait pas attention à quoi que ce soit, en fait.

La moitié de la peau de son visage avait été déchiré. Ses longs cheveux blonds étaient en piteux état, sa peau pâle était recouverte de coupures et de cloques. Elle restait assise là ; son regard vide tourné vers la fenêtre, vacant.

Son armure avait été réduite en lambeaux lorsqu’ils l’en avaient extirpée. Même maintenant, Selys se souvenait des cris de la femme. Mais à présent elle était silencieuse. C’était un peu mieux.

“Humaine.”

Yvlon ne bougea pas. Elle ne cilla pas. Zevara l’appela plusieurs fois, mais Yvlon demeura de marbre. La Capitaine de la Garde hésita.

“Si tu veux aller essayer de la secouer, je te conseille d’abandonner. Elle ne répond pas.”

Zevara se tourna vers la vieille Drakéide pendant que Selys remontait l’oreiller d’Yvlon, en essayant d’éviter de toucher l’humaine. Elle évita également son regarda vacant tandis que Zevara et sa grand-mère chuchotaient.

“Elle n’a pas de sous, ni rien. Tout ce qu’elle possédait a été perdu dans les ruines. Ses camarades, sa fierté, sa santé… que vas-tu donc lui prendre d’autre, ma bonne Capitaine ?”

Zevara fusilla du regard la Drakéide plus âgée, les lèvres serrées, la queue battant contre le sol.

“Quelqu’un doit payer.”

“Quelqu’un doit payer, en effet. Mais je ne pense pas qu’elle ou aucun des aventuriers a assez d’argent pour rembourser les coûts.”

Zevara se retourna vers Yvlon. L’aventurière était assise, silencieuse, dans son lit, le dos droit, les mains croisées. Le visage couvert de cicatrices.

La Capitaine de la Garde secoua la tête. Elle avait un million de choses à faire. Relc était en train de patrouiller pour dénicher les derniers morts-vivants tandis que le reste des gardes reconstruisait la cité. Elle devait faire la liste des morts et des blessés, se concentrer sur la reconstruction de la ville, présenter le problème des Antiniums au Conseil.

Elle tourna sur ses talons. Il était inutile de rester ici à se disputer avec une Drakéide de trois fois son âge. Zevara partit d’un pas lourd et ne tourna la tête qu’une seule fois.

Yvlon regardait le ciel bleu, à quelques pas d’elle et pourtant à des milliers de miles. Zevara regarda dans ses yeux vides et s’en alla.

***

Le troisième jour, Ryoka rencontra une femme étrange avec un gros œil et une lame courbe qui connaissait son nom. Elle ne dit rien et poursuivit sa course. L’étrange aventurière souriante s’effaça au loin derrière elle et Ryoka se demanda si c’était elle qui avait tué les Gnolls.

Elle poursuivit sa course, réfléchissant à ce qu’elle allait dire et à comment elle allait s’excuser. Elle dormit cette nuit-là, anxieuse. Attendant de rentrer et de tout régler.



***

Toren était assis sur le toit de l’auberge, regardant tout et rien à la fois. Sous lui, Erin frappait le mur avec un marteau, recouvrant les fenêtres brisées avec des planches. Elle lui avait interdit d’aider la deuxième fois où il avait fait un trou dans le mur.

Il n’avait pas fait exprès. Mais d’un certain côté, si.  Une partie de Toren savait que c’était le seul moyen d’avoir une pause. Et il avait voulu faire une pause. Pour la première fois de sa vie, Toren voulait se poser et réfléchir.

Le squelette était assis sur le toit et regardait les plaines vides. D’ici, il pouvait voir Liscor au loin. La cité paraissait indemne d’ici, et elle se reconstruisait rapidement, d’après Erin. Mais tout comme la zone autour de l’auberge, des traces de la bataille y étaient encore gravées.

La bataille. Toren se rappelait encore Écorcheur, se rappelait encore les ennemis innombrables et la seule joie pure de la bataille couplée au besoin de garder Erin en sécurité. Ça avait été glorieux, libérateur.

Et beaucoup trop court.

C’était quelque chose de curieux. Il avait gagné des niveaux, et en faisant cela, était devenu quelque chose de plus. Plus… lui-même. Il pouvait réfléchir, agir, ressentir à un niveau dont il n’avait pas été capable avant.

Niveau 11.

C’était ce qu’il était. Cela faisait… huit niveaux ? Oui, un bond immense. Mais il avait durement gagné chacun d’entre eux. Et la partie de Toren qui pensait et se souvenait se demandait si c’était parce qu’il avait blessé si gravement la créature voleuse de chair. Ça, et l’innombrable nombre de ses pairs qu’il avait pourfendus.

Il se demandait combien de niveaux la petite Gobeline avait gagnés. Combien de niveaux sa tribu avait gagnés. C’était sans importance, et pourtant c’était important. Pourquoi devait-il se soucier des niveaux d’un Gobelin ? Si elle ne représentait pas une menace, cela n’avait aucun sens.

Mais une partie de Toren se demandait. Et c’était cette partie-là qui s’était réveillée après la bataille, lorsqu’il avait gagné ces niveaux. Il avait commencé à réfléchir, et c’était déjà un mystère en soi. Un mystère bienvenu, certes, mais qui restait frustrant.

À présent, il pouvait se demander pourquoi il obéissait. À présent, il pouvait songer à Erin en tant que personne, pas seulement en tant que maître. À présent il pouvait se demander…

La gemme rouge tournait dans ses mains squelettiques. Toren pouvait sentir la magie contenue à l’intérieur. Il l’avait prise à la créature de peau, la lui avait arrachée. Elle contenait une magie puissante. Elle était pleine de peur ; il comprenait au moins cela. Mais comment pouvait-il l’utiliser ? Devait-il l’utiliser ? Devait-il la donner à Erin ?

Non. Oui. Peut-être. Ce n’était plus si simple à présent. Toren étudia la gemme. Elle était rouge, un rouge plus sombre que le pourpre. Le rouge du sang séché et de la mort. Il l’avait prise au cadavre ; il ne savait pas où était passée sa jumelle. Mais il n’avait besoin que d’une.

Besoin… pour quoi faire, exactement ? Toren n’en était pas sûr. Mais il commençait à comprendre. Quelque chose l’appelait. Il ne savait pas encore quoi, mais il finirait par le savoir. S’il avait plus de niveaux, il comprendrait mieux. Et lorsqu’il comprendrait, peut-être qu’il réfléchirait plus. Peut-être qu’il se poserait plus de questions. Et lorsqu’il aura suffisamment de niveaux…

Hey Toren ! Ramène tes fesses osseuses ici et aide-moi à soulever ce truc !”

Une voix l’appelait en bas. Celle de son maître. Ou de sa maîtresse ? Il avait eu un maître, avant. Le mage nommé Pisces. Mais il n’était plus un maître. Erin était-elle un maître ? Ou une maîtresse ? Ou est-ce qu’elle n’était rien de tout ça ? Encore une question.

Il en avait tant. Mais pas assez de temps pour y réfléchir, et Erin recommençait à crier.

Toren se leva sans soupirer. Les squelettes ne soupiraient pas. Mais il regarda l’œil rouge pourpre dans sa main. Elle n’en voudrait pas. Elle le jetterait. Par conséquent, il avait pensé à une solution.

Précautionneusement, très précautionneusement, il ouvrit la bouche et y plaça la gemme. C’était très simple. Un peu de goudron collant qu’on utilisait pour réparer le toit de l’auberge et il pouvait stocker la pierre dans le creux de son crâne, là où le cerveau était normalement entreposé. De cette manière, personne ne la verrait.

C’était la partie [Tacticienne] qui le lui avait suggéré, et le reste de lui était d’accord. Toren s’assura que la gemme était en sûreté et bien ancrée avant de sauter du toit. Il était plus fort à présent, c’était évident. Assez fort pour aider Erin à mettre les planches de bois en place et les tenir tandis qu’il plantait dangereusement des clous dedans.

Plus fort, oui, et plus conscient. Mais qu’est-ce que cela amènerait ? Qu’allait-il devenir ?

Pour la première fois de sa vie, Toren se posait ces questions. Et pour la première fois de sa vie, il était curieux d’en connaître les réponses.

Un éclair pourpre traversa les flammes bleues de ses yeux. Pendant un bref instant seulement.

***

La journée continua son cours, et avec elle se passèrent beaucoup de choses importantes. Tout comme la veille, et le jour avant cela. C’étaient sûrement des choses importantes, car chaque personne qui les expérimentaient se considéraient comme des personnes importantes.

Dans sa cachette dans les plaines. Pisces traîna un autre cadavre qu’il avait réussi à tirer des flammes purifiantes. L’effort pour les amener jusqu’ici était important, mais en valait la peine. Il posa le corps décapité de la goule contre un mur et étudia le Seigneur des Cryptes qui occupait la plus grande partie de la caverne de terre. Il sourit avec une joie non feinte, comme un enfant pourrait le faire avant d’ouvrir un cadeau.

Une jeune humaine, une voleuse, était accroupie dans une ruelle, se demandant où elle allait pouvoir chaparder ensuite. Les morts-vivants auraient pu tuer tous les lézards dégoûtants et les hybrides poilus de la ville, cela ne l’aurait pas dérangée. Elle était affamée, seule, et désespérée.

Loin au nord, Magnolia parlait dans les airs. Elle accablait ou peut-être se disputait avec quelqu’un d’invisible. Son interlocuteur grondait alors qu’elle le fustigeait.  Teriarch bouda et Magnolia se mit à étudier une carte du continent septentrional, puis une carte du monde. Elle réfléchit, se tapotant les lèvres d’un doigt et le sol d’un pied.

Relc patrouillait la ville, Ksmvr s’agenouillait en tremblait devant sa Reine courroucée. Garia faisait ses livraisons, se demandant où son amie était partie. Et plus encore. D’autres gens continuaient à vivre leur vie et façonner le monde à plus ou moins grande échelle.

Mais une fille courait dans l’herbe, fatiguée, épuisée. Elle avait couru pendant quatre jours, retraçant ses pas à travers l’herbe, au nord, sur les routes rarement utilisées des Plaines Sanglantes. Elle était partie en colère et désespérée. Et le quatrième jour, elle arriva enfin à destination.

***

Le quatrième jour, Ryoka revint à Liscor. Là, elle s’arrêta et contempla la ville un long moment. Elle vagabonda dans les rues et sentit l’odeur de chair brûlée, passa devant des maisons détruites, et entendit ceux qui pleuraient leurs morts. Elle esquiva des pierres et des ordures qu’on lui jetait, ainsi qu’autres autres humains, et arriva à la Guilde des Aventuriers.

Elle demanda si on savait où étaient ses amis. Elle demanda ce qu’il était advenu de Ceria et Calruz et Gerial et Sostrom. Elle écouta, et sentit le monde s’effondrer.

La Drakéide à la réception l’emmena dans une petite chambre avec un petit lit. Elle ouvrit la porte et Ryoka s’assit à côté d’Yvlon pendant un moment. Les yeux de l’autre fille étaient vacants et elle grattait la chair torturée de son visage.

Au bout d’un moment, Ryoka se leva. Yvlon ne lui prêta aucune attention. La fille sortit de la guilde puis de la ville. Elle alla jusqu’aux Ruines et vit que l’entrée avait été barricadée ? Vingt hommes-fourmis géants se dressaient devant un mur de terre, bloquant l’entrée.

Elle les regarda jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus supporter cette vision. Ryoka quitta les ruines et traversa les hautes herbes devant Liscor. Elle marcha jusqu’à se perdre dans les herbes, marchant, marchant sans but.

Ryoka ne remarqua pas le Gobelin qui se dressa dans l’herbe avec ses compagnons pour la suivre. Elle ne remarqua pas non plus l’énorme pierre qui s’avança lentement vers elle. Elle poursuivit sa marche, contemplant le ciel.

Elle ne pleura pas. Elle ne poussa pas de cris de colère. Elle était vide. Le vide devint elle.

La culpabilité et le chagrin étaient l’air qu’elle respirait. La mort marchait à ses côtés et murmurait à son oreille. Ryoka marcha, et ne réfléchit que très peu.

Quand elle fut incapable de continuer, Ryoka s’arrêta. Le Gobelin tira un couteau aiguisé de sa ceinture et la pierre mobile s’avança doucement vers l’humaine et les gobelins, sans se faire remarquer.

Ryoka prit une grande inspiration. Elle se dressa sur les plaines et hurla. Les Gobelins recouvrirent leurs oreilles. Le rocher mouvant sursauta et battit en retraite.

De gros oiseaux aux ailes de cuir surgirent de l’herbe, paniqués. Ils s’envolèrent au loin tandis que les Gobelins s’enfuyaient et que le Crabroche prenait ses pattes à son cou. Le son perça les airs, voyagea sur des kilomètres, fit lever les yeux des voyageurs vers le ciel.

Ryoka hurla jusqu’à en perdre la voix. Elle se mit à violemment assener des coups de poings au sol, s’arracha les cheveux. Elle hurla et hurla jusqu’à ce que son corps n’en soit plus capable.

Alors Ryoka s’arrêta.

Sa gorge était à vif et elle toussa et sentit le goût du sang. Ryoka fut obligée de boire une gorgée d’une des potions de soin qu’elle avait achetées avant de pouvoir de nouveau respirer sans être à l’agonie.

Elle reprit sa marche, désespérée. Ryoka trébucha sur un caillou et s’étala tête la première au sol. Elle resta allongée là un instant. Vide.

Au bout d’un moment, son estomac gargouilla. Ryoka l’ignora.

Elle resta étendue sur le sol, le maudissant. Elle maudit le ciel bleu et les citoyens de Liscor et les aventuriers. Elle maudit les morts-vivants, le monstre qui avait tué ses amis. Elle maudit les dieux morts, ceux qu’elle avait connus, le monde dans lequel elle vivait à présent et celui dont elle était venue. Elle maudit tout et tous, et elle se maudit elle-même en particulier.

Au bout d’un moment, son estomac gargouilla de nouveau. Cette fois-ci, Ryoka l’écouta et s’assit.

Elle se frotta le visage avec une poignée d’herbe et regarda autour d’elle. C’était le soir. Elle était affamée, et perdue. Mais lorsqu’elle regarda en direction de Liscor, elle vit un bâtiment sur une colline. Lorsque Ryoka s’approcha, elle vit qu’il s’agissait d’une auberge.

Comme la ville, elle avait été touchée par la mort et la bataille. L’auberge était craquelée par endroits, brisée par ailleurs. Le sol était retourné par endroits, la terre soulevée et l’herbe piétinée. La latrines de l’autre côté avaient été à moitié écrasées.

Tout avait été retapé à la va-vite. Ryoka regarda les planches maladroitement clouées ensembles. Elles indiquaient des signes de vie, et elle avait faim.

Elle regarda l’enseigne au-dessus de l’auberge.

L’Auberge Vagabonde. Comme le reste du bâtiment, les mots étaient écorchés par endroits, et du sang vert avait séché sur une partie.

Et pourtant, l’auberge était toujours debout. Elle attirait Ryoka, bien qu’elle fût incapable de dire pourquoi. C’était là un endroit où se reposer. Un endroit où manger, peut-être. Ou peut-être simplement un endroit où attendre que la douleur s’en aille.

Ça irait bien.

Ryoka posa la main sur la porte et hésita. Elle regarda le bâtiment à moitié en ruines. Puis elle se détourna.

Pas ici. Pas tout de suite. Son cœur lui faisait encore trop mal pour parler, et encore moins affronter la vie mondaine. Ryoka se tourna, ignorant les appels de son estomac. Elle était vide.

Elle descendit la pente, avec aucune idée de sa destination. Peut-être le nord. Peut-être nulle part. Elle devait juste courir. Courir, et courir encore.

Parce qu’il n’y avait plus rien qui vaille la peine de s’arrêter.

Ryoka prit son iPhone et l’alluma. Elle se mit à marcher, puis à courir à petites foulées. Elle fit dix pas avant d’être perturbée par un son.

Son téléphone se mit à sonner. Ryoka le regarda fixement. Lentement, elle tapota le bouton vert lumineux et leva son téléphone à son oreille.

“... Allô ?”







Fin du Tome 1











Note des traducteurs :

Et coupé ! Le premier livre est terminé, c'était toute une aventure. Ce qui avait commencé en tant que projet Erasmus à continué pour devenir autre chose qui ne fait que commencer ! Car oui, Ellie et moi avons décidé de continuer la traduction et de reprendre avec le livre 2 ! La suite viendra dans relativement peu de temps, mais avec un rythme réduit durant les grandes vacances pour reprendre à la rentrée !

Cet été sera consacré aux dernières touches du premier tome (tournures de phrase, termes particuliers, RELECTURE), surtout n'hésitez pas à discuter de comment vous avez trouvé ce premier livre!

Et encore une fois, un grand merci à Pirateaba pour avoir permis l'existence de ce projet! Les choses ne font que commencer  :)
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 11 juillet 2020 à 19:55:12
Interlude

Traduit par EllieVia

[L’utilisateur Rose a rejoint la conversation]

[15 utilisateurs connectés]

 

[Carapuce344]
- Lol. Encore une !

 
[BlackMage] - Rose, bienvenue. Content que tu aies pu rejoindre la conversation.

 
[batman] - SALUT.

 
[Rose] - Okaaaaaaaaaaay. Un écran magique flottant. 0.0

 
[aragorn_479] - C’est la dernière à arriver depuis quelques minutes. On dirait que la plupart d’entre nous sont là donc est-ce qu’on commence ?
 

[plusUn] - qu’est-ce que c’est ?? comment c’est possible ?
 

[Guerrier Niveau12] - non mais grave ? Un écran flottant est apparu lorsque j’ai répondu au tel. j’ai failli mourir !
 

[Rose] - Est-ce que c’est une espèce de Skype ?
 

[aragorn_479] - Je dirais plus un forum magique. Je ne sais pas comment c’est possible, par contre.

 
[BlackMage] - Oui, je vais peut-être commencer alors. Je suis, euh, celui qui a monté ça. On est tous connectés par magie.

 
[Carapuce344] - fake
 

[50fiftycents] - non c’est vrai je peux détecter la magie avec ma compétence

 
[doubleTrouble_53] - Ça reste impossible. Comment ça marche ?
 
[batman] - iPhones = magie. duh. y a des sorciers chez apple.

 
[Groupe Américain] - Attendez, laissons parler BlackMage.

 
[BlackMage] - J’ai réussi à relier nos téléphones, mais ça demande BEAUCOUP de puissance magique pour le faire. Et je me disais qu’un gros tas de voix ce serait trop confus donc j’ai fait un forum.

 
[doubleTrouble_53] - Combien de puissance ?
 
[batman] - plus de 9000 lol.

 
[BlackMage] - J’espère qu’on peut utiliser ce système comme moyen de communiquer et d’essayer de comprendre ce qu’il se passe ici.

 
[Loran Grimnar] - Pas beaucoup de monde ici. Est-ce que c’est à cause de la distance ?
 
[BlackMage] - Ça ne devrait pas poser de problème.

 
[aragorn_479] - Peut-être que ça ne marche qu’avec les iPhones ?

 
[ayan] - tout le monde est mort. on est les seuls survivants !

 
[50fiftycents] - on s’en branle de ceux qui ont des Android. C’est leur problème.

 
[asdf] - envoyez de l’aide svp !
 

[Groupe Américain] - On se calme, essayons de comprendre ce qu’il se passe. Si on tape tous en même temps personne ne comprendra quoi que ce soit.

 
[ayan] - et qui a dit que c’était toi le chef ?

 
[BlackMage] - Je pense qu’il a raison. On devrait commencer par les bases.

 
[Rose] - Quelles bases ? Je suis dans une forêt AU MILIEU DE NULLE PART. Je n’ai vu personne d’autre que des monstres depuis des JOURS !

 
[asdf] - sos

 
[aragorn_479]- Quoi, sérieux ? Je suis dans une ville en ce moment avec d’autres gens qui ont été téléportés avec moi.

 
[BlackMage] - Vraiment ? Où donc ?
 

[Kent Scott] - Est-ce que tu connais le nom de la ville ?

 
[Groupe Américain] - ATTENDEZ. Commençons avec les informations de base. Où êtes-vous tous ?

 
[aragorn_479] - Je suis à la Guilde des Aventuriers de ma ville. Pentagost.

 
[Rose] - Je suis dans une forêt, comme je le disais. Je n’ai aucune idée d’où je suis.

 
[batman] - c’est un piège lol.

 
[doubleTrouble_53] - C’est pas un piège. Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

 
[plusUn]- On s’en FOUT ! si tu arrives à nous envoyer un message, est-ce que tu peux nous ramener chez nous ?
 

[Carapuce344] - oh ptn oui stp !
 

[Guerrier Niveau12] - oui.

 
[asdf] - oui fais-le s’il te plaît !

 
[BlackMage] - Je ne peux pas faire ça. C’est tout ce que je peux faire. Je ne sais même pas ce qui nous a envoyé ici.
 

[50fiftycents] - merde

 
[Carapuce344] - je veux rentrer chez moi.

 
[Groupe Américain] - On peut pas faire grand-chose à ce sujet en ce moment. On devrait d’abord établir une liaison et partager des informations pour survivre en priorité?

 
[aragorn_479] - En ce cas, commençons avec les niveaux et les classes.
 

[ayan] - pourquoi ?

 
[aragorn_479] - C’est des bonnes infos à savoir. Je suis un [Ranger] niveau 16, d’ailleurs.
 

[Rose] - Classes ? Quoi ?

 
[BlackMage] - Pas mal. Je suis un [Ingénieur] niveau 11 en ce moment, et un [Mage] de niveau 8. C’est comme ça que j’ai pu organiser l’appel.

 
[Loran Grimnar] - Quoi ?? On peut devenir INGÉNIEUR ?
 

[BlackMage] - On dirait bien. J’ai démonté mon iPhone et d’autres objets connectés et c’est comme ça que j’ai eu la classe.

 
[doubleTrouble_53] - Whoa, des objets connectés ? T’as encore d’autres trucs ?

 
[batman] - t’auras kan la classe de [Technomage] ?

 
[Guerrier Niveau12] - Il y a une classe de [Technomage] ? On l’obtient comment ?

 
[plusUn] - il trolle juste. ignore-le.

 
[50fiftycents] - [Mage] niveau 10 de mon côté. La magie c’est TROP COOL !

 
[ayan] - je fuis depuis le début et vous vous tuez des monstres ??? voyageur niveau 4 commerçant niveau 1

 
[Groupe Américain] - Je suis un [Chevalier] de niveau 26. J’ai avec moi un [Assassin], un [Pyromancien], un [Dresseur], un [Tacticien], un [Pugiliste], etc… et un [Clown].

 
[Carapuce344] - koi
 

[aragorn_479] - sans dec
 

[doubleTrouble_53] - Vous avez une liste des classes ?
 

[Kent Scott] - Combien de gens sont avec toi ? Comment ils s’appellent ?
 

[plusUn] - impossible. tu peux pas être niv 26
 

[Groupe Américain] - si.
 

[batman] - je suis un [Dark Avenger]. niveau 999999.
 

[Guerrier Niveau12] - Impossible. Comment vous avez fait pour gagner autant de niveaux si vite ? Je tue des monstres tous les jours en tant qu’aventurier, et je ne suis qu’un [Guerrier] Niveau 12.

 
[Groupe Américain] - On dirait que notre sort d’invocation nous a tous un peu bénis. On a tous eu la classe de [Héros] quand on a été invoqués, mais à ma connaissance personne n’a réussi à avoir plus de 1 niveau dans la classe. On dirait que ça nous aide tous à gagner des niveaux plus vite.

 
[batman] - 1posibl. photos sinon fake
 

[BlackMage] - Des gens de mon côté me disent que personne n’a eu la classe de [Héros] depuis des siècles. C’est quel royaume ?
 

[Loran Grimnar] - Attends une seconde. Une minute. INVOQUÉS ???

 
[Groupe Américain] - Vous n’avez pas tous été invoqués ici ?
 

[aragorn_479] - Non.
 

[Carapuce344] - non.
 

[batman] - je suis l’élu.
 

[Loran Grimnar] - On est arrivés au milieu d’une tempête. La moitié d’entre nous sont TOMBÉS d’une falaise dès la première nuit !

 
[Rose] - Je me suis réveillée ici ! Aucune idée de ce qui a pu se passer !

 
[asdf] - aidez-moi s’il vous plaît !

 
[aragorn_479] - Je reviens sur le Niveau 26. Je suis ici depuis deux semaines. Bordel de merde, comment vous avez réussi à avoir autant de niveaux aussi vite ?
 

[Carapuce344] - pas de gros mots
 

[batman] - ta gueule pédé
 

[plusUn] - sérieux. est-ce qu’on peut te bloquer ?
 

[Loran Grimnar] - Deux semaines ? Je suis là depuis bien plus longtemps que ça !
 

[ayan] - attendez. je suis là depuis trois mois.
 

[50fiftycents] - QUOI
 

[BlackMage] - C’est important ! Quel est le dernier gros événement dont vous vous souvenez de notre monde ?

 
[ayan] - um. les élections ?

 
[BlackMage] - Elles ont déjà eu lieu ?

 
[ayan] - non, je veux dire qu’on est encore pendant les primaires. TRUMP vient d’être nominé pour les républicains.

 
[Loran Grimnar] - Une seconde. Les élections sont terminées. Depuis longtemps.

 
[Carapuce344] - Impossible.
 

[ayan] - tu mens
 

[Loran Grimnar] - Je suis sérieux. J’ai été enlevé juste après Noël.
 

[aragorn_479] - On dirait qu’il y a un gros écart temporel ici.
 

[Groupe Américain] - Attendez, si les élections sont finies, qui a gagné ?
 

[BlackMage] - Bah, Hillary.
 

[Rose] - Non. C’est Trump !
 

[plusUn] - oh sérieux putain oUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII
 

[Guerrier Niveau12] - L’Amérique est perdue.
 

[ayan] - heureusement que je suis ici.
 

[50fiftycents] - la ferme ! Trump est 100000X mieux qu’Hillary la menteuse.
 

[ayan] - eeeeeeeeeeeet voilà les crétins qui débarquent. bonne chance j’espère que tu te feras bouffer par un monstre.

 
[plusUn] - allez vous faire foutre les libéraux
 

[Loran Grimnar] - ON S’EN FOUT ! C’EST PAS L’AMÉRIQUE ICI !!
 

[aragorn_479] - Je ne suis même pas Américain.
 

[Carapuce344] - koi
 

[ayan] - sérieux ?
 

[aragorn_479] - Ouaip. Je suis d’Australie. Et le reste d’entre vous ?
 

[plusUn] - t’as pas l’air australien
 

[aragorn_479] - Et si je te dis “mate”, ça te suffit ?
 

[Rose] - Qui écrit avec des accents ?
 

[batman] - raciste
 

[plusUn] - ta gueule
 

[doubleTrouble_53] - Angleterre pour moi.
 

[ayan] - KOIIIIIIIIIIIIIIIIIII
 

[Guerrier Niveau12] - Je croyais que tout le monde venait des États-Unis ! coucou les gens !

 
[Groupe Américain] - Je suis avec un groupe d’Américains. On vient de partout sur le continent, par contre.
 

[plusUn] - toi et ton “sort d’invocation” bien sûr

 
[Groupe Américain] - C’est pas un mensonge.
 

[Loran Grimnar] - Qui vient d’Amérique ? Moi.
 

[50fiftycents] - America ! FUCK YEAH !
 

[Rose] - Je viens de Californie.
 

[BlackMage] - Okay donc on vient d’un peu partout. Je viens aussi d’Amérique, d’ailleurs. Mais revenons à notre arrivée. Depuis combien de temps est-ce que vous êtes ici ?

 
[Loran Grimnar] - Peut-être quatre semaines ? Je ne sais plus trop à force.
 

[ayan] - soixante-dix-huit jours.
 

[batman] - depuis toujours
 

[plusUn] - un mois ? pas sûr
 

[Rose] - Une semaine.
 

[aragorn_479] - Wow. Sérieux ?
 

[Rose] - Ouaip, je viens d’arriver et je flippe.
 

[BlackMage] - Attendez, quelle est la dernière chose dont vous vous souveniez de chez nous ?

 
[Rose] - Hum. La dernière chose ? C’est très dur de se rappeler. Trump a banni tous les Musulmans, mais la cour judiciaire l’en a empêché. C’est le plus gros truc.
 

[ayan] - omg. Hitler de retour avec une perruque !
 

[50fiftycents] - ne sois pas stupide. le bannissement des musulmans aurait dû être fait depuis longtemps. Obama aurait dû le faire s’il n’était pas un traître
 

[Groupe Américain] - Je suis Musulman. Et plusieurs personnes de mon groupe aussi.
 

[batman] - OUCH
 

[50fiftycents] - je veux pas dire que tous les musulmans sont méchants. mais beaucoup d’entre vous sont des terroristes. il faut surtout protéger les Américains.

 
[ayan] - tellement raciste

 
[50fiftycents] - Va te faire foutre !
 

[aragorn_479] - On arrête TOUS avec la politique. On a encore beaucoup de trucs à dire.

 
[Kent Scott] - En effet. On devrait tous se rejoindre.
 

[plusUn] - où ?

 
[Guerrier Niveau12] - je dirais plutôt comment

 
[Kent Scott] - Je suis dans une ville bien protégée. Si on se retrouve tous là on sera en sécurité.

 
[plusUn] - oui svp !
 

[Rose] - Je ne sais pas où je suis.
 

[Kent Scott] - Dites-moi dans quelles villes vous êtes, ou quel continent.
 

[Groupe Américain] - Notre groupe est à Karas, une ville du Continent Maudit.
 

[BlackMage] - J’en ai entendu parler. C’est tout le temps la guerre là-bas, non ?
 

[Kent Scott] - Vous êtes où, le reste ?
 

[plusUn] - Je suis dans une ville qui s’appelle La Rencontre des Boucliers. Je ne sais rien de plus.

 
[batman] - c’est carrément un piege les gens
 

[asdf] - aidez-nous je ne sais pas où on est !!
 

[Loran Grimnar] - Ce n’est pas un piège. On essaie de se rejoindre.
 

[batman] - s est toi ki le dit. pourrait être un piege
 

[plusUn] - c’est quoi ton ptn de problème ? On doit se serrer les coudes.
 

[batman] - vous pourriez tous être des fakes
 

[Loran Grimnar] - Des fakes ? Tu penses à quoi bordel ?
 

[BlackMage] - Il y a plusieurs continents sur cette planète, et c’est IMMENSE. Je ne suis pas sûr qu’on puisse tous se retrouver facilement même en sachant où sont les gens.

 
[Groupe Américain] - Je suis d’accord. Il y a plein de monstres extrêmement dangereux là où on est. Pas un lieu sûr.
 

[Kent Scott] - Dites-moi où vous êtes, tous.
 

[asdf] - aidez-nous s’il vous plaît !!!!!!
 

[Loran Grimnar] - C’est tellement le merdier.
 

[Groupe Américain] - Essayons de s’organiser. On devrait commencer par une description courte de tout le monde. Écrivez votre nom, lieu, classes, etc.

 
[Kent Scott] - C’est une bonne idée.
 

[asdf] - SOS
 

[ayan] - tellement chiant ça !
 

[Loran Grimnar] - Est-ce que tu peux ARRÊTER ? On essaie de communiquer là.
 

[asdf] - SOS SOS
 

[asdf] - SOS
 

[asdf] - SOS
 

[batman] - asdghhhASDaj
 

[Loran Grimnar] - STOP.
 

[asdf] - aidez-nous svp !!! on a besoin d’aide !
 

[Loran Grimnar] - Pourquoi avez-vous besoin d'aide ? ON A TOUS BESOIN D’AIDE.
 

[asdf] - sauvez-nous on est en train de mourir
 

[Loran Grimnar] - quoi sérieux ?
 

[asdf] - des monstres partout on a besoin d’aide !!
 

[Groupe Américain] - Vous êtes en train de vous faire attaquer en ce moment ?
 

[plusUn] - omg.
 

[asdf] - pas tout de suite mais ils vont REVENIR
 

[asdf] - ils sortent de terre. Ils vivent là-dessous.
 

[Groupe Américain] - Où ? Est-ce que tu sais où vous êtes ? Quel pays ?
 

[Guerrier Niveau12] - quel continent plutôt. Combien d’endroits il y a ici ?
 

[asdf] - je ne sais pas mais on a besoin d’AIDE !
 

[aragorn-479] - On ne peut pas t’aider à moins de savoir où tu es.
 

[ayan] - si c’est trop loin comment vous allez y aller ?
 

[asdf] - svp…
 

[Groupe Américain] - Je suis désolé. Est-ce que vous pouvez vous cacher quelque part ?

 
[asdf] - venez s’il vous plaît

 
[aragorn_479] - Est-ce que tu peux nous décrire les monstres ? Je suis avec des
aventuriers. Ils peuvent vous donner des astuces pour les combattre.
 

[asdf] - commENT ?????? ON N’A PAS D’ARMES
 

[aragorn_479] - Bordel.
 

[Kent Scott] - Décris-nous où tu es.
 

[batman] - Pour sortir de la simulation, veuillez taper “EXIT” sans les guillemets dans le forum et envoyer. Une aide virtuelle vous sera envoyée dans quelques instants pour commencer le processus d’extraction.
 

[50fiftycents] - EXIT
 

[plusUn] - exit
 

[ayan] - EXIT
 

[aragorn_479] - Connard de troll.
 

[plusUn] - EXIT
 

[Guerrier Niveau12] - EXIT
 

[asdf] - EXIT s’il vous plaît tout de suite svp
 

[batman] - ...lol
 

[plusUn] - VA TE FAIRE FOUTRE
 

[Loran Grimnar] - Doux Jésus. Est-ce qu’on peut virer batman du forum ? Ou au moins le mettre en mute ou quelque chose ?

 
[BlackMage] - Désolé. Le système n’est pas conçu comme ça.

 
[Prophète] - Ne prononce pas le nom du Seigneur en vain.

 
[batman] - koi ? lol

 
[aragorn_479] - Sérieusement batman, si tu ne peux pas contribuer, au moins tais-toi.
 

[Loran Grimnar] - Je suis d’accord.
 

[Carapuce344] - carrément. ferme ta putain de gueule
 

[batman] - vous êtes tous des haters. vous savez rien
 

[asdf] - AIDEZ-NOUS S’IL VOUS PLAÎT IL FAUT NOUS AIDER !!!
 

[Prophète] - Priez pour le Salut et Sa main vous protégera.
 

[Loran Grimnar] - ...Et maintenant les fous sont de la partie. Merveilleux.
 

[Guerrier Niveau12] - mec, ferme-là. On n’a pas besoin de deux mondes avec tes conneries.

 
[Prophète] - Tous ceux qui prient seront Sauvés par le Seigneur notre Dieu.

 
[Kent Scott] - Il faut qu’on se concentre. Dites-nous vos noms. Prénom et nom.

 
[Carapuce344] - pk ?

 
[aragorn_479] - Zara Walker.

 
[plusUn] - caren glover

 
[50fiftycents] - Ridley Wallis

 
[ayan] - Thompson Green

 
[batman] - Bruce Wayne

 
[BlackMage] - Ce n’est pas là-dessus qu’on devrait se concentrer.

 
[Groupe Américain] - Je suis d’accord. On devrait partager des informations. Des astuces de survie. Vous avez des choses à partager ?
 

[ayan] - comment on fait de la magie ?
 

[batman] - avec une baguette. duh
 

[plusUn] - ferme-la
 

[BlackMage] - Il faut être activé. Tout le monde n’a pas le potentiel pour faire de la magie, mais un autre magicien doit te tester.

 
[aragorn_479] - Des trucs importants ? On dirait qu’acquérir des niveaux dans ce monde se fait par l’adversité, pas la répétition ?
 

[50fiftycents] - quoi ? EN ANGLAIS
 

[Loran Grimnar] - Elle veut dire qu’on ne peut pas grinder. Mais est-ce que c’est vrai ?
 

[aragorn_479] - On dirait oui. Plus il y a du défi, plus j’ai gagné des niveaux rapidement.

 
[Groupe Américain] - Je confirme.
 

[plusUn] - chelou. Y a moyen de détourner le système ?
 

[Loran Grimnar] - Si on pouvait, ce serait incroyable.


[Utilisateur s a rejoint la conversation]
 
[16 utilisateurs connectés]


[plusUn]
- oh hey encore un !
 

[Groupe Américain] - Bienvenue s.
 

[Guerrier Niveau12] - je sais comment détourner le système. les classes multiples. plus on en a, et plus on a de compétences !
 

[Loran Grimnar] - Avoir de nouvelles classes est difficile. Je n’en ai pas plus de 3.
 

[aragorn_479] - C’est tellement le bazar. On peut diviser le forum ou pas ?
 

[BlackMage] - Désolé, c’est le maximum que je puisse faire.
 

[Kent Scott] - s, quels sont ton nom et ton prénom ? D’où viens-tu ?
 

- ?
 

[ayan] - koi
 

[batman] - looool
 

- Je peux lire un peu. Pouvoir traduire mon langue ?? क्या आप हिन्दी बोलते हैं ?
 

[ayan] - omg c’est quoi ce bordel ?
 

[Loran Grimnar] - C’est une langue du moyen-orient je dirais. Est-ce que quelqu’un peut la lire ?

 
[batman] - moi oui.
 

[plusUn] - tu dis de la merde
 

[BlackMage] - Attendez, je crois que je peux utiliser Google Traduction.
 

[ayan] - hors ligne ???
 

[Loran Grimnar] - Tu as l’appli ? TROP COOL !
 

[batman] - खतरे यहाँ है बात नहीं करते नकली व्यक्ति यहाँ है connard
 

[Loran Grimnar] - Qu’est-ce que batman vient de dire ?
 


[Utilisateur s s’est déconnecté]
 
[15 utilisateurs connectés]
 

[plusUn]
- OMG ESPÈCE DE CONNARD
 

[ayan] - t’as écrit quoi ptn ?
 

[batman] - haha rekt !
 

[BlackMage] - je viens de traduire ça. batman, je te préviens. Si tu continues à agir comme ça, tu ne seras PAS réinvité pour les prochains appels.

 
[batman] - पसंदीदा फिल्म पूछें va te faire foutre.

 
[plusUn] - omg ferme ta gueule !
 

[ayan] - pitié dites-moi qu’on peut donner des coups de pieds à batman
 

[Guerrier Niveau12] - tout devient clair. c’est un random type qui ne connaît pas l’anglais et qui trolle.

 
[Loran Grimnar] - Bodel. Est-ce qu’on peut rester CONCENTRÉS une seconde ?
 

[Kent Scott] - Je suis d’accord.
 

[BlackMage] - En fait, j’ai une meilleure idée. Tout le monde, dites le titre d’un de vos films préférés. C’est très important. Moi, c’était le quatrième Harry Potter.
 

[ayan] - koi ?
 

[50fiftycents] - t’es taré ?
 

[Rose] - ???
 

[Groupe Américain] - Faites ce qu’il dit. Le Seigneur des Anneaux.
 

[aragorn_479] - Sérieux. Arrêtez de poser des questions. J’aimais bien Red Dog quand j’étais petite.

 
[ayan] - hum okay, Spiderman.

 
[jumeauFléan_53] - Princess Bride.

 
[asdf] - pk ? Star Wars III.
 

[Loran Grimnar] - Star Trek II :  La Colère de Khan.
 

[Rose] - Interstellar ? Pas mon préféré préféré mais…
 

[50fiftycents] - alien. Meilleur film du monde.
 

[plusUn] - independence day ou godzilla
 

[Carapuce344] - Naruto : La voie du ninja !
 

[Guerrier Niveau12] - Retour vers le Futur
 

[batman] - BATMAN ! THE DARK NIGHT BITCHES !
 

[plusUn] - tout ce que tu dis me donne l’impression d’avoir le cancer. Matrix.
 

[Kent Scott] - Spiderman était également mon film préféré.
 

[BlackMage] - Prophète ?
 

[Prophète] - La seule Vérité est la volonté de Dieu, pas les plaisirs mortels.
 

[Groupe Américain] - On a besoin de savoir.
 

[aragorn_479] - Dis-nous.
 

[Prophète] - Avant d’entendre sa Voix et de Renaître je regardais des films tels que les Dix Commandements. Est-ce ce que vous désirez savoir ?

 
[BlackMage] - Oui, merci.
 

[Groupe Américain] - Je vois.
 

[aragorn_479] - Compris.
 

[ayan] - vous parlez de quoi ptn ?
 

[BlackMage] - Hey Kent Scott, question rapide. Quel est le vrai nom de Spiderman ?
 

[plusUn] - quoi ?
 

[ayan] - t’es srx là ?
 

[aragorn_479] - Que personne d’autre ne réponde.
 

[Kent Scott] - Très intelligent.
 

[Loran Grimnar] - Qu’est-ce qu’il se passe ?
 

[BlackMage] - Qui que soit “Kent Scott”, il n’est pas de notre monde. Comment as-tu eu cet iPhone ?

 
[ayan] - omg

 
[batman] - spamm !
 

[aragorn_479] - Qui es-tu ?
 

[Kent Scott] - J’ai trouvé cet appareil par accident.
 

[aragorn_479] - Tu dis de la merde. Comment as-tu trouvé le mot de passe ?
 

[Guerrier Niveau12] - putain c’est vrai ça
 

[Kent Scott] - Hahaha. Bien joué.
 

[Groupe Américain] - Est-ce que tu as tué le vrai Kent Scott ?
 

[BlackMage] - LES GENS. Le mage avec qui je suis me dit que votre NOM et PRÉNOM peuvent avoir été utilisés pour vous scruter ! Il sait où vous êtes et à quoi vous ressemblez !

 
[ayan] - omg omg omg

 
[50fiftycents] - MERDE.
 

[Loran Grimnar] - Est-ce que c’est toi qui a fait tout ça ? QUI ES-TU ?
 

[Kent Scott] - Un seul groupe pourrait réussir à faire un sortilège qui atteigne l’autre bout du monde. Toi, BlackMage, es à l’Académie Wistram.

 
[BlackMage] - Tout le monde, déconnectez-vous tout de suite. Ce n’est pas sécurisé.

 
[plusUn] - mais on a besoin d’aide !

 
[asdf] - Aidez-nous S’IL VOUS PLAÎT ! ON VA MOURIR !!!!!!!!!!

 
[Groupe Américain] - On ne peut rien faire pour le moment. NE RÉPONDEZ PLUS AUX APPELS. Tous ceux qui ont dit leurs noms, soyez PRUDENTS.
 

[BlackMage] - Déconnectez-vous MAINTENANT. Quelqu’un essaie de prendre le relai sur le sort en ce moment même !



[Utilisateur BlackMage s’est déconnecté]
 
[14 Utilisateurs connectés]


[Utilisateur batman s’est déconnecté]
 
[13 Utilisateurs connectés]


[Utilisateur Guerrier Niveau12 s’est déconnecté]
 
[12 Utilisateurs connectés]



[Utilisateur 50fiftycents s’est déconnecté]
 
[11 Utilisateurs connectés]



[Kent Scott]
- Je ne vous veux aucun mal. Je vais vous protéger.
 

[asdf] - aidez-nous s’il vous plaît
 

[plusUn] - non il va te tuer. ne dis rien


[aragorn_479] - DÉCONNECTEZ-VOUS


[Utilisateur Prophète s’est déconnecté]
 
[10 Utilisateurs connectés]



[Utilisateur Loran Grimnar s’est déconnecté]
 
[9 Utilisateurs connectés]



[Utilisateur ayan s’est déconnecté]
 
[8 Utilisateurs connectés]




[Utilisateur asdf s’est déconnecté]
 
[7 Utilisateurs connectés]



[Utilisateur Rose s’est déconnecté]
 
[6 Utilisateurs connectés]




[Utilisateur Groupe Américain s’est déconnecté]
 
[5 Utilisateurs connectés]



[Utilisateur plusUn s’est déconnecté]
 
[4 Utilisateurs connectés]



[Utilisateur Carapuce344 s’est déconnecté]
 
[3 Utilisateurs connectés]



[Utilisateur aragorn_479 s’est déconnecté]
 
[2 Utilisateurs connectés]


[Kent Scott]
- Eh bien eh bien. Que c’est ennuyeux. Est-ce que je peux te persuader de rester, doubleTrouble_53 ? Je ne te veux aucun mal.
 

[doubleTrouble_53] - Menteur. Et tu ne parles plus à jumeauFléau.
 

[Kent Scott] - Ah. Quelqu’un d’autre ?
 

[doubleTrouble_53] - Je suis Flos.

 
[Kent Scott] - Eh bien. Je m’inclinerais devant toi si j’avais des jambes.
 

[doubleTrouble_53] - Dis-moi ton nom, voleur.
 

[Kent Scott] - Je ne suis personne. Certainement pas quelqu’un capable de déranger le roi endormi.
 

[doubleTrouble_53] - Je ne dors plus. Et je te transmets par la présente un avertissement, voleur. À toi et à Wistram et à tous les mages qui se terrent derrière leurs sortilèges et leurs portes closes. Sachez que moi, Flos, suis de retour. Que tremblent ceux qui souhaiteraient s’opposer à moi, car tout ce que je verrai deviendra mien. Je viendrai vous retrouver et briser vos tours de lâches et démasquer ceux qui chercheront à se cacher.
 

[doubleTrouble_53] - Je suis Flos.
 

[doubleTrouble_53] - Je suis de retour.
 

[Kent Scott] - Alors laissez-nous contempler ce que le Roi de la Destruction apportera. Jusqu’à ce jour...


[Utilisateur Kent Scott s’est déconnecté]
 
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[L’utilisateur 伶央 a rejoint la conversation]
 
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[伶央]
– こんにちわ.

[伶央] – だれかいますか?
 
[Utilisateur 伶央 s’est déconnecté]
 
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Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 20 juillet 2020 à 14:39:32

2.00

Traduit par EllieVia

Lorsque la voyageuse arriva à l’auberge, aucune lumière n’y brillait. Non… pour commencer, ce n’était pas vraiment une voyageuse. Elle était Coursière, ce qui n’avait rien à voir.
 
Et elle n’était pas perdue.   Et elle n’avait pas non plus décidé d’aller à l’auberge pour se reposer ou manger ni même pour assouvir un besoin pressant de se soulager.
 
Elle avait juste besoin de se poser pour réfléchir.
 
Ryoka ouvrit précautionneusement la porte de bois et s’arrêta un instant pour laisser ses yeux s’accoutumer. L’auberge était sombre. La salle commune était plongée dans une pénombre presque identique à celle de la prairie, dehors, et une unique bougie illuminait l’une des tables.
 
La lumière vacilla, faisant danser les ombres, lorsque l’ouverture de la porte troubla la flamme solitaire. Ryoka observa la pièce. L’ambiance y était très particulière, et elle était déterminée à ignorer ce point. Ce n’était pas parce qu’une chose avait l’air flippante qu’elle l’était vraiment.
 
“Bonjour ?”
 
Héla prudemment Ryoka en entrant dans l’auberge. Elle regrettait déjà d’être revenue. Elle n’avait pas prévu de rester ici - à l’Auberge Vagabonde. Pour tout dire, elle s’était fermement engagée à courir toute la nuit plutôt qu’avoir affaire aux aubergistes insupportables qui faisaient des commentaires sur ses pieds nus.
 
À peine quinze minutes plus tôt, Ryoka avait été au désespoir, exténuée, et pleine de colère et de haine dirigée contre tout et n’importe quoi. Elle n’aurait pas posé les pieds dans cette auberge même s’il s’était agi du Taj Mahal.
 
Enfin, si ça avait été le Taj Mahal, peut-être que si. Mais l’auberge délabrée était loin d’être un hôtel cinq étoiles, et Ryoka s’était sentie prête à la laisser derrière elle et poursuivre sa course.
 
Mais ça, c’était quinze minutes plus tôt.
 
Beaucoup de choses peuvent arriver en quinze minutes. Ryoka baissa les yeux sur l’iPhone qu’elle tenait entre ses mains et éteint l’écran avant de le ranger dans sa poche. Effrayer l’aubergiste avec son téléphone n’était pas une bonne idée.
 
S’il y avait seulement un aubergiste. La bougie indiquait que quelqu’un vivait ici, mais Ryoka ne voyait ni n’entendait personne s’agiter depuis qu’elle avait dit bonjour.
 
Bon. Entrer ou partir ? Ryoka détestait ce genre de dilemme .Elle détestait devoir avoir affaire aux gens, d’ailleurs. Mais elle avait vraiment, vraiment besoin de s’asseoir quelque part et de digérer tout ce qui venait de se passer. Et elle était fatiguée. Ils étaient tous morts. Elle pouvait courir, mais elle ne pourrait pas échapper à ce qui venait de se passer.
 
Donc elle avança dans l’auberge, et appela de nouveau.
 
“Il y a quelqu’un ici ?”
 
C’était le genre de question classique qui méritait une mort instantanée si elle explorait une maison abandonnée ou qu’elle cherchait des monstres. Comme elle cherchait un aubergiste, il y avait probablement peu de danger.
 
Toujours pas de réponse. Ryoka fronça les sourcils. L’aubergiste était-il sorti ? C’était possible, mais elle aurait pensé qu’une serveuse ou quelqu’un d’autre serait resté à l’auberge. Ou au moins, qu’il aurait fermé la porte.
 
Un sombre soupçon traversa l’esprit de Ryoka et elle s’arrêta net pour scruter la pièce vide. Trouver une auberge déserte pouvait vouloir dire que cette dernière avait été vidée par quelque chose, et récemment. Un monstre s’était-il faufilé à l’intérieur ? L’auberge était proche de Liscor, et Liscor avait subi une attaque récemment. Si un monstre isolé avait réussi à venir jusqu’ici…
 
Elle n’était pas armée. Ou du moins, elle n’avait rien qui soit mieux que ses mains et ses pieds. Mais elle avait de la magie. Un sort, pour être plus précise.
 
“[Lumière].”
 
Ryoka sentit quelque chose la quitter alors qu’une orbe chatoyante de lumière blanche se mettait à léviter au-dessus de sa main, éclairant brutalement les détails de la pièce en faisant fuir les ombres.
 
Elle regarda autour d’elle, guettant les mouvements ou les formes tapies derrières les tables ou les chaises. Il n’y avait rien.
 
La pièce était vide. Les yeux de Ryoka se dirigèrent vers les escaliers, puis vers la porte derrière le bar. Elle serra le poing.
 
Elle n’avait jamais rien tué. Jamais - sauf peut-être un Gobelin. Mais quelque chose avait attaqué Liscor pendant ses quatre jours d’absence. Quelque chose.
 
Les morts-vivants. Ryoka s’imaginait des zombies traînant des pieds en grognant et en mâchonnant des cerveaux, mais cette vision ne pouvait pas expliquer la dévastation qu’elle avait vue dans la cité de Drakéides et de Gnolls. Des bâtiments entiers avaient été démolis, et les blessures qu’elle avait aperçues sur ceux qui n’avaient pas encore été soignées étaient…
 
Elle se figea soudain en entendant un bruit. Quelque chose…
 
Un son… un grognement à peine audible. Un grondement grinçant. Le cœur de Ryoka se mit à battre plus vite. Le bruit venait de la cuisine.
 
Elle se baissa et s’avança silencieusement vers la porte ouverte. Elle s’arrêta, l’oreille collée au mur, le cœur battant. Quelque chose était là-dedans. Quelque chose de gros, pour faire autant de bruit. Mais quelle qu’elle soit, la chose était endormie.
 
Ryoka recouvrit la boule de lumière d’une main et réfléchit. Avancer vers l’angle de la porte, jeter un œil pour voir ce que c’est, et s’éloigner. Si la chose se lançait à sa poursuite, elle pourrait atteindre la porte en une seconde.
 
Elle serra le poing. Instantanément, Ryoka se détendit, relâchant les mains pour se préparer à cogner. Elle compta jusqu’à trois dans sa tête. Puis, elle pénétra vivement dans la cuisine, les mains levées.
 
La pièce était plongée dans la pénombre. Ryoka remarqué immédiatement un millier d’éléments différents. Des placards, des couteaux, des couverts, des bols de terre cuite entassés, un seau d’eau, une cheminée vide et…
 
Une fille, endormie par terre.
 
Ryoka regarda fixement cette dernière. La fille était étendue sur le sol de la cuisine, emmitouflée dans un tas de draps et de couvertures. Elle ronflait plutôt fort, inconsciente de la présence de Ryoka. Elle ouvrit la bouche et grogna, ou peut-être rota. Le son ne paraissait pas approprié pour sa taille.
 
Ryoka baissa les poings. Elle dévisagea la fille endormie pendant quelques secondes. Puis elle se claqua le front, fort.
 
Le claquement de la chair contre la chair fit immédiatement se redresser la fille allongée par terre. Ryoka bondit en arrière alors que la fille regardait autour d’elle d’un air éperdu.
 
“Je suis levée ! Cavalier en F3 !”
 
Elle essaya de se relever, entortillée dans ses draps, et bascula en avant. Elle roula et se redressa. C’est à ce moment-là qu’elle aperçut Ryoka.
 
“Oh !”
 
Pendant un instant, la fille resta bouche-bée, puis elle se débattit pour sortir de ses draps. Ryoka hésita à venir l’aider, puis décida de la laisser se lever toute seule.
 
Quand elle fut enfin debout, Ryoka se retrouva face à face avec une fille proche de son âge. Elle était plus petite - plus petite que Ryoka, qui était grande - et avait une peau pâle, des yeux noisette et un soupçon de reflets orange dans ses cheveux châtain clair.
 
Elle cilla en dévisageant Ryoka. Ryoka lui rendit son regard. La fille ouvrit la bouche, regarda autour d’elle, puis lui adressa un sourire forcé.
 
“Hum. Salut ?”



***



Elle avait juste voulu se poser une minute. Et puis… eh bien, elle s’était réveillée, et avait décidé que ce serait mieux de se poser cinq minutes dans un lit, ou du moins ce qui lui servait de lit. Erin s’était donc dirigée vers ce qui lui servait de lui, dans la cuisine. Ce n’était pas comme si quiconque était venu à l’auberge aujourd’hui et Klbkch et le reste étaient occupés. Elle avait envoyé Toren récolter des fruits bleus, rapporter de l’eau et de manière générale rester hors de son chemin, donc quel mal pouvait-il y avoir à se faire une sieste de trente minutes ?
 
Mais d’une manière ou d’une autre, la petite sieste d’une heure d’Erin s’était transformée en grosse sieste et elle se retrouvait à présent au crépuscule, avec la tête terriblement embrumée, les membres raidis et une fille debout devant elle.
 
Erin la dévisagea. Elle avait une hôte. Une grande hôte. Une hôte humaine.
 
La personne qui l’avait réveillée était grande. Elle avait des cheveux noirs, des yeux marrons - elle avait l’air Asiatique. Mais elle était grande, aussi, ce qui n’était pas courant. Et elle avait une orbe magique en train de flotter au-dessus d’une main mais Erin ne pouvait gérer qu’une dose limitée d’excitation à la fois.
 
Elle avait vraiment, vraiment envie de lui dire “konnichiwa, mais elle s’en empêcha, avec difficulté. Sa deuxième envie était de dire “ni hao ou peut-être ‘anyoung haseyo, mais elle était à peu près convaincue qu’elle allait mal prononcer les trois formules.
 
Erin pouvait dire bonjour dans la plupart des langues, bien que ce soit à peu près toute l’étendue de ses compétences linguistiques. Elle pouvait dire “échec et mat” et “échec” dans presque toute les langues, par contre. C’était grâce à ses nombreuses parties contre et joueurs étrangers en ligne et lors de rencontres internationales. Elle connaissait également par conséquent beaucoup de gros mots, bien qu’elle n’ait aucune idée de leur signification. De manière générale, elle en savait juste suffisamment pour se baisser avant que son adversaire ne renverse la table.
 
Mais les traits de la grande fille étaient incroyablement Asiatiques, et cette impression était encore renforcée par le fait que c’était la première personne non-Européenne, non-recouverte de fourrure ou d’écailles qu’Erin avait croisée dans ce monde.
 
“Hum, salut.”
 
Parler des langues étrangères n’avait pas trop marché avec Ceria, donc ça n’allait probablement pas marcher ici non plus. Erin agita faiblement la main pour saluer la fille qui recula d’un pas.
 
“...Mm.”
 
Est-ce qu’elle lui avait dit bonjour ou est-ce qu’elle s’était contentée de grogner ? La fille examina le reste de la cuisine sombre alors qu’Erin cherchait d’autres choses à dire que “laisse-moi tranquille j’essaie de dormir”. Bon. Elle était réveillée et elle avait… une cliente.
 
Erin avait été serveuse pendant deux semaines pour un job d’été. C’était à peu près sa seule expérience du monde du travail si l’on exceptait le moments où elle avait arbitré des tournois d’échecs. Et ce n’était pas du travail, c’était… des échecs.
 
Mais elle avait la forte impression que s’endormir pendant les heures de travail n’était pas un comportement acceptable. Même si elle était propriétaire de l’auberge. Elle tenta de nouveau :
 
“Salut.”
 
La fille se contenta de ma dévisager. Erin se plaqua son plus beau sourire sur le visage et agita la main.
 
“Désolée. Hum. J’étais endormie. Comment puis-je vous aider ?”
 
“C’est bien une auberge ?”
 
“Quoi ? Oh. Oui ! Oui, c’est bien une auberge !”
 
Erin agita vaguement la main en essayant vainement de faire oublier le fait que la moitié de l’auberge était encore dévastée par la bataille avec les morts-vivants deux jours plus tôt. La fille la regarda fixement.
 
“Et tu es... l’aubergiste ?”
 
L’aubergiste sourit d’un air nerveux.
 
“Oui ? Je veux dire, oui. Est-ce que… est-ce que tu veux manger quelque chose ? Dormir ici ?”
 
“Manger quelque chose.”
 
“Bien, bien ! Par ici.”
 
Erin guida la fille à la salle commune. La fille s’assit et Erin resta plantée là, mal à l’aise. Un moment plus tard, la fille leva les yeux.
 
“Est-ce qu’il y a un menu ?”
 
“Un menu ?”
 
Erin cilla en regardant la grande fille. Puis elle se remit à paniquer. Le menu. Oui. Elle ne l’avait jamais vraiment terminé…
 
“Hum, c’est juste ici.”
 
Elle pointa un doigt vers le panneau et grimaça lorsque sa cliente tourna les yeux vers le menu composé de trois choix.
 
Pâtes avec saucisses et oignons - 3 pc l’assiette
 
Jus bleu - 2 pc l’assiette
 
Mouches acides - 1 pa l’assiette

 
“... des mouches acides ?”
 
“Ce sont, euh, de vraies mouches. Je les ai vidées de leur acide mais euh…”
 
“Qu’est-ce que le jus bleu ?”
 
“C’est très sucré ! C’est comme du jus d’orange… je veux dire, ça ressemble à de l’orange mais plus proche de la myrtille. Plus sucré. C’est une bonne boisson !”
 
Erin se demanda si elle devait mentionner le fait qu’elle avait appris à faire d’autres plats. Elle pouvait faire de la soupe ! Elle appelait ça la soupe fourre-tout, comme elle se contentait principalement de jeter des ingrédients dans la marmite en se fiant à sa compétence de [Cuisine élémentaire]. La plupart du temps, c’était comestible.
 
“Je peux, euh, faire du lard avec des œufs. Ou… ou du jambon. On a du jambon et de la salade si tu en veux…”
 
“Les pâtes, ce sera très bien. Je vais prendre ça et un verre de jus… bleu.”
 
“D’ac, ça marche !”
 
Erin sourit. La fille ne lui rendit pas son sourire.
 
“Je, euh, je vais aller te chercher ça.”
 
Elle avait beaucoup de jus bleu mais pas beaucoup de verres. Erin en avait jeté la plupart sur les morts-vivants, ça et le reste de ses objets lourds. Elle finit par en trouver un en bon état et le lava avant de le remplir de jus.
 
La fille était toujours assise à sa table. Elle leva les yeux en voyant Erin arriver mais ne décrocha pas un mot tandis qu’Erin posait le verre et les couverts devant elle. Erin tenta un nouveau sourire, mais le visage de la fille aurait pu être sculpté dans la glace. Elle décida de tenter le tout pour le tout et se présenta.
 
“Je suis Erin, d’ailleurs. Erin Solstice.”
 
“Mmh.”
 
Erin patienta, mais le nom de la fille n’avait pas l’air d’être près d’arriver. Elle baissa les yeux sur la table, sans même toucher à son verre. Elle regarda avec attention le grain du bois, mais semblait perdue à des milliers de kilomètres de là.
 
Elle était très silencieuse. Erin espérait que ce n’était pas parce qu’elle avait prévu de l’assassiner avec une des fourchettes.
 
***

Le monde, c’est de la merde. Toute chose n’est qu’un immonde tas d’ordures. Mais évidemment, ordure n’est pas un mot suffisant, n’est-ce pas ? La mort et le désespoir règnent sur tout. Ça en a toujours été ainsi et c’est comme cela que ça restera.
 
Parfois, les jours sont comme ça. J’ai déjà ressenti ça. La dépression noire. La colère. Facile de le dire, mais le vivre ?
 
À chaque fois, j’oublie. Chaque fois. J'oublie à quel point ce putain de monde est tordu et je me détends. Et c’est là qu’il me frappe. Ce serait tellement plus simple si je n’avais pas d’espoir. Si j’étais tout simplement…
 
“Hum. Est-ce que le jus te convient ? J’ai de l’eau si tu veux. Bouillie.”
 
Je lève les yeux. La fille est encore là. Erin ? Elle est agaçante. Ce serait facile de me contenter de lui jeter le jus à la figure et de lui donner des coups de pieds jusqu’à ce qu’elle arrête de parler.
 
Une fine ligne rouge. Je crois que c’est la seule chose qui me sépare de la folie, parfois. Et un jour, peut-être, elle disparaîtra et je deviendrai folle. Elle s’est déjà brisée une fois. J’ai blessé mes amis. Et maintenant ils sont morts.
 
Pas ma faute. Bien sûr. Ils sont allés dans les ruines. C’était leur faute, et la culpabilité n’est qu’une étape du processus de deuil. Je sais ça. Je n’aurais probablement rien pu faire. Ils étaient morts des jours avant que je ne sois même proche de Liscor. C’est juste que ça fait mal. Plus que quoi que ce soit que j’aie pu ressentir depuis des années.
 
J’aurais aimé…
 
avoir été avec eux.
 
“Hum ? Excuse-moi ?”
 
Je lève les yeux. Oh. C’est vrai. Elle m’a posé une question au sujet de ma boisson.
 
“C’est très bien. Merci.”
 
Je ne suis pas en colère contre l’aubergiste. Je suis juste incapable de parler avec elle ou avec n’importe qui d’autre en ce moment. Comment le pourrais-je ? Les Cornes d’Hammerad. Gerial. Ceria. Calruz. Sostrom.
 
Ils sont tous morts. Je n’ai jamais pu leur dire au revoir.
 
Heureusement, l’aubergiste finit par me laisser tranquille. Elle est bizarre. Une jeune fille perdue loin de la ville ? Enfin, pas si loin que ça mais tout de même. Comment fait-elle pour survivre ? Est-ce que j’en ai seulement quelque chose à faire ?
 
J’essaie de penser à quelque chose, n’importe quoi, qui ne soit pas les visages des morts qui continuent à me hanter. J’essaie de les ignorer, mais je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qui aurait pu être et de regretter la manière dont les choses se sont passées. Si j’avais été avec eux, est-ce que j’aurais réussi à repérer le piège ? Est-ce que j’aurais pu courir chercher de l’aide ? Si j’avais été là, si je ne m’étais pas enfuie. Si je n’avais pas été une aussi sombre idiote et que je n’avais pas cherché la bagarre…
 
Sans réfléchir, je prends une gorgée dans le verre posé devant moi et manque m’étouffer. C’est  sucré ! C’est sucré et plein de pulpe, et le goût…
 
Le goût est délicieux. Pas comme la merde alcoolisée que je dois boire dans chaque taverne. Ça a un goût de jus d’orange mélangé à un smoothie à la myrtille auquel on aurait ajouté un sirop de maïs à haute teneur en fructose. Toutes ces bonnes choses que j’adore détester.
 
Ça a un peu le goût de la maison.
 
Juste un peu. Mais j’en prends une autre gorgée et la douceur me fait du bien. Ce n’est pas comme la crème glacée que j’ai mangée chez Magnolia. C’est juste du bon vieux jus, et ça fait du bien.
 
“Un autre verre ?”
 
Je manque faire une crise cardiaque. Cette fille ne fait vraiment aucun putain de bruit. Mais… pourquoi pas ?
 
“Carrément. Combien pour un pichet ?”
 
Elle cligne des yeux. Elle ne met même pas de prix pour ses boissons ? Bon.
 
J’ouvre mon sac de coursière et fouille dedans. J’ai encore quelques pièces d’or et quand je lui en tends une ses yeux s’écarquillent.
 
“Hum…”
 
“Prélève le prix de ce que je prendrai là-dessus. Je vais prendre un pichet de jus bleu.”
 
“Du jus bleu ? Un pichet ? Je t’amène ça tout de suite.”
 
Hah. Ça a marché. L’argent se balade et parle et règle tous les problèmes. Même les aubergistes collantes. Bon, elle risque d’essayer de m’arnaquer mais baste. Je n’ai pas besoin de cet argent. À quoi pourrait-il bien me servir ?
 
Le jus bleu arrive dans un pichet tellement rempli que c’en est satisfaisant. Il y en a suffisamment pour que je m’y noie ou que je pisse toute la nuit mais vous savez quoi ? Je m’en fous. Je remplis mon verre et le sirote tandis que l’aubergiste retourne dans sa cuisine pour faire quelque chose qui implique beaucoup de bruits de casseroles et de jurons étouffés.
 
Je me frotte le visage. Une boisson sucrée. Ça ne devrait pas aider, et pourtant si. Immensément. J’ai vécu principalement avec de l’eau et des rations sèches pendant les derniers… ça doit faire huit jours. Pas vraiment le top, mais j’ai vu pire.
 
Mais ça aide un peu. Un petit peu. Et ça relance un peu mon cerveau, ça me sort de la spirale de culpabilité. Les Cornes d’Hammerad peuvent attendre. Ça fait mal, mais ils ne sont plus là. Ça a beau être affreux, il faut que je réfléchisse à quelque chose d’autre en priorité.
 
L’appel. Au nom de toutes les divinités inexistantes, qu’est-ce que c’était que ça ? Je…
 
Tout a changé. Je le sens. Ce monde est différent à présent, et les enjeux sont soudain devenus beaucoup plus élevés que ma pauvre vie. Quelqu'un a pénétré dans le petit château de sable qu’est ma compréhension de ce monde et y a donné un putain de bon coup de pied.
 
Il y a d’autres gens que moi dans ce monde. De mon monde, je veux dire. Il y a d’autres voyageurs interdimensionnels, d’autres gens venus de la Terre*.


* Enfin si on part du principe que les gens d’ici n’appellent pas cet endroit la Terre, évidemment. Arrête de t’attarder sur ce point. Je sais ce que je veux dire.
 
Ce forum. Un… un Messenger magique ? Comment c’est possible ?
 
Bah, c’est de la magie, duh. Concentre-toi ! Réfléchis. Essaie de réfléchir sur ce qui vient de se passer.
 
Déjà, c’est bien que j’aie eu l’habitude de lire les commentaires YouTube ou je n’aurais pas été capable de me transformer en un adolescent de treize ans égoïste à la grammaire délirante. [batman] était un bon alias, mais je me suis probablement vendue vers la fin. C’est sans importance : il fallait le faire.
 
Tout d’abord. Quelques éléments m’ont frappée pendant cette conversation. Et en particulier ?
 
Kent Scott. Qui que soit cette personne, il n’était pas de notre monde. Il… cherchait des informations. Noms et prénoms. Personne d’autre n’a semblé comprendre, mais grâce à Teriarch je sais à présent qu’il essayait de lancer un sort de [Scrutation].
 
Et il a obtenu trois noms. Ou était-ce deux ? Dans tous les cas, ça ne sent pas bon. Est-ce qu’il peut se téléporter directement vers eux ? Est-ce qu’il existe vraiment un sort pour ça ? Mais s’il connaît leurs noms, ces gens ne pourront se cacher nulle part dans ce monde, non ?
 
Qui est-il ? Il se faisait appeler Kent Scott, ce qui veut dire qu’il a soit torturé ou tué le véritable Kent Scott. Mais que sait-il exactement, dans ce cas ? Assez pour traquer le reste d’entre nous ? Pourrait-il avoir déterminé nos positions grâce au forum magique ? Et si c’est le cas…
 
“Oh, au fait, juste pour te dire que les pâtes seront prêtes dans une dizaine de minutes.”
 
L’aubergiste vient de sortir la tête de la cuisine. Bordel. Est-ce que j’en ai quelque chose à foutre ? Mais mon estomac gargouille. Traître de corps. Je hoche la tête. Elle est exactement le genre de personne avec qui je me sens mal à l’aise. Un peu trop amicale et pétillante et clairement plutôt distraite.
 
Bon, bon. Je pensais à quoi déjà ? Kent Scott. Une pièce du puzzle. Quoi d’autre ? Oh oui. Des héros invoqués ? Des gens avec une classe de [Héros] dont on n’a pas entendu parler depuis des siècles ? C’est bizarre. Est-ce qu’on aurait pu être invoqués un peu comme une sorte de… de sous-produit de ce sort ? Des effets secondaires accidentels ?
 
Si c’était le cas, ça expliquerait pourquoi je suis apparue de nulle part comme ça? Mais ce type était un [Chevalier] de niveau 26. Est-ce que c’est rapide comme prise de niveaux ? On dirait bien étant donné que Calruz n’était qu’autour du niveau 22. Donc un type qui est arrivé il y a un mois ou deux a déjà dépassé en niveaux un Minotaure qui s’est battu toute sa vie N?
 
Bon sang. C’est de la triche ou quoi ? Mais comment…
 
“Est-ce que tu veux de la viande et des oignons dans tes pâtes ? Ou quelque chose d’autre ? Je peux changer la recette si tu veux.”
 
Mais on s’en fout de… contente-toi de répondre.
 
“C’est très bien. Merci.”
 
J’essaie de réfléchir. Ignore cette idiote d’aubergiste. Réfléchis. IL y a aussi le fait que la plupart des gens dans ce forum étaient Américains, mais le sort a emporté des gens d’un peu partout dans le monde. Un Australien, quelqu’un originaire d’Angleterre.
 
Mais la plupart parlaient anglais. Est-ce que ça veut dire que ce sont majoritairement les nations anglophones qui ont été affectées ? Ou… ou est-ce que ça veut dire que ce sont surtout les Américains qui ont été affectés ? Si c’était un sort, est-ce qu’il n’a atteint qu’un certain rayon ? Si je pouvais récupérer la conversation sur mon iPhone j’en saurais plus, mais de mémoire, comme ça…
 
“Oups. J’ai oublié la cuillère.”
 
Une cuillère ? UNE CUILLÈRE ? Qui diable mange ses pâtes avec une cuillère ? La cuisine Italienne a survécu des siècles sans putains de cuillères.
 
… calme-toi. Elle essaie juste d’être serviable. Je la rends probablement simplement nerveuse. Je devrais sourire.
 
Mes lèvres tressaillent. Bon, ce ne sera pas pour cette-fois. Bon, bon. Simplement… qu’est-ce que ça signifie ? Me voilà plantée là, devant le premier élément qui pourrait expliquer comment je suis arrivée ici, et déjà une menace sérieuse. Je dois anticiper ce qui va se passer ensuite. Est-ce que j’essaie de prévenir quelqu’un ? Qui ? Magnolia pourrait être tout aussi dangereuse. Mais Wistram… c’est là que se trouve [MageNoir]? Je crois que c’est l’île des mages. Est-ce qu’ils pourraient aider ? Est-ce qu’il va encore tenter d’appeler, ou est-ce qu’il se dira que c’est trop risqué ?
 
Et… oh mon dieu la voilà qui revient.
 
***

Le regard impassible sur lequel tomba Erin en rentrant dans la salle commune était pour une raison inconnue pire que de se faire dévisager par les Antiniums. Au moins, ils avaient l’excuse d’être des insectes. Son hôte était juste… flippante. Et silencieuse.
 
Quand elle dit à la fille qu’elle allait allumer un feu, elle n’avait eu qu’une espèce de soupir en réponse. La grande fille se remit à regarder fixement sa table en buvant du jus bleu et Erin plaça une bûche dans la cheminée et essaya d’allumer un feu.
 
Elle y parvint au bout de deux essais, tout en essayant d’ignorer le regard fixé à l’arrière de sa tête. Être observée était une sensation désagréable, irritante.
 
L’autre fille baissa les yeux lorsqu’Erin se retourna. Mais elle avait été en train de la regarder, Erin en était sûre. Elle était juste tellement silencieuse. Et hostile. Ça la tuerait de dire trois mots ?
 
Mais qui disait qu’un client devait être gentil ? Si elle ne souhaitait pas discuter, Erin pouvait se contenter de la servir et d’attendre qu’elle parte.
 
Mais quelque chose l’attirait chez cette fille. Elle était une cliente. Sa première hôte humaine… enfin, la première humaine qui ne soit pas un groupe d'aventuriers ou Pisces. Et Erin se sentait un peu seule. Elle n’avait pas parlé à un humain, un autre humain, depuis longtemps.
 
Donc elle se leva, s’approcha, et s’assit. La fille leva les yeux. C’était un regard froid, mais Erin l’ignora.
 
“Bon. Comment vas-tu ?
 
Yeux qui se lèvent, yeux qui se baissent. Au bout d’un moment, la fille leva de nouveau les yeux.
 
“Je vais bien.”
 
“Tu sais, on n’a pas encore vraiment discuté. Je m’appelle Erin. Et toi ?”
 
Cette fois-ci, la fille n’aurait d’autre choix que de répondre ou… ou Erin la laisserait tranquille, sans doute. Mais son hôte eut beau faire la moue, elle finit par répondre.
 
“... Ryoka. Je suis une Coursière.”
 
Erin s’accrocha à cette phrase avec gratitude.
 
“Oh ! Une Coursière ! La plupart de mes victuailles sont livrées par un Coursier. Il vient tous les jours de la ville. Tu fais des trucs du genre, c’est ça ?”
 
L’œil gauche de Ryoka tressauta.
 
“Non. C’est un Coursier des Rues.”
 
“Oh ?”
 
“Je suis une Coursière de Ville.”
 
“Ah.”
 
Erin ne savait pas quoi répondre à ça. Elle avait vaguement dans l’idée” qu’il y avait une différence entre les deux d’après ce que lui avait dit Krshia mais rien de plus. Et ma conversation était en train de s’embourber.
 
“C’est cool. Du coup j’imagine que tu voyages beaucoup ?”
 
“Un peu.”
 
Erin se força à sourire. Peut-être qu’il était temps d’abandonner et d’aller chercher les pâtes. Mais elle se devait de faire une dernière tentative.
 
“Tu sais, quand j’ai vu l’orbe de lumière scintillante je me suis dit que tu devais être une espèce d’aventurière.”
 
“Non. Je connais juste la magie.”
 
“Oh, d’accord. Je, euh, je connaissais des aventuriers, aussi.”
 
“Vraiment ?”
 
Le ton de la fille était glacial. Pas juste glacé, plutôt proche de l’Antarctique.
 
“Ouais, mais ils sont morts. Il y a quelques jours, en fait.”
 
Erin avala la boule qui s’était coincée dans sa gorge. Elle ne vit pas la fille lever les yeux.
 
“Qui est-ce que tu connaissais ?”
 
“Oh, juste un groupe d’entre eux. Ils étaient gentils, mais ils se sont fait tuer quand…”
 
“Qui ?”
 
Erin leva les yeux. Le regard de Ryoka était fixé sur elle, intense. Pour la première fois, Erin se dit que la fille la regardait, la regardait vraiment.
 
“Qui ?”
 
“Les Cornes d’Hammerad.”
 
***

Je ne crois pas au destin. Si j’y croyais, je passerais mon temps à me rebeller contre lui. Et je ne crois pas en le fait de parler avec des gens de manière générale.
 
Mais là…
 
“Donc je l’ai appelé tête de bœuf après ça. Tête de bœuf, Mr Vache, Capitaine Mamelles… mais je ne crois pas qu’il ait vraiment compris ce dernier.”
 
“Tu n’as pas fait ça.”
 
La fille assise devant moi, Erin Solstice, sourit et éclate de rire.
 
“D’accord, je ne lui ai pas donné tous ces surnoms. Juste Tête de bœuf. Mais ça l’a vraiment énervé. On voyait presque la vapeur s’échapper de ses oreilles !”
 
Je ne devrais pas, mais je ris. Calruz est mort, et se moquer de lui est mal. Mais ça…
 
C’est parler de qui il était. Ce qu’il faisait. Et les histoires que me raconte Erin sont importantes. Précieuses.
 
Beaucoup de choses peuvent se passer en quinze minutes. On peut se rendre compte qu’on a plus de choses en commun avec quelqu’un qu’on ne l’aurait pensé, par exemple. Quinze minutes. Assez de temps pour manger trois assiettes de pâtes, boire du jus bleu, discuter…
 
Et apprendre que les Cornes d’Hammerad ont dormi à cette auberge la nuit avant leur mort. Assez de temps pour entendre parler de leurs derniers instants de la bouche de l’aubergiste qui leur a servi leurs repas.
 
Je suis heureuse qu’ils soient venus ici. Je suis heureuse d’avoir changé d’avis et décidé de rester. Parce que contre toute attente, je me sens mieux. Grâce à mon ventre bien rempli de nourriture chaude et à une conversation…
 
Eh bien, drôle, en fait.
 
“Tu l’appelais vraiment comme ça ? Tête de bœuf ?”
 
“Oui ! Quoi, tu ne me crois pas ? Ceria s’était mise à l’appeler comme ça aussi jusqu’à ce qu’il lui jette le contenu de son verre à la tête.”
 
Je ris, encore. Je ne peux pas m’en empêcher. J’ai écouté Erin me conter des histoires des Cornes d’Hammerad, mais, je ne sais comment, elle a réussi à me faire lui raconter comment je les ai rencontrés. C’est tellement bizarre. Mais j’ai envie de parler d’eux.
 
“Donc tu les as rencontrés pendant une livraison de potions de soin, c’est ça ? Ça a l’air plutôt dangereux.”
 
En effet, très dangereux. Esquiver des sorts d’une Liche est probablement l’une des choses les plus stupides que j’aie jamais faites, et la liste est longue. Je hausse les épaules.
 
“C’était risqué, mais ça fait partie du boulot.”
 
“Aucun des Coursiers du coin de fait des trucs comme ça. Ils se contentent de livrer des trucs en ville et à mon auberge. Mais j’imagine que c’est ça d’être coursière de ville, hein ?”
 
“Ouaip.”
 
Je veux continuer de parler des Cornes de Hammerad. Mais Erin est penchée par-dessus la table, les yeux brillants de curiosité.
 
“Ça ressemble à quoi, d’être une Coursière ? Est-ce que tu as mal aux pieds à force de courir partout ? Et combien on te paie ? Est-ce que tu vois beaucoup de choses intéressantes ?”
 
Bon, ça c’est la partie que je n’aime pas quand je discute avec des gens .J’ouvre la bouche pour une réponse fade. Qu’est-ce que je devrais répondre ? Courir, c’est dur, mais c’est sympa ? Ça peut être enrichissant, à condition d’y passer du temps ? Une réponse fade et inutile de ce genre de manière à pouvoir revenir au sujet qui m’intéresse.
 
Mais je m’arrête. J’hésite. Est-ce que je suis obligée de répondre ça ? C’est une phrase stupide qui ne voudra rien dire. Je déteste ce genre de conversation. Donc pourquoi est-ce que je devrais dire ça ?
 
Courir. Est-ce que c’est cool ? Parfois. Courir est chouette, mais être une Coursière ne l’est pas. Les rivalités mesquines, ma jambe éclatée, et la façon qu’ont les Coursiers d’avoir l’air encore plus lâches que les aventuriers… dur d’oublier ça.
 
Donc pourquoi ne pas lui dire ? Qu’a dit Louis C.K dans un de ses monologues ? Merde à la conversation ordinaire, au bavardage inutile. Parlons vraiment.
 
Qu’est-ce qu’il peut bien arriver de pire ? Je perds mes amis ? Je n’en ai aucun. C’est embarrassant ? On a déjà eu assez d’embarras ici pour remplir deux piscines.
 
Ce n’est pas moi. Je ne papote pas avec les gens. Je ne parle pas. Mais aujourd’hui…
 
Aujourd’hui c’est différent.
 
Donc je me mets à parler. Erin cligne des yeux lorsque je me mets à parler de la course, franchement, et sans lui épargner les détails.
 
“Tu t’es fait exploser la jambe ? Par un…”
 
Elle baisse les yeux sur ma jambe. On ne voit même pas les cicatrices. C’est la magie, ça.
 
“Et tu es allée dans les Hautes Passes ? C’est où ?”
 
“C’est l’autre entrée vers la partie sur du continent. Tu n’en as pas entendu parler ?”
 
“Je, euh, je ne connais pas trop la géographie locale. Ou la politique. Ou… quoi que ce soit.”
 
Huh. On dirait un peu moi. Je continue de parler. Je ne sais pas comment, mais elle me tire les mots de la bouche.
 
“Tu as combattu un Aventurier Argent ? À mains nues ? Pas croyable.”
 
Quand est-ce que j’ai dit ça ? Mon visage est en train de chauffer. Elle pense probablement que je suis en train de me vanter mais… Erin se penche au-dessus de la table, les yeux pétillants.
 
“C’est tellement… cool. Raconte-moi une autre histoire !”
 
Je cligne des yeux. Elle est tellement intéressée. C’est juste la vie pour moi. Et déprimant, en plus. Je me rappelle de ce qui s’est passé ensuite, de mes erreurs. Comment est-ce que je peux m’en sentir fière ? Mais alors, pourquoi ne pas expliquer ça ?
 
J’essaie, mais Erin secoue la tête. Son sourire disparaît et elle me regarde droit dans les yeux.
 
“Ce n’est pas grave. Je veux dire, ce n’est pas bien, mais j’ai fait pire. Bien pire… J’ai… un de mes amis est mort par ma faute.”
 
“Comment ça ?”
 
Pour une fois, je veux savoir. Erin hésite, puis soupire. Elle attrape le verre qu’elle a apporté et boit une longue gorgée. Je ne sais comment, mais on n’a plus de jus bleu et plusieurs assiettes vides sont étalées devant nous deux.
 
“C’est une longue histoire. Tout commence… eh bien, je dirais que tout commence avec les Gobelins.”
 
“Les Gobelins ?”
 
“Les Gobelins. Et il y a les mouches acides, tu sais, celles du menu ? Et des insectes qui parlent et… okay, tu crois aux Dragons ? Krshia - c’est une Gnolle - dit qu’ils n’existent pas, mais je te jure que j’en ai vu un.”
 
Erin se met à parler. C’est une histoire confuse, mais j’écoute, je pose les bonnes questions. Pas juste les bonnes questions. Les questions dont je veux savoir la réponse, les petits détails. Ce n’est pas une conversation ennuyeuse. Ce n’est pas un dialogue banal. C’est réel. C’est stimulant.
 
Elle connaissait les Cornes d’Hammerad avant qu’ils meurent. Elle était là. Et ce n’est pas juste une personne ennuyeuse. C’est quelqu’un.
 
C’est… étrange. Son histoire me gêne. Erin Solstice. Est-ce qu’elle… il y a quelque chose d’étrange dans son histoire. Mais je suis trop fatiguée pour réfléchir correctement. J’ai couru toute la journée et je suis fatiguée. Mais son histoire me titille. Il y a quelque chose, chez Erin. J’y réfléchirai plus tard.
 
“Est-ce que tu as déjà vu un Gnoll ? Ce sont des espèces de hyènes géantes qui peuvent s’énerver très fort. Et ils te reniflent. Beaucoup. Est-ce que tu en as déjà entendu un éternuer ? C’est tellement chelou.”
 
J’écoute. Et je souris. Ça fait mal parce que ça fait longtemps que je ne l’ai pas fait.
 
Mais je souris.
 
J’aimerais pouvoir rester.



***




“Je devrais y aller.”.
 
Ryoka avait dit cela avec réticence, mais il fallait que ce soit dit. Erin leva les yeux de la table et de la pile d’assiettes sales et regarda dehors. C’était la nuit. Minuit ou plus tard, et le ciel était d’un noir d’encre.
 
“Quoi ? Pourquoi ? Je peux te faire un lit. J’ai un tas de… enfin, toutes les chambres de l’étage sont libres. Et ce n’est pas très cher. Si tu veux…”
 
“Non.”
 
La fille avait répondu d’un ton sec, mais elle essaya d’adoucir son ton.
 
“Non. Je suis désolée. Merci, mais il faut que j’aille faire un truc.”
 
“Au milieu de la nuit ?”
 
“Il faut que je me remette à courir. C’est quelque chose qui ne peut pas attendre et ça va me prendre un jour et demi pour me rendre à ma destination.”
 
Le visage d’Erin se décomposa. Elle s’était si bien entendue avec Ryoka !
 
“Si tu es sûre. Mais la route est longue et tu as l’air fatiguée. Quelle différence une nuit peut-elle bien faire ?”
 
La volonté de Ryoka vacilla, elle était clairement déchirée. Mais elle finit par secouer la tête.
 
“Je dois… j’ai besoin de rentrer. Au Nord. À Celum. Il y a quelqu’un… quelqu’un à qui je dois parler. Quelque chose qu’il faut que je fasse, tout de suite.”
 
“Si tu es sûre…”
 
“Je suis sûre. Désolée.”
 
Erin soupira. Mais elle afficha un sourire sur son visage.
 
“Eh bien, d’accord. Mais si tu veux un autre repas un jour ou si tu es dans le coin…”
 
Ryoka hésita, puis sourit avec embarras.
 
“Je reviendrai. Mais il faut que j’y aille, à présent.”
 
Elle sortit quelque chose de sa poche et y jeta un œil.
 
“Huh. Ça tiendra quelques heures.”
 
Erin cilla en apercevant les deux écouteurs rouges que Ryoka venait de se fourrer dans les oreilles. Elle haussa la voix alors que Ryoka commençait à se retourner.
 
“Oh, hey. C’est un iPhone ?”
 
“Mm.”
 
Ryoka fit défiler les musiques sur l’écran, puis se figea. Erin continua de parler, inconsciente de ce qui était en train de se passer.
 
“Je ne suis pas très iPhone. J’avais un Android… enfin, mes parents me l’avaient acheté. Je n’aurais pas craint un iPhone… je m’en sers surtout pour jouer aux échecs et appeler des amis. Mais…”
 
L’autre fille était en train de la dévisager. Erin s’interrompit, mal à l’aise.
 
“Quoi ? J’ai un truc coincé entre les dents ?”
 
Puis elle s’arrêta. Les yeux d’Erin s’écarquillèrent lorsque ses oreilles rattrapèrent ce qu’elle était en train de dire. Elle dévisagea Ryoka.
 
“Oh mon dieu.”
 


Note EllieVia

Coucou tout le monde, je ne me suis pas encore présentée donc voici une brève description : je suis EllieVia, étudiante en biologie et traductrice à mes heures perdues (la nuit...), et nous alternons la traduction des chapitres de Wandering Inn avec Maroti depuis plusieurs mois (comme vous l'aviez peut-être remarqué.). Pour le moment, il n'a pas trop accès à internet, ni trop le temps de traduire, donc je vais poster ici le début de la traduction du tome 2 quand je le pourrai (je n'ai pas non plus énormément de temps libre en ce moment avec les recherches de thèses pour la rentrée). Le rythme de traduction normal reprendra à la fin de l'été :) !

En attendant, profitez bien de votre été et de la suite de l'histoire de Pirateaba !!
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 27 juillet 2020 à 19:59:29
2.01
Traduit par EllieVia

“Est-ce qu’on va dans la bonne direction ? Je crois qu’on est perdus.”
 
“Mm. Patience. C’est la bonne direction.”
 
“Tu en es sûre, Krshia ? Je pense qu’on est perdus. Toute cette herbe se ressemble pour moi.”
 
“Il n’y a pas de route, Selys. Nous devons croire que nous allons dans la bonne direction, oui ? Et ma mémoire n’est pas si mauvaise.”
 
“Mais il fait noir.”
 
“Si la commerçante dit que nous sommes au bon endroit, c’est que c’est la bonne direction. Et dans tous les cas, Klb et moi sommes venus ici des centaines de fois. C’est la bonne direction… pas vrai ?”
 
“Je pense, en effet. Je vous prie de prendre garde à ne pas tomber.”
 
“Oh. Hum, merci.”
 
“Il ne me semble pas que nous ayons été présentés de manière officielle. Je suis Klbkch des Antiniums Libres. J’ai cru comprendre que vous étiez une amie d’Erin Solstice ?”
 
“Moi ? Oui ! Je suis Selys. Je suis réceptionniste à la Guilde des Aventuriers. Je suis ravie de faire votre connaissance.”
 
“Permettez-moi de vous présenter mes collègues. Voici Relc, que vous connaissez déjà, il me semble. La Capitaine de la Garde, Zevara, s’est jointe à nous pour la soirée.”
 
“Selys. Krshia. Bonsoir.”
 
“Hm. C’est bien de voir que tu te portes bien.”
 
“Oh, salut, Cap’taine Zevara.”
 
“Et ceux-ci sont deux autres Antiniums de ma colonie. Pion, et Ksmvr.”
 
“Je suis Ksmvr. Permettez-moi de m’excuser pour les événements récents qui…”
 
“Ferme-la.”
 
“Silence.”
 
“... du coup, euh, Z. Pourquoi est-ce que tu es là ? Quand Klb m’a dit que tu venais, j’ai cru qu’il se payait ma queue.”
 
“Je voulais voir l’humaine qui a tué ce monstre. De plus, tu as tant parlé de cette maudite auberge que je me suis dit que j’allais y jeter un œil.”
 
“Eh bien, c’est… génial ! Tu vas adorer. Erin est géniale, pour une humaine. Tu verras.”
 
“Tu as dit que ce n’était qu’un sac à viande inutile après…”
 
Ahahahahaha ! Tu n’as pas dû bien m’entendre. Je n’ai jamais rien dit de pareil. Erin est une super humaine. Elle m’a confondu avec un dragon, tu sais.”
 
“Les humains sont incapables de différencier un lézard d’une salamandre. Inutile de prendre la grosse tête.”
 
“...Hey, Klb. On est presque arrivés ?”
 
“On peut apercevoir l’auberge au loin. Nous allons dans la bonne direction.”
 
“Oh, parfait ! Erin est encore réveillée. Peut-être qu’elle a déjà des clientes ?”
 
“Ce mage a dit qu’il se joindrait à nous. Je ne peux pas dire que cela me réjouisse, mais s’il y est déjà…”
 
“C’est peut-être le mage. Ou, euh… eh bien, tu te souviens de ce que je t’ai dit à propos du fait qu’il ne faut pas tuer de Gobelins dans le coin, Zevara ? Hum…”
 
“Pitié, dis-moi que les Gobelins ne sont pas invités.”
 
“Eh bien, tant qu’on est sur le sujet, quelle est ton opinion sur les squelettes… ?”
 
***

“Oh mon dieu.”
 
C’était peut-être la sixième fois qu’Erin disait ça. Elle était toujours en train de dévisager Ryoka, sous le choc. Ryoka la dévisageait aussi, mais elle réfléchissait à toute allure.
 
Erin était de son monde. Bien sûr. Toutes les pièces du puzzle s’assemblaient enfin, et en particulier la manière qu’elle avait d’utiliser des expressions et des slogans de leur monde. Comment avait-elle pu ne pas s’en rendre compte ? Elle était trop fatiguée. Mais c’était un moment crucial. Pourquoi donc Ryoka avait-elle rencontré Erin juste après l’appel ? Était-ce une coïncidence ou autre chose ? Est-ce que le fait que deux personnes soient apparues aussi proches géographiquement l’une de l’autre n’était qu'un coup de chance ou était-ce quelque chose d’autre ?
 
“Je n’arrive pas à y croire.”
 
Ryoka leva son iPhone. Erin le suivit des yeux d’un air fasciné, puis se refocalisa d’un coup sur le visage de Ryoka. Son état de choc était en train d’agacer sérieusement son aînée.
 
“Tu es sérieuse ? Je veux dire, tu… tu viens de mon monde, pas vrai ? Ce n’est pas une blague, si ?”
 
Et comment est-ce que ça pourrait être une blague ? Ryoka ravala son sarcasme et répondit de la manière la plus polie possible.
 
“Je viens de l’Ohio. Je m’appelle Ryoka Griffin. Je suis venue ici pendant l’année 2016, vers Octobre.”
 
“Oh mon dieu.”
 
Sept fois. Ryoka essaya de ne pas laisser transparaître son impatience.
 
“Je sais que c’est incroyable, mais concentre-toi, s’il te plaît. Depuis combien de temps es-tu ici ? Est-ce que tu sais comment tu es arrivée ici ? Est-ce que tu es...”
 
“Oh mon dieu, tu es réelle. Tu es réelle !”
 
Ryoka essaya de ne pas grimacer. Erin était en train de paniquer.
 
“Écoute, je viens de recevoir un appel… c’était un message qui…”
 
Elle ne put pas aller plus loin. Erin plongea par-dessus la table. Ryoka leva instinctivement les poings, mais la fille se contenta de la prendre dans ses bras.
 
“Quoi ? Hum. Qu’est-ce que tu… ?”
 
“Je ne suis pas seule ? Je ne suis pas seule ! Tu es là et… oh mon dieu. Tu es !”
 
“Oui, je suis là. Pourquoi est-ce que tu… ? Je veux dire, oui. Tu n’es pas seule.”
 
Ryoka sentit l’étreinte de la fille se resserrer autour d’elle. Elle avait du mal à respirer. Erin était plus forte qu’elle n’en avait l’air.
 
“Écoute, tu n’es pas obligée de… s’il te plaît… est-ce que tu… ?”
 
Les bruits étouffés émis par Erin se transformaient en humidité sur le t-shirt de Ryoka. Elle était en train de… pleurer ?
 
Ryoka se figea. Elle ne savait pas quoi faire. Elle tapota doucement l’épaule d’Erin. Une fois. Deux fois.
 
“Hum. Je…”
 
Elle ne savait absolument pas quoi dire. Erin était en train de pleurer dans son t-shirt, et la sensation n’était pas agréable. Ryoka savait qu’elle devrait dire quelque chose de rassurant, mais elle n’avait jamais fait ça avant.
 
Elle n’était pas seule. C’était ce qu’Erin avait envie d’entendre, pas vrai ? Ryoka pouvait lui dire ça. Ils étaient beaucoup dans ce monde. Elle était… Ryoka pouvait lui dire qu’elle n’était pas seule. Ça la réconforterait. Si elle rencontrait les autres…
 
Les autres. Ryoka se figea, oubliant tout le reste dans un moment de réalisation froide. Les autres. Ils n’étaient pas qu’une poignée. Ni même seize. Elle avait complètement oublié ça avec tout ce qui s’était passé. Le manque de sommeil, l’excitation de l’appel et la rencontre avec Erin…
 
Elle avait arrêté de réfléchir. Mais à présent son cerveau embrumé avait fini par relier les différents éléments. Les statistiques. Tout revenait aux pourcentages. Ils n’étaient pas seulement seize personnes dans ce monde. Ni même juste une centaine. Ils étaient bien plus nombreux que ça.
 
Combien de gens avaient des iPhones fonctionnels au moment de l’appel ? Combien avaient leurs iPhones sur eux en arrivant ? Quel est le pourcentage de gens possédant un iPhone, pour commencer ?
 
Et dans ce nombre-là, combien de personnes sont mortes ou se sont trouvées incapables de répondre à l’appel ? Combien l’ont ignoré par peur ou par précaution ?
 
Combien de gens se trouvaient dans ce monde ?
 
Des centaines ? Des milliers ? Des dizaines de milliers ? Ryoka sentit quelque chose se tordre dans son estomac.
 
Les humains se regroupent. Ils font des lois. Ils vont en guerre. Peut-être que les autres espèces ne font pas ça. Mais les humains, si. Et la paix, pour les humains, n’est qu’un interlude avant la prochaine guerre.
 
Dans sa tête, Ryoka s’imagina Celum. Une ville prise entre la renaissance et le moyen-âge. Ces gens n’ont pas de technologie. Ils n’ont rien de précieux selon les critères de son monde. Juste de l’or, des joyaux.
 
Et de la magie.
 
Dans l’esprit de Ryoka, Celum brûle. Des avions de chasse hurlent dans le ciel, mitraillant des villes et lâchant des bombes dans les rues tandis que des tanks roulent à travers les grandes plaines, faisant feu sur des armées qui n’ont jamais connu la poudre à canon. Des scientifiques dans des combinaisons hazmat accompagnent des géomètres et des prospecteurs à la recherche de puits de pétrole tandis que la magie et les non humains sont disséqués et étudiés - devenant des faits purs et durs.
 
Un monde colonisé. L’impérialisme. Le Mandat Céleste. Le fardeau de l’homme blanc.
 
Le temps qu’Erin serre Ryoka dans ses bras et la relâche, un monde brûlait derrière ses yeux. C’était une équation facile à résoudre. Une personne n’était qu’un accident, un coup de chance. Des personnes, c’était inhabituel. Mais plus ? Plus signifiait qu’un portail était ouvert. Et aucune porte ne s’ouvrait que dans une seule direction.
 
“Désolée.”
 
Erin s’essuya le nez sur sa manche et relâcha Ryoka. Elle était morveuse au sens littéral et ses yeux étaient gonflés, mais elle souriait. Ryoka avait l’impression que quelqu’un avait attrapé un morceau de glace pour le fourrer dans ses entrailles.
 
“C’est juste que… c’est tellement merveilleux ! Je n’arrive pas à y croire. Tu es ici. Tu viens de chez nous.”
 
“C’est incroyable, en effet.”
 
Ryoka choisit soigneusement ses mots en s’essuyant son t-shirt mouillé. Sa main effleura une zone humide et collante et elle s’arrêta net.
 
“Hum, Erin, c’est ça ? Pourquoi n’irions-nous pas nous asseoir pour discuter.”
 
Erin renifla une fois, deux fois, puis acquiesça. Elle revint piteusement à la table tandis que Ryoka tentait de se reprendre. Des gens. Discuter. Ce n’était pas son point fort, mais elle pensait qu’elle commençait à avoir un certain contrôle de la situation. Déjà, pour commencer.
 
“Je sais que c’est beaucoup à digérer d’un coup, mais essayons de nous calmer toutes les deux. Je viens de la Terre, et toi aussi. Et je viens d’apprendre que d’autres gens sont aussi ici, éparpillés un peu partout dans le monde.”
 
Erin écarquilla les yeux.
 
“On n’est pas seules ? Tu veux dire…”
 
“Oui. Et on a beaucoup de choses à se dire, mais commençons par les bases. Quand es-tu arrivée ici ? Comment es-tu arrivée ? Quelle est la dernière date dont tu te souviennes dans notre monde ? Si on commence par là, peut-être que…”
 
Ryoka s’interrompit soudain. Erin leva les yeux vers la porte où quelqu’un venait de frapper.
 
“Oh ?”
 
“Tu attends des invités ?”
 
Erin cilla. La fille Asiatique venait de repousser sa chaise et était soudain tendue, comme un animal sauvage. Elle haussa les épaules.
 
“Pas vraiment, mais ils sont peut-être simplement en retard.”
 
Elle haussa la voix.
 
“Entrez !”
 
La porte s’ouvrit. Ryoka regarda fixement le nouvel arrivant et recula en s’apercevant le gigantesque insecte brun-noir qui venait d’entrer dans l’auberge. Elle se tourna vers Erin, mais cette dernière souriait. La bouche de Ryoka s’ouvrit légèrement sous l’effet de la surprise.
 
“Klbkch ! Hay ! Entre donc !”
 
Ryoka regarda, bouche-bée, l’Antinium hocher la tête à l’attention d’Erin. Puis son regard fixe s’intensifia lorsqu’elle vit un lézard géant entrer dans la pièce, suivi de près par ce qui ressemblait à un Wookie en moins poilu et un autre lézard. Puis l’insecte prit la parole.
 
“Bien le bonsoir, Mademoiselle Solstice. J’espère que nous ne vous dérangeons pas ?”
 
“Quoi  ? Non. Je euh… non. Wow. Je n’attendais pas autant d’invités si tard.”
 
Ryoka dévisagea Erin. Cette dernière était en train de sourire.
 
“J’espère que notre présence ne vous importune pas, mais les affaires à régler en ville ont pris beaucoup de temps à résoudre.”
 
“Oh, Krshia, Selys ! Et Relc et Klbkch… est-ce que c’est… Pion ? Ksmvr ?”
 
Erin aperçut Zevara et elle écarquilla les yeux.
 
“Wow. Vous êtes tous venus pour manger ?”
 
“Si vous êtes en mesure de nous accueillir, nous vous en serions très reconnaissant. J’ai toutefois le regret d’annoncer que nous ne sommes pas les seuls hôtes pour ce soir.”
 
Klbkch hocha la tête à l’attention de Relc et du reste. La porte s’ouvrit un peu plus pour laisser entrer d’autres corps.
 
“Et on dirait que d’autres hôtes sont arrivés avec nous.”
 
Une file de petite créatures entrèrent dans la pièce, et cette fois-ci, Ryoka recula. Elle dévisagea les petits démons verts courtauds et leurs yeux cramoisis, et regarda Erin. Elle n’avait même pas l’air perturbée.
 
Puis un mage entra dans la pièce. Enfin, c’était de toute évidence un mage si on en croyait la longue robe dont il était vêtu, mais l’effet global était quelque peu entaché par les traces d’herbe et d’autres substances sur le tissu qui avait été blanc. Ryoka reconnut immédiatement Pisces et s’assit lentement dans sa chaise. La tête lui tournait.
 
Quand Erin aperçut Pisces et Loks, elle resta bouche-bée. Elle compta en silence ses invités plantés, mal à l’aise, devant l’entrée. Certains regardaient Erin, mais la plupart étaient en train de se dévisager.
 
Zevara épiait les Gobelins avec une malveillance non dissimulée et les Gobelins étaient occupés à s’écarter de tout le monde sauf d’Erin. Les trois Antiniums regardaient autour d’eux en silence tandis que Selys regardait avec une fascination horrifiée les Antiniums, les Gobelins, et Ryoka. Krshia renifla l’air tandis que Relc se tapotait l’estomac et que Pisces regardait autour de lui avec une moue vaguement méprisante sur le visage.
 
La tête d’Erin tanguait. Elle était surprise, prise au dépourvue, et elle n’avait aucune idée d’où était Toren. Mais elle était une [Aubergiste]. Elle avait beau être occupée, elle avait des invités. Elle s’attela à la tâche.
 
“J’ai des pâtes !”
 
***

L’enfer est quelque chose que l’on crée. Ryoka croyait fermement au fait de ne pas croire en une religion, mais l’idée de l’enfer l’avait toujours intriguée. Bien évidemment, un endroit rempli de soufre et de fourche était ridicule, mais l’idée de la souffrance, de la damnation, était intéressante. Comment l’enfer pouvait-il n’être qu’une seule chose ? Comment pouvait-il être une constante, quand il devrait être la représentation de la misère et de la souffrance pour chaque individu ?
 
La Damnation ne devrait pas être quelque chose où l’on va. Cela devrait être un lieu que l’on crée pour soi à partir de notre propre culpabilité et de nos peurs. Les gens créent leurs propre enfer et s’asseyent au milieu. Ryoka était certaine d’avoir entendu une citation de ce genre quelque part.
 
En ce moment précis, Ryoka était assise au milieu de son enfer personnel et très localisé. Elle était toujours à l’Auberge Vagabonde, mais à présent cette dernière était pleine de monde. Des gens en train de parler bruyamment et qui ne cessaient de venir se présenter. Et contrairement à chaque fête où elle était allée, chaque soirée et chaque rassemblement social, elle ne pouvait pas s’enfuir de celui-ci.
 
Ryoka était assise à une table et regardait la salle commune autour d’elle. Soudain, elle était pleine à craquer. Elle était passée de la pièce sombre et calme d’il y a une heure ou deux à cette salle braillarde pleine de lumière et de bruit.
 
Au moins la moitié des braillements provenaient d’un grand Drakéide assis au centre de la pièce à côté de l’un des Antiniums. Il s’appelait Relc, et il avait salué Ryoka en l’aspergeant d’une gorgée de jus bleu en criant “C’est toi ! L’humaine Coursière !”
Heureusement que les Coursiers avaient toujours sur eux des vêtements de rechange. Au moins, le compagnon du Drakéide avait été très poli. C’était un Antinium. Tout comme les deux autres insectes noirs assis à une table. Ryoka avait frissonné lorsqu’elle avait compris ce qu’ils étaient, mais à présent elle était juste désorientée.
 
L’un d’entre eux, un Antinium avec seulement deux bras et une jambes, jouait aux échecs avec l’un des Gobelins. Pion et Loks. Ryoka ne cessait de porter le dos sa main à son front pour s’assurer qu’elle n’avait pas de fièvre.
Et ce n’était pas tout. Erin bourdonnait d’un peu partout dans la pièce, remplissant les verres, servant des assiettes de pâtes, mais elle trouva quand même le temps de parler également avec Ryoka. Elle amena à la table dans le coin où se trouvait Ryoka une Drakéide. Erin sourit aux anges en lui présentant son amie.
 
“Hey Ryoka, voici Selys ! Selys, je te présente Ryoka. C’est une Coursière.”
 
La Drakéide - Ryoka était à peu près sûre que c’était une femelle - ouvrit la bouche et découvrit une rangée de dents très acérées.
 
“Oh, une Coursière de Ville ? Ça fait longtemps qu’on n’en a pas vu dans le coin ! Comment vas-tu ?”
 
“Bien.”
 
Ryoka prit la main de Selys, la secoua une fois, puis la relâcha très vite. Elle dut exercer toute sa maîtrise de soi pour ne pas s’essuyer la main pour effacer le contact des écailles lisses.
 
Erin ne parut pas remarquer le malaise de Ryoka. Elle se retourna vers Selys, un grand sourire aux lèvres.
 
“Hey, Selys, tu ne vas pas y croire. J’étais juste en train de discuter avec Ryoka et devine quoi ? Eh bien elle… aïe !”
 
Ryoka donna un coup de pied à Erin. Elle n’essaya même pas de le rendre discret. Toutes les têtes se tournèrent dans leur direction et il n’y eut soudain plus aucun bruit.
 
De l’autre côté de la pièce, Ksmvr attrapa la poignée de son épée. Un frisson parcourut l’échine de Ryoka, mais l’autre Antinium - Klbkch ? - assena immédiatement une tape sur l’épaule de Ksmvr et il s’arrêta.
 
“Hum.”
 
“Oups.”
 
“Aïe, pourquoi...”
 
Erin jeta un regard à l’expression de Ryoka, puis de nouveau à Selys. Elle sourit de nouveau, bien que ce sourire-là paraisse un peu plus forcé.
 
“Eh bien, euh, Ryoka, voici Selys. Selys, Ryoka.”
 
La Drakéide sourit de nouveau à Ryoka, et recula légèrement. Ryoka remarqua qu’elle entortillait sa queue.
 
“Je suis… ravie de faire votre connaissance, Mademoiselle Ryoka.”
 
“Moi de même.”
 
Les deux s’écartèrent. Selys attira Erin sur le côté.
 
“Est-ce qu’elle est… malade ?”
 
Erin fit la moue en se frottant le tibia. Ce coup de pied lui avait fait mal.
 
“Je ne sais pas. Elle était vraiment gentille tout à l’heure. Désolée. Pourquoi est-ce que cette Zevara est ici, d’ailleurs ?”
 
“Elle voulait te voir. Je crois que c’est parce que tu as tué ce monstre de peau.”
 
“Moi ? Ce n’est pas moi. C’étaient les Gobelins.”
 
Selys roula des yeux.
 
“Ils n’ont fait que l’achever d’après Klbkch. Erin ! Toute la ville ne parle que de toi !”
 
“Vraiment ?”
 
“Oh oui. Si ce n’était pas la folie là-bas, je suis sûre que plein de gens viendraient ici pour te voir.”
 
“Hum.”
 
Erin n’était pas sûre de savoir si c’était une bonne ou une mauvaise chose.”
 
“... Quelles sont les nouvelles ? J’ai entendu dire que beaucoup de gens sont morts.”
 
Selys marqua une pause. Elle baissa les yeux.
 
“Beaucoup de gens sont morts, en effet. Pas autant que ce qu’il y aurait pu avoir, grâce à la Garde et aux Antiniums mais… ce n’est pas le pire désastre auquel nous ayons dû faire face. Et on est en train de reconstruire. Chaque écaille morte te rend plus fort, si tu vois ce que je veux dire ?”
 
“Tu t’es battue, pas vrai ? Il faut que tu me racontes ça !”
 
“Seulement si tu me racontes ce qu’il s’est passé ici ! Mais devine quoi ? J’ai gagné des niveaux ! Et une nouvelle classe !”
 
“Quoi, sérieux ?”
 
“Yup ! Tu te tiens devant une [Guerrière] de Niveau 4 à présent !”
 
Selys gonfla la poitrine avec fierté et Erin émit les sons appropriés d’admiration.
 
“On dirait que la moitié de la ville a gagné des niveaux ou une nouvelle classe. C’est les effets de la guerre. On n’a jamais rien de mauvais dont il n’y ait pas un peu de bien qui ressorte. Bref, Krshia et moi voulions fêter ça et on savait que tu étais toute seule ici.”
 
“Bah, j’ai Toren.”
 
“Il ne compte pas. On voulait venir seules, mais Relc a décidé de venir aussi avec ce Klbkch et Zevara nous a dit qu’elle venait aussi et…”
 
C’est à ce moment-là que Ryoka cessa d’écouter la conversation chuchotée. Elle était en train d’assembler les pièces du puzzle, mais le manque de sommeil ajouté à des interactions sociales soudaines après une longue journée de course n’aidait pas. Le seul point positif était qu’elle était en train d’épuiser le stock de possibilités de surprises. Quand Ryoka avait vu Pisces, le [Nécromancien] qui avait soigné sa jambe et qui apparemment était le professeur de l’un des Gobelins, elle avait accepté la situation sans sourciller.
 
À un moment donné, un squelette entra dans l’auberge avec un énorme panier de fruits bleus et un seau d’eau dans chaque main. Il s’arrêta net lorsque Zevara et Klbkch commencèrent à sortir leurs épées de leurs fourreaux.
 
“Stop, stop !”
 
Erin se précipita entre Toren et les autres. Klbkch était déjà en train de ranger son épée, mais il fallut expliquer la situation pendant plusieurs minutes à Zevara pour qu’elle range la sienne.
 
Ryoka resta parfaitement immobile pendant qu’Erin lui présentait Toren. Elle plongea son regard dans ses orbites mortes au fond desquelles brillaient des flammes bleues jumelles et ne serra pas la main osseuse qu’il lui tendit. Il disparut dans la cuisine et réapparut avec une assiette et un verre qu’il posa devant Ryoka.
 
Des employés de service morts-vivants. Ryoka vit immédiatement à quel point cela pouvait être utile. C’était une super idée en théorie, mais en pratique, c’était plutôt… troublant. Elle n’arrêtait pas de jeter des regards à ses os, se demandant comment ils pouvaient rester solidaires sans muscles ni peau. Y avait-il d’invisibles fils magiques qui l’animaient ?
 
Elle mangea plus de nourriture, but plus de jus bleu. La tête de Ryoka lui tournait alors qu’elle se posait des milliers de questions à la fois. Lorsque la Gnolle nommée Krshia se présenta, Ryoka essaya d’être aussi polie que possible.
 
Elle avait vu d’autres espèces, bien sûr, mais cela avait toujours été des monstres. Peut-être avait-elle aperçu un ou deux de ces… Gnolls en ville, mais jamais en face à face. Et ici, elle voyait trois… non, quatre nouvelles espèces si on comptait les Gobelins, assis dans l’auberge, en train de discuter, de se comporter comme des gens.
 
À un moment, le plus petit des Gobelins sauta sur le siège en face de Ryoka et fit claquer un échiquier devant elle. Ryoka se dit que ce Gobelin lui était familier, mais ce dernier avança une pièce d’échec et la regarda fixement. Erin s’approcha, offrant des conseils sur le jeu puis la partie et tout le reste se fondirent dans le cauchemar.
 
***

Ryoka avait l’air de bien s’amuser. Erin le voyait bien. Elle regardait l’auberge, papotant avec Pion et jouant aux échecs contre Loks tandis que le reste des Gobelins s’asseyaient autour d’elle et que Toren ne cessait de remplir son verre. Elle avait l’air distraite, mais en même temps, l’auberge était plus animée qu’Erin ne l’avait jamais vue.
 
“Capitaine Zevara, une autre assiette de pâtes ? Ou un verre ?”
 
La grande Drakéide à l’air boudeur leva les yeux et agita la main en direction d’Erin.
 
“Ça ira. Tu es… Erin Solstice, c’est bien ça ? Nous nous sommes déjà rencontrées.”
 
“Vraiment ?”
 
Erin cligna des yeux, puis elle se souvint.
 
“Oh. En effet. Après que Klbkch… hum, comment vas-tu ?”
 
Zevara ignora la question observant le reste de l’auberge.
 
“Je suis venue ici parce que je voulais voir cet endroit de mes propres yeux. Je pensais que Relc exagérait, comme d’habitude. Pour une fois, il a peut-être dit la vérité. Bien qu’il n’ait jamais mentionné le fait que tu servais des Gobelins. Ni le squelette.”
 
Erin jeta un regard à Relc. Le Drakéide évita son regard tandis que Klbkch les dévisageait tour à tour.
 
“Il n’est pas passé dans le coin depuis un petit moment. Hum. J’espère que l’auberge te plaît ?”
 
“Je ne suis pas venue ici pour le plaisir.”
 
Zevara croisa le regard d’Erin.
 
“Ces Gobelins que tu protèges, et le mort-vivant. Je compte me pencher sur ce problème, ainsi que sur la mort de la… chose qui a attaqué ma ville.”
 
“Hum, d’accord ?”
“Zevara. Peut-être que ce n’est pas le moment ?”
 
Klbkch lança un regard appuyé à Zevara et elle acquiesça avec réticence. Il se tourna vers Erin.
 
“Ce sont des affaires professionnelles. Mais à la vérité, nous sommes tous venus ici fêter la survie de la ville. Là-dessus, permettez-moi de m’adresser à la salle ?”
 
“Quoi ? Oh, bien sûr, vas-y.”
 
Erin recula. Klbkch hocha la tête et se leva. Elle se demanda comment il allait attirer l’attention de tout le monde avec ce brouhaha, mais Klbkch se contenta de lever sa chope et d’attendre. Cela prit quelques minutes, mais un grand Antinium silencieux debout avec sa chope levée avait un effet apaisant. Klbkch attendit que tout le monde se soit tu puis il prit la parole.
 
“À tous ceux qui sont ici présents ce soir, permettez-moi de vous dire quelques mots. Ces derniers jours ont été marqués par l’une des attaques les plus mortelles qu’ait connue Liscor dans cette dernière décennie. Des erreurs ont été faites de la part des Antiniums et de la Garde et je m’en excuse. Des morts inutiles ont eu lieu, mais la ville et ses citoyens sont à présent en sécurité. La créature qui a attaqué Liscor est morte et, comme certains d’entre vous l’ont remarqué, je suis revenu à la vie. Ce n’est pas dans la nature des Antiniums de célébrer, mais j’adhère aux coutumes des autres espèces et vous invite tous à célébrer ces événements.”
 
Personne ne parla. Erin n’était pas sûre de si elle devait applaudir. Klbkch hocha la tête et reprit son discours tandis que Ksmvr sortait une bouteille de nulle part et la lui tendait.
 
“Il me semble qu’il est de coutume de faire un toast dans ces occasions. Pour l’occasion, ma Colonie a fabriqué sa propre boisson. Permettez-moi de vous présenter le rxlvn, un alcool que nous avons l’intention de vendre.”
 
Il montra une bouteille de verre transparente remplie d’une espèce de liquide noir mousseux.
 
“Permettez-moi de vous offrir un verre pour porter un toast à notre survie, notre santé, et au futur.”
 
Personne ne bougea. Relc regarda fixement la bouteille.
 
“Klb, ça ressemble à l’eau des égouts. Est-ce qu’on peut seulement boire ça ?”
 
L’Antinium acquiesça.
 
“C’est parfaitement sûr, je vous assure. Cette boisson a été largement testée sur des Antiniums et elle a beau être forte, elle reste consommable par tous ceux ici présents.”
 
Il regarda Erin et elle se tourna vers Toren.
 
“Est-ce que nous avons, euh, des verres à shot ? N’importe quoi qui soit petit ?”
 
En effet, ils avaient ça. On aurait plus dit des rince-doigts et Erin ne savait pas vraiment ce qu’on était censé y mettre. Mais ils firent de bons verres à shots improvisés, et chacun fut vite rempli du liquide noire et pétillant.
 
Tous sauf les Antiniums regardèrent leur verre avec appréhension tandis que Klbkch levait le sien.
 
“À la vie, au triomphe contre les morts-vivants, et à cette auberge.”
 
Il but, avalant calmement le liquide noir. Pion et Ksmvr l’imitèrent. Personne d’autre. Krshia renifla la boisson d’un air soupçonneux et Relc y trempa le bout de la langue.
 
“C’est plutôt bon.”
 
Erin déglutit. Elle vit Ryoka debout à l’écart du groupe, fronçant les sourcils devant son verre. Bon, ce n’était pas comme si elle était obligée de tout boire. Elle prit une petite gorgée de boisson. Ses yeux s’écarquillèrent.
 
“C’est bon. Hey, tout le monde, ça a bon goût !”
 
Ils se tournèrent tous vers elle. Erin vida son verre et sourit. Cela parut rassurer les autres. Loks et les Gobelins burent leur portion et regardèrent immédiatement s’il était possible d’en avoir plus. Krshia but le sien cul sec et gronda de satisfaction, et Relc et Zevara firent de même. Selys et Ryoka ne burent qu’une petite gorgée, et Pisces que quelques gouttes.
 
“Hey, c’est pas mauvais. Bien joué Klb.”
 
Relc éclata de rire en jetant le shot sur la table. Le reste d’entre eux émirent des sons similaires d’approbation. Krshia inclina la tête en direction de l’Antinium.
 
“Je pourrais peut-être trouver un marché pour ta boisson. C’est agréablement corsé. Les Gnolls, ils aimeraient ça je pense, oui ?”
 
Klbkch acquiesça. Il souriait, ou plutôt faisait son truc où il soulevait ses mandibules.
 
“C’est plutôt puissant dans sa forme actuelle. Je regrette que ce ne soit qu’un coup d’essai, et que la formule ne soit pas encore parfaite. Peut-être que nous aurions dû mitiger les effets de la boisson avec plus d’agent paralysant.”
 
Tout le monde le dévisagea. Erin ouvrit la bouche.
 
“Hum. Le quoi ?”
 
Ryoka sentit le haut de sa bouche s’engourdir. Elle tenta de reposer le verre à shot à moitié plein mais il lui glissa des doigts. Elle se pencha pour le rattraper mais tomba en avant.
 
Klbkch regarda fixement l’humaine alors qu’elle s’agitait vaguement sur le sol, tentant sans succès de se relever. Il regarda ensuite le reste des non-Antiniums qui se mettaient à vaciller, sourire, ou régurgiter.
 
“Ah.”


***

Les trois Antiniums marchaient à grandes enjambées à travers les plaines en direction de Liscor. Ou plutôt, en direction de l’entrée secrète juste devant. Inutile de déranger les gardes à la porte à cette heure.
 
Et de même, l’aspect “grandes enjambées” était exagéré, car deux des Antiniums étaient plus lents que l’autre. Pion devait être à moitié porté par Ksmvr, incapable de marcher en l’état.
 
Klbkch ralentit le pas pour laisser les deux autres le rattraper. Il prit la parole sans tourner la tête et les deux autres répondirent sans le regarder. Ils n’avaient pas besoin d’interaction visuelle. La communication entre les membres de leur espèce n’avait pas besoin d’autant de politesse sociale que pour les autres races.
 
“Je pense que cette nuit reste un résultat positif de manière générale, même après l’échec du rxlvn. Je m’excuserai demain envers les autres.”
 
Ksmvr et Pion n’acquiescèrent pas. Ils n’en avaient pas besoin. Mais Ksmvr prit tout de même la parole. Son ton était incertain lorsqu’il s’adressa à Klbkch.
 
“Avec tout le respect que je vous dois, la boisson ne doit-elle pas être considérée un succès, Prognugator ? C’était suffisamment puissant pour affecter même Relc.”
 
“Boire est censé être une activité sociale. Les effets étaient trop forts. Autre chose, réfrène-toi de m’appeler Prognugator. J’ai pris ce rôle car il était nécessaire pendant l’attaque contre Liscor. Toutefois, tu vas reprendre cette position à partir de maintenant.”
 
Pion regarda Ksmvr qui regardait le dos de Klbkch.
 
“Suis-je votre supérieur, alors ? Votre poste…”
 
“Je ne suis sous les ordres de personne d’autre que la Reine. Un nouveau poste va être créé.”
 
“Je vois. Et l’Individu connu sous le nom de Pion ?”
 
“Pour le moment, il va demeurer sous mon autorité, et non la tienne.”
 
“Je comprends.”
 
Les trois continuèrent de marcher. La voix de Klbkch était froide et impartiale lorsqu’il reprit la parole.
“À l’avenir, faites réduire par nos distilleurs la quantité d’alcool, d’agents soporifiques et d‘agents paralysants par deux dans la boisson. À ce que j’ai compris, l’acte de boire est censé être agréable. L’inconscience est le résultat final, pas le but.”
 
“Compris.”
 
“Ce sera fait.”
 
“Très bien. Je vais faire mon rapport à la Reine. Je vais tenter de communiquer avec Erin Solstice à un autre moment. Ksmvr, ramène Pion à la Colonie et attends tes instructions au matin.”
 
Klbkch s’éloigna avant qu’aucun des deux Antiniums n’ait pu répondre.
 
Au bout d’un moment, Pion prit la parole.
 
“Les objectifs de Klbkch ne sont pas clairs pour moi. Mais je suppose qu’il insinue que je ne serai plus un ouvrier.”
 
La voix de Ksmvr n’était plus hésitante. Il répondit à Pion d’une voix dénuée de sentiments.
 
“C’est ce qui nous a été ordonné. Tu vas, bien sûr, obéir.”
 
“Bien sûr. Je suis loyal à la Colonie. J’ai choisi.”
 
“Et pourtant tu m’as exprimé ton mécontentement à propose de Klbkch. Je suis ton Prognugator.”
 
“C’est vrai. Et tu as coupé mes bras et ma jambe.”
 
“J’ai fait ce qui était nécessaire pour le bien de la Colonie.”
 
“Oui. En effet.”
 
“Tu as également ordonné à des Ouvriers de quitter la Colonie, allant de ce fait à l’encontre de mes ordres.”
 
“Oui, j’imagine aussi.”
 
Les deux Antiniums continuèrent d’avancer en silence. Au bout d’un moment, Ksmvr reprit la parole.
 
“Ton affection à mon égard n’est pas nécessaire. Toutefois, pour le bien de la Colonie, nous devons travailler de concert.”
 
“Je sers la Colonie. Je suis loyal envers la Reine.”
 
“Bien.”
 
“Mais je te déteste toujours.”
 
Le silence, encore.
 
“L’étude des autres espèces suggère qu’une période de lien peut apparaître après le partage d’expériences.”
 
“Vraiment ?”
 
“Je suggère ceci comme une tentative pour amender le manque de confiance entre nous.”
 
“Je vois.”
 
“As-tu des suggestions à ce sujet ?”
 
Pion resta silencieux. Son unique jambe traînait contre le sol. Il tourna légèrement la tête vers Ksmvr.
 
“Dis-moi. Sais-tu jouer aux échecs ?”


***

Le jour suivant, Selys se réveilla dans une chambre au deuxième étage de l’Auberge Vagabonde, à côté d’un tapis mouillé et poilu. Ce tapis s’avéra être Krshia, et il apparut qu’elles avaient toutes deux dormi dans le même lit.
 
Selys dévisagea Krshia, sous le choc, jusqu’à ce que la Gnolle ouvre les yeux. Krshia fusilla le soleil du regard, puis cilla en regardant Selys.
 
“Bonjour, Selys.”
 
“Hum”.
 
Selys couina. Elle dévisagea Krshia, frappée d’horreur, puis baissa les yeux. Elles étaient nues. Elle crut voir sa robe pendue à la fenêtre ouverte. C’était un détail important, mais ses yeux ne cessaient de revenir sur la Gnoll couchée à côté d’elle. Juste à côté d’elle.”
 
“Hum. Huh. Salut, Krshia. Tu ne saurais pas si… est-ce qu’on a hum… est-ce qu’on a… ?”
 
Krshia haussa les épaules, puis renifla, fort. Elle secoua la tête.
 
“Hr. Il ne s’est rien passé.”
 
Selys crut entendre la Gnolle marmotter “dommage”.
 
“Oh. Bien. Je euh… je suis juste… je dois…”
 
Selys roula hors du lit, s’enfuit de l’auberge, et s’enferma dans son appartement pour le reste de la journée.
 
***

Deux heures après la fuite de Selys, Relc se retrouva allongé dans la plaine, entièrement nu. Il se leva, chercha ses vêtements, puis abandonna l’idée. Le Drakéide nu traversa les portes de Liscor au même moment ou la Capitaine de la Garde fut retrouvée évanouie dans un caniveau.
 
***

Six heures après que Relc ait causé un scandale, Pisces se réveilla avec de la lumière brillant sur son visage. Il agita faiblement ses mains et s’assit. Ce qu’il avait pris pour le soleil s’avéra être autre chose. Il regarda fixement la magie vacillante et pâlit.
 
***

Environ une heure après que tout le monde ait quitté l’auberge, Erin s’avachit sur une table, regardant d’un œil vitreux Toren s’agiter dans la pièce, ramassant des assiettes et des chopes et les rapportant dans la cuisine.
 
“Tu vois ça ? C’est pratique. Comme un… lave-vaisselle avec des jambes. Et une épée.”
 
Elle n’était pas saoule. L’alcool des Antiniums avait eu un goût noir-amer avec juste une note de quelque chose de fruité, mais il n’avait rien fait à Erin. C’était l’[Immunité à l’Alcool]. Elle n’était pas saoule.
 
“Si j’en avais dix comme lui… je détesterais probablement ça. Tu sais, la manière qu’il a de rester debout dans un coin. Très flippant. Trèèèèèèès flippant.”
 
Elle était juste fatiguée. Ryoka, en revanche, était saoule. Mais elle était toujours capable de rester debout, ce qui était plutôt impressionnant. Là encore, tout le monde avait été debout lorsqu’ils avaient titubé vers la sortie de l’auberge. Seules les Gobelins avaient pris le shot et s’étaient effondrés. Ils étaient toujours étendus par terre, sonnés. Loks était étalée face contre terre sur l’une des tables, le poing serré sur une pièce d’échecs.
 
Erin n’était pas sûre d’être réveillée. Elle voulait vraiment dormir, mais Ryoka était encore réveillée. Elle essayait clairement de rester réveillée et Erin avait le sentiment qu’il était courtois de faire de même.
 
Ryoka cligna des yeux plusieurs fois et fronça les sourcils. Elle vacillait sur sa chaise. Elle marmottait, la voix enrouée.
 
“Il faut qu’on parle. C’est… crucial. Un truc à propos de gens ? Si on est tous ici, qu’est-ce que ça signifie ?”
 
“Je ne sais pas ? Je ne savais pas qu’il y avait des gens.”
 
Ryoka fronça les sourcils, puis hocha la tête avec difficulté.
 
“Quand tu es arrivée ici. C’était important ? Quand tu es… arrivée ici. Un truc comme ça.”
 
Elle se prit la tête entre les mains et fronça les sourcils, fort. Erin haussa les épaules. Elle dérivait sur une mer de nuages. C’était à ça que ressemblait la table dans son esprit. Elle ferma les yeux, puis sursauta. Ryoka faillit tomber de sa chaise.
 
Erin décida qu’elle se devait d’être la voix de la raison.
 
“C’est trop tard pour parler de tout ça. On devrait dormir.”
 
Ryoka y réfléchit un instant. Puis elle finit par acquiescer.
”Demain. Mais on doit parler.”
 
“Oui. Mais après avoir dormi.”
 
Les deux tombèrent d’accord. Elles hochèrent tellement la tête qu’elles faillirent s’endormir.
 
“En haut il y a des lits. Tu peux en prendre un.”
 
Erin erra en direction de la cuisine. Ryoka fronça les sourcils et regarda la porte.
 
“Tu ne fermes pas à clef ?”
 
“Je devrais ?”
 
“Oui.”
 
Erin ne voyait pas l’intérêt. Elle vacilla. La porte était tellement loin. Mais Toren s’y rendit en quelques enjambées et la verrouilla. Elle sourit. Elle était sauvée ! Elle pouvait aller se coucher.
 
“Voilà. C’est fermé à clef.”
 
Ryoka regarda la porte en plissant les yeux. Puis elle hocha la tête, visiblement satisfaite. Sans un mot, elle avança d’un pas mal assuré vers les escaliers. Erin l’entendit se cogner plusieurs fois en montant.
 
Il était temps d’aller au lit. Erin était épuisée. Elle avança en titubant vers ses draps, trop fatiguée pour ne serait-ce que penser à se déshabiller ou à se brosser les dents. Elle s’enroula dans ses couvertures et regarda le plafond.
 
Tellement fatiguée. Tellement épuisée. Tant d’argent donné par ses invités ! Mais tout ça n’était qu’un détail face à l’information la plus importante. Cela l’avait animée, lui avait donné des ailes alors qu’elle servait ses invités. C’était crucial, la seule chose qui avait de l’importance.
 
Erin murmura en direction du plafond.
 
“Je ne suis pas seule.”
 
Elle sourit, et plongea dans le sommeil avec cette merveilleuse sensation logée au creux de sa poitrine.
 
Le bonheur.
 
***

Erin ne dormait que depuis une demi-heure lorsque la porte de son auberge explosa. En se précipitant hors de la cuisine, elle vit Pisces debout devant l’entrée, les mains pleines d’éclairs crépitants. Son visage était pâle.
 
Ryoka était ramassée dans l’escalier, prête à bondir sur le mage. Mais elle s’en empêcha. Quelque chose brillait dans l’auberge sombre, et ce n’était pas seulement la magie lovée autour des mains du mage.
 
Une étincelle de lumière vacillante flottait autour de la tête de Pisces. Une danse de lucioles faites de couleurs et de formes. Elles épelaient des mots qu’elle ne pouvait lire et dont la signification échappait à Ryoka, mais elle les reconnaissait. Elle reconnaissait ce sort. Elle s’assit dans l’escalier, les jambes soudain de coton.
 
Erin cilla devant le bois brûlé de sa porte. Oh. Elle l’avait verrouillée. Elle regarda Pisces et ouvrit la bouche pour crier, mais elle hésita.
 
“Pisces, qu’est-ce que... .?”
 
Le visage du mage qui la dévisageait était pâle. Il se contenta de trois mots.
 
“Ils sont vivants.”
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 01 août 2020 à 10:56:21
2.02
Traduit par EllieVia

"Qui ça, 'ils' ?"
 
"Pisces n'a pas précisé. Il a simplement dit que si Ceria est vivante, d'autres pourraient l'être aussi."
 
"Et elle est vivante ?"
 
"Oui ! L'espèce de sort de message disait qu'elle avait besoin d'aide. Elle est quelque part au fond des Ruines."
 
"Et tu penses pouvoir les sauver avec l'aide de Relc et Klbkch, c'est ça ?"
 
"Ouais !"
 
"Oublie."
 
Erin marqua une pause.
 
"... Quoi ?"
 
Zevara tenait un torchon mouillé sur sa tête et fronçait les sourcils à l'attention d'Erin par-dessus son bureau.
 
"J'ai dit non. Je n'envoie pas deux de mes meilleurs garde là-dedans sans une bonne raison. Tu veux aller sauver ces putains d'aventuriers ? Vas-y toute seule. "
 
"Mais on a besoin d'eux ! Relc et Klbkch… ce sont des Gardes Vétérans. Ils peuvent se battre."
 
"Ce sont des Gardes Vétérans."
 
Acquiesça Zevara en se massant les tempes d'un air absent.
 
"Mais ils ne sont absolument pas obligés d'aider des non-citoyens. Et c'est ce que tu es. De plus, je ne vais pas prendre le risque de perdre Klbkch une de nouveau. Pas depuis la dernière fois."
 
Erin ouvrit la bouche pour protester, et la Capitaine de la Garde lui lança un regard appuyé.
 
"Pas une deuxième fois."
 
Erin ferma la bouche et fronça les sourcils, butée.
 
"Je vais juste aller leur demander de m'aider pendant leur temps libre, alors."
 
"Je vais leur interdire de t'aider. Ils sont des atouts de valeur pour la ville."
 
"Tu n'as pas le droit de faire ça !"
 
"Bien sûr que si."
 
Erin dévisagea Zevara. Les yeux de la Drakéide étaient mauves et elle soutint le regard d'Erin jusqu'à ce que l'humaine détourne les yeux."
 
"Tu… tu…"
 
"Si tu as fini, sors. J'ai une ville à protéger, et je n'ai pas à écouter une humaine me couiner dessus."
 
Pendant une seconde, la fille considéra l'option de retourner le bureau de Zevara et faire tomber toute sa paperasse soigneusement organisée par terre. Elle s'en abstint parce ça n'allait pas arranger les choses, et parce que le bureau avait l'air très lourd.
 
Et puis, Selys lui avait dit que Zevara pouvait cracher du feu.
 
La fille marcha d'un pas rageur vers la porte et Zevara grimaça et lui lança un regard noir. Erin se retourna, la main sur la poignée.
 
"S'ils meurent, ce sera de ta faute."
 
Zevara resta de marbre.
 
"Va dire ça aux gens qui sont déjà morts."
 
Elle n'avait rien à répondre à ça, donc Erin s'en alla. Elle claqua le plus fort la porte en sortant. Ça la fit se sentir un peu mieux.
 
Ryoka attendait impatiemment en bas des escaliers lorsqu'Erin redescendit. La grande fille était pratiquement en train de rebondir sur ses pieds nus, ignorant les regards appuyés des gardes de la caserne.
 
"Alors ?"
 
Erin secoua la tête d'un air sombre.
 
"La garde ne nous sera d'aucune aide. Et, euh, je crois qu'on devrait partir. Tout de suite."
 
C'est ce qu'elles firent. Ryoka s'arrêta à quelques pas devant le bâtiment carré à deux étages, et de tourna vers Erin.
 
"Je croyais que tu avais dit qu'on pourrait avoir de l'aide ici."
 
"Je le pensais aussi ! Mais on dirait que les gens en veulent d'une certaine façon aux aventuriers pour l'attaque. Ce qui se comprend."
 
"Ce qui se comprend ?"
 
Erin se recroquevilla devant le regard noir de Ryoka. Elle ne la connaissait pas depuis longtemps, mais Ryoka semblait équipée de deux modes : intense ou maussade. Et en ce moment, elle vibrait pratiquement d'énergie. Elle se serait immédiatement précipitée dans les Ruines quand Pisces était venu les voir si Erin et elle n'avaient pas été toutes deux épuisées et saoules. Néanmoins, elle s'était présentée à l'aube pour demander à être emmenée aux Ruines.
 
"Ce mage - Pisces a dit qu'il allait descendre chercher les Cornes d'Hammerad. Je vais aller avec lui. Essaie de convaincre d'autres gens d'aider."
 
Ryoka se détourna et Erin lui attrapa le bras. La Coursière sursauta et la fusilla du regard. Erin la lâcha instantanément.
 
"Désolée. Écoute, tu veux descendre dans les Ruines super-flippantes avec Pisces ?"
 
"Oui. Les Cornes sont là dessous. Je vais les chercher."
 
"Mais avec Pisces ?"
 
"C'est un Nécromancien, c'est ça ? Je sais qu'il est puissant."
 
"Oui, mais c'est… Pisces, vois-tu ?"
 
Ryoka se contenta de la regarder fixement. Erin se gratta la tête. Il était un peu plus de midi et sa tête lui paraissait toujours embrumée.
 
"Tu tiens vraiment à eux, hein ? Je veux dire, moi aussi, mais Ryoka, c'est de la folie."
 
Ryoka haussa les épaules.
 
"J'ai une dette envers eux. Je vais descendre et revenir avec eux ou rester là-dessous."
 
Dit comme ça, ça avait l'air héroïque et proche de la folie. Erin ouvrit la bouche et leva un doigt.
 
"Ou on pourrait trouver des renforts."
 
"Tu avais déjà dit ça pour tes deux amis gardes."
 
"En effet. Mais je connais d'autres gens. Zevara a dit qu’elle allait interdire à Klbkch et Relc de venir. Eh bien, elle peut le faire, mais je parie que Klbkch est plus haut gradé qu'elle."
 
"D'accord. Allons lui demander."
 
Ryoka se tourna et se mit à marcher. Elle était tellement rapide ! ! Sa version de la marche était la version du jogging d'Erin. La fille fit trois mètres et de retourna pour fusiller Erin du regard.
 
"Bon, qu'est-ce que tu attends ?"
 
Erin sourit d'un air désespéré et regarda autour d'elle.
 
"Hum, je ne suis jamais vraiment allée dans la Colonie. Il va peut-être falloir qu'on demande où c'est à un Ouvrier."
 
"Un quoi ?"


***

Les gens sont lents. Les conversations sont lentes. Les Cornes d’Hammerad sont en vie ! Je devrais être en train de courir dans les Ruines en ce moment, mais je suis coincée ici avec une fille qui n’a pas l’air de saisir le concept de se dépêcher*.
 
*Ni grand-chose d’autre, si je dois être honnête. Elle vient de mon monde, j’ai compris. Mais est-ce qu’elle est vraiment complètement dans la lune ou est-ce qu’elle ne prend tout simplement rien au sérieux ?  Elle traîne avec des insectes qui parlent et ne cille même pas devant des tarées de demi-portions démoniaques*.
 
*Les Gobelins.
 
Le temps. On en revient toujours au temps. Tout ne se résume pas à un sprint de 400 mètres, mais quelques choses se jouent à une poignée de secondes.
 
           La situation est urgente. Mon amie… Ceria et le reste sont vivants. Ou au moins, elle est vivante. Et elle est restée au fond des Ruines pendant des jours, possiblement sans eau ni nourriture pendant tout ce temps. Elle est en vie.
 
Je dois l’aider. Mais je ne sais comment, je suis coincée ici, à suivre Erin Solstice de partout. Elle est cool. C’est une aubergiste. Mais elle n’a pas l’air de réaliser à quel point c’est important.
 
J’ai dû la pousser à courir dans les rues et elle a fini par s’arrêter parce qu’elle avait peur du regard des gens. On a trouvé la Colonie, et l’étrange Ouvrier insectoïde a disparu dedans pendant quelques minutes avant de revenir avec l’Antinium bizarre.
 
Les Antiniums. Les envahisseurs assassins du bout du monde. Je pourrais tout à fait avoir l’usage d’une pleine armée d’entre eux, mais on dirait que ça ne va pas pouvoir le faire.
 
“Et à ce moment-là, elle a dit qu’elle allait vous interdire d’aider ! Tu y crois, ça ?”
 
C’est quoi le problème de cette fille avec le fait de parler avec des gens ? Je devrais juste partir. Tout de suite. Mais…
 
Des zombies ? Erin a bien dit qu’il y avait des zombies c’est ça ?
 
Est-ce que je peux me battre contre des zombies ? Est-ce que leur mettre des coups de poing sert à quelque chose, déjà ?
 
Et si je me fais mordre ?
 
Je dois y aller.
 
Klbkch, l’Antinium avec seulement deux bras, dévisage d’abord Erin, puis moi. Je ne l’aime pas. Il nous a drogués la nuit dernière, ou nous a filé un alcool magique en douce. J’ai pris une gorgée de sa mixture et je suis devenue folle.
 
Qu’est-ce qu’il veut ? Pourquoi est-ce qu’Erin croit qu’il va l’aider ? S’il est le Prognugator de la Colonie, il devrait être beaucoup trop important pour vouloir avoir quoi que ce soit à faire avec nous.
 
À moins qu’il ne se doute de notre origine. Ou est-ce autre chose ? Le livre disait que les Antiniums n’ont pas de noms à par le Prognugator et les Reines. Donc pourquoi ai-je croisé deux autres Antiniums avec des noms ?
 
Concentre-toi. Je dois sauver Ceria et le reste.
 
“Donc, euh. Est-ce qu’on peut emmener quelques-uns de ces espèces de grands soldats ?”
 
Klbkch croise les bras et paraît réfléchir à la question. L’Ouvrier qui est allé le chercher est parti à l’instant où il a terminé sa tâche, mais Klbkch est sorti de la colonie avec l’Antinium aux épées. Ksmvr. Il me met juste mal à l’aise. Est-ce que c’est un garde du corps ? Une nouvelle forme d’Antiniums ? Ou est-ce que c’est plutôt Klbkch ? Ils ne sont pas censés n’avoir que deux bras.
 
Enfin, Klbkch secoue la tête avec réticence.
 
“Je suis navré, Erin, mais je ne peux pas t’assister pour cette mission.”
 
Son visage se décompose. J’ai déjà entendu dire de quelqu’un qu’il était un livre ouvert, mais Erin peint ses émotions sur un panneau et l’agite partout où elle va.
 
“Quoi ? Pourquoi ?”
 
“L’accord qui nous lie avec Liscor stipule que nous ne pouvons pas amener de Soldats à la surface à moins que la requête ne provienne d’une figure d’autorité, que nous ne soyons en temps de guerre ou pour défendre la ville.”
 
Merde, merde merde. Mais j’imagine que c’est mon tour. Si je pouvais obtenir certains de ces soldats dont Erin parle… Je m’éclaircis la gorge. Klbkch se tourne vers moi. Je déteste parler aux étrangers.
 
“Corrigez-moi si je me trompe, mais les Ruines ne représentent-elles pas clairement une menace ? C’est bien de là que sont sortis les morts-vivants, non ? Les neutraliser constituerait un acte de défense de la cité.”
 
Pas bon. Deux phrases interronégatives. Je devrais faire des phrases déclaratives et parler avec assurance. C’est ce que m’a enseigné mon bon vieux papa. Regarde les gens droit dans les yeux, exprime-toi clairement, et mens effrontément quand il le faut.
 
Klbkch hoche la tête, et prend son temps pour répondre, comme un avocat en train de monter son affaire.
 
“C’est vrai selon une certaine interprétation. Mais je pense que beaucoup verrait cela comme un dangereux précédent, surtout après que les Antiniums aient échoué à agir pendant l’attaque des morts-vivants.”
 
“Non. Klbkch, on a besoin d’aide. On a vraiment besoin d’autre. Ryoka et moi ne pouvons pas descendre là-dedans toutes seules. Ni même avec Toren et Pisces.”
 
Whoa. Attends une seconde. Elle vient de dire qu’elle allait venir avec moi ? Et quoi d’autre ? Toren ? Le squelette ? Elle veut emmener un squelette se battre contre ses congénères ? Est-ce qu’elle peut seulement faire confiance à ce truc ?
 
Klbkch se contente pourtant d’acquiescer comme si c’était tout naturel.
 
“Je comprends. Mais ma Reine verre les choses du point de vue de Zevara, j’en ai crainte. Je peux toutefois fournir un peu d’aide.”
 
“Vraiment ?”
 
Il hoche la tête. Klbkch regarde l’autre Antinium par-dessus son épaule.
 
“Ksmvr. Va avec Erin Solstice et protège-la.”
 
Les mandibules de l’Antinium s’écartent en grand, ce qui est leur version d’une expression de surprise, j’imagine.
 
“Moi ? Mais je suis un Prognugator. Je ne peux pas…”
 
“Silence. Tu iras.”
 
Klbkch se retourne de nouveau vers Erin et incline poliment la tête. Pourquoi est-ce que cet Antinium a l’air vaguement Japonais ? Stéréotypes sur la vie d’entreprise japonaise mise à part, c’est peut-être parce qu’ils sont aussi polis.
 
Un seul soldat d’une Colonie capable de lancer des milliers de soldats sur le terrain me paraît un peu faible, comme participation, mais Erin sourit.
 
“Donc tu ne vas pas essayer de m’en empêcher, alors ?”
 
“Si je te disais de ne pas y aller, je pense que tu y iras quand même. Relc et toi partagez les mêmes tendances.”
 
“Ce n’est pas un compliment.”
 
“j’en suis conscient.”
 
Okay, si c’est tout, il est temps d’y aller.
 
“Il faut y aller. Allons au Ruines.”
 
Erin secoue la tête. Est-ce qu’elle est têtue ou est-ce qu’elle ne réalise pas qu’on doit se dépêcher ?
 
“Pas tout de suite. Krshia et Selys pourront peut-être aider. Allons les voir.”
 
À moins qu’elles ne soient secrètement d’incroyables guerrières, j’en doute. Mais Klbkch a l’air approbateur. Il hoche la tête à mon intention alors que je pousse Erin pour qu’on reprenne la route.
 
Sa voix est basse, mais je l’entends tout de même s’adresser à l’autre, Ksmvr, en partant. Erin ne remarque rien. Elle est trop occupée à choisir qui aller voir en premier, Krshia ou Selys.  Mais je l’entends.
 
“Protège Erin et ceux qui l’accompagnent. Sa vie est plus importante que la tienne. Si elle est blessée ou qu’elle meure, je te ferai démembrer.”
 
Encore quelque chose à cogiter, mais pas tout de suite. Je continue à pousser Erin, ignorant ses protestations comme quoi elle a mal aux pieds. On ne peut pas ralentir. Je ne peux pas m’arrêter.
 
On doit se dépêcher.
 
Je ne peux pas me permettre d’arriver encore trop tard.


***

“Tu ne veux pas attendre une journée ?”
 
“Non.”
 
Ryoka répondit avant même qu’Erin ait eu le temps de répondre. C’était incroyable, mais la fille était encore plus hyperactive qu’avant. Elle se balançait de pied en pied, vérifiant la position du soleil ou l’heure sur son iPhone toutes les trois secondes.
 
“On ne peut pas attendre, Krshia. Si Ceria est là-dessous, elle pourrait bien être en danger en ce moment même.”
 
“Hrm. Mais c’est très dangereux. Cette créature de peau, il pourrait en y avoir plus, oui ? Et même s’il n’y en a pas, beaucoup de morts-vivants n’ont pas péri pendant l’attaque. Ils attendront là-dedans.”
 
“Tu viens ou pas ?”
 
Erin grimaça. Être franche et malpolie face à un Gnoll était… eh bien, en fait, ce n’était pas pire. Krshia renifla d’un air amusé au ton de Ryoka.
 
“Patience, jeune chasseuse. Même avec Ksmvr, un guerrier, vous deux et le mage et le squelette n’allez pas suffire, oui ? Je suggère d’attendre parce qu’avec du temps, de l’aide pourrait se présenter.”
 
“De l’aide ? Quel genre d’aide ?”
 
Krshia sourit à Erin.
 
“Plusieurs membres de ma tribu arrivent par la route du sud. Ils seront là demain, voire plus tôt. Ce sont tous des guerriers, et ils vous aideront sûrement à trouver vos humains pour vous.”
 
Les mots de Krshia firent surgir un souvenir dans l’esprit de Ryoka. Elle dévisagea la Gnolle. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Erin secoua la tête à l’attention de Krshia.
 
“On ne peut pas attendre. Je suis désolée, mais on entre. Est-ce que tu viendras avec nous ?”
 
Avec regrets, Krshia secoua la tête.
 
“Je ne peux pas. Je dois attendre ma famille et mes flèches ne seraient pas efficaces contre des choses mortes.”
 
Erin poussa un long soupir. Elle s’était douté que cela se passerait comme ça, mais ça la blessait quand même.
 
“Okay. Okay. En ce cas je vais devoir t’acheter quelques trucs.”
 
Krshia écarta les pattes.
 
“Mon échoppe est ouverte. J’ai des potions de soin que je vais te donner, et tu pourras me payer plus tard. De quoi as-tu besoin ? Tu n’as qu’à demander.”
 
“Des poêles à frire, des couteaux… enfin, non, des cailloux suffiront. Donc juste les poêles.”
 
“Des poêles ?”
 
Krshia avait l’air soupçonneuse, mais elle vit qu’Erin était sérieuse.
 
“Très bien. J’en ai de bonnes en fonte. Combien en veux-tu ?”
 
“Deux… trois… combien en as-tu ?”
 
Erin ne prit qu’une minute pour choisir les bonnes poêles. Puis elle se retourna et hocha la tête en direction de Ryoka.
 
“Allons voir Selys, alors. Elle pourra peut-être aider. Si ce n’est pas le cas, on y ira.”
 
La fille ne bougea pas. Elle dévisageait Krshia en fronçant les sourcils. Ryoka semblait avoir un problème, et les autres femelles finirent par s’en rendre compte. Krshia sourit à Ryoka.
 
“Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais dire ?”
 
“Ces autres Gnolls dont tu parlais. Ils arrivent par la route du sud ?”
 
“Oui. Si vous attendez, ils seront bientôt là.”
 
“Non. Ils ne vont pas venir.”
 
Krshia fronça les sourcils.
 
“Qu’est-ce qui t’en rend si certaine ?”
 
“Ils sont morts. Je les ai vus.”
 
Erin détourna le regard de Ryoka pour voir la réaction de Krshia juste à temps pour voir la commerçante Gnolle s’immobiliser complètement. Sa queue, d’habitude toujours en train de s’agiter, s’arrêta. Ses oreilles se figèrent et ses pupilles se dilatèrent. Elle dévisagea Ryoka.
 
“Explique-moi.”
 
“J’ai trouvé un groupe de Gnolls morts sur ma route pour venir à Liscor. Ils étaient à une soixantaine de kilomètres de la cité, tous morts. Quelque chose les a découpés en morceaux.”
 
Krshia serra le poing, attirant immédiatement les regards d’Erin et Ryoka furent immédiatement attirés. D’habitude, la main de Krshia était une patte, plus poilue que celle d’un humain mais globalement semblable. À présent, ses griffes paraissaient s’allonger. C’était peut-être un jeu de lumière. Mais regarder les mains de Krshia à cet instant, c’était se rappeler qu’elle avait des ongles. De longs ongles aiguisés, qui pouvaient servir à découper quelqu’un en tranches.
 
La Gnolle dévisagea Ryoka de toute sa hauteur en silence. Son visage était dénué d’expression, et sa voix dénuée d’émotion.
 
“Qui ?”
 
“Je ne sais pas. Mais quelques heures plus tard, j’ai croisé quelqu’un sur la route. Une femme avec un gros œil appelée Scruta.”
 
Erin regarda Ryoka avec stupéfaction, bouche-bée, mais Krshia se contenta de hocher la tête.
 
“Merci de m’avoir dit cela, Ryoka Griffin. Je crois que tu ne mens pas ?”
 
“Non.”
 
Krshia inclina lentement la tête.
 
“C’est ce que je pensais, et je sens que c’est vrai. Très bien. Vous devez partir. Sauvez vos amis.”
 
Erin hésita, mais Ryoka la tira en arrière. Les deux filles se mirent à courir dans la rue et Krshia les suivit du regard.
 
La Gnolle resta silencieuse, debout derrière son étal recouvert de marchandises soigneusement organisées. Un Drakéide trottina vers elle, heureux d’être enfin servi. Krshia se retourna pour le regarder, ses écailles virèrent au gris et il s’éloigna d’un pas mal assuré.
 
Lentement, Krshia se retourna et rentra dans sa petite échoppe. Elle fouilla d’une patte dans le fond, jusqu’à trouver un long paquet enroulé posé avec précautions sur quelques paniers. Krshia le ramena avec elle et le posa sur le comptoir, balayant son étalage pour faire de la place.
 
Elle n’allait pas plus vite que d’habitude. Il y aurait assez de temps pour ça, plus tard.
 
Krshia déballa l’arc et le posa contre le mur. Elle sortit la corde du baluchon, vérifia qu’elle était toujours huilée et lisse. Puis elle entreprit d’encorder l’arc.
De l’autre côté de la rue, le commerçant Lism, ce gâchis de fourrure, s’avançait vers Krshia. Probablement pour se plaindre de l’une des deux humaines. Krshia ne lui prêta aucune attention. Elle plongea la main dans le baluchon et en tira un paquet emballé.
 
Lism jeta un regard aux énormes flèches à tête large que Krshia était en train de déballer de leur papier ciré et fit immédiatement demi-tour. Le reste des piétons dans la rue virent la commerçante en train de s’armer et se dispersèrent.
 
L’arc était encordé, et Krshia plaça les flèches dans un carquois attaché à sa taille. Elle était prête. Elle ouvrit le panneau latéral de son échoppe et sortit.
 
Puis elle leva la tête au ciel et se mit à hurler.
 
***

Selys n’avait pas de meilleures nouvelles pour Erin. La Drakéide se contenta de secouer la tête et d’écarter les mains d’un air impuissant.
 
“Désolée, Erin. Je sais que c’est grave mais personne ne veut aller dans les Ruines. Pas après ce qui en est sorti.”
 
“Mais il y a d’autres aventuriers coincés là-dessous. Des amis. Des frères d’armes, ce genre de chose. Tu dis que personne ne va venir les aider ?”
 
“Tous les meilleurs aventuriers humains sont descendus avec les Cornes d’Hammerad. Ceux qui restent sont… eh bien…”
 
“On est juste plus intelligents qu’eux, c’est tout.”
 
La Drakéide et l’Humaine se retournèrent pour voir qui avait parlé. Un Drakéide armé d’une épée était assis, les pieds sur la table, se balançant sur sa chaise à l’aide de sa queue. Il éclata de rire avec ses amis, tous Drakéides, et se mit à plaisanter au sujet des aventuriers.
 
Erin regarda autour d’elle d’un air désespéré. Il n’y avait pas que des Drakéides et des Gnolls dans la pièce.  Il y avait aussi quelques humains, mais aucun ne voulait croiser son regard. Ou ceux qui osaient riaient avec les aventuriers.
 
“Personne d’entre vous ne va venir les aider ? S’il vous plaît, ils ont des ennuis.”
 
“Ils auraient dû s’en sortir tout seul ou ne pas aller chercher les ennuis pour commencer, Humaine.”
 
Le Drakéide qui avait prit la parole le premier se remit à rire avec ses amis.
 
“Ou peut-être qu’ils se sont contentés de fuir dès qu’ils ont aperçu les morts-vivants et se sont fait tuer. Dans tous les cas, on ne va pas risquer notre cuir pour une poignée d’idiots.”
 
“Lâches.”
 
Ryoka lâcha l’insulte d’une voix forte, et elle eut l’effet d’un coup de couteau. Elle trancha à travers le bruit et les rires et fit claquer la chaise du Drakéide qui avait parlé dans un bruit sourd.
 
L’humeur de la pièce changea. Les aventuriers attablés fusillèrent Ryoka du regard. Elle leur rendit leur regard noir.
 
“Je croyais que les aventuriers étaient censés être courageux. Toi et ta bande devriez vous débarrasser de vos épées et devenir Coursiers. Au moins, eux sont payés pour fuir.”
 
Les Drakéides assis à la table se levèrent, sifflant d’un air furieux. Selys assena un poing sur le comptoir.
 
“Arrêtez ça ! Interdiction de se battre ! La ville a vu suffisamment de combats pour le moment !”
 
Les Drakéides hésitèrent. L’ambiance générale n’était pas de leur côté, et ils n’étaient pas pressés de se battre de toute façon.
 
Ils se rassirent. C’était peut-être dû au regard de Ryoka et les rumeurs qui couraient sur la Coursière folle aux pieds nus. Mais c’était sans doute à cause de l’expression d’Erin qui les dévisageait. Tout le monde avait entendu parler de l’humaine qui avait pourfendu le monstre de peau.
 
“Je suis désolée.”
 
S’excusa de nouveau Selys, mais Erin se contenta de secouer la tête. Ryoka était déjà en train de sortir de la Guilde, et Erin se précipita sur ses talons en s’excusant rapidement auprès de Selys.
 
Cette fois-ci, Ryoka se dirigea directement vers les portes de la ville sans dire un mot. Erin devait presque courir pour la rattraper. Les deux filles marchèrent à travers la foule en silence.
 
Elles entendirent le hurlement commencer au moment où elles quittaient la Guilde des Aventuriers. D’autres voix de Gnolls s’y joignirent immédiatement, et les rues se mirent à résonner, et les Drakéides et les humains se figèrent avant de chercher l’origine du bruit d’un air éperdu. Mais aucune des filles ne daigna ne serait-ce que lever la tête.
 
“Bon. Ksmvr a dit qu’il nous rejoignait aux Ruines. C’est déjà ça.”
 
“J’imagine. Tu as besoin de passer à l’auberge ?”
 
“Ouais. Laisse-moi quelques minutes et je serai prête à partir.”
 
“Bien. Je vais t’aider à tout prendre. On aura besoin de nourriture, d’eau, de potions de soin…”
Erin souleva le sac qu’elle avait ramené du magasin de Krshia. Elle avait des potions de soin dedans, ainsi que les trois poêles qu’elle avait achetées. Ryoka y jeta un œil mais ne fit aucun commentaire. Au bout d’un moment, Erin posa la question qui la taraudait.
 
“Tu as croisé Scruta ?”
 
“Tu la connais ?”
 
“Ouais. Elle dormait à mon auberge. Elle m’a aussi aidée la première fois que je l’ai vue. Elle était, hum, sympa. Tu penses vraiment qu’elle a… ?”
 
“Je ne sais pas. Mais elle n’était pas loin des Gnolls et elle faisait mine de ne pas savoir de quoi je parlais quand je lui ai demandé.”
 
Ryoka fit quelques pas et hésita.
 
“Elle… était dérangeante.”
 
“À cause de l’œil ? Ça me faisait un peu flipper.”
 
“Non. C’était elle. Je ne saurais pas expliquer, mais tous ces Gnolls morts avaient été décapités. D’un seul coup.”
 
“Oh. Elle a… une épée très tranchante.”
 
“Vraiment ?”
 
“Oui.”
Elles ne dirent rien de plus avant d’être rentrées à l’auberge. Cela ne leur prit qu’un quart d’heure, et Erin était essoufflée en arrivant. Au regard que Ryoka lui lança, Erin fut certaine qu’elle se faisait juger. Elle ne suait même pas, elle.
 
Il faisait froid, de toute façon, pas assez chaud pour suer. On n’aurait pas dit que c’était l’hiver, mais après tout, peut-être que c’était l’équivalent de la Floride. Erin ouvrit la porte et sursauta.
 
Toren était debout dans l’entrée, l’épée à la main. Il regarda Erin d’un air curieux tandis que Ryoka levait les poings et reculait d’un pas.
 
“Toren ! Ne reste pas planté dans l’entrée avec une épée ! Viens m’aider !”
 
Erin poussa le squelette et Toren remit l’épée au fourreau avant de la suivre alors qu’elle lui criait des instructions. Ryoka regarda le squelette d’un air méfiant, mais Toren se contenta de courir humblement de partout, amassant quelques fioles vertes luminescentes, des provisions, et, pour une raison inconnue, quelques cailloux ramassés dehors.”
 
“Prête !”
 
Erin réapparut quelques minutes plus tard avec un sac à dos plein à craquer, et ses trois poêles attachées dessus. Ryoka regarda le sac d’un air dubitatif. Bah, Erin pouvait toujours rester en arrière et porter la nourriture. Elle n’avait aucune idée d’à quel point les Ruines étaient profondes. Elle ne savait rien sur les Ruines, de toute façon.
 
C’était le pire moyen d’entrer dans une zone dangereuse, mais Ryoka n’avait pas le choix. Elle devait y aller.
 
“Tu as fini ? On y va.”
 
“Okay. Toren portera tout jusqu’à ce qu’on arrive.”
En disant cela, Erin tendit le lourd sac à dos au squelette. Il l’accepta sans se plaindre et se mit à suivre Erin et Ryoka en titubant légèrement. Ryoka ouvrit la porte et s’arrêta net.
 
Plusieurs Gobelins sursautèrent, et l’un d’entre eux hurla d’une voix suraiguë. Ryoka faillit rentrer dans Erin avant de se souvenir que c’étaient des Gobelins censés être amicaux.
 
“Loks !”
 
Erin poussa Ryoka tandis que la petite Gobeline dévisageait Ryoka d’un air soupçonneux. Elle sourit à la Gobeline.
 
“Je suis contente que tu sois là. On a besoin de ton aide !”
 
Ryoka n’en crut pas ses yeux et Loks cilla de surprise. Erin n’était sûrement pas en train de penser à… ?
 
Si, bien évidemment.
 
En quelques phrases, Erin décrivit le message que Pisces avait reçu, et leur mission pour entrer dans les Ruines. Loks écouta attentivement tandis que le reste du groupe restait planté là ou se grattait le nez et mangeait ce qui en sortait
 
Erin termina son discours d’un court plaidoyer.
 
“Tu comprends, n’est-ce pas ? Tu vas aider, pas vrai ?”
 
Loks réfléchit quelques secondes à ce qu’elle venait d’entendre. Puis elle leva la tête vers Erin et secoua la tête.
 
“Quoi ?”
 
Erin dévisagea la Gobeline, le regard baissé sur elle. Loks haussa les épaules.
 
“Mais ils ont des ennuis. Et tu peux aider ! Tu as ton épée et ta tribu. On a besoin de toi, Loks.”
 
Là encore, Loks haussa les épaules. Erin ne parlait pas Gobelin et Loks ne parlait pas tout court, mais la première sentait une indifférence nette de la part de la petite Gobeline. Qu’avaient jamais fait les Cornes d’Hammerad pour elle ? Pourquoi devait-elle risquer sa peau ?
 
“Loks, s’il te plaît. Ils vont mourir si on ne les atteint pas à temps. Tu te souviens de Ceria ? Tu te souviens de Calruz ?”
 
Loks fronça les sourcils et se détourna. Son attitude semblait indiquer que s’il n’y avait pas de nourriture ou d’échecs, il ne servait à rien de rester ici.
 
C’était la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Erin avait écouté parler Zevara la grincheuse, Klbkch l’étonnamment peu serviable, Krshia et l’idée que Scruta était méchante, et une pièce pleine d’aventuriers inutiles. Sa patience avait enfin atteint ses limites. Elle craqua.
 
Hey !
 
Elle attrapa Loks à bras le corps et la souleva. La Gobeline cria, outragée, et essaya de se dégager, mais Erin se contenta de la fusiller du regard.
 
“Je te demande de l’aide. Tu m’es redevable. Je t’ai nourrie et aidée et même offert l’épée et le bouclier ! J’ai même forcé Pisces à t’enseigner la magie ! Et maintenant j’ai besoin d’aide pour sauver mes amis.”
 
Loks gronda et donna des coups de pieds à Erin. Erin étouffa un glapissement lorsqu’un pied nu la frappa en pleine poitrine. Fort.
 
“Ça suffit.”
 
La petite Gobeline attrapa la petite épée à sa ceinture, mais Erin se contenta de la retourner et se mit à la secouer. La tête et le corps de la Gobeline rebondirent violemment alors qu’Erin secouait la petite Gobeline en hurlant.
 
“Aide… moi ! Aide… nous !”
 
Elle secouait Loks par les chevilles, de manière à ce que la petite Gobeline rebondisse comme un bâton sauteur. Aux yeux de Ryoka, on aurait dit l’une de ces attractions au parc d’attraction qui envoyaient les gens malchanceux dans les airs à trente mètres par secondes, sauf que là, personne ne s’amusait. Sauf elle et le reste des Gobelins, bien sûr.
 
“Je ne m’arrêterai pas avant que tu aies dit oui ! Dis oui ! Dis-le !
 
La Gobeline hurla et essaya de mordre et de donner des coups de poing à Erin, mais rien n’y fit. Erin fit tournoyer Loks en la tenant par la jambe et la Gobeline hurla. Ryoka avait fait ça avec son père quand elle était petite, une ou deux fois. Mais c’était elle qui s’accrochait à lui tandis qu’il la faisait tournoyer en la tenant par les bras, pas les jambes. Les moulinets d’Erin étaient beaucoup plus rapides, beaucoup plus dangereux et beaucoup moins drôles.
 
Enfin, Loks finit par crier quelque chose d’une voix forte et Erin s’arrêta. La fille regarda la Gobeline d’un œil noir tandis que Loks pendait la tête en bas, encore plus verte que d’habitude.
 
“Tu vas aider ? Tu promets ?”
 
Loks acquiesça faiblement. Erin la lâcha.
 
La Gobeline atterrit avec un bruit sourd dans l’herbe. Pendant un instant, Ryoka crut qu’elle allait s’enfuir en courant, mais lorsque Loks se redressa, elle ne put que tituber comme si elle avait bu.
 
“Fuis et je te jetterai un caillou. Et tu sais que je t’aurai.”
 
Menaça Erin. Ryoka se demanda à quel point c’était crédible - Erin ne ressemblait pas à une athlète, et Ryoka doutait sérieusement qu’elle ait jamais joué au baseball. Peut-être au softball, au mieux. Elle n’avait pas l’air d’aimer la compétition.
 
Loks jeta un regard noir à Erin, s’éloigna de quelques pas en titubant, et vomit bruyamment dans l’herbe. Elle marqua une pause après avoir vomi une quantité non négligeable de nourriture non digérée, réfléchit un instant, puis vomit de nouveau.
 
Erin vacilla en se retournant, elle aussi légèrement prise de vertige après avoir tourné. Elle faillit rentrer dans un autre Gobelin. La petite troupe de Loks hésitait entre la fusiller du regard et regarder le vomi dans l’herbe avec curiosité - ou faim.
 
Ils étaient peut-être protecteurs envers leur boss. Elle n’en avait cure. Erin les fusilla du regard.
 
“Vous voulez vous battre ? Huh ?”
 
Les Gobelins regardèrent leur meneuse, toujours en train de vomir bruyamment dans l’herbe. Ils se tournèrent ensuite de nouveau vers la Destructrice, Pourfendeuse du Monstre de Peau, Fournisseuse de Pâtes et de Boissons Gratuites. Ils battirent rapidement en retraite.
 
Loks avait presque terminé de vomir. La Gobeline s’essuya la bouche et dit quelque chose dans son langage grattant. Erin la pointa du doigt.
 
“Tu vas aider. Pas de discussion. Toi et ta tribu…”
 
Erin hésita et se retourna. La zone était déjà en train de se vider de ses Gobelins, qui s’enfuyaient à toutes jambes.
 
“Merde.”
 
Ryoka lui jeta un coup d’œil. Son amusement à la vue du spectacle s’était évaporé comme le reste des Gobelins.
 
“Il faut qu’on y aille. Pourquoi est-ce que tu veux la Gobeline, de toute façon ? Même sa tribu ne peut pas vraiment aider.”
 
Erin n’était pas d’accord.
 
“Elle a une épée et un bouclier. Et de plus, elle sait faire de la magie.”
 
Ryoka marqua une pause.
 
“... Vraiment ?”
 
“Oui, peut-être pas autant que toi, mais un peu. Et elle fait partie de ceux qui ont tué le monstre-de-peau-super-méchant qui ressemblait à un ver et menait les morts-vivants.”
 
Ryoka la dévisagea. Erin leva les bras au ciel.
 
“C’est vrai ! Pourquoi est-ce que personne ne me croit quand je dis ça ?”


***

Elles retrouvèrent Pisces en train d’attendre aux Ruines. Le mage était agité, et il n’avait rien apporté d’autre que sa robe sale habituelle. Il était dépourvu de son habituel air méprisant, toutefois, et il était stressé. La seule personne possiblement plus stressée que lui était Ksmvr.
 
“Il me semble bien plus prudent que vous restiez en arrière, Erin Solstice. Vous n’êtes pas une guerrière, et les Ruines sont dangereuses.”
 
“Ce sont mes amis. Je descends là-dedans.”
 
Erin fusilla Ksmvr du regard. L’Antinium vacilla, puis soupira.
 
“Très bien. Mais restez derrière moi à chaque instant.”
 
Loks jeta un regard noir à l’Antinium lorsqu’il la regarda elle, puis Toren.
 
“Vous avez choisi un groupe inhabituel.”
 
“Personne d’autre ne voulait venir.”
 
“Je vois.”
 
Ryoka les ignora tous les deux et se dirigea vers Pisces. Il la regarda avec l’expression de quelqu’un qui cherche à se souvenir d’un nom. Elle n’en avait cure.
 
“Est-ce que tu as reçu un autre message d’eux ?”
 
Il secoua la tête.
 
“Il est possible que quelque chose bloque Ceria. Ou alors son mana est encore faible. C’est possible si elle est… blessée.”
 
“Je vois. En ce cas, allons la retrouver.”
 
“Je suppose. Mais il y a, ah, un problème.”
 
“Quoi donc ?”
 
Il montra d’un signe de tête l’imposante entrée dans les Ruines.
 
“Les gardes refusent de nous laisser entrer.”
 
Apprès l’attaque sur Liscor, une palissade et une tranchée profonde avaient été mises en place, et les gardes à l’entrée des Ruines étaient à présent une vingtaine, armés de flèches et de torches, et il y avait même un Drakéide mage au fond. Le garde en charge du groupe dévisagea Erin et le reste lorsqu’ils s’avancèrent vers lui.
 
“On entre.”
 
Les Drakéides et les Gnolls regardèrent fixement Erin, debout devant eux. L’un d’entre eux éclata de rire, mais se tut lorsqu’il vit que personne ne se joignait à lui. Leur chef, un Drakéide avec des écailles marrons, secoua la tête.
 
“Personne n’entre, personne ne sort. Ordres de Zevara.”
 
“Elle sait qu’on entre.”
 
“Vraiment ?”
 
“Vraiment.”
 
Il secoua la tête.
 
“Je ne peux pas vous laisser entrer sans un mot de sa part.”
 
“C’est regrettable.”
 
Répondit Ksmvr de derrière Erin. Il secoua la tête.
 
“Nous devrions retourner en ville. Il ne faudrait pas aller à l’encontre de la loi.”
 
Ryoka ouvrit la bouche… même si elle n’avait aucune idée de ce qu’elle allait dire. Une menace ? Elle ne voyait rien qui pouvait marcher à coup sûr. Mais Erin se contenta de plisser les yeux.
 
“Tu vas nous laisser entrer.”
 
“Ou quoi ?”
 
“Ou je vais te faire mal.”
 
Le Drakéide dévisagea Erin. Elle le fusilla du regard. Il faisait presque une tête de plus qu’elle sans compter son heaume, et il avait une lance et dix-neuf gardes derrière lui. Erin n’avait qu’une poêle à frire. Mais il se souvenait d’où était mort Écorcheur, et il avait aussi l’ [Instinct de Survie]. Le regard d’Erin lui fit reconsidérer ce qu’il s’était apprêté à dire.
 
“Nous allons envoyer un message en ville. Si vous voulez bien attendre.”
 
Erin le poussa. Le Drakéide tituba en arrière et faillit entrer dans le mur de pieux aiguisés. Erin passa devant lui d’un pas rageur sans un mot, et le reste la suivit. Ryoka resta plantée la bouche ouverte derrière elle puis se dépêcha de la rattraper.
 
Les Ruines étaient sombres, et les portes de pierre béantes étaient toujours aussi chargées de sombres prémonitions. Erin savait qu’il n’était plus possible de faire demi-tour. Mais elle se rappela soudain un détail.
 
“Hum. Est-ce que quelqu’un a apporté une bougie ?”
 
“[Lumière].”
 
Déclarèrent en chœur Pisces et Ryoka tandis que Loks marmottait quelque chose. Trois orbes de lumière miroitantes s’élevèrent dans les airs et les trois se regardèrent, surpris.
 
“Bien, en ce cas… on est bons.”
 
Erin se retourna en direction des Ruines. Et bientôt, les monstres, se dit-elle. Des monstres sournois, des morts-vivants. C’était d’ici qu’était sorti Écorcheur. C’était ici qu’étaient morts un nombre incalculable d’aventuriers.
 
La mort les attendait, tapie sous leurs pieds. Mais les Cornes d’Hammerad les attendaient aussi en bas. Ils n’avaient pas le choix. Erin prit une grande inspiration.
 
“Prêts ?”
 
Pisces avait le teint verdâtre, mais il acquiesça. Loks fronça les sourcils en direction d’Erin, de Ryoka puis du sol. Toren avait déjà tiré son épée et scrutait l’entrée sombre.
 
Ksmvr s’avança.
 
“Permettez-moi de passer en premier, Miss Solstice. Je vais partir en éclaireur et revenir vous dire si le passage est sûr.”
 
“Non. On y va ensemble.”
 
Il hésita, mais Erin le poussa et passa devant. Ryoka cligna des yeux, surprise. Erin avança dans les ténèbres des ruines, puis se retourna.
 
“Eh bien ? Je ne vois rien si vous ne me suivez pas.”
 
Les autres hésitèrent, mais finirent par avancer. Ryoka entra dans les ténèbres et frissonna. Sa langue emplissait sa bouche et son cœur battait à tout rompre. Elle avait peur. Pour la première fois, elle avait vraiment peur. De l’inconnu. De ce qu’elle ne connaissait pas. D’arriver trop tard.
 
Mais elle devait y aller.
 
Un [Nécromancien] sale, une Gobeline, un squelette ranimé, le Prognugator d’une Colonie d’Antiniums, une [Aubergiste] et une Coursière de ville pénétrèrent dans les Ruines. On aurait dit le début d’une blague, mais quelle serait la chute ?
 
Scruta l’Omnisciente était assiste dos à une penta à quelques centaines de mètres. Son œil principal resta pointé à l’arrière de sa tête alors qu’elle suivait l’avancée de l’étrange groupe qui commençait sa descente dans les Ruines.
 
Voyons voir. En termes de classes primaires, il y avait là…
 
Un Antinium [Guerrier] de Niveau 12.
 
Un [Nécromancien] de Niveau 27 avec des niveaux dans la classe de [Mage].
 
Une Gobeline avec 8 Niveaux dans sa classe de [Guerrière], 6 Niveaux dans sa classe de [Mage] et 10 Niveaux dans sa classe de [Tacticienne].
 
Un [Guerrier Squelette] de Niveau 11 équipé d’un rubis enchanté avec un sort de [Terreur].
 
Une Humaine [Aubergiste] de Niveau 18.
 
Et une Humaine Coursière sans niveaux.
 
Une blague, alors. Quelque chose au sujet de Ruines ? Ou de morts-vivants. Ces blagues-là pouvaient être drôles. Scruta fronça les sourcils. Elle y réfléchirait en attendant qu’ils ressortent. Elle avait bien assez de temps.
 
Mais bon, l’attente commençait à se faire longue. Elle était patiente, avait été patiente, mais à présent, Scruta vibrait d’anticipation. En attendant, elle polissait son épée en chantonnant doucement. Un petit rouleau serré, scellé d’un sceau de cire où était gravé une rune brillante, était posé dans l’herbe à côté d’elle.
 
Il était enfin temps de rentrer à la maison.
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 09 août 2020 à 11:51:38
2.03 - Première partie

Traduit par EllieVia

C’est une bien étrange procession qui progressait dans les couloirs vides des ruines mortes-vivantes de Liscor. Enfin, les ruines en elles-mêmes n’étaient pas mortes-vivantes, elles en étaient simplement infestées.

En théorie. Personne n’avait encore vu de corps pour le moment, qu’il soit vivant, mort-vivant, ou juste mort. Mais ils étaient prêts.

Mais tout de même, c’était un groupe bien étrange qui marchait aux côtés de Ryoka. Et leur formation était étrange aussi. Elle n’y avait pas réfléchi lorsqu’elle avait su qu’elle allait chercher ses amis. Ryoka s’était dit qu’elle allait courir dans les ruines le plus vite possible, en évitant les pièges et les monstres sur chaque foulée qui la séparait des Cornes d’Hammerad.

Ç’aurait été une course suicidaire dans tous les cas. Qu’est-ce qu’elle aurait fait si elle les avait trouvés ? Elle les aurait portés sur des centaines de mètres en esquivant les monstres, armures comprises ? Elle était incapable de ne serait-ce que soulever Calruz.

Elle n’avait pas réfléchi. Elle n’aurait fait que se tuer elle ainsi que les gens qu’elle était venue secourir. Il fallait qu’elle utilise son cerveau.

Ils avaient donc réfléchi à la meilleure manière de traverser les ruines. Le groupe avait décidé de marcher en rangs de deux, afin d’éviter que quelqu’un se retrouve sans partenaire, mais aussi pour qu’ils soient suffisamment espacés au cas où quelque chose les surprenne par derrière.

Ça ressemblait à un scénario de mauvais film d’horreur pour Erin, mais au moins cette fois-ci, elle s’était mise au milieu. Et ils marchaient ensemble, pas avec un idiot coincé au fond où personne ne pouvait l’entendre. Malgré tout, elle continuait de regarder par-dessus son épaule toutes les deux minutes.

De manière quelque peu prévisible, Ksmvr était coincé devant avec Toren. Personne ne voulait se mettre avec lui et Toren pouvait aussi bien voir de nuit que de jour. Pisces et Loks marchaient derrière, théoriquement les plus éloignés du danger mais hypothétiquement les premiers à pouvoir se faire poignarder dans le dos. Mais entre l’ouïe de Loks et la paranoïa de Pisces, il était peu probable qu’ils tombent dans une embuscade.

Ce qui laissait Erin et Ryoka au centre. Elles marchaient côte-à-côte, guettant le moindre mouvement en traversant pièce après pièce dans un silence complet.

Ce qui ne voulait d’ailleurs pas dire que leur groupe était silencieux, bien sûr. Ksmvr glissait dans les ténèbres comme un fantôme, mais Toren cliquetait en marchant. Pisces marmonnait dans sa barbe en se prenant les pieds dans sa robe, Loks avançait en traînant les pieds et Erin…

Elle marchait littéralement dans un fracas de casseroles. Ryoka voulait demander à quoi allaient servir les poêles, sans parler du sac de caillou, mais elle était trop occupée à scruter les ténèbres.

Ksmvr et elle allaient devoir s’occuper de la majeure partie des combats, ça allait dépendre d’à quel point ce Pisces était utile. Elle aurait presque aimé pouvoir dire à Erin de ne pas venir. Elle et la Gobeline… à quel point pouvaient-elles vraiment être utiles ? Ryoka ne cessait de ruminer ses appréhensions en guettant le premier cadavre qui sortirait des ténèbres.

Mais aucun ne vint. Pas de monstres, pas de morts-vivants, pas même de cadavres. Le vide qui habitait les ruines était inquiétant, et la tension sapait l’énergie de tout le monde.

Au bout d’environ une dizaine de minutes à respirer bruyamment, avec le cœur battant et en sursautant à la moindre ombre, Erin n’en puis plus. Elle regarda Ryoka. La grande fille marchait silencieusement, ses pieds nus frôlant sans bruit la pierre du sol alors qu’elle surveillait toutes les directions à la fois. Erin se racla la gorge et Ryoka sursauta avant de la fusiller du regard.

“Bon. Il fait plutôt sombre ici.”

Loks lui jeta un regard en coin. Personne ne dit mot. Chaque nerf était tendu, chaque œil scrutait les corridors sombres et les salles vides, guettant le moindre signe de danger, de mouvement.

“Je veux dire, je n’ai aucun problème avec les endroits sombres. Mais ici, ça l’est particulièrement. Et c’est flippant, aussi. Mais l’architecture est sympa. Ça me fait penser à une de ces vieilles cathédrales, tu vois ce que je veux dire ?”

Pisces regarda le dos d’Erin d’un air inquisiteur.

“Des cathédrales ? Tu veux dire… des bâtiments de culte ? Il y en a quelques-uns éparpillés un peu partout, mais je n’ai jamais… est-ce que cet endroit te fait penser à ça ?”

“Ce n’est pas exactement la même chose, mais à me fait penser à celles de Rome et des endroits comme ça. C’est quoi déjà le nom de celle avec les peintures au plafond ?”

Ryoka soupira bruyamment. Elle regarda fixement Erin et pointa du doigt d’un air appuyé Ksmvr et Toren qui étaient partis en éclaireur devant les quatre autres.

“Est-ce qu’il ne faudrait pas qu’on se taise afin d’éviter de tomber dans une embuscade ?”

“Est-ce qu’on est vraiment obligés ? J’ai [Instinct de Survie]. C’est cette compétence qui permet de, euh, sentir quand un danger approche.”

Ryoka essaya de s’empêcher de retrousser les lèvres.

“Je la connais. Ceria dit que ça ne marche pas pour certains dangers. Les pièges, par exemple.”

“Tu es en train de dire qu’on va se taire tout le long ? Je parie que ce serait encore plus flippant que de parler.”

“Soyez assurées que je demeurerai pétrifié de terreur qu’importe la façon dont nous choisirons de faire le voyage. Mais Erin présente un bon argument, Miss, euh, Griffin. Je peux sentir les morts-vivants lorsqu’ils sont proches.”

“Vraiment ? Alors où sont-ils ?”

Pisces avait l’air aux abois.

“Autour de nous. Quelque part. Ces ruines sont saturées de mort. Tant de morts-vivants rôdant ici-bas, pendant des centaines, possiblement des milliers d’années… mais je le saurais s’ils étaient juste derrière nous, en revanche.”

“Merveilleux.”

Les quatre reprirent leur route en silence. Erin se demanda si elle ferait bien de reprendre la parole, mais elle avait perdu l’occasion.

Au bout de cinq minutes, Ryoka marmotta quelques mots.

“C’est la Chapelle Sixtine, et c’est au Vatican, pas à Rome.”
“Je croyais que c’était à Rome.”

“Le Vatican est un État à part. Il est à l’intérieur de Rome, mais c’est techniquement un État à part entière.”

“Oh. C’est cool. Je n’en avais aucune idée. C’est le Pape qui règne là-bas, c’est bien ça ?”

“En gros, oui.”
Pourquoi étaient-elles en train de parler du Pape au beau milieu d’une ruine abandonnée ? Là encore, Ryoka ne connaissait pas très bien Erin. Peut-être qu’elle était très religieuse.

Pisces jeta de nouveau un regard suspicieux aux dos d’Erin et Ryoka. Loks était trop occupée à se curer l’oreille.

“Qu’est-ce qu’un Pape ?”

Ryoka se tendit immédiatement comme un ressort, mais Erin répondit sans attendre.

“C’est une sorte de super [Prêtre]. S’ils existaient. Ce qui n’est apparemment pas le cas.”

Pisces jeta un regard de travers à Erin, mais il parut accepter l’explication complexe.

“Donc c’est un [Prêtre] hypothétique.”

“Ouaip. Il pourrait vraiment nous être utile en ce moment, d’ailleurs. Un [Prêtre] pourrait carrément s’occuper de n’importe quel mort-vivant qu’on pourrait croiser. Les morts-vivants, l’eau bénite, tout ça tout ça.”

“Je peux faire à peu près la même chose.”

“Vraiment ? Alors pourquoi est-ce que tu avais besoin qu’on vienne ?”

Pisces répondit à Erin en reniflant. Il avait tout du genre de personne que Ryoka détestait. Ou du moins, du genre de personnes présentes sur sa liste de haine, qui, il fallait bien le dire, était plutôt longue. C’était un je-sais-tout bégueule et convaincu de sa propre importance, si son instinct était bon. Exactement le genre de personne qui parle beaucoup et ne fait jamais rien…

Et qui était en ce moment même en train de risquer sa vie pour sauver Ceria et le reste. Ryoka interrompit son flot de pensées pour se corriger.

“Je peux m’occuper de la plupart des types de morts-vivants assez facilement. C’est, euh, les Seigneurs des Cryptes qui représentent une menace considérable pour moi.”

Erin fronça les sourcils.

“C’est quoi, des Seigneurs des Cryptes ? Tu parles de ces énormes tas avec des os à la place des dents ?”

“Oui. Ils sont de plus haut niveau que moi, pour ainsi dire. Je ne peux pas les détruire facilement, comme ils résistent à ma magie.”

“Des Seigneurs des Cryptes ? Est-ce que c’est une espèce supérieure de morts-vivants ? Comme les Liches ?”

Erin regarda fixement Ryoka, puis Pisces.

“Pitié, dites-moi qu’on n’a pas une de ces horreurs dans le coin. Elles ne sont pas censées être immortelles ?”

Pisces parut amusé.

“Certainement pas. Une Liche est simplement un jeteur de sort version mort-vivant. Elles sont très dangereuses lorsqu’elles sont nombreuses, ou même seules, mais elles sont loin d’être immortelles. Et je n’en ai pas vu une seule pendant l’attaque contre Liscor, donc je pense qu’on peut être tranquille de ce côté-là.”

C’était encore une chose. Pisces avait été présent pendant l’attaque contre Liscor, et Erin aussi, d’ailleurs. Ryoka avait tout raté.

Elle avait de mal à se représenter ces Seigneurs des Cryptes, même si Erin en avait fait des descriptions très détaillées. Sans parler de ça, elle se demandait à quel point l’attaque avait été violente. Elle avait du mal à s’imaginer Pisces survivre à une vraie attaque, et Erin avait dit qu’elle avait défendu son auberge contre les morts-vivants. Ryoka ne croyait pas qu’Erin mentait, mais…

Si elle avait survécu, à quel point est-ce que ça avait pu être grave ? Quelques centaines de morts-vivants ? Et apparemment, une espèce de monstre de peau. Ryoka ne voyait tout simplement pas comment tout cela avait pu être aussi horrifiant si Erin s’en était sortie indemne.

Et si elle avait survécu, peut-être que c’était aussi le cas des Cornes d’Hammerad.

Erin était toujours en train de parler des Seigneurs des Cryptes. Elle sortit une fiole verte luminescente, une de celles qu’elle avait prises à l’auberge. Elle en avait deux dans son sac de potions.

“J’ai précisément ce qu’il leur faut.”

Cela ne ressemblait pas aux autres potions que Ryoka avait vues dans les marchés des villes humaines. Elle se demanda ce que ça faisait.

“Est-ce que je peux y jeter un coup d’œil ?”

Pisces s’éloigna de la fiole lorsqu’Erin la tendit à Ryoka. La réaction du mage la poussa à prendre la fiole luisante avec précautions. Elle n’était pas particulièrement chaude ou froide au toucher, et le liquide s’agitait dedans comme le fluide le plus Newtonien qui soit. C’était à peu près tout ce que Ryoka pouvait dire de la fiole.

“Qu’est-ce que c’est ?”

“De l’acide.”

Ryoka faillit lâcher la fiole. Sa peau fut parcourue d’un frisson et elle sentit instantanément une sueur froide perler sur son corps.

“Quel genre ?”

Erin avait l’air candide.

“Hum, de l’acide de Mouches Acides ? Je n’en sais rien.”

Des mouches acides ? Ryoka se souvint du menu à l’auberge d’Erin. Des mouches acides. Elle s’était dit qu’Erin plaisantait. Mais…

Elle secoua précautionneusement le liquide dans la fiole et l’inspecta. C’était d’un vert fluo, exactement comme le slime qu’on pouvait s’attendre à trouver dans un kit du petit chimiste d’un enfant.

“Une sorte d’acide chlorhydrique ? Est-ce qu’il peut attaquer le verre ?”

“Je ne crois pas. Je ne sais pas quel genre d’acide c’est. Hum, il n’attaque pas vraiment le métal ou la pierre. Il ne dissout que la peau et la chair. Mais il fait ça très vite.”

Ryoka regarda fixement la file. Elle doutait quelque peu de son efficacité, mais eut l’occasion de voir l’acide en action bien assez tôt. Ksmvr s’arrêta au coin du couloir, puis Toren et lui se mirent à courir à toute allure vers le reste du groupe.

“Des morts-vivants. Des goules, juste devant.”

Le cœur de Ryoka se mit à battre à grands coups dans sa poitrine, mais le reste du groupe réagit plus vite qu’elle ne s’y serait attendue. Pisces hocha la tête, Loks tira son épée de son fourreau, et Erin leva la jarre d’acide avec un air déterminé.

“Okay, passez derrière nous.”

Ksmvr hésita, mais Toren jeta un regard à la fiole de verre et se plaça immédiatement derrière Erin. Le squelette avait tiré son épée, et Ryoka resta un instant fascinée par ses yeux bleus. Elle essaya de se concentrer. Ils arrivaient.

“Je peux m’en faire cinq. Ils étaient combien ?”

“Huit. Deux étaient blessés.”

“Je m’occupe d’un.”

Erin leva sa fiole d’acide et Ksmvr et plaça à ses côtés. Pisces retroussa les manches de sa robe et plissa les yeux. Ryoka pouvait à présent entendre des grondements et les bruits sourds de la chair sur la pierre. Elle était prête. Elle avait appris à se battre dès l’enfance. Elle pouvait le faire. Elle pouvait…

La première Goule surgit du fond du couloir à quatre pattes, tellement rapide que Ryoka resta pétrifiée. Le temps qu’elle se remette, six cadavres l’avaient déjà rattrapée, des Drakéides et des Gnolls, traversant le couloir à toute allure.

Les morts-vivants n’étaient pas censés courir. Mais ces choses étaient en train de sprinter. Ryoka tremblait. Huit ? Huit, c’était beaucoup trop. Elle allait devoir les combattre deux par deux. Elle jeta un œil à Pisces. Il levait la main et Erin était en train de soulever sa fiole d’acide. Trop lents. Ils n’allaient jamais pouvoir…

“Décède.”

Pisces plia le doigt, et Ryoka entendit un craquement. L’une des Goules de devant s’écroula, et elle vit sa colonne vertébrale se tordre sous sa chair putréfiée. Elle cessa de bouger, et fit trébucher les autres.

Le mage bougea le doigt et pointa une deuxième Goule. Puis une troisième. Elles s’écroulèrent à chaque fois, leurs colonnes vertébrales se brisant avec des bruits de raclement horribles.

Une autre Goule bondit en avant. Ryoka faillit se précipiter dessus, mais Erin jeta sa fiole. Le verre se brisa sur la Goule encore dans les airs et elle s’écrasa au sol. De la fumée se mit à s’échapper de sa chair tandis que ce qui avait autrefois été un Drakéide se roulait par terre en se griffant le torse.

Les Goules n’étaient à présent plus qu’à quelques mètres. Pisces leva son autre main et pointa. Deux Goules s’écroulèrent, et les deux restantes hurlèrent en se précipitant sur Erin.

C’était le moment. Les jambes de Ryoka tentèrent de bouger, mais elle fut trop lente, pour une fois. À côté d’elle, Toren bondit sur la première Goule et Ksmvr cueillit la deuxième avec à la fois ses épées et ses dagues.

Tout était flou. Ryoka vit Toren transpercer la Goule puis se débattre par terre avec elle. Ksmvr était en train de découper son ennemie en rondelles et Erin gardait une poêle levée en criant quelque chose. La Coursière regarda fixement Toren et la Goule rouler par terre. Elle ne pouvait pas les aider.

Soudain, Loks se précipita devant Ryoka. La Gobeline fondit sur la Goule et lança un coup de poignard. La Goule se raidit, et Ryoka vit que Loks avait enfoncé son poignard à l’arrière de la tête du cadavre d’humain. Toren roula au sol aux côtés de la Goule à présent parfaitement morte et attrapa son épée avant de se relever.

L’escarmouche était terminée. Ils avaient gagné.

Et Ryoka…

Elle n’avait absolument rien fait.

***

Erin remarqua Ryoka en train de regarder fixement une Goule après que la fièvre du combat soit passée. La Coursière était pâle, mais elle regardait la Goule qui avait été touchée par l’acide. Erin était légèrement en train de regretter d’avoir jeté la fiole, à présent. Elle n’en avait plus qu’une. Toren était allé récolter l’acide dans les pièges, mais il n’y avait pas trouvé grand-chose et elle avait épuisé son stock en combattant Écorcheur.

“Ne t’inquiète pas. Celle-ci est morte. Et le reste ne va pas se relever de sitôt.”

Il y avait intérêt. Celles que Pisces avait tuées en leur brisant la colonne ne bougeaient plus, et les deux autres avaient été taillées en morceaux par à Loks, Ksmvr et Toren. Et celle qu’Erin avait tuée…

N’était plus qu’une flaque. Une flaque verte, luisante, avec des bouts à moitié dissous dedans en train de terminer de se liquéfier. C’était d’ailleurs dangereux, étant donné qu’il allait à présent falloir contourner la flaque qui continuait de se répandre.

Mais Ryoka n’avait l’air qu’à moitié intéressée par la Goule morte. Elle regardait le cadavre en train de se liquéfier en fronçant les sourcils.

“Qu’est-ce qu’il y a ?”

Ryoka jeta un regard à Erin et pointa l’acide du doigt.

“Ça n’a aucun sens. L’acide ne dissous pas les choses aussi rapidement. S’il était si puissant que ça, il aurait rongé la fiole en quelques secondes.”

“Chelou, hein ? Mais ça fait une arme bien pratique, tu ne trouves pas ? J’en ai vendu aux Gobelins, je me suis fait plein de sous avec !”

Ryoka dévisagea Erin.

“Tu as vendu ça aux Gobelins ?”

“Hum…”

“Mais comment ça se fait que ça ne détruise pas les fioles ? Pourquoi est-ce que cet acide n’attaque que la chair ?”

“Par magie ?”

Le visage de Ryoka exprimait clairement selon Erin ce qu’elle pensait de cette idée.

“La magie doit quand même respecter des règles. Là, ce n’est clairement pas le cas.”

“C’est comme ça qu’elles se nourrissent.”

Ryoka se tourna. Pisces était en train de s’éponger le front. Il suait. À cause de l’effort requis pour jeter ces sorts ? Il hocha la tête en direction de la goule presque entièrement dissoute et la flaque verte à présent légèrement gélifiée.

“Les, euh, Mouches Acides se servent de leur acide pour transformer la chair morte en une substance sirupeuse telle que celle que vous voyez devant vous. Puis elles récoltent le plus possible de nutriments, pour elles et leurs femelles.”

“Leurs femelles ?”

“Oui. Toutes les mouches productrices d’acide sont des males. Elles approvisionnent les femelles en nutriments et traquent les cadavres. C’était plutôt ingénieux de la part de Miss Solstice de récolter leur liquide, même si vous pouvez voir très clairement les dangers que cela implique.

Ryoka regarda fixement la flaque d’acide. C’était plus facile de contempler la boue verte quasiment impossible à identifier que les cadavres des Goules. Elle avait la nausée, mais elle se força à la refouler. Ils avaient gagné. Les Goules avaient facilement été gérées. Presque trop facilement. Mais Ryoka n’avait pas fait grand-chose. Elle n’avait rien fait du tout, en fait.

Mais la prochaine fois, elle se battrait. Quand les choses deviendraient sérieuses, elle jouerait son rôle.

Elle en était certaine.

***

Le groupe marcha encore vingt minutes avant l’attaque suivante. Pisces était juste en train d’expliquer en quoi son sort breveté briseur de colonne vertébrale était le produit d’un sort de [Nécromancien] plus avancé qu’il avait repris à sa sauce lorsqu’il leva les yeux et hurla un avertissement.

Une quinzaine de morts-vivants, un mélange de zombies et de squelettes, surgirent d’une porte ouverte et se précipitèrent sur eux. Là encore, Ryoka faillit rester pétrifiée de terreur en apercevant leurs silhouettes pourrissantes et les lumières brûlant dans les yeux des squelettes.

Pisces abattit plusieurs morts-vivants, mais ils étaient trop nombreux, cette fois-ci. Erin plongea la main dans son sac et jeta quelque chose - un caillou. Ryoka s’attendit à ce qu’elle rate sa cible, ou à ce qu’elle ne cause aucun dégât, mais la pierre cogna de plein fouet un squelette et fit éclater son crâne, l’envoyant valser au sol.

Et ensuite, les morts-vivants étaient au milieu du groupe, toutes griffes et dents dehors, et essayaient de tuer Ryoka.

La fille eut le temps de voir Ksmvr donner des coups d’épées, vif comme l’éclair, et Toren charger dans le tas avant qu’un zombie plonge sur elle. Elle leva les poings à l’approche de la femme en grande partie pourrie, ses dents gâtées ornant une mâchoire qui s’ouvrit lorsqu’elle saisit le bras de Ryoka.

Donne-lui un coup de pied. Tout l’instinct de Ryoka lui hurlait de lui donner un coup de pied, et c’est ce qu’elle fit. Maladroitement.

Ce n’était pas un coup de pied fouetté dévastateur qui cueillit la femme putréfiée dans le ventre, mais un coup de pied destiné à la repousser. Mais ce fut un échec, parce que lorsque le pied nu de Ryoka frappa la femme dans l’estomac, ce dernier se déchira et son pied se prit dans la chair pourrie des intestins de la femme.

La sensation était horrible. Gluant, visqueux, et tiède. Cela fit perdre l’équilibre à Ryoka, et la femme morte-vivante la saisit.

Donne-lui des coups de poing. Assomme-la. Jette-la au sol. Ryoka avait un millier d’options, et elle n’en choisit aucune. Elle plongea ses yeux dans un œil dévasté et sentit l’haleine putride du zombie sur sa peau. Et elle se retrouva incapable de riposter.

Elle se figea. Elle était incapable de s’en empêcher. C’était un cadavre, une humaine décédée qu’on avait ramené à la vie. C’était la réalité. Ce n’était pas un monstre, et ce n’était pas un jeu. C’était réel.

Et ça essayait de la bouffer.

Le zombie ouvrit beaucoup trop largement les mâchoires et tenta de mordre le visage de Ryoka. Ryoka hurla, horrifiée, et la repoussa. Un morceau de chair morte tomba du visage de la femme et atterrit sur la joue de Ryoka, près de sa bouche ouverte. Ryoka l’essuya immédiatement, mais le zombie était alors sur elle, les bras tendus. Il allait la tuer...

Une poêle à frire s’écrasa sur le visage de la zombie, brisant ce qui lui restait de nez dans un bruit mouillé et l’envoyant s’étaler au sol. Erin la maintint par terre et lui martela la tête alors qu’elle restait étendue au sol. Lorsqu’elle releva la poêle, elle était légèrement déformée et des morceaux de cheveux et de peau collaient sur les bords.

“Beûrk, beûrk beûrk !”

La fille ne se plaignit pas longtemps, cependant. Elle tournoya et envoya valser un autre squelette. De là où elle était tombée, Ryoka vit le squelette tomber puis les lumières dans ses yeux s’éteindre lorsqu’Erin donna un coup de pied qui le décapita, envoyant son crâne s’écraser plus loin dans le long couloir.

Le dernier zombie s’écroula, l’épée de Loks logée dans ses entrailles tandis que l’une des dagues de Ksmvr était en train de l’égorger. Erin regarda autour d’elle et soupira de soulagement. Le reste des morts-vivants avait disparu.

Ce qui la laissait seule avec son adrénaline toujours en train de rugir dans ses veines et sa poêle à frire. Erin contempla cette dernière. Elle avait tué trois zombies et un squelette avec. C’était une bonne chose, mais à présent des bouts de chaque cadavre collaient sur les bords de la poêle.

“Bon Dieu. C’est dégoûtant.”

Erin verdit en secouant sa poêle pour les faire tomber. Elle prit plusieurs longues inspirations pour tenter de faire partir le fumet de pourriture et de mort de son nez. Elle essaya de ne pas vomir et jeta un œil à Ryoka. La fille était toujours en train de dévisager le zombie qu’Erin avait tué. Son visage était blanc.

“Hey, tu vas bien ? Ce zombie ne t’a pas mordue ou quoi que ce soit, si ?”

Erin tendit une main en direction de Ryoka. La fille regarda la main, puis Erin. Les yeux de Ryoka se dirigèrent ensuite vers la poêle d’Erin, et la substance abjecte qui gouttait sur le bord.

“Oh, c’est vrai. Il faut que je nettoie ça. Hum. Heureusement que je ne l’utilise pas pour cuisiner, hein ?”

La fille aux pieds nus regarda fixement la poêle à frire, puis Erin. Elle ignora la main offerte et se leva, lentement. Elle regarda les cadavres et les corps découpés autour d’elle, et inhala l’odeur de mort. Elle regarda Erin. Son visage était d’une pâleur mortelle.

“Ryoka ? Est-ce que ça va ?”

C’est à ce moment-là que Ryoka vomit.

***

“Tu sais, ce n’est pas comme si n’importe qui pouvait entrer dans les ruines et combattre des monstres morts-vivants. Il faut être vraiment courageuse pour faire ça, et encore plus si on est pieds nus.”

“C’est vrai.”

“Et tu essayais de te battre à mains nues. C’est… doublement courageux, pas vrai ?”

“C’est vrai.”

“Et on pense tous que tu es courageuse, pas vrai ?”

Erin regarda autour d’elle. Ksmvr et Pisces acquiescèrent tous les deux poliment.

“Indisputablement.”

“Correct.”

“De plus, tu as traversé les Hautes Passes toute seule. Et tu as survécu face à des loups géants et des chèvres démoniaques et des gargouilles. Tu n’es pas lâche. Tu le sais.”

Ryoka était assise par terre, tremblante. Elle savait qu’il fallait qu’elle dise quelque chose. Mais elle en était incapable. Sa gorge était encore trop serrée.

Erin essayait de la réconforter. Et ses mots aidaient vraiment. Mais ils ne changeaient rien à ce qui venait de se passer.

“Je suis restée paralysée. Je n’ai pas réussi à riposter.”

“Hey, ça peut arriver à tout le monde.”

“Ça t’est déjà arrivé, à toi ?”

“Non. Mais il n’y a pas à en avoir honte. N’importe qui se figerait si un horrible zombie essayait de leur manger le visage.”

Ryoka leva les yeux vers Erin, et l’aubergiste sourit d’un air encourageant.

“Allez, viens. Il faut qu’on reprenne la route.”

“Bien sûr.”

Ryoka bondit sur ses pieds tellement vite qu’Erin cilla.

“On ne peut pas s’arrêter. Il faut qu’on arrive à temps. Allons-y.”

Elle se mit à marcher. Erin échangea des regards avec les autres et se précipita derrière elle.

Ryoka ralentit pour laisser Erin la rattraper, et ralentit encore plus pour que Ksmvr et Toren puissent reprendre leur place à l’avant. Après tout, elle avait prouvé qu’elle ne pouvait pas être d’une grande aide en cas d’attaque.

Erin se mit à côté de Ryoka et garda le rythme alors qu’elles continuaient à s’enfoncer dans les ruines. Ryoka pouvait sentir le regard d’Erin sur elle.

“Tu es, euh, tu t’es vite remise, là. Tu te sens bien ?”

“Non.”

Ryoka préférait être honnête.

“On peut s’arrêter s’il te faut plus de temps…”

“Il faut qu’on sauve les Cornes d’Hammerad. Je survivrai. Je suis juste… je vais m’en sortir.”

Ryoka sourit, amère.

“Après tout, ce n’est pas comme si tu avais besoin de l’aide d’une lâche.”

“Hey.”

Erin attrapa Ryoka par l’épaule.

“Tu n’es pas une lâche.”

“Je ne pouvais pas riposter. J’ai failli me faire tuer.”

“Tu te battais à mains nues…”

“Je prends des leçons d’arts martiaux depuis mes huit ans. Je suis une artiste martiale certifiée et j’ai dû me battre un nombre incalculable de fois avant ça. J’ai vu des montres. Mais je n’ai pas pu tuer ce zombie. Pourquoi ? Qu’est-ce qui a changé ?”

Ryoka accéléra le pas. Erin réfléchit en se dépêchant de la rattraper. Au bout de quelques minutes, elle offrit la seule réponse qu’elle avait trouvée.

“J’imagine que c’est parce que tu n’es pas une tueuse.”

Elle vit Ryoka s’arrêter net. La fille Asiatique dévisagea Erin, son visage dans l’ombre de la lumière de l’orbe qui flottait à côté de son visage.

“Quoi ?”

“C’est juste une idée.”

Erin haussa les épaules, mal à l’aise. Elle ne voyait pas trop comment expliquer correctement.

“C’est juste… le combat, les arts martiaux ? Tout ça, c’est de l’autodéfense, pas vrai ? Et c’est comme un sport.”

“Et alors ? C’est fait pour pouvoir se battre.”

“Mais pas pour tuer. Je me trompe ?”

Ryoka hésita.

“Ce n’est pas la première option, mais si on en arrive là...”

“Mais ce n’en est jamais arrivé là, pas vrai ? Je veux dire, est-ce que tu as déjà tué quelqu’un ? Déjà poignardé quelqu’un ou brisé un cou avec un coup de karaté ou un truc du genre ?”

Ryoka repensa au Gobelin qu’elle avait cogné du pied, longtemps avant. Elle se rappela l’horrible façon dont son cou avait craqué et frissonna.

“Peut-être. Une fois.”

“Eh bien, euh. J’ai tué beaucoup de choses.”

Ryoka regarda Erin. La fille, plus petite, détourna les yeux et les plongea dans les ténèbres.

“La première chose que j’ai tuée était un Gobelin. Un Chef de Tribu, pour être précise. Il était énorme et démoniaque et il voulait me tuer… je lui ai cramé la tête avec de l’huile bouillante.”

C’était comme si Ryoka avait raté une marche. Elle dévisagea Erin qui continua sa tirade.

“J’ai tué d’autres Gobelins aussi, je pense. Enfin, ils étaient en train de me mettre des coups de dague, donc je les ai cognés - et j’ai aussi tué quelques Araignées Cuirassées, et aussi quelques morts-vivants. Ce n’est pas comme si j’étais une aventurière qui se balade en tuant des trucs, tu vois. Mais j’étais obligée. Et le truc, c’est que tout crie en mourant.”

Elle leva les yeux vers Ryoka. Il y avait quelque chose de creux dans le regard d’Erin. Un néant froid.

“Tout. Je n’aime pas ça. J’espère que je n’aimerai jamais ça. Mais je peux tuer des choses. D’autres monstres, ou même des gens. Pas juste des gens morts, d’ailleurs. S’il le fallait, je pourrais tuer quelqu’un qui essayerait de me tuer.”

“Je… je vois. Mais j’ai combattu des gens, moi aussi.”

“Mais tu ne les as jamais tués.”

“Non. Non, en effet.”

Les morceaux du puzzle s’assemblaient. Ryoka comprit ce qu’Erin essayait de lui dire.

“J’imagine que c’est pour cette raison que je suis devenue Coursière. Je n’ai pas les ovaires pour…”

“Arrête.”

Erin poussa Ryoka, et la fille trébucha. Ryoka se tourna vers Erin, et vit qu’elle était en train de secouer la tête.

“C’est une bonne chose. C’est une bonne chose que tu ne puisses pas tuer des gens. Même quand ils sont déjà morts.”

“Mais j’ai failli mourir. Si ça se reproduit, il faudra bien que je me batte. Ou que je tue.”

“Et si tu le dois, tu le feras, probablement. Mais je ne pense pas que tuer des choses soit admirable, et toi ?”

“... non plus.”

En voyant le regard sombre d’Erin, Ryoka n’avait pas d’autre choix que d’acquiescer.

***

“Donc, tu n’as pas de classe ? C’est tellement bizarre.”

Ryoka commençait à s’habituer à Erin et ses yeux écarquillés de surprise. Il y avait quelque chose d’inexorablement innocent dans la curiosité d’Erin qui soutirait des réponses à Ryoka alors qu’elle n’en avait aucunement l’intention. C’était précisément le problème : il était facile de parler à Erin.

Pire encore, Ryoka appréciait de lui parler. Après le combat contre les zombies, la présence des morts-vivants s’était faite rare pendant quelque temps. Ksmvr et Toren étaient tombés sur quelques individus et des petits groupes dont ils s’étaient chargés sans prendre la peine d’en informer le reste du groupe, ce qui leur laissait le temps de papoter.

Et soudain, parler était quelque chose que Ryoka avait envie de faire de plus en plus avec Erin. Elle avait plus de profondeurs que ce qu’elle aurait pu croire. Pas comme un oignon, ou un gâteau ou une coupe de glace ou quoi que ce soit de crétin dans le genre. Elle avait des profondeurs comme lorsque l’on marche dans une flaque qui s’avère être aussi profonde que l’océan.

Mais elle restait peu profonde pour quelques sujets, comme celui-là, et c’était rafraîchissant.

“C’est, euh, un choix que j’ai fait. Je sais que ça a l’air débile étant donné que ce monde…”

“Euh, quoi ? Non. Non, je ne pense pas. Je ne juge pas. Tu fais ce que tu veux, tout ça tout ça. Je me demandais juste comment tu faisais pour te débrouiller sans compétences.”

Ryoka était en train de commencer à se poser la même question. Mais elle avait une théorie, et elle était allée trop loin maintenant pour l’abandonner juste comme ça. Peut-être… mais elle changea de sujet pour que la conversation reste légère.

“Tu es, euh, forte au combat.”

“Tu trouves ?”

Ryoka savait que oui. Elle avait vu Erin se battre avec sa poêle, et malgré son manque évident d’entraînement martial, elle était vicieusement dangereuse. Et forte. Ryoka savait que c’était probablement grâce à une Compétence, mais elle ne pouvait s’empêcher d’en rester émerveillée.

“Pourquoi est-ce que tu te bats avec des poêles, en revanche ? Et c’est quoi le délire avec les cailloux ?”

“Ça fait tout partie de mon super plan.”

Erin sourit d’un air rusé à Ryoka en brandissant sa nouvelle poêle. Elle avait abandonné la précédente un peu plus tôt, en disant qu’elle puait trop.

“Tu vois, j’ai cette compétence, [Rixe de Taverne]. Ça ne marche que si j’utilise des choses que je pourrais trouver dans un bar, ou dans ce cas précis, une cuisine. Si je prends une épée, je ne peux pas bouger aussi bien et c’est plus dur de viser. Donc j’ai choisi de prendre une poêle !”

“Et les cailloux ?”

“J’ai [Lancer Infaillible] et [Force Mineure]. Je peux jeter des choses suffisamment fort pour tuer quelques zombies.”

“C’est… plutôt impressionnant.”

Ryoka était bien forcée de l’admettre.

“Oui, bon, je me suis dit, quitte à avoir des compétences, autant les utiliser, tu vois ?”

“C’est surtout créatif. Ce qui, je pense, est plus l’idée.”

“Comment ça ?”

“Bon, partons du principe que c’est un monde similaire à un jeu.”

Ryoka hésita, et regarda derrière elle. Pisces la dévisagea, et Loks bailla en regardant autour d’elle, clairement en train de mourir d’ennui. Elle savait qu’elle ne devrait pas parler de ça, mais Pisces avait déjà entendu la majeure partie de leur conversation. Et Erin lui faisait confiance, et il lui avait soigné la jambe. Et il y avait d’autres gens de chez elle dans ce monde, de toute manière, donc ce n’était plus tant un secret que ça. Peut-être…

Il avait probablement déjà compris qu’il y avait quelque chose de louche s’il avait ne serait-ce qu’un demi-cerveau, de toute façon. Ryoka se retourna vers Erin.

“Eh bien, je ne suis pas experte. Je ne faisais pas de jeux de rôle, petite.”

“Moi non plus. Je veux dire, j’ai essayé D&D une fois ou deux, mais je préfère jouer aux échecs.”

Encore une surprise. Comment était-ce possible qu’elle lui en réserve autant ? Ryoka aimait bien les échecs. Peut-être qu’elles pourraient faire quelques parties ensemble. Avec un peu de chances, Erin n’était pas mauvaise perdante.

“Ce que j’essaie de dire, c’est que la créativité a toujours l’air d’être le point clefs de ce genre de jeux. On ne peut pas faire pareil dans les jeux vidéo, mais si au lieu d’explorer un donjon en se battant, on se contentait d’en détruire les fondations ? Ou… ou si au lieu de se battre contre un Minotaure en furie, on se contentait de le téléporter dans de la lave en fusion ou un truc du genre ?”

“Parce que ce serait super méchant ? Mais je vois ce que tu veux dire. Tu essaies de dire qu’il est possible de trouver des failles dans le système, c’est ça ?”

“Ou du moins, tirer parti de certaines de ses propriétés. Si on part du principe qu’on veut entrer dans le système, bien sûr.”

Ryoka fronça les sourcils, mais se reprit en voyant qu’Erin la regardait.

“Donc à quoi tu pensais ?”

“Rien de particulier. Mais tu connais beaucoup de choses de notre monde. C’est possible que tu arrives à les incorporer dans ton auberge, d’une manière ou d’une autre.”

“Comment, par exemple ?”

“Je ne sais pas.”

Ryoka n’y avait jamais réfléchi. Et traverser des couloirs souterrains poussiéreux n’était pas le meilleur moment pour trouver de nouvelles idées. Elle regarda soudain Pisces, l’œil brillant.

“Et si on commençait par lui ?”

Pisces parut interloqué.

“Moi ?”

Erin fronça les sourcils.

“Quoi, lui ?”

“Pisces est un [Nécromancien], c’est bien ça ? C’est lui qui a fait ce squelette.”

“Toren.”

“Exactement. Mais est-ce que tu as déjà créé un mort-vivant qui ne soit pas humain ? Ni humanoïde ?”

Pisces fronça les sourcils en dévisageant Ryoka.

“J’ai du mal à comprendre ta requête. J’ai éveillé de nombreuses formes de zombies, des goules, des squelettes…”

“Mais jamais quoi que ce soit d’autre ?”

“Comme quoi ?”

“Un zombie ours, par exemple.”

“Un zombie ours ?”

Erin dévisagea Ryoka, horrifiée. Ryoka haussa les épaules.

“Ces serait carrément plus puissant qu’un zombie humain, j’en suis certaine. Ou, sans parler d’ours, pourquoi pas une araignée ? As-tu déjà essayé de réanimer quelque chose qui soit dépourvu d’os ? Et une souris morte ? Est-ce que tu pourrais en faire des espionnes ? Ou… des oiseaux morts-vivants ? Est-ce qu’ils pourraient voler ?”

Pisces renifla et resserra sa robe autour de lui, sur la défensive.

“Tu parles de ces choses-là comme s’il s’agissait d’actes de magie simples. Tu ne pourrais pas te tromper davantage, je te l’assure.”

“Ah ouais ?”

Erin haussa un sourcil sceptique.

“En quoi est-ce difficile de réanimer un ours ? Ça a des os.”

“Ah, mais l’alignement de ces derniers est complètement différent. La structure squelettique d’un ours rejette tous les sorts, ce qui rend la spécialisation dans ce genre de créature beaucoup trop complexe pour que l’effort en vaille la peine.”

Erin avait l’air perdue, mais Ryoka pensait comprendre ce que disait Pisces. Le mage adopta un ton moralisateur et s’arma de son expression méprisante habituelle pour expliquer.

“Les sorts de nécromancie ne consistent pas simplement à réanimer de la matière morte grâce à un peu de magie. Si c’était si simple, n’importe qui pourrait devenir [Nécromancien]. Non, cela requiert une connaissance intrinsèque du fonctionnement de chaque corps pour que les sorts de réanimation de la chair morte animent correctement le cadavre, sans parler de restaurer ce qui a pu en être perdu.”

“Ouais, mais tu ne peux pas juste lire un livre sur le sujet ? Quelqu’un a bien dû faire des légions d’ours morts-vivants à un moment ou à un autre, non ?”

Pisces haussa les épaules.

“Même si c’était le cas, où est-ce que j’irais trouver un livre pareil ? La nécromancie n’est peut-être pas illégale dans toutes les nations, mais elle est mal vue de manière presque universelle. Même Wistram n’a que peu de livres sur le sujet, et le peu de sorts que j’ai réussi à y dénicher n’avaient que des incantations standards pour les humanoïdes.”

“Oh, donc personne n’aime être nécromancien ? C’est triste.”

Pisces renifla.

“Oui, bon, c’est une branche rare de la magie. Il n’y avait pas de professeur à Wistram pour m’enseigner. J’avais espéré y trouver un praticien accompli, mais il était parti depuis longtemps et il n’avait quasiment rien trouvé de nouveau. Et les seules personnes qui fassent figures d’autorité sur le sujet ont tendance à être fous à lier ou des cultes qui pratiquent des invocations de masse de moindre qualité…”

Il réalisa qu’il était en train de perdre son audience. Pisces soupira.

“Tout cela pour dire que la réanimation dans les règles de l’art nécessite plusieurs facteurs. Les nécromanciens utilisent des cadavres parce que les os sont les vaisseaux idéaux pour stocker de la magie et créer des liens magiques, alors que la chitine se décompose trop rapidement pour maintenir des sorts sur le long terme.”

Erin et Loks avaient l’air perdues.

“Quoi ?”

Ryoka traduisit.

“Il dit juste qu’il a besoin d’os pour pouvoir animer correctement un corps. Les araignées et le reste des créatures dépourvues d’os ne dureraient pas longtemps comme il n’y a nulle part où ancrer le sortilège.”

“Oh.”

Pisces perdit un peu de sa superbe en dévisageant Ryoka, surprise.

“C’était… plutôt très bien dit. Je vois que vous avez quelques connaissances peu orthodoxes vous aussi, Miss Griffin.”

“Je ne suis pas mage. Mais je comprends plutôt bien quand on me raconte des conneries.”

Erin éclata de rire et Pisces rougit.


Note d'EllieVia : Le chapitre se poursuit dans le post suivant (impossible de poster plus de 10 000 mots d'un coup, ce chapitre fait 10 250 mots) !
Bonne lecture :)

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 09 août 2020 à 11:54:11
2.03 - Deuxième partie

Traduit par EllieVia


***

“Donc… tu es Coursière, c'est bien ça ?”

Ryoka acquiesça. Elle était seule avec Erin de nouveau. Pisces avait reculé avec Loks en arrière-garde, et elles parlaient toujours. C’était agréable de parler, et de plus, les morts-vivants s’étaient faits étonnamment rares. Ce qui était plutôt suspect.

“Qu’est-ce que tu faisais à la maison ? Je veux dire, tu avais un job, ou quoi que ce soit ?”

“Je, euh, n’en avais pas besoin. Mes parents étaient plutôt riches. J’allais entrer à l’université quand j’ai disparu.”

“Oh, vraiment ? Je pensais que tu étais déjà étudiante. Je veux dire, j’ai vingt ans, mais j’ai pris une année sabbatique parce que je voulais jouer aux échecs et gagner de l’argent pour les frais de scolarité. Et toi ?”

Ryoka s’éclaircit la gorge, mal à l’aise.

“J’ai, euh, pris une année sabbatique aussi.”

Plusieurs, en fait.

“Je pense que j’avais juste besoin de faire une pause après le lycée.”

“C’est bon. Je comprends parfaitement.”

“Et tu es… une [Aubergiste]. Comment est-ce arrivé ?”

Erin haussa les épaules.

“Je ne sais pas. Je voulais juste trouver un endroit où je serais en sécurité, tu vois ? Et j’ai trouvé l’auberge, et elle était vraiment pleine de poussière.”

“De la poussière ?”

“Oui, beaucoup de poussière. Donc je l’ai rangée et nettoyée un peu et quand je me suis réveillée le lendemain j’étais une [Aubergiste].”

“Huh.”

“Et toi alors ? Pourquoi est-ce que tu as décidé de ne pas prendre de classe ? J’imagine que tu aurais pu en avoir une avoir toutes les courses que tu as faites.”

“Ouais. J’en ai eu l’opportunité, mais j’ai refusé. Je ne pensais pas que ce soit une bonne idée.”

Erin regarda Ryoka, curieuse.

“Pourquoi non ?”

La fille haussa les épaules.

“Ce système - gagner des niveaux et des Compétences - ressemble trop à un jeu.”

“Oui, en effet. Mais pourquoi ne pas jouer ? Je veux dire, sans ma classe, je serais déjà morte plusieurs fois d’affilée. Donc quel mal y a-t-il à jouer ?”

“Si on est dans un jeu, alors il y a des règles. Et quelqu’un qui a créé le jeu. Ma question est : qui ? Et comment peut-on gagner ?”

“En évitant de mourir, je dirais.”

“Peut-être.”

Ils trouvèrent un long passage qui avait l’air de descendre à l’infini. Ryoka plongea son regard dans les ténèbres puis se tourna vers Ksmvr.

“Est-ce que c’est par là qu’on descend au deuxième sous-sol ?”

“Il semblerait que oui.”

“C’est d’ici que tous les aventuriers ne sont jamais ressortis, c’est ça ?”

Erin frissonna en regardant les profondeurs obscures.

“Et c’est de là que cette chose est sortie.”

Ryoka n’avait jamais vue la chose dont Erin et le reste parlaient, mais elle s’en fit une idée rien qu’à la manière dont le reste du groupe frissonna. Mais tout de même.

Elle regarda Pisces.

“Tu es sûr que le message disait de descendre là-dedans ?”

Il acquiesça.

“On m’a dit qu’ils se cachaient au second sous-sol. Je n’ai pas plus d’informations. J’ai jeté le même sort pour demander plus de précisions, mais Ceria doit être à court de mana. Ou…”

Il ne termina pas sa phrase. Ryoka hocha la tête.

“Il faut qu’on descende là-dessous.”

Erin acquiesça, mais elle regarda quand même les ténèbres d’un air incertain.

“Et s’il y en a encore un autre ?”

“On court.”

“Oh. Bon plan.”

C’était probablement le seul plan qui allait avoir une chance de marcher, d’ailleurs.  Erin n’avait aucune envie de se battre contre ce ver de peau une deuxième fois, et sans une armée d’Antiniums pour l’épauler, elle n’allait même pas essayer.

Quoi que maintenant qu’Erin y songeait, Ryoka était résolument la plus rapide d’entre eux. C’était probablement un bon plan pour elle, mais Erin espérait vraiment qu’on n’en arriverait pas là. Elle n’avait jamais aimé les cours de sport.

Ils descendirent dans les ténèbres, un par un. Et y trouvèrent…

Absolument rien.


***


Rien. Pas un zombie, pas un squelette, et pas même une main coupée de Goule. Le groupe de six traversa le deuxième sous-sol entièrement vide des Ruines, guettant le moindre le mouvement et n’en trouvant aucun.

Ils trouvèrent une chambre vide et virent que les Cornes d’Hammerad et le reste des aventuriers s’y étaient arrêtés pour se reposer. Erin regarda les quelques cadavres qui ne s’étaient pas relevés et soupira tristement en voyant Hunt allongé dans un coin.

“Pauvre gars. Il était juste allongé là avec le reste. J’imagine qu’il a dû être blessé ou autre chose.”

Ryoka dévisagea Hunt. Elle avait l’impression de le reconnaître, mais son visage était gravement décomposé. Elle secoua la tête.

“Quelle que soit la chose qui a eu ces aventuriers, elle devait être rapide s’ils n’ont même pas pu déplacer leurs blessés.”

“Non.”

Lorsque Ryoka leva les yeux sur elle, Erin expliqua.

“C’était le monstre. Le monstre de peau. Il… projetait de la peur. Tellement de peur qu’on ne pouvait même pas bouger lorsqu’il nous regardait. Même si les aventuriers s’étaient tenus prêts, je ne crois pas qu’ils auraient pu contrer ça.”

L’estomac de Ryoka se retourna en regardant les aventuriers morts, massacrés sur place.

“Mais ce n’est qu’une poignée d’entre eux. Où sont les autres ?”

Ils les trouvèrent bien assez tôt.


***

“Oh mon dieu.”

Erin regarda le couloir où Écorcheur était apparu pour la première fois et se demanda si elle allait vraiment vomir cette fois-ci. C’était une vision horrible. Ryoka avait vomi de nouveau, et même Pisces et Loks n’avaient pas l’air trop en forme.

L’endroit où les Cornes d’Hammerad s’étaient battus pour la dernière fois et les portes ouvertes par lesquelles Écorcheur était sorti étaient encore une scène de sang et de mort. Du sang séché et de la chair pourrissante, mais le carnage restait bien visible. Erin descendit dans le couloir, essayant d’éviter le pire du bain de sang.

Les corps puaient la pourriture. Erin sentait son estomac se soulever même à cette distance, et elle était juste heureuse qu’ils soient trop en profondeur pour que les insectes n’aient pu se mettre à manger les corps. Ou plutôt, ce qu’il en restait.

Écorcheur était passé dans ce couloir, et il n’avait pas laissé grand-chose qui soit identifiable, ni grand-chose tout court, d’ailleurs.

Ksmvr appela Erin au bout du couloir. Toren et lui n’étaient pas perturbés par la mort et il pointa du doigt une paire de portes gigantesques tout au bout du couloir. Le sang et les intestins étaient particulièrement présents dans cette zone.

“Ça doit être par là qu’il est sorti. Regardez les portes.”

Erin regarda. C’étaient d’immenses portes de pierre qui avaient été ouvertes en grand pour laisser passer quelqu’un, ou quelque chose. Elle pouvait voir que la créature de peau était sortie par là. Pas à cause du carnage, mais à cause des portes en elles-mêmes. Elles avaient des runes gravées dessus, et de plus, elles ressemblaient aux portes menant au boss final.

Ryoka arrêta de vomir assez longtemps pour se rapprocher des portes. Elle baissa les yeux sur des morceaux brisés de métal tordu. Des dents acérées béaient, enroulées dans des morceaux de peau blanche.

“On dirait les restes d’une espèce de piège. Si c’était ça, ça n’a pas marché.”

Erin baissa les yeux au sol. Ce n’était que… des os, des muscles et des organes. Pas de peau, impossible de dire qui avait été là. Elle se rappelait tous les aventuriers qui étaient venus à son auberge ce soir-là. Certains d’entre eux pourraient bien être ici. Elle était peut-être en train de regarder leurs cadavres, et elle ne le saurait jamais.

Son cœur saignait. Mais Erin vit alors quelque chose étinceler à la lumière de la sphère du mage. Elle se baissa pour le ramasser.

“Oh, wow. Une arbalète !”

Loks leva les yeux et vit Erin traîner la lourde chose noire de là où elle avait été abandonnée. C’était l’un des rares objets qui ne soit pas recouvert de boyaux. Elle la leva, s’émerveillant devant son poids et son bois lisse, puis son visage se décomposa.

“Cassée.”

Ryoka s’approcha pour jeter un œil à l’arbalète. Ç’avait été une arme magnifique, autrefois. Mais quelque chose avait brisé la base de bois et ce n’était plus que de la corde et du métal, à présent.

“Dommage. Ça aurait pu être utile. J’aurais pu m’en servir.”

“Ouais, mais ça ne sert plus à rien à présent.”

Les yeux de la Gobeline suivirent l’arme brisée lorsqu’Erin la jeta de nouveau par terre. Elle se précipita dessus tandis qu’Erin et Ryoka inspectaient la chambre forte d’où Écorcheur était sorti.

Ça, pour le coup, c’est une salle au trésor. Pas vrai ?”

“On dirait bien.”

Il était difficile pour les filles d’en être certaines. D’un côté, la chambre dont Écorcheur était sorti ressemblait à une salle au trésor. Elle était grande, caverneuse, et remplie d’étagères de pierre où s’entassaient des objets et des paniers. Mais le problème, c’est que rien dans cette pièce n’avait l’air d’avoir une quelconque valeur.

“Qu’est-ce que c’est que ça ?”

Erin pointa une urne du doigt. C’était une jolie urne, profondément gravée et émaillée d’une belle pierre verte qui brillait à la lumière. Ryoka y jeta un œil et haussa les épaules.

“Une espèce de vase. Probablement de cérémonie.”

“Et ça ?”

“Une amulette.”

“Mais elle est en pierre !”

“Eh bien, ça a probablement une valeur culturelle.”

“Mais pas de valeur, disons, magique ?”

“... Probablement pas.”

Pisces leva les yeux d’un air distrait en fouillant des rangées d’objets sur les étagères de pierre. Il fusilla Ryoka et Erin du regard comme si c’était leur faute d’une manière ou d’une autre.

Rien n’est magique ici ! Tout est… mondain ! Ce n’est pas un trésor. C’est une décharge d’antiquités et de souvenirs !”

“Vraiment ? Mais on dirait vraiment une chambre forte. Où sont partis tous les trésors ?”

Le mage s’aspira les joues d’un air furieux.

“Je ne sais pas. Mais il y avait de nombreux artefacts magiques ici, ça je peux vous le dire ! Je sens leurs auras, mais ils ont disparu.”

“Diantre.”

Erin soupira. Mais ce n’était pas pour cela qu’ils étaient descendus, n’est-ce pas ?

“Eh bien, les Cornes d’Hammerad ne sont pas ici. Ou s’ils y sont…”

Ryoka secoua la tête.

“Ils ne sont pas là. J’en suis sûre. Pisces, ce sort que tu as reçu. Est-ce que ça disait… ?”

Il fit la moue.

“Non. C’était très ténu. Ça disait juste “Ruines. Deuxième étage. Dedans.” Je ne crois pas que Ceria avait assez de mana pour dire plus que ça.”

“Bordel.”

Erin se tourna vers les autres. Toren s’était trouvé une nouvelle épée, et Loks était occupée à traîner l’arbalète noire brisée. Elle était presque aussi grosse qu’elle et Erin était sûre qu’elle n’allait jamais pouvoir la ramener à la surface. Pisces sortit d’un air furieux de la salle au trésor et Ksmvr attendit patiemment en faisant le guet par là où ils étaient arrivés. Erin se tourna vers Ryoka.

“On va où ? Dans l’autre sens ?”

Ryoka acquiesça.

“Ils ne peuvent être que là. Dépêchons-nous.”


***

La gigantesque salle de tombes était le dernier endroit qu’ils avaient visité. Les pieds de Ryoka lui faisaient mal à cause des tommettes froides, et elle avait des couches de… mort qui lui recouvrait la plante des pieds. Elle ne voulait pas y penser.

Ses pieds lui faisaient mal, de toute façon, après toutes ces allées et venues. Ils avaient visité chaque pièce, cherché le moindre signe de vie. Mais ils n’avaient rien trouvé. Et ceci, la dernière pièce des Ruines, n’était pas plus prometteuse que le reste.

Après avoir fait un tour rapide de la pièce caverneuse, Ryoka voyait bien que personne ne s’y cachait. Les cercueils de pierre étaient la seule chose présente dans la pièce, et la plupart avaient déjà été ouverte pour laisser sortir leurs occupants.

Elle retourna en courant là où Erin et le reste l’attendaient et secoua la tête.

“Rien.”

Le visage d’Erin se décomposa.

“Tu en es sûre ?”

“Il faudrait qu’ils soient de la taille de cette Gobeline pour pouvoir se cacher ici, et ils m’auraient entendue. Ils ne sont… pas là.”

Ryoka avait mal de dire ça. Mais ils avaient fouillé de partout, et c’était la fin. Elle secoua la tête. Elle ne se sentait pas triste. Elle se sentait simplement vide. Creuse. Ils étaient venus jusqu’ici, et pour quoi ?

Étonnamment, c’était Pisces qui résistait le plus au constat de Ryoka. Il secoua la tête avec véhémence et rétorqua.

“Je ne te crois pas. Ceria est ici, quelque part à cet étage. On doit tout simplement l’avoir manquée. Il faut qu’on retourne vérifier !”

Ryoka le fusilla du regard. Elle était fatiguée, épuisée, et elle savait qu’il devait l’être aussi. Mais elle essaya d’être la voix de la raison.

“On a vérifié partout. S’ils se cachaient, pourquoi ne sont-ils pas sortis en nous voyant ? Et si on traîne ici, on risque d’attirer d’autre morts-vivants.”

“Je n’en sens aucun. Je ne sens quasiment rien ici.”

“Tu as dit qu’il y avait des centaines de morts-vivants dans ces Ruines.”

“Oui, eh bien ils ne sont pas ici. Et je refuse de partir sans avoir trouvé Ceria !”

“Mais où pourraient-ils être d’autre ?”

C’était la conversation la plus bruyante que le groupe avait eue jusque-là, et leur voix résonnait dans la vaste pièce, se faisant rapidement avaler par l’immensité. Erin s’interposa entre Pisces et Ryoka qui se fusillaient du regard.

“D’accord, d’accord, réfléchissons. On ne peut pas abandonner tout de suite, mais Ryoka a raison, Pisces. Si on ne les trouve pas rapidement…”

Il se détourna d’elle.

“Ceria est en vie. Elle n’aurait pas pu jeter le sort, sinon.”

“Mais tu ne peux plus la contacter, si ?”

“Non. Mais il y a des centaines de raisons pour lesquelles elle pourrait être incapable de répondre. Un danger imminent, peut-être, ou simplement… la faim. Sans nourriture ni repos, son corps serait incapable de se recharger en mana.”

“Oui, je comprends ça. Mais alors où pourrait-elle être ? Comment pourrait-elle se cacher de tous ces morts-vivants et de ce truc de peau ? Est-ce qu’elle connaît le sort d’[Invisibilité] comme toi ?”

Pisces secoua la tête.

“Non. Elle n’a jamais appris… elle est en vie, Erin, je le jure. On doit la trouver.”

“Je sais, je sais. Mais si on ne la trouve pas bientôt…”

Ryoka se détourna tandis qu’Erin parlait avec Pisces. Elle avait envie de donner un coup de pied à quelque chose, ou peut-être de crier, mais elle avait peur de faire du bruit et d’attirer l’attention. Même si Pisces disait que les Ruines étaient vides, le silence était déconcertant.

Elle regarda autour d’elle. Si on oubliait les trois humains, les trois autres membres du groupe avaient l’air moins intéressés par le sort des Cornes d’Hammerad et plus intéressés par le fait de sortir plutôt tôt que tard. Loks était accroupie dans un coin de la pièce, contemplant avec intensité l’arbalète brisée qu’elle traînait encore avec elle. Ryoka était surprise qu’elle l’ait toujours, mais la Gobeline était tenace.

Ksmvr jetait régulièrement un coup d’œil plein d’espoir à Erin. Il gardait l’entrée de la chambre des tombes, guettant le moindre signe de mort-vivant. Il espérait probablement simplement qu’ils allaient abandonner pour qu’il puisse arrêter de protéger Erin.

Et Toren ?  Toren était en train de regarder fixement un cercueil de pierre. Il l’inspectait peut-être en se demandant s’il pourrait y reposer plus tard. Ryoka secoua la tête. Ça ne servait à rien. Elle avait eu tellement d’espoir, mais les Cornes d’Hammerad… peut-être que ça n’avait été qu’un coup de chance.

Ou peut-être qu’ils arrivaient trop tard. Pisces avait reçu le message presque un jour plus tôt, maintenant. Peut-être qu’il avait déjà été trop tard quand il l’avait reçu. Peut-être que la magie avait pris trop de temps à l’atteindre. Peut-être même que Ceria était morte en les attendant pendant qu’elles étaient en train de se disputer avec Zevara.

L’idée blessait Ryoka, mais elle devait se rendre à l’évidence. Ses amis avaient été de bons aventuriers, mais pas des prodiges non plus. Les chances qu’ils soient tous morts avaient été élevées, et ce n’était que son espoir fou qui l’avait convaincue qu’ils avaient survécu alors que tout le reste était mort. Après tout, on ne peut pas tricher avec la mort, pas même lorsqu’on est les Cornes d’Hammerad…

Le regard de Ryoka tomba de nouveau sur Toren. Le squelette était en train d’essayer de regarder dans un cercueil. Et elle comprit enfin.

“Attendez une seconde.”

Erin et Pisces s’interrompirent lorsque Ryoka se tourna vers eux.

“Qu’est-ce qu’il se passe ?”

“Je crois que je sais où se trouvent peut-être les Cornes d’Hammerad. Ils se cachent encore ici.”

“Où ?”

Pisces avait l’air suspicieux. Il jeta un regard noir à Ryoka.

“On a cherché partout. Si tu es en train de suggérer qu’ils sont sortis d’une manière ou d’une autre…”

“Non, ils sont toujours ici.”

Ryoka se mit à chercher dans la pièce en continuant son explication. Elle cherchait. La plupart des cercueils étaient ouverts, mais quelques-uns avaient été refermés.

“Et si… s’ils s’étaient cachés là où aucun mort-vivant ne pouvait venir les chercher ? Quelque part où ils n’avaient aucune envie de retourner ?”

Erin et Pisces suivirent le regard de Ryoka, puis regardèrent Toren. Erin écarquilla les yeux.

“Dans les cercueils ?”

“C’est possible. S’ils ont laissé un peu de place pour laisser passer l’air…”

“On va vérifier. Loks ! Ksmvr ! Toren !”

Erin les appela tandis que Ryoka et Pisces couraient vers les cercueils. Il n’y en avait pas beaucoup qui soient encore fermés. Mais il y avait beaucoup de tombes de pierres. Ryoka courut de dalle mortuaire en dalle mortuaire. Elle les souleva une par une, les déplaçant juste un peu afin de voir à l’intérieur. Des cadavres, des restes pourris, des morceaux de tissus…

Rien.

Elle entendit les autres faire la même chose. Ryoka tenta un autre cercueil et s’arrêta. C’était crétin. Si les Cornes d’Hammerad étaient ici, pourquoi ne les avaient-ils pas entendus ? Pourquoi n’étaient-ils pas sortis ?”

“Ceria ? Calruz ! Gerial ! Sostrom ! Si vous êtes ici, répondez !”

Hurla Ryoka dans la chambre vide. Sa voix résonna bruyamment tandis que le reste du groupe continuait de soulever les dalles. Ryoka ferma les yeux et écouta. Rien. Bien sûr. C’était une idée stupide. Personne ne pourrait…

“...?”

Elle se figea. Le bruit était très ténu, presque inaudible. Elle regarda autour d’elle.

“Ceria ?”

“...r...a… ?”

Là. Encore ce bruit. Elle ne l’avait pas imaginé. Ryoka courut en direction du son. Elle s’écrasa contre un cercueil et se figea, ignorant la douleur dans son tibia.

“Ryoka... ?”

Celui-là. Ryoka chargea en direction du cercueil, sautant par-dessus une tombe vide. Elle baissa la tête. C’était ténu mais… oui ! Il y avait une toute petite fissure sombre, suffisante pour laisser passer le son. Et une voix. C’était cette voix que Ryoka reconnaissait.

“Ryoka ?”

Ceria!”

Ryoka hurla. Erin et Pisces firent volte-face. Ryoka poussa le couvercle de pierre de toutes ses forces. C’était lourd, mais Erin la rejoignit, puis Pisces. Ils poussèrent le couvercle au sol où il se fracassa. Et là, dans le cercueil, gisait quelqu’un qu’ils reconnaissaient.

Ceria Springwalker sourit faiblement à Ryoka, clignant des yeux devant la lumière des orbes de Pisces et Loks. Son visage était pâle et elle avait l’air émaciée, la faim ne lui ayant laissé que la peau sur les os. Mais elle était là. Vivante.

“Ceria !”

Pisces tendit les bras vers elle, mais Ryoka fut plus rapide. Avec l’aide d’Erin, elles sortirent Ceria du cercueil de pierre. Elle était impossiblement légère, encore plus que ce dont Ryoka se souvenait. Elle s’effondra au sol, et Erin dut la redresser pour qu’elle reste debout.

“Ceria. On t’a retrouvée.”

“Oui. Vous m’avez retrouvée.”

La voix de Ceria était un murmure, un chuchotis. Elle toussa, et soudain tout le monde cherchait une flasque d’eau. Elle accepta une gorgée d’eau de la flasque de Pisces et recracha le tout en toussant. Ryoka essaya de la stabiliser.

“Tu… as reçu mon message. Je suis contente. J’avais peur de rester piégée ici pour toujours. Je n’arrivais pas à bouger le couvercle…”

“Est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre avec toi ? D’autres Cornes d’Hammerad ?”

Ryoka regarda autour d’elle. Il y avait d’autres cercueils à côté, tous fermés. Mais Ceria soupira. Elle leva les yeux vers Ryoka, et secoua la tête.

Une fraction du monde s’arrêta de tourner. Il était un peu plus vide à présent, pour Ryoka. Ceria secoua la tête, les yeux brillants de larmes contenues.

“Non, non. Ils sont tous… tous partis, Ryoka.”

Elle soupira, poupée fantomatique que seules les mains d’Erin empêchaient de s’écrouler. Même maintenant, affamée et à moitié morte, Ceria ressemblait toujours à une créature à mi-chemin entre la vie et l’immortalité. Surtout maintenant.

“C’est juste moi. Ce qu’il reste de moi.”

Puis Ceria leva la main, et Ryoka vit avec stupeur que sa main droite avait disparu. La peau jusqu’à son poignet était morte, et il ne restait plus que de l’os blanc et de la chair à nu. Les morceaux de la main encore connectés à la partie saine du bras de la demie-Elfe étaient noircis, presque comme une engelure.

Ryoka contempla la main ruinée de Ceria. Elle ne trouva pas les mots.

“Je… je ne… Ceria…”

“C’est le prix que j’ai payé pour vivre. Ils sont tous morts, Ryoka. Tous sauf moi.”

Ceria avait murmuré ces mots. Sa tête dodelinait et Ryoka comprit qu’elle était sur le point de s’évanouir. La demie-Elfe marmonna encore quelques mots.

“Il ne reste plus que moi.”

“Et moi !”

La pierre bougea. Ryoka et Erin firent volte-face et virent Toren et Loks en train de pousser un autre couvercle. Un Drakéide très maigre et très poussiéreux s’assit et leur sourit. Il avait des écailles bleu pâle, et il tituba en sortant du cercueil, glissant en manquant tomber par terre.

Erin dévisagea le Drakéide, en agitant inutilement les mâchoires. Elle retrouva enfin ses mots.

“Olesm ? Tu es là aussi ?”

“En effet !”

Il lui fit un petit sourire tandis que Loks et Toren l’aidaient à se redresser. Erin échangea un regard avec Ryoka puis se frappa le front du plat de la main. Pisces et Ceria levèrent les yeux vers elle.

“Oh bon sang ! J’avais complètement oublié !”


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 15 août 2020 à 01:50:24
2.04 - Première partie
Traduit par EllieVia

 
Ryoka ferma les yeux et sut qu’elle était heureuse. C’était un sentiment tellement rare qu’elle le savoura.
 
Heureuse.
 
Ceria était en vie. L’une d’entre eux était en vie. Le fait que le reste ne le soit pas…
 
Elle pourrait se concentrer sur ça plus tard. Mais il restait un membre du groupe. Ils n’étaient pas tous morts.
 
Elle était sauvée.
 
Cela ne dura qu’un instant. Puis Ryoka cligna de ses yeux larmoyants et se mit au travail.
 
Les catacombes restaient très sombres, et ils étaient toujours en danger. Ceria s’appuyait fortement sur Erin, et Olesm était avachi de tout son poids sur un cercueil. L’air était putride et sentait la merde au sens littéral. Il y avait également beaucoup de poussière, et Ryoka sentait venir un accès de claustrophobie après être restée là-dessous si longtemps.
 
“Il faut qu’on vous sorte d’ici.”
 
“Il faut d’abord qu’on leur donne à manger.”
 
Ryoka fronça les sourcils à l’attention d’Erin.
 
“Avec quoi ? Je n’ai pas apporté grand-chose. J’ai quelques rations sèches dans mon sac, mais on est au beau milieu des ruines.”
 
“Et alors ?”
 
“Est-ce que c’est vraiment le moment de manger ?”
 
“Il y a toujours le temps pour un repas. De plus…”
 
Erin hocha la tête en direction de Ceria. Ryoka examina sa silhouette diminuée.
 
“Ah.”
 
Mais Ceria secouait la tête. Elle essaya de se redresser, le regard déterminer.
 
“S’il y a du danger, on peut atteindre la surface. Le reste des morts-vivants…”
 
“On ne les a pas vus. Viens, assieds-toi.”
 
Erin guida Ceria vers une autre tombe et aida la demie-elfe à s’asseoir doucement sur le banc de pierre. Ryoka hésita, mais Erin était déjà en train de défaire son sac.
 
“On devrait monter la garde.”
 
“Je serai vigilant.”
 
Ksmvr hocha la tête et se dirigea vers la porte. Toren tira son épée et se mit à surveiller la pièce.
 
Erin était occupée à sortir des objets plats à moitié écrasés de son sac. Ils avaient été posés sous son stock de cailloux et le reste de son équipement. Ryoka regarda fixement Erin commencer à les déballer.
 
“Tu as fait des sandwiches ?”
 
“Je me suis dit qu’on allait rester là-dessous un bon moment. J’ai aussi de la soupe !”
 
De la soupe ?”
 
“C’est de la nourriture. Pourquoi ? Tu n’aimes pas la soupe ?”
 
Ryoka ouvrit la bouche puis la referma. Elle refusa d’un geste de la main lesdites bouteilles d’eau remplies de soupe. Et hocha la tête en direction d’Olesm et de Ceria qui étaient tous deux assis par terre, en train de vaciller légèrement en clignant des yeux. Ils avaient l’air étourdis, ce qui était logique.
 
“Quatre jours. Ou peut-être trois. Et ils sont restés dans les cercueils tout ce temps ?”
 
Erin frissonna en assemblant le repas. L’odeur qui flottait dans les airs était terriblement répugnante, mais Ryoka et elle étaient de toute façon trop affamées pour s’en soucier. Elle jeta un œil au Drakéide et à la demie-elfe et secoua la tête.
 
“Je pète un câble se je dois rester assise dans un avion plus d’une heure. Comment ont-ils fait ?”
 
Ryoka hésita avant de répondre.
 
“On peut résister à beaucoup de choses pour survivre. Tiens, passe-moi la soupe.”
 
“Oh, tu as changé d’avis ?”
Erin sourit et tendit de nouveau la bouteille de soupe à Ryoka.
 
“C’est que des bonnes choses ! Du bouillon de bœuf et des légumes hachés assez fin pour qu’on puisse la boire.”
 
Ryoka tendit la soupe à Olesm et Ceria, en leur donnant pour instructions de ne prendre qu’une petite quantité pour commencer. Lorsque Pisces et Erin se mirent à protester, Ryoka passa outre.
 
“Tu te souviens des gens qui ont été secourus dans les camps de concentration ? Beaucoup d’entre eux sont morts de suralimentation quand les soldats leur ont donné des barres chocolatées et trop de nourriture d’un coup.”
 
Pisces regarda Ryoka d’un air désorienté, mais Erin comprit.
 
“On peut mourir de suralimentation ?”
 
“Quelque chose dans le genre. L’organisme entre en état de choc. Il ne peut pas gérer toute la nourriture aussi soudainement.”
 
“Quoi ?”
 
“Ryoka dit que la nourriture est trop riche pour leurs estomacs. Ils vont tomber malade et mourir.”
 
“Je vois.”
 
Pisces regarda Ryoka pendant un instant, puis attrapa l’un des sandwiches écrasés et mordit dedans. Il grimaça.
 
“Des tomates.”
 
“Si tu n’aimes pas ça, n’en mange pas !”
 
Erin fronça les sourcils tout en tendant un autre sandwich à Ryoka et à Loks. Le sandwich de Ryoka avait apparemment du poisson pané à l’intérieur. Elle se rendit compte qu’elle était soudain affamée et dévora son repas ainsi qu’un autre sandwich en quelques secondes.
 
Pendant que Pisces et Loks dévoraient leur nourriture et que Ksmvr grignotait un autre rapladwich, comme Erin voulait qu’on les appelle, l’aubergiste s’approcha d’Olesm et Ceria. Ils partageaient la soupe que Ryoka leur avait donnée, mais ils ne paraissaient pas avoir grand appétit.
 
“Je n’ai plus faim. C’est normal de ne plus avoir faim après quelques gorgées ?”
 
Ceria sourit d’un air faible à Erin qui s’approchait. Cette dernière ne put s’empêcher de regarder sa main squelettique, mais elle releva les yeux sur le visage de son amie et se força à sourire. Elle ignora également l’horrible odeur qui se dégageait de Ceria.
 
“C’est ce que Ryoka expliquait. Ton estomac n’a rien eu à manger depuis un moment, donc il a rétréci. Tu ne pourras pas manger grand-chose pendant un moment.”
 
“Oh, d’accord. C’est difficile de rester mince, avec tout ce que je mange d’habitude.”
 
Erin sourit à la blague de Ceria. Elle regarda ensuite Olesm. Le Drakéide était très pâle. Ses écailles bleu clair étaient encore plus claires que d’habitude, et des écailles mortes tombaient à chacun de ses mouvements. Il sentait encore plus mauvais que Ceria.
 
“Olesm ?”
 
Elle tendit la main dans sa direction, mais le Drakéide s’écarta. Inquiète, Erin le dévisagea.
 
“Est-ce que ça va ?”
 
“Je vais bien Erin. Vraiment. C’est juste que…”
 
Olesm se tourna vers Ceria d’un air implorant. La demie-Elfe haussa les épaules.
 
“Hum, on aurait peut-être bien besoin d’eau si vous en avez. Et des vêtements propres ?”
 
“Je peux vous trouver ça. Mais pourquoi... ?”
 
Pour la première fois, Erin examina vraiment Olesm. Il avait l’air aussi desséché que Ceria, mais il faisait également de son mieux pour rester le plus loin possible d’elle sur son banc de fortune. Il était entré dans le donjon avec une armure de cuir, mais elle avait été réduite en lambeaux. Une partie de ses écailles avait été écorchée, mais sans gravité.
 
Mais ses vêtements avaient vraiment l’air froissés, et la zone au niveau de ses leggings était… marron…
 
Olesm vit le regard d’Erin et rosit. Ceria toussa dans sa main valide. Erin remarqua qu’elle était aussi en train de croiser les jambes.
 
“On aurait bien besoin de nous laver. C’est assez urgent.”
 
Erin recula de quelques pas. L’odeur qui lui arrachait le nez s’intensifia soudain lorsqu’elle en saisit l’origine.
 
“Oh. Oh. Je vais, euh, je…”
 
Elle se précipita à moitié vers son sac à dos, où Ryoka était assise en mangeant son troisième sandwich. Elle avait sauvé de la soupe et un sandwich écrasé des crocs de Loks et Pisces pour Erin, mais Erin n’y prêta pas attention.
 
“Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
“Oh, rien. Juste, euh, n’allez pas là-bas tout de suite.”
 
“Pourquoi ?”
 
Ryoka voulait toujours une réponse, surtout quand la raison était “parce que je te le dis.” Erin hésita quelques secondes et essaya de dire ce qu’il se passait sans que Pisces comprenne. Loks avait clairement déjà saisit ce dont il s’agissait étant donné qu’elle était allée s’asseoir plusieurs mètres plus loin.
 
“Hum, tu sais quand tu parlais de la survie, et de tout ça ? Eh bien, imagine que les cercueils ont servi de grosses… couches.”
 
Ryoka resta médusée pendant une fraction de seconde, puis elle écarquilla les yeux.
 
“Oh.”
 
“Ouais.”
 
“Est-ce qu’ils ont besoin d’eau ? J’ai une bouteille et quelques bandages qui pourraient…”
 
“T’inquiète, t’inquiète ! J’ai pris tout ce qu’il fallait !”
 
“Tout ce qu’il fallait” comprenait entre autres l’une des bouteilles d’eau de Ryoka et un morceau de tissu propre du sac d’Erin. Ceria expliqua ce qu’il s’’était passé en utilisant l’un des couvercles de cercueil comme paravent. Non pas qu’il y ait eu grand-chose à cacher : il suffisait que Pisces et Olesm détournent le regard. Ksmvr n’en avait clairement rien à faire.
 
“Les premiers jours, je nettoyais tout ça avec des sorts. C’était gâcher du mana. Mais je pensais que les morts-vivants allaient peut-être pouvoir sentir. Et après… eh bien, il n’y a plus vraiment de problème quand on ne mange rien.3
 
C’était l’un des aspects de la vie en cercueil de pierre auquel Erin et Ryoka n’avaient pas souhaité réfléchir, et elles n’avaient pas voulu s'appesantir sur la question. Au moins, Ceria ne puait pas trop. Olesm, en revanche…
 
“J’ai eu le même problème. Et je ne suis pas mage, okay ?”
 
Tout le monde resta loin de lui jusqu’à ce qu’Olesm ait terminé de se laver soigneusement. Pisces l’aida même avec quelques sorts. À une certaine distance.
 
Olesm marmonna lorsqu’une brume d’eau fine l’effleura. Il tourna la tête pour fusiller Pisces du regard, qui regarda au loin d’un air absorbé.
 
“Tu ne peux pas m’envoyer plus d’eau ? Là, tout ce que tu fais c’est rendre le toutmouillé.”
 
Pisces renifla, ce qui s’avéra être une erreur.
 
“Je ne suis pas [Hydromancien], et je me suis spécialisé dans la glace. De plus, l’air est sec ici. C’est le mieux que je peux faire.”
 
Erin regarda fixement Ceria qui finissait de se frotter. Elle fit mine de rendre le tissu à Erin, le regarda, puis le jeta dans l’un des cercueils. Erin lui proposa un autre rouleau propre de lin - les bandages d’urgence de Ryoka - et Ceria termina de s’essuyer avec ça.
 
“Comment vous avez fait pour survivre aussi longtemps sans eau ? Ou est-ce que vous aviez des provisions sur vous ?”
 
“Olesm en avait. Quelques rations sèches, mais on a perdu nos sacs pendant la… l’attaque.”
 
Ceria toussa et prit une petite gorgée de ce qui restait dans la bouteille après son bain improvisé.
 
“Mais on n’avait pas d’eau. J’ai brûlé tout le mana qu’il me restait pour créer de la glace à sucer.”
 
Elle secoua la tête.
 
“Encore un jour ou deux et on serait morts. On ne pouvait même plus bouger les couvercles de l’intérieur. J’ai vraiment cru qu’on allait y rester. Quand j’ai entendu vos voix et que j’ai compris que vous ne pouviez pas nous entendre…”
 
“C’est Ryoka qui a compris où vous vous étiez cachés.”
 
Erin pointa Ryoka du doigt. La fille aux pieds nus s’appliquait à évider de mettre les pieds dans l’eau qui restait des bains de Ceria et Olesm et regardait de manière peu discrète les parties… privées d’Olesm. Ceria sourit.
 
“Ryoka. Et tu l’as rencontrée ? Le monde est plein de surprises. À moins que ce ne soit la destinée.”
 
Elle éclata de rire, toussa, et grimaça faiblement. Erin bondit pour l’aider, mais Ceria agita la main pour lui indiquer de laisser tomber. Sa main squelettique…
 
Erin vit que Ceria voyait qu’elle la regardait et se détourna. Ceria haussa les épaules, et les deux femmes restèrent silencieuses. Erin finit par reprendre la parole.
 
“Eh bien, je suis heureuse que tu ailles bien. Vraiment heureuse.”
 
Erin avait déjà dit cela plusieurs fois, mais cette fois-ci, Ceria avait l’air d’avoir suffisamment repris du poil de la bête pour répondre. Elle lui sourit.
 
“Moi aussi. Mais je n’aurais jamais imaginé que ce serait ce groupe qui allait venir me chercher.”
 
“Ouais, c’est assez bizarre, hein ?”
 
Ceria haussa un sourcil.
 
“C’est un euphémisme. Je reconnais la petite Gobeline et Pisces, mais cet Antinium… ce n’est pas Pion, si ? Ils se ressemblent tous. Est-ce qu’il a fait repousser ses membres ?”
 
“Non. C’est, euh, Ksmvr.”
 
Le Prognugator leva les yeux en entendant son nom. Lorsqu’il vit les deux femmes en train de le regarder, il se détourna. Ceria secoua la tête.
 
“Huh. Tu as beaucoup de choses à me raconter, je pense.”
 
“Et à moi aussi.”
 
Olesm rejoignit enfin le groupe. Il sentait bien meilleur qu’avant, mais il dégageait encore une petite bulle personnelle que personne ne souhaitait pénétrer. Il s’inclina maladroitement devant Erin, manquant tomber.
 
“Miss Solstice, je te suis de nouveau redevable. Ce que vous avez fait pour moi et pour Ceria… je ne pourrais jamais rembourser cette dette. J’ai rejoint cette expédition pour m’améliorer, mais au final…”
 
Olesm s’interrompit et secoua la tête. Il s’essuya les yeux.
 
“J’ai juste de la chance d’être encore en vie. Je ne l’oublierai pas, je le promets.”
 
Puis il leva les yeux et hésita.
 
“Je suis reconnaissant, vraiment. Mais pourquoi est-ce que personne n’a envoyé la Garde nous cherche ? Je veux dire, je comprends qu’ils aient eu peur, mais j’ai des amis ! Ils ne voulaient pas venir me sauver ?”
 
Erin échangea un regard avec Ryoka, mais le regard de la fille ne l’aida pas. Elle rougit violemment et s’agita.
 
“Hum, eh bien, on a parlé avec Zevara, mais elle n’a pas voulu envoyer qui que ce soit pour nous aider. Elle a dit qu’elle ne voulait pas risquer d’envoyer qui que ce soit dans une recherche futile.”
 
Olesm avait l’air choqué. Sa queue fouetta le sol, agitée.
 
“Zevara ? Mais elle me connaît ! Je suis sûr qu’elle aurait envoyé quelqu’un… qu’elle aurait au moins embauché un mage pour jeter un sort de [Détection de Vie] ou quelque chose !”
 
“Eh bien, je suis sûre qu’elle l’aurait fait… si… elle savait que tu étais vivant.”
 
Quoi ? Tu ne lui as pas dit que j’étais descendu avec les autres ?”
 
Erin évita le regard d’Olesm.
 
“J’ai, euh, oublié que tu étais allé avec les Cornes d’Hammerad. Je ne crois pas que quiconque en ville savait que tu étais parti, non plus.”
 
Olesm se recroquevilla.
 
“Je… vois.”
 
“Je suis tellement désolée, Olesm ! C’est juste qu’avec l’attaque contre la ville, et les mauvaises nouvelles et la créature de peau géante…”
 
“Les morts-vivants !”
 
Olesm et Ceria se réveillèrent d’un coup de leur joyeuse rêverie, horrifié. Ceria attrapa inconsciemment le bras de Ryoka de sa main squelettique et s’interrompit.
 
“Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Est-ce qu’il y a eu des survivants ? Chancre, on aurait dû demander plus tôt. Mais si vous êtes là, les morts-vivants…”
 
Ryoka essaya de rassurer Ceria sans regarder sa main estropiée.
 
“Ne t’inquiète pas. Il n’y en a plus dehors.”
 
“Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
C’était la question à laquelle Ryoka ne pouvait pas répondre, mais le reste avait la réponse. Erin fit irruption dans la conversation avec enthousiasme.
 
“C’était dingue ! Un tas de morts-vivants sont sortis des Ruines et se sont mis à attaquer la ville ! J’étais dans mon auberge donc je n’ai pas tout vu, mais Krshia a dit qu’ils ont réussi à pénétrer dans la cité avant que les portes nord n’aient pu être fermées. Toute la ville se battait dans la rue !”
 
Olesm gémis à voix haute. Il attrapa Erin.
 
“Combien de morts ? Combien… ?”
 
Écorcheur.”
 
L’interrompit Ceria. Elle regarda Erin d’un œil perçant.
 
“Est-ce qu’il est sorti ? Est-ce qu’il est toujours là-dehors ?”
 
“Qui ?”
 
“Le monstre…”
 
Les doigts squelettiques de Ceria se crispèrent. Ryoka les regarda avec horreur, mais seule Loks avait remarqué. La Gobeline s’éloigna de Ceria qui essayait d’expliquer.
 
“C’est le monstre qui menait les morts-vivants. Une horreur faire de peau. C’est lui le gardien de cette crypte qui a tué les autres. Est-ce qu’il est sorti ? Est-ce qu’il est toujours vivant ?”
 
Ryoka n’avait aucune idée de qui était ou ce qu’était Écorcheur, mais le reste savait. Le sourire d’Erin s’effaça. Pisces jeta un œil furtif dans la crypte avant de secouer la tête.
 
“Écorcheur ? Ouais, je l’ai vu. Il est mort.”
 
“Tu en es sûre ?”
 
“Certaine.”
 
Ceria et Olesm soupirèrent tous deux de soulagement. Mais Ceria finit par relever la tête.
 
“Comment ? Cette horreur était dotée d’une aura magique. Elle projetait de la peur.”
 
“Je sais. Je l’ai sentie.”
 
Il y avait quelque chose, là. Ryoka regarda Erin du coin de l’œil. Elle avait de nouveau ce regard vacant déstabilisant, qui ouvrait une fenêtre dépourvue d’expression sur quelque chose de très lointain. Pisces et Loks la regardaient aussi. Que diable… ?
 
“Il a attaqué mon auberge. Lui et un tas de morts-vivants. Ils ont essayé de me tuer, mais tous les Ouvriers - les Antiniums avec qui j’avais joué aux échecs - sont venus m’aider. Et tous les Ouvriers se sont battus et…”
 
Erin s’interrompit. Ceria et Olesm la dévisageaient, mais pas plus intensément que Ryoka. Des Ouvriers ? Des Antiniums ? Des échecs ? Elle avait combattu la chose qui avait tué…
 
“Et il est mort. Loks l’a tué. Elle et le reste des Gobelins, je veux dire. Son vrai corps était ce gros vers sous ces épaisseurs de peau et on a… il est mort. Les Gobelins ont mangé un peu de sa carcasse et ont brûlé le reste.”
 
Ryoka avait traversé les Hautes Passes et survécu. Elle avait fait des choses qu’aucun Coursier du coin n’avait fait depuis des années. Elle était la Coursière la plus rapide à peut-être des centaines de kilomètres aux alentours. Elle était peut-être exceptionnelle, mais Erin était dans une toute autre catégorie.
 
Erin avait combattu des monstres.
 
Et bien qu’il paraisse ridicule à Ryoka d’imaginer la jeune femme se battre contre une espèce de monstre de chair que même Calruz et le reste des aventuriers n’avaient pas pu vaincre, elle n’avait aucun doute qu’elle l’avait fait. Avec de l’aide, certes. Avec de la chance et une dose de hasard, peut-être. Mais elle l’avait fait.
 
Ceria dévisagea Erin pendant quelques secondes. Olesm était bouche-bée, les yeux exorbités. Mais Ceria la regarda en silence. Elle croisa le regard d’Erin.
 
“Tu l’as tué. Toi.”
 
Erin haussa les épaules, mal à l’aise. Elle pointa du doigt la Gobeline assise derrière elle.
 
“C’est Loks qui l’a tué.”
 
Pisces s’étouffa sur l’un des sandwichs et toussa en regardant Loks avec des yeux ronds. La Gobelins se gratta une oreille et regarda autour d’elle d’un air de défi.
 
“Une Gobeline et une [Aubergiste].”
 
“Beaucoup de Gobelins, d’Ouvriers, Klbkch et quelques Soldats aussi.”
 
Ceria secoua la tête.
 
“Ha. Bien sûr. C’est juste…”
 
Elle se mit à pouffer, puis éclata de rire. Ryoka cilla. Ceria se mit à rire d’un rire hystérique. Erin tendit la main et stabilisa la demie-Elfe qui continua de rire jusqu’à s’étouffer et se mettre à pleurer.
 
“Je suis… je suis désolée. C’est juste que…”
 
Elle rit de nouveau, une exclamation courte qui ressemblait à un aboiement. Ceria regarda droit devant elle avec les yeux écarquillés, le visage figé dans un sourire tendu.
 
“Je sais. Il a failli me tuer. Et il a tué presque tous mes amis. Et beaucoup de membres de la Garde de la Ville.”
 
Erin tint Ceria dans ses bras et la mage se remit à trembler. Ryoka se sentait impuissante. Elle n’était pas du genre à tendre la main et réconforter quelqu’un. Mais elle aurait aimé en être capable.
 
“Il est mort.”
 
“Merci.”
 
Chuchota Ceria en laissant ses larmes couler dans le t-shirt d’Erin. Elle regarda Ryoka.
 
“Merci du fond du cœur.”
 
Ryoka secoua la tête.
 
“Je n’ai rien fait.”
 
“Tu es venue nous chercher. Merci.”
 
“Oui, merci.”
 
Olesm inclina la tête en direction de Ryoka. Elle hocha la tête, ayant le sentiment d’être une ordure sans valeur. Elle n’avait rien fait. Elle sentait de manière très tangible qu’elle était encore plus étrangère au moment qui se déroulait devant elle que Ksmvr et Toren, qui regardaient la scène en silence tout en montant la garde. Ils avaient combattu les morts-vivants et cet Écorcheur. Elle, elle s’était contentée d’arriver trop tard.
 
“Ahem.”
 
Pisces s’éclaircit bruyamment la gorge. Lorsque Ceria leva les yeux sur lui, il lui adressa un sourire condescendant.
 
“Je pense qu’une partie des remerciements me revient. C’est moi qui ai reçu ton message, après tout. Sans mes vives sollicitations, nous ne serions jamais descendus vous chercher. J’ai également réussi à éliminer un andain conséquent de morts-vivants pendant la bataille.”
 
Erin et Ryoka froncèrent toutes deux les sourcils à l’attention de Pisces. Erin ouvrit la bouche pour le gronder, mais Ceria hocha très doucement la tête.
 
Ceria se tourna vers Pisces et inclina profondément la tête.
 
“Merci, Maître Mage.”
 
Elle avait dit cela sans une seule trace d’ironie ou de sarcasme. Pisces rougit et détourna le regard.
 
“Oui, bon. Il faut bien que nous autres étudiants de Wistram nous serrions les coudes, n’est-ce pas ?”
 
“Si on t’avait emmené avec nous pendant l’expédition…”
 
Ceria secoua la tête. Ryoka voulait savoir ce qu’il s’était passé, mais elle n’était pas certaine que ce fût le bon moment pour poser la question.
 
“Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
Erin regarda Ceria, les yeux remplis d’inquiétudes. La demie-Elfe ferma les yeux et pendant un instant, Ryoka eut peur que cela ait été trop demander. Mais elle prit la parole.
 
“Tout a commencé quand on est arrivé au deuxième sous-sol. Tout allait bien avant ça. On était tombé sur un nid d’Araignées Cuirassées, mais rien d’autre. Mais on est alors tombés sur un groupe de zombies…”
 
Ryoka écouta la version abrégée de ce qu’il s’était passé jusqu’au moment où Écorcheur était sorti par les portes de la salle au trésor.
 
“Elles ne devaient pas être verrouillées. Cette horreur attendait juste à l’intérieur que ce soit le bon moment. Il a tué Cervial, Gerald, et la moitié du reste des aventuriers en une poignée de secondes. Et quand on a réussi à les atteindre pour essayer de le combattre…”
 
Ceria ferma les yeux et secoua la tête. Une autre larme se forma dans ses yeux sans couler.
 
“Il les a tous tués. Gerial, Sostrom… il a arraché le bras de Calruz. Je ne pouvais même pas riposter tant qu’il me regardait.”
 
Elle se tourna vers Erin.
 
“Tu les as vengés. Merci.”
 
Erin secoua la tête, mais pas en signe de dénégation. Elle regarda Olesm.
 
“Et qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?”
 
Ceria sourit à Olesm.
 
“Il m’a sauvé la vie.”
 
Les écailles autour du visage d’Olesm se teintèrent légèrement de rouge lorsque tout le monde se tourna vers lui. Il répondit d’un air modeste.
 
“Je n’ai pas fait grand-chose. J’ai juste fui quand cette chose est apparue et mis Ceria dans l’un des cercueils. Je ne pouvais rien faire d’autre.”
 
“Il m’a sauvé la vie.”
 
Déclara Ceria avec simplicité. Elle montra à tous sa main gelée.
 
“Je pouvais à peine bouger et une Goule était en train de me dévorer. Il l’a transpercée par derrière et a utilisé une potion de soin pour soigner la plupart de mes blessures. S’il n’avait pas été ici, je serais morte.”
 
Erin tendit la main et tapota l’épaule du Drakéide.
 
“Bien joué, Olesm.”
 
Il rougit et secoua de nouveau la tête, en silence. Ryoka regarda la main de Ceria et hésita.
 
“Est-ce que c’est comme ça que tu as perdu… ?”
 
Elle montra la main de Ceria. La demie-Elfe baissa les yeux et éclata de rire. Les doigts ne bougeaient pas, mais elle paraissait capable de bouger le moignon noirci sans problème ni douleur.
 
“Ça ? Non. Je… eh bien, j’ai juste jeté un sort au-dessus de mon niveau, c’est tout.”
 
Pisces jeta un œil à la main de Ceria, fronçant les sourcils devant la peau noircie.
 
“Je sens le résidu de magie. Un sort de gel ? [Lance Glaciale] ?”
 
“Rien d’aussi pointu. J’ai juste utilisé toute la magie contenue dans ma baguette, c’est tout.3
 
“Espèce d’idiote.”
 
Erin fusilla de nouveau Pisces du regard, mais Ceria se contenta de hocher la tête.
 
“Il fallait que je crée une ouverture pour les autres.”
 
Elle hésita.
 
“Les autres. Yvlon essayait de s’échapper. Vous savez si elle… ?”
 
Erin échangea un regard avec Pisces et secoua la tête.
 
“Je, euh, n’ai pas demandé. Quelques aventuriers ont survécu.”
 
“Yvlon est vivante.”
 
Ryoka hocha la tête à l’attention de Ceria. La demie-Elfe hésita en dévisageant Ryoka.
 
“Est-ce qu’elle… ?”
 
“Elle est dans un état catatonique. Elle ne parle pas, ne bouge pas.”
 
“Je vois.”
 
Ceria baissa la tête et ferma les yeux. Là encore, Ryoka ne sut pas quoi lui dire. Dire que “au moins, elle est vivante” paraissait grossier, même pour elle. Elle s’éclaircit la gorge et préféra regarder autour d’elle.
 
“Cet Écorcheur. Comment connaissez-vous son nom ?”
 
Cette fois-ci, ce fut Olesm qui expliqua. Il pointa du doigt le mur où se trouvait le poème que Ceria avait traduit et tout le monde leva les yeux. Pisces fronça les sourcils et jeta le même sort que Ceria avait lancé, pendant que Ryoka contemplait les symboles gravés.
 
“Bon sang, comment est-ce que j’ai pu rater ça ?”
 
Demanda Erin d’un air indigné, et Ryoka fit écho à cette question dans sa tête, simplement avec plus d’auto-réprimandes. Ils avaient complètement raté ce détail. Et c’était un détail sacrément important, surtout si cet Écorcheur avait de la famille.
 
“Huh.”
 
Le texte était incompréhensible pour Ryoka, mais l’écriture lui faisait penser à de l’Arabe ou un autre langage sémitique central. C’était une écriture fluide et allongée, ce qui lui faisait penser à des Drakéides. Ce qui était toutefois rejeter beaucoup d’hypothèses à la fois.
 
Ryoka hésita et regarda le reste du groupe. Est-ce qu’elle devrait… ? Mais Pisces en avait déjà trop entendu et Ceria l’avait déjà vu de toute façon. Elle sortit son iPhone et l’alluma.
 
L’écran prit vie. Ryoka regarda le niveau de batterie. 24%. Etonnamment élevé, étant donné qu’elle l’utilisait depuis un bon bout de temps, mais le sort de [Réparation] de Sostrom avait dû également réparer la batterie usée.
 
Sostrom. Cela déchirait le cœur de Ryoka d’y repenser, mais elle écarta l’émotion de son esprit. Elle leva l’iPhone en activant l’appareil photo.
 
L’iPhone de Ryoka éclaira les inscriptions pendant un instant et émit le bruit classique d’un clapet qui se ferme. Loks regarda fixement l’iPhone, sidérée. Pisces cilla et fronça les sourcils et Olesm faillit se décrocher la mâchoire.
 
“C’était quoi, ça ? Une espèce d’objet magique ?”
 
“Un truc du genre.”
 
Ryoka remit l’iPhone dans son étui et Pisces le regarda avec avidité. Elle remarqua que Loks regardait également intensément l’appareil et se résolut à ne jamais le faire tomber ou le laisser sans surveillance.
 
“Je n’avais jamais rien vu de pareil. Est-ce que c’est un mélange d’acier et de verre ?”
 
Olesm réfléchit. Puis il écarquilla les yeux et se tourna vers Ceria.
 
“Oh. C’est elle, la Coursière hyper violente dont tu m’avais parlé ? Celle qui n’a pas de niveaux ?”
 
Ceria éclata de rire et manqua de nouveau s’étouffer. Olesm cligna des yeux, et réalisa ce qu’il venait de dire. Sa queue fouetta nerveusement le sol et il leva les mains.
 
“Je ne voulais pas dire que… je voulais juste dire…”
 
Ryoka était certaine que ce n’était pas ainsi qu’une mission de secours était censée se passer. Mais c’était la réalité, et c’était largement mieux que n’importe quelle fin de conte de fée. Il fallait encore qu’ils sortent des ruines, bien sûr, et Erin venait de voir que Pisces avait mangé le dernier sandwich qu’elle avait empaqueté. Il y avait de la confusion, de la colère, de la poussière, des cercueils vides et une odeur encore bien présente de fèces, mais…
 
Ceria était toujours vivante.
 
Ryoka était sauvée.



Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 15 août 2020 à 01:52:38

2.04 - Deuxième Partie
 
Traduit par EllieVia




***




Et lorsqu’elle eut un moment, Ryoka s’éloigna du groupe. Aucun cadavre ne bougeait pour le moment dans le large couloir, mais ce n’était pas ce qui inquiétait Ryoka.
 
Elle passa devant une pile de… muscles en décomposition. Des organes. Des os. Impossible à dire, vraiment.  Elle ne souhaitait en aucun cas déranger les morts, et les monticules informes lui donnaient la nausée.
 
Mais elle continuait toutefois à les examiner. Ryoka s’arrêta près d’une pièce d’armure recouverte d’une substance rouge. Elle s’accroupit et s’efforça de ne pas vomir sur ce qu’il restait du défunt.
 
Était-ce lui ? Ryoka se souvenait à peine de l’armure de Gerial. Et Calruz… comment allait-elle pouvoir savoir si c’était lui ? Elle pouvait toujours chercher de plus gros os, probablement.
 
Ce n’était pas juste. Rien de cela n’était juste. Elle ne pouvait même pas les enterrer, même si elle avait su de quels corps il s’agissait. Elle pouvait… les mettre dans un cercueil ? Comment ? En transportant les entrailles et les viscères à mains nues ? En prenant une pelle ? Un sac ?
 
C’était intolérable. Profondément intolérable. Et Ceria était vivante… Il fallait qu’elle passe en priorité. Mais le cœur de Ryoka saignait à l’idée d’abandonner les autres.
 
“Trop lente. Et trop faible.”
 
Beaucoup trop faible. Elle n’avait même pas tué de zombie en descendant ici. De tous ceux qui étaient descendus pour sauver Ceria, c’était Ryoka qui s’était avérée être la plus inutile.
 
“Pour être honnête, je ne pense pas que quiconque en ait attendu beaucoup plus de toi.”
 
Ryoka leva les yeux et se retourna. Pisces était debout derrière elle. Il leva les mains devant l’intensité de son regard.
 
“Je me suis contenté de te suivre pour m’assurer que tu restes en sécurité. Il ne faudrait pas que tu tombes dans une embuscade.”
 
Était-ce vraiment pour cette raison qu’il l’avait suivie ? Ryoka dévisagea Pisces puis haussa intérieurement les épaules. Elle se redressa et contempla ce qu’il restait des cadavres. Au bout d’un moment, elle finit par se détourner pour retourner vers le reste du groupe. Pisces la suivit.
 
“Je m’aperçois que nous n’avons pas grand-chose à nous dire.”
 
“Il semblerait, oui.”
 
Ils restèrent silencieux pendant plusieurs minutes. Voilà, c’était ce à quoi Ryoka était habituée. Les silences gênants et les conversations banales. Elle chercha quelque chose à dire.
 
“Merci pour ton aide.”
 
“Il n’y a pas de quoi. Pour ma part, je suis… soulagé que Ceria soit saine et sauve.”
 
“Tu la connais ?”
 
Pisces hésita.
 
“Nous nous connaissons de longue date. Ce n’est pas une véritable relation, plutôt une connaissance de passage, mais… disons que nous avons été à Wistram ensemble, et que nous étions autrefois… amis. Je pense que le monde serait plus fade sans la présence de Springwalker, voilà tout.”
 
“Je vois. C’est bien que tu sois venu.”
 
“Oui. Je suis d’accord.”
 
Un nouveau silence.
 
“Cet artefact que tu possèdes… est plutôt intrigant.”
 
“Oui, n’est-ce pas ?”
 
“Est-ce que je peux l’étudier ? Je promets d’y faire très attention.”
 
“Mmh. Peut-être un jour.”
 
“Ah. C’est une manière polie de répondre “jamais, c’est bien cela ?”
 
“Yup.”
 
Ils continuèrent de marcher en silence. La route était longue jusqu’à la salle aux cercueils, mais Ryoka avait le sentiment qu’elle commettrait un impair si elle partait en courant et abandonnait Pisces sur place. Elle était toutefois très tentée de le faire.
 
Au bout d’un moment qui lui parut interminable, Pisces reprit la parole.
 
“Est-ce que tu consentirais à me laisser examiner cet appareil si je te disais qu’il est fortement imprégné de magie ?”
 
Ryoka s’arrêta net. Pisces faillit lui rentrer dedans. Elle le dévisagea.
 
“Tu arrives à détecter ça ?”
 
“Oui. L’empreinte m’apparaît de manière plus qu’évidente. Je suppose que Springwalker était distraite, mais je peux sentir… quelque chose. Est-ce qu’il s’agirait par hasard d’un sort de [Communication] ?”
 
Ryoka hésita. Pesa le pour et le contre. Mais le jeu en valait peut-être la chandelle.
 
“Oui.”
 
“Et le sort a été ancré à cet appareil, d’une manière ou d’une autre. Eh bien, je serais peut-être en mesure de récupérer cette conversation si tu le souhaitais ?”
 
“Tu peux faire ça ? Comment ?”
 
Pisces lui adressa un sourire énigmatique, ou du moins qu’il pensait énigmatique. Ryoka trouvait qu’il s’agissait plutôt d’un sourire suffisant.
 
“J’ai été étudiant à Wistram. La base de ce sort reprend leur méthode. N’importe quel étudiant expérimenté apprends à séparer l’incantation du texte. D’où la version unique du sort que nous connaissons, Ceria et moi. Quel que soit cet… appareil, je ne l’endommagerai pas. Et on peut me faire confiance pour rester discret à son sujet.”
 
Ryoka hésita de nouveau. Réfléchis. S’il apprend les détails de la conversation… mais bon, n’avait-il pas déjà découvert le pot aux roses ? Il se proposait de récupérer la conversation, ce qui serait extrêmement pratique.
 
Ceria pourrait le faire. Mais dans combien de jours ? Et plus important encore, quel était le risque encouru ? S’il savait déjà…
 
Le monde le saurait bientôt. Et des gens bien plus dangereux que lui avaient déjà compris ce qu’il se passait. Ryoka lui tendit son iPhone.
 
“Tiens.”
 
Pisces saisit le téléphone fin avec beaucoup de précautions et l’examina. Mais il se contenta de jeter un rapide coup d’œil à l’appareil en lui-même avant de se concentrer sur autre chose, une substance invisible flottant dans les airs autour du téléphone.
 
Ryoka aurait aimé savoir ce qu’il regardait. Elle savait jeter des sorts… ou plutôt, un sort. Mais elle eut beau essayer de se concentrer, elle ne vit rien.
 
“C’est vraiment étonnant.”
 
“Tu peux voir le sort qui a été jeté dessus ?”
 
“Oui… un vieux sort de communication. Une espèce de système d’échange épistolaire ? Tout est très… lumineux.”
 
Ryoka réalisa qu’il devait être en train de lire l’historique de la conversation, l’écran magique qui était apparu lorsqu’elle avait répondu à l’appel.
 
“Je ne savais pas qu’il était encore possible d’y accéder.”
 
“Oui, enfin, le sortilège qui a été lancé ici à une magnitude nettement supérieure à… à peu près n’importe quel sort que j’aie pu voir jusqu’ici. Cela vient forcément de Wistram. Je n’ai même pas besoin de la signature magique pour déduire cela. Eux seuls peuvent faire preuve de ce niveau de bêtise.”
 
Il roula les yeux au ciel et secoua la tête d’un air dédaigneux. Ryoka le dévisagea. C’était toujours sympa de rencontrer un moulin à paroles comme celui-ci lorsqu’il avait des choses intéressantes à lui apprendre.
 
“Qu’est-ce qui te fait dire ça ?”
 
Il pointa l’iPhone du doigt. L’air parut miroiter au niveau de l’extrémité de ses doigts.
 
“C’est la nature même de ce sort. Je… n’ai aucune idée de la manière dont ils s’y sont pris, pour être honnête. Je ne peux que faire de suppositions, mais je pense qu’un mage de haut niveau, voire plusieurs, ont jeté un sort de [Discussion à Distance] combiné à une espèce de sort de localisation et à cette… chose. J’imagine qu’il n’y a qu’un sort de [Communication] qui puisse permettre cela, mais la quantité de mana nécessaire serait insensée.”
 
“Pourquoi ?”
 
“Si une personne devait, ah, écrire un message, tous ceux qui le recevraient auraient besoin d’un sort de [Communication]. La magie requise est complexe et le coût serait multiplié par le nombre de participants. Un tel nombre de messages… il n’y a que ces fous de Wistram pour avoir suffisamment de mana pour jeter un tel sort.”
 
Ryoka pensait comprendre le dédain de Pisces. Si ce qu’il disait était vrai, la conversation à laquelle elle avait pris part avait un coût exponentiel par rapport au nombre d’utilisateurs qui l’avaient rejointe.
 
Seize utilisateurs… pour au moins cinquante, voire une centaine de messages dans le tchat. Mille six-cents sorts jetés ? Pas étonnant qu’il n’ait pas été possible de jeter un sort de communication vocale.
 
L’air commençait à vaciller. Pisces fronça les sourcils et ses mains se mirent à briller encore plus fort, des vrilles de lumière bleue s’entrelaçant pour reformer l’écran.
 
Ryoka cilla lorsque l’historique de la conversation s’afficha. Il flotta dans les airs au-dessus de son iPhone, un écran bleu couvert de texte en blanc. Pisces était en sueur.
 
“J’ai, euh, mal calculé l’énergie nécessaire pour faire cela. La récupération seule de cet historique m’épuise de manière inappropriée.”
 
“J’ai déjà vu la plupart des choses qui m’intéressaient. Tiens. Passe-le moi.”
 
Ryoka reprit l’iPhone des mains de Pisces qui fronça les sourcils et infusa plus de magie dans l’écran. Ryoka fit rapidement défiler la conversation, en s’arrêtant de temps en temps. Les yeux de Pisces faisaient des allers-retours rapides tandis qu’il essayait de lire la conversation. Elle ne lui donna pas beaucoup de temps, toutefois.
 
Ryoka arriva à la fin - là où elle s’était déconnectée sous le pseudo de batman, et s’arrêta. Elle vit la notification indiquant qu’elle s’était déconnectée, mais il y avait plus de texte dessous.
 
Pisces regarda par-dessus l’épaule de Ryoka qui lisait la conversation entre [Kent Scott] et [doubleTrouble_53]. Elle en avait déjà le tournis avant même de lire le bref message en japonais à la toute fin.
 
Voilà qui est intéressant.”
 
La discussion s’évanouit brutalement. Pisces baissa les mains et s’essuya le front.
 
“Ça va ?”
 
“Je vais bien. Je suis juste… fatigué.”
 
Pisces prit quelques longues inspirations pour se remettre. Il pointa du doigt l’iPhone de Ryoka.
 
“Toutefois, je me dois de te dire que ton désir d’anonymat est probablement vain, Miss Griffin. Cette courte conversation contenait plus d’informations importantes que tout le reste de votre fascinante… discussion. Le nom qui est écrit ici a dû terroriser ces fous de Wistram.”
 
“Tu parles de doubleTrouble ?”
 
“... Oui. Ce personnage, ce double trouble, a révélé son identité à l’autre, non ? Après que tu aies, euh, rompu le lien. Le nom qu’il s’est donné. Flos.”
 
Ryoka acquiesça.
 
“J’en ai entendu parler. Flos. Le Roi de la Destruction.”
 
“Lui-même.”
 
Pisces exhala lentement et essuya la pellicule de sueur qui était restée sur son front avec l’ourlet de sa robe sale.
 
“Flos. Si le roi endormi s’est réellement réveillé, cela signifie que ce monde est sur le point de changer. Et de manière plutôt théâtrale, si je peux me permettre d’en juger. Enfin, même le plus mauvais des [Devins] serait en mesure de prédire cela.”
 
Ryoka fronça les sourcils. Elle avait lu des choses au sujet de ce Roi de la Destruction dans une liste des puissances mondiales actuelles. L’article avait été court et intrigant, mais tous les détails avaient été notés dans un tome qu’elle n’avait pas acheté.
 
“Parle-moi de lui.”
 
Pisces haussa les épaules.
 
“Qu’y a-t-il de nouveau à dire à son sujet ?”
 
Il s’interrompit et jeta un regard furtif à Ryoka.
 
“Ah. Eh bien, pour quelqu’un qui ne… saurait rien à son sujet, Flos est un roi qui a été autrefois en mesure de régner sur presque la moitié du monde civilisé. Il a toutefois abandonné son royaume, et est resté dans un profond sommeil au cœur de sa capitale en ruine pendant vingt ans. Jusqu’à aujourd’hui.”
 
“Il a l’air dangereux.”
 
“Plutôt.”
 
Ils n’avaient pas le rythme de conversation qu’Erin paraissait toujours capable de générer. Pisces enleva poliment quelques bourres de sa robe pendant que Ryoka contemplait son téléphone. Le mage parut réfléchir pendant une seconde avant d’ajouter un autre détail.
 
“Les mages de Wistram étaient plutôt effrayés par lui, même pendant sa période d’inactivité.”
 
“Oh, vraiment ?”
 
“Oui. Je suppose que tu ne sais pas que les plus grands mages encore vivants se réunissent tous les dix ans pour délibérer sur l’avenir ?”
 
“Je ne le savais pas, en effet. Raconte.”
 
“Ils se rassemblent pour réfléchir aux événements récents et faire des plans pour l’avenir.”
 
“Genre. Un think tank ?”
 
“Un quoi ?”
 
“Qu’importe.”
 
“Bref, l’une des premières choses qu’ils font à cette réunion, c’est de prévoir les calamités qui pourraient s’abattre sur le monde. Ils ont créé une liste des désastres les plus probables capables de détruire la civilisation ou d’éradiquer la vie telle que nous la connaissons. Flos a été élu le huitième candidat le plus probable tant qu’il reste en vie.”
 
Ryoka marqua une pause. Elle ouvrit la bouche, la referma, puis réessaya.
 
“Vraiment ?”
 
“Oh oui.”
 
“Un seul homme ?”
 
“Eh bien, son royaume le suivrait où qu’il aille. Disons plutôt que c’était de son potentiel que les mages avaient peur.”
 
“Pourquoi le huitième ? Il y a une raison particulière ?”
 
Pisces haussa les épaules d’un air indifférent.
 
“Les mages ont supposé qu’il y avait de grandes chances qu’il conquière le monde ou qu’il soit arrêté. Tout détruire sur son passage n’est qu’un risque annexe, en l’état.”
 
“Mais il reste la huitième possibilité la plus probable.”
 
“Oui.”
 
Ryoka réfléchit pendant un instant.
 
“Est-ce que cette réunion a permis de déterminer à quel point il était probable qu’il conquière le monde ?”
 
Pisces sourit.
 
“En effet.”
 
“Et alors ?”
 
“Il a trente pour cent de chances selon un certain nombre de facteurs.”
 
“Je vois.”
 
“En effet. J’imagine que tous ceux qui sont en mesure de récupérer l’historique de cette conversation seront plutôt alarmés. L’information est probablement en train de se propager par sortilèges et par lettres alors même que nous avons cette conversation.”
 
Qu’était censée répondre Ryoka à cela ?”
 
“Mhm.”
 
Pisces dévisagea Ryoka, Ryoka dévisagea Pisces. Il ne semblait pas y avoir encore quoi que ce soit à dire. Au bout d’un moment, Ryoka fit mine de tousser dans son poing.
 
“On devrait probablement rejoindre les autres.”
 
“En effet. Je pense que Ceria et Olesm sont à présent en mesure de marcher.”
 
Et c’était le cas.


***

“Il faut qu’on parle.”
 
“Qu’on parle de quoi ? On n’est pas déjà en train de parler ?”
 
Erin se demandait pourquoi Ryoka semblait essayer de la coincer dans un coin de la gigantesque salle aux cercueils, mais la fille avait l’air prête à insister.
 
“Je sais qu’on n’a pas le temps tout de suite, mais il va falloir qu’on ait une longue conversation.”
 
“À quel sujet ?”
 
Ryoka regarda Erin d’un air exaspéré, mais cette dernière n’était pas sûre de savoir pourquoi. Au bout d’un moment, l’Asiatique secoua la tête.
 
“À notre sujet. Au sujet de ce monde, de la manière dont nous sommes arrivées ici et de ce qu’il se passe.”
 
“Oh. Tu veux dire, parler de tout.”
 
“Plus ou moins.”
 
“Eh bien, ce n’est pas le moment. Ceria pense pouvoir marcher donc…”
 
“Bien sûr que ce n’est pas le moment. Quand on sera rentrées, je voulais dire. À ton auberge, ou n’importe où de privé.”
 
“Mon auberge est plutôt privée. Je peux fermer la porte à clef si ça peut aider.”
 
“Peut-être.”
 
Erin patienta. Ryoka avait l’air plutôt déterminée, mais elle n’avait vraiment aucune idée de pourquoi.
 
“C’est tout ?”
 
“J’imagine. Juste… ne dis rien qui ne soit absolument nécessaire jusque-là, d’accord ?”
 
C’était facile. Erin ne pensait pas avoir quoi que soit qu’il ne lui soit pas absolument nécessaire de dire… si ça voulait dire quelque chose, déjà.
 
“Okay. On parlera plus tard.”
 
“D’accord.”
 
“... D’accord.”
 
C’était l’un des échanges les plus bizarres auxquels Erin avait pris part dans sa vie, et elle avait rencontré beaucoup de joueurs d’échecs bizarres.
 
Elle gargouilla. Ryoka et Erin baissèrent toutes deux les yeux et Erin se couvrit le ventre des mains.
 
“Tu as faim ? Je t’ai gardé un sandwiche.”
 
“Pisces l’a mangé.”
 
“La soupe ?”
 
“Ceria et Olesm en ont bu la plupart et Loks l’a terminée.”
 
“Désolé.”
 
Olesm sourit faiblement lorsque Erin et Ryoka sursautèrent en faisant volte-face. Le Drakéide était de nouveau sur pieds, bien qu’il n’ait pas l’air très stable.
 
“Je ne voulais vraiment pas te voler ton repas, Erin.”
 
Erin échangea un regard avec Ryoka.
 
“Tu sais, je peux sauter un repas sans souci. Quand on sera sortis d’ici, je nous ferai un festin, et tu seras invité, qu’en penses-tu ?”
 
Erin croisa le regard de Ryoka et rectifia sa proposition.
 
“… Et, euh, je ferais aussi un bouillon nourrissant. On va peut-être repousser le festin à plus tard ?”
 
“Ça me semble être une bonne idée.”
 
Ceria était levée. Elle avait l’air d’aller un peu mieux. Elle avait retrouvé des couleurs, même si ses joues étaient encore d’une pâleur morbide. Mais elle parvint à sourire.
 
“Si cela voulait dire que je pouvais sortir de ce trou, je mangerais ma main droite. Ce ne serait pas très compliqué, à ce stade.”
 
Erin rit poliment et Ryoka, mal à l’aise, essaya d’éviter de regarder la main de Ceria. Pisces s’approcha et Loks le suivit, traînant l’arbalète ruinée derrière elle.”
 
“La voie est libre.”
 
Ksmvr hocha la tête en direction d’Erin en s’approchant du groupe avec Toren. Erin regarda autour d’elle. Tout le monde était là, mais personne ne disait rien. Elle s’éclaircit la gorge.
 
“Hum, est-ce qu’on y va ?”
 
Ils entamèrent la lente ascension pour revenir à la surface. Ils allaient lentement, même si Erin aidait Ceria et que Toren servait de béquille à Olesm. Le Drakéide et la demie-Elfe étaient rouillés et ils trainaient les pieds à chaque pas. Mais ils étaient aussi pressés que les autres de retourner à la surface.
 
“Pourquoi est-ce que vous n’êtes pas partis lorsque vous avez compris que le reste des morts-vivants n’étaient pas ici ?”
 
Demanda Erin à Ceria lorsqu’ils s’arrêtèrent pour faire une pause. Le visage de la demie-Elfe assise par terre était pâle. Elle prit quelques profondes inspirations.
 
“On a cru qu’ils attendaient pour nous prendre en embuscade si on ressortait. Ils ont fait ça la première fois. On a cru qu’ils restaient juste silencieux.”
 
Olesm acquiesça.
 
“J’ai gardé mon cercueil ouvert pour voir si les morts-vivants bougeaient. Quand ils sont tous partis… quelques-uns sont revenus, mais pas le reste. J’ai cru qu’ils avaient tous été détruits ou… ou qu’ils étaient encore dehors.”
 
“Et après, bien sûr, on n’avait plus de forces, et on n’arrivait plus à soulever les couvercles.”
 
“Je vois.”
 
Erin hocha la tête plusieurs fois, mais finit par froncer les sourcils.
 
“Maintenant que j’y pense… sont partis tous les morts-vivants ?”
 
Ceria hésita.
 
“Ils n’ont pas tous été détruits ?”
 
Erin secoua la tête.
 
“Il y en avait encore des centaines dehors après que cette chose soit morte. On a cru qu’ils retournaient dans les Ruines. Mais ils ne sont pas venus ici. Donc dans ce cas, où sont-ils partis ?”
 
Tout le monde se retourna vers Pisces. Il leva les mains, sur la défensive.
 
“Ce n’est pas moi qui l’ai fait.”
 
Olesm gratta une zone d’écailles mortes en train de se détacher.
 
“Est-ce que les Seigneurs des Cryptes auraient pu commander aux morts-vivants de partir ?”
 
Pisces secoua la tête.
 
“J’en doute. Ces créatures, bien qu’intelligentes, ne peuvent pas contrôler de grandes masses de morts-vivants. Même s’il y avait suffisamment de Seigneurs des Cryptes, ils se seraient quand même séparés en une multitude de groupes. Non. Quelque chose d’autre a dû les appeler.”
 
Ryoka fronça les sourcils. Elle était assise à côté de Ceria et était occupée à ôter des… trucs collés sous ses pieds. Erin détourna les yeux.
 
“Est-ce que cela pourrait avoir un rapport avec la salle au trésor vide ?”
 
Ceria leva vivement les yeux. Erin expliqua les objets manquants que Pisces avait sentis dans la salle au trésor. Il se frotta le menton et hocha plusieurs fois la tête.
 
“La salle aux trésors. Bien sûr. Quelque chose ou quelqu’un est venu ici et a pillé la salle… et peut-être appelé les morts-vivants, aussi.”
 
“C’est un type plutôt gros, alors. Qui ?”
 
Pisces haussa les épaules, impuissant.”
 
“Je peux voir plusieurs [Nécromanciens] assez puissants pour commander une petite horde comme celle-là. N’importe qui au-dessus du Niveau 30 serait potentiellement en mesure de les diriger dans une direction générale avec assez de temps. Mais de là à les faire partir sans se battre ou s’éparpiller ?”
 
Il se mit à lister des noms en comptant sur ses doigts. Ryoka s’éloigna - pour uriner, pensa Erin - en laissant Pisces pontifier.
 
“La Secte Krythienne, ou peut-être le Corpsus de Magnus, seraient capables de faire cela en s’y prenant à plusieurs. Mais les seuls individus capables d’un tel exploit sont les mages tels qu’Az’Kerash ou Le Putride. Bien sûr, une poignée de cabales à la petite semaine ou de covens pourraient…”
 
Pisces s’interrompit lorsqu’il s’aperçut qu’il avait perdu son audience. Erin haussa les sourcils.
 
“Donc tu n’as aucune idée de qui aurait pu faire ça.”
 
“Pas vraiment, non.”
 
“En ce cas, inutile de continuer à se demander qui c’est. On pourra raconter ça à Zevara pour la prévenir quand on aura atteint la ville.”
 
Ryoka était revenue. Elle remit son pantalon et hocha la tête.
 
“Allez. On est presque sortis. Encore un effort et on pourra tous se reposer.”
 
Ils se levèrent et se remirent en marche. Au bout de quelques minutes, Erin murmura à l’oreille de Ryoka.
 
“J’aurais bien aimé que tu ne dises pas ça.”
 
“Pourquoi ?”
 
“Ben, maintenant on dirait qu’on ne va pas réussir à ressortir, tu vois ?”
 
Ryoka voyait tout à fait, en effet, et elle aurait aimé qu’Erin n’en parle pas. Elle secoua la tête.
 
“La Loi de Murphy.”
 
“La loi de qui ?”
Ryoka expliqua le concept. Erin hocha la tête.
 
“Je veux dire, je ne dis pas que c’est ce qu’il va se passer. Mais on dirait juste que… tu vois le genre de film ? Ou le genre d’histoires où le héros est presque tiré d’affaire et qu’il se passe quelque chose de vraiment horrible ?”
 
“Je vois, oui.”
 
“Est-ce que tu as vu Evil Dead ? Tu vois la scène finale où Ash va réussir à sortir et que ce truc…”
 
Erin marqua une pause, ignorant complètement le regard furieux que lui lançait Ryoka.
 
“... Enfin, on ne sait pas exactement ce qu’il se passe mais je parie que ce n’était pas sympa.”
 
Ryoka regarda fixement Erin. Elle ne voyait absolument pas comment répondre de manière appropriée. Au bout d’un moment, elle haussa les épaules.
 
“Je n’ai jamais vu ce film.”
 
“Bien. Ne le regarde jamais. Ça m’a filé des cauchemars.”
 
Erin frissonna et scruta nerveusement les couloirs sombres. Ryoka la dévisagea.
 
“Pourquoi est-ce que tu l’as regardé, alors ?”
 
“Oh, une amie a moi a insisté pour qu’on le regarde pendant une soirée pyjama. Je crois que je devais avoir quatorze ans. Bon sang, mes parents n’ont pas été ravis quand ils ont compris pourquoi on criait à minuit. Mais après ils ont regardé le reste avec nous et c’était cool.”
 
Erin se tut pendant quelques secondes puis reprit la parole.
 
“Bref, tout ça pour dire qu’il va se passer quelque chose d’affreux. Un monstre maléfique va surgir au détour du couloir.”
 
C’était une paranoïa ridicule, et Ryoka faillit le dire. Ce genre de chose n’arrivait jamais dans leur monde sauf en cas d’extrême coïncidence, et cela n’arriverait pas ici non plus.
 
… à moins que ce monde ne suive les mêmes règles que celles des livres d’heroic fantasy et des films hollywoodiens. Si c’était le cas, ils allaient tous mourir.
 
“Et si c’était le cas, on serait tous protégés par le scénario.”
 
“Quoi ?”
 
Et au lieu de cela, tout le monde avait une peau vulnérable qui se coupait et saignait facilement. Mais peut-être qu’ils n’étaient pas tous des personnages principaux. Si c’était vraiment une histoire, les personnages principaux seraient Erin, Ryoka et le reste des personnes issues de leur monde.
 
C’était ça. Quelque part, dehors, un garçon blanc maigrichon allait sortir de nulle part et se faire nommer l’élu. Il obtiendrait probablement la classe de [Héros], une épée magique, et une cicatrice, pour être sûr que tout se passe bien. On ajouterait un personnage féminin et un copain courageux et on aurait une série.
 
Si elle continuait à réfléchir comme ça, elle allait devenir folle. Ryoka secoua de nouveau la tête. Elle se cogna le front du poing pour rassembler ses idées…
 
Et faillit devenir aveugle en retrouvant la lumière du soleil.
 
“Aïe ! Mes yeux !”
 
Cria Erin. Ryoka entendit Ceria et Olesm prendre une brusque inspiration lorsque le groupe émergea soudainement à l’air libre. Elle ne pouvait rien voir, mais elle sentit la chaleur bienvenue du soleil sur sa peau, et la sensation du vent sur son visage. Il chassa l’air ranci des ruines séculaires et Ryoka se sentit de nouveau vivante.
 
Ils étaient sortis.
 
Quand Ryoka put de nouveau voir, elle leva les yeux et vit les luxuriantes plaines verdoyantes qui l’entouraient, les tapis de fleurs sauvages en train d’éclore malgré le l’arrivée de l’hiver, et deux rangées de gardes Liscoriens en train de leur faire face, toutes armes dehors.
 
Ryoka marqua une pause. Pisces recula immédiatement et Loks se cacha rapidement derrière Ksmvr. L’Antinium regarda le groupe de gardes d’un air méfiant, tandis que Ceria et Olesm se contentaient de ciller, médusés, devant le comité d’accueil.
 
Erin fut la dernière à recouvrer la vue, mais lorsque ce fut chose faire, elle traita les gardes armés comme s’ils n’étaient pas si dangereux que ça. Ryoka songea tout d’abord qu’Erin n’avait clairement jamais été arrêtée ni harcelée par n’importe quel représentant des forces de l’ordre.  Bien que dans le cas de Ryoka, il était tout naturel qu’elle se fasse harceler et soupçonner étant donné les différents délits qu’elle avait commis. Faire sauter une salle de classe de chimie avait tendance à te faire ficher à vie comme fauteuse de trouble.
 
“Hey, Relc ! Et Klbkch ! Qu’est-ce que vous faites ici, les gars ?”
 
Erin sourit et s’avança. Son sourire s’effaça dès qu’elle vit qui était en tête du groupe de gardes.
 
La Capitaine de la Garde, Zevara, s’avança tandis que les Gnolls et les Drakéides qui l’entouraient baissaient leurs armes. Klbkch et Relc la suivirent de près.
 
Zevara s’arrêta devant Erin et pointa les ruines du doigt.
 
“Combien de morts-vivants se trouvent là-dessous ? Est-ce qu’il y a des pièges ?”
 
Erin cilla en dévisageant Zevara.
 
“Quoi ?”
 
“Dis-nous ce sur quoi on va tomber là-dessous.”
 
Ryoka regarda les gardes et les pièces du puzzle se mirent en place. Cela ne prit qu’une demi-seconde de plus à Erin pour comprendre ce qu’il se passait et elle plissa les yeux, outragée.
 
“Attends une seconde. Tu entres maintenant ? Tu avais dit que tu ne voulais pas risquer de faire entrer qui que ce soit !”
 
Zevara balaya les protestations d’Erin d’un revers de la queue.
 
“J’ai dit cela, en effet. Je n’allais pas risquer de bons guerriers si les ruines étaient infestées. Mais si votre groupe a survécu, mes gardes peuvent s’occuper du reste. On confisquera tous les trésors que nous trouverons là-dessous, ainsi que tout ce qui aura été abandonné à l’intérieur.”
 
Ainsi, ils pourraient prendre tous les trésors avant que le groupe d’Erin ne puisse rentrer le chercher. En théorie. Ryoka espéra qu’Erin ne mentionnerait pas la salle au trésor vide juste pour voir Zevara s’étouffer avec la poussière des ruines après une heure ou deux de recherches. Mais Erin n’avait pas l’intention de jouer aux rebelles. Elle était plus inquiète pour Ceria et Olesm. Elle les pointa du doigt d’un air indigné et haussa la voix.
 
“Hey, on a des blessés - enfin, des gens affamés ici ! Ils ont besoin de nourriture et de repos ! Pourquoi tes crétins de gardes n’aideraient pas à ça plutôt ?”
 
Zevara secoua la tête d’un air impatient.
 
“Je n’ai pas le temps à perdre pour les fous qui ont déchaîné…”
 
Elle s’interrompit et son regard traversa Ceria pour se poser sur Olesm. Elle fronça les sourcils, s’avança d’un pas, puis sa mâchoire se décrocha.
 
Olesm ? Tu étais là-dessous ?”
 
Olesm agita faiblement une serre en direction de Zevara.
 
“Salut, Capitaine Zevara.”
 
“C’est donc que tu t’étais caché ! On s’était demandé ce qu’il t’était arrivé !”
 
Relc éclata de rire et s’avança. Il donna une claque sur l’épaule d’Olesm, tellement fort que le Drakéide s’effondra. Klbkch aida Olesm à se relever.
 
“Oups. Mais je n’arrêtais pas de me dire qu’un zombie t’avait mangé pendant l’attaque. Mais tu étais là-dessous tout ce temps ? C’était comment ?”
 
“Salut, Relc. Hum, c’était…”
 
“Écarte-toi, espèce d’idiot !”
 
Zevara écarta Relc d’un coup d’épaule en s’avançant vers Olesm. Elle l’inspecta, la queue agitée de tics anxieux
 
“Tu es dans un sale état. Mais je suis heureuse que tu ailles bien, Olesm. Si j’avais su que notre [Tacticien] était là-dessous j’aurais envoyé de l’aide. Mais maintenant que tu es ici, nous allons nous assurer que tu te remettes pleinement.”
 
Il cligna plusieurs fois des yeux en la dévisageant.
 
“J’en suis reconnaissant, Capitaine.”
 
Olesm était encore clairement déboussolé. Zevara le regarda avec une inquiétude non feinte. Elle se tourna et se mit à crier, ce qui fit grimacer Olesm et Ceria qui se bouchèrent les oreilles.
 
“Allez me chercher un mage et des potions de soin pour lui tout de suite !”
 
“Et pour Ceria ! Elle a aussi besoin d’aide !”
 
Erin fusilla Zevara du regard. La Drakéide lui rendit son regard noir.
 
“Les aventuriers qui sont à l’origine de tout cela peuvent bien bouffer de la terre pour ce que j’en ai à…”
 
Elle hésita, jeta un œil à Olesm et ravala ses mots.
 
“... Enfin, on pourra en discuter plus tard. Pour le moment, on va s’occuper d’eux. De tous les deux.”
 
Les gardes s’approchèrent précipitamment avec des potions de soin. Zevara se tourna vers Erin et Ryoka, et se mit à leur donner sèchement des ordres.
 
“À présent, je veux que vous me disiez combien de morts-vivants vous avez vus, et combien il en reste. S’il y a des pièges, je veux leur localisation. Encore mieux, l’une de vous deux humaines ou Ksmvr peuvent m’accompagner et me montrer…”
 
“Excusez-moi.”
 
Zevara ignora la voix douce. Mais Relc tourna la tête et se tendit. Il attrapa sa lance et recula. Klbkch posa les mains sur ses épées. Zevara était trop occupée à se disputer avec Erin pour remarquer tout cela, mais lorsqu’elle comprit que Ryoka était en train de regarder par-dessus son épaule plutôt que de se concentrer sur elle, elle se retourna.
 
“Par les Dragons, qui donc…”
 
Elle s’interrompit. Les mots furieux de Zevara furent absorbés comme par une éponge de son. Les gardes autour d’elle dévisagèrent l’intruse. Il y avait quelque chose chez elle, une espèce de qualité qui attirait l’attention.
 
C’était peut-être son armure marron tachetée, ou l’épée courbe qui avait l’air aussi chère que mortelle. Ou peut-être que c’était son apparence unique, ou son statut. Cela aurait pu être tout cela, ou rien de tout cela, mais tout le monde la dévisagea. Ils ne pouvaient pas s’en empêcher.
 
La personne qu’ils dévisageaient les dévisagea à son tour. Elle était plutôt douée pour cela.
 
Scruta, la demie-Scruteuse et Aventurière Légendaire sourit à l’assemblée de gardes et au groupe mené par Erin et Ryoka. Son œil principal se focalisa sur Erin et Ryoka un long moment avant de retourner sur Zevara. Scruta inclina poliment la tête.
 
“Bonne journée à vous, Capitaine de la Garde, gardes.”
 
Ryoka dévisagea Scruta. Elle se souvenait à peine du nom de l’aventurière, mais elle se souvenait parfaitement de l’endroit où elle l’avait rencontrée. Les cadavres des Gnolls, tous proprement décapités, lui revinrent brièvement en mémoire.
 
Erin n’avait pas ce genre de souvenir, et, bien que confuse, elle sourit à Scruta. Mais les autres restèrent pétrifiés. Les gardes et Olesm étaient béats d’admiration, Relc et Klbkch avaient l’air soupçonneux, et Ceria était soudain plongée dans une vive inquiétude.
 
Scruta hocha la tête à l’attention d’Erin et sourit de nouveau.
 
“Erin. Cela fait un moment que nous ne nous sommes pas vues, n’est-ce pas ?”
 
“Hum. Oui ?”
 
Même Zevara dut prendre un instant pour retrouver l’usage de sa voix. Mais lorsque ce fut chose faite, elle fusilla Scruta du regard. Elle ne cria pas, ne la réprimanda pas, mais son ton resta brusque.
 
“Scruta. Ceci sont des affaires officielles de Liscor. Nous n’avons pas besoin d’aventuriers. Je te prie de te retirer de la zone…”
 
“Hum. Tu es plutôt agaçante.”
 
L’interrompit Scruta. La Drakéide dut prendre un moment pour cligner des yeux, mais elle se mit rapidement à bégayer, outragée. Elle haussa la voix, et Scruta sortit son épée de son fourreau.
 
Ryoka vit la lame surgir de son fourreau en slow motion. En slow motion, certes, mais Scruta était vive comme l’éclair. En moins d’une seconde, l’épée était dans sa main. Elle la sortit de son fourreau, parut prendre le temps pour sourire à Ryoka, puis se tourna vers Zevara.
 
Scruta leva son épée et la plongea dans le ventre de Zevara. La lame courbe ressortit dans le dos de Zevara et Scruta tordit la lame en la retirant.
 
“Qu’est-ce que… ”
 
Zevara s’étouffa sur ses mots, choquée en réalisant ce qu’il venait de se passer. Elle baissa les yeux sur la plaie béante sur son ventre, cilla en les levant sur Scruta, puis tomba.
 
Le choc et le silence régnaient. Tout le monde, sauf Scruta, regardait fixement la Capitaine de la Garde déchue. Scruta se retourna vers Ryoka et Erin. Elle tenait quelque chose dans sa main. Un rouleau de parchemin, recouvert de lettres dorées qui brillaient encore plus fort à la lumière du soleil.
 
“Salutations, Ryoka Griffin et Erin Solstice.”
 
Le sourire de Scruta s’élargit de plus belle.
 
“Je vous cherchais.”
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 22 août 2020 à 15:34:51
Note du traducteur: De retour! Pour l'un de mes chapitres préférés du second volume, j'ai de la chance! Et un grand merci à Ellie qui a continuer de progresser toute seule durant mon absence!

2.05
Traduit par Maroti


Le cœur de Ryoka s’arrêta pendant une seconde. L’acte de violence casuel venait de la choquer. Mais ses instincts et ses années d’entrainement prirent le dessus et elle leva ses mains en s’éloignant de Scruta.

En face d’elle, Ryoka vit les yeux du grand Drakéide se plisser. Relc regarda Scruta de manière choqué alors qu’elle s’écroula, et la seconde d’après sa lance était déjà brandit alors qu’il hurla sur Scruta.

« Toi ! »

Relc se jeta et bondit sur le dos de Scruta. Ryoka faillit ne pas le voir couvrir les trois mètres entre lui et Scruta, il n’était qu’une forme floue. Un cobra était lent comparé à lui.

Scruta était toujours en train de sourire à Erin, mais elle bougea en même temps que Relc. L’un de ses petits yeux tourna dans son orbite, montrant le blanc. Elle se tordit pour sortir du chemin de la charge de Relc, et le Drakéide la frôla, sa lance manquant l’estomac d’Erin par quelques centimètres.

Relc gronda en montrant les deux et se retourna. Ryoka sentit qu’elle bougea dans la mélasse comparée à lui et Scruta. Le Drakéide leva de nouveau sa lance en direction de l’œil central de Scruta, qui était toujours souriante alors qu’elle leva son épée.

Aussi rapide que Relc était, Scruta arrivait à suivre le rythme. Et elle ne le visait pas lui, mais plutôt son bras.

L’épée de Scruta s’abattit à l’instant avant que la lance de Relc ne l’atteigne. Son épée s’enfonça profondément dans son bras même alors qu’il se tordit pour essayer d’esquiver, abaissant le point de sa lance. Au lieu de toucher son visage, sa lance glissa sur le devant de son armure dans une nuée d’étincelle.

Relc hurla d’agonie alors que l’épée courbée s’enfonça dans son bras, mais il continua de bouger. Sa lance bougea et Scruta leva un bras gantelet pour l’arrêter.

Une fois, deux fois. Des étincelles volèrent alors que Scruta dévia les deux attaques vers son visage. Elle sourit alors que le visage de Relc se tordit de douleur. Elle retira son épée et Relc fit un bond en arrière, tenant son bras. Son corps était plus résistant que le cuir, mais l’épée avait quand même tranché jusqu’à son os.

Et c’était tout. Le combat était terminé. Même si Relc pouvait toujours utiliser son autre main, il était soudainement en train de se battre avec un seul bras contre Scruta. Il fit tournoyer sa lance, feintant deux fois vers son visage, mais elle attrapa sa lance avec son épée lors de la troisième estoque. Le bois se brisa alors qu’elle trancha la lance en deux alors que Relc fit un bond en arrière, jurant.

L’intégralité du combat s’était déroulée en une poignée de secondes. Erin fut repoussée par le tourbillon de mouvement autour d’elle. Elle cligna des yeux et resta bouche bée alors que Relc bondit en arrière vers les autres gardes, tenant son bras inutile.

Klbkch couvrit Relc alors qu’il s’empara d’une autre lance et tâtonna à sa ceinture pour une potion ? L’Antinium était en train de crier des ordres, sa voix devant un mégaphone alors que les gardes autour de lui dégainèrent leurs armes.

« Retraitez-vous ! N’utilisez que des arcs. Vous quatre aller l’engager avec moi. Relc t… »

« Donne-moi une minute. »

Klbkch hocha la tête. Il s’avança lentement vers la Scruta souriante alors que d’autres gardes se dispersèrent pour l’encercler. Les autres bandèrent des arcs vers elle.

« Scruta de Reim. Déposez vos armes et rendez-vous. »

Elle rit.

« Les demandes sont faites des forts pour les faibles, Klbkch des Antiniums Libres. Non pas l’inverse. »

En réponse, Klbkch bondit vers elle, les deux épées filant d’un même mouvement vers son cou. Elle donna deux coups, le premier pour dévia l’épée gauche de l’Antinium, le second pour stopper son épée droite, repoussant son épée avec sa plus grande lame. Elle le repoussa et l’Antinium s’envola. Scruta leva son épée et fit tournoyer la pointe de manière presque décontractée, réduisant les flèches volant vers elle en miette.

Les autres gardes étaient déjà en train de la charger, mais Scruta bougea entres eux avec la grâce d’une danseuse. Elle mit son pied dans la charge d’un Gnoll, le faisant tomber, gifla un Drakéide et l’envoya valser vers ses amis, bloqua l’estoque d’un autre Drakéide, et donna un coup de taille vers un troisième Drakéide. Ce dernier s’effondra, un flot de sang coulant de la massive entaille sur son torse.

« Les feintes et les tactiques sont inutiles face à moi. Je vois la vérité dans vos âmes. »

Cinq autres flèches s’écrasèrent contre le sol derrière Scruta, la manquant de quelques centimètres pour l’une d’entre elle. Elle n’avait même pas bougé sa tête, mais c’est ce qu’elle décida de faire quand la jarre d’acide vola vers elle dans son dos. Scruta devint flou en s’éloignant et Loks abaissa lentement sa main et cligna des yeux en regardant l’emplacement vide.

Une botte d’armure donna un coup de pied qui envoya voler la Gobeline. Loks fit plusieurs tours en l’air avant de s’écraser brutalement au sol. Elle arrêta de bouger.

Ce fut à cette instant qu’Erin fit tirer de sa stupéfaction. Elle regarda Scruta et le choc se transforma en rage. L’aventurière lui sourit.

« Scruta ! Tu… »

Scruta gifla Erin. Ce n’était pas une petite gifle, mais un craquement métallique sur son visage. Sa main était amurée et les plaques coupèrent le visage d’Erin.

Erin tituba en arrière et une flèche la frôla pour aller déchirer le milieu des robes de Pisces, à quelques centimètres de son entrejambe. Il baissa les yeux, le visage pale, et le sort qui se former au bout de ses doigts se dissipa.

Scruta était déjà sur lui. Elle donna un nouveau coup de poing et Pisces s’effondra, inconscient avant de toucher le sol. Puis elle se tourna de nouveau vers Erin pour lui sourire, ignorant les gardes qui l’encerclaient.

Ils n’étaient pas prêt à tirer lorsqu’elle était aussi proche d’Erin, ou c’était peut-être la menace de ce que Klbkch leur ferait si ils la touchaient par inadvertance les empêchait d’attaquer.

Erin regarda Scruta. Elle regarda l’épée de la semi-Scruteur. Elle était recouverte de sang. Du sang carmin. Des Drakéides et des Gnolls gisaient au sol, saignant de la même couleur. Le liquide gouttait dans l’herbe depuis la pointe de son épée.

Elle regarda Scruta. Il y avait un sourire sur son visage. Son expression n’avait pas changé depuis le jour où Erin l’avait rencontrée. Pour elle, ce n’était rien de plus qu’une simple ballade.

« Qu’est-ce que tu es en train de faire, Scruta ? »

Scruta haussa les épaules. Son œil central n’était pas concentré sur Erin. Il était en train de tournoyer, montrant le blanc à Erin alors que Scruta se concentrait sur les gardes derrière elle. Mais ses quatre plus petits yeux étaient concentrés sur Erin.

« Il est temps pour moi de partir. Et je vais te ramener toi et Ryoka Griffin quand je vais m’en aller. »

« Pourquoi ? »

« Tu pourras me reposer cette question quand nous serons partis. »

La main de Scruta bougea. Elle brisa le sceau du parchemin qu’elle tenait dans son autre main avec son pouce et le déplia.

Erin ne savait pas ce qui allait se passer. Le parchemin était en train de luire d’une lumière jaunâtre. Elle entendit Ryoka l’appeler de plus loin.

« Éloigne-toi d’elle. Et de moi. Si elle nous a ensemble, on est finie. »

L’autre femme pointa Scruta du doigt. Elle était derrière Relc, Klbkch et une ligne de garde.

« Cette chose est un parchemin de téléportation. »

Scruta tourna son immense œil vers Ryoka et cligna une fois de l’œil.

« C’est… Surprenant. Dit moi, comment peux-tu savoir ce que cela est ? »

Ryoka haussa les épaules, le regard concentré sur Scruta.

« Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? »

« Et tu crois que rester à quelques mètres de moi va changer quelque chose ? »

« A moins que tu ne veuilles téléporter tout le monde avec toi, je pense que oui. »

Ryoka était en train de tenir en équilibre sur la pointe de ses pieds, tendue. Mais Scruta secoua la tête.

« Dit moi, Ryoka Griffin. Est-ce que tu penses vraiment que je serais venu ici si je n’étais pas certaine de tous pouvoir vous tuer ? Le parchemin est simplement ici pour la téléportation. Vous deux aller venir avec moi. La seule question est le temps que cela prendra. »

L’autre fille hésita. Erin regarda Scruta. Elle ne doutait pas des mots de la demi-Scruteur. Elle était une démone souriante. Quelqu’un qu’Erin avait cru sympa. Mais maintenant…

Relc venait d’obtenir une autre lance de l’un des gardes. Il la fit tournoyer alors qu’il s’avança vers la gauche de Scruta alors que Klbkch alla vers sa droite. Les autres gardes bougèrent avec eux, créant un cercle complet alors que des Drakéides et des Gnolls visèrent la tête de Scruta avec leurs flèches.

« Reste derrière nous, humaine. »

Scruta secoua la tête en les regardant, ignorant le fait qu’elle était encerclée.

« Je vais vous donner une chance, garde de Liscor. Donnez-moi les deux humaines. Aucune des blessures que j’ai infligées n'étaient fatales. Mais si vous continuez de m’obstruer vous allez souffrir et mourir. »

Relc serra son bras droit, grimaçant. Erin remarqua que la potion de soin n’avait pas entièrement marché. Le saignement s’était arrêté, mais des parties de la chair n’avait pas repoussé, et ses mouvements étaient plus raides.

« Va en enfer espèce de monstres à cinq yeux. »

Scruta haussa les épaules et son sourire se fit plus prononcé.

« Fort bien. »

Elle leva son épée et les gardes préparèrent les leurs. Klbkch était sur l’un de ses côtés, Relc de l’autre. Ksmvr s’avança et recula Erin, ses quatre armes au clair. Olesm et Ceria étaient accroupies à l’entrée des ruines, en observateurs silencieux.

Loks ne bougeait plus. Pisces étaient inconscient. Ryoka se tenait, méfiante, derrière un rang d’archers. Erin regarda autour d’elle. Plus d’une vingtaine de personne regardait une seule femme, une aventurière souriante portant une armure noire, tenant une épée rouge de sang.

Scuta leva son épée et s’adressa au silence.

« Je suis Scruta de Reim, Scruta l’Omnisciente. J’avance. »

Pendant une seconde, tout resta immobile. Puis Erin vit les yeux de Scruta commencer à bouger.

Normalement, la demi-Scruteur avait les yeux à moitié fermé, comme tous les humains normaux. Mais maintenant ses yeux étaient grands ouvert, et semblait sortir de ses orbites. Et bouger.

En haut, en bas, à droite, en bas, à gauche… Ses yeux, les cinq, étaient en train de tourner dans leurs orbites, leurs pupilles dilatées. L’œil central de Scruta s’agit dans tant de direction à la fois qu’Erin se sentait malade rien qu’en la regardant.

Mais Scruta ne semblait pas perturber par la performance. Elle se tourna, et marcha vers Relc, l’épée au clair. Elle parla de vive voix, comme si elle faisait une observation.

« Quinze Drakéides, cinq Gnolls. De la classe des [Gardes]. Un Drakéide [Maître Lancier], un [Pourfendeur] Antinium. Un [Assassin] Humain à l’arrière. »

Les bras de Relc se tendirent, et sa posture s’abaissa pour une nouvelle charge. Mais Scruta bougea la première. Elle fit un léger mouvement de l’épée dans sa direction, un mouvement rapide qui avait tant de pouvoir derrière que le sang sur la lame gicla comme une douche carmine.

Cela toucha Relc au visage alors qu’il fit un mouvement instinctif de la tête, jurant en nettoyant ses yeux. C’était assez pour ouvrir son côté alors que Klbkch, Ksmvr et un Drakéide foncèrent vers Scruta des trois autres directions cardinales.

Scruta sourit et fit un pas en arrière en direction de Relc. Il jura et tenta de la bousculer, mais elle le remarqua.

L’une des épées des Klbkch fut arrachée de ses mains alors qu’il recula, une longue entaille courant sur sa carapace. Les quatre épées de Ksmvr s’écrasèrent sans aucun effet sur l’armure de Scruta, tout comme la lance du Drakéide.

Scruta se retourna et coupa Relc dans les côtes alors qu’il réussit à retirer le sang de ses yeux. Il hurla en se retirant avec les autres.

« Son armure est impénétrable. »

Ksmvr annonça ce fait alors que les gardes avec des armes tirèrent une volée sur Scruta. Erin vit la vérité de ce qu’il venait de dire aussitôt. Scruta leva calmement son épée et utilisa le plat de sa lame pour bloquer son visage, la bougeant légèrement pour bloquer les flèches. Mais à part cela, elle resta immobile, et les flèches qui s’abattirent sur son corps se brisèrent bruyamment sur l’armure couleur rouille.

Erin couvrit son visage et s’éloigna de Scruta alors que des échardes volèrent autour d’elle. Les gardes continuèrent leur barrage pendant presque une minute entière avant de s’arrêter. Scruta abaissa son épée, sans la moindre égratignure.

Toujours souriante.

« Mon Roi m’a donné cette armure pour que je puisse marcher à travers les champs de batailles ensanglantés en son nom. Vos armes ne parviendront pas à la percer. Et vous ne pouvez pas m’empêcher d’atteindre mon but. »

De sa position derrière les archers, Ryoka vit Klbkch et Relc foncer sur Scruta par-derrière, Ksmvr était une seconde plus lent. Cette fois, ils attaquèrent en parfaite unité, une épée et une lance filant vers sa tête de deux directions. Mais Scruta esquiva simplement l’épée de Klbkch et paria de nouveau l’estoque de Relc, avant de trancher Ksmvr alors qu’il fonça vers elle. Elle était toujours en train de tenir le parchemin de son autre main.

Et puis elle leva la tête et sourit en direction de Ryoka.

Scruta apparut devant Ryoka dans un mouvement plus rapide que l’éclair. Ryoka donna un coup-de-poing, mais le poing de Scruta passa par-delà sa garde et l’attrapa dans un contre parfait.

Ryoka cligna des yeux. Elle était soudainement au sol, et Scruta avait disparu. Qu’est-ce qui…

Elle se releva et vit les gardes gisant au sol. La ligne d’archers qui avait tiré sur l’aventurière pour couvrir les autres avait disparu. Hurlant et grognant alors leurs bras et jambes profondément entaillés.

Du sang gicla des blessures alors qu’ils tendaient désespérément les bras vers leurs potions de soin. Scruta avait tranché des artères, et les gardes devaient soigner leurs blessures ou mourir dans la minute.

Et Scruta était de nouveau vers Erin, se battant avec les gardes. Elle était en train de danser dans un tourbillon de lames, souriant et riant.

Oui, c’était ça. Elle dansait. C’était ce à quoi cela ressemblait. Pas une danse rapide ou des espèces de bonds ridicules de haut en bas, mais une danse lente. Chaque pas était délibéré, et chaque fois qu’elle abattait son épée c’était pour dévier un coup ou trancher quelqu’un autour d’elle.

C’était un splendide spectacle. Splendide et qui remplissait Ryoka de désespoir. Scruta voyait tout ce qui essayait de la toucher, de toutes les directions. Elle ignorait les feintes et savait quand quelque chose allait manquer. Et elle devait uniquement défendre sa tête.

Relc donna un coup de pied dans les côtes de Scruta et elle esquiva avant de lui entailler la jambe. Il était déjà recouvert de nombreuses entailles peu profonde, tout comme Klbkch. Scruta ne cherchait pas à tuer. Elle était en train de saigner tout le monde autour d’elle, se battant uniquement sur la défensive.

Toujours souriante.

C’était de la pureté. C’était le sommet de la perfection. Si Scruta avait été une combattante d’art martial elle aurait été au 27ème Dan ou quelque chose du genre. Ryoka savait qu’elle n’avait pas une chance de la toucher.

Elle se retourna pour courir. Courir comme une lâche pour éviter que Scruta ne les téléporte. Mais Scruta se tourna et leva son épée comme si elle allait la lancer. Ryoka se figea, et Scruta sourit alors qu’elle se pencha en arrière pour éviter une autre épée.

Elle ne pouvait même pas courir. Ryoka hurlait dans sa tête en essayant de trouver ce qu’elle pouvait faire. Qu’est-ce qu’elle pouvait faire ? Erin était toujours en train de regarder la mêlée, mais les autres gardes titubaient en arrière, trop blessé pour se battre. Seul Relc, Klbkch et Ksmvr était débout. Puis uniquement Relc et Klbkch.

Un hurlement. Ryoka l’entendit dans son esprit. Elle était impuissante. Elle ne devait pas l’être. Elle avait fait du self-défense toute sa vie. Elle avait entrainé son corps. Elle ne pouvait pas être…

Impuissante.

Un hurlement. Ryoka l’entendit dans son esprit, devenant de plus en plus assourdissant. Puis elle réalisa que ce n’était pas dans sa tête. Elle regarda autour d’elle.

Une voix solitaire se leva à travers le fracas du métal sur le métal et les hurlements des combattants. C’était profond, résonnant. Ryoka avait entendu des loups hurler, mais c’était plus profond, et d’une certaine manière bien plus perturbante.

Les longs hurlaient pour communiquer ; pour être sociable. Mais ce hurlement était plus sombre. Il y avait une émotion à l’intérieur ; une furie sombre qui s’exprimait dans un son sauvage qui envoyait des frissons le long de la colonne vertébrale de Ryoka.

Cela hérissait les poils sur la nuque de Ryoka alors qu’elle sentit des sueurs froides couler le long de son dos. Ce n’était même pas quelque chose de conscient ; le bruit touchait une partie primale de son cerveau et la terrifiait.

Aucun animal n’hurlait de cette manière. Et aussitôt que le premier hurlement s’arrêta, un autre se leva pour le remplacer. Puis un autre. Et un autre.

Erin couvrit ses oreilles pour stopper le terrible bruit. Elle regarda autour d’elle, paniquée. Tout le monde s’était arrêté, même Scruta. Elle s’arrêta, et Relc tituba en s’éloignant d’elle, saignant depuis une douzaine de blessures.

La Scruteur claqua sa langue, agacée, et fronça les sourcils en direction de la ville avant de secouer la tête.

« Des Gnolls. Et l’hiver approche. Dans seize minutes. Inconvénient. Je dois aller plus vite. »

Elle déplia le parchemin et pressa son doigt dessus. Erin vit une complexe toile de lignes de symboles avant que Scrute ne prononce un mot et que le parchemin s’illumine.

«Exus. »

Les symboles commencèrent à bouger. Ils tournoyèrent et volèrent autour dans une vertigineuse configuration avant de former un cercle. Et ce cercle tomba du parchemin sur le sol. Il forma un cercle dans l’air, un cercle qui devenait de plus en plus grand.

Scruta se tourna vers Erin.

« Il est temps de partir. »

Erin n’arrivait pas à parler. Elle ne savait pas si elle devait fuir ou se battre ou…

Une flèche frôla l’épaule d’Erin et Scruta leva son épée. Elle attrapa le projectile noir avant qu’il n’atteigne son œil, mais deux autres volèrent vers son visage. Scruta trancha les deux et fronça son sourcil.

Erin regarda derrière elle. À presque une centaine de mètres, un groupe de grand gens poilu s’approchait vers elle et Scruta. Ils portaient des arcs, et elle reconnaissait l’un d’entre eux.

Krshia menait les Gnoll alors qu’ils hurlaient et courraient vers Scruta, un groupe d’une quinzaine de marchands, d’artisans, et même un tavernier. Mais ils n’étaient pas les gens amicaux qu’Erin connaissait de la ville. Ces Gnolls tenaient d’immenses arcs et leurs yeux brûlaient de furie. Ils ne parlaient pas. Ils n’attendaient pas. Et dès qu’ils étaient à porter de tir, les Gnolls commencèrent à tirer sur la Scruteur.

À l’inverse des gardes qui arrivaient à tirer des volées peu précises sur l’aventurière solitaire, les flèches que les Gnolls tiraient étaient toujours précise. Scruta fronça son sourcil et son bras bougea alors qu’elle trancha les flèches et bondit en arrière.

« Krshia Silverfang. Ton interférence dans mes affaires est fort regrettable. »

Krshia montra les dents en direction de Scruta. Elle tendit son arc droit vers l’œil de Scruta en répondant froidement.

« Du sang pour du sang. Tu as massacré les miens. Nous allons te massacrer. »

« Je vous invite à essayer. »

La flèche de Krshia s’écrasa sur l’épée de Scruta. La Scruteur disparue dans les Gnolls qui commencèrent à tomber en saigner. En mourant ?

Erin n’était pas certaine. Tout ce qu’elle savait était que Scruta était en train de trancher des gens avec son épée, laissant leur sang éclabousser son armure. Tout en souriant.

Mais le sourire de Scruta tressaillit et disparu légèrement alors que les Gnolls continuaient de se séparer. Elle avait tranché les quatre premiers Gnolls avec facilité, mais maintenant ils tiraient de tous les angles, et elle devait esquiver et dévier les flèches avec plus d’attention.

Mais elle était toujours en train de bouger, toujours indemne. Scruta traversa la distance la séparant d’un autre Gnoll qui lui tirait dessus de manière désespérée. Elle le poignarda à travers son arc et dans l’estomac et il s’effondra, serrant son ventre. Scruta se retraita, dansant, et continua vers sa prochaine cible.

Elle allait tous les tuer.

Erin ne savait pas quand elle avait commencé à bouger. Elle s’en rendit compte uniquement quand elle approcha Scruta. Des flèches lui frôlaient le visage, la ratant de quelques centimètres, effleurant ses cheveux. C’était terrifiant, et Erin savait qu’elle pouvait être touchée à la moindre seconde. Mais elle continua d’avancer.

Deux pas. Puis trois. Un flash de feu brûla son bras droit et elle réalisa qu’elle a été coupée par un projectile. Cela n’avait pas d’importance.

Scruta s’éloignait d’elle, marchant vers Krshia parmi la volée de flèches. Erin s’arrêta devant elle, tremblante alors qu’elle vit Scruta trancher les formes floue volant vers sa tête.

Mais maintenant Scruta semblait aussi bloquer celle qui voler vers Erin. Elle sourit à Erin, comme si elle était sur le point de s’esclaffer de rire.

« Et qu’est-ce que tu vas faire maintenant que tu es là, Erin ? »

Erin donna un coup-de-poing vers Scruta. Le bras de la demi-Scruteur qui venait de détourner une flèche avait aussi adroitement dévié le poing d’Erin.

Klbkch chargea des herbes, ignorant une flèche qui le frappa dans le dos. Il leva une épée dans chaque main. Scruta pivota pour le bloqua et bousculer Erin assez fort pour l’envoyer valser au sol. Elle marcha sur le bras d’Erin alors que la fille essaya de se lever en ignorant la douleur.

« La distance et les nombres ne sont rien face à mes yeux, Erin. »

Ryoka vit Erin rouler après que Scruta s’éloignât d’elle. L’aubergiste était en train de bercer son bras. Il ne semblait pas casser, mais elle ne se relevait pas pour attaquer Scruta de nouveau. Bien sûr qu’elle n’allait pas faire. À quoi cela allait servir ?

Klbkch s’effondra enfin quand Scruta l’assomma avec le pommeau de son épée. Les Gnolls étaient toujours en train de tirer, mais le portail qu’elle avait ouvert était pratiquement à hauteur de tête. Ryoka pouvait voir à l’intérieur. C’était une sorte de tunnel, entouré par des symboles tournoyant et des éclats de couleurs qu’elle ne pouvait pas nommer. Et de l’autre côté était de l’herbe. Pas de l’herbe locale, mais une herbe différente. Plus courte, avec des feuilles plus épaisses. Un sol plus sec, un habitat plus rude.

C’était définitivement un portail. Et Scruta allait traîner Erin et Ryoka dedans.

Elle s’avança vers Ryoka, toujours en déviant des flèches comme si son épée était une ombrelle. Elle s’adressa à Ryoka en s’approchant.

« Tu as bien moins de valeur qu’elle, mais peut-être que tu vas en valoir la peine. »

De nouveau. C’était le même foutu sentiment. Scruta rit alors qu’elle évita et paria des attaques venant de toutes les directions.

C’était tellement injuste.

« Deux pour le prix d’un, comme mon seigneur le dirait. »

Ryoka recula, mais Scruta dévia une flèche et de la douleur explosa dans les côtes de Ryoka.

« Ne bouge pas. J’ai besoin de toi, mais les potions ont un pouvoir limité. »

Elle devait avoir une faiblesse. Ryoka serra la flèche qui s’était enfoncé dans son estomac et essaya de ne pas crier. Scruta était arrogante. Elle… Elle ne se battait même pas sérieusement. Relc était… Le seul qui pouvait vraiment la défier, et elle s’était débarrassé de lui dans les premières secondes.

Elle devait avoir un point faible. Ses yeux. Sans ses yeux elle…

Scruta s’arrêta en face de Ryoka. Elle attrapa sa jambe alors qu’elle venait de partir vers son visage.

« Un bon coup de pied. »

Puis elle lui donna son propre coup de pied et Ryoka retrouva ses esprits au sol à côté du portail. Elle se sentait malade. Elle essaya de se lever pour se rendre compte que ses bras et ses jambes ne marchaient pas correctement. Elle secoua la tête et se força à se mettre sur ses genoux et regarder autour d’elle.

Scruta se tenait au-dessus de Ceria, l’épée au clair. Olesm était effondré à ses côtés, immobile. La moitié des Gnolls gisaient au sol et l’autre moitié avait arrêté de tirer. Parce que l’épée de Scruta était à la gorge de Ceria.

« Pourquoi attendre ? Pourquoi, si tu savais que j’étais vivante ? »

La demi-Elfe était en train de poser une question à Scruta. Ryoka était en train d’essayer de l’atteindre, mais son corps la lâcher. Brisé. Elle se sentait étourdit et le monde continuait de tourner autour d’elle, elle n’entendit presque pas Scruta.

« Pour que tu souffres le plus, bien sûr. »

Ryoka cligna des yeux et regarda soudainement la terre. Elle était tombée ? Elle était tombée. Elle se releva. Elle ne pouvait pas se battre. Mais Ceria. Elle ne pouvait pas la laisser mourir.

« Saches que garde mes promesses. »

Scruta leva son épée au-dessus de la tête de Ceria. Elle leva son autre main pour arrêter Erin alors que la fille lui bondit dessus.

« Fait-le… »

Scruta regarda Ryoka. La Coursière s’étouffa en essayant de former des mots complets. Son esprit continuait de tourner.

« Fait-le et je me suicide. Je me mords la langue. Tu ne m’auras pas moi et Erin. »

L’aventurière haussa les épaules.

« Un est mieux que deux. Et je doute que tu as le courage pour cela, Ryoka Griffin. »

Elle attrapa Erin par la gorge, la levant. Le portail était grand désormais, toujours en l’air, deux mètres cinquante sur deux mètres cinquante. Il était en train de bourdonner, un son guttural que Ryoka pouvait sentir dans ses os. Et il était en train de… S’effondrer ? Des explosions de couleurs émergeaient des symboles tournoyants. Il allait se fermer.

Krshia leva son arc et Scruta leva Erin. Les pieds de la fille s’agitèrent faiblement.

« Nous la tuerons avant que tu puisses l’emporter. »

Scruta semblait amusée alors qu’elle secoua la tête.

« Mensonge. Je peux voir les mensonges sur ton visage, Krshia Silverfang. »

Krshia hésita. Ryoka essaya de se relever de nouveau. Ce n’était pas possible. Elle s’effondra au sol et sentit quelque chose tomber de sa poche. Elle le regarda.

Le lancer vers Scruta ? Probablement pas.

L’aventurière laissa tomber Erin et agrippa son épée à deux mains alors qu’elle le leva au-dessus de la tête de Ceria. La demi-Elfe la regarda tristement alors qu’elle leva son épée.

« Scruta. »

La voix de Ryoka était rauque alors qu’elle se redressa. Erin se tenait devant Scruta, les poings lever, sachant qu’il était inutile de l’attaquer. Elle allait le faire quand même, Ryoka le savait. Mais elle devait parler avant.

Scruta ne daigna pas détourner le regard. Elle s’adressa dans le vide.

« Maintenant. Qu’est-ce que tu peux dire qui pourra m’arrêter ? Je suis curieuse. »

Ryoka prit une grande inspiration, puis une autre. Le monde tournait. Si elle faisait un pas elle allait probablement vomir et retomber. Mais elle devait le dire. Son point faible.

Ses yeux.

Elle espérait qu’Erin allait être rapide.

« Le Roi de la Destruction s’est éveillé. Flos est de retour. »

***

Erin entendit les mots, mais elle ne savait pas ce qu’ils voulaient dire. Mais ils causèrent une commotion, et elle vit les yeux de Scruta s’éparpiller. Lentement, la Scruteur se tourna.

Scruta l’Omnisciente. Elle pouvait voir à travers les murs, à travers les kilomètres, et même dans le cœur des gens. Elle pouvait voir les mensonges.

Son œil central se tourna, puis les quatre autres eyes. Ils se fixèrent sur Ryoka, la regardant, cherchant la vérité. Et Erin bougea, plus vite qu’elle avait jamais bouger. Sa main se leva, et frappa.

Peut-être que Scruta l’avait vu à sa périphérie, mais elle se tourna. Son épée trancha deux flèches qui allaient vers son visage. Sa main droite arrêta la dague que Ksmvr venait de lui lancer. Peut-être que c’est cela qui ralenti Scruta. Ou peut-être que cela était le regard pourpre, la touche de peur d’une gemme brûlant dans les orbites d’un squelette.

Cela était peut-être toutes ses choses, ou rien du tout. Mais la main de Scruta se leva…

Et Erin enfonça son doigt dans l’œil de Scruta.

C’était une terrible sensation. Erin sentit son doigt s’enfoncer dans l’œil ouvert, directement à travers la cornée. Erin sentit le bout de ses doigts pousser à travers une horrible humidité, à travers le centre gluant et sentit quelque chose éclater sur sa main.

Scruta hurla.

Une main en armure frappa Erin dans le torse. Elle sentit ses poumons se vider et ses côtes craquer. Erin ne s’envola pas… Mais elle bougea de haut en bas pendant une seconde ou deux. Quand elle s’écrasa au sol, et toutes les lumières du monde s’éteignirent.

Quand Erin se releva, Scruta était en train de tenir quelque chose. Une masse visqueuse coulait le long de sa main gantelée, et elle semblait…

Elle ne souriait plus. Pour la première fois, le sourire mystérieux de Scruta avait disparu, et ses quatre yeux valides étaient fixés sur Erin avec une haine sombre.

« Toi. »

Elle s’avança vers Erin, mais soudainement Relc était là. Il rit et se lança sur Scruta.

« [Triple Estoque] espèce de pauvre co… »

Elle le trancha quand il la trancha. La joue de Scruta s’ouvrit alors que Relc fut profondément coupé sur le visage. Scruta se stoppa et s’arrêta. Du sang jaune orangé coula de sa blessure.

Plus de flèches volèrent. Cette fois, l’épée de Scruta fut trop lente. L’une des flèches toucha ses cheveux, et une autre s’écrasa sur son visage, touchant son œil réduit en bouillie. Elle hurla de nouveau.

« Scruta. »

Ses autres yeux se tournèrent vers Klbkch et Relc et elle soupira. Avant de regarder Erin et Ryoka.

« Bien joué. Bien joué à vous deux. J’aurai dû être plus prudente. »

Elle se retourna et battit en retraite alors que Klbkch s’approcha avec Ksmvr et Toren. Vers le portail. Les Antiniums et le squelette laissèrent Scruta s’éloigner, leur épée tirer avec précaution. Les Gnolls continuaient de tirer, et la seule chose que Scruta pouvait faire était bloquer les flèches.

« Tu dois partit ou mourir, Scruta de Reim. »

Scruta hocha la tête en direction de Klbkch.

« Oui. Je le dois. Mais d’abord : ma vengeance. »

Son épée vrombit et toucha une flèche volant vers elle.

« Attenti… »

Ryoka poussa Erin au dernier moment. La flèche manqua les deux filles de quelques centimètres et frappa l’un des arcs tenus par un Gnoll. L’arc fut réduit en miette et la pointe de la flèche rebondit et s’enfonça dans la fourrure du Gnoll. Il hurla de douleur alors que Ksmvr et Klbkch bougèrent pour protéger Erin.

« Ah. Si j’étais meilleure… »

Scruta haussa les épaules. Elle baissa sa main et révéla l’état pitoyable de ce qu’avais été son œil. Elle regarda Erin, et la fille lui rendit son regard.

« Erin Solstice. Un jour, nous allons nous revoir. »

Puis Scruta passa le portail. Krshia tira une dernière flèche, mais elle manqua l’aventurière. La forme de Scruta se distordra et puis…

Erin regarda dans un tunnel qui semblait s’étendre à l’infini. S’étirant de plus en plus loin, mais elle pouvait quand même voir la sortie. Une parcelle d’herbe entourée de runes à quelques mètres de là. Scruta traversa le portail, et son pied traversa plusieurs milliers de kilomètres, s’étirant sur l’herbe de l’autre côté.

Relc lança sa lance à travers le portail. Erin la vit volé à travers l’air, une flèche traversant le monde. Scruta se retourna, la rattrapa, et la renvoya nonchalamment.

Le tunnel de lumière se referma. La lance atterrit dans l’herbe à côté d’Erin, et la magie venait de s’arrêter. Le portail se ferma. La réalité reprit ses droits.

Et Scruta disparu.

***

« Par les dieux morts. »

Zevara se tenait dans les restes du champ de bataille, regardant autour d’elle. C’était un champ de bataille. Il n’y avait pas d’autre mot pour un champ de flèches brisés, de mare de sang, et de cadavres.

Les cadavres. Deux des gardes, et un Gnoll. Trois personnes ; relativement peu en sachant contre qu’ils s’étaient battus, mais trois de trop. Ils gisaient au sol, deux serrant des blessures qui ne s’étaient pas fermées assez rapidement, et le Gnoll sans tête.

Les morts et les blessés. Zevara n’arrivait pas à se souvenir de la fois ou elle avait vu tant de violence en si peu de temps. Pas depuis le dernier Capitaine de la Garde. Pas depuis le Nécromancien.

Elle leva les yeux vers l’autre groupe, celui des vivants. Ryoka et Erin se tenaient à l’intérieur d’un cercle de corps. Ksmvr, les Gnolls, et même le foutu squelette et le mage humain se tenaient autour d’eux de manière protectrice, même si Scruta était partie depuis bien longtemps.

Ryoka était encore en train de se balancer de là où elle était assise. La fille avait une concussion et possiblement un crâne fracturé selon Pisces. Erin n’était pas trop blessé ; les coupures sur son visage et ses ecchymoses avaient été facilement soignés. Mais elle était en train de regarder sa main. Son doigt.

Zevara détourna le regard. Elle regarda Relc, et Klbkch, deux de ses deux meilleurs gardes, même s’ils étaient… Relc et Klbkch. Elle secoua la tête vers eux, et ils hochèrent la leur, comprenant.

« Qu’est-ce qui s’est passé ici ? Pourquoi, par tous les dieux morts, quelque chose comme ça… »

Elle agita sa main vers la scène. Relc secoua simplement la tête, mais Klbkch racla sa gorge.

« Les humains, Capitaine de la Garde. »

« Je sais. Je connais les humains. Mais pourquoi ? Pourquoi eux ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi Scruta ? Pourquoi ? »

« Je ne sais pas entièrement pourquoi. Peut-être que nous devrions nous demander quand il sera temps, mais pas maintenant. Car nous devons accepter que le monde est en train de changer. »

« C’est bientôt la fin du monde. »

Zevara regarda Relc. Le Drakéide fixa le sol, ignorant les coupures et les entailles qui ne s’étaient pas encore soignée. Elle n’était pas un soldat, mais elle avait le même sens que lui.

Zevara regarda le ciel. Des révélations. Il y avoir des rumeurs dès l’instant où ils allaient retourner en ville, mais la vérité était pire encore. Zevara le sentait dans ses os, le sentiment d’urgence, la peur.

La paix était terminée. Le Roi de la Destruction était de retour. Et si elle ne se dépêchait pas, elle allait mourir sans jamais avoir dit à Olesm qu’elle l’aimait.

***

« Je veux juste m’asseoir toute seule et ne rien faire. M’asseoir et jouer aux échecs, d’accord ? J’irai mieux une fois à l’auberge. Une fois à la maison. »

Erin se répéta pour la centième fois à Krshia, alors qu’elle serra la couverture autour de sa main encore plus forte, comme si elle pouvait essuyer les souvenirs, les sensations.

« Je comprends, mais la Capitaine veut parler à tout le monde en ville. Nous avons des boissons chaudes et de la nourriture. Viens avec nous. »

« Si elle ne veut pas venir, elle ne viendra pas. Et tu n’es pas en position de faire de telles demandes, n’est-ce pas ? »

Krshia regarda Relc et le Drakéide lui rendit son regard.

« Avoir quelques arcs et un petit groupe d’archer ne fait pas que tu es soudainement un garde, Krshia. Si tu continues de te mettre sur mon chemin, je vais te taper. Avec ça. »

Il leva sa lance et les Gnolls autour d’Erin et de Ryoka grognèrent. Relc ne semblait pas impressionner, mais Erin secoua la tête.

« Non. Pas de bagarre. Je vais y’aller. Ryoka ? »

« Hm ? Ouais ? »

Ryoka hocha vaguement la tête vers Erin et Relc sourit.

« T’vois ? J’ai raison et tu as tors, Krshia. »

« Fort bien, nous allons aller avec Erin. En tant que citoyens concernés. »

« Ah ouais ? »

« Oui. »

« D’accord, devenons tous des gardes alors. J’aimerais bien te voir devenir Garde Vétéran. Nous allons nous occuper des humains. Vous les Gnolls, vous retournez en ville et… »

Relc arrêté de crier et se retourna. Les Gnolls suivirent son regard. Erin n’avait pas la moindre idée de ce qu’ils ressentaient ou… Entendaient ? »

« Attendez une minute. C’est quoi ce machin-truc ? »

Quelque chose fit écho dans les oreilles d’Erin. Un hurlement ? Non, pas comme les Gnolls. Mais le son du vent, oui. Et il faisait soudainement plus froid.

Beaucoup plus froid.

« Par les dieux, c’est là ! Tout le monde, l’hiver arrive. On se prépare ! »

Relc hurla et tout le monde était soudainement en train de bouger. Erin regarda autour d’elle, confuse. Relc grogna et attrapa la couverture des mains d’Erin avant de la lever autour d’elle et de Ryoka.

« Comme si on avait besoin de ça. »

« Quoi ? Qu’est-ce qui se passe. »

« L’hiver est là. »

Klbkch s’exprima calmement alors qu’il apparut avec une autre couverture. Et puis Erin et Ryoka le virent.

Cela venait depuis les montagnes. Une tempête ? Ou peut-être que c’était juste le vent, glacé et rendu tangible. C’était une vague blanche et grise qui s’écrasait sur tout comme une avalanche, mais au lieu de s’écraser au sol, elle changea son angle au dernier moment et souffla directement sur les plaines.

Cela se dirigea droit vers le groupe, et pendant un instant Erin crût entendre des voix.



« Mes sœurs ! Regardez, regardez ! Un groupe de voyageur à découvert !

« Un groupe de guerriers ! Les chiens et Ceux-Qui-Furent-Dragons ce sont battus !

« Et des humains ! Et des esclaves ! Et même une chose morte !




Des rires, clairs et tintant, comme le craquement des stalactites. Erin plissa les yeux. Est-ce qu’il y avait… Des formes bleues dans la tempête. Mais le ton des voix légères et éthérées changea.



« Regardez ! Ici ! Une bâtarde ! Une sale putain ! »

« Tuons-là ! »

« Enterrons là sous la neige ! »

« Noyons-les tous sous la neige ! »



« Ça arrive !’

Relc hurla, et la tempête enveloppa Erin dans une mer de blanc. Elle fut jetée au sol, roula, et puis elle fut glacée et trempée et le monde avait disparu.

« Erin !Erin ! »

Quelque chose attrapa Erin alors qu’elle lutta pour s’asseoir. Relc souleva Erin alors qu’elle toussa et bégaya alors qu’il la libéra de…

… De la neige ?

« Que… Quoi… ? »

Relc sourit à Erin et lui tendit de nouveau la couverture.

« L’hiver vient d’arriver. Retournons en ville, hein ? Nous allons devoir prendre des vêtements bien chauds ; celui-ci semble assez froid. »

« Quoi ? »

En face d’elle, Ryoka s’extirpa de la neige en crachotant. Elle regarde autour d’elle.

« C’est quoi ce putain de bordel ? »

La tempête avait disparu, comme si elle n’avait jamais été là. Seule la neige demeurait, et le paysage soudainement gelé. Et aussi, le groupe de créatures flottantes qui leur tournait autour fondit au-dessus de la tête d’Erin et Ryoka.



« Ils ne sont pas mort ! La bâtarde est toujours vivante ! »

«Enterons-les de nouveau ! Plus profondément ! »

« Non, coupons ses cheveux et arrachons-lui les yeux ! »

« Regardez, regardez ! Cet humain est différent ! Vous avez vu à quel point son regard est différent, mes sœurs ? »



L’une des créatures flotta aux côtés de Ryoka, et pointa. Ryoka eut un mouvement de recul alors qu’ils volèrent autour d’elle en continuant de parler de leurs voix qui n’étaient pas vraiment des voix.



« Tu as raison ! Comme c’est étrange! Comme c’est bizarre ! »

« Peut-elle nous voir, nous nous demandons ? »

« Impossible ! »



Relc grimaça. Et donna un coup de main pour repousser les fées et secoua la tête.

« Ugh. Ce sont ces trucs. Je les déteste. »

L’un des… Choses transparentes flotta devant le visage de Relc. Il secoua la tête, ses yeux pas véritablement concentré sûr… Elle. Elle souffla sur son visage et il eut un mouvement de recul, criant et grattant le gel sur son nez.



« On te déteste aussi ! »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 26 août 2020 à 18:51:47
2.06
Traduit par Maroti

Elles étaient assises ensembles dans une auberge. Deux femmes, du même sexe mais différente dans tout le reste.

Ryoka Griffin et Erin Solstice se regardèrent mutuellement par-dessus la table d’acajou lisse. Le silence qui se trouvait entre elles était tendu, à couper au couteau.

Il était temps pour elles de parler.

« Bon. Il semble que nous ayons beaucoup à nous dire. »

Ryoka fut la première à briser le silence. Elle leva les yeux vers Erin, et puis les baissa vers ses mains. En toute honnêteté, elle ne savait pas par où commencer.

« Je suppose… Que nous devrions commencer par comment nous sommes arrivé ici. »

C’était la base de toute chose. Le partage d’information. Elles avaient besoin de rassembler leurs connaissances, faire des plans pour le futur. Leur survie pouvait en dépendre.

Ryoka prit une grande inspiration. Depuis le début. Elle allait laisser tous ses secrets derrière elle et espérer qu’Erin fasse de même.

« Erin, je suis venu vers Liscor parce que je faisais une livraison. Une livraison spéciale. Tu vois, j’ai rencontré cet homme nommé Teriarch. Et il a lancé une sorte de… Sort sur moi. Cela m’a fait traverser les Plaines Sanglantes et… »

Ryoka s’arrêta brusquement quand Erin leva une main.

« Qu’est-ce qu’il y a. »

« Je suis désolé. Mais est-ce qu’on peut… Ne pas le faire maintenant ? »

« Je suppose que l’on peut attendre demain si nécessaire. Je peux dormir… »

Erin secoua sa tête.

« Non, pas ça. Je parle de tout ça. Est-ce qu’on peut arrêter l’acte durant une seconde et faire une pause ? Je parle de cette histoire stupide, je veux dire. Pourquoi est-ce qu’on doit avoir une conversation sérieuse maintenant ? Est-ce qu’on peut pas, je sais pas, faire une pause pendant cinq jours et reprendre après ? »

Ryoka hésita.

« Mais le script dit que nous devons parler maintenant et… »

« Le script peut aller brûler en enfer ! J’en ai marre ! »

Erin regarda Ryoka.

« Ca fait neuf mois que je suis là, et je n’ai toujours pas eu de véritable histoire d’amour. Même pas une baguette ou un truc du genre. »

Ryoka s’arrêta. Erin soupira en mettant son visage entre ses mains.

« Et maintenant je dois crever l’œil de quelqu’un ? Est-ce que tu sais quelle sensation ça a ? Je veux dire, franchement. Je sais que tu es une professionnelle, Ryoka, mais j’ai besoin d’un break. Je suis désolé. »

Erin posa sa tête contre la table. Ryoka lui tapota le dos et regarda autour d’elle en abaissa sa voix pour lui murmurer à l’oreille.

« Tu penses que tu l’a mal ? Au moins tu ne dois gérer que l’auberge. Dès que je suis dans un chapitre je dois courir pour sauver ma peau où je manque de me faire manger où… Où y a un foutu chariot qui me roule sur la jambe. »

Ryoka grimaça en regardant Erin.

« Ca fait six mois que je supporte cette merde. Je dois courir, combattre des monstres et me plaindre de la stupidité des gens deux fois par semaine. »

Erin hocha la tête. Elle se redressa et Ryoka soupira.

« Je sais. Et c’est quoi ton délire avec les poêles à frire ? Qui utilise des poêles à frire ? »

« Je sais. Je n’ai même pas d’arme ! Qu’est-ce que je suis, trop bête pour acheter une épée ? Ca ne doit pas être trop compliqué à utiliser. Il suffit juste de pointer le bout pointu vers l’adversaire. C’est simple ! »

Deux femmes s’assirent ensemble et commencèrent à se plaindre. Ryoka hochait la tête alors qu’Erin continua de faire la liste de ses problèmes.

« Tu penses que l’auteur me donnerait au moins une baguette magique ou un truc du genre. Je veux dire, est-ce que c’est vraiment en dehors du domaine du possible que je tombe dans une ancienne tombe ou que je trouve le cadavre d’un mage ? J’aurai pu être Harry Potter et à la place je suis… Dudley. »

« Oh ça va, tu n’es pas grosse. »

« Ca va m’arriver un jour ou l’autre. Comment est-ce que tu crois que je gère tout ce stress ? Dès que je frôle la mort je mange l’équivalent de la moitié d’un cochon. »

Erin frissonna et secoua la tête, Ryoka lui fit une grimace amicale.

« D’accord, qu’est-ce que tu penses de ça ? »

L’asiatique posa ses mains sur la table et regarda Erin.

« Des crossovers. Ce sont de bonnes pertes de temps. Rien d’important à l’intrigue se déroule dans un crossover. Si nous arrivons à en avoir un avec une autre histoire, on pourrait gâcher un chapitre ou deux. Faire une pause. »

Elle sourit à Erin.

« Nous pourrions apparaitre magiquement à Poudlard et rencontrer Harry Potter pendant une journée. Apprendre un peu de magie, qui ne marcherait qu’avec une baguette que tu ne pourras pas rapporter. C’est un bon crossover. En plus, tu pourrais voir si tu ne peux pas coiffer Ginny Weasley au poteau. Tenter ta chance avec Mister Cicatrice. »

Ryoka donna quelques coups de coudes à Erin.

« Hein, hein ? »

L’expression d’Erin lui montra qu’elle n’était pas enthousiaste.

« Ça serait cool, je suppose. Mais tu sais que cela n’arrivera jamais. Harry Potter s’est terminé, et en plus, il y aurait tous les problèmes avec les licences. »

C’était vrai. Ryoka devait y penser. »

« Alors… Peut-être avec un autre Web-serial ? Peut-être qu’un auteur aimerait bien s’échanger un chapitre. Comme… Qu’est-ce que tu penses de Worm ? »

« Worm ? Est-ce que tu as envie de mourir dans d’atroces souffrances ? »

Erin regarda Ryoka, qui leva ses mains.

« D’accord, d’accord, c’est un bon point. Quand est-il d’un Webcomic ? Ils sont cools. »

« Mais c’est trop long à dessiner. »

« Sauf si nous faisons des stick figure. Nous pourrions essayer Order of the Stick. »


« J’sais pas trop. Je pense pas que je bien rendre en 2D. De plus, tu sais que l’auteur a la flemme de faire quelque chose du genre. »

« C’est vrai. »

Les deux s’assirent en silence pendant quelques minutes. Erin brisa finalement le silence.

« Nous devrions protester. Faire une pétition. »

Ryoka tapa du poing sur la table.

« Tu as raison ! Envoyons là à l’Association des Auteurs ! »

« Attends, il y a une Association des Auteurs ? »

« … Probablement pas. Mais nous pouvons la poster sur change.org ! »

« Ouais ! Faisons-le ! »

« D’accord. J’ai un bout de papier ici. Commençons cette pétition. »

Ryoka sortit le script du chapitre et commença à écrire sur le dos. Erin se leva et regarda par-dessus l’épaule de Ryoka alors qu’elle écrivait.

« Pirataba est un faux nom, cela va de soi. Mais je connais le véritable prénom de l’auteur. »

« D’accord. C’est quoi ? »

Erin sourit, puis pointa vers la première ligne.

« Helicopter deFranco. D’accord, nous allons commencer par « Nous, les personnages principaux de cette histoire avons l’impression que l’auteur, Helicopter DeFranco, a ignorer à plusieurs reprises nos droits à des heures de travail acceptables, à la liberté d’expression, à une assurance-maladie, à un environnement de travail sans danger, et… »

« Attend une seconde. »

Ryoka dut lever sa main pour couper la parole à Erin.

« Est-ce que tu es certaine que son nom est Helicopter deFranco ? »

Erin fronça les sourcils.

« Pratiquement ? Et c’est ‘elle’, Ryoka. L’auteur est une ‘elle’. Donc une autrice. Et Hélicopter peut être un nom féminin comme masculin. »

Ryoka regarda Erin. Elle s’arrêta, déposa le stylo, frotta ses yeux et regarda Erin.

« Premièrement : le nom de l’auteur n’est pas Helicopter DeFranco. Je ne sais pas d’où ça sort. »

Erin regarda tristement ses mains.

« Les commentaires m’ont mentit. »

Ryoka secoua la tête.

« Deuxièmement : l’auteur est un homme. »

« Il ne l’est pas ! Enfin… Elle ne l’est pas ! »

« L’auteur est totalement un ‘il’, Erin. Seul un auteur pourrait autant être un connard envers des personnages féminins. »

« Si nous étions dans un Web Serial LitRPG écrit par un gars, nous serions tous les deux dans un harem. Et tes seins seraient au moins trois fois plus gros. »

Ryoka baissa les yeux vers sa poitrine et se la couvrit de manière protectrice.

« Tous les auteurs ne sont pas de porc chauviniste. Certains peuvent écrire des personnages féminins. Comme George R. R. Martin. »

« Si nous étions dans Game of Thrones nous serions mortes. »

« C’est vrai… »

« Dans tous les cas, c’est une autrice. »

« Auteur. »

« Autrice. »

« Autruc ? »

« Ecoutes, est-ce qu’on va faire cette pétition ou non ? Écrivons ‘pirateaba’ pour l’instant et on le changera plus tard. »

Ryoka hésita alors qu’elle regarda le papier.

« Mais est-ce qu’on est certaine de vouloir faire ça ? Je veux dire, sérieusement ? »

« C’est quoi le pire qui puisse nous arriver ? »

« Il pourrait faire revenir Scruta pour nous poignarder à répétition. »

Erin s’arrête, et regarda Ryoka avec un regard sérieux.

« Ryoka, laisse-moi te poser cette question : d’après toi, quelles sont les chances que l’autrice le fasse quand même, pétition ou non ? »

Ryoka regarda Erin pendant quelques secondes, puis elle s’assit et commença à écrire.

***

Plus tard dans la journée, Relc et Klbkch marchaient vers l’auberge. Ils s’arrêtèrent quand il virent les signes planter dans la neige.

Les personnages principaux féminins sont en grève jusqu’à l’obtention d’un bon salaire ! Nous sommes en grève jusqu’à l’obtention de vacances !

Libérez nos héroïnes ! Plus de poignardées !

Je veux une augmentation !


Relc se tourna vers Klbkch.

« On dirait qu’ils soient en grève. Tu veux faire demi-tour et attendre ?

Klbkch haussa les épaules.

« Cela me semble être la meilleure chose à faire. »

Relc hésita. Il regarda l’auberge. Il pouvait entendre Erin et Ryoka à l’intérieur, criant une sorte de slogan.

« Est-ce qu’on devrait leur dire qu’elles sont vivantes jusqu’à l’arrivée du véritable protagoniste ? »

Klbkch secoua sa tête.

« Cela me semble être une mauvaise chose à faire. »

Les deux commencèrent à marcher vers Liscor à travers la neige.

« En plus c’est quoi ce nom, ‘L’auberge Vagabonde’ ? L’auberge ne bouge meme pas!”

Klbkch hocha la tête. Il montra son nouveau corps d’un mouvement de ses bras.

« J’ai aussi quelque chose à dire à propos de ma mort contre les Gobelins. J’ai l’impression que j’aurai dû être capable de tuer le double de leurs nombres. Ma réputation est en jeu. »

« Et je me suis fait botter le cul par Scruta alors qu’Erin à porter le dernier coup. Encore. »

« Pour être franc, Loks est celle qui a terminé Écorcheur. »

« Oh, donc je me suis fait doubler par une fille humaine et une Gobeline ? Je me sens bien mieux maintenant.

Les deux marchèrent alors qu’une tempête se forma et que de la foudre se fit entendre avant de frapper le toit de l’Auberge Vagabonde. Après une seconde, Relc se tourna vers Klbkch.

« … Tu penses qu’on a une assurance ? »




Note des traducteurs: *Regarde la date du chapitre d'origine* Oooooooh, 1er avril 2017, je vois, tout s'explique maintenant.

Le véritable chapitre 2.06 arrive samedi! Et au passage, Worm est un excellent webserial  parlant de super héros qui peut être trouver gratuitement sur le net qui s'est terminé il y a quelques années. Et The Order of the Stick est l'un des plus grand Web Comic américain et une grosse parodie de Donjons et Dragons, tout aussi sympa à découvrir.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 29 août 2020 à 17:30:01
2.06
Traduit par Maroti

« … Lady Reinhart ? Lady Reinhart, êtes-vous endormi ? »

Magnolia se réveilla soudainement. Elle regarda autour d’elle, perdue, pendant une fraction de seconde avant que ses instincts naturels reprennent le dessus. Elle se redressa et sourit de manière aimable alors que la pièce commençait à sortir du brouillard.

Théophore l’Assassin cligna des yeux dans sa direction alors qu’il se tenait droit. La vision d’une silhouette sombre habillée des habits de mauvais augure que portaient les assassins et les espions n’alarma pas Magnolia, c’était commun pour elle.

Mais il lui fallut un moment pour se souvenir qu’elle n’était pas dans sa propriété à Celum. Sa confortable demeure, rustique et intime, avait été remplacé par l’intérieur riche mais plus austère de sa demeure hivernale.

Ah. Bien sûr. Magnolia soupira. Elle ne pouvait pas le sentir quand elle était à l’intérieur, mais l’hiver venait véritablement d’arriver. C’était tellement dommage. La neige, c’était mignon, mais cela rendait les voyages tellement plus épuisants.

Elle sourit à Théophore alors qu’il se tenait de manière gêné devant elle. Ses habits étaient toujours en train de sécher, et même si elle lui avait offert des rafraîchissements et de quoi se sécher, il avait refusé les deux. Cela devait être une habitude d’[Assassin]. Ils avaient une certaine aversion envers baisser leur garde ou manger de la nourriture qui n’avait pas été préparé de leurs mains.

« Je suis désolé, j’ai dû m’assoupir. Après tout, j’ai passé l’heure du coucher. Veux-tu me pardonner ? »

Il inclina sa tête sans commentaire. Il était très tard, mais elle lui avait donné l’ordre de lui faire son rapport dès l’instant où il arrivait.

D’où sa présence, et pourquoi il était impératif que Magnolia ne baille pas. Cela était indigne d’une Lady, et donc Magnolia lutta contre son envie de bâiller et sourit de nouveau.

« Donc, où est-ce que nous en étions ? Je me souviens de tout jusqu’à la disparition de Scruta. Ma mémoire après cela est… Floue. »

Cela avait été un étrange rêve. Magnolia pouvait à peine se souvenir de quoi elle avait rêvé. Théophore toussa.

« Oui, après le départ de Scruta, j’ai dû m’éloigner du groupe principal. Il semblerait que l’un des Antiniums ait entendu son commentaire la présence d’un [Assassin], et j’ai à peine réussi à rester caché. »

Il frissonna, et Magnolia sentit un léger soupçon de compassion pour lui. Cela ne pouvait pas être facile de se cacher à un demi-Scruteur, encore plus devant la fameuse Scruta. En réalité, c’était tout à fait impossible, ce qui était probablement pourquoi Théophore avait tiré la plus courte des pailles et avait été envoyé à la suite de Ryoka. La Guilde des Assassins, la Confrérie Silencieuse, la Guilde Invisible, les Filles et les Fils du Silence… Ignoraient peut-être la peur de mort, mais ils étaient des gens hautement pratiques.

Théophore toussa et continua. Magnolia espérait que l’homme n’allait pas attraper une grippe, ou au moins, qu’elle ne l’attraperait pas. La grippe commune était plutôt ennuyeuse à soigner, même pour quelqu’un avec un accès aux meilleures magies.

« J’ai suivi Ryoka et l’autre fille, Erin Solstice, dans la ville. Ils ont parlé avec la Capitaine de la Garde pendant quelques temps et aussi avec la chef des Gnolls avant de retourner à l’auberge. Le squelette et la Gobeline les ont suivis, alors que les autres sont restés en ville. »

« Hm. Erin Solstice, c’est une fille très intéressante, n’est-ce pas ? »

« Elle a blessé Scruta. »

Ce fait fit picoter la peau de Magnolia d’excitation. Une aubergiste, qui a blessé l’une des plus terribles guerrières du Roi de la Destruction ? Qu’est-ce que le monde devenait ?

À côté d’elle, l’une des servantes remua. Elle était nouvelle, ou peut-être tout simplement fatiguer, mais l’action fit gratifier d’un regard de la part de la chef des servantes Ressa qui se tenait aux côtés de Magnolia.

Magnolia ignora cela. Il n’y avait pas de doutes que la punition allait être sévère et rapide une fois que les servantes allaient se retrouver seules. Ressa menait les servantes d’une main de fer, pour ainsi dire, et l’équipe de la maison d’hiver s’était relaxée en l’absence de Magnolia. Elle allait devoir parler à Ressa pour lui demander de se relaxer, même si cela était un exercice de futilité.

Tellement à faire, si peu de temps. Magnolia fit signe à Théophore de continuer. Il s’éclaircit la gorge, toussant de nouveau. Cet homme têtu était malade.

« Quand est-il de Ceria Springwalker et de ce Tacticien Drakéide ? »

« Il semble que les aventuriers qui ont survécut aux Ruines sont désormais tenu responsable pour l’invasion mort-vivante. J’ai entendu parler d’amendes avant de partir. Cependant le [Tacticien] semble être le seul qui va être exempté de tout type de punition. Dans tous les cas, tous les aventuriers sont en train de retrouver des forces dans la Guilde des Aventuriers de la ville. »

« Étrange, de voir qu’ils sont protégés. Je pensais que la Guilde des Aventuriers dans les cités Drakéides était pratiquement impuissantes. Peut-être que leur maîtresse de Guilde à plus de courage que les autres. »

Lady Magnolia soupira et tapota ses doigts sur sa chaise.

« Pauvre Yvlon. Je me demande comment elle tient le coup ? Est-elle toujours comateuse ? »

Théophore hésita.

« Elle semble retrouver ses esprits, mais elle et les autres sont… Changés. »

Lady Magnolia accepta cette explication sans demander plus de détails.

« Et les Antiniums ? Quand est-il de ses curieux Ouvriers avec des noms que tu as mentionnés ? »

« Séquestrer dans leur Colonie, ou cela semble être le cas. Seuls ceux connu sous le nom de Ksmvr et Klbkch… »

Théophore trébucha en essayant de prononcer leur nom.

« … Sont autorisé à la surface. »

« Mm. Cela mérite une enquête plus approfondie. Mais les Gnolls ? »

« J’ai vu l’un d’entre eux courir vers le sud après être retourné en ville. Je ne peux pas en dire plus. »

« Fort bien. Alors maintenant, pour Ryoka et cette jeune femme. Elles sont retournées dans l’auberge. Tu les as suivis, bien sûr ? »

« … Jusqu’à un certain point. »

Lady Magnolia ne fronça pas les sourcils. Mais ses sourcils tressaillirent légèrement alors qu’elle tapa son doigt sur sa chaise.

« Pourquoi ? »

Théophore s’agita. De manière nerveuse ? Non, bien sûr, les [Assassins] ne devenaient pas nerveux. Même pas devant les plus puissants Humains du continent.

« J’étais incertain des capacités du squelette, ou s’il possédait une manière de me détecter. De plus, il y a eu des… Complications. Les esprits de l’hiver ont suivi les deux filles dans l’auberge, et ils pouvaient voir à travers mon camouflage. »

Théophore grimaça.

« Ces… Créatures m’ont chassé. Ils m’ont harcelé sur une quinzaine de kilomètres et m’ont forcé à me retirer. Si j’étais resté, j’aurai obligatoirement été découvert. »

Lady Magnolia sourit en pensant à cela.

« Ah, oui. Les esprits de l’hiver. Ou… Ressa, comment est-ce que les enfants les appellent ? »

« Des Fées du Givre, Madame. »

« Comme cela est curieux. Elles ne focalisent pas souvent sur une même personne. Je suppose que tu as dû piquer leur intérêt, Théophore. Quelle malchance de ta part. »

Son expression exprima qu’il était en total accord.

« Ils ont ralenti ma progression. Je suis tombé dans deux congères, et j’ai manqué d’être ensevelit sous une petite avalanche… »

« Cela peut expliquer pourquoi mes servantes m’ont informé que Ryoka Griffin a été aperçu courir vers le nord un jour entier avant que tu n’arrives. Enfin, nous ne pouvons rien y faire. »

Magnolia soupira. La conversation entre les deux filles avait été importante, elle en était certaine. Mais c’était à peine plus important que toutes les autres révélations qu’elle avait entendues aujourd’hui.

« Alors, qu’à tu entendu ? Commence par le début. Qu’est-ce qu’il s’est passé avant que tu ne sois forcé à partir ? »

Théophore hésita de nouveau.

« Je ne peux pas être certain de ce qui est arrivé, car j’essayais d’échapper aux esprits. Mais je crois… Qu’elles se sont battues. »

***


«Raaagh ! »

C’était plus guttural que des mots cohérents. La chaise vola à travers l’air, menaçant sa cible d’une mort remplie d’écharde.

Cible qui n’était pas Erin, fort heureusement. Ryoka lança la chaise qui s’écrasa contre un mur et brisa deux de ses pieds.

« Putain, putain, putain ! »

Ryoka lança une autre chaise à travers la pièce et donna un coup de pied à une autre. Cela faisait mal. Très mal. Mais elle devait laisser couler sa colère d’une manière ou d’un autre, et Erin ne se sentait pas de lui offrir un oreiller.

L’aubergiste regarda la coursière briser les meubles de son auberge et se demanda si elle devait dire quelque chose. Probablement pas. Les meubles brisés étaient pratiquement normaux dans son auberge à ce point.

Dans tous les cas, Erin ne voulait pas du tout interrompre Ryoka à ce stade, ce qui expliquait pourquoi elle était en train de la regarder depuis l’autre bout de la pièce. L’autre fille était grande, athlétique, et avait un regard perçant qu’elle pouvait concentrer vers elle en l’espace d’une seconde.

Elle faisait un peu flipper.

Même si elle n’avait pas peur de Ryoka. Bien sûr que non. Elles venaient toutes les deux du même monde, pratiquement des voisines ! Ryoka venait de l’Ohio et Erin venait du Michigan. Ohio. Bon vieil Ohio. L’était du… Du…

Enfin, c’était un bon état. Pas aussi bon que le Michigan, bien sûr, mais un bon état. Il y avait beaucoup de… Villes. Et des gens, Erin en était certaine.

Et Ryoka était une bonne personne. Elle était l’un de ses coureuses aux pieds nus dont elle avait entendu parler. Ce qui était bizarre. Mais cool ! Et elle semblait intelligente. Et elle était courageuse. Et c’était à peu près tout ce que Ryoka savait à son sujet.

Grande nouvelle : Ryoka avait un mauvais caractère. Très mauvais caractère.

« Je vais déchirer la ***ain de queue de cette @%#!’s et lui mettre bien profond dans son –ain de ████! »

Ce n’était pas qu’Erin ne pouvait pas entendre les insultes, c’était juste qu’elle avait décidé de les censurer dans sa tête. Elle n’était pas fan des insultes, mais elle pouvait comprendre la frustration de Ryoka.

« Ce n’est pas comme s’il restait beaucoup là-bas dans tous les cas. Donc quoi ? Zevara confisque tout ce qu’il y a dans les ruines ? Et alors, c’est quoi le problème ? »

Ryoka arrêta de briser des choses assez longtemps pour se tourner vers Erin. Peut-être qu’elle avait oublié que c’était l’auberge d’Erin, car elle rougit légèrement. Mais elle était toujours en colère.

« Même sans ce trésor, tout l’équipement des aventuriers devait sûrement valoir plus de mille pièces d’or. Deux mille, peut-être. »

« … Quoi ? »

Erin cligna des yeux dans sa direction. Ryoka hocha la tête et s’assit sur une chaise en fronçant les sourcils.

« Des baguettes magiques, des potions, des armures de haute qualité… Cela appartient aux aventuriers, pas à la ville. Avec ça, Ceria et les aventuriers qui ont survécut aurait été capable d’envoyer de l’argent aux familles des défunts, de se soigner. Prendre tout ça… C’est du vol. »

« Mais la ville a été attaqué. »

Erin ne se sentait pas confortable en défendant Zevara, mais elle comprenait pourquoi cela était arrivé. Elle essayer de l’expliquer à Ryoka.

« J’ai vu Liscor après l’attaque. Les rues déchirées, les maisons endommagées… Beaucoup de gens sont morts. L’argent pour les réparations doit venir de quelque part. Et je suppose qu’il porte la faute sur les aventuriers. »

Ryoka regarda Erin, et elle leva rapidement les mains.

« Je ne les blâme pas. Mais qu’est-ce que tu peux y faire ? »

« Rien. Rien du tout. C’est juste que… »

Ryoka serra les poings et expira. Erin sentit que s’était le premier pas. Au moins elle avait arrêté de lancer des choses.

Erin s’approcha avec précaution et tira la chaise à côté de Ryoka. Le calme, c’était la clef. »

« Pourquoi ne pas manger un morceau et discuter ? »

« Discuter. Oui. »

Ryoka s’essuya le visage et hocha la tête. Elle était fatiguée. Épuisé. Mais un repas semblait être un bon plan, et il était temps de s’asseoir et de parler. De vraiment parler.

« Toren ! »

Erin se tourna sur sa chaise et cria. Le squelette marcha depuis l’étage, le chiffon à la main. Ryoka le regarda depuis sa chaise, même maintenant, elle ne s’était pas habituée à… L’absurdité de Toren.

D’un autre côté, Erin parla au squelette comme si en avoir un était tout à fait normal.

« Va nous chercher de quoi manger. Nous sommes presque à court de jus bleu et j’ai besoin de plus d’œufs. Vas en chercher quelques-uns. »

Elle pensa pendant une seconde.

« Et un poisson. Nous pourrions… Oh, c’est vrai. »

Erin regarda l’une des volets. Normalement, les fenêtres étaient ouvertes pour laisser entrer l’air frais et admirer le ciel bleu et le paysage verdoyant. Maintenant, si elle regardait dehors…

Toren marcha jusqu’à la porte et l’ouvrit. Un pâturage blanc et dénué de détails et de couleur apparaissait, alors que des flocons complétaient la scène.

C’était l’hiver. Et apparemment, contrairement à la Terre, l’hiver décidait d’arriver en quelques minutes plutôt qu’en plusieurs mois.

Ryoka et Erin regardèrent toutes les deux le paysage. Toren sortit de manière décontracté dans les flocons et disparu promptement dans le paysage blanc.

« Même après avoir marché à travers la neige, j’ai du mal à croire que c’est l’hiver. »

Ryoka dut hausser les épaules en suivant Erin dans la cuisine. Elle regarda alors que l’autre fille commença à chercher à travers les étagères et à travers des paquets de nourriture traînant au sol.

« C’est comme ça que ce monde marche. »

« Ouais, mais c’est comme même bizarre. Je veux dire, si c’est comme ça que l’hiver arrive, comment est-ce qu’il s’en va. Est-ce que toute la neige s’envole vers le ciel ? »

Ryoka n’avait pas la réponse à cette question. Erin fronça les sourcils en regardant ses placards.

« Je suis bientôt à court de nourriture. Encore. Mais j’ai des pâtes ! Il y a toujours des pâtes. Et des saucisses. Oh ! Et y a même un oignon. »

C’était la recette d’urgence d’Erin, ce qui était probablement pourquoi elle avait toujours les ingrédients pour la faire. Elle ne connaissait pas beaucoup de recettes, ce qui était probablement dût au fait qu’elle n’avait que [Cuisine Élémentaire] comme compétence.

« Je n’ai rien contre les pâtes. Il faut juste que tu en fasses beaucoup. »

« Y a pas de problèmes ! »

Cela prit du temps pour que l’eau commence à bouillir, et encore plus longtemps pour qu’Erin mette les ingrédients nécessaire et sert plusieurs assiettes. Elle et Ryoka s’étaient déjà assises à une table, et elles discutaient.

« C’est pas possible. Tu es sérieuse. »

« J’ai reçu un appel et quand j’y ait répondu, un écran est apparu en l’air. C’était… une chatroom magique, ou quelque chose du genre. »

« Wouah. Comme un Skype magique ? »

« … En quelque sorte. Mais de ça je peux deviner qu’il y a au moins une centaine de personne de notre monde ici. Potentiellement plus. »

Erin se laissa glisser sur sa chaise, presque soufflée par la révélation.

« Je veux dire, ouais. Ouais, je n’ai pas de smartphone et je suppose qu’il y a plein de gens qui n’en n’ont pas. Mais… Des centaines ? Sérieusement ? »

Ryoka s’arrêta et marcha ses pâtes beurrées avant de répondre. Elle en était à sa seconde assiette, tout comme Erin.

« Cela a du sens. Je ne peux pas le prouver, mais seize personnes avec des Iphones en état de marche suggèrent que c’est le cas. Combien de personne, comme toi, n’en possède pas ou ne savent pas comment le recharger.

« Wouah. »

Erin regarda à travers Ryoka avec un regard confus alors que l’autre fille continua son assiette. Ryoka enfourcha un morceau de saucisse coulant et le mâcha, ignorant l’huile. Ou, pour être précis, la savourant.

Elle mangeait avec de surprenantes bonnes manières. Le dos droit, la fourchette jamais pleine… Erin se sentait incroyablement malpolie en engouffrant son assiette, jusqu’à ce qu’elle réalise que Ryoka mangeait vite malgré sa politesse.

« Nous ne sommes pas seules. Nous ne sommes pas seules ! »

Ryoka leva la tête. Erin était en train de sourire, enjouée. Elle était heureusement de voir Erin heureuse, mais elle ne pouvait pas partager le sentiment.

« Mais nous n’avons pas de moyen de les contacter. Pas à moins que ce BlackMage utilise de nouveau un sort, et cela peut-être risqué s’il se fait hacker. »

« C’est vrai. C’est pas bien ça ! »

Erin fronça les sourcils, tout comme Ryoka, mais pour une raison différente. Est-ce que s’était vraiment ‘nous’ ? Elle connaissait à peine Erin, mais l’autre fille semblait accepter l’idée sans le moindre problème.

« Dans tous les cas, l’une des plus grandes erreurs que nous pouvons faire est de se faire des secrets ou… Où ne pas faire un plan. Nous ne pouvons pas faire courir en cercle sans rien préparer. »

« Des erreurs ? »

« Pour le futur, je veux dire. »

Ryoka essaya de s’expliquer alors qu’elle se resservit des pâtes.

« Maintenant que nous savons que nous venons tous les deux du même monde, nous devrions coopérer. »

« Bien sûr. Je veux dire, cela va de soi. Pourquoi est-ce qu’on ne le ferait pas ? »

Erin semblait confuse. Ryoka débâtit pendant un instant pour parler des trahisons, des potentiels dictateurs, de vendre les secrets de son monde… Et réalisa qu’Erin n’était pas ce type de personne. Elle n’avait que peu de méchanceté en elle, voire pas du tout.

« Eh bien, il y a beaucoup de risques. »

Ryoka commença doucement, comme si Erin n’avait pas taillé son chemin à travers une horde de morts-vivants pour sauver Ceria. Et crever l’œil de Scruta.

« Mais nous pouvons travailler ensemble ! Tu es une personne cool avec un don pour la course et ce genre de truc et j’ai… »

Erin hésita.

« J’ai une auberge ! Et un squelette. Et des jarres d’acide. »

« Ouais. Enfin, l’hiver complique tout. »

Ryoka fronça les sourcils. La neige n’était pas quelque chose qu’une personne courant pied nu voulait voir. Elle allait devoir emprunter une paire de bottes à Krshia rien que pour aller là-bas. Comment allait-elle faire pour courir sous ce foutu temps ? Elle allait probablement devoir acheter une paire de chaussures.

Elle leva les yeux et vit Erin la regarder.

« Donc… Quoi ? Est-ce qu’on va préparer un plan ? C’est pour que tu voulais parler ? »

« En partie. Comme je te l’ai dit, nous devons éviter de faire des erreurs. Dans une situation comme celle-ci… C’est une situation de vie ou de mort. Nous devons travailler ensemble. Rassembler nos informations, partager nos connaissances. »

« À propos de quoi ? »

Erin regarda Ryoka avec des yeux de merlan frit.

« Je ne connais littéralement rien sur cet endroit. Je veux dire, je connais certaines choses à propos de Liscor et de ce qui lui a autour, mais rien d’autre. »

« Je connais quelques trucs. »

Ryoka poussa son assiette. Elle était presque rassasiée et la nourriture n’allait pas sauter de l’assiette.

« Nous pouvons discuter, si tu n’es pas trop fatigué. »

Erin claqua des mains de manière enthousiaste.

« Oh ! J’ai une meilleure idée. Nous pouvons parler et jouer en même temps. »

« Quoi ? »

« Est-ce que tu joues aux échecs ? »

Erin était déjà en train d’aller chercher l’échiquier et les pièces de manière enthousiaste. Ryoka la regarda de manière incrédule.

« Ils ont les échecs dans ce monde ? »

« Ouaip ! Cela vient d’être inventé, apparemment. C’est cool, pas vrai ? »

Ryoka n’était pas certaine de ce ‘cool’, mais cela pouvait être un marqueur pour indiquer le niveau technologique de ce monde. Quoique, ils étaient suprêmement avancé dans certains domaines, la réfrigération avec des sorts par exemple, tout en se fiant à des technologies moyenâgeuses sur d’autres.

« Tu aimes jouer aux échecs ? »

« J’adore les échecs. C’est fun ! »

C’était une surprise, mais Erin était ce genre de fille. De son côté, Ryoka n’avait rien contre les échecs, même si toutes les personnes contre qui elle avait joué étaient terribles. Elle pouvait jouer quelques parties contre Erin, sans problème. Elle devait juste se souvenir d’y aller doucement avec elle.

Elles commencèrent à jouer. Ryoka était à moitié concentré sur l’échiquier alors qu’Erin continuer de bavarder.

« Donc, est-ce qu’ils ont dit quoique ce soit à propos de notre monde ? »

« Quoi ? »

« Les gens à qui tu as parlé. J’aimerais que Pisces soit là pour le voir de nouveau. Mais il est en train de dormir ou de crier à propos de sa mâchoire. Est-ce qu’ils ont parlé de ce qui se passe aux Etats-Unis ? Est-ce que les gens savent que nous sommes partis ? Quelles sont les news ? »

« Je n’ai, heu, pas demandé. Et ils n’ont rien dit. »

Ryoka fronça les sourcils en regardant l’échiquier. Il semblait qu’Erin savait jouer, même si Ryoka ne savait pas à quel point elle prenait sérieusement la partie. Elle bougeait ses pièces dès qu’Erin bougeait la sienne.

« Hm. Oh, c’est vrai. Apparemment, les élections sont terminées. »

« Vraiment ? Qui a gagné ? Hilary ? »

« Trump. »

Ryoka prononça le nom sans émotion. La mâchoire d’Erin se décrocha alors qu’elle prit l’un des cavaliers de Ryoka. Elle fronça les sourcils et Ryoka imita son mouvement.

« Quoi ? Il a gagné ? Mais il a dit… Je veux dire, est-ce que tu te souviens des élections ? »

C’était la dernière chose dont Ryoka se souvenait. Elle venait de marcher à côté de leur télé quand elle avait vu les informations à propos du dernier rallie de Trump et quelque chose qu’il avait dit l’avais mise de mauvais poil, donc elle était partir courir…

Et elle arriver dans ce monde. Ce n’était rien de plus qu’une énième raison de le détester. Ou de détester le président. Ryoka ne voulait pas trop penser à lui avec ce terme.

« Président Trump. »

Erin grimaça. Elle n’était pas fan de Trump et c’était une bonne chose. Cela aurait été…

Aurait été quoi ? Ryoka n’était pas Démocrates, elle détestait autant les Démocrates que les Républicains pour bien des raisons. Mais même si Erin faisait partie d’un étrange groupe conservatiste buveur de thé, qu’est-ce que cela aurait changé ? Elles étaient dans ce monde. Cela n’avait plus d’importance.

Et pourtant, cela changeait quand même un peu les choses.

« Mais il est celui qui a dit qu’il fallait attraper les femmes par la… »

Erin hésita.

« Wouah. C’est… Vraiment bizarre ? »

Ryoka hocha la tête. Elle fronça les sourcils en baissant les yeux vers l’échiquier. Elle s’était déconcentrée. Elle avait donné trop de pièces par erreur. Elle bougea un pion et Erin avança sa Reine en avant de sept cases.

« … Huh. »

« Échec et mat ! »

Erin sourit vers Ryoka, avant de paraître alarmer.

« Oups. Désolé, désolé. C’est juste que j’adore jouer aux échecs et que tu n’es pas mauvaise donc je suis allée à fond dès le départ. »

Ryoka regarda l’échiquier. Elle avait… Perdue ? Mais pas que perdue. Elle s’était fait écraser en quelques tours. Elle leva les yeux vers Erin et son intuition lui fit poser sa prochaine question.

« Est-ce que tu as déjà gagné un tournoi d’échecs ? »

Erin rougit et agita sa main tout en remettant l’échiquier en jeu sans regarder.

« Quelques-uns. Je veux dire, quand j’étais enfant. Ils n’étaient pas si grands que ça, même si j’ai été invité à quelques grands tournois. Je n’ai jamais gagné, mais j’y étais presque à Havane.

Ryoka avait une poker face. C’était plutôt son expression par défaut, mais cela voulait dire qu’elle n’avait un visage aussi expressif que celui d’Erin. Cependant, s’il y avait un moment pour décrocher sa mâchoire, c’était bien celui-là.

« Tu as été invité à… Cuba ? Pour un tournoi d’échecs ? »

« Quand j’étais enfant. J’étais vraiment dans les échecs à cette époque. Maintenant… Je veux dire, j’étais lentement en train de m’y intéresser de nouveau avant d’arriver ici. »

Erin haussa les épaules modestement, comme si être invité à un tournoi international en tant qu’enfant n’était pas grand-chose. Et peut-être que, pour elle, cela ne l’était.

« Une autre partie ? Je jouerai un peu moins… Fort, promis. »

Ryoka secoua la tête.

« No, j’aimerais voir tes compétences par moi-même. »

Elles remirent l’échiquier en place et commencèrent de nouveau. Cette fois Ryoka se concentra le plus possible alors qu’elles discutaient.

« Donc. Trump président. C’est-ce que j’ai entendu, mais il semblerait que personne n’était au courant des disparitions. L’une des personnes était arrivée dans ce monde le jour avant la discussion, et pourtant elle n’en savait rien ? »

« Un jour avant ? Mais est-ce que cela voulait dire que cela continue d’arriver. SI c’est le cas, quelqu’un va forcément s’en rendre compte tôt ou tard, pas vrai ? »

Cela allait être le cas. Ryoka fronça les sourcils en regardant un pion et en réfléchissant.

« Peut-être. Mais des milliers de personnes sont portés disparus chaque année, et ce truc semble viser d’autre pays que les Etats-Unis. Il y avait quelqu’un venant d’Angleterre, d’Australie, du Japon… »

« Oh, j’adore le Japon. J’y suis déjà allé une fois. Les trucs japonais sont tellement cools ! Tu sais, j’ai cru que tu étais Japonaise la première fois que je t’ai vu. »

« Je le suis. »

« Quoi ? Vraiment ? »

Erin regarda Ryoka avec enthousiasme alors que l’autre fille essayait de ne pas perdre tous ses pions.

« Je suis à moitié Japonaise. Mon père est Américain. Mais je ne connais pas tellement la culture ou le langage. »

Ryoka pouvait parler un peu de Japonais, mais elle n’avait pas beaucoup d’intérêt pour la langue. Elle n’avait jamais ressenti le désir brûlant d’aller là-bas et de se redécouvrir, sauf comme moyen de s’éloigner de ses parents, peut-être.

« C’est trop cool. »

Erin sourit alors qu’elle et Ryoka continuèrent de jouer. Mais elle fronça de nouveau les sourcils.

« Mais quand même, Trump. Comment est-ce qu’il s’est fait élire ? Je n’allais pas voter pour lui. Je veux dire, j’ai pas pu le faire, mais… »

Erin jeta un coup d’œil prudent à Ryoka, comme si elle avait peur qu’elle s’énerve contre elle. Ryoka s’agita sur son siège.

« J’ai, heu, voté pour Gary Johnson. J’avais envoyé mon vote par mail en avance. »

« Oh ? »

Erin essaya de se souvenir qui il était. Ryoka se demanda si cela avait de l’importance. Mais après tout, Ohio était l’un des états clef. À quel point l’élection avait été serrée ?

C’était bête, mais Ryoka voulait expliquer qu’elle avait voté consciemment contre les deux partis préétabli et pour un parti indépendant. Si les Libertarians avaient réussi à obtenir 5% des voix ils auraient eu des subventions d’état, ce qui aurait pu être le premier pas vers la fin du système des deux partis s’ils pouvaient trouver un meilleur candidat…

Ou du moins, cela aurait donner un peu plus de poids à un petit parti et pourquoi est-ce qu’elle était en train de penser à de la foutue politique ? Ici ? Ryoka se concentra de nouveau sur son échiquier. Elle était en train de perdre des pièces à vitesse grand V.

« J’ai voté pour Bernie dans les primaires, mais, heu, j’aurai voté Hillary pour les élections. Je crois. Pas Trump. Peut-être Jill Stein. »

Erin soupira en prenant un autre fou à Ryoka. Elle regarda le plafond alors que Ryoka se demanda si la partie était encore rattrapable.

« Est-ce qu’il est en train de construire le mur ? Qu’est-ce qui se passe aux Etats-Unis en ce moment ? »

Ryoka soupira en faisant tomber son roi du bout du doigt. Une partie d’elle voulait dire ‘Ça intéresse qui ?’, mais c’était une toute petite partie d’elle. Erin était inquiète, et plus intéressée par la nouvelle qu’il y avait d’autre personne dans ce monde que Ryoka. C’était probablement la preuve qu’elle était un être humain décent.

Erin sourit joyeusement à Ryoka.

« Tu n’es pas mauvaise, tu sais. Meilleure que Loks, et elle s’est améliorée ! »

« Loks ? »

Ryoka jeta un coup d’œil sur le côté. La Gobeline était rentrée dans l’auberge peu de temps après qu’Erin est préparé les pâtes. Loks les avait accompagnés dans l’auberge, avant de partir avec sa tribu. Elle était revenue, recouverte de neige et clairement agacé par le changement de météo.

Elle était désormais assise dans un coin, avalant son repas et touchant son estomac de temps en temps, grimaçant. Elle avait un tas de métal noir et de bois brisé sur la table.

« Elle joue aux échecs. La Gobeline. »

Erin hocha la tête de manière enthousiaste.

« Je lui ai appris ! Et un groupe d’Ouvriers, les Antiniums. J’ai aussi appris à Toren, mais il n’est pas très doué. »

Ryoka regarda Erin.

« Bien sûr que le squelette joue aux échecs. »

« Une autre partie ? Je peux ralentir un peu si tu veux. »

« Bien sûr. Mais ne te retient pas. »

Ryoka s’installa sur sa chaise, et se résigna à une nouvelle leçon d’humilité.

***

Loks s’assit dans son coin de l’auberge, se penchant sur les restes brisés qu’avait été l’arbalète de Cervial. Elle ignora Ryoka et Erin qui continuaient de jouer, avant de recommencer à discuter après que Ryoka perde sa huitième partie d’affilé. Loks écouta, mais que d’une oreille.

Elle n’avait que peu d’intérêt dans les vies transitoires des gens qui venaient dans cette auberge. Seul l’aubergiste (et possiblement le mage de la mort) l’intéressait. Elle remarqua que Ryoka lui lançait un regard de temps en temps. Loks n’était pas au courant de ça, ce qui fut une erreur.

Après… L’incident, elle s’assit dans un coin, regardant Ryoka de manière tendue et contemplant sa vengeance alors qu’elle et Erin se disputèrent.

« Ne la frappe pas ! C’est juste une enfant ! »

« Elle a volé ma potion ! Elle et sa foutue tribu m’ont pratiquement taillé en pièces la dernière fois que je suis passé ! »

Erin leva ses mains de manière à calmer la situation. Elle pointa vers la potion orange qui était désormais dans les mains de Ryoka.

« Mais maintenant tu l’a, et tout va bien. D’accord ? »

Ryoka lança un regard noir, mais arrêta de menacer de frapper Loks. Elle regarda la Gobeline, et Loks toucha son épée.

« Elle est dangereuse. Tu n’aurais pas dû lui donner cette épée, et encore moins l’acide. »

« Mais ce n’est pas comme si elle tue des gens avec ! »

Erin hésita.

« Je crois. »

« Tu as entendu ce que la Capitaine de la Garde à dit. Les Gobelins attaquent les caravanes, volant tout ce qu’il y a de valeur. Zevara va faire quelque chose envers eux, ou Relc, ou ce Klb… Klbk… Ce garde Antinium. »

« Je vais… Parler à Loks. Mais elle est la bienvenue ici tant qu’elle ne cause pas de problème. Personne ne blesse les Gobelins tant que je suis là. »

« Tu vas le regretter. »

« Peut-être. Mais pas de bagarre ! »

Il y eut beaucoup de silence pesant après cette scène, que Loks ignora totalement. Elle prépara sa vengeance pendant quelque temps, pensa à ce qu’Erin pouvait faire, et abandonna avant de partir peu de temps après le retour de Toren.

Le squelette tituba dans l’auberge environ une heure avant l’avoir quitté, juste au moment où l’ambiance dans l’auberge commença doucement à se réchauffer. Il refroidit tout cela avec la neige qu’il apportait, mais au moins Erin s’était assuré que le feu était chaud et réconfortant dans l’âtre.

Erin leva la tête alors que le squelette marcha vers elles avec un le panier qu’il avait apporté.

« Oh, Toren ! Qu’est-ce que tu nous as trouvé ? »

Le squelette secoua la tête en direction d’Erin. Elle fronça les sourcils alors que Ryoka regarda la neige fondant entre les trous de ses os.

« Où sont les fruits bleus ? Et mes œufs ? »

Toren retourna le panier duquel tomba deux fruits flétris et un œuf gelé. Erin les regarda d’un air incrédule.

« C’est tout ? »

Le squelette hocha la tête. Erin se retourna vers Ryoka et sourit faiblement.

« Hum. Je veux toujours acheter de la nourriture à Krshia. »

Ryoka hocha la tête.

« Mais c’est une raison de plus pour laquelle je dois partir. Tu dois te faire de l’argent, et moi aussi. Et il y a des choses que je dois faire au nord. Des gens à qui parler. »

Elle baissa sa main et toucha sa bourse. La lettre et l’anneau était toujours à l’intérieur, et Ryoka savait où ils étaient, même si le désir de les livrer n’était plus engravé dans son cerveau.

Erin grimaça.

« J’aimerais que tu ne le fasses pas. Ceria va bientôt aller mieux. Et quand cela sera fait, qu’est-ce qu’elle va faire ? Je veux dire, je pourrai la laisser rester à l’auberge. J’ai plein de chambre, mais… »

Elle agita ses mains et Ryoka haussa les épaules.

« Je ne sais pas. Elle va devoir décider. Mais je ne peux rester sans rien faire après tout cela. »

Erin soupira désespérément.

« Tu reviendras, pas vrai ? »

« Oui. Souvent. »

« D’accord. C’est bien, je suppose. »

Erin occupa ses mains avec l’un des petits fruits bleus et pointa vers Toren.

« Va mettre ça dans la cuisine et puis… Et puis va pelleter la neige dehors. Libère le passage. »

Toren hocha la tête. Il marcha vers la cuisine avant de repasser. Ryoka le regarda passer.

« Il n’a pas de pelle. »

« Il peut utiliser ses mains. J’achèterai une pelle plus tard. »

Erin sortit Toren de son esprit alors qu’elle regarda de nouveau Ryoka. Elle allait partir. Erin… Erin n’aimait pas ça. Mais si elle devait le faire, alors Erin supposait qu’elle allait devoir vivre avec.

Ryoka racla sa gorge.

« Où est-ce que nous en étions. Parler de la géographie. Oui. J’allais te parler de l’histoire de ce monde… »

Elle s’arrêta alors qu’Erin leva une main.

« Heu, pourquoi ? »

« Quoi ? »

Erin haussa les épaules.

« A quoi ça sert de connaître tout ça ? Je veux dire, si ça peut aider, mais… »

« Nous ne pouvons pas laisser savoir que nous ne venons pas d’ici. De plus, nous avons besoin de connaître les bases de ce monde, juste au cas où. »

« Au cas où quoi ? »

« Au cas où nous avons besoin de les connaître. »

Ryoka fronça les sourcils en direction d’Erin. L’autre fille avait une attitude cavalière vers la leçon d’histoire improvisée de Ryoka. Comment ne pouvait-elle pas être intéressée dans ce monde ? Mais après tout, Erin était très ancrée dans le présent.

Au moins elle semblait ouverte à l’apprentissage.

« D’accord, tu disais que ce monde à une histoire différente du notre. »

« Oui. À un certain point dans le passé, ce monde avait des dieux. »

« Oh, c’est vrai ! Pisces a dit quelque chose comme ça. Ils sont morts, pas vrai ? »

Ryoka avait entendu la même chose de la part de Ceria. Elle hocha la tête.

« Ils sont morts, tout comme certaines races. Les Elfes, par exemple. »

« Quoi ? »

Le visage d’Erin s’effondra.

« Tu veux dire que je ne vais jamais rencontrer Legolas ? »

« J’en doute. »

Ryoka sentit un soupçon de regret en disant cela. Non pas pour le fait qu’elle ne verra jamais un tas de sosies d’Orlando Bloom, même si ce n’était clairement pas un plus.

« Quand est-il des Nains ? Est-ce qu’il y a des nains ? Des Hobbits ? Des Orcs ? »

« Je ne sais pas. Je ne pense pas qu’il y ait des hobbits ou des orcs, mais je connais quelques nains qui vivent encore dans le monde. Le livre que j’ai lu ne le disait pas. Le point est que les dieux sont morts dans ce monde. Littéralement mort. »

Erin fronça les sourcils.

« Comment est-ce que tu peux tuer un dieu ? Je veux dire, ils ne sont pas comme notre Dieu. Ou nos… Dieux. Je veux dire, le Dieu chrétien. »

Ryoka n’était pas chrétienne, même si elle avait lu la Bible. Sous la contrainte, cela devait être dit, mais elle était distinctement et délibérément athéiste. Elle essaya de choisir ses mots pour éviter d’offenser Erin.

« Il semblerait que les dieux étaient un peu plus actifs et… Dans le monde réel. Dans tous les cas, il y a une guerre, personne n’est vraiment certain pourquoi, mais ils sont morts. Il y a fort longtemps. C’est vraiment le plus gros point d’histoire que nous devons connaître. »

« Et quand est-il de ça ? Je veux dire, ce continent. »

Erin agita ses mains pour désigner ce qu’il y avait autour d’eux.

« Je connais quelques trucs. Il y a cinq continents dans ce monde. »

« Huh, tout comme dans notre monde. »

Ryoka s’arrêta.

« Non. Pas du tout. Nous avons sept continents. »

« Enfin, l’Antarctique ne compte pas vraiment, pas vrai ? Et l’Amérique du Sud et du Nord sont pratiquement le même continent, tu ne crois pas ? »

« Hum. »

« Je veux dire, ils sont tous les deux appelés Amérique. Et ils sont connectés, donc est-ce que ça n’en fait pas un continent ? »

C’est trop à déballer, Ryoka décida de laisser couler.

« Bref, peut-être que ce monde miroir le nôtre. Il y a cinq continents peuplés, mais il y en avait un sixième par le passé ? »

Erin s’arrêta.

« Avait ? Genre, au passé ? »

« Ouaip. Un archipel massif remplie de tourbillons et de tempêtes mortelles est tout ce qui reste de ce continent. Les cinq autres sont intacts, mais ils sont massifs. Et nous sommes dans celui qui est le plus… En paix, pour ainsi dire. »

« En paix ? »

« Par comparaison. Chaque continent à son lot de guerre, mais celui-ci n’est pas engagé dans un grand conflit. Il y a un conflit constant au sud avec une guerre toutes les poignées d’années entre les villes humaines du nord et les Drakéides et Gnolls du sud. »

« Ça c’est être en paix ? »

« Par comparaison, regarde. »

Ryoka n’avait pas de crayons ou de papiers, donc elle utilisa les pièces d’échecs. Elle créa une carte rudimentaire, marquant l’endroit où elle et Erin était avec un pion.

« Ce continent est connu sous… Enfin, il a plusieurs noms. Comme la majorité des autres continents, en fait. »

« Vraiment ? »

« Oui. Par exemple, celui-ci a été colonisé par les Drakéides et les Gnolls. Ils lui ont donné chacun leur propre nom, tout comme les Humains qui se sont aussi installé dessus. Les Drakéides l’appellent Is… Issy… »

Ryoka essaya de prononcer le nom et abandonna.

« Il y a plusieurs noms. Mais celui-ci est le troisième plus grand, et comme je l’ai dit, c’est relativement calme et économiquement fort. »

Son doigt bougea vers le haut et pointa vers le nord, représenté par une salière.

« Il y a un continent par là-bas. Terandria. C’est le continent des humains, et c’est pratiquement l’équivalent d’une version médiévale de l’Europe d’après ce que je connais. Beaucoup de royaumes se faisant la guerre. Des familles royales, des chevaliers… »

« Des chevaliers ? »

Erin se redressa dans sa chaise et Ryoka soupira.

« C’est plutôt stable, malgré toutes les guerres. Les humains ne vont nulle part d’autre. Nous continuons de nous entre-tuer. »

Elle sourit sans joie, avant de bouger vers le sud-ouest, vers un coin de la carte.

« Il y a un autre continent ici. Je ne connais pas grand-chose dessus, car c’est trop loin. C’est probablement l’équivalent des Etats-Unis, sauf que les natifs ne sont jamais fait exterminer par les colons. Le peuple de Scruta vient de là-bas. »

« Huh. Ca ressemble à quoi ? »

« Humide. Chaud. Avec des jungles. C’est tout ce que je sais. Ce n’est pas aussi… Civilisé que les autres continents. »

Ryoka se haïssait pour utiliser ces mots. Civilisé ? Elle continua, se réprimandant elle-même.

« Encore deux continents. Un ici…’

Elle pointa au coin nord-est de la carte.

« Et l’autre-là. Celui au nord est étrange. C’est une sorte de continent mort ou la moitié semble avoir été lentement dévorée par une sorte de malédiction. »

« Comme une maladie ? »

« Quelque chose du genre, mais c’est juste plus magique et que cela dure depuis des milliers d’années. Le continent est constamment en guerre. Une alliance de nations est en train de se battre contre… Contre quelque chose. Des démons, peut-être. »

« Des démons ? »

« Je ne sais pas. Les livres n’en parlent pas, et la distance est tellement grande que peu de gens sont au courant. Ce Pisces va peut-être en savoir plus. »

Ryoka fronça les sourcils.

« C’est de là qu’un groupe d’Américain viennent. Ils sont dans un pays dirigé par quelqu’un connu sous le nom de Roi Maudit. Sa nation est au front du conflit. Apparemment, leurs aventuriers et soldats sont parmi les meilleurs du monde. »

« Wouah. »

Ryoka attendit pour quelque chose, mais Erin était juste en train de tout digérer. Elle pointa la serviette utilisée pour ce continent.

« Mais ils sont bloqués. La guerre continue, mais ils ne deviennent pas plus riches ou brise le statuquo. »

Erin hocha la tête.

« D’accord, donc il y a cet endroit, une nation d’humain avec des chevaliers, un endroit avec des… Jungles, et un horrible continent en guerre. C’est quoi le dernier continent ? »

« Vaguement comme les autres, je suppose. Mais la chose la plus importante est l’immense désert qui occupe beaucoup de cet endroit. Je crois que Scruta est retourné là-bas. »

« Mais tu as dit que… »

Erin pointa vers le continent aux jungles, confuse. Ryoka secoua sa tête.

« C’est de là que vienne son peuple. Les Scruteurs. Mais elle sert le Roi de la Destruction, et il vit là-bas. »

Elle pointa le dernier continent situé dans le coin sud-est de la carte.

« C’est le plus grand continent, et il y a eu un moment où il l’a dirigé dans son entièreté. Le Roi de la Destruction. »

« Tu as dit la même chose plus tôt. Je ne sais pas qu’il est. Est-ce qu’il est quelqu’un d’important ? »

« De très important. »

Ryoka fronça les sourcils.

« Laissant la géographie de côté, il y a de nombreux puissants pays et espèces là-bas. Il n’y a pas de super-nations, ou peu. La distance et la taille de cette planète sont ce qui empêche un groupe de devenir trop puissant. »

« D’accord, d’accord. Tu sais que ce monde est plus grand que le nôtre, pas vrai ? »

« Possiblement trois fois plus grand. C’est tellement grand, qu’apparemment, il est supposé que c’est le soleil qui tourne autour de la terre. »

« C’est trop bizarre. »

« Et impossible. »

« Mais c’est sûrement de la magie. »

Ryoka fronça les sourcils. La magie n’expliquait pas tout. Ou du moins elle espérait qu’elle n’expliquait pas tout. Elle poignarda la table avec son doigt, plus fort qu’elle ne l’intentait.

« Dans tous les cas. Le Roi de la Destruction a déjà conquiert son continent par une fois, et il était en train d’envahir trois autres continents quand son royaume s’effondra. Il… À abandonner, je pense. »

« Quoi, vraiment ? »

Ryoka haussa les épaules. Tous les livres qu’elle avait lût, et il y en n’avait pas eu beaucoup parlant de lui dans tous les cas, l’avait dépeint comme une sorte d’Alexander le Grand, mais sans la maladie et la mort à mi-chemin.

« Personne ne sait pourquoi il s’est arrêté. Mais il était proche de devenir le roi de la moitié du monde. »

Ryoka s’arrêta.

« Le Roi de la Destruction. Flos. »

Les mots faire trembler l’air. Ou peut-être que c’était l’imagination de Ryoka. Depuis qu’elle avait dit qu’il s’était réveillé, l’humeur autour des gens avait changé. Zevara lui avait rapidement demandé si c’était vrai, et quand Ryoka lui avait dit que oui…

Peut-être que c’était comme ça avant la Première Guerre mondiale, ou lors du calme avant la tempête. C’était palpable dans l’air. Le début du changement du monde.

Erin remua son nez.

« Flos ? Comme les Flots Bleus ? Ce n’est pas un nom qui fait vraiment peur. »

Ryoka la regarda. Erin était une… Personne singulière. Elle ne semblait même pas perturber par la révélation. Pourtant, ces dernières avaient fait tourner la tête de Ryoka quand elle les avait lues. Même maintenant, elle avait du mal à l’imaginer. Un monde trois fois plus grand que le leurs…

Erin se rassit sur sa chaise et regarda le plafond.

« Le soleil tourne autour du monde. Cinq continents. Un sixième qui a été détruit. Les dieux et les elfes sont morts. Scruta travaille pour un Roi de la Destruction flippant, et il y a un mec maudit qui combat une armée de monstres. »

Elle hocha une fois de la tête.

« Capiche. »

Ryoka cligna des yeux. Ce n’était pas la réaction qu’elle attendait.

« Tu es très calme. »

« C’est ce qui est, pas vrai ? Mais si ce Flos est si terrible, est-ce que quelqu’un va essayer de l’arrêter ? »

« Beaucoup de gens vont essayer. Et ils sont plus préparés que la première fois. Mais je ne saurais pas dire. Il y a de nombreuses puissances dans ce monde, et probablement plus dont j’ignore l’existence. En dehors des nations, il y a de nombreuses îles avec du pouvoir. L’Académie de Wistram, c’est l’île des utilisateurs de magie. Les Îles de Minos d’où vient Calruz… »

Ryoka et Erin s’arrêtèrent. Erin baissa les yeux vers la table alors que Ryoka continua comme si rien n’était arrivé.

« Sur ce continent, les plus grande puissances sont l’alliance des nations Drakéides au sud, les Cinq Familles au nord, les Antiniums et… Potentiellement Liscor. »

« Liscor est si importante ? »

« Potentiellement. Mais même si les villes humaines ont de grandes armées, elles ne sont pas les véritables puissances ici. Les Drakéides au sud ont plus de landes et une bien meilleure position. »

« Oui, les Villes Emmurées. »

« Ouais, les Villes Emmurées. Qu’est-ce qu’elles sont ? »

« Des villes géantes. Pense à Chicago, mais entourée de murs. »

Ryoka secoua sa tête.

« Tu sais le mur que Trump voulait construire ? D’une dizaine de mètres de haut ? C’est environ la taille d’un mur de château de chez nous. Les normaux, en tout cas. Les Villes Emmurées ont des murs de quatre-vingt-dix mètres de haut. »

« Aussi haut ? »

« Aussi haut. Les villes sont pratiquement impossibles à assiéger. La seule raison pour laquelle les Drakéides n’ont pas encore balayé le nord et détruit tous les villes humains sont parce qu’ils aiment guerroyer entre eux. Et Liscor et les Hautes Passes sont les seuls passages vers le nord. Et bien sûr, il y a les Antiniums. »

« Quand est-il d’eux ? »

Ryoka hésita. Erin était amie avec plusieurs homme-fourmis après tout.

« Ils sont arrivés récemment, mais ils ont conquis une bonne partie du sud avant d’être vaincu. Maintenant ils vivent dans… Une trêve avec les autres nations. Ils sont très dangereux. La présence de la Colonie à Liscor rend la cité bien plus forte qu’auparavant, et c’est l’une des six colonies du continent. »

« Wouah. »

« Oui. Et tout ça… »

Ryoka indiqua la carte. Des salières, des serviettes, des pièces d’échecs. C’était difficile à visualisé, mais c’était un monde. Un nouveau monde, entièrement inconnue à elle et Erin.

« Tout cela est en train d’être secoué par l’arrivée de personne de notre monde. Tout n’était… Bon, pas calme, mais tout cela va changer. Peut-être que certains d’entre nous ont quelque chose en rapport avec l’éveil de Flos. Peut-être pas. Mais c’est possible qu’une guerre puisse venir ici, à Liscor. Et même si cela n’arrive pas, des gens de notre monde sont éparpillés tout autour du globe. Même tous nous retrouver serait pratiquement impossible dans les ressources d’une nation. »

« Donc qu’est-ce que nous devons faire ? Je veux dire, qu’est-ce que nous deux pouvons faire. »

Ryoka leva les yeux. Erin était en train de la regarder. Elle sentit la pression de ce qu’elle venait de dire s’écraser sur ses épaules. Elle baissa les yeux vers la carte.

« Je ne sais pas. »

Il était difficile de l’admettre. Ryoka avait beaucoup appris, mais même maintenant, même après avoir rencontré Erin, elle n’avait pas la moindre idée de la suite. Elles étaient seules, dans un monde ou les géants et les légendes continuaient de marcher. Comment pouvaient-elles retourner chez elles ? Est-ce qu’elles voulaient retourner chez elles ?

Où est-ce qu’elles devaient commencer ?

Erin regarda Ryoka, et hocha la tête. Ses yeux prirent un air déterminés, et elle se leva. Ryoka la regarda faire les cents pas, puis elle se tourna et regarda sérieusement Ryoka.

« Je ne sais pas pour toi, mais je vais ajouter quelque chose à mon menu. »

« …Quoi ? »

« Un nouveau plat. Peut-être quelque chose d’Américain. Des Mac & Cheese ? C’est que du bon. Je pense que je devrais ajouter plus de choix à mon menu pour attirer plus de clients. Plus de clients veut dire plus d’argent, et je ne dirais pas nom à plus de bois sec. Et j’ai besoin de réparer mon auberge. Et j’ai vraiment besoin d’un frigidaire. Même si je peux probablement garder un peu de nourriture dans la neige ! Mais les Gobelins vont peut-être la manger. »

Erin réfléchit à voix haute. Elle se tapota le menton et Ryoka la regarda. Erin claqua des doigts et sourit à Ryoka.

« Tu sais ce dont j’ai vraiment besoin ? J’ai besoin de pubs. Personne ne vient jamais ici. J’ai besoin de publicités et d’une route. Qu’est-ce que tu en penses, Ryoka ?

Ryoka regarda la carte, puis Erin.

« …Huh. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 02 septembre 2020 à 23:07:14
2.07 - Première partie
Traduit par EllieVia


Note d'EllieVia : Je n'ai pas eu le temps d'en traduire plus, la rentrée est un peu chronophage ! Je posterai la fin du chapitre demain. Bonne lecture !


 
Et à présent, que fait-on ? C’était probablement le titre d’une chanson quelconque. Ce qui n’était pas très significatif en soi, étant donné que tout finissait par devenir le titre d’une chanson.
 
Mais qu’allaient-elles faire, Erin et elle, à présent ? Maintenant qu’elles avaient sauvé Ceria (et Olesm) des ruines ? Maintenant qu’elles avaient perdu les autres.
 
Où allaient-elles aller ? Qu’allaient-elles faire, à présent qu’elles savaient qu’il y a en avait d’autres comme elles dans ce monde ?
 
Pendant un instant, Ryoka fut submergée par le vertige qui la saisit devant l’énormité de tous ces secrets et elle peina à retrouver son sang-froid. Par quoi devaient-elles commencer ?
 
Le Roi de la Destruction était en marche. Tous les gens qui arrivaient dans ce monde étaient probablement en train de faire n’importe quoi avec la politique et les luttes de pouvoir de chaque nation, et risquaient de plus très certainement d’apporter la technologie moderne avec eux dans ce monde, dont les armes à feu. Si on ajoutait à cela la possibilité que ce monde soit en mesure de se reconnecter avec leur monde à Erin et à elle… !
 
Est-ce qu’elle avait oublié quelque chose ? Ah oui. D’un point de vue de moindre ampleur, plus local - sur ce continent, en bref - Ryoka et Erin avaient une quantité de problèmes illimitée. Une Capitaine de la Garde en colère dans cette ville, les Antiniums, Lady Magnolia, Teriarch, une horde errante de morts-vivants, les blessures de Ceria, les Gnolls, et possiblement Scruta, même si personne ne savait où elle était en ce moment.
 
Certains de ces problèmes n’étaient pas nécessairement mortels - l’histoire des Antiniums, telle que la lui avait décrite Erin, ne tenait pas debout. Ryoka n’avait pas lu de livres traitant des Antiniums Libres et n’avait par conséquent aucune idée de ce qu’ils fabriquaient. Elle pouvait deviner, mais…
 
Ce n’était qu’un problème parmi beaucoup d’autres. Où commencer ? Quand la maison brûle, la première étape est sans doute de sortir du feu. Mais où commencer quand le monde entier était soumis aux pluies de flammes crachées par le ciel ?
 
Erin la regardait, attendant une réponse. Mais Ryoka n’en avait aucune à lui offrir.
 
“On… on devrait probablement essayer d’analyser comment fonctionne le système de niveaux. Il y a beaucoup de classes. Si on comprend quelles sont les plus fortes, ou s’il y a une limite ou… ou un moyen d’accélérer l’acquisition de niveaux, ça pourrait être utile.”
 
Ryoka posa une main sur sa tête en essayant de poursuivre sa réflexion à voix haute.
 
“Il nous faut une carte. Une carte plus précise que celle-ci, au moins.”
 
Elle pointa du doigt la carte maladroite posée par terre. Il était difficile de déchiffrer la serviette posée à côté des pièces d’échecs, mais elle se souvenait à présent des noms de chaque continent :
 
Baleros, le mystérieux continent rempli de jungle et de Scruteurs.
 
Les Royaumes Maudits de Rhir, les terres agonisantes prises dans un conflit éternel.
 
Un royaume rempli de chevaliers et de royauté et de putains d’humains. Terandria.
 
Chandrar, foyer du Roi de la Destruction, un désert plus grand que la totalité des États-Unis.
 
Et bien sûr, chez elle, ou du moins l’endroit où Erin et elle étaient toutes deux coincées. Le continent des Drakéides, des Gnolls et de quelques humains. Issrysil. C’était le nom dont l’avait affublé les Drakéides, mais Ryoka se contenterait de dire Izril.
 
Tous ces noms auraient été à leur place dans un jeu de fantasy, pas dans la réalité. Mais quand on y réfléchissait, Amérique du Sud, Amérique du Nord, Asie, Antarctique, Afrique, Australie… crétait plutôt étrange que les noms de la moitié des continents de son monde commencent par la lettre “A”.
 
Ryoka essaya de donner un coup de pied à son cerveau pour qu’il se focalise de nouveau sur la question. Mais elle en fut incapable. Son esprit était bien plus prompt à s’interroger sur les noms étranges des continents qu’à se concentrer sur la réalité.
 
Parce que la réalité était un peu trop dure.
 
C’était embarrassant. Combien de fois dans sa vie Ryoka avait-elle souhaité avoir plus de responsabilités, moins de contrôles parentaux, plus d’autonomie, et connaître enfin un véritable défi dans sa vie ? Elle voulait avoir une cause pour laquelle travailler, vivre.
 
Mais tout cela… c’était beaucoup trop. C’était un désespoir écrasant, une folie incompréhensible. Par où pouvaient-elles seulement commencer ?”
 
“Amasser des artéfacts magiques ? Apprendre des sorts… ? Est-ce qu’il y aurait une façon de rassembler des alliés ?”
 
“Hum. Comme dans le Seigneur des Anneaux ?”
 
Ryoka secoua la tête. À voix haute, ça semblait stupide. Elle n’était pas Aragorn, fils d’Arathorn, descendant d'Isildur, héritier légitime du trône du Gondor, armé de l’épée magique des prophéties. Et elle n’était pas prise dans une quête pour sauver le monde ou combattre un tyran maléfique. Elle essayait juste de survivre. Elle n’avait rien à offrir aux autres. Elle n’avait même pas une paire de chaussures, juste des bottes conçues pour un Gnoll.
 
“Quatre-vingts pièces d’or.”
 
Déclara Erin avant même que Ryoka ait pu s’affaler complètement dans sa chaise. Elle ne regarda pas Ryoka, mais fixa le plafond. Ryoka cligna des yeux.
 
“Quoi ?”
 
Erin haussa les épaules.
 
“C’est le prix qu’a donné Pisces pour faire enchanter quelques-uns de mes placards. Enfin… il a dit qu’il vaudrait mieux commencer par remplacer les cadres en bois d’abord, mais ce n’est pas trop cher.”
 
“Okay.”
 
Ryoka dévisagea Erin, le visage dénué de toute expression. Om est-ce qu’elle comptait en venir avec ça ?
 
“J’ai quelques pièces d’or qui datent de quand j’avais tué… enfin, il y avait ces Araignées à Cuirasse et Scruta et c’est toute une histoire, d’accord ? Mais il faut que je répare mon auberge, que j’achète des provisions… je commence à manquer d’argent.”
 
Encore un problème. Merveilleux. Heureusement, Ryoka avait une somme rondelette qui lui restait de sa livraison pour Teriarch… qu’elle n’avait jamais terminée. Un spasme de culpabilité et d’anxiété s’enfouit dans son estomac.
 
Erin ne remarqua rien. Elle réfléchissait toujours.
 
“Toi aussi, tu as probablement besoin de beaucoup d’or, pas vrai ?”
 
“Pour quoi faire ?”
 
“Eh bien, de quoi ont besoin les aventuriers dans les histoires et les jeux ? Des épées magiques. Une armure magique. Des baguettes… magiques. Des grimoires magiques. Ça ne pourrait pas aider quand tu cours ?”
 
“Les Coursiers n’ont pas besoin de grand-chose pour courir. Et je peux me défendre.”
 
Déclara Ryoka d’un air déterminé, malgré le fait qu’elle ait été presque inutile dans les Ruines. Erin secoua la tête et s’expliqua.
 
“Ouais, mais tu pourrais te défendre toi. Je veux dire, avec des sorts plutôt qu’en devant donner des coups de pieds à tout ce que tu croises. Et il y a d’autres trucs que tu peux acheter. Comme, euh…”
 
“Un sort de reconstitution.”
 
L’esprit de Ryoka s’envola loin devant la conversation et Erin cligna des yeux.
 
“Quoi ?”
 
“Il n’y a pas de [Prêtres] ou d’autres classes de ce genre dans ce monde. Mais il y a des mages spécialisés dans la magie de guérison. Si je… si on pouvait en trouver un capable de jeter un sort de reconstitution ou de régénération, il pourrait peut-être soigner la main de Ceria.”
 
Erin écarquilla les yeux.
 
“Tu crois ? Vraiment ? C’est possible ?”
 
“Je connais quelqu’un qui pensait pouvoir réparer ma jambe brisée. Et cette personne connait un guérisseur célèbre.”
 
C’était un objectif simple. Mais si c’était le point de départ…
 
Erin acquiesça d’un air décidé.
 
“Eh bien, si tu veux payer pour la main de Ceria, je veux participer !”
 
Ryoka ouvrit la bouche pour dire à Erin qu’elle s’en chargerait, ou qu’Erin devrait garder ses sous pour son auberge, puis elle la referma. Elle hésita, puis hocha la tête.
 
“Je vais faire ça.”
 
“Donc… combien ça va coûter ?”
 
“Mille pièces d’ors ? Au moins plusieurs centaines.”
 
Erin ne dit rien, mais ses yeux sortirent légèrement de leurs orbites. Ryoka tenta de la rassurer.
 
“Je sais comment gagner de l’argent. Beaucoup d’argent.”
 
“Combien sont payés les Coursiers pour leurs livraisons ?”
 
“Je ne prévois pas de courir pour gagner autant. Je vois un moyen - non, deux, en fait - deux moyens de gagner beaucoup d’argent.”
 
Ryoka réfléchit à ses options et n’apprécia aucune des deux. Mais elle avait un but à présent. De l’argent. C’était un objectif simple, qui ne prenait pas en compte la politique, les événements internationaux, ou quoi que ce soit d’autre. C’était une route droite, et Ryoka était douée pour courir tout droit.
 
“Bon.”
 
“Bon N”
 
Erin cilla, vaguement alarmée par le visage de Ryoka qui se leva.
 
“Je vais m’y mettre tout de suite. Si je retourne à Celum, je devrais pouvoir me mettre au boulot dès demain. Je reviendrai avec ce que j’aurai gagné dans environ une semaine, avec plus d’informations, une idée du prix que coûtera le sort, et tout ce à quoi j’aurai pu penser en route.”
 
Le visage d’Erin se décomposa.
 
“Quoi, tu pars ? Juste comme ça ?”
 
Ryoka dévisagea Erin, médusée.
 
“Bien sûr. Le temps, c’est de l’argent.”
 
“Oui, mais c’est aussi du temps. Ce qui a bien plus de valeur que l’argent. Parfois.”
 
Marmotta Erin en direction de la table. Elle leva des yeux suppliants vers Ryoka.
 
“Tu viens juste d’arriver. Je veux dire, pas juste maintenant, mais on n’a pas encore vraiment discuté.”
 
“On a déterminé tous les détails importants.”
 
“Oui, mais…”
 
Pendant quelques secondes, la fille aux cheveux noisette regarda fixement la table, comme si elle avait peur de parler. Celle aux cheveux d’un noir corbeau la dévisagea, jusqu’à ce qu’Erin lève les yeux.
 
“J’aurais bien besoin de conseils.”
 
Ryoka n’était pas une personne sociable. Tant par choix que par nature. Et elle était une mauvaise amie. Elle n’avait jamais été une bonne amie, ni une amie tout court, d’ailleurs. Mais elle l’entendit dans la voix d’Erin. Un petit accroc, un ton suppliant. Une requête muette.
 
Une voix au fond d’elle lui dit de partir, que ce n’était pas important. Mais le meilleur de Ryoka, une voix qu’elle ne croyait pas posséder, lui souffla autre chose. Elle hésita, puis se rassit.
 
“Bien sûr.”


***


Être [Aubergiste] n’était pas inné, pour Erin. Ou plutôt, ce n’était pas quelque chose qu’elle avait déjà fait. Mais cette première pensée était un mensonge.
 
Elle était une bonne aubergiste. Parce qu’être aubergiste, c’était surtout avoir des compétences sociales.
 
Et Erin aimait les gens.
 
C’était bizarre. Elle passait son temps à jouer aux échecs, et ce n’était pas vraiment un sport social. Mais on y rencontrait des gens. C’était une espèce de règle. Et elle aimait bien discuter avec les gens. Parce que les gens étaient différents, intéressants, et la plupart étaient de bonnes personnes.
 
Erin avait donc commencé à apprendre à lire les gens. C’était encore quelque chose de nouveau pour elle, d’essayer d’analyser les gens plutôt que de se fier à leur apparence. Mais elle commençait à avoir des… intuitions sur les personnes qu’elle rencontrait.
 
C’était quelque chose qu’Erin venait juste de remarquer à propose de Ryoka. Pour être honnête, elle aurait sans doute dû s’en rendre compte plus tôt, mais pour sa défense, les deux derniers jours avaient été très longs.
 
Voilà : Ryoka n’était vraiment pas une personne sociable.
 
À la vérité, ce n’était pas une conclusion difficile à trouver. Que ce soit la tendance qu’avait Ryoka à se recroqueviller quand elle était assise au milieu d’une foule, ou ses longs regards silencieux accompagnés de réponses-grognements lorsqu’elle ne voulait pas parler, Ryoka exsudait pratiquement une zone de “ne-me-parlez-pas.”
 
De plus, elle n’était tout simplement pas du genre à rester en place. Ryoka attrapait des fourmis dans les jambes si elle devait rester assise, elle s’excitait lorsqu’elle parlait, elle avait tendance à se lever et à faire les cent pas. Elle ne pouvait pas se contenter de se détendre, il lui fallait bouger.
 
Elle était une femme d’action, pas de réflexion. Si Erin devait réfléchir à la question, elle voyait cela en termes de joueurs d’échecs. Ryoka ressemblait à quelques joueurs de sa connaissance qui étaient capables de jouer des parties admirables avec la règle des cinq secondes parce qu’ils étaient habitués à voir apparaître certains motifs et à jouer de manière à tirer le plus parti de chaque seconde pour faire les meilleurs coups.
 
Ce n’était pas ainsi qu’Erin aimait jouer, elle qui appréciait de calculer patiemment chaque coup. Bien sûr, tout bon joueur d’échecs se devait de mélanger à la fois l’instinct et le calcul de l’impact de chaque coup sur le plateau, mais Ryoka avait cette certitude, cette capacité à bondir sur les conclusions logiques, qui laissait parfois Erin sans voix.
 
Par exemple. Ryoka venait de lui expliquer comment faire de la crème glacée, et Erin était toute excitée.
 
“C’est donc pour ça que je n’y arrivais pas !”
 
Elle frappa la table du plat de la main et regarda autour d’elle d’un air éperdu. Elle avait tout… presque tous les ingrédients dans son auberge. Elle pouvait faire de la crème glacée ! De la crème ! Glacée ! L’ambroisie des enfants et de n’importe quelle personne qui aimait la vie !
 
“Je n’arrive pas à croire que tu aies cru qu’il fallait baratter le lait pour faire de la glace.”
 
Erin jeta un regard faussement outragé à Ryoka.
 
“Mais enfin, comment étais-je censée savoir qu’il fallait le faire chauffer et le remuer comme une… crème pâtissière ? Qui pourrait penser à un truc aussi fou ?”
 
“Catherine de Médicis. Même si elle a probablement appris la recette grâce aux Italiens qui l’avaient récupérée de Marco Polo. Et ils l’avaient peut-être piquée aux Chinois.”
 
Ryoka fronça les sourcils d’un air absent en réfléchissant, puis réalisa qu’Erin était en train de la dévisager, bouche-bée.
 
“Quoi ?”
 
“Est-ce que tu… est-ce que tu as, disons, une mémoire absolue ou un truc du genre ?”
 
L’Asiatique se trémoussa dans son siège, mal à l’aise.
 
“Pas exactement. J’ai une mémoire du détail. Je peux me rappeler très bien de petits détails et de choses qui me paraissent intéressantes. Et j’ai pas mal étudié l’histoire pour passer mes examens d’AP.*
 
*Note de la traductrice : l’Advanced Placement sont des cours avancés dans une matière donnée proposés aux lycéens américains. Une bonne note (classées de 1 (pas de recommandations) à 5 (extrêmement bien qualifié) permet d’avoir des crédits pour l’université, et donc de ne pas assister à ces cours pendant les études supérieures.

 
“Whoa. Je n’ai jamais passé les AP. Ça avait vraiment l’air trop dur, et ils n’étaient pas obligatoires à mon école. Tu as réussi des examens ?”
 
Ryoka parut hésiter.
 
“J’ai eu quelques 5.”
 
Ce n’était qu’une raison de plus de l’admirer. Erin sourit d’un air joyeux en s’imaginant manger des bols de délicieuse crème glacée, même si elle ne pourrait en faire qu’à la vanille. Enfin, c’était pour cette raison que les fruits existaient. Pour donner du goût.
 
“Tu n’as aucune idée d’à quel point cela va m’être utile ! Je peux faire de la crème glacée et me mettre à en vendre dans mon auberge ! Ou… ou faire des cônes de glace ! Je vais être riche !”
 
Erin était tellement ravie à l’idée de montrer la crème glacée à Selys et à tous les autres qu’elle ne s’aperçut pas que Ryoka était en train de secouer la tête.
 
“Mauvaise idée. Je ne pense pas que ça va marcher.”
 
“Quoi ? Pourquoi ?”
 
“Déjà, c’est l’hiver.”
 
Ryoka pointa du doigt l’une des fenêtres au volet qui, bien que fermé, laissait passer une quantité alarmante de vents coulis.
 
“Si tu veux vendre des gourmandises glacées, tu vas vouloir éviter le sucre à cause de son coût. Il n’y a que l’aristocratie et les riches marchands qui peuvent se permettre d’acheter beaucoup de confiseries, et il te faudra par conséquent fixer le prix trop haut. De plus, la crème glacée est difficile à stocker, surtout si tu n’as pas de frigo.”
 
Elle se mit à ajouter d’autres arguments en les comptant sur ses doigts.
 
“Étant donné le prix et la probable rareté du lait en hiver, ça te coûtera probablement plus cher à ce niveau-là aussi. Si tu veux vendre quelque chose, autant que ce soient des cônes de neige parce qu’il ne te faudra que du sirop. Mais même là, tu vas tomber sur le plus gros problème.”
 
“Qui est ?”
 
“Le plagiat. Dès l’instant où tes clients rentreront en ville, chaque commerçant copiera ta recette. Ça leur prendra peut-être quelques jours, mais ils pourront probablement déterminer comme faire la plupart des recettes de notre monde juste en les goûtant.”
 
Elle haussa les épaules.
 
“Je suis désolée, mais ce monde n’a pas de copyright. Tu pourrais peut-être réussir à garder la recette pour toi pendant quelques mois, mais…”
 
Ryoka ne termina pas sa phrase et réfléchit un moment. Erin était découragée.
 
“Donc ce n’est pas une bonne idée ? J’allais faire tous ces plats de chez nous, mais si les gens se contentent de tout voler...”
 
“Attends une minute, ce n’est pas forcément une idée complètement mauvaise.”
 
Erin regarda la fille d’un air plein d’espoir. Ryoka était en train de hocher la tête.
 
“Ça pourrait marcher.”
 
“Comment ?”
 
La grande fille haussa brièvement les épaules.
 
“S’ils veulent te copier, laisse-les faire. Fais juste en sorte que ce soit clair que tu es celle qui a inventé le plat et capitalise sur les rumeurs et le bouche à oreilles. Continue d’apporter de nouvelles idées et ton auberge deviendra réputée pour être un endroit excitant. Ou… spécialise-toi. Fias en sorte que tes plats ne soient pas forcément uniques, mais que tu sois la seule capable d’en fournir la meilleure qualité.”
 
Elle s’interrompit et dévisagea Erin. La fille lui souriait de nouveau.
 
“Quoi ?”
 
“Wow. C’était tellement bien… réfléchi ! Hey, tu veux un poste ici ? Tu peux être l’aubergiste en chef avec toutes les idées et moi je serai l’aubergiste qui fait tout le reste.”
 
“Non merci.”
 
Répondit Ryoka, impassible. Erin pensa que pour elle, l’idée d’être une aubergiste toute souriante s’apparentait à de la torture. Mais Ryoka avait de bonnes idées, et Erin lui posa donc d’autres questions.
 
“Okay, tu n’as pas besoin de devenir aubergiste. Mais et mon auberge ? Est-ce que je devrais y faire quelque chose ?”
 
Cela prit en tout et pour tout cinq secondes à Ryoka pour répondre alors qu’elle regardait la pièce vide.
 
“Là, comme ça, je dirais… tu pourrais déjà commencer par la réparer. Répare tous les murs et trouve quelque chose pour couvrir les fenêtres et tu ne perdras plus toute la chaleur que tu accumules. Enchanter la cuisine est une bonne idée, et si tu peux te le permettre, d’autres enchantements aideraient sûrement. À part ça… il faut améliorer ton squelette d’une manière ou d’une autre.”
 
“Toren ? Il y a un problème ?”
 
Erin regarda autour d’elle, mais elle se rappela que Toren était dehors à déblayer la neige. Ryoka haussa les épaules.
 
“Il ne sait que nettoyer et traîner des trucs. Il ne peut pas cuisiner, ne peut pas parler aux invités ni les servir sans les faire mourir de peur, et il ne se bat même pas très bien. Ce n’est qu’un squelette. Ksmvr en a découpé au moins une dizaine en rondelles en sortant des ruines.”
 
C’était vrai. Même si Erin soupçonnait de plus en plus que Toren était plus compétent que le reste des squelettes. D’une, il avait l’air capable de se réassembler quand il se faisait écrabouiller, contrairement au reste de ses copains. Elle hocha toutefois la tête pour faire plaisir à Ryoka. Pisces pourrait peut-être l’améliorer, même s’il demanderait probablement beaucoup d’argent pour ça.
 
“D’accord, d’accord. Mais voici ma question la plus importante.”
 
Ryoka se pencha en avant, très concentrée. Elle aimait bien trouver des idées, Erin s’en était rendue compte. Erin prit une grande inspiration et s’ouvrit à Ryoka de son plus gros problème.
 
“Tu vois le torrent où je vais prendre mon eau ?”
 
“Oui, qu’est-ce qu’il a N”
 
Erin fronça les sourcils.
 
“C’est super pénible de prendre l’eau tout là-bas, même si j’y envoie Toren. Est-ce qu’il y aurait un moyen de faire venir l’eau jusqu’ici ? Préférablement sans les poissons maléfiques ?”
 
Pendant un instant, Ryoka plongea le regard dans celui d’Erin. Erin la dévisagea à son tour, dans l’expectative. Ryoka finit par ciller plusieurs fois d’affilée. Elle pointa la porte du doigt.
 
“Je doute que l’eau pose problème dans l’immédiat. Si tu en as besoin, tu peux toujours faire fondre de la neige dans un seau. Honnêtement, c’est plus le bois pour le feu qui risque de poser problème bientôt. Mais pour l’eau… tu as déjà pensé à un puits ?”
 
La mâchoire d’Erin se décrocha.
 
“Whoa.”


***

Finalement, Ryoka repartit deux heures plus tard que ce qu’elle avait prévu, au moment même où le soleil commença à se coucher derrière les montagnes. Erin voulait que Ryoka reste, et Ryoka était catégorique : elle devait partir.
 
“Il faut que je m’y jette. Si je reste ici trop longtemps, je vais te traîner dans les pattes ou on parlera trop.”
 
Erin avait la nette impression que c’était pour cette deuxième raison que Ryoka était pressée de partir. Elle avait l’air d’apprécier discuter avec Erin, mais on entrait clairement dans son temps de solitude programmé.
 
Ryoka enfila les deux bottes trop grandes que Krshia lui avait données et grimaça. Elle avança d’un pas lourd vers la porte et se tourna vers Erin.
 
“Encore une chose. Quand je ne serai plus là, essaie de ne pas dire à d’autres gens d’où on vient. Pas à cet Antinium, ni à Krshia. Ou du moins, ne leur livre aucun secret.”
 
“Du genre ?”
 
Ryoka dévisagea Erin jusqu’à ce qu’elle se sente mal à l’aise.
 
“La poudre à canon. Comment fonctionnent les voitures. Le tableau périodique. N’importe quoi qui pourrait bouleverser les choses.”
 
“Bouleverser comment ?”
 
Ryoka ouvrit la bouche, puis secoua la tête.
 
“Je ne sais pas. Essaie juste d’être discrète, d’accord ?”
 
Elle leva un doigt.
 
“Discrétion.”
 
Ryoka regarda Erin d’un air appuyé. Erin hocha la tête, docile.
 
“Discrétion. D’accord. Ça marche.”
 
Ryoka ouvrit la porte de l’auberge, Erin sur ses talons, un air anxieux peint sur le visage.
 
“Tu reviens bientôt, quand même, pas vrai ?”
 
“Dans une semaine ou moins. Ne t’inquiète pas. Est-ce que tu pourras prendre soin de Ceria pour moi ?”
 
“Oh, bien sûr, bien sûr. Mais est-ce que tu veux emporter quelque chose ? Un en-cas ? Un déjeuner ? Un dîner ? Je peux te faire un petit quelque chose.”
 
“Ça ira. Il faut que j’y aille.”
 
“Et pourquoi pas…”
 
“Erin. On se voit plus tard.”
 
Ryoka se leva, poussa ses pieds au fond des bottes mal ajustées qu’elle devait porter pour éviter de se geler les pieds, et hocha la tête en direction d’Erin. Elle sortit sur le perron.
 
Il faisait affreusement froid dehors, mais Ryoka n’en laissa rien paraître. Elle n’était pas équipée pour l’hiver ; elle était encore dans l’équivalent de ce monde d’un t-shirt et de leggings de sport. Mais dès qu’elle commencerait à courir, elle se réchaufferait.
 
C’était le moment où jamais, alors. Ryoka fit quelques pas dans la neige et se mit à trottiner. La neige était légère et poudreuse autour de ses bottes. C’était comme courir dans du sable - et même pire, à cause des bottes. Cela prendrait pas mal de temps à Ryoka pour retourner dans le nord.
 
“Bonne chance !”
 
Ryoka entendit la voix, mais elle se contenta de lever une main en signe d’au-revoir. Elle continua d’accélérer jusqu’à atteindre un rythme décent. Bientôt, l’auberge se perdit derrière elle lorsque Ryoka commença à gravir puis dévaler des monts couverts de neige en direction de la route principale.
 
C’est alors que le vent se mit à souffler encore plus intensément, et Ryoka réalisa qu’elle n’était plus seule. Elle ne les vit pas immédiatement, mais elle entendit leurs voix.
 
 “Regardez, regardez ! Celle avec les cheveux noir corbeau est en train de partir !”
 
 “Elle court, qu’est-ce qu’elle est lente ! Comme un insecte par terre !”


Ryoka ignora les voix perçantes dans les airs, ainsi que les formes d’un azur pâle qui descendirent du ciel et se mirent à flotter autour de sa tête. Même de près, les Fées de Givre étaient difficiles à voir. Si le ciel avait été dégagé et bleu, elles auraient été pratiquement invisibles.
 
Elles papillonnèrent autour de sa tête en riant et faisant des glissades, souriant de leurs dents acérées en suivant Ryoka de leurs yeux clairs.
 
Tellement belles. Mais Ryoka ne voulait pas s’arrêter pour elles. Elles étaient dangereuses, dont elle prétendit ne pas pouvoir les entendre. Elle se contenta de les admirer du coin des yeux lorsqu’elles la dépassaient.
 
 “Elle court lentement ! Lente et gauche, comme l’une des stupides mangeuses d’herbe !”
 
 “Une vache, une vache !”
 
Apparemment, les fées étaient malpolies. Ryoka fronça les sourcils. Qu’étaient-elles donc ? Et pourquoi…
 
Ryoka glissa lorsque ses bottes rencontrèrent une flaque de glace lisse et elle faillit tomber à la renverse. Elle entendit des rires résonner dans les airs autour d’elle.
 
“Merde.”
 
L’impact ne fut pas douloureux, mais la neige était glacée et elle se mit à fondre sur la peau nue de Ryoka. Elle se leva, s’épousseta, et se remit à courir, plus vite. Elle allait avoir besoin d’habits d’hiver le plus tôt possible, ou elle gèlerait avec ce temps.
 
Qui pourrait connaître ces étranges créatures ? Peut-être quelqu’un qui s’y connaissait bien en magie. Comme Pisces ou…
 
“Bordel.”
 
Elle avait complètement oublié de mentionner Teriarch et Magnolia à Erin. Oh, tant pis. Ils n’allaient pas s’envoler, et de plus, Ryoka serait rentrée bien assez tôt.
 
L’Auberge Vagabonde.
 
Ce n’était pas chez elle, et cela ne le serait jamais. Mais Ryoka pensait… oui, elle pensait que cela restait un endroit qui valait la peine de s’en souvenir. Parce qu’elle avait une amie là-bas.
 
Une amie. Qui s’appelait Erin Solstice.


 “Est-ce que tu souris parce que tu es bête ou lente, Humaine ?”


Ryoka leva les yeux. Une fée était en train de flotter autour de sa tête. Elle sourit à Ryoka lorsque la Coursière prétendit, trop tard, qu’elle ne l’avait pas vue.


 “Je le savais ! Tu peux nous voir !”


La fée se tourna vers le reste de son troupeau, ou horde, ou essaim ou quoi que ce soit qu’on appelait un groupe de ces créatures.



 “Oyez, oyez, mes sœurs ! Cette humaine nous voit mais prétends que nous ne sommes rien d’autre que de la poussière dans le vent !”



Ryoka les ignora. Les Fées de Givre était presque une centaine dans les airs à présent, une immense masse qui tourbillonnait dans les airs. Elles se… disputaient, ou peut-être étaient-elles en plein débat. Ryoka les écouta.


 “Bah. Depuis quand l’opinion des mortels a-t-elle la moindre valeur ? Quels fous, ces mortels ! Partons emporter la neige et la glace au reste de cette boule de boue !”
 
 “Non, non ! Je veux rester à l’auberge !”
 
 “La vache qui court m’intéresse. Je dis, suivons-la !”



Elles se séparèrent. La majeure partie de l’essaim s’envola dans les airs et se fit emporter par le vent vers le sud. D’autres Fées de Givre s’envolèrent vers l’auberge, mais un petit groupe d’une dizaine de fées continuèrent de suivre Ryoka.
 
Leur compagnie fut agréable lorsqu’elles se mirent à voler autour de Ryoka en riant, pendant approximativement une seconde. Puis l’une d’elle se posa sur la tête de Ryoka et se pencha en avant jusqu’à être la tête en bas devant ses yeux.




 “Je sais que tu m’entends, Humaine. Dis quelque chose.”


La meilleure manière de gérer les gens qu’elle n’aimait pas était de les ignorer. C’était la méthode testée et approuvée de Ryoka, et elle essaya de l’appliquer ici.


 “Es-tu folle ? Parle !”


Ryoka leva la main et poussa la fée. La minuscule créature était en train d’engourdir son front et de lui donner la migraine. La fée s’envola, outragée.
 
Ignore-les. Ignore-les, c’est tout.


 “Regarde-nous !”
 
 “Parle, vache !”
 
 “Nous faisons grâce de nos mots à tes oreilles. Réponds-nous !”


L’une d’elle atterrit dans les cheveux de Ryoka et se mit à tirer des mèches. Elle cria dans l’oreille de Ryoka d’une voix qui était beaucoup trop forte pour son petit corps.


 “Hé. Héééééé. Hé ! Écoute-moi, Humaine !”


Ryoka gronda.
 
“Allez vous faire foutre !”
 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 03 septembre 2020 à 22:53:41
2.07 - Deuxième partie
Traduit par EllieVia



Erin soupira. Elle leva les yeux au plafond. Le départ de Ryoka l’avait laissée aussi vide que son auberge. Mais il fallait qu’elle continue à s’activer. Elle n’était plus seule.

Cela la fit sourire. Ce dernier se transforma instantanément en un bâillement.

“Bon sang que je suis fatiguée.”

Toutes ces discussions, tous ces combats et tous ces crevages d’yeux plus tôt dans la journée l’avaient vraiment fatiguée. Elle savait qu’elle aurait probablement dû faire quelque chose de constructif, mais son cerveau lui disait que la chose la plus constructive qu’elle pourrait faire serait de dormir.

Un pas à la fois. Un jour à la fois. Erin ferma les yeux et s’endormit.

[Classe de Guerrière obtenue !]
[Guerrière Niveau 2 !]
[Compétence - Endurance Mineure obtenue !]

Gaaah !

Erin oubliait parfois à quel point la voix désincarnée sous son crâne pouvait être inattendue. Elle se redressa d’un coup, perdit l’équilibre sur sa chaise, et tomba en arrière.

Elle s’écrasa sur le plancher, ce qui ne lui fit pas si mal que ça une fois les premières secondes passées. Erin resta allongée au sol et regarda fixement le plafond.

“Une guerrière ? Moi ?”

Elle y réfléchit un instant. Puis ses yeux se fermèrent et elle décida que ce ne serait qu’une chose parmi d’autres dont la Erin du lendemain aurait à s’occuper.

Reste par terre. Dors pendant quelques minutes. Réveille-toi quand tout le sang te sera monté à la tête.

Lève-toi, brosse-toi les dents. Erin n’arrêtait pas d’oublier cette étape. Rampe sous couvertures dans cuisine.

Dors.

“Salut Erin…”

“Aah !”

Erin bondit hors de ses couvertures, attrapa la première chose qui lui tomba sous la main et la jeta sur la personne qui venait de parler.

Son [Lancer Infaillible] fonctionna à la perfection. L’oreiller fendit l’air et cueillit Pisces en pleine poitrine. Il cilla tandis que l’oreiller retombait au sol.

“Ah. Est-ce que je t’aurais malencontreusement réveillée ? Je te présente mes plus sincères excuses.”

Pendant un instant, le mage sale debout dans la cuisine d’Erin avec sa robe mouillée et dégoulinante de neige lui sembla n’être qu’un rêve. Puis cela bascula dans l’horrible réalité et Erin roula sur elle-même.

“Sors d’ici !”

Elle lui jeta un autre oreiller. Pisces parut blessé. Il renifla et s’essuya le nez d’un pan de robe.

“Ce n’est que moi. Inutile d’être aussi théâtrale.”

“Comment es-tu entré ?”

“La porte n’était pas verrouillée.”

Erin s’assit sur son lit, dévisageant Pisces d’un air boudeur. L’histoire des verrous sur les portes commençait à prendre tout son sens. Elle fusilla Pisces du regard.

“Je suis fermée. Va-t’en.”

“Tu étais ouverte il y a à peine quelques minutes pour ton amie.”

C’était le truc avec Pisces. Contrairement à Ryoka, qui ne comprenait pas très bien les codes sociaux, Pisces pouvait facilement saisir les messages tacites. Son problème, c’était qu’il choisissait simplement de les ignorer.

Erin se tortilla dans ses couvertures jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de demeurer dans son nid chaud tout en fusillant Pisces du regard.

“Ryoka est un cas particulier. Pas toi. Va-t’en.”

“Après tout ce que j’ai fait pour Ceria et toi, c’est ainsi que tu me remercies ? Je suis venu ici plein de bonne volonté, espérant te faire profiter d’un client pour ton auberge alors que j’aurais pu rester en ville.3

Pisces renifla, blessé. Il avait l’air d’oublier le fait qu’il ne payait jamais vraiment Erin pour ce qu’il consommait ici.

“Je donne à manger à Ryoka si elle a faim. Pas à toi. Toi, tu attends que je sois réveillée pour manger.”

Là encore, le mage renifla et Erin se promit que s’il lui éternuait dessus ou faisait tomber de la morve sur sa tête elle le poignarderait.

“Ton indulgence au regard de ta nouvelle amie est admirable. Bien que tu n’aurais peut-être pas dû la laisser partir. Elle s’est fourrée dans les ennuis dès son départ. Un groupe d’esprits s’est mis à la suivre. Je l’ai vue s’enfuir avec un essaim flottant autour de sa tête.”

“Un essaim ? Quel essaim ?”

“Un essaim de ces… créatures. Les esprits. Les créatures qui ont apporté avec elles cette charmante neige pour l’hiver dans lequel nous nous trouvons à présent. Les, ah, Esprits de l’Hiver.”

“Les Esprits de l’Hiver ? Tu veux parler des fées !”

En une seconde, Erin avait jailli de ses couvertures et se précipitait vers l’extérieur. Elle courut dehors, pieds nus, glapit, alla chercher des chaussures en toute hâte, et lorsqu’elle revint, elles étaient là.

Un nuage miroitant de créatures étincelantes flottait au-dessus de l’auberge d’Erin. De fines silhouettes ténues de fées flottaient ou plongeaient, leurs éclats de rire résonnant dans les airs.

“Oh non. Ils sont là.”

Pisces émergea de l’auberge. Erin ne lui prêta aucune attention, malgré ses efforts immédiats pour la faire rentrer.

“Allez, viens. Ils ne nous ont pas encore remarqués. Si on reste à l’intérieur, ils partiront. Ils ne rentrent pas dans les bâtiments.”

“Quoi ? Non. Je veux les regarder.”

Répondit Erin d‘un air absent tandis que Pisces lui tirait la manche. Il la dévisagea en plissant les yeux puis leva le regard sur les fées d’un air soupçonneux.

“Pourquoi ? Ce n’est rien d’autre que de la vermine.”

Elle ne répondit pas. Comment pouvait-il traiter ces êtres merveilleux flottant au-dessus de sa tête de “vermine”. Erin ne comprenait pas. Comme Ceria, les Fées de Givre avaient une allure éthérée qui n’appartenait pas à ce monde, Elles formaient une magnifique partie de ce monde, mais elles restaient mythiques, étranges et merveilleuses par toutes les manières par lesquelles elles n’y appartenaient pas.

“Elles sont si… magiques.”

Souffla Erin en levant les yeux au ciel, comme ensorcelée. Pisces se tourna et la dévisagea d’un regard dénué de toute expression. Elle agita la main dans sa direction.

“Toi, tu ne comptes pas.”

Il secoua la tête.

“Ce sont des créatures horribles. Je ne vois pas ce que tu leur trouves.”

“Quoi ?”

Erin se détourna enfin du spectacle pour fusiller Pisces du regard. Elle pointa du doigt les fées en train de voleter, de se pourchasser et de rire au-dessus de leurs têtes.

“Comment peux-tu rester de marbre face à ça ? Regarde-les ! On dirait du cristal et de la… glace qui auraient pris vie ! Elles ressemblent exactement à l’idée que je me faisais des fées ! En quoi est-ce que c’est horrible ?”

Pisces examina Erin comme si elle était devenue folle. Il leva les yeux, puis répondit d’une voix perplexe.

“Des fées ? Je ne vois pas de petites créatures ailées. Elles ressemblent à des formes floues pour moi.”

À présent, c’était au tour d’Erin de dévisager Pisces. Elle agita la main devant ses yeux et il bondit en arrière.

“Arrête ça.”

“Comment ça se fait que tu ne puisses pas les voir ?”

“Voir quoi ? Ce sont des Esprits de l’Hiver. Les enfants les appellent des fées, mais ce ne sont que des petits bouts flottants de contrariété. Ils viennent apporter l’hiver et agacer les gens, mais c’est tout.”

“Non, ce sont des fées !”

“Es-tu devenue folle ?”

Leur dispute avait attiré l’attention des Fées de Givre au-dessus d’eux. Elles plongèrent en piqué vers Erin et Pisces. Il glapit et recula vers la porte, mais Erin demeura immobile. Elle leva les yeux, les yeux brillants lorsqu’une fée vient voleter devant elle.

La créature ne ressemblait pas à un Humain, ni même à Ceria en termes d’anatomie. Déjà, ni les humains, ni les demi-Elfes n’étaient constitués de ce qui ressemblait à de la glace fluide et du cristal pur. Mais les corps des fées étaient différents de manière générale. Elles n’avaient pas de poitrine ni de parties génitales, et elles possédaient deux paires d’ailes, comme les libellules. Pour tout dire, même leurs yeux, dénués de pupille, ressemblaient à ceux de ces insectes. Mais malgré tout cela, elles ressemblaient à de magnifiques petites filles aux yeux d’Erin.

Du moins, jusqu’à ce que l’une d’entre elle lui crache dans l’œil.

Un crachat de fée n’est pas très gros, mais les créatures sont aussi froides que la glace. Erin glapit et pressa une main sur son oeil tandis que la fée se mettait à l’insulter. Pisces grommela tout doucement en plongeant pour esquiver les Fées de Givre qui lui volaient au-dessus de la tête.

“Je te l’avais bien dit.”

La fée qui avait craché sur Erin s’approcha plus près de l’humaine qui se frottait vigoureusement son œil cuisant. Elle fusilla Erin du regard.

 “Et qu’est-ce que tu regardes, toi ? Encore une mortelle venue pour nous regarder avec des yeux de vache ? Disparais, humaine !”

Elle avait un accent vaguement irlandais. Erin ne savait pas exactement si c’était un accent irlandais ou écossais, ce qui trahissait son ignorance, mais si elle avait été experte ou native d'Irlande, elle aurait reconnu que l’accent de la Fée de Givre était irlandais. De manière plus spécifique, et étant donné que les accents irlandais changeaient de manière dramatique d’une région à l’autre, son accent rappelait vaguement celui du Comté de Monaghan.

Mais aux oreilles d’Erin, ce n’était qu’une manière étrange de parler, qui semblait oublier la moitié des voyelles. Et le plus étrange, c’est que toutes les Fées de Givre n’avaient pas le même accent. Quelques-unes avaient des accents vaguement anglais - Cornouailles, Pays de Galle du sud ou du Nord, Edinburgh - tellement variés et prononcés qu’Erin avait du mal à comprendre un mot sur deux lorsqu'elles parlaient toutes en même temps.

Et discuter semblait être le mode par défaut des Fées de Givre, qui fendaient l’air autour de la tête d’Erin en parlant bruyamment.

 “Regardez, regardez ! Une autre humaine ?”

 “Est-ce qu’elle peut aussi nous voir ?”

 “On dirait que oui !”

 “Oyez comme elle a couiné à cause du froid ! Refais-le encore !”

Malgré ce premier contact refroidissant, Erin était toujours séduite. Elle haussa la voix.

“Non… je veux dire, je peux vous voir. Est-ce que je peux vous parler ?”

Pisces dévisagea Erin comme si elle était devenue folle.

“À qui parles-tu donc, exactement ?”
Les fées avaient toutefois entendu Erin. Ses mots les firent s’envoler en spirales sauvages et elles tourbillonnèrent autour d’elle en discutant entre elles d’un air surexcité.

 “Elle peut nous voir ! Elle peut nous voir !”

 “Ça fait deux ! Deux humaines qui peuvent nous voir !”

 “Que c’est bizarre ! Que c’est étrange !”

La fée de tête rejeta sa tête en arrière de manière à faire voltiger sa chevelure miroitante.

 “Ha ! cette pauvre couillonne veut parler ? Va te faire foutre, espèce de branleuse !”

Elle plongea sur la tête de la fille, ce qui la força à la baisser. Erin leva les mains, mais la fée les esquiva et frappa Erin sur la joue.

Instantanément, la peau autour du point de contact avec la fée s’engourdit, puis se réveilla brutalement avec des picotements de douleur perçants. Erin porta la main à sa joue et sentit le froid mordant.

“Aïe ! Arrête ça !”

“Ils ne s’arrêteront pas.”

Déclara Pisces d’un air pressant tandis que les fées éclataient de rire et la méchante tentait de jouer à chat avec Erin d’une main. Erin essaya de la repousser - gentiment, parce qu’elle ne voulait pas faire de mal à la petite créature.

“Pourquoi est-ce que tu essaies de me faire mal ? Je veux simplement parler.”

Le mage rit nerveusement en dévisageant Erin.

“Parler ? Ce ne sont pas des gens, Erin. Ce ne sont que des… phénomènes magiques. Ils débarquent tous les ans. Personne ne sait d’où ils viennent. Ce sont des parasites qui détruisent tout ce qu’ils jugent intéressant.”

Quelque chose dans la manière dont il parlait dérangeait vraiment Erin. Elle le fusilla du regard lorsque la fée finit enfin par la laisser tranquille.

“De quoi tu parles, Pisces ? Tu ne les vois pas ? Ce sont carrément des fées ! Elles viennent de nous parler !”

Pisces regardait Erin d’un air vraiment étrange. Il regarda vaguement dans la direction de la fée à l’accent irlandais, puis à Erin.

“Parler ? À toi ? Je n’ai rien entendu.”

Il ne regardait même pas directement la fée. Erin la pointa du doigt.

“Là, tu ne la vois pas ?”

La fée rigolait en faisant des grimaces à Erin et des gestes malpolis qui auraient été obscènes si elle avait eu des attributs humains en direction de Pisces. Le mage plissa des yeux, mais il regardait un peu trop bas à gauche de la fée.

“Je vois une forme floue. C’est bleu et blanc. Je n’entends rien du tout.”

C’était forcément impossible, parce qu’Erin pouvait entendre les fées ries en ce moment même. Leur rire ressemblait au tintement de petites cloches, mais Pisces n’y réagit même pas. Il disait la vérité.

“Mais comment c’est possible ?”

Pisces regarda fixement Erin.

“Erin. Est-ce que tu es vraiment en train de dire que tu peux voir et entendre ces choses ? Ce ne sont pas de simples… particules magiques ?”

 “Oh mais bien sûr qu’elle peut, crétin de mage !”

 “Elle voit ce que vous autres mortels ne pouvez voir depuis des millénaires ! Plus idiot que vous, ça n’existe pas !”

Erin acquiesça lentement.

“Mais pourquoi est-ce que je peux les voir et pas toi ?”

Pisces cilla et fronça les sourcils pour réfléchir, mais ce fut la méchante fée qui répondit. Elle vola à de nouveau en direction de ses amies et pointa Erin du pouce.

 “L’idiote pose une bonne question. Comment parvient-elle à nous voir, mes sœurs ? Le glamour ne peut pas être rompu si aisément par la vue des mortels. Observez simplement le fou qui apprécie la mort. Il ne peut ni nous voir, ni nous entendre.”

 “Très vrai !”

L’une des fées plongea en piqué et vient bourdonner près de la tête de Pisces. Il baissa la tête, elle rit et remonta vers les autres.

 “Il ne voit pas ! Il ne sait pas ! Mais elle sait ! Comment ?”

Les fées se mirent à tourner autour de la tête d’Erin, en inspectant ses moindres recoins en se disputant. Elle resta immobile, mi-séduite, mi-méfiante.

 “De la magie ? Mais la magie des magi est trop faible. Et elle n’en a pratiquement aucune !”

 “Si elle a usé de l’onguent de notre race, nous devrions l’aveugler tout de suite. Lui arracher les yeux, l’un ou les deux, et en être débarrassées !”

Erin dévisagea, horrifiée, la fée qui venait de parler. Soudain, les Fées de Givres avaient perdu tout leur aspect merveilleux. La créature glissa jusqu’à la tête d’Erin et la fille leva les mains pour se protéger. Mais alors une autre fée ouvrit la bouche.

 “Nae. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne dans ce monde. Si elle avait eu de l’onguent, elle pourrait voir nos formes mais pas nous entendre. C’est quelque chose d’autre, mes sœurs.”

 “Mais quoi ?”

 “Comment ?”

 “Est-ce qu’elle est anormale ? Mais même les monstres et les créatures d’horreur et de malédiction ne peuvent nous voir !”

 “Un Dieu, peut-être ?”

 “Ne sois pas sotte ! Ils sont tous morts ici ! Morts et pourrissants !”

Pisces jeta un œil au visage d’Erin. Il se rapprocha rapidement d’elle et lui murmura à l’oreille.

“Qu’est-ce qu’il se passe ?”

Erin tourna son visage livide vers lui.

“Elles sont en train de réfléchir à si elles vont m’arracher les yeux ou non.”

Il haussa un sourcil.

“Ah. Ce serait problématique. Écarte-toi, je vais m’en charger.”
Il leva un doigt, et Erin se décala. Les fées ignorèrent Pisces, mais il fronça les sourcils. Il visa le centre de la horde et dit :

“[Luciole].”

Du feu, ou plutôt des flammes vacillantes d’un orange et rouge lumineux s’envolèrent. Les flammes se tordirent en une forme vive et ailée et vola sur les fées. Elles crièrent et s’éparpillèrent.

Pisces !

“Calme-toi.”

Le mage avait un petit sourire suffisant. Il montra les flammes du doigt tandis que le sort chassait les Fées de Givre.

“Cela ne leur fait pas mal, et c’est l’un des seuls moyens de faire partir ces créatures. Je me suis dit qu’il valait mieux accélérer le processus si elles représentaient une menace.”

 “Du feu, du feu !”
 “Il va brûler nos flocons ! La neige que nous offrons !”
 “Bah. Ce mage veut jouer avec la flamme ? Montrons-lui à quoi ressemble réellement le froid, mes sœurs !”

Déclara l’une des fées tandis que la horde voletait, éperdue. En un instant, leur humeur changea.

Erin ne vit pas exactement ce qu’il s’était passé, mais à un moment, l’oiseau ou l’insecte de feu était en train de pourchasser une fée, et l’instant d’après la fée s’arrêta et le sort de [Luciole] s’éteignit.  En un instant. Il n’y avait même pas de filet de fumée. Le feu avait tout simplement disparu.

Pisces fronça les sourcils en regardant en l’air tandis que l’une des fées levait une main minuscule. Il se caressa le menton.

“Hm. C’est étrange…”

Crack.

C’était autant une sensation qu’un son. L’air gela. Le visage de Pisces devint blanc et sa robe se raidit. Son corps entier se recouvrit de givre.

Erin vit l’expression de Pisces changer. Ses yeux s’écarquillèrent, puis il se mit à hurler tandis que son corps commençait à sentir la douleur. Il se tourna, du feu brûlant au bout de ses doigts, vacillant tandis que ses muscles gelaient.  Il tomba au sol, se redressa maladroitement, et courut se réfugier dans l’auberge sous les éclats de rire des fées au-dessus de leurs têtes.

 “Ha ! Cela lui apprendra, à ce fou !”

 “Le feu ne peut pas nous faire de mal ! Fou imbécile !”

 “À présent, que fait-on de l’humaine qui lui a dit de nous attaquer, hein ?”

Les fées se mirent à tournoyer autour d’Erin d’un air menaçant. Elle leva les mains, désespérée.

“Attendez, attendez ! Écoutez, je suis désolée pour mon am… pou Pisces. C’est un idiot. Je ne veux pas vous faire de mal !”

L’une des fées éclata de nouveau de rire.

 “Comme si tu en étais capable ! Nous sommes les fae ! Mais nous ne voulons rien avoir à faire avec toi ! Hors de notre vue, Humaine !”

C’était le signal qu’il était temps de s’enfuir, surtout après ce qui était arrivé à Pisces. Mais Erin ne pouvait se résoudre à abandonner. Elle tendit une main implorante vers les fées.

“Ne pouvons-nous pas discuter ?”

 “Non.”

“Mais j’ai entendu tant d’histoires à votre sujet ! Et vous êtes si belles !”

Certaines fées se mirent à se rengorger, rejetant leur chevelure éthérée en arrière ou se décalant devant le soleil pour qu’il fasse étinceler leurs corps cristallins. Mais la fée à laquelle Erin était en train de parler ne paraissait pas impressionnée. Elle adressa un V de la victoire à Erin d’une façon qui faisait plus penser à un doigt d’honneur. Est-ce que c’était une insulte ?

 “À moins que tu n’aies apporté Calabrum avec toi dans ce monde, nous ne voulons rien avoir à faire avec tes histoires, humaine.”

Cela ressemblait très fort à un refus catégorique, mais là encore, Erin hésita. Il y avait un mot dans cette phrase qu’elle ne connaissait pas, et cela n’avait rien à voir avec l’accent.

“Hum. Qu’est-ce que Calabrum ?”

La fée parut choquée. Elle fusilla Erin du regard.

 “Ne te souviens-tu donc pas de ce nom légendaire ? Non ? Si, sûrement. Ne connais-tu donc point Caliburn ?”

Lentement, Erin secoua la tête. Elle n’avait aucune idée de ce dont parlait la fée. Une autre fée paraissait insultée.

 “Ne te souviens-tu point des anciens contes ? Comment peux-tu ignorer ce nom ? Si ce n’est pas Caliburn, connais-tu Kaledvoulc’h ? Calesvol ?”

Erin demeurait perplexe. La fée parut frustrée.

 “Est-tu stupide ? Ta race a-t-elle oublié les anciens contes, ou es-tu tellement stupide que tu es incapable de t’en souvenir ? L’Épée du Roi qui Fut et Sera ! Escalibor !

Le nom parut familier à Erin. Elle regarda la fée, les yeux écarquillés, le cœur battant soudain à mille à l’heure.

“Vous voulez dire Excalibur ? L’Épée du Rocher ?”

Les fées échangèrent un regard comme si Erin était bel et bien stupide.

“L’Épée du Rocher ? Est-elle folle ?”
 “Ha ! La misérable pense qu’Excalibur est l’Épée du Rocher ? Elle plaisante !”

L’une des fées prit une mine dégoûtée en passant devant la tête d’Erin.

“Ach. La jouvencelle est de toute évidence obtuse.”

Erin mourait d’envie de tendre la main pour toucher ses ailes translucides, mais elle se retint au prix d’un gros effort. Elle allait probablement perdre sa main, sinon.

“Attendez, Excalibur n’est donc pas l’Épée du Rocher ? J’ai toujours cru que… mais vous voulez dire qu’elle existe ? Et y a-t-il d’autres mondes ?”

Elles l’ignorèrent. Les fées marmottèrent entre elles en lui jetant des coups d’œil. Elles parurent parvenir à une décision et se mirent à s’envoler sans un mot de plus.

Elle courut derrières elles, maladroite dans la neige.

“Attendez, ne partez pas s’il vous plaît ! J’ai tellement de questions à vous poser !”

“Va-t’en !”

L’une des fées fit demi-tour et plongea sur Erin. Ses dents étaient dénudées et elle se mit à frapper le visage d’Erin violemment. Des morceaux de sa peau s’engourdirent puis se mirent à lui faire terriblement mal alors qu’elle essayait de se protéger.

“Aïe, aïe, aïe ! Arrêtez ! S’il vous plaît ! Aïe !”


La fée continua de l’attaquer, puis se retira avec un cri perçant. Erin se tourna pour voir qui l’avait sauvée. Aussi étrange que cela puisse paraître, Pisces tenait dans la main un fer à cheval rouillé. Où avait-il trouvé ça ?

Il l’agita en direction des fées, et Erin les entendit lui feuler dessus. Tandis qu’il reculait avec Erin en direction de l’auberge, Pisces leur cria :

“Allez-vous-en, Peuple Gelé ! Partez d’ici ! Vous n’êtes pas les bienvenus !”

On aurait dit qu’il venait de jeter un sort. Les fées hurlèrent et s’envolèrent haut dans le ciel. Erin les entendit crier de colère tandis que Pisces la tirait vers la porte. Son visage et sa peau étaient à présent craquelés et d’une affreuse couleur rouge, mais il gardait le poing serré sur le fer à cheval.

“Viens. Entre avant qu’ils ne reviennent.”

Erin hésita. Elle posa un pied dans l’entrée et se retourna. Elles avaient été tellement merveilleuses. Puis…

Erin aperçut un mouvement au loin du coin de l’œil. Elle regarda avec horreur par-dessus l’épaule de Pisces. Il se retourna et vit ce qui leur fonçait dessus.

“Bon sang…”

Erin vit les fées en train de hurler dans le torrent enragé de glace et de neige une seconde avant qu’il ne les frappe. Une avalanche de neige explosa à travers la porte ouverte de l’auberge, balayant les tables et les chaises. Erin fut entraînée vers le haut, le bas, à gauche puis coincée à un angle de 45° dans la neige, agitant ses pieds à grands mouvements désordonnés pour essayer de se dégager.

De l’autre côté de l’auberge, Toren entendit l’avalanche miniature s’écraser sur l’auberge et fit une pause dans son travail de déblayage pour lever les yeux. Le squelette avait réussi à dégager un immense espace dans la neige à mains nues, formant un petit mur de neige. Il abandonna ce dernier et revint vers la devanture de l’auberge.

Le squelette ne vit que des formes vagues, des taches de lumières blanche et bleue qui s’envolaient. Il n’entendit ni les rires des Fées de Givre ni leurs remarques, mais il vit très bien l’auberge.

De la neige, plusieurs tonnes de neige étaient entrées d’un coup dans l’auberge. Elle s’était tassée à l’intérieur, piégeant les deux pauvres humains. Toren entendit Erin hurler et Pisces crier quelque chose. Il regarda fixement l’auberge pleine à craquer et estima la densité de la neige.

La bouche de Toren s’ouvrit et il parut soupirer. Puis il entra dans l’auberge et se mit à creuser tandis que la neige, dehors, reprenait de plus belle.

 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 05 septembre 2020 à 16:28:48
2.08
Traduit par Maroti


J’avais au moins huit ampoules après avoir passé les portes de Celum, presque deux jours plus tard. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. Courir dans une paire de bottes non adaptées était la chose la plus stupide à faire pour tes pieds… À part courir pieds nus dans la neige, bien sûr.

Ouaip. C’est moi. Ryoka Griffin, la Coursière plus-tellement-nu-pied. Vous pensez que cela n’a pas d’importance, vu que c’est l’hiver, mais en fait ça en a.

« Hoi, la coursière ! Il fait trop froid pour tes pieds, hein ? »

L’un des gardes humains posté en haut des remparts m’appelle d’en haut alors que je cours sur les pavés et dans la ville. Je débats brièvement sur si je dois lui faire un doigt d’honneur ou lui répondre quelque chose. Mais je continue de courir à la place.

Un mauvais tempérament ? Qui, moi ? Je n’ai pas de mauvais tempérament. C’est n’est pas comme si j’avais passé les derniers jours à dormir et courir dans le froid, tout en étant constamment harcelé par le mal incarné.


« Hark ! Une ville humaine ! Pleine de répugnant fer et de bois de chauffage ! Gelons cet endroit, mes sœurs ! »


… Et ainsi s’en va la paix. Les Fées de Givre que j’ai amené avec moi volent dans l’air au-dessus de ma tête, amenant l’Hiver avec eux.

L’Hiver, au sens littéral. Apparemment, les saisons dans le coin ne changent pas avec la météo. Dans ce cas, c’est littéralement un phénomène qui suit ces fées lorsqu’elles volent. La température chute et il commence à neiger là où elles vont, et ces foutus trucs peuvent apparemment conjurer des avalanches à partir de rien si elles veulent.

Je ne veux rien avoir à faire avec elles, ce qui est mal tombé vu qu’elles continuent de me suivre. Mais maintenant elles sont occupées à tourmenter le garde humain, gelant sa peau au métal, les bombardant de boules-de-neige et ainsi de suite, je suis à l’abri pour le moment.

Je ne peux même pas retirer mes bottes pour laisser respirer mes pieds. Il fait froid dans le coin, mais les fées n’ont pas encore rendues l’endroit glacial. Elles ne bougent pas de manière méthodique, donc j’arrivais à trouver des hectares entiers de terre qui était encore verte et fleurissante sur ma course retour. Dommage que les Fées du Givre gelaient tout ce qu’elles voyaient.

Alors direction la Guilde des Coursiers, c’est presque aussi peu plaisant que l’endroit qui va suivre, mais cela doit être fait.

Je pousse la porte, grimaçant alors que mes ampoules touchent le plancher en bois. Je vais devoir bientôt les éclater, mais cela ne fera pas partir la douleur. Une potion de soin ? Est-ce que cela vaudrait vraiment le coup ?

« Ryoka ! »

Quelqu’un m’appelle à l’instant où j’ai passé la porte. Quelqu’un de masculin. Fals. Je le vois traverser la pièce dans ma direction, suivi par la Garia.

Tiens, tiens, quelle étrange coïncidence. Mais enfin, les deux Coursiers vivent et travaillent dans le coin. Je suppose que j’aurai dû m’attendre à les voir.

Fals s’avance vers moi, cheveux blonds et sales, beau gosse, athlétique. Le genre de Garia, ce qui explique pourquoi la fille, plus robuste et petite, est juste derrière lui. Il me sourit. Je pense que mes lèvres ont un petit tressaillement en réponse, mais je parvins à faire un léger sourire pour Garia.

Mais pour une fois, Fals semble réellement heureux de me voir, et il ne semble pas être sur le point de me donner un bon conseil. Et, à ma grande surprise, quelques autres Coursiers sont en train de sourire. C’est… Étrange.

Fals et Garia s’arrêtent devant moi, souriant. Fals à les dents droites, pratiquement blanches malgré l’absence de dentifrice et de dentiste dans ce monde.

« Ryoka, où est-ce que tu étais ? Nous ne t’avons pas vu depuis presque une semaine ! »

Sa gaieté m’agace. Je lui fais un salut de la tête.

« Salut, toi. »

Boom. Son sourire diminue d’une fraction.

« Je vais bien. Comment est-ce que tu vas… Ryoka ? »

« Je vais bien, merci. Comment ça va ? »

Et maintenant une pause incertaine.

« Tu te souviens de mon nom, pas vrai ? »

« Bien sûr que oui. Phil, c’est ça ? »

Hah ! Ça lui ferme le clapet. Mais Garia fronce les sourcils en ma direction. Et je me rend compte… Peut-être qu’être en mode pure mesquine dès l’instant que j’arrive n’est pas la bonne chose à faire. Oups.

« Elle plaisante un peu, pas vrai Ryoka ? »

Garia me donne un coup de coude dans l’estomac. Oof J’avais oublié qu’elle était forte.

« Je suis certain que Ryoka se souvient de moi. »

Fals tapote l’épaule de Garia et elle rougit. Je soupire.

« Bien sûr. Fals. Par contre, je suis surprise que vous soyez contents de me voir. »

Il hausse les épaules.

« Pourquoi ? L’histoire avec Magnolia s’est déroulé y’a longtemps, et de plus, tu es la plus rapide de nos Coursiers. Et l’une des meilleures, en plus ! Nous pouvons avoir besoin de ton aide dans le coin, maintenant plus que jamais. »

D’accord, s’il veut faire copain-copain, je ne vais pas l’arrêter. Je lui fait un sourire qui a plus de dents que de sourire.

« Vraiment ? Les affaires vont bien ? »

Il grimaça.

« Les affaires… Nos affaires… Sont ralenties à cause de l’hiver venu si vite. En ce moment toutes les routes sont gelées donc les calèches et les wagons vont lentement pour éviter qu’un cheval se casse une jambe. Personne ne va livrer rapidement avant l’arrivée des crampons coupants. »

Des crampons coupants ? C’est quoi encore cette affaire ? Surement un moyen de voyager sur de la glace.

« Ça a l’air profitable pour les Coursiers. »

« C’est facile de se dire ça, mais les Coursiers de Villes ont aussi des difficultés dans la neige. Nous sommes surchargés de requête et personne ne veut rester trop longtemps dehors. »

Garia hocha la tête et tremble. Sa tenue, et celle de Fals, sont différentes. Ils ont tous de la laine et des vêtements chauds, ce que j’envie. Moi ? J’ai besoin de m’acheter une tenue plus chaude aussi vite que possible.

« Il semblerait que je sois rentré juste à temps. »

« C’est une bonne chose que tu sois de retour, Ryoka. »

Je souris à Garia. Puis j’arrête de sourire quand je réalise qu’elle n’est pas au courant pour les Cornes d’Hammerad. Fals le remaque, et change de sujet. Il est… Prévenant. Huh.

« Alors maintenant que tu es de retour, combien de requêtes vas-tu vouloir prendre ? »

« Combien est-ce que vous en avez ? »

Garia me redonne un coup de coude. Aie ! C’était une blague. Mais peut-être qu’elle pensait que j’étais sarcastique. Je lance un coup d’œil au coude de Garia et décide d’arrêter de plaisanter.

« Je suis à la recherche des requêtes les plus rentables. Des livraisons rapides, des aventuriers sur le terrain… »

« De dangereuses requêtes. »

« C’est ça. »

« Eh bien, il n’y a jamais beaucoup de requêtes pour nous les Coursiers. Les aventuriers ne nous aiment pas… »

Ils n’aiment pas la majorité des Coureurs, et pour de bonnes raisons. Mais il ne faut pas le dire à haute voix, Ryoka.

« … Mais il y a quelques contrats longue-distance sur laquelle personne ne va te contester, je pense. Tu es la plus adaptée pour ce genre de requêtes, dans tous les cas. En plus, il y a toujours de l’argent à se faire maintenant qu’un Courrier se dirige vers chez nous. »

« Un Courrier ? »

C’est une grosse nouvelle. J’ai entendu parler des Courriers spéciaux qui font des livraisons longue distance. L’un d’entre eux était supposé prendre la requête des Hautes Passes. Fals hoche la tête et baisse sa voix.

« La rumeur raconte qu’il y a une livraison qui est top-prioritaire. Qui a fait toute la route depuis Port-Fondateur et qui est livré par un Courrier. »

« De qui vient la rumeur ? »

Il sourit et fit un signe discret en direction du bureau de la réceptionniste. Bien sûr. Fals allait être au courant, vu qu’il s’entend bien avec le personnel. Je suppose qu’il partage l’information avec moi et Garia parce que… ?

Enfin, un Coursier, hein ? Mais quel est l’endroit qu’il a mentionné ?

« Je ne suis pas familière avec le coin. Où est Port-Fondateur ? »

Maintenant Garia et Fals froncent les sourcils. Merde. J’ai fait une erreur. Il lève un sourcil.

« La plus grande ville de ce côté du continent ? La ville portuaire ? »

« D’accord. Port-Fondateur. Bien sûr. »

J’aurais dû lire un livre sur les villes locales, mais personne n’écrit d’almanachs ou de guide pour ce continent, du moins je n’en n’ai pas trouvé. Joue la cool. J’hausse les épaules de manière décontracté comme si j’avais oublié.

« Je me demande combien ils sont payés. »

« Je parie sur plus que ce que nous nous faisons en un mois. »

Fals grimace et Garia semble découragée. Mais c’est comme ça que ça marche, pas vrai ? Les aventuriers Rang Or sont riches et fameux et tout le reste en dessous d’eux se faire avoir dans le monde des aventuriers, selon Ceria. C’est comme ça partout, dans ce monde comme dans le mien. Celui d’Erin et  mon monde.

« Si tu recherches des requêtes, je peux te montrer les prioritaires. »

« Pas vraiment tenté en ce moment. J’ai besoin de me reposer. J’ai couru toute la journée et j’ai des ampoules. »

Je leur montre mes deux pauvres pieds. Garia semble choqué alors que Fals semble intéresser. Je suis certain qu’il a vu des pieds en pire état.

« Douloureux. Comment est-ce que tu as eut ça ? »

« Des bottes. »

« Tu portes des bottes ? »

Garia ricane. Ce qui un bruit étrange, venant de sa part. Féminin. Ce qui a du sens. C’est une fille, c’est juste que… Je ne m’attendais pas à ça de sa part. Je lui lance un regard mauvais.

« C’était ça où les engelures. Je n’étais pas certaine si les potions de soins peuvent soigner les engelures. »

« Elles ne le peuvent pas. Enfin, pas bien. Mais si tu as besoin de meilleures chaussures… »

« Je vais aller m’en acheter plus tard. Pour l’instant j’ai quelques trucs à faire à la guilde. »

Fals présenta ses mains.

« Je me repose d’une longue livraison de Remendia. Tu as besoin d’aide ? »

« Oui, merci. »

Nous nous décalons d’un pas pour laisser passer une Coursière recouverte de neige. Elle commence à dire aux autres Coursiers que les Esprits de la Neige sont dans les environs alors que Garia nous suit jusqu’au bureau de la réceptionniste.

« La première chose dont j’ai besoin est une copie des règles de la Guilde. Est-ce que vous avez un livre ou quelque chose du genre ? »

Fals fronce les sourcils.

« Je pense que oui, mais si tu as besoin d’un renseignement tu peux toujours me demander, ou demander à la réception. Est-ce qu’il y a un problème ? »

« J’ai juste besoin d’une copie des règles. Je n’ai pas d’ennui. »

Mais mon plan précaire tiens sur le souvenir de ce que m’a dit l’une des réceptionnistes la première fois que je me suis inscrite à la Guilde. Falsh hausse les épaules et parle à la réceptionniste.

Celle-ci est une jeune femme, guillerette, souriant pour Fals et faisant semblant de me sourire.

« Oui, nous avons bien un livre, mais il est coûteux. Je vais devoir te charger quinze pièces d’argent pour… »

Elle cligne des yeux alors que je jette une pièce d’or sur le comptoir.

« Je vais le prendre. Est-ce que tu as assez d’argent pour me faire la monnaie ? »

En fait, j’ai accès d’argent pour la payer, mais c’est l’occasion d’échanger l’une des pièces d’or que Teriarch m’a donné. En plus, elle est agaçante.

Je reçois un nouveau coup de coude alors que la réceptionniste s’emmêle les pinceaux avec ses pièces. Cette fois je la regarde, et elle me rend mon regard. Quoi ? Je suis sympa. Sympa envers moi, c’est tout.

« Comment est-ce que ça va, Garia ? »

« Je vais bien. Ces chutes de neige étaient vraiment quelque chose, pas vrai ? J’ai vu les Fées de Givre sur l’une de mes livraisons. J’ai failli me faire ensevelir sous la neige avant de sortir de la ville. »

« Mm. Les fées. »

Maudites soient-elles. Ces petits monstres se sont probablement amusés à harceler Garia. Elles sont comme de petites brutes, mais apparemment invisibles à tous sauf Erin et moi. J’hoche la tête en direction de Fals alors qu’il s’éloigne du comptoir et m’envoie un petit livre.

« Merci. »

« On te remboursera si tu le ramènes. Mais j’espère qu’il te sera utile. »

J’espère bien. Mais direction ma prochaine affaire. Je m’éloigne du comptoir avec les deux Coursiers.

« Est-ce que vous savez où est-ce que je peux acheter des artefacts ? »

Fals hausse les épaules et pointe de nouveau le comptoir, ou la réceptionniste est occupée à prendre ne charge le Coursier à moitié gelé.

« Des artefacts ? Si tu as besoin de magie, nous avons quelques objets magiques en vente. »

« Je les ai vu. »

C’est de la merde. Les Coursiers du coin n’ont pas tant à s’inquiéter des monstres, donc ce que la guilde et les magasins leur donnent sont principalement des potions de soin et des sorts à usage unique sous la forme de parchemins, de sacs* et de baguettes.


* Oui, de sac. Ne me demande pas pourquoi. je suppose que certains trucs sont plus pratique sous la forme de sac. Ils sont une sorte de sort d’empêtrement. Tu lances le sac sur quelqu’un et des vignes en sorte. Un classique ?


« Je suis à la recherche de quelque chose de plus utile. Ou quelque chose qui se recharge pour que je n’ai pas à refaire le plein. »

Fals fronce les sourcils et met la main à son menton rasé, pensif.

« C’est coûteux. »

« Mais est-ce qu’il y a un marché ? »

« Pas ici, mais avec assez d’argent tu peux te le faire livrer. Demande à un Coursier. »

Il sourit et je le fais aussi. Ce truc social n’est pas très facile, mais au moins ce n’est pas autant une corvée que ce que j’attendais.

« D’accord, assumons qu’un artefact qui se renouvelle tourne autour de deux cent pièces d’or. »

Je regarde Fals, qui secoue sa tête.

« D’accord, quatre cents. Six cents ? Huit cent ? »

« Probablement autour de huit cent pour un truc bon marché. Mais je ne peux pas vraiment te donner un prix, Ryoka. Le sort et l’objet font radicalement varier le prix. »

Nom de sciences économiques, Batman.* C’est quoi cette tranchede prix ?


* Ouais, je viens de penser à ça. Je regardais la vieille série de Batman quand j’étais gamine.


D’un autre côté, vu combien les aventuriers se font. Je pense à la fois ou Ceria m’a dit qu’un seul contrat moyen peut rapporter pièces d’or même sans la rançon sur les monstres… Ca a du sens.

Des potions de soins ? Une pièce d’or ou deux. Le prix augmente avec l’efficacité. Des livres de sorts ? Plusieurs centaines, voire milliers, de pièce d’or pour les trucs puissants. Les armes enchantées tombent entre les deux, alors qu’une armure ordinaire ne vaut pas grand-chose en comparaison.

Les sorts à usage unique ne sont pas gratuits, mais tu peux en acheter quelques-uns si tu es un aventurier avec de l’expérience et de l’argent à dépenser. Les robes de Ceria lui ont coûté presque cent-vint pièces d’or, quelque chose pour laquelle elle à dut économiser des années avant d’acheter. Mais elles ne se sont pas brisées ou déchirées alors même qu’elle a failli mourir dans les Ruines. C’est presque la seule chose qu’elle a gardé, mais elle m’a dit que sa baguette coûtait la moitié du prix de ses robes. Elle marchait avec un agent de concentration lié à de la magie qu’elle devait constamment renouveler.

Mais de la magie qui se renouvelait ? Comme disons… Un anneau de boule de feu ou quelque chose du genre ? Un sort par jour ? C’était probablement le genre d’artefact qu’ils avaient espéré trouver dans le repaire d’Écorcheur. Cela couterait… Mille deux cent pièces d’or ?

« Quand est-il d’un anneau qui tire des boules de feu ? Une fois par jour ? »

« Je te parie que ça coûterait au moins trois mille pièces d’or. Probablement quatre mille, et c’est uniquement si tu ne fais pas affaire avec un marchand venant d’outremer. »

La mâchoire de Garia se décrocha. Elle regarda Fals avant de secouer la tête.

« Vraiment ? Je n’avais pas idée que cela coûtait tant. J’ai regardé pour un sac de vignes pour me protéger, mais même ça c’était au-dessus de mes moyens. »

Elle rougit et redevint silencieuse, comme si elle pensait que Fals et moi allions la juger. Il est vrai que Fals et moi pourrions probablement en acheter un ou deux, mais je ne suis pas ce genre de personne. Et il ne l’est pas non plus, du moins, je ne pense pas qu’il le soit. Mais Persua l’est, donc je suppose que part le passé…

Je suis contente qu’elle ne soit pas là. Je lui dois toujours un os brisé, et elle m’en veut toujours si je ne me trompe pas. Mais la magie.

« C’est un anneau très coûteux. »

« Enfin, c’est plus de l’équipement d’aventurier. Cela serait bien pour un Coursier, mais nous n’avons pas besoin de ce genre d’armement, du moins, pas tant que nous continuons à faire notre boulot de Coursier. Pourquoi, tu voulais devenir aventurière ? »

« Il faut y réfléchir. »

Garia me regarde comme si j’avais annoncé que je voulais devenir une aventurière de Rang Or. Ce qui est pratiquement ce qu’est un Courrier, pas vrai ?

« Donc tu me dis que tout ce qui vaut le coup coûte au moins quelques milliers de pièces, pas vrai ? »

« Je pense que oui. Il y a beaucoup de magie à usage limité pour moins que ça, mais si tu veux quelque chose sur lequel te reposer, tu dois être riche. »

D’accord, voyons voir. Ce qui fait que n’importe quel type de véritable artefact est l’équivalent d’une voiture de luxe ou… Ou d’un avion de combat de mon monde. La seule différence est que certaines personnes portent sur elle l’équivalent d’une bombe nucléaire, avec probablement les mêmes effets, dans leurs poches.

Scruta portait une armure qui ne se faisait même pas érafler une fois toucher. Son épée coupait tout sans difficulté, à l’exception de la peau de Relc. Je me demande combien son équipement valait ? Ou ce parchemin de téléportation ?

« Ryoka. »

Fals me tire de mes pensées. Il me regarde sérieusement, tout comme Garia.

« Tu veux vraiment devenir Courrière ? Je ne sais pas ce qu’il s’est passé à Liscor, mais j’ai entendu des rumeurs. Une attaque de mort-vivants ? »

« Je l’ai loupé. Mais être Courrier c’est le rêve, pas vrai ? Si la paie est meilleure, j’en deviendrai une. »

« D’accord. »

Fals s’arrête et regarde à Garia pour une certaine raison. Elle semble aussi incertaine. Ce qui veux dire qu’ils veulent me dire quelque chose mais qu’ils ne sont pas certains de comment je vais le prendre. Je regarde Fals.

« Dis-le. »

« Ryoka. Si tu ne montes pas de niveau, tu ne seras jamais une Courrière. »

Fals me le dit droit dans les yeux. Il fait un geste en direction de Garia.

« Garia me l’a dit, et la rumeur se propage. Tu es l’une des meilleurs Coursières, Ryoka. Mais c’est un travail dangereux même pour les Coureurs de Rues. Les Coureurs de Villes risquent leurs vies, et beaucoup d’entre nous prennent leurs retraites chaque année. Mais les Courriers sont différents. Tu es la plus rapide des Coursières dans les Guildes locales, mais tu ne t’approches même pas de la vitesse qu’il faut pour en devenir un, Ryoka. Dans un an ou deux, même Garia sera capable de te dépasser. »

***

Je cligne des yeux en direction de Fals. J’ai dû mal l’entendre. Garia, me dépasser ? Elle a un terrible rythme. Elle est lente, même si elle est forte, et son corps n’est pas fait pour ce genre de course. Elle…

Elle a la classe de [Coursière]. Au niveau 11, ou du moins c’était le cas quand je l’ai rencontré. Et je suppose qu’elle continuera d’accélérer en continuant de monter de niveau ?

Cela a du sens, mais je ne peux pas imaginer Garia me battre dans une course. Mais Fals est sérieux, donc j’essaye de lui répondre sans lui arracher la tête.

« Il est temps pour moi de voir plus grand. Plus grand, et mieux. »

« J’apprécie cela, mais tu n’as jamais vu de Courrier, pas vrai ? Ils prennent des heures pour traverser des distances qui nous prendraient des jours. »

« Huh. Enfin… Je n’ai pas de classe. »

C’est libérant à dire, même si Garia me regarde comme si je n’avais que la moitié d’une tête. Mais Fals se contente de froncer les sourcils.

« Est-ce que tu… As une raison pour ça ? »

« Préférence personnelle. Et ça ne va pas changer. »

Il secoue la tête en me regardant, ne comprenant pas.

« Enfin, je suis le premier à admettre que tu peux me battre à la course même sans niveau. Toutes mes compétences tournent autour du repérage des dangers et de la conservation d’énergie. Je n’ai pas de compétence de déplacement, mais j’ai de la chance. Les miennes continue de me garder en vie. »

Il fait un geste en direction du panneau des requêtes à l’autre bout de la pièce.

« Écoute, Ryoka. Si tu veux devenir une Courrière, tu dois courir comme le vent… Où compléter assez de requêtes pour te protéger des attaques de bandits et d’assassins, entre autres. Prendre des requêtes dangereuses comme celle des Cornes d’Hammerad ou des Hautes Passes est un bon début. »

« Bien. Mais est-ce qu’il y a un moyen de me faire un nom ? »

De l’argent. Il faut se faire de l’argent. Quatre-vingts pièces d’or pour les étagères réfrigérées d’Erin ? Elle et moi allons avoir besoin de bien plus, et si mes deux premières idées ne marchent pas, je vais avoir besoin d’un plan de secours. Courir est un honnête boulot.

« La plupart des Coursiers de Villes font de courtes courses de ville en ville. De Celers à Rememdia, Ocre, Celum et même vers Esthelm, mais pratiquement jamais vers Liscor. »

« Mais les meilleurs Coursiers voyagent à travers tout le continent. »

J’ai presque dit ‘réel’ Coursier, mais je me suis mordu la langue juste à temps. Je n’ai jamais couru aussi loin, et Garia est aussi une Coursière, à sa manière.

Fals hoche la tête.

« Ca tourne autour du commerce et de la nobilité. Et des ruines, aussi, je suppose. Les nobles les plus puissants et les Cinq Familles vivent plus proche du nord. Et beaucoup des zones importantes pour les aventuriers se trouvent aussi au nord, donc il y a plus de business là-bas. Et le commerce se déroule à nos cités portuaires, donc… »

« Laquelle est la plus grande ? »

« Port-Fondateur. Si tu veux voir notre plus grande ville, mais tu vas avoir besoin d’aller jusqu’au nord jusqu’à atteindre l’océan. »

Garia interrompt, je suppose qu’elle veut impressionner Fals, ou m’aider.

« Il y a un fameux donjon par-là, aussi. Un donjon magique qui continue de cracher des monstres et des trésors. »

Des donjons magiques ? Comme les Ruines ? Ou… Magique ? Quelle différence la magie fait ? je suppose que je vais devoir voir par moi-même.

« D’accord, donc imaginons que je prends une requête pour aller là-bas. Combien est-ce que ça payerai ? Est-ce qu’il y en a disponible. »

Fals secoue sa tête. Qu’est-ce que j’ai dit cette fois ?

« Ryoka, s’il y avait des requêtes pour aller là-bas, elle serait uniquement disponible pour les Courriers. De plus, la plupart des gens mettent leur requête pour qu’un Coursier de ville la livre vers une autre ville et un autre Coursier et ainsi de suite. Tu ne vas pas trouver beaucoup de travail de cette maniè… »

Thump

Fals s’arrête et fronce les sourcils. Je tourne la tête, et Garia cligne des yeux en pointant à l’une des fenêtres de la Guilde.

« Hey, c’est quoi ça ? »

Des têtes se tournent alors que quelque chose tape contre l’une des fenêtres. Je jette un œil et couvre mes yeux alors que Fals plisse les siens avant de regarder Garia.

« Je ne vois pas ce que s’est. Est-ce que… ? »

« Fée de Givre ! »

La moitié des Coursiers dans la pièce râlent ou marmonnent. L’un des Coursiers qui s’apprêtait à partir lâche la poignée de porte alors que la petite fée nue* tape contre la vitre et regarde à travers le verre.


*Faut pas s’exciter. Il n’y a vraiment rien à voir, vu que les fées n’ont rien à cacher. Ou peut-être qu’elles portent une sorte de tenue complète ultra-moulante ? Dans tous les cas, ceux qui sont intéressés de cette manière dans les fées sont malades… Ou Gargamelle. Mais s’il était face à des Fées de Givre je serais pour lui.


« Oh non. Pourquoi l’une d’entre elle est intéressée par cet endroit ? »

« Je ne pars pas tant que l’une de ses choses continue de rôder dans le coin. Ma requête peut attendre. »

Garia regarde vers la fenêtre et s’exclame alors qu’une second fée rejoins la première.

« Regardez, il y en a plus ! C’est un essaim ! »

Fals semblait malade. Il soupira et secoua la tête.

« C’est pas de chance. Je ne sais pas si tu as beaucoup de Fées de là ou tu viens, Ryoka, mais mon conseil est que tu restes éloigné d’eux si tu ne veux pas de nouveau te casser quelque chose. »

D’accord. Est-ce que c’est l’heure de la confession douloureuse et est-ce que je fais semblant de ne rien savoir.

« Je… les ai déjà vu avant. Elles sont peut-être en train de me suivre. »

Fals et Garia me regardent comme si j’étais folle. Mais Garia hoche la tête.

« C’est peut-être le cas. Hum, cela est peut-être lié au fait… Que tu as des traits différents, Ryoka. Les fées aiment tout ce qui sort de l’ordinaire. »

« Vraiment ? »

Je suppose que Fals est un expert uniquement aux choses liées à la course. Garia hoche la tête, et essaye de ne pas bégayer alors que Fals et moi la regardons.

« Hum… Enfin, quand j’étais enfant je les aimais bien même si elles faisaient de terribles blagues. Quand j’étais à la ferme, nous avions un chien qui avait un très beau pelage noir… Mais sa tête était entièrement blanche. Il était intéressant et différent des autres, et chaque année les fées l’embêtaient jusqu’à se lasser. Nous devions l’enfermer dans la maison pour le garder en sécurité. »

Elle me regarde et rougit.

« Et je ne pense pas que tu es comme un chien, Ryoka. C’est juste que… »

« Je comprends. »

Super. Les Fées de Givre étaient probablement intéressées dans la seule femme d’héritage asiatique, et probablement aussi par le fait que je pouvais les voir et les entendre. Splendide.

Je me retourne vers la fenêtre. Les fées sont toujours là, frottant leurs fesses contre la vitre et gelant le verre. Elles m’ont cassé le cul sur tout le trajet, et je suis certaine qu’elles veulent m’ensevelir sous la neige à l’instant où je mets le pied dehors.

Elles ne m’écoutent pas, et ne reconnaissent pas mon existence à moins que je sois leur cible. J’ai perdu beaucoup de cheveux à cause de ses petites mochetés jusqu’à ce que je leur crie dessus, mais tout ce qu’elles voulaient était l’attention. Mais j’admets que je n’ai pas vraiment essayé de leur parler, j’espérais qu’elles allaient partir.

Je n’ai pas ce genre de chance. Elles me suivent depuis hier. Apparemment, je les amuse.

Petites salopes.

« Est-ce qu’elles t’ont dérangé lors de ta course, Ryoka ? »

« Tu peux dire ça. Dès qu’elles se lassent de me noyer sous la neige, elles commencent à attaquer les voyageurs sur la route. »

Les fées, ou peut-être esprits selon la façon dont ut voulais penser à eux, étaient le chaos et la malice incarnée. Elles ne semblaient pas vraiment hostiles, mais elles causaient des problèmes partout ou elles allaient.

Des roues de calèche se brisaient, des chevaux étaient effrayés et renversait leur cavalier, et des boules-de-neige volaient comme des missiles à tête chercheuse sur les gens impuissants prenant la route. C’était plutôt incroyable à voir, d’une certaine manière. Par contre, c’était beaucoup moins drôle quand les foutus insectes essayaient de m’avoir.

« Des Esprits des Neiges. »

Fals secoua sa tête et grimaça. Pour une fois j’étais d’accord avec lui. Est-ce qu’il y avait un moyen de s’en débarrasser ?

Mes connaissances sur les vieux contes et légendes étaient un peu rouillées, mais je pouvais me souvenir de pas mal de chose. J’avais une bonne mémoire. Et je me souvenais d’histoires parlant de fées. Pas les fées mignonnes comme dans Peter Pan, même si la Fée Clochette à toujours été une espèce de petit démon, mais les horribles histoires parlant de fée emportant des enfants et tuant des paysans.

Qu’est-ce que c’était ? Du fer froid, des fer-à-cheval cloué au-dessus des portes. Et des fleurs. Je me souvenais d’histoire parlant de gens accrochant des colliers de fleurs autour du cou des enfants pour éviter qu’ils ne se fassent enlever.

Bon, je n’ai pas le moindre foutu fer à cheval, mais cela allait peut-être valoir le coup d’en acheter quelques-uns. Et je n’ai pas à m’inquiéter des gamins, mais je devrais me méfier des monticules suspicieux* à partir de maintenant.


*Cela serait des Forts de Fée, de mystérieuses buttes d’herbe qui menait supposément au royaume des fées. Je ne sais pas si ce genre de légendes était vrai, mais si les fées existaient vraiment, il valait mieux ne pas prendre de risque.


N’empêche. Des fées. Elles étaient peut-être… Pour être franche, aussi horrible et agaçante que les mythes les décrivaient, mais il y a un truc à leur sujet, ce sont des fées.

Ce n’est pas comme regarder l’un de ces Drakéides ou Gnolls. Ces… Gens me terrifient pour être honnête. Je ne sais pas comment Erin peut leur parler aussi facilement. Même cette Krshia ressemblait à un ours avec un arc long, et elle n’était même pas la plus grande Gnoll que j’ai vu.

Et les Antiniums sont terrifiants. Je déteste les insectes. Je les ait toujours détestées, et ceux-là, ils portent des épées.

Mon Dieu. Quand je repense à la chance que j’ai eue d’arriver dans une ville humaine, cela me fait demander comment Erin à fait pour survivre. Si j’étais la première à voir un Drakéide, je commencerais à courir pour ma vie sans jamais me retourner.

Mais les fées. Les fées sont différentes. Elles sont magiques… Elles sont de notre monde.

Si tu arrives à croire que les fées sont réelles, alors tu peux croire que les dragons existent aussi. Tu peux croire que… Tu peux devenir un sorcier. Que tu peux devenir une héroïne ou commencer à voler.

Et elles sont magnifiques. Merveilleuse, enchanteresse… Je pourrais peut-être les aimer si elles n’étaient pas aussi chiantes.

Comment est-ce que je pouvais me débarrasser des fées, ou du moins les éloigner ? De la magie ? Je ne connais qu’un sort et c’est [Lumière]. Et le lancer me demande beaucoup d’énergie.

J’ai besoin d’apprendre plus de magie. Probablement venant de Ceria ou Pisces, mais je dois d’abord finir mes affaires ici. Donc.

Garia est toujours en train de regarder les Fées de Givres avec méfiance. Elle ne peut pas les voir, ni les entendre rire en parlant d’attaquer une vache, comme moi mais elle voit quand même quelque chose. Je tousse, et elle se tourne vers moi.

« Est-ce que tu as besoin d’aide pour t’en débarrasser, Ryoka ? Je connais quelques astuces. Un fer-à-cheval ou quelque chose fait en fer aide à les repousser, même si elles vont te lancer des choses de loin si tu le fais. »

« Elles vont se lasser. Mais s’il y a une chose que j’aimerai bien savoir. Où est Lady Magnolia en ce moment ? Toujours dans sa maison à Celum ? »

Fals me lance un étrange regard.

« Je ne vais pas prendre de ses requêtes. J’ai juste besoin de la voir. »

« Non, ce n’est pas ça. »

Fals secoue sa tête, l’air triste.

« Tu ne sais pas ? Lady Magnolia voyage toujours au nord pour l’hiver. Elle était là pendant quelques mois pour s’occuper de ses affaires. Mais maintenant elle est rentré chez elle. »

… Quoi ?

« Elle est dans une grande ville au nord d’ici. Invrisil, la ville des aventuriers. »

« D’accord, je vais aller là-bas. »

Pour la deuxième fois, le regard que me lance Fals me fait comprendre que j’ai fait une autre erreur.

« C’est à pratiquement cinq cent kilomètres au nord d‘ici. Même si tu pars aujourd’hui, je doute que tu arrives là-bas avant que le continent soit recouvert de glace. »

Quoi ? Qwa ? Quoi ?

« Cinq cent kilomètres »

Il doit plaisanter. Mais non, non, le regard que me lance Garia me dit que Fals ne plaisante pas. Cinq cent… J’ai vu une carte dans l’un des livres que j’ai lu, mais je n’avais pas vu d’échelle. Cinq cent kilomètres ? Est-ce que cet endroit est vraiment si grand ? Et plus important encore…

« Comment est-ce qu’elle à fait pour se rendre là-bas en une semaine ? A cheval ? »

Quelle est la plus longue distance que l’on peut traverser à pied ? Non, vu que c’est elle, quelle est la distance que tu peux traverser en calèche ?

« Elle voyage dans une calèche. L’un de ces calèches magiques que les riches utilisent, qui peut traverser cette distance en un jour ou deux. »

« Une calèche magique ? »

« L’une des plus puissantes, qui n’a même pas besoin de chevaux ; elle les fait apparaître magiquement. Extrêmement rapide, mais j’ai entendu dire qu’il fallait remplacer les pierres de mana ou souvent recharger la magie. Ce n’est pas quelque chose qui remplacera les Coursiers. »

Ce n’est pas vraiment ce dont à quoi je pensais, mais c’est fascinant. Garia se tourne vers Fals alors qu’il commence à parler de la nature compétitive de la course.

« Pourquoi les gens avec des chevaux ne prennent pas notre boulot ? Ils sont plus rapides, à moins que nous ayons de bonnes compétences. Un cheval peut battre un Coursier de bas niveau à tous les coups. »

Fals sourit à Garia et secoue sa tête.

« Jusqu’à ce qu’un Gobelin te fasse tomber de ta selle, ou que ton cheval attire un monstre à la recherche d’un repas. Certains Coursiers les utilise, mais à moins d’être un très bon cavalier et que tu sois prêt à passer la moitié du trajet à courir à côté de ta monture pour qu’elle se repose, cela ne vaut pas la peine. »

« Oh. Bien sûr. J’aurai dû le savoir. »

« Et pourquoi ça ? C’était une bonne question, pas vrai Ryoka ? »

Fals me sourit, et j’hoche la tête de manière absente. Cinq cent kilomètres. Je pourrais faire ce voyage, mais je vais devoir acheter des provisions, ou préparer une route qui me permettrait de m’arrêter dans les villes, mais je pourrais le faire. C’est juste que…

Bordel. Je n’allais pas pouvoir tenir ma promesse à Erin. J’ai dit que j’allais être de retour dans une semaine, et il n’y a pas moyen que je sois de retour en si peu de temps.

Magnolia à plus d’une maison ? Bien sûr que oui. Elle est riche. Ce qui ne me laisse que ma seconde option, qui est mille fois plus dangereuse. J’ai besoin de repenser cette histoire.

« Désolé si cela vient de ruiner tes plans, Ryoka. Cela ne nous plaît pas aussi, crois-moi. C’est beaucoup d’argent que nous n’allons pas voir pour une autre année. »

Je regarde Fals. Il n’est pas un mauvais type. Je ne l’aime pas beaucoup, mais au moins je peux tenir une conversation. Parce que j’ai changé ? Parce que j’ai rencontré Erin, peut-être. Parce que j’ai besoin d’être en paix avec au moins la majorité des Coursiers pour aider Ceria et Erin.

« Je suppose que je vais réfléchir à tout ça plus tard. J’ai besoin de dormir. Une dernière question, Fals. Port-Fondateur… C’est la ville le plus au nord, pas vrai ? C’est loin ? »

Il hausse les épaules et lâche la dernière bombe de la journée.

« Port-Fondateur est à plus de six mille kilomètres au nord d’ici. Six mille… Cent-quinze kilomètres je crois ? Autour de six mille kilomètres en tout cas. »

Mon esprit bug. Six mille kilomètres ? Double cette longueur pour faire le continent. Non… Celum n’est même pas à la moitié du continent et le sud est plus grand que le nord. Donc…

« J’ai toujours voulu visiter cette ville. Peut-être que je ferais le voyage quand j’aurais quelques années et de l’argent de côté. »

Garia dit quelque chose après cela, mais je ne l’entends pas. Pendant une seconde, la réalité de la grandeur de ce monde me souffle. La longueur. La distance qui va avec. C’est… Inimaginable, pour être franche. Parce que je connais quelque chose sur la géographie. Je connais la longueur de l’Amérique du Sud, par exemple. Et imaginer ceci…

Je commence à rire. Fals et Garia arrêtent de parler et me regardent. Je ris, et je continue de rire, ignorant les regards des autres Coursiers. Quand je termine, il n’y a que le silence. Même les fées me regardent.

« Elle rit comme quelque chose de maléfique, n’est-ce pas ? »

« Tel est le son d’une réunion de sorcières et d’Hécate en personne ! »


Je n’ai pas de rire maléfique. Mais je tapote Fals sur l’épaule dans tous les cas, pour le réassurer.

« Merci, j’avais besoin de ça. »

Je laisse un Fals confus derrière moi. Mon business dans la Guilde est terminé et je suis trop fatigué pour continuer à courir. J’ai besoin de me préparer pour la prochaine étape. Lire ce livre de règles, penser à propos des fées et de la magie et comment atteindre Magnolia. Et apprendre plus sur ce monde.

Oui, c’est le véritable but. J’ai été trop en retraite, trop concentré sur de petites choses. Mon excuse était que j’avais ma jambe brisée, et que ma vie avait principalement tourné autour de ça pour un bon moment. Mais maintenant…

Six mille kilomètres pour atteindre Port-Fondateur. Plus du double pour la largeur du continent. Un des cinq continents.

Trop grand. Trop vaste pour que je l’imagine. C’est le monde dans lequel je me trouve. Pendant un instant je pensais être trop petite, et les gens trop hargneux. Mais c’est parce que je suis l’une de ses personnes qui ne vont jamais à plus de quelques kilomètres de leur ville ou hors de leur état.

Je n’ai pas encore commencé à comprendre l’immensité de ce monde.

Et c’est une bonne chose.

***

« Je pensais que ce monde était trop proche… De l’endroit d’où je viens. »

C’est comme ça que j’ai expliqué mon rire flippant à Garia après avoir quitté la Guilde. Je veux dire, flippant selon elle. Et il n’est pas vraiment flippant, je suis certaine qu’elle exagère un peu en disant ça.

Dérangeant, peut-être. Dramatique… Oui. Mais je n’ai pas de rire maléfique. Qu’importe ce que ces foutues fées disent.

Elles sont au-dessus de nous maintenant, ou faisant la course dans les rues, dérangeant d’autres personnes. Pas Garia ou moi. Elle a un fer-à-cheval sur elle se qui semble marcher, ou les fées ont finalement perdues leur intérêt pour moi. Qu’importe la raison, cela me donne plus de temps pour réfléchir.

« J’ai juste oublié à quel point ce continent est grand. »

« Et c’est une bonne chose ? »

Garia me regarde sans comprendre, et je lutte pour lui expliquer. Comment est-ce que je pourrais le faire, sans parler de mon monde ?

« C’est juste que cela veut dire qu’il y a encore des parties de ce monde qui ne sont pas explorées. Des endroits où personne n’a mis les pieds. Une terre si vaste a des secrets. »

« Bien sûr. »

C’était comme si je lui avais dit que le monde était rond. Ou… Est-ce qu’il était plaît ici ? Qu’importe. Le monde de Garia n’était pas cartographié avec des satellites et des voitures Google, mais le mien l’était. L’idée qu’il y avait quelque chose à explorer, quelque chose à trouver de complètement nouveau est ce qui me faisait tourner la tête.

« Mais est-ce que tu as vraiment besoin d’argent à ce point, Ryoka ? Je pensais… Enfin, tu as dit que tu avais assez d’argent de côté grâce à la livraison que tu as faite dans les Hautes Passes. »

La livraison. Oui.

« J’ai… Besoin de plus d’argent. Il y a des choses que je dois faire. Et pour ça j’ai besoin d’un meilleur boulot. »

Elle hausse ses épaisses épaules. Si Garia était née dans mon monde, elle aurait pu être la première femme boxeuse à gagner un titre dans la division masculine.

« Eh bien, courir est un boulot stable, mais je ne sais pas si tu vas pouvoir gagner beaucoup rapidement. Pas à moins que tu sois une Courrière, et Fals à dit… »

« Je sais. »

Apparemment même moi je suis lente comparé à une Courrier. Je me demande comment elle est. Ou il. Ou ça ? Si personne ne vient de mon côté, je vais essayer de me mesurer contre le Courrier.

Mais commençons par le commencement.

« J’ai quelques avantages qui pourront m’aider, mais je ne suis pas certain d’où est-ce que je dois aller. Est-ce que tu connais bien cette ville ? »

« Plutôt, oui. Et je serais heureuse de t’aider. »

Garia me sourit, prouvant de nouveau qu’elle est une bonne personne qui ne mérite pas une amie comme moi. Si nous sommes amies. Est-ce le cas ?

Je mets la main dans mon dos et ouvre mon sac de Coursier avec une main. Depuis que je l’ai repris à Loks, je suis encore plus prudent avec la potion que j’ai reçue comme payement. Elle brille orange et rose, scintillant des deux couleurs dans le ciel gris.

« J’ai besoin de quelqu’un pour identifier cette potion. Est-ce que tu connais un [Alchimiste] ou un mage dans le coin ? »

Garia regarde la potion dans mes mains, fascinée.

« Est-ce que c’est… ? Hum, oui ! Je connais quelqu’un qui peut aider. Elle est une de mes amis. Par-là ! »

Elle me mène le long d’une rue, puis une autre, avant que nous arrivions dans une petite rue voisinant la rue principale. Je ne connais pas tellement Celum, uniquement la route vers la maison de Magnolia, quelques auberges et la Guilde des Coursiers.

Le magasin où elle m’amène est une petite enseigne coincée entre deux autres magasins. La façade est sympa, appartenant à un district devenu riche il y a peu de temps… Et il a des fenêtres barricadées et du contreplaqué dans sa vitrine plutôt que du verre.

Je regarde l’enseigne au-dessus de l’entrée.

Tissémixe. Potions, toniques, herbes.

Bon, c’est le bon coin. Garia semble nerveuse, par contre. Elle prend une grande respiration, et pousse la porte pour entrer.

« Octavia ? Hum, est-ce que tu es là ? »

Mes yeux prennent une seconde pour s’ajuster à la pièce plus sombre comparée au reflet lumineux de la neige à l’extérieur. La pièce dans laquelle je me trouve…

Est définitivement un atelier d’[Alchimiste]. Définitivement.

Voyons voir. Des herbes pendantes au plafond ? Check. Des potions sur un mur ? Check. Des parchemins, des plumes, et une sorte de bureau pour mélanger les potions ? Check. D’étranges appareils en verre ? Check.

Une unique lampe fournie de la lumière à la pièce. Ce n’est pas une lampe normale, je reconnais ce que c’est. C’est une lampe de sécurité, du genre celle qui était utilisé dans les mines de charbon ou dans les endroits où le feu était un danger, comme ici. La flamme retenue par du verre illuminait le magasin, faisant chatoyer les potions…

Et éclairant une jeune femme étudiant une potion bleue luisante sur l’une des tables. Elle leva la tête alors que Garia et moi entrions, avant de nous sourire.

« Garia ! Et tu as ramené une amie ? Bienvenue ! Rentrez et ne restez pas dans le froid. »

L’[Alchimiste] nous invite à l’intérieur, posant délicatement la potion sur l’une des étagères. Et elle aussi une surprise pour moi, même si elle ne devrait pas l’être.

Elle a la peau noire, plus sombre que tout ce que j’ai vu. Ses cheveux noirs son tressé et en queue-de-cheval. Elle ressemble à une jeune femme que j’aurai pu croiser dans n’importe quelle rue aux Etats-Unis, ou du moins n’importe quelle rue en dehors des faubourg blanc, mais ici…

La plupart des gens que j’ai rencontrés avaient la peau claire. Cet endroit est probablement proche de l’Europe, ce qui explique peut-être pourquoi. Géographiquement, cela a dut sens. Le soleil n’est pas trop dur ici, donc probablement deux continents comme Baleros et Chandrar auraient des gens à la peau sombre.

De plus, la globalisation n’existe pas dans ce monde, vu qu’il est foutrement grand.

La question était : Est-ce que cela avait de l’importance ? Dans ce monde, les humains n’étaient pas seuls. Donc est-ce que cela changeait les comportements à propos des couleurs de peau ?

Je lance un regard en coin à Garia et me rends compte qu’elle me regarde moi pour voir si je réagis à l’apparence de son amie. Eh bien, merde. Celui qui a dit que l’humanité allait faire face ensemble si confrontée à une nouvelle espèce s’était trompé.

Garia s’éclaircît la gorge alors qu'Octavia sort de derrière son comptoir pour nous saluer. L’[Alchimiste] ne ressemble certainement pas à la personne que j’imaginais qu’elle allait être.

Pas sa peau. Je parle de son âge, et son physique. Elle n’est pas une bodybuildeuse, mais elle à des muscles clairement défini et elle s’habille dans un haut sans manches et un pantalon flottant confortable. Quelque chose remonte le long de ses bras. Elle a des… Point de couture tout le long de son bras droit, et les fils commencent à se défaire.

Garia racle sa gorge et sourit à la femme à la peau sombre.

« Bonjour, Octavia. C’est Ryoka Griffin. C’est une amie, une Coursière de ville comme moi. Elle a besoin d’un [Alchimiste] et j’ai pensé… »

« Ryoka Griffin ? Je suis Octavia. C’est un plaisir de te rencontrer ; je peux voir que nous allons être très utiles l’une pour l’autre ! »

Elle prend ma main et me fait une poignée de main vigoureuse. Je cligne des yeux. Cette Octavia va à fond dès le début, ce que je ne déteste pas. D’accord, il est temps de lui rendre la pareille.

« Ravi de te rencontrer. Tu es une [Alchimiste] ? »

« La plus jeune de la ville, mais l’une des meilleures ! Tu veux une potion pas chère faite avec des ingrédients de qualités, vient ici et nulle part ailleurs. Tous les autres vont arnaquer les Coursiers, mais je te donnerai les meilleurs deals si tu continues de revenir ! »

… Ouaip. Elle fait du business, d’accord. J’ai l’impression de me faire attaquer par le vendeur de l’année.

« Tiens. Jette un œil sur ça. »

La gérante du magasin file derrière son comptoir et sort la potion bleue qu’elle étudiait plus tôt. Avant que je puisse dire quoique ce soit, elle me la met dans les mains.

« C’est une potion de stamina sur laquelle je travaille. C’est une nouvelle potion différente des anciennes recettes présente sur le marché. »

Je baisse les yeux vers la potion. C’est d’un bleu profond, la couleur azure traversé de paillettes de jaunes scintillantes à l’intérieur.

« C’est bleu. »

Octavia à un mouvement impatient du doigt.

« Les potions peuvent être de n’importe quelle couleur, je suis certain que tu le sais. Je suis en train d‘essayer de standardiser les couleurs pour que les aventuriers n’aient pas à s’inquiéter de la possibilité de se tromper et de prendre une potion de mana au lieu d’une potion de soin, mais la couleur n’a pas d’importance ici. Je peux toujours la changer après, mais goûte ! »

Je ne suis pas certaine que j’ai envie de le faire, mais Octavia m’observe. Je jette un regard à Garia et elle semble incertaine.

Mais bon sang, je suis pratiquement certaine que cette Octavia ne va pas m’empoisonner, donc je prends une petite gorgée. La potion a le goût…

C’était comme si quelqu’un avait râpé du maïs sur ma langue et l’avait mélangé avec des prunes. Des prunes pourries. Je manque de tout recracher, mais j’avale le terrible truc.

Et c’était comme si j’avais avalé du Red Bull si le Red Bull était dit fois plus fort et contenant de la véritable magie plutôt que de la caféine et du sucre. Mon corps fatigué et courbaturé par ma longue course dans le froid se réchauffe, et je sens chaque fibre de mon être se remplir d’énergie.

Putain de merde. J’ai l’impression que je peux courir plus de cinquante kilomètres avec ce truc ! Octavia sourit et reprend la bouteille.

« C’est bon, pas vrai ? J’ai changé la formule, remplaçant l’extrait de larve avec… Enfin, cela n’a pas d’importance. Le point est que ces nouvelles potions ne sont que légèrement plus coûteuse, mais bien plus efficace ! »

« En effet, c’est efficace. »

Et pratique ! C’est une potion que j’achèterais, et Octavia semble déterminée à faire une vente dès maintenant.

« D’accord, je vais te mettre un lot de potions de stamina. Tu peux déposer le payement initial ici et payer le rester lorsque tout sera là. »

Elle sort un morceau de papier et trouve un pot d’encre pour directement tremper sa plume.

« Ces nouvelles potions sont deux fois plus efficaces que celle sur le marché. Pour toi, je ne vais pas trop charger. Disons une pièce d’or et huit pièces d’argent chacune ? Cela fait un total de… Seize pièces d’or et seize pièces d’argent pour un lot de douze, mais je te fais une ristourne et tu as le tout pour quatorze. Est-ce que ça te va ? »

Octavia me lance un regard en continuant d’écrire sur le papier. J’essaye de ne pas sourire. Elle ne me laisse pas le temps de souffler. Garia semble avoir avaler sa langue alors qu’elle me regarde. Est-ce qu’elle s’est fait avoir et a acheté un lot de potion coûteuse ? Bien sûr que oui.

Heureusement, je sais comment gérer ce genre de personne. Hah, les gens avec qui mon père travaillait étaient les plus terribles vendeurs de voitures usagées. Il fallait savoir s’occuper des personnes comme elle. Avec attention, tact, diplomatie…

« Non. »

Octavia cligne des yeux, mais pas moi. La meilleure manière de s’occuper de ce genre de personne est de brusquement les arrêter. Elle se tourne vers moi, tenant le papier avec les nombres inscrit dessus.

« Cela ne causera pas de problème. Je vais juste marquer ton nom ici. Ryoka Griffin, c’est ça ? Pourquoi tu ne reviendrais pas vers moi le… »

« J’ai dit, non. »

« Oh voyons. Tu as goûté à ma potion. Je peux la rendre plus goûteuse si cela est le problème. C’est un investissement ! Tu ne peux pas dire non à une telle affaire. Reste avec moi et je t’offre une ristourne sur les futures potions. »

« J’ai dit… »

Octavia pousse le papier vers mon visage et je perds patience. J’éloigne son bras d’un mouvement. Pas fort, mais assez brusque pour lui faire comprendre que je peux continuer jusqu’à ce qu’elle se disloque quelque chose. Elle cligne des yeux.

Son bras tombe.

Il se… Défait. Les sutures noires que j’ai vues sur son bras se défont, et son bras se détache pour tomber au sol. Je suis trop choqué pendant une seconde, mais Octavia est plus rapide.

« Oh, bon sang. Je savais que j’aurai dut repasser les sutures une seconde fois. Tu peux me tenir ça une petite seconde, s’il te plaît ? »

Elle me met le parchemin et la plume dans mes mains avant de se pencher pour récupérer son bras manquant. Je la regarde, bouche bée.

« Tout va bien, Ryoka ! »

« C’est quoi ce foutoir… ? »

Garia vient à moi, évitant les tables mal rangées alors qu’Octavia ramasse son bras. Elle pointe vers Octavia qui tiens la chose qui n’est pas vraiment son bras dans sa main.

« Elle est l’une des Tissée. »

Octavia lève les yeux, inquiète.

« Oh, c’est la première fois que tu rencontres l’un d’entre nous ? Je suis désolé, cela à dut te surprendre. Mais ne t’inquiète pas, je suis faite de tissu. Perdre mon pas ne me fait pas mal du tout ! »

Elle tend ton bras vers moi.

Je ne peux pas m’en empêcher, j’ai un mouvement de recul instinctif, mais le bras touche mes doigts avant que je puisse les retirer. La sensation est…

Étrange. Le bras est étrange. C’est juste du… Coton. Je peux sentir la peau de coton sous mes doigts, comme du tissu normal. Et à l’intérieur, il y a… Plus de coton. C’est tellement du coton.

Mais les détails ! Quelqu’un a prit le temps de créer l’intérieur d’un corps d’humain à partir de tissu, avec quelques libertés. Pas tous les muscles sont dans le bras, mais il y a des veines rouges qui ressemble à des morceaux de laine colorée, un os jaune fait de délicat coton tressé, et même des fils à rouge à l’intérieur du bras pour faire penser au sang. »

Je regarde le bras, et le touche avec précaution. C’est du coton. Que du coton. Octavia sourit.

« Tu vois ? Rien de spécial. Donne-moi deux secondes et… ! »

Elle pousse son bras contre son épaule. C’est incroyable, mais pendant une seconde je peux voir dans son corps depuis le trou de son bras. Il y a de l’os et de la chair tissé dans le corps d’Octavia. Garia frissonne et détourne le regard jusqu’à ce qu’Octavia commence à recoudre les sutures ensemble, cousant littéralement son bras à son corps.

« Attendez quelques instants. C’est toujours compliqué de bien refaire les sutures. »

Et son bras redevient de la chair, ou presque. Il change de simple tissu à quelque chose qui ressemble à de la peau avec une telle fluidité que seul la suture autour de son épaule se voit.

Octavia fait claquer ses mains, un son de chair contre chair si réel que je sursaute presque. Elle me sourit et fléchit son bras. Les muscles ondulent sous la peau exactement comme de la chair normale.

« Comme neuf, tu vois ? C’est inconvénient quand les sutures se défont, mais je n’ai pas à m’inquiéter de ça la plupart du temps. De plus, être en tissu veut dire que je peux changer mon corps comme je veux. Par exemple, je me suis donné un peu de muscle pour mieux pouvoir tout porter. Ca me ralenti un peu, mais… Hey ! »

Elle me reprend le parchemin et la plume. J’avais complètement oublié que je les tenais.

« Je peux voir que tu es une cliente perspicace. D’accord, nous allons retenir le deal sur les potions de stamina pour quand nous allons mieux nous connaître. Mais si tu as besoin d’une potion de soin, de mana, d’un tonique pour une maladie ou quelque chose d’autre, viens me voir ! Construire des connexions est quelque chose de normal pour les Coursiers, et je ferais de toi une cliente prioritaire quand j’aurai monté de niveau, qu’est-ce que tu en penses ? »

Elle ne s’arrête jamais. Je cligne des yeux, et secoue ma tête.

« Je ne suis pas à la recherche d’une potion pour l’instant. Si je suis là… Je suis là pour une évaluation. »

Octavia reprend aussitôt des couleurs.

« Alors pourquoi est-ce que tu n’as rien dit ? Je peux identifier n’importe quelle potion en un coup d’œil. Donne-moi quelques instants et je vais te trouver la location, la brasserie, et l’efficacité de la potion. Je peux même… Par les dieux morts, c’est quoi ça ? »

Octavia s’arrête, muette, alors qu’elle voit la potion que j’ai mis à ma ceinture. Elle dépasse Garia et à la potion dans les mains avant que je puisse cligner des yeux.

« Hey ! »

Elle m’ignore alors qu’elle tient la potion orange et rose à la lumière.

« Ou est-ce que tu as eut ça. »

Elle m’ignore alors qu’elle marche de manière chaotique, avant de s’asseoir rapidement à l’une des tables recouverte d’équipement. Elle place la potion sur une étrange pierre mise dans une boite, et tape la chose. La pierre laisse échapper une étincelle, et soudainement une flamme bleue apparaît sous la potion.

« Ne fais pas ç… »

Octavia regarda la potion alors que, soudainement, les filaments de roses s’épaississent et s’assombrissent alors que le orange luit de plus belle. Garia laisse échapper un petit cri de surprise alors que la potion illumine le magasin. Octavia ne prend même pas la peine de se retourner alors qu’elle murmure à elle-même.

« C’est magnifique. Celui qui a fait cela à utiliser les meilleurs ingrédients et à chauffer la mixture à la perfection. Je n’arrive pas à penser à un [Alchimiste] du coin qui pourrait faire ça. Est-ce que cela vient du nord ? »

« Non, c’est une potion que j’ai reçue. Je veux savoir ce qu’elle fait. C’est supposé me rendre plus rapide ma…»

« C’est une potion de célérité, ou peut-être une version encore plus efficace. »

Octavia retire la potion de la pierre et les couleurs redeviennent normales. Elle fait signe dans sa direction, tellement excité que je commence à avoir une idée de combien Teriach m’a payé pour cette livraison.

« Cette potion… Je n’ai rien vu d’aussi puissant de ma vie ! Tu pourrais la vendre pour… Je dois l’étudier ! Qui l’a fait ? Tu l’as trouvé dans des ruines. À combien veux-tu que je te l’achète ? »

« Ce n’est pas à vendre. Je voulais juste voir combien elle valait et ce que cela faisait. Je voulais parler à un [Alchimiste] à-propos de potions, non pas à… »

Octavia n’écoute pas. Elle est simplement en train de regarder autour d’elle, murmurant quelque chose à propos de flasque vide et d’équipement. Je tends la main vers la potion et elle se retourne vers moi, un grand sourire sur le visage.

« D’accord, si tu me donnes un échantillon de cette potion je vais répondre à toutes tes questions. Je vais même mettre une ou deux de mes potions dans le deal, gratuit. »

« Non, je ne veux pas de ça. »

Je tends la main vers la potion, mais Octavia fait un pas en arrière. Elle tient la potion comme si c’était un élixir de vie.

« Je pourrais te trouver un excellent prix sur le marché. Laisse-la-moi quelque temps pour bien chercher et j’aurai un chiffre pour toi à la fin de la journée. Tu es en train de viser au moins mille… Non, au moins deux mille pièces d’or minimum. »

« Non. Rend moi ma potion. »

Elle ne veut pas me la rendre. Garia ouvre la bouche, et Octavia est aussitôt à côté d’elle, passant un bras autour de ses épaules.

« Ton ami Garia m’a acheté de fantastiques potions le mois dernier ! Tiens, je vais te donner 20… Non, 40% de réduction sur les potions de mon magasin et je vais aussi te donner quelques échantillons pour tester contre ta potion. »

« Donne-moi la potion. »

« Quand est-il de vingt pièces d’or ? Je te donne ça et la potion contre un échantillon. Je rajoute même quelques toniques que j’ai fait. Ils sont hautement rentables ! Juste donne-moi quelques minutes et un tout petit peu de ta potion pour la copier et ens… »

« Donne-moi la potion où je vais te faire du mal. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 09 septembre 2020 à 18:18:42
2.09

Traduit par EllieVia
 



Lorsqu’Erin se réveilla, il faisait tellement froid que c’en était douloureux. Elle dormait dans son auberge lorsqu’elle ouvrit les yeux et faillit crier de douleur à cause du froid brûlant. Elle pensa tout d’abord avoir été enterrée sous la neige, mais ce n’était pas le cas. Non, Pisces et elle avaient été secourus et la neige avait fondu la veille. Mais elle avait tout de même froid. Que s’était-il donc passé ? Elle était allée se coucher dans la cuisine après le départ des Fées de Givre et de Pisces puis…
 
Erin était gelée. Elle regarda autour d’elle, raidie, et comprit que le froid n’était pas dû à une Fée de Givre maléfique ou quoi que ce soit dans le genre. Il faisait juste froid, vraiment froid dehors.
 
Normalement, les jours où il faisait froid et qu’Erin n’avait rien à faire, elle se contentait de se rouler en boule sous ses couvertures ou se traîner jusqu’au thermostat pour augmenter la température jusqu’à ce que ses parents lui crient dessus parce qu’elle gaspillait le gaz.
 
Mais il s’agissait de son quotidien lorsqu’elle était encore chez elle, dans une maison moderne avec des murs solides et du chauffage. Elle était dans un monde différent à présent, dans une auberge dont les murs de son auberge avaient été abîmés par les attaques de morts-vivants et l'unique source de chaleur était la cheminée éteinte.
 
Et le Michigan avait beau connaître des périodes de grand froid, des chutes de neiges terribles, cela n’avait vraiment rien à voir avec l’hiver que les Fées de Givre avaient emporté avec elles. Erin ne pouvait se souvenir d’avoir jamais eu aussi froid, et elle pouvait entendre les vents hurlants siffler en s’engouffrant à travers les trous des murs de l’auberge, apportant avec eux les températures glaciales de la froide nuit du dehors.
 
Il était possible que seules les cinq couvertures qu’Erin avait achetées à Krshia l’aient empêchée de geler dans son sommeil. En l’état, elle se leva avant l’aube, tremblant tellement fort qu’il lui était presque impossible de se déplacer.
 
Erin aurait vraiment aimé pouvoir rester emmitouflée dans ses couvertures pour toujours, mais une partie de son cerveau lui soufflait que si elle ne s’activait pas, elle resterait vraiment là à jamais.
 
C’est pour cette raison qu’Erin se retrouva marcher à croupetons au sol, emmitouflée dans un nombre imposant de couvertures, à se débattre avec un silex, de l’amadou et des bouts de bois dans la cheminée de la cuisine pour allumer un feu.
 
Elle parvint à faire partir le feu au bout de ce qui lui parut une éternité, et ne remarqua qu’elle avait mis le feu à un morceau de ses couvertures que lorsqu’elles se mirent à fumer. C’est ainsi qu’Erin commença sa journée.


***

Une fois qu’Erin fut parvenue à réchauffer suffisamment la cuisine pour que ses exhalations ne se matérialisent pas systématiquement, elle se roula de nouveau en boule et dormit quelques minutes. Ou peut-être quelques heures. Elle ne se leva qu’une fois, pour mettre plus de bois dans le feu, et c’est à ce moment-là qu’elle réalisa qu’elle n’avait presque plus de bois de chauffage.
 
C’était un problème, mais Erin était tellement gelée qu’elle ne put s’empêcher de remettre une bûche dans le feu. Elle avait froid. Elle s’occuperait de cela quand elle serait plus alerte.
 
Trois heures plus tard, Erin était plus alerte. Emmitouflée dans une couverture pour préserver sa chaleur, elle mit un peu d’eau dans une bouilloire, se fit frire quelques œufs et les posa sur des toasts. Il lui fallait de la nourriture et une boisson chaude.
 
Erin n’appréciait pas vraiment l’eau chaude, mais c’était toujours mieux que de l’eau froide et elle n’avait plus de jus de fruit bleu. Elle avait de la chance que son seau d’eau se soit décongelé pendant son sommeil.
 
La vie était tout de suite plus supportable après un petit déjeuner chaud. Erin s’agita et regarda le paysage gelé par sa fenêtre. Étonnamment, elle commençait à se dire qu’elle n’allait peut-être pas mourir de froid aujourd’hui, finalement.
 
Il faisait plus chaud, aussi. Erin ignorait la raison pour laquelle les vents hurlants qui s’étaient infiltrés dans son auberge et l’avaient gelée jusqu’à l’os s’étaient arrêtés. Elle entendait pourtant toujours le vent souffler, mais il ne paraissait plus parvenir à pénétrer dans son auberge. Pourquoi ? Et d’ailleurs, où était Toren ? Elle l’avait appelé plusieurs fois pour lui demander d’alimenter le feu afin qu’elle n’ait pas à s’en occuper, mais il n’était jamais réapparu.
 
Dès l’instant où Erin sortit dehors, elle trouva la réponse à ses deux questions. Un immense bloc blanc lui bouchait la vue.
 
Voyons voir. Il y avait de la neige au sol, il y avait le ciel. Et entre les deux… un mur ? Oui, un mur. Un mur de neige.
 
C’était un mur de neige compactée qui commençait lentement à se transformer en glace sous les assauts du soleil et du froid. Il faisait presque dix pieds de haut, et Erin n’avait aucune idée de comment il était arrivé là.
 
Les pièces du puzzle finirent par se mettre en place lorsque Toren apparut dans son champ de vision. Son squelette était occupé à pousser de la neige avec un morceau de bois, raclant maladroitement la neige qu’il ajoutait ensuite au mur qui entourait son auberge.
 
Erin le regarda fixement. Puis elle comprit ce qu’il s’était passé.
 
À un moment, la veille, alors qu’elle parlait avec Ryoka, elle avait dit à Toren d’aller déblayer la neige autour de l’auberge. Elle n’avait pas vraiment prévu qu’il le fasse. C’était juste une tâche pour l’occuper. Il avait aidé à sortir Erin et Pisces de l’auberge et avait déblayé les restes de l’avalanche, puis Erin avait été trop occupée à se cacher dans son auberge et à essayer de se réchauffer pour se souvenir de lui le reste de la nuit.
 
Il avait donc été dehors tout ce temps, à faire des pelletées de neige. Et d’une manière ou d’une autre, il avait fini par créer ceci lors du processus. Un mur de neige bien commode pour bloquer le vent mais qui piégeait efficacement Erin dans sa propre auberge. Et il avait fait tout cela tout seul.
 
C’était le problème. Dites à un humain de faire quelque chose et il le fera peut-être, mais il finira par s’ennuyer, ou, sinon, tomber raide mort à un moment ou à un autre. Mais les squelettes ne s’ennuyaient jamais. Ou si c’était le cas, ils n’en parlaient pas.
 
Erin avait dit à Toren de déblayer la neige autour de son auberge. Et c’est ce qu’il avait fait. Pendant toute la nuit.
 
Il s’était bien battu mais avait tout de même perdu. Ou plutôt, Toren avait bien réussi à déblayer une quantité prodigieuse de neige, mais elle avait été remplacée. Erin regarda fixement l’immense anneau de neige et fusilla Toren du regard.
 
“Hey ! Je suis censée sortir comment, moi ?”
 
Il la regarda et Erin aurait juré l’avoir vu cligner des yeux. Ou du moins, les flammes au fond de ses orbites s’atténuèrent pendant un instant. Toren se tourna vers le mur de neige, puis vers Erin, et haussa les épaules.
 
Erin fronça les sourcils, mais son visage n’était pas tellement coopératif. Le mur avait certainement rendu les choses plus supportables. Elle pouvait entendre le vent, et même le sentir un peu lorsqu’il parvenait à franchir le mur. Mais la neige faisait un brise-vent bien pratique donc elle se contenta de pointer du doigt la neige devant elle.
 
“Débarrasse-toi de ça. Il faut que je sorte.”
 
Toren acquiesça. Il s’approcha de la zone dans le mur et se mit à y donner des coups de pieds et à en déblayer la neige. Erin rentra et se refit chauffer de l’eau. C’était pratique d’avoir un squelette, même s’il ne réfléchissait pas tant que ça.


***

“Okay, voilà le plan.”
 
Toren regarda Erin, dans l’expectative, tandis que cette dernière frissonnait. Elle pointa en direction de Liscor.
 
“Je vais aller acheter d’autres trucs. À manger. Et il faut que j’aille voir si mes amis vont bien. Pendant mon absence, je veux que tu ailles chercher du bois pour le feu. Compris ?”
 
Le squelette hocha la tête, mais hésita. Il regarda autour de lui, décontenancé. Erin comprit qu’il ne savait pas où aller chercher du bois.
 
“Je ne sais pas où on peut en trouver. Chercher des arbres.”
 
Il acquiesça et s’éloigna. Erin regarda Toren descendre lentement la colline et se demanda s’il était sage de le laisser partir comme ça. Mais s’il était capable de bâtir un mur de neige, il pourrait bien trouver un peu de bois, pas vrai ? Toren était très serviable. Si on lui assignait une tâche, il l’exécutait.
 
Au bout d’un moment.
 
Et elle avait aussi un objectif. Se rendre en ville. Erin prit une grande inspiration et se mit en route. Atteindre la ville. Il y ferait sans doute plus chaud.
 
La marche dans la neige s’avéra effroyablement ardue, notamment car Erin n’avait pas assez d’épaisseurs pour empêcher la neige de tremper son pantalon. Elle finit par entrer en titubant par les portes au sud de Liscor, presque entièrement gelée en dessous des genoux et luttant contre l’horrible douleur cuisante qui envahissait sa peau à moitié congelée.
 
Tkrn le Gnoll était assigné aux portes. Il lui dit quelque chose lorsqu’Erin passa devant lui d’un pas mal assuré, mais elle n’était pas vraiment en mesure de répondre.
 
“Mademoiselle Erin. Comment allez-v…”
 
“Froighd ! Nnh meci !”
 
Il cilla et elle le dépassa. Elle ignora le Gnoll et se rendit le plus rapidement possible avec ses pieds gelés vers la Rue du Marché. Elle ne pensait qu’à atteindre Krshia. Krshia s’y connaissait en trucs chauds. Elle avait de la fourrure. Erin pourrait peut-être lui faire un câlin jusqu’à ce qu’elle se soit réchauffée ?
 
La cruelle douleur de l’existence dura encore plusieurs minutes après qu’Erin soit entrée dans la ville. C’était même encore pire car où qu’elle pose son regard, elle voyait des Drakéides emmitouflés et des Gnolls en train de se balader encore pratiquement nus. Mais Erin finit par trouver la Rue du Marché, et le monde devint un petit morceau de paradis. Ou d’enfer. L’enfer était probablement plus chaud.
 
Il y avait des braseros le long de la Rue du marché, des lances d’acier au bout desquels des bassins remplis de charbons ardents qui réchauffaient l’air. Certains commerçants faisaient même cuire des aliments sur les braises et les vendaient aux piétons.
 
Erin ne prit même pas la peine d’y réfléchir à deux fois. Elle sentit l’odeur de la viande grillée flotter dans l’air et se retrouva instantanément devant le Gnoll en train de la faire cuire. Il cilla en dévisageant l’humaine grelottante qui levait un doigt tremblotant et pointait la nourriture en train de dorer sur la grille.
 
“U-u-un t-truc de viande s’il vous plaît.”
 
Ce n’était qu’un morceau de viande dégoulinant de gras et de jus. Erin se brûla la bouche avec et mâchonna le cartilage en savourant la chaleur. C’était la meilleure chose qu’elle ait jamais mangée… de toute la journée. Probablement de toute la semaine. Elle était plutôt certaine d’avoir déjà mangé de meilleures choses au cours de sa vie.
 
Elle engloutit un premier morceau, puis un deuxième. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle se souvint de payer. Le Gnoll accepta les pièces de bronze recouverts de graisse et hocha la tête, médusé.
 
Krshia avait regardé le petit goûter post-petit-déjeuner d’Erin. Quand Erin se souvint enfin de passer à son échoppe, elles papotèrent un instant. Et même alors, ce ne fut pas une conversation productive.
 
“Tu as besoin de vêtements pour l’hiver, oui ?”
 
“O-oui.”
 
“J’ai beaucoup de fourrures et de vêtements chauds. Est-ce que tu préfères la laine ou autre chose ?”
 
“O-oui.”
 
Krshia finit par choisir des vêtements pour Erin. Elle les fourra dans les mains de la jeune femme, lui dit de trouver un endroit pour se changer et revenir quand elle aurait plus chaud.
 
Erin suivit son conseil, et c’est ainsi qu’elle se retrouva à la Guilde des Aventuriers, où elle se changea en essayant de ne pas regarder d’un air trop appuyé l’aventurière Drakéide qui enlevait son armure.
 
“Que font les aventuriers pendant la journée ?”
 
Ce fut la première question qu’Erin posa à Selys lorsqu’elle eut terminé de passer de ses vêtements mouillés et froids aux vêtements d’hiver chauds que Krshia lui avait donnés. Selys fronça le nez et agita sa queue en direction d’un groupe d’aventuriers assis à l’une des tables. Ils puaient.
 
“Infestation de rats dans les égouts.”
 
“Ex ! Mais attends, pourquoi est-ce que c’est un boulot d’aventuriers, ça ? Ce ne serait pas plutôt un job pour un exterminateur ou autre ? Des chats ?”
 
“On n’a pas beaucoup de ce genre de chose ici en ville. Les chats… les Gnolls n’aiment pas vraiment les chats. Et de toute façon, ils ont tendance à disparaître quand les gens commencent à avoir faim en hiver.”
 
“Hum…”
 
“De plus, on parle ici de rats géants. Presque aussi hauts que ça.”
 
Selys leva la main à la hauteur du nombril l’Erin. La jeune femme déglutit.
 
“Okay. Wow.”
 
“Ce n’est pas le genre de menace dont la Garde a envie de s’occuper, et ce n’est pas si dangereux que ça. Enfin… pas suffisamment dangereux pour que n’importe quel garde se sente d’aller faire une balade dans la gadoue. Ils ont préféré poser un contrat. Ils ont embauché les aventuriers.
 
Selys agita la main en direction du groupe de guerriers malheureux.
 
“Ça paie bien, mais personne n’est vraiment content de le faire.”
 
Erin ne savait même pas que Liscor était équipée d’égouts. Elle s’en ouvrit à Selys.
 
“Oh, c’est juste un endroit où on vide tous les trucs répugnants. On ne peut pas se contenter de les jeter hors de la ville, et tous ces gens qui vivent ensemble créent beaucoup de…”
 
Selys hésita.
 
“... trucs. Donc on se contente de jeter tout ça dans les égouts pour que ça s’évacue avec l’eau. Les Antiniums ont creusé les tunnels, mais ils ne sont pas obligés de les nettoyer ou de se débarrasser des monstres qui vivent à l’intérieur.”
 
“J’aimerais bien avoir des égouts. Je n’ai rien d’autre que des toilettes sèches dehors et maintenant que je n’ai plus d’acide, Toren va devoir tout nettoyer à la main. Ou à la pelle. Il faut que je lui achète une pelle.”
 
“Oui, j’ai entendu pour ton auberge. Elle a été recouverte de neige, c’est ça ?”
 
“Qui te l’a dit ?”
 
“Ton ami mage.”
 
“Ceria ?”
 
“Non, l’autre.”
 
“Pisces n’est pas mon ami.”
 
“Tant mieux !”
 
Erin éclata de rire et Selys eut un sourire en coin. Mais elle grimaça.
 
“Il est arrivé en ville couvert de la neige. Il a essayé de faire en sorte que je le laisse rester à la guilde jusqu’à ce que je le mette à la porte. Il n’arrêtait pas de dire qu’il y avait eu une avalanche. Au beau milieu des plaines ?”
 
L’expression joyeuse d’Erin se transforma en une moue mécontente.
 
“Oui. Grâce à ces fées maléfiques.”
 
Selys sembla perplexe.
 
“Les quoi ? Oh, tu parles de ces créatures. Les esprits. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
“Je…”
 
Erin hésita. Elle se souvint que Pisces avait dit que personne ne pouvait voir ou entendre les fées.
 
“Je, euh, les ai énervés, je ne sais pas comment. Et ils ont créé une avalanche et failli m’enterrer dans mon auberge !”
 
Selys avait l’air compatissante.
 
“Horrible. Tu devrais rester loin d’eux.”
 
Erin gémit.
 
“C’est ce que tout le monde n’arrête pas de me dire. Mais elles sont tellement jolies.”
 
“Jolies ?”
 
“Hum. Qu’importe.”
 
Selys secoua la tête devant les bizarreries de son amie.
 
“Ils n’entrent pas dans les bâtiments donc tu ne risques rien. Évite simplement de les mettre en colère, d’accord ? Ils n’embêtent d’ordinaire pas les gens à moins qu’ils ne soient comme Relc.”
 
“Pourquoi ? C’est quoi le problème avec Relc ?”
 
“Tu n’es pas au courant ? Chaque hiver, les esprits le suivent de partout pendant une semaine et font des bêtises. De la neige tombe des toits, il glisse sur de la glace… une fois, une cheminée s’est cassée et lui est tombée sur la tête !”
 
“Pourquoi ? Je veux dire, c’est à cause des fées ?”
 
“Yep. Il les déteste. Chaque fois qu’il les vois il leur jette des trucs ou essaie d’en attraper une. Elles lui gèlent toujours les mains, en revanche.”
 
Erin fronça les sourcils. Les fées étaient des abruties, mais Relc était gigantesque.
“Il devrait juste les laisser tranquille.”
 
“Il a essayé, mais elles continuaient quand même à l’embêter.”
 
Pendant un moment, les deux continuèrent à parler de Relc et des différentes manières dont les fées aimaient commettre leurs méfaits. Erin avait l’impression que les Fées de Givre étaient considérées comme des forces de la nature, plutôt que comme de véritables créatures, par les gens de Liscor.
 
“Elles ne représentent pas une menace. Je veux dire, elles peuvent faire beaucoup de dégâts si tu les déranges, mais elles ne sont pas pires qu’une inondation ou un Gobelin solitaire. C’est rare d’entendre parler d’une personne qui se soit faite attaquer comme toi. Sauf Relc, bien sûr.”
 
Selys marqua une pause. C’était une petite journée à la guilde, ou alors les aventuriers étaient toujours en train de combattre les rats sous terre. Elle se tourna brutalement vers Erin et lui posa la question qui lui trottait dans la tête depuis un moment.
 
“Erin. Est-ce que les rumeurs sont vraies ? Est-ce que le Roi de la Destruction s’est vraiment réveillé ?”
 
“Quoi ?”
 
“C’est juste que j’ai entendu Krshia en parler lorsqu’elle est revenue de la ville. Tu sais, après que tu aies secouru cette Ceria et Olesm. Elle dit que l’autre humaine…”
 
“Ryoka.”
 
“... Oui, elle. Elle dit que l’autre humaine a dit qu’il était de retour.”
 
“C’est ce que j’ai entendu dire aussi. Mais je ne sais pas qui c’est.”
 
“Vraiment ? Erin...
 
“Désolée ! C’est juste…”
 
Selys soupira, exaspérée.
 
“Je sais, je sais. Mais toi, tu devrais le connaître, quand même. C’est un mâle de ton espèce, un humain, je veux dire. Et même nous, nous connaissons le Roi de la Destruction.”
 
“Son retour ne présage rien de bon, hein ?”
 
Ryoka n’avait pas vraiment beaucoup parlé de Flos à Erin. Elle lui avait juste dit que c’était un roi qui avait régné sur un territoire titanesque avant de disparaître soudainement.
 
“Plus que ça, Erin. Il a conquis presque la totalité de Chandrar et ses armées étaient en train de traverser la mer et d’accoster sur nos côtes australes avant sa disparition.”
 
“Wow. C’est plutôt effrayant. Mais… je veux dire, pourquoi est-il si célèbre ? Il n’a jamais pu pénétrer très loin dans ce continent, si ?”
 
“Ce n’est pas la question. C’est le fait qu’il soit parvenu à traverser la mer et d’apporter une invasion jusqu’ici !”
 
Erin attendit, mais c’était tout.
 
“Okay, il a réussi à traverser la mer. Et alors ?”
 
“Erin ! Est-ce que tu sais à quel point c’est dur de traverser la mer avec une armée ? Les guerres intracontinentales sont une chose, mais que quelqu’un soit vraiment capable de traverser les milliers de milles qui nous séparent d’un autre continent, c’est du jamais vu ! Je veux dire, personne n’a jamais réussi à le faire en réussissant à amener avec lui une armée en un seul morceau !”
 
“Mais ce n’est qu’une mer, pas un océan, si ?”
 
Selys regarda Erin, désorientée.
 
“Est-ce qu’il y a une différence ?”
 
“Je crois, oui. Une mer, c’est juste de l’eau à côté des terres, tandis que l’océan… ce n’est pas le cas. De plus, les océans sont plus gros.”
 
“Okay. C’est donc un océan. La seule chose à retenir, c’est qu’il y est parvenu. Et maintenant, il est de retour !”
 
En effet, cela avait l’air grave. Erin émit tous les bruits appropriés d’inquiétude pendant qu’une pensée se débattait dans son esprit.
 
“Donc le Roi de la Destruction pourrait venir ici, et c’est grave.”
 
“Très grave. Même si…”
 
Selys hésita.
 
“Je ne sais pas si le conseil y fera quoi que ce soit. Ni l’armée, d’ailleurs.”
 
“Pourquoi ?”
 
“Eh bien, déjà, il est si loin. Qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Tous les royaumes et les terres qu’il a conquis ne lui obéissent plus. Chandrar s’alliera probablement pour le combattre, donc on n’a rien à faire.”
 
“Donc il n’y a rien de vraiment grave ?”
 
“Non. Si ! Je ne sais pas, c’est juste vraiment énorme, c’est tout.”
 
Erin acquiesça.
 
“Je comprends. Oh, et d’ailleurs, j’ai obtenu la classe de [Guerrière] hier.”
 
“Vraiment ? C’est une super nouvelle, Erin !”
 
Le visage de Selys s’éclaira et elle sourit à Erin, ses inquiétudes au sujet d’un roi lointain oubliées.
 
“Tu as combien de niveaux ?”
 
“Juste deux. Mais je me demandais pourquoi est-ce que je n’ai obtenu la classe que maintenant. Je veux dire, j’ai combattu beaucoup de choses avant. Pourquoi est-ce que je ne l’ai eue qu’en allant dans les ruines ?”
 
Selys fronça les sourcils et réfléchit.
 
“C’est la première fois que tu vas chercher la bagarre, pas vrai ? Je veux dire, tu es déjà partie en exploration avant, mais tu n’es jamais partie en te disant que tu allais tuer quelque chose.”
 
“C’est ça la différence ?”
 
“Tout est une question d’objectif. Je veux dire, je cuisine pour me faire à manger mais je n’ai toujours pas obtenu de classe de [Cuisinière]. Mais si j’essayais d’en faire un loisir ou un boulot, j’obtiendrais probablement immédiatement la classe.”
 
“Et du es aussi une [Guerrière] maintenant, c’est ça ?”
 
Selys hocha fièrement la tête.
 
“Niveau 4.”
 
“Est-ce que ça signifie que tu vas aller acheter une épée pour tuer des monstres ?”
 
Erin ne voyait pas son amie faire ça, mais elle supposait que tout était possible ?
 
“Quoi ? Non ! C’est juste sympa d’avoir une autre classe. Je veux dire, ne te méprends pas. Je n’essaie pas de devenir aventurière ou quoi que ce soit.”
 
Selys leva une main et éclata de rire.
 
“Je me suis entraînée à l’épée quand j’étais jeune, mais j’ai arrêté. Si j’avais continué… je serais peut-être au niveau 12 aujourd’hui. Mais maintenant… combien d’années me faudrait-il pour atteindre le niveau 20 ? Probablement au moins une décade. Il n’y a que les gens comme cette Ceria qui ont le temps de gagner des niveaux dans plus d’une classe.”
 
“Vraiment ? Il faut si longtemps que ça ?”
 
“Bien sûr. Je veux dire, si j’étais soldate en première ligne, cela ne prendrait peut-être qu’un an ou deux, mais je n’ai pas spécialement envie de risquer ma vie.”
 
C’était étrange. Erin gagnait des niveaux beaucoup plus vite que ce que Selys lui disait. Pourquoi donc ? Elle allait demander à Selys, mais se souvint des mots de Ryoka qui l’enjoignaient d’être discrète. Elle ferma la bouche. Puis elle la rouvrit délibérément.
 
“Je suis passée au niveau 18 dans ma classe d’[Aubergiste] après l’attaque des morts-vivants.”
 
Selys était en train de boire dans le verre d’eau qu’elle s’était versé. À sa grande déception, elle ne recracha pas le tout sur Erin, mais elle s’étouffa et éclaboussa le bureau. Erin enleva les papiers et la bouteille d’encore avant qu’ils ne se fassent tremper.
 
Quoi ? Sérieusement, Erin ?”
 
“Très sérieusement. Est-ce que tu sais pourquoi je gagne si vite des niveaux ?”
 
Selys fronça les sourcils en essuyant distraitement l’eau avec un chiffon.
 
“Ça doit être à cause de tout ce que tu as fait. Je n’ai jamais entendu parler d’une aubergiste qui aurait repoussé une attaque de morts-vivants ou… oui qui aurait lancé son auberge toute seule.”
 
“Donc c’est la difficulté qui permet de gagner des niveaux plus vite ? L’adversité ?”
 
Selys haussa les épaules et la queue d’un air impuissant.
 
“Je ne sais pas. Je suis désolée, Erin. Je sais comment fonctionne ma classe. Plus je rends service à des gens, plus je serai douée pour faire en sorte que les gens soient contents et pour envoyer les aventuriers sur des quêtes, et plus je gagnerai de niveaux. Mais cette guilde est tellement petite que je ne dépasserai jamais le Niveau 20 avant la retraite. Tu devras demander à d’autres aubergistes comment ils font pour gagner des niveaux.”
 
“Oh. Mais je ne connais pas d’autres aubergistes.”
 
Erin vit Selys se tapoter les lèvres d’une griffe. La Drakéide regarda le reste de la guilde majoritairement vite puis parut prendre une décision. Elle hocha la tête.
 
“J’ai bientôt terminé mon service. Si tu veux m’attendre, je te présenterai à un bon aubergiste.”



***

Erin parcourut les rues de Liscor avec Selys, découvrant au passage des endroits qui ne lui étaient pas familiers.
 
“Ça y est. Je n’ai plus aucune idée d’où on se trouve.”
 
Elle était dans une zone différente de la ville, où les Drakéides représentaient la majorité des piétons et où les commerces et les bâtiments paraissaient plus adaptés pour leur espèce. Et elle n’avait aucune idée d’où elle était.
 
“Je ne savais pas que Liscor était si… grande ! Et je n’étais jamais venue ici !”
 
Selys se moqua gentiment d’Erin.
 
“Erin ! Tu ne vas jamais nulle part sauf au district du Marché et quand tu viens me voir !”
 
C’était vrai. Erin rougit en suivant Selys dans les rues, son amie pointant du doigt les endroits qu’elle aimerait visiter.
 
“Ce n’est pas que je n’aime pas les nouveaux endroits, mais la première fois que je suis venue ici…”
 
Erin se souvenait s’être affreusement perdue en agaçant tout le monde sur son passage. Elle était entrée dans plusieurs bâtiments avant de s’en faire chasser lorsqu’elle comprenait que c’était la maison de quelqu’un. Et de plus, elle était clairement la malvenue à l’époque.
 
Mais à présent, avec Selys à ses côtés, Erin se sentait à son aise, si ce n’est la bienvenue dans certains quartiers de la ville. Quelques Drakéides connaissaient Selys de nom et personne ne jetait de choses sur Erin. C’était un bon début.
 
“Donc on visite qui ? Et où va-t-on ?”
 
Selys pointa du doigt le bout de la rue.
 
“On va côté nord. Il y a une bonne auberge là-bas - Le Voleur sans Queue. C’est l’auberge la plus célèbre - et la plus chère - de la ville. L’aubergiste est celui que je veux te faire rencontrer.”
 
Erin tâta sa bourse.
 
“Je, euh, n’ai pas pris beaucoup d’argent sur moi.”
 
“Oh, ne t’inquiète pas. Je connais l’aubergiste que nous allons voir, et tu es nouvelle. On aura au moins une boisson gratuite et sans doute un repas chaud.”
 
“Vraiment ?”
 
“Bien sûr. Peslas est généreux. Laisse-moi juste dire bonjour en premier.”
 
Peslas s’avéra être le Drakéide le plus grand qu’Erin ait jamais vu, si l’on exceptait peut-être Relc. Mais si Relc était large d’épaules et doté de bras massifs, Peslas était juste… gigantesque.
 
Il n’était pas gras. Pas exactement. Il avait un énorme ventre et c’était un grand Drakéide. Une partie du gras était vraiment du muscle. Erin en était à peu près certaine parce que la première fois qu’elle le vit, le Drakéide était occupé à poser tout seul un énorme tonneau d’alcool sur le comptoir.
 
“Selys !”
 
Dès l’instant où il aperçut la jeune Drakéide, Peslas se fendit d’un immense sourire.
 
“Comment vas-tu, mon enfant ? Cela fait des mois que je ne t’ai pas vue ! Approche donc !”
 
Selys sourit poliment au grand Drakéide et s’approcha pour qu’il puisse l’enlacer d’un bras imposant. Peslas lui sourit pendant que Selys lui présentait Erin, puis son sourire s’effaça un peu pour être remplacé par une expression de surprise.
 
“Une humaine ? J’avais entendu dire qu’il y en avait encore quelques-uns dans la ville après les attaques de morts-vivants mais… attends, je te connais ! Tu es l’[Aubergiste] de l’auberge abandonnée ! Eh bien, comme ça, tu connais la jeune Selys ?”
 
“Je l’ai amenée voir ton auberge, Peslas. C’est-à-dire, si tu n’es pas trop occupé ?”
 
“Bien sûr que non. Comment pourrais-je dire non à la petite-fille d’Isshia ? Et à toi, humaine.”
 
Erin tendit la main et se fit écraser les phalanges par la poigne de Peslas. Elle ne grimaça toutefois pas, et Peslas lui sourit de sa bouche pleine de dents.
 
“Tu es venue apprendre du meilleur, n’est-pas ? Je ne peux pas t’en blâmer. Certains aspects de mon auberge sont secrets, bien sûr. Mais bon, nous commençons tous par le fond donc n’hésite pas à regarder ! Je doute que tu puisses copier quoi que ce soit.”
 
Là-dessus, il appela une serveuse pour qu’elle fasse s’asseoir Selys et Erin et en un instant, elles furent assises devant des boissons et des friands à la viande croustillants. Et Erin vit une auberge en mouvement.
 
L’auberge de Peslas était presque pleine alors qu’il n’était pas encore midi. Il avait un large panel de clients, des vieux Drakéides qu’Erin supposait être à la retraite aux Drakéides plus jeunes qui semblait être de jeunes cadres dynamiques. Et bien sûr, il y avait les serveuses, toutes de sexe féminin, et toutes des Drakéides.
 
Pour faire court, c’était là une auberge pour les Drakéides, dirigée par des Drakéides. Erin ne vit aucun Gnoll, et elle réalisa qu’elle attirait beaucoup de regards en coin. Selys empêcha cependant de laisser s’installer un malaise en bavardant de sujets légers pendant qu’Erin regardait autour d’elle.
 
Donc. C’était cela une auberge respectable. Tous les signes étaient là. Pas de chaises cassées, pas de trous dans les murs ou de planches maladroitement clouées sur les fissures, et des lampes lumineuses et une équipe affairée par-dessus le marché. La chope qu’on lui avait servie était remplie d’une épaisse boisson fruitée, alcoolisée et tout simplement délicieuse. Et la nourriture était bonne, aussi ! C’était une auberge sans défauts, sans bagarres, sans squelettes.
 
Et Peslas était ici au centre de tout.
 
Le grand Drakéide se déplaçait de table en table, non pas avec la vivacité d’une serveuse, mais d’une démarche paresseuse qui le menait de client en client, avec lesquels il bavardait, partageait une pinte et les derniers potins. Peslas disparaissait à l’occasion dans la cuisine et revenait avec une assiette, ou il amenait quelqu’un à son siège - ou soulevait un tonneau - mais il ne faisait clairement ces choses-là que lorsqu’il s’agissait d’une faveur pour une ami. Il n’avait pas besoin de travailler.
 
Ce qu’il devait faire, c’était interagir avec les clients. Il s’assurait qu’ils étaient servis à temps, écoutait leurs peines et leurs succès, et discutait. Sa bouche ne cessait jamais de s’activer.
 
“Non. Elle t’a quitté ? Même après que lui aies acheté la bague ?”
 
Erin vit Peslas assis à deux tables d’elles, en train d’écouter un Drakéide aux écailles marron en train de renifler devant son assiette. Peslas tenait une chope à la main - la sixième qu’Erin l’avait vu boire pendant la dernière heure.
 
Apparemment, de ce qu’Erin avait entendu, le Drakéide auquel parlait Peslas avait perdu sa petite amie de plusieurs années juste au moment où il allait la demander en mariage. À la fin de l’histoire du Drakéide éploré, les yeux du vieux Drakéide étaient emplis de larmes.
 
“Tu as toujours été trop bien pour elle.”
 
Peslas essuya ses larmes en tapotant l’épaule du jeune Drakéide. Il se tourna et appela une serveuse. Elle arriva avec deux chopes et Peslas en saisit une.
 
“Holà tout le monde ! Je paie ma tournée ! Portons un toast au jeune Relss et buvons pour lui porter chance pour ses futures amours !”
 
L’auberge éclata en vivats. Erin vit une autre chope imposante se diriger vers elle et se demanda combien de fois Peslas faisait ça par semaine. Ou par jour. Il été généreux. Il insistait parfois pour qu’un repas soit aux frais de la maison si un client avait passé une mauvaise journée, ou il invitait quelqu’un dans la rue boire un verre gratuit.
 
“Est-ce qu’il peut se permettre tout ça ?”
 
Chuchota Erin à Selys pendant qu’elles terminaient leur repas. Selys parut surprise, puis elle acquiesça.
 
“Oh oui. Il est plutôt riche, et son auberge tourne excellemment bien. Tous ses clients réguliers viennent souvent. Et, bon, ils sont aussi riches que lui.”
 
“Et c’est le meilleur aubergiste de la ville ?”
 
“Le meilleur aubergiste à une centaine de miles à la ronde, pour sûr !”
 
S’exclama Peslas dans le dos d’Erin. Elle faillit renverser sa boisson. Il l’attrapa, éclatant de rire en s’asseyant à leur table.
 
“J’ai entendu dire qu’il y avait un aubergiste en train d’approcher le niveau 50 dans l’une des citées Humaines septentrionales.”
 
“Laquelle ?”
 
“Oh, la plus grosse. Comment ça s’appelle ? Port-Fondateur. Oui, celle-là. C’est l’aubergiste de plus haut niveau du continent, mais là encore, la plupart des aubergistes de mon âge sont au moins au niveau 20 ou plus. Voire niveau 30, comme moi !”
 
Il se cogna son large poitrail et éclata de rire. Selys et Erin lui sourirent, et Erin se recula légèrement pour ne pas se trouver juste à côté du grand Drakéide. Il lui sourit de nouveau de toutes ses dents.
 
“Alors ? Qu’en penses-tu ? Est-ce que ta petite auberge peut reproduire certaines de mes meilleures idées ?”
 
Peslas adressa un sourire condescendant à Erin, mais l’humaine ne réagit pas à la provocation. Erin hocha la tête en regardant autour d’elle.
 
“Je pense que oui. J’ai au moins compris quelque chose.”
 
“Oh ?”
 
Peslas et Selys se penchèrent par-dessus la table, dans l’expectative. Les yeux de Peslas pétillaient, mais Erin ne lui prêta aucune attention. Elle montra du doigt l’une des Drakéides en train de servir à table.
 
“J’ai besoin d’une barmaid. Ou d’une serveuse. Ou quelqu’un qui puisse servir les boissons et nettoyer pendant que je suis aux fourneaux.”
 
Les deux Drakéides clignèrent des yeux. Erin poursuivit.
 
“J’ai Toren, mais il n’est pas très doué pour le service. De plus, si je n’ai pas besoin de cuisiner, je peux faire d’autres choses. Comme, ne pas cuisiner. Donc, oui, c’est mon nouvel objectif. Avoir une barmaid.”
 
Peslas avait l’air incrédule.
 
“Tu n’as même pas de barmaid ? Est-ce que tu es toute seule dans ta petite auberge, Humaine ?”
 
“J’ai un squelette, mais il est occupé à aller me chercher du bois de chauffage et de l’eau.”
 
Pendant un instant, Peslas dévisagea Erin puis il hurla de rire. D’autres clients se retournèrent, souriant d’avance à la blague alors qu’il cognait la table du poing. Lorsqu’il cessa de glousser pour passer au stade des sifflements aigus, il leva les yeux sur Erin en s’essuyant quelques larmes.
 
“Je t’aime bien. Oui, tu n’as rien à voir avec la vermine humaine dont j’ai entendu parler !”
 
“Oh ?”
 
“J’ai entendu dire que vous n’étiez que des pestes qui causaient des ennuis. Mais tu as du feu, pour une humaine ! J’aime bien. Dommage que ton auberge ne puisse jamais être moitié aussi bien que la mienne.”
 
Curieuse, Erin se pencha légèrement en avant. Elle appréciait l’alcool, mais elle de devenait pas saoule grâce à sa compétence. Peslas avait toutefois l’air un peu pompette.
 
“”Pourquoi donc ?”
 
Peslas claqua simultanément les doigts et la que.
 
“Pourquoi ? L’emplacement, jeune fille. J’ai dit la même chose à l’Humain qui en était le précédent propriétaire, mais il n’écoutait jamais.”
 
“C’était un humain qui dirigeait l’auberge d’Erin avant elle ? Je ne savais pas.”
 
Selys participait à présent à la conversation. La Drakéide cligna des yeux devant sa deuxième chope, puis devant Peslas. Il hocha la tête, souriant en agitant une griffe.
 
“C’était il y a des années de cela. Avant que le Nécromancien… enfin, on avait beaucoup plus de visiteurs venus du sud. Les gens n’avaient pas peur de traverser les Plaines Sanglantes à l’époque, et il y avait plus d’un village. Un petit village a poussé autour de cette auberge, grâce à l’humain qui s’en occupait. Mais tout a été détruit.”
 
“Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
Pendant un moment, la large face de Peslas devint sérieuse lorsqu’il se tourna vers Erin.
 
“Les morts-vivants, voilà ce qu’il s’est passé. Ils ont forcé tout le monde à fuir la zone. Quand l’humain est rentré, il n’a jamais eu la volonté de reprendre l’auberge. Personne ne venait et un jour, il a juste cessé de venir en ville. Je l’avais prévenu. L’idiot.”
 
Erin se souvint du squelette dans la chambre à l’étage. Peslas rit, et elle le regarda.
 
“Je pense qu’il était courageux.”
 
Il secoua la tête en pouffant.
 
“Stupide, oui. Courageux ? Peut-être, mais le courage ne vend pas à boire.”
 
“Mais il a fait de son mieux. Et de plus, il a lancé son auberge à partir de rien.”
 
“Il faut plus que faire de son mieux. Il faut quelque chose de spécial. C’est ce qu’il te faut apprendre jeune… Erin, c’est bien ça ? Il te faut un grappin.”
 
Peslas désigna son auberge d’une serre.
 
“Mon auberge est connue comme était la meilleure du coin. Le meilleur service, la meilleure nourriture… les meilleurs lits et les meilleures boissons aussi ! Qu’est-ce que tu peux offrir aux gens qui leur donnerait envie de venir te voir dans ton coin reculé ?”
 
Erin haussa les épaules. Elle n’était pas sûre d’être d’accord avec tout ce qu’avait dit Peslas au sujet de son auberge. C’était une bonne auberge, mais si elle ne servait que les Drakéides, à quoi bon ?
 
“Je joue aux échecs. Je ne suis pas la meilleure, mais je suis plutôt forte.”
 
Cette fois-ci, le rire de Peslas résonna jusque dans les coins les plus reculés de l’auberge.
 
“Les échecs ! Ça, c’est intéressant ! Tu joues, dis-moi ? Est-ce que tu voudrais prendre un pari ? Quelques pièces d’or ? D’argent ? Je parie deux pièces contre une. Tout ce que tu veux !”
 
Selys fronça les sourcils, mais le grand Drakéide ne sembla pas la remarquer. Erin, pour sa part, demeura calme.
 
“Oh, si tu veux parier, je parie tout ce que j’ai. Dix pièces d’or ? Cinquante ? Ton auberge ? Tu veux relever le pari ?”
 
Peslas cligna des yeux. Selys s’interposa en souriant à l’aubergiste.
 
“Tu n’en as pas entendu parler ? Erin a battu Olesm aux échecs la première fois qu’ils se sont rencontrés. Elle n’a jamais perdu face à lui, et il la défie presque tous les jours.”
 
Les Drakéides qui écoutaient leur conversation réagirent à cette affirmation-. Mais Peslas se contenta d’éclater de nouveau de rire et d’agiter sa queue dans les airs.
 
“Le feu ! Les Humains en ont à revendre. Comme je le disais à l’ancien aubergiste. Comment s’appelait-il, déjà... ?”
 
Il agita la queue avec dédain. Erin dévisagea Peslas sans sourire. Il était malpoli, ou peut-être juste saoul. Elle lui aurait proposé une partie, dans tous les cas - peut-être avec un handicap, comme un bandeau sur les yeux - lorsqu’elle sentit quelque chose lui toucher le pied. Erin faillit paniquer avant de s’apercevoir qu’il s’agissait de la queue de Selys.
 
La jeune Drakéide sourit à Peslas pendant que le grand Drakéide finissait de rire en faisant une blague au sujet des humains qui se ressemblaient tous à ses amis.
 
“C’était chouette de te revoir, mais Erin et moi devons aller rendre visite à des amis. Mais merci de nous avoir laissé te regarder travailler.”
 
“Bien sûr. Transmets mes amitiés à ta grand-mère, tu veux ?”
 
Peslas se leva et raccompagna Selys et Erin à la porte. Comme Selys l’avait dit, il ne mentionna pas la note, mais il s’adressa toutefois à Erin lorsqu’ils furent devant la porte.
 
“Mon auberge est toujours ouverte pour les autres [Aubergistes]. Viens me voir si tu t’ennuies un jour pour boire un verre ! Mais je pense que même ton auberge excentrée va bientôt recevoir du monde, Erin.”
 
“Oh ? Vraiment ?”
 
Il hocha sagement la tête, en tapotant le bout de son nez - ou museau ? d’une griffe.
 
“Ma compétence d’[Intuition] me dit que cela sera le cas. Et elle ne m’a jamais induit en erreur. Prépare bien ton auberge, et tu pourras peut-être gagner quelques niveaux, jeune Erin. Ah, baste. Bonne chance pour ta petite tentative !”



***

Elles étaient déjà à quelques rues de l’auberge lorsqu’Erin se décida enfin à rompre le silence.
 
“Hum, merci de m’avoir fait visiter l’auberge, Selys. Cela me sera très utile.”
 
Selys regarda Erin du coin de l’œil et explosa.
 
“Tu ne m’en veux pas ? Je suis tellement désolée pour Peslas, Erin. Je ne savais pas qu’il serait si malpoli !”
 
“Il n’était pas si horrible. Je suis désolée, aussi - j’ai été malpolie avec lui vers la fin, je veux dire. Je sais que c’est ton ami.”
 
Selys grimaça tandis qu’elles continuaient leur route.
 
“Erin, ce n’est pas mon ami. Je le connais à peine. C’est une connaissance de ma grand-mère, c’est tout. Je ne lui parle presque qu’une fois par mois. De plus, il a épousé une fille qui est presque aussi jeune que moi !”
 
Erin essaya de s’imaginer ça et échoua avec succès. Selys fronça les sourcils en marchant d’un pas décidé, sa queue s’agitant d’irritation.
 
“Dans tous les cas, c’est un connard. Je suis contente qu’il n’ait pas gagné plus d’un ou deux niveaux même après que son auberge soit devenue la plus grosse de la ville.”
 
“Vraiment ? Mais son auberge est tellement animée !”
 
“Oui. C’est bizarre, non ?” J’imagine qu’il doit y avoir une autre raison pour laquelle il ne gagne pas de niveaux, mais ça n’a pas vraiment d’importance. Peslas est riche, et c’est tout ce qui l’intéresse. Il n’a pas besoin de niveaux en plus.”
 
“J’imagine. C’est juste que son auberge était chouette. Je me suis juste dit que c’était étrange qu’il n’ait pas de clients Gnolls.”
 
Selys hésita.
 
“Ils ne viennent… pas souvent ici. Ce n’est pas qu’il ne les servirait pas, c’est juste qu’ils ne sortent jamais vraiment de leurs quartiers dans la ville.”
 
“Je vois.”
 
“Les humains vont où ils veulent, mais ton espèce ne vit pas vraiment en ville.”
 
“C’est sûr.”
 
Erin réfléchissait toujours. Elle réfléchissait à son auberge et elle comprenait ce que Peslas avait dit au sujet de son emplacement. Elle pensait qu’il avait tort, mais elle comprenait. Selys et elle continuèrent de marcher et sortirent du quartier résidentiel Drakéide. Selys finit par rompre le silence.”
 
“Bref, dans tous les cas, je suis désolée qu’il ait été comme ça. Il n’est pas malpoli avec moi. Mais tu es une autre [Aubergiste] et… une humaine.”
 
“Il n’y a pas de problème.”
 
La conversation devient plus légère à partir de là. Erin et Selys souriaient de nouveau lorsqu’elles atteignirent la caserne des gardes.
 
Erin avait été extrêmement surprise d’apprendre que Liscor n’avait pas d’hôpital. Selys n’avait même pas copris de quoi elle parlait lorsqu’elle lui avait décrit le bâtiment et sa fonction.
 
À Liscor, les gens se soignaient chez eux et embauchaient un [Guérisseur] pour venir les voir avec des herbes et des potions, allaient se faire soigner, ou comptaient sur les organisations auxquelles ils appartenaient pour cela. La Guilde des Aventuriers, par exemple, avait plusieurs lits pour les guerriers blessés ou sans abri, et la Garde présentait les mêmes commodités.
 
C’est donc là qu’Erin et Selys retrouvèrent Ceria et Olesm, en train de se reposer dans un endroit reclus du bâtiment. La demie-Elfe et le Drakéide n’étaient pas sous garde stricte, mais ils n’étaient pas non plus libres de se balader. Mais ils n’avaient pas d’ennuis, non plus.
 
“On ne peut pas vraiment être blâmés pour tout ce qu’il s’est passé. La ville savait qu’on entrait, et de plus, on a perdu presque tout le monde lors de l’attaque.”
 
Ceria était en train d’expliquer la situation à Erin tandis que cette dernière lui tendait des morceaux de pomme épluchée. Elle était allongée sur l’un des lits tandis que les trois autres étaient assis autour d’elle. Ceria était encore plus mince et pâle qu’à l’ordinaire, mais Erin était heureuse de voir qu’elle avait l’air en bien meilleure forme qu’avant.
 
“On s’est battus, au lieu de se contenter de fuir. Ça aide. Et il y aussi le fait que tout le trésor - du moins ce qu’il y avait - a été pris par la ville. Ça suffit, en termes d’amende.”
 
“Et je leur ai dit que Ceria et le reste ne devraient pas être blâmés pour ce qu’il s’est passé.”
 
Olesm était assis sur le tabouret, hochant vigoureusement la tête, bras croisés. Il était plus actifs que Ceria, même si lui aussi paraissait plus maigre et pâle qu’à l’accoutumée. Il fit un geste de main pour désigner le reste du bâtiment.
 
“C’est ce que j’ai dit à Zevara, et elle a été très compréhensive. Je pense que les aventuriers pourront repartir sans avoir à payer quoi que ce soit. Mais, hum, ils risquent de ne pas pouvoir récupérer tout leur équipement.”
 
“Comme si on était en mesure de l’utiliser. Les rares à avoir survécu sont toujours blessés ou ne veulent plus jamais avoir à prendre une épée de leur vie. Je suis allée voir Yvlon et elle ne répond presque pas. Quant à moi…”
 
Ceria s’agita dans son lit, levant une main en mâchant sa pomme. Erin et Selys se figèrent légèrement en voyant apparaître l’os jauni et la peau noircie du bras de Ceria qui avait été blessé par un sort. La mage fit un sourire tordu.
 
“Je ne vais pas partir à l’aventure tout de suite. Ma main d’usage est ruinée et même si je décide de partir à l’aventure, je n’ai ni baguette, ni grimoire. Chancre, je n’ai même pas d’or à moi. J’ai tout laissé dans les Ruines.”
 
Erin échangea un regard avec Selys. Elle regarda Ceria, en essayant de ne pas montrer qu’elle regardait la main squelettique.
 
“Mais tu vas bien ? Tu te sens bien, si on oublie la…”
 
Ceria secoua la tête et agita les os figés.
 
“Ça ira. Ma main est un maigre pris à payer pour ma vie. Si j’avais pu l’échanger pour que les autres…”
 
Elle s’interrompit, et tout le monde resta silencieux pendant une minute. Les yeux d’Erin la brûlaient encore lorsqu’on mentionnait les morts. Gerial. Sostrom. Calruz.
 
Olesm fut le premier à rompre le silence. Il pointa son propre lit du doigt, à l’autre bout de la grande pièce. La Garde n’avait pas assez de pièces pour leur accorder un peu d’intimité. Selys en avait été scandalisée jusqu’à ce que Ceria fasse remarquer qu’Olesm et elle avaient eu largement le temps de faire connaissance dans des lits moins hospitaliers.
 
“J’ai hâte d’aller mieux. Je partirais bien tout de suite, mais Capitaine Zevara insiste pour que je prenne mon temps.”
 
Il sourit à Erin.
 
“Et alors, je pourrai peut-être venir à ton auberge et faire quelques parties d’échecs avec toi. On pourrait jouer maintenant, si tu veux… ?”
 
Erin ignora le regard plein d’espoir du Drakéide et secoua la tête.
 
“Ce serait sympa, mais j’ai besoin d’un meilleur grappin.”
 
“Un quoi ?”
 
Selys regarda son amie en fronçant les sourcils.
 
“Oh, pitié, Erin. Tu ne peux pas écouter ce qu’a dit Peslas.”
 
“Mais il a raison. Les échecs ne rapportent pas d’argent, surtout maintenant qu’aucun Ouvrier ne vient à l’auberge. Non pas qu’il en reste… beaucoup…”
 
Un nouveau silence s’abattit sur le petit groupe. Ceria finit par se racler la gorge.
 
“Eh bien pour ma part, je suis certaine que la charmante Capitaine de la Garde me sortira d’ici à coups de pieds aux fesses tôt ou tard. Quand le moment sera venu, je chercherai probablement un endroit où dormir. Erin, ça t’embêterait que je vienne à ton auberge ? Je n’ai pas t’argent, mais je te rembourserai dès que possible.”
 
“Quoi ? Non !”
 
Les queues de Selys et d’Olesm se raidirent lorsqu’Erin protesta, l’air indignée.
 
“Je ne vais pas te faire payer. Tu peux rester à mon auberge gratuitement ! Aussi longtemps que tu le voudras !”
 
Ceria sourit et secoua la tête.
 
“C’est très gentil, mais je sais que tu as besoin d’agent aussi. Je ne voudrais pas m’imposer.”
 
“Non, j’insiste. Tu es aussi l’amie de Ryoka, et je suis sûre que c’est ce qu’elle voudrait. Et de plus, tu peux gagner ta croûte ! Est-ce que tu sais cuisiner ?”
 
“Rien que tu aimerais et encore moins avec les ingrédients d’ici, j’en ai bien peur.”
 
“Eh bien… ce n’est pas grave. Tu peux faire de la magie. Je suis sûre que je pourrai te trouver un travail qui aiderait vraiment. Oui. Je pourrais… t’engager comme barmaid ?”
 
“Mauvaise idée. Je ne suis pas du genre à servir au bar et je ne m’entends pas bien avec les… mâles. De plus, que peut faire une barmaid manchote ?”
 
“Dans tous les cas, je te laisserai rester aussi longtemps que tu veux. Les amis valent plus que l’argent, après tout.”
 
“Merci. Je t’en suis reconnaissante.”


***

Selys et Erin passèrent encore une heure à parler avec légèreté avec Olesm et Ceria, et Erin joua même une partie avec Olesm, gagnant haut la main, avant de partir. Erin savait qu’elle devait encore s’arrêter chez Krshia. Pour payer les vêtements, déjà.”
 
Mais elle eut une surprise déplaisante en allant voir la Gnolle. Krshia avait encore tout ce dont Erin avait besoin en stock, mais la Gnoll expliqua à Erin que cela lui coûterait moitié prix de plus que ce qu’elle avait payé la dernière fois.
 
“La nourriture est plus chère maintenant. Je donnerai ce que j’ai de meilleur, mais cela te coûtera beaucoup plus. Et je ne peux plus faire les livraisons. Je suis désolée.”
 
“Quoi ? Pourquoi ?”
 
“Mon Coursier des Rues, il est occupé, oui ?”
 
Krshia expliqua en rangeant les denrées d’Erin dans un sac pour qu’elle puisse les transporter.
 
“Mon Coursier, il fait beaucoup de livraisons en ville. Beaucoup ont été blessés et tués pendant l’attaque des morts-vivants. Il a beaucoup à faire et ne peut pas faire le voyage dans la neige jusqu’à ton auberge. Pas sans demander un extra.”
 
Selys acquiesça.
 
“D’habitude, on a fini de se préparer pour l’hiver à cette période, mais avec l’attaque et les réparations, on manque de main d’œuvre. De plus, l’hiver n’arrive jamais quand on s’y attend. Tout le monde est très occupé.”
 
Eh bien, cela voulait dire qu’Erin devrait porter ses vivres à partir de maintenant. Elle regarda d’un air sombre l’énorme sac que préparait Krshia et visualisa son voyage imminent dans la neige.
 
“Eh bien, si c’est comme ça…”
 
“Mm. Là encore, je suis désolée. Mais est-ce que tu as besoin d’autre chose ?”
 
Erin cilla. Elle se souvint soudain de l’une des choses qu’elle avait prévu d’acheter en ville.
 
“Oh, oui. Je cherche des trucs spéciaux tant que je suis là. Du bœuf haché ! J’en veux beaucoup, et du fromage. Ooh, et un peu de moutarde ! Et du pain. J’ai besoin de pain en tranches, ou de petits pains. Ce serait encore mieux. Et des tomates, du vinaigre, et, euh, des œufs. Je prendrai aussi un citron ou deux si tu en as.”
 
Krshia n’avait pas de citrons, mais elle avait tout le reste. C’était cher - mais la Gnolle dit à Erin qu’elle avait de la chance que l’hiver ait tout juste commencé.
 
“D’ici la fin de la saison, ce genre de choses sera trop cher pour toi et moi, oui ?”
 
“Je suis juste contente d’avoir encore assez d’argent pour payer tout ça. Les affaires sont mauvaises et il faut que je fasse quelque chose d’incroyable !”
 
Erin hocha la tête pendant que Krshia finissait d’empaqueter ses derniers achats dans le sac. Erin tendit la main sur une bretelle, soupesa le sac…
 
Et sentit toute son assurance s’évanouir.
 
“Hey ! C’est vraiment lourd !”
 
“Je suis désolée, mais tu as commandé beaucoup de choses. Tu pourrais peut-être en laisser la moitié et faire deux voyages ?”
 
Erin essaya de s’imaginer faire des allers-retours dans la neige et frissonna.
 
“Je n’aime vraiment pas l’idée. Il n’y a pas d’autre moyen ? Un traîneau, peut-être ?”
 
“Hey, moi, je te le porte si tu m’offres à manger.”
 
Erin se retourna. Relc était debout derrière elle et lui souriait. Et à ses côtés se trouvait un visage familier auquel Erin ne s’était pas encore réhabituée.
 
“Klbkch ! Relc ! Que faites-vous, tous les deux ?”
 
“Principalement de la patrouille. Mais on est venus te voir. J’ai un message pour toi, et Klb s’ennuyait juste.”
 
L’Antinium salua poliment Selys et Krshia avant de se tourner vers Erin.
 
“Bonsoir, Erin. J’espère que tu te remets des événements d’il y a quelques jours ?”
 
“Quoi ? Oh, oui, ça va mieux. Tu vas bien, n’est-ce pas, Klbkch ? Scruta t’avait bien amoché.”
 
“J’ai parfaitement récupéré, merci.”
 
“Et moi ! Je vais mieux aussi, merci de demander !”
 
Interrompit Relc, gonflant le torse pour montrer ses nouvelles cicatrices sur les bras et le torse à Erin et aux autres. Il regarda Selys en aplatissant les épines de son cou, mais elle se contenta de soupirer et de rouler des yeux.
 
C’était bon de voir que les deux allaient bien, même s’il était étrange de voir Relc aussi amical. Erin se souvenait de son comportement avant le retour de Klbkch, mais elle passa outre.
 
“Donc tu peux porter mes affaires ?”
 
“Ça ? Bien sûr. Je portais des trucs deux fois plus lourds tous les jours quand j’étais soldat.”
 
Relc sourit à Erin et assena une pichenette sur le sac de Krshia d’un air dédaigneux. La Gnolle renifla tandis que Klbkch s’adressait à Erin.
 
“Nous voudrions venir à ton auberge ce soir, Erin. Si ce n’est pas trop nous imposer ?”
 
“Quoi ? Non ! Venez, venez ! Je vais faire un festin !”
 
Erin sourit aux deux gardes, heureuse. Pour une fois, on aurait dit que tout était redevenu normal, et dans le bon sens du terme. Relc, exubérant, prit le sac de courses d’Erin.
 
“Génial ! Je veux plein de choses à manger ce soir ! Tu peux déduire le coût de transport de ça sur mon ardoise, d’accord ?”
 
Le coude de Klbkch jaillit et s’enfonça dans le flanc de Relc. Le Drakéide glapit et fusilla son ami du regard.
 
“Je plaisantais.”
 
“Non. Tu ne plaisantais pas.”
 
“Ces fourmis. C’est pour la raison pour laquelle…” ronchonna Relc en soulevant sans problème le sac.
 
Il regarda autour de lui en quête de soutien et n’en trouva aucun. Il se gratta les épines au sommet du crâne, marmotta dans ses écailles puis se tourna vers Erin.
 
“Oh, d’ailleurs, maintenant que j’y pense, ton auberge a explosé.”
 
Tout le monde le dévisagea, bouche-bée. Relc regarda tour à tour Klbkch, puis Erin.
 
“Quoi ? Je n’en avais pas encore parlé ?”
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 12 septembre 2020 à 11:51:03

2.10 T
Traduit par Maroti



  «… Sache que je suis la vérité. Entends mes mots… Obéis... ! Lève-toi une nouvelle fois, depuis les ténèbres… ! »


Même maintenant Toren entendait la voix dans le silence. Mais il avait oublié les mots. Ils l’appelaient dans les ténèbres de son âme, le tirant vers le sud. Mais ses pieds ne bougeaient pas, et même s’il regardait l’horizon, il ne pouvait pas partir.

Mais il entendait quand même l’appel vibrer dans son âme. C’était l’une des trois choses dont il se souvenait.

Toren était un [Guerrier Squelette] de Niveau 11. C’était son but, son nom et son être. Mais ce n’était pas l’une des trois choses dont il se rappelait. C’était qui il était. C’était ce que la voix lui avait dit.

L’autre voix dans sa tête. Toren avait beaucoup de voix qui lui disaient des choses. Parfois le squelette avec du mal à savoir lesquelles étaient réelles. Mais il devenait meilleur pour écouter.

Il pouvait écouter et suivre les ordres. De toutes les choses que Toren savait, il savait qu’il était bon à ça. Il avait des ordres, donc il les suivait. C’était simple, contrairement à certains ordres.

Aujourd’hui la jeune femme qui se tenait devant lui avec un certain claquement dans sa voix alors qu’elle lui criait dessus. Ce qui voulait habituellement dire qu’elle était en colère. Pourquoi était-elle en colère ? Généralement, elle était en colère, car Toren avait fait une erreur.

Mais Toren était certain qu’il avait tout fait correctement cette fois. Il avait poussé la neige comme Erin lui avait dit de faire pendant toute la nuit. Il avait fait un très grand mur, et c’était ce qu’il fallait, pas vrai ? Il n’y avait absolument rien qu’elle pouvait reprocher à son mur.

« Hey ! Comment est-ce que je suis sensé sortir ? »

Toren s’arrêta. Puis il tourna sa tête à 180° et regarda le mur.

Oh.

Erin le regarda et lui dit de faire un trou. Toren commença sa nouvelle tâche alors qu’Erin retourna à l’intérieur en tapant du pied et en claquant la porte.

C’était l’une des choses qu’il avait apprise. D’une quelconque manière, malgré tout ce qu’il faisait, il continuait de faire des erreurs. Erin lui disait de faire quelque chose de simple, comme aller chercher de l’eau. Mais après elle allait dire quelque chose comme…

« Ne ramène pas le poisson dans le seau ! Comment est-ce que tu as pu croire que c’était une bonne idée ? Comment… Comment un poisson a pu tenir là-dedans ? »

C’était un mystère. Pas le poisson ; tout pouvait rentrer dans quelque chose de plus petit avec assez de force et de temps. Mais Toren avait été créé pour servir Erin et cela le peinait de voir qu’il ne semblait jamais faire le bon travail.

Il était un squelette. Il était né pour servir. Il savait cela. C’était l’une des trois dont Toren se souvenait. Même quand il était réduit en morceaux au sol ou que quelque chose était en train d’essayer de briser son crâne en deux, il se souvenait.

Il se souvenait être créé.

***

La vision. C’était la première chose dont Toren se souvenait. Mais ce n’était pas vraiment de la vue. Il ne pouvait pas voir car il n’avait pas d’yeux, mais il était tout de même conscient du monde, d’une manière qui ne pouvait être décrite que par un langage primitif. Il pouvait sentir les couleurs, les formes, et le mouvement.

Mais pas ne manière précise. Toren avait vu des oiseaux et d’autres choses qui voyaient bien plus loin que lui. Et s’il regardait trop loin d’un côté, il n’arrivait pas à voir les détails. Mais il pouvait voir, et la première chose qu’il avait vu était un mage dansant.

À l’époque Toren n’avait pas sût que c’était une danse. La compréhension, comme tout le reste, était venu dans l’élan de magie qui avait continué de le construire. Des concepts de base comme combattre à l’épée, la gravité, l’anatomie générale, et l’idée de la nudité étaient transmis à Toren, même s’il était un peu confus sur le dernier. Mais c’était important de ne pas regarder Erin quand elle avait moins de vêtements, c’était tout ce qu’il savait.

Mais le mage dansant. Toren se souvenait de ses os s’élevant ensemble pour former son corps mortel, et le mage ébouriffé dansant devant lui. Peut-être que c’était une danse. Cela ressemblait plus à une tempête de bras et de jambes s’agitaient de manière incohérente couplée de rires et de pleurs. Ce qui était proche d’une danse ?

Pisces. C’était le nom de son créateur. Toren s’en souvenait uniquement car ses ordres étaient parfois liés à Pisces. Des ordres tels que ‘ne le laisse pas voler la nourriture de la cuisine’, ou ‘touche le avec une épée’. Malgré le fait qu’avoir essayé de le toucher avec son épée avait apparemment aussi été une erreur.

Mais le mage avait ri et danser et pleurer en pointant Toren du doigt alors qu’il était en train d’être créé. Toren se souvenait des mots.

« Je l’ai fait ! J’ai enfin réussi ! Le premier ! Le tout premier ! »

Ce n’était pas très cohérent, mais Toren se souvenait que le mage avait été heureux. Grace à lui. Cela avait eu peu d’importance, avant l’arrivée des mots.

« Hm. Ha, oh. Voyons voir. Uh, c’est vrai. Tu étais… Je suppose que je dois t’utiliser de manière sous-optimale. Fort bien. Entends et connais ton but : tu dois garder et servir l’individu connu sous le nom d’Erin Solstice. Protège-la. Obéis à ses ordres. »

Les mots avaient frappé Toren comme l’éclair et la foudre, résonnant à travers son âme. Ils s’ancrèrent au plus profond de son être, des mots qui n’allaient jamais disparaître. Le premier et le dernier ordre.

Même maintenant, alors que Toren pelletait la neige dure et humide de son mur, il se souvenait.

« Protège Erin Solstice. Obéis à ses ordres. Soit utilisé de manière sous-optimale. »

Ils étaient les mots qui dirigeaient son existence. L’un des trois choses dont il se souvenait.

Après cela Pisces était retourné à son rire et à se parler lui-même. Toren avait oublié la majorité du reste. À un certain point, le mage était revenu et avait beaucoup parlé. Il avait utilisé beaucoup de mots complexe. Des mots comme ‘Donnes-moi l’obéissance absolue’ et ‘Pour faire avancer la cause de mes créations’ et ainsi de suite. Mais c’était après le serment, les mots de la création. Donc ils ne comptaient pas.

La neige était difficile à séparer avec de simple bois, donc Toren ramassa le morceau de bois qu’il avait utilisé comme pelle et commença à envoyer de la neige voler. En vérité, le nouvel ordre d’Erin ne le dérangeait pas. Il avait construit un mur, et maintenant il s’en débarrassait.

Un humain ou un autre être pensant se serait peut-être plaint des efforts gâché. Mais Toren n’avait rien de mieux à faire, et il ne s’ennuyait jamais. Il avait un boulot et il le faisait. Et il ne devenait pas froid ou inconfortable. Il n’avait jamais de problème de dos après avoir été penché comme Erin.

Voilà. La neige avait été déblayé, assez pour laisser passer un humain. Toren regarda la faille avec satisfaction, et puis il se demanda ce qu’il allait faire ensuite. Faire un plus gros trou ? Retirer plus de neige ? C’était difficile, mais il devait obéir. Toren obéissait toujours.
 
***

Erin revint plus tard pour donner d’autres instructions à Toren. Pendant ce temps il avait presque réussi à ajouter une trentaine de centimètres à son mur, un accomplissement dont il se sentait vaguement fier, mais qu’elle ne commenta pas.

« Ok, donc voilà le plan. »

Toren regarda Erin dans l’expectative alors qu’elle frissonna. Elle pointa en direction de Liscor.

« Je vais aller acheter des trucs. De la nourriture. Et j’ai besoin de voir si mes amis vont bien. Pendant que je suis parti, je veux que tu me trouves plus de bois pour le feu, d’accord ? »

Toren savait que cela voulait dire qu’Erin allait aller à Liscor. Il n’était jamais allé à Liscor. Erin lui avait dit plusieurs fois qu’il n’était pas autorisé à s’approcher de la ville au cas où il ferait peur à quelqu’un. Mais cela le dérangeait quand elle partait, car il devait la protéger.

Mais elle lui avait donné des ordres, donc il devait obéir. Le seul problème était que, même si Toren avait une compréhension basique de ce qu’était le bois de chauffage, il n’avait pas la moindre idée d’où trouver ce bois de chauffage. Normalement Erin brûlait les chaises et les tables cassées, est-ce qu’elle parlait de ça ?

Erin fronça les sourcils alors qu’il regarda dans la pièce, espérant trouver une table cassée à utiliser.

« Je ne sais pas où il y en a. Va trouver des arbres. »

Des arbres ? Le bois de chauffage pouvait venir des arbres. C’était un bon ordre. Toren hocha la tête alors qu’Erin lui lança un regard méfiant pendant une second avant de se tourner et partir. C’était presque blessant, si Toren avait eut des émotions à blesser. Il pouvait réaliser cette tâche. Il allait trouver un arbre et obtenir du bois de chauffage.

D’une manière ou d’un autre.

***

Toren commença à comprendre les sentiments. Ou peut-être qu’il était en train de commencer à penser des pensées. Ce qu’il ne faisait pas auparavant. Toren se souvenait d’une d’un temps où il n’avait pas été capable de penser pour lui-même. Il obéissait aux ordres de manière stupide et mécanique. Mais depuis qu’il avait gagné des niveaux en combattant, et surtout après le combat contre Écorcheur, Toren avait commencé à penser à des choses de plus en plus complexe.

Des choses comme… Si Erin lui demandait de ramasser des fruits, est-ce qu’elle parlait des fruits pourris rempli de ver et d’insectes se trouvant au sol ? Si Erin lui hurlait et lui disait de se débarrasser d’un insecte, est-ce qu’elle voulait qu’il l’écrase, le poignarde ou le sorte ? Combien y’avait-il de moyen de poignarder Pisces ? Lesquels allait tuer le mage plus rapidement ?

Ce n’est pas que Toren avait une quelconque animosité envers son créateur. Mais l’une de ses missions était de protéger Erin. Donc, si Pisces attaquait, Toren allait devoir le tuer. Cela faisait parfaitement sens.

Le paysage hivernal était recouvert de neige. Tellement de neige ! Toren n’avait jamais vu de la neige et il n’avait pas l’habitude de marcher dedans. Le fait que cela le ralentissait était malchanceux. Il faisait deux pas, tombait dans un trou, et perdait plusieurs précieuses minutes à remonter.

C’était inconvénient, mais pas si terrible que ça. Mais Toren était souvent distrait par les formes bleues et dansantes qui tournaient autour de lui. Elles étaient… Difficile à voir, et encore plus difficile à entendre, mais Toren pouvait comprendre toutes les langues, et le langage des fées était compréhensible pour lui. Elles riaient et suivaient sa lente progression depuis les cieux.
 
 
« Hark ! Regardez, mes sœurs, le sac d’os va chercher du bois pour la fragile humaine ! »
 
« Est-ce que cette stupide chose sait qu’elle n’a pas de hache ? Pas de hache ou d’épée. »
 
« Comment va-t-il couper un arbre ? Avec ses dents ? » [color]
 
 
Toren s’arrêta. Il regarda ses mains vides. Il avait oublié son épée. Bon. Ce n’était pas son épée car Erin ne le laissait pas la porter tout le temps. Mais c’était un bon point. Il avait besoin de quelque chose pour couper.

Aussitôt, Toren fit demi-tour et commença à marcher vers l’auberge alors que les Fées de Givres tournaient au-dessus de lui.

 « Cette stupide chose nous entend ! Hah ! »

***

Les premiers arbres que Toren trouva étaient les arbres à fruits bleus dans le petit verger qu’Erin avait découvert il y a longtemps. L’écorce grise des arbres était la seule chose qui ressortait du paysage blanc. Toutes les étranges feuilles vertes étaient tombées dans la neige, tout comme les fruits bleus. Il ne restait que les arbres, de sombres sentinelles.

Toren leva l’épée qu’il avait prise à un aventurier il y a longtemps et se demanda si cela allait être adapté pour couper du bois de chauffage. Et combien devait-il en couper ?

Il décida que tous les arbres allaient être un bon début, et commença avec l’arbre le plus proche. Toren leva son épée et visa le tronc. Il avait gagné quelques compétences en passant au Niveau 11. [Force Mineure] était l’une d’entre elle. Maintenant l’épée n’était pas aussi lourde dans ses mains, et Toren sentait qu’il pouvait être capable de décapiter un ennemi en trois coups.

Le squelette leva son épée et l’abaissa en donnant un puissant coup. L’épée de fer s’écrasa contre l’écorce…

Et rebondit.

L’impact avec presque arracher l’arme des mains de Toren. Il perdit son équilibre et leva de nouveau son épée. Il donna un nouveau coup à l’arbre et l’arme rebondit de nouveau sur le bois gris.

Toren ne fronça pas les sourcils. Il ne perdit pas de temps à hésiter. Il leva son épée et commença à frapper le bois. Après quelque temps, il changea de côté car la lame commençait à s’émousser. À la fin il lâcha son épée et commença à donner des coups de pieds à l’arbre.

Après une heure, Toren devait admettre qu’il n’avançait pas beaucoup. L’écorce de l’arbre qu’il avait attaqué avait à peine été écorchée par ses efforts et son épée était émoussée et la poignée était légèrement tordue. Cet arbre n’allait pas tomber aussi facilement.

Toren s’arrêta, les flocons de neige tournant autour de sa tête. Certains entraient dans ses orbites et fondirent. L’eau coula dans la mâchoire de Toren.

Trouver du bois de chauffage. C’était ce qu’Erin avait dit. Elle lui avait dit de trouver des arbres pour le bois de chauffage, ou sinon il allait devoir couper des morceaux l’auberge. Mais ici les arbres ne voulaient pas se couper. C’était un problème.

À moins… Peut-être, juste peut-être que ces arbres n’étaient pas les arbres qu’Erin voulait. Aha ! Voilà le genre de réflexion qui séparait Toren des autres squelettes.

Toren quitta le verger de fruits bleus, s’auto-félicitant sur sa nouvelle révélation alors qu’il marcha à travers la neige. Il n’était pas comme les autres mort-vivants. Il le savait, car il l’avait vécu.

Quand les mort-vivants avaient attaqué Liscor, Toren s’était inquiété. Il avait été inquiété qu’Erin le remplace pour une goule, ou peut-être un zombie ou un autre squelette. Il avait été soulagé d’apprendre qu’ils essayaient tous de la tuer.
 
Mais après, ils avaient tous obéit à la créature connue sous le nom d’Écorcheur. Toren avait entendu les ordres du vert géant, sentit les esprits des Seigneurs des Cryptes essayant de le contrôler. Mais il était unique, d’une manière qui lui permettait d’ignorer leurs ordres.

Unique. Toren sentait que c’était une bonne chose de l’être. Il pouvait faire des choses que les autres squelettes ne pouvaient pas. Par exemple, il lui arrivait d’avoir ses os éparpillés ou brisés quand il se battait. Mais contrairement aux autres squelettes, et qu’importe le degré de destruction dans lequel il se trouvait, il pouvait toujours se relever.

C’était dut à la magie, et le mana qu’Erin lui fournissait. Toren avait une limite sur la quantité de mana qu’il pouvait contenir, mais c’était sa force, son pouvoir qui lui permettant de rassembler ses os et de soigner les fractures. S’il tombait à court de mana, Toren allait peut-être mourir pour de bon comme ses compères squelettes.

Ce fut un problème auquel Toren pensa quand il tomba dans un trou rempli d’araignée en colère avant de s’empêtrer dans leurs toiles. Elles le mordirent constamment, suffisamment fort pour briser ses os.

Bon, un os brisé n’était pas si terrible. Tant que l’os n’était pas réduit en miette ou répartit sur une trop longue distance, la quantité de mana nécessaire pour le réparer n’était pas trop élevée. Ce qui était une bonne chose, car Erin ne lui donnait pas beaucoup de mana.

Toren n’était pas un mage, mais il comprenant qu’Erin générait un peu de mana en vivant, qui allait directement en lui grâce à Pisces. Mais la quantité était terriblement, terriblement basse. Toren pouvait vaguement sentir le mana des autres, et de Ryoka, l’autre humaine qu’il n’avait pas le droit de tuer, avait quatre fois plus de magie en elle qu’Erin.

Si elle était celle qui la fournissait en mana, il aurait probablement plus d’énergie pour… Tout faire. Mais en cet instant, il luttait pour se libérer alors que les Araignées Cuirassées le mordirent jusqu’à se rendre compte qu’il n’y avait rien à mordre. Elles le libérèrent de leurs toiles et plutôt que de le laisser dans le piège camouflée et il s’extirpa du piège. Il n’était pas certain de pouvoir blesser les Araignées Cuirassées avec son épée émoussée, et il y en avait au moins quarante dans ce nid.

Toren continua son chemin à la recherche d’arbres. Oui, les choses seraient bien mieux si une autre personne le fournissant en mana. Ryoka, pour tout le mana qu’elle avait en plus comparée à Erin, était une bougie face au feu de camp qu’étaient Pisces et Ceria. Chacun d’entre eux pouvait facilement sustenter dix Torens sans aucun souci. Mais Erin était la source d’énergie de Toren, et c’était comme ça.

***

Toren n’était pas certain de la distance qu’il avait traversée quand il vit le premier groupement d’arbres au loin. Ils apparurent alors qu’il franchit le sommet d’une colline, une tache marron dans la neige. Il s’avança rapidement vers eux, et vit une petite forêt ! Une forêt d’arbres !

En vérité, les arbres semblaient étranges. Beaucoup d’entre eux n’avaient pas du tout d’écorce, et Toren ne savait pas pourquoi. Son idée était que quelque chose avait mangé l’écorce. Toren s’en moquait un peu. Les arbres étaient du bois, et le bois était ce qu’il lui fallait. S’il voulait penser à quelque chose…

Bon, il essayait de ne pas penser à autre chose que ce qu’il devait faire. Les pensées qui n’étaient pas nécessaires n’étaient pas utiles.

Couper un arbre avec une épée émoussée n’était pas facile, mais ce n’était pas impossible comme les autres arbres.

Toren arriva finalement à faire tomber l’arbre, et même à couper une grosse partie en continuant de la taper avec son épée. En vérité, c’était sa compétence de force qui avait fait la majorité du travail ; et une fois qu’il avait terminé de trancher une partie de l’arbre, son épée était belle et bien inutile.

Le squelette l’abandonna dans la forêt. Il pouvait y revenir si nécessaire, et il avait besoin de ses deux mains pour tirer le gros morceau d’arbre qu’il avait coupé.

Tirer le lourd morceau de bois à travers la neige était lent et compliqué. Toren glissa plus d’une fois en poussant son fardeau pour monter une colline, et le bois allait lui rouler dessus lorsqu’il essayait de le pousser.

Oui, le voyage était semé d’embûches. Toren dérangea des nids d’Araignée Cuirassées, fut la cible des fées qui lâchèrent de la neige sur sa tête, et déçu une ourse qui le fracassa une fois qu’elle réalise qu’il n’était pas comestible.

Il continua d’avancer, tirant le morceau de bois, regardant alors qu’un troupeau de sanglier poilu suivit un Gnoll à travers la neige, et voyant au loin des gigantesques golems fait de neige se former lentement et prendre vie comme il l’avait fait. Il allait compléter sa tâche. Il allait bien la faire. C’était la seule chose que Toren savait faire.
 
Et enfin, il arriva.
 
Toren poussa le morceau de bois à côté de l’auberge et se demanda s’il allait avoir le temps de trouver un autre morceau avant le retour d’Erin. C’était faisable, s’il ne se faisait pas attaquer en route.

Mais Toren pensa à quelque chose. Il avait du bois. Peut-être que c’était du bois de chauffage, mais qui pouvait vraiment le savoir ? Est-ce que tout le bois était le même ? Et si ce qu’il avait n’était… Pas du bois de chauffage ?

Il devait savoir. Toren trouva une hachette parmi les armes qu’il avait collectées. Il n’était pas certain que ça allait mieux couper qu’une épée, mais cela allait peut-être faire l’affaire. Il commença à découper le morceau de bois qu’il avait ramassé.

Comme c’était étrange ! L’écorce sur l’arbre était épaisse, et se tranchait facilement. Toren réussit à trancher un gros morceau de bois et le porta dans l’auberge. Il le jeta dans le foyer et regarda autour de lui. Erin lui avait montré comment allumer un feu avec précaution et de le maintenir en vie. Il avait juste besoin de trouver du petit-bois et un briquet, et peut-être du charbon de la cuisine si le feu était encore chaud.

Il ne l’était pas, mais Toren parmi quand même à rapidement faire naître une petite braise. Un peu de petit-bois ici et là, et les flammes s’embrasèrent et commencèrent à grignoter le feu.

Et c’était du bois de chauffage ! Toren était heureux, ou du moins, il se rapprochait de son idée du bonheur. Satisfait était un mot plus adapté. Il avait du feu. Et le bois brûlait bien ! Toren regarda le bois brûlant et remarqua quelque chose d’étrange.

L’écorce était en train de réagir à la chaleur. Alors que la température changea de glacial à tiède, le bois et l’écorce commencèrent à se tordre légèrement, comme si elles étaient vivantes. Toren pencha sa tête. Est-ce que c’était mauvais signe. Il n’avait jamais vu quelque chose comme ça arriver avec les autres bois.

Peut-être que le feu avait besoin d’être plus chaud ? Toren trouva le tisonnier et toucha le bois plusieurs fois. L’écorce du bois sembla se contracter alors que les flammes grandirent…

***

Toren se réveilla plus tard. Il n’était pas certain de quand plus tard était ; uniquement qu’il était en morceaux. Le sentiment ne lui était pas inconnu. Il sentit sa tête rouler vers le reste de son corps, avant que le reste de ses os ne le rejoigne.

Une, deux, trois… Toren perdit le compte après cent cinquante. Il avait beaucoup d’os. Certains étaient humains, mais d’autres étaient Drakéide ou Gnoll. Cela n’avait pas d’importance, sa cage thoracique était plus solide que celle d’un humain normal, et il avait des os plus solides pour mieux résister au choc.

Dans la majorité des cas.

Quand Toren fut complètement rassemblé il commença à se demander ce qui s’était passé. Qu’est-ce qui s’était passé ? Il avait été en train de regarder le bois de chauffage dans le feu et puis…

« Tu l’a explosé ! »

Toren regarda autour de lui. Il y avait Erin ! Elle était de retour ! Elle allait pouvoir voir le bois de chauffage qu’il avait trouvé et…

Ce ne fut qu’à cet instant que Toren réalisé que quelque chose n’allait pas. Quelque chose n’allait terriblement, terriblement pas. C’était une chose difficile à remarquer. Il y avait l’auberge, et il était dehors. Normalement ces deux choses étaient totalement banales, presque mondaines. Mais Toren était plutôt certain que l’extérieur ne devait pas être connecté à l’intérieur de l’auberge aussi… Intimement.

Des vents froids et mordants s’engouffraient dans le trou béant dans la devanture de l’Auberge Vagabonde. Toren regarda le chaos qu’était devenu l’intérieur détruit et se sentit mal à l’aise. Ce n’était pas normal.

Quelque chose d’horrible venait de se passer.

Erin Solstice regarda son auberge détruite, sans trouver les mots. Toren la regarda, anxieux. Est-ce qu’elle savait ce qu’était arrivé ? Elle était juste en train de regarder, dévastée. Est-ce qu’elle voulait qu’il nettoie ? Est-ce que c’était de sa faute ?

« Comment est… J’ai juste… je t’ai demandé d’aller chercher du bois de chauffage. Comment est-ce que c’était arrivé ? Je veux dire, c’est juste du bois de chauffage. Comment est-ce que tu… »

Erin tourna la tête et vit le morceau d’arbre que Toren avait ramené. Elle pâlit.

« Oh mon dieu. Les arbres explosifs. Tu en as coupé un ? Ils explosent ! Comment est-ce que tu n’as pas remarqué ça ? »

Oh. Toren ne comprenait pas parfaitement, mais il pouvait recoller les morceaux. Un arbre explosif ? Il n’avait rien fait quand il s’était approché, mais le [Tacticien] au fond de lui disait que c’était probablement lié à la température. Quand il s’était réchauffé, le bois avait explosé.

S’il avait pensé à l’étrangeté du bois, peut-être que Toren l’aurait réalisé. Toutes les pensées non-nécessaires n’était peut-être pas inutile. C’était mieux de plus penser. Une importante leçon. Toren savait que c’était le cas, mais pour l’instant, il se sentait… Coupable.

Erin baissa les yeux vers Toren.
 
« Je… Est-ce que tu as la moindre de combien ça va me coûter de réparer l’auberge ? En hiver ? »

Toren ne le savait pas. Tout ce qu’il savait c’était qu’Erin était en colère. Plus en colère que lorsqu’il avait involontairement mit le feu au parquet. Plus en colère que lorsqu’il avait continué de rajouter du sel à la soupe car elle ne lui avait pas dit d’arrêter. Plus en colère que lorsqu’elle avait demandé qu’elle lui ‘donne un coup de main’ et qu’il l’avait fait.

Elle était vraiment, vraiment en colère.

Toren était prêt. Il savait que ce qui allait arriver quand il faisait une erreur. Erin allait lui crier dessus ou lui lancer des choses, ou lui dire qu’elle le détestait. Mais elle ne le faisait pas tout le temps.

La jeune femme habillée dans un épais manteau d’hiver regarda son auberge détruite et se laissa tomber au sol. Elle s’assit dans la neige, malgré le fait que Toren savait qu’elle n’aimait pas les choses froides. Elle baissa la tête, et lorsqu’elle parla, sa voix était rauque.

« Va-t'en, Toren. »

Toren hésita. Il n’avait jamais reçu un tel ordre. Il n’avait jamais… Jamais entendu Erin parler comme ça. Il regarda son visage. De l’humidité coulait de ses joues et gelait dans le vent glacial. Des larmes ?

Des larmes.

La vision paralysa Toren. Mais les mots se collèrent à lui ? Va-t’en. Où ? Pour aller où ? »

Erin ne le regarda pas. Elle pointa derrière elle.

Va-t’en. Juste… Va-t’en. »

Toren ne voulait pas partir. Pour une fois, il ne voulait pas obéir. Mais ses pieds marchèrent et l’emportèrent au loin. Le squelette commença à marcher alors qu’à l’intérieur de lui.

Elle était en train de pleurer. Voilà comment ça s’appelait. Pleurer. Elle était en colère ; triste ; morne ; avec le cœur brisé ; souffrante ; bleu. Toren comprenait les mots grâce à la magie qui lui permettait de comprendre. Il connaissait les mots, mais il n’avait jamais compris ce qu’ils voulaient dire.

Jusqu’à maintenant.

Toren descendit lentement la colline, la tête basse. Le Drakéide nommé Relc et l’Antinium nommé Klbkch le passèrent, l’ignorant. La demi-elfe, et les deux Drakéides la suivant, ignorèrent aussi Toren, même si la femelle Drakéide le regarda et eut un mouvement de recul.

Il n’y fit prêta pas attention. Toren continua de marcher, sans rien voir, ignorant le sol glissant sous ses pieds. Il continua de marcher, pensif.

Il avait fait une autre erreur. Une terrible erreur. Ce n’était pas comme les autres erreurs. Cette fois il avait détruit une partie de l’auberge. Il avait détruit quelque chose d’important.

Il…

Avait fait pleurer Erin.

Est-ce que c’était une mauvaise chose ? Cela ne faisait pas partie de ses ordres. Il devait juste obéir à Erin. Obéir et protéger et faire des choses non-optimales. Rien dans ses instructions ne mentionnait de la joie ou de la tristesse. Donc cela n’avait pas d’importance.

C’était ce qu’ Toren pensait, et il essaya de penser cette pensée le plus fort possible. Mais cela n’aida pas. La vue et le souvenir d’Erin pleurant le perturbait d’une manière qu’il ne pouvait pas expliquer. C’était…

Ce n’était pas normal. Ce n’était pas bien. Ce n’était pas comme les choses auraient dut être.

Toren se souvenait du bois de chauffage. Il avait trouvé le bois. Il avait coupé le bois, et l’avait ramené à l’auberge. Il avait tout fait à la perfection. Si seulement il avait attendu. Si seulement il n’avait pas essayé d’allumer un feu.

Si…

Toren trébucha et tomba. Il regarda autour de lui. Où est-ce qu’il était ? Il y avait de la neige blanche tout autour de lui, recouvrant les collines et les vallées l’entourant. Quelque part dans les plaines. Il était perdu. Mais cela n’avait pas d’importance, il pouvait toujours retrouver Erin. Il était lui à elle.

Mais elle ne voulait pas de lui. Elle lui avait dit de ‘s’en aller’.

Pour combien de temps ? Pour toujours ? Toren ne voulait pas partir. Mais il le devait. C’était des ordres. C’était l’une des trois choses dont il se souvenait.

La voix l’appela. Le sud. Il se souvenait des mots.


« Lève-toi de nouveau, depuis les ténèbres. Viens à moi, mon armée éternelle. Rassemblez-vous et sachez que le temps de votre retour est proche.»


La voix lui avait parlé alors la mort d’Écorcheur. Il s’en souvenait, une voix dans sa tête. Qui avait appelé tous les autres mort-vivants. Ils étaient partis sous ses ordres, portant les épées magiques, les boucliers et les étranges objets luisant de pouvoir hors des ruines. Vers le sud.

Est-ce que Toren devrait aller au sud ? Ce n’était pas la voix de son maître. Mais elle l’appelait quand même, l’une des choses qu’il ne pouvait pas oublier. C’était tentant. Tellement tentant. Erin ne voulait pas de lui. Si elle ne voulait pas de lui, il devrait partir. Il ne la rendait que triste et colérique.

C’était une pensée qui venait à lui uniquement dans les heures les plus sombres de la nuit, quand il n’y avait rien d’autre à faire.

Pourquoi est-ce qu’il faisait quelque chose de la sorte ? Pourquoi est-ce qu’il devrait obéir aux mots dans sa tête ? Ils étaient juste des mots. Pourquoi devaient-ils le lier ?

La voix l’appela. Il devrait partir.
 
Toren commença à marcher vers le sud, loin de l’auberge, loin d’Erin. Vers la voix. La voix lui donnerait un but, il en était certain. Mais il s’arrêta.

C’était juste que…

Toren était un [Guerrier Squelette] de Niveau 11. C’était ce que les voix dans sa tête lui disait. Mais il ne prenait jamais la peine de s’en souvenir. Ce n’était pas important. Il n’y avait que trois choses dont Toren se souvenait. La première était les ordres qui le liaient à ce monde. La seconde était la voix qui lui murmurait, qui parlait au continent entier et appelait les morts.

La troisième était la musique.

Il l’entendait dans le silence de son esprit. Elle venait à lui-même quand personne ne lui parlait, quand Erin était en colère ou quand il se battait. Ce n’était pas quelque chose que Toren pouvait maîtriser.

Il avait essayé de bloquer le son à de nombreuses reprises. Il s’était jeté du toit de l’auberge, mit sa tête sous l'eau en laissant un poisson le mordre. Il s’était frappé mainte et mainte fois, mais la musique continuait de jouer.

Un léger grattage était comment cela commençait. Un étrange son qu’il n’avait jamais entendu auparavant, un grattage rythmé. Et la voix d’un homme.

Quand Erin l’avait chanté, cela avait été dans sa voix. Mais Toren avait entendu une autre voix, et cette voix était désormais dans sa tête.


« Somewhere, over the rainbow. Way up high… »


Les paroles échoyaient dans son âme. Une voix chantait à Toren, lui parlant d’un endroit par-delà l’arc-en-ciel. Un endroit… Où les rêves devenaient réalité.

« How to be brave. How can I love when I’m afraid? »

Un piano. Des violons. Des choses pour lesquels Toren n’avait pas de mot, car il ne les avait jamais entendus. Mais la musique l’attrapait et l’entraînait. Il n’oublierait jamais.


« I have loved you for a thousand years. »



Toren s’arrêta. Il regarda dans le sud, vers la voix. Mais la musique était plus bruyante. Elle le touchait, et quelque chose à l’intérieur de Toren était là pour écouter. Quelque chose par-delà les os et la magie.

Il ne savait pas son nom. Mais cela le terrifiait. Mais le faisait se réjouir. C’était ce qu’aucun des autres mort-vivants n’avait. C’était à lui, et il ne pourrait jamais oublier.

Et c’était une photo, une chanson, un moment. Une jeune femme assise dans son auberge, chantant seule et entouré de gens. Chantant avec une voix qui apportait une chanson d’un autre monde.


« I don’t know why you hurt inside or what was said to make you cry…»


Toren prit sa tête entre ses mains. Il ouvrit sa mâchoire et hurla sans un bruit. La musique était en lui, il ne pourrait jamais l’oublier.

Jamais.


Erin lui sourit alors qu’il lui tendit le panier de fruits bleus.

« Merci, Toren. Je suppose que tu es pratique après tout, hein ? »


Elle lui donna un tape dans le temps alors que Toren contempla son prochain coup dans l’étrange jeu d’échec.

« Ne pense pas. Va s’y ! Je veux dire, pense, et ensuite va s’y. Tu peux le faire, d’accord ? »


Il se précipita aux côtés d’Erin, l’épée au clair alors qu’elle hurla et appela. Elle hurla des noms dans la nuit.

« Maman ! Papa… ! »

Elle pleura et il tint la garde jusqu’elle arrête de pleurer.


« Merci Toren. »


« C’est bien, Toren. »


« Beau boulot, Tor. »


Toren se releva. Il se secoua. La voix l’appelait toujours vers le sud, pleine de pouvoir, résonnant au plus profond de son être. Mais c’était une chose faible. Silencieuse. Qui ne pouvait pas le contrôler. Seul Toren pouvait se contrôler.

Et en cet instant, il avait ses ordres.

Va-t’en. Juste va-t’en. Mais Toren se souvenait de ses ordres avant cela.


« Je vais visiter quelques amis. Ne me suit pas à l’intérieur de la ville. Attends autour de l’auberge jusqu’à mon retour. Fait quelque chose d’utile. Je serais de retour avant la tombée de la nuit. »


Il se souvenait de tous les ordres qu’Erin lui avait donnés. Et elle lui avait dit ça une fois. Il y a fort longtemps. Mais cela comptait quand même.

Fait quelque chose de productif. Fait quelque chose d’utile. Toren se souvenait d’avoir pris un poisson hors de l’eau et de le réduire en charpie. Erin n’avait pas été contente, mais elle avait dit qu’il avait fait du bon boulot.

Il n’était pas utile. Il n’avait pas de valeur. Il avait explosé l’auberge et c’était une mauvaise chose. Il ne pouvait pas combattre l’aventurière avec un œil et un ne pouvait pas tuer beaucoup de chose.

Il devait devenir plus pratique. Il devait devenir… Plus fort.

Oui, fort. Plus solide, meilleur, plus rapide. Il ne savait pas comment rendre ses os plus solides, peut-être qu’il pourrait porter une armure ? Mais cela allait le rendre plus lent, pas plus rapide, mais meilleur était plus important.

Il devaitdevenir meilleur. Gagner des Niveaux. Mais comment ? En combattant des choses ? Il n’avait pas l’autorisation de tuer des Humains ou des Gnolls ou des Drakéides ou des Antiniums ou… Beaucoup de choses. Quand était-il des Araignées Cuirassées ? Et les Fées du Givre ? Quand était-il de l’homme qui se cachait dans les ombres en suivant Ryoka ?
 
Toren ne savait pas. Il n’en n’avait pas la moindre idée. Et cela frustrait Toren. Pour la première fois de sa vie, il était véritablement irrité. Il ne pouvait pas penser, et cela le mettait en colère.

Erin était celle avec les idées. Elle donnait de bons ordres. Il devait revenir, même si elle allait être en colère.

Elle lui avait dit de partir. Mais il devrait revenir. Il allait revenir. Il allait revenir et Erin allait lui donner des ordres. Si elle ne voulait pas de lui… Il penserait à quelque chose d’autre. Mais il allait revenir.

Toren hocha la tête. Les flammes bleues dans ses yeux brûlèrent plus ardemment, devenant plus blanche. La couleur saphir s’illumina de bleu tirant sur le blanc, et il se retourna avec détermination. Il allait devenir meilleur.

Le squelette fit deux pas dans la neige, alla sur la droite pour éviter une pierre, et tomba directement dans le trou béant alors que la neige s’effondra sous son poids.

Toren tomba, tomba, tomba ! Il rebondit contre un rocher et s’écrasa sur quelque chose de dur avant d’atterrir au sol avec assez de violence pour envoyer ses os voler dans toutes les directions.

Pendant quelques instants, tout ne fut que confusion. Toren se rassembla aussi vite que possible, essayant de savoir ce qui était arrivé. Il… Était tombé ? Comment ? Pourquoi ?

Un trou. Un trou dans le plafond. Toren leva les yeux ? Oui, il pouvait voir quelque chose au-dessus. Il était tombé dans un trou, une sorte de gouffre. Des tranchantes parois de pierre brillaient d’une légère lumière jusqu’au fond du trou.

Il était presque à cent vingt mètres de profondeur. Mais ce n’était pas ce qui était intéressant. La chose intéressante venait du fait que Toren remarqua que la pierre changeait à environ cinq mètres au-dessus de lui. Elle passait de briser à un mur de pierre, taillé et précisément ciselée. Une sorte de… Ruine ?

Oui, des ruines. Toren le reconnaissait comme étant la même chose que le corridor qu’il avait emprunté quand il était parti chercher Ceria et Olesm avec Erin. Mais celui-là était un corridor différent, un endroit différent. Où était-il ?

Un large couloir de pierre s’étendait devant lui. Un sol de pierre noire sous lui, un long corridor avec deux sorties. Toren regarda, et vit qu’une lumière brillante venait du côté droit et des ténèbres venant de l’autre. Il se tourna et ne vit que des ténèbres derrière lui. Une sorte de passage ? Vers ou ?

Le couloir n’était pas sombre. Quelque chose l’illuminait. Toren regarda autour de lui et vit des… Runes luisant au mur. D’étranges formes et des symboles brillant d’une différente couleur. Et c’était uniquement ce que ses yeux lui disaient. Il pouvait sentir cet endroit, sentir sa nature.

De la magie, pure et non raffinée fredonnant dans l’air. Toren pouvait sentir les mouvements autour de lui. Des points de magie tremblant de pouvoir brûlaient ses sens, d’autres mort-vivants autour de lui, du mouvement, des silhouettes luttant, courant autour de lui. Cet endroit, cette structure sous la terre était pleine de vie.

Les runes magiques autour de lui s’allumèrent et quelque chose marcha dans le couloir. Toren vit quelque chose d’humanoïde marcher vers lui.

Un immense guerrier en armure apparut dans le couloir, une silhouette portant une épaisse armure de plates qui serait trop grand même pour Relc. Toren vit que l’étrange guerrier était en train de tenir une épée lourde dans une main.

La silhouette en armure s’avança, Toren réalisa soudainement quelque chose n’allait pas. L’armure était en parfait état, ce qui était étrange pour un lieu aussi bas, mais ce n’était pas ce qui était étrange. Ce qui était étrange était que le guerrier en armure n’avait pas de tête.
 
L’armure tenait un casque dans sa main libre. Il était en train de briller… Quelque chose était en train de faire de la lumière sortant des fentes de son casque. Et la tête blindée le regardait directement.

Toren chercha autour de lui pour une épée, une arme, quoique ce soit, mais il n’y avait rien dans le couloir. Et l’armure était concentrée sur lui.

Le squelette pouvait courir, mais il ne savait pas où il était. Et il n’était pas certain de ce qui se passait. Donc il attendit. La création magique s’avança vers lui, ses pas lourds se réverbérant dans le couloir.

Il s’arrêta à trois mètres de Toren. L’armure enchantée leva son épée et une couleur orangé tirant vers le rouge se déversa de la cavité qu’était son cou. Toren entendit un terrible rugissement, le crissement du métal sur du métal, tellement bruyant et furieux que cela sonnait comme quelque chose de vivant.

L’armure s’avança, posant le casque sur son cou et tenant l’épée à deux mains. Toren regarda l’armure.

Elle allait le tuer. Réduire ses os en pièces. Le détruire. Il allait mourir s’il ne fuyait pas ou ne se battait pas. Il le savait.

Il n’y avait pas d’Erin pour lui dire ce qu’il fallait faire. Toren était seul. Seul et sans arme. Mais tout allait bien. Il avait des ordres. Il avait un but.

Lentement, Toren ouvrit sa bouche incroyablement grand, l’ouvrant à un point que son crâne partit en arrière. Il mit la main à sa bouche et, avec une main squelettique, l’enfonça dans la cavité où aurait dû être son cerveau.

L’armure s’arrêta alors que Toren s’empara de quelque chose de pourpre dans son crâne. Le squelette poussa et tira de son crâne, coinçant une… Gemme à l’intérieur de son orbite.

Toren leva les yeux. La gemme enchantée qu’il avait prise à Écorcheur brilla dans sa tête. Il ne pouvait pas le savoir, mais la flamme bleue de son crâne se mélangeait avec la lumière pourpre de la gemme, transformant les flammes de ses yeux en un profond violet.

L’armure enchantée hésita alors que Toren commença à s’avancer vers lui. Le squelette n’avait pas d’arme, pas d’armure. C’était juste un squelette, mais il y avait quelque chose en lui qui fit que la magie dirigeant l’armure et l’épée changea sa posture.

Toren s’en fichait. Il regardait au-dessus de lui, là ou une faible lueur était en train de briller depuis les hauteurs. Trop loin pour grimper même s’il trouvait un moyen d’atteindre le plafond. Mais cet endroit avait été construit. Par quelque chose, pour une quelconque raison. Toren comprenait les bâtiments. Il y avait généralement une entrée et une sortie qui n’impliquait pas un trou dans le sol.

Il y avait une sortie. Tout ce qu’il avait à faire était la trouver. Et le fait qu’il y avait des choses qui voulait le tuer n’était pas un problème. Toren serra ses poings alors que l’armure commença à charger vers lui. Il courut vers elle, la mâchoire ouverte dans un cri silencieux.

Il allait revenir.



Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 16 septembre 2020 à 22:19:05
2.11
Traduit par EllieVia


Tout était parti en fumée. C’était terminé.
 
L’Auberge Vagabonde n’était plus.
 
Erin regardait fixement ce qui avait été son auberge et vit le mur qui se dressait entre elle et tous les plans qu’elle venait de concocter. Ou plutôt non, elle ne le vit pas.
 
Étant donné qu’il n’y avait plus de murs.
 
Presque la moitié de son auberge avait été expulsée par l’explosion. Les murs, le plancher - même des morceaux du toit avaient été mis en pièces par l’écorce explosive lorsqu’elle avait été exposée à la chaleur du feu.
 
Et petit bonus, l’écorce avait eu le temps de s’enflammer lorsqu’elle avait jailli de la cheminée. Par conséquent, les parties de l’auberges qui n’avaient pas été bombardées de shrapnels avaient également pris feu.
 
Ce n’était que parce que le temps était tellement froid et venteux aujourd’hui que le feu n’avait pas dévoré l’auberge toute entière. En l’état, Erin pouvait voir directement à travers la salle commune et même une partie de l’étage de l’endroit où elle se trouvait dehors.
 
Il n’y avait aucun moyen de réparer ça. Erin ne saurait même pas par où commencer. Son [Artisanat Élémentaire] ne lui permettait pas de savoir comment réparer des fondations. L’endroit où s’était trouvée la cheminée - le centre de l’explosion - était à présent un cratère, et Erin ne voyait plus que de la poussière carbonisée là où auraient dû se trouver le plancher et la dalle de pierre.
 
L’auberge avait disparu. Et Erin n’avait plus de toit.
 
Le sentiment qui frappa Erin n’était pas exactement du désespoir. C’était plus une sorte d’engourdissement, un sentiment vaguement douloureux dans sa poitrine. Pourquoi ? Pourquoi avait-il fallu que ça tombe encore sur elle ?
 
Elle dit à Toren de s’en aller, et pendant un moment, elle se contenta de rester assise dans la neige pour essayer de déterminer ce qui allait se passer à présent. Qu’est-ce qui allait se passer, à présent ? Elle avait un peu d’argent, mais pas suffisamment. Elle était une [Aubergiste] sans auberge et sans autres compétences utiles que les échecs.
 
Elle était perdue.
 
Encore.
 
C’est ce mot qui apparut dans l’esprit d’Erin. Encore. Ce n’était pas la première fois que quelque chose de semblable lui arrivait. Cette pensée créa une étincelle, mais Erin était tellement fatiguée. Elle ne voulait pas réfléchir à quoi que ce soit qui implique de ramasser les fragments de bois ou trouver véritablement du bois pour remplacer les poutres endommagées.
 
Elle voulait juste rester assise ici et contempler les décombres de ce qui avait été son foyer.
 
“Wow. Il ne reste vraiment plus rien, hein ?”
 
Erin entendit la remarque pleine d’entrain de Relc lorsque le Drakéide atteint enfin le sommet de la colline. Elle était arrivée encore plus vite que Klbkch et lui en se précipitant à toutes jambes pour voir ce qui était arrivé à son auberge. Le Drakéide siffla en regardant autour de lui.
 
“Qu’est-ce qui a fait ça ? Je n’ai fait que voir la fumée et Tkrn a dit qu’il pouvait voir que l’auberge s’était effondrée de son poste aux murs. [Œil d’Aigle]. Sacrée compétence, hein ?”
 
“Elle a explosé.”
 
“Ouais, j’avais compris ce dét… aïe !”
 
Erin entendit un bruit sourd et les piétinements d’un Drakéide qui sautait à cloche-pied dans la neige. Puis Klbkch s’accroupit à côté d’elle. L’Antinium dévisagea Erin avec gravité.
 
“Je suis désolé pour ce qu’il s’est passé, Erin. Est-ce que c’était une attaque ou une défaillance magique ?”
 
“Non. Non. C’étaient les arbres.”
 
“Les arbres ?”
 
Relc cessa de sauter sur place en jurant et parut vaguement inquiet. Il attrapa sa lance et se retourna.
 
“Aw, non. Ne me dis pas que c’était un de ces arbres maudits. Ou une Dryade ? Je déteste les Dryades.”
 
Erin faillit sourire, mais elle en fut incapable.
 
“Non. C’était un arbre explosif. Toren a dû en couper un et le ramener ici.”
 
“Un arbre explosif ? Comment ça ?”
 
Klbkch hocha lentement la tête.
 
“Erin doit être en train de parler des rapports sur la forêt mortelle au sud-est d’ici. Tu dois te souvenir que c’est l’une des zones que nous évitons lors de nos patrouilles.”
 
“Ah, oui. L’endroit où le groupe d’éclaireurs a disparu ? Ouais. Wow. Donc les arbres explosent ?”
 
“L’écorce, oui.”
 
Erin voyait parfaitement la scène, à présent. Elle se souvenait à présent la réaction des arbres lorsqu’elle avait jeté une pierre dessus. Ils avaient failli lui arracher un œil avec un gland à quinze mètres. Si ce pouvoir explosif était concentré dans une jolie petite pièce…
 
“Eh bien, tant pis pour le dîner. J’ai faim. Tu veux aller au Voleur sans Queue à la place ? Je paie la première tournée.”
 
Klbkch se retourna pour dévisager Relc. Erin ne vit pas son visage, mais le Drakéide leva les serres en l’air, sur la défensive.
 
“Hey, je plaisantais ! Enfin, un peu. Je veux dire…”
 
Il agita une main en direction de l’auberge d’Erin et baissa la voix, même si Erin et Klbkch pouvaient tous deux l’entendre distinctement.
 
“Que va-t-elle faire ? Je ne pense pas qu’’un marteau et une poignée de clous suffisent pour réparer tout ça, pas vrai ?”
 
Erin resta silencieuse mais elle était d’accord avec Relc. Son auberge était détruite. Que pouvait-elle y faire ? C’était exactement la même situation que lorsqu’elle était arrivée ici. Elle ne pouvait rien faire.
 
C’était tellement injuste. Pourquoi est-ce que cela lui arrivait-il à elle ? Pourquoi…
 
“Oh non ! Erin !”
 
Erin entendit la voix une seconde avant que Selys ne manque de peu de la plaquer au sol. La Drakéide se jeta au cou d’Erin pendant que Ceria et Olesm finissaient d’atteindre le sommet de la colline, essoufflés. Selys contempla, bouche-bée, l’auberge d’Erin, puis Erin.
 
“Est-ce que tu es blessée ? Oh non, ton auberge ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
Ceria et Olesm contemplèrent le carnage, sous le choc, tandis qu’Erin marmottait quelques mots et que Relc racontait bruyamment ce qu’il s’était passé.
 
“Et après, ce crétin de squelette qu’elle a - Tors, un truc du genre - a dû y mettre le feu. L’arbre explose, et son auberge avec. Boum !”
 
“Je n’y crois pas.”
 
Selys n’arrêtait pas de répéter ça en serrant Erin dans ses bras. Ceria secouait la tête, l’air morne et fatiguée. Seul Olesm paraissait déterminé à rester optimiste. Le Drakéide regarda une planche fendue et tourna sur lui-même.
 
“Est-ce qu’on peut la réparer ?”
 
“Quoi ? Tu es dingue ?”
 
Se moqua Relc. Il montra d’une griffe la devanture ravagée de l’auberge.
 
“C’est impossible qu’elle parvienne à réparer ça toute seule. Il faudrait une équipe de charpentiers et une petite forêt, et aucune des deux n’est abordable, même si on n’était pas en hiver ! C’est foutu. L’auberge n’existe plus. Ce n’est plus qu’un souvenir. La destruction tot…”
 
Ceria se retourna et assena un violent coup de pied dans l’estomac de Relc. Il ne bougea pas, mais plissa les yeux.
 
“Ça fait mal.”
 
De sa main valide, Ceria envoya une aiguille de glace en direction du nez de Relc. Le Drakéide esquiva à une vitesse inhumaine, mais l’aiguille l’aurait raté, de toute façon.
 
“Ferme-la.”
 
“Hey, je dis juste…”
 
Relc esquiva une autre aiguille de glace, plus grosse et plus précise cette fois-ci. Il recula en marmottant des insultes.
 
Erin n’écouta ni ne vit Olesm et Klbkch discuter entre eux, ni Selys lui assurer qu’elle pouvait loger à son appartement avec Krshia. Elle se contenta de réfléchir.
 
C’était toujours la même chose. Toujours. Pas le même chemin pour y arriver, mais le sentiment était le même. Et c’était triste, mais Erin était habituée à cette sensation. Elle était habituée à ce genre de choses.
 
“J’ai déjà fait ça.”
 
Relc dévisagea Erin.
 
“Tu as déjà fait exploser ton auberge avant ?”
 
“Non. Mais tout ça…”
 
Erin ne pouvait pas décrire ce qu’elle ressentait. C’était tellement familier. Pourquoi ? C’était quelque chose qui revenait en boucle dans sa vie.
 
Un drame. Être triste. Manquer mourir. C’était toujours la même chose.
 
Mais il y avait toujours une autre étape. Pourquoi fallait-il toujours que ce soit tragique ? C’était injuste ?  Alors pourquoi fallait-il que ça arrive ?
 
Erin était une experte en drames. Donc pourquoi ne pouvait-elle pas transformer le drame en quelque chose de bien ? Ou du moins, de pas trop mal ?
 
Elle contempla fixement son auberge. Okay, quelle était la suite du script ? Elle allait regarder son auberge dévastée, pleurer un peu, peut-être manquer mourir de froid en essayant de la réparer, et ensuite… les Fées de Givre allaient probablement décider d’ensevelir l’auberge, aubergiste comprise.
 
C’était la suite de l’histoire. Mais Erin pouvait-elle la changer ?
 
“Est-ce qu’il est possible de la réparer ?”
 
“Non, c’est sans espoir ! Retournons en ville ! Je meurs de froid !”
 
Erin ignora Relc et Klbkch se retourna vers elle. Olesm et lui s’approchèrent et Erin se leva. Ceria et Selys rejoignirent le cercle. Relc s’approcha et presque tout le monde lui adressa un regard glacial.
 
Klbkch hocha la tête en direction de l’auberge d’Erin.
 
“J’ai déjà contacté ma Colonie. Une poignée d’Ouvriers vont arriver sous peu pour évaluer les dégâts. Peut-être qu’il est possible de la réparer.”
 
“Et je suis sûre qu’il n’y a pas tant de dégâts que ça. Ce n’est que le… côté de l’auberge. Je connais quelques [Charpentiers] en ville. Ils pourront peut-être aider !”
 
Olesm sourit à Erin d’un air peu convaincant. Selys hocha la tête et adopta le même ton sur-optimiste.
 
“Oui ! Et tu pourras probablement trouver suffisamment de bois pour reconstruire l’auberge. De Krshia. Elle pourrait, euh, connaître quelqu’un avec beaucoup de bois de construction en surplus. Ils reconstruisent beaucoup de bâtiments endommagés donc… ce sera peut-être moins cher ?”
 
Erin faillit sourire, puis elle se décida et se fendit d’un vrai sourire. C’était ridicule, sans espoir. Mais elle avait l’habitude, n’est-ce pas ? Continue de sourire, continue d’essayer. Elle frissonna, et réalisa soudain qu’il faisait vraiment froid.
 
Ceria claqua des doigts et marmotta quelques mots. Erin cilla en sentant l’air autour d’elle perdre soudain une grande partie de son mordant. Selys cligna des yeux et décroisa les bras.
 
“C’était quoi, ça ?”
 
“[Résistance Mineure à la Glace]. C’est un sort mineur pour mages à mon école. Ça ne bloque pas trop le froid, mais ça aide.”
 
En effet. Erin sourit avec gratitude à Ceria et la demie-Elfe lui fit un sourire en coin.
 
“Quelle super surprise, hein ? Je suis vraiment désolée pour ton auberge, Erin. Dis-moi si je peux aider. Je ne suis pas très douée en sorts de télékinésie et de déplacements, mais je peux quand même jeter un sort de [Réparation]. Je peux au moins réparer quelques planches.”
 
Olesm acquiesça.
 
“Et j’ai un marteau chez moi !”
 
Erin sourit. Elle avait soudain plus chaud, et pas juste physiquement. Elle avait des amis. Même au milieu de cet hiver gelé, elle avait des gens prêts à déplacer des montagnes pour elle.
 
Qu’aurait-elle pu demander de plus ?
 
“Et pourquoi pas un jacuzzi ?”
 
“Quoi ?”

“Rien.”
 
Klbkch, qui était resté silencieux, regardait l’auberge. Il leva les yeux et se retourna vers Erin.
 
“J’ai contacté l’un des Ouvriers les plus doués en construction au sein de ma Colonie. Il sera sur le site d’ici peu, mais il m’informe que l’auberge peut être reconstruite.”
 
“Vraiment ?”
 
Erin dévisagea Klbkch, incrédule. Il hocha calmement la tête.
 
“Oui. Mais il émet quelques mises en garde. Tout d’abord, les dégâts qui affectent les fondations ne sont pas négligeables. La majeure partie du bâtiment a beau être encore intacte, le reste devra être reconstruit et ne peut pas être bâti à partir des fragments qui restent. Avec un stock de bois, toutefois, il sera possible de construire une auberge, même s’il serait tout aussi simple d’en rebâtir une ailleurs.”
 
Tout le monde le dévisagea. Olesm ouvrit la bouche.
 
“Ce n’est pas simple.”
 
Klbkch haussa vaguement les épaules.
 
“Je ne suis plus Prognugator, mais j’assure un poste de commandement similaire. J’ai appelé trente Ouvriers Antiniums avec des niveaux dans des classes de construction qui viendront aider à la reconstruction sous peu.”
 
Les regards, loin de se détourner, s’intensifièrent. Klbkch se décala et regarda Erin. Elle cilla.
 
“Tu vas dire aux autres Antiniums de m’aider ? Est-ce que c’est… ta Reine ne va pas se mettre en colère ?”
 
Il secoua la tête.
 
“C’est un service que nous prodiguerons gratuitement. Cela ne prendra pas longtemps.”
 
Il hésita et jeta un œil à la devanture de l’auberge.
 
“... ce sera bien plus difficile de trouver du bois de construction. Le bois de charpente se fait rare en ville en ce moment. Cela prendra peut-être un jour ou deux pour en trouver suffisamment. Les Ouvriers peuvent commencer à réparer des portions de l’auberge et empêcher le reste de subir les intempéries, pour l’instant.”
 
“Oh.”
 
Erin s’avachit légèrement. Mais… c’était bien plus que tout ce qu’elle aurait pu souhaiter. Et c’était la même sensation. De l’aide… quelqu’un l’aidait sans qu’elle lui rende son aide. Elle regarda autour d’elle. Ne pouvait-elle donc rien faire ?
 
Elle aperçut quelque chose qui avait survécu à l’explosion. Un morceau d’arbre, tronçonné à la va-vite, de l’écorce encore enroulée autour des quelques branches du tronc. Relc était assis dessus, l’air de s’ennuyer ferme.
 
“Hey, il reste encore de l’arbre explosif.”
 
Tout le monde se retourna. Relc baissa les yeux sur son siège et se releva lentement. D’un seul mouvement, tout le monde s’éloigna lentement du tronc. Sauf Erin. Elle le regarda fixement, les sourcils froncés.
 
“Pourquoi est-ce que lui n’a pas explosé ?”
 
Selys lança un regard nerveux à Erin.
 
“Est-ce que tu penses qu’il va exploser maintenant ? Est-ce qu’on devrait encore s’éloigner ?”
 
“Non. Mais pourquoi n’explose-t-il pas ? Il devrait exploser dès l’instant où l’on s’en approche ou qu’on le frappe.”
 
Erin réfléchit pendant que Ceria et Relc se demandaient pourquoi cela n’avait pas déclenché leur [Instinct de Survie].
 
“C’est peut-être le froid ?”
 
“Le froid ?”
 
“Eh bien, si Toren était dans la forêt, même lui aurait remarqué si les arbres s’étaient mis à exploser. Et l’écorce aurait détoné s’il avait traîné un tronc jusqu’ici. Donc pourquoi est-ce qu’il n’a explosé qu’une fois à l’intérieur ?”
 
Elle imagina son squelette. Il n’était pas malin, mais même lui n’aurait pas ramené d’objet dangereux à l’intérieur de l’auberge. Il n’avait donc pas dû savoir que les arbres allaient exploser. Ergo - un mot soutenu qu’elle avait appris à l’école - les arbres devaient paraître parfaitement normaux. Jusqu’à ce qu’il les ramène à l’intérieur.
 
Alors, que s’était-il passé une fois à l’intérieur ? Toren avait probablement allumé le feu avec le bois. Pas grand-chose d’autre à faire avec du bois en intérieur. Et alors…
 
Boum. C’était probablement ce qui avait déclenché l’explosion. C’était l’hypothèse d’Erin, et elle décida de la tester.
 
“Hey, Relc, est-ce que tu peux descendre ce bois plus bas sur la colline ?”
 
Il ne voulait pas. Mais après quelques cajoleries (menaces) de Selys et Klbkch, il s’approcha avec réticence et fit rouler avec précautions le morceau de bois disgracieux sur la colline. Puis, une fois qu’il fût à peu près certain que l’arbre n’allait probablement pas exploser, il donna un grand coup de pied dedans, suffisamment fort pour l’envoyer s’écraser en bas de la pente.
 
Erin était relativement certaine que ceci aurait dû déclencher l’explosion, froid ou pas froid. Mais l’écorce ne frissonna même pas. Soit, cela ne faisait qu’étayer sa théorie.
 
Ensuite, Erin demanda à Ceria si elle connaissait des sorts de feu. Il apparut que c’était le cas, même si la demie-Elfe n’en connaissait qu’un ou deux.
 
“Ce n’est pas mon domaine de prédilection. Je suis une mage de glace, et tu te doutes que les deux éléments sont très différents. Mais si tu veux que j’allume quelque chose…””
 
Ceria ne pouvait pas lancer le feu très loin ni jeter de boules de feu, mais là encore, Relc était le Drakéide de la situation, même si la situation ne l’enchantait guère. Ceria alluma un fagot de planches et de brindilles qu’Erin avait rassemblés, et Relc alla poser le bois enflammé à côté de l’arbre avant de revenir en courant.
 
Il était tellement rapide ! Il était capable de traverser la centaine de mètres qui séparait le morceau d’arbre du reste du groupe en quelques secondes. Erin savait que le record mondial était quelque chose comme dix secondes, mais elle était certaine que Relc avait parcouru cette distance en moins de temps que ça.
La Drakéide se glissa à côté d’Erin et ils attendirent tous, tendus. Environ trente secondes après que Relc eut placé le feu à côté de l’arbre, Erin crut voir l’écorce frétiller...
 
L’écorce explosive de l’arbre n’était pas si dangereuse à cette distance, mais un fragment d’écorce vint tout de même rebondir doucement sur la carapace de Klbkch qui protégeait Erin. Tout le monde releva la tête pour regarder, mystifiés, la zone autour de l’arbre. Selys agita la queue et cligna des yeux.
 
“Whoa.”
 
La neige autour du morceau de tronc avait été repoussée en une espèce de demi-cercle et la terre avait été soulevée aussi par la force de l’explosion. On aurait un peu dit un cratère d’obus et Erin le fit remarquer.
 
“Tu veux dire que tu as des arbres explosifs là d’où tu viens aussi ? Mais d’où viens-tu donc ?”
 
Olesm secoua la tête en retournant vers l’arbre. Erin tâta précautionneusement le bois à présent dénué d’écorce et se rendit compte qu’il était merveilleusement lisse. Et, incroyablement, intact.
 
“L’écorce explose et laisse l’arbre intact. C’est tellement bizarre.”
 
Relc roula des yeux, impatient, et frissonna, planté à côté d’Erin. Il n’avait pas mis plus de vêtements que d’habitude, alors qu’il faisait si froid. Son torse nu était probablement là pour montrer à quel point il était un dur à cuire, mais, pour Erin, il avait quand même l’air d’avoir froid.
 
“Okay, apparemment tes arbres ne te tuent pas à moins qu’il fasse chaud. Et alors ?”
 
Erin pointa l’arbre du doigt et regarda Klbkch.
 
“Hey, Klbkch. Tu as dit que les Ouvriers avaient besoin de bois. Ça ferait l’affaire ?”
 
Relc cilla. Olesm claqua des griffes - un bruit plus doux qu’un claquement, d’ailleurs - et ses lèvres formèrent les mots “bien sûr”. Klbkch contempla en silence le morceau de bois. Il ne dit rien pendant une minute, puis acquiesça.
 
“Oui. L’Ouvrier me dit que ce bois semble relativement similaire aux fûts qu’il a l’habitude d’utiliser. Et s’il peut résister à l’impact de telles explosions, il devrait certainement correspondre à tes besoins.”
 
“Bonne idée, Erin !”
 
La félicita Selys. Erin sourit.
 
“Il y a une forêt entière de ces arbres à la noix. Probablement assez pour construire une auberge, pas vrai ?”
 
“Je présume.”
 
Erin eut un sentiment d’accomplissement. Ce n’était pas en train de se passer comme les autres fois. Peut-être que cette fois-ci, cela allait bien se terminer. Mais est-ce que cela pouvait se terminer… encore mieux ?
 
“Hum, tu disais qu’il serait tout aussi simple de bâtir une nouvelle auberge, pas vrai ?”
 
“C’est exact.”
 
“En ce cas… est-ce que tu pourrais la reconstruire plus près de la ville ? Sur une autre colline, par exemple ?”
 
La bouche de Selys s’ouvrit en grand en même temps que celle d’Olesm. Mais Ceria sourit de toutes ses dents, et Relc éclata de rire. Klbkch parut amusé et marqua une pause avant de répondre.
 
“Cela devrait être possible. Il y a quelques collines d’une hauteur suffisante qui pourraient convenir, d’après les Ouvriers. Devrions-nous aller les inspecter ?”
 
Erin sourit. Le soleil sortait de derrière les nuages. La lumière vive fit étinceler la neige d’un éclat aveuglant, et cela la réconforta. Le monde allait mieux.
 
“Merci, Klbkch.”
 
“Je t’en prie, Erin Solstice.”
 
***

Le premier Ouvrier rejoignit Erin et le reste du groupe sur la colline qu’ils avaient choisie. Elle était plus proche de la ville - suffisamment près pour qu’elle puisse voir les portes là où elle se tenait. C’était à… cinq cents mètres ? Un mile ? Cinq miles ? Erin n’était pas douée en distances.
 
C’était suffisamment près pour qu’elle n’ait que vingt minutes à marcher sans se presser pour aller là-bas, ce qui serait beaucoup mieux que son trek habituel. Et encore mieux, la colline approuvée par Klbkch était plutôt grande. Il y avait de la place pour tout ce que voulait Erin.
“Donc les latrines seront ici, et j’airai un sous-sol ?”
 
Erin regarda Klbkch, surexcitée. Il hocha calmement la tête.
 
“Les Ouvriers vont se mettre au travail immédiatement. Il en faudra une vingtaine pour aller ramasser le nombre adéquat de fûts.”
 
“Je peux aller avec vous. C’est plutôt loin.”
 
“J’ai mémorisé la carte des environs et je connais le lieu. Tu devrais rester ici pour superviser la construction.”
 
“Certes, certes.”
 
“Je vais rester avec elle.”
 
Relc bailla et les Ouvriers passèrent en file indienne devant lui. Il s’appuya sur sa lance.
 
“Je vais la protéger contre… le vent.”
 
“Tu vas venir avec nous. Les monstres pourraient chercher à attaquer un tel groupe.”
 
“Aw. Je suis obligé ?”
 
“Je viens avec vous.”
 
Relc cligna des yeux lorsque Ceria s’avança. Erin voulait protester, mais la demie-Elfe était catégorique.
 
“Trois combattants valent mieux que deux, et aucun de vous n’est mage. Je suis peut-être en convalescente, mais je peux encore jeter quelques sorts sans baguette.”
 
C’était logique, mais Erin restait inquiète pour Ceria, jusqu’à ce que Klbkch lui assure qu’il ne lui arriverait rien. C’était juste plus dur de faire confiance quand c’était Relc qui le disait.
 
Olesm et Selys restèrent avec Erin et Klbkch, Relc et Ceria partirent avec le groupe de ramasseurs de bois. Ils débattirent de la marche à suivre. Olesm était pour rentrer à l’auberge et jouer aux échecs, tandis que Selys disait qu’ils devraient ramasser tout ce qu’ils pouvaient sauver pour que les Ouvriers ne soient pas obligés de le faire.
 
Erin était d’accord avec les deux lorsqu’elle vit le deuxième groupe d’Ouvriers arriver au sommet de la colline. Elle se figea, puis hurla de joie en agitant les bras.
 
“Pion !”
 
L’Ouvrier leva sa main valide, un Ouvrier à ses côtés l’aidant à marcher. Erin se précipita vers lui en riant, suivie par Olesm. Selys resta en arrière.
 
Il était difficile de déchiffrer l’expression de l’Antinium, mais Erin était certaine que Pion souriait lorsqu’elle arriva à sa hauteur. Il leva la main, mais elle jeta ses bras autour de son cou. Il se figea, mais Erin n’en avait cure. La carapace de l’Antinium qu’elle enlaçait était dure, lisse, et fraîche. Elle ne pouvait décrire la sensation, mais son exosquelette paraissait vivant, et c’était déstabilisant. Mais c’était surtout que c’était Pion !
 
“Ça fait tellement longtemps ! Comment vas-tu ? Est-ce que tout se passe bien dans la Colonie ? Pourquoi est-ce que tu viens aider ?”
 
Erin bombarda Pion de questions avant de remarquer l’identité de l’Ouvrier qui l’aidait à marcher dans la neige.
 
“Bird !”
 
L’autre Ouvrier, l’un des quatre survivants de la bataille contre Écorcheur et les morts-vivants, inclina poliment la tête en direction d’Erin en aidant Pion à avancer vers l’auberge. Un autre Ouvrier anonyme posa une chaise et Pion s’y assit au sommet de la colline vide.
 
“Où sont les autres ? Garry, hum… Belgrade et Anand ?”
 
“Belgrade est encore trop souffrant pour bouger, mais les autres vont bien. Ils servent la Colonie ailleurs en ce moment.”
 
“Eh bien, je suis ravie de vous voir aussi ! Est-ce que vous allez bien ?”
 
Bird hocha poliment la tête, mais laissa Pion guider la conversation. L’Ouvrier se pencha en avant dans sa chaise et inclina la tête à l’attention d’Erin, comme s’il était à une réunion d’entreprise.
 
“Erin, il est bon de te revoir. Je me porte très bien et je regrette de ne pas avoir eu le temps de venir te rendre visite plus tôt. Mais nous avons été… occupés après la bataille contre les morts-vivants. Toutefois, je suis ici à présent pour t’aider à la hauteur de mes capacités.”
 
Erin regarda autour d’elle. Pion et Bird étaient suivi de dix autres Ouvriers. Ils n’attendirent pas pour se mettre au travail. Ils avancèrent au pas en direction de son auberge à travers la neige qui leur arrivaient aux chevilles. Aucun Antinium ne portait de vêtements, et Erin se demanda s’ils allaient s’en sortir dans la neige.
 
“Inutile de t’inquiéter pour les Antiniums. Nous pouvons survivre à des températures glaciaires pendant deux heures avant d’avoir besoin de chaleur. Nous ferons un feu pour nous réchauffer avant d’en avoir besoin.”
 
Erin sourit à Pion. Comme Klbkch, il était toujours plutôt calme, mais Pion avait un air plus familier. Et il avait l’air de plutôt bien comprendre les pensées d’Erin.
 
“Je n’arrive juste pas à croire que tu sois ici. Et… est-ce que ton bras est en train de repousser ?”
 
Elle pointa soudain le doigt en direction du flanc de Pion. Erin se souvenait des moignons qui étaient tout ce qu’il restait de ses trois bras et de sa jambe, et on aurait dit qu’ils étaient plus grands que d’habitude. Pion acquiesça, et désigna les moignons de son bras valide.
 
“La Colonie possède plusieurs substances uniques qui permettent la régénération des membres d’Antiniums. Je retrouverai une motricité d’ici la fin du mois si tout se passe bien. Pendant ce temps, je dirigerai les opérations de réparations de ton auberge.”
 
“C’est vraiment génial. Vraiment.”
 
Cela n’excusait pas les événements qui avaient menés à la perte desdits membres, mais Erin ne voulait pas compliquer les choses. Elle sourit à Pion et Bird.
 
“Donc vous allez aider ? Vous savez ce qu’il se passe ?”
 
“Oui. Le Revelantor nous a déjà donné ses instructions. Nous allons reconstruire ton auberge ici, Erin. Cela prendra peut-être du temps pour creuser les fondations et couper les fûts, mais tout devrait être terminé d’ici minuit.”
 
Les yeux d’Erin sortirent de leurs orbites, et elle regarda la colline vide, encore couverte de neige.
 
“Non. Sérieusement ?”
 
“Les Ouvriers n’ont pas besoin de beaucoup de repos et nous avons tous quelques niveaux dans les classes appropriées. De plus, nous sommes venus en nombre. Nous avons déjà reconstruit une grande partie de Liscor. Ne t’inquiète pas. Ton auberge sera reconstruite plus qu’à neuf.”
 
Erin sourit à Pion, et sentit ses yeux la piquer légèrement.
 
“Eh bien. Eh bien… je vous revaudrai ça, je le promets.”
 
“Je le crois, oui. J’ai cru comprendre que le prix que le Revelantor compte te demander est de permettre aux Antiniums de venir apprendre les échecs dans ton auberge.”
 
Selys fronça les sourcils et Olesm eut l’air ravi. Erin était incrédule.
 
“Quoi ? Ce n’est pas un prix. C’est… c’est encore vous qui m’aideriez !”
 
“Cela aidera aussi la Colonie. Excuse-moi, mais il ne m’est pas permis de trop discuter les détails. Mais cela nous aidera.”
 
“Eh bien… bien sûr ! Je veux dire, ce sera déjà beaucoup mieux. Mon auberge était déjà pleine de trous, et maintenant, elle sera plus proche de la ville, pas vrai ?”
 
Selys hocha joyeusement la tête.
 
“Maintenant, je pourrai venir te voir après le travail plutôt que devoir trouver quelqu’un pour m’amener jusqu’ici. Et cela ne fera pas du mal à tes affaires, j’en suis sûre.”
 
“C’est peut-être bien pour le mieux.”
 
Acquiesça Olesm en regardant fixement Bird. L’Ouvrier avait l’air vaguement mal à l’aise, mais Erin connaissait Olesm, et était persuadée qu’il allait le défier à une partie d’échecs.
 
“Et je peux mettre moins de temps pour les courses, et je n’aurai plus à porter de sac aussi loin.”
 
Tout avait l’air mieux. Erin ressentit un soulagement immense et une grande joie envahir sa poitrine. Selys tapota les jambes d’Erin de sa queue en lui souriant.
 
“Faire exploser ton auberge est la meilleure chose qui te soit arrivée, hein, Erin ?”
 
“Oui. Je n’en veux presque plus à Toren. Je veux dire, ce n’était pas vraiment sa faute.”
 
Erin soupira. Ce n’était vraiment pas la faute du squelette. C’était un abruti, mais il n’était pas stupide. Et il avait trouvé du bois, finalement. Elle ne lui crierait pas dessus, elle se le promettait. Puis une pensée lui vint et Erin se retourna en fronçant les sourcils.
 
est Toren ?”
 
Pion et le reste du groupe regardèrent autour d’eux aussi. Erin réalisa soudain qu’elle ne l’avait pas vu depuis un moment.
 
“Est-ce qu’il fait une tâche pour toi, Erin ? Peut-être quelques courses ?”
 
“Non…”
 
Erin se souvint de ce qu’elle lui avait dit. “Va-t’en.”
 
“Oh. Je lui ai dit de partir après qu’il a eu fait sauter l’auberge. J’imagine qu’il est toujours parti.”
 
Olesm fronça les sourcils.
 
“Est-ce qu’il va revenir ?”
 
Erin rama.
 
“Eh bien… Oui ! Je voulais juste dire, va-t’en un moment. Pas pour toujours. Il reviendra bientôt, j’en suis sûre.”
 
Elle ne pouvait pas y faire grand-chose, de toute manière. La corpulence… réduite… de Toren le rendait difficile à repérer en temps normal, et il était presque complètement invisible sur la neige blanche. Erin demanda à Pion et au reste des Ouvriers de regarder de temps en temps s’ils l’apercevaient, et se résolut à faire de même.
 
Il reviendrait bientôt, elle en était sûre.
 
***

“Alors. On m’a dit que tu t’appelais Klbkch.”
 
Klbkch baissa légèrement les yeux et hocha poliment la tête en direction de Ceria qui marchait à côté de lui en tête d’une petite armée d’Ouvriers. Ils traversaient les Plaines Inondées de Liscor, ou plutôt, d’après Ceria, les Plaines Gelées de Liscor.
 
Il faisait froid. Ceria était spécialisée dans la magie à base de givre, et elle ne craignait pas le froid, mais la marche combinée à sa faiblesse récente rendait les choses plus difficiles qu’elle ne l’aurait voulu. Mais elle marchait tout de même d’un pas vif, peu désireuse de ralentir l’expédition.
 
Elle était de toute manière légèrement en train de regretter son choix d’accompagner les Ouvriers pour chercher du bois. Elle ne connaissait pas Relc ou Klbkch et elle avait un passif avec les forces de l’ordre locales. Mais Erin aimait bien Klbkch, ce qui voulait probablement dire qu’il était sympathique.
 
“Je, euh, n’ai jamais rencontré d’Antiniums avant. Vous n’avez pas une très bonne réputation dans le nord.”
 
“J’en suis parfaitement conscient. La perception de votre race de notre espèce n’est pas imméritée.”
 
“Mais tu es un ami d’Erin. C’est surprenant, mais j’en suis heureuse. Elle a besoin d’amis ici.”
 
“C’est un individu unique. Je pense que tu es une bonne amie pour elle aussi. Elle est entrée dans les ruines pour te ramener.”
 
“En effet. Elle est très courageuse.”
 
“En effet.”
 
Leur conversation s’interrompit pendant quelques minutes. Ceria regarda le paysage morne. Il n’y avait pas beaucoup de bâtiments ni… de quoi que ce soit d’autre à part aux sommets des plus hautes collines. Ce qui était logique, quand on pensait à ce qu’il se passait à d’autres moments de l’année. Mais tout de même, le paysage ouvert la déconcertait un peu. S’il n’y avait pas eu les Antiniums, Ceria se serait sentie perdue dans ce paysage infini de blancheur.
 
Devant Klbkch et elle, Relc fonçait à travers la neige, en laissant une trace derrière lui. Il partait en éclaireur, étant donné que c’était la seule personne du groupe à posséder des compétences dans ce domaine.
 
“Nid d’araignées !”
 
Il agita une main et planta sa lance dans une zone enneigée qui s’effondra. Un énorme gouffre béant s’ouvrit et Relc donna un coup de pied à la première Araignée Cuirassée lorsqu’elle rampa vers le bord.
 
“Prends ça mon petit salaud !”
 
L’Araignée Cuirassée retomba dans le nid et Relc éclata de rire et fit tomber le reste des araignées dans le nid. Ceria et Klbkch changèrent de direction pour s’éloigner du nid. Ceria désigna Relc d’un signe de tête.
 
“C’est le garde avec le plus de niveaux que j’aie jamais vu. Je l’ai vu combattre Scruta. Avec ses capacités, il pourrait être un rang Or.”
 
“Il m’a dit qu’il n’aimait plus le danger. C’était un soldat. Il est à la retraite, à présent.”
 
“Scruta était aussi une soldate, autrefois.”
 
“Oui. Elle pourrait le redevenir, si ce que nous avons entendu est vrai.”
 
Ceria essaya de se représenter l’image. Elle se souvenait de la première fois où le Roi de la Destruction s’était déchaîné, d’entendre parler la chute des nations et les villes assiégées. Elle n’avait jamais été à Chandrar, mais la guerre avait traversé le vaste océan lorsque le Roi de la Destruction avait soudain décidé d’abandonner ses grandes ambitions.
 
“Que feront les Antiniums s’il se remet à conquérir des nations ?”
 
Klbkch haussa légèrement les épaules. Il était armé de deux épées, qui s’accordaient à son corps unique. Ceria n’avait jamais vu d’Antinium avec seulement deux bras - cela devait signifier qu’il était un meneur spécial dans leurs rangs. Les autres Ouvriers obéissaient de toute évidence à ses ordres sans discuter.
 
“Si une guerre éclate, les Antiniums agiront. Jusqu’à ce moment-là, je pense que les Reines se contenteront d’attendre. Le Roi de la Destruction est loin d’ici.”
 
“C’est vrai.”
 
Ils continuèrent de marcher. La neige craquait sous les bottes de Ceria. Puis Klbkch lui posa une question.
 
“Que vas-tu faire ?”
 
“Pardon ?”
 
“Je comprends qu’on ne te fera pas payer pour l’attaque des morts-vivants. Mais tu es une aventurière solitaire, si l’on oublie la poignée d’aventuriers qui ont survécu. Beaucoup sont déjà partis, et il ne reste que l’aventurière Argent.”
 
“Yvlon. Elle est… muette. Elle est encore en train de récupérer.”
 
“Oui. Est-ce que tu vas te joindre à elle et reprendre l’aventure ?”
 
“Je ne sais pas.”
 
Elle avait tout perdu. Ceria oubliait, parfois. Elle se réveillait et se mettait à faire des choses puis cela la heurtait de plein fouet lorsqu’elle réfléchissait à l’avenir. Elle avait perdu tout son argent dans les ruines, perdu tous ses artefacts magiques sauf sa robe, perdu ses amis, et sa main.
 
Tout.
 
Klbkch ralentit lorsque Relc leva la main et cria devant eux. Il y avait quelque chose au loin, qui brisait la monotonie du paysage.
 
“Ah. Voici la forêt. Il faut que nous en ôtions l’écorce avant de ramener les arbres.”
 
Il se retourna et se mit à crier des ordres aux Ouvriers derrière lui d’un ton sec et vif. Ceria regarda les Antiniums aux corps noirs s’exécuter et réfléchit. La question de Klbkch l’avait plus perturbée que ce qu’il pouvait probablement imaginer.
 
Qu’allait-elle faire, maintenant ? Qu’allait-elle devenir ?
 
Ceria n’en avait aucune idée. Elle était perdue. Elle n’avait qu’une seule chose à laquelle se raccrocher, et c’était une certitude. Quelque chose clochait chez Erin Solstice et Ryoka Griffin. Quelque chose était différent chez elles.
 
Elle trouverait ce que c’était d’abord, puis elle déciderait.
 
***

Les premiers Ouvriers étaient en train de revenir avec des planches et un autre groupe s’était mis à creuser ce qui deviendrait bientôt les fondations et le sous-sol d’Erin lorsqu’Olesm pointa le ciel du doigt en déclarant sur un ton d’avertissement.
 
“Uh oh. On a un problème.”
 
Erin regarda autour d’elle, et son cœur plongea dans sa poitrine. Haut dans le ciel, elle vit un nuage de formes miroitantes, et entendit des voix familières - et malvenues.
 
 “Regardez, regardez ! Cette misérable bâtisse a disparu !”
 
 “Quelque chose l’a détruite !”
 
 “Nay, elle a explosé ! Vous voyez les traces ?”
 
 “Hah ! Bien fait pour l’humaine imbécile ! Regardez comme elle reste plantée là comme une bûche !”
 
Les Fées de Givres volèrent au-dessus de leurs têtes, bavardant tandis que les Ouvriers se mettaient à ramener les morceaux de l’auberge au nouveau site de construction.
 
 “Et voilà que les esclaves reconstruisent l’auberge ! Avec des clous de fer et des outils de métal ! Maudissons leurs pas !”
 
 “Cassons leurs stupides outils !”
 
 “Détruisons le nouveau bâtiment !”
 
Erin agita la main et se précipita vers les Fées de Givre, paniquée, alors qu’elles plongeaient sur les Ouvriers inconscients de ce qu’il se tramait. Les autres regardèrent Erin d’un air incrédule lorsque, de leur point de vue, elle se mit à crier sur des masses ténues flottant dans les airs.
 
“Attendez, attendez ! Stop ! N’attaquez pas ! S’il vous plaît !”
 
Les Fées de Givre s’interrompirent, et l’une d’elle, méfiante, lança un regard noir à Erin.
 
 “Que veux-tu ? Si tu veux mendier, c’est inutile. Nous détestons le métal froid et ni toi, ni tes esclaves ne nous arrêteront !”


“Mais j’ai besoin d’une auberge, la précédente a été détruite ! Pourquoi me détestez-vous autant ?”
 
Elles se moquèrent d’elle, les fées. L’une d’elle lui adressa un geste obscène et pointa du doigt les Antiniums à l’œuvre.
 
 “Nous ne te détestons pas, imbécile ! Vous autres mortels n’êtes rien de plus à nos yeux que de la vermine. C’est le fer que nous haïssons ! Si vous enleviez le fer du bâtiment, nous pourrions, pourrions y réfléchir.”
 
Erin regarda son auberge, puis les fées.
 
“Mais comment pouvons-nous construire une auberge sans clous de fer ?”


 “Stupide jeune femme !”
 
Se moqua l’une des fées.
 
 “Ne le sais-tu donc pas ? Un clou peut ne pas être en fer ! Es-tu une imbécile ? Ils peuvent être faits d’argent, de bois, d’acier...”
 
 “De cuivre ! Fais-le en cuivre, pauvre conne !”


C’était vraiment malpoli, mais Erin ignora l’insulte. Elle se précipita vers les deux Ouvriers en charge des travaux et agitant désespérément les mains.
 
“Hey Pion ! Pion !”
 
Pion leva les yeux de son conciliabule avec Bird. Ils vinrent à sa rencontre, Erin les rejoignit et pointa du doigt le site où les Ouvriers étaient déjà en train de creuser la terre et de mettre des pierres en place pour créer les fondations.
 
“L’auberge. Quand vous la construirez… est-ce que vous pourriez n’utiliser que des clous en cuivre ?”
 
Il en discuta avec Bird, puis acquiesça.
 
“Nous avons une grande quantité de matériaux de construction disponible. Cela sera fait.”
 
Erin retourna vers les fées et leur sourit, pleine d’espoir.
 
“Alors ? Est-ce que cela ira ? Ce sera un bâtiment sans mauvais fer - enfin, le moins possible. Et vous serez les bienvenues en tant qu’invitées, d’accord ? C’est promis !”
 
Les Fées de Givres discutèrent en dévisageant intensément Erin, leurs mains en coupe. Erin attendit, en sueur malgré le froid, imaginant le groupe d’Ouvriers et elle-même ensevelis sous des tonnes de neige. Les fées ne pouvaient pas faire ça. Si ?
 
Enfin, les fées se retournèrent vers Erin et l’une d’entre elles hocha la tête. Elle n’avait pas l’air contente, mais paraissait résignée. Les autres fées souriaient joyeusement, mais Erin ne comprit pas pourquoi.


 “Bon… très bien. Je suppose que tu as un laissez-passer pour cette fois. Nous avons mieux à faire que s’occuper de vous, de toute manière.”


Les fées se mirent à repartir en spirale vers le ciel. Olesm cligna des yeux et dévisagea Erin d’un air émerveillé. Pion et Bird ignorèrent les fées en continuant à faire les plans de l’auberge, et Selys se cacha dans la neige en les voyant s’envoler. L’une d’elle cria encore quelque chose tandis que la horde de fées s’envolait.
 
 “On ne t’aime quand même toujours pas, humaine !”
 
Erin tira la langue et les fées s’en allèrent. Une boule de neige jaillit du ciel et s’aplatit sur son visage, mais tout bien considéré, elle trouvait qu’elle s’en était bien sortie.
 
***

Ceria, Klbkch, Relc, et le reste des Antiniums revinrent une heure plus tard en portant de longues planches de bois proprement coupées. Erin était ébahie de voir que chaque planche de bois que les Ouvriers apportaient était parfaitement taillée aux dimensions dont les autres Ouvriers avaient besoin.
 
C’était étrange et un peu effrayant. Les trente ouvriers convergeant vers le site de construction de la nouvelle auberge travaillaient sans parler ni, apparemment, avoir besoin de se regarder. Un Ouvrier allait par exemple construire un mur, et un autre Ouvrier sciait en parallèle une planche de bois parfaitement adaptée.
 
C’était similaire à ce que faisaient les fourmis. De la télépathie, ou une espèce d’esprit de ruche. Erin était fascinée, mais elle n’avait pas beaucoup de temps pour regarder. Elle était aussi occupée.
 
Relc et Klbkch n’étaient pas autant en charge des ouvriers que Pion et Bird. Les deux anciens ouvriers connaissaient bien leur travail, et c’était donc eux qui se chargeaient de donner les ordres. Quant à Relc et Klbkch, ils usaient de leur force considérable pour aider à soulever des choses qui nécessiteraient la force de plus d’un Ouvrier. Relc pouvait à lui seul soulever le poids que soulèveraient deux Ouvriers ou plus.
 
Olesm et Selys n’avaient pas beaucoup de compétences qu’ils pouvaient appliquer ici, mais Selys était heureuse de trouver des choses qui avaient été balayées ou renversées par le souffle de l’explosion. Elle formait de petites piles d’oreillers issus de l’étage, rassemblait les affaires en vrac de la cuisine d’Erin, et s’assurait que rien d’autre n’avait subi de dégâts.
 
Pour sa part, Olesm essayait d’aider Selys, mais il ne cessait de rougir à chaque fois qu’il tombait sur des vêtements intimes d’Erin. Selys finit par le chasser et il essaya sans succès d’aider les Ouvriers jusqu’à ce que Klbkch suggère qu’il aille se rendre utile ailleurs. Finalement, Olesm s’assit à l’une des tables encore debout et joua aux échecs avec Bird et Pion.
 
Pendant ce temps, Erin ne se contentait pas de se tourner les pouces. Elle cuisinait, pour tout dire. Elle s’activait dans sa cuisine, en essayant d’ignorer la bizarrerie de la situation.
 
Sa cuisine n’avait pas été détruite par l’explosion de la cheminée. Et après l’ajout d’une porte de fortune pour garder un peu l’air chaud, Erin se retrouva capable de cuisiner. Elle entendait les Antinium se déplacer autour et au-dessus d’elle pour récupérer des morceaux d’auberge, mais elle les ignora et se concentra sur sa cuisine.
 
Les Antiniums avaient apporté leur propre repas. Ils mangeaient une espèce de bouillie horrible qui ressemblait à de la nourriture régurgitée mélangée à … qui avait l’air dégoûtante et Erin était contente qu’il fasse trop froid pour qu’elle puisse la sentir. Et elle n’avait pas de mouches acides à leur offrir, ce qui lui brisait le cœur. Mais elle pouvait faire quelque chose pour ses amis non-Antiniums.
 
“Hey ! Les gars ! J’ai à manger !”
 
Appela Erin en émergeant de la cuisine, souriant et tenant devant elle une énorme assiette remplie de son dernier accomplissement culinaire. Relc la fixa d’un air suspicieux et rattrapa Erin lorsqu’elle trébucha sur une poutre retournée. Il attrapa l’assiette avant qu’elle ne se renverse et regarda la nourriture.
 
“Qu’est-ce que c’est ?”
 
Relc renifla d’un air méfiant l’objet rond que lui tendit Erin. C’était un hamburger.
 
Un véritable hamburger, digne de ce nom. Avec un bun, de la mayonnaise sur le côté de l’assiette, et tu ketchup. Ou “catsup”. Erin se fichait du terme employé, mais “catsup” lui faisait toujours penser à de la nourriture pour chat.
 
C’était facile. Erin avait pris le bœuf haché qu’elle avait récupéré chez Krshia, avait ajouté du poivre, un œuf ou deux, puis avait formé des galettes avec. Puis elle les avait fait frire à la poêle.
Elle n’avait pas de grill, donc elle trouvait que cela manquait d’authenticité, mais les burgers étaient encore plus fidèles à son souvenir grâce à la laitue, la tomate, et le fromage qu’elle y avait ajouté. Elle avait trouvé tous les ingrédients à Liscor, et pour pas cher en plus ! Krshia avait dit que la ville avait beau importer les tomates et le reste des légumes d’outremer, ce n’étaient pas des mets aussi populaires que le reste. Elle avait dû acheter les tomates chez un autre Gnoll qui se spécialisait dans les plantes rares.
Mais ce n’était pas tout ! Erin avait créé le ketchup à partir des tomates et la mayonnaise à partir de jaune d’œuf et de moutarde. C’était incroyable. Incroyablement difficile à faire, plutôt.
 
Erin n’avait aucune idée que créer du ketchup impliquait de faire bouillir des tomates et d’y ajouter plein d’épices complexes. Elle était encore vexée de savoir que la mayonnaise nécessitait du jus de citron et du vinaigre. Mais Ryoka lui avait donné plusieurs recettes avant de partir, et elles fonctionnaient.
 
Elles fonctionnaient !
 
“Essaie ! C’est très bon !”
 
Erin avait déjà testé sa marchandise, pour tout dire. Elle avait fait un hamburger, avait mangé le hamburger, fait un autre cheeseburger, et l’avait aussi mangé. C’était tellement délicieux et cela lui avait tellement rappelé son foyer qu’elle avait un peu pleuré en mangeant.
 
Relc ne paraissait pas convaincu, mais il sentait la viande grillée et il avait faim. Il mordit dans le hamburger à titre expérimental et mâcha. Ses yeux s’écarquillèrent.
 
Klbkch et Olesm arrivèrent trop tard, parce que Relc avait déjà mangé quatre hamburgers et Ceria et Selys en avaient toutes les deux eu un. Relc mordait joyeusement dans les burgers tandis qu’Erin lui criait dessus parce qu’il volait la nourriture des autres. Elle retourna en chercher dans la cuisine. Heureusement, elle en avait fait beaucoup.
 
Selys mâchait son hamburger, l’air satisfaite. Ceria ouvrit son hamburger et l’inspecta.
“C’est vraiment bon ! Mais je n’avais jamais vu de plat semblable. Est-ce que tu l’as inventé, Erin ?”
 
“Nope !”
 
Erin secoua joyeusement la tête tandis qu’Olesm et Klbkch attrapaient chacun un burger. Relc tendit la main mais elle lui mit une taloche.
 
“Attends qu’ils aient mangé les leurs et tu pourras en avoir un autre s’ils n’en veulent plus. Non, Ceria, c’est un plat populaire chez moi.”
 
“Eh bien, j’adore. Et c’est tellement pratique - ça ferait de la super ration de voyage.”
 
“C’est comme ça que les gens les mangent chez moi ! On marche en les mangeant !”
 
Ceria mordit dans son hamburger et mâcha, les yeux fermés. Cela gênait toujours un peu Erin de voir une Elfe - une demie-Elfe - manger si facilement de la viande. Mais elle était fan, et dès qu’ils essayèrent leurs propres hamburgers, Klbkch et Olesm rejoignirent le fanclub.
“Tu devrais aller vendre ça en ville ! Si tu lançais ça à la Rue du Marché je suis sûre que tu te ferais un paquet d’argent.”
 
Commenta Olesm en reprenant un burger de l’assiette d’Erin et en essayant de le plongea dans la mayonnaise. Relc lui lança un regard noir. Puis Klbkch, Selys, Ceria et Erin en reprirent un aussi, et il leva les bras au ciel et se mit à bouder.
 
Il n’y avait plus de burgers, après ça, mais Erin essaya de faire des frites. Cela le rendit tellement heureux que Relc déclara qu’il mangerait à l’auberge d’Erin tous les soirs si elle continuait à faire ça.
Erin était extatique. Et les travaux de son auberge progressaient incroyablement vite. Les Ouvriers se mirent à démanteler la cuisine dès qu’elle eut terminé ses frites.
 
Elle laissa derrière elle tout ce qu’il restait de sa vieille auberge - il ne restait que quelques planches et du bois fendu - pour aller voir sa nouvelle auberge, faite de bois luisant en train de se faire recouvrir d’une espèce de substance imperméabilisante par les Antiniums.
 
Et les Antiniums terminèrent le travail lorsque le soleil disparut derrière les montagnes. Comme promis.
 
L’auberge était dressée au sommet de la nouvelle colline, et les murs collaient encore un peu. Ils seraient secs au matin, d’après Pion, qui dit à Erin de ne pas s’inquiéter de l’humidité qui régnait aux alentours. Elle n’avait même pas su que cela pourrait poser un problème avec le vernis du bois, mais les Antiniums avaient leur propre panel de substances.
 
Ses amis partirent le ventre plein, avec ses remerciements et une invitation ouverte à venir la voir le lendemain et Erin resta seule à admirer son auberge. Ceria avait décidé de retourner en ville avec Olesm pour une nuit de plus, étant donné que les deux étaient encore techniquement censés se remettre.
 
Sa nouvelle auberge était aussi grande que l’ancienne, c’est-à-dire grande. Erin pouvait se mettre au milieu de la salle commune et sentir l’espace autour d’elle. Mais encore plus important d’un point de vue construction, cette nouvelle auberge était principalement faite de bois neuf, et elle était dans une bien meilleure condition que le vieux bâtiment qu’Erin avait trouvé longtemps avant.
Les murs et le toit étaient recouverts d’un vernis Antinium. Cela aidait à protéger le bois des intempéries, mais permettait également de renforcer l’auberge. Les clous étaient en cuivre, et le bâtiment était approuvé par les fées. Erin avait à présent des vitres aux fenêtres, ainsi que des volets pour isoler du froid et avoir plus d’intimité. Sa cuisine était remise à neuf, et ses possessions étaient à présent organisées grâce aux compétences de [Réceptionniste] de Selys.
Et le mieux de tout cela, et c’était le plus important, le panneau au-dessus de l’auberge était à présent peint en lettres d’or brillantes qui étincelaient à la lumière. Erin avait planté elle-même le panneau qui interdisait aux gens de tuer les Gobelins. C’était le seul élément bancal de toute l’entreprise.
 
Et elle avait des latrines. Les Antiniums creusaient la terre comme… enfin, probablement plus vite que quelqu’un équipé d’une pelle ou d’une tarière.
Tout était parfait. Erin tournoya dans son auberge en riant jusqu’à avoir le tournis. Et elle était heureuse. Pour une fois, elle avait changé un désastre en miracle.
 
Elle était heureuse. Elle était heureuse. Tellement heureuse. Mais… il manquait quelque chose.
 
Pendant un long moment, Erin le chercha. Elle fouilla le nouvel étage, chercha dans les coins, dans la cuisine, sous les tables et les chaises, en se demandant de quoi il s’agissait. Elle retourna à son ancienne auberge et chercha, en se demandant de quoi il s’agissait.
 
Puis elle comprit en s’asseyant à une table. Erin regarda autour d’elle et ne le vit pas. Toren.
 
Son squelette n’était toujours pas revenu. Erin n’avait aucune idée d’où il se trouvait. Elle monta sur son toit et le chercha pendant près d’une heure, en ignorant le froid.
 
TOREN ! ES-TU ?
 
Sa voix, amplifiée par sa compétence de [Voix de Stentor], résonna comme un coup de tonnerre. Erin entendit l’écho de sa voix qui rebondissait sur les collines. Elle cria, encore et encore.
 
TOREN !
 
Elle ne vit aucun mouvement, aucune flammes bleues familières brûlant au fond d’orbites tout aussi familières. Puis Erin entendit quelque chose.
 
Une voix ténue, en provenance des murs beaucoup plus proches à présent de Liscor. Une voix familière résonna lorsque Zevara hurla du haut des créneaux.
HUMAINE ! FERME-LÀ !
 
Erin finit par aller se coucher. Mais elle le sentait bien. Son auberge était reconstruite. Elle était magnifique, rebâtie, repensée, meilleure. Mais elle n’était pas encore terminée. Il manquait Toren. Tant qu’il ne serait pas revenu, elle ne serait pas complète.
 
Elle se demandait… où il était.


[Aubergiste Niveau 19 !]
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 19 septembre 2020 à 17:52:19
2.12
Traduit par Maroti
Partie 1

Ils étaient capables de se parler malgré la distance, car c’était de la magie. Plus de six mille cinq cents kilomètres séparait les deux, mais pour Lady Magnolia et Teriarch, la conversation se déroulait comme s’ils étaient côte à côte.

S’il fermait les yeux, Teriarch pouvait imaginer Magnolia assise à côté de lui. Non pas là plus vieille et distingué [Lady], mais la jeune fille qu’il avait connu.

Trente ans ? Quarante ? Il perdait parfois le compte. C’était comme si tout s’était passé en un battement de paupière, un simple battement de son cœur. Mais la fille pleine de rire et de malice avait disparue.

À sa place se tenait une femme qui n’était pas moindre que la fille qu’elle avait remplacée. Mais elle était différente. Sa jeunesse et son énergie avaient été remplacées par… Plus d’énergie, mais d’un autre genre. Les espoirs et les rêves sont devenus des ambitions forgées par la praticité. Les impulsions et l’instinct sont devenus de la sagesse. L’insouciance transcendée en grâce.

Il l’aimait pour cela. Mais elle continuait de vieillir. C’était quelque chose que ni lui, ni elle ne pouvait échapper. Lorsque l’heure viendra, elle allait mourir. Pas maintenant, pas dans de nombreuses années. Des décennies, peut-être. Mais elle allait mourir, et il allait perdurer. Inchangé.

C’était sa nature, et Teriarch se sentait plus alourdie par elle à chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un comme Magnolia. Un rare mortel avec une étincelle. C’était dans leur nature. Ils amenaient de la lumière et de la passion dans sa vie, mais comme les étincelles et les lucioles, ils s’éteignaient bien trop rapidement.

Grace à la magie, ils pouvaient parler malgré la distance. Grace à sa magie, ils pouvaient parler sans courir le risque d’être écouté, même par les plus puissants mages du continent. Mais cela ne voulait pas dire qu’elle pouvait être là, devant lui. La magie pouvait faire bien des choses, mais c’était qu’un outil à utiliser, pas une excuse pour faire des miracles.

Teriarch soupira de manière irrité. Mais le pouvoir nécessitait de la sécurité, surtout dans le cas de Reinhart. Cela serait difficile, même pour lui, de défaire ses complexes protections et de la téléporter jusque ici. Et vice-versa. Sa demeure était protégée avec plus de sorts contre les intrusions qu’il pouvait se rappeler. Non, la transportation était impossible.

Donc ils parlèrent. Ils pouvaient entendre l’émotion dans leurs voix et sentir la subtilité dans leurs dialogues, grâce à la magie. Parfois, Teriarch souhaitait que cela ne soit pas le cas.

« Je n’arrive pas à croire que tu l’a laissé rentrer dans ta petite cave et la laisser repartir sans demander son nom ! »

Teriarch grimaça et ajuste son sort pour que la voix de Reinhart soit moins bruyante dans ses oreilles. Il parla de manière irrité, son œil gauche tressaillant.

« Ne prends pas ce ton avec moi, Reinhart. Je pensais qu’elle était une quelconque Coursière, une Coursière incompétence qui plus est. Je l’ai soigné et je lui ai donné sa mission. Comment étais-je sensé savoir que c’était la fille ? De plus, je lui es demandé son nom à la fin. »

« Et je peux voir que cela t’as fait beaucoup de bien. Bravo. »

Certains disaient que Magnolia Reinhard, la fleur meurtrière poussant au nord, était une [Lady] d’une grâce imperturbable et d’une ruse insondable. Mais Teriarch connaissait Magnolia depuis fort longtemps, et elle était bien plus directe et véhémente envers lui.

« Elle a survécu. Je l’ai téléporté dans la ville. De plus, tes informations ne m’ont pas aidé à la localiser. J’ai essayé de la scruter de nombreuses fois avant et après l’avoir rencontré, sans aucun succès. C’est de ta faute. »

La voix de Magnolia craquela depuis l’autre bout du sort, faisant grimacer Teriarch en souhaite qu’il pourrait lancer un sort de [Silence] sur elle jusqu’à ce qu’elle se calme.

« Je t’ai dit son nom, et elle t’a dit son nom. Ryoka Griffin. Si tu ne peux pas la scruter, c’est de la faute de ta magie. Peut-être qu’elle est protégée magiquement d’une manière ou d’une autre. »

« Aucune magie ne pourrait autant résister à mes sorts. Non, il doit y avoir une astuce lié à son nom. »

C’était la seule explication que Teriarch avait trouvée. Un sort de scrutation demandait le nom exact de la personne qu’il voulait voir, ou si ce n’était pas possible, un morceau de tissu ou une partie d’entre eux. Il souhaitait avoir gardé un peu de sang qu’elle avait fait couler dans sa cave, mais il l’avait brûlé, bien sûr.

« Elle a dû te mentir, et me mentir. »

« Et comment ? Elle n’a pas de compétences… Ou de niveaux ! C’est une fille sans classe, Teriarch. Est-ce que tu te rends compte à quel point le fait qu’elle soit arrivé dans ta cave sans aide est extraordinaire ? »

Teriarch grogna.

« Je le sais bien. Et ma demeure n’est pas une ‘cave’. »

« Ta petite masure, alors. Ta fente dans la montagne. Ton petit trou où tu amasses des objets brillants en te cachant du monde. Je te le dis, cette fille est importante ! »

Indigné, Teriarch ouvrit la bouche pour rétorquer, Mais Magnolia ne lui laissa pas le temps de se plaindre et continua, comme elle l’avait fait tant de fois auparavant.

« Je t’ai demandé de me prevenir si elle avait fait quelque chose de spécial. Mais c’est maintenant que tu me dis qu’elle a outrepassé le sort que tu as lancé pour qu’elle livre ta ridicule lettre à Az’kerash. »

« Ce n’est pas ridicule du tout. C’est un message très important. »

« C’est inutile. Et cet anneau ? C’est magique, ou purement symbolique ? »

« Bien sûr qu’il est magique. »

Teriarch était légèrement vexé. Qui se prenait la peine d’envoyer des anneaux non-magiques ? Il essaya de reprendre contrôle de la conversation.

« Mon message n’est… pas aussi important que  pourquoi Ryoka a été capable de briser mon sort. Es-tu certaine qu’elle n’a pas de classe ? »

« Absolument certaine. Ce qui est pourquoi j’aimerais en apprendre plus sur elle. »

Teriarch serra les dents de manière colérique. Mais Reinhart avait raison. Elle avait toujours raison. C’était juste qu’il n’aimait pas le fait qu’il passait pour un incompétent quand elle pointait les choses. Il ouvrit la bouche pour rétorquer et s’arrêta. Quelque chose était en train de tirer aux frontières de sa penser. Il fronça les sourcils.

« Attends. Quelque chose approche ma cave… je veux dire, ma résidence. »

Teriarch murmura un mot, et une image apparut dans son esprit, décrivant la zone entourant les Hautes-Passes. Il se concentra sur l’image et cligna des yeux.

Sa mâchoire s’ouvrit sur trois mètres.

« Je n’y crois pas. C’est elle. »

« Elle ? Ryoka ? »

« Elle est dans les Hautes Passes, venant dans cette direction. »

« Quoi ? Pourquoi ? »

« Comment suis-je sensé savoir cela ? Silence, femme. Je dois me concentrer. »

Ryoka courrait droit dans la passe vers sa cave. Bon, elle connaissait la location, mais elle n’était pas en train de se faire attaquer. Teriarch fronça les sourcils. Pourquoi ?

La voix de Lady Magnolia vrilla dans son esprit, lui faisant faire une grimace irritée.

« Elle doit arriver ici en vie ! Tu dois… »

« Oui, oui. Mais il semblerait qu’elle n’ait pas besoin de mon aide. »

Il se passait quelque chose. Teriarch pouvait voir les monstres aux alentours, mais ils s’éloignaient de Ryoka. Pourquoi ?

Teriarch fronça les sourcils, prit une grande inspiration, et toussa. Il sentit une terrible odeur lui piquer douloureusement le nez et manqua de vomir alors que l’odeur assaillit ses narines. Il regarda autour de lui.

« Quelle est cette odeur ? »

« Quelle odeur ? »

***

Une demi-journée plus tôt…

Je ne peux pas le faire. Je peux m’occuper des commerçants un peu trop poussif, mais je ne peux pas m’occuper des gens. Je… Ne sais simplement jamais quoi dire.

Garia et moi prîres une pause d’Octavia après que je lui ait arraché ma potion des mains. Et j’avais besoin d’une pause, et j’avais aussi besoin de lui dire ce qui était arrivé aux Cornes d’Hammerad.

J’avais presque oublié qu’elle ne savait pas. Et la pire chose était qu’elle commençait à me demander comment leur aventure dans les ruines s’était déroulée. Elle était aussi joyeuse, et je lui ai arraché son sourire.

Je… Je ne savais pas comment lui dire. Je n’avais jamais annoncé une mauvaise nouvelle à quelqu’un. Et c’était horrible.

Elle commença à pleurer. Garia se plia sûr elle-même et commença à pleurer. Dans la rue, devant tout le monde.

Qu’est-ce qu’il fallait faire quand quelqu’un venait de perdre quelqu’un ? Qu’est-ce qu’Erin aurait fait ? Je lui ai vaguement tapoté l’épaule en attendant que cela s’arrête. Mais elle ne pouvait pas s’arrêter. Je me suis tenu là, essayant de la calmer et..

Cela lui prit un long moment pour qu’elle arrête de pleurer. Son visage après cela… n’était pas beau à voir. Je lui ai donné un mouchoir, c’était plus un bandage que je gardais en cas de blessure, et elle m’a dit qu’elle allait pouvoir retrouver son chemin vers l’auberge.

Et c’était tout. J’ai regardé Garia tituber dans la rue, les yeux rouges et coulants. Bon sang. Qu’est-ce que j’étais sensé faire ? Qu’est-ce que je…

Les gens. Cela ne devrait pas être comme ça. Je ne devrais pas devoir m’occuper d’eux. C’était ce qui arrivait quand tu avais des gens qui pensaient te connaître. Si j’étais seule je n’aurais pas à devoir gérer ce genre de problèmes. Et les Cornes d’Hammerad. Ils…

Ils n’auraient pas dû mourir. Pas comme ça.

Parfois j’étais tellement fatigué. Mais je continuais, je continuais de courir car c’était la seule chose que je savais faire. Je m’accrochais à ça. Ceria était vivante, et je devais m’assurer qu’elle allait bien, je le devais aux autres.

De l’argent. 80 pièces d’or. De l’argent pour du pouvoir, de la sécurité, de la liberté. Je n’avais jamais eut à m’inquiéter de ça à la maison. Je n’étais pas riche…

En fait, je l’étais. Avoir un père qui était un gros poisson à la fois dans le domaine de la politique et du business faisait que j’obtenais autant qu’une personne travaillait au-dessus du salaire minimal en tant qu’allocation. Et c’était sans compter les choses que l’on m’offrait.

Ce n’était pas une bonne chose a laquelle penser. Mais c’était soit ça, soit pensé à quel point Garia était misérable. Enfin. Au moins il y une bonne chose qui en ressort. Je suis absolument furieuse quand je rentre de nouveau dans le magasin d’Octavia, Tissémixe, qui porte bien son nom.

Elle s’illumina dès l’instant où je rentre. Je l’avais senti regarder par la fenêtre alors que Garia pleurait. Je pense qu’elle avait peur que je m’en aille avec la potion avant d’avoir une autre chance de l’étudier ;

« Oh, bien. Tu es de retour. Qu’est-ce qu’il s’est passé dehors ? Une mauvaise nouvelle pour Garia ? C’est vraiment dommage ; laisse-moi savoir si je peux faire quelque chose pour aider, d’accord ? Elle est une bonne cliente et, pour être franche, elle est un peu l’une de mes préférées. »

Je la regarde. Octavia n’en perd pas un instant. Elle me fait rentrer et verrouille la porte derrière elle. Cela ne m’inquiète pas vraiment, s’il elle veut s’assurer que tout cela reste secret il n’y a pas de problème. Mais si elle essaye de me voler je vais lui présenter ma chaussure*.


* Ouais, chaussure. J’ai une nouvelle paire et j’ai laissé tomber les bottes Gnolles que je portais. Elles sont toujours serrées, mais j’ai soigné mes cloques et au moins elles me vont assez bien. Foutue neige. Je déteste courir avec des chaussures.


« Dans tous les cas. Je suis certaine qu’elle ira mieux avec un bon chagrin et un peu de repos. De la nourriture chaude, un bain… Mais toi et moi, nous devons parler affaire. »

Octavia ne regarde pas vraiment la potion à ma ceinture, mais ses yeux brillent d’avarice. Au moins elle est honnête dans son avidité. Mais cela m’agace quand même.

La Tissée pose ses mains sur le comptoir avant de prendre une grande inspiration. Voilà le discours.

« Bon, je sais que je t’ai insulté avec ma première offre. Alors, je suis prête à te proposer un marcher. Cinquante potions, utilisables à l’ instant où je les ai créée. Je t’échange cela contre… La moitié de ta potion, je vais même ajouter… »

« Ferme. La. »

Par miracle, Octavia se tait. Elle me regarde alors que je masse mes tempes. J’essaye de mettre mes idées en ordre. Pourquoi est-ce que je suis là déjà ? Ah oui.

Je pointe Octavia du doigt, essayant de garder mes yeux loin de ses coutures au cas où c’est malpoli ou quelque chose du genre.

« Pas d’offres. Pas de marché. Je ne connais pas le prix de cette potion, mais je ne la vends pas. »

La bouche d’Octavia s’ouvre et je parle plus fort.

« Mais je vais t’en donner un peu. Un échantillon. Si tu arrêtes de parler et que tu me donnes ce que je veux. »

J’ai son attention. Et Octavia semble être plus intelligente que la… Tissée lambda car elle n’essaye pas de marchander ou de parler.

« Voilà ce que je veux. Premièrement, des informations sur l’alchimie et ta race, si ce ne sont pas des secrets mortels. Deuxièmement, je veux une consultation pour savoir comment passer à travers les Hautes Passes en vie. »

Pendant une seconde Octavia cligne des yeux en me regardant, surprise. Et puis ses yeux s’illuminent et elle me sourit.

« Bien, je connais un bon deal quand j’en entends un. Et tu me donnes de ta potion ? »

Je lève le doigt.

« Une cuillère à soupe. »

Octavia fronce les sourcils.

« Ce n’est pas beaucoup. Pour toutes les informations que tu veux, je devrais avoir au moins la moitié d’une tasse. »

La potion n’est pas si grande. Je la regarde.

« Pour quoi ? Parler ? Je te laisse avoir 1/64ème. Ca te va ? »

Elle hésite et je peux la voir faire le calcul dans sa tête.

« Heh. Je préférerai un peu plus que ça. Quand est-il de trois centilitres ? C’est un très bon marché. »

Je lève un sourcil.

« Non. Cinq cuillères. »

« Six. »

« Cinq. »

« S… »

« Cinq »

« Je vais prendre ça. »

Octavia sourit et lâche l’affaire. Elle me montre sa main et je la serre. Je ne peux m’empêcher d’avoir un léger sourire en la serrant. Elle a une poigne ferme, et quand je lâche son sourire se fait plus grand.

« Même si peu vaut une fortune, tu sais. Bien plus que quelques minutes ou heures de dialogue. »

« Je m’en doutais. »

J’aurai probablement pu négocier pour qu’elle n’ait qu’une cuillère ou même que quelques gouttes, mais cela aurait trop de travail. L’un des rares leçons que mon père m’a appris et que j’ai retenue était de toujours savoir avec quoi tu peux t’en tirer et à quel point tu peux influencer l’autre personne.

« Donc tu as des questions. Et j’ai des réponses. »

Octavia sort de derrière le comptoir et montre les chaises, mais je secoue ma tête et je m’appuie sur le concert. Il y a assez d’instruments et d’objets dans son magasin pour que j’ai trop peur de renverser quelque chose de dangereux si je me déplaçais.

« Je suis intéressé par l’alchimie et comment cela marche. »

« Et moi, n’oublions pas ça. Est-ce la première fois que tu rencontres un Tissé, Ryoka Griffin ? »

« En effet. »

« Alors, commençons par ça. Je peux te dire que je suis comme toi, plus ou moins. Je ressens les sensations et ce n’est pas comme si j’avais des pouvoirs spéciaux. Je ne peux pas jeter mon bras et t’étrangler comme un Dullahan et je meurs si quelqu’un me découpe. Enfin… Je peux peut-être survivre tant que ma tête n’est pas trop abîmée, mais je brûle facilement. C’est un échange, tu ne penses pas ? »

Octavia parle facilement en trouvant un tabouret derrière le comptoir pour s’asseoir et discuter. Elle parle rapidement et clairement, ce qui est quelque chose que j’apprécie quand je discute.

« Autre chose ? Je peux changer mon corps, c’est vrai. Mais c’est n’est pas comme si je peux me changer en quelqu’un d’autre. »

Elle claque des doigts pour souligner son propos. Je hoche la tête, et j’essaye de me concentrer. De rassembler des informations. Posez les questions tacites, celles qu’il faut poser.

« Mais est-ce que tu peux te changer toi ? Le tissu qui fait ton corps,, est-ce que tu peux décider à quel point tu es forte, ou à quoi tu ressembles ? »

« Je pourrai le faire. Si je le voulais. Je te l’ai dit, j’ai ajouté un peu de muscle pour ce travail, et je suppose que je pourrais en rajouter encore un peu. Mais le tissu ne s’étend pas à l’infini et, en plus, cela cause des problèmes si je dérange l’équilibre. C’est assez complexe, tu sais. Tout comme l’alchimie. Qui, au passage, n’est pas aussi facile à débuter si tu demandes. »

« Ce n’est pas ça. Je voulais savoir comment cela marche en théorie. Et est-ce que tu peux changer les pigments de ta peau et de ton bras ? Est-ce que, par exemple, tu pourrais prendre un autre bras ou est-ce que tu es limite à ton tissu… D’origine ? »

« Hah ! Une érudite, pas vrai ? Je n’ai jamais rencontré de Coursière comme ça. Seuls les mages sont intéressés, mais généralement ils savent comment l’alchimie marche. Ce qui nous faisons est de prendre les effets magiques et de les insufflons dans les potions, ou dans d’autres objets. Nous utilisons des réactions, comme le silex et l’acier faut des étincelles, mais sur une plus grande échelle pour faire des potions avec des effets spécifiques. »

Octavia pointe vers son bras. La peau de son épaule dénudée semble totalement normale, et c’est difficile de se souvenir du coton qui se trouvait ici avant.

« Mon bras n’est que du tissu. Il n’y a rien de spécial, même si je suppose qu’il y a quelque chose ici qui est plus que des coutures et du coton, pas vrai ? Chez moi, les gens débâtent constamment sur ce sujet. Généralement, tu peux dire que c’est la majorité de ce qui fait de moi Octavia. Retire trop de moi et je meurs, mais avec assez de temps je pourrais entièrement changer mon corps et je serais toujours Octavia. »

Elle sourit.

« À la guerre, les soldats changent tellement de morceaux que parfois un gars reviens plutôt beau gosse ! C’est difficile pour une femme de découvrir que son mari est mieux roulé qu’elle. »

Je rigole, et Octavia ricane aussi, avant de continuer.

« J’ai la peau noire car c’est la couleur du tissu avec lequel on m’a tissé. Je suppose que je pourrais le changer, mais être différente ne me dérange pas contrairement à certaines personnes. Pourquoi ? Ça te dérange ? »

« J’ai vu des gens avec une peau plus sombre que la tienne. »

« Vraiment ? Où ? »

Oups. Merde. Je dois changer de sujet. Je secoue la tête.

« C’est pas grave. Je me suis baladé. Mais ton alchimie… Comment tu peux dire que ce n’est qu’une réaction ? J’ai vu comment les potions de soins marchent et ce n’est pas qu’une simple réaction. Il y a de la magie dans ces potions. »

« Bien sûr. »

Octavia ne semble pas surprise. Je suppose que c’est naturel par ici.

« Mais est-ce que tu dois être un mage pour faire une potion de soin ? Comment cela marche exactement ? »

« Je ne suis pas une mage. Non, tout ce dont tu as besoin sont des ingrédients magiques. Tu les transformes en les bouillant et les mélangeant avant de combiner les bons et… Poof ! »

Elle fait un geste exagérée et rit.

« Enfin, ce n’est pas aussi simple. Mais tu as compris l’idée. »

« Cela n’a toujours pas de sens. Comment la magie marche-t-elle comme ça ? Ce n’est pas une substance ou quelque chose de physique. Comment est-ce que tu peux la convertir en forme liquide ? Or… Changer sa nature ? À moins qu’il y a des herbes de soins que tu peux faire bouillir et transformer en liquide. »

Octavia mêla ses doigts et les craqua.

« Wow. Tu as déjà réfléchi à cette question, pas vrai ? Alors, pour y répondre, c’est à propos de la magie des choses. Tout le monde, et absolument tout, contient de la magie en soi. Généralement peu, à peine des traces dans les rochers et les herbes. Mais quelque chose comme une pierre de mana contient beaucoup de magie, et la magie à souvent des propriétés. »

« Des propriétés ? Comme des effets spécifiques ? »

« Quelque chose du genre. Rien de bien impressionnant ; tu ne peux pas lancer une boule de feu en partant d’une peau de salamandre, même si elle va te donner une horrible éruption cutanée ou une brûlure. Mais elle a ses propres propriétés. Tu peux la changer en un baume ou une crème qui résiste au feu, mais si tu veux l’utiliser d’une autre manière tu dois changer la magie en quelque chose d’autre. »

Octavia s’éloigne du comptoir et se rend à la grande étagère de potions. Elle en prend délicatement une et me la montre. La bouteille est pleine d’un liquide clair, légèrement grisé.

« C’est l’un des secrets derrière l’alchimie. La magie existe dans les objets qu’elle habite, mais elle peut être extraite et contenu dans des choses. Comme du liquide. C’est le liquide de base, quelque chose que nous utilisons pour conserver de la magie. Si je prends un ingrédient, comme la peau de salamandre et que je la dissous dans cette substance, alors elle peut tenir la magie et je peux rajouter d’autres choses au mélange. »

« C’est ça le secret. »

Je regarde le liquide gris et je l’imagine. C’est un peu comme la chimie mais avec un million de réactions. Prends une base, rajoute des ingrédients et prie pour que tu obtiennes ce que tu veux.

« Pratiquement. Bien sûr, l’alchimie n’est pas aussi simple qu’ajouter les bonnes choses ensemble. Parfois l’ordre est ce qui à de l’importance, et des choses comment la chaleur et le temps affecte aussi la magie. Tu ne peux pas utiliser de la rosée lunaire dans un mélange à moins que la lune soit gibbeuse et qu’il fasse nuit, et les oreilles de Gobelins ont besoin d’être bouillies quand tu les mélanges ou elles se figent. »

Des oreilles de Gobelins ? J’essaye de laisser celle-là passer, mais c’est difficile. Octavia continue de parler en me montrant des potions.

« C’est imprévisible, et bien sûr, dangereux. Mais c’est l’[Alchimie] en résumé. Ce n’est pas que de la préparation de potions comme beaucoup de gens le pensent. Enfin, il y a beaucoup de préparation de potions. Elles sont juste le moyen le plus simple de mélanger les ingrédients. Mais je peux faire un sac de vignes accrocheuses si besoin, même si fourrer toutes les graines à l’intérieur avant qu’elles ne poussent est une véritable épreuve. Est-ce que cela répond à ta question ? »

Essentiellement.

« Essentiellement, mais j’ai encore une question pour toi. »

« Vas-y. Cela ne me dérange pas. »

Je fais signe vers son bras.

« Est-ce que tu as besoin de tous les détails ou est-ce que tu peux utiliser quelque chose qui ressemble à un bras ? »

Octavia semble légèrement surprise. Elle fléchit son bras.

« Tu as vu ça ? La plupart des gens sont trop mal à l’aise pour le voir. Oui, nous avons besoin des os et des autres choses. C’est difficile à décrire, vu que vous les Humains ne voyez jamais l’intérieur de votre corps, mais il y a plus de choses que de la chair et des os. Les corps sont très complexes, tu sais. »

« Je le sais. Mais est-ce que tu peux changer ton corps pour faire d’autres créatures ? »

Pour la première fois, la Tissée semble hésiter.

« Si… Nous le devons. Je ne l’ai jamais fait, mais parfois j’entends des histoires d’horreur. Cela peut terriblement mais se passer si tout n’est pas cousu comme il le faut. En fait, si cela était aussi facile nous aurions cousu une armée entière et conquiert le monde, pas vrai ? »

« Je n’espère pas. Dernière question sur toi. Est-ce que le type de tissu à de l’importance ? »

Un autre rapide sourire.

« Tu es rapide. Oui, c’est important. Le coton est ce que les personnes normales utilisent, mais j’ai vu des gens plus pauvres utiliser de la laine ou des choses plus rugueuses. La qualité nous rend… Différents, et peut nous rendre plus fort ou plus rapide selon le tissu. La toile fait des gens très rugueux et lourd, mais ils peuvent prendre des coups ! »

« Qu’en est-il de quelqu’un fait entièrement de soie ? »

Les yeux d’Octavia s’écarquillent de manière incrédule.

« De soie ? Tu veux dire, leur corps entier ? Par les dieux morts, je ne pense pas connaître quelqu’un d’assez riche pour faire ça. Tu vois à peine un fil de soie sur quelques grosses femmes ici. Cela peut être bien, mais je n’ai pas la moindre idée de la sensation que cela procure. »

« Huh. Merci. »

« De rien ! Est-ce que c’est tout ? »

Octavia regarde de nouveau ma potion. Je soupire et la couvre d’une main.

« Pas encore. Il y a autre chose pour laquelle j’ai besoin d’aide. »

« Oh oui, les Hautes Passes. »

Octavia plisse son nez et hausse les épaules.

« Je ne peux pas t’aider. Désolé. »

« Quoi, tu ne peux rien faire ? »

« Je suis une [Alchimiste], pas une faiseuse de miracles. Il y a d’innombrables monstres rôdant là-bas. Je n’ai rien qui puisse les arrêter. »

« Quand est-il d’une potion d’invisibilité ? Ou tes potions de stamina ? Une potion de régénération ? Est-ce que cela aiderait ? »

Octavia tape le comptoir avec un doigt et secoue la tête.

« Premièrement… Si je pouvais faire des potions d’invisibilités je ne serais pas dans une petite boutique. Et tu ne serais pas en mesure de t’en acheter une. Et une potion de régénération ? Demande-moi dans cinquante niveaux. Je peux faire des potions de stamina, et de bonne qualité. Mais elles ne te font pas courir plus vite. »

« Décrit les moi. »

« Les potions de stamina ? Bien sûr. Prête pour mes arguments de vente ? »

Octavia se retourne et dépose la potion de base sur l’étagère avant de ressortir la potion bleue luisante. J’ai la distincte impression qu’elle devrait être verte, pas bleu. Mais après tout, ce monde n’avait pas des décennies de jeu vidéo pour standardiser les stéréotypes liés aux couleurs.

« Cette petite gemme va restaurer ton énergie et te donner un second souffle pour courir plus loin et plus vite que normal. Mais c’est la potion que te donne un coup de fouet. Si tu t’arraches un muscle, ça ne va pas le soigner, et tu continu d’utiliser de l’énergie même avec la potion. Quand elle arrêtera de faire effet le contrecoup va être rude. Mais si tu as besoin de courir pendant trois jours… »

Elle secoue le liquide à l’intérieur et je hoche la tête.

« Je pourrais en avoir besoin d’un peu, mais cela ne règle pas mon problème avec les Hautes Passes. »

« Ma solution est de ne pas y aller. C’est endroit est un piège mortel. À moins… Que cela soit le lieu où tu as obtenu ta potion, alors je dis que tu dois tenter ta chance et m’en ramener une autre. »

Octavia hausse les épaules et débouche la potion bleue. Elle la met sous mon nez.

« Tiens. Si tu achètes une potion, goûte et soit certaine que tu peux la boire. J’ai eu des aventuriers qui se sont plaint parce qu’ils ont vomi avant de pouvoir boire certaines de mes potions. »

L’odeur qui se dégage manque de me faire vomir, et c’est sans la goûter. Je pousse la bouteille avant de tousser.

« Ca sent mauvais. Est-ce que tu peux y faire quelque chose ? »

Octavia semble vaguement outrée, elle secoue la potion.

« Est-ce que tu sais à quel point c’est difficile d’ajouter du goût aux potions sans créer un effet totalement différent ? J’ai vu des aventuriers mettre un peu de citron pour rajouter du goût à leurs potions et finir recouvert de mousse toxique. Ne fais pas ça, au passage. »

Bon, voilà une information rassurante. J’essaye de ne pas avoir un haut-le-cœur alors qu’Octavia renifle la potion. Elle ne semble pas être dérangée par l’horrible odeur, mais après tout, elle doit probablement respirer le truc tous les jours.

Mais pour quoi, cela me fait presque pleurer. Bon sang, j’ai l’impression de m’être fait attaquer par un putois. Je vais devoir demander a quel point le verre des potions est épais. Si une bouteille de brise dans mon sac je vais probablement avoir la rue pour moi toute seule ou me faire virer de la ville. Même si un peu de temps sans personne n’est…

Je cligne des yeux. Attenduneminute.

« Attend, je pense que je sais comment tu peux m’aider à passer les Hautes Passes, après tout. »

Octavia lève les sourcils.

« Si cela veut dire que je peux me faire payer je peux essayer de te mijoter tout ce que tu veux. Tant que ce n’est pas déraisonnable, bien sûr. Tu penses qu’il y a quelque chose qui puisse t’aider ? »

Je hoche la tête. Vais-je le regretter ? Mais cela marchera probablement. Et si ce n’est pas le cas, je vais me détester.

« Ouais, mais je vais avoir besoin de bouche-nez. »

« Des bouche-nez ? Hah ! Combien est-ce qu’il t’en faut ? »

***

Presque une journée plus tard, je cours en direction des Hautes Passes. À quoi est-ce que je pensais la première fois que je suis venue ici ? Mourir de manière glorieuse ? Je parie que c’était quelque chose de stupide comme ça.

Cette fois, je suis prête.

Je cours vers les Hautes-Passes, des montagnes incroyablement hautes visibles à l’horizon. Une chaîne de montagnes plus hautes que le Mt. Everest avec un minuscule passage pour laisser passer des voyageurs.

‘Minuscule’ dans ce cas voulait dire qu’il y avait assez de place pour laisser passer une petite armée. Tout est relatif.

Une tribu de Gobelin court vers moi alors que je me dirige vers les Hautes Passes et la neige se change en terre sous mes pieds. Il semblerait que même les Fées de Givres n’ont pas encore atteint cet endroit.

Le Gobelin en tête cri et hurle en courant vers moi. La tribu converge rapidement, et j’ai la suspicion que c’est le même groupe que la dernière fois. Peut-être qu’ils gardent les Hautes Passes ou que leurs bases se trouve dans le coin ?

Bon, cela allait peut-être être un problème. Les arcs et tout ça. Mais j’ai confiance en mal nouvelle stratégie, donc je cours.

Le premier Gobelin court vers moi, et puis le vent change. Il fait encore quelques pas, et son visage son tord soudainement. Ses yeux s’écarquillent, et il commence à courir dans l’autre direction. Les autres Gobelins s’arrêtent pendant une seconde, avant d’hurler et de courir.

Bien. Ça marche.

Continue de courir. Maintenant les Hautes Passes sont de plus en plus grandes, et j’entends un hurlement au loin. Des Loups Carnassiers. Les massifs loups couleur rouille qui aiment bien le goût des Gobelin et des Asiatiques. Bon, je pense qu’ils ont moins faim que d’habitude.

Et j’ai raison. Les loups ne s’approchent même pas de moi que j’entends déjà un jappement paniqué et que les loups fuient rapidement. Je suis intouchable. Invincible.

Je suis dans la passe, et je cours rapidement. La magie, ou plutôt l’aura qui m’entoure, ne s’arrête pas alors que les parois rocheuses se font plus grandes autour de moi.

Les chèvres maléfiques avec des dents hurlent et escaladent les parois. Les Hautes Passes sont vides de vie alors que les monstres fuient en ma présence.

Oui, je suis totalement en sécurité, de tout. Je continue de courir alors que les monstres fuient.

Au passage, ce n’est pas dû à une compétence que j’aurai gagnée ou une classe. Les potions d’Octavia font tout le boulot.

Moi ? Je suis juste en train d’essayer de ne pas vomir. J’ai déjà échoué trois fois, et je pense que ça va bientôt être quatre. L’odeur est insoutenable, et cela venant de la fille qui s’est fait asperger par un putois plus d’une fois.

Question : quel est l’animal le plus craint de notre monde ? Je l’ai un peu déjà dit, mais c’est le putois. Les hippopotames, grands requins blanc et armée de fourmis peuvent aller se faire mettre. Les putois instillent une peur dans les quartiers de banlieue qui est inégalable.

Et qu’est-ce qui rends ses petits rongeurs aussi terribles ? Un mot. L’odeur.

Ils empestent. Tout comme moi, parce j’ai eu une idée brillante et parce qu’Octavia savait comment faire une potion décente.

Version longue ? Version courte. Je lui ai demandé de faire quelque chose qui serait capable de faire fuir tout ce qui pourrait me blesser, et elle l’a fait. Je l’ai utilisé sur moi-même, et je regrette de l’avoir fait.

L’odeur de la potion qu’elle a créée était tellement forte que le quartier a été évacué quand elle l’a brassée. Même scellé dans une bouteille hermétique, j’ai pratiquement été chassé de la ville et je n’ai pas eut de problèmes sur la route.

Directement en contact avec la peau ? Bon sang. J’aimerai être morte.

J’ai des bouche-nez, et je retiens ma respiration jusqu’à en avoir la tête qui tourne. Mais l’odeur…

Je ne peux même pas la décrire. Je continue d’espérer pour que mon nez arrête de marcher, comme ce qui se passe quand tu sens quelque chose de très mauvais pendant trop longtemps. Mais même si mes yeux sont larmoyants et que mon nez est en train de brûler, je suis toujours capable de la sentir.

Elle ne s’en ira jamais. Je vais être capable de marcher dans un nid de putois et de les expulser.

Au-dessus de moi et sur la gauche, une crête recouverte de rocher inoffensif bouge. J’esquive, mais les gargouilles n’attaquent pas. Elles déploient leurs massives ailes et bondissent loin de moi, grimpant les falaises.

Huh. Bon, il semblerait que les gargouilles ont de l’odorat. C’est ça, ou j’empeste tellement que même les choses sans nez peuvent me sentir.

Mais j’ai demandé ça. Je dois me le rappeler. Cela fait partie du plan. Et je peux y survivre. Et peut-être que cette course silencieuse et néfaste ne serait pas si mal. Oui, si cela est le prix à payer pour entrer dans les Hautes Passes, cela peut-être jouable. Mais il y a un type de créature qui ne semble pas être dérangé par l’odeur.


« Sentez-là, mes sœurs ! Elle pue comme les bulles d’un marais et la soupe d’une sorcière ! »

« Pire encore ! »

« Hah ! Même ceux de pierre craignent sa puanteur ! Quelle idiotie !


Elles papillonnent autour de moi, et certaine se posent sur ma tête. Je serre les dents. Ces petites démones m’ont suivie hors de la ville, à mon grand désarroi. Je pensais qu’elles allaient me laisser en paix avec toute une ville d’humain à embêter, mais non*.


*Ouais, c’est vrai. J’étais en train d’essayer de les lâcher sur d’autres gens. Et alors ? Si tu devais faire affaire avec ces capricieuses créatures surnaturelles pendant plus de cinq minutes tu serais prêt à faire la même chose.


L’une des fées rit et tire mes cheveux. Je sens quelques cheveux s’arracher de mon scalp et je craque. C’est bon. Je sais que c’est une mauvaise idée, mais j’essaye d’en envoyer une valser d’un mouvement de main et les éloigner de ma tête.

« Dégagez ! »

Les fées s’en vont et le bout de mon doigt qui en a frôlé une s’engourdit. Elles sont trop froides pour être touchées, et elles n’ont pas peur. L’une d’entre elles bourdonne à côté de mon visage, me tirant la langue en se moquant de moi.


 « Ooh, terrifiant, terrifiant ! Ça mord ! »


Je lui grogne dessus, mais elle rit avant de me faire un doigt d’honneur. Où est-ce que les fées ont appris ce geste ?

« Mais pourquoi vous me suivez, putain ? Vous n’avez rien de mieux à faire ? »

La fée semble outrée et penche sa tête. Elle se tourne vers l’une de ses amies et s’adresse assez fort pour que je l’entende.

 « Hark, la chose puante parle ! »

« Répugnant ! Ça devrait mourir ! »


Mon pied glisse sur une plaque de glace et je m’écrase au sol. Aie !

Je me relève et je réalise qu’un rocher pointu s’est planté dans ma main. Je le retire, et du sang commence à couler de ma paume.

Ces putains de…

Tu sais quoi ? Je vais continuer de courir. Et ce n’est pas parce que je sais que je ne peux rien leur faire.

Je me relève et je continue de courir le long chemin serpenteaux et rocailleux. Au moins mes chaussures me protègent des cailloux aiguisés. Bon, où est cette foutue cave ? Je peux à peine me souvenir l’avoir atteinte la dernière fois, j’étais presque morte après tout. Mais je pense que Teriarch devrait se trouver un peu plus loin…

Je passe une falaise et je vois soudainement un massif trou béant plus grand et plus large que les portes de Liscor. Bon, je suis là.

J’hésite en regardant un bout de tissu jaune délavé accroché à un rocher à l’entrée de la cave. Je me souviens que maintenant de qui Teriarch est. Voyons voir. Ryoka, si c’est maintenant que tu repenses véritablement à tes choix de vie, est-ce que cela fait sens de déranger le possible mage Elfique aux incroyables pouvoirs sans avoir réaliser ce qu’il t’avait demandé de faire ? Oui ? Si oui, c’est tout droit. Cordialement, un message de ton cerveau.

Je prends une grande inspiration et je le regrette aussitôt. Mais je suis là, et la fortune sourit aux audacieux. Même si les audacieux sont souvent les premiers à tomber, au lieu de gagner, mais je dois le faire.

Les Fées de Givres tournent autour de ma tête, ignorant ma trépidation. Elles rient en volant dans la cave, continuant de jacasser.


 « Ooh, est-ce que l’humaine pense que nous avons peur des caves ? »

« Au moins elle est assez intelligente pour ne pas utiliser de fer. Ou nous aurions dû geler son nez ! »

« Devrions-nous faire s’effondrer le plafond sur elle ? Ou peut-être… »

J’entends la voix caverneuse faire trembler mes os avant de comprendre les mots. Une massive voix explose de la cave, irritée et autoritaire.

« Hors de ma vue, pestes ! »

L’effet de la massive voix est instantané. Les Fées de Givres réagissent comme si elles avaient été frappées. Elles hurlent et fuirent dans toutes les directions alors qu’un grand jet de flamme passe au-dessus de ma tête. Je me jette au sol alors que la chaleur me cuit avant de se dissiper.

Pendant un moment, la seule chose que je peux faire est de rester en sol en tremblant légèrement. Putain de merde. C’est un sort terrifiant. Je me lève enfin, non pas parce que je veux rentrer, mais au cas où je dois fuir.

La même voix écho de l’intérieur, pas aussi bruyant, mais tout aussi écrasant. Le ton est désapprobateur, et la voix s’adresse à moi.

« Entre, Ryoka Griffin. »

Si j’étais religieuse… Mais je ne le suis pas, donc j’espère de tout mon cœur que tout se passera bien en entrant. J’espère que je ne suis pas sur le point de mourir.

La cave est ouverte et grande, c’est plus un hangar à avion qu’une cave, elle était même légèrement plus grande que la majorité des hangars à avions que j’avais visité. Cela me donnait l’impression d’être dans une espèce d’autre monde, et même si la cave était immense, elle était loin d’être vide.

En un rien de temps, le sol rugueux se transforme en marbre lisse. Les murs rugueux… Restent, mais ils sont soudainement recouverts de tableaux et d’armes accrochées au mur.

Des piédestaux apparaissent, tenant des objets magiques et des étagères pleines de livres partageant l’espace à côté de choses que je ne peux même pas décrire. Un mourir plaqué d’or qui ne me reflète pas ? Une armure fait de pierre ? Un… Keyblade ?

Les merveilles autour de moi sont irréelles, mais elles vont avec l’unique habitant de la cave. Il se tient au centre, il m’attend, et je peux sentir l’air autour de moi se changer alors que je m’approche.

Il est là, la personne responsable d’une partie de mon malheur de ces dernières semaines. Un mage. Un homme ? Un mystère. Un dragon.

Teriarch.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 19 septembre 2020 à 17:53:25
2.12
Traduit par Maroti
Partie 2


La première chose qu’il fait est de se débarrasser de l’horrible odeur m’entourant. Un claquement de doigt, et non seulement je me retrouve à sentir la rose, mais la potion à ma ceinture est dans ses mains. Je devrais plutôt dire, dans une bulle dans sa main. Cela ressemble presque exactement à une bulle, alors qu’une délicate membrane aux couleurs de l’arc-en-ciel tourne dans ses mains.

Il est comme je me le rappelais. Ce qui veut dire, trop parfait. Teriarch se tient devant moi du haut de ses presque deux mètres, un vieil homme habillé dans des habits de roi.

Il est comme un archétype de l’humanité, un grand homme à la peau bronze avec des cheveux blancs, mais avec le corps et la présence d’un dieu Olympien. Il se tient devant moi et baisse les yeux, ses oreilles pointues et ses yeux célestes se plissent de dédain.


Un massif dragon aux écailles dorées me regarde, agacé. Ses gigantesques ailes se déploient et battent une seule fois, déplaçant l’air…


Une bourrasque de vent me frappe le visage et je cligne des yeux. Qu’est-ce que c’était que ça ? Un sort ? Teriarch me regarde, agacer, et secoue sa main. Ce qui a causé la bourrasque s’arrête.

« Ryoka Griffin. »

Je ne sais pas si c’est la magie où juste lui, mais la voix de Teriarch est profonde et résonnante. Il me regarde, et mes genoux commencent à trembler. Et ce n’est pas parce qu’il ressemble à une version inégalable de la beauté masculine. Il me terrifie, et je ne sais pas pourquoi. Peut-être est-ce parce que je sens le pouvoir qu’il a en lui.

« Teriarch. »

« Cela fait longtemps depuis la dernière fois que je t’ai vu. Et maintenant, tu arrives quand… Et tu ramènes aussi ces pestes. Comme c’est étrange. »

Merde, c’est difficile. L’intégralité de mon plan tournait autour d’arriver ici et je ne pensais honnêtement pas que j’avais y arriver. Mais j’avais complètement oublié à quel point Teriarch était intimidant. C’était un type qui pouvait me téléporter en quelques mots et cracher de feu suffisamment chaud pour faire fuir les Fée de Givre, et j’allais…

« Je suis aussi contente de vous voir. »

Ma première et dernière réponse à n’importe quelle situation est le sarcasme, rapidement suivi par de l’ironie et du mépris. Teriarch me regarde comme si j’étais un insecte et secoue la tête.

« Mm. Et je dois te demander la raison de ton retour. Je t’avais pourtant donné des instructions claires la dernière fois que je t’ai vu. Tu devais livrer un anneau et une lettre au mage nommé de Perril Chandler, aussi connu sous le nom d’Az’kerash. Ce qui tu n’as pas fait. »

« Ouaip. J’étais occupée. »

« A quoi donc ? »

J’avale ma salive. Le regard de Teriarch est presque impossible à soutenir, donc je regarde par-dessus son épaule à la place.

« Ce ne sont pas vos affaires. Mais je suis revenu pour vous dire que je ne vais pas livrer votre lettre et votre anneau à Az’kerash. »

« Et puis-je savoir pourquoi ? »

« Vous m’avez lancé un sort. »

« Et ? »

Il semble totalement désintéressé. Et c’est assez pour m’énerver. Je hausse la voix.

« Et je n’aime pas que les gens me disent ce que je dois faire contre mon gré. Vous m’avez lancé un sort sans mon consentement. Pour ça, vous pouvez oublier que je livre quelque chose pour vous. »

Teriarch cligne des yeux, surpris, avant de les plisser. Il secoue sombrement sa tête, et je sens l’inquiétante présence se faire plus forte autour de moi. La peur est en train de trouer mon estomac.

« Effronterie. Tu viens dans ma maison pour me dire… Mais c’est ainsi que marche ton espèce, après tout. Mais il y a autre chose que cette… Cette démonstration d’insolence, n’est-ce pas ? »

Il passe la main dans sa barbe et me regarde. Les yeux de Teriarch se plissent.

« Tu ne serais pas revenu après t’être débarrassé du sort juste pour me dire que tu refuses de me servir. Tu veux autre chose. Dit moi pourquoi tu es ici. »

Il me pointe du doigt, et j’ai envie de lui répondre. Mais je me mords la langue.

« N-non. »

Il fronce les sourcils. Son doigt brille, et sa voix se fait plus profonde.

« Dis-moi. »

Il me regarde droit dans les yeux et je sens quelque chose toucher mon esprit. C’est la même chose que la première fois que je l’ai regardé. Je sens le besoin irrésistible de lui obéir, de cracher le morceau et de lui dire tout ce qu’il voulait.

Mais je combats. Je l’ai déjà fait. Cela prit tout ce que j’avais, mais cette fois ce fut plus facile. Je refuse d’ouvrir la bouche, et la pression monte et monte avant de soudainement s’arrêter. Je secoue la tête et je le regarde.

« Non. T’arrête ça. »

Pour la première fois depuis que je l’ai rencontré, Teriarch semble belle et bien sidéré. Il regarde son doigt, avant de me regarder de nouveau sans comprendre.

« Tu… As résisté à mon sort. Comment est-ce que tu as fait cela ? Tu n’as pas de Classe. »

« Ça s’appelle de la volonté. »

« Uniquement par la volonté ? Mais cela ne devrait pas… Je suppose que cela est possible… »

Il s’arrête, me regardant avec un peu plus d’intérêt et possiblement plus de respect qu’avant. Il ouvre ses mains.

« Fort bien. Que souhaites-tu dire ? Pourquoi est-ce que tu es revenu sans avoir livré ma lettre et mon anneau à Az’kerash ? »

Il est toujours intimidant, pour une raison que je ne peux pas expliquer. Mais je tiens tête. Je dois lui répondre. Je ne vais pas me rouler en boule, pas vrai ? Allez Ryoka ! Vanne ce stupide mage ! Tu peux le faire ! Tu peux lancer des piques, tu es la maîtresse des piques ! C’est comme ça qu’ils t’appelaient à l’école !*


*Non, c’est faux. Ils m’appelaient ‘salope’ et d’autres insultes fades.


« Je ne l’ai pas trouvé. J’ai vérifié les Plaines Sanglantes et je n’y ai rien trouvé. Oh oui, j’ai aussi trouvé que j’étais sous l’emprise d’un sort et je l’ai brisé. Ça te dérange ? »

« Oui. »

Qu’importe qui est Teriarch, il est clairement en retard au niveau des réponses modernes. La réponse appropriée est ‘je t’emmerde’ ou quelque chose du genre. Il me regarde.

« La localisation exacte d’Az’kerash est hors de propos. Je t’ai donné un emplacement. C’est à toi de le trouver et de lui délivrer le message. »

Je lui rends son regard. Et pour une fois, je pense que je suis en train de perdre le combat de regard, mais je ne baisse pas les yeux.

« Comment est-ce que je suis sensé faire ça ? Je n’ai pas la moindre idée d'où il se trouve. Et pourquoi est-ce que je devrais faire quoique ce soit pour quelqu’un qui m’a lancé un sort pour me le faire faire contre mon gré ? »

Il secoue la tête comme si cela n’avait pas d’importance.

« Tu es une Coursière. J’ai formulé une requête. La logique est simple. Tu compléteras la livraison. »

Je serre les dents tellement fort que j’entends ma mâchoire craquer.

« Non. Je ne vais pas le faire. »

« Tu vas le faire. »

Je secoue la tête. Cela prend plus d’effort que je l’imaginais.

« Je ne le ferai pas. »

Il me grogne dessus. Un vrai grognement !

« Tu as agréé de remplir ma requête. Tu as été payé p… »

« Pour collecter ta requête et le payement. J’allais la livrer à la Guilde des Coursiers pour que quelqu’un puisse la remplir. Possiblement moi. C’est comme ça qu’une requête anonyme marche. Je n’ai pas agréé à faire la livraison moi-même, encore moins être enchanté et être forcé de la faire ! »

« Alors qu’est-ce que tu vas faire ? Refuser ma requête ? Détruire ma livraison ? La jeter ? »

Teriarch me toise. Est-ce qu’il a toujours été aussi grand ? Il semble furieux.

« Ou est-ce que tu es venu jusqu’ici pour te plaindre, Ryoka Griffin ? »

Je lève la tête et le regarde. Ne flanche pas. Lâche la bombe.

« Non. Je suis venu te dire que tu es sur la liste noire. »

«… Quoi ? »

Mon sac est dos est sur mes épaules. Je le prends et l’ouvre pour en sortir quelque chose. Le petit livre de loi de la Guilde des Coursiers que j’ai acheté. Je l’ouvre et je pointe un passage sur lequel j’avais mis un marque-page.

« Règle numéro 21 de la Guilde des Coursiers dit que ‘tout Coursier affecté par un sort ou une Compétence peut refuser de réaliser le service et annuler la requête.’ Aussi, il est dit que toute personne qui attaque, gène, ou change le comportement d’un Coursier lors de la réalisation de son devoir peut-être banni de recevoir ses livraisons ou de déposer de futures requêtes. Tu peux le voir ici. »

Je lève le livre et je le lance sur Teriarch. Il cligne des yeux et seul un mouvement de ses doigts arrête le livre de lui frapper le visage*. L’expression d’incrédibilité et d’irritation sur son visage vaut presque le coup du terrible destin que je vais subir.


*Oh oui. Je lui ai jeté le bouquin dessus.


Il ouvre le livre et lit rapidement les pages, son visage figé dans une expression d’incrédulité. Il me regarde.

« Tu… Tu n’es pas sérieuse. Ne sais-tu pas qui je suis ? »

« Non. Pourquoi est-ce que tu ne m’éclaires pas ? »

Son œil gauche tressaillit.

« Je suis Teriarch, et je n’obéis pas aux requêtes d’une simple… Je ne serais pas censuré par toi ou la Guilde des Coursiers. »

« D’accord. Dans ce cas je ne vais pas compléter ta livraison. Tu peux reprendre ton anneau et ta lettre. »

J’ouvre la bourse à ma taille et en sort la lettre pliée et l’anneau. Je les tends vers Teriarch et il cligne des yeux, incrédule.

« Je garde la potion, au passage. C’est aussi dans les règles. »

« Tu ne peux pas faire ça. »

« On parie ? »

Pendant une seconde j’ai cru que j’étais allé trop loin et que le mage allait exploser. Le visage de Teriarch devient rouge, il tire sur sa barbe, avant de commencer à hurler.

« Non. Je ne serais pas… Silence, femme ! »

J’ai trop peur pour faire un commentaire sur son sexisme, mais Teriarch ne semble pas être en train de me parler. Il fait des allers-retours, marmonnant sombrement dans l’air, avant de se tourner vers moi et de me regarder furieusement.

« Cette livraison doit être réalisée. Et tu la feras. Non… ! J’insiste ! Et il en sera fait ainsi ! »

« Je ne la ferais pas sans un autre deal. »

« Alors demande ! Qu’est-ce que tu désires, humain ? »

Okay, restes calme Ryoka. Je fais signe vers l’entrée de la cave.

« Je suis allé aux Plaines Sanglantes, mais je n’ai rien trouvé. Tu as dit qu’il allait être ici ou entouré de mort-vivants, mais comment est-ce que je peux les trouver. Ce continent est grand. Je n’ai pas la moindre idée d'où est-ce qu’Az’kerash se trouve. Si tu veux que je lui livre quelque chose, tu vas devoir me donner une carte ou quelque chose de la sorte. »

Teriarch me regarde. Il prend une grande inspiration avant de longuement expirer et de hocher la tête. Il lève sa main, dit cinq mots secs qui font siffler mes oreilles. Je ne peux même pas me souvenir de ce qu’il a dit, mais une fois qu’il a terminé, il tient une… Pierre ?

Oui, une pierre. Juste… Une pierre, pas plus grande que ma paume. C’est parfaitement normale, sauf pour la flèche dorée et brillante gravée en son centre, bien sûr. La flèche tourne avant de pointer vers le sud-ouest.

Teriarch me la lance et je manque de la laisser tomber. C’est chaud.

« Tiens. Cela te pointera vers sa signature magique. Est-ce que tu veux autre chose ? Ou est-ce que tu veux que je te donne un tapis volant tant que nous y sommes ? »

« Tu es as un ? »

Le regard que me lance Teriarch devrait me griller sur place, mais ses yeux tressaillent un tout petit peu vers le côté droit de sa cave. Non, c’est impossible. Mais il se rattrape et il me pointe du doigt, le bout de son doigt luisant de manière inquiétante.

« Tu délivrera l’anneau et la lettre à Perril Chandler ou tu le regretteras, Ryoka Griffin. C’est une promesse. »

La vision du doigt luisant me terrifie plus qu’un zombie essayant de manger ma gorge ou Scruta avec son épée. Je suis complètement terrifiée, mais ma bouche et mon corps sont en auto pilote. Je lève ma main.

« Pas si vite. Lancer un sort sur moi veut dire que tu as abandonné le payement pour la requête que tu as fait. Si tu veux que je livre cette foutue livraison, fait moi une meilleure offre.

« Te. Payer. »

Une veine apparaît sur la tempe de Teriarch. Je déglutis.

« Ouaip. Paye-moi. Ou sinon tu vas voir. Trou du cul. »

J’aurai vraiment, vraiment dû la fermer avant la fin de la phrase. J’attends la boule de feu, mais Teriarch ne fait que me regarder. Je pense… Qu’il est trop sonné pour parler.


***


Teriarch regarde bouche bée l’impudente humaine devant lui. Une partie de son esprit voulait simplement la réduire en cendre, mais c’était une toute petite partie. Vraiment, la seule chose qu’il avait dans son esprit à pour le choc et l’outrage était un tout petit peu d’admiration.

Un tout petit peu. Minuscule, vraiment. Mais il n’avait jamais été challengé de manière aussi… Aussi…. Aussi originale. Des règles et des lois ? Comme si de simples mots pouvaient le retenir.

Mais il devait l’admettre, les règles avaient une certaine emprise sur lui. Il était une créature avec une parole, il était peut-être au-dessus de la loi, mais il en respectait le concept. Et en effet, peut-être qu’il devrait la suivre. Il ne faisait peu de communication par Coursier, mais s’il était banni…

« Fort bien. Je suppose que je peux dédommager ton… Dérangement. »

L’humaine la regarda, sans cligner des yeux. Elle était tellement étrange. Qui avait entendu parler de quelque assez courageuse pour braver les Hautes Passes non pas une mais deux fois ? Pour se plaindre du fait qu’il lui avait lancé un sort ? Il n’arrivait pas à se faire à l’idée, mais il n’allait pas montrer de faiblesse.

Il regarda discrètement autour de lui en essayant de se décider sur une récompense adéquate. Il parla de manière dédaigneuse à Ryoka, comme si cela n’avait pas d’importance.

« Je suppose que quarante pièces d’or seront suffisantes pour cette tâche ? »

L’humaine plissa les yeux en le regardant.

« C’est le prix pour venir ici et prendre ta requête. Tu m’as donné une seule potion pour le prix d’une livraison. Ce n’est clairement pas assez. »

Bien sûr. Sapristi. Teriarch avait oublié comment le système des requêtes marchait. Et lui-même devait l’admettre, une simple Potion de Célérité était une bien piètre récompense même pour une bête livraison. Il était simplement habitué à donner des ordres aux Courriers qu’il avait totalement oublié ce qui valait la peine d’être donné.

Teriarch chercha, autant avec ses sens magiques que ses yeux. Qu’est-ce qu’il pouvait donner pour calmer sa colère ? Il avait beaucoup de choses qu’il pouvait donner, mais qu’est-ce qui était approprié ? Une arme ? Non, sûrement les Coursiers ne les utilisaient pas. Des gemmes ? De l’or ? Des livres de sorts ? Et combien coûtait une livraison ?

« Magnolia. Quel est le taux d’échange dans tes misérables villes ? »

Teriarch murmura les morts, essayant que l’humaine ne perçoivent pas son incertitude. Il savait que Magnolia était une experte dans l’étrange équilibre des échanges commerciaux des humains, en étant elle-même une, mais elle était trop occupé à rire de lui pour répondre.

Fichtre. Sans elle pour l’aider, Teriarch allait devoir bluffer. Il passa la main dans cette maudite barbe que les humains semblaient aimer et essayer de paraître sévère.

« Pour une livraison aussi simple, surtout avec l’aide d’un sort de traçage, je pense que de l’or sera suffisant. Disons… Deux cents pièces d’or ? »

Il n’avait pas la moindre idée de si cela était approprié. L’humaine s’arrêta, avant de secouer lentement la tête. Malédictions ! Elle était probablement offensée.

« Deux… Cents ? Bien sûr que non. »

« Mm. Bien sûr. Quatre cent… Non, huit cent seraient plus appropriés, n’est-ce pas ? »

« P-possiblement. Bien. J’accepte ce tarif. »

Teriarch plissa les yeux, mais Ryoka avait déjà retrouvé une expression neutre. Il hocha lentement la tête, écoutant toujours Magnolia s’étouffer de rire dans son esprit.

« Fort bien. C’est décidé. »

Sous lui, Ryoka hocha la tête. Elle regarda l’entrée de la cave et tapota sa bourse où il pouvait sentir l’anneau et la lettre qu’il lui avait donné.

« Alors d’accord, je vais m’en aller. Je vais compléter la livraison quand j’aurai le temps. De toute façon, je pars vers Liscor dans quelques jours. »

Teriarch hocha la tête. Il devait s’y attendre. Il allait la laisser partir et espérer qu’elle allait rapidement livr…

Il s’arrêta.

« Attends. Quoi ? »

***


Teriarch ne semblait pas bien le comprendre. Je fis un pas en arrière en répétant ce que je vais de dire, mon cœur battant la chamade.

« Je m’en vais. Pour faire ta livraison. C’est ce que tu veux, n’est-ce pas ? »

« Oui… Non. Humaine… Ryoka Griffin, j’ai beaucoup de questions à te poser. »

« Tant pis. »

Deux autres pas. Teriarch fronce les sourcils en me regardant et lève une main.

« Tu ne peux pas encore partir. J’ai des questions à te poser, et tu vas y répondre. »

Je hausse les épaules comme si c’était le cadet de mes soucis.

« Dommage. Je suis une Coursière. Je livre tes trucs. Tu n’as pas à me poser de questions. »

« Quoi ? Non. Tu vas rester ici. »

Je sens de nouveau la force de la magie essayant de me ralentir, mais cette fois je suis prête. Je lui fais un doigt d’honneur et je me retourne.

« Essaye de nouveau ça et je double le prix de la livraison. Tu as engagé une Coursière, et c’est ce que tu as. Je ne fais pas d’interview. »

Je commence à m’éloigner en marchant. C’est terrifiant, je sens ses yeux posé sur mon dos. Il lève la voix de manière colérique.

« Tu ne peux pas t’en aller ! Stop ! Je te l’ordonne ! »

Je lève une main pour lui dire au revoir.

« Reviens ici ! »

La voix de Teriarch est comme la foudre, mais je l’ignore. Je commence à courir hors de la cave, tendue en m’attendant à ce qu’une boule de feu me change en tas de cendre.

Mais rien ne se passe. À la place, j’entends Teriarch s’étouffer et bégayer d’outrage. J’accélère, et je suis presque à la sortie. La lumière du soleil m’accueille alors que je sors de la cave en direction du chemin que j’avais déjà emprunté.

Derrière moi, j’entends un rugissement qui semble être presque… Bestial. Mais je suis trop occupé à courir pour y penser. Je sprinte sur plus de trois kilomètres de la cave avant d’avoir l’impression que je peux ralentir.

Ma tête n’arrête pas de tourner, mais je continue de courir sans la moindre conséquence. Lentement, très lentement, je commence à me relaxer. Je l’ai fait. Je l’ai vraiment fait !

Je sors des Hautes Passes. Elles sont toujours vides, et le ciel est ensoleillé et clair au-dessus de moi. Même ces foutues journées hivernales peuvent être plaisantées si tu as un mage pour effrayer les Fées de Givres.

Mon pas est léger, et mon corps est légèrement en sueur, mais cela ne me dérange pas. J’ai une potion de vitesse à ma ceinture, une lettre et un anneau valant huit cents pièces d’or dans ma bourse, et une destination en tête.

Oh et oui. Je suis en train de sourire.

C’est définitivement un sourire.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 23 septembre 2020 à 18:52:27
2.13 - Première Partie
 
Traduit par EllieVia


Erin était en train de mâcher et d’avaler mécaniquement son repas. Elle songea qu’il y avait pire que de manger des hamburgers froids pour le petit déjeuner.

Par exemple, des... rats. Elle pourrait être en train de manger des rats. Ou… ou rien du tout. C’était encore pire à manger puisque ce n’était rien.

Erin n’était pas à l’aise avec les matins froids. Elle était comme les lézards - qui n’avaient rien à voir avec les Drakéides. Elle aimait bien se prélasser dans la chaleur de l’été.

Et elle était juste un peu trop paresseuse pour s’embêter à démarrer un feu, et elle avait pourtant trop froid pour être vraiment heureuse dans son auberge toute neuve. Klbkch et l’armée d’Ouvriers lui avaient laissé une quantité considérable de bois de chauffage mais Erin n’avait vraiment pas le courage de faire d’effort. Jusqu’à ce qu’elle ait vraiment très froid, et à ce moment-là, elle se traîna jusqu’à la cheminée, un hamburger à moitié mangé dans la main, frissonnant dans ses couvertures.

Lorsqu’il fit suffisamment chaud dans l’auberge, Erin reprit goût à la vie. Pour tout dire, elle se sentait en pleine forme.

Elle avait une auberge toute neuve, et un hamburger dans l’estomac. Et un deuxième dans les mains. Erin savait qu’elle aurait dû s’arrêter là, mais c’était un hamburger. Ou plutôt, celui-ci avait aussi du fromage, donc c’était un cheeseburger, et Erin était tentée d’en faire un double cheeseburger. Avec du bacon ?

Non. Non, elle ne devait pas être trop gloutonne. Ou elle allait grossir. Ce qui était un problème… pourquoi, exactement ?

Erin lutta contre son estomac pendant quelques minutes avant de se décider à manger son hamburger. Elle avait du travail à faire.

Cela avait été une journée de triomphes, hier.  Une journée pleine d’auberges qui explosent et de reconstruction, et Erin était déterminée à continuer sur sa lancée. Elle commença donc par se rendre dans sa cuisine pour préparer la journée à venir.

“Bœuf haché ? Ok. Salade ? Ok. Tomates… personne n’aime les tomates.”

Selys et Ceria y étaient indifférentes. Relc avait jeté la sienne dans la neige et Klbkch avait probablement tout mangé parce que c’était poli. Erin aimait les tomates, mais si elle n’était pas obligée dans mettre dans ses sandwiches, c’était plus d’argent dans ses poches et moins d’argent… dans l’estomac des gens.

Elle avait largement assez de fromage, et des œufs pour amalgamer la viande. Les épices ? Juste ici.

Erin jeta le tout pêle-mêle dans son lourd sac de courses. Elle pourrait racheter des choses à Krshia une fois en ville, où elle s’apprêtait à se rendre. Elle balaya la pièce du regard.

“Hey Toren ! Je file. Reste ici et…”

Erin marqua une pause. C’est à ce moment-là qu’elle se rappela qu’elle n’avait pas de squelette. Elle s’était presque attendue à ce qu’il soit là à son réveil. Mais ce n’était pas le cas.

Toren était parti.

“Où es-tu allé, Tor ? Quand je t’ai dit “va-t’en”, c’était juste pour que tu partes un petit moment. Pas… pour toujours.”

Il n’était pas parti. Erin en était certaine. Elle en était tellement certaine qu’elle abandonna son sac de courses et partit en courant. Cela lui prit quelques minutes pour dénicher son marteau et ses clous, grâce à la réorganisation de Selys, mais elle réussit à clouer rapidement deux planches entre elles et fabriqua une flèche tordue avec quelques chutes de bois.

La zone où s’était trouvée son ancienne auberge était presque entièrement recouverte de neige lorsqu’Erin parvint à y retourner. Elle observa la colline vide, et se souvint d’une nuit où, désespérée, blessée, elle avait trouvé refuge dans une auberge sombre.

Autrefois. Mais cette auberge n’existait plus. Sa nouvelle auberge était mieux, et elle le serait encore plus quand il reviendrait.

Erin souleva la flèche de bois et la planta profondément dans le sol à l’endroit où s’était trouvée son auberge. Elle pointait vaguement en direction de sa nouvelle auberge. Toren allait trouver la flèche, et revenir. Elle en était certaine.

Erin en était tellement certaine qu’elle fabriqua trois nouveaux panneaux et les planta sur les collines autour de son auberge. Juste au cas où Toren aurait oublié sur quelle colline s’était trouvée l’ancienne auberge et se perde.

Lorsqu’elle rentra dans son auberge, Erin la trouva bien solitaire. Elle était belle, avec son bois lisse et vernis. Elle sentait même bon - là encore, grâce aux hamburgers du petit-déjeuner.

Mais elle était vide. Tous les amis d’Erin étaient retournés en ville, et Toren avait disparu. Ryoka était occupée à courir au nord, et Erin n’avait toujours pas de clients.

Elle allait régler ça. LE visage d’Erin était déterminé lorsqu’elle souleva son sac à dos plein d’ingrédients à burgers. Il était temps d’aller en ville.

Et qu’il fut facile d’atteindre Liscor ! Erin eut l’impression d’être tout juste sortie de son auberge lorsqu’elle arriva aux portes. C’était dix fois plus agréable que son trajet gelé de la veille, mais c’était sans doute aussi parce qu’elle avait des vêtements chauds.

Tous ces achats d’ingrédients et de vêtements avait sérieusement entamé les petites économies d’Erin, mais ce n’était pas grave. Elle était de bonne humeur, et les choses avaient l’air de s’arranger.

“Krshia ! Salut, comment vas-t-u ?”

Erin sourit en saluant la grande commerçante Gnolle. Krshia leva le nez de son étalage, vaguement surprise. Normalement, Erin n’arrivait au marché qu’aux alentours de midi au plus tôt, mais elle était là tôt, fraîche et dispose.

“Erin. C’est bon de te voir, oui ? J’ai entendu dire que tu as eu beaucoup d’ennuis hier ?”

“Oh ? Tu en as entendu parler ?”

“Le garde Relc est venu, plutôt soûl, parler de l’explosion de ton auberge. Et apparemment, tout a été reconstruit en une journée. Il était très soûl, n’est-ce pas ? Je voulais savoir si tu allais bien. Si tu n’étais pas venue aujourd’hui, je serais allée te chercher.”

“Tu es vraiment gentille. Mais je vais bien ! Et Relc disait la vérité. Mon auberge a bel et bien explosé. Elle était complètement rasée lorsque je suis arrivée. Mais Klbkch et les Antiniums sont venus et l’ont reconstruite. Ailleurs. Sur une colline plus proche d’ici, je veux dire. Du coup j’ai une nouvelle auberge ! N’est-ce pas merveilleux ?”

Krshia renifla l’air et haussa les épaules.

“Tu n’es pas saoule. Tu as donc une nouvelle auberge ? C’est une bonne chose. Il faudra que je la voie bientôt. Et que nous parlions, oui ? Ton amie Ryoka est partie, mais j’aimerais lui parler aussi.”

Tout le monde veut me parler. Est-ce que tu sais que je vais avoir beaucoup d’Ouvriers qui vont venir à mon auberge ? Klbkch dit qu’il veut que je leur enseigne à jouer aux échecs. N’est-ce pas merveilleux ?”

“Vraiment ? Étrange, en effet.”

Krshia observa Erin qui défaisait son sac à dos et s’approchait de l’un des grands braseros. Elle la regarda tester la température des braises et plonger le bras dans son sac. Elle en sortit une poêle et, quelques minutes de réflexions plus tard, rapprocha le lourd brasero de l’échoppe de Krshia.

“Que fais-tu, Erin Solstice ?”

“Oh, je suis trop près ? Désolée, désolée. J’avais oublié que ton échoppe était en bois.”

Erin ajusta la position du brasero mais Krshia secoua la tête. Elle montra d’un air médusé l’installation d’Erin. Erin la dévisagea, déconcertée, puis lui adressa un grand sourire.

“Ça ? Je vais faire de la cuisine.”

“ Vraiment ? Eh bien, j’imagine que tu n’as pas besoin de payer pour faire ça dans la rue. Mais il y a une taxe de cinq pièces d’argent si tu fais un profit supérieur à quatre pièces d’or, en revanche.”

Erin ne pensait pas que cela pose un problème. Ça avait l’air raisonnable. Elle tourna la tête et se rendit compte qu’elle avait tout de même un petit problème.

“Hum, tu n’aurais pas une table que je pourrais emprunter, au hasard ? Et peut-être un peu plus de charbon ? C’est chaud, mais j’aimerais pouvoir le re remplir s’il se met à refroidir.”

Krshia hocha patiemment la tête et pointa du doigt une planche adossée à son échoppe.

“J’ai les deux. Mais qu’est-ce que tu fais, Erin ?”

“Des hamburgers.”

“Qu’est-ce qu’un hamburger ? Un mets à base de jambon de porc ou de sanglier* ?”

* Note de la traductrice : en anglais “ham” signifie “jambon”

“Non ! Enfin… je ne crois pas. De toute manière, là, il est au fromage. Disons plutôt que c’est un cheeseburger.”

“Ah. Donc il s’agit d’un plat à base de fromage ?”

“Hum. Laisse-moi juste m’installer et je vais te montrer.”

Erin étala rapidement devant elle ses rangs d’œufs, son saladier de bœuf haché, et le reste des ingrédients dans un coin de la table. Le bol de mayonnaise et de ketchup qu’elle avait rapporté de son auberge occupait la majeure partie de la table. Elle avait recouvert le tout de papier ciré, mais les deux condiments avaient tout de même légèrement séché. L’histoire fut réglée à l’aide d’une cuillère et d’un peu d’huile de coude. Erin sortit ensuite le plateau.

Il était grand, et vide, et ce dernier détail était sur le point de changer. Erin prit l’une des galettes de viande qu’elle avait confectionnée à partir du bœuf haché et la jeta sur la poêle à frire. Le métal venait de passer quelques minutes sur les charbons ardents et était tellement chaud que la viande siffla en atterrissant sur la poêle.

Krshia était en train de s’occuper d’un client Drakéide en attendant que les excentricités d’Erin se mettent à faire sens. Mais lorsqu’elle entendit le bruit de la viande en train de cuire, ses oreilles se redressèrent.

Erin prépara le premier steak selon les goûts présumés de Krshia. Elle retourna donc le steak au bout de moins d’une minute de cuisson et laissa le métal chaud cuire le steak juste entre “cru” et “bleu”. Elle prit une spatule pour déposer le steak sur le bun qui l’attendait, ajouta un peu de salade et d’oignon en rondelles… du fromage… et ce fut prêt.

“C’est l’heure des burgers !”

Erin présenta sa création à Krshia et la Gnolle regarda le cheeseburger dégoulinant d’un air suspicieux. Suspicieux, mais définitivement intéressé.

“Mmh. Qu’est-ce que c’est ?”

“Ça s’appelle un hamburger. Ou un cheeseburger. C’est très bon. Essaie !”

Krshia prit le hamburger d’une patte. Erin avait fait de grosses galettes de viandes hachée et ses buns étaient tout aussi généreux. On était plus proche d’un burger à la Burger King que d’un triste petit cheeseburger de McDonald’s. Sauf que celui d’Erin était encore plus gros. La viande prenait la moitié de l’épaisseur du burger, pas moins.

Cela n’empêcha pas Krshia de le porter aisément à sa bouche. La Gnolle hésita et lança un regard à Erin. Son client Drakéide lorgnait le burger avec intérêt. Une goutte de graisse tomba dans la fourrure de Krshia.

Elle prit une bouchée. Erin retint son souffle. Mais elle n’était pas vraiment inquiète. Parce qu’elle connaissait la vérité.

Peut-être qu’en ce monde, les différentes espèces n’avaient pas les mêmes goûts en termes de nourriture. Et il était vrai que les chefs avec [Cuisine Avancée] pouvaient probablement créer des mets auxquels Erin ne pouvait pas se mesurer. Et certaines auberges avaient possiblement des menus conçus pour satisfaire leur clientèle.

Mais. Elle avait fait un hamburger. Un mets délicieux qui était resté l’un des plus populaires de son monde pendant plus d’un siècle. Les gens de ce monde connaissaient probablement la grande cuisine, mais Erin apportait avec elle la restauration rapide. Leurs papilles n’allaient pas comprendre ce qui leur arrivait.

Krshia écarquilla les yeux en mâchant son burger. Elle regarda fixement la salade d’un vert vibrant, le fromage et les oignons, puis avala. Erin patienta.

Krshia reprit une bouchée. Puis une autre. Elle termina son burger en moins d’une minute, et lorsqu’elle se lécha la paume, Erin sut qu’elle avait gagné.

Le reste des vendeurs de nourriture de rue ? Ils allaient repartir bredouilles. Le Gnoll en train de faire cuire des morceaux de viande ? Bonne chance pour transformer ça en vrai repas.  Le Drakéide avec les kebabs ? Prépare-toi à être surclassé. L’autre Drakéide avec son cidre chaud ?

Pour le coup, ça avait vraiment l’air bon. Erin voulait en acheter une chope.

Elle avait songé à rajouter des éléments à son menu de stand impromptu, mais elle avait sagement décidé qu’elle n’aurait pas assez de place. De plus, le brasero était parfaitement adapté pour griller de la viande, mais il lui aurait fallu un four pour faire des pizzas.

Quant aux boissons, un burger n’était pas vraiment complet sans son Coca ou une autre boisson sucrée, mais Ryoka n’avait pas su lui dire ce qu’il fallait mettre dans la boisson magique caféinée. Erin avait eu l’idée d’utiliser de la graisse animale et une copieuse quantité de sucre pour recréer quelque chose de similaire mais… non.

“Alors ?”

Krshia se tourna vers Erin et sourit. C’était le genre de sourire pour lequel il n’y avait pas besoin de mots. Elle dénuda ses dents et sourit. Sa queue faisait voleter des paquets de neiges.

Erin lui rendit son sourire. Le Drakéide en train de faire ses emplettes chez Krshia regarda tour à tour les deux femelles en train de sourire.

“J’en veux un !”



***


Selys vint trouver Erin environ une heure plus tard, et Erin avait déjà été obligée de se déplacer loin de l’échoppe de Krshia. Non pas parce que la Gnolle avait un problème avec son stand, c’était juste qu’Erin avait besoin d’espace.

Elle avait une queue devant elle. Des Drakéides et des Gnolls attendaient en file indienne pendant qu’elle faisait cuire des steaks hachés le plus rapidement possible et que des pièces tombaient en tintant dans la jarre qu’elle avait posée sur la table. De sa place au fond de la queue, Selys parvenait à peine à voir Erin qui jonglait simultanément entre retourner des steaks, accepter l’argent qu’on lui tendait, bavarder avec les clients et expliquer les hamburgers.

La Drakéide prit une grande inspiration, puis haussa la voix en se frayant un passage à travers la queue.

“Excusez-moi, j’aimerais passer. Je ne suis pas… excusez-moi, je ne veux pas acheter de burger. Je connais cette humaine.”

Selys joua des coudes pour atteindre le devant de la queue. Erin leva les yeux et s’essuya une goutte de sueur sur le front, occupée à gérer cinq steaks frémissants à la fois dans sa poêle.

“Oh, hey, Selys ! Tu veux un burger ?”

“Oui, s’il te plaît !”

Selys se retourna et tira la langue sous les protestations et les reproches des Drakéides et des Gnolls qui faisaient la queue derrière elle.

“Tu as l’air occupée.”

“Vraiment ?”

Erin haussa les sourcils en posant maladroitement un hamburger sur une assiette avant de le tendre à un Drakéide. Le Drakéide aux écailles orangées goûta le burger à titre expérimental, puis, apparemment satisfait du goût, mordit franchement dedans en s’éloignant dans la rue.

“Oui ! Tu as l’air débordée. Besoin d’un coup de queue amical ?”

Erin faillit lâcher sa poêle dans le brasero brûlant. Elle voulait embrasser Selys.

“Tu es la meilleure personne au monde. Mais tu n’as pas du boulot ?”

Selys secoua la tête.

“C’est mon jour de congé. Tiens… je vais m’occuper de la table. Contente-toi de retourner ces steaks.”

“Ça marche !”

Selys trouva une chaise qu’Erin n’avait pas encore eu le plaisir d’utiliser, et s’assit. Elle regarda fixement la table en désordre. Les ingrédients mélangés avec quelques pièces qui étaient tombées de la jarre. De la graisse recouvrait la neige et Erin avait maladroitement peint un hamburger sur un panneau avec le prix écrit à côté.

Selys contempla le prix et secoua la tête. Elle barra le chiffre sur le panneau d’Erin et en doubla le montant. Erin fronça les sourcils en direction de Selys.

“Selys ! C’est cher, ça !”

“Ça vaut ce prix-là. Et les gens paieront. Dis-moi, vois-tu des gens quitter la queue ?”

Erin remarqua que non, en effet, même si Selys était la cible de nombreux regards noirs de la part des clients. Mais la queue allait beaucoup plus vite maintenant qu’Erin n’avait rien d’autre à faire que de se concentrer sur ses burgers. Elle les assemblait le plus rapidement possible et songea que tout bien considéré, elle était bel et bien en train de bosser pour l’industrie du fast food. Comme ses professeurs avaient toujours dit qu’elle ferait si elle n’étudiait pas plus à l’école.

La seule différence, ici, était qu’Erin se faisait de l’argent à tour de bras. Ou de queue, si on préférait. Ou de patte poilue.

Gnolls comme Drakéides adoraient les burgers tout chauds. Erin avait rapidement compris que si les deux espèces avaient un faible pour ses hamburgers, leurs préférences en termes de cuisson étaient très différentes.

Les Drakéides préféraient que leurs steaks soient bien à point, c’est-à-dire entièrement cuits voire noircis par endroits. Cela ne paraissait pas vraiment les embêter plus que ça, mais les Gnolls étaient des clients complètement différents. Ils aimaient que leurs steaks soient chauds, mais tout de même suffisamment bleus pour être saignants - rares étaient les Gnolls qui demandaient à Erin de cuire leurs steaks plus longtemps.

Ils venaient faire leurs courses en arrivant, mais la plupart des clients du marché repartirent ce jour-là avec un burger. Erin avait compris que la meilleure manière de servir ses burgers était de les envelopper dans un peu de papier ciré de manière à ce qu’il soit possible de les tenir sans se recouvrir les paumes de gras. On pouvait même l’envelopper et aller le manger ailleurs ! C’était définitivement un bon argument de vente.

La queue n’avait pas l’air de diminuer quelle que soit la quantité de steaks qu’Erin faisait cuire. Les clients faisaient passer le mot comme quoi l’humaine vendait des “sandwichs à la viande”, comme elle les entendit les décrire, et il ne fallut pas longtemps après l’arrivée de Selys pour qu’elle entende une voix familière.

“Elle est là ! Elle a des burgers !”

La voix reconnaissable entre mille de Relc traversa la foule, et moins d’une seconde plus tard elle le vit se mettre dans la queue une poignée de gardes. Les gardes - et une Gnolle - regardèrent, médusés, Relc crier à Erin :

“J’en veux cinq - non, six !”

Elle agita la main, et Relc interpréta visiblement cela comme un encouragement. Il se mit à fendre la foule en criant.

“Garde de Liscor, écartez-vous !”

Il rencontra beaucoup plus de résistance que Selys, mais Relc finit par se retrouver, pantelant, à contempler les burgers qu’Erin empilait sur une assiette. Il plongea sa serre dans sa bourse de ceinture et se mit à compter ses pièces.

“Tu peux me faire mes burgers et me payer les cinq pièces d’argent comme je sais que tu as déjà gagné assez de sous.”

“Merci Relc…”

Erin ne parvint pas à finir sa phrase avant que Relc ne saisisse un burger dans l’assiette et n’essaie de le fourrer entièrement dans sa bouche. Il y parvint plus ou moins, même si Selys détourna les yeux, dégoûtée, tandis qu’il mâchait la bouche ouverte.

Délicieux !”

Erin parvint enfin à chasser Relc en lui donnant d’autres burgers à faire passer à ses collègues. Elle entendit Selys s’excuser auprès du prochain client - principalement en ronchonnant sur les gardes malpolis - et jeta un œil à sa farce à galettes de viande.

“Oh oh. Je n’ai encore bientôt plus de bœuf haché. Krshia !”

La Gnolle apparut avec d’autres ingrédients fraîchement sortis de chez le boucher. Erin et elle avaient instauré un bon système. Erin la payait, et Krshia lui donnait tout ce dont elle avait besoin. Peut-être que dans un partenariat moins basé sur la confiance, Krshia aurait essayé de monter les prix, mais en l’occurrence, elle se faisait déjà vraiment beaucoup d’argent en pourvoyant aux besoins d’Erin pour ses burgers.

Erin refit de la farce sous les yeux affamés des clients et les regards curieux des commerçants. Krshia regarda la préparation d’Erin, un peu consternée, mais la Gnolle n’eut pas le temps d’intervenir qu’Erin avait déjà formé ses steaks hachés.

Des œufs, des épices, de la viande, le tout dans des galettes qui faisaient baver certains Gnolls de la queue. Erin bénissait sa compétence de [Cuisine Élémentaire] car elle lui permettait de rendre le processus quasiment automatique. Elle n’avait pas besoin de trop se concentrer, et elle savait à peu près quand les steaks étaient prêts. C‘était génial. Elle haussa la voix et sourit à sa file de clients.

“Bien. À qui le tour ?”

Sa question faillit créer une émeute.


***

Cinq heures plus tard, Erin se demanda ce qu’il arriverait si elle s’évanouissait dans le brasero. Se réveillerait-elle avant que Selys l’en sorte ou allait-elle mourir brûlée vive ?

Elle était crevée comme un chien, avec tout le respect qu’elle avait pour les Gnolls. Erin n’arrêtait pas de le répéter à Krshia. C’était juste qu’elle était restée debout à faire à manger toute la journée. Même avec toute l’aide qu’elle avait eue, Erin se sentait prête à tourner de l’œil.

Elle avait embauché Selys en assistante plein temps, juste pour prendre les commandes et aider à préparer les ingrédients. Selys n’avait pas de compétences en cuisine, mais elle restait largement assez compétente. Et elle était plus douée pour faire régner l’ordre qu’Erin.

Et sans Selys, Erin aurait été enterrée sous toutes les commandes qu’elle avait reçues. L’heure de pointe du matin était devenue l’heure de pointe du midi puis était graduellement devenue l’heure de pointe du soir. Mais il y avait des moments un peu plus calmes, principalement quand les clients s’éloignaient du stand d’Erin en agrippant leurs estomacs grondants.

Il apparut qu’Erin avait fait une erreur dans ses préparations. Son bol de condiments avait reçu un accueil chaleureux même si ses clients s’étaient contenté de tremper leurs burgers dans la mayonnaise et le ketchup, mais elle n’en avait vraiment pas fait assez.

Elle n’avait plus de ketchup depuis longtemps, et la mayonnaise n’était plus qu’un fond gras plein de miettes de burgers. Et Erin avait beau savoir comment en refaire, elle n’avait pas vraiment envie d’en refaire, même si elle avait les ingrédients adéquats. Elle s’était rendu compte que le ketchup était difficile et désagréable à faire.

C’était pile le genre de chose qu’elle aurait demandé à Toren de faire. S’il était encore à l’auberge.

Cette pensée déprima Erin, mais le client suivant qui apparut devant son stand fit immédiatement voler en éclat toutes les pensées qu’elle portait à son squelette.

“Oh. Selys. Tu travailles ici ?”

“Bonjour, Épervier. C’est rare de te voir au marché. Tu fais tes courses ailleurs d’habitude, non ?”

“En effet, mais on m’a dit qu’il y avait de bonnes choses à manger aujourd’hui. Qu’est-ce que c’est ?”

Erin se pencha par-dessus le brasero et glapit. Elle n’arrêtait pas d’oublier que le métal était brûlant. Elle avait besoin d’un tabouret, ou de quelque chose pour reposer ses pieds meurtris. Elle entendit Selys discuter avec le client, mais Erin avait entendu suffisamment d’explications pour faire abstraction de la plupart des mots.

“Ça s’appelle un “hamburger”. Mais il n’y a pas de jambon dedans. C’est de la viande avec du pain et le la salade, des oignons, et du fromage. Si on ajoute du fromage, ça s’appelle un “cheeseburger”.”

“Et c’est bon ?”

“Essaie. Ça ne coûte qu’une pièce d’argent.”

C’était… extraordinairement cher, étant donné le prix des ingrédients. Mais Selys ne cessait d’augmenter le prix des burgers sans que cela ne pose de problème. Elle entendit le client plonger les doigts dans sa bourse de ceinture puis le tintement d’une pièce.

“Merci. Tu préfères ton steak cuit à point ou cru ?”

“Cuit, merci.”

“Erin...”

“Compris !”

Erin avait déjà jeté le steak dans sa poêle. Elle le retourna machinalement en écoutant la discussion d’Épervier et Selys. Elle termina le burger, le jeta sur un bun déjà préparé, et le posa sur l’assiette de service. Elle tendit l’assiette puis se figea en regardant vraiment son client pour la première fois.

Un… homme… lapin… géant était debout devant le stand, et souriait à Erin. C’était un lapin. Mais il avait la forme d’un home. Il était debout sur deux jambes - qui étaient légèrement courbées en avant comme celles d’un Minotaure - avec d’énormes pieds. On aurait dit des pattes, et Erin remarqua qu’il ne portait pas vraiment de chaussures et plutôt des guêtres en cuir.

Sa fourrure était marron clair, avec des taches plus sombres. Il avait une tache sur l’œil, qui était en amande comme ceux des lapins. Et il avait un nez rose ! Erin faillit crier ou hurler ou quelque chose quand elle vit ça.

Épervier avait deux longes oreilles souples dressées sur la tête, et il portait des vêtements amples. Il avait un pantalon et un t-shirt qui ne dissimulait pas le fait que c’était là un lapin hyper bien foutu. Cela perturba Erin, tout comme les muscles de ses bras.

“Tu es Erin, c’est ça ? Enchanté de faire ta connaissance. Je suis Épervier.”

Épervier l’homme lapin sourit d’un air amical à Erin, bien qu’il fût en train de lorgner le burger sur l’assiette. Erin resta bouche-bée.

Selys toussota.

“Épervier est un Garou, Erin. Je ne suis pas surprise que tu ne l’aies pas encore rencontré. Il est toujours en train de courir autour de la ville.”

Erin l’entendit, mais elle était encore en train de buter sur son nom. Elle répéta le mot d’un air incrédule.

“Épervier ?”

Le lapin velu qui lui faisait face se gratta la joue d’une main toute aussi velue. Il avait complètement mal interprété la réaction d’Erin à son nom.

“Mes parents étaient de Liscor, mais ils n’avaient aucune idée du genre de nom que donnent les gens de mon espèce. Ils ont dong choisi Épervier. J’aurais préféré Éperss, mais c’est comme ça, hein ?”

“Oh. Et, heu, tu fais quoi dans la vie ?”

Erin ne parvenait pas à penser à autre chose qu’au fait qu’elle voulait continuer de parler avec Épervier le plus longtemps possible. Elle entendait… une voix dans sa tête. Non, une chanson.

Winnie, mon ami Winnie…

Si elle voyait arriver un ourson en peluche elle allait devenir folle. Mais Épervier était réel sans avoir vraiment l’allure d’une peluche. Il ne ressemblait pas à Coco Lapin, mais plus à la version lapine d’Usain Bolt. Oui, c’était probablement la comparaison la plus proche.

Épervier s’étira un peu avant de hausser les épaules. Il sourit de nouveau, dénudant une rangée de dents qui… Erin avait toujours voulu avoir un lapin.

“Je suis un Courrier.”

Erin marqua une pause. Elle essaya de se rappeler de ce dont il s’agissait. Une espèce de Coursier ? Ça avait l’air d’être un job important.

“C’est cool. Tu vois du pays ?”

Épervier parut légèrement déçu qu’Erin ne soit pas plus impressionnée que ça.

“Non, on fait des livraisons longues distances entre les villes.”

“Oh, comme les Coursiers de Ville ?”

Selys étouffa un rire. Épervier parut amusé et secoua la tête.

“Nous sommes un peu plus importants que les Coursiers de Ville. Les Courriers sont rares. Il y en a moins d’une centaine sur le continent, je pense. On prend les grosses livraisons ou rien.”

“Whoa. Donc vous êtes, genre, des supers coursiers ? Tu cours sur quelle distance, toi ?”

“Pour la plupart des livraisons, environ mille milles. Parfois deux mille, si c’est un aller-retour. C’est un boulot dangereux, mais enrichissant. Bien sûr, je sais me protéger. On me considère comme…”

Épervier se figea soudain. Il se tendit et se ramassa sur lui-même. Erin entendit elle aussi le gros bruit du bois claquant sur du bois, mais c’est la réaction d’Épervier qui la surprit. Il avait instantanément changé de position, en un claquement de doigts.

Il regardait la source du bruit, plus loin dans la rue. Un Gnoll jetait des planches de bois dans un chariot. Cela faisait beaucoup de bruit, mais Erin avait entendu pire au cours de la journée. Mais les oreilles d’Épervier se recroquevillaient violemment à chaque fois que les claquements retentissaient et il grimaçait.

“J’aimerais bien qu’ils ne fassent pas ça.”

Okay. Il était nerveux comme un lapin et vif comme l’éclair. Erin dévisagea Épervier, oubliant tout ce qui l’entourait. Et il avait une queue ! Une queue !

Il se mit à ronchonner au sujet des Gnolls et des Drakéides sans aucune considération pour les autres tandis que Selys se décalait légèrement vers Erin. La Drakéide lui donna un coup de coude.

“Ne touche pas sa queue. Tu te souviens de Culyss ?”

“Mais elle a l’air tellement douce et rebondie et…”

Erin ne pouvait pas détourner le regard de la queue touffue qui dépassait du pantalon d’Épervier. Selys leva les yeux au ciel et sa queue tressailla.

“Tu pourrais peut-être expliquer pourquoi tu vis à Liscor, Épervier ? Erin n’a pas vu beaucoup de Garous ici.”

Il acquiesça. Il semblait avoir l’habitude qu’on lui pose la question.

“Eh bien, je vis ici. Je suis né et j’ai grandi à Liscor, et c’est ici que je me sens bien. Mes parents d’origine m’ont laissé ici, et un couple de Drakéides m’a adopté. Liscor est mon foyer et le lieu où j’aime vivre. La plupart du temps.”

Il jeta un regard sévère au Gnoll qui avait fait du bruit. Selys leva les yeux au ciel.

“Je ne sais toujours pas comment tu parviens à dormir la nuit. Il y a tout le temps du bruit… comment tu fais pour t’endormir ?”

“Grâce à des sorts antibruit. Ça coûte cher, mais j’ai largement assez d’argent pour payer la magie requise.”

“Voilà, tu sais tout, Erin. Notre Courrier local a peur des grands bruits. Essaie d’éviter de crier quand il est dans le coin.”

Épervier jeta un regard noir à Selys, mais sans véritable animosité. Il avait l’air d’être un lapin facile à vivre. Erin était toujours obnubilée par sa queue.

“Je ne suis pas juste un Courrier ! J’essaie aussi de devenir [Chef] !”

“C’est vrai. Et tu fais des recherches, aujourd’hui ?”

“Je pourrais, si j’arrivais à goûter ce délicieux sandwich.”

Épervier regarda avec envie le burger posé sur l’assiette, mais il était trop poli pour le prendre. Selys donna un coup de pied à l’humaine à côté d’elle.

“Le burger, Erin ?”

“Oh, c’est vrai ! Désolée !”

Erin se souvint soudain de la raison pour laquelle Épervier était ici et lui tendit le burger. Heureusement, il était encore chaud et Épervier regarda la vapeur qui s’en échappait d’un air appréciateur.

“Mmh. C’est vraiment bon. Je suis content d’être venu.”

Erin regarda, bouche-bée, Épervier mordre dans son burger et se mettre à mâcher. Selys lui écrasa de nouveau le pied, et cela ferma son clapet suffisamment longtemps pour qu’Épervier dise au revoir.

“Ravi d’avoir fait ta connaissance, Miss Erin. Si tu as un jour besoin d’une livraison longue distance, demande-moi à la Guilde des Coursiers, d’accord ? Je te ferai un prix, surtout si tu as d’autres burgers comme celui-là !”

Il s’écarta, puis descendit la rue d’une foulée bondissante. Impossible de décrire sa démarche autrement. Ses jambes puissantes devinrent floues et chacun de ses pas le menait plus loin que cinq pas d’Erin. Et il était rapide. En un instant, il parvint au coin de la rue et disparut.

“Pas étonnant que je ne l’aie jamais vu.”

Souffla Erin en regardant fixement l’endroit où s’était tenu Épervier. Elle se retourna et regarda Selys.

“Tu ne m’avais jamais dit qu’il y avait un lapin parlant à Liscor !”

Selys parut perplexe. Elle regarda la rue déserte et haussa les épaules.

“Quoi, Épervier ? Il fait partie de la ville, et il est toujours ici et là. En quoi est-il important ?”

“C’est un lapin… un… un petit lapin !”

Erin n’arrivait pas à trouver les mots pour expliquer à quel point il était extraordinaire. Des Drakéides parlant ? Okay. Des Gnolls ? Parfaitement normal. Mais des hommes-lapins ?”

“Si tu es intéressée, oublie. Il aime les Drakéides, pas les Gnolles, ni les Humaines.”

Là encore, ce constat fit tomber Erin des nues, métaphoriquement parlant. Elle n’avait même pas songé… non ! Et qu’est-ce qu’elle avait dit ?

“Il aime les Drakéides ? Mais c’est un lapin !”

“Ne lui dis pas ça en face. Il peut être susceptible, et il n’est pas Courrier pour rien. Quand les morts-vivants ont attaqué, il a tué l’un de ces Seigneurs des Cryptes et un bon nombre de morts-vivants à lui seul ! Il a aussi évacué une centaine de gens.”

“Quoi ?”

“Oui, il est fort. Ne le dis pas à Relc, mais il est probablement l’une des rares personnes qui pourrait l’embêter. Et si on partait sur une course-poursuite, je parierai sur Épervier.”

“Et il aime les Drakéides.”

“C’est ce que j’ai dit. Dommage que les Drakéides ne l’aiment pas en retour.”

Erin ne pouvait pas faire face à tout ça.  Elle secoua la tête.

“C’est un mec cool. Touffu. Sympa. Pourquoi les Drakéides ne l’aiment-elles pas ?”

Selys parut mal à l’aise.

“Il n’y a pas de raison particulière… je veux dire, ce n’est pas comme si c’était un mauvais gars. On ne pourrait pas trouver de Garou plus gentil. Mais il ne mange pas de viande. Ou plutôt, il ne mange pas beaucoup de viande.”

“J’ai vu ça. Il mange de la viande ! Mais c’est quoi le problème avec le fait de ne pas en manger ? Ce n’est pas un problème, si ?”

“Un peu, si. Nous autres - Drakéides - pouvons manger des légumes. On n’aime juste … pas vraiment en manger comme lui. Et il ne fait que nous offrir des plats à base de carottes.”

“Des carottes.”

C’était trop beau pour être vrai. Mais Selys parut simplement dégoûtée.

“Il n’aime faire que ça. Il ne pourrait pas tenter autre chose quand il fait la cour ? Mais non, que des carottes. Des tartes à la carotte, de la soupe à la carotte, des salades à la carotte, des carottes crues, des pâtes aux carottes, des pains fourrés à la carotte…”

“Gombo de crevettes, crevettes à la planche, à la vapeur, le sandwich à la crevette, le burger à la crevette…”

“De quoi tu parles, là ?”

“C’est une blague. Désolée.”

“Bref, on pense que c’est fade et pas très bon. S’il pouvait faire en sorte que ce soit plus sucré ou plus épicé…”

“Pourquoi pas des gâteaux à la carotte ? C’est sucré.”

“C’est quoi, ça ?”

Erin soupira en comprenant qu’elle avait encore quelque chose à apporter dans ce monde. Les gâteaux… elle était à peu près sûre qu’il lui faudrait de la levure chimique pour ça. Ryoka pourrait peut-être l’aider. Ce serait incroyable, parce que les gâteaux manquaient presque autant à Erin que la crème glacée.

Il était plus difficile de trouver des choses sucrées dans ce monde, et encore plus les mets à base de sucre. Le sucre en lui-même était diaboliquement cher - non pas qu’Erin se souvienne vraiment des prix du sucre qu’elle achetait à Meijers ou Costco.

Costco lui manquait. Il était plaisant d’aller quelque part où on pouvait acheter un sac de sucre de vingt kilos sans que les gens ne vous croient bizarre. Là encore, c’était plaisant d’aller à Costco quand c’étaient tes parents qui payaient pour l’adhésion et pas toi.

“Je n’arrive juste pas à y croire. Un petit lapin.”

“Lapin tout court. Le terme correct est Garou de la Tribu des Longues Oreilles, mais c’est trop long à dire.”

“Oui, oui. Mais il est tellement touffu.”

“Tu n’arrêtes pas de dire ça, mais quelle importance.”

“C’est important, c’est tout. Bon, tu vas m’en dire plus sur lui ou… je…”

Erin s’interrompit.

La Rue du Marché était d’ordinaire pleine de monde, mais la foule s’était éclaircie. Et au bord de la rue, elle arrivait à distinguer une allée en contrebas. Quelqu’un était accroupie dans l’ombre d’un bâtiment.

Une fille en haillons contemplait d’un air affamé les commerces. Son visage était émacié, et elle aurait pu être belle si elle avait été propre. Elle avait des cheveux d’un roux flamboyant, sales de ne pas avoir été lavés depuis longtemps. Elle avait les yeux fixés sur le stand d’Erin, dont s’échappait une bonne odeur de viande grillée.

Pendant un instant, leurs regards se croisèrent. Il y avait de l’animosité dans ses yeux bleu clair, mais quand elle comprit qu’Erin la regardait, la fille écarquilla les yeux, paniquée.

“Erin. Qu’est-ce que tu regardes ?”

“Je viens de voir…”

Quand elle regarda de nouveau, la fille crasseuse avait disparu. Erin hésita, et se demanda si elle était vraiment en train de devenir folle. Mais la fille était peut-être une sorte d’orpheline, comme Épervier ? Qui qu’elle soit, elle avait l’air d’avoir froid. Et faim.

“Rien du tout. Je, euh, j’ai cru voir un client.”

“On n’a presque plus rien. C’est peut-être le moment d’arrêter pour aujourd’hui. J’ai la queue en compote.”

Selys s’étira et fit quelques pas. Erin se demanda si la fille allait revenir. Elle n’avait probablement pas d’argent, mais si Erin la revoyait, elle lui donnerait un burger gratuit. Scrutant toujours l’allée, elle répondit à Selys.

“On arrête quand ?”

“Quand tu seras fatiguée. Ou quand on n’aura plus de clients.”

Erin jeta un coup d’œil à sa table.

“On n’a plus de ketchup.”

“Je n’en refais plus.”

“Je comprends.”

Selys vint se réchauffer près du brasero. Erin lui jeta un regard en coin et déclara d’un air nonchalant.

“Alors. Les petits lapins.”

“Lapins. Erin, c’est malpoli de dire…”

“Je sais. Je ne le dirai pas quand il est dans le coin. Mais il est tellement vif ! Et il est… bien foutu.”

“Il est musclé, oui.”

“Et il est sympa. Je n’arrive pas à croire que ça ne marche jamais avec les autres Drakéides !”

“On essaie, de temps en temps. Mais tu sais, ça ne marche jamais, quoi. Chaque fois, ça finit mal avec lui. Regarde-moi, par exemple. On n’a pas tenu deux semaines ensemble avant de se séparer.”

“Attends. Quoi ?”
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 23 septembre 2020 à 18:53:34
2.13 - Deuxième Partie
 
Traduit par EllieVia


***


Deux heures plus tard, Erin retourna à son auberge. Elle n’était pas seule.
 
“Tu as vendu combien de burgers, du coup ?”
 
Erin dut réfléchir à la question. Ses bras étaient tellement fatigués que Ceria avait proposé de porter son sac de courses majoritairement vide pour le retour. Mais Erin avait refusé. Ceria était peut-être suffisamment remise pour quitter la caserne de gardes, mais elle restait trop maigre pour une personne en bonne santé.
 
“Je pense… un millier ? J’ai eu l’impression, en tout cas. Probablement plutôt quelque chose comme six-cents. Peut-être huit-cents ?”
 
“Pour une ville avec à peine plus de mille habitants, c‘est une belle performance.”
 
“Oui. Mais, euh, beaucoup de gens en ont repris. Relc en a mangé huit au total.”
 
“Je ne peux que me représenter la scène. Mais je suis vraiment contente que ça ait été un succès. Même à la caserne, j’ai entendu parler de ton plat. Olesm a essayé de nous en récupérer un, mais il y avait trop de queue.”
 
“C’est vraiment dommage ! Je l’inviterai demain et je vous ferai autant d’hamburgers que vous voudrez.”
 
Ceria agita sa main valide.
 
“Tu n’es pas obligée de faire ça. Vraiment. Je me sens déjà assez mal de m’imposer comme ça. Je ne peux pas te payer en ce moment.”
 
“Tu plaisantes ? Je n’aurai plus jamais de soucis d’argent si je gagne autant tous les jours !”
 
Erin montra la jarre qu’elle avait remplie à ras bord et sa bourse rebondie. C’était une journée à marquer d’une pierre blanche, elle le savait, même sans compter le montant exact de ses bénéfices.
 
Erin avait renvoyé Selys chez elle avec suffisamment d’argent pour que la Drakéide ait du mal à descendre la rue à l’aise. D’ailleurs, comme l’avait dit Selys, heureusement que la Garde était très présente à Liscor, ou elle aurait été très inquiète.
 
Elles parvinrent rapidement à l’auberge. Erin était ravie, parce que cela voulait dire qu’elle pouvait aller ranger ses affaires à la cuisine. Elle y dormait toujours, plus par la force de l’habitude qu’autre chose.
 
“Prends n’importe quelle chambre que tu veux à l’étage. J’aimerais bien papoter ou… ou faire quelque chose d’autre, mais je suis tellement fatiguée.”
 
“Va te coucher. Encore merci de me laisser dormir ici.”
 
Erin agita vaguement la main pour dire que ce n’était rien et bâilla à s’en décrocher la mâchoire.
 
“Tu veux à manger ? J’ai à manger si tu n’as pas dîné.”
 
“Ça ira, vraiment. Merci, Erin.”
 
Erin partit se coucher en souriant. Elle se sentait beaucoup moins seule à présent qu’il y avait quelqu’un avec elle dans son auberge. Elle se demanda ce que Toren en penserait quand il serait de retour. Avec un peu de chance, il n’embêterait pas trop Ceria.
 
Les pièces qu’elle avait gagnées étaient cachées en sécurité sous une latte de parquet de la cuisine. Erin avait vu l’astuce à la télévision une fois, et elle avait donc demandé à Pion d’en installer une. Ce qui voulait dire que si quelqu’un la cambriolait un jour, il faudrait qu’elle se mette à voir les Ouvriers sous un jour nouveau.
 
Mais Erin était fatiguée, et même penser à son squelette disparu ou à des Antiniums en train de se faufiler dans des maisons pour cambrioler des gens ne suffit pas à la maintenir éveillée. Elle sombra paisiblement et fit de beaux rêves.
 
Jusqu’à ce qu’elle entende les cris de Ceria.



***

Le bruit réveilla Erin d’un beau rêve au cours duquel elle jouait aux échecs dans Burger King. Elle entendit la voix aigüe et perçante de Ceria fendre la nuit.
 
Erin réagit avec la vitesse propre à la panique. Elle gardait toujours une poêle à frire sur le plan de travail, elle la saisit et sortit en trombes de la cuisine. Elle n’avait aucune idée de ce qui attaquait Ceria, mais elle n’hésita pas et se précipita en haut des escaliers.
 
Elle avait logé Ceria dans la chambre la plus éloignée des escaliers - parce que la demie-Elfe avait insisté pour ne pas prendre de place. Erin se précipita dans la chambre et vit Ceria en train de hurler assise à demi-nue sur son lit en agrippant sa main. Il n’y avait rien, dans la chambre, mais ses yeux étaient écarquillés de panique et de peur.
 
“Ceria ! Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
La tête de la demie-Elfe se tourna vers Erin. Elle ne paraissait pas vraiment la voir, mais elle comprit visiblement que quelqu’un se trouvait devant sa porte. Ceria hurla et se tourna vers Erin, les yeux écarquillés d’horreur.
 
Sa main squelettique se leva et les doigts s’agitèrent. Ceria pointa Erin du doigt et la fille baissa vivement la tête. Une aiguille de glace déchira une mèche de cheveux d’Erin avant de se planter dans le lambris tout neuf du mur loin derrière elle.
 
Erin rampa jusqu’à la porte, le cœur battant si fort qu’elle crut qu’il allait sortir de sa poitrine. Elle sortit à quatre pattes de la chambre et essaya de présenter une cible la plus petite possible.
 
“Ceria ! Tout va bien ! Ce n’est que moi !”, hurla Erin en se roulant en boule contre le mur le plus loin possible de Ceria. Elle ne savait pas si le sort de [Stalactite] pouvait traverser les murs épais, mais elle pria pour que Ceria ne lui tire pas de nouveau dessus.
 
Heureusement, elle s’en abstint. Erin entendit Ceria prendre une inspiration tremblante, puis elle s’exclama :
 
“Erin ! Par mes ancêtres, qu’ai-je… Erin !”
 
“Tout va bien !”
 
Erin rampa jusqu’à la porte et agita les mains pour rassurer Ceria. Le visage de son ami était d’une pâleur mortelle.
 
“Je suis tellement désolée. Je ne voulais pas… je croyais que tu étais…”
 
Ceria s’étouffa en tendant les bras vers Erin. Cette dernière se leva immédiatement et accourut vers elle. Ceria tremblait tellement fort que son lit bougeait.
 
“Tout va bien ! Vraiment ! Ce n’était qu’un sort ! Tu vas bien ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
“Un… rêve. Juste un rêve.”
 
Ceria secoua la tête, et continua de trembler.
 
“J’ai failli… par mes ancêtres. J’ai failli te tuer.”
 
“Mais tu ne l’as pas fait ! Et ta main ! Ceria, tu as vu que… ?”
 
Mais Ceria n’écoutait pas. Elle se mit à se débattre dans ses draps pour essayer de se relever.
 
“Je vais partir. Je ne peux pas rester. Je suis un danger pour toi et...”
 
“Non !”
 
Erin attrapa les poignets de Ceria. La peau noircie de sa main droite était moite et d’une froideur cadavérique, mais n’y prêta pas attention. Elle plongea son regard dans celui de Ceria en essayant de respirer calmement. Son cœur battait à tout rompre.
 
“Ceria. Non. C’était un accident. Reste. S’il te plaît. Je ne t’en veux pas.”
 
“Je suis tellement désolée.”
 
Des larmes roulèrent sur les joues de Ceria lorsqu’elle leva les yeux sur Erin.
 
“Je suis tellement désolée. Tellement désolée.”
 
Erin hésita, puis enlaça Ceria. La demie-Elfe frissonna à son contact, mais ne la repoussa pas. Elle se contenta de trembler dans les bras d’Erin. Elle ne cessait de répéter la même phrase.
 
“Je suis tellement, tellement désolée.”
 
Erin ne pensait pas qu’elle parlait du fait d’avoir failli lui lancer une stalactite. Elle la tint contre elle tandis que la nuit, dehors, s’assombrissait, et Ceria pleura.
 
***

Il fallut longtemps à Ceria pour se reprendre suffisamment et arrêter de trembler. Erin et elle restèrent assises sur son lit pendant que la demie-Elfe regardait ses mains, une valide, une morte.
 
“Je croyais que j’étais de retour dans le cercueil. Mais cette fois-ci, Écorcheur me trouvait et ouvrait le couvercle.”
 
Erin frissonna. L’idée seule de son corps nécrosé couvert de peau lui serrait l’estomac.
 
“Je ne t’en veux pas d’avoir attaqué. Si c’était moi, j’aurai jeté tout ce que j’avais sous la main. Et je t’aurais probablement eue, avec mon [Lancer Infaillible] et tout. D’ailleurs, finalement, heureusement que c’est toi qui as pris peur, hein ?”
 
Ceria éclata d’un rire tremblotant, mais c’était un rire, et c’était ceux qu’Erin voulait. Elle contempla sa main morte et secoua la tête.
 
“J’ai cru que j’étais encore là-dessous avec les autres. J’ai cru qu’ils avaient besoin de mon aide. Ils sont morts. Je n’arrête pas d‘oublier.”
 
Le cœur d’Erin rata un battement. Elle ferma les yeux un instant.
 
“Je…”
 
Elle ne continua pas sa phrase. Il n’y avait rien qu’elle puisse vraiment dire. Ceria ne dit rien non plus, mais elle leva son bras et regarda fixement sa main squelettique amorphe qui dépassait de la chair noircie. Cela faisait des jours à présent, mais la peau ne pourrissait pas et l’os avait toujours l’air… normal.
 
“Ma main…”
 
“Elle a bougé.”
 
Erin en était certaine. Cela n’avait duré qu’un instant, mais on avait tendance à ne pas oublier les expériences de mort imminente.
 
“Tu as bougé ta main. C’était de la magie ?”
 
“Non… ou plutôt, ce n’était pas intentionnel. Mais j’ai dû utiliser un peu de magie, j’imagine. Mon bras… je ne pensais pas que les os pouvaient encore bouger.”
 
Les os jaunes ne tressaillirent même pas. Erin regarda la main de Ceria d’un air incertain.
 
“Est-ce que c’est… parce que tu sais faire de la magie ? Ou peut-être que Pisces y a fait quelque chose… ?”
 
“Pisces ne peut pas prendre le contrôle d’un membre d’un corps vivant. Ou d’un membre qui y soit rattaché.”
 
Ceria secoua la tête.
 
“Alors c’est parce que tu es une mage ?”
 
“Non. Ça doit être parce que je suis une demie-Elfe.”
 
“Les demis-Elfes sont immortels ?”
 
“Pas du tout.”
 
Erin sentit Ceria glousser.
 
“Non, nous sommes tout aussi mortels que les autres espèces, même si nous avons une plus longue espérance de vie. Mais nos corps sont naturellement plus proches de la magie. Nous pouvons faire des… choses qui sont inaccessibles pour les autres espèces. Cela doit en faire partie. Cela explique aussi que ma main soit encore complète malgré la disparition de la chair.”
 
En effet, c’était étrange, maintenant qu’Erin y pensait. Elle regarda d’un air hésitant la main de Ceria et tenta une question.
 
“Comment… l’as-tu perdue ? Était-ce en combattant Écorcheur ?”
 
“Pas vraiment.”
 
La bouche de Ceria se tordit d’auto-dérision.
 
“J’avais trop peur pour le combattre. Je ne pouvais même pas lever ma baguette. Non, Yvlon et d’autres aventuriers essayaient de sortir et il y avait un tas de morts-vivants qui leur bloquait le passage. J’ai utilisé un sort dont le contrecoup m’a gelé la main.”
 
“Un sort peut faire ça ?”
 
“Certains, oui. Ce n’était pas de la bonne magie que j’ai utilisée.”
 
“Mais tu les as sauvés. Ce n’est pas de la mauvaise magie. Ou… était-ce comme la nécromancie ? Pisces la pratique, et il n’est pas mauvais. Juste agaçant.”
 
Ceria éclata de nouveau de rire. Les tentatives d’Erin de la rassurer semblaient la réconforter légèrement.
 
“Non… je veux dire, c’était juste mal appliqué. J’essayais de jeter un sort de [Lance de Glace]. C’est une version avancée de [Stalactite], mais ‘ai échoué.”
 
“Oh ?”
 
Erin ne comprenait pas.
 
“Mais tu as jeté le sort.”
 
“De manière incorrecte. À la manière dont je m’y suis prise, je me suis contentée de jeter de la magie dans un sort de [Stalactite] démesuré. J’ai lâché tout le mana qui me restait d’un coup, ce qui était une idée stupide.”
 
“Pourquoi donc ? Ce n’est pas bien de faire ça ? Je veux dire, si tu peux jeter un sort vraiment très avancé, pourquoi ne pas le faire tout le temps ?”
 
Ceria riait à présent, et Erin était contente que ses questions débiles la fassent aller mieux. Elles restèrent assises dans le lit de Ceria et la respiration de cette dernière finit par s’apaiser.
 
“Si les mages pouvaient consumer toute leur magie dans un unique sort nous serions encore plus dangereux que maintenant. Imagine une armée de marge qui pourraient dévaster une autre armée en quelques instants. Non, les sorts sont beaucoup plus complexes que ça.”
 
“Comment ça ?”
 
Erin s’était résignée au fait qu’elle ne serait jamais mage, mais elle restait intensément curieuse de comprendre la magie. Ceria lui expliqua. Cela lui paraissait plus facile d’expliquer des choses que de réfléchir à quoi que ce soit d’autre.
 
“Il y a une limite à la quantité de mana qu’on peut insuffler dans un sort.  Vois les sorts comme des espèces de… contenants. Les bons peuvent contenir beaucoup de magie et en demandent beaucoup pour être activés. Mais un mauvais sort ne peut pas contenir beaucoup de magie. On peut théoriquement surcharger n’importe quel sort si on a assez de magie, mais si on en met trop…”
 
Elle désigna sa main.
 
“Mais c’est là où cela devient étrange. Tu dis que je l’ai faite bouger. Et j’ai jeté un sort avec. Je ne devrais pas pouvoir jeter de [Stalactite] sans me blesser. Pas sans baguette. Mais ça…”
 
Erin la vit essayer de plier sa main squelettique. Mais malgré le visage crispé de douleur de Ceria, les doigts d’os ne bougèrent pas.
 
“Il y a quelque chose à creuser, là. Si je peux encore faire de la magie avec mes deux mains, et non pas une, alors peut-être…”
 
Erin n’aimait pas le chemin que prenait cette réflexion. Cela paraissait trop actif, et très loin des pensées reposantes, apaisantes qu’elle voulait que Ceria ait. Mais quelqu’un cria alors dehors et Erin sentit Ceria se tendre de nouveau.
 
“Erin ! Ceria !”
 
La voix était familière, et était toute proche. Erin entendit quelqu’un tambouriner furieusement à la porte, puis elle entendit quelqu’un l’ouvrir à la voler. Elle avait oublié de fermer la porte à clef ! Encore !
 
L’intrus au rez-de-chaussée toqua d’abord à la cuisine, puis monta les escaliers deux par deux. Erin entendit quelqu’un courir dans le couloir, puis Olesm apparut à la porte.
 
“Miss Erin ! Ceria ! Vous n’allez pas croire ce que je… oh.”
 
Olesm s’interrompit, mal à l’aise, dans l’encadrement de la porte. Erin était encore dans son pyjama et à peu près décente, mais Ceria préférait dormir en sous-vêtements. Elle tira les draps au-dessus de sa poitrine et Olesm se détourna en rougissant.
 
“Chancre et malédiction, Olesm, tu m’as déjà vue nue. Et en sang. Arrête de rougir et dis-nous ce qu’il se passe ? D’autres morts-vivants ?”
 
Olesm se retourna et secoua la tête.
 
“Non. Peut-être ? C’est quelque chose qu’on a trouvé en ville ! Vois-tu, quand la Garde a nettoyé les Ruines, Zevara avait très peur que les morts-vivants ressortent, donc elle a demandé au Conseil de trouver l’endroit où on range l’histoire de la région. Eh bien, on a dû creuser jusqu’aux plus vieilles archives dans une maison poussiéreuse, mais on a trouvé quelque chose au sujet des ruines !”
 
“Quoi ?”
 
Les yeux d’Olesm étaient exorbités par l’excitation. Il agita les serres, essayant d’être plus clair mais les mots jaillissaient de sa bouche trop rapidement.
 
“Ils ont trouvé une carte. Elle montre les ruines, ainsi que l’emplacement d’autres bâtiments souterrains. Apparemment, la ruine que nous avons trouvée était belle et bien une tombe, et Écorcheur avait été désigné comme son gardien.”
 
Les poings de Ceria - les deux - se crispèrent sur les draps.
 
“Ce n’était donc pas juste un monstre qui s’était faufilé là. Quoi d’autre ?”
 
Olesm hésita.
 
“Ça dit qu’il était l’un des protecteurs des tombes. Mais ce n’était qu’un bâtiment pour les roturiers - mais c’est le reste qui est vraiment grave. Vous… il vaut peut-être mieux que vous vous asseyiez.”
 
Ceria claqua des doigts devant le nez d’Olesm.
 
“On est assise ! Crache le morceau !”
 
Olesm prit une grande inspiration, et sa voix ne trembla que légèrement lorsqu’il reprit la parole.
 
“Les tombes ne sont qu’une petite portion des ruines. Il y en a d’autres. Sous terre. Elles s’étendent de partout, mais ce n’est pas le plus important. Dans la bibliographie, on a trouvé un passage qu’on a réussi à déchiffrer. C’est la liste des titres de ceux qui ont été placés là pour garder les ruines à jamais. Et il y est aussi. Écorcheur. Ver de Chair. Gardien Mineur des Cryptes.”

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 26 septembre 2020 à 15:06:34
2.14 G
Partie 1
Traduit par Maroti

Loks se demandait si aujourd’hui était le jour où elle allait mourir. Elle avait l’impression de se poser la question tous les jours, mais elle ne s’est jamais demandé si elle était paranoïde. Car elle allait mourir un jour. La seule question était : était-ce maintenant ?

La jeune Gobeline ne savait pas. Elle savait seulement que si sa mort venait aujourd’hui, maintenant, elle allait mourir en combattant. Les Gobelins vivaient et mourraient ainsi. Son sang chanta dans ses veines, et elle ne pouvait rien entendre à l’exception des battements de son cœur.

Elle se tenait en haut d’un pan de colline enneigé. Sa cible était en contrebas. Le Crabroche était lentement en train de faire sa route dans le paysage hivernal, vérifiant la solidité du sol avec une patte segmentée avant d’avancer.

Il n’avait pas encore remarqué les soixante Gobelins perché sur la colline. Ce fut la première, et dernière, erreur du crabe. Loks regarda autour d’elle. Sa tribu de Gobelins attendaient, agenouillés et tenant leurs armes dans leurs petites mains. Elle savait que leurs cœurs devaient battre aussi fort que le sien.

Il était temps. Loks dégaina son épée. L’épée de bronze brilla à la lumière passant le ciel nuageux. À l’inverse des autres armes autour d’elle, l’épée de Loks était neuve. Elle brillait car Loks la polissait tous les jours. C’était un symbole, mais plus important encore, elle était aiguisée.

Loks leva l’épée et les Gobelins autour d’elle se crispèrent. Elle hurla et sa tribu chargea en descendant la pente enneigée. Le Crabroche s’arrêta et commença à lentement se tourner vers la horde de Gobelins.

Il était massif. Pour un Gobelin, le Crabroche n’était rien de moins qu’un géant capable de les écraser avec une pince. C’est ce qu’il fit, attrapant l’un des Gobelins courant à côté de Loks et l’écrasant sans le moindre effort.

Mais malgré le fait que le Crabroche était terriblement grand, et même pour sa carapace qui stoppait les attaques, il avait une faiblesse. Il était seul.

Loks glissa alors qu’elle s’approcha à un mètre cinquante du Crabroche. Une pince aussi grande qu’elle frôla le dessus de sa tête alors qu’elle glissa sous la coquille du Crabroche. Elle se releva précipitamment, essayant d’éviter les innombrables jambes pointues essayant de l’empaler sur le sol enneigé.

Tout était confus. Loks sentit ses Gobelins courir vers le crabe, hurlant de terreur et de furie. Leurs cris perçants attirèrent l’attention du Crabroche alors qu’il se retourna, essayant de tenir les Gobelins en respect.

Mais Loks et un groupe de Gobelin étaient déjà à l’intérieur de sa coquille. Loks leva son épée et poignarda au-dessus d’elle. Elle n’avait pas besoin de viser, le crabe occupait tout l’espace au-dessus d’elle.

Son épée aiguisée perça et craqua la carapace au-dessus d’elle. Loks sentit un peu de liquide bleu couler sur son visage et vit les autres Gobelins frapper les jambes du Crabroche, escaladant son corps pour le frapper de tous les côtés.

Le Crabroche cliqueta, un son qui était presque assourdissant depuis les recoins de sa carapace. Puis, soudainement, tout devint sombre.

Loks n’avait pas la moindre idée de ce qui se passait, jusqu’à ce qu’elle réalise que le Crabroche s’était abaissé sur le sol pour empêcher d’autres Gobelins de rentrer. Elle entendit un Gobelin hurler à l’extérieur alors que la coquille de pierre le coinça au niveau de son ventre et l’écrasa à mort.

Quelque chose bougea dans les ténèbres. Les Gobelins voyaient bien dans le noir, et même dans la coquille un peu de lumière venant de l’extérieur arrivait à passer. Loks vit une pince bouger. Le Crabroche était en train d’essayer de tuer les Gobelins à l’intérieur de sa coquille.

Loks leva son épée et poignarda vers le haut. Le Crabroche cliquetade détresse et se jeta contre l’intérieur de sa coquille, essayant de l’écraser contre la paroi. Mais l’épée courte était enfoncée dans son corps, et Loks s’y accrocha avec toute la force de son instinct de survie. Elle remua l’épée, essayant de faire saigner le crabe. Du sang recouvrait désormais son corps et ses bras.

Le Crabroche fit sa seconde erreur. Il avait coincé les Gobelins à l’intérieur avec lui, c’était vrai. Il avait même réussi à empêcher les Gobelins à l’extérieur de lui faire du mal. Mais il avait mis les Gobelins qu’il avait coincé dos au mur. Soit ils le tuaient, soit il les tuait.

Les Gobelins à l’intérieur de la coquille levèrent leurs armes. Leurs yeux cramoisis luisant dans les ténèbres. Le Crabroche ne pouvait pas voir grand-chose, mais même leurs pathétiques yeux pouvaient voir le scintillement dans les ténèbres. Il cliqueta une fois et leva ses pinces.

***

Quand la tribu de Loks arriva finalement à se faufiler en dessous de la coquille en creusant à travers la neige et la terre, c’était déjà terminé. Loks était assise dans une mare de carapace, d’entrailles et de sang, mâchant un morceau de chair de crabe.

Des Gobelins gisaient autour d’elle, certain en morceaux, d’autre simplement parce qu’ils étaient épuisés. Ils étaient tous en train de manger, même si certain était aussi en train de boire le sang du Crabroche. L’intérieur de sa coquille était une scène de carnage, mais pour les Gobelins cela ressemblait plus à un buffet.

Le reste de la tribu de Loks voulaient aussi commencer à dévorer le Crabroche, mais Loks cria un ordre et ils s’arrêtèrent. A la place, elle les fit lever la coquille pour révéler le corps du Crabroche. Cela fut un travail long et difficile, mais la quarantaine de Gobelins restant pouvaient la lever s’il travaillait ensemble. La coquille s’écrasaau sol, emportant l’orteil d’un Gobelin malchanceux alors que les Gobelins la poussèrent de son ancien propriétaire.

Maintenant ils pouvaient festoyer. Loks laissa sa tribu alors qu’ils commençaient à tailler le crabe en morceau et s’assirent dans la neige en mâchant. La viande était amère et caoutchouteuse, mais elle était nourrissante et c’était tout ce dont un Gobelin affamé pouvait rêver.

Loks réfléchit en mangeant. C’était un passe-temps unique parmi les Gobelins, mais elle n’était pas une Gobeline normale. De plus, elle était la chef de sa tribu. Pour être plus précis, Loks était la chef de la Tribu des Plaines Inondées, englobant les Gobelins qui vivaient et qui mourraient dans la zone autour de Liscor. Elle avait des responsabilités.

Voyons, combien de Gobelins étaient morts cette fois ? Loks n’avait pas le compte total des Gobelins de sa tribu car ils venaient et mourraient trop vite, mais elle en avait presque une soixantaine ce matin. Maintenant elle était plus proche de quarante. Possiblement quarante-cinq.

Ils avaient perdus quinze Gobelins pour tuer un Crabroche. Ce n’était pas mal. Cela aurait été terrible pour n’importe quel autre groupe de soldats, de gens, ou de n’importe quelle autre espèce, mais les Gobelins étaient habitués à ce genre de carnage, principalement de leur côté.

Normalement un Crabroche tuait environ une vingtaine de Gobelins avant de mourir. L’échange n’était pas bon, mais cela voulait dire que la tribu allait pouvoir vivre une autre semaine. C’était considéré acceptable.

Mais il y avait un autre aspect que les nombres. Loks regarda les morts mixé avec les morceaux de crabes et se demanda combien d’entre eux avaient été jeunes, ou femelle. Elle avait une douzaine de guerriers avec de l’expérience, et elle détestait perdre l’un d’entre eux.

C’était une autre particularité des Gobelins. Ils se battaient entre eux. Femmes, enfants, il n’y avait pas de différence. Les Gobelins se battaient et mourraient ensemble. Il n’y avait pas d’endroit ou mettre les jeunes.

S’ils mourraient, ils mourraient tous ensemble. C’était mieux que de mourir seul et affamé.

Il était vrai que les femmes enceintes et les enfants restaient généralement à l’arrière, mais leur tribu n’avait pas le nombre pour à la fois tenir leur maison et chasser le Crabroche. Loks secoua sa tête en regardant une petite tête gisant au milieu d’une mare de sang gelé.

C’était une autre journée dans les Plaines Inondées de Liscor. Elle n’était pas encore morte, mais il y avait encore du temps. C’était toujours l’heure de mourir.

Le Crabroche rassasia même les plus affamés des Gobelins. Au lieu de laisser la précieuse viande derrière, Loks ordonna la majorité de sa tribu de prendre tout ce qu’ils pouvaient et de le ramener dans leur maison. Dans ce cas, c’était une petite cave qu’ils avaient prise aux ours qui avaient hiberné dedans.

Ça, ça avait été un combat. Les Crabroches étaient une chose, ils étaient de terrifiants béhémoth des plaines, mais ils étaient lents. Les ours, eux, étaient capable de rattraper un Gobelin en fuite et de le réduire en charpie.

Loks avait aussi mené cet affrontement. Elle avait ordonné à ses Gobelins de tirer des flèches et lancer des cailloux sur les ours alors qu’elle les brûlait de loin. Elle ne connaissait que trois sorts, mais l’un d’entre eux était [Luciole]. C’était un sort créé pour attaquer de loin, et depuis que Loks l’avait appris sa tribu pouvait affronter des ennemis bien plus fort qu’auparavant.

Alors que la majorité de la tribu s’en alla, Loks aboya un ordre et huit de ses meilleurs guerriers se formèrent autour d’elle. Aucun d’entre eux n’était trop gravement blessé du combat avec le Crabroche, et ils avaient toutes les meilleures armes de la tribu.

Des épées rouillées, une dague aiguisée, une massue et une hachette. C’était la puissance des Gobelins, et comparé à eux Loks était un chevalier en armure avec une rondache et une épée courte. Aucun Gobelin ne portait d’armure à l’exception d’un peu de cuir et de vêtement, cela les ralentissait trop s’ils avaient besoin de courir.

Alors, où est-ce qu’ils devaient aller ? La priorité de Loks pour la journée avait été de tuer le Crabroche. Depuis l’arrivée de l’hiver, sa tribu avait été en train de mourir de faim. Ils avaient attendu que ce Crabroche soit loin de ses amis avant d’attaquer. Maintenant qu’ils étaient rassasiés, Loks pouvait enfin penser à d’autres choses.

Il fallait commencer par le commencement. Loks s’avança dans le paysage enneigé, ses guerriers marchant autour d’elle. Ils savaient ou elle allait. C’était le premier endroit où Loks se rendait si elle n’était pas occupée à s’assurer la survie de sa tribu.

L’auberge.

Pour les Gobelins, l’Auberge Vagabonde n’était pas qu’un endroit où manger. Non, pour eux s’était plus proche du paradis. C’était un endroit miraculeux ou ils étaient protégés de tous les dangers, un endroit où ils avaient à manger et, le plus important pour Loks, un endroit où elle pouvait jouer aux échecs.

Les échecs. Loks adorait les échecs. C’était quelque chose tellement différent de ce qu’elle avait testé dans sa vie que même après des centaines de parties elle était toujours fasciné. Les échecs n’étaient pas quelque chose de physique, comme manger, chier ou tuer. C’était un jeu joué sur un plateau, et dans la tête.

C’était fantastique. Et le jeu avait donné un plus grand cadeau encore, sa classe de [Tacticienne]. Elle était impatiente de jouer. Aujourd’hui allait être le jour où elle allait battre Erin Solstice. Elle le savait.

Loks escalada le sommet d’une colline et s’arrêta. L’auberge avait disparu. Non, pas totalement disparue, mais…

Détruite. Loks regarda les fenêtres brisée, le toit effondré et, bien sûr, le mur désormais inexistant. Elle pouvait voir l’intérieur de la cuisine depuis sa position au sommet de la colline. Quelque chose de massif avait arraché un morceau de l’auberge, qui n’était plus qu’une ruine.

Pendant une longue seconde, Loks regarda l’auberge, choquée. Puis elle commença à penser. Les Gobelins conquéraient rapidement leurs chocs et leurs confusions où ils mourraient. Donc Loks remarqua rapidement que l’auberge avait été détruite, mais que sa propriétaire était encore en vie.

Erin Solstice, humaine, protectrice de l’Auberge Vagabonde, et La Destructrice comme elle avait été nommée par les Gobelins, se tenait en parlant avec plusieurs larges insectes et deux grands lézards alors que plus d’Antiniums bougeaient autour d’elle.

Qu’est-ce qu’ils faisaient ? Ils étaient en train de… Démanteler l’auberge ? Loks vit un Ouvrier arracher une partie de plancher de l’auberge et descendre la colline. Ils allaient autre part avec.

Et non pas que les morceaux de l’auberge. Certains des guerriers de Loks murmurèrent alors qu’un groupe de huit Ouvriers leva un pan de mur et descendit la pente en le tenant. Ils étaient en effet en train de réduire l’auberge en morceau, et il semblait pour Loks qu’ils comptaient la rebâtir autre part.

Curieux. Loks analysa la situation, étant la seule capable de le faire. Elle était intelligente. Tous les Gobelins le savaient. C’était pourquoi elle était chef.

Voyons voir. L’auberge avait été en un seul morceau quand Loks s’y était rendu hier. Mais quelque chose était clairement arrivé. L’auberge avait été détruite, possiblement par un monstre ou autre chose, et Erin avait demandé aux Antinium de la réparer. Mais, ils avaient décidé de la construire autre part.

Alors que Loks arriva à cette conclusion logique, un autre de ses guerriers s’approcha et lui reporta que plusieurs Antiniums venaient des plaines.

C’était clair que Loks n’allait pas jouer aux échecs aujourd’hui, donc, intriguée, elle donna l’ordre aux autres Gobelins de l’amener vers le site des autres Antiniums.

Les Gobelins pouvaient bouger rapidement s’ils le voulaient. C’était pratiquement leur seul avantage, si on ne comptait pas leur petite taille. Donc Loks et sa petite troupe trouvèrent le Drakéide, Klbkch, Ceria et environ une vingtaine d’Ouvriers peu de temps après que le groupe est atteint le site de la forêt des arbres kabooms.

Loks entendit ses Gobelins murmurer alors qu’ils se cachèrent dans la neige et s’approchèrent lentement des Ouvriers Antiniums, supervisé par le Drakéide, Ceria et Klbkch.

Les Antiniums bougeaient comme des machines, arrachant systématiquement l’écorce de chaque arbre avant de les couper avec des haches. Ils avaient tout ce dont Loks rêvait dans une armée. Ils ne briseraient jamais la formation ou prendraient la fuite, et ils bougeaient d’un seul mouvement fluide.

Ce qui dérangeait Loks était leur location. Elle et les Gobelins avaient rampé dans la neige, ignorant les températures glaciales, jusqu’à l’orée de la forêt. Ils l’avaient fait en ignorant leurs instincts, et Loks était venu ici uniquement par curiosité.

Sa curiosité étant, pourquoi les Ouvriers n’étaient pas devenus des fragments de chair et d’exosquelette tombant de ciel. Elle connaissait ses arbres. Il était la mort.

Pour être honnête, les Gobelins qualifiaient la moitié de chose comme ‘la mort’, mais ils avaient une vue bien plus nuancé de la mort que les autres espèces. Leur espèce avait plus d’une vingtaine de mots pour définir la mort, et cela voulait dire qu’ils pouvaient décrire la mort de façon presque illimitée.

Les Gobelins, pessimiste, définissait la mort comme une possibilité voir une inévitabilité selon la manière de voir la chose. Par exemple, un humain voyageant seul était ‘une mort possible’ pour un groupe de Gobelins, et si une tribu était proche de l’humain malchanceux n’était que ‘mort pour un ou deux’. Pour contrasté, le Crabroche avait été ‘mort presque certaine’ pour un individu ou un petit groupe, mais seulement ‘beaucoup de morts’ pour une tribu.

Mais ces arbres, cette forêt, était mort absolue. Les Gobelins évitaient cette zone, ayant appris le radius exact de l’écorce explosive via de nombreuses tests et échecs.

C’était pourquoi Loks était stupéfié de voir les Ouvriers n’étaient pas seulement en train de bouger parmi les arbres, mais en train de les couper sans être perforé par un millier de projectiles. Pourquoi ? Était-ce de la magie ?

Non, aucune de ses trois personnes n’étaient capable de faire de la magie comme ça, Loks en était certaine. Elle savait que Ceria pouvait faire de la magie, mais elle savait aussi que la demi-Elfe avait été gravement blessée, démontrer par sa main squelettique. De plus, Loks ne voyait pas de bâton ou de baguette, et elle ne sentait pas de magie venant de Ceria.

Et Klbkch et le Drakéide n’étaient pas capables de faire de la magie. Même si, des trois, ils dérangeaient Loks bien plus que Ceria.

Klbkch par exemple. L’Antinium était clairement différent des autres Ouvriers grâce à son unique corps. Il était plus grand, plus mince, et n’avait que deux bras ou lieu de deux. Il était aussi dix fois plus dangereux que les autres.

Loks se souvenait encore de sa mort. Elle n’avait pas fait partie du groupe de Gobelin mal intentionné qui avait voulu venger leur chef, mais elle avait regardé alors que l’Antinium et l’un des Ouvriers avait déchiré les rangs de Gobelins. Même s’il l’avait tué à la fin, cela avait été possible uniquement parce qu’il avait protégé Erin.

Et maintenant il était revenu à la vie. Son corps avait peut-être changé, mais il sentait et agissait de la même manière. Cela terrifiait Loks.

Mais alors que Klbkch était toujours une énigme, il n’était rien comparé au Drakéide. Loks savait qu’il avait un nom, mais elle refusait de s’en rappeler.

Le Drakéide. Il était connu des Gobelins de la Tribu des Plaines Inondées, oh oui. Il avait tué plus des sien à lui tout seul que tout le reste de la garde combiné. Il était plus rapide que n’importe quel Gobelin, plus rapide que les flèches, avait une peau plus épaisse que du métal, et il pouvait même tué un Hob avec ses mains.

Il était un monstre. Il avait tué les Gobelins qui avait élevé Loks. Il était son ennemi, même s’il ne le savait pas.

Mais il n’y avait rien à faire à part éviter le Drakéide. Il pouvait facilement massacrer Loks et tous les guerriers qu’elle avait amené. Qu’importe ce qu’Erin disait, ils devaient rester éloignés de lui.

En parlant de ça, où est-ce qu’il était ? Loks plissa les yeux et scanna la forêt. Le Drakéide avait été en train de parler avec Klbkch il y a une seconde de cela, mais maintenant il avait disparu. Où est-ce qu’il était parti ? Pisser ? Ou…

« J’te tiens ! »

Loks entendit la terrible voix trop tard. Elle se retourna, mais Relc l’extirpa hors de la neige et la lança en l’air.

La Gobeline se sentit voler, un déroutant rush de légèreté brisé par une terrible douleur alors qu’elle toucha un arbre et rebondit dessus. Elle atterrit dans la neige, le souffle coupé et roulé en boule sous la douleur.

Elle arrêta de penser durant plusieurs minutes, elle resta là, gisante en entendant le Drakéide rire et ses guerriers hurler. Leurs hurlements se fit plus faible, et elle réalisa qu’ils avaient pris la fuite. C’était la chose la plus sensible à faire. Mais elle était désormais seule, et en cet instant elle n’entendait que les voix au-dessus de sa tête.

« Je le savais ! J’ai vu une de ses saloperies aux oreilles pointues sortir sa tête de la neige, et je savais qu’elle devait être proche. C’est ce stupide Gobelin ! »

« Je ne suis pas familier avec ce Gobelin. Tu dis que tu la connais ? »

C’était Klbkch. Loks essaya de bouger, mais la douleur était encore trop forte. Le Drakéide lui répondit de manière irrité.

« Ouais. Erin la laisse rentrer. Son nom est Lokky ou quelque chose débile du genre. Elle traîne à l’auberge et joue aux échecs. »

« Aux échecs ? »

« Ouais. C’est fou, hein ? Je voulais me débarrasser de cette peste, mais Erin ne me laisse pas faire. Sa tribu a causé pas mal de problème pendant que tu étais mort, et maintenant il semblerait qu’elle ait préparée une embuscade pour nous attaquer. »

Elle entendit la menace dans la voix du Drakéide, et cela fit bouger Loks. Ignorant la terrible douleur dans son dos, elle se déplia et leva les yeux. Relc et Klbkch se tenaient au-dessus d’elle, alors que Ceria se tenait derrière eux, regardant Loks.

Est-ce qu’elle allait mourir aujourd’hui ? Loks ne savait qu’elle n’avait pas la moindre chance dans un combat. Le Drakéide pouvait la tuer d’une griffe. Mais elle se leva quand même et tendit la main vers son épée.

La Drakéide grogna en direction de Loks, la toisant.

«N’y pense même pas. »

Sa voix fit passer un frisson de terreur le long de l’échine de Loks. Mais elle agrippa quand même le pommeau de son épée avec une main. Elle était terrifié du Drakéide, et alors ? Loks avait toujours peur, mais elle ne se laissait jamais dominé par elle.

Klbkch posa une main sur l’épaule du Drakéide alors agrippa le manche de sa lance.

« Du calme, Relc. Je ne souhaite pas de violence ici. »

« Elle était en train de nous espionner. Tu ne penses pas qu’ils allaient faire autre chose ? Qu’est-ce qui se serait passé s’ils avaient attaqué ? »

La voix de Klbkch était un oasis de calme. Il pointa Loks du doigt.

« Erin Solstice à de l’affection vers eux. Si elle découvre qu’ils ont été massacrés, elle réagira d’une mauvaise manière. »

Du calme, et de la rigidité au-delà de tout ce que Loks avait connu. Elle était certaine que, si besoin, Klbkch pouvait la tuer sans cligner des yeux. Même si les Antiniums n’avaient pas de paupière.

« De plus, je ne pense pas que des Gobelins seraient assez fou pour attaquer une force plus dangereuse qu’eux tout seul. Non, je pense que Loks et son groupe nous suivais pour savoir ce que nous faisions. C’est tout. »

Le Drakéide lança un regard à son ami avant de pointer Loks du doigt.

« Ils t’ont tué. Tu. Étais. Mort. Tu me dis que tu n’as pas envie de massacrer toutes ces pestes ? Ce sont de sales lâches, tous autant qu’ils sont. »

Le mot brûla Loks. Mais elle n’avait rien à dire. Klbkch s’arrêta, et continua sans changer de ton.

« Mes sentiments n’ont pas d’importance. Erin Solstice a été jugée importante pour la Colonie, et pour cela, sa coopération est nécessaire. Laisse ce Gobelin partir. »

Le Drakéide regarda son ami, il jura bruyamment et longuement. Il se retourna, et Loks laissa échapper sa respiration. Peut-être, juste peut-être.

Relc se retourna et leva son pied. Loks ne vit qu’un mouvement flou et…

***

Elle se réveilla avec une terrible douleur dans sa mâchoire. Loks savait qu’elle n’était pas cassée, mais ça faisait mal !

Relc était parti, tout comme Klbkch. Mais quelqu’un était en train de se tenir au-dessus d’elle, et ce n’était pas un de ses Gobelins.

« Loks ? »

Ceria la demi-Elfe se pencha et tendit la main vers la Gobeline. La réaction de Loks fut immédiate. Elle roula pour s’éloigner de Ceria et bondit sur ses pieds, reculant avec prudence.

« Je ne veux pas te faire de mal. Je voulais juste m’assurer… »

Loks sortit la petite jarre d’acide de sa ceinture et Ceria s’arrêta. Loks n’avait pas osé la sortir pour Relc car il était trop rapide, mais elle la tenait à elle et la demi-Elfe en tant qu’avertissement. C’était une menace, pas quelque chose que Loks comptait vraiment utiliser.

Cela marcha. Ceria s’arrêta, et se redressa avec précaution. Elle regarda la petite jarre d’acide, sachant pertinemment à quel point c’était dangereux. Mais elle ne paniqua pas. Elle regarda Loks dans les yeux.

« Je ne vais pas te faire de mal. Je voulais juste m’assurer que tu n’étais pas blessé. Relc n’aurait pas dut te donner un coup de pied. »

Bon. C’était bien le Drakéide. Loks toucha son menton. Elle avait l’impression qu’il allait se décrocher, mais si c’était tout ce qu’elle allait avoir, elle se considérait chanceuse. Mais pourquoi Ceria était inquiète à son sujet ? Loks était toujours méfiante.

« Je ne cherche pas à faire quoique ce soit. Si j’avais voulu te faire du mal, je l’aurais fait quand tu étais endormie. »

C’était vrai. Loks hésita, et baissa la jarre d’acide. Ceria la vit la remettre dans sa ceinture et secoua la tête.

« Je dois parler à Erin à propos de te les donner. Cette fille… »

Elle s’arrêta et secoua de nouveau sa tête.

« Qu’est-ce que je suis en train de faire, parler à des Gobelins ? Écoute, je me fiche de savoir ce que toi et ton petit groupe faisait à nous regarder. Mais j’ai un message pour toi. »

Un message ? Les oreilles de Loks se dressèrent légèrement sur sa tête. Ceria semblait sérieuse avant de pointer le doigt vers Loks, puis vers les plaines.

« Pars. La Garde va massacrer ta tribu ou vont forcer à fuir dans quelques jours. »

Loks absorba l’information en silence. Elle n’avait pas le moindre doute que cela était la vérité. Non pas parce qu’elle croyait que Ceria était honnête, mais parce qu’elle avait prédit que cela allait arriver.

Plus de patrouilles dans les plaines. Plus de gardes repérant les Gobelins mais ne les attaquant pas, ne faisant que les suivre. Tout collait. Les mots de Ceria ne faisaient que confirmer sa suspicion.

Ceria ne semblait pas surprise devant l’absence de surprise de Loks. La demi-Elfe mit sa bonne main dans sa poche.

« Je ne sais pas si tu as vraiment compris ça, mais j’espère que oui. Ce n’est pas que je veux que ta tribu survive ou quelque chose du genre. Je te le dis pour qu’Erin ne soit pas en colère. Je lui dois beaucoup. »

C’était vrai, mais Loks ne voyait pas comment cela changeait la situation. Elle n’était pas l’animal de compagnie d’Erin ou quelque chose du genre. Mais cela avait de l’importance pour Ceria, c’était clair. La demi-Elfe regarda Loks de manière funeste.

« Je me souviens du carnage du dernier Roi Gobelin venant de la mer. Il a laissé une mer de feu et de destruction sur trois continents. Même si les autres sous-estiment ton espèce, je sais que vous pouvez être dangereux. »

Le Roi Gobelin ? Ceria avait connu le dernier Roi Gobelin ? Loks était soudainement intensément curieuse. Elle ne se souvenait pas d’avoir rencontré un Gobelin ayant connu le Roi Gobelin, mais bien sûr, ils savaient tout ce qu’il avait fait. Mais il était clair que l’opinion de Loks sur le défunt Roi Gobelin différait de celle de Ceria.

« Si cela ne tenait qu’à moi, je ne verserais pas une larme si ton espèce s’éteignait. Mais Erin t’aime bien et j’ai une dette envers elle pour m’avoir secourue des ruines. »

Ceria soupira. Elle leva sa main squelettique et la regarda pendant un instant, tout comme Loks. Elle n’avait jamais vu une blessure semblable à celle de Ceria auparavant. Bien sûr, elle avait vu des engelures, mais jamais une main squelettique qui restait comme cela. Est-ce que c’était de la magie ?

« Tu sais, si ton espèce ne volait pas ou n’attaquait pas des gens innocents, vous seriez peut-être toléré. Ou peut-être pas. Même les demi-Elfes vivent sur les bords. Mais vous… »

Ceria s’arrêta et regarda Loks, et pendant un instant son expression s’adoucit.

« Il n’y a pas de place pour vous dans ce monde. Tu as mes sympathies. D’un paria à un autre. Mais écoutes mon conseil et pars. Aujourd’hui. »

Elle s’éloigna en marchant. Loks se retrouvait seule au milieu d’une clairière dépouillée d’arbre, seulement un groupement de souches indiquant qu’il y avait eu des arbres auparavant.

Alors, qu’est-ce que tout cela avait été ? Loks n’avait pas moyen de trouver la logique dans ce qui venait d’arriver. Elle s’assit sur une souche, perchée au rebord, une main sur son menton en essayant de penser.

Ceria l’avait prévenu. Rel… Le Drakéide avait exprimé sa haine pour Loks et sa race et Klbkch avait semblé indifférent. Est-ce que cela était un mensonge ? Loks souhaitait avoir une Compétence pour dire la différence.

Elle pensait souvent aux Compétences, et comment elle pouvait les utiliser. C’était une drôle de pensée à avoir, parce que la majorité des Gobelins n’avait pas de Compétence. mais Loks en avait appris plusieurs, et donc, elle avait commencé à questionner quelle Compétence elle allait peut-être recevoir un jour et comment elles allaient l’aider à survivre.

Elle attribuait ses pensées non-Gobelines à sa classe de [Tacticienne], mais la vérité était que si Loks avait été humaine, elle aurait été un génie. Vu qu’elle était une Gobeline, elle était plus un être légendaire à leurs yeux. Elle était l’une sur un million, peut-être une sur un milliard.

Ce qui ne rendait pas Loks si spéciale que ça. Les Gobelins se reproduisaient si vite que même certaines races d’insectes n’arrivaient pas à suivre. Ils vivaient et mourraient comme des éphémères, et leurs enfants étaient capables de marcher et de se battre le jour de leur naissance.

Et ils mourraient tout aussi vite. Donc les Gobelins s’accouplaient et se reproduisaient le plus vite possible avant que leurs demi-vies ne se terminent. Même en plein hiver, plus de bébé allait naître et mourir.

Les Gobelins mourraient normalement de faim, même avec des proies comme les Crabroches pour nourrir la tribu. Tellement de nouvelles vies étaient difficiles pour l’écosystème. Mais c’était pourquoi les morts étaient toujours ramenés. Ils allaient être mangés, et la vie allait commencer de nouveau.

C’était ainsi que marchait les choses. Mais parfois Loks se demandait pourquoi cela devait être ainsi. Elle se demandait s’il y avait quelque chose pour sortir sa tribu de ce cycle de mort qu’était leur mode de vie.

Ou, si elle échouait à faire cela. Loks voulait vivre. C’était tout ce dont elle pensait. Vivre, et mourir. Mais pour la première fois de sa vie, elle avait quelque chose qui allait peut-être l’aider à accomplir cet objectif : ses classes.

Les Gobelins pouvaient gagner des niveaux. C’était juste rare qu’ils survivent assez longtemps pour gagner plus d’un ou deux niveaux.

Par exemple, chaque Gobelins que Loks avait au moins un ou deux niveaux dans les classes de [Scavenger] et [Guerrier]. Mais ce qui intéressait Loks était qu’ils montaient rarement de niveau, même les plus vieux.

Des Gobelins qui avaient vécus pendant trois ans ou plus étaient seulement des [Scavengers] de niveau 9. Et le [Guerrier] de plus haut niveau que Loks se souvenait avoir connu était l’ancien chef. Il avait était un [Guerrier] de Niveau 18, et il avait été un Hob.

Mais Loks était unique. Non seulement elle avec huit niveaux dans sa classe de [Guerrière], le plus haut de sa tribu, mais elle avait aussi la classe de [Mage], qui était presque unique parmi les Gobelins. Et bien sûr sa classe qui était unique, sa classe de [Tacticienne]. Loks était une [Tacticienne] de Niveau 11. Cela faisait pratiquement un Hob d’elle, mais elle n’avait pas encore commencé à grandir.

Les Hobgobelins étaient l’étape suivante dans l’évolution des Gobelins, dans la mesure ou les Gobelins évoluaient. Ils étaient toujours des Gobelins, mais ceux qui, pour une raison quelconque, avaient une soudaine poussée de croissance. Des Gobelins forts qui étaient soit des Chefs ou tout simplement plus fort, plus rapide ou plus résistant que normal commençaient soudainement à manger deux fois leurs poids chaque jour. Ils grandissaient constamment, jusqu’à être aussi grand que des humains et, dans certains cas, deux fois plus larges qu’eux.

Ces Gobelins étaient les leaders des tribus, les troupes d’élites dans tous les groupes de Gobelins et le seul moyen avec lequel il pouvait affronter de dangereux monstres. C’était habituel que la plupart des tribus aient au moins un Hobgobelin, souvent connus sous le nom de Hobs. Le seul Hob de la Tribu des Plaines Inondées avait été leur chef, jusqu’à ce qu’Erin le tue.

Mais tandis que Loks avait gagné autant de niveau qu’ Hob, elle n’avait pas commencé à grandir. Cela arrivait de temps en temps, mais c’était quand même décevant. Elle aurait aimé être plus grande que les autres Gobelins, mais être petite voulait aussi dire qu’elle était une plus petite cible.

Son inquiétude sur son avenir d’Hob était une petite partie des questions tournant dans son esprit. Loks remua sur son siège et grimaça alors que son poing dérangea son menton blessé. Elle devait penser. Penser était l’une des seules choses que Loks pouvait faire, et si elle ne le faisait pas, elle et sa tribu allait mourir.

Pourquoi les Gobelins ne gagnaient pas tant de niveaux ? Et pourquoi, d’un autre côté, Loks avait gagné autant de niveau ? Est-ce que c’était parce qu’elle était spéciale ?

Mais après tout, chaque Gobelins dans sa tribu avait gagné deux niveaux après avoir tué Écorcheur. Même ceux qui n’avaient pas tranché une petite part de lui. Pourquoi cela ? Qu’est-ce qui rendait Écorcheur différent d’un voyageur sur la route, ou d’un Crabroche ?

Peut-être parce… Qu’il était dangereux. Parce que les Gobelins avaient combattu contre quelque chose de vraiment dangereux. Parce que, pour une fois, il n’avait pas choisi un combat facile.

Est-ce que les Crabroches étaient faciles à tuer ? … Non. Mais c’était assuré que si toute une tribu de Gobelin attaquait, le Crabroche allait mourir. C’était un combat sans risque pour la tribu, seulement pour les individus.

Mais Ecorcheur, oui, Loks se souvenait de cette nuit. Les Gobelins avaient su qu’il était faible, ils savaient qu’il fuyait. Mais ils ne savaient pas s’ils pouvaient le tuer. Plus d’une centaine l’avait chargé, et s’ils avaient été juste un peu plus lent ou si Écorcheur avait été juste légèrement plus fort, ils seraient peut-être tous morts.

Oui, c’était ça. Ils avaient tous risqué. Et c’était étonnamment rare pour les Gobelins. De manière générale, les Gobelins ne prenaient pas le risque de combattre dans un combat qui représentait le moindre risque. C’était difficile, car tout était plus fort que les Gobelins, mais ils attaquaient toujours avec le surnombre, et l’effet de surprise si possible.

Peut-être que c’était pour ça que les Gobelins ne gagnaient pas beaucoup de niveau. Et Loks… Elle avait gagné des niveaux en jouant aux échecs car elle faisait toujours de son mieux. Et quand elle apprenait la magie, elle étudiait le plus possible en écoutant Pisces le mage malodorant. Et en se battant…

Elle avait tué tous les Gobelins qui avaient voulu être Chef. Elle avait mené sa tribu contre de nombreux monstres, toujours à l’avant. Elle était brave et elle risquait sa vie.

C’était pourquoi. C’était la clef. Loks devait utiliser pour survivre.

Entouré par le silence des flocons de neiges touchant le sol, Loks pouvait penser clairement. Le froid commençait à la déranger, mais elle avait assez de fourrure sur elle pour rester au chaud pour le moment. Et dans l’air hivernal se trouvait la clarté. C’était un rappel de la mort, et à quel point sa tribu en était proche.

La cruelle vérité était que la Tribu des Plaines Inondée était la plus faible de la région. Alors que les humains, Drakéides, et Gnolls vivant dans les villes ne voyaient pas les Gobelins comme autre chose que de la peste grouillant en campagne, il y avait une hiérarchie même parmi les Gobelins. Les tribus étaient leurs propres entités séparée qui contrôlait un territoire, combattant d’autres tribus et des troupes de Gobelin vagabonde pour maintenant leur dominance.

Dominance était le droit de se nourrir sur le bétail égaré et de rester suffisamment sous le radar pour que des aventuriers de hauts niveaux ne soient pas appelés pour les chasser. C’était tout de même beaucoup de pouvoir, considérant combien d’animal pouvait être tué et combien d’objet utile pouvaient être volés tout en restant le moins visible possible.

Au niveau de la force brute, la tribu des Crocs Rouges au nord était de loin la plus puissante. Ils étaient repartis autour de l’entrée des Hautes Passes, et ils avaient six Hobs dans leur tribu. Ils dominaient les autres tribus occupant les prairies voisines, mais ces Gobelins restaient loin des villes Humaines où les aventuriers vivaient.

Au sud, autour des Plaines Sanglante, la Tribu de la Lance Brisée était une autre barrière pour tout mouvement. Ils dirigeaient la zone avec une main de fer, tout comme leur Chef. Il n’était pas un Hob, tout comme Loks, il était un petit Gobelin, mais plus grand que la moyenne. Il portait une armure faite de carapace d’Araignées Cuirassées comme la majorité de sa tribu, et ils avaient même réussi à dresser les dangereuses créatures. Si la Tribu des Crocs Rouges et la Tribu de la Lance Brisée se battaient un jour, le vainqueur n’était pas couru d’avance.

A part cela, la seule autre Tribu majeure de la région était la Tribu de la Main Spectrale. Ils vivaient plus au sud des Plaines Sanglantes, mais ils voyageaient de temps à autre à travers Liscor. La Tribu de la Lance Brisée les laissait seul, principalement parce que même eux craignaient la chef de la Tribu de la Main Spectrale. Elle était une terrifiante [Shamane] capable de lever les morts, et plusieurs de ses Gobelins connaissaient les bases de la magie. Ils utilisaient du poison et des pièges, et ils étaient aussi dangereux pour les autres Gobelins que pour leurs ennemis.

Ces trois tribus étaient bien au-dessus de la petite tribu de Loks en terme de hiérarchie qu’il était impossible de les comparer. Elle ne pouvait même pas s’imaginer challenger un de leur Chef, elle ne pouvait qu’imaginer le corps mutilé qui ressortirait de ce genre d’acte.

Mais ils devaient quitter cet endroit. Ceria l’avait dit, et tous les signes étaient là. Ils étaient écrits sur les arbres.

En réalité, rien n’était sur les arbres, même pas de l’écorce. Les Ouvriers avaient dépouillé presque tous les arbres de leurs écorces, même ceux qu’ils n’avaient pas coupé. Des tas d’épaisse écorce gisaient dans la neige.

Loks bougea de sa souche et s’approcha d’un des morceaux d’écorce. Elle se pencha et l’inspecta avec beaucoup de précautions.

Oui, c’était définitivement la mort de cette forêt. Une coupure dans l’écorce montrait à Loks qu’il y avait définitivement une couche de bois détachable, amorti par quelque chose de mou et presque gélatineux. Est-ce que c’était ce qui projetait l’écorce aussi loin ?

Hm. Est-ce qu’elle pouvait l’utiliser ? Pourquoi l’écorce n’explosait pas maintenant ?

Cela devait être le froid. Loks ne trouvait rien d’autre. L’écorce était dure et la substance était rigide et vaseuse. Qu’est-ce qu’il allait se passer si c’était réchauffé ?

Ils devaient partir. Mais vers où ? Loks avait déjà fait des ouvertures à la Tribu de la Lance Brisée au sud. C’était plus chaud au sud, et elle avait pour idée que sa Tribu pouvait vivre dans les Plaines Sanglantes si nécessaire. Mais elle n’était pas certaine que leur Chef allait reconnaître son existence et encore moins les laisser passer.

Si cela ne marchait pas, elle pouvait peut-être négocier un passage au nord. La Tribu des Crocs rouges était vicieuse, mais ils allaient peut-être lui laisser de l’espace au nord si elle offrait un tribut chaque semaine. Cela désespéré, mais c’était mieux que la mort assurée. Loks pesa le poids de chaque option dans sa tête, analysant ses chances de survie grâce à sa classe de [Tacticienne] et ses compétences.

Mais tout cela n’était que prendre la fuite, n’est-ce pas ? Ce n’était pas comme gagné des niveaux. C’était la clef. Si Loks voulait devenir plus fort, voulait voir sa tribu devenir plus fort, ils allaient devoir arrêter de courir.

Mais courir était la spécialité des Gobelins.

Des lâches. C’était ce que le Drakéide avait dit. Cela enrageait Loks rien que d’y repenser. Mais le plus blessant dans ses mots était qu’elle ne pouvait pas les contredire. C’était la vérité.

Les Gobelins étaient des lâches. Peut-être que c’était pour ça qu’ils étaient aussi faible. Peut-être… Que c’était ça que Loks devait changer. La nature d’être des Gobelins.

La lâcheté. C’était un mauvais mot. Les Gobelins n’avaient pas de mot pour ‘lâche’, juste des mots pour les Gobelins qui courraient quand leurs tribus avaient besoin d’eux, ou se poignardaient dans le dos. En fait, les Gobelins qui poignardaient dans le dos n’étaient même pas mal vu. La discrétion était très pratique.

Mais la lâcheté était un mauvais mot dans les autres langues. Loks comprenait ça. Le mot était comme une brûlure dans votre tête, te rendant plus petit, moins important. Un lâche.

Quel était l’inverse de ce mot ? C’était un mot que les Gobelins ne connaissaient pas vraiment. Cela voulait dire ‘idiotie’ ou ‘stupidité’ dans leur langue, mais Loks avait entendu Erin le prononcé. Elle l’avait dit en parlait de la manière de jouer de Loks. Un mot meilleur. Un bon mot.

Courage.

Et cela éveilla quelque chose en Loks. Quelque chose. Un sentiment qu’elle avait ressenti qu’une ou deux fois. La première fois avait été quand elle avait mit les pieds dans l’auberge d’Erin. Le sentiment qu’elle avait parfois en jouant aux échecs et quand elle était au milieu d’un combat.

Oui… Elle connaissait un lieu qui allait être un défi. Un défi plus grand que tous les autres défis. Un endroit de mort. Peut-être pire que les Hautes Passes. La mort par-delà la mort.

En réalité, l’endroit de la ‘mort par-delà la mort’ était plus une petite ouverture dans les lointaines montagnes. Techniquement, cela faisait partie du territoire de la Tribu des Crocs Rouges, mais de manière générale, tous les Gobelins évitaient cet endroit.

Loks ferma les yeux. Une image, des sons, l’assaillirent. Elle se rendit à l’intérieur de sa tête, ce n’était pas qu’un retour dans ses pensées, mais un retour. Dans le temps.


Des souvenirs. Une immense masse de slime se dresse et englobe le premier Hob. Il lâche sa hache de guerre et hurle alors que la créature engloutit entièrement.

La créature se redresse, mesurant plus de trois mètres cinquante. Ce n’est pas que de la simple gelée claire, mais des sections colorées se mélangeant dans un miasme hypnotisant. Du pourpre engloutit l’Hob comme du brouillard dans la forme claire de la créature ; que le pourpre se dissipe, le gobelin a disparu.

La [Shamane] de la tribu leva son bâton et croassa quelques mots rauques. Des flèches tournoyantes faites de lumière bleue frappèrent le slime, vaporisant de petites parties de sa masse.

La masse amorphe de slimene hurla pas, mais du violet s’amassa autour des places où les missiles avaient frappé, comme des anticorps se précipitant vers une blessure. Il roula rapidement vers la [Shamane], mais les deux Hobs restant bougèrent pour le lever.

Le combat de la Tribu des Tueurs d’Écailles dura pendant trente minutes avant qu’ils ne battent en retraite. L’un de leurs Hob tituba, la moitié de son visage fondu. Les petits Gobelins rampent en s’éloignant, brûlé, beaucoup condamné. Ils allaient mourir dans la nuit.

C’était la troisième tribu qui avait voulu conquérir cet étrange endroit. L’abondance d’étranges plantes autour de la cave ne valait pas le coup de la mort qui l’accompagnait. Ils laissèrent le slime festoyer sur leurs morts, et il serait rappelé que cet endroit est un endroit de mort. Un endroit qui doit être évité à tout prix.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 26 septembre 2020 à 15:07:27
2.14 G
Partie 2
Traduit par Maroti

Loks cligna des yeux et se réveilla en prenant une grande inspiration. Elle réalisa qu’elle était en train d’être porté, maladroitement soutenu par les autres Gobelins alors qu’ils firent route vers leur caverne.

Où est-ce qu’elle était ? Loks regarda autour et réalisa qu’elle avait quitté la forêt. Parfois, les anciens souvenirs de son peuple l’assaillaient, ses guerriers étaient revenus et l’avaient trouvé. Ils l’avaient ramené plutôt que de perturber sa transe.

Ce n’était pas bien. Loks cria et cogna les Gobelins sous elle. Ils l’abaissèrent délicatement au sol et elle regarda autour d’elle.

Elle était… À environ trois kilomètres de la forêt où ils l’avaient trouvé. Bien. C’était bien. Loks cria et ses guerriers réagirent avec incompréhension. Mais elle était insistante, et ils retournèrent rapidement dans la forêt avant de retourner dans leur repaire de Gobelin, portant l’écorce que les Ouvriers avaient laissée.

Loks traîna un lourd morceau d’écorce, toujours pensante. Elle ignora les plaintes de ses guerriers autour d’elle alors qu’ils portaient leurs lourds fardeaux. Ils allaient lui obéir, complaintes ou non.

Elle était la Chef. Les Gobelins lui avaient peut-être résisté au début, mais une fois qu’elle avait clamé sa position, son statut était indéniable. Elle allait mener, jusqu’à ce qu'un Gobelin plus fort la challenge ou jusqu’à sa mort.

Un chef était essentiel pour toutes les tribus. Sans un, les Gobelins étaient sans objectif, qu’importe leur nombre. Un Chef allait les diriger, leur donner un but. Les groupes de Gobelins vagabonds ou les tribus les plus faibles allaient être absorbés dans la tribu d’un Chef fort, et Loks avait ajouté une tribu et quelques Gobelins perdus à sa tribu comme l’avaient fait d’innombrables chefs Gobelin.

Mais être un chef n’était pas qu’une question de leadership. C’était aussi quelque chose qui connectait tous les Gobelins. Il y avait dû pouvoir dans cela, comme il y avait du pouvoir dans les [Shamanes]. Les Gobelins donnaient leurs compétences à leurs chefs et à leurs shamans.

Dans le cas d’un [Shaman], plus il y avait de Gobelins dans une tribu, plus leurs sorts étaient puissants. Mais un Chef prenait autre choses de ses Gobelins. Il prenait leur souvenir.

C’était quelque chose que tous les Chefs pouvaient faire. Ils pouvaient se souvenir des choses qui étaient arrivé à leur tribu, de choses qui étaient arrivé des années voir des siècles dans le passer. Cela pouvait avoir énormément de valeur, alors que les Gobelins se rappelaient de stratégie ou de bons terrains de chasse ou d’endroits où se cacher. Mais cela ne marchait qu’avec les Gobelins.

Avec une petite tribu, les Chefs pouvaient se souvenir des mémoires de la dernière génération, ou peut-être un petit peu plus que ça. Mais avec une immense tribu comptant des milliers d’individus ? Loks était certaine que n’importe quel Chef d’une telle tribu pouvait se rappeler de chose qui s’était passé il y a des milliers d’années. Peut-être plus.

Dans son cas, elle se souvenait de l’endroit où les Gobelins avaient découvert la mort. La mort, prenant la forme d’une petite crevasse dans la montagne dans laquelle des monstres et d’horribles choses émergeaient de temps à autre. C’était quelque chose à considérer, mais Loks n’avait pas le temps d’y penser. Car quand elle retourna à sa cave, elle trouva plus de morts.

Une tête coupée se tenait au centre de la petite cave que la tribu de Loks appelait maison. Les autres Gobelins étaient assis autour, regardant la tête puis Loks alors qu’elle laissa tomber l’écorce dans la neige. Elle marcha lentement vers la tête qui la regardait.

Loks connaissait le visage de la Gobeline morte. Elle était une Gobeline qu’elle avait choisie il y a une semaine comme messagère. Elle avait envoyé la Gobeline à la Tribu de la Lance Brisée pour essayer de parler à leur Chef et de repartir avec un message. Ce que la Gobeline avait fait, d’une certaine manière.

La tête était une réponse claire à la demande de Loks. La tête de la jeune Gobeline roula au sol avant de s’arrêter. Elle saignait encore ; le sang n’avait même pas coagulé.

Cela voulait dire quelque chose. Pour Loks, qui comprenait la mort, cela voulait dire que son messager n’était pas mort il y a longtemps. Une heure, peut-être moins ?

Cela voulait dire que la Chef Tribu de la Lance Brisée n’avait pas tué son messager par hasard, mais avait amené la Gobeline proche du territoire de Loks avant de la tuer. C’était un message dans un message. Cela voulait dire ‘nous pouvons faire la même chose à toute ta tribu si nous le voulons’.

Cela ne changeait pas le reste. Loks regarda les yeux vacants de la Gobeline.

Morte.

C’était toujours comme ça. C’était pourquoi… Pourquoi là devait le faire. Même si cela voulait dire la mort. Elle devait essayer, essayer de braver la ‘mort par-delà la mort’ pour arrêter ce genre de chose d’arriver. Erin l’avait fait, une fois. Si elle pouvait le faire, Loks pouvait aussi le faire.

Erin Solstice était une terrifiante humaine. Elle avait tué un Hob toute seule, quelque chose que même les aventuriers de rang Argent avaient du mal. Dans un véritable combat, sa tribu aurait aidé le Hob alors qu’il coupait les aventuriers un à un. Mais l’ancien Chef avait été trop confiant et avait chassé Erin comme une proie, et elle l’avait tué.

Elle était plus forte maintenant, Loks en était certaine. Erin avait passé à travers le feu et la violence et maintenant elle avait déjà gens pour l’aider, et de la force. Elle avait été capable de tuer les créatures dans les ruines avec une simple poêle à frire. Et après, elle avait blessé l’aventurière avec les grands yeux.

L’adversité. Loks devait préparer sa tribu. Donc elle enterra la tête et s’assit pour penser.

Enterrer la tête était un signe de profond respect. Cela voulait dire que le Gobelin qui était mort n’était pas que de la nourriture. Les Gobelins auraient enterré leur ancien chef si Klbkch ne l’avait pas fait pour eux.

Loks regarda ses Gobelins manger et prévint le rester de laisser leur écorce dans la neige et loin du feu. Elle n’était pas encore prête à tester les effets de la chaleur sur l’écorce.

Voyons voir. Qu’est-ce qu’elle avait pour affronter la mort certaine ? Elle avait… Quarante-cinq Gobelins. Un petit nombre, comparé aux centaines de Gobelins des plus grandes tribus.

Quoi d’autre ? Des armes en piètre état, à l’exception de son épée courte. Des gourdins en bois, et quelques armes de métal. Rien de pratique.

Ils avaient des frondes, adaptées à partir de la tribu des Crocs Rouges au nord. Loks avait aussitôt adopté l’arme quand elle en avait entendu parler, allant à l’inverse des traditions de sa tribu. La nouvelle arme avait mené à plus de cibles abattus par les charognards, et l’augmentation de la capacité des Gobelins à harcelé leurs ennemis.

Elle n’avait plus que six jarres d’acide, et Loks savait qu’Erin allait être incapable de récolter plus de mouches acides tant que c’était l’hiver. Loks avait plusieurs potions volées aux voyageurs, mais elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elles faisaient. Elle regrettait ne pas avoir pu prendre la potion de Ryoka, mais elle ne pouvait rien y faire.

Ils avaient des potions, quelques armes, la magie de Loks et de l’armement supérieur, et assez de nourriture pour quelques jours grâce au Crabroche. Et ils avaient de l’écorce. Et… Autre chose.

Loks alla au fond de la cave et donna des coups de pied aux Gobelins jusqu’à ce qu’ils bougent pour la laisser aller dans son coin de Chef. Elle avait quelques choses-là. Elle mit la main sous le petit nid de feuilles sèches, d’herbe et de coton pour en sortir un petit enchevêtrement de câbles et de métal.

C’était ce que Loks avait. C’était peut-être la clef.

Les Gobelins de sa tribu regardèrent avec intérêt Loks ramener les restes de l’arbalète et de les déposer prêt du feu pour qu’elle puisse voir, mais pas assez proche pour qu’un regrettable accident n’arrive.

Loks inspecta le métal brillant et tenta de réfléchir. C’était une arbalète… Ou cela l’avait été. Loks l’avait trouvé à côté d’une pile de morts, et c’était le nom que les humains lui avaient donné. Donc elle l’avait prise, mais elle n’avait pas la moindre idée de comment réparer l’arbalète.

En vérité, elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’était une arbalète. Elle pensait que c’était comme une étrange boite qui tirait une ou deux fois, peut-être attaché ensemble, mais les pièces de celle qu’elle avait trouvé dans les ruines ne ressemblaient pas à ça.

Dans tous les cas, le problème n’était pas que Loks ne savait pas ce qu’était une arbalète, c’était qu’elle avait les pièces mais aucun moyen de les remettre ensemble.

Loks toucha les câbles et regarda le bois. Puis elle fit une chose très gobeline. Elle tendit la main derrière elle, et frappa le Gobelin assis derrière elle. Il grogna, et elle pointa l’arbalète détruite au sol.

Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire, donc il tendit sa main et frappa le Gobelin derrière lui. Le Gobelin n’avait pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire, mais il frappa un autre Gobelin pour demander. Et de son côté, Loks ‘demanda’ à une autre Gobelin, et le Gobelin continua de demander.

Et puis l’un des Gobelins qui avait été frappé se demanda si le métal avait été tenu par quelque chose. L’idée d’un arc lui avait fait penser à ça.

Loks se souvint du bois noir réduit en morceaux et réalisa que ce Gobelin avait raison. Un autre Gobelin pensa que les pièces allaient comme… ça. Un autre Gobelin n’était pas d’accord. D’autres Gobelins se frappaient, mais ils étaient tous en train de penser.

Dans l’heure, les Gobelins avaient trouvé ce qui manquait à l’arbalète. Ils avaient besoin de bois. De bois solides, pour que le métal puisse être tiré comme… ça ! Et puis, oui, ils pouvaient mettre quelque chose dans le compartiment. Une flèche ? Elle allait voler loin et frapper fort, ils en étaient certains.

Ils avaient quelques Gobelins avec un niveau ou deux dans la classe d’[Artisan] ou [Menuisier]. Loks les appela et leur montra les pièces. Les Gobelins murmurèrent avant d’attraper du bois en commençant à tailler.

Pendant ce temps, l’esprit de Loks était en feu. Elle regarda le métal, avant d’ordonner à d’autres Gobelins de recréer le design de l’arbalète avec du métal. Ils avaient beaucoup de ferraille, et maintenant toute la tribu était curieuse.

Mais ils eurent des problèmes. Comment étaient-ils supposés attacher le métal au bois ? Loks inspecta les morceaux de l’arbalète, et trouva les vis de métal noir. Tel était la qualité de l’arbalète Naine, le bois s’était brisé alors que les vis étaient restées intactes.

Des vis ? Cela était bien au-delà du niveau technologique des gobelins. Mais… Les ouvriers étaient toujours en train de travailler sur cette auberge. Loks envoya un groupe de Gobelin pour voir s’ils pouvaient trouver quelque chose.

Ils revinrent avec un seau volé aux Ouvriers quand ils ne regardaient pas. Les clous et le métal du seau n’étaient pas comme ce qui était produit en masse dans le monde moderne, mais pour les Gobelins, ils étaient quand même quelque chose de miraculeux.

Loks regarda l’arbalète d’origine être rassemblé par ses Gobelins, et puis réfléchit à la question des munitions.

Des carreaux. Voilà un autre problème. Comme pour le métal, les Gobelins étaient plus adeptes à récupérer et voler que créer. Ils n’avaient déjà pas assez de têtes de flèche pour leur archer, et il semblait que les carreaux d’arbalètes demandaient un autre type de tête de flèche, voire de bois.

Loks envoya quelques Gobelins coupé du bois pendant qu’elle essayait de trouver une solution au problème. Ils pouvaient probablement faire des carreaux pour elle, mais ils seraient fait de bois et non pas de métal, ce qui allait réduire la puissance. Et le bois était difficile à trouver en hiver, et encore plus difficile à travailler sans les bons outils.

Ils ne pouvaient pas utiliser du bois pour toutes les arbalètes. Donc quoi ? Qu’est-ce qu’une arbalète pouvait tirer à part du bois ?

… Pratiquement tout

S’ils ne pouvaient pas faire assez de flèches, ils n’avaient qu’à changer l’arbalète. Loks s’agenouilla proche de son équipe de bricoleur et bientôt, ils élargirent leur prototype d’arbalète et retirèrent la corde. Maintenant, cela ressemblait plus à une fronde montée sur un manche.

Cela prit des heures, et l’intégralité de la tribu travaillant toute la nuit, mais avec le modèle supérieur à copier, les Gobelins trouvèrent éventuellement quelque chose qui fit louper un battement de cœur à Loks. Ils la placèrent à côté de l’arbalète refaite, deux armes dépareillées, mais tout de même mortelles.

Loks chargea l’arbalète Naine, tirant avec ses deux mains pour charger le mécanisme. Puis elle prit l’un des carreaux primitifs que ses Gobelins avaient fait et tira vers l’extérieur. Le carreau disparu alors que le retour de l’arbalète envoya Loks valsé dans la cave. Les Gobelins étaient bouche bée.

La seconde arbalète était différente, mais tout aussi importante. Loks, massant son torse, laissa un autre Gobelin le tira.

Cette arbalète utilisa un petit caillou plutôt qu’un carreau. Le Gobelin la plaça avec précaution l’élastique de cuir et le tira jusqu’à ce qu’un petit cercle de métal puisse attraper l’élastique tendu. Il visa un mur de la cave et appuya sur la détente.

Des Gobelins se jetèrent au sol alors que le petit caillou vola à travers la cave et se brisa contre le mur. Loks cligna des yeux alors qu’un éclat de pierre lui frappa le front. Elle commença à donner des coups de pied au Gobelin qui avait tiré, mais était tout de même extatique.

La nouvelle arbalète que les Gobelins avaient créée était une arbalète pour pierre, mais la version avancé des arbalètes qui existaient dans ce monde. Elle avait bien moins de portée et de précision qu’une arbalète qui utilisait de vrai carreau, mais les munitions étaient nombreuses. Les Gobelins pouvaient la charger avec de petites pierres voir roulé de l’argile en petite boule et les faire cuire prêt du feu pour les durcir.

Loks fit créer plus d’arbalètes à ses Gobelins, aussi rapidement que possible. Cela révéla d’autres problèmes, principalement la méthode de construction.

Les matériaux que les Gobelins utilisaient pour faire les arbalètes étaient vieux et de mauvaise qualité, ils n’avaient que du métal rouillé et du bois brisé. Deux arbalètes furent détruites lors du premier tir et un élastique se brisa et manqua de rendre aveugle le Gobelin l’utilisait. Mais elles marchaient.

À la fin de la nuit, les Gobelins avaient six arbalètes et plusieurs Gobelins avaient appris la classe de [Bricoleur]. Loks était extatique à l’intérieur, même si elle n’était pas certaine de la qualité de la classe.

C’était autre chose. Les Gobelins avaient des classes différentes des humains. Loks suspectait qu’elles étaient plus faibles. À la place de la classe de [Guerrier], un Gobelin pouvait facilement obtenir la classe de [Bagarreur]. Au lieu de [Menuisier], certain obtenait la classe d’[Artisan]. Et [Bricoleur]. Elle était certaine qu’il y avait une meilleure classe qui allait la remplacer si elle gagnait assez de niveaux.

C’était quelque chose du genre. Un [Bagarreur] devenait un [Guerrier] vers le Niveau 5 environ. Et Loks avaient entendu que certains Gobelins obtenaient une différente classe s’ils atteignaient le Niveau 20.

Elle voulait désespérément gagner des niveaux pour découvrir si cela était vrai. Mais c’était mieux, oui, bien mieux d’améliorer les compétences de combat de sa tribu.

La classe de [Tacticienne] de Loks était en feu à l’idée d’utiliser les arbalètes en combat. Elles avaient une bonne portée et, contrairement au fronde, pouvaient être rechargé et laisser seule si nécessaire. Loks pouvait ouvrir le combat avec une volée et laisser les Gobelins moins fort au combat harceler l’ennemi tandis que ses guerriers attaquaient au corps-à-corps.

Oui, cela allait tout changer. Loks voulait ces nouvelles arbalètes dans les mains de tous ses Gobelins. Loks avait des visions de soixante Gobelins tirant en même temps. Qu’est-ce qu’ils pouvaient tuer avec ça ? Les Crabroche avaient trop d’armure, mais avec ces nouvelles armes, ils n’auraient pas à les tuer. Ils pouvaient chasser des oiseaux sans avoir à refaire des munitions.

Ils allaient pouvoir arrêter de manger leurs morts.

Et pour son arbalète, Loks pouvait à peine la charger même avec l’aide d’autre Gobelins. Mais elle était certaine qu’un carreau de ça pourrait tuer un ours si le carreau l’atteignait dans l’œil. C’était une arme digne d’un chef.

Loks alla se coucher avec la tête pleine d’idées. Mais au fond elle savait que tout cela n’était que le premier pas. Elle tenait quelque chose… Maintenant elle allait devoir l’utiliser pour survivre aux épreuves à venir.


[Classe de Leader Obtenue !]

[Leader Niveau 2 !]

[Compétence – Aura de Commandement Obtenue !]


[Classe de Bricoleuse Obtenue !]

[Bricoleuse Niveau 2 !]

[Compétence – Réparation Élémentaire Obtenue !]

***

Les Gobelins quittèrent leur cave le lendemain. C’était un départ chaotique et mal organisé, mais Loks cria et utilisa sa nouvelle Compétence pour faire en sorte que ses Gobelins s’organisent plus rapidement que d’habitude. Ils avancèrent dans la neige, évitant les coins dangereux et récupérant du bois et de l’argile pour créer des munitions pour leurs nouvelles armes.

Ils s’étaient rendu compte qu’ils pouvaient utiliser de la glace comme munition, même si cela était limité à des bouts de glace solide et non pas à de la neige compactée. Loks repéra une ancienne cave en utilisant les souvenirs de son Chef et ses Gobelins passèrent la nuit à créer d’autres arbalètes. Elle testa l’écorce des arbres kaboom en allumant un feu dehors à une bonne distance et en envoyant un Gobelin jeter de l’écorce dedans.

Quand les Gobelins se relevèrent, Loks décida qu’elle avait trouva un piège très pratique. Mais elle s’assura de bien ensevelir l’écorce sous la neige à l’extérieur de la cave.

Ils arrivèrent à l’ouverture dans le flanc de montagne le lendemain. Loks fit s’arrêter sa tribu, les ordonnant de se mettre en rangs. Elle avait désormais quatorze arbalètes sans compter la sienne, et elle avait distribué des frondes et des arcs parmi le reste.

Il était l’heure. Loks regarda la petite ouverture et sentit son cœur battre la chamade. Est-ce qu’aujourd’hui était le jour de sa mort ? Elle entra aussi prudemment que possible. Si quelque chose s’approchait d’elle, elle allait battre en retraite.

Mais elle devait gagner des niveaux. Sa tribu devait être plus forte. C’était la vérité que Loks avait découverte. Elle voulait vivre. Alors elle allait danser avec la mort jusqu’à ce qu’elle puisse véritablement vivre.

La mort ou les Niveau. La vie ou la mort. Elle dégaina son épée et pointa la petite ouverture dans les rochers. Une trentaine de mètres plus loin, et l’endroit allait changer. Après soixante mètres, ils allaient commencer à descendre. Aucun Gobelin n’était revenu après avoir descendu plus de cent mètres. C’était ce que les souvenirs lui disaient.

Les Gobelins se préparèrent, armes au clair. Loks prit une inspiration, et son souffle se coupa.

Quelque chose était en train de bouger dans les ténèbres. Les Gobelins autour d’elle se figèrent, terrifiée. Loks abaissa son épée et leva un doigt. Elle connaissait trois sorts. Celui de [Luciole] était déjà en train de se préparer dans son esprit.

Puis il apparut. De la terreur envahit les Gobelins, pure et inaltérée. Les Gobelins et Loks sentirent la peur les envahir alors que les flammes pourpres les touchèrent. La même peur que celle qu’Écorcheur avait causé.

Des bras osseux. Une carrure mince, principalement car il n’y avait pas de viande dessus. De la lumière illumina des os alors que quelque chose se précipita hors des ténèbres, courant aussi vite que possible.

La mâchoire de Loks se décrocha.

Un squelette familier chargea hors des ruines, poursuivit par une massive armure. Pour les Gobelins, l’armure était encore plus terrifiante car elle était clairement faite pour un Minotaure ou quelque chose d’encore plus grand. Il lui manquait le casque, mais l’armure enchantée luisait d’une lumière orange qui brillait à travers les trous et le cou de l’armure. Elle tenait une massive épée à deux mains et chassa Toren dans la neige.

Loks et sa tribu regardèrent Toren courir vers eux. Ils regardèrent l’armure magique, considérèrent leurs arbalètes. Ils regardèrent l’armure, puis Toren, puis chacun d’entre eux.

Ils crièrent d’un seul homme et commencèrent à courir.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 30 septembre 2020 à 14:04:30
Histoire secondaire - Rituels d’Accouplement - Première Partie
 
Traduit par EllieVia

*Avertissement. Si vous n’aimez pas les descriptions d’organes génitaux ou de sexe ou de quoi que ce soit qui s’y rapporte, ne lisez pas ce chapitre. Il s’agit d’une histoire secondaire qui n’est pas reliée chronologiquement aux chapitres actuels de l’intrigue principale.
 
“Tu n’as pas encore eu de relations sexuelles. C’est une mauvaise chose, oui ?”
 
Erin, qui était en train de lever une fourchette remplie de bœuf bouilli et de légumes vers sa bouche, se figea. Elle dévisagea Krshia, bouche-bée, puis tourna la tête vers Selys. La Drakéide grimaça et évita son regard.
 
“Hum. Okay ?”
 
Krshia se pencha par-dessus la table et dévisagea Erin avec intensité.
 
“Cela fait des semaines que nous nous connaissons. Mais tu ne t’es pas encore accouplée avec qui que ce soit. Je pense que c’est une mauvaise chose. Il faut qu’on règle la question.”
 
“Il faut, vraiment ?”
 
“Hm. Oui. C’est la raison pour laquelle Selys et moi t’avons invitée. Il s’agit d’un problème dont nous devons parler.”
 
“Ici ?”
 
Erin regarda autour d’elle. Elles étaient au restaurant. Ou plutôt, à la taverne, mais Erin aimait penser qu’il s’agissait d’un restaurant. C’était à peu près la même chose, mais on buvait d’ordinaire beaucoup plus à la taverne.
 
Toutefois, c’était une taverne Gnolle, ce qui signifiait que la plupart des clients étaient poilus. Il y avait quelques Drakéides, mais le personnel et les cuisiniers étaient des Gnolls. C’était Krshia qui avait proposé de venir ici et Erin avait joyeusement accepté.
 
Il était rare qu’Erin ait une chance de sortir de son auberge. Mais les affaires n’avaient pas été florissantes dernièrement. Selys avait un jour de congé et Krshia avait précisé que la nourriture était bonne à la taverne. Erin avait donc enfermé Toren dans l’auberge et avait rejoint les deux autres avant de venir ici. Elles avaient passé de bons moments à papoter à passer commande - du mouton saignant pour Krshia, du poisson pané pour Selys, et du bœuf bouilli pour Erin. On leur avait servi leurs plats, elles avaient commencé à manger, puis le sexe était arrivé sur le tapis.
 
Pas au sens littéral, non, mais le problème avec le fait de ne serait-ce que parler de sexe était que cela embrouillait étrangement l’esprit. Erin baissa les yeux sur son bœuf, posé dans une sauce légère à base de bouillon. Il était tendre et se découpait presque à la cuillère. Il avait l’air et sentait extrêmement bon, mais Erin était soudainement en train de visualiser des saucisses. Sans raison particulière, bien sûr.
 
C’était le truc, avec les pénis. Ils pouvaient sortir de nulle part en un claquement de doigts. Erin reposa sa cuillère et dévisagea Krshia. Puis elle se tourna vers Selys.
 
“Le sexe ? Hum. Vous voulez parler de sexe ?”
 
La Drakéide suivit son regard en mâchant son poisson ?
 
“Pas juste de sexe. De mecs. De mâles. J’étais juste curieuse donc j’en ai parlé à Krshia, et elle a dit que…”
 
“Tu n’as pas eu de relations sexuelles. Tu devrais. Selys est d’accord.”
 
Krshia hocha la tête pendant que Selys secouait vivement la sienne en agitant les mains devant le regard d’Erin.
 
“Je n’ai jamais dit qu’Erin devrait avoir des relations sexuelles. Je me suis juste dit qu’il faudrait, euh, en, discuter. C’est tout.”
 
“Oh.”
 
Erin se réadossa à sa chaise en les regardant fixement. Le sexe, c’était le sexe. Elle savait tout sur les oiseaux et les abeilles, même si vu de près ils ne ressemblaient plus à des oiseaux ou des abeilles. Elle pouvait gérer une discussion sur les parties intimes, et elle n’était certainement pas délicate mais…
 
Elle regarda autour d’elle. Elle était dans une salle presque pleine à craquer, sans exagérer, presque exclusivement de mâles. Il y avait quelques femelles, mais il y avait vraiment beaucoup de mâles maintenant qu’elle y prêtait attention. Et elle était installée à une table centrale avec ses deux amies, et elles parlaient plutôt fort.
 
“Hum. Est-ce qu’on doit en parler ici ? Je veux dire, le sexe c’est… c’est…”
 
Krshia et Selys la dévisagèrent sans comprendre. Erin rougit. Selys éclata de rire.
 
“Erin ! On veut juste parler des relations de manière générale. On ne va pas parler de, tu sais, ce qu’il s’y passe.”
 
“À moins que tu n’en aies envie.”
 
Selys et Erin dévisagèrent Krshia. Selys s’éclaircit nerveusement la gorge et regarda Erin.
 
“On ne veut pas te mettre mal à l’aise. J’étais juste curieuse de savoir si tu étais, disons... intéressée. Je me disais que tu te sentais peut-être seule, et Krshia…”
 
“Se disait que je n’avais pas assez de relations sexuelles. Je vois.3
 
Erin regarda fixement son assiette. Peut-être que si elle regardait cela, elle n’aurait pas à croiser directement le regard des deux autres.
 
“Eh bien… je n’y ai pas vraiment pensé ? J’étais occupée, avec l’auberge et tout. Et, hum, je n’ai pas vraiment pensé à me mettre en couple. Avec quelqu’un d’autre, je veux dire.”
 
Krshia fronça les sourcils.
 
“Mais tu es jeune. C’est le meilleur moment pour s’accoupler avec d’autres. Qu’est-ce qui te retient ?”
 
“Rien ! Je suis juste… ce n’est pas comme si les gens de mon âge avaient tout le temps des relations sexuelles ! Pas vrai ?”
 
Erin se tourna vers Selys. La Drakéide évita son regard.
 
“Eh bien, je ne dirais pas tout le temps, mais de temps en temps, ça peut être sympa, Erin. Et ce n’est pas comme si tu avais besoin de trouver quelqu’un en particulier. Tu pourrais juste, euh, passer une nuit particulière de temps en temps.”
 
Erin eut besoin d’un moment pour comprendre cette dernière phrase.
 
“Tu veux dire un coup d’un soir ?”
 
“Si tu veux qu’il y ait des coups, la nuit risque d’être longue. Mais quand même plaisante, peut-être ? Je pourrais essayer.”
 
Selys avala sa boisson de travers. Erin lui tapota le dos en essayant de s’empêcher de rougir.
 
“Écoutez, je ne suis pas une experte. Ça pourrait être sympa, mais ce n’est tout simplement pas quelque chose que je cherche.”
 
“Mais pourquoi ?”
 
Selys toussa et regarda Erin.
 
“Ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup d’humains dans le coin. Je veux dire, tu pourrais accrocher avec l’un de ces aventuriers ou ces marchands qui passent de temps en temps, mais il y a d’autre options, tu sais ? C’est une grande ville.”
 
“Des options ? Qu’est-ce que tu… oh.”
 
Krshia scruta intensément Erin qui regardait passer un Gnoll. Erin fixa, les yeux écarquillés, l’immense hyène poilue d’un mètre quatre-vingts et essaya de trouver une réponse.
 
“Je, euh, je…”
 
Krshia renifla Erin et fronça les sourcils.
 
“Tu as peut-être peur des Drakéides et des Gnolls ? Tu n’aimes pas les écailles ou la fourrure ?”
 
“Quoi ? Non… ça ne me gêne pas. C’est juste que… je n’ai jamais…”
 
Le visage de la Gnolle s’illumina.
 
“Oh ? Donc tu n’aurais rien contre le fait de t’accoupler avec un membre de mon espèce ? C’est bien.”
 
“Eh bien je veux dire… écoute, Krshia, je n’y ai vraiment pas réfléchi. L’accouplement, je veux dire, le sexe, je ne suis pas sûre d’être prête pour ça. Ici, je veux dire. Je, euh, je ne sais même pas par où commencer… ?”
 
“Quitter ses vêtements fonctionne bien pour commencer. Ça marche pour moi.”
 
Erin se retourna et fusilla Selys du regard. La Drakéide éclata de rire et Krshia hocha la tête.
 
“C’est peut-être de la peur, alors ? Avoir une relation sexuelle pour la première fois avec un membre qui n’est pas de son espèce, ça peut faire bizarre. Je me souviens de mon premier Drakéide. C’était étrange, mais excitant.”
 
Erin regarda Selys. La Drakéide était en train de regarder fixement Krshia.
 
“Selys. est-ce que tu as… ?”
 
Selys sursauta. Elle regarda autour d’elle d’un air paniqué, loin d’être ravie d’être sous le feu des projecteurs.
 
“Quoi, moi ? Non ! Je veux dire, je me suis juste contentée de… les Gnolls ont beaucoup de fourrure. Non pas que ce soit mal en soi, mais je me disais qu’Erin aimerait bien rencontrer l’un de mes amis.”
 
Krshia fronça les sourcils.
 
“Des Drakéides ? Non. Si ça doit être sa première fois, il vaut mieux un Gnoll.”
 
“Je ne suis pas sûre que ce soit vrai…”
 
“J’ai comparé les deux. Je préfère ceux de mon espèce.”
 
“Mais c’est ton opinion. Je pense qu’Erin devrait avoir un choix équitable, c’est tout.”
 
“Mm. Mais elle devrait savoir ce qu’elle choisit. Il y a des différences, oui ? Ce serait bien de lui expliquer.”
 
“C’est vrai…”
 
Erin dévisagea Selys et Krshia en train de discuter et se demanda si elle pouvait s’enfuir. Probablement pas. Krshia pourrait la flairer et elle se contenterait de poursuivre la conversation la prochaine fois qu’elle la verrait. À moins qu’Erin ne revienne jamais à Liscor. C’était une option.
 
Est-ce qu’il faisait particulièrement chaud dans cette taverne ? Erin regarda autour d’elle. Elle était sûre qu’il n’avait pas fait si chaud quand elle était entrée.
 
Elle vit un Gnoll assis juste en face de leur table. C’était un jeune… Gnoll, et c’était un mâle. Il était probablement venu ici pour manger tranquille, mais il était à présent aux premières loges d’une conversation qu’il voulait clairement à la fois écouter et ne pas écouter.
 
“Erin.”
 
Erin sursauta et se tourna vers Krshia. La Gnolle lui souriait.
 
“Nous pensons qu’il faut que tu apprennes les bases de nos espèces, afin que tu puisses trouver un partenaire pour coucher. Dans tous les cas, c’est toujours bon à apprendre, et tu auras ensuite beaucoup d’opportunités de t’accoupler, oui ?”
 
“Oui ?”
 
Elle avait presque failli répondre “non, pitié ne me dites rien.”. Mais une part d’elle-même avait beau être horrifiée par le fait que cette conversation prenait place en public, elle n’en demeurait pas moins curieuse. Curieuse - ça n’engageait à rien, bien sûr. Mais comme elles en étaient à parler de ce genre de choses…
 
“Donc il y a une grosse différence entre les Drakéides et les Gnolls ?”
 
“Et les humains. Nous avons beau être tous bipèdes, nous avons tous des pratiques bien différentes.”
 
Selys s’éclaircit la gorge.
 
“Ou du moins c’est ce qu’on m’a dit. Je n’ai pas vu grand-chose.”
 
“Moi si.”
 
Krshia hocha la tête.
 
“Il y a beaucoup de différences. Plaisantes, mais il est bon d’être prévenue. Si tu comptes t’accoupler, il faut que tu sois prête. Je peux te les décrire, si tu veux.”
 
Erin n’avait pas encore touché son repas, mais elle prit son verre et prit une solide lampée. C’était l’une des boissons les moins alcoolisées de la carte mais elle aurait soudain aimé que le degré d’alcool soit plus élevé.
 
“Décrire ? Quoi donc ?”
 
“Les parties mâles, bien sûr.”
 
“Oh. Hum, je vois. Eh bien, d’accord. D’ailleurs, j’ai une question à ce sujet. Est-ce que vous… enfin, vous les appelez comment ? Les parties mâles, je veux dire.”
 
Selys et Krshia échangèrent un regard et sourirent.
 
“Comment les humains appellent-ils leurs parties mâles ?”
 
Erin leur répondit. Selys fronça les sourcils.
 
“Pénis ? Vagin ? Ça a l’air tellement… tellement… beûrk. Ça ne sonne pas très bien. Mets le pénis dans le vagin ? C’est ce que vous vous dites entre humains quand vous le faites ?3
 
“Non, on ne dit pas ça. On a d’autres… mots.”
 
“Mm. Je crois que je comprends. Les mâles donnent beaucoup de noms à leur fierté, n’est-ce pas ? J’en ai entendu parler de leur épée, ou de leur lance. Même s’il s’agit d’une lance bien faible si elle n’est faite que de chair.”
 
Elle éclata d’un rire sonore, et Erin était consciente que d’autres clients écoutaient leur conversation. Selys n’avait pas l’air d’avoir remarqué.
 
“Vraiment ? J’ai entendu… euh, enfin, la plupart des Drakéides l’appellent la “deuxième queue”.”
 
Selys rougit férocement et Erin essaya de ne pas rire. Les Drakéides autour d’elles évitaient scrupuleusement de regarder dans la direction des trois femelles. Krshia ne prenait même pas la peine de contenir ses éclats de rire.
 
“C’est une bonne façon de le voir ! J’ai entendu ceux de mon espèce l’appeler leur petit croc. Très petit, dans certains cas.”
 
Erin essaya de s’en empêcher, mais elle ne pur réprimer un éclat de rire. Krshia sourit.
 
“Ils en font des tonnes avec leurs parties mâles, n’est-ce pas ? Mais Selys, à présent que nous discutons de choses et d’autres j’ai une question pour toi.”
 
“Pour moi ?”
 
La Gnolle acquiesça en mordant dans son repas sanguinolent et mâcha.
 
“J’ai entendu dire que ton peuple a non pas une, mais deux queues basses. On l’entend souvent dire, mais j’ai beau avoir vérifié, je n’en ai vue qu’une, pas deux.”
 
“Deux… ?”
 
Erin dévisagea Selys par-dessus son verre. Elle essaya d’imaginer la chose et des images vraiment étranges surgirent dans sa tête.
 
“C’est une idée reçue répandue. Les Drakéides n’en ont pas deux. C’est le peuple lézard, ça.”
 
Selys fronça les sourcils dans sa chope. Elle fouetta le sol de sa queue d’un air énervé.
 
“On ne ressemble pas à ces horreurs. On en a une. Je veux dire, je n’en ai pas mais les mecs en ont une. Et de toute façon, qu’est-ce qu’on pourrait faire de deux ?”
 
“J’ai ma petite idée.”
 
Selys regarda Krshia d’un air décontenancé pendant qu’Erin devenait rouge pivoine. La Gnolle grogna, amusée.
 
“Les jeunes. Qu’importe. Si vous ne le savez pas encore, vous le découvrirez un jour. Encore que, tu as peut-être déjà essayé… ?”
 
“Um, donc c’est comment ?”
 
Demanda Erin, essayant frénétiquement de changer de sujet. Elle regarda tour à tour Krshia et Selys.
 
“Tu dis que tu as, euh, été à la fois avec des humains, des Drakéides et des Gnolls. Il y a quelque chose qui ressort à chaque fois ?”
 
Selys s’étouffa avec son poisson et Krshia éclata de nouveau de rire.
 
“Beaucoup de choses sont ressorties, mais pas tant que ça chez les humains. C’était décevant, la seule fois où j’ai essayé.”
 
“Vraiment ?”
 
“Oui. J’avais entendu dire que les humains n’étaient pas si différents des Gnolls et des Drakéides, mais il y a une différence là-dessous.”
 
Krshia fit un geste qui aurait été immédiatement censuré à la télévision. Erin restait toutefois fascinée.
 
“Vraiment ?”
 
“Oui. Les Humains sont regrettablement petits.”
 
“Petits ?
 
La situation était en train de lui échapper. Erin s’était d’une manière ou d’une autre embourbée dans cette discussion. Elle ne l’avait pas prévu, mais ses sens de l’embarras et de la honte étaient partis randonner un moment et elle était à présent affreusement, mais définitivement intéressée par le sujet actuel.
 
“Hum, on parle de quelle taille, là ?”
 
“Cette taille environ ?”
 
Krshia écarta deux doigts. Erin fronça les sourcils.
 
“Non… ils ne sont pas si petits que ça.”
 
“En es-tu sûre ? Je les ai vus personnellement. Très petit, oui ? Difficile à repérer.”
 
“Vraiment ? C’est tellement décevant…”
 
“Non… non, ils grossissent. C’est un truc de reproduction. Dès que le mec devient, hum, excité, ça…”
 
Erin s’interrompit. Krshia souriait et Selys secouait la tête.
 
“On les a vus, crois-moi, Erin.”
 
La Gnolle acquiesça.
 
“Ah. Ils grossissent ? Alors ça explique beaucoup. Celui que j’ai vu est resté petit. Malgré tous mes efforts.”
 
“Je suppose que le type était juste… intimidé.”
 
“Effrayé.”
 
“C’est regrettable. Mais au moins, sa langue fonctionnait encore.”
 
Erin se suça les lèvres tandis que Selys se rendait soudain compte qu’elle était prête pour un autre verre. Krshia lui sourit.
 
“Alors, ils deviennent grands comment, Erin Solstice ? Assez gros pour être utiles, j’espère ?”
 
Elle était sous le feu des projecteurs, à présent. Erin rougit - enfin, encore plus qu’avant. Elle était dans un état de rougeur permanente, mais elle fit de son mieux et écarta les mains.
 
“Hum. Grands comme ça ?”
 
Selys et Krshia regardèrent les mains d’Erin. Krshia secoua la tête.
 
“...Non. Tu n’en as jamais vu un ?”
 
Erin rougit.
 
“Eh bien, ce n’est pas comme si je pouvais mesurer… c’est plus long que ça ?”
 
“Plus petit, j’espère.”, murmura Selys.
 
Elle montra à Erin un écart beaucoup plus petit avec ses mains.
 
“Ça, c’est la taille normale. Du moins, parmi la plupart des Drakéides. Non pas que je sois une experte.”
 
“Mm. Voilà ce que j’ai vu.”
 
Erin et Selys regardèrent les mains de Krshia. La moitié des habitués de l’auberge - la moitié masculine - leva furtivement les yeux par-dessus leurs chopes.
 
“Huh. Donc les Gnolls…”
 
“Ils ont le plus gros, oui.”
 
“La taille ne fait pas tout.”
 
“Est-ce que c’est ce que disent les humains ? Les Drakéides ne disent pas ça.”
 
“Les Gnolls non plus. La taille, c’est bien, oui ? Trop et c’est désagréable. Mais pas assez, ce n’est pas assez.”
 
Krshia donna un coup de coude à Erin.
 
“Tu es d’accord, oui ? Une bonne taille fait toute la différence.”
 
“Je, euh…”
 
Embarrassée, Erin but une longue gorgée. C’était bien, l’alcool. Si elle en buvait suffisamment, il faisait disparaître son embarras. Mais Krshia avait probablement commandé un tonneau, parce qu’elle était toujours en train d’exposer les vertus d’un pénis convenable.
 
“Mm. Les meilleurs sont épais. Durs, forts…”
 
“Couverts de piquants.”
 
Soupira joyeusement Selys. Krshia et Erin la dévisagèrent. Le verre d’Erin était solidement arrimé à sa bouche, mais elle n’avait plus du tout soif.
 
“Couvert de piquants ?”
 
Elle se tourna vers Krshia. La Gnolle grimaça.
 
“Ce ne sont pas des épines. Mais plus des espèces de… crêtes ? Des zones de chair dure. Ce n’est pas mal. Plaisant, au bout d’un moment.”
 
“Ah. Je vois.”
 
Le silence s’abattit sur la tablée pendant quelques secondes. Le serveur Gnoll en profita pour se précipiter vers elles, apporter les boissons et remplir de nouveau les verres, et prendre ses jambes à son cou. Erin regarda son assiette. Elle l’avait entamée, même si elle ne s’en souvenait plus.
 
Au bout d’un moment, Selys se pencha en avant et baissa la voix.
 
“Ça me rappelle que je voulais te poser une question, Erin. J’ai un pari avec une amie à moi. Elle dit que les humains le font mais je ne l’ai jamais crue…”
 
Un millier d’images surgirent dans l’esprit d’Erin, un millier de liens internet sur lesquels elle regrettait d’avoir cliqué (et quelques-uns qu’elle ne regrettait pas). Elle se prépara à tout en voyant Selys hésiter. La Drakéide finit par poser sa question.
 
“Est-ce que les humains le mettent vraiment… dans leur bouche ?”
 
Erin dévisagea Selys. La Drakéide était mortellement sérieuse. Erin regarda autour d’elle. Une demi-douzaine de mâles baissa instantanément la tête. La demi-douzaine restante fut trop lente et fit semblant d’être en train de commander des boissons.
 
“Hum. Oui ?”
 
“Non.”
 
Krshia et Selys regardèrent toutes les deux Erin d’un air sceptique. La fille haussa les épaules, mal à l’aise.
 
“Quoi ? Oui, on… enfin je veux dire, les humains font ça. Pas moi, mais ça arrive.”
 
“Erin. C’est vraiment dégoûtant.”
 
“Mm. C’est inhabituel. Mais peut-être pas tant que ça ?”
 
Krshia contempla Selys d’un air songeur.
 
“Quoi ? Mais Krshia, réfléchis-y juste. Un de ces trucs ? Dans ta bouche ?”
 
“Oui, mais j’ai entendu dire que les Drakéides sont doués de leur langue. Je me trompe ?”
 
Le regard d’Erin se retrouva soudain irrémédiablement attiré par la bouche de Selys. Elle darda involontairement sa longue langue en couvrant sa bouche d’une main.
 
“C’est différent ! Et je n’ai certainement jamais… mais la bouche ? Vous le mangez ?”
 
Krshia fit la moue.
 
“Ce serait dégoûtant, oui ? Ce n’est sûrement pas…”
 
La Drakéide et la Gnolle s’interrompirent en voyant l’expression d’Erin. Elle regarda fixement un mur et ne répondit pas. Au bout d’un moment, Selys s’éclaircit la gorge et changea de sujet.
 
“Je ne comprends juste pas. C’est bizarre.”
 
“Oh, pitié. Vous dites que les Gnolls et les Drakéides ne le font jamais ?”
 
“Non.”
 
“Non.”
 
Erin regarda tour à tour Krshia et Selys.
 
“Pourquoi ? Je veux dire, je ne dis pas que ce soit génial mais…”
 
“Je pense que ce serait difficile de convaincre un mâle de mettre quoi que ce soit dans la bouche d’une Gnolle s’il n’était pas prêt à le perdre. Ce serait au mieux risqué.”
 
Krshia dénuda ses dents et Erin comprit son argument. Erin avait des canines. Quatre, pour être précise. La bouche de Krshia était remplie de canines, et tranchantes avec ça. Ses véritables canines étaient très prononcées, ce qui faisait penser Erin à un chien. Et les hyènes étaient des chiens, si ses souvenirs de biologie étaient bons. Moitié chien, moitié chat, quelque chose comme ça.
 
Selys avait aussi des dents pointues, et Erin se demanda à quel point elles étaient tranchantes. Elle avait vu Selys mordre dans son bœuf sans effort. Là où Erin devait mâcher consciencieusement les morceaux de nerfs occasionnels, Krshia et Selys avaient dévoré aisément la totalité de leur repas.
 
“Je vois ce que tu veux dire. Hum. J’imagine que c’est juste un truc d’humains alors. Et ça marche aussi dans l’autre sens, vous savez.”
 
“Dans l’autre sens ? Oh, tu veux dire quand le mec utilise sa langue. Ça arrive aussi chez nous.3
 
Krshia acquiesça.
 
“Ils le font tout le temps. C’est un préliminaire important.”
 
“Duh.”
 
“Les longues langues. C’est très bon.”
 
Erin frissonna. Elle avait la chair de poule et la conversation devenait de plus en plus embarrassante.
 
“Je, euh, okay. C’est beaucoup d’informations. Donc… donc il y a de grosses différences.”
 
“Pas si grosses que ça. La plupart des parties sont globalement les mêmes. Ce sont juste les détails qui changent.”
 
“En effet. Mais su tu devais coucher avec quelqu’un, je suis sûre que tu aimerais beaucoup dans tous les cas.”
 
La conversation était soudain revenue sur sa vie sexuelle. Ce qui n’était pas un sujet qu’Erin avait trop envie d’aborder. Elle leva les mains, sur la défensive.
 
“Écoutez, j’apprécie que vous vous inquiétiez pour moi, mais je ne connais vraiment personne en ville. Je veux dire, okay, je connais quelques personnes, mais ce n’est pas comme si j’étais désespérée ou quoi que ce soit. Je veux dire, à qui est-ce que j’irais… ?”
 
Erin s’interrompit.
 
“Est-ce que vous êtes en train de dire que je devrais, hum, sortir avec quelqu’un que je connais ? Comme Relc ?”
 
Krshia haussa les épaules, mais Selys secoua la tête avec véhémence.
 
“Quoi ? Bien sûr que non. Je veux dire, sauf si tu en as envie. Et tu pourrais faire beaucoup mieux que Relc. Je veux dire, tu l’as bien regardé ?”
 
“Qu’est-ce qui ne va pas chez lui ?”
 
Selys regarda Krshia, mais la Gnolle avait l’air décontenancée aussi. Elle soupira et essaya d’expliquer.
 
“Relc ? Oh, c’est un soldat, Erin. Il l’est toujours, même s’il est à la retraite. Il peut valoir le coup pour une nuit, mais après, il courra derrière la queue de quelqu’un d’autre. Et de plus, il est, tu sais...3
 
La queue de Selys fouetta le sol et elle regarda autour d’elle avant de baisser la voix.
 
“Un peu moche, tu vois ?”
 
“Vraiment ?”
 
“Tu n’as pas vu sa tête ? Son profil et sa mâchoire ne vont juste pas ensemble. Et ses écailles…”
 
Selys jeta un œil à son audience et se rendit compte qu’elle l’avait perdue.
 
“Eh bien, fais-moi confiance, il n’est pas très beau. Bon, si tu parlais d’Olesm, là je pourrais comprendre. Il est plutôt beau gosse.”
 
“Vraiment ? Je veux dire, oui. Donc tu dis que…”
 
“Eh bien, par exemple. Mais il y a beaucoup de compétition pour l’avoir.”
 
“Ah bon ?”
 
Selys hocha la tête, d’un air sérieux.
 
“C’est un [Tacticien], il est intelligent, et il a de belles perspectives d’avenir. Je connais beaucoup de gens qui sont intéressés.”
 
“Hrr. Il est acceptable, j’imagine. Si Erin était intéressée par lui. Est-ce que c’est le cas ?”
 
“Je n’y avais pas réfléchi. Jamais.”
 
“Eh bien, y a-t-il quelqu’un qui t’intéresse ?”
 
Erin réfléchit. Elle ne connaissait qu’une poignée d’autres mâles.
 
“Hum, eh bien, il y a Pion.”
 
La Gnolle et la Drakéide la dévisagèrent toutes les deux. Elles échangèrent des regards de connaisseuses.
 
“Oh.”
 
“Je vois.”
 
“Je ne voulais pas dire ça. Je veux dire, c’est un autre mec. Il ne m’intéresse pas. Du tout.”
 
“C’est bien. Je ne connais personne qui voudrait s’accoupler avec un Antinium.”
 
“Je ne suis pas certaine qu’ils puissent avoir des relations sexuelles, pour être honnête. Ils ont l’air d’avoir l’entrejambe plutôt… lisse.”
 
“Oui. Et ce sont des insectes.”
 
“Oui.”
 
“Bien sûr.”
 
“Et je ne suis pas intéressée par les insectes.”
 
“Oh, je le savais.”
 
“De toute évidence.”
 
Erin plissa les yeux pour dévisager ses deux amies. Selys s’éclaircit la gorge.
 
“Bon, il y aurait qui d’autre ?”
 
“... Pisces ?”
 
“Non !”
Krshia et Selys parurent soulagées.
 
“Eh bien, si tu ne connais personne avec qui tu souhaites t’accoupler, cela pourrait être bien d’en trouver un, oui ? Et nous pouvons aider. Nous pouvons te dire ceux qui sont doués en sexe et ceux qui sont déficients.”
 
Selys acquiesça.
 
“Je ne veux pas juger, mais c’est plutôt important. Mes amies disent toutes que la satisfaction dépend de ça. J’ai entendu dire que certains de leurs compagnons de queue sont… eh bien, je ne veux pas donner de noms, mais certains ont l’air de ne presque pas tenir du tout.”
 
Krshia hocha la tête d’un air sérieux en fronçant les sourcils.
 
“J’ai eu les mêmes expériences. Beaucoup de nuits insatisfaisantes parce qu’il n’arrivait pas à durer. C’est une chose frustrante.”
 
“Vraiment ? Combien de temps cela peut durer - ou ne pas durer - pour toi, Krshia ?”
 
La Gnolle étudia la question.
 
“Hum. Pas longtemps, je dirais… quinze minutes ? Le bon sexe dure d’ordinaire encore une demi-heure ou plus, oui ? D’ordinaire plus proche d’une heure, mais il n’y a pas toujours assez de temps donc…”
 
Elle leva les yeux et vit Erin et Selys qui la dévisageaient.
 
“Quoi ? C’est la fin qui prend le plus de temps, oui ?”
 
“La fin ?”
 
“Le nouage.”
 
“Le quoi ?”
 
Erin pensait se souvenir de l’accouplement chez les chiens. Mais si les Gnolls… ses yeux vinrent se poser sur Selys et les deux femmes partagèrent un moment d’intérêt partagé et d’horreur. Selys regarda Erin.
 
“Une demi-heure. Est-ce que les humains… ?”
 
“Je ne crois pas. Hum. Probablement pas. La vidéo la plus longue que j’aie regardé durait…”
 
Erin essaya de ravaler les mots qu’elle venait de prononcer avant de se souvenir de l’identité de son audience.
 
“... Non. Je pense que la moyenne est autour des cinq minutes ?”
 
“Cinq ?”
 
“Je veux dire, ils peuvent durer plus longtemps. Pourquoi ?”
 
“D’habitude, je… je veux dire, les Drakéides le font pendant environ dix minutes. Au moins.”
 
“Dis minutes. Wow. C’est plutôt impressionnant.”
 
“C’est sympa. J’aimerais bien qu’ils restent un peu plus longtemps après, mais tu connais les mâles. Quand ils ont fini, ils ont fini.”
 
“Mm. C’est agréable de rester enlacés après, oui ?”
 
Erin pouvait comprendre cela. Ou plutôt, elle pouvait imaginer Krshia et un Gnoll faire des câlins de chiens, ou même s’enlacer comme des humains. Mais lorsqu’elle regardait Selys et pensait à deux Drakéides… le plus intime qu’ils pouvaient espérer était de se frotter avec leurs écailles. Cela n’avait pas l’air agréable. Un peu comme frotter deux morceaux de papier de verre entre eux ?
 
“Eh bien, je peux voir que vous sortez beaucoup, toutes les deux.”
 
“Pas tant que ça. Je ne suis pas… on disait juste… Une fois par mois.”
 
“Ou une fois par semaine.”
 
“Je n’ai trouvé personne de bon dernièrement donc c’est plutôt calme.”
 
“J’ai eu une relation sexuelle hier. C’était plaisant, oui ?”
 
Erin et Selys regardèrent fixement Krshia. La Gnolle haussa les épaules.
 
“Tu es vraiment… ouverte sur ce genre de sujet, Krshia.”
 
Krshia sourit.
 
“Mon peuple, nous avons de très bons nez, oui ? Cela ne sert à rien de se cacher ce genre de chose donc nous n’avons pas besoin de modestie. Et de plus, sentir est une bonne chose. Cela nous en apprend beaucoup.”
 
“Oh ? Comme quoi ?”
 
“Comme lorsque nous sommes en œstrus. Ah… cela veut dire être dans notre période d’accouplement. Alors les mâles viennent nous voir. Et nous savons aussi lorsque nous sommes enceintes. C’est une bonne chose à savoir.”
 
“Oui. Oh, oui ! La grossesse ! Comment vous gérez ça ?”
 
“Qu’est-ce que tu veux dire, Erin ?”
 
“Eh bien, hum, vous avez des relations sexuelles, non ? Et si vous tombez enceintes ?”
 
Il n’y avait de toute évidence pas de préservatifs dans le coin, et Erin était à peu près certaine qu’il ne devait pas y avoir beaucoup de mages spécialisés sur le contrôle des naissances. À moins qu’il n’existe une classe de [Gynécolomancien] ou autre.”
 
Krshia inclina la tête et regarda Erin.
 
“C’est un problème facile à régler. Il y a un thé que nous pouvons préparer pour empêcher ce genre de choses.”
 
“Oh.”
 
Erin se sentit bête. Krshia hocha la tête d’un air sage.
 
“Mm. C’est un bon thé. Savoureux. Je t’en ai donné la dernière fois que tu es venue chez moi, tu ne t’en souviens pas ? Tu as eu l’air de l’apprécier.”
 
“Vraiment ? Vraiment. Bien sûr. Et je l’ai bu. Ce qui ne pose aucun problème.”
 
“Oui, c’est bien. Je te donnerai quelques herbes à infuser chez toi. Non pas que tu aurais besoin de t’en occuper si tu faisais cela avec un Gnoll.”
 
“C’est bien, en effet. Je, euh, ne voudrais pas avoir une portée. Ou pondre un œuf.”
 
“On ne pond pas d’œufs ! Là encore, tu penses aux lézards !”
 
“Vous ne pondes pas d’œufs ? Vraiment ?”
 
Erin dévisagea Selys. La Drakéide grinça furieusement.
 
“Non ! Nous sommes des Drakéides, pas des lézards !”
 
Ce qui signifiait qu’ils étaient des mammifères, si Erin se souvenait bien de ses cours de biologie.
 
“Oh, désolée, Selys. C’est juste, tu sais, je pensais que les Drakéides étaient comme les Dragons et que…”
 
“Nous ne pondons pas d’œufs. Nous sommes des descendants des Dragons, mais juste pour certains aspects. Nous ne pondons pas d’œufs, nous n’hibernons pas. Nous. Ne. Sommes. Pas. Des. Lézards.”
 
La queue de Selys fouetta furieusement le sol et elle darda sa langue en fusillant Erin et Krshia du regard. Ces dernières échangèrent des regards en silence, mais ne dirent rien. Selys prit une longue gorgée apaisante dans son verre pour se calmer.
 
“Donc, quand est-ce que tu voudrais avoir une relation sexuelle ?”
 
Erin cracha la majeure partie de sa boisson sur le sol, mais elle aspergea plutôt largement Selys.
 
“Oh, c’est dégoûtant, Erin !”
 
“Selys !”
 
“C’est juste une question. Et ce n’est pas comme s’il fallait que tu ailles tripoter le premier mec que tu verras. Mais on pourrait te présenter quelqu’un de sympa, tu vois ?”
 
“Non. Je ne vois pas. Et je ne vais pas… je suis beaucoup trop occupée pour…”
 
“Cela ne prendrait qu’un moment, oui ? Nous pourrions partir et tu pourrais rencontrer plusieurs jeunes de ma connaissance. Je suis sûre qu’ils seraient ravis d’apprendre ton odeur.”
 
Erin se leva, inquiète.
 
“Écoutez, c’était symp… j’ai bien aimé discut… je dois y aller.”
 
Elle se détourna, et s’enfuit. Selys et Krshia a regardèrent s’empresser de quitter la taverne. La Drakéide attrapa une serviette et se mit à s’essuyer le visage.
 
“Je pense que c’est l’idée de se faire sentir qui l’a achevée. Les humains ne se reniflent pas, d’ordinaire.”
 
“Mm. Ils devraient le faire plus souvent. C’est une bonne chose de connaître l’odeur de ton partenaire.”
 
“Eh bien, Erin ne va rien sentir de sitôt si c’est comme ça qu’elle réagit quand on lui propose de rencontrer d’autres mecs.”
 
“C’est vrai.”
 
Les deux se turent, et se regardèrent par-dessus la table. Au bout d’un moment, Selys reprit la parole.
 
“Quinze pièces de cuivre qu’elle prend un Drakéide d’abord.”
 
“Hrm. C’est d’accord. Mais tu perdras ton pari. J’ai un bon jeune à proposer à Erin.”
 
“Et je connais un mec. Plusieurs mecs, d’ailleurs.”
 
“Eh bien, nous verrons qui elle choisit.”
 
Le silence retomba. Selys picora dans son assiette. Elle n’avait plus vraiment faim. Se faire recouvrir de bave avait tendance à faire ça même au dîneur le plus affamé.
 
“... Donc. Une demi-heure ? Vraiment ?”
 
Krshia sourit à Selys et brisa l’os qu’elle tenait entre ses pattes. Elle se mit à lécher la moelle.
 
“Tu veux vérifier ?”
 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 30 septembre 2020 à 14:07:33

Histoire secondaire - Rituels d’Accouplement - Deuxième Partie
 
Traduit par EllieVia

*Avertissement. Ceci est la suite du chapitre Rituel d'Accouplement. Si vous n’aimez pas les descriptions d’organes génitaux ou de sexe ou de quoi que ce soit qui s’y rapporte, ne lisez pas ce chapitre. Il s’agit d’une histoire secondaire qui n’est pas reliée chronologiquement aux chapitres actuels de l’intrigue principale.
 





***



Le premier prétendant d’Erin vint frapper à sa porte le lendemain. Elle ouvrit la porte et se retrouva nez à truffe avec un Gnoll qui lui souriait de toutes ses dents en lui tendant un bouquet d’étranges fleurs orange odorantes. Elle le reconnut. C’était Tkrn, l’un des gardes de la ville.
 
Elle était tentée de lui claquer la porte au nez. Mais Erin se contenta de sourire.
 
“Hum, salut. Tu es Tkrn, c’est bien ça ? Comment puis-je, euh, t’aider ?”
 
Tkrn, le Gnoll amical qu’Erin aurait aimé un peu moins amical en ce moment précis, lui adressa un large sourire.
 
“Je suis venu t’offrir un présent, Erin Solstice.”
 
Il tendit le bouquet. Erin eut un mouvement de recul lorsque Tkrn lui colla les herbes malodorantes sous le nez. Erin toussa.
 
“Qu’est-ce que… c’est ?”
 
Tkrn parut décontenancé. Il agita les fleurs et Erin s’efforça de ne pas s’évanouir.
 
“Ce sont des fleurs. Les humaines aiment les fleurs, oui ? J’en ai choisi de particulièrement odorantes pour toi.”
“Et pourquoi veux-tu me les donner ?”
 
“J’ai entendu dire que tu cherches un partenaire d’accouplement. Je suis venu te faire la cour. Pour ce faire, il me faut des fleurs. C’est bien ainsi que font les humains, non ?”
 
À ce stade, ce ne fut pas son [Instinct de Survie] qui se déclencha, mais l’instinct naturel d’Erin qui se mit à tambouriner contre son crâne. Elle dévisagea Tkrn et se demanda si elle pouvait se contenter de fermer la porte. Non. Ce serait probablement malpoli.
 
Elle restait tout de même tentée. Erin jeta un œil aux fleurs.
 
Elles puaient. Elles lui faisaient penser aux cornouillers, les arbres de son quartier qui puaient le poisson pourri tous les printemps. Elle poussa le cadeau de Tkrn sur le côté et toussa deux fois.
 
“Non merci. Je ne veux pas… je veux dire, les humains ne se donnent pas tant de fleurs que ça. Plus vraiment. Je crois. Les fleurs, c’est sympa. Celles-ci sont… odorantes. Mais qu’est-ce que je pourrais bien en faire ?”
 
“Les manger ?”
 
“Les humaines ne mangent pas les fleurs.”
 
“Ah bon ?”
 
Tkrn contempla ses fleurs et se gratta la tête. Puis il les jeta sur le côté.
 
“Eh bien, j’ai d’autres cadeaux ! Regarde !”
 
Il plongea la main dans un sac à bandoulière et tendit un anneau à Erin. Elle le regarda fixement.
 
“C’est un anneau.”
 
“Oui ! Les humains prennent ça avant de s’accoupler, oui ?”
 
Erin contempla l’anneau. Il n’était même pas serti d’une pierre précieuse. C’était un joli anneau. Un anneau de bois gravé qu’on pourrait acheter comme souvenir. Elle savait qu’elle ne devrait pas en vouloir à Tkrn, mais elle se sentait insultée qu’il soit aussi bon marché.
 
Elle fusilla Tkrn du regard.
 
“C’est Krshia qui t’envoie, pas vrai ?”
 
Il écarquilla les yeux, puis tenta d’adopter une expression innocente peu convaincante.
 
“Non, je suis venu de mon plein gré.”
 
“Vraiment ?”
 
“Vraiment. Krshia a peut-être mentionné le fait que tu cherchais des partenaires…”
 
“Je ne cherche pas de partenaire.”, répondit Erin du tac au tac.
 
Tkrn parut déçu.
 
“Tu es sûre ?”
 
“J’en suis sûre. Relativement sûre. Très sûre. Bref dans tous les cas, je n’ai pas de fourrure ni… ni d’autres attributs Gnolls. Je dois être probablement hideuse pour toi, non ?”
 
Il lui sourit de nouveau. Erin fut saisie par son étalage de dents acérées. Oui, elle voyait définitivement pourquoi le sexe oral n’était que dans un seul sens dans la culture Gnolle.
 
“Je suis attiré par les trucs charnus.”
 
Là, c’était une phrase à donner la chair de poule à Erin, et elle n’était pas sûre que ce soit dans le bon sens du terme. Mais c’était résolument terrifiant dans tous les cas.
 
Tkrn sourit à Erin.
 
“Tu as de très belles dents. Et tes hanches… sont larges. Très fertile, oui ?”
 
“Non… je…”
 
“Si tu acceptes mes cadeaux, je m’accouplerais bien avec toi. Ou si tu préfères, nous pouvons apprendre à nous connaître.”
 
“Apprendre à se connaître ? Comment ? Je veux dire, je ne suis pas intéressée mais… que font les Gnolls lors de leur premier, euh, rendez-vous ?”
 
Le visage du Gnoll s’éclaira et son sourire s’élargit.
 
“On pourrait apprendre nos odeurs respectives. Je pourrais te sentir.”
 
“Me sentir ? Hum…”
 
L’esprit d’Erin s’envola au-devant de la conversation. Elle pensa au chiens et l’endroit qu’ils reniflaient quand ils se croisaient.
 
“Oh non. Bordel, non.”
 
“Non ?”
 
Tkrn parut désorienté, et blessé. Erin leva les mains.
 
“Non. Méchant… méchant Gnoll. Je ne suis pas intéressée. Va-t’en.”
 
“Tu es sûre ? Je pourrais te lécher, aussi. Ou… je pourrais tuer quelque chose et te l’apporter !”
 
“Non.”
 
“Et te peigner ? Je pourrais brosser tes poils. Vous n’en avez pas beaucoup, vous les humains, mais j’ai entendu dire qu’il y en avait plus sous vos vêtements. Si tu…”
 
“Non ! Pas de brossage, pas de renfilage, pas de léchage, et pas de tuage ! Va-t’en !”
 
“Mais je n’ai même pas…”
 
“Non ! Ouste !”
 
Erin agita les mains devant Tkrn, sa patience à bout. Il eut l’air blessé, mais elle pointa la ville du doigt.
 
“Rentre en ville ! Et dis à Krshia que je n’ai pas envie d’un partenaire ! Je veux dire d’un petit ami ! Va-t’en ! Je suis sérieuse !”
 
Tkrn dévisagea Erin. Lorsqu’il vit qu’elle n’allait pas changer d’avis, son visage se décomposa, et ses oreilles s’affaissèrent. Il ressemblait tellement à un chien penaud qu’Erin dut retenir la pulsion incontrôlable de tendre la main pour le gratter derrière les oreilles. Elle s’en abstint. Cela pourrait mener à des caresses, et il y avait caresses et… caresses. Elle n’allait pas entretenir l’idée des unes ou des autres pour le moment.
 
“Je comprends. Je suis désolé de t’avoir fait perdre ton temps.”
 
“Hum, d’accord. Merci ?”
 
Erin ferma la porte, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Pourquoi avait-elle dit “merci” ? C’était mieux que de dire désolée, au moins. Aucun bruit de lui parvint de derrière la porte pendant quelques secondes, puis Tkrn s’éloigna.
 
Bon, au moins il n’allait pas rester hurler à la lune derrière sa fenêtre. C’était probablement raciste de penser ça, mais Erin n’en avait cure. Elle allait cogner Krshia…
 
Erin songea à Krshia. La Gnolle ressemblait à un joueur de basket sous stéroïdes recouvert d’un tapis. Elle allait crier sur Krshia, poliment, et à distance.
 
En revanche, au moins, Tkrn n’avait pas insisté. Non voulait dire non même en ce monde, ce qui était bien. Très bien.
 
Erin soupira et se tourna pour retourner presser des fruits bleus. Mais elle s’arrêta. Est-ce qu’il y avait quelque chose, dehors… ?
 
Le léger bruit d’éclaboussures fut un premier indice, mais l’odeur confirma rapidement sa théorie. Erin ouvrit la porte.
 
Tkrn redressa la tête. Il était face au mur, à quelques pas de la porte. Le regard d’Erin fut attiré par son entrejambe, mais une autre question, plus urgente, franchit ses lèvres.
 
“Est-ce que tu es en train de… pisser sur ma porte ?”
 
***

Le deuxième prétendant était suave et beau parleur, un homme à femmes, mais c’était un Drakéide. Il s’appelait Culyss et Erin l’aimait bien même si elle ne l’aimait pas.
 
Il vint à sa porte avec un petit cadeau - un collier avec un pendentif en métal martelé en forme d’un pion, en plus - et la charma avec quelques plaisanteries. En quelques instants, il l’avait invitée à l’inviter et ils étaient assis dans l’auberge à discuter.
 
Au bout d’un moment, elle avait dû lui poser des questions sur sa queue. Erin n’avait pas pu s’en empêcher. C’était une queue, et au contraire des queues poilues des Gnolls auxquelles elle était habituée, les queues des Drakéides étaient longues et flexibles.
 
“Ma queue ?”
 
Culyss parut surpris par la question, et encore plus lorsqu’Erin demanda si elle pouvait la toucher. Elle était curieuse de savoir à quoi ça ressemblait. Il écarquilla les yeux un moment, mais accepta plus facilement qu’elle ne s’y serait attendue.
 
C’est ainsi qu’elle se retrouva assise à une table avec Culyss dos à elle, à lui caresser la queue, la tâter, et la sentir onduler sous ses mains.
 
C’était fascinant, pour Erin, en particulier parce que la queue s’avéra être assez musclée malgré le fait que ce ne soit qu’un appendice que les Drakéides traînaient derrière eux pour garder l’équilibre. Elle pouvait se plier, se tordre, et même manipuler des objets si un Drakéide s’y mettait sérieusement.
 
Et elle avait des os. Erin appuya sur la queue et Culyss émit un son étrange.
 
“Doucement. Doucement…  Ah…”
 
“Oups, désolée. Je t’ai fait mal ?”
 
Erin leva les yeux, inquiète, mais Culyss avait le regard perdu dans les airs. Il secoua la tête avec véhémence.
 
“Non… non. Je t’en prie, continue.”
 
Elle s’exécuta. Les écailles étaient rigolotes au toucher, et Culyss ne cessait de s’agiter à chaque fois qu’elle caressait la queue. C’était comme avoir un étrange serpent domestique sur les genoux et Erin fut fascinée lorsqu’il enroula l’extrémité de sa queue autour de sa main.
 
Elle finit par s’ennuyer et Culyss cessa de gémir. Il se leva avec précipitation de sa chaise lorsqu’elle lui lâcha la queue.
 
“Merci de m’avoir laissée faire ça.”
 
“Quoi ? Oh, non.”
 
Il secoua la tête.
 
“Merci à toi. Je, euh, je, euh, devrais y aller.”
 
“Quoi, déjà ?”
 
Erin était déçue, mais Culyss avait l’air de vraiment vouloir partir. Il couvrait également son entrejambe avec sa queue.
 
“Je reviendrai. Plus tard. J’aimerais beaucoup approfondir notre relation.”
 
Ils en avaient une ? Mais Culyss n’était pas Tkrn et il était bien assez sympathique. Il lui dit au revoir à la porte en lui souriant d’un air chaleureux.
 
“Je suis vraiment ravi de t’avoir rencontrée.”
 
Erin cilla.
 
“Hum. D’accord ?”


***

Il fallut environ deux heures pour qu’Erin comprenne ce qui venait de se passer. Le premier indice lui vint lorsqu’elle se demanda ce qu’un jeune mâle vigoureux pouvait avoir besoin de cacher, puis le deuxième indice lui vint lorsqu’elle se demanda si les queues des Drakéides étaient sensibles. Le troisième indice lui vint lorsque Selys défonça presque sa porte d’un coup de pied.
 
“Tu lui as caressé la queue ? Erin ! Ce n’était que votre premier rendez-vous “
 
“Je ne savais pas ! Je ne savais pas !”
 
Des cris s’ensuivirent. Lorsque Selys demanda à Erin si elle avait aimé, au moins, Erin lui jeta une chaise dessus. Mais c’était surtout pour cacher le fait qu’elle était rouge pivoine.
 
***


Après le départ de Selys, Erin enfouit son visage entre ses mains, courut dans l’auberge jusqu’à ce qu’elle trébuche sur une chaise, puis se roula en boule dans un coin et essaya de faire comme si la dernière heure n’avait jamais eu lieu.
 
Il s’écoula dix minutes, ou peut-être une heure. Erin fut tirée de sa rêverie par un coup de doigt acéré dans le flanc. Elle glapit.
 
Loks poussa Erin jusqu’à ce qu’elle se déplie de sa boule et la fusille du regard.
 
“Quoi ?”
 
Loks pointa l’une des tables du doigt et la regarda d’un œil noir.
 
“Oh, c’est vrai, aujourd’hui c’est le jour des échecs, c’est ça ?”
 
Erin s’assit. Son visage était encore rouge, et elle avait envie d’enterrer sa tête dans le sol. Mais les échecs restaient les échecs, et au moins, elle pourrait oublier en jouant.
 
C’est ainsi qu’elle se retrouva à jouer contre Loks, en lui expliquant toute la désolante affaire tandis que la petite Gobeline réfléchissait douloureusement à chacun de ses coups.
 
“Ce n’était pas comme ça quand j’étais plus jeune. Je veux dire, la plupart des mecs que j’ai rencontrés en-dehors de l’école étaient dans des clubs d’échecs ou dans des tournois.”
 
Loks leva les yeux sur Erin qui était en train de lui prendre son fou. La Gobeline fronça les sourcils, ce qu’Erin prit comme une invitation à poursuivre la conversation.
 
“Parfois, ils regardaient mes seins, mais c’étaient le genre de gars qui perdaient toujours. Je me suis toujours bien entendue avec ceux qui étaient sérieux. Les échecs sont les échecs, tu vois ? Ils me draguaient beaucoup, mais je n’étais pas intéressée.”
 
Erin hésita. Elle devait être honnête.
 
“... Pas trop.”
 
Son adversaire baissa les yeux sur l’échiquier. Elle était en échec et mat. Loks émit un bruit de dégoût et se mit à replacer les pions.
 
“Oh, c’est sûr, il y avait quelques mecs que j’aimais bien. Mais si je me mettais à sortir avec eux, tout se mettait à tourner autour de si j’étais meilleure qu’eux. Si une fille était meilleure qu’eux… ”
 
Erin soupira d’un air découragé. Il y avait beaucoup moins de choix à partir de 2000 Elo, qu’importe le genre. Et elle n’était pas intéressée par les hommes plus vieux qu’elle.
 
“J’ai toujours un peu pensé que je rencontrerais un mec cool lors d’un tournoi d’échecs un jour, ou à l’université. Je n’ai jamais vraiment rencontré qui que ce soit de très excitant ailleurs.”
 
Sauf en ligne. Erin se souvenait vivement de mysterio_Gamer12, avec qui elle avait eu une relation en ligne. Ils s’étaient rencontrés en jouant aux échecs et elle avait été persuadée que c’était un beau gosse.
 
… jusqu’à ce qu’elle découvre que mysterio était en réalité une polonaise qui pensait qu’Erin était un garçon.
 
“Ça avait été un Skype bourré de malaise.”
 
Loks regardait l’échiquier d’un œil noir. Ce n’étaient pas tant les remarques niaises d’Erin qui embêtaient la Gobeline que le fait que même en bavardant, Erin pouvait traiter son adversaire comme une vulgaire serpillière.
 
Erin soupira, découragée, en prenant un autre pion de Loks pour l’ajouter à sa collection grandissante.
 
“Tout es tellement… tellement sexuel, ici. Je veux dire, ouvertement sexuel. Tout est dévoilé en plein jour. Certains Gnolls ne portent même pas de pantalon, juste des pagnes.”
 
Elle déplaça un autre pion et Loks faillit renverser rageusement l’échiquier.
 
“Et maintenant Culyss… je ne savais pas que les Drakéides exprimaient leur, hum, affection en se caressant la queue. Selys disait qu’il aurait beaucoup aimé me montrer des trucs avec sa queue. Et Krshia a dit que Tkrn était juste en train de marquer mon auberge pour que les autres Gnolls sachent qu’il me faisait la cour. Est-ce que… est-ce que ça veut dire qu’à chaque fois qu’un Gnoll décidera qu’il m’aime bien il se mettra juste à pisser sur mes murs ?”
 
Loks prit la reine d’Erin. Erin mit son roi en échec. La Gobeline leva les bras au ciel et poussa un cri perçant.
 
“C’est le jeu.”
 
Erin regarda Loks commencer à replacer violemment les pions sur l’échiquier.
 
“Tu n’as pas besoin de t’occuper de ce genre de choses, pas vrai ?”
 
Loks leva un regard méfiant sur Erin.
 
“Le sexe, je veux dire.”
 
Elle n’eut qu’un regard vide en retour. Erin comprit enfin que Loks ne savait peut-être pas de quoi elle parlait.
 
“Tu sais. La manière dont on fait les bébés ? Tu sais comment ça marche, pas vrai ?”
 
Loks secoua lentement la tête. Erin hésita. Maintenant qu’elle y réfléchissait, quel âge avait Loks ? Avait-elle l’âge de savoir pour les oiseaux et les abeilles ? Mais est-ce que les Gobelins discutaient vraiment de ce genre de choses ?”
 
Elle devrait peut-être le mentionner. Après tout, Loks était la cheftaine de sa tribu Gobeline. Ce qui voulait dire qu’elle devait recevoir quelques avances.
 
“Hum. D’accord. Wow. Comment est-ce que je pourrais expliquer ça ?”
 
Erin joua une autre partie contre Loks à qui elle essaya d’expliquer comment fonctionnait le sexe. Au milieu de la partie, Loks leva les yeux, lâcha son pion, et dévisagea Erin.
 
“C’est vrai. C’est comme ça que ça marche. Et après un bébé arrive neuf mois plus tard. Chez les humains, en tout cas.”
 
La Gobeline recula, la bouche ouverte, frappée d’horreur.
 
“Eh bien, ce n’est pas comme si tu avais besoin de faire ça. Écoute, c’est parfaitement naturel !”
 
Erin leva la main mais la Gobeline secoua la tête. Elle tituba vers une chaise puis se détourna et se précipita vers la porte.
 
“Tu peux utiliser une protection ! Je veux dire…”
 
C’était trop tard, la Gobeline était déjà en train de courir vers les collines. Erin regarda fixement la porte grande ouverte et soupira.
 
“Oups ? Mais c’est peut-être une bonne chose qu’elle soit au courant.”


***


La dernière conséquence de la leçon de biologie impromptue d’Erin vint le lendemain, lorsque Culyss revint pour un deuxième rendez-vous. Erin était en train de se cacher au deuxième étage de son auberge et faisait semblant de ne pas être à la maison. Elle l’avait repéré alors qu’il montait la colline, et elle était terrifiée à l’idée d’avoir une conversation avec lui.
 
Que pourrait-elle bien dire ? “Oh, salut Culyss. Désolée, mais je n’avais pas prévu de te masturber la queue, j’étais juste curieuse.” Cela avait l’air encore pire dans la tête d’Erin, mais elle savait qu’il faudrait qu’elle dise quelque chose.
 
Il s’avéra qu’Erin n’eut jamais besoin d’avoir une quelconque discussion douloureuse. Il y eut de la douleur, bien sûr, mais c’est Culyss qui eut mal.
 
Le Drakéide était en train de frapper à la porte de l’auberge lorsqu’il entendit le cri suraigu. Il se retourna et réussit à crier une fois avant que la meute de Gobelins en colère l’engloutisse.
 
Le petit groupe de Gobelins le fit tomber par terre et se mit à le frapper avec des bâtons. Culyss hurla à l’aide et son cadeau de savons délicats se fit piétiner dans l’herbe. Les Gobelins hurlèrent, furieux, pendant qu’ils le tabassaient.
 
Erin regarda par sa fenêtre. Elle pensait qu’il s’agissait exclusivement de Gobelines, mais c’était difficile d’en être certaine. Elle relevait de petits indices, toutefois. Les Gobelines étaient un peu plus petites que les Gobelins, souvent un peu plus habillées (même si ce n’était pas une norme non plus), avaient les yeux un peu plus en amande et avaient tendance à ne pas autant se curer le nez. Mais son instinct lui disait que c’étaient des Gobelins à cause de la sauvagerie avec laquelle elles battaient le pauvre Culyss.
 
Les Gobelins avaient tendance à se battre le plus salement possible si leur vie en dépendait. Mais les Gobelines avaient l’air de viser exclusivement l’entrejambe du Drakéide. Même le mâle le plus énervé du monde se serait probablement retenu de sauter à répétition sur les parties de Culyss tandis que d’autres Gobelins lui maintenaient les jambes écartées.
 
Au bout de quelques minutes de douleur, Culyss parvint à rouler hors de la cohue de Gobelines et à prendre ses jambes à son cou. Erin regarda les Gobelins le pourchasser en direction de la ville. Eh bien. On aurait dit que Loks avait expliqué le lien entre le sexe et les bébés au reste de sa tribu.
 
“Et pendant tout ce temps, aucun d’entre eux n’avait compris ?”
 
Peut-être qu’ils l’avaient déjà su. Peut-être que ce n’était qu’une revanche à l’ancienne sur les mâles de manière générale. Erin n’était pas certaine de savoir si elle devait applaudir les Gobelines ou se sentir mal pour Culyss. Elle se contenta donc de se faire un verre de jus bleu et de le siroter dans l’intimité de son auberge.
 
Elle se demandait à présent comment elle allait pouvoir expliquer l’histoire du thé à Loks. Peut-être qu’avec des images… ?


***


Culyss ne revint jamais à l’auberge. Erin se retrouva heureuse et seule, avec la visite occasionnelle d’un Gobelin amoché en train de suivre une Loks indignée (et empouvoirée) pour lui tenir compagnie. Cet état de fait dura deux jours, jusqu’à ce que Selys et Krshia viennent toquer à sa porte.
 
Aucune des deux n’était contente. Il y avait apparemment le problème du pari non résolu, et Erin était indignée d’avoir été l’objet d’un pari pour commencer.
 
“C’était pour rigoler, Erin !”, protesta Selys, à moitié cachée derrière Krshia.
 
Erin hésita, une chaise levée au-dessus de la tête, Krshia soupira et lui ôta doucement la chaise des mains.
 
“C’est regrettable, oui ? Tkrn et Culyss n’étaient pas idéals, mais ils auraient été bien pour quelques nuits, au moins.”
 
Erin fusilla Krshia du regard, les joues écarlates.
 
“J’ai dit, je ne veux pas de… je suis bien comme je suis !”
 
“Mais tu es énervée. L’accouplement t’aiderait, oui ?”
 
“ Non !”
 
“Oh, allez, Erin. On voulait juste te faire te sentir mieux ! Et Culyss t’aimait vraiment, même avant que tu… tu sais…”
 
“Je ne veux pas en entendre parler. Il ne s’est jamais rien passé !”
 
“Je ne vois pas en quoi c’est un problème. Ce n’est pas comme si tu étais une demi-Elfe prude ou quoi. Qu’est-ce qu’il y a de mal à avoir un peu de sexe, Erin ?”
 
Erin hésita. Elle dévisagea Selys qui la fusillait du regard, à moitié offensée. Elle pouvait se sentir rougir. Erin baissa les yeux sur ses pieds. Lorsqu’elle reprit la parole, c’était d’un ton calme.
 
“Ce n’est rien. Je sais que vous vouliez bien faire mais… c’est juste… je n’ai pas... je sais comment ça marche mais je n’ai jamais vraiment…”
 
Krshia et Selys échangèrent un regard. Et soudain, les pièces du puzzle se mirent en place.
 
“Oh.”
 
“Je vois.”
 
Krshia se gratta la tête et s’exprima franchement.
 
“J’ai fait une erreur. Tkrn… ce n’était pas un bon choix. Je lui ai parlé de toi parce que je pensais qu’il serait bon. Pour se détendre, tu vois ? Il est bon, mais pas suffisamment pour une première fois, oui ?”
 
“Et Culyss est… ouais. Ce n’est pas un bon matériel pour une première fois. C’est sûr, il fait le boulot mais c’est pour les filles expérimentées. Ce dont tu as besoin c’est… quelqu’un d’autre. Quelqu’un de mieux.”
 
Erin renifla. Krshia et Selys étaient soudain beaucoup plus compréhensives. Elles la laissèrent tranquille.
 
“Ce n’est pas que je n’ai pas envie d’essayer, c’est juste…”



 
***






Elles revinrent une heure plus tard. Avec des cadeaux, cette fois-ci.
 
Des cadeaux vraiment, vraiment horribles.
 
“Tiens.”
 
Erin baissa les yeux sur les objets que Krshia lui poussa dans les mains. Elle les accepta, seulement parce que l’alternative était que Krshia continue à les pousser dans ses seins. Elle les soupesa dans ses mains.
 
“Oh mon Dieu. C’est ce que je pense, pas vrai ?”
 
Krshia sourit d’un air encourageant à Erin.
 
“Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre, je me le demande ? C’est pour toi, Erin. Cela fera l’affaire jusqu’à ce que tu trouves un partenaire.”
 
“Et j’en ai un aussi !”
 
Selys agita son “cadeau” dans les airs et les yeux d’Erin le suivirent. C’était presque hypnotisant. La Drakéide l’offrit à Erin, mais Erin ne voulait vraiment pas le prendre.
 
“Vous pensez que j’ai besoin de ça. Toutes les deux ?”
 
Selys et Krshia lui firent un grand sourire. Erin contempla les instruments en bois dans ses mains et essaya de ne pas les regarder ni trop les sentir entre ses mains. Si elle devait catégoriser les deux, elle en avait un… un Drakéide et un Gnoll. Le Gnoll était plus gros. Il était relativement lourd dans ses mains et elle le regarda fixement, fascinée.
 
C’était très réaliste. Erin regarda fixement la grosse boule à la moitié du modèle. Elle était à peu près certaine que les mecs n’avaient pas de bulbe. Mais il apparaissait que les Gnolls ressemblaient plus aux chiens que prévu.
 
Krshia sourit et hocha la tête en voyant Erin examiner son cadeau.
 
“C’est bien sculpté, et poli, oui ? L’artisan a pris grand soin de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’écharde lorsque tu t’en serviras.”
 
“Et tu peux les laver.”
 
“Mm. C’est pratique, oui ? Et ainsi, tu n’as besoin de personne d’autre pour être heureuse.”
 
Erin contempla ses cadeaux. Elle ne savait pas quoi dire. Elle était littéralement sans voix.
 
Elle leva les yeux. La Drakéide et la Gnolle était toujours en train de lui sourire, s’attendant probablement à ce qu’elle dise quelque chose au sujet de leurs cadeaux si bien choisis.
 
Erin ouvrit la bouche, sourit, hésita, puis claqua la porte. Krshia et Selys regardèrent fixement la porte en bois et entendirent Erin verrouiller le loquet.
 
“Tu penses qu’elle est énervée ?”
 
Krshia haussa les épaules.
 
“Mm. Elle est timide. Mais je te ferai savoir si elle utilise nos cadeaux. Ce sera probablement aujourd’hui ou demain. Ce n’est pas bon de laisser la tension s’accumuler, oui ?”
 
“J’imagine. Mais, hum, ne me le dis peut-être pas. Je n’ai pas besoin de savoir.”
 
“Comme tu voudras. Mais tu en as acheté un très bien. Très réaliste.”
 
“Oui, hein ? Il y a un super magasin qui en fabrique. Il faut demander, parce que le commerçant ne peut de toute évidence pas les mettre dans son étalage, mais ils en font de toutes les tailles.”
 
“Vraiment ? Il faudra que j’aille visiter ce magasin alors.”
 
Erin écouta Krshia et Selys discuter derrière la porte. Elles allaient apparemment y aller tout de suite. Et Krshia avait dit qu’elle saurait quand Erin utiliserait…
 
Eh bien, tout était très simple à présent. Elle ne pouvait plus aller en ville… plus jamais, à présent.
 
Erin se couvrit le visage de ses mains. Grave erreur. Les deux modèles lui cognèrent le visage et elle les baissa immédiatement. Elle regarda les deux objets de bois long et durs… elle les posa sur une table et se détourna.
 
Toren regardait Erin, un chiffon à la main. Elle se figea sur place. Ses deux orbites remplies de flammes bleues regardèrent d’abord les pénis de bois puis son visage.
 
Il avait beau être mort, le squelette parvint tout de même à juger Erin avec ses yeux. Ou peut-être que c’était elle qui se jugeait. Erin fronça les sourcils. Elle jeta l’un des godemichets et il l’esquiva.
 
“Qu’est-ce que tu regardes, toi ?”
 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 03 octobre 2020 à 17:20:51
2.15
Traduit par Maroti
Partie 1

Le tact était un art qui, comme toute chose, était essentiel. Un sourire était important, car ta première impression était probablement ta dernière. Il fallait se rappeler d’être courtois, professionnel, et efficace.

Je peux faire le dernier point. Je suis en train de… Travailler le reste.

« Livraison. »

La fille aux cheveux bleus qui m’ouvre la porte cligne des yeux en me voyant. Je cligne des yeux en surprise. C’est la première fois que je vois quelqu’un avec des cheveux teints. Mais, comme je le vois rapidement, ce n’est pas une teinture intentionnelle.

L’[Alchimiste] retire un peu de poussière bleu de ses yeux et soulève un petit nuage. Elle tousse, et je fais un pas en arrière.

« Êtes-vous Rikku ? »

Elle hoche la tête, les yeux larmoyants. Je lui tends le paquet, qui est une… Patate qui a été enveloppée plusieurs fois. Elle est en train de pousser, et une tige verte en sort. Oh, et la patate et plus grosse qu’un bébé. Probablement la taille de deux bébés si on garde la même échelle de mesure.

C’est lourd. Et j’ai l’impression qu’elle est en train de grossir. Le trajet jusqu’à cette petite bicoque m’a donné l’impression de voyager avec un sac à dos vivant qui n’arrêtait pas de bouger. Gah. Je regrette cette livraison, mais au moins elle est bientôt terminée.

« Vous avez un Sceau ? »

Peut-être que j’ai accepté cette requête parce que je pensais aux [Alchimistes]. C’était quand même une erreur. Il semblerait que beaucoup de leurs livraisons sont souvent magiques ou périssables, ou dans ce cas, les deux.

L’étrangement nommée Rikku disparaît dans sa hutte alors que j’attends impatiemment, espérant que la patate n’explose pas ou ne me décapite pas. Je ne suis pas certaine pourquoi c’est et franchement, je ne veux pas savoir.

Mais quand même. Rikku. En voilà un nom intéressant pour quelqu’un du coin. Cela sonnait presque… Japonais. Quelque chose de mon monde.

Mais après tout, il y avait un coin nommé Galle pas loin, donc je suppose que cela arrive que les gens choisissent le même nom de temps en temps. Même si je n’ai pas encore rencontré de Lenny ou George. Quoique j’ai rencontré ce mec qui s’appelait Adrien il n’y a pas longtemps. C’était presque normal comme prénom.

Mais qui suis-je pour parler ? Mon nom est Ryoka. C’était probablement bizarre pour plein d’Américain chez moi.

Dans tous les cas, la patate. Je la veux hors de mes mains et dans la hutte avant qu’elle ne fasse quelque chose de bizarre. C’était une livraison express, ou il fallait payer beaucoup pour qu’elle soit livrer le plus vite possible. Et je peux voir pourquoi. Il y avait une possibilité d’avoir des haricots magiques en plantant ce truc.

Enfin, la porte s’ouvre et Mademoiselle Cheveux Bleu émerge avec un Sceau de Coursier tout aussi bleu. Qu’est-ce qui s’est passé à l’intérieur ? Est-ce que j’ai envie de savoir ?

Non.

« Voilà le paquet. Attention, c’est lourd. »

Elle le prend. Elle est plus forte qu’elle en a l’air, mais je suppose que les [Alchimistes] doivent l’être. Je hoche la tête alors que sa bouche s’ouvre, probablement pour me remercier ou quelque chose du genre.

« A la prochaine. »

Je suis déjà en train de descendre la colline herbeuse en direction de la route de terre avant qu’elle ne puisse répondre. Bon, au moins cette fois j’ai dit plus de cinq mots. Il y a du progrès.

Je ne suis pas à l’aise avec les gens. Vraiment pas. Ce n’est pas que je déteste l’humanité en général. C’est juste que je trouve les conversations avec les étrangers vraiment, vraiment gênante*.


*Ouais. Est-ce que tu t’es déjà assis à côté d’une personne silencieuse dans un bus qui ne fait que regarder la fenêtre ? C’est moi. Ce n’est pas que je te déteste, le fait est que je te déteste parce que tu as pris le siège à côté de moi, c’est juste que c’est tellement gênant et maladroite que je ne peux pas le gérer. Sérieusement. Va-t'en.


Mais être sociable est une compétence que je dois apprendre à maîtriser. Qui l’eut cru ? Toutes ces fois ou mes parents m’ont envoyé en colonie de vacances où je me faisais renvoyer ou que je fuguais jusqu’à ce qu’ils envoient la police et des gens pour me retrouver. Et pourtant, j’en suis là, essayant d’être sociable.

Le mot clef étant essayé. C’est vraiment difficile, d’accord ? Mais j’essaye.

Je suis obligé.

Mais bon, pour l’instant c’est mieux de rester concise, pas vrai ? Alors que je ralentis sur la route de terre, j’essaye de me rappeler combien de livraisons j’avais réalisé dans la journée. Six ? Ou peut-être huit ?

Une journée est passé depuis que j’ai envoyé Teriarch boulée et que j’ai gagné un contrat à huit-cents pièces d’or. Normalement je devrais être à mi-chemin vers les Plaines Sanglantes ou dans la direction de la pierre, mais je suis toujours au nord. Faisant des livraisons pour des pièces de cuivre et d’argent.

J’ai mes raisons. Premièrement, même si la livraison de Teriarch est importante, il est un abruti arrogant et il peut attendre. Deuxièmement, je dois me préparer.

La dernière fois que je suis passé prêt des Plaines Sanglantes j’ai croisé des Araignées Cuirassée et quelques autres types de monstres, rien de plus. J’ai eu de la chance. Mais je ne peux pas savoir combien de bandits ou d’autres choses peuvent rôder là-bas, donc j’ai besoin d’équipement.

Il a été… Clairement établi que je n’ai pas les compétences nécessaires pour affronter tout ce qui se trouve au-dessus des bandits mal équipé et des groupes de Gobelins. J’ai la potion de Teriarch, c’est vrai, mais je la réserve en cas d’absolu dernier recours, plutôt que ma première option.

Donc je reste dans le coin, principalement, car je suis en train d’attendre que mon nouvel équipement soit créé. Ou préparé. Concocté ? Qu’importe la bonne formulation, Octavia est en train de le faire.

Sa potion malodorante a fait des merveilles dans les Hautes Passes. C’était tellement efficace que j’ai réussi à sortir même après que Teriarch me l’avait prise. Tous les monstres étaient toujours absents, et je me suis rendu à Celum sans le moindre problème.

Bon, je ne vais pas commencer à porter une bouteille de ce truc cauchemardesque sans être certaine, absolument certaine que le truc ne va pas fuiter. Même sous scellé la potion continuait d’empester. Octavia était en train de travailler sur quelque chose de plus sûre, mais elle avait aussi d’autre projet sur lesquels elle devait se concentrer.

Le prix pour engager un [Alchimiste] ? Huit pièces d’or, pour les tests, l’expérimentation et la création des produits recherchés. C’était incroyablement cher, mais Octavia n’était même pas certaine que les choses que je voulais étaient réalisable. Je me ferais rembourser si elle n’arrive pas à terminer ce que je veux, mais je pense qu’elle va y arriver. Et si c’est le cas, cela sera huit pièces d’or bien dépensées.

Mes pieds nus tapent la plaisante et chaude route de terre. C’est tellement merveilleux que je souhaiterais presque ne pas avoir à retourner à la Guilde pour livrer mes Sceaux. C’est l’un des rares endroits que les Fées de Givre n’ont pas encore recouvert, et donc, l’endroit ressemble aux dernières semaines de l’automne.

Mm. Quel étrange monde, où l’hiver est le produit de créatures et non pas de phénomènes météorologiques. Mais est-ce que c’est comme ça partout dans le monde ? Ces Fées de Givre sont lentes, et inefficaces. Je me demande si l’hiver est un phénomène mondial ou une vague déferlant sur les continents, changeant possible de rythmer ou de lieu selon les envies des fées. Cela serait très intéressant.

Mais bien sûr, comment est-ce que je pourrais tester mon hypothèse ? Les livres sont en bas de ma liste de priorités. Je n’ai pas le temps de lire, et j’ai besoin d’économiser un maximum d’argent pour des choses importantes. Le manque de librairies dans ce monde est une insulte*.


*De librairies publiques. Tous marchants riches ou nobles a probablement sa propre librairie, mais je ne vois pas comment je pourrais y rentrer. Bon sang, dans mon monde j’avais besoin de mettre des sandales dès que je voulais rentrer dans une librairie.


Des informations. Cela devait de plus en plus clair après chaque jour que même si je découvre les fondamentaux de ce monde, il y avait un lexique entier de donnée que je n’avais même pas encore considéré.

Donc que faire ? Erin savait moins que moi, mais elle connaissait plusieurs personnes qui avaient peut-être accès à ses informations. Cette Gnoll nommée Krshia, Klbkch, probablement Pisces… La seule question que je me posais était de savoir si leur parler valait le risque de me faire percer à jour.

Je pourrai essayer de contacter BlackMage, ou un autre utilisateur sur mon IPhone si je savais comment le sort marchait. Pisces avait été capable de brièvement récupérer les messages… Est-ce que j’allais pouvoir envoyer un message à l’un d’entre eux ?

Peut-être. Cela semblait risquer, surtout quand il avait été prouvé que les Iphones peuvent être hackés par de la magie. De plus, je ne connais pas leurs situations. Les gens peuvent dire tout et n’importe quoi, mais même si nous sommes dans un nouveau monde, nous sommes toujours humains. La politique, l’avarice et les préjudices n’ont pas disparu avec notre monde.

Non, non. Là je dois me concentrer sur ce que je dois faire. La livraison de Teriarch est ma plus haute priorité. Huit-cents pièces d’or m’aideront immensément moi, ainsi qu’Erin et Ceria. De plus, cela m’aidera pour mon prochain objectif.

Car j’ai un objectif maintenant. Devenir Courrière.

La logique est simple. Un Courrier est considéré comme quelqu’un d’important, voir vital selon la manière de voir les choses. Il y a de l’influence, et du respect. Ils sont équivalents à des aventuriers de rang Or, voire plus. Si j’obtiens cette position, je serai capable de traverser le continent et de poser des questions en voyageant partout sans être suspecte.

De plus, les Courriers étaient bien mieux payées que les Coureurs de Villes pour leurs livraisons. Si je pouvais gagner ma croûte de cette manière alors Erin n’aurait pas à s’inquiéter pour son auberge. J’économiserai de l’argent, et utiliser l’argent pour…

Bon, le plan était encore flou. Mais Erin avait encore raison. Si je regardais trop loin en avant j’allais trébucher sur ce qui était devant moi.

En parlant de ça, je saute au-dessus d’une pierre tranchante sur la route. Cela aurait fait mal. Mais ceux qui court pieds-nus apprennent à constamment garder un œil au sol, donc les chances que nous marchons dans quelque chose d’horrible sont plutôt faible.

Hm. Les choses que nous voyons et celle que nous ne voyons pas. Est-ce qu’il y a un moyen de savoir où sont les gens de mon monde ? Nous avons tous des Iphones, donc nous devrions être capable de nous repérer de cette manière, pas vrai ? Comment est-ce que la magie pouvait nous trouver ? Simplement dire que c’était de la magie semblait facile. Est-ce qu’elle utilisait un aspect de nos Iphones ? Est-ce qu’ils envoient un signal ?

Oh non. Le GPS !

Je m’arrête et je jette mon sac au sol. Ryoka, espèce d’idiote. Comment est-ce que tu n’as pas fait attention à ça? Le GPS était la première chose à laquelle les gens pensaient. Ils avaient pu te traquer depuis tout ce temps ! Dans tous les endroits !

My Iphone brille et je vais urgemment dans les Paramètres. Puis je m’arrête. Mon cœur arrête de battre la chamade dans mon torse.

Il est déjà éteint. C’est vrai. Bien sûr. Je me souviens avoir éteint le GPS le jour où mes parents me l’ont offert pour qu’ils ne m’espionnent pas. C’était la chose à faire, vu que c’était la seule raison pour laquelle il me laissait l’avoir.

Bon, c’est un soulagement. Je ferme le menu. La batterie tient encore le coup, environ 30%. Maintenant que j’y pense je pourrais écouter de la musique en courant. Cela fait un bail que je n’ai pas utilisé mon Iphone, mais je veux conserver la batterie maintenant que Sostrom…


« Qu’est-ce que c’est, humain ? »


Et ma journée va mal se passer. L’air autour de moi se gèle, et je lève les yeux. Une Fée de Givre est au-dessus de mon épaule, regardant l’écran lumineux avec curiosité.

Bon sang. Je pensais que Teriarch les avait toutes chassés. Mais non, apparemment être presque réduit en cendres ne m’offrant qu’une journée de paix. Je regarde la Fée de Givre et remets mon Iphone dans sa coque usée.

« Va. T’en. »

La fée prend une expression hautaine. Elles n’écoutent jamais ce que je dis, ou pour répondre à mes commentaires sauf quand elles veulent que je réponde à une question. Elle flotte autour de mon Iphone et je le mets dans ma poche. Puis elle hurle dans mon oreille.


« Ne m’ignore pas ! Dit nous ce que cela est! C’est une chose de fer, mais pas véritablement. Et cela fait de la lumière sans magie ou feu ! Qu’est-ce que c’est ? »


Une autre fée vole paresseusement autour de ma tête. Elles ne semblent pas avoir besoin de faire battre leurs ailes comme les insectes ou oiseaux. Elle pointe ma poche du doigt en parlant à son amie. Les fées semblent toujours voyager en groupe de huit ou plus.


« C’est un objet né du smog et des flammes, venu d’un autre monde ! Elle l’a ramené ici, cette stupide tchoin ! »


Ceci me fait tourner la tête. Je regarde la fée qui vient de parler.

« Un autre monde ? Qu’est-ce que tu veux dire par ça ? »

Elle me regarde, et détourne les yeux. Elles ne sont pas intéressées pour répondre à mes questions. Mais j’ai désespérément besoin de réponse. Qu’est-ce qu’elles voulaient dire par ça ? Est-ce qu’elle veut dire ce que je pense qu’elle vient de dire ? Si c’est vrai…

La première fée se pose sur ma tête, gelant ma peau avec ses petits pieds. Elle se penche pour que sa tête apparaisse à l’envers dans mon champ de vision.


« Humain malodorant ! Comment un mortel comme toi connais le vieux fumeur ? »


Je n’ai pas la moindre idée de ce dont elle parle. Et même si cela m’est difficile, je suis curieuse, donc je réponds.

« Quel vieux fumeur ? »

Les fées échangent un regard incrédule en flottant autour de ma tête. Elles parlent entrent-t-elles, me regardant en secouant leurs petites têtes.


« Ne sait-elle pas ? Elle vient de lui parler ! »

« Je pense qu’elle est aussi débile que l’autre. »

« Deux têtes et pas un seul cerveau ! Comme c’est triste ! »

« Comme c’est drôle ! »


La fée sur ma tête s’abaisse et frappe la peau de mon crâne. Je grimace et serre les dents. Je veux vraiment, vraiement l’attraper pour la retirer de ma tête mais la seule chose que cela fera sera de me donner des engelures. Elle me donne une migraine rien qu’en se tenant là, mais les fées peuvent devenir bien plus froides si elles le veulent.


« Je parle de celui de feu vivant dans la cave, idiote ! Vieux et grincheux ! Comment est-ce que tu le connais, pathétique mortel que tu es ? »


Celui dans la cave ? Elles parlent de Teriarch. Mais pourquoi est-ce qu’elles l’appellent… ?

La fée tape de nouveau mon front et je grimace. C’est bon. Elles n’auront rien de ma part. Je lance un regard noir aux fées et je me tais. Si elles peuvent être des idiotes têtues, alors je peux aussi en être une.


« Oh, tu nous ignores ? Alors ignore ça ! »

Perdant patience, la fée sur ma tête décolle. Je sais ce qui arrive donc je me prépare. Une seconde plus tard, une boule-de-neige m’atteint à l’arrière de la tête, me faisant tituber alors que je cours. Elle rit, et soudainement le troupeau décide de rejoindre.

L’air tiède et le ciel bleu deviennent froids et mordant, et de la neige commence à tomber alors que les Fées de Givres utilisent leur magie, amenant l’hiver à ce dernier endroit. Le sol gèle sous mes pieds, et tout autour de moi, des boules-de-neige de la taille de mes poings commencent à s’abattent alors que les fées tournent autour de moi.

Je continue de courir, essayant d’ignorer la neige froide me frappant le visage, le torse, le dos et les jambes. Je sais qu’elles s’arrêteront. Les fées sont des brutes. Elles se lasseront si je ne réponds pas. Elles arrêteront de me lancer de la neige dans quelques secondes…

Dans… Quelques… Secondes…

***

Je m’arrête plus de seize kilomètres plus loin pour m’arrêter et sortir mes chaussures de neige de mon sac ainsi que des vêtements secs. Pas pour me changer, juste pour essuyer la neige et la glace qui colle à mon corps.

La dernière Fée de Givre s’envole en riant, et je la maudis silencieusement en tremblotant. Je suis trempée, et presque en hypothermie à cause de ce qu’elles m’ont fait subir.

Qui savait que de petites fées pouvaient lancer des boules-de-neige aussi fort ? Mais elle sont parties, au moins jusqu’à s’ennuient de nouveau et qu’elles reviennent pour me tourmenter.

« Bordel de merde. »

Je n’aurai jamais deviné que j’allais détester les fées à ce point. Sérieusement. Elles sont pires que les chiens qui ne sont pas attachés ou les bouteilles brisées au sol. J’aimerais mieux courir pieds nus dans une forêt de sapins plutôt que d’avoir ces fées derrière moi.

Et pourquoi est-ce qu’elle ne dérangent que moi ? C’est comme si elles aimaient rendre ma vie misérable plus que les autres. Est-ce qu’il n’y a pas un moyen de s’en débarrasser ? Elles n’aiment pas le fer, mais cela ne semble pas aussi bien marché que les comtes le racontent. La moitié du temps le pauvre gars levant un fer-à-cheval vers les fées se fait envoyer bouler par une rafale de vent.

Et qu’est-ce qu’elles disaient ? Quelque chose à propos de Teriarch. Elles voulaient savoir comment je le connaissais ? Est-ce qu’elles le connaissaient ? Il était capable de les chasser, ce qui était plutôt unique.

Vieux fumeur. Pourquoi est-ce qu’elles l’appelaient comme ça ?

…Non ? Non, ce n’est pas ça. Cela ne peut pas l’être. Je veux dire, ça serait trop évident. Je l’aurai remarqué instantanément.

Pas vrai ?

Teriarch est juste un mage. Un mage qui ressemble de manière suspecte à un Elfe, et il ne fait rien pour le cacher. Et il utilise des expressions bizarres… Et il a une cave.

… Et beaucoup de trésors de valeur dans cette cave… Et il peut invoquer des flammes…

Non. Je l’aurai remarqué plutôt. Mais pourquoi je ne l’ai pas fait ? Les pièces s’emboîtent. Mais Teriarch, a-t-il fait quelque chose à ma tête ?

Bien sûr qu’il l’a fait. Il l’a déjà fait une fois. Pourquoi pas deux ?

De la magie. Comment puis-je dire que quelque chose est réelle ? Il pourrait me faire croire tout et n’importe quoi, pas vrai ? Trop de ça et j’allais commencer à douter de mes propres souvenirs. Et si des choses que j’avais dites et faites en présence de Teriarch, ou des choses qu’il m’avait dit auraient été effacées de ma mémoire ?

Pense. Cognito ergo sum. C’est tout ce que je sais. Ergo sum cognito. Je sais que je suis un être pensant, ça je peux le croire. Mais…

Omnia quae scis forsitan species vana sit. Je pense que c’est ça. Mon Latin est rouillé.

Si je prends sérieusement cette déclaration lancé au hasard par les Fées de Givre, et je ne peux pas l’interpréter autrement, alors pourquoi je ne l’ai pas remarqué ? De la magie ? Ou je l’ai remarqué et il m’a fait oublier.

Comment défaire un sort qui alterne la mémoire ? Est-ce qu’il y en a un sur moi ? Est-ce que c’est vérifiable ?

Du calme, Ryoka. Si tu continues comme ça tu va devenir une malade qui voit des complots partout. Tous les complots ne sont pas faux. Il est vrai que le gouvernement est en train de nous espionner, que la moitié de la richesse du monde tiens dans les mains de huit personnes, et que la magie et les autres mondes existent.

Ouais. Je suis dans la mouise.

Je continue de courir, essayant d’aller quelque part à l’intérieur avant que la glace fondue et l’air hivernal ne me tue. En plus, il est l’heure de rendre mes Sceaux. J’ai besoin d’un bain chaud, d’un repas chaud, et d’un lit chaud. Je mangerai et dormirais dans le bain si possible.

Oui. Un bain me semble être une très bonne idée. Un petit arrêt à la Guilde des Coursiers et je pars en direction d’une auberge.

C’est le problème avec les plans. Ils ne se déroulent jamais comme on l’espère.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 03 octobre 2020 à 17:21:29
2.15
Traduit par Maroti
Partie 2


« Sept livraisons en une journée ? Voyons Ryoka, je sais que je t’ai dit que nous avions besoin d’aide, mais essaye d’en laisser un peu pour nous. »

« J’y penserai. »

Je souris légèrement pour que Fals sache que je plaisante. Il rit comme si je venais de dire quelque chose d’hilarant, et juste comme ça, la conversation continue sans le moindre silence pesant.

Je suis assise dans la Guilde des Coursiers, prenant le temps de me réchauffer et d’attendre qu’une des réceptionnistes me paye. Par coïncidence, Fals venait aussi de terminer ses livraisons, donc il s’est assis à côté de moi. Il a commencé à parler, je ne lui ai pas arraché la tête avec les dents, et nous y voilà.

Nous ne sommes pas les seuls Coursiers dans la guilde. Il y a beaucoup de gens à l’intérieur, se réchauffant. Incluant une personne que j’aurais volontiers préféré voir morte dans une congère quelque part.

Le regard que Persua me lance est plus tranchant qu’une lame de rasoir. Si elle en avait une sous la main, elle me l’aurait probablement lancé au visage. Je croise son regard, sans perdre face ou cligner des yeux. Si elle veut un combat du regard, ça me va. Je peux passer cinq minutes sans cligner de yeux.

Fals le remarque et bouge sa tête entre ses yeux et les miens. Je détourne les yeux et j’entends Persua rire bruyamment à l’autre bout de la pièce.

Tout rapetisse quand je suis dans la Guilde des Coursiers dans ces villes, toutes les petites relations et vendetta sortent des placards. Il faut se souvenir que dans ce lieu Fals est un gros poisson et que toutes les Coursières et réceptionnistes l’aiment. Et Persua me déteste, car il semble m’apprécier. Et Garia aime Fals, ce qui rend tout plus compliqué.

Garia n’est pas là, ce qui me soulage légèrement. Nous n’avons pas reparlé depuis que je lui ai annoncé la nouvelle à propos des Cornes d’Hammerad, et je ne sais pas quoi dire.

Pendant ce temps, Fals est en train de faire son truc de charmeur, ce qui est de dire bonjour à tous les Coursiers en les appelant par leurs prénoms, et de parler avec eux. C’est un type sociable. Un bon type, peut-être. Je me souviens encore des problèmes avec Magnolia et la Gilde, mais j’admets qu’il fait son boulot bien mieux que tous les autres Coursiers de la guilde, moi comprise. Je suis peut-être plus rapide, mais il a une bonne relation avec tous ses clients.

Fals se penche sur la table, une jambe rebondissant au sol. Il, comme tous les Coursiers, a la bougeotte une fois assis. C’est une chose que nous avons tous en commun, nous aimons courir.

« Liscor, huh ? C’est plutôt loin, mais la Guilde des Coursiers à Esthelm à peut-être des requêtes allant jusque-là. Encore plus s’ils savent qu’il y a quelqu’un qui fera des allers-retours fréquents. »

« Hm. Ca me semble bien. J’ai une… Amie là-bas donc je vais m’y rendre souvent. »

Un sourcil de Fals se lève, mais il cache sa surprise.

« Bon, je vais parler au Maître de la Guilde là-bas quand j’aurai la chance. Nous n’avons pas beaucoup d’échanges avec les Drakéides et les Gnolls, mais c’est parce qu’ils viennent rarement au nord. Cela serait bien d’ouvrir de nouveau le dialogue. »

Je hoche poliment la tête, et il essaye de ne rien dire qu’il regrettera. Bien sûr qu’il est surpris que j’aie une amie. Même moi je suis surpris.

Maitre de la Guilde, hum ? D’après ce que j’ai compris, ils sont d’anciens Coursiers à la retraite. C’est la même chose pour les Guildes d’Aventuriers. Le staff est constitué de personne embauché pour aider ou de personnes trop blessées ou vieilles pour continuer de travailler. C’est un bon système qui donne du travail à ceux qui ont contribué à la guilde.

Fals me regarde et tousse poliment.

« Je me… Demandais si tu aimerais manger un morceau à un pub plus tard. Je connais un bon cuisinier qui vient d’apprendre la compétence [Cuisine Avancée]. »

Merde. C’est ce que je craignais. J’hésite. Fals est probablement un chic type mais je ne suis pas intéressé par lui. Je ne le suis simplement pas. Mais après, je ne peux pas simplement l’envoyer bouler. J’essaye de trouver une excuse, puis les portes s’ouvrent.

Fals et moi regardons autour de nous, et nous bondissons tous deux hors de nos chaises qui s’écrasent au sol.

« Garia ! »

Elle titube dans la pièce, instable sur ses pieds. Sa main est posée sur un bandage autour de sa tempe, et du sang coule sur sa joue gauche. L’un des Coursiers à côté de la porte l’attrape avant qu’elle ne puisse tomber.

Je ne me souviens pas avoir traversé la pièce. Mais je suis à côté de Garia avant tout le monde, retirant lentement le bandage. Fals est juste derrière moi, anxieux.

« A quel point est-elle blessée ? »

« Je n’arrive pas à le voir. Sors de la lumière et aller me chercher de l’eau. Et une potion. »

J’ai presque oublié l’existence des potions de soin. Mais je me souviens de mon entraînement pour porter les premiers soins. Je prends une bouteille d’eau que quelqu’un m’a tendue et un bout de vêtement coupé pour délicatement nettoyer le sang. Il ne semblerait pas que le crâne de Garia soit fracturé, il ne fait que saigner, mais j’ai besoin de vérifier.

La respiration ? Elle est bonne ? Le pouls ? Consistant. Si la blessure à la tête est grave, j’ai besoin d’éviter de l’aggraver. Mais les premiers soins prenaient toujours en compte que la personne allait recevoir de vrais soins ensuite. Ce monde n’a pas de docteur ou d’hôpital, que des [Soigneurs]. Si elle est blessée, je suis peut-être la personne la plus qualifiée pour l’aider.

Garia frissonne légèrement alors que je nettoie le sang, mais elle reste immobile sur sa chaise. Ses yeux sont perdus. Merde. J’espère qu’elle n’a pas de concussion. Mais c’est quand même mieux qu’un crâne fracturé.

Fals pousse une potion dans mes mains.

« Tiens. »

« Attends, j’ai besoin de vérifier… »

Je sens le plus délicatement possible la partie autour de la blessure. Cela fait gémir Garia, mais je dois m’assurer qu’il n’y a rien de casser. Si c’est le cas, une potion de soin va peut-être mal remettre l’os.

Le crâne de Garia n’est pas cassé. Je ne pense pas que l’os soit craqué. Elle a juste perdu du sang. Je débouche la potion et j’en verse un peu autour de la blessure.

Elle commence à se fermer alors que Garia gémit. Elle attrape mon bras, tellement fort que je la sens me serrer jusqu’à l’os. Mais je ne lui dis pas d’arrêter.

En quelques secondes, la blessure se ferme et Garia me lâche. Elle prend quelque grandes inspiration, avant de me regarder.

« Merci, Ryoka. »

Je la regarde. Elle est toujours pâle dut à la perte de sang, et la potion n’a rien fait pour sa concussion, si c’est ce qu’elle a. J’attrape son épaule pour la maintenir droite alors que je la regarde dans les yeux.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

Comme si je ne le savais pas. Mais Garia secoue sa tête. Ses lèvres tremblent. Elle me regarde, puis Fals, les larmes aux yeux.

« Je me suis fait attaquer. »

***

L’histoire arrive alors que l’autre Coursier apporte une chaise avec un coussin à Garia. Nous devons l’asseoir alors que la pièce s’agglutine autour d’elle. Cela me surprend, mais après tout, je ne suis jamais resté assez longtemps dans la Guilde pour voir quelqu’un rentrer blesser.

Qu’importe ce qui est dit sur les Coursiers et leur mentalité, ils prennent soin des leur. Un Coursier se fait attaquer et tout le monde est en danger. C’est pourquoi la réceptionniste sort de son comptoir pour apporter quelque chose d’alcoolique pour Garia, et Fals s’assoit à côté d’elle alors que les autres Coursiers s’approchent, écoutant son histoire.

« C’était des bandits. Ils sont venus du sommet d’une colline et ont essayé de me barrer la route. Certains étaient en train de tirer des flèches, et l’un avait un gourdin. J’ai essayé de les distancer, mais il m’a eu… »

Garia fait signe vers sa tête soignée et le sang séché sur sa joue. Elle ne semble pas se rendre compte qu’un autre Coursier est en train de nettoyer le sang.

« Des bandits ? Sur la route principale ? »

Fals secoue sa tête et quelques coursiers échangent des regards.

« Ils doivent être désespérés. J’ai entendu dire qu’il y avait un groupe qui s’attaquait aux voyageurs… »

« Je n’arrive pas à croire qu’ils ont attaqué l’un des autres en plein jour. Et des flèches ? D’habitude ils essayent de nous faire les poches, pas de nous tuer. »

« Comment est-ce que tu t’en es sorti ? »

C’est ce que je veux savoir .Garia cligne des yeux.

« J’ai été sauvé. J’étais au sol quand quelqu’un a attaqué les bandits. Je ne sais pas qui. Un voyageur, je pense. Peut-être un autre Coursier ? »

Fals fronça les sourcils, et regarda la carte sur le mur. Les villes et routes principales y étaient marquées.

« Quelqu’un de Galle ? Nous pourrions demander à la Guilde s’ils ont quelqu’un qui est venu par là. »

« Est-ce qu’on devrait sortir et essayer de les trouver ? Si cette autre personne… »

« Soit elle a pris la fuite, soit les bandits l’on eut. Nous n’allons rien trouver et nous nous mettrons en danger. »

Les autres Coursiers discutent en arrière-plan. Je suis toujours concentré sur Garia. Fals pose la question que je m’apprêtais à poser.

« Tu es parti ? Pourquoi est-ce que tu étais toujours blessée ? Tu n’as pas eu le temps de te soigner ? »

« J’ai… J’ai juste continué de courir. Je n’ai pas pensé à me soigner. Je ne pouvais pas le faire, même si je le voulais. »

« Pourquoi ? Tu as perdu beaucoup de sang. Une potion de soin t’aurait empêché de t’effondrer comme ça. »

« Je… N’en aies pas. Je ne peux pas m’en acheter. »

Garia rougit et devient rouge. Elle regarde ses pieds alors que les autres Coursiers détournent le regard. Bien sûr. De tous les Coursiers de Villes, Garia est la plus lente même si elle peut porter de lourde charge. Elle court pour quelques pièces d’argent dans le meilleur des cas, et est habituellement payée en pièce de bronze.

Les autres sont silencieux, et puis Fals tapote Garia sur le genou. Elle donne l’impression qu’elle s’apprête à pleurer de honte.

« Il n’y a pas à avoir honte. Tu es arrivé jusque ici sur tes deux pieds après avec été touché par un gourdin. Je n’aurai pas réussi à faire cela. »

Les autres Coursiers acquiescent. Fals se retourne et lève la voix.

« Est-ce qu’on a quelque chose de chaud à boire ? Pas d’alcool, est-ce que quelqu’un peut lui apporter une chope de lait de chèvre ? Et de la nourriture. Et une couverture ! Garia est presque gelée ! »

Quelques Coursiers passent immédiatement par la porte en entendant ses mots, et la réceptionniste foncent dans l’arrière-salle pour trouver une couverture. Je regarde Garia.

Pas assez pour une potion de soin. Attaquer par des bandits sur la route. Cela ne m’est jamais arrivé, mais c’est parce que je cours trop vite pour que cela soit un problème.

Et quand je pense enfin comprendre ce monde, quelque chose comme ça arrive pour me rappeler que tu n’as pas besoin d’horribles monstres. Les humains savent être cruels entre eux.

Fals essaye de faire en sorte que Garia reste assise et appelle pour que quelqu’un lui apporte quelque chose de chaud à boire et une couverture. Je la regarde, puis les autres Coursiers, et décide qu’elle ira bien.

Je sors silencieusement de la foule et vers la porte. J’évite de me faire repérer en sortant. Je dois parler à Octavia. J’allais déjà la voir, mais maintenant, j’ai de raisons de lui parler.

***

J’entends le cri avant d’ouvrir la porte. Bordel. C’est quoi maintenant ?

Je me colle à côté d’une des fenêtres, écoutant attentivement. Octavia est en train de hurler à l’intérieur. Est-ce que je vais me prendre une explosion si j’entre ? Pas le temps de se poser de question.

J’ouvre la porte et je me jette hors du chemin. Rien n’explose. Je fonce dans le magasin et je vois Octavia au centre.

La jeune femme à la peau noire est en train de hurler et de se griffer le visage.

« Mes yeux ! C’est dans mes yeux ! »

Une potion couleur rouge vif… Non, vermillon est posé sur la table devant Octavia. Elle est débouchée. Immédiatement, je couvre mes propres yeux et je retiens ma respiration, mais cela ne semble pas être toxique.

Et… je suis plutôt certaine de ce que cela est. Et si c’est ce que je pense que c’est, Octavia ne fait qu’aggraver la situation en se frottant les yeux.

Je m’approche aussi rapidement que possible vers Octavia sans que je prenne le risque de renverser quelque chose. Elle est toujours en train de se frotter le visage, mais ses yeux sont tellement en train de pleurer qu’elle ne peut probablement rien voir.

« Aaaaaaaagh ! Je ne vois rien ! »

« Octavia ! C’est moi ! »

J’attrape ses mains.

« Ne frotte pas, sinon ça va s’empirer ! »

Elle ne m’écoute pas. Les doigts d’Octavia sont à ses yeux, elle est en train de me combattre alors que j’essaye de l’arrêter. Elle est forte, peut-être plus forte que moi.

« Octavia, écoute-moi, arrête ! »

Ses doigts s’enfoncent dans ses yeux et je m’arrête. Octavia hurle, pousse avec ses doigts, et ses yeux sortent de leurs orbites.

Je vois les orbes de chair bouger, et puis elles sont dans l’air, réel et horrible pendant un instant, attaché avec des fils rouges aux orbites. Et puis…

Deux pièces de cotons tissées ensemble pour ressembler à des yeux touchent le sol. Je les regarde et vois la tâche orangé et rouge de la potion sur le devant du coton.

Octavia soupire, et se relaxe dans mon emprise. Elle parle normalement en tournant deux orbites béantes vers moi.

« Oh, salut Ryoka. Est-ce que tu peux trouver mes yeux au sol ? »

Je la regarde. Le visage d’Octavia est toujours constitué de chair, mais sans ses yeux, je peux littéralement regarder dans ses orbites. Ils sont béants, et je sens que mon déjeuner remonte.

« Je… »

« Oh attends, c’est les orbites, pas vrai ? Désolé. »

Elle ferme ses paupières et je peux finalement détourner le regard. Je ramasse les deux yeux avec beaucoup de précautions, avant de les déposer dans ses mains. Octavia sourit.

« Merci, Ryoka. Je ne m’attendais pas à ce que ça fasse aussi mal. Wouah. C’est une bonne chose que tu sois venu, sinon j’aurai mis une éternité à les retrouver. »

Je hoche la tête sans rien dire, et je réalise qu’elle ne peut pas me voir. Octavia attrape la table devant elle avec précaution alors que je la regarde.

« Tu… Vas bien ? »

« Oh, bien sûr ! Désolé si je t’ai fait peur, j’étais juste en train de tester la potion que tu m’as fait faire. C’est du solide, je peux te le dire. Ça vaut la moindre pièce de cuivre que tu as investi dedans, et dès que je nettoie la mixture je serais ravi de te montrer les autres. »

Elle tâtonne sur la table, manquant de faire tomber la potion de spray au poivre, avant de la rattraper juste à temps.

« Hey Ryoka, j’ai un seau d’eau dans le coin. Est-ce que tu peux me le trouver ? »

Silencieusement, je trouve le seau d’eau et le mets devant Octavia. Elle lance les yeux dedans et commence à doucement les nettoyer.

« Hm. Je trouve que l’huile dans la potion colle bien. Je sais que j’ai une potion de nettoyage sur mes étagères. Tu peux me la trouver ? C’est vert avec des traits bleus. »

Il me faut quelques minutes pour localiser la bonne potion, mais quand je la donne à Octavia elle ajouta quelques gouttes dans l’eau qui devient aussitôt clair, et moins de dix secondes plus tard elle retire ses yeux de l’eau et les tapote délicatement avec une serviette avant de les remettre dans ses orbites.

Octavia se tourne vers moi avec un grand sourire, clignant des yeux quelques fois avant de les essuyer.

« Whew ! Désolé pour ça. C’est toujours un challenge de nettoyer le tissu si j’en renverse. Je devrais juste garder la potion à ma ceinture, mais tu sais comment c’est. »

Je la regarde. Je n’arrive pas à oublier la vision de son visage dépourvu d’œil de ma tête.

« Ca… Va ? »

« Tout va bien, merci de demander ! J’admets que ça fait très mal de recevoir ce truc dans mes yeux, mais je peux t’assurer sans prendre de risque que la potion est complète. Je te proposerai bien de l’essayer, mais tu ne peux pas retirer tes yeux de tes orbites, donc tu vas devoir me croire, d’accord ? »

Je cligne des yeux alors qu’Octavia lève la potion, et j’ai un mouvement de recul.

« Dégage ça de mon visage. »

« Oups, désolé, désolé. Laisse-moi rebouchonner ça. »

Octavia ferme la potion avant de me la tendre. Je la prends avec précaution et regarde le liquide à l’intérieur.

« Une potion de poivre, prête à aveugler tout ce que tu n’aimes pas. Elle devrait couvrir une grande surface. Fait juste attention à ne pas la lancer lorsque le vent souffle dans ta direction où tu vas finir tout aussi aveugle quand ça va te toucher. »

« Compris. Je veux dire… Merci. »

Ouaip, une potion de poivre. Pour être plus précise, c’est l’équivalent du spray au poivre. Octavia a pris tous les piments et les substances douloureuses qu’elle pouvait mélanger pour en faire quelque chose qui ferait passer du gaz lacrymogène pour de l’eau au citron.

Et oui, je lui ai demandé qu’elle m’en fasse. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle l’utilise sur elle.

Je regarde les yeux d’Octavia. Ils sont toujours un peu rouge et la peau autour de ses yeux est légèrement irrité.

« Tu es sûre que ça va ? Ce truc va te donner des plaques. »

« Bah, ce n’est pas pire que si je m’étais versé de l’acide dessus. Je vais peut-être me pencher dessus et m’assurer que tout va bien, mais je vais bien pour l’instant. »

Bien sûr. Les Tissés n’ont pas besoin de potion de soin. Ou s’ils en avaient besoin, cela serait en dernier recours. Mais c’est bien plus facile de remplacer le tissu ou de se recoudre.

« … Bonne nouvelle, alors. Je, heu… »

Je secoue ma tête et je me souviens de pourquoi je suis là.

« Est-ce que tu as une potion de soin ? Une efficace. J’en ai besoin d’une. »

« Des potions de soin ? J’en ai plein ! Tu veux quel degré de puissance ? Les bonnes sont toutes au-dessus d’une pièce d’or. »

« J’en ai besoin d’une pour Garia. »

« Oh ? »

Je lui explique brièvement ce qui s’est passé et les yeux de la Tissée s’écarquillent.

« C’est terrible ! Bien sûr que j’ai une potion de soin. La fille en a besoin ! Tiens, je te donne une ristourne. Garia pourra me rembourser. »

Elle tend la main vers une potion, mais je l’arrête.

« Garia dit qu’elle ne peut pas s’en payer une. Elle n’est pas riche, donc elle ne pourra sûrement pas payer plus de quelques pièces d’argent. »

Octavia fronce les sourcils.

« Ce n’est… Pas vraiment assez. Je suppose que je peux lui donner quelque chose de faible, mais si elle court elle a besoin de quelque chose de plus fort. »

« D’accord, donc donne-moi une potion de soin qui ne coûte que quelques pièces d’argent. Voilà le payement. »

Je mets une pièce d’or et quatre pièces d’argent sur le comptoir. Les sourcils d’Octavia se lèvent et elle me regarde.

« Ah. »

« Tu as un problème ? »

Elle hésite, et pousse les pièces vers moi.

« Garde-les. Garia est une gentille fille, et elle est une de mes plus fidèles clientes. Je détesterai la voir blesser, enfin, plus que ce qu’elle n’est déjà. »

Cela me surprend, mais Octavia prend une potion jaune sur une étagère et la met sur le comptoir.

« Celle-ci ne devrait valoir que quelques pièces d’argent. Et bien encore, elle peut l’utiliser avec parcimonie si la blessure n’est pas trop profonde. Dit lui que j’en ai encore dans ma boutique. Et parles-en aux autres Coursiers ! »

« Je le ferai. Hum. Merci. »

Légèrement gênée, je prends la potion. Octavia me sourit.

« Est-ce que c’est tout ? Comme tu peux le voir je suis toujours en train de tester et de créer certains trucs que tu m’as demandé, mais j’en ai déjà un peu si tu en as besoin. »

J’hésite, avant de hocher la tête. Tant qu’à faire. J’ai encore quelques jours avant la date où je devrai rentrer à l’auberge d’Erin, alors autant se préparer au pire en espérant le meilleur. Garia a illustré mon point.

« Je vais prendre ce que tu as de prêt. Combien as-tu réussi à en finir ? »

Octavia se tourne et bouge une petite caisse, l’ouvrant pour me montrer ce qu’il y a l’intérieur.

« La potion de poivre est prête, même si je n’ai pas trouvé un moyen de l’asperger comme tu m’as demandé. Mais tu peux toujours la jeter. J’ai deux sacs fait, et deux autres bouteilles pour toi. »

Elle me tend quelques sacs bien fermés par une ficelle. Ils sont supposés être faits en fil spécial qui ne laissera rien passer, mais je m’assure que les nœuds sont bien faits avant de les mettre dans mon sac.

Octavia pose une main sur mon bras avant de me donner les deux autres potions.

« Attention avec celles-là. J’ai dû acheter du verre enchanté pour les deux. Il y a un bouchon sur le dessus, retire-le pour que le verre s’affaiblisse et que tu puisses les jeter si tu veux. Mais attention. Si tu le brises près de toi tu risques de… »

« Je serais prudente. Tu vas continuer de travailler sur les deux autres ? »

« Bien sûr ! Quand tu reviendras, j’en aurai plusieurs de chaque. Et ensuite nous pourrons parler d’un autre deal, peut-être ? J’adorerai travailler sur d’autres projets, si tu as l’argent. »

« Je devrais, quand je reviendrais. »

Je range toutes les potions dans mon sac, les entourant avec précaution dans la couverture que j’utilisais lors de mes longs trajets. Je hoche la tête en direction d’Octavia.

« Je dois retourner voir Garia. Je te vois…

« … Plus tard. Vous les Coursiers vous êtes toujours occupés. Reviens vite, et avec plus de pièces ! »

Je quitte le magasin et descends la rue en courant. C’était une excitante poignée de minute, mais la chose la plus importante est que j’ai la potion. Avec cela en tête, je reviens à la Guilde des Coursiers et je manque de rentrer dans un autre Coursier en arrivant.

« Désolé. »

« Ma faute, passe en première. »

Il me sourit et je lui fais un hochement de tête en passant. Je ne l’ai jamais vu, mais peut-être qu’il vient de loin. Je trouve Garia et les autres là où je les ai trouvé, sauf que maintenant Garia à de la nourriture devant elle et une couverture sur ses épaules.

Fals lève les yeux vers moi alors que je marche vers lui. Il lève ses yeux.

« Ryoka, où est-ce que tu étais ? »

« J’allais chercher quelque chose. Tiens. »

Je sors la potion et je la mets sur la table devant Garia. Elle regarde la potion avec des yeux écarquillés.

« Gratuit. Avec les compliments d’Octavia. Elle dit aussi qu’elle fera une ristourne à tous les Coursiers voulant une potion de soin. »

Les autres Coursiers murmurent, approbatif, et je sais une main me taper dans le dos. Bon, peut-être qu’Octavia allait trouver de nouveau client avec ça. C’était probablement ce qu’elle voulait.

Mais elle ne mérite pas que je pense à elle comme ça. Elle m’a donné la potion pour Garia. Elle savait peut-être que cela allait lui attirer de la sympathie, mais c’est juste un bon sens des affaires liés à une gentille personne.

Garia regarde la potion, puis moi. Elle rougit de nouveau.

« Je ne peux… Elle a l’air couteuse. Je ne peux pas la prendre. Je vais te… La rembourser. »

« C’est un cadeau. Prends-la et utilises-là. »

« Mais… »

Fals donne un léger coup de coude à Garia et me fait un rapide clin d’œil. Pour une fois je suis content qu’il soit là.

« Ecoutes Ryoka, Garia. Octavia sait qu’elle peut nous faire acheter des potions si elle trouve la bonne qualité. De plus, tu as besoin de quelque chose en cas d’urgence comme pour aujourd’hui. »

Il s’arrête et fait claquer ses doigts.

« J’ai une baguette de trop avec un unique sort de [Ralentissement] enchanté dessus. Cela n’arrêtera pas les flèches, mais cela te permettra de distancer un groupe de bandit pour la prochaine fois. Tu peux venir dans ma chambre plus tard pour aller la chercher. »

Les autres Coursiers semblent apprécier l’idée. L’un d’eux offre une potion de stamina, et un autre lui dit qu’il a une dague qu’elle peut avoir. La bonne humeur demeure jusqu’à ce que j’entende une voix aigüe en face de moi.

« Certains d’entre nous gagnent assez d’argent pour qu’on puisse se débrouiller. Nous n’avons pas besoin de nous inquiéter des autres Coursiers. »

Je lève les yeux. Bon, pourquoi est-ce que les bandits n’auraient pas pu attaquer Persua ? Elle renifle en me regardant moi et Garia. Ses yeux partent un court instant vers Fals, et puis fusille Garia du regard.

« C’est quoi l’urgence ? Garia s’en est sorti une petite égratignure. Si elle était plus rapide, elle ne se serait pas fait attraper. »

Je ne suis pas une experte, mais même-moi je sais que c’est la mauvaise chose à dire. Beaucoup de Coursiers lui envoient des regards noirs, mais à mon dégoût, certains sont d’accord avec Persua. Salauds.

« Dans tous les cas, Garia devrait rembourser Ryoka… Pardon, je veux dire Octavia pour la potion. Nous gagnons tous assez d’argent, pas vrai ? Du moins, moi je le fais. »

Le visage de Garia est rouge comme une tomate, et mon souffle est court. Mes mains se serrent. Est-ce que je peux lui en coller une ? Elle n’est pas trop loin. Je pourrais réduire son foutu visage en bouillie avant que quelqu’un ne m’arrête.

Mais… non, bordel. Je ne peux pas faire cela. Je desserre mes mains et me force à sourire Persua. Elle veut utiliser les mots ? Je peux faire avec des mots.

« Oh, vraiment ? Combien est-ce que tu gagnes, Persua ? Je suis curieuse. Est-ce que tu gagnes quelques pièces d’argent où ce n’est que du cuivre ? Je gagne pas mal. Tu veux comparer ? »

Le visage exigüe* de Persua s’assombrit et elle m’envoie un regard de haine pure.


*Je ne sais toujours pas si c’est le bon mot.


« Au moins je je ne pars pas ailleurs dès que cela me plaît. Je suis une Coursière dédiée à la Guilde, pas une fille errante. »

C’était faible. J’ouvre la bouche pour répondre mais Fals intervient. Il nous regarde toutes les deux depuis la gauche de Garia.

« Persua. Ryoka. Ce n’est pas le moment. »

Elle fait un mouvement avec ses cheveux et je ferme ma bouche. Bordel. C’était mesquin. Je devrais le savoir, mais Persua…

Je n’ai jamais eu de fille au lycée me balancer sous les roues d’un wagon, elles essayaient juste de me pousser du haut des escaliers. Persua était à un tout autre niveau. Mais Fals avait raison.

Il attend quelques instants pour s’assurer que nous ne commençons rien, avant de se retourner vers Garia. Il lui parle doucement.

« Nous allons demander à la garde de mettre quelques patrouilles sur les routes. Qu’est-ce qui est arrivé à ceux qui t’ont attaqué, Garia ? »

Elle tremble et commence à parler, mais quelqu’un la coupe. Un grand gars s’avance et lève la voix.

« Ils sont morts. J’ai rapporté l’accident à la Garde locale. »

Tout le monde le regarde. Garia ouvre la bouche en grand, et je réalise que je me tiens à côté du type que j’ai vu à l’extérieur de la Guilde des Coursiers.

Le grand Coursier que j’ai vu rentrer fait un hochement de la tête aux autre Coursiers. Il regarde la tête de Garia avec intérêt avant de lui parler.

« Ravi de voir que tu n’as pas été trop gravement été blessé, Mademoiselle Coursière. J’étais inquiet, mais tu t’étais éloigné avant que je puisse te rechercher. »

Les yeux de Garia s’écarquillent, et elle essaye de se lever. Fals l’arrête, mais Garia pointe du doigt vers le nouvel arrivant.

« Tu… Tu es celui qui m’a sauvé ! »

Il n’est pas aussi beau gosse que Fals, quelqu’un lui a cassé le nez et il ne s’est jamais bien remis. Mais il a quelque chose que les autres Coursiers n’ont pas, et c’est une présence. Il est comme l’un des athlètes que tu vois aux Jeux olympiques et dans les compétitions, quelqu’un avec assez de confiance en soi et en ce qu’il font que cela se ressent dans tout ce qu’ils font.

Fals sourit au nouveau Coursier, lui tendant la main.

« Tu as sauvé Garia sur la route ? Merci, de ma part et de la part de tout le monde dans la Guilde. »

« C’est normal. »

L’étranger rend la poignée de main à Fals et sourit en retour. Ses yeux se tournent vers moi, et puis vers les autres Coursiers.

« C’est une bonne Guilde que vous avez là. Laissez-moi me présenter. Mon nom est Valceif Godfrey. Je suis un Courrier venant de Port-Fondateur. Je suis venu jusqu’ici car j’ai une livraison en direction de la ville de Liscor. »

Il hoche de la tête en direction de la pièce silencieuse.

« C’est un plaisir de faire votre connaissance. »

***

« Je ne peux pas rester. J’ai une importante livraison à faire. »

Ce fut la première chose que Valceif dit après que le brouhaha baissât suffisamment pour qu’il puisse se faire entendre. Il se tenait sur l’avant de ses pieds, regardant Fals et la carte.

« En vérité, je serais volontiers reparti il y a une heure, mais je devais m’occuper de ces bandits et faire un rapport à la Garde locale. Et… Je suis perdu. »

Il se tient au centre de la pièce comme s’il est habitué à ce genre de réaction incrédule. Je suis celle qui n’y suis pas habitué à ce genre de réaction. Les autres Coursiers, de Ville ou de Rue, traitent ce gars comme s’il était une rock star. Même Fals semble impressionné.

« C’est un plaisir de vous rencontrer. Je n’ai rencontré que deux Courriers avant cela, et jamais autant au sud. Mon nom est Fals. Je suis désolé que les guildes ne nous ont pas notifié que vous veniez au sud, hm, Valceif. »

« Appelle-moi Val. C’est un plaisir de te rencontrer, Fals. »

« Est-ce que nous pouvons faire quelque chose pour vous ? Vous devez être fatigué. De nouveau, nous ne savions pas que vous étiez en route sinon… »

Valceif secoue sa tête.

« Je n’ai pas arrêté de courir depuis que j’ai passé Invrisil. À moins que vous ayez un mage dans votre guilde, je ne suis pas surpris que vous ne soyez pas au courant de ma venue ici. »

Un mage dans une Guilde de Coursier ? Ça serait pratique, mais c’est pour des guildes bien plus grandes que celle-ci. Et est-ce qu’il a dit qu’il était venu d’Invrisil ? Est-ce que ce n’est pas la ville qui se trouve à presque mille kilomètres de là ?

Fals semble ne pas le croire aussi, mais Val se contente de sourire.

« Je vais bien. En vérité. Je ne me serais pas arrêté, mais je ne vais jamais autant au Sud et la neige rend la navigation difficile. Si tu pouvais m’indiquer l’une des routes principales sur la carte, je serais reconnaissant. »

« Mais nous aimerions vous parler. Si nous n’imposons pas, je sais que beaucoup de Coursier veulent devenir Courrier un jour. Est-ce que vous pourriez nous donner une heure de votre temps pour vous reposer ? »

Le Courrier décline de nouveau.

« Ma livraison est une priorité. Je ne peux pas m’arrêter pour discuter. Mes excuses, mais je repasserais par là en remontant. Il y aura tout de temps qu’il faut à cet instant. »

Fals hoche aussitôt la tête. Je me demande ce qui est si important pour qu’un Courrier n’est pas le temps de se reposer.

« Nous pouvons avoir un Coursier vous montrer l’endroit. Nous avons aussi une carte si… »

« Un Coursier fera l’affaire. Quelqu’un de rapide de préférence ? »

Fals hoche la tête, agité, regarde autour de lui. Bon, cela me semble être une bonne opportunité. Je lève ma voix et je m’avance.

« Je vais aussi dans cette direction. Ça te dérange si je viens ? »

Les autres Coursiers me regardent, et Val pose une question silencieuse à Fals. Il hoche la tête, soulagé.

« Ryoka est la Coursière de Ville la plus rapide de la région. Elle peut rapidement vous guider jusqu’à la route. »

« Alors, si cela n’est pas un problème, j’aimerais partir le plus tôt possible. Est-ce que cela te convient ? »

Il lève un sourcil en ma direction, et je reconnais un challenge quand j’en vois un. Je pense que j’aime presque le gars. Il est confiant, mais pas arrogant. Il me rappelle les autres athlètes que j’ai rencontrés.

« Donne-moi cinq minutes. Si ce n’est pas trop long ? »

Fals semble qu’il est sur le point de s’étouffer sur sa langue, mais Vals me fait un grand sourire.

« Cinq minutes seront suffisantes. Je serais là. »

Je hoche la tête et je bouge vers le comptoir. La réceptionniste est en train de regarder Vals, mais elle sursaute et me regarde quand je tousse.

« J’ai toujours besoin de mon payement. »

« Quoi ? Oh ! Laisse-moi juste… »

Il lui faut un peu plus de cinq minutes pour me donner mes pièces, principalement car ses mains n’arrêtent pas de trembler. Mais éventuellement, j’ai mon argent et je resserre mon sac à dos en refaisant mes lacés.

Vals hoche la tête en ma direction et s’extirpe de la foule de Coursiers.

« Prête à partir ? »

« Suis-moi. »

Il se retourne et fait un hochement de la tête vers la pièce.

« Coursiers, Mademoiselle Garia. Ce fut un plaisir de vous rencontrer. »

« Merci d’avoir sauvé… »

Oups. La porte se ferme derrière Val et moi. Nous avons déjà passé la porte. Je le regarde. C’est un Courrier ? Je me demande à quel point il est rapide.

Et comme s’il lisait dans mes pensées, Val jette un œil à mes pieds et puis vers la rue.

« La route est glissante. Si tu veux y aller tranquillement, je suivrai ton rythme. Pointe-moi dans la bonne direction et je vais continuer ma route. »

« J’ai aussi à faire à Liscor. Je vais peut-être faire route avec toi. »

« Tu es la bienvenue. »

Si tu arrives à suivre. Ni moi ni lui n’avons besoin d’entendre ses mots. Je serre les dents, mon corps est fatigué, mais c’est un challenge. C’est une course. Moi contre un Courrier. Voyons à quel point la barre est haute.

« Allons y. Essaye de suivre. »

Je ne pars pas en sprintant tout de suite. C’est une terrible idée à part pour un cent mètres. Mais je garde un rythme soutenu à travers la ville.

Val garde le rythme sans effort, je peux dire qu’il me regarde alors que je cours. Je le sais car je fais la même chose.

« Tu as une bonne forme. Il est bon de voir une autre personne qui sait courir. »

Il le dit, mais c’est ma ligne. Quand je suis venu dans ce monde je pensais que personne d’autre ne savait comment courir. Même Fals à tendance à perdre un peu d’énergie dans ses mouvements, et la plupart des Coursiers n’ont pas de bonne posture ou de forme.

Mais Val court comme un athlète sur une piste. Pas rapide, centre de gravité léger, touchant le sol avec l’avant et le milieu du pied plutôt que son talon. Lui et moi courront comme si nous tombions en avant, le corps relâché, nos pieds battant le sol gelé.

La ville disparaît derrière nous et je décide de voir à quel point ce type est rapide. Je vais dans ma course rapide, la vitesse à laquelle je cours dans un marathon. Val ne cligne même pas des yeux alors qu’il accélère.

Huh. D’accord…

Je bouge plus vite. Je suis désormais à fond la caisse. Il reste avec moi sans cligner des yeux. Donc je sprinte, je pousse dans le sol et je m’envole. Mes pieds sont peut-être ralentis par ces foutues chaussures, mais même avec elles, je peux aller terriblement vite.

Le monde devient flou autour de moi et se change en tunnel. Je frappe la terre gelée avec mes pieds le plus rapidement possible, laissant un nuage de poudreuse derrière moi alors que je fonce. Ça devrait le faire. Ça devrait le…

Val est juste à côté de moi, ses jambes traversant la neige, souriant. Il ne se moque pas, ce n’est même pas un challenge. Il est juste en train d’apprécier la course, et il est juste à côté de moi alors que je donne tout ce que j’ai.

C’est une foutu bla...

« Tu n’as pas de Compétence, ou de Classes, pas vrai ? Le fait que tu puisses courir aussi vite est très impressionnant. »

Val cri dans le vent. Je ne peux même pas me permettre l’effort de le regarder. Je donne tout ce que j’ai dans cette course. Mais j’entends sa voix, même pas essoufflé. Alors que je sens que je suis en train de chercher à reprendre ma respiration.

« C’est ce que la fille au visage exiguë de ta Guilde m’a dit. Elle ne semble pas t’apprécier. »

Persua ? En cinq minutes… Elle avait parlé ? Cette pute.

Je ne peux même pas penser. J’essaye d’aller plus vite, mais Val ne semble même pas fatigué.

« Je ne peux pas blesser ta fierté. Mais il est vrai que j’ai un job à faire. Tu es rapide, mais j’ai besoin d’aller à Liscor cette nuit au plus tard. Donc, excuse-moi. »

Il court un tout petit peu plus vite, et il me fait un hochement de tête. Puis il dit deux mots.

« [Double Pas]. »

Le monde est flou autour de moi, mais Val est comme le centre d’une lentille. Vu que nous gardons le même rythme, c’est comme s’il n’y avait que deux personnes dans le monde. Mais quand il parle, il accélère soudainement.

Je n’arrive pas à le croire. Mais soudainement Val est en train de faire deux pas à chaque fois que j’en fais un. Ses pieds sont plus flous en touchant le sol… Maintenant, j’arrive à peine à voir ses jambes bouger. il accélère, courant deux fois plus vite que moi.

En quelques secondes, il est à des centaines de mètres devant moi. C’est comme si j’étais immobile alors qu’il court. Il est rapide à ce point.

Le point flou qu’est le Courrier accélère jusqu’à la route principale, avant de s’arrêter. Puis le point flou fait demi-tour et Val apparaît à mes côtes suivant le rythme sans effort.

« On se revoit à Liscor ! Je suis à la recherche d’une étrange personne qui joue aux échecs là-bas. On m’a dit qu’un [Tacticien] Drakéide est le meilleur joueur de la ville. Après que je l’ai trouvé, je vais prendre un verre ou deux. »

J’hoche la tête, et c’est tout ce que je peux faire. Val me fait un sourire, et lève deux doigts vers son front. Il accélère, et bouge de nouveau plus rapidement que moi, plus rapidement que n’importe quel être humain de mon monde. Il fonce sur la route enneigée, soulevant d’épais nuages de neige derrière lui.

En moins d’une minute, il est tellement loin que ce n’est qu’un point à l’horizon. Je le perds de vue après ça.

Je ralentis et j’arrête de courir. Mes chaussures glissent légèrement sur la neige compacte, et je sens mes pieds frotter contre le cuir et se brûler. J’aurai probablement une cloque ou deux, mais cela ne me concerne pas pour l’instant.

Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine. L’air froid brûle mes poumons. Je sens mon corps qui essaye de se remettre alors que mes jambes hurlent d’agonie. Je regarde la route vide, et prononce un seul mot.

« Putain. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 08 octobre 2020 à 14:23:10
2.16 - Première Partie
 
Traduit par EllieVia


Elle était Reine, et pas lui. En théorie, cela signifiait qu’il devait obéir à tous ses ordres.  Mais la théorie se substituait très mal à la pratique, et les Antiniums avaient appris il y a bien longtemps qu’il n’était pas sage de faire confiance à une entité unique pour prendre les meilleures décisions de manière systématique.
 
La position de Prognugator avait ainsi été établie, et leur conception avait fait l’objet d’un travail considérable. Chaque Prognugator était en mesure d’assister sa Reine en se chargeant des affaires mineures de la Colonie, voire de la mettre en garde s’il pensait qu’elle faisait erreur.
 
De tels incidents étaient rares, mais pas inconnus par ce système qui s’était avéré fonctionnel. Et pourtant, cet Antinium précis n’était ni un Prognugator ni une autre Reine, et possédait cependant une autorité qui lui était propre.
 
Klbkch, le Revelantor nouvellement réincarné des Antiniums Libres, était techniquement un rang au-dessus d’un Prognugator. Il pouvait même ignorer les instructions de sa Reine, telle était la nature de ses devoirs.
 
Il y avait toutefois une différence entre une désobéissance délibérée dans le cadre d’un objectif supérieur et une rébellion. Klbkch obéissait encore aux ordres de sa Reine pour les affaires courantes, et elle pouvait remettre en question ses actes autant qu’il pouvait remettre en question les siens.
 
Comme en ce moment.
 
“Des fenêtres vitrées ? Pourquoi, Klbkchhezeim ?”
 
Klbkch baissa la tête, agenouillé devant sa Reine.
 
“J’ai considéré qu’il s’agissait d’une dépense nécessaire, ma dame. La Colonie peut largement couvrir ce coût, après tout.”
 
“”Pouvoir” n’est pas la même chose que “devoir”. De plus, tu étais en train de rebâtir une auberge que l’humaine avait elle-même détruite. Pourquoi gaspiller les ressources de la Colonie pour quelque chose d’aussi trivial ?”
 
“Nous avons largement les fonds pour cela.”
 
C’était vrai, mais et alors ? La Reine savait que sa Colonie avait assez d’or pour acheter des fenêtres en verre pour la majeure partie de Liscor. Ils fournissaient des services précieux grâce à leurs Ouvriers, bien qu’ils prennent soin de ne pas prendre trop de travails aux citoyens locaux.
 
D’ailleurs, ils sous-produisaient régulièrement lorsqu’ils fournissaient un service. Les Ouvriers Antiniums pouvaient construire et déconstruire des bâtiments dans la nuit s’ils le souhaitaient. Ils étaient efficaces, inépuisables, et n’avaient pas besoin de se préoccuper d’instruments de mesure ou de travailler à partir de plans.
 
Il serait aisé de conquérir la majeure partie de l’industrie liscorienne, mais cela mènerait invariablement à une catastrophe économique. Et la Colonie était conçue pour travailler de concert avec d’autres espèces, et non les diviser.
 
C’est la raison pour laquelle que bien que les Antiniums Libres occupent une part vitale de l’économie, ils laissaient largement assez de travail et d’opportunités de faire affaire avec d’autres espèces. Ils achetaient beaucoup de choses - de la nourriture, des objets artisanaux, et des vêtements, bien qu’ils n’aient que peu besoin de tout cela. La Colonie pouvait produire tout ce dont les Antiniums avaient besoin, mais personne n’était obligé de le savoir.
 
Rien de tout cela ne justifiait un gaspillage inutile. La Reine dévisagea Klbkch d’un air sévère.
 
“Explique-toi. Est-ce un cadeau à offrir à cette enfant humaine, ou une sorte de pot-de-vin ?”
 
“Un cadeau, ma Reine. Un acte bienveillant, de sorte qu’elle puisse nous assister dans nos tâches.”
 
“Hmf. Je vois.”
 
Klbkch écarta les mains. Il n’en avait que deux, ce qui dérangeait encore la Reine. Mais elle lui avait donné cet attribut à sa demande, et l’efficacité de cette nouvelle forme prouverait son efficacité en temps voulu.
 
“Nous avons bien plus besoin d’Erin Solstice qu’elle n’a besoin de nous. Et je pense que nous ne devrions pas la forcer à nous apporter son aide. Nous bénéficierons de ces petits cadeaux et des services rendus sur le long terme.”
 
“C’est le fait que ce soit elle, une simple humaine, qui ait réussi à accomplir le rêve des Antiniums qui me trouble profondément, Klbkchhezeim. Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi, après si longtemps, cela peut-il être si simple ?”
 
Klbkch tenta d’apaiser l’agitation qu’il sentait chez sa Reine. Il s’exprima calmement et distinctement.
 
“Peut-être que c’est parce que nous avons agi de manière irréfléchie et que nous n’avons pas abordé le problème avec la bonne approche. Nous n’avions aucune idée de la manière par laquelle nous allions pouvoir accomplir l’impossible. Et peut-être… peut-être parce qu’Erin Solstice n’est pas une humaine ordinaire.”
 
“Je vois.”
 
Et en effet, la Reine comprenait bien plus que les simples mots de Klbkch. Elle savait qu’il gardait secrètes des informations au sujet de l’humaine connue sous le nom d’Erin Solstice. Elle n’en avait cure. Klbkch était loyal et si elle ne lui avait pas implicitement fait confiance, il n’aurait pas survécu à cette journée. Il l’irritait parfois, tout simplement. Mais ils formaient tous deux un binôme depuis si longtemps qu’elle ne se souvenait plus du temps où il n’en avait pas été ainsi. C’était comme cela qu’ils fonctionnaient, tous les deux.
 
“Le nouveau, Ksmvr. Il éprouve des difficultés à endosser ta position.”
 
“Est-ce surprenant ? Il est nouveau. Laissez-lui le temps.”
 
“Je l’aurais tué pour son échec, autrefois.”
 
“Il ne savait pas. J’ai rectifié sa manière de penser. Et la Colonie a besoin d’un Prognugator.”
 
“Mm.”
 
La Reine s’agita. La situation actuelle ne lui plaisait pas du tout. C’était étrange, étant donné qu’ils avaient enfin accompli une partie du rêve des Antiniums.
 
“Quelles sont les autres nouvelles du monde de la surface ?”
 
Klbkch hocha la tête. Il marqua une pause pour prendre le temps de réfléchir. Un Ouvrier ne marquait jamais de pause, pas plus qu’un Soldat. Mais aucune des deux formes ne réfléchissait vraiment. La réflexion était une capacité que la Reine avait appris à apprécier plus que toute autre. Elle attendit patiemment.
 
“Les Tympans au sud ont rapporté la présence d’un groupe de guerriers Gnolls se dirigeant vers la ville. À leur tête, un guerrier de haut niveau, et tous appartiennent à la Tribu des Crocs d'Argent.”
 
“Intéressant. La même tribu que le groupe précédent ? Scruta l’Omnisciente a décimé le dernier groupe de guerriers. Quelle raison désespérée peut-elle justifier le fait de risquer une deuxième expédition ?”
 
“Erin Solstice, peut-être. Ou peut-être une convergence d’événements.”
 
“Hrm. Assure-toi qu’ils ne perturbent pas le plan.”
 
“Oui.”
 
“Autre chose ?”
 
“Les Tympans ont rapporté la présence d’un Courrier venu livrer un colis venu du nord. Il est déjà en ville et demande à voir le Drakéide du nom d’Olesm.”
 
“Enfin une chose qui ne concerne pas Erin Solstice.”
 
Klbkch marqua de nouveau une pause puis, pour la première fois depuis des années, la Reine décela de l’humour dans sa voix.
 
“Pas exactement, ma dame. Il demande à voir le meilleur joueur d’échecs de la ville. Il pense qu’il s’agit d’Olesm, mais…”
 
La Reine se décala de sa place dans la caverne, traînant son corps enflé. Sa voix s’éleva et les Soldats qui montaient la garde à l’entrée de sa chambre s’agitèrent.
 
“Pourquoi le monde tourne-t-il autour d’une unique petite humaine ? Qu’est-ce qui la rend donc si unique ?!”
 
La rage de sa dirigeante ne perturba pas Klbkch, et sa voix fendit son ire lorsqu’il haussa à son tour le ton.
 
“Peut-être parce qu’elle fait partie d’un dessein encore plus grand, ma Reine. Un dessein que nous n’avons pas encore élucidé, mais qui inclut Erin Solstice. Et elle n’est pas la seule. Ryoka Griffin, Erin Solstice… sont des pièces du puzzle. Je crois qu’elles sont connectées à d’autres anomalies découvertes par les Colonies.”
 
Cette déclaration coupa sa Reine dans son élan. Elle hésita, et pris le temps d’assimiler les messages silencieux qu’il lui transmettait par leur lien télépathique.
 
“Il faut discuter de tout cela. Trouve d’autres éléments. Je vais parler avec les autres. Pendant ce temps, trois Colonies ont envoyé des membres. Ils souhaiteront voir les Aberr… les Individus. Assure-toi qu’ils restent en sécurité.”
 
“Avec votre permission, je vais les envoyer à l’auberge - sous bonne garde - avec d’autres Ouvriers pour poursuivre leur apprentissage des échecs.”
 
“Accordée. Fais ce que tu dois, Klbkch. Je vais m’occuper des affaires de la Colonie, sans me préoccuper des affaires de la surface.”
 
“Merci, ma Reine.”
 
Elle soupira. Elle avait perdu son plus proche confident, son deuxième palpe, sa lame et son bouclier. Le poids de ses devoirs s’alourdit sur ses épaules.
 
Toutefois. Toutefois, le temps était au changement. Une époque de révélations glorieuses et de succès. Elle le sentait dans tout son être. Encore un peu, et peut-être…
 
“Ils seront là sous peu. Fais ce que tu peux concernant cette aubergiste jusqu’à ce moment-là.”
 
“Oui.”
 
Il n’y avait plus rien à dire. La Reine leva un palpe languide et s’interrompit. Une dernière pensée lui fit reprendre la parole.
 
“... Es-tu bien certain qu’elle n’a plus de ces mouches acides ?”
 
“Oui, ma dame.”
 
“Dommage.”


***

Il était une fois une vieille cité. Mille ans plus tôt, elle se dressait, droite et fière, un royaume riche à la fois de magie et de trésors. Mais comme toute chose, elle finit par s’effondrer. Les cœurs des gens rapetissèrent, ou leurs dirigeants devinrent peut-être arrogants et cruels. La cité finit par céder à la corruption qui la rongeait de l’intérieur.
 
Ils verrouillèrent leurs portes, et bâtirent des armes terribles. Les survivants créèrent des pièges pour protéger leurs richesses et lâchèrent des monstres entre les murs de leurs maisons. Ils enfermèrent la plus puissante de leurs reliques, défiant quiconque de venir la chercher dans cet endroit envahi par la mort.
 
Un truc comme ça. Erin n’était pas vraiment certaine des détails, mais les anciennes ruines étaient apparemment une grande trouvaille, et tout le monde était à la fois excité et terrifié.
 
Excité, parce que tu pouvais trouver l’Unique anneau du pouvoir dans les ruines. Terrifié, parce que Sauron lui-même se trouvait peut-être là-dessous, prêt à t’arracher un œil.
 
Dans tous les cas, l’histoire n’avait aucun sens.
 
“Comment diantre peut-on oublier l’existence d’une ville entière ?”
 
Olesm haussa les épaules, impuissant, en réfléchissant à son prochain coup. Erin attendit de voir s’il décidait qu’il valait mieux perdre son fou que son cavalier. Certes, la tradition voulait que les fous aient plus de valeur dans le temps, mais son cavalier pouvait menacer son roi. Du moins jusqu’à ce qu’elle le prenne avec un petit piège qu’elle avait préparé avec son cavalier et sa reine.
 
“La Capitaine a été aussi surprise que le reste d’entre nous. Je veux dire, c’était vraiment un coup de chance de découvrir ça. On cherchait quelque chose pour nous aider à déterminer l’espèce d’Écorcheur, et voilà qu’on trouve une carte presque complète et un livre de textes indéchiffrables.”
 
Ceria regarda Olesm soigneusement sauver son fou d’une mort certaine. Erin prit son cavalier et se mit à avancer vers le roi d’Olesm en continuant leur conversation.
 
Cela faisait longtemps qu’Olesm ou Erin n’avaient pas joué aux échecs. Ils avaient donc tous deux pris le temps de faire quelques parties après avoir établi qu’il n’y avait pas de deuxième Écorcheur prêt à leur arracher le visage.
 
Olesm aurait vraiment pu attendre jusqu’à demain. Mais comme le sommeil les avaient de toute manière toutes les deux fuies après le cauchemar de Ceria, elles étaient restées debout et avaient repris des forces avec un petit déjeuner chaud et des parties d’échecs. Enfin, Erin et Olesm jouaient aux échecs. Ceria se contentait de regarder.
 
“On pourrait croire qu’il pourrait y avoir au moins une personne pour s’en rappeler, non ?”
 
“Je ne sais pas. C’était il y a vraiment longtemps, et j’imagine que si personne n’est tombé sur les ruines entre-temps, les gens ont oublié. Les textes ont peut-être des milliers d’années. Parfois, les gens tombent sur des ruines datant de l’époque où les Elfes parcouraient encore la terre.”
 
“Vraiment ?”
 
“Oui. Zevara dit que… eh bien, elle s’inquiète de savoir s’il s’agit d’un donjon magique ou s’il est juste très vieux. Écorcheur tend à prouver qu’il serait magique, ce qui serait un problème.”
 
“Hum. Les donjons ne sont-ils pas tous magiques ?”
 
“Non… ou du moins, beaucoup de donjons ont des trucs magiques à l’intérieur, c’est vrai, mais un donjon magique a une espèce de source de mana. C’est … enfin, tu peux expliquer, Ceria ?”
 
“Ouais.”
 
La demi-Elfe hocha la tête. Elle commença à croiser les mains derrière sa tête mais s’en empêcha.
 
“Les donjons magiques sont particuliers parce qu’ils ne tombent pour l’essentiel jamais à court de monstres. Et leur niveau de danger n’a strictement rien à voir avec celui des donjons non-magiques.”
 
Erin captura l’un des pions d’Olesm et il grogna.
 
“Pourquoi ?”
 
“Le mana des donjons attire des monstres plus vicieux. De plus, il est possible qu’il les rende plus fort. Si on ajoute à cela le fait que la chose à l’origine du mana est d’ordinaire incroyablement mortelle, on aboutit à des donjons qui ne se font jamais vraiment nettoyer. Les cités et les nations aux alentours se contentent d’y poster des gardes et d’engager des aventuriers pour surveiller les populations de monstres des étages les plus élevés et de prier pour que rien de trop dangereux n’en sorte.”
 
“Ça a l’air affreux. Et il y aura d’autres monstres semblables à Écorcheur ?”
 
“Les tombes ressemblaient à celles d’un donjon non magique, malgré les morts-vivants. Donc, non. Le reste du donjon pourrait être bien pire.”
 
Erin frissonna.
 
“Est-ce qu’il y a une seule bonne nouvelle ?”
 
Olesm secoua la tête, mais ce n’était que parce qu’Erin était sur le point de le mettre en échec et mat.
 
“Peut-être. Ça pourrait être bon pour les affaires. Quand les aventuriers entendront parler du fait qu’il y a un énorme donjon ici, ils vont envahir la ville.”
 
“Je croyais qu’ils l’avaient déjà fait. Et après, ils ont fui.”
 
“C’étaient là des aventuriers Bronze et Argent. Mais un donjon magique confirmé aussi vieux que ça ? Ça va attirer des Aventuriers Légendaires et Or, peut-être même venus des autres continents.”
 
“Wow. Ça a l’air à la fois bien et pas bien.”
 
“Mmh. Est-ce que c’est échec et mat ?”
 
“Dans deux coups.”
 
Olesm soupira et inclina son roi. Il contempla tristement l’échiquier et secoua la tête.
 
“Je croyais que les quelques niveaux que j’avais gagnés allaient changer les choses, mais ce n’est pas le cas.”
 
“Tu t’améliores.”, le rassura Erin.
 
Elle jeta un œil à travers l’une de ses charmantes fenêtres vitrées et fronça les sourcils en voyant le ciel. Il commençait à faire jour dehors.
 
“Hm. Bizarre. Je pensais que j’aurais quelques visiteurs de plus à présent.”
 
“Des visiteurs ? Tu parles des Antiniums ? Ou des Gobelins ?”
 
“Non, je parle de visiteurs. D’invités. De gens que je ne connais pas qui veulent acheter plein de nourriture et me donner de l’argent.”
 
Erin soupira. Elle se tourna de nouveau vers la fenêtre. Elle pouvait voir la ville au loin, mais personne qui ne monte chez elle.
 
“Vous voyez, j’ai vendu des hamburgers toute la journée hier et j’étais certaine que tout le monde allait se précipiter ici aujourd’hui pour en avoir encore. Mais ils n’ont peut-être pas faim ? Ou ils dorment encore ?”
 
Olesm s’agita en replaçant les pions.
 
“Oh… à ce sujet...”
 
Quelqu’un ouvrit la porte. Erin se retourna, un sourire éclatant aux lèvres.
 
“Bonjour, bienvenue ! Entrez et… oh. C’est toi.”
 
Pisces traîna de la neige à l’intérieur en s’engouffrant dans la pièce bien chauffée. Il regarda autour de lui d’un air distrait, puis s’avança vers Erin.
 
“Ah. Te voilà. Ton auberge a changé de place. Pourquoi a-t-elle changé de place ?”
 
Erin fronça les sourcils et se demanda si c’était un avant-goût de la journée qui allait suivre. Pisces n’était pas son client préféré. Pour tout dire, elle préférerait avoir presque n’importe qui d’autre que lui dans son auberge.
 
Mais elle hésita et reconsidéra cette affirmation en voyant Pisces approcher. Il avait l’air plus maigre qu’à l’accoutumée, et sa robe était encore plus sale que d’habitude. Quand l’avait-elle vu pour la dernière fois ? Un jour avant ?
 
Non... pas depuis qu’ils étaient sortis des Ruines avec Ceria. Normalement, Pisces débarquait dans son auberge au moins tous les deux jours. Où était-il allé ?
 
Les cheveux en bataille du mage ressemblaient à un nid de moineaux, et ses yeux étaient injectés de sang. Mais il avait un sourire maniaque sur le visage lorsqu’il s’approcha. Il tenait quelque chose serré entre ses deux mains, et Erin le dévisagea avec méfiance.
 
“Pisces. Que fais-tu ici ?”
 
“Je viens de faire une énorme - non, une percée exceptionnelle dans le domaine de la nécromancie. J’ai formulé, à moi seul, une nouvelle branche de la magie.”
 
Il regarda le reste de la table et ne parut remarquer que maintenant la présence de Ceria et Olesm.
 
“Ah. Springwalker. Drakéide. Salutations.”
 
Ceria leva un œil sur Pisces. Elle ne parut pas surprise par son état échevelé.
 
“Pisces. Quelle folie as-tu encore concoctée cette fois-ci ?”
 
Erin n’était pas sûre de vouloir le savoir. Mais Pisces avait clairement hâte de lui montrer. Il ouvrit les mains.
 
Admirez cette merveille !
 
Il leva une main pour montrer à Erin ce qu’il tenait dans sa paume. Erin cilla en apercevant quelque chose de petit et… rampant ?
 
Gyaaah ! Une araignée !
 
Elle lui rabattit la main vers le haut et l’araignée atterrit sur le visage de Pisces. Il cria.
 
Enlevez-la-moi !”
 
La petite araignée sauta de son visage et atterrit par terre. Elle se précipita vers Olesm, le Drakéide glapit et tomba de sa chaise. Mais l’araignée ne lui accorda aucune attention. Elle grimpa sur un pied de table et rampa sous la table pour atteindre le haut. Là, elle s’arrêta, et fit face à Olesm en silence.
 
“Une araignée ! Écrasez-la !”
 
Ceria attrapa Erin qui levait l’échiquier pour réduire l’affreuse bête en bouillie. La demi-Elfe la retint le temps que Pisces se relève.
 
“Ne lui fais pas de mal ! C’est ma création !”
 
“Quoi ?”
 
Pisces haletait. Il pointa un doigt tremblant sur l’araignée qui restait immobile face à lui.
 
“Elle est morte. Morte-vivante, pour être plus précis.”
 
Erin regarda fixement l’araignée. Lorsque la peur instinctive qui l’avait saisie la quitta, elle comprit ce que Pisces était en train de dire.
 
“Non. Tu as fait une araignée morte-vivante ?”
 
Pisces montra d’un geste la petite araignée comme s’il pouvait en être fier.
 
“Je suis peut-être le premier [Nécromancien] depuis des années à être parvenu à maîtriser l’animation d’espèce dénuée d’os. J’ai même appris une nouvelle Compétence. Et j’ai gagné des niveaux !”
 
Erin débattit intérieurement pendant quelques secondes pour savoir si elle devait le frapper lui ou l’araignée. Puis elle laissa tomber et accepta que tout ceci était l’horrible réalité.
 
Elle regarda l’araignée. Elle était plutôt petite, maintenant qu’elle la regardait de plus près. Cela n’arrangeait en rien la situation.
 
Elle ressemblait aux araignées d’Australie ou d’Amazonie dont on entendait parler à la télévision, celles qui pouvaient vous tuer d’une seule morsure. Son corps était noir, mais de la chitine rouge recouvrait ses pattes comme une armure.
 
En effet. Cette araignée paraissait porter une armure, pas seulement une carapace. Erin frissonna. Elle la regardait sans bouger, comme n’importe quel autre mort-vivant. Mais c’était une araignée. Ce qui rendait la situation bien pire.
 
“D’accord. Tu viens officiellement de créer la chose la plus horrible qui existe. Des araignées mortes-vivantes. Contente pour toi. Maintenant, sors cette chose de mon auberge.”
 
Pisces cilla. Il montra de nouveau l’araignée.
 
“Mais c’est ma dernière création. C’est une merveille. C’est…”
 
“Sors. La. D’ici. Ou je l’écrabouille.”
 
Pisces dévisagea Erin. Puis il fronça les sourcils et pointa le doigt. L’araignée morte-vivante bondit instantanément de la table et sortit par la porte ouverte. Erin referma la porte derrière elle et frissonna.
 
“Il ne pourrait pas y avoir quelqu’un de normal dans mon auberge pour une fois ?”
 
Pisces trouva une chaise retournée, la contempla, et en prit une qui était déjà dans le bon sens à la place. Erin le fusilla du regard en retournant la première chaise.
 
“Bien, je pense que mes efforts ont été remarqués. J’aimerais manger, s’il te plaît. Je suis relativement affamé.”
 
Le moment qui suivit fut étrange. Erin et Ceria lancèrent toutes deux un regard noir à Pisces au même moment, et toutes deux purent voir que l’autre avait envie de lui assener une claque derrière la tête. Ce qui les fit sourire.
 
Olesm avait l’air d’avoir envie de jeter quelques-uns des pions qu’il rassemblait sur le mage. Mais il se retint. Au lieu de cela, il s’assit à la table, replaça les pièces sur l’échiquier et reprit la parole.
 
“Je ne vois pas ce qu’une araignée a de si impressionnant. Certes, c’est une forme unique de Nécromancie, mais en quoi est-ce plus impressionnant qu’une armée de zombies ?”
 
Pisces renifla. Il posa les mains sur la table et regarda la cuisine d’un air appuyé. Erin ignora son regard.
 
“Il s’agit plus d’une révélation que la Nécromancie peut être appliquée à des types de cadavres plus inhabituels qu’autre chose pour le moment. Les araignées animées ne pourraient servir que dans le cadre d’embuscades ou de missions de reconnaissance dans un contexte militaire. Les os et la chair sont en effet plus simples d’utilisation, mais c’est l’amélioration en tant que telle que je voulais vous montrer.”
 
Il hocha la tête en direction d’Erin.
 
“Tu te souviens peut-être de m’avoir interrogé sur la possibilité d’utiliser des restes non-humanoïdes pour créer des morts-vivants. J’ai relevé ton défi, et le fruit de mon labeur est manifeste.”
 
Erin se souvenait vaguement d’avoir titillé Pisces à ce sujet. Elle regretta d’avoir amené le sujet un jour.
 
“Super. Tu peux faire des araignées mortes-vivantes, maintenant. On n’a pas de problème, toi et moi, tant que tu les gardes loin d’ici. Mais ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse. Je suis plutôt intéressée par un squelette. Toren.”
 
Pisces regarda Erin en fronçant légèrement les sourcils, puis il balaya l’auberge du regard.
 
“Qu’a donc ma création ? Est-ce qu’il y a quelque chose… d’anormal chez lui ?”
 
Erin tenta d’expliquer aussi brièvement que possible ce qu’il s’était passé. Pisces leva les yeux au ciel lorsqu’elle lui expliqua son ordre de partir, mais il avait l’air concentré sur le problème, au moins.
 
“Il est parti. Je ne le trouve nulle part. Tu ne saurais pas comment le retrouver, par hasard ?”
 
Le mage marqua une pause, et ferma les yeux.
 
“Étrange. Je devrais pouvoir dire où il se trouve, mais j’en suis incapable.”
 
Ceria s’assit en face de Pisces.
 
“Je croyais que les [Nécromanciens] pouvaient toujours dire où se trouvaient leurs créations même s’ils les reliaient à quelqu’un d’autre.”
 
“Normalement, c’est le cas. Mais je… ne sens son aura nulle part.”
 
Erin dévisagea Pisces d’un air inquiet.
 
“Il n’est pas mort, si ?”
 
“Il est mort-vivant.”
 
Il renifla d’un air méprisant. Erin serra le poing d’un air menaçant, et Pisces reprit précipitamment la parole.
 
“Ce que je veux dire, c’est qu’il est encore animé, mais je n’arrive pas à déterminer sa localisation. Je le saurais si Toren avait été incréé, mais je ne peux le localiser. C’est presque comme si… quelque chose interférait avec son aura.”
 
“Un pic de magie ? Une concentration de mana ?”
 
Pisces hocha la tête à l’attention de Ceria.
 
“Quelque chose dans le genre. Je pourrais essayer de me rapprocher, mais cela demanderait beaucoup de travail.”
 
“Et donc ? Qu’est-ce qui t’en empêche ?”
 
Erin posa les poings sur ses hanches et dévisagea Pisces. Il cilla.
 
“Pourquoi ferais-je cela ? Le squelette reviendra un jour ou l’autre, qu’importe tes ordres. C’est dans sa nature. De plus, j’ai plutôt faim. Comme je l’ai déjà dit. Est-ce que tu pourrais m’apporter le menu, ou le plat du jour ?”
 
“Bien sûr ! Parce que je n’ai qu’envie de faire à manger pour un mage qui apporte des araignées dans mon auberge et ne me paie jamais !”
 
Répondit Erin en haussant la voix et en se tirant les cheveux. Pisces était impossible. Ceria lui mit un coup de poing dans l’épaule et Pisces la regarda d’un air blessé en se frottant l’épaule.
 
“Si ton squelette n’est pas revenu demain je jetterai un œil. Mais il me faut de la nourriture pour jeter des sorts, et je suis resté reclus ces derniers jours. Quelques heures ne changeront rien. Et je suis un client estimé. Sauf si tu en attendais d’autres ?”
 
“Je pensais que j’aurais des centaines de clients à présent ! Ou au moins dix !”
 
Erin fit les cent pas dans son auberge en réfléchissant à ce qu’elle pourrait servir à Pisces qui lui demanderait le moins d’effort. Elle pointa furieusement la ville du doigt à travers sa fenêtre.
 
“J’ai fait plus de quatre cents hamburgers hier, et pas une seule personne n’est venu en racheter ! Comment ça se fait ?”
 
“Hamburger ? Intéressant. Je vais en essayer un.”
 
Olesm toussa dans une main écailleuse pendant qu’Erin émettait un bruit étranglé.
 
“Je peux expliquer cela, Erin.”
 
Elle le regarda. Le Drakéide avait un air d’excuse.
 
“J’ai vu beaucoup de commerçants et de vendeurs dans les rues en venant ici. Il n’y en avait pas beaucoup d’ouvert si tôt, mais tous vendaient des hamburgers.”
 
“Quoi ?”
 
Ils avaient pris sa recette ? Enfin, ce n’était pas sa recette, mais elle avait quand même l’impression d’avoir été volée.
 
Erin dévisagea Olesm, blessée. Ce n’était pas juste. En fait, si. Erin ne possédait pas la recette des hamburgers et c’était vraiment facile à faire, mais elle avait tout de même l’impression que c’était mal. Ryoka l’avait prévenue. Erin ne s’était juste pas attendue à ce qu’elle soit copiée en une nuit.
 
“Mais j’ai d’autres choses que les hamburgers ! J’ai d’autres plats que je suis carrément prête à faire.”
 
“Vraiment ? Je vais goûter tout cela et te donner mon opinion réfléchie.”
 
“Je suis désolé, Erin. Mais c’est comme ça que ça marche. Tu as une très bonne idée, et les autres décident de te copier. Ils ont plutôt bien retrouvé ta recette. La seule chose qu’ils n’aient pas réussi à comprendre c’est comment faire les sauces rouge et blanche.”
 
La mayonnaise et le ketchup. Il lui restait ça, au moins, même s’il était tellement désagréable de confectionner les deux condiments que cela ne la fit pas se sentir mieux. Elle s’affala sur une chaise et soupira.
 
“Super. Et moi qui pensais avoir mon auberge pleine à craquer ce soir.”
 
“J’en suis désolé, Erin. Si ça peut aider, je pense que Relc et Klbkch viennent ce soir. Et quelques Antiniums aussi, probablement.”
 
Ceria frotta le dos d’Erin. Erin hocha la tête. C’était une bonne chose qu’elle ait une clientèle régulière, mais ses espoirs venaient de s’envoler en fumée. Elle avait vraiment cru qu’elle avait trouvé sa spécialité.
 
“... D’accord. J’imagine que je peux faire un stupide cheeseburger ou autre.”
 
Pisces leva un doigt.
 
“Je préfèrerais ce “hamburger”, pour tout dire. Je préfère la viande.”
 
“C’est la même chose !”
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 08 octobre 2020 à 14:25:39
 
2.16 - Deuxième Partie
 
Traduit par EllieVia

***


Il fallut à Erin le temps de faire un cheeseburger à la va-vite et de l’amener à un Pisces appréciateur pour commencer à se sentir un peu mieux. Elle s’assit avec Olesm et Ceria, écouta les bruits appréciateurs du mage et se dit que la journée n’allait peut-être pas être si terrible.
 
Certes, elle était déçue pour les clients, mais…
 
Quelqu’un frappa à la porte de son auberge. Erin écarquilla les yeux et elle arrêta d’écraser Olesm aux échecs pour sourire au Drakéide.
 
“Aha ! Tu vois ? Premier client de la journée.”
 
Il cilla et Erin haussa la voix.
 
“Entrez !”
 
La porte s’ouvrit. Mais au lieu de la Drakéide et de la Gnolle auxquelles Erin s’était attendue, un humain apparut dans son auberge. Il secoua ses chaussures pour en enlever la neige et entra.
 
“Bien le bonjour. Je cherche un Drakéide du nom d’Olesm. Il ne serait pas là, par hasard ?”
 
“Quoi ?”
 
Olesm leva les yeux de la partie d’échecs et le jeune homme à l’entrée le repéra. En quelques pas, il se retrouva à la table d’Erin et Olesm.
 
Erin cilla devant le type, tellement surprise qu’elle faillit ne pas s’émerveiller devant la vitesse à laquelle il avait bougé. C’était un humain ? Un mec humain ?
 
Oui, c’était un humain classique. Il avait la peau bronzée, des cheveux noirs, et un nez légèrement aquilin. Il était vêtu de vêtements de voyage, et il avait l’air d’être extrêmement en forme.
 
Olesm se leva.
 
“Je suis Olesm. Hum, est-ce que tu es une sorte de messager ?”
 
“Je suis un Courrier de Port-Fondateur. J’ai un colis pour le meilleur joueur d’échecs de la ville de Liscor. Est-ce que c’est toi ?”
 
Le Drakéide écarquilla les yeux en dévisageant le Courrier, puis il se tourna vers Erin.
 
“Un Courrier ? C’est… je veux dire, oui, je suis le meilleur joueur d’échecs de Liscor, mais Erin ici présente est bien meilleure que moi. C’est à quel sujet ?”
 
“J’ai un colis. Je n’ai pas le nom du bénéficiaire, mais on m’a donné pour instruction de livrer ceci à quiconque reconnaîtrait ce dessin.”
 
Le Courrier plongea la main dans sa poche et en sortit quelque chose. Tout le monde regarda fixement le morceau de parchemin usé et délavé. Erin le reconnut immédiatement lorsqu’il le déplia.
 
L’encre avait coulé là où des gouttes d’eau étaient tombées, et quelqu’un avait renversé un liquide orange sur un coin du parchemin, mais elle vit d’un côté un puzzle d’échecs simple, et de l’autre la solution détaillée qu’elle avait écrite au dos du parchemin.
 
De l’autre côté se trouvait un petit jeu d’échecs complexe qui lui avait donné du fil à retordre autrefois et qui avait ici été résolu en quatre coups. Olesm prit le morceau de papier des mains du Courrier et inspecta les lignes gribouillées à côté du puzzle, les serres tremblantes.
 
“C’est… juste. Juste ! J’ai galéré pendant une semaine sur celui-là. Quelqu’un d’autre au trouvé la solution ?”
 
“Ah, donc tu es le créateur de cette… chose ?”
 
Le Courier leva un épais paquet emballé de son sac à dos. Olesm cligna des yeux et secoua vivement la tête.
 
“Moi ? Non, j’ai déjà peiné à le résoudre. C’est Erin qui a créé le puzzle.”
 
Il pointa Erin du doigt. Elle cilla et rougit lorsque le Courrier se tourna vers elle. Il était plus grand qu’elle de bien dix centimètres, et il l’examina avec attention.
 
“Mes excuses. Tu es la créatrice de ce puzzle ? Je m’appelle Valceif. Val. On m’a dit de te livrer ceci.”
 
“Moi ? Oh, je suis Erin. Erin Solstice. Je, euh, j’ai fait ça, mais je ne m’attendais à rien en retour. Juste… une lettre, c’est tout. C’est à quel sujet ?”
 
“Je n’en sais vraiment rien, Miss Erin. Je ne suis qu’un Courrier. Quelqu’un a posté une commande généreuse pour une livraison prioritaire à l’attention de quiconque avait envoyé ce morceau de papier. Je suis censé te le donner, si tu l’as fait.”
 
“J’ai fait ça, oui. Mais… qu’est-ce que c’est ?”
 
Val jeta un œil à quelque chose dans sa main gauche.
 
“Hm. Tu ne mens pas, ce qui fait de toi la bénéficiaire.”
 
Il lui offrit le colis, mais Erin était encore métaphoriquement à dix mètres derrière la conversation. Elle cligna des yeux en regardant sa main.
 
“Comment sais-tu que je ne mentais pas ? Est-ce que c’est une Compétence ?”
 
Val secoua la tête. Le Courrier ouvrit la main, et montra à Erin un morceau de quartz transparent attaché à un lien de cuir. La pierre claire luisait d’une couleur jaune.
 
“Juste une gemme enchantée avec un sort de [Détection de Vérité]. C’est un problème classique pour les Courriers.”
 
“Un Courrier ? C’est une espèce de Coursier super important, c’est ça ?”
 
Il sourit brièvement.
 
“Certains le disent, oui. Nous sommes simplement plus compétents que les Coursiers de Villes, c’est tout. On fait des livraisons longue-distance qui sont trop importantes pour être confiées à qui que ce soit d’autre. Quelqu’un a payé une grosse somme d’or pour te donner ceci, Erin. Je serais ravi que tu m’en débarrasses.”
 
Elle tendit la main vers le paquet, puis hésita.
 
“Qu’est-ce que je dois faire ? Je n’ai pas de Sceaux sur moi ! Il t’en faut un, pas vrai ?”
 
Il secoua la tête.
 
“C’est bon. Les Courriers n’utilisent pas le même système que les Coursiers des Villes et les Coursiers des Rues.”
 
Il tendit le paquet emballé, et Erin remarqua pour la première fois quelque chose d’étrange dessus. L’objet avait été emballé dans des couches d’une espèce de toile marron, mais un ruban noir maintenant le tout fermé. Et au centre du ruban était enchâssée une étrange pierre runique.
 
Elle brillait d’une lumière noire. Ceria siffla et Pisces leva les yeux de son repas pour regarder l’étrange objet. Val le tapota délicatement.
 
“C’est un Sceau de Courrier. Il va enregistrer le lieu, vos visages et vos identités, et l’heure à laquelle j’ai livré le colis. N’importe quel mage pourra ainsi confirmer que j’ai livré mon paquet au bon bénéficiaire.”
 
“Oh. Donc… donc ça va prendre une image de moi ?”
 
“Un truc du genre. Pose simplement la main sur le sceau, et il fera le reste. Ne t’inquiète pas, il ne va pas te faire de mal.”
 
Pour le coup, ce n’était pas pour la rassurer, mais Val avait l’air prêt à insister, et Erin était intensément curieuse. Elle posa avec précaution sa paume sur la pierre.
 
La lumière noire émise par la pierre devint immédiatement blanche. Erin enleva vivement sa main, mais la pierre ne fit rien d’autre. Elle se détacha simplement du ruban, et Val l’attrapa. Le paquet se mit à se défaire un peu.
 
“Ma livraison est complétée. Merci.”
 
“Hum, de rien. Je veux dire, merci !”
 
Erin prit l’objet emballé et le regarda, complètement désorientée. Il n’était pas très lourd - il avait l’air rectangulaire et dur dans ses mains. Elle jeta un regard désespéré à Ceria.
 
“Qu’est-ce que je dois faire. Qu’est-ce que c’est, pour commencer ?”
 
La demi-Elfe haussa les épaules. Elle fixait le paquet avec intensité. Même le Courrier avait l’air intéressé. Il toussa dans sa main.
 
“Tu es libre de jeter le paquet, mais ce n’est rien de dangereux. Le mage de ma Guilde l’aurait détecté. C’est juste un colis pour toi.”
 
“Très bien alors… j’ouvre ?”
 
Olesm acquiesça avec enthousiasme. Il regarda le morceau de parchemin dans ses griffes, puis le paquet.
 
“Ça doit venir de la personne qui a envoyé le puzzle ! Ouvre-le, Erin !”
 
“Si ce n’est pas trop demander, j’aimerais voir ce que c’est aussi. Je viens de loin et la curiosité est en train de me dévorer.”
 
Erin cligna des yeux, puis hocha la tête.
 
“Évidemment. Bien sûr ! Port-Fondateur… C’est loin, pas vrai ?”
 
Pisces ricana et Ceria éclata de rire. Val eut l’air amusé.
 
“Très loin.”
 
“Eh bien, hum, assieds-toi, si tu veux. C’est une auberge. Oui, c’est une auberge et je suis l’aubergiste. Je peux aller te chercher à manger et j’ai des lits si tu es fatigué. Dès que j’aurai…”
 
Erin alla poser le paquet à la table à côté de celle de Pisces. Le mage se leva, et Ceria et lui s’approchèrent pendant qu’Olesm et Val regardaient fixement le paquet inidentifiable.
 
Erin retint sa respiration en défaisant le ruban noir et retira le tissu marron. Que pouvait-est-ce bien être ? Elle se rappelait à peine avoir envoyé le puzzle d’échecs, mais quelqu’un avait dépensé beaucoup d’argent pour lui renvoyer quelque chose ? Que pouvait-est-ce bien être ?
 
Le dernier morceau de tissu tomba pour révéler ce qu’il y avait à l’intérieur. Tout le monde se pressa autour pour mieux voir, puis se mit à regarder fixement l’objet. Le visage d’Olesm s’affaissa, et Erin se sentit déçue.
 
C’était… un échiquier. Juste un échiquier. Il était fait d’un bois glorieusement lisse, et l’ensemble était tellement profondément luxueux qu’Erin pensait tenir là quelque chose qui aurait coûté des milliers de dollars dans son monde, mais cela restait un échiquier.
 
Et il n’avait même pas de pions.
 
Pendant un instant, tout le monde regarda fixement l’échiquier, puis Pisces ricana et retourna manger son hamburger. Erin contempla le morceau de bois gravé, déçue et encore plus désorientée qu’avant.
 
“Qu’est-ce que c’est ? Ce n’est qu’un échiquier. Pourquoi donc quelqu’un m’enverrait-il ça ?”
 
Ceria tâta le plateau et haussa les épaules.
 
“Il est joli. C’est un joli grain de bois qu’il y a là. Du Afzelia massif, si je ne me trompe pas.”
 
Erin n’avait aucune idée de ce dont il s’agissait, mais cela avait l’air coûteux. Elle n’en demeurait pas moins mystifiée par l’échiquier.
 
“À quoi sert un échiquier sans pions, huh ?”
 
C’était un peu le but. On n’avait pas besoin d’échiquier - c’étaient les pions qui comptaient. On pouvait jouer par terre en traçant des lignes dans la poussière si on avait les pions. Mais à quoi pouvait servir un plateau seul ?
 
Olesm se gratta les épines au sommet de son crâne.
 
“C’est peut-être un cadeau pour celle qui a fait un aussi bon puzzle ?”
 
C’était logique, mais Erin n’était pas sûre que ce soit cela.
 
“Ce n’était qu’un puzzle. Il n’était pas si dur que ça. J’en connais bien d’autres qui sont pire que ça.”
 
La queue d’Olesm s’agita.
 
“Quoi ? Vraiment ? Mais j’ai tellement travaillé dessus !”
 
Erin se mordit la langue et tenta de ravaler ses mots.
 
“Je ne veux pas dire qu’il était facile. Non… tu t’es vraiment bien débrouillé, Olesm ! C’est juste que je ne vois pas pourquoi qui que ce soit dépenserait autant d’argent pour m’envoyer quelque chose juste pour un puzzle d’échecs.”
 
“Il y a des gens riches qui sont comme ça. C’est peut-être juste un présent pour montrer leur appréciation.”
 
Val hocha la tête en direction de l’échiquier, et Erin sursauta en se rappelant sa présence. Il regarda le plateau en fronçant les sourcils.
 
“Cela n’explique pas pourquoi l’expéditeur était tellement pressé de le faire arriver ici, mais je suppose que certaines personnes sont simplement impatientes. Mais il n’y avait pas de demande pour qu’une réponse soit envoyée, juste une demande de confirmation de livraison.”
 
Est-ce que c’était curieux ? Erin pensait que oui. Quel était l’intérêt d’envoyer un puzzle d’échecs si on n’en renvoyait pas un encore plus difficile en retour ? C’était ainsi que les choses étaient censées se passer, et elle avait vraiment envie d’entamer un dialogue de ce genre. Dans son monde, elle avait fait ça avec plusieurs personnes en ligne…
 
Le Courrier haussa les épaules, s’étira et fit doucement craquer son cou.
 
“Eh bien, c’est un mystère. Mais je suis heureux d’avoir enfin réussi à te trouver. J’ai fouillé toute la ville pendant près d’une heure avant que l’on me dise qu’Olesm était peut-être à cette auberge. Et ensuite, l’auberge n’était même pas à l’endroit où que l’on m’avait indiqué.”
 
“Oups. Hum, oui. On a… déménagé il y a quelques jours.”
 
“Cela ne m’a pris que quelques minutes pour trouver la bonne. Ne t’inquiète pas, les panneaux m’ont bien aidé.”
 
Val sourit, et Erin lui retourna son sourire. Sa franchise lui plaisait.
 
“Eh bien, j’imagine que je l’utiliserai plus tard. Ce sera parfait si on fait d’autres parties. Pour le moment…”
 
Erin jeta l’emballage dans la cuisine. Elle pourrait en réutiliser une partie, et le tissu marron avait l’air solide. Elle posa le plateau sur une table dans un coin de la pièce et l’oublia dès qu’elle s’en détourna. Erin regarda Val et réalisa qu’elle avait une opportunité juste devant elle.
 
“Hum, Val ? Je suis vraiment reconnaissante que tu sois venu jusqu’ici. Et il s’avère que je suis l’[Aubergiste], et que nous sommes dans mon auberge. Donc… est-ce que tu voudrais manger quelque chose avant de partir ?”
 
Le Courrier était en train de s’étirer, possiblement pour partir en courant. Mais en entendant les mots d’Erin il marqua une pause, et sourit. Il balaya l’auberge du regard et hocha la tête.
 
“J’aimerais beaucoup. Est-ce que tu me recommandes quelque chose en particulier ?”
 
Erin sourit d’un air rusé, et Olesm et Ceria ne purent s’empêcher de sourire.
 
“Que dirais-tu d’un hamburger ?”
 
Pisces leva une main et lança :
 
“Je vais en prendre un autre !”


***

Ryoka courut pendant toute la nuit et une partie de la journée qui suivit sans s’arrêter. Sa volonté et son désespoir la maintenaient en mouvement. Ça et l’une des potions de stamina d’Octavia.
 
Chaque fois que Ryoka prenait une gorgée de l’infect liquide bleu, elle rêvait de pouvoir s’arracher la langue. Mais une seconde plus tard, l’énergie se mettait à s’engouffrer dans ses veines comme un barrage qui céderait sous la pression. Elle courait, ses jambes oubliaient les courbatures dont elles ne cessaient de rappeler l’existence à son corps, et elle sprintait, seule, sur la route gelée.
 
Mais qu’importe la vitesse à laquelle elle courait, elle savait qu’elle ne rattraperait jamais Val. Il était tellement rapide. Plus que rapide. Il avait dépassé la limite humaine. Sa limite.
 
Un cheval aurait eu du mal à soutenir son allure. Non… il était probablement aussi rapide qu’un cheval au galop. Peut-être encore plus.
 
Dieu. Ryoka ferma les yeux pendant un très bref instant en continuant sa course. Elle avait toujours cru qu’elle pouvait relever les défis de ce monde seule, sans magie ni classe. Avec quelques tactiques astucieuses et l’alchimie d’Octavia, Ryoka avait cru pouvoir se qualifier en tant que Courrier. Mais Val avait fait voler cette illusion en éclats.
 
Il pouvait courir deux fois plus vite qu’elle. Ce n’était pas juste de la triche. C’était réinventer entièrement la condition humaine. Si les gens pouvaient aller plus vite que les chevaux sans machines…
 
Il était peut-être temps de repenser ses idéaux. Si c’était ce que Ryoka pouvait atteindre, peut-être…
 
Les pensées mélancoliques de Ryoka furent interrompues par un éclat de lumière loin à sa gauche. Elle hésita, ralentit, et changea de direction en un battement de cœur. Quelque chose était étendu dans la neige, à un mille de là.
 
C’était petit, au début, mais Ryoka comprit en s’en approchant que l’objet était en réalité énorme. Elle s’arrêta lorsque le sol enneigé devint boueux sous ses pieds.
 
C’était une… énorme armure. Elle était étendue au sol, les bras en croix, dans une zone qui n’était plus couverte de neige. La neige avait fondu, et quelque chose avait transformé l’herbe mouillée en un paysage boueux.
 
Ryoka ralentit en se frayant un passage à travers la terre brisée et le sol brûlé et boueux. Que s’était-il passé ici ? Une sorte de bataille. Mais cette armure…
 
En marchant à côté, Ryoka réalisa que l’armure n’était pas du tout normale. Pour commencer, c’était une armure de plate ; des morceaux de métal noir martelés ensemble pour créer un béhémoth imposant. Et béhémoth était le terme qui convenait pour cette armure. Elle était massive.
 
Même Calruz - même lui aurait nagé dans cette armure. Mais ce n’était pas ce qui attirait l’attention de Ryoka. Non, c’était un autre aspect de l’armure qui la dérangeait.
 
Elle était défoncée. Il n’y avait pas d’autre mot pour cela. On aurait dit que quelqu’un avait roué de coups chaque centimètre carré de l’armure avec des marteaux. Le métal noir était cabossé par endroits - par d’autres, il était troué, comme si quelque chose de petit avait percé le métal.
 
Des carreaux d’arbalète ? Ryoka en doutait, mais elle ne voyait que ça. C’était soit cela, soit un énorme arc long qui avait fait ces dégâts. Elle n’avait vu qu’une seule arbalète brisée depuis qu’elle était arrivée dans ce monde, mais quelque chose avait percé l’armure.
 
Mais une autre question lui venait à l’esprit. Elle s’accroupit à côté de l’armure ruinée. Elle ne comportait pas de heaume, elle pouvait donc regarder à l’intérieur sans problème. Et elle ne vit que l’absence de sang ou de chair.
 
Il n’y avait pas de sang sur l’armure. Nulle part. Et c’était la chose la plus étrange qui soit. Avec tous ces dégâts, il y aurait sûrement dû y avoir un peu de sang, ou un cadavre, à côté, mais l’armure était simplement vide.
 
Ryoka regarda autour d’elle. Quelqu’un s’était battu ici. Il y aurait dû y avoir des corps. Mais il n’y en avait pas. Elle vit quelque chose d’autre dépasser du sol et se dirigea dans cette direction.
 
Une énorme épée brisée était enfoncée dans le sol à une vingtaine de mètres de là. Ryoka l’observa et remarqua la façon dont quelque chose avait fendu la lame à deux endroits différents.
 
“Que diable… ?”
 
En observant simplement le sol boueux, Ryoka voyait bien qu’une terrible bataille avait eu lieu ici. La zone de boue faisait presque deux milles de large, et s’étendait jusqu’au pied d’une montagne au loin.
 
Ryoka suivit la boue jusqu’à une ouverture étrange au milieu de la roche. On aurait dit l’entrée d’une grotte, mais très petite. C’était juste assez large pour laisser passer l’énorme armure, mais trop petit pour laisser passer quoi que ce soit de plus gros.
 
L’humaine regarda à l’intérieur de la caverne, mais ne put rien distinguer à l’intérieur. Elle retourna voir l’armure, et l’examina.
 
“De l’acier ?”
 
Elle n’était pas métallurgiste, mais Ryoka pensait que c’était le cas. L’armure sonna lorsqu’elle la cogna avec ses phalanges. Le fer aurait fait un bruit plus sourd.
 
Qui avait les ressources de créer quelque chose d’aussi cher ? Ryoka était presque tentée d’essayer de voir si elle pouvait récupérer l’armure, mais elle était tellement détruite qu’elle n’était pas sûre que cela en vaille la peine.
 
Cela en valait probablement la peine dans tous les cas. Ryoka prit une note mentale de sa localisation pour y revenir plus tard. Après un instant d’hésitation, elle enfouit l’armure sous la neige pour qu’elle soit moins visible de la route.
 
Mais qui s’était battu ici ? Qui était le propriétaire de l’armure, et qui ‘lavait détruite ? Il n’y avait aucun indice.
 
Ce n’était qu’un mystère de plus à résoudre. Ryoka grogna en se relevant. Il y avait d’autres pistes qui menaient à la fissure au flanc de la montagne. Quelque chose était entré là-dedans, mais Ryoka n’était pas prête de le suivre.
 
Déjà, elle était épuisée. Et de plus, elle avait une profonde aversion pour le fait d’entrer dans des cavernes sombres alors que quelque chose armé d’une arbalète y rôdait peut-être. Et enfin, elle avait un Courrier à rattraper.
 
Elle n’était plus qu’à quelques heures de Liscor. Ryoka retourna à la route et repartir. Son corps lui faisait mal. Elle voulait reprendre une gorgée de potion de stamina, mais Octavia l’avait prévenue que cela ne pouvait pas repousser l’épuisement qu’un temps.
 
Ryoka courut tandis que la matinée s’éclaircissait, ne songeant qu’à son point d’arrivée. Elle pourrait manger, s’asseoir, et boire de l’eau chaude en arrivant à l’auberge d’Erin.
 
Mais lorsqu’elle arriva à l’endroit où aurait dû se trouver L’Auberge Vagabonde, Ryoka ne vit qu’une colline déserte. Elle leva les yeux vers le terrain vide et regarda autour d’elle. Non. Elle était définitivement au bon endroit. Mais…
 
“Où diable est-elle partie ?”


***

Les fenêtres en verre de l’auberge étaient pleines de chaleur et de lumière lorsque Ryoka finit enfin par la trouver. Pendant quelques minutes, elle s’appuya simplement contre le mur de l’auberge, trop épuisée pour faire quoi que ce soit d’autre. Puis l’odeur enivrante et la chaleur de l’auberge l’appelèrent, et elle ouvrit la porte.
 
La pièce était magnifiquement chaude, et dès l’instant où Ryoka entra, elle vit un visage familier. Ceria était assise à une table, en train de sourire et de rire avec Olesm. Pisces était assis en face d’eux et mangeait un mets qui lui était familier. Erin était assise à une table et riait avec Val…
 
Val.
 
Ryoka s’arrêta net tandis qu’Erin se levait. Le Courrier inclina la tête et lui dit quelque chose sur un ton d’excuse. Elle agita les mains pour indiquer que ce n’était rien et se dirigea vers la cuisine.
 
“Un autre hamburger ? Je t’amène ça tout de suite !”
 
Ryoka dévisagea Val qui s’adossait à sa chaise en soupirant d’un air joyeux. Il avait plusieurs assiettes vides étalées devant lui, et il avait l’air d’être à l’auberge depuis un bon bout de temps.
 
Il tourna la tête vers la porte ouverte, et vit Ryoka. Val sourit instantanément.
 
“Ryoka ? Quelle bonne surprise ! Je ne m’attendais pas à te voir ici ! Tu viens d’entrer ?”
 
Tout le monde se retourna en entendant son nom. Erin s’arrêta net, et lui adressa un sourire éclatant.
 
“Ryoka !”
 
Ceria se leva, et Olesm l’imita. Ryoka avança lentement et ses amis s’approchèrent.
 
Erin commença à essayer de faire un câlin à Ryoka ou une autre démonstration d’affection, mais elle s’arrêta à quelques pas de la coureuse. Olesm éternua, Erin toussa, et Ceria s’écarta de Ryoka. Elle ne pouvait pas leur en vouloir.
 
Elle puait.
 
“Désolée. Je viens d’arriver. J’ai couru toute la nuit.”
 
Ryoka savait qu’elle était couverte de sueur, de neige fondue, et d’une quantité non négligeable de boue. Mais Erin agita les mains et lui sourit quand même.
 
“Wow, ça a été rapide ! Tiens, assieds-toi et je vais t’apporter à manger. Et une serviette. Tu veux quelque chose à boire ? J’ai cette boisson alcoolisée que j’ai achetée chez Krshia…”
 
Ryoka s’assit à la table en face de Val et le dévisagea. Erin hésita.
 
“D’ailleurs, Ryoka, c’est un autre Coursier. Un Courrier, en fait. Il s’appelle…”
 
“Val. On s’est déjà rencontrés.”
 
“Vraiment ? C’est tellement bizarre !”
 
Val hocha la tête. Il n’avait pas l’air incommodé par le fumet de Ryoka.
 
“On vient de se rencontrer dans une ville au nord d’ici. Ryoka m’a aidé à trouver le chemin, d’ailleurs. Mais je ne pensais pas que nous allions nous revoir dans cette auberge. Tu ne vas pas y croire, Ryoka, mais il s’est avéré que c’était ma destination depuis le début. Ma livraison était à l’attention de cette aubergiste, Miss Erin.”
 
“Oh ?”
 
“Oui, c’était un échiquier “
 
Erin pointa du doigt l’échiquier dans un coin de la pièce d’un air surexcité.
 
“J’imagine que c’est parce que j’ai envoyé ce puzzle à quelqu’un. Et ils m’ont donné un échiquier. Bon… ce n’est pas si incroyable que ça, mais c’est cool qu’on se connaisse tous !”
 
“Oh ?”
 
Le visage de Ryoka était complètement dénué d’expression. Erin cilla, mais Val se pencha vers elle.
 
“Je pense que Ryoka irait mieux si elle mangeait un morceau et qu’elle buvait un peu. De l’eau, pas de l’alcool.”
 
“Oh, bien sûr ! Tu dois être affamée ! Je reviens tout de suite !”
 
Elle était tellement fatiguée que Ryoka ne remit pas en question le fait de manger un hamburger. Mais elle faillit bel et bien pleurer, surtout lorsqu’elle mordit dedans.
 
Un vrai hamburger. Pas de la merde de fast food. Elle en mangea deux avant de comprendre ce qu’il se passait et but six verres d’eau. Doucement… elle allait manger, mais elle n’avait pas l’intention de vomir dans cette auberge toute neuve.
 
“... et après ils m’ont donné des fenêtres vitrées, tu vois ?”
 
Erin était en train de finir d’expliquer comment son auberge avait déménager. C’était une explication décousue, mais Ryoka en comprit l’essentiel. Des auberges explosives ? Elle ne savait pas quoi faire de cette information.
 
“Eh bien, je suis heureux d’avoir découvert cette auberge. Je n’avais jamais rien goûté de tel. J’aimerais beaucoup ramener la recette dans le nord. Je suis sûr que les aubergistes là-bas adoreraient l’apprendre.”
 
Val soupira en posant ses mains sur son ventre bien rempli. Erin eut un sourire en coin.
 
“J’imagine que cela ne coûte rien de te le dire.”
 
Il y avait quelque chose derrière ses mots, mais la tête de Ryoka était embrumée. Elle était rassasiée, et épuisée, mais elle eut une autre pensée en regardant Pisces et Ceria en train de se disputer dans un coin.
 
“J’ai un problème.”
 
Tout le monde se tourna vers elle, et Ryoka réalisa qu’elle n’aurait pas dû dire ça à voix haute.  Mais il était trop tard à présent. L’esprit épuisé de Ryoka ne pouvait pas gérer les subtilités et ne se focalisait à présent que sur le problème qui lui trottait dans la tête depuis qu’elle avait pris la route.
 
“Est-ce que vous pouvez savoir si quelqu’un m’a jeté un sort qui m’altère l’esprit ?”
 
Demanda-t-elle à Pisces et Ceria. Les deux mages cillèrent et échangèrent un regard, puis vinrent s’asseoir à leur table.
 
“De la magie psychique ? Quoi, quelqu’un t’a jeté un sort, Ryoka ?”
 
“Peut-être. Je ne sais pas. Vous pouvez me tester ?”
 
C’était juste quelque chose que les fées avaient dit. Mais les seules personnes à qui Ryoka faisait un peu confiance étaient les deux personnes devant elle. Ceria et Pisces échangèrent un nouveau regard et acquiescèrent. Ils étaient étrangement synchronisés, parfois.
 
“Il y a un moyen facile de vérifier, même si c’est bizarre. Normalement, un sort qui altère l’esprit reste caché jusqu’à ce que la victime s’en rende compte. Et naturellement, la magie les empêche de réaliser que quelque chose ne va pas. Mais si tu penses que tu es affectée par un sort, ça devrait marcher.”, lui expliqua Ceria en levant la main.
 
Les extrémités de ses doigts brillaient d’une lumière verte. Devant elle, Pisces ferma les yeux et ses doigts se mirent à briller d’une lumière bleue.
 
“[Détection de Magie].”
 
Pisces et Ceria lancèrent le sort au même moment et se fusillèrent du regard. La pièce s’éclaira d’un coup.
 
Ryoka et Erin poussèrent un cri étouffé en voyant Val exploser soudain de couleurs comme un arbre de Noël. Des auras magiques tourbillonnèrent autour de lui, en se regroupant par taches sur sa personne. Ses poches, des portions de sa ceinture…
 
Chancre. Tu avais raison, Ryoka !”
 
Ceria pointa Ryoka du doigt. Elle regarda autour d’elle, et remarqua une autre lueur qui provenait d’elle, cette fois. C’était difficile à voir, mais c’était quelque chose qui… tourbillonnait autour de sa tête ? Quelque chose de lumineux, comme un halo de smog. Erin le regarda fixement.
 
“Hey ! Ta ceinture brille aussi !”
 
C’était vrai. Certaines potions de Ryoka luisaient faiblement, mais l’une d’entre elles - la potion rose-orangé que Teriarch lui avait donnée - brillait intensément. Val siffla.
 
“Il y a de la magie là-dedans.”
 
Pisces et Ceria avaient également leur propre aura de couleurs lumineuses. En fait, il n’y avait qu’Erin et Olesm sans aura de couleurs. L’auberge était pleine d’auras magiques qui sortaient de différents endroits. Val, Ryoka, Ceria, l’échiquier, Pisces…
 
“Eh bien, il est certain qu’il y a un sort puissant qui t’affecte.”
 
Les deux mages annulèrent leur sort et l’auberge revint à son panel habituel de couleurs. Tout parut soudain terne et ordinaire. Ceria regarda fixement la tête de Ryoka, et secoua la tête.
 
“Tu es enchantée. Et il s’agit d’un enchantement tellement puissant que je ne suis pas sûre de pouvoir y faire quelque chose. Je suis désolée, Ryoka.”
 
“Je sais que je ne peux rien y faire.”
 
Pisces se rassit sur sa chaise, les yeux écarquillés. Il prit le verre de Val et le vida.
 
“C’est de la magie d’échelon… 6 ? D’échelon 7 ? Qui as-tu donc mis en colère pour qu’il te jette un sort pareil ?”
 
“J’ai bien une idée. Bordel.”
 
Ryoka soupira, frustrée mais animée d’un juste désir de vengeance. Elle avait raison. Et peut-être que les fées… nah. Impossible. Mais comment avaient-elles pu savoir ?
 
Val fronça les sourcils, puis plongea la main dans ses poches.
 
“Tu es pleine de surprises, n’est-ce pas ? Attends ; tiens. Prends ça.”
 
Il sortit quelque chose de sa poche et le montra à Ryoka et au reste de l’assemblée.
 
“J’ai une amulette puissante que j’utilise pour me protéger contre ce genre de magie. Elle vaut plusieurs milliers de pièces d’or, donc elle devrait enlever tout ce qui t’affecte.”
 
“Oh ! Je connais ces trucs !”
 
Erin regarda attentivement d’un œil brillant le charme qui pendait à la main de Val. Ryoka reconnaissait aussi l’objet. C’était un attrape-rêve, un cercle dans lequel on avait tissé des fils dans une forme symétrique, comme une toile d’araignée.
 
La seule différence ici était que cet attrape-rêves-ci était beaucoup plus petit que ceux que Ryoka et Erin connaissaient - à peine plus gros que le pouce. Et le cadre était fait de métal et non pas de bois. Mais les fils étaient beaux, chacun formant une ligne de couleur miroitante qui rejoignait les autres au centre de l’amulette dans un motif captivant.
 
“Tiens. Plaque-le simplement sur ta tête et il annulera tous les enchantements que tu as sur toi.”
 
Val tendit l’attrape-rêves à Ryoka qui le regarda d’un air incertain.
 
“Tu es sûr ?”
 
Il haussa les épaules.
 
“Ce n’est pas un objet à usage unique, et si tu es enchantée, tu vas avoir besoin de quelque chose de puissant pour te débarrasser du sortilège. Considère ça comme un service d’un Coursier à un autre.”
 
“Huh. Euh, merci.”
 
Dès qu’elle le prit dans sa main, le petit charme se mit à bourdonner. Val hocha la tête.
 
“Tu es sous l’emprise de quelque chose.”
 
Ryoka leva le charme, et le bourdonnement se mua en un gémissement sourd. Val fronça les sourcils.
 
“Il ne devrait pas faire ce bruit. Attends une…”
 
Trop tard. Ryoka pressa le charme contre sa tête. Elle sentit le métal chauffer, puis il refroidit. Ryoka baissa l’amulette et la contempla d’un air médusé.
 
“Je ne suis pas sûre qu’il se soit passé quelqu…”
 
Il y eut un déclic dans sa tête. C’était comme si Ryoka avait un sentiment de déjà-vu, mais le sentiment était mille fois plus fort. Elle cilla. Des souvenirs, des souvenirs oubliés se ruèrent sous son crâne. Ainsi qu’un mot.
 
Un mot, dont l’écho résonnait dans sa tête.
 
Dragon.
 
Le gémissement qui provenait de l’attrape-rêves devint soudain un hurlement. Olesm plaqua ses mains sur ses oreilles et Pisces et Ceria plongèrent au sol.
 
L’attrape-rêves explosa, rejetant Ryoka en arrière. Val s’écarta comme un maelström, et Erin retint son souffle lorsque des morceaux enflammés disparurent à quelques centimètres de son visage.
 
Ryoka fut catapultée par-dessus la table, renversant l’assiette vide de Pisces. Elle s’écrasa violemment au sol et la porcelaine vola en éclats sous son poids. Elle sentit quelque chose se tordre dans son épaule.
 
“Ryoka ! Tu vas bien ?”
 
Erin s’accroupit à côté de Ryoka, examinant d’un air inquiet le visage de son amie. Ryoka allait bien, elle n’était que meurtrie et étourdie. Mais elle ne répondit pas immédiatement. Ses yeux clignotaient. L’attrape-rêves avait fonctionné.
 
Elle se souvenait. Elle se souvenait de tout.

 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 10 octobre 2020 à 23:48:18
2.17
Traduit par Maroti
Partie 1

Ryoka tituba dans la cave, ensanglantée. Mourante. Chaque pas était une agonie. Elle sentait sa chair tranchée et les fragments de pierres plantés dans sa peau éroder sa santé mentale.

La douleur. Elle ne savait pas pourquoi elle continuait de bouger. Mais Ryoka titubé en avant, la pierre se changea en marbre. La pièce était remplie de trésors faits d’or et de magie.

Elle laissa des traces de pas rouges en avançant, oubliant la douleur pendant une seconde. Les merveilles autour d’elle étaient bien plus glorieuses que tout ce qu’elle avait pu voir dans un muséum. Des œuvres d’art aussi resplendissantes que les plus belles pièces du Louvre étaient accrochées à côté d’épées qui brillaient de magie. Oui, c’était dans l’air.

La magie.

Ryoka sentit son cœur battre faiblement dans son cœur. Elle entendit un courant d’air, et les murs de la caverne s’ouvrirent et c’est à cet instant que son cœur décida d’arrêter de battre.

Car au centre de cette caverne au miracle se trouvait un Dragon.

Un Dragon. Une massive créature quatre fois plus grande qu’une maison, sommeillant sur le marbre froid. Une créature toute droite sortie des mythes et des rêves.

Serpent. Wyrm. Drake. Arach. Naga. Ormr. Tanniym. Vovin. Draak. Drage. Draeke.

Dragon.

Le massif dragon était en train de dormir dans un espace libéré situé au centre de la caverne. Ryoka s’arrêta. Elle le regarda. Ses écailles brillaient alors que la lumière les touchait, brillante d’une telle majesté que son cœur en souffrait.

Ses yeux se remplirent de larmes. Ryoka tomba à genoux alors que son sang couvrit le sol de marbre. Elle s’en fichait. Cela valait le coup. Tout cela valait le coup.

C’était un spectacle digne d’être vu avant de mourir.

« Hm. Qui est là ? »

Sa tête bougea. Le dragon ouvrit ses yeux et baissa le regard vers Ryoka. Elle croisa ses yeux immenses pupilles, une céruléenne et l’autre héliotrope. Des lumières célestes scintillaient en leur sein.

Pendant un moment, Ryoka comprit la magie. Elle regarda en leur centre ; la raison de pourquoi la magie existait. Un fragment de la vérité. Un morceau d’éternité. L’œil d’un dragon.

Ses yeux roulèrent à l’arrière de son crâne. Ryoka tomba en avant et son nez se cassa alors qu’elle s’écrasa au sol.

Le Dragon grommela profondément. Il regarda autour de lui et laissa échapper un soupir devant piste sanglante.

« Je vais devoir nettoyer tout ça, n’est-ce pas ? Et réparer le nez. Et utiliser un sort pour ses souvenirs. Franchement, voilà pourquoi les humains sont… »


***

Elle s’en rappelait.

« Éveille-toi, humaine. »

Ryoka ouvrit ses yeux. Elle se redressa et resta assise sur le sol, se rendant compte qu’elle n’avait plus mal. Elle était soignée ? Soignée ! Comment ?

C’était un miracle. Puis Ryoka remarqua le vieil homme se tenant devant elle. De longues robes blanches couvraient un corps à peine touché par le temps. Ses yeux vairons étaient baissés vers elle alors qu’il lui fit un signe.

« Debout, humaine. »

Ryoka se releva. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Sa mâchoire se décrocha quand elle vit les oreilles pointues et le visage parfait du vieil homme.

« Mm. Tu dois être épuisé de ton voyage. Je l’admets ; il est inhabituel pour moi de trouver l’un d’entre vous dans un tel état. Mais j’ai soigné tes blessures. Je présume que tu es la Courrière que j’ai demandée ? »

Ryoka cligna des yeux. Elle regarda le vieil homme bouche bée. Il fronça des sourcils en la regardant.

« Bonjour ? Peux-tu m’entendre ? »

L’humaine ne répondit pas. Teriarch regarda autour de lui, fronçant les sourcils.

« Quoi ? Qu’est-ce… »

Il tourna sa tête vers le mur de la caverne et s’arrêta.

« Ah. »

L’illusion de Teriarch était parfaite. Il ressemblait exactement à un humain normal, à part pour sa perfection et ses traits elfiques. Mais il avait oublié un aspect important.

Ryoka regarda l’ombre du dragon s’étendant sur l’un des grands murs de la caverne derrière Teriarch. Cette dernière s’entendait d’en-dessous de ses robes, jusqu’à refléter parfaitement le dragon, et non l’illusion.

« Mon dieu. Qu’e… »

Teriarch soupira. Il pointa Ryoka du doigt, et elle sentit sa tête se vider.

« Essayons de nouveau. »


***

Des souvenirs la balayèrent comme une vague. Des mots.

Teriarch regarda longuement Ryoka, immobilisée par sa magie. Il fronça les sourcils, avant de tapoter du doigt sur ses lèvres, pensif.

« Que s’est-il passé dans le monde pendant que je dormais ? »

Ryoka cligna des yeux. Pendant qu’il dormait ?

« Depuis combien de temps dormez-vous ? »

« Ah. Je veux dire… »

Teriarch cligna des yeux plusieurs fois en regardant Ryoka, avant de faire passer sa baguette devant son visage.

« Oublie cela. »

Ryoka cligna des yeux. Teriarch fronça des sourcils. Il s’arrêta, avant de parler.

« Je souhaite connaître tous les majeurs conflits actuels entre plusieurs nations, les nouvelles technologies ou sorts inventés, les monstres légendaires aperçut ou vaincus, et tout changement de cette nature. Dit-moi les nouvelles que tu as entendues ces dernières années environ. Ce qui s’est déroulé pendant que j’étais… Reclus ici ? »

L’humaine s’arrêta, avant de hausser les épaules. Même lié par un sort de vérité, son ton projeta une bonne dose d’insolence.

« J’sais pas. »

« Pardon ? »

« Je ne fais pas attention aux nouvelles. Vous savez probablement plus de choses que moi. »

Teriarch souffla, agacé, avant de regarder Ryoka, le sort de vérité était toujours actif. Il changea de sujet.

« Est-ce que tu sais au moins si Magnolia Reinhart est toujours en vie ? »

« … Oui. »

Il hocha sagement la tête, caressant sa barbe.

« Fort bien. Fort bien. C’est une bonne nouvelle. Alors, as-tu entendu parler d’une étrange enfant nommée Ryoka Griffin ? Elle est une Coursière, comme toi, probablement d’un niveau élevé dans la classe de [Coursière], contrairement à toi. »

Ryoka ouvrit la bouche et Teriarch continua, irrité.

« Même si je ne sais pas pourquoi Reinhart veut que je retrouve cette maudite fille, je n’imagine pas pourquoi. Est-ce que j’ai l’air d’avoir le temps de chercher une gamine agaçante ? »

« … Ne venez-vous pas de dire que vous ne saviez pas si Magnolia était en vie ? »

Teriarch s’arrêta et pointa sa baguette vers Ryoka.

« Oublie aussi cela. Je ne connais pas de Magnolia Reinhart. »

Il s’arrêta, avant de changer son ton. Teriarch regarda Ryoka.

« Maintenant, dit moi qui est Ryoka Griffin. Reinhart a dit… Malédiction ! »

Il pointa de nouveau sa baguette vers Ryoka et elle oublia. Teriarch ferma ses yeux. »

« Voilà pourquoi… »


***

Ryoka s’arrêta et regarda l’immense épée accrochée à l’un des murs de la caverne. Elle était trop large pour être utilisée par un humain, voir un Minotaure. Teriarch caressa sa barbe avec fierté.

« Ah. Es-tu en train d’admirer ma collection ? Cela a été l’arme d’un géant, il y a fort longtemps. Je lui ai pris quand… Enfin, c’est une autre histoire. Remarque l’excellent forgeage de la lame. »

« Tout cet or et ces objets magiques… »

Ryoka regarda la pièce, libéré du sort de Teriarch. Elle regarda une pile de rubis, tous plus gros que son poing.

« Je suis un… Collectionneur. »

« Ce n’est pas une collection. Ca ressemble plus à un… Trésor ? »

Teriarch agita précipitamment ses mains devant le visage de Ryoka.

« Ce n’est pas un trésor. Tu ne penseras pas que c’est un trésor. »

Ryoka cligna des yeux, le regard vide, pendant quelques secondes et Teriarch s’arrêta. Puis il parla de nouveau.

« Aimes-tu ma collection ? Je l’ai amassé depuis tous les recoins du monde. »

Elle regarda autour d’elle, admirant sa magnificence pour la première fois. Ryoka devait l’admettre, c’était plus qu’époustouflant.

« Comment avez-vous amassé tant de trésors ? Ils semblent… Magiques. »

« Oh, bien sûr qu’ils sont magiques. Mais j’ai mes moyens. De plus, quand tu as la possibilité de voler, amasser tant de trésors est relativement simple. »

Ryoka regarda Teriarch. Il s’arrêta, et déglutit.

« Voler avec de la magie, c’est ce que je voulais dire. Je ne connais pas d’autre moyen de voler, bien sûr. »

Les yeux de Ryoka se plissèrent légèrement.

« Certainement. »

« Bien sûr. Ahem. Remarque l’Orbe de Scrutation. Elle est scellée dans du jade pure et enchantée avec plusieurs sorts d’amélioration qui augmente la portée et la puissance du sort. »

Ryoka la regarda et se figea. Teriarch la regarda avec inquiétude.

« Quoi ? L’ai-je laissé allumer ? »

Il la regarda et jura.

« Par la barbe de Tamaroth ! »

L’Orbe de Scrutation reflétait la pièce dans laquelle ils se tenaient. Elle montrait une petite humaine se tenant devant un dragon dorée. Cette fois le juron de Teriarch fit trembler la caverne.

Teriarch pointa une griffe vers Ryoka alors qu’elle se retournait pour courir. Il parla sèchement.

« C’en est trop. Oublie tout ce que viens de voir sauf la partie où je t’ai donné tes instructions. Sors. Reviens dans deux minutes. »

Ryoka se retourna et sortit de la caverne. Teriarch lança un regard irrité à l’orbe magique et sa queue fit un mouvement pour la pousser de son piédestal. L’orbe se brisa contre un mur dans une explosion de brume et de magie.

« Maudite babiole. »


***

Encore une fois. Un dernier souvenir fit trembler Ryoka sur le plancher de l’auberge.

La potion puante gardait tous les monstres à distance. Ryoka ne pouvait s’empêcher de sourire alors qu’elle marchait vers l’entrée de la cave de Teriarch. Mais elle se figea. Elle vit quelque chose bouger plus loin sur le sentier en pente.

Le mouvement ne dura qu’une seconde. Mais Ryoka vit quelque chose se cacher derrière un gros rocher alors qu’elle s’arrêta. Elle se figea sur place, et sa main alla à sa taille. Elle avait un couteau qu’elle utilisait pour camper à sa ceinture. Normalement elle se battrait avec ses mains, mais…

La chose sortit sa tête, et Ryoka serra le manche assez fort pour faire craquer ses phalanges.

La chose semblait vaguement humaine. Elle avait une tête humaine, un torse normal et des jambes qui dépassaient légèrement du rocher. Mais elle était nue.

Et elle était anormale.

Son visage n’allait pas. L’un de ses yeux penchait sur la droite jusqu’à presque être vertical, et l’autre regardait dans la direction opposée au premier.

Une petite pupille regarda Ryoka à travers la trentaine de mètres les séparant. Puis la chose sortit de derrière le rocher et Ryoka se figea. Son esprit fut envahi par la terreur. Cela ne devrait pas pouvoir bouger comme ça. C’était…

La chose tendit une main vers elle, un horrible bras griffu s’étira vers elle, réduisant la distance. De la chair s’allongea comme du chewing-gum, la peau s’arrachant et partant pour révéler quelque chose de rouge et de pulsant en-dessous. Ryoka ne pouvait pas bouger. Son corps était envahi par la terreur. Les doigts de la chose s’approchèrent de son visage…

Et un rugissement envahi l’air. La créature la tête, et son bras se rétracta en un instant. Il se retourna et commença à courir alors qu’une immense ombre plongea le monde de Ryoka dans les ténèbres. Elle leva la tête.

Teriarch vola au-dessus d’elle, des écailles dorées illuminant la montagne en reflétant la lumière du soleil. Il se posa, provoquant une secousse qui mit Ryoka à genou. Elle ne pouvait que le fixer.

La massive tête de Teriarch se tourna subitement vers la chose en fuite, qui courrait de manière erratique et désordonnée vers un tournant du canyon. Il cracha du feu vers elle, un jet de flamme concentré qui frôla la créature et la manqua de peu. Puis la créature disparue.

Le dragon, Teriarch, soupira et regarda Ryoka. La Ryoka de cet instant n’avait pas la moindre idée de qui il était, et elle ne pouvait que le regarder, pétrifiée. Sa voie était telle une avalanche entendue au loin.

« Tu dois être plus prudente, Ryoka Griffin. Des choses plus sombres rodent dans les Hautes Passes. Elles ne sentent pas, ou si elles le font, elles ont une opinion différente de la nôtre. »

Il haussa les épaules, comme si cette menace n’avait pas d’importance. Pour lui, c’était le cas.

« Entre. Nous devons discuter. Oublie ce que tu viens de voir. Cela ne sera qu’un fardeau.

Ce n’est qu’à cet instant que les Fées de Givres revinrent, riantes, et que le Dragon vola de nouveau dans sa caverne avant de cracher du feu. La mémoire de la… Chose… Disparue de l’esprit de Ryoka alors qu’elle s’avança vers Teriarch.


Elle avait oublié, mais désormais elle s’en rappelait. Elle s’en rappelait. Elle savait. Et le savoir était glorieux. Elle en avait vu un. Une légende en chair et en os.

Un dragon.

***

Erin regarda Ryoka avec inquiétude alors que la jeune femme gisait au sol, regardant le plafond avec des yeux vides. Elle regarda Val et les autres.

« On ne devrait pas faire quelque chose ? Ca fait presque trente minutes. »

Ceria secoua la tête. Elle était assise dans une chaise, regarda intensément Ryoka. Elle n’avait pas laissé Erin ou quelqu’un d’autre toucher Ryoka, sauf pour la mettre dans une position plus confortable.

« Il ne vaut mieux pas le faire, surtout si elle éprouve quelque chose de magique. Le mouvement peut changer sa perception et affecter son esprit. À moins que tu as une opinion différente, Pisces ? Tu en sais plus que moi sur les sorts de manipulation mentale. »

Erin regarda Pisces. Il était aussi en train d’observer intensément Ryoka. Elle se souvenait que, en effet, il connaissait des sorts d’illusions, comme celui qu’il avait utilisé lors de leur première rencontre.

Mais il secoua sa tête, perdu dans ses pensées.

« C’est bien au-delà de mes capacités. Est-ce que quelqu’un d’autre a remarqué qu’il y avait un sort d’alerte lié au premier sort ? »

« Je l’ai vu. »

Olesm parla depuis une table éloignée. Val hocha la tête. Il s'était agenouillé à côté de Ryoka, étudiant son visage.

« Tout comme moi. Le sort a brisé un puissant charme. J’ai besoin de voir un [Mage] à ce propos. On m’avait dit que mon charme était capable de stopper les sorts et de retirer tous les types enchantements. »

« C’est de la vantardise dénuée de sens. »

Les mots de Ceria furent les derniers prononcés pendant un long moment. Tout le monde regardait Ryoka dormir, ou rêver, en silence.

Erin s’inquiétait. Elle n’était pas certaine que Ryoka et elle étaient de bons amies, elles n’avaient passées qu’une journée ensemble, mais elles avaient sauvées Ceria et combattues des monstres, donc cela devait compter pour quelque chose.

Elle avait l’impression qu’une heure venait de passer, mais la réalité fut que Ryoka se releva soudainement après quelques minutes, prenant de grandes inspirations paniquée en se tenant la tête.

« Ryoka ! »

Erin bondit vers elle, mais Val était plus proche. Il aida Ryoka en lui présentant une main qu’elle agrippa en regardant autour d’elle.

« Doucement. Ryoka, est-ce que tu vas bien ? Est-ce que le charme a marché ? »

« Quoi ? Quoi ? Je… Je vais bien. Oui, ça a marché. »

Ryoka regarda la pièce, les yeux écarquillés et à bout de souffle. Ceria abandonna son fauteuil pour s’approcher, et Olesm bougea à une table plus proche.

« Qu’est-ce que tu as vu ? Est-ce que tu te souviens de quelque chose d’important ? »

« Je… C’était… »

Ryoka ferma ses yeux. Quand elle les rouvrit, quelque chose passa derrière son regard alors qu’elle secoua la tête. Erin vit une étincelle de tristesse, de joie, avec un soupçon de peur, mais plus que tout, il y avait de l’émerveillement dans ses yeux. C’était une expression qu’elle n’avait jamais vu Ryoka faire.

C’était… Innocent. Contrairement à l’expression habituelle de Ryoka, qui oscillait entre quelque chose d’impossible à lire et une expression butée.

« C’est un secret. Je suis désolé. Mais je ne peux rien dire. »

« Mince. Tant pis. »

Val secoua sa tête. Il était en train de ramasser les fragments carbonisés de l’attrape-rêve. Erin doutait vrament qu’il puisse les réparer, mais peut-être qu’ils étaient encore utiles ? Elle commença à l’aider à ramasser les morceaux.

« Je, heu, suis désolé pour votre charme. »

Ryoka regarda les morceaux au sol, et ses vêtements roussis. Val soupira avant d’hocher la tête et Erin le regarda.

« Est-ce que le charme était coûteux ? »

« Tu peux dire ça. Il m’a coûté plus d’un millier de pièces d’or. »

« Un milli… »

Pisces s’étouffa et recracha une gorgée d’eau. Ceria regarda les restes calcinés de l’attrape-rêve et Ryoka devint pale.

« Je peux te repayer. J’ai une livraison… »

Val agita sa main devant elle, faisant taire Ryoka. Il la regarda sérieusement.

« Dit moi, d’un Coursier à l’autre. Est-ce que ça valait le coup ? »

Ryoka hésita. Avant de hocher fermement la tête.

« Alors oublie le prix. C’était ma décision de te le donner, je m’en souviendrais comme leçon sur ce que je dois donner ou non. Après, est-ce que cela était une erreur ou non… »

Il hocha les épaules, avant de sourire.

« Aujourd’hui est plein de surprise, hein ? »

Pisces et Ceria regardèrent Val bouche bée, et il était possible de ramasser la mâchoire d’Olesm du plancher, mais Ryoka se contenta de sourire. Elle ferma sa main et regarda par-delà son poing. Elle sourit, avec tant de sincérité qu’Erin en était surprise.

« Merci. Ça valait le coup. »

« De rien. Nous devons prendre soin des nôtres, pas vrai ? »

Mille pièces d’or en magie ne semblaient pas ne ‘rien’ être pour Erin, mais Val mit les quelques morceaux calcinés dans un sac qu’il mit dans sa ceinture. Et c’était tout. La dette était oubliée. C’était tellement cool qu’Erin ne trouvait pas les mots.

Val était un bon gars. Erin sourit, se précipita dans la cuisine, et en ressortit avec un hamburger fumant qu’elle mit devant lui.

« Je ne peux pas rembourser tout ça, mais c’est la maison qui offre. »

Il avait été pour Ryoka, mais l’autre femme était toujours en train de regarder dans le vide, et Erin ne pensait pas qu’attendre quelques minutes allait la déranger. Val regarda le hamburger. Il en avait déjà mangé quatre, mais son estomac grommela. Il sourit à Erin.

« Tu es très gentille. Mais, ah, est-ce que je pourrais avoir un peu de ce truc rouge dessus ? Comment est-ce que tu l’as appelé ? »

« Du ketchup. Mais c’est un supplément. Faut payer. »

Val cligna des yeux en direction d’Erin qui lui fit un grand sourire.

« Je plaisante ! »

***

Ryoka était toujours en train d’essayer de remettre ses idées en place quand Erin s’approcha d’elle avec de la nourriture. Ryoka leva son burger à sa bouche, les yeux dans le vide.

Peut-être que c’était un testament à la nostalgie, le fait que les talents de cuisinière d’Erin s’étaient amélioré, ou la famine de Ryoka, mais ce fut ça qui la ramena sur terre. Oui. Un bon hamburger pouvait effacer l’émerveillement d’avoir rencontré un dragon.

Du moins pendant dix secondes, qui fut le temps nécessaire pour que Ryoka avale son burger. Erin lui en apporta un autre, et Ryoka refit le tour de magie.

« Tu es certaine que tu devrais manger aussi vite ? »

Erin posa la question à Ryoka alors que le second burger se changea en miette sous ses yeux. Ryoka cligna des yeux vers Erin, et la fille leva les mains en l’air, exaspéré.

« D’accord. Mais c’est toi qui nettoies si tu vomis. Toren est toujours absent, et je ne le fais pas. »

« C’est normal. Est-ce que je peux en avoir deux autres ? Trois ? »

C’était tellement bon de manger de la nourriture de son monde ! Mais Ryoka ralentie alors qu’Erin lui apporta son troisième burger. Elle était affamée, autant à cause de sa course que de ses souvenirs.

Val était assis à côté d’elle, mangeant des frites qu’Erin avait faites. Il en trempa une dans le ketchup et regarda Ryoka.

Il n'était vraiment pas ce à quoi elle s’attendait. Et le charme qu’il avait perdu à cause d’elle…

« Encore merci. »

Il haussa les épaules.

« Ca arrive. Je préfère découvrir que mon charme peut être surchargé ici que d’avoir des problèmes sur la route. De plus, le mage qu’il me l’a donné va me faire une remise… Elle a intérêt de le faire, vu qu’elle m’a promise qu’il ne se casserait jamais. Je devrais être capable de le racheter en quelques livraisons.

« Vraiment ? Combien est-ce que tu te fais par livraison ? »

Val regarda le plafond, pensif, en mâchant une frite.

« Quarante pièces d’or ? Je peux me faire mille ou deux mille si la zone est dangereuse ou si j’ai besoin d’être rapide. »

« Quarante… ?»

Ceria s’étouffa sur un morceau de patate et Olesm lui tapa le dos jusqu’à ce qu’elle le recrache. Val semblait amusé.

« Ce n’est pas tant que ça. Les nobles ont assez d’argent à jeter par la fenêtre, et n’importe quel aventurier de Rang Or peut gagner mille fois plus que ça s’ils ont de la chance dans un donjon. »

« L’argent est différent d’où tu viens, je suppose. Ici, les pièces d’or valent beaucoup. »

Erin parla en remplissant les verres des deux Coursiers. Olesm hocha la tête, mais Val haussa les épaules.

« Il y a une différente monnaie parmi les hauts-niveaux. Une fois le Niveau 30 dépassé, tu deviens… Un sur mille sur le continent ? Quelque chose du genre. Tes compétences deviennent tellement demandées que tu peux te faire plus d’argent que n’importe qui d’autre. Et bien sûr qu’une personne avec une classe touchant à la gestion de terres ou à l’achat et à la vente de biens gagnera des milliers de pièces d’or chaque mois. »

Ryoka dut secouer sa tête, même si le parallèle avec son monde n’était pas si éloigné que ça. Erin soupira, imaginant ce qu’elle ferait avec tant d’argent et s’assit à la table de Val, lui faisant un sourire.

« Je suis contente que tu sois venu ici. Contrairement à certaine personne, tu payes pour ta nourriture et tu as aidé Ryoka. Donc dès que tu veux revenir pour une nuit ou pour manger, je serai heureux de te servir. »

Val semblait épris de regret.

« Je doute que tu vas me voir dans le futur proche. Je ne fais pas souvent de livraison aussi loin au sud. »

« Vraiment ? Mais tu es un Courrier. Tu ne livres pas partout ? »

« D’une certaine manière. Mais ma zone est généralement autour de Port Fondateur. Je suis loin, même pour moi. En vérité, je suis surpris que j’aie été appelé pour cette livraison. Normalement, il y a un autre Coursier qui fait les livraisons dans le coin, mais apparemment il a été occupé à cause de quelques problèmes avec les morts-vivants dans la zone. »

« Un autre Courrier ? »

C’était la première fois que Ryoka entendait parler de ça. Elle se demandait si c’était un Drakéide ou un Gnoll. Val hocha la tête, il fit un geste vers la fenêtre tourner vers Liscor avec son pouce.

« C’est un Garou nommé Épervier. Je l’ai rencontré quelques fois. Il est assez rapide pour faire l’aller-retour à Port Fondateur. Je ne sais pas pourquoi il ne l’a pas prise, mais apparemment, il y a eu des problèmes avec les mort-vivants, et c’est pour ça qu’il serait indisponible. »

Épervier ? Ryoka ne connaissait pas ce nom, contrairement à Erin. Ses yeux s’écarquillèrent.

« Oh, je l’ai rencontré hier ! Il est tellement mignon ! »

Ryoka cligna des yeux en regardant Erin. Mignon ?

Val rit bruyamment, et hocha plusieurs fois la tête.

« Hah ! Il l’est, pas vrai ? Il ne faut pas lui dire en face. Il se bat encore mieux que moi, et il n’aime pas que les humains se moquent. »

« Mais il l’est. Je veux dire, il mange aussi de la viande. C’est pas bizarre ? »

« Pourquoi? Il n’est pas comme un animal, est-ce que ça serait bizarre si les Drakéides mangeaient du lézard ? »

Val et Erin regardèrent Olesm. Le Drakéide était en train d’apprendre à Ceria à jouer aux échecs, mais quand il entendit ça il se retourna, une inhabituelle grimace sur le visage.

« Nous ne sommes pas des lézards ! »

« Désolé ! »

Val leva une main et se reconcentra sur sa conversation avec Erin.

« En vérité. Je suis surpris d’avoir été nécessaire. Cet endroit à deux personnes avec une vitesse de Courrier. L’un est Épervier, et je connais l’autre uniquement par sa réputation. Est-ce que tu as entendu parler de lui ? Il est connu sous le nom de Gecko par certains Courriers qui l’ont rencontré. »

« Gecko ? Comme un lézard ? »

Les épaules d’Olesm se courbèrent. Erin jeta un torchon roulé en boule à sa tête, et le projectile rebondit dessus.

« Je ne parle pas des Drakéides ! »

Elle regarda Val et Ryoka avant de secouer sa tête.

« Je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un nommé le Gecko. Bizarre. Il y a plein de personnes connues à Liscor que je ne connais pas. »

« Enfin, peut-être qu’il, ou elle, est uniquement connu par les Coursiers. Je suppose que les autres gens ne doivent pas autant y prêter attention. »

« Hm. Enfin, tu sais, Ryoka est super rapide ! Je parie qu’elle pourrait être une Courrière aussi ! »

Ryoka et Val regardèrent Erin, et elle se sentit rougir. Elle ouvrit la bouche, mais Val lui coupa la parole.

« Un Courrier a besoin de beaucoup d’expérience. Un jour peut-être, mais pour l’instant elle est l’une des plus rapides Coursières de Villes que j’ai rencontré. Ce qui est encore plus impressionnant en sachant qu’elle n’a pas de niveaux. »

« Oui… Je suppose. Mais Ryoka est douée ! Est-ce que tu peux lui donner un coup de main ? Je sais pas, genre, parler aux gens pour lui donner un test ou un truc du genre ? »

Val frotta son menton de manière pensive et hocha la tête.

« Si tu veux essayer de devenir Courrière, je peux essayer d’avoir quelques Guildes de Coursiers lui donner des requêtes longues distances. Tu en penses quoi, Ryoka ? »

Val regarda Ryoka. Elle cligna lentement des yeux en regardant la table.

« Mm. »

Val et Erin regardèrent Ryoka et se rendirent compte que la fille était en train de piquer du nez dans son assiette. La tête de Ryoka était tellement remplie de statique qu’elle entendit à peine les deux changer de siège. La potion de stamina avait arrêté de faire effet, et tout ce qu’elle voulait faire… était… dormir…

La tête de Ryoka descendit. Son visage se posa dans son burger et elle se redressa. Il était quelle heure ?

Le soleil était toujours debout, et Val était toujours dans l’auberge. Mais il était à la porte, en train de parler à Erin.

« C’est un bon endroit que tu as, et ta nourriture est unique. Je vais faire quelques courses en ville et revenir ici ce soir. A moins que tu attends une foule ? »

Erin grimaça.

« J’attendais une foule, mais il semblerait que tout le monde en ville est déjà en train de faire des hamburgers. Reviens, car j’ai de quoi faire plein à manger, d’accord ? »

« Je ne dirais pas non à plus de ces patates frites. Et je reviendrais, même si tu ne fais que des hamburgers. »

« Je vais faire des Philly cheesesteaks! »

« Pourquoi est-ce que tu mets toujours le mot ‘fromage’ dans tes plats ? Cheeseburger, cheese steak… Je veux dire, le fromage n’est pas l’ingrédient principal, alors pourquoi ? »

Olesm gratta ses épines. Il regarda autour de lui pour savoir si quelqu’un partageait son avis, mais se retrouva seul.

Val ouvrit la porte et fit un salut en portant deux doigts à son front à Erin, puis il s’arrêta. Plusieurs Fées de Givres étaient autour de la porte, riant. Val leur jeta un coup d’œil prudent.

« Je déteste ces choses. Elles ne me lâchent pas lors de mes voyages et je n’arrive pas à les perdre qu’importe ma vitesse. »


« Hah ! Le petit garçon pense pouvoir nous distancer? Quelle blague ! »


Val esquiva une boule-de-neige qui entra dans l’auberge et renversa les pièces de l’échiquier qu’Olesm et Ceria utilisaient. Il s’en alla en laissant derrière lui le douloureux cri du Drakéide, il baissa la tête en courant vers Liscor, les fées le talonnant.

Erin mit les mains sur ses hanches et secoua la tête en regardant par la fenêtre.

« Nous devons faire quelque chose pour ces fées. Elles sont vraiment méchantes. Tu ne vas pas croire ce qu’elles m’ont fait tout à l’heure, Ryoka. Ryoka ? »

Ryoka piquait du nez, mais elle redressa la tête et regarda Erin.

« Quoi ? »


« … C’est pas grave. Tu sais, j’ai beaucoup de lits à l’étage si tu veux dormir. Nous pouvons parler plus tard. »

« … Non. Non, je vais rester éveiller jusqu’à ce soir. »

Si elle dormais maintenant, elle n’allait jamais dormir ce soir, et elle n’avait pas la motivation de rester éveillé 24 heures pour régler le problème. Elle fronça les sourcils, et se pinça fort.

« Ça va aller. Qu’est-ce que tu vas faire ? »

Erin haussa les épaules et regarda la position du soleil dans le ciel.

« Je comptais ouvrir l’auberge toute la journée, mais vu que personne ne vient… Je suppose que je vais acheter plus de nourriture pour ce soir. Je veux faire des stocks, et Selys à envie d’aller aux bains publics ensemble. Tu veux venir ? Tu pourras rencontrer Krshia et tout… laver. »

Cela semblait être un bon plan pour Ryoka. Non pas la partie ou elle allait à Liscor ou celle où elle allait rencontrer la Gnolle, mais un bain chaud serait parfait. Elle hocha la tête.

« D’accord. »

Elle était toujours épuisée quand Erin et elle marchèrent vers la ville, laissant Olesm, Ceria et Pisces s’occuper de l’auberge. Erin avait confiance en Ceria pour surveiller les deux autres, et il semblait qu’ils allaient jouer aux échecs au lieu de causer des problèmes. Il semblerait que les [Mages] aimaient autant le jeu que les [Tacticiens].

Les potions de stamina. Ryoka savait qu’elle avait réussi à rejoindre Liscor aussi vite uniquement parce qu’elle en avait pris une. Elle avait l’impression que son corps était fait de plomb, et ses yeux n’arrêteraient pas de se fermer si elle ne se concentrait pas.

Parler était encore plus difficile, mais Ryoka était curieuse de savoir pourquoi Val était venu aussi loin pour retrouver Erin.

« Tu as envoyé un puzzle d’échec ? »

« Ouais. Il n’était pas super difficile, mais compliqué quand même. Je suppose que ça a intéressé la personne qui avait envoyé le puzzle, car il ou elle m’a envoyé cet échiquier qui coûte une fortune. Pourquoi ? C’est une mauvaise idée ? »

Erin regarda Ryoka alors que l’autre fille marcha à ses côtés, fronçant des sourcils en regardant ses pieds.

« Peut-être. Pas une bonne idée de donner des secrets. Pourrait être… Une mauvaise chose. »

Ryoka avait du mal à penser. Elle avait essayé d’expliquer les dégâts causés par l’imprudence à Erin, mais Erin n’était pas aussi prudente qu’elle. Probablement un truc de personnalité.

« Si tu es trop doué… Cela pourrait être un problème. »

« Vraiment ? Être doué aux échecs pourrait être dangereux ? »

Peut-être, si la personne qui avait envoyé l’échiquier partait chercher Erin et découvrait ses secrets. C’était la paranoïa de Ryoka qui parlait, mais c’était toujours possible.

Mais après tout, en pensant aux milliers de choses qui pouvaient mal se passer, peut-être qu’elle n’avait pas à s’inquiéter.

Ryoka suivit Erin de manière mécanique dans la ville, ignorant le chemin qu’ils empruntaient jusqu’à ce qu’Erin s’arrête. Ryoka renifla. Une odeur familière était dans l’air, celle de la viande en train de cuire. Elle regarda autour d’elle.

La Rue du Marché était pleine de vendeurs et de piétons. Mais dans le froid hivernal, un troisième groupe de vendeur venait d’apparaître, et c’était les vendeurs de nourriture. Mais contrairement aux autres jours, ils n’étaient pas en train de vendre une variété de plat aux passants, mais un seul, et familier, plat.

Des hamburgers.

Tous les Gnolls et Drakéides dans la rue étaient en train de les vendre alors qu’ils faisaient cuire la viande sur des brasiers, tout comme Erin avait fait la première fois. Ils étaient tous en compétition, mais il semblerait qu’il y ait assez de gens désireux de manger quelque chose de chaud pour que tout le monde trouve sa clientèle.

Tous les vendeurs avaient une queue, une quelque chose d’unique pour appâter le client. Certains avaient différents types de fromage pour leur cheeseburger ; d’autres avaient changé les épices ou la viande. Un Drakéide plus audacieux que les autres avaient créé un hamburger à quatre steaks que Ryoka avait grandement envie d’essayer.

Les Gnolls et Drakéides s’arrêtèrent alors qu’ils aperçurent Erin descendre la rue. Ils ne croisèrent pas vraiment les yeux d’Erin, mais ne s’arrêtèrent pas de faire revenir et de vendre leurs burgers. Ryoka regarda autour d’elle et inhala l’odeur de la viande en train de cuire. Bon sang, elle commençait à avoir encore faim.

« Bon, je sais où est passé toute ma clientèle. »

Erin grimaça et donna un coup de pied dans la neige.

« Allons trouver Krshia. »

Erin regarda les vendeurs alors que Ryoka tituba derrière elle.

« Hey, est-ce que je peux faire quelque chose contre le fait qu’ils m’ont volé ma recette ? Est-ce que je peux les copyrights ou porter plainte pour plagiat ou un truc du genre ? »

« Copyrighter ta recette ? Pas sans une armée. Ou un très gros marteau. »

Ryoka fronça les sourcils alors que le sol commença à tourner dans son champ de vision. Elle vit Erin ouvrit la bouche, probablement pour demander la taille du marteau, avant que la fille ne se retourne et sourit.

« Krshia ! »

La grande Gnolle sourit et sortit de son étal pour accueillir Erin. Elle renifla Ryoka et la fille essaya de ne pas grimacer en retour.

« Il est bon de te voir en ce jour, Erin Solstice. Et je remarque que tu as amené une amie. »

« Oui ! Ryoka est arrivé hier. Oh, et tu ne devineras jamais ce qu’il s’est passé ce matin, Krshia ! J’ai rencontré ce Coursier qui s’appelle blah et il blah blah blah. »

Ryoka coupa la voix d’Erin alors qu’elle essaya de se redresser. Venir ici avait été une erreur. Tout ce qu’elle voulait faire était de prendre un bain et dormir. Mais Erin voulait parler à son ami, et Ryoka allait devoir s’asseoir dans les bains pendant des heures, pour parler

Bon sang. Elle n’allait pas pouvoir le faire. Ryoka voulait juste qu’Erin termine ce qu’elle avait à faire pour qu’elle puisse aller dormir.

La musique. La musique allait l’aider.

Ryoka tâtonna dans sa poche. Son Iphone était toujours là, protégé dans son étui. Elle le sortit et l’alluma. Elle avait besoin de musique. Quelque chose pour la tenir éveillé. Quelque chose avec du rythme

Elle descendit la liste de chanson, fronçant les sourcils en regardant les petites lettres. Ryoka avait plus de dix mille chansons sur son Iphone, et ce n’était pas une blague. Elle avait un modèle de 32 GB, et elle avait désinstallé toutes les applications à part les plus essentielles, son Iphone était juste un outil pour écouter de la musique qui avait la possibilité de participer à une conversation de groupe magique.

Bien sûr, toutes les chansons n’étaient pas bonnes, voir acceptable. Ryoka avait bien trop de chanson qu’elle avait téléchargée étant jeune et qu’elle n’avait jamais pris la peine d’effacer. Mais elle termina par trouver une chanson qu’elle aimait. Un classique.

Une lourde basse se fit entendre dans ses oreilles, bientôt rejoint par un rythme de tambour. Elle attendit, tapant de l’orteil pour Freddie Mercury. Elle sourit alors que la musique l’emporta.

« Ain’t no sound but the sound of his feet, machine guns ready to go.»

Another One Bites the Dust par Queen envahi les oreilles et l’esprit de Ryoka alors qu’elle mit le son à fond. Elle n’avait pas peur d’embêter Erin ou Krshia avec la musique, l’une des choses pour laquelle Ryoka dépensait beaucoup d’argent était une bonne paire d’écouteurs.

Freddie Mercury avait une voix qui parlait au cœur de Ryoka. Elle ouvrit ses yeux, souriante, et remarqua quelque chose d’étranges dans la rue. L’un des vendeurs Gnolls s’était arrêté, et il était en train de faire quelque chose d’étrange. Ryoka fronça les sourcils.

Est-ce que le Gnoll… Etait en train de bouger sa tête en rythme ? Oui. C’était ce qu’il était en train de faire.

Et là-bas. Krshia avait arrêté de parler à Erin et était en train taper du pied. En rythme.

« Are you happy are you satisfied? How long can you stand the heat?»

Ryoka regarda autour d’elle. Chaque Gnoll de la rue s’était soudainement arrêté, à la grande incompréhension des Drakéides et rares humains. Oui. Ils étaient tous en train de bouger la tête en rythme avec la musique.

Merde.

Ryoka arrêta la chanson. Aussitôt, les autres Gnolls la regardèrent avec reproche.

Bordel de… Ils pouvait entendre la musique depuis l’autre bout de la rue. Bien sûr. Ryoka voulait se gifler. Ils étaient comme des chiens. Ils entendaient bien mieux que les humains.

Krshia donna un coup de coude à Erin et pointa l’Iphone de Ryoka du doigt.

« Mm. Ton amie, elle a quelque chose de vraiment intéressant, n’est-ce pas ? »

Ryoka fronça les sourcils, rangea son Iphone, et croisa les bras. Elle lui lança un regard. Erin grimaça, et murmura à Krshia.

« Elle est un peu ronchonne car elle est fatiguée. »

Ryoka l’entendit, et son humeur s’empira. Surtout parce que c’était la vérité. Elle fusilla Erin du regard.

« C’est l’heure de partir ? »

Elle l’avait dit comme une question, mais s’en était pas une. Erin hésita, mais Krshia avait déjà préparé sa commande. Erin s’excusa avant de partir.

« Hey. Qu’est-ce qui ne va pas ? Ils ont entendu ta musique ? Pourquoi est-ce que c’est une mauvaise chose ? »

« Car ils pourraient réaliser que j’ai de la technologie qui ne vient pas de ce monde. et… Et… »

Ryoka secoua la tête. Quelque chose à propos des théories du complot et découvrir la vérité ? Elle avait besoin de s’allonger ?

« Partons. Tu as dit qu’il y avait des bains publics ? »

« Par là. Mais, heu, ton Iphone… »

« Je le laisserai. Avec mes vêtements. »

« D’accord. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 11 octobre 2020 à 00:06:35
2.17
Traduit par Maroti
Partie 2

***

Le bain fit des merveilles pour Ryoka, assez pour qu’elle s’excuse et même légèrement participer au bavardage d’Erin et Selys. Mais pas beaucoup ; Ryoka s’allongea dans l’eau chaude et profita de l’instant.

Malheureusement, à cause de la balance cosmique, il semblait que l’humeur d’Erin devienne l’inverse de celle de Ryoka de manière proportionnelle. Lorsqu’Erin découvrit qu’aucun client n’était venu de son auberge de la journée, l’habituellement positive aubergiste perdit son entrain.

Erin regarda l’auberge vide et jeta ses mains en l’air de dégoût.

« Est-ce que toutes les tavernes, pubs et tavernes sont en train de vendre des hamburgers ? »

Selys hocha la tête en retirant la neige de son manteau.

« C’est ça. Même Peslas en vend dans son auberge. »

Erin s’effondra sur une chaise et posa sa tête sur la surface lisse de la table. Ryoka échangea un regard avec Selys. Elle avait l’impression, qu’en tant qu’amie, qu’elle devait dire quelque chose d’encourageant. Quelque chose d’utile.

Mais quoi ?

‘Ce genre de truc arrive. Faut s’y faire ?’

‘Au moins il ne pleut pas ?’

‘Nous mourrons tous un jour, et personne n’y échappe ?’

… Non. Ryoka décida de ne rien dire. Selys tapota Erin sur l’épaule, et regarda autour d’elle à la recherche d’aide.

Pisces cligna des yeux en sa direction, mais Olesm intervint. Avec une terrible positivité forcée, il présenta un échiquier à Erin.

« Pourquoi ne pas faire quelques parties d’échecs ? Je suis certain que cela nous remontera tout le moral. Ceria et Pisces aiment aussi ce jeu ! »

Ryoka se porta volontaire pour jouer, et Selys fut contrainte d’encourager les joueurs car elle ne s’intéressait pas aux échecs. Au final, elle et Olesm étaient meilleurs que les deux mages, donc Ryoka et Olesm jouèrent contre Erin.

Malheureusement, cela fut une erreur. Ils avaient beau être bon, même eux n’étaient même pas proche d’Erin. Elle est écrasa dans de brutales parties qu’elle domina avant de retourner déprimer sur la table.

Ryoka abandonna. Elle ne savait pas comment remonter le moral des gens, elle arrivait à peine à remonter le sien la plupart du temps. Elle sortit son Iphone et le regarda. Puis elle décida d’abandonner la prudence et le tendit de nouveau vers Pisces.

« Est-ce que tu peux lancer [Réparation] dessus ? »

Les yeux du mage se posèrent sur l’Iphone de Ryoka avec un intérêt et une avarice qu’il prenait à peine la peine de cacher.

« Je connais le sort. Mais puis-je demander ce qui ne va pas avec cet, ah, appareil ? »

« Il commence à être à court de… Il a besoin de mana, pour ainsi dire. Écoute, est-ce que tu peux le réparer ? »

« Si je le fais… Me permettras-tu d’inspecter cet objet durant quelques minutes ? »

« Non. Ca ne sera pas possible. »

« Alors dans ce cas… »

Pisces haussa les épaules comme s’il n’y avait rien à faire. Ryoka serra les dents, mais Erin leva les voix.

« Fait-le. Ou je te jette ça. »

Erin ne leva pas sa tête, mais elle était en train de tenir une fourchette. Pisces hésita. Il était clairement en train de penser à la précision avec laquelle Erin pouvait lancer des objets. Il renifla.

« Fort bien. [Réparation]. »

Cette fois son Iphone ne changea pas de manière distinctive, mais l’écran s’alluma pendant une seconde. Quand Ryoka regarda de nouveau, la batterie était à 100%. Parfait.

Ryoka passa ses chansons, mais elle remarqua qu’Erin était en train de regarder son iphone. Bon. Erin lui avait dit qu’elle avait laissé son portable chez elle lorsqu’elle avait été téléporté ici.

Les yeux d’Erin reflétaient son envie et sa nostalgie. Elle pointa de manière hésitante à l’Iphone dans les mains de Ryoka.

« Est-ce que je peux le voir ? »

Ryoka hésita. Normalement, sa réponse à une personne touchant son portable était de lui mettre la main dessus d’une manière non-amicale. Elle ne le prêtait jamais à personne. Mais Erin… Erin était différente.

Ryoka lui tendit le portable avec réluctance.

« Tiens. »

Elle ne pouvait même pas dire ‘soit prudente avec’ car il pouvait être réparé en un simple sort. Mais les boyaux de Ryoka se tordirent d’embarras quand elle réalisa qu’Erin était en train de passer dans ses chansons.

« Oh mon dieu. Tu as Pokemon dessus ? C’est génial ! »

Le rouge lui monta aux joues. Ryoka fut tenté de lui prendre des mains, mais c’était trop tard. Elle serra les dents.

« C’était une phase. J’ai mis beaucoup de chanson dessus en tant qu’enfant et qu’ado. Je ne les écoutes plus. »

C’était un pur mensonge, mais Ryoka préférait être six pieds sous terre et en train de pourrir plutôt qu’admettre qu’elle écoutait certaines chansons sur son Iphone. Elle était passée par plusieurs phases dont elle n’était pas fière.

« Trop cool. C’est vraiment… »

Au moins Erin était heureuse. Ryoka vit son visage s’illuminer, et elle réalisa qu’elle aurait dû donner l’Iphone à Erin il y a longtemps. Elle l’avait considéré comme acquis en écoutant de la musique de temps en temps en courant ou avant de dormir, mais Erin n’avait rien de son monde. Ryoka prit un siège alors qu’Erin ferma ses yeux et sourit.

Ceria regarda les écouteurs dans les oreilles d’Erin avec intérêt. Ils étaient du matériel de sportif, ce qui voulait dire qu’ils restaient dans les oreilles même lorsque Ryoka courrait. Ils ne laissaient pas passer beaucoup de son, mais Ryoka vit la tête de la demi-Elfe se pencher et ses oreilles trésaillir légèrement.

« C’est étrange. »

Pisces était aussi en train d’écouter. Il avait un doigt à son oreille, et Ryoka vit une aura bleue autour de son doigt et de son oreille. Elle fronça les sourcils, mais les deux mages semblaient avoir des problèmes pour écouter le faible audio qui faisait sourire Erin.

Olesm et Selys regardèrent les mages et Erin avait intérêt, mais ils ne pouvaient rien entendre. Olesm tapota gentiment l’épaule d’Erin.

« Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que je peux écouter ? »

Erin semblait surprise, mais elle hocha la tête.

« Oh, oui, bien sûr. Ce truc à des enceintes, pas vrai Ryoka ? »

« Ce n’est pas une… »

Ryoka s’arrêta et laissa tomber. Ceria l’avait déjà vu. Et de en plus…

« Ouais. Bien sûr. Vas’y. »

Erin retira les écouteurs et l’Iphone joua immédiatement. Ryoka entendit ‘’Hey There Delilah’’ jouer dans le silence.

Les quatre invités dans l’auberge se figèrent, et chacun réagit de manière différente.

Les yeux de Ceria s’écarquillèrent alors qu’elle entendit l’étrange musique qu’elle avait déjà entendu. Elle retrouva le souvenir, et ses yeux se remplirent de larmes alors qu’elle prit un siège. Ceria ferma ses yeux et se souvint.

Olesm regarda l’Iphone, la bouche grande ouverte, montrant des rangées de dents pointues. Il écouta avec un émerveillement innocent alors que sa queue commença à bouger en rythme avec le doux rythme.

Selys cligna plusieurs fois des yeux, avant de s’asseoir et de se concentrer sur la musique en fermant ses yeux.

Pisces… Il regarda le soleil couchant au loin sans dire un mot. Il essuya les larmes de ses yeux lorsque la chanson toucha à sa fin.

Et Erin et Ryoka écoutèrent et oublièrent pendant un moment qu’elles étaient dans ce monde. Les deux femmes sentirent leurs yeux les picoter. Erin sécha ses larmes avec sa manche, et Ryoka secoua la tête.

« Est-ce qu’il y a un moyen de hausser le son ? Le volume est à fond mais… »’

Erin s’arrêta alors qu’elle chercha dans les paramètres. Ryoka n’avait pas une solution à part acheter des enceintes, mais Pisces tendit la main vers l’Iphone.

« C’est à peine à problème. Donne-moi un instant. »

Il tapa la coque métallique de l’Iphone et murmura un sort.

« [Amplification de Son]. »

Soudainement, l’Iphone était assez bruyant pour remplir la pièce. Erin sursauta, avant de sourire en regardant l’Iphone.

« Wow. C’est bien mieux qu’avant. »

Ryoka regarda son téléphone, soudainement intéressé.

« Combien de temps le sort dure ? »

Cela était probablement une terrible idée de mettre de la musique aussi fort dans un endroit dangereux, mais sur la route… Pisces leva une main avant d’hausser les épaules.

« Je suis capable de prolonger le sort pendant plusieurs jours moyennant payement. »

« Je peux apprendre ce sort en moins d’un jour. »

Ceria fronça les sourcils en direction de Pisces alors qu’il la regarda de manière hautaine, mais Erin était toujours concentrée sur l’Iphone. Elle mit une main à son menton, avant de frapper son front avec sa paume assez fort pour que tout le monde la regarde, inquiet.

Erin était soudainement excité. Elle arrêta la chanson et tendit l’Iphone à Pisces.

« A quel point tu peux le rendre bruyant ? »

« A quel point aimerais-tu qu’il soit bruyant. »

« Vraiment bruyant. Super bruyant ! Assez bruyant pour que la ville puisse l’entendre. »

Pisces hocha la tête, et se concentra en ajustant le sol, murmurant des mots trop bas pour être entendu. Ryoka regarda son amie.

« Erin. Qu’est-ce que tu es en train de faire ? »

Erin se tourna et sourit à Ryoka.

« Je ramène des clients ! »

Quand elle lança la musique, le son manqua de déchirer les tympans de tout le monde. Erin avait ses mains sur ses oreilles, mais elle avait un grand sourire.

« Parfait ! Maintenant vous restez ici alors que je vais chercher mes clients ! »

Elle courut hors de l’auberge. Ryoka la suivit, et vit Erin escalader le toit. Elle cria vers Erin, mais l’autre fille ne s’arrêta pas. Erin se redressa sur le toit, et ouvrit la bouche.

«Hey ! C’est l’heure de la musique ! Commençons par un classique !

Ryoka mit ses mains à ses oreilles. La voix d’Erin était élevée ! Cela devait être une Compétence… C’était comme si Erin parlait dans un mégaphone. Mais Erin toucha l’Iphone et Ryoka réalisa ce qu’elle s’apprêtait à faire.

La batterie qui commença à traverser l’air était comme un coup de canon. Mais Ryoka entendit des cordes de guitare qu’elle connaissait par cœur. Erin prit une grande inspiration, et commença à chanter de manière synchronisée avec Kid Rock.

Ryoka resta bouche bée en regardant le plafond alors qu’Erin commença à chanter en parfaite synchronisation. La seule différence était qu’Erin changea les paroles de boy à ‘girl’ et man en… ‘women’ dit très rapidement, ce qui Ryoka approuvait totalement. Erin chanta alors la chanson, projetant sa voix à travers les plaines et vers Liscor.

Le son pulsa à travers l’auberge, tellement fort que Ryoka pouvait sentir la basse dans ses os. Elle ne pouvait pas retirer le sourire de son visage, surtout quand elle entendit Erin essayer de chanter avec le cœur de chanteuse.

«Whooaaaoh? Wooaaaoh!

Erin continua de chanter jusqu’à la dernière note. Ryoka s’attendait à ce qu’elle s’arrête, mais Erin changea de chanson. Et puis Ryoka entendit quelque qui figea son sang.

Non.

Des tambours battant. Le son de la jungle. Un orchestre cinématique, venant tout droit de la bande-annonce que Ryoka avait télécharger pour la chanson.

Non. Elle ne venait pas de faire ça. Sauf qu’elle l’avait fait. Erin avait mis son Iphone en aléatoire. Ryoka s’avança vers la porte, mais c’était trop tard.

«Celle-là vient de Tarzan ! C’était quoi déjà les paroles ? Attends, je m’en souviens ! C’est parti!

Ryoka écouta, partagée entre la douleur et l’émerveillement alors qu’Erin chanta la chanson. Comment faisait-elle pour se souvenir des parole ? Mais maintenant Ryoka pouvait pratiquement voir Tarzan dans sa tête.

Alors que la chanson se termina, Erin cria vers Ryoka d’une voix légèrement moins forte.

« Dit donc, tu as des tonnes de chanson Disney là-dessus ! »

Ryoka couvrit ses yeux avec une main. Mais elle ne pouvait s’empêcher de sourire. Elle se souvenait des chansons de son enfance. Erin fouilla la liste de chanson, et puis Ryoka entendit un battement de tambour familier. Erin écouta avec un sourire au son des personnages de Mulan tombant, et sa voix résonna sur les murs de la ville.

Bon sang. Elle se souvenait même des parties qui n’était pas chantée.

C’était incroyable. Erin n’était pas une grande chanteuse, mais elle était bien mieux que Ryoka l’avait jamais été. Ryoka avait pris des leçons d’un professionnel avec une multitude d’autres leçons données par des tuteurs que ses parents avaient embauchés, mais elle n’aimait pas chanter. Mais même si Erin respirait de travers et qu’elle avait parfois une octave de différence, la passion qu’elle mettait dans ses chansons outrepassait le moindre défaut.

Ryoka se tint dans la cuisine alors qu’Erin chanta ‘’Comme un Homme’’ de Mulan, et puis elle enchaina une version libre de ‘’L’Histoire de la Vie’’ du Roi Lion. Et comme les animaux devant le Rocher de la Fierté, ses mots guidèrent un troupeau.

Au début, ils vinrent de la ville un par un ou par groupe de deux, puis les quelques devinrent les nombreux. Un courant de personnes. Drakéides, Gnolls, et humains aussi, suivant la musique.

Ils se tinrent autour de l’auberge d’Erin, écoutant alors qu’elle chantait le meilleur de son monde que Ryoka avait filtré selon ses gouts. Mais voilà le truc, qu’importe les goûts, Ryoka avait beaucoup de chanson qui avait fait le top 100 chaque année, et chacune était préservée à la perfection dans son Iphone.

Pour ceux qui écoutaient, c’était comme entendre un classique pour la première fois. Et c’était un monde qui n’avait jamais entendu de la pop, du rock, du rap, ou la moitié des styles musicaux qui avaient évolués cent ans après qu’ils écoutaient aujourd’hui.

L’audience était capturée. Ou plutôt, absorbé par la musique, car là ils étaient incapables de rester immobiles.

Les Drakéides et les Gnolls étaient en train de danser ! Ryoka vit ce qui semblait être un bal de danse classique mélangé avec le chaos rythmé d’un certain garde Drakéide. Les Gnolls avaient leur propre mouvement, et ils bougeaient d’une manière que Ryoka ne pouvait qualifier que de primal.

« Oh mon dieu. C’est une fosse. »

Elle ne pouvait pas entendre le son de sa propre voix. Erin avait trouvé le moyen d’augmenter le volume de ses chansons, et elle était en train de couvrir le son des gens en dessous d’elle.

L’une des personnes en dessous de l’auberge criait sur Erin. Zevara avait aussi la compétence de [Voix de Stentor], ou elle avait une bonne paire de poumon, mais l’Iphone combiné à la voix d’Erin était assez fort pour complètement noyé la Capitaine Drakéide colérique.

Ryoka sourit alors qu’elle entendit Erin changer de chanson. Elle rentra dans l’auberge et vit Ceria, Selys et Olesm en train de se précipiter pour cuire des burgers alors qu’Erin était en train de chanter à plein poumons sur le toit de l’auberge.

« Cette là s’appelle ‘Excuse-toi’ ! Et elle est rien que pour toi, Zevara !»

Zevara essaye de grimper l’auberge, mais les autres personnes l’ont ramené dans la foule. Erin contra en se lançant dans ‘I Gotta Feeling’, et le reste devint de l’histoire.

Ryoka réalisa que des gens se bousculaient pour entrer dans l’auberge. Elle se faufila l’intérieur, et vit un mur de personne maintenant hors de la cuisine par un Olesm aux yeux écarquillés. Il était en train d’essayer de maintenir l’ordre, et il était en train échoué.

Ryoka parvint à passer la foule et à se frayer un chemin jusqu’à la cuisine. Elle vit Ceria et Selys tenter désespérément de faire les hamburgers d’Erin. Elle avait laissé beaucoup de viande et d’ingrédients, mais la Drakéide et la demi-Elfe étaient en train d’essayer de faire des hamburgers et de les servir aux gens affamés à l’extérieur en cuisant la viande. À une main, dans le cas de Ceria.

« Attendez ! Je vais aider ! »

Ryoka dut crier dans l’oreille de Selys avait que la Drakéide ne lui donne la spatule. Ryoka commença à retourner les burgers et les mettre sur des assiettes pour que Selys rajoute le pain et les ingrédients aux hamburgers. Elle n’avait pas de compétence, mais Ryoka savait cuisiner.

Le volume faisait rebondir l’huile qui était en train de cuire, mais Ryoka commença à cuisiner au rythme résonnant dans la cuisine. Elle retourna et servit aussi rapidement qu’elle le pouvait, se perdant dans la musique et le travail. Une main écailleuse ou à la peau pale était toujours là pour prendre ce qu’elle avait fait.

Elle prit aussi sa place pour savoir pour qu’Olesm puisse souffler durant quelques instants. Ce n’était pas comme prendre une commande ; les gens posaient leurs argents et prenaient de la nourriture. Ryoka se retrouva rapidement recouvert d’un mélange d’huile et de particules de nourriture.

Mais ils étaient en train de tout vendre, et de vendre n’importe quoi. Les hamburgers n’étaient que le début ; les gens dans l’auberge demandaient tout ce qu’ils pouvaient manger et boire, et Ryoka et les autres luttaient pour les servir.

Après tombés à court de bœuf, ils envoyèrent Olesm pour en racheter et commencèrent à cuire tout ce qu’il y avait dans la cuisine. La foule s’en fichait ; des bols de nouilles beurrées disparaissaient aussi rapidement que des frites trop cuites.

Olesm apparut trente minutes plus tard, une éternité, avec des ingrédients frais. Il revint avec plus que du bœuf, il revint avec tout ce qu’il avait pu acheter sur le marché.

Il avait réussi à convaincre Relc et Klbkch pour aider Krshia à rouler des tonneaux d’alcool jusqu’à l’auberge. Ils se sont pratiquement fait piétiner par la foule jusqu’à ce qu’Olesm parvienne à installer une table et de prendre le plus de chope possible.

Cela fit la dernière goutte. Ryoka avait pensé que les gens se précipitaient dans l’auberge avant ; mais maintenant elle ne pouvait même plus voir le sol. Les gens étaient en train de s’agglutiner dans l’auberge, déposant leurs argents dans une jarre collante qui avait servi à garder des mouches acides. Klbkch avait pris les mouches.

Ryoka prit un instant pour faire une pause. Elle tituba dehors et vit que l’auberge n’était le seul endroit qui commerçait. Alors qu’Erin continua de chanter, plusieurs vendeurs téméraires avaient mis en place leurs stands sur la boue et l’herbe. La neige avait fondu depuis bien longtemps à cause de la chaleur causé par la foule.

Ryoka vit du mouvement dans l’air au-dessus de l’auberge. Elle vit des formes bleues et luisantes voler au-dessus d’Erin dans le ciel nocturne. Des Fées de Givre.

Elles étaient en train de flotter dans l’air, dansant et effectuant des manœuvres complexes en riant alors qu’Erin chantait. Pour une fois, elles semblaient trop entrainées par la musique pour faire des blagues. Mais l’une d’entre eux avait une… Choppe ? Ryoka vit une fée la vider et la lancer dans la foule.

La chope se brisa à l’arrière de la tête de Relc, mais Ryoka pensa que ni lui ni les gens autour ne le remarquèrent. Ils étaient trop emportés par l’étrange musique, et le sentiment dans l’air était celui de pure excitation.

Erin commença à chanter ‘’All the Single Lady’’ et la moitié de la foule devint folle. Ryoka ne savait pas que les Drakéides portaient des anneaux, mais elle en vit quelqu’un sur des queues. Et puis elle vit quelques anneaux disparaître et des gens s’éloigner par groupes de deux alors que la nuit progressa.

***

Combien de temps cela dura ? Ryoka ne savait pas, mais même après un certain temps l’adrénaline et la musique n’était plus suffisant pour la tenir debout. Elle tituba, servant la foule qui se dissipait lentement. A un instant elle vit Zevara crier vers Erin alors qu’Erin fit une pause pour boire et manger un morceau que Ryoka lui avait passé.

« Des gens essayent de dormir ! Arrête de chanter ! »

« Non ! »

C’était un rugissement de la foule. Zevara regarda autour d’elle avec un profond air de dégoût, et Erin jeta le reste de son eau. Elle se releva, et le hurlement de la foule manque de rendre Ryoka sourde.

« Tu ne peux pas nous arrêter ! Ouais, tu ne peux pas m’arrêter ! Parce que… Musique ! »

Et bien sûr elle commença à chanter ‘’Can’t Stop The Feeling’’. Ryoka avait oublié qu’elle avait cette chanson sur son Iphone. Pourquoi ? Ah, oui, parce que c’était entraînant. Ryoka ne pouvait s’en empêcher. Elle bougea son pied au rythme de la chanson. Un tout petit peu.

… Elle a peut-être dansé avec un Gnoll, et s’est retrouvé à faire un concours pour savoir qui pouvait faire le plus de tricks avec Relc. Ryoka savait faire des sauts périlleux arrière ; mais elle découvrit que Relc pouvait le faire et faire du break dance en atterrissant, mais personne dans ce monde ne savait comment moonwalker.

Pendant une glorieuse nuit, Ryoka oublia tout ce qui était autour d’elle. Elle dansa, rit, et laissa la musique l’entraîner. Elle vit Erin rire et danser sur le toit. Les chansons portèrent Ryoka jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que le silence et les ténèbres.

Depuis quelque part sur le toit de l’auberge, Erin éteint l’Iphone et arrêta de chanter. Les Drakéides et les Gnolls titubèrent dans la ville, et Ryoka réalisa que le monde tournait autour d’elle.

Olesm et Selys avaient déjà titubé à l’étage, laissant derrière eux un sol recouvert d’ordure. Pisces aida Ceria à monter les marches, et puis tituba vers l’extérieur.

Ryoka regarda les escaliers et n’essaya même pas de les monter. Elle vit Val lui faire signe alors qu’il monta, elle lui rendit la politesse, et s’effondra dans une chaise.

Ses yeux se fermèrent. Ryoka était en train de dormir avant que sa tête ne penche vers l’avant.

Elle dormit, et rêva de dragon.

***


[Aubergiste Niveau 21 !]

[Compétence – Cuisine Avancée Obtenue !]

[Compétence – Artisanat Avancé Obtenue !]


[Classe de Chanteuse Obtenue !]

[Chanteuse Niveau 6]

[Compétence – Mémoire du Verbe Obtenue !]

[Compétence – Maitrise du justesse Obtenue !]

Erin entendit les mots juste avant de perdre connaissance. Elle se réveilla, toujours sur le toit de l’auberge, principalement parce qu’elle était en train de glisser.

Elle manqua de tomber au sol, et parvint à se sauver au dernier moment. Elle regarda le paysage en ruine, et se demanda si la neige allait tout recouvrir. Non. Elle allait probablement devoir tout nettoyer.

Cela valait doublement pour l’intérieur de l’auberge. Elle lança un regard au chaos et couvrit ses yeux. Mais cela n’allait pas aider.

Sans Toren, aucune des tables sales ou de la vaisselle à laver n’allait miraculeusement disparaître en l’espace d’une nuit. Erin regarda le sol recouvert de déchets et souhaita de tout son cœur que son squelette était de nouveau là.

Elle détestait nettoyer les saletés. Erin était douée pour la poussière.

Mais quelque chose attrapa l’œil d’Erin alors qu’elle regarda la pièce pour trouver un endroit ou commencer à laver. Une étrangeté.

Elle savait que personne n’était venu après que le dernier client avait titubé vers Liscor et que Ceria était monté. Mais quelque chose avait bougé pendant la nuit.

Rien n’avait changé dans l’auberge. À part une chose.

Erin regarda l’échiquier que Val lui avait livré, posé au bout du bar. Les rangs de pièces la regardaient, ordonnés et droits.

Mais… Elle n’avait jamais mis de pièce sur l’échiquier. Et lorsqu’Erin s’approcha, elle vit autre chose.

Les pièces étaient transparentes, éthérées. Elles ressemblaient à des pièces médiévales, avec des pions vaguement humains. Mais de la brume s’en échappait comme de la fumée, et ils avaient une certaine qualité surnaturelle.

Elles ressemblaient à de la magie, et elles étaient les pièces les plus cools qu’Erin avait vu de sa vie. Et elles étaient toutes parfaitement mise en place.

Sauf pour une pièce. Un pion blanc avait bougé deux cases en avant, occupant l’une des ouvertures les plus classiques aux échecs. Pion vers E4. L’ouverture du Roi Pion. Erin le regarda.

« Whouah. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 14 octobre 2020 à 17:42:30
2.18
 
Traduit par EllieVia

Erin se réveilla avec un grand sourire sur le visage. Aujourd’hui était le premier jour du reste de sa vie, et pour une fois, tout était incroyable.
 
Ce qui était un peu moins incroyable, toutefois, était le chaos complet qui avait envahi sa salle commune. Le diamètre du grand sourire d’Erin diminua, mais elle maintint une apparence joyeuse. Certes, son auberge était saccagée, mais l’argent.
 
“L’argent !”
 
Des pièces d’or, des pièces d’argent, des pièces de cuivre. Elle avait beaucoup plus de pièces de cuivre qu’autre chose, mais Krshia lui avait donné plusieurs pièces d’or en montant des vivres de la ville pendant la nuit. Erin avait un gigantesque bocal d’argent, et à côté un bocal encore plus gros, là encore rempli de pièces.
 
Et encore à côté...
 
Erin dut se faire un câlin, elle était tellement exaltée. Ça avait marché ! Son idée folle avait fonctionné, et elle avait gagné tellement d’argent !
 
Elle devrait en donner un peu, bien sûr. Elle n’avait pas payé Selys, ni Ceria et Olesm pour leur aide, et Ryoka avait tout cuisiné ! Elle se demanda si la fille, facilement irritable, accepterait d’être payée. Elle allait accepter, pas vrai ?
 
Si seulement Toren avait été présent, la vie aurait été parfaite. L’idée fit glisser le sourire d’Erin de son visage, mais pendant un instant seulement. Il aurait nettoyé ce bazar pendant la nuit et l’aurait fixée avec un air effrayant de bon matin. Mais en son absence, elle allait devoir s’en occuper.
 
Eh bien, ce n’était pas cher payé pour une nuit aussi merveilleuse. Erin soupira, releva ses manches, et se mit au travail. Elle pouvait prendre une longueur d’avance avant de préparer le petit déjeuner. Quelque chose à base d’œufs et de lard, sans doute. Ce serait trop de travail de faire des pancakes.
 
En commençant à partir en chasse de chiffons, de seaux de neige fondue et bien sûr d’une serpillière et d’un balai, Erin repensa à la nuit dernière. Elle avait gagné des niveaux. Tellement de niveaux ! Erin savait que le niveau 20 n’était pas un niveau si élevé que ça - Selys lui avait dit que presque tout le monde arrivait à ce stade avant de mourir. Mais quand même. 21 niveaux !
 
Et la classe de [Chanteuse]. Erin en avait été surprise, mais elle avait vraiment voulu chanter de son mieux sur le toit. Et à quoi servaient ces compétences ?
 
[Mémoire Parfaite] et [Maîtrise de la Justesse]. Est-ce qu’elles fonctionnaient ? Erin se concentra.
 
Oui. Elles fonctionnaient. Et incroyablement bien, en plus ! Erin pouvait se souvenir de chaque parole, chaque couplet de chaque chanson qu’elle avait jamais chantée. Et de plus…
 
“Test, test, do, ré, mi, fa, sol, la, si, do !”
 
Elle était parfaitement juste. Il aurait été impossible d’améliorer sa voix même avec un autotune. Cela lui donna une sensation étrange ; comme si sa voix n’avait plus été la sienne. Mais ce sentiment fit rapidement place à un désir plus grand encore de chanter !
 
Ryoka avait repris son iPhone juste avant de s’endormir. Mais Erin pouvait encore chanter même sans l’appareil. De plus, il était encore enchanté et pulvériserait probablement les tympans d’Erin si elle l’utilisait.
 
Et maintenant, quelle chanson allait-elle chanter ? Erin se souvint de son échauffement, et sourit en se rappelant les paroles.
 
Elle se pencha pour ramasser avec précautions une robe abandonnée en la pinçant entre deux doigts, puis regarda le ciel en train de s’éclaircir au-dehors. Erin ouvrit la bouche, et chanta.
 
“Do, le do, il a bon dos, ré, rayon de soleil d'or… !”



***



Ryoka se réveilla au son de la musique. Comme elle avait la gueule de bois, c’était une terrible expérience, absolument horrible. Chaque nouveau couplet était comme un clou enfoncé au marteau-piqueur dans son crâne, et l’oreiller que Ryoka pressait sur sa tête mettait trop de temps à l’étouffer.
 
Le chant abhorré montait du rez-de-chaussée et flottait dans les airs, accompagné par des bruits sonores de porcelaine en train d’être empilée ou de couvertes en train d’être rangés.
 
Ce qu’Erin avait oublié, c’est que la nuit dernière, tout le monde avait imbibé une quantité non négligeable d’alcool. Elle avait bu aussi, bien sûr ; mais Erin était immunisée contre les effets de l’alcool et elle était donc la seule personne à se réveiller ce matin sans gueule de bois.
 
Ryoka craqua lorsque Erin atteignit le couplet du “la”. Elle saisit l’objet le plus proche qu’elle put atteindre, tituba hors de sa chambre et le jeta avec violence en bas des escaliers. Il apparut qu’elle avait attrapé sa table de chevet, et cette dernière éclata en mille morceaux lorsqu’elle s’écrasa au bas des marches.
 
Ryoka entendit l’exclamation choquée d’Erin. Elle grogna et retourna dans son lit d’un pas lourd.
 
“Malpolie !”
 
Mais le chant cessa. Ryoka roula dans son lit et reçut bien plus qu’une quarantaine de clins d’œil.
 
Lorsqu’elle finit par se réveiller une ou deux heures plus tard, Ryoka avait faim. Elle sortit d’un pas mal assuré de sa chambre, et vit que tout le monde était également en train de se lever. Leur synchronisation était probablement due au fait que le soleil avait traversé leurs fenêtres au même moment, et qu’Erin n’avait toujours pas acheté de rideaux pour sa nouvelle auberge.
 
Les visages étaient endormis, et les expressions grimaçantes. Ryoka hocha la tête à l’intention des autres invités.
 
“Ryoka.”
 
“Ceria.”
 
“Val.”
 
“Olesm ?”
 
Le Drakéide sortit en titubant de la chambre de Ceria et s’arrêta net. Il regarda le reste des clients de l’auberge. Il recula lentement et ferma la porte.
 
Ryoka regarda fixement Ceria. La demie-Elfe haussa les épaules. Elle ne croisa pas vraiment le regard de qui que ce soit d’autre et ils descendirent au rez-de-chaussée.
 
Ils y retrouvèrent une Erin éclatante et joyeuse, et des bols fumants d’œufs brouillés, une assiette de lard dégoulinant de graisse, et du pain. Ryoka aurait pu serrer Erin dans ses bras, mais elle était plus intéressée par la nourriture.
 
“Alors. Vous avez bien dormi ? Hum, désolée pour le chant ce matin.”
 
“J’ai plutôt bien aimé. C’était une chanson inhabituelle.”
 
Val sourit à Erin par-dessus son petit-déjeuner. Ryoka grogna. Ceria hocha la tête en se massant les tempes.
 
“Quelle nuit. Je n’arrive pas à croire la moitié des choses dont je me souviens. Et ce dont je me souviens pour de bon...”
 
Elle s’interrompit en évitant de regarder en direction d’Olesm. Et il s’appliquait également à ne pas regarder dans sa direction. Ryoka avisa sa queue agitée de tics nerveux. Erin ne sembla pas remarquer leur comportement. Au lieu de cela, elle pointa son échiquier posé sur la table d’un air surexcité.
 
“Devinez quoi, les gars ? Regardez-moi ça ! L’échiquier que j’ai reçu était magique !”
 
Tout le monde se tourna. Olesm lâcha sa fourchette et Val siffla en voyant les pièces fantomatiques.
 
“Je pensais bien que quelque chose clochait. Eh bien ! Ce n’est pas quelque chose qu’on voit tous les jours.”
 
Ryoka fronça les sourcils.
 
“Qu’est-ce que c’est ?”
 
“Une espèce de sort de duplication et un plateau connecté par magie, j’imagine. Évidemment.”
 
Ryoka tourna la tête et vit Pisces entrer en titubant dans l’auberge. Il avait l’air - et l’odeur - d’avoir dormi dehors. Ce que les débris qui tombèrent de sa robe confirmèrent.
 
“Pisces.”
 
“Ceria. Je vois que tu es en train de petit-déjeuner. Permets-moi de me joindre à toi.”
 
Pisces se glissa à la table de Ceria, au grand déplaisir de cette dernière. Erin fusilla Pisces du regard, mais elle ne le chassa pas de l’auberge. Au lieu de cela, elle se tourna de nouveau vers l’échiquier.
 
“Donc c’est, disons, un échiquier magique qui permet de jouer contre quelqu’un à distance ? Cool ! J’en avais un… tout pareil à la maison !”
 
Ryoka lança un regard noir à Erin tandis que Pisces et Val haussaient les sourcils. Olesm était occupé à inspecter le plateau et murmurait avec excitation en examinant les pions spectraux. Ils étaient plutôt impressionnants, surtout que la brume éthérée leur faisait comme une traîne lorsque le Drakéide les déplaça sur le plateau.
 
“‘Ils sont froids !”
 
Les pions étaient en effet froids au toucher, et Ryoka eut l’impression de tenir de l’air solide lorsqu’elle en toucha un. Erin contempla l’échiquier, et le pion alla se placer de l’autre côté du plateau.
 
“Eh bien, si ça, ce n’est pas une invitation à jouer… ça a l’air rigolo !”
 
Ryoka essaya d’analyser rapidement toutes les conséquences possibles de cette partie, mais elle n’en vit pas un nombre inconsidéré. De plus, la personne qui avait envoyé l’échiquier savait de toute évidence qu’il était arrivé.
 
Erin tendit la main vers un pion, mais la queue d’Olesm tressaillit et, voyant cela, elle s’interrompit. Le [Tacticien] hésita, puis regarda Erin d’un air suppliant.
 
“Est-ce que… est-ce que je peux faire une partie ? Je ne voudrais pas m’imposer, mais je suis curieux… quand tu auras fait quelques parties, est-ce que tu penses que je pourrai essayer ?”
 
“Eh bien, pourquoi pas essayer tout de suite ?”
 
Erin s’écarta et fit signe à Olesm de s’asseoir. Le Drakéide la dévisagea, bouche-bée, et Ryoka sourit sur sa chaise.
 
“Quoi ? Mais… non… je ne pourrais pas me permettre !”
 
Protesta Olesm tandis qu’Erin lui tirait la chaise. Elle secoua la tête.
 
“Oh, pitié. Ce n’est pas comme si c’était si important que ça, qui joue en premier. Et de plus, la personne en face ne sait pas qui je suis. Allez ! Il faut que je fasse du ménage, de toute façon.”
 
“Si tu es sûre… ”
 
Les mains d’Olesm tremblaient autant que sa queue lorsqu’il s’installa devant l’échiquier. Il regarda les pièces d’un air hésitant, puis avança un pion.
 
Pendant qu’il patientait - et Ryoka se demanda s’il allait devoir attendre longtemps étant donné le décalage horaire potentiel du joueur d’en face, elle se tourna vers Ceria. Le mage était en train d’observer Olesm, mais elle se retourna vers Ryoka et rougit violemment lorsque l’humaine lui donna un coup de coude.
 
“Quoi ? Ryoka ?”
 
“J’aimerais te parler de la possibilité que tu m’enseignes la magie plus tard. Si tu n’es pas trop occupée ?”
 
Ceria sourit d’un air ironique.
 
“Pas du tout. J’ai quelques petites choses à faire ce matin, mais est-ce que tu serais disponible dans quelques heures ?”
 
“Ce serait parfait. Je vais aller courir puis me reposer un peu plus. Je te retrouve ici.3
 
“Il a bougé ! Il a bougé !”
 
La voix surexcitée d’Olesm attira l’attention de tout le monde. Ryoka se concentra de nouveau sur le plateau, et vit qu’une pièce avait en effet bougé. Olesm était figé sur place, mais il finit par avancer précautionneusement une autre pièce. Au bout de quelques secondes, l’adversaire invisible répondit.
 
C’était impressionnant. Cela ne faisait, quoi, pas plus de quelques secondes ? Est-ce que le mystérieux expéditeur avait attendu que quelqu’un joue un coup ? Ryoka aimait les échecs, mais elle n’était clairement pas aussi fanatique qu’Erin et Olesm.
 
“Je vais rester ici et faire le ménage pendant qu’Olesm joue, puis je jouerai à mon tour. Ça va être une chouette journée !”
 
Déclara en Erin ramassant les assiettes et les couverts. Ceria hocha la tête et montra le mage assis à côté d’elle.
 
“Pisces et moi allons visiter la ville. Je veux aller voir Yvlon et il va s’acheter de nouvelles robes.”
 
“Vraiment ?”
 
Pisces regarda Ceria d’un air dubitatif. Il tritura sa robe couverte de taches.
 
“Mes vêtements actuels sont plutôt convenables.”
 
“Absolument pas.”
 
Tout le monde était d’accord avec l’affirmation de Ceria. La demi-Elfe pointa Pisces du doigt.
 
“Tu es dégoûtant. Tu as encore l’or que nous t’avons donné pour la jambe de Ryoka - dépenses-en un peu !”
 
Il hésita, et se leva pour la suivre lorsqu’elle s’avança vers la porte.
 
“Ah. À ce sujet. Penses-tu que tu pourrais m’accorder un petit crédit ?”
 
La porte se referma derrière eux. Ryoka et Val partirent peu de temps après. Ce qui ne laissa qu’Erin et Olesm dans l’auberge. Erin s’affaira à ranger, nettoyer les taches, complètement concentrée sur ses tâches.
 
Ce n’était pas facile. Mais ce n’était pas difficile non plus. À la vérité, ce n’étaient que les taches et les particules de nourritures coincées dans les espaces entre les lattes du plancher et sous les chaises qui agaçaient Erin. Pourquoi n’avait-elle pas pu avoir la compétence de [Récurage Avancé] ou quelque chose dans le genre, plutôt ? Même si ses deux dernières compétences avaient l’air utiles. Erin se demanda quels plats elle allait réussir à faire ce soir. Hm. Que devrait-elle préparer pour ce soir ?
 
Au bout d’un moment, elle entendit un son sourd provenant du côté d’Olesm. Elle se retourna, et le vit en train de regarder fixement la table, sa queue fouettant le sol. Le Drakéide avait l’air désemparé.
 
“Olesm ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
Il se retourna vers elle. Olesm semblait sur le point de pleurer lorsqu’il pointa l’échiquier du doigt. Les pièces blanches recouvraient le plateau, et il ne lui restait qu’un Roi et deux pions de son côté.
 
“Je… je suis désolé. Je ne peux rien faire.”



***



Ryoka inhala l’air frais et glacé lorsqu’elle sortit de l’auberge. L’hiver. Ah, l’hiver. Elle n’était pas fan.
 
Le froid et la neige rendait impossible pour elle le fait de courir pieds nus, et elle détestait par conséquent l’hiver. C’était tout.
 
Techniquement, Ryoka pouvait courir pieds nus dans la neige. Certains coureurs pouvaient même courir sur de l’eau gelée en hiver, elle avait vu des vidéos YouTube. Mais c’était une mauvaise idée de le faire sur le long terme, et c’était dangereux. De plus, ses parents avaient paniqué quand ils avaient appris que Ryoka faisait ça, donc il y avait ça, aussi.
 
Val apparut à côté de Ryoka et se mit à faire les mêmes sortes d’étirements qu’elle. Elle lui lança un regard en coin, et se demanda s’ils pensaient tous deux à la même chose.
 
Un jogging matinal. C’était le meilleur moment pour ça. Son corps était raide, et sa tête douloureuse à cause de la veille était encore embrumée. Il n’y avait pas d’autre solution que de s’en débarrasser en courant. Les joggings matinaux quotidiens faisaient partie de la vie de Ryoka - si elle n’allait pas faire de livraison aujourd’hui, elle voulait courir un moment.
 
“Est-ce que tu vas courir ? Ça te dit, un peu de compagnie ?”
 
L’offre de Val surprit Ryoka. Elle le dévisagea pendant quelques secondes avant de répondre.
 
“Je vais te ralentir. Tu es bien plus rapide que moi.”
 
Cela n’était même pas douloureux de l’admettre. Il y avait une telle différence entre eux que cela ferait plus mal encore de nier un fait aussi évident. Mais Val n’avait pas l’air d’être de son avis. Il se gratta la nuque et se tourna vers Ryoka.
 
“C’est peut-être vrai, mais pourquoi est-ce que cela nous empêcherait de courir ensemble ? Je ne suis pas obligé d’activer mes Compétences. Pour tout dire, je préfère m’en abstenir. [Foulée Double] et [Vivacité] dont géniales pour les longues distances, mais elles me fatiguent trop pour que je puisse faire d’autres choses quand j’en ai envie. Donc, on y va ?”
 
“... D’accord.”
 
C’était étrange. Ryoka n’était pas une coureuse sociale. Dans l’équipe de course du lycée, elle avait été tout aussi antisociale que partout ailleurs. Elle était même encore plus ostracisée là-bas parce qu’elle était la meilleure coureuse de l’équipe et qu’elle ne s’entendait avec personne. Une paria qui ne se pointait qu’aux événements et aux rencontres sportives et rien d’autre.
 
C’était autant la faute de ses parents que la sienne. Ils avaient forcé l’entraîneur à laisser Ryoka s’entraîner seule, étant donné qu’elle le faisait déjà après la fin des cours. Une mauvaise décision. L’une des nombreuses contre lesquelles Ryoka n’avait pas protesté ou qu’elle avait prises au cours des années.
 
Elle espéra que courir avec Val était une bonne idée. Elle le laissa choisir le rythme, et il la guida dans une course raisonnablement rapide à travers la neige. Pas trop rapide ; elle comprit vite qu’il voulait parler en courant, ce qui était encore un nouveau concept pour elle.
 
“C’était une sacrée nuit, hein ? J’ai vu des fêtes en cité qui n’atteignaient pas ce niveau. Et la musique ! Par les Dragons célestes, je n’avais jamais rien entendu de tel !”
 
“C’était cool, hein ?”
 
Pour Ryoka, les mots ne suffisaient pas à capturer cette nuit. Elle n’avait pas été magique, et n’allait pas lui changer la vie, mais elle avait été tout de même extraordinaire. Elle avait été… un peu magique, d’accord. C’était une bonne nuit. Une rareté, pour elle.
 
“Et l’artefact qu’utilisait Erin… c’était le tien ? Il fait de la musique ?”
 
“Il… rejoue de la musique.”
 
Ryoka plongea la main dans sa poche pour en retirer l’iPhone et le montra à Val. Il était éteint, et il le regarda avec curiosité avant d’accélérer le rythme.
 
“Je ne comprends pas comment il fonctionne, mais j’ai déjà vu des objets capables d’enregistrer la vue et le son. Et l’odeur. J’imagine que c’est quelque chose dans ce genre ?”
 
“Ça vient de chez Erin et moi. Tu peux voir ça comme de la magie. Ça s’en rapproche.”
 
Cela avait peut-être été une erreur de révéler qu’elle avait l’iPhone, mais cette conversation avec les autres avait montré à quel point l’idée de garder son monde secret était illusoire. De plus, il y avait des avantages à révéler quelques secrets.
 
“En revanche, dis-moi si tu croises quelqu’un avec ce genre d’appareil, d’accord ? J’aimerais les rencontrer.”
 
“Moi aussi, surtout s’ils ressemblent à Erin et toi !”
 
“Eh bien, ça se pourrait, oui. Mais je n’ai vu personne d’autre.”
 
Ryoka sentit ses jambes se réchauffer pendant qu’ils couraient dans la neige mouillée. Le soleil réchauffait sa peau, et elle allait de mieux en mieux à chaque seconde qui s’écoulait. Rien de meilleur qu’une bonne course et, étonnamment, la conversation ne faisait pas de mal non plus.
 
“Je dois encore te remercier. L’amulette… je veux te la rembourser, d’une manière ou d’une autre. Elle était extrêmement chère.”
 
“Comme j’ai dit, oublie. C’est un service d’un Coursier à une autre.”
 
Ryoka se sentit mal à l’aise. Les mots de Val ressemblaient beaucoup à ceux qu’elle avait entendu Fals répéter sans relâche.
 
“Tout de même. Ce n’est pas rien. Mille pièces d’or…”
 
Cette fois-ci, Valceif grimaça et ralentit pour se retrouver côte-à-côte avec Ryoka. Il la dévisagea d’un air grave.
 
“Ryoka, nous sommes des Coursiers. Quand l’un de nous a besoin d’aide, les autres Coursiers donnent ce qu’ils peuvent. Si on a besoin d’aide pour porter un colis, on demande. Parce que nous sommes semblables, toi et moi. Tu as besoin d’aide aujourd’hui ; demain cela pourrait être mon tour, ou quelqu’un d’autre. Je ne fais que rembourser les faveurs qui m’ont été accordées par le passé.”
 
Elle réfléchit à ce qu’il venait de dire. Val regarda les alentours et soupira.
 
“Écoute, je ne suis pas très content d’avoir perdu ce charme non plus. Mais c’est la vie. ON perd et on gagne. La dernière personne qui m’a aidée a reçu deux flèches en me mettant en sécurité après qu’un [Seigneur des Bandits] m’avait tendu une embuscade. C’est le moins que je puisse faire.”
 
Ryoka acquiesça. Puis elle baissa la tête.
 
“Bordel. Je suis tellement bête.”
 
“Quoi ? Pourquoi ?”
 
Ryoka tenta d’expliquer de son mieux. Elle eut l’impression de tout relater de manière terrible et confuse - elle n’avait pas l’habitude de parler de… quoi que ce soir, avec qui que ce soit. Mais Val parut la comprendre. Il ralentit légèrement en réfléchissant.
 
“Hum. Je comprends ce que voulait dire ce Fals, mais ce n’est pas exactement comme ça que je vois la chose. C’est le problème avec les petites Guildes. Par là…”
 
Il changea de direction en courant à petites foulées dans la neige. Ryoka le suivit, et remarqua qu’ils venaient d’éviter une zone suspicieusement plate.
 
“Un nid d’Araignées Cuirassées ?”
 
“D’autres Coursiers m’ont dit qu’elles aimaient se cacher sous terre pendant l’hiver. C’est une bonne chose que ce soient les seuls monstres dangereux qui posent des pièges - ou du moins, à cette période de l’année. Je ne viendrais jamais ici au printemps ou en été sans préparer une baguette ou deux.”
 
Val secoua la tête.
 
“Toujours mieux que des Crelers. Dieux morts, je ne peux pas supporter ces horreurs. Mais où en étais-je ? Les petites Guildes dans ce genre ne sont pas dans la même optique que moi. On se soutient si l’un de nous est en danger, mais personne ne donne des ordres aux autres. Ce qu’ils voulaient que tu fasses, ce Fals et le reste de la guilde… j’aurais été de ton côté aussi.”
 
“Vraiment ?”
 
Cela surprit Ryoka, même si c’était sans doute logique. Val n’était clairement pas Coursier au sein d’une Guilde, et il aurait probablement traité le reste des Coursiers comme des gens très différents.
 
“Nous sommes une communauté, pas un culte. Et ce n’est pas comme si je jetais des amulettes sur tous ceux que je croise. Si cette fille au visage pincé m’avait demandé de l’aide, par exemple, je l’aurais laissée se faire ensorceler toute la journée.”
 
Il fit un geste en direction de Ryoka alors qu’ils gravissaient une colline.
 
“Tu es différente. Ce Fals, la fille que j’ai sauvée…”
 
“Garia.”
 
“... oui, voilà. Eh bien, ils ne deviendront Courriers que s’ils ont beaucoup de chance et apprennent une bonne compétence. Ce qui ne me paraît pas très probable. Mais tu es plus rapide qu’eux sans niveaux. Et tu as les tripes de courir toute la nuit pour arriver ici.”
 
“Tu crois ? Mais je n’ai… je n’ai aucun niveau. Je ne pourrais jamais courir comme toi.”
 
C’est avec beaucoup de regrets que Ryoka l’admit. Elle avait toujours pensé que les niveaux n’étaient qu’une astuce bidon, un moyen de tricher ou de jouer le jeu de quelqu’un d’autre. Mais après tous ces jours passés dans ce monde, voir Valceif courir était la première chose à la tenter autant.
 
“Si… si je décidais de gagner des niveaux, ce serait peut-être mieux. Plus intelligent. Plus sensé.”
 
Elle s’attendait à ce que Val soit d’accord avec elle, mais il parut avoir des réservations.
 
“Je ne pense personnellement pas que ça en vaille la peine.”
 
“Pourquoi pas ?”
 
“Eh bien, déjà - ne te vexe pas, mais… tu n’atteindras jamais mon niveau si tu commences maintenant. Je sais que les [Guerriers] et les autres classes gagnent plus de niveaux en tuant des ennemis plus forts ou autres, mais nous autres [Coursiers] gagnons des niveaux d’une manière bien différente.”
 
“Comment ça ?”
 
“Nous gagnons des niveaux selon la distance que nous avons parcourue, et le défi que présentait la course. Certes, tu pourrais faire des courses horriblement difficiles, mais même là, je doute que tu atteignes le Niveau 10 avant la fin de l’année, et ta progression ne ferait que ralentir à partir de là. Non, je dirais que tu as ton propre style unique sans niveaux. Tu devrais continuer comme ça.”
 
C’était bien la première fois que Ryoka entendait cette opinion-là. Elle jeta un regard au profil de Val et son nez tordu.
 
“Tu crois vraiment ? Je n’ai croisé personne d’autre qui partage ton opinion.”
 
“Eh bien, c’est une histoire de préférences. Et de plus, tu ne le sais sans doute pas, mais les Compétences ne sont pas les mêmes même pour les gens qui ont la même classe.”
 
Ryoka s’en était doutée d’après les commentaires de certains Coursiers, mais elle ne l’avait jamais entendu dire par quelqu’un qui s’y connaissait. Elle laissa Val poursuivre en continuant leur lent circuit au cœur des Plaines Inondées de Liscor.
 
“Les compétences, c’est… comment devrais-je les décrire ? C’est comme un pari, mais un pari sûr. En gagnant des niveaux, tu gagnerais certainement de bonnes compétences, et d’autres un peu moins utiles. Mais tu peux généralement prédire celles que tu vas avoir selon ta classe.”
 
“Ah. Il y a un panel d’options ?”
 
Val leva un pouce en l’air et inclina la tête dans sa direction.
 
“Précisément. Tu peux obtenir des compétences rares comme [Foulées Doubles], et d’autres moins rare. Par exemple, la quasi-totalité des [Guerriers] gagnent tôt ou tard la compétence de [Peau Épaisse] s’ils se concentrent sur le combat rapproché. Mais ils l’obtiendront peut-être au Niveau 5, ou au Niveau 50. Enfin… non, pas au Niveau 50.”
 
“Pourquoi pas… attends, il y a des classes rares tous les 10 niveaux ?”
 
“Bien deviné ! Ouaip, j’ai eu ma compétence de [Foulées Doubles] au Niveau 30. Et bien sûr, parfois, on peut apprendre une compétence rare, mais ça requiert de l’entraînement et un peu de chance. Je suppose que si tu avais une classe tu pourrais apprendre quelque chose qui te permettrait d’aller plus vite mais…”
 
“Ça n’en vaut pas la peine. Compris. Mais comment puis-je aller plus vite sans classes ?”
 
“Avec de la magie, bien sûr. J’ai déjà rencontré des gens comme toi. Des gens sans niveaux, je veux dire. C’est comme ça qu’ils contrent le problème.”
 
Ryoka ralentit et son pied glissa sur un patch de glace. Elle se rattrapa et courut derrière Val qui s’était arrêté pour qu’elle puisse le rejoindre.
 
“Vraiment ?”
 
“Oui, j’en croise de temps en temps. Des gens de toutes sortes choisissent de vivre sans niveaux. Enfin, ils ne sont pas très courants, comme tu peux l’imaginer, mais j’en croise de temps en temps.”
 
“Est-ce qu’il y a des différences entre eux et les autres ?”
 
“L’attitude ? La manière dont ils sont traités ? Rien d’autre.”
 
C’était décevant, mais peut-être… Ryoka essaya de maintenir le flot de la conversation tout en réfléchissant.
 
“Et tu penses qu’on peut devenir Courrier sans Compétences ? Avec de la magie ?”
 
“C’est possible. Il te faut juste le bon équipement - la bonne magie, si tu as le don. Tous les Courriers ne sont pas rapides. Certains courent un peu plus lentement que toi, mais rien ne peut les arrêter. Il y a une [Tireur d’Élite] parmi nous qui monte à cheval. Elle tue tous ceux qui essaient de se mettre en travers de son chemin à deux-cents pieds.”
 
“Hm. Donc je remplis mon CV jusqu’à ce que je sois suffisamment célèbre, hein ?”
 
“Ton quoi ? Oh, tu veux dire prendre plein de requêtes prestigieuses ? Ouaip. Fais-toi un nom en tant que Coursière de confiance et tu deviendras Courrier. Il faut juste que tu prennes les requêtes qu’aucun autre Coursier ne va faire.”
 
“Eh bien, au moins j’ai bien commencé.”
 
“Oh ? Comment ça ?”
 
Ryoka hésita. Mais elle avait parlé en toute honnêteté avec Val jusqu’ici, et elle voulait continuer comme ça. De plus… elle lui avait parlé brièvement de la requête de Teriarch, en omettant tous les détails vraiment intéressants.
 
Val siffla.
 
“Huit cents pièces d’or ? Tu plaisantes. C’est… pas étonnant que ton type s’attendait à voir un Courrier.”
 
“Eh bien, c’était normalement quarante pièces d’or et une potion avant que je ne me mette à négocier avec lui.”
 
“Hah !”
 
Val dut réfléchir un moment pendant qu’ils poursuivaient leur course. Ryoka lui avait demandé s’il connaissait les terres par-delà les Plaines Sanglantes, en omettant de mentionner les morts-vivants ou la personne qu’elle devait retrouver, Az’Kerash.
 
“Les Plaines Sanglantes ? Et les terres australes, huh ? Effectivement, ça va te poser un problème, mais je ne suis pas sûr de pouvoir t’aider. Je ne suis descendu là-bas qu’une ou deux fois.”
 
“Dommage. Je me débrouillerai.”
 
“Tu n’aurais pas dû y aller sans t’être informée d’abord, en revanche. Et bien que je connaisse peut-être… attends, laisse-moi voir si je peux trouver le Courrier du coin.”
 
“Quoi ?”
 
Val plongea la main dans une bourse à sa ceinture. Il en sortit… une bête pierre. Elle ressemblait vaguement à celle que Teriarch avait donnée à Ryoka - une pierre lisse ordinaire, même si cette dernière était gravée de symboles luisants plutôt que d’une flèche.
 
Ils s’illuminèrent lorsque Val posa un doigt sur la pierre. Ryoka n’entendit rien, mais Val dut entendre une voix, parce qu’il se mit à parler dans les airs en continuant de courir.
 
“Ah, bonjour ? Est-ce que je parle bien à Épervier ? C’est Valceif, de Port-Fondateur. Je suis dans la région, et je me demandais si tu avais le temps de venir t’entretenir avec moi et une autre Coursière. Nous sommes juste en train de courir près de la ville. Est-ce que ça te dirait de… ? Merci.”
 
Il remit la pierre dans sa poche et se tourna vers Ryoka.
 
“J’ai appelé Épervier, un Courrier qui fait les courses dans le coin. Il sera avec nous dans quelques secondes.”
 
Ce n’était pas une exagération. Environ dix secondes après que Valceif eut parlé, Ryoka remarqua quelque chose sortir de la ville et foncer sur eux. Elle aperçut à peine le Coursier en lui-même ; son attention fut attirée par la neige qu’il soulevait sur son passage. Il intercepta les deux Coursiers en quelques secondes, et la neige tomba en cascade autour d’eux lorsque Épervier, tout à la fois Garou, lapin géant doué de parole, et Courrier de Liscor apparut.
 
“Valceif ! Je suis surpris qu’ils t’aient envoyé aussi loin au sud !”
 
“Salut, Épervier. Bah, tu sais comment c’est. Tu étais occupé, j’étais dans le coin et ils avaient besoin d’une livraison expresse donc me voilà.”
 
Les deux Coursiers se serrèrent la… main. Ryoka regarda fixement la grosse patte d’Épervier, son visage recouvert de fourrure et… lui-même.
 
Elle était incapable de gérer cela. Non. Non… elle était perdue. C’était un lapin géant. Ce n’était pas comme voir un Drakéide ou un Gnoll, elle avait affaire ici à un lapin parlant avec un pantalon et des tablettes de chocolat. L’esprit de Ryoka était en train de se dissoudre sur les bords.
 
“Et voici Ryoka Griffin, une Coursière de Ville. J’espérais que tu pourrais l’aider. Ryoka, je te présente l’un des Courriers les plus rapides du continent.”
 
“Épervier. Je suis le Courrier de la région. Ravi de faire ta connaissance, Miss Ryoka.”
 
Ryoka saisit avec précautions la patte qu’il lui tendait et la serra. Il avait… cinq doigts, mais quatre orteils au pieds. Sa fourrure était douce et chaude dans ses mains. Elle croisa son regard marron et tenta de sourire.
 
Val prit les rênes de la conversation. Il expliqua brièvement la livraison de Ryoka, en ajoutant quelques détails qu’elle jugeait inutile.
 
“C’est une Coursière de Villes, mais un cran au-dessus des autres. J’espérais que tu pourrais lui donner quelques conseils.”
 
Épervier sourit à Ryoka et haussa les épaules.
 
“Eh bien, je peux t’empêcher d’avoir trop d’ennuis, mais il y a toujours une guerre ou une escarmouche en cours là-bas. C’est risqué pour un Coursier de Ville ou même un Courrier inexpérimenté. Il faudrait peut-être y réfléchir à deux fois, Miss. Combien es-tu payée pour la livraison ? Est-ce que la requête en vaut vraiment le coup ?”
 
Il n’était pas exactement arrogant, mais il avait l’air trop détendu pour prendre la conversation au sérieux. Après avoir vu sa vitesse de course, Ryoka ne pouvait pas le blâmer de la prendre pour du menu fretin.
 
Elle s’arma de courage. Lapin ou non, il restait une personne. Souviens-toi de ça. Erin faisait paraître les conversations interespèces tellement faciles. Elle sourit à Épervier, et décida de lui rabattre le caquet. Juste un peu.
 
“On peut dire ça comme ça. Ma livraison vaut huit cents pièces d’or. Tu penses que ça vaut le coup ?”
 
Épervier trébucha, mais se rattrapa avant de s’étaler face contre terre dans la neige.
 
“Huit c…”
 
Il jeta un regard à Val. L’humain lui souriait. Épervier sourit d’un air piteux et hocha la tête en direction de Ryoka pour s’excuser.
 
“Eh bien, je t’ai sous-estimée, je vois. Mais ce que je dis à propos du danger est vrai, surtout si tu as quelque chose sur toi qui puisse attirer l’attention. Tu veux me passer la livraison ? Je la ferai et te donnerai cent pièces d’or.”
 
Ryoka secoua la tête. Elle n’allait pas donner sa requête, même si cela signifiait prendre des risques. À présent qu’elle avait appris pour Teriarch, elle était obligée de faire cette requête, pour plus d’une raison. Val adressa un regard de reproches à l’autre Courrier.
 
“Épervier.”
 
L’homme-lapin leva les mains en l’air, sur la défensive.
 
“Je propose juste. D’accord. Je me disais que tu n’étais pas sérieuse, mais je suis désolé, Miss Ryoka. Ça marche alors. C’est une livraison sérieuse.”
 
“Et c’est elle qui la fait.”
 
“J’ai juste proposé.”
 
“Merci, mais ça ira.”
 
Ryoka indiqua sa bourse de ceinture dissimulant la lettre et l’anneau d’un geste de la main.
 
“De plus, ce que je livre est ensorcelé pour ne pouvoir être porté que par moi. Tu mourras probablement si tu essaies de le prendre.”
 
“C’est… un détail important. D’accord. Eh bien, je suis ravi de donner des conseils. Qu’as-tu besoin de savoir ? Les routes pour voyager ? Les champs de batailles actuels ?”
 
“Tout ça, et aussi les monstres locaux, les choses comme ça. Ryoka n’est jamais descendue là-bas.”
 
Épervier hocha la tête. Ses orteils tressaillirent et il regarda la neige immaculée qui les entourait.
 
“Ça vous gêne si on parle en courant ?”
 
“Ça me va. Je connais un bon chemin dans le coin avec des portions plates sympathiques. Vous voulez que je guide ?”
 
“Ça me va.”
 
“Vas-y.”
 
Ils s’élancèrent. Comme Val, Épervier ajusta son rythme pour que Ryoka puisse le suivre confortablement. C’était un sentiment étrange d’être la personne la moins rapide du groupe. Épervier prit la parole pendant qu’ils couraient tous ensemble.
 
“Bon, déjà, est-ce que tu sais où tu vas ou est-ce que tu as une cible mobile ? Si c’est quelque chose comme les Villes Emmurées, tu vas pouvoir y aller plutôt facilement. Sinon…”
 
“J’ai un sort qui me pointe dans la bonne direction. Je n’ai aucune idée d’où je me rends.”
 
Val grogna.
 
“Je déteste ceux-là.”
 
Épervier acquiesça. Le lapin prenait de longues foulées détendues que Ryoka lui enviait. Il n’avait même pas l’air dérangé par la neige lorsqu’il passait dessus. Mais bon, il avait des coussinets sur ses pieds… pattes.
 
“Ça complique les choses. Si tu t’y rends avec un sort, tu pourras tomber en plein dans un nid de monstres ou l’une des zones de bataille là-bas. Il y a quelques conflits en cours, et n’importe quel Humain qui court là-bas se fait tirer dessus, Coursier ou non.”
 
“Quoi ? Les soldats n’attaquent pas les Coursiers ! S’ils savent que tu es un Coursier, ils devraient te laisser tranquille !”
 
Val avait l’air indigné, mais Épervier se contenta de lui sourire.
 
“Si tu peux prouver que tu es Coursier avant qu’ils ne te criblent de flèches, vas-y. De plus, ils utilisent des sorts qui rasent des zones entières, donc il n’y a pas de garantie que tu ne vas pas te retrouver coincée dans l’une d’elle. Mon conseil est juste de garder ses distances, mais si tu dois te rendre dans l’une d’elles…”
 
Il se mit à faire une liste de lieux, et Ryoka essaya de les mémoriser. Val sortit une carte de la région et commença à y noter des endroits pour elle. Encore un cadeau. Elle essaya de refuser, mais il lui dit qu’elle ne coûtait qu’une pièce d’or ou deux. Elle répondit en lui jetant deux pièces d’or dessus alors qu’ils continuaient de courir.
 
“Sois prudente, c’est tout. Tu peux parler aux soldats s’ils n’essaient pas de te tuer et normalement ils te laissent passer, donc ce n’est pas le véritable problème.”
 
“Alors c’est quoi ?”
 
Épervier sauta sauta droit au-dessus d’un tas de neige d’un mètre cinquante et atterrit avec légèreté. Il se retourna et courut à reculons tandis que Val et Ryoka contournaient l’obstacle.
 
“Les trucs à surveiller ? Je commencerais par les Gnolls. Reste loin d’eux sauf si tu es absolument certaine de savoir de quelle tribu il s’agit. Certaines sont amicales avec les Humains et les autres espèces, mais d’autres essayeront de te manger. Crois-moi, je parle d’expérience.”
 
Il fronça les sourcils en se frottant le cou. Ryoka pouvait imaginer le conflit qui découlerait… elle regarda Épervier et décida qu’elle ne pourrait plus jamais manger de lapin. Non pas qu’elle soit particulièrement fan de base.
 
“Il y a plusieurs tribus Gnolles dangereuses par là. Ne les sous-estime pas ; ils ne ressemblent pas aux Gnolls normaux qu’on croise ici. Hum… il y a beaucoup de monstres, mais ils sont principalement en train d’hiberner ou de se cacher en hiver. Fais attention aux Golems de Neige, en revanche. Ils sont pratiquement invisibles dans la neige. Oh, et les Wyvernes. Les blanches descendent des montagnes parfois et elles adorent le froid.
 
Ryoka savait ce qu’était les Wyvernes, mais elle n’arrivait pas à croire l’autre chose qu’avait dite Épervier.
 
“Des Golems de Neige ? Tu parles de bonhommes de neige géants ?”
 
“Des bonnes choses de neige.”
 
“D’accord. Désolée.”
 
“Erreur commune. Je suppose que tu as déjà vu ce qu’il se passe quand de stupides morveux font un Drakéide de neige et oublient de lui mettre des vêtements ? Imagine ça, mais dix fois plus gros et avec des stalactites en guise de dents et de griffes. De plus, ils peuvent jeter des boules de neige remplies de cailloux.”
 
Épervier frissonna.
 
“Je les déteste tellement. Si jamais tu sais que tu te rends proche d’un groupe d’entre eux, amène une espèce de sort de feu avec toi.”
 
“Et les Wyvernes… surveille le ciel. Si tu vois quoi que ce soit au-dessus de toi, même si tu penses que c’est un aigle, assure-toi d’avoir un endroit pour te cacher avant qu’elles t’atteignent. Elles peuvent plonger en piqué incroyablement vite, donc fais attention s’il y a des nuages.”
 
“Et vous n’allez pas me convaincre d’abandonner, malgré le danger ?”
 
Ryoka dévisagea les deux Courriers, amusée. Tout cela semblait presque aussi dangereux que les Hautes Passes, mais tout le monde alors lui avait dit qu’il était suicidaire d’essayer d’y aller. Val et Épervier secouèrent tous deux la tête. Val la désigna d’un geste de la main en entamant une courbe pour rentrer à l’auberge.
 
“Si tu as pris le contrat, tu n’as pas d’autre choix que de faire la livraison. Et si tu es du genre à abandonner juste parce que tu risques de mourir, tu ne deviendras jamais Courrier.”
 
Ryoka sourit, et les deux autres lui rendirent son sourire. C’était étrange de se sentir en phase avec d’autres gens.
 
“Autre chose ?”
 
“Les morts-vivants. Fais très attention à eux.”
 
Cette fois-ci, Épervier avait l’air parfaitement sérieux.
 
“Tu n’étais pas là lors de l’attaque des morts-vivants, n’est-ce pas ?”
 
“J’ai vu les conséquences de l’attaque.”
 
“Oui, eh bien… ils n’étaient vraiment pas au niveau de ceux que tu peux trouver dans les Plaines Sanglantes. Je veux dire, il y en avait un gros, mais individuellement, les pires qu’on a eu ici étaient les Seigneurs des Cryptes.”
 
“C’est déjà bien assez dangereux. C’est une catégorie de commandement.”
 
“Oui, mais ils commandaient des zombies, des squelettes, et des goules. Rien d’effrayant. Mais un bon nombre des morts-vivants que tu peux retrouver là-bas sont des restes du Nécromancien.”
 
“Oh.”
 
Ryoka regarda tour à tour l’humain et l’homme-lapin.
 
“Le Nécromancien ? Tu veux dire celui qui a levé l’armée des morts-vivants ? On parle de quel genre de morts-vivants, là ?”
 
Épervier frissonna.
 
“Le genre horrible. Le genre intelligent. Il a réduit en esclavage des spectres et des fantômes et construit de nouveaux types de morts-vivants. Écoute… achète de l’équipement d’urgence juste avant de partir. Quelque chose pour pouvoir t’enfuir rapidement si tu tombes sur un groupe.”
 
Ryoka porta la main sur la potion à sa ceinture, et se souvint de celles qu’elle avait prises chez Octavia.
 
“J’ai deux-trois trucs. Et quatre potions de soin et trois potions de stamina. Ça ira ?”
 
“Ça devrait aller.”
 
“Tant que tu ne t’éloignes pas trop des routes. Les potions de soin ne sont utiles qu’à la condition que tu sois encore vivante pour les utiliser. La meilleure solution reste de ne pas se faire blesser.”
 
“Je suis d’accord. Évite de te faire blesser.”
 
“Et n’abandonne pas ! Livre ou meurs !”
 
Ryoka ne put s’empêcher d’éclater de rire. Les deux Courriers étaient comme elle. C’était incroyable !  Elle prit une grande inspiration et cita de mémoire.
 
“ ‘Ni la pluie, ni la neige, ni la noirceur de la nuit ne sauront empêcher ces courriers d’accomplir promptement la tournée qui leur a été assignée*’, huh ?”
 
Val et Épervier dévisagèrent tous les deux Ryoka d’un air ébahi.
 
“Pas mal, comme devise ! Tu l’as entendue où ?”
 
“Oh, c’est une citation de chez moi au sujet des Courriers.”
 
“‘Ni la pluie, ni la neige’… oui, j’adore !”
 
Épervier hocha la tête et Val l’imita.
 
“On risque de devoir s’approprier cette devise ! Merci, Miss Ryoka.”
 
“Appelle-moi Ryoka.”
 
‘Miss’ paraissait être la manière polie de s’adresser à quelqu’un dans ce monde, presque comme les honorifiques japonais. Elle inclina la tête à l’attention des deux Courriers lorsqu’ils ralentirent en s’approchant de l’auberge.
 
“Merci à tous les deux. Je vous dois beaucoup. Je vous revaudrai cette faveur un jour.”
 
“Bah. Ce n’était rien.”
 
Épervier agita une patte d’un air dédaigneux. Puis il sourit à Val et Ryoka.
 
“Discuter, ça ne coûte rien, mais rencontrer d’autres bons Coursiers ? C’est génial de tomber sur de nouvelles personnes qui savent courir ! Vous ne me croiriez pas si je vous racontais à quel point ceux d’ici sont lents. Et hey, on pourra peut-être retourner à l’auberge du coin pour manger quelques hamburgers après, hein ?”
 
Val et Ryoka marquèrent une pause. Ryoka se souvint du nombre qu’elle avait mangé la veille, à la fois au déjeuner et au diner. Val pensait clairement à la même chose.
 
“Non.”
 
“Non, pas avant encore un mois.”
 
Val et Ryoka avaient tous les deux répondu en même temps. Épervier parut légèrement blessé.
 
“Pourquoi pas ? Vous étiez tous les deux à l’auberge la nuit dernière, non ? Celle avec la musique ? C’était géniale ! J’ai dû manger au moins huit de ces machins, et après j’ai pu m’envoyer de la queue, si vous voyez ce que je veux dire.”
 
Il sourit à Val et remua la patte.
 
“Les Drakéides. Tellement glissantes, tu vois ce que je veux dire ?”
 
Val et Ryoka échangèrent un regard. Val dévisagea Épervier.
 
“De queue ? Tu ne veux pas dire que…”
 
L’esprit de Ryoka se ferma littéralement à l’idée d’Épervier en train de manger huit hamburgers puis de trouver une Drakéide et…
 
Aucun des deux humains ne reprit la parole, mais ils accélérèrent tous deux au même moment. Épervier dut allonger ses foulées pour suivre la cadence. Il les fusilla du regard en se calant sur leur rythme.
 
“Oh allez quoi ? Vous pensiez vraiment que les gens charnus comme vous étaient mon truc ? Je préférerais déjà commencer par embrasser des Minotaures. Au moins elles ont quelque chose pour les couvrir ! Boules de poils, vous êtes tellement susceptibles, vous les humains…”




***

Olesm n’était pas un Drakéide bouffi d’arrogance, mais il avait tout de même sa fierté. Elle avait été terriblement écrasée, battue, et piétinée par une certaine humaine et les morts-vivants, mais cela restait tout de même de la fierté.
 
Il avait gagné des niveaux, risqué sa vie, et essayé d’apprendre à jouer à son jeu préféré du mieux qu’il le pouvait. Il avait appris avec la plus grande joueuse d’échecs du monde - Erin, et il pensait avoir réussi à faire quelque chose de sa vie.
 
Mais il voyait la vérité, à présent. Les eaux froides de la réalité lui léchaient le front, et Olesm était tellement submergé qu’il n’essayait même pas de nager.
 
Il sentit Erin s’approcher, et souhaita, souhaita tellement fort être le genre de personne qui pourrait capturer son cœur. Mais il était [Tacticien] - pas spécialement bon, et qui n’arrivait pas à la cheville de ceux de l’armée Liscorienne - mais il avait une compétence spéciale. Il savait lire les gens, et elle n’était pas intéressée par lui.
 
Du tout. Oh, elle l’aimait bien, mais Olesm savait qu’il n’y aurait jamais rien de plus. Et bien sûr, il avait trouvé quelqu’un…
 
C’était juste qu’elle était comme un phare pour lui, un puits de connaissances et un mystère inexplicable qui remuait son âme. Et il lui avait fait faux bond. Il arrivait à peine à regarder Erin. La honte fit retomber la queue d’Olesm.
 
“J’ai… perdu. Trois parties d’affilée. Je n’ai même pas pu me défendre.”
 
Erin contempla l’échiquier avec curiosité tandis qu’Olesm grimaçait. Il ne supportait même pas de voir à quel point il avait été démoli. Cela n’avait même pas été une bataille, vraiment. Juste l’adversaire en train de mettre la tête d’Olesm sous l’eau et de la maintenir ainsi jusqu’à ce qu’il se noie.
 
“Huh. Ce type est bon. Ou cette fille. Probablement un mec, en revanche.”
 
“Tu peux deviner son genre juste en regardant le plateau ?”
 
La queue d’Olesm retomba encore plus bas. Erin était tellement au-dessus de son niveau…
 
“Non ! Je veux dire… enfin, tous les Grands Maîtres de chez moi étaient principalement des mecs. Les filles ne jouent pas autant aux échecs donc je disais juste que… hm.”
 
Elle regarda fixement le plateau, puis se mit à remettre les pièces en place. Olesm regarda le plateau d’un air sombre.
 
“Je crois que je l’ai mis en colère. Ou… que je l’ai déçu. Je suis tellement désolé.”
 
Après la première partie, l’adversaire avait remis les pions en place rapidement. Mais cette fois-ci, il - ou elle - laissa Erin remettre toutes les pièces en place. Oui, Olesm sentait bien la désapprobation émaner des pièces. Cela le mettait au supplice, il ne pouvait pas le nier. Si l’adversaire s’était rendu compte que la personne qui avait trouvé le merveilleux puzzle n’était que du niveau d’Olesm…
 
Olesm baissa la tête et la posa sur la table. Il allait s’excuser, quitter l’auberge, rentrer en ville, et ne plus déranger Erin avant d’avoir gagné au moins dix niveaux. Il allait…
 
Une main frôla les épines sur la tête d’Olesm et il se redressa dans un sursaut. Erin lui caressa gentiment la tête en s’asseyant à la table.
 
“Il n’y a aucune raison d’être en colère parce qu’on a joué contre quelqu’un de moins fort que nous. Tout le monde doit apprendre d’abord. Si ce type est énervé, je vais lui donner une leçon pour toi.”
 
Erin retourna le plateau, et avança un pion blanc. Olesm hésita, mais son pouls se mit soudain à accélérer.
 
“Il est plutôt bon.”
 
“Je sais. J’ai vu. Donc… j’imagine que je vais m’y mettre sérieusement.”
 
“Je vais juste… je vais te laisser un peu…”
 
Olesm recula jusqu’à se trouver à une longueur de table d’Erin. Il attendit, la respiration hachée, alors qu’elle fixait le plateau du regard. Puis, il vit un cavalier avancer en F6, presque avec réticence. Son moral plongea de nouveau au fond de ses bottes.
 
C’était… comment Erin avait-elle appelé cela ? Oh, oui. La Défense Alekhine. C’était une ouverture agressive pour contrer, et cela suggérait que l’autre joueur s’était lassé de jouer contre Olesm. Il avait joué avec beaucoup de prudence au début, mais maintenant…
 
Erin sourit. Elle avança un autre pion - un cavalier en C3. Presque instantanément, l’adversaire contra, en avançant de nouveau son cavalier, mais Erin ne s’arrêta pas. Elle se mit à jouer ses coups rapidement, dès que l’adversaire avait bougé les siens.
 
Olesm sentit le choc parcourir le plateau. L’adversaire venait probablement de réaliser que quelqu’un d’autre était en train de jouer - Olesm n’avait pas joué aussi vite, et certainement pas avec un tel talent.
 
Pendant cinq bonnes minutes, la partie s’arrêta, et Olesm sentit que l’adversaire recalculait ses coups. Lorsque la partie reprit, elle était plus lente, et l’adversaire prenait son temps pour réfléchir à ses coups.
 
“Oh.”
 
C’était un son doux, résonnant dans le silence chaleureux de l’auberge. C’était Erin qui l’avait émis à la moitié de la partie. Elle avait fait une erreur, et l’autre joueur avait pris sa reine. Olesm regarda fixement le plateau, sous le choc, puis dévisagea Erin. Elle était surprise, mais elle se contenta de regarder le plateau et de recalculer sa position. Il l’entendit murmurer en se tapotant le menton.
 
“il est plutôt bon. Oui.”
 
Et alors…
 
Elle sourit. Un sourire semblable aux nombreux sourires éclatant qu’Olesm avait vus ou sentis auparavant, mais différent. Un frisson parcourut ses écailles.
 
Parce qu’il y avait une lueur dans les yeux d’Erin qu’il n’avait jamais vue auparavant. Et lorsqu’elle avança son pion pour punir le fou qui lui avait volé sa reine, il songea qu’elle avait l’air…
 
Affamée. Oui, c’était cela.
 
On pouvait dire ce que l’on voulait sur Erin, son talent aux échecs était indisputable. Dans ce monde, les échecs habitaient l’esprit de quelques joueurs depuis moins de trois ans. Mais Erin avait grandi en jouant aux échecs, enfant. Elle avait respiré, vécu le jeu, faisant plus de matchs en un an qu’Olesm dans toute sa vie.
 
Erin avait grandi en étudiant plus de 1500 ans d’échecs. Elle avait appris des Grands Maîtres et des nombreuses parties qu’elle avait vues. La stratégie des échecs avait grandement évoluée depuis l’origine du jeu, et Erin avait appris à jouer à un niveau tel que même parmi les 600 millions de joueurs dans le monde, elle restait au sommet.
 
Pour Olesm, elle était un dieu des échecs descendu sur ce monde. Il ne l’avait jamais battue, et n’avait jamais failli y parvenir. Mais on se sent seul, au sommet. Il n’avait vu Erin en difficulté qu’une fois - et il ne l’avait vue perdre qu’une fois.
 
Elle avait joué contre une centaine d’Ouvriers à la fois et leur avait enseigné une Partie Immortelle. Puis elle en avait joué une. Olesm se souvenait encore de cette partie.
 
Elle avait dû se sentir si seule, ensuite. Jouer contre des joueurs qui ne pouvaient même pas la faire jouer sérieusement. Mais à présent. À présent…
 
Erin jouait en silence, assise le dos droit contre sa chaise, la posture parfaite. Elle ne tournait pas la tête, ne bavardait pas joyeusement en jouant. Pour une fois, elle se concentrait entièrement sur le jeu. Et lorsque la partie s’approcha de la fin, ses réponses s’accélérèrent, sa concentration s’approfondit.
 
Pour finir, Erin prit le Roi noir, et Olesm se souvint enfin de respirer. Erin se réadossa à sa chaise et éclata d’un rire, enchantée. Et ce son, si pur, lui fit comprendre qu’elle était heureuse.
 
Heureuse d’avoir gagné. Mais encore plus heureuse d’avoir joué.
 
“Allez. Une autre partie ?”
 
Erin se mit à remettre les pièces en place, mais elle tapota l’un des pions spectraux sur l’échiquier, une fois. Et Olesm vit le pion noir avancer et tapoter doucement le plateau en réponse.
 
Ils se comprenaient. C’étaient deux joueurs séparés par des centaines, peut-être des milliers de milles, mais ils se comprenaient. Ils étaient là pour jouer. Et c’est ce qu’ils firent.
 
Une autre partie. Puis encore une autre. Erin les remporta toutes les deux. Olesm observa la quatrième débuter, et comprit la vérité.
 
Oui. La personne, quelle qu’elle soit, qui se trouvait de l’autre côté de cet échiquier n’était pas l’égale d’Erin. Mais elle était proche de son niveau. Si proche. Et à chaque nouvelle partie, elle envoyait un message à Erin, un message écrit dans cet échange très serré, dans chaque pion perdu et dans chaque échec.
 
Tu n’es pas seule.
 
Olesm essuya des larmes de ses yeux. Son cœur était douloureux, et il savait que cela pourrait paraître stupide pour un observateur extérieur. Mais il y avait de la beauté dans cela que seul un amoureux du jeu pouvait voir.
 
Cela lui coûta tellement de détourner le regard, mais il le devait. Olesm alla dans la cuisine et trouva ce qu’il cherchait. Il trouva un paquet de parchemins qu’Erin avait acheté quand il l’avait aidée pour son auberge. Il était toujours là, avec un encrier et une plume.
 
Olesm retourna dans la salle commune et observa la partie. Elle allait lentement, et il regarda le visage d’Erin pendant un bref instant. Elle fermait les yeux, un sourire léger aux lèvres, et son cœur se serra pendant un moment.
 
Il leva lentement la plume et la plongea dans l’encre. Olesm se mit à écrire, notant chaque coup dans la notation rapide qu’Erin lui avait enseignée.
 
Et Erin sourit, et les pièces d’échecs avancèrent. Elles dansèrent sur le plateau et le Drakéide écouta l’histoire en train de s’écrire.


***

Loin d’ici, dans une gigantesque tente plantée au milieu d’un jour chaud et humide, Niers Astoragon, second de l’une des Quatre Grands Compagnies de Baleros, et [Stratégiste] de plus haut niveau du continent, renversa lentement son roi et contempla l’échiquier.
 
Il ignora le vacarme de la bataille autour de lui. Ses soldats ressortiraient triomphants, et ses lieutenants avaient la bataille bien en main. Interférer ne ferait que ralentir leur croissance.
 
Non, au lieu de cela, il regarda fixement le plateau miroitant et les pièces magiques arrangées dessus. Il avait perdu. Pour la quatrième fois. Il avait été proche de la victoire… tellement proche ! Mais il avait perdu. Pour la quatrième fois.
 
Niers n’enragea pas. Il n’était pas, à vrai dire, en colère. Au lieu de cela, il souriait, d’une manière très similaire à celle d’Erin. Il posa une main sur son menton et le caressa, sentant le début de barbe râper contre ses doigts. Il avait oublié de se raser, et de dormir aussi, d’ailleurs. Il avait attendu de pouvoir jouer avec la personne qui avait créé le puzzle et après sa déception initiale, sa patience avait été récompensée au quintuple.
 
Pendant un instant, Niers hésita à partir en chasse de son rasoir. Il aurait bien emprunté la lame de l’un de ses lieutenants, mais il détestait quand ils s’inquiétaient pour lui. Une lame, même aussi large que lui, restait une dague, et il restait largement assez fort pour la soulever. C’était juste bizarre, voilà tout.
 
L’apparence l’emporte sur le désir. Niers était un [Stratégiste] de Niveau 63, et le destin de sa compagnie reposait sur ses épaules. Il ne pouvait pas laisser tomber ses soldats. Mais… peut-être après une dernière partie ?
 
Niers baissa la main vers un pion, mais il s’interrompit. Un bruit lui parvenait de l’extérieur - une dissonance dans le vacarme de la bataille. Niers écouta, puis soupira. Un crétin venait de déployer l’avant-garde de l’autre armée contre ses soldats, ce qui faisait basculer cette escarmouche en une bataille bien plus sanglante.
 
Ses soldats allaient avoir besoin de son aide. Niers leva une main et dit deux mots.
 
“ [Formation d’Assaut].”
 
L’atmosphère du champ de bataille se modifia. Satisfait, Niers se retourna vers le plateau, ignorant le rugissement de ses soldats lorsqu’ils sentirent le courant de la bataille changer de nouveau.
 
Il contempla le plateau. Il l’avait envoyé sur un coup de tête, jugeant le coût justifié pour une partie possiblement convenable. Mais à présent une question plus importante hantait son esprit, une question qu’il aurait aimé poser plus tôt.
 
Qui es-tu ?”
 
Les pions ne répondirent pas à  haute voix. Mais lorsque Niers vit le côté blanc se remettre en place, il sut qu’il aurait une partie de la réponse en jouant. Il s’assit, se concentra plus intensément qu’il ne l’avait fait depuis ce qu’il lui paraissait être des années…
 
Et se mit à jouer.


Note d’EllieVia : Nous avons le plaisir d’annoncer l’arrivée de Zaza dans l’équipe depuis le début de la semaine ! Cette dernière a entrepris la relecture et la correction du tome 1, et déjà relu les neuf premiers chapitres que Maroti a pu ainsi reposter. Son excellent travail va permettre d’améliorer la qualité de la traduction, et on espère que vous apprécierez ! Bonne lecture à tous :)
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 18 octobre 2020 à 01:37:38
2.19 G
Traduit par Maroti

Le Roi des Gobelins chevaucha parmi les plaines enflammées et à travers les champs de batailles couvert de morts et de cendre. Du sang coula de son épée alors que les morts s’entassèrent jusqu’à dépasser les montagnes.

Il rugit, et la centaine de milliers de Gobelin de son avant-garde rugit avec lui. Ses armées balayèrent le continent, brûlant, pillant. Tuant.

Pas de prisonniers ! Pas de pitié ! Les jouets doivent mourir ! Tuez-les. Brulez-les. Tout ce que les Dieux ont apporté doit être détruit.

Sa rage était infinie. Le Roi Gobelin se jeta dans la bataille, tuant Humains, Drakéides, Gnolls et toutes les espèces qui se mettaient au travers de son chemin. Il s’arrêta seulement lorsque l’archère demi-elfe leva son arc. Le Roi Gobelin ne ressentit qu’un profond regret lorsque la flèche perça son crâne…



Loks se réveilla en hurlant. Sa tribu bondit, criant alors qu’elle lutta pour s’asseoir dans ses couvertures sales. Loks regarda autour d’elle, paniqué, avant de réaliser que tout cela n’avait été qu’un rêve.

Non, pas un rêve. Un souvenir. Une vision d’un passé lointain, quand le plus récent Roi Gobelin avait vécu.

Mais ce n’était qu’un fragment. Loks cria à ses Gobelins de s’éloigner et agita ses mains, elle savait que sa tribu n’était pas suffisamment grande pour vraiment la laisser se concentrer sur ses visions. C’était plus comme… Une bulle, flottant dans son esprit.

Elle se souvenait de la rage. Sans fin, dévorante. Est-ce que cela avait été le dernier Roi ? Dans l’esprit de Loks, il était plus un cauchemar vengeur, motivé par la mort et le massacre. Elle ne pouvait pas comprendre.

Mais après tout, le Roi Gobelin avait été le leader d’une tribu presque sans fin. Il aurait été capable de voir au moins… Mille ans dans le passé ! Si Loks avait une tribu aussi grande, elle aurait peut-être compris sa rage, son passé, et plus important encore, sa mort.

Loks n’avait jamais entendu parler d’un Gobelin mort de vieillesse. Son espèce vivait comme des allumettes ; ils brûlaient en quelques secondes dans les vents glacials de ce monde.

Mais Loks était différente. Elle n’allait jamais mourir.

La toujours jeune Gobeline frotta ses yeux. Elle était réveillée. La mémoire de cette mort était trop vivide pour retrouver le sommeil. Elle tira la couverture jusqu’à ses épaules, la retirant à trois Gobelins qui protestèrent jusqu’à ce qu’elle leur donne des coups de pied, et regarda sa nouvelle maison.

Ce n’était pas super. Mais vu que la dernière cave que les Gobelins avaient habitée pouvait être décrite comme un gâchis d’espace, ça allait faire l’affaire.

Loks passa à travers les Gobelins endormis, ignorant sur quoi ou qui elle marchait jusqu’à ce qu’elle atteigne une casserole qui n’était miraculeusement pas encore entièrement vidée. Loks ouvrit le couvercle tordu, goûta la soupe et grimaça.

Le goût était horrible. Mais après tout, la majorité des plats Gobelins avaient mauvais goût à cause de ce qu’ils mettaient dedans. Loks aurait dû ne pas y prêter attention, mais les plats d’Erin l’avaient gâtée.

La Gobeline trouva un bol, mangea les restes collés au fond, et le remplie de nouveau. Elle avait donné l’ordre que les autres Gobelins n’avaient pas le droit de se servir sauf lors des repas, et avec des portions limitées. Ses guerriers mangeaient deux fois plus que les autres Gobelins.

Mais Loks était une Chef, et à quoi cela servait d’être Chef s’il n’y avait pas quelques avantages ? Les autres Gobelins ne se plaignaient pas vraiment de leur Chef utilisant ses pouvoirs ; ce n’était pas juste, oui, mais c’était juste autre chose qu’ils feraient s’ils étaient Chef.

Loks mangea la soupe tiède avec ses doigts, léchant ses doigts pour ne rien gâcher alors qu’elle regarda la cave. Elle se tourna, hésita à repartir se coucher, et croisa deux yeux violets fait de flamme.

La Gobeline s’étouffa sur sa soupe et tendit la main vers son épée. Ses armes ne la quittaient jamais, même en dormais. Mais Toren attrapa le bol alors qu’il tomba, ignorant Loks alors que la Gobeline recula.

Le bol fut rattrapé, mais vu qu’il l’avait attrapé à l’envers, la soupe coula entre les doigts du squelette. Il regarda la mixture gluante, et secoua ses mains pour la retirer.

Loks regarda Toren, ignorant la nourriture renversée. Quelqu’un allait la manger plus tard. Elle le regarda tout comme Erin le regardait, mais le squelette n’était pas impressionné

Il était en train de croiser ses bras, attendant quelque chose. Quoi ? Toren ne pouvait pas parler, donc Loks devait deviner. Ah. Bien sûr ; il voulait qu’elle remplisse sa partie du marché pour qu’il puisse revenir. Les Gobelins avaient été trop épuisés pour faire autre chose après avoir monté le camp, mais sa patience était clairement à bout.

Oui. La cave. Le combat contre l’armure enchantée. Loks ferma les yeux alors que les événements d’hier lui revinrent.

Elle s’en rappelait. Mais vu que c’était son souvenir, c’était encore plus glorieux.

***

L’armure enchantée rugit de furie, du métal grinçant alors qu’il frappa Toren. Le squelette évita, et Loks arriva derrière l’armure et tira un nouveau carreau d’arbalète.

Le carreau toucha l’armure à l’épaule, mais comme toutes les autres flèches, cela ne dérangea pratiquement pas l’armure magique. Elle se tourna, et Loks prit aussitôt la fuite. L’armure s’avança derrière elle, mais Loks avait appris [Retraite Rapide] et elle s’éloigna de l’épée qui s’abattit derrière elle.

Les autres Gobelins crièrent, et l’armure se tourna juste à temps pour recevoir une douzaine de projectiles en argile. Même tirer en même temps, la volée ne fit même pas tituber l’armure. Elle commença à pourchasser les Gobelins, mais Toren lui bondit dessus par-derrière, lui assénant plusieurs coups.

Ses os se brisèrent, et Loks vit la team de Gobelins enfin revenir. Ils jetèrent trois rouleaux d’écorce kaboom sur le sol et Loks cria pour challenger l’armure. Elle fit tomber son casque avec un carreau, et il la chargea, son épée lourde levé pour mettre un terme à sa vie. Loks lança [Luciole] directement sur les rouleaux alors qu’il passa dessus…

***

Cela avait été un combat comme ceux qu’elle avait vu dans ses plus vieux souvenirs de Chef. Quand plusieurs Hobs de haut-niveaux avaient challengés et vaincus des monstres mortels. Cette fois, cela avait été la chance, l’audace, les nouvelles arbalètes et l’écorce d’arbre kaboom qui les avait fait gagner.

Et cela avait été juste. Loks se souvenait de comment l’armure s’était redréssée après avoir été explosé, et comment ils avaient dû lui envoyer presque toute leur munitions avant qu’elle n’arrête de bouger. Mais ils l’avaient fait. Ils avaient gagné.

Le prochain Chef serait capable de voir ce souvenir, Loks le savait. Celui qui allait la suivre allait pouvoir en apprendre beaucoup sur comment bien se battre. Son escarmouche ne lui avait pas coûté une seule vie Gobeline, ou un mort-vivant. Toren avait survécu, en pièce, mais Loks en avait déduit plusieurs choses importantes.

Premièrement, il semblait que Toren connaissait ‘l’endroit de mort’. En fait, il était même tombé dedans d’une quelconque manière, trouvant une autre entrée au donjon. Ce qui amena Loks à sa seconde découverte, cet endroit était un donjon.

Bien sûr. Elle ne savait pas pourquoi les autres Gobelins ne l’avaient pas compris, mais après tout, peu avait pût être témoin des nombreuses conversations de l’auberge d’Erin. Parfois les clients oubliaient que Loks était présente, et elle apprenait de fantastiques secrets.

Mais d’autres informations venaient après la première. Le donjon était immense. Loks le savait, car Toren était tombé dans un gouffre à plusieurs kilomètres de leur position. Loks avaient donc apprit la chose la plus importante :

Toren pouvait la comprendre.

Oui, elle avait été choquée de réaliser que le squelette pouvait comprendre le langage des Gobelins. Les morts parlaient toutes les langues, et donc Toren pouvait comprendre Loks. Et elle pouvait le comprendre car elle était une prodigue.

C’était facile. Il suffisait de poser une question, et Toren allait gesticuler. Puis il fallait poser plus de questions pour clarifier, et il allait dessiner des images, ou hocher ou secouer sa tête. C’était un système de communication très basique, mais avec lui, Loks avait réalisé que le squelette était bien plus intelligent qu’il ne laissait paraître. Elle se demandait pourquoi personne ne l’avait remarqué.

Ou… Peut-être qu’il était devenu plus intelligent avec le temps. Loks ne se souvenait pas de lui comme étant si instruit. Cela la rendait méfiante, mais les informations échangées en avaient valu le coup.

L’entrée du lieu duquel tant de monstres étaient sortis au fil des décennies était l’entrée vers une partie du donjon, le même donjon que les ruines avec les mort-vivants, sauf que cette partie était encore plus saturée de magie et dangereuse, et ce n’était pas quelque chose de facile à réaliser.

Mais il y avait du pouvoir là-dessous, et Loks avait besoin de pouvoir. Elle allait explorer le donjon. Avec l’aide de Toren. C’était le marché.

Au départ, Toren avait été apathique envers les Gobelins. Il avait erré alors que Loks rassemblait sa tribu, ne retournant uniquement lorsqu’il était devenu apparent que parmi les nombreuses qualités que le squelette possédant, un sens de la direction n’en faisait pas partie.

Loks avait parlé, et il avait principalement était d’accord. Toren avait fait un schéma rudimentaire du donjon, indiquant quels niveaux étaient les plus dangereux, et avait été d’accord pour lui montrer les quelques premiers niveaux qu’il avait traversé en échange de le ramener à l’auberge.

C’était un bon marché, et la tribu de Loks s’était engouffré dans la crevasse, confiant après leur victoire. Ils perdu prêt de dix Gobelins en l’espace d’une heure.

Trois étaient mort lorsque les gigantesques chauves-souris étaient tombées du plafond pour essayer de les déchiqueter. Les Gobelins avaient baissés leur garde quand les tunnels s’étaient agrandis. Ils venaient d’entrer dans une grande caverne recouverte de lichen et de goutte d’eau et c’était à cet instant que les Gobelins avaient dérangé le nid de Chute-Souris Griffues.

L’espèce de chauve-souris était ainsi nommée car, contrairement aux autres chauves-souris, elles avaient évolué de manière à chasser et de consommer la chair aussi bien que les petits insectes. Elles étaient deux fois plus grosses qu’une tête humaine et avaient des griffes tranchantes et la capacité à sur la tête de tous ceux qui entraient dans leur nid.

Cela aurait été bien plus terrible pour les Gobelins dépourvus d’armure si ce n’était pas pour deux choses. Le premier était que les Gobelins voyaient bien dans le noir, et second était que Loks connaissait le [Luciole]. Le feu avait fait paniqué les prédateurs, et les avaient changées en cible facile pour les Gobelins armés de frondes et d’arbalètes.

Un Gobelin était mort d’une combinaison des blessures infliger par les chauve-souris et le tir ami sous la forme du shrapnel tombant depuis le plafond une fois le combat terminé.

Ce n’était pas bon, et Loks s’était frappé pour avoir été aussi inconsciente. Ce n’était pas parce que Toren ne s’était pas fait blesser lorsqu’il fuyait l’armure que cela voulait dire que les alentours étaient sans danger.

Elle ordonna que les chauves-souris mortes soient ramassées et transformer en nourriture, et cloua au sol les vivantes avec des pierres sur les ailes. Ce n’était pas un acte de générosité ; c’était juste pour les garder fraiches plus longtemps.

Elles étaient devenues le dîner, mais aussi le petit-déjeuner de demain. Leur cuir avait beau être résistant, tout fondait avec assez d’eau et de chaleur.

Mais ce n’était qu’une partie de la découverte des Gobelins. Alors qu’ils explorèrent plus profondément la caverne, ils trouvèrent l’entrée du donjon. Une partie des murs avaient été découvert à cause d’une sorte d’effondrement d’un des murs de la caverne. Loks avait précautionneusement regardé dans un long couleur remplie de statues.

Rien n’avait bougé, et Toren ne se souvenait uniquement d’avoir couru pour sauver sa vie en traversant cette partie, donc Loks avait décidé de tenter le coup.

Elle avait fait quelques pas parmi les rangs de statues, ses guerriers Gobelins l’avait flanqué et Toren avait erré sans but quand elle remarqua un piédestal tenant un anneau brillant d’une lumière violette. C’était clairement un objet de valeur, et Loks le voulait. En vérité, il y avait plusieurs piédestaux parmi les statues de pierre, chacun présentant son trésor.

Les Gobelins aimaient autant les trésors que les autres espèces, et Loks avait décidé que cet anneau irait bien à son doigt. Elle fit deux pas, et toucha une plaque de pression. Une volée de flèches spectrale passa au-dessus de la tête de Loks, la manquant de cinq bons centimètres. Ce n’était pas dangereux, mais les deux Golems de Pierres posant comme des statues qui attrapèrent un Gobelin pour le démembrer l’était.

Six Gobelins furent tués avant qu’ils échappèrent aux mains de pierre et aux pieds les piétinant, aux lames sortant du sol et aux sorts ricochant sur les murs en provenance de glyphes cachés, ils battirent en retrait à travers le trou dans le donjon.

Les quinze Golems de Pierres poursuivirent les Gobelins avec une terrifiante vitesse, mais ils s’arrêtèrent quand les Gobelins passèrent le trou. Pourquoi ? Parce que… C’était un endroit qu’ils ne reconnaissaient pas ?

C’était la seule raison que Loks avait trouvée, et elle se doutait que c’était ce qui avait sauvé sa tribu. Mais malgré leur perte, les Gobelins n’étaient pas revenus les mains vides.

L’un des Gobelins avait attrapé un pendentif d’un piédestal. Il luisait, une gemme d’un bleu-blanc en forme de cercle, encadré du même or qui constituait le pendentif. C’était tellement beau que les Gobelins commencèrent à se battre entre eux pour l’obtenir jusqu’à ce que Loks le prenne pour elle.

Son sort de [Détection de Magie] lui indiqua que l’objet était magique, mais Loks n’avait pas la moindre idée de ce qu’il faisait. Elle l’aurait fait porter à un Gobelin, mais elle entendit un piaillement bruyant et se rappela des Chutes-Souris Griffues.

La chauve-souris s’était débattue quand Loks passa le pendentif autour de son cou, puis rien ne se passa. Loks avait tendu la main vers le pendentif…

Et la chauve-souris hurla alors que sa chair commença à fondre. Il lui fallut cinq minutes pour mourir, et elle passa le temps où elle le pouvait à hurler. Loks et les autres Gobelins s’était éloigné le plus possible jusqu’à ce que cela se termine.

Ce qui resta de la chauve-souris malchanceuse était une mixture de… Cela ne pouvait même plus être appelé de la chair. Des restes étaient le bon terme. Le pendentif était parti avec la chauve-souris, et n’avait laissé qu’une horrible odeur et le souvenir de ce qu’il avait fait.

Les Gobelins et Toren échangèrent un regard, et regardèrent les restes fondus. Ils prirent rapidement une décision, et travaillèrent pour l’appliquer pendant toute la journée d’hier.

***

Et c’est ainsi que Loks se trouva à manger un autre bol de soupe de chauve-souris en regardant les Gobelins travailler à l’autre bout de la caverne avec un squelette. Les Gobelins soulevèrent le dernier rocher en le mettant en place alors que Toren regarda d’un air désapprobateur. Ils étaient en train de se dépêcher de finir la barrière du donjon qu’ils avaient commencé hier.

C’était nécessaire, et Loks avait refusé de partir tant qu’elle n’était pas complétée. Toren avait silencieusement regardé Loks, mais avec acquiescé à la fin, principalement car il n’avait pas le choix. Loks avait presque excepté de le voir taper du pied comme Erin le faisait. Le squelette semblait imiter beaucoup de mimiques de l’aubergiste.

Loks recula et regarda le travail de sa tribu. La pile de pierre n’était nullement impénétrable, mais elle donnait l’impression que nettoyer un éboulement aurait été trop de travail. Elle espérait que cela allait sceller la caverne des monstres errants jusqu’à ce qu’elle puisse trouver une autre solution.

Comme une porte avec un piège à fosse de cent cinquante mètres de profondeur. Mais Loks était déterminé à rester proche du donjon. Les Golems de Pierres étaient de terribles ennemis, et l’une des choses que Toren avait suggérées était qu’ils n’étaient que le début des épreuves qui rôdait dans le donjon. Mais s’il y avait bien un endroit pour que sa tribu monte de niveau, c’était ici.

Mais pour l’instant, Loks devait tenir sa promesse. Toren commençait à donner des baffes aux Gobelins qui essayaient de s’approcher, et il avait une lueur dangereuse dans le regard. Certes, il avait toujours une lueur dangereuse dans le regard, mais Loks sentait qu’il y avait avoir des problèmes s’il elle ne bougeait pas rapidement.

Elle quitta la caverne, le squelette tapant du pied derrière elle. Loks inhala l’air froid hivernal et décida qu’elle était mieux à l’intérieur. Elle était trop exposée à l’extérieur.

Un doigt osseux lui entra dans le dos et elle se retourna en lançant un regard noir. Toren lui rendit son regard, et la vérité était que le sien était le plus efficace. Loks pesa le pour et le contre de lui mettre un coup de poing, et abandonna avant d’avancer dans la neige.

Ce fut une longue marche silencieuse à travers les plaines. Loks avançait plus rapidement, elle savait environ où se trouvait les nids d’Araignées Cuirassées, et elle pouvait facilement repérer les tas de neige qu’étaient les Crabroche. Toren suivit Loks en silence, s’arrêtant quand elle le faisait.

Loks et Toren marchèrent à travers la neige, levant la tête pour regarder le dernier groupe d’oiseau reptilien volé vers le sud. Loks vit un renard bondir à travers la neige et souhaita avoir amené son arbalète ; Toren regarda un oiseau.

Ils s’arrêtèrent pour voir un troupeau de sanglier passé, ce groupe n’était pas domestiqué comme le dernier que Loks avait croisé. Le troupeau de créatures poilues s’avança pesamment dans la neige, leur défense les aidant à briser la neige.

C’était paisible. Puis un Loup Carnassier hurla, et le monde redevint dangereux.

Loks s’allongea aussitôt dans la neige, cherchant le loup. Normalement ils ne hurlaient pas quand ils chassaient le Gobelin donc elle avait peut-être à avoir de la chance. Les Loups Carnassiers préféraient s’approcher discrètement pour tuer les Gobelins, mais celui-ci semblait chasser les sangliers, qui avaient commencés à courir à travers la neige.

Loks regarda autour d’elle et commença à dégainer son épée. Mais les Loups Carnassiers étaient énorme, bien plus gros que les loups normaux. Elle vit Toren mettre la main à sa taille pour prendre une épée qu’il n’avait pas, et mit la main à un objet à sa taille. Elle s’en empara alors que les Loups Carnassiers sortirent du bois.

C’était une meute entière, et ils rattrapaient rapidement les sangliers, même lorsque les cochons couinèrent et changèrent de direction. Loks regarda alors que la meute courut vers le troupeau, se dispersant pour former un filet. C’était une manœuvre performé par les chasseurs dans ce monde et dans celui d’Erin. Les loups allaient séparer le maillon faible, un enfant ou un adulte vieillissant, et allait le tuer ensemble.

Sauf que cette fois, le loup menant la charge fit une erreur. Trop pressé de faire paniquer le troupeau de sanglier, il courut vers le centre. Le mur de fourrure s’ouvrit alors qu’il courut vers eux, et il se referma soudainement, prenant le loup prisonnier.

Il hurla et mordit, mais soudainement les sangliers en fuites avaient leurs défenses tourner vers lui. Ils chargèrent le loup, donnant des coups avec leurs défenses, le percutant de tous les côtés. Ils se séparèrent de nouveau en un clignement d’œil, laissant derrière eux un tas de chair, de sang et de fourrure.

Les autres Loups Carnassiers ralentirent, et Loks les vit hésiter. Oui, c’était le problème. Même les plus grands prédateurs pouvaient se faire tuer par beaucoup d’ennemis plus petits que lui. C’était bien plus facile d’attaquer les faibles, les petits, et les isolés.

C’était légèrement dépressif, et prévisible, quand le leader de la meute renifla l’air et regarda vers Loks et Toren. Principalement vers Loks. Elle soupira et il courra vers lui, et Loks retira l’objet de sa sacoche.

Un joyau rouge s’éleva dans l’air, et Loks sentit la peur maladive à travers ses veines. Elle ne provenait pas que du joyau, mais aussi des loups courant vers elle, et Toren se mit soudainement à émir la même aura de terreur.

Les loups titubèrent, s’arrêtèrent, et firent demi-tour avant de courir couinant et pleurant de peur. Certains laissèrent des traînées jaunes derrière eux ; Loks les regarda partir alors qu’elle rangea calmement l’un des ‘yeux’ d’Ecorcheur dans sa sacoche.

Elle avait oublié que Toren avait l’autre. Enfin, une gemme était bien pour les moments comme celui-ci. Plus d’une fois, Loks avait arrêté les attaques sur sa tribu avec cette gemme, mais elle connaissait ses limites.

Le problème… Oui, le problème était que même si la gemme couleur sang était très pratique, elle ne servait à rien contre les autres Gobelins. Elle se ferait tuer si elle essayait ceci sur une autre tribu.

De plus il y avait des choses sur laquelle la pierre ne marchait pas. Les Antiniums, par exemple, ou encore Erin. Et les mort-vivants. Et Relc, d’après ce qu’avait compris Relc. Et bien sûr elle n’arrêtait pas les attaques à distance, la magie, les pièges…

Franchement, ce n’était pas vraiment si pratique que ça. Loks rangea la pierre et retira la main du pommeau alors que les gémissement disparurent au loin. Mais cela lui permit de traverser les plaines sans problème, ce qui était important. Elle pouvait laisser ses guerriers derrière elle pour surveiller la cave, et être ainsi plus rapide.

Toren était capable de suivre Loks. Le squelette avança dans la neige, ses yeux enflammés suivant ses mouvements parmi le paysage qui semblait rester le même.

Loks ignora son regard. Le squelette semblait être capable de maîtriser l’effet de peur de sa gemme, donc elle l’ignora. Elle devait réfléchir.

Bon, son idée d’aller dans le donjon avait été un succès mitigé. Elle avait trouvé un endroit ou vivre, du moins de manière temporaire. Et c’était un bon endroit ou s’étendre ; la pierre pouvait être minée et la Garde n’allait pas explorer aussi loin. Si Loks et ses Gobelins ne causaient pas de problèmes, ils n’allaient pas être pourchassés.

Malheureusement, le nouveau problème était la nourriture. Les Gobelins ne faisaient pas des embuscades au passager ou attaquaient les troupeaux par plaisir. Ils n’avaient pas de source naturelle de nourriture à part ce qu’ils pouvaient fourrager, et en hiver cette situation déjà précaire devenait fatale. En tant que chef, Loks devait apporter de quoi nourrir sa tribu, et elle ne pouvait pas le faire sans risquer la colère de la Garde.

Donc qu’est-ce qu’il restait à faire ? Loks avait pour plan de jouer aux échecs avec Erin une fois Toren ramenée. L’une des raisons pour laquelle elle n’avait pas quitté Liscor était les échecs. C’était… Différent. Loks pouvait être une chef et elle aimait ça, mais parfois elle voulait juste s’asseoir dans l’auberge et jouer une partie.

Loks vit les yeux de Toren briller plus fort alors que le bâtiment de bois devint finalement visible. Il abandonna Loks, courant à travers la neige. Elle s’en fichait.

Son travail était fait.

Toren s’arrêta et sembla hésiter alors qu’il monta la colline. Loks vit l’autre humain à côté d’Erin, celle avec les cheveux sombres et la peau différente, courir hors de l’auberge. Elle était suivie par ce qui semblait être un étrange nuage de points bleus. Loks les reconnaissait. Elles étaient les étranges choses malicieuses qui aimaient ennuyés les gens en hiver. Mais elles laissaient les Gobelins tranquilles, donc Loks ne prêta pas attention à elle.

À la place, elle se concentra sur la fille qui s’élança hors de l’auberge, agitant ses bras. Erin cria quelque chose et l’essaim s’arrêta en encerclant Ryoka. Quelque chose se passait.

Loks s’en fichait. Elle fit son chemin dans l’auberge alors que des gens en sortirent pour regarder et parler. Mais elle n’avait qu’une chose en tête.

Les échecs.

Ils étaient là. Plusieurs échiquiers déjà mis sur la table. Loks bondit sur un siège et sourit.

Oui, les échecs. C’était tellement étrange. Mais c’était la première fois qu’elle avait appris… Quoique ce soit d’un jeu.

Elle n’avait jamais connu les tactiques, ou comment berner son adversaire. Enfin, elle l’avait appris, mais pas de la manière précise et considéré nécessaire aux échecs. Le jeu lui avait appris à prévoir en avance, à être patiente. Il lui avait appris à penser, c’était le truc.

Et il lui avait donné un cadeau, l’avait rendu spéciale. Unique. C’était pour cela qu’elle allait toujours aimer le jeu.

Jouer contre les autres était sympa, bien sûr. Loks écouta le chaos dehors, tapant du pied avec impatience.

La porte s’ouvrit enfin alors qu’Erin entra, visiblement énervée. Loks s’en fichait. Elle attendit qu’Erin la remarque ; elle était trop digne pour faire un signe de la main ou l’appeler. Mais la fille s’était figée. Elle était en train de regarder le squelette qui se tenait patiemment au centre de la pièce.

« Oh mon dieu. Toren! »

Loks fit un son dégoûté alors qu’Erin se précipita vers Toren. Elle ignora les questions et les commentaires provenant de personne dont elle se rappelait à peine le nom. Elle attendit qu’Erin la remarque.

« Hey, qu’est-ce qui est arrivé à tes yeux ? »

La petite Gobeline regarda, mais Erin était trop occupée à regarder les yeux de son squelette pour la remarquer. Elle se leva sur sa chaise, mais fut ignoré une nouvelle fois.

Et une terrible chose arriva. Soudainement, Loks était de nouveau petite.

Petite.

Elle était petite. Physiquement, Loks était petite même pour un Gobelin. Mais elle était jeune, et cela allait changer. Elle n’allait peut-être pas devenir une Hob dans le sens qu’elle allait devenir une géante, mais elle était quand même un colosse dans sa tête.

Mais ici, dans cette auberge, Loks se sentait petite. Personne ne faisait attention à elle. Et elle n’était pas assez importante pour commander.

Elle regarda autour de l’auberge. Le mage Pisces, et l’autre mage avec la main morte, Ceria. Olesm, le [Tacticien], Erin, et Toren ? Et bien sûr il y avait l’autre fille, Ryoka. Ils étaient tous importants à leur manière.

Les mages avaient des niveaux, Olesm avait deux fois plus de niveaux en tant que [Tacticien] que Loks, et Erin était Erin, la fille qui avait tué le dernier Chef. Et Toren…

Il était le plus proche de Loks, mais il était important à Erin car il lui appartenait. Mais Loks était une Gobeline. Elle était la plus faible, elle n’avait pas de valeur.

Elle n’avait pas d’importance.

Enfin, Erin regarda autour. Elle remarqua Loks et faillit la manquer.

« Salut Loks ! Je ne t’ai pas vu ! Depuis quand tu es là ? »

Loks fronça les sourcils, et essaya de pousser les pensées rodant dans sa tête. Mais elles revenaient constamment, de temps en temps, pour lui rappeler qu’elle n’était pas importante. Oui, elle aimait l’auberge. Mais parfois…

« Oh, je sais que tu vas adorer ça ! Attends une seconde Loks… Tu ne devineras jamais ce qui s’est passé pendant que tu n’étais pas là ! »

Erin alla en cuisine, suivit de près par Toren. Loks l’entendit s’exclamer, rouspéter son squelette, et émerger de la cuisine avec quelque chose de formidable.

C’était un sandwich avec de la viande au centre. Loks mordit dedans, et les problèmes de son monde furent plus faciles pendant quelques secondes. Erin lui dit que c’était un hamburger, même si la viande n’était pas du jambon. Mais Loks s’en ficha.

Désormais contenté, elle s’assit et attendit pour jouer contre Erin. Mais elle fit oublier de nouveau.

Désormais Erin était en train de parler de la fille qui était partie avec inquiétude, et en train de débattre avec l’une des formes bleues dans l’air. Loks plissa les yeux vers la lueur, mais elle ne pouvait rien entendre. Avec quoi Erin était en train de parler ? Peut-être qu’elle parlait à elle-même. Elle semblait avoir une conversation à sens unique, puis elle retourna dans la cuisine.

Plus d’attente. Loks ne pouvait pas le supporter. Elle était une Chef. Elle ne devrait pas avoir à attendre ! Elle regarda autour d’elle. Si Erin était occupé, qu’en était-il du Drakéide ?

Mais Olesm était occupé à regarder Erin, et il ne la remarqua pas quand Loks lui envoya une pièce. Il se contenta de gratter l’endroit que la pièce avait touché.

Être ignoré. Loks sentit une sensation de brûlure dans son estomac alors qu’elle regarda autour d’elle. Puis ses yeux se posèrent sur quelque chose de fascinant.

C’était un échiquier, mais les pièces étaient faites… D’air ? Des fragments de vents fantomatiques et gelés. Loks regarda Erin alors que la fille agita les bras et cria, avant de se rendre jusqu’à la table.

Oui, c’était un échiquier magique. Et d’après ce qu’elle voyait, une partie était en cours. Loks regarda les pièces et en prit une de manière expérimentale.

Elle avait l’impression de ne rien toucher, mais il y avait quelque chose entre ses doigts. Ravie, Loks bougea la reine et prit une pièce.

Soudainement, l’échiquier bougea. Une pièce s’anima et prit sa reine. Loks bondit en arrière et regarda l’échiquier les yeux écarquillés. Puis elle comprit.

Quelqu’un d’autre était en train de jouer ! Bien sûr ! Ce n’était pas une conclusion difficile à trouver en assumant que l’échiquier était magique, et il l’était clairement. Donc qui était en train de jouer ?

Qu’importe qu’il était, Erin et lui avaient été en train de jouer une partie complexe. Loks s’assit à la table et regarda les pièces. Seule Erin aurait put jouer cette partie. Et maintenant Loks avait gâché sa partie, échangeant sa reine pour un pion. Mais…

Le cœur de la Gobeline commença à battre plus vite, et elle regarda la pièce. Oui, Erin était toujours occupée par l’une des lueurs bleues. Loks regarda l’échiquier. La personne de l’autre côté toujours en train d’attendre son prochain coup. Ou celui de Loks.

Est-ce qu’elle pouvait le faire ? Loks hésita alors qu’elle regarda les pièces. Erin était plus forte qu’elle. Mais…

Petite.

Loks bougea une pièce. Elle échangea un cavalier contre un fou et regarda son cavalier se faire prendre. Elle commença aussitôt à attaquer, pousser de manière agressive avec toutes les pièces qu’Erin avait.

Elle pouvait le faire. Si Erin pouvait le faire, alors Loks pouvait faire de même. De plus, ce joueur n’était pas Erin. À quel point pouvait…il…



Loks regarda l’échiquier. Toutes ses pièces avaient été prises. Son roi était encerclé, et venait d’être forcé dans un échec qui allait mener à un échec et mat.

Non. Cet autre joueur avait pris l’intégralité de ses pièces en quelques coups. Comment ?

Loks fit lentement tomber son roi. Aussitôt, l’échiquier se remit en place alors qu’elle regarda. Loks regarda les pièce se remettre, engourdie.

C’était impossible. C’était… Une plaisanterie. Loks était la meilleure, à l’exception d’Erin et peut-être, peut-être d’Olesm.

Furieuse, elle lança une nouvelle partie, ouvrant avec un cavalier. C’était parce qu’elle avait commencé avec la partie d’Erin et non la sienne. Mais cette fois, Loks allait jouer à sa manière et elle allait…



Perdre. Perdre encore et encore. Ce n’était même pas de longues parties. Loks regarda l’échiquier alors qu’elle fit tomber son roi une nouvelle fois.

Qui était cet autre joueur. Comment…

Les pièces bougèrent. Loks tendit la main pour reprendre ses pièces, mais les pièces ne bougeaient pas dans leurs positions d’origine. A la place, ils formèrent un… Visage.

C’était un visage basique, une expression qu’Erin aurait reconnue comme une emoji, ou un smiley. Une qui avait deux yeux et un sourire inversé.

Il savait. Loks regarda l’échiquier et se sentit de nouveau petite. Qu’importe qui étiat à l’autre bout, il savait qu’il ne jouait pas contre Erin. Et qu’il était déçu.

Pendant une seconde, Loks regarda l’échiquier. Puis elle le fit voler de la table.

« Hey ! »

La Gobeline sursauta alors qu’Erin cria. La fille s’approcha et ramassa l’échiquier alors que les pièces fantomatiques se remirent en place. Elle regarda Loks.

« Qu’est-ce que tu… Hey ! Tu as bougé mes pièces ! »

Elle lança un regard noir à Loks alors que la Gobeline détourna le regard. Loks ne pouvait même pas faire face à Erin. La honte et la colère envahirent son estomac.

« Aw. En plus, c’était une bonne partie. Je pensais que j’allais pouvoir… Enfin, peut-être pas. Qu’importe ! »

Erin pointa Loks du doigt.

« C’est à moi. Si tu veux utiliser un autre échiquier, y’a pas de problèmes, mais celui-ci est connecté à un autre quelque part et… Je suis en train de jouer, d’accord ? »

Loks haussa les épaules, ne regardant toujours pas Erin. Elle entendit la fille soupirer.

« D’accord. Désolé de m’être énervé, mais… C’est malpoli de jouer la partie d’un autre, tu sais ? Je vais jouer contre toi, si tu veux. »

Pour avoir sa confiance réduite en miette une nouvelle fois ? Loks hésita, mais elle aimait quand même le jeu. Elle hocha la tête avec réluctance, et Erin lui fit un grand sourire. C’était difficile de la haïr, même si Loks essayait.

« Cool ! Alors restes là et je vais… Oh ? »

Quelqu’un frappa à la porte. Loks se tourna dans son siège, prêt à tuer la personne qu’Erin appela.

« Entrez ! »

La porte s’ouvrit, et Loks vit un visage familier. Ou plutôt, un corps familier. Les Antiniums se ressemblaient tous selon elle, mais elle pouvait reconnaître Klbkch à sa minceur et au fait qu’il n’avait pas quatre bras. L’Antinium fit un hochement de tête alors qu’il entra dans l’auberge.

Il fut rejoint par le second Antinium que Loks reconnaissait, Pion. Il était un bon joueur, presque aussi bon que Loks, mais elle fronça les sourcils quand elle vit la troisième personne rentrer.

Le Drakéide.

Il lui rendit son air contrarié en la voyant.

« Super. La répugnante Gobeline est de retour. »

« Hey ! »

Erin mit les mains sur ses hanches alors que Loks regarda le Drakéide. Il la regarda sans la moindre trace d’émotion, et puis sourit en parlant à Erin.

Loks écouta avec impatience. Les deux Antiniums et le Drakéide n’étaient pas seuls. Ils avaient amené douze autres Ouvriers avec eux. Et ils étaient là pour…

Jouer aux échecs ?

Non. Il semblerait qu’ils voulaient jouer aux échecs comme ils l’avaient déjà fait. Pourtant Loks connaissait les Ouvriers qui avaient déjà joué dans l’auberge, et ces Ouvriers lui étaient nouveaux. Ils se comportaient différemment, et avec Klbkch dans la pièce avec eux, ils se comportaient… Différemment…

« Mais bien sûr ! Je veux dire, j’ai dit oui et j’adore jouer aux échecs alors pourquoi pas ? Et j’ai assez d’échiquiers pour tout le monde donc… »

Erin commença à organiser les Ouvriers alors que Loks regarda l’Antinium au corps noir. Quelque chose n’allait pas. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus, mais elle sentait que quelque chose était différent.

« Loks ? Désolé, je dois leur apprendre à jouer aux échecs. Tu peux jouer une partie contre moi comme démonstration si tu veux. »

Loks n’avait pas d’intérêt dans une partie ou Erin allait expliquer chaque coup. Elle s’assit dans une chaise, regardant Erin de manière à suspicieuse alors qu’elle commença à expliquer les règles et à former des paires pour que les Ouvriers puissent jouer.

C’était pareil, mais différent. Loks se souvenait avoir appris les échecs, et c’était… Différent. Le Drakéide bailla alors qu’il s’appuya sur un mur en essayant de parler avec Ceria, mais les deux autres Antiniums observèrent.

Et alors que les parties entre les Ouvriers commencèrent, Loks sut que quelque chose n’allait pas. Cela était visible dans chaque coup, et Erin le réalisa à son tour. Elle vit la fille froncer les sourcils, et savait que les parties allaient s’arrêter.

Mais Loks n’avait aucun réel intérêt dans les pourquoi et les conséquences du pourquoi de cette situation. Elle était venu pour se relaxer, potentiellement gagner un niveau, mais aussi pour apprendre quelque chose et… Trouver ce qu’elle devait faire ensuite. A la place, elle était coincé en train de regarder des gens, mal, joué aux échecs et avec le Drakéide.

Il lui lançait un regard de temps en temps, et elle lui rendait. Son regard lui donner l’impression d’avoir des vers en train de grouiller dans son estomac, mais elle savait qu’il était tout autant déranger par son regard. Et il avait moins de patience qu’elle.

« Hey, ça te dérange si je jette la Gobeline dehors ? Elle n’arrête pas de me regarder. »

Erin avait été en train de parler à Klbkch, mais elle le regarda assez longtemps pour froncer les sourcils.

« Ne sois pas malpoli. »

Il grimaça en sa direction, mais désista. Pendant quelques secondes. Puis il bondit de manière décontractée et s’approcha de Loks. Elle se prépara au pire.

Le Drakéide s’arrêta, se dressant au-dessus de la table et baissant les yeux vers Loks. Il était en train de sourire, mais ce n’était pas un sourire amical. Il pencha sa tête et parla doucement à Loks.

« Je suis parti à la recherche de ton petit nid, mais il semblerait que toi et ta bande soit partie. Bande de chanceux ; si tu étais resté je serais déjà en train de rendre des oreilles de Gobelins à la Guilde des Aventuriers. »

Elle resta immobile, luttant pour ne pas montrer ses émotions. Le Drakéide la regarda, et il vit la malice dans ses yeux. C’était un regard familier, qu’elle voyait souvent.

« Bien sûr, tu es trop peureuse pour faire autre chose que te cacher dans cette auberge. Si Erin n’était pas là, je pari que tu aurais trop peur pour t’approcher à moins de deux cents kilomètres de Liscor. »

Loks mordit sa lèvre. Elle voulait dire quelque chose, faire quelque chose. La colère monta dans le creux de son estomac, mais il était dangereux. Elle le savait. Ne fait rien. Ne dit rien. Attends que Erin regarde par là.

« Vous êtes tous des lâches. Vous prenez la fuite dès que je lève ma lance. Mais je suppose que c’est plus facile de vous rattraper comme ça. »

Loks céda. Elle leva les yeux vers le Drakéide et vit son regard. Elle prépara ses lèvres, et elle cracha.

Un jet de salive arrive sur le bras du Drakéide. Il cligna des yeux, et elle vit ses yeux se plisser.

… Loks se réveilla au sol, sa tête et sa mâchoire tournant alors qu’elle était à l’agonie. Elle essaya de s’asseoir et retomba. Quelque chose était en train de sonner dans son oreille, et ses dents semblaient… Être en train de bouger.

Elle pouvait entendre des voix au-dessus d’elle. Le Drakéide était en train de lever deux mains en l’air, haussant les épaules alors qu’Erin lui criait quelque chose.

« … Oses-tu ! Comment tu peux lui faire un truc pareil ? »

« Elle m’a craché dessus. »

« Tu fais quatre fois sa taille ! Et tu es un garde ! Tu n’es pas supposé blessé des gens innocents ! »

« Innocent ? Gens ? C’est une Gobeline. »

Le Drakéide pointa Loks qui se releva lentement. Erin était rouge alors qu’elle lui cria dessus.

« Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Tu n’as jamais eu de problème avec elle avant ! »

Loks vit les yeux du Drakéide se plisser.

« Je n’avais pas de problème ? Je ne visitais pas ton auberge, tu te souviens ? C’est parce que je ne voulais pas voir ses petites saloperies dans le coin ! »

Erin hésita pendant une seconde, mais elle refusa de céder.

« Mais tu es venu ici. Et j’ai des règles. Le signe dit… »

« ‘Interdiction de tuer des Gobelins’. D’accord, d’accord. Mais je ne l’ai pas tué. De plus, qui en a quelque chose à faire de ce que le signe dit ? Tu ne fais pas partie de Liscor, et je suis un officier de la Garde. Ma responsabilité est de tuer les Gobelins et autres pestes. Tu ne peux pas m’arrêter. »

Il pointa vers Loks et elle tressaillit. Erin se contenta de le regarder pendant quelques secondes, et puis sa voix devint douce.

« Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Pourquoi maintenant ? Qu’est-ce qui ne va pas alors qu’elle vient juste ici pour jouer aux échecs ? Qu’est-ce qui est si différent ? »

« C’est différent car Klbkch est de retour, et j’ai pour ordre de me débarrasser de ces choses. Et c’est ce que nous allons faire, crois-moi. Au moment où ils attaquent des voyageurs… »

Erin lança un regard angoissé vers Loks. Oui, le voilà. Ceria avait dit la vérité. Loks vit la demi-Elfe se lever à l’autre bout de la pièce. Ses doigts étaient en train de luire, mais Pisces était en train de la retenir. Bien. Le Drakéide pourrait tous facilement les tuer. Tout comme Scruta.

« Relc. Ca va aller. Ce n’est pas la peine d’agir à ma place. »

Klbkch parla calmement, et Erin continua alors que Relc secoua la tête.

« Loks n’est qu’une enfant. Tu ne peux pas faire de mal à des enfants, ou à ce qui ne sont pas dangereux ! Elle est une amie. »

Il regarda Loks.

« Super. Donc maintenant je suis le méchant car je suis la seule personne avec un cerveau ? Les Gobelins ne sont pas tes amis. Ils te poignarderont dans le dos à la première occasion ! Sale petite… »

Il donna un coup de pied. La Gobeline eut à peine le temps de voir le coup avant que la table à laquelle elle était assise se retournât. Elle hurla et essaya d’éviter le projectile. Les bords de la table s’écrasèrent au sol, écrasant presque son estomac alors que Loks roula au dernier moment.

« Relc ! Refais ça et … »

Le Drakéide regarda Erin et elle se figea. Il pointa Loks du doigt, et parla avec un froid glacial.

« Si je vois cette chose proche de Klb ou de la ville, je l’abats. »

Loks le regarda, il savait qu’il était franc. Elle le regarda, et sentit un poids l’alourdir.

Il n’y avait pas d’endroit sûr. Même pas ici. Elle s’était appuyée sur Erin, mais elle ne pouvait pas arrêter le Drakéide avec des mots. Il était fort. Elle était faible.

Elle voulait courir. C’était le même sentiment qu’elle avait vu, mais accentué fois dix.

Elle était petite. Et quand le Drakéide le regarda, Loks pouvait sentir le même regard. Toujours le même moment dans sa tête.


Un dos fuyant, un mouvement. Le torse du Gobelin explose alors que Loks se cache dans l’herbe, et le Drakéide rit de triomphe alors qu’il coupe la tête. De manière propre. Tellement propre.

L’enfant Gobelin se cache dans l’herbe, les yeux écarquillés, tremblant, regardant le torse. Quelque chose de si familier, mais d’alien. Combien de fois ces mains l’avaient relevé après être tombé ? Mais le corps était désormais ensanglanté, et sans vie.

L’enfant ne pleura pas. Elle attendit la mort alors que le second qui l’avait élevé mourus à quelques mètres d’elle. Puis un troisième Gobelin. Elle attendit que le Drakéine la trouve, mais il n’en vit que trois. Trois Gobelins, et un enfant qu’ils avaient laissé pour pouvoir voler à l’humaine solitaire.

Elle se cacha dans l’herbe, essayant de se faire le plus petit possible. Si elle était petite, il ne la trouverait pas. Si elle prétendait de ne pas exister, il n’entendrait pas son cœur battre.

Le torse ensanglanté commença à pourrir tout au long de la journée et de la nuit dans l’herbe à quelques mètres d’elle, puis l’Humaine arriva.



La réalité frappa Loks alors qu’elle vit le souvenir passer à travers son esprit. Elle ressentit la même peur qu’auparavant. Mais jamais. Plus jamais.

Elle ne pouvait pas se le permettre. Donc Loks regarda Relc. Ses yeux contenaient la promesse d’une mort rapide.

Mais elle…

Elle dégaina son épée.

«Loks ! »

La petite Gobeline tremblait en faisant face à Relc. Il la toisait, musculeux et mortel. Elle était terrifiée. Elle allait mourir. Elle se souvenait des morts, et elle voulait prendre la fuite, elle voulait hurler et se cacher, être lâche. Mais elle se dressa, tenant son épée.

Elle n’allait pas redevenir petite.

« Tu vois ? Qu’est-ce que je t’ai dit ? Je te ferai une faveur en te débarrassant de cette chose. »

La lance du Drakéide était dans ses mains. Loks ne l’avait même pas vu bouger. Elle savait qu’il pouvait la transpercer en un instant, mais elle ne pouvait pas reculer. Elle ne le ferait pas.

Il était plus fort, plus rapide, plus mortel. Mais si elle continuait de le fuir, elle n’allait jamais s’arrêter. Elle ne pouvait pas le faire. Elle ne pouvait pas continuer à être petite.

Elle regarda le Drakéide et pensa à son nom. Relc. Elle allait s’en rappeler jusqu’à sa mort. Que cela soit maintenant ou dans mille ans.

Relc. Elle ne le pardonnerait jamais. Il était son ennemi.

« Allez. Frappe-moi. Je te donne les trois premiers coups. Puis c’est mon tour. »

Relc lui fit signe d’approche d’une main. Loks le voulait. Elle voulait le frapper, mais ensuite il la tuera. Elle était coincée. Elle n’allait pas mourir. Mais elle n’allait jamais mourir. Pas maintenant. Pas…

« Arrête. Ça. »

La voix d’Erin était un morceau de fer froid dans la chaleur de la pièce. Elle s’avança devant Loks et regarda le Drakéide.

« Sors de mon auberge. Et si tu touches Loks… »

« Qu’est-ce que tu vas faire ? Me frapper ? »

Relc ricana en voyant Erin. Il ouvrit ses bras, la défiant de lui mettre un coup.

« Tu ne peux pas m’arrêter. Pas toi, pas ce Gobelin… Même pas toi, Klb, donc retire ta main de ton épée. »

Klbkch dit quelque chose, mais Relc ne le regarda pas. Il était toujours en train de regarder Loks, et elle savait qu’il attendait qu’elle fasse quelque chose. Mais elle n’était pas en train de le regarder, elle était en train d’observer ce qu’il y avait au-dessus de sa tête.

Loks leva les yeux. Quelque chose de bleus et d’indistinct était en train de flotter au-dessus de la tête du Drakéide. Ses yeux se plissèrent alors qu’il suivit son regard et qu’il leva les yeux.

« Mais bon… Dégage espèce de stupide insecte ! »

Il tenta de gifler la lumière pour l’éloigner, mais la créature évita le coup sans effort. Comme toujours. Mais lorsque Relc leva de nouveau la main pour la repousser, Loks sentit l’air se geler, et puis l’intégralité du corps du Drakéide fut recouvert de givre.

« Graaaaaaaaah ! »

Même le Drakéide n’était pas immunisé contre le froid. Il griffa ses écailles, alors que les Fées de Givres continuèrent de voler autour de lui. Sa mâchoire claqua lorsqu’il essaya de l’attraper, mais l’air devint aussitôt plus glacial, et sa bouche était soudainement remplie de neige.

Des stalactites commencèrent à tomber du plafond, se matérialisant de nulle part. Relc cracha la neige, et faillit se prendre de la glace dans l’œil. Il rugit et claqua la porte alors que les Fées de Givre le poursuivirent, laissant entrer l’air glacial.

« Quo… »

Erin était en train de regarder l’endroit où il était parti, puis elle se tourna vers Loks, concernée.

« Loks ! Est-ce que ça va ? »

Elle tendit la main vers la Gobeline, mais Loks fit n pas en arrière. Erin l’ignora et tendit la main vers le visage de Loks.

« Arrête ça. Il t’a frappé, n’est-ce pas ? Je n’arrive pasà le croire ! Comment est-ce que tu te sens ? Est-ce que tu as besoin d’une poche de… De glace ? Est-ce que quelque chose est cassée ? »

Loks repoussa sa main et secoua la tête. Erin essaya de vérifier si quelque chose était cassé, mais elle n’en avait pas besoin. Elle entendit Klbkch parler.

« Je présente mes excuses de la part de mon coéquipier, Erin Solstice, et à toi aussi, Loks. Je crois qu’il tient à moi, et à toi. Mais il a combattu dans la Guerre Gobelin et pense que les Gobelins sont des ennemis… »

Loks entendit à peine le reste. Elle se rassit à la table, tremblante. Sa mâchoire la lançait. La chair était déjà en train de gonfler, mais ce n’était pas important.

Elle l’avait fait. Elle l’avait vraiment fait. Elle lui avait tenu tête. Elle n’avait pas pris la fuite.

Elle n’était pas petite.

« Loks ? Ça va ? Est-ce que tu as mal quelque part ? »

Loks leva la tête. Erin était de retour, essayant de vérifier si tout allait bien. De nouveau, Loks dut la repousser. Mais Erin continuait de revenir, lui tournant autour, anxieuse et inquiète.

Comme les Gobelins que Relc avait tués. Loks pouvait à peine se souvenir de cette époque. À peine, mais…

Après un certain temps, elle glissa sous la table. Non pas parce qu’elle voulait se cacher, mais parce qu’elle ne supportait plus qu’Erin vienne lui demander comment elle allait toutes les deux minutes.

Personne ne la vit bouger. Loks était petite. Elle était invisible, comme les Gobelins étaient. Personne ne regardait aux Gobelins à part pour les voir en tant que menace ou peste. Il n’y avait qu’une personne qui les regardait, et elle…

… Elle était différente. Mais elle était occupée, et donc Loks s’assit sous la table et pensa.

Vengeance. Haine. Elle n’allait jamais chercher à se venger, car cela aurait été du suicide même avec le reste de sa tribu. Non, maintenant était l’heure de réfléchir à froid. La Garde était à la recherche de sa tribu, mais cela voulait dire qu’elle allait devoir faire un choix, rapidement.

Qu’est-ce qu’ils pouvaient faire ? Les seules directions étaient le nord et le sud, et le sud menait vers les Plaines Sanglantes et la tribu de la Lance Brisée et avait envoyé leur menace de mort avec son messager. Ils tomberaient sur sa tribu et ils allaient se faire massacrer en venant au sud.

Le nord alors. La Tribu des Crocs Sanglants était plus ouverte, ou plutôt, indifférent à sa tribu, mais cela pourrait rapidement devenir un bain de sang si elle restait dans son territoire. Donc que faire ?

Réfléchis. Réfléchis de manière logique aux menaces en face. Loks se concentra. Qu’est-ce qui était plus dangereux entre rester ici et affronter la Garde ou risquer la colère de la tribu des Crocs Sanglants et les monstres au nord ?

Même sans le Drakéide… Non, Relc, son nom était Relc, la tribu des Crocs Sanglants n’était pas de taille à affronter la Garde. Ils étaient presque une centaine de garde, même si certains restaient constamment sur les murs et beaucoup restaient à l’intérieur de la ville, mais ceux qui patrouillaient était bien plus fort que les Gobelins. Même s’ils n’étaient pas tous capables d’affronter un Hob en combat singulier, ils se battaient ensemble, avec discipline et intelligence.

De plus, la Tribu des Crocs rouges s’écraserait contre les murs de Liscor. C’était le réel avantage que la Garde avait. Ils pouvaient facilement défendre et attaquer à tout moment. Si c’était sur un champ de bataille équitable, il y aurait peut-être une chance…

Mais avec Relc, cette chance disparaissait. Il pouvait tuer quatre Hobs à lui tout seul, Loks en était certaine. Sa vitesse, force, et sa peau d’acier faisait de lui un autre type de créature, plus proche du monstre qu’autre chose.

Donc c’était la Tribu des Crocs Sanglants.

Et après quoi ? Est-ce qu’elle les défiait ? Comment ? La Tribu des Crocs Sanglants approchait du millier de Gobelins, sans compter les petites tribus qui les supportaient. Loks avait un avantage avec sa nouvelle arme, quelques jarres d’acide et l’écorce explosive. Comment est-ce qu’elle était supposée se battre contre ça ?

Mais la mort et les problèmes allaient venir pour sa tribu. Donc Loks allait finir en pièce avec la Garde d’un côté ou avec la Tribu des Crocs Sanglants de l’autre. Le donjon… Elle ne pouvait pas encore le risquer. Donc comment… ?

Petite. Elle était petite. Mais elle avait affronté Relc et n’avait pas fait demi-tour. Loks s’en souvenait. Elle se souvenait de la peur, de la certitude de la mort. Mais elle s’était tenu droite. Elle n’avait pas pris la fuite. Elle avait été morte de peur, mais durant cet instant…

Elle n’avait pas été petite.

Et c’est à ce moment que Loks sut ce qu’elle devait faire.

« Loks ? »

La Gobeline sursauta. La tête d’Erin apparue entre deux pieds de chaises.

« Te voilà. Écoute, tu peux sortir. Personne ne va te blesser, je te le promet. »

Comme si Loks en avait quelque chose à faire de ça. Elle sortit quand même. Erin toucha le visage de Loks, concernée, et lui demanda des questions sans importance. Mais le savoir brûlait en son sein. La sensation.

Elle savait.

« Je suppose que tu vas bien. Je suis désolé que cela soit arrivé. Écoute, laisse-moi te donner un peu de nourriture ou… Où faire une partie d’échec. »

Loks secoua la tête. Il n’y avait pas de temps à perdre. Elle pointa vers la porte, et Erin la regarda.

« Tu veux… Bien sûr. Mais tu peux revenir à n’importe quel moment, d’accord ? Tu seras en sécurité ici. »

Un magnifique mensonge. Ou peut-être… Loks hésita, regardant Erin. Peut-être qu’elle allait le rendre réel. Mais ce n’était pas là que se trouvait son futur. Ce n’était pas là que Loks allait grandir.

Elle secoua la tête, et pointa de nouveau vers la porte.

« Bien sûr, bien sûr. Je sais que tu es occupé. Tu vas partir et… »

Erin hésita et fronça les sourcils.

« Qu’est-ce que les Gobelins font toute la journée quand ils… Ne sont pas en train d’essayer de me poignarder ou de chercher de la nourriture ? »

Loks regarda Erin. Et elle sourit.

« … Tu souris ? Je ne comprends pas. »

***

La Tribu des Casses-Mâchoire était une petite tribu de Gobelins proche de Liscor. Différente de la Tribu des Plaines Inondées, bien sûr. En vérité, les deux tribus étaient des faibles même parmi les Gobelins. Mais le clan des Casses-Mâchoire était l’une des tribus qui payait un tribut régulier à la Tribu des Crocs Sanglants, et donc ils profitaient d’un semblant de protection.

Malgré tout, ils restaient dans une alcôve d’arbre éloigné de n’importe quel endroit habité, dans une petite vallée qui les rendait difficiles à remarquer. La tribu était principalement endormie à ce moment de la journée, juste avant le lever du soleil.

C’était l’hiver, et l’air était froid. Aucun Gobelin ne voulait se lever, surtout quand cela voulait dire qu’ils allaient devoir chercher de la nourriture durant toute la journée, ou chasser des rennes ou d’autre animaux à travers la neige. La nourriture représentait la vie ou la mort, mais cela ne voulait pas dire qu’ils devaient être proactifs à ce sujet.

Leur Chef pensait de la même manière. Guêleroc, une traduction approximative de son nom depuis le langage Gobelin, était en train de se réveiller alors que le soleil touchait son visage. Il était un Hob, l’un des deux de sa tribu. Il était le plus fort des deux, mais uniquement d’un niveau ou deux, et il était tout aussi feignant.

Mais même l’envie de dormir de Guêleroc ne pouvait pas lutter lorsque les rayons du soleil apparurent depuis le sommet de la colline. Il avait choisi la vallée car le soleil mettait plus longtemps à les déranger, mais Guêleroc avait toujours l’impression que la lumière le trouvait toujours trop tôt.

Il bâilla, s’assit, et regarda sa tribu en grattant son pagne. Guêleroc se leva…

… Et parce que Loks n’avait pas le moindre sens du timing dramatique, ce fut à cet instant que le carreau d’arbalète traversa sa colonne vertébrale et le cloua au sol.

Les autres Gobelins de la tribu regardèrent autour d’eux. Parmi le silence et le choc, Loks donna l’ordre de tirer.

Des munitions d’argile s’abattirent depuis les hauteurs, frappant les Gobelins et plongeant le camp dans le chaos. Loks rechargea lentement son arbalète noire avec un autre carreau et attendit. Cloue l’ennemi à sa position. Attaque sur les flancs. Elle regarda les rangs de Gobelins tenant des arbalètes et sourit.

Des expérimentations. Du changement. De l’évolution. Oh, et du pillage, du vol, et des coups de poignard dans le dos. C’était ce que faisaient les Gobelins.

Le nord était sien. La Tribu des Crocs Sanglants contrôlaient peut-être les Gobelins locaux, mais Loks avait de nouvelles armes, de nouvelles idées, et plus important encore, une nouvelle base ou se battre. Elle pouvait gagner. Elle allait gagner.

Elle allait conquérir un nouveau territoire au nord sur le sud était trop dangereux. Loks allait devenir plus forte. Elle allait gagner des niveaux. Et puis, une fois qu’elle sera assez puissante, et irait explorer de nouveau le donjon. Elle allait créer une tribu assez grande pour tuer le Drakéide et opposé la Garde. Elle allait rassembler assez de Gobelins pour se souvenir de ce qui avait rendu furieux le Roi des Gobelins.

Elle allait grandir. Jusqu’à être capable de vaincre l’étrange personne qui jouait aux échecs loin d’ici. Jusqu’à ce qu’elle puisse battre Erin.

Loks avait une liste. Elle leva l’arbalète, trouva le second Hob qui chargea en montant la colline et tira. Non pas vers sa tête ; plus bas. Vers sa seconde tête.

Elle n’allait pas perdre ici, ou un jour. Elle devait devenir plus grande, plus forte. Elle allait apprendre, et être clémente. Pour survivre, Loks pouvait tout devenir.

L’Hob mit la main vers la zone qui venait d’être touché et s’écroula au sol. Loks regarda l’objet qu’elle avait partiellement coupé avec son carreau. Pas trop clémente ; elle était une Gobeline après tout.

Mais elle pouvait le faire, Loks le savait. Elle allait le faire. Qu’importe le prix.

Elle n’allait jamais mourir.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 21 octobre 2020 à 12:55:29

 
2.20 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

 
Lorsque Ryoka termina sa course, elle retrouva Erin et Olesm assis autour de l’échiquier, en train de parler échecs. Elle, Val, et Épervier s’arrêtèrent pour les regarder.
 
S’ils vivaient dans le monde de la course, Erin et Olesm appartenaient au monde mystifiant et silencieux des échecs. Cela faisait un peu penser Ryoka à de la religion, mais en lieu et place d’un autel ou d’un texte, Erin et Olesm vénéraient un échiquier.
 
Mais alors, jouer aux échecs était-il l’équivalent d’une prière ? Et en quoi constituait le blasphème ? Renverser le plateau ? Et pourquoi Ryoka poussait-elle cette analogie si loin ?
 
Elle toussa dans sa main. Olesm et Erin ne levèrent même pas les yeux.
 
“Tu vois, c’est à ce moment-là que j’ai su qu’il faisait pression avec le flanc gauche et qu’il essayait de me piéger pour me clouer. Là. Donc j’ai fait ceci et…”
 
“Ah ! C’est à ce moment-là qu’il a fait la gaffe !”
 
“Voilà. Mais même s’il n’avait pas fait de gaffe, j’aurais pris son pion et gagné l’avantage pour la fin de partie. Et c’est comme ça que ça se serait passé s’il ne s’était pas autant exposé.”
 
Olesm écrivait frénétiquement les explications d’Erin sur un parchemin. Il avait enfin l’air heureux. Ryoka n’était pas encore certaine qu’il soit recommandable de jouer aux échecs avec un inconnu mais…
 
La confiance. Elle devait faire confiance à Erin. Pas pour tout, mais au moins pour ça.
 
Ryoka toussa de nouveau, plus fort. Puis elle abandonna.
 
“Erin.”
 
Erin leva les yeux. Elle aperçut Val et Épervier, et ses yeux s’écarquillèrent.
 
“Oh ! Oh !”
 
Olesm se retourna et faillit lâcher sa plume.
 
“C’est bien Épervier ? Qu’est-ce que tu fais ici ?”
 
Épervier sourit en entrant dans la pièce avec Val. Ryoka fut mécontente de noter qu’ils ne suaient même pas.
 
“On est allé courir ce matin, et Épervier et moi-même pensions rester ici pour papoter. Sauf si tu es occupée avec ton… jeu ?”
 
“Quoi ? Les échecs ? Oh, non. On a beaucoup de tables disponibles.”
 
Erin resta avec les deux Courriers tandis qu’ils choisissaient une table à l’opposé de la salle. Elle n’arrêtait pas de jeter des coups d’œil à Épervier, et Ryoka savait qu’elle voulait le caresser. Erin était complexe de bien des manières, mais là, sa main tremblait.
 
“Est-ce que je peux… vous apporter quelque chose ? Un petit déjeuner ? Un déjeuner précoce ? Un goûter ?”
 
“Est-ce que je peux avoir un hamburger ?”
 
Épervier lança un regard nostalgique à Erin. Val grogna.
 
“Tout sauf un hamburger. Pourquoi pas ces lamelles de pomme de terre ?”
 
“Des frites ? Ça marche ! Un hamburger et des frites pour vous. Vous voulez du ketchup ? Tout le monde veut du ketchup.”
 
Ryoka regarda Olesm tandis qu’Erin s’affairait. Le Drakéide était toujours en train d’écrire sur le parchemin. Des… notations d’échecs ?
 
“Ce serait le bon moment pour utiliser ta tête, andouille.”
 
Olesm leva les yeux.
 
“Hm ? Désolé, tu étais en train de me parler, Ryoka ?”
 
“Non. Je me parlais à moi-même.”
 
Il retourna à ses notations. Ryoka essaya de se désembrumer l’esprit. Elle avait couru ce matin, et cela aidait à réduire les effets de la fête et de la beuverie de la veille.
 
À présent… concentre-toi. Que faisait-il ? Il notait des choses. De toute évidence. Essaie de faire une analyse un peu plus poussée qu’une élève de maternelle. Non, si Olesm était en train de noter la partie d’Erin - contre l’autre joueur, présumait-elle - et étant donné ses commentaires sur un match à égalité...
 
Erin était considérée comme étant plus forte que qui que ce soit d’autre…
 
Ah. Il notait les parties d’échecs. C’était, là encore, évident. Mais Ryoka voyait qu’il prenait des notes de commentaires sur une autre page. Et on ne faisait cela que si…
 
“Un journal. Ou un magazine.”
 
Olesm leva de nouveau les yeux.
 
“Hm ?”
 
“Désolée. Je réfléchis juste à voix haute.”
 
“C’est fascinant, n’est-ce pas ? Erin est une joueuse brillante et son adversaire…”
 
“J’imagine que tu dois gagner pas mal de niveaux en te mesurant à elle.”
 
Le Drakéide fit une moue que Ryoka ne put que décrire comme étant à la fois piteuse et mal à l’aise.
 
“Pas tant que ça. Mais tu as raison. J’ai en effet gagné pas mal de niveaux, et plutôt vite avec ça !”
 
Génial. Donc Erin était en train d’aider la personne qui se trouvait à l’autre bout du monde en ce moment. Ryoka lorgna le parchemin. Est-ce que lire des stratégies d’échecs aiderait d’autres [Tacticiens] ? Et d’ailleurs, pourquoi les échecs aidaient-ils tant les [Tacticiens], d’abord ? C’était un jeu. Un jeu qui impliquait de la stratégie, certes, mais pas…
 
“Oh mon Dieu.”
 
“C’est une expression intéressante. La plupart des humains se contentent de dire “dieux morts”.”
 
Ryoka ne répondit pas. C’était ça. En réfléchissant cinq secondes, on pouvait comprendre l’une des vérités critiques de ce monde. Ce système de niveaux n’avait pas été créé par quelqu’un issu du monde de Ryoka et d’Erin, issu de la Terre.
 
Si ce que pensait Ryoka été vrai. Elle n’eut d’autre choix que de demander.
 
“Olesm.”
 
Il la regarda, la plume levée au-dessus du parchemin.
 
“Oui ?”
 
“Est-ce que tu connais la plupart des classes ? Je veux dire, j’imagine qu’il y a des classes rares, mais tu connais la plupart de celles que les gens reçoivent normalement, non ?”
 
Il hésita.
 
“Jusqu’à un certain point. Je demande en effet les classes pour pouvoir les utiliser si j’ai besoin de me coordonner avec la Garde, donc on peut dire ça. Pourquoi ? Est-ce que tu es intéressée par une en particulier ?”
 
“Est-ce qu’il y a des classes pour les gens qui jouent à des… jeux ? Des jeux de plateau, je veux dire ?”
 
Olesm fronça les sourcils et se tapota le menton avec la plume, sans se préoccuper des taches que cela laissa sur ses écailles.
 
“Les jeux de plateau… on n’en a pas tant que ça. Il y a les joueurs d’échecs, bien sûr, et je sais qu’il y a des jeux semblables aux échecs que des [Tacticiens] ont mis au point… mais pas d’autres auquel je pense en ce moment. Les enfants jouent principalement à des jeux comme le palet à queue ou le jet de sacs de haricots.”
 
“Est-ce qu’il y a des classes qui y sont associées ? Une… classe qui implique de jouer contre d’autres pour s’amuser ?”
 
“[Parieur] ? Hum… j’ai entendu parler de gens qui obtenaient la classe de [Fainéant] ou de [Paresseux], selon la manière de les désigner, mais c’est quelque chose qui ne s’applique normalement qu’à l’aristocratie, tu sais, les quatrièmes fils, ce genre de choses. Sinon, j’imagine que la classe de [Tacticien] est la seule qui remplisse les cases.”
 
“C’est ce que je me disais. Merci.”
 
“Pas de souci. Content d’avoir pu aider ?”
 
Ryoka laissa Olesm à son jeu et réfléchit. Elle avait raison. Cela expliquait tout.
 
Question. Pourquoi les [Tacticiens] gagnaient-ils des niveaux en jouant aux échecs ? Peut-être qu’il était possible d’expliquer quelques niveaux avec les idées de stratégie, de feintes, ce genre de choses, mais une croissance aussi rapide ? Non. Cela n’avait aucun sens, surtout pour une classe qui devrait gagner de l’expérience en commandant des armées et en prenant des décisions dangereuses.
 
Oui, normalement, si on voulait gagner des niveaux, cela devrait être dans une espèce de classe de jeux de plateaux, mais il n’en existait pas ici. Et c’était la raison pour laquelle Olesm et le reste gagnaient des niveaux, et pas Erin ?
 
Parce qu’il n’y avait pas de classe de [Joueur]. Et quiconque avait conçu le système initial n’avait pas pensé - non, peut-être que la culture ne s’était pas encore adaptée à l’idée de quelqu’un qui jouerait juste à des jeux sans se concentrer sur la tactique ou le pari. Erin voyait le jeu comme un loisir, pas comme quelque chose qui devrait lui accorder la classe de [Tacticienne]. Mais Olesm et le reste d’entre eux voyait cela sous un jour différent.
 
Ce qui signifiait qu’Erin et Ryoka, à elles seules, ne constituaient pas un groupe suffisant pour définir une nouvelle classe, si c’était seulement possible. L’idée de classes prédéfinies créées par le créateur de ce système de niveaux ne collait peut-être pas avec l’idée de classes définies par la culture - Ryoka décida de catégoriser cette idée comme non confirmée.
 
Mais c’était logique. C’était une faille dans le système.
 
Et elle n’avait aucun moyen de l’exploiter, à moins de décider qu’elle voulait jouer aux échecs. Et même alors, seule Erin en bénéficierait si elle décidait d’arrêter de voir cela comme un jeu.
 
Mais ce n’était pas la chose la plus effarante. Ce qui l’effrayait vraiment, c’est la deuxième idée qui lui était venue lorsqu’elle regardait l’échiquier.
 
Est-ce que c’était un accident ? Ou… y avait-il un but. Les échecs. Cela venait d’être inventé dans ce monde, et le jeu gagnait en popularité chez les [Tacticiens]. Suffisamment pour qu’une personne envoie un échiquier de luxe à travers le monde, dépensant probablement des milliers de pièces d’or pour l’échiquier, la livraison, et cætera.
 
Parce qu’elle aimait les échecs ? Ou parce qu’elle savait que cela les aiderait à gagner des niveaux s’ils trouvaient un adversaire de valeur ?
 
La personne qui avait inventé les échecs savait-elle qu’elle avait trouvé un moyen de gagner aisément des niveaux de manière pacifique dans leur classe ? Ou n’était-ce qu’une coïncidence ?
 
Et que diable devait faire Ryoka au sujet de l’échiquier ?
 
Elle examina ses options. Elle n’en avait pas beaucoup, et la plupart mènerait à une Erin en train de péter les boulons, même si l’échiquier “disparaissait” par accident. Et les dangers…
 
Certes, cela allait aider une personne. Mais la considérer comme une ennemie parce qu’elle utilisait peut-être cela à son avantage n’était pas sage. Elle pensait peut-être que cela allait bénéficier autant à Erin qu’à elle, et c’était dans le cas où les peurs les plus sombres de Ryoka étaient complètement fondées.
 
Dans tous les cas, le talent d’Erin la rendait digne d’attention, et surtout, lui donnait de la valeur. Valait-il mieux avoir de la valeur et se faire remarquer ou rester cachée et secrète ? Elle avait déjà envoyé la lettre, et s’arrêter maintenant causerait plus de problèmes qu’autre chose.
 
La laisser jouer semblait être la bonne option pour Ryoka, mais elle décida qu’elle parlerait à Erin dès que possible. Juste après que…
 
“Hey, tu veux des frites ?”
 
Ryoka faillit bondir.  Erin recula pour éviter que Ryoka ne renverse son grand plateau de frites dorées et croustillantes. Ryoka les regarda fixement.
 
“C’était rapide.”
 
“Oui, c’est la nouvelle compétence que j’ai obtenue ! [Cuisine Avancée]. Cela me permet de tout préparer tellement facilement, et regarde !”
 
Erin tendit le plateau devant Ryoka. Chaque frite avait été cuite jusqu’à ce que les contours soient d’un brun doré, et Ryoka pouvait imaginer à quel point elles devaient croustiller. Et l’entendre, parce qu’elle venait d’en goûter une.
 
“C’est très bon.”
 
“Je sais, hein ? Elles sont tellement meilleures que celles que j’avais faites la première fois ! Les compétences, c’est incroyable !”
 
Il n’y avait rien à redire là-dessus.  Incroyables. Et effrayantes.
 
“Bref, j’en ai fait une tonne comme je veux manger en jouant avec Olesm. Dommage qu’elles soient si grasses, mais je parie que cela ne va même pas tacher les pièces !”
 
Erin se fendit d’un sourire éclatant en pointant du doigt l’échiquier et les pièces spectrales. Oui, c’était bien Erin. Offre-lui un échiquier magique capable de faire des parties contre n’importe qui dans le monde et elle se disait qu’il était bien pratique parce qu’elle ne mettrait pas de traces de nourriture sur les pièces.
 
… Bien que si Ryoka avait pu faire ça avec les vêtements elle n’aurait pas rechigné à cracher autant d’or que nécessaire. Erin apporta la nourriture à Val et Épervier, à leur grande joie, et lui lança par-dessus son épaule :
 
“Au fait, j’ai oublié ! Ceria est à l’étage, Ryoka !”
 
“Quoi ?”
 
Ryoka se retourna, confuse.
 
“Elle est déjà rentrée ?”
 
Ils ne s’étaient absentés que deux heures, même en comptant leur discussion sur les endroits dangereux et les monstres à éviter. Erin hocha la tête.
 
“Oui, elle a dit qu’elle voulait se reposer. Mais je suis sûre qu’elle est encore réveillée. Tu devrais l’inviter à un… brunch de frites ! Ou la laisser dormir si elle fait la sieste.”
 
“Je vais peut-être bien faire ça.”
 
Ryoka abandonna Erin et l’aubergiste retourna joyeusement à sa partie avec Olesm tandis que les Courriers commençaient de manger. Le goût de la frite s’attarda dans la bouche de Ryoka. Cela ne ressemblait pas exactement à une frite de chez McDonald’s, mais bon sang, le goût était proche. Les Compétences étaient la chose la plus effrayante du monde si elles permettaient à Erin de faire ça.
 
“Et peut-être qu’elles me changeraient aussi.”
 
LE pouvoir absolu corrompt absolument. Mais qu’est-ce que les… changements comme les classes et les niveaux faisaient aux gens ? Cela les empouvoirait ? Ou est-ce que cela les transformait en des brutes qui ne cessait de s’en prendre aux plus faibles ?
 
Ryoka savait ce que cela ferait aux gens de son monde. Elle avait vit l’enregistrement de l’expérience de la Prison de Stanford.
 
Mais les gens étaient différents ici. Certains étaient meilleurs que chez elle. Ou ce n’était peut-être que parce que Ryoka avait remarqué qu’ils étaient mieux que ceux de chez elle. Il était également possible qu’e ce soit parce qu’il y avait des monstres, de vrais monstres à combattre, ou que les gens devaient risquer leurs vies. Ceux qui surmontaient les obstacles parvenaient peut-être à se détacher des fardeaux que portaient les gens comme Ryoka, devenaient peut-être différents.
 
Ryoka ouvrit la porte et s’arrêta.
 
Ou… peut-être qu’ils étaient tous trop aliens pour que Ryoka arrive à assimiler leurs personnalités.
 
Ceria était assise sur le lit que les Antiniums avaient aidé à construire, à la lumière de la fenêtre, ses traits fins, sa chevelure scintillant au soleil. Parfois, Ryoka oubliait que la moitié de ses ancêtres étaient immortels. Morts depuis longtemps, certes, mais les scintillements de sa nature surnaturelle rendaient Ceria tellement unique, parfois.
 
À d’autres moments, elle était comme n’importe quelle humaine. Mais Ryoka ne lui avait jamais posé de questions sur ses parents. Et…
 
Elle se doutait que ce n’était pas un sujet qu’elle devrait aborder avant longtemps, de toute façon. Pas si ce que pensait Ryoka était vrai. Cause et conséquence. Prédictivité.
 
Le monde était tissé d’histoires tristes.
 
Comme celle-ci.
 
Ceria se tourna en entendant Ryoka entrer dans la chambre. Elle s’essuya les yeux, mais n’essaya pas de prétendre qu’elle n’avait pas été en train de pleurer.
 
“Ryoka. Désolée, je ne savais pas que tu étais rentrée.”
 
“Quelque chose ne va pas ?”
 
“Par où commencer ?”
 
Ceria éclata de rire. Elle leva sa main squelettique d’un air moqueur, et secoua la tête.
 
“Non. Ce n’est pas ça. C’est Yvlon. Elle est réveillée.”
 
Pendant un instant, Ryoka fouilla ses souvenirs, puis elle se souvint de la capitaine aventurière qui portait une armure d’argent. Elle sentit un frisson de culpabilité en se rappelant qu’Yvlon avait été à la Guilde des Aventuriers et qu’elle n’était allée la voir qu’une seule fois. Mais…
 
“Est-ce qu’elle va bien ?”
 
“Son corps, oui. Ils ont soigné la plupart de ses blessures, mais elle a des… cicatrices. Mais son esprit…”
 
Ceria secoua la tête avec désespoir.
 
“Elle vient de se réveiller. Quand elle m’a vue, je me suis dit… elle s’en veut.”
 
“Ah.”
 
Cela voulait tout dire, vraiment. Ryoka écouta la musique de la même histoire tragique se dérouler derrière les mots de Ceria.
 
“J’ai dû partir parce qu’elle commençait à s’agiter. Mais elle sait qu’il ne reste presque plus personne. Et l’assurance…”
“L’or pour les familles des morts ?”
 
“Oui. On ne peut pas la payer. Je veux dire, elle est la seule capitaine qui reste, et son équipe a entièrement péri dans les Ruines. Il doit y avoir encore huit survivants, et ils se sont éparpillés au vent. Et tout notre équipement a été réquisitionné par la Garde.”
 
“Et comment se sent-elle au sujet de ce qu’il s’est passé ?”
 
Ceria haussa légèrement les épaules, puis les laissa retomber.
 
“Tu crois quoi ? Elle s’en veut pour tout, et qu’importe qu’Écorcheur nous ait tendu une embuscade. Mais elle ne voulait pas se calmer, et on a dû appeler des gens pour l’empêcher de se faire du mal. J’ai dû partir.”
 
Ryoka voyait que les nouvelles avaient affecté la demie-Elfe. Mais elle ne voyait pas comment la réconforter…
 
Ryoka regarda les escaliers et se demanda si elle pouvait appeler Erin. Si ce n’était pour le soutien, au moins pour qu’elle lui donne des conseils. Ceria vit la direction dans laquelle elle regardait et secoua la tête.
 
“Je vais bien. Je ne voudrais pas perturber… ce qu’elle fait avec Olesm.”
 
“Ils ne couchent pas ensemble, si c’est la question que tu te poses.”
 
Ceria faillit s’étouffer. Ryoka la dévisagea, les sourcils levés.
 
“Je…”
 
Elle hésita.
 
“Pour Olesm… c’était…”
 
“Oublie. Je ne suis pas montée pour te poser des questions à ce sujet. Et je ne veux pas t’embêter. Mais si c’est un problème, je préférerais demander maintenant avant que tu ne fasses fondre le visage d’Erin.”
 
“Je le gèlerait, plutôt. Je ne suis pas très douée en sorts de feu. Et je ne ferais pas ça.”
 
Ceria soupira et se réinstalla dans son lit, faisant signe à Ryoka de s’asseoir. Cette dernière se réjouit intérieurement ; elle avait détourné la conversation des aventuriers et de la mort. Forte en conversation, Ryoka n’était pas.
 
“Moules à slimes, j’avais presque oublié la nuit dernière… écoute, je ne sais pas ce qu’en pense Olesm. Mais si Erin est intéressée…”
 
“Ce n’est pas le cas.”
 
“Tu es sûre ?”
 
“Relativement, oui. Ce serait tellement évident, tu imagines ?”
 
“J’imagine. Mais Olesm est amoureux d’elle.”
 
“Certes. Et tu es amoureuse d’Olesm.”
 
“Un peu.”
 
Ceria sourit, et Ryoka ne put s’empêcher de poser la question.
 
“Alors ?”
 
“Ryoka, je ne dirai rien. C’était juste… c’était bien. Et je l’aime pour plus de raisons que juste le fait qu’il m’ait sauvé la vie, même si ça aide. On a passé des journées là-dessous avec juste l’autre pour parler. Murmurer, plutôt.”
 
“Je ne juge pas. Mais je demande si d’autres vont le faire.”
 
Le léger sourire de Ceria s’effaça, et Ryoka regretta d’avoir dit cela. Mais c’était un bon point à soulever.
 
“Je me demande… on verra. Je ne suis même pas sûre qu’il y aura une prochaine fois ou autre. Mais…”
 
Elle soupira.
 
“Ce sujet est clos. Il aime les échecs, et je suis sûre qu’il est honnête. Erin et lui peuvent fixer ce plateau toute la journée, mais pas moi. Alors, pourquoi es-tu montée me voir ?”
 
“La magie. Mais si tu ne penses pas que je puisse…”
 
“Non, non. Autant s’y mettre maintenant.”
 
Ceria agita la main et s’avança maladroitement pour faire face à Ryoka. Elle laissa reposer sa main squelettique sur ses genoux pour parler. C’était encore difficile de l’ignorer, mais Ryoka essaya de regarder Ceria dans les yeux sans que cela tourne en combat de regards. Elle était mal à l’aise ; elle avait rarement eu une longue conversation de près comme ceci. Ou de loin, d’ailleurs.
 
“J’imagine que je n’aurais pas dû t’enseigner un seul sort et t’abandonner, mais j’imaginais que tu allais gagner un niveau ou deux dans la classe de [Mage] et que tu pourrais apprendre quelques sorts de plus grâce aux niveaux. Mais je devine que ce n’est pas ce qu’il va se passer, n’est-ce pas ?”
 
“Pas vraiment. Est-ce que c’est… un problème ? Est-ce qu’il est impossible d’apprendre des sorts ou de la magie sans classe ?”
 
Ceria secoua la tête.
 
“Non. Cela rend simplement la magie plus difficile à apprendre, c’est tout. Gagner des niveaux est un excellent moyen d’apprendre des sorts, et c’est tellement plus facile qu’être autodidacte.”
 
Elle tapota les mains de sa main valide sur son legging.
 
“En ce cas, on commence ? Si tu veux une éducation formelle, je te conseille d’aller prendre un siège à côté de Pisces et d’attendre environ un an. Je ne peux t’apprendre ce que j’ai appris à Wistram, mais je peux t’apprendre quelques sorts, si tu veux.”
 
“Tout ce que tu peux faire me va. Mais je n’ai aucune base en magie. Je ne sais pas comment fonctionnent les baguettes, les sorts…”
 
“Les baguettes amplifient ta magie. Elles stockent de l’énergie qui peut ou non se régénérer avec le temps. Cela dépend de la qualité de la baguette - certaines contiennent des sorts que tu peux déclencher une ou plusieurs fois.”
 
“Ça marche. Et les artefacts ?”
 
“Comme les baguettes, à la différence que d’ordinaire leur mana se recharge et leurs réserves sont plus importantes. Et aussi, si un jour tu en obtiens un, n’en parle à personne parce que certains te tueront pour ça. Ou t’offriront une rançon de roi.”
 
“Les sorts ? J’aimerais bien en apprendre quelques-uns.”
 
“Tu as un mois devant toi ?”
 
Ceria haussa un sourcil et Ryoka ne put s’empêcher de sourire.
 
“Tu m’as enseigné [Lumière] en une journée. Tu ne peux pas m’en apprendre un autre ?”
 
“Si je le connais. Pisces peut peut-être aider, mais il est pointilleux. Lequel souhaites-tu apprendre ?”
 
Ryoka avait une liste. Elle y avait bien réfléchi, et si elle pouvait apprendre n’importe lesquels, il y en avait trois qu’elle aimerait désespérément maîtriser.
 
“Pourquoi pas [Détection de Magie], [Boule de Feu], et [Célérité] ?”
 
Ceria leva les yeux au ciel.
 
Tout le monde veut apprendre le sort de [Boule de Feu]. Eh bien, ce n’est pas ton jour de chance, je ne sais pas le faire, et Pisces non plus. J’ai utilisé une baguette quand j’ai dû m’en servir. Mais je connais [Stalactite]. Le souci, c’est que tu risques de ne pas pouvoir le jeter sans baguette.”
 
“Vraiment ?”
 
“Oui. C’est une histoire de modelage de l’énergie. Oh, je pourrais jeter le sort une fois, mais le contrecoup serait douloureux. Peut-être que si j’avais une compétence ou plus de niveaux… et en plus, c’est un sort d’Échelon 3.”
 
“Ce qui signifie qu’il faut beaucoup de temps pour l’apprendre ?”
 
“À ton niveau, un an. Je ne dis pas ça pour te vexer, mais tu es une novice. [Détection de Magie] est d’Échelon 3 aussi, et [Célérité]... non.”
 
“C’est quoi le problème avec ce sort ?”
 
“Il y a des Échelons de magie. Je l’avais expliqué, pas vrai ? Eh bien, tu peux considérer le sort que tu veux apprendre - [Célérité] - comme un sort d’Échelon 4. Non... attends, peut-être 5 ? Je ne sais pas, désolée.”
 
“Est-ce que ça veut dire que je ne peux pas l’apprendre ?”
 
“Non, tu peux l’apprendre. Ou plutôt, tu as le potentiel pour. C’est juste que… je peux jeter des sorts d’Échelon 3. L’Échelon 4… c’est possible, mais j’aurais besoin d’un grimoire et de semaines… peut-être de mois pour apprendre le sort à mon niveau. Je pourrais peut-être l’apprendre en une semaine si j’avais un tuteur, mais en autodidacte…”
 
Ceria secoua la tête.
 
“C’est une question de temps et d’effort. Si tu te donnes suffisamment pour un sort, tu le maîtriseras. Mais il y a des limites. Si je voulais apprendre un sort comme [Boule de Feu Géante], cela me prendrait des années même si je connaissais les bases du sort. Ma magie n’est pas à un niveau auquel je peux le comprendre pour le moment, et je ne suis pas suffisamment versée en magie du feu de toute façon.”
 
“Je comprends. Donc ça ne vaut pas les efforts qu’il faudrait déployer ?”
 
“Cela en vaut carrément la peine, mais je n’ai pas de grimoire. Pourquoi crois-tu que je sois aventurière ? Ce n’est clairement pas pour garder la santé.”
 
Ceria tapota un doigt sur son genou et réfléchit.
 
“Pisces connait un sort d’Échelon 4, le sort d’[Invisibilité]. Je me souviens de quand il l’a appris - il a failli en mourir et il a étudié toutes les nuits pendant au moins deux heures tout un mois avant de réussir à le maîtriser. Et c’est un génie. Un génie arrogant et insupportable, mais il a appris [Invisibilité] quand il n’était qu’au Niveau 18. Il a gagné deux niveaux en l’apprenant.”
 
“Donc gagner des niveaux, chez les mages, leur permet d’assimiler les sorts plus rapidement ? Comme [Boule de Feu Géante] ?”
 
“Eh bien, si on partait du principe que je gagnais dix niveaux dans la nuit… oui. Ce serait beaucoup, beaucoup plus facile pour moi d’apprendre. D’un autre côté, si je, disons… comprenais comment fonctionne le sort, je pourrais l’apprendre tout aussi facilement.”
 
Ryoka fronça les sourcils. La magie n’était de toute évidence pas quelque chose de parfaitement linéaire. De ce qu’elle se souvenait lorsqu’elle avait appris [Lumière], c’était plus proche de… d’avoir une révélation mathématique, de résoudre une formule, quelque chose dans ce genre. Elle laissa Ceria poursuivre.
 
“Bref, de manière générale, la magie d’Échelon 3 est bien pour le combat, tant que tu ne te lances pas aux trousses de quelque chose de trop dangereux. [Stalactite], par exemple, est d’Échelon 3. Il y a un sort dérivé - [Tesson de Glace] - qui est d’Échelon 2. [Vent Glacé] est d’Échelon 1, même si je sais que Pisces peut rendre le sort beaucoup plus puissant qu’il n’est censé l’être.”
 
“Et [Lumière] ? Échelon 1 ?”
 
“Eh bien, je dirais Échelon 0 si je pouvais, honnêtement. C’est l’une des magies les plus élémentaires que les gens apprennent. Faire de la lumière, faire de la chaleur… [Étincelle] est un autre exemple.”
 
C’était logique, et Ryoka était tentée de l’interroger sur [Étincelle], mais…
 
“On peut ajouter de la magie à un sort ? Comment ?”
 
“Comme ceci. Je ne t’avais pas montré ça ?”
Ceria leva la main et une orbe de lumière jaune familière apparut dans sa main tel un doux soleil. Elle donna une pichenette à l’orbe de lumière dorée pour l’envoyer sur Ryoka. Cette dernière leva une main par réflexe et la lumière éclaboussa sa main avant de s’évanouir dans les airs devant les yeux ébahis et émerveillés de Ryoka. Elle n’avait rien senti lorsque la lumière avait touché sa peau.
 
“Tu peux la jeter, mais seul un très bon mage peut la contrôler à distance. Pareil pour la taille ; tu peux ajouter du mana pour rendre ta lumière plus grande ou lui donner une forme différente, mais au final, cela ne reste que des exercices. Ils t’aident à affiner ton contrôle sur les sorts, mais cela reste une simple lumière au final.
 
“Et l’intensité, alors ? Est-ce que tu peux la rendre aussi brillante que le soleil ?”
 
“Tu sais jeter le sort. À toi de me répondre.”
 
Ryoka se concentra. Ceria n’avait même pas dit [Lumière] pour créer son orbe, mais pour une raison qui lui échappait, Ryoka en était incapable.
 
“[Lumière].”
 
L’orbe sortit de sa paume. Elle était aussi lumineuse qu’à l’accoutumée, pas plus. Ryoka fronça les sourcils.
 
“Comment est-ce que… ?”
 
Attends, c’est une question bête. Qui demande la réponse pour tout ? Ryoka ferma les yeux, se concentra, et l’orbe devint plus lumineuse derrière ses paupières.
 
“Huh. C’était... rapide.”
 
C’était épuisant d’ajouter de l’énergie au sort. Ryoka se concentra cependant, et l’orbe devint plus brillante… encore plus brillante…
 
Mais pas si brillante que ça. Ceria se protégeait les yeux, mais ce n’était pas qu’elle risquait de devenir aveugle. Ryoka sentit qu’elle serait peut-être capable d’intensifier la lumière de la sphère, mais elle ne voulait pas prendre de risque.
 
Elle laissa l’orbe disparaître. Elle venait de comprendre une autre technique. C’était comme essayer de pousser ou de tirer, mais peut-être qu’absorber et réémettre étaient un meilleur moyen d’imaginer la manière dont elle pouvait contrôler le pouvoir en elle.
 
Quel qu’il soit, la sensation était une partie de l’esprit de Ryoka dont elle n’avait même pas réalisé l’existence auparavant. Se pouvait-il que la… magie soit semblable aux amygdales ou à l’appendice ? Quelque chose d’oublié depuis longtemps ?
 
“C’était impressionnant. C’est compliqué d’imaginer quelque chose d’aussi lumineux. J’en suis personnellement incapable.”
 
“Imaginer ?”
 
Ceria acquiesça.
 
“Les mages ne peuvent pas créer des sorts à partir de rien. Les images dans nos têtes deviennent des sorts. Donc je peux rendre le sort de lumière très brillant, mais pas aussi brillant, disons, que le soleil.”
 
Elle leva la main et une nouvelle orbe de lumière apparut. Elle devint d’un blanc lumineux aussi, mais pas aussi lumineux que l’orbe de Ryoka.
 
“J’imagine que je ne regarde pas si souvent les choses brillantes, hein ? Et je n’ai jamais vu le soleil de près donc je ne sais même pas vraiment à quoi il ressemble. C’est le fait qu’il soit si brillant qui le rend difficile à voir. Qu’est-ce que tu as regardé pour réussir à voir quelque chose d’aussi lumineux ?”
 
Les néons pendant les fêtes. Les lumières de la police. Les phares des voitures, et le soleil, oui, parce qu’elle était stupide étant enfant.
 
“Du feu, des trucs comme ça. Ah, tu dis que je peux plus facilement apprendre un sort si je comprends ce qui le compose ?”
 
“Eh bien, j’imagine qu’on peut dire ça comme ça. La plupart des mages ont des spécialités - quelque chose qu’ils comprennent. Personnellement, je comprends le froid. J’ai passé quelques hivers dans la neige et la glace, et j’ai toujours aimé les flocons. Mais j’ai également étudié les aiguilles de glaces, et… eh bien, cela veut simplement dire que comprends mieux les sorts comme [Stalactites].”
 
Elle fit un signe de tête pour désigner l’orbe dans ses mains.
 
“Tu peux probablement comprendre le reste toute seule, mais je vais t’apprendre à manipuler le sort de [Lumière] ? Mais je ne peux rien faire pour toi pour les sorts de [Célérité] ou de [Boule de Feu]. Si j’entends parler de quelqu’un qui vend un grimoire avec ces sorts dedans, je te le dirai, mais acheter un grimoire complet pour un seul sort…”
 
“Cela ne vaut pas la peine. Je comprends.”
 
“Oh, non, tu pourrais apprendre les autres sorts qu’il contient, mais j’allais dire que c’était trop cher. Les grimoires contenant de la magie d’Échelon 4 sont largement au-dessus de mes moyens, même quand j’étais encore avec… avec les Cornes.”
 
Cela allait peut-être bientôt changer. Ryoka se demanda ce que huit cents pièces d’or lui permettraient d’acheter. Probablement un grimoire d’Échelon 1, ou 2 maximum. Mais pour la magie… elle était prête à passer autant de nuits blanches que nécessaires pour la magie. Mais à quel point une classe accélérerait-elle son apprentissage ?
 
Ceria devait avoir senti le dilemme de Ryoka.
 
“Je ne suis toujours pas certaine de comprendre pourquoi tu n’aimes pas les classes, mais… bref, j’en ai assez dit avant. Si tu ne veux pas t’y prendre de cette manière, c’est très bien. La magie requiert d’étudier même avec des niveaux.”
 
Ryoka acquiesça, soulagée. Encore un choix repoussé. Pas une bonne chose à faire, mais elle pourrait y réfléchir toute la journée, toute la semaine s’il le fallait. L’Auberge Vagabonde était l’endroit parfait où rester pour apprendre.
 
Ceria pointa le doigt sur Ryoka et transforma l’orbe de lumière dans ses mains en un carré.
 
“Si on veut s’entraîner, autant faire une leçon complète. Refais le sort de [Lumière]. À présent, vide ton esprit. Concentre-toi sur le sort, et mets-y autant de pouvoir que possible. Voyons à quel point du peux le rendre lumineux.”
 
Ryoka s’exécuta, et elles s’entraînèrent toutes les deux jusqu’à entendre le cri.
 
***

Aaaah ! Mes yeux !”
 
Erin lâcha l’assiette qu’elle tenait entre ses mains pour se couvrir les yeux, mais lorsqu’elle regarda en bas, elle s’aperçut que Ceria avait rattrapé d’un sort l’assiette de frites.
 
Avec sa main squelettique.
 
Erin la regarda fixement, la vision floue à cause des larmes, et Ryoka et Ceria se levèrent. Ceria essaya de s’excuser. Elle cillait à intervalles rapprochés, et Ryoka aussi.
 
“On… s’entraînait à faire de la magie. Comment se passe la partie d’échecs ?”
 
Elle n’eut pas de réponse. Erin pointa juste du doigt, et Ryoka et Ceria le suivirent pour voir ce qu’elle montrait.
 
“Ta main !”
 
“Quoi ?”
 
Ceria cligna des yeux en regardant sa main puis se figea. Ryoka regarda fixement l’extrémité brillante des os blanchis.
 
“Je ne savais pas que tu pouvais la bouger.”
 
“Je ne peux pas… je veux dire, c’est déjà arrivé, mais c’était inconscient. Comme cette fois.”
 
“Ça doit être magique.”
 
Ryoka lança un regard appuyé à Erin, et elle rougit.
 
“D’accord, c’est évident. Mais je me demandais comment elle faisait pour tenir d’un seul bloc et, tu sais, ne pas se déliter, sans la peau et le reste.”
 
Ceria cligna des yeux.
 
“C’est vrai. Je n’y avais même pas pensé.”
 
“Et tu as failli me planter un pic de glace dans la tête la dernière fois avec, donc… elle doit bouger quand tu lances un sort !”
 
Ryoka regarda fixement Erin puis les deux femmes tour à tout, mais Ceria était en train d’acquiescer.
 
“Quand je canalise ma magie je dois… eh bien, je n’avais pas essayé parce que je pensais qu’elle était morte mais peut-être…”
 
Elle fronça les sourcils en regardant sa main. Ryoka et Erin ne virent rien, mais les doigts finirent par se crisper. Puis ils se mirent à bouger.
 
Ceria serra lentement les doigts pour former un poing en contemplant fixement la peau noircie et les os se mouvoir sans heurt. Pour Erin, c’était la chose la plus flippante qu’elle ait jamais vue ; les squelettes en cours de biologie étaient une chose, mais la main de Ceria bougeait tellement naturellement que c’en était effrayant.
 
“Par mes ancêtres., souffla Ceria.
 
“Bon sang, c’est extraordinaire !”
 
Erin voulait serrer Ceria dans ses bras, mais les frites flottantes lui bloquaient le chemin, et elle avait peur de rompre la concentration de la mage. Ryoka souriait aussi.
 
“C’est impressionnant. Ça fait mal ?”
 
Ceria secoua la main, mais elle souriait aussi à présent.
 
“Ce qui est vraiment impressionnant, c’est que je peux plus facilement jeter des sorts avec cette main qu’avec l’autre. Je l’ai senti en rattrapant cette assiette. Ça doit être les os.”
 
Erin ne saisit pas, mais Ryoka comprit instantanément.
 
“Les os des demi-Elfes conduisent mieux la magie ?”
 
Ceria hésita.
 
“C’est… un secret. Ne le dites à personne, s’il vous plaît.”
 
Ryoka acquiesça immédiatement, et Erin l’imita.
 
“Bien sûr que non. Carrément. Hum, merci d’avoir rattrapé les frites.”
 
“Les frites ?”
 
Ceria cilla, et sembla enfin se souvenir des frites et de l’assiette en train de flotter dans les airs. Elle regarda Ryoka et Erin.
 
“Aidez-moi à les attraper ? Je peux les faire flotter, mais je ne maîtrise pas le contrôle fin.”
 
En moins d’une minute, les filles et Ceria parvinrent à remettre les frites dans le plat et à en manger plus de la moitié. Elles descendirent toutes au rez-de-chaussée pour donner la bonne nouvelle à Olesm.
 
Il était extatique, mais il ne put s’empêcher de montrer à Ceria quelque chose qu’il considérait clairement comme tout aussi important. Il lui agita un parchemin recouvert d’une écriture serrée sous le nez, mais Ceria se contenta de cligner des yeux. Elle n’était pas non plus impressionnée par ses notes de la partie d’Erin avec son mystérieux adversaire.
 
“Erin a fait une bonne partie d’échecs ? C’est bien.”
 
“C’est plus que bien, Ceria. C’est… phénoménal ! Incroyable ! C’était… je suis sûr que quiconque était de l’autre côté du plateau a forcément dû gagner des niveaux ! Je n’avais jamais vu une telle partie. Et j’ai tout noté là-dessus !”
 
Il brandit le parchemin couvert d’encre sous le nez de Ceria. Elle cilla, médusée.
 
“Ça a l’air intense.”
 
Erin remarqua que Ryoka regardait le plateau en fronçant les sourcils. Est-ce qu’elle voulait faire une partie ? Mais ce n’était pas ce qui intéressait la coureuse.
 
“Est-ce que vous avez fini de jouer pour le moment ?”
 
“Je pense, oui. Je pense que la personne en face est occupée, parce qu’elle a tapoté deux fois le plateau avec un pion puis s’est arrêtée. Mais je partie qu’elle va refaire une partie demain. Et elle est tellement forte ! Ce n’est pas génial ça ?”
 
Wunderbar. Mais le joueur d’en face est vraiment si bon que ça ?”
 
“Il est vraiment, vraiment bon, Ryoka. Le meilleur que j’ai croisé depuis…”
 
Erin hésita en se rendant compte qu’elle était sans doute en train de piétiner les sentiments d’Olesm, mais le Drakéide acquiesça.
 
“C’est le meilleur que j’ai vu, aussi. Il doit être un [Stratégiste] !”
 
“C’est un autre type de [Tacticien] ?”
 
“Non… c’est comme un [Maître des Lances]. C’est un changement de classe qui advient quand on atteint un certain niveau. On se spécialise ou… on obtient de meilleures compétences.”
 
“Ah.”
 
Erin sourit de toutes ses dents, et elle se demanda quand le mystérieux joueur reviendrait faire une partie avec elle. Il avait remporté une partie. D’habitude, Erin était bonne perdante mais…
 
C’était une journée glorieuse. Elle avait des frites qui étaient faciles à faire, Ceria et Olesm étaient dans son auberge, et Val, Épervier et Ryoka aussi !
 
Mais les Courriers décidèrent alors de partir, ce qui était très bien, et Olesm décida qu’il fallait également qu’il rentre en ville. Ce qui laissait quand même Ceria et Ryoka, et Erin était heureuse de les avoir toutes les deux.
 
“Que voulez-vous faire ? On peut papoter, ou faire des jeux - autres que les échecs - ou on peut aller en ville ou…”
 
“Se cacher.”
 
Ryoka était en train de regarder par la fenêtre. Erin suivit son regard et son cœur se serra juste un peu.
 
Un essaim de Fées de Givre s’était formé autour de son auberge. Elles regardaient à travers les vitres, faisaient des grimaces puis…
 
Entrèrent ?
 
Non. C’était impossible. Mais, dans un silence frappé d’horreur, Erin vit la porte s’ouvrir lentement vers l’intérieur pour laisser entrer une Fée de Givre dans la pièce.
 
La petite créature azurée regarda autour d’elle et sourit tandis que Ryoka se figeait et qu’Erin devenait une statue de cire de l’horreur. Ceria recula jusqu’à se retrouver presque aux pieds des escaliers, mais il était trop tard. Les Fées de Givre entrèrent en voletant.
 
Elles s’engouffrèrent à l’intérieur dans une explosion d’air froid qui éteignit le feu de l’âtre et rappela l’hiver au souvenir d’Erin de la manière la plus douloureuse et glacée qu’il soit. Ryoka et Erin se couvrirent le visage pour contrer l’assaut des particules de glace qui fouettaient leur peau. L’instant d’après, les fées étaient partout.
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 21 octobre 2020 à 13:03:30
 
2.20 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia


”Regardez ! Regardez ! Deux Humaines et une bâtarde crasseuse !”
 
“Une auberge ! Un lieu pour se reposer et festoyer !”
 
“Je vais prendre un cochon à la broche ! Non ! Un cheval à la broche !”
 
“Regardez comme elles restent plantées là, toutes stupides et lentes !”
 
“Il n’y a pas de fer ! Pas de douleur !”
 

 
“Qu’est-ce qu’il se passe ?”, hurla Ceria par-dessus le vacarme des voix.
 
Ryoka et Erin regardaient les fées d’un air effaré. Elles étaient partout, grimpaient aux murs, s'asseyaient sur les tables, renversaient les assiettes…
 
“Ma cuisine ! Sortez de là !”
 
Erin courut en agitant les mains tandis que des fées disparaissaient dans la cuisine avec des hurlements de rire perçants accompagnés des bris de vaisselle. Ryoka balayait les Faes agiles qui voletaient autour d’elle de la main tandis qu’elles lui tiraient les cheveux ou en arrachaient des mèches. Mais lorsque l’air autour d’elle gela, même la coureuse dut
abandonner.
 
Mais la moins bien lotie était Ceria. Dès qu’Erin fut parvenue à chasser les fées de sa cuisine et qu’elles se désintéressèrent de Ryoka, toute la horde parut se concentrer sur Ceria. Et pas dans le bon sens du terme.
 

 
“Demie-Elfe ! Putain !”
 
“Fille de bâtard !”
 
“Répugnante corniaude !”
 

 
Elles volaient autour d’une Ceria roulée en boule en train de protéger sa tête. Certaines fées lui lâchèrent des tessons de glace dessus, d’autres lui jetèrent des boules de neige.
 
Arrêtez !
 
La voix d’Erin ne claqua pas exactement comme le tonnerre, mais elle recouvrit tout de même le tintamarre des fées. Elles s’interrompirent, et elle hésita en réalisant qu’elle ne savait pas vraiment ce qu’il se passait ni ce qu’elle pouvait dire.
 
Mais Ryoka, si.
 
“Que faites-vous ici ? Je croyais que les fées ne pénétraient jamais dans les bâtiments !”
 
La grande Asiatique fit face aux Fées de Givre en train de flotter dans l’auberge sans une once de peur. Erin se dressa derrière Ryoka, très apeurée au souvenir de l’avalanche qui l’avait frappée la dernière fois qu’elles s’étaient énervées.
 
“Vous n’êtes pas les bienvenues ici. Allez-vous-en.”
 
Les Fées de Givre la huèrent lorsque Ryoka pointa la porte du doigt. L’une d’elle leva deux doigts en l’air - une insulte ? - en flottant devant les yeux de Ryoka.



 
“Hah ! Nous avons le droit d’entrer ici ! Il n’y a pas de fer répugnant ici, et on nous a dit que nous serions les bienvenues ! Nous sommes invitées de longue date, idiote !”
 



Ryoka tourna la tête pour dévisager Erin. Cette dernière regarda ses pieds d’un air innocent et se donna plusieurs coups de pieds intérieurement. Ryoka se pencha pour murmurer à l’oreille d’Erin.
 
“Est-ce que c’est vrai ?”
 
“Je ne savais pas ! Elles allaient attaquer les Ouvriers pendant le chantier donc j’ai dit… je ne savais pas !”
 
“Les marchés des fées. Ne leur fais jamais confiance.”
 
“Ne les mets pas en colère, Ryoka ! Elles peuvent créer des avalanches… et elles connaissent les Roi Arthur ?”
 
“...  Quoi ?
 
L’une des fées était en train de flotter à côté des deux filles en train de chuchoter. Elle éclata d’un rire strident.
 

 
“Hah ! Est-ce donc tout ce à quoi vous autres mortels pensez ? Au Roi Arthur ? Ce branleur stupide ne connaissait même pas Caliburn avant que nous ne lui en parlions !”
 



“Caliburn ? Vous voulez dire L’Épée du Rocher ?”
 
Le regard de Ryoka se focalisa sur la fée, et Erin se sentit stupide. Mais la fée se contente de leur faire un doigt d’honneur à toutes les deux avant de s’élancer de nouveau dans les airs.
 

 
“Tu poses des questions à des invitées ? Où sont notre accueil, nos boissons et notre nourriture ? Nous exigeons notre dû ! Qu’on nous apporte des dés de vin et des gâteaux dorés et des tardes au massepain et des crèmes et peut-être que nous vous accorderons une bénédiction !”
 
“Mais d’abord, chassons l’impertinente qui oserait partager ainsi ce toit !”
 

 
“Ah !”
 
Ceria cria lorsque l’une des fées se posa sur son bras, gelant sa chair. Ryoka intercepta la suivante en protégeant la demie-Elfe de son corps.
 
“Arrêtez ça. Tout de suite.”
 
L’une des fées la regarda d’un air malveillant.



 
“Ah, tu prendrais la défense de cette chienne, n’est-pas, Humaine ?”
 

 
Ryoka ne répondit pas. Elle plissait les yeux en serrant le poing. Erin s’accroupit à côté de Ceria et essaya de réfléchir. Ceria lui murmura d’un air paniqué :
 
“Que veulent-ils ? Que font-ils ici ?”
 
“Tu peux les entendre ?”
 
Erin était étonnée. Tout le monde paraissait traiter les fées - ou Esprits de l’Hiver, selon eux - comme des boules floues que personne n’arrivait à distinguer. Mais Ceria pouvait clairement voir quelque chose. La demie-Elfe acquiesça en plissant les yeux.
 
“Je n’entends que des murmures, mais je peux distinguer… quelque chose. Ils ne m’aiment pas. Les Esprits de l’Hiver n’aiment pas les demis-Elfes.”




 
“Ne pas t’aimer ? On vous déteste, fils et filles de putes !”
 

 
L’une des fées se posa sur la tête de Ceria, ses cheveux gelèrent sur place et la demie-Elfe hurla. Elle était trop terrifiée par les Fées de Givre - Erin se demanda ce qu’elles lui avaient fait pas le passé.
 
“Arrêtez !”
 
Erin essaya de chasser la fée d’un revers de la main, mais elle se contenta de siffler de colère, la forçant à retirer sa main.
 
“Si on vous donne à manger, est-ce que vous partirez ?”, demanda Ryoka à l’une des fées. Elle n’eut qu’un haussement d’épaules insolent pour toute réponse. Elle se tourna vers Erin.
 
“Erin… va leur préparer quelque chose.”
 
“Quoi ?”
 
“Quelque chose…”
 
Ryoka hésita, et porta la main à sa tête tandis que les fées volaient autour d’elle en faisant la grimace et en lançant des commentaires vulgaires.
 
“Quelque chose de sucré. Du lait et du sucre. Mais dépêche-toi !”
 
Erin se précipita dans la cuisine et attrapa le sac de sucre et le lait qu’il lui restait. Elle prit un bol, y versa presque autant de sucre que de lait, et l’apporta dans la salle commune.
 
Les fées étaient arrivées dans une impasse avec Ryoka et Ceria. La demie-Elfe était recroquevillée et Ryoka la protégeait, mais de temps en temps, une fée s’avançait pour lui jeter quelque chose dessus.
 
Erin posa le bol de lait sucré sur la table, en en renversant un peu dans sa hâte.
 
“Voilà ! De la nourriture ! Prenez-la et partez !”
 
L’une des fées flotta jusqu’au bol pour goûter la concoction. Elle regarda d’un air suspicieux les grains de sucre au fond du bol, puis plongea précautionneusement un doigt dans le lait. Erin retint sa respiration lorsque la fée le goûta avec prudence. Puis…




 
“Qu’est-ce donc ? Ce n’est que du sucre et du lait de vache ! Tu essaies de nous insulter ?”
 

Hurla la fée d’un air outragé, et les autres fées s’agglutinèrent autour du bol.
 

“Du lait et du sucre ? Ce n’est pas suffisant !”
 
“Ce n’est bon que pour un goûter !”
 
“Nous exigeons plus !”
 



En quelques secondes, le bol fut vide. Erin le regarda fixement lorsque la dernière fée enfourna avec avidité du sucre mouillé dans sa bouche. Mais les fées avaient beau avoir mangé, elles n’avaient pas l’air apaisées. L’une d’elle flotta devant Erin en la dévisageant avec mépris.



 
“Je suppose que cela suffira pour commencer. Mais nous voulons plus ! Tu es une aubergiste, espèce de mollassonne. Fais-nous encore à manger ! Encore dix bols et nous considèrerons cela comme une faveur !”
 

 
Erin n’avait plus assez d’ingrédients pour faire un autre bol, et encore moins pour dix. Elle le leur dit, et les fées devinrent encore plus agitées.
 

 
“Alors pourquoi pas du divertissement ? Non ? Alors nous nous divertirons nous-mêmes !”
 

 
Elles se mirent à bombarder Ceria, à lui tirer les cheveux et les vêtements. Erin essaya de repousser les fées, mais elles étaient beaucoup trop vives ! Elles tourbillonnaient autour d’elle, à quelques centimètres de sa peau alors qu’elle essayait de les atteindre sans succès.
 
“Arrêtez ! Arrêtez !”
 
Ceria essayait de les repousser avec sa main valide, mais les fées se contentaient de virevolter autour d’elle. Erin essaya d’attraper une fée, mais cette dernière l’esquiva avec agilité, puis lui jeta de la glace au visage, ce qui la fit crier.
 
“Erin… va chercher une poêle. Et tout ce que tu as en fer.”
 
Ryoka se déchaînait aussi, mais lentement, en observant les fées qui esquivaient ses mains. Erin hocha la tête et se dirigea vers la cuisine, mais elle s’arrêta lorsqu’une fée lui vola devant le visage.
 

 
“Quoi ? Une poêle ? Nous ne sommes pas de stupides reines, et tu n’es pas une sorcière, morveuse !”
 

 
“Mais vous n’aimez pas le fer froid.”
 
Répondit calmement Ryoka, et les fées se figèrent dans les airs. Le froid de la pièce - déjà proche du zéro - s’intensifia à ces mots.
 

 
“Est-ce une menace, humaine ?”
 

 
“Non… juste un fait. On ne peut pas faire confiance aux fées. Ne t’approche jamais d’un tumulus de fées, ne remercie jamais une fée, ne mange jamais leur nourriture et ne leur parle pas de ton enfant. Elles ont peur du fer froid, toutefois, et je ne crois pas que vous puissiez entrer quelque part sans invitation.”
 
On aurait dit que Ryoka disait cela pour Erin autant que pour les fées. Elles dévisageaient froidement la grande fille, et Erin frissonna. Elle se dirigea lentement vers la cuisine, et lorsqu’elle en ressortit, elles étaient en train de se disputer.



 
“Nous ne volons pas d’enfants ! Nous apportons l’Hiver, espèce de vache ! Et nous acceptons vos remerciements sans voler de faveur ! Nous offrons nos présents en toute bonne foi, et tu voudrais nous menacer ?”
 




La fée la plus proche d’Erin l’aperçut, et cria d’une voix qui démentait sa taille.
 

 
Du fer froid ! Elle l’a dans les mains, mes sœurs ! Prenez garde !”
 

 
Les fées poussèrent un cri strident, un son si discordant qu’Erin faillit en lâcher la poêle. Mais elle la tint fermement, le visage résigné, et haussa la voix.
 
“C’est vrai. Et si vous ne partez pas immédiatement, je vais… je vais…”
 
Erin ne pensait pas vraiment pouvoir toucher l’une des fées, agiles comme elles l’étaient. Et elle n’avait pas non plus vraiment envie de le faire. C’étaient des pestes démoniaques, mais elle n’était pas une br… elle ne voulait pas leur faire du mal.
 
L’une des fées avança en flottant dans la pièce, en dévisageant Erin d’un air dur. Le froid qui s’échappait de sa petite stature était suffisant pour qu’elle recule légèrement, et lorsqu’elle prit la parole, la voix de la fée était grave et froide, pour une fois.




 
“Est-ce que tu nous menaces avec du fer froid alors que nous sommes invitées ? Briserais-tu les lois de l’hospitalité, mortelle ?”
 

 
Erin hésita et baissa la poêle. Il y avait une lueur dans les yeux de la fée qui la mettait très mal à l’aise. Et l’idée de répondre “oui” faisait tinter d’énormes et bruyantes sonnettes d’alarme sous son crâne. Pas aussi bruyantes que lorsque son [Instinct de Survie] s’était déclenché avec Écorcheur, mais presque.
 
“Non. Noooooon... mais Ceria est également mon invitée ! Vous ne pouvez pas être méchante avec elle si vous voulez rester ici !”
 
La fée pouffa avec mépris et pointa le doigt sur Ceria.
 

 
“Bah ! La demie-créature n’est pas ton invitée ! Elle ne paie rien, et n’offre rien en échange de la faveur de l’hospitalité ! Nous pouvons faire ce qu’il nous plaît !”
 

 
Comment savaient-elle cela ? Mais il était trop tard. À présent qu’Erin avait promis qu’elle ne leur ferait rien, les fées reprirent leur attaque sans pitié sur Ceria.




 
Putain ! Putain, salope, et bâtarde !”
 
“Va mourir, sale monstre !”
 
“Abomination !”
 

 
Ceria se réfugia dans un coin en pleurant sous leurs assauts répétés. Les fées étaient sans merci, et Erin et Ryoka ne pouvaient les arrêter.
 
“Pourquoi sont-elles tellement en colère ?”
 
Hurla Erin à Ceria. La demie-Elfe secoua la tête.
 
“Elles font ça. Elles font toujours ça. Depuis que je suis petite… !”
 
Elle glapit et cria lorsqu’une fée lui arracha une mèche de cheveux. Ryoka gronda, et la fée voleta à reculons, brandissant son trophée sanglant en riant.



 
“Une mèche de cheveux de la fille des putes ! Hah !”
 

 
“Arrêtez de l’appeler comme ça.”, cracha Ryoka, et les fées autour d’elle éclatèrent de rire. Elles s’arrêtèrent juste assez longtemps pour que celle qui avait arraché la mèche de cheveux de Ceria puisse y retourner.



 
“Et que voudrais-tu qu’on fasse, Humaine ? Qu’on soit gentille avec la fille des salopes et des lâches ?”
 

 
“Non. Prenez-vous-en juste à quelqu’un de votre taille.”
 
La fée regarda Ryoka d’un air incrédule. Elle jeta un œil à Ceria.



 
“La pathétique créature est bien plus grande que nous, stupide bigleuse.”
 

 
“Exactement. Je vous dis juste de dégager et d’aller embêter quelqu’un d’autre. Un escargot, peut-être, ou peut-être un nid de frelons.”
 
C’était comme parler avec des enfants, entre les flashs de discours adulte et de gravité terrifiante. Les autres fées huèrent et rirent aux éclats pendant que la fée devant Ryoka se fendit d’un rire perçant.




 
“Oh, et comment comptes-tu nous arrêter ? Tu vas briser le droit des invités ? On va te faire la même chose ?”
 



Elle vola vers Ceria, les mains tendues, criant d’une voix forte sur la demie-Elfe.



 
“Catin ! Catin ! Immonde salope, rejetonne des bâtards ! Va te noyer, espèce de sale bâtarde, espèce de pu...  ”
 

 
Erin ne vit pas Ryoka bouger. Tandis qu’elle agitait les bras avec désespoir, la jeune femme s’était déplacée lentement, très lentement. Elle avait observé le vol des fées, et elle passait enfin à l’acte. Sa main se leva en un éclair lorsque la fée passa en voletant devant son visage. Et elle la saisit.
 
Ryoka frappa la Fée de Givre au vol. Erin entendit un glapissement de surprise, puis la fée s’étala sur le plancher, fit plusieurs tonneaux et s’arrêta à quelques pas d’un pied de table.
 
Tout le vacarme de l’auberge… se tut. Les fées cessèrent de rire. Ceria se figea et regarda fixement la fée de givre qui était à présent clairement visible même pour la demie-Elfe. La fée resta immobile pendant un instant, puis s’assit lentement.
 
Elle n’avait pas l’air blessée. Sa peau cristalline ne semblait pas avoir subi de dégâts sous l’impact, et Ryoka était en effet en train de se masser les phalanges et de frotter le givre qui avait recouvert sa peau. Mais les yeux de la fée étaient sombres et durs lorsqu’elle dévisagea Ryoka.
 
Lentement, la Fée de Givre s’envola et se positionna devant les yeux de Ryoka. La coureuse la dévisagea sans une once de peur dans le regard, mais peut-être Erin fut-elle la seule à voir ses mollets se contracter lorsque la fée s’avança à quelques centimètres de son visage.




 
“Tu vas le regretter, Humaine.”
 

 
Ryoka lui rendit son regard sans fléchir. La Fée de Givre la fusilla du regard encore un petit moment, puis soudain, de manière alarmante, elle sourit. Elle ouvrit la bouche et montra à Ryoka les dents diaboliquement pointues de sa bouche minuscule.
 

 
“Hah ! On va tellement s’amuser !”
 
 
 
Puis elle  cria, et les fées fondirent sur Ryoka qui partit en hurlant, ouvrit la porte à la volée et  se précipita en courant dans la neige tandis que la quasi-totalité des fées de l’auberge la poursuivaient dans le froid hivernal pour la traquer en riant.
 
Laissant Erin et Ceria seules pour nettoyer tout ce bazar.


***

C’était censé être une chouette journée. C’était ce à quoi Erin avait pensé en ramassant des morceaux de glace et en balayant la neige dans un coin tandis que Ceria essayait d’allumer un feu. La demie-Elfe était bouleversée, et elle avait eu besoin d’un peu de potion pour soigner les zones où les fées l’avaient mordue ou lui avaient arraché des cheveux, mais elle allait bien.
 
“Ryoka m’a vraiment sauvée. Si elle ne s’en était pas débarrassée - normalement, elles s’en vont si je me réfugie quelque part, mais là…”
 
L’une des fées s’était approchée de Ceria, et Erin avait eu sa seule bonne idée de la journée.
 
“Paie-moi.”
 
“Quoi ?”
 
“Vite, n’importe quoi ! Dépêche-toi !”
 
Ceria n’avait pas d’argent, mais devant l’insistance d’Erin, elle lui avait tendu son soutien-gorge. C’était soit ça, soit sa culotte, et Erin avait accepté le paiement.
 
Et… cela avait fonctionné. Les quelques fées qui avaient décidé de ne pas pourchasser Ryoka avaient grommelé, mais elles avaient accepté de ne pas embêter la demie-Elfe. Erin ne savait pas pourquoi elle n’y avait pas pensé plus tôt.
 
Puis elles se mirent alors à virevolter dans les airs, en faisant des grimaces et des remarques vulgaires pendant qu’Erin faisait le ménage jusqu’au retour de Toren. Oui, il était revenu !
 
Comment ? D’où ? Et pourquoi ses yeux étaient-ils violets ? Erin était tellement transportée de joie qu’elle ne prêta attention à rien d’autre jusqu’à comprendre que Loks était venue à l’auberge aussi, et qu’elle avait ruiné sa partie !
 
Mais ce n’était pas grave. Puis Klbkch était venu avec tous les Ouvriers qu’il avait promis, et Relc et Pion aussi ! Ce qui aurait aussi dû être merveilleux. Sauf que…
 
“Ça ne va pas le faire.”, déclara Erin alors que les Ouvriers jouaient depuis une heure. Elle les dévisagea et secoua la tête. Quelque chose n’allait pas.
 
“Quel est le problème ?”
 
“Ils ne sont pas… ce n’est pas pareil. Tu les forces à jouer, et ça ne servira à rien.”
 
Klbkch la dévisagea sans comprendre. Il avait amené vingt Ouvriers à l’auberge d’Erin, pour qu’ils mangent un peu, mais surtout pour qu’ils jouent aux échecs comme il l’avait dit. Et elle leur avait expliqué les règles et les avait installées pour qu’ils jouent comme la dernière fois mais…
 
“Est-ce qu’il y a un problème ? Il faut que ces Ouvriers apprennent ce jeu, Erin. C’est… très important pour la Colonie.”
 
“Oui, mais ça ne va pas marcher. Ils ne vont pas devenir des Individus ni rien de ce genre.”
 
Klbkch hésita. Pion était occupé à discuter avec les Ouvriers, et Relc, adossé à un mur, s’ennuyait pendant que les deux discutaient. Ceria était montée dormir pour se remettre de l’attaque des Fées de Givre. Mais Klbkch…
 
C’était encore étrange de lui parler. Elle avait l’impression s’adresser à un fantôme, ou… à un presque-inconnu. Mais il était toujours le même.
 
Mais différent. Et cela faisait un peu mal à Erin de le savoir.
 
“Je sais ce que vous faites. Vous essayez de faire plus d’Ouvriers comme Pion, pas vrai ? En les faisant jouer aux échecs ?”
 
“Ah.”
 
Même Erin pouvait comprendre ceci si on lui donnait assez de temps. Elle secoua la tête.
 
“Ça ne va pas marcher.”
 
“Puis-je savoir comment tu le sais ?”
 
“Tu te souviens de la première partie que nous avions faite, où je leur ai enseigné le jeu ?”
 
Il lui semblait que cela faisait tellement, tellement longtemps. Mais cela ne faisait qu’à peine un mois ? Deux ? Erin n’en était pas sûre. Mais on aurait dit que cela faisait presque un an.
 
“Je m’en rappelle. Tu avais joué à la fois contre Olesm et moi, si je me souviens bien.”
 
“Oui, et ensuite j’ai invité les Ouvriers à venir jouer. Mais c’était tout. Ils n’ont pas été forcés. Et ensuite… j’ai demandé à Pion comment il s’appelait. C’est comme ça qu’il a choisi son nom.”
 
Klbkch resta silencieux un instant en dévisageant Erin.
 
“Tu lui as demandé son nom ? C’était… dangereux. La plupart des Ouvriers deviennent des Aberrations lorsque cela se produit.”
 
“Oui, je sais. Mais il a réussi à faire… quelque chose. Grâce aux échecs, à ce que j’ai compris.”
 
“Grâce à toi.”
 
“Pas seulement à moi.”
 
Erin secoua la tête, mais Klbkch insista.
 
“Tu as le don nécessaire. C’est cela que je cherche.”
 
“Oui… peut-être. Probablement non. Mais dans tous les cas, tu n’obtiendras pas ce que tu veux en forçant les Ouvriers à faire quoi que ce soit. Leur donner des ordres ne les fera pas devenir des individus, il faut que cela vienne d’eux, tu vois ?”
 
Klbkch resta silencieux pendant tellement longtemps qu’Erin s’inquiéta, mais il finit par acquiescer.
 
“Je… crois que oui. C’est étrange. Je crois… oui, je crois que je comprends. Il est étrange qu’un Antinium comprenne ce genre de choses. Et cela soulève un problème qu’il me faut considérer. Mais oui, je comprends.”
 
Il hocha alors la tête et ordonna aux Ouvriers de cesser de jouer. Il était tellement autoritaire avec eux mais il avait alors dit à Erin qu’ils réessaieraient plus tard, et cela aurait été très bien. Très bien si ce n’était pour ce qu’il s’était passé ensuite.
 
“Arrête. Ça.”
 
Erin s’était dressée devant Relc en essayant de ne pas trembler. Était-ce ce que Ryoka avait ressenti ? Dressé comme il l’était de toute sa taille devant elle, elle n’avait réalisé qu’à cet instant à quel point il était grand. À quel point il semblait fort. À que point…
 
Elle avait vu Toren se déplacer derrière le Drakéide, bien qu’il soit désarmé, et elle avait secoué légèrement la tête en se décalant pour protéger Loks. Personne ne pouvait arrêter Relc par la force, elle en était certaine. Mais elle pouvait peut-être le convaincre de se calmer. Elle le devait.
 
Il l’avait dévisagée d’un air blessé et plein de rage, puis une Fée de Givre s’était envolée pour se poser sur sa tête. Il était parti en courant de l’auberge en vociférant, et Erin s’était affaissée contre une table.
 
“Je vais m’excuser pour mon partenaire, Erin Solstice, et envers toi, Loks. Je pense qu’il tient à moi, et à toi. Mais il s’est battu pendant les Guerres Gobelines et il pense que les Gobelins sont les ennemis. Je vais lui parler, mais ce serait sans doute mieux pour tout le monde si la Gobeline ne revenait pas ici pendant un petit moment.”
 
Elle avait hoché la tête, et la fée, satisfaite, était rentrée à l’intérieur avec un petit air supérieur.




 
“Voilà ! C’est la bénédiction en échange de ta maigre offrande, Humaine ! Ce balourd impulsif ne te dérangera plus aujourd’hui !”
 

 
Puis elle était partie, et Loks aussi, blessée et fière, et Ceria était allée se coucher et les fées s’étaient envolées et Klbkch, Pion et les Ouvriers étaient partis et Erin était restée toute seule.
 
Sauf que Toren était revenu.
 
Erin s’assit à une table, dans son auberge, fatiguée, frigorifiée. Mais plus seule.
 
“C’était censé être une tellement belle journée, tu vois ce que je veux dire ?”
 
Il la dévisagea. Ce bon vieux Toren. Où était-il passé ? Mais il ne pouvait pas lui répondre. Il était juste… juste…
 
Qu’était-il ? Erin le contempla. Il était plus qu’un objet, mais il était si lent. Est-ce qu’il pouvait penser ? C’était un serviteur mort-vivant, d’après Pisces.
 
“Il s’est passé beaucoup de choses, tu sais. Beaucoup de bonnes. Et quelques mauvaises.”
 
Elle se sentait fatiguée. Hier avait été une journée si merveilleuse que les mots lui manquaient pour la décrire. Et les jours d’avant avaient été tout aussi merveilleux. Elle avait rebâti son auberge, et tourné un échec en succès.
 
“Mais j’imagine que je ne peux pas faire ça tous les jours.”
 
Erin baissa la tête. Ryoka était partie, et Erin ne savait pas quand elle reviendrait. Les fées allaient et venaient dans son auberge comme elles le voulaient, Ceria pouvait bouger sa main, Toren était de retour, les Antiniums avaient un problème bizarre, Relc se comportait comme un connard même s’il avait peut-être ses raisons, et Loks était blessée et absente et sa tribu se ferait peut-être tuer si elle revenait.
 
Un peu de bon. Beaucoup de mauvais. Mais Toren était revenu. Sur l’ensemble, Erin considérait que c’était match nul avec le karma de l’univers.
 
Si rien d’autre ne se produisait aujourd’hui, elle se considérerait chanceuse. Erin posa sa tête sur la table et s’endorm…
 
***

C’était une [Princesse], et elle mourait de faim. Cela faisait trop longtemps que le froid de l’hiver la transperçait jusqu’à l’os, et la méfiance des commerçants, les suspicions des gardes rendaient le vol de plus en plus difficile. Et sa magie commençait à s’épuiser.
 
Il ne lui restait plus que quelques recharges d’[Invisibilité], mais la faim la poussa à en utiliser une. Il faisait nuit noire, et il n’y avait personne dans les environs, de toute façon.
 
Les étals étaient verrouillés, mais elle avait des sorts pour s’occuper de n’importe quelle serrure, qu’elle soit magique ou non. Et de plus, la richesse était son droit de naissance ; elle méritait tout ce qu’elle prenait aux hybrides crasseux et aux serpents dégoûtants qui vivaient ici.
 
Mais il semblait que cette nuit, un idiot avait oublier de verrouiller son échoppe. D’épaisses couvertures étaient posées dans un coin, à côté de rangées de nourriture séchée et, plus tentant encore, d’un jambon frais posé sur un tabouret. La [Princesse] se mit à saliver tandis qu’elle volait des vivres à côté.
 
“Te voilà enfin.”
 
La voix surgit des ombres et la [Princesse] fit volte-face, prise de panique. Un énorme [Gnoll] - une gigantesque créature de fourrure sombre et de muscle se leva et sortit sous la lumière lunaire. Elle avait une voix profonde de femme, mais la [Princesse] ne vit que ses crocs et ses dents lorsqu’elle parla.
 
“Hrr. Nous t’avons laissée en liberté trop longtemps. Entre Scruta et les morts-vivants, nous n’avons pas eu le temps. Mais à présent, je peux te sentir, car tu n’as plus de sorts pour camoufler ton odeur, oui ?”
 
Elle pointa dans la direction générale de la fille en la cherchant des yeux dans la rue déserte.
 
“L’invisibilité n’est pas suffisante pour tromper ceux de ma race. Et nous avons les moyens de t’attraper. Ne cherche pas à t’enfuir… !”
 
Trop tard. La fille se mit à courir, mais à peine le bruit de sa course fut-elle audible que la Gnolle lui fondit dessus. Elle hurla, mais cela ne fit que faciliter la tâche de la commerçante qui l’attrapa d’une énorme patte.
 
“Je t’ai eue. À présent, voyons à quoi tu ressembles, oui ? Puis tu devras répondre de tes crimes devant la Garde, pour les dégâts que tu as causés et tous tes méfaits, oui ? Ne te débats pas. Je ne te ferai pas de mal.”
 
Le sort d’invisibilité, déjà faible car tirant sur les résidus magiques de la cape de la jeune fille, et fragilisé par le contact, se rompit. La [Princesse] en loques apparut soudain, et la Gnolle lui sourit.
 
“Te voilà enfin.”
 
La [Princesse] ne vit qu’une rangée de dents. Son esprit était embrumé par la peur, et elle leva donc un doigt.
 
Elle avait des anneaux sur chaque doigt, mais, trop sollicitée, la magie qu’ils contenaient s’était depuis longtemps épuisée au cours de son voyage. Un seul miroitait toutefois d’une lumière violette. La Gnolle le vit briller lorsque la [Princesse] en invoqua la magie. Elle s’emporta.
 
“Ne fais pas…”
 
Là encore, trop tard. Trop tard, et trop lent. La fille leva l’anneau en l’air et cria un mot.
 
Ignis !
 
La boule de feu qui surgit de l’anneau faisait presque deux fois la taille de sa tête, mais lorsqu’elle frappa l’échoppe derrière la Gnolle et la jeune fille, elle explosa dans un mur de flammes qui soulevèrent la jeune fille et engloutirent à la Gnolle.
 
Pendant quelques minutes, la jeune fille fut incapable de bouger. Elle n’entendait que le rugissement des flammes, et les cris paniqués des habitants voisins qui sortaient leurs têtes par la fenêtre et apercevaient le feu. Lentement, endolorie, la [Princesse] se releva. Elle regarda fixement l’échoppe en flammes, pleine de précieuses marchandises et d’une vie de labeur. Le spectacle ardent commença à s’effondrer, et des braises s’envolèrent et se mirent à enflammer la rue.
 
Quelque chose la saisit par-derrière. La fille hurla et fit volte-face en levant son anneau devant elle, mais une main gigantesque s’abattit, capturant sa main d’une poigne qui promettait de lui briser les os si elle bougeait.
 
La [Princesse] contempla, bouche-bée, le visage grondant qui lui montrait les dents et la fourrure brûlée. Elle hurla, hurla, mais il était trop tard. Deux paires de crocs s’écartèrent devant ses yeux, et des griffes plongèrent dans sa chair.






 
Note d'EllieVia : Je suis désolée de vous annoncer qu'il n'y aura pas de chapitre samedi. Nous vous retrouverons avec plaisir mercredi pour le prochain chapitre ! D'ici-là, portez-vous bien et bonne lecture :)

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 29 octobre 2020 à 21:36:49
Note d'EllieVia : Je n'ai pas eu le temps de traduire le chapitre de samedi dernier, je reviens vers vous dès que possible (donc si possible demain...) ! En attendant, prenez soin de vous en cette période pas facile, courage à tous, je vais essayer de continuer de poster régulièrement !
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 30 octobre 2020 à 17:21:13
2.21 - Première Partie
 Traduit par EllieVia



Assise au sommet d’une colline herbeuse, elle cueillit lentement un pissenlit duveteux. Les graines se dispersèrent dans le vent lorsqu’elle le leva à son visage pour souffler le reste des aigrettes dans les airs.

La brise s’empara des graines qui s’éparpillèrent dans le paysage verdoyant. En dessous d’Erin, de petites touffes blanches de pissenlits se détachaient sur la prairie.

Une prairie étrange. Erin s’agita, et réalisa que ce n’était pas de l’herbe douce et sympathique des pelouses de banlieue. L’herbe d’ici était courte et rude, une herbe à crabes. Par endroits, elle poussait plus haut, assez pour atteindre ses genoux. De petits cailloux parsemaient sa colline et représentaient un véritable danger pour ses pieds nus.

C’était la nature. Elle n’était pas là pour être admirée, comme en attestaient ses épines. Erin regarda la forêt qui s’étalait en contrebas de sa colline.

Certains arbres étaient noueux. D’autres étaient hauts. Tellement hauts que leurs cimes étaient au même niveau que sa colline. De sombres ombres bougeaient dans la forêt, et Erin crut apercevoir des sabots.

Soudain, la forêt se mit à grandir. Erin recula en voyant les arbres se mettre soudain à pousser, jusqu’à largement dépasser le sommet de sa petite colline. Ils la dominèrent de toute leur taille, et la forêt continua de croître, de s’étaler jusqu’à recouvrir l’herbe et Erin.

Erin se redressa, et se retrouva assise dans une clairière de la forêt sombre. La canopée était tellement haute au-dessus de sa tête que lorsqu’elle leva les yeux, elle ne vit rien d’autre que des taches lumineuses qui filtraient à travers les frondaisons à des milliers de pieds au-dessus d’elle. Elle se sentait perdue, minuscule, et seule sur son petit mont herbeux.

Elle se leva et se mit à marcher. Elle devait trouver quelque chose. C’était la raison pour laquelle elle était ici. Pourquoi aller quelque part si ce n’est pour trouver quelque chose ? Ou être trouvée.

Est-ce qu’elle était perdue ? Non… Erin vit un panneau. Il était posé au pied d’un très vieil arbre tordu. Seules quelques feuilles sombres pendaient à ses branches, et le tronc lui-même paraissait ployer sous le poids des années. Mais il se dressait toujours, et à son pied, des mots lumineux avaient été gravés dans une zone dénuée d’écorce.

Un panneau, et un cercueil de pierre reposant sous l’arbre. Comment avait-elle pu ne pas le remarquer ? Elle baissa les yeux ? C’était du granite au grain grossier, et sans fioritures. Mais il s’en dégageait une aura d’exception. Tout comme le panneau. Erin le lut, et un frisson la parcourut.

“Voici Albion. Ci-gît le Roi des Chevaliers. Plongé dans le sommeil, jusqu’au jour où le monde aura besoin de lui.”

Erin regarda autour d’elle. Le cercueil de pierre avait presque été englouti par l’arbre sous lequel il reposait. Des racines recouvraient l’avant du cercueil, mais elle pensait pouvoir encore déplacer le couvercle. Est-ce qu’elle devait le faire ? Si…

La fille hésita, puis posa la main sur le couvercle. Elle commença à le soulever, mais alors une voix, une véritable voix, lui parla à l’oreille.

“Ceci n’appartient qu’aux songes. Ce que tu cherches n’est pas seulement dans ta tête, mortelle.”

Erin se retourna. Une dame de haute taille vêtue d’une robe argentée était debout derrière elle. Elle regardait Erin d’un visage dénué d’expression, seul, peut-être, un frisson d’impatience colorait-il ses traits.

“Quoi donc ?”

La dame désigna le cercueil d’un geste. Il était… difficile pour Erin de la comprendre. Elle n’était ni belle ni laide ; ni frappante d’aucune façon, ni grande ni petite ni rien du tout. Pour tout dire, plus Erin la regardait, plus elle se sentait confuse, et elle finit par s’adresser à l’air dans le dos de la femme.

“Ceci n’appartient qu’aux songes. Le véritable Roi est encore assis sur le champ de bataille, et se meurt sous l’assaut des blessures qu’elle a reçues. Le Roi a levé l’ancre. Le Roi marche parmi vous. Il a ressuscité… il n’a jamais été. Seuls tes rêves peuvent trouver la vérité.”

Erin comprit encore moins. Mais celle qu’elle était dans ce monde onirique sut exactement quoi dire.

“Donc il n’est qu’une histoire ?”

“Une histoire faite chair. Dans ce monde, et d’autres. Combien de fois vous autres mortels la raconteront ? Ah, mais elles en valent toutes la peine à leur façon. Mais il n’est pas ici pour que tu le réveilles. Pas dans tes rêves, en tout cas.”

Erin baissa les yeux sur le cercueil. Elle voulait dire quelque chose de profond, mais les mots lui échappèrent.

“Peut-être que nous avons besoin de lui. Maintenant, je veux dire. Plus que jamais.”

“Les mortels pensent toujours que c’est le cas. Il viendra peut-être. Mais ce serait un miracle, et tu ne fais que rêver. S’il vient, ce sera dans le monde éveillé, pas maintenant.”

“Oh.”

Erin s’assit sur le cercueil. Elle se sentit coupable, mais ce n’était qu’une construction onirique. La dame parut approuver, et s’assit à ses côtés.

“Une mortelle étrange, tu es. Étrange, car tu écoutes suffisamment profondément pour entendre notre voix. Encore plus étrange, pour pénétrer en ce lieu, même si ce n’est ici qu’un petit fragment d’un songe.”

“Je ne peux m’en empêcher. Je crois qu’il s’agit d’une Compétence.”

La dame grogna d’un air amusé et très loin de son apparence distinguée.

“Si le jeu des Dieux suffisait à nous rencontrer ainsi, nous serions morts depuis longtemps. Non. Même s’il s’agit de quelque chose que tu leur as pris, tout est venu de toi.”

Elle donna un coup de coude à Erin qui lui fit mal même dans le rêve. Erin fronça les sourcils et frotta ses côtes.

“Pourquoi es-tu si méchante ?”

“Pourquoi es-tu si ennuyeuse ?”

Il n’y avait rien à faire. Erin décida de cesser de parler, ce qui convint à sa compagne. Pendant un moment, elles restèrent assises ensemble tandis que la forêt autour d’elles continuait de croître et de s’assombrir.

“Il est plus que temps de partir.”, déclara enfin la femme, et Erin acquiesça d’un air absent.

Elle avait l’impression… d’être en train de se fondre dans le rêve. De devenir partie du tout et de rien. Elle reçut un autre coup de coude, et ne se retourna même pas, cette fois-ci.

“Tout de suite, humaine.”

“Okay.”

Erin commença docilement à se réveiller. Le monde commença à se dissoudre autour d’elle.

“Pst. Humaine.”

Ma femme se pencha vers Erin, et elle grogna. La femme était soudain parfaitement focalisée sur elle, et elle parla à l’oreille d’Erin.

“Est-ce que tu me donnerais quelque chose pour rien ? Un cadeau ?”

“Mm ? Bien sûr.”

“Je voudrais tout le sucre de ta cuisine. Puis-je l’avoir ?”

“D’accord.”

La femme sourit, et disparut. Erin regarda autour d’elle. Tout était en train de s’évanouir autour d’elle, et elle se sentit partir. Mais cela était tellement décevant pour elle. Elle n’allait peut-être jamais pouvoir revenir.

Frappée d’une pulsion soudaine, Erin tendit la main et décala le couvercle du cercueil. L’intérieur était vide ; une cavité sombre. Mais lorsqu’elle plongea sa main à l’intérieur, elle sentit quelque chose, loin dessous.

Erin attrapa la poignée d’une épée dans la roche, et tira. Elle se descella, et elle la brandit. Ce n’était qu’un rêve, mais elle brillait d’une lumière qui ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait déjà connu.

Erin la contempla, et sentit quelque chose lui tirer l’oreille…




***



”Lâche-la !”

Erin ouvrit les yeux en sentant quelqu’un lui tirer l’oreille, fort. Elle glapit, et relâcha l’épée, puis se redressa.

Dans la pénombre de sa cuisine, quelque chose étincela brièvement d’une lumière dorée. Erin cilla, et l’éclat disparut. La fille leva les yeux sur le visage d’une Fée de Givre en train de froncer les sourcils.

”Es-tu une voleuse en plus d’être idiote ? Tu n’es pas roi, mais tu le deviendrais, et tu serais doublement maudite de t’emparer de ce qui ne t’appartient pas !”

Erin cligna des yeux devant le minuscule visage, la tête remplie de nuages et de songes et de stupidité.

“Quoi ?”

La fée émit un bruit exaspéré et s’envola. Erin la regarda se poser sur son plan de travail, et réalisa qu’elle était en train de prendre quelque chose. La minuscule fée était en train d’enfourner quelque chose… dans sa bouche ? Elle avait l’air d’être assise au pied d‘une énorme dune.

Puis Erin réalisa que la “dune” était blanche, rendue argentée par la lumière de la lune, et qu’il s’agissait en réalité de son sucre. De tout son sucre.

Hey !

Erin bondit sur ses pieds. La fée lui jeta un regard et voleta plus loin en voyant Erin se précipiter vers son sucre. Qu’est-ce que… ? La fée avait d’une manière ou d’une autre réussi à sortir le sac de sucre du placard et à le verser sur le plan de travail. Elle avait déjà consommé plus de trois fois son poids en sucre et le reste était recouvert de petits cristaux de glace.

“Mon sucre !”

Erin regarda le désastre, frappée d’horreur. Puis elle se tourna vers la minuscule fée, qui voletait joyeusement à travers la pièce.

“Pourquoi as-tu fait ça ? C’est du vol ! Qui a dit que tu pouvais entrer et manger tout ce que tu voulais ?”

La fée dévisagea Erin comme si elle était stupide. Elle la pointa du doigt.

”C’est toi qui m’as dit que je pouvais l’avoir, stupide idiote !” 

Là-dessus, la fée se posa de nouveau sur le tas de sucre pour se remettre à s’empiffrer. Erin voulut lui donner une pichenette pour la chasser, mais la fée se retourna et lui feula dessus. Erin recula précipitamment.

Elle n’avait jamais rien dit de tel, Erin en était certaine. Seulement…

Elle se souvenait de son rêve. Il commençait déjà à s’estomper, mais des lambeaux s’accrochaient dans sa mémoire. Elle avait… non, cela avait été quelqu’un d’autre. N’est-ce pas ?

Erin hésita, et cela suffit à la fée pour continuer de manger. Elle secoua les pieds pour épousseter le sucre qui s’y était collé, et s’envola dans les airs en faisant tomber les particules comme des moutons de poussière.

”J’ai terminé. C’était un goûter savoureux.” 

Elle sourit à Erin en dévoilant ses dents acérées, et s’envola hors de la cuisine. Erin la regarda partir. Elle avait vraiment très, très envie de posséder une tapette à mouches.

Elle avait des fées. C’était comme avoir des punaises de lit, des poux ou des… crabes. Non pas qu’Erin ait jamais eu ce genre de choses chez elle, mais elle pensait qu’elle aurait peut-être préféré avoir une infestation d’insectes. Au moins, on pouvait les tuer.

Le problème - la raison pour laquelle Ryoka et Erin n’essayaient pas de leur faire peur ou de les chasser était que… c’était très simple, vraiment, mais un peu embarrassant. La raison était qu’elles étaient toutes les deux mortes de peur devant les fées, ou du moins c’était le cas d’Erin.

Elles étaient… effrayantes. Vraiment effrayantes. Tout comme Ryoka l’avait compris, Erin savait que les fées pourraient sans doute être en mesure de la tuer. Enfin, pas “sans doute”. Elles pouvaient probablement la tuer relativement facilement. Très facilement, en fait. Une seule grosse avalanche et son auberge et tout ce qu’elle contenait était fichue.

Si les cafards pouvaient causer des tremblements de terre, il y en aurait beaucoup plus qui traîneraient de partout, et qu’importe à quel point ils étaient affreux.

Les habitants de ce monde traitaient peut-être les fées comme de la vermine, mais Erin se souvenait encore d’avoir été enterrée sous une avalanche de neige et de glace. Elle avait cru qu’elle allait mourir plus d’une fois avant que Toren ne parvienne à creuser suffisamment pour l’en sortir et que Pisces ne fasse fondre une partie de la neige. Après coup, il n’avait rien dit, mais avait quitté l’auberge. Et il était resté loin des fées depuis lors, sans même s’approcher de l’auberge quand elles étaient dans le coin.

Mais tout de même. Erin contempla le sucre éparpillé et la glace déjà en train de fondre et fusilla la fée du regard. Il y avait des limites, même si Erin avait donné en quelque sorte sa… permission.

“Comment as-tu réussi à manger tout ça, d’abord ? Ton estomac aurait dû exploser. Est-ce que tu es creuse, ou un truc du genre ?”

Cette fois-ci, la fée se contenta de renifler. Elle pointa ses ailes en l’air, soulevant un nuage de poussière sucrée et parla dans le vide.




”Je ne goûte guère tes questions, mortelle. Va les poser à un caillou si tu as tant de choses inutiles dont tu as besoin de parler.” 

Encore. Erin grinça des dents. Il semblait qu’à chaque fois qu’elle posait une question un peu personnelle à une fée, elle s’offensait et partait. Pourquoi ? Elles lui posaient tout le temps des questions, à elle. Ce n’était pas juste.

Mais elle avait déjà connu ça, et elle en savait plus à présent. Les fées étaient insupportables, mais elles respectaient quelques règles. Erin changea de tactique. Elle interpella la fée qui voletait d’un air outré.

“Tu sais, c’est malpoli de ne pas discuter avec son hôte.”

La petite créature s’arrêta, puis se retourna vers la porte. Elle fronçait les sourcils, mais elle s’était retournée.

”C’est l’impolitesse que nous souhaitons offrir à ceux de ton espèce, humaine. Mais je te parlerai comme tu insistes. Nous sommes invitées et agiront par conséquent selon notre devoir. ” 

C’était une bonne chose ! Pas le détail sur l’impolitesse, mais Erin était enfin, enfin parvenue à avoir une réponse de l’une d’entre elles sans se faire geler des parties vitales ! Elle avait envie de faire une petite danse.

Mais elle dût soudain s’inquiéter de ce qu’elle allait pouvoir dire. La fée se remit à flotter devant Erin, clairement dans l’expectative, et elle réalisa qu’elle n’allait probablement pouvoir lui poser qu’une question. Vite, que dirait Ryoka ?

“Pourquoi nous détestez-vous autant ? Les humains, je veux dire. Ou peut-être n’aimez-vous aucun mortel ? ”

La fée parut surprise un très bref instant, puis elle leva les yeux au ciel.

”Détester ? Nous vous détestons autant que nous détestons le passage des jours ou le lichen des arbres, humaine. Vous n’êtes rien d’autre que de la vermine ! Mais nous n’obéissons pas à vos ordres et vous finirez par le savoir !” 

“Nous ne vous donnons pas d’ordres. Je veux dire…”

Erin hésita. D’accord, ils ne donnaient pas d’ordres aux fées, mais est-ce que lui dire qu’elles devaient lui parler ou les embêter comptait ? La fée le pensait clairement ; elle dévisageait Erin, un sourcil levé.

“D’accord, peut-être. Mais vous étiez vraiment méchantes avec Ceria, d’abord ! En quoi cela est-il juste alors que c’est mon invitée ?”

Là encore, la petite créature secoua la tête.

”Tu n’es pas très intelligente, n’est-ce pas ? Les fae n’obéissent à personne, mortelle ! Nous parlons et accordons nos faveurs selon notre bon plaisir, et nul ne peut nous commander !  Ni dieu, ni roi, ni seigneur ni maître. N’as-tu pas entendu ces paroles ? Les fae n’obéissent à personne, et nous ne nous inclinerons devant personne non plus ? Donc en quoi cela importe-t-il si nous bafouons votre honneur ? Nous faisons comme bon nous semble. Tant que l’enfant indigne n’était pas une invitée, nous pouvions faire ce qu’il nous plaisait. À présent, elle est ton invitée.” 

C’était un discours exaspérant et bourré de tellement de failles qu’Erin voulait relever. Mais les fées étaient un peu comme des enfants ; elles obéissaient à d’étranges règles qui leur étaient propres et elles s’y tenaient coûte que coûte.

“Mais à présent qu’elle est mon invitée, vous allez la laisser tranquille ?”

La fée parut insultée.

”Bien sûr. Elle a autant le droit d’hospitalité que nous ! Et nous obéirons tes règles stupides tant que nous demeurerons dans le domaine où s’applique ton pouvoir. Mais nous sommes des invitées, pas des esclaves. Tu ferais mieux de t’en souvenir.” 

“Certes, certes. Hum, je vous ai donné à manger. Et ceci est une auberge. Vous pouvez dormir où vous voulez si vous me payez… ?”

La fée ricana. Elle était plutôt douée, c’était un ricanement méprisant digne de Rogue, ce qui montrait à quel point la créature était expressive.

“Tu nous as offert de la piètre nourriture ! Du lait de vache vieux de plusieurs jours, et du sucre cueilli et moulu par des mains sales ! Et nous ne dormirons jamais dans ton auberge tant que des lits de neige fraîche nous attendront dehors ! Et si tu veux gagner notre faveur, il te faudra travailler plus dur.” 

Erin ne voulait pas de la faveur des Fées de Givre. Elle voulait qu’elles partent, et que Ryoka revienne. Mais ses oreilles tressaillirent néanmoins à ces paroles. Être aubergiste consistait principalement en vendre des trucs, après tout. Et elle avait [Cuisine Avancée]. À quel point cela pouvait-il être compliqué de nourrir une fée ?

“Eh bien, que voudriez-vous que je vous prépare ? Est-ce que les fées aiment… le lait ? Les choses sucrées, comme le sirop ?”

C’était ce qu’avait dit Ryoka, et Erin se souvenait vaguement avoir entendu des histoires à propos de fées qui mangeaient ce genre de choses. Mais la Fée de Givre parut simplement insultée.

 “Nous prends-tu pour des Farfadets, ou des Lutins, pour pouvoir être achetées par un peu de babeurre ou de sève ? Nous ne sommes pas des enfants imbéciles, nous sommes hautes placées parmi notre peuple. Nous apportons l’Hiver, notre tâche nous a été assignée par notre Roi lui-même !” 

Ça semblait important ? Erin fronça les sourcils.

“Mais qu’est-ce que vous voulez ?”

 “N’importe quoi, tant que c’est pur ! Rien qui n’ait été touché par la souillure, et ce qui est le plus proche de la nature. Surtout, rien qui ne vienne de ton monde plein de fumée et de pollution. Débrouille-toi !” 

C’était une réponse agaçante typique des fées. Erin réfléchit furieusement.

“Est-ce que j’aurai quelque chose en retour ?”

Encore un regard qui exprimait clairement à quel point elle était une mortelle stupide.

 “Bien sûr. N’as-tu pas déjà reçu une faveur ? Pour ton bol de lait et de sucre. Un bien piètre repas, mais nous avons remboursé cette dette en chassant le balourd écailleux.” 

C’était vrai ! Erin se demanda si les fées avaient une économie fondée sur les faveurs ou si elles avaient une véritable monnaie. Mais peut-être qu’elle pourrait les persuader de laisser Ryoka tranquille ?

“Est-ce que cela signifie que j’aurai une autre faveur pour mon sucre ?”

 “Le sucre était un présent, n’est-ce pas ?” 

La fée dévisagea Erin d’un air déterminé, et la jeune fille se mordit la langue. Les paroles. Ryoka lui avait dit de surveiller ses paroles lorsqu’elle était en présence des fées. Elle supposait que cela était un bon exemple de la raison pour laquelle il fallait faire attention.

“D’accord. Pas de faveur, alors. Mais si je vous prépare quelque chose de bon, j’aurai une faveur, n’est-ce pas ? Une grosse faveur ?”

 “Si cela en vaut la peine. Mais si tu nous nourris encore de déchets nous tresserons tes cheveux en boucles d’elfes et nous gèlerons tes portes pour les sceller !”” 

Point de vue menaces, ce n’était pas très haut sur l’échelle de ce qui effrayait Erin. Jusqu’à ce qu’elle se demande à quel point exactement ses cheveux seraient emmêlés, et combien de glace serait nécessaire pour sceller lesdites portes.

La fée s’interrompit. Elle parut réfléchir, puis fit la moue.

 “Je suppose que je te suis un peu redevable pour le sucre. Demande, alors, mortelle. Quel petit gage de ma faveur souhaiterais-tu que je t’accorde ?” 
On aurait dit un test. Et maintenant qu’Erin commençait à comprendre comment fonctionnaient les fées, elle réalisa qu’il était probablement important que sa demande ne soit pas excessive. La fée la regarda pendant qu’elle réfléchissait. Et Erin trouva ce qu’elle voulait.

C’était stupide. Bête. Elle aurait pu faire une centaine d’autres choix, dû faire une centaine d’autres choix. Mais Erin voulait vraiment, vraiment ceci.

Elle pointa un doigt hésitant sur la fée.

“Est-ce que je pourrais… te toucher ?”

La petite Fée de Givre cilla, surprise. La plus pure expression de surprise qu’Erin ait jamais vue se peignit sur son visage. Puis elle acquiesça lentement. Et sourit, légèrement malicieuse.

 “Si tel est ton désir. Viens, alors, touche-moi.” 

Lentement, la fée flotta jusqu’à Erin, et la fille put soudain sentir le froid qui se dégageait du petit corps. Il faisait toujours froid autour des fées, sans accorder la moindre importance aux lois de la thermodynamique (si elles s’appliquaient en ce monde), elles semblaient dégager du froid comme un feu dégageait de la chaleur.

Sauf qu’il faisait à présent suffisamment froid autour de la fée pour qu’Erin frissonne. Et lorsqu’elle leva une main hésitante vers la fée, elle sentit l’air la geler jusqu’à l’os. Et lorsqu’elle tendit la main…

“Ah !”

Cela faisait mal. On aurait dit le pire hiver du Michigan, lorsqu’il faisait -10° Fahrenheit, ou -20° Celsius. Le froid n’était pas juste un froid glacial dont la morsure empirait avec le temps, c’étaient des dagues qui transperçaient la main d’Erin et se retournaient dans les plaies.

Mais la fée attendait. Elle regardait Erin, dans l’expectative, un sourire jouant sur son visage. Erin hésita - la peau de ses mains était déjà blanche. Mais elle voulait savoir.

Alors lentement, elle avança sa main. Ses doigts se recouvrirent de givre, et un courant électrique parcourut son bras. Erin se mordit fort les lèvres pour contenir un cri de douleur. Mais elle continua d’avancer.

Elle avança doucement. Lentement, très lentement, comme si elle s’apprêtait à toucher un papillon ou un animal apeuré. Car malgré le danger qu’elle représentait, la fée restait une petite chose. Et elle était tellement belle. Tellement belle.

La douleur assombrit la vision d’Erin. Mais elle avança, doucement, ignorant le froid. Sa main était déjà engourdie. À quel point allait-elle avoir des séquelles… ?

Mais elle devait essayer. Parce que c’était une fée. Parce qu’elle le regretterait toujours si elle n’essayait pas.

Cette magie.

La fée la contemplait. Les extrémités des doigts d’Erin perdirent toute sensation, sa main n’était que douleur glacée. Mais sa chair finit par toucher le bras de la fée, et tout s’évanouit.

Le froid fondit en quelques secondes. Erin sentit de la fraîcheur sous son doigt et cessa de se mordre la lèvre. Elle regarda fixement la fée.

Sa peau était douce. Cela ne ressemblait ni à de la chair, ni à du verre ni à du cristal, mais à une espèce de combinaison fluide de ces derniers. Si on avait pu transformer la glace en peau, si on pouvait donner vie à l’air glacé et le capturer par magie, on obtiendrait cette sensation. Le toucher seul fit monter les larmes aux yeux d’Erin. C’était comme Ceria, mais bien plus fort. Elle sentait quelque chose qui n’était pas de ce monde, pas de son monde. Quelque chose…

Quelque chose d’immortel.

Et l’instant d’après, tout fut terminé. La fée recula, et Erin perdit son contact. Elle baissa la main et la serra contre elle, mais le givre et la terrible douleur engourdie avaient disparu. Elle contempla la fée.

“Je n’ai plus mal.”

 “Bien sûr que non. T’as fait que me toucher.” 

La fée haussa les épaules, mais Erin était certaine qu’elle aurait été censée s’arrêter lorsque le froid était devenu trop intense.

“Est-ce que j’étais censée abandonner et me plaindre du froid ?”

Cela ne coûtait rien de demander. La fée se contenta de sourire. La petite créature agita un doigt.

 “Tu as du cran, petite insensée. Le froid n’était peut-être qu’un test. Mais ne serait-ce que toucher les Faes est une récompense en soi. Tu as de la chance. ” 

Pour une fois, Erin était entièrement d’accord. Elle se souvenait du contact de la fée sous son doigt, cette légère sensation sur sa peau, et elle sut qu’elle s’en souviendrait à jamais. Une pièce d’un mystère plus grand. Et elle trouva enfin la bonne question à poser.

“Qu’êtes-vous ?”

 “Nous sommes ce que nous sommes.” 

Les mots lui parurent familiers. Mais la fée ne lui laissa pas le temps de l’examiner. La petite créature s’envola et se mit à tourner autour de la tête d’Erin.

 “Eh bien ! Brave Humaine que tu es, comptes-tu me garder encore longtemps ? Ou vas-tu me nourrir ? Si non, laisse-moi tranquille ! J’ai de la neige à apporter, et des nuages à pourchasser !” 

“Quoi ? Non, je… merci. Mais puis-je te poser une dernière question ?”

 “S’il le faut.” 

“La magie.”

Erin dévisagea la fée. Elle se souvenait de la sensation entre ses mains. Et elle aurait aimé de tout son cœur…

“Est-ce que tu penses… que je pourrais faire quelque chose de magique ? Je veux dire, Pisces m’a dit que je ne pouvais pas faire de magie et Ceria le pense aussi. J’ai un squelette, mais… est-ce que je pourrai un jour… ?”

Elle ne savait pas pourquoi, de toutes les créatures auxquelles elle aurait pu la poser, elle posait la question à une Fée de Givre. Mais elle était magique. C’était quand même autre chose et… oui, Erin commençait à se demander s’il ne s’agissait pas de la créature la plus sage qu’elle ait croisée dans ce monde. Une Yoda miniature ?

La fée se gratta la tête et haussa les épaules d’un air désintéressé. Erin se calma un peu sur son analogie avec Yoda. Mais la fée éclata alors de rire.

 “La magie ? Pourquoi poser la question alors que tu devrais déjà connaître la réponse ? Les fous qui se font appeler mages dans ce monde parlent de la magie comme s’il s’agissait de quelque chose que seuls quelques-uns possèdent. Mais tu l’as goûtée, si ce n’était pour toi, comment alors ton sac d’os parviendrait-il à se déplacer ?” 

Le cœur d’Erin se mit à battre plus vite. Elle tenta d’assourdir l’excitation qui battait dans sa poitrine.

“Mais ce n’est pas de la magie, si ? Il y en a juste un peu en moi, pas suffisamment pour jeter des sorts.”

 “Des sorts ? Peuh. Es-tu un vieil homme qui remonte le temps, pour t’inquiéter de ce genre de choses ? Qui a besoin de sorts ? La magie est-elle si mesquine qu’il lui faille scintiller lorsqu’on marmonne des mots ?” 

La fée éclata de rire, et le son de clochette mit du baume au cœur à Erin. Lentement, la fée voleta jusqu’à Erin, et pointa la porte du doigt. Elle ne jeta pas de sort, de fit pas un son, mais la porte s’ouvrit sous l’assaut du vent du dehors. La fée sourit à Erin.

 “La magie est.” 

Et elle s’envola par la porte et disparut. Erin contempla l’endroit où avait disparu la fée, et écouta les battements de son propre cœur.

Il battait fort dans sa poitrine.

***

C’est dans cet état qu’ils la retrouvèrent. Toren entra, Ceria descendit de l’étage et ils trouvèrent Erin assise à une table, en train de contempler ses doigts. La fille leva les yeux lorsqu’ils s’approchèrent, sourit et émit les sons appropriés, mais les deux hésitèrent tout de même.

Toren ne pouvait pas parler, donc il laissa ce travail à Ceria. Mais il examina l’auberge, en posant précautionneusement un sac d’argent sur la table. Il avait travaillé toute la nuit pour nettoyer le reste des détritus laissés par le concert en plein air d’Erin, et bien qu’il ait dû faire des piles de vêtements abandonnés, de déchets, et de bric-à-brac, il avait réussi à trouver plusieurs objets utiles.

Ceria avait mal dormi jusqu’à plus de minuit, en rêvant de fées et en s'inquiétant pour Ryoka. Mais elle ajouta Erin à sa liste en voyant la tête qu’elle faisait.

“Oh, désolée, Ceria. Le petit déjeuner sera bientôt prêt.”

Erin se leva et la demie-Elfe lui jeta un regard en coin. Ceria secoua la tête, non pas pour rejeter l’idée d’un petit déjeuner, mais pour rassurer Erin. Elle hésita.

“Est-ce que… tout va bien ? Tu as l’air étrange, aujourd’hui.”

“Quoi ? Non ? Non. Non, je vais bien.”

Elle n’avait pas l’air d’aller bien. Mais elle n’avait pas l’air d’aller mal non plus. Elle avait simplement l’air… différente. Pour la demie-Elfe et Toren, on aurait dit qu’Erin était à la fois ici et très loin, presque comme si elle était somnambule.

Erin avait la même sensation. Son cœur battait la chamade, mais son esprit flottait sur un océan de calme. Il y avait quelque chose en elle. Des mots, et de l’émerveillement, mais quelque chose d’autre aussi. Quelque chose… de magique.

Elle était à la fois elle-même et autre chose. Erin ne se souvenait que de quelques portions du rêve à présent, les souvenirs distants s’éloignaient à chacune de ses respirations. Mais cela avait fait quelque chose, ce rêve. Cela lui avait fait se souvenir.

Rien d’important. Rien qui ne change une vie. Juste… son enfance. Erin se souvenait d’avoir marché dans la neige, d’avoir sauté sur une grosse congère et d’y être restée coincée. Elle se souvenait d’avoir joué avec une chenille en la chatouillant avec un bâton, de s’être enfuie en poussant des cris de joie. Elle se souvenait…

D’avoir cru aux fées. D’avoir cru au Père Noël.  D’avoir cru en la magie et d’avoir attendu d’avoir onze ans en espérant recevoir un hibou.

Quand s’était-elle arrêtée ? Un peu après avoir appris à jouer aux échecs. La magie avait disparu et elle s’était immergée dans le jeu. Mais Erin se souvenait, à présent.

Et elle réfléchit donc. Et lorsqu’elle prit la parole, elle s’adressa à la fois à Ceria et à Toren.

“J’ai besoin que vous me rendiez un service.”

Ceria leva la tête et cessa d’enfourner du porridge dans sa bouche. La demie-Elfe mangeait vite et avec moins de bonnes manières qu’on aurait pu l’espérer, mais au moins elle mangeait beaucoup.

“QU’est-ce qu’il se passe ?”

“Je veux faire quelque chose pour les Fées de Givre. Quelque chose à manger.”

La demie-Elfe fronça les sourcils.

“Si c’est du poison, compte sur moi. Sinon, je préfèrerais que tu ne les attires pas ici. Invitée ou non, elles me détestent quand même.”

“Je sais. Je sais, mais… je…”

Elle avait eu un rêve. Un vrai rêve. Et pendant un instant elle avait eu entre les mains…

De la magie. La magie est.

Erin ouvrit les mains d’un air impuissant.

“Elles n’ont pas aimé le lait et le sucre. Enfin si, mais elles ont dit que ce n’était pas bon. Mais si j’arrive à faire quelque chose qu’elles adorent, elles nous laisseront peut-être tranquilles ou… ou peut-être qu’elles nous offriront quelque chose. Je veux essayer. Est-ce que vous m’aiderez ?”

Ceria soupira et se frotta le visage. Elle regarda son bol, et se remit à manger la nourriture chaude deux fois plus vite, en parlant entre chaque bouchée.

“D’accord. Je te dois beaucoup, de toute façon. Mais si tu les sers, je pars ce soir. Je dormirai chez Selys, ou dans une auberge s’il le faut.”

Erin hocha la tête d’un air absent. De la magie. Est-ce qu’elle pouvait y arriver ?

“Merci, Ceria.”

La demie-Elfe hésita, et échangea un regard avec Toren.

“D’accord, de la nourriture pour fées. Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?”

“Des fleurs.”

Ceria cligna des yeux.

“Des fleurs ?”

“Des fleurs. Il m’en faut plein. Autant que tu pourras en trouver, d’accord ? Des grosses, des petites… si tu en trouves qui soient, tu vois, assez grandes pour contenir quelque chose, ce serait super.”

Erin réfléchissait à toute allure en parlant. Elle essayait de retrouver le passé. Oui, était enfant elle avait fait des repas pour les fées. Et si elle allait le faire, ne fallait-il pas que… ?

Elle réalisa que quelque chose n’allait pas lorsque Ceria ne répondit pas tout de suite. Erin leva les yeux et vit qu’elle fronçait les sourcils.

“Erin, ce n’est pas parce que je suis une demie-Elfe que je sais tout le temps où trouver des fleurs.”

Erin cilla. Oh. Oups.

“Désolée. C’était raciste ? Spéciste ?”

“Ce n’est rien. Je veux dire, on nous le fait souvent. Mais la plupart des demis-Elfes n’aiment même pas tant la nature que ça. On reprend la culture dans laquelle on a été élevés, donc…”

Ceria agita une main avec nervosité. Erin hocha la tête, déçue.

“Donc tu ne sais pas où trouver des fleurs ?”

Ceria hésita.

“... Eh bien, je suppose que je peux en trouver quelques-unes. Chance. Oui, bien sûr que je vais aller voir. Mais souviens-toi juste que…”

“Les Elfes n’aiment pas les fleurs. Compris. Désolée.”

Ceria ouvrit la bouche, jeta un regarda à Erin, et secoua la tête. La fille se tourna ensuite vers Toren, qui se redressa. Ses étranges nouveaux yeux violets brûlaient forts dans son crâne. Il paraissait impatient d’accepter ses premiers nouveaux ordres.

“Toren, je veux que tu ailles chercher des champignons. Dans des grottes, dans la forêt… ne t’aventures juste pas vers la ville ou n’importe où qui soit trop dangereux, d’accord ? Mais il va me falloir plein de champignons d’ici ce soir.”

Le squelette acquiesça immédiatement et se tourna vers la porte. Erin le regarda sortir. Connaissait-il la différence entre les champignons vénéneux et les comestibles ? Probablement pas. Mais si elle avait vu juste, cela n’aurait sans doute aucune importance.

Pense aux fées. Ne les vois pas comme des gens, mais comme des histoires.

La magie.

“Je vais en ville. Il faut que j’achète des choses.”

Erin chercha sa bourse et hésita. Elle prit quelques poignées de pièces d’or que Krshia l’avait aidée à échanger et les ajouta à la bourse.

“Beaucoup de choses.”

Ceria la suivit dehors un petit moment, puis s’éloigna. Erin marcha dans la neige, en remarquant à peine le fait qu’elle avait oublié de s’habiller suffisamment.

Elle l’avait tenue dans ses mains, pendant un bref instant.

Elle en était certaine.

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 31 octobre 2020 à 12:06:55
2.21 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia




***


Une gigantesque foule de Gnolls et de Drakéides était rassemblée devant la caserne de la Garde lorsqu’Erin passa devant en se rendant dans la Rue du Marché. Elle s’arrêta suffisamment longtemps pour comprendre que quelque chose n’allait vraiment pas.

Tous les Gnolls étaient en train de gronder, ou de regarder fixement la caserne en serrant les poings ou en tendant les griffes. Leur poil était dressé et ils restaient très immobile.

Debout devant l’entrée se tenait la Capitaine de la Garde Zevara, et Relc et Klbkch se tenaient à ses côtés. Les deux gros bras. Oui, quelque chose n’allait pas.

Erin écouta les cris en passant devant. Les Gnolls voulaient entrer, et la Garde les en empêchait.

“Rentrez chez vous ! Dispersez-vous ! Nous gardons l’Humaine jusqu’à ce que le procès puisse avoir lieu. demain ! Personne ne sort, personne n’entre, compris ?”

Zevara hurlait par-dessus les hurlements et les voix qui s’élevaient dans la foule. Les Gnolls n’étaient pas les seuls à être en colère, bien sûr, plusieurs Drakéides semblaient vouloir voir le sang couler, mais ils n’étaient clairement qu’une minorité à être pourvus d’écailles dans la foule.

Que s’était-il passé ? Mais elle devait suivre la vision dans sa tête avant qu’il ne soit trop tard. Erin reprit sa marche, et remarqua que Klbkch tournait lentement la tête pour la suivre des yeux avant de se concentrer de nouveau sur la foule.

Continue d’avancer. Continue de marcher. Elle avait une vision.

Mais Erin s’arrêta en arrivant à la Rue du Marché. À cause du feu.

Il avait de nouveau dévoré toute la rue, sauf que cette fois-ci, des gens à proximité avaient réussi à contenir le brasier. Les flammes n’avaient, de toute évidence, détruit qu’un seul endroit. Une échoppe. L’échoppe d’une Gnolle, pour être plus précise.

Krshia était assise par terre devant sa devanture brûlée, et contemplait les ruines et la cendre. Il ne restait rien de ses marchandises, ni l’étal de bois, ni les provisions soigneusement organisées… rien.

Tout avait disparu. Évanoui. Et, d’une manière ou d’une autre, Erin sut que les assurances n’avaient pas encore été inventés dans ce monde.

La rue était très calme. Les Gnolls et les Drakéides s’étaient rassemblés autour de Krshia en lui ménageant un espace, regardant le désastre en silence. Erin ne savait pas quoi faire. Mais elle s’approcha quand même. La foule la dévisagea sans guère de chaleur, mais la laissa passer.

“Krshia.”

La Gnolle leva à peine les yeux lorsqu’Erin s’approcha d’elle. Elle était assise sans bouger et contemplait son étal.

“Erin Solstice. C’est un jour bien sombre, non ?”

“Oui.”

Que dire de plus ? Erin hésita, puis s’assit. Elle contempla l’échoppe en ruines et une partie de son cœur se brisa. Mais une autre partie d’elle vit de l’herbe pousser sur le désastre, un arbre se frayer un passage à travers les pavés brisés et s’élancer vers le ciel.

Si elle pouvait faire de la magie, alors peut-être…

“Que s’est-il passé ?”

Krshia lui expliqua d’une voix douce. C’était la voleuse. Une jeune humaine à qui Krshia avait tendu un piège avec le reste des commerçant. Cela avait fonctionné, mais la fille avait un anneau qui avait jeté un sort qui avait détruit son échoppe.

Elle était vivante. La fille. Écorchée, blessée, mais vivante. Krshia l’avait confiée avec réticence à la Garde pour qu’elle ait un procès. C’était la loi. Mais la loi n’allait pas réparer l’échoppe de Krshia, ni son gagne-pain.

Erin ne savait pas quoi dire. C’était ainsi que marchait le monde. C’était ce que lui disait son cerveau. Des mauvais jours, la mort, la violence. Il n’y avait que cela aux infos. Des mauvais jours, pour tout le monde, partout, sans relâche.

Mais il ne devrait pas en être ainsi. Erin regarda le bout de ses doigts. Elle pouvait encore la sentir.

“Si je peux t’aider…”

“Pas maintenant. Peut-être que je parlerai. Mais là…”

Krshia soupira, et l’énergie sans limite qui ne paraissait jamais la quitter s’évanouit d’un coup. Ses oreilles et sa queue s’affaissèrent. Erin tendit la main pour lui tapoter l’épaule, et quelqu’un cria.

“C’est leur faute ! Ce sont les Humains qui sont la cause de tout ça !”

La foule et Erin se retournèrent. Un Drakéide était dressé à quelques pas de là, et pointait Erin d’un doigt furieux. Elle le reconnut.

Lism.

“Vous voyez ? Tout est de la faute des Humains ! Deux fois à présent, ils ont détruit des portions de notre ville ! D’abord, ils ont relâché les morts-vivants et à présent, le gagne-pain d’une honnête commerçante a été détruit !”

Sa voix était stridente et il montrait du doigt l’échoppe carbonisée et Erin. Krshia s’agita et le regarda, et Erin se leva lentement.

Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Mais la misère se succédait à la misère. Lism reprit la parole, s’adressant d’une voix forte à son audience qui était bien plus réceptive qu’Erin ne l’aurait voulu.

“Des aventuriers ne cessent de venir dans notre ville, nous sommes floués par les marchands, et les humains volent nos citoyens les plus respectés ! Quand cela va-t-il finir ?”

“Lism. Ferme-la.”

Krshia avait parlé d’une voix égale, mais la tension sous-jacente fit hésiter le Drakéide. Les Gnolls qui entouraient Krshia restaient silencieux, mais ils étaient de son côté.

Mais ceux un peu plus loin dans la foule et la plupart des Drakéides… Erin regarda autour d’elle et se leva.

“Erin.”

Quelqu’un lui chuchotait dans l’oreille. Selys. Les écailles de la Drakéide étaient légèrement pâles, et elle regardait autour d’elle d’un air inquiet. Krshia tourna légèrement la tête vers Erin.

“Tu es venue faire des achats, oui ? Va. Nous parlerons. Nous devons parler. Mais ce n’est pas le moment.”

“Si tu es sûre…”

“Va.”

La Gnolle regarda Selys. La jeune Drakéide avait les larmes aux yeux en regardant les ruines de l’échoppe de Krshia.

“Selys. Tu vas aller avec Erin, oui ? L’aider.”

“D’accord. Erin…”

Erin se leva sans un mot. Elle traversa la foule silencieuse en ignorant les regards. Lism s’était éloigné, mais il était encore en train de crier et de se disputer. Il lui cria quelque chose lorsqu’elle passa devant lui.

Selys essaya de faire presser le pas à Erin en rabrouant Lism, mais la fille s’arrêta. Ses oreilles tintaient légèrement. Elle s’arrêta devant Lism. Le Drakéide parut inquiet, mais il regarda la foule autour de lui et parut reprendre des forces à la vue des badauds.

“Alors ? Tu vas m’attaquer aussi, Humaine ? Vas-y. Prouve à quel point ton espèce est une menace pour nous !”

Erin le dévisagea. Puis elle secoua la tête. Elle était consciente de tous les regards rivés sur elle et elle haussa donc la voix pour s’adresser à Lism.

“Tu n’es pas gentil. Olesm est gentil, mais pas toi. Si tout le monde était plus gentil, je pense qu’on s’entendrait bien. Mais je ne t’aime pas.”

Elle planta son regard dans le sien, puis s’éloigna. Selys se dépêcha de la rattraper. Quelques instants plus tard, elle l’entendit crier d’un air outré.

Erin n’en avait cure. Elle laissa la rue derrière elle et poursuivit sa marche. Parfois, la tristesse était trop intense pour tout assimiler d’un coup. Pourquoi les mauvaises choses arrivaient-elles ? Pourquoi les choses ne pouvaient-elles pas toutes être bonnes ?

La magie.

“Je ne… par mes écailles et ma queue, pourquoi a-t-il fallu que cela se passe ainsi ? Pauvre Krshia. Qu’est-ce qu’elle va faire après ça ? Il y avait presque toutes ses marchandises là-dedans, et son échoppe était bourrée de sorts de protection, bon sang ! Quel genre de sort peut déchirer des wards comme ça ?”

Selys parlait d’une voix rapide en marchant aux côtés d’Erin, bouleversée. Erin hocha la tête une fois ou deux, mais elle ne put s’empêcher de demander.

“Je dois y aller. J’ai… quelque chose de très important à faire. Une invitée. Il faut que j’achète des ingrédients.”

“Des invités ? Maintenant ? Erin…”

Selys hésita. Elle soupira.

“J’imagine que je peux aider, mais Krshia… écoute, c’est pour qui ?”

“Les fées.”

Selys la dévisagea, bouche bée, pendant deux longues minutes, en scrutant son visage d’un air pénétrant. Erin lui rendit son regard, le cœur tour à tour calme et frénétique.

“Les… tu es sûre ?”

“Oui.”

“Mais ce sont…”

Selys hésita. Elle regarda de nouveau Erin d’un air scrutateur, puis prit une grande inspiration.

“D’accord. Comme c’est toi, d’accord. Tu as l’air… tu m’expliqueras plus tard ? De quoi as-tu besoin ?”

Erin hocha la tête. Elle était reconnaissante.

“Du lait. De la crème pour faire du beurre et… du lait nouveau de vache.”

“Je peux trouver la crème, mais du lait nouveau de vache ? C’est censé être quoi ?”

“S’il y a un veau qui vient de naître et une vache… qui n’a encore jamais donné de lait ? Ce genre de chose ?”

Selys n’en avait aucune idée. Mais elle connaissait un Drakéide qui connaissait un Drakéide qui connaissait un Gnoll qui disait qu’il y avait un [Fermier] dans un village au nord de la ville qui avait une vache qui allait mettre bientôt bas. Deux fermiers, en fait. L’un avait déjà eu un veau une semaine plus tôt, le deuxième avait probablement encore une vache sur le point de mettre bas.

C’était suffisant pour Erin. Elle demanda encore l’aide de Selys pour l’aider à trouver des sacs de sucre. La Drakéide lui jeta un regard très étrange lorsqu’Erin acheta deux énormes sacs avec la plupart de l’or qu’elle avait apporté, mais elle se contenta de la dévisager puis de secouer la tête.

“Je demanderai au commerçant d’envoyer un Coursier de Rue à ton auberge. C’est suffisamment près et elle devrait le faire, vu ce que tu la paies.”

Erin remercia Selys, et s’éloigna. Elle réfléchissait toujours. Oui. Une demie-Elfe était pure, non ? Suffisamment pure. Et si on allait ramasser des trucs morts ou pourrissants, pourquoi pas demander à un squelette ? C’était d’une logique enfantine.

Pour le lait…

Erin dut demander son chemin, mais elle finit par quitter la ville par la porte septentrionale et par trouver le village. C’était un petit hameau au sommet d’une large colline - elle devait être large pour contenir les maisons et l’étable. Pour tout dire, on aurait plus dit un plateau, avec un dénivelé pour la pente. Les hauteurs. C’était le bon mot.

Elle trouva la maison et l’étable du fermier à quelques milles du village. Erin regarda fixement les sangliers dans leur enclos, et se demanda ce qu’ils faisaient là. Puis elle regarda autour d’elle et trouva un vieux Drakéide en train de s’occuper d’un veau encore collant et mouillé qui était en train de se mettre sur ses pattes.

Emme était arrivée juste à temps. Le Drakéide sursauta lorsqu’Erin s’approcha et attrapa une fourche, mais elle n’était pas armée et de plus, il avait entendu parler d’elle.

Lorsqu’Erin lui demanda ce qu’elle voulait, le Drakéide la regarda d’un air étrange, mais Erin lui tendit une pièce d’or et il l’accepta. Ce fut difficile de traire la vache, la mère voulait clairement faire téter son veau, mais le Drakéide finit par avoir deux seaux de… lait pour Erin. Il lui dit que le veau avait besoin du reste, et c’était très bien.

Erin regarda fixement ses seaux en les ramenant précautionneusement à son auberge en traversant les plaines enneigées. Était-ce vraiment du lait ? Il avait l’air… plus jaune, et plus épais que le lait ordinaire. Mais c’était le premier lait d’une vache. Elle avait demandé, et oui, c’était le premier veau que cette vache avait eu. C’était le premier lait qu’elle avait donné.

C’était ce qu’il lui fallait. Mais… encore. Erin était sûre qu’il y avait encore des choses importantes. Les ingrédients étaient bons, mais ils ne représentaient qu’une pièce du puzzle. Pour les rendre uniques, il fallait faire des choses. Il fallait un rituel, un peu…

De magie.




***




Erin trouva son chemin jusqu’à son auberge et sépara les deux seaux. L’un serait pour ce soir. L’autre, elle allait le mettre dans une baratte.

Elle n’en avait pas. Mais Selys en avait apporté une avec la livraison de crème. Erin la remercia, et réalisa que Toren était en train de rentrer.

Le squelette avait un énorme panier rempli d’étranges champignons entre les mains, mais il avait également une carcasse d’Araignée Cuirassée qu’il traînait derrière lui. Selys cria un peu en la voyant, mais cela donna une idée à Erin.

Elle prit les champignons, et demanda à Toren de traire le venin de l’araignée. Elle n’avait aucune idée de comment s’y prendre et le squelette non plus, mais Selys avait déjà vu faire et les aida à comprendre comment faire.

Erin rata le processus. C’était apparemment salissant - suffisamment pour que Selys, dégoutée, reparte couverte d’entrailles d’araignée. Mais elle emporta la carapace, ou plutôt, demanda à quelqu’un de venir la chercher.

Toren tendit à Erin une petite bouteille pleine d’un liquide clair. Elle s’était attendu à ce que le venin soit vert, mais bon, Erin ne savait pas à quoi cela était censé ressembler. C’était très bien. Mortel ; Selys avait dit qu’il était dangereux, mais c’était bien.

Si Erin en buvait, elle mourrait probablement. Mais peut-être…

“Hic hoc, trousse-mousse et bave de crapauds…”

Toren regarda Erin avec curiosité, mais elle secoua la tête. Les sorcières faisaient ça. Que pouvaient bien manger des fées ? Le truc, c’était d’abandonner tout bon sens. D’imaginer les choses les plus stupides… non, ce n’était pas ça. De rêver. C’était ce que faisaient les enfants. C’était ce qu’Erin devait faire.

Rêver. Et faire en sorte que le rêve devienne réalité.

Erin retourna dans sa cuisine et regarda ce qu’elle avait apporté. Elle avait beaucoup de sucre. Il poussait au sud, là où l’Hiver n’arrivait parfois jamais, mais même alors, cela restait cher à transporter et à fabriquer. Erin avait deux énormes sacs et elle avait dépensé beaucoup d’or pour les deux, mais cela n’allait pas.

Impur. C’était ce que la fée avait dit. C’était peut-être un commentaire en l’air, mais…

Comment pouvait-on rendre quelque chose pur ? Comment infuser de la magie dans du sucre ? Erin réfléchit. Ses yeux se posèrent sur le sucre blanc. D’une manière qu’elle ne comprenait pas, même sans l’équipement moderne de raffinement, les ouvriers compétents réussissaient à créer un sucre aussi blanc que du sel ou… de la neige…

Erin regarda fixement le sucre. Oui. C’était ça. La neige. Et la neige était encore plus belle à la lumière de la lune. Des lunes. Danser dans une clairière dans une forêt sous la lumière de l’astre lunaire.

Oui.

Elle prit le sucre, et le mélangea avec de la neige dans un grand bol. Puis elle le posa sur une table devant la fenêtre là où le soleil pouvait l’éclairer.

Puis Erin s’attela à baratter la crème qu’elle avait achetée. Elle savait ce qu’il fallait faire grâce à sa compétence de [Cuisine Avancée], mais ça restait du boulot. La poignée tournait facilement au début mais devint de plus en plus difficile à déplacer.

Mais elle était forte, là encore grâce à une Compétence. Erin termina de baratter le beurre et trouva un tamis. Elle sépara le beurre humide du babeurre et plaça chacun dans un contenant différent. Puis elle se mit à faire du pain.

Toren revint avec d’autres champignons, certains tachetés d’étranges couleurs, d’autres simplement bruns et ternes. Erin les prit tous, séparant les bons des pourrissants et les lavant avec précautions. Elle les disposa soigneusement sur une assiette.

Ceria rentra une heure plus tard, couverte de boue, gelée, mouillée, et maussade. Mais elle avait trouvé les fleurs. La demie-Elfe avait ramassé une grande variété de fleurs, la plupart écrasée et à l’agonie. Mais il y avait parmi elles quelque chose qui ressemblait à des campanules. Erin prit les fleurs et les arrangea autour de la table comme des petites tasses.

Elle retourna au travail. Ceria l’aida à mettre les tables, à disposer les fleurs et les petites assiettes, mais lorsqu’elle eut terminé et que le soleil commença à se coucher, elle trouva Erin, épuisée, en train de faire plus de beurre et de lait sucré avec du lait ordinaire, au cas où.

“Pourquoi penses-tu qu’elles vont aimer tout ça ? Et pourquoi faut-il que tu fasses le beurre toi-même ? Tu aurais pu l’acheter, vu tout l’argent que tu dépenses.”

Erin cessa de baratter son beurre suffisamment longtemps pour chasser de nouveau Toren. Il ne cessait de vouloir prendre la relève, mais elle ne le laissait même pas toucher la poignée.

“Des mains de vierge. Du beurre frais. Pas de mort. Sauf sur les champignons.”

“Des histoires pour enfant.”

Ceria contempla la nourriture, et acquiesça lentement.

“Quand j’étais enfant… les anciens disaient qu’autrefois, il y a bien longtemps, les fées étaient censées s’entendre avec les Elfes. Enfin, en quelque sorte. C’est une simple histoire, mais peut-être…”

Elle ne termina pas sa phrase, et Erin pensa qu’elle comprenait. C’était bête. La moitié de ce qu’elle faisait n’avait aucun sens, mais…

C’étaient des fées. Des fables vivantes. Qui pouvait dire ce qui était bien ou mal. Erin devait croire. Son cœur était rempli de doute, mais la fée l’avait dit.

La magie est.

“Est-ce que tu es sûre que ça va marcher ?”

“Il le faut. Et ça devrait.”

Erin tendit plusieurs pièces d’or à Ceria et la demie-Elfe se rendit en ville. Elle revint avec les quelques fruits qu’elle avait pu acheter, et plus de nouvelles au sujet de la voleuse et de Krshia.

“Apparemment, la fille vient d’un milieu riche. Elle ne veut pas dire qui sont ses parents, mais elle avait assez d’artefacts magiques sur elle pour subvenir aux besoins d’une compagnie d’Aventuriers Or. Tu y crois ? Ils n’ont presque tous plus de magie, en revanche. On dirait qu’elle les a utilisé non-stop pendant presque un mois pour voler et survivre.”

“Mm.”

Erin était en train de travailler sa dernière miche de pain en écoutant Ceria. Elle essayait de faire cuire des fruits dans la miche, et cela fonctionnait grâce à sa compétence de [Cuisine Avancée]. Erin n’avait aucune idée de la manière dont cela était possible, mais elle y avait pensé, et pouvait par conséquent le faire. Cela serait parfait avec la crème fouettée. Les gousses de vanille lui avaient cependant coûté une fortune.

Ceria hésita. Elle s’était clairement attendue à une autre réaction. Mais en voyant qu’elle n’arrivait pas, elle reprit la parole.

“Bref, les Gnolls veulent son sang. Littéralement, son sang. Krshia est la plus calme du lot. Elle veut que la voleuse ait un procès. Si elle connait des gens prêts à payer pour elle, ou que les artefacts peuvent rembourser les dégâts… c’est peu probable, étant donné la destruction que la fille a causée. Mais si elle ne peut pas payer, eh bien, ce n’est pas bon pour les relations interespèces d’exécuter froidement une humaine pour vol, mais je pense que l’exil serait l’équivalent d’une condamnation à mort, tu ne crois pas ?”

“Fait froid dehors.”

Erin regarda par la fenêtre de la cuisine. Ceria hocha la tête.

“Exactement. Elle mourrait avant d’atteindre la prochaine ville - même s’ils lui donnaient des provisions, je pense. J’ai pu la voir, et elle a l’air d’avoir été trop choyer pour se débrouiller. Mais c’est ce que veulent les Gnolls. Ils parlent de dette de sang, donc ils poussent pour l’exile si cela signifie qu’elle mourra. C’est le bazar, là-bas.”

La fille entendait à peine Ceria. Elle se demandait comment allait Krshia. C’était elle qui comptait dans l’histoire. Erin irait l’aider. Ou viendrait quand la Gnolle l’appellerait. Mais pas tout de suite. Elle comprenait. Quand elle avait été blessée, elle avait voulu être seule pour faire son deuil.

Erin mit le pâton dans le four de pierre et sortit dans la salle commune pour aller voir son bol de sucre et de neige.

Au cours de la journée, la neige avait fondu et s’était mélangée au sucre. Erin remua le contenu du bol jusqu’à ce qu’il soit presque complètement mélangé, et le bol fut ainsi rempli d’un liquide épais et sirupeux. Lorsque la lune se leva, la lumière se posa sur la mixture brumeuse et la fit luire.

Ceria aida encore un peu, et fit même à manger. Erin avait oublié de manger, mais elle eut droit à quelques… jaunes d’œufs dans un bol et à du pain. Avec du sucre. Elle mangea machinalement son repas, toujours en transe.

Il fallait que ça marche. Pitié, faites en sorte que ça marche.

Le temps qu’elles finissent leur repas, le bol luisait. On aurait dit qu’il luisait. La lumière de la lune accrochait l’eau sucrée et s’y réfléchissait, un miroir du ciel sombre.

Ce n’était peut-être qu’un jeu de lumière. Mais cela suffisait. Erin prit le premier lait d’une vache et le mélangea au sucre frappé par la lune et à la neige fondue. Elle sortit le pain qu’elle avait fait du four. Il était encore chaud, et elle l’enroula dans une serviette pour le maintenir au chaud. Puis elle plaça le beurre durement baratté à côté.

Autre chose ? Erin dressa une autre table avec l’alcool qu’elle avait acheté. Presque tous les bénéfices du concert étaient allés là-dedans. Un tonnelet de rhum, un autre d’hydromel, les bras d’Erin étaient fatigués. Mais il lui restait une dernière chose à faire.

Le venin d’araignée cuirassée était encore dans la petite bouteille. Erin contempla le liquide clair, et le plaça à côté des champignons, vénéneux et comestibles.

Là. C’était fait. Erin cilla, et se réveilla de sa transe de labeur. Elle avait mal. Ses bras hurlaient, son dos lui faisait vraiment mal. Mais elle avait terminé.

Ceria contempla la pièce. Un feu vif brûlait dans la cheminée, et une bougie avait été allumée sur chaque table, ce qui donnait une atmosphère intime, chaleureuse à la pièce. Les tables avaient été dressées selon différents thèmes que l’imagination d’Erin avait dictés.

Une table de champignons et de venin d’araignée, une table de mort. Elle était à l’opposé de la table centrale avec le pain cuit au four, les fruits, le lait sucré, la crème fouettée et tout ce qu’Erin avait pu cuisiner de sucré et de savoureux.

De l’autre côté, elle avait placé une concoction spéciale. Le premier lait de la vache, mélangé avec l’eau de lune sucrée, remplissait plusieurs énormes bols, et Erin avait également ajouté le beurre baratté spécial et le babeurre aussi.

L’hydromel et les boissons sur une autre table - Erin avait également fait fondre de la neige fraichement tombée. Pour elle, on aurait dit un peu de magie, un rituel magique d’aubergiste. Elle regarda autour d’elle, et sentit un soupçon, un frisson…

Était-ce de la magie ? Ou juste son imagination ?

“On dirait qu’il ne manque plus que les invitées.”

Ceria était debout d’un côté de la pièce, et contemplait les tables lorsque Toren entra, traînait avec lui l’un des derniers paniers de champignons en piteux état. Il n’avait pas eu le droit de toucher la plupart des éléments de la pièce, seules Ceria et Erin avaient pu dresser les tables.

La demie-Elfe pour la pureté, la vierge pour la double-pureté. C’était d’une logique démodée. Les fées n’étaient pas des licornes, mais cela voulait-il dire que cette histoire était sans importance ?

Erin ne savait pas. Mais elle savait qu’il était temps. Si elle attendait, elle perdrait son courage. Elle avait évité de penser aux conséquences toute la journée. Il fallait que ça marche. Ça allait marcher.

Il fallait croire. Cela faisait partie de la magie.

“Comment vas-tu les appeler ? Je n’ai pas vu une seule Fée de Givre de toute la journée.”

Ceria paraissait inquiète, mais Erin ne l’était pas. C’était le dernier morceau du conte pour enfant, la vieille fable.

Lentement, Erin s’approcha de la porte. Et à présent, comment s’y prendre ? Oh, oui. Le petit peuple était spécial. Ils savaient quand des choses se passaient, n’est-ce pas ? Donc ils sauraient déjà, du moins s’il s’était agi d’une histoire.

Mais il fallait les inviter. Erin avait mis tout son fer dans des placards, loin dans la cuisine. Elle ouvrit la porte, et leva les yeux sur le ciel étoilé. Il n’y avait aucun mouvement dans le paysage enneigé. Sa respiration créait une brume dans l’air froid tandis que la chaleur se précipitait à l’extérieur.

Les paroles. Erin haussa la voix, légèrement, et parla.

“Fées de Givre. Porteuses de l’Hiver. Je vous invite à entrer. J’ouvre mes portes aux Faes, et je vous offre ce modeste banquet.”

Sa voix se perdit dans les ténèbres. Erin contempla fixement la nuit, le cœur battant. Elle attendit une minute. Puis deux minutes.

Sois patiente. C’était comme ça que marchaient les histoires. Cela allait fonctionner. Il fallait que ça marche. Il…

Cinq minutes. Dix. La pièce se refroidit encore.

“Erin.”

Ceria était à côté de son épaule. Erin s’affaissa contre la porte. Non. Mais c’était ainsi que ça marchait, n’est-ce pas ? Elle se souvenait d’avoir fait des cérémonies du thé pour les fées, enfant. Elles n’étaient jamais venues. Même lorsqu’elle se détournait, les petits glands étaient restés en place. Les fées ne venaient pas.

Vingt minutes. Désespérée, Erin laissa Ceria la tirer vers l’intérieur. La demie-Elfe et Erin se retournèrent…

Et virent les fées.

Elles flottaient dans les airs, un voile de fées. Un essaim… une horde. C’était ainsi qu’on appelait les groupes de fées. Une centaine de corps lumineux, scintillants. Une centaine d’yeux silencieux et de visages figés.

Ceria s’immobilisa complètement. Toren était debout, incertain, et regardait les fées. Elles étaient tellement silencieuses. Mais l’une d’entre elle finit par descendre devant Erin. La fille la reconnut. C’était celle de ce matin.

“Humaine. Mortelle. Tu nous as appelées, et nous sommes donc venues. Pour quelle raison as-tu donc fait venir les Faes ?”

La bouche d’Erin était sèche. Elle déglutit, et prit la parole.

“En tant qu’invitées. Je vous offre l’hospitalité. Et je vous ai préparé des mets qui, je l’espère, vous conviendront.”

Les fées regardèrent autour d’elles. Certaines bougèrent, volant au-dessus de la nourriture et discutant entre elles. Oui… certaines étaient plus enthousiastes que d’autres, et pour une raison qu’elle ne comprenait pas, Erin les percevait comme plus jeunes.

“Regardez ce qu’a fait la mortelle ! Oh, regardez, regardez !”

“Un premier lait ! Et du sucre mélangé à de la neige à la lumière de la lune. Que c’est étrange, que c’est bizarre !”

“Regardez ! Elle nous donne du poison ! Une morsure d’araignée comme breuvage, et des champignons de toutes sortes.”

“La mort et la vie ! Du pain à manger et des crèmes sucrées et des friandises !”

La première fée leva la main, et le reste se tut et se figea. Elle contempla Erin, et, pendant un instant, cette dernière crut la voir sourire.

“Étrange. Voilà un bien étrange banquet, mais tu as apporté de l’hydromel et fait à manger. Cela fait des milliers d’années que nous n’avons pas été ainsi traitées, et ce lieu a été bâti sans fer. Nous acceptons donc.”

Ceria écarquillait les yeux. Elle regarda fixement les fées descendre lentement vers les tables. Erin marqua une pause. Il restait une dernière chose, et la fée qui menait le groupe semblait le savoir aussi. Elle vola jusqu’à une table vide.

“Tu nous offres de quoi nous restaurer, et nous, en tant qu’invitées, devons d’accorder une récompense adaptée. Je t’offre donc le trésor de notre race.”

Elle vola autour de la table, une fois, deux fois. La troisième fois, l’air… Erin cilla. Quelque chose venait de se passer. Là où la table avait été vide et nue, il y avait soudain de l’or.

De l’or.

Un monceau de pièces d’or remplissait la table qui grinçait sous leur poids, périlleusement empilées mais remplissant chaque centimètre du bois. La table était si remplie qu’on aurait dit qu’à chaque instant, la pile d’or allait verser et se répandre au sol.

Erin resta bouche-bée. La lumière des bougies se réfléchissait sur l’or et paraissait illuminer la pièce. Elle ne pouvait arracher son regard de cette vision. Chaque pièce semblait avoir une luminescence qui lui était propre, et la vue était si belle…

La fée flotta au-dessus de la table, un large sourire éclairant son visage devant la stupéfaction de la mortelle.

“Acceptes-tu ceci comme juste paiement ?”

Erin faillit instantanément dire oui, mais une partie d’elle-même ne put s’empêcher de s’avancer pour le toucher, pour s’assurer qu’il était réel. Elle avança vers la table, avec l’impression que chaque pas était un rêve. Erin ramassa une pièce avec précaution.

“De l’or ?”

C’était de l’or. Lorsque Ceria ramassa une pièce, elle la regarda fixement. Erin savait aussi que c’était de l’or, mais il y avait quelque chose de différent par rapport aux pièces d’or qu’elle utilisait d’ordinaire.

“C’est… de l’or pur. Pur.”, souffla Ceria en tenant la pièce à la lumière. Son visage était émerveillé. Toren jeta un œil à la pile d’or, puis à Erin, et inclina la tête sur le côté. Elle n’y prêta pas attention, elle était trop occupée à contempler le trésor.

“Alors ? Qu’il ne soit jamais dit que le peuple des Faes n’est pas généreux !”

La fée éclata de rire et vola autour d’Erin.

“Cela te semble-t-il être un échange équitable ?”

Toren fit claquer ses mâchoires, et plusieurs fées lui jetèrent des regards noirs. Erin le fit vivement taire et acquiesça vigoureusement.

“Hum, oui. Bien sûr ! Merci !”

La fée sourit. Elle leva la main au plafond, et soudain la pièce s’emplit de minuscules vivats.

“Vous entendez, mes sœurs ? Le marché est conclu ! C’est un paiement honnête, pour un repas ! À présent, festoyons !”

On aurait dit qu’elle venait de dégeler le temps. Les fées se mirent immédiatement en mouvement. Elles fondirent sur la nourriture qu’Erin avait sortie, papotant, riant, tellement pleines de joie et de convoitise pour la vie que même Ceria et Erin furent happées par le célébration soudaine.

Une seule personne, dans la pièce, n’était pas heureuse. Toren. Il faisait claquer ses mâchoires et sautait sur le sol, en pointant les pièces d’or du doigt. Il en prit quelques-unes et les tint devant Erin.

“Qu’est-ce qu’il te prend ? Arrête ça !”

Elle fronça les sourcils. Toren lâcha les pièces et elles claquèrent sur le sol. Il regarda autour de lui, visiblement frustré, puis courut vers les fées en agitant les bras. Est-ce qu’il avait une espèce d’attaque ? Un dysfonctionnement ? Erin écarta le squelette lorsqu’il fonça sur les fées, et attrapa Ceria.

“Je ne sais pas ce qu’il a. Est-ce que tu peux… ?”

“Compris.”

Ceria hocha la tête et Erin la pointa du doigt.

“Va avec elle, Toren. C’est un ordre.”

Le squelette se figea sur place. Puis, très lentement et de toute évidence avec beaucoup de réticence, il hocha la tête, et se tourna vers la porte. Les fées éclatèrent de rire en le voyant partir.

Erin était soulagée, elle aurait détesté briser la bonne ambiance. Lorsque Ceria sortit, Erin prit la petite bouteille de venin et commença à le verser dans les petites tasses en fleur pendant que les fées se rapprochaient d’elle. Elle avait l’impression d’être une sommelière maladroite, mais elle voulait servir les fées comme elles le méritaient.

Elle s’intégra dans l’ambiance de la fête en un instant, remplissant les coupes, riant, et écoutant les bavardages des fées. Contrairement aux moments où elles s’adressaient à elle, Erin ne comprenait pas un mot lorsque les fées parlaient entre elles. Leurs voix lui étaient parfaitement incompréhensibles - pas de la manière dont le serait une langue différente. Erin avait entendu de l’Espagnol et du Français et elle avait réussi à comprendre quelques mots parce qu’ils avaient une racine commune avec l’Anglais. Mais même le Mandarin ou l’Arabe auraient été plus compréhensible que cela. C’étaient encore des langues humaines, mais les fées…

Les mots qu’elles prononçaient ne pouvaient pas être assimilés par le cerveau d’Erin. Mais c’était sans importance. Elles riaient avec elle, et tourbillonnaient dans les airs, buvant son lait sucré, engloutissant l’alcool qu’elle versait dans les minuscules fleurs que Ceria avait apportées, arrachant des lambeaux de pain pour les enfourner dans leurs corps qui paraissaient pourtant trop petits.

Et la pièce était remplie de magie. Au bout d’un moment, la bouteille de venin d’araignée d’Erin fut vide. Elle ne s’était même pas demandé comment les fées faisaient pour boire le liquide mortel comme si c’était de l’eau, ni même comment elles faisaient encore pour voler alors que certaines étaient déjà clairement ivres. Elles s’amusaient, et par conséquent, elle aussi.

D’une manière différente que lors du concert. Le concert avait été plein de bruit et d’énergie illimitée, mais c’était différent ce soir. Oui, les fées pouvaient être tapageuses, mais quelque chose flottait dans l’air et capturait en un instant l’humeur de la pièce.

La magie.

Erin la sentait à chaque battement d’aile, à l’étrange manière dont le feu continuait de brûler sans rien pour l’alimenter. Elle la sentait dans la danse des fées, qui traçaient de merveilleux motifs dans les airs qui luisaient tandis que chaque bougie s’éteignait lentement. Et elle la sentait aussi en elle. C’était elle qui avait créé ceci.

Elle avait réussi. Elle avait fait de la magie.

Regardez, avait-elle envie de dire. Elle voulait partir en courant pour le crier à Pisces et à Ceria et à Ryoka et au monde entier. Regardez, regardez ! Je peux le faire aussi.

Et pendant que les fées dansaient dans les airs, Erin sourit et pleura un peu. De bonheur, de soulagement. De joie et d’émerveillement. Et dans son cœur, elle souhaita que ces moments durent toujours.

Mais, trop vite, son auberge fut déserte, et Erin se retrouva seule parmi les assiettes vides et les fleurs abandonnées. Elle contempla son auberge, et sentit en tout point à quel point c’était un lieu solitaire. Et elle fit le serment qu’il n’en serait plus jamais ainsi.

Lorsque Erin s’assit lentement sur une chaise, chacun de ses muscles douloureux, chacun de ses os épuisé, elle regarda la table couverte d’or. Et elle sourit. Ce n’était pas le plus important.

Mais ça aidait.

Puis ses yeux se fermèrent, et la voix chuchota à son oreille pendant son sommeil.

[Aubergiste Niveau 25 !]

[Compétence - Aura de l’Auberge Obtenue !]

[Compétence - Mets Prodigieux Obtenue ! ]


***



Lorsqu’Erin se réveilla, la magie était toujours en elle. Elle la réveilla de son sommeil sans rêves et la ramena dans le monde réel. Elle pourrait être aussi excitée et pleine d’énergie qu’elle le voudrait plus tard, mais pour le moment, elle voulait encore se prélasser dans ce sentiment de tranquillité.

Erin respira l’odeur du matin, et réfléchit à la nuit dernière. Elle avait gagné quatre niveaux et deux compétences. Deux compétences… importantes. L’une d’elles lui paraissait être très importante. Elle ne savait pas ce que cela signifiait, mais l’idée la fit sourire.

De la magie. Elle l’avait en elle. Elle avait de la magie, et la faveur des fées. Que pouvait-elle demander de plus ?

Et l’or…

L’or. Erin y jeta un œil, mais au lieu des monceaux étincelants de pièces d’or pur, elle vit… des fleurs.

Des fleurs ? Non. Le cœur d’Erin s’arrêta. Mais oui, c’était bel et bien ce qui était posé sur la table. Non pas un énorme tas d’or digne de la fortune d’un roi, mais une montagne de fleurs éclatantes, vives et joyeuses à la lumière du soleil.

Des fleurs jaunes. Dorées, plutôt, mais ce n’étaient que des fleurs. Elles étaient petites, et soigneusement empilées sur la table. Elles étaient plutôt jolies, vraiment.

Mais c’étaient des fleurs.

Le cerveau d’Erin cessa entièrement de fonctionner. Elle se leva en titubant de sa chaise, et tourna dans la pièce vide pour contempler les mets chers et difficiles à assembler qu’elle avait faits. Le bol vide de lait de vache, les miettes qui restaient du pain qu’elle avait fait, le beurre, les bols vides dans lesquels elle avait mis les champignons, le venin, le sucre…

Elle remarqua l’absence complète de fées, puis regarda fixement la table où son or était censé être.

La magie s’évanouit. Erin contempla les fleurs dorées en train de faner. Son œil gauche tressaillit. Elle prit une grande inspiration.

“Qu’est-ce que c’est que ce bor…
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 04 novembre 2020 à 21:22:56

2.22 K - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Lorsque Scruta vit les tours du château au loin, elle sut qu’elle était presque arrivée à sa destination. Elle avait voyagé longtemps et parcourut de longues distances à travers ces terres arides, seule, épuisée, blessée et affamée. Mais elle n’avait jamais ralenti le rythme, ne s’était presque pas arrêtée pour se reposer.
 
Elle était presque arrivée à la maison.
 
La cité était proche du souvenir que Scruta en avait, mais c’était un mélange de deux souvenirs. Elle se souvint d’être revenue, une fois, désorientée et vaincue, supplier son roi lige de réfléchir de nouveau à sa décision. La ville avait alors été d’un calme mortel, remplie d’un peuple terrifié qui écoutait un empire s’effondrer.
 
Mais les rues avaient été lisses, les bâtiments s’élevaient haut dans les airs et chaque étal de chaque échoppe était rempli de marchandises exotiques venues des quatre coins du monde. Les citoyens avaient été éclatants de santé et vigoureux - certains tendaient même à devenir gras - et il n’y avait sûrement aucune autre ville au monde qui n’ait été plus grande.
 
C’était alors. Mais Scruta se souvenait aussi de son départ. Elle avait fui au galop ce lieu brisé rempli de gens au regard vide dont les expressions hantées et vacantes ne montraient aucune trace d’espoir pour le lendemain, et encore moins pour le futur. Les pavés étaient fissurés, et les premiers signes de ruine avaient commencé à ronger même les magnifiques structures que Drevish avait bâties.
 
C’était le passé, plus ou moins proche. Mais le présent était différent.
 
Lorsque Scruta traversa les portes elle entendit un cri sur les créneaux. Elle leva ses quatre yeux encore indemnes et sourit.
 
À la vérité, les remparts s’étaient tellement effondrés qu’il n’y avait pas vraiment de raison d’y garder une garnison. Mais il y avait bel et bien du monde aux créneaux ! De jeunes hommes et des vétérans à la retraite, de toute évidence, ce n’étaient pas les soldats idéaux, mais ils y étaient tout de même, vêtus d’armures récupérées dans les décombres et rongées de rouille, ou de trésors familiaux dont on avait minutieusement pris soin.
 
Ils acclamaient Scruta, qu’ils reconnaissaient. Elle agita la main, mais ne cessa pas d’avancer. Elle traversa la ville au pas de course, et vit les visages du peuple.
 
Ils restaient hantés, certes, et encore plus maigres que lorsque Scruta était partie. Mais leurs yeux avaient changé. Ils contenaient ce qui leur avait alors manqué. Une flamme. L’espoir. L’étincelle de vie qui ne pouvait s’éteindre. C’est cela qui lui fit encore plus presser le pas, et lui fit comprendre que le temps était enfin venu.
 
Son Roi était revenu.
 
Scruta regardait avec ses quatre yeux, l’un surveillant la route pendant que les trois autres regardaient dans toutes les directions, pour essayer de jauger la ville, le peuple affairé. Tout le monde paraissait occupé, ce qui lui indiquait qu’il y avait beaucoup de travail en cours. Et il faudrait travailler encore, si les ruines qu’elle voyait indiquaient l’état de la ville.
 
Il était tellement dommage qu’elle ne puisse pas voir plus loin que la rue dans laquelle elle se trouvait, toutefois. Si elle l’avait pu, elle aurait été capable de regarder dans le château qui lui faisait face, et de voir…
 
Eh bien, peut-être que sa cécité avait ses avantages. Scruta descendait la rue en étant consciente des regards que son œil fermé attirait, c’est-à-dire autant que sa propre présence. Cela faisait hésiter les gens.
 
Car pour quelle raison Scruta l’Omnisciente fermerait-elle son œil ? C’était sa plus grande arme et sa meilleure défense ; le don des Scruteurs que Scruta avait elle-même poli et rendu encore plus puissant qu’à l’ordinaire. Ses quatre yeux périphériques avaient beau pouvoir voir de très loin et même à travers les objets proches, ils n’étaient rien par rapport à son œil principal.
 
Mais il était toujours blessé, toujours aveugle. Scruta revoyait encore la fille, dressée devant elle, et ses dents grinçaient de rage, et sa main se tendait inconsciemment vers l’épée dans son dos.
 
Mais pendant un instant seulement. Et même la douleur et la honte de sa défaite ne pouvaient étouffer le sentiment qui envahissait sa poitrine. Elle était devant les portes gigantesques du palais. Elles étaient ouvertes, et les gardes n’osèrent pas lui barrer la route. Elle y était presque.
 
Scruta ! !”
 
Une foule se tenait devant l’entrée, attendant sans aucun doute un signe de son seigneur. Mais ils l’acclamèrent bruyamment, et ils avaient bien raison. Elle était l’une des Sept, son retour était un héraut des temps qu’ils vivaient.
 
Scruta agita une fois la main, puis ses pieds couverts d’armure se posèrent sur du marbre, et non plus des briques poussiéreuses. Elle traversa un palais tout aussi délabré que le reste de la ville. Certes, ce lieu avait été mieux entretenu que le reste de la ville, sans aucun doute grâce à Orthenon et ceux qui étaient restés. Mais même ici, des réparations étaient nécessaires.
 
Et elles avaient déjà commencé. Scruta traversa des pièces pleines de gens affairés à nettoyer, à transporter des provisions, des armes, du parchemin… cette vision lui transporta le cœur. C’était ce qu’elle avait tant voulu voir toutes ces longues années ! Mais même cela ne put l’arrêter. Il fallait qu’elle voie, de ses propres yeux.
 
“Dame Scruta !”
 
“L’Omnisciente est revenue ! Prévenez l’[Intendant Royal] ! Apportez la nouvelle au Roi !”
 
“Dame Scruteuse, désirez-vous boire ? Manger ?”
 
Scruta agita la main ou hocha la tête sans ralentir, sans s’arrêter. Personne ne l’arrêta non plus, et beaucoup s’écartèrent sagement de son chemin étant donné que Scruta se déplaçait à une vitesse que peu de créatures - humains, Scruteurs, ou autres - pouvaient espérer égaler. Ils savaient qu’elle était de retour, et ils savaient où elle se rendait. Ou il fallait qu’elle se rende.
 
Seule une personne se déplaçait à ses côtés. L’œil le plus à gauche de Scruta se tourna et elle hocha la tête dès qu’elle vit un homme de haute taille et très sérieux quitter une conversation avec un boulanger pour la rejoindre. Il avait été émacié, mais la chair remplissait de nouveau sa peau, et il marchait à présent avec la grâce d’un seigneur et la dignité et l’assurance de sa position.
 
Sa longue moustache s’accordait parfaitement avec ses vêtements sombres et mornes. Seul un ourlet d’un or terni égayait ses vêtements. Il ressemblait beaucoup au souvenir que s’en faisait Scruta ; sévère, inébranlable, et formel. C’était bon de le voir aussi, mais elle ne ralentit pas le rythme et se contenta de hocher la tête.
 
“Orthenon.”
 
“Dame Scruta. Tu es partie très longtemps.”
 
“Plus longtemps que la plupart ?”
 
“Cela reste à voir. Tu n’es pas la seule à être rentrée aujourd’hui.”
 
Cela surprit Scruta. Elle tourna la tête pour que ses quatre yeux puissent se focaliser sur lui pendant un bref instant.
 
“Qui d’autre est revenu ? Amerys ? Drevish ?”
 
“Seigneur Drevish et Dame Amerys ne sont pas encore rentrés. Mais Dame Mars et Seigneur Takhatrès nous ont tous les deux rejoint. Mars est arrivée à peine quelques heures avant toi.”
 
Scruta n’était pas ravie d’entendre ceci. Une partie d’elle-même bondissait bien sûr de joie de savoir que d’autres étaient revenus prêter leur force à leur roi lige pour les épreuves qui l’attendaient. Et pourtant, elle aurait surtout voulu que son retour soit le seul événement de la journée.
 
Et pourtant, Scruta n’envisagea pas une seconde de ralentir, ou d’avoir retardé son arrivée. Il était beaucoup plus important pour elle de le voir, d’être ici. Et pourtant…
 
“Comment va-t-il ? Comment a-t-il… changé, depuis la dernière fois ?”
 
Scruta peinait à trouver ses mots, ce qui était rare chez elle. Elle essaya de poser la question qui lui rongeait le cœur et noyait même l’espoir.
 
Orthenon se contenta de sourire pour toute réponse. Ils avançaient rapidement dans le gigantesque château et les couloirs venteux les avaient amenés à un endroit qu’ils connaissaient tous deux par cœur. La colossale salle du trône.
 
“Il est comme il a toujours été… simplement, plus grand encore.”
 
Plus grand ?”
 
C’était un mot qui bannissait les ombres, un mot auquel s’accrocher, un mot avec lequel allumer une flamme. Orthenon sourit, et elle vit un brasier brûler au fond de ses yeux.
 
“Il est de retour, et c’est comme s’il n’était jamais parti.”
 
Et ils arrivèrent sur ces mots. Scruta se tint devant les énormes portes, et entendit son cœur battre dans sa poitrine. Si elle avait pu utiliser son plus gros œil, elle aurait pu regarder à l’intérieur pour assister aux étranges événements qui s’y déroulaient. Et pourtant, Scruta était certaine que même si elle avait eu l’usage de son œil principal, elle ne saurait toujours pas ce qui se cachait derrière ces portes. Elle aurait eu trop peur pour regarder.
 
Orthenon attendait, silencieux, patient, attendant que Scruta fasse le premier pas. Elle resta debout devant la porte et prit de grandes inspirations. Puis elle plaça ses mains sur le bois et ouvrit les portes.
 
Scruta entendit d’abord le rire. Un rire profond et tonnant qui emplissait toute la pièce gigantesque. Son cœur cessa de battre, et ce rire aurait bien pu faire la même chose au cœur d’Orthenon.
 
Depuis combien de temps ? Depuis combien de temps n’avait-elle pas entendu ce son ? Scruta avança lentement, comme si elle s’était trouvée dans un rêve, laissant ses pieds l’entraîner plus loin dans la pièce. Pour voir…
 
Flos, Roi de la Destruction, son lige et unique lumière en ce monde, était debout au centre de la salle du trône et riait. Il avait six ans de plus que la dernière fois qu’elle avait posé les yeux sur lui, et pourtant cela n’avait fait que le rendre encore plus éclatant aux yeux de ceux qui l’admiraient.
 
Ses cheveux d’un roux doré ressemblaient toujours au soleil, et l’âge n’en avait qu’à peine affadi les couleurs. Il se déplaçait toujours avec toute la passion et la vigueur d’un homme plus jeune, et malgré son long sommeil, son corps ne s’était pas abandonné à la graisse ou à la déchéance. Et ses yeux…
 
Ils brûlaient.
 
Scruta s’arrêta et Flos continua de rire, presque plié en deux de joie. Il était debout dans la pièce, et quatre personnes l’entouraient. Elle en connaissait deux - une femme en armure avec un énorme bouclier rond attaché dans son dos et une épée à sa hanche et un homme-oiseau, aux plumes bleues et vertes recouvertes de vêtements légers et au visage d’oiseau avec un bec courbé. Mais Scruta n’avait jamais vu les deux autres personnes.
 
La première était une fille, et l’autre un garçon. Il aurait peut-être fallu parler de ‘jeune homme et jeune femme’, mais ils restaient des enfants aux yeux de Scruta. Leurs traits étaient similaires, à tel point qu’elle pensait immédiatement qu’ils étaient jumeaux, ou au moins frère et sœur. Mais quelque chose d’autre, chez eux, lui firent instantanément penser à Erin et Ryoka.
 
Ils avaient cette espèce d’aspect, et cette posture, cette manière de regarder son seigneur, et leur présence même en ce lieu sacré lui firent penser qu’ils n’étaient pas de ce monde. Si elle avait eu son œil, elle aurait pu vérifier cela d’un regard, mais tous ses yeux étaient concentrés sur un homme, un seul.
 
Son Roi.
 
Il riait et riait, plein d’une joie débordante. Puis il se retourna. Il s’avança vers les grandes fenêtres qui donnaient sur la ville et ouvrit grand les bras. Rien n’avait changé.
 
"Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois. Voyez mon œuvre, ô puissants, et désespérez !"
 
Flos rugit les mots aux cieux, et rit de nouveau, profondément, longuement. Il fit volte-face, les yeux brûlants.
 
“Et rien ne demeure. Rien d’autre que les gravats et la poussière et les mots. Que c’est merveilleux. Je n’ai jamais entendu des mots remuer ainsi mon âme depuis des années ! Et tu dis que c’est une poète qui les a écrit ? J’aurais aimé la rencontrer.”
 
Gloussant encore, le Roi revint vers les deux petits humains. Et il aperçut alors Scruta, et le monde s’arrêta. Pour elle, et pour lui.
 
Scruta n’avait pas le souvenir de s’être agenouillée, ne savait pas à quel moment il avait traversé la distance qui les séparait. Tout cela sembla se dérouler en un instant, puis elle sentit sa présence. Une main se tendit et se posa sur son épaule tandis qu’elle gardait les yeux rivés au sol, trop timide pour les lever.
 
“Scruta. Fidèle Scruta. Je t’en conjure, lève-toi.”
 
Et c’est ce qu’elle fit. Elle aurait suivi cette voix jusqu’au néant, obéi n’importe lequel de ses ordres. Scruta leva les yeux, et vit le visage de son Roi.
 
Il souriait et des larmes brillaient dans ses yeux. Il ne dit rien, mais l’enveloppa dans une étreinte à lui briser les os. Elle resta immobile, s’imprégnant de ce souvenir, inhalant son odeur. Elle aurait voulu que cet instant dure à jamais.
 
Mais il la relâcha alors, et elle rouvrit les yeux. Il était là. Devant elle. Elle pouvait tendre la main et le toucher. Et il était revenu. Oui, elle le sentait dans ses os, dans son âme et dans chacun des battements de son cœur, à présent.
 
Il était de retour. Son seigneur s’était de nouveau réveillé.
 
“Scruta.”
 
“Mon seigneur.”
 
Elle lui sourit, et remarqua la façon dont ses yeux parcouraient son œil fermé et encroûté d’un liquide jaunâtre et son armure poussiéreuse d’un air inquiet. Elle savoura cet instant.
 
“Il est bon de te revoir enfin. Mais ton œil…”
 
Scruta secoua la tête. Un œil ? Qu’est-ce que son œil venait faire dans un tel moment ?
 
“Un détail sans importance, mon seigneur. Je souhaite vous parler ce ceci, et de beaucoup de choses encore.”
 
Il sourit, et son cœur rata de nouveau un battement.
 
“Et je souhaite entendre chaque détail. Viens avec moi, Mars vient d’arriver, et je veux entendre ton histoire avec tout le monde. Orthenon ?”
 
L’homme s’approcha et se fendit d’une révérence efficace. Flos traversa la grande pièce avec Scruta, qui marchait à ses côtés. Son Roi.
 
Les deux personnages qui la connaissaient hochèrent la tête à son approche. Mars l’Illusionniste, et Takhatrès le Seigneur des Cieux inclinèrent la tête et Scruta leur rendit leur salut. C’était étrange, elle était presque heureuse de les revoir tous les deux eux aussi.
 
Peut-être que Scruta leur faisait peur, car les jumeaux se contentèrent de la dévisager. Si c’était le cas, Scruta aurait cru que la silhouette d’oiseau de Takhatrès et son long bec vicieux auraient été plus effrayants, mais peut-être qu’ils s’étaient habitués à sa présence. Elle n’était pas mieux que lui, avec sa peu d’un marron orangé et ses étranges mains à quatre doigts, mais peut-être que c’étaient ses yeux. Les humains regardaient toujours fixement ses yeux.
 
“Scruta, voici Mars et Takhatrès, qui ont tous deux traversé d’innombrables milles pour me rejoindre. Voici également Trey et Teresa, deux jumeaux que j’ai choisis pour m’assister. Tout le monde, je vous présente Scruta, mon œil, l’une de mes mains et de mes meilleures amies. De retour, enfin.”
Les autres murmurèrent des salutations, et Scruta entendit la voix du garçon se fissurer. La fille se contenta de la dévisager, les yeux ronds, apeurée. Elle leur adressa un regard bienveillant pour faire plaisir à son seigneur, mais Scruta décida instantanément qu’elle n’aimait pas les deux humains.
 
Ils avaient fait rire son roi. Ils étaient ici, en ce lieu, en ce moment, et cela voulait dire qu’on leur faisait confiance, qu’ils étaient même des favoris de son Roi. Et pour cette unique raison, Scruta les détesta de toute son âme.
 
Mais ce n’était rien. Rien du tout. Scruta se concentra de nouveau sur son Roi, et sourit de nouveau. Il lui rendit un sourire plein de vie, et elle sut qu’il ne partirait plus jamais. Une décennie les séparait. Aujourd’hui, et jadis. Une décennie pendant laquelle ils s’étaient battus ensemble, et elle avait été son épée lige et mené ses armées à la victoire. Une autre décennie lors de laquelle il était resté étendu, silencieux, dormant, et son cœur s’était brisé et elle était allé chercher ce qui pourrait le lui ramener.
 
À présent, il était réveillé. Et Scruta pouvait enfin dire les mots qu’elle avait portés dans son cœur toutes ces années. Elle plongea son regard dans le sien, et sentit ses yeux s’embuer de larmes.
 
“Mon seigneur. Je suis revenue.”
 
Que leurs âmes se réjouissaient d’entendre ces mots ! Mais son Roi se contenta de sourire. Il plaça une main sur son épaule.
 
“Oui. Et juste à temps. Nous avons fort à faire.”
 
***

Il s’appelait Trey, il avait peur et était perdu. C’était un état normal, pour lui, mais aujourd’hui, en particulier, c’était encore plus le cas. Normalement, il aurait adoré discuter avec sa sœur dans leur coin avec leur langue à eux, mais ils étaient devant un Roi.
 
Il s’appelait Flos, et il avait débarqué dans la vie de Trey et réduit en cendre tout ce en quoi le jeune homme avait toujours cru. Certes, c’étaient Trey et Teresa qui avaient été invoqués en ce monde par magie ou… quelque chose dans le genre, mais Flos les avaient arrachés des cieux, et tenait à présent leurs vies dans la paume de sa main. Comme un fleuve qui les aurait entraînés avec lui.
 
Le titan était debout au centre de la salle du trône, plus grand que nature, et parlait à l’étrange femme qu’il avait présentée sous le nom de Scruta. Elle avait l’air… vaguement humaine. Elle n’avait pas de nez, mais elle avait des longs cheveux noirs coiffés en dreadlocks et elle avait une forme humanoïde. Sa peau était orange foncé, de ce que Trey pouvait apercevoir sous son armure segmentée d’un brun sombre. On aurait presque dit qu’elle était couverte d’écailles, et elle ondoyait et se pliait lorsqu’elle bougeait, ce qui la faisait plus ressembler à une deuxième peau qu’à du métal.
 
Elle avait quatre… non, cinq yeux. Quatre yeux entouraient un œil central, mais ce dernier était clos, et encroûté d’une substance jaunâtre. Et pourtant, les quatre yeux fonctionnels étaient dépourvus de pupilles, ou peut-être que ces dernières étaient tellement ténues qu’on ne pouvait les voir. Parce que Trey était certain qu’au moins l’un de ces yeux était en train de le regarder.
 
Ilo frissonna, et sentit sa deuxième moitié, sa sœur et jumelle, Teresa, faire de même. Elle était tout comme lui, et tous deux reflétaient souvent les mêmes émotions et pensées.
 
C’était étonnant. Tous les jumeaux ne partageaient pas tous une connexion aussi profonde à un âge aussi avancé. Ils avaient tous deux seize ans, bien qu’ils soient plus proches des dix-sept à présent. Et les deux faisaient la paire, et n’étaient séparés que par leur sexe.
 
Trey et Teresa étaient tous deux originaires d’Angleterre, ce que leurs traits indiquaient clairement. Ils avaient des cheveux d’un blond modérément foncé, une peau claire, et ils faisaient tous deux la même taille au centimètre près, soit 1m78. Là encore, c’était étrange, car ils n’étaient pas des vrais jumeaux, du moins du point de vue génétique.
 
Le terme correct était jumeaux fraternels, ce qui signifiait juste qu’ils étaient nés en même temps, deux bébés ayant partagé un utérus. Mais cela restait très différent de vrais jumeaux, qui étaient issus de la même cellule-œuf divisée en deux.
 
 
Non, Trey et Teresa étaient simplement les deux enfants d’une même mère et d’un même père qui se ressemblaient encore tellement que c’en était déconcertant, surtout à leurs âges.  Les docteurs avaient simplement conclu à une série de coïncidences en voyant à quel point leurs chromosomes se correspondaient, Trey, pour sa part, pensait que c’était de la chance.
 
Car ils étaient semblables. Les jumeaux se souvenaient encore du langage secret qu’ils avaient inventé étant enfants, et ils partageaient encore des pensées malgré le fait qu’ils aient lentement divergé avec l’âge. Des deux, Trey était le plus susceptible de prendre la parole, et Teresa d’attendre et d’observer. Elle avait de bonnes idées et était d’ordinaire celle qui essayait de les mettre en place pour aider.
 
Elle préférait qu’on l’appelle Teres, ce qui sonnait beaucoup mieux dans tous les cas, d’après Trey. C’était aussi le nom latin d’un muscle de l’épaule, mais ce n’était pas important.
 
Ils étaient semblables. Semblables et différents. Trey aimait les jeux vidéo ; Teres préférait dessiner et lire.  Ils étaient tous les deux relativement bons en sport, ce qui voulait dire que Teres était populaire dans les équipes de sport comme elle pouvait soutenir le rythme de son frère.
 
Aucun des deux n’aimait le cricket, et ils préféraient tous les deux laisser la confiture dans le frigo, tout au fond, là où elles pouvaient moisir à jamais. Ils aimaient tous les deux le cinéma, la musique, et les trucs normaux, et ils étaient tous les deux d’accord pour dire que ce monde était terriblement effrayant.
 
Trey apercevait du coin de l’œil le visage pâle de Teres. Elle avait un peu plus de mal que lui à gérer tous ces changements soudains, ce qui signifiait qu’elle pouvait se mettre à crier à tout moment. Flos les gardait dans la salle du trône et à ses côtés la plupart du temps, mais les deux jumeaux auraient vraiment pu se prendre quelques jours - semaines, mois, plutôt - pour s’asseoir dans un coin et essayer de comprendre ce qu’il se passait.
 
Mais il fallait qu’ils restent attentifs. S’ils ne l’avaient pas encore senti, l’élan de vie qui avait envahi la ville et le palais pendant ce dernier mois leur avait fait comprendre qu’il se passait quelque chose d’important, et que Flos était au cœur de tous ces changements. Il était Roi, un roi qui avait réveillé une ville remplie de gens désespérés et d’espoirs à l’agonie en quelques mots.
 
Loin de Trey l’idée de vouloir offenser la Reine, ou la famille royale, mais Flos était un personnage tout droit sorti de la légende, pour Trey. Il rassemblait à l’idée que le jeune homme se faisait d’Alexandre le Grand, ou peut-être même du Roi Arthur lui-même, s’il était honnête. Il semblait irradier une présence écrasante à chaque instant, et on ne pouvait s’empêcher de rester suspendu à la moindre de ses paroles.
 
Flos avait à présent terminé de parler avec Scruta. Trey sursauta, et il sentit Teres lui donner un infime coup de coude. Il n’avait pas entendu un mot de ce que venait de dire le Roi, mais avec un peu de chance elle pourrait lui raconter plus tard. Flos posa ses mains sur les épaules de Scruta et plongea un regard empli de chaleur et d’amour authentique dans ses yeux.
 
“Tu devras tout me raconter - tout ! - plus tard. Mais pour le moment, parlons du futur de ce royaume et de ce qu’il s’est passé durant mon absence. Je n’en ai pas encore eu l’occasion d’en discuter avec Mars, et c’est le bon moment.”
 
Il se retourna, et regarda les jumeaux. Ils sentirent un courant électrique parcourir leur colonne vertébrale, mais aucune peur se loger dans leur ventre. Ce n’était ni un adulte en colère, ni un patron dont il fallait avoir peur, c’était simplement que son regard était électrique.
 
“Trey, Teres. Venez me voir.”
 
Ils s’approchèrent docilement, et Trey tenta de jeter un autre regard en direction de la Scruteuse - non, demie-Scruteuse du nom de Scruta. Elle lui rendit un regard impassible, il frissonna et détourna les yeux.
 
Flos claqua des mains, et Trey crut qu’il allait se faire dessus. Tout ce que le Roi faisait était toujours tellement bruyant.
 
“Il y a eu beaucoup de changements depuis ton départ, Scruta. Ces deux jeunes gens que tu vois viennent d’un autre monde. J’expliquerai mieux plus tard, mais ils m’ont parlé d’autres terres, remplies d’armées et d’armes qui pourraient mettre à genoux même les monstres les plus dangereux de notre monde. Ce sont eux qui ont rallumé ma flamme, et je les ai donc choisis pour en faire mes pupilles et mes assistants personnels. Je vous le demande à tous, traitez-les avec bonté, et enseignez-leur ce que vous savez.”
 
Mars acquiesça immédiatement, suivie de Takhatrès. Trey essaya de s’empêcher de regarder Mars ; il se méfiait encore de l’homme-oiseau, ou plutôt Garuda pour être précis, mais il s’était habitué au calme de Takhatrès pendant ces derniers jours.
 
Mais pour ce qui était de Mars… Il était difficile pour Trey de parler à Mars. Il ne cessait de baisser les yeux. C’était vraiment dur ! Teres lui avait déjà donné deux coups de pied, mais… mais…
 
Mars avait une poitrine énorme. Impossible d’en faire abstraction. Mais ce n’était pas tout, elle avait une allure incroyable - on aurait dit une top-modèle photoshoppée. Ses longues boucles rousses rebondissantes, sa silhouette menue et sa peau sans défauts, et ces seins séduisants et rebondissants…
 
Teres lui donna de nouveau un coup de pied, et il détourna les yeux. Mars lui sourit et il devint rouge comme une pivoine. Flos pouffa et Orthenon leva les yeux au ciel et Takhatrès sourit discrètement. Et Scruta…
 
Elle dévisageait les jumeaux. Elle avait acquiescé lorsque Flos avait exprimé sa requête, mais elle n’avait pas le visage ouvert de Mars ni la calme acceptation de Takhatrès. Elle regardait fixement Trey, et il se sentait mal à l’aise. Ses yeux ressemblaient à des lasers qui lui fouillaient la tête. Trey se décala légèrement en arrière pour se rapprocher de Teres. Il la sentit frissonner, et espéra qu’elle pouvait tirer autant de réconfort de lui qu’il en tirait d’elle.
 
“À présent, nous réunirons un conseil plus formel plus tard, et nous discuterons plus à ce moment-là. Pendant le dîner, je pense. Un banquet reste hors de question tant que nous n’aurons pas refait nos stocks, mais je dînerai avec vous tous et discuterai avec Mars et Scruta plus tard.”
 
Flos avait repris la parole, et les yeux de Scruta s’étaient détournés. Trey regardait aussi Flos, il ne pouvait s’en empêcher. Quand cet homme bougeait, il devenait le centre de l’attention.
 
“Mon royaume est faible. J’ai tout laissé tomber, dans mon désespoir et mon apathie. Seul Orthenon a réussi à empêcher le tout de tomber en ruines, et pourtant mon royaume reste brisé. Et vous tous… je vous ai laissés tomber. Je ne mérite pas le présent dont vous me gratifiez par votre retour.”
 
Flos dévisagea tour à tour Mars, Takhatrès, Scruta et Orthenon, et ils lui rendirent tous son regard, silencieux, souriants, inclinant la tête. Le silence qui les entourait alors qu’ils restaient pendus à ses lèvres était intime et profond.
 
Le Roi finit par se tourner vers les jumeaux et sourit de nouveau, mais sans trace de chagrin cette fois-ci. Il inclina la tête.
 
“J’ai abandonné mon trône et mon peuple. Il n’y a pas de honte plus grande pour un Roi. Et pourtant… j’aurais tout perdu dans tous les cas, si j’avais poursuivi ma quête. Mon royaume aurait été fracassé par le feu et le sang. Peut-être qu’il valait mieux le laisser s’effondrer. Nous ne le saurons peut-être jamais. Mais je suis de retour, et nous allons donc recommencer. Je ne vous demande que ceci : êtes-vous avec moi ?”
 
“Bien sûr !”
 
Mars avait été la première à répondre, et les trois autres la suivirent immédiatement. Scruta sourit et s’inclina comme une courtisane, une main sur le ventre, l’autre jetée derrière elle en faisant glisser une jambe en arrière.
 
“Nos vies sont à votre service, mon Roi. Si vous désirez retrouver votre royaume, il vous suffit de le demander, et nous vous l’apporterons sur un plateau.”
 
Flos sourit. Il regarda tour à tour ses quatre liges, et hocha la tête.
 
“Très bien. Nous commencerons par là. Lorsque Takhatrès est arrivé, nous avions suffisamment pour commencer à rebâtir. À présent que d’autres de mes Sept sont arrivés, nous allons pouvoir commencer cela.”
 
Il se détourna et marcha jusqu’aux fenêtres. Tout le monde le suivit, et Flos s’arrêta pour pointer le distant horizon du doigt. Chandrar, le continent où ils se trouvaient, était un endroit chaud et sec, ressemblant fort à l’Égypte ou à un autre pays du Moyen-Orient, pour Trey. Cela avait beau être l’hiver, le ciel dehors était d’un bleu éclatant, et il faisait suffisamment chaud pour qu’il se réjouisse d’être à l’intérieur.
 
“Gardez cela en tête. Pendant que mon royaume déclinait, de puissants nouveaux empires se sont levés. Même pendant mon sommeil, j’ai entendu des murmures de coalitions, et un nouveau dirigeant puissant a conquis les cités du désert.”
 
Flos fronça les sourcils en pointa du doigt le désert qui s’étendait à perte de vue au loin. Il était suffisamment proche pour que Trey puisse le voir, mais le sable et les dunes disparaissaient loin à l’horizon. Trey ne pouvait même pas imaginer à quel point ces terres étaient étendues.
 
Orthenon toussa au creux de sa main.
 
“Des assassins et des armées seront bientôt envoyées contre vous, mon Roi. Vos alliés se réjouiront peut-être de votre retour, mais vous avez de nombreux ennemis.”
 
Scruta acquiesça.
 
“La rumeur a déjà atteint Izril, mon seigneur, bien que je ne sache pas comment. C’est ainsi que j’ai eu la nouvelle de votre retour. Si le mot s’est répandu jusque là-bas…”
 
Mars haussa les épaules, faisant rouler l’armure sur ses épaules en montrant d’une main l’épée à sa taille et l’énorme bouclier rond dans son dos.
 
“Qu’ils viennent, ces assassins. Je protégerai mon Roi. Ce sont les armées qui représenteront la plus grande menace. Mais comment la nouvelle a-t-elle pu voyager si vite ? Je n’ai eu vent de votre retour qu’il y a une semaine, et je n’étais pas loin.”
 
Flos sourit, et Trey tâta l’iPhone dans sa poche, froid et dur. Il l’avait gardé éteint depuis l’appel, mais cela l’avait surpris qu’on l’autorise à le garder. Pourtant le Roi, bien qu’il ait revendiqué Trey et Teres comme ses sujets malgré leurs protestations, avait insisté sur le fait qu’il leur appartenait.
 
“Je crois savoir comment, et je ne serais pas surpris d’apprendre que la plupart des nations ont eu vent de mon retour à présent. Qu’importe ; je n’aurais pas gardé cela secret de toute façon. Un Roi ne se cache pas. Et peut-être qu’ainsi, la nouvelle atteindra mes alliés des terres les plus lointaines.”
 
“Mais vont-ils vous rejoindre ou rester où ils sont ? Dans tous les cas, je ne compterais pas sur leur aide avant la première attaque ennemie.”, déclara sans détour Takhatrès, et Flos acquiesça.
 
Le Roi sourit, tirant légèrement sur sa barbe en surveillant sa ville bourdonnante d’activité.
 
“Comment procéder, alors ? Mon royaume est en ruine ; il faudra beaucoup d’or pour guérir cette longue maladie, et mon trésor est vide. Ceux qui pourraient se battre sont partis vers d’autres guerres pour nourrir leurs familles, et mon armurerie ne contient plus que quelques reliques.”
 
“Vous avez donné les armes et les armures aux soldats qui sont partis.”, devina Scruta, et Flos acquiesça sans une once de regret.
 
“Ils les avaient méritées, et ce genre d’objets m’auraient été inutiles dans mon état. Non, je ne fais qu’établir les faits, Scruta. Et si les armes étaient mon unique problème, je serais chanceux. Mais les murs s’effondrent, et il y a peu de nourriture.”
 
Il se tourna vers son public et écartant grand les bras.
 
“Si je n’ai ni armée, ni argent, peu d’armes et encore moins de provisions pour nourrir mon peuple, que devrais-je faire ?”
 
La situation semblait critique, mais les jumeaux le virent sourire. Ses yeux brillaient, et Trey réalisa que Flos était heureux. Le Roi se tourna vers Scruta.
 
“N’est-ce pas merveilleux ? De faire face à tant d’adversité dès le début ?”
 
Elle sourit d’un sourire fin et énigmatique.
 
“Comme vous dites, mon Roi. C’est un défi digne d’un nouveau départ.”
 
“J’aimerais qu’il en soit de même pour la vie.”
 
Flos soupira, et se tourna vers Orthenon.
 
“Nous allons devoir nous dépasser. Pour le moment, mes Compétences aideront à mobiliser le peuple, mais nous devons trouver une source de nourriture pour nous nourrir cet hiver. Il pourrait bien ne pas neiger sauf dans le désert, mais nous mourrons de faim bien assez tôt.”
 
Orthenon acquiesça. Il montra une petite file de gens par la fenêtre, loin sous le balcon. Trey plissa les yeux, et vit un groupe de gens bien ordonnés en train d’attendre de recevoir de la nourriture distribuée par un wagon. Il n’y avait pas de soldats pour garder le wagon, toutefois, et on aurait dit que les gens qui aidaient à décharger le wagon n’étaient que des bénévoles qui s’étaient portés volontaires.
 
“Les échoppes que nous avons saisies chez les marchands aideront, et d’autres encore nous ont proposé des marchandises à des prix très avantageux, voire gratuitement.”
 
“Gratuitement ? Pourquoi ?”
 
Mars paraissait estomaquée, mais Orthenon ne l’était pas. Il regarda Flos.
 
“Ils se souviennent de votre bonté que vous leur avez montrée par le passé, ou ils espèrent obtenir une faveur du royaume. Mais cela ne suffira quand même pas.”
 
Le Roi fronça légèrement les sourcils, réfléchissant au problème. Il reprit la parole sans s’adresser à personne en particulier.
 
“‘L’argent est la racine de tous les maux”, n’est-ce pas une citation de votre monde ? Eh bien peut-être qu’il engendre bien les maux, car l’argent en lui-même sauverait des vies et remplirait les estomacs vides des enfants.”
 
Trey cilla et Teres se recroquevilla un peu plus lorsque Flos se tourna vers eux. Est-ce qu’ils étaient censés répondre ? Parfois, Flos voulait une réponse juste pour entendre leur point de vue, ou pour savoir ce que penseraient des gens de leur monde. Mais ce n’était pas un de ces moments. Il se retourna vers les autres et pointa la fenêtre du doigt.
 
“Je ne suis pas un Roi pacifique qui attend et bâtit son royaume. Je comprends la guerre, si c’est une histoire de fonds, d’armes, ou n’importe quoi d’autre, alors il nous suffira d’aller le prendre.”
 
Les autres hochèrent la tête comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Mars sourit, affichant une bouche pleine de dents blanches et parfaites.
 
“À qui ? Avez-vous une préférence, sire ?”
 
Flos acquiesça, caressant la barbe sur son menton.
 
“Il y a plusieurs grands groupes de bandits qui ont la puissance d’une petite armée. Et il y a peut-être des individus de valeur parmi eux. À présent que Scruta et Mars sont arrivées, il est possible d’envoyer Mars et Takhatrès pendant que Scruta reste ici. Son nom à lui seul contrera la plupart des menaces pendant votre absence.”
 
Mars et l’homme-oiseau parurent enchantés, mais pas Scruta. Elle se tourna vers son Roi et écarta les mains pour protester doucement.
 
“Je peux encore me battre, mon seigneur. La perte de mon œil…”
 
Flos secoua la tête, et Scruta se tut. Il la dévisagea avec sympathie et affection, en lui posant de nouveau une main sur l’épaule.
 
“Je ne douterai jamais de ton courage, Scruta. Mais je ne veux pas risquer de t’envoyer tout de suite, pas pour quelque chose d’aussi trivial. Il faut que nous trouvions un parchemin ou une potion pour régénérer ton œil, et vite. Mars… Takhatrès…”
 
“Ce sera une de nos priorités, mon seigneur.”
 
Mars s’inclina, et adressa un sourire sensuel à Flos qui fit s’emballer le cœur de Trey. Mais Flos se contenta de lui sourire, et la grande femme fut celle qui se retrouva à rougir.
 
“Je vous remercie. À présent…”
 
Quelqu’un toqua à la double porte. C’était un son ténu, et qui fut rapidement englouti par la salle caverneuse, mais Orthenon fut aux portes en un instant. Il les ouvrit, et laissa entrer un homme couvert de poussière et de crasse.
 
Un ouvrier de construction - une espèce de [Bâtisseur] ? Trey était surpris qu’on le laisse entrer, mais Flos le rejoignit et lui parla avec familiarité comme si c’était tout naturel. Il revint quelques instants plus tard, et s’adressa aux autres.
 
“Il semblerait que je doive aller m’occuper de certaines affaires. La construction, quelques émissaires… non, Scruta, Mars, je ne voudrais pas que vous vous fatiguiez après votre long voyage. Reposez-vous ici. Nous allons faire une petite pause ! Orthenon, je vais m’en occuper moi-même.”
 
Orthenon acquiesça et Flos sortit de la pièce. L’homme de haute taille revint dans le cercle avec les trois autres, et Trey s’éloigna légèrement d’eux.
 
L’humeur de la vaste salle du trône avait de nouveau changé. En l’absence de Flos, les sourires de ses quatre vassaux se transformèrent. Ils souriaient toujours, mais différemment en se dévisageant.
 
Teres n’eut pas besoin d’expliquer à Trey qu’il y avait de la tension entre eux. Mars fut la première à briser le silence. Elle se décala légèrement, se penchant en avant afin que sa poitrine soit plus mise en valeur lorsqu’elle s’adressa à Scruta.
 
“C’est bon de te revoir, Scruta. Dommage que tu ne sois pas arrivée plus tôt, j’aurais adoré voir le visage de notre seigneur si nous étions arrivées ensemble.”
 
Scruta rendit son sourire à Mars, sans une once de joie véritable dans son expression. Elle avait des dents pointues.
 
“Je ne voudrais pas souiller le bonheur de retrouver notre Roi par ta présence. Il mérite quelqu’un à ses côtés avec le moins possible d’assurance et de compétence.”
 
“Oh ? Et je vois que tu es aussi impatiente qu’à l’accoutumée, Scruta. Tu aurais pu attendre ; notre seigneur appréciait beaucoup le poème sur le roi mort depuis longtemps.”
 
La demie-Scruteuse haussa les épaules, presque à regret, et secoua la tête.
 
“Quel dommage qu’il soit obligé d’écouter les histoires d’enfants d’un autre monde pour se divertir. On dirait que la nouveauté de ta présence s’est déjà estompée, Mars.”
 
La femme plissa les yeux et sa main tressaillit en direction de la garde de son épée. Scruta sourit d’un air supérieur, mais avant qu’aucune des deux ne puisse échanger un deuxième round d’insultes, Takhatrès claqua la langue doucement. Il écarta les “bras”, deux grandes ailes aux longues plumes et se terminant par des serres agiles à chaque extrémité.
 
“Avez-vous vraiment l’intention d’échanger des insultes dès vos retrouvailles ? Ou suis-je tellement invisible que tu ne souhaites pas me demander comment je vais, Scruta ?”
 
Scruta le regarda, et son expression s’adoucit. Mars parut honteuse, et elle se gratta la tête en se tournant vers Takhatrès.
 
“Je te prie de me pardonner, Takhatrès. Comment se porte ta tribu ?”
 
“Oui, désolée. Comment vont tes fils et ta fille ? Est-ce que tes femmes ont pondu d’autres œufs depuis la dernière fois que je t’ai vu ?”
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 04 novembre 2020 à 21:24:01

2.22 K - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

Orthenon s’approcha de Teres et Trey pendant que les trois autres se mettaient à discuter plus sérieusement. Trey était soulagé que ce soit lui qui vienne leur parler ; il avait de nouveau la tête qui tournait, et il avait désespérément besoin de parler à quelqu’un si Teres et lui n’étaient pas autorisés à s’éloigner pour discuter. Et s’il y avait une personne à laquelle Trey devait parler, il choisissait Orthenon.
 
“Comment allez-vous, Trey, Teresa ?  La journée a été longue et je crois que mon seigneur a oublié que vous avez besoin de vous sustenter, même si ce n’est pas son cas. Voulez-vous que je vous fasse apporter quelque chose à manger ?”
 
“Quoi ? Non… ça va, merci.”
 
“Je n’ai pas faim, merci. J’ai bien mangé ce matin.”
 
Teres sourit à Orthenon. À part Flos et Trey, il était à peu près la seule personne avec qui elle se sentait suffisamment à l’aise pour parler.
 
Le grand moustachu était gentil, strict, et absolument formel à tout moment. Trey l’admirait, et il savait que Teres aussi… pour plus de raisons que lui. Plus important, Orthenon était l’une des rares personnes avec lesquelles les jumeaux étaient à l’aise pour parler. Il leur avait expliqué la plupart des choses qu’ils savaient sur la manière dont fonctionnait ce monde, et il était toujours de bon conseil.
 
Et ses mises en gardes étaient toujours fondées, aussi. Orthenon baissa la voix tandis que les trois personnes derrière lui se mettaient à papoter, Mars et Scruta échangeant des piques occasionnelles.
 
“Un avertissement pour tous les deux : tenez-vous loin de Scruta. Elle a beau être la plus faible des trois, du moins sans son œil, elle reste celle qui inspire le plus de crainte, et est peut-être celle qui est la plus possessive en ce qui concerne notre Roi.”
 
“Oh. Okay.”
 
Trey ne savait pas quoi répondre à cela. Est-ce qu’Orthenon était en train de dire que Scruta risquait de les détester parce que Flos avait fait d’eux ses assistants ? Mais elle était bien plus importante qu’eux, non ?
 
Teres pensait clairement la même chose.
 
“N’est-elle pas l’une des Sept ? J’ai entendu quelqu’un dire ça.”
 
Trey n’avait rien entendu de tel, mais Orthenon acquiesça. Il fronça les sourcils.
 
“Personne ne vous a parlé des Sept ? Takhatrès… non, je ne pense pas qu’il aime se vanter et je suppose que c’est un fait considéré comme connu de tous.”
 
Il soupira, et tapota légèrement son pantalon en réfléchissant.
 
“Les Sept étaient jadis le cercle personnel du Roi Flos, auprès de qui il prenait conseil et sur qui ils s’appuyait. Ils étaient ses généraux, ses dirigeants qui géraient chacun une partie de son royaume. Ils étaient ses sujets les plus forts et les meilleurs. Voyez les trois qui vous font face ; malgré leurs querelles, leurs noms sont connus dans le monde entier.”
 
Trey sentit un frisson lui parcourir la colonne vertébrale lorsqu’il regarda Scruta, Mars, et Takhatrès. Teres dévisagea Orthenon avec curiosité.
 
“N’en fais-tu pas partie ?”
 
Il sourit brièvement.
 
“Mon rôle est différent. Je suis l’Intendant du Roi ; je ne peux guère me trouver loin de lui.”
 
“En ce cas, qui est le plus fort ?”
 
C’était une question stupide, mais Trey était curieux. Il sentit la désapprobation de Teres et rougit, mais Orthenon traita sa question comme si elle était normale.
 
“Mars a le plus de niveaux, si c’est ta définition de la force. Elle est au Niveau 66, et c’est la deuxième plus haut classée parmi les guerriers du continent.”
 
C’était sans aucun doute le nombre le plus élevé dont Trey avait jamais entendu parler. Teres avait l’air impressionnée elle aussi, et pour une bonne raison. Les deux jumeaux avaient appris les conventions de ce monde à présent, et ils comprenaient ce que cela signifiait.
 
“Sur Chandrar, elle est deuxième, mais en termes de niveaux dans le monde, vous pourriez quand même compter ceux qui ont son niveau ou plus haut à vous deux.”
 
“Elle est donc plus forte que Scruta ?”
 
Orthenon hésita. Il avait l’air mal à l’aise.
 
“Si nous devions nous battre ici tous les quatre, Mars aurait le plus de chances de quitter cette pièce. Mais je ne parierais pas là-dessus. Les Sept ont été choisis parce qu’ils excellaient plus que tout autre dans un domaine précis.”
 
“Et pourquoi les appelle-t-on les Sept ? Il y a un rapport avec les Sept Péchés Capitaux ou pas ?”
 
Teres avait clairement pensé la même chose, mais le regard qu’elle lui adressa lui rappela que la vie n’était pas un manga. Orthenon parut perplexe.
 
“Les Sept Péchés… ? Non. Pas de noms. Juste les Sept. Il n’y avait pas de légende derrière leur existence avant que Flos ne nomme les quatre premiers. Puis il a lentement ajouté des individus à leurs rangs. Le chiffre n’a pas de signification ; si quelqu’un d’autre en avait été digne, ils auraient été huit. En l’état, ils pourraient tout aussi bien se faire appeler les Cinq.”
 
“Pourquoi ?”
 
“Deux des Sept son morts. Ils ont péri avant que notre Roi ne plonge dans son sommeil. Et deux autres doivent encore revenir. Amerys, la Fleur Paisible du Champ de Bataille, et Drevish, l’Architecte.”
 
“Pourquoi ces titres ? Je veux dire, pardon, que veulent-ils dire ?”
 
Orthenon marqua une pause, puis son visage s’assombrit.
 
“Je crois qu’ils n’aimeraient pas que je te le dise. Si tu dois le savoir, il serait plus sage de le leur demander toi-même.”
 
Il hocha la tête, et Trey rejoignit avec réticence les trois autres en compagnie de Teres. Il n’avait pas demandé parce qu’il voulait leur poser la question en face à face. Mais Teres voulait savoir, et elle allait lui faire poser la question, il en était sûr.
 
Mars était en train de discuter avec les autres lorsque les jumeaux et Orthenon se trouvèrent de nouveau à portée de voix.
 
“... reste surprise qu’Amerys ne soit pas arrivée. Drevish, je comprends, s’il est dans une sorte de projet il ne l’abandonnera pas même pour notre seigneur, mais Amerys ?”
 
Elle s’interrompit, et sourit aux jumeaux à leur approche. Trey essaya de lui sourire et de croiser son regard et rien d’autre, et Teres baissa la tête.
 
“Vous êtes ceux qui avez réveillé mon roi lige, n’est-ce pas ? Je suis en votre dette, Trey et Teres, c’est bien ça ?”
 
Elle s’inclina d’un air solennel devant Trey, et Teres et lui se tortillèrent un peu, mal à l’aise. Il prit la main de Mars lorsqu’elle la lui tendit et sa poigne calleuse puissante faillit lui écraser les doigts.
 
“Hum, enchanté de faire ta connaissance.”
 
“De même.”
 
Mars sourit de nouveau à Trey. Il rougit et essaya de garder ses yeux… n’importe où au-dessus de ses épaules, vraiment. Elle avait l’air sortie tout droit d’un animé japonais ou d’un jeu vidéo, ce qui voulait dire qu’elle possédait des formes féminines stylisées et parfaites… d’un point de vue masculin.
 
Il était désorienté, et s’apprêtait à faire quelque chose de stupide, donc Teres lui donna un coup de pied. La question qu’il avait dans sa tête jaillit de ses lèvres sans qu’il puisse s’en empêcher.
 
“Pourquoi… pourquoi vous appelle-t-on l’Illusionniste ? Est-ce que vous pouvez faire de la magie ?”
 
Mars cligna des yeux, surprise, et Takhatrès pouffa doucement, amusé. Il vit Teres se rapprocher de lui pour s’éloigner de Scruta.
 
Trey savait que Teres aimait bien l’homme-oiseau, et ce dernier avait été très gentil avec eux depuis qu’il était arrivé la semaine dernière. Mais le bec courbé et l’allure de prédateur du Garuda, ou homme-oiseau, le faisait apparaître mille fois plus effrayant que Falco. Il bougeait souvent ses ailes/bras en se dandinant lorsqu’il parlait.
 
Mars se gratta l’une de ses boucles de cheveux d’un roux éclatant, l’air embarrassée. Les autres gloussèrent.
 
“Je ne suis pas [Mage], si c’est ta question. Je suis [Avant-Garde] - une variation de la classe de [Guerrière]. Je ne sais pas faire de magie, en fait, même si j’ai plusieurs artefacts. C’est à ça que le nom fait allusion.”
 
C’était plutôt logique. Est-ce qu’elle utilisait des illusions pendant les combats ? Trey voulait lui en demander plus, mais Mars avait l’air mal à l’aise, et Takhatrès intervint. Il inclina la tête afin de pouvoir baisser les yeux sur Trey - le Garuda était vraiment très grand.
 
“La plupart de nos titres nous ont été donnés par nos ennemis. Ils sont véridiques, mais jusqu’à un certain point seulement. Vous apprendrez peut-être leurs significations complètes plus tard, mais pour le moment…”
 
Takhatrès sourit, et montra la fenêtre d’une serre.
 
“Des affaires plus importantes nous attendent.”
 
On aurait dit qu’il venait d’actionner un interrupteur dans le groupe. Ils se tournèrent vers les portes, puis abandonnèrent leurs discussions décontractées et leurs querelles silencieuses. Ils se mirent à parler vite et d’un air décidé, et les jumeaux les écoutèrent. Et ils réalisèrent tous deux qu’ils réunissaient un premier conseil avant le retour de Flos.
 
“C’est bien que vous soyez toutes deux ici. J’ai amené mes guerriers avec moi, mais même avec Orthenon, je restais profondément ennuyé. À présent que vous êtes toutes deux ici, je pense que nous allons enfin pouvoir vraiment commencer à accomplir les ambitions de notre seigneur.”, déclara franchement Takhatrès à Mars et Scruta. Mars hocha la tête.
 
“Heureusement que je ne sois pas restée sur place pour vérifier la véracité des rumeurs, aussi. Lorsque j’ai entendu parler de son retour… j’étais folle de joie, évidemment, mais inquiète, aussi. Maintenant que je suis ici, je me rends compte que les choses sont encore pires que je ne le croyais. Nos forces sont tellement faibles que n’importe quelle armée pourrait pénétrer ici comme dans un moulin. Mis à part nous, qui pourrait protéger notre Roi ?”
 
“Il nous suffit de nous battre et de vaincre nos ennemis. À présent que notre Roi est revenu, quel autre choix nous reste-t-il ?”, demanda Scruta en haussant les épaules d’un air nonchalant. Takhatrès fronça les sourcils.
 
“Il y a une différence entre l’assurance et la folie, Scruta. À toi seule, tu pourrais peut-être vaincre une armée, mais peux-tu, seule, protéger notre seigneur en pleine bataille ?”
 
“Surtout avec ton œil blessé.”, lâcha Mars en pointant l’œil de Scruta du doigt. La demie-Scruteuse fronça les sourcils mais ne répliqua pas. Takhatrès hocha lentement la tête.
 
“Il nous suffit de rassembler nos forces aussi vite que possible. J’ai apporté mes meilleurs guerriers avec moi pour se charger de la sécurité pour le moment et ma tribu s’apprête à venir ici. Dans quelques jours, nous aurons une armée avec nous.”
 
“Mais il nous faudra une légion pour conquérir ce continent, sans parler du monde.”
 
“Et alors ? Lorsqu’il a commencé sa conquête, notre seigneur possédait bien moins que cela.”
 
Mars fronça les sourcils, mais Takhatrès ne semblait pas rassuré.
 
“C’était avant. À présent, le monde connaît sa puissance et nos ennemis nous attaqueront de toutes leurs forces dès le début. Si nous n’agissons pas, nous risquons d’être anéantis avant même d’avoir commencé.”
 
“Il nous reste quelques vétérans des anciennes guerres, et le personnel du château peut nous aider. Mais ils ne constituent certainement pas un bataillon. J’ai essayé de garder quelques soldats, mais je ne pouvais leur donner ni nourriture, ni paie. Si notre Roi le leur avait demandé, ils seraient peut-être restés, mais comme j’étais seul…”
 
Orthenon soupira et ses épaules s’affaissèrent. Mars lui tapota le dos et même Scruta secoua la tête.
 
“Tu l’as gardé en sécurité et maintenu le royaume intact. Il nous faut simplement restaurer ce qui a été perdu. Et nous sommes quatre, ici. Suffisamment pour vaincre n’importe quelle armée.”
 
Mars hocha joyeusement la tête.
 
“Qui pourrait se dresser contre notre seigneur au sommet de sa puissance ? Il pourrait faire venir les gens ici tout seul s’il le fallait. Même maintenant, entre nous, quelle force serait capable de nous vaincre ?  C’est cela dont il faut s’inquiéter.”
 
Orthenon se mit à lister des noms pendant que les autres hochaient la tête en signe d’approbation ou de dénégation.
 
“En termes de puissances majeures ? Les Quatre Compagnies de Baleros, Wistram, une coalition des royaumes Terandriens, peut-être, le Roi Maudit, la Maison de Minos…”
 
“Des puissances étrangères. Qu’en est-il de ce continent ?”
 
“Il y a une alliance de nations au nord qui s’est formée après la chute de l’empire. Ils viendront nous attaquer.”
 
“Mais ils ont peur. Hum. On a peut-être du temps de ce côté-là. Non, je pense que l’Empire des Sables représente la plus grande menace.”
 
“Je n’avais entendu parler que d’une nation en expansion quand je suis partie. Qu’est-ce que l’Empire des Sables ?”
 
“Un nouvel [Empereur] est apparu il y a quelques années. Il a absorbé une grande partie des nations de l’empire de notre seigneur et créé une vaste armée. Il est en train de balayer le continent, et ses soldats sont puissants.”
 
“Et nos armées se sont soit éparpillées, soit ont disparu. C’est peut-être notre plus grande perte.”, déclara doucement Orthenon. Les trois autres acquiescèrent. Il se tourna vers les jumeaux pour leur expliquer.
 
“La puissance de notre seigneur n’a jamais résidé en une seule armée, ni même en ses généraux. Au sommet de notre gloire, nous avions des armées et des individus en très grand nombre qui se battaient sous notre bannière.”
 
Mars acquiesça. Elle se mit à compter sur ses doigts.
 
“Nous n’aurons ni les Rustängmarders, ni la Légion Oubliée, ni les Marcheurs Silencieux pour le moment. Mais les Spectres sans Soleil se joindront peut-être à nous si nous prenons la côte. Et les Gardiens de Tombeaux…”
 
“Nous n’avons pas l’or nécessaire pour les engager.”
 
“Ils nous sont redevable. L’honneur ne représente-t-il donc rien pour eux ?”
 
“Non, mais ils ont prêté serment. Et faire la guerre n’en faisait pas partie. Si nous pouvions leur offrir du soutien à eux aussi…”
 
“Et les Enragés ? Ils sont à … Averach ? Ils enverront sûrement une délégation si on le leur demande. Il n’y a pas d’autre dirigeant qui les supporte aussi bien que notre seigneur.”
 
“Les Enragés ? Qui sont-ils ?”
 
C’était étonnamment Teresa qui avait posé la question. Orthenon hocha la tête.
 
“Des [Alchimistes] pour la plupart. Mais également une nouvelle classe - des [Ingénieurs]. C’est un groupe de désastres ambulants qui créent de merveilleuses inventions et du chaos. En avoir un dans sa ville garantit pratiquement qu’il y ait de la destruction et des morts, mais sous le règne de notre seigneur, ils travaillaient à nous créer des miracles.”
 
Mars avait l’air contrariée. Elle tritura une mèche de ses longs cheveux.
 
“Je ne peux pas dire que j’aimerais me tourner vers eux en premier pour demander de l’aide. Peut-être que certains d’entre eux pourraient nous donner des fonds et des artefacts… mais clairement pas l’armée dont nous avons besoin.”
 
“Et pourquoi pas…”
 
Takhatrès s’interrompit et se tourna vers la porte. Les trois autres se turent, puis les portes s’ouvrirent.
 
Flos entra d’un pas majestueux et sourit en venant rejoindre le groupe. Et la discussion se termina subitement. Ses vassaux mirent leurs inquiétudes de côté pour écouter les paroles de leur roi. Et plus encore…
 
“Mon seigneur. Je n’ai pas eu l’occasion de vous offrir ceci plus tôt, mais je souhaite vous offrir le fruit de mon labeur leur de mes voyages.”, déclara en premier Mars, en s’inclinant devant Flos. Elle lui tendit un étrange sac noir brodé de symboles lumineux. Flos cilla, puis sourit.
 
“Un présent ? Ta présence est déjà un cadeau. Mais si cela peut aider mon royaume, je l’accepte avec gratitude. Qu’as-tu trouvé ?”
 
“Des armes, mon seigneur. Des armes, des armures et des objets magiques pour équiper une armée.”
 
La femme plongea la main dans le sac et en tira une épée. Elle était incurvée, comme un cimeterre, mais à double tranchant, et elle brillait d’une lumière violette à la lumière. Flos la prit et en admira la lame en discutant avec Mars.
 
Trey était captivé par la lame magique - et les autres armes que Mars se mit à tirer de son sac magique, mais Teres lui donna un coup de coude et il regarda ce qu’elle voulait lui montrer.
 
Scruta fusillait Mars du regard, et Takhatrès aussi, et Orthenon aussi, d’ailleurs. Ils n’avaient pas l’air… énervés, mais il y avait du défi dans leurs regards. Puis il comprit.
 
Cela n’aurait pas dû être une compétition, mais c’en était bel et bien une. Les quatre vassaux ne voulaient rien de plus que de plaire à leur Roi, et d’être celui ou celle qui parvenait à lui faire le plus plaisir. Orthenon n’avait rien à offrir, et pourtant, sa contribution - rester loyalement aux côtés de Flos toutes ces dix longues années - était difficile à surpasser.
 
Mars continua de tirer des armes magiques du sac jusqu’à ce qu’elle ait une petite armurerie entassée à ses pieds.
 
“Cela suffira à équiper les lieutenants et les officiers, ou à faire un petit régiment. Je vous l’offre pour la guerre, mon seigneur.”
 
“Je n’aurais pas pu en demander plus. Merci, Mars, ce sera le fondement de la reconstruction de nos armées.”
 
Flos sourit de nouveau à Mars et elle inclina la tête en rougissant. Takhatrès s’éclaircit la gorge ; c’était son tour, à présent.
 
“J’ai amené avec moi ma tribu, et nos nombres ont quadruplés depuis la dernière fois que je les ai menés à la bataille. Mes guerriers sont à présent entraînés à se battre plus férocement, plus violemment qu’avant. Nous volerons dans le ciel et assombrirons le ciel pour vos ennemis, mon Roi.”
 
“Je me souviens de la puissance de ta tribu autrefois. Je ne l’échangerais pas même pour cinq armées, et je sais qu’elles seront le fer de lance de notre guerre. Takhatrès, je te remercie.”
 
Flos serra le bras de Takhatrès et inclina légèrement la tête. Puis ce fut le tour de Scruta. Trey voyait les trois autres la dévisager, mais la demie-Scruteuse n’avait rien sorti. La demie-Scruteuse écarta les bras en grand en souriant légèrement.
 
“Mon seigneur, je regrette de vous annoncer que je ne vous ai rien ramené. La magie que j’ai découverte, les trésors que j’ai rapportés ne valent pas la peine que je vous en parle. Je ne peux rien vous offrir d’autre qu’une histoire amusante.”
 
“Oh ?”
 
Flos haussa les sourcils. Mars eut un sourire narquois et Takhatrès se couvrit brièvement la bouche d’une aile. Ils pensaient avoir gagné la compétition, mais Orthenon fronçait légèrement les sourcils en contemplant Scruta. Et elle avait un petit sourire sur le visage.
 
“Oui, mon seigneur. Vous savez peut-être que j’ai quitté ce royaume, et, de surcroît, ce continent, pour trouver une chose qui pourrait raviver vos passions d’autrefois.”
 
“En effet. Et l’as-tu trouvée ?”
 
“Non, mon seigneur. Pas immédiatement. J’ai parcouru de nombreuses contrées à la recherche de créatures, de monstres, mais je n’ai rien trouvé qui en vaille la peine. Jusqu’à arriver dans une petite auberge à la périphérie de la ville de Liscor, sur le continent d’Izril.”
 
Trey écouta, vivement intéressé, Scruta décrire sa première rencontre avec Erin. Et il remarqua que Flos était pendu aux lèvres de Scruta, ses yeux brillant d’intérêt. Et que Mars et Takhatrès perdaient petit à petit de leur superbe au fur et à mesure que Scruta contait son histoire.
 
“Elle vient - comme ces deux jeunes gens - d’un autre monde.”
 
Scruta montra les jumeaux d’un geste, et Trey et Teres échangèrent un regard. Était-elle l’une des personnes de l’appel ? Pouvaient-ils rencontrer Erin Solstice ?
 
“Une jeune femme qui se jetterait dans un gouffre où brûle une fournaise pour sauver une araignée. Avant de la refaire tomber dedans.”
 
Flos se caressa la barbe et secoua la tête.
 
“... Mais je te connais, Scruta. L’histoire n’est pas terminée, n’est-ce pas ? Cette fille est encore plus extraordinaire que ce que tu nous laisses entendre.”
 
La Scruteuse sourit.
 
“Oui, mon Roi. Lorsque je l’ai regardée, j’ai vu qu’elle avait une compétence que je n’avais jamais croisée pendant toutes mes années de voyage. Elle s’appelle [Instant Immortel].”
 
Flos était à présent entièrement focalisé sur Scruta. Il sourit, ses yeux brillant de curiosité.
 
“[Instant Immortel]. Un étrange nom pour une compétence. Étrange et… intrigant. Je me demande ce qu’elle fait. Est-ce que tu l’as vue l’utiliser, Scruta ?”
 
“Non. Je ne suis pas certaine qu’Erin elle-même connaisse la nature de sa compétence.”
 
Flos fronça les sourcils, et se mit à faire les cent pas dans la vaste pièce, passant et repassant devant le groupe.
 
“Je connais un peu la nature de ce monde, des classes et des niveaux, et cela m’intéresse vivement, comme tu le sais, Scruta. Quand quelqu’un crée ce qui n’a jamais été, ils apprennent automatiquement la compétence. Il est possible que cette jeune femme ait découvert une compétence qui ne soit pas de ce monde, et l’ai gagnée en la découvrant. Si c’est le cas…”
 
Scruta acquiesça.
 
“Elle est unique. À elle seule, elle a créé des liens amicaux avec des Antiniums et possède un serviteur squelette. Elle parle avec les Drakéides et les Gnolls comme à des égaux, et elle pleure en tuant des monstres. Que ce soit à l’intérieur ou autour de son auberge, elle a interdit de tuer les Gobelins, et elle enseigne les échecs à l’une d’entre eux. Et…”
 
Elle sourit, et toucha légèrement son œil encroûté d’un doigt gantelé.
 
“... Et c’est elle qui a blessé mon œil.”
 
Les autres la dévisagèrent. Puis Flos éclata de rire.
 
“Une [Aubergiste] ? Une fille qui n’a pas encore atteint le Niveau 20 ? Elle t’a frappée ?”
 
Mars paraissait incrédule et Takhatrès fronçait les sourcils, mais Scruta souriait avec son seigneur.
 
“Oui. L’autre fille qui, comme je l’ai mentionné, est venue avec elle secourir les aventuriers condamnés - Ryoka Griffin - m’a annoncé que vous étiez vivant. J’ai hésité, mais c’est Erin qui a osé me porter ce coup.”
 
“Une fille qui aveugle l’une de mes Sept, qui a tué un Ver de Chair, qui vient d’un autre monde, fraternise même avec des monstres et joue aux échecs…”
 
Flos secoua la tête et éclata de nouveau de rire, longuement, bruyamment. Il leva les yeux au plafond puis soupira lentement.
 
“Quel fou j’ai été. Tant de gens et de merveilles évoluaient juste sous mon nez pendant que je désespérais.”
 
Il se tourna vers Scruta, et pouffa de nouveau.
 
“Tu ne m’as pas offert d’armes pour me battre, ni de soldat pour dresser ma bannière. Mais ton histoire a allumé une flamme dans mon cœur, et je t’en remercie, Scruta.”
 
Elle inclina la tête et son sourire s’élargit.
 
“Merci, mon Roi.”
 
“Mais même si tu n’avais rien apporté d’autre que ta personne et des ennemis à mes portes, je t’aurais accueilli avec une joie sans égale. J’espère que tu le sais, Scruta.”
 
Flos dévisagea Scruta, et elle leva la tête. Le regard qu’elle rendit à son Roi était ouvert, honnête, et sincère, et Trey comprit que c’était un côté de Scruta que peu voyaient.
 
“Je le sais, mon seigneur. Je le sais.”
 
“Alors célébrons tout cela !”
 
Flos fit volte-face, et ouvrit ses bras en grand. Il regarda Mars et Takhatrès et les souleva tous deux dans ses bras.
 
“Deux de mes Sept me sont revenus aujourd’hui, il faut célébrer cela avec un festin, et nous le ferions si nous avions à manger. Mais sans cela, buvons simplement à la santé de nous tous et que les histoires de notre passé soit notre banquet. Le conseil peut attendre. Asseyons-nous, mes amis, et vous me raconterez tout ce qui vous est arrivé.”
 
Il hocha la tête à l’attention d’Orthenon, et ce dernier se mit en mouvement. Il fit signe à Trey et Teres de le suivre ; ils l’aidaient souvent à diriger le personnel. Trey savait déjà qu’ils allaient utiliser l’une des plus petites salles à manger et dire aux chefs de préparer les meilleurs repas qu’ils pouvaient avec ce dont ils disposaient.
 
Orthenon ouvrit les portes et s’arrêta net. Trey faillit lui rentrer dedans. Quelqu’un attendait - un Courrier, couvert de poussière après son voyage, et qui parla discrètement à l’intendant du Roi.
 
Trey et Teres n’entendirent pas ce qui fut dit, mais le sourire d’Orthenon s’évanouit promptement. Il valida la livraison, et, ce faisant, accepta lentement le colis que le courrier avait apporté.
 
C’était une grande boîte de bois nu, presque de la taille du torse de Trey. Et elle était lourde, à en juger par la manière dont le Courrier épuisé la tenait.
 
Orthenon prit la boîte sans difficulté, et revint lentement vers Flos. Le Roi cessa de rire et lâcha Scruta en voyant son intendant s’approcher.
 
“Orthenon. Qu’est-ce donc ?”
 
“Une livraison, mon Roi. Elle vient de nous parvenir par Courrier. L’expéditeur est l’Empereur des Sables.”
 
On aurait dit qu’il venait de verser de l’eau froide sur un feu de camp. Mars et Takhatrès cessèrent immédiatement de sourire, et Scruta focalisa ses yeux sur la boîte en touchant l’épée dans son dos.
 
Le sourire de Flos s’effaça lentement, et il regarda fixement la boîte dans la main d’Orthenon. Lentement, le Roi la saisit. Il ne craignait pas un piège, mais il étudia le bois nu et la boîte lourde avec une expression troublée - l’une des rares que Trey lui avait vu exprimer.
 
La boîte était de bois nu, mais une fissure de la taille d’un cheveu en entourait le sommet. Flos posa sa main sur le couvercle, et hésita.
 
“Ce n’est peut-être que mon imagination. Mais Orthenon… j’ai peur d’ouvrir cette boîte.”
 
L’intendant regarda son Roi. Flos lui rendit gravement son regard.
 
“Je n’ai jamais rencontré cet Empereur des Sables. Mais ce n’est pas difficile d’imaginer qu’il ne me porte pas dans son cœur. Et cette boîte…”
 
“Mon seigneur. Je ne peux pas voir à l’intérieur avec mes yeux mineurs. Laissez-moi l’ouvrir. Elle est peut-être piégée.”
 
Scruta tendit la main vers la boîte, mais Flos l’empêcha de la toucher.
 
“Non… non. Ce n’est pas ce que je crains. Cet Empereur ne serait pas aussi mesquin, je pense. Mais je ne crois pas non plus qu’il soit plein de bonté. Non… mon instinct me dit que je vais regretter de savoir ce qu’il y a à l’intérieur.”
 
Il indiqua la boîte de bois d’un geste, puis soupira.
 
“Et pourtant, je dois l’ouvrir. Si j’étais guidé par la peur, je ne serais pas Roi. Donc. Voyons ce que cet Empereur des Sables m’a envoyé.”
 
Lentement, il posa les doigts sur le couvercle, et le souleva lentement. Trey vit le bois se soulever, puis… était-ce de la glace ?
 
Oui, c’était de la glace ! Lentement, un cube de glace, parfaitement emboîté à l’intérieur du cadre de bois, coulissa. Il était recouvert de condensation, mais finit par sortir de la boîte qui tomba par terre.
 
Flos tint le cube de glace embrumé dans ses mains et le regarda d’un air sombre. Trey ne comprenait pas. Ce n’était que de la glace. Était-ce une sorte de présent ? Magique ? Mais il remarqua alors que les autres s’étaient tus, et que les yeux de Scruta étaient fixés sur le bloc.
 
Lentement, Flos essuya une face du bloc de glace. Teres hurla. Trey crut qu’il allait vomir.
 
À l’intérieur du bloc de glace se trouvait une tête d’homme. Ses cheveux étaient courts et ondulés, et sa peau bronzée et sombre. Il avait des cheveux gris, beaucoup de rides, et des traits sévères. Ils étaient encore plus sévères, figés dans sa dernière expression de regret, amer et profond. Sa bouche était tordue sur le côté et vers le bas, et ses yeux étaient clos.
 
Flos regarda la tête sans dire un mot. Takhatrès, Mars, Orthenon, tous restèrent silencieux. Mais Scruta parla. Elle dit un mot. Un nom.
 
“Drevish.”
 
L’Architecte. L’un des Sept. Trey comprenait enfin la signification de ce message, et son estomac se contracta encore plus fort.
 
“Oh, mon ami. Oh, mon très cher ami, bâtisseur de merveilles.”, chuchota Flos, les mains tremblantes.
 
Il contempla la tête de Drevish, son visage déformé par la souffrance et le deuil.
 
“Que t’ont-ils fait ?”
 
Drevish était mort décapité d’un rapide coup de hache. Dans le bloc de glace suintant, le sang tachait encore son cou entre les mains de Flos. Tout le monde le regardait. Mars avait la main serrée sur la poignée de son épée, des larmes coulaient sur son visage et ses yeux brûlaient de rage. Takhatrès inclina la tête, croisa ses ailes et murmura ce qui ressemblait à une prière. La main d’Orthenon était tellement serrée que Trey vit un filet de sang courir le long de sa main et tacher ses vêtements immaculés. Et Scruta…
 
Scruta regardait son Roi. Elle ne souriait pas, dans l’expectative. Elle attendait.
 
Lentement, Flos s’assit par terre. Il s’assit en tailleur, ignorant l’eau qui tachait ses vêtements. Il ne prêta pas attention à la glace qui fondait ; il se contenta de rester assis, à regarder son ami mort.
 
Il prit doucement la parole.
 
“Nous ne sommes pas prêts.”
 
Ses vassaux s’agitèrent. Flos reprit la parole.
 
“Nous ne sommes pas prêts. Pas prêts pour croiser le fer avec l’Empire des Sables. Nous n’avons pas d’armée ; nous avons à peine une garnison ici. Mon peuple va mourir de faim. C’est pour cela que nous devons attendre.”
 
Il baissa lentement la tête, jusqu’à ce qu’elle touche le bloc de glace.
 
“Il nous faut supporter même la plus grande des insultes, car nous n’avons même pas rassemblé notre armée. Les vassaux qui pourraient nous rejoindre hésitent encore, et nos vieux alliés ne sont pas encore au courant de mon retour. La sagesse nous somme d’attendre.”
 
Trey retint sa respiration. Il n’avait jamais vu Flos aussi abattu. Juste une fois - la fois où ils avaient traversé les mondes pour la première fois et atterri dans cette pièce et vu l’homme assis dans sa petite chaise, épuisé et vieux.
 
Flos avait de nouveau retrouvé cette apparence. Il avait l’air âgé, gris, fatigué, épuisé. Il contempla la tête de Drevish et soupira. Puis il dit un mot.
 
“Mais…”
 
Ce mot changeait tout. Ce mot était plus qu’un son. Il résonna dans la vaste pièce, et Trey sentit le même tonnerre gronder dans les airs que la dernière fois. Flos se leva lentement, et baissa les yeux sur la glace en train de fondre dans ses mains. Sa voix gronda et s’écrasa sur ceux qui l’écoutaient.
 
“Mais je tiens entre mes mains, entre mes mains, la tête de l’un de mes amis les plus chers. Un homme que j’ai aimé plus que n’importe quel fils, assassiné. En ce jour de grande joie. Et je serais censé supporter cette insulte en silence ? Non, non. Si je n’agis pas, je ne vaux pas la peine de vivre, et encore moins d’être Roi.”
 
Il contempla la tête entre ses mains, et des larmes coulèrent de ses yeux. Mais sa voix était ferme. Et elle s’amplifiait. Elle commençait à résonner à travers le palais, à travers le royaume.
 
“Mon ami, mon frère, mon compagnon d’armes. Drevish. Tu as bâti mes cités et mes armes de guerre alors que tu ne désirais rien de plus que de créer des œuvres d’art. Et à présent, tu as été assassiné. Je vais trouver cet Empereur des Sables et j’aurai sa tête pour cela, je le jure.”
 
Trey sentit quelque chose trembler. Il ne savait pas si c’était le sol ou… lui-même. Il s’accrocha à Teres tandis que Flos retourna lentement vers son trône. Il plaça le bloc de glace sur le trône doré, face à lui. Le Roi inclina une fois la tête, et lorsqu’il se retourna, sa voix s’était muée en un rugissement.
 
“Cet Empereur des Sables a versé mon sang ! Il m’a volé un ami précieux, et je le mettrai à genoux pour cela. Il pense que je vais supporter l’insulte et attendre, mais il ne connaît pas la nature d’un Roi. Il ne me connait pas moi.”
 
Il se redressa sur le dais et pointa ses quatre vassaux et les deux jumeaux terrifiés du doigt.
 
“Dites-moi, mes Sept ! Le Roi de la Destruction subit-il une insulte faite à son peuple ?”
 
“Non !”, crièrent-ils à l’unisson. Flos hocha la tête.
 
“Est-ce qu’il fuit pour se cacher de ses ennemis ?”
 
“Non !”
 
“Craint-il n’importe quel être qui soit sous nos cieux ?”
 
Non !
 
Ils rugirent cette réponse d’une seule voix. Scruta, Orthenon, Takhatrès, Mars… leurs yeux étaient de flammes et ils tremblaient de rage.
 
Le Roi tira son épée, et sa voix explosa à travers le château ; l’incarnation de la furie.
 
Alors, nous partons en guerre ! Qu’on m’apporte mon cheval, mon armure et mes armées ! Nous chevaucherons jusqu’à ce que l’Empire des Sables ne soit plus que poussière au vent ! À moi ! Pour la vengeance et la furie !
 
Il bondit du dais et dévala les marches dans un vacarme de tonnerre. Il se déplaça tellement vite que Trey le vit d’un côté de la pièce et l’instant d’après, il ouvrait les portes. Orthenon était juste derrière lui, et Mars tenait déjà entre ses mains son énorme bouclier et son épée, hurlant de rage en suivant son roi.
 
Takhatrès était juste derrière eux, et Scruta était la dernière à sortir. Mais elle s’arrêta en arrivant à la porte, et ses quatre yeux se tournèrent vers les jumeaux. Elle sourit, brièvement, et toucha l’épée dans son dos.
 
“Jusqu’à la victoire, les enfants. La victoire, et la gloire de notre Roi.”
 
Son ton indiquait très clairement qu’il n’y avait pas d’autre option possible.
 


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 08 novembre 2020 à 23:16:02
2.23 (Partie 1)
Traduit par Maroti


Erin s’assit dans son auberge, ses mains couvrant son visage. Mais quand elle les retira, les fleurs étaient toujours là.

Des fleurs, à la place de l’or. C’était… Enfin le truc était que…

Elle aurait dû s’y attendre. Erin réalisée que tout était clair en y réfléchissant. Pourquoi de petites fées se baladeraient avec un tas d’or, et même si elles en avaient, pourquoi est-ce qu’elle lui en donnerait alors qu’elles pouvaient la rouler dans la farine ?

C’était ce que les fées faisaient ! Erin avait lu les histoires. En vérité, elle préférait Peter Pan au Comtes des Frères Grimm, mais elle se souvenait vaguement d’un truc à propos de l’or des fées maintenant qu’elle y repensait.

« J’ai besoin de me rappeler de tout. »

Tout ce qu’elle avait lu à propos des monstres et des mythes, d’Harry Potter jusqu’à ce livre des Chroniques de Spiderwick qu’elle avait lu en apprenant à des enfants à jouer aux échecs. Erin souhaitait avoir une mémoire parfaite, mais [Mémoire du Verbe] n’était parfaite que pour les choses artistiques.

Des paroles de chansons, des lignes de Roméo et Juliette… Même des répliques de films apparaissaient facilement dans son esprit si elle se concentrait. Mais les livres ? Apparemment ils ne comptaient pas.

Mais tout cela n’aurait pas dût avoir de l’importance, mais Erin aurait dût s’en douter. C’était juste que… Elle avait eut se rêve qui s’était presque réalisé, et elle avait été emporté par le passé. Elle avait fait quelque chose de magique, donc c’était normal de se perdre dans l’instant, pas vrai ?

Erin regarda la pile de fleurs dorées.

« …Non. »

C’était inacceptable. C’était horrible. C’était une pile de son argent et une journée d’effort qui venaient de partir en fumée. Tout ce qu’elle avait obtenu était… Quatre niveaux. Ce qui était bien. Mais ce n’était pas de l’argent, et Erin ne savait même pas ce que ses deux compétences faisaient.

Qu’est-ce qu’elles étaient déjà ? Erin fronça les sourcils et se massa la tempe. Elle était toujours en train de se réveiller. Hum. C’était [Aura de l’Auberge] et…

Heu..

C’était… [Mets Prodigieux], pas vrai ?

[Cuisine Magique] ? Non, ce n’était pas ça. C’était clairement l’autre. Mais qu’est-ce que ça voulait dire ?

« [Mets Prodigieux]. Comme… Un plat ? Ou comme mets la table ? »

Erin s’imagina installer des couverts fait avec les fleurs tissées. Non, c’était n’importe quoi.

Un léger cliquètement osseux sur le plancher la fit se retourner. Toren entra dans l’auberge, regardant autour de lui avec méfiance. Il était probablement en train de se demander si elle était blessée. Erin soupira.

« Tout va bien, Toren. Je, heu, viens de me rendre compte que je me suis fait arnaquer, c’est tout. »

Toren regarda le tas de fleurs avant de regarder Erin. Elle s’en empara d’une, la renifla, et éternua aussitôt.

« Atchoum ! Super. En plus, elles sentent bizarre. »

Elles sentaient comme une espèce d’épice, plutôt qu’un parfum de fleur. Erin fronça les sourcils.

« Et moi qui pensais qu’elles commençaient à m’apprécier ! Mais qu’est-ce j’ai ? Ces… Ces… »

Elle s’arrêta. Toren la regarda, perplexe, mais la jeune femme était en train de réfléchir.

« Oh. C’est vrai. Transformer le mauvais en bon. Et elles m’ont donné quelque chose, même si ce n’était pas ce que je pensais avoir. Les cadeaux des fées. D’accord, d’accord… »

Erin fronça de nouveau les sourcils en regardant les fleurs. Elle renifla de nouveau. Elles ne sentaient pas mauvais. Et les fées lui avaient données. Peut-être que c’était un piège. Non, c’était définitivement un piège. Mais est-ce qu’elles étaient totalement inutiles ou… ?

« Peut-être qu’elles sont comestibles ? »

C’était un peu tirer par les cheveux, mais Erin goûta la fleur avec précaution. Elle avait beau savoir que les fées n’étaient pas ses amies, elle était presque certaine qu’elles ne lui donneraient pas du poison.

A la surprise d’Erin, la fleur était humide. Non, il y avait un peu de nectar rassemblé au centre des pétales. Il n’avait pas de goût, mais il pétilla sur la langue d’Erin.

Elle le recracha aussitôt dans sa paume et regarda autour d’elle pour trouver un endroit ou déposer la fleur alors qu’elle se frotta la bouche. Toren s’approcha, lui tendant la main. Reconnaissante, Erin se retourna pour lui donner la fleur…

Et commença à rapetisser.

« Quoi ? Oh non ! Non, non… Qu’est-ce qui se passe ? »

Toren baissa les yeux alors qu’Erin commença à s’approcher du sol. Les chaises, les tables, tout devenait plus grand autour d’elle. Erin ne pouvait que regarder, trop paniquée pour bouger.

La pièce grandit autour d’elle jusqu’à ce qu’elle soit soudainement en train de regarder un plafond aussi haut que le ciel. Toren était… Un géant aussi grand qu’un gratte-ciel, et la chaise la plus proche était comme le tronc d’un immense arbre. Erin regarda la pièce avec horreur.

« Oh non. C’est la boisson d’Alice au pays des Merveilles ! »

C’était de la magie ! Les fleurs ! C’était à la fois incroyable et totalement horrible. Erin commença à paniquer.

« Je n’ai pas celle qui peut me faire grandir ! Qu-Qu’est-ce que je devrais faire ? »

Peut-être qu’une autre fleur allait pouvoir l’aider. Mais soudainement, la table était à des centaines de mètres d’Erin. Elle regarda la pièce, son squelette, la table, puis elle-même.

Erin paniqua de plus belle.

***

Toren n’avait pas passé une bonne journée. Il n’avait pas eu une mauvaise journée non plus, mais aujourd’hui avait clairement été en dessous de la moyenne. Ceria l’avait sorti de l’auberge quand les curieux tas de lumière bleue étaient apparus, et il fut réduit au silence et éloigné quand il essaya de prévenir Erin à propos des fleurs.

La demi-Elfe était partie en ville, mais Toren n’avait pas le droit de la suivre. Donc elle lui avait dit d’attendre dehors jusqu’au matin.

Heureusement, Toren n’avait pas été ordonné de suivre les instructions de Ceria, mais uniquement de la suivre. Et vu qu’il ne pouvait pas la suivre en ville ou retourner dans l’auberge, il avait fait le chemin retour jusqu’à pouvoir voir l’auberge et avait attendu jusqu’au matin.

Cela avait été très désagréable. Ce n’était pas que Toren s’ennuyait, mais il n’aimait pas ne rien faire.

Il détestait cela. C’était une sensation dans son… Torse. Au plus profond de son être. Toren sentait quelque chose, et c’était de la rancœur.

Il avait été créé pour… Pour servir. C’était son but, n’est-ce pas ? Où était-ce quelque chose d’autre ?

De s’améliorer. De devenir meilleur. Toren avait déjà réalisé qu’il était autre chose que ses compères communs. Ils ne pouvaient pas se reformer, et ils n’avaient pas de niveau. Il était unique.

Et il était le meilleur assistant d’Erin. Elle lui faisait confiance. Elle…

Elle l’avait éloigné quand il avait essayé d’aider. Elle l’avait empêché de faire son travail. Toren n’était pas certain de ce qu’il devait penser de ça.

Le squelette n’avait rien voulu lors des premiers jours. Cela avait été de bons jours, quand il n’y avait qu’elle qui disait des ordres et lui qui s’exécutait. Les tâches avaient été difficiles, tellement difficiles ! Mais il y avait réfléchi, il avait travaillé, et parfois elle avait dit ‘bon travail Toren’.

Et maintenant Erin faisait quelque chose que Toren ne pouvait pas comprendre. Encore.

Le squelette regarda sa maîtresse alors qu’elle tomba de sa chaise et commença à s’agiter au sol. Elle lui cria dessus.

« Aide-moi ! »

Obéissant, le squelette se pencha vers elle, mais Erin hurla et recula.

« Ah ! Non ! Tu vas m’écraser avec tes doigts ! »

De nouveau, ses mots n’avaient pas de sens. Ils n’étaient pas logiques. Toren hésita, mais il ne pouvait pas lui désobéir. Et pourtant dans son être, pour la première fois Toren questionna les mots d’Erin. Ils étaient des ordres, et ils étaient le centre de son être.

Mais ils n’étaient pas de bons ordre. Et cela dérangea le squelette.

Erin était toujours en train de se débattre au sol, donnant des coups de pieds et regardant le pied d’une chaise en criant et hurlant. Elle se retourna et regarda Toren désespérément.

« Va chercher de l’aide ! Va chercher quelqu’un ! Ceria ou Pisces ! J’ai besoin de quelqu’un avec de la magie ! »

Le dernier ordre était faisable. Toren s’avança vers la porte.

« Dépêche-toi ! »

Il devait lui manquer quelque chose. Toren regarda vers Erin alors qu’il ferma la porte. Mais elle semblait totalement normale, même si elle paniquait et qu’elle s’agitait au sol comme un insecte. Peut-être que cela avait quelque chose à voir avec les fleurs ?

C’était de sa faute s’il ne comprenait pas quelque chose. C’était ça. Toren avait besoin de plus de niveaux. Hier avait déjà prouvé sa faiblesse.

Le Drakéide nommé Relc avait menacé sa maîtresse et elle ne l’avait pas appelé. Elle lui avait dit de ne rien faire. Car…

Car elle pensait qu’il ne pouvait pas battre Relc. Et Toren ne le pensait pas non plus. Si le Drakéide avait attaqué, il aurait échoué.

Inacceptable.

Toren était tellement perdu dans ses pensées qu’il faillit manquer la demi-Elfe montant le long de la colline, regardant l’auberge d’où la voix étouffée d’Erin pouvait quand même se faire entendre.

Ceria s’arrêta alors que Toren se mit devant elle, et pointa du doigt vers l’auberge.

« Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce qu’Erin va bien ? »

Toren haussa les épaules et pointa vers l’auberge. Ceria hésita, puis elle se dépêcha vers la porte. Toren la regarda partir. Elle connaissait de la magie, et elle était Ceria. Tout simplement.

Voilà un travail bien fait, Toren continua de marcher dehors. Normalement il serait immédiatement revenu aux côtés d’Erin pour lui obéir, mais il n’avait pas envie.

De mauvais ordres. Toren faible. Inacceptable.

Il avait reçu de bons ordres auparavant. Ramasser les champignons hier avait été simple. Et il avait tué une Araignée Cuirassée dans un bon combat, écrasant la chose encore et encore avec un caillou. Et Erin avait même été fier de lui pour lui avoir rapporté le venin !

Mais le reste n’avait pas été bon. Et Toren avait été trop faible pour détruire l’armure enchantée. Il l’avait frappé pendant plus d’une heure, évitant des attaques, se reformant jusqu’à être dangereusement faible en mana, mais cela ne lui avait rien fait.

Pourtant la Gobeline avait tué l’armure. Sa tribu avait détruit l’être enchanté avec des morceaux d’argile et de l’écorce explosive. Elle avait quelque chose que Toren n’avait pas. Elle était plus digne de servir Erin et d’effectuer ses stupides ordres.

Toren s’arrêta. Stupide ? Ils n’étaient pas stupides. Ils étaient justes…

Juste…

Il devait monter de niveau. Il devait penser plus, il devenait plus avec chaque niveau. Mais il devait protéger Erin.

Et pourtant… Protéger Erin n’était possible que s’il était assez fort. Et Toren n’était pas assez fort. Donc, il devait gagner des niveaux pour protéger Erin.

Cela avait du sens. Toren y réfléchit longuement. Erin allait probablement hurler et parler à Ceria pendant quelques temps. Elle n’allait pas avoir besoin de lui pendant une heure, tout au plus. Et qu’est-ce qu’il pouvait faire pendant ce temps ?

Toren regarda vers le nord. L’entrée du donjon et du repère des Gobelins était trop loin même s’ils couraient. Mais il y avait plusieurs nids d’Araignées Cuirassées, et des ours affamés. Et ces créatures des neiges.

Toren commença à s’éloigner de l’auberge. Des niveaux. Plus fort. Et puis revenir, pour pouvoir écouter plus d’ordres d’Erin.

Il espérait que ces ordres ne seraient pas stupides.

***

La justice à Liscor était rapide et sans merci. Selys le savait, et avait même été conforté par ce fait étant petite. Personne n’était au-dessus de la loi, et leur Garde était plus forte que d’autres villes, à l’exception des Villes Emmurées. Certainement plus efficace que dans les villes Humaines. Les criminels pouvaient s’attendre à une fin rapide, et au moins une sacrée amende qu’ils devaient payer pour leurs crimes.

Mais le même savoir n’était pas aussi évident une fois adulte Selys s’avait que la Garde était assez forte pour repousser les bandits et les monstres, voir une petite armée, mais Liscor se tenait entre le sud et le nord, un portique entre les espèces. Ils ne pouvaient pas agir sans répercussion des deux côtés, et cela voulait dire que la même justice qu’elle admirait en tant qu’enfant était parfois plus un compromis.

Peut-être que le meilleur exemple était ce qui était en train de se dérouler. Selys se tenait dans une foule composé principalement de Drakéides se tenant aux portes de la ville. Elle était chaudement habillée, car le jour était froid et qu’il commençait à neiger. La Drakéide avait tout de même froid, mais cela devait être pire pour l’Humaine.

Selys regarda la fille blonde à la peau pâle. Elle pouvait être belle, ou elle pouvait être moche ; Selys n’en avait pas la moindre idée. De toute façon elle avait du mal à se débrouiller avec les visages humains.

Mais la Drakéide pensa tout de même que la fille était probablement de la noblesse. Elle était ce qui avait été des vêtements coûteux, et Selys avait entendu parler des nombreux artefacts magiques que la Garde lui avait pris.

Mais maintenant, les cheveux de la fille étaient sales et plein de nœuds, et sa peau était rouge à cause du froid et tout aussi sale. Les larmes qui coulaient sur son visage n’aidaient pas.

Personne ne semblait déranger par la détresse de la fille. Le visage de Tkrn était impassible et vide alors qu’il poussa la fille hors des portes. Selys savait que c’était mauvais signe. Les Gnolls ne s’énervaient pas comme les Drakéides. Quand ils étaient silencieux, cela voulait dire qu’ils étaient vraiment furieux.

« Un Gnoll silencieux signale l’approche de la tombe. »

Selys murmura les mots et reçu quelques regards des gens autour d’elle. Mais c’était la vérité, les autres Gnolls qui s’étaient rassemblés pour regarder la voleuse Humaine se faire exiler de la cité avec tous un air vide et inexpressif sur leurs visages.

Ils étaient furieux, Selys le savait. Ils voulaient déchiqueter la fille, mais la Garde était intervenue avant que la foule puisse le faire. Et maintenant que l’Humaine était exilée, les Gnolls étaient encore plus furieux qu’auparavant.

C’était de la politique. La Garde n’avait pas réussi à savoir d’où venait la voleuse, et ils s’en fichaient, surtout lorsque tous les Gnolls de la ville étaient outragés par la destruction de l’étal de Krshia Silverfang.

Et pourtant, tuer un Humain important était aussi hors de question. Personne a Liscor ne voulait une guerre si la fille venait réellement d’une des Cinq Familles ou était la fille d’un quelconque lord. Alors… Pourquoi ne pas simplement l’exiler ? Cela leur permettrait de nier toute implication si elle périssait, et cela la faisait sortir de la ville.

Le seul problème était que les Gnolls la voulaient morte, pas hors de la ville. Et donc des compromis avaient été faits. La fille n’avait pas de vêtements d’hiver, seulement les loques qu’elle portait, et assez de nourriture pour ne durer qu’une journée.

C’était cruel, mais c’était la justice de Liscor. Un groupe de Gnoll se manifestant dans les rues aurait été bien pire. Si la Garde devait intervenir, il y aurait plus de sang versé avant de pouvoir résoudre cette affaire. Après tout, la Garde était majoritairement constituée de Drakéide, et si cette affaire se transformait en conflit Drakéide contre Gnolls cela aurait causé le même terrible conflit qui se déroulait sur la partie sud du continent.

Donc l’Humaine fut exilé à la place, avec peu de chance de survie, et rapidement. Personne dans cette foule de Drakéides et de Gnolls avait de la sympathie pour la voleuse, et les autres Humains de la ville avec judicieusement décidé de rester éloigné de ce rassemblement.

Seul Selys eut un pincement au cœur alors que Tkrn força la fille en pleur dans la neige. Elle se sentait… Mal. Principalement pour Krshia, mais Selys ne pouvait pas voir la jeune femme larmoyante et gémissante se faire pousser hors des portes sans un léger sentiment de culpabilité. Peut-être que c’était car elle connaissait Erin depuis si longtemps. Si cela avait été Erin envoyé dans le froid pour se faire manger par des monstres…

Mais Erin n’aurait jamais fait quelque chose d’aussi horrible. Selys regarda la foule jusqu’à tomber sur un endroit ou la foule s’écartait. Krshia était assise seule, parmi ceux de sa race, oui, mais seule dans son petit espace. Elle regarda la fille en silence, et le cœur de Selys arrêta de la faire souffrir.

Krshia avait perdu son étal, perdus ses biens. Elle avait toujours de l’argent dans sa maison, mais c’était un terrible coup pour la vendeuse. Et la Garde ne l’avait pas repayé. Ils n’avaient pas l’argent, et la ville ne couvrait pas le coût, et les artefacts de la fille étaient presque tout bon pour la poubelle, vide de magie.

La Gnoll ne méritait pas cela. La voleuse méritait de se faire punir. Mais…

Les yeux de Selys se posèrent dans le dos de la fille alors qu’elle s’arrêta, regardant la plaine recouverte de neige. Elle se tourna vers Tkrn, clairement en train de le disputer, mais le Gnoll se contenta de la pousser en avant. La fille tomba dans la neige et laissa échapper un pathétique et faible son.

… Ce n’était pas bien. Selys savait que la fille allait mourir dans l’heure, même si elle marchait sur la route principale et qu’elle ne marchait pas dans un nid d’Araignée Cuirassée.

Mais qui allait l’aider ? Selys était une citoyenne de Liscor, et elle ne pouvait pas aider un criminel. Et qu’importe où se trouvait les parents de cette fille, même si Selys avait un moyen de faire livrer une lettre par Épervier, ils n’arriveraient jamais à temps.

Elle connaissait une personne qui allait l’aider. Une personne qui allait aider cette fille, qu’importe le nombre de personne qui n’allait pas être d’accord. mais Selys n’avait aucun moyen de parler à Erin, pas maintenant.

C’était encore de la politique. Tout le monde savait que Selys était l’amie d’Erin, et donc tout le monde, ou du moins certain d’entre eux, étaient en train de l’observer. C’était pourquoi Selys était venu voir la fille se faire exiler. Elle devait supporter les siens. Si les gens pensaient qu’elle favorisait les Humains par rapport aux Drakéides et Gnolls…

Certaines personnes dans la foule se sentaient comme Selys, la Drakéide le savait. Mais elles étaient en minorité. Les gens aimaient l’étal de Krshia, et les vols avaient touché la ville alors qu’ils étaient en train de rebâtir et de pleurer leurs morts. La plupart des Drakéides avaient une expression de profond ennui, ou de mépris envers la fille.

Pire encore étaient ceux qui s’amusait de la misère de la fille. Selys remarqua Lism dans la foule, souriant et riant avec ses amis. Le vieux aux écailles ternes avait même un sac de noix qu’il mangeait. Il était répugnant. Selys essaya de ne pas le regarder alors que sa queue frappa le sol de colère. Ce n’était pas un spectacle. C’était triste. C’était horrible. C’était….

« Plutôt amusant. Je me demande… Est-ce que ce garde va lui donner un coup de pied pour la pousser dans la neige ? »

Selys se tourna vers la voix. Pisces se tenait au milieu de la foule de Drakéide, mangeant et regardant la scène avec un amusement non dissimulé. Voilà un Humain que personne n’allait pouvoir accusé de spécisme.

Il était en train de manger un de ces hamburgers qui étaient devenus tendances à Liscor. Celui-ci était un sandwich avec trois steaks et beaucoup de moutarde. Il était fait pour les Gnolls, mais le mage le dévorait avidement, ignorant le jus coulant sur ses robes.

Selys voulait l’ignorer, ou du moins, ne pas regarder dans sa direction, mais Pisces l’avait remarqué. Il se fraya un chemin dans la foule sans proférer la moindre excuse et s’arrêta à côté d’elle.

« Mademoiselle Selys. Ravi de te voir ici. »

« Plaisir non partagé. »

Selys regarda Pisces. Le [Nécromancien] lui retourna son regard sans la moindre expression alors qu’il lécha bruyamment ses doigts.

« Pourquoi es-tu là ? Ce n’est pas ton affaire. »

« Non ? Il est vrai que je ne suis pas un citoyen, mais j’avais besoin de me divertir. »

« Et tu penses que cela est divertissant ? »

« Immensément. L’incompétence de votre Garde n’a d’égale que mon amusement pour voir cette imbécile recevoir ce qu’elle mérite. »

Pisces hocha la tête en direction de la fille et ricana. Même les autres Drakéides l’entourant lui lancèrent des regards de dégoûts et s’éloignèrent, laissant Selys et Pisces seuls dans une ouverture dans la foule.

« Incompétence ? La Garde ne l’a peut-être pas trouvé, mais elle avait des artefacts magiques qui la cachait et… »

« Oh, j’en suis certain. Je faisais référence à la vitesse avec laquelle ils l’ont condamné à mort dans une parodie de procès. »

Pisces hocha la tête en direction de la Capitaine de la Garde, Zevara, alors qu’elle se tenait avec Klbkch, Relc, et les autres Gardes Seniors. La Drakéide regardait la scène avec une grimace alors que Tkrn éloigna la fille des portes.

« Les Drakéides et les Gnolls se fichent des Humains… Ton peuple a oublié dans son arrogance et sa panique les questions les plus pressantes. »

« Comme ? »

« Oh, de très simples questions. Pourquoi est-ce que cette fille est là ? Qui sont ses gens ? Elle est clairement fugitive d’une famille ou d’une lignée noble… Pourquoi ne pas la garder comme rançon ou au moins contacté les autres villes par un sort de message ? »

C’était ce dont à quoi Selys avait pensé, mais elle ne l’aurait jamais admis devant le mage condescendant.

« Nous la voulons hors de notre ville. Les Gnolls veulent sa mort, et c’est le meilleur compromis. De plus, Liscor ne s’occupe pas des Humains. »

« Comme il est facile d’oublier. Je me souviens qu’il y a quelques décennies ce lieu était le centre de forts échanges culturels et commerciaux. Mais après cette désagréable affaire durant l’attaque du Nécromancien… Ah, sois, au moins je suppose que tout le monde est content. Je note que tu es la seule exception. »

Pisces regarda Selys alors qu’elle se pencha pour s’éloigner de lui, fronçant les sourcils. Mais il avait raison. Et vu qu’elle n’avait personne d’autre à qui parler, Selys confessa son opinion avec réluctance. Elle baissa la voix, même si elle Pisces avait assez d’espace.

« Je suis pour un châtiment. Mais ça… »

Selys agita la main en direction de la fille qui essayait de passer Tkrn pour retourner en ville. Elle était désespérée, mais le Gnoll était immobile. Il continua de la pousser dans la neige.

« … C’est un meurtre. »

« Ce n’est pas un meurtre si c’est un Humain. Je crois que c’est l’un de vos charmants citoyens qui m’a dit cela. »

Selys avait une bonne idée de qui avait dit cela. Lism ne s’était pas tut après les attaques, et pire encore, personne ne lui disait de la fermer. Elle renifla et sa queue tressaillit d’irritation.

« Tout le monde ne déteste pas les Humains. Et ce n’est qu’une enfant. »

Selys plissa les yeux alors que la fille abandonna et se contenta de s’agenouiller dans la neige, en larme.

« Pas vrai? »

« Elle est très jeune. Tant mieux. Si elle meurt, cela sera moins compliqué de la réanimer. »

Elle tourna la tête pour regarder Pisces avec horreur. Mais c’était vrai, il était un [Nécromancien]. Le mage semblait insulté, et ouvrit ses bras en grand.

« Quoi ? Je suis de votre côté. La fille se fait punir, tout le monde est content, et j’ai un corps gratuit. »

La Drakéide s’éloigna de lui.

« Tu es un monstre. »

« Je pratique mon art sans faire de mal. Je ne dérange pas vos tombes. »

« Parce que tu seras tué dans le seconde ou tu le fais. Je suis surprise que la Garde t’es laissé rentrer en ville ! Tu as un casier. Tu étais un voleur, tu es allé dans les villages pour effrayer les gens pour qu’ils te donnent de l’argent ou de la nourriture ! »

« J’ai repayé mes dettes. »

« Seulement parce que Relc t’y a forcé. »

« J’ai payé trois fois ce que j’ai pris. Aux yeux de la loi, j’ai payé ma dette. »

C’était malheureusement vrai. En tant que ville commerciale apolitique, les lois de Liscor disaient que quelqu’un qui avait commis un crime mineur pouvait payer leur amende et effacer leur ardoise. Cela ne s’appliquait pas aux meurtriers ou autres, et bien sûr que les amendes étaient élevées, mais c’était un testament envers cette loi que même un [Nécromancien] avec une personnalité comme celle de Pisces pouvait passer à travers les portes.

« Il semblerait que notre petit show va bientôt se terminer. »

Pisces pointa, et Selys vit que la fille avait abandonné. Elle était lentement en train d’essayer de faire son chemin vers le nord, à travers la neige. Elle n’arrêtait pas de trébucher et de glisser sur de la glace, et elle continuait de pleurer.

« Elle va bientôt mourir. »

« Oui. Je crois que cela arrivera plus tôt que tard. Accidentellement, je voulais te parler à propos d’entrer dans la Guilde des Aventuriers de la ville. As-tu un moment ? »

Pisces se détourna de la fille titubante pour regarder Selys. La foule était en train de commencer à se disperser, mais les Gnolls et de nombreux Drakéides étaient toujours en train de regarder la ville lentement disparaître au loin.

« Quoi ? Toi ? Entrer dans la guilde ? Tu te moques de moi. »

Selys regarda Pisces incrédule, mais il lui fit un sourire énigmatique.

« J’ai mes raisons. Être à court de pièce en est une, mais le combat… Et les opportunités d’acquérir des corps frais en est une autre. »

« Bonne chance alors. Mais je ne suis pas en poste. Va déranger la réceptionniste en charge et bonne chance, car nous ne sommes pas obligé de t’admettre. »

« Je sais. C’est pourquoi je suis venu te demander. »

Selys rit.

« Si tu penses que je vais t’aider parce que tu connais Erin… »

Elle s’arrêta, et hésita. Sa tête se tourna, et elle regarda l’Humaine. Elle venait de tomber à nouveau dans la neige, et cette fois elle ne se releva pas.

« Erin. »

« Oui, je connais Erin. Et je lui rends des services important, dont le squelette qui l’assiste dans son travail. Je suis un atout, quelqu’un d’utile avec de nombreux talents et qui n’hésitera pas à les utiliser si tu vois ce qu… »

Selys leva un doigt griffu. Elle regarda longuement Pisces. Maintenant qu’elle le regardait, le mage lui apparaissait différemment. Il était toujours le même idiot arrogant qu’il avait toujours été, il donnait toujours l’impression de faire une grimace dédaigneuse à tout ce qui bougeait, mais il semblait différent.

Ceria l’avait aidé à acheter de nouvelles robes, mais elles n’étaient pas de bonne qualité. Elles étaient de gros vêtements de laine, et déjà légèrement tachées. Elles pendaient sur ses épaules, et Selys pensa qu’il avait perdu du poids. Il avait toujours été maigre, mais maintenant ses fauchettes devenaient de plus en plus apparente. Et maintenant qu’elle y repensait, Selys le voyait toujours quand elle se rendait à l’auberge. Erin lui donnait habituellement qu’un repas par jour, et même si ce repas était conséquent…

Selys regarda la fille et prit sa décision. Elle hocha la tête en direction de la fille qui venait enfin de se relever et abaissa encore plus sa voix.

« Aide-là, et je m’arrangerai pour trouver quelque chose. »

Pisces fronça les sourcils en direction de la fille, mais il ne réagit pas d’une autre manière. Sa voix était tout aussi basse, et il prit un air agacé sur son visage avant de repousser une mèche de cheveux de son visage comme si elle venait de l’insulter.

« L’aider ? Pourquoi devrais-je l’aider ? Et comment ? »

« Dit le à Erin. Elle peut aider. Enfin, si elle décide de le faire. »

« Elle va éminemment l’aider. Fort bien. Curieux. Je suppose que je peux délivrer un message. Et si je le fais, vas-tu approuver ma requête ? »

« Considère-toi un aventurier de rang Bronze. Mais tu ne peux pas encore partir. Tout le monde nous regarde et ils vont savoir que je t’ai parlé ! »

Pisces lui fit un sourire en coin.

« S’il te plaît. Ne suis-je pas un mage ? Je vais retourner en ville, te harcelant avec ma demande, et je vais lancer le sort dès que tu m’auras claqué la porte de la Guilde des Aventuriers au nez. »

Selys cligna des yeux en direction de Pisces.

« Tu as déjà prévu tout ça ? »

« N’importe quel néophyte de Wistram est versé dans les subtilités de la politique et du subterfuge. Peux-tu lever la voix et m’insulter plusieurs fois ? Je peux proposer quelques insultes si nécessaire. »

Selys hocha la tête. Elle n’était pas une [Actrice], mais insulté Pisces était facile. Elle regarda une dernière fois la fille, désormais un point au loin montant une colline. Elle était une voleuse, mais elle n’était pas maléfique. Et peut-être qu’elle ne méritait pas de mourir. Selys lui avait donné une chance. Une faible chance, mais une chance quand même.

Elle espérait qu’elle n’allait pas regretter son choix. Et qu’Erin n’allait pas regretter le sien.

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 08 novembre 2020 à 23:32:50
2.23 (partie 2)
Traduit par Maroti

C’était fait. Krshia regarda la voleuse quitta la ville et ne ressentit rien. Les autres Gnolls l’entourant murmurèrent alors que la fille disparue finalement après avoir gravi une colline, mais personne ne la suivit. La présence de la Garde était autant présente pour exiler la fille que pour s’assurer qu’elle allait mourir de froid, et non pas de la main d’un Gnoll.

C’était une sensible décision, et Krshia les applaudissait pour cela. Elle n’en voulait pas à Zevara, même si la Drakéide ne pensait pas de la même manière. La Capitaine de la Garde continuait de regarder Krshia, cherchant des signes de colère. Mais Krshia ne ressentait pas de la colère.

Elle était vide. Et le destin de la voleuse n’avait que peu d’importance aux yeux de Krshia. Elle savait que le reste des Gnolls de la ville ne partageaient pas ses sentiments ; Tkrn lui avait proposé de la tuer même si cela voulait dire qu’il allait perdre sa position, mais Krshia lui avait interdit d’agir.

La voleuse venait d’être punie, et ses quelques artefacts magiques avaient été saisis. Elle allait mourir dans les plaines gelées, ou elle allait peut-être croisée une caravane ou un voyageur sur la route. Et alors ?

Le mal était déjà fait.

Lentement, la Gnoll baissa les yeux vers la petite chose dans ses mains. Tout le reste n’était que cendres ; et ce qu’elle tenait était le dernier indice de ce qui avait été perdu.

Elle avait l’impression que son cœur s’était changée en cendres. Il était noirci par le chagrin et battait faiblement dans son torse. Elle avait tout perdu. Les Gnolls de sa tribu habitant en ville avait tout perdu. Tout avait disparu.

L’un de ces Gnolls, un grand [Boucher] nommé Deshhi grogna de manière gutturale alors que la voleuse disparu de leur champ de vision. Il avait été l’un de ceux qui avait voulu tuer la fille, et la découper en morceaux pour la manger. Il était toujours furieux, autant envers l’Humaine que vers la ville elle-même.

« Hr. Alors c’est à cela que ressemble la justice ici ? Elle nous a pris bien des choses, n’est-ce pas ? Elle nous a pris à tous, mais à toi en particulier. Et cette ville ne fait que l’exilé sans te repayer. Si tu avais été une Drakéide… »

Krshia soupira. Plutôt l’interrompre. Dreshhi était une bonne personne, mais ses mots étaient trop bruyants, et elle savait que beaucoup de jeunes dans la foule partageaient son opinion.

« Cela n’a pas d’importance. Qu’importe la punition, cela ne remplacera pas ce que nous avons perdus. La fille mourra de toute façon. »

« Mais même… »

Krshia ne voulait pas un autre débat, surtout quand il y avait des oreilles qui pouvait écouter. Elle coupa de nouveau la parole à Dreshhi ; un affront, mais acceptable devant sa perte.

« Les liens que nous avons tissés sont plus importants que la vengeance, n’est-ce pas ? La bonne volonté que nous avons gagnée est tout ce que nous avons. »

« Cette bonne volonté ne fera pas changer les cœurs et esprits des autres, Krshia. »

C’était vrai, et Krshia sentit le poids de cette vérité sur ses épaules. Elle soupira.

« Oui. Nous devons discuter de cela. Mais pour l’instant, il est préférable de partir, n’est-ce pas ? »

Les Gnolls hésitèrent, mais Krshia était leur supérieur, ou pour être plus précis, plus de valeur. La valeur gouvernait les Gnolls, l’âge ou le pouvoir n’était que de moindres soucis pour eux. Et jusqu’à hier, Krshia avait de loin était celle qui avait le plus de valeur parmi eux.

De la valeur. Elle en avait encore un peu, elle avait toujours d’anciennes dettes qu’elle pouvait appeler et l’image qu’elle avait entretenu dans cette ville. Mais la valeur se périmait rapidement, comme de la viande. Maintenant que Krshia avait perdu son étal, qu’elle valeur avait-elle ?

Elle pouvait reconstruire. Krshia avait l’argent, mais elle n’avait pas le temps. Même si son étal se redressait et recommençait à vendre, elle avait perdu tout ce dont pourquoi elle avait travaillé.

Dreshhi le savait aussi Le Gnoll parla à Krshia alors que les Gnolls retournèrent dans les rues dans la ville en formant une meute.

« Nous devons nous dépêcher. Les tribus commencent à bouger. Si nous n’avons rien à apporter à l’assemblée, nos voix seront perdues. »

Une autre vérité. Mais Krshia ne vit pas de bonne réponse au problème devant eux. Ils se devaient d’avoir quelque chose qui méritait d’être apporté, quelque chose qui rendrait leur clan grand. Tous les clans rapportaient quelque chose pour l’intégralité de la race Gnolle, et donc la puissance des voix de chaque tribu était liée à la valeur de ce qu’elle amenait. Mais les espoirs de la tribu des Crocs d’Aciers venaient de partir en fumée avec l’étal de Krshia.

« Nous n’avons rien. »

« Nous pouvons essayer à nouveau. Nous avons l’argent… »

« Pas pour cela. Pas pour plus d’une ou deux babioles Non, je pense qu’il faut compter sur Erin. »

Dreshhi resta silencieux. Ce n’était pas quelque chose de réconfortant, mais c’était la seule idée que Krshia avait. Erin Solstice. Tous les espoirs de Krshia reposaient désormais sur ses épaules.

Au départ, aider Erin avait été quelque chose d’insignifiant. Un acte de charité et d’aide envers une Humaine qui méritait les deux Mais maintenant… Maintenant c’était tout ce qui restait à Krshia. Tout le reste n’était que cendres.

Krshia regarda ce qu’elle tenait dans sa patte. Un fragment ; c’était tout ce qu’elle avait réussi à sauver. Elle froissa le fragment du livre de sort et le laissa tomber au sol.

Qui aurait pu le savoir ? Et même s’il y avait eu un incendie, les flammes non-magiques n’auraient jamais endommagé la rare collection de livres cachés dans son étal. Vingt-trois livres, la totalité des efforts de la Tribu des Crocs D’Acier durant de longues années.

Tout venait de disparaître en un instant. Krshia se souvenait encore de la boule de feu, elle se souvenait s’être jeté hors de la trajectoire au dernier moment. Elle aurait préféré se jeter vers la boule de feu pour intercepter le sort.

Mais comment aurait-elle pu savoir que le sort était aussi puissant ? Les livres avaient été tellement secrets. Ils avaient été en sécurité, avec un Gnoll surveillant constamment le marché chaque nuit. Plus en sécurité que dans la maison de Krshia, qui avait déjà été visité deux fois par de quelconques voleurs.

Une légère erreur, mais une qui leur avait tout coûté. Krshia ferma les yeux. Elle avait encore de la valeur, et donc, la responsabilité des Gnolls qu’elle avait mené jusqu’à cette ville retombait sur ses épaules. C’était un lourd fardeau, et elle était fatigué.

« Je dois parler à Erin, peut-être demain. Pour l’instant, je vais aller me reposer. »

Les autres Gnolls furent aussitôt soucieux. Ils lui offrirent de la raccompagner, mais elle refusa. Elle marcha lentement dans les rues, hochant la tête quand des Drakéides lui offrirent leurs condoléances, elle gravit lentement les marches jusqu’à sa petite maison.

À l’intérieur, Krshia sombra lentement dans l’une de ses solides chaises qu’elle avait achetées avec les premières pièces qu’elle avait obtenue dans cette ville, il y a des années de cela. Elle avait l’impression que cela avait été dans une autre vie. Et elle s’était tué à la tâche, elle avait réussi contre toute attente… !

Cette assemblée aurait dû rendre sa Tribu fameuse. Elle aurait amélioré la condition de tous les Gnolls, leur aurait donné le pouvoir de lancer des sorts. Leurs jeunes auraient prospéré. Mais maintenant.. ?

Qu’allait-elle dire à sa sœur, la Chef ? Comment allait-elle faire face aux autres après ses audacieux mots et tout ce qu’elle avait donné pour cette quête ?

Les Gnolls ne pleuraient pas. Du moins, ils ne pleuraient pas sans raison. Krshia avait déjà pleuré toutes ses larmes ; et il ne restait que de la tristesse au creux de son torse. De la tristesse, et le plus petit soupçon d’espoir.

Elle avait besoin d’Erin. La fille devait avoir quelque chose de son monde que Krshia allait pouvoir utiliser. Quelque chose de valeur. Quelque chose qui allait rendre les Gnolls…

La Gnolle se pencha dans sa chaise et ferma les yeux. Le problème était qu’elle connaissait Erin. Elle avait le cœur sur la main, elle était courageuse et gentille. Mais avait-elle quelque chose dans son esprit qui valait une fortune ? Krshia essaya d’imaginer un autre monde de ‘voitures’ de métal et des autres choses dont Erin parlait. Mais a quel point cela pouvait être différent si la fille était comme les autres humains ? Connaissait-t-elle d’autre moyen de forger une épée, ou une autre méthode de forge, peut-être ?

Krshia n’arrivait pas à se l’imaginer.

***

« Je vois. Et la fille va bientôt périr ? »

« A ma connaissance, oui, ma Reine. Elle n’a pas d’alliée dans l’enceinte de la ville, et les températures extérieures vont la geler sans protection adéquate. »

Ksmvr se tenait devant sa Reine et chercha dans son esprit pour essayer de trouver quelque chose, n’importe quoi, à rajouter à son rapport. C’était juste une réponse à une question qui lui était posé, mais il savait que ce n’était pas que ça.

Sa Reine, la Reine des Antiniums Libres de Liscor, était assises devant lui, une massive créature cachée dans les ténèbres d’une massive caverne sous Liscor. Elle était sa Reine, sa souveraine et la seule raison de vivre. Et il savait qu’il n’était pas assez bon pour la servir.

Ksmvr était le Prognugator des Antiniums, mais il était nouveau. Il manquait d’expérience, et pire, il avait essayé d’occuper la position après le départ de Klbkch. L’ancien, et nouvellement réinstauré Prognugator était fameux parmi les Antinium, si ce mot pouvait être utilisé pour ceux qui vivaient dans les Colonies.

Au-dessus de lui, la Reine de Ksmvr soupira, et s’agita, pensive. Il n’avait pas la moindre idée de si cela était une bonne ou mauvaise chose. Sa Reine était trop large pour bouger, mais est-ce que son mouvement traduisait son impatience, ou un simple désir de bouger ses membres ?

« Je vois. Et les Gnolls ? Vont-ils attaquer ? »

« Je ne crois pas, ma Reine. Ils seront satisfaits de la mort de l’Humaine, et Krshia Silverfang a donné l’ordre de ne pas chercher à se venger. »

Une autre réponse simple. Mais Ksmvr était certain que Klbkch aurait répondu mieux. Avec plus de détails, peut-être ? Ou plus de sagesse ? Mais il n’allait pas déranger sa Reine ou offrir son opinion quand elle ne lui avait pas demandé.

La Reine bougea de nouveau. Une immense antenne bougea vers la surface.

« Cette voleuse leur a coûté cher. »

« Oui. Ils ont perdu les tomes magiques cachés dans l’étal de Krshia Silverfang, même si sa réserve de pièces est toujours cachée chez elle. »

« Cela reste tout de même une lourde perte. Une qui n’est peut-être pas la bienvenue. »

Pas la bienvenue ? Ksmvr n’avait pas la moindre idée du fait que les Gnolls de la ville intéressaient sa Reine, mais après tout, elle jouait à un jeu bien plus profond qu’il ne pouvait l’imaginer. Si seulement Klbkch pouvait le conseiller ! Mais Ksmvr était en disgrâce à la fois avec sa Reine et l’autre Antinium.

Finalement, sa Reine secoua sa massive tête.

« Cette perte peut avoir de l’importance. Comme elle peut ne pas en voir. La politique des Gnolls locaux ne m’intéresse pas. Nous écouterons quand ces tribus se rassemblent pour discuter plus tard. Parlons de choses plus importantes. Les Ouvriers. »

Ksmvr essaya de se redresser. Il était déjà débout et prêt à écouter, mais il savait que c’était la raison la plus importante pour laquelle il avait été appelé.

« Oui, ma Reine. Nous avons commencé à tester les Ouvriers comme cela a été suggéré par l’individu connu sous le nom de Pion. Lui et Bird… »

Ksmvr se trompa légèrement dans la prononciation des noms. Ils n’étaient pas des noms d’Antiniums, et ce qui était pire, ils avaient été choisis par les Ouvriers ! C’était comme s’ils se considéraient égaux aux Reines. Et pourtant, ces Individus étaient désirés par sa Reine, pour des raisons que Ksmvr n’arrivait pas à comprendre.

« … Ils ont amené les Ouvriers qui ont visité l’auberge ensemble et ont essayé de récréer les conditions qui les ont mené à leur individualité. »

« En jouant aux échecs ? »

« Oui. En jouant aux échecs. Mais des questions furent posés aux Ouvriers alors qu’ils jouaient. »

« Lesquelles ? »

« Je… Ne sais pas, madame. Klbkch et moi-même étions positionnés à l’extérieur de la salle jusqu’à ce que nous ayons été appelés. »

Cela avait été un point contre lequel Ksmvr avait longuement argumenté contre, mais Klbkch avait eu le dernier mot. Sa Reine s’arrêta, mais il ne lui demanda pas pourquoi.

« Et les résultats ? »

Elle les connaissait déjà, alors pourquoi les demander ? Mais Ksmvr s’exécuta avec obéissance.

« Sur les vingt-cinq ouvriers, quatre sont devenus des Individus, prenant un nom et affirmant leur loyauté envers la Colonie. Les autres… Sont tous devenus des Aberrations. »

Ksmvr se souvenait encore d'avoir trancher les Ouvriers. Cela ne le dérangeait pas, mais même ici, Klbkch l’avait surpassé. L’autre Antiniums avait dansé en créant une piste de mort à travers les anciens Ouvriers, alors que Ksmvr s’était contenté de suivre le protocole.

« Un sur huit ? C’est parfaitement acceptable. Pourquoi ce processus n’a pas continué avec les autres ? »

« Je… Crois que cela est dû à l’effet de rencontrer l’Humaine connue sous le nom d’Erin Solstice, ma Reine. Après que les quatre Individus furent séparé et que les autres Aberrations détruite, Klbkch décida que le processus était un succès. Il rassembla plusieurs Ouvriers et quelques Soldats et essaya de répéter le processus. »

« Et ? »

« Le taux de ceux qui n’ont pas rencontré Erin Solstice était… D’un sur cent-soixante-trois. Aucun soldat n’est devenu un Individu, mais peu devinrent des Aberration. »

Ils avaient été extrêmement difficiles à tuer. Ksmvr avait toujours un peu de son exosquelette cassé sur l’une des jambes qu’un soldat avait frappé.

Le son qui s’échappa de la Reine était un profond soupir, mais l’un rempli d’une émotion que Ksmvr n’arrivait pas à identifier. Il attendit, prêt à répondre à la prochaine question.

« Il semblerait donc que Klbkchhezeim soit correct. Erin Solstice est nécessaire, du moins pour l’instant. Mais à propos des cinq individus que tu as observés. Quand est-il de leur loyauté ? »

« Sur les cinq, le premier, Pion, est le plus indépendant. Il assume aussi la position de chef parmi eux, mais reste réceptif aux ordres de Klbkch. Les autres font de même et aucun d’entre eux n’a agi de manière suspecte. »

A part pour le fait qu’ils prenaient des responsabilités et des rôles qu’aucun Antiniums n’avait pris auparavant. Ksmvr ne mentionna pas la manière dont Pion lui parlait, ou les douloureuses parties d’échecs qu’ils ont joués.

« Bien. Continu. »

Ksmvr baissa la tête. Il lui fallait une seconde pour réaliser qu’il avait été congédié.

***


La reine des Antinium regarda et sentit Ksmvr partir, et soupira une fois qu’elle était certaine qu’il n’allait pas l’entendre.

« Inconvénient. »

C’était le seul mot adapté. Ksmvr n’était tout simplement pas Klbkch, et c’était aussi regrettable qu’inévitable. Peut-être que le nouveau Prognugator allait devenir meilleur, ou peut-être qu’il n’allait pas le devenir. Pendant ce temps, il n’était qu’un simple problème sur le l’assiette de problèmes de la Reine.

Mais les Individus pouvaient être répliqués. Ils pouvaient être refaits, même si le coût était probablement élevé en cet instant. Et même cela pouvait être surpassé, si nécessaire. Erin Solstice était importante, mais pas vitale.

C’était une bonne chose. Cela voulait dire que l’Antinium pouvait continuer son expérience. Cela voulait dire qu’ils n’allaient pas devoir compter sur d’imprévisibles variables comme les Humains ou les autres espèces. Cela voulait dire…

Cela voulait dire qu’il était de nouveau le temps de changer.

Une telle pensée fit frissonner d’excitation le languide corps de la Reine. De nouveau. Bientôt, peut-être, les Antiniums allaient peut-être changer. Et les autres Reines allaient réaliser qu’elle avait eu raison.

La présence de rivalités et d’arguments parmi les Antiniums pouvait sembler étrange, mais il avait été découvert il y a fort longtemps que les Antiniums stagnaient sans rivalité. La Reine avait enduré le ridicule et mépris des autres Reines durant de longues années, mais elle allait leur prouver qu’elle avait raison. La Grande Reine allait bientôt connaître son succès.

Peut-être alors que la Reine allait recevoir les autres types de corps qui avait été refusé à sa Colonie, et la fournir en plan et en ressource pour qu’ils puissent peut-être grandir. Ou peut-être qu’il était temps qu’elle en créer un. Avec les ressources et les corps qu’elle allait avoir à disposition une fois que son travail allait être traité comme un succès, la Reine allait finalement pouvoir décupler la puissance de sa Colonie.

« Et peut-être qu’après tout cela… »

La Reine soupira, se relaxant dans le lit moelleux qui avait été conçu pour contenir son vaste poids. Elle allait devoir continuer de travailler jusqu’à ce jour. Plus d’une fois, la Reine avait pensé à créer un autre Prognugator, voir une autre Reine, mais cela était interdit à la fois par la Grande Reine et par le pacte qu’elle avait signé avec Liscor. Et pourtant, elle avait cruellement besoin d’un autre assistant.

Peut-être qu’un de ses Individus allait être utile ? C’était la raison pour laquelle ils étaient nécessaires, après tout. Pion avait des niveaux en tant que [Tacticien], peut-être pas aussi élevé que la Reine, mais après tout, c’était possible. Les nouveaux Antiniums gagnaient des niveaux bien plus rapidement que Klbkch ou la Reine.

Et elle avait besoin d’aide. Elle laissait le monde de la surface à Ksmvr et Klbkch, malgré ses craintes, pour qu’elle puisse se concentrer sur la Colonie souterraine. Le monde de la surface n’était pas la préoccupation de la Reine en cet instant. Elle ne pouvait pas se laisser distraire par de moindres problèmes. Car si elle était distraite par les problèmes de la surface, qui allait mener l’armée combattant la menace venant du sol ?

Les Antiniums connaissaient l’existence du donjon sous Liscor depuis fort longtemps. Les Ruines n’étaient qu’une infime partie ; en creusant leurs tunnels, les Antiniums avaient découvert la quasi-totalité des ruines. Mais y rentrer ? C’était une toute autre histoire. Tout ce qu’il pouvait faire était  tenir la position.

La Reine s’adossa contre un mur de pierre et écouta le reste de sa Colonie, calculant, commandant. Le rapport des pertes de la journée : cinquante-deux Ouvriers et quatre-vingt-six Soldats tués. Ils avaient perdu cinq tunnels ; des fortifications à (242, -42, -4951) avait désespérément besoin d’être réparées.

Elle pensa alors qu’elle passa aux Ouvriers nettoyant lentement les corps et transportant le reste pour être transformé en facilement stockable et extrêmement nourrissante pâte qu’elle détestait tant. La surface avait ses inconvénients, mais elle était nécessaire.

Des aventuriers de rang Or allaient bientôt rentrer dans la ville. Était-il temps de révéler l’ampleur des ruines ? Le processus était en cours, mais il pouvait être accéléré ou ralenti selon l’aide et l’absence d’aide des Antiniums.

Bientôt. La Reine s’assit et médita à propos de sa colonie et du donjon. Le fait que cela soit les Antiniums ou une autre espèce qui bataillaient pour atteindre le cœur du donjon n’avait que peu d’importance. Mais les Antiniums devaient avoir les artefacts qui rôdaient à l’intérieur des véritables chambres aux trésors. Ils devaient être récupérés, mais si les gardiens venaient à être libéré en même temps…

Écorcheur était le cadet de leurs soucis. Les Antinium avaient à présent tués dix-neuf Ver de Chair dans les tunnels, même si aucun d’entre eux avaient bâti un aussi grand corps de chair ou possédant les gemmes de [Terreur]. Non, la véritable menace était plus profonde, plus sombre.

La Reine s’assit sur son trône et tourna de nouveau son attention vers la longue guerre dans les profondeurs. Ils avaient juré de protégé Liscor, pour qu’ils puissent grandir. Les Antiniums allaient le faire, et ils allaient récolter le fruit de leur récolte lorsque le monde changera avec eux.

***

Ceria Springwalker détestait l’image que tout le monde avait des demi-Elfes. Tout le monde, principalement les Humains, mais toutes les espèces avaient l’image que les demi-Elfes étaient des êtres éternellement heureux qui aimaient faire la sieste dans les fleurs et faire des câlins aux arbres.

Ceria n’aimait pas les fleurs, et les seules fois où elle avait fait un câlin à un arbre était pour grimper dessus pour échapper aux ours. Elle était une fille de la ville, pas un de ses ahuris de la nature.

Malgré tout, elle devait admettre qu’il y avait un grain de vérité aux légendes. Elle avait une affinité avec les plantes que peu d’autre espèce avaient. Donc cela avait du sens qu’Erin lui demande de l’aide pour planter les fleurs. C’était juste pas amusant pour Ceria.

« Tiens. Écartes-les un peu plus pour qu’elles puissent mieux absorber les nutriments du sol. »

Ceria dirigea Erin alors que les deux jeunes femmes labourèrent la terre des pots sur la table. Ceria s’était assuré que les fleurs allaient avoir une bonne place au soleil. Mais c’était ici que sons avoir s’arrêtait. Elle était peut-être douée avec les fleurs, mais elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle devait faire avec celle-là.

Les fleurs avaient fait penser à Erin qu’elle était une minuscule personne pendant près d’une heure, et elles étaient doux au toucher. Il y avait aussi quelque chose ; Ceria s’était attendue à de l’or, mais elle réalisa que cela avait été stupide de sa part. Et de la part d’Erin, mais la demi-Elfe ne voulait pas empirer l’humeur déjà noire de l’Humaine.

Ce n’était pas qu’Erin semblait en colère. La fille était actuellement en train de chantonner alors qu’elle discutait à Ceria des possibles utilisations des étranges fleurs. Elle les appelait les Fleurs d’Alice, pour une raison que Ceria n’arrivait pas à comprendre. Mais Ceria était d’accord pour dire que les fleurs valaient probablement autant que de l’or.

Elles étaient… Magiques. Mais elles ne l’étaient pas à la fois ; Ceria pouvait sentir la même étrange sensation qu’elle avait en regardant une Fée de Givre. C’était un chatouillement à l’arrière de son esprit, une vibration dans son âme.

Avaient-elles de la valeur ou non ? Certainement, un [Alchimiste] pouvait peut-être payer une forte somme si elles étaient rares, mais Ceria n’avait pas moyen d’être certaine. Cela semblait légèrement lamentable, surtout quand c’était le payement pour le dur labeur d’Erin.

Et pourtant, Erin avait gagné quatre niveaux en l’espace d’une nuit ! Ceria n’arrivait pas à le croire. Et ses compétences ! [Mets Prodigieux] et [Aura de l’Auberge] ? Ceria connaissait certains [Chefs] qui obtenaient [Cuisine Magique], mais elle n’avait jamais entendu parler de la compétence d’Erin.

Cela confirmait ce qu’elle pensait. Erin Solstice n’était pas une humaine ordinaire, tout comme Ryoka. Ceria jeta un regard à l’autre fille. Ryoka était aussi fermée qu’une palourde, et deux fois plus difficile à percer, mais Erin était ouverte et amicale. Elle était en train de sourire alors qu’elle tapota gentiment le terreaux.

« Erin. Tu, heu, n’as pas l’air très normal. »

La fille s’arrêta, et fronça les sourcils en direction de Ceria.

« Merci ? Attends, est-ce que c’est une insulte ? »

Ceria rit et se leva de son pot, tapant ses mains pour les dépoussiérer.

« Pas du tout. Tu es différente de tous les humains que j’ai rencontrés, et j’ai rencontré de nombreux humains. Toi et Ryoka êtes totalement différentes ; d’où est-ce que vous venez ? »

« Oh, je viens d’un autre monde. Tout comme Ryoka. »

Ceria continue de marcher et trébucha contre la chaise sur laquelle elle allait s’asseoir. Elle tomba le visage en avant, arrêtant sa chute avec ses deux mains.

« Ceria ! »

Erin laissa tomber la fleur qu’elle tenait, mais Ceria était déjà debout. La demi-Elfe regarda Erin bouche bée.

« Tu quoi ? Attends, toi et Ryoka ? »

La fille semblait paniquée.

« Je ne te l’ai pas dit ? Je pensais te l’avoir dit ! Attends… Je l’ai dit à Krshia et Klbkch mais… Je pensais que Ryoka te l’avait dit ! »

Elle mit une main à son front.

« Oh non. Ryoka va tellement m’en vouloir ! »

***


Ceria s’assit dans une chaise et laissa sa tête tourner pendant quelques instants. Erin tourna autour d’elle, anxieuse.

« Je veux dire, ce n’est pas un si gros truc, pas vrai ? Il n’y a pas de moyen d’y retourner, au du moins je ne le connais pas, et Ryoka et moi ne connaissons rien de spécial. Je pense. Je veux dire, la technologie est vraiment différente de là où je viens, mais je ne peux rien construire comme l’Iphone de Ryoka. »

« Je n’arrive pas à le croire. C’est juste… »

La demi-Elfe s’arrêta, secouant sa tête. Le trouble était qu’elle pouvait le croire. Cela serait bien plus simple d’appeler Erin folle, mais cela avait du sens, surtout avec tout ce que Ceria avait observé chez Erin et Ryoka.

Cela expliquait pourquoi l’autre fille était si évasive. Et il y avait Erin, aussi ignorante au danger de sa situation qu’une chouette en plein milieu d’une journée d’été. Ceria soupira. Quelqu’un allait devoir protéger cette fille. Cela devait probablement être elle.

« Je suppose que nous devons parler. »

« Je suppose. Mais nous devions déjà parler de beaucoup de chose, pas vrai ? Comme ces fleurs, et les compétences que je viens d’obtenir ! »

« Les compétences. C’est vrai. »

À ce stade, les compétences étaient la dernière chose à laquelle voulait penser, mais la demi-Elfe se concentra sur Erin avec réluctance.

« Bien sûr [Mets Prodigieux] est une compétence qui a un lien avec la nourriture que tu as fait aux fées. Je ne suis pas certaine sur [Aura de l’Auberge], mais cela va peut-être rendre ton auberge plus attrayante. »

« Ooh, ça pourrait être pratique. Mais qu’en est-il de [Mets Prodigieux] ? Est-ce que je ne peux que faire des plats pour les fées ou est-ce que je peux faire des choses… Magiques ? »

« Pourquoi n’essayes-tu pas de faire quelque chose pour voir ce que la compétence fait ? »

« C’est vrai ! C’est vrai… »

Erin hocha la tête plusieurs fois et disparue dans la cuisine. Ceria soupira, et Erin passa sa tête par la porte.

« Attends une seconde. Je vais te faire des crêpes, et ensuite nous pouvons discuter, d’accord ? Des crêpes magiques ! »

Ceria hocha faiblement la tête. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’était une crêpe, mais elle pria pour que cela soit long à faire. Sa tête lui faisait toujours mal.

Et la porte s’ouvrit et la migraine de Ceria doubla. Pisces entra. Elle savait que c’était lui car elle ne pouvait pas le voir, et elle entendait pourquoi ses bruits de pas.

« Pisces. Ne me dit pas que tu as de nouveau des problèmes avec la Garde ? »

« Pas du tout. Je suis juste ici pour éviter d’attirer l’attention. »

Pisces réapparu en un instant, et Ceria soupira. Ce n’était pas le moment pour lui de venir… Ce qui était pourquoi elle aurait dû s’attendre à ce qu’il vienne.

Il avait la manie de toujours apparaître au pire moment. Elle était contente qu’il n’est pas entendu la confession accidentelle d’Erin. Ceria serait la première à admettre que Pisces n’était pas méchant, plutôt agaçant, mais il avait un talent pour créer des problèmes. S’il apprenait quelque chose au sujet de l’origine d’Erin…

« Comme ces fleurs sont intéressantes. Sont-elles magiques ? »

Il fallait faire confiance à Pisces pour qu’il se concentre sur la première chose magique dans la pièce. Ceria soupira.

« Éloigne tes mains. Si tu en voles une, Erin va te faire du mal. Elles sont un cadeau des Fées de Givre. »

Pisces retira immédiatement sa main et recula.

« Ces choses ? Je pensais que même Mademoiselle Erin serait assez maligne pour les laisser en paix. »

« Elle ne l’a pas fait, et elles l’ont payé avec des fleurs. »

« Ah. Fort bien, je suppose que je vais me contenter de prendre quelque chose à manger. Est-ce que quelque chose est en train de cuire ? »

Ceria ferma ses yeux alors que Pisces marcha dans la cuisine. Elle entendit un cri, et puis le mage sortit aussitôt de la cuisine.

« Vas t’en ! Je cuisine ! Et Ceria, ces crêpes n’ont pas l’air magique ! »

« Peut-être que je devrais être celui en train d… »

Pisces baissa la tête alors qu’une louche vola en sa direction. Il renifla bruyamment.

« C’était dangereux. Je suis un client. »

« Qui ne paye pas ! »

« Dois-tu vraiment le retenir contre moi ? Fort bien, j’aurai bientôt suffisamment assez de fonds pour payer mes repas. Je me suis enrôlé dans la Guilde des Aventuriers. »

Ceria se redressa sur son siège en entendant cela. Pisces, un aventurier ? C’était presque aussi surprenant que la confession d’Erin. Elle le regarda. Il devait être très affamé ou désespéré.

« Tu n’es pas sérieux. Tu vas mourir dans ta première mission. »

Il lui lança un regard hautain.

« Si tu peux le faire, Springwalker, je ne vois pas pourquoi je serais incapable de faire de même. Bien sûr, je serais bien plus efficace que toi avec mes mort-vivants. À moins que tu ne souhaites rejoindre mon groupe ? »

« Hors de question. Et arrêtes de voler de la nourriture ou Erin va te faire du mal. Et si elle ne le fait pas, c’est moi qui vais m’en charger. »

Pisces était en train de pointer la cuisine du doigt, et Ceria savait qu’il était en train d’utiliser un sort de lévitation mineur. Il fronça les sourcils, et Erin sursauta alors que la crêpe qu’il avait fait léviter retomba.

« Pisces ! »

Il leva ses mains alors que la fille arriva en trombe.

« Oh, est-ce que je devrais le mentionner ? Il a apparemment une fille en train de mourir de froid dans la neige à quelques kilomètres au nord d’ici. Je pensais que cela allait vous intéresser. »

« Quoi ? »

Erin le regarda alors que Pisces s’expliqua. Ceria plissa les yeux à sa… Connaissance. Ami était un trop grand mot.

« Comment est-ce que tu sais ça ? Et pourquoi tu en parles à Erin ? Je pensais que tu voulais voir cette fille mourir. »

« Bien sûr, mais Selys insista que j’en parle à Erin. Elle pense qu’Erin va aller sauver cette fille. »

« Bien sûr que je vais le faire ! Elle est dehors sans manteau ? Comment est-ce qu’ils ont pu faire ça ? »

Erin regarda Pisces et se précipita dans la cuisine. Ceria entendit un grattement, et puis Erin fonça hors de la cuisine avec une assiette de crêpe dans ses mains. Elle la mit sur la table et se tourna vers Ceria.

« Je dois partir ! Je reviens dans pas longtemps, Ceria. »

« Quoi ? Erin, écoutes. Cette fille est une voleuse. Elle a été exilée de Liscor pour une raison. Tu ne peux pas juste… »

Erin regarda Ceria. Il y avait quelque chose de déconcertant dans le regard de la jeune femme. Elle était habituellement tellement aimable, mais maintenant ses yeux étaient sérieux et sans la moindre trace de doute.

« Personne ne mérite de mourir dans le froid. Personne. »

Elle se retourna.

« Toren ! Où est-il ? Tant pis… »

Elle courut de nouveau dans la cuisine et en sortit avec un manteau. Puis Erin se précipita vers la porte.

Pisces la regarda partir et secoua la tête.

« Cette fille est bien trop gentille. Elle est bien trop imprudente pour une enfant venant d’un autre monde. »

Ceria regarda Pisces. Il lui fit un sourire, et fronça les sourcils quand il réalisa qu’elle n’était pas surprise.

« Ah. Tu le sais. »

« Comment est-ce que tu le sais ? »

« Une certaine conversation sur l’appareil de Ryoka Griffin. Recréer le sort de [Message] était compliqué, mais… »

Pisces haussa les épaules. Ceria se souvint qu’il s’était vanté d’avoir fait cette magie en sortant des ruines. Elle plissa les yeux.

« Et maintenant tu viens de l’envoyer sauver une dangereuse voleuse. »

« Je crois qu’elle n’est plus dangereuse à ce point, simplement agaçante. Ses objets magiques ont disparu. »

Ceria se leva et soupira. Elle marcha jusqu’à Pisces et le gifla avec sa main squelettique. Il laissa échapper un cri de surprise alors qu’elle lui lança un regard noir.

« Idiote. »

« Viens avec moi. Une fois que nous nous assurons qu’Erin ne se fait pas massacrer par ses foutus Gnolls et Drakéides, nous allons parler. À propos que tu sois un aventurier entre autre. Je reforme les Cornes d’Hammerad. »

Ses yeux sourcils se levèrent. Il regarda sa main squelettique, et cligna deux fois des yeux quand il réalisa qu’elle l’avait frappé avec.

« Fort bien. C’est un nouveau développement. Mais tu n’as pas de baguette. Et contrairement à moi, tu n’as pas de Compétence pour palier à cela. »

Ceria sourit méchamment, et leva sa main squelettique.

« Oh, je peux faire de la magie. Et Yvlon est… Elle a des cicatrices, mais elle à toujours ses deux bras. Tout comme moi. »

Elle se concentra et un [Stalactite] se forma, flottant au-dessus de sa main squelettique, prêt à être lancé. La bouche de Pisces s’ouvrit légèrement, avant qu’il regagne ses esprits. Il sourit à Ceria, et pour une fois c’était honnête, et il lui rappelait le jeune homme avec qui elle avait étudié à Wistram.

« Ah. Comme c’est intriguant. »

***

Quelqu’un frappe à la porte. Quelqu’un l’ouvrit. C’était une scène ordinaire, sauf que c’était Val qui frappait à la porte de Magnolia, et que ce fut une servante qui ouvrit la coûteuse porte à double battant pour le mener dans l’enceinte de l’immense demeure qu’était sa résidence dans la ville des aventuriers, Invrisil.

Mais Val était habitué à la routine, et donc il charma la servante alors qu’elle le mit dans la grande salle d’attente et partie prévenir la lady du manoir. Magnolia était unique comme cela ; normalement une ancienne servante ou un valet s’occupait de Val, mais il savait que Lady Magnolia parlait à tous les Courriers et Coursiers qui acceptaient une de ses livraisons.

Et celle-là était spéciale. Val avait été curieux durant tout le trajet vers le nord alors que le scion des Reinhart entra dans la pièce, charmant Val avant qu’il ne puisse la charmer.

« Quel surprise, comment vas-tu Valceif ? Je ne t’ai pas vu depuis… Au moins deux mois ! Je t’en prie, assis-toi. »

Val s’exécuta, regardant Magnolia s’installer dans la riche petite pièce, alors que ses servantes la rejoignirent. Enfin, une seule servante aujourd’hui. Ressa, la tête des servantes inclina sa tête vers Val et il hocha respectivement la tête en retour. Il avait longuement travaillé pour être bien vu par la sévère servante, mais après tout, il avait fait son possible pour être le plus respectueux possible dans la demeure de Lady Magnolia.

Pour de bonnes raisons. Personne ne devenait ennemi dans Reinhart sans le payer d’une manière ou d’une autre. Magnolia était bien meilleure en tant qu’amie qu’en tant qu’ennemie.

Et Val l’aimait bien. Donc il sourit alors qu’il mit la main à sa ceinture et sortit une lettre pliée à son nom.

« Comme vous pouvez l’imaginer, j’ai une livraison pour vous, lady Magnolia. »

« Une livraison ? Vraiment ? Je ne m’attendais pas à cela, du moins, pas venant de ta part. »

« C’est une faveur pour une amie. On m’a dit que vous connaissiez Ryoka Griffin, c’est une lettre de sa part. »

Le nom ne fit même pas cligner Lady Magnolia des yeux, mais la réaction de Ressa était plus dramatique. La servante, d’habitude imperturbable, remua légèrement, et Magnolia sourit.

« Voilà qui est intéressant. Dit-moi, quand as-tu vu Ryoka pour la dernière fois ? »

Val n’aurait pas dût être surpris d’apprendre que Magnolia connaissait Ryoka ; il savait que la Guilde des Coursiers locale adorait remplir la moindre de ses requêtes et chaque coursiers prenaient des tours pour prendre ses livraisons qui payaient bien, mais il était surpris par la réaction de Ressa. Il sourit en retour, essayant d’être le plus ouvert et honnête possible.

« Il y a un jour de cela. Elle était dans une auberge en dehors de Liscor. Elle est partie en catastrophe, mais elle m’a donné ceci avant de partir. »

Il lui offrit la lettre, et Magnolia s’en empara. Ses yeux brillèrent d’intérêt alors qu’elle observa la lettre, qui était quelque chose de très simple, et pourtant Val avait l’impression qu’elle avait tiré une information de ce fait.

« Une lettre de Ryoka Griffin. Tiens tiens. Qu’est-ce que cela pourrait être… ? Ah. Elle n’est pas scellée. »

Lady Magnolia prit le petit morceau de parchemin et le déplia. Elle le regarda, cligna des yeux, et rit.

Ressa resta de marbre derrière sa lady, mais Val savait qu’elle avait aussi lu la lettre. Son visage ne trahit pas la moindre émotion, mais Magnolia était en train de rire de joie. Val dut sourire à son tour. Il connaissait ce petit bout de parchemin par cœur après tout.

On devrait bientôt se parler.

         -R.


C’était tout. Il n’y avait pas d’encre secrète, pas de message caché. Le rire de Magnolia se changea en gloussement alors qu’elle regagna sa noblesse. Elle tapa délicatement le parchemin avec l’un de ses ongles.

« Tu l’as lu, n’est-ce pas ? »

Val baissa la tête en guise d’excuse.

« C’était le prix de ma livraison. Et je m’en excuse, mais… »

« Oh, il n’y a pas de mal ! Comme c’est astucieux de la part de Mademoiselle Ryoka. Un Courrier doit se faire payer, n’est-ce pas ? Mais je crains qu’elle ne t’a pas donné beaucoup de choses pour travailler. »

« Votre réaction était fort intéressante. »

« Vraiment ? »

Lady Magnolia scintilla joyeusement en direction de Val, et il se demanda combien cette information valait. Le jeu de la politique dont elle faisait partie n’avait pas de petits joueurs, et n’importe quel bon Courriers savait qu’il fallait vendre la moindre information avant que cette dernière ne perde sa valeur.

Mais après tout, les secrets se devaient d’être gardé pour éviter de recevoir un couteau dans la gorge, et il n’avait pas de désir de blesser Ryoka. Mais elle savait que cela allait arriver quand elle lui avait donné la lettre, et aussi parce qu’il était intéressé par ce que Lady Magnolia allait faire.

« Qu’est-ce que je devrais répondre ? Je suppose que je pourrais t’engager… Même si je suppose que Ryoka s’est aventuré plus au sud, n’est-ce pas ? »

Personne ne savait comment Ryoka faisait pour apprendre ses secrets, mais Val ne cligna même pas de yeux en voyant qu’elle savait.

« Oui, en effet. Mais je crains que la retrouver seras véritablement difficile, même pour un Courrier. Je peux vous recommander un bon dans la zone, mais… »

« Loin de moi cette idée. C’est une dépense insensée. Non, Ryoka reviendra au nord plus tôt que tard. Mais je crains qu’elle ne soit déçue, car ma réponse sera mon absence de réponse. »

Lady Magnolia tendit la lettre à Ressa, et la servante la fit disparaître dans sa robe. Val cligna des yeux.

« Rien ? Ryoka m’avait prévenu que votre réaction pourrait être inhabituelle. »

« Je lui aurai donné raison, il y a une semaine de cela. Mais pour une fois, elle n’a pas été assez rapide. Devrais-je te montrer ce que je veux dire par là ? Cela pourrait être intéressant si tu la rencontres de nouveau. »

« Cela serait avec grand plaisir, mais je crains que je n’ai que peu de chance de revoir Ryoka. »

« Qu’importe, cela serait mon plaisir de te montrer, uniquement pour me faire plaisir. Et je trouve que cela est profitable de ne jamais être certain de quelque chose dans ce monde. Si tu peux me faire le plaisir de me rejoindre ? »

Lady Magnolia se leva, et invita Val vers la porte. Elle le guida à travers la maison remplie de servant tirant la révérence et d’artefacts hors de prix jusqu’à une grande pièce. Puis elle s’arrêta, et entrouvrit une porte.

Val réalisa qu’il devrait être silencieux et se pencha en avant. Il se trouva à regarder une salle richement décorée, comme le reste de la maison, mais dans ce cas cette dernière était remplie de canapés et de chaises coûteuses. Il croyait que l’un de ces canapés était appelé une ‘chaise longue’, mais Val n’avait que peu de connaissance quand il s’agissait du mobilier des nobles.

Mais bien sûr, cela n’était pas le plus important dans la pièce. Les gens l’étaient. Rassembler autour d’une resplendissante table recouverte de boissons et de nourritures en tout genre se tenaient plusieurs personnes. Ils étaient à peine plus vieux que des enfants, pour être franc. Oh, certains étaient de jeunes adultes, mais ils se tenaient sans l’assurance que Val et Magnolia avaient.

Ils semblaient… Ordinaires. Leurs visages n’étaient pas différents de ceux que Val avait croisés lors de ses voyages, et ils agissaient comme des gens normaux. Mais leurs vêtements… Étaient haut en couleur, et recouvert de dessins que Val n’avait jamais vu de sa vie ! Et son cœur loupa un battement quand il vit l’un des étranges objets que l’un d’entre eux tenait entre ses mains.

C’était plat, et ressemblait vaguement à un miroir. Mais au lieu de refléter des choses, l’objet brillait d’une puissante lumière qui n’était pas naturelle, probablement magique. Et il était en train d’emmètre du son, alors que les autres étaient rassemblés autour de l’objet. Et qu’est-ce que l’autre avait ? Une sorte de… ?

L’un d’entre eux tourna la tête, et Val s’éloigna de la morte, même si la porte était probablement assez loin pour qu’ils ne remarquent pas l’entrouverture de la porte. Magnolia ferma discrètement la porte, et se tourna vers Val.

« Alors ? Quelles sont tes impressions, brave Courrier ? »

Ses yeux étaient en train de danser, et Val sourit en retour. Lady Magnolia jouait avec des destins et des vies, c’était la vérité. C’était ce que chaque individu avec du pouvoir faisait au nord, et leurs subtiles guerres pouvaient ruiner des vies. Mais Magnolia faisait ses complots autant en plein lumière que dans l’ombre, avec un rire et une envie de partager sa fortune avec les autres. Il ne pouvait pas s’empêcher de l’apprécier.

« Je crois avoir déjà vu quelque chose ressemblait à l’objet dans les mains de ce garçon. »

« Oui. Fascinant, n’est-ce pas ? Cependant, je regrette que cela vienne perturber les plans de Ryoka. »

« C’est dommage. Elle est une bonne Coursière, après tout. »

Magnolia amena de nouveau Val dans la pièce, là ou des services à thé et des biscuits avaient déjà été installés par Ressa. Elle lui sourit.

« J’aimerais pouvoir expliquer plus de choses, mais je crains que cela mette ses lieux en péril. Mais soit libre de parler à ses détails à ceux qui offrent plus. »

Il baissa la tête, rougissant légèrement.

« Si vous souhaitez que j’omette quelque chose… »

« Ne dites pas n’importe quoi ! Tu dois être payé, et cela serait fort dommage d’empêcher les gens au nord d’avoir un nouveau de sujet de conversation sur lequel s’inquiéter et comploter. »

Lady Magnolia rit légèrement, et Val rit avec elle. Il se pencha pour demander la question qui le taraudait.

« Mais qu’est-ce que cela veut dire, Lady Magnolia ? Est-ce que c’est une bonne chose pour vous, ou mauvais pour Ryoka ? Vous avez dit que la semaine avait été intéressante ? »

Elle lui sourit joyeusement.

« Disons simplement que cette journée est à marquer d’une pierre blanche pour nous tous. Même si tu m’as donné une lettre, et non une pierre. Misère, je suppose que l’analogie n’est pas très adéquate. Maintenant, est-ce que tu vas prendre du thé ou quelque chose de plus fort pour me raconter ce qui est arrivé à cette chère Ryoka ? »

***


Plus tard dans la soirée, à Liscor, deux compagnies d’aventuriers Or entrèrent dans la ville à l’excitation de personne à l’exception de Selys, qui était au comptoir de la Guilde des Aventuriers quand ils arrivèrent. Une Aventurière Légendaire commença sa lente journée alors qu’elle traversa les mers depuis Terandria.

Et Erin recruta sa première employée. Ce qui se révéla être une erreur.

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 11 novembre 2020 à 19:23:43
 
2.24 T - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Toren saisit son épée et la plongea plusieurs fois dans la neige. Oui. C’était… agréable.
 
Si quoi que ce soit pouvait l’être. Toren savait seulement que se servir d’une épée lui paraissait naturel, tout comme il était plus heureux lorsqu’on parlait de lui comme d’une personne et non pas d’un objet. Était-ce parce qu’Erin lui avait donné un nom ?
 
Les questions de ce genre lui donnaient mal à la tête. Mais il s’apprêtait à faire quelque chose qui requérait moins de réflexion et plus d’action.
 
Il allait tuer des trucs. Il fallait que quelqu’un le fasse, et Toren était plus fort qu’avant.
 
Il était à présent un [Guerrier Squelette] de Niveau 14, grâce à sa bataille contre l’armure enchantée, mais cela était loin d’être suffisant. Toren avait vu la tribu de Loks combattre, vu Relc et les Antiniums et Écorcheur et les hordes de morts-vivants. Il savait à quel point il était faible comparé à tous ces gens, et il était donc déterminé à devenir plus fort.
 
Mais où aller pour tuer des monstres ? Toren marqua une pause et remit son épée au fourreau à sa ceinture. Il contempla les plaines d’un air vacant. Il ne voyait pas d’autres monstres qu’un Crabroche caché dans sa coquille au loin, et la créature pouvait pulvériser ses os en un seul coup.
 
Ah. Cela risquait de poser problème. Toren dut réfléchir un moment avant de trouver où il devait se rendre.
 
La Garde éliminait la plupart des monstres aux alentours de Liscor. Et les routes au nord restaient globalement sûres parce qu’il fallait maintenir les voies commerciales. Il n’y avait que les territoires reclus comme l’entrée secrète dans le donjon de Loks pour représenter une menace occasionnelle.
 
Si on voulait se battre dans le coin pendant l’hiver, il fallait soit sauter dans un trou d’Araignées Cuirassées, soit faire un bonhomme de neige. Mais Toren savait que c’était différent au sud. C’était le chemin qui menait aux “Plaines Sanglantes”, d’après ce que Ryoka avait dit à Erin. Et d’autres sortes de monstres se terraient là-bas.
 
C’était une bonne chose ! Toren savait à présent où il devait se rendre. Mais il y avait un autre problème. Comment pouvait-il y aller et revenir avant qu’Erin ne l’appelle ? Il devait obéir aux ordres.
 
Heureusement, Toren avait aussi une solution pour ça. Il connaissait Erin ; pas ce qu’elle aimait, ni sa personnalité, ses espoirs et ses rêves, rien de tout cela, mais il savait comment elle avait tendance à fonctionner.
 
La jeune femme était occupée à examiner les fleurs des fées qu’elles avaient laissées dans son auberge quand Ceria et Toren étaient revenus. Elle s’était remise des hallucinations, et elle était à présent occupée à discuter avec Ceria de pots et de jardinage.
 
Toren n’en avait cure. Il contourna furtivement la pièce en prenant soin de ne pas attirer l’attention. C’était tout l’avantage d’être un squelette : Toren avait beau être un squelette vivant avec des yeux remplis de flammes violettes, il n’était pas une vraie personne. Il pouvait tout aussi bien devenir un élément d’une pièce qu’un un porte-manteau ou une chaise, en se contentant de rester immobile dans un coin et de bouger furtivement de quelques mètres toutes les heures ou toutes les deux heures.
 
C’était aussi parce qu’il avait une excellente compétence. Toren était loin d’avoir autant de niveaux qu’Erin, mais il avait acquis plusieurs compétences utiles avec les différentes classes qu’il avait gagnées.
 
Il avait [Maîtrise des Armes - Épée], [Force Mineure], [Dissimulation de Présence], et quelques autres compétences issues de ses classes ; mais c’étaient les trois plus importantes. [Force Mineure], en particulier, avait vraiment été un don inespéré ; Toren l’avait eue lorsqu’il avait atteint son Niveau 10 de [Guerrier].
 
Toren était toutefois actuellement en train d’utiliser sa compétence de [Dissimulation de Présence] : il se déplaçait silencieusement à travers la pièce, jusqu’à se trouver juste derrière Erin et Ceria. Ensuite, il patienta.
 
“Tu ne comprends donc pas ? Elles ont de la valeur ! Si on les plante, je suis sûre qu’on pourra en faire pousser plus !”
 
 Erin discutait, surexcitée, avec Ceria, en pointant du doigt les fleurs dorées. La demie-Elfe n’avait pas l’air convaincue, mais elle hocha tout de même la tête.
 
“Si c’est ce que tu penses. C’est l’hiver, mais elles n’ont pas l’air de faner - et bien sûr, ce sont les fées qui les ont apportées, donc elles doivent être résistantes au froid. Je peux t’aider à les rempoter, mais il va nous falloir des pots.”
 
“Des pots ? Pas de souci. Je crois que j’ai…”
 
Erin se tourna, et ne réalisa qu’à ce moment-là que Toren était juste derrière elle. Elle hurla et lui donna un coup de poing. Toren bondit en arrière par réflexe, il s’y était attendu.
 
Toren !
 
Ceria avait posé sa main squelettique sur son cœur et Erin, pantelante, fusillait le squelette du regard. Il ne voyait pas quel était le problème, mais elle était tout le temps surprise et triste quand elle se tournait au milieu de la nuit et le voyait en train de la regarder.
 
“Erin, ton squelette est terrifiant.”
 
“Je sais, je sais. Je… d’accord, c’est bon. Toren, va à la cuisine me chercher un pot. Pas un pot pour cuisiner, un pot pour planter des choses.”
 
Toren acquiesça et alla dans la cuisine. Il ne voulait pas aider à planter les fleurs, mais cela faisait partie du processus. Cette fois-ci, il attrapa un vieux pot de fer ébréché et revint tout aussi silencieusement.
 
Erin et Ceria avaient repris leur discussion, mais Erin se souvint du pot et tourna la tête. Toren la regarda droit dans les yeux.
 
Aaah !
 
Toren lui tendit le vieux pot. Erin recula de quelques pas, lui arracha le pot des mains, et lui cria dessus.
 
“Arrête de faire ça ! C’est quoi ton problème, aujourd’hui ?”
 
Le squelette ne pouvait pas répondre, mais il avait compris depuis le temps qu’Erin ne posait pas vraiment une question. Il attendit, patiemment.
 
“Va te mettre là-bas.”
 
Erin pointa le bar du doigt, et Toren s’y rendit docilement. Cela faisait partie du plan. Il ne cessa de dévisager Erin et Ceria qui s’étaient mises à parler de terreau et de bonnes conditions d’exposition et de choses qui ne l’intéressaient pas. Puis l’événement qu’il attendait se produisit.
 
Ceria l’aperçut et frissonna. Elle marqua une pause, se décala de quelques mètres, puis frissonna de nouveau. Erin leva les yeux.
 
“C’est encore Toren ? Qu’est-ce qu’il a encore fait ?”
 
“Regarde.”
 
La demie-Elfe le pointa du doigt, et Toren vit sa maîtresse sortir la tête de derrière son pot. Elle avait un peu de terre sur la joue. Il la dévisagea, patiemment.
 
“Je ne vois pas ce que…”
 
“Regarde ça.”
 
Ceria se décala d’un mètre ou deux et attrapa une cuillère en bois dont elles se servaient pour creuser. Au début, le squelette ne bougea pas. Puis, lentement, il tourna la tête pour suivre Ceria des yeux. La demie-Elfe revint vers la table, et la tête de Toren tourna lentement avec un léger délai pour la contempler de nouveau.
 
Erin frissonna de concert avec Ceria. Elle porta une main à son visage, et jura en se mettant de la terre dans les yeux. Elle se frotta les yeux et fusilla Toren du regard.
 
“Ça suffit. Dehors ! Ouste ! Ne rentre pas avant plus tard, et arrête d’être… flippant ! Compris ?”
 
C’était précisément ce que Toren attendait. Le squelette ne sourit pas, mais il hocha instantanément la tête et sortit avant qu’Erin ne change d’avis. Il l’entendit grommeler, mais n’y prêta pas attention.
 
Il était libre ! Toren se précipita dans les plaines enneigées. Oui, il était libre, il n’avait qu’à rentrer plus tard dans la soirée, ou dans la nuit. Ou demain, même s’il sentait qu’Erin ne voulait probablement qu’il ne reste dehors que quelques heures.
 
Qu’importe, ça avait fonctionné. Toren avait compris depuis longtemps que s’il restait longtemps derrière Erin ou la gênait quand elle s’activait, elle finissait par lui ordonner de sortir. Il n’avait jamais utilisé ce savoir par le passé, sauf pour éviter précisément de le faire, parce qu’il n’avait jamais eu de raison de ne pas vouloir être à ses côtés.
 
Jusqu’à maintenant.
 
Toren marcha puis se mit à courir dans les Plaines Inondées de Liscor, puis au-delà. Il ne fatiguait pas. Il ne ralentissait pas. Il était mort-vivant, et la mort lui avait depuis longtemps pris la douleur et la fatigue.
 
Ryoka pouvait courir plus vite. Tout comme Val, Relc, et probablement même Erin si elle se faisait poursuivre par des Gobelins. Toren devait porter une épée et cela le ralentissait. Mais il ne s’arrêtait jamais, et était par conséquent supérieur à la plupart des Coursiers de Ville comme Garia, Persua, ou même Fals.
 
Cela prit tout de même une heure à Toren de traverser les Plaines Inondées. Il savait qu’il en était sorti parce qu’il atteignit une colline. La pente était plutôt douce, mais cela lui prit presque trente minutes pour atteindre le sommet en courant le plus vite possible. Lorsqu’il arriva au sommet, il réalisa qu’il y avait une pente plus étroite par laquelle il aurait pu attendre le haut de la colline en moitié moins de temps.
 
Toren ne se mit pas en colère. Il en était incapable. Il se contenta de noter mentalement l’endroit pour avoir un chemin plus rapide la prochaine fois.
 
À présent que Toren était au sommet de la grande colline, il pouvait enfin voir la grande étendue de terres qui s’étendaient vers le sud, là où vivaient les Drakéides et les Gnolls.
 
Ce n’était… pas extraordinaire. Du moins pour Toren. Il se contenta de remarquer qu’au moins, c’était vraiment une plaine. Les Plaines Inondées étaient en effet plutôt plates par endroits, mais les nombreuses vallées et collines comme celle où se tenait l’Auberge Vagabonde que le sol plat devenait au mieux une illusion.
 
Mais ici, au-delà des frontières de Liscor, Toren vit le début des terres sauvages. Il vit des sols enneigés, des roches, et des… arbres.
 
Oui, des arbres ! Au début, Toren pensa qu’il s’agissait des mêmes arbres que ceux qu’il avait trouvé avant, les Arbres Kaboum qui faisaient des explosions mortelles. Mais non, ces arbres étaient des conifères normaux, des pins et des sempervirents regroupés en grandes forêts entre les grandes étendues de terres.
 
C’était une belle vue, mais le squelette n’avait pas le temps pour tout cela. Il scanna le paysage, cherchant des traces de mouvement. Puis il vit une petite silhouette en train de courir loin en contrebas.
 
C’était suffisant. Toren dévala la colline, l’épée au clair. Il ne s’encombra pas de discrétion ou de plan ; il y avait quelque chose en vie là-dessous, et il allait le tuer. Il voulait le tuer.
 
Il est difficile de repérer un squelette en train de courir sur une colline enneigée, même avec toute la neige qu’il soulève sur son passage. Mais la créature avait déjà repéré Toren, et au lieu de fuir, elle s’était arrêtée et attendait qu’il arrive. C’était bon signe ; cela signifiait qu’elle pouvait probablement se battre.
 
Toren s’arrêta en posant enfin les yeux sur la créature qui marchait à l’ambre à travers la neige. C’était… un cerf.
 
Oui, un cerf. C’était, plus exactement, un renne, et il avait beau être équipé d’une imposante paire de bois, cela restait un renne et non pas un Creler dévoreur de chair ou un énorme insecte avec des dents ni même un Gobelin.
 
Déçu, Toren baissa son épée et se détourna. C’était bien de tuer des trucs, mais il était conscient que des actes de violence aléatoires ne l’aideraient pas à gagner des niveaux. Il tourna le dos à la créature, et se prit donc la charge du renne de plein fouet dans le dos.
 
L’impact fit tomber Toren et les sabots le piétinèrent et lui écrasèrent les os. S’il avait été fait de chair et de sang, Toren aurait probablement eu plusieurs lésions internes et un nombre innombrable de ligaments déchirés. Mais comme il était un squelette, la charge du renne ne lui fit pas grand-chose.
 
Toren bondit sur ses pieds tandis que le renne freinait sa charge avant de rentrer dans un arbre, et se retournait, en soufflant par les naseaux, pour lui faire face. Il leva son épée, et claqua la mâchoire de joie.
 
C’était bel et bien un ennemi après tout ! Il faillit se réjouir, et ne comprit qu’alors qu’il était peut-être un peu dans le pétrin.
 
Parce que voilà. Oui, Toren faisait face à un renne. Et oui, sa charge n’avait pas eu beaucoup d’effets sur lui. Mais le squelette ne réalisait qu’à présent que ce renne en particulier, que ce soit parce qu’il avait muté ou évolué, faisait deux fois la taille d’un renne du monde d’Erin.
 
Il n’avait pas vraiment d’élément de comparaison, bien sûr ; Toren était juste conscient que ce renne était gigantesque. C’était un Corus, même s’il n’avait aucun moyen de le savoir. Les deux bois qui ornaient la tête du renne étaient aussi bien orange que bruns, et il y avait des traces de suie sur la fourrure qui ourlait les sabots du Corus.
 
Mais bon, il n’avait pas d’épée. Toren leva la sienne et chargea le cerf, visant vicieusement ses flancs. Le cerf se cabra et Toren vit un éclair de sabots.
 
Il lui assena un coup de sabot sur le crâne et plusieurs coups solides sur le reste de son corps, fêlant ses os. Il lui ouvrit le flanc.
 
Du sang rouge couvrit le flanc du renne qui émir un cri de détresse et recula. Toren fondit sur lui à travers la neige, l’épée levée, mais le Corus était agile et l’esquiva, avant de distancer facilement le squelette.
 
Eh bien, voilà qui était fâcheux ! Si Toren avait eu de la chair, il aurait froncé les sourcils. Il était venu jusqu’ici pour combattre des monstres, pas des animaux un peu trop attachés à leur territoire. Il s’était attendu à ce que le cerf s’enfuie et il l’aurait laissé partir ; ce n’était pas vraiment un défi… lorsque le cerf s’arrêta soudain et baissa la tête pour une nouvelle charge.
 
Toren marqua une pause, puis leva son épée. Le cerf voulait apparemment mourir. Cela ne lui posait aucun problème. Il attendit patiemment pendant que le cerf grattait le sol de ses sabots en soufflant par les naseaux. Il avait beau être plus fort et plus rapide que lui, cela restait un bête animal. Pas du tout une menace.
 
Puis Toren apprit ce qui rendait les Corus différents des rennes ordinaires. Les bois du cerf se mirent à luire, puis ils s’illuminèrent comme des morceaux de fer dans un feu de forge, devenant presque blancs sous l’effet de la chaleur qu’ils émettaient.
 
Les sabots prirent feu aussi. Toren fut brutalement conscient que tout était en train de fondre autour de lui. Cela ne le dérangeait pas, comme il était un squelette, mais il ne put s’empêcher de se demander ce qu’il se passerait si ses os entraient en contact avec les bois surchauffés.
 
Il hésita un instant, et le Corus le chargea d’un coup. Il bondit dans une explosion de flammes, et il bougeait soudain plus vite. Beaucoup plus vite
 
Toren se jeta hors de son chemin et le cerf passa dans un coup de tonnerre à côté de lui. Il sentit l’air se modifier autour de ses os, mais il s’en était sorti. Pendant une seconde. Il se retourna, et, il ne savait comment, le renne avait déjà fait volte-face et fondait sur lui.
 
Trop tard pour bloquer ou esquiver. Toren taillada de nouveau le cerf tandis que les bois le cueillaient en pleine poitrine. Le cerf fit un écart, la face sanglante, et Toren s’écrasa dans la neige. Mais les bois enfoncèrent quand même ses côtes.
 
Le squelette entendit un sifflement, et sentit une portion de sa cage thoracique… disparaître. Il lutta pour se remettre debout, et tâta ses côtes. Elles étaient encore intactes. Mais…
 
Un bon morceau de ses os s’était évaporé. Lorsque Toren tâta sa troisième côte en partant du haut, il ne rencontra que de l’air là où il y aurait dû y avoir de l’os. Des morceaux de cendre se détachèrent sous ses doigts. Le cerf avec incinéré ses os avec la chaleur intense émise par ses bois.
 
Ce n’était pas si grave. La mobilité de Toren n’était pas entravée, et il n’avait pas perdu beaucoup de matière. Et il avait blessé le Corus, il saignait à présent à deux endroits. Mais quelque chose d’autre inquiétait Toren.
 
Il ne guérissait pas. Ou s’il guérissait, ce n’était pas aussi rapidement que pour une fracture. C’était très grave.
 
Le Corus secouait la tête, projetant dans la neige des gouttelettes de sang fumantes. Il avait été blessé juste au-dessus de l’œil, et Toren était certain qu’il ne pouvait plus voir avec. Il se mit tout de même à fouette l’air avec ses bois chauffés à blanc et força Toren à reculer.
 
Il sautilla en arrière dans la neige, et les deux adversaires se dévisagèrent avec méfiance pendant quelques secondes. Le squelette réfléchit à son prochain coup. Il devait tuer le cerf, à présent, c’était évident. Mais ses bois l’inquiétaient. Charger n’était peut-être pas une si mauvaise idée, mais si le cerf l’épinglait au sol et plongeait ses cornes dans son corps ? Il serait réduit en cendre en moins d’une minute.
 
Le cerf, qui était d’ailleurs une femelle, était de toute évidence en train de douter aussi. Elle avait essayé de chasser l’étrange intrus qui avait pénétré dans son aire de broutage, et il l’avait déjà blessée deux fois. Le squelette ou la Corus auraient pu décider à ce moment-là si le jeu en valait la chandelle, mais ce fut le moment que choisit le bonhomme de neige pour attaquer.
 
Toren n’eut que le temps d’apercevoir l’ombre gigantesque l’engloutir avant qu’un poing de neige s’écrase sur lui, engloutissant le squelette dans un monde de neige. Il se débattit, mais il était recouvert de neige, et elle était beaucoup trop tassée pour qu’il puisse bouger.
 
Pendant quelques minutes, Toren connue la confusion la plus totale. Il luttait pour bouger, et il pouvait sentir qu’il se faisait bringuebaler à toute vitesse.  Mais il entendit ensuite un sifflement suivi d’un rugissement, et la glace qui l’entourait se transforma en eau !
 
Toren tomba du corps du bonhomme de neige juste à temps pour voir la Corus s’enfuir tandis que le Golem de Neige massif se transformait en eau et se mélangeait à la neige par terre. Il s’éloigna à quatre pattes et vit son épée, toujours plantée dans le flanc du géant de neige. Toren contempla l’énorme création, émerveillé.
 
C’était un bonhomme de neige. Une sculpture grossière de neige qui avait pris vie. C’était techniquement un Drakéide, mais son apparence avait trop muté pour ressembler encore à son créateur ni à n’importe quelle espèce humanoïde, d’ailleurs.
 
Quelque temps plus tôt - peut-être au début de l’Hiver, un petit Drakéide avait construit un bonhomme de neige dans la neige fraîche. Le jeune Drakéide, plein d’énergie, lui avait offert des petits cailloux pour lui faire des yeux, des grands bâtons pour faire les bras et une queue, une bouche et même un radis pour faire un nez, mais il avait oublié de lui offrir la chose la plus importante : des vêtements.
 
N’étant pas protégé des sources externes, de la magie était entrée dans le bonhomme de neige - par accident ou non - et il avait pris vie. Cela n’avait peut-être pas été si affreux au début - le bonhomme de neige avait beau être hostile envers toute forme de vie, il était lent et n’était constitué que de neige légèrement tassée, et ne représentait donc pas une très grande menace. Mais celui-ci avait réussi à survivre à sa création, et avait fait ce que toutes les créatures font.
 
Il avait grandi. La neige des plaines était un banquet pour le Golem de Neige, et il avait absorbé de plus en plus de neige jusqu’à devenir plus grand qu’un Crabroche et tout aussi large. Il avait deux bras de neige massifs, et une bouche et deux yeux grossiers s’étaient formés sur son visage à partir de gros rochers et de pierres.
 
Oh, et il avait encore une espèce de queue, mais on aurait plus dit une troisième jambe.
 
Le Golem de Neige rugit de nouveau, et tenta d’attraper la biche. Les cornes et le poing entrèrent en contact et Toren vit un éclair de lumière puis un nuage de vapeur s’élever tandis que le Golem ruait en agrippant sa main fondue.
 
Quelque chose explosa, et Toren réalisa que quelques-unes des pierres piégées dans le corps du Golem surchauffaient sous l’effet des bois de la Corus. Cela ne lui posait pas de problème et au Golem non plus, mais la biche fut touchée par quelques shrapnels et vacilla.
 
C’était l’occasion pour le Golem de jeter un gros morceau de lui-même sur la biche, mais il s’évapora et fondit lorsque la biche baissa la tête dans une posture de défense. La force de l’impact jeta tout de même la Corus au sol, mais elle se redressa maladroitement et les deux créatures se mirent à tourner l’une autour de l’autre.
 
Elle s’arrêta, et le Golem de Neige réalisa enfin que quelque chose clochait. Il leva sa main valide, mais Toren se contenta de s’accrocher à l’énorme tête neigeuse, et les doigts malhabiles ne parvinrent pas à l’en arracher.
 
C’est le signal qu’attendait la Corus pour charger, et le Golem de Neige dut se concentrer de nouveau sur le sol. Toren se redressa, et regarda la tête du Golem. Bon, comment tuait-on quelque chose fait de neige et de glace… ?
 
Toren savait comment il ferait pour se tuer, lui, donc il appliqua la même logique au Golem. Il ne s’embarrassa pas de son épée ; il se contenta d’enfouir ses mains dans la tête du Golem de Neige et se mit à creuser.
 
Pendant quelques instants, le Golem continua d’attaquer la biche qui lui tournait autour en contrebas, faisant fondre ses flancs en restant hors de portée. Puis Toren jeta une autre poignée de neige dans les airs et toucha le centre du Golem. Et le Golem apprit alors ce qu’était la douleur.
 
Le Golem de Neige poussa un rugissement, furieux et déchirant, et Toren continua à creuser sa tête, ôtant de la neige qui paraissait différente du reste. Elle était d’une manière ou d’une autre encore plus blanche que de la neige ordinaire, et elle avait l’air plus froide sur ses os. La neige pure fondait dès qu’elle arrivait à l’air libre, et le Golem hurla et Toren continua de creuser.
 
Lentement, le béhémoth géant s’effondra, et Toren réalisa qu’il était en train de se démanteler. N’étant plus relié par la magie, le corps du Golem se contenta de tomber en tas sur le sol, une petite montagne de neige, de terre et de glace.
 
Toren s’assit dans la neige et en retira son épée. Eh bien, ça, c’était amusant. Il regarda rapidement autour de lui, et vit que la Corus était en train de contempler les restes du Golem, comme si elle n’était pas certaine qu’il était mort. Elle recula lorsque Toren bondit sur ses pieds, l’épée levée.
 
C’était l’heure de reprendre le combat. Toren attendit que la biche le charge. Elle attendait clairement le bon moment, raclant ses sabots au sol, faisant mine d’avancer, mais la biche finit par hésiter. Elle leva ses bois, et le secoua, mais il était trop tard.
 
Les bois s’éteignirent. La lumière chauffée à blanc et la chaleur intense s’estompèrent, et la Corus ne fut soudain plus qu’un renne surdimensionné, blessé et épuisé.
 
Toren cligna des yeux, mais la biche était toute aussi surprise que lui. Elle trépigna en secouant la tête, mais il était évident que quelle que soit la magie ou l’énergie que la Corus utilisait, elle avait épuisé ses stocks en combattant à la fois Toren et le Golem de Neige.
 
Dommage. Mais cela ne gênait pas Toren. Lorsque la biche commença à se redresser, il la chargea, en faisant des moulinets avec son épée. Cette fois, la biche l’accueillit tête la première, enfonçant ses bois dans le squelette, mais rien n’y faisant. Et Toren lui transperça le flanc.
 
Cette fois-ci, la lame pénétra de plusieurs dizaines de centimètres. Elle n’atteignit pas le cœur, mais atteignit bel et bien un organe vital parce que la Corus gémit et s’écarta. Elle n’attaqua pas Toren, et au lieu de cela se mit à courir et le squelette dut la pourchasser.
 
Même blessée, même à moitié aveugle, la biche distança immédiatement Toren. Mais elle laissa une traînée rouge dans la neige, et une piste à côté. Cela suffisait pour Toren. Il courut derrière la biche qui s’éloignait, absolument pas découragé par sa vitesse. Elle finirait par ralentir à la fin.
 
C’était le truc, chez Toren ; il était patient et ne fatiguait pas. Il poursuivit la Corus blessée sans relâche à travers la neige, lui tailladant les flancs à chaque fois qu’il s’en approchait. Elle ne pourrait pas courir indéfiniment, et à chaque fois qu’elle ralentissait, il était là, et la tailladait, la transperçait, ignorant les sabots et les cornes qui s’écrasaient sur lui sans relâche.
 
Du sang coula dans l’œil de la Corus qui se précipita dans une forêt, tentant de semer le squelette. Il la poursuivit, mais la Corus finit par commette une erreur. À moitié aveuglée, elle ne remarqua pas les branches basses des arbres et courut droit dessus.
 
Toren fit claquer sa mâchoire de joie lorsque la biche fit un écart à gauche et rentra dans un arbre. Le squelette fondit instantanément sur l’animal blessé. La Corus leva ses bois et arracha l’épée des mains du squelette.  Elle essaya de se servir de ce répit pour s’enfuir, mais Toren fut sur elle en un instant. Il serra deux doigts et les poussa dans l’autre œil de la biche. La biche poussa unhurlement, et Toren en fut ravi.
 
C’était ça, le combat. C’était ça, de tuer. C’était ce pour quoi on l’avait construit. Le monde devint une petite bulle de violence concentrée pour le squelette. Il cogna et mordit la biche meurtrie tandis qu’elle essayait de le frapper de ses sabots ou de le transpercer de ses cornes. Mais elle n’avait plus de chaleur. Plus de chaleur, et la biche faiblissait. Mourait.
 
Toren retrouva son épée et la rapporta vers la biche qui était étendue au sol, ses sabots bougeant faiblement. Il lui transperça le poitrail, puis la tête, plusieurs fois, peignant la neige et ses os de sang et d’entrailles.
 
C’était fait. Il avait gagné. Toren contempla le corps fumant, puis prit un peu de neige et commença à se nettoyer. Erin détestait quand il était sale.
 
[Guerrier Squelette Niveau 16 !]
 
[Compétence - Pied Sûr Obtenue !]
 
Toren ne pouvait pas dormir, et il ne s’était jamais reposé, donc les notifications de niveaux apparaissaient toujours dans sa tête à l’instant où il finissait une bataille ou une partie d’échecs. Il réfléchit aux mots qu’il venait d’entendre en finissant de se nettoyer avec de la neige.
 
[Pied Sûr] ? Cela ne paraissait pas si utile que ça, mais… Toren leva un pied à titre expérimental. Il se mit à marcher dans la neige, et comprit qu’il était devenu beaucoup plus facile, et de loin, de traverser la plaine. Comment ? On aurait dit qu’au lieu de marcher sur le terrain traître couvert de plaques de glace lisse ou de mottes de terre, il marchait sur une surface lisse et dure.
 
C’était utile. Pas simplement pour tuer des choses ; Toren était certain qu’il pourrait aller où il le voulait grâce à cette compétence. C’était pratique, de toute évidence, mais c’était… étrange.
 
Étrange, oui. C’était le seul mot qui convenait. Un moment plus tôt, Toren s’était inquiété de sa lenteur. Et, tadaaa, il avait soudain une compétence qui lui permettait d’aller plus vite. La pensée et les niveaux étaient-ils connectés d’une manière ou d’une autre ?
 
Peut-être. Toren n’en savait rien, mais il pouvait voir le lien. Et pourtant, cette compétence avait beau être utile, ce n’était pas exactement ce dont il avait besoin. Il lui faudrait plus d’une heure et demie pour rentrer à l’auberge, même s’il ne glissait pas toutes les deux minutes.
 
Et en parlant de ça… Toren leva les yeux pour voir la position du soleil. Oui, il fallait qu’il rentre, de toute manière, ou il ferait nuit lorsqu’il rentrerait. Plus de tuerie pour aujourd’hui. C’était fâcheux, mais il avait des ordres.
 
Le squelette se mit à rentrer en courant à travers la neige en direction de l’auberge à Liscor, comme s’il ne s’était jamais battu. Le monticule qui avait été le Golem de Neige et le cadavre de la Corus en train de geler lentement restèrent étendus au sol, pour se faire petit à petit recouvrir de neige. Toren poursuivit sa course, ne songeant qu’à Erin, l’auberge, et les niveaux qu’il avait gagnés. Il avait tué deux nouveaux ennemis aujourd’hui, c’était probablement la raison pour laquelle il avait gagné deux niveaux. Le Golem de Neige représentait une véritable menace. S’il n’avait pas fondu, il aurait pu y rester piégé à jamais.
 
Il se demanda ce qu’il pourrait tuer demain ?
 
Ce fut la première journée de chasse de Toren. Ce ne fut pas sa dernière, mais lorsqu’il rentra à l’auberge, il y trouva un élément nouveau.
 
Une fille.
 
Elle était assise sur une chaise au milieu de l’auberge d’Erin, frissonnant enveloppée dans une couverture, et Erin était aux petits soins pour elle. Elle avait une tasse de lait chaud et cher, une assiette de bœuf chaud et du pain à côté.
 
Et elle se plaignait.
 
“... sales rustres et des monstres ! Ils devraient tous être rayés de la carte !”
 
Toren la dévisagea. C’était probablement une invitée. Probablement. Mais un sentiment de malaise l’envahissait, et cela s’empira lorsqu’Erin se retourna et le vit.
 
“Oh, Toren ! Te voilà ! Je me demandais où tu étais passé. Regarde, c’est ma nouvelle employée. Elle s’appelle…”
 
Toren n’entendit pas le reste. Il regarda la fille transie de froid, vêtue de vêtements repoussants et en train de le regarder fixement, frappée d’horreur. Il se tourna vers Erin.
 
Non.
 
Non, elle ne pouvait pas faire ça. Elle le remplaçait ? Ou… non, elle ne le remplaçait pas. Toren écouta les explications d’Erin.
 
Elle allait travailler ici ? Accomplir ses tâches ? Pourquoi ? N’était-il pas la seule aide dont Erin avait besoin ? Il allait…
 
Est-ce que c’était parce qu’il était parti ? Sûrement pas. Erin disait quelque chose au sujet de la fille qui aurait été secourue ou exilée ? Toren ne comprenait pas vraiment. Il ne comprenait pas beaucoup de choses qui se passaient ou que les gens disaient. Mais il regarda la fille et il décida qu’il ne l’aimait pas.
 
Pas du tout.
 
Il se passa d’autres choses ensuite. Erin se mit à être aux petits soins pour la fille, pour commencer, même si de toute évidence cette dernière était tout à fait capable d’être aux petits soins pour elle-même. Elle mit les autres visiteurs en colère, Toren s’en aperçut. La demie-Elfe, son créateur, et en particulier la [Commerçante] Gnolle.
 
Est-ce que c’était important ? Peut-être. Peut-être pas. Toren ne savait que deux choses. Il avait gagné des niveaux, aujourd’hui, ce qui était une bonne chose, et Erin le mettait lui responsable de la fille, ce qui était une mauvaise chose.
 
La première nuit, Toren resta debout jusqu’à tard pour réfléchir et essayer de comprendre s’il était en train de se faire remplacer ou si ce n’était qu’une punition pour autre chose. Il sentit ses côtes se régénérer lentement ; les os se reformaient dans les airs, mais lentement, drainant fortement le mana de Toren. Mais ce n’était pas aussi important que la nouvelle.
 
Toren ignora tout le reste et réfléchit. Il était debout au milieu de la salle commune jusqu’à ce qu’il remarque la fille en train de descendre en tapinois de l’étage. Elle ne le remarqua pas lorsqu’elle se faufila dans la cuisine, mais elle le vit tout à fait lorsqu’il lui saisit la main alors qu’elle essayait d’attraper la bourse de pièces d’Erin.
 
Encore des cris. Encore du bruit. Toren suivait les ordres, et le lendemain on le laissa seul avec la fille pour la surveiller. Il la regarda fixement, sous le choc, mais il remarqua que ce choc était reflété dans le visage de la fille, accompagné en plus de beaucoup de révulsion et d’horreur.
 
Il fallait qu’il lui enseigne des choses ? À elle ? Erin voulait que la fille apprenne à nettoyer, mais elle se contenta de reculer loin de Toren, en jurant et en lui criant des insultes. Il lui tendit plusieurs fois le chiffon mais elle se contenta de s’enfuir en courant.
 
Elle finit par arrêter d’avoir peur de lui suffisamment longtemps pour rester immobile et essayer de lui donner des ordres. La fille se planta sur ses pieds, ouvrit la bouche d’un air grincheux et pointa la porte du doigt.
 
“Chose, je t’ordonne de...”
 
Qu’était-il censé faire alors ? Il se tortura à trouver une solution au problème. Il ne pouvait pas tuer la fille, il avait même reçu l’ordre de la protéger et de lui “montrer les ficelles”, ce qui ne voulait malheureusement pas dire qu’il pouvait la pendre ou lui faire un garrot non plus.
 
D’accord. Toren pouvait le faire. Il était doué pour suivre les ordres. C’était juste que… le truc, c’était…
 
Le truc, c’était… qu’il n’aimait pas la fille qu’Erin avait embauchée. Pas du tout. Il n’aimait pas le fait qu’Erin lui accorde plus d’attention qu’à Toren, il n’aimait pas le fait que la fille faisait son travail (même si elle le faisait très mal), et il détestait par-dessus tout le fait qu’elle n’était qu’un tas de chair inutile qui gaspillait l’espace.
 
Elle était juste tellement fatigante, c’était tout. Oui, c’était tout. Et elle lui donnait des ordres qui n’avaient… aucune importance. Ce n’étaient que des mots. Ils n’embêtaient pas du tout Toren.
 
C’était malcommode, voilà tout, et Toren n’aimait pas perdre son temps à lui enseigner des choses. Mais tout cela changea lorsque Toren découvrit qu’il pouvait faire des choses très agréables avec la fille quand Erin ne regardait pas. C’était drôle, plaisant, même. Il commença par utiliser ses poings et ses pieds, puis ses doigts, puis il lui suffisait de la pousser pour s’amuser. Il pouvait aussi la dévisager, bien sûr, mais c’était loin d’être aussi divertissant.
 
Un divertissement. C’était tout ce qu’elle était, en fin de compte. Lorsque Toren eut découvert à quel point il pouvait s’amuser avec la fille, et qu’il fut parvenu à la faire accomplir quelques tâches, cela devint moins son problème que celui d’Erin. Donner des leçons à la fille était devenu un moment obligatoire de sa journée auquel Toren s’était résigné, ponctué de moment agréables, mais lorsqu’elle avait terminé et que la nouvelle partait pleurnicher ou se cacher, Toren partait en chasse.

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 11 novembre 2020 à 19:26:00
2.24 T - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia


***

Les Gobelins rampaient dans la neige. Ils étaient dix, vêtus de fourrures d’hiver grises prélevées sur un animal quelconque. Toren les observa un moment, mais ils ne faisaient pas partie de la tribu de Loks. Il les avait tous vus, et ils venaient du sud. Il bondit du tas de neige où il s’était couché, presque invisible, et transperça le premier. Il attrapa le second et l’étrangla d’une main en commençant à massacrer le reste.
 
Ils ne pouvaient pas le blesser, pas sans magie ou suffisamment de puissance pour éparpiller ses os ou les réduire en poussière. L’un d’eux tenta de jeter un sort, mais Toren le découpa en morceaux avant qu’il n’ait pu terminer.
 
***

Le carcajou chassait dans la neige, cherchant quelque chose à tuer. Il avança d’un pas et glissa sur quelque chose de lisse. Toren, sous lui, ouvrit les mâchoires et le mordit. Dommage qu’il ne soit pas pourvu de dents de Drakéide ou de Gnoll.
 
***

La deuxième Corus fut beaucoup plus facile à tuer que la première. Toren s’était mis à emmener avec lui une petite hachette - l’une des armes qu’il avait prélevées sur les cadavres des aventuriers dans les Ruines - et il la lança et réussi à faire une entaille profonde dans la patte de la biche. À partir de là, ce n’était plus très difficile de la tuer ; Toren se précipita sur elle et la taillada par derrière, esquivant sans peine ses sabots.
 
Mais il avait mal calculé son coup, cette fois. La Corus qui s’était un peu trop éloignée de sa horde était encore visible par le reste de son groupe, et lorsque Toren massacra l’animal, le reste de sa horde fondit sur lui dans un grondement de tonnerre.
Le squelette entendit un grognement, ou peut-être une espèce d’appel, et réalisa qu’il était cerné. Mais Toren se contenta de lever son épée, et de se demander combien il allait parvenir à tuer.
 
Les cornes des Corus se mirent à chauffer à blanc, puis le vent se leva. Toren se tourna vers les plaines et vit que le vent avait soulevé un nuage de neige fraîche. Il flotta vers Toren et la horde de rennes, une véritable vague de glace. Mais lorsque la neige entra en contact avec les cornes lumineuses des biches, elle se transforma soudain en vapeur.
 
C’était ce qu’elles attendaient. Lorsque le nuage de vapeur aveugla Toren, les Corus le chargèrent, formes sombres, cornes de flammes et sabots dans la brume.
 
Toren leur fonça dessus dans un hurlement silencieux. La première charge le souleva de terre, et il atterrit au milieu de la horde, fouettant l’air de son épée, transperçant, déchirant les chairs. Les biches se mirent à piétiner à côté de lui, et Toren sentit ses os devenir noirs et s’enflammer sous l’effet de la chaleur.
 
Les biches étaient agglutinées autour du squelette, balayant l’air de leurs bois, faisant fi de la chaleur qui ne paraissait étrangement pas enflammer leur cuir épais, lorsque soudain, d’un seul mouvement, elles firent volte-face et s’enfuirent. Toren resta étendu au sol, ses os encore fumants, et regarda fixement la horde qui s’enfuyait à travers les plaines. Il avait presque oublié la gemme de [Terreur], mais il apparaissait qu’elle pouvait être utile.
 
Il lui fallut une demi-journée pour pouvoir remarcher, mais cela ne l’empêcha pas de gagner des niveaux après cette bataille.
 
***

Le sanglier n’était pas l’un de ceux des bergers de Liscor. C’était le mâle alpha de sa harde et il les guidait à travers la neige pour trouver de la nourriture dans ce paysage glacé. En été, bien sûr, ils se débarrassaient de leur fourrure, mais ils avaient besoin de garder toute la chaleur possible en ce moment et ils restaient proches les uns des autres.
 
Pas seulement pour partager leur chaleur corporelle, bien sûr ; un sanglier, seul, était une proie facile, surtout avec tous les monstres mortels qui vivaient dans les plaines, mais ensemble, leurs défenses et leur puissance explosive pouvait réduire en bouillie la majeure partie de leurs ennemis.
 
Mais ce sanglier guidait sa harde plus au sud, loin de Liscor. Certes, les menaces australes étaient tout aussi terribles que celles du nord ; si les Crabroches et les nids d’Araignées Cuirassées posaient problème autour de Liscor, les dangereuses tribus de Gnolls et d’autres monstres tels que les Wyvernes pouvaient facilement tuer un groupe aussi grand que le sien.
 
Mais le sanglier alpha avait pris sa décision. Sa compagnie venait de passer devant un monstre fraîchement massacré, une grande créature semi-bipède avec une peau de cuir, dépourvu de visage. Elle n’avait qu’une bouche et pas d’yeux, mais ses grandes serres et ses bras couverts de pointes compensaient largement sa cécité.
 
C’était un ennemi formidable, deux fois plus grand que le sanglier alpha, et il avait pourtant été brutalement découpé en morceaux. On aurait dit que quelque chose l’avait tué, mais ne s’était même pas arrêter pour le manger. Quelle créature pouvait être si dangereuse ?
 
Le sanglier renifla et leva son groin en l’air. Son odorat était tout aussi capable que sa vue de déterminer où se trouvait les menaces. Il appela le reste de sa harde et le groupe le suivit dans le sillage qu’il traçait à travers la neige.
 
Toren les laissa partir. Il n’avait presque plus de magie qu’Erin lui donnait, et il ne pensait pas pouvoir gagner contre les sangliers sans utiliser le rubis. Et il ne gagnait pas de niveau quand il faisait ça, apparemment.
 
***

C’était une Compagnie d’Aventuriers Rang Or qui était arrivée en retard à Liscor. Trop tard pour l’invasion de morts-vivants, et trop tard pour dormir dans les meilleures auberges de la ville, ce qui était le plus important. Cela leur déplaisait, mais ils pouvaient quand même louer une auberge.
 
“C’est mieux que de dormir dans leur petite Guilde d’Aventuriers, c’est certain.”
 
Halrac, leur meilleur [Éclaireur] et [Tireur d’Élite], était en train de se plaindre tandis qu’ils traversaient les plaines enneigées à cheval. Il jeta un œil au compas magique qu’il tenait dans les mains et contempla le paysage enneigé qui lui faisait face avant de faire signe à son groupe d’avancer.
 
“Je ne crois pas qu’ils auraient eu de quoi nous loger même si on le leur avait demandé. Dieux morts, quelle ville paumée. Est-ce qu’il n’y a pas d’aventuriers d’un rang supérieur à Bronze ici ?”
 
“Quelques-uns, mais la ville n’a pas besoin qu’ils soient nombreux. Elle a une Garde puissante.”
 
C’était l’un des deux mages qui avait répondu. Halrac grogna d’un air irrité à l’attention de Typhenous ; pas tant à cause de son explication que de son style de monte. Il était assis, inconfortablement, sur son cheval, qui n’aimait clairement pas beaucoup l’homme plus âgé, ni la force inutile que le mage appliquait sur ses rênes.
 
“Eh bien, cela pourra nous être utile. Moins de compétition, comme ça.”
 
Halrac pointa à gauche, et le groupe esquiva un nid d’Araignées Cuirassées. Il continua de scruter les alentours, mais l’autre mage - une fille à la peau brune avec des coutures autour de ses mains, son cou et ses genoux et vêtue d’une longue robe soupira d’un air irrité.
 
“Ça ne va pas durer. Il y a déjà des aventuriers de rang Argent et même quelques Or qui débarquent en ville. La rumeur du donjon souterrain se répand, et l’invasion des morts-vivants n’a pas effrayé grand-monde. Est-ce que vous avez vu celle qui parlait avec le [Paladin] et le type avec le marteau dans le dos ? C’est la Renarde de Glace, elle part normalement seule en mission, mais même elle a rejoint une équipe. À moins qu’on ne devance tout le monde, on risque de se faire dépasser par une équipe Argent, ou une autre Or. Il y en a déjà deux qui sont arrivées en ville !”
 
Halrac ouvrit la bouche pour répondre, mais leur chef, un homme muni d’une épée longue et d’une armure magique, répondit. Il s’appelait Ulrien, et Halrac était encore plus inquiet pour son cheval à lui, qui devait porter à la fois l’homme, son épée, et son armure à travers la neige.
 
“Inutile de s’inquiéter. Le gardien des cryptes qui a attaqué la ville valait largement une équipe Argent, voire plusieurs. Combien ont dû s’allier pour ouvrir la crypte ? Quatre ? Cinq ? Et elles se sont toutes faites massacrer par le Gardien Mineur.”
 
“Ce qui fait se demander comment on va se débrouiller là-dedans.”, marmotta Halrac dans sa barbe, mais ses trois compagnons ne paraissaient pas inquiets. Et pour tout dire, il comprenait ce qu’Ulrien disait à demi-mot. Les groupes d’Argent pouvaient s’allier tant qu’ils le voulaient, ais même une centaine d’équipes Argent ne pourraient pas égaler les artefacts magiques et les capacités d’une équipe Or.
 
“Et les Aventuriers Légendaires ? Si l’un d’entre eux se pointe...”
 
“S’ils se pointent, il vaudrait mieux qu’on ait déjà une base solide dans le donjon. Ce qui est la raison pour laquelle il faut qu’on trouve l’entrée, Halrac.”
 
Revi jeta un regard noir à Halrac puis regarda le compas magique dans ses mains d’un air appuyé. Il ouvrit la bouche pour rétorquer - Revi et lui étaient ceux qui s’entendaient le moins bien - mais il se concentra plutôt sur sa tâche.
 
“On est proche du centre de la perturbation magique, mais il n’y a rien d’autre que de la neige et de la terre pendant encore plusieurs milles.”
 
“Zut. Encore une fausse piste ? Est-ce qu’on devrait juste commencer à creuser et espérer tomber sur un mur ?”
 
Typhenous émit un soupir bruyant et appuyé à destination des deux non-mages en tirant sur les rênes de son cheval pour qu’il s’arrête.
 
“Même si vous vouliez creuser jusqu’au donjon, qui pourrait être très loin en-dessous de nous, je doute que vous pourriez faire exploser les murs sans y mettre des efforts conséquents. Honnêtement, je ne crois pas pouvoir le faire même avec l’aide de Revi. Non ; il faut que nous trouvions une ouverture dans le sol, ou un tunnel de surface. Le compas devrait faire de la lumière lorsqu’il détectera une ouverture.”
 
“Il a déjà fait de la lumière cinq fois aujourd’hui, chaque fois au-dessus d’un nid d’Araignées Cuirassées.”, répliqua Halrac, d’un ton froid et agacé. Il pointa les montagnes au loin qui se dressaient de toute leur taille au-dessus des plaines.
 
“Peut-être que l’entrée est dans l’une de ces putains de montagnes, tu ne crois pas ? Et si c’est le cas, il faudra qu’on s’allie aussi avec d’autres équipes parce que les Hautes Passes ne sont pas un endroit qu’une compagnie Or peut explorer seule. Et arrête de tirer autant sur ces rênes ! Tu blesses ta monture !”
 
“Calme-toi, Halrac. On a acheté ces montures ; ce n’est pas comme si on leur infligeait des blessures irréparables. On a des potions si elles en ont besoin, et il faut qu’on prenne l’avantage sur les autres. Continuons de fouiller.”
 
L’[Éclaireur] fronça les sourcils, mais il incita gentiment son cheval à reprendre la route. Il savait qu’il était irascible - enfin, plus que d’habitude, mais ils avaient voyagé jour et nuit pour arriver là avant les autres. Le sort de [Communication] que Revi avait reçu de Liscor leur avait parlé du donjon et des possibles richesses qu’il renfermait, et cela avait suffi à les motiver à entreprendre les milliers de kilomètres du voyage.
 
“Très bien. Allons vers cette forêt, là-bas. Il est possible que l’entrée soit enterré derrière tous ces arbres ou dessous.”
 
Halrac se mit à chevaucher dans cette direction, mais leva presque immédiatement la main. Les trois autres aventuriers s’arrêtèrent en le voyant plisser les yeux pour regarder la plaine. Il avait une vision d’une précision peu commune et fut donc le premier à repérer le mort-vivant.
 
“Est-ce que c’est un squelette… en train de se battre avec un Golem de Neige ?”
 
Revi fronça les sourcils et le groupe se rapprocha lentement de la scène étrange. Oui, un squelette solitaire échangeait des coups au loin avec un Golem de Neige qui faisait à peu près la même taille. Le combat était inégal ; Halrac voyait déjà que le squelette allait gagner. Il était plus rapide, plus fort, et avait une meilleure allonge que le Golem de Neige, et la créature finit par transpercer devant leurs yeux la tête vulnérable du Golem.
 
“Ça, c’est un spectacle peu commun. Vous croyez que c’est l’un des morts-vivants qui reste de l’attaque contre Liscor ?”
 
Typhenous secoua de nouveau la tête. Il montra le squelette qui était en train de piétiner le Golem dans la neige avant de planter son épée dans la neige.
 
“Regardez la finesse de ses mouvements. Ce n’est pas un squelette ordinaire. Cela doit être une espèce de revenant.”
 
“Un revenant ? Tu veux dire un mort-vivant possédé ? C’est dangereux, ça.”
 
Halrac détestait les morts-vivants. Il avait du mal à les tuer avec ses flèches, et certains, comme les fantômes, ne pouvaient pas du tout être tués avec des armes ordinaires. C’était en partie la raison pour laquelle il travaillait en équipe ; un mage pouvait toujours servir pour combattre ces horreurs.
 
Il avait déjà encoché une flèche lorsque Revi lui attrapa le bras. Il la fusilla du regard.
 
“Quoi ?”
 
“Ne le tue pas. S’il appartient à la ville, il faudra qu’on le rembourse.”
 
Ulrien renifla d’un air incrédule.
 
“J’ai entendu dire que la Garde locale utilisait des créatures étranges, mais un mort-vivant ?”
 
“Pourquoi, sinon, attaquerait-il un Golem de Neige ?”
 
“Peut-être que le Golem a attaqué en premier. Laisse-moi gérer ça.”
 
Halrac baissa son arc avec réticence. Revi lui adressa un sourire qu’il n’apprécia et ne lui rendit pas, et ouvrit une bourse à sa ceinture. Halrac jeta un regard suspicieux au morceau de tissu que la Tissée en sortit.
 
“Si tu vas juste le détruire, laisse-moi…”
 
“Je ne vais pas détruire le squelette. Je vais le capturer. S’il appartient à la ville, on pourra le ramener. Sinon, j’adorerais savoir à quel point l’esprit attaché au corps est puissant.”
 
“Et voler l’esprit ? Je ne veux pas avoir un mort-vivant dans mes pattes. Il va faire peur aux chevaux.”
 
Revi leva les yeux au ciel en tenant le morceau de tissu au vent. Il était couleur chair, très similaire au tissu qui constituait son corps.
 
“Je ne suis pas [Nécromancienne], comme je te l’ai déjà dit un millier de fois, Halrac. Mais un esprit peut quand même m’être utile, surtout s’il se souvient encore fortement d’avoir été vivant.”
 
Ses mains se mirent à briller, et Halrac écarta sa monture de Revi, mal à l’aise. La voix de Revi devint plus profonde. Elle jeta le morceau de tissu dans les airs et reprit la parole.
 
Lève-toi, ancien guerrier. Entends mon appel et retourne combattre une nouvelle fois.
 
Une silhouette apparut. C’était un homme haut de taille, vêtu d’une armure de bronze et armé d’une masse d’arme et d’un bouclier. Son visage était parfaitement inexpressif, mais il écouta les ordres de Revi avec attention.
 
“Capture ce squelette. Brise ses membres si tu le dois, mais rapporte-moi son crâne et son torse intacts. Va.”
 
Instantanément, le guerrier en armure fila à travers la neige comme une flèche. Halrac devait bien admettre qu’il était impressionné par sa vitesse. Malgré son armure, il paraissait bondir à chaque pas, de manière à ce que chaque foulée le faisait avancer de trois mètres alors qu’il se rapprochait du squelette.
 
Lorsqu’il engagea le combat, Halrac jeta un regard en coin à Revi.
 
“Je ne comprends toujours pas en quoi c’est différent des revenants. Cela reste des esprits de gens morts liés à des corps et obligés d’obéir à celui qui les crée. En quoi est-ce que cela diffère de tes invocations ?”
 
Revi fronça les sourcils, Typhenous soupira bruyamment et Ulrien secoua la tête. Elle était la dernière à avoir rejoint leur équipe, La Chasse aux Griffons, et il ne s’y était toujours pas habitué. D’ailleurs, il aurait été plus heureux s’ils avaient encore été en train de chasser des Griffons. C’était dangereux, mais ce n’était pas aussi imprévisible que d’explorer un nouveau donjon.
 
“Ce sont des tissages, pas des fantômes ou des esprits. Ils contiennent encore un peu du pouvoir de leurs corps précédents, mais ils n’ont pas de conscience. Je les nomme les souvenirs des âmes passées, mais ce ne sont pas des âmes en elles-même. Si c’était le cas, ils seraient beaucoup, beaucoup plus puissant.”
 
“Et c’est ton ancêtre, c’est ça ?”
 
“Peut-être. Tous les Tissés ne sont pas apparentés. Il s’appelait Kelthor, mais ce n’est qu’une ombre du guerrier qu’il a été par le passé.”
 
“Il reste suffisamment fort pour combattre un squelette solitaire, en revanche. J’espère que tu en auras suffisamment lorsqu’il faudra combattre un véritable ennemi.”
 
“Avec un peu de chance, j’en aurai bientôt un nouveau. Je peux prendre l’empreinte de l’âme lié à ce squelette et laisser partir l’esprit, et on sera tous contents.”
 
Halrac n’était jamais content, mais il regarda tout de même le squelette se mettre à combattre le spectre invoqué. Son regard fut attiré sur la droite et appela Ulrien.
 
“Des Corus. Une horde. Il vaudrait mieux qu’on ne s’approche pas trop sauf si tu veux voir du véritable combat.”
 
Le colosse acquiesça.
 
“Je les vois. Nous sommes suffisamment loin et face au vent. Le seul risque, c’est si le guerrier de compagnie de Revi ou le squelette les attire ici.”
 
“Si on en arrive là, je rappellerai le guerrier ou je le bannirai sur place. Arrête de t’inquiéter, Halrac. Regarde : le squelette est presque achevé.”
 
C’était vrai. L’image de Kelthor n’était peut-être que l’ombre de son passé, mais il restait bien plus fort qu’un squelette ordinaire. Halrac estimait qu’il était environ au Niveau 25, à quelques niveaux près. Pas assez pour être Rang Or, avec son équipement sommaire, mais certainement égal à un aventurier rang Argent.
 
Il cognait le squelette sans pitié, et le mort-vivant commençait à reculer, incapable de rendre les coups. Et en effet, l’homme en armure n’avait pas subi de blessure car à chaque fois qu’il voulait répliquer, l’épée du squelette glissait sur l’armure et le bouclier du colosse.
 
“C’est un équipement antique. Quel âge a ce tissage ?”
 
“Oh, c’est ma grand-mère qui me l’a donné. Il a moins de pouvoir que dans le temps où elle l’utilisait, mais cela ne fait qu’attester de la force qu’il avait à l’origine. Et il est plutôt efficace.”
 
Le spectre de Kelthor avait porté un coup au squelette qui lui avait proprement arraché un bras. Le squelette battait en retraite à présent, courant vivement en arrière en esquivant les coups. Halrac jura.
 
“Merde. Ils se dirigent droit sur la horde de Corus.”
 
“Pas si je peux les en empêcher. Kelthor ! Arrête immédiatement le squelette !”
 
Il était impossible que Kelthor entende réellement les mots de Revi à cette distance, mais ce fut pourtant le cas. Il se précipita sur le squelette en faisant tourner sa masse d’arme de plus en plus vite. Et le squelette…
 
Halrac sentit le froid envahir son cœur et faillit pousser un cri. De la peur, pure et implacable, l’envahit pendant un bref instant. Revi et Typhenous crièrent, et Ulrien serra les dents. Kelthor s’arrêta soudain et tituba en arrière, et le squelette se précipita vers la horde de Corus.
 
L’[Éclaireur] se tourna vers ses compagnons, sentant la terrible terreur qui s’était emparée de lui s’évanouir aussi vite qu’elle était venue. Ulrien tritura la pierre de protection sur sa poitrine et Revi et Typhenous se reprirent du mieux qu’ils purent.
 
“Qu’est-ce que c’était que ce bordel ?”



***

La gemme de [Terreur] avait fonctionné. Toren se précipita à travers la neige vers la horde de Corus, sachant pertinemment qu’il n’aurait aucune chance de s’en servir de nouveau. Le guerrier qui était vivant-mais-pas-vivant s’était contenté de marquer une pause lorsqu’il l’avait utilisée, ce qui voulait dire qu’il pouvait probablement y résister.
 
Et au moment où le squelette eut cette pensée, le guerrier à la masse d’arme et au bouclier se précipita de nouveau sur lui. Il était tellement rapide ! Il explosa à travers la neige, laissant une trace derrière lui alors qu’il fondait sur Toren, sa masse d’arme levée.
 
Cette fois-ci, le squelette ne bougea pas. Il balaya l’air de son épée et esquiva lorsque la masse d’arme lui arriva dessus. Trop lent ; Toren se sentit s’envoler de nouveau.
 
Mais cette fois-ci, il était près de la horde de Corus. Elles levèrent toutes la tête puis se mirent à piétiner le sol en sentant la présence d’intrus. Parfait.
 
Le guerrier hésita, et Toren réalisa que l’étrange groupe d’aventuriers au loin le contrôlaient probablement. Lentement, il sortit du territoire des Corus. Toren le regarda partir, et se tourna vers les biches.
 
Elles allumaient leurs cornes, mais ne chargeait pas. Pas encore, du moins. Il se mit aussi à s’éloigner lentement d’elles. Vers le guerrier en armure, qui pouvait le tuer aussi. Mais Toren bougeait lentement, parce qu’il attendait. Il attendait…
 
Ils étaient presque sortis du territoire des Corus lorsque cela se produisit. Un nuage de neige soulevé par le vent s’envola dans le ciel. C’était ce que Toren avait attendu. Il se précipita sur le guerrier, et l’homme-fantôme leva sa masse. Toren savait qu’il ne pouvait pas gagner, pas à la loyale.
 
Mais ce combat s’apprêtait à devenir moins que loyal. Parce que lorsque le nuage de neige passa à côté des Corus, il se transforma en vapeur et en brume en touchant leurs cornes. Le brouillard aveuglant enveloppa Toren et le fantôme, et le tissage ne vit le danger que trop tard.
 
Il ne pouvait pas voir, ni même respirer si bien que cela dans les fumeroles brûlantes. Mais Toren avait mémorisé sa position, et il relâcha également son regard de [Terreur].
 
L’homme fit des moulinets vains avec sa masse, créant un cercle de métal tourbillonnant autour de sa tête. Il décala son poids, s’accroupissant en regardant à gauche et à droite, attendant que la vapeur disp…
 
Les yeux violets enflammés de Toren apparurent derrière la vapeur, et son épée fondit en avant. Le bras qu’il avait récupéré intercepta la masse d’arme et l’os vola en éclats tandis que son épée passait en un éclair sur le cou du guerrier.
 
Le léger espace entre l’armure et la chair s’ouvrit lorsque l’épée transperça la peau spectrale. L’homme s’étouffa et du sang jaillit de la blessure. Toren ne s’était pas attendu à ça. Mais le fantôme était bien assez réel, et il tomba à genoux, suffoqua, à l’agonie.
 
Il leva les yeux vers Toren, et le squelette crut voir un sourire traverser son visage avant que son corps ne se dissipe, ne laissant derrière lui que son arme, son bouclier, et son armure dans la neige.
 
La vapeur disparut, et Toren se retrouva seul tandis que les Corus éteignaient leurs cornes et se mettaient de nouveau à ignorer le squelette. Il regarda l’armure de bronze cabossée, vestige de temps depuis longtemps oubliés. Il tendit la main…
 
Et la flèche fit voler son crâne en éclats et l’envoya s’étaler dans la neige.



***

Halrac baissa son arc et se tourna vers Revi. La mage était furieuse, ses yeux remplis d’une rage brûlante.
 
“Il était trop proche des Corus. S’il y était parti après, cela n’aurait fait qu’enrager la horde. Tu as déjà perdu une invocation… sauf si tu peux la récupérer ?”
 
“Non.”, répondit Revi, amère. Elle regarda fixement l’armure qui était tout ce qu’il restait de Kelthor, et secoua la tête.
 
“Lorsqu’ils meurent de nouveau, ils disparaissent. S’il n’était que blessé je pourrais le réparer mais…”
 
Elle serra les dents.
 
“Quel gâchis. Partons.”
 
Elle se retourna, et Halrac hésita en examinant l’armure. Elle était posée dans la neige à côté du squelette vaincu.
 
“Tu veux récupérer l’armure ? C’est du bronze, mais elle vaut peut-être quelque chose…”
 
Tss. Laisse-la. C’était une armure de mauvaise qualité, de toute façon.”
 
Les aventuriers s’en allèrent. Revi n’était pas d’humeur à discuter, Typhenous avait des courbatures à cause du cheval, Ulrien s’ennuyait, et Halrac devait continuer à guetter les dangers potentiels pendant qu’ils continuaient d’explorer les plaines pour trouver l’entrée du donjon sous Liscor. Mais l’[Éclaireur] ne cessait de se retourner pour regarder le squelette. Il n'avait pas été si fort que ça, mais il avait été rusé. Et qu’est-ce qui avait causé cette terreur ? Une caractéristique de ce mort-vivant, ou un artefact magique ?
 
Il était mort, toutefois. Il était étendu dans la neige et ne bougeait pas. Mais alors pourquoi Halrac se sentait-il si mal à l’aise ?


***


Toren attendit longtemps avant d’être certain qu’on ne le surveillait plus, et son crâne se rassembla enfin. Il s’assit dans la neige et regarda autour de lui. Eh bien, il avait encore failli mourir, mais il avait gagné des niveaux. C’était une bonne affaire, selon lui.
 
Comme si cela avait été le signal qu’elles attendaient, les notifications se mirent à apparaître dans sa tête, mais avec une agréable surprise, cette fois-ci.
 
[Chevalier Squelette Niveau 20 !]
 
[Compétence - Force de Frappe Obtenue !]
 
[Compétence - Maîtrise des Armes : Bouclier Obtenue !]
 
[Changement de Compétence - Force de Frappe → Lame Mirage]
 
[Compétence - Lame Mirage Obtenue !]
 
Il était devenu un [Chevalier Squelette] à présent ? En quoi était-ce différent d’un [Guerrier Squelette] ? Et est-ce que cela signifiait qu’il avait la classe de [Chevalier], ou est-ce que c’était différent quand on était un squelette ? Toren n’en avait aucune idée, mais il regarda l’armure de métal dans la neige et décida quel que soit le sens du message mystérieux dans sa tête, c’était une bonne idée.
 
L’armure était encombrante et difficile à enfiler, mais lorsqu’elle fut sur Toren il se sentit solide. Lourd, et bien plus lent, mais suffisamment costaud pour se battre sans craindre de se faire disloquer à chaque coup. Il prit le bouclier mais laissa la masse dans la neige ; il préférait les armes coupantes, de toute manière.
 
Le retour à l’auberge fut long et lent. Toren s’inquiétait de la réaction d’Erin lorsqu’elle verrait l’armure. Il pouvait peut-être la cacher ? Il n’avait jamais songé à lui cacher quoi que ce soit, ou à la duper, plutôt. Mais c’était mieux que si elle se mettait à poser des questions, et bien sûr, ce n’était pas comme si l’armure lui appartenait. Elle était à Toren. Il l’avait gagnée.
 
Il allait probablement devoir s’occuper de cette fille insupportable en rentrant. Toren redoutait cela. Est-ce qu’il ne pouvait pas aller plus lentement ?
 
Toren réfléchissait à tout cela en retournant lentement à l’auberge. Puis sa tête se redressa d’un coup. Il vit les formes en train de lutter sur la colline avant d’entendre les bruits du combat. Toren vit des silhouettes poilues - brunes, grises, et noires principalement, en train de se battre autour de l’auberge, et vit plusieurs formes en train de se battre. L’une tenait une épée, les autres repoussaient les Gnolls avec de la magie tandis qu’une autre n’avait pas d’arme et se battait avec ses poings.
 
Il n’avait pas le temps de réfléchir, ni d’agir. Toren n’avait pas de cœur, mais il sentit un courant le traverser dans son essence même. Erin était en danger. Qu’il l’aime ou qu’il la déteste, il avait toujours un devoir à accomplir. Elle était en train de se faire attaquer, et cela signifiait qu’il allait se battre.
 
Toren tira son épée et son bouclier, et chargea
 

 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 16 novembre 2020 à 02:36:25
2.25 Partie 1
Traduit par Maroti

Elle était mourante. Lyonette du Marquin réalisa ce fait avec une amère acceptation. C’était en gisant dans la neige qu’elle sut que c’était la fin.

Elle avait arrêté de bouger. Lyonette savait qu’elle devait continuer de bouger, de marcher, mais elle était tellement fatigué. Le froid, mordant et douloureux, l’avait quitté il y a peu et maintenant elle se sentait presque réchauffée.

Mais elle était quand même mourante. Elle avait du mal à ouvrir les yeux, et Lyon savait que la prochaine fois qu’elle allait les fermer, elle n’allait pas les rouvrir. Donc. La mort. Savoir que cela allait arriver était amère, mais au moins cela mettra fin à la douleur.

Ce qui allait être pire, du moins pour la fille, était que sa mort allait être ignoble et méconnue. Elle allait mourir comme une chienne, et c’était pire que tout.

Ils l’avaient fait. Les macaques et les lézards. Lyonette s’accrocha à la vie quelques secondes de plus pour pouvoir les haïr un peu plus longtemps.

Qu’ils soient maudits. Si elle pouvait avoir un dernier souhait, cela aurait été d’envoyer le feu et la mort sur cette ville de monstres, Liscor. Ils l’avaient tué. Elle, un scion de la maison Marquin, l’une des Cents Familles de Terandria, Sixième Princesse en ligne au Trône Eternel de Calanfer.

Et ils n’avaient même pas le courage de la tuer rapidement. À la place, elle avait été exilée, pour la laisser errer dans la neige jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Si elle avait ses bagues ou son manteau ou l’un de ses héritages…

Mais bien sûr, ils étaient à court de pouvoir. Complétement drainer à cause de l’usage ; leurs consolidations brisées. Et ces maudites créatures s’étaient emparées de ceux qui avaient encore du pouvoir.

Lyonette grimaça faiblement. Volées. Ce qui lui appartenait lui avait été volé. Elle avait été trahie. C’était la seule raison pour laquelle elle allait mourir. Tous ces paysans, refusant de reconnaître sa nature supérieure. Si seulement elle avait atteint Magnolia Reinhart. Puis…

Le monde était froid. Lyonette resta au sol. Elle regarda le ciel gris et indifférant, et expira une dernière fois. Ses yeux se fermèrent et…

Erin chargea depuis le sommet de la colline et glissa. Elle courut droit vers Lyon, mais elle ne vit pas la fille. Lyonette vit Erin s’approcher, et la regarda avec incrédulité, puis espoir, puis alarme quand elle réalisa que la fille ne s’arrêtait pas.

« Elle est où ? Elle est où Je ne… Whoa ! »

Lyonette sentit un pied taper dans son estomac et Erin lui tomber dessus. La jeune fille eut le souffle coupé alors qu’Erin se débattit.

« C’était quoi ça ? Qu… Oh. »

La mort était préférable à la vie après ça. Lyon se roula en une boule de douleur et sentit quelque chose la toucher. Elle eut un faible mouvement de recul et essaya de bouger, et puis… De la chaleur.

« Tiens. Reste immobile. Misère, tu es si froide. Laisse-moi t’enrouler avec… »

Une épaisse couverture de laine s’enroula autour de Lyon comme par magie, la fille sentit le froid en son sein s’amoindrir. Puis, elle leva les yeux et vit Erin.

« Hum. Salut. »

Lyon cligna des yeux. Un autre humain ? Une fille ? Son cerveau ralenti par le froid avait du mal à marcher, et sa bouche ne l’aidait pas non plus.

« Q-q-q-quoi ? »

« Je suis Erin Solstice. Et tu es gelée. J’ai une auberge pas loin d’ici ; tu peux te mettre debout ? »

Instinctivement, Lyon essaya de bouger ses jambes, mais elles étaient restées au même endroit trop longtemps. Erin se pencha et Lyon regarda bien son visage.

Elle n’avait rien de spécial. Une partie de Lyonette jugea les vêtements rugueux de la jeune fille, son apparence mal entretenue, sa manière de parler et de se conduire. Mais l’autre, plus grande partie de Lyon regardait Erin et vit quelque chose de lumineux.

Erin lui tendit la main et sourit. Et elle était comme le soleil. Elle fit fondre le froid qui s’était emparé de Lyon.

« Viens avec moi si tu veux vivre. J’ai des crêpes ! »

L’autre fille tendit la main et s’empara de celle d’Erin. Lyon ne pouvait pas s’en empêcher. Erin la releva avec facilité. Lyon essaya de bouger, et gémit de douleur. Ses jambes étaient à la fois engourdies et douloureuses.

« Attends. Appuie-toi sur moi. »

Erin se pencha et passa sous Lyon, aidant la fille. Elle fit son chemin à travers la neige, traînant à moitié la fille.

Lyon ne savait pas ce qui se passait. Elle n’entendit pas vraiment Erin alors que la fille respira difficilement et essaya de se présenter avant d’abandonner. Elle savait juste qu’elle était en train d’être sauvé, et comme le survivant d’un naufrage, elle s’accrocha à l’espoir.

L’auberge se tenait au sommet d’une colline au loin, promettant un abri, de la chaleur et de la nourriture. Les jambes de Lyonette l’abandonnèrent, et Erin continua de la supporter.

« Courage. On est presque là ! »

Lyon n’avait pas besoin d’encourager. Elle puisa dans ses dernières forces alors que les deux filles commencèrent à monter la douce pente. Soudainement, elle commença à croire qu’elle allait peut-être survivre. Cette connaissance était une douce joie.

Elle fit cinq pas de plus vers l’auberge, et commença à se demander combien de pièces d’or Erin avait, et si elle avait un cheval qu’elle pouvait emprunter.

***

« Mon nom est Lyonette. »

C’est ainsi que la jeune fille se présenta après qu’Erin ai rajouter du bois au feu, rassembler un maximum de couverture, et fait le plus de soupe chaude possible. Lyonette s’assit en face du feu, tremblante, froide, et désormais soudainement impérieuse.

Lyon hocha la tête vers Erin avec un air royale, et fit un geste vers l’auberge.

« Nous… Je te remercie de m’avoir aidé en dans cette difficile situation. Tu seras gracieusement récompensée une fois que j’aurai retrouvé ma place, je te le promets. »

Erin cligna des yeux. il était difficile de prendre ce que la fille disait au sérieux. Elle ressemblait à un marshmallow multicolore avec une petite tête humaine qui en sortait à cause des nombreuses couvertures qu’Erin lui avait données. En plus, son nez coulait.

« Oh, ce normal. Je suis juste contente d’avoir pu aider. Je ne pouvais pas te laisser mourir après avoir entendu que tu étais dans le froid. »

« Très juste. »

La fille regarda autour d’elle et renifla. Erin se demanda si elle avait des mouchoirs alors que Lyonette se reconcentra sur elle.

« Je vais rester dans ton auberge pendant quelque temps. Une journée ou deux, tout au plus. Puis je vais avoir besoin d’aide pour voyager vers le nord. »

Tout cela semblait raisonnable… Attends. L’esprit d’Erin fit marche arrière et elle se concentra sur les mots d’Erin. D’une certaine manière, elle avait l’impression que la fille avait loupée une ou deux étapes. Voir dix.

« Quoi ? Heu, non. Non…. Je ne sais pas ce que j’ai dit… Mais je ne pense pas avoir dit quelque chose du genre, mais je ne vais pas t’aider à voyager. En fait, j’allais te donner un job ici. »

« Quoi ? »

C’était désormais au tour de Lyon de s’arrêter et de réfléchir. Elle regarda Erin choquée, puis furieuse.

« Tu attends que je travaille ici, comme une paysanne ? Je suis reconnaissante pour ton aide, n’en doute pas, mais j’ai besoin d’aide. »

Erin choisit ses mots avec précaution.

« Je pense que je t’aide déjà. Énormément, en fait. Et je suis prête à t’offrir un travail ici. Cela ne sera pas difficile, enfin, ça pourrait l’être au début mais tu t’y habitueras. Et je te donnais une chambre et des conseils, et même un peu d’argent. Je ne peux pas te payer beaucoup mais… »

Lyonette se leva, laissant tomber les couvertures. Elle ne quitta pas Erin des yeux.

« J’ai l’intention d’aller au nord le plus vite possible. Je ne vais pas rester une minute de plus dans ce… Ce maudit trou paumé habité par des malades et des abominations ! »

Erin trésaillit à la mention du mot ‘abomination’. Mais elle resta calme.

« Si tu veux faire ça, je ne vais pas t’en empêcher. Mais je ne vais pas t’aider. »

Lyon leva son menton et ses yeux flashèrent un bref instant.

« Je t’ordonne de m’aider ! »

« Non. »

La fille lança un regard noir à Erin pendant plusieurs secondes, puis, de manière soudaine et alarmante, devint d’un calme placide. Elle renifla, et détourna les yeux vers le feu.

« Fort bien. Alors je vais rester ici pour me reposer. »

Erin n’avait pas besoin de commencer à être suspicieuse ; elle l’était déjà. Mais elle fit un effort pour que son ton soit amical et calme.

« D’accord, super ! Dans ce cas je te réveille demain pour le petit-déjeuner. Tu peux te reposer aujourd’hui, mais demain je te montrerai les bases. Et en quelques jours… »

Lyon fronça les sourcils.

« Je ne vais pas travailler. J’ai dit que j’allais me reposer. »

« Ouais… Mais si tu restes ici, tu vas devoir travailler. »

« Ne suis-je pas ton invitée ? Je suis… Faible. Pourquoi me forcerais-tu à travailler ? »

Lyonette semblait blessée et réprobatrice. Le sourire d’Erin ne faiblit pas.

« Alors tu es belle et bien une voleuse, pas vrai ? »


Le visage de Lyonette se figea pendant une seconde et elle laissa un rapide regard vers Erin avant de détourner les yeux. Erin avait l’impression que la fille grelottante était en train d’essayer de trouver un mensonge.

« Je sais que c’est toi. Tu as explosé… Tu as détruit l’étal de mon amie et tu as volé beaucoup de bonne personne. Mais je ne voulais pas que tu meurs ici, donc je t’offre un job. »

« Je ne le veux pas. Et je vais bientôt partir au nord. »

Erin prit une grande inspiration. Son cœur battait. Elle détestait ce genre de chose.

« Dans ce cas, tu ne resteras pas ici. Désolé. »

Lyon regarda Erin de manière incrédule. Ses yeux allèrent vers la plaine enneigée à l’extérieur, et elle faiblit. Puis un regard sournois passa sur son visage pendant une seconde. La fille allégea son ton, regardant la porte de manière innocente.

« Je suppose que je vais simplement devoir tenter ma chance par moi-même. Dans le froid et la neige. Je crains que ma mort sera sur ta conscience, mais tu ne me laisseras pas partir sans provision, n’est-ce pas ? »

La tentative évidente de manipulation énerva plus Erin que tout ce que la fille avait déjà essayé de faire. Elle croisa les bras.

« Un manteau, et cinq jours de nourriture. »

Lyon regarda Erin, prise par surprise.

« Quoi ? »

« C’est tout ce que je te donne. Un manteau, peut-être un pantalon et des bottes, et de la nourriture. Tu vas avoir besoin d’un sac pour tenir tout ça, donc je te le donnerai et je te pointerai vers la route principale. »

« Mais je vais mourir de froid avant d’atteindre une ville. Tu ne veux pas ça sur ta conscience, pas vrai ? »

« Pas vraiment, mais je ne vais pas t’aider plus que ça. »

Erin regarda durement Lyon. C’était aussi terrible qu’elle le craignait. Mais elle devait être claire.

« Je te donne une chance, Lyonette. Une seule chance. C’es tout. Soit tu travailles pour moi dans cette auberge, soit tu tentes ta chance dans une autre ville, mais si tu pars, je ne te sauverais pas même si tu meurs sur le perron de mon auberge. »

Erin se pencha en avant et Lyonette se pencha en arrière. Le regard d’Erin ne vacilla pas alors qu’elle la regarda.

« Tu n’as qu’une seule chance. »

La fille fit un pas en arrière, secouée, avant de s’éloigner du feu. Elle regarda Erin et son expression se durcit.

« Je suis… »

La fille hésita.

« … De l’aristocratie en Terandria. D’une famille mineure, les Clavalettes. Je suis un membre distant de la famille royale, et je serais traité avec le respect qui m’est due ! »

« Vraiment ? C’est super pour toi. Tu es toujours une voleuse. Prends mon offre, ou tu seras mis à la porte après le dîner. »

Lyonette regarda Erin, son masque amical avait aussi disparu. Ses sourcils se froncèrent alors qu’elle siffla sur Erin.

« Péonne. »

Le visage d’Erin resta de marbre. Elle savait que péon était une insulte, mais elle n’était pas certaine de ce que cela voulait dire.

« Alors ? Est-ce que tu vas travailler ici ou non ? »

« Je le ferai… Sous la contrainte ! J’accepte gracieusement ton offre. »

Erin avait l’impression que la dernière phrase devait être changée, mais elle l’accepta.

« D’accord. C’est bien. Je vais te laisser rester ici, mais tu ne peux rien voler. Et je m’en assurerai, parce que je ne suis pas seule. »

Lyon semblait soudainement deux fois plus méfiante, mais elle n’eut pas le temps de bouger. Erin se tourna et leva la voix.

« Ceria ? Est-ce que tu veux te présenter ? »

Ceria avait été en à l’étage, la demi-Elfe n’avait pas apprécier partir à la recherche d’Erin, surtout après que les deux se soient manqué et qu’elle soit resté à l’extérieur bien plus longtemps qu’Erin. Elle descendit les escaliers et Lyon réagit en reculant.

« Une bâtarde ? Ici ? »

Elle semblait atterrée. Erin fronça les sourcils en voyant sa réaction et Ceria prit un air renfrogné.

« Super. Elle doit venir de l’un de ses pays entièrement habité d’Humain. Splendide. Cela explique beaucoup de chose. »

« Qu’est-ce qui ne va pas ? C’est Ceria. C’est une demi-Elfe. »

« C’est un monstre ! Une espionne en qui ont ne peut pas avoir confiance et une fauteuse de trouble ! J’insiste qu’elle parte dans l’instant ! »

Lyonette regarda Ceria avec hostilité, et Ceria ne semblait pas très accueillante en retour. Erin ouvrit sa bouche, mais Ceria posa sa bonne main sur son bras.

« Je surveillerais ta bouche, jeune Humaine. Je suis une demi-Elfe amical, mais mon espèce n’est pas toujours patiente avec ceux qui nous offusquent. Je sais que tu as entendu les histoires. »

« Des contes pour effrayer les simples d’esprit. »

« Oh, vraiment ? Mais toutes les histoires ne sont pas fausses. »

Ceria leva lentement son autre main, et Lyon se figea. Ceria avait appris à bien manipuler sa main morte, et la fille se tenant devant elle était devenue pâle comme un linge alors que Ceria approcha sa main de son visage. Elle la ferma lentement, et les yeux horrifiés de l’autre fille étaient fixés sur les os décolorés. Ceria se pencha vers elle, et Lyon se rapetissa.

« Je suggère que tu fasses désormais attention à ce qui sort de ta bouche si tu ne veux pas savoir sir les histoires sont vraies ou non. Et je ferais même attention à ne pas chercher d’ennui et d’écouter les ordres qui te seront donnés. »

Lyonette recula, marchant presque dans le feu, et hurla. Erin la regarda reculer jusqu’à un coin de la pièce, se retourner, et crier une nouvelle fois quand elle vit Toren se tenir derrière elle.

Ce n’était pas la première fois que Lyon avait vu le squelette. Erin l’avait vu rentrer il y a peu de temps, mais elle ne savait pas d’où. Et elle l’avait présenté, mais Lyon criait dès qu’elle le voyait. Et elle avait de sacrée cordes vocales.

C’était presque drôle, sauf que Lyonette était encore moins sympathique avec le squelette qu’avec les autres, si cela était possible.

« Tu consorts avec les morts ? Quel type d’atroce monstre es-tu ? Je rejette ta magie, [Nécromancienne] ! »

« Je ne suis pas nécromancienne. Toren m’appartient, c’est tout. »

Lyon regarda Erin, puis Toren. Elle s’éloigna de tout le monde, et n’accepta que de la nourriture donnée par Erin au dîner. Elle passa le reste de son temps à regarder tout le monde alors qu’elle dévora son repas.

Erin et Ceria étaient en train de discuter du problème avec les Gnolls, et Ceria était catégorique qu’il y allait en avoir un, quand Lyonette se leva. Elle déposa son assiette propre et ses couverts proprement arrangés sur sa table et regarda Erin, ignorant totalement Ceria.

« Je vais aller me reposer. Je suppose que tu m’as préparé un lit ? »

« Quoi ? Oui. Seconde porte à gauche. Est-ce que tu ve… »

Lyon monta les escaliers en un instant. Erin soupira, exaspérée, et Ceria secoua la tête.

« Tu regrettes tes choix ? Je ne pense pas qu’elle va s’améliorer, Erin. »

« Elle peut peut-être le faire. »

Ceria regarda Erin, et l’humaine baissa les yeux.

« C’est une possibilité. »

« Et je vais peut-être pousser des ailes et danser nue dans un marais, mais cela a aussi peu de chance d’arriver. Écoute, ça va être un sacré boulot. Est-ce que tu es certaine que c’est la décision que tu veux prendre ? »

« Je pense. Je dois au moins lui laisser une chance. »

Erin était incertaine. Mais elle devait essayer.

Elle devait essayer.

***

Le lendemain, Erin décida qu’hier avait été un mauvais départ. Oui, Lyonette avait été malpolie, discrète et n’avait pas été coopérative… Le point était qu’aujourd’hui était un nouveau jour. Lyon pouvait être différente. Erin et elle allaient peut-être bien s’entendre.

Motivé par ce qu'elle-même savait être du faux optimisme, Erin monta les marches et frappa à la porte de la fille. Ceria était déjà partie en ville ; elle se réveillait toujours de bonne heure pour des raisons qu’Erin ne connaissait pas. Mais Lyon était encore en train de dormir, et la matinée était déjà bien avancée.

« Lyon ? Bonjour ? Est-ce que tu es débout ? »

Il n’y eut pas de réponse. Erin fronça les yeux et frappa de plus belle. Sans réponse. Erin posa l’oreille sur la porte et entendit le ronflement.

« Lyon. »

La fille ne broncha pas alors qu’Erin leva la voix, mais elle se réveilla quand Erin la secoua violemment. Ce qui arrive après avoir été gentiment, puis fermement secouer ; cette fille avec le sommeil lourd !

« Qwa ? »

Après quelques minutes de clignements d’yeux irrité, Lyonette fronça les sourcils en regardant son boss.

« Va-t'en. Je dors. »

« C’est l’heure d’aller travailler. Tu travailles ici maintenant, tu te souviens ? »

Lyon regarda par la fenêtre.

« Il est bien trop tôt. Je me lèverai dans quelques heures, peut-être. »

Erin regarda la fille se rallonger dans le lit et fermer ses yeux. Lyon se tourna délibérément pour faire face au mur et tourner le dos à Erin.

Erin réfléchit pendant deux secondes, et lui fit un grand sourire.

« Tu sais quoi ? Je suis tellement désolé. Je n’avais idée qu’il était si tôt, et laisse-moi m’excuser. Je vais te laisser dormir. »

« Mm. C’est bien. »

Erin se pencha vers elle, parlant doucement.

« Mais avant ça, est-ce que je peux dire quelque chose ? »

« Si tu le dois. »

L’aubergiste approcha ses lèvres aux côtés des oreilles de Lyonette et prit une grande inspiration.


« DEBOUT! »

Erin hurla les mots et Lyonette tomba du lit et s’éloigna en un instant. Ce n’était pas aussi fort que lorsqu’Erin avait performé son concert solo avec l’Ipod, elle ne voulait pas réveiller quelqu’un en ville, mais c’était assez fort pour rendre sourd.

C’était certainement un réveil suffisamment efficace pour réveiller les morts et peut-être tuer les vivants, parce que Lyonette semblait être sur le point d’avoir une attaque.

« Espèce de maudite… »

« Lyon, quand je te demande de te lever, il faut que tu te lèves. Tu ne peux pas rester assise et décider de ce que tu vas faire, pas si tu veux rester ici. »

Erin parla au-dessus des insultes de l’autre fille, heureuse d’avoir sa compétence de [Voix de Stentor]. Lyon regarda Erin et alors que son visage devint rouge.

« Qu’est-ce que tu viens de m’appeler ? Lyon ? Ce n’est pas mon nom ! »

Elle ne semblait même pas avoir enregistré ce qu’Erin venait de dire. Outragée, Lyon pointa un doigt tremblant vers Erin.

« Je suis Lyonette ! Et tu t’adresseras à ma personne en utilisant mon véritable prénom ! »

Erin croisa les bras en y réfléchissant. C’était quelque chose qu’elle aurait pu demander si elle avait été une amie, voir une étrangère, ou n’importe qui d’autre. C’était juste le ton de sa voix et l’outrage qui fit qu’Erin décida de ne pas accepter sa requête.

« Je suis désolé si tu ne l’aimes pas, mais c’est un surnom. Je vais essayer de t’appeler Lyonette si tu veux, mais ce n’est pas la peine de monter sur tes grands chevaux, et tu vas m’écouter. Compris? »

Lyonette regarda Erin. C’était un bon regard ; plein de noblesse, de colère impie et d’une véritable force impérieuse. Mais Erin avait croisé le regard avec des Gobelins morts, une Reine Antinium, et des Drakéides colériques capable de lui arracher la tête. Elle est plus douée.

Les deux maintinrent leur regard pendant trois minutes avant que Lyon sorte de son lit et descende les escaliers sans dire un mot.

« Où est le petit-déjeuner ? »

« Nous allons le prendre après que je t’aie appris à cuisiner. En fait, tu vas cuire ton propre petit-déjeuner. »

« Non. »

« C’est très simple. Nous allons faire des œufs. C’est difficile de rater des œufs. »

« Je vais manger dés maintenant. Tu peux m’apprendre plus tard. »

Erin mit ses mains sur ses hanches. L’approche de ce nouveau jour était rapidement en train de disparaître.

« Tu sais quoi ? Tu as le choix. Soit tu apprends à cuisiner, soit tu peux sauter ton petit-déjeuner. »

« Tu n’oserais pas. »

C’est incroyable que Lyon soit capable de le dire en restant de marbre. Erin dut lutter pour ne pas ricaner, mais la personnalité de Lyon aidait.

« C’est ce que je fais avec les enfants pourris-gâtés, et c’est ce que je vais faire avec toi. »

« Tu ne peux pas me traiter de cette manière ! »

Lyon regarda Erin de manière furieuse. Erin n’était pas impressionnée. Un Gnoll furieux était bien plus impressionnant.

« Je te traiterai comme je veux. Je te paye. Enfin, je vais te payer. Si tu travailles. »

« Tu oses. Je suis… »

La fille hésita une nouvelle fois, mais se rattrapa rapidement.

« … Une distante relative de Magnolia Reinhart, et je refuse que l’on s’adresse à moi de cette manière ! Tu me traiteras avec respect, ou… »

Erin laissa tomber. Elle poussa Lyon dans la cuisine, ou du moins, elle essaya. Elle ne s’attendait pas au tourbillon de griffes et de dents qui remplaça la fille une fois qu’elle posa les mains sur lui. Tel fut le début d’une insupportable et agaçante journée.

***

Lyon. Ou plutôt Lyonette, comme elle est insistait pour être appelé, était un cauchemar. Erin pensait qu’elle était douée avec les gens, du moins elle n’avait pas eu de problème à l’école et même si elle n’avait jamais été vraiment populaire elle n’avait jamais eu de problème avec les gamins. Même les petits garçons qui pouvaient se montrer très agaçant.

Mais Lyon. Lyon était une pimbêche d’un autre niveau. Erin avait commencé à le voir hier, mais aujourd’hui confirma ce fait. Lyon était un désastre.

Elle ne pouvait pas cuisiner, ne voulait pas nettoyer, et traitait absolument tout avec dédain. Elle détestait et craignait Ceria, elle refusait d’approcher Toren, et n’aimait pas Pisces (ce qui était pardonnable), mais non pas pour ses nombreux défauts mais pour la manière dont il était habillé.

Après une heure, Erin en eut assez. Assez des ‘pourquoi devrais-je faire ça ?’ ou des ‘quel est le but si cela sera de nouveau sale demain ?’, ou pire encore ‘sais-tu qui je suis ?’

Elle laissa tomber le chiffon qu’elle avait essayé de tendre à Lyon et regarda autour d’elle. Elle vit Toren dans un coin, là où elle l’avait ordonné de rester. Une autre charmante qualité de Lyonette était qu’elle refusait d’aller quelque part si Toren n’était pas dans un coin, et Erin avait dut se battre pour qu’elle accepte ça.

Le squelette semblait impatient, ce qui était étrange. Erin pensa qu’elle devait se l’imaginer, mais Toren était en train de développer des qualités quasi-humaines. Il continuait de changer de pied d’appui et de regarder autour de lui, ce qui était différent de son habituel et terrifiant silence stoïque. Elle espérait qu’il n’allait pas commencer à poser des questions.

« Toren. Apprends-lui… Tout. »

Le squelette tourna sa tête et regarda Erin. Tout comme Lyon. C’était difficile de dire lequel des deux avaient l’expression la plus horrifiée.

Lyonette fut la première, et la seule, à parler. Elle regarda Erin et pointa un doigt tremblant vers Toren.

« Inacceptable. Je refuse de… »

« Tu ne refuses rien du tout. Je vais en ville. Toren, ne la tue pas ou ne fait rien de stupide. Apprends lui à nettoyer l’auberge, c’est tout. »

Toren hocha la tête. Avec réluctance, d’après Erin. Enfin, elle ne pouvait pas lui en vouloir, au moins elle pouvait le faire confiance pour qu’il fasse ton travail.

Le squelette ne semblait pas heureux, mais au moins il souriait. Erin ignora le fait que c’était parce qu’il était un squelette et qu’il était toujours en train de sourire et quitta l’auberge. Elle savait qu’elle pouvait laisser Lyon à Toren ; il n’avait jamais rien à faire.

***

Toren était occupé. Il le savait, et il aurait souhaité qu’Erin le sache. De plus, il ne voulait pas apprendre quelque chose à Lyonette, à moins que cela soit sur la bonne manière de la faire saigner.

Mais les ordres étaient les ordres, et s’il terminait ça, Erin allait peut-être lui donner l’ordre qui lui permettrait d’aller tuer des choses. Donc il ramassa le torchon et l’offrit à Lyon. Nettoyer était facile, après tout.

Le fille refusa de prendre le torchon. Elle recula, hurlante, et essayant de fuir. Éventuellement, Toren la coinça et la fille se roula en boule dans un coin, hurlant et l’insultant jusqu’à ce qu’elle se calme.

Lyon essaya de le pousser une fois que la peur fut remplacée par la haine et le mépris. Elle n’était pas très efficace car elle refusait de le toucher, et il continuait de lui mettre le torchon dans le visage. Il devenait impatient, ce qui était inédit pour lui, mais Lyon n’était pas comme un mur.

Il était possible de nettoyer un mur, ou de le grimper, ou de le détruite avec assez de temps. Mais le point d’un mur était que l’on pouvait travailler dessus. Des efforts étaient fournis et quelque chose était gagné. Mais Lyon refusait de faire ce que Toren voulait qu’important le temps que cela prenait, et c’était…

Agaçant.

« Hors de mon chemin. »

Lyon ordonna Toren d’un ton ferme, le pointant du doigt. Le squelette ne bougea pas. Il continua de lui mettre le torchon dans le visage et elle eut un mouvement de recul.

« Eloigne-ça de moi. Je refuse d’être traité de la sorte. Je suis u… Je suis de la noblesse ! Tu vas m’obéir ! »

Toren n’était pas en train de réaliser sa tâche. Mais ce n’était pas sa faute ! C’était celle de Lyon. Les flammes dans les yeux du squelette brûlèrent de plus belle alors qu’elle essaya de lui donner plus d’ordre. Erin était la seule qui avait le droit de lui donner des ordres.

« Chose, je t’ordonne de… »

Toren lâcha le torchon et donna un coup de poing dans l’estomac de la fille. Lyonette se plia en deux et eut un haut-le-cœur. Toren regarda avec intérêt son petit-déjeuner sortir et se demanda s’il devait la frapper à nouveau.

« Tu… »

Lyonette tituba en arrière alors que sa voix devint un cri strident. Elle commença à hurler sur le squelette.

« Comment oses-tu. Je vais… »

Toren fit un pas et la frappe au même endroit. Lyon s’étouffa de nouveau et tomba au sol. Elle se roula en boule et commença à gémir.

Elle continuait de bouger, mais n’avait toujours pas ramassé le torchon. Toren le pointa du doigt et Lyonette gémit. Donc il lui donna un coup de pied.

Elle hurla, et il la frappa de nouveau en pointant le torchon du doigt. Elle vit le torchon, et leva les yeux vers le squelette. Il leva son poing et elle se précipita à quatre pattes pour le ramasser.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 16 novembre 2020 à 02:54:11
2.25 Partie 2
Traduit par Maroti

« Erin Solstice. »

C’était toujours mauvais signe quand quelqu’un utilisait son nom complet. En vérité, les gens de se monde aimaient toutes sortes de politesse, mais c’était le ton de la voix qui l’inquiétait. Erin entendit les avertissements dans la voix, mais vu qu’elle connaissait et aimait Krshia, elle décida de se tourner.

« Krshia. Heu, salut. »

« Tu as accueilli la voleuse dans ta demeure. »

Les Gnolls ne tournaient pas autour du pot. Erin s’arrêta, avant de hocher lentement la tête. »

« C’est le cas. »

« Cela n’est pas prudent. Elle te volera. »

« Je sais, mais elle était mourante dans la neige. »

« Oui. C’était son châtiment. »

« La mort ? Ce n’est qu’une enfant, Krshia. Ce n’est pas juste. Écoute, je sais qu’elle a causé beaucoup d’ennui mais… »

« Tu ne sais rien, Erin Solstice. Elle a gravement blessé ma tribu. Elle est mon ennemie, Erin. Héberge-là et tu briseras le lien entre nous. »

Erin regarda Krshia. La voix de la Gnoll était profonde et forte, et elle avait choisi le milieu de la rue pour l’interpeller. Cela aurait normalement attiré une foule, mais les Drakéides et les Gnolls avaient jeté un œil vers Krshia et avait décidé de ne pas assister au spectacle.

Ses oreilles étaient plates, tout comme sa voix. Erin hésita. Elle connaissait les chiens. Elle aimait les chiens. Elle avait même eut un chien qui avait mangé trop de pièce d’échec et qui avait du être opéré quand elle était enfant. Elle aimait les chiens et elle savait que c’était une mauvaise idée de les caresser quand leurs oreilles étaient plates. Et Krshia…

« Je lui donne une chance. Je suis désolé, Krshia, mais je le dois. »

« Tu as fait ton choix. Au revoir, Erin. Nous allons voir ce qui en ressort. »

Krshia se retourna abruptement et commença à s’en aller. Erin s’arrêta, et couru derrière elle.

« Krshia, attends ! Laisse-moi m’expliquer. Je ne vais pas te froisser, mais… »

Elle tendit la main pour toucher Krshia, mais quelqu’un attrapa sa main.

« Tante. Est-ce que cette Humaine te dérange ? »

Quelque chose s’imposa entre Erin et Krshia. Une gigantesque pate attrapa fermement la main d’Erin et elle leva les yeux, et continuade les lever pour trouver le visage d’un grand Gnoll. Il était grand, musculeux, et Erin ne pouvait pas s’empêcher de remarquer le dernier détail : armé. Une épée longue pendant à son flanc et un grand bouclier était attaché à son dos. Le Gnoll baissa les yeux vers Erin, et lui fit un sourire dénué d’amitié.

« Tu es Erin Solstice, n’est-ce pas ? Il est impoli de toucher ma tante aussi amicalement, n’est-ce pas ? »

« Brunkr. Laisse-là partir. Elle n’est pas une ennemie. »

Krshia se retourna et regarda le Gnoll qui l’appelait tante. Il la laissa partir, et Erin fit un pas en arrière en massant son poignet, vérifiant qu’il n’était pas cassé.

« Qui… Es-tu ? Je ne t’ai jamais vu. »

« Je suis un guerrier de la Tribu des Crocs d’Argents. Je suis venu rejoindre mes semblables, n’est-ce pas ? Nous sommes venus ici pour garder et assister l’honorée sœur de notre chef, n’est-ce pas ? Mais au lieu de terrible ennemis, tout ce que je vois sont des voleurs et des Humains qui poignardent dans le dos. »

Brunkr fit un grand sourire à Erin et la fixa du regard. Elle fit de son mieux pour ne pas se laisser intimider, et ne recula pas.

« Je ne veux pas poignarder quelqu’un dans le dos. Je voulais juste aider, c’est tout. »

« Aider ? Aider serait ouvrir le crâne de cette voleuse avec un rocher. J’ai entendu ce qu’elle avait fait ; si elle se trouve sous ton toit, alors tu es une ennemie. »

« Brunkr. Laisse-là. Erin a fait son choix. Je ne l’arrêterai pas, mais je ne m’occuperai pas d’elle non plus. »

Krshia parla sans intonation à son neveu et s’éloigna. Il hésita, mais se tourna pour la suivre. Il fit un dernier sourire à Erin.

« Je suis ici pour réaliser les objectifs de ma tante, et protéger mon peuple. Et cela inclut protéger notre honneur. Fait attention où tu mets les pieds, Erin Solstice. »

Puis il s’en alla. Il passa à travers la foule, créant une bulle de ‘ne me toucher pas’ presque aussi grande que celle de Krshia. Erin le regarda partir.

« Ceci. Est une mauvaise nouvelle. »

Elle se retourna. Elle avait eut l’intention d’aller faire ses courses chez Krshia et demander son pardon en s’expliquant, mais il semblerait qu’elle soit sans son amie Gnoll. Et sans marchands Gnolls, vu le regard noir que lui lançaient les Gnolls dans la rue.

Erin soupira. Elle allait devoir passer par plusieurs magasins pour faire ses courses, et uniquement dans des magasins Drakéides. Et tout porter par elle-même. Super. De petites courses étaient soudainement devenues bien plus compliquées et coûteuses.

Elle espérait que c’était la seule mauvaise chose qui allait se passer aujourd’hui. Après tout, ce n’était pas comme si ça journée pouvait s’empirer, pas vrai ?

Erin savait pertinemment que cela était possible, et c’était avant qu’elle ne rentre à l’auberge et que Lyon ne lui hurle dessus.

***

« Il m’a frappé ! »

Erin s’arrêta et regarda Toren qui se tenait derrière Lyonette. La fille avait le visage rouge alors qu’elle s’enragea contre Erin en lui montrant ses mains sales.

« Et il m’a fait nettoyer des ordures ! »

« C’est ton boulot après tout. Mais il t’a frappé ? Violemment ? »

« Il a essayé de me tuer. J’ordonne que tu le détruises sur-le-champ ! »

Erin regarda Lyon. Elle n’avait pas de bleus sur le visage, mais…

« Si Toren t’a frappé, ce n’est pas bien. Mais je ne vois pas de blessure. Où est-ce qu’il t’a frappé ? »

Lyon hésita, et pointa son torse et son estomac. Erin fronça les sourcils.

« Est-ce que je peux voir ? Je te crois, hein, mais j’ai… Besoin de voir à quel point c’est grave. »

L’autre fille regarda Erin avec horreur et recula.

« Tu veux que je me dénude devant toi ? »

Le regard qu’Erin lui lança laissait supposer qu’Erin était un prédateur sexuel récidiviste qui venait de lui demander de coucher dans une allée sombre. Erin fronça les sourcils, perdant rapidement patience.

« Si tu ne peux pas me prouver qu’il t’a frappé… »

« Mes mots en tant que noble devraient être suffisants ! »

« Pas pour moi. Et pourquoi Toren était autant en colère contre toi ? Est-ce que tu étais en train de faire quelque chose que tu n’étais pas censé faire ? »

« J’étais… »

Lyon hésita de nouveau, et Erin sentit que quelque chose ne tournait pas rond.

« Ecoutes, il n’aurait pas dû te frapper s’il l’a vraiment fait. Mais je lui ai demandé de t’enseigner, et je t’ai demandé de l’écouter. Tu as dit que c’était ce que tu allais faire quand tu as dit que travaillerais ici. »

« Je n’ai jamais donné mon… »

« Je suis ta patronne. Tu es mon employée. Tu travailles pour moi, et tu fais ce que je te dis de faire, compris ? »

« Patronne ? Employée ? Pourquoi ne pas m’appeler une servante tant que nous y sommes ? Je refuse de recevoir des ordres. »

Lyon eut une expression furieuse et pointa Toren du doigt.

« Il m’a frappé. Seules les plus déplorables et méprisables personnes font cela, même parmi les paysans ! Je le veux détruit. Maintenant. »

« Non. Tu as nettoyé cette pièce, assez décemment en plus, donc bon boulot. Maintenant, occupe-toi de l’étage s’il te plait. Je pense que tu peux le faire toute seule, donc Toren n’a pas besoin d’aller avec toi. Je viendrais voir ce que tu as fait dans une demi-heure, mais personne ne se fait détruire. »

Lyon plissa des yeux.

« Tu ne vas rein faire ? Je te l’ai dit, il m’a… »

« Je vais m’assurer qu’il ne recommence pas. Maintenant, va nettoyer l’étage s’il te plait. »

Erin ne connaissait pas encore les insultes de ce monde, mais elle jura en avoir entendu une venant de la part de Lyonette. La fille tapa du pied en montant les escaliers, s’arrêtant plusieurs fois pour lancer un regard noir à Erin et Toren.

Une fois Lyonette à l’étage, Erin expira doucement. C’était beaucoup de travail, et le stress de sa rencontre avec Krshia couplé à cela venait de réduire son optimisme habituel en miette. Elle regarda Toren, curieuse. Le squelette semblait totalement normal, mais Erin se devait de demander.

« Est-ce que tu l’as frappé ? »

Toren hocha la tête. Erin soupira.

« Violemment ? »

Le squelette semblait réfléchir, puis il hocha fermement la tête. Erin fronça les sourcils.

« C’est bien ce que je pensais. Mais ne la frappe pas de nouveau, d’accord ? Fait… La travailler sans la frapper. »

Toren hocha la tête, et Erin soupira. Elle ne pouvait pas en vouloir à Toren, pas vraiment. Il était un peu stupide, et elle avait aussi eu l’envie de frapper Lyon. Bon, il n’allait pas le refaire, et il avait besoin de former la fille.

Après cinq minutes avec Lyonette, Erin avait déjà une migraine.

***

Cette nuit, Erin fit une splendide assiette de spaghetti avec des boulettes de viande. C’était aussi bon que de la nourriture de restaurant, et elle était clairement heureuse d’avoir sa compétence de [Cuisine Avancée]. Elle mangea deux assiettes avec Ceria, et la demi-Elfe parla longuement des différents plats qu’elle avait mangé durant les soixante années de sa vie, ce qui incluait des insectes crus comme de fins restaurants situés dans des villes qu’Erin ne connaissait pas.

Lyon arriva en retard, se plaint de la nourriture froide, refusa d’attendre de réchauffer son assiette près du feu, fit des commentaires désobligeants à propos du plat d’Erin, et s’en alla après avoir mangé la moitié d’une assiette.

Elle voulut se resservir une heure plus tard, et Erin refusa. Elle ne se sentait pas généreuse, et une nuit de faim allait apprendre une leçon à la fille ou faire qu’Erin se sente mieux.

C’était impossible pour Erin et Ceria de passer la nuit à discuter, donc elles allèrent se coucher de bonne heure. Cette nuit, Lyon les réveilla toutes les deux quand elle hurla alors que Toren l’attrapa en train d’essayer de voler de la nourriture. C’était une mauvaise nuit, et même si Erin parvint à se rendormir, elle devait quand même se réveiller de bonne heure. Car le lendemain, Lyonette était partie avec tous l’or qu’Erin avait cachés sous le plancher.

***

« Où était Toren quand elle a pris l’argent ? »

« Je ne sais pas. Dehors ? En train d’aller chercher de l’eau ? Il fait des tâches autour de l’auberge quand je ne lui donne pas d’ordre. »

Erin regarda Toren. Le squelette semblait confus, mais aussi colérique. Il avait une épée dans les mains, ce qui était prématuré, mais reflétait l’état d’esprit d’Erin.

« On peut la trouver ? »

« Facilement. »

Ceria frotta le sommeil de ses yeux et bailla alors qu’elle se tenait dans la cuisine vidée. Elle avait été la première debout à l’exception de Toren et avait sonné l’alarme.

La demi-Elfe se concentra, et un orbe flotta vers le haut. Cela ressemblait à un sort de [Lumière], mais celui-ci avec une flèche en son centre, et cette flèche pointait vers le nord-est.

« Il semblerait qu’elle soit partit vers la route au nord. Elle n’a pas pu aller bien loin, elle a pris beaucoup de choses et elle n’est pas une coursière. »

« Comment est-ce que tu sais où elle est. Tu peux vraiment trouver les gens comme ça ? »

« Pas du tout. Je pensais que ça allais arriver, donc j’ai mis un sort de traçage sur elle. »

Ceria sourit vers Erin avant de hausser les épaules.

« Un tour de passe-passe que l’on apprend à Wistram. Ca aidait quand on se faufilait autour des bibliothèques la nuit. »

« Alors allons la chercher. »

Erin se leva, véritablement en colère. Elle aurait dû s’y attendre, mais elle aimait croire au meilleur des gens. Mais elle commençait à comprendre que ‘les gens’ n’incluaient pas Lyonette.

« Allons y. Toren, tu pars devant. Attrape-là, mais ne lui fait pas de mal, d’accord ? Puis je vais en ville et tu vas la faire porter de l’eau et d’autre travaux difficiles, compris ? »

Toren sembla soupirer, mais il sortit rapidement par la porte. Erin le suivit, Ceria sur ses talons.

« Erin, tu sais que je veux le dire. »

« Tu me l’as dit. Mais… »

« Une autre chance ? Combien va-t-elle en avoir ? »

« Beaucoup. Si cela veut dire qu’elle ne va pas mourir. »

« D’accord. Mais je garde le sort sur elle. »

Erin regarda Ceria avec espoir.

« Est-ce que tu as de la magie pour qu’elle se tienne à carreau ? »

« Si j’en avais une, je l’aurais utilisé sur Pisces il y a bien longtemps. »

« Oh. Bien sûr. »

Elles retrouvèrent Lyon quelques kilomètres plus loin, luttant pour marcher dans la neige. Il y eut beaucoup de cri, mais Erin ne se sentait pas mieux. En vérité, elle se sentait terrible. Elle laissa Lyon avec Toren dans l’auberge et alla en ville. Elle faillit dire à Toren qu’il pouvait la frapper, mais elle se retint.

Cela serait de la cruauté, et Erin n’était pas cruel. Même si elle essayait de l’être. De plus, Toren était parfait pour Lyon. Il ne vacillait pas, était inflexible, et ne s’ennuyait jamais. S’il ne la frappait pas, la seule chose que Lyonette risquait était de trop travailler.

***

Toren s’ennuyait. Il n’aimait pas apprendre à Lyonette, et il avait vraiment, vraiment envie de la frapper. Mais il ne le pouvait pas.

Le squelette regarda Lyon. Elle lui rendit son regard, avec un sourire méprisant.

« Tu ne peux pas me frapper. J’ai entendu ta propriétaire te le dire. »

Toren hocha la tête. Il pointa vers le seau au sol, mais Lyon ne bougea pas.

« Non. Tu ne peux pas me donner d’ordre, monstre, et il n’y rien que tu puisses me faire. »

Les Humains pouvaient vraiment être des imbéciles. Toren manqua de soupirer, mais il leva son index à la place et l’enfonça dans le flanc de Lyon. Elle sursauta.

« Arrête ! »

Toren l’ignora. Il ignora aussi ses bras et repoussa ses mains sans effort. Il s’approcha de Lyon fit la même chose.

Il lui enfonça son doigt dans ses flancs.

« Tu ne me forceras pas ! Tourmente-moi si tu veux, chose, mais je ne… ah ! Stop ! »

Toren ignora Lyon. Si elle ne voulait pas faire ce qu’il voulait, il allait la forcer. Il n’avait pas le droit de la frapper, mais lui enfoncer son doigt dans le flanc n’avait pas été mentionné. Donc il recommença.

Encore. Et encore. Et encore. Et encore. Et encore.

Et encore.

Et encore.

Et encore.

Et encore.

Et encore.

Et encore.

Et encore.

Et encore.

Et…

Après cent cinquante oui fois, Lyon arrêta de crier et d’essayer de frapper Toren et abandonna et fit ce qu’il voulait. Ce n’était pas aussi satisfaisant, mais c’était efficace, surtout que lorsque le doigt ne marchait plus, il faisait la même chose avec un couteau.

Lyonette se plaignit, bien sûr, à propos du doigt. Mais Erin envoya un regard à Lyon jusqu’à ce que la fille rapetisse et Toren en reçu pas d’autres ordres. Et il décida que faire travailler Lyon pouvait être amusant.

***

Ce fut après un autre jour de courses difficile que Ceria invita Erin à visiter la seule autre aventurière qui avait survécut à Écorcheur. Enfin, la seule qui était à Liscor. Erin accepta, plus par curiosité que par autre chose.

Ce fut ainsi qu’elle se trouva dans une petite pièce au fond de la Guilde des Aventuriers, une place réservé pour les aventuriers blessés. Il n’y avait qu’une occupante : Yvlon Byres.

La jeune femme était tout ce dont Erin avait rêvé quand elle avait parfois rêvé de devenir une chevalière comme l’une de ses pièces d’échecs, ou quelqu’un comme Indiana Jones ou un super-héros.

Yvlon était grande, avec une chevelure d’or, la peau claire… Elle ressemblait un peu à Lyon, malgré le fait que les cheveux de Lyon étaient rouges et qu’Yvlon faisait une tête de plus et avait probablement deux fois plus de muscles et…

Peut-être que c’était parce qu’elles avaient la même posture, droite comme une règle, et des manières élégantes. Car même si Yvlon était horrible, elle mangeait et parlait comme une personne qui avait été entraînée, tout comme Yvlon.

Et contrairement à Lyon, les manières d’Yvlon allaient avec sa bonne nature. Elle serra la main d’Erin quand Ceria la présenta, un grand sourire sur les lèvres.

Erin lui rendit son sourire, et serra sa main calleuse en essayant de regarder Yvlon dans les yeux.

Elle était… Belle. En fait, Erin irait même jusqu’à dire qu’elle avait été magnifique avant de venir à Liscor. Sa peau était presque parfaite, elle avait de belles dents, un nez fin, et de belles oreilles. Erin souhaitait avoir ses oreilles.

La seule imperfection était que la peau qui avait été… Arrachée… De la moitié gauche du visage d’Yvlon. Pas tout ; et en vérité ce n’était pas comme si elle avait perdu son nez ou quelque chose du genre. C’était juste… Facile à voir, c’était tout. La cicatrice, encore rouge, était clairement différente de sa peau lisse.

Yvlon fut un sourire douloureux à Erin alors que la fille essaya de regarder autre part.

« Je suis désolé. C’est… »

« C’est visible. Ne t’en fais pas. C’est ma punition. J’ai laissé tomber les gens que je menais, et je mérite un tel châtiment. »

« Ne dit pas ça, Yvlon. »

Ceria fronça les sourcils alors qu’elle s’installa dans le siège voisin de l’aventurière. Yvlon était toujours clouée à son lit, même si la jeune femme semblait incapable de rester assisse. Erin nota l’armure proprement rangée sur un habilleur et prit un siège un son tour.

« Toi et moi sachons que c’était la faute d’Écorcheur. Comment pouvions-nous savoir que la porte le scellant était déjà déverrouillée ? De plus, Cervial, Gerald et Lir étaient présents et ils étaient tous des Capitaines de rang Argent. S’ils n’avaient pas senti que quelque chose clochait, tu n’aurais pas pu le voir. »

Yvlon secoua la tête, ses mains serrant la couverture.

« Ce n’est pas une histoire d’excuse, Ceria. J’avais la responsabilité de maintenant en vie les aventuriers que je commandais, et pire, j’ai échoué ma promesse d’honorer leurs morts. Je n’ai pas une pièce à donner aux familles et conjoints des morts, à part mon armure et mon épée, et je ne peux même pas les vendre car elles ne m’appartiennent pas. »

« Personne ne s’attendait à un massacre là-bas, Yvlon. Je suis certains que les autres…. »

Ceria s’arrêta, montrant clairement qu’elle ne voulait pas mentir.

« Nous connaissions tous les risques. Et Écorcheur est mort, donc ils sont vengés. Repose-toi, Yvlon. »

L’Humain se laissa tomber sur son lit, et Erin vit des larmes dans ses yeux. Et c’était la personne que Ryoka détestait tant ? Pourquoi ?

« J’aimerai pouvoir tourner la page. Mais mon visage… Je ne veux pas utiliser une potion de soin. J’ai besoin de porter ce fardeau. »

« Tu es comme Gerial et Calruz. Si têtue… »

Ceria soupira, exaspérée, et baissa la tête.

« Tu devrais utiliser une potion. Et te remettre sur pied. Ecoutes Yvlon, et Erin aussi pour ça, j’y ai réfléchi. Écorcheur était… Un cauchemar tel que je n’en avais jamais vu dans ma vie. Et perdre tous mes amis et camarades, cela m’a brisé. Mais je ne peux pas baisser les bras maintenant. Je ne le ferais pas. Je dois continuer de vivre pour donner un sens à leur mort. Et je ne peux pas continuer à compter sur Erin. Donc… »

Elle prit une grande inspiration, et regarda Yvlon dans les yeux.

« Je vais recommencer à partir en aventure. »

Yvlon et Erin regardèrent Ceria, choquées, la demi-Elfe se contenta de hausser les épaules.

« Je sais. Mais c’est tout ce que je sais faire. Je pourrai faire quelques sorts pour gagner un peu d’argent, mais même moi je serais devenue vieille le temps que je gagne assez pour m’acheter un livre de sort. Et… je veux devenir plus forte. Je dois devenir plus forte. »

Erin était toujours surprise, principalement par la soudaine décision de Ceria, mais Yvlon n’hésita qu’un seul instant avant de serrer la main de la demi-Elfe.

« Que la chance soit avec toi. Je deviendrai plus forte et peut-être… mon bras est rouillée et faible, mais cela serait un honneur de voyager avec toi si tu m’acceptes. Je dois repayer ma dette d’une manière ou d’une autre. »

« Nous en reparlerons quand tu irais mieux. Je te le promets. »

Ceria sourit, et Yvlon serra sa main.

« Ne pars pas seule, Ceria. J’ai vu trop d’aventuriers échoués après avoir perdu leur compagnie. »

« Je ne vais rien faire de stupide. Je suis toujours en train de récupérer, et je n’ai pas de compagnie d’aventurier. Je vais attendre. Continue de te concentrer sur ta convalescence, d’accord ? »

« Je le ferai. »

Elles parlèrent pendant quelque temps, à propos de choses moins importantes. Erin dut raconter quelques histoires à propos de ce qui s’était passé pendant qu’elle était dans sa chambre, et Ceria dut confirmer toutes les choses folles qu’Erin racontait. Elle était principalement intéressée en Ryoka, mais les quelques heures passèrent trop rapidement et Erin et Ceria durent partir.

Yvlon essaya presque de sortir de son lit avant que les deux filles ne l’arrêtent.

« Je peux marcher, vous savez. »

« Nous le savons, mais garde des forces. Tes muscles doivent être fatigués si tu n’as pas utilisé de potion de soin. »

Avec une grâce résignée, Yvlon se laissa tomber dans son lit. Erin nota la bouteille de liquide luisant sur sa table de nuit et se demanda si l’ancienne Capitaine Argent n’était pas aussi têtue que Ryoka. Mais Yvlon hocha la tête avec beaucoup plus de politesse que Ryoka.

« Ce fut un plaisir, Erin Solstice. »

Et ça l’était vraiment, même si Erin se doutait qu’elle n’avait pas été aussi importante que la révélation de Ceria. Les deux la quittèrent silencieusement, et Erin se tourna vers Ceria en quittant la Guilde.

« De retour à l’aventure ? Vraiment ? Dès maintenant ? »

« Oui, oui, et oui, Erin. Je sais que c’est risqué, mais… »

Ceria haussa les épaules.

« C’est tout ce que je sais faire. »

Erin mordit sa lèvre, mais elle ne trouva rien à dire.

« Dans tous les cas, tu peux rester dans mon auberge. Ma porte te sera toujours ouverture. Et tu n’as pas besoin d’aussitôt reprendre. Tu peux rester autant que tu veux. »

« Je sais. C’est juste q… »

« Ne t’en fais pas. Je n’essaye pas de te dissuader ; je vais même t’aider ! Tu fais ce que tu fais faire, et je serais là pour t’accueillir avec un repas chaud et un bain. Enfin, Toren va porter l’eau du bain. Et je vais avoir besoin d’acheter une baignoire. »

Ceria sourit, touchée. Elle tapota l’épaule d’Erin.

« Merci, Erin. »

Elles sourirent toutes les deux. Puis leurs sourires disparurent en se souvenant de qui vivait dans leur auberge.

« Au moins elle est en train de ramasser des champignons. Je ne sais pas comment quelqu’un peut rater ça… À moins de prendre des vénéneux, ou de les écraser ou… Heu… »

Ceria soupira, avant de faire un sourire mesquin.

« Vois le bon côté des choses. Peut-être qu’elle va tomber dans un nid d’Araignée Cuirassée et que Toren n’arrivera pas à la sauver. »

Erin se retourna et laissa un regard moqueur à son amie.

« Ceria ! »

« Désolé. »

« T’as plutôt intérêt à l’être. Franchement. Je veux dire, ça ne me dérangerait pas si elles la griffent un peu, mais… »

Elles rirent, et se séparèrent. Ceria voulait parler à Pisces et Erin voulait partir en chasse pour trouver plus de sucre avant de retourner à l’auberge. Aucune d’entre elles ne remarqua les silhouettes touffues bougeant vers les portes de la ville avec un pas lent et calculé.

***

Lyon et Toren étaient en train de ramasser des champignons sur lesquels Erin voulait expérimenter quand le sol s’effondra à quelques centimètres du pied de la fille. Elle hurla et fit un bond en arrière alors que le nid d’Araignée Cuirassée fut révélé.

Toren regarda les araignées endormies avec intérêt alors qu’elles commencèrent à bouger et à chercher leur proie. Il jeta un coup d’œil à Lyon, qui était paralysée par la peur.

Toren posa tranquillement une main sur son dos et la poussa doucement dans le trou.

Elle hurla et se débattit, et les Araignées Cuirassées allèrent vers elle. Toren profita du spectacle le plus longtemps possible, jusqu’à ce que l’une des araignées essaye de la mordre.

Dommage qu’Erin lui avait dit qu’il devait protéger Lyon. Toren soupira presque, même s’il avait bien voulu avoir les poumons pour le faire.

Il fit fuir les Araignées Cuirassée avec son regard de [Terreur] et se retourna vers la fille. Elle hurla et manqua de se faire pipi dessus, mais après avoir réalisé que Toren pouvait activer et désactiver l’effet, elle courut pour ramasser les champignons. Toren trotta joyeusement derrière Lyon, profitant de ses cris. Il marqua mentalement l’emplacement du nid pour plus tard, et se demanda ce qu’il allait tuer aujourd’hui.

***

Plus tard dans la journée, Erin se tint prêt d’une fenêtre, ne regardant pas directement dehors mais comptant les ombres. Elle entendit Lyonette taper du pied en bas et soupira.

La fille était rentrée avec un panier rempli de champignons vénéneux et comestibles, puis elle se verrouilla dans sa porte. Toren était partie, et Erin était… Occupée.

Elle ne voulait pas entendre Lyon se plaindre. La fille n’était jamais heureuse, jamais satisfaite, et maintenant n’était pas le moment pour ce genre de scène. Erin sentir l’air et soupira. Non. Elle se retourna. Ceria… Pisces… Ils étaient tous les deux en ville. Et Toren était en train de chasser. Non, pas cette fois.

« Il a essayé de me tuer ! »

« Bonjour, Lyonette. Qu’est-ce que Toren à fait cette fois ? »

Erin faillit ajouter un ‘supposément’ à cette phrase. Lyon ne pouvait jamais prouver que le squelette avait fait quelque chose, et elle refusait de montre en centimètres de peau au-delà du nécessaire.

« Il m’a poussé dans un nid d’horribles araignées ! »

Erin regarda Lyon avec méfiance. Elle ne semblait pas blessée, seulement égratignée et sale, et Erin était certaine que Lyon n’était pas capable de repousser un nid entier d’Araignée Cuirassée.

« Est-ce que tu peux le prouver ? »

« Je t’ai dit qu… »

« Et jet’ai dit que je veux voir des preuves. De plus, pourquoi est-ce que Toren ferait ça ? Je lui ai précisément dit de ne pas te tuer. S’il te dérange, je vous suivrai la prochainement pour voir. Mais si tu es en train de mentir… Écoute, j’ai besoin de faire une pause. Nous parlerons de ça plus tard, d’accord ? »

Erin se retourna. Elle devait vraiment faire monter Lyon, mais prévenir la fille ? Elle allait paniquer.

Lyonette laissa échapper un cri étranglé alors qu’Erin essaya d’aller vers la porte. Elle se jeta sur Erin, sa main vers son visage. Et se tourna et…

La frappa au visage.

C’était un bon coup de poing, et il y avait un sacré agacement. Lyon tituba en arrière, et s’assit. Elle mit la main à sa joue qui allait bientôt virer au violet ; Erin ne l’avait pas frappé de toutes ses forces, mais elle ne s’était pas… Pas beaucoup retenu.

« Tu m’as frappé. »

« Tu m’as attaqué. »

Erin sentit qu’elle était de retour en primaire, arguant avec un gamin à propos d’une bagarre qu’il avait commencé. Ce qui les garçons n’apprenaient jamais était que même si frapper et tirer les cheveux marchait, Erin avait un échiquier qui était solide, avait des coins, et pouvait être sacrement dangereux si manié avec assez de force.

« Tu m’as frappé. »

Lyonette semblait choqué. Erin ne savait pas quoi dire.

« N’essayes pas de me frapper. J’ai [Instinct de Survie] qui se déclenche pour quelque chose… Écoute, va à l’étage, calme toi et nous… »

« Tu m’as frappé ! »

Lyon se mit sur ses pieds et hurla sur Erin, le visage rouge. Ses mains de fermèrent, mais elle prit la bonne décision de ne pas attaquer Erin.

« Monstre ! Espèce de brute ! Criminelle ! Escroc ! Espèce de répugnante et horrible… »

Erin la gifla.

Cette fois Lyonette n’arrive pas à former des mots. Elle devint rouge, tendit la main vers Erin, et hésita en voyant ses yeux. Elle fit un bruit inarticulé, et s’effondra en sol et commença à pleurer.

Erin cligna des yeux. Elle était prête à se défendre, ou à une autre crise, mais Lyon se rouler dans une boule de misère et commença à se lamenter. Erin n’avait jamais entendu quelqu’un se lamenter aussi bien et bruyamment que Lyon, la fille avait un véritable talent dans ce domaine.

Le cœur d’Erin hésita pendant une seconde. Puis elle regarda à l’extérieur et se souvint. Elle regarda Lyon, secoua la tête, et se tourna vers la porte.

Erin laissa la fille pleurer dans l’auberge et alla à l’extérieur, la tête penchée.

***

Le jour était froid et enneigé. La neige tombait même sans la présence des Fées de Givres, et pas en petites doses. Erin se tint dehors et trembla. Elle ferma la porte, et soupira. Puis elle parla à l’air.

« Je souhaite ne jamais l’avoir fait, pour être franche. »

Personne ne lui répondit. Erin fit un pas dehors et donna un coup de pied dans la neige, l’envoyant voler.

« Je pensais pouvoir l’aider, peut-être en faire quelqu’un de mieux… Avant de la rencontrer. Mais je suppose qu’elle est aussi terrible que les gens pensent. En fait, elle est pire. »

Erin y pensa, avant de hocher la tête.

« En fait, elle est invivable. La pire personne que j’ai rencontrée… Même si je n’ai pas rencontré beaucoup de mauvaise personne. Je suppose qu’il y en a certain qui sont juste plus méchant dans le monde. En fait, il y en a plein. Mais personne n’est aussi mesquine qu’elle.

Elle ouvrit ses bras en grand.

« Ceria avait raison. Krshia avait raison. Tout le monde avait raison, même Pisces. Elle a essayé de me voler. Elle n’est pas une bonne personne. Elle me dépouillerait probablement si elle le pouvait, et elle ne se même pas désolée. »

Erin baissa la tête.

« Et si je continue de la nourrir en essayant de lui apprendre quelque chose… En fait, je ne sais même pas si cela va marcher. C’est peut-être impossible… Ça l’est probablement. Ce n’est pas facile pour moi, et je suis épuisé et stressé tous les jours. C’est la pire chose, et je regrette d'avoir entendu son nom. »

Du silence. Erin regarda les ombres grandissantes autour de son auberge. Elle sentit le mot sur sa langue, et sentir l’air se figer autour d’elle.

La neige tomba, et s’arrêta en l’air. Erin regarda le monde ouvert, le monde gris au-dessus d’elle, et la plaine recouverte d’un blanc pur et intact. Elle se tint devant son auberge, et sentit le monde s’arrêter durant un court instant.

Elle n’avait pas à le dire. Elle pouvait toujours ravaler ses mots, abandonnés, et s’éloigner. Pendant un moment, Erin se tint au bord de l’abysse, dans l’attente. Le monde retint son souffle et Erin savoura le moment d’infinité. Puis elle parla.

« Mais. »

C’était le mot avec lequel toutes choses changeaient. Erin regarda le ciel, et leva la voix, parlant au monde et à ceux qui l’écoutait. »

« Mais. Mais si je ne fais rien, elle va mourir. Et peut-être qu’elle le mérite. Je ne sais pas. Je ne peux pas juger les gens. Je n’ai pas le droit de le faire. Mais je sais ceci : Elle mourra si elle part, même si je lui donne de l’argent, de la nourriture et Toren pour la protéger. Elle ne peut pas le faire. Elle ne peut… Rien faire. »

Erin présenta ses mains, une plaintive devant son jury silencieux.

« Pourquoi est-ce que les gens doivent mourir ? Pourquoi ? Même s’ils font de mauvaises choses, elle n’est qu’une enfant. Elle est peut-être terrible, mais est-ce que cela mérite la mort ? Je ne sais pas. Mais ce que je sais est que si je ne fais rien, elle va mourir. Et cela veut dire qu’elle sera morte à cause de moi. »

La neige continua de tomber, et personne ne parla. Erin prit une grande inspiration.

« Une autre chance. Ce n’est pas à propos d’elle. Ce n’est pas à propos d’une seule personne. Ce n’est pas à propos de faire ce qui est intelligent ou sensible. C’est à propos de faire ce qui est juste. »

Elle regarda autour d’elle. Elle regarda les ombres, et leur adressa la parole.

« Je ne peux pas laisser des gens mourir. Pas si je peux y faire quelque chose. Pas s’il y a encore une chance. Elle était une voleuse, mais c’est tout. Elle n’a tué personne. Et elle à besoin d’aide. »

Erin pointa l’auberge du doigt.

« J’ai été seule. Seule et inutile. Peut-être pas autant qu’elle mais… Quelqu’un m’a sauvé. Il a donné sa vie pour moi, et d’autres personnes m’ont aidé à survivre. Je ne serais pas là sans eux. Je ne l’abandonnerais pas. Pas encore. Pas ici. Donc… »

Erin s’arrêta. Elle ferma les yeux, et leva les voix.

« Donc, si vous voulais l’avoir, il faudra me passer sur le corps. Compris ? »

Tout resta silencieux pendant une longue seconde. Puis cela arriva.

Les ombres autour de l’auberge bougèrent.

Des Gnolls sortirent des ombres, de grandes figures minces secouant la neige de leur fourrure. Couverts comme ils l’étaient, ils avaient fait partie du paysage. Mais maintenant ils venaient d’apparaître, et Erin reconnaissait le Gnoll qui les menait.

Brunkr s’avança. Les muscles de son torse bougèrent sous sa fourrure alors qu’il toisa Erin.

« Elle a nui à notre Clan et mérite la mort. Si tu te tiens en travers de notre chemin, tu seras notre ennemi. »

Erin renifla. Ça sentait le chien mouillé. C’était une odeur familière. Elle leva les yeux vers Brunkr.

« Elle reste dans mon auberge. Elle travaille pour moi. Tu n’as pas le droit d’entrer. »

Il montra les crocs. Erin ne recula pas.

« Et qui va m’arrêter ? »

« Moi. »

Brunkr rit. Il regarda autour de lui. Au moins une vingtaine de Gnoll se tenait sur la colline, ils étaient tous plus musclés et grand qu’Erin.

« Et qu’est-ce qu’une fille Humaine, faible comme toi et sans l’avantage du nombre, va faire ? »

« Pas grand-chose. Je suppose que je vais juste te dire quelque chose. Quelque chose de très important que tu devrais savoir. »

« Oh ? Et qu’est-ce c’est ? »

« Mon nom est Erin Solstice. Ceci est mon auberge. Et. Vous. N’avez. Pas. Le. Droit. De. Rentrer. »

Erin ferma son poing, le pouce sur ses phalanges comme Calruz lui avait appris. Elle frappa Brunkr le plus fort possible dans son estomac. Il cligna des yeux et sourit.

Il était toujours en train de sourire quand Erin leva la jambe.

« [Coup foudroyant] ! »

Elle le frappa dans l’entrejambe et les yeux du Gnoll roulèrent dans ses orbites. Il se tint l’entrejambe et s’effondra. Erin regarda les autres Gnolls.

« Alors ? Qu’est-ce que vous attendez ? Ramenez-vous ! »

Les Gnolls se regardèrent, regardèrent leur camarade au sol, Erin, et l’auberge. Ils hurlèrent, et chargèrent.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 18 novembre 2020 à 23:48:02
 
2.26 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Selys était assise à l’accueil de sa guilde, et griffonnait désespérément dans le livre d’or qu’elle avait emprunté à Erin. Il y avait tellement d’aventuriers qui arrivaient en ville récemment qu’elle pensait ne jamais parvenir à écrire tous les noms des nouveaux arrivants et à les classer.
 
C’était ce que la plupart des gens ne comprenaient pas au sujet de l’aventure. Certes, il était important de savoir démembrer la limace qui crachait de l’acide enflammé, mais est-ce que quiconque songeait à la personne qui devait ensuite examiner les morceaux ensanglantés pour s’assurer que c’était bien une limace cracheuse d’acide, et non pas une autre espèce de limace qui crachait une espèce de flamme liquide ? Les récompenses pour ces deux variétés n’étaient pas les mêmes, et la paperasse nécessaire pour s’assurer que les aventuriers recevaient leur paie était absolument affreuse.
 
Mais l’organisation était encore pire. Certes, on avait une pièce pleine de guerriers, mais qui envoyer, et où ? De toute évidence, si on envoyait un groupe spécialisé en mêlée contre un Crabroche, on finissait avec un tas de taches rouges au sol, sauf si les aventuriers étaient de très haut niveau, mais alors, qui sélectionner ? Les mages avaient besoin de renforts, mais les aventuriers solitaires ne travaillaient pas très bien en groupe, et les équipes avaient toujours leur propre programme de prévu.
 
Il était compliqué de gérer une guilde comme celle-là. Selys était l’une des plus anciennes réceptionnistes ici, et certainement l’une des plus expérimentées, ce qui signifiait qu’elle devait souvent prendre la majeure partie des responsabilités. Sa grand-mère était Maîtresse de Guilde, mais avant, il n’y avait pas eu grand-chose à gérer, et personne n’était prêt pour le flot d’aventuriers qui envahissait la ville.
 
Selys griffonna une nouvelle livre dans son livre d’or. À ce rythme, elle n’en finirait jamais. D’un tympan, elle essaya d’écouter ce que la personne devant elle lui disait.
 
“Hmm ? Qu’est-ce que tu dis, Putois ? Encore une bagarre ?”
 
Putol, que tout le monde appelait Putois, grimaça puis haussa la voix pour se faire entendre par-dessus le brouhaha des aventuriers. Il n’était pas un aventurier - juste un apprenti [Menuisier], et terriblement mauvais, en plus ce ça. Mais c’était un ami d’enfance, et Selys leva à contrecœur les yeux lorsqu’il prit la parole.
 
“Comme je le disais, c’est les Gnolls ! Ils ont quitté la ville, un énorme groupe ! Certaines étaient armés, et ils se rendaient à ton auberge.”
 
Selys lâcha sa plume
 
“Quoi ? Non. Pourquoi feraient-ils ça ?”
 
Putois roula des yeux d’un air appuyé. Ses yeux étaient légèrement globuleux, ce qui était encore plus inhabituel chez un Drakéide que chez un Humain. Sa queue aux écailles rouges s’agita d’excitation lorsqu’il répondit.
 
“À cause de la voleuse, bien sûr ! Le nouveau groupe de guerriers Gnolls n’ont pas aimé apprendre ce qu’elle avait fait. J’ai entendu dire qu’ils ont hurlé toute la nuit dernière, et maintenant…”
 
Selys n’avait pas le temps d’écouter les pourquoi et les comment de la politique Gnolle. Elle se leva de son tabouret.
 
“S’ils sont partis chercher la voleuse, Erin va s’en mêler. Il faut que je les arrête !”
 
Putois lui jeta un regard dubitatif.
 
“Je ne crois pas que tu sois capable de calmer les Gnolls. Ils avaient l’air vraiment énervés. Comment ça se fait que tu ne te sois pas rendu compte de ce qu’il se passait ?”
 
“J’ai été ici toute la journée ! Je n’ai rien entendu !”
 
Selys essaya de réfléchir. Elle regarda autour d’elle d’un air désespéré, sa queue fouettant son tabouret.
 
“Krshia. Krshia ne peut pas avoir cautionné ça. Il faut que je la voie.”
 
C’était de l’abandon de poste, mais Selys n’en avait cure. Elle carra les épaules et scruta la pièce. Est-ce qu’elle pouvait les laisser seuls et sans retrouver une ruine fumante à son retour ?
 
C’était l’assortiment habituel de Drakéides et de Gnolls, mais ils avaient été rejoints par un groupe conséquent d’humains et quelques… non-humains. Les yeux de Selys s’attardèrent sur un groupe de trois assis au fond. Ils étaient l’une des trois équipes classées Or qui étaient venus en ville, et elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait faire d’eux.
 
Mais elle repéra alors trois aventuriers qui sortaient du lot. Principalement parce qu’ils étaient tous en train de la dévisager.
 
Les trois Gnolls la regardaient fixement, tandis que le reste des aventuriers bavardaient et buvaient à leurs tables. Elle jeta un œil à la porte, mais l’un des Gnolls était posté juste à côté.
 
Selys déglutit. Il n’était pas nécessaire de posséder des trésors d’imagination pour deviner pourquoi ils étaient ici. Les Gnolls ne faisaient jamais rien à moitié, et si Krshia n’était pas au courant que certains étaient partis tuer la voleuse, ils ne voulaient pas que quelqu’un la prévienne. Et Selys avait beau savoir qu’il y avait d’autres Drakéides et même des Humains dans la pièce, elle restait une réceptionniste. Elle ne pensait pas qu’ils s’interposeraient si quelques Gnolls cherchaient à l’empêcher de passer. Et s’ils décidaient de faire ça…
 
Selys ne savait pas se battre, même si elle avait la classe de [Guerrière] à présent. Elle pensait que c’était ce qui risquait de se passer si elle essayait de forcer le passage, et elle décida qu’elle ne voulait pas se retrouver impliquée dans une bagarre à grande échelle au sein de la Guilde.
 
Mais il fallait que Krshia soit au courant. Selys regarda de nouveau les Gnolls, et eut une idée. La queue de la Drakéide tressaillit, puis elle se tourna lentement vers le Drakéide qui lui faisait face.
 
“Putois ? Je vais aller vérifier nos réserves à l’arrière. Tu peux me remplacer ?”
 
Le Drakéide la regarda, bouche-bée.
 
“Quoi ? Je ne suis pas [Réceptionniste], Selys ! Qu’est-ce que je dois faire ?”
 
“Ça n’a pas d’importance. Tu n’as qu’à rester assis là et répondre aux questions, d’accord ?”
 
Selys sortit furtivement de derrière son comptoir et poussa son ami pour qu’il s’y asseye. Il regarda autour de lui d’un air désemparé tandis que Selys jetait un regard en coin aux Gnolls. Ils s’attendaient à ce qu’elle essaie de fuir en courant, elle en était sûre. Elle ne les fit pas attendre longtemps. Selys se mit à courir - simplement, pas dans la direction à laquelle ils s’attendaient.
 
Les Gnolls clignèrent des yeux en voyant Selys se précipiter en haut des escaliers. Deux des Gnolls se précipitèrent à ses trousses. Le reste des aventuriers levèrent la tête, désorientés, et l’un des Humains-qui-n’en-étaient-pas-vraiment se leva.
 
“C’était intéressant. Est-ce qu’on devrait aller jeter un œil ?”
 
“Je ne vois pas pourquoi on s’en priverait.”
 
C’était un grand… homme assis par terre qui avait répondu. Il se leva et ses deux compagnons le suivirent.
 
“Une auberge en-dehors de la ville. Hm. Cela me dit quelque chose. Ce n’est pas là que dort la demie-Elfe ?”
 
“Une coïncidence, peut-être ? Elle n’a peut-être rien à voir avec tout ça.”
 
“De ce que j’ai entendu dire sur Ceria Springwalker, c’est probable que si. Allons-y, vous deux. On peut au moins aller voir pourquoi il y a du grabuge.”
 
Le grand demi-homme s’approcha de la porte, et tous ceux qui étaient en travers de son chemin s’écartèrent vivement. Tous, sauf le Gnoll devant la porte. Ce dernier leva les yeux et hésita, mais il avait ses ordres.
 
Le Gnoll leva nonchalamment un bras recouvert de fourrure pour barrer le passage des trois aventuriers. Il sourit à celui qui lui faisait face.
 
“Vous ne voulez pas partir, non ?”
 
“Je pense que si, en fait. Est-ce que nous pouvons te persuader de t’écarter ?”
 
“Non, non. J’ai entendu ce que vous disiez et ce ne serait pas sage, non ?”
 
Le grand “homme” pouffa de rire.
 
“La sagesse n’a jamais été notre point fort. Mais je vois que tu ne bougeras pas. Par conséquent…”
 
L’aventurier tendit délicatement la main. Il donna une pichenette sur le front du Gnoll qui cilla. Ses yeux se révulsèrent et il s’écroula.
 
Le demi-humain se tourna vers les deux autres demis-humains et sourit d’un air penaud.
 
“Eh bien. Il semblerait que tout cela soit très intéressant, après tout. On y va ?”
 
***

Erin détestait les combats. Elle détestait lorsqu’ils survenaient, elle détestait le fait qu’elle pouvait mourir, elle détestait leur nécessité, et le fait qu’elle était, en réalité, douée pour se battre. Ou du moins, c’était ce que lui avait dit Calruz.
 
Mais en ce monde, on avait le choix entre se battre, s’enfuir ou laisser une fille mourir, donc Erin choisissait de se battre. Elle aurait simplement préféré que tout soit plus simple.
 
“[Coup Foudroyant] !”
 
Elle sentit son genou heurter une surface de plein fouet, et le Gnoll qui la chargeait grogna de douleur. C’était le deuxième qu’elle frappait à l’entrejambe, mais le souci, ici, était que celui-ci n’était pas un mec. Et pour une raison inconnue, Erin avait eu beau cogner la gnolle de toutes ses forces, ses coups n’avaient pas eu le quart de la puissance que sa compétence aurait dû lui accorder.
 
La Gnolle leva une patte. Erin baissa la tête et entendit un sifflement au-dessus de son crâne. Elle frappa deux fois la Gnolle à l’estomac en criant.
 
“[Coup Foudroyant] ! [Coup Foudroyant] ! Pourquoi est-ce que… [Coup Foudroyant] !”
 
La Gnolle grogna et recula sous les coups d’Erin. Elle était grande, mais Erin avait appris à frapper fort et elle avait [Force Mineure]. La Gnolle tenta de nouveau un crochet en direction d’Erin, mais elle n’était clairement pas une guerrière. Elle était d’ailleurs petite pour une Gnolle, et Erin était saisie du doute grandissant qu’il s’agissait d’une adolescente.
 
Ce qui la fit culpabiliser lorsqu’elle la frappa de toutes ses forces au creux de l’estomac. La Gnolle hoqueta et se plia en deux en se tenant le ventre, et Erin lui cogna la joue. La Gnolle tomba, et Erin s’écarta en titubant, la respiration hachée.
 
Une à terre, plus qu’une meute à achever. Mais les autres Gnolls ne tentaient pas d’atteindre Erin. Ils essayaient de forcer le passage par la porte d’entrée, et l’un d’entre eux avait déjà commencé à la détruire à coups de hache.
 
“Qu’est-ce qu’il se passe ? Qui sont les gens dehors ?”
 
Le cœur d’Erin se serra lorsqu’elle entendit la voix de Lyon. La fille n’avait aucune idée de ce qu’il se passait, et elle ordonnait qu’on lui donne des réponses d’une voix haut perchée et clairement terrifiée.
 
“Je vous ordonne de me dire ce qu’il se passe ! Qui sont ces gens ?”
 
Un grondement lui répondit tandis qu’un Gnoll se jetait sur la porte de tout son poids. Lyon poussa un cri perçant et Erin fondit sur les Gnolls.
 
“Cache-toi !”, hurla Erin à Lyon en heurtant le premier Gnoll de plein fouet dans le dos. Il fit volte-face lorsqu’elle lui donna un coup de poing, mais Erin tordit le cou et le cogna juste sous la cage thoracique.
 
[Coup Foudroyant] !
 
Mais là encore, le coup d’Erin ne fit que meurtrir le Gnoll, et resta loin du coup incroyablement puissant qu’elle avait utilisé contre Brunkr. Erin regarda fixement son poing en se jetant en arrière de sorte que le Gnoll lui court après.
 
“Pourquoi est-ce que ça ne marche pas ?!”
 
“Hrr. Tu ne peux pas le faire plus d’une fois.”
 
Erin se retourna. Brunkr était de nouveau debout. Il grimaçait et restait courbé, mais il était aussi très, très en colère. Il saisit le poing d’Erin lorsqu’elle tenta de le frapper et lui tordit le bras.
 
“Aagh !”
 
Erin dut bouger si elle ne voulait pas que son bras sorte de son articulation. Elle se pencha sur le côté et Brunkr lui grogna dessus. Le reste des Gnolls se mit à défoncer la porte. Les cris de Lyon lui parvenaient en arrière-plan derrière la voix grondante de Brunkr.
 
“Joli coup. C’est mon tour à présent, non ? Ma Tante te veut peut-être en vie, mais cela ne signifie pas qu’on ne puisse pas te blesser, non ?”
 
Eh bien, c’était un soulagement. Elle n’allait pas mourir, mais elle allait se faire horriblement tabasser. Erin déglutit et tenta une nouvelle fois de cogner Brunkr en plein dans les noix. Il lui attrapa la jambe, et Erin était à présent en train de sauter à cloche-pied, toujours toute tordue.
 
“On va commencer par te donner une leçon, non ? On s’occupera de la voleuse après.”
 
“Non.”
 
Brunkr se tourna. Un rayon de gel miroita à côté de son oreille et frappa un Gnoll derrière lui. Le Gnoll hurla de douleur et de confusion lorsque la glace s’étala sur son dos et il s’écroula.
 
“Repose-la et dis à tes amis de s’éloigner de l’auberge.”
 
“Ceria !”
 
Erin regarda les deux mages un peu plus bas sur la colline et Brunkr gronda. Ceria était avec Pisces, sa main squelettique pointée sur la poitrine de Brunkr. Pisces ne bougea pas. Il tenait un hamburger et tentait de fourrer ce qu’il en restait dans sa bouche.
 
“Cela ne vous concerne pas, mages. Allez-vous-en.”
 
Pisces avait l’air de réfléchir à la proposition, mais Ceria se contenta de plisser les yeux.
 
“Lâche Erin. Tu ne commettras pas de meurtre en ma présence.”
 
Brunkr fronça les sourcils d’un air sombre en dévisageant la demie-Elfe. Il indiqua la porte d’un mouvement de tête en tenant le bras et la jambe d’Erin.
 
“Elle mérite la mort.”
 
“Ce n’est pas à toi d’en décider.”
 
“Vous ne pouvez pas nous en empêcher.”
 
En disant cela, Brunkr souleva Erin au-dessus de sa tête et la jeta de toutes ses forces sur les deux mages. Erin sentit le monde tournoyer autour d’elle lorsqu’elle fendit les airs.
 
Bordeeeeeeeel…
 
Erin s’écrasa sur Ceria et Pisces et tenta tant bien que mal de se relever. Elle n’y parvint pas. Son souffle était coupé, et elle ne pouvait que se tordre de douleur au sol. Pisces grognait, mais Ceria leva sa main squelettique et cria.
 
“[Bourrasque Glacée] !”
 
Étendue au sol, Erin entendit un souffle puis le bruit de quelque chose de lourd s’écraser au sol. Elle leva les yeux juste à temps pour voir la demie-Elfe catapulter un autre Gnoll dans les airs dans une énorme bourrasque de neige.
 
Brunkr gronda et dévala la colline en direction de Ceria. Elle leva un doigt et pointa.
 
“[Rayon de Givre].”
 
Un fin rayon de lumière miroitante sortit de son doigt et frappa le bouclier de Brunkr qui l’avait levé juste à temps. La glace qui se forma sur le bouclier et le froid intense firent grogner le Gnoll de douleur, mais il ne s’arrêta pas.
 
“Pisces.”
 
“Je suis là. Agh. Springwalker, tu peux faire quelque chose pour le sol ? Ils ne sont peut-être pas des guerriers, mais ils sont nombreux.”
 
Pisces se releva et se frotta la tête. Il leva une main et lança une orbe de feu sur Brunkr qui essayait d’avancer. Le Gnoll tenta d’esquiver, mais Pisces tordit la main et la boule de feu contourna le bouclier et frappa le Gnoll en pleine poitrine.
 
Erin entendit un hurlement de douleur et sentit l’odeur de fourrure brûlée, mais elle vit alors qu’un Gnoll avait réussi à enfoncer légèrement la porte de son auberge. Elle ne savait pas comment elle avait réussi à se lever et à parcourir la distance qui la séparait de la porte si vite, mais elle se retrouva sur son dos à le cogner de toutes ses forces.
 
Bats-toi. Esquive, frappe, du poing, du pied. Erin avait l’impression d’apprendre de nouveau à se battre avec Calruz, sauf que cette fois-ci, elle était encerclée. Et elle recevait des coups. Les Gnolls n’étaient ni un Minotaure amical, ni même Toren. Ils n’étaient pas armés, mais ils commençaient à se lasser de retenir leurs coups.
 
Erin était au milieu des combats, cognant, esquivant, et prenant des coups. Erin chancela lorsqu’une patte poilue lui fit voir mille chandelles et elle frappa plusieurs fois le Gnoll qui lui faisait face. Ils étaient tellement nombreux. Et ils étaient en colère !
 
Brunkr était à la porte et essayait de la réduire en miettes. Mais même sa force ne suffisait pas à démolir la construction Antiniume si facilement. Le bois était en train de se fendre, mais le Gnoll qui faisait face à Erin était trop rapide pour qu’elle l’esquive, et il ne cessait de la cogner.
 
Erin tituba et sentit un goût de sang dans sa bouche lorsque le Gnoll lui porta un nouveau coup. Elle sentit les ténèbres commencer à envahir sa vision et vit un poing foncer au niveau de son ventre.
 
Mais le poing du Gnoll ne rencontra pas de chair, mais un bouclier de bronze, et lorsque le Gnoll grogna de douleur, une épée lui transperça les entrailles.
 
Toren tordit son épée et le Gnoll recula, hoquetant de douleur. Erin regarda stupidement le squelette repousser le Gnoll en arrière et ce dernier s’écrouler sur le dos. Toren arracha son épée de son ventre et la leva dans les airs.
 
Non !
 
Brunkr avait vu le squelette et il se détourna de ses adversaires. Il lâcha un Pisces salement amoché.
 
Toren portait une armure. Et il avait un heaume ! Qui faisait partie de l’armure, certes, mais… la tête d’Erin lui tournait. Pourquoi Toren était-il ici ? Non… pourquoi avait-il une armure ? Et pourquoi était-il si… grand ?
 
Mais le squelette avait lâché son bouclier et tenait à présent son épée émoussée à deux mains. Il la leva au-dessus du Gnoll qui se protégeait futilement le visage de ses mains et Erin comprit qu’il s’apprêtait à tuer le Gnoll qui l’avait attaquée.
 
“Toren ! Arrête !”, cria Erin, désespérée, tentant de forcer l’oxygène à pénétrer dans ses poumons. Elle tendit la main vers Toren tandis que Brunkr se précipitait sur lui.
 
Le squelette hésita. Il baissa les yeux sur le Gnoll écroulé à ses pieds, et se mit à baisser son épée. Il se tourna vers Erin et une flèche lui perça l’arrière du heaume et lui fit éclater le crâne.
 
Des fragments de quelque chose de rouge, comme du sang, jaillirent des orbites et de la bouche du squelette. Erin hurla en voyant Toren s’écrouler par terre.
 
Brunkr baissa son épée, désorienté, et le reste des Gnolls se retournèrent. Erin fit volte-face, et le Gnoll devant elle profita de cette opportunité pour lui saisir le bras. Il allait la jeter au sol lorsqu’une flèche lui transperça le genou et l’envoya s’étaler au sol.
 
Les Gnolls clignèrent des yeux en voyant des flèches se mettre à les abattre de loin. Erin hoqueta de soulagement et Brunkr hésita, et c’est ce moment-là que choisirent les quatre membres de l’équipe Or répondant au nom de la Chasse aux Griffons pour charger dans la bataille.




***


Halrac prit une flèche dans son carquois à sa ceinture et la tira d’un seul mouvement fluide. Sa deuxième flèche transperça les jambes d’un Gnoll et l’énorme bête s’effondra en rugissant.
 
L’[Éclaireur] ne savait jamais différencier les gens couverts de fourrure et ne savait donc pas si c’était un mâle ou une femelle, mais ça n’avait pas vraiment d’importance. Les deux sexes étaient dangereux, donc Halrac tira d’autres flèches sur les Gnolls, visant leurs ventres ou leurs jambes pour entraver.
 
Ses tirs n’étaient pas létaux, et ses flèches n’étaient pas équipées de points. Il avait un type de flèches spécial pour se battre contre les gens, et ses flèches bluntées avaient beau pouvoir causer pas mal de dégâts, comme des fractures, elles ne tuaient pas, surtout avec la quantité de potions de soin disponibles.
 
“Que quelqu’un aille chercher la fille !”, hurla-t-il à ses trois camarades qui l’entouraient. Ulrien fonça en direction de l’humaine qu’ils avaient vue se faire attaquer tandis que Revi et Typhenous le flanquaient. C’était leur formation habituelle, et Halrac sur ce qu’ils allaient faire avant même qu’ils ne parlent.
 
Typhenous
 
“Laissez-moi une minute et j’aurai couvert la zone de toiles.”
 
Typhenous leva sa baguette et se mit à la pointer sur le sommet de la colline. Le vieux mage regarda plusieurs Gnolls se tourner vers lui sans une once d’inquiétude. Halrac continua de tirer dans la mêlée qui entourait l’humaine, protégeant à la fois la fille et la porte. Il pouvait entendre une autre fille crier à l’intérieur. Il allait falloir qu’ils atteignent l’auberge et qu’ils protègent les deux d’une manière ou d’une autre.
 
Mais au lieu de profiter de leur attaque surprise pour s’enfuir, la fille reculait vers sa porte. Et elle se battait !
 
Elle donna plusieurs coups de poing dans la poitrine d’un Gnoll qui essayait de la frapper et esquiva son coup. Halrac jura en tirant sur un énorme Gnoll équipé d’un bouclier et d’une épée. Le Gnoll était clairement une sorte de guerrier, il bloquait tous ses tirs en avançant sur la fille.
 
“Par tous les monstres d’Izril, qu’est-ce qu’elle… Revi !”
 
“Je la vois. Calme-toi.”
 
Revi était en train de sortir de bouts de tissu de ses bourses. Elle en jeta trois dans les airs, et des silhouettes miroitantes apparurent.
 
“Guerriers ! Protégez-nous ainsi que cette fille !”
 
Trois guerriers armés - deux mâles et une femelle - apparurent dans les airs et fondirent sur les Gnolls qui avaient essayé d’attaquer les trois aventuriers. Ils tailladèrent les Gnolls et leur rentrèrent dedans de plein fouet. Même le fantôme le plus faible de Revi avait une force semblable à celle d’un aventurier classé Argent, bien supérieure à celle de combattants inexpérimentés.
 
Mais les Gnolls en colère étaient nombreux et la Chasse aux Griffons n’allait pas se mettre à tuer des civils. Halrac balaya la scène du regard en encochant une nouvelle flèche et examina les deux mages en train de combattre les Gnolls de l’autre côté.
 
Une autre équipe Or… ? Non, ils utilisaient des sorts de bas niveau. L’un d’eux jetait des petites orbes de flammes sur les Gnolls pour les tenir à distance tandis que l’autre avait gelé le sol autour d’eux pour le rendre instable tout en leur jetant de grosses bourrasques de neige à la figure qui les envoyait s’étaler au sol.
 
Puis Halrac écarquilla les yeux et il donna un coup de coude à Revi. L’[Invocatrice] baissa la baguette avec laquelle elle était en train de lancer des éclairs d’énergie magique et hoqueta.
 
“Dieux. Il se relève. Ulrien !”
 
“Je le vois.”
 
Le guerrier avait interrompu sa charge en direction de la fille. Il incurva sa course pour se rendre vers le squelette dont Halrac avait fait exploser le crâne et qu’il pensait avoir de nouveau tué. Les esquilles d’os autour de la tête du squelette étaient en train de se reformer, et il se remettait sur ses pieds, secouant la tête d’une manière très humaine.
 
Ulrien ne lui laissa pas l’occasion de se remettre. Il leva son épée longue et lui porta un coup oblique lorsque le squelette se retourna. La lame du colosse n’était pas bien aiguisée, mais la puissance du coup faillit tout de même transpercer l’armure.
 
Le squelette s’écroula de nouveau au sol, colonne vertébrale brisée, lorsqu’Ulrien posa sa botte sur l’armure brisée et libéra son épée. Il leva l’épée pour terrasser entièrement la misérable créature.
 
Toren !
 
Une voix arracha Halrac à la scène. Quelqu’un se précipitait vers Ulrien. C’était la fille. Lorsqu’il se tourna, la fille passa sous sa garde et lui assena un crochet du droit qui le fit chanceler. Ulrien étant protégé par de nombreux enchantements, il était plus choqué que blessé. Il leva une main, et le squelette profita de ce moment pour lui transpercer les jambes.
 
Halrac ouvrit la bouche, surpris, mais ses mains bougèrent plus vite que son cerveau incrédule. Il était en train d’ajuster un tir non létal pour assommer la fille lorsqu’il vit quelque chose voler dans sa direction.
 
L’[Éclaireur] esquiva d’un cheveu le fin faisceau de magie. Il vit que la demie-Elfe était en train de le viser lui, et réalisa soudain que l’arc de feu de l’autre mage venait de s’étendre dans leur direction, à Revi, Typhenous et lui.
 
Halrac cligna des yeux en voyant les deux mages et l’aubergiste se mettre à les combattre, eux. Bouche-bée, il sentit une pierre craquer sur son épaule puis la fille se mit à rouer Ulrien de coups.
 
“Dieux morts ! Qu’est-ce qu’ils fabriquent ?”
 
Halrac dut se réfugier derrière les boucliers magiques que Typhenous et Revi était en train d’ériger. Son épaule était en feu, malgré l’armure de cuir qui l’avait protégé du tir de la fille. Il jeta un regard à Revi au moment où tout le monde, Gnolls, demie-Elfe, et Humains, décidaient soudain qu’ils voulaient s’allier contre eux.
 
“Il y en a d’autres qui arrivent de la ville. Tue ce squelette - je vais les retenir.”
 
“Attends. Typhenous. Ne fais pas…”
 
Halrac n’eut pas le temps de prévenir le mage. Revi et Typhenous se tournèrent et se mirent à jeter des sorts sur un autre ennemi. Halrac jura et vit qu’Ulrien était à présent en train d’essayer à la fois de repousser la fille hystérique et de combattre le Gnoll au bouclier et à l’épée. Ça allait de mal en pis.
 
Et le squelette bougeait toujours. Pour une raison inconnue, même les dégâts que lui avait infligés Ulrien étaient en train de se résorber, mais lentement. Est-ce que ses réserves de mana commençaient à s’épuiser ? Halrac n’en savait rien, mais il tira tout de même une flèche spéciale de son carquois, dans le doute. Celle-ci brûlerait même les os de la maudite créature.
 
Halrac encocha la flèche, visa, puis tout s’enflamma.



***


Zevara détestait les Humains. Non pas juste parce qu’ils ressemblaient à des cochons roses et rasés, et qu’ils puaient, mais parce qu’ils créaient toujours des problèmes.
 
Certes, les Drakéides et les Gnolls causaient toujours des problèmes aussi, et Zevara était certaine qu’elle était en train de mettre les pieds dans un problème de Gnolls en ce moment même, mais elle était également certaine que c’étaient les Humains qui avaient envenimé les choses.
 
Une humaine en particulier. Et comme Zevara avait déjà vu exactement ce qu’il se passait lorsqu’Erin Solstice était dans les parages, elle avait apporté des renforts.
 
“Relc, je veux que tu ailles là-dedans et que tu brises quelques crânes. N’utilise pas ta lance sauf si tu n’as pas le choix.”
 
Le Drakéide musculeux sourit à Zevara.
 
“Pas de problème, Capitaine !”
 
“Klbkch. J’aurai peut-être besoin de Soldats si les Gnolls commencent à se révolter.”
 
“Nous garderons un œil sur la situation.”
 
Klbkch et Relc n’étaient pas le seul duo de Gardes Vétérans de la ville, mais à eux deux, ils représentaient la plus grande force de frappe de la Garde. L’Antinium hocha la tête à l’attention de Zevara lorsqu’elle les mena, ainsi qu’un groupe de Gardes, au sommet de la colline où se trouvait l’auberge.
 
“J’ai entendu dire qu’un autre groupe d’aventuriers Or ont rejoint la bataille. Comment devons-nous nous y prendre ?”
 
“Laissez Relc s’occuper d’eux. J’essaierai de les convaincre de baisser les armes.”
 
“Qu’est-ce qu’ils font là, d’abord ? Est-ce qu’Erin les a embêtés eux aussi ?”
 
Zevara gronda et accéléra le pas. Elle ne voulait pas de ces aventuriers dans sa ville, mais elle n’avait aucune envie de se battre contre une compagnie Or.
 
“Qu’importe la raison pour laquelle ils se battent ? Ce sont des aventuriers. Ils se précipitent dans les bagarres comme des mouches acides ! À présent…”
 
Son [Instinct de Survie] qui avait sonné dans un coin de sa tête toute la soirée augmenta brutalement de volume et Zevara plongea tandis que quelque chose de collant passait juste à côté d’elle. LA substance s’écrasa sur deux Drakéides qui glapirent lorsque la balle de toile se déplia et les cloua sur place.
 
“Dispersez-vous ! Relc !”
 
Il était déjà parti. Zevara le vit sprinter vers l’énorme aventurier armé d’une épée longue et d’un Gnoll - l’un de ceux qui venaient d’arriver en ville - équipé d’un bouclier et d’une épée.
 
Zevara était plus inquiète au sujet des mages, toutefois. Elle avait reconnu Ceria et Pisces - ils échangeaient des sorts avec mages et un archer tandis que des Gnolls fonçaient sur eux. Devant ses yeux, l’un d’eux souleva Pisces qui se mit à hurler puis jeta le mage dans la pente tout en écrasant Ceria sous une patte.
 
Les aventuriers Or se débrouillaient mieux. Trois guerriers chatoyants les défendaient, et Zevara les reconnut comme étant des êtres invoqués par un [Invocateur]. Ils écrasaient les Gnolls avec une efficacité dépourvue de toute pitié. L’un des mages lançait des éclairs de magie qui faisaient s’envoler les gens, et l’autre recouvrait groupe après groupe de toiles collantes.
 
C’était ce groupe que Zevara devait arrêter. Elle s’avança vers eux d’un pas décidé et leur cria :
 
“Nous sommes la Garde ! Lâchez vos armes et cessez immédiatement le combat !”
 
Aucun combattant en train de se battre autour de l’auberge ne l’entendit. Zevara n’avait pas la compétence [Voix de Stentor], et c’était à ces moments-là qu’elle le regrettait.
 
Mais sa voix attira tout de même l’attention des aventuriers Or et de l’un des spectres fantomatiques à leurs côtés. Le guerrier basané se tourna et les chargea. Zevara saisit la garde de son épée, mais une forme brune apparut devant elle et vint à la rencontre du fantôme dans un jaillissement d’étincelles.
 
“Klbkch !”
 
L’Antinium esquiva le coup que le guerrier spectral tenta de lui assener de son énorme hache en le forçant à reculer. Zevara plongea lorsqu’elle vit l’un des aventuriers lever sa baguette et engloutir trois de ses Gardes et autant de Gnolls sous une toile collante.
 
Zevara pointa son épée en direction de mage qui venait de jeter le sort. Elle se mit à avancer vers lui en criant.
 
Assez ! Cessez immédiatement ! Lâchez votre baguette et…”
 
Elle ne put rien ajouter de plus. Le missile magique fonça droit sur elle et Zevara le bloqua avec son épée. La force de l’impact fit voler la lame hors de sa main et la Capitaine de la Garde recula en titubant. Elle leva les yeux et vit une autre mage, une femme avec des coutures autour du cou et de ses bras, en train de lui pointer une baguette dessus.
 
C’en était assez. Zevara siffla. Elle prit une grande inspiration et cracha du feu sur les aventuriers. L’un d’entre eux poussa un cri paniqué, mais le vieil homme à la baguette la leva et cria.
 
“[Barrière d’Air] !”
 
Les flammes s’écartèrent puis disparurent en se heurtant à un mur de bourrasques de vent. Zevara regarda ses flammes se dissiper, et jura intérieurement. Elle prit une grande inspiration, et souffla un jet de flammes plus puissant.
 
Là encore, les flammes se dissipèrent, mais le mage fut forcé de lever ses deux mains pour maintenir le sort. Zevara hoqueta, à bout de souffle. Le monde s’assombrit et tout devint gris comme à chaque fois qu’elle faisait usage de son droit de naissance, et elle essaya d’inhaler. Mais elle ne pouvait pas se permettre d’arrêter de cracher du feu. Elle prit une autre inspiration, et les mages se mirent à lui lancer des sorts. Ses gardes répondirent au feu avec des sorts et des flèches, et la seule pensée consciente de Zevara lui susurra qu’il était heureux qu’Olesm ne soit pas avec elle. Ainsi, il ne la verrait pas massacrer cette maudite humaine.


***

Loin sous la surface, Olesm marqua une pause tandis que Pion et Bird levaient tous les deux les yeux au plafond. Il hésita, un fou entre ses griffes.
 
“Quelque chose ne va pas ?”
 
Les deux Antiniums le dévisagèrent en silence, puis secouèrent la tête.
 
“Non.”
 
“Rien.”
 
“Oh. D’accord alors.”
 
Olesm avança une pièce et fronça les sourcils tandis que Bird et Pion étudiait le plateau. Il lança un regard en coin aux autres Ouvriers et à Ksmvr qui regardait la partie en silence.
 
“... Est-ce que quelqu’un ici aurait quelque chose à boire ?”
 

 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 18 novembre 2020 à 23:50:11

2.26 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia
 
***

Ulrien, Capitaine de la Chasse aux Griffons et aventurier Or, avait un problème. Il se battait contre deux ennemis à la fois, ce qui ne serait pas un problème d’ordinaire, mais il ne pouvait en tuer aucun. L’un des deux était un Gnoll avec une épée et un bouclier qui lui donnait du fil à retordre. Il était plus doué qu’un aventurier Argent, mais son équipement n’était pas magique, et Ulrien pouvait donc bloquer ses coups avec son épée longue enchanté et le repousser grâce à sa force supérieure.
 
Mais la deuxième était une humaine qu’Ulrien avait cru être en train de sauver, et elle était pénible. Elle ne cessait de lui donner des coups de pied dans son dos dépourvu de protection, et des coups de poing dans les flancs, sans cesser de crier. Cela ne lui faisait pas très mal - malgré son manque d’armure, Ulrien avait plusieurs anneaux enchantés qui absorbaient la force des impacts, mais cela le décontenançait.
 
“Nous ne sommes pas tes enn…”
 
Ulrien grogna lorsque la fille s’écrasa de tout son poids sur son flanc, et le Gnoll se précipita en avant pour lui rentrer dedans avec son bouclier. Le colosse gronda et se déchaîna, assommant le Gnoll. Il tenta de frapper la fille…
 
Et quelqu’un lui attrapa le poing.
 
Le corps entier d’Ulrien fit une embardée lorsque toute l’énergie qu’il avait accumulée se heurta à ce qui lui avait saisi le poing. Il se tourna et vit un Drakéide souriant et aussi grand que lui.
 
“Hey. Jolie épée.”
 
Relc leva le poing et cogna Ulrien, propulsant l’aventurier en arrière devant les yeux ébahis d’Erin. Mais l’instant ne dura qu’une seconde ; elle entendit le grognement de Brunkr qui lui fonçait dessus. Erin plongea et se jeta de tout son poids dans les côtes du Gnoll, mais Brunkr la cueillit alors d’un poing qui la fit se réveiller au sol un instant plus tard.
 
“Tu es peut-être un type costaud, mais je…”
 
Le Drakéide esquiva juste à temps le coup qu’Ulrien lui renvoya. Relc bondit en arrière et sa lance plongea sur Ulrien, le manche en avant, forçant l’aventurier à reculer sous ses assauts répétés.
 
“Hey ! Lâche ton arme ou je vais devoir te blesser, d’accord ?”, hurla Relc, mais Ulrien n’avait aucune envie de se rendre. Il ne cessait de fouetter l’air de sa grande épée, fendant l’air à grands coups puissants et dévastateurs qui forcèrent Relc à reculer d’un bond. LE Drakéide éclata de rire en martelant la poitrine d’Ulrien de sa lance.
 
“Tu vas devoir être plus rapide que ça ! Tu… holà !”
 
Une flèche vola droit sur son visage. Relc l’attrapa en plein vol, mais cela créa une ouverture pour Ulrien qui bondit en avant, épée au clair, et Relc leva sa lance pour le bloquer.
 
L’épais manche de bois se fendit puis se brisa net lorsque la lame le traversa. Relc jura et bondit en arrière tandis qu’Ulrien continuait ses assauts, visant les côtes du Drakéides du plat de sa lame.
 
Le Drakéide regarda fixement la lance brisée qui gisait entre ses serres. Ses yeux s’étrécirent. Relc leva le manche cassé de sa lance et en frappa plusieurs fois Ulrien, forçant le colosse à se mettre sur la défensive.
 
Ils étaient mal assortis. Ulrien grinça des dents et il accéléra la cadence de ses coups, mais il ne pouvait pas toucher le Drakéide, malgré sa taille imposante. Et il craignait de réellement toucher le Drakéide de peur de le tuer…
 
Relc n’avait pas ce genre de scrupules. Lorsque Ulrien bloqua l’un de ses coups, Relc recula et tourna vivement sur lui-même. Entraînée par l’accélération de son corps, la queue de Relc gifla Ulrien au visage juste avant qu’il ne le projette en arrière d’un coup de pied fouetté.
 
Le Drakéide éclata de rire et donna un coup de pied qui arracha l’épée longue des mains d’Ulrien. Il leva sa lance brisée dans les airs en pavoisant.
 
“Hah ! Qui est le proch…”
 
Relc esquiva vivement une autre flèche bluntée qui arrivait dans sa direction. Halrac baissa son arc et tira une autre flèche. Sa pointe ressemblait à de la glace, et elle luisait d’une lumière bleue.
 
“Oh ?”
 
***

Halrac visa droit sur le torse du Drakéide. Il était certain que ce dernier survivrait à son tir ; la preuve en était son combat contre Ulrien. Ce maudit Drakéide pouvait esquiver ses flèches, mais celle-ci était magique ; elle exploserait dès qu’elle serait à portée du Drakéide, qu’il l’esquive ou non.
 
Le Drakéide était en train de le regarder, écartant les bras en criant quelque chose. Halrac ignora ses provocations et tendit sa corde le plus possible. C’était le moment d’activer une compétence. Il l’énonça lorsque ses doigts lâchèrent la flèche.
 
“[Tir Préc...]
 
Quelque chose entra en collision avec son arc et lui fit perdre sa cible des yeux. Halrac jura, se tourna, flèche toujours encochée, et se figea.
 
“Bien. Ça suffit, Halrac. Sauf si tu souhaites vraiment nous créer des ennuis avec la ville ?”
 
Une femme pâle était debout juste à côté d’Halrac et le dévisageait d’un air dur. Il leva les yeux, et la reconnut instantanément. D’après la pâleur mortelle de sa peau, la cotte de maille noire qu’elle portait et ses yeux parfaitement noirs, elle ne pouvait être qu’une personne, du moins sur ce continent.
 
“Jelaqua Ivirith.”
 
L’aventurière affichait un air nonchalant et tenait son fléau d’armes à trois têtes d’une main. Elle ne l’avait pas levé, mais Halrac s’immobilisa.
 
“Halrac. Ravie de te revoir.”
 
“Qu’est-ce que tu fais, par tous les enfers ?”
 
“Je t’arrête. Je devrais plutôt te demander ce que tu crois faire, combattre la Garde et des civils comme ça.”
 
Halrac regarda furtivement le grand Drakéide.
 
“C’est un garde ?”
 
“Le meilleur de Liscor. Il est relativement célèbre au sud du continent.”
 
Le Drakéide dévisageait Jelaqua, et il avait cessé de sourire. Elle lui fit un clin d’œil, et il fit la moue.
 
“On va se calmer, hm ?”
 
Halrac n’était pas certain de vouloir lui obéir, mais il était à portée de son fléau. Il regarda par-dessus son épaule et vit que les deux compagnons de Jelaqua avaient également rejoint la bataille.
 
Un homme gigantesque, de deux mètre cinquante voire trois mètres, était devant Typhenous. Le vieux mage hésita en voyant le sourire du géant. Ce dernier arrivant était un aventurier vêtu de vêtements rapiécés, mais il tenait entre ses mains un énorme bâton surmonté d’une orbe qui scintillait. Il hocha poliment la tête pour saluer Typhenous.
 
Les lèvres du vieux mage s’incurvèrent. Il leva les yeux sur le petit géant, sa propre baguette s’illuminant de magie.
 
“Moore.”
 
“Baisse ta baguette, Typhenous. Je ne veux pas d’ennuis.”
 
“Tu ne peux pas m’en empêcher. Tu ne m’arrives pas à la cheville en termes de magie.”
 
Moore poussa un immense soupir, et se frotta le menton de ses doigts semblables à des saucisses bien dodues.
 
“Je n’aimerais pas me disputer avec toi à ce sujet, mais je t’en empêcherai si le besoin s’en fait sentir.”
 
Les deux mages se dévisagèrent, puis Typhenous leva sa baguette et la pointa sur l’aventurier.
 
“[Entraves d’Eltraz…]”
 
Le géant ne leva pas son bâton. Il se contenta d’avancer et de donner un coup de pied à Typhenous avant que le mage n’ait pu terminer de lancer son sort. Le vieil homme, le souffle coupé, s’effondra par terre.
 
Moore soupira et se pencha sur le mage. Il planta un doigt sur le dos de l’homme qui tentait de se relever.
 
“Tout va bien de mon côté, Jelaqua.”
 
Jelaqua hocha la tête et Halrac serra les dents. Revi s’était interrompue, et il la voyait hésiter. Deux de ses tissages guerriers étaient tombés pendant son combat contre la Drakéide en colère qui crachait du feu, et des volutes de magie s’échappaient de leurs blessures, mais elle avait plongé une main dans sa bourse. Halrac secoua légèrement sa tête dans sa direction. Ce n’était pas le moment de gaspiller sa magie ou ses tissages.
 
“Voilà un homme sage. Espérons à présent que ton chef sera aussi sensé que toi.”
 
Halrac vit Jelaqua pointer quelque chose du doigt, et le dernier membre de son groupe apparut. Un grand homme au visage émacié, la moitié de son corps recouverte par ce qui semblait être une… une carapace, était arrivé à côté d’Ulrien et tenait une dague dans la main. Son autre main, ou plutôt, son bras était recouvert d’un champignon sombre à chaque segment et se terminait par une pince de crustacé au lieu d’une main.
 
Ulrien.
 
“Seborn.”
 
J’espère que tu ne vas pas continuer à te battre. Cela me semble inutile, au regard des circonstances.
 
Ulrien jeta un regard à Relc et haussa légèrement les épaules.
 
“Ça dépend. Mais nous ne nous battrons pas contre vous sauf si nous avons une bonne raison”.
 
Ça se tient. Je doute que notre Capitaine n’ait envie que le conflit ne poursuive plus que nécessaire.
 
Les deux… hommes… hochèrent la tête. Ulrien regarda autour de lui et leva légèrement son épée longue tandis que Relc fusillait les deux aventuriers du regard.
 
“Vous voulez vous battre ? Hein ?”
 
La personne connue sous le nom de Seborn se décala légèrement. Il inclina sa dague en arrière et se tourna légèrement en direction de Relc plutôt que d’Ulrien. Les deux aventuriers dévisagèrent le Drakéide, et Relc leur rendit un regard noir. Ils restèrent dans cette impasse jusqu’à ce qu’Erin s’écrase au centre du trio en martelant Brunkr de coups de poings. Le Gnoll lui rendait ses coups.
 
***

“Tu vas regretter ça !”, rugit Brunkr alors qu’Erin esquivait un autre coup de poing. Il n’était pas rapide, mais il était fort et endurant ! Elle le cognait de toutes ses forces, mais il ne cessait jamais de l’attaquer !
 
“Je ne te laisserai pas lui faire de mal ! Arrête ! Va-t’en !”
 
Elle fondit sur lui et lui donna un bon coup de pied dans les jambes, mais il se contenta de grogner et de lui foncer dessus. Elle courut à reculons, esquivant ses coups.
 
Erin était vaguement consciente qu’il se passait quelque chose. Elle ne voyait plus de Gnolls devant la porte de son auberge, et elle pensait que d’autres personnes étaient arrivées, mais toute son attention était focalisée sur Brunkr. Son visage était déformé par la rage.
 
“Tu te bats à la manière des faibles, non ? Qui t’a appris à te battre ?”
 
“Un Minotaure ! Et c’était le meilleur combattant du monde !”, hurla Erin en assénant un solide coup de poing dans la mâchoire de Brunkr. Il lui retourna un revers tellement puissant qu’Erin crut qu’il lui avait déchaussé quelques dents. Elle vacilla.
 
“Tu es faible. Ce Minotaure était un mauvais professeur.”
 
“C’est faux !”
 
La tête lui tournait, mais elle ne pouvait pas se permettre de s’écrouler. Elle serra les dents et se précipita sur Brunkr en ignorant le coup qui avait fait disparaître le monde autour d’elle pendant un bref instant.
 
“Il m’a tout appris ! À moi ! À attaquer ! Il m’a appris à attaquer !”
 
Elle était juste devant Brunkr. Erin planta fermement ses pieds au sol et se mit à lui marteler le torse en hurlant. Elle était hors de tout. Elle ne savait même plus ce qu’elle disait ; son esprit et son corps étaient tous les deux occupés à cogner.
 
“Minotaure ! Attaque ! Minotaure… [Attaque du Minotaure] !”
 
Quelque chose s’enclencha dans la tête d’Erin. Elle sentit quelque chose changer en elle, puis sentit son poing entrer en collision avec l’estomac de Brunkr. Mais au lieu de rebondir mollement sur son corps recouvert de fourrure, son poing cogna le Gnoll et le propulsa en arrière.
 
Brunkr toussa, et Erin regarda fixement son poing. Il serra ses bras sur son ventre, mais il se redressa et rugit, le poing levé. Erin leva le sien plus vite que lui.
 
“[Attaque du Minotaure] !”
 
Contrairement à son [Coup Foudroyant], cette compétence fonctionna deux fois d’affilée. Erin cogna Brunkr tellement fort qu’elle sentit l’impact se propager dans son bras, et il se plia en deux et vomit de la nourriture tachée de sang. Erin recula en titubant. Son bras tremblait, mais elle ne céda pas de terrain.
 
Il se passait quelque chose autour d’elle. Erin vit Relc - attendez, Relc ? - virevolter devant elle en combattant deux aventuriers à la fois. L’un d’entre eux avait un… champignon qui lui recouvrait le visage et une pince de crabe sur une main ?
 
Que se passait-il donc ? Erin regarda autour d’elle, médusée, et vit l’archer qui avait attaqué Toren fuir en roulant par terre une femme armée d’un fléau d’armes. Et Toren était debout et se battait avec les Gnolls qui restaient à la porte de l’auberge, Lyon hurlait, Ceria avait été coincée par Zevara et…
 
Qu’est-ce qui était en train de se passer ?  Erin vacilla. Le monde tournait toujours autour d’elle, mais son sang bouillait encore. Ses amis se battaient contre des inconnus, et les Gnolls essayaient toujours de pénétrer dans l’auberge. Erin avait la nausée. Elle voulait vomir, mais elle voulait encore plus que tout le monde arrête de se battre.
 
Ce besoin grandit dans la poitrine d’Erin, jusqu’à ce qu’elle ait l’impression qu’il s’agissait d’un animal cherchant à s’échapper. Et Erin avait presque l’impression de sentir ce désir flotter dans les airs. Cela ressemblait à de la chaleur, et la sensation entourait son auberge. Elle ouvrit la bouche, et hurla.
 
Arrêtez tous !




***


L’explosion de bruit fit sursauter Halrac et il faillit se prendre un coup du fléau d’armes vicieux de Jelaqua dans l’épaule lorsqu’il roula au sol pour lui échapper. Il leva son arc, mais sentit alors ses bras s’alourdir.
 
L’atmosphère changea lorsque l’aubergiste hurla. Le corps d’Halrac devint soudain incroyablement lourd - il pouvait toujours bouger, mais il avait l’impression que quelque chose d’énorme lui appuyait dessus.
 
Jelaqua s’arrêta, le fléau levé, et se tourna vers l’auberge. Les deux aventuriers virent que toute la colline s’était figée, saisie par la même force oppressante que celle qui les avait frappés.
 
“Une Compétence, sans doute. On dirait un effet d’aura.”
 
“Je peux encore bouger.”
 
L’aventurière aux yeux sombres jeta un regard noir à Halrac, agacée.
 
“Ce n’est pas ton combat, Halrac. Ton équipe va nous causer des ennuis à tous, c’est tout.”
 
Halrac hésita.
 
“Mais les Gnolls…”
 
“Vois par toi-même. La situation est devenue hors de contrôle. Arrête de te battre et discutons.”
 
Jelaqua le fusilla du regard en baissant son fléau d’armes. Halrac avait les doigts posés sur une flèche dans son carquois, mais il hésita. Il pouvait voir qu’elle l’observait. Lentement, il baissa son arc.
 
“Revi… Typhenous…”
 
Halrac se retourna et scruta les alentours. Typhenous était toujours à terre, et Revi restait parfaitement immobile. Il vit qu’elle se tenait les deux bras levés, sans bouger d’un pouce. C’était probablement afin d’éviter que les deux lames d’épée que le guerrier Antinium avait posé sur sa gorge ne la transperce.
 
“Je suggère que personne ne bouge. Cette bataille est à présent terminée.”
 
La voix de Klbkch était forte et portait loin, et contrairement à celle d’Erin, elle généra un silence qui lui était propre. De l’autre côté de la colline, les Gnolls cessèrent le combat et les gardes baissèrent leurs armes. Les tissages magiques de Revi restèrent figés sur place, et Relc, Ulrien et Seborn s’immobilisèrent au même moment.
 
Zevara se releva, et Klbkch baissa l’une de ses épées, en laissant l’autre au niveau de la gorge de Revi. Halrac pouvait distinguer les gouttelettes de sueur qui roulaient sur son visage.
 
L’Antinium regarda calmement autour de lui et inclina la tête en direction de la fille.
 
“Miss Solstice. Bien le bonjour. Je regrette la situation. Je vais faire de mon mieux pour la résoudre avec l’aide de mes collègues de la Garde.”
 
Tout le monde le dévisagea. Klbkch baissa lentement son autre épée, et Revi porta la main à sa gorge intacte. Elle leva un doigt tremblant et pointa lentement l’Antinium du doigt.
 
“Tu… tu fais partie de la Garde ?”
 
Klbkch acquiesça. Il la dévisagea de son visage insectile et dénué d’expression, et Halrac frissonna de peur et de dégoût.
 
“En effet. Je m’appelle Klbkch et je suis un Garde Vétéran de la Garde de la Ville de Liscor.”
 
Il se tourna vers le reste des combattants.
 
“Et il est de mon devoir de vous informer que vous êtes tous en état d’arrestation.”



***

Erin n’avait jamais été arrêtée lorsqu’elle était encore dans son monde. Elle était… avait été une personne normale qui ne faisait rien d’insensé, comme de déclencher des rixes massives. Elle n’avait dans tous les cas jamais pris de drogue, et, si elle avait goûté à l’alcool, c’était avec des clubs d’échecs, tard dans la nuit, là où la police ne venait que rarement à moins que quelqu’un ne se mette à renverser les échiquiers.
 
Mais elle était à présent en état d’arrestation, sauf que… non ?
 
“Je pense que l’incident n’était pas entièrement de ta faute, mais étant donné les dégâts subis par ton auberge et la violence qui s’y est déroulée, il apparaît selon moi que ton auberge devrait rester temporairement sous bonne garde.”
 
Ce fut l’explication que lui donna Klbkch, et qui signifiait simplement qu’une bande de Drakéides armés d’épées et d’archers à l’allure effrayante restaient postés autour de son auberge en prenant l’air menaçant tandis que Zevara criait sur des gens. La Drakéide s’était déjà défoulée sur Erin, bien que cette dernière ait expliqué ce qu’il s’était passé.
 
“Je me fous de savoir pourquoi tu as décidé de déclencher une bagarre avec la moitié des Gnolls de la ville ! Mais grâce à toi et à cette maudite voleuse, on se retrouve avec plus d’une trentaine de civils et de gardes blessés sur les bras !”
 
“Ce n’était pas ma faute ! Ils allaient la tuer !”
 
“Nous en avons tous les droits ! Elle a porté un grand préjudice à notre clan !”, lui hurla Brunkr hors de lui. Erin, de l’autre côté de Zevara serra les poings. Deux Gnolls le soutenaient, tous deux aussi amochés et couverts de sang que lui. Relc leva un poing menaçait, mais le Gnoll ne parut pas le moins du monde intimidé. Il grogna sur Erin et les gardes, et plusieurs levèrent leurs armes.
 
“Nous demandons justice !”
 
“Justice a été rendue ! Vous autres Gnolls êtes en train de violer la loi ! Et vous !”
 
Zevara fit volte-face et tendit le doigt en direction des aventuriers assis ensemble d’un air renfrogné.
 
Pourquoi avez-vous décidé de vous mêler au combat ?”
 
L’un des aventuriers, un homme vêtu de cuir noir et armé d’un arc, leva la tête et fusilla la Drakéide du regard. Il pointa Erin du doigt.
 
“Nous avons cru que les Gnolls étaient en train d’attaquer la fille. Et nous venions juste de voir un squelette se réanimer juste après que nous l’ayons détruit une fois. Nous avions peur qu’il s’agisse d’une espèce de Revenant et nous étions en train de le traquer.”
 
Zevara se tourna et regarda Toren d’un air appuyé. Le squelette portait toujours son armure, même si cette dernière avait été horriblement amochée par l’épée longue qui l’avait sectionnée en son milieu. Il dévisagea Zevara et elle se détourna avec un air de dégoût.
 
“Que les ancêtres me gardent des humains et de leur stupidité… et vous ? Quelle est votre excuse ?
 
Elle pointa du doigt les trois aventuriers qui avaient aidé à mettre fin à la bagarre. Erin regarda fixement la femme pâle aux yeux complètement noirs puis l’homme mi-crabe, mi-champignon et enfin le géant et son bâton. L’aventurière inclina la tête à l’attention de Zevara.
 
“Capitaine de la Garde. Nous avons entendu parler du conflit et nous sommes restés à l’écart jusqu’à voir la Chasse aux Griffons se joindre à la mêlée. Nous avons décidé d’aider à faire cesser le combat.”
 
Zevara adressa un regard glacial à Jelaqua, mais elle n’avait apparemment pas grand-chose à répondre à cela. Et ce fut en effet Brunkr qui se pencha en avant, forçant les deux Gnolls qui le retenaient à bander leurs muscles pour l’empêcher de s’échapper.
 
“Nous exigeons vengeance ! Nous aurons le cœur de la voleuse, Garde ou pas Garde ! Vous ne pouvez pas nous en empêcher !”
 
La Capitaine de la Garde se tourna vers Brunkr, et la furie avait envahi son regard.
 
“Si tu essaies de nouveau d’attaquer quelqu’un, je vous mets tous derrière les barreaux, toi et les Gnolls qui décideraient de te suivre !”
 
Le Gnoll gronda sur Zevara.
 
“Essaie pour voir. S’il m’arrive quoi que ce soit, la tribu des Crocs d’Argent entrera en guerre contre cette ville ! Nous ne nous arrêterons jamais !”
 
“Oh vraiment ? Alors c’est quelque chose que je veux entendre. C’est la première fois que j’entends cette nouvelle. Comment allons-nous défier la loi de Liscor, hmm ?”
 
Brunkr s’arrêta. Erin vit son expression de colère disparaître, et ses oreilles s’aplatirent soudain. Il se retourna avec appréhension.
 
Krshia était debout derrière Brunkr, les bras croisés, le visage de marbre. Selys passa la tête par-dessus l’épaule de la Gnolle et Erin aperçut une femme en armure derrière elle.
 
Yvlon inclina la tête en direction d’Erin et sourit. Elle était vêtue de l’armure d’argent qu’Erin avait repérée dans sa chambre. Elle avait aussi l’air en bien meilleure forme - son visage était presque guéri, et elle avait l’air parfaitement solide sur ses jambes.
 
Brunkr sembla rétrécir lorsque Krshia s’avança vers lui jusqu’à ce que leurs visages ne soient plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Il était plus grand que sa Tante, mais il se recroquevilla devant son regard. Il leva les mains dans l’espoir de l’apaiser.
 
“Ma tante…”
 
Elle l’attrapa par l’oreille, et Brunkr glapit comme un chien lorsque Krshia la tordit.
 
“Brunkr. Mes yeux, mes oreilles et mon nez doivent être en train de me tromper, non ? Sinon, comment se fait-il que je voie autant de Gnolls ici, alors qu’ils devraient être en ville ? Cela ne devrait pas être ainsi, non ? Ou ma parole ne te suffit plus, à présent ? Veux-tu déjà devenir Cheftain, hm ? Est-ce donc à cela que tu penses ?”
 
Il gémit et se mit à protester, mais Krshia se pencha et lui murmura quelque chose à l’oreille. Erin n’entendit pas ses mots, mais Brunkr écarquilla les yeux et se tut. Krshia l’entraîna à sa suite et soudain…
 
Tout était terminé.


***

“Je n’arrive pas à y croire. Cette… chose t’appartient ? Et tu la laisse se balader sans surveillance ?”
 
Erin voulait s’écarter de la mage furibonde répondant au nom de Revi. Elle regrettait déjà d’avoir proposé d’offrir un repas à tous ceux qui s’étaient battus. Les Gnolls étaient tous repartis en ville avec Krshia, mais sa salle commune était pleine de gardes et, malheureusement, d’aventuriers très en colère.
 
“Toren ? Eh bien, c’est Pisces qui l’a construit, et il est utile. J’imagine qu’il se balade de temps en temps, mais il ne fait de mal à personne, si ? Je veux dire, vous disiez qu’il était juste en train de se battre contre un… Golem de Neige ? Ce n’est pas très grave, si ?”
 
Un autre aventurier se pencha en avant. C’était… Halrac ? L’[Éclaireur]. Il avait l’air énervé et agacé, mais Erin n’avait pas vu son expression changer depuis tout le temps qu’il était à l’auberge.
 
“Franchement, Miss Solstice, n’importe quel mort-vivant représente une menace potentielle, et celui-ci a tué un tissage que nous avons envoyé à ses trousses. Votre serviteur est beaucoup plus intelligent qu’un mort-vivant ordinaire, ce qui devrait être impossible s’il n’est pas un Revenant.”
 
“Eh bien… c’est une bonne chose, non ?”
 
Erin vit le reste des aventuriers de la Chasse aux Griffons échanger un regard. Ulrien, le colosse qui ressemblait à une espèce d’haltérophile s’éclaircit la gorge et secoua la tête.
 
“Vous avez dit que l’un de vos clients l’avait animé ? Lequel ?”
 
“Pisces. Oh… il est à l’étage. Il dort. Je pourrais vous le présenter plus tard, si vous voulez.”
 
Erin pointa l’étage du doigt. Pisces dormait, et pour une fois elle ne lui avait pas disputé son droit à dormir dans un lit. Son visage avait horriblement gonflé après la bataille, et Brunkr et le reste des Gnolls l’avaient tabassé à répétition. Erin savait qu’elle avait une dette envers lui, même si elle n’aimait pas penser au nombre de repas gratuits que cela impliquerait.
 
“Je ne pense pas que ça aiderait.”
 
Ulrien secoua la tête, l’air troublé. Le dernier aventurier, un vieil homme du nom de Typhenous, baissa sa chope suffisamment longtemps pour jeter un long regard appuyé à Erin.
 
“Nous ne voulons pas vous accuser, Miss Solstice. Mais les morts-vivants sont dangereux, et celui-ci a plusieurs capacités étonnantes que nous n’avons jamais vu chez un squelette. Je resterais prudent, à votre place.”
 
Erin lança un regard en coin à Toren. Il circulait dans la pièce en remplissant les chopes que lui tendaient les gardes méfiants avec son efficacité habituelle. Elle ne voyait pas le problème. Elle aurait plutôt eu tendance à s’inquiéter pour Lyon.
 
La fille était d’une docilité inhabituelle depuis la fin du combat, et c’en était inquiétant. Elle obéissait même aux ordres, même si ce n’était pas très efficace. Erin grimaça en voyant la fille manquer trébucher et éclabousser de la soupe sur le dos d’un garde.
 
“Je le tiendrai à l’œil. Mais, hum, merci pour votre aide, je suppose. J’aurais eu des ennuis si vous n’aviez pas aidé à disperser les Gnolls.”
 
Halrac agita une main et grogna, imité par le reste des aventuriers qui assortirent leurs bruits et leurs têtes aux siennes. Revi fusilla Relc de l’autre côté de la pièce. Le Drakéide riait bruyamment à sa propre table où il était assis avec Klbkch, en descendant joyeusement sa chope du précieux alcool qu’Erin venait d’acheter en ville.
 
“Faites attention, voilà tout, et serrez plus la bride de cette créature.”
 
Erin acquiesça, et s’éloigna de la table en reculant. Elle était tellement occupée à s’éloigner qu’elle rentra dans quelque chose d’énorme et de solide derrière elle. Elle se retourna, et sursauta.
 
“Mille excuses, Miss Erin.”
 
Erin leva les yeux, puis les leva encore plus pour croiser le regard d’un immense visage qui la dévisageait d’un air penaud. Elle avait déjà vu le géant auparavant, bien sûr, mais elle avait été légèrement prise par les événements. Erin pouvait toutefois réaliser pleinement ce qu’elle était en train de contempler, à présent.
 
“... Hodor ?”
 
Le visage de Moore se froissa de confusion, mais il sourit et lui tendit tout de même une main massive.
 
“Je m’appelle Moore, m’dame. Je suis vraiment reconnaissant que vous m’ayez offert un repas aussi délicieux, mais je dois insister pour payer.”
 
“Quoi ? Oh non, il n’en est pas question. Tu es vraiment le bienvenu pour manger ici, surtout avec toute l’aide que tu m’as apportée ! Tu tout ce que tu veux ! De grosses quantités !”
 
Erin bafouilla en serrant doucement sa main - ou plutôt, quelques-uns de ses doigts. Moore sourit, et pointa le doigt sur la porte. Erin comprit qu’il essayait de sortir et s’écarta précipitamment de son chemin.
 
“Merci. Je pense que j’ai un peu trop bu. Je suppose qu’il y a peu d’espoir que vous ayez une latrine assez grande pour un géant en plus de votre gracieuse hospitalité ?”
 
“Quoi ? Oh, non. Oh, je n’en ai pas. Je suis tellement désolée !”
 
Moore secoua la tête et sourit à Erin.
 
“Je vous en prie, non. J’ai vraiment l’habitude de sortir du lot. Je me trouverai simplement un coin pour me, ah, soulager. Pas d’inquiétude.”
 
Il sortit de l’auberge en se penchant pour éviter de se cogner contre le chambranle de la porte. Erin entendit un rire, et se tourna pour voir les deux autres aventuriers assis à leur table.
 
“Je pense que tu as mis Moore dans l’embarras. Il n’a pas l’habitude que quelqu’un se préoccupe autant de lui.”
 
Erin s’approcha et vit que Ceria était assise avec Jelaqua et l’homme étrange répondant au nom de Seborn. Ses yeux furent irrémédiablement attirés par sa pince et la peau étrangement gonflée - ou était-ce de la moisissure - qui lui recouvrait la moitié du corps. Elle arracha son regard à cette vision lorsqu’il la regarda et sourit aux deux autres.
 
“Oh, je suis désolée. C’est juste qu’il est... je veux dire, je n’avais jamais vu qui que ce soit qui lui ressemble. C’est un, euh, un géant ?”
 
“Un quart de géant, ou plutôt un huitième de géant, plutôt. Il n’en est pas certain, mais ne t’inquiète pas pour ça.  Il a l’habitude d’être dévisagé, et nous aussi.”
 
Jelaqua se leva et tendit une main à Erin. Erin la serra et constata que la peau de la femme était moite et froide au toucher. Elle cilla, mais Ceria se pencha en avant pour lui expliquer.
 
“Ah, Erin. Ces aventuriers sont tous à moitié humains, comme moi.”
 
“Vraiment ? Je veux dire… oh. C’est plutôt cool ? Je veux dire, pas vraiment cool, mais c’est sympa ? Enfin non pas qu’être Humain ne soit particulièrement cool ou sympa ou que ne pas être humain soit mal, mais… hum. Désolée. Merci pour votre aide, et, euh, ravie de faire votre connaissance ?”
 
Erin rougit en balbutiant. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait dire, mais apparemment, elle avait dit ce qu’il fallait. Jelaqua cligna des yeux, puis éclata de rire. Même Seborn sourit, ou plutôt, la moitié de son visage sourit.
 
“Nous sommes ravis de faire la connaissance de quelqu’un avec une telle ouverture d’esprit, Miss Solstice. Nous t’aurions aidée dans tous les cas, mais j’avoue que nous avions une bonne raison de le faire.”
 
Jelaqua désigna Ceria d’un mouvement de la tête, et la demie-Elfe cligna des yeux, surprise. Seborn hocha la tête.
 
“C’est une chance que nous t’ayons trouvée ici. Nous avons une offre à te faire, Springwalker.”
 
Sa voix avait une résonnance curieuse, comme s’il parlait depuis l’intérieur d’une pièce. Ceria cilla, surprise, en dévisageant les deux aventuriers.
 
“Moi ? Je suis surprise que vous ayez entendu parler de moi.”
 
Jelaqua éclata de rire.
 
“Eh bien, on se tient au courant de ce que deviennent les gens comme toi. Mais où sont mes manières ?”
 
Elle tendit la main à Ceria, et la demie-Elfe la prit avec précautions. Apparemment, elle était au courant, elle, qu’il y avait quelque chose d’étrange avec la peau de Jelaqua, parce qu’elle ne réagit pas lorsqu’elles se serrèrent vivement la main.
 
“Ceria Springwalker, je m’appelle Jelaqua Ivirith. Je suis la leadeuse des Croisés, mais tu nous connais peut-être plutôt sous le nom des Demi-Monstres.”
 
Ses lèvres se tordirent dans un sourire sardonique et elle reprit la parole.
 
“Nous sommes une compagnie Or, mais nous avons perdu quelques membres récemment, et nous sommes venus ici pour explorer ce nouveau donjon, mais aussi pour chercher un nouveau membre. Et maintenant que nous t’avons vue te battre, nous pensons que tu t’entendrais bien avec nous.”
 
Ceria prit une vive inspiration, surprise, et se leva à moitié de son siège. Erin dévisagea les deux aventuriers, étonnée. Des Or ? C’était… des gens importants, non ? Ceria dévisagea tour à tour Jelaqua et Seborn, dans un silence stupéfait.
 
“Quoi ? Moi ? Mais je ne suis qu’une aventurière argent ! Et je viens de perdre toute ma compagnie. Il ne me reste presque aucun artefact magique, qu’est-ce que je pourrais… ?”
 
“S’il te plaît, Ceria, calme-toi.”
 
Jelaqua sourit à Ceria en posant une main sur l’épaule de la demie-Elfe.
 
“Nous sommes peut-être une équipe Or, mais cela ne signifie pas que nous ne devions employer uniquement des aventuriers de rang Or. De plus, c’est toujours bon de trouver quelqu’un de compétent même si on doit lui faire gagner des niveaux et quelques objets magiques pour l’aider à démarrer. Et plus important encore, tu es une demie-Elfe, comme nous. On a besoin de gens avec qui nous pouvons travailler, des gens qui n’ont pas peur des non-Humains.”
 
“C’est juste tellement soudain. Je ne sais pas… je suis honorée, bien sûr, mais…”
 
Ceria buta sur ses mots, et Jelaqua secoua la tête.
 
“Prends ton temps. Nous voulions juste t’en parler. Cela fait partie des raisons pour lesquelles nous sommes montés ici pour aider.”
 
Seborn hocha la tête.
 
“Les hybrides sont suffisamment rares pour que nous connaissions ton nom. C’est pour cela que lorsque nous avons entendu parler du donjon, on n’a pas mis longtemps pour décider d’entreprendre le voyage jusqu’ici.”
 
“Je vais bien évidemment y réfléchir, merci. C’est juste que j’étais en train d’envisager de former une compagnie avec d’autres personnes…”
 
Ceria jeta un œil quelques tables plus loin. Yvlon mangeait avec Selys dans un coin de la pièce. Jelaqua haussa les épaules.
 
“Prends ton temps. Nous attendons le déblayage de l’entrée du donjon, donc tu as largement le temps d’y réfléchir. Et on en parlera plus tard - c’était juste pour que tu sois au courant.”
 
Ceria hocha lentement la tête. Elle avait l’air dépassée par la situation. Erin ne pouvait pas en supporter davantage. Elle haussa nerveusement la voix et les trois demis-humains se tournèrent vers elle.
 
“Um. Euh, est-ce que c’est impoli de demander de quelles espèces vous êtes, tous ? Je ne veux pas être malpolie mais…”
 
“Ce n’est pas un problème. La plupart des gens ne posent pas la question, ou ils le savent déjà.”
 
Jelaqua sourit en montrant Moore qui venait de revenir et baissait la tête pour entrer.
 
“Moore est un métis de Géant, comme tu le sais. C’est notre [Mage]. Notre seul et unique jeteur de sorts, sauf si Ceria nous rejoint. Nous avons ensuite Seborn, notre [Roublard]. C’est un Noyé.”
 
Seborn acquiesça.
 
“Je suis comme ça depuis ma jeunesse.”
 
“Huh, Noyé... ?”
 
L’hybride hocha la tête. Il se tourna légèrement et leva son bras de crave pour qu’Erin puisse bien le voir. Il avait vraiment l’air d’avoir un champignon qui lui poussait dessus, ce qui était perturbant, mais à présent qu’Erin y regardait de plus près, elle pouvait voir l’endroit où la carapace rouge sombre s’était fondue dans la peau gonflée.
 
“C’est le nom de notre peuple - de toute personne qui subit ce destin. Une créature de la mer s’accroche à ton corps et se fond en lui. Cela peut corrompre l’esprit si on n’y prend pas garde, mais même en la tuant, elle te change tout de même à jamais. Je suis à moitié un monstre, mais cela n’affecte rien de plus que mon apparence.”
 
“Oh. Je… j’en suis désolée ?”
 
Seborn sourit à Erin, et haussa les épaules.
 
“Inutile d’être désolée, si ? Je m’y suis habitué.”
 
“Et je suis une Selphide.”
 
Jelaqua déclara ces mots comme si le mot se suffisait à lui-même. Erin fronça les sourcils, et Ceria prit la parole.
 
“Erin ne connait pas beaucoup d’autres races. Ah, Erin, un Selphide est… eh bien, on pourrait parler de parasite si on était impoli, mais ce sont plutôt des…”
 
“Parasite est le bon mot. Nous sommes des voleurs, mais nous volons des cadavres et rien d’autre. C’est gênant, mais nous ne pouvons vivre qu’ainsi.”
 
La femme sourit à Erin, qui n’avait aucune idée de ce dont on lui parlait.
 
“Tu veux dire que tu es un fantôme ?”
 
Là encore, les aventuriers éclatèrent de rire. Jelaqua secoua la tête.
 
“Tu n’as jamais entendu parler des voleurs de corps de Baleros ? Non ? Nous sommes une espèce qui récupère des cadavres pour les habiter, un peu comme ce qui est arrivé à Seborn. Sauf que nous pouvons changer de corps et… eh bien, j’imagine que c’est plus facile de te montrer.”
 
Jelaqua se leva et repoussa sa chaise en arrière. Elle s’avança vers Erin, puis enleva sa cotte de mailles. Erin cligna des yeux, mais Jelaqua s’était mise à enlever son haut. Puis son soutien-gorge.
 
“Qu’est-ce que tu… hey !”
 
Erin se détourna, et fit des grands moulinets de bras à l’attention des gardes
 
“Tournez-vous ! Ne regardez pas !”
 
Elle s’interrompit en voyant que personne ne faisait mine de regarder. Les gardes étaient fermement tournés dans la direction opposée, et les membres de la Chasse aux Griffons regardaient leur assiette d’un air sombre. De l’autre côté de la pièce, Relc beugla.
 
“Aw. Le monstre va faire son truc dégoûtant !”
 
Erin se tourna pour le fusiller du regard, mais Jelaqua pouffa de rire. Erin se retrouva à regarder une paire de seins très pâles - presque albinos, d’ailleurs. Jelaqua se frappa la poitrine et sourit à Erin.
 
“Regarde. Ne t’affole pas, d’accord ? C’est juste que les Selphides sont…”
 
Sa poitrine s’ouvrit. Erin vit la peau s’écarter et quelque chose pousser la peau et les os de l’intérieur comme s’il s’était agi de papier cadeau. L’intérieur de Jelaqua n’était pas rouge - non, il était presque aussi blanc que le reste. Sa peau était exsangue, tout comme ses organes. Probablement parce que le corps de Jelaqua n’était pas vivant.
 
Elle était morte. Et c’était la masse de créatures qui grouillaient à l’intérieur d’elle, des masses vert sombre et jaune qui clignaient et bougeaient pour Erin en agitant de longs tentacules semblables à des spaghettis
 
Quelque chose pulsa, et Erin vit deux poumons à l’intérieur de Jelaqua s’étirer, et sa bouche s’ouvrit et prit la parole.
 
“Tu vois ? Nous vivons dans des cadavres. Nous sommes des parasites, mais ne t’inquiète pas - nous avons pour règle de ne pas occuper de créature vivante. Nous prenons les attributs de notre hôte, mais nous pouvons changer de corps si l’un d’entre eux est abîmé. Les potions de soin ne marchent pas sur la chair morte, vois-tu, et Erin ? Erin ?”
 
“Ah.”
 
Erin contempla le truc qui était sorti de son corps… en faisant éclater sa poitrine… les tentacules qui faisaient exploser la chair… la peau… qui se déchirait…
 
Ses paupières battirent plusieurs fois. Erin sourit aux créatures qui lui faisait des signes de l’intérieur du torse du cadavre, cilla, puis s’évanouit en partant à la renverse.
 
Personne ne la rattrapa.
 
Jelaqua fronça les sourcils et les tentacules semblables à des vrilles refermèrent lentement la chair sans laisser de trace. Elle tourna sa tête humaine pour regarder le reste de la tablée et se renfrogna.
 
“Oh, pitié. Je l’ai vue écraser la tête d’un Gnoll à travers une fenêtre, et elle est allée faire la baston avec des aventuriers or, et elle s’évanouit pour ça ?”
 
Erin ne l’entendit pas. Elle resta inconsciente sur le sol jusqu’à ce que Klbkch aide Ceria à l’allonger dans une chambre à l’étage où elle dormit pendant tout le reste de la journée, qui fut pleine de coups de théâtres et d’excitation, mais dépourvue d’explosion de poitrine ou de combats.
 
Ce n’était que le premier des nombreux jours mouvementés qui allaient suivre.


[Modification de Compétence - Coup Foudroyant → Attaque du Minotaure !]
 
[Compétence - Attaque du Minotaure Obtenue !]
 


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 22 novembre 2020 à 19:33:15
1.00 C partie 1
Traduit par Maroti

Est-ce que tu veux entendre une bonne blague ?

‘Un gros arrive dans un monde fantastique et décide de devenir un [Clown].’

… Je suis toujours en train de bosser sur la chute. Mais bon, c’est la seule blague que j’ai. J’essaye d’être drôle, mais en vérité, je suis un [Clown]. Je ne sais pas certain qu’on doit vraiment faire rire les gens.

Curieux à propos des parenthèses ? Ça veut dire que j’ai une Classe. [Clown], pour être exact. Ouais. C’est toute une histoire que je n’ai pas envie de raconter.

C’est simplement que je suis dans un monde ou tout le monde gagne des niveaux et des classes. Du sens ? Pas vraiment. Mais appelons ça un jeu vidéo ou si tu te fais poignarder dans l’estomac tu vas te vider de ton sang et mourir dans d’atroces souffrances.

Je vais mourir dans cette manière, je le sais. Je suis un gros imbécile qui a choisi/obtenu la mauvaise classe. Clown. Qui a envie d’être un clown dans un monde de monstre et de magie ?

Moi, apparemment.

Selon Edward, ou Eddy comme il être appelé, je ne devrais même pas avoir cette classe. Il continu de me dire que je suis comme un Bard ou un Troubadour de l’un de ces jeux de la série Final Fantasy. Le XXIV ou un truc du genre.

Je n’ai jamais joué à ces jeux étant gamin. Je ne jouais pas au jeu vidéo, et je le regrette un peu maintenant. Peut-être que j’aurai pu mieux m’en sortir si je l’avais fait.

Probablement pas. Qu’est-ce qui te pouvais te préparer à affronter et mourir face à des créatures deux fois plus terrifiantes que tout ce que nous avions dans notre monde ? Rien, voilà la réponse.

Donc ce n’est pas une surprise que je ne veuille pas me battre. Peut-être que c’est pour ça que j’ai eu la classe de [Clown]. Les premiers jours ou nous sommes arrivés ici… J’ai essayé de ne pas perdre la tête en racontant des blagues. Je suis bon pour être le rigolo de service, habituellement. Mais je suis devenu un [Clown] et tout devient moins drôle quand nous avons réalisé que nous sommes là pour rester.

Oh ouais ? Est-ce que je l’ai déjà dit ? D’accord, je vais réexpliquer. Nous, et par nous je veux dire moi et environ cinquante autres personnes qui ont la vingtaine comme moi, apparurent dans ce monde grâce à un sort d’invocation. Nous sommes apparus devant ce vieillard sur son trône, et soudainement tout le monde nous hurlait que nous étions les ‘héros de la prophétie’.

Retour au présent. Il ne reste plus qu’une vingtaine d’entre nous, et au lieu d’être héros des Terres Maudites nous sommes une disgrâce envoyer pour garder un village au frontière, à peine reconnu par le trône ou le peuple.

Parce qu’on est nul. Tu vois comme le héros principal dans un film se retrouve téléporter dans un autre monde et gagne une espèce de pouvoir spécial ? C’est nous, mais sans le pouvoir.

Le Roi Maudit, qui s’appelle Othius le Quatrième, nous accueillit et nous a dit que nous allions devenir les héros qui allaient repousser les démons de son royaume. Il nous a donné des armes, nous a envoyé combattre…

Et nous nous sommes fais massacrer. Les survivants ne pouvaient rien faire, donc il nous a laissé tomber. Il nous a essentiellement exilé de la capitale, et nous a envoyé là ou ne pouvions pas causer de problème.

Certains d’entre nous, des gens de mon monde, on apprit à se battre. Certain sont même devenus assez bon pour chasser les monstres et garder les alentours. Mais la majorité d’entre nous n’arrivaient pas à suivre ce qui se passait.

Richard est un [Chevalier], Niveau 26 et la personne la plus forte de notre groupe et de loin. Il nous guide et nous met en sécurité.

Emily est une [Hydromancienne] de Niveau 21. Elle est la coqueluche de notre groupe. Populaire.

Les autres, six gars et une fille qui peuvent se battre, ont tous une classe magique ou capable de se battre. Les autres ont soit à peine un niveau ou deux, ou on un boulot différent, comme [Cuisinier] ou [Tailleur] ou [Cueilleur].

La majorité aide au combat et protège les gens, et les autres aident ou… Existent. Mais c’est le groupe. Tu peux facilement le couper proprement en deux groupes, les combattants et les non-combattants, à une anomalie près.

C’est moi. Le gros. Un [Clown]. Un homme drôle sans rien de drôle à dire sur ce qui se passe.

Je m’appelle Tom. En vérité c’est Thomas, mais je préfère qu’on m’appelle Tom. Et oui, j’étais le clown du groupe de plus d’une manière. Mais en vérité, je ne suis pas si marrant que ça. Si t’as pas encore capté, y’a personne qui rit à mes blagues.

J’ai toujours faire un one-man show, pas être le gendarme dans un spectacle de marionnettes Guignol. Mais en fait je suis mauvais dans les deux. Ouais, je suis un gros type qui ne fait pas rire et qui se balade avec du maquillage en essayant de faire rire les gens. Ce qui est plutôt drôle quand tu penses, mais juste triste quand tu le vis.

Je sais, je sais, je devrais avoir une meilleure image de moi. Je suis qu’un petit peu joufflue, pas gros. Agréablement dodu. Légèrement lourd. Mes gros os ont de la circonférence à revendre, mais je m’en sors sans problème.

C’est juste que j’ai l’impression d’être une baleine comparée aux gens de ce village. Ils ressemblent tous à des rescapés d’un horrible camp de réfugiés, ou d’une prison. Ils ont des visages creusés, la peau sur les os, mais ils vont toujours de l’avant.

Ça me rend malade. Mais pas assez malade pour que je ne m’empiffre pas tous les jours. Je me déteste, parfois.

Tout le temps.

Je suis dépressif. Cliniquement prouvée, pas auto-diagnostiqué, s’il te plaît. Et normalement j’arrive à la maîtriser, enfin, j’arrivais. Mais je suis dans un monde ou les seules drogues sont différents types d’alcool. Bon courage pour trouver des antidépresseurs ici, encore moins une pharmacie.

J’ai l’impression de ne pas avoir de valeur. Et ça n’aide pas quand il y a d’autre personne qui partagent cet avis.

Un [Clown]. Je suis Niveau 19, ce qui va peut-être te surprendre. Mais quand j’ai eu cette classe je l’ai pris comme un signe. J’ai mélangé un peu de peinture blanche, rajouté un peu de rouge pour mes lèvres et j’ai appris à faire du jonglage. J’ai pas arrêté de courir, essayant de faire des cabrioles, de raconter de mauvaises blagues, et je suis généralement passé pour un imbécile.

Franchement, je n’aurais dû gagner que deux niveaux avec cela, grand maximum. Mais toutes les personnes invoquées dans ce monde ont gagné la classe de [Héros] en arrivant. Nous sommes tous des [Héros] de niveau 1, et même si personne n’a réussi à monter dans cette classe, elle nous permet de gagner des niveaux bien plus rapidement.

Donc je suis Niveau 19, et j’essaye d’atteindre le Niveau 20. Il est de notoriété publique que tu obtiens généralement une bonne compétence en atteignant le Niveau 20 suivi de compétences plus utile après ça.

Ouais. C’est commeun jeu en y réfléchissant bien. Mais c’est bien trop réel pour moi. Trop réel, et trop terrible.

Je ne peux pas être un guerrier comme les autres. Je ne veux pas tuer des choses, même si elles sont horribles avec des tonnes d’yeux et de griffes. Actuellement, je ne veux même pas m’approcher de ces trucs.

Je veux juste gagner des niveaux dans cette classe. Je pense… Oui, je pense que cela vaudra peut-être le coup.

Maintenant ? Maintenant j’essaye juste de faire rire les gens.

Imagine la scène, si tu veux. Il y a un coin herbeux au centre d’un petit village, un endroit ou la route de terre devient plus meuble. Ils nous ont mis dans un petit village. Mais il y a des enfants ici, et des gens malgré que nous soyons éloignés de toute civilisation.

Ils ne peuvent pas trop s’éloigner du village. Il y a plusieurs [Chasseurs] et plus d’un [Guerrier] de bas niveau ainsi qu’un [Mage Rustique] dans le village, mais la vraie protection vient des patrouilles et de la petite garnison de [Soldats] stationnée à quelques kilomètres plus loin.

Grace à nous, cette garnison vient de tripler de volume, et les villageois sentent cet afflux sur leurs provisions et bien. Nous sommes même en train d’occuper la maison centrale de la ville, un grand bâtiment assez grand pour tous nous loger. Nous avons des lits, des repas journaliers, et même un salaire au nom de la couronne.

Les villageois n’ont rien de tout ça. Donc ils nous détestent.

Mais les enfants, ah, les enfants apprécient quand même notre présence. Contrairement aux adultes, nous n’avons pas un job prédéfini donc nous pouvons discuter avec eux. Nous étions plusieurs à le faire, avant, mais maintenant les autres ne prennent plus le temps de jouer avec les gamins.

Donc ça tombe sur moi.

Regardez, regardez le clown ! Avez-vous vu comment il marche dans l’herbe ? Je souris, sentant la peinture se craqueler sur mon visage. Je lance les quilles de bois en l’air, et je jongle avec pour que l’audience de huit enfants arrête de jouer à trap-trap et me regarde.

Ce n’est pas la première fois que je fais un spectacle, mais j’ai réussi à les peindre en rouge vif, bleu et jaune. Une partie de la peinture est partie, mais elles sont toujours l’air captivantes quand elles passent au-dessus de ma tête.

Bon, d’accord, pas captivant. Mais distrayant. Et c’est un miracle que j’arrive à les faire jongler, tu sais. Ce n’était pas quelque chose que je savais faire chez moi, mais je l’ai appris alors que je gagnais des niveaux en [Clown].

J’ai plusieurs compétences qui me permettent de faire des trucs de clown, jongler, faire le poirier, etc. J’ai aussi une compétence qui est terriblement agaçante qui n’est pas active maintenant, dieu merci, et une autre compétence bizarre.

[Voix de Stentor]. Qui fait exactement ce qui est dit. Mais c’est bizarre. Ce n’est pas une compétence dont un [Clown] a besoin, pas vrai ?

Habituellement, les clowns ne sont même pas censés parler. Je suis allé à quelques cirques, et ils sont comme des mimes. Ils font peut-être des bruits marrants, mais ils ne parlent pas.

Mais si je comprends comment cette classe marche, alors peut-être…

Oups. Je suis tellement en train de réfléchir que je laisse tomber l’une des quilles. Les deux autres tombent au sol, et j’essaye de trouver une manière de rattraper alors que les enfants murmurent et se grattent, ennuyés.

D’accord, quand est-il de ça ?

Je m’arrête, je lève la main et fais la moue avec mes lèvres. Puis je pointe vers ma main vide. Les enfants regardent mes mimiques, ils savent ce qu’il va se passer mais ils sont quand même assez intéressés pour regarder.

Je ferme mon poing, et fait le tour de passe-passe où je prétends  sortir quelque chose de ma main. La seule différence est que je sors véritablement quelque chose. Je fais sortir la quille bleue, puis j’en fais apparaître un autre de derrière mon dos. La quille jaune les rejoint, et je jongle de nouveau, malgré le fait que je ne me suis jamais penché pour ramasser les quilles par terre.

Les enfants rient et pointent du doigt, et je souris véritablement derrière la peinture. Ce n’était pas trop mal. Et tout ça grâce à ma Compétence.

Le seul tour de passe-passe cool est que je peux faire apparaître des objets de nulle part. Je dois les avoir sur moi, bien sûr, mais dans un radius d’un mètre cinquante je peux pratiquement attraper tout ce que je veux et le faire apparaître.

Mais rapidement, même mon jonglage et mes tours de passe-passe deviennent ennuyeux. Surtout que je n’ai rien d’autre que des quilles. Un vrai clown aurait des ballons, des confettis, des assiettes à faire tourner…

Je n’ai rien d‘autre. Donc j’arrête de jongler alors que les enfants commencent à se lever et j’éclaircis ma gorge.

« Est-ce que quelqu’un veut entendre une blague ? »

Ils me regardent. L’un des plus vieux grognent et secoue la tête, mais ils restent pour m’écouter. Les enfants sont crédules comme ça.

« Okay. »

Je maîtrise. Je tousse dans ma main gantée.

« Hum. Toc toc. »

Ils clignent des yeux. Finalement, Wilen me donne un coup de main.

« Qui est là ? »

« Gobelin. »

« Gobelin qui ? »

« Moi. Gobelinvité qui va tout manger chez vous. »

Ils me regardent, puis ils se regardent. Le plus vieux secoue la tête.

« Je vous l’ai dit qu’il n’était pas drôle. »

Je n’arrive pas à raconter de blagues. Je ne suis pas branché comme ça dans la tête. Je peux seulement… Être marrant en groupe. Tu sais, quand quelqu’un dit quelque chose de drôle et que tout le monde s’amuse. Je n’arrive pas à inventer des trucs.

Il m’a fallu dix minutes pour trouver celle-là. Tout ça pour des regards silencieux.

L’une des plus petites filles est toujours assise au sol et me regarde. Ou, pour être précis, mon ventre. Même recouvert par mes vêtements colorés, le contraste entre eux et moi fait que je me déteste encore plus.

« Est-ce que tu vas aider à construire un autre Mur ? Ou combattre des monstres ? »

Quelle question venant d’une si jeune enfant. J’hésite.

« Je… ne suis pas un combattant. Je suis un [Clown]. Je fais des tours de passe-passe. Tu vois ? »

Je tends ma main vers son oreille et je sors une fleur. J’ai de la chance qu’il y en a une à côté. Elle rigole, la prend, et s’en va, et je suis sain et sauf. Je me redresse, et je sens la sueur couler le long de mon dos. C’était plus intense que le jonglage.

Le Mur. C’est l’un des trucs de ce continent, même si je ne connais pas grand-chose sur ce monde de manière générale. Mais sur ce royaume, cet endroit, j’ai suffisamment appris pour survivre.

Nous sommes à la frontière de ce que les gens appellent les Terres Maudites. Ici, le Royaume stoppe l’avance des Démons. C’est une histoire toute simple, car il n’y a pas grand-chose à rajouter.

Il suffisait d’aller à trente kilomètres au nord d’ici pour voir le sol changer. L’herbe allait devenir noire, les animaux sauvages changeaient. Les monstres erraient, se battant entre eux, allant à l’ouest pour dévorer les hommes. La seule chose qui les arrêtait était les patrouilles de [Soldats], les aventuriers engager pour exterminer un maximum de monstres possible, et les quelques villes et villages assez courageux pour construire aussi proche.

Et bien sûr, le Mur. Le Quatrième Mur pour être précis.

C’est un mur de pierre géant. Ouais. La seule chose spéciale c’est que c’est de la pierre, que c’est un mur, et qu’il est deux fois plus grand que la Grande Muraille de Chine.

C’est plus de quinze mètres de haut, au passage. Je le sais parce que l’une des personnes avec nous, Marian, a déjà visitée la Grande Muraille de Chine. Elle est morte la première fois que nous sommes allés au-delà.

Les quatre murs sont les défenses ultimes du Royaume. Ils ne sont pas que des murs ; il y a des pièges magiques et de l’artillerie insérés dans le mur, et ils sont toujours remplis des meilleurs soldats du royaume. Toutes les attaques de monstres s’arrêtent au mur, et le Royaume derrière est relativement stable.

Parfois il y quelque chose qui passe. En tant de guerres, le Quatrième, Troisième, et Second mur ont déjà été passés. Mais le Premier Mur n’est jamais tombé. Même l’armée du Roi Démon n’est jamais réussie à passer.

Des monstres. Des Démons. Il y a une différence apparemment. Les monstres sont juste… Des monstres. Il y a de tout, du Gobelin au Troll en passant par les Manticores et les Dragons. Ils sont des tueurs vicieux et sans cervelle. Mais les démons sont différents. Ils sont des humains et d’autre espèces qui ont mutés et qui ont leur propre civilisation, leur propre armée. Ils font partie d’un des trois pouvoir dans les Terres Maudites, et ils essayent d’éradiquer le Royaume une fois pour toute.

Trois pouvoirs. Le Royaume ; l’endroit ou les espèces sentientes (surtout des humains) se regroupent pour affronter monstres et Démons. Les Terres Démoniaques, l’autre partie du continent ou un autre Roi gouverne, et l’endroit où personne ne va.

L’origine, voir le centre de la malédiction sur ce continent. L’endroit duquel les monstres continuent de sortir.

Contrairement aux autres continents, les monstres ne se reproduisent pas pour survivre ici. De nouvelles espèces continuent d’apparaître. Quelque chose continue de créer différents types de monstres. Certaines personnes disent que c’est un ancien monstre provenant du temps des Dieux, ou d’un terrible sort qui à mal tourner. Qu’importe ce que cela est, c’est trop puissant pour être tué. Le Royaume a envoyé d’innombrables armées pour détruire cette source, et aucune d’entre-t-elle n’est revenu.

Le Roi Démon, comme les gens l’appelle, est tout aussi mystérieux. Disons qu’un groupe de monstres est organisé. Ils saccagent le Royaume, et le Royaume saccage en retour. Chaque côté prend et perd des terres, envoyant parfois des troupes de raid, et parfois d’immense armée.

Je n’ai jamais vu de Démon. Certain en ont vu ; Eddy dit qu’il en a vu un qui ressemblait à une Quanari de Dragon Age, c’est juste une personne avec des cornes de chèvre. Et c’est ainsi qu’Eddy a décrit les Quanari.

C’est le truc. Les Démons sont justes des versions mutées de l’espèce qu’ils étaient. Des humains qui ont été exposés à… Ce qui vie dans les Terres Maudites, affectant par de la magie ou un truc du genre. Certains Démons ont des ailes avec des becs et des serres ; d’autre sont presque normales à quelques différences près. L’astuce pour les reconnaître est que même s’ils ressemblent à des humains, ils n’ont pas de scrupules à tuer femmes et enfants.

Et la même chose est vraie pour les humains. La guerre entre les Humains et les Démons à commencée il y a plus de mille ans, et même si le conflit n’est pas particulièrement actif en ce moment, des escarmouches et raids arrivent chaque semaine.

Mais ici c’est paisible. Ce village n’a pas encore vu de combat malgré le fait que nous soyons proche du mur. A part pour une attaque de monstre, l’endroit est protégé, à l’exception de la pauvreté et tout. Tu peux vivre dans un village de manière paisible pendant plusieurs années, avec les bonnes circonstances. La garnison proche repousse le pire des monstres et des attaques ennemies, et il y a bien plus de place ici que dans l’entassement qu’est le Royaume derrière les Murs.

Le Royaume continue de grandir ; voilà pour les humains s’installent par-delà le mur. Mais ce n’est pas sans danger ici, où tu peux te faire attaquer par des monstres et Démon. Voilà pour le Royaume veux construire un autre un mur. Un Cinquième Mur. Et c’est pour cela que nous avons été invoqués.

Avec un groupe de puissant [Héros], le Royaume allait avoir assez de pouvoir pour bâtir un autre Mur et sérieusement réduire les terres ennemies. Le Royaume allait, en un coup de maître, pratiquement doubler ses terres disponibles et réduire la marée monstrueuse qui attaquait leurs villages découverts.

Tout cela devait marcher jusqu’à ce qu’ils découvrent que les magiciens n’avaient pas engagé des héros légendaires venant d’un autre temps, mais un groupe de gamin. Nous. Il avait quand même de l’espoir ; nous avions été invoqués avec une classe que personne ne connaissait [Héros]. Personne de mémoire d’homme avait gagné cette classe, et les gens nous traitaient comme des légendes.

Donc le roi nous a donné des armures, des armes, des soldats et nous a envoyé au front. Il pensait que nous allions pouvoir rapidement gagner des niveaux, donc il a arrangé une expédition dans un endroit ou le conflit était calme pour que nous puissions gagner de l’expérience.

Une fois. C’est le nombre de fois que nous avons fait cette incursion.

***

J’avance à travers le marais, essayant de ne pas tomber dans la boue. Mes jambes sont en feu, mais je ne veux pas me plaindre. Les hommes et les femmes autour de moi ont des épées et des armures, et ils continuent de dire que nous devons rester silencieux au cas où l’ennemi est proche.

Je regarde la terre sombre. La soirée vient de passer, et nous essayons de nous rendre à un avant-poste proche. Le seul problème est que nous, les personnes invoquées, sommes extrêmement lents et que nous sommes encore à des kilomètres de notre destination.

Le sol fait des bruits lourds et spongieux sous mes pieds. Je pousse du pied une plante bleue sombre qui sort du sol et je frisonne. Des mouches et d’autres insectes tournent autour de nos têtes, essayant de nous piquer ou de pondre leurs œufs dans nos oreilles. C’est misérable, mais cet endroit est apparemment assez important pour faire la guerre.

C’est supposément là que le prochain mur va bientôt être construit. Mais le sol est noir et étrange, et la magie ainsi que les batailles ont créé un bourbier là ou de la terre devrait se trouver. Ce n’est pas comme ça sur tout le continent, le sol change après quelques kilomètres, c’est ce que les soldats nous disent.

Le problème avec ce ‘’Cinquième Mur’’ est qu’il doit être assez long pour pouvoir s’étendre sur l’intégralité du continent. C’est incroyablement difficile à construire, et cela prend des décennies. Cependant, le roi à bien commencé, il a construit des forteresses et des châteaux là ou le Mur doit être construit, et ils essayent de repousser des attaques alors que le mur est en train d’être construit.

Et nous avons été envoyées pour aider. Je n’ai peut-être pas la moindre idée de ce qui se passe, mais je ne pense pas être capable de me battre.

« Nous aurions dû protester plus que ça. »

Devant moi, Richard se retourne et hausse les épaules. Il se cache bien plus que moins dans l’obscurité nocturne, et j’ai peur d’être une cible facile si on m’attaque. Il me sourit, et lève son épée.

« Nous avons des armes, et cette classe rare, pas vrai ? Et une tonne de soldats pour nous protéger. Tout va bien se passer ! »

À côté de moi, Katie écrase un insecte sur sa peau. Elle cri de dégoût, et l’homme armé marchant devant nous se retourne, levant sa lance. Il secoue la tête, voyant qu’il n’y a rien hors de l’ordinaire.

« Oh mon dieu ! Je ne supporte pas ça. Pourquoi est-ce qu’on devrait faire cela ?

« Nous sommes des [Héros]. C’est un monde comme un jeu vidéo. C’est notre boulot. »

Eddy dit cela. Il est en train d’essayer de trainer une immense épée longue derrière lui, et il est en train de transpirer comme jamais. Mais il voulait être ce genre de guerrier. Je pense qu’il le regrette maintenant ; c’était facile à porter dans le wagon jusqu’ici, mais après à peine deux kilomètres il semble être prêt à abandonner.

Katie tremble, mais elle ne proteste pas. Elle pense qu’elle est toujours dans un monde virtuel, ou en train de rêver. La moitié d’entre nous ont cette opinion, mais pas moi. Tout cela est bien trop réel. Et me dire que nous allons combattre…

La plupart des mecs semblent le vouloir. Ils choisissent des armes et parlent de la classe qu’ils veulent. Mais… Je ne suis pas un combattant. Je ne pense pas que je vais pouvoir poignarder qui que ce soit. J’ai une épée que je sais à peine utiliser. Et je la garde dans son fourreau parce que j’ai peur de me faire mal si je la sors. Comment est-ce que je suis censé me battre ? Ça va être automatique ?

« C’est tellement sombre. Et froid. »

Katie continue de se plaindre, même si elle sait que nous devrions être silencieux. Elle est de ne pas garder ses pieds trop longtemps dans la boue.

Marian hoche la tête. Elle tremble alors qu’elle marche dans quelque chose qui explose sous ses pieds.

« C’est humide. »

Ron se tourne et sourit.

« C’est une leçon d’humidité ou d’humilité ? »

La moitié d’entre-nous rit ou grogne. Katie glousse de manière incontrôlable. C’est là que la première flèche fend l’air et empale le torse de Ron. Un immense monstre écailleux avec plus de dent que de visage sort de la boue. Il lève une lance et…
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 22 novembre 2020 à 19:46:34
1.00 C partie 2
Traduit par Maroti

Je trésaille alors que je sens des sueurs froides. J’essuie mon front avant que la sueur ne ruine mon maquillage, mais cela ne fait qu’étaler les couleurs.

Bon sang. Je peux toujours entendre le bruit que faisaient les Démons quand ils nous ont attaqués. Ils nous attendaient, se cachant avec des monstres dans l’eau boueuse. Personne n’avait rien vu venir.

Un tier d’entre nous fut tué durant cette première mauvaise nuit. La seule chose qui nous a sauvés fut les soldats ; le roi nous avait donné une grosse escorte, et ils sont morts pour nous protéger.

Nous sommes arrivés en sécurité, mais personne n’était prêt à se battre après cela. La moitié d’entre nous ont perdu la boule, et quand nous sommes retournés à la capitale, nous n’avions pas l’air de héros. Je pense que c’est à cet instant que le Roi à compris qu’il avait fait une erreur.

Il fit capturer quelques monstres par ses chevaliers pour nous apprendre à nous battre. Je peux toujours me souvenir de quand je me tenais dans la salle de trône alors qu’ils nous donnèrent des épées en disant que nous devons décapiter un Gobelin.

Je n’ai même pas eu besoin d’essayer. Ils ont abandonné avant même de s’approcher de moi. Seulement trois personnes ont réussi à décapiter un Gobelin, et le reste d’entre nous était en train de vomir ou de pleurer.

Donc, après quelques jours passés à ne rien faire dans la capitale, le Roi nous en envoyé dans ce village. Vu que certains d’entre-nous avait quand même gagné des niveaux comme il l’avait espéré, à la vitesse de l’éclair selon les locaux, mais la majorité d’entre nous n’était pas encore prêt à nous battre.

Je rentre chez moi après avoir fait mon spectacle de clown, enfin, chez moi étant l’endroit ou nous dormons tous dans le village. C’est le plus grand bâtiment du village, le seul suffisamment grand pour tous nous accueillir. Malgré cela, je suis quand même pris de cours par le peu d’espace que nous avons en rentrant.

Des lits envahissent la salle. Des petits tas de vêtements, des vrais lits fait de bois, et même un hamac, les villageois ont tous donné pour que nous ayons de la place pour dormir.

Il y a un peu plus de dix personnes à l’intérieur, certains sont toujours en train de dormir, alors que d’autre parlent doucement ou essayent de jouer à un jeu de cartes. C’est pratiquement toujours comme ça. Il est vrai que certaines personnes, comme Richard ou Eddy, vont patrouiller et chasser le monde, mais le reste d’entre-nous passe son temps assis. Il n’y a pas grand-chose à faire dans le village.

Je me glisse maladroitement dans la salle jusqu’à mon lit. Certaines personnes lèvent la tête mais ne me disent rien. Je ne suis pas… Très populaire. Et je suis habillé comme un clown. Bizarre, pas vrai ?

Je m’enfonce dans les couvertures rêches de mon lit et je regarde autour de moi. La seule personne proche est Vincent, la majorité des autres de l’autre côté de la salle, le côté réservé aux filles. Nous n’avons pas de mur, mais nous avons fait un rideau pour avoir un minimum d’intimité.

Je soupire et je me repose dans mon lit. Bon, j’ai fait quelque chose. Pas grand-chose, mais je suis déjà fatigué. Je suis abattu, déprimé. Comme si je ne pouvais rien faire. J’ai besoin de mes médicaments, mais…

« ♪Doo doo doodle do do doo doo doot~♫ »

Bon sang. Pas maintenant. Vincent se redresse quelques lits plus loin. Il était en train de roupiller mais il me regarde alors que je cache mon visage dans mes mains. Ça arrive de nouveau.

C’est une guillerette musique de carnaval, le genre que tu peux imaginer dans n’importe quel cirque. C’est une musique de clown, c’est bruyant, et ça vient de moi. Je ne veux pas faire ce bruit, mais c’est une Compétence.

Tout le monde dans la pièce s’arrête en entendant le bruit. Ils me lancent des regards noirs et je hausse les épaules. La plupart essayent de l’ignorer, mais après quelques minutes cela pèsent sur les nerfs des gens. Et pour certain, c’est la dernière goutte.

«Arrête ça !»

J’entends la voix, et puis Cynthia est devant moi. Elle me hurle dessus, le visage écarlate alors qu’elle pointe mon visage d’un doigt tremblant.

« Arrête ! Arrête de faire ce bruit ! »

« Je suis désolé ! Je ne le contrôle pas ! »

Je lève mes mains, mais elle s’en fiche. Elle me jette quelque chose, un oreiller.

« Arrête ! Il faut que tu arrêtes ! »

Elle n’aime pas les clowns. Elle avait peur d’eux étant petite, je crois. Et elle est au bout du rouleau. Comme nous tous, mais elle pleure plus que le reste. Et elle ne peut pas supporter le ton.

« Bordel, tom ! Tu ne peux pas arrêter cette foutue musique ? »

Quelqu’un me hurle dessus à l’autre bout de la pièce. Je crois que c’est Kevin. Il se lève, les poings serrés.

« Je suis désolé ! »

Cynthia continue de me crier dessus, c’est plus devenu quelque chose d’incohérent que de la colère. Chole s’approche d’elle et l’éloigne de moi en me lançant un regard noir. Cynthia part avec elle, en pleur.

« Je veux rentrer à la maison ! »

Vincent suit Cynthia alors que ses yeux ne me lâchent pas. La stupide petite musique de clown est toujours en train de jouer en arrière-plan.

« Tom… »

« J’ai compris. J’y vais. Désolé. »

Je lève mes mains et je pars. Tant pis pour le repos. Les gens ne peuvent pas me supporter quand il y a cette musique, et je ne peux pas l’éteindre.

Je vais dehors jusqu’à ce que la musique s’arrête. Cela ne prend que cinq minutes. Ce n’est jamais long. Mais elle semble toujours venir au pire moment, quand un groupe est proche, ce qui est ce qui déclenche la capacité, je suppose. Dieu merci cela n’arrive pas quand je dors.

Quand tout est finalement silencieux, j’entends des voix argumentées. Il semblerait qu’une dispute ait éclaté après mon départ. C’est de ma faute.

« Alors rappelle-les. Pourquoi est-ce que tu ne le fais pas ? »

Chole est en train de se disputer en pointant le portable de Vincent du doigt. Il est l’une des rares personnes du groupe qui soit arrivé ici avec quelque chose d’utile. Son portable était presque à court de batterie, mais nous étions parvenus à trouver un [Mage] pour lancer un sort de [Réparation] pour le recharger.

« Ça ne marche pas comme ça ! C’est un sort qui a fait l’appel, pas le téléphone ! »

Vincent protège son Iphone alors qu’ils se disputent. Cela fait bientôt deux semaines que nous avons eu l’appel et réalisé que nous n’étions pas les seules personnes de ce monde, et ensuite nous n’avons plus eut de nouvelle. Toute l’euphorie que nous avons eut en réalisant que nous allions peut-être être sauvés a été perdue, et nous étions désormais inquiet que quelqu’un était en train de nous traquer.

Des visages devinrent rouges, et ils commencèrent de nouveau la même dispute. J’écoute en essayant de retourner dans mon lit en essayant de ne pas attirer l’attention.

« Pourquoi on ne peut pas utiliser de sort ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Le gars qui a fait l’appelle, BlackDragon, a dit que cela prenait beaucoup de magie ! Je ne suis pas un [Mage], et je ne pense pas qu’Emily puisse lancer les bons sorts. »

« Alors qu’est-ce qu’on peut faire ? »

Vincent hausse les épaules. Il fait un signe à la dague à sa ceinture. Il est un [Voleur], mais il a appris cette classe en désarmant des pièges et en étant discret, pas en volant des choses.

« Nous devons continuer de monter en niveau. C’est comme ça que ce genre de jeux marche. Nous nous entraînons et devenons plus fort. Une fois un certain niveau atteint, on achète de l’équipement enchanté et… »

« Arrête de raconter de la merde. Tu penses que ça va nous aider ? On va crever ici. Tout le monde nous a abandonnés. »

Kevin va directement au visage de Vincent en disant cela. J’essaye de me cacher alors que Vincent s’énerve.

« Alors qu’est-ce qu’on devrait faire ? Au moins je pars me battre. Tout ce que tu fais, c’est rester sur ton cul en te plaignant ! »

C’est vrai. Vincent fait habituellement partie du groupe chasse, contrairement à Kevin. Mais cela ne fait qu’encore plus énerver Kevin. Son visage rougit de plus belle et il pousse Vincent.

« Va te faire foutre ! »

« Va te faire foutre, connard ! »

« Arrêté ! Arrêté de vous battre ! »

Chole et l’une des autres filles se mettent entre eux alors qu’ils puissent en venir une nouvelle fois aux mains. Derrière-eux, Cynthia lève la voix alors que Vincent et Kevin se font séparer par les autres.

« Quelqu’un va venir nous sauver. Quelqu’un va bientôt venir nous sauver… »

Elle va d’avant en arrière, en train de se murmurer à elle-même. Elle le dit assez fort pour que nous puissions l’entendre, mais pas assez fort pour justifier qu’on lui dise de se taire.

Quand elle n’est pas en colère, Cynthia continue de nous dire qu’on va se faire sauver. Elle clame qu’une armée va trouver le moyen de nous sauver, ou que quelqu’un ouvrira un portail vers ce monde, ou… Que nous allons bientôt nous réveiller. Elle veut y croire. Et certains d’entre-nous aussi, mais je pense que le reste d’entre nous commencer à penser comme moi.

Même si les gens découvrent que nous avons disparu, comment vont-ils faire pour arriver ici ? Nous pouvons à peine atteindre une autre planète, encore moins une autre dimension. Et même si par miracle des gens construisent une… Une Stargate ou quelque chose du genre, comment est-ce qu’ils vont faire pour nous retrouver ici. Dans ce village perdu dans ce qui est l’une des pires parties du monde ?

Cynthia continue de répéter les mots alors qu’elle va d’avant en arrière en serrant ses genoux. Stacy mais une main sur son genou, mais le mouvement ne s’arrête pas.

Au moins elle ne fait que geindre et pleurer, sans me crier dessus. Cela pourrait être bien pire.

La dernière fois que Cynthia est devenue folle, elle a cassé la moitié des assiettes et des verres que les villageois nous avait donné, et la seule fenêtre de verre du bâtiment, et du village.

Est-ce que c’est vraiment surprenant si les locaux nous détestent ? Je ne suis pas surpris. Après tout ce temps, ils avaient désespérément espéré que quelqu’un viendrait les sauver. Leur Roi leur avait dit que des Héros étaient en route, et ils l’ont cru.

Ils ont prié pour avoir des héros.

À la place, ils nous ont eus.

La dispute n’est pas terminée. Vincent et Kevin se lancent des regards noirs, et Chole veut toujours l’Iphone, qui Vincent ne veut pas lui donner. Il le donne uniquement à Richard car tout le monde est d’accord qu’il devrait être celui qui parle, mais à part lui Vincent ne laisse personne le toucher.

Cela est arrivé après quelques accidents ou des gens empruntaient l’Iphone en prétendant qu’ils ne l’avaient pas… La dispute repartie de plus belle et je décide que je ne vais pas réussir à fermer l’œil.

Je quitte la salle commune et j’erre dans les environs. J’ai déjà assez mangé. Enfin, pas assez pour ne pas avoir faim, mais assez pour survivre. Je peux supporter la faim. Et j’ai toujours un de ses pains aux fruits du petit-déjeuner dans ma poche.

L’une des bonnes choses de s’habiller en [Clown] est que tu as de grandes poches. Rajoute ça à ma Compétence qui donne l’impression que je fais apparaître des objets, et je peux faire un bon tour de passe-passe. Et manger de la nourriture quand personne ne regarde.

C’est une bonne chose que Vincent ne s’est pas battue avec Kevin. Car si c’était ce qu’il avait fait, il aurait gagné. C’est un truc avec les Classes de ce monde.

Kevin est un grand gaillard. Afro-Américain, et je sais que c’est raciste quand je le dis, mais il est bien plus flippant que Vincent qui… Ressemble plus à un blanc-bec en surpoids. Comme moi, même s’il est en meilleure forme.

Mais Kevin a des muscles. Vincent a des muscles, mais pas autant. Mais s’ils se battaient, Vincent gagnerait sans la moindre hésitation.

Il est un [Voleur] de Niveau 14 avec plusieurs compétences lui permettant de désarmer des pièges, de bouger sans faire de bruit, et ainsi de suite, mais les niveaux l’on rendu plus fort. Nous l’avons testé, malgré le fait qu’il n’a pas de compétence, il est légèrement plus fort qu’une personne du même gabarit sans compétences. Mais il est plus rapide, bien plus rapide. Il semblerait qu’il y ait une sorte de bénéfice passif aux montées de niveaux, ou peut-être que c’est un avantage de la classe de [Héros].

Parce que cela ferait une grande différence entre Kevin et Vincent. Beaucoup de personne dans notre groupe… Toutes les personnes qui restent assises à ne rien faire à mon exception en fait, ont perdus leur classe de [Héros].

Cela commença quelques jours après notre arrivée au village. Un jour Cynthia se réveilla et nous dit qu’elle avait entendu une voix lui dire qu’elle avait perdu sa classe de [Héros]. Personne ne pouvait l’expliquer, et nous n’osions pas le dire aux villageois et aux soldats.

Lentement, cela arriva aux autres. À tous ceux qui ne combattaient pas les monstres.

Mais pas moi. Et c’est le truc. Je pense savoir pourquoi cela arrive, mais je ne l’ai pas dit à quelqu’un d’autre que Richard. Et il ne connaît pas l’entièreté de ma théorie.

Nous sommes tous des [Héros] de Niveau 1, les gens qui ont toujours cette classe. Mais aucun d’entre-nous à gagné un niveau, même si Richard est un [Chevalier] de Niveau 26 et Emily est une [Hydromancienne]de Niveau 21. Mais personne n’a gagné de niveau dans la classe de [Héros].

Certains d’entre nous pensent que c’est parce qu’il n’y a qu’un niveau dans cette classe. Eddy pense que c’est une classe spéciale, et la majorité des gens semblent être d’accord. Après tout, pourquoi Richard ne gagnerait pas de niveau ? Il est notre leader et le meilleur combattant parmi nous. Si quelqu’un est un héros, c’est lui.

Mais c’est quelque chose que les autres ne comprennent pas. Un héros n’est pas quelqu’un qui est courageux ou sans peur. Un héros ne tue pas des monstres ou sauve des princesses (ou princes). Si tu cherches le mot ‘héros’ dans un dictionnaire, tu vas trouver une autre définition.

Un héros est quelqu’un qui est admiré ou idéalisé. Un héros est une personne vers laquelle les autres se tournent.

Un [Héros] est un héros uniquement si les autres personnes croient qu’il est un héros. Ce qui explique comment nous avons obtenu cette classe en étant invoqués.

Le truc est que je ne suis pas un héros. Et je ne pense pas que quelqu’un de notre groupe l’est. Et plus les villageois et le reste du royaume nous regarde, moins ils pensent que nous sommes des héros.

Donc nous commençons à perdre la classe. Les villageois avaient peut-être encore un peu d’espoir pour Richard et les autres combattants, mais quand tu voyais un groupe d’adolescent pleurant sur leur sort et des jeunes adultes qui passaient leur temps à se disputer sans rien faire…

Nous sommes inutiles. Je suis le plus inutile, et nous sommes en train d’alourdir le village. Bon sang. Je n’ai juste pas envie d’être là. Mais vu que je ne suis pas dans la salle commune, autant essayer de monter de niveau. J’ai besoin d’un autre niveau.

Cette fois les enfants m’ignorent comme les adultes alors que je recommence à jongler. Ils m’ignorent en jouant, sauf quand ils m’utilisent comme obstacle. Demain ils ne vont probablement pas regarder, alors comment est-ce que je vais faire pour monter de niveau ?

Il ne faut pas penser à ça. Continue de sourire. Continue de faire le pitre. Je fais tourner trois quilles plus haut en l’air.

« Un [Jongleur] peut jouer avec six balles. »

Je laisse tomber une quille alors que le garçon m’adresse la parole. C’est le même qui a fait un commentaire sur ma blague.

Wilen. Il est trop jeune pour avoir un travail à part aider ses parents, mais il est un peu trop vieux pour jouer avec les autres enfants. Il gratte ses cheveux mal coiffés et regarde mon ventre bedonnant couvert par tes vêtements de clown inadaptés.

« Est-ce que tu vas partir ? »

« Non. Enfin, je ne pense pas. Pas à moins que le roi… Je veux dire, ton Roi vienne nous chercher. »

« Okay. »

Est-ce que je devrais continuer de jongler ? Je n’ai pas vraiment envie. Je suis en sueur, j’ai mal au bras, et je me sens bizarre. Wilen reste à côté de moi alors que je regarde autour de moi, gêné.

« Est-ce que tu essayes de monter de niveau ? »

« Ouaip. »

C’est étrange d’avoir une conversation de ce genre, mais Wilen est natif de ce monde, donc il est parfaitement à l’aise.

« Comment les [Clowns] gagnent des niveaux ? Est-ce que cela dépend du temps que tu passes o jongler ? Les [Jongleurs] gagnent des Niveaux en attirant une grande foule. »

« Je pense que ça marche de la même manière avec les [Clowns]. Je ne sais pas. »

« Est-ce qu’il y a d’autres [Clowns] d’où tu viens ? »

« Oui, mais ils ne… Je ne sais pas. Désolé. »

Je hausse les épaules, tout aussi insatisfait par mon explication que Wilen. Je fronce les sourcils et me penche pour ramasser une quille.

« Il faut faire rire les gens. Je pense. »

« Mais tu ne fais rire personne. Tes blagues sont terribles. »

« Ouais. »

Wilen est l’un de mes réguliers, donc il est au courant. J’ai essayé presque cent blagues depuis que je suis là, mais je ne suis vraiment pas drôle.

« Mais je suis Niveau 19, donc je dois bien faire quelque chose. »

Combien de cela est dût à la classe de [Héros] ?

« Ça ne peut pas être ça, vu que personne ne rigole. »

Wilen le dit comme si c’était évident et que j’étais un idiot pour ne pas m’en rendre compte. Je hoche la tête, et il se gratte.

« Est-ce que c’est parce que tu attires l’attention ? »

« Non… Les [Clowns] doivent être drôles. »

« Vraiment ? Mais... ; »

« Je sais. Mais pas vraiment drôle. C’est… »

Comment est-ce que je peux expliquer cela à quelqu’un qui n’a jamais vu de clown ? Je veux dire, comment expliquer qu’une personne qui doit faire rire peut tout aussi faire peur au gens qu’il essaye de divertir ? De plus, les clowns ne sont pas le plus drôle dans un cirque. Ils sont… Secondaires, au mieux.

« Les Clowns… Sont plus comme des jokers. Ils sont la chute de la blague. »

« De la blague ? Genre, raconter des blagues ? »

Wilen me regarde avec scepticisme, et je secoue la tête. Puis je trouve.

« Non, il faut distraire les gens. Être un clown est préparer la blague. »

« Quelle blague ? »

« Je ne suis pas certain. »

Mais ce que je venais de dire était la vérité. Wilen fronça les sourcils et ouvre la bouche pour me poser une autre question. Gah.

Je m’apprête à mettre la main dans ma poche, puis je me souviens que je suis un [Clown] et je fais apparaître le pain au fruit derrière l’oreille de Wilen. Il ne semble pas impressionné, mais il a clairement faim. Je lui tends le pain légèrement écrasé.

« Tiens. Ce n’est pas très drôle, mais c’est comestible. »

Il me regarde de manière suspicieuse, mais je ne bronche pas. Wilen hésite alors qu’il regarde le pain au fruit dans mes mains. Puis il le prend, gêné.

« Merci. »

Il ne devrait pas me remercier. Je devrais le remercier. Nous sommes la responsabilité de ce village ; le village est forcé de nous nourrir même si nous obtenions des provisions de la capitale de temps en temps.

« Donc. Heu. Comment ça va ? »

Wilen hausse les épaules en dévorant le pain.

« Bien. J’essaye d’apprendre à utiliser une épée pour obtenir la classe de [Guerrier]. Maman préférerait que je devienne un marchand à la place. »

Il grimace. Je suppose que c’est comme vouloir devenir un policier et étudier pour devenir comptable à la place. Mais après avoir vu des monstres de prêt, je ne peux pas contredire sa mère.

« Tu sais, être un [Guerrier] n’est pas aussi bien qu’il y parait. Un [Marchand] gagnera probablement plus d’argent. »

Wilen me regarde avec mépris.

« Et comment est-ce que je me protégerais quand les Démons attaqueront ? Ils vont revenir un jour ou l’autre. Le Roi Démon va bientôt attaquer le Mur, tout le monde le sait. »

Je n’ai rien à lui dire. Il a raison. Cet endroit n’est pas sûr comme les Etats-Unis. Bon sang, les Etats-Unis ne sont même pas sans danger, mais il n’y a que peu de personne qui meurent à cause des armes à feu chaque jour. Mais ici tu pourrais te faire manger par un… Escargot géant, ou un truc du genre.

« Bon courage, alors. Je vais, heu… Je suppose qu’on se revoir plus tard. »

« Okay. »

Wilen court jouer avec ses amis. Je me traîne jusqu’à l'étable.

Le village à une large étable avec seize chevaux à l’intérieur. Le bâtiment ressemble énormément à une grande au niveau de l’apparence et de l’odeur, mais au moins les chevaux ne me jugent pas comme les gens. Ils reniflent l’air et souffle, c’est tout.

Je n’aime pas les chevaux, et je doute qu’ils aiment me porter. Mais personne ne me dérange ici, et je ne dérange personne.

Le fait qu’il y ait autant de chevaux est peut-être étrange, mais c’est au cas où avons besoin d’envoyer un message d’urgence ou qu’un [Soldat] en ait besoin. De plus, entretenir l’étable fait gagner de l’argent aux villageois, et ils en ont cruellement besoin.

Je m’assois dans la paille, priant pour que le truc mou sous mes fesses ne soit pas quelque chose qui est sortie du derrière d’un cheval et fait une petite sieste avant d’entendre une voix et sentir quelqu’un être au-dessus de moi.

« Tom. »

Je lève les yeux vers la voix et essaye de sourire. C’est Richard. Le leader de notre charmant petit groupe.

Il est de retour avec les autres. Ils sont partis à cheval, huit personnes… Trois filles et cinq gars. Avant, ils auraient eu une escorte de soldat, mais Richard est considéré être assez pour mener son petit groupe seul.

Les gens descendent de leurs chevaux autour de moi, la plupart le font maladroitement. Il n’y a pas de cavaliers naturels dans le groupe. Je vois une grande fille descendre de son cheval et dépoussiérer ses robes.

Emily. C’est la seconde leader du groupe après Richard. La plupart des gars l’aiment bien, et elle a le second plus haut niveau après Richard. Elle renifle dans ma direction, mais ne dit rien.

Richard descend et panse son cheval alors que les autres sortent en laissant la scelle sur leurs montures. C’est un bon type, et il sait comment chevaucher. Il a grandi dans le sud, au Mississipi, dans un ranch.

« Tom. Comment s’est passé ta journée ? »

Je hausse les épaules alors que je secoue mon pantalon pour faire tomber la paille.

« C’est calme. J’ai, heu, fait pleurer Cynthia quand la musique à recommencer. Kevin et Vince se sont presque battu. »

Richard soupire alors qu’il accroche la scelle et masse ses épaules. Il porte une cotte de maille, un bouclier, et une épée mais il porte le tout comme si ça ne pesait rien.

« Tu ne peux pas l’arrêter ? »

Mes épaules s’affaissent et ma voix devient défensive.

« Je ne peux pas l’arrêter. »

Il me tapote l’épaule.

« Je sais. Désolé. Cynthia est en train d’aboyer sur le mauvais arbre quand elle s’énerve. Elle à besoin de sortir un peu plus souvent, ou elle va devenir folle. »

« Nous allons tous devenir fou si nous n’allons pas quelque part. »

« Tu continus de jongler pour les gamins ? »

« Un peu. »

Les gens n’ont pas la moindre idée de ce que je suis. Ils regardent ma peinture blanche et me demande quelle sorte de classe [Clown] est. Ils ne rient pas, et ils me regardent jusqu’à ce qu’ils aient quelque chose à faire. Je ne peux même pas les faire rire pour qu’ils oublient leurs problèmes.

Richard mange ses ongles alors qu’il s’appuie sur un mur de l’étable. Le cheval qu’il vient de chevaucher me regarde.

« Tu sais, Tom, tu pourrais venir avec nous la prochaine fois. Tu… Pourrais te battre. Nous allons chasser demain. Tu pourrais nous rejoindre. »

« Je… Ne pense pas en être capable. Je ne suis pas un combattant. »

Je suis malade à la vue du sang. Quand j’ai cru que j’allais devoir décapiter ce Gobelin qui hurlait… J’ai encore des cauchemars à propos de Ron et Marian.

« Mais pourquoi un [Clown] ? Les clowns ne sont pas… »

Il s’arrête avant de dire la suite, mais je comprends. Les clowns ne sont pas drôles. Oui, c’est vrai. Mais il y a une raison pour laquelle je continue d’aller dans cette classe. C’est un pressentiment. Un pari, mais peut-être que…

Je suis sauvé par un son familier.

« ♪Doo doo doodle do do doo doo doot~♫ »

Nous écoutons tous les deux l’horrible musique en silence. Richard se racle la gorge.

« Est-ce que tu peux au moins changer la musique ? »

« Si je le pouvais, mec, je le ferais sans hésiter. Tout sauf ça. »

« Bon, je suppose que c’est une bonne chose que tu ne viennes pas patrouiller avec nous. Imagine ça qui se lance lorsque nous approchons discrètement un monstre. »

Nous rions tous les deux. Pourquoi est-ce que je ne peux pas être drôle comme lui ?

« Chole veut encore utiliser le portable de Vincent pour appeler les autres. »

« Ce n’est probablement pas une bonne idée. Tu te souviens de ce qu’il s’est passé ? »

« Ouais. Mais elle dit que… »

« Je vais lui parler. Mais j’ai d’autre nouvelle. Je viens de parler avec un officier sur la route, et il dit que nous allons peut-être bientôt avoir du renfort. »

Je lève la tête.

« Plus de soldats ? »

Richard secoue la tête, et il a l’air sombre.

« Non. Plus de gens comme nous. »

Il me faut un moment pour digérer l’information.

« Quoi ?»

« Le Roi pense que nous sommes une erreur. Il veut recommencer le rituel et appeler plus de héros dans ce monde. »

« Comment est-ce qu’il peut le refaire ? Est-ce qu’il n’y a pas un lourd coût à payer ou quelque chose dans le genre ? »

« Je pense qu’ils vont continuer de le faire tant qu’ils ont assez de [Mages]. Ils disaient que cela prenait beaucoup de mana, et autres choses, mais ils veulent réessayer. »

« Je ne peux pas vraiment les blâmer. Pas vrai ? »

Richard rit, et regarde la paille sur le sol de l’écurie.

« Non. Mais c’est une erreur. »

Ça l’ai. Plus de gens. J’essaye de l’imaginer. Je ne veux pas voir d’autre personne mourir à notre âge. Richard serre le pommeau de son épée par réflexe et regarde les portes de l’écurie.

« Je vais essayer de parler aux soldats ; essayer d’avoir une audience avec lui. »

« Il ne nous écoute pas. Il ne l’a jamais fait. »

« Mais je dois essayer. C’est la bonne chose à faire. »

La bonne chose à faire. Ce n’est pas une surprise que Richard soit devenu un [Chevalier]. Il est toujours en train d’essayer de nous offrir le meilleur, et il a aussi cette courtoisie des Etats du Sud. Il y pense alors que je le regarde du coin de l’œil.

« Si je peux le convaincre que certain d’entre-nous peuvent être les héros qu’il veut, alors peut-être qu’il va nous écouter. »

« Tu penses que tu peux le faire ? »

« Emily a dépassé le Niveau 20 et Rouge est presque là. C’est bien plus rapide que n’importe qui dans ce monde. Si je peux atteindre le Niveau 30, je serais équivalent à un aventurier Or. »

« Peut-être que vous devriez être des aventuriers. Vincent disait que c’était ce dont nous avons besoin. Des items magiques. »

« Eddy dit la même chose. Peut-être. On pourrait essayer d’aller voir un de ces donjons si nous sommes escortés de l’autre côté du mur et vers la capitale. C’est bien plus sûr derrière les murs. »

« Ouais. »

Richard devient silencieux, et je ne peux rein ajouter. Nous restons immobiles pendant quelques instants jusqu’à ce que Richard se racle la gorge.

« Allons dormir. »

C’est drôle. Enfin, pas vraiment drôle, mais bizarre. Quand est-ce que j’ai commencé à bien prendre les ordres comme ça ? Je veux dire, je n’ai jamais laissé quelqu’un décidé de quand j’allais me coucher depuis que j’étais gamin. Mais Richard me le dit et donc nous nous rendons dans la grande salle.

Cynthia à arrêter de pleurer, et avec les autres, les petites disputes de la matinée sont oubliées. Nous mangeons un ragoût sans goût avec des morceaux de viandes en sauce, et puis nous éteignons toutes nos lanternes et allons-nous coucher sur les matelas durs.

Je m’assois dans le noir pendant un temps, écoutant les gens parler doucement et d’autre qui s’endorment. Quelqu’un commence à ronfler, et je pose ma tête sur l’oreiller.

Mes yeux se ferment, je commence à me laisser porter. Mais je n’entends pas de voix dans ma tête.

… Pas de gain de niveau. Encore. Bon sang.

Quelque chose va se passer si j’atteins le Niveau 20. Je le sais. Et s’il arrive ce que je pense, alors peut-être que…

Que je vais pouvoir faire rire les gens. Faire des choses de clown. J’ai besoin d’un nez rouge. Une tomate ? Est-ce qu’ils en ont au marché ?

J’arrive pas à penser. Dois dormir. J’essaye de rendre l’oreiller plus confortable alors que ma respiration se calme. Un autre jour en moins. Mes pensées disparaissent alors que je ferme les yeux.

J’ai vraiment…Besoin… De meilleures blagues…

***

« Tom. Tom ! »

Quelqu’un me secoue pour me réveiller. Je regarde autour de moi, et vois le visage de Richard. Il n’y a pas de lumière dans la salle, mais je peux toujours voir son visage illuminée d’une lueur orangée. Il est aussi paniqué que la fois ou je l’ai vu quand nous étions par-delà le mur.

Il me met sur mes pieds.

« Debout. Et restes silencieux. »

« Qu-qu’est-ce qui se passe ? »

« Nous sommes attaqués. C’est un raid des Démons. »

Autour de moins, j’entends les autres se réveiller et faire passer le mot. J’entends quelqu'un geindre bruyamment, Cynthia, et elle se fait aussitôt taire. Je n’entends plus que le bruit des flammes, les cris, et au loin, le bruit du métal contre le métal.

La guerre est venue au village. Et elle allait venir pour nous.

Une fois que tout le monde sur pied, réveillé et effrayé, Richard se tient debout au centre de la pièce. Il lève la voix assez forte pour se faire entendre.

« Un groupe d’archer Démon est en train de tuer tout ce qui bouge au centre du village. Ils vont nous abattre sur nous partons à cheval. Nous allons devoir nous faufiler. »

« Qu’en est-il des soldats ? Où sont-ils ? »

Emily répond pour Richard.

« Ils sont en train de se battre à l’avant-poste. Ils vont envoyer de l’aide, mais nous devons partir. Prenez tout ce qui a de la valeur et attendez mon signal. »

Elle lance un sort, et une sorte de bouclier magique se forme autour d’elle. Elle ouvre une porte avec précaution et quelqu’un de nos guerriers la suivent. Après une seconde, la porte s’ouvre et Emily passe sa tête.

« Personne n’est là. Suivez-moi. Baisser la tête et marcher vite ! »

Tout le monde commence à se diriger vers la porte. Personne ne parle, mais je regarde autour de moi et les mots s’échappent de ma bouche avant que je puisse les arrêter.

« Et les villageois ? »

Tout le monde s’arrête. Emily me fait une grimace dédaigneuse, et pointe en direction de la fenêtre d’où proviens le combat.

« Ils sont en train de se battre avec les soldats. Nous ne pouvons pas prendre le risque de les aider. Il y a un groupe de Démons là-bas, pas que des monstres ! »

« Mais… »

« Tom. Nous ne pouvons rien faire. »

Richard semble fatigué alors qu’il dégaine son épée. Il va fermer la marche. Il me fait signe d’avancer vers la porte, mais j’hésite.

« Il y a des gamins là-bas. On ne peut pas… ? »

Personne ne croise mon regard. Richard hésite, mais Emily le regarde et quelque chose passe entre eux.

« Nous ne pouvons rien faire. Nous devons partir maintenant. »

« Alors je vais y’aller. »

« Quoi ? »

Je tremble. Mais je ne peux pas m’en empêcher. Je pense à Wilen et à la fille à qui j’ai donné une fleur ce matin. Je ne peux pas partir.

« Je vais y’aller. Je vous retrouverai plus tard si… Je vais y’aller. »

Richard me regarde. A mon grand soulagement, il n’essaye pas de m’arrêter, il sort une flasque de sa ceinture.

« Prends ça. »

Il met la potion jaune dans mes mains. C’est un truc de grande qualité et je sais que ça lui a sauvé la vie plus d’une fois au combat. Je la prends et je hoche la tête dans sa direction. Qu’est-ce que je peux dire ?

Les autres me regardent, mais personne ne dit rien. Après quelques secondes, Emily traîne quelqu’un vers la porte et les autres suivent.

Personne ne m’arrête, personne n’essaye de me dire que c’est stupide. Ils sont déjà en train de partir. Ce n’est pas le moment de sortir une phrase héroïque et débile comme dans les films.

Alors pourquoi est-ce que je suis en train de faire quelque chose d’héroïque et de débile ?

Je ne sais pas, et je n’ai clairement pas l’impression de faire quelque chose d’héroïque alors que je descends la rue, essayant de rester à l’ombre. Mais peut-être que je ne supporte l’idée que nous prenons la fuite. Pas maintenant. Pas… Sans essayer quelque chose.

Je suis juste un [Clown]. Je pensais que ça allait être une bonne idée, qu’il y allait avoir quelque chose. Mais maintenant je ne pense pas à ma classe ou à mes compétences ou autre chose. Je suis juste un type terrifié essayant de faire ce qu’il faut faire.

J’entends quelqu’un hurler plus loin devant moi et mon cœur s’arrête dans ma poitrine. Mais ce n’est pas un son humain. Devant moi, l’auberge se tient à côté d’une maison en feu. Les flammes ne l’ont pas encore touché, mais les chevaux sont à l’intérieur et ils peuvent sentir la fumée.

Je n’ai pas le temps de les libérer. Si j’avais un cheval… Mais je ne peux pas.

« Je suis désolé. »

Je murmure doucement et je continue. Je ne peux pas m’arrêter. Tous mes instincts me disent que je suis en danger. J’ai juste besoin de trouver Wilen et les gamins. Ils savent qu’ils doivent aller vers l’avant-poste en cas de danger, mais si les soldats se font attaquer, où est-ce qu’ils peuvent aller ?

Richard et Emily pourraient les protéger si je les ramène. Si…

Quelque chose fonce dans une ruelle en face de moi. Je me fige, mais ce n’est pas un Gobelin. Un petite forme cours à travers la rue. Je cri, oubliant la prudence.

« Wilen !»

Il se tourne vers moi, le désespoir inscrit sur son visage. Il part vers moi, mais j’entends quelque chose se briser et une forme passe à travers le mur d’une maison derrière Wilen.

Une gigantesque main passe à travers la pierre, et un gourdin qui n’est qu’une grosse poutre envoi du bois enflammé volé à travers l’air alors que la chose hurle et charge vers moi. Je me fige.

Un Troll. Un monstre massif, à la peau vert-grise, s’approche lentement de Wilen. Le gamin cours vers moi, et je me fige de nouveau. Qu’est-ce que je devrais… ?

« Cours ! Je vais l’arrêter ! »

Wilen me regarde, mais je le pousse derrière moi. Le Troll s’arrête alors que je cours vers sa gauche, essayant de l’attirer. Il court vers moi, la plus grosse cible, et sourit alors qu’il lève sa poutre brisée.

Je dois faire gagner du temps à Wilen. Je cri et secoue mes bras en courant. Je peux aller dans une ruelle et le perdre.

Mais la poutre du troll me bloque le chemin, et je réalise qu’il est plus rapide que moi. Il me barre le passage et lève son gourdin. Je ralenti et essaye de faire demi-tour, mais c’est trop tard.

Il donne un coup de son gourdin. Si rapidement ! Trop rapide, je ne peux pas l’éviter. Je lève mon bras…

… Et je me réveille au sol. Je lève ma tête et vomis alors que tout tourne autour de moi. Je dois me pencher pour vider mon estomac, mais je suis debout sans avoir le temps de penser.

Wilen. Je dois le trouver. Le Troll doit avoir pensé que je suis mort. Ou est… ?

Quelque chose git dans la rue à quelques pas devant moi. Je le regarde.

Non.

Il est toujours en train de bouger. Je titube en avant, sentant mon corps agoniser. Mais c’est un cri lointain ; pas plus bruyant que celui dans ma tête. Je cours, et je vois la petite forme.

Wilen. Il tourne sa tête vers moi alors que je m’arrête. J’ai froid, malgré les flammes autour de nous. Et mon cœur…

« C’est toi, Monsieur le [Clown] ? »

Il est en un morceau. En partie. Mais sa colonne vertébrale n’est pas du bon côté, et sa peau…

Le jeune garçon me regarde, le visage pale. C’est un gamin. Rien qu’un gamin. Des larmes coulent sur ses joues alors que je me penche vers lui et tombe à genoux.

« J’ai essayé de courir comme tu l’as dit, mais il était trop rapide. Il m’a eu. »

« Wilen… »

Je tends la main vers lui, puis je m’arrête. Qu’est-ce que je peux faire ? Je ne peux rien faire. Wilen à du mal à respirer, son visage est pâle.

« Je pense qu’il m’a blessé. Est-ce que je vais bien ? »

« Je… »

Ma tête tourne. Wilen n’a pas besoin de répondre. Il se mord la lèvre tellement fort qu’il se l’ouvre. Il essaye de ne pas crier.

« Monsieur [Clown]… Il revient. »

Je regarde par-dessus mon épaule. Peut-être que le Troll a trouvé autre chose à tuer. Peut-être qu’il pensait que nous étions morts. Peut-être qu’il s’ennuyait.

Il marche d’un pas lourd dans la rue, traînant son gourdin derrière lui. Il plisse les yeux et nous remarque, puis il sourit.

Il fait quelques pas vers nous et je sens mes os trembler. Wilen soupire quelque chose au sol alors que le sourire du Troll devint plus grand encore. Son torse bouge alors que la massive créature ouvre la bouche. Il est en train de rire.

Je ne comprends pas la blague.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 25 novembre 2020 à 12:03:53


1.01 C
 Traduit par EllieVia

C’est peut-être une bonne chose que les dieux soient morts. Parce qu’en tenant le corps d’un enfant agonisant dans mes bras, je suis incapable de croire en quoi que ce soit. Ni en Dieu, ni au Paradis…
 
Certainement pas en moi.
 
J’ai toujours été un échec. Cela me ronge pendant les moments sombres et mes instants de joie. Avant, j’avais des médicaments pour empêcher ces pensées de m’assaillir et de m’entraîner dans les ténèbres. Mais je vois à présent que j’ai toujours eu raison. Les instants de bonheur n’étaient que des illusions.
 
Je ne suis capable de rien. Je ne suis rien. Je ne peux pas être un héros, je ne peux pas me battre. Je suis incapable de sauver un seul enfant.
 
Wilen, le souffle saccadé, s’accroche à moi. Il est encore vivant. Mais plus pour longtemps. J’en suis sûr. Sa colonne vertébrale et le bas de son torse sont…
 
“J’ai mal. Un peu.”
 
Il se mord tellement fort que ses dents ont traversé ses lèvres. Je le tiens contre ma poitrine. Je ne sais pas quoi lui dire.
 
“Tout va bien se passer.”
 
Il me lance le même regard que celui qu’il me fait à chaque fois que je fais une blague vraiment mauvaise. J’ai presque envie d’en rire.
 
“Je vais mourir. Mais tu devrais t’enfuir. Il arrive.”
 
J’entends le Troll s’avancer vers moi, ses pas lourds résonnants dans la rue. Ce bâtard gargantuesque prend son temps et profite de la balade. Je ne bouge pas. J’en suis incapable.
 
“Je ne t’abandonnerai pas ici.”
 
“Tu n’as pas le choix. Je suis en train de mourir.”
 
Il le dit d’un air tellement nonchalant, mais sa petite main agrippe fort mon bras. Je sais qu’il a raison. Lui aussi. Je ne sais pas quoi faire. Il me tend quelque chose. Une épée ? Non… juste un couteau. Un couteau de cuisine. Il doit avoir essayé de se défendre avec.
 
Il tombe de sa main. Il n’arrive même pas à le tenir. Wilen souffre. Il est… je peux voir la douleur dans ses yeux.
 
Donc je raconte une blague.
 
“Hey. J’ai une blague pour toi.”
 
Je prononce ces mots par désespoir, par peur. Parce qu’il a mal et que je veux faire disparaître la douleur.
 
Wilen me regarde. Il essaie de sourire et échoue. Des gouttes de sueur et des larmes, indifférenciables, roulent sur ses joues.
 
“C’est une bonne blague ?”
 
“Tu me diras.”
 
“D’accord.”
 
Je prends une grande inspiration. Je n’ai pas de blague à raconter. Mais elle me vient dans un éclair de génie.
 
“Tu… tu sais comment on appelle un gros [Clown] assis devant un Troll ?”
 
Wilen prend une inspiration rauque. Son visage pâlit un peu plus, et il s’accroche à mon bras de toutes ses forces. Sa poigne s’affaiblit. Je baisse les yeux, et vois le sang s’accumuler sous sa peau.
 
“Quoi ? Comment appelle-t-on un… gros [Clown] assis devant un Troll ?”
 
“Le plat de résistance.”
 
Ce n’est pas drôle. Mais il rigole, et du sang coule de son estomac.
 
“Elle est bonne. Mais je ne veux pas…”
 
Ses yeux partent dans le vague un instant et il se tait. Je le tiens dans mes bras un moment, attendant qu’il termine sa phrase. Puis je comprends qu’il est mort.
 
Derrière moi, la terre tremble et j’entends un rire épais au-dessus de ma tête. Une puanteur terrible et putride me monte aux narines et je sens l’odeur du sang et de la mort.
 
Mais je n’en ai cure.
 
J’ai la tête sous l’eau, mais mes yeux sont secs. Toutes les larmes coulent de mon cœur. Comme le sang, qui s’écoule sur le sol. Mon sang.
 
Tout tourne autour de moi. Je sens la mort approcher, reniflant, grognant. Le Troll.
 
Je ferme les yeux de Wilen et me mets en mouvement. Je me lève. Je continue de bouger. Et je souris.
 
Je ne suis pas heureux. Je ne crois pas que je serai de nouveau heureux un jour. Mais c’est une tragédie, et je peux au choix me coucher et mourir, ou tourner la page.
 
Parce que c’est ce que font les clowns. Je crois que j’ai compris à présent. Nous faisons rire des drames, et prétendons que tout est drôle alors que ce n’est pas le cas. Nous…
 
Racontons des blagues pour que personne ne puisse voir les larmes qui coulent dans nos cœurs.
 
Le Troll est dans mon dos. Je vois son ombre gigantesque lever sa massue. Et je ris. Mais il ne comprend pas. Il ne comprend pas ce qu’est l’humour véritable. Il ne comprend rien.
 
Je ferme les yeux. Parfois, il suffit de lâcher prise. Et laisser sortir ce qui est drôle à l’intérieur de nous.
 
Ha. Elle était plutôt bonne.
 
Hahahaha..
 
HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA...



[Clown Niveau 24 !]
 
[Compétence - Tolérance Majeure à la Douleur Obtenue.]
 
[Compétence - Chance du Diable Obtenue.]




[Condition - Rire Horrifiant Reçue]
 
[Condition - Folie Mineure Reçue.]




Oh. Oh.
 
C’est donc à ça que ça ressemble. Quelle sensation merveilleuse. Quelle sensation iNcroYable.
 
J’avais raison depuis le début. Les classes sont ce que l’on en fait. Les [Clowns] n’existent peut-être pas dans ce monde, mais nous avons apporté un peu de notre monde avec nous.
 
Et les [Clowns] ne se contentent pas d’être drôles.
 
Nous sommes hilarants.
 
Vous vous souvenez du moment où j’ai dit que j’étais dépressif ? J’ai menti.






(https://i57.servimg.com/u/f57/20/28/34/14/mondem12.jpg) (https://servimg.com/view/20283414/4)






 
Et à ce moment précis, le monde est terriblement, affreusement, et horriblement drôle à mes yeux.
 
Je repose le petit corps par terre et me relève. Le Troll se tient au-dessus de moi en se léchant les lèvres. Il rit d’un rire épais et cruel. Ce n’est pas un rire. Je lui montre à quoi ressemble un vrai rire.
 
“Héhé. Ohoho. Hahahaha. HAHAHAHAHAHAHAHAHAHA.”
 
La créature entend mon rire. L’énorme visage du Troll se froisse d’incompréhension. Il n’apprécie pas ce qu’il entend. Il n’aime pas le bruit que je fais.
 
Il me donne un coup de massue. Je m’envole dans les airs. Comme un oiseau ! Je ne suis qu’un clown. Je ne peux pas esquiver. Pourquoi qui que ce soit penserait-il que je pouvais esquiver ?
 
Je pense que mes os se brisent en heurtant le sol. Mais je me redresse et continue de rire. La douleur n’est qu’une autre face du plaisir, n’est-ce pas ? C’est tellement drôle que même mes côtes cassées ne me dérangent pas.
 
Le Troll avance sur moi de son pas pesant. Il me donne un coup de poing lorsque je m’assieds et hop ! je retourne au tapis. Youpi !
 
Haha. Ça fait mal ! Ça fait mal et je saigne.
 
Le Troll tend la main pour m’attraper, puis marque une pause en remarquant le couteau qui dépasse de son bras. Il entre et ressort alors que je le poignarde.
 
“Coupe. Coupe. Coupe. Coupicoupe.”
 
Il me dévisage. Je pouffe de rire. Le sang des Trolls est rouge ! Quelle merveilleuse découverte !
 
Le Troll me rugit au visage. Ooh, ça fait peur. Il recule et lève sa massue. Un peu trop loin !
 
“Aha ! Un point faible !”
 
Cette fois-ci, il hurle lorsque je plante le couteau pile dans son pagne. Il me jette au loin et je roule. Pauvres os ! Pauvre chair ! Où est ma potion de soin ?
 
Le Troll me regarde fixement me relever d’un bond. Il se tient l’entrejambe et s’éloigne en titubant. Je ne lui ai pas fait très mal, mais il a trop peur. De quoi ? Mon visage ? Le rire ? Est-ce qu’il ne supporte pas les blagues.
 
Je descends entièrement ma potion. Puis une autre. Elle me brûle comme du feu. Les potions de soin ne sont pas censées être bues, il faut plutôt les appliquer. Trop d’un seul coup, et on souffre. Mais qu’est-ce que la souffrance ?
 
Le Troll s’enfuie en courant… enfin, plutôt en boitant. Je le suis. Comment suis-je censé trouve qui que ce soit avec toute cette fumée ? Je ne cesse de trébucher sur des cadavres. Honnêtement. On pourrait penser que les villageois allaient nettoyer derrière eux après avoir saigné de partout.
 
C’est alors que je vois les Démons. Huit d’entre eux, tous ensemble. Un groupe d’archers qui tirent sur quelqu’un au loin. J’entends un cri, puis le Troll crie quelque chose aux archers en courant vers eux.
 
L’une d’elle se retourne, et j’aperçois un visage anguleux et sévère, de la fourrure d’un violet sombre, et deux cornes de bélier. Hey, Eddy avait raison ! Ils ressemblent un peu à ça.
 
“Wow. Elle est sexy !”
 
Mais elle a des yeux à facettes, et une espèce de chitine semblable à une armure qui lui recouvre le haut du corps. Des mutants. Bon Dieu.
 
C’est trop drôle. Est-ce que je me bats contre les X-men ?
 
“Hah !”
 
Elle se tourne vers moi. Elle a probablement la charge de cette joyeuse bande. Et oh, regardez, ils ont des arcs !
 
Les autres Démons ont des apparences variées aussi. L’un d’eux a l’air d’avoir des écailles de poisson, un autre a l’air humain si l’on passe outre la corne qui lui sort du front, et un autre a le bras gluant.
 
Quelque chose en moi veut se révolter. Quelque chose au fond de moi est déçu. Des Démons ? Ce ne sont que des gens avec des problèmes de peau. Ils ne sont pas différents de humains. Ils travaillent en équipe - ils se battent et tue, et ils ont probablement autant de peur et de haine pour nous que nous de haine pour eux.
 
À quoi bon avoir peur de quelque chose d’aussi merdique.
 
Mais ce n’est pas ce que fait un [Clown] ! Mes pensées se tordent, et mes lèvres aussi. Un [Clown] montre du doigt la manière dont le monde se brise et en rit. Je suis un artiste. Un mec rigolo.
 
“Souris, souris, souris.”
 
Le Troll passe en courant derrière le groupe d’archer, ignorant l’ordre de la chef qui lui somme de s’arrêter ou de prendre un bain. Et voilà qu’ils se retournent. Bonté. Est-ce que j’ai fait peur aux grands méchants démons ?
 
L’un d’eux regarde dans ma direction et crie quelque chose. Les autres lèvent leurs arcs et me visent, avec incertitude toutefois. Oups. Je suis dans l’ombre, c’est ça ? Eh bien c’est le moment de l’entrée dramatique.
 
Je sors des ténèbres et leur adresse un large sourire en m’inclinant. C’est important de faire bonne impression en arrivant. Et je dois être un bon forain.
 
Étrangement, ils se figent tous en apercevant mon visage. Pourquoi ? Est-ce que c’est mon sourire de vainqueur ? Quelque chose sur mon visage ?
 
“Ne prenez pas cet air effrayé. Je suis venu apporter un sourire sur vos visages. Vous voulez entendre une bonne blague ?”
 
La Lieutenante Démone lève son arc. Elle tire une flèche droit sur ma tête avant que j’aie eu le temps de cligner des yeux.
 
Quelque chose m’ouvre la joue. Je cligne des yeux, et touche la chair fendue.
 
“Hey ! J’ai failli mourir !”
 
Elle cligne des yeux. Je la fusille du regard, puis souris en léchant le sang.
 
“Comment appelle-t-on un gros type devant une bande d’archers ? Une pelote à épingles ?”
 
J’éclate de rire et les Démons me dévisagent avec incertitude. Est-ce qu’ils n’ont pas compris la blague ? Ou est-ce qu’ils n’arrivent pas à m’entendre ? C’est encore plus drôle.
 
”HAHAHAHAHAHAHAHAHA…”
 
Une autre flèche manque de peu ma tête lorsque je me plie en deux de rire. Whoops ! Je me relève, et écarte les bras. J’avance vers eux en criant d’un air joyeux.
 
“Allez-y alors ! Tirez ! Criblez-moi de flèches !”
 
Les archers hésitent. Ils n’ont jamais vu qui que ce soit marcher vers eux, les bras grand ouverts. Je souris aux pointes de flèches qui brillent à la lumière.
 
L’un d’entre eux tire. Cette fois-ci, il m’atteint à la jambe. Je trébuche, mais, hé, qu’est-ce qu’une flèche entre amis ? Il y a une potion dans ma poche. Je fais mine de la faire sortir des airs et la boit tandis qu’une autre flèche se plante dans mon autre jambe. Et j’avance vers eux.
 
“Est-ce que vous pensez vraiment…”
 
Une autre flèche apparaît dans ma poitrine et je chancelle. Mais la potion fonctionne. Je reprends l’équilibre et continue de marcher.
 
“Est-ce que vous pensez vraiment pouvoir tirer sur un type avec un sourire aussi beau que le mien ?”
 
Les pointes des flèches cherchent à atteindre mon cœur. Mais elles l’ont raté. Et il n’y a rien pour elle par ici, de toute façon. J’ai le cœur en bandoulière. Vous l’avez ? Ha.
 
L’un des Démons vêtus de cuir baisse son arc lorsque je m’approche de lui. Il arrache une épée de son fourreau. Ooh, ça fait peur.
 
Je lui fais un petit signe de la main, et mon sourire s’agrandit. Ses yeux sont exorbités lorsqu’il me dévisage. Quoi ? Je suis si moche que ça ou est-ce que c’est mon manque de cornes ?
 
“Hey. Tu veux voir un tour de magie ?”
 
Il cligne des yeux en entendant le terme inconnu. Mais ce n’est pas grave, je vais lui montrer. Je fais un geste de la main, et un couteau y apparaît. J’aurais préféré un lapin, mais c’est plus dur de tuer des gens avec.
 
L’archer n’était pas prêt pour ça. Il hésite, et je lui donne un coup de poignard dans la gorge.
 
Raté. Il a une Compétence, ou alors il est plus athlétique qu’un type dépourvu de coordination avec des flèches qui dépassent de son torse. Il recule et le couteau atteint son armure à la place. L’impact me fait lâcher la lame.
 
Oups. Il tente de me transpercer de son épée, et je lui saisis sa main. Il me force à le lâcher et essaie de me taillader, mais il n’a soudain plus rien entre les mains. Son épée a disparu. J’agite mes doigts devant son nez.
 
Tadam.
 
Je la tire alors en arrière et le transperce avec. Il suffoque, et je ris aux éclats en le repoussant.
 
“Bon, et maintenant, est-ce que quelqu’un saurait où je pourrais trouver un crayon ?”
 
J’entends un cri et tourne la tête. Une flèche me fait tournoyer. Celle-ci a bien failli m’avoir pour de bon ! La Lieutenante lâche son arc et se précipite sur moi avec son long couteau dans la main.
 
“Que tu es mignonne ! Tiens, attrape !”
 
Je lui lance l’épée, et elle esquive à gauche. Pile sur le couteau que j’ai soudain fait réapparaître dans ma main.
 
Mais bien sûr, c’est une soldate ! Grande, méchante, et ô combien talentueuse. Elle dévie le couteau de sa trajectoire puis fond sur moi. Elle me donne un coup de pied si puissant que je sens quelque chose exploser dans mes entrailles. Mais la potion est toujours en moi, et vous savez quoi ? Ça ne fait pas si mal que ça.
 
Je tombe à genoux tandis qu’elle lève sa dague au-dessus de ma tête. Elle l’abat, et je lève la main. J’attrape la lame avec mes doigts.
 
“Hé, c’est aiguisé ce machin ! Ça t’embête si je te l’emprunte ?”
 
La longue dague courbe disparaît et la Lieutenante prend une vive inspiration. Probablement parce que je viens juste de la poignarder dans le ventre avec sa propre arme.
 
“Quoi, pas d’applaudissements ? Ton autre pote a trouvé que c’était à mourir de rire.”
 
Je lui donne quelques petits coups de coude mutins et elle titube en arrière.
 
“Tu l’as ? Mourir de rire ? Non ?”
 
Le reste des archers se précipitent sur moi en hurlant pour essayer de protéger leur boss.
 
“Oh, s’il vous plaît. Un à la fois. Faites la queue !”
 
Je retire une flèche de mon épaule et tente de taillader l’un des soldats. Il esquive. Ooh, il a un couteau lui aussi.
 
Il aurait dû alors me poignarder dans l’œil ou à un autre endroit merveilleusement douloureux, mais je lui souris lorsqu’il se jette en avant, et il se paralyse. Ses yeux s’écarquillent, et je les écarquille encore plus lorsque je lui plante la flèche dans son orbite droite.
 
“Regarde-moi ! Regarde... oh, attends. Tu ne peux pas.”
 
Il me faut une meilleure inspiration. Mais le reste des soldats est en train d’hésiter, à présent. Leur leader est en train d’essayer désespérément de retirer la lame et d’utiliser une potion avant de mourir d’hémorragie. Je leur adresse donc mon plus grand sourire pour leur montrer que je ne suis pas rancunier.
 
Ils s’enfuient.
 
“Hé ! Le spectacle n’est pas encore terminé !”
 
Je me lance à leurs trousses, mais je suis trop lent. Et puis la perte de sang, tout ça tout ça. Je baisse les yeux et réalise que je suis toujours en train de saigner de partout.
 
“Les potions ne fonctionnent juste plus aussi bien qu’avant, pas vrai ? Quand j’étais jeune, on avait des scores de CA négatifs et les mages ne pouvaient pas jeter des sorts d’un niveau supérieur à 6. Bah.”
 
Le monde tourne autour de moi, mais ce n’est rien à côté de la torsion qui s’effectue dans ma tête, et du rire qui résonne dans mes oreilles. À qui appartient-il ?
 
Oh, c’est vrai. À moi.
 
Mais je n’ai donc aucun public avec qui partager mon amusement ? Je regarde autour de moi. Nope. Rien que des cadavres.
 
Ooh, et une lieutenante Démone fraîchement décédée ! Elle essaie de s’éloigner en rampant. On dirait que ses potions de soin ne sont pas aussi cools que les miennes.
 
Elle hurle lorsque je tords ma tête et mon torse pour lui jeter un regard en coin. Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai même souri.
 
“Tu veux que je te raconte une blague ?”
 
Elle tente frénétiquement de me frapper de sa dague couverte de son propre sang. Je claque la langue d’un air mécontent et la lui ôte des mains.
 
“Ce n’est pas très gentil, ça, si ? Écoute, je ne suis pas un très bon [Clown] - je viens à peine de dépasser le Niveau 20, donc sois indulgente, d’accord ?”
 
Je me mets à papoter avec elle en la traînant dans la poussière et le sang qui jonchent la rue. Elle crie quelque chose, mais j’essaie de raconter une blague.
 
“C’est très, très gentil de ta part de supporter mes blagues. Je ne fais qu’imiter les maîtres en la matière, tu vois ? J’improvise mon spectacle. Je trouverai bientôt quelque chose d’original, promis.”
 
Elle me crache dessus. Je ris, et elle se tend.”
 
“D’accord, d’accord. Trop réaliste ? Trop personnel ? Je sais. Un [Clown] doit rester professionnel. Désolé. Retournons au vrai spectacle ! Tu veux savoir comment j’ai eu ces cicatrices ? … Nah, je te fais juste marcher.”
 
Je tire sur sa jambe d’un air entendu. Elle s’étouffe un peu et essaie de s’échapper. Je donne un coup de pied dans sa blessure à moitié refermée et elle se met à convulser. Puis je sors mon couteau et le lui plonge dans la bouche. Pas trop loin, juste suffisamment pour que ça lui chatouille le fond de la gorge. Elle écarquille les yeux lorsque je plante mon visage souriant juste devant le sien.
 
“Voici la blague ! Vous tous… ton peuple, là-bas. Vous vous battez contre ces humains en croyant être le truc le plus flippant du coin. Mais tu sais ce qui est drôle ? Vous ne faites que tuer des gens comme vous. Des gens ordinaires qui deviennent soldats. Nous vous avons traités de monstres et vous nous avez crus. Mais écoute bien. Tu n’as jamais vu de véritable monstre.”
 
J’enfonce un peu plus le couteau dans sa bouche et elle est prise d’un haut-le corps. Je peux voir le blanc de ses yeux alors que je rapproche mon visage souriant du sien.
 
Je souris. Je ne peux pas m’en empêcher. Sa peau rugueuse râpe contre mes mains gantées lorsque je murmure à son oreille.
 
Pourquoi cet air si sérieux ? Tu n’aimes pas les blagues ?”
 
C’était facile. Mais elle ne m’entend toujours pas. L’officière Démone crie quelque chose tandis que je la traîne dans la rue. En direction du bâtiment en flammes. J’entends les chevaux hurler dans l’écurie.
 
“Shh. Shh. Allons dire bonjour aux gentils chevaux, d’accord ?”
 
Il y a une lourde barre qui verrouille la porte. Je souffle comme un bœuf et manque de peu m’arracher un muscle en la délogeant ! Le temps que je parvienne à ouvrir les portes, la lieutenante est en train d’essayer de s’enfuit dans la rue.
 
“Attends, attends ! On arrive au meilleur moment ! À présent que tu as fait tout ce chemin… regardons la fin du spectacle ensemble, d’accord ?”
 
Je la plaque au sol et l’attrape par la cheville. Ooh, des sabots fendus. Coquine.
 
Elle me donne plusieurs coups de pieds dans le visage, mais je lui tiens toujours la jambe. J’observe les écuries. Plus que quelques secondes…
 
Les chevaux à l’intérieur sont presque fous de peur et de panique à la vue des flammes et du sang dans les airs. Lorsqu’ils sentent qu’il existe un moyen de s’échapper, ils bondissent hors de leurs boxes et se précipitent vers la sortie.
 
Les portes s’ouvrent à la volée. Les chevaux en surgissent. La Démone que je tiens hurle et tente de s’échapper, mais je la maintiens là où elle est.
 
J’ai dans le cœur, un grand ami secret, un grand bonheur, c’est mon petit poney… quelque chose dans ce genre, attention aux sabots !”
 
Les chevaux fous passent en tonnant devant nous, hennissant et braillant tellement fort que je n’entends même plus les cris de la Lieutenante. Elle n’essaie même pas de bouger ; elle se contente de se recroqueviller sur elle-même et de rater tout le spectacle !
 
Moi ? Je ris.
 
Le premier cheval m’écrase et j’entends un tintement dans mes oreilles. Et un rire. Un autre m’atteint en plein visage et mon nez se brise. Un autre piétine ma main. Les os se brisent et je sens ma chair se déchirer. Et je ris encore.
 
Hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha hahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahahaha...
 
C’est le matin et le soleil brille fort sur ma peau lorsque je comprends qu’elle est n’est plus là. Je cligne des yeux, baisse la tête, et remarque le sang. J’en suis recouvert. Il y en a sur mes mains, mon visage, mes vêtements…
 
Je suis au centre d’un cercle de cadavres. Pas des cadavres humains ; des corps de Démons. Des soldats. Ils sont tous morts.
 
Tous, sauf un. Comment se fait-il que je rate toujours le dernier type ? Ça doit être un angle mort. Probablement l’œil à travers lequel je ne peux pas voir en ce moment.
 
Je me tourne vers lui en chancelant un peu. Hé, qu’est-il arrivé à mon corps ? On dirait que quelqu’un a fait des claquettes sur ma peau avec une paire de patins.
 
Le soldat Démon tressaille lorsque je me tourne vers lui. J’essaie d’avoir l’air calme. Honte à moi. Je suis à une veillée funèbre, après tout. La sienne. Est-ce qu’il m’a entendu ricaner ?
 
Il a un visage étrange, à moitié fondu. Ce n’est pas une blessure - elle a l’air trop propre pour en être une. Les cinq trous ensanglantés qui ponctuent son armure de cuir sont probablement ma faute, en revanche.
 
“Salut mon pote. T’as pas l’air bien.”
 
Le soldat dénude ses dents et essaie de lever sa masse d’armes. Mais il est trop tard pour lui. Il dit quelque chose en s’effondrant dans une flaque de ses propres tripes. Je ne connais pas son langage, mais je le comprends tout de même.
 
“Monstre.”
 
C’est équitable. Dur, mais équitable. Je tâte mon visage. Des coupures - une peau éclatée - il ne ressemble en rien au visage que je me souvenais avoir laissé ici la dernière fois. Mais mon maquillage reste globalement intact, ce qui est le plus important. D’ailleurs, je pense que tout ce sang a créé une nouvelle couche. Que c’est avant-gardiste !
 
Je me tourne vers ma meilleure amie, la Lieutenante qui n’aime pas les blague. Est-ce que c’est son corps, là-bas ? Ou celui-ci ? Non ?
 
Je me tourne vers les cadavres, mais je ne retrouve pas de cornes - ou du moins, pas celles que je cherche. Elle n’est pas parmi eux. Je ne sais pas si je suis déçu ou soulagé.
 
Je suis conscient que… mes pensées ne sont pas tout à fait saines. Je suis vivant. Malgré tout ce qu’il s’est passé, je suis vivant. Je ne devrais pas l’être, mais je suis vivant.
 
Et je suis toujours fou.
 
“Heh. Ha. Hahaha.”
 
Oups. On dirait que j’avais parfaitement raison. Mais vous connaissez ces histoires de coûts cachés ? J’aurais peut-être dû lire les petites lignes en bas du contrat.
 
“Tom, Tom, a perdu l’esprit ! Quel choc, quelle ineptie ! Ahahahahaha !
 
C’est comme ça qu’ils finissent par me retrouver. Riant aux éclats et couvert de sang, pris d’un accès de folie au milieu des décombres du village.
 
C’est un énorme groupe de gens armés. J’en connais certains ; d’autres sont de nouvelles têtes.
 
Je fais un signe de main à Richard. Il est en train de mener un groupe de dix-huit [Soldats] et de plusieurs villageois capables de se battre à quelques milles plus loin sur la route. Il s’arrête à mon approche, et les [Soldats] lèvent leurs armes. Les civils se contentent de s’immobiliser et de me dévisager.
 
“Tom… ?”
 
La peau sombre de Richard est très pâle derrière la visière de son heaume. Il me regarde, et je peux voir le blanc dans ses yeux.
 
Je lui rends son regard, et il tressaille. Les autres n’arrivent même pas à me regarder. J’aperçois Emily en train de vomir par terre, et même le visage de Richard est beaucoup trop pâle. Je lui souris, et il recule d’un pas.
 
“Hé. Tu veux voir un tour de magie ?”
 
“De magie… ?”
 
J’écarte les bras et lui fait un salut théâtral. Je désigne d’un geste la mort et la destruction qui m’entourent ; les cadavres et le village calciné.
 
Tadam.




***


Le village est détruit. Ceux qui n’ont pas réussi à s’enfuir sont morts aux mains des Démons et des monstres. Mais les Démons ont péri aux mains d’une terrible comédie, et je pense que le Troll a simplement décidé de rentrer chez lui.
 
Les gens de mon monde parcourent les ruines avec les quelques villageois, contemplant la mort pendant que les soldats récupèrent les corps en me dévisageant. Pour tout dire, tout le monde me dévisage.
 
Mes amis - enfin, les gens avec qui je suis arrivé ici ne parviennent même pas à me regarder. Je leur fais mon sourire le plus engageant et ils se contentent de se figer. Ou de s’enfuir. Mais les soldats et les gens du village ne me regardent pas de la même manière.
 
Ils ne supportent pas le carnage non plus. Mais ils nous voient, les morts et moi, avec une perspective différente. Ils comptent. Ils ne voient que des soldats ennemis, et moi, au milieu des morts.
 
Il y a quelque chose d’autre dans leurs yeux. De la peur. La peur de l’inconnu. Mais de l’espoir, aussi. C’est le plus drôle. Ils ne comprennent pas ce que j’ai fait, ni ce que je suis. Mais j’ai tué des monstres et ils pensent que cela fait de moi une bonne personne.
 
Hilarant.
 
Le sommeil et l’éveil se fondent dans le cauchemar. J’entends la voix, ces mots dénués de passion qui ne sont pas tant dits que projetés dans mon esprit.
 
[Héros Niveau 2 !]
 
[Compétence - Maîtrise des Armes : Couteaux Obtenue !]
 
C’est tellement drôle que je ne peux m’arrêter de rire. Et de pleurer.
 
Je suis un [Clown] qui tue des gens. Je suis un gros pépère qui a perdu son comique. Je ne suis qu’un mec qui tue des gens et laisse mourir des enfants…
 
Mais j’imagine que je reste un [Héros], aussi. Si ça, ce n’est pas marrant, alors je ne vois pas ce qui pourrait l’être.
 
Vous voulez que je vous raconte une blague ? Un type se fait téléporter dans un monde fantastique, devient un [Clown]...
 
Et plante des couteaux dans la tête des gens. Ce n’est pas drôle, je vous l’accorde, mais j’y travaille.
 
Je suis…
 
… Déjà parti trop loin. Au revoir, Wilen, murmure la partie de moi qui s’en souvient encore. Au revoir.
 
Je suis tellement désolé.
 
HAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHAHA (https://ia601602.us.archive.org/34/items/Laughter_201704/Laughter.mp3?_=1)
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 29 novembre 2020 à 23:37:45
1.27 G Partie 1
Traduit par Maroti

La Tribu des Cailloux Dorés était mobilisée et marchait vers un point de rassemblement en dehors des Hautes-Passes alors que le soleil arrivait à son apogée. Le Chef leva la tête, mais refusa d’augmenter leur rythme. Ils allaient déjà suffisamment rapidement, et ils avaient encore de nombreux kilomètres à parcourir.

Ils se rendaient à un rassemblement de tribus. Tous les Gobelins du nord de Liscor avaient été convoquées par la plus puissante tribu de la région : la Tribu du Croc Rouge. La puissance de leur Chef et de sa tribu était telle que le Chef de la Tribu des Cailloux Dorés n’avait pas hésité et s’était immédiatement mit en marche après avoir été convoqué.

Mais il était prudent, et ne marchait pas trop rapidement. Sa tribu bougeait avec un grand groupe de scout et avec ses meilleurs guerriers au centre, prêt à en découdre. Il y avait un ennemi se cachant dans les plaines enneigées, et cet ennemi était une autre tribu Gobeline.

Grande, en plus. Le Chef n’était pas très malin et les Gobelins n’étaient pas la plus érudite des espèces, mais ils utilisaient le bouche-à-oreille et les nouvelles de ce genre voyageait vite.

La Tribu des Plaines Inondées était venue au nord. Cela n’aurait normalement pas été un problème, leur Chef n’était rien de spéciale et ils n’étaient pas nombreux. Mais quelque chose s’était déroulé. En moins d’une semaine, leur tribu avait renversé la Tribu des Casse-Mâchoire, la Tribu des Preneurs d’Epées et la Tribu des Mains Sanglantes, tuant ou battant leur Chefs et absorbant leurs Gobelin dans leur tribu.

Ils attaquaient par surprise et utilisaient d’étranges armes, et leur Chef pouvait utiliser de la Magie. C’était assez proche de la tribu de la Main Spectrale pour être dérangeant, mais apparemment leur Chef était aussi une [Tacticienne] capable de manipuler le champ de bataille.

Non. Pas ici. La Tribu du Croc Rouge avait eu vent de cette incursion, et elle prenait d’immédiates mesures. Les clans étaient invoqués, et ils bougeaient ensemble, cette tribu arriviste allait être réduite en poussière.

Tout ce que la Tribu des Cailloux Dorés avait à faire était se rendre au lieu de rassemblement. Ce n’était pas difficile ; même une compagnie d’aventurier Or réfléchirait à deux fois avant d’attaquer plus de deux cents Gobelins dans un terrain enneigé. Et la tribu des Cailloux Dorés ne restait pas suffisamment longtemps au même endroit pour s’attirer les foudres d’une armée.

Même si la Tribu des Plaines Inondées venait à eux, le Chef ne se sentait pas menacé. Après tout, cette nouvelle tribu ne devait pas être aussi grande. Ils devaient avoir perdu de nombreux Gobelins en affrontant trois tribus, et il avait trois Hobs sous son commandement, et de nombreux guerriers équipés avec des armes volées à des aventuriers de Bronze. Ils n’avaient rien à craindre. Ils…

Une corne stridente sonna dans l’air frais, et la tête du Chef de leva. Il regarda autour de lui, puis il vit les Gobelins.

Un petit groupe sortit d’une forêt à quelques centaines de mètres devant eux. Le Chef ordonna à ses guerriers de s’arrêter et de lever leurs armes. Il compta.

Quarante ? Non. Environ cinquante Gobelins était en vue. Il se relaxa. Ce n’était peut-être pas la totalité de la Tribu des Plaines Inondées, mais si c’était tout ce qu’ils…

L’un de ses scouts Gobelin hurla et le Chef tourna la tête. Il vit un autre groupe de taille égale sortir par la gauche. Une centaine donc. Ce n’était pas un…

Une autre corne retentie, et le cœur du Chef arrêta de battre. Il regarda à droite, sachant déjà ce qu’il allait voir.

Cinquante autres Gobelins. Cent cinquante, et si d’autres venaient par-derrière, cela allait faire deux cents Gobelins. Des forces égales, donc. La Tribu des Cailloux Dorés était peut-être encerclée, mais ils pouvaient toujours tenter une percer si besoin. Ils pouvaient…

Du mouvement. Devant eux. Le Chef vit les cinquante Gobelins se distancer l’un de l’autre, pour former un mur laissant plus d’un mètre entre chaque Gobelin. Il faillait rire. Qu’est-ce qu’ils pouvaient faire comme ça ? Sa troupe n’allait pas avoir de problème pour passer.

Puis les autres Gobelins se levèrent.

Ils s’étaient assis ou allongés au sol, et à cette distance, ils avaient été invisibles. Mais maintenant l’intégralité de la Tribu des Plaines Inondées se tenait debout. Cinquante devint cent, et puis les Gobelins se trouvant devant la Tribu des Cailloux Dorés s’écartèrent et il vit le centre de leur armée.

Une autre troupe de Gobelin couru vers la Tribu des Cailloux Dorés, prenant position sur une petite butte devant eux. Ils étaient tous des guerriers, et il y était deux cents.

La situation était désespérée. Le Chef n’eut pas le temps de réfléchir à un plan de secours. Il entendit une troisième corne, longue et cinglante, et les Gobelins levèrent quelque chose. Il plissa les yeux. C’était difficile à voir, mais cela ressemblait à des… Arcs ?

L’air fut soudainement rempli de pierres et de flèches. Les Gobelins autour du Chef crièrent alors que le déluge mortel commença à s’abattre sur eux. Il leva son bouclier pour protéger son visage ; le fer en mauvaise était résonna en repoussant plusieurs projectiles. La corne sonna une dernière fois, plus bruyante qu’auparavant, derrière lui.

Le Chef se retourna, et vit la Chef ennemie. Elle était assise sur une petite colline derrière sa Tribu, entourée de guerriers. Et d’Hobs.

Son cœur s’arrêta quand il vit les Hobs. Huit d’entre eux baissèrent les yeux vers le Chef. Ils se tenaient derrière la petite Gobeline qui tenait une pierre dans sa main. Elle cria, et l’un des Hobs leva une arme. Le Chef vit quelque chose de noir fendre l’air vers son visage. Et puis…

Rien.

***

Loks vit le carreau atteindre le Chef de la Tribu des Cailloux Dorés dans le torse et grimaça. Elle avait ordonné son Hob archer de tirer, et elle lui avait aussi dit de ne pas le tuer si possible. Bon, un sur deux était suffisant.

Elle regarda le Chef tomber, et se demande s’il avait survécu au carreau. Si sa Tribu se rendait assez rapidement, ils auraient peut-être le temps de lui donner une potion. Elle avait quelques potions de soins à sa ceinture et dans sa tribu, et les Hobs étaient naturellement solide. Il allait peut-être survivre.

Dans tous les cas, elle voulait les trois autres Hobs, donc elle hurla un ordre et le reste de ses archers baissèrent leurs arcs alors que les Gobelins armés d’arbalètes lançant des pierres continuèrent de tirer. Après tout, ils avaient un nombre presque illimité de pierres et de projectiles en terre cuite, et il était préférable d’épuiser l’ennemi sans prendre de risque.

Loks se tint sur sa colline alors qu’elle regarda la tribu des Cailloux Dorés perdre du temps dans le chaos. Des Gobelins hurlaient en réalisant que leur Chef était au sol et qu’ils étaient encerclés. Elle espérait que personne n’allait les rallier ; elle voulait finir cette affaire rapidement.

Et en effet, la première volée mortelle suivi par la pluie de projectiles brisa rapidement l’esprit de la tribu. Leurs guerriers jetèrent leur arme au sol en quelques minutes. Même les Hobs avaient abandonné leurs armes et s’étaient rassemblées autour de leur chef, le protégeant des douloureux projectiles. Ils savaient compter. Les huit Hobs que Loks avait étaient assez intimidantes pour les faire abandonner.

Loks laissa les Gobelins tirer pendant une dernière minute avant de souffler de nouveau dans sa corne. Cela lui prit toute sa respiration, mais les effets furent immédiats et gratifiants. Ses guerriers arrêtèrent de tirer, et avancèrent avec elle vers la tribu qui venait de se rendre.

Les choses s’enchaînèrent rapidement ; les Goblins vaincus savaient quoi faire, et Loks avait désormais de l’expérience. Elle trouva rapidement le Chef et versa une potion de soin sur son torse alors qu’un Hob l’aida à retirer le carreau.

Une fois cela fait, Loks regarda autour d’elle. La Tribu des Cailloux Dorés était occupée à soigner les blessés ou regarder ses Hobs avec appréhension et envie. Elle leva la voix, et les Gobelins se précipitèrent pour exécuter ses ordres.

Premièrement, Loks organisa ses nouveaux Gobelins, les séparant. Elle mit les enfants et les femmes enceintes avec les autres, alors qu’elle ajouta les Gobelins avec des compétences d’archer et des arcs à ses rangs. Elle mit ceux qui avaient des compétences utiles dans des groupes spécifique, elle ajouta les meilleurs guerriers à son avant-garde personnelle et assigna les autres à plus grand groupe, celui des Gobelins qu’elle utiliser pour réaliser tout ce qu’elle avait besoin de faire.

Puis elle ordonna à ses Gobelins de rassembler leur arme, leur vivre, et de les ajouter aux siens. Les Gobelins se dépêchèrent d’obéir à ses ordres alors que leur ancien Chef se redressa et toucha son torse avec hésitation. Loks l’ignora, et compta mentalement ce qu’elle venait d’obtenir.

Presque deux cents Gobelins et quatre Hobs ? C’était un excellent résultat, et non pas parce que c’était probablement la dernière tribu que Loks pouvait battre sans courir trop de risque. La Tribu du Croc Rouge était en train de rassembler les tribus, peut-être pour les unir, mais au moins pour la poursuivre. Elle allait bientôt devoir se replier.

Le Chef des Cailloux Dorés se leva et tituba vers Loks. Elle lui jeta un regard, puis pointa du doigt de la nourriture que les Gobelins étaient en train de tirer. Il hocha la tête, et marcha faiblement vers eux pour se nourrir sans protester ou hésiter.

C’était le truc avec les Gobelins. Les Tribus se battaient peut-être, mais il était coutume pour une tribu vaincu de suivre le vainqueur, qu’importe ce qui s’était déroulé auparavant. C’était ça, ou ils partaient sans faire d’histoires ; massacrer les prisonniers n’était pas quelque chose que les Gobelins faisaient, qu’importe comment ils traitaient les autres espèces qu’ils capturaient.

Loks n’était pas inquiète de se faire poignarder dans le dos pas un autre Gobelin. La trahison et les assassinats n’étaient pas quelque chose de Gobelin, ce qui surprendrait peut-être les Humains et les autres espèces. Mais là ou les Gobelins n’hésiteraient pas à tuer un ennemi dans son sommeil, ils préféraient éviter de faire cela entre eux, ou au moins au sein de la même tribu. Un Chef dirigeait car il était le plus fort, quelqu’un qui s’appropriait cette place par couardise n’allait pas bien mener la tribu.

En revanche, déclarer que tu allais être le prochain Chef et empoisonner la nourriture de l’ancien Chef alors qu’il dormait ? Cela passait. C’était même impressionnant si personne ne te voyait le faire. Après tout, toute la Tribu t’observerait et serait prête à te tailler en pièce à l’instant où tu t’approches du camp. Un Gobelin capable de se faufiler parmi une centaine de yeux attentifs et disparaître dans la nuit était un Gobelin qui allait être un grand Chef.

Même le récemment vaincu Chef de la Tribu des Cailloux Dorés semblait être parfaitement heureux de manger la Corus que ses chasseurs avaient tué alors qu’elle changeait de position les Gobelins de sa tribu. Il avait été témoin de sa force et s’était incliné ; son service sous la tribu du Croc Rouge ne valait pas sa vie.

Loks était heureuse de l’apprendre. Cela avait été un combat facile qu’elle avait gagné en étant plus intelligente et en préparant un piège adéquat ; mais d’autre tribu aurait refusé de baisser les armes. Et mieux encore, le Chef de la Tribu des Cailloux Doré l’avait accepté. S’il pensait qu’elle n’était pas digne de la diriger, il l’aurait affronté jusqu’à son dernier souffle.

Un jeune Gobelin, jeune selon les standard Gobelin malgré qu’il ne soit qu’un an plus jeune que Loks, lui apporta un os recouvert de viande. C’était chaud, fumant, et encore saignant. Loks le dévora sans perdre une miette alors que ses Hobs reçurent le même traitement.

Une autre victoire ! Maintenant que tout était gérer, Loks se permettait de savourer sa victoire. Et c’était délicieux.

Elle avait vaincu une Tribu de plus de Deux cent Gobelins sans aucune perte de son côté et presque aucune perte du leur ! Et le fait qu’elle menait désormais plus de huit cents Gobelins… Elle avait du mal à s’en rendre compte. Mais elle avait gagné, et elle avait continué de gagner depuis le jour où elle avait décidé de se battre.

Et c’était tellement facile ! Loks avait l’impression qu’elle était en train de marcher sur des nuages, et elle avait envie de crier de joie. Elle avait battu des Gobelins avec sa tête, non pas qu’avec une épée et le surnombre.

Les autres tribus avaient été plus grandes, mais leurs Chefs ne savaient pas que les tactiques pouvaient tout changer. Loks le savait, et ceci combiné avec son sort de [Luciole] et ses arbalètes voulait dire qu’elle pouvait presque armer tous les Gobelins de sa tribu avec une arme à distance, même si cela n’était qu’un caillou.

Encercle-les, canarde-les, blesse leur chef. Attaque la nuit ou d’une position facilement défendable. Ce n’était que de basiques concepts, mais Loks savait comment un seul de ces facteurs pouvait changer le cours d’une bataille.

Elle avait déjà gagné plusieurs niveaux en tant que [Leader], [Tacticienne], et [Mage]. Loks ne s’était pas beaucoup battu d’elle-même, donc elle avait toujours le même niveau en [Guerrière], mais elle sentait qu’elle devenait plus fort. Et la force d’un Chef provenait de sa tribu ; plus la tribu était grande, plus leur Chef était puissant. Et Loks avait utilisé les ressources des vaincus à son avantage.

Elle avait construit plus d’arc à pierre, car les arbalètes demandaient des parties spécifiques que sa tribu ne possédait pas. Heureusement, chaque tribu vaincue apportait son nombre de Gobelins sachant utiliser des arcs, frondes, et parfois de rudimentaires javelots.

Et donc, Loks armait ses plus faibles Gobelins avec des arbalètes. Elles étaient plus efficaces dans les mains de ceux qui avaient besoin de s’entraîner. Il fallait du temps pour apprendre à utiliser un arc ou une fronde, mais une arbalète était aussi simple que vider et tirer, et même des enfants pouvait faire des minutions en argile.

Elle avait pris les meilleures armes de la collection de chaque tribu et les avait prises pour elle et ses meilleurs guerriers. Elle et ses Hobs portaient tous une armure, et avait des armes semi-décentes. Des masses d’acier, des haches de combat et même une dague magique... Loks se sentait forte avec son équipement.

Seul son épée de bronze et son bouclier étaient les mêmes. Il y avait de meilleures armes, bien sûr, mais Loks les avait reçus d’Erin et… Ils brillaient. Les Gobelins étaient impressionnés quand son épée reflétait la lumière, et c’était important.

Et elle avait des Hobs. Hobs !C’était le plus grand des miracles. Ils étaient de redoutables guerriers et chacun d’entre eux valaient au moins 20 Gobelins.

Ils étaient désormais douze, la plupart étant d’ancien Chef et leurs plus grands guerriers. Ils n’étaient pas gros, comme son ancien chef ou comme le Chef de la Tribu des Cailloux Dorés. Les Hobs pouvaient être grands et épais, mais certains étaient juste des Gobelins qui avaient grandi. Dans tous les cas, ils étaient ses meilleurs guerriers, facilement l’équivalent de deux compagnies d’aventuriers Argent.

Au niveau des Hobs, elle en avait plus que la Tribu du Croc Rouge, même si cela était une mauvaise comparaison. Loks savait que ses Hobs n’étaient qu’une goutte d’eau dans le sceau d’un plus grand conflit ; ils allaient devoir être bien utilisé ou perdu, comme une Reine dans un jeu d’échec.

Elle n’avait pas l’intention d’affronter la tribu du Croc Rouge ; Loks avait déjà décidé de se retraiter vers Liscor après ça. Ou ils allaient pouvoir se reposer et se préparer pour les futurs combats. Sa nouvelle tribu allait peut-être la mettre au même niveau que la Garde, ou au moins les rendre trop difficile à combattre.

De plus, Loks pouvait désormais chasser des ennemis plus dangereux. Les Crabroches étaient toujours des problèmes, mais ses Hobs avaient déjà combattus des Araignées Cuirassée, et ils lui avaient dit qu’il était facile de détruite un nid avec deux Hobs et assez de Gobelins.

Loks mordit dans son repas et se rendit compte qu’elle était à l’os. Elle commença à le casser pour sucer la moelle quand elle réalisa que tous les autres Gobelins étaient silencieux. Lentement, elle suivit leur regard et vit les loups.

Quand elle avait été plus jeune, Loks avait entendit les histoires mais n’avais jamais encore vu de Loups Carnassier en personne. Les massifs loups, au moins trois fois plus grand qu’un loup normal et capable d’abattre un cheval d’un coup, étaient mortels pour les Gobelins.

Mais il y avait cette tribu qui était connue pour avoir dressé les féroces animaux, tout comme la tribu de la Lance Brisée avait fait pour les Araignées Cuirassées. Cette tribu de Gobelin avait appris à élever les massifs loups et à les chevaucher. Avec eux, et mené par leur féroce Chef, ils avaient conquis des centaines de kilomètres de territoire au nord de Liscor.

Et ils étaient là, plus grand que la vie, regardant la tribu des Plaines Inondées. Ils étaient apparus sans un mot de la part de ses scouts, sans un murmure.

La Tribu du Croc Rouge.

Soixante Gobelins, assis sur le dos couleur rouille de leur gigantesque Loups Carnassier, baissèrent les yeux vers la tribu de Loks. Un Hob Gobelin était assis sur un immense loup à la tête du groupe de cavalier, tenant une épée rouge dans sa main.

Ce n’était pas l’intégralité de leur tribu. Ce fut la première chose qui passa dans l’esprit de Loks après que son cœur recommence à battre. Ce n’était qu’un group de scout. Mené par leur Chef. Mais ils étaient qu’une goutte d’eau comparée au torrent qu’étaient les forces de Loks.

Mais les mots ne pouvaient pas mentir si facilement au cœur, le celui de Loks était au bord de ses lèvres et en train de battre la chamade. Elle leva les yeux vers le Chef et ne vit que de la puissance.

Il était un grand Gobelin, mais pas trop grand pour un Hob. Il aurait eu la taille d’un Humain normal, mais ce n’était pas ce que le rendait si terrifiant. C’était sa présence. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge semblait vibrer avec l’envie de se battre et la confiance qu’il avait en sa propre force. Son corps était recouvert de cicatrices, et ses yeux étaient semblables au feu d’un phare, une balise pourpre balayant les Gobelins du regard.

Ils eurent tous un mouvement de recul, incapable de rencontrer son regard. Le Chef baissa les yeux, cherchant quelqu’un parmi les Gobelins.

Loks.

Il ne la trouva pas. Même avec l’armure qu’elle portait, Loks n’était pas un Hob se tenant avec une tête de plus que le reste du groupe. Le Chef roula ses épaules et leva son épée. Loks se tendit, mais la prochaine chose qu’il fit ne fut pas de charger. A la place, il parla.


Tribu des Plaines Inondées ! Envoyez-moi votre Chef pour un combat singulier ! Je la défie !


Ses mots retentirent le long de la colline, résonnant dans la vaste nature. Loks leva les yeux, soudainement fragile. C’était un défi traditionnel, l’un qu’elle avait entendu à mainte reprise en grandissant. Mais il ne lui avait jamais été adressé.

Dans sa tribu, Loks régnait par son intellect supérieur. Et elle avait son arbalète noire. Chaque défi aurait été réglé en deux secondes et elle battait toujours les Chef ennemis avec sa tribu, et c’était juste.

Mais un défi ? Non. Loks leva les yeux vers le Chef de la Tribu du Croc Rouge et s’imagina l’affronter. Elle n’allait pas pouvoir le faire. Il allait la réduire en miette d’un seul coup.

Mais elle devait dire quelque chose. Ses Gobelins la regardaient, et Loks ne pouvait pas faire marche arrière. Elle s’avança, lâchant l’os dans la neige et regarda le Chef des Crocs Rouges.

Il la vit, et fronça les sourcils. Déçu ? Elle ne lui ressemblait pas du tout. Loks était encore jeune, elle n’était pas une Hob, et elle n’allait pas accepter son défi.

Elle fit passer le message en croisant les bras et en le regardant. Elle n’avait pas pris la fuite, ce qui serait indigne d’un Chef, mais elle refusait son défi. La seule chose qui allait en découler était un combat, et Loks était tendue et s’attendait à ce qu’il fasse cela.

Est-ce que toute sa tribu était proche ? Si cela était le cas, la seule option que Loks avait été de battre en retraite. Mais si ce n’était que ce groupe de cavalier… Pouvait-ils vaincre la tribu ici et maintenant ?

Probablement pas. Mais Loks avait l’arbalète noire, et l’avantage du nombre. Peut-être…

Le Chef bougea. Il donna un léger coup de talon dans les flancs du loup qu’il chevauchait, et il commença à descendre la pente. Les Gobelins de Loks se tendirent, mais elle les retint. À la place, elle croisa le regard d’un de ses guerriers et dessina lentement un cercle dans la paume de sa main. Il hocha la tête, et prévint d’autre Gobelin avant de bouger discrètement.

Ses guerriers allaient les encercler, piégeant les cavaliers. Ils allaient capturer cette tribu, Loks en était certaine. Le stress causé par cette situation la faisait trembler, et alors que le Chef des Crocs Rouges s’avança sur son loup…

De la pression.

Loks leva les yeux vers le Chef alors qu’il bougea avec ses guerriers. Il était le seul Hob parmi eux, mais chaque cavalier projetait la même aura de force. Ils étaient tous en armure, portant des cottes de mailles en bon état et du cuir épais. Et leurs armes…

Chacun d’entre eux était peut-être aussi fort qu’un Hob. C’était l’impression que Loks avait. Quel était leur niveau ? Et leurs montures étaient tout aussi dangereuses. Les grands animaux ne tressaillirent pas quand leurs cavaliers les guidèrent vers le centre de la tribu de Loks, et les guerriers Crocs Rouges ne semblaient pas être préoccupés.

Ils descendirent la pente, ignorant les innombrables arcs tendus vers eux. Le leader de la Tribu du Croc Rouge s’assit sur son loup et regarda Loks alors qu’elle s’approcha.

La différence de taille était plus que pharamineuse. Loks avait l’impression de regarder un géant. Mais c’était encore plus difficile car, proche comme il était, il émanait le danger. Loks n’avait pas d’[Instinct de Survie], mais elle était certaine que la compétence serait en train de lui hurler dessus si cela avait été le cas.

Le Chef regarda Loks et parla d’une voix profonde et rocailleuse.


Soumets-toi à ma tribu. Ou meurt.

Il parla la langue des Gobelins, qui était courte et rocailleuse, ce qui expliquait pourquoi de nombreux Gobelins préférait simplement grogner et pointer du doigt. Loks le regarda, et sentit son esprit se vider.

Se soumettre ? À sa tribu ? C’était mieux que mourir, et c’était ainsi qu’elle avait gagné le contrôle des autres tribus. Et c’était la chose sensible à faire. La Tribu du Croc Rouge… Ils étaient légendaires. Loks savait que sa tribu ne faisait pas le poids. Même s’il n’avait qu’une fraction de leur force, c’était la chose intelligente à faire.

Elle devrait le faire. Mais Loks regarda le Chef et ses soixante cavaliers. Ils étaient au milieu de sa tribu et son embuscade était en train de faire le tour pour couper leur retraite. Pouvaient-ils… ?

Se soumettre. C’était la chose intelligente à faire. La sécurité. Mais Loks leva les yeux et se souvint d’un Drakéide la toisant avec de la haine dans ses yeux. Elle vit les têtes coupées et connu la réponse en un battement de cœur.

Lentement, Loks secoua la tête. Le Chef plissa les yeux.


Alors périt.


Loks ne vit pas l’épée bouger. Elle ne vit que l’Hob le plus proche d’elle bouger, et puis le Chef de la Tribu des Cailloux Dorés se mettre devant elle, interceptant le coup donné d’une seule main qui lui était destiné.

Le coup brisa le bouclier de l’Hob et transperça son armure. Loks regarda alors que l’ancien Chef tomba, perdant du sang. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge secoua la tête, et leva son épée. Et ses guerriers attaquèrent.

Loks hurla ses ordres alors que les cavaliers bondirent soudainement sur les Gobelins. Ses archers tirèrent et ses guerriers foncèrent vers les cavaliers, mais ils étaient trop lents. Les loups bondirent en avant et dans les rangs de ses Gobelins, grognant, et les cavaliers Gobelins transpercèrent et tranchèrent vers le bas, transformant les rangs en rubans sanguinolents.

Le Chef des Crocs Rouges pointa vers Loks et son loup bondit. Loks recula précipitamment, et d’autre Gobelins et Hobs foncèrent l’aider. Un Gobelin leva son arbalète…

Et le Chef lui trancha le dessus de la tête, et le coup de ne perdit pas de force en ouvrant le crâne du Gobelin. Le Chef sourit avec une furie sanguinaire alors qu’il trancha à gauche, à droite, à gauche à droite. Et un Gobelin mourrait à chaque coup.

Le Chef prit une flèche dans l’épaule et ne cligna même pas des yeux. La pointe de la flèche se brisa en touchant sa peau, et Loks réalisa qu’il avait une compétence. Il donna un coup de l’arrière de sa main qui envoya valser un Hob au sol. Son Loup Carnassier captura un petit Gobelin dans sa mâchoire et les referma sur le guerrier.

Loks vit ses Gobelins hurler et essayer de repousser les cavaliers chargeant dans ses rangs. Des flèches et pellettes d’argile se brisaient sur les armures des Gobelins et sur la fourrure des loups. Chaque guerrier de la tribu du Croc Rouge se battait avec la férocité et la vitesse d’un Hob, et leur loup étaient tout aussi horrible à affronter, les Gobelins luttaient pour s’approcher suffisamment proche des griffes acérées et des mâchoires claquantes.

Loks recula, regardant autour d’elle. Où était son embuscade ? Toujours en train de se mettre en position. L’attaque avait été si soudaine qu’ils avaient tous été prit par surprise, et maintenant le Chef des Crocs Rouges taillait son chemin vers elle.

Son Loup Carnassier hurla et repoussa les Gobelins pour passer, les piétinant sous ses pattes. Le Chef bondit de son dos et évita un carreau qui partait vers son torse. Il sourit, se retourna, trancha deux Gobelins en deux et charger vers Loks.

Elle laissa tomber son arbalète noire et dégaina son épée au dernier moment. Elle la leva et posa sa main sur le plat de la lame alors que le Chef leva son épée. Il l’abattit, et Loks vit blanc alors qu’elle eut l’impression que le ciel lui tombait dessus. Mais même si son épée trembla et se tordit, elle tint miraculeusement le coup.

Le Chef sourit, et Loks manqua de ne pas tourner sa lame pour stopper le prochain coup. Il bloqua volontairement leur épée. Loks pouvait sentir la force inébranlable derrière son épée, s’il le voulait, il aurait pu trancher à travers son épée et elle en un coup.


Tu n’es pas une vraie Gobeline.


Loks sentit un choc alors que ses pieds luttaient pour ne pas glisser dans la neige. Le Chef la toisa, semblant presque déçu. Il regarda ses yeux, le rouge des siens concentré sur son visage.


Tu es trop petite pour mener. Trop faible. Je le prouverai.


Il se retourna, son loup bondissant dans les ténèbres. Il rugit, et ses cavaliers se retirèrent soudainement, se libérant des autres Gobelins. Loks tituba pour prendre son arc et leva sa main pour tirer un sort, mais c’était trop tard.

La Tribu du Croc Rouge était déjà en train de se retraiter alors que les Goblins paniquaient en essayer de sortir leurs arcs. Loks regarda autour d’elle, mais ne vit pas de loups agonisants ou de cavaliers morts. Il n’y avait que ses Gobelins.

Soixante contre prêt d’une centaine, et pourtant ils s’étaient taillé un chemin sans la moindre égratignure. Loks était choqué. Elle regarda autour d’elle, voyant les morts et les mourants, et regarda ses mains. Ses petites mains. Elles tremblaient encore de la sensation de son duel face au Chef de la Tribu du Croc Rouge.

Ce fut quand le scout Gobelin fonça vers elle, hurlant et dépassant les Gobelins blessés. Loks se retourna, et il manqua de s’effondrer de panique. Elle l’attrapa, et il apporta son message. Loks manqua de tomber dans les pommes.

Plus d’un millier de Gobelins, peut-être des milliers, le scout n’avait pas de nombre précis, étaient en train de marcher vers eux. Le reste de la Tribu du Croc Rouge.

Ils devaient fuir. Loks regarda autour d’elle et commença à crier. Les Gobelins abandonnèrent les morts et s’emparèrent des blessés, mais d’autres cris retentirent.

Le Chef des Crocs Rouges. Il était en train de massacrer les Gobelins qu’elle avait envoyé pour les encercler. Elle pouvait voir au loin ses guerriers dissimilés briser leurs rangs et fuir alors que les cavaliers les rattrapèrent. Le Chef était le plus rapide, et il abattit son épée sur le chef de l’équipe d’embuscade. Le Gobelin s’effondra, et le Chef continua de chevaucher, abattant son épée. Une fois, deux fois. Des Gobelins saignèrent et moururent.

Loks cria, et ses Gobelins partirent vers les cavaliers. Mais ils furent encore trop lents. Loks regarda les cavaliers chevaucher leur monture et disparaître derrière une colline.

Cette fois Loks n’hésita pas. Elle ordonna à ses Gobelins de prendre tout ce qu’ils pouvaient et de commencer à faire marcher la majorité de sa tribu loin de la Tribu du Croc Rouge. Mais elle pouvait sentir que le Chef était proche. Il avait promis de lui montrer à quel point elle était faible ? Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ?

Elle trouva rapidement. Le Chef attaqua huit fois sa tribu dans la même journée jusqu’à ce qu’elle réalise ce qu’il se passait. Puis il recommença le lendemain, et le surlendemain. Il força sa tribu sur la défensive, jusqu’à ce que les jours se ressemblent.

Se retraiter, fuir, courir.

Vers le Sud.

Vers Liscor.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 29 novembre 2020 à 23:52:40
1.27 G Partie 2
Traduit par Maroti

Ils étaient pourchassés. C’était tout ce que Loks savait. Elle s’assit autour du feu, la tête basse, trop épuisée pour réfléchir. Ses Gobelins gisaient autour d’elle, certain s’étant effondré l’un sur l’autre.

Il faisait encore jour, mais cela n’avait pas d’importance. Sa tribu était trop épuisée pour continuer, donc Loks avait ordonné une halte. Malgré cela, elle fit monter la garde à la moitié de ses guerriers au cas ou le Chef des Crocs Rouges reviendrait. Et il allait revenir.

Il revenait toujours.

Loks regarda autour d’elle. Sa tribu. Elle était encore majoritairement intacte. En partie. Mais elle avait perdu plus d’une centaine de Gobelins lors des derniers jours, et plus d’une cinquantaine étaient blessés. Et ce n’était pas parce que le gros des troupes de la Tribu du Croc Rouge les avait rattrapés, non. C’était la faute des soixante guerriers et du Chef.

Ils continuaient d’attaquer. Loks ferma les yeux et se souvint.


Des flashs.


Les cavaliers chargèrent de la forêt devant la tribu de Loks. Ses Gobelins hurlèrent et se dispersèrent, mais elle les reforma. Elle s’y attendait. Loks ordonna qu’ils forment un rang et prépara ses archers à tirer. Elle sortit quelque chose de sa ceinture alors que les cavaliers chargèrent.

Une gemme rouge. La gemme de [Terreur]. Cela n’avait que peu d’effet sur les Gobelins, mais les loups ? Loks la leva et activa sa magie.

De la terreur pire se déversa sur les Loups Carnassiers et les fit s’arrêter. Leurs cavaliers confus essayèrent de les faire repartir, mais ils refusèrent, commençant à se retraiter.

Le Chef de la Tribu du Croc Rouge regarda la gemme dans la main de Loks et plissa les yeux. Alors que les premières flèches et projectiles d’argile commencèrent à bombarder ses guerriers il leva son épée et…


Rugit.

Le son était assourdissant et bestial. Il fit hésiter les Gobelins de Loks, et les loups terrifiés se figèrent. Le chef pointa vers Loks et son cœur commença à battre la chamade alors qu’il hurla.


Charger !


Les loups bondirent en avant, leurs peurs oubliées. Loks hurla un ordre, et ses guerriers Gobelins se précipitèrent pour protéger ses archers mal gardés, mais ils furent trop lent. Le premier rang fut entièrement décimé alors que les cavaliers les taillèrent en pièces, les écrasèrent sous leurs loups, les…

De la douleur et le goût amère de la défaite. Encore et…

Cette fois Loks s’était préparé et avait l’avantage de la hauteur, mais le Chef n’hésite même pas. Il descendit dans le ravin, tellement rapide que ses archers n’eurent pas le temps de le viser. Mais c’était prévu. Loks attendit. La montée était étroite et il n’y avait que peu d’endroit où passer. Et chacun d’entre eux…

Les paquets d’écorces d’arbre kaboom étaient cachés sous les rochers, mais les explosions allaient transformer la pierre en shrapnel mortel. Elle garda la main baissée, le sort de [Luciole] prêt à être utilisé. Le Chef continua sans la quitter du regard. Les Hobs à ses côtés cachèrent leurs flèches trempées dans l’huile, prête à être tiré. Presque, presque…

Au dernier moment, le Chef regarda le sol et arrêta soudainement son loup. Loks regarda incrédule alors qu’il regarda le sol parfaitement camouflé ou l’écorce kaboom était caché, et puis il secoua la tête. Il cria un ordre, et ses cavaliers firent demi-tour avec lui. Loks regarda leurs dos, furieuse et confuse, jusqu’à ce qu’elle entendît des cris derrière elle et réalisa qu’il avait séparé son groupe en deux…


Et maintenant, aujourd’hui, elle avait essayé de tenir tête et de le coincer. Mais il avait repéré toutes ses embuscades et massacré ses rangs avant de repartir sans qu’elle puisse réduire la distance.

C’était le truc. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge était peut-être un guerrier qui fonçait tête baissée dans la mêlée, mais il n’était pas stupide. Il ne les affrontait pas directement. Si elle arrivait à le coincer et le forcer à l’affronter, le combat serait peut-être plus juste. Ses cinquante cavaliers étaient peut-être forts, mais même avec les Loups Carnassiers ils étaient à huit contre un.

Mais ils ne faisaient pas ça. À la place, ils lançaient de redoutables offensives sur la Tribu de Loks, rattrapant ses archers et massacrant des douzaines de Gobelins avant de battre en retraite.

Ils étaient trop bien armés, trop fort individuellement, et ils n’affrontaient jamais les meilleurs guerriers de Loks. A la place, ils visaient les points faibles, les archers, et les flancs qu’elle ne pouvait pas protéger. Et Loks ne pouvait pas envoyer ses Hobs pour contre-carrer, à cause de leur Chef.

Si ses Hobs s’éloignaient du centre de sa tribu, le Chef les pourchassait. Il ne pouvait pas être arrêté. Les flèches ne le ralentissaient pas, et ne ralentissaient pas sa monture. Il avait déjà tué deux Hobs à lui seul. Il était un monstre, et il avait avec lui une force qui saignait petit à petit la tribu de Loks.

Si Loks avait eut le temps de s’arrêter, elle aurait peut-être trouvé une cave dans laquelle creuser, ou un endroit à fortifier pour éviter une nouvelle attaque des cavaliers. Mais ce n’était même pas une option, car le reste de la Tribu du Croc Rouge les suivait, prêt à descendre sur la tribu de Loks s’ils ralentissaient.

Le gros des troupes des Crocs Rouges et toutes les plus petites tribus les suivant avançaient lentement, approvisionnant leurs loups et forçant Loks à continuer de bouger. Ils bloquaient toutes les autres voies, forçant Loks et sa tribu à marcher vers Liscor.

C’était le piège le plus propre que Loks avait vu, et c’était terrifiant. Elle ne pouvait rien faire face à ces cavaliers ; son arbalète était la seule arme capable de blesser les cavaliers à distance ; et ils pouvaient distancer ses archers et battre presque tous ses Gobelins.

Malgré cela, Loks ne perdait pas espoir. Une centaine de morts était terrible, mais ce n’était qu’un dixième de son armée. Ils avaient tué plusieurs des cavaliers et loups en retour. Mais ce n’était pas la véritable conséquence des raids quotidiens, non. C’était l’effet qu’ils avaient sur le morale de sa Tribu, et pire encore, la confiance qu’ils avaient en elle.


Petite Gobeline ! Affronte-moi !


Le Chef de la Tribu du Croc Rouge hurlait son challenge chaque jour, et ses guerriers battaient leurs boucliers en faisant hurler leurs loups. Et a chaque fois Loks allait leur tourner le dos pour continuer de faire marcher ses Gobelins vers sa maison.

Elle ne pouvait pas se battre, et ses Gobelins le savaient. Cependant, ils voyaient leur Chef tourner le dos et voyaient qu’elle n’était pas capable de les protéger ou de vaincre son ennemi, et ils perdaient foi.

Loks essaya de se montrer confiante, mais c’était difficile car elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle devait faire. Elle devait retourner à Liscor. C’était son territoire ; elle connaissait le terrain et pourrait tendre un piège. Et ensuite ?

Attirer les Crocs Rouges vers Liscor serait inutile. La cité allait fermer ses portes et envoyé la Garde et les terribles Antiniums pour écraser les deux groupes. Les cavaliers allaient juste prendre la fuite alors que Loks allait se faire massacrer.

Ils ne pouvaient pas se cacher dans les grottes non plus. Elles n’étaient plus assez grandes pour tous les accueillir, et s’il se tassaient à l’intérieur, elle était certaine que le Chef allait venir pour personnellement les massacrer un par un.

Qu’est-ce qu’il y avait encore ? Loks était certaine qu’allait dans le donjon était du suicide, elle doutait que des Hobs soient capable de détruire les Golems de pierre derrière le mur brisé. Et si ce n’était pas ça il n’y avait qu’une seule chose à laquelle elle pouvait penser.

Erin. Mais Loks ne pouvait même pas imaginer l’aubergiste battre le Chef de la Tribu du Croc Rouge, même avec ses amis. Et de plus…

Non. Non, c’était le combat de Loks. Il lui restait la moitié d’une idée, une hasardeuse supposition. Elle devait juste retourner à Liscor pour la préparer, et rapidement. Parce que si elle ne se dépêchait pas, elle n’allait pas avoir de Tribu à sauver.

La seconde nuit après l’attaque des cavaliers, Loks se réveilla et se rendit compte qu’il lui manquait des Gobelins. Quelques familles et individus solitaires avaient disparues dans la nuit.

C’était normal. Les Gobelins quittaient les tribus s’ils n’étaient pas satisfaits, ils rejoignaient d’autre tribu ou erraient. Mais d’autres était partie la nuit suivante, et puis plus encore. Les Gobelins perdaient foi en leur Chef, et donc ils l’abandonnaient.

Pas tous ; c’était principalement ceux de la tribu des Cailloux Dorés, et même si, de manière surprenante, leur Chef avait persuadé la majorité de rester. Mais l’exode était épuisant.

D’autres Gobelins l’abandonnèrent cette nuit. Loks se leva et compta les lits vides. Vingt-six cette fois. Presque comme elle l’avait prédit. Mais elle ne tirait aucune fierté de ce fait.

Elle marcha jusqu’au feu, et trouva un bouillon en train de cuire. Il était plein de rations, de viande séchée et de restes. Le goût était horrible, mais c’était chaud et Loks dévora sa portion. Elle réalisa que quelqu’un se tenait derrière elle quand elle entendit les pas lourds s’approcher.

Elle se retourna, et mit la main à ses armes. Mais ce n’était qu’un Hob. Il était l’un de la Tribu des Preneurs d’Épées, un grand Hob qui utilisait un immense marteau comme arme.

Il était en train de la regarder. Loks hésita. Est-ce qu’il voulait manger ? En tant que Chef, elle avait le droit de se servir la première, mais il y avait plus qu’assez dans le pot. Est-ce qu’il attendait qu’elle termine ? Certaines tribus avaient différentes coutumes.

Mais l’Hob parla et Loks compris.


Chef. Combattons

C’était à moitié une requête, à moitié un ordre. Et le Hob n’aurait pas dû le dire, mais il venait de le faire, ce qui voulait dire que d’autres étaient en train d’y penser. Il la regarda en silence. Loks le regarda sans expression, puis autour d’eux.

D’autres Gobelins prétendaient d’être endormis, mais elle réalisa qu’elle avait une audience. Bon, cela n’avait pas d’importance. Loks regarda l’Hob et secoua doucement la tête.

Elle n’allait pas mourir. Mais elle n’allait pas se rendre. Pas sans essayer. Elle n’allait pas sacrifier l’intégralité de sa tribu ; elle ne mériterait pas de s’appeler Chef si elle était prête à le faire. Ses Gobelins devaient croire en elle.

Mais l’Hob était insistant. Il ne lâcha pas Loks du regard, et elle commença à avoir la chair de poule. Il n’allait pas lâcher l’affaire, et elle ne pouvait pas le faire non plus. Elle le regarda. Il ne portait pas d’armure, mais il était quand même plus grand et fort qu’elle. Il faisait au moins trois fois sa taille.

Les deux Gobelins se regardèrent en silence, et la tension entre les deux atteignit un nouveau niveau. Les Gobelins arrêtèrent de prétendre qu’ils dormaient et se redressèrent. Ils savaient ce qui allait arriver.

L’Hob parla.

Je te dé...

Loks plongea alors qu’un poing frôla sa tête. Elle attrapa l’arbalète avec laquelle elle dormait et tira. Le Hob gargouilla en tomba en arrière, touchant le carreau dans son torse. Les autres Gobelins le regardèrent alors qu’il s’effondra au sol. Il essayer de lever une main, la laissa tomber, et mourut.

Il fallait plusieurs minutes pour que Loks calme les battements de son cœur. Elle laissa le corps de l’Hob là ou il était, ils allaient peut-être l’utiliser comme nourriture, ou peut-être pas. Ils devaient continuer d’avancer. Mais sa tête était pleine de… Regrets. Cela n’aurait jamais dû arriver.

Aucun de ses Gobelins ne la regarda, même si elle avait agi en concordance avec leur tradition. C’était un combat juste, du moins selon les standards Gobelins. Ils savaient qu’elle avait une arbalète, et les Gobelins ne croyaient pas en l’honneur. Ou plutôt, tout était autorisé car un combat n’est jamais juste. Mais un Chef tuant un de ses Hobs était toujours une mauvaise chose.

Loks fit bouger sa tribu, et ils furent attaqués peu de temps après. Ils repoussèrent l’attaque des Crocs Rouges et Loks continua. Un essai. Quitte ou double.

Elle ne parla pas beaucoup durant cette journée, uniquement un peu à ses Hobs. Mais quand elle tourna le dos elle pouvait sentir leurs yeux sur elle.

Les Crocs Rouges attaquèrent encore et encore, mais cette fois leurs rangs serrés les empêcher de frapper et de se retraiter aussi rapidement. Loks abattit un autre cavalier et deux loups avec des tirs précis, mais elle allait bientôt être à court de munitions et aucunes autres armes étaient capable de percer l’épaisse peau des loups.

Ils atteignirent les frontières de la région de Liscor et firent leur camp pour la nuit. Ils étaient juste après la cave menant au donjon quand Loks décida de s’arrêter. Ses Gobelins commencèrent à travailler en silence alors que Loks prépara la dernière bataille. Elle connaissait le terrain, ce n’était qu’à un jour de marche. Ils pouvaient le faire, même s’ils allaient peut-être arriver tardivement à cause des attaques.

Elle alla dormir. S’inquiétant. Rêvant. Est-ce qu’elle faisait une erreur ? Non… Elle devait devenir plus forte.

Mais. Mais. Aurait-elle dû se rendre ?

Non. Oui. Loks se tourna et se retourna. Une dernière tentative. Qu’est-ce qu’elle avait ? Une dernière jarre d’acide d’Erin. De l’écorce explosive que le Chef des Crocs Rouges n’allait pas approcher. Et la connaissance du terrain.

Loks ferma les yeux. Elle était une Gobeline. Elle n’était pas faible. Elle allait le prouver au Chef des Crocs Rouges.

Elle dormit.

Et quand elle se réveilla, tous ses Hobs étaient partis.

***

Il était minuit quand les Gobelins de la Tribu des Plaines Inondées s’arrêtèrent finalement. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge les regarder s’installer dans la petite vallée sans dormir. Il avait agressé leurs flancs durant toute la journée, tuant des Gobelins, mais la petite Chef n’avait pas réagi comme d’habitude. Elle avait continué d’avancer, jusqu’à atteindre cet endroit.

Il voyait pourquoi. La vallée était un piège naturel. Ses cavaliers allaient avoir des problèmes pour battre en retraite, et s’ils se faisaient encercler… Mais bien sûr, il y avait une autre raison à cela.

Le Chef secoua la tête. Il était déçu, mais il allait montrer à la petite Gobeline la véritable nature des Gobelins ici et maintenant. Il attendit, ses cinquante cavaliers prêts et attendaient autour de lui alors que leurs loups reniflèrent et tapissèrent la neige. Ils pouvaient aussi le sentir, sans aucun doute.

Les Gobelins dans la vallée commencèrent à se disperser, formant une large formation en cercle, des guerriers avec des boucliers et des épées leur faisant face alors que des archers, des femmes et des enfants armés de frondes et de quelques arbalètes se tenaient au milieu.

C’était une pathétique formation, l’une qui n’était pas à la hauteur de l’intelligence que les rumeurs lui avaient donnée. Mais, après tout, c’était tout ce qu’elle avait.

Sa Tribu était moitié moi grande que la nuit dernière, et tous ses Hobs étaient parti avec les Gobelins. Et, d’après ce qu’il pouvait voir, ils avaient pris la majorité des arcs, frondes, et des nouvelles arbalètes. Tout ce que les Gobelins avaient encore était de simples armes. Elle n’avait même pas assez de piques pour faire une véritable ligne défensive, même si cela n’aurait pas ralenti ses cavaliers.

Le Chef des Crocs Rouges secoua la tête. Il était temps de terminer cette affaire. Il leva sa main et ses cavaliers se préparèrent. Mais les Gobelins sous eux avaient déjà commencé à faire du bruit.

C’était la petite Chef qui l’avait commencé. Elle le regardait et avait commencé à taper son épée sur son bouclier. Elle cria, une petite voix dans l’immensité vide des plaines. Mais les autres Gobelins entendirent sa voix et la suivirent.

Ils commencèrent à hurler et taper du pied, frappant leurs armes contre le métal. Ils hurlèrent en direction des cavaliers alors que le Chef des Crocs Rouges baissa les yeux vers Loks. Elle croisa son regard.

Bien. Il semblerait qu’il y ait un peu de Gobelin en elle. Mais cela n’allait pas la sauver. Le Chef de la Tribu du Croc rouge dégaina son épée et la leva haut. Cela serait terminé cette nuit. Ils allaient briser sa volonté avec une dernière charge.

Le Chef prit une grande bouffée d’air frais et rugit alors que tous ses guerriers rugirent avec leurs montures.


Nous chevauchons !


Les guerriers Croc Rouge hurlèrent et suivirent leur Chef alors qu’il descendit la pente. Le Chef était en train d’hurler alors qu’il fit accélérer son loup géant, les yeux dans les yeux de la petite Chef. Il ne pouvait s’empêcher d’être un peu déçu.

Il attendait vraiment mieux de sa part.

***

Loks regarda le Chef des Crocs Rouges chargé et retint sa respiration. C’était maintenant ou jamais. C’était tout ce qui lui restait. Sa Tribu amoindrie était à ses côtés, loyale jusqu’à la fin. Ils étaient encore assez nombreux pour gagner. Si seulement ils pouvaient arrêter les cavaliers pendant une seconde. Si…

Le Chef des Crocs Rouges rugit en descendant la pente, et Loks sentit un frisson bien plus glaçant que l’air hivernal. Il était proche. Sa paume moite tenait son épée, et son corps battait trop rapidement.

Mais le Chef allait droit vers elle. Loks regarda son loup foncé dans la neige, levant un nuage derrière lui. Il ne l’avait pas remarqué.

Elle retint sa respiration. Encore un pas…

Le Chef donna un coup de talon à son loup, et l’immense animal se tourna et bondit vers la gauche, évitant le trou caché remplie d’Araignée Cuirassée. L’action fut décontractée, presque méprisante alors qu’il esquiva le premier trou, puis le second, et contournant un troisième.

Loks regarda le Chef, choquée, alors qu’il traversa la plaine sans déranger la neige d’un seul des nids d’Araignée Cuirassée. Le désespoir était dans son regard alors qu’il s’arrêta juste devant les rangs de ses Gobelins. Il secoua la tête. Il semblait presque épris de regret alors qu’il leva son épée et que ses cavaliers hurlèrent, chargeant vers son premier rang.


Meurs, petite.


Loks laissa le choc apparaître sur son visage pendant deux secondes supplémentaires, puis sourit. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge cligna des yeux. Elle leva sa main et ferma son poing…

Et le sol bougea.

Les trous recouverts de neige s’effondrèrent derrière les chevaucheurs de loups. Les cavaliers se retournèrent, confus, et virent des Gobelins. Le Chef se retourna, et ses yeux s’écarquillèrent alors qu’il comprit la véritable nature du piège.

Des nids d’Araignées Cuirassée. Ils étaient faciles à détecter même sans [Instinct de Survie]. Chaque Gobelins encore en vie savait comment les détecter. Mais les Araignées Cuirassées n’étaient pas une véritable menace pour une véritable tribu. Tout ce dont ils avaient besoin pour nettoyer leurs nids était un groupe de Gobelins avec de longues armes et quelques Hobs.

Ils étaient tous là, tous les Hobs de Loks et la moitié de sa tribu. Ils se tenaient dans les trous, des Gobelins armés d’arc, de frondes et d’arbalètes. Ils tirèrent dans le dos et les flancs des cavaliers alors que d’autres sortirent des trous et chargèrent les cavaliers de toutes parts.

Loks hurla un ordre, et ses guerriers chargèrent aussi. Ses archers commencèrent à tirer, et les cavaliers se retrouvèrent encerclé et attaqué de toute part.

Le Chef des Crocs Rouges plissa les yeux en regardant les nids d’Araignées Cuirassées. Il réalisa aussitôt le problème. Dans ces abris, les archers de Loks pouvaient continuer de tirer sans crainte.

A moins que ses cavaliers aillent après eux.

Le Chef pointa du doigt, et hurla un ordre. L’un de ses cavaliers bondit dans le nid avec son loup et hurla. Son Loup Carnassier hurla à son tour ; ils s’étaient empalés sur d’épais pics de bois plantés autour des archers.

Loks sourit, et pour la première fois, elle vit le Chef des Crocs Rouges hésiter. Mais il se tourna et la regarda, et elle ne vit pas la moindre trace de peur dans ses yeux. Son sourire disparu. Non. Il n’allait pas…

N’importe quel autre Chef se serait rendu, ou aurait essayer de fuir. Mais le Chef des Crocs Rouges plissa les yeux, et leva son épée. Il la pointa du doigt, et hurla un mot.

Chargez !


Ses guerriers n’hésitèrent pas. Cinquante Gobelins chevauchant des Loups Carnassiers percutèrent des centaines de Gobelins, et commencèrent à se frayer un chemin. Et ils ne s’arrêtaient pas.

Un guerrier Croc Rouge hurla alors qu’il donna un coup d’épée, chevauchant son Loup Carnassier dans les rangs des Gobelins. Il frappa avec arde, ignorant les innombrables mains qui essayaient de le faire tomber.

Un Hob enfonça sa hache dans le crâne d’un Loup Carnassier. Le guerrier Croc Rouge tomba, mais se redressa aussitôt, combattant avec son épée même si d’innombrables armes traversèrent son corps. Il utilisa ses dernières forces pour partir en avant et arracher la gorge d’un Gobelin avec ses dents.

Des Gobelins reculèrent alors que le Chef abattit son épée, découpant plusieurs Gobelins d’un seul coup. Il ne détourna pas le regard, du sang gicla sur son chemin alors qu’il chargea droit vers Loks.

Elle avait l’arbalète noire à ses côtés. Elle n’avait qu’une seule chance. Loks arma le carreau, et tira. Le Loup Carnassier du Chef hurla et s’effondra avec le carreau dans le cou. Mais le Chef bondit de son dos et trancha des Gobelins en allant vers elle.

Loks était en train de trembler. Son sang était en feu. Mais elle ne prit pas la fuite. Elle jeta l’arbalète noire au sol et leva son épée. Il était temps.

Un défi.

Dans la nuit enneigée, des Gobelins combattirent et moururent. Des cavaliers chevauchants d’immense loups combattirent un vaste nombre de Gobelins, saignant, mourant, mais entrainant avec eux le plus de Gobelins possible. Et au centre de la bataille et des mourants, deux chefs se trouvèrent.

Loks et le Chef de la Tribu du Croc Rouge étaient séparés par une trentaine de mètres, et d’innombrables corps. Mais ils coururent l’un vers l’autre comme s’ils étaient seuls au monde, les yeux dans les yeux.

Ils chargèrent à travers la boue, hurlant. Deux types de Gobelins levèrent leurs épées alors que leurs tribus s’affrontaient. Ils se rencontrèrent dans le feu et la furie, l’un évitant, battant en retraite, utilisant de la magie et de la ruse. L’autre enragé, traversant les flammes, attaquant, tranchant.

Deux Gobelins, chacun avec une vision du futur. Et alors qu’ils croisèrent le fer, les deux Chefs regardèrent dans les yeux de l’autre et, pendant une seconde, leurs cœurs battirent au même rythme.

Ils le sentirent. Ils entendirent la voix faire écho dans leurs âmes alors qu’ils luttaient pour ne pas perdre du terrain sur le sol glissant, ils le sentirent dans chaque battement de leurs cœurs alors qu’ils s’affrontaient.

Ceci. C’est cela d’être Gobelin. C’est notre nature.

C’était le cri d’un millier de vies, d’un millier de souvenirs de Gobelins qui avaient vécu et périt avant eux. Cela résonna dans leurs oreilles, traversant leurs veines.

C’est cela d’être Gobelin. C’est pour cela que nous sommes nés.

Loks vit un pied nu partir vers son torse et le bloqua juste à temps. Elle sentit l’impact, alors qu’elle s’écrasa trois mètres plus loin. Son bras était cassé. Elle déboucha une potion avec ses dents et la versa sur l’os, le maintenant en place alors que le Chef des Crocs Rouges chargea.

Une autre potion. Loks la vida et pointa du doigt. Du feu jaillit de ses doigts et frappa le Gobelin en plein torse. Il hurla alors que les flammes l’embrasèrent, mais continua de courir.

De la foudre. Loks esquiva et roula entre ses jambes alors que le Chef des Crocs Rouges asséna son épée. Il manqua, mais se retourna pour trancher trois Gobelins qui foncèrent vers lui. Un Hob essaya de se mettre sur son chemin ; le Chef le transperça sans même regarda dans sa direction.

Les voix dans la tête de Loks l’urgeait de faire la même chose alors qu’elle leva son épée, et elle savait que l’autre Chef entendait les mêmes mots.

Bats-toi. Bats-toi ! BATS-TOI. Bats-toi ou meurs ! Tue ou meurt !

Ils chargèrent, une dernière fois. Mais en le faisant, Loks entendit une autre voix. Cette dernière était silencieuse, mais elle parla dans son esprit, une voix plus jeune, datant d’une vingtaine d’années. La voix d’un Roi. Qui lui murmura.


Ce n’est pas qui nous sommes.


Cela la fit douter. Loks hésita alors que l’autre Chef lui hurla dessus. Elle entendit la voix dans sa tête, plus fort que le reste.


Souviens-toi.

Et elle leva les yeux vers le Chef de la Tribu du Croc Rouge…

Et roula dans l’un des trous.

Il était assez proche pour que Loks puisse directement tomber au centre du trou. Elle vit les pics de bois s’approcher vers elle, aiguisée…

Et sentit l’un d’eux frôlé ses côtes. Mais elle était petite, et une douleur brûlante n’était pas différente de l’impact de la chute. Loks se releva rapidement, et vit le Chef. Il était en train de se tenir aux abords du trou, les yeux en feu.


Couarde !

Il bondit. Comme elle savait qu’il allait le faire. Les Gobelins autour d’elle s’éloignèrent, mais Loks attendit. Elle sentit l’impact, et vit le Chef rugir d’agonie alors que le pic l’empala. Mais il était déjà en train d’abattre son épée vers elle avant qu’elle ne puisse cligner des yeux.

Son bouclier…

L’impact déchira le métal et l’envoya voler contre l’un des murs de terre du trou. Elle tomba, étourdie, alors que le Chef des Crocs Rouges s’avança vers elle.


Toi.

Il toussa et arracha la lance de bois de son flanc. Il regarda son sang, et tendit la main et attrapa Loks. Elle lui donna faiblement des coups de pieds alors qu’il la souleva. Elle tendit la main vers sa ceinture alors qu’elle sentit le monde s’obscurcir.

Le Chef leva son épée et regarda autour de lui. Ses guerriers étaient en train de mourir. Il était seul dans le trou avec Loks, mais des Gobelins étaient déjà en train de s’approcher avec des arcs et des flèches. Il avait perdu, mais Loks était morte.


Comment. ? Comment peux-tu être aussi petite et faire autant de chose ?


Loks croisa son regard. Elle sentit le verre froid dans sa paume. Elle serra les dents, et parla.


Je suis Gobeline. Je suis petite. Mais je vous prends de haut.


Puis elle leva la jarre et la brisa au-dessus d’eux. De l’acide tomba, couvrant Loks et le Chef. Ils hurlèrent, et Loks tomba au sol, agonisante.

Brûlant. Douleur. Mort.

Loks ne pouvait pas voir. Elle pouvait à peine penser. Mais ses mains tâtonnèrent sa ceinture, vers sa seule chance de survie. Le verre était froid, et elle le brisa sur son visage, ignorant les bris de verre.

De la douleur. Mais soudainement sa peau fondante était aussi en train de se reformer. Loks sentit sa peau fondre et se régénérer en même temps. Elle hurla, un son guttural, et brisa une autre potion sur sa tête, nettoyant l’acide.

La douleur continua, s’imprégnant dans sa mémoire et dans son âme. Mais éventuellement, elle disparue suffisamment pour reprendre conscience du monde autour d’elle. Loks se rassit, hurla, et se leva.

Elle devait… Elle devait…

Le Chef de la Tribu du Croc Rouge gisait au sol, silencieux et fumant alors que l’acide dévora sa chair. Loks le regarda. Elle hésita, puis retira le bouchon de sa dernière potion avant de la vider sur sa tête.

Le bruit de la chair dissoute cessa. Loks vit la chair recommencer à recouvrir l’os, et elle pria pour qu’il ne soit pas trop tard. Mais elle vit le chef de rasseoir, et se lever pour mettre la main à sa propre ceinture.

Une seconde potion reforma ses muscles et sa chair, et puis il se dressa devant elle, soigné, et silencieux. Le Chef de la Tribu du Croc Rouge baissa les yeux vers Loks, mais elle fut la première à parler.


J’ai gagné.


Il la regarda. Puis il secoua la tête.


Une victoire. Cela n’arrivera pas deux fois.

Loks haussa les épaules.


Une victoire est tout. Pas de seconde fois.


Pendant une seconde, elle pensa que le Chef allait prendre son épée et la transpercer. Son visage était dépourvu d’expression, ses yeux fixés sur son visage. Puis le grand Gobelin sourit, et grimaça alors que sa chair recommença à se former autour de ses lèvres.


Vrai. Tu es Chef. La Tribu du Croc Rouge se soumettra.


Il leva son poing et hurla dans la nuit.


Tribu des Plaines Inondées plus forte ! Arrête de vous battre !


Autour de la vallée, des Gobelins abaissèrent lentement leurs armes, et même une poignée de Loups Carnassiers arrêtèrent de bouger. Le Chef de la tribu du Croc Rouge sortit du trou, et répéta ses mots aux Gobelins choqués. Ses guerriers survivants hésitèrent, et le suivirent. Les Gobelins de Loks répétèrent l’annonce, et la nuit fut pleine de voix. Loks se tint au milieu, écoutant les rugissements.

Le Chef regarda Loks, désormais sérieux.


Tu as gagné. Tu étais la plus forte, Chef.


Loks y réfléchit. Elle regarda les morts, les nombreux mourants, et repensa à tout ce qui était arrivé. Et puis elle regarda le Chef des Crocs Rouges et sourit.


Menteur.


***


Ce n’était pas juste. Tu m’as laissé gagner.


Ce fut ce que Loks dit après que la bataille se termina et que ses Gobelins étaient soit en train de reprendre des forces, soit en train de s’occuper des morts. Elle regarda le Chef des Crocs Rouges alors qu’il s’accroupit prêt d’un feu. Elle n’était pas méfiante, juste curieuse.

De prêt, il ressemblait à une sorte de dieu de guerre Gobelin. Ses cicatrices brillaient à la lumière, et son épée rouge était magnifique, trop bien forgée pour un Gobelin. Son loup géant était allongé prêt du feu, regardant Loks alors qu’il avait le regard perd dans les flammes.

Le Chef leva la tête. Il avait dit son nom à Loks. Garen. C’était… Un nom étrange. Ce n’était pas un nom de Gobelin. Mais Garen Croc Rouge était une légende, et Loks était certaine, oui, certaine qu’elle n’aurait pas dut gagner. Même avec un millier de Gobelins contre ses soixante.


Tu as fait semblant de perdre.


Il leva les yeux du feu et secoua la tête.


Pas prétendu. Testé. Tu as gagné. Je ne pensais pas que tu allais le faire.

Pourquoi ?


Il s’arrêta.


Doit avoir bon Chef. Doit avoir meilleur chef que moi.


C’était une explication, mais elle n’était pas satisfaisante. Loks avait vu Garen se battre. Il était un excellent leader, et un guerrier sans faille. Elle le lui dit, et il rit.


Je ne suis pas assez Gobelin. Pas assez pour mener tous les Gobelins.


Elle ne comprit pas cette partie, mais après tout, Loks était pratiquement en train de dormir debout, épuisée par le soin et la bataille. Elle pouvait poser la question plus tard, et elle sentit qu’il lui dirait. Il s’était incliné, et, plus fort ou non, elle était désormais en charge. Elle était désormais à la tête de l’intégralité de la Tribu du Croc Rouge et de toutes ses petites tribus. Elle ne l’avait pas encore réalisé. Mais une fois qu’elle allait rejoindre le gros de la tribu…


Petite Gobeline. Chef. Quel est ton nom ?


Loks redressa la tête, et réalisa qu’il lui posait la question. Aucun Gobelin ne lui avait posé cette question. Elle hésita, et secoua la tête.


Pas de shaman. Pas de nom.


Il fronça légèrement les sourcils.


Pas de nom porte malheur. Doit en avoir un.


Loks hésita de nouveau. Elle le savait. Elle regarda les flammes, puis lui.


Autres ont nom pour moi. « Loks. »


Il n’y avait pas de mots pour « Loques » dans le langage des Gobelins. Loks dut lentement prononcer le mot. Garen fronça les sourcils, et rit une fois qu’il réalisa ce qu’elle disait.

« Loks ? C’est un bon nom. Bon nom pour une Gobeline. »

Il parla ! Loks était si surprise qu’il fit un pas de recul. Garen venait de parler ! Pas avec le langage des Gobelins, mais celui des Humains, des Drakéides et des Gnolls ! Elle pensait que cela était impossible.


Comment ? Comment parle ?


Il haussa les épaules en réponse.

« De nombreux jours d’entraînement. De nombreux, nombreux jours. Je l’ai appris quand j’étais aventurier. »


Menteur.


« Je mens pas. J’étais aventurier y’a longtemps. J’suis devenu fort. Le plus fort. »

C’était impossible. Même les plus tolérants des aventuriers tuaient les Gobelins à vue, surtout un Hob. Mais Garen sourit quand Loks le lui dit.

« Des aventuriers spéciaux. Une fois. Ils me faisaient confiance. »


Et ?


Loks était intensément curieuse, mais le visage de Garen était indéchiffrable. Il étudia le feu, et la regarda.

« Faisaient. Je faisais équipe avec eux. Puis un jour, je les ai tués. »

Loks avait soudainement des centaines de questions à poser. Elle voulait toute le lui posé, mais Garen la regarda, et elle réalisé qu’il avait quelque chose à dire.


Suis venu ici pour trouver Chef. Toi ou moi. Devons unir les tribus.

Pourquoi ?

Ennemi au Sud. Grand Ennemi. Méchant Gobelin. Seigneur des Gobelins.



Seigneur des Gobelins. Loks regarda Garen alors que les mots la frappèrent. Non. Cela était impossible. Mais s’il le disait…

Elle regarda le ciel. Le ciel nuageux. C’était une nuit paisible, maintenant que le bain de sang s’était arrêté. Mais si Garen disait vrai, cela expliquait tout. Un méchant Gobelin ? Un mauvais Seigneur des Gobelins ? Si c’était le cas, alors…

Elle regarda sa tribu. Si c’était le cas… Si un Seigneur des Gobelins était en train d’apparaître, alors cela ne voulait dire qu’une seule chose.

Cela voulait dire que toute cette mort, toute cette violence, n’était que le prélude. Un Seigneur des Gobelins était en train d’arriver, et avec lui, une guerre qui dévorera cette région.

Garen sourit, et Loks vit le feu, la guerre et la mort dans ses yeux. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle commença à rire, et sentit le monde recommencer à bouger.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 02 décembre 2020 à 11:57:34

2.28 - Première Partie
 Traduit par EllieVia



La Tribu des Lances de Pierre n’était ni la plus grande tribu Gnolle de la moitié sud du continent d’Izril, ni la plus riche, ni la plus puissante, loin de là. Elle occupait les terres les plus au nord au-dessous des Plaines Sanglantes, et parcouraient principalement les pentes rocheuses près de la chaîne de montagnes qui séparait le continent en deux.
 
La vie était difficile si loin au nord, les animaux y étaient moins nombreux qu’au sud, dans les plaines riches ou les marécages grouillant de vie. Et les dangers des montagnes ne pouvaient être ignorés ; des monstres mortels descendaient souvent les pentes de Grisrith, la chaîne de montagne révérée par les Gnolls comme un endroit où les légendes et les mythes parcouraient encore les cieux, pour trouver des proies plus faciles en contrebas.
 
Et pourtant, la tribu vivait ici, et y prospérait même, à sa façon. Ils gagnaient bien leur vie en rapportant des gemmes et d’autres minéraux de valeur des cavernes et des falaises ; les avalanches constantes et la géographie changeante faisaient qu’il était possible de trouver des gemmes proches de la surface, et de nombreux Gnolls de leur tribu s’étaient spécialisés dans des classes de [Mineur].
 
Tout le monde aimait les objets brillants. Les Gnolls, les Humains, et surtout les Drakéides. Leur ascendance partagée avec les Dragons permettait aux membres de la Tribu des Lances de Pierre de vendre des pierres précieuses dans les villes Drakéides au prix fort, ce qui leur permettait d’acheter de la nourriture et des provisions lorsqu’elles venaient à manquer.
 
Mais cela signifiait aussi que la majeure partie de la tribu devait passer son temps à creuser ou à chercher des filons, loin du camp principal. S’aventurer sur les pentes était trop dangereux pour leurs jeunes et leurs anciens, et la plupart des adultes et des guerriers partaient pour de longues expéditions tandis que les jeunes et quelques guerriers expérimentés restaient derrière avec la tribu, en territoire sûr.
 
C’était là que se trouvait la Tribu des Lances de Pierre en ce moment, au milieu d’un terrain enneigé loin de la forêt lointaine ou du pied des montagnes au nord et à l’ouest. C’était une terre exposée, ce qui voulait dire que le vent glacial pouvait être agressif, mais les solides huttes que les Gnolls avaient construites les protégeaient du mauvais temps, et de plus, ils pouvaient surveiller de cette manière tous les dangers susceptibles d’approcher à des kilomètres.
 
Le petit campement grouillait d’activité alors qu’il était encore très tôt. Les plus vieux Gnolls étaient occupés à tanner des peaux, s’occuper des feux de cuisine, ou d’empenner des flèches et d’écorcher le gibier pour pouvoir le préparer plus tard. Il n’y avait pas de gaspillage dans une tribu de Gnolls.
 
De jeunes Gnolls, des créatures maladroites couvertes de poils qui se baladaient aussi bien à quatre pattes que sur leurs deux jambes et donnaient des coups de crocs et se fourraient dans les ennuis un peu partout dans le campement étaient la seule exception à leur efficacité. Ils avaient à peu près le champ libre pour faire tout ce qu’il leur plaisait… tant que cela n’impliquait pas de traîner dans les pattes ou de s’attirer trop d’ennuis. Les adultes et les anciens Gnolls avaient la main leste avec les enfants qui les dérangeaient et les malheureux chenapans revenaient avec les autres en geignant.
 
Les Gnolls étaient donc là, en train de travailler, occupés à vivre un nouveau jour ordinaire. Ils avaient grossièrement disposé leurs tentes en cercle pour aider à mitiger les bourrasques. La plus grande tente avait été montée plus proche du centre et permettait à toute la tribu de se rassembler et de prendre les repas ensemble, ou de prendre les décisions importantes. Un grand feu brûlait devant, entouré de pierres afin qu’aucune flamme ne puisse venir dévorer les tentes de peau et de bois.
 
Et là, devant le feu, se tenait une Humaine. Elle sortait du lot au milieu du campement affairé, déjà parce qu’elle n’avait pas de fourrure, mais aussi parce qu’on aurait dit qu’elle venait de survivre à une guerre.
 
Ryoka Griffin était assise sur un tapis de laine grossière, et frissonnait, le regard dans le vague. Elle regardait devant elle, le regard vide. Les yeux fatigués. Elle était très, très…
 
Fatiguée.
 
Une semaine s’était écoulée depuis le jour où Ryoka était partie de l’Auberge Vagabonde. Et la Ryoka assise en ce moment même au centre du campement Gnoll n’était pas la même que celle qui en était partie.
 
Elle était blessée. Le visage de Ryoka, son cou - toute la peau exposée à l’air libre et qui n’était pas recouverte par des vêtements était rouge et à vif. Elle avait enlevé ses vêtements les plus épais pour dénuder ses bras et ses jambes, et ses membres étaient couverts de coupures par endroits et de taches jaunes, noires ou violettes à d’autres. Elle avait des piqûres sur sa jambe droite et de fines coupures peu profondes sur le côté gauche de son corps et de son visage. Ce dernier avait l’air à moitié écorché.
 
Et elle était épuisée. Les yeux de Ryoka étaient entourés de cernes profonds, et son regard était creux, marqué par le désespoir. Elle leva à peine la tête lorsque le Cheftain Gnoll de la tribu des Lances de Pierre s’approcha d’elle, un bol entre les mains.
 
“Hrm. Tiens.”
 
Il se pencha, et s’assit en tailleurs à côté de Ryoka en posant le bol devant elle. Ryoka y jeta un regard dépourvu d’intérêt, et y vit une pâte d’un marron grisâtre tachetée de rouge mélangé à ce qui ressemblait à… un poisson.
 
Oui, c’était un poisson, une truite ou l’équivalent que connaissait ce monde. On aurait dit une truite ordinaire, cuite et encore fumante dans l’air glacé. Le Gnoll pointa le bol du doigt.
 
“Tiens. Mange pendant que je t’étale ceci.”
 
Ryoka hésita en levant les yeux sur le Gnoll. Elle ne l’avait rencontré que trente minutes plus tôt lorsqu’il avait aidé à la sortir de la neige. Il s’appelait… Urksh. Ryoka luttait pour s’en rappeler. Il était le Cheftain, ici, et il lui avait offert le gîte et le couvert. Elle avait été trop fatiguée et blessée pour refuser, mais…
 
“Merci. Mais vous ne devriez pas faire ça. Je suis suivie.”
 
“Mrr. Par les Esprits de l’Hiver ? Oui, c’est ce que tu nous as dit. Mais ils ne viendront pas te déranger ici, je pense. Et nous t’avons offert notre hospitalité, cela serait une mauvaise idée de nous la refuser, oui ?”
 
Ryoka haussa les épaules. Elle regarda la pâte d’un air soupçonneux en voyant le Gnoll y plonger un grand doigt poilu. Il tendit la patte vers son bras et elle s’écarta.
 
“Qu’est-ce que c’est ?”
 
“Un onguent de soin. Ce n’est pas une potion de soin, mais ça marche tout pareil, oui ? Et c’est mieux que de gâcher une potion.”
 
“Et le poisson ?”
 
“À manger. Mange. L’onguent ne lui donne pas mauvais goût.”
 
Ryoka dévisagea le Gnoll un instant, mais finit par prendre le poisson en ignorant chaleur brûlante qui manqua lui ébouillanter les doigts. Elle était affamée, et elle se mit rapidement à dévorer le poisson en recrachant les arêtes dans le feu.
 
Urksh leva sa patte et souleva précautionneusement le bras droit de Ryoka qui continuait de manger du gauche. Elle grimaça, et il ajusta sa patte pour la tenir le plus légèrement possible.
 
“Mes excuses. Mais il faut le faire, oui ?”
 
“Allez-y.”
 
Ryoka tenta d’ignorer la douleur à la fois cinglante et brûlante qui commençait à refroidir sous l’épaisse pâte que le Gnoll était en train de lui étaler sur le bras. La sensation était merveilleuse, elle courait avec la douleur depuis tellement longtemps que son absence était un pur soulagement.
 
Urksh fronça les sourcils en étudiant le bras de Ryoka. Il observa les bosses rouges circulaires sur son bras et le gonflement anormal de sa chair qui commençait à diminuer sous l’effet de l’onguent.
 
“Des piqûres de guêpes. Étrange d’en voir en hiver.”
 
Ryoka haussa les épaules, grimaça, puis brisa une arête entre ses dents. Elle se remémora la scène, et essaya de chasser l’image en prenant la parole, la bouche pleine.
 
“Une colonie n’était pas encore tout à fait morte lorsque les fées l’ont réveillée. Elles m’ont eue avant que je ne puisse m’enfuir.”
 
“Je vois. Et la peau ? Elle est trop rouge, même pour une peau humaine.”
 
“Des boules de neige. Beaucoup de boules de neige.”
 
“Hrm. Et ceci ?”
 
Délicatement, Urksh étala l’onguent sur les coupures sur le visage de Ryoka. Elle tressaillit, mais resta immobile, en mâchant son poisson chaud.
 
“Des aiguilles de glace. Elles ont fait exploser un tas de stalactites pendant que je passais devant.”
 
Le Gnoll se rassit et fronça les sourcils. Ryoka soupira en sentant la douleur irradiant de ses bras et de ses jambes commencer à s’apaiser. Elle se demanda s’il allait lui demander d’enlever son t-shirt et son pantalon pour pouvoir soigner le reste de son corps, elle avait bien assez d’ecchymoses pour que ce soit nécessaire, mais elle ne savait pas si les Gnolls reconnaissaient seulement la nudité humaine.
 
Mais Urksh était plus intéressé par les cieux. Il regarda en l’air, cherchant peut-être les Fées de Givre. Il n’y avait pas l’air d’y en avoir dans le ciel au-dessus de leurs têtes, mais Ryoka avait appris qu’elles n’étaient jamais loin. Il secoua la tête en examinant les blessures de Ryoka.
 
“Nous connaissons bien les Esprits de l’Hiver. Ils apportent la neige et parfois du grésil. Mais ils ont beau jouer des tours, je ne les ai jamais vus attaquer ainsi. Se défendre, oui, et causer des ennuis, mais jamais une telle misère.”
 
“Ah ça, je suis un cas particulier.”
 
“Hm. De toute évidence, oui ? Qu’as-tu donc fait pour les mettre en colère ? Même ceux qui tirent des flèches de fer sur les fées avec du fer n’engendrent jamais un tel courroux.”
 
Ryoka sourit, ou plutôt, dénuda ses dents.
 
“J’en ai frappé une.”
 
“Hr.”
 
L’Humaine se tourna vers le Gnoll, et le Gnoll la dévisagea, ses deux sourcils bourrus levés.
 
“Ça doit être une sacrée histoire.”
 
“Oui.”
 
Ryoka soupira. Elle avait vaguement expliqué ce qu’il s’était passé lorsque les Gnolls l’avaient secourue dans la congère, mais il était temps de raconter le reste.
 
“Pour résumer… je défendais une amie des Esprits de l’Hiver et j’ai dû en frapper un pour les faire s’arrêter.”
 
“Intéressant. Ton amie, c’était une demie-Elfe, oui ?”
 
“Oui. Ils ne s’entendent pas très bien avec les Fées de Givre.”
 
“Non. C’est connu. Mais leur animosité envers toi… c’est inquiétant, oui ?”
 
Ryoka ferma les yeux.
 
“Ouaip. C’était une erreur.”
 
Une erreur. Quel euphémisme. Ryoka frissonna en essayant de s’empêcher de se remémorer de nouveau. Urksh la regarda d’un air compatissant.
 
“Combien de temps penses-tu qu’elles vont te poursuivre ?”
 
“Un mois ? Un an ? Mille et un jours ? Jusqu’à ce qu’elles se lassent, j’imagine. Ou jusqu’à ce que je meure.”
 
Silence. Le Gnoll contempla Ryoka, assise devant le feu crépitant. De la chaleur. Elle avait presque oublié cette sensation après tant de jours à courir dans le froid.
 
“Cela ne me paraît pas juste.”
 
“Ce n’est pas une question de justice. Elles veulent se venger et elles obtiendront leur vengeance. Les lois, la pitié… elles n’ont cure de ce que pensent les gens. Elles font ce qu’elles veulent, et elles veulent que je souffre.”
 
Ryoka sourit à moitié.
 
“J’envie ce genre de mentalité.”
 
Là encore, le Cheftain des Lances de Pierre marqua une pause. Ryoka savait que c’était quelqu’un d’important - ou du moins, autant que n’importe quel Cheftain pouvait l’être. Elle n’aurait pas su dire à quel point il était important par rapport à, disons, Zevara, la Capitaine de Liscor, mais elle n’était plus capable de diplomatie en ce moment. Elle était juste épuisée.
 
“La tribu des Lances de Pierre t’a offert sa protection, et tu l’auras. La plupart de nos guerriers sont partis miner dans les montagnes, mais notre tribu est puissante, et nous avons du feu et du fer.”
 
“Cela ne suffira pas. Sérieusement, juste… si les fées reviennent, ne les embêtez pas. Vous ne pouvez même pas les voir, pas vrai ?”
 
“Elles sont… ténues. Et elles n’ont pas d’odeur. Mais nous avons promis…”
 
Ryoka éclata de rire.
 
“Je respecte cela, mais vous ne pouvez rien y faire.”
 
Elle contempla le feu, se remémorant à présent. Les Fées de Givre. Elles l’avaient pourchassée dès le jour où elle avait quitté Liscor, sans merci ni relâche.
 
“Je cours depuis plus d’une semaine à présent, sans m’arrêter. Depuis Liscor.”
 
“C’est loin.”
 
“Oui, mais tu sais quoi ? En descendant ici, je n’ai jamais croisé un seul monstre. Pas un.”
 
“C’est…. étrange en effet.”
 
“Pas si étrange que ça. Ce sont les Fées de Givre. Elles ont effrayé toutes les créatures dans un rayon de plusieurs kilomètres autour de moi.”
 
Urksh fronça les sourcils en dévisageant Ryoka, comme s’il voulait douter de ses paroles.
 
“Je ne savais pas qu’elles avaient un tel pouvoir. Ce sont les esprits de l’hiver et elles peuvent amener le froid, mais il y a beaucoup de créatures dangereuses ici.”
 
Là encore, Ryoka éclata d’un rire amer.
 
“As-tu déjà vu une Wyverne se faire tuer par une horde de fées ? Elles ont gelé cette maudite créature à trois kilomètres au-dessus de ma tête.”
 
Ryoka n’avait qu’eu le temps d’entendre un cri perçant au-dessus d’elle lorsque la créature à moitié morte s’était écrasée au sol à quelques mètres devant elle. La Wyverne était une bête énorme, presque trois fois plus grande qu’elle - un Dragon mineur sans griffes et avec des écailles d’un violet sombre.
 
Elle n’avait aucune idée de comment cette dernière parvenait à décoller du sol ; l’impact qu’avait fait la Wyverne en heurtant la roche l’avait jetée au sol. Pire, les fées n’avaient pas vraiment tué la bête, et elle avait lentement repris conscience et avait commencé à bouger tandis que le givre fondait, avait regardé autour d’elle et vu qu’il y avait un bon goûter à deux pas d’elle qu’elle pouvait manger pour se réchauffer.
 
“Je n’ai fait que les fuir, elles et rien d’autre. Je ne peux pas les semer, en revanche, et elles ne veulent pas me tuer. Elles veulent simplement me voir souffrir.”
 
Oui, souffrir. Les Fées de Givre se délectaient de la colère et de l’agacement de Ryoka. Depuis qu’elle en avait frappé une. Depuis ce moment, sa vie n’avait été qu’une succession de tourments.
 
***


Ryoka avait su qu’elle avait faut une erreur lorsqu’elle avait frappé cette fée à l’auberge d’Erin, mais qu’était-elle censée faire à la place ? Elle avait été en train de défendre Ceria, et elle n’avait aucun regret là-dessus. De plus, elle avait une livraison importante à faire pour Teriarch dans tous les cas.
 
Elle avait donc couru. Couru hors de l’auberge et à travers la neige, le plus vite possible. Au début, les fées s’étaient contentées de la suivre, en lui jetant des pelletées de neige, en lui hurlant dans les oreilles et en lui gelant la peau. C’était à la fois agaçant et douloureux, mais Ryoka avait été soulagée qu’il ne se passe rien de plus.
 
Puis la situation avait empiré.
 
Elle avait rapidement traversé le paysage gelé, franchissant la frontière sud des Plaines Sanglantes après quatre jours à se faire bombarder de neige aléatoirement. La première nuit, les Fées de Givre avaient versé de l’eau glacée sur Ryoka pendant son sommeil. Sa température corporelle avait chuté tellement vite qu’elle avait presque dû se coucher sur son feu de camp pour se réchauffer.
 
La deuxième nuit, elles étaient parvenues d’une manière ou d’une autre à soulever des charbons ardents de son feu de camp pour les lui jeter dessus pendant qu’elle dormait. Elle avait soigné ses brûlures en utilisant avec parcimonie ses potions de soin, mais elle avait cessé de s’en servir les jours suivants - si elle avait dû soigner chaque coupure et chaque bleu qu’elle recevait, elle aurait terminé sa petite provision de potions dès le deuxième jour.
 
Chaque jour, Ryoka s’était levée, avait mangé, couru, tout en se faisant harasser par une à au moins quarante fées d’un coup. Elles lui jetaient des boules de neige - cela semblait être leur mode de tourment par défaut lorsqu’elles n’avaient plus d’idées - mais elles pouvaient s’avérer créatives. Certaines prenaient des brindilles pour titiller Ryoka sans arrêt, tandis que d’autres lui soufflaient du vent au visage, ou trouvaient des choses terriblement odorantes à lui faire tomber dessus.
 
Pendant sa course, Ryoka avait connu tous les plus motifs météorologiques de l’hiver les plus désagréables qu’on puisse imaginer. Des averses de neige aveuglantes qui la faisaient dévier de sa trajectoire et rentrer dans broussailles, des pluies diluviennes qui lui volaient sa précieuse chaleur corporelle, de la grêle - et, parfois, à des moments bénis, les fées se lassaient et cessaient de l’embêter pendant quelques heures. Mais elles revenaient toujours avec de nouvelles farces.
 
Ryoka avait tenté de les ignorer, tenté de poursuivre sa course. La pierre que lui avait donnée Teriarch pointait plus loin au sud et au large à l’ouest des Plaines Sanglantes et elle avait donc gardé ce cap malgré les interférences de fées, traversant l’hiver d’un pays aux merveilles.
 
C’était un monde magnifique que voyait Ryoka, malgré les insectes de glace volants qui le ternissaient. Le paysage qui défilait devant ses yeux n’avait jamais été industrialisé ou pavé par des machines. Et tout ici était tellement vaste ! Les forêts qu’elle parcourait étaient remplies de conifères imposants bien plus hauts que le plus haut sapin de Noël qu’elle n’ait jamais vu, et elle avait traversé des champs ouverts recouverts de neige sur lesquels un paysan aurait pu conduire son tracteur pendant toute une journée sans en atteindre le bout.
 
Le sixième jour, Ryoka traversa un lac gelé si vaste, si immense qu’elle fut obligée d’y monter sa tente. Elle n’avait même pas compris que c’était un lac jusqu’à ce que son feu de camp ne se mette à en faire fondre la surface. Les Fées de Givre ne lui avaient rien fait ce jour-là, mais elles avaient soufflé toute la neige le lendemain pour que les rayons du soleil rendent la glace glissante et traître.
 
Courir sur presque seize kilomètres sur de la glace gelée l’avait couverte de bleus. Mais ce n’était qu’une misère qui s’ajoutait à sa collection déjà conséquente.
 
Ryoka avait ensuite quitté les basses terres pour commencer son ascension, suivant la roche le long des pentes ondulées, de plus en plus haut. Ces sessions d’escalade presque quotidiennes n’étaient pas pire que certaines des courses qu’avait réalisées Ryoka, mais cela signifiait que les fées pouvaient jouer à des jeux encore plus dangereux. Elles créaient de gigantesques boules de neige et les faisaient rouler sur Ryoka - la neige poudreuse la frappait suffisamment fort pour la faire tomber. Pire encore, les fées faisaient parfois geler des pentes particulièrement difficiles pour qu’elles soient recouvertes d’une couche de glace lisse. Ryoka glissait alors jusqu’au bas de la pente, en hurlant des malédictions qui faisaient rire les fées en se tenant les côtes.
 
Ce n’était toutefois pas le pire, non. Une nuit, Ryoka s’était réveillée tandis que les fées lui lâchaient une grosse masse grouillante dessus. Elles avaient récolté tous les insectes qu’elles avaient pu trouver, et la masse de bestioles mécontentes avait recouvert Ryoka, en la mordant ou en essayant simplement d’entrer dans sa bouche.
 
Un supplice.
 
Mais Ryoka avait refusé d’abandonner. Elle était restée en mouvement, avait continué de courir, en essayant d’éviter d’épuiser son stock de potions de soin. Elle avait continué sa route, serrant les dents lorsque les fées défaisaient les lanières de ses bottes, ou nouaient ses lacets. Elle ignora leurs insultes, leurs assauts répétés contre sa dignité. Jusqu’à ce qu’elle atteigne presque son point de rupture.
 
C’était arrivé le jour où Ryoka s’était rendue compte que les fées avaient volé tous ses vêtements pendant la nuit et les avaient tous accrochés en haut d’un arbre particulièrement haut. Elle avait… craqué.
 
Elle avait hurlé, jeté des cailloux, pollué l’air de tous les jurons qu’elle avait pu trouver. Les fées avaient ri et voleté autour d’elle tandis que Ryoka essayait d’écraser leurs petites têtes.
 
Après cela, Ryoka avait tout simplement abandonné. Elle s’était assise par terre, dévastée, convaincue que dès l’instant où elle essaierait de monter à l’arbre pour récupérer ses affaires, les fées se contenteraient de la faire tomber en faisant souffler le vent ou en brisant une branche sur laquelle elle se trouverait. Elle avait abandonné, et était restée assise dans la neige, ignorant leurs remarques et leurs tentatives pour attirer son attention. Puis un miracle s’était produit.
 
Les Fées de Givre étaient parties.
 
Peut-être qu’elles s’ennuyaient, peut-être - peu probable, mais peut-être - qu’elles avaient eu une once de pitié pour elle, ou peut-être que, plus plausiblement, elles avaient vu quelque chose d’intéressant. Tout ce que savait Ryoka, c’est que lorsqu’elles étaient parties, et lorsqu’elle avait été certaines qu’elles n’étaient pas juste en train de se cacher pour briser ses espoirs, elle avait récupéré ses affaires et s’était remise à courir avec bonheur, profitant de ce répit.
 
Les fées étaient revenues lorsqu’elle s’était sentie mieux, trois jours plus tard. Et lorsqu’elles la retrouvèrent, elles ne lui accordèrent pas plus de répit qu’auparavant. Ryoka avait toutefois continué de courir, courir jusqu’au jour où elles avaient décidé de jeter le plus possible de neige sur elle, l’enterrant sous une énorme congère. Elle avait cru que c’était la fin, jusqu’à entendre un grattement et vu un visage poilu venir l’observer d’un œil curieux au-dessus d’elle. Le Gnoll avait grogné quelque chose, puis d’autres sons étaient apparus, et de la lumière et de la chaleur et…
 
Pof.
 
Ryoka s’arracha à ses souvenir et regarda autour d’elle. S’était-elle endormie ? Elle était assise devant le feu de camp des Lances de Pierre, mais du temps s’était écoulé, le bol d’onguent était vide, le poisson n’était plus qu’un tas d’arêtes noircies dans le feu et une petite Gnolle était assise à côté d’elle, examinant le visage de Ryoka d’un air curieux.
 
“Quoi ?”
 
La jeune femme cligna des yeux en se tournant vers la jeune Gnolle. Elle était jeune, et c’était une Gnolle, sauf s’il existait également des nains Gnolls. Mais Ryoka pensait que c’était une enfant, de tout façon, parce que la jeune Gnoll avait chez elle ce mélange de curiosité et d’énergie sans limite qui apparaissait parfois chez les enfants. Et elle regardait Ryoka.
 
“Hrr ?”
 
La Gnolle tendit un doigt poilu et toucha le flanc de Ryoka avec précaution. Ce n’était pas méchant, mais les Gnolls avaient des griffes, même les petits. Ryoka tressaillit, et la Gnolle recula vivement.
 
“Arrête.”
 
Soit l’enfant Gnolle ne la comprenait pas, soit elle s’en fichait. Ryoka vit la Gnolle sortir de son champ de vision, mais refusa de tourner la tête. Elle contempla de nouveau le feu, puis sentit quelque chose lui piquer le dos.
 
Pof, pof.
 
Un tic agita l’œil gauche de Ryoka. La jeune Gnolle avait l’air ravie, et elle tendit la patte pour piquer de encore une fois Ryoka.
 
Stop.”
 
La patte inquisitrice de la jeune Gnolle se retrouva soudain dans la main de Ryoka qui venait de se retourner vivement pour lui attraper la main. La Gnolle dévisagea Ryoka, les yeux écarquillés.
 
Ryoka plongea son regard dans deux yeux terrifiés et eut l’impression d’être un monstre. Elle relâcha l’enfant. Tous les poils de la jeune Gnolle se redressèrent et… elle s’enfuit, en glapissant comme un chien.
 
“Hrm. Mes excuses. Mrsha est jeune et elle ne connaît pas encore les limites.”
 
La fille leva les yeux et vit Urksh en train de s’approcher d’elle, un autre bol dans les mains. Celui-ci était plein d’une espèce de pain plat et de lentilles. L’estomac de Ryoka gronda et elle se leva, des fourmis dans les jambes, pour s’adresser au Gnoll.
 
“Je suis… désolée. Je ne voulais pas lui faire peur.”
 
Le vieux Gnoll haussa les épaules.
 
“Il vaut mieux avoir peur qu’être trop confiant, oui ?  Elle reviendra à la charge plus vite que tu ne l’aurais souhaité. Mais sa curiosité a eu du bon aujourd’hui, je pense.”
 
“Comment ça ?”
 
Urksh pointa du doigt, et Ryoka se retourna pour examiner le campement bourdonnant d’activité. Mrsha, le jeune Gnolle, se cachait derrière l’une des tentes. Elle disparut lorsque Ryoka croisa son regard.
 
“C’est elle qui t’a trouvé, oui ? Les plus jeunes ont les meilleurs nez. Elle t’a flairée pendant que les autres récoltaient de la nourriture.”
 
Ryoka fronça les sourcils en voyant une queue touffue dépasser de derrière une tente. Apparemment, ce nez-là avait un odorat tellement développé qu’il avait pu sentir Ryoka sous un mètre cinquante de neige.
 
“Eh bien, je suis… reconnaissante. Ah, est-ce que les fées… ?”
 
“Nous ne les avons pas revues depuis qu’elles t’ont quittée. Ne t’inquiète pas. Tiens, mange. Il faut que tu reprennes des forces.”
 
Le Cheftain tendit le bol à Ryoka, et s’assit à côté d’elle. Ryoka mangea, mal à l’aise, et essaya de discuter. Elle avait beaucoup de questions et le Cheftain Gnoll était un hôte gracieux, mais au bout de quelques minutes, Ryoka sentit un picotement dans sa nuque.
 
Ce n’était pas inhabituel, la plupart des Gnolls l’observaient dans son dos. Mais une seule d’entre eux était vraiment assez brave pour venir lui piquer le cou d’une griffe à titre expérimental.
 
Ryoka se tourna.
 
“Quoi ?”
 
Mrsha se figea en tendant la patte vers l’une des oreilles de Ryoka. Urksh gronda et lui dit quelque chose dans la langue des Gnolls - Mrsha s’enfuit de nouveau. Ryoka se retourna vers le Cheftain et accepta ses excuses, mais cinq minutes plus tard, la petite Gnolle était revenue, se cachant cette fois-ci derrière une peau en train de sécher pour observer Ryoka.
 
Elle était d’une curiosité insatiable. Pas seulement au sujet de la peau de Ryoka, mais de ses cheveux et de ses vêtements aussi. Les Gnolls s’habillaient légèrement, même en hiver, et les couches de vêtements de Ryoka fascinaient la jeune Mrsha.
 
“Mes excuses, Ryoka Griffin. Ses parents sont tous les deux des guerriers qui protègent les [Mineurs], oui ? Nous devons la surveiller et elle est très intéressée par toi, je pense.”
 
Urksh se rassit près du feu après avoir chassé encore une fois Mrsha. Ryoka hocha la tête. Elle avait eu un bon aperçu de la vie des Lances de Pierre, et elle était curieuse au sujet des Gnolls de manière générale.
 
“Est-ce que tous les Gnolls vivent au sein de tribus ?”
 
La Cheftain parut surpris par sa question. Il hésita.
 
“Certains, non. Ils vivent en ville, oui ? Ils ont abandonné leurs tribus et sont donc des étrangers, mais nous parlons avec eux. Pourquoi ?”
 
Pourquoi ? Ryoka faillit sourire. Elle avait le corps rempli de bonne nourriture, de chaleur, et du soulagement ne pas se faire traquer. Et elle était assise aux côtés d’une espèce similaire aux Humains mais tellement différente de tant de façons. Pourquoi ? Pourquoi tout. Elle voulait tout savoir sur les Gnolls et leur mode de vie.
 
Mais Ryoka était tellement fatiguée qu’une fois son repas terminé, elle tombait déjà de sommeil. Urksh sourit.
 
“Nous aurons encore le temps de parler demain, oui ? Pour le moment, accepte notre hospitalité, Ryoka Griffin.”
 
Il la conduit à travers le camp à une tente que les Gnolls lui avaient préparée. C’était une haute construction circulaire qui lui faisait penser aux yourtes Mongoliennes. Elle entra à l’intérieur d’un pas mal assuré, et s’endormit immédiatement.
 
***

Le jour suivant, Ryoka se réveilla à cause d’une sensation désagréable - presque comme si quelqu’un était en train de lui frotter un torchon sur le visage. Elle ouvrit les yeux et se redressa - et tomba nez-à-nez avec deux yeux marrons en train de la dévisager.
 
Oh bordel !
 
La petite Gnolle bondit et s’enfuit ventre à terre lorsque Ryoka s’assit au bord du lit. Sa petite chambre était complètement sens dessus dessous, et lorsque Mrsha souleva le rabat de la tente, Ryoka vit que l’enfant Gnolle lui avait piqué des affaires. Ou plutôt, elle portait quelques affaires de Ryoka.
 
“Rends-moi mon soutien-gorge.”
 
Mrsha regarda timidement Ryoka, le soutien-gorge pendant lâchement devant sa propre poitrine. Elle avait réussi on ne savait comment à l’enlever à Ryoka pendant son sommeil, ainsi que le reste des vêtements de Ryoka dans lesquels elle s’était endormie. Elle avait pris tous les vêtements de Ryoka et ce n’était qu’un coup de chance qu’elle ne lui ait pas enlevé ses sous-vêtements.
 
“Mrsha. Rends. Moi. Ça.”
 
La Gnolle hésita. Elle regarda Ryoka, puis le rabat de la tente, puis Ryoka, puis glapit lorsque la fille fondit sur elle.
 
Les Gnolls de la tribu des Lances de Pierre virent Mrsha bondir hors de la tente de l’Humaine tôt le matin, suivi de près par l’humaine en question. Ryoka surgit de derrière le rabat et attrapa Mrsha qui essayait de s’échapper.
 
Ce fut difficile de reprendre son soutien-gorge à la petite Gnolle sans rompre le tissu ou blesser l’enfant qui s’attendait clairement à se faire rosser vue la façon dont elle se luttait pour s’enfuir. Mais au bout d’une minute, Ryoka avait réussi à récupérer son soutien-gorge, et se redressa… avant de réaliser qu’elle aurait peut-être dû mettre un autre soutien-gorge et quelques vêtements avant d’aller chercher celui qui lui manquait.
 
La moitié des jeunes Gnolls du campement regardaient Ryoka d’un air avide, tout comme quelques Gnolls plus âgés, même si certains restaient assez polis pour détourner le regard. Mais tous les adultes pouffèrent de rire, sauf Urksh, qui fronça les sourcils et partit à la poursuite de Mrsha.
 
Ryoka repartit d’un pas lourd vers sa tente et en émergea quinze minutes plus tard, entièrement vêtue, à la grande déception de certains Gnolls. Urksh l’attendait, avec une Mrsha boudeuse en train d’aider à enlever les arêtes d’un poisson sous l’œil attentif d’un vieux Gnoll.
 
“Toutes mes excuses, encore une fois. J’espère que ton sommeil n’a pas été interrompu jusqu’à maintenant ? Nos sentinelles n’ont rien vu cette nuit, et nous avons allumé d’autres feux. Ils devraient éloigner les esprits, oui ?”
 
Peut-être. Ryoka ne put que hausser les épaules. Elle ne connaissait aucun moyen d’éloigner les Fées de Givre, à part ne pas les inviter quelque part. Erin avait dit que Pisces avait tenté de les effrayer avec du feu et qu’elles avaient failli brûler l’auberge.
 
“Il faut que tu manges. Tiens.”
 
Le Gnoll tendit un nouveau bol à Ryoka, cette fois-ci rempli d’une soupe de poisson et d’un accompagnement de bœuf séché. Elle le mangea avec reconnaissance, même si la présence d’un accompagnement de viande avec le poisson titillait Ryoka. Est-ce que les Gnolls considéraient le poisson comme un équivalent des légumes ou quelque chose dans le genre ?
 
Ryoka venait de finir de racler le fond de son bol avec une cuillère en bois lorsqu’elle entendit des reniflements. Elle vit Mrsha assise à côté d’elle, en train de renifler ses cheveux d’un air curieux. La Gnolle recula à quatre pattes d’un air inquiet lorsque Ryoka se retourna, mais la fille se contenta de pousser un soupir.
 
“C’est bon.”
 
Elle n’était même pas si en colère que ça contre la petite Gnolle. Ryoka soupira en essayant de mâcher la dure viande séchée. Elle ne détestait pas les enfants ; c’était simplement qu’elle ne savait pas comment les gérer. Elle ignora donc la Gnolle de son mieux tandis que la petite tournait autour de Ryoka pour la renifler, la toucher, la tâter et même la lécher, à un moment.
 
“Arrête.”
 
Ryoka poussa la petite Gnolle, et sentit son corps lourd se déplacer de quelques millimètres. Même les petits Gnolls étaient lourds. Elle fronça les sourcils en la dévisageant, et vit alors que pour une fois, l’enfant ne la regardait pas elle, mais avait levé les yeux vers le ciel.
 
Tout comme tout le reste du camp. Ils s’étaient tous immobilisés, toute la tribu des Lances de Pierre, plus de cinquante Gnolls, en train de regarder le ciel. Ils observaient en silence.
 
Ryoka se figea, et sentit le bonheur de cette journée s’évanouir en un instant. Elle se tourna, et les vit.
 
Les fées.

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 02 décembre 2020 à 11:59:27

2.28 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia


Elles tournoyaient dans le ciel bleu du matin comme des vautours, et sous les yeux de Ryoka, le ciel clair s’assombrit soudain et des nuages se formèrent au-dessus de sa tête. Elle contempla les cieux, le regard vide, et lâcha le morceau de viande qu’elle était en train de mâcher.
 
“Tant pis pour le répit.”
 
Lorsqu’elle avait commencé sa course, Ryoka avait été remplie de défi, prête à ignorer les fées et à endurer tous leurs mauvais coups. Mais c’étaient des êtres d’éternité, et elle n’était qu’une mortelle. En une semaine, elles avaient presque réussi à la briser.
 
Elle avait une mission, un travail, une livraison à mener à bien. Mais c’était tellement dur. Ryoka était juste épuisée. Tellement épuisée, qu’elle voulait abandonner et rentrer chez elle. Mais elle n’avait plus vraiment de maison, si ? Juste une auberge, et Ryoka ne pouvait pas y retourner. Pas les mains vides, et pas avec…
 
Elle leva les yeux pour contempler le ciel. Les feux des Gnolls n’avaient pas tenu les fées éloignées bien longtemps, si les flammes les dérangeaient seulement. Un jour de répit. C’était… suffisant, probablement. Les fées étaient en train de descendre, et Ryoka pouvait voir l’expression sur leurs visages minuscules. Pour une fois, elle aurait aimé ne pas avoir une vision 20/20.
 
Elles souriaient. Et pour une raison qui lui échappait, Ryoka ne pouvait même pas leur en vouloir. C’était la nature des fées ; changeantes, tempétueuses, mais pas mauvaises. Juste… elles-mêmes.
 
Elle se leva. Les Gnolls observaient toujours les Fées de Givre avec méfiance, mais elle pouvait voir que plusieurs, dont Urksh, s’étaient armés. Elle ne pouvait pas les laisser se battre. Les fées ne pouvaient peut-être pas tuer - ou peut-être que si - mais elles détruiraient le camp en quelques secondes.
 
Ryoka se leva donc. Elle regarda les fées.
 
“Venez, alors. Qu’est-ce que vous attendez ?”
 
Toutes ses possessions étaient dans sa hutte. Ryoka pouvait probablement s’en saisir en quelques secondes - avec un peu de chance, les fées ne les éparpilleraient pas aux quatre vents. Puis elle sortirait du camp et courrait. Il n’y avait qu’ainsi qu’elle pourrait se sortir de la farce que les fées lui préparaient. C’était mal de laisser les Gnolls se faire enterrer sous une avalanche, surtout s’ils essayaient d’intervenir.
 
Ryoka sentit son ventre se serrer à l’idée de passer de nouveau des jours et des nuits à se faire traquer. Mais c’était la vie. C’était sa vie et c’était comme ça. Peut-être que c’était l’enfer. Mais ce n’était sans doute qu’une punition. Pour tout.
 
L’une des fées descendit en spirale devant Ryoka.



 “Tu t’amuses bien avec le peuple chien, mortelle ? Nous ne craignons pas leur feu et leur camp est ouvert à tous. Mais tu sais, si tu te prosternes, nous pourrons peut-être nous apaiser un peu et ne pas tout enterrer sous la neige.”


Ryoka leva les yeux sur la fée, vaguement étonnée. Ce n’était pas ainsi qu’elles la saluaient, d’habitude. Il était plutôt de coutume de l’insulter en lui recouvrant le visage de neige.
 
“Va te faire foutre.”
 
Elle attendit, mais la Fée de Givre n’attaqua pas. Au lieu de cela, la petite fae fronça légèrement les sourcils.




 “Tu en es sûre ? Si tu inclines un peu la tête, nous apaiserons notre courroux.”




Pour le coup, c’était suspect. Ryoka plissa les yeux. Son cerveau, inactif depuis si longtemps, occupée qu’elle était à courir et à se contenter de survivre, se remit lentement en route.
 
“Je ne ferai rien de tel. Et si vous aviez prévu de m’attaquer, vous vous ficheriez de ce que je fais. Qu’est-ce qui vous en empêche ?”
 
La fée hésita.


 “Rien d’autre qu’un menu détail. Mais nous avons décidé qu’un peu de pitié était de rigueur, même pour une mortelle inutile comme toi.”



Ryoka se contenta de hausser un sourcil. La fée bouda en gonflant les joues.


 “Eh bien, nous avons accordé une petite faveur. Une toute petite faveur, vraiment. Nous avons promis de te pardonner ton attaque, et nous le ferons. Mais un peu de prosternation ne ferait pas de mal, mortelle.”



La stupide mortelle ignora ce dernier détail, son esprit tournant à toute allure. Que venait de dire la fée ? Une faveur ? C’était à la fois incroyable, étrange, et suspect. Mais les fae ne mentaient pas, ou si c’était le cas, ce n’était pas souvent, et Ryoka pensait qu’elles disaient la vérité. Alors qui serait capable de les empêcher de l’embêter et comment… ?
 
Ses yeux s’étrécirent. Ryoka leva les yeux vers les fées.
 
“... Erin.”


***



Elle a réussi. Je ne sais pas comment, mais elle a réussi. Erin a réussi à obtenir la faveur des fae, et je…
 
Bon sang, je suis jalouse.
 
Et épuisée. Épuisée jusqu’à l’os. J’aimerais juste pouvoir me reposer.
 
Les fées m’ont laissée tranquille après ça. Oh, elles ont bien essayé de me faire m’incliner et les supplier de m’accorder leur pardon et de danser pour les distraire, mais on dirait que j’ai vraiment été pardonnée d’en avoir frappée une. Cela ne signifie pas que je sois immunisée contre leurs faces ordinaires, bien sûr, je les ai déjà vues soulever une flèche du carquois d’un Gnoll pour aller embrocher un poisson qui venait de se faire pêcher et l’emporter avec elles.
 
Est-ce que je devrais quitter la tribu ? Urksh me dit que tout va bien et c’est peut-être le cas. Mais je reste fatiguée.
 
Tellement fatiguée.
 
Certains jours… sont comme ça. En fait, la plupart des jours dans mon monde ressemblaient beaucoup à aujourd’hui. C’est le vide dont je me souviens. C’était ce néant vide dans ma poitrine, cette absence.
 
L’absence d’une raison de vivre.
 
Comment puis-je la décrire ? C’est comme être fatiguée, mais seulement dans mon cœur. Mon corps peut être aussi frais et dispos que je veux, mais il n’y a rien dans mon esprit, pas de passion brûlante dans mon âme. Je ne veux rien faire, rien pour lequel je veuille lutter/
 
C’est ce que je me souviens avoir le plus ressenti en grandissant.
 
Il y a un néant dans mon cœur, un petit trou vide qui aspire les sentiments à l’intérieur. Il attend, une toute petite créature qui grandit de jour en jour jusqu’au jour où ce il me dévorera entièrement. La grande bête du désintérêt.
 
Ou peut-être que c’est le murmure de mon désespoir. Plus grand encore.
 
Je ne vaux rien. C’est la vérité. La vérité indéniable.
 
Je suis dans un monde magique, mais je ne peux toujours rien faire. Je ne peux pas apprendre de nouveaux sorts, je rejette le système de classes, je ne peux pas tuer ni aider mes amis…
 
Toutes ces pensées me taraudent parce que je suis fatiguée en ce moment. Demain, peut-être, j’irai mieux, mais en ce moment, je suis déprimée et je le sais. Cela n’arrange en rien les choses. Parce que je sens le même cercle vicieux se déclencher dans ma tête.
 
Le même que pendant mon enfance. C’est le rythme auquel je cours, le rythme de ma vie.
 
Rester toute seule. Se battre avec ses amis. Ignorer mes parents. Me rebeller. Créer des ennuis. Rester seule. Vivre dans ma tête. Vouloir que d’autres gens meurent.
 
Quelque chose dans le genre.
 
Et maintenant, alors que je suis assise près d’un bon feu dans un sanctuaire, le ventre chaud et bien rempli, je désespère encore. Parce que je peux lever les yeux de quelques centimètres et contempler la limite de mes capacités en train de flotter à côté de ma tête.
 
L’une des fées de givre me fait signe et me jette un peu de neige au visage. Elle fond sur ma peau. Je jette un regard en coin à la créature miroitante de cristal, de glace et de magie et vois une merveille. Et je désespère.
 
C’est un mur infranchissable qui se dresse devant moi. C’est ridicule, mais je vois la fée, et je ne peux pas m’imaginer parvenir à en vaincre une. J’en ai frappé une, une fois, et j’ai failli perdre ma main à cause des engelures. Leurs corps sont de glace, mais leur nature est magique. Comment faire pour ne serait-ce que commencer à en détruire une ? Teriarch pourrait peut-être le faire, mais je ne suis pas un Dragon.
 
Elles peuvent congeler une Wyverne en quelques secondes, conjurer de la neige et de la glace, et elles sont pratiquement invisibles et intouchables. En effet. Une seule de ces petites guêpes de glace hypertrophiées est beaucoup, beaucoup plus puissante que Ryoka Griffin ne le sera jamais.
 
Et la voilà qui me parle, avec une voix qui donne envie à mon cérumen de partir en vibrant de mes oreilles.



 “Tu devrais être reconnaissante, balourde. Si ce n’était pour l’intervention de ton amie Humaine, nous t’aurions chassée d’ici et t’aurions traquées jusqu’aux confins de ce monde.”



Un détail amusant chez les fées ; elles ne disent jamais bonjour ou au revoir, ni aucune des politesses dont font usage les Humains. Elles sont directes et vont droit au but, encore une chose que j’admire chez ces bâtardes
 
Et elles m’adressent la parole, ce qui est rare, mais pas inhabituel. Elles font ça, parfois. Quand elles se lassent de transformer ma vie en cauchemar éveillé. Elles flottent à côté de ma tête et me parlent, bien que lorsque je leur pose une question, elles refusent de me répondre.
 
Mais aujourd’hui, c’est différent. Je n’ai plus de fierté, et je me tourne donc vers les fées.
 
“Qu’est-ce qu’elle a fait ? Erin, je veux dire.”
 
La fée plisse les yeux, comme si elle se demande si elle doit daigner répondre. Mais elle lève alors son petit menton, comme une reine.




“Elle a fait ce que peu de mortels se souviennent de faire de nos jours. Elle nous a honorées. Elle a respecté les traductions. Mais plus merveilleux encore : elle a créé un banquet digne des fae.”




Je dévisage la fée. Une partie de moi, la plus importante, veut lui demander à quel point il peut être compliqué de touiller un bol de lait et de sucre. La deuxième a envie de demander à la fée combien d’escargots morts Erin a dû ramasser pour les nourrir toutes. Une troisième a juste envie de mettre une claque à la maudite créature.
 
Mais les trois ne feraient que me mettre dans le pétrin, ou au moins me valoir un visage couvert de glace. Je dévisage donc la fée et lui pose la question.
 
“Comment ? Une Compétence ?”
 
La fée paraît offensée. C’est presque leur expression par défaut lorsqu’elles sont avec moi.


“Une Compétence ? Peuh ! Comme si on pouvait mettre la connaissance et la magie véritable en bouteille si facilement ! Nay, ce qu’elle a fait, elle l’a fait seule, et c’est la raison pour laquelle elle est précieuse.”



Précieuse. Oui. Je ferme brièvement les yeux. Erin est précieuse. Stupide et bizarre, aussi, mais unique à sa façon.
 
Je me tourne. Mrsha est assise à côté de moi et a les yeux levés sur les fées. Je me demande ce qu’elle voit. Les autres Gnolls bougent les oreilles à chaque fois que je parle, mais je ne crois pas qu’ils entendent les fées parler.
 
Une partie de moi veut toujours ne plus entendre parler de ces fées, mais elles sont différentes des gens comme Persua.  C’est une abrutie lâche et haïssable, mais les fées au moins sont honnêtes au sujet de leurs actes et elles n’ont jamais tenté de me handicaper à vie.
 
Et de plus, elles sont magiques. Et je dois apprendre tout ce que je peux sur la magie. J’ouvre donc la bouche, malgré toutes mes réticences.
 
“J’ai entendu parler d’idio… de gens dans mon monde qui laissent de la nourriture et des cadeaux pour les fées. Est-ce que vous allez les voir eux aussi ?”
 
La fée paraît insultée. Elle lève deux doigts moi* et renifle.
 
*Ah, le charmant V de la victoire. Cela veut forcément dire qu’elle vient du Royaume-Unis ou d’un pays qu’ils ont colonisé. Je parie quand même sur le Royaume-Unis, d’après leurs accents.






“Nous ? Aller rendre visite à ta pathétique espèce et accepter vos petits cadeaux ? Nous avons abandonné votre monde mourant et agonisant il y a des siècles. La terre meurt, et la mort remplit les airs. Nous n’en voulons pas.”



Et elle lâche juste comme ça une bombe sur mes genoux. Je soupçonnais que les fées traversaient les mondes, mais le nôtre ? On a eu… ?
 
Et nous les avons perdues à cause de la pollution. Bordel.
 
“Tu veux dire qu’il y avait vraiment des fées dans notre monde autrefois ?”
 
La fée paraît déçue, et j’aperçois enfin que d’autres flottent non loin de là. Est-ce que le sujet les intéresse ?





“Autrefois. N’avez-vous donc plus d’histoires qui parlent de nous ?”




Elles ont presque l’air… déconfites. Et je les contemple, et je me souviens.
 
“Excalibur. Le Roi Arthur. Cette histoire est le pilier de la culture moderne.”
 
Mais les fées n’ont pas l’air contentes. L’une d’elle secoue la tête.




“C’est tout ce que tu sais ? Tu ne connais aucune des autres histoires ?”



Des fables moralisatrices, des histoires de fées voleuses d’enfants… je ne pense pas que ce soit ce qu’elles cherchent. J’hésite et me creuse la cervelle. Réfléchis. Les vieux mythes…
 
“Est-ce que vous êtes… les Tuatha Dé Danann ?”




“Des Tuatha ! Tu pourrais aussi bien nous traiter de Fomoires, espèce d’idiote !”



Super. Maintenant, elles se sentent insultées. Mais là encore, ce qu’elles impliquent est stupéfiant.
 
“Les Tuatha sont donc réelles ?”
 
C’est à leur tour d’hésiter.





“Peut-être pas dans ton monde, morveuse. Mais chaque conte contient un grain de vérité. Dans un autre monde, peut-être. Mais tu ne vivras jamais assez longtemps pour connaître cette vérité.”




“Je me souviens des histoires anciennes. Est-ce que les héros comme Cuchulainn ont un jour parcouru notre terre ?”
 
Les fées marquent une pause, puis un air d’infini regret traverse leur regard. Un instant seulement.




“Pas la tienne, mortelle. Pas la tienne. Il y a de la magie dans les mondes, mais le tien n’a ni héros, ni légendes qui aient parcouru vos terres. Rien de véritable, rien de valeureux. Tout ce que vous avez à présent sont de la poussière et de vieux rêves.”



 Ça ne devrait pas me blesser. Vraiment pas. Mais j’avais espéré… non. J’aurais dû le savoir. Je baisse la tête, amère. Ce n’était qu’un rêve d’enfant après tout.
 
“Pas de dieux, et pas de héros. J’imagine que les superhéros n’étaient qu’un vœu pieux.”
 
Un vœu insignifiant d’un monde trop faible pour se sauver lui-même. Je ferme les yeux et me détourne. Est-ce donc cela, notre monde ? Un lieu sans magie ni légendes ?
 
Je me lève. J’en ai terminé avec les fées. Je vais aller m’allonger dans ma tente. Pour réfléchir. Peut-être…




“Attendez, attendez. Qu’est-ce qu’elle vient de dire ?”
 
“Des superhéros ? Qu’est-ce que c’est ?”
 




Je m’arrête, dos aux fées. Mais je ne peux pas m’en empêcher. Je me retourner.
 
“Vous n’avez jamais entendu parler des superhéros ? Superman ? Batman ?”
 
Je me sens bête, à dire ces noms à voix haute devant de véritables êtres de mythes et de légendes. Mais les fées échangent des regards et secouent la tête.




“Non.”
 
“Nay.”
 
“Nous n’en avons pas entendu parler. Mais si ce sont des héros, tu connais sûrement leur histoire ?”




J’hésite. Mais Mrsha est à présent en train de me regarder. Et, doucement, une idée me vient en tête, tellement doucement que je n’arrive pas à y croire.
 
Bien sûr. Si les fées sont parties juste après l’aube de la pollution - la Révolution Industrielle, peut-être - elles n’ont jamais entendu parler des superhéros ou… ou de quoi que ce soit d’autre qui ait été inventé depuis.
 
Eh bien, quelle importance ? Aucune. Ce n’est qu’une histoire, et une histoire stupide avec ça. Des légendes des temps modernes créées dans le but de gagner de l’argent en vendant des comics. Mais j’hésite tout de même.
 
Il était une fois.
 
Il était une fois une petite fille qui bondissait de partout avec une cape rouge qu’elle avait fabriquée en arrachant des rideaux. Si je n’avais pas vu les photos je n’y aurais pas cru. Mais c’est vrai. Et si je dois l’admettre, je suis quand même allée voir les films.
 
C’est peut-être ceci qui me fait faire demi-tour et me rasseoir. Et c’est peut-être parce qu’elles me ressemblent un peu, les fées. Nous avons peut-être des tailles et des tempéraments différents… enfin non, pas les tempéraments, mais des natures différente, mortelle et fae, mais nous nous ressemblons par un aspect.
 
Nous ne pouvons pas laisser mourir certaines histoires. Nous espérons. Et c’est cela qui me fait prendre la parole.
 
“Je connais quelques histoires, en effet. Au sujet de héros dont vous n’avez jamais entendu parler.”



“Hah ! Elles ne sont probablement pas très intéressantes de toute façon.”



Mais est-ce que c’est moi, ou est-ce que toutes les fées sont à présent en train de flotter autour de ma tête ? Elles sont tellement agglutinées que même les Gnolls arrivent à distinguer quelque chose. Et Mrsha est assise, les yeux levés sur moi, et je regarde un peu plus loin et voit d’autres petits Gnolls en train de me regarder fixement au loin.
 
Très bien alors. Peut-être que… ? Mais quelle histoire raconter ? Elles sont toutes ridicules, et elles n’ont aucun sens d’un point de vue culturel. Comment ne serait-ce que commencer à raconter la moitié des choses que les superhéros font ?
 
Mais une partie de moi me souffle que ça n’a pas d’importance. Ce sont des histoires intemporelles. Les détails peuvent varier, mais les héros demeurent. Et j’hésite donc, puis je contemple le feu. Laquelle ? Eh bien, je pourrais être féministe, mais je ne l’ai jamais autant aimée que les deux autres.
L’un sombre, l’autre lumineux. Une dualité. Si je ne devais parler que de deux héros dans le monde à quelqu’un qui n’en a jamais entendu parler, ce serait ces deux-là*.




*Et peut-être aussi Spiderman. Mais honnêtement, je n’ai jamais été autant à fond dans les Marvel.



Et si je dois être honnête, je l’ai toujours légèrement préféré à Batman. Je lève donc les yeux vers le ciel. Les sombres nuages orageux sont toujours là, mais ils commencent un peu à s’éclaircir. Et est-ce que c’est un peu de ciel bleu que j’aperçois au-dessus de nos têtes ?
 
Peut-être pas. Mais c’est là tout l’intérêt. C’est peut-être le cas. Je prends donc une grande inspiration et me tourne vers les fées, Mrsha, et le ciel.
 
Et je commence.
 
“Est-ce que vous croyez… qu’un homme peut voler ?”




“Oui !”
 
“Non !”
 
“Imbéciles ! N’importe quel mortel peut voler avec de la magie !”
 
“N’importe qui peut voler pendant quelques secondes si on le pousse d’une falaise !”





“La ferme.”
 
Elles se calment. Et j’ai une audience, à présent. Je prends une grande inspiration. Mon cœur bat la chamade pour une raison que j’ignore. Pourquoi ? Ce n’est rien qu’une histoire.
 
Mais c’est une bonne histoire. Une histoire qu’il faut que je raconte. C’est une histoire à laquelle je me raccroche, une légende que je voudrais vraie. Et peut-être, juste peut-être, qu’il y a de la magie dans cette histoire.
 
“Il était une fois… non, loin d’ici, tellement loin que vous ne pourriez même pas en rêver, vivait un garçon. Et son monde était à l’agonie. Mais ses parents voulaient qu’il vive, et ils l’envoyèrent donc loin, très loin. Non pas grâce à un sort, ou n’importe quelle magie que vous pourriez connaître. Mais grâce à un vaisseau. Un vaisseau merveilleux, fait de métal et de verre. Il transporta le garçon à travers les airs, plus haut que les montagnes et plus loin que la mer la plus lointaine, à travers les mondes, à travers l’espace. Ses parents l’envoyèrent au loin pour qu’il puisse vivre, tandis que leur monde mourait. Et leur monde s’appelait Krypton. Mais le garçon n’allait pas le savoir avant longtemps. Il voyagea loin, et arriva dans notre monde - mon monde, où vivait un jeune couple. Ils étaient tous deux des Humains du nom de Martha et Jonathan Kent, et ils trouvèrent le garçon dans son vaisseau lorsqu’il atterrit sur leur monde. Et ils l’appelèrent Clark…”



***


Les histoires. Elles ne signifient pas grand-chose pour ceux qui n’écoutent pas. Mais pour certains, elles sont tout.
 
Peut-être que lorsqu’on vit à jamais, le passage des vies des mortels nous importe peu, les soucis de ceux qui vacillent entre l’existence et l’inexistence comme des éphémères. Mais je pense qu’on tient tout de même aux fables, même si l’histoire défile, sans intérêt. Parce que contrairement à la vanité fragile des empires mortels, certains contes sont immortels.
 
Et parfois, quelqu’un écrit de nouvelles histoires qui entrent dans la légende. Peut-être que le conte de Superman, Batman et de tous les autres héros avec qui j’ai grandi ne sont pas de telles histoires. Peut-être.
 
Mais elles y sont foutrement similaires.
 
Je ne suis pas conteuse, et je n’ai pas non plus le don des mots. Bon sang, ma gorge s’est mise à me faire mal au bout de cinq minutes. Mais j’avais une audience suspendue à mes lèvres, de petites bouches grandes ouvertes, et Mrsha et les Gnolls aussi. Ils ne comprenaient peut-être pas toutes les nuances, mais ils comprenaient les héros, et je crois qu’ils étaient tout aussi époustouflés par l’idée d’un superhéros. Pas quelqu’un qui possède une  [Classe], mais une personne réellement surnaturelle, capable de soulever une montagne par-dessus sa tête, à la peau plus dure que des écailles de dragon et tellement rapide qu’elle pouvait distancer n’importe quelle flèche*.
 
*Écoutez, j’ai dû improviser un peu pour expliquer tout ça. Et Batman… enfin, c’est compliqué d’expliquer un type qui pendouille dans les ombres et bondit de gratte-ciel en gratte-ciel à une espèce qui ne se déplace pas par brachiation. J’ai fait de mon mieux.


Peut-être que cela n’a eu aucune importance, mais ce jour-là, je restai assise auprès du feu pour conter des histoires de mon monde. Pas juste une heure, ni même cinq, mais la journée entière. Le feu devant moi s’affaiblit, puis devint brasier lorsque les Gnolls y remirent du bois. Le camp poursuivit ses activités, mais lentement, doucement, car les Gnolls travaillaient en écoutant les histoires.
 
D’abord les superhéros, mais pas seulement. Je compris quelque chose en contant la première histoire, puis celle de Batman. Ces gens, ce monde… n’ont jamais entendu aucune de ces histoires. Jamais. Et cet éclair de compréhension vaut plus d’argent que…
 
J’y réfléchirai plus tard. Certaines choses sont plus précieuses que l’or, comme l’expression des Fées de Givre lorsque je leur ai expliqué tout ce qu’elles avaient raté.
 
“Voir un monde dans un grain de sable
Et un Ciel dans une Fleur sauvage
Tenir l'Infini dans la paume de la main
Et l'éternité dans une heure.”

 
Blake, William, Augures d’Innocence. Je ne connais pas la date d’édition… les années 1800 ? Mais les fées n’ont jamais entendu ces mots. Des larmes véritables emplissent leurs yeux, et certains Gnolls ont l’air tout aussi bouleversés.
 
Combien d’années ? Deux cents ? Trois cents ? Quelque chose dans le genre. Pour les fae, j’imagine que cela ne fait pas beaucoup de temps qu’elles sont parties. Mais à quel point les Humains ont-ils créé pendant ce temps ? Peut-être pas grand-chose en termes de gains moraux ou d’évolutions corporelles, mais des pas de géants en termes de littérature, par exemple.
 
Elles n’ont jamais entendu parler du Seigneur des Anneaux non plus. Hah. Pendant toute l’histoire, elles ont voleté autour de ma tête en criant.




“Ils vivent, ils vivent !”
 
“Des anneaux ! Forgés dans les ténèbres pour lier les âmes ! Oui ! Comment l’Humaine l’a-t-elle su ?”
 
“Les petites gens ! Ils s’en souviennent !
 
“Jusqu’au Mordor ! Jusqu’à Isengard ! Jusqu’aux confins de la terre !”
 
“Vous ne passerez pas !”
 






“Mais fermez-la !
 
C’était le meilleur et le pire moment. Non, ce n’était que le meilleur moment. Je leur air raconté cette histoire aussi, et vous seriez surpris de voir à quel point les Gnolls peuvent être émotifs. Ils font preuve de beaucoup de démonstrations physiques, aussi.
 
Je pourrais fermer les yeux et me souvenir de milliers de fois où mon audience a retenu son souffle, hurlé de joie ou réagi avec émerveillement et béatitude aux histoires que j’avais presque oubliées. Mais un moment en particulier me revient, pendant que je contais sous un ciel noir empli d’étoiles et répétait un passage du Seigneur des Anneaux.
 
Mémoire épisodique. Ce n’est qu’un dialogue que j’avais retenu sur un film de trois heures, mais je m’en suis toujours souvenue.
 
“Et Gandalf s’arrêta, et prit la parole. Il regarda Pippin, un sourire aux lèvres, et dit : ‘Finir ? Non, le voyage ne s’achève pas ici. La mort n’est qu’un autre chemin, qu’il nous faut tous prendre. Le rideau de pluie grisâtre de ce monde s’ouvrira et tous sera brillant comme l’argent. Alors vous les verrez…’. Et Pippin répondit, ‘Quoi, Gandalf ? Voir quoi ?’”
 
Je parcours mon audience subjuguée du regard. Je prends une inspiration.
“‘Les rivages blancs, et au-delà, la lointaine contrée verdoyante, dans un fugace lever de soleil.’”
 
À la fin de la citation, je lève les yeux, prête à terminer la scène et à décrire l’arrivée des Rohirrims qui répondent à l’appel de Gondor. Mais je marque une pause, j’hésite. Je vois un éclat de quelque chose de lumineux, de pur et d’éternel tomber au sol et fondre dans la neige.
 
Une larme.
 
La fée qui flottait dans les airs au-dessus de moi descendit lentement jusqu’à se retrouver juste devant moi. Les yeux dans les yeux. Elle me dévisagea, et sa voix fut douce.



“J’avais tort, mortelle. Il y a encore des choses dans ton monde qui valent la peine d’être vues et entendues.”
 





C’est tout. Je me suis alors éclairci la gorge pour reprendre le fil de mon histoire. Mais j’ai senti un changement dans l’atmosphère après cet événement, une éclaircie. Un changement dans le regard des petites créatures qui me contemplaient.
 
Peut-être, oui, peut-être que toutes les histoires ne sont de simples histoires. Je continuai de conter des histoires jusque tard dans la nuit, jusqu’à ce que le feu ne soit que braises rougeoyantes et que tout le monde soit assoupi. Mais c’est en souriant que j’allai me coucher.
 
Certaines semaines, certains mois, certaines années sont mauvaises. Mais il suffit parfois d’une journée pour tout changer.
 
Une journée, ou une histoire. Un peu de magie.
 
C’est peut-être tout ce que nous avons apporté avec nous de notre monde, mais…
 
C’est suffisant.
 
***


Le jour était beau et clair lorsque Ryoka serra la patte du Cheftain de la tribu des Lances de Pierre et fit ses adieux aux Gnolls qui s’étaient rassemblés pour lui dire au revoir. Elle ne ressemblait en rien à l’Humaine qui était arrivée en boitant dans leur camp, blessée et exténuée. Elle se tenait droite et fière, et ses chairs étaient guéries. Et quelque chose l’habitait, une étincelle brillait dans ses yeux.
 
Elle sourit à Urksh et inclina légèrement la tête.
 
“Je te suis redevable, Urksh de la Tribu des Lances de Pierre. Un jour, je rembourserai ma dette.”
 
Urksh secoua légèrement la tête en offrant à Ryoka un sac à dos rempli de provisions.
 
“Aucune dette ne subsiste après la joie que tu nous as offerte. Si tu souhaites rester, tu es plus que la bienvenue, Ryoka Griffin.”
 
Au-dessus de leurs têtes, les Fées de Givre volaient haut dans le ciel, échangeant des blagues, riant, mais pour une fois, dépourvues d’intentions malveillantes à son égard. Urksh leva les yeux et secoua la tête.
 
“Tu ne sais pas où tu te rends ?”
 
“C’est l’idée.”
 
Ryoka hésita, puis lui montra la pierre gravée d’une flèche.
 
“Je crois qu’elle me mène vers une espèce de [Nécromancien].”
 
Il parut troublé.
 
“Nous avons entendu parler d’un Nécromancien, mais il est mort. Et même un nécromancien mineur peut s’avérer terrible. Se rendre à ses côtés, munie d’une simple pierre, peut s’avérer dangereux, oui ?”





“Hah ! Est-ce donc cela que tu cherches, Humaine ? Pourquoi ne l’as-tu pas dit plus tôt ? Nous pouvons te trouver ton leveur-de-morts bien plus aisément que cette babiole !”
 





Urksh et Ryoka levèrent tous deux les yeux. L’une des fées descendit et sourit à Ryoka de toutes ses dents pointues.



“Nous sentons où se rassemblent les morts. Si tu le souhaites, nous te mènerons à celui que tu cherches.”
 



Ryoka la dévisagea d’un air suspicieux, mais son expression finit par s’éclaircir. Elle hocha la tête.
 
“Si vous savez où aller. J’accepte.”
 
Quelque chose tira sur son t-shirt. Ryoka baissa les yeux. C’était Mrsha. La petite Gnolle tirait avec insistance sur le haut de Ryoka. Elle avait l’air affligé. Ryoka hésita, puis se tourna et se baissa. Elle tapota la tête de Mrsha, comme s’il c’était agi d’une enfant humaine, en lui ébouriffant les poils. La Gnolle recula timidement, mais regarda tout de même Ryoka d’un air implorant.
 
“Il faut que j’y aille.”
 
Ryoka se tourna, et… est-ce que les Fées de Givre avaient été en train de sourire ? Elle n’avait aperçu que brièvement leurs expressions, mais elle aurait juré qu’elles étaient en train de sourire à Mrsha. Mais lorsque Ryoka se tourna vers elles, elles affichaient leurs regards habituels remplis de malice et de mépris. Mais ce n’était qu’une façade aussi, n’est-ce pas ?




“Allez, mollassonne ! Nous partons vers l’ouest à présent, cap sur la mort ! Tu nous raconteras beaucoup d’histoires pendant le voyage, n’est-ce pas ?”
 





“Peut-être.”
 
Les fées froncèrent les sourcils. L’une d’entre elles fit un salto arrière.





“Bah ! Elle veut juste dire ‘jamais’ !”
 



“Je vous raconterai des histoires si vous ne m’embêtez pas, mais seulement quand nous ferons des pauses. D’accord ?”




“Peut-être.”
 






Ryoka leva les yeux au ciel, mais il était vraiment temps de partir. Mrsha s’accrocha à sa jambe, mais Ryoka finit par réussir à lui faire lâcher prise. La jeune femme se retourna pour faire un signe d’adieu aux Gnolls, et se mit à courir. C’était un jour de beau temps, le ciel était bleu et l’air de l’hiver était revigorant et frais.
 
Elle sourit, et fit signe une dernière fois aux silhouettes qui se détachaient au loin puis les tentes disparurent de son champ de vision. Pour une fois, Ryoka ne courait pas pour fuir quelque chose mais pour trouver quelque chose. Et elle suivait les fées.
 
La bonne humeur de Ryoka dura un bon quart d’heure pendant qu’elle courait dans la neige. Puis une boule de neige s’écrasa sur son visage et elle entendit une voix dans son oreille.


“Oups !”
 


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 07 décembre 2020 à 00:28:09
2.29 Partie1
Traduit Par Maroti

Certains l’appelaient Az’kerash. D’autres, désormais très peu nombreux, se souvenait du passé et l’appelait Perril Chandler. Personne, mort ou vivant, se souvenait qu’il avait un surnom qu’il avait lui-même oublié, Peril. Et ceux qui parlaient de lui ne prenaient pas la peine de l’appeler ‘Az’kerash. Ils l’appelaient le Nécromancien.

Cela n’avait pas d’importance pour lui. En fait, peu de choses avaient de l’importance, et ce manque d’émotion était un gouffre qui s’agrandissait avec les années. Une petite sphère de vide sentimentale dans son cœur. Mais il s’était aussi habitué à ça.

Il était occupé. En fait, il était tellement occupé qu’il ne prenait pas la peine de tourner la tête alors que son servant lui adressa la parole. Toute son attention était concentrée au-dessus de lui, et la lumière magique était la seule chose qui éclairait l’immense chambre qu’il utilisait pour créer.

Créer. Il n’y avait pas d’autre mot. Le Nécromancien leva les yeux et créa quelque chose qu’aucune espèce, présente ou passé, ne pouvait imaginer. Cela prenait presque l’intégralité de sa concentration, et pourtant il répondit de manière absente à la femme à la peau pâle et aux yeux verts qui se tenait attentivement à ses côtés.

Son nom était Venitra ; le reste n’avait pas d’importance. Elle se tenait devant son maître, dans les ténèbres et le silence de son château. Elle était là pour lui faire son rapport, et cela la comblait de joie. Quand elle parlait à son créateur… Quand elle était en sa présence et qu’elle sentait son attention sur elle, aussi minime soit-elle… Elle se sentait comblée.

« Un autre être a franchit la toile extérieure, maître. »

Perril Chandler ne fronça pas les sourcils ; son visage ne changea pas alors qu’il regarda au-dessus de lui. Il dévouait tellement d’énergie à ce qui flottait au-dessus de lui qu’un inutile changement d’expression aurait été du gâchis. Le fait qu’il puisse répondre était déjà incroyable pour ceux qui pouvait comprendre ce qui se déroulait. Mais il avait été un génie, il y a fort longtemps. Un prodige. Maintenant, il était une légende. Mais il se souviendrait de ce qui avait été dit une fois le sort terminé. S’il y avait quelque chose d’assez important pour mériter son attention arrivait, alors il se concentrerai sur ça, mais pour l’instant il faisait simplement confiance à son subconscient.

« Encore un ? Curieux. Décris-moi ce nouvel intrus. »

« Humaine. Un mètre quatre-vingt-deux. Cheveux noirs ; athlétique. »

« Hmm. Alors elle ne fait pas partie de l’armée. Y'a-t ’il d’autre trait la démarquant ? »

Venitra hocha la tête, même si elle savait qu’Az’kerash n’allait pas la voir. On lui avait enseigné à imiter les mimiques des vivants même si elle n’avait jamais été en vie.

« Elle ressemble à une native de l’Archipel de Drath. De plus, elle semble porter plusieurs pièces d’équipement hautement magique, et elle court dans cette direction. »

« Autre chose ? »

Venitra hésita. Les observateurs avaient vu autre chose autour de la fille. Des sortes de… Choses. Floues et bleues. Des Esprits de Givre. Mais son maître avait insisté, il y a fort longtemps qu’elle n’avait pas d’importance, donc elle ne les mentionna pas. Elle ne voulait pas le déranger oui lui faire défaut. Cela aurait été son plus grand cauchemar si elle avait la capacité de dormir.

« Rien d’important. »

« Hm. Et tu dis qu’elle court ? »

« Oui. Rapidement, mais sans l’aide d’une Compétence améliorant les mouvements. »

« Une Coursière, donc. Potentiellement une Courrière, même s’ils sont habituellement plus rapides. Intéressant. »

Une main pâle se posa sur ses lèvres alors que Peril concentra un peu plus de sa réflexion sur cette nouvelle information.

« J’investiguerai la situation moi-même si… Non, non. Elle est sûrement une messagère d’une des armées. Sont-elles toujours en train de combattre ? »

« Oui, maître. Zel Shivertail à battu en retraite après l’attaque du Seigneur des Murailles Ilvriss et essaye de reformer ses troupes. L’autre armée est activement en train de pourchasser les groupes de guerriers en déroute. Aucune des deux armées a remarqué la présence du château ou à traverse la seconde toile. »

Un soupir. Le Nécromancien aurait bien secoué sa tête, mais il n’avait pas besoin de tant réfléchir.

« Comment c’est pénible. Même dans cet endroit reculé, la malchance et les disputes insignifiantes des cités Drakéides peuvent apporter des armées à nos portes. Le gagnant n’aura pas d’importance. Observe-les, note les endroits où les morts tombent. Et si certains d’entre eux pénètre le voile et entre dans le château… Tue-les. »

Les yeux de Venitra s’illuminèrent et elle sourit.

« Oui. »

« Laisse-moi. »

Son moment était terminé. Elle se recula avec réluctance, et puis alla délivrer ses instructions aux gardiens de ce lieu. Elle quitta la grande pièce dans laquelle se tenait la légende supposément morte, et passa les doubles portes, les laissant se refermer derrière elle.

Az’kerash avait changé ce château en sa demeure, mais pas un qui aurait put être familier à quelqu’un étudiant les châteaux du monde d’Erin et Ryoka. Les corridors de ce château étaient vastes, et la pierre composant les murs, sols, et plafonds était de larges morceaux de pierres noires, bien trop large pour que des engins de construction provenant de ce monde puissent les soulever.

Et il était habité, mais pas par les vivants. Une petite armée se tenait devant ses portes, attendant un ennemi qui n’avait jamais pénétré ces murs. Mais il était mieux d’être toujours prudent, car l’échec voulait dire que leur maître allait être importuné, donc Venitra décida d’être très précautionneuse.

Elle leva sa main, et une douzaine de guerriers morts-vivants la suivirent alors qu’elle marcha à travers les halls. Venitra marcha dans le noir, n’ayant pas besoin de lumière. Seul le scintillement d’yeux dépourvus de vie illuminait les ténèbres, non pas que derrière elle, mais aussi depuis les corridors, les murs, le plafond…

Les morts-vivants se tirent immobiles, attendant. Attendant.

Attendant.

***

Ryoka se rendit compte qu’elle était en train de sourire quatre jours après avoir quitté la Tribu des Lances de Pierre.

Ce n’était pas quelque chose de surnaturel ; les êtres humains normalement constitués le faisaient tout le temps. Tout comme Ryoka. Mais elle avait du mal à se souvenir de la dernière fois où elle avait souri de manière inconsciente, simplement parce qu’elle était de bonne humeur.

Et ce n’était pas comme si elle faisait quelque chose d’incroyablement fun. En fait, elle était en train d’échouer. Mais c’était le challenge que Ryoka aimait, le sentiment de repousser ses limites pour accomplir quelque chose qui valait la peine d’être accompli.

Elle fronça les sourcils en regardant ses mains, qui étaient toujours en train d’être illuminée. Ce n’était pas une chose d’humaine normale, tout comme le son qui provenait de ses mains. C’était bruyant, et incompréhensible.

Il sonnait vaguement comme quelqu’un disant ‘eh’ dans un micro, mais seulement si ce quelqu’un était un caillou qui pouvait parler et que le microphone en question était une sorte de synthé qui faisait trembler et rebondir le bruit.

C’était bizarre à entendre, et suffisamment bruyant pour faire s’envoler les oiseaux alors que Ryoka marchait à travers la neige. Elle fronça les sourcils, se concentra, et les ‘eh’ se changèrent en un ‘ah’ qui était aigu, sonore et, d’une quelconque manière, plat.

« Est-ce que… ? Non. Bordel. »

Quelque chose se posa sur la tête de Ryoka. La fille l’ignora, même si le froid était devenu légèrement en dessous de ce qui était confortable. Elle fronça les sourcils en regardant ses mains, jusqu’à ce qu’un petit visage apparaisse à l’envers dans son champ de vision.


« Humaine. Qu’est-ce que s’est ? »


Ryoka ignora la question. Deux secondes plus tard la Fée de Givre tira sur la paupière de Ryoka et la fille agita sa main avec un cri de colère. La fée s’éloigna en volant, riant, et Ryoka leva les yeux.

Des Fées de Givre volaient au-dessus d’elle, environ une vingtaine. Seul l’une était en train de flotter autour de Ryoka, mais elle était certaine que les autres pouvaient entendre ce qu’elle disait. Ryoka répondit parce qu’elles étaient compagnons de voyage et aussi parce qu’elle savait que la fée n’allait pas la laisser tranquille si elle ne disait rien.

« J’étais en train de travailler sur un sort jusqu’à ce que tu m’interrompes. »


« Un sort ? Ooh, lequel ? Dis-moi ! »


« [Bruit]. C’est un sort d’Echelon 0 que Ceria m’a enseigné. »

La fée cligna des yeux en direction de Ryoka. Elle soupira, et leva sa main pour faire une démonstration. Sa main brilla pendant une seconde, et le même ‘eh’ résonna dans sa paume, un peu moins fort. La fée regarda la paume de Ryoka avec expectation, son regard variant entre la paume et le visage de la fille.


« C’est… Tout ? »


Ryoka haussa les épaules.

« C’est ce que le sort fait. Ceria me l’a enseigné pour que je m’entraîne à maîtriser la magie. Ce n’est pas très pratique, selon elle ; tu ne peux pas lancer le son ou faire des choses complexes comme des voix ou de la musique. »

Elle avait essayé de savoir si c’était vrai ou non. Mais après presque une heure à produire différent grognement, Ryoka devait admettre que Ceria avait probablement raison. Le sort était trop limité pour faire de véritable son, encore moins un son délibérément choisi qu’importe le mana qu’elle mettait dedans.

Non pas qu’elle est beaucoup de mana à disposition, ou qu’elle comprenait bien la magie. Ryoka ne pouvait sentir que la moitié des choses dont Ceria parlait. Pour elle, le sort était une vague sensation dans son esprit, une sensation sur laquelle elle pouvait se concentrer. C’était différent de tout ce qu’elle avait déjà ressenti ; si quelque chose comme un sixième sens existait vraiment, la magie serait ce qui s’en rapprocherait le plus. C’était comme avoir une nouvelle partie de son cerveau s’ouvrir, et Ryoka n’avait pas la moindre idée de comme cela marchait.

Elle pouvait ajouter du mana à un sort pour le renforcer, ajuster certains paramètres comme l’intensité de son sort de [Bruit] ou changer le son qui en sortait, mais rien d’autre. Mais même cela était supposément un travail titanesque pour un débutant, mais Ryoka avait espérer qu’elle aurait put tirer autre chose du sort.

Tout comme la fée. Elle regarda Ryoka et secoua la tête.


« La magie ici est tellement bête. Des Échelon ? Ce n’est que du vent pour vous, les jouets et les imbéciles. »


Elle vola autour de la tête de Ryoka et se posa sur l’épaule gauche de la jeune femme. Ryoka la regarda et vit la petite fée s’asseoir confortablement sur sa veste, agitant ses jambes. C’était une étrange vision, Ryoka cligna des yeux comme si c’était la première fois que la fée le faisait.

Elles étaient tellement familières que cela en devenait étrange. Mais après quatre jours, six en comptant les deux jours dans la tribu Gnoll, Ryoka avait apprit à connaître les Fées de Givre, du moins dans le sens qu’aucun des deux camps étaient activement en train d’essayer de tuer ou blesser l’autre.

Elle leur racontait des histoires, et en retour elles l’aidaient à la guider, lui faisait moins de blagues, et daignaient généralement répondre à ses questions. Ryoka avait toujours le sentiment de plus être un ‘être inférieur intéressant’ plutôt qu’un ‘être sentient au même niveau que nous’, mais elle ne faisait pas la fine bouche et encaissait les quelques remarques et les occasionnelles boules de neige dans le visage sans broncher.

Et, pour être franche, c’était quelque chose de fantastique qu’une fée, un être des mythes et des légendes, s’assoient sur l’épaule de Ryoka. Si seulement elle n’était pas aussi froide.

« C’est peut-être bête, mais c’est la seule magie que je peux faire. Ça et [Lumière]. »

La fée renifla de manière dédaigneuse.


« Aye, nous t’avons vu jouer avec tes petites lumières la nuit. Ce n’est qu’un pale spectre comparé au feu des fées ou aux lumières de wyrd. N’as-tu jamais vu de feu follet ? Leur lumière est une véritable lumière. »


« Jamais, et je n’ai pas particulièrement envie de me perdre. Qu’est-ce que tu veux par ‘petites lumières’ ? »

Ryoka avait expérimenté avec son sort de [Lumière, et sur ce sujet, elle avait réalisé qu’elle pouvait altérer l’orbe de lumière de manière signifiante. Au lieu de la faire flotter à côté d’elle, elle pouvait projeter la lumière de ses mains comme une lampe de poche, ou la tirer de l’un de ses doigts. C’était incroyable, mais de nouveau, uniquement pour Ryoka.


« Hah ! Tu penses que ta lumière est éblouissante ? Ce n’est qu’un minuscule scintillement comparé à la grande bougie au-dessus de nous. »



La fée fit un signe vers le haut, et Ryoka n’avait pas besoin de regarder pour comprendre qu’elle pointait vers le soleil.

« Je ne peux pas faire une lumière aussi puissante que celle du soleil. Je suis désolé si cela te déçoit. »


« Ne t’en fais pas, pathétique humaine. Tout ce que vous, les mortels, faites est être triste et décevant. »

La fée rit et fit un salto arrière en se laissant tomber de l’épaule de Ryoka uniquement pour réapparaître aux côtés de Ryoka même si la fille avait laissé tomber son entraînement magique et accélérer le pas. La fée se pencha en arrière dans l’air et adopta une position allongée, comme si elle se couchait sur l’air. Mais elle resta toujours devant Ryoka, même quand elle accéléra à travers la neige.


« Nous t’avons promis de t’amener à ta destination, mais pourquoi si lentement ? Nous nous ennuyons, Humaine ! Cours plus vite ! Ou racontes nous une histoire ! »


Ryoka serra les dents et leva sa voix alors qu’elle courut à travers la neige qui essayait de la ralentir à chaque pas.

« Je ne suis qu’une triste et désolante mortelle. Je ne peux pas voler, je n’ai pas de Compétences. Je suis désolé de ne pas être Val, d’accord ? »

La fée cligna des yeux en regardant Ryoka avant de rire, amusée.


« L’Humain ? Il est aussi lent que toi. »


C’était intéressant. Ryoka fronça les sourcils en regardant la fée. Elles n’aimant pas répondre à trop de questions quand elle les posait directement, mais elle avait appris à avoir ses réponses dans les conversations.

« Vraiment ? Je pensais qu’il serait rapide, a moins vous toi. Quand est-il d’Épervier ? Est-ce qu’il est rapide ? »


« Comparerais-tu les escargots aux oiseaux, Humaine ? Nous chevauchons le vent et faisons la course à travers les tempêtes ! Nous voyageons à travers des chemins allant par-delà le monde… Qu’est-ce que tes petits pieds peuvent faire pour nous rattraper ? »

La fée semblait insulter, et Ryoka changea rapidement de sujet.

« Bon, d’accord. Tu es rapide et je ne le suis pas. Je suppose que tu voyages beaucoup ? Est-ce que c’est comme ça que tu as connu Teriarch ? »

La fée plissa les yeux en regardant Ryoka. Elle et ses amis avaient déjà refusé de répondre aux nombreuses questions au sujet de leur lieu de vie, leur magie, et pratiquement toute chose de valeur. Elle hocha la tête avec réluctance.


« Nous avons déjà vu ce vieil imbécile. En passant, quand il n’était qu’un petiot, et plus tard. Pourquoi ?»


« Alors tu viens ici depuis fort longtemps. Es-tu plus ancienne que Teriarch ? Quel âge as-tu… Où est-ce que le temps passe différemment pour les fées ? »

Maintenant la fée fronça ses sourcils. Ses ailes tressaillirent et elle ‘s’assit’ dans l’air, le dos tourné à Ryoka.


« C’est un secret. »


« Oh, allez. Quel est le point d’un secret si tu ne peux pas le partager ? »

Ryoka avait l’impression d’encourager un gamin, mais les fées pouvaient parfois être enfantines, et parfois leurs regards devenaient anciens indéchiffrables, comme maintenant.


« Certaines choses ne peuvent pas être dévoilées, et certainement pour une simple histoire, mortelle. »


« Quand est-il d’une centaine ? Est-ce que tu ne me dois pas une faveur ? Tu m’as peut-être promis de m’emmener là ou les morts se rassemblent, mais je t’ai raconté d’innombrables histoires et poèmes. Est-ce que cela ne veut pas dire que je peux avoir quelques réponses ou… »

Squish

Ryoka grimace en marchant sur quelque chose de mou et gélatineux. C’était le problème en courant en hiver, en automne, ou dehors en général. Oh, bien sûr, les plaines enneigées semblaient pristines, mais elle avait probablement mit le pied dans un tas de boue a moitié gelé, ou des feuilles compressées et moisies.

« Bordel. »

La fée baissa les yeux vers Ryoka et secoua la tête. Ryoka grimaça alors qu’elle continua de courir. Elle détestait courir dans la neige. Elle avait des bottes et des vêtements lourds et, comme les fées, elle se trouvait bien trop lente.

Et elle ne pouvait pas voir ou est-ce qu’elle allait, ce qui donnait des moments comme celui-là.

« D’accord, alors pourquoi p… Merde ! »

Elle marcha dans une autre chose glissante qui céda sous sa botte. Ryoka grimaça alors qu’elle leva son pied plus haut pour pouvoir courir sur la poudreuse plutôt que sur ce qu’il y avait en-dessous.

« Bon sang. Est-ce que cet endroit est une espèce de marécage montagneux ? »

Cela ne semblait pas être le cas. Ryoka était en train d’avancer vers une colline, et elle avait traversé une forêt en altitude, au pied d’une immense montagne. Les fées volèrent le long de la colline, et Ryoka les suivit, lâchant plusieurs jurons en glissant lors de la montée.

« Allez. Je ne veux pas d’où de ces fleurs que vous données, je me contenterai de connaissance. Tu m’as dit que tu n’étais pas sensé t’adresser aux mortels, pas vrai ? N’es-tu pas déjà en train de briser les règles ? »

Quelques fées s’abaissèrent pour voler aux côtés de Ryoka. La première secoua la tête.


« Certaines règles peuvent être brisées. D’autre ne peuvent pas l’être. Tu demandes trop, mortelle. Ne continue pas. »

Elles avaient arrêté de sourire. Ryoka se demanda si elle était en terrain dangereux ; mais elle était certainement en train d’écraser quelque chose sous sa botte.

« Est-ce que des rumeurs sont aussi importante que ça ? Je pose simplement des choses sur ce monde, pas le secret des cercles de fées ou quelque chose du genre. Qu’en est-il de Teriarch… Je veux dire, le Dragon ? Est-ce que vous le dérangez ? »

Ryoka sourit en imaginant Teriarch essayer de rester digne alors que les fées l’embêtaient. C’était pour ça qu’il avait craché du feu. Elle laissa s’échapper un léger rire, essayant de ne pas perdre l'équilibre en courant.

Elle était encore en train de rire quand elle vit le premier corps.

Au début, il ressemblait à une sorte de forme dans la neige, un trait de couleur dans le paysage blanc. Puis, alors que Ryoka continua sa course, elle vit les sombres écailles vertes couvert de givre et de sang séché. Et elle réalisa ce qu’elle était en train de voir, et s’arrêta.

C’était un corps. Ryoka n’en avait jamais vu en venant dans ce monde. Bien sûr qu’elle avait déjà vu des cadavres et elle avait déjà assisté à des funérailles à cercueil ouvert, mais un corps ? Jamais.

Et maintenant elle voyait la mort partout ou elle allait. Elle aurait dû y être habituée, désormais. Après les Gnolls massacrés et les ruines de Liscor. Mais…

Cette personne… Non, ce Drakéide n’était pas juste mort dans la neige. Quelqu’un l’avait tué. Ryoka ne voulait pas, mais ses pieds la firent s’approcher du corps, jusqu’à ce qu’elle soit à environ trois mètres. Puis ils s’arrêtèrent. Elle ne pouvait plus s’avancer. Elle ne pouvait pas détourner le regard.

Mort. Le Drakéide avait été tué, oui, mais maintenant elle pouvait voir les détails. Il, ou elle, Ryoka regarda la taille du corps et détermina qu’il était un il, gisait face contre terre dans la neige. Le cuir du dos de son armure avait été ouvert par une grande taillade ; Ryoka pouvoir voir l’intérieur gelé de son corps d’ici. Même si elle ne le voulait pas.

Son estomac trembla. Son cœur tambourina contre sa cage thoracique. Ryoka regarda le corps pendant un long moment, essayant, et échouant, à comprendre.

Il était mort. Quelqu’un l’avait tué. Bien sûr. Cela faisait sens. C’était un monde dangereux… Les gens s’entretuaient. Ou des choses tuaient les gens. Dans tous les cas, c’était normal. Même dans le monde ‘sûr’ de Ryoka, des gens se faisaient tirer dessus et poignarder tous les jours. Cela avait du sens.

C’était ce qu’elle se répétait. Mais Ryoka ne pouvait pas accepter le fait qu’un Drakéide gisait dans la neige lors de ce jour clair et frisquet, au milieu de nulle part.

Elle devait détourner le regard. Elle le devait. S’il y avait un monstre dans le coin… Mais les Fées de Givre la préviendraient, pas vrai ? Où est-ce qu’elles le feraient ?

Ryoka regarda autour d’elle, et fit un pas incertain en arrière. Elle devait aller de l’avant, pas vrai ?

Elle fit un pas pour contourner le corps du Drakéide, et sentit autre chose s’écraser sous sa botte. La jeune femme se figea.

C’était juste quelque chose au sol. Mais une horrible prémonition passa dans l’esprit de Ryoka, son subconscient bondissant à la conclusion que son cerveau ne voulait pas accepter. Non, cela ne pouvait pas être possible.

Lentement, Ryoka regarda autour d’elle. L’endroit était recouvert d’une épaisse couche de neige. Il était difficile de voir quelque chose, mais elle avait mit le pied sur quelque chose qui s’était déchiré et avait éclaté sous son pied, n’est-ce pas ?

Ryoka regarda le sol, puis ses bottes. Lentement, elle les leva et regarda les semelles. Il y avait de la neige coincée sous ses pieds, mais aussi un bond ‘autre chose. Le gant de Ryoka retira un morceau de fourrure et de chair grise. Les cheveux étaient d’un blond terne, la chair était décomposée et gelée. La fille la regarda.

Puis elle vomit. Et courra.


« Ralenti, mortelle. »


Une fée apparut dans la vision de Ryoka alors qu’elle se précipita à travers la neige, glissant, courant, faisant son possible pour s’éloigner le plus loin des corps enterrés. Elle essaya de vomir à chaque fois que son pied s’enfonçait dans quelque chose qui n’était pas de la neige, mais elle continua de courir.

« Humaine, ralenti ! »


La fée était devant Ryoka, lui parlant avec urgence. Mais la fille paniquait, son esprit horrifié incapable de comprendre les mots. Elle s’arrêta uniquement quand une massive bourrasque la fit valser en arrière si fort qu’elle s’écrasa dans la neige avec un bruit sourd.

Ryoka tomba sur quelque chose de dur et paniqua, se débattant. Est-ce que c’était un autre corps ? Mais non, ce n’était que le sol. Elle essaya de se relever, mais un visage bleu était devant elle.



« Humaine ! »


« Qu-quoi ? Qu’est-ce… »

Ryoka se releva, tremblante, mais elle arrêta de courir. La fée flotta devant elle, désormais sérieuse, son visage dépourvu de malice.


« Tu es en danger. Ne t’égares pas comme une idiote que tu es ou tu vas périr à ton tour. »


Qu’est-ce que cela voulait dire ? Ryoka regarda la fée et essaya de parler malgré sa bouche soudainement sèche.

« Ils sont morts. C’est… Les corps… Combien d’entre eux sont morts ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

La fée regarda Ryoka.


« Qu’est-ce que tu crois ? Nous sommes désormais proches. Suis-moi. Lentement. »


Elle s’envola devant Ryoka avec les autres. La jeune femme hésita, mais elle tituba derrière elle. Son sourire avait disparu, remplacé par un puit de peur et d’horreur dans son estomac.

Les fées continuèrent de monter la colline, jusqu’à atteindre le sommet. Elles flottèrent en l’air, cherchant quelque chose en bas. Ryoka hésita, et puis monta les derniers mètres et vit ce qu’il y avait en dessous.



Son esprit s’absenta pendant un temps. Elle resta silencieuse en comprenant ce qui se déroulait devant elle. Elle avait déjà entendu le mot, bien sûr, elle l’avait entendu de maintes fois dans son monde. Et elle avait pensé connaître son sens, mais il y avait une différence entre savoir, et le voir de ses propres yeux. Un mot si simple. Elle le respira dans l’air froid.

« La guerre. »

Sous elle et bien loin d’elle, à des kilomètres, Ryoka pouvait voir les gens dans la neige. Se battant. Des Drakéides en armure et de grand Gnoll dans la mêlée, se tailladant à coup d’épée, de haches et d’autres armes, se brisant le crâne, combattant, saignant, mourant.

Du sang gicla du torse d’un Gnoll, et il s’effondra, la bouche ouverte. Ryoka entendit son pouls rugir dans ses oreilles alors qu’elle vit le Drakéide lever sa lance et lui enfoncer dans le torse.

Elle ne sait pas combien de temps elle resta à regarder la scène. Suffisamment longtemps pour que les battements de son cœur ralentissent légèrement. Et puis elle entendit les cornes, le soin des tambours, le léger bruit du métal cognant le métal et le bruit sourd des explosions.

Et des hurlements.

Depuis le sommet de sa colline, l’Humaine tituba en arrière, et l’une des fées la regarda. Les fées étaient toutes en train de flotter, regardant silencieusement la bataille sans la moindre trace de malice qu’elle avait habituellement.


« Ils se battent avec fureur, n’est-ce pas ? Les enfants des Dragons et les chiens de chasse. »


Les fées regardèrent Ryoka ; la fille ne pouvait que regarder en retour. Ses yeux voyagèrent de nouveau vers le combat, captivé par le carnage. Elle essaya de parler. Sa voix était tremblante quand elle arriva à émerger.

« Je… »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 07 décembre 2020 à 00:46:33
2.29 Partie 2
Traduit par Maroti

Je n’arrive pas à croire ce que je suis en train de voir. Non. C’est parce que je peux croire que tout cela est vrai que si horrible.

La guerre.

Ils sont en train de se tuer en bas. Du sang et des entrailles se déversent sur le sol alors qu’un Gnoll éviscère un Drakéide avec sa hache. Je ne peux…

Mon estomac essaye de remonter, mais j’essaye de le contenir. Ne vomis pas. Regarde les fées. Je détourne le regard, et j’essaye de me concentrer sur les êtres merveilleux. Cela aide, un tout petit peu. Mais j’entends encore les cris.


« Tu es pâle. Tu n’as jamais vu une guerre auparavant, Humaine ? »


La fée pointe le champ de bataille du doigt et mes yeux s’y dirigent sans le vouloir. Cela ne semble pas réel. Mais je sais que ça l’est. Je ne peux même pas parler, mais les mots sortent quand même.

« Non. Jamais. »

La Fée de Givre hausse les épaules.



« Ce n’est qu’un énième combat. C’est naturel. »


Les fées me regardent alors que je secoue la tête.

« Ça ne l’est pas. »

Je n’arrive pas à détourner le regard. Le combat est loin, mais j’arrive à voir les détails de ce qui se passe maintenant que le choc est passé. Il y a des côtés, oui. Deux. L’un semble être fait de soldats arborant du violet, l’autre semble bien moins uni.

Et ce côté moins uni est en train de se faire massacrer.

Peut-être que c’est une compétence. Ou peut-être que c’est juste comme ça que ce monde fait la guerre. Mais je peux voir les soldats en violet en train de faire des percées dans les rangs de l’autre côté. Un Drakéide traverse un autre Drakéide avec son épée et la retire pour finir un ennemi avant de charger avec ses amis. Les rangs n’étaient pas harmonieux, mais maintenant, ils se tordent et se brisent alors que des soldats commencent à prendre la fuite.

Et ils sont font attaquer par-derrière.

Des sorts, du feu et de la foudre, frappe les guerriers dans le dos alors que des flèches tombent sur eux. Je peux voir un Drakéide d’ici, épée en main, pointant la bataille.

Certains des guerriers lancent leurs armes au sol et lèvent leurs mains en l’air. Ils sont ignorés, mais ceux qui ne le font pas se font tailler en pièces, et la neige se gorge de leur sang.

J’ai envie de vomir. J’ai envie de fuir. Mais je n’arrive à rien faire. Je suis captivé, et des idées de révulsion et d’horreur flotte dans ma tête. Juste quand je pense avoir compris ce monde, je réalise à quel point il m’est étranger.

La bataille est terminée, ou presque. Les rares qui ont atteint les arbres continue de courir alors que des archers leur tirent dessus, et c’est uniquement à cet instant que je peux voir l’immensité du carnage. Mes genoux tremblent.


« C’est un problème, n’est-ce pas ? »


La voix dans mon oreille me fait sursauter. Je regarde autour de moi et vois les fées.

« Qu’est… Qu’est-ce qui est un problème ? »

La petite créature pointe du doigt droit devant elle, par-delà la bataille.


« Ta destination est par-là. »


Ma destination… ? J’avais pratiquement oublié le Nécromancien. J’avale ma salive. Oh mon dieu. Comment est-ce que je suis sensé passé tout ça ?

En courant ? Ils ont des flèches et de la magie. Ce… Ce n’est pas la même chose qu’une Liche. C’était un monstre, là c’est une bataille. Qu’est-ce que je peux faire si l’armée décide que je suis une menace. Est-ce que les fées…

Je les regarde, et elles semblent lire dans mon esprit. L’une des fées me regarde avec un air sérieux.


« Nous n’interférons pas dans les affaires des mortels. Souviens-toi de cela, Humaine. »

Oh. Je ne sais même pas quoi dire, mais j’ouvre ma bouche et j’ai terriblement peur du fait que je vais les supplier de m’aider. De… Je ne sais pas, enfouir l’armée sous une avalanche ou quelque chose du genre ? Peut-être que je peux les contourner. Si je cours vers l’ouest puis nord sur dix… non, vingt kilomètres peut-être que je…


« Attention ! Baisse-toi, idiote ! »


Une fée crie et pointe du doigt. Je me retourne, et vois certains des archers et soldats tourner vers moi. Ils sont en train de pointer du doigt, et ils m’ont repéré depuis mon évidente position en haut de la colline. J’entends un cri, et ils lèvent soudainement des arcs.

« Mon Dieu ! »

Je me jette dans la neige alors que les distantes figures tirent. Quelque chose sifflent au-dessus de moi, et je vois des choses noires filées là ou ma tête s’était trouvé.

Oh non. C’est pas bon. Comment est-ce que j’ai pu être aussi stupide ? Qui se tient sur une colline et donne sa position comme ça ? Je ne réfléchissais pas et maintenant je suis morte.

Je rampe vers le sommet de la colline, de là ou je viens. Passe sous leur ligne de feu. Mais je peux déjà entendre des cris, de plus en plus proche.

« Merde. Hey, est-ce que vous… ? »

Je lève les yeux, et les fées ont disparu. Je suis seule.

Oh non.

J’essaye de ramper plus rapidement, mais la neige est tellement épaisse que j’arrive à peine à bouger, et je sais que je vais me faire tirer dessus si je me lève. Mais j’entends désormais des voix, colérique, et une voix féminine hurlant des ordres.

« Dispersez-vous ! Ne laissez pas l’Humaine s’échapper ! »

Je dois courir. Je me prépare à me lever et fuir. Quelle est ma vitesse dans cette épaisse neige ? Elle atteint mes genoux et pratiquement ma taille à certains endroits. Si je glisse… Je ne peux pas aller plus vite que des gens avec des arcs ou des sorts ! Mais il faut que je le fasse.

J’ai une idée. Attends, attends. Et si je… ?

Les cris s’approchent. Je regarde autour de moi, et je tente ma chance. Je creuse dans la neige autour de moi. C’est profond. Faut que je m’allonge, et ensuite ? Je pousse la neige sur mon corps, ma tête. Prétends être un cadavre. Cache-toi. Ne cours pas ; ils s’attendent à ça.

Je creuse mon chemin dans la neige, essayant de m’enterrer sans donner l’impression de m’être enterré. Pendant ce temps, j’entends les voix devenir de plus en plus proche, mais elles sont presque assourdies par le bruit des battements de mon cœur.

C’est la chose la plus stupide que j’ai jamais faite.

La neige recouvre ma tête, et je ne vois que du blanc. Le froid est autour de moi, mais je suis tellement paniqué que je ne le sens pas. J’essaye de respirer lentement, alors que je m’enfonce sans faire de bruit. Les cris sont tout autour de moi.

« Oh mon dieu. Putain de… Merde, merde, merde… »

Une infime partie de moi-même est outragée quand tant de crises, je n’ai pas le vocabulaire pour m’exprimer. Qu’est-ce que suis, un collégien ? Même eux ils savent comment jurer. Mais j’ai trop peur. Je ne crois pas en un dieu*, mais si je pouvais prier…


*Par cela, je veux dire que je ne crois pas au fait d’en prier un. Que les dieux existent, ou aient existé, enfin… C’est plutôt clair dans ce monde.


Qu’est-ce que je vais faire s’il me trouve ? J’entends la neige s’écraser, et je me demande s’ils acceptent les prisonniers humains. Si je dois me battre…

Des potions. Mon sac. Ce sont mes seules armes ; et je n’ai pas eut à les utiliser contre des monstres, mais des gens…

Je n’ai que quelques potions qu’Octavia m’a donné. Trois potions, deux sacs. C’était lequel… ?

Je mets la main à ma ceinture et me fige alors que j’entends quelqu’un parler à moins d’un mètre.

« Vous l’avez trouvé ? »

« Non, madame. »

« Alors l’Humaine est encore là. Faites installer un filet par les autres et cherché des pièges. Le reste d’entre vous, avec moi. »

J’entends la neige s’écraser, et la voix s’approche. Ils sont juste au-dessus de moi ! Je retiens ma respiration. Je suis invisible, introuvable…

Mais une terrible idée me frappe. Cela marcherait dans mon monde, mais ils ont des mages. Et la voix semble être juste au-dessus de moi.

« Nous savons que tu es là, Humaine. Si tu ne viens pas maintenant, nous allons réduire la colline en cendre avec notre magie ! »

Non, Non, non, non…

« Approche ! Maintenant ! »

Le ton de sa voix indique clairement qu’elle est à deux doigts d’ordonner un bombardement. Je dois bouger.

Lentement, je me relève de la neige, levant mes mains. Je suis presque ébloui par la lumière. Je cligne des yeux, regarde autour de moi…

Et voit les soldats.

Ils sont huit, tous Drakéides à l’exception d’un unique Gnoll avec un arc. Et ils sont armés, portes des armures, du cuir lourd, et tiennent des armes ensanglantées. Ils… ne sont pas en train de me regarder.

Nope. Pas du tout. La Drakéide les menant est en train de surveiller le pied de l’auberge. Ils me tournent le dos, et sont à environ cinq mètres de là ou je suis, en contrebas… L’un des Drakéides se retourne alors qu’il m’entend me redresser, et il crie. Les autres se retournèrent, et lèvent leurs armes, leur surprise affichée sur leurs visages.

Oh mon dieu.

C’était un bluff. Et je me suis fait avoir !

Leur chef est la première à réagir. Elle dégaine son épée et la pointe vers moi en hurlant.

« Pas un geste ! Soldats, à moi ! »

Sa voix résonne et j’entends des cris. Je garde mes mains levées, cherchant une solution.

Ryoka, maudite idiote… ! Qu’est-ce que tu peux faire ? Le Gnoll à son arc pointé vers moi. Je ne vais pas être capable d’attraper une potion, alors un sort ? Si j’arrive à avoir une seconde, je pourrai utiliser la potion de Teriarch. C’est dans les plus graves situations, mais…

J’ai deux sorts. [Lumière] et [Bruit]. Je peux utiliser les deux avec mes mains, et ensuite ? La flèche est vers mon visage. J’ai une idée pour un sort, mais non.

Non. Je regarde la flèche pointée vers moi. J’ai… J’ai trop peur pour essayer. Les soldats m’encerclent, et plus se dirigent vers nous.

La Drakéide capitaine ou commandante ou qu’importe point son épée vers moi. Elle semble être méfiante, mais le seul truc dangereux que je peux faire est recouvrir la neige de jaune.

« Debout, Humaine. Lentement. Pas de mouvements brusques. »

Ce n’est pas la première fois que je me fais arrêter, même si c’est la première fois dans ce monde et que je me rends sous la menace d’une épée. Je bouge avec extrême précaution, ne faisant aucun mouvement brusque pouvant alarmer les soldats. Les yeux de la Drakéides m’observent de la tête au pied.

« Qui est-tu ? Un soldat de l’Alliance Trisstral ? Une mercenaire ? Une aventurière ? Réponds ! »

L’alliance Trisstral ? Je ne sais pas de quoi elle parle, probablement les soldats qui viennent de se faire massacrer. Je secoue lentement ma tête.

« Je suis une Coursière. »

La Capitaine Drakéide cligne des yeux, avant de les plisser.

« Une Coursière ? Prouve-le. »

Heureusement, je peux le faire. Les Coursiers utilisent des Sceaux, mais nous avons aussi le nôtre pour dissuader les gens suspicieux… Comme elle. J’en ai un prouvant ma désignation à un Coursier de Ville, il y a un sort qui casserait le sceau s’il était hors de ma portée plus de cinq minutes.

« J’ai un sceau dans ma ceinture. »

Elle regarde l’un des Drakéides.

Le Drakéide m’approche avec méfiance. Elle est plus petite que moi, mais elle me regarde comme si elle ne voulait rien d’autre que me poignarder dans l’œil. Je ne bouge pas, mais je dois parler.

« Troisième poche sur la droite. Ne touche pas aux autres. »

Ce n’est peut-être pas la meilleure chose à dire, mais c’est un véritable concerne. L’anneau et la lettre se trouvent dans la seconde poche, et il m’a prévenu de ce qu’il se passerait si quelqu’un le touchait.

Le soldat n’aime pas du tout entendre ça. Ses mouvements sont lents et je peux sentir les sorts et les flèches pointées sur moi alors qu’elle fouille ma poche. Elle sort le sceau et recule pour le tendre à sa Capitaine.

La Drakéide l’étudie et hoche la tête avec réluctance.

« C’est un vrai. Tiens. »

Elle me le renvoie. Je l’attrape sans réfléchir, et je sens les soldats baisser leurs armes. Il semblerait qu’en tant que Coursière, je sois considéré comme non-combattante, mais ils n’ont pas encore rangé leurs armes.

« Qu’est-ce qu’une Coursière de Ville fait aussi loin d’une ville ? »

La Capitaine me regarde avec suspicion, mais ici au moins je peux mentir avec conviction. Avec beaucoup de conviction.

« J’ai une livraison pour une tribu dans le coin. Gnoll. Les Lances de Pierre. Je suis à la recherche de leur chef, Urksh. »

« Nous les avons rencontrés. Tu as plusieurs jours de retard. »

Je hausse les épaules.

« Je me suis fait courser par une Wyverne. Je partirai si tu me pointes dans la bonne direction. »

C’est une bonne histoire. Je continue de me le répéter, et j’espère que je peux mentir aussi bien qu’avant. La Drakéide est en train de hocher la tête, comme si elle me croyait, et j’ai l’avantage que je sais que Urksh me couvrirait s’il l’apprend.

Je pense qu’elle va me laisser partir quand elle fait un signe de la tête vers les autres soldats.

« Tu dis peut-être la vérité, mais je ne peux pas le confirmer sans une Compétence de détection de mensonge. Dans tous les cas, tu vas devoir nous accompagner. »

Merde. Mon cœur bat la chamade.

« Ou ça ? »

« Le Seigneur des Murailles Ilvriss veut te rencontrer. Tu ne seras pas blessé tant que tu ne résistes pas. Emparez-vous d’elle. »

Elle hocha la tête, et deux soldats viennent me flanquer. Ils ne m’attrapent pas, mais ils pointent dans une direction et je pars. Il ne faut pas combattre les soldats.

Mon dieu, j’ai fait une erreur. Ou peut-être pas. Peut-être que ce Seigneur des Murailles était un type raisonnable. Je suis certaine qu’il l’était. Je suis certaine qu’il allait me laisser partir en s’excusant et en me serrant la main… La griffe.

Je suis tellement dans la merde.

Je peux entendre la Drakéide hurler des ordres, rappeler ses soldats, alors que d’autre se regroupent autour de moi. Je n’allais pas rester avec mes deux amicaux compagnons. Je regarde le sang sur leurs armes jusqu’à ce que l’un d’entre eux me grogne dessus et je détourne le regard.

Je descends la colline et suis la petite colonne de soldat qui retourne vers le champ de bataille. J’essaye de trouver une solution en marchant. Est-ce que cette armée est là pour affronter le Nécromancien ? Les gens pensent qu’il est mort, et de plus, le Drakéide à mentionner une alliance.

Une guerre, alors ? Je doute que quelqu’un soit allié avec Az’kerash, et je n’ai pas vu de mort-vivant sur le champ de bataille. Des morts, oui, mais ils restaient morts.

Suis-je en danger à cause de cette guerre ? Je veux dire, qu’est-ce qu’un [Nécromancien] aime plus que des cadavres ? Merde. J’allais préparer mon plan sur comment rencontrer le type en allant frapper à sa porte, mais si cette armée se fait attaquer…

Je trébuche, et un soldat me pousse pour me faire avancer. Sympa de voir qu’ils sont tant intéressés en mon bien-être. Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je peux faire ? Les potions…

Je vois un scintillement du coin de l’œil alors que je me fais pousser, et je vois une fée flotter pas loin, aussi innocente que possible. Mais les soldats ne voient probablement qu’une forme floue, et donc elle s’approche alors que je marche. Je la regarde du coin de l’œil, et elle me fait signe de la main.

Est-ce… Qu’elles vont aider ? Elle pointe les soldats du doigt, et mon cœur s’accélère. Si elle gèle leur arme ou le frappe avec quelque chose je vais probablement pouvoir faire le reste.

La fée tape une épée d’un soldat, la gelant pendant une seconde, puis me pointe du doigt. Elle trance une ligne au niveau de sa gorge, me fait un signe de la main, et s’envole. Je la regarde partir et je me mords la langue tellement fort qu’elle saigne presque.

Je déteste ces bâtardes.

***

Son nom était Zel, même si peu de gens l’appelait encore par ce nom. C’était un signe de respect, mais cela le rendait parfois solitaire. Pour les autres, il était Shivertail, le légendaire Général de Ligne, le fameux Brise-Marée.

Parfois, il souhaitait qu’ils ne croient pas autant en lui. Parce qu’un jour, il allait perdre une bataille, et sa vie.

Peut-être aujourd’hui.

Le [Général] se tenait au-dessus de ses cartes, regardant un dessin approximatif du terrain et du paysage. Leur armée n’avait pas été présente depuis bien longtemps, et ce lieu était un coin paumé que même les Tribus Gnolls ne visitaient pas souvent. Il marqua sombrement un point sur la marque et le tapota.

« Nous avons manqué le combat. Ilvriss vient de détruire l’intégralité du groupe de Verdam et n’a presque pas perdu de soldats. »

Les officiers et adjudants se tenant autour de la table murmurèrent en entendant cette nouvelle. Zel ressentait la même chose, mais il ne le montrait pas.

« Ils se sont fait tailler en pièces. C’était le dernier groupe qui ne s’est pas dispersé aux quatre vents, ce qui veut dire que nous sommes seuls. Donc. Résumons. »

Zel marcha autour de la table, regardant ses officiers hauts placés. Il grimaça dans sa tête. Ils ne valaient pas grand-chose. Ils étaient tous des [Tacticiens], des [Lieutenants] de bas niveau et même des [Chefs] envoyé par des cités alliées, pas comme les [Stratégistes] et [Capitaines] présent dans l’armée d’Ilvriss. Ce n’était pas une surprise d’apprendre que les soldats de Verdam avaient été massacrés.

Il aurait souhaité être à ce combat, pour équilibrer les chances. S’il avait été avec l’armée, le combat aurait été équitable, voir plus. Ses compétences auraient été un contre à celle d’Ilvriss, mais c’était la guerre, pas vrai ? L’équité était un rêve.

Zel racla sa gorge, et tout le monde présent la pièce devint attentif, même s’ils n’étaient pas distraits. Ils étaient braves, loyaux, et en train de se battre pour défendre leur terre. Il ne pouvait pas les blâmer pour cela, mais cela alourdissait le poids qu’il avait sur les épaules.

« Ilvriss nous a pris par surprise quand nous étions en train de réunir nos troupes. Les choses se seraient mieux passé si notre armée avait été regroupée, mais aucun de nos [Scouts] l’ont repéré et nos [Stratégiste] ne pensaient pas qu’un Seigneur des Murailles quittent l’une des Villes Emmurées. Mais, par-delà les récriminations, il l’a fait et il est là. Et il vient de prendre notre dernière chance de faire pencher la balance de notre côté. Ils sont deux fois plus nombreux que nous, et nous avons perdus plusieurs bons officiers lors de cette embuscade. »

Personne ne parla, même si Zel entendit un grognement étouffé. Il était d’accord, mais ses soldats avaient foi en lui, malgré la différence de niveaux, équipements, et soldat entre eux et Ilvriss. Il était un [Général], et ses capacités pouvaient changer le cours d’une bataille. Mais s’il mourrait ou ne pouvait pas les utiliser…

« Les forces du Seigneur des Murailles Ilvriss n’ont pas besoin de bouger ; ils savent qu’ils sont en train de garder l’unique passe viable. Soit nous essayons de partir en utilisant une autre sortie et ils nous attaquent dans le dos, soit nous les attaquons de face et essayons de les vaincre. »

Les deux options n’étaient pas bonnes. Zel le vit sur le visage de ceux qui l’entourait.

« Une offensive n’est pas ce qu’attend Ilvriss. Il espère que nous essayions de nous faufiler pour qu’il puisse nous coincer contre une falaise ou un endroit difficile pour nous vaincre. Cela peut marcher. »

Les Compétences ne pouvaient pas tout faire. Elles ne pouvaient pas faire de miracles. Zel s’arrêta et il pointa l’endroit où le campement d’Ilvriss se trouvait sur la carte.

« C’est ce qu’il attend. C’est ce qui conviendrait à mes capacités. C’est ce que nous n’allons pas faire. Nous avançons sur son camp et attaquons. Pas demain, pas dans une heure, mais maintenant. Ses soldats sont toujours en train de se soigner et il est probablement en train d’assumer que nous sommes en train d’essayer de regrouper nos soldats. Non. Nous bougeons dans dix minutes ; laissez le camp et faites que tout le monde soit prêt. »

Zel accompagna ses mots avec son action et quitta la tente. Quitte ou double. L’air froid était rêche sur ses écailles. Est-ce qu’il allait mourir aujourd’hui ? Il n’espérait pas. Mais si c’était le cas, il allait partir avec une griffe dans la foutue gorge d’Ilvriss.

Il n’allait probablement pas mourir. Un captif était exactement ce que les leaders des Villes Emmurées désiraient. Les officiers de hauts niveaux et les [Généraux] avaient trop de valeur pour être perdu dans une petite guerre comme celle-ci.

Le Drakéide grogna alors qu’il piétina la neige. Il ferma ses mains et prit une grande inspiration.

« Quelle stupide raison pour une guerre. »

De bons soldats allaient mourir pour de la politique. Il détestait ça. Mais alors que ces soldats se ralliaient et se préparaient à attaquer, Zel avait une consolation.

Au moins il allait voir la surprise sur le visage de cet arrogant lézard.

***

Je veux vraiment retirer le sourire satisfait du visage de ce bâtard.

Je me tiens dans une tente, en face du Seigneur des Murailles Ilvriss, le [Lord] en charge de l’armée qui vient de massacrer tous ses soldats il y a moins d’une heure. Contrairement à ses soldats, il n’est pas dans la boue, la neige et le sang. Plutôt, il est en train de porter une armure rouge et or sans la moindre trace dans une tente luxurieuse et chauffée au milieu du camp qui commençait à être installé.

Et il est arrogant. Terriblement arrogant. Je peux le voir dans la manière avec laquelle il remonte son menton, la façon dont il bouge et regarde tout le monde autour de lui comme s’ils étaient moins importants, et encore plus dans sa manière de s’exprimer.

Il me rappelle certains des potes de mon père, les politiciens et les gros bonnets à qui tu as envie de mettre quelques gifles, ou au moins envoyé de la merde de chien.*


*Plutôt spécifique ? Je l’ai fait une fois. C’était hilarant.

Et il est aussi confiant qu’un serpent, en plus d’être paranoïaque.

« Je te l’ai dit, je suis une Coursière. Je ne fais pas partie de ta petite guerre. »

Cela m’attire un regard de la part de l’un des Drakéides dans la pièce, celle qui m’a capturé. Son nom est Periss, et elle est une [Commandante] qui semble vénérer le sol sur lequel Ilvriss marche. Je pense qu’elle est sa seconde, mais franchement, je m’en fiche.

Je préférerai fuir d’ici et oublier tous ces gens, leurs noms et leurs titres. Mais ce n’est pas une option, apparemment.

« Et je vois que c’est la vérité. Mais une Coursière est toujours une menace, surtout si tu délivres des messages ou des objets à l’ennemi. »

Ilvriss me regarde longuement et je lui rends son regard. Au début, j’ai essayé d’être courtoise et polie, mais quand j’ai appris qu’il y avait une règle contre le meurtre des Coursiers et j’ai fais connaissance avec lui* j’ai perdu ces notions.

*Cela a prit cinq secondes. ‘Qu’est-ce qu’une Humaine fait dans ma tente ?’ Voilà le résumé, ou peut-être que c’était le ton sur lequel il l’avait dit.

« Je te l’ai dit, je ne suis pas ici pour faire une livraison à ce Zef ou Zwell ou qu’importe son nom. Tu peux aller chercher quelqu’un pour prouver que je dis la vérité. »

Ilvriss me foudroie du regard, mais je ne vais pas cligner des yeux. Lui non plus, d’ailleurs, mais il détourne le regard, trop important pour perdre du temps dans un combat de regard avec un Humain. Il renifle et sa queue trésaille légèrement dans ma direction.

« Un [Lord] peut détecter les mensonges aussi bien que les autres classes, Humaine. Je sais que tu dis la vérité, mais cela ne change pas le fait que tu es là. »

« Qu’est-ce que je pourrais faire de si dangereux ? »

« Tu pourrais envoyer des nouvelles de la… Situation de Zel, ou peut-être qu’il te contractera pour aller lui chercher quelque chose. Tu es un imprévu, et tu ne perturberas pas ma bataille. »

Il a presque raison. Même si je n’accepterais jamais une demande d’esquiver une armée ennemie — enfin, je ne le ferais probablement pas. Je me mords la langue et j’essaie de trouver une réponse.

« Je suis une Coursière de Ville, pas une citoyenne de vos Villes Emmurées. Tu n’as pas le droit de me détenir. »

Il lève un sourcil non-existant et j’entends Periss doucement ricaner.

« Vraiment ? Et qui va protéger tes ‘droits’, Humaine ? Une armée de l’une de tes précieuses villes ? Je serai déjà impressionné si tu arrives à dépasser Liscor. Mais en attendant, je suis un [Lord] et c’est mon armée qui décide de quel droit s’applique. »

Bon, je déteste le dire, mais il a raison. Tu ne peux pas exactement dire ‘toi et quelle armée ?’ à ce type, et il ne va pas bouger. Je peux le voir dans ses yeux.

Ilvriss se tourne et étudie la carte dans sa tente. Je la regarde aussi, essayant de trouver quelque chose comme, disons, un château fait d’os ou quelque chose pour localiser le Nécromancien.

« Zel a peut-être été blessé durant l’embuscade, mais le gros de son armée est toujours présent. Tu resteras dans notre camp tant que nous ne l’avons pas écrasé. »

Je serre les dents.

« D’accord. Super. Génial. Je suis honorée. »

« Tu ne serais pas maltraité ; à moins que tu essayes de prendre la fuite. J’honore tous les principes de guerre. Mais tu dois d’abord nous confier tous les items magiques sur ta personne. »

L’un des aides s’approche, tendant la main vers ma ceinture. Merde. Je fais un pas en arrière, et Periss met la main à son épée.

« Ne résiste pas, Humaine. »

« Je ne résiste pas. »

Encore. Je me demande comme je peux sortir de cette tente. La dernière chose que je veux est d’être attaché dans un camp alors qu’une armée s’apprête à attaquer. Je regarde autour de moi en parlant.

« Ne touche pas ma ceinture. Je suis en train de porter un artefact magique qui attaque quiconque n’est pas moi ou la personne à qui je dois la livrer. »

Ils m’ont amené au centre du camp, mais les soldats sont en train de se soigner et le périmètre n’est pas surveillé, du moins pas moi. Il n’y a que Periss qui m’observe, et si je peux créer une distraction, mes potions peuvent peut-être m’aider.

L’aide hésite, et Ilvriss nous regarde.

« Qu’est-ce que tu portes de si important ? »

« Un truc. C’est confidentiel. Je ne peux pas en parler. »

« Si c’est une arme, nous allons devoir nous en emparer pour notre campagne. »

« Je ne sais pas ce que s’est, mais si vous voulez y toucher, faite le à plusieurs kilomètres de moi, d’accord ? »

Periss me lance un regard, mais maintenant Ilvriss est assez intéresser pour s’approcher. Il me pointe du doigt.

« Montre-moi ce que tu livres. »

Lentement, je mets la main à ma poche et je sens le Drakéide derrière-moi poser la main sur le pommeau de son épée. Mais je ne compte pas utiliser d’arme, je prends plutôt le temps de me souvenir de l’emplacement des potions d’Octavia. Certains sont dans ma ceinture, d’autre dans mon sac. Bon, merde. Mais je sais qu’au moins une d’entre elle est assez petite pour tenir dans ma ceinture…

Je sors l’anneau et la lettre pour les montrer à Ilvriss. Il ne s’approche pas plus, ce qui est la bonne chose à faire, mais il les étudie.

« Berlyrssat. »

L’un des Drakéides s’avance. Ce n’est pas un soldat, probablement un servant. Il tient une pierre, un morceau de quartz claire ou quelque chose du genre. Il l’agite au-dessus de la pierre, et le quartz prend une couleur violette, presque noire.

Berlys… Qu’importe son nom, fait un pas en arrière et regarde Ilsvriss.

« Mon lord. C’est un artefact très potant. La magie dessus est au 5ème Échelon ou plus. »

Cela fait que le Seigneur des Murailles me regarde. Il plisse les yeux, et l’épée de Periss est si proche de mon dos que je la sens presque chatouiller ma colonne vertébrale. Ne bouge pas. Mais je sais exactement où se trouve la potion d’Octavia. Si elle bouge un peu…

« Quest-ce que tu transportes ? Non, ne me réponds pas. Tu as tes règles. Intriguant. Cela est peut-être une arme, mais si elle l’est, nous n’allons pas pouvoir l’utiliser. » Il regarde Periss, et la Drakéide hoche la tête avec réluctance.

« Nous n’avons pas le temps de défaire cette magie, si nous pouvons la défaire. »

Ilvriss hoche de nouveau la tête, puis se retourne vers moi, son attention est soudainement, et malheureusement, concentrée sur moi.

« Alors, qu’est-ce que tu as d’autres sur toi ? »

« Des potions. De quoi me défendre. Pas des choses que je veux voler. »

« Nous te récompenserons pour tes items, montre-moi. »

Super, il est curieux. Je soupire et mets lentement ma main à ma poche.

« Stop. Berlyrssat prendra tes objets, à moins qu’ils soient piégés ? »

« Non, mais soit prudent. »

L’aide Drakéide prend ma ceinture, et commence à ouvrir les poches. Mon sac est sur la table, et il a rapidement sorti la majorité de mes possessions. Ilvriss ignore mes outils normaux et étudie les potions, surtout celle que Teriarch m’a donné.

« C’est une étrange collection pour une simple Coursière de Ville. »

« Le monde est dangereux. Va savoir sur qui on peut tomber. »

Pique. Contrairement aux griffes de Mrsha, l’épée rentre dans ma peau et me fait un peu saigner. Je regarde Periss et elle me lance un regard noir en retour.

Ilvriss nous ignore et étudie la potion luisante. Puis il plisse les yeux en voyant le liquide d’une autre potion.

« Qu’est-ce ? Je n’ai jamais vu de telle potion. »

« Ne l’ouvre pas. »

« Est-ce mortel ? »

Le Drakéide regarde la bouteille, et je secoue la tête.

« Non. C’est juste que ça sent mauvais. »

Il me regarde et renifle.

« Sens mauvais ? Qu’elle genre de potion fait ça ? »

« Hey, j’ai rien dit sur ton armure. »

Pique. Je serre les dents. Aagh ! Ca fait mal !. J’essaye d’être le plus sincère possible.

« Ne l’ouvre pas, d’accord ? Ça empeste. Tu le regretteras. Ne fais pas l’imbécile. »

Cette fois Periss grogne, mais Ilvriss lève un sourcil. Ouaip, il est comme ces idiots arrogants. Dis-lui de ne pas faire quelque chose et il va le faire juste pour te montrer qu’il peut le faire.

« Une mauvaise odeur n’est pas quelque chose que je crains. Toutes les odeurs peuvent être effacées avec de la magie. »

Sa griffe s’approche du bouchon. Periss lève la voix.

« Mon Lord, est-ce une bonne idée. Laissez-moi faire. »

« Ce n’est pas mortel. L’Humaine l’a dit et je sais qu’elle dit la vérité. Voyons voir de quoi elle a peur. »

Je retiens ma respiration et j’espère que je ne vais pas venir. Ilvriss lutte pour débouchonner la potion, mais il réussit et…

« Par les dieux morts ! »

Avez-vous déjà senti… Non, attendez, je ne vais pas l’expliquer comme ça. Avez-vous déjà été renversé par une voiture ? Parce que l’odeur se répandant dans la tente est plus un coup physique qu’autre chose. J’y suis préparé, et pourtant je me plie en deux en manquant de vomir. Les autres ne sont pas aussi chanceux.

Ilvriss a un mouvement de recul, et je vois son visage changer. Il met la main à sa gorge, pour arrêter de vomir ? Alors que son autre griffe essaye d’attraper la fiole. Une erreur. Cette dernière tombe au sol et le liquide se répand au sol, et l’odeur empire.

Je vois l’aide devant moi s’effondrer et tomber dans les pommes. J’entends un bruit de vomi et je vois Periss courber en deux.

Pas le temps d’hésiter. Je me retourne, fait un pas et mon autre jambe fend l’air vers elle.

Periss est toujours en train de tenir son épée. Je suppose que les soldats ont de bons instincts. Elle me voit bouger et essaye de lever son épée, mais c’est trop tard. Mon tibia s’écrase contre son visage et elle s’effondre au sol.

Oh mon dieu. J’ai du vomi partout sur mon pantalon. Mais je n’ai pas de temps à perdre. Je charge vers Ilvriss et la table.

Il est encore en train d’essayer de reprendre sa respiration en luttant contre son envie de vomir. Je prends la potion de la table et il se tourne vers moi. Merde. Il a aussi une épée.

« Toi—»

Je débouchonne la potion et lui envoie au visage. J’ai acheté plusieurs potions d’Octavia, toutes basées sur des choses de mon monde. Je sais que celle-là marche, car elle là essayé sur elle.

La potion au poivre éclabousse le visage et les yeux d’Ilvriss et il recule brusquement, hurlant d’agonie. Je lance la bouteille en sol en espérant ne pas en avoir près du visage. J’enjambe le Seigneur des Murailles agonisant et attrape tout ce que je peux, les mettant dans mon sac.

Pas le temps de faire le tri. Je peux déjà entendre des gens crier et s’approcher. J’attrape le reste des objets d’Octavia, deux sacs et une potion, et regarde autour de moi.

Tout le monde dans la tente est au sol, mais Perris est déjà en train d’essayer de se relever et Ilvriss est en train de crier et de se rouler au sol. Il serait capable de me blesser s’il arrête de se frotter les yeux.

Est-ce que j’essaye de la prendre en otage ? Non. Quitter la tente ? Je vois des formes ? où… ?

Je me retourne et réalise que je suis de nouveau idiote. J’attrape mon sac, perds une seconde pour donner un coup de pied dans l’estomac d’Ilvriss, et charge un mur. N’importe quel mur. C’est une tente.

L’épée de Periss est très pratique pour couper le tissu. Je coupe une ouverture triangulaire alors que le premier soldat arrive dans la pièce. Je lui lance l’épée et il esquive, mais je lui touche la jambe. Les épées sont vraiment lourdes, d’accord ? Puis je sors de la tente et je cours.

Le camp est plongé dans le chaos. Quand j’ai utilisé la potion dans les Hautes-Passes, je l’avais simplement ouverte. Ilvriss a détruit la bouteille, donc tout le monde à directement prit une dose sans sommation. Certains Drakéides arrivent à bouger, comme moi, mais ils sont encore verts* et il semblerait que tous les Gnolls soient en train de se rouler au sol en tenant leurs nez.


*Vert dans le sens du teint de leur visage. Certains ont des écailles vertes, d’autres sont bleues, jaunes, noires… Bon, écoutes, je suis pressé là, d’accord ?


Je charge vers les abords du camp alors que les soldats me remarquent. Certains tendent la main vers leurs arcs et je laisse échapper un juron.

Cours en zig-zag, les épaules baissées et rapidement. Mais non, il y en a trop. Une potion ? Teriarch ou… ?

J’attrape un sac. Le premier sac que je lui ai demandé. Je défais la ficelle et le lance au sol alors que l’intérieur s’embrase.

De la fumée, épaisse et blanche, sort du sac. Les [Soldats] crient et certains battent en retraite, mais ce n’est pas du poison. Je me jette au sol alors que des flèches passent au-dessus de ma tête. La fumée m’entoure ainsi que tout ce qu’il y a autour de moi.

De la fumée. Je voulais une grenade, mais une mèche met du temps à s’allumer. Mais Octavia à réussi à en faire un sac, et elle a une pierre qui s’embrase au contact de l’air.

C’est une sorte de substance pyrophorique, et cela allume la mixture que je lui ai demandé. De la fumée. Il est possible de faire une grenade militaire avec un peu de salpêtre, de sulfure, de charbon et de sciure de bois. Tout cela se trouve facilement, les gens utilisent le salpêtre pour conserver de la nourriture. Il n’y a que le sulfure qui est difficile à obtenir. Mais une [Alchimiste] en avait un peu, et donc elle avait mélangé les ingrédients et rajouté quelque chose qui prenait feu au contact de l’air.

Grenade fumigène instantané. J’en faisais quand j’étais petite, jusqu’à me faire choper par la police.

Mais contrairement à la petite version que je faisais, celle-là est assez puissante pour couvrir une grande partie du camp. La fumée continue de monter et je tousse.

Garde la tête basse, sort du nuage. J’entends des cris et des bruits de course, mais je continue d’aller tout droit, priant pour ne pas rencontrer quelqu’un.

Cela m’arrive cinq fois. Mais ils sont aussi confus que moi, et le Muay Thai comporte de nombreuses manières de faire tomber, trébucher, et jeter au sol quelqu’un. Je sors de la fumée et du camp alors que les soldats me recherchent, puis ils chargent après moi.

Je suis presque aux abords du camp et courant vers la crête d’une colline quand j’entends un hurlement. Pas derrière moi, mais devant moi. J’hésite, et c’est quand la seconde armée franchit la colline et charge droit vers moi.

***

Zel Shivertail s’arrête avec ses soldats agenouillés à la base du sommet de la colline menant directement au camp ennemi. Il était confiant… Plutôt confiant que ses soldats étaient parvenus à éliminer tous les [Scouts] qu’Ilvriss avait posté, mais ils n’avaient que quelques minutes avant que leurs disparitions ne soient remarquées.

C’était le moment. Il regarda ses commandants, et vit qu’ils avaient confiance en lui. Il espérait qu’il n’allait pas trahir cette confiance. Il allait mener la charge, ce qui était risqué, mais il devait le faire. Un [Général] menait depuis la première ligne et était le plus grand guerrier.

Il leva un bras, et hésita alors qu’un [Scout] fonça vers lui, agitant une main velue en abandonnant le couvert des arbres. Zel fonça vers lui et il lui adressa la parole une fois suffisamment proche.

« Au rapport ! »

Il écouta le Gnoll pendant quelques secondes, et fonça de nouveau vers ses commandants. Ils le regardèrent, tendus, s’attendant au pire.

« C’est maintenant ! Les Ancêtres nous sourient en ce jour. Nos [Scouts] viennent de signaler que quelque chose vient d’arriver dans le camp. Le quartier général est en pagaille et ils ont baissé leur garde ! Suivez-moi ! »

Il bondit sur ses pieds, et ses soldats se levèrent avec lui. Zel chargea la colline en quelques secondes, et c’est en arrivant au sommet qu’il vit l’ampleur du chaos.

Le camp ennemi était rempli de soldats en déroute, et une épaisse fumée blanche recouvrait le camp principal. Zel vit les soldats foncer vers eux, mais ils n’avaient pas encore repéré l’armée. Non, ils étaient en train de chasser autre chose. Zel sourit.

« Une attaque de monstre, ou des renforts ? Dans tous les cas, c’est notre chance. »

Il regarda en arrière alors que les premiers [Soldats] gravirent la pente. Zel leva une griffe et hurla.

« Chargez ! »

Il déboula la pente, et il entendit l’armée rugir derrière lui en lui savant. Zel courut vers la fumée, ne savant pas ce qu’il allait trouver. Quelque chose était dans l’air, et l’odeur était tellement atroce qu’il avait envie de vomir. Mais il continua de courir, préparé à toutes éventualités.

Tout, sauf une grande Humaine courant hors de la fumée, courant comme si une Wyverne la pourchassait. La charge de Zal ralenti quand il l’a vit courir pour s’éloigner des soldats, hurlante.

« Putaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa—»

L’Humaine n’était pas seule. Des soldats sortirent hors de la fumée, pratiquement la moitié du camp. Ils s’arrêtèrent en voyant l’armée les chargeant, mais la fille se tourna et sprinta pour s’éloigner des deux groupes.

« Qui est-elle ? »

Zel n’avait pas de réponse. Une flèche perdue fila à côté de sa tête et il sourit. Il courut vers les soldats qui peinaient à faire une ligne et cria.

« [Charge Glorieuse] ! »

Les effets sur l’armée derrière lui furent instantanés. Ils rugirent alors que la compétence prit effet et Zel sourit en voyant l’expression des soldats ennemis. Tout le monde savait que Zel Shivertail était le plus grand général défensif du continent. Mais cela ne voulait pas dire qu’il n’avait pas quelques bonnes compétences offensives.

Peu de gens savaient qu’il avait cette compétence et à quel point elle pouvait être redoutable si bien utilisé. Zel sourit, sentant l’élan et la Compétence rendre son corps plus léger alors que ses soldats avancèrent tel un mur d’acier et de chair.

L’Humaine était déjà partie, mais la formation ennemie était en lambeau, et il pouvait sentir quelque chose d’horrible dans l’air et voir la fumée sortir depuis le centre du camp. Il allait peut-être devoir remercier cette fille une fois cette affaire bouclée. Le combat pas ne semblait plus si désespéré grâce à elle.

Le premier soldat vit Zel s’approcher et leva une lance, ses yeux s’écarquillant de peur alors qu’il vit le fameux [Général] le charger. Zel leva une griffe dépourvue d’arme et griffa, transperçant chair et armure. Puis il se retourna, tranchant un immense Gnoll. Il bloqua une lance d’une main, attrapant la pointe alors que le Drakéide tenant l’arme lutta pour la bouger.

L’un des soldats de Zel le chargea, l’empalant sur son épée, et puis le premier rang des soldats de Zel se fracassa contre les ennemis comme une marée. El sourit, et déchira un immense Drakéide se protégeant derrière son bouclier. Et le combat commença véritablement.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 09 décembre 2020 à 13:01:41

2.30 - Première Partie
 Traduit par EllieVia



Je me suis toujours considérée comme une personne plutôt détachée et distante. En grandissant, j’ai appris à ignorer les autres et à tracer ma propre route. Prenez la course, par exemple. Il y a beaucoup de coureurs et tout le monde s’accorde à dire que c’est bon pour la santé.
 
Mais ôtez vos s chaussures, et tout le monde se proclame subitement médecin et ne peut s’empêcher de donner son avis sur le fait qu’il est vraiment stupide de courir pieds nus à la fois pour les genoux, les pieds, la voûte plantaire…
 
Pour une raison qui m’échappe, ce que je fais importe aux gens, comme si je les forçais à courir pieds nus. Ou, au choix, si quelqu’un me voit courir en vêtements de sport à l’extérieur en hiver, il a subitement la certitude que je suis une pauvre fille sans abri prête à mourir de froid et essaie également de m’embêter.
 
Ce que j’essaie de dire, c’est que j’ai appris à ignorer les gens et à n’avoir aucune réaction vis-à-vis du monde qui m’entoure, ou du moins extérieurement. Je ne montre pas mes émotions, et je reste par conséquent calme la plupart du temps.
 
Merde, merde, merde !
 
Ce n’est pas le cas en ce moment. Je suis actuellement en train de ramper sur un andain de neige, et croyez-moi, je n’avance pas vite. Je guette toutes les deux secondes pour voir si je n’aperçois pas des silhouettes en train de bouger dans les ténèbres, et j’essaie de ne pas me pisser dessus.
 
Je suis en enfer. L’enfer au sens littéral. Vous voulez voir du sang et de la mort de partout ? C’est à peu près à cela que ressemble un champ de bataille, et celui-ci a traversé une descente aux enfers, principalement grâce à moi.
 
Plantons le décor. J’ai débarqué dans une escarmouche opposant deux armées, et me suis faite capturer. J’ai réussi on ne sait comment à m’échapper en créant beaucoup de chaos, utilisant un spray au poivre sur le général de l’armée et en lâchant une bombe fumigène au milieu du camp. J’étais en train de m’enfuir lorsque l’autre armée a attaqué et transformé ma charmante tentative d’évasion en merde noire.
 
Des milliers de soldats sont apparus sur la crête et se sont mis à charger pendant que je fuyais le camp. J’ai vu ce Drakéide en armure me passer juste devant en courant, sans armes exceptés ses poings. Mais l’armée qui le suivait est entrée en collision avec les soldats qui me pourchassaient comme un mur de briques, et je me suis soudain retrouvée au milieu d’une gigantesque bataille, trois fois plus grande que celle que j’avais vue du haut de la colline.
 
J’ai essayé de m’éclipser, mais j’imagine qu’attaquer un [Général] n’est pas un crime qu’on pardonne facilement parce que les archers et les mages ont continué de me viser pendant le combat des deux armées. J’ai fini par réussir à courir à toutes jambes me réfugier derrière un bosquet et me cacher à l’abri pendant que les deux fronts tentaient de se repousser l’un l’autre.
 
Tout était pour le mieux, n’est-ce pas ? Il suffisait que j’attende que l’attention s’éloigne de ma personne et que je m’enfuie en courant de là. Je peux courir vite. C’est pratiquement tout ce que je fais de ma vie.
 
Mais juste au moment où il semblait que les soldats commençaient à céder du terrain, quelqu’un - un mage- a décidé que ma bombe fumigène était une bonne idée. J’ai senti une brise, puis le monde entier s’est retrouvé recouvert d’une brume épaisse.
 
Brume ? Je retire ça. C’était plutôt du brouillard. On n’y voyait rien à plus d’un mètre cinquante, et je n’avais par conséquent aucune putain d’idée d’où je me trouvais. J’ai tenté de m’échapper deux fois, et me suis rendue compte que les deux côtés étaient tout aussi perdus que moi. Les soldats se sont mis à se disperser et à se battre en petits groupes de partout, et je n’avais donc aucune idée d’où m’enfuir.
 
C’est compliqué de se retrouver perdue au milieu d’un champ de bataille, mais le plus dur, c’est d’être la seule Humaine, coincée entre deux armées composées uniquement de Drakéides et de Gnolls. On a tendance à sortir du lot, et lorsque la première armée est sanguinaire et que l’autre ne te fait pas confiance, on a tendance à se faire tirer dessus.
 
Beaucoup.
 
Ma jambe brûle toujours. Je m’allonge dans la neige et la tâte. Je retire la flèche et verse une potion de soin dessus, mais j’imagine que ce n’est pas suffisant ou que la flèche n’était pas normale. Bordel. Est-ce qu’un fragment est resté coincé sous ma peau ?
 
Je suis incapable d’en être sûre. Il fait sombre, mes vêtements d’hiver recouvrent la plaie, et je n’ose pas allumer de feu ni même fabriquer une torche. J’entends des cris et des hurlements tout autour de moi. Les armées se battent toujours, et j’entends de temps en temps quelqu’un jeter un sort puissant, ou crier des ordres au loin. Je prie juste pour qu’ils ne me trouvent pas.
 
La neige fond dans mes vêtements, et je sais que cela va me ralentir si je reste ici plus longtemps. Je n’ai pas l’équipement d’hiver high-tech ; mes vêtements ne sont pas imperméables et je ne veux pas essayer de distancer ces soldats avec dix kilos en plus. Il faut que je me lève.
 
Lentement, je m’accroupis et regarde autour de moi. Bon, déjà, se localiser. Je suis peut-être à quelques kilomètres du camp où j’ai été retenue prisonnière, ou à quelques centimètres. La brume s’est dissipée au bout de quelques heures - juste au moment où le soleil se couchait.
 
Saletés de jours d’hiver. Saletés de soldats. Saleté de Seigneur des Murailles et saleté de chien d’attaque. Saleté d’armée ennemie opportuniste.
 
Et saleté de moi-même de ne pas avoir attendu qu’Octavia fasse des copies de tous les sacs et les potions que j’avais commandées ! À quoi je pensais, putain ?
 
Il ne me reste plus qu’un sac, une potion, et la potion magique de [Célérité] de Teriarch. Et le problème, c’est que le sac et la potion marchent ensemble - si je suis réaliste, il ne me reste plus qu’une seule tactique de diversion. Et elle est… comment dire…
 
Je tâte le lourd sac que j’ai attaché à ma ceinture. J’espère vraiment que le contenu n’a pas pris l’eau, sinon il ne me serait plus d’aucune utilité, mais Octavia m’a assurée que le matériau qui entre dans la composition des sacs alchimiques résiste aux déchirures et à l’eau. C’est indispensable si on veut pouvoir transporter la plupart des trucs que les [Alchimistes] fourrent là-dedans*.


* Ils ont de tout, des Sacalianes aux explosifs magiques mortels que j’aurais vraiment aimé avoir acheté là tout de suite. Voilà : Octavia connaissait les versions alchimiques de tout ce que je voulais, mais elles étaient toutes beaucoup plus chères que celles que je lui ai faites faire. Je n’ai pas exactement fait preuve de créativité lorsque je lui ai exposé ma requête, mais j’ai réussi à mettre au point des variations bien meilleur marché que les versions existantes. Une bombe fumigène made in mon monde ne m’a coûté qu’une poignée de pièces d’argent (sans compter le coût des expérimentations et de la recherche), alors que cela coûterait au moins quelques pièces d’or avec tous les ingrédients magiques et les sorts qui entrent dans leur composition ici.


Il faut d’abord jeter le sac, puis la potion. Compris, compris. Le problème, c’est qu’elle risque de tuer n’importe quelle personne lambda et que… je n’en ai pas envie.
 
Qu’est-ce que je raconte ? C’est la guerre. Mais je ne suis pas soldate, et je ne suis pas une tueuse. C’est Erin qui me l’a dit.
 
Bordel.
 
La potion, alors ? J’ai été tentée plusieurs fois d’ouvrir le bouchon et de prendre quelques goulées, mais la potion de Teriarch est vraiment mon dernier recours possible. Je ne l’utiliserai pas à moins d’être littéralement sur le point de mourir, parce si je finis dans ce genre de situation et que je n’en ai plus…
 
Autre chose. Une diversion mortelle, une potion d’urgence. Quelques potions de soin. Et ma jambe…
 
Agh. Je grimace en me relevant et avance dans les broussailles couvertes de neige. J’ai mal. Bordel, il y a bien quelque chose qui cloche. Il faut que je voie.
 
Mais la lumière… je regarde autour de moi.
 
Je suis dans un petit taillis, ou dans une énorme forêt ? Il y a un terrain à découvert à ma gauche, et la majeure partie du bruit vient de là.
 
Est-ce que je peux prendre le risque ? Est-ce que j’ai le choix ? Je m’accroupis dans le buisson, sans prêter attention aux branches qui m’éraflent. Ce n’est pas le problème principal. Je vais prendre le risque.
 
Et au moins je n’ai pas besoin de me battre avec de l’amadou et une pierre à feu dans le noir. Je prends une grande inspiration et me concentre.
 
“Ok, ok. Tu peux le faire.”
 
Je ne peux pas faire une sphère de [Lumière] ordinaire. Je me ferais immédiatement repérer dans la nuit ; j’ai vu quelques [Soldats] en créer et ils se sont immédiatement fait tirer comme des lapins par un groupe d’archers. C’est trop visible, mais j’ai bel et bien besoin de lumière.
 
Donc pourquoi ne pas altérer un peu le sort ? C’est le sort de [Lumière], et lorsqu’elle m’entraînait, Ceria m’a dit qu’il était très facile à manipuler. Je n’ai besoin que d’une image, et je visualise ce dont j’ai besoin en ce moment-même.
 
Je murmure en pointant un doigt sur ma jambe.
 
“Allez, tu as vu ça des millions de fois.”
 
Concentre-toi, pense précis, dirigé. Concentré. Un fin faisceau de lumière, comme une…
 
“[Lampe Torche].”
 
Quelque chose se tord dans mon esprit lorsque je prononce le mot. On dirait qu’une pression incroyable s’applique sur mon cerveau, puis un soulagement soudain se fait ressentir lorsque le sort de [Lumière] s’altère et qu’un nouveau prend sa place.
 
Et la lumière apparaît. Mais elle ne provient toutefois pas d’une orbe.
 
Je lève lentement mon doigt et le regarde fixement. Le bout de mon doigt brille d’une lumière blanc-jaune, et il émet un cône de lumière qui ressemble exactement à la lumière d’une lampe torche. C’est un faisceau étroit ; plus un stylo-lampe qu’autre chose. C’est parfait, et c’est exactement ce dont j’ai besoin.
 
“Eh bah bon sang.”
 
C’est tellement pratique. Pourquoi est-ce que Ceria ne m’a pas enseigné ce sort plutôt que l’orbe de lumière ? C’est tellement utile… mais là encore, c’est peut-être un sort différent qu’apprennent les mages. Ou pas. Si on a la capacité d’éclairer ce qu’il t’entoure, pourquoi s’embêter à créer un faisceau de lumière ?
 
Qu’importe, c’est parfait pour rester discrète. Je doute que la lumière soit trop visible là où je suis, dans les buissons, et j’éclaire donc rapidement ma jambe.
 
C’est étrange de retrousser le tissu autour de ma blessure alors qu’une de mes mains me sert de source de lumière, mais j’arrive à enlever le tissu et à voir enfin le problème.
 
“Ouille.”
 
On dirait que j’ai raté une zone en arrachant cette putain de flèche. Je vois une écharde - ou plutôt un gros fragment enfoui à l’intérieur de ma chair. La potion a fait repousser la peau autour, et je grimace en touchant doucement le morceau de bois.
 
Bordel. Il est coincé dedans, maintenant. Mais j’ai besoin qu’il sorte, donc je pince et je le tire.
 
Des étincelles. Des éclairs de douleur. Ma chair se déchire et je manque de peu crier lorsque le bois se fendille. Je porte la main à ma ceinture et en tire un petit couteau.
 
Lentement, très lentement, j’ôte des échardes et repousse ma peau pour récupérer le reste. La douleur…
 
Ce n’est pas la pire douleur que j’aie jamais ressentie, mais mes yeux sont emplis de larmes lorsque j’en ai terminé. J’attrape une bouteille dans mon sac et verse la fin de la potion de soin sur la blessure. Elle se referme instantanément, et la douleur a disparu.
 
Je dois rester assise un moment après ça. Juste un instant. Je sors à croupetons des buissons et m’accroupis dans la neige quelques secondes. Je ne réalise qu’à ce moment-là que mon doigt est encore en train de briller à la mode E.T. Je fronce les sourcils, et annule la magie.
 
J’enfouis mon visage dans mes mains. Bon dieu. C’est plus qu’intense. J’entends toujours les combats se dérouler autour de moi, plus loin. Qu’est-ce que je fais à présent? Est-ce que je tente de m’enfuir ? Je devrais faire ça, pas vrai ?
 
Réfléchissons à nos options. Soit je m’enfuis maintenant, soit j’attends et je me cache jusqu’au matin. Mais je ferai quoi ensuite ? Courir en plein jour me fera instantanément repérer, et si j’essaie de continuer à me cacher, les probabilités que je sois découverte augmenteront aussi. Après une bataille comme celle-ci, quiconque aura remporté la victoire va passer les bois au peigne fin à la recherche de survivants, et si l’armée du Seigneur des Murailles me retrouve, je n’en ferai pas partie.
 
Il ne me reste qu’une option : quitter la zone du champ de bataille, mais il reste un problème… où aller ?
 
N’importe où. N’importe où fera l’affaire. Si je choisis une direction et que je cours, je finirai forcément par leur échapper. C’est à cet espoir que je dois m’accrocher.
 
Je reste accroupie dans la neige, et je me rends soudain compte de quelque chose d’affreux.
 
J’ai besoin d’aller aux toilettes. Genre, maintenant. C’est dégueulasse, mais c’est la nature. J’étais avec les Fées de Givre ce matin, puis on m’a retenue prisonnière, ces crétins de [Seigneurs] et leurs pièges, puis j’ai couru pour sauver ma peau puis je me suis cachée le reste de la journée.
 
Merde. Je veux dire, pas merde. Ce n’est pas le moment pour ce genre de choses. Je suis prise au beau milieu d’une guerre, là !
 
Mais qu’est-ce que je suis censée faire ? C‘est un autre problème auquel je n’avais pas songé, mais là encore, je n’ai pas le choix.
 
Trouver un abri… je lorgne le buisson. C’est un endroit vraiment inconfortable pour s’accroupir, mais ça vaut mieux que tout le reste.
 
“Bordel.”
 

 
Est-ce que vous savez à quel point c’est difficile d’enlever plusieurs couches de vêtements d’hiver puis de faire ses petites affaires en entendant des gens mourir et se découper en tranches tout autour de soi ? Je veux dire, ça aide le transit intestinal, si on veut, mais en revanche…
 
La peur et la haine se partagent globalement mon cœur lorsque je me retrouve à écarter les branches et à forcer la nature à accélérer le mouvement. Je suis terrifiée à l’idée que quelqu’un me voit à un moment ou à un autre et ce n’est pas ainsi que je veux mourir…






 “Est-ce que vous pensez qu’on devrait revenir quand elle aura fini ?”
“Bah ! Ce n’est qu’un peu de terre de nuit. Ça fera du bien aux ronces.”






Je pousse un juron, et suis saisie d’une petite attaque cardiaque en entendant les voix dans mon oreille. Je me retourne, et je vois un visage familier. Une Fée de Givre me sourit, perchée sur une feuille, et le reste de ses amies sont assises dans le buisson. En train de me regarder faire quelque chose de très intime.
 
Je leur grogne dessus.
 
Venez pas me faire chier !



 “J’avais cru que c’était ce que tu cherchais à faire, pourtant, non ?”


Les fées rient aux éclats tandis que je me précipite sur mes vêtements. Un petit soulagement, cependant : j’ai du papier toilettes avec moi*. Je m’essuie rapidement et sort du buisson, les fées flottant autour de moi, papotant entre elles et batifolant dans les airs comme si elles ne voyaient pas la bataille.
 
* En l’occurrence, on parle ici de morceaux de parchemin, de larges feuilles, et de tout ce que j’ai pu prendre avec moi qui avait l’air doux pour la peau. Ce n’est pas comme s’il était possible de trouver des industries produisant du véritable papier toilette, et certaines personnes dans ce monde utilisent des pierres, de l’argile, des éponges… pas moi, merci.
 
Une fois ma dignité convenablement retrouvée, je crache :
“Qu’est-ce que vous foutez ici ?”
 
L’une des fées s’installe dans le buisson, ne prêtant apparemment aucune attention à l’événement qui vient de s’y dérouler.



 “Nous sommes ici pour remplir notre part du contrat, stupide mortelle. Crois-tu donc que nous soyons des briseuses de serment, qui reprennent leur parole pour une petite guerre idiote entre mortels ?”
 
Je cligne des yeux, puis me souviens.
 
“Vous voulez dire que vous allez me mener au Nécromancien ? Est-ce que vous ne pouvez pas voir les gens qui s’entretuent par là-bas ?”
 
L’une des fées soupire et elle flotte jusqu’à la canopée.



 “Je ne vois rien d’inquiétant. Tu as peur des soldats ? Hah !”
 
Elle hausse la voix et se met à crier.




 “Venez vous battre, alors, mortels pitoyables ! Venez, avec vos lances et votre métal ! Cette Humaine va tous vous battre !”



Ferme-la !”
 
Je gronde le plus fort possible sur la fée, scrutant frénétiquement les alentours. Elle redescend et se moque de moi.




 “C’est toi qui devrais te taire ! L’as-tu donc oublié ? Les mortels ne peuvent entendre nos paroles et ne peuvent voir nos vrais visages. C’est toi qui te balade en faisant du bruit dans les ténèbres.”




C’est… vrai. Vrai, mais j’ai juste envie de mettre une claque à la fée pour effacer son sourire narquois. Je prends plusieurs grandes inspirations. Même en pleine guerre, ces petits cauchemars ne changent pas. Si nous étions tous à la potence, elles raconteraient des blagues en mangeant du popcorn. Elles apprécieraient sans doute beaucoup le spectacle.
 
Mais elles sont là, et étrangement, leur présence me rassure, même si elles m’agacent. Je me reprends, et réajuste mon plan.
 
“D’accord, d’accord, tu as raison. Je suis désolée. Est-ce que vous pouvez… me mener au Nécromancien ?”



 “Nous te mènerons là où se rassemblent les morts, comme convenu, Humaine.”
 
Les contrats des fées. Toujours lire les petites lettres en bas du contrat. Je ne suis pas d’humeur à analyser cette affirmation, et je hoche donc la tête.
 
“Est-ce que vous me ferez passer par un chemin sûr ? Loin des soldats, je veux dire ?”
 
Les fées me lancent un regard dur.
 “Aucun chemin n’est sûr pendant la guerre, Humaine. Du moins, pas pour toi. Nous t’emmènerons loin des combats, mais nous ne te promettons rien.”
 
Merde. Mais c’est mieux qu’errer sans but, et, hé, peut-être que ce Nécromancien ne s’intéressera pas de trop près ) une humaine solitaire. Je n’ai toujours pas vu de morts-vivants, ce qui me donne plus ou moins envie de le chercher lui plutôt que n’importe quoi qui soit vivant en ce moment.
 
“Ça marche, je vous suis.”



 “Marche d’un pas vif, et aussi silencieusement que tu en es capable, Humaine. Par ici.”


Les fées volent devant moi, à droite. Et s’enfoncent dans la forêt. J’hésite, puis je les suis, lentement, doucement, grimaçant à chaque crissement de neige sous mes bottes, à chaque branche qui craque.
 
Le voyage dans les ténèbres est long et éprouvant, et seule la lumière de l’aura bleutée des fées guide mes pas. Mais nous arrivons enfin à une clairière et les fées flottent devant moi en pointant du doigt.



 “Voilà. Derrière se trouve le lieu que tu cherches.”


Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine lorsque je m’arrête pour contempler les arbres. Ils n’ont rien de spécial. Des ombres ténébreuses semblent tout engloutir à quelques pas de là, mais à part ce détail, la rangée d’arbres m’a l’air tout à fait ordinaire.
 
“Vous êtes sû…”
 
 Évidemment qu’elles sont sûres. Je ravale ma question.
 
“D’accord, allons-y.”
 
J’avance lentement dans les arbres, repoussant les épaisses branches sur mon passage. J’ai les nerfs en pelote. Il fait tellement sombre. Qu’est-ce qui m’attend derrière ces arbres ? La mort ? Cela ne peut pas être pire que ce qui se trouve dans mon dos.
 
Mais alors… une voix résonne à mon oreille.




 “Stop.”
 
Je m’arrête instantanément, guettant des bruits de pas. Mais la fée qui flotte devant mes yeux pointe du doigt.


 “Va à gauche, là-bas.”
 
Je lui lance un regard suspicieux, mais suis ses instructions. Mais au bout de quelques pas, elle m’arrête de nouveau.


 “Tout droit, à présent.”


Là encore, je ne fais pas plus de dix pas avant qu’elle ne dise :


 “À droite à présent.”



“Oh pitié.”
 
La fée me fusille du regard en voyant mon air irrité.




 “C’est le chemin, Humaine. Est-ce que tu veux trouver ce Nécromancien ou non ?”



Je préférerais m’en abstenir, mais peut-être qu’elles me font éviter des pièges, ou un truc du genre. J’obéis, grincheuse, mais la fée se met alors à flotter devant moi.




 “Bien. Recule à présent.”
 
“Tu dis ça pour me faire chier.”
 
 “Non, tu sais très bien le faire toute seule. C’est le seul chemin pour traverser ce labyrinthe.”


“Un labyrinthe ? Quel labyrinthe ? On est dans les arbres !”
 
La fée me lance à nouveau un regard, et je réalise à quel point ça a l’air stupide dit comme ça. La magie n’a pas besoin d’être visible, n’est-ce pas ? Mais là encore… elle pourrait juste être en train de se foutre de moi. Le problème étant que les deux théories ont l’air aussi valides l’une que l’autre.
 
Mais les fées ne mentent pas… beaucoup. Je me retourne donc dans un soupir, mais la fée me crie encore dessus.




 “Non, ne te retourne pas ! Marche à reculons, folle que tu es !”
 
Je la fusille du regard, mais regarde de nouveau devant moi et me mets à reculer lentement.
 
“Si c’est encore une farce…”
 
La fée lève les yeux au ciel, exaspérée.



 “Regarde ta pierre, espèce d’idiote !”
 
J’avais oublié un instant que j’avais la pierre enchantée de Teriarch. Je la sors alors de ma poche et regarde fixement la flèche magique.
 
Elle pointe dans mon dos. Je me retourne, et elle change de direction. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? On ne peut se rendre à destination qu’en reculant, ici ?
 
J’essaie de suivre les directions de la pierre, en reculant, puis en avançant, en tournant à gauche et à droite, en suivant un chemin apparemment aléatoire. Pas étonnant que tout le monde croie que le Nécromancien est mort si c’est comme ça qu’il faut faire pour l’atteindre.
 
“C’est une bonne astuce.”



 “Pas si bonne que ça. Et tu as raté un pas. Tu as trop avancé.”


Merde. Elle a raison. Je me retrouve je ne sais comment de nouveau dans la clairière. Je soupire, puis me fige en entendant une voix.
 
“Tu es une Courrier, alors ?”
 
Je fais volte-face. Derrière moi se tient un Drakéide, un grand guerrier vêtu d’une armure de plates. Mon cœur se glace dans ma poitrine. Oh non. Un soldat.
 
Je porte la main à ma ceinture, mais le soldat soupire.
 
“Ne bouge pas. Je ne veux pas te faire de mal, mais je ne suis pas d’humeur à me prendre une concoction d’[Alchimiste].”
 
Je me fige, et le Drakéide hoche la tête. Mes yeux parcourent la clairière, mais nous sommes seuls dans la clairière. Littéralement.
 
Les fées ont disparu. Apparemment, elles ne m’aideront pas en cas d’attaque. Je ne sais pas quoi faire.
 
Je dévisage le Drakéide et le reconnaît vaguement. C’est celui qui a mené la charge contre l’autre armée. Il est couvert de sang, on dirait presque qu’il en a peint ses bras.
 
“Je t’ai vu t’enfuir du camp d’Ilvriss. Je suppose que tu n’as rien pour moi ?”
 
Il n’a pas l’air trop hostile, et il n’est clairement pas avec les soldats auxquels j’ai échappé. J’hésite.
 
“Non. Je suis là pour une mission différente. Mais je suis une Coursière ?”
 
“Qui d’autre peut donc bien vivre si loin de la civilisation ? Non, inutile de répondre. Je n’ai pas spécialement envie de le savoir pour le moment. Mais dis-moi, est-ce que tu as vu d’autres soldats dans le coin ? J’ai été séparé de mon armée, et je n’arrête pas de revenir ici.”
 
Il est perdu ? Je jette un regard en coin aux arbres dans mon dos. Ça doit être un effet secondaire malencontreux du sortilège.
 
“Je n’ai vu personne, mais je crois que les combats se déroulent par là-bas.”
 
Je montre d’où je suis venue.
 
“Pas sûr de savoir s’ils sont de ton côté ou de l’autre, en revanche. Je ne me suis pas approchée pour vérifier.”
 
Le Drakéide hausse les épaules avec lassitude.
 
“Cela n’a pas d’importance, de toute façon. Tant que je retourne au combat. J’aimerais discuter avec toi quand tout cela sera terminé, si on gagne. On dirait que je te suis redevable d’avoir causé ce chaos dans leur camp.”
 
Sérieusement ? Un Drakéide qui n’a pas immédiatement des soupçons en me voyant ? Un soldat sensé ? C’est presque plus difficile que de croire à l’existence d’un labyrinthe magique de forêt. Mais à cheval donné, on ne regarde pas les dents, surtout quand il a l’air d’avoir récemment éventré un tas de gens avec ses griffes.
 
“Ça marche. Merci. Je vais y aller, alors…”
 
Je recule de quelques pas.  Le Drakéide sourit.
 
“Je comprends. Mais avant que tu partes… est-ce que tu peux me dire ton nom ? Je m’appelle Zel.”
 
“... moi c’est Ryoka.”
 
Il acquiesce et me sourit de nouveau.
 
“Ravi d’avoir fait ta connaissance, Miss Ryoka. Je te laisse reprendre ta route, à présent.”
 
Il se détourne et commence à partir, mais il s’arrête alors, et soupire. Je me tends, mais il n’est pas en train de me regarder, moi. Zel se gratte la joue d’un air las en y laissant une trace de sang.
 
“Oh, bouse de Dragon.”
 
Je me retourne. Là, au bord de la clairière, se trouve un groupe de soldats, les armes au clair, et à leur tête, deux Drakéides que je reconnais.
 
Le Seigneur des Murailles, Ilvriss, avance, resplendissant dans son armure or et incarnat, sa loyale subordonnée Périss à ses côtés. Sa cape virevolte lorsqu’il tire son épée, une lame brillante qui brille même dans le noir.
 
L’effet global est quelque peu gâché par ses yeux rougis et l’affreuse puanteur qui émane de Périss et lui. C’est peut-être la raison pour laquelle ses soldats d’élite se tiennent un peu plus loin du duo que nécessaire.
 
Ilvriss regarde fixement Zel et moi d’un air enflammé, battant très rapidement des paupières. Il a l’air en rogne. Et, euh, je suis peut-être en train de me cacher derrière Zel, à ce stade.
 
Le Drakéide solitaire regarda Ilvriss et ses guerriers sans une once de peur, mais plutôt avec lassitude et résignation. Il hoche la tête et Ilvriss lui retourne son salut.
 
“Zel Shivertail.”
 
“Seigneur des Murailles Ilvriss. J’imagine que tu n’es pas venu te rendre, n’est-ce pas ?”
 
“Bien au contraire. Je vais te faire abdiquer ici, maintenant, ou quand je t’aurai vaincu. Cette bataille est terminée.”
 
Zel acquiesce, comme s’il s’y attendait. Il examine les yeux rouges d’Ilvriss et Périss avec intérêt. Cette dernière a une sacrée ecchymose qui s’est étalée sous ses écailles là où je l’ai frappée, et Ilvriss et elle me regardent tous les deux avec une rage meurtrière contenue.
 
“C’est un sacré nombre de soldats d’élite venus me capturer. Je suis flatté.”
 
Ilvriss secoue la tête, agacé.
 
“Je ne voudrais pas souiller notre duel avec des tours aussi sournois. Ils sont là pour elle.”
 
Il tend son épée dans ma direction, et tous les regards se tournent vers moi. Oh merde.
 
Il doit y avoir au moins quinze soldats derrière Périss, et ils ont tous l’air d’avoir une armure spéciale. Comment je le sais ? Les runes magiques, le métal qui brille alors qu’il n’y a pas de lumière, et l’ambiance générale de… mort qui émane du groupe de soldats.
 
Je vais mourir, c’est clair.
 
Ilvriss fait un signe de tête à sa seconde.
 
“Je m’occupe de Shivertail. Capture l’Humaine.”
 
Je me tends, prête à m’enfuir, mais étonnamment, Zel intervient. Il s’avance d’un pas nonchalant vers Ilvriss et tous ceux présents dans la clairière lèvent leurs armes. Est-ce que c’est une espèce de gros dur à cuire ? Ou… le général de l’armée d’en face ?
 
“Attendez, c’est un peu injuste. Pourquoi ne pas envoyer quelques-uns de ces guerriers sur moi ? Je suis sûr que le combat sera plus équitable ainsi.”
 
Il lève une griffe sanglante, et Périss hésite. Elle se tourne vers Ilvriss.
 
“Mon Seigneur…”
 
Il la fusille du regard. On dirait qu’il veut un duel honorable, même si tout le monde pense que c’est une idée parfaitement stupide. Il me pointe du doigt.
 
“Va, Périss. Tranche-lui les jambes s’il le faut, mais ramène-la moi vivante.”
 
Ça, ça sent le roussi. Je recule de deux pas, mais l’un des Drakéides lève son arc. Eh bien, merde. Je ne peux clairement pas distancer une flèche. Réfléchis, Ryoka. Qu’est-ce que je peux...
 
Il fait sombre dans la clairière. Je regarde autour de moi. Les rayons de la lune filtrent faiblement à travers l’épaisse canopée. Si je fuis… non, leur vision est trop bonne.
 
Leurs yeux. Trop efficaces. Vision de nuit. Mes yeux s’étrécissent. Zel est en train de commencer à faire un cercle autour d’Ilvriss et Périss avance lentement dans ma direction, l’épée au clair. Ses yeux sont fixés sur ma ceinture, mais je n’essaie pas d’attraper une portion. Au lieu de cela, je lève lentement ma main.
 
“Hey, Seigneur de Mon Cul. Regarde bien ceci.”
 
Ilvriss m’accorde un regard et ouvre la bouche au même moment que Périss. Mais c’est tout le temps dont j’ai besoin. Je me concentre, et pousse toute la magie que je possède en un sort.
 
Maintenant.
 
Ma paume s’illumine d’une lumière blanche, et Drakéides et Gnolls poussent tous un cri en se protégeant les yeux. C’est de nouveau le sort de [Lampe Torche], mais avec une intensité maximale cette fois-ci.
 
Je me retourne et part en courant en direction de la section enchantée de la forêt, gardant ma main pointée en arrière. La lumière est aveuglante, mais j’entends les soldats se précipiter à mes trousses tandis que ce type, Zel, bondit sur Ilvriss.
 
Les arbres m’encerclent. J’hésite. La pierre de Teriarch est à ma ceinture. Dans quelle direction… ?
 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 09 décembre 2020 à 13:06:09
2.30 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

 “À droite, Humaine !”


Une fée descend à côté de moi et me hurle dans les oreilles. Je cours immédiatement à gauche en gardant ma paume tendue derrière moi. Pour les aveugler. J’entends les cris furieux de Périss, sa voix qui résonne entre les arbres.
 
“Emparez-vous d’elle ! Annulez ce sort !”
 
La vive lumière émanant de ma paume s’éteint soudain. Je cligne des yeux, sous le choc, et manque tomber alors que les ténèbres de la forêt se referment soudain sur moi.
 
Oh bon sang. Je ne savais pas que les mages pouvaient faire ça. Je laisse retomber ma main et consacre toute mon énergie à courir. Les fées continuent de me crier les directions et je leur obéis en entendant mes poursuivants crier, sur mes talons.


 “Tout droit ! À droite !”

“À gauche en diagonale ! Non, l’autre gauche !”
 
“Arrête-toi et tourne à droite ! Là ! Cours !”
 
“À gauche à présent !”



Mon pied se prend dans une racine, et je chancelle. Mes bras font de grands moulinets et je parviens dans un sursaut à rester debout…
 
Et m’arrête en voyant le château.
 
Il se dresse au milieu d’une grande étendue de terre plate recouverte de neige blanche. C’est impossible, mais un château se tient soudain devant moi, une structure nichée au milieu d’une portion de forêt mise à nu. Il restait invisible tant que je traversais ce labyrinthe ; j’aurais juré qu’il n’y avait encore que des arbres devant moi.
 
Mais le voilà. Un château. La maison du Nécromancien, je n’en ai aucun doute. Il me surplombe, une forteresse de pierre noire, une sentinelle solitaire au milieu du paysage ouvert couvert de neige. Il y a de la beauté, ici, mais je n’ai pas le temps d’admirer la vue.
 
“Ne bouge plus, Humaine.”
 
J’entends la voix une seconde avant qu’une main ne m’attrape et qu’une lame d’acier apparaisse sous ma gorge. Périss me traîne durement en arrière tandis que ses soldats se précipitent hors de la forêt qui se dresse dans mon dos. Ils ont, d’une manière qui m’échappe, réussi à me suivre dans le labyrinthe.
 
“Mage, surveille-la et neutralise tous les sorts qu’elle pourrait tenter de lancer.”
 
Périss est tellement focalisée sur moi qu’elle ne voit même pas le château. Je me tiens très immobile tandis que l’acier mord ma peau, regardant les autres soldats retenir leur souffle et reculer en apercevant l’imposant château. Mais Périss n’a d’yeux que pour moi. Elle donne des ordres d’un ton sec aux autres soldats.
 
“Que quelqu’un fouille sa ceinture et son sac ! Retirez-en tous les objets suspects.”
 
Un soldat, un grand Gnoll armé d’un merlin, hésite.
 
“Dame Périss…”
 
La Drakéide ne lui accorde aucune attention. Elle me fusille du regard.
 
“Nous allons retourner aux côtés du Seigneur des Murailles Ilvriss pour l’assister dans sa bataille. Préparez-vous à combattre Zel Shivertail. Et je te jure, Humaine, que si tu tentes quoi que ce soit, nous te trancherons les jambes et les bras…”
 
Dame Périss !
 
Elle finit enfin par lever les yeux et se fige. L’épée pressée contre ma gorge s’abaisse, mais je n’ose pas bouger. Périss me relâche lentement et recule d’un pas.
 
“Par tous les Ancêtres, qu’est-ce que… ?”
 
Elle se tourne vers moi, et l’épée revient soudain se plaquer contre ma gorge. Je lève les mains en l’air, mais la pointe de l’épée est littéralement en train de me chatouiller le larynx.
 
“Quel est ce lieu, Humaine. Où nous as-tu emmenés ?”
 
Je déglutis. C’est vraiment douloureux, étant donné que le bout de l’épée me transperce la gorge…
 
“C’est le lieu où se rassemblent les morts.”
 
Comment ?
 
“C’est le foyer d’un [Nécromancien]. Ah, du Nécromancien. Az’Kerash.”
 
On dirait que je viens de dire que je les ai amenés aux portes de l’enfer. Les soldats d’élite gémissent à voix haute,  et les écailles de Périss deviennent presque aussi blanches que la neige environnante. Mais, et c’est tout à son honneur, elle n’hésite pas un instant.
 
“Battez en retraite ! Tout de suite !”
 
Elle me prend à bras-le-corps et un autre Drakéide l’aide à me traîner en arrière. Je me sens pratiquement soulevée du sol tandis que les soldats se précipitent vers la forêt.
 
Nous réussissons à faire une quinzaine de pas à l’intérieur avant de nous retrouver brutalement en train de nous précipiter vers l’extérieur. Périss et ses guerriers s’arrêtent, décontenancés, mais j’ai compris le problème.
 
“C’est un labyrinthe. Il faut suivre le chemin pour ressortir.”
 
Elle se retourne et me saisit de ses deux serres.
 
“Quel chemin ? Dis-nous comment sortir d’ici ?”
 
“Je ne sais pas ! Je n’ai que ce truc, mais il pointe dans la direction du Nécromancien, pas l’inverse !”
 
Je lui montre la pierre magique. Périss la contemple puis secoue la tête.
 
“Nous sommes piégés ici, alors.”
 
Elle me relâche lentement puis regarde autour d’elle.
 
“Soldats, camarades. Ce fut un honneur. Prononcez vos derniers mots maintenant, si vous en avez.”
 
Les Drakéides et les Gnolls autour de nous regardent Périss, leurs armes légèrement baissées. Ils hésitent. Puis un Drakéide se met à murmurer, et un Gnoll hurle, la tête rejetée en arrière. Je contemple les autres se mettre à parler doucement, ou à attendre, tout simplement, les mains sur le pommeau de leur épée, les yeux rivés sur le château.
 
Périss me dévisage, toute trace d’hostilité envolée.
 
“J’ai toujours aimé mon Seigneur. J’aurais tant voulu avoir eu le courage de le lui dire.”
 
Je la regarde fixement sans comprendre. Périss soutient mon regard, puis hoche la tête, et se détourne.
 
Un adieu.
 
Je ne sais pas ce qu’il se passe. Je ne comprends pas. Et, à la vérité, je n’ai jamais compris.
 
Le Nécromancien. Az’Kerash. Il n’est qu’un nom parmi d’autres, pour moi, un autre gros bonnet dans un monde où tout le monde se promène tête nue. Comment pourrais-je comprendre qui il est, alors que tout le monde parle de lui comme si son nom était de notoriété publique ?
 
Ce qui est probablement le cas. Mais je ne le connais pas. C’est comme si quelqu’un qui n’avait jamais visité notre monde entendait parler d’Hitler et se demandait de qui il s’agissait. Je n’avais pas réalisé la gravité de la tâche que m’avait confiée Teriarch, et je ne comprends donc pas pourquoi les soldats ont l’air de se préparer à mourir.
 
Mais alors la terre tremble, et je comprends. J’entends un grincement, qui ne ressemblent en rien aux bruits d’un processus géologique naturel, mais plutôt à quelque chose qui ne serait ni vivant ni mort. LE bruit résonne dans le sol, un bruit horrible qui vient de l’au-delà, des profondeurs de l’horreur sombre et de la peur.
 
Une hémorragie du cerveau. Des formes grouillant sous ton lit. L’ombre qui se tient devant ta porte. Des asticots qui rampent dans ta bouche et dans tes yeux.
 
La peur.
 
Boum-boum.

 
Mon cœur résonne. Je me retourne, et aperçois une portion du sol en train de gonfler. Périss lève lentement son épée.
 
La terre tremble. Je le sens dans mes os.
 
C’est ici que se rassemblent les morts. C’est ici que vit le Nécromancien. Mais, je ne sais comment, j’avais oublié ce que cela signifiait.
 
Je sais, à présent. Je comprends, à présent.
 
Quelque chose surgit du sol, une main, à la chair grisâtre, aux tendons pourris. Mais rose par endroits, aussi, et d’un rouge purulent. Et des os. Un bras, mais qui ne ressemble à celui d’aucun Humain.
 
Il se tend vers le ciel, chacun de ses doigts aussi grand que moi, et le colosse se lève. Une tête traverse la neige, et deux yeux creux remplis d’asticots monstrueux nous regardent. Je hurle dans ma tête, mais seul le silence remplit l’air glacé.
 
Az’Kerash. Le Nécromancien.
 
Le géant mort-vivant sort lentement du sol et les soldats derrière moi lèvent les yeux sur lui. Leurs armes magiques, qui avaient l’air tellement menaçantes, ressemblent soudain à des jouets entre les mains d’une bande d’enfants. Ce sont des fourmis, et moi aussi.
 
Le géant s’arrête à mi-hauteur. Il lève son autre bras et le secoue pour faire tomber la neige et la terre qui le recouvraient. Puis il attend. J’hésite, mais j’aperçois alors d’autres silhouettes.
 
Elles sont assises sur la neige, ou en train de se déverser du château. Des squelettes, des zombies, et d’autres silhouettes encore plus monstrueuses. Une créature hideuse, gonflée, avec des os en guise de dents et munie de griffes se traîne au sol, un sang noir coulant de sa “bouche”. Une chose constituée d’un amas de vers rampe à travers la neige, se reformant sans cesse.
 
Le cadavre imposant d’un Gnoll avance sur nous, une hache de guerre massive à la main, vêtu d’une armure d’argent terni et d’un bandeau qui lui à la lumière de la Lune.
 
Une armée des morts. Ils avancent sur nous, lentement, comme s’ils avaient tout leur temps. Et c’est le cas. Ils sont morts, infinis, immortels. Et nous sommes piégés, et seuls.
 
“Humaine.”
 
C’est Périss qui s’adresse doucement à moi, sans quitter des yeux les morts-vivants en approche. Elle tient son épée prête, pointée droit devant elle.
 
“Qu’est-ce que tu étais censée livrer ?”
 
Je ne m’embête même pas à hésiter. Quel intérêt, à présent ? Je tâte l’anneau au rubis et la lettre dans ma bourse.
 
“Une lettre d’un Dragon à l’attention d’Az’Kerash.”
 
Elle me dévisage en silence. Puis ses lèves se tordent en un demi-sourire.
 
“Et mon Seigneur qui pensait que tu livrais un simple artefact ancien. J’aurais aimé qu’il sache ceci. Eh bien, va.”
 
Elle pointe le château du doigt et je la regarde fixement.
 
“Tu me laisses partir, juste comme ça ?”
 
Elle hausse les épaules tandis que l’horreur continue de sortir de terre. Les soldats autour d’elle se mettent en rang d’un air sombre.
 
“Tu as ton devoir. J’ai le mien. Que nous mourrions toutes deux en accomplissant nos tâches.”
 
De l’autre côté de l’étendue de neige, le Gnoll mort-vivant vêtu d’une armure s’arrête et prend la parole. Sa voix de stentor sonne creux.
 
Je suis Kerash, Commandant des Légions Infinies d’Az’Kerash. Mourez dans l’honneur.
 
Quelque chose marche à ses côtés. Elle semble presque humanoïde, mais elle n’a ni visage, ni traits. Son corps est de chair pourrie, verte par endroits, violette, bleue et noire à d’autres. Elle pourrit, même avec ce froid, dégageant une puanteur putride.
 
“Je suis Bea. Ne suis-je pas belle ?”
 
Sa chair morte bouge et je sens une contraction involontaire secouer mon estomac. Périss serre les dents, mais sa voix ne tremble pas.
 
“Cours, Humaine. C’est entre eux et nous.”
 
“Le vieux sang doit être vengé.”
 
C’est un Gnoll qui a dit ça. Il lève une flèche et vise la chose qui se fait appeler Bea, mais ne tire pas. Pas encore.
 
“Mort au Nécromancien.”
 
Je regarde Périss.
 
“Vous allez mourir. Fuyez.”
 
Elle me jette un regard, bref, et secoue la tête.
 
Un Drakéide ne prend pas la fuite. Va !”
 
Mes pieds m’entraînent loin du champs bataille tandis que les soldats se mettent à charger. Kerash lève sa hache de guerre d’une main et Bea écarte grand les bras. Je me détourne et accélère, dépassant les zombies et les horreurs qui tentent de m’attraper.
 
Il ne faut que quelques secondes pour que commencent hurlements. J’entends les bruits de la mort, de la chair qu’on déchire et des os qui se brisent. Mais j’entends les vivants lancer des cris de défi en se précipitant sur les morts, se battant jusqu’au dernier. Mais échouant.
 
Tous les uns après les autres.


***


Zel Shivertail et le Seigneur Ilvriss se battaient dans l’a clairière enneigée, échangent des coups en faisant des cercles dans la nuit glaciale. L’un est vêtu d’une armure scintillante d’enchantements et est armé d’une épée qui brille dans la nuit, l’autre n’est vêtu que d’acier ordinaire et se bat avec ses griffes.
 
Le combat était serré, mais déséquilibré. Zel était plus agile, plus fort, plus dur. Ses serres étaient d’acier et il en avait deux contre la seule épée d’Ilvriss. Mais les armes du [Seigneur] étaient magiques, et il se battait en profitant au maximum de cet avantage.
 
Les enchantements de l’armure d’Ilvriss faisaient dévier tous les coups de Zel, et le [Général] Drakéide se retrouvait petit à petit obligé de reculer devant les coups puissants et vifs comme l’éclair du [Seigneur] et de son épée longue.
 
À chaque blessure que Zel recevait, qu’importe à quel point elle était bénigne, il vacillait, et ses écailles s’assombrissaient autour des plaines. Ilvriss menait son attaque sans merci, protégeant son visage à découvert, la seule zone que Zel pouvait vraiment attaquer.
 
“Rends-toi, Shivertail. Ce lieu n’est pas digne de ta mort. Dès que ton Alliance abdiquera, tu seras libre.”
 
“Ce n’est pas encore terminé, Ilvriss.”
 
Zel plongea sous l’épée et donna un coup de pied à Ilvriss, qui tituba en arrière. Le Drakéide gronda et leva son épée, et la lame se mit à luire plus intensément. Mais il vacilla alors.
 
Dans le silence de la nuit enneigée, quelque chose craqua. Le [Seigneur] regarda fixement ses mains griffues. Elles étaient ornées de plusieurs anneaux chatoyants de lumière, mais l’un d’entre eux venait de s’éteindre. Lentement, l’émeraude, une gemme somptueuse aux profondeurs luminescentes, se brisa en deux. L’or dans lequel elle était sertie se fendit, et les morceaux tombèrent dans la neige.
Ilvriss regarda fixement l’anneau brisé. Pendant quelques secondes, le monde s’arrêta pour lui, et son épée s’abaissa. Il murmura.
 
“Périss ?”
 
Ilvriss regarda l’anneau une seconde de trop. Zel se précipita en avant et saisit l’épée longue à la base de la lame. Le Drakéide hurla lorsque la lame entama sa chair; mais Ilvriss était piégé, et le [Seigneur] eut beau se débattre, il fut incapable d’arracher sa lame à la poigne de son adversaire.
 
Zel leva une main et serra le poing. Ilvriss hurla de rage en laissant tomber son épée et saisit une dague à sa ceinture. Il fondit sur Zel, et un poing le cueillit au menton, l’envoyant s’écrouler au sol.
 
Lentement, Zel Shivertail s’assit à côté d’Ilvriss et soupira. Puis il chargea le Drakéide sur son épaule et regarda autour de lui. Il n’y avait aucune trace de Ryoka ou de Dame Périss et de ses soldats. Et il n’avait pas le temps de les chercher.
 
Le [Général] se mit à courir en direction de l’endroit d’où étaient arrivés Ryoka et les soldats d’Ilvriss, le [Seigneur] inconscient rebondissant sur son épaule. La bataille n’était pas gagnée. Pas encore.
 
Zel prétendit ne pas avoir remarqué les larmes sur le visage d’Ilvriss, et les gouttes tombèrent dans la neige alors que le Drakéide entraînait avec lui le Seigneur des Murailles, abandonnant l’anneau brisé dans la neige.



***


J’ai réussi je ne sais comment à traverser l’étendue de neige qui me séparait du château. Je ne sais pas comment, je me suis contentée de courir. Courir comme je n’avais jamais couru. Les morts-vivants ont tenté de m’attraper, mais la plupart étaient encore focalisés sur les soldats qui se battaient derrière moi.
 
Je cours, mon sang se glaçant dans mes veines, en direction du pont-levis. Il est baissé, et mes pieds martèlent le métal noir, et les voix vacillent dans mon dos. Je suis responsable. C’est moi qui les ai amenés ici.
 
Une cour déserte, des pavés recouverts de neige. Au bout, une énorme porte à double battants. Mes jambes engloutissent la distance qui m’en sépare et mes mains saisissent les imposants anneaux, et je tire de toutes mes forces.
 
J’entends un cri lorsque j’ouvre les larges battants et me précipite à l’intérieur. Périss. Je ne peux me concentrer sur sa mort, mais je sens une douleur me serrer le cœur. Elle est morte en combattant.
 
Je dois courir. Je n’entends pas de bruits de pas à mes trousses, mais les morts-vivants sont terriblement silencieux.
 
Les couloirs du château sont vastes et silencieux. Je les traverse en courant, à l’aveugle pour commencer, puis à la faible lueur de la pierre de Teriarch. Cours, cours !
 
Je suis entourée de petits points de lumière brillants. Les couloirs sont remplis de squelettes silencieux, de zombies, les morts-vivants ! Mais ils ne bougent pas. Ils ne me regardent même pas alors que je leur passe devant. Ils sont… inactifs. Mais quelque chose bouge par là-bas.
 
“Intrus. Arrêtez-vous et…”
 
Je m’arrête dans une glissade. Quelqu’un se tient au milieu du couloir sombre. Une femme. Non. Pas une femme.
 
Une… chevalière ? Elle porte une armure. Mais lorsqu’elle s’avance, je m’aperçois que cette armure est faite d’os. Sa peau est faite d’os. Elle est d’os.
 
La chevalière faite d’os n’est pas un Toren, toutefois. Son visage est celui d’une femme magnifique, malgré son aspect dur et anguleux, son visage est d’un blanc d’ivoire. De l’os. Et son armure, qui n’est qu’une autre partie de son corps, est d’un blanc lumineux. Elle a une grande épée faite d’os entre les mains.
 
Derrière elle se tient un groupe de squelette. Là encore, pas comme Toren. Ceux-ci ont l’air d’avoir été… altérés. Ils ont beaucoup trop de côtes, et on dirait que leurs structures ont été modifiées pour qu’ils ressemblent à des tanks sur pattes. Ils sont tous armés, et la femme d’os avance vers moi.
 
Je porte la main à ma ceinture. La portion de Teriarch ? Non. Le sac. J’arrache la ficelle et le jette sur la femme.
 
Elle tranche le sac en deux avant qu’il ne d’approche d’elle. Mais cela ne fait que mieux exploser son contenu à sa figure. Une poudre blanche remplit les airs et elle s’arrête, l’air désorientée.
 
Les fines particules remplissent le couloir, formant pratiquement un écran de fumée. La femme regarde fixement les particules qui les recouvrent, elle et le reste des squelettes, et s’époussette.
 
“... de la farine ?”
 
C’est exactement ça. Je ne sais pas comment Octavia s’y est prise pour réussir à autant tasser la farine - probablement de la même façon qu’elle s’y était prise pour faire l’écran de fumée. Mais l’air est à présent saturé, et j’attrape la dernière potion à ma ceinture. Je la débouche et la lance en un seul mouvement.
 
Des flammes jaillissent de la fiole dès l’instant où elle entre en contact avec l’air. Mais au moment où la femme d’os se baisse pour l’esquiver, le liquide à l’intérieur de la fiole entre en combustion et l’huile bouillante mélangée à la graisse animale et à la résine de pin jaillissent.
 
Du feu liquide. Du feu grégeois. Du napalm. Mon dernier recours. Mais il rate la femme et explose plutôt sur un squelette. Elle se retourne vers moi…
 
Et l’air explose.
 
Le mélange de poussière de farine et de sucre que j’ai demandé à Octavia de tasser dans un sac explose lorsque les particules fines prennent feu. Cela s’appelle une explosion de poussières et c’est la chose la plus semblables à une bombe que j’étais prête à fabriquer.
 
De la poussière dans l’air. Les gens savent que la farine explose lorsqu’on la chauffe, mais c’est vraiment le même principe pour n’importe quelles particules fines en espace confiné. Les mines de charbon, les silos à grain, même une cuisine, tous ces lieux peuvent recréer ces conditions.
 
Le souffle de l’explosion manque de peu me faire tomber et la chaleur me cuit. La poussière de farine explose et les flammes prennent de l’ampleur, engloutissant tout ce qui s’est retrouvé au centre de l’explosion.
 
Mais lorsque la fumée se dissipe, la femme d’os avance vers moi, indemne, intacte. Ses yeux luisent d’une rage argentée, et elle lève sa grande épée.
 
“Tu ne peux pas…”
 
Elle s’interrompt. Je suis déjà en train de courir dans le couloir, loin, très loin d’elle. Je courais même avant que la farine n’explose*.
 
*Règle numéro un avec les monstres. Vous ne les avez pas tués. Vous ne les avez même pas blessés. Je m’en fous que vous ayez lâché une bombe sur eux ou que vous leur ayez coupé la tête. Ils sont vivants. Courez.
 
J’arrive à un croisement dans les couloirs remplis de morts en attente. Je regarde ma pierre. À gauche. Je cours, et vois une énorme porte à double battants. Il y a des gardes à l’entrée, mais les soldats sont immobiles et silencieux comme les autres. J’hésite, mais j’entends le tonnerre résonner derrière moi, jette un œil derrière mon épaule et vois le monstre d’os mort-vivant foncer sur moi. Elle court vite pour quelqu’un d’aussi grand, mais on dirait un train de marchandises en train de m’arriver dessus.
 
Je me précipite vers la porte et tire dessus. Les battants sont lourds. Je pousse de tout mon poids contre l’un d’entre eux, mais lentement, très lentement, la porte de fauche s’ouvre. Je me glisse à l’intérieur, et dégringole dans une vaste pièce. Je bondis sur mes pieds…
 
“[Toile Collante].”
 
D’épais fils de toile s’envolent et m’encerclent. Je me retrouve instantanément couverte de toiles, à peine capable de bouger. Je regarde fixement la main qui vient de jeter le sort, et pour la première fois, je vois Az’Kerash, Perril Chandler, le Nécromancien en personne.
 
Ce n’est qu’un… vieux.
 
Az’Kerash est debout au centre d’une vaste pièce circulaire, et regarde au plafond, un doigt pointé sur moi. Il a l’air d’un vieux. C’est tout.
 
Son visage est ridé et il a les cheveux blancs, il ressemble à la forme humaine de Teriarch, mais sans le physique surhumain. Ce n’est qu’un vieil homme, avec des boucles blanches et une peau d’un blanc albinos.
 
Mais c’est le Nécromancien. Je sens son pouvoir flotter dans les airs. On dirait qu’il frémit autour de lui, une quantité d’énergie pure tellement grande que cela me rend malade. Je n’ai jamais eu aussi peur de quelque chose.
 
Sa main droite brille, et il regarde quelque chose dans les airs. Mes yeux suivent son regard, et mon esprit se vide.
 
Impossible. Horrifiant. Mais ce qui pend au-dessus de moi est un cauchemar de chair et d’os. On dirait une… baleine. Ou des portions d’une baleine. Quelque chose - sa magie - modèle la chair et les os au-dessus de nos têtes, transformant la carcasse en une masse mouvante d’organes et de muscles. Il y a trop d’os là-haut, qui s’incurve contre le crâne de la baleine. La créature tressaille, et je vois des tendons et des muscles s’activer…
 
Je dois détourner le regard. Le Nécromancien ne m’accorde même pas un regard, mais il prend la parole.
 
“Venitra. Baisse ton épée.”
 
Je ne peux pas regarder autour de moi. Je peux à peine bouger mes jambes : si j’essaie, elles vont probablement tomber. Mais j’entends le pas lourd dans mon dos.
 
“Maître…”
 
“Tu as échoué. Vois ceci comme une leçon et apprends de tes erreurs.”
 
“Oui, maître.”
 
Sa voix est grave, mais étonnamment douce. Je sens une présence dans mon dos.
 
“Je vais vous débarrasser de l’intruse, maintenant.”
 
“Ce ne sera pas nécessaire. Merci, Venitra. Je vais m’en occuper moi-même. Laisse-moi.”
 
Je vois la femme d’os apparaître dans mon champ de vision périphérique pendant un instant. Elle me regarde avec ses yeux remplis d’une rage froide, puis se détourne et quitte la pièce en silence.
 
Ce qui me laisse seule avec Az’Kerash. Et à présent que je peux arracher mon regard à la terrifiante vision au-dessus de ma tête, je commence à voir d’autres détails.
 
Il n’est qu’un humain ou... il y ressemble. Mais il porte d’autres marques de sa profession.
 
Sa robe est noire. Mais ce mot et cette couleur ne décrivent pas le dixième de son accoutrement réel. Est-ce qu’il est possible de tisser des ombres ?  Peut-on prendre minuit et le peindre des couleurs des ombres dans les ténèbres, et les tisser si finement que le monde se courbe là où les plis de la robe se rejoignent et tournoient ? C’est sa robe.
 
Elle est faite d’ombres, et elles ondulent lentement par-dessus son corps, absorbant toute la lumière. Et il a un anneau à son doigt, un morceau d’argent qui paraît normal, mais fait hurler tous mes sens magiques que ce n’est pas le cas.
 
Puis Az’Kerash prend la parole, et sa voix est normale. Vieille, cassée, mais toujours claire et forte. Et… distante. Lorsqu’il prend la parole, il ne m’accorde pas un regard.
 
“Quel est l’intérêt d’avoir des assistants s’ils ne peuvent même pas empêcher d’entrer une simple intruse ? Mais là encore, s’ils étaient aussi compétents que leur créateur, quel serait mon rôle ? N’es-tu pas d’accord, jeune femme ?”
 
“Je…”
 
“Je suis impressionné que tu aies réussi à arriver jusqu’ici. Mais je suis occupé, et je découvrirai sur ton cadavre ce qu’il me faut savoir plus tard.”
 
Il pointe un doigt sur mon visage et dit :
 
“[Faucille Silencieuse].”
 
L’air tressaille, et un anneau d’argent aiguisé fond sur mon visage. Je me jette contre les toiles, et tombe en avant.
 
La faucille tranche mes cheveux et la chair de mon épaule, et la plaie est si fine qu’elle ne se met à saigner que lorsque je tombe dessus. Et la blessure est tellement grave que je n’en ressens pas encore la douleur.
 
“Intéressant. Les sorts de bas niveau ont leurs faiblesses. Je te félicite.”
 
Son doigt remonte vers mon visage. Je contemple le Nécromancien et comprends alors que je vais mourir.
 
Il… il ne me regarde même pas. Son autre main est tellement chargée de magie que j’ai la nausée rien qu’à la regarder. Je ne pense même pas qu’il me prête la moindre attention, il marche en automatique !
 
“Attendez !”
 
Je crie en voyant le doigt d’Az’Kerash se mettre à briller. Il ne répond pas à mes cris désespérés.
 
“J’ai une lettre ! Je suis une messagère !”
 
L’aura noire autour de ses doigts s’éteint. Az’Kerash marque une pause.
 
“Une lettre ? De qui ?”
 
“Teriarch. Il vous envoie une lettre et un anneau. Les deux sont dans ma ceinture.”
 
Je ne sens pas le moment où les toiles d’araignée s’évanouissent. Mais, subitement,  elles ne sont plus là, et je me relève tant bien que mal. Je tends la main vers la bourse à ma ceinture, mais elle disparaît de ma taille et réapparaît dans la main du Nécromancien. Il l’ouvre avec nonchalance et jette la ceinture par terre en prenant l’anneau et la lettre dans sa main.
 
Pour la première fois depuis que je suis arrivée, il détourne le regard de la collection de morceaux de chair flottant au-dessus de nos têtes et jette un œil à la lettre. Je n’aperçois que brièvement ses pupilles - une lumière blanche et éthérée luisant derrière deux cornées noires.
 
Il ne m’accorde même pas un regard, mais mon cœur frémit dans ma poitrine. Il y a quelque chose derrière ces yeux. Quelque chose dans ce regard, quelque chose d’autre. Il n’est plus Humain, à présent, si cela a jamais été le cas. Mais il baisse les yeux et cille, une fois, et je descends mon regard sur sa robe sombre d’ombres et de minuit.
 
“Voyons voir. Ah, oui. Je m’y attendais.”
 
Je retiens ma respiration. Az’Kerash lit rapidement la lettre en murmurant.
 
“Les longues salutations habituelles… mes plus sincères félicitations… accepte ce modeste gage de mon estime. Ah. Et il a envoyé un anneau enchanté avec des sorts de protection et de mouvement à la mode Silvarienne… non, le connaissant, c’est probablement un original. Une allusion à mes passions et un cadeau inestimable et utile. Approprié.”
 
Le Nécromancien fait un geste de la main, et l’anneau disparaît.
 
“Que c’est… prévisible. Une note et un gage d’estime pour ma deux-centième année d’existence. Il n’aurait pas dû, surtout avec la tension qui s’est accumulée entre nous. Mais les Dragons sont plutôt consciencieux sur ce genre de choses et ils sont tout sauf informels. Je suppose qu’il n’y a pas de requête de réponse associée ? Non, je ne pense pas qu’il aurait voulu s’imposer de la sorte. Ah, baste.”
 
Le Nécromancien se tourna vers Ryoka.
 
“Autre chose ?”
 
***


Ryoka tenta d’humecter sa bouche soudain sèche. Quoi ? Son esprit était complètement envahi par un bourdonnement.
 
Az’Kerash se tourna de nouveau vers la monstruosité en mouvement perpétuel au-dessus de leurs têtes.
 
“Est-ce qu’il y a autre chose ?”
 
“N… non.”
 
“Très bien, en ce cas. Je suppose qu’il serait mal vu que je tue l’un de ses messagers. Va, alors.”
 
Ryoka resta immobile quelques secondes, mais ses jambes se mirent sagement à l’entraîner vers la sortie. Le bourdonnement s’amplifia dans ses oreilles. Une voix murmura à son oreille.
 
Voyons voir.
 
Des centaines de kilomètres.
 
D’innombrables dangers.
 
Une guerre opposant deux armées.
 
Des Fées de Givre.
 
Un Nécromancien et ses larbins morts-vivants.
 
Pour ça. Une livraison digne de huit cents pièces d’or.
 
Une lettre. Une… lettre d’anniversaire et un cadeau symbolique.
 
“Je vais… y aller, alors.”
 
Le Nécromancien ne se tourna même pas dans sa direction. Il était complètement absorbé par son projet.
 
“Ah, hm. Au revoir. Ferme la porte en sortant.”
 
Elle s’exécuta, ralentissant seulement pour ramasser sa ceinture par terre. Ryoka regarda la porte, puis se retrouva face à Venitra. Et Kerash. Et Bea. Ils l’encerclèrent, leurs expressions pleines de…
 
“Le Maître l’a laissée partir ? Pourquoi ?”
 
Il est occupé. Sa décision a peut-être été prise par erreur.
 
“Il ne fait pas d’erreur.”
 
“Non. Mais nous devrions la détenir jusqu’à ce qu’il ait terminé.”
 
Je suis d’accord.
 
Ryoka les dévisagea. Le bourdonnement ne s’arrêta pas.
 
Elle assena un coup de poing à Venitra en plein dans son visage osseux et sa main craqua. Un os cassé ? Non, juste une affreuse ecchymose. Elle plongea la main dans sa bourse de ceinture et en sortit une potion lumineuse d’un rose orangé. Bea plongea sur elle et Kerash intervint, repoussant d’un revers de la main ses mains blafardes.
 
“Il nous la faut vivante.”
 
“Mes excuses.”
 
Ryoka débouchonna sa potion. Les morts-vivants ne semblaient même pas la considérer comme une menace. Elle avala la bouteille entière. N’était-elle pas censée en boire que quelques gorgées ?
 
Venitra tendit la main vers Ryoka. Ses doigts commencèrent à se refermer sur l’épaule de la jeune femme puis se figèrent.
 
Ryoka battit des paupières en voyant les doigts se figer. Ils s’étaient arrêtés ? Non, ils bougeaient lentement. Prudemment, Ryoka recula et regarda les doigts se refermer  lentement. Le choc apparut sur le visage d’os de la femme, puis Kerash bougea pour tenter de frapper Ryoka, plus vite cette fois-ci, mais toujours à une vitesse d’escargot à ses yeux.
 
Elle s’éloigna. Puis se mit à trottiner. Puis à courir. Ryoka fronça les sourcils, mais ses jambes bougeaient contre sa volonté. Plus vite plus vite, plus vite.
 
Ohc’estpasbonçajepeuxplusm’arrêter.
 
Elle se retrouva hors du château en un battement de cils. L’esprit de Ryoka tournait à toute vitesse, mais il ne pouvait rattraper son corps. Quelque chose en elle guidait ses jambes, mais son esprit conscient essayait toujours de comprendre ce qu’il se passait. Puis Ryoka se contenta de courir…



***


Les soldats de Zel chargèrent en direction de l’ennemi, et le [Général] Drakéide leva une serre ensanglantée et rugit, une source d’inspiration pour ses guerriers, tout en démoralisant les troupes ennemies. Sans Périss ni Ilvriss, leurs rangs s’effondraient et leurs ses Compétences et ses capacités supérieures inversèrent le cours de la bataille.
 
“Reformez les rangs et préparez-vous à une autre charge !”
 
Ils allaient les exploser. Lorsque Zel prit place au front, il sentit la fatigue le gagner. Trop de blessures infligées par la maudite épée d’Ilvriss. Mais il se faisait vieux, aussi. Trop vieux pour ces batailles dépourvues de sens.
 
L’ennemi était toujours en train de se regrouper. Zel plissa les yeux. Ses troupes essayaient de se mettre en rang, mais c’était le moment.
 
Chargez !
 
Il se mit à courir dans un grondement de tonnerre, ses pieds soulevant de la boue teintée de sang. Les soldats ennemis levèrent leurs boucliers et tentèrent de refermer les rangs, mais il pouvait voir la peur dans leurs yeux. Zel leva une serre comme s’il s’était agi d’un marteau et hésita. Il tourna la tête.
 
“Qu’est-ce que c’est que ça ?”


***



Comme l’éclair. Comme la brise d’un jour d’été, insaisissable, fugace, un souffle d’air puis le ciel bleu. Elle court.
 
Une Humaine solitaire sort en courant de la forêt, s’éloignant de l’endroit où tout mourut. Elle court et traverse la magie, traverse la neige, traverse les forêts et les collines, ses pieds touchant à peine le sol. Son corps est en mouvement constant, et seul l’air la freine un peu. Son passage est une bourrasque, un orage ; la neige se soulève sur son passage et le vent crée une tempête de neige dans les airs.
 
Elle court et travers la neige, traverse le champ de bataille, entre les soldats qui se tournent et regardent, les yeux ronds, l’amas de mouvements flous dont les coups de pieds soulèvent un orage de neige sur son passage.
 
Les guerriers lèvent leurs armes et tentent de tuer l’Humaine, les archers lui tirent des flèches et les mages font exploser le sol derrière elle. Mais elle continue sa course, entre les soldats en train de charger, esquivant une lame sur le point de la transpercer, bondissant par-dessus un soldat en train de tomber. Encore et encore, sans répit, incapable de s’arrêter.
 
Une messagère, une porteuse de mots et de choses intimes.
 
Un courrier pour les riches et les pauvres.
 
Une voyageuse sans autre allégeance que la sienne propre.
 
Une Coursière.
 
En train de hurler des mots tellement rapidement que seules les Fées de Givre au-dessus de sa tête parviennent à l’entendre.
 
Jenepeuxpasm’arrêter!Bordeldemerdearrêtezderigoleretvenezm’aider!”
 
Les fées l’entendent, bien sûr, et elles suivent son rythme avec aisance. Elles pourraient peut-être l’arrêter, mais elles rient trop fort pour réussir à lui répondre quoi que ce soit.








Note d'Ellievia :  Bonjour à tous ! Juste un petit mot pour vous prévenir un peu à l'avance que nous ferons une pause après le chapitre du 16 décembre. L'histoire reviendra le 6 janvier ! Bonne lecture :)
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 14 décembre 2020 à 00:59:44

2.31 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

 
Erin regardait avec intensité la substance dorée en train de faire des bulles et de brunir sur le feu. C’était du fromage. Du fromage, par-dessus une sauce tomate bien étalée sur une base de pâte.
 
Avec du pepperoni. Le pepperoni était obligatoire, sinon quel intérêt ? Erin croyait fermement au pepperoni ; elle restait indifférente à l’ananas et refusait de reconnaître l’existence des anchois.
 
C’étaient là les secrets essentiels de l’univers, et c’était là la substance qui faisait tourner le monde. D’accord, peut-être pas essentiels, mais c’étaient des secrets plutôt importants !
 
“Une pizza.”
 
Erin murmura le mot dans un souffle, en sentant que c’était le moment. Elle tendit la main et retira la pizza de sa plaque métallique posée sur le feu, heureuse de s’être souvenue de porter des maniques, cette fois-ci.
 
De la pizza !
 
Elle était glorieuse. Parfaitement circulaire, on pouvait mordre tout à la fois dans une croûte moelleuse et une garniture généreuse comprenant à la fois du fromage et de la viande. Pas une garniture toute maigre par-dessus une couche presque transparente de sauce tomate, merci bien.
 
Erin fit glisser la pizza sur le plan de travail et attrapa un couteau. Elle n’avait pas de roulette à pizza, mais elle put facilement couper les huit tranches traditionnelles. C’était essentiel, ça aussi ; on ne pouvait pas couper des parts inégales, sinon quelqu’un risquait de se retrouver avec un couteau dans le dos.
 
Elle était prête. Erin contempla sa dernière création et sentit son estomac gargouille. Mais non, ce n’était pas pour elle. C’était pour ses clients.
 
Lorsqu’Erin retourna dans la salle commune, elle savoura ce mot. Des clients. Elle en avait quelques-uns ! Mais peut-être que le mot ne convenait pas vraiment aux gens assis dans son auberge. Hm. Des mécènes ? Non, ça ne sonnait vraiment pas bien.
 
“Des invités.”
 
C’était un bon mot. Erin sourit de toutes ses dents en posant sa pizza devant les Drakéides en train de dévisager l’assiette d’un air soupçonneux. Elle ne les connaissait pas, et ça, c’était glorieux aussi !
 
Elle avait des invités qui n’étaient pas ses amis. Cela ne paraissait pas être grand(chose, mais c’était un progrès ! Pendant ces derniers jours, Erin avait reçu des Gnolls, des Drakéides, et quelque rares Humains à son auberge, et non pas juste ses amis et Pisces. Elle se faisait de l’argent, et grâce à sa nouvelle création elle était certaine qu’elle allait s’en faire encore plus.
 
“Est-ce que c’est la… ‘pizza’ ?”
 
L’un des Drakéides tâta une part d’une griffe. Erin acquiesça fièrement.
 
“Yup ! C’est super bon ! Aussi bon qu’un hamburger. Essayez ; vous verrez !”
 
L’un des trois Drakéides qui étaient venus déjeuner à son auberge jeta un regard à ses compagnons. Il haussa les épaules, et prit délicatement une part de pizza encore fumante. Il souffla un peu dessus, puis en mordilla l’extrémité.
 
Il écarquilla les yeux, et sa queue s’agita légèrement. Erin observa son visage et sa queue d’un air anxieux. Les Drakéides avaient des attitudes similaires aux chiens, et les Gnolls encore plus. Ils savaient relativement bien mentir, mais ils étaient toujours trahis par leurs queues.
 
“Hm. Beaucoup de fromage. Beaucoup de mâche. Bien chaud.”
 
Il mordit un peu plus loin dans sa pizza sous le regard attentif de ses compagnons. Erin retint sa respiration. Sa queue tressailla… puis se mit à s’agiter !
 
Juste un peu. Mais lorsque la Drakéide eut terminé sa part et tendit une serre pour en prendre une autre, Erin sut qu’elle avait encore une fois réussi. Ou plutôt, réussi à copier la recette avec succès.
 
“Alors ?”
 
Le Drakéide mâcha d’un air pensif puis acquiesça d’un air satisfait.
 
“Délicieux. Cela correspond très bien à nos attentes.”
 
Erin se fendit d’un large sourire, et le reste des Drakéides acquiescèrent joyeusement pour marquer leur accord. L’un d’entre eux prit une part, mais au lieu de la manger, se mit à la disséquer, en examinant les différentes couches.
 
“Du fromage fondu, la sauce… d’une tomate ? Et une pâte levée. Extraordinaire. Mais tellement délicieux !”
 
Le troisième Drakéide acquiesça. Il ne mangeait pas non plus, ce qui parut étrange à Erin, mais inspectait également la pizza avec un vif intérêt.
 
“Cela me paraît facile à faire. Une recette simple…”
 
“Il risque d’être compliqué de trouver des tomates. Il n’y a pas vraiment un marché pour ça, ici.”
 
“Il y en aura. Si on passe une commande, on en aura assez.”
 
Le premier Drakéide acquiesça en léchant ses griffes.
 
“La base comprend du fromage et de la sauce… la viande est bonne, mais je pense que des tranches de poisson seraient tout aussi appétissantes. Je ferai quelques prototypes.”
 
‘Des prototypes ?”
 
Les trois Drakéides se figèrent et se tournèrent vers Erin. Le deuxième lui adressa un sourire peu convaincant.
 
“Eh… eh bien, nous nous extasions simplement sur cette recette épatante.”
 
“Oh. Hum. Merci ? Vous êtes des espèces de [Cuistots] ?”
 
Le troisième Drakéide hocha la tête. Il se leva et tendit une serre à Erin. Elle la serra, pas encore certaine de comprendre ce qu’il était en train de se passer.
 
“Terrès Hangclaw, pour vous servir. Je suis [Chef] au Drakéide Dansant de Liscor.”
 
“Oh, ravie de faire votre…”
 
Erin s’interrompit lorsque ses pensées parvinrent à reprendre le fil de ce qu’elle était en train de dire. Elle fronça les sourcils en dévisageant le troisième Drakéide, qui grimaça sous les regards noirs des deux autres.
 
“Attends une seconde, qu’est-ce que tu as dit ? Tu es un [Chef] ? Attends, est-ce que tu es là pour…”
 
L’uni des Drakéides posa vivement quelques pièces d’argent sur la table. Ses deux compagnons se levèrent, ils saisirent les parts de pizza et commencèrent à reculer vers la porte.
 
“Merci pour tout, Mademoiselle Humaine. Mais il faut qu’on y aille. Garez la monnaie !”
 
Ils se précipitèrent dehors pratiquement en courant avec le reste de la pizza. Erin les regarda s’en aller, bouche-bée.
 
“Je viens de me faire plagier ! Encore !”
 
Elle regarda fixement la table, ses sous, et la porte ouverte. Elle sentait qu’elle aurait dû être énervée, mais ils avaient laissé beaucoup d’argent pour une pizza. Mais ils lui avaient pris sa recette !... qui n’était pas la sienne. Mais ça restait du vol !
 
La porte commença à se refermer, mais quelqu’un l’attrapa au vol. Ceria entra, regardant par-dessus son épaule d’un air suspicieux.
 
“... est-ce que je viens de voir trois Drakéides en train de s’enfuir avec une brassée de bouffe ?”
 
“Ça s’appelle une ‘pizza’ et ils viennent de me voler ma recette.”
 
Ceria regarda Erin en clignant des yeux. La jeune fille eut du mal à s’expliquer, mais la demie-Elfe comprit l’essentiel de ce qui venait de se dérouler en quelques secondes.
 
“Ah, les voleurs de recette. Ça arrive. Dès que quelqu’un fait quelque chose à manger qui vaut le détour, il y a toujours une énorme course à la montre pour que les autres [Chefs] et [Cuistots] trouvent la recette pour l’améliorer. J’imagine que c’est un signe d’à quel point ces hamburgers ont eu du succès qu’ils aient voulu rester dans le coin pour voir si tu trouverais quelque chose d’autre.”
 
“Oui, mais…!”
 
Erin montra, impuissante, la porte et Ceria l’aida à ramasser ses pièces. Ceria jeta un regard en direction de la porte… les Drakéides n’étaient pas encore arrivés aux portes de la ville. Ils n’étaient pas vraiment rapides, surtout qu’ils s’efforçaient de ne pas faire tomber les morceaux de pizza.
 
“Tu veux que je leur jette un sort ? Je vise plutôt bien.”
 
“Non, non. J’aurais juste aimé avoir une journée pour vendre mon plat avant qu’il ne se fasse voler. J’imagine qu’ils vont gagner beaucoup d’argent ce soir.”
 
Ceria tapota l’épaule d’Erin avec empathie.
 
“Si ça peut aider, je pense que les gens sauront d’où ça vient. La prochaine fois, tu devrais attendre le dîner pour sortir les nouveautés. Comme ça, ça te fera au moins une grosse foule.”
 
Erin soupira, et Erin lui tendit la poignée d’argent.
 
“Ne t’inquiète pas. Ce n’est pas comme si c’étaient tes seuls clients.”
 
C’était vrai. Erin avait été satisfaite de l’augmentation de la taille de sa clientèle, mais ce n’était pas encore la foule qu’elle avait vue dans l’auberge de Peslas.
 
“J’imagine.”
 
Elle prit les pièces d’argent, puis hésita. Erin se tourna vers Ceria et sourit, oubliant le vol de sa recette pizza un instant. Elle avait attendu ce moment toute la journée.
 
“Dis, Ceria, je commence à être à court de pièces d’argents. Est-ce que tu pourrais me faire le change sur une pièce d’or ?”
 
“Pas de problème.”
 
Ceria tendit la main vers sa bourse, et cilla lorsqu’Erin lui tendit une pièce d’or brillante sous le nez.
 
“C’était rapide. Tu ne devrais pas laisser traîner ton or comme ça.”
 
“Oh, j’en avais une dans le coin.”
 
Erin sourit d’un air malicieux à Ceria. La demie-Elfe fronça les sourcils mais tendit la main vers la pièce.
 
“Eh bien, merci quand m…”
 
Ceria marqua une pause et regarda fixement la pièce d’or qu’Erin lui donnait. Puis ses yeux cherchèrent lentement l’une des fenêtres. Là, des boîtes pleines de fleurs de fées en train d’éclore, dorées et étincelantes à la lumière du soleil. Ceria examina sa pièce d’or, puis regarda Erin en plissant les yeux. L’Humaine essaya de garder son sérieux sous le regard perçant de Ceria.
 
“Une pièce d’or, huh ? Eh bien, je suis ravie d’en prendre une. Laisse-moi simplement…”
 
Ceria leva la pièce devant ses yeux et essaya de la plier entre ses doigts. Elle fronça les sourcils.
 
“Huh.”
 
La demie-Elfe hésita, et observa le visage d’Erin, agité de tics. Lentement, elle leva la pièce à sa bouche et la mordit. Elle examina les petites marques que ses dents avaient laissées dans l’or ductile.
 
“Ça a la goût de l’or, mais… Erin. Est-ce que c’est une illusion ou pas ?”
 
“C’est une fausse ! N’est-ce pas trop cool ?”
 
Erin pointa les fleurs du doigt.
 
“Je viens de comprendre comment les faire se transformer en pièces comme les fées ! Regarde, si je la ramasse et que je dis ‘or’...”
 
Erin brisa délicatement la tige d’une fleur et Ceria cilla. Soudain, Erin tenait une deuxième pièce d’or dans sa main.
 
“C’est incroyable, Erin. Je n’ai même pas senti de magie. Et ces pièces ressemblent vraiment à des pièces d’or… de l’or massif, en plus, pas les pièces d’alliages qu’on utilise.”
 
Elle fronça les sourcils en examinant la pièce et la soupesa.
 
“Le même poids, la même texture, la même odeur… chancre, c’est de la bonne magie. Est-ce que tu peux transformer les fleurs en autre chose ?”
 
Erin secoua la tête.
 
“Cela n’a pas l’air de marcher pour autre chose, non. Mais la pièce a l’air vraie pendant toute une journée. Puis elle redevient une fleur au matin.”
 
Ceria regarda le lit de fleurs de manière spéculative. Les bourgeons poussaient vraiment vite, alors qu’on était en hiver, et Erin avait déjà vu plusieurs rejets en train de pointer le nez hors du terreau.
 
“On dirait que la blague des fées a plus d’utilité que prévu. Est-ce que tu as prévu de faire quoi que ce soit de ces fleurs ?”
 
Erin regarda fixement son amie.
 
“Du genre ?”
 
“Oh, je ne sais pas… les utiliser pour acheter quelque chose de sympa, peut-être ?”
 
Ceria fit rouler la pièce entre ses doigts. Erin fronça les sourcils.
 
“Pourquoi est-ce que je ferais ça ? Je veux dire, ils s’en rendraient compte, et ce serait du vol, non ?”
 
Ceria toussa dans sa main.
 
“Je connais quelques commerçants humains qui… chancre, qu’importe. Tu es trop gentille.”
 
Erin éclata de rire. Ceria reposa la pièce sur la table et croisa les bras.
 
“Mais plus sérieusement, Erin. Ces fleurs sont peut-être utiles, mais tes nouvelles recettes sont tout aussi intéressantes. Fais attention à ne pas laisser les gens s’enfuir avec, d’accord ?”
 
Erin acquiesça docilement. Elle papota encore un peu avec Ceria puis la demie-Elfe monta à l’étage pour se reposer et s’entraîner à jeter quelques sorts. Erin soupira et retourna à la cuisine. Elle posa la pièce d’or sur le comptoir à côté de ses pièces d’argent et soupira deux fois en contemplant sa poêle vide.
 
Une bonne journée suivie d’une mauvaise journée. Ce n’était pas comme si celle-ci avait été particulièrement mauvaise jusque-là, mais Erin avait simplement l’impression qu’il lui manquait quelque chose. Ou quelqu’un, peut-être. Elle se demandait où se trouvait Ryoka. Leurs conversations lui manquaient.
 
Et concernant la recette…
 
Erin jeta sa pièce dans les airs en secouant la tête et la rattrapa. C’était vraiment incroyable. Mais c’était inutile. Elle claqua la pièce sur le comptoir. Au bout d’une minute, elle se mit à marmonner dans la cuisine silencieuse.
 
“De toute manière, je n’arriverais probablement pas à le faire en toute impunité…”



***


Halrac était d’une humeur massacrante, et il n’essaya même pas de le dissimuler. Non pas que ce soit particulièrement surprenant pour ses coéquipiers - l’[Éclaireur] était d’ordinaire juste grognon dans ses meilleurs jours.
 
Mais il était en ce moment même assis dans une auberge et, contrairement à ce que la plupart des gens préféraient, Halrac préférait être dehors assis sous la pluie ou en train de marcher dans la boue plutôt qu’à l’intérieur. C’était en partie à cause des gens avec qui il devait rester.
 
Les compagnies Or étaient souvent hautement sélectives lorsqu’elles recrutaient. Les nouveaux aventuriers passaient des tests approfondis, et même les meilleures compagnies avaient habituellement des moments de friction.
 
Dans ce cas précis, la friction était un état quotidien entre Halrac, Revi, et Typhenous. Ulrien était leur meneur silencieux et ne se mêlait d’ordinaire pas à leurs disputes, mais Halrac ne faisait aucun effort pour masquer les sentiments que lui inspiraient ses nouveaux coéquipiers, et Revi et Typhenous étaient l’exemple classique des mages.
 
“Calme-toi, Halrac.”
 
C’était Ulrien qui venait de s’exprimer, mais Halrac était dans l’aventure depuis plus longtemps que son Capitaine, et il avait connu Ulrien quand ce dernier n’était encore qu’un aventurier Bronze. Halrac fusilla son Capitaine du regard et tenta de modérer légèrement son ton.
 
“Je vous dis simplement qu’on n’a rien à faire ici ! C’est du gaspillage, surtout si on se contente de rester les culs vissés sur nos chaises !”
 
Revi fronça les sourcils et Typhenous leva à peine les yeux de son grimoire. Mais il prit la parole d’une voix blasée.
 
“Nous n’avons pas grand-chose d’autre à faire que rester assis en attendant que quelqu’un exhume ces ruines. Je ne vois pas le problème, Halrac.”
 
L’[Éclaireur] serra les mâchoires.
 
“Le problème, c’est que nous ne faisons rien pendant que d’autres aventuriers prennent peut-être les devants !”
 
Il pointa du doigt leur chambre privée. La Chasse aux Griffons avait obtenu cette chambre onéreuse et excentrée de l’auberge, une marque de respect ostentatoire pour leur rang et pour la somme d’argent qu’ils payaient à l’aubergiste… mais aussi, pensait-il, pour les garder hors de vue de la clientèle Drakéide habituelle.
 
“Ce maudit Drakéide a l’air de prendre plaisir à nous servir toutes les recettes locales. Avec ce que nous lui payons, on devrait manger tout ce qu’on veut.”
 
Revi leva les sourcils.
 
“Alors dis-lui de te faire ta spécialité locale, ou autre, Halrac. Mais arrête de bouder parce qu’on ne peut trouver personne pour aller creuser.”
 
“Comment ça se fait qu’il n’y ait pas un seul [Mineur] dans toute cette maudite ville ?”
 
“Il y en a. Mais ce sont tous des Antiniums. Si on les embauche…”
 
Typhenous s’interrompit en voyant Ulrien secouer la tête et Halrac gronder.
 
“Je ne travaillerai pas avec ces monstres. De plus, les Croisés ont essayé, sans succès.”
 
“En ce cas, je pense qu’on est coincés ici jusqu’à ce que nous décidions de faire appel à des gens d’Esthelm ou de prendre nous-même les pelles. Allez, rassieds-toi et prends une pinte.”
 
Halrac secoua la tête et se leva.
 
“J’en ai assez de rester ici en attendant qu’il se passe quelque chose. Je vais retourner chercher d’autres [Creuseurs] ou [Mineurs]. Je rentrerai ce soir ou demain.”
 
Aucun de ses camarades ne fit mine de l’en empêcher. Ulrien retourna à sa lecture, Typhenous aussi, et Revi tenta de nouveau de vider la bouteille de vin qu’elle avait achetée. Halrac secoua la tête en sortant d’un pas furieux de l’auberge, ignorant complètement les efforts tièdes de l’aubergiste Drakéide pour essayer de le faire s’asseoir prendre un verre.
 
Halrac marcha dans la rue, évitant les foules et tentant de trouver son chemin dans ce territoire inconnu. Voilà un autre problème. Il était [Éclaireur], il pouvait se battre en ville, mais cela ne voulait pas dire qu’il appréciait d’essayer de retrouver son chemin dans les rues où tout était écrit en Drakéide et donc incompréhensible pour lui.
 
Il fronça les sourcils en passant devant un groupe de Drakéides en train de rire. Ils se turent lorsqu’il passa devant eux, ce qui ne fit que renforcer le froncement de sourcils d’Halrac.
 
Toute cette quête pour le trésor d’un donjon - s’il existait seulement - ne servait à rien. Il n’aurait jamais dû laisser Ulrien le persuader. La Chasse aux Griffons était en train de perdre du temps et de l’argent alors qu’ils pourraient être en train d’aider ailleurs.
 
De plus, Halrac détestait cette ville. Il n’aimait pas beaucoup les Drakéides. Halrac avait passé beaucoup trop de temps à les combattre au fil des années en tant que soldat pour leur faire confiance. Idem pour les Gnolls, et en ce qui concernait les Antiniums…
 
Le regard de l’[Éclaireur] s’assombrit lorsqu’il vit l’un des Ouvriers en train de descendre la rue. Il ne pourrait jamais faire confiance à l’un d’entre eux. C’étaient tous des monstres sans cœur.
 
Il se détourna avec dégoût. Même s’il daignait songer à embaucher les Antiniums - et il y avait peu de chances ! - il avait entendu dire qu’ils avaient refusé de creuser même pour d’autres groupes d’aventuriers. Bestioles inutiles et égocentrées…
 
“Oh, hey, tu es l’[Éclaireur] de l’autre jour !”
 
Halrac s’arrêta et se retourna. Une jeune femme s’approchait de lui. Une Humaine. Elle lui était vaguement familière. Où l’avait-il… ?
 
Oh. L’auberge. C’était la propriétaire du squelette mort-vivant. L’[Éclaireur] hésita à s’éloigner, mais au moins, elle n’avait ni écailles, ni fourrure, ni chitine. Il essaya de se souvenir de son nom. Solstice… ?
 
“Bonsoir, Miss.”
 
“Hey, comment vas-tu ? Désolée pour l’autre jour. Uh, tu es… H… Hal… ?”
 
“Halrac.”
 
L’[Éclaireur] essaya d’éviter de froncer les sourcils, ou de lui lancer un regard noir, ou toutes ces choses qu’on lui avait dit de ne pas faire lorsqu’il parlait à des gens. Mais la jeune femme avait un enthousiasme plein d’énergie et de surcroît, la capacité à ignorer complètement l’allure austère d’Halrac;
 
“Halrac, c’est ça ! Je suis Erin Solstice. On, euh, s’est rencontrés lorsque vous avez essayé de tuer mon squelette. Je t’ai jeté un caillou dessus.”
 
“Je m’en souviens.”
 
“Hum.. Certes. Encore désolée.”
 
“Ce n’est rien.”
 
Que voulait-elle ? Halrac regarda autour de lui. Il n’avait aucune idée d’où se trouva la guilde des [Mineurs], si elle existait seulement. Il pouvait commencer à demander autour de lui, mais l’entreprise risquait fortement d’être vaine.
 
“Alors, hum, comment tu vas ?”
 
Halrac se tourna de nouveau vers Erin, vaguement étonné. Il n’avait pas l’habitude que les gens continuent de l’impliquer dans une conversation.
 
“Pas grand-chose à dire. Pourquoi ?”
 
“Oh, sans raison particulière. Je veux dire, j’ai entendu dire que ta compagnie dormait à une auberge, mais je cherche toujours des clients - et j’ai fait un nouveau plat hyper bon ! Je me demandais juste si tu voulais l’essayer. Dans mon auberge, je veux dire.”
 
L’homme regarda Erin en clignant des yeux. Il ouvrit la bouche pour refuser, puis hésita. Ce n’était pas la question de l’argent qui le faisait hésiter ; il avait plus qu’assez pour couvrir ses dépenses de nourriture et de boissons, en tant qu’Aventurier Or, mais il avait une mission.
 
Et pourtant, l’idée d’interviewer un tas de Drakéides et de Gnolls désagréables perdit beaucoup de son attrait lorsqu’il songea à s’asseoir seul dans une auberge. C’était certainement mieux que l’auberge de l’autre Drakéide, le gros aubergiste ne cessant jamais de rire et de parler d’une voix forte et d’agacer Halrac.
 
“... Ton auberge est-elle pleine et à quel point ?”
 
“Mon auberge ?”
 
La jeune femme parut soudain méfiante. Elle gratta du pied les pavés.
 
“Eh bien… il y a peut-être quelques personnes, mais même s’il n’y en a pas, je suis d’excellente compagnie !”
 
Elle ne s’attendait pas à voir un sourire apparaître sur le visage d’Halrac, mais bon, là encore, lui non plus. Une auberge vide ? Parfait. Il était [Éclaireur], il avait l’habitude d’être seul. Et c’était toujours mieux qu’avoir ce gros Drakéide en train de se dandiner tout le temps de partout.
 
Comment s’appelait-il ? Peslas ? Halrac secoua la tête, mais il accepta l’offre de la jeune fille.
 
“Donne-moi juste une table dans un coin et ça ira très bien.”
 
La jeune fille lui adressa un sourire éclatant et l’emmena avec elle dans son auberge; Halrac la suivit, médusé, et elle discuta tout le trajet. Erin Solstice ne paraissait pas avoir de problème à faire toute seule la conversation, mais il à sa grande surprise, il se mit à lui répondre au bout d’un moment.
 
“Si tu as un problème d’argent, pourquoi ne pas devenir aventurière ?”
 
“Vraiment ? Tu penses que je serais douée ? Je n’aime pas… je veux dire, je ne suis pas une tueuse.”
 
Halrac haussa les épaules, mal à l’aise, en marchant dans la neige à ses côtés. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas parlé à une personne de sexe féminin et qui ne soit pas membre de son équipe. C’était une expérience nostalgique, légèrement douce-amère.
 
“Tu t’es battue contre un guerrier Gnoll et l’a battu. À mains nues. Tu vaux au moins un aventuriers Bronze, et ton squelette est dangereux.”
 
“Oui, oui. J’imagine que tu as raison.”
 
“Est-ce qu’il est toujours… vivant ?”
 
Halrac avait percé le crâne de la créature morte-vivante d’une flèche, mais il l’avait vus se balader après la bataille.
 
“Quoi, Toren ? Il va bien. Mais tu sais, c’est bizarre. Je crois qu’il a une espèce de gemme dans sa tête - la gemme rouge que j’ai récupérée après l’attaque de ces morts-vivants sur mon auberge. Cela a rendu ses yeux violents, mais même après qu’elle se soit brisée, ses yeux n’ont toujours pas retrouvé leur couleur d’origine ! C’est bizarre, non ?”
 
En ce qui concernait Halrac, le squelette était un mystère ambulant qu’il souhaitait désespérément résoudre en réduisant ses os en poussière, mais il tint sa langue. Il ne comprenait pas le commentaire au sujet des morts-vivants, mais ça expliquait en effet le regard du squelette qui paraissait émettre de la peur.
 
“Qui sait ?”
 
“Pas moi. Oh, voici mon auberge !”
 
Ils étaient arrivés étonnamment vite. Halrac regarda Erin ouvrir la porte et le faire entrer. Là, elle l’assit à une table dans un coin de la pièce, comme il l’avait requis, mais elle était presque aussi horrible que Peslas. Elle l’assaillit de questions, lui offrant un verre de lait chaud, puis resta près de lui après lui avoir donné un menu avec peu d’options, juste deux ou trois dont il reconnut le nom.
 
“Est-ce que je peux te tenter par notre dernier plat ?”
 
Halrac hésita. La première réponse qui lui vint fut un “non” bref, mais c’était difficile de dire cela face à l’expression amicale de l’aubergiste.
 
“... Qu’est-ce que c’est ?”
 
“De la pizza !”
 
Halrac n’avait jamais entendu parler de pizza, mais il écouta la description que lui en fit la fille et décida qu’il pourrait toujours prétendre être malade. Mais du fromage par-dessus de la sauce tomate sur du pain ? Cela n’avait pas l’air très bon.
 
Et l’impression persista lorsque l’aubergiste sortit de sa cuisine avec la pizza. Halrac regarda les parts de pizza et en tâta une à titre expérimental. Une espèce de sandwich ouvert ?
 
Sentant le regard de la fille posé sur lui, Halrac prit une bouchée avec réticence. Ce n’était pas aussi affreux que ce à quoi il s’attendait, et la sauce tomate coula dans sa bouche pendant qu’il mâchait le fromage fondu et la pâte. Non, ce n’était pas mal du tout, s’il avait été un soldat pendant une nuit froide autour du feu de camp, Halrac pensait qu’il aurait adoré manger cela.
 
En l’état, il y avait bien pire à manger pour le dîner, et Halrac détestait gaspiller la nourriture. Il prit une autre bouchée et décida que la pizza était chaude et nourrissante. C’est à ce moment-là que la porte s’ouvrit et qu’une fille entra d’un pas pesant.
 
“Une [Serveuse] !”, siffla-t-elle d’un ton grinçant à Erin en traînant un fagot de bois par terre. Halrac se retourna à moitié, une main sur sa dague, mais la colère de cette nouvelle tête était dirigée uniquement contre Erin Solstice. Il la regarda se précipiter vers la jeune femme et comprit que c’était la fille qu’il avait aidé à sauver.
 
Cela avait peut-être été une erreur. Halrac grimaça lorsque la blonde monta sa voix d’une octave et se mit à crier sur Erin, qui arborait une expression agacée.
 
“Qu’est-ce qu’il y a encore, Lyon ?”
 
Lyonette ! Et je viens de gagner des niveaux de… de… [Serveuse] !”
 
“C’est une bonne chose, non ? Et attends, pourquoi as-tu gagné des niveaux ? Je t’ai demandé d’aller chercher du bois pour le feu !”
 
La fille répondant au nom de Lyon ou possiblement Lyonette hésita, et Halrac coula des yeux. Il pouvait voir que ses épais vêtements d’hiver étaient mouillés, et elle avait même de la neige coincée dans les plis de ses vêtements. Elle avait probablement fait la sieste en allant faire sa corvée - c’était un miracle que rien ne l’ait dévorée pendant son sommeil.
 
“Il se pourrait que j’aie… ce n’est pas le problème ! Je suis noble ! Je ne me ferai pas souiller par une classe de… de roturier !”
 
Erin fronça les sourcils et se mit à se disputer avec Lyon pendant qu’Halrac grognait en essayant de se boucher les oreilles. La fille était une noble ? Fugitive ou ruinée, peut-être.
 
Cela expliquait tout. Halrac avait déjà entendu des gens à Liscor grommeler au sujet de la voleuse Humaine, et elle avait l’air et l’attitude de la plupart des aristocrates collets-montés qu’il avait eu le malheur de rencontrer. Il décida qu’il ne l’aimait pas et se mit à ignorer sa dispute avec Erin en tendant la main vers une autre part de pizza.
 
Le plateau était vide, étonnamment, et lorsqu’Erin prit le dessus, Halrac plongeait le regard dans une chope toute aussi vide. La blonde énervée ramassa son fagot de bois d’un air boudeur et se précipita dans la cuisine. Erin revint pou sourire d’un air d’excuse à Halrac et remplir sa chope.
 
“Désolée. Elle est… eh bien, elle est nouvelle.”
 
Il grogna et agita la main. À présent qu’il avait le ventre plein, Halrac était tenté de partir se coucher, mais il doutait d’être capable de dormir tout de suite. Il regarda plutôt sa chope. L’eau chaude, c’était très bien, mais…
 
“De l’alcool ? Je veux dire, oui, j’en ai un peu. Je crois.”
 
Erin cligna des yeux en dévisageant Halrac, comme si sa requête la déstabilisait. Mais elle retourna derrière son comptoir et poussa une exclamation de surprise.
 
“Hey, regarde ! Un tonnelet ! Je me demande ce qu’il y a dedans ?”
 
Même si cette question n’était pas la bienvenue, ce n’était pas la pire chose qu’Halrac ait jamais entendue avant de se faire servir à boire. La fille revint avec une chope beaucoup trop chargée en mousse, mais avec le liquide ambré prometteur au fond.
 
“Merci.”
 
Il prit une gorgée, et tenta de dissimuler une grimace. Erin regarda furtivement Halrac prendre une autre gorgée. Cette fois-ci, son expression ne changea pas, mais celle d’Erin se décomposa.
 
“Tu n’aimes pas.”
 
Halrac commençait à détester la capacité de cette jeune femme à lire ses expressions. Il haussa les épaules, et tenta de choisir soigneusement ses mots, ce qui, il fallait le dire, n’était pas son fort.
 
“Ça va.”
 
Il était devenu pourri gâté après être devenu un aventurier prospère. Halrac avait bu des piquettes bien pires, même si ce tonnelet avait l’air d’avoir été largement dilué.
 
“Non. Non, ça ne va pas.”
 
Erin agita les mains d’un air angoissé et Halrac vit Lyon se faufiler à l’étage, probablement pour faire une autre sieste.
 
“Je savais que je n’aurais pas dû acheter le moins cher !”
 
Elle courut dans tous les sens pour trouver un autre tonnelet pendant qu’Halrac se tâtait pour savoir s’il valait mieux boire encore juste afin d’être saoul, ou s’il devrait arrêter les frais et partir maintenant. Mais étrangement, il se sentait détendu, malgré l’étrangeté de cette auberge. C’était peut-être simplement parce qu’il était entouré d’humains, ou peut-être que c’était juste Erin. Elle lui avait posé de nombreuses questions sans réserve et en flot continue, mais elle ne cherchait pas à creuser ou à juger comme les autres gens.
 
“Ahah ! Je l’ai !”
 
Halrac leva les yeux et vit la fille à côté d’un rebord de fenêtre .Elle était en train de piocher dans quelque chose - une boîte posée sur une table illuminée par le soleil. La vision augmentée d’Halrac n’eut aucun mal à discerner les fleurs dorées qu’Erin ramassait et… pressait dans une chope ?
 
La fille écrasa les fleurs et récoltait les quelques gouttes de nectar dans un mug. Puis elle ajouta de la bière - encore moins habilement que la première fois, et il y avait juste autant de mousse que de liquide. Elle apporta la concoction douteuse à Halrac et la colla sous son nez.
 
“Tiens, essaies ça ! C’est une boisson spéciale.”
 
“Qu’est-ce qu’il y a dans ces fleurs ?”
 
“ Hum. Je ne sais pas.”
 
Halrac regarda Erin, et elle se hâta d’expliquer.
 
“Ce sont des fleurs magiques, et quand on boit leur nectar, on devient un-peu-saoul. Et je veux dire, je me suis dit que ça irait bien avec de l’alcool - ça l’épice un peu, tu vois ? J’ai cette compétence - [Mets Prodigieux], et elle me disait que ça devrait marcher.”
 
Halrac n’avait jamais entendu parler de cette compétence, mais Erin le regardait d’un air suppliant, et ce n’était pas comme s’il avait mieux à faire. Ou à boire.
 
Il renifla la chope d’un air soupçonneux. Il était peu probablement que l’aubergiste tente de l’empoisonner ou de le droguer, mais il était toujours prudent. Aucune de ses Compétences ne lui disait qu’il y avait du danger, de toute façon, et il prit donc une gorgée prudente.
 
Et…
 

 
Le vent ébouriffa les cheveux d’Halrac. Il regarda autour de lui et se demanda où était partie la jeune fille. Mais l’instant suivant, il l’oublia, parce qu’il se comprit où il se trouvait.
 
Chez lui.
 
Non pas la ruine carbonisée qui était tout ce qui en restait dans le monde réel, mais chez lui, la maison qu’Halrac avait connue toute sa vie avant qu’elle ne lui soit arrachée. Il était debout au sommet d’une colline verdoyante au beau milieu d’une journée d’automne, les arbres autour de lui parés de couleurs, l’air frais et vivifiant. En contrebas, son petit hameau bourdonnait de vie et d’activité tandis que les [Paysans] accomplissaient leurs tâches et que les enfants aidaient à la chasse ou jouaient ensemble dans la rue.
 
Halrac baissa les yeux et vit ses bras. Une peau jeune, lisse et dépourvue de cicatrices, mais encore tannée par le soleil ni couverte de poils, brillait au soleil. Il était de nouveau un jeune homme de dix-sept ans, et il avait l’impression que son corps était fait d’air, plein de force et d’énergie juvéniles.
 
“Halrac ? Qu’est-ce que tu fais ?”
 
Son cœur rata un battement. Halrac se tourna, et vit Ariæl. Elle portait la robe de coton moelleuse de la Jeune Fille des Moissons - qu’on offrait à la plus belle fille du village. Et elle était debout sur la colline avec lui, en souriant. En lui souriant.
 
Cela avait été différent à l’époque. Halrac se souvenait de cette journée, où elle avait été avec Telfar à la place, qui se moquait de lui tandis qu’il regardait la scène d’un air misérable. Mais ce moment était différent, et Halrac savait qu’elle était amoureuse de lui. Et lui ? Il l’avait aimée toute sa vie, jusqu’au jour où elle était morte avec les autres.
 
Et à présent elle était ici, avec lui.
 
Halrac éclata de rire, et jeta ses bras autour d’Ariæl, la faisant tournoyer dans les airs comme il en avait toujours rêvé. Elle s’accrocha à lui et lui embrassa le visage lorsqu’ils se mirent à rouler sur la colline verdoyante, libres et légers, ensemble pour une journée parfaire.
 
Le jeune homme se retourna et vit son petit village en contrebas bourdonner de vie et de gens après la moisson. Il pouvait voir son père rire avec sa mère alors qu’il levait un énorme sac de grain sur une épaule et qu’elle emportait un seau de lait dans leur maison. Il pointa du doigt, et Ariæl se retourna et vit les premières tartes en train d’être amenées sur la grande table pour que tout le monde puisse en manger. Elle tira sur sa main et il la suivit d’un pas chancelant, riant en…
 

***

Erin ne s’était jamais vue comme une meurtrière, mais il était certain qu’elle était douée pour tuer des gens. C’était un problème auquel elle pensait devoir réfléchir sérieusement à un moment où à un autre, mais elle ne pouvait que voir à ce moment-là qu’elle venait de faire une autre erreur magistrale.
 
“Réveille-toi, pitié, réveille-toi !”
 
Elle secoua Halrac avec désespoir, agitant d’avant en arrière le dos de l’homme assis dans sa chaise, le regard dans le vague. Elle avait déjà arraché la chope de ses mains - il n’avait cessé de siroter son contenu pendant son espèce de transe mais… il n’en sortait pas.
 
“Allez, ce n’est qu’un verre ! Juste quelques fleurs… plus que quelques fleurs ! Ce n’est pas une drogue si c’est de la magie, et tu n’es pas en train de faire une overdose ou quoi que ce soit dans le genre ! Allez, réveille-toi !”
 
Erin se demanda si elle devrait lui mettre une claque. Cela n’avait jamais l’air de marcher. De l’eau, alors. Elle regarda autour d’elle, abandonna l’idée, et lui jeta la boisson dépourvue-de-fleur-de-fées à la figure.
 
Halrac cligna des yeux lorsque l’alcool l’éclaboussa. Il toussa, crachota, et regarda autour de lui.
 
“Ariæl ? Qu’est-ce que. .?”
 
“Je suis tellement désolée, Halrac ! Je ne savais pas ce qui allait se passer ! Je pensais juste que tu allais te croire super grand comme dans les histoires… mais l’alcool a rajouté un effet. C’est une drogue. Je vais la jeter…”
 
Erin prit la chope, mais la main d’Halrac bougea et il lui saisit vivement la main. L’aventurier à l’air d’ordinaire austère plongea un regard tellement intense dans les yeux d’Erin qu’elle prit peur.
 
“Ce n’est pas une drogue. Ce sont des souvenirs. Donne-moi un autre verre, s’il te plaît ! Je paierai ce que tu veux…”
 
“Non, c’est dangereux ! Tu t’es mis à regarder dans le vide. Je ne devrais pas en donner à qui que ce soit avant de l’avoir testée !”
 
Les deux se battirent pour la chope. Halrac était plus fort qu’Erin, mais il n’avait pas l’angle d’attaque adéquat et essayait de ne pas renverser la boisson ; à ce stade, Erin essayait de la renverser par terre. Ils s’engagèrent dans un duel silencieux jusqu’à ce que quelqu’un parle dans leur dos.
 
“Erin ? Est-ce qu’il t’embête ?”

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 14 décembre 2020 à 01:00:32

 
2.31 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia


Halrac et Erin se figèrent tous les deux. Erin tordit le cou et vit Ceria. La demie-Elfe était arrivée dans leur dos et sa main squelettique brillait de magie.
 
Elle n’était pas vraiment en train de pointer son doigt luisant sur le visage d’Halrac, mais elle avait un air sinistre sur le visage. Halrac et Erin échangèrent un regard, et ils réalisèrent tous les deux que Ceria avait très mal interprété ce qu’il se passait.
 
Lentement, Halrac lâcha Erin et elle recula.
 
“Ce n’est rien, Ceria. Je, euh, je lui ai servi une boisson avec ce nectar dedans. Tu sais, celui des fleurs ?”
 
“Oh ?”
 
Ceria hésita, mais son doigt cessa de briller. Erin tenta d’expliquer, et la demie-Elfe poussa un soupir qui semblait être de soulagement.
 
“Evidemment que c’est ce qui allait se passer. Eh bien… eh bien, très bien.”
 
Elle salua Halrac d’un hochement de tête et il lui rendit son salut. Il se tourna vers Erin et inclina la tête.
 
“Je suis désolé.”
 
“Oh, non. C’est moi qui suis désolée ! Je n’aurais pas dû te servir ça sans l’avoir testé sur Pisces d’abord. Ma Compétence m’a juste soufflé de le faire et… désolée ! Hum, huh, tu veux autre chose, Halrac ? N’importe quoi ? N’importe quoi d’autre qu’une boisson de fées que je ne suis pas certaine de resservir un jour ?”
 
Il hésita. L’aventurier Or paraissait encore secoué, et Erin le vit repasser plusieurs fois la main sur son visage avant de la regarder.
 
“À manger. Oui.”
 
“Est-ce que tu veux un hamburger ?”
 
“Un qu… D’accord. D’accord. Je vais prendre ça et autant de bière que possible.”
 
Nerveuse, Erin remporta la chope au nectar de fleur de fée à la cuisine et se mit à cuisiner. Ceria prit une chaise avec elle dans la cuisine.
 
“Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer. Mais il avait tellement l’air… ailleurs !”
 
“Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Il a dit que c’étaient des souvenirs ? Hm.”
 
Ceria se frotta le menton pendant qu’Erin retournait deux galettes de viande, cuisinant d’une main distraite en parlant. La demie-Elfe jeta un regard en coin à la chope à moitié vide, mais ne tenta pas de la prendre.
 
“Je ne suis pas une experte, Erin, mais on dirait que ces fleurs font partie de l’illusion des Fées de Givre. Tu peux les faire ressembler à des pièces d’or, et tu as dit que tu avais eu l’impression d’être une géante lorsque tu en avais siroté un peu. Peut-être qu’elles sont enchantées d’illusions qui nous font voir ce que l’on désire.”
 
“Oh, alors Halrac voyait ce qu’il désirait ? Il a dit un nom… je crois que c’était celui d’une fille…”
 
Ceria haussa les épaules.
 
“Je ne sais pas, mais c’est rare de le voir perdre son sang-froid.”
 
“Attends un peu. Tu connais Halrac ? Tu ne me l’avais pas dit !”
 
“Le connaître ? Hah ! De réputation seulement. C’est un aventurier Or vétéran, Erin. Il a fondé la Chasse aux Griffons avec Ulrien il y a presque dix ans, et il est célèbre pour ne jamais paniquer ni céder sous la pression. Ta boisson doit être puissante si ça l’a secoué.”
 
Erin fronça les sourcils en regardant sa boisson pendant que ses mains assemblaient machinalement un burger.
 
“Je ne voulais pas faire de bêtise. J’écoutais juste ma Compétence.”
 
“Ce n’est pas toujours sage. Dans tous les cas, je ne crois pas que tu aies fait quelque chose de mal. Je pense même qu’il te paiera en or si tu lui en donnes encore.”
 
“Peut-être.”
 
Erin n’en savait rien. Mais elle apporta son hamburger à Halrac, qui l’accepta, ainsi que sa boisson non magique, avec un grognement. Ceria et Erin mangèrent aussi un hamburger - Erin était trop bouleversée pour faire une pizza - à l’autre bout de l’auberge.
 
Au bout d’environ une heure de discussion - pendant laquelle Halrac se contenta de manger et de contempler ses bras et ses mains comme s’il était toujours en transe - la porte de l’auberge s’ouvrit et deux autres invités familiers entrèrent.
 
“Bonsoir, Erin.”
 
Pion inclina la tête lorsqu’Erin se tourna pour lui faire un grand sourire, et un Drakéide bien connu passa la tête à l’intérieur lui aussi.
 
“Oh, euh, salut Erin ! C’est marrant de te voir ici !”
 
Ceria pouffa de rire en voyant Olesm se frayer un chemin derrière Pion. Halrac s’était figé dans son siège, mais Erin accueillit le Drakéide et l’Antinium, les faisant s’asseoir au milieu de la pièce.
 
“Pion ! Olesm ! Ça fait des lustres que je ne vous ai pas vus ! Pourquoi est-ce que vous n’êtes pas passés me voir ?”
 
Pion hocha la tête pendant qu’Olesm regardait par-dessus l’épaule d’Erin.
 
“Je suis désolé, mais j’étais occupé à la Colonie, où nous essayons de créer plus d’Individus. Et jusqu’à récemment, je me faisais interviewer par Klbkch, Ksmvr, et la Reine.”
 
“Whoa. C’est du sérieux !”
 
“En effet. Olesm était avec moi et j’ai suggéré que nous venions dîner ici.”
 
Erin se tourna vers Olesm, et le Drakéide se gratta les épines au sommet de son crâne et détourna le regard.
 
“Je ne savais pas que tu étais à la Colonie ! C’est plutôt cool - tu enseignes aux Antiniums ? Et pourquoi n’es-tu pas passé plus tôt ? Tu sais que je suis toujours partante pour une partie d’échecs !”
 
Olesm se dandina en évitant de croiser le regard d’Erin.
 
“Tu sais ce que c’est, Erin.”
 
“Non, pas du tout.”
 
Il vacilla, cherchant du soutien auprès de Ceria. La demie-Elfe se contenta de lever les yeux au ciel en mordant dans son deuxième hamburger.
 
“Eh bien, c’est juste que je voulais essayer de jouer contre d’autres joueurs et les Antiniums sont toujours partants - et me paient même pour jouer ! Et je sais que tu es occupée et je ne voudrais pas t’empêcher de jouer ave…”
 
Ses yeux s’égarèrent à gauche, et Erin se tourna et vit l’échiquier magique, dont les pions spectraux et transparents étaient posés sur le bois. Elle n’avait pas terminé la dernière partie avec son adversaire mystérieux, comme il avait dû s’arrêter pour une raison inconnue. Erin fronça les sourcils, confuse, puis jeta un regard noir à Olesm.
 
“Attends une minute, Olesm. Même si je joue contre quelqu’un d’autre, j’adore jouer avec toi ! Même si tu n’es pas encore aussi fort que lui, tu restes un super joueur !”
 
Le Drakéide secoua la tête.
 
“Je connais ma valeur, Erin, et après cette partie contre lui… je ne voudrais pas te ralentir, vraiment.”
 
“Hey !”
 
Erin saisit Olesm et fusilla le Drakéide surpris du regard.
 
“Le talent et l’autorisation à jouer ne devraient pas avoir de lien. Tout le monde peut jouer aux échecs, et tu devrais jouer contre moi autant que tu veux ! C’est la seule manière de s’améliorer et…”
 
Elle jeta un regard noir à Pion qui se ratatina sur son siège.
 
“... Et cela ne m’ennuie pas d’enseigner aux nouveaux joueurs non plus. J’aime les échecs. Tous ceux qui aiment les échecs sont les bienvenus pour venir m’affronter, n’importe quand, n’importe où ! Enfin pas n’importe où, mais la plupart du temps, je suis partante pour jouer !”
 
Olesm cligna des yeux, mais le regard noir qu’elle lui lançait se transforma en un sourire, qu’il parvint à lui rendre.
 
“Je suis désolé, Erin. Tu as raison. Je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête… bien sûr que j’adorerais jouer avec toi.”
 
“Bien. En ce cas, je vais vous affronter tous les deux à la fois. J’adore jouer deux matchs à la fois. Laissez-moi simplement vous nourrir d’abord. Hey, vous voulez essayer la pizza ?”
 
“Qu’est-ce qu’une pizza ?”
 
“C’est…”
 
“Olesm ?”
 
Le Drakéide tourna la tête. Il écarquilla les yeux, et Erin cilla, surprise.
 
“Zevara ? Qu’est-ce que tu fais ici ?”
 
La Capitaine de la Garden, grande Drakéide avec un tempérament et un souffle de feu, entra lentement dans l’auberge. Elle salua maladroitement Erin d’un signe de tête.
 
“Humaine. Est-ce que ton auberge est ouverte en ce moment ?”
 
“Quoi ? Oh, oui, oui, bien sûr ! Hum, tu veux manger ici ? Ou boire quelque chose ?”
 
Erin hésita. Elle n’avait jamais vu Zevara dans un contexte qui n’impliquait pas qu’elle crie, et elle se retrouvait complètement prise au dépourvu. Mais la Capitaine Drakéide regarda Olesm et parut presque aussi décontenancée qu’Erin.
 
“J’imagine que je peux prendre quelque chose. Je suis, heu, juste venue parce que je suis en congé et que je t’ai vu venir par ici, Olesm. Ça te dérange si je me joins à toi ?”
 
“Moi ? Euh…”
 
Olesm jeta un regard en coin à Ceria pour une raison mystérieuse. La demie-Elfe haussa les épaules, là encore pour des raisons qu’Erin ne saisissait pas, et Zevara se tourna vers elle.
 
“Springwalker.”
 
“Zevara. Je suis sûre qu’Olesm serait ravi que nous partagions une table, n’est-ce pas ?”
 
“Qui, moi ? Non, non.... je pensais plutôt aller faire une partie d’échecs…”
 
“On peut faire ça plus tard. Tu devrais discuter, Olesm !”
 
Le visage d’Erin s’illumina d’un sourire éclatant et le Drakéide s’affaissa légèrement lorsque les deux femmes s’assirent à ses côtés. Pion proposa poliment sa chaise à Ceria et la demie-Elfe prit le siège à la gauche d’Olesm tandis que Zevara s’asseyait à sa droite.
 
À présent qu’elle avait plusieurs invités, Erin se souvint de Lyon et la chercha du regard. Mais la nouvelle [Serveuse] n’était pas là.
 
“À chaque fois que j’ai besoin de quelqu’un pour faire le service… ce n’est même pas très dur ! Je fais toute la cuisine !”
 
“Je vais aller la chercher, si tu veux.”
 
Olesm se leva, mais Erin lui fit vivement signe de se rasseoir.
 
“Elle est probablement en train de se cacher. Je vais demander à Toren d’aller la chercher lorsqu’il reviendra. Je ne sais pas vraiment où il est. Non, assieds-toi. Je suis sûre que Zevara appréciera ta compagnie.”
 
Le Drakéide avait une expression vraiment étrange sur le visage. Pendant ce temps, Ceria avait commencé à discuter d’un air très cordial avec Zevara, et la Capitaine avait l’air toute aussi polie. Erin sourit ; c’était une bonne chose de voir ces deux-là aussi bien s’entendre, même si Olesm restait très silencieux. Erin s’activa dans la cuisine, préparant à manger pendant que les autres discutaient ou attendaient en silence. Il y avait beaucoup de silence, d’ailleurs, malgré le monde.
 
Olesm devait avoir faim, parce qu’il parut incroyablement soulagé lorsqu’Erin revint avec deux pizzas bien chaudes, une sur chaque manique. Pion hocha la tête d’un air appréciateur, mais s’arrêta en jetant un regard à Ceria et Zevara. Les deux n’avaient même pas regardé la pizza ; elles se souriaient et riaient, même si Erin avait raté la blague.
 
“Je pense que j’aimerais bien faire une partie, Erin, si tu es libre.”
 
“Carrément ! Criez juste si vous avez besoin de quoi que ce soit, d’accord ?”
 
Ceria et Zevara acquiescèrent sans regarder dans sa direction. Olesm hésita, puis il repoussa lentement sa chaise.
 
“J’imagine que je vais jouer…”
 
Assieds-toi.
 
Il s’assit. Erin trouva une table plus proche de Halrac et s’assit avec Pion. L’[Éclaireur] n’avait pas demandé grand-chose de plus qu’un autre verre et il tenait calmement sa boisson contre lui pendant qu’elle discutait avec l’Antinium.
 
Erin prépara l’échiquier et Pion s’assit sur sa chaise, mâchant calmement un morceau de pizza. Elle n’était pas sûre qu’il aime, mais elle avait trouvé d’autres insectes pour les Antiniums, et elle espérait simplement qu’ils étaient comestibles pour eux.
 
“Bon, tu préfères les noirs ou les blancs, Pion ?”
 
“J’aimerais choisir les blancs, si cela te paraît acceptable, Erin.”
 
Elle acquiesça joyeusement, et Pion étudia le plateau pendant une minute avant d’avancer un pion en D4. Erin avança immédiatement un pion en D5, et Pion avança un deuxième pion en C5, initiant le Gambit Dame.
 
Erin poussa immédiatement un deuxième pion en C6, Défense Slave, et le jeu s’arrêta là un petit moment. Pion étudia l’échiquier, puis, et ce n’était pas dans ses habitudes, leva les yeux sur Erin.
 
D’ordinaire, l’Antinium se concentrait uniquement sur le jeu, et ce changement d’attitude firent s’interrompre les réflexions de stratégie d’échecs d’Erin un instant. Elle leva les yeux.
 
“Quelque chose ne va pas, Pion ? Tu n’aimes pas la pizza ?”
 
“La pizza est parfaite, Erin. Mais je souhaiterais te parler de quelque chose.”
 
Erin fronça les sourcils.
 
“Oh ? Quoi donc ?”
 
Pion plaça une main sur une pièce d’échecs et hésita. Il regarda de nouveau Erin droit dans les yeux, et elle commença à comprendre qu’il n’était pas vraiment venu pour jouer, après tout.
 
“Je suis venu te demander conseil, Erin.”
 
Pion baissa la voix pendant qu’Olesm commençait à essayer d’expliquer à Zevara et Ceria les règles des échecs. Erin dévisagea l’Antinium, inquiète.
 
“Quoi ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Je veux dire, quelque chose ne va pas ?”
 
“Rien… enfin, je veux dire, j’imagine que ce n’est pas correct. Aujourd’hui, j’ai été convoqué par ma Reine, comme je le disais, avec quatre autres Antiniums, les quatre qui sont devenus des individus.”
 
“Oh.”
 
Cela avait l’air important pour Erin. elle ne comprenait toujours pas vraiment pourquoi les individus étaient si importants pour les Antiniums, mais elle avait une vague idée de la nouvelle importance de Pion. Il hocha la tête en avançant lentement un pion.
 
“Oui. Elle nous a appelé et nous a posé des questions sur notre nature. Elle… nous a analysés pour savoir ce que nous pourrions devenir, ce que nous pourrions accomplir.”
 
Erin regarda l’échiquier. Pion avait avancé un autre pion sur le plateau - mais c’était un coup terrible. C4-c5 ? C’était une mauvaise Slave. Elle lui avait enseigné comment l’éviter. Erin regarda Pion, déstabilisée, et remarqua pour la première fois qu’il y avait bel et bien quelque chose de différent chez lui, aujourd’hui.
 
Il avait l’air… plus petit. L’Antinium était assis, courbé sur sa chaise, et Erin réalisa qu’il ressemblait beaucoup à celui qu’il était lorsqu’elle l’avait rencontré. C’est-à-dire, comme un Ouvrier ordinaire, docile, discret, inaperçu.
 
“Pion ?”
 
Que s’était-il passé ? Qu’est-ce que sa Reine lui avait dit… ou fait ? Erin se souvenait de Ksmvr, mais Pion ne semblait pas blessé. Il avait juste l’air…
 
Impuissant.
 
Erin baissa les yeux sur le plateau, puis abandonna leur partie. Elle contempla pion d’un air grave.
 
“Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?”
 
Il secoua lentement la tête.
 
“Des questions. C’est tout ce qu’elle nous a posé. Des questions.”
 
“Quel genre de questions ?”
 
Les questions pouvaient être mauvaises ou blessantes. Mais Pion se contenta de lever une main, paume levée vers le ciel, impuissant.
 
“Des questions auxquelles nous n’avons pas pu répondre, Erin. Elle nous a demandé ce que cela signifiait d’être un individu. Comment cela se produisait. Nous n’avons pas pu répondre. Et elle a posé d’autres questions…  qu’allons-nous devenir ? Quelles classes allons-nous prendre ? Comment pouvons-nous servir la colonie ?”
 
Il secoua la tête.
 
“Elle a demandé si j’allais mener des Soldats au combat. Moi. Parce que j’ai gagné une classe en jouant aux échecs et que je suis celui qui a le plus de niveaux après Klbkch. Mais moi ?”
 
Erin observa Pion. Elle ne le voyait pas se battre comme Klbkch ou Ksmvr.  Une image s’afficha dans son esprit. Un souvenir. Elle vit un Ouvrier, se débattant contre des Gobelins, se battant comme un enfant pendant qu’ils le poignardaient…
 
Pion continua de parler, d’une voix hachée. Sa voix paraissait serrée par une émotion qu’elle n’avait jamais vue chez un Antinium.
 
“Je lui ai dit que j’aimais ce jeu. J’aime jouer aux échecs. Mais je ne peux pas mener des armées. J’ai la classe de [Tacticien], mais… j’ai cessé de gagner des niveaux.”
 
Erin cilla. Pion hocha la tête.
 
“C’est un problème. Et pourtant, je n’ai pas envie de poursuivre une autre occupation. Je ne peux plus redevenir Ouvrier, mais même ma propre Reine ne sait plus ce que nous sommes à présent.”
 
Il écarta les mains, faisant tomber des pièces sur le plateau. Pion sursauta, surpris, puis baissa maladroitement la main pour rattraper les pièces. Mais il les laissa en l’état et regarda Erin.
 
“Je suis perdu. Si je ne suis pas un Ouvrier, que suis-je ?”
 
“Je ne sais pas. Pion…”
 
Il secoua la tête.
 
“Ma Reine ne le savait pas. Tu ne sais pas. Personne ne sait. Pas même nous.”
 
Il dévisagea Erin, et elle se sentit impuissante. L’expression de Pion ne changea pas, mais il ne pouvait pas changer d’expression, pas vraiment. Il n’avait pas de nez, ni de peau, ni même de conduit lacrymal. Mais ses mandibules cliquetèrent doucement, et ses mains se serrèrent sur la table.
 
“Nous sommes tous perdus. Mais je suis le premier, et ils cherchent donc les réponses chez moi. Et je…”
 
Pion leva les yeux sur Erin, puis les détourna.
 
“Je ne sais pas.”
 
“Pion. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut résoudre comme ça. Ce sont des choses complexes. Cela prend du temps.”
 
Erin tendit la main pour toucher celle de Pion, mais il la repoussa. Il dévisagea Erin en tremblant légèrement.
 
“Je leur ai demandé de venir à toi cette nuit-là. J’ai réuni les Ouvriers et leur ai dit de se battre. Et de mourir.”
 
Erin sentit un trou s’ouvrir dans son estomac. Pion plongea son regard dans le sien, ses yeux à facettes francs, remplis d’émotions cachées.
 
“Je leur ai demandé d’y aller. Ils y sont allés de leur propre volonté, mais c’est moi qui l’ai suggéré, qui leur ai dit de le faire. Pas ma Reine, ni Ksmvr, ni Klbkch. Moi, et personne d’autre.”
 
Elle se souvenait. Les yeux d’Erin étaient pleins de larmes, mais elle se força à regarder Pion.
 
“Ils m’ont sauvée, Pion.”
 
Il hocha la tête.
 
“Oui, et c’était nécessaire ! C’était une bonne chose ! Mais… que se passe-t-il ensuite ?”
 
“Quoi ?”
 
Erin ne comprenait pas. Pion la regarda, comme s’il voulait qu’il comprenne.
 
“Ils sont morts pour te sauver. C’était une bonne chose. Mais que deviennent ces morts ? Quand Bird, Garry, Belgrade et Anand et moi mourront, qui se souviendra de ceux qui sont tombés ? Ils ont vécu. Magnus, Tour, Calabrian, Vladimir, Emmanuel… ils ont vécu. Mais nous seuls nous souvenons d’eux. Nous seuls nous en soucions.”
 
Erin dévisagea Pion. C’était trop pour elle. Cela la dépassait tellement. Mais Pion était venu demander son aide. Mais quelle aide pouvait-elle lui offrir ? Quel conseil donner à quelqu’un qui parcourait un chemin que personne n’avait parcouru avant lui ?
 
“Je ne sais pas, Pion. Je suis désolée.”
 
L’Antinium était assis sur sa chaise et tremblait. Non. il ne tremblait pas. Erin le regarda plus attentivement.
 
Il… tressaillait. Tressautait. C’était exactement comme la première fois où Erin lui avait demandé son nom, mais en encore plus violent.
 
“Qu’allons-nous fAire, EriN ? qu’ALLons-nOUs dEvEnir ?”
 
Sa voix… Erin sentit un frisson glacé lui parcourir le dos, mais elle refusa de reculer. Elle dévisagea Pion. Il lui rendit son regard.
 
“qUE SoMmES-nOUS ?”
 
Un son léger la fit détourner les yeux. Olesm, Ceria et Zevara n’avaient pas remarqué son comportement, mais Halrac, si. Il tenait quelque chose dans sa main gauche. Une dague.
 
Erin le regarda et secoua légèrement la tête. Il contempla Pion, le visage fermé, et ses yeux s’égarèrent sur elle. Elle plongea son regard dans le sien. Et se contenta de le dévisager.
 
Lentement, Halrac remit sa lame dans son fourreau. Erin se tourna de nouveau vers Pion. Il tremblait toujours .Elle posa une main sur son épaule.
 
“Hey. Hey, écoute-moi. Tu n’es pas seul. Il y a d’autres gens comme toi.”
 
“pERsonNe n’ESt cOMme Moi.”
 
C’était vrai. Mais ce n’était pas vrai. Quelque chose surgit dans la mémoire d’Erin. Elle regarda Pion. Le premier de sa race, le meneur d’un peuple à qui personne ne faisait confiance, qui n’avait aucune importance. Qui ne savait pas…
 
La mémoire lui revint petit à petit. Pas des souvenirs récents, mais des histoires. Des fragments de quelque chose qu’elle avait entendu longtemps avant, dans un endroit calme, étant enfant.
 
Peut-être que c’était le dernier nom que Pion avait prononcé. Emmanuel. Mais Erin se souvint, et elle repoussa donc l’échiquier avant de rapprocher sa chaise de Pion. Elle posa une main sur sa chitine froide.
 
“Tu sais, autrefois, il y avait un mec comme toi. Il voulait sauver son peuple, lui aussi.”
 
“VraiMEnt ?”
 
Sa vois était en train de se calmer. Erin sourit à Pion, et sentit le regard d’Halrac dans son dos.
 
“Oui. D’ailleurs, je connais une histoire à propos de ce type. Il était célèbre, tu sais. Son nom est Moïse, et beaucoup de petits Humains le connaissent.”
 
“Qu’est-ce que… qu’est-ce qu’il a fait ? Qui était-ce ?”
 
“C’était… une personne ordinaire. Enfin, pas ordinaire. Mais il ne pensait pas qu’il ferait quoi que ce soit de spécial, jusqu’au jour où il a compris qu’il était différent des gens qui l’entouraient. Puis il a réalisé qu’il avait un peuple qui se faisait maltraiter, qui avait besoin de lui. Et il les a guidés.”
 
C’était à peu près juste. À peu près. Cela dépendait de l’histoire qu’on écoutait. De quel film on regardait. Erin n’avait jamais vu Les Dix Commandements, mais elle avait vu le Prince D’Égypte plus d’une fois.
 
“Son peuple était réduit en esclavage. Ils étaient sous le joug d’un roi dur - un Pharaon. Mais Moïse fut appelé, et il mena donc son peuple à la liberté.”
 
Pion pencha la tête sur le côté. sa voix revint à sa tonalité habituelle.
 
“Est-ce une histoire éducationnelle ou un récit historique ?”
 
Erin hésita. Elle se gratta la tête et sourit.
 
“‘Sais pas. C’est juste une histoire. Tu veux que je te la raconte ?”
 
Il hésita, puis hocha la tête. Erin lui raconta donc une histoire de son enfance.
 
“Il était une fois, dans un pays appelé l’Égypte, deux peuples. Ces deux peuples étaient Humains, mais ils étaient… différents. L’un des peuples était appelé les Égyptiens, et ils avaient des esclaves.  Les esclaves étaient appelés les Hébreux. Et le roi des Égyptiens était appelé le Pharaon. Mais il avait peur que les Hébreux se soulèvent un jour, et il ordonna donc de tuer tous les bébés mâles. Et la mère de Moïse ne voulait pas cela. Elle trouva donc une rivière - le Nil - et mit Moïse dans un berceau. Puis elle attendit que quelqu’un trouve Moïse. C’était la femme du Pharaon, et elle l’apporta avec elle dans la maison du Pharaon et Moïse grandit comme un prince Égyptien alors qu’il était un Hébreu en réalité. Mais un jour, il découvrit qui il était vraiment. C’est alors qu’il trouva un buisson ardent…”




***

Erin raconta l’histoire de Moïse, abrégée et légèrement incorrecte, mais du début à la fin. Pion écouta en silence jusqu’à ce qu’elle eût terminé, mais lorsqu’elle finit, il se contenta de secouer la tête.
 
“C’est une bonne histoire, mais j’ai bien peur que cela ne soit pas aussi facile pour nous. Les Antiniums ne sont pas les esclaves de notre Reine - elle fait partie de la Colonie, tout comme nous tous. C’est simplement qu’il n’y a pas d’endroit pour nous en ce moment, et notre but…”
 
Il s’interrompit, en secouant encore plus fort la tête.
 
“La rébellion ne mènerait qu’à la mort. Une mort dénuée de sens.”
 
Erin agita précipitamment les mains et faillit renverser son plateau.
 
“Oh non, non… je ne voulais pas dire que la Reine était comme le Pharaon. C’est juste une histoire. Une parabole. Je disais juste que Moïse était comme un meneur, et que tu es comme un meneur.”
 
Il hésita.
 
“C’est une bonne histoire, mais je ne suis pas un élu. De plus, tu dis que ce Moïse a été choisi par un dieu. Tu parles des dieux, mais on m’a dit que les dieux étaient morts.”
 
Erin hésita.
 
“Peut-être. Je veux dire, ici, on dirait que c’est vrai. Mais j’ai toujours grandi en sachant qu’il y avait un dieu. Puis ensuite, je… enfin, là d’où je viens, les gens croient qu’il y a des dieux. Les gens croient qu’ils sont venus sur terre, comme Jésus Christ.”
 
“Jésus ? C’est un autre Humain qui a mené son peuple ?”
 
C’était étrange d’entendre un Antinium parler de Jésus. Erin ne put s’empêcher de sourire.
 
“Oui, on peut dire ça. C’est quelqu’un qui a sauvé son peuple. Plus exactement, il a sauvé les Hébreux comme Moïse, juste très longtemps après. Et il était le fils de Dieu ! Enfin, ça dépend à qui tu le demandes.”
 
Pion dévisagea Erin. De l’autre côté de la pièce, la tête d’Halrac se leva lentement et il regarda Erin. Il haussa la voix et l’Antinium et l’aubergiste levèrent les yeux.
 
“Les dieux sont morts. Tout le monde sait ça. Mais je n’ai jamais entendu parler d’un descendant des dieux.”
 
“Je, euh, eh bien, tout le monde le dit de là d’où je viens.”
 
Erin réalisa qu’elle était au bord de la limite dont lui avait parlé Ryoka. Mais il était trop tard pour reculer.
 
“Nous avons des dieux. Ou un dieu. Il y en a d’autres, mais celui dont on m’a parlé quand j’étais enfant… je veux dire, les gens l’appelaient juste… Dieu. Masculin. Ou féminin. Ou les deux. C’est difficile à expliquer.”
 
Halrac regarda Erin d’un air dubitatif, mais il rapprocha quand même sa chaise.
 
“Explique-moi. J’ai toujours appris que les dieux étaient morts. Toujours. Et je n’ai jamais entendu parler d’un dieu qu’on aurait juste appelé… Dieu.”
 
Expliquer la chrétienté ? Erin n’était pas sûre de pouvoir. Mais Pion la regardait aussi, à présent, et il avait cessé de trembler. Elle prit donc une grande inspiration et essaya.
 
“Eh bien, on dit qu’il… je veux dire, Dieu… a créé la terre et tout le reste en sept jours et a fait tous ces trucs. Vous savez, des trucs de dieu. Il a viré les Humains du jardin d’Eden parce qu’on avait péché, et euh, grosso modo laissé le monde se débrouiller pendant longtemps. Mais son peuple, son peuple élu je veux dire, il a toujours veillé dessus. L’histoire de Moïse - c’était un exemple de la manière dont Dieu choisissait ses prophètes et ses messagers pour l’aider à les sauver.”
 
“Après qu’ils soient devenus des esclaves.”
 
Halrac grogna d’un air catégorique.
 
“Sacré Dieu.”
 
Erin n’avait rien à répondre à cela. Mais elle avait l’impression qu’elle se devait de défendre un tout petit peu cette religion.
 
“Eh bien, il a fini par les sauver, au final. je pense que c’était une espèce de punition pour quelque chose. Peut-être. Bref, ensuite, il a envoyé son fils mourir pour nous.”
 
“Pour nous ? Son fils ? Je ne comprends pas.”
 
Pion regarda Erin et Halrac grogna encore une fois. Et Erin…
 
Hésita.
 
Elle avait l’histoire de Jésus au bord des lèvres. Ce n’était pas ce que Pion voulait - ce n’était pas l’histoire qui allait l’aider à comprendre qui étaient les Antiniums. Mais c’était une bonne histoire.
 
Ce n’était peut-être qu’une histoire. Ou pas. Erin n’en savait rien.
 
Elle ne croyait pas. Ou plus. Mais elle avait entendu les mêmes histoires, encore et encore, et elle pouvait les répéter à son auditoire.
 
“Contentez-vous d’écouter, d’accord ? C’est relativement compliqué, mais j’imagine qu’un jour, longtemps après que Moïse ait sauvé les Hébreux, ils souffraient dans un autre pays. Cette fois-ci sous le joug des Romains. Et Dieu savait qu’ils avaient des ennuis, mais il regardait un peu le monde dans son entier, vous voyez ? Et partout où il regardait, il voyait le péché. Il décida donc d’y faire quelque chose. Il chercha alors les gens bien - Marie de Nazareth et son mari, Joseph de Nazareth, et les choisit pour élever son fils qu’il ferait descendre du paradis...”
 
“Le paradis ?”
 
Pion interrompit Erin. Il la dévisagea avec intensité.
 
“Qu’est-ce que le “paradis” ? Je connais l’enfer, mais je n’ai jamais entendu parler du paradis.”
 
Erin hésita.
 
“Attends une seconde. Comment tu peux connaître l’enfer et pas le paradis ? C’est quoi, l’enfer, ici ?”
 
Ce fut Halrac qui répondit. Il tritura sa chope.
 
“C’est de là d’où sortent les Démons. À Rhir - il y a un endroit d’où aucune armée n’est revenue. C’est ceci que les gens appellent l’enfer. Est-ce de cela que tu parles ?”
 
Erin fronça les sourcils.
 
“Non… l’enfer est plus une sorte de… enfin, c’est un endroit où on va quand on meurt, pas un véritable lieu.”
 
Pion et Halrac échangèrent un regard, puis détournèrent les yeux. Halrac fronça les sourcils. Erin secoua la tête.
 
“L’enfer n’est pas un lieu. Je veux dire, pas un lieu sur terre. Pas dans ce monde. C’est la vie après la mort. L’endroit où vont les gens mauvais quand ils meurent. On va en enfer à cause de nos péchés. Nous souffrons dans la vie parce que nos péchons… enfin, d’après la Bible.”
 
“La Bible ?”
 
“La… l’histoire de tout cela, j’imagine. Je veux dire, l’histoire des Hébreux et de leur Dieu.”
 
“Ah. Et le paradis ?”
 
Comment décrire le paradis à quelqu’un ? Erin ferma les yeux. Elle regarda le plafond, et fit de son mieux.
 
‘Le paradis est un endroit où vont les bonnes personnes. C’est un endroit dépourvu de douleur, de souffrance… tout le monde y est. On peut retrouver sa famille, ses amis, et tout est joie. À jamais. C’est ce qu’est le paradis, je pense.”
 
Lorsqu’elle baissa de nouveau les yeux, elle vit que Halrac et Pion étaient en train de la dévisager.
 
“Quoi ? Vous ne croyez pas en la vie après la mort ?”
 
Halrac secoua lentement la tête.
 
“Quand j’étais jeune, on m’a appris que nous revenions à la vie après notre mort. Cela dépendait de notre classe et de notre niveau - plus on avait de niveaux, plus notre vie était belle. Si on ne faisait pas grand-chose et qu’on mourrait avec peu de niveaux, on revenait sous forme d’animaux, ou pire, de monstres. Mais c’est tout.”
 
“Et toi, Pion ?”
 
Il resta silencieux quelques minutes.
 
“Les Antiniums ne connaissent rien après la mort. Mais nous connaissons la mort. Quand un Antinium meurt, ses souvenirs restent au sein de la Colonie. Mais de l’Antinium en lui-même…. rien. Seuls quelques-uns sont conservés pour revenir à la Colonie en temps de crise. Klbkch en fait partie. Mais même eux s’effacent. Et à la fin, tous les Antiniums mourront. Et après cela…”
 
Il regarda Erin.
 
“Ils cessent d’être. C’est ce qui arrive après la mort des Antiniums.”
 
Elle le dévisagea.
 
“Ce n’est… pas ce que croient certains Humains. Ils pensent que tout le monde peut aller au paradis, s’ils y croient.”
 
“Tout le monde ? Même un Antinium ?”
 
“J’imagine. Mais laisse-moi finir mon histoire. Vois-tu, Dieu était triste parce que nous étions tous en train de pécher - de faire de mauvaises choses. Il envoya alors son fils mourir pour nous. Parce que s’il mourait, tous nos péchés seraient pardonnés.”
 
Halrac scruta Erin.
 
“Comme une espèce de rituel de sang ? De la magie ?”
 
“Non. La rédemption. Pas de magie, ni de rituel. Juste le pardon. Ce serait une deuxième chance pour nous tous.”
 
“Une deuxième chance. Pour faire quoi ?”
 
Erin marqua une pause.
 
“Tout.”
 
Et Pion la contempla, silencieusement, avec la même expression grave dénuée d’émotions qu’avaient tous les Antiniums. Mais il y avait une lueur dans ses yeux sombres, un éclat de quelque chose.
 
L’espoir.
 
Erin prit donc une grande inspiration, et plongea dans ses souvenirs. Elle plongea dans les souvenirs de son enfance, de sa jeunesse, de l’innocence et de la foi. Elle leur raconta des histoires .Elle leur parla d’un fils qui mourut sur une croix pour sauver le monde, d’un Dieu qui créa tout et donna la loi à ceux qui n’en avaient pas. Elle raconta à l’aventurier et à l’Antinium attentifs des paraboles, des histoires, et des contes de miracles et de libérations.
 
Au bout d’un moment, Olesm renversa sa chaise et s’enfuit par la porte avec Ceria et Zevara sur ses talons .Mais personne n’y prêta attention. Erin raconta des histoires à l’homme en train de l’écouter, plein de scepticisme et d’amertume, et à l’Antinium, perdu, apeuré, et seul.
 
Et ils l’écoutèrent. Ce n’était pas un [Instant Immortel]. Il n’y avait rien d’immortel dans la manière qu’Erin avait de revenir sur ses mots, ou de faire des erreurs ou de se lever pour servir une nouvelle tournée de boissons. C’était peut-être parce qu’elle ne croyait pas.
 
Mais il y avait quelque chose, là-dedans. Quelque chose qui captura les cœurs pour lequel Pion écouta, et Halrac resta.
 
Les histoires.
 
La foi.
 
La religion.
 
***

L’auberge était silencieuse lorsqu’Erin germa enfin sa porte à clef et que son dernier invité disparut dans la nuit enneigée. Olesm avait fui bien longtemps avant et n’était pas revenu, tout comme Ceria et Zevara. Mais Halrac et Pion étaient restés jusqu’à minuit passé, en écoutant Erin.
 
L’aventurier était parti en premier, laissant de généreux pourboires à Erin, largement supérieurs à la moyenne. Il avait ignoré toutes ses protestations, et avait insisté.
 
Halrac était parti après avoir rempli sa gourde d’eau pleine à craquer de la boisson de fleur de fées d’Erin, mais il était rentré à Liscor sans la toucher. L’aventurier Or avait préféré regarder le ciel en traçant son chemin dans la neige.
 
Pion leva aussi les yeux au ciel lorsqu’il rentra en ville. Il n’y vit que les étoiles et les lunes jumelles au-dessus de sa tête. Rien qu’il n’ait pas déjà vu des centaines de fois.
 
Mais… combien de fois Pion avait-il réellement regardé le ciel ? Lorsqu’il y réfléchissait, il était plus que probable qu’il l’ait contemplé bien moins qu’une centaine de fois. Et il n’avait jamais prêté attention aux étoiles brillantes. Elles n’avaient été que des objets, des composantes inutiles de ce monde.
 
Mais à présent, Pion regardait le ciel et se demandait ce qui se cachait derrière les étoiles. Il levait la tête et se demandait si là-haut, quelque part, il y avait un endroit où il pourrait aller. Un endroit pour les égarés comme lui. Un endroit où être sauvé.
 
Et en regardant les cieux, Pion sentit quelque chose dans sa poitrine. C’était un désir, un désir ardent qui le frappa tellement fort que l’Antinium frissonna. Il n’avait jamais ressenti une telle envie de toute sa vie, mais cela le submergea, le désir féroce d’obtenir quelque chose qu’il ne possédait pas.
 
Le péché. L’enfer. L’esclavage. La trahison.
 
Les histoires d’Erin se plantèrent dans l’esprit de l’Antinium, murmurant à son tympan, chuchotant dans son cœur.
 
La rédemption, le salut, la renaissance. La résurrection. Le pardon de ses péchés.
 
Son fils unique.
 
Et…
 
“Le paradis.”
 
Ce n’était qu’un bref instant. Ce n’était qu’un espoir, le maigre désir de quelqu’un qui n’avait jamais su qu’il le voulait. Mais pendant un instant, Pion souhaita que tout fut vrai. Et à ce moment-là, il crut.
 
Et lorsqu’il leva les yeux, l’Antinium entendit le chuchotis. Il surgit de son cœur, puis Pion entendit la voix dans sa tête.


[Classe : Acolyte Obtenue !]
 
[Acolyte Niveau 1 !]
 
[Compétence : Prière Obtenue !]


Cela foudroya l’Antinium, et il tomba à genoux, dans la neige et dans la nuit. Il leva les yeux, et il sut.
 
Le ciel noir était suspendu au-dessus de sa tête, silencieux, distant, mais plus simplement le ciel. À présent, quelque chose se trouvait derrière§. Quelque chose fait de rêves et d’espoirs et de croyance, mais quelque chose tout de même. Pion crut, et il espéra, et cela suffit. C’était suffisant, de rêver au salut.
 
Et il y avait des Dieux. Ou au moins, un.
 


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 17 décembre 2020 à 02:25:15

 
2.32 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

 
Ceria se réveilla dans son propre lit. Elle se réveilla également seule, ce qui était vaguement décevant.
 
Mais pas vraiment. Elle était toujours partagée au sujet d’Olesm, et la nuit derrière avait été particulièrement…
 
Décevante. Surtout pour elle.
 
“Est-ce que je suis encore une gamine aux oreilles pointues qui se bat pour un garçon ?”
 
Ceria conjura un peu de neige et la fit fondre dans un bol. Elle s’arrosa le visage d’un peu d’eau et soupira.
 
“Zevara.”
 
Ceria avait plus de soixante ans. Pas jeune pour une demie-Elfe et certainement pas vieille pour une Elfe, à sa connaissance ; elle n’était qu’une adolescente d’après les standards de son espèce, et elle avait entendu dire que les Elfes pouvaient vivre des milliers d’années ce qui faisait d’elle... quoi ? Un têtard ?
 
Elle aurait de la chance si elle vivait plus de trois cents ans. Les demis-Elfes prenaient environ un an tous les trois ans d’un Humain. Ils mouraient également pour des raisons stupides, comme les Humains, et le demi-Elfe lambda mourait donc avant d’avoir atteint cent ans. Et oui, cela voulait dire que d’après les standards humains, elle avait à peine vingt ans, mais cela restait également une comparaison stupide.
 
Ceria avait plus de soixante ans. Parfois, elle avait l’impression d’être comme les vieilles Humaines, Drakéides et Gnolles qui secouaient la tête en regardant les jeunes courir de partout. Elle avait vécu et aimé et vu d’innombrables choses au fil des années, bien plus de choses que la plupart des gens qu’elle connaissait.
 
Elle était vieille. Et jeune. À d’autres moments, Ceria se sentait encore prête à marcher huit d’heures d’affilée, à camper dans une tente froide et humide, puis se lever pour aller affronter un Mitours au matin. Quel sentiment étrange que de se sentir coincée entre deux états.
 
Mais c’était cela, d’être une demie-Elfe. On avait les avantages des deux races, mais également leurs défauts. Et cela signifiait que Ceria avait souvent une jalousie humaine couplée à un détachement d’Elfe.
 
Elle pensait que c’était son héritage immortel (ou presque immortel) qui la faisait toujours finir par repousser ceux qu’elle aimait, mais ce n’était qu’une conséquence de l’âge. Les gens, les gens normaux, n’avaient aucune idée d’à quel point cela pouvait être compliqué.
 
Certains enfants grandissaient en quelques jours, comme les Gobelins ou les enfants forcés à combattre ou à s’occuper d’eux-mêmes ou de leurs familles. Les demis-Elfes grandissaient vite aussi, malgré leur longue espérance de vie, ils ne restaient pas des nourrissons braillards plus longtemps que les Humains, et ils atteignaient une taille convenable assez rapidement, aussi.
 
Mais cela étant dit, il restait quelques différences. Ceria avait atteint son corps d’adulte aux alentours de ses vingt ans, mais elle avait quand même bien été chamboulée par la puberté. Elle avait passé dix ans à gérer les pires dérèglements hormonaux, explosions magiques incontrôlables et autres.
 
C’était son côté Humain. Les Elfes ne connaissaient pas la puberté, mais les Humains, si, et cela chamboulait toute sa physiologie. Par conséquent, Ceria avait beaucoup d’expérience en termes de relations ratées. Elle ne voulait juste pas que ce soit le cas avec Olesm.
 
Mais peut-être qu’il le faudrait. Ceria soupira en se peignant les cheveux avec ses doigts. Elle n’avait pas assez d’argent pour s’acheter un peigne et elle avait perdu le sien dans les cryptes.
 
“Capitaine de la Garde ou aventurière Argent, hm ?”
 
Olesm, et c’était tout à son honneur, n’avait pas vraiment paru intéressé par aucune des deux, la veille. Il avait essayé de s’éclipser pendant que Ceria et Zevara échangeaient des piques, puis s’était contenté finalement de partir en courant. Il s’était enfermé dans sa maison, ce qui voulait dire qu’il n’y avait pas eu de fin heureuse pour qui que ce soit d’autre que lui.
 
Un autre soupir. Ceria regarda son reflet dans l’eau et sentit son estomac gargouiller. Elle regarda par la fenêtre, mais il faisait encore sombre dehors. Le soleil apparaîtrait derrière les montages bientôt.
 
Il lui avait sauvé la vie. Et il était gentil, attentionné, et pas Humains, ce qui étaient trois considérations importantes. Mais il aimait aussi Erin, et il avait déjà au moins une harceleuse opiniâtre, et il mourrait bien avant elle. Si Ceria ne mourait pas dans les mains d’un monstre.
 
Elle l’aimait. Mais…
 
La demie-Elfe secoua la tête. Mais elle avait sa propre vie. Elle avait quelque chose qu’elle devait faire, et elle n’avait cessé de repousser l’échéance en restant à l’auberge d’Erin et en se battant pour le cœur d’Olesm. Elle leva sa main squelettique et la contempla.
 
Elle sentait toujours quelque chose. Ceria pouvait plier ses os et sentir la magie circuler dans sa main, mais sa peau et son bras…
 
“Sacré prix à payer, hein, Gerial ?”
 
Pendant un bref instant, le visage de Ceria se froissa. Il n’était qu’un autre Humain décéd… Non. Il avait été son compagnon, son ami. Et il était mort, à présent. Tout comme Calruz et le reste d’entre eux. Elle avait tout perdu, encore une fois.
 
Pouvait-elle s’arrêter là ? C’était une pensée séduisante. Ceria regarda sa chambre. C’était un endroit charmant. L’auberge d’Erin n’était peut-être pas luxueuse, mais elle s’en occupait avec soin et bonté. Elle avait offert le gîte à Ceria pour aussi longtemps qu’elle le voudrait, et c’était une proposition séduisante.
 
Elle pourrait devenir serveuse. Peut-être. Elle pourrait au minimum apprendre à cuisiner ou à aider Erin d’une manière ou d’une autre. Elle pourrait abandonner son mode de vie trépidant, pour se bâtir une vie en ville avec Olesm. Elle pourrait faire ça.
 
Mais cela ne lui suffirait jamais. Ceria soupira et secoua la tête. La flamme brûlait toujours en elle, finalement. Qu’importe son déni, elle avait plus d’Humain en elle que la plupart de ses frères et sœurs demis-Elfes. Elle regarda fixement sa main morte et sentit le sang circuler à travers le reste de son corps.
 
“Une dernière fois.”
 
Ses mains - ses deux mains - se serrèrent. Ceria ouvrit sa fenêtre et jeta le bol d’eau dehors. Elle respira à plein poumons l’air froid du matin, le laissant la glacer et la revigorer tout à la fois. Elle s’adressa au ciel en train de s’éclaircir.
 
“Une Corne d’Hammerad est toujours en vie. La mort avant le déshonneur.”
 
Elle se détourna, et descendit. Vers son petit-déjeuner, et sa gloire ensuite. Ainsi vivaient les Cornes d’Hammerad.
 
***


Yvlon se réveilla. Elle contempla, l’air morose, son reflet dans le miroir de poche que sa mère lui avait offert, longtemps auparavant.
 
C’était l’une de ses rares possessions à avoir survécu aux cryptes. Ou plutôt, on le lui avait ramené lorsque les gardes l’avaient découvert et que la magie d’identité l’avait pointé vers elle.
 
Ils l’auraient probablement gardé ; c’était un objet coûteux, bourré de sorts de protection et recouvert d’argent pur enchanté avec d’autres sorts capables d’identifier des malédictions et des mauvais sorts et ainsi de suite - mais la famille Byres avait verrouillé le miroir. Il ne reflétait rien s’il n’était pas entre les mains d’un Byres. Si on voulait se l’approprier, il fallait annuler tous les sorts qu’il contenait et le prix n’en valait pas la chandelle.
 
Et à présent qu’il était de retour dans les mains d’Yvlon, il pouvait refléter tous ses défauts. Elle plongea son regard dans la surface lisse et y vit ses imperfections.
 
Son reflet dans la surface de verre lui renvoya des traits fiers, finement dessinés, une peau sans défauts, des cheveux blonds…
 
Et la trace infime d’une affreuse cicatrice sur le côté gauche de son visage. Elle grimaça et effleura la peau légèrement décolorée.
 
La potion de soin avait trop bien accompli son devoir. Lorsqu’Yvlon l’avait avalée pour récupérer ses forces et aider Selys, elle avait également restauré sa peau ravagée. Elle n’avait pas voulu cela.
 
Yvlon posa le miroir sur la commode de la Guilde des Aventuriers et commença à s’habiller pour affronter la journée. Elle s’activa doucement pour ne pas déranger ses voisins. À présent qu’elle était guérie, on lui avait proposé une des chambres mises à disposition des aventuriers dans une mauvaise passe.
 
C’était un petit espace confiné à peine assez large pour dormir et stocker quelques objets. Mais c’était tout ce dont Yvlon avait besoin et bien plus que ce qu’elle méritait, et elle n’en avait cure. Mais les murs étaient fins et elle savait que ses voisins dormaient, donc elle essaya d’éviter de faire des gros bruits de casserole en enfilant son armure.
 
C’était encore une fois ironique. Yvlon contempla l’armure de plates argentée en enfilant laborieusement chacune de ses composantes. Elle n’avait plus un sou à son nom. Pas un. Mais elle était encore riche, de toute évidence. Son armure, son épée et son bouclier et étaient de l’acier de la meilleure qualité qui soit, un alliage d’acier et d’argent, plus précisément, une spécialité Byres. Il n’y avait pas tant d’argent que cela à l’intérieur, mais suffisamment pour repousser quelques monstres et aider les sorts bénéfiques.
 
Une armure de plates. Une épée longue forgée par un [Forgeron] de Niveau 32, et un bouclier de qualité similaire. C’était un équipement de [Chevalier], alors qu’Yvlon n’était qu’une [Guerrière]. Elle ne méritait pas la classe de [Chevalier], de toute façon ; elle n’était que la fille d’une petite maison aristocrate aux racines marchandes. Et elle n’était qu’un échec.
 
Elle avait laissé des gens mourir. Elle les avait laissés mourir à cause de son incompétence. Et elle n’avait survécu que parce qu’elle avait été en train de protéger l’arrière-garde. D’innombrables aventuriers Argent, des hommes et des femmes bons qu’elle avait connus personnellement…. étaient morts dans les cryptes.
 
Et elle ne pouvait même pas mettre une seule pièce de cuivre sur leurs tombes. Tout était de sa faute.
 
Si elle avait été plus faible, Yvlon aurait songé à se laisser tomber sur son épée. Mais ce n’était pas ainsi que fonctionnaient les Byres. L’honneur leur importait, et ce serait déshonorer ceux qui étaient tombés au combat d’arrêter ici.
 
Elle avait besoin d’argent. Pas seulement pour survivre ; suffisamment pour verser une amende honorable aux familles de ses camarades décédés. C’était la raison pour laquelle elle devait continuer.
 
Yvlon attacha son épée à sa ceinture et ramassa son bouclier. Elle avança vers la porte,  sentant à peine le poids de l’armure qu’elle portait. Ce n’était pas ce qui lui pesait le plus lourd.
 
“Je suis faible.”, murmura-t-elle en poussant la porte.
 
Il n’y avait pas d’heure pour le petit déjeuner à la Guilde, elle n’avait pas d’argent pour cela de toute manière, et elle ne voulait pas encore creuser sa dette envers Selys ou la Maîtresse de Guilde - la grand-mère de Selys.
 
C’était l’heure. Elle était restée étendue dans son lit, à faire son deuil et à s’appesantir sur son échec, bien trop longtemps. Elle devait agir. Yvlon espérait simplement qu’elle pourrait s’élever là où elle avait échoué par le passé.
 
Elle sortit de la Guilde, traversa les rues, vers la porte Sud. Il lui restait une chance. Les Lances d’Argent étaient mortes, avec leur Capitaine. Mais peut-être pourrait-elle tout recommencer, humblement, dans un groupe qui l’accepterait malgré ses péchés.
 
Elle ne pouvait que se contenter d’espérer.
 
***

Pisces se réveilla, contempla le petit antre qu’il s’était faite dans ce qui avait autrefois été la caverne d’un ours et fronça les sourcils. Il n’avait pas beaucoup de soucis, mais l’argent en faisait partie.
 
Il détestait son antre étroite et odorante. Il avait eu beau renforcer l’entrée et y placer plusieurs sorts de protection, elle restait horriblement exposée. Et c’était la raison pour laquelle il avait besoin d’argent, et par conséquent la raison pour laquelle il avait décidé de devenir un aventurier.
 
Les sourcils froncés, Pisces se leva et épousseta vaguement sa robe couverte de terre en cherchant quelque chose à manger. Il se souvenait vaguement avoir pris quelques sandwichs qu’Erin avait faits la veille, mais il avait dû oublier où il les avait mis parce qu’il ne le trouvait plus. Encore quelque chose d’agaçant.
 
Si seulement cette Drakéide insupportable - Selys, c’était bien cela ? - voulait bien reconnaître ses talents ! Il avait des choses bien plus importantes à faire que nettoyer les égouts ou éliminer des menaces insignifiantes.
 
Pisces sortit et trébucha, en fusillant le ciel du regard. Il était beaucoup trop tôt pour tout cela, mais il avait promis à Springwalker d’être à l’heure, et elle s’irritait quand il arrivait en retard.
 
Pisces marcha à pas lourds à travers la neige en s’essuyant le nez et en reniflant, sans cesser de grommeler dans sa barbe. Une part de lui détestait encore tout, et en voulait à tout le monde. Mais il restait par ailleurs le même jeune homme qui avait rêvé de faire de grandes choses. Peut-être que c’était la raison pour laquelle il avait accepté sa proposition.
 
Ou peut-être que c’était parce qu’il s’était égaré en chemin. Juste un peu. Pisces avait travaillé dur pendant des années, tout sacrifié… et créé ce dont il avait toujours rêvé.? Toren, le squelette qu’Erin avait pris sous son aile et qu’elle avait nommé, représentait en soi une apogée dans les découvertes magiques. Mais il avait… tort.
 
Pisces ne pouvait pas se l’expliquer. Il savait simplement qu’il ne ressentait plus la même passion brûlante qui l’envahissait autrefois lorsqu’il regardait son squelette. Toren était puissant, versatile, et, de toute évidence, il avait même réussi à assimiler une partie de la magie de la gemme qu’il cachait sous son crâne. Cela dépassait tous les espoirs du mage, mais…
 
C’était juste qu’il se sentait seul, parfois. Il avait oublié, mais pendant ces quelques jours… depuis qu’elle était arrivée, pour tout dire… il était resté attablé à l’auberge d’Erin. Cette dernière ne le portait bien évidemment pas dans son cœur, et les plats qu’elle servait étaient la plupart du temps médiocre - si l’on exceptait les hamburgers. Mais il y avait quelque chose, chez elle, quelque chose qui le faisait revenir encore et encore.
 
Il ne savait pas pourquoi. Mais parfois, il se demandait ce qu’il se serait passé s’il avait étudié d’autres domaines de la magie en-dehors de la Nécromancie. Peut-être que l’agaçante Drakéide de la guilde ne l’aurait pas balayé d’un revers de la queue. Peut-être alors…
 
Pisces éternua, s’essuya le nez sur sa robe, et poursuivit sa route à travers la neige. Assez, assez. Il ferait son boulot. C’était tout. Il était [Nécromancien] jusqu’à la moelle. Mais il ne pouvait s’empêcher de se remémorer le passé en marchant dans la neige. D’autres sorts, qui n’étaient pas liés à la mort, affluèrent dans son esprit. [Rapière de Feu], et bien sûr, [Fouléclair] en cas de pépin. Il avait été différent, jadis. S’il avait choisi une autre voie…
 
Le mage trébucha et s’étala dans la neige, mais son esprit brûlait sous l’assaut de ses souvenirs. Il n’était ni un aventurier, ni un héros légendaire. Il était méprisé, et ses magies n’étaient pas reconnues. Il n’avait pas d’amis, pas même Springwalker, pas vraiment. Plus vraiment. Mais il n’en avait pas toujours été ainsi.
 
***

Erin retourna un pancake et cria sur Toren et Lyon. Parfois, elle n’arrivait plus à savoir lequel des deux l’énervait le plus, mais au moins, Toren était efficace. Quand il était dans le coin. Le squelette disparaissait beaucoup trop souvent à son goût, et il n’arrêtait pas de porter cette armure ridicule. Cela lui donnait un certain style, d’accord, mais quel intérêt quand on servait à manger ?
 
Elle se brûla sur sa poêle et glapit. C’était peut-être ça, la raison. Elle aurait vraiment, vraiment voulu avoir du sirop d’érable pour accompagner tout ça. Au moins, elle avait du beurre.
 
Mmh. Du beurre.
 
***

Trois aventuriers entrèrent dans un bar. Pour être plus spécifique, un [Nécromancien], une [Mage] spécialiste de la magie de glace, et une [Guerrière] entrèrent dans une auberge. Plus exactement, la [Mage] était là depuis le début.
 
Mais ils s’assirent près du bar, à l’une des tables et une [Serveuse] Niveau 1, boudeuse, leur apporta à manger. Les aventuriers se dévisagèrent.
 
“Pourquoi est-ce que tu es déjà couvert de neige, Pisces ?”
 
Le [Nécromancien] renifla. Il contempla d’un œil avide la pile de pancakes posés devant Ceria et se lécha les lèvres.
 
“Qu’importe, Springwalker. J’imagine que tu paies pour le petit déjeuner ? Et comme nous sommes réunis ici, j’imagine que nous sommes bel et bien partis pour profiter de ce genre de service… ?”
 
Ceria fronça les sourcils et Yvlon haussa un sourcil.
 
“Tu ne paies jamais rien, de toute façon. Mange. J’imagine que je peux abuser de la générosité d’Erin encore un peu. Cela vaut pour toi aussi, Yvlon.”
 
“Tu es trop aimable.”
 
Les aventuriers levèrent les yeux en voyant Lyon approcher d’un pas pesant. Ils n’étaient pas seuls dans l’auberge, mais ils avaient tout de même réussi à avoir la malchance d’être servis par elle. Deux pas plus loin, Halrac était attablé et contemplait Toren. Le squelette tenait un menu - quelques lignes gribouillées sur un morceau de parchemin - et le pointait du doigt.
 
Lyon était plus directe.
 
“Qu’est-ce que vous voulez ?”
 
Elle dévisagea - ou plutôt fusilla du regard - les trois aventuriers. Pisces renifla, Yvlon croisa poliment le regard de Lyonette et hocha la tête, et Ceria soutint son regard jusqu’à ce que la fille détourne les yeux.
 
“Je vais prendre une pizza, un hamburger, les pancakes, un verre de lait et n’importe quel alcool que vous avez en tonneau.”
 
“Erin dit que tu te contenteras de ce qu’elle te fera. La demie-Elfe est servie. Et toi, tu veux quoi ?”
 
“Des pancakes pour moi aussi, je suppose. Merci.”
 
Yvlon regarda Lyonette retourner en traînant des pieds à la cuisine tandis que Pisces s’affaissait sur sa chaise en boudant. Ceria soupira en commençant à couper ses pancakes. Son estomac était déjà en train de gargouiller joyeusement.
 
“C’est vraiment de la charité. Je ne sais pas comment Erin arrive à la supporter.”
 
“Elle me fait penser aux enfants de l’aristocratie.”
 
Ceria jeta un regard en coin à Yvlon.
 
“Comme toi ?”
 
Yvlon haussa les épaules.
 
“Si tu veux, oui. Ma famille n’est pas riche donc je n’ai jamais grandi comme ça, mais certaines des maisons les plus riches… je me demande d’où elle vient.”
 
“Je n’en ai cure, du moment qu’elle nous ramène à manger avant que je ne meure de faim.”, marmonna Pisces en voyant Toren s’approcher d’une autre table pour pointer le menu du doigt afin que les Drakéides et l’Humain, surpris, puissent passer leur commande. C’était rare de voir d’autres gens à l’auberge d’Erin, mais elle avait de plus en plus de client dernièrement. Pas beaucoup, certes, mais il pensait qu’elle gagnait un peu d’argent.
 
Yvlon venait de remarquer Halrac. Elle regarda fixement l’[Éclaireur], qui se tourna vers elle puis revint à son verre, le visage dénué d’expression.
 
“Est-ce que c’est… ?”
 
“Arrête de le dévisager. Je crois qu’il a une Compétence qui lui permet de savoir quand il est observé. Oui, c’est Halrac de la Chasse aux Griffons. Apparemment, il aime cette auberge et Erin sert une espèce de boisson qu’il aime bien.”
 
“Je vais de surprise en surprise !”
 
Yvlon secoua la tête, émerveillée, en voyant l’aubergiste de l’Auberge Vagabonde sortir de la cuisine, tenant une pizza en équilibre sur un plateau.
 
“De la pizza ? Pour qui est la pepperoni ? Et celle aux lanières de poisson… ?”
 
Pisces leva la main, mais Erin l’ignora et s’approcha de l’autre table de clients. Il fronça les sourcils, mais Lyon était en train de s’approcher, tenant maladroitement une assiette pleine de pancakes.
 
“C’est lourd. Tenez. Prenez-la.”
 
Elle faillit renverser l’assiette sur la table, mais Pisces et Ceria pointèrent tous les deux l’assiette du doigt et elle se stabilisa avant de pouvoir renverser sa précieuse cargaison. Lyon renifla.
 
“Voilà.”
 
Elle s’éloigna. Pisces et Yvlon attaquèrent leur repas, puis la table resta silencieuse quelques minutes. Ceria observa ses deux camarades, puis, lorsqu’elle eut terminé son deuxième pancake, s’éclaircit la gorge et prit la parole.
 
“Je ne suis pas sûre que ça va marcher. C’est tout ce que je dis.”
 
Pisces pouffa au-dessus de son assiette. Yvlon l’examina en fronçant les sourcils.
 
“Pourquoi est-ce que ça ne fonctionnerait pas ? On a deux mages et une guerrière compétente. On devrait réussir à gérer n’importe quelle quantité de monstres.”
 
“Tu dis ça, mais tu n’as jamais été aventurier, Pisces. Yvlon et moi, si, et on sait toutes les deux qu’une bonne équipe a besoin de plus que trois personnes.”
 
“La force du plus grand nombre ? Bah.”
 
“Les aventuriers classés Argent sont souvent sollicités pour nettoyer des invasions entières ou des cavernes à eux seuls. Tu veux affronter toute une meute de Loups Carnassiers à trois ?”
 
Pisces cessa de mâcher et regarda Ceria, d’un air vaguement inquiet.
 
“C’est une menace de rang Argent ?”
 
“Ça te surprend ?”
 
Ceria lui sourit, même si elle se disait intérieurement qu’il serait étonnant pour une équipe d’aventuriers Argent d’essayer de s’y prendre seule. Les Cornes de Hammerad auraient fait du stock d’équipement, et se seraient peut-être même alliés à une autre équipe ou à quelques aventuriers indépendants avant de se lancer là-dedans.
 
Le mage Humain déglutit et parut pensif.
 
“Ah, oui, tu as peut-être raison. Mais augmenter le nombre ne garantit à aucun moment la victoire. Les plus petites compagnies sont celles qui se débrouillent le mieux, elles ont moins de butin à partager, et elles peuvent faire les mêmes tâches qu’un groupe plus important tant qu’elles ont le niveau requis.”
 
“C’est une affirmation téméraire.”
 
Yvlon regarda Pisces d’un air sceptique, mais il se contenta de renifler.
 
“Pas du tout. J’ai suivi un cours à Wistram qui étudiait les tendances des aventuriers, entre autres. Les plus petits groupes de guerriers de haut niveau sont meilleurs que les grands groupes. Pourquoi crois-tu que la plupart des équipes classées Or sont comprises de six aventuriers, voire moins ?”
 
Yvlon ouvrit la bouche, mais se tut. Ceria soupira.
 
“Même si tu as raison, je maintiens que quatre est le nombre optimal. On a besoin d’un autre membre. Quelqu’un qui ne s’appuie de préférence pas sur la magie.”
 
Pisces haussa les épaules.
 
“Tu as peut-être raison. Mais qui… ”
 
Il s’interrompit lorsqu’Erin s’approcha, portant cette fois-ci plusieurs chopes. Elle sourit à la cantonade, ou plutôt à Ceria et Yvlon.
 
“Hey, ravie de vous voir tous ! Voici de l’eau, Pisces. Est-ce que vous voulez quelque chose de plus costaud, Ceria, Yvlon ?”
 
“Ça ira, Erin.”
 
“Moi aussi. Merci, Miss Solstice.”
 
“Oh, appelle-moi Erin. Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit, d’accord ?”
 
Erin sourit à Yvlon. Puis elle se tourna vers les escaliers et son ton se durcit.
 
“Lyon, je t’ai dit que tu peux avoir une pause. Une. Et pas d’une heure !”
 
Elle s’éloigna d’un air affairé. Pisces regarda son eau chaude d’un air sombre mais la but tout de même.
 
“Comme je le disais, très bien, un quatrième membre - à la condition qu’il soit physiquement apte et sain d’esprit - pourrait être utile. Mais à moins que je ne me trompe, nous avons encore plus besoin d’armes et d’équipement ?”
 
Les deux femmes hochèrent toutes deux la tête avec réticence. Yvlon tapota la table d’un doigt.
 
“C’est un vrai problème. On a peut-être les niveaux, mais je ne suis jamais partie en mission sans potions de soin, et je n’ai même pas assez pour acheter un onguent. Et Ceria, je sais que tu as cassé ta baguette…”
 
“Ce n’est plus un problème. Je peux quand même jeter des sorts, apparemment.”
 
Ceria leva sa main squelettique avec un sourire piteux. Pisces l’examina avec intérêt.
 
“Est-ce que tu as observé une diminution dans tes capacités magiques ? Ta baguette précédente était plutôt bon marché, mais elle était accordée aux sorts de type glace.”
 
Ceria le fusilla du regard.
 
“Pas tant que ça. Je peux jeter des sorts aussi efficaces - voire plus. Je n’ai pas de stock de mana dans lequel puiser comme avec une baguette, bien sûr, mais je peux quand même lancer des sorts à la même vitesse.”
 
“C’est fascinant. Mais bien sûr, cela aide sans doute également avec le contrecoup des sorts de contact direct, n’est-ce pas ? J’imagine que tu n’as pas besoin d’incorporer un effet bouclier lorsque tu jettes [Poigne de Glace], par exemple…”
 
“Ça aide pour le mana, mais je peux quand même me geler la peau. Je ne recommanderais pas de se geler la peau pour ça, mais tu ne peux pas savoir à quel point c’est pratique d’avoir cinq doigts. Je peux lancer cinq [Stalactites] simultanément à travers chaque doigt et le coût en mana est…”
 
Yvlon s’éclaircit poliment la gorge en voyant les deux mages s’engager sur une discussion magique. Ils se tournèrent vers elle, et elle hocha poliment la tête.
 
“Je suis certaine que c’est important, mais est-ce que nous pouvons revenir au sujet ?”
 
Ceria parut honteuse et même Pisces hocha la tête à contrecœur.
 
“Désolée, Yvlon. Tu as raison. Eh bien, comme je le disais, je peux encore jeter des sorts.”
 
“Et toi ? Euh, Pisces, c’est bien cela ?”
 
La coutume voulait qu’Yvlon s’adresse à Pisces par son nom de famille, mais il ne parut pas remarquer l’invitation à se présenter convenablement. Il hocha la tête.
 
“Ne t’inquiète pas. L’absence de baguette n’entrave aucunement ma magie.”
 
Yvlon jeta un regard en coin à Ceria. La demie-Elfe expliqua.
 
“Il a une compétence. Mais je m’inquiète tout de même pour l’équipement, moi aussi. J’ai ma robe et ses enchantements sont bons, mais Pisces n’a rien du tout.”
 
“J’aurais bien besoin d’une robe comme la tienne. Quelque chose avec des enchantements de protections, par exemple.”
 
“Et qui résiste aux taches.”
 
Ceria jeta un regard appuyé à la robe sale de Pisces, et le mage renifla.
 
“Très bien. Des potions de soin, des potions de mana bien sûr, et des artefacts. Et comment, dites-moi, comptons-nous payer pour tout cela ? J’ai quelques pièces d’argent.”
 
“J’ai un peu d’argent que m’a donné Erin lorsque je l’ai aidée pour l’auberge.”
 
Ceria soupira en tirant une bourse très plate de sa ceinture. Elle la retourna et une pièce d’or et quelques pièces de cuivre en tombèrent.
 
“Il y a là de quoi payer pour une potion et des provisions pour quelques jours, peut-être. Ce n’est clairement pas suffisant. Pisces ?”
 
Il la regarda fixement. Ceria soutint son regard.
 
“Ta bourse. Allez.”
 
“Je ne vois pas pourquoi je devrais contribuer sur mes économies…”
 
“C’est toi qui voulais nous rejoindre. On te remboursera.”
 
“Naturellement.”
 
Mais même avec l’argent de Pisces, leur somme commune n’atteignait même pas deux pièces d’or. Les trois aventuriers contemplèrent l’argent posé sur la table.
 
“Eh bien, si on accepte quelques missions dénuées de danger…”
 
“Je n’apprécie pas de prendre des risques, Springwalker.”
 
“Un prêt ?”
 
“Est-ce que tu te sens de rembourser l’un de ces marchands ?”
 
“On a besoin de combien, si on est réalistes ?”
 
“Je dirais… quinze pièces d’or pour être pleinement équipés ? En comptant un quatrième aventurier aussi. On aurait des potions, un ou deux artefact magique… le strict minimum serait sans doute autour de six pièces d’or.”
 
“Merveilleux. Et je me dois de préciser que nous n’avons pas de montures.”
 
“C’est un facteur limitant, oui. Les boulots sont rares dans le coin avec de tous ces nouveaux aventuriers.”
 
“Et si Springwalker vendait sa robe ? Cela nous permettrait largement de couvrir nos débuts ?”
 
“Et si je te frappais ?”
 
“Je vois que j’ai touché une corde sensible. Eh bien, je vous laisse trouver une solution. Il faut que je passe aux latrines.”
 
Pisces se leva et repoussa sa chaise lorsqu’Erin émergea de nouveau de sa cuisine, tendant une chope de bière saturée de mousse à un Drakéide médusé. Le mage s’aventura vers la porte, se retourna, marqua une pause, et se tourna vers Yvlon et Ceria.
 
“Ah, je devrais peut-être mentionner ceci. J’ai été notifié qu’animer des morts-vivants comprenant des os de Drakéides ou de Gnolls ne sera pas admis tant que je résiderai à Liscor ou dans ses environs. Donc à moins que vous ne prévoyiez d’abattre un monstre et de me laisser ranimer son cadavre, j’ai bien peur que la plupart de mes sorts me soient indisponibles.”
 
Ceria ne parut pas étonnée, mais Yvlon fronça les sourcils. Pisces ouvrit la porte et sortit de l’auberge, laissant les deux aventurières discuter.
 
“Désolée pour Pisces, Yvlon, je t’avais prévenue qu’il était agaçant, mais les mots ne suffisent pas vraiment à décrire à quel point, n’est-ce pas ?”
 
La blonde haussa les épaules.
 
“J’ai déjà travaillé avec des aventuriers difficiles par le passé. Mais je suis inquiète. Tu as dit que sa classe principale était [Nécromancien]. S’il ne peut pas utiliser la plupart de ses sorts, est-ce qu’il peut vraiment se battre à nos côtés ?”
 
“À moins qu’il n’ait perdu la main, je pense qu’il s’en sortira très bien, même sans artefacts.”, répondit sèchement Ceria en prenant une gorgée d’eau. Elle grimaça. L’eau chaude et bouillie n’était pas exactement l’idée qu’elle se faisait d’une bonne boisson. Yvlon se tourna vers la porte pour s’assurer que Pisces n’était pas revenu et baissa la voix.
 
“Qu’est-ce qu’il vaut ?”
 
“Pisces ? C’est un excellent mage, même si cela me peine de l’admettre.”
 
“Vraiment ?”
 
Les deux aventurières sursautèrent. Erin était derrière elles, une nouvelle assiette de pancakes entre les mains.
 
“Oups, désolée, désolée ! J’ai juste entendu… qu’est-ce que vous disiez au sujet de Pisces qui serait doué à quelque chose ?”
 
Ceria sourit en regardant Erin poser l’assiette et attrapa le pancake au sommet de la pile. Elle haussa les épaules.
 
“Écoutez, je sais que vous restez sceptiques, mais Pisces est un mage puissant. Il a plus de niveaux que moi.”
 
“Oui, mais c’est… Pisces, m’vois-tu ?”
 
Erin resta à côté de la table, l’air sceptique. La même expression était affichée sur le visage d’Yvlon, même si elle restait suffisamment polie pour ne rien dire. Ceria soupira en commençant à déchirer des bouts de pancake pour les enfourner dans sa bouche.
 
“Dites-vous plutôt ceci. Il a beau être un marginal arrogant, qui a volé de l’argent en terrifiant des gens, il a réussi à survivre seul tout ce temps, pas vrai ? Combien de gens connaissez-vous qui soient capables de survivre seuls dans les terres sauvages de Liscor ?”
 
Erin leva la main, et Ceria sourit. Yvlon ne put s’empêcher d’éclater de rire.
 
“Oui, mais je veux dire seul. Je ne sais pas quand est-ce qu’il est arrivé sur Izril, mais il a dû principalement se débrouiller seul pour venir jusqu’ici. Il a réussi à esquiver les bandits et les monstres et je sais qu’il a tué au moins une centaine de morts-vivants à la bataille pour Liscor. Olesm dit qu’il a même noyé un Seigneur des Cryptes tout seul.”
 
“C’est impressionnant, mais pas exactement difficile pour un [Nécromancien].”
 
Ceria acquiesça. Puis elle grimaça de nouveau.
 
“Écoutez… il n’a pas grand-chose pour lui en ce moment, mais ça a été le cas par le passé, d’accord ?”
 
Elle regarda en direction de la porte, mais Pisces n’était toujours pas rentré. Ceria soupira, et se tourna de nouveau vers Erin et Yvlon.
 
“Okay, sans blague, sans sarcasme. Pisces est un mage puissant, surtout si on considère son niveau. Il se concentre sur la [Nécromancie], mais il connaît beaucoup d’autres sorts ; bien plus que moi. Et il sait bien s’en servir. C’était un excellent duelliste quand on était à Wistram. C’est un spécialiste des batailles en un contre un. Il connaît un sort d’Échelon 4 - [Invisibilité], et il peut conjurer une petite armée de larbins. C’est un meilleur aventurier rang Argent que nous.”
 
La mâchoire d’Erin se décrocha. Yvlon haussa les sourcils, mais elle ne contredit pas l’affirmation de Ceria.
 
“Eh bien, en ce cas, pourquoi n’est-il pas devenu aventurier avant ? et pourquoi est-ce que tu ne voulais pas de lui lors de notre expédition ? Je me souviens que…”
 
“Je sais. Mais il ne serait pas venu, et il n’est pas un bon aventurier à avoir avec soi en voyage. L’unique raison pour laquelle il veut bien nous rejoindre aujourd’hui est qu’il a désespérément besoin d’argent.”
 
Ceria fronça les sourcils en fixant sa boisson. Puis elle leva les yeux.
 
“Le problème de Pisces est qu’il n’obéit pas aux gens qu’il n’aime pas, et il ne suit pas les ordres qu’il considère comme stupides.”
 
“Est-ce qu’il t’obéira ?”
 
La demie-Elfe grimaça.
 
“Vaudrait mieux pour lui. Mais Pisces prends ses propres décisions. C’est pour ça qu’il n’aurait pas pu travailler avec Gerial et Calruz. Mais on sera peut-être capable de le faire coopérer. Peut-être.”
 
“Oh…”
 
Erin leva les yeux. Pisces rentra dans l’auberge, se lava rapidement les mains avec un morceau de neige qu’il jeta nonchalamment dehors par-dessus son épaule et ferma la porte.
 
“Le travail m’appelle ! Où est Toren… ?”
 
L’aubergiste s’éloigna et Pisces prit sa place. Il regarda les deux aventurières.
 
“Vous parliez de moi ?”
 
“On se demandait juste si tu pouvais faire ton boulot sans un zombie pour le faire à ta place. Écoute, oui, peut-être qu’on arrivera à trouver assez d’argent. Erin pourrait peut-être nous dépanner un peu.”
 
Yvlon hésita.
 
“Je n’aimerais vraiment pas l’importuner…”
 
“Tu vois une autre solution ? On peut lui offrir de lui rembourser le double, mais il nous faut des potions. Et des artefacts. Hey, Erin !”
 
Erin sortit la tête de la cuisine et revint vers eux.
 
“Quoi ? Il te faut quelque chose, Ceria ?”
 
“Peut-être. Tu n’aurais pas une arme mortelle en bouteille à nous prêter, à tout hasard ?”
 
La jeune femme dévisagea la demie-Elfe d’un air soupçonneux qui était reflété sur tous les visages autour de la table.
 
“... du genre ?”
 
“Je ne sais pas. Un poison létal ? Une espèce de parchemin magique ?”
 
“Pourquoi est-ce que j’aurais ce genre de choses ?”
 
Erin posa ses poings sur ses hanches, mais Ceria resta impassible.
 
“À un moment, tu vendais des fioles d’acide aux Gobelins. Et tu as bâti ta maison avec le bois d’un arbre qui explose quand quelque chose passe devant.”
 
“Oh. C’est vrai. Eh bien, je n’ai plus d’acide, mais je pourrais vous récupérer un peu de cette écorce kaboum.”
 
“Écorce kaboum ?”
 
“Les arbres Krakk.”
 
“Ah.”
 
“Si l’on oublie le fait que je préférerais m’abstenir de transporter un explosif aussi instable sur moi… j’ai vérifié. Apparemment, quelqu’un a coupé toute la forêt.”
 
“Bizarre. Huh. Mais je n’ai rien d’autre. Je suis désolée.”
 
“Hmm.”
 
Ceria secoua la tête. Erin hésita.
 
“Je sais que vous voulez repartir à l’aventure. Vous savez, si vous avez vraiment besoin d’argent, je pourrais vous prêter Toren…”
 
Ceria jeta un regard en coin au squelette. Elle réfléchit un instant puis secoua la tête.
 
“Non.”
 
“Je dois également refuser.”
 
Yvlon regarda Toren en train de circuler dans l’auberge, guidant Lyon en lui donnant des petits coups à répétition dans le dos. Pisces se contenta de hausser les épaules.
 
“Il est relativement compétent, mais je respecterai le choix de la majorité. À moins que tu n’objectes simplement à mes capacités de [Nécromancien], Springwalker ?”
 
Ceria secoua la tête et soupira.
 
“À moins que tu n’aies créé l’un de tes morts-vivants flippants qui gagnent des niveaux dont tu n’arrêtais pas de soutenir qu’ils étaient réalisables, oublie. Même un squelette autorégénérant ne servira pas à grand -chose face à, disons, un Crabroche.”
 
Pisces renifla.
 
“Inutile de le dénigrer. Toren est une construction parfaitement capable. Très bien, toutefois. Si ce n’est pas lui, alors qui ?”
 
Erin réfléchit.
 
“Ryoka ?”
 
Hah !
 
Ceria éclata de rire et même Yvlon se permit de sourire. Erin eut l’air confuse.
 
“Quoi ? Qu’est-ce qui ne vous va pas chez elle ?”
 
“Honnêtement, Erin, même Pisces est un meilleur partenaire que Ryoka.”
 
“Merci de le relever.”
 
Yvlon hocha la tête.
 
“Elle a beau avoir de bonnes aptitudes, elle n’a pas de niveaux, et ses compétences de combat ne sont pas adaptées pour tuer les monstres. Non.”
 
“Alors pourquoi ne pas m’embaucher moi ?”
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 17 décembre 2020 à 02:32:37

 
2.32 H - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

Cette fois-ci, ce fut au tour d’Erin de sursauter. Elle se retourna et cligna des yeux.
 
“Olesm ? Quand est-ce que tu es arrivé ?”
 
“Juste là. Je, euh, j’étais en train d’esquiver Zevara mais je savais que vous alliez en parler aujourd’hui. Ceria m’en avait parlé.”
 
Le Drakéide parut fier lorsqu’il prit place à la table. Erin retourna à la cuisiner chercher davantage de pancakes et Ceria se couvrit le visage d’une main sous le regard dénué d’expression de Pisces et Yvlon.
 
“J’en ai parlé ? Quand ça ?”
 
“La nuit dernière. Je… veux me joindre à vous.”
 
Pisces haussa un sourcil en prenant une gorgée. Yvlon resta silencieuse, mais Ceria était capable de sentir l’humeur générale. Elle soupira. C’était difficile.
 
“Olesm…”
 
Le Drakéide regarda autour de la table, et haussa légèrement la voix.
 
“Les [Tacticiens] sont très utiles ! N’ai-je donc pas prouvé ma valeur dans les cryptes ?”
 
“Si, en effet. Je ne dis pas que tu n’es pas utile. Tu peux sauver des vies. C’est juste que…”
 
“La classe de [Tacticien] ne sert pas à grand-chose dans les petits groupes. Tes compétences ont plus leur place pour aider de grandes formations, pas des individus. À moins que tu aies une compétence de combat adéquates, tu restes relativement inutile.”
 
Pisces donna l’explication sans détours, sans regarder Olesm. Le Drakéide regarda fixement l’Humain.
 
“Je veux devenir plus fort.”
 
“Alors je t’en prie, rejoins une armée ou fais des parties d’échecs. Mais je voterai contre ton inclusion à n’importe quelle équipe d’aventuriers.”
 
Yvlon soupira. Le regard qu’elle lança à Pisces n’était pas exactement chaleureux, mais elle hocha la tête.
 
“Moi de même. Je suis désolée, Olesm, mais Pisces a raison. Il est malpoli, mais il a raison.”
 
“Ceria ?”
 
Elle ne parvint pas à croiser son regard.
 
“Je… tu as déjà ton travail, Olesm. C’est mon métier, mais toi… je suis désolée.”
 
Olesm parut blessé et en colère. Ceria en eut le cœur serré. Sans un mot, il se leva.
 
“Hey, Olesm ! J’ai des pancakes ! Enfin, certains ressemblent plutôt à des crêpes, mais…”
 
Erin s’interrompit en voyant le Drakéide se détourner et sortir de l’auberge sans un mot. L’aubergiste regarda la table d’un air confus.
 
“Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
“Ce n’est rien. C’est juste… Olesm ne peut pas devenir aventurier. Il l’a très mal pris.”
 
“Oh.”
 
Erin marqua une pause, puis posa les pancakes sur la table. Pisces en attrapa un, et Ceria soupira. Le silence s’appesantit.
 
Et la porte s’ouvrit de nouveau.
 
Ceria leva les yeux d’un air plein d’espoir, s’attendant à voir Olesm revenir. Elle pouvait s’excuser…
 
Mais ce n’était pas Olesm. C’est un Antinium qui entra dans l’auberge, mais Ceria se souvenait à peine de lui. Ce n’était ni celui qui se faisait appeler Pion, ni celui qui s’appelait Klbkch. Erin le reconnut. Elle poussa une exclamation.
 
Ksmvr ? Que t’est-il arrivé ?”
 
L’Antinium était blessé. Il entra dans l’auberge d’un pas mal assuré, son sang vert coulant de ses blessures. Ceria se leva à moitié, prête à jeter un sort de [Stalactite] tandis qu’Yvlon se levait aussi et que Pisces enfournait rapidement son pancake. Halrac s’était retourné sur son siège, et l’assemblée de Drakéides et d’Humaine s’était figée.
 
Ksmvr ne parut tout d’abord pas entendre Erin. Il fit quelques pas chancelants, et s’arrêta lorsqu’elle se précipita sur lui. Toren était à ses côtés, mais le squelette avait la main serrée sur la garde de l’épée à sa ceinture.
 
“Tu es blessé !”
 
Ksmvr acquiesça. Il avait plusieurs blessures profondes qui avaient entamé son exosquelette, mais c’étaient ses bras qui avaient été le plus touchés. Il lui en manquait un. Son bras droit le plus bas n’était plus qu’un moignon déchiqueté d’exosquelette. Il avait été recouvert d’une espèce de bouillie grise, mais des traces de vert suintaient encore du pansement.
 
“J’ai été… relevé de mes fonctions.”
 
Il chancela, et s’effondra presque sur la chaise où Erin l’avait amené précipitamment, près des trois aventuriers. Ceria et les deux autres retournèrent à leur repas, mais tout le monde écoutait la conversation entre Erin et Ksmvr.
 
“Que t’est-il arrivé ? Est-ce que quelque chose t’a attaqué ?”
 
Ksmvr acquiesça à moitié puis se reprit et secoua la tête tandis qu’Erin claquait des doigts pour qu’on lui apporte de l’eau et des bandages. Une Lyonette recroquevillée apporta ce qu’on lui demandait sur une autre table et Erin se mit à faire un garrot maladroit.
 
“Je ne suis plus le Prognugator de ma Colonie. Ou plutôt… si, mais on ne me demande plus de remplir mes fonctions.”
 
L’Antinium avait répondu d’un ton sourd tandis qu’Erin soignait ses blessures. Elle le regardait avec une inquiétude sincère. Ceria avait du mal à faire de même ; malgré ses blessures et le reste des Antiniums qu’elle avait rencontrés, elle avait encore beaucoup de mal à oublier ce qu’ils avaient fait. d’après les expressions d’Halrac et Yvlon, ils avaient plus ou moins le même sentiment.
 
“Quoi ? Alors il n’y a plus de Prognugator ? Mais je croyais que c’était un rôle important.”
 
“Le Revelantor Klbkch accomplira mes tâches en intérim. Il est… beaucoup plus qualifié que moi.”
 
“Mais qu’est-ce que tu as fait ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
“J’ai échoué à tenir la ligne.”
 
Ksmvr n’ajouta rien de plus tandis qu’Erin finissait de bander ses blessures et de lui offrir à manger - de la viande et du poisson crus, que les Antiniums pouvaient digérer. Ceria observa ses blessures. On aurait dit qu’il revenait de la bataille, d’après ses blessures, mais il manquait un détail. Qu’est-ce que c’était ?
 
Ses armes. C’était ça.
 
Il lui manquait ses deux épées et ses dagues. Sans elles, Ksmvr avait l’air nu et diminué.
 
“Apparemment, les Antiniums ont leurs propres batailles. Intrigant.”
 
Pisces ne prit même pas la peine de baisser la voix. Ceria lui jeta un regard irrité, mais le mage étudiait Ksmvr avec intérêt. L’Antinium hochait la tête pendant qu’Erin était aux petits soins et lui demandait s’il avait besoin de quoi que ce soit.
 
“Je vais bien. Je vais… bien. Je n’ai pas de but. Je suis venu pour… pour…”
 
Ksmvr regarda Halrac.
 
“Ma Reine va commencer à négocier les termes d’une exhumation immédiate des ruines. L’entrée est connue des Antiniums. Il y a beaucoup… beaucoup de monstres qui la gardent.”
 
Halrac hésita. Il fronça les sourcils en regardant l’Antinium, mais jeta un regard à Erin et se contenta d’acquiescer.
 
“Nous pouvons en discuter.”
 
“Bien. C’est bien.”
 
Ksmvr était assis sur sa chaise, la tête baissée. Ceria essaya de continuer de parler avec Yvlon et Pisces, mais leur attention était complètement focalisée sur la conversation qui se déroulait à côté d’eux.
 
“Donc, euh, premières missions ? On commence par quoi ?”
 
Yvlon haussa les épaules.
 
“Si possible, j’aimerais bien trouver un bon boulot dans le coin, mais il y a peu de chances. Il faudrait qu’on aille soit au nord, soit au sud.”
 
“Au nord.”, déclara fermement Pisces.
 
“J’ai déjà fait affaire avec des Drakéides et des Gnolls ; ils ne font pas confiance aux humains. Étant donné que nous sommes presque tous humains, ou avec des ancêtres humains, nous trouverions de meilleures missions au nord d’ici. Peut-être à Esthelm.”
 
“Mais c’est loin, et cela nous prendra du temps pour décoller là-bas. On ne gagnera que quelques   pièces d’argent pour les quêtes les plus sûres, et sans même avoir la garantie d’être décemment payés pour combattre les gros monstres. Dans tous les cas, ça va être compliqué. Qu’en penses-tu, Ceria ?”
 
“Hmm ? Ouais…”
 
Ksmvr discutait avec Erin. Ceria avait une meilleure ouïe que les Humains, et elle parvenait à entendre ce qu’il disait à Erin à voix basse.
 
“Je suis venu te voir. Tu as donné un objectif à Pion et Klbkch te tient en haute estime. Je… ne sais pas quoi faire. Je suis un échec.”
 
“Ne dis pas ça ! Tu es très doué ! Comme pour… découper des trucs en morceaux. Je veux dire, tu sais ta battre, pas vrai ?”
 
“Le Revelantor Klbkch est bien meilleur que moi, malgré la réduction de son nombre de niveaux. Je ne vaux rien. Je ne peux pas…”
 
“Springwalker ? Tu nous écoutes, au moins ?”
 
Ceria se retourna.
 
“Quoi ?”
 
Pisces la regarda d’un air peiné.
 
“L’argent. Où disais-tu que nous pouvions en trouver ?”
 
“Je n’en ai aucune idée. La dernière mission que les Cornes de Hammerad avait entreprise - enfin, avant les ruines - consistait à creuser dans les Ruines d’Albez, vers Celum.”
 
“Albez ?”
 
Yvlon plissa le front.
 
“C’est une entreprise risquée. Il n’y a pas grand-chose à trouver là-bas et de nombreux monstres très puissants. Ça en valait la peine ?”
 
Ceria sourit.
 
“Oui, plus ou moins. On a trouvé quelques artefacts enchantés - des trucs ordinaires, comme des ustensiles de cuisine enchantés, et un vieux livre de recette et quelques assiettes très onéreuses. Cela a suffi à couvrir le coût de nos soins et nous a permis de récupérer pas mal d’or. Mais c’est risqué.”
 
“Tout de même, si on était sûrs qu’il y avait des trésors là-bas…”
 
“On n’en est pas sûrs. J’ai mené pas mal d’expéditions, et je suis revenue aussi souvent les mains vides que pleines.”
 
Yvlon secoua la tête d’un air de regret.
 
“Si on est prêts à se risquer dans des missions dangereuses pour gagner de l’argent, je préférerais avoir de meilleures probabilités de succès que ça.”
 
“Ouaip.”
 
Ceria regarda de nouveau Ksmvr et Erin. Elle lui parlait avec intensité, mais en jetant des regards en direction de leur tablée toutes les deux secondes. Qu’était-elle en train de… ?
 
Au moment où la demie-Elfe commençait à froncer les sourcils, Ksmvr se leva et suivit Erin à leur table. Ceria leva les yeux sur lui d’un air hésitant.
 
“Ksmvr ?”
 
“Salutations.”
 
Il inclina poliment la tête en direction d’Yvlon et Pisces. Le mage se contenta de grogner et Yvlon inclina la tête avec raideur. Le vertige de l’Antinium était passé ; il paraissait avoir retrouvé son équilibre, malgré l’hémorragie qu’il avait subie et la perte de son bras.
 
“Erin ?”
 
La jeune femme sourit nerveusement au trio.
 
“Hum, eh bien, Ceria, je viens de réfléchir à un truc. Vous cherchez un aventurier, et Ksmvr vient en quelque sorte de se faire virer de sa Colonie pour un petit moment, et je me disais…. tu sais, pourquoi pas ? C’est un combattant, et il est plutôt doué.”
 
Les trois aventuriers attablés échangèrent un long regard. Pisces toussota et haussa les épaules. Ceria tripota une fourchette, et Yvlon fronça les sourcils. La femme blonde décida de prendre la parole.
 
“Sans vouloir te vexer, Erin, ton ami Ksmvr est blessé. Et nous cherchons un quatrième membre talentueux, pas…”
 
“Je suis considéré comme l’égal d’un aventurier Argent au sein de ma Colonie.”
 
Ksmvr regarda Yvlon. Il indiqua son bras manquant.
 
“Ceci ne me ralentira nullement. Je suis capable de me servir d’une grande variété d’armes.”
 
“Comme un arc, par exemple ?”
 
Ceria fronçait toujours les sourcils, mais elle contempla Erin, puis Ksmvr, en réfléchissant furieusement. L’Antinium acquiesça.
 
“Le tir à l’arc fait partie des compétences que j’ai acquises. Je n’ai pas de Compétences, mais je suis apte à manier tous les arcs communs.”
 
“Mais tu t’es fait virer de ta Colonie parce que tu n’étais pas assez doué.”
 
Là encore, Pisces avait la délicatesse d’une masse d’arme. Ksmvr hésita, et Erin intervint.
 
“Oui, mais il dit que c’est parce qu’il n’est pas aussi doué que Klbkch. Et ce n’est pas vraiment juste, pas vrai ? Je veux dire, Klbkch est le coéquipier de Relc, et Relc…”
 
“Le Drakéide vaut au moins un aventurier de rang Or.”
 
Pisces fronça les sourcils et acquiesça.
 
“Je l’ai vu se battre en duel contre ces aventuriers la dernière fois. Il est parvenu à les repousser sans équipement magique. Si c’est la norme…”
 
Il jeta un regard appuyé à Ceria. Elle voyait bien où il voulait en venir, mais elle n’était pas entièrement convaincue. Yvlon fronçait toujours les sourcils. Elle soupira. Erin trouvait toujours une solution pile au moment où on avait besoin de quelque chose, mais ses idées étaient toujours des plus étranges. Elles restaient généralement bonnes, mais…
 
Un Antinium ? Vraiment ? Ceria avait voyagé avec Calruz, et cela s’était bien passé, mais le souvenir des Guerres Antiniumes faisait encore à ce jour courir un frisson glacé le long de son dos. Elle n’avait pas été sur le continent à l’époque, mais elle avait entendu les histoires que l’on racontait.
 
Des bêtes horrifiantes. Des monstres. Mais n’était-ce pas ainsi que les gens parlaient des demis-Elfes ? Ceria fronçait encore les sourcils lorsqu’elle entendu des cris dehors.
 
“Chancre, qu’est-ce que c’est encore ?”
 
Elle se leva et un Drakéide débarqua dans la pièce. Il avait la respiration hachée et les yeux fous. Il ne portait pas d’armure ; d’ailleurs, il portait des vêtements plutôt adaptés au travail de la terre. Il balaya la pièce du regard.
 
“S’il vous plaît, est-ce qu’il y aurait un aventurier par ici ? Il y a une armée de Gobelins en train d’attaquer notre village !”
 
Halrac bondit immédiatement sur ses pieds. Ceria cligna des yeux - elle avait presque oublié sa présence, mais l’aventurier était à présent une flèche, concentrée sur sa mission. Il s’avança d’un pas déterminé vers le Drakéide.
 
“Je suis un aventurier Or. Emmène-moi à ton village.”
 
Le Drakéide acquiesça, soulagé.
 
“Je vous en prie, dépêchons-nous ! L’un de mes amis est allé chercher la Garde, mais ils sont des centaines !”
 
Il se précipita vers la porte. Erin vacilla en le regardant partir. Ceria l’attrapa par l’épaule.
 
“N’y penses même pas. Ferme l’auberge. Va à l’étage et fais garder l’entrée par ton squelette. Pisces, Yvlon…”
 
“Tu n’es pas sérieuse !”
 
Yvlon fronça les sourcils et attrapa Pisces par le bras pour le soulever.
 
“C’est notre boulot. On protège les gens contre les monstres, même lorsqu’il n’y a pas de requête. Allez, viens !”
 
Il grogna, mais se dégagea de sa poigne et se dirigea vers la porte avec un hâte étonnante. Ceria s’apprêtait à les rejoindre lorsque Ksmvr prit la parole.
 
“S’il vous plaît, laissez-moi aider. Je me suis engagé à défendre Liscor, dans tous les cas.”
 
Elle hésita.
 
“Tu n’es pas armé…”
 
“Tiens ! Tiens, prends ça !”
 
Erin déboula hors de sa cuisine, jonglant avec plusieurs bouteilles et un couteau. Elle tendit le couteau à Ksmvr.
 
“Il est aiguisé. Et ça, ce sont les potions que j’ai. Deux potions de soin…”
 
“Tu en auras peut-être besoin.”
 
Ignorant les protestations de Ceria, Erin lui fourra la bouteille dans les mains. Ceria hésita pendant une seconde supplémentaire puis hocha la tête. Ils en auraient peut-être besoin.
 
“Merci, Erin. Fais attention à toi.”
 
Elle se tourna vers les autres. Yvlon était déjà à la porte, suivant du regard le Drakéide et Halrac qui couraient dans le paysage enneigé. Pisces attendait lui aussi. Il avait beau rouspéter, le mage n’était pas mauvais, et il était sérieux, pour une fois. Et Ksmvr…
 
L’Antinium tenait le couteau à la main, tendu comme la corde d’un arc. Tellement différent de lorsqu’il était entré. Qu’avait-donc pu lui dire Erin ? Elle n’avait pas le temps d’y réfléchir. Quelqu’un était en danger. Des Gobelins. Une armée ?
 
Ceria prit une grande inspiration. Elle ouvrit la porte.
 
“Allons-y.


***


Une compagnie d’aventuriers dépendait entièrement de la composition de son groupe. Il fallait fonctionner en équipe ; Ceria en était consciente. Les Cornes de Hammerad avaient été formées pour les combats rapprochés et les déplacements rapides. Calruz avait composé le groupe de guerriers et de mages capables de tenir la cadence. Ce nouveau groupe était différent.
 
Yvlon était rapide et vive, et Ceria savait déjà qu’elle ferait un excellent membre pour n’importe quelle compagnie. C’était l’une des raisons pour lesquelles elle avait décidé de ne pas rejoindre les Croisés ; elle avait déjà de quoi faire une bonne équipe. Pisces était un autre mage puissant, possiblement meilleur qu’elle, mais il n’était plus très en forme et il haletait en courant dans la neige. Mais Ksmvr…
 
L’Antinium traçait à travers l’épaisse couche de neige comme un cheval, inexorablement, infatigable. Ceria l’observa avec méfiance en courant. Il était une variable inconnue, mais ils avaient besoin de toute l’aide possible. Halrac avait déjà pris beaucoup d’avance sur eux, mais si c’était bel et bien une armée de Gobelins, ils allaient devoir se contenter d’attirer leur attention et de se mettre à courir pour sauver leur peau.
 
Le village apparut au loin lorsque les quatre atteignirent le sommet de la colline. Ceria se protégea les yeux et Pisces murmura un sort pour mieux évaluer la scène.
 
“Ce n’est pas une armée.”
 
Yvlon ne pouvait pas discerner les détails, mais elle acquiesça.
 
“Ce n’est qu’un raid. Deux cents, possiblement trois cents Gobelins.”
 
“Oh, merveilleux. Rien d’inquiétant, alors.”, répondit sèchement Pisces en contemplant la masse de Gobelins en train de se battre dans un grand village. De là où elle était, Ceria pouvait voir quelques défenseurs en train de tenter de les repousser, mais ils étaient désespérément en sous-nombre, et les Gobelins essayaient de pénétrer dans leurs maisons.
 
“Qu’est-ce que nous sommes censés faire, je vous prie ?”
 
“Aider du mieux que nous le pouvons. Nous ne sommes pas seuls ; regarde. Il y a la Garde.”
 
Ceria pointa du doigt à gauche, en direction de Liscor. La Gade s’était déployée rapidement et en grand nombre. Elle vit au moins quatre-vingts gardes s’approcher de la petite armée de Gobelins, menés par une Drakéide à l’allure familière. Quelque chose - quelqu’un surgit du groupe lorsque les Gobelins se retournèrent, et un énorme Hob au centre leva son épée et la pointa en direction des gardes.
 
Un nuage de mouvement vert fendit la neige. Relc s’écrasa dans le groupe de raid puis s’éloigna d’un bond, et deux Gobelins s’effondrèrent, les torses troués. Ceria le vit esquiver une volée de flèches.
 
“Bon sang. Il y a même un Gobelin [Shaman] là-dedans. Regardez-moi ces éclairs !”
 
“Allons-y, nous aussi. Ces gens ont encore besoin d’aide !”
 
Le groupe d’attaque Gobelin s’était séparé en deux. La grande majorité était en train de fondre sur la Garde, qui s’était arrêtée pendant que Relc revenait en courant vers elle. Des sorts et des flèches étaient déjà en train de voler, mais un grand groupe de Gobelins était resté dans le village et essayait encore de tuer tous ses habitants.
 
“Allez !”
 
Ceria se précipita vers le village, visant l’une des maisons. Pisces, pantelant, la rattrapa et hurla dans ses oreilles.
 
“Ils sont beaucoup trop nombreux ! Est-ce que tu es devenue complètement folle, Springwalker !?”
 
“Il faut qu’on fasse quelque chose ! Et Halrac est dans le coin ! Regarde !”
 
Elle pointa du doigt. De l’autre côté de l’étendue enneigée, à presque trois cents mètres de là, elle pouvait voir l’[Éclaireur] et le Drakéide qui l’avait amené ici. L’Humain était agenouillé, mais il avait un arc entre les mains. Sous ses yeux, il le leva et tira.
 
Devant elle, un Gobelin en train de se faufiler dans une fenêtre fermée tourbillonna et s’effondra, une flèche plantée dans la poitrine. Ses compagnons se retournèrent et cherchèrent d’où provenait la flèche en hurlant, et aperçurent Ceria et son groupe. Mais une autre flèche transperça l’œil d’un Gobelin, et ils se retournèrent et virent l’[Éclaireur] solitaire au loin.
 
Là encore, les Gobelins se divisèrent. Un groupe se précipita en direction d’Halrac, mais se mit à s’effondrer peut à petit, des flèches apparaissant dans leurs corps comme par magie. Halrac avait forcément une compétence, parce que les Gobelins tombaient de partout.
 
Pendant un instant, Ceria crut qu’il allait vraiment être capable de se charger de tous les Gobelins à lui seul. Halrac s’était positionné loin du combat et il descendait rapidement les Gobelins. Mais alors quelque chose d’étrange se produisit.
 
L’un des Gobelins cria, et les guerriers se regroupèrent soudain et levèrent leurs boucliers. Ceria cilla. Des boucliers ?
 
Mais oui, ces Gobelins avaient des boucliers, et même des armures ! Ce n’était pas de la grande qualité ; il y en avait des rouillées et la plupart étaient faites de fer ou de bronze, mais ils étaient tous armés. Ils ressemblaient à une véritable armée, et pas juste à un groupe de raid.
 
Les Gobelins se mirent à avancer sur Halrac, usant de leurs boucliers pour bloquer les flèches qui leur arrivaient dessus. Il trouvait tout de même des faiblesses dans leurs armures, et des Gobelins titubaient et tombait lorsqu’il leur transperçait les bras, les jambes, et tous leurs points faibles, mais ils avançaient tout de même dans sa direction.
 
Et le reste regardait Ceria. Ce n’étaient pas tous des Gobelins ; elle vit un Hob parmi eux, un énorme Gobelin aussi fort que la plupart des aventuriers Argent. Mais Ceria entendit aussi les Drakéides hurler dans leurs maisons. Elle leva donc sa main squelettique.
 
“[Stalactite] !”
 
L’aiguille de glace cueillit un Gobelin en pleine poitrine et il s’effondra, rendant son dernier souffle dans un cri. Yvlon s’arrêta près de Ceria et leva son épée et son bouclier. Ksmvr fit de même, et Pisces tenta de se redresser, toujours pantelant.
 
“Ils arrivent.”
 
Le visage d’Yvlon était fermé. Ceria compta. Presque… soixante Gobelins. Certains combattaient toujours les villageois, mais ils étaient bien trop nombreux pour pouvoir les combattre.
 
“Il faut qu’on les ralentisse. Qu’on gagne du temps. Pisces, arrête de haleter et viens aider !”
 
“Oh… bien… sûr… laisse-moi… juste…”
 
Le [Mage] reprit son souffle, puis se redressa. Il prit une grande inspiration lorsque le Hob à la tête des derniers Gobelins pointa le doigt sur Ceria et cria. Un autre groupe se détacha et s’avança vers eux, laissant les défenseurs derrière eux, forcés de reculer de plus en plus.
 
“[Stalactite] ! Pisces !
 
“Un instant, Springwalker. Je cherche le meilleur endroit pour… ah, voilà.”
 
Pisces pointa du doigt et Ceria vit une zone où plusieurs Gobelins s’étaient effondrés sous les tirs d’Halrac. La pointe du doigt de Pisces s’illumina d’une lumière violette, et sa voix devint plus profonde, plus sonore.
 
Ô Gobelins tombés au combat. Sortez de vos tombes et partez à la recherche de mes ennemis !”
 
Huit des guerriers Gobelins tombés au combat tressaillirent et se levèrent lentement, leurs yeux brillant d’une lueur bleue et non rouge. Ils se précipitèrent immédiatement sur leurs amis, qui se retournèrent et poussèrent des cris perçants en apercevant les morts-vivants.
 
Ceria sentit un frisson la parcourir en voyant les morts se lever, et sentit Yvlon frissonner à côté d’elle. Pisces ne faisait pas cela avec une telle nonchalance, avant. Lorsqu’ils s’étaient séparés, il prétendait encore être un [Mage], mais à présent, il ne cachait plus sa véritable identité, et elle se battait à ses côtés. Aux côtés de morts-vivants. Le sentiment était toujours…
 
Les morts-vivants ralentirent les Gobelins qui se précipitaient sur leur groupe. C’était suffisant pour que Ceria continue de jeter des [Stalactites], sans se préoccuper de tout le mana qu’elle brulait. Elle n’avait pas beaucoup d’autres sorts longue distance, et [Tesson de Glace] pourrait peut-être en tuer quelques-uns, mais en combat rapproché…
 
Les morts-vivants décimaient les Gobelins, sans se préoccuper des blessures vicieuses qu’ils recevaient sous les coups de leurs anciens camarades. L’armure qu’ils portaient était soudain devenu un désavantage pour ceux qui les combattaient.
 
Mais les Gobelins étaient nombreux et les morts-vivants n’était qu’un mur en train de s’effriter. Ceria serra les dents et jeta un autre [Stalactite], mais cette fois-ci, l’aiguille s’enfonça dans le bouclier de l’un des Gobelins. Ces derniers étaient à présent proches du groupe, courant dans une formation en damier, boucliers levés, armes pointées.
 
“Des formations ? Mais qu’est-ce que…”
 
“Reculez ! Ceria, couvre-moi !”
 
Ceria vit Yvlon charger, puis Ksmvr se précipiter sur ses talons. Les deux guerriers portèrent un coup au front de l’armée puis reculèrent tandis que Ceria jetait des sorts de glace. Pisces leva la main et pointa les Gobelins du doigt.
 
“[Vent de Glace].”
 
L’air gela autour de sa main, faisant ralentir les quelques Gobelins à l’avant qui hurlèrent d’agonie pendant qu’Yvlon et Ksmvr esquivaient le sort. Pisces sourit et lança une boule de feu, et les Gobelins furent forcés de ralentir et de lever leurs boucliers pour éviter d’être pris dans les tirs croisés des deux mages.
 
“Ah, diantre. Un autre Hob !”
 
Yvlon taillada à gauche puis à droite, puis recula, se battant en duel contre un Hob qui avait rejoint les Gobelins. Pisces la regarda et leva la main.
 
“Recule.”
 
Elle dégringola en arrière et le jet de flammes atteignit le Hob de plein fouet, le faisant rugir de douleur. Mais il chargea à travers les flammes pour fondre sur Pisces.
 
“Ce serait le bon moment pour…”
 
Ksmvr rentra dans le flanc du Hob, le poignardant vivement avec le couteau qu’Erin lui avait donné. Le Hob le jeta sur le côté, et Pisces secoua la tête.
 
“Springwalker ?”
 
“[Sol Gelé].”
 
Ceria pointa le sol du doigt et la neige cristallisa. Le pied du Hob glissa, et Pisces leva de nouveau la main.
 
“[Choc Électrique] !”
 
C’était un autre sort d’Échelon 2. Celui-ci consistait en un choc d’électricité qui explosa hors des paumes de Pisces, et traça un arc de cercle en direction de l’armure métallique du Hob. L’énorme guerrier hurla en luttant pour se relever. Il leva sa masse d’armes, et une aiguille de glace surgit de son œil comme une fleur rouge.
 
Ceria baissa la main et exhala fort.
 
“Bordel. Je déteste les Hobs.”
 
“Reculez, ils se remettent en formation !”
 
Yvlon pointa du doigt, et Ceria vit les Gobelins se précipiter sur eux, un groupe de trente, cette fois(ci. La demie-Elfe pointa immédiatement le sol du doigt.
 
“[Sol Gelé] !”
 
C’était dur de recouvrir une grande surface, même en hiver. Mais Ceria vit la zone devant eux geler, et les Gobelins se divisèrent immédiatement en deux pour esquiver la zone de glace.
 
“Je n’ai presque plus de mana. Pisces ?”
 
Le mage hocha la tête en s’essuya le front.
 
“J’en ai assez pour d’autres sorts ou des morts-vivants. Est-ce que je devrais… ?”
 
“Vas-y !”
 
Yvlon se mit en garde tandis que le groupe reculait. Ceria ôta sa dague de son fourreau ; elle était d’un niveau acceptable avec, et sa robe aiderait, mais elle ne voulait pas se battre si elle n’y était pas obligée. Yvlon pointa du doigt l’autre côté de la zone gelée.
 
“Ksmvr, j’aurais besoin que tu prennes ce côté.”
 
“Bien reçu.”
 
“Pisces, si tu peux les ralentir…”
 
Le mage se concentrait, les yeux plissés. Il répondit lentement.
 
“Je peux faire un peu mieux que ça.”
 
Il pointa du doigt.
 
“[Animer les Morts].”
 
Au loin, l’Hob se redressa. Ceria hoqueta, mais l’énorme mort-vivant était à présent debout, et se tournait vers les Gobelins. Ils hurlèrent lorsqu’il fondit sur eux, masse d’arme levée au-dessus de sa tête.
 
Après cela, ils n’eurent plus grand-chose d’autre à faire qu’observer. Ceria et Pisces restèrent debout derrière Ksmvr et Yvlon, en dernière ligne de défense, leur mana épuisé. Mais il n’y eut jamais de mêlée ; le Hob que Pisces avait ranimé termina seul la bataille. Ignorant les blessures, à présent, il écrasa tous les Gobelins jusqu’à ce qu’ils l’achèvent par le pur poids de leur nombre. Et entre-temps, Yvlon et Ksmvr les avaient attaqués par les flancs.
 
Yvlon tua encore deux Gobelins, tranchant des membres et leur infligeant des blessures profondes sans jamais les laisser s’approcher. Elle n’avait pas de compétences activables, mais elle compensait largement avec son talent de bretteuse. Aucune lame ne parvint même à effleurer son armure ; elle déviait tous les coups avec son bouclier et l’utilisait aussi pour repousser violemment les Gobelins, les faisant perdre l’équilibre et garder leurs distances.
 
Ksmvr avait abandonné le couteau d’Erin et prit deux épées. Il tailladait les Gobelins tandis que son troisième bras brandissait un bouclier pour se défendre. Il reçut quelques blessures, mais elles restaient légères et ne pénétrèrent pas à l’intérieur de sa carapace.
 
Et ensuite, tout fut vraiment terminé. Les derniers Gobelins s’enfuirent, et Ceria se retourna et vit une file de Gobelins menant à une pile de Gobelins là où Halrac s’était tenu. L’[Éclaireur] avançait en direction du village, l’arc levé, éliminant les Gobelins en fuite avec des tirs précis.
 
Et la Garde…
 
Un groupe de garde arriva en courant dans le village, Zevara à leur tête. Elle s’arrêta en voyant que les autres Gobelins étaient tombés, et jeta un regard étrange à Ceria et au reste des aventuriers.
 
“Vous les avez tous tués ?”
 
“La plupart. Halrac en a tué la majeure partie.”
 
Ceria pointa du doigt l’[Éclaireur] qui haussa les épaules et grogna. C’était vrai ; plus de la moitié des Gobelins morts dans le village avaient été tués d’une flèche, et le chef des Gobelins était étalé dans la neige, trois flèches dépassant de la visière de son heaume.
 
“Beau travail.”
 
Zevara prononça ces mots d’une voix étrange, comme si elle n’avait pas l’habitude que des aventuriers aident la Garde. De ce que Ceria savait des Drakéides, c’était peut-être vraiment le cas : les milices locales faisaient souvent plus de travail que les aventuriers, au sud.
 
“Comment ça s’est passé avec le reste ?”
 
La Drakéide hésita, puis grimaça.
 
“Nous avons perdu quelques bons soldats, mais quelques-uns seulement. Ces maudits Gobelins se sont bien battus, presque comme s’ils s’étaient entraînés. Ils n’ont pas cédé de terrain, jusqu’au dernier.”
 
“Et les Hobs. Il y en avait beaucoup pour un groupe de raid.”
 
“Oui. En effet.”
 
Ceria et Zevara échangèrent un regard, puis l’espèce de trêve qu’il y avait eu entre elles passa. Ceria toussota.
 
“J’aimerais réclamer une récupération partielle des droits sur les morts, à moins que vous n’ayez une objection ?”
 
“Récupération partielle… ? Tu veux dire, récupérer le butin ?”
 
“C’est un truc d’aventuriers. On a aidé, donc on aimerait récupérer leurs artefacts et leur équipement.”
 
Zevara secoua la tête, mais agita une serre.
 
“Allez-y. Faites ce que vous voulez. J’enverrai mes hommes dépouiller et brûler le reste plus tard.”
 
Ceria hocha la tête. Elle se tourna vers Halrac. L’[Éclaireur] n’avait même pas adressé la parole à Zevara. Il passait de cadavre en cadavre, récupérant les flèches qu’il pouvait réutiliser.
 
“Halrac ? Merci de nous avoir couverts, tout à l’heure. On est en train de réclamer les droits de récupération. Est-ce que tu veux… ?”
 
Il secoua la tête et grogna.
 
“Allez-y. J’ai besoin de rien.”
 
La coutume voulait que l’aventurier au rang ou au niveau le plus élevé, ou qui avait le plus travaillé, choisisse en premier ce qu’il désirait. Mais Ceria doutait fort qu’un aventurier Or voudrait perdre son temps pour cela, dans tous les cas, elle était même vaguement étonnée de le voir récupérer des flèches.
 
Elle retourna vers le reste de sa compagnie - et c’était bien une compagnie, à présent -, épuisée. Pisces était assis dans la neige, et Yvlon parlait avec une Drakéide - une vieille femme avec des larmes dans les yeux.
 
“Je ne sais pas comment vous remercier…”
 
“Ce n’est rien. Je vous en prie, c’est notre travail. Y a-t-il des blessés ?”
 
“La Garde a des potions. Mais merci ! Si vous et l’autre Humain n’étiez pas arrivés…”
 
C’était étrange. Parfois, c’était comme ça après une bataille, mais ce n’était pas le cas la majeure partie du temps. Ceria ne se souvenait plus de la dernière fois où les Cornes de Hammerad étaient intervenues pour sauver un village, mais là encore, ils recevaient souvent des requêtes et ne voyaient que rarement des monstres attaquer subitement.
 
D’ordinaire, les aventuriers prenaient leur récompense et repartaient, après avoir souvent dû le récupérer sous la menace face à un chef de village ou un conseil de villageois soudain bien moins reconnaissants. Mais les Drakéides, ici, étaient incroyablement reconnaissants, et Ceria se rendit compte qu’elle et ses compagnons étaient soudain la cible de compliments et d’adoration.
 
“Ce n’est rien, vraiment. Pisces, nous avons reçu la permission de fouiller les morts. Est-ce qu’il te reste du mana… ?”
 
“[Détection de Magie]. Là, là et… les Hobs.”
 
Il pointa du doigt. Ceria s’excusa auprès de la foule pour s’approcher des corps que Pisces avait identifié.
 
“Ah, celui-ci était le [Shaman] Gobelin. On dirait une espèce de baguette, el il y a son amulette de plume.”
 
“Attention. On ne sait jamais quel type d’enchantement…”
 
“Je ne suis pas une amatrice, Pisces.”
 
Ceria attrapa délicatement les deux objets dans un morceau de tissu et les rangea dans un sac. Puis elle examina le reste des corps.
 
“Des anneaux magiques ? Un collier ? Et cette épée n’est pas mal. Ksmvr !”
 
L’Antinium s’approcha et Ceria lui tendit l’épée. Il l’étudia.
 
“C’est une lame de qualité supérieure à ce que l’on pourrait s’attendre chez un Gobelin. Étrange. Ma connaissance des Gobelins m’indique que cela serait d’ordinaire l’équipement d’un Chef de Tribu, non pas d’un simple Hob.”
 
“Est-ce que c’était une tribu, vous croyez ?”
 
Yvlon secoua la tête en examinant un autre cadavre, et trouva un anneau d’or.
 
“Pas d’enfants, pas de femelles en gestation. C’est un groupe de raid, mais il doit provenir d’une énorme tribu.”
 
Ceria échangea un regard avec Pisces. Ils pensaient tous deux à la même chose.
 
“Est-ce que ça pourrait être cette Gobeline qu’Erin accueille souvent ? Loks… ?”
 
Il parut troublé, mais secoua la tête.
 
“Je lui ai enseigné quelques sorts. Elle est… intelligente. Elle ne serait pas assez stupide pour attaquer lorsque la Garde est dans le coin, et ces Gobelins sont différents. Regardez l’armure et les marques, là et là.”
 
Il leur montra, et Ceria vit que ces Gobelins avaient des entailles sur les oreilles.
 
“C’est une différente tribu.”
 
“D’où viennent-ils ?”
 
“Du sut. C’est ce que les villageois nous ont dit.”
 
Tout le monde se tourna vers Ksmvr. Ceria se tourna au sud, inquiète. Yvlon hocha la tête.
 
“Ils viennent du sud. Des Plaines Sanglantes. Il doit y avoir une nouvelle tribu là-bas, et dangereuse avec ça. Si c’est cela, leur groupe de raid, je n’ose imaginer à quoi ressemble la tribu au complet.”
 
Quelque chose bondit dans l’estomac de Ceria. Elle souffla un mot.
 
“Ryoka.”








Note d’EllieVia : Voilà cher lecteurs, la traduction va s’arrêter sur ce dernier - gros^^- chapitre pour la période de Noël ! Nous allons en profiter pour nous reposer un peu, nous nous remettrons au travail le 6 Janvier ;) ! En attendant, portez-vous bien, profitez des fêtes, et on se retrouve en 2021 qui, je l’espère sera mieux pour tout le monde^^
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 06 janvier 2021 à 19:06:25
Petit message des traducteurs.

J'espère que vous avez tous passez de bonnes fêtes! Le prochain chapitre arrivera ce dimanche, désolé du retard :c
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 11 janvier 2021 à 04:29:05
2.33 Partie 1
Traduit par Maroti

Il y avait certain jour où il ne supportait pas de la voir tel qu’elle était. Il se souvenait de quand elle avait été plus petite, et de la première fois où elle avait marché dans les tunnels de la Colonie. Mais elle était désormais gonflée, outragement volumineuse, à la fois grandiose, magnifique et horrible.

Telles furent les pensées de Klbkch alors qu’il regardait sa Reine. Elle n’était plus ce qu’elle avait été. Elle était plus grande désormais, oui, avec une Colonie de plusieurs milliers d’Antiniums qui répondaient au moindre de ses ordres. Mais parfois il se demandait s’il ne gardait pas une prisonnière incapable de défendre. Et il savait que c’était la vérité.

« … Nous nous débarrasserons des corps des Gobelins pour la ville. Je cois qu’ils seront majoritairement utilisables comme rations à moins qu’ils soient affligés d’une invisible infliction. »

« Fort bien. »

Sa Reine baissa les yeux vers Klbkch, comme elle le faisait souvent. Il se tenait parfaitement immobile et attentif dans les ténèbres de la Colonie se trouvant sous Liscor. C’était son devoir ; il était vrai qu’il avait désormais d’autres responsabilités, mais cela faisait des décennies qu’il faisait cela, et qu’il faisait ce qui était nécessaire. Sa Reine était la souveraine de la Colonie, mais Klbkch était ses yeux, ses oreilles, et son épée si nécessaire.

Jusqu’à quelques semaines. Klbkch était désormais un Revelantor, et en théorie il aurait dû moins rendre de compte à sa Reine et passé plus de temps à travailler avec Pion et les nouveaux individus, mais la situation avait changé. Klbkch bougea légèrement, un mouvement que sa Reine remarqua.

« Quelque chose te dérange, Klbkchhezeim ? »

« Rien de tel, ma Reine. Cependant, les pertes de la dernière incursion au donjon furent sévères. »

« Oui. Il semblerait que l’agitation venant d’en haut a réveillé un grand nombre de ces maudites choses. »

« Je crois qu’il serait prudent de procéder à la révélation du donjon le plus rapidement possible. »

« Comme tu me l’as signalé. Plusieurs fois. »

La Reine regarda Klbkch. Il savait qu’elle n’était pas ravie. Elle voulait que la Colonie le fasse seul, mais cela faisait des années qu’il avançait cette proposition. Il avait pensé qu’il l’avait convaincu de prendre cette opportunité après la défaite d’Ecorcheur, pourquoi avait-elle de nouveaux des doutes ?

Klbkch se prépara pour une nouvelle dispute, mais sa Reine se contenta de secouer la tête.

« Quant est-il des aventuriers ? Localiseront-ils le donjon d’eux-mêmes ou devons nous leur indiquer le chemin ? »

« Ils sont encore incapable de trouver l’entrée exacte, mais deux équipes de rang Or m’ont déjà approché et m’ont demandé si les Antiniums pouvaient creuser pour les aider. »

« Ah. »

Est-ce que cela était un bon signe ? Même après tout ce temps, Klbkch n’était pas certain.

« .. Ils ont offert une conséquente somme d’or pour localiser l’entrée du donjon. Je pense qu’ils nous offrent un taux plus élevé que le taux habituel. »

« Cela serait utile. »

L’or n’était pas un véritable problème pour les Antiniums, mais tout était utile. Klbkch hocha la tête.

« Si nous acceptons un prix moins élevé, nous pouvons peut-être les surprendre et influencer leur ressenti envers nous de manière positive. La Chasse aux Griffons semble être particulièrement hostile envers nous. »

« Est-ce un problème ? »

« Peut-être que non, mais je préfèrerai le faire si vous me le permettez. »

Un autre soupir.

« Fort bien. Je fais confiance à ton jugement, Klbkch. »

Elle faisait confiance en son jugement, mais elle ne le comprenait pas. C’était étrange, mais sa Reine… Toutes les Reines, ne considéraient pas la bonne entente et l’amitié comme une ressource. Elles pensaient que les autres espèces n’était que des variables qu’il fallait influencer, expliquant pourquoi Klbkch devait parfois tenter de convaincre sa Reine.

Peut-être était-ce pourquoi les Prognugators avaient été créé ; pour remplir le vide qu’était la personnalité de chaque Reine. Bien sûr, chaque Reine et Prognugator étaient différents ; Klbkch savait que les autres Colonies avaient différents moyens de réaliser leur travail.

Qu’importe…

« Nous allons construire un tunnel duquel partirons plusieurs sections à l’entrée du donjon principal et le déterrer dans… Trois jours. Je crois que cela nous laissera assez de temps. »

« Sans doute. Mais ce sont ces aventuriers qui me concernent, Klbkch. Quels que soient leurs motifs sur les trésors, sont-ils suffisants pour être efficace en premier lieu ? »

« Ils sont de rang Or, ma Reine. Ils devraient avoir la force combinée au moins équivalente à un millier de nos Soldats. »

« Mm. En effet, cela serait mieux s’ils pouvaient désarmer les pièges. Mais je parle d’avantage de leur manque d’effectif. Il aurait été préférable d’avoir au moins un Aventurier Légendaire et deux fois plus d’aventuriers de rang Or. »

Ceci surprend suffisamment Klbkch pour le faire hésiter. Sa Reine avait rapidement changer d’opinion, surtout quand elle s’était opposé à toutes formes d’interférences auparavant. Pourquoi ? Il se demander si elle avait parlé à une autre Reine.

« … Je crois qu’ils arriveront en masse une fois que la véritable taille du donjon sera découverte. Le moindre artéfact ou trésor en encourageront myriade. Ce n’est qu’une question de temps. »

« Fort bien. »

Il hocha la tête. Il n’y avait rien d’autre à ajouter.

« Pour finir, je vais initier la prochaine partie du plan regardant Ksmvr, avec votre permission. »

Sa Reine soupira et se tortilla sur son trône. Parfois, Klbkch se demandait si elle se fatiguait. Elle était certainement vieille. Peut-être qu’il était temps pour elle de réaliser le Rite des Anastases, mais cela demanderait d’amener une autre Reine, voir Reines, et l’effort que cela impliquerait serait immense.

« Je n’apprécie pas que nous ayons besoin de le faire, mais soit. Es-tu certain qu’il ne se doute de rien ? »

« A ce que je sache »

« Hm. Il est décevant qu’il ne pense ou ne s’émerveille pas. Mais il est jeune, après tout. »

Et inexpérimenté. Et une expérience. Klbkch rajouta ces mots dans sa tête, mais il ne les prononça pas à voix haute. Ksmvr était le projet personnel de sa Reine, et il aurait put être utile…

S’il avait été plus fort.

« Je vais continuer mon devoir. Je crois que Pion est en train de discuter avec les autre Ouvriers, individus ou non. Les autres arriverons dans la semaine. »

« Je vois. Tu peux disposer. »

Sa Reine agita de nouveau ses antennes. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à ajouter. Elle était de nouveau en train de s’occuper de sa Colonie après près son initiale excitation. Les Antiniums ne perdait pas de temps avec les émotions, s’ils arrivaient à sentir quelque chose.

Klbkch comprenait. C’était un choix logique. Mais il avait changé ces derniers mois, et récemment, il avait commencé à…

Il se tourna, et marcha hors de la salle du trône avant que sa Reine puisse sentir ses émotions La Colonie avait tellement changé dernièrement. Elle avait plus que jamais besoin de lui. Il resterait à ses côtés encore quelques temps avant de s’occuper de ses inquiétudes.

Et il avait beaucoup à faire. Les jambes de Klbkch le portèrent rapidement à travers les tunnels, passant occasionnellement un Ouvrier ou Soldat qui s’écartait pour le laisser passer. C’était ainsi que la Colonie opérait. Les Soldats se déplaçaient le plus rapidement possible dans les tunnels, généralement pour aller se reposer, manger, ou servir de renfort à une zone en train de se faire attaquer. Les Ouvriers marchaient sur le côté, s’arrêtant ou bougeant pour accommoder les déplacements des soldats. Et Klbkch ?

Il marchait dans sa propre bulle. Il était le Revalantor, un niveau au-dessus du Prognugator. Personne ne se mettait en travers de son chemin. Dans l’enceintre de la Colonie, il était seul.

Cela s’était toujours passé ainsi. Depuis son arrivé sur ce continent. Mais cela n’avait pas toujours été le cas.

Perdu dans ses pensées, Klbkch se concentra de nouveau uniquement lorsqu’il se rendit compte qu’il avait atteint sa destination. Il s’arrêta devant un tunnel moins emprunté que les voies principales et marcha dans une petite réserve capable de contenir l’équivalent de chambre de biens.

C’était l’une des nombreuses réserves que les Antiniums de Liscor avait construit. Propre à leur nature, chaque réserve avait sa propre location et but dépendant de la valeur et du besoin de ce qu’elle contenait.

Comme cette réserve contenait qui n’était pas utile aux Soldats et Ouvriers qui se battaient dans le Donjon, elle était donc proche de la surface. Mais à la vue de la valeur de ce qu’elle contenait, elle était proche de la chambre de la Reine.

Il n’y avait pas de gardes aux portes, et il n’y avait pas de porte du tout. Ce n’était pas nécessaire. Quelqu’un avait réussi à pénétrer aussi profondément dans la Colonie l’avait fait en massacrant jusqu’au dernier Antinium vivant, et si cela était le cas, qu’est-ce qu’une porte pouvait changer ? Dans tous les cas, le besoin d’ouvrir et de fermer une porte et de faire garder cet endroit à des Soldats était un gâchis de ressource.

Et les Antiniums ne gâchaient pas de ressources.

Klbkch marcha dans la pièce et se déplaça délicatement jusqu’à une boite fermée. Il l’ouvrit, et en extirpa une pièce de parchemin plié. Il la manipula avec grand soin, car ce parchemin était craquelé et s’émietter à cause de son âge.

L’Antinium quitta la réserve et se dirigea vers la surface. Il emprunta un tunnel secondaire, et entra dans la cave d’un ancien bâtiment enterré sous terre.

Les murs de ce bâtiment étaient en piteux état ; la pierre semblait prête à s’écrouler au moindre contact. Une poutre s’inclinait alors qu’elle semblait gémir sous l’effet de la pression qui l’écrasait. La porte menant vers l’extérieur était hors de ses gonds, et la terre bloquait le chemin vers la surface.

C’était clairement un bâtiment perdu qui avait autrefois fait partie de Liscor, ou au moins, d’une ancienne ville. Klbkch s’avança dans la pièce et regarda autour de lui. Il ne craignait pas l’effondrement de la pièce, malgré son apparence précaire. Il était un Antinium, et il pouvait facilement creuser la terre, et il avait passé presque une semaine à inspecter la construction de cette pièce. La pierre semblait faible, mais elle était tout aussi solide que le reste de la Colonie.

« Ah. Ici. »

Klbkch s’approcha d’un mur, à l’endroit ou des Ouvriers avaient trainé une étagère à vin et presque cinquante bouteilles de vins couteux avant de casser le meuble et d’ajouter une couche de poussière pour bonne mesure. L’Antinium s’agenouilla, souleva une planche cassée, et glissa le parchemin en dessous. Puis, il leva la tête.

Des bruits de pas, légèrement trop rapide et trop tôt. Mais cela n’avait pas d’importance. Klbkch se redressa, fit quelques pas pour se trouver au centre de la pièce, et se tourna alors qu’Olesm entra dans la pièce.

« Ah ! »

Le Drakéide hurla et fit un bond en arrière en voyant Klbkch, tâtonnant sa hanche pour s’emparer de sa dague. Peut-être était-ce la vue de l’Antinium immobile au milieu d’une salle sombre qui l’avait effrayé. Klbkch leva la voix.

« Olesm. Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous alarmez. »

« Quoi, moi ? Non, je suis désolé Klbkch. Je ne m’attendais pas à trouver quelqu’un ici. »

A bout de souffle, Olesm fit un pas dans la pièce avant d’hésiter. Il regarda le plafond et les murs avec méfiance.

« Ah, est-ce que cet endroit est stable ? »

« Un renforcement structurel est nécessaire, mais la pièce est sûre. »

Klbkch mentit alors qu’Olesm s’avança prudemment, regardant autour de lui avec suspicion en tenant une petite lanterne d’une main. Klbkch n’avait pas besoin du léger halo de lumière qu’elle créait, mais elle était nécessaire pour les rares visiteurs de la Colonie.

« Je vois que vous êtes seul. Avez-vous terminé d’enseigner les échecs où Ouvriers ? »

C’était une autre question redondante ; ils avaient été ceux qui avaient informé Klbkch des mouvements d’Olesm. Mais l’Antinium écouta tout de même Olesm avec attention.

« Oui. Ils font de grands progrès, de très grands ! Certains semblaient ne pas avoir d’intérêt, bien sûr, mais il y a une nette progression chez ceux qui jouent avec attention. Quand ils ne sont pas en train de travailler, bien sûr. »

« Bien sûr. »

Klbkch aimait les échecs, mais son intérêt n’était qu’une goutte dans un seau comparé au fleuve de passion que certains Ouvriers pour le jeu. C’était… Etrange. L’Antinium n’avait jamais amené le jeu dans la Colonie. C’était inutile, un gâchis de ressource.

Mais est-ce que cela avait été l’indice durant tout ce temps ? Quand Klbkch l’avait suggéré, sa Reine était devenue silencieuse avant de le congédier. Est-ce que c’était vraiment la solution ?

… Non. Il y avait autre chose. Cela devait être les autres gens, pas que les Antiniums. Des personnes comme Erin, spéciales, qui pouvait les éduquer. C’était pourquoi Ksmvr devait partir, et pourquoi ceci était important.

« Je vois que vous êtes de nouveau ici. Êtes-vous en train de chercher une autre carte du donjon ? Celle que vous avez découverte n’était pas suffisante ? »

Olesm haussa légèrement les épaules. Il semblait légèrement colérique, d’après ce que Klbkch comprenait des émotions Drakéides. Sa queue était plus agitée que d’habitude, mais il n’était pas en train de crier ou de jeter des choses comme Relc le faisait souvent.

« Je suis certain qu’elle est suffisante. Le Conseil est très reconnaissant de cette découverte. Mais, ah, je suis juste en train de chercher autre chose qui puisse aider. »

« Je vois. Nous n’avons pas complété la fouille de cette zone. Les Antiniums ont découvert d’autres bâtiment, mais peu de ruines sont encore intactes. Celle-ci semble être la plus importante. »

« Oui. Vous avez raison. Il pourrait y avoir autre chose ici, n’est-ce pas ? »

Olesm regarda l’intérieur de la pièce, bougeant sa lanterne dans les coins alors que Klbkch regarda.

« Je veux dire, je ne sais pas qui vivait ici, mais si c’était le cave d’un [Cartographe]… »

« Peut-être que d’autre cartes sont ensevelies sous les débris ? »

« Peut-être. Aimeriez-vous, ah, me donnez un coup de main ? »

« Certainement. »

Klbkch s’avança et lui et Olesm commencèrent à fouiller méthodiquement la pièce. Klbkch se concentra sur le côté opposé a l’étagère à vin détruite, alors qu’Olesm chercha l’autre côté de la pièce.

Même avec cela, Olesm allait prendre de temps avant de trouver le parchemin, car il était concentré sur un coin de la pièce et examinait lentement le mur. Klbkch décida de bavarder, pour éviter de s’ennuyer.

« Je m’attendais à ce que vous soyez à l’auberge d’Erin Solstice plutôt qu’ici. »

« Quoi ? »

Olesm regarda Klbkch alors qu’il ramassa un morceau de tissu et le jeta. Le Drakéide hésita.

« Enfin… Je veux dire, vous m’avez offert un salaire pour enseigner les Antiniums. C’est du bon argent, et j’adore jouer aux échecs. »

« Ah. Mais Erin est la plus grande joueuse de Liscor. »

Elle était peut-être la meilleure du monde. Certainement, l’une des meilleures du sien, d’après ce que Klbkch avait recueilli. C’était autre chose qu’il gardait pour lui, même auprès de sa Reine. C’était son… Secret. Erin l’avait dit à d’autre personne, bien sûr, mais qui parmi eux pouvait descendre et parler à la Reine ? S’il ne parlait pas, elle ne serait jamais au courant. Jusqu’à ce que le moment soit opportun.

« Erin ? Oui, enfin, c’est la meilleure. Mais, ah, je ne veux pas la déranger. De plus, il y a d’autres raisons… »

La voix d’Olesm s’arrêta alors que Klbkch remarqua que sa queue s’agita de plus belle.

« Vous semblez colérique. Est-ce que quelque chose vous dérange ? »

« Oui ! Non. Je… J’ai juste eut une mauvaise matinée, c’est tout. »

« Ah. »

Klbkch continua à chercher dans les débris. Il ne dit rien d’autre. Selon son expérience, les non-Antiniums finissait toujours par dire ce qui les dérangeait. Dans ce cas, il ne fallut que dix minutes à Olesm pour dire ce qui le dérangeait.

« C’est Ceria. Et les aventures. Et Erin, je suppose. J’ai l’impression que je ne suis plus à leur niveau. En termes de niveaux, je veux dire. Sans mauvais jeu de mot. »

« Oh ? Je ne vois pas le problème. Vous êtes les [Tacticien] avec le plus haut-niveau de Liscor, n’est-ce pas ? »

« Hah ! »

Olesm rit de manière amère alors qu’il jeta un caillou contre un mur.

« Ce n’est rien comparé aux [Stratégistes]de notre armée. Mon niveau est peut-être plus élevé que certains Humains dans les villes du nord, et alors ? Je suis toujours faible. »

« Vous êtes jeune. »

« Mais je pourrais m’améliorer, tu vois ? »

La queue d’Olesm se leva et souleva un nuage de poussière alors qu’il se tourna vers Klbkch, frustré.

« Je voulais rejoindre Ceria et devenir aventurier. Je pensais que je pourrais gagner quelques compétences en faisant cela, voir même obtenir une classe de commandant ! C’est possible en gagnant suffisamment de niveau dans la classe de guerrier, tu sais ? »

« Je le sais. »

Assez de niveau dans [Guerrier] et [Stratégiste] et les deux classer aller fusionner dans une nouvelle classe, généralement [Commandant]. C’était étrange, surtout que certaine personne pouvait directement gagner des niveaux en tant que [Commandant]. De ce que comprenait Klbkch, c’était simplement un moyen de consolider les niveaux, mais il n’avait pas la moindre idée de comment cela pouvait être utile. Deux classes étaient plus pratique qu’une, n’est-ce pas ?

« Mais elle a refusé. Elle a dit que je n’étais pas assez fort… »

Olesm attrapa un morceau de bois et le serra dans ses mains écailleuses.

« Les aventuriers vivent une vie dangereuse. Des aventuriers de rang Argent affronte des ennemis qui peuvent être bien au-dessus de v… Ton niveau, pour l’instant. »

« Je sais ! Je sais, mais la manière dont elle l’a dit… Pourquoi je ne peux pas les accompagner ? Pourquoi est-ce que je dois être ici ? »

C’était un développement inattendu. Klbkch s’arrêta, et décida de continuer la conversation.

« N’est-ce pas la procédure de Liscor de garder au moins un [Tacticien] en ville en cas d’attaque ? »

« Ça l’est. Mais je pourrais déléguer le travail ou… Je veux devenir meilleur, c’est tout. J’ai l’impression d’être inutile dés que je joue fasse à Erin, maintenant que je sais qu’elle ne se donne pas à fond contre moi. Je veux dire, je savais qu’elle ne le faisait pas, mais… »

Klbkch hocha lentement la tête.

« Je peux comprendre ta position. J’ai perdu de nombreux niveaux après ma mort. »

« Vraiment ? Je n’ai pas la moindre idée de comment cela marche. Est-ce que cela arrive à tous les Antiniums ? »

Olesm regarda Klbkch avec surprise, et l’Antinium sentit un léger moment fraternité avec le jeune Drakéide. Il ne pouvait pas fermer ses yeux, mais Klbkch regarda le sol, se souvenant en parlant.

« Revenir à la vie est rare même parmi mon espèce. Mais oui, une fois que les individus reviennent à la vie, ils perdent dix niveaux parmi leurs classes. »

«Dix ?! »

« C’est un petit prix à payer pour une vie, n’est-ce pas ? Mais sans dix niveaux minimums, les individus ne peuvent pas revenir à la vie. »

Klbkch était en train de dire un secret à Olesm, mais ce n’était pas quelque chose de trop dangereux. Les Drakéides et les Gnolls avaient trouvé la capacité des Antiniums à revenir à la vie durant la Première Guerre Antinium, seulement la nature exacte de la résurrection et le nombre de niveaux perdus avaient été secret. Et Klbkch croyait que c’était un secret qui valait le coup d’être dit à Olesm.

« J’étais plus fort. Il y a bien longtemps. Mais je suis satisfait de dire que j’ai regagné cinq des dix niveaux que j’avais perdu. »

« Ci… Comment ? S’il te plait, dit moi comment tu as fait ça ! »

Olesm regarda Klbkch d’un air suppliant.

« J’ai rapidement gagné des niveaux depuis l’arrivée d’Erin, mais ce n’est pas suffisant. Comment as-tu fais pour regagner aussi rapidement tes niveaux ? »

Klbkch s’arrêta. Voilà un secret qu’il ne pouvait pas trahir.

« La Colonie a souffert de… Plusieurs attaques de monstres dernièrement. J’ai aidé à les repousser et j’ai regagné quelques ’un de mes niveaux en retour. »

C’était la vérité à l’exception des détails. Olesm hocha la tête, compréhensif.

« Oh, des Araignées Cuirassées ou l’un de ces vers géants qui creusent des tunnels ? Ces derniers peuvent être difficile à éradiquer. »

« Entre autres. Ils sont difficiles à tuer »

« C’est une bonne chose que nous n’ayons pas de Crelers ici, pas vrai ? »

« Que nous n’ayons plus de Crelers. »

Klbkch détestait les Crelers. Olesm frissonna, et recommença à chercher.

« J’aimerai juste pouvoir gagner des niveaux comme ça, tu vois ? »

« Peut-être que tu le feras. Cela prend du temps. »

Olesm s’arrêta alors qu’il leva un morceau de bois, puis sa voix se leva d’excitation.

« Klbkch ! Regarde ! J’ai trouvé quelque chose ! »

Klbkch marcha jusqu’à Olesm et vit qu’il tenait l’ancien parchemin proche de la lanterne dans ses griffes tremblantes.

« Est-ce une autre carte du donjon ? »

« N-non. Je ne pense pas… ? Non, attend, je sais ce que c’est ! C’est la carte d’un autre donjon ! »

« Vraiment ? »

Klbkch regarda les lignes effacées et hocha la tête comme s’il était impressionné.

« C’est une véritable trouvaille. Y-aurait-il un autre donjon sous Liscor ? »

« Ce n’est pas possible. Cela serait ridicule, n’est-ce pas. Non, cela doit être un autre endroit. Peut-être proche… ? »

Olesm regarda les lignes effacées sur la carte. Klbkch avait du mal à lire le vieux langage des Drakéides, mais Olesm l’avait étudié, une autre raison pour laquelle il avait été invité dans la Colonie.

« Albez. Huh. Je ne sais pas où c’est. »

« C’est peut-être au nord d’ici ? Un Humain natif de cette région pourrait le savoir. Ceria Springwalker ou sa compagnonne, Yvlon Byres, peut-être. »

« Tu penses ? »

Olesm hésita. Il regarda le parchemin en le tenant avec délicatesse.

« Puis-je… L’emprunter ? Je le retournerai plus tard. »

Klbkch hocha la tête de manière positive.

« Les Antiniums n’ont pas besoin de cartes. Fait comme tu le souhaites. J’espère seulement que tu mentionneras nos efforts au Conseil quand tu feras ton rapport. »

« Quoi ? Oh, oui, bien sûr. Merci ! »

Olesm était déjà en train de sortir des tunnels. Klbkch le regarda partir, en sachant que le Drakéide allait se dépêcher de retourner vers la surface… Jusqu’à ce qu’il se perde. Klbkch ordonna mentalement à quelques Ouvriers d’intercepter le Drakéide à des interceptions

Le travail de Klbkch était terminé. Il soupira. Ce n’était pas que cela était vraiment épuisant, mais le fait qu’Olesm est mentionné ses niveaux fit revenir Klbkch dans le passé. C’était cela qui avait habité ses pensées lors de son audience avec sa Reine.

Le passé. Klbkch n’y avait pas trop pensé, mais après avoir rencontré Erin et sa mort, il commençait à ressentir son poids.

Klbkch regarda ses classes. Il était un [Pourfendeur] de Niveau 21, un [Commandant] de Niveau 18, un [Diplomate] de Niveau 6, un [Garde] de Niveau 13 et un [Assassin] de Niveau 14. Il avait été plus fort, autrefois.

Oui. Klbkch se souvenait d’un temps ou il n’avait pas de classe de [Commandant] ou de [Diplomate]. Il avait été un guerrier, et rien d’autre, un [Pourfendeur]de niveau 44 et un [Assassin]de niveau 26. Il n’était pas Prognugator, à l’époque.

Était-ce lui, ou est-ce que c’était de plus en plus difficile de monter de niveau ? Peut-être était-ce son âge. Cela faisait tellement longtemps qu’il avait quitté Rhir, et bien plus longtemps encore depuis sa naissance. Il pouvait à peine se souvenir de la première Colonie et de ses ténèbres. Peut-être qu’il y avait encore…

Klbkchhezeim.

Klbkch se redressa et écouta, tous les souvenirs s’éloignant de son esprit en un instant. Il savait ce que sa Reine voulait dire en un seul contact de leurs esprits.

C’était une autre attaque. D’autres monstres assaillaient depuis le donjon, et les Soldats avaient besoin de lui. Klbkch courut hors de la fausse cave, se dirigeant directement vers la scène de la bataille.

Oublie-le passé Les Centuniums étaient morts. Il était un Revelantor désormais Klbkch attrapa ses deux épées, sentant les lames glisser hors de leurs fourreaux. Si seulement il avait ses vieilles épées. Mais, après tout, lui et sa Reine n’avait pas eut le droit d’emporter la moindre chose de valeur quand il avait créé leur Colonie expérimentale. Peut-être qu’après que les autres viennent et voient ce qu’ils avaient fait…

Ce n’était pas le moment de réfléchir à cela. Klbkch accéléra quand il entendit le bruit cri de rage fendre l’air. Son corps était léger, son esprit concentré. Il était l’épée de sa Reine.

C’était l’heure de retourner au travail.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 11 janvier 2021 à 04:30:38
2.33 Partie 2
Traduit par Maroti

« Wouah. Wouah. Et tu as combattu les Gobelins seule ? »

« Avec l’aide de la Garde. Et d’Halrac. Et des villageois et avec un peu de chance. »

Ceria sourit vers Erin alors que la demi-Elfe était assise à une table de l’auberge, buvant une bière et se relaxant avec les trois autres aventuriers. Erin assumait qu’ils étaient des aventuriers. Bien sûr, Pisces était un mage et Ksmvr était un Prognugator Antinium, mais ils étaient des aventuriers, pas vrai ?


Elle ne comprenait pas vraiment ce que le mot voulait dire. Erin n’avait pas rencontré beaucoup d’aventuriers en dehors des Cornes d’Hammerad, de la Chasse aux Griffons et de quelques autres. Elle savait qu’ils allaient dans des donjons et combattaient des monstres, mais l’idée de vadrouiller en aidant des gens ressemblait plus à ce que faisait des héros pour elle.

C’était un autre monde, surtout qu’il suffisait de ce dire qu’à un moment Ceria pouvait être assis au bar en train de siroter une bière, et qu’à l’instant d’après elle pouvait être en train d’affronter une armée de Gobelin.

« Un groupe de raid, Erin. Je te l’ai dit, c’était un raid. »

« Mais c’est quoi la diffé.. Oh, oui. Le nombre. Mais deux cents Gobelins restent un très gros chiffre. »

« Ce n’est rien comparé à une armée, crois-moi. Et en vérité, ce raid était plus petit que ce qu’ils peuvent être. Quand un Roi Gobelin émerge, tu peux voir des raids de plusieurs milliers de Gobelins. »

« Ce qui fait qu’ils ne sont plus des raids, mais une véritable armée en marche. Bah, la terminologie est complétement insuffisante. »

Pisces fronça les sourcils en regardant sa boisson. Il semblait heureux qu’Erin est sortit l’alcool, mais il aurait été encore plus heureux si Erin avait fait plus de nourriture pour son déjeuner. Elle avait l’impression d’avoir terminé de servir le petit déjeuner, mais il y avait toujours de nouveaux clients à servir, et ce nombre de clients ne faisaient qu’augmenter avec l’arrivée de quelques gardes qui venaient manger dans l’auberge.

En parlant de ça…

L’un des Gnolls en armure fit un signe de la patte, et Erin se tourna.

« Est-ce que tu peux m’occuper de ça, Lyonette ? »

Depuis l’autre côté de la pièce, la fille hésita, et marcha lentement jusqu’à la table avec les Gnolls et les Drakéides, son mécontentement visible sur son visage. Les gardes ne semblaient pas heureux de la voir, mais quelques secondes plus tard elle se dirigea vers la cuisine pour aller chercher de nouvelles assiettes.

Erin avait fait de la soupe. C’était un plat facile à faire et elle allait continuer de le servir au lieu de constamment faire des plats différents pour de nouveaux clients. Elle avait ajouté toute sortes d’épices, de viandes et de légumes dans sa soupe et… Et Erin avait presque l’impression que c’était sa compétence qui faisait la cuisine à sa place.

« C’est délicieux Erin. Merci. »

« Oh, non, de rien ? Hum, j’ai du rab si tu veux. »

« Cela ne sera pas nécessaire. Je suis comblée. »

Yvlon déposa la cuillère dans le bol et soupira de contentement en tendant la main vers sa boisson. Elle avait demandé du lait, un fort contraste avec le reste de son groupe.

Ksmvr hocha silencieusement la tête. Il était en train de boire de l’eau, et il avait terminé deux bols de soupe en silence. Les yeux d’Erin furent attirés par le moignon qu’était son troisième bras, mais l’Antinium ne semblait pas faire attention à sa blessure.

Il était probablement toujours dépresser. Erin n’avait pas à croire qu’il avait été exclu de sa Colonie, comme ça. Elle voulait en parler à Klbkch, mais elle n’avait pas vu l’Antinium et Ceria lui avait dit qu’il n’avait pas été avec la Garde lors de l’affrontement avec les Gobelins.

« C’est juste terrifiant, se dire qu’il pourrait encore en avoir là-bas. Et tu me dis qu’ils ne sont pas les Gobelins de Loks ? »

« Je suis presque positive à ce sujet. »

Ceria hocha la tête et Pisces murmura son agreement. Cela apaisa légèrement le cœur d’Erin. Elle détestait s’imaginer Loks se faire tailler en pièce.

« Je suis heureuse de savoir que vous allez bien. Nous nous sommes aussi fait attaquer par des Gobelins, mais ce n’était pas aussi terrible. »

«Quoi ? »

Ceria leva rapidement les yeux, et Erin leva ses mains.

« Ne t’en fais pas ! Ils ne sont même pas rentrés dans l’auberge. »

« Qu’est-ce que tu as fait ? Ma création les a-t-il tués ? »

« Qui, Toren ? Non. Ils ne se sont même pas approchés. Je leur aie crier dessus et ils ont pris la fuite. »

Les quatre aventuriers échangèrent un regard. Yvlon toussa poliment.

« Tu leur as crier dessus ? »

« D’une certaine manière. Je veux dire, je n’ai pas utilisé [Voix de Stentor]. Mais c’était… Une autre compétence que j’ai appris. Tu te souviens quand tout le monde se battait dans l’auberge ? »

Pisces massa son estomac et fronça les sourcils.

« Comment pourrions-nous oublier ? »

« Eh bien, tu te souviens de quand j’ai crié et que tout semblait être plus lourd ? »

« Je m’en souviens. »

Ceria fronça les sourcils.

« Je pensais que c’était un sort de l’une de ses équipes de rang Or. Tu as fais ça ? »

« Je pense. Et quand j’ai vu les Gobelins venir, je leur ai dit de dégager et ils se sont en allé. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais l’auberge semblait… Plus grande peu de temps après que cela soit arrivé. »

« Plus grande ? »

Ceria semblait septique et Ksmvr et Yvlon semblaient confus, mais Pisces secoua la tête.

« C’est une aura. Je n’ai jamais entendu une aubergiste en utiliser une, mais c’est assez comment dans les classes de leaders. »

« Une aura ? Oh, tu veux dire [Aura de l’Auberge] ? C’est une de mes compétences ! »

« C’est une compétence très utile. Cela te permet de contrôler une zone ; dans ce cas cela semblerait être dans ton auberge pour aider tes alliés ou ralentir tes ennemis. »

« Wouah. C’est trop cool ! »

Erin sourit, et Ceria rit.

« Comment cela se fait que tu ne recherches pas tes compétences en les obtenant, Erin ? »

« J’ai beaucoup à faire, d’accord ? »

Pisces racla sa gorge, et tout le monde le regarda. Il tapa la table alors qu’il prit une voix de professeur.

« Une compétence d’aura est un puissant outil en combat, mais ce n’est pas quelque chose sur laquelle je m’appuierais. Un monstre ou individu suffisamment puissant sera capable de résister à ses effets. Cependant, j’admet qu’il est parfaitement adapté pour s’occuper d’ennemis de bas niveau. Je suspecte que tu sois capable de l’utiliser comme un effet de peur basique, ou du moins sous une certaine forme de d’intimidation comme montré par le fait que tu es repoussé les Gobelins. »

Erin cligna des yeux en regardant Pisces alors que Ceria leva ses yeux au ciel et que Yvlon semblait confuse. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas entendu Pisces faire son professeur.

« Ça à l’air pratique. »

« En effet. »

« C’est une bonne chose que tu te sois débarrassé des Gobelins. Je déteste te voir en danger. »

Tout le monde hocha la tête, tout comme Erin, mais la vérité était qu’elle n’avait jamais été en danger. Neuf Gobelins avaient approché son auberge, et ils étaient déjà hésitant avant de voir Toren débouler en armure. Le cri d’Erin avait surement été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase.

Ksmvr visa son verre, et regarda Erin.

« Je n’aimerai pas vous déranger, Erin Solstice, mais… »

« De l’eau ? Sans problème ! »

Erin prit le verre et alla dans la cuisine. Elle le remplie d’eau depuis une bouilloire qu’elle avait utilisé et regarda combien d’eau il lui restait. Pas assez. Elle pouvait faire bouillir de la neige, bien sûr, mais c’était plus facile d’aller en chercher depuis le ruisseau. Il n’était pas gelé malgré la météo.

« Lyon, nous avons besoin d’eau. Est-ce que tu peux aller me chercher… Deux seaux ? »

La fille grimaça alors qu’Erin retourna dans la salle principale. Elle croisa les bras.

« Moi ? Dehors ? »

Erin fronça les sourcils. Elle n’aimait pas ce ton de voix. Qu’importe que cela soit le ton que Lyonette utilisa la moitié du temps, cela voulait dire qu’il y allait avoir des problèmes. »

« Ouais. Tu l’as déjà fait des centaines de fois. Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Ces terribles monstres ! Ils ont attaqué l’auberge et ils peuvent encore être encore de roder dehors ! »

Lyon pointa la porte du doigt comme si les Gobelins se cachaient derrière. Erin soupira.

« Ils sont tous morts ou en fuite. La Garde en est certaine. »

« Comment est-ce que tu peux en être certaine ? »

Erin s’arrêta.

« Je ne peux pas. Mais je peux t’envoyer Toren, ça te va ? »

Cela irait à l’encontre du but d’envoyer Lyon en premier lieu, mais au moins ils seraient en mesure de transporter suffisamment d’eau pour durer un bon moment.

« Je ne vais pas suivre cette horrible chose ! »

« Tu peux y’aller seule, dans ce cas. Ce n’est pas trop loin. »

« Seule ?! Absolument pas ! Je refuse de travailler tant que tu n’as pas engager un aventurier pour tous les exterminer ! »

La bonne humeur d’Erin s’évapora aussitôt. Ceria cligna des yeux vers Erin et lui tapa le pied avec le sien avant de murmurer à Erin.

« Tu ne lui as parlé de tes… Autres clients ? »

« Cela fait un moment qu’ils ne sont pas revenus. Hum. »

Erin regarda Lyon. La fille lançait des regards triomphants à Erin, comme si elle avait une supériorité morale. C’était toujours comme ça, et Erin n’avait pas envie de s’occuper de ça. Elle regarda sur le côté.

« Toren ? »

Le squelette s’arrêta alors qu’il nettoyait une table de manière automatique avec un chiffon. Il se tourna lentement, et Lyon hurla en s’éloignant de lui.

« Non ! Je refuse de… ! »

Les yeux violets du squelette s’illuminèrent et Lyon courut hors de l’auberge, poussant un cri qui était à la fois un pleur et un hurlement de terreur.

Ceria regarda Toren suivre la fille hors de l’auberge en fronçant légèrement les sourcils. Elle regarda Erin.

« Tu ne penses pas que c’est légèrement cruel que Toren se charge d’elle ? »

« Cruel pour elle ou Toren ? Je lui aie dit qu’il ne peut pas la frapper, la pousser, lui mettre les doigts dans les cottes, ou lui faire quelque chose. Et je ne peux pas m’occuper d’elle. »

C’était un douloureux aveux pour Erin, mais c’était la vérité. Elle avait essayé, tellement essayé ! Mais Lyon refusait simplement de travailler. Qu’importe à quel point elle était gentille ou méchante avec elle, la fille se contentait de la regarder de manière hautaine. Toren avait sa façon de s’occuper de Lyon, dans le fait qu’il n’abandonnait jamais et qu’il pouvait l’effrayer avec ses yeux, Erin n’était pas capable de le faire.

« Je suppose. »

Ceria semblait troublée, mais Pisces secoua la tête.

« J’ai analysé ma création après que Mademoiselle Solstice me l’a fait remarquer. Il a absorbé la magie de la pierre précise dans sa matrice de sortilège. Il semblerait être une moindre version du sort d’origine, mais cela semble suffisamment pratique pour diriger cette agaçante fille. »

Il leva son verre et le vida alors qu’Erin hocha la tête. Elle avait été inquiète à propos de Toren. En vérité, elle l’était toujours. Elle pensait que son cœur allait s’arrêter quand Halrac lui avait tirer une flèche dans le crâne. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’était cette gemme, jusqu’à ce qu’elle réalise que Toren s’était emparé d’une des gemmes d’Ecorcheur lors du combat. Elle n’avait pas la moindre idée de comment il l’avait obtenu.

Cela commençait à la déranger, pour être franche. Pas les yeux, Toren n’essayait pas de lui faire peur et Erin doutait que cela pouvait marcher sur elle après avoir résister à Ecorcheur, mais elle était dérangée par la manière dont il avait changé.

Il portait une armure, il disparaissait de temps en temps… Erin aurait essayé de savoir ce qui se passait avec son squelette, si elle n’était pas débordée. Est-ce que quelque chose n’allait pas avec lui ? Peut-être que Pisces devrait de nouveau l’examiner ? Toren semblait plus intelligent que lorsqu’Erin l’avait obtenu, entre autres.

Mais Erin était toujours occupé. Elle cuisinait, servait des clients, et n’avait pas le temps de faire autre chose. Elle avait espéré que Lyonette aurait allégé son fardeau, mais dans ce cas, la fille alourdissait sa charge de travail.

« J’ai besoin de quelqu’un d’autre pour m’aider. »

« Non, tu as besoin d’une personne plus qualifiée pour t’aider. »

Ceria corrigea Erin alors que la fille tira une chaise à la table. Personne ne lui criait dessus, et Erin avait été debout toute la journée.

« Ouais, ouais. Peut-être que Pisces pourrait me redonner un squelette ? »

Le mage renifla.

« Cela sera difficile. Tu n’as pas le mana pour maintenir un second squelette, et Toren est une œuvre d’art. »

« Oh ? Il me semble plutôt commun, Pisces. »

« Voyons, Springwalker. Tu as surement observé sa capacité à se réanimer ? J’ai mis plusieurs couches de sort de réanimation sur chacun de ses os pour lier l’intégralité du sort. Il ne peut pas être répliquer. »

Ceria regarda Pisces d’un air suspicieux alors qu’Erin cligna des yeux. Est-ce que Toren était vraiment aussi impressionnant ? 

« Alors c’est étrange que tu l’aies donné gratuitement à Erin. »

Pisces hésita et haussa les épaules.

« Je lui devais une dette pour mes repas, et j’ai observé son excellent travail avec les Antinium. Vu comment elle traitait des individus comme Pion… Je me disais qu’elle apprécierait un bon travailleur. »

« Je suppose que c’est vrai. »

C’était étrange, mais Toren avait été utile. Erin y repensa alors que Ceria poussa son bol vide et posa quelque chose sur la table.

« Bien, je me sens légèrement plus vivante. C’est l’heure de faire le compte de ce que nous avons obtenu des Gobelins. »

« Quoi ? »

Erin regarda Ceria sortir deux anneaux, une épée courte, et une sorte de collier rudimentaire fait de cuir avec une grande griffe au bout. La demi-Elfe posa délicatement les quatre objets sur la table et les aventuriers se penchèrent.

« Qu’est-ce qui s’est ? »

« De la magie. Ou du moins, ils sont tous magiques. Nous les avons pris sur les cadavres des Gobelins. »

Ils avaient l’air normaux. L’un des anneaux étaient tachés de sang. Erin frissonna, mais Pisces et Ceria ignorèrent le sang alors que leurs doigts oscillaient au-dessus des anneaux. Erin s’attendait à ce qu’ils prennent un des anneaux, mais ils ne le firent pas. En fait, elle remarqua que Ceria avait levé les quatres objets en utilisant un mouchoir, mouchoir qu’elle réutilisa pour retourner le collier.

« Pourquoi est-ce que vous ne les touchez pas ? Est-ce qu’ils sont dangereux ? »

« Ils peuvent l’être. C’est une règle que tous les aventuriers doivent apprendre : ne jamais toucher un objet magique à moins de savoir ce qu’il fait. Ils peuvent être piégés ou avoir des protections les empêchant d’être volé.

Yvlon hocha la tête. Elle gardait ses mains éloignées des objets magiques.

« Dans le pire des cas, ils peuvent tuer l’utilisateur, ou exploser. Même s’ils ne sont pas mortels, j’ai vu des objets qui commençaient à hurler, ou emmètrent un terrible gaz, voir fondre. »

Erin cligna des yeux en regardant les objets sur la table. Puis elle se cacha derrière Ceria.

« Oh. »

« Ne t’inquiète pas. Nous avons déjà fait ça. Nous n’allons rien détruire. »

La demi-Elfe rassura Erin alors qu’elle et Pisces étudiaient les objets. Pisces était en train de murmurer sous sa respiration, mais il ne faisait rien de magique. Ceria se concentra sur l’épée, fronçant les sourcils.

« De plus, ce n’est pas comme s’ils avaient des enchantements particulièrement puissants. »

« Vous pouvez le savoir ? »

« Bien sûr. Les objets ont une… Intensité. Tu te souviens de comment sont les tiers magiques ? C’est comme cela. Je dirais qu’ils sont de Tier 1… Peut-être 2 sur l’un des anneaux au mieux. Cependant, Tier 1 est quand même bon, il n’y a pas d’enchantement inutile. »

« Ah, mais celui-ci l’est. »

Pisces tapa le pommeau de l’épée et regarda Ceria.

« Très commun. Ce n’est qu’un léger renforcement, es-tu d’accord ? »

« Ravi de voir que tu attends ma confirmation. »

Ceria grommela, mais hocha la tête. Elle leva l’épée.

« C’est un basique enchantement de renforcement. Cela améliorer la force de la lame, mais pas son tranchant. C’est mieux que rien, je suppose ; Yvlon, Ksmvr, vous la voulez ? »

Yvlon secoua la tête.

« Je suspecte que mon épée longue est de meilleure qualité. »

« Vraiment ? »

Erin regarda l’épée d’Yvlon, surprise. Elle était certainement… Plus brillante, mais mieux que de la magie ? »

« Bien sûr. »

Pisces renifla alors que Ksmvr accepta l’épée.

« De l’acier de qualité forgé par un expert ? Comparé à cela, le fer de cette lame est… Acceptable, mais loin de celle d’Yvlon. La magie ne peut pas remplacer le métal dans lequel l’épée est forgée. »

« Sauf si la magie est excellente. Cela semble être des objets que les Gobelins ont volés. »

Ceria regarda le collier et grimaça.

« Hey, celui-ci ressemble exactement à quelque chose venant de la cantine de la Wistram, pas vrai, Pisces ? »

L’autre mage regarda le collier et hocha la tête.

« En effet. Resistance ou nullifcation de plat mal préparé. »

Erin n’en croyait pas ses oreilles.

« Tu veux dire que c’est possible d’empêcher de manger un truc pas frais ? »

« Pratique si tu manges beaucoup d’œufs crus. Je le prendrais bien, mais je crains que la magie ne soit pas bien contenue. »

Ceria haussa les épaules alors qu’elle leva le collier et l’offrit à ceux autour de lui. Erin n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle voulait dire.

« Les mages ont du mal à porter des objets magiques s’ils ne sont pas bien faits. Prends mes robes, par exemple, ils ne perdent pas de magie car leurs enchantements sont… Profondément tissés dans la robe, pour faire court. Mais quelque chose comme ça… »

La demi-Elfe donna une petite pichenette dans la griffe pendante et secoua la tête.

« Cela gênerait ma magie si j’essaye de lancer un sort. Imagine-le comme ça. Si je portais un sort qui protégeait du feu et que j’essayais de lancer un sort de [Boule de Feu], l’anneau magique essayerait d’annuler mon sort. Enfin, c’est plus compliqué que ça… »

« … Bien plus compliqué. »

« … La ferme Pisces. Mais c’est l’idée. Porter ce collier interfèrerait avec beaucoup de mes sorts Je pourrais m’adapter pour éviter cela, mais cela me prendra plus de temps et de mana, et cela ne vaut pas le coup quand la contrepartie est une résistance à quelques maladies.

« Je vois. »

Erin regarda la griffe. Elle n’en avait pas besoin ; si elle faisait quelque chose de mauvais, alors elle méritait le mal de ventre. Mais à sa surprise, Ksmvr leva de nouveau sa main.

« Je m’excuse de mon comportement reprochable, mais je crois que cela me bénéficierait le plus. »

« Vraiment ? »

Il hocha la tête en direction d’Erin.

« Peut-être que ce médaillon me permettra de consommer des produits fait à partir de gluten. »

« Hey, c’est une bonne question ! Et ce n’est pas si couteux, tiens. »

Ceria lança le collier à Ksmvr qui l’attrapa et inclina sa tête.

« Je suis très reconnaissant. »

« Je suis presque certaine que cela ne dérangerait pas l’enchantement sur l’épée, n’est-ce pas Pisces ? »

Il hocha la tête. Erin gratta la sienne.

« Donc les enchantements sur différents objets… ? »

« S’affectent l’un et l’autre. C’est naturel. Si ce n’était pas le cas, chaque aventurier porterait un millier d’objet magique sur sa personne. »

Pisces hocha la tête alors que Ceria commença à examiner les deux anneaux. Il pointa Yvlon du doigt.

« Pourquoi penses-tu que les experts du combat au corps çà corps n’utilisent qu’un bouclier et une épée ainsi que quelques objets enchantés ? Pourquoi ne pas enchanter chaque partie de l’armure ? »

Erin n’avait pas la moindre idée de ce que portait habituellement les aventuriers. Pisces continua.

« C’est possible, bien sûr, mais le talent et le savoir-faire nécessaire pour réaliser chaque pièce d’équipement serait extraordinaire. C’est pour cela que seuls les plus légendaires des guerriers peuvent avoir plusieurs objets enchantés, et les aventuriers normaux ne portent généralement qu’une unique épée enchantée et un anneau dans la plupart des cas. »

« Et nous, au rang Argent, sommes généralement bien trop pauvre pour ce genre de chose. »

Ceria soupira alors qu’elle jeta un anneau à Pisces. Il l’étudia alors qu’elle détourna le regard vers Erin.

« Obtenir des objets magiques, en les achetant ou les trouvant, est le premier vers le rang Or. Mes robes, par exemple, sont la moitié des choses dont j’ai besoin. Si j’avais une bonne baguette, bâton, ou un livre de sort, je pourrais probablement m’appeler une aventurière de rang Or. »

« Un autre anneau sans valeur. Un enchantement mineur de protection contre le froid. »

« Ouaip. Vendons le pour une ou deux pièces d’or, à moins que l’un d’entre vous se sentent froid, Yvlon ? Ksmvr ? »

Les deux autres secouèrent la tête. Ksmvr était en train de mettre la griffe autour de son cou.

« J’ai déjà trop demandé. »

« Je fais confiance au mage »

Yvlon fit un sourire gêné a Ksmvr mais c’était la première fois qu’Erin la vit sourire à l’Antinium.

« Je suppose que tu es désormais l’un d’entre nous, Ksmvr. Ne t’occupe pas tellement des formalités et des dettes ; car nous savons que tu nous aideras quand le moment viendra. »

Il s’arrêta, avant d’hocher la tête.

« La notion de dette sociale m’a été transmise. Je me souviendrais de cette faveur. »

« Ça fera l’affaire. »

Ceria soupira, mais ses yeux s’illuminèrent quand elle étudia le dernier anneau fait de bois avec un paterne de lignes noires grossièrement taillées, il était poli jusqu’à briller. Elle hésita, et versa un peu de sa boisson pour le nettoyer, avant d’attirer l’attention de Pisces.

« Hey, regarde-ça. Peut-être que je me trompe, mais si tu le compares à ta [Protection contre les Flèches] … »

Pisces se pencha pour regarder, et Erin pensa que les deux mages ressemblaient à des chercheurs penchés sur un texte, ou des archéologues cherchant un morceau de poterie sur un site de fouille. Elle supposait qu’il fallait connaitre les sorts pour pouvoir identifier les enchantements.

« La magie c’est plus compliqué que ça en a l’air, huh ? »

Lyon s’arrêta en entrant dans l’auberge et fronça les sourcils en regardant Erin.

« Bien sûr que c’est difficile. »

Toren lui fit signe d’avancer avec les deux seaux qu’il portait alors qu’elle tapa du pied en entrant dans la cuisine. Erin vit Pisces tracer les paternes de l’anneau avant de lever les yeux.

« Une bonne trouvaille. Un enchantement de déflection à usage unique et rechargeable… ? »

« Presque. Oui, c’est un bon. »

Ceria posa l’anneau sr la table et regarda les autres.

« Cet anneau dévie une seule flèche qui vient vers vous, et la magie se recharge jusqu’à pouvoir le refaire. Cela vaut un certain pécule, au moins dix ou vingt pièces d’or, possiblement jusqu’à quarante selon la puissance du sort de déviation et sa vitesse de récupération… Mais je suppose que l’un d’entre-nous peut l’utiliser. Qu’est-ce que vous en pensez ? »

Yvlon regarda l’anneau et se gratta la tête.

« J’ai mon casque pour ce genre de problème. Ksmvr pourrait l’utiliser, mais il a sa peau… Extérieure. »

Ksmvr hocha la tête.

« Ma carapace résistera à la majorité des flèches. Et j’ai déjà clamé la moitié des objets présent. Je pense qu’il serait plus adéquat pour l’un de vous ? »

« Il n’y a que peu de fuite magique. Et je pourrais utiliser la protection. »

« Mes ne sont pas enchantées. »

Ceria et Pisces se regardèrent durant un long moment, et puis elle soupira. Pisces prit l’anneau et Ceria se rassit.

« J’ai le choix sur le premier livre de sort, compris ? »

« Cela est acceptable. »

Erin sourit. C’était juste partagé le butin, mais il y avait quelque chose… D’excitant en l’observant. Elle avait l’impression de faire partie de l’aventure, et elle devait poser la question.

« D’accord, vous avez vos objets magiques. C’est quoi la suite ? »

Les quatre aventuriers s’arrêtèrent et se regardèrent. Ceria haussa les épaules.

« Je suppose que nous enregistrons nos noms, et puis prenons quelques requêtes plus faciles pour économiser de l’argent. De l’extermination de vermines dans les égouts, de la protection… Ce genre de truc. »

Erin perdit son sourire.

« Oh. Donc pas de quête ou d’exploration de donjon ? »

« Regarde comment cela s’est terminé la dernière fois. »

Ceria frappa Pisces à l’arrière du crâne. Il la regarda, et Yvlon sourit tristement.

« La vie d’aventurier n’est pas uniquement faite d’exploration, Erin Nous devons économiser avant de pouvoir prendre de plus grande mission, et ensuite… Cela dépend si nous trouvons quelque chose de valable. Les ruines étaient notre quitte ou double, enfin c’est ce que nous pensions. C’est pourquoi toutes les équipes avaient décidés de tenter le tout pour le tout. »

« Et maintenant ils sont partis, et nous sommes de nouveau pauvre. »

Ceria soupira alors qu’elle rapprocha sa boisson. Toute l’excitation avait disparue, et elle regarda son verre.

« Tuer des rats. C’est comme ça que j’ai commencé ma carrière. J’ai tué plus d’un millier de ces foutus trucs avant de pouvoir trouver un meilleur boulot, et je pensais ne plus jamais avoir à le refaire. Mais me revoilà. A tuer des rats. »

« Est-ce qu’ils sont vraiment si problématiques ? »

« S’ils se reproduisent et qu’ils commencent à donner bas à des variantes de la taille d’un Minotaure, oui. Ils sont généralement trop gros pour les chats et attirent les maladies, donc nous obtenons des pièces de cuivres pour chaque queue. »

Pisces renifla.

« Je déteste les égouts. Mes robes… »

« Alors apprend un sort de nettoyage. »

« Tu as un livre ? »

« Je déteste le dire, mais mon armure va empester pendant des mois. »

Yvlon soupira et même Ksmvr hocha la tête.

« Je suis inconfortable avec l’odeur, mais je souhaite aider ce groupe dont je fais partie. Qu’importe ma location. »

Erin le regarda et sourit légèrement. Il semblait qu’il essayait vraiment de faire ce qu’elle avait suggéré, de faire partie d’un groupe comme Klbkch et Pion. Mais son sourire disparu alors qu’elle regarda les aventuriers moroses.

« Hum, peut-être que vous pouvez faire d’autres requêtes ? »

« Ouais. »

« Peut-être. »

« Fort peu probable.’

Ceria soupira.

« Avec tous les aventuriers présents, nous allons peut-être trouver un ou deux bons contrats, mais les autres boulots sont de l’extermination de pestes ou monter la garde à minuit. Même si nous allons au nord vers Esthelm, et cela nous couterai de l’argent que nous n’avons pas, c’est mieux de commencer petit. Nous avons besoin de bon équipement avant de pouvoir prendre des missions nous demandant d’affronter des Mitours. »

« Qu’est-ce qu… ? »

« Ça vole et c’est un ours. Avec des antennes. Et des griffes. »

« Oh. »

« Certains d’entre eux sont venimeux. »

« Ah. »

« Mais honnêtement, je serais prêt à en affronter un groupe si nous avions l’argent. Si… »

« Après un mois de boulot ? Puis après nous allons pouvoir étudier les missions plus dangereuses. »

« Ouais. C’est juste que… Je suis désolé pour vous. J’aimerai avoir de meilleures nouvelles, mais si vous y êtes tous commit… »

Yvlon hocha la tête.

« Je suis avec toi, Ceria. Je te l’ai dit. »

Pisces haussa les épaules.

« Je suppose que patauger dans la boue serait préférable à travailler avec de moindres compagnons. »

Ksmvr inclina légèrement sa tête.

« Je travaillerai dur pour profiter au maximum de l’opportunité que vous m’avez donné. »

Ceria sourit. C’était un léger sourire, mais c’était présent. Elle se leva, et posa ses mains sur la table.

« Je suis désolé. Cela fait si longtemps que je n’ai pas fait cela, j’avais presque oublié ce que cela représentait. Mais lorsque nous nous réunissons pour former une équipe, c’est quelque chose de spécial. J’ai été membre des Cornes d’Hammerad pendant des années ; j’ai fait partie de l’équipe d’origine lorsque Gerial et Calruz et moi l’avons formée, et nous étions les plus grands amis, les plus proches compagnons à l’époque. »

Elle secoua la tête et une ombre passa sur son visage.

« Ils sont morts. C’est ce qui nous arrive à la fin. Mais les Cornes se sont battues jusqu’au bout, tous sauf une, qui s’est enfui car ses amis se sont sacrifiés pour la garder en vie. Les Cornes d’Hammerad ne disparaitrons pas tant que je serais en vie. Et si vous vous battez à mes côtés, les Cornes d’Hammerad continuerons de se battre »

Yvlon se leva aussitôt et posa sa main sur la table. Erin retint sa respiration alors que Pisces se leva.

« Tu garderas le nom ? Je crois qu’il vient du Minotaure, n’est-ce pas ? »

Ceria haussa les épaules.

« A moins que tu en ai un meilleur ? »

« Ce n’est pas le cas. Et je me battrai à tes côtés, Springwalker. Moyennant payement, bien sûr. »

« Bien sûr. »

Pisces posa délicatement sa main sur la table. Il sourit, et pendant un instant Erin pensa que c’était l’une des expressions les plus honnêtes qu’elle l’avait vu faire. Ksmvr fut le dernier. Il hésita.

« Je suis venu ici avec mon désespoir. J’ai été recommandé… Est-ce vraiment acceptable pour quelqu’un comme moi de vous rejoindre si rapidement ? »

Ceria et Yvlon rirent.

« C’est la vie d’aventurier. Nous sommes spontanés. Un ennemi peut être un ami et la fortune peut se faire en un instant. Si tu es avec nous, ne nous trahis pas. »

Il hocha la tête.

« Je ne le ferai pas. Je le jure. »

Une quatrième main rejoint le cercle. Erin retint sa respiration, tout comme le Drakéide derrière elle. Ceria, Yvlon, Pisces et Ksmvr tinrent leurs mains ensemble durant un moment, et s’éloignèrent.

« Les Cornes d’Hammerad vivent de nouveau. »

Yvlon secoua la tête.

« Elles ne sont jamais mortes. »

Ceria sourit faiblement.

« Et maintenant, en tant que votre glorieuse chef, je vous mènerais vers la plus grande chasse de rat que le monde connaitra. Nous allons patauger dans la bouse durant des semaines ! »

Pisces secoua la tête et Yvlon rit légèrement. Puis une autre voix parla, silencieusement.

« Et si vous n’aviez pas à faire tout cela ? »

Erin se retourna. Olesm était de nouveau derrière elle. D’une certaine manière, elle n’était pas surprise. Elle l’avait sentit rentrer dans l’auberge il y a peu, alors que les quatre étaient en train de reformer leur équipe. Mais il ne partageait pas leurs énergies.

Ceria hésita. Pisces leva ses yeux au ciel et Yvlon soupira.

« Olesm ? Qu’est-ce que… »

« J’ai, ah, entendu que vous reformiez votre compagnie. Félicitations. »

Le Drakéide hocha la tête en regardant les Cornes d’Hammerad. Ceria hésita et jeta un coup d’œil sur Erin. L’humaine pouvait voir la douleur dans ses yeux.

« Eh bien, Olesm, ils viennent de reformer le groupe, mais je suis sûr que si tu t’entrainais et que tu devenais un aventurier, tu pourrais aussi… »

Le Drakéide secoua la tête.

« Non. Non, je ne peux pas être un aventurier. »

« Olesm. Ce n’est pas parce que j’ai dit que… »

« Ce n’est pas ça. Je viens de recevoir le message d’un mage. Il y a un Seigneur des Gobelins au sud. Il a lever une armée, et Liscor va avoir besoin de tout le monde sur ses murs s’il vient vers le nord. »

Ceria retint sa respiration et Yvlon secoua la tête. Erin fronça les sourcils, confuse.

« Un Seigneur des Gobelins ? Est-ce une mauvaise chose ? »

« Ce n’est pas un Roi Gobelin, mais proche. Est-ce qu’il y a des informations sur la taille de son armée. »

Olesm secoua la tête.

« Il n’y a pas de détails. Mais il est fort. Zel Shivertail en personne l’a affronté et à dut battre en retraite. Son armée était plus petite, mais… »

« Par les dieux morts. Shivertail a perdu une bataille ? »

Erin réalisa que l’auberge était silencieuse. Elle regarda quelques gardes et remarque qu’ils étaient debout. Et blanc comme des linges. Olesm se tourna et hocha la tête.

« Son armée était toujours en effectif réduit, mais tant que des armées ne sont pas mobilisés pour détruire le Seigneur des Gobelins, la ville sera en alerte maximale. Capitaine Zevara vous en dira plus. »

Les gardes échangèrent des regards et quelques-uns des autres clients de l’auberge d’Erin se levèrent et commencèrent à mettre de l’argent sur leur table. Elle hésita, mais Toren était là pour récupérer les assiettes et les pièces. Olesm regarda Ceria.

« Le Conseil n’accepterait jamais ma demande de départ. Même sans moi, les murs de Liscor ne tomberaient jamais avant l’arrivée des renforts, mais je suis le plus puissant [Tacticien] aux alentours, alors… »

Il montra ses mains, désemparé.

« Je suis ici pour rester. »

Le cœur d’Erin lui fit mal. Ceria hésita, et tendit la main vers Olesm. Il la dépasse et posa quelque chose sur la table.

« Je l’ai trouvé plus tôt dans la journée. Vous devriez l’utiliser. »

Confuse, Erin regarda Olesm faire de la place sur la table et déplier le parchemin. C’était une carte, un parchemin vieillot qui détaillait un vaste complexe. Ce dernier avait plusieurs chemins, ce qui semblait être des pièces secrètes…

« Qu’est-ce que c’est ? Je veux dire, c’est une carte, pas vrai ? »

« Une carte. Oui. »

Ceria et Yvlon étudièrent la carte pendant que Pisces regardaient fixement les symboles couvrant le parchemin. Ils étaient fanés, et Erin ne pouvait pas les lire. Cela ressemblait au script bizarre utilisé par les Drakéides. Elle avait déjà vu l’écriture anglaise correcte, mais c’était différent. Mais Pisces pouvaient clairement lire la langue. Ses lèvres bougèrent silencieusement, puis il leva les yeux et perdit ses couleurs.

« Albez. Tu as une carte ? »

La réaction de Ceria fut immédiate. Elle leva la tête et se tourna si rapidement qu’Erin pensa qu’elle venait de se faire un torticolis. Elle regarda Yvlon, et les deux allèrent directement aux fenêtres. Erin les regarda alors qu’elles commencèrent à les fermer.

« Erin, pouvons-nous verrouiller cette porte ? »

« Quoi ? S… »

Ceria barricada la porte de l’auberge et aida Yvlon à fermer les dernières fenêtres. L’auberge était soudainement très sombre, mais Pisces lança un sort de [Lumière] alors que les deux aventuriers se penchèrent sur la carte. Le visage de Ceria était pâle, et ses mains tremblaient d’excitation. Yvlon était pareil.

« Par les dieux morts. Regardez ! C’est une carte d’Albez ! »

« En es-tu certaine ? »

Yvlon regarda Ceria. La demi-Elfe s’arrêta.

« Il devrait y avoir des repères. Tu y as été aussi, Yvlon. Est-ce que tu peux voir… ? »

« Ici. »

Un doigt en armure pointa vers un bâtiment sur la carte. Erin se mit sur la pointe des pieds pour voir la carte.

« C’est exactement comme la ruine que les Loups Carnassiers utilisent comme base de temps en temps, pas vrai ? Celle avec le dôme brisé. »

« Tu as raison ! »

Ceria regarda la carte, avide, son doigt traçant la page.

« Regarde, si tu es ici… C’est forcément une salle secrète. Qui semble directement mené à une réserve. Si nous avions seulement un moyen d’aller vérifier. Olesm, sais-tu as quel point cela à de la valeur. »

Le Drakéide hocha lentement la tête. Il fit un sourire à Ceria, un sourire triste, remarqua Erin.

« J’ai ma petite idée. Ecoutes. C’est un cadeau. Vous en avez besoin, pas vrai ? »

« Olesm, c’est peut-être notre grand coup. »

Erin ne comprenait toujours pas ce qui se passait. Elle regarda Olesm, puis Ceria et Yvlon avant de recommencer. Ksmvr faisait la même chose.

« Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce une bonne chose ? »

Yvlon hocha lentement la tête. Elle parla en étudiant la carte.

« Les ruines d’Albez sont au nord. Elles sont célèbres pour être, eh bien, pleines de trésors. Mais la plus grande partie a été nettoyée il y a des décennies ; les équipes d’aventuriers peuvent trouver quelque chose d’extrêmement précieux de temps en temps, mais c’est habituellement un effort infructueux. »

Les yeux de Pisces trahissaient son avarice alors qu’il étudiait l’ancien parchemin.

« Mais si nous avions une carte de tout l’endroit et que nous savions où chercher, nous pourrions trouver des trésors jamais trouvés auparavant ! Il s’agit simplement de cacher ce que nous savons et que nous demandions la permission d’explorer les ruines et de s’occuper des monstres et des pièges sur place. Mais le potentiel… »

« Personne n’avait obtenu une carte de ses ruines auparavant, Erin. Personne. »

Ceria regarda le parchemin, et elle serra ses mains.

« C’est un gros coup. Peut-être plus important que les ruines. Parce que la plupart des pièges, tous les grands monstres et gardiens de ce donjon sont déjà partis. Albez a été mis au jour lors d’un tremblement de terre. Donc, s’il y a un trésor, il pourrait ne pas être gardé. Et les meilleurs objets du donjon pourraient nous attendre. »

Elle leva les yeux vers Erin, et la fille sentit un frisson d’excitation en voyant le regard de Ceria. Quelque chose brillait dans les profondeurs des yeux de la demi-Elfe. Un regard qui était visible dans les yeux des trois autres aventuriers, même Ksmvr.

« Cela pourrait tout changer. »

***

Ils partirent après quatre heures.  Erin avait été présente pour tout cela, laissant Lyon se replier dans sa chambre et Toren nettoyer et s’éloigner alors qu’elle écoutait les aventuriers se disputer et parler. Olesm était partie tôt aussi, et Erin aurait aimé avoir quelque chose à lui dire. Il avait été sombre, et malheureusement, Ceria avait été si excitée qu’elle n’avait pas dit plus qu’un au revoir lors de son départ.

Mais les aventuriers étaient consumés par une passion qu’Erin n’avait vue qu’une seule fois auparavant, le dernier jour où elle avait vu les Cornes d’Hammerad ensemble. Non, cette fois c’était encore plus grand, d’une certaine façon. Parce que le trésor était là. Ils le savaient, et ils voulaient le trouver en premier.

Ils empruntèrent de l’argent à Erin. Beaucoup d’or, qu’ils promirent de rembourser en revenant. Si cela voulait dire qu’ils allaient revenir, alors Erin aurait donné tout son or.

Elle offrit de la nourriture et des ressources, et même Toren, mais ils ne prirent que la nourriture. Ils étaient en train de se rendre en ville pour acheter tout ce qu’ils pouvaient, laissant Erin et son auberge derrière eux.

Elle se sentit un peu seule. Sa vie n’était pas comme ça, pleine de passion, de danger et de possibilités. Une partie d’Erin voulait dire ‘emmenez-moi avec vous’, mais ce n’était pas une tueuse. Ou une aventurière.

Mais une petite partie d’elle voulait l’être. Un peu d’Erin voulait les rejoindre, et elle était assise à une table, la tête appuyée sur ses mains, à réfléchir.

« Peut-être que je peux être une aventurière. J’ai des Compétences. »

Elle avait certaines compétences. Et elle avait deux niveaux dans la classe [Guerrier]. D’accord, ce n’était pas génial, mais peut-être qu’elle pourrait s’entraîner ?

C’était une pensée séduisante. Erin ne s’était jamais considérée comme une combattante, c’est pourquoi elle ne gagnait pas de niveaux, selon Selys. Mais peut-être que si elle le voulait...

Y avait-il une classe [Aventurier] ? Probablement pas, car Ceria et Yvlon n’en avaient pas, mais était-il possible de créer une classe ? Erin n’y avait jamais pensé avant. Peut-être...

Quelqu’un frappa à sa porte. Erin sausauta, puis réalisa que Ceria et Yvlon n’avaient même pas rouvert les fenêtres. Elles avaient terriblement peur que quelqu’un découvre qu’ils avaient une carte, surtout une des équipes de rang Or.

« J’arrive ! »

Erin s’approcha de la porte et l’ouvrit. Elle s’attendait à recevoir un autre invité, peut-être pour le dîner. Mais au lieu de cela, elle cligna des yeux et sa mâchoire se décrocha quand elle vit le majordome.

Il devait être majordome. C’était ça ou il était le valet le plus cool du monde. Ses cheveux étaient foncés et peignés, son manteau et son pantalon étaient noir foncé avec une chemise blanche parfaitement repliée en dessous, et il a regardé Erin avec une expression de courtoise attente. Du fil d’argent était brodé dans son manteau, et ses boutons semblaient être fait d’o.

Erin le regarda. Elle avait l’impression d’avoir quitté ce monde et d’être atterrit en Angleterre ou un endroit du genre. Le majordome se tenait dans la neige piétiner, alors que des flocons commencèrent à tomber autour de sa tête.

« Mademoiselle Erin Solstice ? Je suis un [Majordome] au service de Lady Magnolia Reinhart. »

Même sa voix semblait formelle et super cool. Erin n’avait pas d’autre mot. C’était juste… Cool.

« Quoi ? Hein, quoi ? Comment connaissez-vous mon nom ? »

« Je n’ai pas la liberté de la dire, mademoiselle. Voulez-vous m’accompagnez ? J’ai une invitation pour que vous vous joignez à Magnolia Reinhart dans sa demeure à Invrisil. »

Il fit un pas en arrière, un autre geste calculé, et leva sa main pour indiquer la calèche. Erin n’avait même pas vu la calèche avant cela. Elle était d’un vert profond entouré d’or, et les roues étaient peintes en noir. Et les chevaux ressemblaient à des fantômes.

« Qu… »

Deux chevaux spectraux se tenaient dans la neige, grattant le sol comme s’ils étaient réels. Mais ils avaient une couleur dorée et lumineuse qui vribrait d’énergie magique. Le [Majordome] inclina légèrement sa tête.

« Lady Reinhart espère que vous accepterez son invitation. Aucun mal ne vous sera fait. »

« Q…M… Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle me veut ? »

Ryoka avait mentionné une Lady Magnolia, n’est-ce pas ? Est-ce qu’elle l’avait confondu avec Erin ? Mais le [Majordome ne semblait pas perturbé.

« Pour vous amenez aux autres, bien sûr. Lady Magnolia souhaite vous réunir avec votre peuple. »

« Mon peuple ? J’ai un peuple ? Qui est mon peuple ? »

Le [Majordome] leva un sourcil.

« Les autres personnes de votre monde. Lady Magnolia en a trouvé huit autres, sans vous compter vous et Mademoiselle Ryoka. Ils sont réunis sous sa protection. Aimeriez-vous les rencontrer ? »

Erin le regarda. Puis elle regarda la calèche et les chevaux magiques. Et le [Majordome]. Puis de nouveau la calèche et les chevaux.

Soudainement, elle n’était pas certaine si Ceria et les autres devaient être les cibles de son envie.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 13 janvier 2021 à 21:24:55

 
2.34 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Je marche parce que courir reste encore trop douloureux. Je bouge parce que c’est juste un tout petit peu préférable à rester immobile.
 
Mais oui. J’ai mal.
 
Au-dessus de ma tête, le ciel s’éclaircit brièvement, révélant un morceau de ciel bleu. Mais les nuages arrivent vite, et il y aura du blizzard avant la nuit. Je ne suis pas météorologue, mais les fées volantes qui me tiennent compagnie me disent que ce sera le cas. Et je les crois.
 
Je ne suis pas folle, je le jure.
 
Certains jours, je crois l’être, vraiment. Par le passé, j’étais certaine d’être saine d’esprit malgré ce qu’en pensaient les gens autour de moi*. Aujourd’hui, toutefois, je commence à me demander si tout cela n’est que le fruit de mon cerveau malade et que je suis enfin en camisole de force.
 
*Beaucoup de diagnostics, faits par des gens aux longs parcours académiques. Ce qu’ils voulaient dire par “troubles sociaux”, c’était simplement que j’étais une morveuse non coopérative qui détestait les figures d’autorité. J’ai enfermé un thérapeute dans son bureau, une fois, et suis partie avec la clef. C’était le bon temps...
 
Mais je décide en avançant dans la neige qu’un délire ne peut clairement pas être aussi douloureux que cette réalité. Mon corps entier est…
 
Honnêtement, on dirait que je me suis faite faucher par une voiture avant d’être battue avec des bâtons pendant quelques heures. J’ai envie de me rouler en boule et de pleurer au moindre mouvement, mais cela me ferait encore plus mal.
 
L’effet de la potion que m’a donnée Teriarch s’est estompé depuis, bien sûr. J’ai vaguement commencé à ralentir une vingtaine de minutes après l’avoir bue.
 
Je dis vingt minutes, mais je parle plutôt de ce mouvement flou et sans fin - tout s’était accéléré dans ma tête, mais à ce moment-là, j’avais l’impression que tout allait à une vitesse normale. J’ai traversé ce champ de bataille, et suis revenue en direction de Liscor. Je pense que j’ai dû parcourir plus de quatre-vingts kilomètres pendant ces vingt minutes - je me trompe peut-être complètement, mais j’allais littéralement plus vite qu’une voiture donc qui sait.
 
Bref, lorsque la potion a cessé de faire effet, je me suis tout simplement effondrée. Les fées avaient ri à s’en décrocher leurs petites mâchoires lorsque j’avais commencé à sentir la douleur dans mes jambes, mais je suis tout de même parvenue on ne sait comment à me traîner dans une caverne qu’elles m’avaient dénichée.
 
Voilà encore autre chose. Les fées sont restées avec moi pendant toute la durée de ma course. Elles étaient encore plus rapides que moi - non, je ne pense même pas qu’elles aient eu du mal à me suivre. À quelle vitesse volent-elles vraiment ?
 
Revenons au sujet important. Vous voyez comme on peut se déchirer les muscles en courant vraiment vite ? Imaginez l’effet qu’une course aussi rapide aurait sur votre corps.
 
J’avais plusieurs potions de soin dans mon sac avant d’arriver chez le Nécromancien. Elles étaient d’excellente qualité, d’ailleurs. Je n’en ai plus, à présent, et j’ai encore mal partout.
 
Je pense être restée dans la caverne pendant deux jours, à essayer de soigner mes muscles déchirés et à me contenter de… de me souvenir de ce qu’il s’était passé. Après m’être arrêtée, je n’arrivais même pas à assimiler ce qui m’entourait. Mon esprit était encore trop occupé à me rattraper là où je l’avais laissé.
 
Revenons au présent. J’ai fini par quitter cette maudite caverne et à me remettre en mouvement parce que je me sentais mieux, et aussi parce que les fées commençaient à s’ennuyer et à jeter de la neige dans la caverne. Si j’avais attendu encore une journée, je serais probablement restée coincée à l’intérieur.
 
Donc voilà. J’en suis là, en ce moment. Je marche d’un pas chancelant dans la neige, en direction de mon point de départ. Il me reste beaucoup de chemin pour atteindre Liscor, mais j’ai beaucoup de choses auxquelles il me faut réfléchir.
 
Comme à Az’Kerash. Le Nécromancien. La bataille, le Seigneur des Murailles Il… qu’importe son nom, et…
 
Périss.
 
“Bordel.”
 
Tout est allé si vite. J’étais une coursière, puis une prisonnière, puis une non combattante au milieu d’une zone de guerre, puis…
 
Je les ai menés à leur mort. C’était ma faute. Certes, ils me pourchassaient et allaient probablement me battre comme plâtre et m’emprisonner, mais…
 
Ma faute. Impossible d’y échapper. Périss était peut-être un limier loyal à son maître, mais elle restait très courageuse. Et elle m’avait laissé filer pour combattre ce qu’elle considérait comme la plus grande menace contre son peuple.
 
Le Nécromancien. Az’Kerash. Perril Chandler. Je me souviens de ce que je l’ai vu créer, et je suis prise d’un haut-le-corps.
 
“Oh, c’est vrai. La lettre.”
 
Je marque une pause.
 
“Enculé de dragon.”
 
Je le déteste tellement fort. Une des fées m’entend marmonner et descend en flottant pour se moquer de moi.
 
 “Qu’est-ce qu’il y a ? Tu ne t’attendais donc pas à ça ?”


Je fusille la fée du regard. Comment se peut-il que j’aie probablement plus parlé à ces monstres flottants qu’à qui que ce soit d’autre en ce monde ou… la majeure partie de ma vie ?
 
“Quand on me dit de livrer… non, quand un Dragon me jette un sort pour me faire faire une livraison et qu’il me paie presque mille pièces d’or pour envoyer quelque chose à un Nécromancien légendaire, je m’attends à ce que ce soit important.”



 “Hah !”


La fée me rit au nez. Elle s’élance dans les airs et se pose sur ma tête. Pour une raison inconnue, elles aiment vraiment s’asseoir ici. Je ne suis pas sûre que ce soit une fée à qui j’ai déjà parlé ; je crois que si, mais je ne suis pas raciste lorsque j’affirme qu’elles se ressemblent vraiment toutes. C’est difficile de distinguer des visages gelés les uns des autres, d’accord ?




 “Si c’était important, le Dragon aurait usé de magie, imbécile ! Mais il n’avait pas envie de traverser les wards de celui qui relève les morts, et il voulait être poli. Tu es encore plus bête d’avoir cru que tu transportais un objet de valeur.”


Je serre les dents, mais c’est un bon argument. Si Teriarch peut altérer les souvenirs et se déguiser en Humain - et s’il peut me téléporter jusqu’à Celum en quelques secondes - il n’a vraiment pas besoin même des meilleurs Courriers.
 
Maudits Dragons et leur politesse. Qui l’aurait cru ?
 
“D’accord. Qu’importe. Dégage de ma tête. Tu me donnes la migraine.”


 “Ooh, et qu’est-ce que tu me feras si je ne bouge pas ?”



Je lève le doigt et le pointe sur la fée.



“[Lampe Torche]
 
Pendant bref un instant, le monde autour de moi s’illumine, et la fée pousse un cri de surprise. Je souris en la voyant s’envoler ; poussant des jurons dans ce qui me semble être du… gallois ? Leur accent semble varier selon les fées, ce qui est étrange, mais pas tant que ça si on part du principe qu’elles occupaient différentes zones de l’Europe. Je jurerais avoir entendu une fée parler avec un accent Allemand, mais elles se payait peut-être juste ma tête.
 
Mais bien sûr, toute action portée à l’encontre d’une fée entraine une réponse au moins égale. Elle lâche un tas de neige sur ma tête. Je pousse un juron et envoie de nouveau un flash dans sa direction.
 
D’un doigt. Il brille dans le ciel, tellement lumineux que je peux voir le faisceau même à la lumière du jour. Il est apparu que je peux très bien ajuster l’intensité de la lumière, et j’aveugle de nouveau la fée.



 “Espèce de salope !”


Son vol devient erratique devant la lumière que je lui envoie, puis elle s’arrête, revient sur ma tête en voletant, et me sourit.



 “Ah, baste. C'était une plutôt bonne surprise !”


Typique des fées. Insultez-les vaguement et elles vous pourchasseront, mais faites un truc du genre et elles trouveront ça un peu rigolo. Je commence à mieux les comprendre, mais elles me surprennent toujours un peu. La fée sur ma tête ne paraît même plus vraiment se soucier de la lumière. Je fronce les sourcils en poursuivant ma marche, tentant de tromper la douleur qui m’enserre le crâne en réfléchissant aux fées.
 
“Est-ce que tu viens juste d’éteindre tes yeux, ou quelque chose dans le genre ?”




 “Quoi ? Tu es stupide ou quoi ? Nay. Je me suis contentée de regarder par-delà la lumière, c’est tout.”



“... je vois.”
 
Plusieurs niveaux de vision ? De toute évidence, une fée a sans doute accès à toutes sortes de spectres lumineux. Mais cette explication reste peut-être trop simpliste, elle pourrait peut-être bien se contenter d’ignorer la fréquence de lumière que je lui envoie à sa guise. Huh.
 
Une minuscule tête entre dans mon champ de vision et la fée me sourit.




 “Si tu voulais vraiment nous surprendre, ce serait mieux de rajouter à ta lumière le gros bruit et tout ton tintamarre !”



“Quoi ? Oh, tu parles du sort de [Grenade Assourdissante].”
 
C’était un bon sort. Je n’avais aucune idée que j’en étais capable, mais pendant mon séjour dans la caverne, je m’étais mise à expérimenter avec les deux sorts que je connaissais. [Bruit] et [Lumière]. Je m’étais dit que si j’étais capable d’altérer le sort de [Lumière], pourquoi pas altérer le sort de [Bruit] ? Et bon sang, pourquoi pas combiner les deux ?
 
Un jour et demi plus tard, mes deux tympans endoloris prouvèrent que c’était possible. L’éclat de bruit et de son ne correspond pas tout à fait à une véritable grenade assourdissante - et il implique beaucoup moins de morts et de blessures comme ce n’est que de la lumière et du son, et non pas une véritable force d’explosion comme les maudites grenades que les gens utilisent, “non létales” mon cul - mais ça fonctionne.
 
Du son et de la lumière. De la lumière et du son, juste amplifiés. C’est la chose la plus simple à se rappeler, surtout si on a déjà vu une grenade assourdissante se déclencher*.
 
*Ouaip. Des raids de police en quête de drogue, une fête endiablée, et je ne me droguais d’ailleurs pas. Mais essayez d’expliquer ça à un tas d’officiers en train de retourner la maison sens dessus dessous. L’unique fois où les connaissances de mon père ont vraiment réussi à me tirer d’un pétrin dans lequel je ne m’étais pas fourrée volontairement.
 
C’est un super sort, et je vois bien à quel point il aurait pu m’être utile avec tous ces soldats. Bon sang, il m’aurait peut-être permis de ralentir suffisamment Périss - enfin, le sort de [Lampe Torche] suffit bien pour aveugler les gens. Le sort de [Grenade Assourdissante] est un peu plus intense, et il me frappe aussi, ce qui est un problème majeur. Comme je ne peux pas déplacer le sort de [Bruit], il reste toujours réglé en mode tir ami ce qui pue du cul. Et il me reste un problème.
 
“Je me sens mal après avoir lancé ce sort ne serait-ce qu’une fois. Je n’ai pas assez de mana pour continuer à l’utiliser.”


 “Mauviette.”


Je fusille du regard la fée qui fait pendouiller ses jambes froides sur mon front.
 
“À ce que j’ai compris, la magie n’est pas quelque chose que je peux entraîner pour en augmenter mes capacités, sauf si je souhaite altérer mon corps d’une manière ou d’une autre. Je n’aurai jamais plus que ce que j’ai et je suis déjà reconnaissante d’en avoir. À moins que tu n’en saches plus que moi sur le sujet ?”
 
Je suis certaine que c’est le cas. J’ai beau détester ces fées parfois, elles n’en demeurent pas moins une putain de mine d’informations. Quand elles choisissent de les partager.
 
Ce qui n’est pas le cas de celle-ci. Elle renifle d’un air méprisant, arrogante comme une reine malgré le fait qu’elle soit nue et minuscule.
 
 “Bien sûr que nous savons comment marche la magie. Mais pourquoi devrions-nous te le dire ? Et comment pourrais-tu comprendre ? Est-ce que tu expliquerais comment respirer à un caillou ?”


“J’essayerais. Et je pourrais essayer de comprendre votre vision de la magie. Sauf si c’est plutôt que tu ne comprends pas suffisamment tes pouvoirs pour les expliquer, je me trompe ?”
 
La fée marque une pause, et je crois l’avoir eue. Mais elle éclate alors d’un rire, clair et lumineux comme celui d’une cloche. Elle s’envole, et quelques-unes de ses amies descendent voleter près de moi pour se payer ma tête elles aussi.
 
 “Ooh, regardez. Le jouet essaie d’être maligne. Prends ça !”
 
Elles lancent des pichenettes dans ma direction et je baisse la tête. Mais aucune neige n’apparaît. je fronce les sourcils, avance d’un pas…
 
Et glisse sur la plaque de verglas qu’elles viennent de créer. Je m’écrase par terre et jurant sous leurs éclats de rire et reste coincée sur le flanc en me débattant pour me relever.
 
Les fées. Mais j’imagine que je le méritais ? Attends une seconde, non, pas du tout. J’ai juste posé une putain de question sur la magie. Elles peuvent aller se faire foutre avec leurs opinions sur ce que je devrais ou non avoir le droit d’apprendre.
 
Mais à chaque fois que je leur parle, je jure que ça en vaut la peine. Ecchymoses comprises.
 
Jouet. Voilà encore un mot qu’elles ne cessent d’utiliser. Lorsque les fées finissent de se bidonner, je leur pose la question.
 
“Qu’entendez-vous par “jouet” lorsque vous parlez de moi ? Je vous ai déjà entendues m’appeler comme ça. Du qui suis-je le jouet ? De Teriarch ?”
 
Huh. Les fées cessent aussitôt de rire devant cette question. Elles échangent un regard, et je les observe. Puis l’une des fées secoue la tête.
 
 “Comme si le Dragon allait s’encombrer de toi. Nay, tu es le jouet de puissances encore plus grandes. Mais tu n’as aucune idée de ce que tu as abandonné, pas vrai ?”


“Abandonné ? De quoi parles-tu ?”


 “Arf. Comment pourrions-nous te l’expliquer ? Que peut bien faire une esclave lorsque les chaînes sont autour de son cou ? Mais tu les as acceptées de ton plein gré, pas vrai ?”
 
Elle se tourne vers ses compagnes et secoue de nouveau la tête.
 
 “Tes… classes, imbécile ! Tes niveaux, et autres bêtises. Tu es un jouet, et tu ne sais ni ce que cela signifie, ni qui joue à ce jeu.”
 
Et la voilà. Une part du mystère, juste devant mon nez, si seulement j’étais assez intelligente pour en assembler tous les morceaux. Je fronce les sourcils, mais je remarque alors l’expression de la fée. Elle est en train de me… fusiller du regard. Et les autres aussi.
 
Hum. Elles n’aiment vraiment, vraiment pas ce sujet. Et je vois bien qu’elles s’apprêtent soit à s’envoler, soit à me faire quelque chose d’affreux, pas juste une blague.
 
Je la regarde donc droit dans les yeux et secoue la tête.
 
Je ne suis pas un jouet, moi.”
 
“Menteuse !”
 
“Mensonges, vous êtes tous des jouets ! Des esclaves ignorants !”
 
“Tu ne peux dissimuler la vérité !”
 


Okay, là, elles sont vraiment fâchées. Les fées volent autour de moi, et d’autres descendent. Elles ont l’air en colère.
 
Les fées. Elles changent vite d’émotions. Et elles sont dangereuses. Je déglutis, mais je lève les mains en l’air.
 
“Je dis la vérité. Je n’ai ni classes, ni compétences. Je n’ai jamais gagné de niveaux. J’ai choisi de m’en abstenir.”
 
Elles se figent. L’une des fées plisse les yeux et me dévisage.
 
 “Vraiment ?”


“Vous ne pouvez pas le voir ?”
Elles hésitent, puis secouent la tête avec réticence. Huh. On dirait que c’est l’une des choses que les fées ne peuvent pas faire. L’une d’elles, la première à m’avoir parlé, je crois, se rapproche en flottant et me dévisage d’un air suspicieux.
 
 “N’essaie pas de nous duper, mortelle. Dis-le-nous sans détours : as-tu des niveaux ? As-tu accepté le pouvoir de ce monde ?”
 
Je plonge mon regard dans le sien. S’il y a un moment où être honnête…
 
“Je le jure. Je le jure par l’eau, par l’herbe et la terre et le ciel et sur mon nom. Je le jure par l’honneur et la vie elle-même.”
 
Je ne suis pas sûre que ce soient les bons mots. Je ne connais aucun serment de fée et j’ai oublié tous les serments célèbres. Mais ça a l’air de marcher. Les fées échangent un regard puis se tournent vers moi. L’une d’elles prend la parole.
 
 “C’est… bien. Et intéressant. Cela change beaucoup de choses, Humaine.”
 
“Et rien à la fois.”
 
 
 
C’est une autre qui rajoute cela. Certaines fées acquiescent et d’autres secouent la tête. Pour la première fois, je les vois commencer à se disputer, mais elles me regardent alors. Presque toutes s’envolent suffisamment loin pour pouvoir discuter en privé et la première - je crois que c’est encore elle - reste avec moi.
 
“Est-ce que tu voudrais bien m’expliquer ce qu’il se passe ?”
 
Elle lève son petit nez en l’air.


 “C’est à nous d’en discuter. Nous t’en parlerons s’il te faut l’entendre.”


“Merci.”
 
Je soupire. Les fées. Les secrets. Ce n’est pas comme si je n’y étais pas déjà habituée. Je regarde par-dessus mon épaule d’où je viens. Une grande plaine enneigée s’étend derrière moi, et il semblerait qu’il y ait une petite forêt devant.
 
“Bon sang. Est-ce que tu sais au moins où je me trouve ? Est-ce que je me dirige au moins vers Liscor ?”
 
Elle hésite, puis hoche sèchement la tête.


 “Tu es sur le bon chemin, Humaine. Toi et d’autres marchez dans la direction de la ville qui s’inonde.”


Attends, quoi ? Deux éléments de cette phrase me dérangent.
 
“Moi et d’autres ? De quoi parles-tu ?”
 
Elle plisse les yeux et regarde derrière moi. Je regarde par-dessus mon épaule, mais je ne vois rien. Mais la fée, si.


 “Il y a une grande file d’enfants des Dragons et de chiens bipèdes qui suivent ta trace. À environ un jour de marche derrière toi.”


Oh non. Mon cœur se remet à battre la chamade. Je me souviens d’Ilvriss et de l’autre type. Zel- quelque chose.
 
“Est-ce que tu sais de quelle armée il s’agit ? Est-ce que c’est celle qui m’a capturée, ou l’autre ?”
 
Elle hausse les épaules. Bien évidemment, les fées ne se soucient pas des affaires des mortels. Elle me dévisage tandis que j’essaie d’accélérer la cadence.


 “Tu sais que nous n’interviendrons pas dans les affaires des mortels.”


“Je sais. Mais vous sembler interférer beaucoup dans ma vie.”
 
Elle hausse les épaules en flottant à côté de ma tête.



 “Certaines règles peuvent être brisées. D’autres non. Mais nous te parlons en ce moment parce que ta vie n’est pas en danger.  Nous ne te sauverons pas si, disons, tu tombais d’une falaise. Nous n’interférons pas avec la mort.”


Pendant un instant, ses yeux paraissent à nouveau anciens. Je frissonne.
 
“À cause du prix à payer ? Ou parce que c’est interdit ?”
 
 “Tout a un prix. Tu ferais bien de t’en souvenir.”
 
Un silence suit cette affirmation. Je veux dire, que voulez-vous que je réponde ? Je m’éclaircis la gorge en essayant de forcer mes jambes à aller plus vite.
 
“D’accord. Ah, je m’en souviendrai. Mais merci de m’avoir aidée avant. Pour tout.”
 
Je me demande si elles ont légèrement enfreint les règles pour m’aider à atteindre Az’Kerash ? Certes je n’étais peut-être pas en danger de mort avant d’arriver en vue du château, mais…
 
La fée me regarde comme si elle pouvait voir sous mon crâne. Et si elle peut voir différentes dimensions, pourquoi pas ? Mais elle acquiesce.


 “Tu es une mortelle bien curieuse. Presque intéressante, même si tu restes une imbécile.”


“Cette mortelle a un nom, tu sais. Je m’appelle Ryoka Griffin.”


 “Tant mieux pour elle.”


Je fusille la fée du regard. Mais une partie de moi veut vraiment qu’elle connaisse mon nom. Ce n’est pas comme le coup de fil où quelqu’un essayait de nous scruter, ni comme Teriarch. C’est une fée. Je veux qu’elle se souvienne de mon nom et…
 
“Comment t’appelles-tu ?”
 
Je regarde la fée, et réalise que je n’ai jamais posé la question. Je croyais que les fées n’avaient pas de noms, mais peut-être que si. Elle me dévisage.
 
 “Pourquoi te le dirais-je ? Les noms sont importants et ne doivent pas être données à la légère, Ryoka Griffin.”


Bordel. Est-ce que c’était une erreur ? Mais elles peuvent me trouver et m’embêter même sans connaître mon nom. Je hausse les épaules.
 
“Je suis juste curieuse.


 “La curiosité est un défaut létal. Peu y survivent. De plus, tu ne le prononcerais jamais.”


“T’es juste même pas cap’.”
 
La fée me fixe d’un regard condescendant et je hausse un sourcil. D’accord, c’est cliché, mais les fées ne connaissent pas les tropes actuels et les provoquer fonctionne souvent. Elle ouvre la bouche, hésite, puis disparaît.
 
“Quoi ?”
 
Je cligne des yeux. Elle était juste là, et à présent… plus que le vent et le silence. Pourquoi ? Est-ce que je l’ai tant embêtée que ça ? Est-ce que cela l’a offensée que je lui demande son nom ?
 
Les fées. Voyons voir. Les noms… ah, c’est une mauvaise idée de les donner à des fées. Mais je lui ai donné mon prénom et mon nom, et mon prénom s’écrit en kanji, ce qui devrait l’empêcher de me contrôler trop facilement. Je ne pense même pas qu’elles soient si maléfiques que ça, mais je n’ai tout de même pas dit mon deuxième prénom non plus.
 
C’est peut-être juste qu’elle ne voulait pas répondre ? Mais même quand elles deviennent sarcastiques, elles continuent de parler. Alors qu’est-ce que… ?
 
Attends. Attends. Les fées ne disparaissent pas sauf à une condition. Quand elles ne peuvent pas interfér…
 
Je regarde autour de moi. Je n’ai pas cessé de marcher en discutant avec les fées. Bon sang, c’est presque mon mode de déplacement par défaut. Je suis sur un sentier dans la forêt, et les arbres sont tellement épars que j’ai largement la place de circuler entre eux. Tout est silencieux, et je ne vois même pas d’animaux.
 
… et je n’entends pas non plus d’oiseaux, que je devrais entendre dans un endroit de ce type. Même en hiver, il devrait y en avoir quelques-uns dans le coin.
 
Je m’accroupis instantanément. Mon corps est endolori, mais il peut bouger. Je peux jeter mon sort de [Grenade Assourdissante] si besoin, mais je n’ai plus de potions dans mon sac. Je regarde autour de moi, sur le qui-vive. Il n’y a rien d’autres que des arbres, et pourtant les fées ont disparu.
 
“Je sais qu’il y a quelqu’un. Montrez-vous !”
 
Silence. Même le vent s’est tu. Je regarde autour de moi.
 
“Montrez-vous !”
 
Pendant quelques instants, je reste tendue, dans l’attente. Je ne vois rien qui puisse me laisser penser qu’il y a quelqu’un dans le coin, mais ma peau est à présent parcourue de frissons et je suis sure qu’il y a bel et bien quelque chose ici.
 
Puis quelqu’un sort de derrière un arbre qui paraît bien trop fin pour le cacher. Une Gnolle sort de derrière l’écorce brune couverte de neige, un arc dans les mains.
 
Elle était tellement invisible que mon cœur rate quelques battements lorsqu’elle se met en mouvement. Je tressaille, mais si elle avait voulu me tuer, elle l’aurait fait pendant que j’étais plantée là comme une idiote. La Gnolle n’est que peu vêtue malgré le froid et son haleine forme des nuages devant elle. Elle hoche la tête d’un air grave.
 
“Mrr. Ryoka Griffin. Je suis Hekra de la Tribu des Lances de Pierre.”
 
Elle a baissé son arc, et je me détends en entendant le nom de sa tribu. Je lui souris.
 
“Désolée. J’étais méfiante… est-ce que tu es en train de chasser ?”
 
“Chasser, oui. Mais pas le gibier. Il n’y en a pas.”
 
Certains Gnolls sont taciturnes, mais Hekra parait plus distraite qu’autre chose. Ses yeux parcourent la forêt, puis reviennent sur moi.
 
“Est-ce que tu parlais avec les Esprits de l’Hiver ?”
 
Je fronce les sourcils. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
 
“Oui, en effet. Est-ce que tu t’attendais à trouver quelque chose d’autre dans le coin ?”
 
Elle hausse les épaules.
 
“Je ne suis pas sûre. Il y a quelque chose dans le vent.”
 
Hekra hésite, puis pointe la forêt du doigt, en direction du nord-est.
 
“C’est dangereux de rester seule. Le campement de la tribu est par là. Je vais t’y amener. Suis-moi.”
 
J’acquiesce, et la Gnoll commence à marcher dans la neige. Pas rapidement ; d’ailleurs, elle est très silencieuse en se déplaçant entre les arbres, malgré le terrain. J’ai l’impression d’être un bœuf en marchant d’un air pataud avec mes lourdes bottes. Et sa tête tourne de gauche à droite lorsqu’elle marche, et ses oreilles tressaillent.
 
Elle écoute quelque chose. Et elle cherche. Quoi ? Un monstre ? Des ennemis ?
 
Je ne sais pas, mais je fronce les sourcils et marche derrière elle en essayant d’être la plus silencieuse possible. Les fées réapparaissent lentement pendant que je poursuis mon chemin. Elles ne savaient peut-être pas si Hekra représentait une menace ou non, elles non plus. C’est bon de savoir qu’elles ne sont pas omniscientes. Mais leur disparition soudaine et les nouvelles de l’armée en approche me dérangent. Presque autant qu’Hekra qui reste sur le qui-vive.
 
Est-ce qu’il y a quelque chose là-bas ? Quelque chose d’autre ? Je suis la Gnolle qui me guide en direction du campement de sa tribu. Et j’écoute aussi, à présent.
 
Où sont passés tous les animaux ?


***


“Il n’y a rien là-bas.”
 
Déclara sèchement Ilvriss à Zel. Les deux Drakéides marchaient dans la neige, au milieu d’une gigantesque file de soldats et de prisonniers. Zel Shivertail hésita à ignorer l’autre Drakéide, mais la politesse l’obligeait à répondre. De plus, Ilvriss se souviendrait du moindre de ses affronts.
 
“Je suis sûr qu’il n’y a rien là-bas, mais la Coursière humaine est partie par là, et je veux la suivre un peu.”
 
Le Seigneur des Murailles Ilvriss fusilla Zel du regard. Il était prisonnier, tout comme la majeure partie de son armée. Ils s’étaient rapidement rendus après que Zel ait transpercé leurs lignes et qu’ils aient compris que leur chef avait été capturé. Zel marchait à présent en tête d’un nombre conséquent de prisonniers au sein de ses troupes.
 
Il n’avait pas peur qu’ils tentent de s’évader ou d’attaquer son armée pendant leur sommeil. D’une, ses soldats étaient sur leurs gardes et de plus, cela violerait les lois martiales et le propre sens de l’honneur d’Ilvriss. On pouvait bien dire ce que l’on voulait au sujet du Seigneur des Murailles, le Drakéide était honorable. Il était à peu près aussi prêt à briser la loi martiale qu’à se trancher sa propre queue.
 
C’était là aussi la raison pour laquelle Ilvriss marchait aux côtés de Zel dans la neige. Il avait même été autorisé à garder son armure ; il faisait froid, et il avait besoin de garder sa dignité, et sans son épée, Zel pouvait l’écraser même avec une serre attachée dans le dos.
 
Rien de tout cela n’était fait pour améliorer l’humeur d’Ilvriss.
 
“C’est inutile, Shivertail. On devrait rentrer dans l’une de tes maudites citées alliées pour que je sois rançonné. Tu perds ton temps à suivre une Humaine partie depuis longtemps.”
 
“Elle ne peut pas être allée si loin que ça.”
 
“Oh, vraiment ?”
 
Ilvriss émit un son qui, chez un Drakéide d’un rang moins élevé, aurait été assimilé à un pouffement sardonique. Zel l’assimila donc à un pouffement sardonique.
 
“Tu ne l’as pas vue s’échapper ? À cette vitesse…”
 
“À cette vitesse, je serais surpris qu’elle ait pu tenir plus de cinq minutes. Et ensuite, il lui aurait fallu se reposer. Potion ou pas, il y a des limites à ce qu’un corps peut endurer.”
 
“La piste de l’Humaine est peut-être bien là, mais elle reste une Coursière. Elle est bien plus rapide que cette armée pataude.”
 
“Certes, mais je veux aller là-bas dans tous les cas.”
 
“Pourquoi ?”
 
“La curiosité. Elle m’a aidé à gagner la bataille, si tu te souviens bien ? Et il y a aussi l’histoire de Périss et des soldats que tu as envoyés à ses trousses.”
 
Ilvriss jeta un regard en coin à Zel. Ils n’avaient pas beaucoup discuté en-dehors de l’offre rituelle de capitulation et quelques conversations brèves et acerbes en marchant. Il haussa les épaules.
 
“Elle a disparu. Elle a dû perdre la bataille.”
 
“Tu ne crois pas à ce que tu dis.”
 
Zel connaissait le Seigneur Ilvriss, et il connaissait aussi Périss. L’idée même qu’elle aurait pu perdre un combat contre une fille répondant au nom de Ryoka Griffin était ridicule, et les deux généraux en étaient conscient. Mais Ilvriss se contenta de secouer la tête.
 
“Je ne spéculerai pas. Toutefois, j’investiguerai bel et bien l’affaire, cependant, seulement lorsque je serai rentré dans ma cité et que tous mes pouvoirs et mes ressources m’auront été restaurés. Cité de laquelle nous nous éloignons en ce moment-même.”
 
Eh bien, cela n’annonçait rien de bon pour l’Humaine. Zel soupira.
 
“Nous pouvons aller dans cette direction jusqu’à retrouver la route principale. Puis nous commencerons à retourner vers le sud. Un jour ou deux de détour ne nous ralentiront pas, sauf si tu as une autre armée prête à nous tendre une embuscade ?”
 
Ilvriss secoua la tête.
 
“Est-ce que j’en aurais eu besoin ? Mon armée aurait facilement pu vaincre la tienne. Si…”
 
“Oui, oui.”
 
Zel, qui marchait devant,  ignora le Seigneur des Murailles. Il avait déployé ses éclaireurs armés loin devant son armée principale. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait suivi son instinct.
 
Il n’était ni [Tacticien], ni [Stratège]. Zel avait quelques rangs dans la classe de [Commandant], mais c’était tout. À la vérité, il était un [Général] qui menait du front et il se battait mieux lorsqu’il se fiait à son instinct.
 
Et son instinct lui dictait qu’il y avait autre chose. Pas juste l’Humaine ; elle était intéressante et possiblement importante, mais il y avait une autre présence dans ces forêts et ces landes désertes.
 
Zel serra le poing et fit silencieusement le point sur sa situation. Son armée avait beau être amochée, elle restait plus que capable de gérer les prisonniers et Ilvriss. Avec lui, ils valaient largement n’importe quelle armée que pourrait envoyer une Cité-État, à l’exception de l’armée Liscorienne et quelques autres. Mais Liscor avait envoyé ses mercenaires loin au sud. Donc pourquoi se sentait-il si mal à l’aise ?
 
Il n’en avait aucune idée. Mais Zel ordonna à ses soldats d’accélérer la cadence. Les lignes de ravitaillement devraient se débrouiller pour les rattraper plus tard. Il avait un mystère à résoudre.
 
Il détestait les mystères. Le pressentiment qu’il avait ressemblait fort à celui qui l’étreignait en présence d’Antiniums et si c’était eux…
 
Aucune Colonie n’avait la permission de s’installer en-dehors des six déjà présentes sur le continent. Et même alors, elles n’avaient pas le droit de dépasser certaines limites. Il n’était toutefois pas inconcevable que les Antiniums cachent quelque chose en ces terres isolées. Comment, sinon, la fille aurait-elle réussi à faire tout bonnement disparaître Périss ?
 
La possibilité n’était pas exclue. Mais si ce n’était pas les Antiniums, il voulait savoir ce que c’était.
 
Et si c’était une Colonie non autorisée… Zel serra les griffes. Si c’était le cas, cela marquerait le début d’une nouvelle Guerre Antiniume.
 
Il espérait qu’on n’en arriverait pas là. Mais il se devait d’investiguer. Zel poursuivit donc sa marche, en quête de réponses, aux aguets.
 
Qu’était-ce donc ?

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 13 janvier 2021 à 21:27:35

 
2.34 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia
 
***




Ryoka pénétra dans le campement des Lances de Pierre, souriant en apercevant Urksh, le Chef de la tribu, qui faisait face à l’un des gigantesques feux de camps que les Gnolls affectionnaient tellement. Mais son sourire s’évanouit lorsqu’elle vit l’état du campement.
 
Ce n’était plus celui qu’elle avait quitté quelques jours plus tôt.
 
Le campement avait alors été un chaos bruyant, mais tout de même organisé. Les enfants s’ébattaient librement, et les Gnolls s’affairaient à diverses tâches.
 
À présent, toutefois, le campement avait l’air de faire l’objet de mesures de confinement. Elle ne voyait aucun enfant, mais Ryoka pensait qu’ils étaient dans les tentes. Des Gnolls armés d’arcs et de lances étaient postés aux bords du campement, et des groupes armés circulaient à l’intérieur et à l’extérieur du campement, échangeant quelques mots avec Urksh avant de ressortir.
 
Quelque chose n’allait pas, de toute évidence, et Ryoka s’approcha au pas de course.
 
“Urksh.”
 
Il se tourna vers elle.
 
“Ryoka Griffin. Je suis ravi de voir que tu te portes bien. Mais l’heure n’est pas idéale pour les retrouvailles. Pardonne-moi de ne pas t’offrir toute mon hospitalité.”
 
“Non. Ce n’est pas très important. Mais qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
Urksh indiqua d’un signe de tête Hekra qui se dirigeait à petites foulées vers un groupe de chasseurs en train de sortir du campement. Il les regarda s’éloigna et secoua la tête avant de regarder Ryoka.
 
“Mrsha. Elle a disparu.”
 
Un gouffre s’ouvrit dans l’estomac de Ryoka. Elle dévisagea Urksh.
 
“Comment ça ?”
 
Il haussa les épaules.
 
“Nous n’en avons aucune idée. Ce matin, elle est sortie pour aider à ramasser des racines sous la neige? Elle s’est éloignée du récolteur qu’elle accompagnait et nous ne l’avons pas revue.”
 
“Elle est partie, juste comme ça ? Est-ce que quelqu’un a entendu quelque chose ?”
 
“Non. Mais ce n’est pas rare. Les jeunes chiots ont l’habitude de s’éloigner d’un mille ou deux pour aider la tribu ou jouer.”
 
Cela semblait un mode de supervision risqué pour des enfants, mais Urksh expliqua.
 
“Même lorsqu’ils s’éloignent trop, les enfants peuvent tout de même hurler. Et nous prenons garde à ce qu’ils n’aillent pas à des endroits où des monstres peuvent se tapir. Elle n’est partie que quelques minutes, mais lorsque ses gardiens ont commencé à la chercher, ils n’ont pas réussi à la trouver.”
 
“N’aurait-elle pas dit où elle allait ?”
 
Urksh secoua la tête. Ryoka savait qu’elle posait des questions stupides, mais elle ne pouvait pas s’en empêcher. Son estomac commençait à se serrer. Mrsha ? Elle avait l’impression que c’était hier qu’elle avait vu la Gnolle rouler dans la neige et la suivre de partout.
 
“Mrsha est différente, non ? Elle est en pleine forme, mais elle ne parle pas, bien que sa gorge soit en parfait état.”
 
“Elle est muette, alors ?”
 
Le Gnoll dévisagea Ryoka d’un air confus. Les Gnolls muets n’existaient peut-être pas ? Elle secoua la tête.
 
“Est-ce qu’elle peut émettre des sons ?”
 
Urksh hocha la tête.
 
“Des glapissements, des grondements. Des petits bruits. Elle est jeunes, mais même les enfants sont capables de hurler. C’est inquiétant que nous ne l’ayons pas encore entendue.”
 
La question suivante était terrible, mais Ryoka devait la poser.
 
“... est-ce qu’elle a pu se faire mal ? Se blesser ? Si un monstre…”
 
Le Gnolle secoua instantanément la tête, ce qui rassura un peu Ryoka.
 
“Si elle avait été attaquée, elle aurait fait du bruit, non ? Et si elle était morte, on sentirait son sang. Non. Quelque chose l’a effrayée pendant qu’elle vagabondait. Ça, ou alors elle est partie en quête de quelque chose.”
 
Le ton de sa voix fit hésiter Ryoka.
 
“Quelque chose ? Quel genre de chose ?”
 
Le Chef Gnoll ne répondit pas immédiatement. Il leva les yeux vers le ciel. Il était à peine plus de midi, mais les nuages orageux dont avaient parlé les fées à Ryoka se rapprochaient.
 
“Une odeur flotte dans les airs. Et ce n’est peut-être rien, mais certains de nos chasseurs ont l’impression d’être observés.”
 
Il dévisagea Ryoka.
 
“D’ordinaire, nous enverrions davantage d’équipes de recherche. Mais les mineurs ne sont pas rentrés, non ? Nous n’avons pas assez de monde pour mener une battue.”
 
Il était inquiet. Ryoka le sentait à la manière dont il avait changé sa façon de parler. Les Gnolls disaient d’ordinaire “oui” à la fin de leurs phrases, et ils n’utilisaient le “non” que lorsqu’ils étaient inquiets ou en colère.
 
“Vous n’arrivez pas à les contacter ?”
 
Il hésita.
 
“Nous pouvons hurler, mais ils sont à quelques jours de marche. Si nous ne trouvons pas Mrsha avant l’orage... “
 
Il laissa sa phrase en suspens. S’il y avait des pistes, ou… une dépouille, elles seraient recouvertes par l’épaisse couche de neige. Et même si la petite Gnolle était encore en vie, survivrait-elle à une nuit aussi glaciale ?
 
“Pardonne-moi, Ryoka. Je dois aller mener une autre équipe de recherche. Nous passons les montagnes où elle se trouvait au peigne fin.”
 
Urksh s’inclina devant Ryoka et commença à s’éloigner. Elle ne prit même pas le temps de réfléchir. Ryoka rattrapa Urksh par le bras au moment où il quittait le campement avec les autres chasseurs.
 
“Laissez-moi vous aider. Je peux courir, et j’ai une dette envers votre tribu.”
 
Le Gnoll la dévisagea, puis acquiesça.
 
“Tu boites. Nous avons un onguent. Oins-toi et rejoins-nous. Nous allons devoir faire vite avant que la nuit ne tombe.”
 
Il s’éloigna, et Ryoka contempla le campement. Haut dans les airs, les Fées de Givre la regardaient en flottant.
 
“Est-ce que vous… ?”
 
Ryoka se mordit la lèvre. Elles ne répondraient pas. C’étaient des affaires de mortels. Elle secoua la tête et se dirigea vers une tente. Elle allait s’appliquer de l’onguent de soin, puis elle courrait. Aussi vite et aussi loin qu’elle le pourrait. Elle avait une dette envers les Gnolls.
 
Et surtout, elle voulait revoir le visage de Mrsha. Mais une petite voix apeurée chuchotait à l’arrière de sa tête, et elle dut la repousser.
 
Faites en sorte qu’il n’en soit pas ainsi. Ce n’était qu’un accident, une Gnolle égarée. Rien de plus.
 
Tout irait bien.


***

Ryoka traversa une forêt au pas de course, les Gnolls s’écartant autour d’elle. Ils couraient à grandes foulées étrangement bondissantes à travers le paysage enneigé, et s’écartaient afin que chaque Gnoll puisse balayer une large portion de terrain.
 
Normalement, Ryoka n’aurait pas pu être moitié aussi rapide qu’un Gnoll, avec ses lourds vêtements d’hiver et ses bottes. Mais elle avait tout laissé derrière elle pour gagner en vitesse et en mobilité. Elle avait enroulé ses pieds dans de la fourrure attachée à ses jambes plutôt que de prendre ses bottes et elle n’était vêtue plus que de son t-shirt et de son pantalon.
 
C’était risqué, et Ryoka sentait le froid mordant sur sa peau. Mais tant qu’elle rentrait ensuite au campement des Gnolls, tout irait bien.
 
Et elle devait aller vite.
 
Mrsha !”, hurla Ryoka en courant dans la forêt. Des Fées de Givre volaient autour d’elle, leurs silhouettes translucides dépourvues pour une fois de l’énergie vibrante qu’elles possédaient d’ordinaire. Elles volaient au-dessus de la tête de Ryoka, silencieuses, et observaient la scène. Elle courut, s’arrêta, et appela encore une fois.
 
Mrsha ! Est-ce-que tu m’entends ?”
 
Autour d’elle, Ryoka entendit des hurlements ténus au loin. Les Gnolls appelaient Mrsha à leur façon, puis s’arrêtaient pour écouter. Mais ils n’entendirent rien, de toute évidence, parce qu’ils se remirent à hurler à des endroits différents quelques minutes plus tard.
 
Où pouvait-elle donc être passée ? Urksh avait dit qu’elle ramassait une racine qui poussait haut dans la montagne, et pourtant la petite Gnolle aurait pu redescendre le flanc de la montagne ou aller dans la forêt. Normalement, le Gnoll adulte aurait dû la sentir ou la trouver instantanément, mais pour une raison mystérieuse elle avait disparu.
 
Elle savait qu’il ne fallait pas trop s’éloigner, et elle aurait fait du bruit si elle avait été attaquée. Alors pourquoi s’était-elle tant éloignée ? L’esprit de Ryoka réfléchissait à vive allure pendant qu’elle courait en appelant l’enfant, et chaque doute qui l’étreignait était pire que le précédent.
 
Mrsha !
 
La petite Gnolle avait une fourrure brun clair et un visage curieux et inquisiteur. Lorsqu’elle était au campement, elle n’avait jamais cessé de fouiller dans les affaires de Ryoka ou de toucher la jeune fille. Au début, elle avait trouvé cela agaçant, mais elle avait fini par s’y habituer. La petite Gnolle n’avait pas peur de Ryoka, et elle adorait l’embêter.
 
Ryoka aurait aimé sentir cette petite griffe lui piquer le dos.
 
Mrsha ! Si tu m’entends, réponds-moi !
 
Est-ce qu’elle avait une quelconque magie à sa disposition ? Ryoka sortit de la forêt et gravit en courant la pente, scrutant le flanc de la montagne à la recherche d’un endroit où une petite Gnolle aurait pu trébucher ou tomber. Un obstacle, une entrée de caverne souterraine, un nid d’Araignées Cuirassées… Urksh avait dit qu’ils avaient nettoyé tous les nids des environs et marqué ceux dont ils ne s’étaient pas encore occupés, mais est-ce que Mrsha aurait pu tomber dedans ?
 
Les Gnolls avaient certainement déjà vérifié. Elle demanderait en rentrant. Ryoka gravit la pente, sans se soucier de ses pieds qui glissaient ou des crampes qui enserraient ses jambes.
 
La montagne était silencieuse. Elle se dressait au-dessus d’elle, de plus en plus haut, la neige disparaissant petit à petit pour révéler la roche au fur et à mesure que l’on se rapprochait du sommet. Aucune personne saine d’esprit n’escaladerait cette montagne. Mais peut-être une petite Gnolle effrayée ?
 
Effrayée par quoi ?
 
Ryoka continua son ascension au pas de course, en appelant Mrsha. Les Fées de Givre volaient autour d’elle et Ryoka criait, guettant, espérant une réponse.
 
Mais nul ne lui répondit.
 
***

“Repose-toi. Tu dois te reposer, Ryoka Griffin. Tiens, mange.”
 
Ryoka leva les yeux. Urksh lui tendait quelque chose. Elle leva la main et se retrouva avec un os recouvert de viande cuite. Elle le prit et mordit dedans, sans se soucier du fait que la nourriture était brûlante et sanguinolente.
 
Elle voulait continuer à chercher, mais son corps était trop fatigué. Et les Gnolls étaient pour la plupart rentrés au campement. Ryoka était rentrée pour voir si quelqu’un avait trouvé Mrsha, mais personne ne l’avait vue.
 
Ils n’avaient rien trouvé.
 
La forêt. La rivière. Le lac gelé. Les passes plus hautes. Mêmes les quelques cavernes qu’ils connaissaient, habitées ou non. Les [Chasseurs] Gnolls et le reste des adultes avaient passé chaque endroit au peigne fin, voyageant même plus loin qu’ils ne croyaient Mrsha capable d’aller. Mais ils n’avaient trouvé ni piste, ni aucun signe de sa présence. Et c’était dire à quel point les recherches avaient été vaines, parce qu’elle aurait laissé un peu de fourrure ou d’autres traces de son passage, n’est-ce pas ?
 
Et l’humeur du campement avait de nouveau changé. La panique étouffée que Ryoka avait perçue plus tôt avait laissé place au silence. Au silence complet. Les [Chasseurs] discutaient toujours, mais ils étaient moins nombreux à partir à la recherche de l’enfant. Il ne leur restait pas beaucoup d’endroits à fouiller.
 
Ils étaient en train de perdre espoir.
 
Urksh s’assit avec Ryoka qui mangeait machinalement près de l’un des feux. Elle le regarda.
 
“Je vais ressortir après avoir mangé. Laisse-moi juste quelques minutes.”
 
“Tu dois te reposer. Il ne faudrait pas qu’on te perde. Il a commencé à neiger.”
 
Il avait raison. Le crépuscule venait d’arriver, et l’orage avec lui. D’épais flocons s’étaient mis à tomber du ciel, et ce n’était que le début. Bientôt, le vent et la neige bloqueraient toute visibilité. Et alors…
 
Ryoka serra le poing sur son os et elle faillit se brûler. Elle le relâcha et s’essuya les mains sur son pantalon.
 
“Elle n’est pas encore perdue. Nous n’avons pas encore cherché de partout. Peut-être plus haut dans la montagne.”
 
Urksh secoua la tête.
 
“Elle sait que la mort l’attend si elle monte là-haut. Elle n’irait pas à moins d’être désespérée.”
 
“Et si c’était le cas ?”
 
Il ne flancha pas en croisant le regard brûlant de Ryoka.
 
“Si c’était le cas, elle saurait qu’on y trouve de nombreuses crevasses profondes. Si elle tombait à l’intérieur, nous ne l’entendrions pas ni ne pourrions la humer. Si elle survivait à la chute.”
 
Ryoka détourna les yeux et serra le poing. Urksh observa le ciel.
 
“Nous ne pensons pas que ce soit le cas. Seul un monstre la pourchasserait aussi loin, et la plupart sont trop intelligents pour aller aussi haut. Ceux qui habitent dans les montagnes sont assez grands pour la repérer et la humer… mais d’autres auraient pu réussir à l’attraper.”
 
Elle leva les yeux sur lui. Urksh contempla le feu. Il avait cherché plus longtemps que qui que ce soit d’autre, aussi longtemps que Ryoka, et une sueur sombre tachait sa fourrure.
 
“Une Wyverne peut s’emparer d’un adule en quelques secondes. Si l’une d’elle s’est précipitée sur elle, cela n’aurait pris que quelques secondes.”
 
Ryoka dévisagea Urksh. Mais elle vit la même expression sur son visage. Les Gnolls étaient pragmatiques. Ils continueraient de chercher, mais s’ils ne la retrouvaient pas d’ici demain, c’était alors que Mrsha était très probablement morte.
 
Des Humains chercheraient peut-être beaucoup plus longtemps, dans l’espoir de trouver un miracle ou un cadavre. Mais les Gnolls devaient regarder la réalité en face ou mourir dans les terres sauvages.
 
“Elle n’est pas encore perdue.”
 
“Non. Et nous la chercherons jusqu’à perdre tout espoir.”
 
Il se leva. Ryoka hésita, puis se leva aussi.
 
“De la magie, peut-être ?”
 
S’ils en avaient, ils l’auraient utilisée. Urksh secoua la tête.
 
“Notre [Shaman] ne connait pas de sort utile dans cette situation. Il peut soigner et se battre mais c’est à peu près tout.”
 
“Une balise, alors. Si elle s’est juste perdue, peut-être que nous pouvons lui montrer le chemin du retour. J’ai un sort qui pourrait peut-être…”
 
Là encore, le Gnoll secoua la tête.
 
“Elle sait où se trouve le campement. Et nous ne devrions pas trop attirer l’attention sur nous. Pas ce soir.”
 
Il la dévisagea.
 
“Il y a quelque chose dans les montagnes. Nous l’avons senti.”
 
Ryoka hocha la tête. Elle n’avait pas le choix. Elle pointa un doigt en l’air, et le Gnoll leva les yeux.
 
“Les Fées de Givre ont l’air de penser qu’il y a quelque chose là-bas, elles aussi. Elles ont disparu lorsque j’ai rencontré Hekra… je crois qu’elles s’attendaient à autre chose. Elles n’aideront pas si la vie de quelqu’un est en danger, et il y a cette armée…”
 
Lorsqu’elle s’en était rappelée, elle avait prévenu Urksh de l’armée en approche. Il s’était contenté de hausser les épaules. Les Tribus Gnolls avaient leurs propres traités de paix, et les Lances de Pierre n’avaient pas de problème avec les Drakéides en ce moment.
 
“S’il y a quelque chose dehors, nous nous battrons ou nous nous enfuirons. Nous avons des guetteurs et il est impossible de se cacher dans cette plaine. Mais nous n’osons plus envoyer toute la tribu à la recherche de Mrsha.3
 
Ryoka hocha la tête.
 
“Je vais continuer à chercher. Inutile d’envoyer quelqu’un avec moi.”
 
Urksh la regarda droit dans les yeux.
 
“Tu ne la retrouveras pas en fouillant de nouveau les mêmes zones, Ryoka Griffin. Ne gaspille pas tes forces.”
 
Ryoka se pencha en avant et tenta de resserrer encore les fourrures autour de ses pieds. Elle avait commencé à attraper des engelures en rentrant, mais elle avait réussi à courir bien plus vite ainsi. La douleur en valait la peine, surtout qu’elle pouvait utiliser l’onguent de soin.
 
“Il faut que je la cherche.”
 
“Si tu avais une idée, j’irais avec toi. Mais ces terres sauvages sont vastes. Qui te dira où elle est allée ?”
 
Elle tenta d’ignorer la voix de la raison. Ryoka se pencha en avant en serrant les dents pour toucher ses orteils et essayer de s’étirer.
 
“Je ne sais pas. Mais je dois vous aid…”
 
Elle s’interrompit. Qui l’aiderait à chercher ? Les Gnolls étaient des experts de la zone. Les Lances de Pierre connaissaient tous les recoins de ces terres. Qui pourrait pister mieux qu’eux ? Qui pouvait voir… ?
 
Elle leva les yeux.
 
Les Fées de Givre. Elles avaient été tellement silencieuse pendant que Ryoka cherchait l’enfant. Elles n’avaient pas disparu, mais elles n’avaient rien dit. D’ordinaire, elles auraient assailli Ryoka de remarques et de plaisanteries, mais elles se contentaient de rester spectatrices.
 
Peut-être qu’elles s’inquiétaient aussi pour Mrsha. Elles aimaient les enfants. Mais peut-être qu’il y avait une autre raison.
 
“Nous n’avons pas le droit d’intervenir dans les affaires des mortels.”, murmura Ryoka. Urksh la dévisagea, et les oreilles d’un Gnoll à l’autre bout du campement tressaillirent.
 
“Que signifient ces mots, Ryoka Griffin ?”
 
Les fées ne regardaient pas Ryoka. Elles regardaient quelque chose d’autre, mais elle savait qu’elles savaient qu’elle les regardait. Et elles avaient une bonne vue. Elles pouvaient détecter une armée en marche à un jour de là, et elles avaient détecté la présence de la Gnolle camouflée. Elles pouvaient voir à travers les enchantements d’un Nécromancien, et même d’un Dragon.
 
“Elles savent.”
 
Tous les Gnolls levèrent les yeux. Les Fées de Givre baissèrent les yeux, leurs visages dénués d’expression, lorsque Ryoka les pointa du doigt.
 
“Je veux vous parler.
 
L’une d’elle descendit en voletant. Urksh plissa les yeux en regardant juste à gauche de la fée, mais Ryoka se contenta de suivre la fée des yeux d’un air sombre lorsqu’elle descendit à la hauteur de l’humaine et du Chef Gnoll.
 
 “Qu’est-ce que tu veux, mortelle ?”
 
“Tu sais où se trouve Mrsha, pas vrai ?”
 
La fée dévisagea Ryoka en silence. Son visage n’affichait ni gaieté, ni de malice ni aucune autre des émotions qu’elle avait l’habitude d’exprimer. Il avait l’air vieux, de nouveau. Vieux, hors du temps et terriblement calme.
 
 “Peut-être. Et alors ?”
 
“Dis-moi où elle se trouve.”
 
La fée secoua la tête.


 “Cela ne nous concerne pas, mortelle. Et nous n’avons pas le droit d’interférer dans vos vies.”
 
“Dis-moi.”
 
Urksh regarda Ryoka. Elle se souvint qu’il ne pouvait pas la voir. Elle se tourna vers lui.
 
“Elles savent.”
 
Instantanément, le Gnoll tenta d’attraper la fée, mais elle se contenta d’esquiver ses pattes et de les lui geler. Il gronda, mais soudain toutes les fées encerclaient le Gnoll. Le reste des Gnolls du campement avaient saisi leurs armes, mais ils hésitèrent en voyant le feu central et tous les autres feux du campement s’éteindre brutalement.
 
L’expression des fées étaient menaçante.


 “Nous ne sommes pas liées par vos règles, mais par les nôtres, mortelle. Et nos règles sont aussi anciennes que le temps lui-même. Nous n’interférons pas dans vos problèmes.”


“Et si je vous proposais un marché ? Quelque chose qui vaille la peine d’enfreindre les règles ?”
 
Ryoka n’avait aucune idée de ce qu’elle pouvait leur proposer. Mais elle était désespérée. La Fée de Givre la regarda et secoua la tête.


 “Tu ne possèdes rien qui puisse suffire. Et le prix à payer est trop élevé pour toi.”


Urksh feula en faisant éclater la glace qui recouvrait sa fourrure. Il se tourna vers Ryoka.
 
“Que disent-elles ?”
 
“Nous n’avons rien à leur offrir. Et Urksh… je crois qu’elles n’ont pas le droit de nous aider.”
 
Il secoua la tête et dévisagea les fées.
 
“On ne peut pas les y forcer ?”
 
Les fées contemplèrent Urksh d’un air détaché. Ryoka secoua vivement la tête en remarquant le reste des Gnolls et leurs arcs à moitié levés.
 
“N’essayez même pas. S’il vous plaît. Elles pourraient vous faire beaucoup de dégâts, et je ne suis même pas sûre que vous puissiez les blesser.”
 
Urksh dévisagea les fées avec intensité, mais finit par hocher la tête. Les arcs se baissèrent, mais les expressions restèrent les mêmes. À présent, tout le monde regardait les fées, et elles contemplaient Ryoka. En silence.
 
“Il y a forcément quelque chose que je peux vous offrir. Quelque chose que vous désirez.3


 “Tu n’as rien à nous offrir, Humaine.”
 
Et si une fée l’affirmait, c’était probablement vrai. Mais Ryoka ne pouvait pas abandonner là.
 
Elle se détourna des fées. Non pas pour s’éloigner, mais pour faire les cent pas. Urksh la regarda en silence faire des allers-retours devant lui.
 
Réfléchis. Pense aux fées. Elles faisaient des marchés. Elles ne donnaient jamais rien sans demander autant en retour. Elles… tenaient leurs promesses.
 
Rien de cela ne pouvait aider en ce moment précis. Pas si elles ne voulaient pas passer de marché. Ou ne pouvaient pas.
 
“Des histoires ?”
 
Mais les histoires ne suffisaient pas. Pas en échange d’une vie. Pas si c’était ce à quoi pensait Ryoka. Réfléchis. Que pouvaient-elle faire aux fées ? Rien. Elle était poussière au vent comparée à elles. Elle n’avait rien pour les menacer. Rien à leur offrir. Alors, que voulaient-elles ?
 
Ryoka leva les yeux. Les fées. Elle n’avait rien à leur donner, mais elles restaient des fées.
 
“Est-ce que vous voulez que Mrsha meure ? Est-ce la raison pour laquelle vous ne nous aidez pas ?”
 
Urksh s’agita. Il regarda les fées. Elles s’agitèrent aussi. Et à présent, la colère teintait leurs expressions. La température de l’air baissa encore, et Ryoka se mit à être agitée de frissons incontrôlables lorsque l’une d’elle flotta devant elle, les yeux plissés.
 
 “Nous prends-tu pour des Sluaghs, mortelle ? Crois-tu que nous nous réjouissions de la souffrance et de la mort des innocents ? Nay. Nous ne sommes ni des Bonnets-Rouges, ni des Nixes qui se délectent de la mort des enfants. Nous ne sommes pas des monstres. Prends garde à tes paroles si tu ne veux pas déclencher notre courroux.”


Il était difficile, tellement difficile de croiser le petit regard devant ses yeux. Mais Ryoka se fit violence. Elle répondit à la fée d’un air de défi.
 
“Mais vous laisseriez mourir une enfant.”



 “Parce qu’il y a des règles.”


La fée siffla sur Ryoka, et la fille sentit certaines zones de son visage s’engourdir sous l’assaut du froid intense qui l’entourait. La fée était comme un élémentaire de givre, le froid à l’état primordial et infini.
 
“Mais vous pourriez aider.”


 “Tu n’as rien à nous offrir.”


“Mais vous voulez aider, n’est-ce pas ?”
 
Et la fée hésita. Un instant seulement. Ryoka poursuivit, en parlant très vite.
 
“Nous n’avons rien à offrir, mais s’il y a un prix, je le paierai.”
 
Urksh l’interrompit.
 
“Nous le paierons. Les Lances de Pierre paieront n’importe quel prix pour notre jeune.”
 
Il ne pouvait pas avoir entendu les réponses de la fée, mais il posa une patte sur l’épaule de Ryoka et la serra fort. Elle hocha la tête.
 
La fée resta silencieuse un long moment. Elle se retourna vers ses congénères, puis dévisagea Ryoka. Et quelque chose d’autre teintait son expression. Un peu de tristesse .



 “Vous ne savez pas ce que vous proposez de nous offrir. Le prix à payer est trop lourd, mortels. Ne nous demandez rien.”


“S’il vous plaît.”
 
Ryoka inclina la tête, s’inclina devant les fées. Urksh fit de même. Elle sentit les Gnolls dans le reste du campement faire de même. Les fées flottèrent au-dessus de sa tête, en juges silencieuses.


 “Le prix est toujours le même. Une vie pour une vie. Une mort pour une mort. Et même si la mort ne vient pas, tu demandes beaucoup au Destin.”


Le Destin. Un frisson parcourut le dos de Ryoka en entendant ce mot. Tout était-il écrit ? Elle avait trop peur pour le demander.
 
“S’il vous plaît. Accordez-lui une chance. Je vous le demande… en tant que personne qui considère les fae comme ses amis. En tant que personne qui a besoin d’aide. S’il vous plaît. Pour une enfant. Pour une vie.”
 
Le vent se leva. Au-dessus de leurs têtes, la neige se mit à tomber encore plus fort. La fée brillait dans la nuit, mais sa lumière ne chassait pas les horreurs de la nuit. La lumière qu’elle émettait était terrible et belle, mais elle n’était pas douce.


 “Très bien. C’est entendu, alors. Nous ne promettons rien, mais nous t’accorderons une chance.”


Ryoka leva les yeux. Urksh la dévisagea.
 
“Que devons-nous faire ?”


 “Nous suivre. Et toi seule.”


Elle pointa Ryoka du doigt. La fille hésita, et se tourna vers Urksh.
 
“Je dois y aller seule. Elles vont me mener à elle.”
 
Il posa les pattes sur ses épaules. Les yeux du vieux Gnolls étaient emplis de peur, mais aussi d’espoir.
 
“Va. S’il te plaît. Et prends cela avec toi…”
 
Il se précipita dans une tente en criant des ordres. Les Gnolls s’éparpillèrent, puis l’un d’entre eux s’approcha de Ryoka, une torche à la main. Elle était en bois recouvert de résine, et le Gnoll marmotta quelques mots pour l’allumer. Ce devait être le [Shaman].
 
Urksh ressortit de la tente des bouteilles plein les bras. Des potions. Il les tendit à Ryoka.
 
“Pour soigner. Prends-les. Et ceci aussi.”
 
Il lui tendit quelque chose d’autre. Ryoka regarda fixement l’objet qu’il lui tendait.
 
“Qu’est-ce que c’est ? Une corde ?”
 
Il hocha la tête et l’aida à la mettre dans son sac. La corde ne ressemblait pas à l’équipement qu’elle avait vu les Gnolls utiliser. Elle était longue, fine et légère, et elle parut s’enrouler naturellement sur elle-même lorsque Ryoka la mit dans son sac.
 
“Elle est magique. Elle s’étirera beaucoup. Si tu vas là où je le crains, tu en auras besoin.”
 
Un autre Gnoll s’approcha avec deux manteaux de fourrure, dont un suffisamment petit pour un enfant. Ryoka eut du mal à les faire entrer dans son sac, mais elle se débarrassa de ses vêtements et de tout ce dont elle n’aurait pas besoin pour faire de la place.
 
“Je vais y aller. Je ne sais pas ce que me demanderont les fées, ni si je vais réussir. On dirait…”
 
Elle hésita. Elle pensait vaguement à un vieux mythe Grec, comme le conte d’Orphée. Les quêtes impliquant la vie et la mort finissaient toujours mal. Mais elle devait essayer.
 
“... c’est peut-être dangereux. Si je ne reviens pas, n’envoyez personne me chercher.”
 
Urksh acquiesça. Il serra les épaules de Ryoka.
 
“Va. Avec tous nos espoirs. Sauve-la, nous t’en implorons.”
 
Il baissa la tête. Ryoka lui saisit le bras et le serra brièvement. Puis elle se retourna. Les fées flottaient toujours au-dessus de sa tête en observant la scène.
 
“Je suis prête.”


 “Suis-nous, alors. Et vite. Espérons que nous ne regretterons pas notre choix.”



Là-dessus, les fées s’envolèrent. Au nord, en direction de la montagne. Ryoka n’hésita pas. Elle courut derrière elles, de toutes ses forces. Elle traversa en courant la plaine dégagée, accumulant de la vitesse, puis se mit à gravir la montagne lorsque la pente s’accentua.
 
L’air se refroidit autour d’elle, et la neige se mit à tomber plus fort encore. Bientôt, il ferait tellement froid que seuls les plus déterminés survivraient. Et pourtant, cela n’était rien comparé au froid qui enserrait le cœur de Ryoka. Un gouffre de peur s’était logé au creux de son estomac, mais son corps brûlait. L’épuisement s’envola. Elle courut. Elle courut avec plus de force dans ses pas qu’elle n’en avait jamais mis dans quoi que ce soit auparavant.
 
Une petite Gnolle hantait son esprit, et elle savait qu’elle ne pouvait pas se permettre d’échouer. Ryoka poursuivit sa course, et au-dessus de sa tête, les fées observèrent sa lente progression avec des yeux où brillait l’immortalité.
 
Au loin, l’armée de Zel Shivertail avançait, ignorant la raison qui dictait au [Général] de monter le camp. Ses éclaireurs avaient vu les feux de joie au loin, et même s’ils s’étaient éteints, il était sûr qu’il pouvait retrouver la tribu Gnolle. Il poursuivait donc sa marche, écoutant le vent et le murmure du pressentiment qui envahissait son cœur.
 
Et loin au-dessus du reste, observant la scène au loin, quelque chose tordit la tête du [Chasseur] Gnoll et fit s’accroupir le Gnoll mort au sol. Les autres Gnolls gisaient là où ils étaient tombés, des flèches recouvrant leurs cadavres, des déchirures magiques béant à l’air libre sur leur corps et ne laissant s’échapper que brièvement un peu de vapeur avant qu’elle ne s’évanouisse dans l’air froid.
 
Des ombres sombres se dressaient sur la falaise, et regardaient les faibles feux que les Lances de Pierre étaient en train de rallumer. Ils scrutèrent la colline, et d’autres silhouettes s’agitèrent. Des centaines de silhouettes. Des milliers. La nuit était remplie d’ombres, et lorsque le blizzard se mit à recouvrir réellement la plaine, la silhouette sombre se leva. Elle mordit dans le Gnoll et en arracha de la chair en mâchant.
 
Puis le Gnoll se releva lentement. Ses yeux sans vie dévisagèrent celui qui l’avait réveillé, et le Gnoll alla se mettre avec ses congénères.
 
Et attendit. Et le blizzard consuma tout le reste et la fille poursuivit sa course, espérant, priant.
 
Elle n’échouerait pas. Elle ne pouvait pas échouer. Mais une voix chuchota de nouveau le mot à son oreille. Le mot du désespoir et de la folie. Le mot qui faisait voler en éclat tous les espoirs, tous les rêves. Le mot des jouets. Le mot qui signifiait qu’elle ne pouvait rien faire.
 
Il murmurait, lui parlait. Hantait ses pas.
 
Le Destin.




 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 17 janvier 2021 à 10:24:52

 
2.35 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Mon cœur bat tellement fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de ma poitrine. Mes jambes sont en feu.
 
Je suis en forme. Je crois. Non… je sais que j’ai une bonne condition physique. Excellente, même. Si on me comparait à n’importe quel athlète de mon monde, on s’apercevrait que…
 
Mes suppositions n’ont aucune importance à cet instant précis. Mais voilà ce que je sais : je suis à l’apogée de mes capacités dans ce monde, malgré tout ce qu’il m’y est arrivé. Ce n’est pas que j’aie acquis des Compétences ou des classes, c’est simplement la nature même de ce monde qui m’a transformée. Je suis plus que ce que j’étais, et cela me dérange.
 
Mais ma rapidité, ma force et ma santé ont beau avoir été multipliées par un facteur inconnu, je ne suis pas encore surhumaine. Je ne peux pas bouger aussi vite que Scruta, je n’ai pas la capacité de fendre la terre en deux comme Calruz. Bon sang, je ne connais que quelques sorts que je ne peux jeter qu’une fois, grâce à Ceria.
 
Je n’ai que ce que j’ai mérité. Même les sorts que je connais sont des choses que j’ai dû apprendre, pas des choses que l’on m’a données. [Lampe Torche], [Grenade Assourdissante], [Fus...]...
 
Enfin, le dernier reste conceptuel. Mais tous ces sorts ont émergé des quelques notions que je comprends. On peut rendre le sort de [Lumière] plus intense, altérer sa forme, et même jeter son orbe si on veut surprendre quelqu’un. Mais il n’en reste pas moins un sort peu puissant. Je ne peux pas m’en servir pour tuer quelque chose.
 
C’est le problème. C’est la raison de la peur qui m’étreint alors que je cours dans la nuit, des flocons tailladant mon visage nu levé vers les lumières qui se découpent sur le ciel sombre.
 
Les Fées de Givre. Elles luisent d’une lueur bleutée et d’une couleur profonde que les mots humains sont incapables de décrire. Et elles volent à travers le vent et les ténèbres comme s’ils n’existaient pas, s’attardant brièvement seulement pour m’attendre. Elles savent où se trouve Mrsha, et elles me guident vers elle.
 
Mais dans mon cœur, j’ai peur qu’il ne soit trop tard. Ou pire, que j’échoue. Je n’ai obtenu qu’une chance. Une chance de sauver sa vie.
 
Je ne sais pas où se trouve Mrsha. Elle a disparu en glanant de la nourriture. Elle aurait pu se perdre, mais… non. Non, si c’était le cas, elle serait revenue. Si elle s’est tant éloignée du Gnoll qui l’accompagnait, c’est parce qu’elle a été enlevée, ou qu’elle a dû fuir.
 
Un monstre, alors. Ou quelque chose… d’autre. Je ne sais pas. Mais si c’est le cas, il va peut-être falloir que je combatte la chose qui a enlevé Mrsha. Et j’ai peur d’être trop faible pour la vaincre.
 
Les fées volent un peu plus haut dans le ciel et je vois la terre commencer à s’incliner. J’ai une torche que l’un des Gnolls m’a donnée. Ses lumières vacillantes illuminent le sol devant moi. Je pourrais m’en débarrasser et utiliser un sort de [Lumière], mais il faut que je conserve toutes mes réserves magiques. Chaque sort me fatigue, et je ne peux pas me permettre de ralentir.
 
Je suis plus fort qu’avant, mais je reste faible. Mon cœur bat la chamade, et j’ai peur. Pas que des monstres.
 
Le paysage remonte graduellement en pente douce à partir du campement des Lances de Pierre. Les Gnolls se sont installés au pied d’une montagne, l’une de celles qui entourent Liscor. Si je lève les yeux, je peux la voir, un mur gigantesque de Pierre et de glace qui s’élève dans le ciel.
 
C’est vaste. Cela me fait penser à l’Himalaya, mais je me demande si ces sommets ne sont pas encore plus hauts. Et j’ai peur.
 
Si je dois grimper ici, est-ce que j’arriverai à atteindre Mrsha à temps ? À quel point une enfant pourrait-elle s’éloigner ?
 
Je suis vêtue de vêtements lourds, à présent. Des vêtements d’hiver : des bottes, un pantalon rembourré et un manteau qui bloque la majeure partie du froid qui m’entoure. Mais ils ne sont pas fabriqués avec les tissus ultrafins de mon monde. Mes vêtements sont lourds, encombrants, et la sueur de ma course dans la neige et la glace les alourdit encore.
 
De plus, j’ai couru toute la journée à la recherche de Mrsha. Mon corps n’a même pas encore complètement récupéré de la potion que Teriarch m’avait donnée. Et je suis mortelle. Si je me tords la cheville sur un caillou, je peux facilement me casser le pied.
 
Tout cela rendait le fait de retrouver Mrsha impossible. Et je dois la retrouver. Je n’ai pas le choix. Mais je n’aurai qu’une chance.
 
Le Destin. Les fées l’ont mentionné. Je lève les yeux sur elles en poursuivant ma course, cherchant mon souffle. Mes jambes brûlent déjà. Je ne devrais pas courir si vite.



 “Pourquoi ralentis-tu ?”




L’une des fées descend vers moi en remarquant que j’ai réduit ma vitesse. Je secoue la tête, mais il faut que je réponde, et je parviens à répondre entre deux respirations hachées.
 
“Je garde mes forces.”
 
J’y suis obligée. Si je continue de courir à pleine vitesse, je n’aurais bientôt plus de carburant. Et je sais qu’il m’en faudra très probablement bien davantage encore.
 
La fée secoue la tête d’un air désapprobateur.




 “Étrange. Vous autres mortels avez des mœurs bien étranges. Pourquoi courir moins vite pour courir plus vite plus tard ?”




Je ne sais pas si je devrais lui parler. Ça gaspille de l’énergie ? Mais tout ce que je peux tirer des fées silencieuses en vaut la peine.
 
“Si tu sais à quelle distance d’elle je suis, dis-le-moi et je courrai aussi vite que possible.”
 
La fée me regarde sans sourire.


 “Ne demande pas plus que ce que l’on t’a donné, mortelle. Nous violons une règle en ce moment même, pour te donner une chance.”



“Mais est-ce le destin ? Est-ce que vous savez ce qui va se produire ?”
 
C’est la question qui est tapie dans mon cœur. Le destin. Est-ce que tout fait partie d’un plan plus grand ? Si c’est le cas…
 
La fée me dévisage de ses yeux froids et repart voler plus haut. Je la regarde partir, frustrée. Elle ne veut pas me dire. Mais pourquoi des immortelles iraient-elles dire quoi que ce soit à des jouets ? Si nous sommes si simples, pourquoi prendre la peine de s’occuper de nous ?
 
Je crois que je comprends pourquoi elles nous méprisent tant. La véritable question, c’est pourquoi prennent-elles la peine de nous parler tout court.
 
Les fragments d’immortalité. Les histoires éternelles. Les enfants. Voilà ce qu’aiment les fae. Ce sont peut-être les raisons pour lesquelles elles nous aident.
 
Mais dans tous les cas, le reste m’incombe. J’accélère donc le rythme, un tout petit peu.
 
Toute course possède un rythme. J’ai fait des marathons, et je m’y connais suffisamment en course en terrain accidenté pour me déplacer rapidement. Mais je reste lente comparée à ce que je serais pieds nus et sans tous ces vêtements.
 
Les fées poursuivent leur vol au-dessus de ma tête. Elles me guident et nous contournons une forêt, remontons une pente, et ainsi de suite. Je reconnais les lieux, à présent. Je suis venue ici plus tôt dans la journée.
 
Nous arrivons là où Mrsha a été vue pour la dernière fois. Une colline où des racines comestibles se cachent sous la neige. De nombreux pieds ont piétiné la neige, mais les fées ne marquent même pas de pause en arrivant ici. Elles volent vers le nord, en direction de la montagne.
 
Urksh avait raison. Si Mrsha a fui quelque part, c’est là-bas. C’est un endroit que les Gnolls n’allaient pas fouiller avec trop d’assiduité. Si tu montes trop haut, tu cours le risque d’être perdu à jamais. Personne ne peut t’entendre, ni te sentir si tu te retrouves sous une avalanche.
 
Je gravis la pente, toujours plus haut. Mes jambes… je gravis la colline, puis encore plus haut. Je ne peux pas m’arrêter.
 
Pitié, faites qu’il ne soit pas trop tard.



***



Elle a froid. Mrsha éternue et sanglote dans un endroit d’où elle ne pourra pas s’échapper. Elle a très froid.
 
Elle n’a jamais eu aussi froid de sa vie. Le vent hivernal la gèle sur place. D'ordinaire, elle serait déjà rentrée au campement bâti par sa tribu, et se serrerait avec les autres pour avoir chaud dans une tente ou autour du feu, tellement près de ce dernier que sa fourrure pourrait s’enflammer à tout instant…
 
L’idée même fait gémir Mrsha, mais elle est trop fatiguée, trop effrayée pour émettre un bruit plus fort. Au début, elle avait hurlé et appelé à l’aide, mais personne n’était venu.
 
Elle sait qu’elle est montée trop haut. Elle le sait. Tous les anciens le lui ont dit et répété, de ne jamais monter si haut .Elle sait qu’ils ne peuvent pas la trouver ici.
 
Mais elle n’a pas eu le choix. Mrsha jette un œil à la chose écroulée à côté d’elle, à moitié ensevelie sous la neige, et frissonne. Elle essaie de s’en écarter, mais il n’y a pas la place. Et elle est blessée.
 
Elle s’assied et lève les yeux vers le ciel. Il fait froid. Elle a faim, et elle est désespérée. Elle a peur de ne jamais être secourue, à présent. Et elle est de plus en plus fatiguée. Elle lève le nez en l’air et hume de nouveau l’air.
 
La voilà. Cette même odeur. Elle ne provient pas juste d’à côté d’elle ; elle flotte dans les airs. Le nez de Mrsha est puissant, mais pour une Gnolle. Elle sent l’odeur flotter dans les airs, partout dans la montagne.
 
Ils sont partout. Et l’idée de ces créatures effraie Mrsha. Mais elle ne peut rien faire. Donc elle s’assied. Et attend.
 
Si elle croyait aux dieux, elle aurait prié. Mais Mrsha sait que les dieux sont morts. Elle se contente donc d'espérer. Elle essaie de croire.
 
Mais il fait si froid.






***




Haut. Plus haut encore. Je suis les fées qui me guident au pied de la montagne. Je crois qu’elles essaient de me guider par le chemin le plus sûr, mais…
 
J’ai déjà fait l’ascension d’une montagne. Mais cela n’avait rien à voir. Il n’y a pas de route ici, pas de chemin facile. Le sol devient vertical par endroits, et je dois à présent utiliser à la fois mes mains et mes jambes, me tractant lorsque mes pieds glissent sur les rochers recouverts de neige.
 
Les fées m’observent, se posant sur un rocher lorsque je me tire vers le haut, luttant et grognant sous l’effort. Leurs visages sont dépourvus d’expression, mais pas leurs yeux. Je crois qu’elles font semblant de ne pas se soucier de moi, mais elles volent devant mes yeux, me guidant avec trop d’empressement pour que je sois dupe.
 
Elles se soucient de moi. Mais elles ont peur que j’échoue.
 
“C’est encore loin ?”
 
L’une d’elle se retourne pour me dévisager pendant que le reste vole au-dessus de ma tête. Elle ne répond rien. Je prends une grande goulée d’air, et tousse. Je vais trop vite, à présent. Le goût de sang envahit ma bouche. Je me suis mordue la langue en tombant, et mes poumons sont en feu.
 
Je n’en ai cure. Plus vite. Je déglutis de l’air dans mes poumons.
 
“C’est… encore loin ? Combien de temps ?”
 
Elles ne répondent pas. Mais elles volent plus haut. Alors je serre les dents et reste en mouvement.



***



Urksh attend, debout en bordure du lieu où les Lances de Pierre ont établi leur campement. Il attend, et tend l’oreille.
 
Mais il n’entend rien d’autre que la neige qui tombe, les feux crépitant à côté de lui, et les mots de sa chasseresse, Hekra.
 
“D’autres ont disparu. Tous au nord et à l’ouest.”
 
Il se tourne vers elle. Le visage d’Hekra est impassible, mais ses oreilles et sa queue trahissent son agitation. Elle est inquiète, et lui aussi.
 
“Cela fait treize en tout.”
 
Treize adultes, des chasseurs et des guerriers, tous manquent à l’appel. Trois patrouilles qui avaient été envoyées pour chercher Mrsha ne sont jamais rentrées. Il y a quelque chose dehors, et les deux Gnolls le savent.
 
Et pourtant, ce qui inquiète le plus Urksh est le fait qu’il n’y a aucune trace des disparus. Pas de hurlements pour indiquer la présence d’ennemis, rien. Quoi qui ait attaqué les Gnolls de sa tribu, c’est arrivé furtivement et les a pris par surprise.
 
“Que tous les guerriers se tiennent prêts, non ? Tous. Et prépare tout ce qu’il nous faudra.”
 
Ce qu’il nous faudra. Au cas où ils soient forcés de fuir. Il n’a pas besoin de dire cela à voix haute. Hekra hoche la tête et s’éloigne à petites foulées. Urksh retourne scruter les ténèbres.
 
Il y a quelque chose dehors. Quelque chose. Et une odeur ténue flotte dans les airs. L’odeur est familière, mais étrange. Tordue. Il sait qu’il hume son ennemi, mais l’odeur ne va pas. Il y a de la mort dans les airs.
 
Urksh regarde fixement l’endroit où est partie l’Humaine répondant au nom de Ryoka Griffin, guidée par les étranges lumières indistinctes dans les airs qu’elle disait être des créatures vivantes. Les Esprits de L’Hiver. Les Fées de Givre.
 
Il espère qu’elle reviendra saine et sauve. Mais Urksh est présentement plus inquiet pour sa tribu. Ryoka Griffin affirmait qu’une armée approchait par l’est. Une force venue des cités Drakéides. Elle s’était sans aucun doute arrêtée pour monter le camp pour la nuit, mais l’instinct d’Urksh lui dictait de rapprocher sa tribu du camp, qu’importe les tensions que cela causerait.
 
La sécurité croît avec le nombre, et il est inquiet. Mais il n’ose pas déplacer son campement. Si Ryoka revient avec Mrsha, elles auront besoin de les retrouver ici.
 
Les Lances de Pierre attendent donc, scrutant les ténèbres. Et les ténèbres leur rendent leur regard. Des silhouettes silencieuses se dispersent à travers les montagnes, encerclant lentement le campement de la tribu des Lances de Pierre comme un vaste filet, et attendent.
 
Attendent.



***



Depuis combien de temps suis-je en train de courir ? Je n’en ai aucune idée. Des heures ? Une heure ? Peut-être. On dirait que des heures se sont écoulées.
 
Mes mains sont à vif, couvertes de plaies et de cloques. Les gants que j’ai enfilés ne suffisent pas. Les Pierres déchiquetées et les prises râpeuses que je parviens à saisir m’entament la peau, mais je fais fi de la douleur.
 
À quelle altitude suis-je montée ? Haut. Je grimpe depuis un moment, et les fées continuent de me guider plus haut encore. Je n’arrive pas à croire que Mrsha soit parvenue à monter si haut, mais le chemin que nous empruntons n’est pas inaccessible pour une enfant, surtout une jeune Gnolle.
 
Surtout si elle était pourchassée.
 
Mes pieds glissent, et je fais de grands moulinets avec les bras, manquant de peu dévaler la pente dans les ténèbres. Prudence. Je me hisse un peu plus haut et scrute les environs.
 
“Bon. Dans quelle directi...… ?”
 
Les frées ont disparu. Elles étaient juste devant moi et me guidaient, et là, elles ont disparu. Je regarde autour de moi, mon cœur tambourinant dans ma poitrine. Il fait sombre. J’ai dû jeter la torche que m’avaient donné les Gnolls un peu plus tôt pour pouvoir utiliser mes deux mains. Les fées parties, le flanc de la montagne est recouvert d’ombres.
 
“[Lumière].”
 
Une boule de lumière jaune apparaît dans ma main et s’envole. Je regarde autour de moi, mais je n’aperçois que de la roche et de la terre, là où tout n’est pas recouvert de neige.
 
Mais les fées ont disparu.
 
Mrsha !
 
Je hausse la voix et place mes mains en coupe autour de ma bouche. Mes jambes sont exténuées, mais je n’ose pas m’asseoir. Et je n’ose pas avancer d’un pas de plus non plus. Le sol a l’air stable, mais…
 
Mrsha ! Est-ce que tu m’entends ?”




***



Elle va mourir. Mrsha le sait. Cela la fait pleurer, mais elle ne verse que quelques larmes parce que c’est douloureux lorsqu’elles gèlent dans sa fourrure.
 
Elle va mourir. Elle n’aurait pas dû tant s’éloigner. Mais elle s’était lancée aux trousses d’une hase des neiges, puis elle avait senti la créature qui lui avait sauté dessus…
 
Elle frissonne. Il fait tellement froid. Ses yeux papillonnent, mais Mrsha sait qu’elle doit rester éveillée. Mais à quoi bon, si personne ne vient pour la sauver ?
 
L’enfant Gnolle s’adosse à la roche et se met à respirer plus lentement. Elle est tellement fatiguée. Mais ses oreilles entendent un bruit. Un bruit des plus ténu, mais qui… s’amplifie.
 
“... sha !
 
La Gnolle lève les yeux. Revoilà le bruit.
 
Mrsha ! Est-ce que tu m’entends ?
 
C’est une voix ! Une voix familière ! Ce n’est pas la voix d’un des anciens que Mrsha connaît, ni d’aucun de ses camarades de jeux. Mais elle connaît tout de même cette voix. C’est celle de l’Humaine, celle qui raconte des histoires.
 
Comment se fait-il qu’elle soit ici ? Mais Mrsha entend les cris de l’Humaine, et se redresse. Quelqu’un est venu la chercher.
 
Espoir.
 
Elle fait entendre sa voix et hurle vers le ciel, désespérée. De toutes ses forces.
 
Elle veut que Ryoka la retrouve. Elle veut être sauvée. Elle ne veut pas mourir ici toute seule.
 
Pas comme cette chose.




***



Je hurle, mais je n’entends rien. Le vent souffle autour de moi, et je ne sens plus mon visage. Il y a trop de neige.
 
Est-ce que j’arrive trop tard ? Mon cœur frémit. Est-ce la raison pour laquelle les fées sont parties ? Parce qu’elles ont perdu espoir ?
 
Mrsha !
 
Pas de réponse. J’arrive trop tard.
 
Mais je l’entends alors. Un son, de plus en plus fort. Un hurlement sauvage, haut perché et frénétique, semblable et pourtant différent de tous les cris d’animaux que j’aie jamais entendus.
 
Mrsha.
 
Je titube en direction de l’appel, puis je m’arrête.
 
“Arrête-toi, imbécile… réfléchis !”
 
Réfléchis. Je ne peux pas foncer à l’aveuglette. Si je meurs maintenant, elle meurt aussi.
 
Je lève la main, et l’orbe de lumière flotte vers moi. Je peux contrôler la lumière. D’un mouvement du poignet, je jette donc l’orbe devant moi. Je ne peux plus la contrôler après l’avoir lancée, mais elle illumine le sol devant moi.
 
Là ! L’orbe de lumière vogue au-dessus d’une petite crête de neige et dévoile le précipice qu’elle cachait. La boule de lumière révèle un à-pic brutal là où la terre a glissé, une crevasse naturelle, camouflée, dans le flanc de la montagne. Prudemment, je lance de nouveau [Lumière] et m’avance, les yeux rivés sur la crevasse, priant pour ne pas trébucher.
 
Le hurlement vient d’en pas. Je regarde par-dessus le bord. La lumière émise par l’orbe est trop faible pour illuminer les profondeurs de ce lieu.
 
“Mrsha ?”



***



Elle entend la voix, puis aperçoit la lumière. Mrsha hurle désespérément vers le ciel, et entend un cri pour toute réponse. La lumière est très faible. Mais elle se déforme alors, et un rayon descend vers elle. Il balaye l’endroit où se trouve Mrsha, rebondissant sur les murs de roche lisse, puis se pose sur elle.
 
“Je te vois ! Tiens bon !”




***


Bon Dieu. Bons Dieux. Elle est au fond d’une crevasse. Pas étonnant que personne ne l’ait entendue.
 
Je regarde fixement la petite silhouette brune de Mrsha. Elle est assise au fond d’une crevasse. Pas trop profonde, mais bien trop pour qu’elle puisse remonter.
 
Je plisse les yeux. Il y a quelque chose… à côté d’elle ? Une silhouette sombre couverte de neige. Mais je n’arrive pas à la distinguer. Cela n’a aucune importance. Il faut que je descende là-dedans.
 
Mais bon dieu. C’est un cauchemar. J’ai eu des cours sur la manière de mener des missions de secours dans l’urgence pour des personnes piégées dans ce genre de situation, et j’ai déjà fait de l’escalade, et c’est à peu près la pire situation qu’on puisse avoir.
 
Il faut que j’atteigne Mrsha, mais cela veut dire qu’il faut que je descende là-dedans. Je ne veux pas essayer de lui jeter la corde qu’Urksh m’a donnée et la faire remonter avec. Il faut que je descende là-dedans.
 
Descendre ? La partie de mon cerveau qui a un peu de bon sens éclate de rire devant la stupidité de l’idée. Je ne suis pas équipée pour ça. Je n’ai pas de baudrier, pas de matériel d’escalade… bordel, je n’ai même pas d’assureur !
 
Mais j’ai déjà jeté mon sac par terre pour en sortir différents objets. J’attrape tout d’abord la fourrure que m’ont donnée les Gnolls. C’était pour Mrsha, mais je la jette sur le bord de la crevasse. Si je fais descendre la corde, je ne veux pas qu’elle s’effiloche et qu’elle casse.
 
Peut-être que ce ne serait pas le cas, elle est magique. Ne serait-ce pas incroyable ? Mais je ne veux pas faire le test maintenant.
 
La corde que m’a donnée Urksh peut apparemment s’étirer ou s’allonger. Tant mieux pour elle, mais j’ai besoin d’un point d’ancrage. Je n’ai rien qui puisse m’aider à ce sujet, et il n’y a pas d’arbres dans le coin. J’examine le flanc de la montagne, consciente du fait que je dois me dépêcher , mais également du fait qu’il faut absolument que je fasse les choses bien.
 
D’accord, d’accord. Commençons par le début. Si je dois descendre, il me faut un ancrage.
 
J’en trouve un proche du précipice. J’enroule ma corde autour d’une lunule et de la tête du rocher auquel elle appartient. Impossible d’égaliser les points d’ancrage, je n’ai pas d’autre choix que d’utiliser toujours plus de corde. J’enroule encore de la corde autour du rocher, fais un nœud et contemple l’horrible fouillis que j’ai créé.
 
Un relais. Putain de moi. Heureusement, cette corde est magique, pour ce que ça vaut. Elle a intérêt à l’être, parce qu’avec toute la corde que j’ai utilisée pour sécuriser mon ancrage, il va encore falloir que j’atteigne le fond de la crevasse, sans parler d’accomplir ma mission.
 
L’instant de vérité. J’entends Mrsha émettre des sons inquiets en contrebas. Elle pense que je l’ai abandonnée. Je lui crie quelque chose de rassurant, et prend une grande inspiration.
 
Du rappel sans baudrier. Ça marche.
 
Je glisse la corde entre mes jambes de manière à tenir un bout du bras gauche et le morceau de corde qui passe entre mes jambes de la main droite. J’étire la corde, et m’approche du bord.
 
C’est de la folie. Mais Mrsha est là-dessous. Je me laisse donc aller sur la corde et fais un pas dans les airs.
 
Du rappel. Je tiens la corde serrée dans ma main droite, et prends une grande inspiration. Mrsha est en train de devenir folle en bas. Elle n’a probablement jamais vu quelqu’un faire de l’escalade comme ça. Ou plutôt, descendre comme ça.
 
Je saute et Mrsha crie. C’est plutôt un hurlement. Mais j’interromps ma chute et amortis l’impact en poussant le mur avec mes pieds. Je reste dans cette position un instant, baisse les yeux pour trouver ma prochaine étape, puis saute et descends encore de quelques mètres.
 
Du rappel. J’en ai fait de nombreuses fois, mais toujours avec un baudrier de sécurité et un superviseur. Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour un mousqueton…
 
Je n’ai presque plus de corde. Je vois le bout, et je prie pour qu’Urksh ne m’ait pas menti. Allez, ma corde. Fais ton petit tour de magie. Je tire, espérant qu’elle fasse quelque chose…
 
Et elle s’étire. Ou plutôt, s’allonge. Au lieu d’en atteindre le bout, je trouve de la nouvelle corde en poursuivant mon lent rappel vers le fond de la crevasse.
 
Pause. Bond. Une seconde de descente, puis je bande mes muscles et atterrit contre le mur, recouvrant Mrsha de neige. Nouvelle pause. Bond. Je suis terrifiée à chaque seconde que ma main ne glisse, mais la tension m’arrête à chaque fois que je bondis en contrebas, encore, et encore…
 
Mes pieds touchent le sol, puis quelque chose s’écrase contre mon flanc. Je crie, mais c’est Mrsha. La petite Gnolle me bondit dessus alors que je m’assieds, épuisée, au fond de la petite crevasse.
 
“Bon Dieu.”
 
Je recouvre mon visage d’une main un instant. Puis je manque m’affaler par terre lorsque Mrsha se fond sur moi. La Gnolle me lèche et m’enlace désespérément.
 
“Tout va bien, Mrsha. Je suis là. Je suis…”
 
Elle fait de petits bruits. Des gémissements, comme un animal. Ou un enfant. Je la tiens contre moi quelques secondes de plus.
 
“Je suis avec toi. Tout va bien se passer, d’accord ?”
 
Je tremble tellement fort, mais pas davantage qu’elle. Je l’ai trouvée. Je l’ai trouvée à temps.
 
Mais le pire est loin d’être derrière nous. Et je ne peux pas rester ici. Mrsha est gelée, et il faut que je la hisse en haut. D’une manière ou d’une autre.
 
J’ai un plan. Et je m’apprête à l’expliquer à Mrsha lorsque je tourne la tête et me fige. Mrsha se tord le cou pour voir ce qui m’arrive, puis elle gronde doucement.
 
Impossible. Mais là, dans la neige, à moitié enseveli, se trouve une petite silhouette. Ce n’est pas un rocher, comme je l’avais cru plus tôt. Non.
 
C’est un cadavre.
 
Pas juste n’importe quel cadavre. Je relâche lentement Mrsha, et elle recule tandis que je m’approche lentement de la silhouette. Elle est étendue face contre terre, mais je la retourne et je sais déjà ce que je suis en train de voir.
 
Le visage d’un Gobelin me dévisage de ses yeux rouges éteints, les traits gelés. Il - ou elle - était vêtu d’une armure, une espère de cotte d’écailles, mais cela n’a pas suffi à lui faire survivre à sa chute. Son cou est tordu à un angle improbable.
 
Il doit avoir pourchassé Mrsha. Elle était en train de ramasser des racines et il l’a surprise. Elle a couru, et ils sont tous les deux tombés là-dedans. Mrsha a eu de la chance, mais le Gobelin est mort.
 
Les Gobelins. S’il y en a un, il y en a d’autres. Et celui-ci est armé. Je le contemple et aperçois la hache à sa ceinture. Une armure et des armes. Ce Gobelin est bien plus dangereux que ceux que j’ai vus dans le nord.?
 
Il y a du danger. Mais je ne peux pas me concentrer là-dessus tout de suite. Je lève les yeux. Il faut que je mette d’abord Mrsha en sécurité. Et maintenant que je suis ici, je peux lever les yeux et voir à quel point je suis foutue.
 
Cette crevasse ne fait que six ou sept mètres de profondeur. Seulement. Hah. Mais c’est n’importe quoi. Le bord du précipice remonte et le mur de glace et de roche s’incurve encore plus vers l’intérieur. Pour résumer, remonter manuellement est impossible sauf si on est capable d’être parfaitement à l’horizontale vers la fin.
 
J’ai un élément qui va pouvoir m’aider à grimper. Une corde. Et c’est déjà bien. Mais quand même.
 
Une putain de corde. Pas d’équipement, rien d’autre. Juste une corde et mes deux bras épuisés pour escalader six mètres de roche.
 
Je n’ai pas de bloqueur. Rien pour m’aider à grimper. Je n’ai même pas de putains de nœuds sur ma corde pour m’aider.
 
Je regarde Mrsha. Elle regarde en haut, pleine d’espoir. Elle croit peut-être qu’il y a d’autres gens dans le coin. J’ai horreur de devoir la décevoir, mais elle doit comprendre ce que je m’apprête à faire.
 
“Mrsha.”
 
Elle se tourne vers moi, pleine d’espoir. Je suis l’adulte, elle a confiance en moi. L’idée me tord le ventre.
 
“Je vais te mettre en sécurité, d’accord ? Mais il faut que tu écoutes bien ce que je vais de dire.”
 
Elle acquiesce. Je lui explique ce que je m’apprête à faire.
 
“Je vais te faire un baudrier. Euh, c’est cette corde. Cela va m’aider à te soulever. Puis je grimperai là-haut et je te hisserai. Je ne t’abandonne pas, d’accord ?”
 
Elle me dévisage. Est-ce qu’elle a compris, au moins ? Mais elle finit par hocher la tête, un petit mouvement timide. Je prends une grande inspiration.
 
“Okay. Lève le bras.”
 
Au moins, je sais faire un baudrier de corde. J’étire encore la corde, enroulant de solides bouches autour des jambes et de l’entrejambe de Mrsha, en faisant des nœuds de chaise. Pas de nœuds plats ici, ni de nœuds de cabestan…
 
Elle ne se tortille pas beaucoup, mais elle regarde le baudrier d’un air confus. Là encore, ce n’est pas quelque chose que les Gnolls utilisent beaucoup, j’imagine.
 
“Ne t’inquiète pas. J’arriverai à te hisser. À présent…”
 
Je lève les yeux. À présent, c’est le moment difficile.
 
Pour que ça marche, il faut que je remonte en haut de la crevasse. Seule. Sans prise, exceptée la corde.
 
J’en suis incapable. Mes bras sont déjà fatigués, et le reste de mon corps aussi. Mais je n’ai pas le choix.
 
J’hésite une minute et Mrsha me dévisage, mais ce sont ses yeux qui me mettent en mouvement. Après m’être assurée qu’elle n’est pas en travers de mon chemin, je saute…
 
Et attrape la corde.
 
Mes jambes s’enroulent immédiatement en bas de la corde. Je tâtonne à l’aveugle avec mes pieds, jusqu’à coincer la corde entre mes bottes. Une botte remonte, et l’autre marche sur la corde pour la coincer, ce qui me permet de rester debout et de ne pas glisser. Mais ça n’en vaut la peine que si je parviens à grimper. Je prends donc une grande inspiration, lève une main, et commence mon ascension.
 
Une main remonte le long de la corde, puis je me hisse. Puis une autre. Au début, je grimpe rapidement, et Mrsha émet des sons d’encouragement, courant sous moi jusqu’à ce que je lui crie d’arrêter. Les balancements de la corde compliquent mon ascension.
 
Cela fait longtemps que je n’ai pas grimpé à la corde. Trop longtemps. Je n’ai pas beaucoup entraîné mes muscles supérieurs depuis que je suis arrivée dans ce monde, et bon sang, je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai fait de l’escalade. Et je suis tellement fatiguée/
 
Tire. Bloque la corde avec tes jambes. Redresse-toi. Tire. Je sens déjà une faiblesse tremblante envahir mes bras.
 
Pourquoi les fées m’ont-elles dit de ne prendre personne d’autre avec moi ? Pourquoi moi ? Parce que je l’ai demandé ? Comment puis-je réussir ?
 
Mes bras brûlent lorsque je me hisse. Je manque lâcher prise lorsque mes muscles commencent à lâcher et resserre rapidement les pieds autour de la corde.
 
Je suis incapable de faire ça. Mes bras vont lâcher. Mais il le faut. Il le faut… !
 
Je ne sais comment, je parviens à me hisser encore plus haut. Impossible. Je ne suis pas assez forte. Mais je peux le faire. Ce monde… que m’arrive-t-il ?
 
Encore. Et encore. Un hurlement résonne sous mon crâne. Plus haut. Je ne peux pas m’arrêter ou tout est terminé.
 
C’est tellement loin. Six mètres seulement ? J’ai l’impression d’être à une éternité du sommet.
 
J’ai trop d’équipement sur moi. Mes vêtements d’hiver… j’aurais dû les enlever. J’aurais dû me reposer. Expliquer à Mrsha. Mais c’est trop tard à présent. Je me hisse encore une fois, et aperçois le somment.
 
Tellement putain de proche. Tire. Serre. Tire. Serre. Tire...
 
Une main lâche la corde et tâtonne au-dessus du précipice. Je m’accroche désespérément, puis tire...
 
Grimpe, imbécile !”
 
Lentement, lentement, mon corps se hisse par-dessus la crête. J’entends Mrsha faire du bruit en contrebas, mais je ne peux me concentrer que sur mon ascension. Toutes les fibres de muscles que je possède se concentrent pour me hisser et passer par-dessus… !
 
Puis tout est fini. Je m’effondre au sol et rampe un peu plus loin, hoquetant d’épuisement. Je ne sais pas combien de temps je reste allongée ici, mais les aboiements anxieux de Mrsha finissent par me faire me relever. Je passe la tête par-dessus bord et la vois lever les yeux vers moi, pleine de peur et d’angoisse.
 
“Tout va bien.”
 
Tout va bien. J’attrape la corde et l’appelle. Dès que Mrsha comprend ce que je m’apprête à faire, elle démêle la corde et s’assied. Lentement, je me redresse et me mets à tirer.
 
L’ascension a été difficile, mais ça, c’est facile. Je peux m’adosser, la tirer petit à petit. Je suis plus lourde que Mrsha, et j’utilise mon poids pour la hisser, assise dans son baudrier, émettant quelques petits bruits inquiets. Mais elle est en sécurité tant que je ne la lâche pas et elle ne panique pas. Et je ne la lâcherai pas. Je ne la lâcherai jamais.
 
J’ai l’impression de mettre une éternité à la hisser, mais je m’accroche, puis j’entends un bruit. Je m’interromps, puis comprends que Mrsha est au bord de la crevasse. Je tire, très lentement, puis je vois des pattes gratter contre la crête. Puis une tête.
 
Mrsha finit de se hisser et bondit instantanément sur ses pieds. Elle s’emmêle dans la corde, mais se dépêtre et me saute dessus. Je la rattrape, et l’enlace.
 
Et elle me rend mon étreinte. Pendant un instant, nous nous contentons de nous étreindre, et je sens ses tremblements ralentir et mes propres peurs s’apaiser. Elle va bien. Elle ira bien.
 
Puis je défais le baudrier de corde et enveloppe Mrsha dans les fourrures. Elle s’y enfonce avec délices et éternue lorsque je m’assieds par terre. J’ai besoin de me reprendre un peu.
 
Mais Mrsha est en sécurité, à présent. Je me tourne vers le flanc de la colline, derrière le paysage désert. Huh. On est montées plutôt haut. Incroyable qu’elle ait réussi à aller si loin. Mais la peur donne des ailes, j’imagine.
 
Que fait-on, maintenant ? Eh bien, on rentre au camp. Urksh s’inquiète probablement, et on reste sans défense si un monstre apparaît. Ce sera peut-être compliqué de retrouver le chemin du retour, mais les fées…
 
Les fées. Je scrute les alentours. Elles ne sont toujours pas revenues. Non… peut-être qu’elles sont revenues, mais elles se cachent encore. Invisibles.
 
Pourquoi ? J’ai secouru Mrsha. Elle est en sécurité. C’est terminé.
 
Ou peut-être pas.
 
Mon cœur commence à battre à tout rompre. Mrsha me regarde me relever lentement et regarder autour de nous. Qu’est-ce qui ne va pas, alors ? Nous sommes en danger. Si elles ne sont pas là…
 
Et je vois alors les étincelles au loin. À l’altitude où nous nous trouvons, elles ne ressemblent d’abord qu’à des étincelles. Mais je comprends finalement de quoi il s’agit.
 
Des torches.
 
D’abord une, puis un groupe. Puis les lumières s’étendent. Pas juste une ou deux ni même une centaine. Mais des milliers. Le feu s’embrase et se propage, les ténèbres en-dessous de nous s’éclairant d'innombrables têtes d’épingles lumineuses.
 
Mrsha se raidit à côté de moi, s’accroupit et contemple la scène. Je la contemple aussi.
 
“Ce n’est pas la tribu des Lances de Pierre.”
 
C’est impossible. Il n’y a clairement pas assez de Gnolls pour ça. L’armée de Drakéides ? Mais j’ai le sentiment que c’est quelque chose d’autre. Un frisson descend le long de mon dos.
 
Que se passe-t-il ? Mais Mrsha se tourne vers moi, le visage frappé d’horreur, et les morceaux du puzzle commencent à se mettre en place.
 
Une odeur dans les airs. D’étranges silhouettes qui nous observent. Le Gobelin mort.
 
Mrsha gémit, un bruit ténu, et me touche la jambe. Et je sens les yeux sur moi et comprends que nous ne sommes pas seules.
 
À observer.
 
“Non.”
 
C’est impossible. Mais ils sont silencieux, et nous observent, comme des statues recouvertes de neige. C’est impossible.
 
Et pourtant ils sont là. Les Gobelins. Ils baissent les yeux sur nous, leurs yeux rouges luisant dans la nuit. Combien sont-ils ?  Vingt ? Trente ?
 
Des éclaireurs, peut-être.  Ils nous ont peut-être entendues, Mrsha et moi, ou peut-être qu’ils nous suivaient depuis le début.
 
Qu’est-ce qu’ils nous veulent ? Mais je connais la réponse. Ils sont tous armés, et ils sont tous vêtus d’une armure. Ce ne sont pas les gobelins sauvages d’une tribu quelconque.
 
C’est une armée.
 
Et ils vont nous tuer. Je le vois dans leurs yeux. Les yeux des Gobelins sont peut-être différents de ceux des Humains ou des Gnolls, mais je reconnais cette expression.
 
Dénuée de pitié. Une colère froide. La mort.
 
Ils ressemblent à des monstres, mais ils sont d’autant plus terrifiants qu’ils ressemblent à des gens. L’un d’eux lève une main et la pointe sur moi.
 
“...”
 
Je ne comprends pas ce qu’il dit. C’est du Gobelin, criard et incompréhensible. Lentement, les Gobelins descendent des rochers et nous encerclent. Ils lèvent leurs armes.
 
Je sens Mrsha contre moi. La Gnolle me serre si fort que je sens ses griffes transpercer mon legging. Je sais qu’elle est terrifiée. Je le suis aussi.
 
“Nous ne sommes pas vos ennemies.”
 
Le Gobelin qui m’a pointée du doigt, un guerrier vêtu d’une cotte de mailles et muni d’une masse d’armes, plonge son regard dans le mien. Il n’y a rien à l’intérieur. Pas d’empathie. Pas de sympathie.
 
Ils vont nous tuer. Ils nous ont déjà toutes les deux encerclées. Je regarde brièvement vers le sud. Le chemin pour redescendre est là-bas, mais des Gobelins nous y attendent. Je n’ai pas d’arme. Je suis épuisée, et Mrsha ne peut pas se battre.
 
Lentement, je lève les mains au-dessus de ma tête, au-dessus d’eux. Un geste universel de reddition. Certains Gobelins éclatent de rire, mais leur meneur se contente de me regarder.
 
Mon cœur bat à tout rompre. Je le regarde s’avancer, puis pose mes mains sur ma tête. Pas de temps de réfléchir. Il suffit de…
 
On n’a pas besoin d’utiliser ses mains pour jeter un sort. Mes pouces rejoignent mes oreilles et je pousse un cri.
 
[Grenade assourd...]
 
Je ferme les yeux et le monde devient soudain silencieux et noir. L’éclair lumineux s’éteint, et je tourne la tête. Je n’entends qu’un bourdonnement dans mes oreilles, mais voilà Mrsha, étalée au sol tandis que les Gobelins autour de moi s’agitent en ouvrant et en fermant la bouche comme des mimes silencieux.
 
J’attrape Mrsha. Elle se tend et me griffe, mais je la soulève et la jette sur mon épaule à la façon des pompiers. Puis je cours, écartant les Gobelins sur mon chemin et me précipitant dans la pente, glissant autour des rochers, priant pour ne pas tomber.
 
Mrsha est sur mon dos. Je crois qu’elle sait que c’est moi qui la porte, mais elle continue de se débattre. Elle doit avoir mal à cause du sort. Elle pousse un cri perçant et angoissé. Je m’en rends compte uniquement parce que je sens les vibrations qui la secouent lorsque je l’attrape et que je me mets à courir. Je n’ai pas eu le temps de lui dire de se boucher les oreilles et de fermer les yeux, elle est donc sourde et aveugle sur mon dos pendant que je dévale la pente.
 
Moi aussi, d’ailleurs. Je ne vois presque rien à travers les formes miroitantes incrustées dans mes rétines, mais je cours quand même. J’entends les Gobelins hurler et se précipiter à mes trousses par-dessus le bourdonnement dans mes oreilles.
 
Puis… un cri. Je me retourne et voix deux silhouettes tomber dans la crevasse. Bien.
 
Dévale la pente. Esquive les rochers. Ce terrain n’est pas adapté à la course, mais je glisse et absorbe les impacts dans mes jambes et la partie inférieure de mon corps en m’écrasant sur le flanc de la montagne. Cours. Cours.
 
Cours.




Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 17 janvier 2021 à 10:25:54

2.35 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

***


Ils nous suivent. Je le sais. Je dévale une colline, glissant dans la neige, et Mrsha gronde d’un air anxieux à mon oreille. J’essaie de ne pas tomber, mais j’essaie de courir en même temps, d’accélérer.
 
Les Gobelins sont juste derrière nous.
 
Je les entends hurler, beugler leur cri de bataille haut perché. Ils nous suivent, et de temps à autre l’un d’eux essaie de tirer des flèches ou de jeter des cailloux dans mon dos.
 
Mais s’il y a un avantage que j’ai sur eux, c’est la vitesse. Malgré le poids de Mrsha sur mon dos, je peux courir plus vite qu’eux, avec leurs petites jambes. Mais je cours tout de même dans la neige, et cela nous ralentit tous.
 
Et je suis perdue. Je cours tout droit à présent, comme la colline a laissé place à une plaine dégagée, mais je ne sais pas où aller. La tribu. Il faut que je les retrouve. Mais où… ?
 
Je sens des griffes s’enfoncer dans mon bras et je prends une vive inspiration. Mais Mrsha me caresse la tête en poussant des grognements anxieux et je comprends qu’elle essaie de me dire où aller.
 
Muette. Elle est muette. Je lève les yeux, et je vois une patte qui pointe à droite. Je n’hésite pas un instant et m’élance immédiatement dans cette direction.
 
Mes bras me brûlent. Mes jambes sont à l’agonie. Je suis au bout du rouleau. Mais je dois continuer. Je ne peux pas ralentir, pas maintenant.
 
Combien de Gobelins y a-t-il autour de nous ? Le blizzard verse toujours de la neige à grands seaux, mais je jurerais que le ciel est orange à présent, et des lumières brillent à l’horizon.
 
Des Gobelins.
 
Mrsha crie dans mon oreille et je vois les silhouettes devant moi. Encore ? Elles se précipitent sur moi, mais elles ont éteint leurs torches pour essayer de se cacher. Je les contourne et sent quelque chose voler derrière mon dos. La petite Gnolle sur mes épaules est en train de hurler.
 
Elle représente une cible facile. S’ils visent ma tête, ils vont l’atteindre, elle. Mais je ne peux rien faire. Je ne peux que courir plus vite.
 
Mrsha pousse un hurlement, sonore et inquiet. Je veux lui dire de la fermer, mais elle essaie d’appeler à l’aide, et les Gobelins savent déjà que nous sommes là.
 
Elle tapote mon bras et pointe du doigt. Par là. Je modifie ma trajectoire, en tentant d’accélérer. Mais la poudreuse me ralentit. Et je porte Mrsha. Je pourrais la poser et la laisser courir…
 
Non. Reste en mouvement.
 
Une forêt devant nous. J’hésite. Ils se cachent peut-être à l’intérieur. Mais la contourner ? Trop loin. Je prends une grande inspiration et charge droit devant.
 
Quelque chose sort des arbres. Mrsha crie de nouveau, mais je donne un coup de pied en pleine poitrine au Gobelin et modifie ma trajectoire. Plus loin dans la forêt. Ils bondissent tout autour de moi, mais je charge comme un taureau et ressort de l’autre côté de la forêt, leur horde sur mes talons.
 
Une plaine dégagée. On se rapproche, à présent. Mrsha tapote de nouveau ma tête, et elle pointe un peu plus à gauche. Je poursuis ma course.
 
“Il faut que…”
 
On va s’en sortir. Je dois y croire. Mais je vois alors d’autres torches se rapprocher rapidement de nous sur ma gauche. Alors je tourne à droite. Mais d’autres torches me barrent le chemin.
 
Et devant nous…
 
Les deux groupes de Gobelins courent devant nous, pour nous encercler. Je ralentis, et nous finissons par être complètement encerclées.
 
Mrsha s’est tue. Lentement, je m’arrête au milieu du cercle de guerriers armés. Ils se rapprochent.
 
“Ah.”
 
J’imagine que c’est ainsi que tout doit finir. Je repose Mrsha dans la neige. Délicatement. Mon cœur emplit mes oreilles d’un bruit de tonnerre.
 
“J’imagine que c’est parce que tu n’es pas une tueuse.”
 
Les paroles d’Erin résonnent dans mes oreilles pour une raison que j’ignore. Je regarde fixement les Gobelins et retire lentement mon manteau. Pas le temps d’ôter plus de couches. Ils m’observent en silence ôter tout ce que je peux.
 
Allège-toi. Reste hors de portée. Ils ne tirent pas de flèches, heureusement. Mais je le vois dans leurs expressions si humaines. Ils veulent nous mettre en pièces. Lentement.
 
Ah, Erin. Pour une raison que j’ignore, je me souviens d’une Gobeline qu’elle m’avait présentée. Loks. Est-ce qu’elle participerait à tout ça ? Est-ce qu’il s’agit de sa tribu ? J’en doute.
 
Je lève les poings, lentement, et les guerriers Gobelins s’approchent. Mrsha est à mes côtés, mais je l’écarte doucement.
 
“Reste derrière moi. Fuis si tu vois une ouverture.”
 
Des paroles creuses. Où va-t-elle pouvoir fuir ? Mais peut-être a-t-elle une chance si elle parvient à rester devant eux. Elle en a déjà distancé un.
 
Erin. Si j’étais dans son auberge, je pourrais barricader les portes et me sentir en sécurité. Pourquoi suis-je en train de penser à l’auberge ?
 
L’un des Gobelins s’avance. C’est le chef, celui que j’ai aveuglé. Il me regarde en dénudant ses dents.
 
L’auberge. Mon cœur bat à tout rompre. Je serre les poings. Ça va être compliqué de donner des coups de pied avec toute cette neige.
 
Je veux juste m’asseoir encore une fois devant le feu et perdre quelques parties d’échecs contre elle, voilà tout. Je veux m’installer à une table et écouter les gens discuter et rire. Je veux…
 
JE veux vivre.
 
Leurs lames sont aiguisées.
 
“Si.”
 
Puis il se précipite sur moi, et je lève ma jambe…




***



Voilà ce que vit Mrsha. Dans l’orage sombre, alors que la neige tombait tout autour d’elle, la petite Gnolle s’accroupit au maximum, observant les silhouettes et les ombres combattre dans la lumière vacillante des torches.
 
L’Humaine, Ryoka Griffon, se dressait, seule, au milieu d’un cercle de Gobelins. Ils fondirent sur elle en riant, seuls ou par paires, pour s’amuser avec l’Humaine désarmée.
 
Le premier Gobelins leva sa masse d’armes en se précipitant sur la jeune femme. Mais Ryoka leva la jambe et lui donna un coup de pied en pleine poitrine si rapide qu’il ne put l’esquiver. Il tituba en arrière, et elle pointa un doigt sur lui.
 
“[Lampe Torche] !”
 
Un rayon lumineux surgit de son doigt, prenant les Gobelins par surprise. La lumière était tellement forte que la jeune Gnolle dut détourner le regard. L’Humaine bondit en avant tandis que les Gobelins se protégeaient les yeux et donna deux coups de poings en plein visage au Gobelin avec la masse.
 
Il s’effondra. Ryoka lui donna un coup de poing au sol et il ne se releva pas. Elle recula, et leva la main. Les Gobelins la dévisagèrent, surpris, et méfiants, à présent.
 
L’Humaine pointa le ciel du doigt. Elle prit une grande inspiration, et prononça un mot que Mrsha ne comprit pas.
 
Ryoka envoya une fusée de détresse dans le ciel sombre. Une lumière d’un rouge incandescent jaillit de sa main et s’envola pendant que les Gobelins poussaient des cris et battaient en retraite. Mais ce n’était pas une attaque.
 
La lumière rouge flotta dans les airs, défiant la gravité, sous les yeux de Mrsha. Ryoka leva les yeux vers le ciel d’un air sombre. Elle envoya une nouvelle fusée, colorant la neige et le paysage d’une lumière rouge. Puis la lumière retomba au sol, et le monde redevint sombre.
 
Mrsha ne comprit pas. Il ne s’était rien passé. Les Gobelins examinèrent l’Humaine, mais lorsqu’ils furent certains qu’elle n’avait plus de sorts en réserve, ils reprirent de l’assurance. Ils fondirent sur elle.
 
Des coups de poing. De pied. Mrsha avait vu les guerriers et les chasseurs de sa tribu s’entraîner et même se battre avec des Lances, voire des épées ou des haches. Ils avaient leur propre méthode de combat, primaire, mais efficace. Mais l’Humaine…
 
Elle passait sans transition d’un coup de poing à un coup de pied, pivotait, essayait d’assurer ses arrières. Elle se battait d’une manière que la jeune Gnolle n’avait encore jamais vue, gardant les Gobelins à distance et réussissant à les blesser même désarmée.
 
Mais elle était seule et ils étaient nombreux. Ryoka pointa du doigt et la lumière les aveugla de nouveau, mais ils la repoussèrent, en essayant de la taillader avec leurs lames. Et elle était fatiguée.
 
Chaque fois qu’elle levait un doigt et que la lumière aveuglait les Gobelins, Mrsha voyait le visage de l’Humaine se tordre comme si elle avait mal. Puis ses mouvements devenaient un tout petit peu plus lents, un tout petit peu moins puissants.
 
Et les Gobelins étaient nombreux. Ils couraient droit sur elle, à moitié aveugles mais trop nombreux pour qu’elle puisse les arrêter. Ryoka recula et Mrsha vit un Gobelin tenter de lui taillader la jambe. Ryoka esquiva l’épée, et cogna le Gobelin. Mais il lui saisit alors la main et ouvrit la bouche…
 
Mrsha vit les dents se refermer sur la main de Ryoka qui essaya de les en arracher. Elle entendit un craquement puis un cri, un hurlement d’agonie. Ryoka retira sa main et Mrsha sentit le sang avant d’apercevoir les moignons de son auriculaire et de son annulaire.
 
Ryoka leva sa main ensanglantée et jeta un regard à Mrsha. Le sang s’écoula sur la neige et le Gobelin éclata de rire en avalant les doigts. Et l’Humaine contempla Mrsha, les yeux emplis de regrets.





***



“Ah.”
 
Je m’écarte en titubant du Gobelin qui m’a mordue. Il éclate de rire, et je me tourne et vois Mrsha, accroupie dans la neige. Et il y a ma main.
 
Il m’a mordue. Il m’a pris… mes doigts. Je contemple ma main droite, sous le choc.
 
Le sang qui commence à s’écouler dans la neige luit sur mes deux moignons. Je recouvre machinalement la plaie. Ce n’est pas bon de perdre trop de sang par ce temps. De plus, cela saperait ma chaleur corporelle.
 
Je suis mal barrée. Je…
 
Un autre Gobelin se précipite sur moi avec un couteau. Je me retourne et lui donne un coup de pied, et il tombe. Mais je titube.
 
“Ma main.”
 
Ils rient, à présent. Les Gobelins me regardent serrer ma main blessée, et avancent plus lentement. Je recule, jusqu’à ce que Mrsha soit contre ma jambe.
 
Je ne peux pas fuir. Je ne peux pas mourir.
 
J’essaie de serrer le poing, mais la sensation est dérangeante avec mes deux doigts manquants. Il reste un espace et je vois directement ma paume. C’est perturbant.
 
Un Gobelin s’avance vers moi. Celui qui m’a mordue. Il lève son épée et sourit de toutes ses dents sanguinolentes. Je m’avance…
 
Et entends un rugissement.
 
Le Gobelin se retourne, sa surprise se muant en peur, puis sa tête disparaît. Je cligne des yeux. Quelque chose passe en un éclair devant moi, puis un Gnoll apparaît.
 
Pas Mrsha. Celui-ci est plus grand, plus fort, mâle. Urksh. Il donne un grand coup de hache dans un autre Gobelin et le petit guerrier s’écroule, son crâne fendu en deux.
 
Et d’autres Gnolls surgissent. Ils attaquent par la gauche, archers et guerriers. J’aperçois… Hekra, avec trois autres archers .Elle lève son arc et sa main devient floue. Deux Gobelins s’effondrent, des flèches plantées dans la poitrine.
 
Jolie compétence.
 
Je titube, et un Gobelin essaie de me mettre un coup d’épée. Je recule, mais il avance, et il y a beaucoup de sang dans la neige, à présent. Le mien.
 
Je le cogne en pleine poitrine, mais il a une armure et se contente de chanceler. Il lève son épée…
 
Et Mrsha déboule sur le côté et se précipite sur lui. Elle le mord et le taillade de ses petites griffes et il pousse un cri perçant. Il lève son épée courte et j’attrape son bras. Je le tord avec mon bras valide et j’entends son bras se briser.
 
Il hurle. Je le relâche et attrape Mrsha. Et voilà que les Gnolls nous encerclent et combattent, tue…
 
“... Griffin. Ryoka Griffin.”
 
Quelqu’un me tient par le poignet. Je me retourne. Urksh me tient. Il enveloppe ma main dans quelque chose, une espèce de tissu rêche…
 
“Aah.”
 
Ça commence à faire mal, à présent. Mais c’est surtout la sensation de vide au-dessus de mes deux moignons qui me dérange. Urksh appuie le tissu sur ma main et hoche la tête à l’attention d’un Gnoll.
 
“Fais le guet. Ils arrivent.”
 
Le Gnoll disparaît. Je cligne des yeux.
 
“Je l’ai trouvée.”
 
Il me sourit brièvement.
 
“En effet. Nous allons nous occuper du reste, à présent. Ne bouge pas. On va te porter.”
 
“Je peux…”
 
Trop lente. Il me soulève, et, avec l’aide d’un autre Gnoll, ils partent en courant, Mrsha et moi dans les bras. Le vent est frais sur ma peau et je cligne des yeux.
 
“Je vais bien. Je peux courir.”
 
“Repose-toi. Tu as accompli une grande chose. Je suis honoré de t’avoir rencontrée, Ryoka Griffin.”
 
Quelque chose dans sa voix me fait me retourner. Nous ne nous dirigeons pas vers le campement.
 
“Où… ?”
 
“Ils arrivent. Nous devons fuir.”
 
Et alors je les vois, et je comprends le goût du désespoir. Nous sommes plus proches du campement de la tribu que ce que nous l’avions cru, Mrsha et moi.
 
Proches, mais trop loin. Trop tard.
 
C’est ainsi que tout finit. C’est ainsi que nous allons mourir.
 
Des centaines de Gobelins - des milliers - s’écoulent dans les plaines. Ils courent, lancent des flèches et se battent à la lumière des mages et des torches des quelques Gnolls qui sont restés pour les repousser.
 
Le reste est en fuite. J’aperçois plus d’une centaine de Gnolls, adultes et enfants, en train de fuir le plus vite possible vers l’ouest. Mais ils sont pourchassés. Les Gobelins accourent de toutes les directions. C’est comme si le monde se consumait sous leur nombre.
 
Et au loin, je vois l’invité d’honneur. Une vague noire de silhouettes, semblable à une affreuse bête plate, rampant vers nous. Il y a des Gobelins plus grands dans la horde principale. Des Hobs. Ils tirent des flèches, eux aussi.
 
Urksh court rejoindre sa tribu en me portant dans ses bras, inépuisable. Je regarde en arrière et aperçois d’autres Gnolls s’écarter pour fondre sur les Gobelins qui nous attaquent, sans peur.
 
“Que font… ?”
 
“Ils nous font gagner du temps. Là. Cours.”
 
Il me repose, le visage sombre, et je comprends. Quelques Gnolls vont se battre. Ils foncent sur les Gobelins, se font transpercer de flèches et trébuchent, une grande partie d’entre eux ne parvenant même pas à atteindre les guerriers armés. Ceux qui y parviennent tombent en un instant, tailladés de toute part.
 
Tout arrive trop vite. Je n’arrive pas à suivre. LA guerre ? C’est si soudain, mais je vois enfin une lueur bleutée.
 
Les Fées de Givre. Elles flottent haut dans le ciel, et observent la scène. Et je me demande pourquoi elles sont ici. Mais je comprends alors que c’est parce qu’elles ne m’observent plus, moi.
 
Parce que ce n’est pas mon histoire. Pas dans le grand ordre des choses.
 
C’est le sien.
 
La horde infinie de Gobelins est à nos trousses. Ils attaquent nos dos et nos flancs, essaient d’abattre les adultes en train de protéger les enfants, essaient de nous arrêter. Ils sont tellement concentrés sur nous qu’ils ne voient pas le Drakéide en train de charger dans leur direction.
 
Son armure est cabossée, et il n’a pas d’artefact magique. Pas comme l’autre Drakéide sur ses talons, armé d’une épée lumineuse ensorcelée. Mais le Drakéide au front est différent. Il n’a pas d’armes, et pourtant ses griffes peuvent fendre l’acier. Il court à la tête d’une armée, et lorsque les Gobelins se retournent, leur expression change.
 
Peut-être qu’ils sentent qu’ils sont sur le point de mourir. Peut-être qu’ils l’ont compris. Comment pourrais-je l’ignorer ?
 
Mais c’est une légende. Un héros des Drakéides. C’est évident.
 
Zel Shivertail me dépasse au pas de course et nos regards se croisent pendant une seconde d’éternité. Puis son armée et ce qu’il reste de celle du Seigneur des Murailles Ilvriss s’écrasent dans les lignes Gobelines, les taillant en pièces, envoyant leurs cadavres voler dans les airs en se déchaînant dans leurs rangs sans défenses.
 
Toute la masse de Gobelins est parcourue d’une onde de choc, mais Zel ne prend même pas la peine de s’arrêter. Il poursuit sa course, et je ne distingue plus ses mains autour desquelles les Gobelins s’effondrent, déchirés, leur sang s’écoulant au sol, mourants.
 
Ilvriss est là lui aussi, et balance son épée de droite à gauche, les dents dénudés. Est-ce qu’ils sont du même côté à présent ? Forcément. Les deux généraux transpercent le premier rang de Gobelin puis le suivant, et se mettent à charger l’avant-garde Gobeline.
 
C’est alors que j’aperçois le Seigneur Gobelin pour la première fois.
 
Il se tient au milieu de la masse de Gobelin, vêtu d’une armure magique. Ce n’est pas qu’il soit plus grand que les autres, il est à vrai dire à peine plus grand que l’Humain moyen, et nettement plus petit que le plus gros des Hobs.
 
Mais ses yeux sont un véritable cauchemar. Je les ai déjà vus une fois auparavant. Ses pupilles sont blanches, et le reste de ses yeux est noir. Ils luisent, et même à des kilomètres de distance, je parviens à les voir. Il regarde Zel, et lorsque son regard passe devant le mien, je sens la terreur étreindre mon âme.
 
Il lève une main, et soudain, le cours de la bataille change de nouveau. Les Gobelins poussent un cri, et reforment les rangs. La charge de Zel stoppe net lorsqu’il se retrouve face à un mur de boucliers.
 
Une véritable armée, avec des formations et des tactiques. Et je m’arrête alors de courir lorsque Urksh me fait virevolter. Il montre les dents, et je regarde devant nous et je vois un peu plus de désespoir noyer nos espérances.
 
“Non. Non.”
 
Des Hobs. Une autre armée se précipite dans notre flanc, encerclant les Lances de Pierre avant qu’elle n’ait eu le temps de s’éloigner. Je vois les Gnolls repartir en courant, mais la bataille s’est déjà refermée derrière nous.
 
Et ce groupe qui se tenait en embuscade attaque les Gnolls par le flanc. Trop de Hobs. Je vois des guerriers tomber, incapables d’arrêter leur avancée. Et ni Zel, ni son armée ne les remarquent. Ils sont trop occupés à se fendre un passage vers le Seigneur Gobelin.
 
“Aidez-nous !”
 
Je hurle à l’attention des Drakéides et des Gnolls, mais ils sont trop occupés à se battre. Non… les soldats pensent que nous faisons partie de l’armée, ou ils veulent juste que nous retenions les Gobelins pendant leur attaque. Je vois les Hobs, ils sont tellement nombreux ! Plus d’une centaine d’entre eux avancent, vêtu d’armures lourdes, et massacrent Drakéides et Gnolls.
 
Comment est-ce possible ? Je lève les yeux. Les fées. Elles observent toujours le champ de bataille.
 
Un Gobelin se précipite sur moi. Je lui donne un coup de pied, et cherche éperdument Mrsha autour de moi.
 
“Mrsha !”
 
Elle se cache encore dans la neige. Elle n’a jamais réussi à se faufiler derrière les lignes de protection des adultes, et les Gobelins et les Gnolls se débattent autour d’elle, manquant de peu piétiner la petite fille.
 
Je me fraie un passage dans sa direction. Des Gobelins me barrent la route, des Gnolls aussi. Quelqu’un me poignarde dans le flanc et je sens la douleur. Je le cogne. Il s’éloigne, et je m’avance en chancelant vers Mrsha.
 
“Viens.”
 
Je l’attrape, et elle s’accroche à moi. Je me tourne pour courir, pour chercher un endroit où la mettre en sécurité, mais il n’y en a pas. Tout le monde se bat. Et les Lances de Pierre sont en train de mourir.
 
Un [Shaman] Gobelin fait exploser le Shaman Gnoll des Lances de Pierre avec un sort inconnu. Je vois son corps se relever, et comprends enfin ce qu’il se passe.
 
Les morts. Tous les Gobelins ne sont pas morts, et certains Gnolls commencent à se battre contre leurs pairs. Cette armée Gobeline réveille les morts. Le Seigneur Gobelin est un autre [Nécromancien].
 
Et à présent, l’armée de Zel est en train de se faire repousser. Il tente toujours de se frayer un passage vers le Seigneur Gobelin, mais sa charge perd de la puissance, et il y a de moins en moins de monde à sa suite. S’il ne bat pas la retraite, il va se retrouver séparé du reste. Mais s’il tue le Seigneur Gobelin…
 
Dans tous les cas, nous mourrons. Je lève de nouveau les yeux. Mrsha se serre contre moi et sanglote dans mes vêtements.
 
“Aidez-nous.”
 
Les fées baissent les yeux. L’une d’elle prend la parole, et c’est un murmure à mon oreille malgré les cris et le bruit des armes qui s’entrechoquent autour de moi.




 “Nous l’avons déjà fait. Est-ce que tu veux nous demander une deuxième fois de t’aider ? Sais-tu ce que le destin exigera en échange ?”




“S’il vous plaît !”




 “Il y a des règles.”




“Nous allons mourir.”
 
Je les regarde, et vois les fées acquiescer.




 “Oui.”




“Aidez-nous. Je vous en supplie.”



 “Il y a des règles.”



Les Gobelins m’encerclent. J’écarte les bras. Une dernière tentative.
 
“Les Faes sont-elles des esclaves, ou êtes-vous libres ? Aidez-moi ! Je suis Ryoka Dawning Griffin, et je vous offre tout ! Changez le destin. Sauvez-nous.”
 
Quelqu’un pose une main sur mon épaule. Je me tourne, et vois Urksh. Il se tient l’estomac, et Mrsha le regarde fixement, frappée d’horreur, retenir ses intestins. Le Gnoll lève les yeux vers les fées qui flottent, loin au-dessus de nos têtes.
 
“Nous offrons tout.”
 
Le monde s’assourdit. Je vois les fées au-dessus de nos têtes. Je vois Urksh, sens sa patte sur mon épaule la serrer brièvement, puis retomber lorsqu’un Gobelin le poignarde dans le dos. Je vois Mrsha hurler, et un Hob lever son gourdin. Je m’interpose pour le bloquer, et le monde se fige.




***




Zel courut, tailladant les Gobelins, tentant de forcer le passage à travers leurs rangs pour atteindre le Seigneur Gobelin. Il ne lui restait que quelques rangs à traverser lorsqu’il se retrouva nez-à-nez avec la garde personnelle du Seigneur Gobelin. Il vit l’étrange Gobelin le dévisager, de ses yeux pâles et surnaturels. Il était entouré de Hobs, mais Zel savait qu’il pourrait tuer le Gobelin si seulement…
 
Il donna un coup de griffe, et un Gobelin tomba en arrière, la gorge ouverte. Zel jeta un autre Gobelin sur le côté, et vit qu’il ne restait plus qu’une petite rangée de Gobelins devant lui. Ils étaient pâles. Et morts.
 
“Des Gobelins morts-vivants ?”
 
Ils n’avaient pas l’air très forts. Zel hésita. Son [Instinct de Survie] ne cessait de sonner, mais il voyait le Seigneur Gobelin en train de l’attendre. Il serra le poing, et sentit une présence à ses côtés.
 
“Shivertail.”
 
Ilvriss était blessé. Son armure magique et l’arme que lui avait rendue Zel ne l’avaient pas sauvé. Zel était blessé lui aussi, touché à de maintes reprises malgré ses Compétences de défense et son armure. Les deux Drakéides regardèrent fixement le Seigneur Gobelin qui leur rendait leur regard en silence.
 
“Il faut qu’on arrête tout cela maintenant, Ilvriss.”
 
“Je suis d’accord. Le monde n’a pas besoin d’autres Rois Gobelins.”
 
Ils s'apprêtèrent à charger, mais Zel entendit alors un bruit et sentit un frisson glacé le parcourir. Il se retourna.
 
Des portions du champ de bataille avaient complètement gelé. Non… pas juste le champ de bataille. Des Gobelins étaient gelés sur place dans un gigantesque cercle autour d’un groupe de Gnolls. La tribu qu’ils avaient vue en train de fuir. Ils avaient été massacrés, et seuls quelques adultes étaient encore debout. Et Les Gobelins autour d’eux avaient beau être morts, d’autres se rapprochaient.
 
Et il y avait des enfants parmi eux. Zel vit un autre adulte s’effondrer en essayant de protéger deux chiots. Les Gobelins essayaient de les réduire en pièces, et son armée était trop occupée à se battre contre le reste des Gobelins pour les voir.
 
“Shivertail !”
 
Ilvriss avait la main serrée sur son épée, et Zel voyait les Gobelins se mettre en formation autour de lui. Il n’aurait qu’une seule chance. Mais les enfants…
 
“Ilvriss. Cette tribu Gnolle est sans défenses. On bat en retraite.”
 
Le Seigneur des Murailles le regarda fixement, bouche-bée.
 
“Tu es fou ? Nous n’aurons jamais plus une telle occasion !”
 
“Sonnez la retraite ! Ils vont tous se faire massacrer si on ne les repousse pas !”
 
Zel se retourna, et repoussa Ilvriss. Le Drakéide se débattit en grognant, et la destinée se modifia.
 
L’un des Gobelins morts s’était avancé vers les deux Drakéides. S’ils avaient été plus près…
 
Le Gobelin mort explosa. Zel et Ilvriss se retrouvèrent pris en bordure de l’explosion, et ils furent projetés en arrière, dans les airs. Si Zel arriva en un seul morceau lorsqu’il s’écrasa au sol, ce fut uniquement grâce à son armure et à ses compétences. Un bourdonnement envahit ses oreilles, et il se redressa.
 
Il ne restait qu’un énorme cratère où s’était tenu le Gobelin mort-vivant. Mais Zel vit un autre avancer lentement à travers la zone désolée, en direction de ses soldats. Les Gobelins vivants déguerpirent en courant de son chemin, et Zel trouva la force de hurler.
 
Sonnez la retraite !”
 
Ses soldats entendirent sa voix. Zel bondit en avant et attrapa Ilvriss, qui rampait au sol à la recherche de son épée. Il força le Drakéide à se relever, et ils partirent en courant.
 
En direction de la tribu de Gnolls. Ils étaient tous en train de mourir. Les enfants, les adultes… Zel hurla en voyant un chiot Gnoll se faire mettre en pièces, mais il massacra le Hob et protégea le reste des enfants pendant que son armée accourait pour les aider. Mais ils battaient tous en retraite à présent, devant le nombre affolant de Gobelins. Les Hobs s’étaient mis en formation, et une centaine d’entre eux menaient la charge. Même les soldats expérimentés tombaient sous leurs lames.
 
Zel prit un enfant dans ses bras, et vit ses soldats sauver le reste. Les adultes étaient morts. Ils restaient étendus là où ils étaient tombés, les dents dénudées, leurs corps recouverts de flèches, ou démembrés. Quelques-uns s’étaient relevés, morts-vivants, à présent esclaves d’un autre maître dans la mort.
 
Quelque chose attrapa le pied de Zel lorsqu’il se retourna pour partir. Il baissa les yeux, prêt à tuer, et vit un vieux Gnoll en train de serrer sa jambe. Le Gnoll murmura quelque chose, et Zel se baissa pour l’écouter. Mais il y avait trop de bruit, et le Gnoll mourut, un demi-sourire sur les lèvres.
 
Zel se redressa, et regarda autour de lui. Son armée et les forces d’Ilvriss couraient à présent, l’arrière-garde se regroupant pour former une ligne de défense. Il allait les rejoindre. Ses compétences permettraient à l’armée de battre en retraite, mais l’armée du Seigneur Gobelin était inarrêtable. Il contempla le Seigneur Gobelin et vit ses yeux terribles se poser sur lui.
 
Puis Zel aperçu un mouvement flou du coin de l’œil. Quelqu’un courait, courait au-delà des Gobelins. L’humaine courait, entourée de lumières bleutées. Elle tenait quelque chose dans ses bras. Une petite silhouette, en train de se débattre. Une Gnolle.
 
Elle courut et les quelques Gobelins qui tentèrent de la poursuivre gelèrent sur place. Zel regarda l’humaine s’éloigner et la salua d’une griffe.
 
Pour lui souhaiter bonne chance. Il se retourna en direction de l’armée Gobeline en train de se refermer sur eux et ne vit que la mort. La mort, ceux qui la commandaient, et une armée suffisamment grande pour menacer le continent.
 
Il fallait les arrêter. Mais Zel ne pouvait pas s’en charger ici. Alors il battit en retraite, le goût de la défaite dans la bouche. Le Seigneur Gobelin regarda fixement le dos du [Général] en train de reculer.
 
Et sourit.






***





Ryoka courut. Elle courut à travers les rangs des Gobelins, dans son propre monde. L’air froid soufflait autour d’elle, et les fées volaient devant elle, la guidant là où elle serait en sécurité.
 
Elles avaient fait quelque chose. Chacun de ses pas lui la faisait avancer de dix. Elle vola à travers le champ de bataille, comme le vent, la neige volant devant son visage. Elle était remplie de magie.
 
Mais son cœur était vide et brisé.
 
Une Gnolle luttait dans les bras de Ryoka. Une petite silhouette, une petite enfant pleurait tandis que Ryoka abandonnait sa tribu derrière elle. Deux yeux innocents regardèrent tomber et mourir adultes et enfants. Elle poussa un cri déchirant, mais Ryoka ne l’écouta pas. L’humaine poursuivit sa course, jusqu’à ce que les dernières lueurs de l’armée Gobeline soient loin derrière elles.
 
Enfin, les fées s’arrêtèrent, et Ryoka ralentit, et s’arrêta dans la neige qui lui arrivait jusqu’aux genoux. Elle vacilla, sa tête et son corps complètement vides.
 
Une fée descendit devant Ryoka, le visage dénué d’expression. Mais il y avait de la tristesse dans ses yeux, et Ryoka sut sans avoir à le demander ce qu’il lui en avait coûté.
 
“Est-ce que vous pouvez… vraiment voir le destin ?”
 
Est-ce que rien n’avait de sens ? Tout était-il prédestiné ? La fée se contenta de regarder Ryoka. Juste regarder.
 
“S’il y a une destinée, je la défie. Je ne m’inclinerai pas devant le destin.”
 
Ce n’étaient que des paroles dénuées de sens. S’il y avait un destin, il n’y avait aucune façon de se battre contre lui. Mais elle devait y croire. Des larmes coulèrent des yeux de Ryoka. Des larmes qui se mélangèrent au sang qui recouvrait son corps. Ryoka leva sa main droite et regarda fixement les deux moignons.
 
Un prix délusoire. Pas suffisant, toutefois.
 
Urksh. Ryoka se pencha en avant et posa Mrsha dans la neige. La petite Gnolle leva les yeux sur Ryoka, et l’Humaine cilla.
 
“Oh. Ta fourrure;”
 
À un moment, pendant cette course sans fin, quelque chose s’était produit. La fourrure brune de Mrsha avait changé. De son brun forêt coloré, elle était passée à un blanc pure, aussi blanc que la neige. Du sang mélangé à de la crasse assombrissait le visage de l’enfant, mais ce n’était pas le sien.
 
“Je suis tellement désolée.”
 
L’enfant Gnolle ne répondit rien. Ses yeux étaient emplis de larmes. Ryoka regarda fixement la fourrure de Mrsha, puis se tourna vers les fées. Elle contempla la fée qui se tenait devant elle, et vit un regard immortel. Des yeux fatigués. Un reflet.
 
“La prochaine fois, je les sauverai tous. Ou je mourrai en essayant.”
 
Ryoka crut avoir prononcé ces mots. Elle cilla, puis s’effondra, tombant tête la première dans la neige.
 
Mrsha regarda l’Humaine au sol puis tendit lentement la main pour la secouer. Ryoka ne bougea pas.
 
Au-dessus de leurs têtes, les fées échangèrent un regard. Elles hochèrent la tête, puis se mirent à tournoyer en un large cercle au-dessus d’elles. Mrsha leva les yeux en voyant la neige cesser de tomber. Et l’ai commença à se réchauffer.
 
Tout autour de Ryoka et de la Gnolle, la neige se mit à fondre. L’enfant regarda autour d’elle, les yeux écarquillés. De l’herbe et des fleurs se mirent à pousser, créant un lit douillet de vies nouvelles autour d’elles. L’air était chaud, et pendant un instant, le cristal gelé de la peau des Fées de Givre s’illumina. Les couleurs du printemps parcoururent leurs corps, vives et vertes, les couleurs de l’herbe et du soleil et du ciel bleu.
 
Mais le moment passa, et les fées redevinrent de glace et d’hiver. Elles flottèrent dans le ciel, au-dessus du petit sanctuaire qu’elles avaient créé. Ryoka continua de dormir, insouciante. Une voix s’éleva dans son esprit, un annoncement sans timbre et sans émotion venu lui livrer un message.


[Classe : Coureuse Va-Nu-Pieds Obtenue !]
 
[Coureuse Va-Nu-Pieds Niveau 8 !]
 
[Compétence - Foulée Fluide Obtenue !]
 
[Compétence - Mouvement Optimisé Obtenue !]
 
[Compétence - Instinct de Survie Obtenue !]



[Compétence : Dernière Course Appr...]


 “Nay, elle n’apprendra rien du tout. Ou du moins, rien qui ne vienne de toi. Laisse cette imbécile tranquille, chose des dieux morts. Elle est différente.”




[Niveaux annulés]



Mrsha lève la tête. Elle n’entendit pas les paroles de fées, ne sut rien de ce qui venait de se passer. Elle toucha l’Humaine immobile, et leva sa tête vers la lune. Elle éclairait la zone dégagée d’herbe et de fleurs qui avaient éclos au milieu de la neige de ces terres désolées.
 
Elle hurla à la lune, sa voix forte et sauvage, emplie de peine.
 
Mais personne ne répondit à son appel. Et Mrsha hurla et hurla alors dans la nuit, seule. Sachant qu’elle était seule.
 
Un bruit soudain brisa le silence de la nuit. Mrsha s’éloigna d’un bond de Ryoka, les poils dressés, lorsque quelque chose à l’intérieur du sac de la jeune fille se mit à sonner, émettant un son étrange qu’elle n’avait jamais entendu.
 
l’iPhone sonna encore cinq bonnes minutes. Mrsha regarda autour d’elle et les fées observèrent silencieusement la scène au-dessus d’elle. Puis il se tut lui aussi.
 
Loin au sud, le Seigneur Gobelin poursuivit l’armée de Zel Shivertail, forçant les Drakéides à courir jusqu’à ce que les Gobelins abandonnent enfin la poursuite. Ils se regroupèrent encore une fois, pour grandir et devenir encore plus fort, jusqu’à ce pouvoir soumettre les tribus septentrionales . Ils balaieraient le nord, bientôt.
 
À l’autre bout du monde, un groupe de mages cessèrent l’enchantement, et changèrent de cible. Un autre téléphone se mit à sonner, sur un autre continent.
 
Rien de tout cela n’avait d’importance. Aucun bruit ne brisait le silence là où dormait Ryoka, rêvant de feu et de ténèbres, aux côtés d’une petite Gnolle qui s’était roulée en boule à côté de l’Humaine. Les fées flottaient dans le ciel au-dessus d’elles, montant la garde dans la nuit.
 
Il n’y avait pas de bruit ici, pas de mots que l’on puisse prononcer.
 
Juste le bruit, lent et lourd, du silence.
 
Et le souvenir.
 
De la mort.



Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 20 janvier 2021 à 18:25:30
2.36
Traduit par Maroti

Elle n’était pas prête pour ça. Pas prête du tout.

Ce fut la première chose que Loks réalisa lorsqu’elle devint la chef de la Tribu du Croc Rouge, mais aussi la chef des tribus alliées sous le contrôle de Garen. Elle n’était pas prête à mener tant de Gobelin. Elle le savait, et il lui dit.

Plusieurs fois.

Ce fut la première chose à laquelle Loks pensa en se réveillant dans l’un des nids d’Araignée Cuirassée qu’ils avaient occupés, elle poussa la couverture sale et réalisa ce qu’il s’était passé. Elle sortit du nid et regarda autour d’elle.

La petite vallée où elle s’était battue jusqu’au bout était encore recouverte de cadavre, principalement de sa tribu, mais aussi des guerriers et montures des Crocs Rouges. Loks regarda autour d’elle et vit des Gobelins maladroitement s’occuper de leurs blessures, ou cuisiner. Les morts, mais la majorité était encore en train de dormir.

Ils avaient été poussés dans leurs derniers retranchements par les attaques des Crocs Rouge. Et ce n’était que maintenant que Loks pouvait voir le prix qu’ils avaient payé.

Un massacre.

Garen Croc Rouge, chef de sa tribu et de nombreuses tribus situées au nord de Liscor, dormait. Mais il se réveilla rapidement quand Loks lui sauta sur l’estomac depuis le trou. Il rugit de colère, s’apprêta à prendre son épée, et s’arrêta quand il vit Loks.

« Chef. »

Il parla, prononçant des mots ne provenant pas du langage Gobelin. Loks avait encore du mal à s’en rendre compte. Mais Garen hocha la tête et se releva sans effort, s’étirant comme si sa précédente journée ne s’était pas terminé par un combat à mort qui lui avait fait fondre une partie du visage.

« Manger ? »

Elle fronça les sourcils, mais il leva les sourcils vers la sortie du trou. Le cri de guerre de Garen avait réveillé l’intégralité de sa tribu ; les Gobelins ne pouvaient pas ignorer les subtils indices comme quelqu’un qui venait de hurler et peu d’entre eux allaient pouvoir se rendormir après une telle surprise.

Le monde recouvert de neige se transforma en chaos organisé alors que les Gobelins à la peau verte commencèrent à effectuer différentes tâches. Loks regarda alors que les Gobelins ayant la classe de [Cuisinier]… Ou plus précisément, les sous-classes de [Boucher], [Scavenger], [Mijoteur] et ainsi de suite, commencèrent à préparer le repas. Garen cligna des yeux en cherchant sa tribu et leur fit un signe de la main. Puis il regarda Loks.

« Beaucoup de choses à dire, Chef. »

Elle le regarda, et hocha la tête. Oui, il y avait beaucoup à dire. Garen et elle s’éloignèrent de sa tribu s’extirpant du sommeil, regardant les Gobelins vaquer à leurs occupations.

Il y avait une organisation à tout cela, malgré l’apparence chaotique que cette scène pouvait avoir pour un non-Gobelin. Chaque individu avait leur but et leur rôle dans la tribu, mais ils pouvaient changer de travail en un clignement d’œil, généralement en communiquant avec un grognement ou un coup-de-poing. Parfois, ils se battaient et se hurlaient dessus, mais ce genre d’affrontement était rapidement arrêté par les sous-leaders de la tribu, les Hobs.

Ils étaient grands, généralement méchants, et généralement fait à l’idée que si quelqu’un faisait le boulot, cela voulait dire qu’ils n’avaient pas à le faire. Ils appliquaient les ordres de Loks et aidaient dans la prise de décision. Par exemple : est-ce que les Loups Carnassiers étaient comestibles ou venimeux ? Est-ce que les Gobelins les dépeçaient pour leur peau, ou essayaient de manger la fourrure ?

Garen regarda ses loups se faire couper en morceaux sans réelle émotion, même si ses yeux se fermèrent quelques secondes avant qu’il détourne le regard. Il regarda sa monture se reposer près du feu. Loks la regarda aussi.

Il ne restait qu’une vingtaine de la cinquantaine de Gobelins que Garen avait emporté pour attaquer la tribu de Loks. Tous blessés. De l’autre côté, seul quelques loups avaient survécu. Loks avait donné l’ordre de tuer les montures en premier.

Loks remarqua que les guerriers Crocs Rouges semblaient bien s’entendre avec ses Gobelins. Dans le fait qu’ils étaient comme tous les Gobelins, ils n’étaient pas en train de se frapper dans le dos avec les autres Gobelins, mais ils comprenaient le changement de dominance qui s’était effectué entre leurs tribus.

Les loups de l’autre côté, semblaient confus par la trêve et toujours en colère, ce qui était compréhensif après avoir vu tant de leur meute se faire dévorer par des Gobelins. Plusieurs faisaient des claquements de mâchoires, et ne laissant que leur cavalier s’approcher. Ils se calmèrent après avoir mangé des Gobelins morts, mais ils continuaient de fixer les Gobelins de Loks du regard.

Garen remarque le regard de Loks.

« Ils obéiront. Cela prendra du temps, pour te voir en tant que chef. »

Loks hocha la tête, distraite. Elle regarda Garen, et puis se souvint de ce qu’il avait dit la nuit précédente.


Pourquoi ?


C’était une question qu’il n’avait jamais vraiment répondue. Garen haussa les épaules.

« Il le faut. »

Loks ne comprenait pas pourquoi. Elle fronça les sourcils, et regarda Garen.


Tu as tué beaucoup des miens.


Il haussa les épaules et inspira.


« Un test. »


Tu es plus fort. Pourquoi moi ?


Il sourit.

« Plus fort. Oui. Mais je ne peux pas mener. Pas comme toi. »

Elle ne comprenait pas. Mais après avoir déjà mangé du loup grillé qui calait bien et que Garen avait même dévoré avec passion, elle avait commencé à réaliser ce qu’il voulait dire quand ils décidèrent ce qu’ils allaient faire.

Normalement, Loks serait à la tête de tout ce qui se passait. Mais Garen n’était pas un Chef ordinaire, tout comme elle d’ailleurs. Il lui dit que le reste de sa tribu était en route, avec les tribus alliées.

« Ma tribu est la plus rapide. Les autres sont lents. »

Garen lança un os dans le nid d’araignées cuirassé alors que les Gobelins entassaient les autres cadavres. Ils pouvaient être enterrés ; peut-être que les Araignées allaient les manger, ou qu’une autre créature allait le faire, mais Loks décida que c’était mieux que de les laisser pourrir à l’air libre et à la vue de la suspicieuse Garde de Liscor.


Combien dans la Tribu ? Combien ici ?


Garen haussa les épaules. Il regarda un guerrier de sa tribu, et le Gobelin se gratta la tête avec son bras droit, celui de gauche étant recouvert de bandage. Ils se disputèrent, et Garen se décida éventuellement sur une approximation de deux cents Gobelins. Deux cents guerriers. Et pour le reste de sa tribu… Il n’avait pas la moindre idée. Beaucoup.

Loks fronça les sourcils. La plupart des Chef connaissaient presque exactement le nombre de Gobelins que contenait leur tribu, mais Garen semblait s’en moquer. Mais elle était occupée à organiser des moyens de bouger les blesser, et de décider leur prochaine destination. Elle voulait éloigner les tribus de Liscor, peut-être retourner à la cave, ou les amener dans un autre endroit où ils pourraient se regrouper et se reposer.

Elle voulait rencontrer les autres tribus, mais Loks fronça les sourcils quand elle entendit l’un de ses scouts dirent qu’ils traînaient les pieds, marchant à la vitesse d’un escargot en apprenant sa victoire sur la Tribu du Croc Rouge.

Garen était pour que les tribus se dispersent alors que Loks réfléchissait à ce qu’elle devait faire. Elle le regarda : elle était en train de réfléchir et il l’interrompait. Personne ne la dérangeait quand elle réfléchissait, même ses Hobs. Mais Garen pensait clairement qu’il était plus important que tout le monde.

Il avait raison, bien sûr, mais c’était quand même agaçant.

« Laisse les tribus partir. Ils viendront quand tu les appelleras. Mais tu n’es pas Seigneur des Gobelins. »

Pas encore, et peut-être jamais. Ce fut ce que Loks entendit. Elle hocha la tête avec réluctance. Elle allait remplacer la majorité de ses pertes avec la tribu du Croc Rouge, et alors que sa tribu approchait le millier d’individus elle allait avoir du mal à tous les surveiller. S’occuper des milliers de Gobelins des tribus alliée était impossible pour elle, donc c’était plus intelligent de les séparer que de tous les entasser et risquer des affrontements.


Dites leur de partir. Mais pas trop loin.


Garen acquiesça en hochant la tête, et il envoya deux de ses cavaliers les moins blessés pour faire passer le message. Loks commença à bouger sa tribu vers le nord alors que les derniers cadavres de Gobelins furent enterrés, et elle et Garen se retrouvèrent à marcher au centre de sa tribu, dans un petit espace qui leur appartenait.

Loks y était habité, mais le fait que Garen continuait de la suivre s’agaçait. Elle le regarda plusieurs fois avant de décider de mordre dans la grenouille toxique, pour ainsi dire.


Qu’est-ce que tu veux ?


Il lui fit un sourire, ignorant le ton de sa voix. Garen caressa sa monture, le gigantesque loup était en train de boiter à ses côtés, et il répondit à Loks sans se soucier d’elle.

« Je marche. Pas bien ? »

Loks fronça les sourcils. Elle le regarda, ignorant les grognements de sa monture.


Je suis Chef.


« Oui. Mais je suis le meilleur Gobelin. Plus vieux. Plus malin. Plus fort. Je dois t’enseigner pour que tu deviennes un meilleur chef que moi. »

Elle y réfléchit. Loks n’avait jamais entendu parler d’un Chef qui avait été formé, ils apprenaient généralement en observant, ou inventait en cours de route. C’est un concept non-Gobelin, quelque chose qu’Erin pourrait inventer. Loks ne détestait pas entièrement cette idée, mais elle devait rendre quelques choses claires.


Je suis Chef. Tu ne l’es pas.


Elle ne pouvait pas avoir des querelles internes sur sa position, surtout quand Loks savait qu’elle perdrait s’il la challengeait. Garen hocha la tête.

« Je ne me battrai pas, Chef. Je ne veux pas mener. »

C’était une autre étrange déclaration, mais Loks vit la vérité une fois qu’elle vit le reste de la tribu du Croc Rouge. Ses Gobelins se déplaçaient en petite foulée pendant plus deux heures lorsqu’elle entendit un cri d’alerte, et vit la Tribu du Croc Rouge s’approcher.

Sa réaction initiale fut la déception. Non pas parce qu’il y avait moins de Gobelins que prévu ; ils étaient environ trois cents après un rapide compte avec presque quarante loups sans compter les chiots. C’était une vaste tribu, rendue encore plus forte par le fait qu’ils avaient six Hobs parmi eux, le plus haut chiffre qu’elle avait vu en dehors de sa tribu.

Et il était vrai que la Tribu du Croc Rouge était un géant dans la mer de tribus. Ils avaient des armures de qualité sur la majorité de leur guerrier, et les armes qui allaient avec. Mais Loks fut déçu car quand elle regarda les Gobelins qui n’étaient pas des guerriers, elle vit les Gobelins de sa propre tribu avant qu’elle ne devienne Chef.

Tous les non-guerriers étaient maigres et mal nourris. Les enfants étaient habillés de loques ou nus, et les Tribu du Croc Rouge ne semblait pas transporter beaucoup de nourriture. Ils étaient clairement une tribu de guerrier, mais la majorité des tribus que Loks avaient rencontré avait une simple échelle de richesse. Si un Gobelin mangeait, tous les Gobelins mangeaient. Certes, le Chef mangeait plus que les autres, mais les tribus sachant se battre avaient rarement un problème de nourriture.

Et pourtant c’était le cas de cette tribu. Loks demanda une halte alors qu’elle approcha la tribu. Immédiatement, les Gobelins baissèrent la tête et ne croisèrent pas son regard. Elle était aux commandes.

Garen s’approcha alors que Loks fit une rapide estimation de sa tribu. Il lui tapota l’épaule, et elle se demanda lui donner un coup de couteau valait le coup.

« Maintenant je vais t’apprendre à te battre. Pour être plus fort. »

Elle secoua la tête. Il y avait plus important à faire. Elle venait d’acquérir trois cent nouvelles bouches, il était temps de réorganiser et de repenser à la structure de sa tribu.

Garen fronça les sourcils, ne comprenant pas.

« Quoi ? Pourquoi attendre ? »

Loks soupira, mais elle lui grogna dessus en regardant sa tribu. Ils étaient tous en train de l’observer, particulièrement les Hobs pour une raison qu’elle ignorait. Elle espérait qu’ils n’allaient pas poser de problème. Tous les Hobs semblaient plus fort que ceux de sa tribu, et elle allait avoir besoin de chacun d’entre eux.


Nourriture. Vêtement. Armes. Endroit où dormir. On a besoin de ça.


« De la nourriture ? »

Les sourcils de Garen se levèrent de manière dédaigneuse. Il secoua la tête, et pointa un Gobelin au hasard.

« Le Chef veut de la nourriture. Va chercher de la nourriture. »

Le Gobelin regarda Garen, puis Loks, avec hésitation. Elle le regarda taper sur l’épaule de quelques Gobelins alors qu’ils commencèrent à s’éloigner. Ils n’avaient pas de direction, pas d’arme en dehors de celle que les Gobelins portaient, aucun moyen de porter la nourriture…


Qu’est-ce que vous faites ?


Garen regarda Loks sans comprendre.

« Ils vont chercher de la nourriture. Tuer quelque chose. Trouver quelque chose a ramener. »

Mais s’ils ne trouvaient pas assez de nourriture ? Où était la logistique, et le besoin de trouver un moyen durable de se nourrir si la tribu restait dans la zone. Garen regarda Loks, et puis pointa de nouveau du doigt.

« Les Hobs s’en chargeront. »

En effet. L’un des Hobs avait intercepté le groupe s’apprêtant à partir et essayait de leur donner des ordres. Il envoya un regard long et empli de douleur à Loks, et elle comprit.

Garen était assurément un guerrier parmi les guerriers, invincible chez les Gobelins, un attaquant vicieux et un ancien aventurier qui en savait plus sur les Humains et les autres races que les autres Chefs… Mais il n’était pas un leader.

Il n’avait pas de niveau dans la classe de [Chef], ou de [Leader]. Son idée d’une organisation était de diriger une petite élite de guerrier qu’il avait choisi et entraîné de lui-même et laisser les autres Hobs et Gobelins se débrouiller.

En réalité, et Loks s’indigna de plus belle en l’apprenant, Garen n’avait même pas réellement fait l’effort d’agrandir sa tribu. Des Gobelins avaient simplement marché vers son camp comme des papillons de nuit attiré par une flamme et il les avait laissé rester. La seule raison pour laquelle il avait une tribu était parce qu’il en ressentit le besoin, mais il était incapable de diriger sa tribu à l’exception des Gobelins qu’il avait choisis, malgré son écrasante supériorité.

Ce n’était pas un grand défaut pour une personne, mais c’était impardonnable pour un chef. En tant que chef de la Tribu des Plaines Inondées, Loks se sentait mal à l’aise pour la Tribu du Croc Rouge, donc elle décida d’intervenir, au grand agacement de Garen.

La première chose que Loks fit fut d’annuler l’ordre idiot que Garen venait de donner et d’envoyer des scouts vérifier plusieurs locations. Non pas pour trouver de la nourriture ; elle voulait un endroit pour installer le camp, et ses scouts rapporteraient toutes les sources de nourriture viable.

Ensuite, Loks commença à identifier les Gobelins pratiquent dans la tribu alors qu’elle ordonna que les réserves de nourritures de sa tribu soient vidées pour nourrir les Crocs Rouges affamés. Elle portait toujours le plus de nourriture possible, et Loks regarda ses réserves se faire dévorer par les nouveaux arrivants.

Les Hobs de la tribu de Garen la regardèrent faire avec soulagement alors que Loks commença à séparer les Gobelins, identifier les classes, regrouper les enfants, les mères et les anciens dans un même groupe… Elle choisit six Hobs qui semblaient être compétents et leur donna le rôle de superviseurs des différents groupes de sa tribu.

Loks avait des fouilleurs, des chasseurs, des guerriers et beaucoup d’autre groupe dédié à faire une seule tâche dans sa tribu. Elle avait construit se système interne pour que les différents groupes puissent alterner dans leurs tâches et avoir du temps pour se reposer, alors que ses guerriers pouvaient aider à la protection du camp à tout instant.

Garen n’avait rien de ça. Il erra dans le camp alors que Loks lutta pour trouver un moyen faire quelque chose de ses Loups Carnassiers. Ils ne lui faisaient pas confiance, mais ils semblaient réaliser qu’elle était leur nouvelle chef.

Finalement, les scouts de Loks revinrent avec plusieurs locations adéquates, et elle choisit une large forêt se trouvant à la base d’une des montagnes comme base pour rester un certain temps. Ils lui dirent aussi qu’il y avait un troupeau de Corusdeer dans les environs, et que pour elle, c’était une excellente source de viande.

Normalement les Gobelins réglaient le problème de la nourriture en mangeant leurs morts. Mais Loks considérait qu’avoir des Gobelins morts était un signe d’échec, donc elle faisait tout ce qui était possible pour trouver de nouvelles sources de nourriture. Mais pour l’instant, elle voulait ce troupeau de Corusdeer massacrer. Ils allaient pouvoir faire sécher la viande ; une autre chose que la tribu de Garen ne faisait pas.

Mais les Corusdeer étaient dangereuses. Normalement Loks hésiterait à attaquer un troupeau, même avec ses Hobs. Donc elle l’envoya Garen le faire. Il fronça les sourcils quand elle lui donna l’ordre, ainsi qu’à plusieurs guerriers armés de long pics, d’arc, de frondes et d’arbalètes pour faire reculer les biches et les abattre de loin.

« Pourquoi ? Je ne suis pas un chasseur. »

Mais il était fort. Et plus important, Loks lui avait ordonner. Elle le regarda jusqu’à ce qu’il part, avec l’ordre strict de garder un maximum de Gobelin en vie.

Il revint lorsque Loks avait déjà établi son camp, avec des places désignées pour manger, dormir, et faire ses besoins. Garen regarda le camp ordonné que Loks avait organisé, et la manière dont les différents groupes de Gobelins étaient organisé par un Hob pour entrer et sortir des caves et des autres terriers à la recherche de nourriture.

L’ancien Chef Gobelin jeta la carcasse d’une Corusdeer de manière dédaigneuse aux pieds de Loks. Il avait décapité le cerf alpha du troupeau, et Loks remarque joyeusement que le groupe qu’elle avait envoyé n’avait perdu que quelques Gobelins.

Garen n’était même pas blessé. Sa peau était comme une armure, mais le cerf ne s’était même pas suffisamment approché pour l’éventrer. Selon les Hobs qui l’avaient accompagné, Garen avait ignoré leur formation de chasse – des rangs serrés et des pics pour tenir les biches à distance alors que les archers abattaient les biches au bord du troupeau – et avait marché dans le troupeau, abattant son épée et tuant des biches alors qu’ils transformaient la neige en brouillard.

Aucun autre ne pouvait faire ça. Même pas un Hobs, ou un Chef. Loks pouvait voir l’admiration dans les yeux des autres Gobelins qui l’avaient accompagné. Elle comprenait. Elle l’avait senti elle-même ; ce n’était pas de le voir comme ça qui était incroyable. Elle avait vue des aventuriers combattre dans de magnifiques armures et vaincre de terrifiants monstres. Mais c’était différent. Garen était un Gobelin. Il était l’un d’entre eux, il pouvait se battre comme un héros.

Il l’était ce que Loks rêvait de devenir, avant de voir ses rêves réduit en poussière. Mais le voir lui donnait envie de devenir plus forte. Elle était forte en tant que Chef, mais en tant que Gobeline ?

« Nous parlons maintenant ? »

Garen était irrité, mais il se calma quand il réalisé qu’il y avait plus de nourriture disponible et un endroit confortable sans neige ou s’asseoir. La forêt était un endroit idéal pour les Gobelins, tant que Loks précisait que les feux devaient être éloignés des arbres.

C’était l’heure de parler. Loks s’assit avec Garen alors qu’ils parlaient de nouveau, et elle posa finalement les questions la taraudant. Elle avait déjà les réponses à certaines, mais Garen confirma le reste.

Garen Croc Rouge. Ce n’était pas que le nom de sa tribu, c’était aussi son nom. Il avait été nommé par le Shaman de la Tribu de l’Ancien Feu, mais il s’était éloigné de la tribu en grandissant, déçu de son ancien Chef, et avait errer pour devenir plus fort.

Et c’est ce qui arriva. Oh, il était devenu fort, bien plus fort. Garen avait appris à se battre tout seul, et il avait rapidement gagné des niveaux dans sa classe de [Guerrier]. De plus, il était devenu un Hob, et avait fini par terroriser un grand territoire au nord à lui-même, affrontant des Tribus Gobelines et des monstres locaux jusqu’à attirer l’attention d’une Compagnie d’Aventuriers de rang Argent.

Ils l’avaient traqué, et l’avait presque tué. Mais quelque chose d’étrange s’était produit. Intrigué par un Gobelin suffisamment intelligent pour survivre seul et clairement à indépendant, le chef de la Compagnie l’avait épargné au lieu de le pourchasser.

Garen avait fui, mais il n’était pas parti loin. La rencontre avec les aventuriers l’avait changé, il devint curieux des Humains et des autres espèces qu’il n’avait vu qu’en ennemis et proies. Consumé par son désir de mieux comprendre ce qu’ils étaient, Garen s’était déguisé en tant que voyageur, cachant sa peau verte et son visage derrière des toges et un masque rudimentaire pour aller dans les villages et villes, écoutant les Humains parler.

Ses premiers essais avaient été majoritairement des échecs, mais Garen avait apprit à parler le langage des Humains de manière rudimentaire et personne ne suspectait qu’un Gobelin pouvait être aussi grand, ou pacifique. Garen était même parvenu à rentrer dans des villes, généralement en secret et lorsque les gardes ne regardaient pas les portes. Mais il était suffisamment fort et malin pour réussir à s’en sortir les quelques fois où il avait été démasqué.

Et Garen était partie à la recherche des aventuriers qui l’avaient épargné. Il les avait traqués, et après les avoir trouvés, les avaient de nouveau challengés.

Il perdit de nouveau, mais cette fois il se porta volontaire pour rejoindre leur groupe. Après un long débat, il fut accepté, et Garen Croc Rouge devint le premier Gobelin à voyager avec des aventuriers. Avec son équipe, ils faisaient des contrats d’extermination de monstres et avaient même exploré des donjons, jusqu’à obtenir le rang d’Or.

C’était comme ça que Garen avait obtenu son épée, et était devenu un guerrier bien plus puissant. Il avait formé un lien fort avec les aventuriers, d’après ce que Loks avait compris… Jusqu’au jour où il est trahi.

Ce fut la seule chose sur laquelle Garen refusa de s’étendre. Le grand Hobgobelin s’était tut, suçant la moelle d’un os en regard le feu d’un regard lointain. Loks n’avait pas cherché à aller plus loin, car la suite était tout aussi importante.

Garen en pouvait plus rester dans le monde des non-Gobelins après sa trahison. Il battit en retraite dans une zone au Nord de Liscor, une zone ou les Gobelins étaient généralement ignoré à l’exception des requêtes d’extermination posté régulièrement par un village. Il erra autour des Hautes-Passes, et réussit à dresser un Loup Carnassier quand il ressentit le besoin d’avoir une tribu.

Dans la plus grande tradition Gobeline, Garen avait trouvé la plus grande tribu et avait challengé le Chef en combat. Il avait même permis au Chef de se battre avec autant de guerrier qu’il le boulait, mais apparemment le Hob à la tête de la tribu avait lancé un regard vers Garen et avait prit la fuite, ce qui était la chose la plus intelligente à faire. Et donc, Garen avait trouvé sa tribu.

Normalement, l’histoire aurait dû devenir celle de Garen et de sa tribu grandissante, grâce son incroyable talent de guerrier. Mais comme Loks l’avait observé, Garen était un terrible Chef et il réalisa rapidement cela. Donc au lieu de grandir, la Tribu du Croc Rouge avait établi une supériorité locale, avec les Tribus de la Lance Brisée et de la Main Spectrale au sud.

Jusqu’au jour ou le Seigneur des Gobelins émergea.

Garen s’arrêta, et Loks se leva. Elle comprenait pourquoi il avait fait ce qu’il avait fait, vaguement. Il avait amassé sa tribu et les tribus alentour pour former une alliance capable de vaincre le Seigneur des Gobelins. Le problème était qu’ils étaient fracturés par l’absence d’un bon chef pour les mener. Garen était le plus puissant, mais il ne pouvait pas les mener efficacement. Quand il entendit parler d’une jeune Chef qui avait absorbé plusieurs tribus en utilisant des stratégies et des formations…

Eh bien, il l’avait testé, avec du sang et de la mort, et elle avait réussi. Mais Loks voulait savoir pourquoi il avait décidé que le Seigneur des Gobelins avait tort.

Elle savait que tous les Gobelins savaient. Obéis au Chef. Mais il y avait quelque chose, oui, un quelque chose dans sa tête qui lui disait d’obéir au Seigneur des Gobelins. Et un Roi des Gobelins ? C’était comme un souvenir du soleil pour une personne ayant constamment vécu dans les ténèbres. Elle voulait un Roi, donc elle n’arrivait pas à comprendre ce qui n’allait pas avec le Seigneur des Gobelins.

« Il a tort. »

C’est ce que prononça Garen. Il regarda le feu, jetant des fragments d’os dans le brasier.


Qui ? Le Chef de la Tribu de la Lance Brisée ? Le Chef de la Tribu de la Main Spectrale ?


Loks était certaine qu’elle aurait entendu d’une possible tentative d’expansion de ces tribus, elle s’attendait à ce qu’ils aillent après les plus faibles tribus en premier. Mais Garen secoua la tête.

« Aucun. Différent. Chef de la Tribu de la Lance Brisée s’est rendu. Chef de la Tribu de la Main Spectrale est morte. »

Cela manqua de faire tomber Loks de son siège. La Chef de la Tribu de la Main Spectrale était morte ? Mais elle était une [Shaman] maniant une puissante magie ! Plus encore, le Gobelin qui l’avait remplacé en tant que Chef avait commencé à étendre son influence et sa tribu devenant de plus en plus dominante.

« Je l’ai rencontré. Il y a longtemps. »

Garen était parti au sud, évitant les aventuriers et les villes pour rencontrer ce nouveau Chef quand il entendit parler de son pouvoir. Mais le leader des Crocs Rouge était reparti dès qu’il avait vu le Gobelin.

« Il est… Mauvais. C’est un mauvais Gobelin. »

C’était la première fois que Loks entendait ce mot être utilisé pour décrire un Gobelin, mais elle le comprenait. Un mauvais Gobelin. A qui on ne pouvait pas faire confiance, qui ne pouvait pas faire partie d’une Tribu. Qui devait être combattu, même si cela voulait dire qu’une guerre allait éclater entre les Tribus.


Donc. Je suis Chef pour combattre.


Garen leva les yeux et haussa légèrement les épaules.

« Pas encore. Seigneur des Gobelins est lent. Les Tribus grandissent. Beaucoup de temps. Bien. Besoin de te rendre plus forte. »

Plus forte ? Garen hocha la tête.

« Tu es faible. Tu dois devenir plus forte. J’aide. »

C’est ainsi que Loks se trouva à s’entraîner avec Garen au milieu de son camp après avoir mangé. Elle cligna des yeux dans sa direction alors qu’il ramassa une branche et lui fit face. Elle avait son épée courte et un bouclier, mais il n’avait qu’un morceau de bois.

Les Gobelins et les Hobs se rassemblèrent pour regarder alors que Loks se tint devant Garen. C’était un affrontement ridicule. Malgré son manque d’arme, il était deux fois plus grand qu’elle et entièrement fait de muscle. Elle avait aussi du muscle, mais la différence était plus que notable.

« Attaque-moi, Chef. »

Elle cligna des yeux dans sa direction. Loks fit un signe vers son épée.


Je vais te couper un morceau.

Garen sourit en direction de Loks et la piqua du bout de sa branche.

« Impossible. Je vais te montrer la différence entre nous. Ta faiblesse. »

Elle hésita. Garen leva la main et lui fit signe d’approcher.

« Vient. Tu ne pourras p-»

Loks leva le doigt et lança le sort de [Luciole]. L’insecte-oiseau fait de feu vola vers le visage de Garen. Il perdit son sourire et se pencha hors de la trajectoire, mais l’oiseau tenta de descendre vers son torse.

Garen esquiva en arrière, incroyablement rapide, et il frappa le sort avec sa branche. Son coup fendit l’air, mais la seule chose qui se passa fut que son arme prit feu.

Ce qui était une bonne chose s’il voulait faire du mal à Loks, mais le sort continuait de le poursuivre. Il fit plusieurs pas en arrière, frappant plusieurs fois le projectile enflammé. Loks se demandait s’il ne savait pas quoi faire quand Garen frappa le sort une dernière fois et ce dernier éclata et disparu dans un nuage de fumée.

Garen jeta nonchalamment la branche dans l’un des brasiers et regarda Loks. Il lui fit un grand sourire.

« Les sorts peuvent être brisés. »

Elle le regarda. Elle n’avait pas la moindre idée que cela était possible. Mais maintenant Garen s’avançait, sans arme, et elle leva son bouclier.

Elle l’avait déjà affronté sérieusement. Même s’il ne se battait pas sérieusement, elle avait une chance. Elle se précipita en avant sans qu’il n’ait le temps de frapper, essayant de le poignarder dans l’estomac. Elle le vit reculer son pied et…

Quand Loks reprit conscience, Garen était en train de vider une potion sur elle. Elle manqua de hurler quand elle ressentit la douleur.

Garen n’avait même pas pris la peine d’esquiver. Il avait donné un coup de pied dans son bouclier avec suffisamment de force pour l’envoyer voler, rouler et s’écraser dans le camp. C’était assez pour mériter une potion, et Garen l’aida à se relever en souriant.

« Tu vois ? Faible. »

Loks le regarda, mais elle ne trouva pas les mots pour le contredire.

***

C’était quelque chose d’étrange, d’apprendre à se battre. C’était Presque contre-intuitif ; tous les Gobelins savaient se battre. Mais la différence entre Garen et un Gobelin normal étaient qu’il savait bien se battre.

Ce n’était pas de la stratégie ou des tactiques. Loks le comprenait. C’était du positionnement, la manière de passer d’un coup à l’autre, et même la manière dont l’arme était tenue. Garen lui donna un cours éclair sur cela avait de commencer l’entraînement.

Il misait beaucoup sur l’entraînement. C’était l’une des rares choses qu’il faisait bien en tant que Chef, et Loks vit immédiatement les bénéfices que cela lui apporterait. Ses guerriers étaient la crème de la crème malgré leur faible nombre, et ils pouvaient vaincre de plus grands adversaires grâce à leur prouesse martiale.

Elle rendit obligatoire l’entraînement de tous ses guerriers, mais elle insista pour que cet entraînement se fasse avec des armes contondantes. Mais pour Garen et elle, il n’y avait pas besoin de telle restriction.

« Si tu peux me blesser, tu es prête. »

Tels furent les mots de Garen alors qu’il laissa Loks l’attaquer de nouveau, évitant et pariant ses coups sans le moindre effort avec son épée. Il attaquait occasionnellement, et quand il le faisait, Loks en subissait toujours les conséquences.

Garen ne retenait pas ses coups, pas beaucoup. Loks se retrouvait à voler, à se réveiller douloureusement, et occasionnellement, bloquer et vivre pour le regretter. Elle avait beau se plaindre à Garen, il se montrait sans pitié.

« Doit faire mal. L’entraînement marche quand ça fait mal. Impossible de monter de niveau sans douleur. »

Ceci l’intrigua. Loks regarda Garen après une de leur séance d’entraînement.


Peut gagner des niveaux sans affronter d’autres ?


Il hocha la tête.

« Lentement. Ca prend beaucoup de temps, mais c’est possible. »

C’était une révélation, mais que pour elle. Apparemment, c’était de notoriété publique chez les non-Gobelins, encore une preuve qu’ils étaient bien derrière les autres races. En effet, quand Loks retourna dans les souvenirs des anciennes vies Gobelines elle réalisa que les anciens Chefs avaient monté de niveau en s’entraînant avec leurs guerriers.

Garen était intrigué par les souvenirs des Chefs. Vu qu’il avait été un mauvais leader, il n’avait pas réussi à aller au-delà de deux générations, mais même lui avait le sens de l’héritage.

« Le Roi des Gobelins. Il était célèbre. J’ai posé beaucoup de questions, la majorité est de l’histoire ancienne. Dans des livres. »

Il ne pouvait pas lire les livres, même ses compagnons aventuriers étaient méfiants de lui raconter ce qu’ils savaient sur le Roi des Gobelins. Mais ce que Garen savait fascinait Loks.

« Il n’était pas toujours guerroyant. Il a été en paix. »

En paix ? Oui, apparemment. Loks apprit que certains Chef qu’elle avait conquis, particulièrement le Chef de la tribu des Pierres Dorées, en savait plus qu’elle sur l’histoire des Gobelins. Il était coutume pour les Chefs de parfois se retrouver pour échanger, une autre chose que ni Loks ni Garen ne savait..

Ils ne savaient pas ce qu’était un Chef conventionnel, après tout. Mais Loks menait par son esprit supérieur que les autres tribus respectaient, et Garen était fort, ce qui était suffisant.

Et pourtant, l’ancien Roi des Gobelins avait été aimé par les Gobelins. Ce fut ce que le Chef de la Tribu des Pierres Dorées clama.


Il était fort. Intelligent. Marchandait avec les Humains.


Loks et Garen se regardèrent.

« Marchandait ? »

Le Chef de la Tribu des Pierres Dorées hocha la tête en relayant cette information autour d’un repas. Le Roi des Gobelins avait eu la plus grande des tribus, et avait été majoritairement en paix avec les autres races. Il avait commencé en tant que Chef, puis Seigneur, avant de finalement devenir Roi.

Cela avait été glorieux, apparemment. Les quelques miettes dont se souvenait le Chef de la Tribu des Pierres Dorées montraient ses ancêtres heureux, nourris, et en sécurité. Mais ensuite quelque chose de… Terrible était arrivé, puis la guerre.

Une désastreuse guerre.

Loks n’avait pas la moindre de quoi faire de cette information, mais une chose était claire : un Seigneur des Gobelins était proche de devenir un Roi et toutes les autres espèces devenaient nerveuses quand un Roi émergeait. C’était assez pour envoyer des armées contre le Seigneur des Gobelins. Ils pouvaient gagner ou échouer, mais dans tous les cas, cela renforcerait sa tribu.

« Tu n’as pas besoin que ta tribu soit plus forte. Tu as besoin d’être plus forte. »

Garen insista, et Loks approuva. En partie. Elle s’entraîna volontairement avec lui, mais elle voulait aussi une puissante tribu. Garen n’était pas d’accord.

« Je suis un [Dragoon] ! Le meilleur d’un [Guerrier] et d’un [Cavalier] combiné ! »

Il frappa son torse et l’annonça fièrement aux Gobelins ébahis. Loks n’avait jamais entendu parler d’un Gobelin ayant reçu une classe unique, mais Garen avait de nombreux niveaux dans les deux classes. Et il était un [maître des Bêtes].

« J’ai apprivoisé des Loups. En les frappant. En les faisant obéir. En les nourrissant. En chassant avec. En dormant avec. »

Son Loup Carnassier était l’immense alpha de sa meute. Sur son dos, Garen était deux fois plus dangereux, et il clama qu’il était bien assez pour tenir tête à un aventurier de rang Or, même avec des artefacts. Garen en avait quelques un ; un anneau le protégeant des flèches, un autre le rendant résistant au poison, et son épée.

Loks regarda la lame pourpre avec suspicion. Elle était aiguisée, et Garen n’avait apparemment jamais besoin de l’affûté, mais il n’y avait rien de vraiment magique à son sujet.

Garen sourit et la brandit. Il murmura un mot et la lame commença à devenir blanche et brûlante. Il l’utilisa pour couper une branche et regarda avec satisfaction le bois prendre feu. Loks grommela et étouffa le départ de flamme, mais elle était impressionnée.

« C’est bien de ne pas le montrer. Les épées magiques aident contre les monstres. Bonne surprise. »

Garen planta son épée dans le sol et Loks regarda ses armes de bronze.

« Besoin d’armes magiques. Très important. »

Il voulait aussi qu’elle arrête de gagner des niveaux dans toutes les classes. Garen voulait beaucoup de choses, mais il était insistant sur ce point.

« Tu dois choisir quoi faire. Tu ne peux pas tout faire. Être un grand guerrier est différent d’être un bon archer, combattant, ou mage. Choisis. »

Loks détestait cette partie de lui. Elle n’aimait pas être forcé à faire quelque chose, surtout quand il était sous son autorité. Mais Garen semblait se voir en tant que son instructeur et prenait donc ses ordres comme des suggestions faites pour être ignoré où interpréter. Ce n’était pas parfait, mais Loks était prête à admettre qu’elle n’était pas en position de risquer un conflit avec lui. Pas encore. Après tout il l’avait dit, elle était trop faible.

***

Quelques jours après s’être installé dans la forêt, Garen trouva Loks en train de tenir l’une des arbalètes qu’elle avait inventées. Il la jeta au sol de manière dédaigneuse, comme il le faisait souvent avec les choses qu’il trouvait insuffisante.

« Trop faible. »

Elle cligna des yeux. Loks était en train d’essayer d’utiliser l’un des trous que les Gobelins avaient creusés, mais Garen semblait s’en moquer. Elle le regarda, mais l’ancien Chef voulait clairement une réponse immédiate.


Pas faible. Bonne arme. Facile à utiliser.


Il secoua la tête.

« Trop faible. Ne blesse pas assez. Il faut des flèches. »

Il démontra, tirant l’arbalète sur sa main à bout portant. La munition d’argile éclata sur sa peau sans le blesser. Garen secoua de nouveau la tête.

« Pour des chasseurs. Pas pour se battre. »

Loks n’était pas d’accord. En partie. Les arbalètes de pierre étaient d’excellente armes, pour chasser ou non. Le fait que leurs munitions étaient peu couteuses voulait dire qu’elles étaient les armes parfaites pour les Gobelins qui n’étaient pas des combattants. Tout le monde pouvait les utiliser, ce qui voulait dire qu’elle pouvait armer tous les enfants et les non-combattants de sa tribu.

Mais Garen était une nouvelle fois convaincu qu’il avait raison, et dés que Loks termina son affaire, elle lui expliqua pourquoi elle n’avait pas plus de ‘bonnes’ arbalètes.


Pas de morceau. Besoin de métal. De bois. De trucs qui tournent.


Garen cligna des yeux en regardant Loks, sans comprendre. Elle lui montra les vis et lui expliqua à quel point il était difficile d’en obtenir. Il secoua la tête et rit.

« Difficile ? C’est facile ! Très facile. Viens ! »

C’est ainsi que Loks se trouva assise en haut d’une colline, les yeux baissés vers l’une des routes menant hors d’une ville. Les Gobelins pouvaient facilement se camoufler dans la neige, et donc Garen avait emmené un groupe de guerriers pour qu’ils puissent observer le trafic entre les différentes villes Humaines. Il avait posté des scouts sur d’autres collines et des points d’observation, attendant le bon moment.

« Là. »

Garen pointa du doigt, et Loks vit plusieurs wagons sortir de la ville, tiré par des chevaux et gardé pas plusieurs gardes armés. Elle plissa les yeux.


Trucs qui tournent ?


Garen n’en avait pas la moindre idée, mais la cible était quand même parfaite selon lui. Il expliqua.

« Pas un Coursier. Lent. Pas de garde fort. Plein de chose qui ne sont pas précieuses. De la nourriture, d’autre trucs. »

Les coursiers étaient généralement trop rapides pour que les Gobelins les attrapent. De plus, ils avaient l’habitude de mettre de grosse prime s’ils étaient attaqués, et Garen avait pour règle d’éviter le conflit avec les aventuriers. S’ils tuaient des Gobelins, c’était une mauvaise chose. Mais si les Gobelins tuaient les aventuriers, d’autres aventuriers allaient venir, ceux qui étaient de plus hauts niveaux.

Mais les wagons ? Parfaitement acceptable. Garen avait appris qu’il fallait attaquer quelques wagons de chaque ville pour éviter de rendre les Humains suspicieux. Il avait même identifié quelques Coursiers qui étaient de bonne cible.

« Tu vois ? Fille maigre. »

Il pointa l’une des plus lente Coursières de ville du doigt alors qu’elle quitta la ville avec d’autres Coursiers. Selon Garen, elle courrait toujours avec plusieurs Coursiers et elle était une lâche. C’est facile de lui envoyer quelques Gobelins pour qu’elle lâche ses colis pour prendre la fuite.

D’un autre côté, il y avait une plus lente Coursière que les Gobelins évitaient. Il la pointa du doigt. Elle était grande, courrait lentement, et semblait être plus solidement battit que les autres.

« Forte. Elle fait mal quand elle tape. Et elle ne porte rien d’intéressant. »

Il fronça les sourcils. L’opinion de Loks était qu’un bon carreau d’arbalète entre les deux yeux réglait la majorité des problème, mais Garen insista que ne pas tuer les coursiers était la chose intelligente à faire, donc elle lui fit confiance en son jugement avec réluctance.

Ils suivirent la caravane, tapis dans l’ombre, sur plusieurs kilomètres alors qu’elle s’éloigna de la ville. Elle était toujours sur la route principale, mais la tribu de Garen avait de l’expérience dans ce genre de raid.

Il fit sortit ses guerriers de leurs cachettes et le fit monter derrière une colline. Puis, Garen fit attendre Loks dans quelques buissons avec des archers alors que ses cavaliers s’approchèrent de la caravane. Loks agrippât son arbalète noire, l’armant en attendant.

La caravane avançait à son rythme, les guerriers la défendant restant sur leur garde, quand les voyageurs entendirent le hurlement d’un Loup Carnassier sur la route. Il fut rapidement rejoint par les autres, et les Humains réalisèrent qu’une meute était en chasse.

La plupart des Humains commencèrent immédiatement à courir. Les wagons et chariots, plus lents, furent abandonnés, et les guerriers sur la route se regroupèrent autour de leur caravane, serrant les rangs et regardant autour d’eux.

C’était une bonne stratégie. Ils pouvaient probablement effrayer les Loups Carnassiers, surtout qu’ils avaient un mage dans leur groupe. Mais ils n’étaient pas préparés pour des cavaliers Gobelins. Les Humains poussèrent des cris de surprise et de terreur alors que Garen bondit hors de sa couverture derrière ses guerriers, hurlant et chargeant les Gobelins.

Loks vit le [Mage] se leva sur le wagonnet viser Garen. Son doigt appuya sur la détente, elle sentit l’arbalète relâchée la tension et le mage s’effondra. Les Humains regardèrent autour d’eux alors que ses archers se levèrent, et Garen s’écrasa dans leur rang, son épée tranchant leurs armures avec facilité.

Ce fut terminé en quelques minutes. Garen et ses Gobelins pillèrent le chariot, et brûlèrent le véhicule en le réduisant en miette, comme si un sort avait détruit humain et chariot à la fois. Ses guerriers laissèrent leurs montures déchiqueter les cadavres, et ils s’en allèrent avec le butin.

Le chariot transportait des armes, sûrement pour être vendu à une autre ville. Garen montra joyeusement les épées et boucliers à Loks, et elle devait admettre que le raid avait été un grand succès.

Malgré cela, une partie de Loks souffrait alors que les Gobelins s’en allèrent avec le butin. Elle s’arrête près de l’un des corps, baissant les yeux vers ce dernier.

Une Humaine regarda Loks de ses yeux désormais vitreux encadré par des cheveux rouges dont la teinte était devenue plus profonde à cause du sang. Loks se pencha et ferma ses yeux.

Garen s’approcha, son loup reniflant l’Humaine morte. Il regarda le corps de manière dédaigneuse.

« Agaçante mage. Joli tir. »

Loks avait tué la femme avec un carreau dans le dos. La petite Gobeline secoua la tête. Elle ne se sentait pas coupable, pas vraiment. Mais elle regarda le visage de la femme et pensa à Erin.

Garen n’avait pas ce genre de sentiment. Il donna un coup de pied dédaigneux à la femme.

« Humain morte. Ne t’inquiète pas. Personne ne viendra. »

Loks secoua la tête.


Tous les Humains ne sont pas méchants. Certains… Sont gentils.

Garen rit et secoua la tête.

« Tous nos ennemis. Ils nous détestent. Ils nous craignent. Nous devons les massacrer. »

Ce n’était pas la vérité, mais c’était aussi la vérité. Loks se souvint d'avoir été traqué, se souvint de la peur, de la terreur et de la haine qu’elle avait pour les Humains. Puis elle rencontra Erin, et sa vie changea.


Pas tous. Une n’est pas notre ennemie.


Garen regarda Loks curieusement. Comment pouvait-elle expliquer ce qu’était Erin, elle qui défiait les explications, dans son langage limité ? Garen écouta de manière dédaigneuse.

« J’ai rencontré beaucoup d’Humains. Ce sont tous les mêmes. »

Sa certitude énerva Loks. Elle le fixa du regard.


Et ta Compagnie ? Les aventuriers. Tous les mêmes ?


Garen hésita.

« C’est différent. »


Comment ?


Il ne voulait pas le dire. Garen secoua la tête.

« Pas important. »


Dit.


Il le regarda. Loks croisa les bras. Elle était Chef. S’il n’obéissait pas, alors il ne faisait pas partie de la Tribu. Garen hésita, serra les dents, et secoua la tête.

« Différents. Pas Humains. »

Drakéide ? Gnolls ? Mais Garen secoua la tête. Il murmura, essayant de trouver les mots justes.

« Pas Humain. Moitié. En partie. Ils étaient différents. Comme moi. »

Il stoppa la conversation, tourna sa monture, et insista qu’il était temps de partir. Loks fronça les sourcils, mais elle le laissa garder son silence jusqu’au camp. Le passé de Garen était une énigme pour elle, et elle voulait des réponses.


Pourquoi les avoir tués ? Pourquoi les avoir trahis.


Garen refusa de répondre même lorsque Loks le relança. Mais il céda enfin. Il l’éloigna du groupe et lui montra quelque chose. Quelque chose de petit.

Une clef.

Une simple clef. Noire, faite en quelque chose de brillant qui ressemblait à de l’onyx. C’était clairement un objet de valeur, mais ce n’était qu’une clef, et non un artefact magique et puissant. Loks la regarda, déçue, mais Garen la rangea dans sa ceinture, étant encore plus précautionneux qu’avec son épée. Il tapota sa ceinture.

« La chose la plus précieuse. La clef est importante.

Assez pour trahir sa compagnie ? Garen hocha la tête.

« C’est la clef que le dernier Roi des Gobelins voulait. »

Loks regarda. Mais c’était tout ce que Garen allait dire. Il avait tué ses camarades aventuriers à cause de cette clef qu’ils avaient trouvé au fond d’un donjon. Ils avaient aussitôt reconnu l’artefact, et Garen l’avait demandé. Mais ils avaient refusé, il s’était battu et avait été obligé de tuer plusieurs d’entre eux avant de fuir avec la clef.

Mais qu’est-ce que cette clef déverrouillait ? Garen le savait, mais il ne voulait pas le dire à Loks. C’était un autre mystère, mais il était sincère quand il disait que ni lui ni elle pouvait atteindre ce que cette clef débloquait.

« Trop dangereux. Même l’ancien Roi des Gobelins ne pouvait pas l’atteindre. Le trésor est caché dans la mort des morts. Je te le dirais un jour. Peut-être. Pas aujourd’hui. »

Et tout était dit. Garen refusa d’en parler, et Loks se trouva à repenser à la chef de temps en temps, mais pas souvent. Elle avait tellement à faire !

Gérer sa tribu. Trouver de nouvelles sources de nourriture. Rencontrer de nouveaux chefs. Créer de nouvelles armes. Trouver de nouvelles stratégies. S’entraîner avec Garen. Apprendre à chevaucher ?

Oui, de toutes les choses que Loks se trouvait à faire, chevaucher était ce qu’il y avait de plus surprenait. Après avoir rencontré l’une plus petites tribus Gobelins pour montrer à leur Chef qui était le boss, Garen l’avait prise à part pour lui montrer ses loups.

Il était un [Maître des Bêtes] et les animaux l’écoutaient. Mais sa tribu avait adopté les Loups Carnassiers et beaucoup de Gobelins savaient comment chevaucher et s’occuper des animaux même s’ils n’avaient pas la classe. Mais Garen était de l’opinion que Loks devait savoir commencer chevaucher, et il voulait lui trouver une monture.

C’était un problème épineux. Tous ses cavaliers étaient des Gobelins de taille normale, et non des Hobs, vu que les Loups Carnassiers ne pouvaient pas supporter autant de poids. Mais Garen avait choisit ses plus grands Gobelins normaux pour chevaucher. Loks était encore jeune, et elle était si petite que cela serait difficile pour elle de maîtriser un petit Loup Carnassier.

Mais Garen avait une solution. Il l’amena à une tanière que les Loups Carnassiers avaient créée et lui montra une couvée de chiot qui venait de naître. Loks regarda les créatures poilues à moitié aveugle avec un soupçon de dégoût, mais Garen se pencha et s’en empara d’un, ignorant les objections de la mère.

« Tiens. Bon loup. »

Il lui montra un loup albino, le plus faible de la litière. Il avait une glorieuse fourrure blanche, et il cligna des yeux vers Loks. La Gobeline cligna des yeux en retour. Elle regarda Garen alors qu’il expliqua.

« Le loup grandira. Deviendra une bonne monture. Elève. Dresse. Chevauche. »

Il lui offrit le loup, mais Loks secoua la tête. Elle pensa au chiot, et regarda Garen.

Pas bien.


Il leva un sourcil ?

« Pourquoi ? Trop petit ? Il grandira. »

Elle secoua la tête.


Loup blanc. Cible repérable. Normal est mieux.


Garen la regarda pendant quelques secondes, et rit. Il reposa le petit loup albino avec les autres, et la petite créature s’accroche à l’un des tétons de sa mère.

« J’en trouverai un autre. Et t’apprendre à chevaucher. »

Et leurs journées continuèrent, avec un léger problème. Loks savait qu’elle grandissait, apprenait, et sa tribu profitait du temps pour s’armer et s’améliorer. Mais elle était… Impatiente. Elle se retrouva à regarder au sud de plus en plus souvent, jusqu’à ce que Garen la surprenne à regarder au sol une semaine après sa victoire sur la Tribu du Croc Rouge.

« Qu’est-ce qu’il y a, Chef ? »

Il utilisait son titre de manière sans y prêter d’importance. Loks grimaça, mais elle ne répondit pas tout de suite. Elle était en train de penser.

Elle avait laissé tellement de chose derrière elle à Liscor. Pas que l’auberge et les échecs, mais le donjon. Maintenant elle était plus grande, plus importante, avec une grande tribu derrière elle. Mais…

Elle ne pouvait s’empêcher de vouloir revenir. Elle sentait qu’il lui manquait quelque chose. Garen lui apprenait à devenir plus forte à sa manière, mais ce n’était pas suffisant.

Qu’est-ce qu’Erin ferait ? Elle était plus faible que Garen, mais elle avait sa propre force. Et elle avait des choses dont il ne pouvait que rêver. Elle avait vaincu Écorcheur, et s’était liée d’amitié avec les terrifiants insectes. Son squelette vivait même s’il était mort, et le donjon…

Loks ferma les poings. Garen la regarda avec curiosité. Il était le plus puissant Gobelin qu’elle avait rencontré, mais était-il plus puissant que Relc ? Il était un seul Gobelin, et il pensa que c’était suffisant, mais ça ne l’était pas.

Elle voulait devenir forte. Elle vouloir être capable de se battre seule, mais elle était désormais Chef. Allait devenir une Gobeline forte, mais retenu par les faibles ?

Non, non. Il y avait forcément autre chose. Les Gobelins ne pouvaient pas être comme la tribu de Garen, un groupe de Gobelins puissants étaient toujours inférieur à un groupe similaire d’Humains armés et entraînés. Ils devaient devenir plus puissants d’une autre manière.

Il ne savait pas comment. Mais Erin le savait, peut-être. Et soudainement Loks savait ce qu’elle voulait.

Elle regarda Garen. Le grand Gobelin la regarda, attendant quelque chose. Il s’était déjà infiltré dans une ville, pas vrai ? Elle croisa son regard curieux et lui explique ce qu’elle voulait faire. Garen la regarda, et rit pendant de longues minutes jusqu’à presque en devenir malade.


***

Deux Gobelins marchèrent à travers la neige en direction de Liscor. Ils étaient des Gobelins, mais aucune personne les observant pouvaient faire la connexion. Vu de l’extérieur, ils étaient deux voyageurs encapuchonnés, probablement un père et sa fille, ayant pris la dangereuse décision de suivre la route principale à pied dans ces conditions.

Les quelques voyageurs les dépassant ne les regardèrent pas deux fois, à l’exception d’une salutation ou deux. Les deux voyageurs saluèrent en retour, et ils furent rapidement aux portes de la ville. Mais ils prirent un détour et longèrent les murs en passant par le sud, vers une petite auberge à une vingtaine de minutes de la ville.

C’était une simple auberge, mais bien construite, avec des fenêtres en verre. Le grand voyageur s’arrêta alors que la plus petite des deux ouvrit le chemin. Ils s’arrêteraient peut-être pour manger, ou pour discuter un peu. Ou plutôt écouter les discussions. En vérité, ce qui arrivait n’avait pas d’importance tant qu’ils étaient là. L’auberge était un lieu sûr, et au moins l’un des deux Gobelins était vraiment curieux de voir qui il allait trouver à l’intérieur.

Mais quelque chose de curieux arriva lorsqu’ils s’approchèrent. Une calèche noire avança dans la neige, les deux Gobelins regardant avec incrédulité les chevaux fantomatiques le tirant et s’arrêtant. Quelqu’un sortit. C’était une jeune femme humaine que l’un des Gobelins reconnu. Elle fit un signe au conducteur, et marchant dans son auberge.

Ce fut la première chose intéressante qui arriva. La seconde chose fut qu’un Drakéide, un Antinium, une [Réceptionniste] Drakéide, un [Scout] Humain et une [Princesse] agacée entrèrent à leur tour dans l’auberge. Les Gobelins hésitèrent, puis entrèrent dans l’auberge.

Puis il y eut une bagarre. Mais rien d’inhabituel.

C’était l’histoire de l’Auberge Vagabonde, un jour avant le retour de Ryoka à Liscor. Un jour avant cela, Erin avait quitté son auberge. Elle était partie pour la Cité des Aventuriers, Invrisil. Et elle avait rencontré Lady Magnolia pour la première fois.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 24 janvier 2021 à 23:08:29
2.37 Partie 1
Traduit par Maroti

Erin était assise sur un coûteux coussin dans un coûteux carrosse, observant un [Majordome] conduisant le véhicule tiré par des chevaux fantomatiques et magiques (et probablement hors de prix) et essaya de ne rien salir. Ses oreilles continuaient de bourdonner.

« J’ordonne de venir. »

Lyon avait hurlé, lancé des choses et même essayer de frapper l’imperturbable [Majordome] pendant plus d’une trentaine de minutes. Le pauvre homme s’était tenu immobile et inflexible devant sa colère. En fait, Reynold le [Majordome] n’avait répété qu’une chose :

« L’invitation n’est que pour Mademoiselle Erin Solstice. Je m’excuse de la gêne occasionnée. »

En fin de compte, Erin avait ordonné à Toren de retenir Lyon. Elle lui avait dit de fermer l’auberge jusqu’à son retour, et de surveiller Lyon, et puis elle avait couru à Liscor pour dire à Selys ce qui était en train de se passer.

Une confuse conversation et un signe à l’auberge plus tard, Erin était dans le carrosse, se demandant si elle avait fait une terrible erreur. Le paysage se floutât autour d’elle, le sol, les arbres et même les gens disparaissant en un clignement d’œil.

C’était comme être dans une voiture, sauf que même les voitures vibraient et bougeaient à gauche et à droite tout en étant généralement pénible après quarante minutes.

Mais ce carrosse était calme. Erin n’avait même pas l’impression de bouger. Cela semblait irréel, et elle avait l’habitude de prendre l’avion et la voiture.

Mais le [Majordome] semblait être dans son élément aux rênes du carrosse… Il y avait un mur avec une fenêtre ouverte par laquelle Erin pouvait lui parler, mais la majorité de sa vue était bloquée.

Erin supposa que ce carrosse devait normalement être rempli de gens riche, probablement en train de boire du vin et de parler de choses importantes. Elle avait l’impression de faire tache, mais au moins il y avait du vin et de la nourriture.

Beaucoup de nourriture, en réalité. Une bouteille de vin était posée dans un seau de glace avec de petits biscuits blancs, des fromages, et même quelques fruits qu’Erin n’avait jamais vu, arrangés avec précaution. Erin avait trop peur pour toucher quoique ce soit, même si elle commençait à être tenté par la présentation.

« Je m’excuse pour les maigres accommodations. »

Reynold se retourna en s’excusant et prononça cette choquante déclaration comme s’il était véritablement désolé. Erin le regarda, étonnée.

« Quoi ? Non ! C’est très bien ! Je veux dire, c’est tellement… Et le carrosse va tellement vite. »

« Vos mots sont généreux. Je vous invite à profiter des rafraîchissements. Et n’hésitez pas à m’appeler si vous désirez quelque chose. »

Erin hocha la tête, et Reynold se reconcentra sur la route. Il était quelqu’un de très silencieux, ou peut-être était-ce le fait qu’il était un [Majordome]. Elle avait dû s’y prendre à plusieurs fois avant d’apprendre son nom.

Elle grignota nerveusement l’un des biscuits recouverts de fromage et ne mangea rien d’autre. La route fut longue. Reynold lui avait dit que le voyage allait durer au moins quatre heures, et commença à s’ennuyer après une quinzaine de minutes. Donc Erin fit ce qu’elle faisait de mieux.

Parler.

« Donc, vous êtes un [Majordome]. Qu’est-ce que vous faites ? »

« Je sers la maison des Reinhart, Mademoiselle. »

« Oh, d’accord, d’accord. Comme, heu, nettoyer des trucs et ouvrir la porte aux invités ? »

« … Cela est en grande partie correct, Mademoiselle. »

Elle arriva à parler avec lui au bout de deux heures.

« En vérité, Made… »

« Erin. »

« … Erin. La vérité est que la majorité des personnes sont incapables de faire la différence entre un cru classique et une bouteille qui à bien vieillit. Vois-tu, le plus important est la situation durant laquelle la bouteille est consommée. »

« Vraiment ? Je veux dire, je ne peux pas vraiment voir la différence… Je n’ai pas souvent bu de vin. Mais comment est-ce que tu peux le dire ? Est-ce que tu as un excellent sens du goût ou quelque chose du genre ? »

Reynold rit doucement.

« Moi ? Loin de là. Même s’il est vrai que la classe de [Majordome] possède plusieurs qualités et Compétences se partageant avec la classe de [Gourmet] et autres classes de ce type, la véritable épreuve d’expérience se trouve dans la quantité de vin savouré et le rythme auquel il est savouré. »

« Ooh. Je crois que je comprends. »

« Tout à fait. Une véritable dégustation commence en goûtant le bouquet du vin, c’est-à-dire l’arôme, avant de lentement imprégner la boisson. Le simple fait de le boire sans retenue ruinera les saveurs subtiles présentant dans chaque gorgée, et elles sont tout à fait exquises. »

« Donc tu as beaucoup de vins coûteux ? Parce que tu en sers souvent, c’est ça ? »

« Exactement. L’une de mes fonctions est de m’assurer que je ne sers pas de verre inférieur. En foutre, c’est une coutume qui remonte à l’époque ou le poison était souvent utilisé dans les boissons. Non pas que crains de me faire empoisonner. Et je me dois me mentionner que le fait d’assortir le bon aliment à un verre est souvent une forme d’art en soi. Essais un peu de fromage Perisgraé avec le vin, veux-tu ? »

Erin suivit ses conseils.

« C’est délicieux ! Tu devrais essayer ! »

« Cela ne serait pas… »

« Je t’en passe par la fenêtre ! Tiens ! »

« Ah. Merci. »

« Mm. Ce fromage est différent de tout ce que j’ai mangé. Il est fait comment ? »

« Je crois qu’il vient d’une sous-espèce de chèvre qui mange des rochers. »

« Bufh. Vraiment ? »

Erin toussa et regarda le fromage. Il n’avait pas le gout de caillou.

« En effet. Un grand nombre d’excellents plats vient de rares espèces magiques. Cependant, ce genre de produits est constamment en pénurie, mais Lady Reinhart possède les moyens de sécuriser même les plus rares des mets. Certains de ses plus précieux vins sont faits à partir de plantes et de fruits qui ne sont plus présent dans ce monde. »

« Wouah. »

Erin appréciait parler avec Reynold, et elle avait l’impression qu’il était surpris de voir qu’elle appréciait lui parler. Ils bavardèrent à propos de petites choses pendant plus de deux heures ; il lui dit que Lady Magnolia était très riche et avait de nombreux servants avec des niveaux dans d’étranges classes, mais il n’avait apparemment pas le droit d’en dire plus.

Mais c’était toujours agréable de se faire des amis, et Erin appréciait ses conseils sur comment mieux savourer les amuse-bouche qui se trouvait en face d’elle. Elle pensait qu’elle allait peut-être acheter quelques bouteilles de vin bon marché en rentrant. O peut-être qu’elle allait pouvoir en faire ? Elle avait une Compétence pour ça, pas vrai ?

Mais une fois que leur conversation retomba, Erin se retrouva à s’inquiéter. Il y avait des papillons dans son estomac. Probablement l’espèce gigantesque et mangeuse de chair et existait dans ce monde.

« Mais quand est-il de l’incorrect ? Est-ce qu’ils voyagent toujours comme ça ? Comment est-ce que les chevaux fantômes marchent ? Est-ce que vous voulez du fromage ? Il y en a beaucoup. »

Tout était arrivé si rapidement. Une minute elle avait été à l’auberge, et l’autre elle s’en allait de plus en plus vite et loin dans ce monde. Reynold lui avait assuré que tout se passerait bien, mais Erin continuait de s’inquiéter.

Lady Magnolia. Ryoka lui avait brièvement parlé d’elle, et d’après ce qu’elle disait, Lady Magnolia était une femme riche qui aimait les choses coûteuses. Elle s’était apparemment intéressée à Ryoka et avait commencé à engager des gens pour la suivre, mais cela n’expliquait pas le carrosse magique apparaissant de nulle part. Est-ce qu’elle avait découvert qu’Erin venait d’un autre monde ? Est-ce que Ryoka lui avait dit. Cela semblait peu probable. Et elle avait trouvé d’autre personne du monde d’Erin ?

Comment ? Où est-ce qu’ils avaient été ? Erin arrêta de manger et réfléchit. Quel genre de personnes seraient-ils ? Qui étaient-ils ? Savaient-ils quelque chose sur ce qui leur étaient arrivés ?

Reynold trouva Erin dans un état de presque panique quand il arrêta le carrosse et ouvrit la porte. La vue de ses moustaches distinguée l’aida à la calmer. Ou peut-être que c’était son costume. Qui était très cool.

« Nous sommes arrivés, Mademoiselle Solstice. Permets-moi de t’escorter. »

Perdue dans ses pensées, Erin avait complètement négligé de regarder par la fenêtre durant la seconde partie du voyage. Si elle l’avait fait, elle aurait été témoin de la célèbre ville des aventuriers, Invrisil, et aurait probablement été choqué et impressionné. Mais Erin posa directement le pied dans le chemin pavé en regardant autour d’elle, dans la demeure de Lady Magnolia Reinhart…

« Oh. »

Ce fut tout ce qu’Erin dit. Elle regarda autour d’elle, se rendant lentement compte qu’elle se tenait dans une cour… Menant à un grand mur avec plusieurs trous… Qui se révéla être une maison… Une très grande maison… Avec de l’architecture…

Elle s’attendait à un manoir. Mais pas à… Ca.

Ryoka avait déjà visité la demeure de Magnolia à Celum, mais comparé ce modeste endroit à la véritable maison de Lady Magnolia Reinhart était comme comparé un appartement une place à Versailles.

Erin avait déjà vu des photos des maisons de célébrités et millionnaire, donc elle n’était pas totalement soufflée par la taille de la demeure de Lady Magnolia Reinhart. C’était grand, oui, mais encore possible. Ce qui la choqua fut l’Architecture.

Cela devait être l’Architecture, mais c’était le genre de chose qui ne pouvait pas se passer de la majuscule. La meilleure manière qu’Erin pouvait la décrire était qu’il n’y avait pas de surface plate. Les maisons de son monde avaient l’habitude d’avoir des surfaces plates, comme les murs, et il était vrai que la majorité des gratte-ciels n’étaient que de grands rectangles avec occasionnellement un design artistique.

Mais ceci était un bâtiment fait à l’époque ou les gens passaient des années voir des décennies pour contre leurs bâtiments. Il y avait de l’art dans chaque centimètre du bâtiment. Erin regarda les sculptures gravées dans les murs, et les décors en relief fait de métal et de pierre. Des mots comme crénelage, fenestration et Porte Cochère s’élancèrent dans son esprit, même si le dernier mot était parce qu’Erin avait déjà fait des classes de Français. Qu’elle avait raté.

Mais cela était tout de même comparable à certains des plus beaux bâtiments de l’antiquité du monde d’Erin. Ce qui démarquait la maison de Magnolia était la magie. Et il y en avait beaucoup.

C’était dans l’air. Littéralement dans l’air. Erin regarda un nuage, un nuage bougeant à six mètres du sol dans ce qui semblait être un immense jardin. C’était un nuage noir de tempête qui faisait pleuvoir sur de la végétation verdoyante. Un autre nuage couvrant une partie de la maison de Magnolia, cachant les plus hautes fenêtres. Erin voulait le toucher, mais…

Un banc de poisson passa devant la façade de la maison. Erin cligna des yeux, mais elle n’était pas devenue folle. Pas encore. Un poisson argenté entra dans l’une des fenêtres comme s’ils se trouvaient sous l’eau et bondit depuis une autre fenêtre, le mouvement était tellement naturel qu’Erin avait du mal à croire que la maison ne se trouvait pas sous l’eau.

« Ah. Les mesures de protection contre les intrus sont activées. »

Reynold murmura cela silencieuse et se tint aux côtés d’Erin, parfaitement attentif. Elle cligna des yeux et le regarda, mais il regarda devant lui comme s’il n’avait rien dit.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? Les poissons ? »

Ils n’étaient pas seuls. Un loup passa devant le bâtiment, et un oiseau s’envola du toit.

« En effet. Mais j’attire ton attention sur les Golems à ta gauche. »

Erin tourna sa tête et prit une inspiration de surprise. Loks et Toren auraient immédiatement reconnu les gigantesques béhémoth en armure, même si ces Golems étaient faits d’un métal argenté plutôt que noir. Ils étaient aussi, et distinctement, rehaussés de métal rose. Cela ne les rendait pas mignons ou moins terrifiant. Et Gobelin et Squelette auraient probablement pris aussitôt la fuite, car au lieu d’avoir une seule armure enchantée, il y en avait quatre.

Ils marchaient avec une précision mécanique, patrouillant le grand jardin et la cour devant la demeure de Lady Magnolia. Erin écarquilla les yeux en voyant les Golems ; puis ses yeux manquèrent de sortir de sa tête quand elle regarda en haut.

« Oh mon dieu ! C’est un Pégase ! Un Pégase ! »

Reynold essaya de retirer Erin alors qu’elle attrapa son bras.

« Du calme, Mademoiselle Solstice. C’est un sort. Un gardien invoqué. Il n’est pas réel. »

« Est-ce que je peux voler dessus ? »

Le [Majordome] toussa et Erin se reprit.

« D’accord, probablement pas. Désolé. Comment tout cela est possible ? Je veux dire, Ryoka a dit… mais… Comment ? C’est-ce que Magnolia est vraiment aussi riche ? »

Reynold leva un sourcil.

« Lady Magnolia ? Elle est l’héritière de la famille Reinhart et l’une des plus riches personnes du continent. »

Erin le regarda. Pour la première fois, elle se demanda ce que Ryoka avait fait ou dit pour attirer l’attention de Lady Magnolia.

« Mademoiselle Solstice ? »

Erin se retourna alors que Reynold se redressa et se reconcentra aussitôt. Elle vit une grande dame habillée d’une sombre robe noire, tout aussi officielle et impressionnant que l’habit de Reynold. Elle était flanquée par deux autres femmes, habillées comme des servantes anglaise… Ou des cosplayeuses japonaises.

Il y avait des froufrous. Et des nœuds. Et une certaine coordination noir et blanc qui attirait l’œil. Mais les deux servantes étaient clairement en train de suivre leur chef, qui était aussi une servante.

« Mademoiselle Solstice ? Je m’appelle Ressa. Je suis l'[Intendante] au service de Lady Magnolia. Je vous amènerai à elle, si vous voulez bien me suivre ? »

Erin cligna des yeux, la bouche grande ouverte. Puis elle retrouva ses esprits et cligna des yeux de plus belle.

« Hum. Woauh. D’accord. Huh. »

Elle regarda autour d’elle. Reynold était droit et regardait devant lui. Erin hésita, et hocha la tête.

« Merci de m’avoir amené jusqu’ici. »

« Cela est parfaitement normal, Mademoiselle Solstice. J’espère que vous allez apprécier votre séjour. »

Il lui répondit poliment et sans croiser son regard. Le cœur d’Erin s’alourdit, mais Ressa était à ses côtés.

« Si vous voulez bien me suivre ? Lady Magnolia attend votre compagnie. »

Elle ne pouvait que la suivre. En réalité, pas une personne hésita alors que Ressa s’avança dans les demeures. La porte double s’ouvrit comme si elles étaient automatiques alors qu’elles étaient, en réalité, magiques. Elle marcha si rapidement qu’Erin dut accéléra son pas pour la suivre.

Mais qui pouvait arguer avec Ressa ? Erin ne le savait peut-être pas, mais un seul regard vers Ressa suffisait pour apercevoir un soupçon de sa personnalité et de ses fonctions dans la demeure des Reinhart.

Ressa était tellement belle que cela ne semblait pas humain. Erin ne le savait pas, mais c’était l’un des avantages de sa classe. Tout ce qu’Erin savait était que Ressa était ce dont elle voulait ressembler à l’époque où elle avait été pleine de doute et rêvait d’être plus grande et une top-modèle. Elle était belle, mais aussi sterne et imposante. Exactement comme la matrone en chef ou une directrice d’école provenant d’un livre pour enfant.

Ou une reine.

Et il y avait certainement quelque chose qui ressemblait à une reine dans la manière avec laquelle Ressa traversait les halls alors que les servants baissaient la tête à son passage, ou peut-être était-ce pour Erin, avant de redoubler leurs efforts.

Erin le remarqua avec une partie de son esprit, mais le reste était en train d’essayer de voir la demeure que Ressa semblait déterminé qu’elle de remarque pas. Des peintures, des statues, et ce qui semblait être des artefacts magiques se mélangeaient dans les longs corridors et pièces remplies de merveilleux meubles et objets qui disparaissaient alors qu’Erin les dépassait.

C’était trop à digérer d’un coup. Erin avait du mal à se concentrer sur une chose à la fois ; ses yeux étaient attirés par quelque chose avant d’être distraits par une autre, elle ne se rappela que de la richesse, de la beauté et de la grandeur des pièces qu’elle traversa.

Et c’était légèrement agaçant. Erin fronça les sourcils. Elle regarda le dos de Ressa alors qu’elle passa ce qui semblait être une galerie d’artefact magique dans une armoire en verre. Elle ouvrit la bouche, hésita, et parla.

« Excusez-moi. Pouvons-nous ralentir quelques instants ? »

L’air se figea. Les servants suivant Erin et Ressa tressaillirent. La grande femme regarda Erin par-dessus son épaule.

« Qu’est-ce que vous avez dit ? »

« Oh, désolé. Je voulais juste regarder quelques objets. C’est vraiment incroyable. A moins que Lady Magnolia ne m’attende ? »

Erin cligna des yeux de manière innocente vers Ressa. L'[Intendante] hésita.

« Lady Magnolia est extrêmement occupée. Vous allez pouvoir l’attendre dans la salle d’attente. »

Reynold semblait vouloir avaler sa langue, et les servantes étaient en train de regarder Erin et Ressa en essayant de discrètement s’éloigner. Ressa cligna des yeux, puis fronça les sourcils.

Erin sentit une boule se former au creux de son ventre, et un vague sentiment de malaise la traversa pendant un instant. Elle cligna de yeux, et cela disparu comme un moment d’indigestion. Elle regarda Ressa et se demanda si elle allait la laisser regarder. Ressa était concentré sur son visage. Elle était peut-être en train de réfléchir ? Erin ne voulait pas que quelqu’un ai des ennuis à cause d’elle.

Après quelques secondes, Erin réalisa que c’était de l’intimidation, et non pas de la réflexion. Erin lui rendit son regard, perdant son sourire. Est-ce que l‘autre femme était en train d’essayer de lui faire peur ? Elle était grande, mais elle ne faisait pas peur.

Le moment de malaise la traversa de nouveau alors que le regard de Ressa sembla s’accentuer. Mais Erin continua de lui rendre son regard. Elle avait fait face à Écorcheur ; Ressa n’était pas terrifiante.

Et maintenant Ressa semblait confuse. Erin regarda autour d’elle et passa maladroitement une main à l’arrière de sa tête. Reynold et les deux servantes semblaient pâles. Est-ce qu’il se passait quelque chose ? Est-ce que Ressa était en train d’utiliser une compétence ? Pourquoi cela ne marchait pas sur Erin ?

Peut-être que c’était vraiment une sorte de compétence d’intimidation. Erin fronça les sourcils. Devait-elle s’énerver ? Mais peut-être que Ressa voulait simplement faire son travail. Cela ne devait pas être facile, de mener des gens à longueur de journée.

« Hum. Si cela ne dérange pas ? »

Ressa cligna des yeux. Le picotement dans l’estomac d’Erin disparu, et elle entendit les gens respirer de nouveau. La servante à la tête du personnel de Magnolia Reinhart regarda Erin et hocha lentement la tête.

« La salle d’attente attendra. Que souhaitez-vous s’avoir ? »

Erin haussa les épaules.

« Je ne sais pas. Cela semble intéressant. Est-ce que tout est magique ? »

Elle pointa du doigt.

« Qu’est-ce que ça fait ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 24 janvier 2021 à 23:29:29
2.37 Partie 2
Traduit par Maroti

« … Cette épée fut utilisée par la jeune Lady Magnolia durant sa première bataille dans la passe de Liscor durant la Première Guerre Antinium. Elle s’est défendue et à blesser quatre Soldats quand ils passèrent le cercle des gardes pour l’attaquer. Vous pouvez remarquer les enchantements de tranchant et de gel gravé sur la lame. »

Ressa présentait les objets comme un professeur présentait son cours, avec d’excellentes compétences de narration et une passion quand le sujet était sa maîtresse. Erin hocha la tête de manière approbatrice alors qu’elle étudia l’épée courte scellée dans l’un des nombreux présentoirs en verre présent dans un long corridor avec de nombreuses fenêtres donnant sur la cour.

« Ouais. Très brillant. »

Ressa regarda Erin alors que la fille garda ses mains juste au-dessus du couvercle du présentoir. Il n’était pas fermé, mais Erin avait la distincte impression qu’elle n’avait pas le droit de toucher. Elle pouvait sentir l’air se refroidir autour du piédestal.

« Et qu’est-ce que cela est ? Un puissant anneau ? »

Erin bougea jusqu’au prochain présentoir. Ressa hocha la tête alors que les servantes et servants regardèrent le duo avant de discrêtement s’éloigner le plus loin possible une fois dans leur dos.

« … Un anneau de téléportation. Ou plutôt, de [Téléportation Mineure]. Il est fixé à une ancre, mais aucun mage ne sait ou est-ce que cet anneau mène. Le mettre pourrait s’avérer mortel, dont la raison de sa présence ici. »

« Mais il n’est pas gardé ou quelque chose du genre. N’est-ce pas dangereux si quelqu’un se téléporte à cet anneau ? »

Ressa secoua la tête. Il avait fallu plusieurs minutes pour la faire parler, mais Erin était parvenue à lui faire expliquer ce que les différents objets faisaient en plus d’une phrase. Elle était soit plus sympa qu’elle le laissa croire, ou elle avait abandonné son plan d’effrayer Erin.

« Chaque objet est protégé par les enchantements de la demeure. Seul un mage d’une grande puissance serait capable de pénétrer les barrières protégeant ses objets. »

« Mais qu’est-ce qui se passerait s’il le faisait ? Ou s’il, je ne sais pas, amenait une armée ? »

« Cela serait fort amusant à voir. »

Il y avait une étincelle dans le regard de Ressa. Erin cligna des yeux, et hocha lentement la tête.

« D’accord. Donc tout ce qui est ici à beaucoup de valeur, pas vrai ? »

« D’une… Certaine manière. Ils ne sont nullement les artefacts les plus prisés en la possession des Reinhart, mais ce sont d’importantes curiosités. »

« Comme cet autre anneau ? Qu’est-ce qu’il fait ? »

« Il invoque un Chien des Enfers pour protéger et défendre le porteur durant quatre heures. Il peut être utilisé une fois par mois à moins de le recharger plus rapidement avec de la magie, et l’invocation prend une minute. »

« Wouah. »

Erin regarda l’anneau. Il donnait l’impression que quelqu’un avait fondue et forgée une sorte de métal et de la pierre rouge pour former une bague posée sur un coussin mauve.

« Il doit être très pratique. Mais pourquoi ne pas le donner à un serviteur ? Cela pourrait être pratique quand ils font des choses. Je veux dire, j’avais un peu peur de me faire attaquer en route en venant ici. »

Ressa haussa la tête de manière dédaigneuse.

« Le [Majordome] assigné à votre escorte porte plusieurs objets magiques à sa disposition et des Compétences adéquates pour repousser la majorité des attaques. »

« Le [Majordome]… oh, Reynold ? »

Ressa s’arrêta. Elle regarda étrangement Erin.

« … Oui. Je m’excuse s’il a agi avec une excessive familiarité envers vous. »

« Quoi ? Oh non, non ! »

Erin agita ses mains de manière frénétique et manqua de faire tomber un piédestal qui contenait une clef. Ressa éloigna silencieusement Erin des présentoirs.

« J’ai passé un très plaisant voyage. Il était très sympathique ! Nous avons parlé de vin et d’autres choses. »

« De vin ? Ah. L’un des devoirs de Reynold est l’inspection de la collection de vin. »

« Oui. Il m’en a parlé. En fait, je l’ai fait parler. Donc s’il a des problèmes… »

« S’il vous plaît, ne faites pas attention à mon commentaire. Je suis… Rassuré de voir que vous avez apprécié sa compagnie. »

Ressa regarda par la fenêtre en parlant, et puis regarda Erin. Elle hocha légèrement la tête.

« Je crois que Lady Magnolia aura bientôt terminé ses affaires. Si vous voulez bien m’accompagner ? »

« Oh, bien sûr. »

Erin marcha maladroitement derrière Ressa. Cette fois, l'[Intendante] ne se déplaça pas aussi rapidement, donc Erin put profiter de la demeure.

« Cet endroit est vraiment le meilleur. Je n’ai jamais rien vu de tel. »

« Vraiment ? »

Ressa semblait surprise, mais Erin hocha la tête.

« Oui ! Il y a de la magie, des servantes, des majordomes et plein de chose incroyable. Comme cette peinture de montagne. Je n’ai jamais vu un endroit aussi chic que celui-ci. »

« J’assumais que vous aviez déjà vu des lieux similaires. Vous venez d’un monde… Plus avancé que le nôtre, n’est-ce pas ? »

Erin s’arrêta, surprise. Mais elle avait raison, si Lady Magnolia savait qu’Erin venait d’un autre monde et qu’elle avait des gens ici, ces derniers auraient forcément discuté de ce monde avec Ressa et les autres. »

« … Oui, je veux dire, mais ce n’est rien de spécial. »

« On m’a dit que vous pouvez voler dans l’air comme les plus grands des [Archimages]. Et que vos bâtiments touchent les cieux. »

« Quoi, les gratte-ciels ? Ils ne sont pas spéciaux. Pas comme ça. »

Erin n’avait jamais fait le tour du monde, mais elle avait visité d’autre pays, souvent pour participer à des tournois d’échecs. Et elle avait visité des hôtels de luxe (et d’autre qui n’étaient pas de luxe), mais ils étaient des produits de verre et d’acier. Ils avaient beau être magnifique, ils étaient quand même des créations d’entreprise de moins d’un siècle.

Et aucun hôtel qu’Erin avait visité avec un Van Gogh derrière le comptoir de la réceptionniste ou une statue sculptée par Rodin dans le hall d’entrée. La maison de Lady Magnolia avait plus d’œuvres d’art qu’Erin pouvait compter ; c’était comme avoir un muséum dans sa demeure.

Et la magie. La magie était différente de tout ce qu’Erin avait vu. Il y avait quelque chose de réel dans les statues en armure et le garde Pégase invoqué qu’aucune CGI ou animation pouvait répliquer.

« Je pense que votre monde est bien plus fantastique que le mien. Nous avons des choses qui sont plus avancées, mais ce n’est que de la technologie. Nous n’avons pas de magie. »

Erin était sincère, mais Ressa s’arrêta de marcher pendant une seconde et la regarda avec surprise.

« Merci. »

Pour quoi ? Erin ouvrit la bouche, mais la servante recommença à marcher.

« Nous entrons dans la partie des invités. Si vous m’informez de vos préférences, je vous apporterai des plats et des boissons dans l’immédiat. Je ne m’attends pas à ce que Lady Reinhart soit occupée pendant plus de… »

« C’est elle ! »

La forte voix fut un cri de surprise et de jubilation, entièrement différent de la silencieuse dignité de la demeure. Erin sursauta et Ressa se tourna alors que la porte s’ouvrit en grand.

Un jeune homme se tenait dans l’encadrure. Erin fut accueillie par… Un visage normal. En y réfléchissant bien, c’était un visage normal. Le jeune homme n’était pas un Drakéide, ni un vétéran maussade comme Halrac. Il n’avait pas un visage recouvert de poil comme Krshia, et ses yeux étaient marrons, tout comme ses cheveux. Il n’avait pas d’os exposé, d’yeux brillants, et il n’était pas armé.

Il était un Humain normal. C’était un soulagement. Et il semblait être quelqu’un du monde d’Erin. C’est ce qui la surprit et lui décrocha la mâchoire.

Il était habillé d’un t-shirt et d’un jean. Complètement normal. Mais c’était tellement anormal dans ce monde que cela la choqua. Son t-shirt était noir et avait un robot Android vert la regardant de manière flippante. Il avait une montre… non, un Fitbit sur son poignet, et un sourire sur son visage.

Contrairement à Ressa. Elle bloqua le chemin du jeune alors qu’il ouvrit la porte en grand et qu’il marcha vers Erin.

« Monsieur Joseph, je dois vous demander de rester dans votre chambre. Lady Magnolia souhaite parler avec Mademoiselle Solstice av… »

« Tu es vraiment là ! Viens ! »

Le jeune homme, Joseph, ignora Ressa et tira le bras d’Erin. Elle se retrouva rapidement dans une autre pièce. Elle cligna des yeux, regarda autour d’elle, confus, et puis elle fut entourée de gens.

Une jeune femme assise avec ses genoux au niveau de son torse regarda Erin depuis sa chaise. Elle avait la peau noire, ce qui était normal dans le monde d’Erin, mais elle était la première personne qu’Erin voyait dans ce monde avec cette couleur de peau. Erin était désormais plus habitué à la fourrure marronne et aux écailles de différentes couleurs.

Mais une autre jeune femme était devant Erin, une adolescente en réalité. Elle avait un t-shirt décontracté, un pantalon large, une veste en coton et deux anneaux. Et elle avait du vernis sur les ongles, un profond violet au bout des doigts.

Erin la regarda. L’autre fille avait une paire de lunettes de soleil perché sur son front. Elle était comme n’importe quelle fille normale du monde d’Erin. Une fille normale.

C’était presque trop pour qu’Erin puisse le supporter. Elle regarda l’autre fille et s’exclama.

« Oh mon dieu ! »

« Oh mon dieu ! »

Ils se serrèrent dans les bras après une seconde d’hésitation. Plus de gens s’agglutinèrent autour d’eux, ignorant Ressa alors qu’elle parla bruyamment derrière eux, et soudainement, Erin était à la maison.

Pendant quelques secondes, Erin regarda autour d’elle et ne vit que des gens de son monde. Pendant quelques secondes. Et puis l’opulence de la pièce dans laquelle ils se trouvaient la frappa, et elle réalisa qu’elle se tenait au milieu d’une pièce qui aurait rendu jalouse la Reine d’Angleterre. Peut-être. Erin n’avait jamais mis les pieds au Buckingham Palace, donc elle n’avait aucun moyen de comparer les deux. Mais cette pièce était au même niveau en termes de luxe.

Des choses vernies d’or. De riches sofas et tapis qui étaient probablement fait de véritables fourrures et non en fibre. Une table fait de cristal, et un autre plateau recouvert de mets et de boissons exotiques.

Oh, et ils étaient jeunes. Erin avait 20 ans, mais ils semblaient tous plus jeunes qu’elle. Peut-être que c’était sa perspective, mais aucun d’entre eux ne pouvaient avoir plus de seize ans. Mais apparemment ils étaient proche de son âge, juste avec quelques années en moins.

Le jeune homme qui l’avait traîné dans la pièce fut le premier à redevenir cohérent dans le déversement de voix. Il cria à tout le monde se calmer, et Erin parvint finalement à compter le nombre de personne présente dans la pièce.

Six. Non, sept. La fille dans la chaise ne s’était pas levée, mais elle était en train de regarder dans la direction d’Erin. Ressa était partie.

Le jeune homme sourit de nouveau à Erin, révélant des dents droites, probablement le résultat d’un appareil dentaire, une autre étrangeté. Il se présenta enfin, et présenta les autres.

« Je suis Joseph, c’est Rose. Et aussi Galina, Troy… »

Erin regarda autour d’elle, oubliant les noms, serrant des mains, faisant signe, et hochant la tête aux gens qu’il présenta. Ils étaient également repartis entre sexe, et ils étaient quatre garçons et trois filles dans la salle.

« Je suis Erin, Erin Solstice. Comment êtes-vous arrivé ici ? »

Erin regarda la pièce, toujours légèrement choquée. La discussion reprit de plus belle, mais cette fois la jeune femme qui avait serré Erin dans ses bras, Rose, expliqua.

« J’étais en route pour visiter la France, et le reste faisaient partie d’un groupe d’étudiants étrangers qui visitaient les Etats-Unis. Nous étions tous à l’aéroport de Chicago quand nous avons été amenés ici. »

« Le bon terme c’est kidnapper. »

Un autre garçon prit la parole. Il avait des traits Asiatiques, mais Erin n’avait pas la moindre idée d’où il pouvait venir. Elle cligna des yeux, et Rose semblait irritée.

« Ce n’était pas un enlèvement ! C’était un sort, un sort ! »

« Comment est-ce que tu le sais ? »

« C’est ce qui est arrivé aux Américains, tu te souviens ? Je t’ai dit, ils disent que c’était un sort. Donc ça doit l’être ! »

« Mais pourquoi nous sommes tous arrivé au même endroit ? Est-ce que c’était une erreur ? »

« C’est forcément un sort. Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? »

Erin cligna des yeux alors que Rose commença à argumenter avec l’autre gars. Joseph s’interposa, leur coupant la parole.

« Nous sommes arrivés dans ce monde la semaine dernière ! C’était fou, un instant nous étions en train d’attendre notre avion, et l’autre nous étions là ! Nous, les sept d’entre nous, sommes apparus dans cette ville au milieu de nulle part. Tout le monde était en train de crier, et Rose est arrivée dans une forêt ! »

« Quoi ? Une semaine ? »

Erin les regarda. Joseph avait un grand sourire, et il semblait vibrer sous l’effet de l’excitation.

« Ouais. Tous ces soldats nous ont arrêté l’instant où nous sommes apparus. Nous n’avions pas la moindre idée de ce qui nous arriver et un mage s’apprêtais à nous examiner quand Lady Magnolia est arrivé ! Elle nous a fait sortir de prison et nous à amener ici. Est-ce que tu as vu cet endroit ? »

« Attends, attends une seconde. Comment est-ce qu’elle… Non, attends, qu’est-ce qui se passe à la maison ? Est-ce que quelqu’un sait que nous avons disparu ? Que j’ai disparu ? »

Erin attrapa Joseph. Il semblait surpris et secoua la tête.

« Non, nous n’avons rien entendu à propos des personnes disparus. Pourquoi ? Quand est-ce que tu es arrivé ici ? »

Elle ne le savait pas. Erin laissa partir Joseph et secoua la tête. Depuis son arrivée ici, elle avait eu l’impression que chaque jour avait été une semaine. Ou une année.

« Je… Ne sais pas. Trois mois ? Quatre ? J’ai l’impression que ça fait deux ans. »

« Trois mois !? »

Tout le monde semblait surpris, à l’exception de la fille sur la chaise. Elle se balançait en avant et en arrière en regardant Erin et en ne participant pas à la conversation. Ses yeux étaient creux et elle ne semblait pas faire bouger ses paupières.

« Trois mois, sérieusement ? »

Joseph s’approcha et passa la main dans ses cheveux. Rose regarda Erin.

« Est-ce que tu as un IPhone ? Est-ce que tu faisais partie de l’appel ? »

« L’appel ? Qu… Oh ! »

Erin se souvint de l’appel qu’avais décris Ryoka, celui avec les gens éparpillé dans le monde. Elle secoua la tête.

« Je n’ai rien de mon… De notre monde. Mais je connais une fille qui en a un. Elle faisait partie de l’appel ? »

« Quoi ? »

De nouvelles exclamations et voix manquèrent d’assourdir Erin. Les gars étaient en train de parler avec excitation alors que les filles demandaient à Erin qui était cette autre personne, son nom, quand est-ce qu’elle allait venir ici, entre autres.

Erin leva les mains.

« Je ne sais pas ! Elle est en train de faire une livraison. Elle est une Coursière et je ne l’ai pas vu depuis une semaine. »

« Une Coursière ? C’est quoi ? »

Erin cligna des yeux en regardant Joseph. Cela semblait évident, mais il n’avait pas été présent bien longtemps. Elle essaya d’expliquer.

« C’est l’équivalent d’un facteur. Elle livre des messages, des paquets, généralement de ville en ville, évitant des monstres et des bandits. »

« Quoi ? C’est trop bizarre. Pourquoi est-ce quelqu’un voudrait faire ça ? »

« Eh bien… »

Erin regarda Joseph. Elle secoua légèrement sa tête.

« C’est ce qu’elle devait faire pour survivre. Je veux dire, je suis devenue une [Aubergiste]… »

« Tu es une [Aubergiste] ? Pourquoi ? »

« … Parce que c’est ce que j’ai dû faire pour survivre. Je ne savais pas que d’autres gens et Lady Magnolia étaient présent en arrivant, et j’ai trouvé cette auberge et obtenu la classe, donc… »

Erin haussa les épaules. Elle regarda Joseph et les autres, impuissante.

« Vous êtes arrivé il y a une semaine ? »

Ils hochèrent la tête.

« Peut-être un peu plus. Mais pas grand-chose. »

Rose interrompit. Elle pointa la fille sur la chaise du doigt.

« Mais pas Imani. Elle était avec un autre groupe de gens à l’aéroport. Elle est arrivée autre part. »

Erin regarda de nouveau la fille, et cette fois la jeune femme semblait se recroqueviller encore plus sur elle-même. Elle serra ses genoux contre son torse avec ses deux bras.

« Hum. Est-ce qu’elle va bien ? »

Le visage de Joseph perdit sa bonne humeur pendant un court instant. Il baissa la voix, même s’il était encore clairement audible dans la pièce.

« Imani à rencontrer des monstres quand elle et les autres sont apparus. Elle est la seule qui s’est échappé, et elle était dans ce petit village quand Lady Magnolia l’a trouvé. »

« Des monstres ? Quel type de monstres ? »

Imani frissonna. Elle leva les yeux vers Erin.

« Des Crelers. »

Elle murmura les mots en se balançant sur sa chaise. La pièce devint silencieuse. Ce fut le silence gênant des gens qui ne savaient pas quoi dire. Erin s’approcha d’Imani, elle hésita, et tira une chaise proche de la ville et s’assit à côté d’elle.

« Je suis désolé. J’ai rencontré un Dragon la première nuit que je suis arrivé ici. »

« Un Dragon ? Vra… »

Rose, ou peut-être quelqu’un d’autre, donna un coup de pied à Joseph. Mais Imani regarda Erin. Elle semblait comprendre.

« Comment est-ce que tu as fait pour t’échapper ? »

« J’ai pris la fuite. Et ensuite je suis tombé sur un groupe de Gobelins. »

Erin sourit de manière amère en se remémorant. Elle pouvait encore sentir la peur et la douleur des brûlures sur son bras et sa jambe alors qu’elle courait, hurlant et criant dans la nuit. Imani regarda Erin et baissa légèrement ses jambes.

« Je me suis caché. Sur des rochers. Ils ne peuvent pas grimper les rochers. »

Erin posa sa main sur l’épaule d’Imani. L’autre fille serra ses mains tellement fort qu’Erin pouvait les voir devenir blanches.

« Je suis désolé. »

« Ils sont tous morts. »

Ce fut un murmure uniquement pour Erin. Et Imani commença à pleurer. Erin la serra dans ses bras, alors que les autres jeunes hommes et femmes… Plutôt des garçons et des filles, restèrent debout et gêné en silence, ne sachant pas quoi dire ou faire. Mais Erin le savait. Elle serra Imani contre son torse, et l’autre fille se brisa dans ses bras.

C’était quelque chose qu’elles seules pouvaient partager. Quelque chose que seules Erin et Imani pouvaient comprendre. Donc Erin serra la fille et parla doucement, jusqu’à ce que cette dernière ne s’endorme et que les autres s’assoient ensemble.

Ils n’étaient pas moins bavards, mais ils étaient plus calmes. Erin vit quand même l’énergie dans les yeux des garçons et de la plupart des filles. Et elle comprit un petit peu de ce qui se passait ici alors qu’ils discutèrent.

« Ils ne sont peut-être pas mort. »

« Quoi ? »

L’un des gars regarda Imani dormir et baissa les voix de nouveau.

« Ils ne sont peut-être pas mort. Je veux dire, Imani les a vu mourir, mais peut-être qu’ils se sont… Réveillés ? Si c’est un jeu, alors… »

Erin n’en croyait pas ses oreilles. Elle le regarda, mais ce fut Rose qui lui adressa la parole, avec froideur.

« Ce monde n’est pas un jeu. »

« Qu’est-ce que tu en sais ? Si c’est une réalité virtuelle… »

Joseph regarda Erin.

« Ce monde, il est fou, tu vois ? Des Niveaux ? Des Classes ? J’ai vu l’une des servantes utiliser une Compétence, et je n’en revenais pas ! Elle était en train de nettoyer un verre renversé, et elle a juste bouger la serpillière et… Tout avait disparu ! D’un coup ! »

Erin hocha lentement la tête. Elle expliqua son auberge et Ryoka brièvement, mais c’était difficile de communiquer tout ce qui était arrivé avec autant de gens. Ils n’avaient pas de référence pour comprendre.

« Des Drakéides ? Tu veux dire des Dragons ? »

« Non, je veux dire comme des lézards qui marchent, sauf qu’ils détestent qu’on les appelle comme ça. Et il y a aussi des Gnolls… »

« Ah ! Je connais les Gnolls. Est-ce que tu as dut les combattre ? Est-ce que tu as des sorts ou des compétences de combats ? »

« Non. Je veux dire, j’ai appris à me défendre, mais je ne suis pas un guerrier. »

« Et tes objets magiques ? »

« Objets magiques ? »

« Comme une épée ou un anneau. Quelque chose de magique ! »

« J’ai un échiquier. »

« Un échiquier ? »

« Oui. C’est… Eh bien, magique. Mais qu’importe. C’est une longue histoire. Mais qu’est-ce que vous aller faire pendant que vous êtes là ? »

Erin voulait savoir ce que Lady Magnolia comptait faire avec eux. Mais aucune personne dans la pièce ne le savait.

« Cela fait plusieurs jours que nous sommes coincé dans la demeure de Lady Magnolia. Depuis qu’elle nous a trouvées. Nous pouvons allons dans le jardin et explorer, mais elle ne veut pas que l’on quitte cet endroit. Elle dit que c’est trop dangereux.

Erin hocha la tête, même si elle remarqua le regard mécontent de Joseph.

« C’est dangereux. Je suis soulagé de voir que Lady Magnolia vous a tous trouvé. »

« Oui, mais regarde dehors ! »

Joseph pointa la fenêtre, frustré. Il leva sa baguette et manqua de renverser le gobelet de vin qu’il avait rempli à ras bord. Erin le regarda.

Tous les étudiants étrangers et Rose étaient en train de manger de la nourriture qui leur avait été présenté. C’était riche, et délicieux, mais ils étaient aussi en train de boire. Beaucoup. Certains étudiants venant d’autre pays, comme les deux garçons venant respectivement de Chine et de Pologne, étaient en train de boire de manière mesurée alors que les autres buvaient sans se retenir, surtout les Américains. Joseph continua d’offrir une coupe à Erin, mais elle ne lâcha pas son jus de fruit.

Maintenant Joseph prit une autre gorgée de vin et pointa par la fenêtre. Au loin, Erin pouvait voir d’innombrable bâtiment répartis dans l’horizon.

« Regardes ça ! Même le ciel est plus grand ici. Et il y a des monstres et des artefacts magiques ! Je veux être dehors et commencer à gagner des niveaux. »

« Des Niveaux ? Dans quelle classe ? »

Joseph haussa les épaules alors qu’il attrapa une saucisse d’une assiette. Rose lui lança un regard dégoûté ; elle utilisée ses couverts, qui étaient faits d’argent.

« Je ne sais pas. Je pensais que je vais prendre une idée pour devenir aventurier. Ou peut-être des sorts. »

« Un aventurier ? Mais c’est très dangereux ! »

Joseph regarda Erin avant de hausser les épaules.

« Ouais, au début peut-être. Mais si j’ai un niveau assez haut et des potions, cela n’aura pas d’importance, pas vrai ? Je pensais qu’on pouvait former une équipe d’aventurier ! Je veux dire, nous sommes six, neuf en te comptant Erin, mais nous ne sommes pas tous obligé d’aller à fond. D’autres pourrons gagner des Niveaux dans d’autres classes de support. »

« Mais pourquoi est-ce que tu voudrais faire ça ? Lady Magnolia veut nous garder ici, pas vrai ? »

Un autre type haussa les épaules. Il venait… D’Espagne ? Non, c’était Joseph qui venait d’Espagne.

« Elle dit qu’elle le considère. Nous espérons qu’elle nous donnera des armes magiques et des armures, de quoi nous donner un avantage. Et peut-être nous apprendre de la magie. Je veux dire, qu’est-ce qu’on pourrait faire d’autres ? Franchement ? »

Erin secoua la tête.

« Ce n’est pas une bonne idée. C’est dangereux dehors. Je veux dire, vous pourriez vous faire tuer. »

Elle voulait ajouter qu’ils allaient se faire tuer, mais elle ne pouvait pas le dire. Tout le monde, à l’exception d’Imani qui dormait et de Rose, ne semblait pas comprendre les risques. Deux des garçons semblaient presque extatiques et commencèrent à argumenter sur la meilleure classe à prendre.

« Et quand est-il de Ryoka ? Pourquoi est-ce qu’elle n’est pas là ? Je sais que lady Magnolia cherchait une autre personne que toi. Est-ce qu’elle est loin. »

Le cœur d’Erin sombra alors que Rose posa la question qu’elle redoutait. Erin se l’était elle-même posé.

« Je ne sais pas. Elle allait au sud pour rencontrer quelqu’un d’important et faire une grosse livraison. Elle allait gagner huit-cents pièces d’or pour ça, mais je ne l’ai jamais vu. »

« Huit cents… ! »

Cette fois Joseph renversa du vin sur le tapis. Il regarda Erin avec culpabilité alors qu’elle essaya de trouver de l’eau, mais il agita sa main.

« Ne t’en fais pas. Nous avons déjà renversé des trucs avant et les servantes nettoient. Mais huit-cents pièces d’or ? Comment est-ce qu’elle obtenu ça ? »

Erin hésita et se rassit.

« Je ne sais pas trop. Elle, heu, à mentionné un client mais elle s’est en allé avant que je puisse avoir les détails. Elle était pourchassée. Par des Fées de Givre. »

« Des fées ? Tu plaisantes ! »

Erin leur raconta donc toute l’histoire de sa rencontre avec les fées qui apportaient l’hiver. Joseph secoua la tête, souriant, quand Erin termina.

« Des fées. Woah. La prochaine fois faudra prendre des bouteilles et des filets pour gagner des vies supplémentaires, pas vrai ? »

« Non… Il faut du fer froid. Et elles sont dangereuses, pas vrai ? »

Erin hocha la tête.

« J’espère juste que Ryoka va bien. J’ai essayé de demander aux fées de la pardonner, mais elles sont toutes parties il y a peu et je ne les ai pas encore revus. »

« Je suis certain qu’elle va bien. Ne t’en fais pas. Si elle a des niveaux dans cette, heu, classe de [Coursière] et des potions, elle devrait être capable d’échapper à tout ce qui est dangereux et se soigner, pas vrai ? »

Erin secoua la tête.

« Ryoka n’a pas de niveaux. Ou de classes. »

« Pourquoi ? »

Erin haussa les épaules. Elle ne pouvait pas vraiment l’expliquer, pas à ces gens. Elle continua, devenant de plus en plus silencieuse alors que les autres commencèrent à bavarder et à argumenter de plus en plus.

Cela semblait qu’ils avaient déjà discuté du sujet de nombreuses fois, mais Erin sentait que chaque groupe avait son opinion. Rose voulait rentrer en contact avec les autres personnes de leurs mondes, ainsi que deux des autres filles, mais Joseph et les garçons voulaient essayer de combattre des monstres. Avec des objets magiques, bien sûr. Les autres filles voulaient explorer la ville et le monde comme des touristes.

Rose regarda Joseph alors qu’ils argumentaient. Leurs mouvements devenaient de plus en plus exagérés, et ils devenaient de plus en plus bruyant en buvant. Joseph attrapa quelque chose de l’une des tables, et Erin vit avec choc qu’il avait une tablette dans ses mains. Apparemment, ce groupe avait tenu leurs bagages à main, donc ils avaient de nombreux objets venant de leur monde avec eux.

« Tu as un téléphone, et j’ai une tablette. Tout ce dont nous avons besoin de faire est de monter en niveaux dans la classe de [Mage], ou d’obtenir assez d’argent pour payer quelqu’un pour le faire ! Lady Magnolia pourrait-nous aider, et une fois qu’on sera assez fort, nous pourrions probablement voyager de nous-même. »

Un autre type, Leon de Pologne, hocha la tête. Il pointa les meubles coûteux de la pièce pour appuyer son point.

« Nous avons juste besoin de bien partir. C’est comme de la triche d’avoir Lady Magnolia nous aider, si nous arrivons à directement obtenir les artefacts, nous pouvons battre des monstres plus puissant sans risquer de nous blesser. Nous gagnons de l’or, nous montons de niveaux, et ont fait ça jusqu’à obtenir un haut niveau ! »

« Et ensuite ? »

Leon regarda Erin comme si c’était la chose la plus évidente du monde.

« Nous allons trouver un moyen de rentrer chez nous. A travers un portail magique ou quelque chose du genre. Ou un sort. Il doit en avoir un. »

Joseph hocha la tête.

« Si nous sommes arrivés ici, cela veut dire qu’il y a un chemin retour. »

Tout le monde hocha la tête. C’est obligé. Erin regarda ses mains et pensa à Pisces et Ceria. Elle avait plus de soixante ans et elle n’avait pas obtenu son Niveau 30.

Ne connaissant pas les pensées d’Erin, Joseph sourit.

« Il y a tellement de choses que je veux voir. Comme des Gobelins. J’ai entendu dire qu’ils sont les sacrements méchants. Je me demande à quel point, ils sont dangereux ? Erin, est-ce que tu penses qu’on peut battre une tribu avec des épées et des potions ? »

Erin regarda Joseph et l’imagina affronter une cinquantaine de Gobelins chargeant et attaquant. Elle secoua la tête.

« Les Gobelins ne sont tous pas méchants. Certains sons amicaux. Où peuvent l’être. »

« Oh, tu veux dire qu’ils ne sont pas tous dangereux ? Est-ce qu’ils ont des villages pacifiques ou un truc du genre ? »

Erin hésita.

« Non, ils sont… »

Elle laissa tomber. Comment Erin pouvait expliquer Loks à ces gens ? Elle n’avait même pas parlé de comment les Gobelins avaient tué Klbkch, ou quand elle s’était réveillée en voyant Relc tenir les têtes décapitées des Gobelins. Elle n’avait pas parlé de son combat contre le Chef Gobelin ou Écorcheur, ou quoique ce soit.

Elle écouta, devenant de plus en plus silencieuse alors qu’elle sirota sa boisson alors que la discussion continua. Ils comptaient explorer, bientôt quitter la demeure. Erin était supposément la dernière membre de leur groupe car Ryoka restait introuvable. Lady Magnolia leur avait promis des armes, de l’or, et même des leçons sur la magie. Ils allaient trouver un endroit ou rester dans la ville, rejoindre la guilde des aventuriers, du moins les garçons, et obtenir de bonnes classes. Une fille demanda si elle pouvait rester à l’auberge d’Erin pendant quelque temps. Erin l’imagina rencontrer Toren et voir une Crabroche et n’arriva pas à répondre.

C’était comme si quelqu’un avait laissé rentrer une mouche ou un moustique à l’intérieur de la tête d’Erin. Elle pensait entendre un léger vrombissement, ténu mais inévitable. Il devint de plus en plus bruyant alors que la conversation continua, jusqu’à ce qu’elle eût l’impression qu’il essayait de sortir de sa tête. Les voix autour d’elle se fragmentèrent, et devinrent de plus en plus bégayante alors que les autres continuèrent de boire. Ils étaient tellement excités de l’arrivée d’Erin qu’ils mangèrent et burent rapidement, parlant par courte intermittence.

« Nous avons vraiment besoin de trouver un endroit ou rester. Une auberge, comme celle d’Erin, ou nous pouvons rester ici. Mais ce que nous avons vraiment besoin est de potions et… »

« Je veux apprendre de la magie. Tu as vu le Pégase dehors, et ces armures ? Nous pourrions être des [Invocateurs]... ! »

« J’ai joué à Dark Souls. Ce n’est pas la même chose, bien sûr, mais si nous gardons un moyen de nous échapper en toute situation alors… »

« … Des stratégies. Quelqu’un doit être le tank. Nous avons besoin d’équipement défensif… »

« … Élever un monstre… »

« … Je me demande quand est-ce que nous allons pouvoir rentrer chez nous… »

« … Apprendre à faire de la magie… »

« … Rester ici. C’est comme un hôtel, pas vrai ? Bien mieux qu’à la maison… »

« … Dès que Ressa nous laisse tranquille, je veux voir s’ils ont des artéfacts dans l’armurerie que nous pourrions utiliser. »

« Ressa ? »

Erin releva la tête et regarda Joseph.

« Qu’est-ce qu’il y a avec Ressa ? Elle semblait sympa. »

Il eut une expression de mécontentement, qui se retrouva sur le visage des autres.

« C’est une véritable chieuse. Lady Magnolia nous a donné la liberté d’allez ou nous voulions, mais Ressa continue d’insister que nous devons rester dans cette partie de la demeure. »

« Vraiment ? Elle ne me semblait pas être comme ça. »

Mais Rose était en train de hocher la tête.

« Elle et Magnolia, enfin… Elles ne sont pas méchantes… »

« Ressa l’est. »

« Oui, mais généreuse. C’est juste qu’elle est un peu maladroite, tu sais ? »

« Non ? »

Erin n’en n’avait pas la moindre idée, et Rose lutta pour l’expliquer.

« Vraiment maladroite. C’est comme une duchesse venant de Downtown Abbey ou un truc du genre, tu vois ? »

« Oh, elle n’est pas si terrible. Elle est plutôt sympathique ! »

« Ouais, mais c’est gênant de voir tout le monde lui faire la référence, pas vrai ? Et elle continue de rire quand on lui a expliqué les élections et la démocratie. »

« Au moins nous avons du véritable papier toilette et de quoi nous laver les mains ici. J’avais vraiment peur qu’ils étaient tous en train de manger avec de la merde sur les mains ou en étant sale et déprimant comme des Game of Thrones. »

« Je sais, pas vrai ? Et les servants ici n’ont pas d’éducation. Tu sais qu’ils n’ont pas d’école ici. C’est comme si… »

La fille qui avait commencé à parler s’arrêta. Erin se tourna dans son siège et vit que l’une des portes était ouverte. Ressa se tenait là, émanant du… Mécontentement en silence.

Peut-être était-ce l’était de la pièce. De la nourriture était éparpillée sur les sofas, sur les assiettes ou sur les tapis. Plusieurs boissons avaient été renversées, et la moitié des gens étaient allongés ou en train de bidouiller avec les objets électroniques qu’ils avaient. Erin avait été choquée de voir qu’ils pouvaient encore les utiliser leurs appareils grâce à recharges quasi-journalières fait par des sorts de [Réparation].

L'[Intendante] regarda Erin en silence.

« Mademoiselle Solstice ? Lady Magnolia vous recevra quand vous êtes disponible. »

Erin se leva.

« Il semblerait que je vais la rencontrer. C’était, heu, un plaisir de tous vous rencontrer. »

Elle se dirigea vers la porte. Joseph se leva de manière maladroite comme s’il voulait suivre Erin.

« J’ai… J’aimerais venir avec Erin. Pour parler à Magnolia. »

L’expression sur le visage de Ressa se figea alors qu’elle tint la porte pour Erin. Elle ne regarda pas Joseph.

« Lady Magnolia vous parlera plus tard. Pour l’instant, elle souhaite parler à Erin, seule. »

« Oui, mais elle l’est l’une des l’autre. Pourquoi est-ce qu’elle doit être seule ? »

« Car c’est ce que Lady Magnolia souhaite. »

Erin dépassa Ressa. Elle entendit Joseph lever la voix.

« Est-ce qu… ? »

« Non. »

Ressa ferma la porte. Puis elle prit une clef de sa poche et ferma la porte depuis l’extérieur. Erin se demanda si cela était légèrement trop, mais deux secondes plus tard elle entendit la poignée de porte légèrement bougée.

« Mes excuses. Si vous voulez bien me suivre ? »

Erin marcha avec la grande servante dans les corridors silencieusement pendant plusieurs minutes. C’était difficile de rétablir la conversation après cela. Erin racla silencieusement sa gorge, et parla.

« Est-ce que je me suis absenté longtemps ? Est-ce que Lady Magnolia était occupée ? »

Ressa secoua sa tête alors qu’elle marcha avec Erin dans les corridors jusqu’à arriver à une volée d’escalier.

« Lady Magnolia jugea nécessaire que vous vous mêliez avec les autres pendant quelque temps. Elle est désormais libre de ses affaires. »

« Oh. Bien. »

Plus de silence. Ressa marchait de nouveaux plus rapidement que d’habitude. Erin y réfléchit, et parla au dos de la servante.

« Je, uh, suis désolé du bazar qu’ils ont fait. Je suis une [Aubergiste], je sais ce que s’est. J’ai [Nettoyage Avancé]. Peut-être que je pourrais aider… ? »

« Les [Servantes] ont des compétences prérequis. Ne vous inquiétez pas. »

Ressa hésita, et regarda Erin.

« Cependant, merci d’avoir proposé. Ce n’est pas souvent que je reçois de tels visiteurs. »

« Vraiment ? Je pensais qu’elle recevait beaucoup d’invités. »

« C’est vrai, mais ils restent rarement plus de quelques heures. »

Joseph et les autres avaient mentionné que les servants n’étaient pas très utiles pour les diriger ou trouver un mage capable de lancer le sort de [Réparation]. Erin se demanda à quel point cela était intentionnel.

« Est-ce que, heu, vous ne les aimez pas ? Les gens de mon monde ? Ils pensent que vous ne les aimez pas. »

Ressa resta silencieuse. Elle ralentit en passant dans un couloir ouvert. Erin entraperçut l’immense librairie de tomes se faisant dépoussiérer.

« Nous servons Lady Magnolia. Nous pouvons nettoyer, cuisinier, mais nous faisons bien plus que simplement entretenir sa demeure. Nous sommes ici pour l’aider, elle.

Personne d’autre. Erin déglutit se qu’elle s’apprêtait à dire.

« Nous y sommes. »

Ressa s’arrêta devant une double porte. Elle posa une main sur la poignée dorée et regarda Erin.

« Je vous fait confiance pour étendre la même courtoisie dont vous m’avez fait preuve à Lady Reinhart. Elle est ce qu’il y a de plus proche de la royauté sur ces terres. »

Erin hocha sérieusement la tête. Elle hésita alors que Ressa pressa la main sur la poignée.

« Hum. Est-ce que je dois dire quelque chose ? Personne ne m’a dit pourquoi elle voulait que je sois là. Qu’est-ce que je devrais faire ? »

C’était un mystère auquel même les gens de son monde n’avaient pas la réponse. Ressa s’arrêta, et regarda Erin.

« Soyez franche. Soyez honnête. Lady Reinhart n’a que vos meilleurs intérêts en tête, et elle dévouez une conséquente somme et beaucoup de temps pour rassembler vos compagnons en ces murs. »

Erin hocha la tête.

« Merci de votre aide. »

« Ce fut un plaisir. »

Ressa sourit, pendant un court instant, et la porte s’ouvrit. Lentement, Erin marcha dans la grande pièce et s’arrêta.

C’était rose. Il fallait le dire, quelqu’un avait décidé que le thème de la pièce serait ‘luxe élégant’ et que la couleur prédominante devant être le rose. Cela n’était pas déplaisant à l’œil, mais Erin avait l’impression que trop d’attention avait été mis sur cette couleur et rien d’autre.

La pièce était aussi plus petite que ce à quoi Erin s’attendait ; elle s’était préparée à rentrer dans un hall, mais Ressa l’avait mené à une petite salle privée, le genre d’endroit idéal pour s’asseoir et bavarder, avec élégance.

Un grand canapé était au centre de la pièce, et son jumeau se trouvait en face. Une petite table se trouvait au centre, supportant une théière, des tasses et quelques gourmandises.

Et une femme était assise sur le canapé. Elle n’était pas normale. Oh, ce n’était pas une radieuse beauté comme Ressa, mais elle n’était pas moche. Elle était plutôt attirante, mais elle n’était pas jeune. Elle était dans sa quarantaine, plus épaisse que Ressa, plus petite, et habillée d’une robe verte et brillante qui était soit magique soit faite avec de la magie. Ses lèvres formaient un léger sourire alors qu’elle étudia Erin, et Ressa marcha lentement derrière elle alors qu’une autre servante ferma lentement la porte derrière eux.

Elle n’était pas normale. Ce n’était pas qu’elle semblait différente, mais elle se tenait différemment. De la pointe de ses cheveux jusqu’à ses orteils, elle était gracieuse, raffinée, et sereine. Quand elle bougea, parla, et rit, c’était toujours avec un certain quelque chose de classe.

Et elle regardait Erin. Ses yeux étaient la seule partie de son corps qui n’était pas voilé par la politesse. Ils étaient comme des projeteurs, étudiant Erin de la tête a pied, regardant à travers elle, à ce qu’elle était, ce qu’elle avait fait, ce qu’elle ferait. Ils étaient dérangeants, mystérieux, et c’est ce qui, plus que tout, fit s’arrêter Erin.

Lady Magnolia était assise, mais le cœur d’Erin commença à battre la chamade alors qu’elle baissa les yeux vers la femme qui possédant tant. Erin pensa à la reine des Antiniums, assise sur son trône dans les sombres cavernes. Elle avala sa salive, et prit une grande inspiration.

C’était elle. La poursuivante de Ryoka, celle qui avait percé à jour la nature d’Erin. Une femme avec du pouvoir et de l’argent, une [Lady], une légende vivante. La scion de la famille Reinhart, l’héroïne de la première guerre Antinium, et la femme qui aimait les glaces et le jus de fruit bleu.

Lady Magnolia.

Elle sourit à Erin, leva une tasse de thé alors qu’elle fit signe vers le canapé lui faisant face.

« Bonsoir, Miss Solstice. Prenez un siège. Nous avons beaucoup à nous dire. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 27 janvier 2021 à 16:36:12

 
2.38 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Erin se revoyait encore plonger le regard dans la narine aussi grosse qu’un tonneau du Dragon. Ce n’était peut-être pas la manière la plus glamour ni la plus excitante d’en parler, mais c’était ce qu’il s’était passé.
 
Elle avait tourné au fond du couloir, pour aller à ce qui lui semblait être ses toilettes, mais elle était tombée nez à nez avec un Dragon, plus grand que la vie, plus grand qu’une maison.
 
Qui crachait du feu.
 
Erin se souvenait à peine avoir hurlé et pris ses jambes à son cou, dans sa panique face au feu et au rugissement qui ressemblait presque à une voix. Elle s’était précipitée hors de la caverne, fuyant pour sauver sa peau. Mais elle se souvenait encore du moment où son regard avait croisé celui du Dragon, empli d’arabesques bleues et violettes.
 
Son cœur s’était arrêté de battre. Le monde s’était tu, et Erin avait ressenti la même émotion que celle qui l’envahissait à présent lorsqu’elle usait de sa compétence d’[Instant Immortel]. Elle avait été submergée par sa présence.
 
Elle ressentait la même chose à présent. Lady Magnolia Reinhart était simplement assise devant elle. Et elle n’était qu’une femme, pas particulièrement grande ou forte. Mais elle avait une présence.
 
Puis la femme prit la parole, et l’instant passa. Mais il se grava dans la mémoire d’Erin.
 
“Venez donc vous asseoir, Miss Solstice. Ou… puis-je me permettre de vous appeler Erin, et de vous tutoyer ? Les titres formels sont tellement assommants, et si j’ai bien compris, votre peuple s’exprime beaucoup plus simplement que le mien, n’est-ce pas ?
 
Votre peuple. Erin cligna des yeux en s’asseyant, mal à l’aise, sur le fauteuil posé devant le canapé de Lady Magnolia. Elle faillit s’enfoncer dedans, il était tellement moelleux. Et confortable. Et frais !
 
Un parfum léger de lavande flottait dans l’air, et la pièce était fraîche et agréable, la température idéale pour se poser. Erin avait terriblement envie de se contenter de s’allonger sur le canapé et de se détendre, mais elle ne le pouvait pas. Elle préféra balbutier une réponse à la question de Lady Magnolia à la place.
 
“Hum, oui. Je veux dire, en effet. Désolée ! Je peux essayer de…”
 
“Ne t’inquiète pas.  Je trouve cela délicieusement pittoresque. Mais sont mes manières ? Excuse-moi, je te prie. Je suis Magnolia Reinhart. Enchantée de faire ta connaissance.”
 
“Je suis Erin. Erin Solstice.”
 
Magnolia tendit la main et Erin la serra. Elle eut une envie des plus étranges de lui embrasser la main comme si elle avait été un chevalier, mais c’était peut-être dû à l’élégance des mouvements de cette femme. Elle n’avait aucun geste inutile, aucune hésitation. Elle était l’image même de la grâce, et de la bienveillance aussi, d’ailleurs. Un sourire léger flottait sur les lèvres de Lady Magnolia et son visage s’abandonnait volontiers au rire et à l’énergie.
 
“Je dois dire que j’étais terriblement impatiente de te rencontrer”
 
À la grande surprise d’Erin, la poignée de main de Magnolia était ferme. La femme retira sa main et souleva sa tasse et sa soucoupe de thé.
 
“J’ai du thé, si tu souhaites le partager avec moi. À moins que tu n’aies envie de quelque chose de plus fort ? Une boisson fruitée, peut-être ? J’ai bien peur de ne pas avoir de café ni de connaître de substances proches pour le moment, mais n’hésite pas à demander si tu veux autre chose.”
 
“Quoi ? Non, c’est très bien. Le thé, je veux dire. Merci.”
 
Erin observa Ressa soulever adroitement la théière fumante et remplir leurs deux tasses d’un liquide d’un vert doré. Il s’en dégageait un parfum d’agrumes et le goût ressemblait à…
 
Du citron vert ?
 
Lady Magnolia pouffa de rire devant l’expression d’Erin.
 
“Je te prie d’accepter mes excuses. C’est l’un de mes thés préférés. Je me suis aperçue qu’il faisait des merveilles pour l’esprit inattentif. Mais où en étais-je ? Ah oui, permets-moi de te souhaiter la bienvenue dans mon foyer. Je te demande pardon pour le délai ; j’avais une réunion avec des gens plutôt importants et bien sûr, tu faisais la connaissance des jeunes hommes et jeunes femmes de ton monde. Je m’en serais voulu de t’arracher à cette rencontre, mais à présent que tu es là, est-ce que tu aimerais faire une partie d’échecs ?”
 
La question surgit au sommet de la vague d’un tsunami de mots et frappa Erin en plein visage. Elle regarda fixement Magnolia pendant quelques secondes.
 
“Hum… oui ?”
 
“Merveilleux. Ressa ?”
 
Lady Magnolia battit des mains, enchantée. Erin regarda Ressa prendre quelque chose sur une étagère - un échiquier et des pièces, déjà mises en place comme si la partie avait été prévue à l’avance. Tout allait un peu trop vite. Erin hésita, la tasse de thé entre ses doigts.
 
“Hum.”
 
“Oui ?”
 
Lady Magnolia adressa un sourire éclatant à Erin. Presque au sens littéral. En quelques instants, elle était passée du statut de personne mystérieuse et presque effrayante dans l’esprit d’Erin à l’aristocrate distinguée et terre-à-terre qui lui faisait face.
 
“Eh bien… je voulais simplement vous remercier de m’avoir amenée ici. Et d’avoir envoyé le carrosse et, euh, d’avoir aidé les autres gens.”
 
“De ton monde.”
 
“Hum. Oui ?”
 
Lady Magnolia pouffa de nouveau de rire en voyant l’expression sur le visage d’Erin.
 
Inutile de prendre cet air effrayé, ma chérie. Je t’en prie, détends-toi. Je t’assure que je voulais simplement discuter avec toi, d’où la manière relativement grossière et abrupte par laquelle je t’ai faite venir ici. Je te prie d’accepter mes excuses.
 
“Comment ? Oh, non, ce n’était pas grossier…”
 
Erin essaya d’agiter une main d’un air nonchalant tout en tenant la tasse et la soucoupe pendant que Ressa posait l’échiquier sur la table entre elles. Lady Magnolia sourit de nouveau.
 
“J’ai entendu dire que tu étais une relativement bonne joueuse d’échecs, et je dois avouer que j’espérais que tu me ferais le plaisir de jouer une partie avec moi.”
 
“Comment avez-vous su… ?”
 
“Oh, une [Lady] a ses astuces. Ne t’inquiète pas de cela. J’aimerais simplement beaucoup faire une partie avec toi pendant que nous papotons. Il me semble que tu as fait la connaissance d’une Coursière vraiment époustouflante répondant au nom de Ryoka Griffin ? J’aimerais tellement que tu me parles d’elle pendant que nous jouons.
 
Et c’est ce qu’elles firent. Erin cligna des yeux, au début, mais lorsque Magnolia lui demanda si elle voulait jouer les blancs ou les noirs et qu’elles se mirent à jouer, son instinct d’échecs se mit en route et elle se mit à jouer, tout en poursuivant la conversation.
 
“Alors ainsi, vous connaissiez Ryoka longtemps avant moi ?”
 
“Oh, elle est venue livrer de nombreux bibelots chez moi.”
 
Lady Magnolia répondait sur le ton de la conversation en avançant ses pions. Elle avait appris à jouer quelque part, parce que sa défense répondait parfaitement à l’ouverture d’Erin.
 
Ressa était debout à côté de la table, et écoutait la conversation en silence, les mains croisées devant elle. On aurait dit une statue, et Erin songea qu’il était un peu étrange que l’intendante fasse le service ici, mais c’était peut-être simplement comme ça qu’elles faisaient les choses ici ?
 
Elle était beaucoup plus détendue que quelques heures plus tôt, et même encore plus qu’elle ne l’avait été avec les gens de son monde. Le visage ouvert et le charme naturel de Lady Magnolia… invitaient simplement Erin à parler.
 
Et c’est ce qu’elle fit, au sujet de Ryoka, de son travail d’aubergiste, et des gens qu’elle avait rencontrés et des monstres qu’elle avait dû tuer. Lady Magnolia était une excellente auditrice, et elles étaient à peu près au milieu de la partie lorsque la conversation changea de cap.
 
“Les morts-vivants et de tribus Gobelines ? Bonté, tu es vraiment aventureuse. J’avais l’impression que tu étais plutôt autonome, mais je n’avais pas compris à quel point tu étais extraordinaire.”
 
Erin rougit sous le compliment. Lady Magnolia sourit, et elle prit quelque chose sur la table. Un monocle, mais un monocle vraiment étrange. Celui-ci avait une monture gravée dans une pierre noire… de l’obsidienne ? Et on aurait dit que les minuscules runes gravées sur les côtés faisaient miroiter d’étranges couleurs sur le verre.
 
“Qu’est-ce donc ?”
 
“Oh, ceci ?”
 
Lady Magnolia cligna des yeux derrière le monocle pendant quelques secondes, puis le reposa d’une main légère en haussant les épaules.
 
“Un petit souvenir. Il aide à rectifier la vision. Je dois bien admettre que ma vue n’est plus aussi bonne qu’avant. L’âge, vois-tu ? Je t’en prie, n’y prête pas attention.
 
“Oh. D’accord.”
 
La partie se poursuivit. Erin fronça les sourcils. Lady Magnolia était plutôt douée. Erin avait pris plusieurs de ses pions, mais la femme se débrouillait aussi bien qu’elle.
 
“Vous êtes une excellente joueuse. Je n’ai rencontré que peu de gens qui aient votre niveau.”
 
“Tu es trop aimable.”
 
Le visage de Lady Magnolia s’illumina et elle avança délicatement un pion pour bloquer l’un des fous d’Erin. Elle se tourna vers Ressa.
 
“La jeune Erin a vraiment un sens certain de la formule, n’est-pas Ressa ? J’ai peur de rougir.”
 
Ressa inclina légèrement la tête. Magnolia se retourna vers Erin, un sourire sur le visage.
 
“À dire vrai, je ne joue guère autant que ce que je ne le devrais. Mais j’ai appris à jouer à seize ans, et je joue régulièrement avec au moins un bon adversaire depuis lors. Tout de même, je suis ravie de pouvoir affronter quelqu’un de ton calibre sans paraître trop ridicule.”
 
Erin hocha la tête d’un air distrait. Qu’importe ce que disait Lady Magnolia, elle était une sorte d’experte. Elle ne laissait aucun répit à Erin, et celle-ci devait se concentrer sur la partie, ce qui lui faisait très plaisir.
 
Mais elle remarqua bel et bien une chose. C’était peut-être parce qu’elle avait eu l’occasion de faire la connaissance de Ressa un peu plus tôt dans la journée, mais lorsque Lady Magnolia avait parlé de jouer aux échecs, la femme avait… légèrement bougé. Ce n’était qu’un infime mouvement de pieds, et si cela avait été qui que ce soit d’autre, Erin aurait pris cela comme un signe de fatigue ou de crampe. Mais Ressa était restée figée comme une statue pendant toute la partie d’échecs et toute la conversation, et cela paraissait étrange à Erin.
 
C’était parce qu’elle était en train de jouer aux échecs qu’Erin l’avait remarqué. C’était ce sixième sens étrange qu’elle acquerrait parfois, et qui la faisait être à la fois consciente de l’échiquier et de la pièce dans son ensemble. Deux secondes plus tard, Erin avait presque oublié ce qu’elle venait de remarquer.
 
Lady Magnolia s’éclaircit la gorge.
 
“Ah, mais ce n’est pas vraiment le moment de parler de mon passé, n’est-ce pas ? Je suis heureuse que tu sois là, Erin. J’avais peur que tu ne refuses mon invitation, si tu ressemblais un tant soit peu à Ryoka.”
 
“Oui, elle est comme ça, pas vrai ?”
 
Erin sourit, et Lady Magnolia éclata de nouveau de rire.
 
“Eh bien, nous avons tous été comme cela, n’est-ce pas ?”
 
“Je ne pense pas, pour ma part.”
 
“Ah, mais tu es tellement ouverte d’esprit, c’est une attitude vraiment rafraîchissante. J’espère que le tour de carrosse a été plaisant ? Je te le demande simplement parce que j’ai craint que tu n’aies souffert du manque de compagnie. Un unique [Majordome] aux rênes ne constitue pas vraiment une compagnie suffisante, n’est-pas ?”
 
Erin cilla. Elle leva les yeux de l’échiquier pour dévisager Lady Magnolia.
 
“Le majordome ? Vous voulez parler de Reynold ? Non, il a été super. Je l’ai vraiment bien aimé.”
 
Et là encore, elle aperçut quelque chose d’étrange. Cette fois-ci, ce ne fut pas Ressa qui s’agita, mais la main de Lady Magnolia qui marqua une pause pendant une fraction de seconde lorsqu’elle porta sa tasse à ses lèvres.
 
“Ah, oui, Reynold. C’est bien que tu saches son nom. Tu sais, tes amis n’ont jamais pris la peine de demander les noms des serviteurs qui s’occupaient d’eux. Mais peut-être qu’ “amis” est un terme un peu trop fort ?”
 
Les yeux de Magnolia parcoururent le visage d’Erin d’un air scrutateur. Erin ne savait pas trop quoi répondre. Elle n’était pas amie avec Joseph et Rose - elle ne les détestait pas, mais des amis ? Non. Mais comment dire cela de manière polie ? Erin n’en avait aucune idée, et, par chance, Magnolia ne parut pas attendre de réponse. La femme éclata de rire en avançant délicatement un pion de deux cases pour menacer l’un des cavaliers d’Erin.
 
“Je te prie d’accepter mes excuses, je suis vraiment malpolie, n’est-ce pas ? Bien sûr que tous les gens de ton monde ne se connaissent pas, sans parler d’être amis. D’un autre côté, je serais enchantée de pouvoir me considérer à présent comme ton amie.”
 
Amie ? Cela lui semblait juste. L’estomac d’Erin se serra légèrement, mais pas sous l’effet de la faim. Elle fronça les sourcils. Quelque chose la turlupinait. Oh oui. C’était important.
 
“Hum. Lady Magnolia…”
 
“Magnolia, je t’en prie, Erin. Et tu peux me tutoyer. "Nous sommes entre amies, n’est-ce pas ?
 
“Oh, bien sûr, désolée… hum, eh bien, tu sais que je viens d’un autre monde, n’est-ce pas ?”
 
“Je le sais, en effet.”
 
Erin dévisagea Lady Magnolia, la main flottant au-dessus d’une pièce d’échecs. Elle avait l’impression que cette réponse était beaucoup trop calme. Lady Magnolia remarqua l’expression d’Erin et agita la main.
 
“Oh, je t’en prie. Je sais à quel point tout cela est extraordinaire, mais j’ai eu suffisamment de temps pour assimiler les faits. Et quel genre de [Lady] serais-je si je n’étais pas tout le temps calme et sereine ? Je sais que tu viens d’un autre monde. Je sais que le reste des charmants jeunes hommes et jeunes femmes en bas viennent d’un autre monde. C’est la raison pour laquelle je vous ai tous réunis ici.”
 
Elle avança une pièce et prit l’un des cavaliers d’Erin. Erin fronça les sourcils. Elle avait superbement contré le coup de Lady Magnolia, mais elle avait soudain perdu deux pièces dans un habile étau qui l’avait complètement aveuglée.  C’était normal- mais Erin n’arrivait pas à croire que Lady Magnolia l’ait déchiffrée aussi vite.
 
Incroyable. Elle essaya de se concentrer sur la conversation en continuant de jouer, en se concentrant davantage sur ses pions.
 
“Uh…. eh bien… en ce cas, pourquoi sommes-nous tous ici ?”
 
Lady Magnolia étudia le visage d’Erin un instant, puis elle écarta adroitement un fou pour le mettre hors de danger. Pas d’un danger immédiat, mais plutôt d’un piège qui l’aurait mis en danger dans deux coups.
 
“Eh bien, j’espère que tu vas rester ici. À présent que tu as vu ma petite demeure, j’espérais que je pourrais vous convaincre, toi et peut-être même Ryoka, d’accepter mon hospitalité pendant toute la durée de votre séjour dans ce monde. Tu vas bien accepter, n’est-ce pas ?
 
Il y avait résolument quelque chose qui n’allait pas. Pas dans la conversation, mais sur l’échiquier. Erin le sentait. Lady Magnolia n’était pas une excellente joueuse. Elle était bonne, mais clairement pas aussi bonne que quelqu’un qui avait mémorisé les ouvertures et les stratégies comme Erin. Son ouverture l’avait prouvé, et elle faisait en ce moment même de petites erreurs qu’aucune joueuse expérimentée ne ferait par la simple vertu de l’expérience.
 
Et pourtant, elle continuait de frapper Erin pile aux pires endroits, ou se mettait à sortir ses pièces du chemin lorsqu’Erin essayait de l’attaquer ou de poser des pièges. C’était presque comme si elle pouvait lire dans ses pensées. C’était peut-être le cas. Erin leva les yeux. Lady Magnolia lui souriait.
 
“Hum, désolée. Que viens-tu de dire ?”
 
La femme et Ressa clignèrent toutes deux des yeux. Erin leur adressa un sourire timide.
 
“Je suis vraiment désolée. C’est juste que lorsque je joue aux échecs, je suis un peu… désolée !”
 
“Pas du tout, pas du tout. Je te prie de m’excuser. Je devrais me concentrer sur la partie, moi aussi.”
 
Lady Magnolia avança un pion, bloquant une avancée d’Erin qui aurait menacé sa Tour. Erin fronça les sourcils. Peut-être que…
 
Elle avança un pion. C’était une tentative de forcer les pièces de Magnolia à rester à distance pour qu’Erin puisse essayer de viser son Roi.
 
Lady Magnolia roqua. Erin observa son coup, et toutes les pièces du puzzle se mirent en place. Elle leva les yeux, et vit que Lady Magnolia souriait de nouveau. Elle avait un sourire tellement charmant.
 
“Je me demandais simplement si tu accepterais de rester ici. Si tu le voulais bien, j’apprécierais grandement que...
 
“... Excuse-moi. Tu lis dans mes pensées, n’est-ce pas ? Je veux dire, tu es en train de me faire quelque chose, pas vrai ?”
 
La pièce se figea. Lady Magnolia s’interrompit, la bouche entre-ouverte à mi-mot, et Erin sentit les yeux de Ressa la transpercer. Mais elle dévisagea calmement la [Lady] qui lui faisait face.
 
Noble et servante. Aucunes des deux n’affichaient ouvertement leurs expressions, mais Erin savait à présent ce qu’elle devait regarder. Magnolia jeta un regard en coin à Erin, puis elle soupira.
 
“Suis-je vraiment si transparente que ça ?”
 
Elle se tourna à demi sur son canapé et fronça les sourcils en direction de sa servante.
 
“Ressa, pourquoi ne m’as-tu pas dit que j’étais si maladroite ?”
 
“Vous m’aviez l’air d’être relativement subtile, milady.”
 
“J’en avais aussi l’impression. Ah, tant pis.”
 
On aurait dit que quelqu’un venait de baisser un interrupteur. Lady Magnolia soupira et reposa sa tasse de thé.
 
Erin cligna des yeux.
 
“Et moi qui croyais que j’allais m’en tirer facilement. Oh, baste. J’imagine que tu m’as démasquée. Que vas-tu faire, à présent ?”
 
Elle dévisagea Erin, dans l’expectative. Erin cligna des yeux, hésita.
 
“Hum. Huh. J’imagine que je vais te demander de ne pas le faire quand on joue aux échecs ?”
 
Lady Magnolia resta silencieuse un instant en s’étirant les mains. Elle dévisagea Erin. Ressa faisait de même.
 
“Quand on joue aux échecs ?”
 
“Ouaip. Enfin, d’ailleurs, cela ne me dérange pas tant que ça, mais ça aurait été bien de le savoir à l’avance.  Je me demandais d’ailleurs juste si tu étais en train de le faire.”
 
Ressa et Magnolia échangèrent un regard. Lady Magnolia se réadossa sur son canapé.
 
“Ah. Je vois.”
 
Elle marqua une pause. Erin la contempla. Le silence devint inconfortable, puis Lady Magnolia sourit.
 
“Je te présente mes excuses les plus sincères. Je voulais te voir jouer au maximum de tes capacités, et j’ai donc très honteusement enfreint les règles. Permets-moi d’exprimer et de t’adresser mes plus profonds regrets. Si tu le souhaites, nous pourrions recommencer et faire une autre partie plus équitable…”
 
Erin secoua la tête.
 
“Non. En fait, j’aimerais bien refaire une partie comme celle-ci.”
 
Magnolia cligna de nouveau les yeux. Cette fois-ci, elle croisa le regard d’Erin, et la fille sentit un courant la parcourir.
 
“C’est intrigant. Pourquoi donc, je te prie ?”
 
La jeune femme haussa les épaules, mal à l’aise.
 
“Je pense que ça peut être un peu rigolo. Mais tu lis vraiment dans mes pensées ?”
 
“... Oui. Ce n’est pas assez avancé pour savoir ce que tu penses, je possède une compétence appelée [Perception d’Intentions] et je suis plutôt douée pour l’utiliser. Je peux sentir les pièces sur lesquelles tu te concentres, ce qui me permet de jouer aussi bien.”
 
“Cool.”
 
“Cool ?”
 
“C’est tellement cool.”
 
Erin sourit. Elle baissa les yeux sur l’échiquier et se mit à remettre les pièces dans leurs positions initiales.
 
“Est-ce que tu peux le refaire ? Pendant qu’on joue, je veux dire. Je veux voir si je peux battre quelqu’un capable de savoir ce que j’essaie de faire.”
 
Pendant un instant, Lady Magnolia contempla Erin, un air de surprise sincère étalé sur le visage. Puis elle sourit réellement à Erin. Tous ses autres sourires parurent alors faux et artificiels en comparaison, car c’était un sourire véritable, merveilleusement empli de joie et de gaité.
 
“J’en serais ravie. Tu es vraiment une jeune fille inhabituelle, tu sais.”
 
“Vraiment ? J’imagine. Hmm. J’imagine que je vais reprendre les blancs.”
 
Le jeu reprit. Erin remit ses pièces en place, et se demanda comment battre quelqu’un qui sentait ce qu’elle voulait faire. Elle remarqua que Ressa la dévisageait avec insistance, et que le regard de Lady Magnolia sur elle avait complètement changé. Moins d’assurance, et beaucoup plus d’intensité, comme si elle essayait de lire en Erin.
 
Mais Erin avait appris à jouer aux échecs en gardant un visage impassible. Elle adopta sa meilleure poker face, en tentant de ne rien laisser s’échapper de plus que ce que Magnolia pouvait détecter. Erin se mit à jouer, en silence cette fois-ci, et se remémora le passé.
 
Il était une fois une petite fille qui adorait les échecs. Puis, plus tard, elle avait appris à les haïr. Elle détestait apprendre par cœur, jouer constamment, l’angoisse autour des ratios victoire/défaite, et la manière dont les échecs avaient consumé toute sa vie, ne laissant que peu de place pour le reste.
 
Elle s’était éloignée du jeu, et avait fini par arrêter de jouer, malgré les nombreuses personnes qui la priaient de ne pas gâcher son talent en abandonnant. Mais Erin avait fini par devenir malade à la vue de ce petit plateau, et elle avait été plus heureuse en tant qu’adolescente ordinaire.
 
Et pourtant, et pourtant… Erin avait vu défiler les années, et elle avait lentement compris que les échecs l’avaient changée. Même une partie à l’amiable n’était plus la même chose pour elle, parce qu’elle n’était pas une amatrice, tout en n’étant tout de même pas une professionnelle. Personne, à son école ni même au sein de son district, n’était en mesure de lui poser un véritable défi, et pourtant, le sommet de ce monde étrange était encore très loin d’elle.
 
Erin avait également compris, petit à petit, à quel point les échecs étaient importants pour elle. Sans eux, elle n’avait rien qui ne la distingue des autres, et c’était à la fois une bonne et une mauvaise chose. Elle s’était lassée des échecs, certes, mais sans eux, sa vie était dépourvue de sens.
 
Et c’est ainsi que, lentement, Erin s’était remise à aimer le jeu. Elle avait joué pour le plaisir, puis avait alors redécouvert le sentiment qu’elle avait eu lorsqu’elle avait appris à jouer pour la première fois. Elle s’était mise à entrer de nouveau dans le monde des échecs, puis elle avait voyagé dans un autre monde.
 
Et alors…
 
S’il y avait un dieu des Échecs, ou peut-être, une déesse, c’était un dieu cruel, calculateur qui dispensait ses dons tels des malédictions à ceux qui ne vivaient que pour jouer. S’il y avait un dieu.
 
Un dieu métaphorique, bien sûr. Non pas les véritables dieux et déesses qui revendiquaient le jeu, mais l’esprit vivant des échecs en eux-mêmes. Erin voyait ceci ainsi. Le Dieu des Échecs était silencieux et souvent cruel, et vivait à travers la pierre froide et les règles statiques qui brisaient les gens à travers les plateaux immuables. Mais elle avait touché ce dieu à travers ses parties, et lorsqu’elle était venue en ce monde, lui, elle, iel… l’avait bénie.
 
Des parties immortelles. Des adversaires à qui enseigner et de qui apprendre qui aimaient le jeu autant qu’elle. Erin n’était plus la même joueuse qu’autrefois. Elle était peut-être maladroite, et stupide, et n’importe quoi d’autre, mais Erin était bonne à une chose. Une chose où elle se tenait au sommet de chacun des mondes. Et c’était…
 
“Échec et mat.”
 
Erin avança son cavalier et acheva son piège. Le roi de Magnolia leva les yeux sur elle, désespérément piégé par plusieurs pièces n’attendant qu’un mouvement de sa part pour lui exploser la cervelle.
 
“Remarquable.”
 
Lady Magnolia souffla ces mots en inclinant délicatement son roi. Elle leva les yeux sur Erin, et ils étaient pleins de lumière.
 
“J’ai rarement perdue une partie d’échecs en utilisant [Perception d’Intentions], Erin Solstice. Et même sans cela, je me considère comme une bonne joueuse. Mais les Compétences n’ont que peu d’impact contre quelqu’un de ton talent, apparemment.”
 
“C’était une bonne partie.”
 
C’était tout ce qu’Erin pouvait vraiment répondre. Elle sourit et fit craquer ses doigts avant de réaliser que c’était malpoli et rougit. Lady Magnolia pouffa.
 
“En effet. Surprenante, aussi, je n’avais aucune idée qu’il était si évident que je lisais en toi.3
 
“Eh bien, j’imagine que je suis simplement douée avec ces choses-là.”
 
“En effet. Je me demande si tu arrives à sentir autre chose ?
 
Autre chose ? Erin se gratta la tête un instant, puis la secoua.
 
“Pas vraiment. Je ne suis bonne aux échecs que parce que j’y joue autant.”
 
“Cela est pour le moins évident. En effet…”
 
Lady Magnolia tapota ses lèvres d’un ongle et soupira.
 
“J’ai un ami que j’aimerais profondément te présenter. Je pense que tu triompherais si vous deviez tous les deux faire une partie d’échecs, et j’adorerais voir son expression si c’était le cas. Tu es certainement l’une des meilleures joueuses de ce monde, j’en suis sûre.”
 
Là encore, Erin se sentit rougir. Meilleure joueuse ? Du monde ? Ce serait un horrible et total mensonge dans son monde, mais ici ? Elle n’était pas sûre de devoir être contente ou triste que ce soit le cas.
 
“Une enfant qui a grandi en étudiant le jeu est… un cas nouveau, en ce monde. Que c’est intrigant. Mais j’imagine qu’il doit y avoir au moins… cinq personnes capables de te battre. Tu ne penses pas qu’ils sont cinq, Ressa ?”
 
“Je n’en ai aucune idée, milady.”
 
“Menteuse.”
 
Magnolia sourit d’un air affectueux à sa servante. Erin en était heureuse ; on aurait dit qu’elle était amie avec ses servantes. Mais Erin était intriguée par ce qu’elle venait de lui dire. La folle d’échecs tapie en elle leva la tête.
 
“Vraiment ? Tu connais d’autres personnes qui aiment les échecs ? Est-ce que tu pourrais me dire leurs noms ?”
 
Peut-être que l’une d’entre elles était celle qui lui avait envoyé l’échiquier. C’était possible. Magnolia étudia Erin, puis sourit de nouveau. Elle avait l’air d’aimer ce sourire mystérieux.
 
“Ils ne jouent pas nécessairement aux échecs, mais ils ont les, ah, compétences et les tempéraments requis pour être les meilleurs dans tous les jeux de ce genre. Mais en ce qui concerne leurs noms… je détesterais gâcher la surprise. Disons simplement que cela inclut un vieux fou, le plus petit stratégiste du monde, un mage reclus, un roi misérable et un seigneur fringant et plutôt charmant. Un génie sur chaque continent - sauf Chandrar, je pense. Je ne pense pas que le jeune [Empereur] ou le Bras Gauche du Roi de la Destruction ne soient suffisamment doués pour te vaincre.”
 
Erin ne connaissait rien de tout cela, sauf le nom du Roi de la Destruction, et elle n’avait aucune idée de l’identité de son Bras Gauche. Sauf si c’était littéral et qu’il avait un bras droit géant qui jouait aux échecs. Elle avait entendu des choses bien plus farfelues.
 
“Eh bien, j’aime juste les échecs. Ce n’est pas grand-chose, mais j’adorerais faire leur connaissance.”
 
“Bêtises que tout cela. Quiconque peut prétendre être la plus grande experte dans un domaine mérite d’être remarquée et admirée.”
 
Lady Magnolia se pencha en avant et remplit elle-même de nouveau la tasse d’Erin, malgré les protestations tièdes de Ressa.
 
“C’est tout simplement une autre raison pour laquelle je dois insister que tu restes chez moi. Je serais ravie que tu enseignes les échecs ici, ou si tu consentais simplement à jouer contre quelques-uns de mes invités.”
 
“Moi ?”
 
“C’est la raison pour laquelle j’ai demandé une rencontre. Pourquoi donc crois-tu que tu sois ici ? Pour le plaisir de ta compagnie, bien sûr, mais je crois qu’il serait juste de t’offrir la même hospitalité que celle que j’ai offerte aux autres.”
 
La mâchoire d’Erin se décrocha.
 
“Vraiment ? Ici ?”
 
“Est-ce si surprenant que cela ? Je pense que tu apprécierais plutôt ton séjour. Nous pourrions t’installer dans une chambre d’amis, peut-être, jusqu’à ce que nous puissions te proposer des arrangements plus permanents. Qu’en penses-tu ? Ne veux-tu pas accepter ?
 
Pour une raison qui lui échappait, l’offre paraissait extrêmement généreuse aux yeux d’Erin. Bien sûr qu’elle l’était, mais elle ne pouvait pas accepter, n’est-ce pas ?
 
Pourquoi pas ?
 
Parce que…
 
Erin secoua légèrement la tête.
 
“Non, mais j’ai… j’ai une auberge.”
 
Le sourire de Lady Magnolia ne vacilla pas. Elle leva sa tasse de thé à ses lèvres et but une petite gorgée.
 
“Ah, mais n’est-ce donc pas terriblement dangereux ? Ne serait-il pas plus facile de se détendre ici, dans le confort de ma demeure, plutôt que de risquer ta vie à faire un métier aussi difficile ?3
 
“Je l’aime bien. Je veux dire, c’est difficile, oui, mais…”
 
Erin voulait accepter l’offre généreuse de Magnolia. Une partie d’elle, du moins. Mais une autre pensait à tous ceux qu’elle devrait abandonner derrière elle. Ceria, Selys, Krshia qui avait des ennuis, Toren, Pisces, Loks, même Lyonette. Qu’allait faire cette dernière si elle n’était plus là ? Et puis, il y avait Ryoka… Mais Magnolia parlait plus vite à présent, et Erin se surprit à écouter chacun de ses mots avec intensité.
 
“C’est beaucoup mieux si tu restes ici avec les autres. Ils deviendront d’excellents aventuriers, et vous serez tous en sécurité ici. Tu n’es pas d’accord ?
 
Erin hésita. Mais une seconde seulement. Pourquoi essayait-elle de discuter ? Lady Magnolia avait été tellement généreuse avec elle et tous les autres gens de son monde. Pourquoi n’acceptait-elle pas ? Elle serait bien ici, heureuse…
 
Mais ses amis seraient tristes. Erin le savait, et cela lui faisait mal, mais son désir de dire “oui” était beaucoup, beaucoup plus fort.
 
Et elle hésita donc. Une seconde seulement. Mais cet instant fut une éternité au bord de laquelle Erin se tint, le regard fixé sur la fourche sui interrompait la route de sa vie. Elle tint sa propre destinée entre ses mains, et pesa chacun de ses choix, en se remémorant le passé.
 
Une seconde devint un moment. Un moment devint un jour, puis une année. L’année devint éternelle. Et dans cet instant immortel, Erin comprit que quelque chose n’allait pas.
 
Elle ne contrôlait rien. Parce que tandis que son esprit examinait le choix qui se présentait à elle, chaque parcelle de son cœur pointait en direction de son auberge. Et pourtant… quelque chose lui disait de dire oui.
 
Quelque chose n’allait pas. Erin le sentait. C’était une sensation à l’arrière de son crâne, la même qu’elle avait ressentie pendant toute la conversation. Sauf qu’alors, Erin n’avait pas su qu’elle était là, tellement la sensation avait été insidieuse et discrète. Et pourtant, elle était à présent dévoilée au grand jour, révélée par sa propre Compétences et par le temps implacable.
 
Une seconde s’écoula. Lady Magnolia regardait Erin avec intensité, tout comme Ressa.
 
“Alors ?”
 
Un parfum de lavande flottait dans les airs. Erin frissonna. Sa bouche s’ouvrit pour dire oui. Elle se mordit la langue.
 
“Mmngh !”
 
La bouche d’Erin s’emplit de sang, et la douleur fusa dans son esprit, la libérant de ce qui l’enchaînait. Lady Magnolia cligna des yeux, et Erin renversa la table d’un coup de pied, envoyant voler les tasses et les pièces d’échecs.
 
Lady Magnolia contempla les objets en train de voler, sous le choc. Une théière remplie de liquide chaud vola en direction de sa tête. Elle ne leva pas les bras pour se protéger ni ne tenta de s’écarte. Elle se contempla de regarder fixement la théière d’un air vaguement surpris.
 
Une main surgit et saisit la théière au vol. Un corps s’interposa, et le liquide chaud s’éclaboussa sur son dos. Ressa jeta la théière et tendit la main vers Erin. La fille vit la main se tendre vers sa gorge, aussi vive que l’éclair…
 
“Arrête.”
 
Ressa s’arrêta. Elle recula, et l’échiquier s’écrasa contre un mur, le bois délicat se brisant sous la force de l’impact. Les pièces d’échecs retombèrent en pluie sur le tapis et Lady Magnolia soupira.
 
“Teriarch m’avait dit que cela arriverait un jour ou l’autre. Mais pourquoi cela devait-il arriver lorsque j’avais sorti ma théière préférée ?”
 
Erin regarda fixement Ressa. Son [Instinct de Survie] sonnait bruyamment sous son crâne. L’[Intendante] dévisageait Erin, mais son regard n’avait rien de celui d’une servante. Elle avait l’air prête à tuer.
 
“Ressa. Ton ravissant postérieur est devant mon nez. Écarte-toi, s’il te plaît, et envoie quelqu’un nettoyer tout ça.”
 
Ressa marqua une pause. Elle se tourna et Lady Magnolia lui tapota le bras.
 
“Tout va bien. Erin ne va pas essayer de me tuer, je pense. N’est-ce pas ?”
 
“Hum. Oui ?”
 
“Très bien, alors.”
 
Ressa hésita, puis se décala vivement sur le côté. Elle sortit une cloche de sa poche et la fit tinter. Quatre secondes plus tard, la porte s’ouvrit et des servantes se précipitèrent à l’intérieur. Elles stoppèrent net en voyant le bazar, mais Ressa se mit à donner des ordres secs et elles se mirent en action.
 
“Suis-moi, je te prie. Je pense que nous ferions mieux de les laisser se mettre au travail, et je n’aimerais pas les gêner.”
 
Lady Magnolia hocha la tête en direction de la porte. Erin se leva et suivit la femme, Ressa se tenant désagréablement près d’elle.
 
“Ressa ! Arrête de faire ça !”

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 27 janvier 2021 à 16:39:20

 
2.38 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

Deux minutes plus tard, elles se trouvaient dans un autre petit salon, un peu plus grand et où l’intimité - et le rose - de la première salle avait disparus. Lady Magnolia soupira en s’asseyant. Elle regarda Ressa.
 
“J’espère que le thé ne t’a pas trop brûlée.”
 
“Il était tiède.”
 
“Et ta robe ? Je t’en prie, n’hésite pas à aller te changer.”
 
Ressa jeta un regard à Erin avant de répondre.
 
“Je suis parfaitement à l’aise, milady.”
 
“Têtue.”
 
Lady Magnolia soupira, mais elle se retourna vers Erin. Cette fois-ci, elle ne sourit pas, mais se contenta de regarder Erin. Tout simplement.
 
Puis tout recommença. Parce que son regard était comme un feu de projecteur, et il clouait Erin sur place. C’était le même regard qu’elle avait adressé à Erin lorsqu’elle était entrée pour la première fois ; un regard scrutateur qui essayait d’arracher tout ce qui constituait Erin et de voir son moi profond.
 
Erin soutint son regard. Elle n’était pas très douée pour ça, mais elle s’était grandement améliorée. Et à présent qu’elle savait ce qu’il se passait, la colère alimentait son regard noir et à peu près tout le reste. Son estomac tenta de se contracter, mais même cela n’était rien comparée à la terreur pure qu’Écorcheur lui avait infligée.
 
C’était comme regarder fixement un moteur à réaction, ou le soleil. Erin avait l’impression d’être presque sur le point d’exploser - son corps tremblait sous le simple effort de rester immobile. Mais elle soutint tout de même le regard de Magnolia.
 
Puis tout fut terminé. Lady Magnolia cilla, et Erin put détourner le regard. Elle se tourna et vit que Ressa était debout loin d’elles, et regardait le mur. La servante se retourna en direction des deux femmes, et Lady Magnolia soupira.
 
“Je ne peux plus sous-estimer qui que ce soit dernièrement, apparemment. D’abord Ryoka, puis toi. Je pensais qu’elle était plutôt unique, mais elle n’était peut-être que peu commune.”
 
Erin ne comprit pas de quoi elle voulait parler. Elle regarda fixement Lady Magnolia et se demanda ce qu’elle devait lui dire.
 
“Qu’est-ce que tu veux ?”
 
“Peu inspiré.”
 
Lady Magnolia fronça les sourcils.
 
“Excuse-moi ?”
 
Erin fronça également les sourcils. Lady Magnolia secoua la tête.
 
“Après toute cette perspicacité, cette force de volonté, et ce talent louable aux échecs, ce n’est vraiment pas une question à ta hauteur, Erin Solstice.”
 
Un petit gouffre de colère bouillonnait dans l’estomac d’Erin depuis qu’elle avait compris ce qui lui arrivait. Il s’élargit un peu plus.
 
“Désolée de ne pas être suffisamment intelligente pour poser les bonnes questions.”
 
“Oh, chut.”
 
Lady Magnolia tendit la main et donna une pichenette sur le nez d’Erin. La fille cligna des yeux, outrée, et la femme reprit la parole.
 
“Je suis en train de te complimenter, Miss Solstice. Tu as plutôt brillamment déjoué deux de mes manigances, ce qui arrive tellement rarement que je suis sous le choc. Et pourtant, tu restes plutôt naïve sur d’autres sujets, ce qui est la raison pour laquelle je vais être extraordinairement franche.”
 
“Merci. QU’est-ce que c’était que tout… ?”
 
“J’essayais de te persuader de rejoindre le groupe de piètres individus que j’ai réussi à empêcher d’être découpés en morceaux ou battus à mort pour que je puisse te protéger. J’avoue que je testais également tes capacités aux échecs dans l’espoir que tu puisses m’être utile, mais mon objectif principal était de te séquestrer loin du monde où tu ne pourrais plus faire de dégâts.”
 
Lady Magnolia déclara ceci d’un ton brusque, terre-à-terre, d’une voix d’où avaient disparus tout sourire ou charme. Elle contempla Erin. Erin soutint son regard.
 
“Pourquoi ?”
 
“Parce que je pensais que tu n’étais pas comme Ryoka Griffin. À présent, je pense que c’est Ryoka Griffin que je dois mesurer à toi.”
 
“Je ne comprends pas ce que tu veux dire.”
 
“Très bien. Je n’aimerais pas que tu sois aussi perspicace pour tout comme tu l’es pour esquiver mes Compétences.”
 
Erin ne savait pas non plus ce que signifiait le mot perspicace, mais elle se mordit la langue et écouta. Lady Magnolia marqua une pause.
 
“Du thé, s’il te plaît, Ressa. Framboise, je pense. Glacé.”
 
Ressa hocha la tête, et Lady Magnolia se retourna vers Erin.
 
“Lorsque j’ai rencontré Ryoka Griffin pour la première fois, j’ai cru une chose. J’ai cru que j’avais soit rencontré la jeune femme la plus douée et incroyable que je n’avais jamais vue, ou que j’avais rencontré quelqu’un qui possédait des connaissances qu’elle ne pouvait pas possiblement acquérir dans ce monde. Possiblement les deux.”
 
Lady Magnolia agita les doigts, et Erin vit qu’elle tenait de nouveau son monocle. Elle regarda Erin à travers ce dernier encore une fois en fronçant les sourcils, et poursuivit.
 
“Je pensais qu’elle était unique, mais j’ai vite appris que ce n’était pas le cas. J’ai rapidement compris qu’elle n’était qu’une parmi tant d’autres, et cela m’a conduite à trouver d’autres comme elle et à les questionner.”
 
“En les torturant ? Est-ce que vous avez trouvé les autres de manière à les…”
 
“Non, et non. Je les ai trouvés parce qu’ils étaient en danger. Deux groupes étaient morts, terrassés par les monstres avant même que je ne réalise qu’il fallait faire quelque chose. J’ai failli arriver trop tard pour la pauvre Imani, mais j’ai fini par la sauver. Les autres, y compris la jeune Rose, étaient beaucoup plus faciles à localiser et à récupérer. Et je leur ai demandé des informations sur leur monde, utilisant mon [Charme] pour les persuader de me révéler plus de choses qu’ils ne l’auraient fait d’ordinaire, certes, mais ce n’était pas très difficile. Une boisson et une charmante jeune femme ou un charmant jeune homme à l’écoute font des merveilles.”
 
Erin voulait bien la croire. Elle essayait de suivre ce qu’il se passait, et c’était difficile parce qu’elle avait encore la nausée après ce qu’il venait de se passer.
 
D’abord, Lady Magnolia avait été gentille. Puis il s’était avéré qu’elle utilisait une Compétence sur Erin, d’où le renversement de la table. Mais elle ne voulait pas que Ressa lui fasse exploser la cervelle, ce que l’[Intendante] était possiblement peut-être capable de faire. Donc Erin était sauvée. Et il s’avérait à présent que Lady Magnolia voulait trouver tous les gens du monde d’Erin parce qu’elle avait rencontré Ryoka. Parce que… ?
 
“Pourquoi ? Pourquoi fais-tu tout ça ?”
 
Lady Magnolia leva les yeux au ciel, mais Erin l’interrompit.
 
“Je ne suis qu’une fille. D’un autre monde, d’accord, mais pourquoi es-tu si intéressée par nous ? Est-ce que c’est parce qu’on connaît des choses que tu ne connais pas ?”
 
“Tu viens d’un autre monde. Bien sûr que tu connais beaucoup de choses que nous ne connaissons pas. Je voulais savoir exactement de quoi il s’agissait, et lorsque j’ai compris qu’il y avait une énorme différence technologique entre nous, j’ai immédiatement décidé que toi, Ryoka, et quiconque provenant de ton monde ne devait pas être autorisé à se déplacer librement.”
 
“Pourquoi ?”
 
“J’aimerais vraiment que tu cesses de me poser cette question. Tu es suffisamment intelligente pour savoir pourquoi.”
 
Erin réfléchit.
 
“Les armes à feu ?”
 
“Entre autres, oui. Mais l’existence même d’un autre monde rendrait nombre de Rois et d’imbéciles fous ce qui pourrait mener à une guerre que je suis certaine, absolument certaine que mon monde perdrait. Les nations de ton monde possèdent des armes bien trop mortelles pour toutes sauf les plus grandes magies, et le coût serait bien trop élevé, de toute manière.”
 
Lady Magnolia leva les yeux sur Ressa qui s’approchait avec une théière. Elle accepta sa tasse et Erin refusa la sienne.
 
“Si j’avais eu l’intention de t’empoisonner ou de te droguer… enfin, peut-être que tout le monde n’aime pas la framboise. Je me délecte des choses sucrées. Mais je digresse ; même en oubliant la connaissance de l’existence de ton monde, n’importe quelle arme de ton monde serait mortelle si la connaissance de leur fabrication venait à s’ébruiter. Heureusement, aucun des enfants que j’ai trouvé ne sait en détail comment les créer, et j’ai encore changé d’avis.”
 
Sa main se resserra sur l’anse de sa tasse, et Erin réalisa que la voix de Lady Magnolia tremblait légèrement.
 
“Les technologies dont ils parlent avec tant de légèreté pourrait dévaster ce monde, mais heureusement, aucun d’entre eux ne sait comment fabriquer ce qu’ils prétendent possible.”
 
Ressa hocha la tête, ce qui était l’un des rares mouvements qu’Erin l’avait vue faire. Magnolia poursuivit.
 
“Les quelques experts que je connais et un de mes… confidents mondains m’ont assurée que même si ce savoir a été diffusé, ce dont je suis certaine, cela prendra des années et beaucoup de travail pour produire des armes à grande échelle. Et je fouillerai ce monde à la recherche de préparations de ce type et les écraserai où qu’elles soient.”
 
Cela avait l’air d’être une bonne idée. Et c’était le cas, pas vrai ? Erin ne savait pas trop qu’en penser.
 
“Et par conséquent, je me retrouve à mon point de départ. Je crois que Ryoka Griffin est une jeune femme extraordinaire, ne serait-ce que parce qu’elle sait quand fermer sa bouche.”
 
Lady Magnolia contempla Erin en sirotant un peu de thé. Erin croisa les bras.
 
“Et que vas-tu faire ?”
 
“Te jeter cette tasse au visage si tu continues à poser des questions de ce genre.”
 
“Très bien. Que comptes-tu faire au sujet de Joseph, Rose, Imani et tout le reste ?”
 
“J’ai l’intention d’accéder à leurs requêtes. Tu sais qu’ils m’ont supplié - à plusieurs reprises - de les laisser devenir des aventuriers ? Tous les jeunes hommes paraissaient excités à cette idée, comme c’est souvent le cas chez les jeunes hommes. Les jeunes femmes voudraient voyager de villes en villes, les poches remplies d’or, et faire les magasins, si j’ai bien compris.”
 
Erin fronça les sourcils.
 
“Ils m’ont parlé de ça, en effet. Joseph dit que tu vas les aider. Leur donner des armes et des armures magiques.”
 
“Oui, et ils sont plutôt enthousiasmés par cette perspective. J’ai dans l’idée de les envoyer se promener avec quelques guides et de les laisser s’enrôler en tant qu’aventuriers Bronze, avec peut-être quelques pièces et quelques artefacts choisis. Qu’en penses-tu ?3
 
Elle n’eut même pas besoin de réfléchir. Erin répondit instantanément.
 
“Ils mourraient tous en trois secondes.”
 
Ressa acquiesça. Magnolia sourit brièvement.
 
“Ce serait amusant, ou peut-être, triste à voir. Je ne crois pas qu’aucun d’entre eux n’ait jamais tué quelque chose dans leur vie, ni même aidé à équarrir un animal. C’est peut-être ce qui a forgé leur opinion. Seule la jeune Imani parait sensée et elle est folle de douleur.”
 
Erin fusilla Magnolia du regard. C’était donc son plan.
 
“Est-ce que tu vas me tuer aussi ?”
 
“Te tuer ? N’as-tu donc rien écouté de ce que je viens de te dire ?”
 
“Mais tu as dit...”
 
“J’ai dit que je les enverrai devenir aventuriers. Mais je ne les laisserai pas mourir. Je crois que quelques blessures sans gravité et une saine dose de terreur leur ferait du bien.”
 
“C’est méchant.”
 
“Au contraire, c’est plutôt généreux étant donné que je ne leur dois rien et que je leur sauve la vie sur le long terme.”
 
Erin fronça les sourcils.
 
“Tu les traites comme des pions ou… ou des gens à manipuler. C’est mal.”
 
Lady Magnolia soupira, irritée.
 
“Je cesserai de les traiter comme des pions lorsqu’ils cesseront de traiter mon monde comme un jeu. En l’état, le groupe ivre de jeunes voyageurs en-dessous de nous sont des individus irréfléchis, négligents qui insultent mes serviteurs, font des dégâts, vomissent sur les tapisseries, et ne comprennent pas la gravité de la situation. Je pense que la moitié d’entre eux sont convaincus que ceci est une réalité fictive, ou peut-être un rêve, ou une espèce de jeu grandeur nature.”
 
Erin se mordit la lèvre. Elle ne pouvait pas le nier. Lady Magnolia marqua une pause, puis reprit la parole.
 
“Ils ne sont pas tous aussi stupide. Rose, par exemple, semble comprendre la nécessité de rencontrer d’autres gens de ton monde, ce qui est la raison pour laquelle je la surveille au cas où elle tente d’appeler de nouveau avec ce… téléphone. Et Imani a peur, et à raison, de sortir ; je pense que je lui donnerai une chambre loin des autres à présent que tu lui as permis de se livrer.”
 
Tout cela paraissait encore suspect aux yeux d’Erin. Elle regarda fixement Lady Magnolia et leva la main comme si elle était à l’école. Magnolia lui jeta un regard décontenancé.
 
“Est-ce que je peux poser une question ? Pourquoi est-ce que je suis ici ?”
 
“Tu es ici parce que j’ai cru que tu étais comme le reste d’entre eux. J’avais l’intention de te confiner, peut-être après t’avoir enseigné quelques leçons au sujet de ce monde et des dangers dont il regorge.”
 
“Et à présent ?”
 
“J’imagine que tu vas devoir retourner à ton auberge. À moins que tu ne souhaites accepter mon offre d’hospitalité. Je ne la retire pas, et je te permettrais de voyager si tu le souhaitais.”
 
“Pourquoi ?”
 
Lady Magnolia resta silencieuse. Elle regarda derrière Erin.
 
“Ressa.”
 
Une main claqua légèrement Erin à l’arrière du crâne. Erin glapit et se tourna, mais Ressa regardait droit devant elle, le visage dénué d’expression. Lady Magnolia tapota sa tasse d’un ongle pour attirer l’attention d’Erin.
 
“Je te prie de considérer ma position, Erin Solstice. J’ai trouvé des visiteurs, ou peut-être des réfugiés d’un autre monde. Ils connaissent des armes terribles, mais n’ont pas les connaissances pour les créer. Et pourtant, la seule connaissance du fait que ce genre de choses peuvent être créées est suffisante pour causer la destruction, sur le long terme. Et ces enfants - oui, enfants - sont, pour la plupart, impotents. Ils sont des aimants ambulants à chaos, et je n’aime pas le chaos.”
 
Erin se réadossa et réfléchit à tout cela.
 
“Oui. Les armes à feu seraient une mauvaise idée.”
 
Une main lui talocha de nouveau l’arrière du crâne. Erin se retourna, et Lady Magnolia sourit.
 
“Je pense que cette jeune femme va te frapper si tu refais ça, Ressa. Et elle a à la fois les compétences [Rixe de Taverne] et [Attaque du Minotaure]. Je ferais attention, si j’étais toi.”
 
“Comment est-ce que tu le sais ?”
 
Lady Magnolia souleva le monocle posé sur ses genoux.
 
“Un petit appareil que m’a créé par un ami. Cela me permet de lire les [Compétences] et les [Niveaux], sauf s’ils sont cachés. J’adorerais savoir l’utilité d’[Instant Immortel] et [Mets Prodigieux], d’ailleurs. Mais pour répondre à ta question… oui, la plupart des technologies décrites par les autres ont l’air incroyablement dangereuses. Je ne souhaite pas que leur existence devienne de notoriété publique.”
 
Erin se frotta le crâne et acquiesça.
 
“C’est de ça dont Ryoka avait peur. Elle ne veut pas que qui que ce soit découvre ce que nous savons.”
 
“Et c’est la raison pour laquelle je veux lui parler. Mais, et c’est ironique, elle est la seule personne qui ne fasse pas confiance, et à raison, aux gens comme moi.”
 
“Et ce n’est pas malin ?”
 
“Oh, bien sûr que si.”
 
Lady Magnolia agita la main. Elle vida sa tasse et la reposa sur la table.
 
“C’est un excellent postulat. Mais en ce cas précis, je pense que Miss Ryoka et moi-même… et même toi, Erin... sont du même côté.”
 
“Et quel côté est-… “
 
Erin se tourna vers Ressa. Ses mais n’avaient pas bougé, mais ses lèvres étaient agitées d’un tic. Erin fronça les sourcils.
 
“Quel côté est-ce ? C’est une bonne question !”
 
Ressa haussa les épaules, impassible. Lady Magnolia se frotta les yeux.
 
“J’imagine que oui ? Erin, nous sommes du côté de celles qui veulent la paix, la prospérité, et l’absence de monstres ou de guerres. Je pense que je peux me permettre d’établir ce fait.”
 
“C’est juste. Je suis de ce côté.”
 
Erin acquiesça avec réticence. Lady Magnolia acquiesça à son tour.
 
“La plupart des gens le sont, mais les problèmes surviennent lorsque des individus égoïstes placent leurs propres désirs au-dessus de cette cause. D’où les guerres intestines et les querelles mesquines que l’on retrouve à la fois chez les Drakéides et les Humains de ce continent, et, dans une moindre mesure, chez les Gnolls.”
 
Elle soupira.
 
“Nous perdons du temps et des ressources à nous entretuer alors que le véritable ennemi devient de plus en plus fort. Ah, si seulement les [Lords] et les [Ladies] de ce continent pouvaient voir ce que je vois. Mais bien sûr, certains le voient et d’autres ne font que prétendre le voir. La vision n’est pas héréditaire, j’en ai bien peur. Et l’opinion a plus de valeur.”
 
“Tu as donc peur que ces nobles causent des ennuis s’ils apprennent ce que nous - je - les gens de mon monde savons ?”
 
N’importe qui causerait des ennuis avec un tel savoir, Erin. N’importe qui. Mais certains seraient plus dangereux que d’autres, je l’admets.”
 
Erin fronça les sourcils. Elle avait besoin d’un bloc-notes, ou de quelque chose pour écrire pour tout déchiffrer. Mais elle fit de son mieux.
 
“Permets-moi de résumer. Tu as trouvé Ryoka, et compris qu’elle venait d’un autre monde.”
 
“Qu’elle venait possiblement d’un autre monde. J’avais d’autres soupçons au début.”
 
“D’accord, mais tu l’as trouvée et tu as trouvé les autres. Et quand tu as compris que nous savions tous des trucs nuls…”
 
Lady Magnolia grimaça au choix des mots d’Erin. Erin la fusilla du regard.
 
“... Tu as décidé de tous nous garder enfermés ici pour qu’on ne cause pas d’ennuis. Mais tu me laisses m’en aller ?”
 
“Parce que tu n’es pas aussi irréfléchie que le reste, et de plus, parce que je crois que tu feras plus de bien dehors que derrière un verrou.”
 
“Et Ryoka ?”
 
“Pareil, même si ma vie serait tellement plus simple si elle consentait à m’aider.”
 
“Pour que tu puisses créer des armes à feu ?”
 
“Non.”
 
Lady Magnolia répondit d’un ton sans timbre. Elle plongea son regard dans celui d’Erin.
 
“Je ne créerai jamais ces armes. Sauf si quelqu’un en a déjà tellement produit qu’elles sont devenues monnaie courante.”
 
“Pourquoi ?”
 
“¨Pour un millier de raisons, parmi lesquelles le fait que cela détruirait ce monde. Ryoka le sait, ce qui est la raison pour laquelle elle m’a soigneusement évitée de peur que je n’utilise de telles armes.”
 
Erin hocha la tête. C’était ce que Ryoka avait dit, plus ou moins, et elle pensait donc pouvoir croire Lady Magnolia sur ce point.
 
“Et où se trouve Ryoka ?”
 
La femme hésita. Elle regarda fixement Erin, puis secoua la tête.
 
“Si elle ne te l’a pas dit, j’honorerai sa discrétion de Coursière. Je m’inquiète pour elle, bien sûr, mais nous devons faire des paris, et j’aime assez l’idée de jeter les dés, surtout si mon dé est Ryoka Griffin.”
 
“Tu paries sur sa vie ?”
 
Lady Magnolia parut insultée qu’Erin ait l’air mécontente.
 
“Bien sûr. Toutes les personnes d’importance et de pouvoir du continent sont des joueurs qui parient sur les enjeux les plus élevés, Erin Solstice. Sauf la Grande Reine des Antiniums. J’ai bien peur qu’elle ne prenne que les paris sûrs avec des risques acceptables. Mais jusqu’à ce que je sois certaine de ne jouer que contre elle, je dois me résigner à l’incertitude. Et pour minimiser ce risque, je considère qu’il est important d’apprendre à connaître les gens.”
 
“Comme moi.”
 
“Si tu veux. À présent, permets-moi de te rassurer sur certains points. Je ne mettrai pas les autres jeunes gens de ton monde en danger… sans raison. Je ne partagerai pas non plus leurs dangereux secrets, sauf bien sûr s’il s’agit de quoi que ce soit de ton monde qui ait vraiment de la valeur et qui puisse être utilisé dans celui-ci. J’aimerais beaucoup goûter une pizza et un hamburger, tu sais. Tu pourrais peut-être laisser la recette à mon [Chef] avant de partir ?”
 
“Hum…”
 
“Je ne souhaite également pas vous gêner, Ryoka et toi, de quelque manière que ce soit. Je ne désire que votre coopération et peut-être votre aide. Ou plutôt, je désire la coopération et l’aide de Ryoka, mais je vais t’inclure aussi.”
 
“Pour faire quoi, exactement ? Rendre le monde meilleur ?”
 
“Si tu pouvais faire ça, je t’en serais très reconnaissante. Non… pour m’aider à vaincre l’unique ennemi qui menace réellement ce continent. Les Antiniums.”
 
Le cerveau d’Erin se figea à ces mots. Elle s’éclaircit la gorge, en se disant qu’elle aurait dû prendre une autre tasse de thé, et prit la parole.
 
“Les Antiniums… ne sont pas tes ennemis.”
 
Lady Magnolia leva un doigt en l’air.
 
“Quelques Antiniums de ta connaissance ne sont peut-être pas mon ennemi. Mais le reste, si. En effet, si leur Reine le leur ordonnait, je ne parierais vraiment pas qu’ils ne te trancheraient pas en morceaux.”
 
Erin déglutit.
 
“Pion et Klbkch ne feraient pas ça.”
 
Lady Magnolia haussa un sourcil incrédule.
 
“Vraiment ? À quel point connais-tu les Antiniums ? À quel point connais-tu le passé de Klbkch le Tueur ?”
 
Klbkch le Tueur ? Erin n’avait jamais entendu ce titre. Elle ouvrit la bouche, mais la femme la fit taire d’un geste de la main.
 
“Je suis Lady Magnolia Reinhart. Je n’ai pas d’ennemis sur ce continent, à ce que l’on dit. Et pourtant, je considère les Reines Antiniumes comme mes pires ennemies. Penses-y un instant, et, pitié, réfléchis avant de répondre.”
 
Erin ouvrit la bouche, hésita, fusilla Ressa du regard, puis réfléchit. Magnolia l’observa, non pas sans sympathie.
 
“Les Antiniums se battent de manière très similaire aux soldats de ton monde, si j’ai bien compris.”
 
Erin cligna des yeux. Lady Magnolia sourit et s’expliqua.
 
“Je veux dire qu’ils se battent en considérant que tous leurs soldats sont égaux. Ils entraînent leurs guerriers pour qu’ils soient excellents, mais aucun individu n’est meilleur qu’un autre dans leur doctrine. La raison pour cela est que les Antiniums ne gagnent pas de niveaux. Mais les autres armées se battent différemment.”
 
Lady Magnolia leva sa tasse, laissa Ressa la lui remplir et but une petite gorgée avant re reprendre. Erin vit Ressa jeter un regard à sa maîtresse, et quelque chose passa sur le visage de la servante. On aurait presque dit… de l’inquiétude ?
 
“En ce monde, un individu peut changer le cours d’une bataille. Un héros peur gagner une guerre à lui seul. Et c’est parce que nous gagnons des niveaux. Les armées protègent leurs guerriers de plus haut niveau, ou prennent le risque de les mettre en danger pour qu’ils fassent des dégâts dans les forces ennemies. Mais une centaine de [Soldats] niveau 15 ne valent pas la vie d’une unique [Avant-Garde] Niveau 30. Nous sacrifions donc le nombre pour le bien de quelques individus, de manière qu’ils puissent devenir encore plus forts. Voilà ce qui différencie nos deux mondes.”
 
Erin essaya de se le visualiser. Ce n’était pas si difficile que ça, d’ailleurs. C’était comme… des superhéros. Ils pouvaient combattre des armées entières à eux seuls, et c’était un peu comme des guerriers de haut niveau, pas vrai ? Lady Magnolia hocha la tête.
 
“À présent, réfléchis à ceci. Que se passerait-il si la technologie de ton monde se retrouvait entre les mains des Antiniums ? Ou plutôt, leurs palpes ?”
 
Erin tenta de visualiser l’image. Son cœur se serra.
 
“Des armes de guerres. Les tanks, vos avions volants, et, bien sûr, les “bombes”. Des armes terribles qui ne nécessitent pas de niveaux pour être utilisées. Et encore pire, les armes à feu. Des armes avec une portée exceptionnelle, capables de tirer plus vite qu’une arbalète à répétition lorsqu’elles sont correctement fabriquées. De telles armes permettrait à des enfants d’abattre même le plus grand des guerriers. Toutes les races s’arracheraient cette technologie et s’en serviraient pour tuer, mais ce sont les Antiniums qui en bénéficieraient le plus. C’est la raison pour laquelle cette technologie ne doit pas advenir dans ce monde.”
 
Là encore, Erin leva la main. Elle la baissa en voyant Magnolia la regarder fixement.
 
“Hum, mais alors pourquoi ne décides-tu pas de simplement utiliser un pistolet ou autre et de ne pas partager son mode de fabrication ?”
 
“À part le fait évident que n’importe quelle arme peut être utilisée contre sa propriétaire, j’ai pu constater par le passé que rien ne restait secret très longtemps. Dès l’instant où l’on utilisera une arme, elle sera copiée un millier de fois. N’as-tu jamais constaté ce phénomène ?”
 
Erin songea aux hamburgers et ne put rien répondre. Lady Magnolia soupira de nouveau.
 
“Si ces ‘armes à feu’ devaient devenir monnaie courante, deux groupes bénéficieraient le plus de leur usage. En moins de dix ans, la Maison de Minos céderait sous les coups de son ancien ennemi et les Antiniums balaieraient le continent.”
 
Un autre silence.
 
“Si les choses étaient différentes, et si j’étais moins prudente, je pourrais même songer à produire moi-même ces appareils, qu’importe le risque, pour m’occuper des Antiniums. Avec ces armes, je pourrais créer une armée capable de tuer des Dragons, une force qui humilierait même Flos sur un champ de bataille. Mais je suis un peu plus sage que cela. Avant même que je ne vainque les Antiniums - et cela n’est pas entièrement gagné d’avance - le monde entier serait armé de cette manière, et nous raserions des cités et des espèces entières avant que ne se termine le bain de sang. Non.”
 
Erin resta silencieuse un moment. Elle ne savait pas quoi penser de Lady Magnolia. Cette dernière sirota son thé en silence en observant Erin. Enfin, Erin leva les yeux.
 
“Je ne pense toujours pas qu’ils soient vos ennemis. Les Antiniums, je veux dire.”
 
“Tu ne connais pas leur histoire. Tu n’as pas vu ce dont ils sont capables.”
 
“Tuer des gens ? Mais les Humains font ça aussi.”
 
“Et nous sommes une espèce monstrueuse. Mais les Antiniums sont malheureusement plus doués pour tuer que nous, et leurs Reines ont déjà essayé d’éliminer toutes les espèces vivantes de ce continent par le passé. Réfléchis, Erin. Même en temps de guerre, les [Lords] et les [Généraux] épargnent souvent les civils. C’est une règle d’honneur pragmatique. Les [Soldats] eux-mêmes n’apprécient pas ce niveau de violence, et les rares responsables de massacres sont condamnés par toutes les nations.”
 
Elle leva un doigt en l’air.
 
“Mais les Antiniums nous ont combattus de cette manière dès le début. Ils ne laissent aucun survivant. Et de plus, ils n’établissent jamais de paix permanente. Je crois qu’ils se contentent d’attendre depuis la dernière Guerre Antiniume, réunissant des forces pour la dernière guerre lors de laquelle ils vaincront et nous massacreront tous jusqu’au dernier.”
 
Erin ne pouvait pas y croire. Klbkch, faire ce genre de chose ? Mais… elle l’avait vu tuer des Gobelins, une fois. Et pourtant Pion…
 
“Je ne parle pas des individus, mais de leurs Reines. Elles sont sans cœur et n’ont cure des autres espèces. Si tu ne crois pas les Antiniums que tu connais capables de ça, crois-moi sur ce point.”
 
Erin en était capable. Elle se souvenait de la Reine, et de sa froideur en parlant de Klbkch, son sujet.
 
“Alors, c’est ça, ta raison ? Tu es en guerre et tu veux notre aide ?”
 
“... Si tu veux le dire comme ça, oui. Ou plutôt, j’espère simplement que vous n’aggraverez pas les choses. Je ne m’attends pas à grand-chose de ta part.”
 
“Hey, c’est… !”
 
“Juste.”
 
Erin ouvrit la bouche. Lady Magnolia la dévisagea. Erin referma la bouche.
 
“Erin Solstice. Une jeune femme qui traite les Gobelins comme des égaux et enseigne aux Antiniums à devenir des individus. Cela fait de toi quelqu’un d’extraordinaire, mais ne permettra pas de gagner la guerre.”
 
Lady Magnolia tapota ses doigts sur sa cuisse.
 
“Je n’aimerais rien de plus que les Antiniums ne deviennent tous des individus. Cela signifierait qu’ils sont des gens, et les gens peuvent être manipulés, flattés, achetés, intimidés, ou menacés. Un essaim se contente de tout dévorer sur son passage. Mais cela ne se produira pas, parce que la Reine de Liscor a beau être une visionnaire, le reste des Reines et la Grande Reine n’ont pas les mêmes idéaux qu’elle. Non, cela ne changera pas ce qui doit se produire.”
 
“C’est-à-dire ?”
 
“La guerre. Et pas une simple guerre. Une guerre mondiale, comme ce dont me parlaient ton peuple.”
 
Lady Magnolia était calme. Elle regarda le soleil couchant par la fenêtre.
 
“Peut-être qu’elle ne commencera pas sur ce continent, mais elle arrivera bientôt. L’idée flotte déjà dans les airs, se murmure d’oreille en oreille.”
 
Erin sentit un frisson glacé la parcourir.
 
“Comment le sais-tu ?”
 
“Les murmures. Les Îles de Minos se sont refermées. Peut-être à cause d’un voyageur d’un autre monde ? Leurs ports sont interdit à tous les vaisseaux sauf les leurs, et tous les espions que j’ai implantés dans leur royaume se sont tus. Un Seigneur Gobelin a émergé au sud, et si un Roi décidait de se déchaîner de nouveau, nous risquons tous de tomber sous les coups de la plus jeune espèce avant que les Antiniums ne décident de mener leur attaque.”
 
Lady Magnolia commença à faire une liste sur ses doigts.
 
“Az’Kerash est en train de bâtir une armée de morts, et je prie simplement pour que nous réussissions à l’arrêter. J’enverrais bien des héros le combattra avant qu’il ne déchaîne sa folie, mais ils se font rares. Les Antiniums et lui sont deux de nos ennemis majeurs, bien que l’un soit beaucoup plus dangereux que l’autre. Un individu versus un essaim, vois-tu ? Et puis il y a aussi les fous dangereux chez les Drakéides et les Humains, qui démarreraient un feu pour une brindille. Flos par en conquête, et il est peut-être le moins dangereux de tous. Lui au moins désire créer un royaume plutôt que tout détruire. Et tout ceci est en train de se produire à cause de ton peuple, Erin Solstice.”
 
La pièce avait l’air plus sombre tout à coup, et le soleil couchant n’en était pas la seule raison. Erin tenta de déglutir, mais sa bouche était sèche.
 
“Mon peuple ?”
 
“Nous étions en paix avant votre arrivée, Erin Solstice. Une paix factice, déchirée et pleine de batailles mesquines et de querelles, certes, mais une paix tout de même. Le monde était lentement en train de guérir, mais, trop vite, la paix forgée dans le papier éclatera comme une vieille croûte et la guerre ravagera de nouveau les peuples et leurs terres.”
 
Lady Magnolia s’interrompit. Le voile autour d’elle se leva, et elle tourna la tête.
 
“Mmh. C’était pas mal, n’est-ce pas Ressa ? Il faudra que je le rappelle à Teriarch la prochaine fois qu’on se verra. Tu veux bien le noter ?”
 
“Oui, milady.”
 
Magnolia se tourna de nouveau vers Erin.
 
“Je ne veux pas paraître complètement dénuée d’espoir. Il y a des menaces, certes, mais j’espère que les préparations que j’ai faites nous protégerons de certaines d’entre elles. Ce continent est puissant, et j’ai fait de mon mieux pour m’assurer que le nord était plus fort qu’avant. Mais voilà la vérité. La guerre approche. Et vous autres voyageurs êtes empêtrés dedans.”
 
Erin tenta de respirer mais peina à le faire. Tout paraissait si énorme lorsque Magnolia présentait les choses ainsi.
 
“Que devons-nous faire, alors ? Je veux dire, est-ce que je peux… ?”
 
“Rien. Tu peux aider ceux qui viennent à ton auberge, et peut-être que cela changera des choses. Mais à moins que tu ne connaisses une technologie capable de sauver des vies… ? Les jeunes parlent d’un certain nombre de choses curieuses, mais ils restent terriblement vagues sur les détails. Je continuerai de les questionner à ce sujet, toutefois.”
 
Erin secoua la tête.
 
“Je ne pense toujours pas qu’il soit une bonne chose de les garder enfermés ici.”
 
“Et que veux-tu que je fasse ? Que je les relâche ?”
 
Magnolia fronça les sourcils .Erin haussa les épaules.
 
“Peut-être pas, mais ils ne sont pas aussi stupides que tu ne le crois.”
 
“Les imbéciles le sont rarement. Mais ils sont irréfléchis, ce qui est pire. Que peuvent-ils faire qui ne créerait pas davantage de problèmes ?”
 
“Je ne sais pas. Mais accorde-leur une chance.”
 
Magnolia marqua une pause en sirotant sa tasse.
 
“Une chance ? En tant que quoi, aventuriers ?”
 
“Peut-être. Mais donne-leur simplement une chance de faire quelque chose plutôt que de les enfermer et les laisser être inutiles.”
 
Erin tenta d’expliquer son point de vue.
 
“J’ai cette horrible… cette fille, à mon auberge. Elle crée vraiment beaucoup, beaucoup d’ennuis, mais si je la laissais tranquille, elle mourrait.”
 
“Ah. Lyonette de Marquin. Une fille affreuse. Je ne suis pas certaine que tu devrais t’appuyer sur son exemple.”
 
“Tu la connais ? Je veux dire, elle a dit qu’elle te connaissait…”
 
“Je suis sûre qu’elle a dit ça.”
 
Lady Magnolia grimaça comme si son thé était soudain devenu immonde. Erin se tourna et vit Ressa afficher une expression de dégoût similaire, qui disparut dès qu’elle remarqua qu’Erin la regardait.
 
“Elle dit qu’elle est quelqu’un de très important et que tu vas l’accueillir. Mais le [Majordome], désolée, je veux dire, Reynold - ne voulait pas la laisser venir avec moi.”
 
Magnolia soupira en remuant son thé avec une cuillère en argent.
 
“Elle est certainement… importante, mais j’ai bien peur qu’elle ne surestime sa valeur. Elle m’a écrit nombre de lettres virulentes exigeant que je lui offre l’hospitalité de ma maison. Je n’en ai pas envie.”
 
“Mais elle a failli mourir seule ! Elle s’est fait exiler et serait morte de froid si je ne l’avais pas trouvée !”
 
“Dommage.”
 
Le cœur d’Erin se tut dans sa poitrine un instant. Elle étudia Lady Magnolia.
 
“Ce n’est pas parce que quelqu’un est vraiment… vraiment agaçant qu’il mérite de mourir.”
 
“Cela ne signifie pas non plus que je devrais gaspiller du temps et des ressources pour les sauver.”
 
“Mais cela signifie que tu les tues si tu ne les aides pas. C’est mal.”
 
Un soupir. Erin serra les dents lorsque Magnolia leva les yeux sur elle.
 
“Et s’ils représentent un danger ? Et si les tuer permettrait de sauver des milliers de vies ? Ne serait-pas pas alors le choix moral le plus correct ?”
 
Erin était de plus en plus en colère. Magnolia était… enfin, elle n’était pas une mauvaise personne. Peut-être. Mais elle commençait à sérieusement agacer Erin.
 
“Ce n’est pas à toi de le décider. Dieu… les dieux savent tout, donc j’imagine que s’ils existaient, ils seraient en mesure de dire si c’est bien ou mal. Mais les dieux sont morts. Tout le monde me le dit. Donc personne ne peut décider si ce genre de chose est moral. Tu peux tuer tous les gens que tu veux, mais tu ne peux pas dire que c’était la bonne chose à faire.”
 
“D’accord, alors. J’ai choisi de laisser Lyonette mourir. Je ne le regrette pas, pas plus que je ne regrette d’avoir confiné le reste des gens de ton monde. Je ne peux pas les relâcher dans la nature parce qu’ils y mourraient, et je ne prendrai pas le risque de les laisser diffuser des informations dangereuses, ce qu’ils font avec beaucoup trop de désinvolture. Mais ils épuisent largement mes ressources.”
 
“Et alors ? Tu leur as proposé de les accueillir.”
 
“Pour leur sauver la vie. Mais je vais peut-être finir par décider de les enfermer dans une maison et leur jeter des sacs de grains plutôt que de les garder ici. Ils ne sont pas à la hauteur de cette maison, des gens qui doivent les supporter. Ils mangent, se disputent, parlent de jeu et rient des monstres comme s’ils n’étaient pas dangereux, et parlent de liberté à mes serviteurs comme s’ils étaient des esclaves.”
 
“Ils font ça ? Je veux dire, vraiment ?”
 
Lady Magnolia fronça les sourcils.
 
“L’une d’eux, au moins. Elle ne paraît pas comprendre la différence entre employer une famille volontaire et les forcer à travailler.”
 
“Je suis navrée s’ils ont offensé qui que ce soit. Mais…”
 
“Je vais leur accorder une chance, qu’ils ne méritent sans doute pas. Assez. Il se fait tard, et je souhaite bien te faire comprendre une chose, Erin Solstice.”
 
“Qui est ?”
 
“Les chiffres. Ou plutôt… la valeur.”
 
Lady Magnolia reposa sa tasse et plongea son regard droit dans les yeux d’Erin.
 
“La plus petite Colonie Antiniume - celle sous Liscor - contient au moins trois mille Antinium à chaque instant. Davantage, en ce moment. Au moins deux mille Ouvriers et mille Soldats sont prêts à partir en guerre à tout moment ; j’estime qu’il y en a au moins mille de plus dans leur Colonie. Et c’est la plus petite des six Colonies, si elles ne sont bien que six. Les autres sont plus grandes, d’un facteur impossible à mesurer.”
 
Les chiffres firent vaciller Erin. Trois… non, quatre mille Antiniums ? Pourquoi n’avaient-ils pas aidé lorsqu’Écorcheur avait attaqué ? Mais Lady Magnolia n’en avait pas terminé. Elle pointa Erin du doigt.
 
“Tu vaux deux Soldats Antiniums lors d’une bataille. Ryoka - avec des artefacts, j’imagine qu’elle pourrait en vaincre une douzaine. Deux douzaines. Mais j’en doute sérieusement.”
 
Elle secoua la tête.
 
“Tu as beau être dangereuse, tu as beau être unique, tu ne restes qu’une Humaine, seule. Mais j’ai besoin d’une armée. Je cherche des héros. J’ai des enfants, brillantes et munies d’un panel d’armes qui feraient trembler la terre - sans que je puisse en utiliser une seule sans qu’elles ne soient utilisées contre moi dans le futur. Ryoka Griffin et toi êtes extraordinaires, chacune à votre façon, mais vous êtes encore jeune. Et petites.”
 
Magnolia regarda par la fenêtre.
 
“Je vais espérer que vous releviez les défis auxquels vous serez confrontées. Si je peux vous aider à encourager la croissance ou à m’aider moi, je le ferai. Mais je joue ici à un jeu contre des titans, et je ne suis qu’une petite Humaine.”
 
Erin ne savait pas quoi répondre. Magnolia avait l’air grande et petite à la fois - une géante, de par sa propre volonté, emplie de plus de force que qui que ce soit d’autre qu’Erin ait jamais rencontré - mais encore trop petite face aux choses dont elle parlait.
 
“Si tu en es capable, j’espère que tu persuaderas Miss Ryoka de me rendre visite. J’ai besoin de toute l’aide qu’elle pourra me donner ; tout ce dont elle peut se souvenir. Ces nouvelles potions de défense et les créations alchimiques qu’elle a créées pour moins cher sauveront de nombreuses vies, sur le long terme. Mais convaincre suffisamment de paysans de faire pousser des piments disque d’être compliqué. Les bouteilles sont chères, elles aussi, mais s’il est possible de les transformer en vaporisateur comme me l’assure la jeune Rose…”
 
Magnolia soupira, et dévisagea Erin.
 
“Ce qui me ramène à toi. Toi, Erin Solstice, la fille aux nombreux étranges talents. Tu es douée, et tu es intelligente derrière toutes ces bizarreries, mais tu ne fais qu’entretenir une petite auberge et ne fais que peu de choses de tes talents. Est-ce que tu ne feras jamais rien d’autre ?  Est-ce cela que tu souhaites faire en ce monde, Miss Erin Solstice? Est-ce que tu veux rentrer chez toi, dans ton monde ? À moins que tu ne souhaites rester ici ? Ce monde est empli de merveilles, mais je suis certaine que le tien en contient tout autant.”
 
Ses yeux transpercèrent ceux d’Erin, sans ciller, et la voix de Lady Magnolia semblait être la seule chose présente en ce monde. Erin ne put détourner les yeux sous les coups répétés de ses questions.
 
“Vas-tu protéger ce monde ? Le sauver ? Est-ce que tu souhaites simplement vivre en paix ? À moins que tu ne cherches à le détruire ? Y accordes-tu seulement la moindre importance ?”
 
Erin ouvrit la bouche, mais Lady Magnolia la fit taire.
 
“Je ne crois pas que tu aies une réponse qui ne me donne pas envie de te jeter quelque chose.”
 
“Si.”
 
“Vraiment ? Cette théière est plutôt lourde et relativement chère. Je détesterais devoir la gaspiller.”
 
“Je veux protéger les gens autour de moi. C’est tout. J’ai des amis. Je ne veux pas qu’ils meurent. Je veux les aider, et retrouver un jour le chemin du retour. Et vivre en paix. C’est tout.”
 
Lady Magnolia contempla Erin pendant un long moment.
 
“Humph. Très bien, au moins, tu n’as pas de rêves ridicules. En ce cas, Erin Solstice, cette conversation a beau eu être à la fois délicieuse et agaçante, il me semble qu’il ne me reste qu’une chose à faire de toi.”
 
Erin se tendit. Ressa était allée se placer derrière Magnolia, mais elle était rapide.
 
“Et qu’est-ce donc ?”
 
Lady Magnolia sourit.
 
“Te ramener chez toi.”



***




Un petit groupe se rassembla autour du carrosse. Reynold tint la porte ouverte pour qu’Erin puisse monter, et la fille réalisa que Joseph et Rose la regardaient par la fenêtre. Et essayait de lui crier quelque chose, apparemment.
 
Elle avait voulu aller leur dire quelque chose, mais Lady Magnolia avait mis son veto. Elle avait prétendu qu’elle n’avait aucune envie d’entendre encore une centaine de plaintes et de plus, Erin n’avait rien à dire aux autres qu’ils ne soient pas sur le point d’apprendre.
 
Erin avait acquiescé en silence, mais elle fusilla tout de même Lady Magnolia du regard en entrant dans le carrosse. Elle était relativement certaine de ne pas apprécier la [Lady], mais en public au moins, Lady Magnolia était tout sourire.
 
“Reynold te raccompagnera saine et sauve à ton auberge. J’ai également pris la liberté d’envoyer un repas avec toi, comme j’ai honteusement négligé d’être une bonne hôtesse. Prends soin de toi, je te prie.”
 
“... Merci.”
 
La porte commença à se refermer, mais une main fine s’interposa avant qu’elle ne puisse se fermer. Erin se demanda ce qu’il se passerait si elle claquait la porte, mais Magnolia l’ouvrit. Elle baissa la voix pour qu’Erin soit la seule à pouvoir l’entendre.
 
“Oh, et je voulais te dire, Erin. Bien que je loue ton désir de protéger ceux qui t’entoure, je pense que tu t’apercevras rapidement que cela signifie changer le monde dans son ensemble. Donc ma question demeure : que vas-tu faire ? Est-ce que tu vas essayer de sauver notre monde, ou attendras-tu que d’autres le fassent pour toi ?”
 
Erin dévisagea Magnolia. Cette dernière souriait.
 
“Si je te colle un pain, est-ce que Ressa me tuera ?”
 
Le sourire de Magnolia s’élargit.
 
“Très probablement. Je t’en prie, tourmente-toi sur ton avenir pendant le trajet du retour. Au revoir.”
 
La porte se referma. Reynold attendit que Magnolia se soit écartée, puis fit claquer les rênes. Le carrosse se mit à s’éloigner prestement, et Erin se réadossa.
 
“Je pense que je la déteste vraiment.”
 
Lady Magnolia. Elle était comme un ouragan piégé dans une bouteille à l’intérieur d’une tornade dans une machine à laver. Elle n’était qu’action, et à la seule pensée de ce qu’elle avait appris, Erin voulait vomir ses pensées.
 
Et elle était tellement certaine d’avoir raison. Elle avait lu en Erin comme dans un livre ouvert. Ou peut-être…
 
Erin se tourna et lança un regard noir à travers la fenêtre, où le manoir de Lady Magnolia disparaissait au loin. Elle avait une petite pensée qui lui trottait dans la tête.
 
Peut-être… qu’elle était vraiment une bonne personne. Une [Lady] riche qui essayait de sauver le monde toute seule.
 
Probablement pas. Elle restait une harpie. Mais tout ce qu’elle lui avait dit…
 
Dehors, le monde devint flou à mesure qu’Erin accélérait, loin de la maison de Lady Magnolia, pour rentrer chez elle. Les pensées volaient sous le crâne d’Erin, et parmi celles-ci se trouvait l’idée que Magnolia avait mis suffisamment de nourriture dans le carrosse pour nourrir Reynold et elle pendant une semaine. Mais ce n’était pas aussi important que tout ce qu’elle avait appris.
 
Tellement de choses. La guerre ? Les Antiniums ? Est-ce qu’ils représentaient vraiment la plus grosse menace ? Est-ce qu’elle pouvait faire confiance à Magnolia ?
 
Erin voulait désespérément en parler à Ryoka. Mais sans personne à qui en parler - à part Reynold, et il ne pouvait vraiment pas l’aider avec ça - Erin se mit à dériver. Son esprit se mit à faire des boucles, et seules quelques pensées revenaient inlassablement.
 
Qu’avait dit Magnolia ? Choisis. Erin pensait avoir la réponse, mais la guerre ? Elle ne pouvait même pas imaginer…
 
Que devait-elle faire ?



Vivre seule.
 
Sauver le monde.
 
S’enfuir.
 
Demander de l’aide.
 
Vivre en paix.
 
Se battre pour la liberté.
 
Apporter la démocratie.
 
Protéger ses secrets.
 
Rentrer chez elle.
 
Sauver le monde.
 
Protéger ses amis.
 
Sauver le monde.
 
Abandonner.
 
Sauver le monde.
 
Sauver le monde.
 
Sauver.
 
Le.
 
Monde.
 


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 01 février 2021 à 03:56:29

Livre 2
Interlude
Partie 1
Traduit par Maroti

Après le départ d’Erin, Lady Magnolia et Ressa se retirèrent dans une salle personnelle. Lady Magnolia prouva ses talents de [Lady] en ne semblant pas entendre les appels des jeunes hommes et femmes essayant d’attirer son attention. Ses servantes et un regard de Ressa lui permit de se rendre jusqu’au escalier sans être dérangée.

La vérité était que, même si Joseph et les autres étaient furieux, ils n’osaient pas crier en la présence de Magnolia. Et ils ne pouvaient pas s’imposer en poussant les servantes polies qui les empêcher de passer. Ils étaient retenus par la présence même de Lady Magnolia.

C’est un talent et une Compétence, et Lady Magnolia maîtrisait les deux. Elle laissa Ressa fermer la porte et étouffer les dernières protestations indignées, avant de soupirer.

Même cela fut distingué. Lady Magnolia était connue à travers l’intégralité du continent, du moins par les humains. Tous les Drakéides et Gnolls qui prêtaient attention à ce que les Humains faisaient la connaissaient, mais les Humains étaient en majorité identiques aux Gnolls et aux Drakéides. Mais ceux qui connaissaient Lady Magnolia savait qu’elle était une [Lady]. Constamment distinguée et polie.

Et dans sa salle, loin des yeux du monde, Magnolia ne restait pas moins distingué. Son dialecte ne changeait pas, même en privée. Elle était élégante, intelligente, délibérée, restant respectueuse envers tous ceux qui…

« Ah. Ressa je suis épuisé. Penses-tu que nous étions aussi impudents et agaçants lorsque nous étions enfants ? »

… C’était ce que les gens croyaient. La vérité était différente. Lady Magnolia se laissa presque tomber sur son canapé. Elle s’empara d’une tasse de thé, la vida, la remplit de nouveau, et la vida une nouvelle fois.

Ressa regarda sa maîtresse et amie d’enfance d’un œil désapprobateur. Comme toute bonne servante, elle n’avait rien dit en la présence d’Erin Solstice, mais elle avait déjà vocalisé de nombreuse fois son avis sur le thé que Magnolia buvait.

Du thé à la framboise. C’était délicieux, et même bon pour la santé, et la majorité des gens l’appréciaient. Mais dans ce cas, il avait été tellement sucré que la boisson en était presque devenue empoisonnée. Magnolia la buvait comme de l’eau, autant pour la caféine que pour la sensation du sucre dans ses veines.

« Elle avait de la fougue. »

« De la fougue ? Hah ! J’ai rencontré des Minotaures moins de culot. Mais tout de même, je pense que tout s’est déroulé pour le mieux. »

Ressa haussa les épaules. Elle éloigna habilement un pot rempli à ras bord de sucre de Lady Magnolia. L’autre femme fronça les sourcils, mais n’essaya pas de le récupérer.

« Je pense qu’Erin Solstice retournera à son auberge en toute sécurité. »

« Oh, je le pense aussi. Il n’y a pas de nouvelle mentionnant des bandits sur les routes, pas de présence de monstres, Reynold est là, et si le pire arrive, elle est une jeune femme pleine de ressource. Je t’ai déjà mentionné ses compétences de combats, n’est-ce pas ? Et elle possède [Lancer Infaillible]. Une puissante compétence entre les bonnes-mains. »

« En effet, milady. »

« Arrête ça. »

Lady Magnolia envoya un regard faussement moqueur à Ressa alors que la servante commença à inspecter la pièce à la recherche de terre, poussière, ou manquement de la part de la servante qui avait nettoyé la pièce. Magnolia se redressa sur son canapé et regarda le plafond.

« Seuls les dieux peuvent décider ce qui est bien ou mal ? Une grande conviction. Cela me rappelle notre jeunesse, n’est-ce pas ? »

Ressa haussa légèrement les épaules. Elle agissait de manière bien moins formelle avec sa maîtresse en l’absence de compagnie, mais elle était toujours diligente envers son devoir. Elle souleva un pot et vit que sa base était impeccable.

« Si mes souvenirs sont bons, tu étais encore plus effrénée lors de ta jeunesse, Magnolia. »

« Tout comme toi. Ai-je besoin de te rappeler l’incident du silo à céréales ? »

Ressa ne répondit pas. Magnolia soupira bruyamment. C’était difficile de taquiner Ressa. Soit-elle ne répondait pas, soit elle te frappait en réponse. C’était une défaite dans les deux cas.

« Penses-tu que j’ai été trop dur envers cette fille ? J’ai placé un terrible fardeau sur ses épaules. »

« Je crois qu’elle sera capable de le supporter. »

Ressa prononça ses mots en ouvrant un tiroir. Elle regarda Lady Magnolia.

« Sais-tu que je me suis surpris à discuter avec elle quelques minutes après notre rencontre. Et elle est parvenue à se lier d’amitié avec Reynold lors de leur trajet. »

« Je l’ai remarqué. C’est un talent précieux, et sûrement la raison pour laquelle elle a survécu toute seule. »

Magnolia hocha la tête et s’étira sur le canapé comme un chat. Elle leva les pieds, et Ressa les regarda en plissant les yeux. Ils étaient sur le canapé.

« Cela prouve ce que je disais plus tôt. Les jokers sont bien plus pratiques quand le deck ne t’es pas favorable. Je m’attends à ce qu’elle cause de nombreux problèmes à la Reine de Liscor, ainsi que pour la délégation d’Antinium qui se dirige furtivement vers la ville. »

« En effet. »

Ressa poussa les pieds de Magnolia du canapé d’un mouvement décontracté. La [Lady] du manoir regarda sa servante.

« Ce canapé m’appartiens, tu sais. »

« Il n’est pas enchanté et tu as tendance à donner des coups de pied. Utilise l’autre canapé si tu souhaites t’allonger. Je ne vais pas te laisser causer des centaines de pièces d’or de dégâts. »

Lady Magnolia grommela, mais se rassit.

« Qu’est-il arrivé à celui qui était là avant ? »

« Tu as renversé de la nourriture dessus. Il est en train d’être nettoyé. »

« Ah. Je suppose que nous aurions dû engager un enchanteur pour éviter ce genre de tâche. »

« Il est déjà enchanté contre les tâches. Les servantes sont en train d’essayer de retirer toute la nourriture. »

« Oh. »

Après un instant de silence, l’atmosphère conviviale et bavarde s’en alla. Lady Magnolia soupira et se leva, et Ressa savait qu’elle était de nouveau en train de travailler. Ses pauses n’étaient jamais longues.

« Maintenant que notre invité est parti, dit moi ce qu’il y a à savoir sur le Seigneur des Gobelins. Personne ne s’est assez approché pour me donner une description, mais les rapports précisant que des Gobelins morts font partie de son armée son perturbant. Il doit être puissant pour avoir vaincu Zel Shivertail. »

Ressa hocha la tête. Elle ferma les yeux, et parla en se remémorant.

« Les [Scouts] rapportent que son armée est équivalente à l’armée d’une Ville Emmurées. Son armée possède plus d’une centaine d’Hobgobelin et au moins dix [Mages] ou [Shamans]. »

« Il est déjà si puissant ? »

Lady Magnolia grimaça. Ressa hocha la tête.

« D’autres détails sont en train d’arriver et nous en saurons plus après que Shivertail retourne dans une ville pour faire son rapport. »

« Mais aucun de nos mages ont trouvé quelque chose ? Les [Scouts] ? »

« Ils ne peuvent pas s’approcher et les mages n’arrivent pas à repérer leur location avec précision. Les rares qui savent [Scruter] ne connaisse pas son nom. »

« Et Teriarch ? Il pourrait trouver n’importe qui s’il n’était pas si paresseux. »

« Il a… Ignoré nos messages. »

« Il est probablement en train de bouder. Je lui aie fait comprendre mon avis sur la ridicule livraison qu’il a donné à Ryoka. »

Lady Magnolia fronça les sourcils et soupira.

« Fort bien. Les villes Drakéides prendront cela avec sérieux en entendant le témoignage d’Illvriss et de Shivertail. Mais quand est-il des tribus Gobelines du nord ? Elles ont un chef, mais est-ce que les autres familles ont des informations ? »

Ressa hésita.

« Bien des aristocrates connaissent les dégâts causés par les Gobelins au sud, mais rien de plus. Seuls les espions de Lord Tyrion ont réalisé que les tribus du nord sont en mouvement, et ils ont rapporté qu’ils supposent que les tribus sont peut-être en train de s’organiser. »

Le visage de Magnolia en disant beaucoup sur ce qu’elle pensait de cette idée.

« Ils ‘supposent’ que les Gobelins sont en train de s’organiser ? Ressa, la prochaine fois que tu rencontres Lord Tyrion, fait moi plaisir et donne lui quelques tapes sur la tête. Si cela est tout ce que ses espions peuvent trouver, alors ils sont presque sans valeur. »

« Je le ferai si possible. »

Cela serait son plaisir, même si ses chances de poser la main sur Lord Tyrion étaient faibles. Magnolia soupira en mêlant ses doigts.

« Personne ne fait attention aux Gobelins sauf quand il est trop tard. »

« A l’exception de vous. »

Lady Magnolia rit.

« Oui, enfin, Teriarch m’a bien convaincu. C’est difficile de les ignorer quand tu connais la vérité, n’est-ce pas ? »

« En effet. »

« Bien, nous allons voir comment cela se termine. Le Seigneur des Gobelins n’est pas encore une menace à moins que toutes les tribus du nord ne le rejoignent d’un coup, et je doute que Garen Croc Rouge courbera aussi facilement l’échine. Mais cela nous présente une opportunité. »

Magnolia se releva et se dirigea vers une fenêtre. Ressa la suivit, remarquant une trace sur le verre et fronçant les sourcils. Lady Magnolia parla à la fenêtre alors que Ressa s’empara d’un chiffon et commença à frotter.

« Zel Shivertail est trop important pour être ignoré, mais sa défaite, même si elle venait après une incroyable victoire sur le Seigneur des Murailles Ilvriss, mènera forcement à une période de disgrâce alors que des imbéciles tentent de le rabaisser. C’est une honte de voir que les Drakéides sont aussi étroit d’esprit, mais c’est exactement ce que j’attendais. »

« Cela semble être le cas. »

Magnolia hocha lentement la tête. Elle regarda le soleil se coucher à travers sa fenêtre.

« Maintenant qu’il est disgracieux, ou qu’il le sera bientôt, c’est le moment opportun de le convaincre de venir au nord. J’aimerai simplement que cela soit aussi simple que de lui offrir des richesses ou du pouvoir. »

« Dois-je envoyer un message par [Courrier] ? »

« Non… Je crois que je vais lui envoyer un [Message]. Cela est trop important pour être subtil. Nous avons besoin d’un général du calibre de Zel Shivertail. »

Ressa hocha la tête pour agréer. Magnolia soupira.

« Et Ryoka ? Est-elle en vie, ou vais-je devoir dire à la jeune Erin que cela ne sera pas la peine d’attendre ? »

« Elle est en vie. »

« Parfait. Et quand est-ce qu’elle sera de retour… ? »

« Dans deux jours. Theofore l’a localisé. »

« Vraiment ? J’aurai pensé que les autres [Assassins] et [Scouts] auraient plus de chance. Mais peut-être qu’il comprend mieux Miss Griffin qu’eux. »

« Ou cela peut être de la chance. »

Lady Magnolia lui lança un regard. Le visage de Ressa était complètement dénué d’émotion.

« Rabat-joie pragmatique. »

« Si vous le dites, milady. »

« Assures toi qu’elle arrive à l’auberge saine et sauve. Elle doit survivre jusqu’à ce que j’ai la chance de lui parler, est-ce que cela est clair ? »

Ressa hésita. Elle regarda Magnolia pendant un moment, se demandant si elle devait rajouter ce détail.

« Elle est blessée. »

« Quoi ? »

Magnolia avait été en train de penser à autre chose, mais elle était désormais concentrée sur Ressa.

« A quel point ? »

« Theofore a rapporté qu’il lui manquait deux de ses doigts, et elle semble aller bien plus lentement qu’à son habitude. Et elle n’est pas seule. »

L’expression calme du visage de Magnolia disparut. Elle fronça les sourcils.

« Qui est avec elle ? Un survivant de l’attaque du Seigneur des Gobelins ? Les Esprits de l’Hiver ? Teriarch a dit qu’elles étaient attirées par elle, mais je pensais que c’était parce qu’elles aimaient tourmenter la fille. »

« Une enfant Gnolle. Theofore croit que Ryoka l’a sauvé. »

Lady Magnolia ferma les yeux, et commença à masser sa tempe.

« Bien sûr qu’elle l’a fait. Et elle a perdu ses doigts en le faisant, sans aucun doute. Elle n’est pas une bonne Coursière quand il s’agit de maîtriser ses émotions. Elle est bien trop compatissante. »

Les deux femmes regardèrent la fenêtre en silence pendant quelques instants. Magnolia mit un doigt à ses lèvres.

« Mais une enfant Gnolle… ? Il devait y avoir une tribu Gnoll dans les montagnes. »

« La Tribu des Lances de Pierre passait l’hiver dans cette région. Il est probable que Ryoka est croisé leur chemin. »

« Y-a-t-il des survivants ? »

« C’est possible. La moitié de la tribu campait alors que les guerriers et les mineurs voyageaient plus hauts dans la montagne à la recherche de minéraux précieux et de gemmes. Les [Scouts] et [Assassins] ont rapporté un grand nombre de Gnoll voyageant avec l’armée de Zel, ils ont peut-être été sauvés. »

Magnolia ferma de nouveau les yeux.

« Et les mineurs ? »

Ressa aurait aimé prétendre qu’elle ne le savait pas, mais personne ne pouvait mentir à Magnolia Reinhart. Elle parla doucement.

« L’une des [Assassins] les plus hauts-niveaux s’est faufilé parmi l’armée du Seigneur des Gobelins et a localisé la mine. Elle ne trouva pas de survivants. Il semblerait que les Gnolls aient été pris en embuscade et ai tué plus d’une centaine de Gobelins avant d’être emporté par le nombre de Gobelins. »

« Je vois. »

Plus de silence. Ressa continua.

« L’enfant Gnolle semble être inhabituelle. »

« Comment cela ? Est-ce qu’elle est blessée ? Si cela est le cas, fait que Theofore… »

« Non. Elle a une fourrure blanche. »

Magnolia regarda Ressa. Ses yeux étaient sérieux.

« Un Gnoll avec de la fourrure blanche. Cela n’est pas une coïncidence, Ressa. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? »

« Est-ce un présage particulier ? »

« Il faut demander à un [Shaman] Gnoll ou Teriarch. Ma mémoire est trouble. Mais oui, c’est en un. »

Lady Magnolia y réfléchit pendant plusieurs moments et soupira. Elle laissa retomber ses mains.

« Nous devons nous dépêcher. Tout se déroule trop rapidement. Si nous avions une autre année… Mais bien sûr que nous ne l’avons pas. Fort bien. Les Gobelins attendront un peu plus longtemps. Passons aux armées, je sais que l’armée de Lord Tyrion a affronté deux autres armées dans son accès de colère. As-tu le nombre de soldats qu’il a perdu ? »

« Très peu, d’après les rumeurs. Les témoins ont vu peu de corps après la bataille, donc il possible d’assumer qu’il a totalement écrasé ses ennemis. »

« Ce qui est naturel. Ses soldats sont splendidement équipés et entraînés. Ils sont sans égaux parmi les armées du nord. Un joyau étincelant qui à juste besoin des bonnes conditions pour devenir parfait. C’est fort dommage de savoir que ce n’est pas le cas de leur lord et leader. »

Magnolia soupira avant de sourire.

« Et quand est-il de notre petit projet, Ressa ? Où en sommes-nous ? »

Ressa hocha la tête.

« En retirant les villes-états et leurs armées ainsi que leurs vassaux et les forces disponibles aux autres lords et ladies… »

« Bien sûr. »

« … Alors, nous avons à l’instant la possibilité d’appeler deux mille individus avec des classes de combattant supérieur aux Niveau 20. Plus de six cents d’entre eux sont au-dessus du niveau 30. Six Aventuriers Légendaires et huit Compagnie de rang Or sont disponible, et nous avons au moins trois cent cinquante unités irrégulières à notre disposition. »

Le sourire de Magnolia se fit plus grand encore. Elle regarda Ressa, mais la jeune femme avait terminé. Magnolia demanda poliment à la servante de continuer.

« Et… ? »

Ressa soupira.

« Et une licorne. »

« Excellent. Alors, je crois que nous devrions envoyer une autre lettre à un certain [Stratège]. Si nous parvenons à obtenir les services de Zel Shivertail, alors nous allons avoir une armée sans défaut avec un général à la hauteur. Mais j’ai besoin d’une autre personne de la qualité de Zel Shivertail pour les rendre publics et commencer l’entraînement. »

Ressa soupira. Elle savait à qui Lady Magnolia faisait référence, mais elle pensait que sa maîtresse perdait son temps avec cet individu.

« Toutes les missives restent ignorées. »

Lady Magnolia agita sa main, comme si elle éloignait une mouche.

« Il ne peut pas continuer de m’ignorer. Envoyé quinze autres lettres à l’instant. Si nous continuons de la déranger alors il sera forcé de me parler. »

« C’est ce que vous dites, milady. »

Ressa murmura les mots, mais Magnolia n’était pas en train d’écouter. Elle est douée pour cela, un talent cultivé dés l’enfance. La [Lady] commença à poser d’autres questions, et Ressa continua de répondre.

De retour au travail. La visite d’Erin, même si remarquable, n’était qu’une petite partie des nombreuses choses que Magnolia Reinhart devait faire aujourd’hui. Ressa était tout aussi occupée. Elle devait organiser les servantes, nettoyer le bazar que les gens du monde d’Erin avait mis, parler aux espions et [Assassins] et trouver quelqu’un à blâmer pour cette tâche sur la fenêtre. Elle devait conspirer avec la femme la plus puissante du continent, organiser des gens, remplir des théières, servir le dîner…

Et bien sûr, des lettres à envoyer.

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 01 février 2021 à 04:01:04
Livre 2
Interlude
Partie 2
Traduit par Maroti

C’était une journée brumeuse et lourde, mais le [Stratégiste] se tenant dans la salle de guerre était en train de regarder la carte de la bataille du lendemain sans ressentir la chaleur. Sa tante était fraîche grâce à la magie tissée dans la toile, une source de réconfort pour les gens rassemblés dans la tente.

Ils étaient tous des [Stratégistes]. Enfin, la vérité était que certains d’entre eux étaient encore des [Tacticiens] à cause de leur bas niveau, mais ils étaient tous concentré sur la même zone.

Et cela était étrange, car la tente contenait tous les officiels hauts-gradés de l’armée. Normalement la pièce était occupée par les [Officiers], [Lieutenants] et [Leaders] plutôt que les [Stratégistes]. Mais cette étrange particularité était liée au leader de cette armée. L’homme menant cette armée était un [Stratégiste] sans le moindre niveau dans une classe de [Général] ou autre. Il était connu pour cela, en réalité, il menait ses armées sans la moindre autre compétence. Il était aussi connu sous le nom du Titan, ce qui était clairement ironique pour quiconque le connaissant.

Et il était en train de préparer une bataille. Le [Stratège] était en train de discuter à un grand homme en armure, ne laissant que sa tête découverte. Il y avait quelque chose d’étrange à propos du cou de l’homme en armure. Mais il acquiesça et sa tête trembla, le [Stratège] leva une main et tout le monde dans la tente se tût. Deux secondes plus tard, quelqu’un toqua contre la toile de la tente.

« Entrez. »

Un [Soldat] passa la tête, l’un de ceux qui gardaient la tente.

« Un Courrier vous demande, monsieur. »

Niers Astoragon, le Titan et [Stratégiste] menant cette armée, soupira et leva les yeux de la carte alors que le Courrier entra dans sa tente. Il savait déjà, ou suspectait, de qui provenait cette lettre.

Le Courrier entra immédiatement dans la tente alors que l’un de ses lieutenants l’ouvrit. La chaleur pesante et humide essaya de s’engouffrer dans la tente, mais l’enchantement de fraîcheur stabilisa rapidement la température.

La jeune Courrière qui tendit les trois lettres à Niers n’était même pas en train de transpirer. Cela devait être une Compétence, ou un item magique. Niers regarda rapidement sa ceinture alors qu’il accepta la première lettre et ouvrit l’enveloppe. Il était tenté de s’acheter un artefact de ce genre lors de telles journées, mais cela serait une dépense inutile et coûteuse au vu du nombre d’objets enchanté qu’il portait déjà. Si seulement la magie ne se…

Niers grogna alors qu’il donna un coup de pied pour ouvrir le sceau de l’enveloppe et remarqua les délicats bords dorés de l’enveloppe. Bien sûr. Cela venait probablement d’elle. Quelle perte de temps.

Et un message envoyé par un Courrier était presque toujours ouvert dans les secondes suivant sa livraison. C’était parce que personne n’envoyait de lettres inutiles par Courrier, vu leurs tarifs. Cette maudite Magnolia Reinhart savait cela, et envoyait donc des lettres constantes à Niers, le forçant à les ouvrir au cas où cette enveloppe contenait des informations vitales.

Il détestait et admirait l’esprit tordu de cette femme. Mais Niers savait ce qu’il allait voir dès l’instant où il sentit la délicate odeur s’échappant de l’enveloppe, et il jeta là sur la table après quelques secondes d’étude.

« Umina, pouvez vous me ramassez et me jeter cela ? Et si d’autre sente la lavande, le romarin, les framboises ou autre arôme floral… Jetez-les. »

La fille lézarde se tenant proche de l’entrée hocha la tête et commença à trier les lettres. Niers soupira et se reconcentra sur la carte, sachant qu’il avait des yeux sur lui. Il se décala sur le côté, permettant Umina de prendre la lettre qu’il venait d’ouvrir. Elle bougea soigneusement, comme si une erreur allait être suffisante pour l’écraser.

Il détestait être traité comme ça. Mais Umina était nouvelle dans son groupe d’étudiant donc elle n’était pas encore habituée à sa stature. Elle allait apprendre ou non. Niers se concentra sur le combat et laissa tomber ce genre d’inutile distraction.

Oui, c’était l’ironie du surnom qui lui avait été donné. Niers avait embrassé le nom, mais cela causait de la confusion, qui était visible dans les yeux du Courrier regardant son dos alors qu’il regarda de nouveau la carte.

En entendant parler du commandant en second de l’une des Quatre Grandes Compagnies de Baleros, il était facile de croire que Niers était en géant dans tous les sens du terme. Il menait ses armées victoires après victoires, utilisant son esprit comme une arme là ou la majorité des [Généraux] utilisaient leurs épées. Il pouvait tendre des pièges à n’importe quel adversaire, vaincre n’importe quelle armée, même celles qui faisaient trois fois la taille de la sienne. Ses Compétences pouvaient changer ses soldats en terrifiants monstres, mais aussi en fantômes s’ils devaient battre en retraite.

Il était un monstre, le [Stratégiste] avec le plus haut niveau du continent, voir du monde. Son niveau était gardé secret pour de multiples raisons, mais son talent était inégalé. Donc ils l’appelaient le Titan, et seul certain comprenait la blague. Et c’était que Niers était petit. Il ne faisait que 15 centimètres de haut.

Niers était actuellement grand pour un individu de sa race, mais cela voulait dire qu’il était minuscule quand la taille moyenne des gens de son peuple était celle d’une paume humaine. Les Korrigans, ou le Petit Peuple comme ils étaient connus, étaient un peuple reclus de Baleros, qui prenait rarement part aux événements continentaux ou mondiaux, préférant rester dans leurs petites communautés et effectuer d’occasionnels voyages dans les villages et villes voisines pour vendre leurs biens et demander de l’aide à des aventuriers.

Mais il y avait, bien sûr, des exceptions. Et il était facile de dire que Niers était le Korrigan le plus fameux de son monde. Ce n’était pas une position qu’il appréciait particulièrement, il aurait préféré être connu pour sa prouesse stratégique que pour ses origines, mais la réputation était la réputation, et il savait qu’il était un héros pour les enfants de son peuple.

Umina hésita alors qu’elle tenait les lettres que le Courrier venait d’apporter. Niers savait qu’elle était capable de magie, mais brûler des missives venant d’un Courrier allait probablement contre tous ses instincts.

« Est-ce que je dois juste… ? »

« Une flamme. Tiens. »

L’un des plus anciens étudiants de Niers intervint avant qu’Umina puisse interrompre son professeur. Il prit les lettres des mains gantelets d’Umina et la laissa conjurer une petite flamme entre ses mains. Les lettres se tordirent et brûlèrent alors qu’elle les tint entre ses mains, sans peur du feu.

Cameral essuya ses mains, laissant les cendres tombées sur le sol de la tente. Niers hocha la tête et soupira d’irritation.

« Le message n’était pas à votre goût, Monsieur ? »

« Il était inutile. C’était de nouvelles lettres de Lady Magnolia. »

« Ah. »

L’ambiance dans la tente changea. Niers avait d’innombrables élèves, même s’il y en avait une douzaine actuellement présents dans la grande tente. Ils avaient tous été accepté grâce à leur incroyable intellect et leur intelligence pour le combat. Mais tout bon [Stratégiste] savait que la politique était aussi un champ de bataille, et Lady Magnolia était sur la courte liste des noms mémorisés dans chaque recoin du monde.

Quelqu’un pouvait dire que Niers brûlant ses lettres était un affront, dangereux connaissant le pouvoir et l’influence des Reinharts. Mais il était suffisamment puissant pour se permettre ce genre de chose. La nature de sa correspondance avec Magnolia Reinhart était un mystère pour ses étudiants, mais Niers savaient déjà qu’ils allaient discuter cet incident ou envoyé l’information à leur propre espion après cette réunion. C’était louable de leur part, mais prévisible.

Cependant, Niers devait admettre qu’il devenait à la fois curieux et agacé des tentatives incessantes de Magnolia de le contacter. Elle envoyait des lettres par Courrier en vague, au point que Niers se trouvait pourchassé par elle.

Ils étaient toujours les mêmes lettres. Une invitation de discuter via sortilège, ou en personne si l’opportunité se présentait. Niers n’avait pas encore fait cela, comme il n’avait pas encore répondu à ses lettres. C’était de nouveau un acte d’impolitesse, mais l’un qu’elle attendait et la seule action logique qu’il devait prendre.

Il n’avait aucune envie de se retrouver prit au piège dans les machinations de cette femme, et était encore moins disposé à lui parler à l’instant. Niers l’avait rencontré deux fois dans sa vie, mais il avait appris à être particulièrement méfiant en son égard.

De plus, il craignait que s’il lui adressait la parole, elle allait lui faire une offre qu’il n’allait pas pouvoir refuser. Et il était loyal envers sa Compagnie et envers son commandant, donc il était bien mieux de ne pas se faire tenter.

« Essayez de ne pas trop être tourmenté par cette femme. L’esprit de Magnolia Reinhart est plus aiguisé que la plupart des [Stratèges] et [Généraux] et nous avons une bataille à gagner. »

Cameral hocha gravement la tête alors que les autres s’agitèrent, comme s’ils étaient des enfants qui venaient d’être surpris avec la main de la jarre de cookies. Ils étaient toujours impressionnés par le fait que Niers semblait être capable de lire dans leurs esprits, mais ce n’était que leur imagination. Il savait simplement ce dont à quoi ils pensaient, car ils avaient déjà été à leur place.

La tête de l’homme en armure bougea alors qu’il acquiesça d’un mouvement de tête et Cameral poussa une main dessus pour la stabiliser.

« Retire-là si elle bouge. Je te l’ai déjà dit, tu n’as pas besoin de ressembler à un humain durant toute la journée et j’aimerais ne pas me faire écraser par ta tête. »

La remarque était pour Cameral. Il était un Dullahan, d’où l’absence de connexion entre sa tête et son corps. L’ouverture de son armure laissait échapper de la lumière orangée après qu’il ai retiré sa tête en s’excusant.

Ce n’était pas une armure vide, Niers le savait. Il y avait une espèce de chair et de sang à l’intérieur, d’où la raison pour laquelle les Dullahan avaient besoin de se protéger. L’armure de Cameral était de bonne qualité, Niers avait déjà vu des Dullahan avec des armures faites de bois ou de métaux récupérés, mais son subordonné portait se protégeait avec une armure de qualité.

Cameral berça délicatement sa tête dans sa main, la tournant pour mieux pouvoir voir Niers et la table. C’était ainsi que les Dullahans voyaient les choses, soit comme ça soit en faisant flotter leur tête à leurs côtés, mais c’était apparemment malpoli et donc il devait porter sa tête sur son cou à chaque fois qu’il était en présence de Niers. C’était un signe de respect, mais cela commençait à agacer Niers.

Mais l’heure n’était pas aux distractions, Niers pouvait enfin se concentrer sur la bataille. Il regarda les plaines verdoyantes et ouvertes que son adversaire avait choisies comme champ de bataille. Il y avait de légères collines, offrant un avantage à l’armée défendant le sommet. Une position à défendre, mais Niers avait déjà encerclé l’armée avec la sienne.

Leur adversaire du jour était un [Général]avec des capacités défensives nommé Grimvol. Niers avait oublié la raison pour laquelle leur Compagnie avait été appelé, mais il avait mené son armée pour vaincre cet adversaire avec le moins de perte possible. Après cela il allait profiter de son salaire et se relaxer jusqu’à son prochain contrat.

Ils étaient un groupe de mercenaire, l’un des meilleurs. Cela faisait plus de cinquante ans que Niers se battaient sur les plaines infinies et les profondes jungles de Baleros et pourtant il savait que chaque combat pouvait être son dernier.

Mais cela n’allait probablement pas être celui-là.

Les petites pièces sur la table étaient familières à tous ceux qui avaient planifié une bataille. Les armées de Niers et Grimvol avaient le même effectif, avec un léger avantage du côté de Grimvol, et leurs guerriers avaient environ le même niveau. Les bannières flottantes au-dessus de chaque pièce marquait leurs niveaux relatifs et Niers marquait avec d’autres pièces l’armée de Grimvol et les guerriers avec des classes uniques ou un haut niveau.

Ce combat semblait direct. L’armée de Niers allait encercler et détruire celle de Grimvol, les empêchant de s’échapper. Niers avait laissé un grand nombre de soldats au nord et au sud alors qu’il était personnellement en train de mener le gros de ses troupes à l’ouest.

Cela avait du sens. Niers était le commandant de son armée et il avait besoin de la protection de ses soldats, sans oublier que ses capacités seraient plus utiles avec plus de soldats. L’est de l’armée de Grimvol était la partie la plus faible de Nier, car c’était là ou la forêt rencontrait les plaines. Cela serait un terrain difficile pour combattre, et si Grimvol essayait de battre en retraite dans la dense jungle de Baleros il prendrait le risque de se perdre ou d’être encerclé dans un environnement hostile. 

« Je te laisserai à la tête de l’assaut, Cameral. Prend ton temps et fait croire que nous sommes prêts pour une longue bataille pour qu’il est le temps de lancer son attaque surprise. »

Le Dullahan hocha la tête alors que les autres regardèrent la partie est de la carte. Oui, Grimvol avait prédit que Niers allait faire cela, et il avait capitalisé sur le plan du [Stratégiste]. L’intégralité de cette bataille était un plan désigné pour tuer Niers Astoragon et détruire son armée.

Niers soupira. C’était presque triste. Grimvol n’était pas assez confiant pour se battre sans aide extérieure. C’était évident, donc n’importe qui avec la moitié d’un cerveau aurait vérifié s’il y avait des pièges ou un secret lié à l’endroit que l’autre [Général] avait choisi. Et Niers avait trouvé le piège de Grimvol avec une déprimante facilité.

Il s’attendait à recevoir des renforts d’une bien plus grande armée cachée dans la jungle à l’est. Malheureusement pour lui, Niers avait déjà détruit cette armée et l’avait remplacé par ses forces la journée précédente, et cela faisait que deux de ses armées allaient apparaître au lieu d’une.

« Wil et Yerranola sont déjà en position. Ils arriveront en quelques minutes. Protège tes soldats jusque-là et avance. »

Les autres hochèrent la tête. Niers avait envoyé deux de ses plus vieux étudiants prendre le contrôle de sa force secondaire et ils attendaient le début de la bataille. Grimvol ne le savait pas, mais ils affrontaient quinze [Stratégistes] et [Tacticiens] sans compter Niers. C’était bien trop, mais sa compagnie n’avait pas d’autres batailles à mener et tout le monde allait profiter de cet entraînement.

Normalement, face à de telles probabilités d’écraser son adversaire, la plupart des [Généraux] et [Lords] prenaient congé pour célébrer et se détendre, confiant dans leur future victoire.

Cependant, Niers étaient toujours en train de préparer la bataille des prochains jours avec précision et minutie. Il n’aimait pas les excès de confiance, et, de plus, c’était dans sa nature d’être le plus détaillé possible. Quelques minutes de travail pouvaient sauver des centaines de vies, et il refusait de se reposer sans avoir atteint cet objectif.

Niers pointa la carte et regarda Umina, la jeune femme à qui il avait confié sa division de cavalier pour cette bataille. Elle était une fille lézarde, ce qui voulait dire qu’elle était un membre de la race des Lézarides, qui était différents des Drakéides. Il y avait beaucoup de mauvais sang entre les deux espèces, et malgré leurs différences superficielles, ils étaient des races bien différentes.

« Balaie par la gauche et frappe sa cavalerie avant qu’il ne puisse bouger. Une fois qu’il est épinglé de toute part il devrait se rendre rapidement. »

Elle hocha la tête avec une trace d’incertitude. Cela allait être la première fois que Niers allait mettre Umina dans une position de commandement, et avec l’élite de ses cavaliers. Il la croyait capable de réussir ce challenge, mêle si la fille semblait douter d’elle-même.

Peut-être qu’il allait devoir conseiller Marian de lui parler ? Non, c’était mieux qu’elle le fasse d’elle-même. La Centaure pouvait être susceptible, mais il savait qu’elle et Umina étaient amie.

Cela aurait peut-être été plus facile pour Marian, la plus grande étudiante de la tente, de mener la cavalerie de Niers. Elle était une centaure et naturellement plus adapté aux attaques rapides et les déploiements que son espèce utilisait. C’était pour cela que Niers la faisait coordonner l’unité de mage stationnaire qui s’occupait d’intercepter les sorts et de bombarder l’armée ennemie.

Aucun étudiant de son groupe n’allait combattre dans son domaine de prédilection, c’était ce qu’il voulait. L’hyperspécialisation voulait juste dire que tu avais un plan grand point faible, et donc Niers s’assurait de pousser ses subordonnées à s’améliorer dans tous les domaines.

Sans risquer son armée, bien sûr.

« J’aimerais avoir moins de quarante pertes demain. Essayé d’atteindre cet objectif, même si une victoire sans perte de notre côté serait encore plus appréciable si possible. »

Cela voulait dire qu’il n’y allait pas avoir de charges héroïques. Niers était en train de parler à tous ses étudiants, mais ses yeux s’arrêtèrent sur l’une de ses nouvelles recrues, un grand minotaure qui se tenait avec les bras croisés, les sourcils froncés en regardant la carte. Il hocha silencieusement la tête. Venez était à la tête de son flanc gauche, et voulait sûrement l’impressionner. Il avait été envoyé depuis les Îles de Minos après une rude compétition pour devenir son étudiant, d’après ce qu’il avait compris, et le Minotaure était toujours en train d’essayer de surclasser ses comparses.

Quand avait-il arrêté d’être un leader de soldats et avait commencé à devenir un professeur ? Niers se gratta la tête et fronça les sourcils. Il devait admettre que c’était fatiguant. Mais le monde avait besoin de plus de [Stratège] et ses étudiants étaient persistants.

« Bien, je crois que nous avons terminé. Oh, et une dernière chose. Fait que… Oui, Venaz, fait que ton batteur envoie un signal lors du début du combat. »

Le Minotaure regarda Niers avec curiosité.

« Que dois-je lui faire transmettre ? »

« N’importe quoi. Il faut juste que cela soit complexe, d’accord ? »

« Est-ce que cela a un but. »

Cela montra à quel point il était nouveau. Venaz rougit légèrement alors que les plus anciens étudiants ricanèrent et il frappa le sol de son sabot. Susceptible. Niers soupira.

« Arrête ça. Le but d’utiliser des signaux par tambours, Venaz, est de duper l’ennemi. Le signal complexe ne veut rien dire pour mes soldats. Il n’aurait pas de sens à part pour Grimvol. Il se demandera ce que les signaux veulent dire et si son plan a été découvert. Cela ralentira ses décisions et le rendra encore plus hésitant qu’il ne l’a déjà. »

Et il allait déjà être sous pression car il savait qu’il affrontait le légendaire Astoragon, qui avait percé à jour sa supercherie en un instant. Mais Niers ne le prononça pas à voix haute, car même si cela était la vérité, c’était du l’inutile égocentrisme. Ses étudiants savaient ce qu’il voulait dire, et s’ils ne le comprenaient pas, alors ils n’avaient pas leur place ici.

« Vous avez vos positions. Essayez de ne pas vous faite toucher par un sort ou une flèche. Vous avez le reste de la nuit pour vous. Si vous voulez bien m’excuser, je dois reprendre une partie. »

Presque comme un seul homme, l’attention de ses élèves se dirigea vers un coin de la tente. Niers était tellement petit qu’il dormait dans la tente qu’il utilisait pour ses conseils de guerre, il dormait sur l’une des tables dans un petit lit. C’était juste parce que c’était pratique ; Niers n’avait pas envie de se faire marcher dessus par un soldat mal réveillé au milieu de la nuit ou se trouver attaqué par la faune locale. Ou les insectes.

Mais ce qui restait à côté de son lit et de ses affaires personnelles était un échiquier. Ce qui n’était pas unique dans ce camp ; en tant que l’inventeur du jeu d’Échecs, les étudiants de Niers jouaient se jeu de manière presque religieuse, tout comme le reste de Baleros.

Et pourtant cet échiquier était différent. Premièrement, il était magique. Les pièces fantomatiques brillaient dans l’air frais, légeres comme une plume mais ferme comme l’acier. Les pièces se tenaient là, mais aussi autre part dans le monde, transmettant les mouvements.

Un autre objet qui avait coûté une fortune. Mais celui-ci avait indiscutablement valu le coup. Avec lui, Niers pouvait jouer une partie avec n’importe qui dans le monde. Ou plutôt, une personne.

Il resta dans la tente de Niers, un message que tout le monde pouvait comprendre. Il y avait un adversaire que Niers considérait digne de son temps, un rival pour le Titan lui-même. Ce n’était pas surprenant que ses élèves regardaient l’échiquier avec curiosité dés qu’ils rentraient dans la tête.

« Monsieur. Puis-je demander quel est le score de cette semaine ? »

Niers hocha la tête vers l’un de ses étudiants, un Humain.

« C’est la septième partie. Et, à l’heure actuelle, j’ai gagné deux parties et j’en ai perdu quatre. »

Silence.

Il pouvait le comprendre, vraiment. Combien de personne sur ce continent, non, dans le monde pouvait battre Niers Astoragon aux échecs ?

Ce n’était pas quelque chose d’aussi simple que perdre une partie. Niers avait inventé les échecs, les avaient maîtrisés.  Entre ses niveaux en tant que [Stratégiste] et avec ses longues heures d’études et sa passion, il était normal de dire que Niers pouvait gagner la majorité des parties en dormant.

Quand le jeu avait commencé à se populariser, Niers avait voyagé, jouant contre des gens. Il avait apprécié de nombreuses parties, mais il n’avait perdu que deux fois. Plus tard, après que les gens l’ont défié par milliers, il avait perdu une poignée de fois.

Et jamais de manière consistante. Niers n’avait pas un seul rival sur le continent, jusqu’à quelques semaines de cela. Ses meilleurs étudiants pouvaient le battre une fois sur dix dans le meilleur des cas. D’autres [Généraux] et [Stratégiste] pouvaient le battre deux fois sur dix, ou trois fois sur dix, mais jamais plus haut.

Et aucun d’entre eux avait poussé Niers. Il avait été seul, un roi solitaire au sommet du monde regardant les autres gens essayer de gravir la tour qu’il avait construit. Personne ne pouvait l’approcher. Cela avait été terrible.

Et puis, cela n’avait été qu’un caprice. Quelques centaines de pièces d’or pour le distraire. Niers avait envoyé un défi à travers le monde, un test pour allait séparer les bons joueurs des joueurs médiocres. Il ne s’était pas attendu à recevoir beaucoup de réponses, mais l’un était revenu presque instantanément.

Niers sourit en y repensant. Un dessin maladroit d’un échiquier et un curieux système de notation qui était supérieur à celui qu’il avait inventé. Et puis… !

Il avait passé des heures, des jours sur ce puzzle. Il avait lutté pour trouver une réponse entre les combats, ravi par le défi. Il l’avait presque trouvé trop vite, mais il avait été obsédé. Il avait ordonné la création d’un échiquier, dépensant sans compter et payer presque le triple du prix pour la rapidité de la construction et sa livraison.

L’attente avait été presque aussi douce que le fait qu’il y avait quelqu’un, quelque part, égalant ses compétences dans son propre jeu. Niers s’était demandé qui était ce mystérieux créateur de puzzle, s’inquiétant que leur talent ne fût que dans la création de puzzle, et non dans le jeu.

Il avait presque, presque manqué la petite astuce que l’autre joueur utilisait. Après leur première partie, il avait été tellement colérique, tellement frustré ! Comment son adversaire pouvait être si faible à jouer au jeu quand il avait créé un aussi magnifique puzzle ? Mais il vit ce qu’il se passait quand les pièces commencèrent à bouger.

Bien au-dessus de sa tour, le roi solitaire venait de lever les yeux pour voir l’immense poisson nageant à travers les cieux. Il se releva et le vit nager prêt de sa tour, une bête aussi splendide que mystérieuse, qui dépassait les mots. Un terrible, magnifique, créature solitaire attendant que quelqu’un la rejoigne.

Et donc le roi sauta de la tour qu’il avait construit avec sa vanité et essaya d’apprendre à voler. Et il ressentit, pour la première fois depuis des décennies, ce sentiment d’infériorité, ce défi, qui lui avait manqué.

C’était merveilleux. Et Niers l’avait ressenti jusque dans ses os en jouant.

Il n’était pas assez doué pour affronter ce mystérieux joueur. Pas assez doué. Mais il était assez proche pour que les deux ne soient plus seuls.

C’était magnifique.

Le petit homme bondit de sa table de carte jusqu’à la table d’échecs, ignorant ses étudiants. Il se tenait au-dessus de l’échiquier, regardant les pièces en pleine partie.

Deux victoires. Quatre défaites. Cela était inimaginable pour les élèves de Niers, mais c’était aussi un plaisir pour Niers. Il ne pouvait pas leur expliquer, n’est-ce pas ? Ils étaient encore jeunes et essayant d’atteindre leur idée de la célébrité, du succès, ou de la fortune. Mais perdre une partie et enchaîner les défaites…

Cela lui donnait presque envie de pleurer rien qu’en y pensant. Niers secoua la tête. Il ne devait vraiment pas pleurnicher devant ses élèves.

« Avez-vous découvert l’identité de votre adversaire, monsieur ? »

Niers fronça les sourcils. C’était Venaz pour tous, ou plutôt, les Minotaures. Ils n’aimaient pas les secrets et préféraient tout faire à découvert. C’était une faiblesse qu’il avait corrigée dans ses stratégies, mais elle était encore visible dans sa manière de gérer tout le reste.

« Je préfère savourer le mystère. J’ai mes suspicions, bien sûr. »

Il savait ou est-ce que le Courrier était parti. Celui avait pris beaucoup de pièces d’or, mais il avait tracé le trajet de la lettre jusqu’à Izril. Et il savait qu’après avoir quitté le bateau, la lettre avait voyagé jusqu’à Liscor. Liscor. Qui aurait cru qu’une ville qui avait produit un génie comme le General Sserys pouvait cacher une autre gemme ? A moins que cela soit là ou le Courrier avait trouvé le mystérieux joueur.

« … Mais je n’ai pas cherché plus que cela. En vérité, je ne sais pas si je veux le savoir. »

Cela fit froncer les sourcils de Venaz, mais Cameral et Umina hochèrent la tête. Leurs espèces comprenaient mieux l’intimité, même si ce n’était pas entièrement la raison de l’hésitation de Niers.

Le [Stratégiste] sourit en caressant sa barbe.

« Bien, si vous êtes intéressé, pourquoi ne pas me présenter vos théories ? Je crois que vous avez des suspicions sur l’identité de mon adversaire ? »

Ses élèves s’agitèrent. Certains avaient visiblement peur de parler, mais Niers n’avait pas le temps pour l’hésitation sur le champ de bataille. Marian leva donc sa main en quelques secondes.

« Je crois que votre adversaire est un Dragon, Monsieur. »

« Vraiment ? Qu’est-ce qui te fait croire cela ? »

Marian fronça les sourcils. Niers savait qu’elle n’était probablement pas confortable dans sa tente ; les Centaures n’aimaient pas être dans des espaces confinés, tout comme les chevaux, et il y avait trop de gens pour qu’elle puisse bouger librement.

« C’est simplement une observation basée sur les étranges compétences de votre adversaire. Seule une personne dotée d’un esprit vraiment brillant pourrait vous vaincre à plusieurs reprises dans une partie d’échecs. »

« Hmm. Donc tu crois que mon adversaire est un Dragon ? Je ne suis pas d’accord pour une raison. »

Marian semblait découragé, mais Niers secoua sa main.

« Ce n’est rien que tu aurais pu savoir. Mais j’ai observé qu’après ma première victoire, mon adversaire a aussitôt changé de tactique. Il est passé à un style hautement risqué, abandonnant son ancien style. »

C’était comme si son adversaire avait essayé de provoquer Niers. Il avait complètement changé son style, et Niers pouvait presque entendre une voix venant de l’échiquier ’Et voilà. Qu’est-ce que tu en penses ? Qu’est-ce que tu vas faire ?’

Certains des élèves de Niers semblaient confus. Il sourit et expliqua.

« La curiosité. L’autre joueur a pris le risque qu’il allait peut-être perdre une autre partie pour me tester. Les Dragons ne sont pas comme ça. Ils sont, presque toujours, des êtres très susceptibles. Ils détestent perdre et je crois qu’un Dragon aurait essayé de m’écraser plusieurs fois d’affilée pour me remettre à ma place. »

Niers doutait aussi que les échecs se soient propagé au point que les Dragons reclus auraient appris son jeu. Il secoua gentiment sa tête vers Marian.

« Une bonne tentative. Est-ce que quelqu’un à une autre idée ? »

« L’un des Archimages ? »

« Un [Lord] ou une [Lady], peut-être ? De haut niveau ? »

« Probablement pas. Quelqu’un de ce niveau à besoin d’être un [Roi]. Le Roi de la Destruction peut-êt… »

Niers dut rire à cette proposition.

« Je ne pense pas que Flos est intéressé par ce genre de chose à ce moment, Venaz et je l’ai déjà affronté une fois et il n’était pas à ce niveau. »

La pièce devint silencieuse. Niers réalisa qu’il en avait probablement trop dit et grimaça.

« Ne me regardez pas comme ça. Oui, j’ai voyagé dans son royaume alors qu’il sommeillait pour le rencontrer. C’était avant que je révèle l’intégralité du jeu d’échecs, mais je l’ai convaincu de jouer une partie. »

« Et ? »

Comme leurs yeux brillaient. Niers sourit et caressa sa petite barbe.

« J’ai gagné. »

Ils soupirèrent, mais ne semblaient pas surpris. Niers haussa les épaules.

« Sa tête n’était pas dans le jeu. En vérité, je crois qu’il est désormais un bien meilleur joueur, mais même avec cela je pense que je pourrais avoir plus de victoires que de défaites. Son intendant, de l’autre côté… Je crois que son nom est Orthenon ? Était un adversaire bien plus coriace. »

« Mais si ce n’est pas le Roi de la Destruction, alors qui… ? »

« Une question à réfléchir autour de quelques verres, peut-être. Mais je trouverai à ma manière. »

Niers coupa le reste de la conversation. Ses élèves baissèrent la tête en sa direction et quittèrent la tente. La réunion venait de se terminer.

Le fait que la réunion s’était terminé par ce genre de conversation était la preuve qu’ils étaient confiants. Niers soupira. Certains étaient en train de devenir trop confiants. Il allait les séparer après la bataille de demain, leur donner des missions plus difficiles.


Il erra jusqu’à l’échiquier et regarda les pièces. Cela faisait deux jours depuis la dernière fois qu’ils avaient bougé. Cela ne le dérangeait pas ; il était souvent occupé et il respectait le fait que son adversaire ai sa propre vie à mener. Pourtant, il vivait pour les moments où il pouvait jouer.

Un génie des échecs. Quelqu’un qui pouvait vaincre un [Stratégiste] de Niveau 64. Non, pas un [Stratégiste], la vérité était qu’il était un [Grand Maître Stratégiste], une étrange sous-classe qu’il avait obtenue après avoir appris à jouer aux échecs.

Son niveau exact et son changement de classe étaient secrets, bien sûr. Niers étudia de nouveau l’échiquier, préparant son prochain coup, mais son esprit ne pouvait pas s’arrêter.

« Qui es-tu ? »

C’était une question qui le hantait, malgré ce qu’il disait à ses étudiants. Il était tellement curieux que cela le faisait souffrir. Quelqu’un qui jouait mieux aux échecs que lui.

Cela pouvait tout simplement être un autre [Stratégiste] de haut niveau ou quelqu’un avec une classe et des Compétences similaires. Niers connaissaient quelques personnes qu’ils suspectaient d’avoir des niveaux proches voir supérieur au sien. Mais…

Non. Son instinct lui disait que cela ne pouvait pas être le cas. Il avait inventé les échecs ; comment quelqu’un pouvait atteindre ce niveau aussi rapidement ?

Mais là était le secret, n’est-ce pas ? Un continent entier avait déjà accepté le jeu de Niers comme un chef d’œuvre, non seulement comme un très bon passe-temps que comme un moyen de devenir de meilleurs [Tacticiens] et [Stratégiste].

Mais il ne l’avait pas inventé. C’était le grand mensonge, le petit piège qu’il avait tendu dans l’espoir d’attraper une bien plus grande vérité. Et Niers avait sentit la première morsure avec cet adversaire.

« Un Dragon pourrait s’en souvenir… »

Ou peut-être était-ce un autre type d’immortel ? Niers n’en avait pas la moindre idée, mais pour certaine raison il n’arrivait pas à s’imaginer un immortel jouer les parties fraiches et vibrantes qu’il appréciait.  Mais qui d’autre aurait pu connaître les échecs à ce point avant qu’il ait prétendu d’avoir inventé le jeu ? Et pourquoi n’avait-il pas contesté sa revendication comme il l’avait espéré ?

Pour ne pas se révéler ? C’était possible. Mais c’était presque aussi flagrant. Peut-être qu’il essayait de lui dire quelque chose ?

Niers tremblait de curiosité. Il vivait pour cela. Les dernières guerres dans lesquelles sa Compagnie avait participé étaient fades en comparaison. Il était déjà riche et il avait entraîné son armée pour qu’elle soit l’une des plus puissantes du continent. Il n’avait pas d’autre ambition en dehors des échecs et de trouver la vérité. La vérité du passé qu’il avait découvert en même temps que ce jeu d’un ancien temps…

« Qui es-tu ? »

Il pouvait toujours le découvrir, bien sûr. Cela prendrait peut-être une semaine, mais assumant qu’aucun idiot ne commençait une guerre après ça… Il pouvait se rendre à Liscor rapidement et commencer ses recherches. Ou avec un sort de [Téléportation] allait lui coûter une fortune, mais il était plus que capable d’en acheter plus que nécessaire. Dans ce cas, il pourrait partir et revenir en une journée et…

Non. Niers secoua la tête. Il ne voulait pas gâcher la surprise. Et il y avait aussi une autre raison, après tout. Il avait à peine monté de niveau lors de cette décennie. Il avait gagné un niveau, et c’est tout. Sa classe avait commencé à stagner, mais après huit parties…

Il avait gagné un niveau. Et Niers avait la suspicion qu’il allait continuer à monter de niveau tant qu’il continuait de pousser son adversaire au maximum. Quels étaient les miracles qui pouvaient arriver s’il atteignait le Niveau 70 ?

Attends. Sois patient. Niers s’assit devant l’échiquier et grimaça. Le départ de ses élèves avait laissé rentrer l’étouffante chaleur.

Il faisait tellement chaud. Niers détestait la chaleur, même si Baleros était presque toujours comme cela. La seule chose qu’il détestait plus encore était les déserts. Les tempêtes de sable étaient encore plus terribles quand les particules individuelles étaient capables d’arracher des morceaux de peau.

Il serait prêt à tout donner contre une épée de glace, ou une boisson fraîche. Il pouvait toujours en demander une, mais quel genre d’exemple allait-il donner en faisait cela ?

Niers Astoragon soupira en s’asseyant dans sa tente, attendant que la nuit se termine pour qu’il puisse gagner une autre bataille. Le monde bougeait, et pourtant il s’était retrouvé à stagner. Peut-être qu’il était temps de quitter la Compagnie. De lire l’une des maudites lettres de Magnolia. Pouvait-il abandonner aussi facilement sa Commandante, son amie de longue date et leader de sa Compagnie ?

Mais il voulait le savoir. Et… Niers le sentait. C’était dans ses os, un sentiment, une prémonition d’un combat. Cela venait de sa classe, mais c’était bien plus grand que tout ce que Niers avait déjà ressenti. Cela semblait avaler le monde, comme si le ciel tirait sur une gigantesque ficelle. De plus grandes batailles allaient bientôt l’attendre, des batailles dont Niers avait rêvé. C’était c’est que son instinct lui disait.

Et tout ce qu’il devait faire était d'attendre. Niers étudia l’échiquier.

« Reviens vite, d’accord ? Je m’ennuie terriblement en ton absence. »

Il s’étira. C’était l’heure de dormir. Il ne pouvait pas se permettre de bâiller devant ses troupes, n’est-ce pas ? Et sa tente recommençait à se rafraîchir. Mais une boisson fraîche serait la bienvenue. Peut-être après la bataille, pour fêter la victoire.

Il se demanda quand est-ce que ces maudits Esprit du Givre allaient arriver, ou s’ils avaient oublié d’apporter l’hiver.

Une nouvelle fois.


***


[Loran Grimnar] – Dans tous les cas, il fait super chaud ici. Comment ça se fait que c’est l’hiver chez vous ? »

[Humble Acteur] – Je ne sais pas. Je crois que c’est parce que les Esprits de l’Hiver ne sont pas encore arrivés sur ton continent. Apparemment, elles apportent l’hiver.

[Loran Grimnar] – Sérieux ?

[Humble Acteur] – Ouais. Et c’est bizarre. Je les ai vues plusieurs fois. Je me suis pris une boule-de-neige dans le visage, mais je jure que ce sont de vraies fées. Personne d’autre ne semble pouvoir les voir, mais je peux.

[aragorn_479] – Je peux le confirmer. J’ai aussi vu les Esprits de l’Hiver. Elles sont horribles. Si tu les déranges, elles commencent des avalanches. Fait attention.

[Humble Acteur] – Des mots pour les sages.

[BlackMage] – Je n’arrive pas à avoir un retour de [batman]. Je suppose qu’on va devoir le faire entre nous, les gars.

[Humble Acteur] – Oh ? C’est la dernière personne que tu voulais contacter ?

[BlackMage] – Ouais. Mais je n’ai pas de réponse.

[Loran Grimnar] – Pourquoi est-ce qu’on veut BATMAN dans le chat ?

[aragorn_479] – Il était clair que [batman] était bien plus intelligent qu’on le pensait. Il ou elle a réussi à trouver qu’il y avait un espion dans le groupe et nous a prévenus en secret.

[Loran Grimnar] – quoi ? Tu déconnes.

[BlackMage] – Non, franchement, c’est vrai. Mais j’ai essayé de le joindre cinq fois, sans réponse.

[aragorn_479] – Quand est-il de [Groupe Américain] ? Pourquoi ne pas l’inviter ?

[BlackMage] – Trop dangereux. Ils sont nombreux, tu vois ? Je veux garder le minimum de personne pour éviter les fuites.

[Loran Grimnar] – Ok, alors commençons ! Nous allons partager des informations, c’est ça ?

[aragorn_479] – En espérant que personne ne vienne nous espionner et sans voix bruyante.

[BlackMage] – Exactement. Laissez-moi introduire [Humble Acteur]. Elle a réussi à rentrer en contact avec moi à Wistram et je lui ai montré la conversation précédente.

[Humble Acteur] – Salut tout le monde.

[aragorn_479] – C’est un plaisir de te rencontrer.

[Loran Grimnar] – Pourquoi aragorn est ici ?

[aragorn_479] – Quoi ?

[Loran Grimnar] – Je viens de m’en rappeler. Tu as donné ton prénom ! Tu pourrais avoir été traqué où être un imposteur !

[aragorn_479] – Premièrement, je ne suis pas un imposteur. Deuxièmement, je suis adopté. Mon nom d’origine est un mystère même pour moi.

[Loran Grimnar] – Oh.

[Humble Acteur] – Coup de chance.

[BlackMage] – Exactement. Je peux le confirmer. Des mages ont essayé de retrouver aragorn mais n’ont pas réussi, donc elle est sûre.

[aragorn_479] – Et les autres ?

[BlackMage] – Nous avons perdu le contact. Nous ne pouvons rien voir.

[Humble Acteur] – Merde.

[Loran Grimnar] – omg.

[BlackMage] C’est pour cela que cela doit rester secret. Je voulais l’opinion de [batman], mais nous pouvons toujours lui montrer le chat.

[aragorn_479] – D’accord. On commence quand ?

[BlackMage] – Faisons ça proprement. Les [Mages] qui sont avec moi sont pratiquement certain que nous n’allons pas être hacké donc dites nous votre classe, location et situation.

[aragorn_479] – Suspicieux.

[BlackMage] – Nous voulons aider. Je suis à Wistram. Ils peuvent venir vous chercher.

[aragorn_479] – C’est quand même risqué. Pourquoi ne pas faire la classe et le continent jusqu’à ce que nous soyons certains de ce qui se passe ?

[Humble Acteur] – Je suis pour.

[BlackMage] – Je suppose… Désolé, je sais que c’est risqué.

[aragorn_479] – T’inquiète. Je vais commencer. [Ranger], comme je l’ai dit. Je suis en Terandria.

[Loran Grimnar] – [Guerrier]. Baleros.

[BlackMage] – Je suis un [Mage] à Wistram.

[aragorn_479] – Ca va les chevilles ?

[Humble Acteur] – [Pop Star]. Terandria.

[Loran Grimnar] – QUOI

[Humble Acteur] – La ferme. Je suis aussi une [Actrice].

[BlackMage] – Tu peux m’expliquer comment tu as eu cette classe ?

[aragorn_479] – Et ce qu’elle fait ?

[Humble Acteur] – C’est une variation de [Chanteuse]. Et je l’ai eut de manière compliquée, d’accord ?

[BlackMage] – Reprenons depuis le début.

[Loran Grimnar] – C’est trop bizarre. Comment est-ce que ça peut être une classe ?

[Humble Acteur] – Va en enfer.

[BlackMage] – Du calme, s’il te plaît.

[aragorn_479] – Pourquoi est-ce qu’on fait ça [BlackMage] ? C’est quoi le but pour nous. »

[Loran Grimnar] – On est pas en train de partager des informations ?

[Humble Acteur] – Non, aragorn à raison. [BlackMage], tu m’as dit que tu avais un plan.

[BlackMage] – C’est vrai.

[BlackMage] – Notre premier objectif est d’échanger des informations. Tout ce qui peut être utile, les indices ou les classes uniques comme la classe de [Pop Star] d’[Humble Acteur] peu être vital.  Et ensuite nous avons besoin de travailler ensemble. Et cela veut dire que nous devons nous rencontrer ou trouver un moyen de nous aider. De grands événements sont en marche. Le Roi de la Destruction est réveillé, et il y a plusieurs guerres qui ont lieu en Terandria.

[aragorn_479] – Je confirme.

[Loran Grimnar] – Vraiment ?

[Humble Acteur] – Je l’ai remarqué. C’est chiant.

[BlackMage] – Et tout devient plus dangereux. Nous devons travailler ensemble. Si nous pouvons nous rencontrer et trouver d’autres gens…

[aragorn_479] – Nous avons une armée.

[Loran Grimnar] – Est-ce qu’il y a une guerre ? Je veux dire, autre part que celle en Terandria ? Est-ce qu’on va se battre contre le Roi de la Destruction ? Car c’est sans moi.

[Humble Acteur] – Sis vis pacem, para bellum.

[Loran Grimnar] – Quoi ?

[BlackMage] – Je ne sais pas si nous allons partir en guerre. Mais les mages de Wistram disent qu’ils ne vont pas rester les bras croisés. Nous allons devoir travailler ensemble. L’union fait la force.

[aragorn_479] – C’est mieux qu’être seul. Nous allons pouvoir trouver Kyle l’imposteur ou au moins nous protéger.

[Humble Acteur] – Je suis pour. On commence quand ?

[BlackMage] – Des détails sur votre arrivée serait bien. Qu’est-ce qui s’est passé quand vous êtes arrivé, si vous avez remarqué quelque chose d’étrange… Cela nous permettrait d’identifier si vous étiez victime d’un sort.

[Loran Grimnar] – Donc C’ETAIT un sort ?

[BlackMage] – Pas pour tout le monde. Ils n’en sont pas certains. Mais ils sont en train de travailler dessus ; Nous avons des gens ici qui veulent aider.

[aragorn_479] – Est-ce qu’ils peuvent nous renvoyer ?

[BlackMage] – Peut-être. Mais faire l’inverse du sort serait plus compliqué que de faire venir les gens ici.

[Humble Acteur] – Génial.

[BlackMage] – N’abandonnez pas, les gens. Nous savons que nous ne sommes pas seuls.

[Loran Grimnar] – Oui, et ensuite on peut se retrouver ! Aragorn et Humble sont sur le même continent. Si nous travaillons ensemble nous pouvons gagner !

[Humble Acteur] – C’est quoi ça, un groupe de soutien ? Nous ne sommes pas dans un jeu.

[BlackMage] – Non, mais nous sommes unique. Nous avons été choisis pour une raison, je crois.

[Loran Grimnar] -  Nous pouvons faire des choses que les gens de ce monde ne peuvent pas faire. Nous pouvons être des héros.

[Humble Acteur] – Peut-être.

[aragorn_479] – Commençons. Est-ce que vous pensez que [batman] voudra nous rejoindre ?

[Humble Acteur] – Qui sait.

[BlackMage] – Nous sommes tous dans le même camp.

[Loran Grimnar] – Ouais. Nous pouvons sauver le monde.

[Humble Acteur] – Elle est bonne celle-là.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 03 février 2021 à 21:27:04

 
SO2 - Les Guerres Antiniumes Partie 1 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

(Ce livre a été trouvé en solde à Celum par Ryoka Griffin peu après son arrivée dans ce monde. Elle l’a acheté pour deux pièces d’or et six d’argent et lu ces pages avant de faire la rencontre d’un chariot à pleine vitesse.”
 
Introduction
 
Bien que de nombreux récits des célèbres Guerres Antiniumes (ou Guerres d’Incursion, comme on les retrouve parfois citées) aient été écrites, et que de nombreuses classes de [Tacticiens], de [Stratégistes] voire de [Commandants] aient analysées en détails les batailles qui s’en sont ensuivies, aucun récit cohérent n’a été compilé à ce jour. Le modeste [Écrivain] que je suis espère que le patchwork historique qui va suivre puisse servir de base pour compiler les futurs comptes-rendus.
 
Nombre de rapports sur la Première Guerre Antiniume ont été fondés sur des ouï-dire et les souvenirs souvent inexacts de [Soldats] et d‘[Aventuriers] qui se sont battus au front. ces témoignages, bien qu’instructifs, seront omis de manière que le récit soit fondé uniquement sur des comptes-rendus écrits.
 
Cela étant dit, ces comptes-rendus, concis, n’ont pas vocation à enseigner le mode de vie ou la nature des Antinium, ni même de servir de base pour de futures stratégies ou tactiques. Il ne s’agit ici que de faits historiques, dont nous devons nous souvenir.
 
Issrysil a survécu à deux guerres contre les Antiniums et la paix ténue que nous avons forgée persiste depuis presque une décennie alors que j’écris ces mots. Mais nous ne devons jamais baisser notre garde. Car si les Antiniums étaient assez téméraires pour déclencher une troisième guerre, j’ai bien peur que ce continent et tous ses habitants ne se fassent exterminer sous leurs nombres écrasants.


Krysyl Forgemots
 
Les Premières Guerres Antiniumes
 
Nous devons tout d’abord noter que malgré l’issue des Premières Guerres Antiniumes, la défaite des Antiniums n’a pas tant été due à une mauvaise performance de leur part ou à une quelconque force opposée en particulier. On pourrait débattre du fait que les Antiniums n’ont fait qu’une seule véritable erreur pendant la guerre, et se sont sinon battus au maximum de leurs capacités, faisant preuve d’un niveau d’organisation et de ruse face auxquels les nations Drakéides, Gnolles et Humaines qui ont failli échouer à les vaincre n’avaient aucunes chances.
 
En effet, si les Antiniums ont fait une unique erreur majeure, c’était avant la guerre. C’est une erreur qui leur a coûté le continent, et peut-être même le monde. Il s’agit de ceci :
 
Les Antiniums ont sous-estimé la mer.


***

Nous sommes en l’an 5 avant T.P, et le monde tremble encore sous les coups des nouvelles provenant de Rhir. Les armées du Roi Maudit ont été décimées de défaites en défaites, et chacun de ses Murs ont été rasés, sauf le dernier qui protège la capitale. Toutefois, le Roi des Démons a lui aussi été repoussé jusqu’aux confins de son territoire, et cette nouvelle espèce, surnommée “Antiniume”, a soudain disparu de la surface de ce continent.
 
Ni les  [Mages] de Wistram, ni aucune autre nation ne parvient à localiser l’espèce par magie, et tous les pays ayant ne serait-ce qu’une fraction de littoral exposé à la mer a fermé ses frontières et guette attentivement l’horizon, de peur que la Marée Noire ne rase leurs terres mal protégées.
 
Mais nulle attaque ne survient. Les océans sont silencieux, et après plusieurs mois d’attente, la tension se relâche. Où que soient les Antiniums, ce n’est pas ici. Et la paix revient, et le Roi Maudit reconstruit, et ses armées reprennent déjà son royaume perdu.
 
Et c’est à ce moment-là que les Antiniums débarquent. Non pas avec une vaste armée prête à recouvrir le monde, mais seulement quatre vaisseaux sur les deux cents qui ont largué les amarres des côtes de Rhir. Quatre petits bateaux qui jettent l’ancre à la pointe la plus au sud-ouest d’Issrysil, pendant les derniers mois de l’hiver. Voilà comment les Antiniums débarquent sur le continent, et ils demeurent cachés de nombreux mois. Pour se reposer. Reprendre des forces.
 
C’est la raison pour laquelle les Antiniums ont perdu la guerre avant même de l’avoir commencée. Voilà leur unique folie.
 
***

D’après les rares témoins à avoir vu le départ des Antiniums, ou, d’après les dernières théories, leur fuite de Rhir, nous savons que plus de deux-cents grands navires ont été aperçus, chacun grouillant d’Antiniums et de leurs précieuses Reines. Ce nombre n’est pas exagéré ; de nombreux comptes-rendus en atteste l’authenticité.
 
Et pourtant, seuls quelques navires sont parvenus à atteindre les côtes d’Issrysil. Étant donné qu’aucune flotte n’a rapporté avoir croisé le fer avec les Antiniums et qu’aucun monstre marin remarquable n’ait été repéré, nous ne pouvons que supposer que les Antiniums aient perdu la quasi-totalité de leurs vaisseaux face aux orages et aux eaux encalminées.
 
Les Antiniums ont beau être de féroces guerriers, ils restent de bien piètres marins pour un certain nombre de raisons évidentes. De plus, nous pouvons supposer qu’ils n’avaient pas correctement appréhendé le temps nécessaire pour traverser une étendue d’eau aussi grande que l’océan, ou les difficultés liées à la navigation, l’approvisionnement, etc. C’est la raison pour laquelle ils ont failli être entièrement annihilés, ou, peut-être plus exactement, c’est un miracle que certains navires soient parvenus à atteindre Issrysil.
 
Nous ne saurons peut-être jamais si les Reines avaient prévu de venir sur ce continent ou non ; nous ne saurons pas non plus ce qu’ils firent pendant ces quelques mois, même si nous pouvons imaginer qu’ils aient principalement concentré leurs efforts sur la création d’une Colonie et sur le réapprovisionnement de leurs stocks d’Ouvriers et de Soldats. Le deuxième affrontement avec les Antiniums qui ait été documenté est celui de la cité portuaire de Nasserous, où la Capitaine de la Garde* détailla plusieurs événements inhabituels presque huit mois après leur départ de Rhir.
 
* Les Capitaines de la Garde ont une position hiérarchique plus élevés que chez les Humains. Parmi les Drakéides, le Capitaine de la Garde partage généralement le même rang que les membres d’un Conseils de dirigeants, et il a d’ordinaire les pleins pouvoirs en ce qui concerne les décisions militaires locales.
 
Extrait du journal de la Capitaine de la Garde I’sl
 
“... ne sais pas où ils sont partis. La deuxième patrouille n’a pas retrouvé de cadavres, mais a mentionné la présence de quatre épaves le long des plages. D’après eux, les navires avaient l’air vide, mais j’enverrai d’autres hommes en éclaireurs plus tard. S’il y a des Krakens ou d’autres monstres capables de faire couler des bateaux dans les parages, nous devons le savoir immédiatement.”

 
Plusieurs jours plus tard, Capitaine I’sl écrivit un autre paragraphe.
 
... ne sont pas revenus. Je suis à présent certaine qu’il y a quelque chose là-bas, mais j’ai peur d’envoyer d’autres gardes pour vérifier. Ma dernière patrouille contenait cinq [Gardes] d’un niveau supérieur à 20 ; un [Éclaireur] solitaire n’a retrouvé aucunes traces d’eux ni même de signes de violence. Je poste une double garde aux portes et dépose une requête pour des aventuriers Argent ou plus pour investiguer l’affaire.”
 
C’est ce qu’elle fit, mais ni les aventuriers, ni les patrouilles suivantes ne parvinrent à trouver une trace de ces mystérieux agresseurs. Il est probable que les Antiniums levèrent le camp de la plage et évitèrent d’autres accrochages en se rendant au nord, vers les hauts plateaux rocheux. Là, ils continuèrent de se cacher jusqu’à ce que le hasard ne les fasse combattre de nouveau deux mois plus tard.
 
À l’intention du Maître de Guilde Jekra de Talvasor
 
“Je t’écris pour te raconter un événement inhabituel qui s’est produit dans ma guilde aujourd’hui. Moins d’une heure plus tôt, un [Ranger] Or est entré dans ma guilde en traînant une litière où reposaient quatre cadavres qui ont mis la guilde en émoi. Il dit qu’il a trouvé ces monstres en train de chasser ensemble sur une colline rocheuse et qu’ils l’ont tiré à vue.
J’ai inspecté personnellement les corps, et je dois avouer que leur vue m’a bouleversé. Ces nouveaux monstres ne ressemblent à rien de ce que j’ai connu en tant qu’aventurier ou Maître de Guilde. Il s’agit d’une espèce d’insecte, avec des corps noirs et un exosquelette très résistant, mais qui pourtant ont quatre bras et deux jambes et sont apparemment bipèdes comme les Drakéides et les Gnolls. Leur sang est vert, et leurs yeux ont de multiples facettes comme les insectes, et ils possèdent des mandibules vicieuses avec lesquels ils peuvent sans doute mordre.
 
Je n’ai jamais vu ce genre de monstre. Je ne sais pas si c’est une sorte d’éclosion de donjon ou un genre de nouvelle espèce. Je t’écris dans l’espoir que tu connaîtras leur espèce et la récompense appropriée pour les aventuriers. Il prétend que ces créatures se sont battues avec une férocité peu ordinaire, sans s’arrêter tant qu’il n’eut pas tiré une flèche dans la tête de chacun avant de les décapiter. Je te prie de me conseiller au plus vite,
 
            -   Maître de Guilde Pessia



Heureusement, le Maître de Guilde Jekra put relier les cadavres des Antiniums avec les rumeurs provenant de Rhir et il donna immédiatement l’alarme à chacune des Cités Emmurées, les pressant de mener une action immédiate et de mobiliser les armées de chacune des cités-État.
 
C’est là que commencent les multiples comptes-rendus écrits des événements suivants, et les décisions prises par les dirigeants de chacune des Cités Emmurées* ne peuvent pas être mises en doute. Pendant presque un mois, les autorités ont débattu et argumenté contre la présence des Antiniums sur Issrysil. Comme ils n’avaient pas de preuves de la présence des Antiniums autre que celles apportées par les témoins visuels (les cadavres des Antiniums terrassés avaient été éliminés depuis trop longtemps pour vérifier cette affirmation), et que les conflits n’avaient pas continué, les dirigeants n’ont pas réussi à mener d’action décisive.
 
* Les célèbres Cités Emmurées ne sont pas dirigées par les mêmes méthodes gouvernementales. Certaines adoptent un fonctionnaire élu, tandis que d’autres sont gérées par un corps d’individus influents ou, dans certains cas, par un meneur héréditaire.
 
Quelques dirigeants de Cités Emmurées déposèrent une récompense coquette pour que des Aventuriers Or explorent la zone où les Antiniums avaient été aperçus; mais là encore, les Antiniums préférèrent éviter les combats lorsque c’était possible, et les aventuriers revinrent bredouilles, ce qui renforça l’idée d’une fausse alerte.
 
En bordure de la civilisation, près des montagnes et dans les hauts plateaux, d’autres rapports au sujet de monstres mystérieux et de gens étranges qui se déplaçaient la nuit ne cessaient d’apparaître, décrivant des nombres croissants et de plus en plus proches des villes et des cités. Les [Stratégistes] pensent qu’il s’agissait des premiers groupes d’éclaireurs envoyés en amont de l’attaque principale.
 
Toutefois, la rumeur de l’arrivée des Antiniums n’avait circulé que parmi un nombre très restreint de personne, comme les dirigeants des Cités Emmurées ne souhaitaient pas créer de panique. Seuls une poignée d’autres individus notables étaient au fait de la présence des Antiniums, avec entre autres la jeune Lady Magnolia Reinhart, Lord Tyrion Veltras, et le Général Sserys.
 
Nous ne savons pas comment Lady Magnolia et Lord Tyrion ont appris la nouvelle de l’arrivée des Antiniums, mais nous pensons que les deux Humains avaient accès à de puissants sortilèges qui les a alertés du problème. Lord Tyrion était au courant de la présence des Antiniums, mais il partit du principe que n’importe quel conflit ne ferait qu’affaiblir à la fois les populations Antiniumes et les populations Drakéides et Gnolls, ce qui permettrait aux cités Humaines d’écraser aisément tous ses opposants à la fin de la guerre.
 
En revanche, Lady Magnolia accueillit la nouvelle de l’arrivée des Antiniums plus sérieusement que les deux autres, et se mit immédiatement à contacter le reste des lords et des dirigeants importants des cités-États Humaines. Ses actions allaient avoir un impact sur le cours de la guerre, mais à l’époque, la parole de la jeune Reinhart ne put convaincre que les plus prudents de ses auditeurs septentrionaux.
 
Enfin, le Général Sserys de Liscor prit immédiatement la situation en serre lorsqu’il fut alerté de la présence des Antiniums, et il mena des actions décisives. C’est là aussi la première fois que le journal personnel du Général Sserys mentionne une rencontre avec les Antiniums, lors d’une mission de garde de routine avec l’Armée Liscorienne*. Il y note une patrouille inhabituelle et des pertes parmi ses hommes.
 
* L’armée de Liscor est réputée comme étant l’une des forces les plus puissantes du continent, et notamment pour louer ses services à n’importe quelle nation prête à l’embaucher. Par conséquent, les soldats et leurs commandants sont rarement proches de la ville et se battent au contraire constamment sur les champs de batailles comme mercenaires.


Extrait du Journal du Général Sserys de Liscor -
 
“Aujourd’hui, nous aurions dû passer une journée ordinaire de patrouille autour de la cité d’Ussls. Notre combat contre les forces du Seigneur Gobelin local a été sanglant et nous avons gagné de justesse, mais je crois à présent que nous avons réussi à écraser le dernier de ses Cheftains et fait s’éparpiller ses dernières tribus Gobelins. Tout étant normal, je ne m’attendais à rien d’autre que quelques monstres locaux, mais l’une de mes patrouilles a été attaquée et à présent six de mes soldats sont morts sous les coups d’un ennemi inconnu.
 
Pour résumer : une patrouille de vingt Drakéides et Gnolls est tombée sur un groupe de quinze individus noirs dans une forêt ; occupés à couper des arbres à l’aide d’armes rudimentaires. Lorsqu’ils se sont rendu compte qu’ils étaient découverts, cet étrange groupe a immédiatement attaqué mes soldats avant qu’ils n’aient pu repérer d’ouverture. Avant qu’ils n’aient eu le temps de battre en retraite, ils ont tué six de mes soldats - fonçant
tout droit sur la barrière de lances que mes soldats avaient formée pour détruire leurs premières lignes. Ensuite, les créatures noires se sont repliées, emportant leurs morts avec elles. Le chef de la patrouille n’a pas cherché à les poursuivre et est immédiatement venu me rapporter les événements.
 
J’ai envoyé trois détachements de soixante guerriers chacun pour aider les patrouilles à localiser de nouveau ces créatures, mais ils sont revenus les serres vides jusqu’à présent et je ne suis pas sûr qu’ils retrouveront leurs traces. Ces créatures semblent disparaître facilement, et sans cette rencontre de hasard, une armée aurait pu passer devant sans s’en apercevoir.
 
Je suis profondément troublé par ces événements. Des pertes égales contre un ennemi en infériorité numérique ne sont pas acceptables, étant donné la force de nos soldats. De plus, la volonté de ces étranges ennemis de se jeter sur nos lances puis leur désir d’emporter leurs compagnons morts avec eux sont également inquiétants.
 
Je vais voir si nos forces peuvent travailler encore dans la région, même si la paie doit être amoindrie. Mes commandants ne vont pas apprécier cette décision, mais mon instinct de [Stratégiste] me souffle que je ne dois pas ignorer ce qu’il vient de se passer.

 
Le Général Sserys resta en effet plusieurs jours dans la région, et ses inquiétudes s’avérèrent bientôt extrêmement fondées : cinq jours après cet accrochage, soit près de six mois et demi après l’arrivée des Antiniums, quinze villages et une petite ville furent tous détruits en une nuit.
 
Les attaques se produisirent presque simultanément, et ne laissèrent aucun survivant. Des marchands, des aventuriers et une patrouille de Cité Emmurée trouvèrent les bâtiments déserts et donnèrent l’alerte. Toutes les zones habitées à cent milles à la ronde furent mis en état d’alerte, et cela permit à quelques survivants de s’échapper lorsque la deuxième vague d’attaques arriva.
 
Plus d’une trentaine de petits villages furent attaqués deux jours après la première attaque, et plusieurs aventuriers et groupes de soldats de haut niveau parvinrent à retenir les Antiniums suffisamment longtemps pour que les civils et les Coursiers sonnent l’alarme. Mais lorsque les armées arrivèrent, tous les villages étaient déserts, et cadavres comme Antiniums avaient disparus.
 
Toutefois, de nombreux témoins oculaires confirmèrent les plus grandes craintes des dirigeants Drakéides. La magie avait beau ne pas pouvoir localiser leurs colonies, ces attaques correspondaient à celles dont avait souffert le Royaume Maudit de Rhir, et les rapports précédents de repérage d’Antiniums ne faisaient que confirmer ce fait.
 
Devant la conclusion indéniable que les Antiniums avaient débarqué sur leurs côtes, les dirigeants des Cités Emmurées se mirent à discuter avec réticence de la création d’une armée coalisée, même si plusieurs d’entre eux avaient encore l’espoir qu’une équipe d’aventuriers seraient en mesure de chasser les Antiniums tout seuls. Comme il n’y eut pas d’autre attaque grave, les négociations traînèrent jusqu’au printemps, 3 ans avant T.P, lorsque les Antiniums lancèrent une attaque virulente contre les cités d’Ys, Beresslars et Lavhavre.
 
Chaque cité était en état d’alerte maximale et les soldats des Gardes locales patrouillaient les murs avec vigilance. Toutefois, à ce stade, les Drakéides et les Gnolls n’avaient pas encore beaucoup d’expérience de combat contre les Antiniums et se préparèrent comme s’ils étaient menacés par des forces conventionnelles plutôt que par le style de tactiques uniques des Antiniums.
 
Les Cités Emmurées les plus proches des trois cités reçurent un sort de [Communication] paniqué juste après l’aube, puis plus rien. Bien qu’une armée de cavaliers se mit immédiatement en route pour aider les cités, il était trop tard. Les Antiniums attaquèrent puis se replièrent avant que la cavalerie n’atteigne la ville, et le [Capitaine] en tête décida de ne pas mener de poursuite.
 
Et moins de deux heures, les Antiniums parvinrent à tuer ou mutiler plus de 80% de la population de chacune des villes. Les murs et les défenses conventionnelles qui rendent les cités-États tellement difficiles à prendre lors de sièges conventionnels tombèrent en quelques secondes lors de l’attaque.
 
Les témoignages des quelques survivants parlent d’une horde de Soldats noirs et même d’Ouvriers escaladant les murs à toute vitesse, bâtissant des échelles vivantes et écrasant les aventuriers et la Garde de la Cité par la seule force du nombre. L’assaut fut si féroce que la moitié des forces de la ville furent cueillis dans leurs lits où elles furent massacrées.
 
Ce fut le déclenchement réel de la guerre. Les cités-États se déclarèrent immédiatement l’état d’urgence et se mirent à former le plus de soldats et de guerriers possibles. Toutefois, chaque cité préférait monter ses propres armées et conserver les alliances déjà formées que s’allier avec tout le monde.
 
Voilà la deuxième erreur des Drakéides. À l’origine, la force de frappe Antiniume était en sous-nombre face aux nombreuses armées Drakéides du continent. Mais les armées isolées et la réticence des cités à travailler serre dans la serre permirent aux Antiniums d’attaquer localement en surnombres, et de rapidement envahir les cités qui entouraient leurs Colonies.
 
Les Cités Drakéides ont beau avoir existé dans un état de guerre et d’escarmouches incessantes les unes contre les autres, l’un des facteurs qui empêchait la plupart d’être conquises fut la difficulté à prendre une ville avant l’arrivée des renforts. Les armées, même les plus puissantes, prenaient du temps pour franchir les murs et le reste des défenses magiques qui protégeaient chaque cité, délai dont profitaient à coup sûr une autre armée pour attaquer les attaquants ou leur ville d’origine.
 
De cette façon, une cité-État pouvait facilement rester autonome, ou pour le moins, conserver au maximum son indépendance en s’alliant avec les villes ou les Tribus Gnolles adjacentes. Toutefois, le style d’attaque des Antiniums consistait à prendre les murs par la seule force du nombre et de leur vitesse implacable. Les renforts n’arrivaient que pour trouver une ville pleine de morts ou s’apercevoir que les Antiniums étaient déjà partis avant leur arrivée.
 
En moins d’une semaine, huit cités étaient tombées et les cités-États des Drakéides avaient compris l’étendue de leur erreur. Mais toutes avaient beau s’accorder sur le fait qu’une armée coalisée était nécessaire, aucune ville ne voulait envoyer son armée par-delà ses murs, de peur que les Antiniums ne les attaque alors qu’elles étaient sans défense. Et les Antiniums profitaient de cette hésitation pour prendre leurs murs et les décimer sans égards pour leurs armées.
 
Seules quelques armées parvinrent à décrocher quelques victoires contre les Antiniumes pendant ces quelques assauts initiaux. Quelques cités-États avec des forces supérieures parvinrent à repousser les Antiniums et l’armée du Général Sserys réussit à décrocher de véritables victoires avant de se replier devant leurs nombres écrasants.
 
Une [Tacticienne] Drakéide nota plusieurs observations initiales après une bataille, qu’elle transmit immédiatement à chacune des cités-États par [Message] et Courrier. Elle y décrivit les Antiniums comme une menace extrêmement dangereuse, malgré leur manque apparent de guerriers de haut niveau et de magie :
 
”... Bien que ces ‘Antiniums’ ne paraissent pas avoir d’individus aux Compétences uniques dans leurs rangs, je pense que leurs guerriers valent n’importe quel [Guerrier] de Niveau 15, voire même plus lorsqu’ils se battent en binôme.
 
J’ai observé deux types d’Antiniums : les gigantesques Soldats et les Ouvriers, plus petits. Des deux, les Soldats sont largement les plus dangereux. Ils se battent main dans la main et foncent sur les pieux et les pièges magiques sans égards pour leurs vies. Ils continuent d’attaquer même lorsqu’ils sont mortellement blessés, et ils peuvent tuer un guerrier en armure à coup de massue si on leur en laisse le temps.
 
Leurs carapaces sont aussi dures qu’une armure de cuir et les Antiniums combattent et se déplacent comme une unité professionnelle. Notre armée n’a pu les vaincre qu’en utilisant notre angle d’attaque supérieur et les nombreuses zones de sorts d’attaque pour décimer leurs formations. Nos soldats d’élite ont tué de nombreux Antiniums, et il apparaît que leur seule faiblesse réside en leur manque de magie et de guerriers de haut niveau.
 
Les Antiniums n’ont pas de mages, et leurs armes longues portée sont des arcs primitifs et des flèches de pierre rudimentaires. Toutefois, leurs nombres et leur efficacité compense largement cette faiblesse. Apparemment, même la classe ‘Ouvrière’ peut tirer des flèches, et leurs rangs d’archers sont donc capables de faire face à nos meilleures divisions simplement en termes d’envoi de missiles.
 
Toutefois, soyez prévenus : nos guerriers ont été attaqués par
derrière leurs lignes à de nombreuses reprises ,et notre groupe de mage a été attaqué lorsque les Antiniums sont sortis d’un tunnel. Je recommande de poster des sentinelles pour surveiller ces attaques surprises ,et de se battre sur du socle rocheux ou dans des marais si c’est possible.”
 
L’avantage le plus troublant que possédaient les Antiniums par rapport aux Drakéides ou aux Gnolls étaient leur capacité à creuser des tunnels. Des positions retranchées contenant des éléments vulnérables comme des quartiers généraux de commandement ou des zones à haute concentration en [Mages] ou en [Archers] se retrouvaient soudain attaqués par des équipes de Soldats et d’Ouvriers sous terre qui infligeaient le plus de dégâts possibles avant de battre en retraite.
 
Ces attaques surprises menèrent à une diversification des soldats de valeur, et à une règle au sein des armées Drakéides de ne jamais avoir plus d’un soldat de niveau supérieur à 30 dans un escadron à la fois. Cette règle est encore d’actualité dans les armées Drakéide à ce jour.
 
Toutefois, même en dissimulant et en protégeant leurs mages, les armées n’en avaient jamais suffisamment, et avec assez de niveaux, pour changer le cours d’une bataille. Les Antiniums sacrifiaient volontiers des milliers de Soldats et d’Ouvrier pour ne tuer même qu’un seul individu de haut niveau. Lentement, les armées mercenaires reculèrent, forcées d’abandonner leurs cités clientes en voyant leurs forces s’amenuiser petit à petit.
 
Sserys envoya plusieurs appels pendant cette période aux cités locales, leur demandant d’envoyer leurs soldats pour repousser l’avancée des Antiniums, mais il fut rabroué et finit par mener ses soldats loin à l’est, pendant que les cités tombaient tout autour de lui. Grâce à ses efforts pour ralentir l’avancée des Antiniums, plusieurs villes furent en mesure d’évacuer tous leurs civils et leurs soldats, mais si l’on regarde la carte de la guerre dans sa globalité, les Antiniums furent à peine ralentis pendant qu’ils saccageaient Izril.
 
Un mois après le déclenchement de la Première Guerre Antiniume, les Antiniums s’arrêtèrent. Nous pensons qu’ils ont passé une semaine à remplacer leurs troupes perdues et à renforcer leurs armées, et, peut-être, à creuser pour construire davantage de Colonies. Aucune armée n’osa lancer d’assaut, et les rares endroits où les Antiniums avaient été arrêtés restèrent englués dans des combats semi-constants.
 
La Marée Noire des Antiniums se remit en marche, balayant l’est, le sud et le nord à une vitesse tellement implacable que tout espoir de réunir une armée pour les contrer fut perdu. En un instant, les Antiniums avaient capturé presque trente pour cent de la moitié australe d’Issrysil, et semblaient prêts à balayer le reste. Toutefois, ils rencontrèrent leur premier obstacle lorsqu’ils encerclèrent et se mirent à assiéger la Cité Emmurée de Zérès.
 
Les Antiniums avaient aisément réussi à traverser quatre des Murs construits par les Royaume Maudit de Rhir, mais les constructions supérieures des Cités Emmurées leur posèrent un nouveau défi*. Une armée gigantesque se mit à assiéger Zérès, mais après une semaine de combat de jour comme de nuit, les Antiniums furent repoussés, avec des pertes extrêmement élevées de leur côté tandis que leurs opposants n’avaient quasiment souffert d’aucun dégât.



* Les célèbres Cités Emmurées possèdent des fortifications tout à fait différentes de celles des autres cités Drakéides. Leur date d’origine est antérieure à l’histoire écrite, et la magie qui permet aux murs de cent mètres de haut de tenir debout renforce la pierre et lui permet même de se réparer avec le temps. Aucune armée n’a jamais réussi à prendre l’une des six Cités Emmurées restantes en les assiégeant, bien que les célèbres cités aient pu tomber sous le coup des coups d’État et des trahisons au cours du millénaire.


Les échelles vivantes qu’utilisaient les Antiniumes étaient bien trop courts pour atteindre les créneaux de la Cité Emmurée, et les Antiniums s’aperçurent qu’il leur était impossible d’atteindre les défenseurs, qui avaient un meilleur angle d’attaque, avec leurs flèches.
 
L’un des Seigneurs des Murailles de Zeres nota avec jubilation l’échec des Antiniums dans son journal personnel :



”Ils ne peuvent pas franchir nos murs, ni détruire leurs fondations ! Leurs sapeurs ont beau être forts, ces insectes ignobles n’ont pas la magie nécessaire pour détruire les enchantements qui protègent les Cités Emmurées. Nous sommes en sécurité, tant qu’ils ne trouvent pas de moyen d’escalader nos murs ou de construire une tour de siège suffisamment grande.
 
En effet, le sol autour des Cités Emmurées était impénétrable avec les outils et les équipements conventionnels à cause des enchantements qui irradiaient des murs. Ceci frustra les Antiniums, et plusieurs observateurs sur les murs virent les Ouvriers creuser le sol jusqu’à ce que leurs membres se brisent et que leurs doigts soient sanglants et à vif.
 
Zeres resta debout, et les Antiniums ne purent l’abandonner de peur que l’armée ne les attaque par derrière. Ce siège, tout comme celui d’autres Cités Emmurées, permit d’occuper une grande partie de l’armée Antiniume, ce qui ralentit leur avancée.
 
Le désavantage de cette situation fut que bien que les Antiniums souffrent de lourdes pertes pendant leurs assauts initiaux, ils se replièrent rapidement hors de portée et maintinrent un siège passif, dans l’espoir d’épuiser les provisions des Cités Emmurées.
 
Ceci aurait pris des années, étant donné les stocks gigantesques que maintiennent chaque Cité Emmurée et leur capacité à cultiver des champs et même élever des troupeaux à l’intérieur de leurs gigantesques fortifications. Mais tant que les Antiniums maintenaient leur siège, les armées de chacune des Cités Emmurées restaient forcées de demeurer derrière leurs murs, forçant le reste des cités-États à se défendre seules.
 
Les légions Antiniumes auraient pu raser toute la moitié australe du continent sans rencontrer de résistance, si deux groupes n’avaient pas vaincu leurs armées avec une efficacité sans précédent.
 
Pendant que les cités-États étaient lentement évacuées et tombaient sous les assauts des Antiniumes, une autre force pénétra dans les marais et les plaines herbeuses appartenant aux tribus Gnolles, brûlant et tuant tout sur leur passage. Toutefois, les Gnolls d’Issrysil ne bâtissaient pas de cités comme les Drakéides, et contrairement à leurs rivaux écailleux, leur opposition contre les Antiniums fut bien plus couronnée de succès.
 
Les tribus Gnolles des plaines et des marais réagirent beaucoup plus rapidement que n’importe laquelle des cités-États conformistes des Drakéides, et plus d’une centaine de tribus envoyèrent leurs guerriers pour former une armée gigantesque - semblable à celles qui repoussèrent même les plus grandes des avant-gardes lors des guerres entre Gnolls et Drakéides pendant les siècles précédents.
 
Pendant leur premier véritable combat contre une vaste force de presque quatre-vingt mille Antiniums, une armée de vingt-mille Gnolls parvint à mettre en déroute leur armée entière dans une bataille sanglante qui ne dura qu’une journée. Nous supposons que cette armée n’était pas composée de [Chasseurs] et de [Guerriers] Gnolls ordinaires, mais d’élites choisies dans chacune des tribus.
 
Il y eut de lourdes pertes des deux côtés, mais l’armée Antiniume fut presque entièrement détruite et une force bien supérieure de près d’une centaine de milliers de Gnolls se rassembla pendant la semaine qui suivit. Cette armée principale, complétée par plusieurs “meutes de chasse” de dizaines de milliers de Gnolls, parvint à repousser chacune des avancées Antiniumes dans les territoires Gnolls.
 
La résistance Gnolle est probablement l’une des raisons principales pour lesquelles les Antiniums furent incapables de submerger un seul front plus tard pendant la guerre. Ils continuèrent de combattre les Tribus Gnolls dans des batailles de plus en plus coûteuses pour les deux côtés, mais ne parvinrent jamais à pénétrer de plus de cinquante milles en territoire de cœur des Gnolls. Toutefois, les Gnolls n’envoyèrent jamais d’armées pour contre-attaquer les Antiniums, préférant protéger leurs tribus éparpillées et leurs possessions.
 
Avec le temps, il est possible que les Antiniums auraient pu prendre les villes des Drakéides et encercler les Gnolls avec leurs nombres écrasants, mais leur avancée à l’est fut stoppée à la Passe des Chutes Frissonnantes par la première armée coalisée à s’être formée pendant la guerre.
 
Général Sserys avait emporté l’armée Liscorienne loin à l’est, dans l’espoir de rallier les villes. Au début, il n’avait trouvé aucun soutien, étant donné que les cités ne faisaient pas confiance à la nature mercenaire de son armée et avaient peur d’être trahies. Mais lorsqu’il devint évident que les Drakéides mourraient s’ils restaient seuls, de plus en plus de soldats et d’officiers haut gradés se mirent à s’engager dans des communications privées avec Sserys, défiant directement les ordres des dirigeants de leurs cités.
 
Lorsque les sièges des Cités Emmurées débutèrent, la Marée Noire se sépara en deux et envoya une force gigantesque en direction de la Passe des Chutes Frissonnantes, l’une les zones stratégiques séparant les moitiés Est et Ouest du continent. Cette armée d’avant-garde était composée de plus d’une centaine de millier d’Antiniumes, et toutes les cités qui se dressaient en travers de sa route évacuèrent leurs populations, fuyant en direction des Cités Emmurées qui se retrouvèrent enlisées sous la masse des réfugiés.
 
Un seul [Général] refusa de battre en retraite. Sserys était convaincu que la perte de la Passe des Chutes Frissonnante permettrait aux Antiniums de s’implanter de manière permanente. Il préféra appeler tous les [Commandants] en tête d’une armée de plus de mille soldats aux alentours à le rejoindre pour défendre la passe. La réputation de l’Armée Liscorienne et le niveau personnel de Sserys convainquirent de nombreux groupes de mercenaires et de petites armées d’accepter son pari et de rejoindre ses forces qui engagèrent le combat avec les Antiniums au centre de la passe.
 
Sserys s’exprima brièvement à l’attention de ses soldats lorsque sa petite force se prépara à repousser les Antiniums qui avançaient vers la passe. Il s’adressa à son armée quelques minutes avant la rencontre des deux armées :
 
“Le temps nous manque pour les discours la serre sur le cœur, pour les puissants serments ou les vœux solennels. Voilà l’ennemi. Nous voilà, nous. Je ne reculerai pas d’un seul pas. Qui protégera mes arrières ?”
 
L’armée coalisée de Sserys et les Antiniums croisèrent le fer au milieu de la passe, combattant entre les limites étroites du canyon rocheux pendant que le [Général] Drakéide au front menait ses soldats.
 
Il mena en personne quinze charges contre les Antiniums. Fidèle à sa promesse, General Sserys refusa de reculer. Il plaça au contraire ses premières lignes au centre des formations Antiniums, préférant repousser leurs soldats plutôt que de leur permettre de se regrouper.
 
Sa stratégie globale consistait à former des rangs solides de soldats avec des classes défensives en assignant des [Tacticiens] et des [Stratégistes] à chaque colonne, en utilisant leurs capacités actives pour renforcer leurs positions. Les archers se battaient contre les Antiniums à distance et les mages faisaient exploser les regroupements d’Antiniums, qui n’avaient pas la possibilité de renvoyer ce genre de force destructrice.
 
Fort de son expérience des batailles passées, Sserys fit systématiquement effondrer les tunnels qui apparaissait derrière ses lignes, mais son succès fut également dû à son inéluctable avancée ; les Antiniums n’eurent jamais le temps de creuser sous son armée tandis qu’ils décimaient leurs formations, reprenant largement la stratégie des Antiniums lors de batailles précédentes.
 
Sserys envoya des équipes de choc constituées de guerriers de haut niveau décimer les lignes Antiniumes avant de se retirer avec peu voire point de pertes tandis que ses guerriers d’un niveau inférieur repoussaient les Antiniums toujours plus loin. Les Soldats Antiniums avait beau être plus forts que le [Soldat] moyen fraîchement recruté, les Drakéides et les Gnolls d’un niveau supérieur à 20 restaient capables de tuer un nombre incalculable d’Antiniums avant d’être forcés à battre en retraite.
 
Après presque deux jours de combat incessant, la gigantesque armée Antiniume se replia avec moins d’un quart de son nombre d’origine. Les forces de Général Sserys ne subirent que peu de dégâts en comparaison ; les grandes quantités de potions de soin, les [Soigneurs], et les compétences dues aux classes de [Commandants] combinés à la rotation des soldats blessés permirent de sauver des milliers de vies sur le champ de bataille.
 
Cette victoire fut la première défaite majeure d’une armée Antiniume sur le continent. Les nouvelles se répandirent instantanément à chaque cité-État et avec elles, le moral des Drakéides et des Gnolls remonta en flèche. Les Antiniums pouvaient être vaincus. Ils pouvaient être arrêtés.
 
La défaite des Chutes Frissonnantes n’était pas significatives pour les colonies Antiniumes en termes de soldats ou d’importance stratégique, mais cet échec surprit les Reines qui menaient la guerre. Même à Rhir, les Antiniums avaient rarement été vaincus avant leur départ, et cet échec décisif a dû inquiéter la Grande Reine.
 
Bien que plusieurs armées supplémentaires auraient pu venir rejoindre le combat contre l’armée de Sserys une nouvelle fois, la Grande Reine décida de n’en rien faire. Au lieu de cela, elle envoya d’autres armées au nord pour assaillir Liscor tandis que le reste se repliait pour maintenir leurs sièges et protéger le territoire qu’ils avaient conquis.
 
Ceci s’avéra être une erreur, car l’armée victorieuse de Sserys se mit à attirer des soutiens et de nouvelles recrues à une échelle inégalée jusqu’alors. Le [Général] rallia l’est, sollicitant le soutien des Cités Emmurées qui n’étaient pas directement sur le chemin de l’avancée des Antiniums. Comme elles cherchaient désespérément un leader capable de vaincre les Antiniums, elles envoyèrent toutes les armes et tous les soldats qu’ils purent rassembler.
 
Les communications des Sserys avec les dirigeants des deux cités restent d’une nature largement diplomatique ; ses mots rassurants à leur attention restent surtout personnels et il est probable qu’il ait évité de faire référence à sa stratégie globale, sauf pour un échange. Les requêtes initiales des deux cités voulaient que Sserys reste en position de défense et empêche l’avancée des Antiniums plutôt qu’il n’avance pour attaquer selon ses souhaits.
 
Face à la pression croissante tant à travers ses correspondances que de la part des émissaires envoyés par les Cités Emmurées, Sserys envoya une réponse brève par lettre magique qu’il écrivit comme suit :
 
Nous ne battrons pas en retraite.
 
La victoire ne peut être décrochée qu’en faisant face aux Antiniums. La lâcheté ne fera que précipiter notre chute. Nous allons les assaillir et rallier les nôtres ou mourir en combattant. C’est notre seule chance.
 
N’essayez plus de me dissuader de prendre cette voie. Un Drakéide ne prend pas la fuite.
 
   - Général Sserys de Liscor


Le jour suivant, la Première Armée Coalisée de Liscor lança une contre-attaque à grande échelle sur les forces Antiniumes en train d’assiéger les Cités Emmurées.



 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 08 février 2021 à 01:22:19
SO2 - Les Guerres Antiniumes Partie 2
Traduit par Maroti

La Première Guerre Antinium continua pendant quatre mois après l’assaut initiale et la résistance des armées Drakéides fit réaliser aux Antiniums que le continent ne tomberait pas aussi facilement.

La Marée Noire avait balayé Issyril comme Rhir, mais contrairement au Royaume Maudit, les Drakéides et Gnolls n’avaient pas de grands ennemis à affronter comme le Roi Démon. Et devant la menace de l’invasion Antinium, les tribus Gnolls et villes Drakéides guerroyantes mirent leurs anciennes rivalités pour s’unir contre un ennemi commun.

L’éventuelle alliance des villes et tribus qui se forma sous le commandement du Général Sserys prit plusieurs mois pour se concrétiser, période de temps durant laquelle la conquête des Antiniums resta incontrôlée. Si l’alliance s’était rassemblée au début de la Guerre Antinium, voir au bout de quelques mois, la machine de guerre Antinium n’aurait peut-être jamais atteint une telle ampleur.

Sserys parvint éventuellement à unifier toutes les villes Drakéides et à forger une alliance ténue avec le collectif des Tribus Gnolles, ce qui était essentiellement un pacte de non-agression qui permettait aux Drakéides et Gnolls de se concentrer sur les Antiniums. Et donc, Sserys fut nommé Haut-Général et prit le commandement de la guerre contre l’ennemi Antinium.

Il est nécessaire de dire que malgré son niveau élevé et son expérience de stratège, même Sserys et les meilleurs [Stratégistes] du continent peinait à ralentir les Antiniums. Les Reines réagissaient avec une telle vitesse et sans la moindre hésitation qu’il était difficile de surprendre leurs armées, et sans de perte de morale possible ou d’erreur de communication, les Antiniums possédaient encore moins de faiblesse qu’une armée conventionnelle.

Et pourtant, même si la Marée Noire était implacable, il y avait encore des bastions que même le nombre sans fin des Soldats Antiniums ne pouvaient pas faire tomber.

Les Tribus Gnolles, les Villes Emmurées, et l’armée de Sserys étaient des piliers indomptables qui ne pouvaient pas être vaincus malgré les nombreuses attaques des Antiniums. Mais des villes brûlaient et des marées de Drakéides et Gnolls épuisés fuyant vers l’est, une autre cible que les Antiniums exploitaient.

General Sserys ne pouvait pas abandonner les civils aux griffes des Antiniums, et les Drakéides étaient obligés de se battre sur la défensive. L’un des rares points positifs semblait être la limite du nombre d’armée que les Antiniums pouvaient déployer à la fois ; avec les quelques Reines de chaque Colonie, ils étaient incapables d’éparpiller leurs armées pour effectuer les attaques foudroyantes et instantanées qui avaient dévasté Rhir.

Cependant, les forces Drakéides étaient clairement désavantagées, et alors que les Antiniums continuaient de pousser vers le nord, vers le dernier bastion entre les terres Drakéides et Humaines, Liscor. Sserys connaissait l’ampleur du danger et dirigea encore plus d’armées au nord pour tenir les Antiniums en respect alors qu’il essayait d’évacuer les terres, mais ses armées cédaient lentement du terrain à l’ennemi.

Deux événements d’importance changèrent la balance durant la Première Guerre Antinium. Alors que les [Stratégistes] et [Tacticiens] ont constamment argué sur les implications de chaque engagement, l’histoire a retenu que les Antiniums n’avaient pas subi de défaites. Mais l’émergence d’un second leader qui allait se montrer vital durant la guerre et le fameux accord de Liscor aida à faire pencher la balance du côté de Drakéides.

La ville-état de Geir se tenait directement sur le chemin de la Marée Noire, mais avait échappé aux conflits majeurs avec les Antiniums. Cependant, après que l’une des armées de Sserys souffrit d’une écrasante défaite, les Antiniums avancèrent soudainement vers la ville, frappant quelques heures après la dernière bataille avec la vitesse qui avait causé tant de problèmes aux [Stratégistes] Drakéide.

Les quelques [Scouts] surveillant le front Antinium virent les Antiniums se précipiter sur les murs, ignorant les pertes que les sorts de défenses causaient sur leur armée. Comme biens d’autre avant-poste, les défenseurs se mobilisèrent trop lentement pour repousser les Antiniums et leurs portes furent détruites lors de la première heure de combat. Après cela, les rapports s’arrêtèrent alors que les scouts furent forcés de battre en retraite alors que de nouveaux Antiniums commencèrent à avancer.

Les communications cessèrent alors que l’armée Antinium continua d’avancer, et il fut décidé que la ville venait d’être perdue. Cependant, deux jours après l’attaque, une Courrière humaine, Mihaela Godfrey, brisa les lignes des Antiniums de l’intérieur pour délivrer le message suivant au Général Sserys. Il venait d’un jeune [Lieutenant] Drakéide stationné dans la ville :

« A la personne lisant ce message,

Mon nom est Zel Shivertail. Je suis un [Lieutenant] de Niveau 15 à la tête de ce qu’il reste des forces de Geir, je crois que tous mes supérieurs sont morts…

Nous avant été attaquées par une vaste armée Antinium qui a fait tomber nos murs. L’attaque est arrivée à une telle vitesse que la majorité de nos guerriers furent perdus lors des premiers instants. Je suis parvenu à rallier quelques soldats, gardes et civils pour battre en retraite au plus profond de la ville.

Les Antiniums ont brisé les murs de pierre, mais la ville a été bâtie sur un ancien donjon. Nous nous sommes barricadés et les Ouvriers ne sont pas encore parvenus à creuser à travers les enchantements…

Ils sont inépuisables. De nouveaux soldats attaquent notre position à chaque instant. Nous avons formé un couloir de la mort et nous utilisons les quelques [Mages] que nous avons alors que nos guerriers font des quarts. Tout le monde, Drakéide, Gnoll ou Humains avec moi sont en train de se battre.

J’ai envoyé cette Courrière dans l’espoir qu’elle puisse trouver quelqu’un qui portera ce message au Général Sserys. S’il vous plaît, dites-lui que nous sommes encore vivants et de ne pas envoyer de renfort. L’ennemi est désormais trop bien retranché ici. Nous savons tous que nos vies sont perdues, mais nous continuerons de nous battre et de distraire les Antiniums le plus longtemps possible.

Cet endroit ne tombera pas tant que l’un d’entre nous est encore debout. Je supplie une seule et unique chose après notre départ : vengez-nous. Déraciné l’ennemi de ces murs et exterminé une centaine d’entre eux pour chacun d’entre nous.

Nous sommes là. Nous continuerons de nous battre jusqu’au bout.



Au départ, beaucoup pensant que le message de Shivertail était un piège des Antiniums. Mais les archives indiquaient que Geir avait bien été construit sur un donjon d’une considérable taille et de puissance magique. Le fait qu’il y ait encore des survivants choqua ceux qui étaient à la tête de l’armée, et Sserys commença immédiatement à explorer les options pour pouvoir aider les survivants de Geir.

Des rapports écrits suggèrent qu’’un assortiment d’environ trois cents [Soldats], [Gardes] et civils avec différentes classes s’enfuirent dans le donjon, grâce à la rapidité de Zel Shivertail. Les Soldats attaquent en priorité ceux avec une classe de combattant, permettant à un grand nombre de civils de prendre la fuite durant l’attaque.

Peut-être que les Antiniums croyaient qu’ils allaient facilement vaincre les survivants, et en effet, cela aurait put être le cas si cela n’avait pas été par les gains de niveaux explosifs que les survivants venaient de subir alors que les gens désespérés luttèrent dans une position défensive devenant de plus en plus meurtrières pour les Soldats Antiniums, qui se trouvèrent incapables d’avancer dans l’étroit couloir qui empêcha les Antiniums d’utiliser leur supériorité numérique.

Ceci, combiné avec les murs magiques impénétrables, donna une chance de combattre aux survivants. Leurs situations n’étaient pas moins désespérées, mais ils pouvaient éviter de se faire emporter par le nombre lors de la première journée, et la seconde. Et alors que le combat continua, un miracle se produisit.

Forcés de combattre avec leurs queues au mur contre des forces les dépassant sur tous les points, les défenseurs de Geir montèrent de niveaux de manière presque journalière en obtenant des classes inhabituelles telle que [Vaillant], [Défenseur] et [Teneur de Ligne] parmi les guerriers et [Survivant], [Combattant] et [Protecteur] parmi les civils. Certains gagnèrent même quelques rares classes comme [Massacreur], [Berserker Sanglant] et ainsi de suite.

Cette progression explosive est généralement connue et prit en compte par les [Tacticiens] Drakéides, Humain et occasionnellement Gnoll quand un siège prend place dans un endroit bien protégé, mais les Antiniums n’étaient clairement pas préparé à cette éventualité. Ils envoyèrent de plus en plus de leurs Soldats jusqu’à ce que le combat durât assez longtemps pour que les morts servent de barricade aux défenseurs.

Pendant plus d’un moins, Zel Shivertail mena ces défenseurs de haut-niveaux contre les Antiniums, jusqu’au jour où il parvint à repousser les Antiniums hors du donjon et reprendre le bâtiment.

C’était le moment que Sserys avait attendu. Il mena personnellement un groupe de soldat d’élite pour les secourir, lançant un assaut dans Geir alors que deux armées retenaient les Antiniums suffisamment longtemps pour secourir les survivants.

L’audacieux succès des actions de Sserys et le sauvetage de plus de quarante Drakéides et Gnolls du niveau 30 ou plus fit décrite comme une victoire héroïque à travers le continent. En tant que leader des défenseurs de Geir, Zel Shivertail fut récompensé par de multiples accolades pour son succès dans une situation aussi désespérée. Il passa d’un [Lieutenant] de Niveau 15 à un [General] de Niveau 39, l’un des plus incroyables gains de niveau de l’histoire.

Shivertail fut immédiatement donné une unité ; il assembla une armée autour des survivants de Geir et mena ses soldats sur plusieurs victoires notables, l’une des plus mémorables étant sa victoire sur la seconde défense des Cascades Frémissantes ainsi que la reprise de Geir plus tard dans la guerre.

Ses capacités défensives, provenant de ce siège mortel, permit à son armée de combattre des forces numériquement supérieures que les siennes et même de repousser les Antiniums dans de nombreuses batailles clef. Shivertail commença à être appelé le ‘Brise-Marée’, en référence à l’échec de la Marée Noire de le vaincre.

Plus important que ses talents de général fut le fait qu’un groupe de gens avait survécu aux assauts mortels des Antiniums. L’histoire de Geir devint un cri de ralliement et apporter de l’espoir aux citoyens qui en avaient désespérément besoin.

Sserys fut connu pour avoir été ému par cet événement, et commença à considérer Shivertail comme l’un de ses généraux de confiance. Il écrit ceci dans son journal :

«… Longuement discuté avec lui. Je n’arrive pas à croire que le jeune Shivertail est parvenu à accomplir cet exploit avec si peu de soldats. Mais j’ai vu sa force mentale et son audace sur le champ de bataille et je crois qu’il est parfaitement capable de devenir un général d’importance si cette foutue guerre continue…

Cela m’a pris du temps, mais je suis finalement parvenu à commander une armure pour lui. Mais il a refusé mon cadeau, disant qu’elle serait plus adéquate pour quelqu’un ayant un niveau inférieur au sien. Il n’utilise pas d’arme magique, car ses Compétences lui permettent de se battre avec ses griffes de manière bien plus efficaces que des guerriers expérimentés.

Je dois l’admettre, j’admire son humilité, mais je ne peux pas perdre un jeune [Général] avec autant de valeur. Il est une icône parmi les soldats, et il me donne l’espoir que nous pouvons peut-être gagner cette guerre…


L’optimisme prudent de Sserys allait bientôt être récompensé, car les Antinium choisirent cet instant pour lancer leur plus audacieuse attaque. Ils utilisèrent toutes les armées qui n’étaient pas utilisées au nord vers Liscor, l’un des deux seuls point de passage vers le territoire Humain, dans l’espoir de couper toutes formes de renforcement et d’encercler les forces de Sserys.

L’attaque sur la ville natale du Général Sserys aurait normalement provoqué une écrasante réponse de la part de l’armée de Liscor et du General, mais d’innombrable armée Antiniums furent envoyé pour ralentir l’immense force que Sserys essaya d’utiliser pour sauver la ville.

Liscor se trouva assiégé par une gigantesque armée Antinium, mais étonnamment, ne tomba pas immédiatement sous les assauts. Comme les Villes Emmurées, Liscor possédait des défenses magiques suffisamment puissante pour repousser les attaques Antiniums d’innombrable fois. Et pourtant les Antiniums envahirent la totalité de la région, remplissant les alentours avec tellement de Soldats que les habitants avaient l’impression que le sol était véritablement de l’eau.

Sserys, désespéré de sauver Liscor, continua d’avancer avec ses armées, affrontant d’innombrables combats désespérés pour se trouver à l’entrée sud de Liscor. Mais son avance s’arrêta. La Marée Noire rencontra son armée avec un écrasant avantage numérique et l’encercla, le coupant de tous moyen de battre en retraite. Sserys était soudainement pris au piège alors que son armée et Liscor furent encerclé par les forces Antiniums.

Aucun autres commandants Drakéides étaient suffisamment proche pour l’aider, et Zel Shivertail, à la tête de la majorité des forces Drakéides, était en train de combattre au nord pour repousser le front des Antiniums et ne pouvaient pas se permettre d’envoyer des troupes.

Les armées Drakéides furent repoussées et éloignées, et Liscor était sur le point de tomber alors que les Antiniums continuaient leur impitoyable siège. De dire que le destin des Drakéides tournait autour du fait que Sserys devait battre en retraite n’est pas une exagération. Sans cette armée, les Antiniums allaient pouvoir renverser le front déjà précaire des Drakéides.

Mais les Antiniums n’avaient aucune intention de laisser Sserys battre en retraite. Ils attaquèrent de toutes leurs forces et Sserys les affronta au pied d’une des montagnes.

***

Les Drakéides venaient d’endurer un autre assaut destructeur de plusieurs dizaines de milliers d’Antinium chargeant leur ligne de défense sans se soucier de leur perte tandis que l’aube se leva.

Sserys était en train de préparer ses troupes pour une dernière charge. Il avait été repoussé six fois auparavant, mais il considérait que la seule chance de survie de son armée était de pousser vers les portes de Liscor. C’est ici qu’ils allaient peut-être parvenir à tenir assez longtemps pour que Zel Shivertail lève des troupes pour venir les aider, mais les Antiniums avaient littéralement former un mur de cadavre qui continuait de s’épaissir.

Alors que Sserys prépara son dernier ordre, il entendit une corne retentir. Il parle de ce moment dans son journal :


« … Et au milieu de ce désespoir. Je l’entendis. Une corne de combat, un appel aux armes. Ne venant pas de mon camp ou des forces Antiniums, mais au-delà, au nord. C’est quand j’ai vu les Humains. Ils descendirent la passe, une armée aussi grande que celle que nous avions affronter avant cette guerre. Des [Chevaliers] et des [Aventuriers] chevauchant des montures de guerre, des rangs de [Soldats], et d’innombrables mages faisant pleuvoir le feu sur l’arrière garde des Antiniums.

C’était glorieux. Et en cet instant, j’ai vu une jeune femme à leur tête, levant une épée. Et je savais que nous allions remporter cette bataille, et donna l’ordre de charger. Non vers Liscor, mais vers le centre de l’armée Antinium.

J’étais prêt à mourir pour Liscor. Mais ce n’était pas le bon jour. Et nous avons brisé la Marée Noire à nous deux. Drakéides, Gnolls et Humains liés par le même objectif pour une glorieuse victoire. »


L’arrivée des forces Humains fut une surprise pour Sserys et les Reines Antiniums. La longue histoire d’animosité entre les Drakéides et Gnolls indigènes et les Humains qui avaient débuté lorsque les premiers Humains ont posé le pied sur le continent en venant de Terraria voulaient dire que, même alors qu’ils affrontaient les Antiniums, les Drakéides s’attendaient à ce que les Humains les attaquent plutôt que leur venir en aide.

De plus, les cités-états Humaines étaient tout aussi dispersé que leurs équivalent Drakéides. Les Humains refusaient de travailler ensemble à moins qu’une armée Drakéide marche vers le nord. Le fait qu’une aussi grande armée, plus de cent soixante milles soldats, venait d’arriver au moment le plus désespéré ne pouvait être qu’attribuer à une seule personne : Lady Magnolia.

La jeune Reinhart n’était pas restée silencieuse lors des nombreux mois qui s’était déroulés depuis le début de la Guerre Antinium. Même si ses avertissements initiaux ne s’étaient pas fait entendre, le scion de la famille Reinhart avait lentement rassemblé support et influence, renversant sa famille pour prendre le pouvoir sans verser la moindre goutte de sang et utilisant sa nouvelle influence pour persuader les villes de prendre les armes pour créer une armée.

La menace grandissante des Antiniums alarmait de nombreux Humains dans les hautes sphères, et avec la puissance des Reinhart derrière l’effort, une armée Humaine avait été formé et envoyé au sud avant que Liscor ne puisse tomber.

La somme que la jeune Magnolia Reinhart a investie dans l’effort de guerre est inconnu, mais tous les Aventuriers Légendaires ou de Rang Or du nord furent offert une somme exorbitante pour intervenir en tant qu’avant-garde et d’unité spéciale, et les guerriers élites de chaque ville furent envoyé avec un lourd investissement sous la forme d’arme et d’équipement, indiquant que cela n’était pas une armée temporaire. Les Humains comptaient renvoyer les Antiniums dans la mer, et Liscor allait être le début de cette campagne.

L’attaque Humaine arriva cachée par d’immenses sorts de camouflage qui utilisèrent la quasi-totalité du mana des mages de l’armée. Cependant, leur attaque surprise fut si dévastatrice que d’innombrables milliers d’Antiniums moururent dans les premières minutes alors que l’armée laissa tomber ses enchantements et chargea dans le dos.

Alors que les tactiques Humains et Drakéides avaient plusieurs similarités, il y avait une différence dans la composition de leur armée. Les Humains préféraient grandement des assauts menés par une cavalerie lourde alors que l’armée Drakéide préférait utiliser des régiments montés plus léger. De plus, les armées Humaines préféraient attaquer en masse avec des bombardements magiques avant de charger.

Donc, les Antiniums se trouvèrent pris au piège sous le feu d’innombrable sort avant que les Ouvriers et Soldats confus observèrent un flot de cavaleries lourdes charger dans leur dos. Au même moment, Sserys envoya une redoutable contre-attaque, et les lignes Antiniums commencèrent à se briser sous le double-assaut, en plus d’une troisième attaque venant de la ville de Liscor.

Le siège de Liscor fut brisé alors que l’armée Antinium se trouva écraser sur deux fronts. Les armées du Général Sserys bloquèrent l’échappatoire au sud alors que les armées Humaines de Lady Magnolia firent un carnage dans les rangs des Antiniums, pulvérisant leurs lignes avec de la magie alors que leur cavalerie continua de charger à travers les rangs de Soldats.

De nombreux [Lords] Humain et la petite noblesse furent présents lors de cette bataille à la tête de leur force respective, mais étrangement, Lady Magnolia en personne fut repérer sur le champ de bataille, inspirant ses troupes derrière sa garde d’élite. Alors que Lady Reinhart ne participa pas directement au combat, sa présence sur le champ de bataille fut une notable différence comparée au comportement aristocrate que les nobles ont habituellement.

La bataille de Liscor durant pendant plusieurs heures, mais l’équilibre pencha inévitablement en faveur des Drakéides et des Humains. Les Antiniums battirent en retraite de manière chaotique, laissant d’innombrables morts derrière-eux et deux armées fêtant leurs victoires.

Les soupçons que les Drakéides auraient pu avoir envers cette intervention furent mis de côté devant le timing de leur arrivée. Magnolia Reinhart fut une nouvelle fois instrumentale en servant d’émissaire pour les deux forces et en décidant de la marche à suivre alors que les commandants des deux armées débattaient de ce qu’il fallait faire.

Le résultat de la bataille de Liscor fut un terrible coup aux forces Antinium et un nouvel allié sous la forme de l’armée Humaine, qui allait se distinguer avec plusieurs victoires sur les Antiniums. Cependant, Lady Magnolia Reinhart retournerait un nord après la bataille, ayant perdu son coup pour la guerre dans son premier combat. Cela soulagea grandement nombre de son personnel et ceux affilié avec la maison Reinhart, mais aussi le General Sserys.

« J’ai cherché la jeune Lady Reinhart après les discours et célébrations. Je voulais personnellement la remercier, mais à ma grande surprise, je l’ai trouvé errante avec les morts. Beaucoup d’Humains ont perdu la vie, et je les vis longuement regarder leurs cadavres parmi les Antiniums.

Je crois qu’elle pleura, et vomit, et je ne l’ai rejointe que plus tard. Tout ce que je savais était que, même si elle se montra aussi courtoise que sa Classe l’exigeait, son visage était pâle et elle semblait avoir du mal à se tenir debout. Je ne l’ai pas longuement dérangé, et j’ai attendu qu’elle se remette pour pouvoir discuter avec elle.

Je dois l’avouer, alors que je ne prenais que peu de plaisir dans le malaise de la jeune Reinhart, je suis soulagé de la voir ainsi. Si elle avait ne serait-ce que la moitié de son intelligence, de sa bravoure et de ses talents sur le champ de bataille qu’en politique… Je crains que nous saurions bientôt plus en danger par la présence des Humains que par celle des Antiniums. »



Malgré les peurs de Sserys, Magnolia Reinhart joua encore un rôle important pendant le reste de la guerre Antinium, non pas en tant que guerrière ou commandante, mais en tant que diplomate. Elle convaincue des alliés hésitants à continuer de combattre et d’aider les armées et fit campagne pour que la pression soit maintenue sur les Antiniums.

Il semblait que la guerre était gagnée, du moins c’est ce que les [Messagers] et [Coursiers] hurlaient depuis les toits. Drakéides et Humains s’étaient alliés, et même les Tribus Gnolles avaient envoyé leurs forces pour repousser les Antiniums. Cette coalition de force, nommée l’Alliance Australe, s’allia pour repousser les Antiniums à mainte reprise. Les sièges de deux Villes Emmurées furent brisés, et le front Antinium fut de plus en plus pousser jusqu’à ce que leurs Colonies soient en danger.

Cependant, ce n’était pas la fin de la Guerre Antinium, seulement un creux dans le combat. Les Reines avaient décidé de retirer leur force, mais pas de battre en retraite. À la place, elles lancèrent une massive contre-attaque alors que les trois armées se regroupèrent vers leur position. Les Reines déployèrent leur arme secrète dans cette guerre : les Prognugators.

Peut-être que les Prognugator n’étaient pas encore ‘nés’ dans les Colonies Antiniums, peut-être que le fait qu’ils étaient au front démontrait que les Reines étaient désespérées. Cependant, les forces Drakéides, Gnolles et Humaines s’approchant des Colonies se trouvèrent soudainement attaquées par d’innombrable Antiniums, soudainement mieux organisé et encore plus dangereux.

Soudainement, les armées Antiniums étaient en train d’utiliser des stratagèmes jamais vu durant la guerre. Les Antiniums avaient toujours employé des tactiques basiques et des formations simples, mais ils utilisaient désormais des attaques surprises, des tactiques de contournements, et posaient des pièges ou feintaient, tout comme un bon leader aurait fait.

Et pourtant, les Antiniums n’avaient pas de commandant visible sur le front, pas de [Général] qui avait besoin d’être abattu par des archers ou des mages. Ce ne fut qu’après une bataille décisive durant laquelle une avant-garde Antinium brisa les linges Humaines et massacre le [Général] que les témoins dirent avoir vu un Antinium qui semblait ressembler à un Ouvrier, mais qui maniait des épées et se battait un guerrier de haut niveau.

Ce fut la première fois que les élusifs Prognugator furent aperçus, l’un des sous-commandants des Antiniums. Ils apparaissaient comme des Ouvriers ordinaires jusqu’à ce qu’ils dévoilent leur capacité unique sur le champ de bataille. Cela incluant de fortes capacités de combat, au moins au niveau d’un aventurier de rang Argent, et une grande perspicacité stratégique. Ils prétendaient être des Antinium ordinaire tandis qu’ils menaient secrètement leurs armées, uniquement pour révéler leur vraie nature lorsqu’ils étaient en danger ou à des moments clé.

Une fois que Sserys et les commandants Humains apprirent leur existence, ils concentrèrent tous leurs efforts pour les pourchasser et les détruire. Mais malgré les avoir tués plusieurs fois, il semblait que les Prognugators étaient immortels.

Lors d’une bataille, un Antinium maniant une lance serait tué par une flèche, mais une semaine plus tard ce dernier réapparaissait pour se battre avec la même vigueur, sans son arme. C’était comme si les Prognugators n’avaient pas de fin, et les soldats confus commencèrent à craindre ces Antiniums immortels, les considérant comme des cauchemars.

Cependant, les Prognugators pouvaient mourir. Des témoins, incluant Sserys en personne, décrivaient le [Général] et d’autres tuer les Prognugators en combat singulier, juste pour les voir réapparaitre de nouveau, apparemment affaiblit. Même si ce n’était pas clair de loin, les rapports de Sserys précisent qu’après avoir premièrement affronté un Prognugator maniant avec des épées doubles et des dagues, il l’affronta une seconde fois et remarqua qu’il était notablement plus faible lors de ce second duel, et qu’il évita Sserys lors de leur troisième rencontre.

Il semblait que l’immortalité des Prognugator n’était pas infinie. Des morts à répétition menaient à une ‘mort’ finale, et leur rang commença à décliner petit à petit alors qu’ils furent pourchassés et détruits.

Des six Prognugators, seulement ‘trois’ ont survécut à la fin de la guerre. Klbkch le Pourfendeur, Wrymvr le Sans-Mort, et la Petite Reine Xrn furent repéré après la Première Guerre Antinium et même durant la Seconde Guerre Antinium*. Il est spéculé que leurs morts répétés, voir leurs échecs de concrétiser des victoires est peut-être ce qui a pousse leurs Reines à les tuer. D’autres théories incluent qu'il y a une limite sur le nombre de fois ou ces individus peuvent être effectuée, mais dans tous les cas, l’éventuel mort de la moitié des Prognugators fit qu’ils devinrent bien plus précautionneux dans leurs déploiements.


*Au moment de l’écriture, Klbkch est le seul Prognugator confirmé vivant, il réside dans la sixième Colonie d’Antinium à Liscor après le traité de paix qui a suivi la fin de la Seconde Guerre Antinium.


Et pourtant les dégâts causés par la seconde avance des Antiniums força la coalition des Humains, Gnolls et Drakéides à s’arrêter. Les Antiniums se battirent de manière désespérée pour empêcher les armées de prendre une Colonie, et éventuellement le véritable pouvoir des Antiniums commença à faire pencher la balance en leur faveur.

Les Soldats Antiniums, malgré leur faiblesse, sont extrêmement efficaces et impossibles à démoraliser. L’épuisement ne semblait pas être un facteur pour les Antiniums ; certains se battaient jusqu’à littéralement mourir d’épuisement, mais la même chose ne pouvait pas être dite des forces non-Antiniums.

L’épuisement des combats journaliers commença à fatiguer les Drakéides, Humains et Gnolls, les menant à plusieurs défaites alors que les soldats épuisés perdaient pied sous l’incessante avance de la Marée Noire. Soudainement, même l’avantage fournit par les trois races commença à s’éroder alors que plus et plus d’Antiniums commencèrent à marcher des Colonies après chaque semaine, une conséquence de leur haut taux de natalité.

Les lignes de combats se stabilisèrent de nouveau, mais cette fois au détriment des Drakéides. Sserys devint de plus en plus inquiet alors que son armée commença à subit plusieurs défaites, écrivant dans son journal sa peur qu’il refusait de partager avec ceux sous son commandement.


« Encore, et encore, ils viennent pour nous. Sont-ils sans fin, ou est-ce que ces ‘Reines’ pondent leur progéniture si rapidement qu’elles peuvent remplacer leurs armées en quelques semaines ?

Les Humains se battent avec plus de bravoure que je ne l’aurai cru, mais même avec leur armée, nous n’arrivons pas à tenir le rythme. Dans un mois, peut-être moins, nous allons perdre cette guerre.

Cela est inacceptable. Nous devons agir sans hésitation pour finir cette guerre ou nous résigner à mourir. C’est le moment de tenter le tout pour le tout. Je mènerai la charge par moi-même jusqu’au cœur d’une de leurs Colonies si cela est nécessaire. Si nous devons sacrifier une armée pour tuer une Reine… Alors cela vaudra le coup.



La proposition d’attaque suicide de Sserys fut rejetée à l’unanimité par le conseil de guerre, mais il devenait de plus en plus clair que la guerre allait être perdu sans une action décisive.

Neuf mois après le début de la Guerre Antinium, la véritable faiblesse, la faiblesse cruciale des Antiniums fut découverte par chance dans un engagement avec une patrouille d’Humains qui avaient été pris en embuscade par une cinquantaine de Soldats et Ouvriers.

Les Humains tombèrent rapidement sous les coups des Soldats, mais une [Hydromancienne] lança un sort de [Pluie] désespérer. Elle mourut, mais des renforts trouvèrent la zone de l’embuscade, une vallée naturelle, n’était pas que remplie des cadavres de la patrouille, mais aussi des Antiniums. Ils s’étaient tous noyés en essayant de grimper les pans boueux et avaient coulés sous l’eau.

Cela ne fut pas remarqué jusqu’à ce que le [Stratégiste] assigné à l’armée vit le rapport de la patrouille. Elle envoya rapidement un message au mage de plus haut-rang dans l’armée, et l’expérience fut reproduit sur une plus grande échelle dans la même journée.

Les résultats furent immédiats et décisifs, et cela mena à la défaite totale des armées Antiniums ainsi qu’un grand changement dans la totalité de la guerre. C’était une simple, mais vitale découverte :

Les Antiniums ne peuvent pas nager. Ils ne peuvent pas flotter, et même s’ils peuvent garder leur respiration pendant une longue période de temps, ils meurent d’asphyxie comme toutes les autres espèces.

Au début, General Sserys rejeta les rapports des Humains et les considéra invraisemblables, une erreur de jugement. Lui et les autres Drakéides devaient voir les Antiniums se noyer en personne pour le croire.

En y réfléchissant, la faiblesse des Antiniums semblait évidente, mais pas pour ceux qui les avaient combattus. À Rhir, les Antiniums avaient combattu les armées du Roi Maudit dans des lieux proches de l’eau, et leur traversée de la mer fit croire au monde qu’ils pouvaient nager. Quelles créatures sensées s’aventureraient dans l’océan sans pouvoir flotter ?

Et pourtant la vérité était là : les Antiniums ne pouvaient pas nager. Et après cette découverte, leur nombre sans fin devint non seulement possible à prévoir, mais aussi une faiblesse.

Les armées Drakéides et Humains se retirèrent soudainement de leur charge offensive pour devenir uniquement défensives. Ils placèrent des groupes de lanciers et des soldats défensifs vers le front, tout ça pour faire gagner assez de temps à leur [Mages] pour lancer des sorts de [Pluie] et autre sort de manipulation de météo sur le champ de bataille. Des [Géomanciens] et [Excavateurs] créèrent des barrages pour contenir l’eau, et formèrent des vallées naturelles pour noyer les Antiniums.

Cette stratégie générale nécessita des changements constants car les armées Antiniums essayaient d’éviter ce genre de scénario, mais les résultats furent dramatiques. Des armées entières d’Antiniums périrent en se trouvant incapable d’avancer dans certaines zones de peur de se faire noyer. Les armées Drakéides commencèrent même à créer des lacs artificiels pour ralentir la progression des Antiniums.

Même si les Ouvriers pouvaient drainer l’eau avec suffisamment de temps, la capacité des Drakéides et Humains à changer le champ de bataille força les Antiniums à se mettre sur la défensive. En l’espace de quelques semaines, les Antiniums avaient été repoussés jusqu’à leur Colonie par les armées attaquantes, et c’est ici, pour la première fois, que les Reines furent directement en danger.

Sserys mena la première attaque sur une Colonie Antinium. Il écrit ceci dans son journal :

«  Le premier assaut fut la plus traumatique expérience de ma vie. Des Antiniums remplissaient les tunnels, se battant sauvagement dans cet espace reclus. Les murs des tunnels continuaient de s’ouvrir autour de nous alors que des Ouvriers creusaient pour attaquer nos flancs et notre arrière-garde, ils nous attaquer incessamment, désespérés de défendre la Reine qui devait sûrement rôder sous nos pieds.

… Nous ne pouvons pas les affronter. Non. J’ai retiré mes forces et donner l’ordre à tous les mages de mon armée de lancer le plus de sort aquatique possible. Nous allons noyer ses monstres.



C’est exactement ce que l’armée de Sserys fit. Pendant quatre jours et quatre nuits, les mages lancèrent d’innombrables sorts de [Pluie], [Déluge] et d’autre sorts pour noyer la Colonie.

Il est cru que les Ouvriers de la Colonie travaillèrent désespérément pour drainer l’eau dans des tunnels secondaires et d’autre passage, mais même leurs efforts fut vain. Les Antiniums lancèrent d’innombrables attaques sur les Drakéides, mais à la fin du quatrième jour l’eau avait atteint l’entrée de la Colonie, et après trois jours d’attente, des [Plongeurs] furent envoyé. Ils trouvèrent la Colonie remplie d’Antiniums morts et la Reine noyée au plus profond de sa demeure.

Une Colonie avait sombré, et le continent fêta cette victoire. Mais le coût de cette bataille ne passa pas inaperçu. Les mages spécialisés dans ce type de magie prévinrent que les sorts pouvaient avoir des effets secondaires sur la météo, et Sserys lui-même bannit cette stratégie sauf en dernier recours.


« Par les dieux morts, je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi horrible. L’intégralité de la Colonie est morte. Nous le savons. Ils se sont tous noyés et sont en train de pourrir… Plus de cent mille Antiniums, possiblement deux ou trois fois ce nombre. Tous morts.

Nous avons réduit le sol en cendres, et nous avons noyé leurs tunnels. Nous avons fait pleuvoir jusqu’à ce que le monde ne devienne qu’un bourbier. Et nous allons en payer le prix.

Je me souviens de cette terre. Elle était verdoyante et pleine de vie, mais le sol n’est plus qu’un marécage de mort, et il n’y a plus un nuage dans le ciel. Les mages me disent que la magie à interférer avec la météo. Il ne pleuvra pas ici pendant des décennies. Cette terre va bientôt devenir un aride désert, digne des morts qu’elle a entombés.

Plus jamais. Pas si nous pouvons nous en empêcher. Cette guerre me rend malade, et j’en suis las. Terminons cela une fois pour toute.


La prédiction des mages fut correcte, le site de la mort de la Colonie Antinium est désormais un aride désert, et il n’y a plus de faunes et de flores dans un rayon de cinquante kilomètres autour de l’ancien emplacement de la Colonie.

Et pourtant, cette victoire sur l’une des Colonies fut à la fois décisive et le début du dernier chapitre de cette guerre. Enhardie par la destruction de l’une des quatre Colonies que les Antiniums avaient battit, les Villes Emmurées et l’alliance Humaine décida de former une grande armée commune, nommé la Première Armée Unie, pour attaquer la Colonie principale et termina la guerre d’un seul coup.

Presque la totalité des commandants et leader de cette armée était pour ce plan, car chaque côté commençait à s’épuiser. Sserys en personne se porta volontaire pour mener cette armée, et seul quelque rares dissidents s’opposèrent à cette stratégie.

L’un d’entre eux fut Zel Shivertail. Le second argumenta en disant que les Antiniums étaient trop dangereux pour combattre, même en exploitant leur faiblesse. Mais sa voix fut perdue et son avis refusé par Sserys en personne, et la Première Armée Unie marcha vers la Colonie Antinium presque un an après le début de la Guerre Antinium, l’une des plus grandes armées ayant marché sur Issyril.

Ce fut à cet instant que les Antiniums firent quelque chose d’inattendu. Ils tentèrent de faire la paix. Des [Ouvriers] Antiniums marchèrent avec des drapeaux blancs en approchant l’armée en marche. Ils avaient beau être souvent massacré, beaucoup parvinrent à survivre et les lettres qu’ils apportaient étaient identiques. La Grande Reine des Antiniums, une position entièrement nouvelle aux leaders Drakéides et Humains, demandant un traité de paix entre les Antiniums et le reste du continent.

Ces termes furent refusés de manière unanime par les leaders, qui pensaient avoir l’avantage. Il était préférable de tous les exterminés que de faire la paix avec eux, et donc l’armée de Sserys eut la totale liberté de détruite l’armée.

Des [Mages] et [Courriers] gardèrent l’armée en contact presque permanent avec les autres villes alors que l’armée s’approcha de la Colonie principale qui semblait contenir la majorité des Reines et la Grande Reine des Antiniums. Seules quelques forces Antiniums tenta d’arrêter l’armée, et elles furent rapidement détruite.

Sserys encercla la Colonie avec son armée et monta le camp, assurant les villes qu’ils allaient détruire la Colonie le lendemain. Ses forces s’installèrent…

Et avaient disparu quand le soleil se leva.

Dans une nuit presque totalement silencieuse, ponctuée de quelques rares sorts de [Messages] qui semblent avoir été lancé par accident. Mais alors que les leaders Drakéides et Humains attendirent le rapport de Sserys à l’aube, ils trouvèrent qu’aucun mage de l’armée ne pouvait être atteint, et qu’aucun des [Courriers] envoyé durant la nuit était revenu.

Beaucoup de sorts furent lancés, des témoins furent interviewé, et des Antiniums furent même questionnés, mais à ce jour, il n’y a pas d’archives, pas de preuve de ce qu’il s’est déroulé durant cette nuit. Aucun sort de fut lancé, et aucune alarme sonna dans les villes. Mais chaque membre de cette armée, y compris le personnel non combattant comme les [Cuisiniers] et [Bagagistes], disparurent sans laisser de traces, ne laissant pas un cadavre derrière eux.

Le seul document de cette nuit est le journal du General Sserys. La dernière entrée racontant l’arrivée de la Première Armée Unie, la stratégie préparée par Sserys pour le début du siège, et une dernière entrée.

« C’est l’heure de ma mort.

Nous avons été attaqués pendant la nuit. Nous étions préparés, mais pas pour le nombre d’Antiniums qui nous a attaqués. Nos défenses étaient solides, et nous les avons repoussés pour commencer le siège.

Les Antiniums sont venus à nous, un nombre sans fin de Soldats et Ouvriers, mais nous les avons détruits par milliers.

Nous les avons affrontés dans les tunnels et les avons repoussés. Des Ouvriers et Soldats sortaient… Nous les avons fondus, réduit en pièce… Nous étions en train de gagner. Je crois qu’il était minuit quand les Antiniums ont battu en retraite et que nous nous préparions pour une ultime charge.


Ils sont arrivés alors que nous avancions vers la Colonie. Nous scouts ont rapporté du bruit… Puis le silence. Lentement, tous les camps autour de mon campement arrêtèrent de faire des rapports, même avec des forces dépassant les dizaines de milliers de soldats. Mais alors que j’envoyais des [Coursiers] et des sorts pour demander des rapports, je ne recevais que le silence. Personne n’est revenu.

Quelque chose bougea dans les tunnels. Quelque chose sous nos pieds. Ils attendaient, détruisant systématiquement mon armée sous le couvert de la nuit. Ils sont déjà en train d’attaquer les abords de mon camp.

Je ne sais pas quelle sorte d’ennemi que nous affrontons. Je sais juste qu’ils sont des Antiniums, mais différents de ceux que nous avons déjà affronté. Ils sont une nouvelle espèce d’Antinium, une espèce d’arme secrète des Reines.

Nous ne sommes pas encore parvenus à récupérer un corps pour que je puisse le décrire. Il faut démembrer cette nouvelle espèce d’Antinium pour les vaincre. Ils ne s’arrêtent pas.

Zel doit le savoir.
Il y a d’autres types d’Antiniums différent des Soldats et Ouvriers. Nous ne pouvons pas les vaincre. J’entends mes guerriers se battre et périr. Nous allons mener une ultime bataille en ces lieux, mais je sais que je ne vais pas survivre pour voir l’aube.

Je regrette d’avoir mené tous ces bons soldats vers leur mort. J’espère que nous allons causer assez de dégâts aux Antiniums pour qu’ils continuent de demander la paix.

… Je suis fatigué. Je peux les entendre venir pour moi.

Ceci est le lieu où nous nous séparons. Si je pouvais revenir chez moi une dernière fois… Mais non. Au revoir. Que ma mort est un sens. Je périrai comme j’ai vécu : comme un soldat.


‘Oh ciel ensoleillé, laisse-moi chevaucher à nouveau sur le champ de bataille dans une autre vie. À Liscor, et au monde, battez-vous. Puissions-nous un jour connaître la paix.’


- Sserys de Liscor


Le journal et le corps du Haut General Sserys furent retrouvés quatre jours plus tard dans les restes du camp de la Première Armée Unie vingt-quatre jours plus tard. Après l’initiale perte de contact, les cités-états attendirent avec une grandissante inquiétude jusqu’à ce que, sept jours plus tard, il devint clair que la Première Armée Unie avait été détruite, et qu’aucun survivant ne serait témoin de leur défaite.

Après que les cités-états aient acceptées le fait que Sserys et son armée avaient échoué, ils commencèrent immédiatement à monter une armée encore plus impressionnante pour aller enquêter sur les lieux de l’affrontement. Cette seconde armée fut confiée aux mains de Zel Shivertail avec pour ordre de ne pas attaquer la Colonie, mais de rassembler des informations et de battre immédiatement en retraite. Un contact constant fut maintenu entre l’armée et les villes-états alors qu’ils s’approchèrent de la Colonie supposément inactive.

La Seconde Armée Unie trouva le camp de la première presque intact, il n’y avait pas de dégâts visibles sur les fortifications et les tentes. En effet, même les [Scouts] de haut niveau ne pouvaient détecter que de faible trace de violence et des pistes menant vers la Grande Colonie.

Aucun soldat, à l’exception du Général Sserys, ne fut retrouvé. Il y a de nombreuses spéculations sur ce qu’il leur est arrivé, mais il est probable que les soldats furent tués avant d’être utilisé comme matière première pour nourrir les Antiniums.

Seul le cadavre du General Sserys était encore présent, gisant dans sa tente, en armure, l’épée à la main. Le [Général] était mort en combattant, son épée recouverte de sang d’Antinium. La cause de sa mort fut un unique coup qui traversa son armure et ses os pour atteindre son cœur.

La Seconde Armée Unie récupéra le corps et le journal de Sserys et battit aussitôt en retraite. Les ville-états arguèrent sur ce qu’il fallait faire devant ces nouvelles informations et cette mystérieuse espèce d’Antinium. La peur d’une troisième offensive qui ferait durer la guerre était présente, mais cela n’arriva pas.

A la grande surprise de tous, la Grande Reine des Antiniums continua de vouloir faire la paix malgré les immenses pertes que venait de subir l’Alliance Australe. Les [Stratégistes] spéculent que ce fut un choix pragmatique ; même si les Antiniums avaient détruit la Première Armée Unie, la Seconde allait sans doute coûter plus de vie et de ressources, laissant les Antiniums affaiblit au cas ou la Coalition Humaine entrait dans un nouvel assaut.

Qu’importe le cas, la Première Guerre Antinium se termina par un accord signé par les Villes Emmurées, la Grande Reine des Antiniums et la Coalition Humaine mené par Magnolia Reinhart. De nouvelles hostilités furent limitées à quelques rares instances ou des aventuriers s’aventurèrent trop près des Colonies jusqu’au fameux carnage du Roi Gobelin coïncidant avec l’assaut sur Liscor et la région alentour par Az’Kerash le Nécromancien…

(À ce point, Ryoka Griffin arrêta de lire. Elle laissa le livre derrière elle pour se diriger vers les Hautes Passes, et ne l’a pas rouvert depuis.)
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 11 février 2021 à 01:27:59

 
2.39 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Elle dormit pendant le chemin du retour. Erin se rendit compte que sa rencontre avec Magnolia l’avait épuisée, et bien que le crépuscule se soit à peine installé, elle dormit comme un bébé.
 
Elle se réveilla lorsque Reynold fit ralentir le carrosse devant son auberge. Erin cligna des yeux, regarda autour d’elle d’un air paniqué, et comprit qu’elle était rentrée à la maison.
 
La maison. C’était étrange d’y penser de cette manière, et encore plus étrange que la vue de la silhouette squelettique de Toren dressée devant son auberge la rassure, mais c’était ainsi.
 
Erin était de retour à la maison.
 
Il fallut quelques minutes à Erin pour s’extirper de la calèche. Non pas parce qu’elle était si lente que ça ; Reynold insista pour l’aider à empaqueter l’énorme repas que Lady Magnolia avait envoyé avec elle. Il y avait beaucoup trop pour qu’Erin soit en mesure de tout manger, mais elle pensait que Lyonette apprécierait sans doute la riche nourriture.
 
“Merci mille fois de m’avoir ramenée ici, Reynold.”
 
“Tout le plaisir était pour moi, Miss Solstice.”
 
“Erin. Hum, est-ce que tu veux rentrer manger quelque chose ? Ou je peux te préparer un lit. Il se fait tard.”
 
Le [Majordome] sourit.
 
“J’ai bien peur de ne pouvoir accepter. Je vais bientôt retourner aux côtés de Lady Magnolia, mais je vous remercie pour votre offre.”
 
“Oh, ce n’est ri… si jamais tu as un peu de temps, passe donc et je t’offrirai un repas, d’accord ?”
 
“J’en serais ravi.”
 
Erin regarda l’homme remonter dans la calèche et les chevaux se mettre à galoper. Elle se tourna et vit Toren descendre la colline. Ils se dévisagèrent.
 
“Salut.”
 
Il hocha la tête. Erin le dévisagea encore quelques secondes.
 
“Est-ce que Lyonette est ici ?”
 
Il acquiesça, et pointa l’auberge du doigt. Les portes s’ouvrirent à la volée à point nommé et Erin entendit une voix stridente.
 
“Est-ce qu’il vient de partir ? Reviens ! J’insiste… !”
 
La fille se mit à dévaler la pente à toute vitesse puis s’arrêta en faisant des grands gestes et en criant en direction du carrosse. Elle se tourna vers Erin, furieuse.
 
“Comment ose-t-il ? Quel toupet… est-ce que tu as informé Magnolia Reinhart de ma détresse ? Quand enverra-t-elle quelqu’un me chercher ? Tu peux me faire passer directement toute lettre qu’elle aurait pu m’adresser.”
 
Elle regarda Erin, dans l’expectative. Erin cilla.
 
“Hum. Elle sait que tu es ici.”
 
Et ?
 
“Et c’est tout. Je ne crois pas qu’elle va envoyer qui que ce soit d’autre. Hey, Toren, aide-moi à porter toute cette nourriture à l’auberge. Tu peux prendre ce panier. Et ce baluchon. et je vais prendre ça… c’est plein de bonnes choses, là-dedans, donc ne le lâche pas.”
 
Erin monta d’un pas décidé vers son auberge et entra, sans écouter le monologue outragé de Lyonette. L’aristocrate se calma légèrement en voyant le festin qu’Erin avait rapporté.
 
“Humpf. Au moins, elle a eu la décence de m’envoyer un repas digne de ce nom en guise de récompense. Je vais faire ce que je peux en attendant sa réponse.”
 
Erin songeait que Lyonette risquait d’attendre longtemps, mais elle garda sagement cette pensée pour elle.
 
“Si tu mets la table, on va pouvoir manger, Lyonette.”
 
La fille dévisagea Erin. Erin soutint son regard. L’arrogance irritée de Lyonette n’était rien par rapport aux regards noirs de Ressa et à la simple présence de Lady Magnolia. Quelques secondes plus tard, la fille déguerpit dans la cuisine.
 
Elle était juste en train de finir de mettre la table - mal - et Toren venait de sortir avec un pichet de lait froid lorsque la porte s’ouvrit à la volée.
 
“Saletés d’Humains !”, beugla Relc en entrant. Lyonette hurla, lâcha les fourchettes et se précipita dans les escaliers. Erin éclata de rire.
 
“Relc ! Et Klbkch ! Et Selys ?”
 
La [Réceptionniste] passa par la porte que lui tenait Klbkch et sourit à Erin.
 
“Salut Erin. J’espère que je ne te dérange pas, mais j’ai vu la calèche arriver et comme tout le monde venait ici...”
 
Klbkch referma la porte et salua Erin d’un hochement de tête.
 
“J’espère que nous ne te dérangeons pas aujourd’hui, Miss Solstice ?”
 
“Non, c’est super, entrez donc !”
 
Erin accueillit joyeusement ses trois convives dans son auberge. Elle détestait être seule, ou plutôt enfermée, que ce soit avec Lyon ou Toren. Relc gloussa avec délices en voyant l’étalage de nourriture que Toren avait posé sur l’une des tables.
 
“D’où est-ce que ça vient, tout ça ?”
 
“Oh, ça ? C’est, euh… un cadeau. Je ne vais pas pouvoir manger tout ça avec Lyon, donc servez-vous donc ! Lyonette… apporte-nous d’autres assiettes ! Et des fourchettes. Et des cuillères, et des couteaux. Et des verres !”
 
La fille leva les yeux d’un air dégoûté, mais Toren la fit retourner à la cuisine. Relc regarda fixement la fille s’éloigner et se gratta la tête, l’air décontenancé, mais Klbkch s’adressa à Erin tandis que Selys inspectait joyeusement les plats.
 
“Je regrette que Pion n’ait pas pu venir te voir. Il est très occupé dans la Colonie.”
 
“Et je n’ai pas pu trouver Olesm. Je crois qu’il a du boulot à la Guilde des Coursiers. Je l’ai vu y ramener un énorme tas de parchemin tout à l’heure.”
 
Selys contempla les plats qu’Erin avait disposés sur la table. Magnolia avait beau avoir un caractère particulier, elle était généreuse en termes de nourriture. Comme Erin s’était endormie avant d’avoir pu y toucher, elle avait ramené deux faisans rôtis, plus de dix tranches de viande, des fromages, deux bouteilles de vin, des fruits à peine trop mûrs, du pain, une espèce de sauce épicée, une sauce sucrée, des olives, et même un crabe…
 
“C’est vraiment cette Reinhart qui t’a offert tout ça ? Tu lui as tant plu que ça, Erin ?”
 
“Je crois qu’elle a simplement été… généreuse. Elle est très riche, je crois.”
 
“Wow. Tu sais, je savais qu’elle était quelqu’un depuis que Ceria m’avait parlé de sa messagère, mais je ne savais pas qu’elle était aussi importante.”
 
“Tu n’en avais jamais entendu parler ?”
 
Erin était curieuse. Selys se gratta la joue d’un air embarrassé et sa queue tressailla.
 
“Eh bien, c’est juste que… c’est une Humaine, tu vois ? J’imagine que je ne me suis jamais vraiment intéressée aux Humains célèbres. J’ai déjà dû entendre son nom une ou deux fois… elle a peut-être joué un rôle, historiquement parlant ? Elle a quel âge ? Bref, je dois connaitre quelques aventuriers et quelques compagnies célèbres, mais pas plus.”
 
“Donc personne ne connaît Lady Magnolia Reinhart ?”
 
“Reinhart ? C’est elle qui a envoyé la calèche ?”
 
Relc leva le nez de sa nourriture au même moment où Lyonette et Toren ressortaient de la cuisine. Klbkch dévisagea lui aussi Erin.
 
“Ouaip. Elle voulait discuter. Tu la connais, alors, Relc ?”
 
Il haussa les épaules.
 
“La Fleur Mortelle ? Ouaip, j’en ai entendu parler.”
 
“Oh ! Pendant les Guerres Antiniumes ! C’est elle ?”, s’exclama Selys. “Mais c’est une héroïne ! Et elle a aidé deux fois à battre les Antiniums. Je ne savais pas qu’elle s’appelait comme ça !”
 
Elle jeta un regard à Klbkch et se figea.
 
“Enfin…”
 
Klbkch hocha la tête en consommant délicatement une tranche de bœuf.
 
“Je n’ai jamais rencontré personnellement Magnolia Reinhart, mais je suis parfaitement au fait de ses accomplissements. Je suis curieux de savoir la raison pour laquelle elle voulait s’entretenir avec toi, Erin,”
 
Il se tourna vers Erin, et elle comprit qu’il connaissait probablement cette raison. Relc se gratta les épines et haussa les épaules.
 
“On s’en fiche, non ? Je veux dire, tu peux nous raconter, mais de la bouffe gratuite, c’est de la bouffe gratuite, pas vrai ? Est-ce que je peux prendre tout ça ?”
 
“Bien sûr.”
 
“Super !”
 
Relc se mit à entasser le plus de nourriture possible sur son assiette, au grand dam de Lyonette. Le Drakéide ignora joyeusement les dagues qu’elle lui lançait dans ses regards. Lyonette essaya de remplir le plus possible sa propre assiette tout en restant le plus loin possible des non-Humains. C’était relativement impossible, mais elle préféra graviter autour de Selys que de Klbkch ou Relc, gardant un maximum de distance possible entre l’Antinium et elle.
 
“C’est vraiment super bon !”
 
Selys posa son assiette à la table d’Erin en lui souriant. Relc hésita, mais Klbkch lui tapota l’épaule et ils allèrent s’asseoir à une table un peu plus loin. Erin avait remarqué que Selys ne leur avait pas proposé de les rejoindre, et qu’elle lui avait donné un coup de pied lorsqu’elle avait ouvert la bouche pour les inviter à leur table.
 
“Pourquoi est-ce que tu ne veux pas manger avec Relc ?”, murmura-t-elle à Selys lorsqu’elle fut certaine que le Drakéide était occupé à inspecter les tonnelets qu’elle avait posés sur le comptoir au fond. Selys grimaça.
 
“Il flirtait avec moi en chemin, Erin. Je ne veux vraiment pas qu’il se fasse des idées juste après.”
 
“Oh.”
 
Erin avait discuté les différents aspects des relations plus… intimes… de chaque espèce avec Selys auparavant, mais elle ne lui avait jamais vraiment posé de questions sur ses histoires de cœur. Mais d’après l’expression de Selys, Relc n’était pas vraiment son genre.
 
“Tu ne l’aimes pas ? Moi je l’aime bien.”
 
“En tant qu’ami si, sans doute. Je veux dire, je ne le connais pas aussi bien que toi. Mais je ne vais pas sortir avec lui, Erin !”
 
“Pourquoi ? Je veux dire, il n’est pas pire que ça, si ?”
 
Selys se tourna en direction du Drakéide qui se versait joyeusement une chope de bière et grimaça.
 
“Eh bien, non, mais… il est vraiment musculeux, et arrogant, et égoïste, aussi. Je sais que c’est un Garde Vétéran vraiment haut gradé et de très haut niveau, mais je détesterais être la Drakéide qui devrait le supporter dans une relation. Dans tous les cas, j’aime les mecs qui sont un peu plus… beaux, tu vois ce que je veux dire ?”
 
Erin contempla Relc en fronçant les sourcils.
 
“Vraiment ? Il ne m’a pas l’air mal, à moi.”
 
“C’est parce que tu es Humaine.”
 
Selys soupira. Elle fouetta le sol de sa queue.
 
“Écoute, il n’y a pas que ça. Il est plus vieux que moi, tu sais ? Je veux dire, j’ai presque le même âge que sa f…”
 
Elle s’interrompit en voyant Relc approcher. Il tenait une chope en agitant la queue.
 
“C’est de l’alcool, pas vrai ? Tu sers enfin de l’alcool ?”
 
Il en avait presque les larmes aux yeux. Erin hocha la tête et sourit.
 
“J’en ai acheté un peu… j’ai même fait une espèce de boisson spéciale super bizarre, mais c’est, euh, encore en phase de test. Elle fait des trucs bizarres aux gens qui la boivent.”
 
“Vraiment ? Je veux bien essayer, tant que je ne vomis pas après.”
 
Selys avait l’air intriguée. Relc hocha la tête.
 
“Moi, je veux bien goûter, même si je vomis après. De l’alcool !”
 
Il retourna s’asseoir à sa table. Erin se retourna vers Selys.
 
“Bref, c’était top de rencontrer Magnolia. Elle m’a raconté tellement de choses…”
 
“Alors raconte-moi tout !”
 
Erin prit une grande inspiration, puis jeta un œil en direction de la porte. Une seconde plus tard, Halrac l’ouvrit. L’[Éclaireur] grogna en voyant la nourriture étalée sur la table avant d’apercevoir Erin.
 
“C’est ouvert ?”
 
Relc se tourna et se figea, mais Klbkch paraissait être à l’aise. Selys s’était figée sur place, mais le sourire d’Erin ne fit que s’agrandir.
 
“Entre donc, Halrac ! Prends une assiette et sers-toi… on fait un buffet ce soir !”
 
L’homme contempla l’étalage sans faire de commentaire. Il avait l’air perturbé, possiblement parce que la nourriture lui paraissait trop raffinée pour l’auberge, mais il remplit son assiette et alla s’asseoir loin des autres convives.
 
Erin se promit d’aller lui parler plus tard, après le repas. Il était tellement silencieux, sauf lorsqu’il la harcelait pour avoir un peu plus de sa boisson de fleurs de fées. Mais elle était sûre de pouvoir le dérider si elle lui parlait suffisamment .Elle se tourna et vit Selys en train de la regarder, bouche-bée.
 
“Quoi ? J’ai de la salade entre les dents ?”
 
“Erin ! C’est Halrac ! Halrac, du genre Halrac de la Chasse aux Griffons ! L’[Éclaireur] classé Or !”
 
“Hum. Ouaip ?”
 
Erin le savait. Elle ne savait plus si c’était Halrac qui le lui avait dit ou si elle en avait entendu parler ailleurs, mais Selys avait l’air époustouflée par la nouvelle.
 
“Qu’est-ce qu’il fait ici ? Je croyais qu’il dormait à l’auberge de Peslas !”
 
“Vraiment ? Eh bien, il vient ici tous les soirs. Je crois qu’il préfère mon auberge.”
 
Erin en était plutôt fière, mais Selys secoua la tête.
 
“Mais il est célèbre, Erin ! Comment est-ce que tu as pu le rencontrer ? Je veux dire, il n’est peut-être pas aussi connu que Magnolia Reinhart…”
 
“Que tu ne connaissais pas.”
 
“... la ferme. Je connais les aventuriers parce que c’est mon boulot, d’accord ? Halrac est un vétéran. Il a tué des Griffons tout seul et c’est probablement l’aventurier le plus susceptible de devenir Légendaire de Liscor en ce moment.”
 
“Eh bien, c’est un bon client. Silencieux. Qui ne jette pas des trucs. Et il laisse de bons pourboires.”
 
“Il est riche.”
 
“Vraiment ? Eh bien, je crois qu’il n’arrête pas de revenir à cause de cette boisson que je lui ai faite. Tu sais, les fleurs dont je t’avais parlé ? Il y a quelques jours, j’ai…”
 
Erin s’interrompit de nouveau. Selys la dévisagea.
 
“D’autres invités ? Comment tu le sais ?”
 
“Je ne sais pas. Je le… sens, c’est tout.”
 
Et sans surprise, quelques secondes après qu’Erin se soit retournée, la porte s’ouvrit.
 
“Loks !”
 
Erin se leva à demi de sa chaise, souriant à la petite Gobeline qui venait d’entrer en enlevant sa capuche. Mais la jeune femme hésita en voyant que Loks avait de la compagnie.
 
Elle était avec un ami. Ou un sous-fifre ? Erin ne voyait pas d’autre relation possible entre elle et le deuxième Gobelin qui venait de passer la porte. Il était encapuchonné, lui aussi, et Erin n’eut qu’un bref aperçu de sa peau verte lorsqu’il ramena la capuche sur son visage et regarda autour de lui. Mais ce n’est pas ceci qui la fit hésiter.
 
“Un Hob !”
 
Relc bondit de sa chaise et se précipita sur sa lance. Klbkch intercepta son bras, mais Lyonette hurla et Selys s’étouffa à moitié sur sa fourchette. Erin dévisagea le grand Gobelin.
 
Il ne ressemblait pas du tout à la Cheftaine Gobeline. Qu’avait dit Relc ? Un Hob ? Du genre, Hobgobelin ? Mais il avait l’air si… si… Humain.
 
Ou plutôt, humanoïde. Il était à peu près aussi Humain qu’un Drakéide et Erin devina les crocs derrière le sourire qu’il lui adressa.
 
Le Hobgobelin la mettait mal à l’aise. Mais Erin remarqua que Loks la dévisageait avec intensité. Dans l’expectative. Et Erin comprit que Loks attendait de voir ce qu’elle allait faire.
 
Et pourtant, Erin avait la certitude que ce mystérieux Hobgobelin n’était pas comme Loks. Il était dangereux, et tous dans la pièce le sentirent. Surtout les guerriers.
 
De l’autre côté de la pièce, Relc et Klbkch dévisageaient le Hobgobelin en silence. L’atmosphère autour de Relc était glaciale et l’une de ses mains était serrée. Halrac s’était figé dès que le deuxième Gobelin était entré, et l’une de ses mains était posée sur sa ceinture. Même Toren regardait fixement le nouveau Gobelin.
 
L’atmosphère était tendue. Erin sentit son [Instinct de Survie] tinter au fond de son crâne, mais elle l’ignora et se força à sourire. Qu’avait dit Lady Magnolia au sujet des Gobelins ? Non… elle avait parlé d’Erin. Une fille qui traitait les Gobelins comme des gens. Parce que les Gobelins étaient des gens. Souviens-t ’en.
 
“Loks, entre donc ! J’ai plein de choses à manger, et tu es toujours la bienvenue. Toi et n’importe quel Gobelin. Et je vois que tu as un ami. C’est super. Eh bien, c’est un invité et il ne va pas se faire attaquer, d’accord ?”
 
Erin ne se tourna pas vers les autres convives, mais elle haussa la voix et sentit l’atmosphère changer. Klbkch hocha silencieusement la tête, et Halrac se détendit lentement sur son siège et retourna à sa boisson. Seul Relc resta debout, le regard noir, jusqu’à ce que Klbkch lui tapote doucement l’épaule et le pousse à se rasseoir.
 
Erin s’approcha précautionneusement des deux Gobelins. Loks avait l’air… changée. Il lui semblait qu’il y avait des lustres qu’elle n’était pas venue à l’auberge, et son attitude avait changé.
 
Elle avait l’air plus grande. Physiquement - elle avait l’air d’avoir pris quelques centimètres, mais c’était aussi la manière dont elle se tenait. Elle leva les yeux sur Erin sans une once de crainte, mais de la curiosité et quelque chose d’autre brillaient dans ses yeux vermillon.
 
“J’ai à manger. Hum, et on pourra faire une partie d’échecs plus tard. Où est ta tribu ?”
 
Elles échangèrent un regard. Erin se tourna vers l’autre Gobelin. Il lui sourit de toutes ses dents aiguisées.
 
“Tu me présentes ton ami ?”
 
Le Hobgobelin ouvrit la bouche et Loks lui donna un coup de pied. Il baissa les yeux sur elle en fronçant les sourcils et elle le fusilla du regard. Erin se gratta la tête.
 
“Tout va bien ?”
 
Loks haussa les épaules. Elle s’approcha de la table du buffet et prit une assiette. Le grand Gobelin la suivit. Erin les regarda commencer à empiler de la nourriture dans leurs assiettes en marmottant dans leur langue incompréhensible, puis elle retourna voir Selys.
 
“Erin. Qui est l’autre Gobelin ?”
 
“Je ne sais pas.”
 
“D’accord, qu’est-ce qu’il fait ici ?”
 
“Il a… faim ?”
 
Erin écarta les mains et Selys lui donna un coup de pied.
 
“Aïe ! Je ne sais pas ! Quel est le problème ?”
 
Selys baissa la voix et lui siffla :
 
“Le problème, c’est que c’est un Hobgobelin ! Ils ne sont pas comme les Gobelins normaux. Ils sont dangereux ! L’aventurier Argent lambda ne fait pas le poids contre eux !”
 
“Eh bien… il est avec Loks ! Ce qui veut dire qu’il est peut-être sympa !”
 
“Ce n’est pas le seul problème, Erin. Après ce groupe de raid Gobelin… ça sent mauvais.”
 
“C’est mon auberge. Quel est le problème ?”
 
Selys hocha la tête.
 
“Lui.”
 
Erin se tourna et vit Relc. Ce n’était pas qu’elle avait oublié la dernière rencontre entre Relc et Loks, mais elle voyait à présent l’expression meurtrière de Relc. Selys affichait un air sinistre.
 
“Il ne va pas se tenir tranquille, Erin. Il va déclencher une bagarre.”
 
“Il ne va pas faire ça.”
 
Selys lui adressa le regard le plus fixe qu’Erin ait jamais vu. Si la Drakéide avait eu des sourcils, elle les aurait levés tous les deux. Erin hésita.
 
“Pas vrai ?”
 
Loks et son mystérieux ami choisirent une table à l’autre bout de l’auberge, loin de Relc et du reste des invités. Erin en fut soulagée, et elle espéra réussir à maintenir la paix le temps de la soirée. Après tout, les Gobelins ne faisaient rien de particulier, et Relc n’était pas si fou que ça, si ?
 
Son optimisme dura dix minutes. Puis Relc retourna chercher à manger. En chemin, il s’arrêta devant la table et renifla l’air d’un air théâtral.
 
“Il y a un truc qui pue ici ou c’est moi ?”
 
Le cœur d’Erin se serra dans sa poitrine. Elle vit Relc se tourner vers les Gobelins, et son rythme cardiaque accéléra. Relc ouvrit la bouche et Erin prit la parole.
 
“Arrête, Relc.”
 
Il se tourna pour la dévisager. Les yeux de Relc étaient fumants, et il avait l’air encore plus grand qu’à l’accoutumée. Le cœur d’Erin tambourinait dans sa poitrine. Elle ne voulait pas être ici. Elle ne voulait pas que cela arrive. Mais elle devait le dire.
 
“Ils ne font rien de mal. Laisse-les tranquilles.”
 
“Moi ? Je n’ai pas dit que c’étaient les Gobelins qui puaient…”
 
“Relc.”, lâcha Klbkch depuis sa table. Sa voix était basse, mais les épaules de Relc s’affaissèrent. Le Drakéide ne fit pas d’autre commentaire mais retourna à sa table d’un pas lourd.
 
Les deux Gobelins avaient levé les yeux lorsque Relc avait pris la parole, mais ils étaient retournés à leur repas comme si rien ne s’était passé. Le plus grand regardait tour à tour Erin et Relc avec intérêt, mais aucun des deux n’avait l’air peiné.
 
Si cela s’était arrêté là, Erin aurait considéré qu’elle avait eu de la chance. Mais à peine Relc eut-il posé son assiette qu’il leva sa chope dans les airs.
 
“Hey, Klb, portons un toast à nos amis. Tu sais, ceux qui sont morts en défendant ce village des monstres, tu te souviens ?”
 
Il leva sa chope et s’adressa à la salle d’une voix de stentor.
 
“À Byssa, Invrss, et Olivis, qui sont morts pour nous protéger de la véritable menace. Ces bâtards de Gobelins.”
 
L’auberge resta silencieuse pendant que Relc engloutissait sa chope. Il la jeta avec nonchalance sur sa table et regarda fixement Loks. Elle soutint son regard.
 
“Arrête ça.”
 
Erin s’était levée. Ses genoux tremblaient, mais elle se força à rester debout. Elle s’avança vers Relc et le regarda droit dans les yeux.
 
“Pourquoi est-ce que tu fais ça ?”
 
Relc croisa son regard et Erin eut un choc. Il y avait quelque chose de sombre dans les yeux du grand Drakéide.
 
“Parce que je ne peux pas supporter que tu les laisses entrer ici. Parce que tu les laisses manger alors que mes amis pourrissent sous terre.”
 
“Ce ne sont pas les Gobelins qui ont tué tes amis. Loks est ge…”
 
“Ça n’a aucune importance. Ce sont tous les mêmes !”
 
Relc ramassa sa chope et la jeta par-dessus Erin. Elle tressailla et Selys hurla lorsqu’elle se brisa.
 
De l’autre côté de la pièce, Toren se mit en mouvement. Il était resté immobile jusque-là, mais il saisit son épée et ses yeux violets s’enflammèrent.
 
“Toren ! Reste tranquille !”
 
Il se figea sur place. Relc jeta un regard méprisant au squelette.
 
“Excellente décision. Ton petit monstre de compagnie ne m’arrêtera pas. Et toi non plus.”
 
Il avança vers Erin.
 
“Drakéide.”
 
Halrac se leva à moitié de sa table. Relc le pointa du doigt.
 
“Te mêle pas de ça, Humain.”
 
Il se retourna vers Erin et Halrac hésita. Il était armé, mais Erin ne voulait pas déclencher de bagarrer. Elle le regarda en secouant la tête et Relc dévisagea les deux Gobelins.
 
“J’ai vu ces choses tuer un nombre incalculable de gens bien. Ce sont des assassins sans cœur qui ne méritent pas qu’on leur accorde ce genre de chance.”
 
“Tu as tort.”
 
Quoi ?”
 
Erin croisa les bras. Elle avait l’impression d’être un tout petit insecte face à Relc. Sa rage avait l’air d’émaner de lui comme de la chaleur. Il se pencha au-dessus d’Erin, mais elle refusa de reculer.
 
Elle revit les petits corps, se remémora les têtes décapitées des Gobelins morts entre ses mains. Elle vit l’enfant lever des yeux pleins de haine sur elle. Plus jamais.
 
“Tu ne leur feras aucun mal. Ni ici, ni ailleurs. Tu comprends ? Ils sont sous ma protection. Si tu leur fais du mal, tu deviendras mon ennemi.”
 
La poitrine d’Erin lui paraissait comprimée. L’air était brûlant, mais elle avait l’impression que tout son être était en train de se déverser dans ces mots. Elle dévisagea Relc et sentit quelque chose de vivant autour d’elle. Elle poussa, et il plissa les yeux.
 
“Tu vas le regretter, Humaine.”
 
“Peut-être, oui. Mais en attendant, je vais faire ce que je crois être juste.”
 
L’air était brûlant. Erin croisa le regard de Relc pendant un long moment, une éternité. Enfin, il détourna les yeux.
 
“Okay, tu sais quoi ? C’est bon.”
 
Relc leva les mains. Il se rassit. Il attrapa une tranche de viande et retourna à son assiette comme si de rien n’était.
 
L’absence soudaine d’hostilité faillit faire trébucher Erin. Elle regarda fixement le dos de Relc et la colère l’envahit soudain. Juste comme ça ?
 
Elle ne pouvait pas laisser passer ça. Pas comme ça. Le pouls d’Erin tonnait dans ses veines, mais elle se sentait étrangement calme, comme si elle se tenait au bord du précipice.
 
“Non. Dégage.”
 
Relc hésita en tendant la serre vers une autre tranche de viande.
 
“Quoi ?”
 
“Tu m’as entendue. Dégage. Tu n’es pas le bienvenu ici en ce moment.”
 
“Je ne vais plus embêter tes petits amis Gobelins.”
 
“Ça n’a pas d’importance. Tu as dit… tu as été très clair.”
 
Erin mordit sa langue en s’empêtrant dans ses propres mots. Ils avaient l’air stupides à ses oreilles, mais sa poitrine était toujours serrée.
 
“Tu as été gentil avec moi. Mais si tu ne peux pas tolérer mes invités, alors tu n’es plus le bienvenu dans mon auberge. Va-t’en, et je te laisserai peut-être revenir plus tard. Mais pas maintenant. Pas ce soir.”
 
Relc plissa les yeux.
 
“Tu es sûre de vouloir faire ça ? Je suis un garde de la ville. Tu ne peux pas…”
 
“Relc.”, l’interrompit une autre voix. Klbkch prit la parole. Sa voix était aussi sèche et calme qu’à l’accoutumée, mais aussi plus tranchante.
 
“N’utilisa pas ta position de garde ici. Erin Solstice a parlé. Elle est dans son bon droit. Je témoignerai si besoin.”
 
La tête de Relc pivota. Sa queue resta parfaitement immobile lorsqu’il se tourna vers son ami.
 
“Te mêle pas de ça, Klb.”
 
“La parole de l’[Aubergiste] fait loi ici, garde. N’insiste pas.”, déclara Halrac. Il dévisagea Relc de sa chaise. Ses mains n’étaient pas tout à fait à sa ceinture mais Erin voyait une dague à sa taille. Relc le dévisagea.
 
“Tu crois que ta dague me fait peur ?  Je vous prends tous les deux, Klb et toi. Tu veux essayer ?”
 
“Pas de bagarre.”, déclara Erin. Elle sentit la pression s’intensifier lorsque Relc se tourna vers elle. Mais elle poussait, elle aussi, et elle sentit l’air autour d’elle se solidifier. On aurait dit qu’elle appuyait sur l’auberge.
 
“Tu ne m’as pas entendue, Relc ? Sors.”
 
Il se leva vivement. Erin ne bougea pas, mais Klbkch et Halrac se levèrent. Ils s’avancèrent mais Relc avança vers Erin.
 
“Tu crois que j’ai peur de toi ?”
 
“Non.”
 
Leurs regards étaient verrouillés. Elle sentit son pouls accélérer, sentit toutes les planches, toutes les chaises de son auberge. Elle poussa davantage et Relc grinça des dents.
 
“C’est mon auberge, Relc. Sors d’ici ou accepte les conséquences.”
 
“Tu n’es qu’une stupide Humaine comme les autres. Tu ne comprends rien à rien, pas vrai ?”
 
“Je comprends le bien et le mal. Tu ne peux pas tuer des gens, Relc.”
 
“Ce sont des monstres !”, rugit-il sur son visage. Erin sentit des postillons atterrir sur ses joues. Elle sentit Halrac bouger, mais elle refusa de reculer. Relc prit une autre inspiration puis Erin entendit une voix chevrotante.
 
“Erin a raison, Relc.”
 
Le Drakéide se tourna, incrédule, lorsque Selys se leva. La jeune Drakéide avait l’air très petite et elle tremblait de peur, mais elle trouva le courage de le regarder dans les yeux lorsqu’elle prit la parole.
 
“Erin a raison. Tu dois partir. Ce n’est pas juste. J’ai vu Loks et elle n’a jamais…”
 
Relc fit volte-face et Selys tressaillit. Il regarda autour de lui. Ses yeux furibonds ne croisèrent que des regards froids, et deux paires d’yeux cramoisis. Loks dévisagea Relc d’un regard plein de haine silencieuse, et l’autre Gobelin… sourit.
 
Le garde Drakéide se retourna vers Erin. Mais à présent, Halrac et Klbkch lui barraient tous deux la route, et le Hobgobelin était toujours assis à la table de Loks. Et souriait. Tout simplement.
 
La paupière de Relc tressaillit. Il prit une grande inspiration, puis se détourna. Lentement, il se dirigea vers la porte. Relc l’ouvrit, et se retourna. Ses yeux… Erin sentit son cœur se briser lorsqu’elle vit son regard.
 
“J’espère que vos queues vont tomber. À vous tous !”
 
Il claqua la porte tellement fort qu’Erin sentit la vibration là d’où elle se tenait. Elle vacilla, incertaine, puis entendit Relc rugir de rage en rentrant à la ville.
 
Ses jambes se trouvèrent soudain dépourvues de fores. Erin s’assit, et s’aperçut que Selys avait mis une chaise sous ses fesses juste à temps. La Drakéide lui fit un petit sourire triste.
 
“C’était excitant, pas vrai ?”
 
Erin se retourna. Le sourire de Selys s’effaça. Au bout d’un moment, Erin posa sa tête sur la table. Elle ne pleura pas, mais elle était terriblement, terriblement triste.


***

 
Un long moment passa avant que qui que ce soit ne se remette à manger. Halrac et Klbkch retournèrent à leurs chaises en silence, sans piper mot, et seule Selys essaya de remplir de mots l’affreux vide qui emplissait la pièce.
 
Erin dut monter à l’étage pour trouver Lyonette. La fille s’était cachée dans sa chambre, sous son lit. Elle ne redescendit que lorsqu’Erin l’assura que Relc était parti, puis elle prit une assiette de nourriture et se barricada dans sa chambre.
 
Il fallut aussi un moment à Erin pour se souvenir qu’elle avait dit à Toren de rester tranquille. Le squelette était figé sur place et il ne se remit en mouvement que lorsqu’elle lui dit qu’il pouvait bouger de nouveau. Il prit alors un seau et sortit de l’auberge. Erin faillit se demander s’il était en colère… mais Toren ne ressentait aucune émotion, n’est-ce pas ?
 
À leur table, les deux Gobelins discutaient à voix basse. Aucun des deux ne paraissait perturbé ; Loks avait d’ailleurs l’air contente, et son compagnon ne cessait de jeter des regards en coin à Erin.
 
Et Erin ? Elle se sentait terriblement mal.
 
“Il était gentil avec moi. C’est la première personne que j’aie jamais rencontrée. La première qui n’aie pas essayé de me tuer, je veux dire.”
 
“Je sais.”
 
Selys lui tapota le dos d’un air compatissant. Les deux femmes contemplaient leurs repas, et aucune des deux n’avaient faim.
 
“Quand même, c’est incroyable comme tu l’as confronté. Personne ne cherche la bagarre avec Relc en ville lorsqu’il s’énerve. Même Zevara, la Capitaine de la Garde, fait attention dans ces cas-là. Relc a déjà battu quarante personnes pendant une bagarre, tu savais ?”
 
“Non.”
 
“Et cette Compétence ! C’était une Compétence, pas vrai ? Quand tu l’as regardé, tout est soudain devenu très lourd. On aurait dit que l’air essayait de m’écraser.”
 
“C’est juste sorti comme ça. Je ne sais pas comment j’ai fait.”
 
“Eh bien, il est parti.”
 
“Oui. Mais il ne reviendra peut-être jamais.”
 
Selys ne savait pas quoi répondre à ça. Au bout d’un moment, Erin se leva et alla voir Klbkch et Halrac pour les remercier de leur aide. Klbkch acquiesça et dit à Erin qu’il parlerait à Relc, même si elle n’était pas certaine que ce soit une bonne idée. Halrac se contenta de hocher la tête.
 
“Tu es une personne bien étrange. Courageuse.”
 
Erin songea que c’était sans doute un compliment.
 
Le dîner fut calme, mais au moins il fut à peu près plaisant. Erin papota avec Selys et Klbkch, et s’approcha occasionnellement de la table des deux Gobelins. Ils se contentèrent de la dévisager lorsqu’elle s’approcha pour la première fois, et Loks se contenta de hausser les épaules lorsqu’Erin s’excusa pour Relc.
 
Ils manigançaient quelque chose. Ils ne cessaient d’observer Erin, mais ils étaient apparemment trop occupés à discuter dans leur propre langue et Erin les laissa tranquilles.
 
Au bout de quelques heures, Selys partit. Elle devait aller travailler le lendemain, et Klbkch partit lui aussi, pour l’escorter. Halrac resta encore une heure avant de partir lui aussi, en marmonnant quelque chose au sujet de sites d’excavation et de mages.
 
Loks et son mystérieux ami Hobgobelin partirent eux aussi. Erin sentit ses yeux posés sur elle lorsqu’ils partirent, mais elle ne savait pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose.
 
Puis Erin se retrouva seule. Elle resta assise dans son auberge, écoutant Lyonette qui marchait à l’étage et se demandant où était parti Toren. Son cœur était encore douloureux.
 
Que devait-elle faire ? Des Gobelins. Elle se sentait mal d’avoir jeté Relc à la porte, mais… non, elle avait pesé chacun de ses mots. Mais les paroles de Magnolia résonnaient toujours dans son esprit.
 
Elle était faible. Toutes ces choses extraordinaires dont elle lui avait parlé… Erin ne pouvait vraiment rien faire sans aide. Elle ne pouvait même pas faire face à Relc sans l’aide de tout le monde.
 
Alors. Du coup. Que pouvait-elle faire ?
 
“Gagner des niveaux.”
 
Elle n’avait pas d’autre choix, pas vrai ? Erin soupira. Plus forte. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Elle devait créer quelque chose. D’une manière ou d’une autre.
 
“Eh bien, j’ai une idée.”
 
Demain, elle pourrait…
 
Quelqu’un frappa à la porte. Erin fronça les sourcils. Un visiteur nocturne ? Elle se demanda si elle pouvait dire qu’ils étaient fermé. Elle alla à la porte d’un pas chancelant et la déverrouilla. Erin ouvrit la porte et se figea. Puis elle sourit, son visage s’illuminant de joie et de soulagement.
 
“Ryoka ?”
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 11 février 2021 à 01:33:20

 
2.39 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

***

 
Je suis en colère.
 
Je crois que j’ai toujours été en colère. Depuis que j’ai été déçue par les gens que j’admirais. Depuis le jour où j’ai cessé de croire aux héros.
 
C’est une longue histoire. Et j’imagine qu’une grande partie était de ma faute. Il était une fois, une fille en colère qui s’en prenait à tout le monde. Qui se rebellait.
 
Nous passons tous par cette phase. Mais je n’ai jamais vraiment réussi à dépasser la furie qui m’a envahie lorsque j’ai compris que le monde était injuste. Que, bien que l’on m’ait offert une vie extraordinaire, il restait encore tellement d’injustice.
 
Parfois, j’oublie. Je cours et cours pour oublier, et j’ai fini par courir dans un autre monde où je croyais pouvoir être heureuse.
 
Mais à présent, elle est de retour. La même vieille furie, une bête grondante dans mon estomac, une rage tambourinante couvant dans mon cœur.
 
C’est le genre d’émotion qui pourrait me mener au meurtre. Et il y a des gens dans ce monde qui valent la peine d’être tuée. Non… pas des gens.
 
Des monstres. Des monstres, tout simplement.
 
La neige crisse sous mes pas. J’avance, et une petite Gnolle trottine maladroitement à mes côtés. Mon estomac est vide, et j’ai des étourdissements.
 
Je suis au bout du rouleau. Je l’ai dépassé depuis longtemps, à vrai dire. Les deux moignons sur ma main droite me lancent Je suis épuisée, affamée, blessée.
 
Et tellement en colère.
 
Même maintenant, la rage menace de me consumer. Je…
 
Je n’ai jamais été aussi en colère auparavant.
 
Je me suis déjà sentie en colère. Une colère brûlante, bouillonnante. Et j’ai ressenti la furie profonde lovée dans mon estomac, s’accumulant comme la pression dans une cocotte-minute, prête à exploser devant une bonne étincelle. Et j’ai senti la rage qui consume tout, qui brûle un trou dans mon esprit, éradiquant le bon sens. Mais ceci… c’est différent. Ce sentiment m’effraie moi-même.
 
C’est une colère noire, une folie terrible qui m’empoigne. Et avec elle, j’entends une petite voix que je croyais avoir enterrée. Elle me murmure des choses.
 
Tue tout. Tue tout le monde. Poignarde-les. Arrache-leur les yeux. Réduis leur peau en lambeaux.
 
Laisse ce maudit monde bruler.
 
Je ne peux m’empêcher de regarder ma main. L’endroit où devraient se trouver mes doigts. Et mes souvenirs. Je me souviens d’Urksh et de la tribu des Lances de Pierre.
 
Tous morts.
 
Tous morts à cause de moi.
 
Les Gobelins. Je me suis réveillée en hurlant deux nuits d’affilée, ma main brûlante, infectée. J’ai fait peur à Mrsha. Même maintenant, la petite Gnolle me suit, mais à une certaine distance. Elle a peur de moi et peut-être, me déteste pour ce que j’ai fait.
 
Le prix qui a été payé pour sa vie, et la mienne, d’ailleurs.
 
Je baisse les yeux vers elle, et la Gnolle me regarde. Sa fourrure est tellement blanche à présent, la couleur de la neige fraîche. Elle est presque invisible lorsqu’elle s’arrête, et la seule couleur sur son corps hormis ses griffes et son nez sont ses yeux bruns Elle est… silencieuse.
 
Elle a toujours été silencieuse. Mais à présent, Mrsha marche comme un fantôme. Elle a perdu sa tribu. Sa famille, ses amis…
 
Tout ça à cause de moi.
 
Même maintenant, je vois la fée perchée dans les airs. J’entends Urksh, j’entends sa voix au-dessus des sons de sa tribu en train de mourir autour de lui.
 
“Nous offrons tout.”
 
Est-ce qu’il y a eu des survivants ? N’importe qui ? Ou est-ce que toute la maudite armée est morte elle aussi ? Quel a été le prix ?
 
Mrsha chancelle, trébuchant sur quelque chose dans la neige. Je m’arrête, et elle se relève lentement.
 
Elle est fatiguée. Et elle a faim. Aucune de nous deux n’a mangé.
 
“On n’est plus très loin. Est-ce que tu peux marcher ?”
 
Elle acquiesce. Je hoche la tête. Il n’y a rien d’autre à dire. Si je la portais, je tomberais dans un mille.
 
“Je suis désolée.”
 
Combien de fois lui ai-je dit ces mots ? Combien de fois ai-je revu la scène en me la remémorant à mon réveil ? Mrsha se contente de me regarder en silence, ses jeunes yeux me jugeant. Mais elle ne peut pas me dire ce qu’elle ressent.
 
Cela n’a aucune importance. Je le sais .Je sais ce que c’est, de perdre la foi en quelqu’un que tu admires. J’ai trahi Mrsha. Je lui ai apporté des histoires puis la mort. Je lui ai donné un petit rêve puis je lui ai pris tout ce qu’elle possédait.
 
Je… tout est de ma faute*.
 
*Bien sûr que non. Je sais que non. Je ne suis pas responsable de la totalité de ce qui s’est passé. Je n’ai pas forcé les armées à combattre ni les Gobelins à tuer. Mais c’est ma faute. Ma faute à moi seule.
 
Trop tard pour faire demi-tour. Trop tard pour offrir autre chose. Elle est tout ce qui reste, et je dois m’occuper d’elle. Je me détourne donc et contemple les plaines enneigées.
 
Quelque chose entre dans mon champ de vision. Un corps fait de cristal et de glace. L’immortalité figée dans la silhouette d’une petite fée. Elle me regarde.
 
 “Ta ville n’est plus qu’à une heure de voyage. Ne t’arrête pas ici.”
 
Je manque de peu éclater de rire. Les fées s’inquiètent pour nous. Pour moi. Je la regarde.
 
“Quel a été le prix ? Qu’a-t-il été payé, et qu’a-t-il été perdu ?”
 
Elle me regarde en silence. C’est la même question que j’ai posée à chaque fée qui est venue me voir. Silencieusement, la fée retourne voler avec les autres.
 
Elles m’évitent, dernièrement. Sont-elles incapables de répondre ? Je crie à leur intention.
 
“Qu’a-t-on payé ? Le prix était-il donc si élevé ?”
 
Mrsha se tapit dans la neige et se couvre les oreilles de ses pattes. Les fées me regardent, en juges silencieuses.
 
 “Ne nous le demande pas, mortelle. Ce qui est fait est fait. Savoir ce qui aurait pu être n’apporterait que des regrets.”
 
J’explose alors. Je ne me souviens pas d’avoir prix un caillou dans la neige et de l’avoir jeté sur les fées. Je leur hurle dessus, ma voix à vif et pleine de rage.
 
Allez vous faire enculer ! Répondez-moi franchement pour une fois bande de putes ! Dites-moi ! Espèce de sales démons sournois et traîtres ! Quel a été le prix ? Dites-le moi ou…”
 
Quelque chose. J’aperçois une petite boule de fourrure en train de trembler par terre à côté de moi pendant que je jette de la neige et que je crie sur les fées en train de battre en retraite. J’hésite, m’arrête.
 
Mrsha est roulée en boule dans la neige, loin de moi. Elle tremble tellement fort qu’on dirait qu’elle vibre.
 
D’un seul coup, la colère m’abandonne.
 
“Mrsha. Je…”
 
Je m’avance vers elle. Elle s’écarte légèrement. Je m’arrête.
 
“Je suis désolée.”
 
Je m’assieds dans la neige, toutes flammes envolées. Les braises demeurent, mais elles couvent encore. Et pourtant, la culpabilité et la tristesse m’assaillent à présent, trop fortes pour que je puisse les ignorer.
 
J’ai vraiment foiré cette fois-ci, pas vrai ? Je pensais que quelques potions et une poignée de tours d’alchimistes pourraient changer les choses. Mais je…
 
J’étais arrogante. Et à présent, cette arrogance a coûté la vie à plusieurs personnes. Si j’avais des niveaux, peut-être que j’aurai réussi à retrouver Mrsha plus tôt, ou peut-être que j’aurais pu me battre. Peut-être…
 
Mais il est trop tard à présent. Bien trop tard.
 
Depuis cette nuit, la voix du système ou qu’importe ce que c’était a cessé de me parler. D’habitude, toutes les nuits, vraiment, j’entendais une espèce de notification dans ma tête et je l’annulais. [Coureuse Va-Nu-Pieds Niveau 1 !], ou [Disciple Niveau 3 !] après le combat que j’avais eu contre Calruz. Et pourtant, à présent que je l’attends, je n’entends rien.
 
Rien du tout.
 
J’imagine qu’ils ont fini par abandonner la lutte. Ou est-ce que ça a fait partie du prix que j’ai payé ? Je n’en sais rien, je sais simplement que je me suis éloignée d’une mort certaine et payé pour ce miracle avec deux doigts. Et je sais que Mrsha a survécu au prix de la vie de toute sa tribu.
 
Peut-être qu’ils étaient destinés à mourir, et que cela a permis à l’une d’eux de vivre plutôt qu’à d’autres. Ou peut-être que les fées ont altéré la destinée pour que la tribu meure à la place de Mrsha. J’imagine que je ne le saurai jamais.
 
Mais je me souviens du Seigneur Gobelin. Je me souviens de ses yeux, et de sa maudite armée.
 
Je serre les poings. Mrsha cesse lentement de trembler et lève les yeux sur moi. Je me force à lui sourire d’un air peu convaincant. Mais à l’intérieur de moi, la folie rugit de nouveau.
 
Je ne leur pardonnerai jamais. Ils mourront. Je le jure.
 
Je ne suis pas une tueuse. C’est ce que m’a dit Erin. Mais ces monstres méritent de mourir. Et je les tuerai, même si cela signifie que je ne pourrai plus jamais redevenir celle que j’étais.
 
Pour le moment, je regarde Mrsha et essaie d’adoucir ma voix. De la rassurer. J’aimerais savoir comment. Ce n’est qu’une enfant. Elle a besoin d’une experte pour l’aider à surmonter le traumatisme et la perte de ses proches. Mais je l’ai faite marcher sans relâche.
 
“Je suis désolée d’avoir crié, Mrsha. On est presque arrivées. Une fois qu’on aura atteint la ville, on pourra manger et dormir, d’accord ? On y sera en sécurité.”
 
Je pointe du doigt et Mrsha plisse les yeux. Liscor se distingue au loin, de l’autre côté de l’étendue de plaines enneigées. Elle paraît incertaine.
 
“On y sera en sécurité, je te le promets.”
 
Quel mensonge. Et comment puis-je promettre cela à une enfant qui vient de voir sa famille se faire tailler en pièces autour d’elle ? Mais Mrsha acquiesce. Elle me fait confiance, et nous reprenons donc notre route pendant que des lames de culpabilité déchirent mon estomac en lambeaux.
 
Nous avançons, dans un silence gourd.
 
On dirait qu’il ne s’est écoulée qu’une seconde entre le moment où nous avons repris la marche et le moment où je fais face à une porte en bois. Je regarde autour de moi et cligne des yeux. C’est la nuit. Mrsha est appuyée contre ma jambe, trop fatiguée pour faire quoi que ce soit d’autre. Les fées sont parties. Je regarde autour de moi, mais je ne vois pas leur lueur dans la nuit.
 
Bien. J’imagine. Ma tête est embrumée. Je lève ma main gauche, ma main valide, et toque à la porte.
 
Pendant un instant, je crains que personne ne vienne nous ouvrir. Mais il y a de la lumière derrière les fenêtres. Pitié, faites qu’elle soit là. Puis j’entends les verrous grincer dans la serrure et la porte s’ouvre.
 
De la lumière et de la chaleur débordent dans la nuit glacée. Je cligne des yeux.
 
“Ryoka ?”
 
Un visage familier se tient dans l’embrasure de la porte. C’est étrange, mais elle n’a pas changé.
 
“Salut, Erin.”
 
Elle m’adresse un large sourire. Je peux à peine lever la tête. Je suis rentrée.
 
Mes jambes cèdent soudain sous mon poids. Je m’écroule en avant, sur Erin.
 
Elle glapit et me rattrape juste à temps.
 
“Ryoka ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
“Je suis rentrée.”
 
“Tu es blessée ? Tu es fatiguée ? Attends, laisse-moi juste… qui est-ce ?”
 
J’essaie de me redresser pendant qu’Erin essaie d’attraper la porte. C’est presque comique et un sourire m’échappe, mais je vois alors Mrsha dans la neige jeter un regard inquiet à Erin.
 
“Mrsha.”
 
“Qui ?”
 
La confusion se peint sur le visage d’Erin et je me retourne pour appeler la petite Gnolle. Elle hésite, mais elle pénètre dans l’auberge chaleureuse et renifle l’air.
 
“Oh ! Elle est si mignonne !”
 
Erin se penche en avant et Mrsha bondit dehors comme un animal sauvage. Je soupire.
 
“Tout va bien. Erin… je te présente Erin Solstice, Mrsha. C’est une amie.”
 
Une amie. Je tiens la porte ouverte. Mrsha hésite, mais elle revient en trottinant. Cette fois-ci, Erin garde une distance respectueuse.
 
“D’où vient-elle, Ryoka ?”
 
Comment lui expliquer ? Je me contente de soupirer.
 
“C’est une longue histoire. Elle s’appelle Mrsha. Ce n’est qu’une enfant. Je l’ai amenée ici parce qu’elle ne peut aller nulle part ailleurs.”
 
Mrsha avance un peu dans la pièce, ses ongles cliquetant sur le plancher. Elle est à quatre pattes - apparemment, les Gnolls alternent entre la marche à deux ou quatre pattes et elle est encore habituée à marcher à quatre pattes. Elle renifle et contemple fixement les braises rougeoyant dans l’âtre, mais elle reste à côté de moi.
 
Erin regarde Mrsha et ses yeux s’écarquillent lorsqu’elle comprend ce que je veux dire.
 
“Oh non. Est-ce que tu as… elle était perdue ? Ou… abandonnée ?”
 
“Ni l’un ni l’autre. Sa tribu n’est plus là, Erin.”
 
C’est tout ce que je peux dire pour le moment. Et même cela me blesse. Erin écarquille les yeux, mais elle ne met que quelques secondes à comprendre. Elle a vécu dans ce monde aussi longtemps que moi. Possiblement plus longtemps que moi. Elle sait de quoi je parle.
 
“Je suis tellement désolée. Hé, ma puce, comment tu te sens ?”
 
Erin se penche en faisant un grand sourire à Mrsha. Mais Mrsha se contente de s’écarter. Elle se cache derrière une table en dévisageant Erin. Je ne peux pas lui en vouloir d’avoir peur.
 
“Mrsha. Tout va bien. Erin n’est pas dangereuse. Elle est gentille. Elle va m’aider à prendre soin de toi.”
 
Mieux que moi. Mrsha regarde Erin de derrière la table et je remarque à quel point elle a perdu du poids. Elle a à peine mangé après cette première nuit, et sans nourriture…
 
Erin laisse Mrsha lui renifler la main, mais Mrsha reste timide. Elle regarde Erin avec de grands yeux, et je réalise soudain que c’est probablement seulement la deuxième Humaine qu’elle ait jamais rencontrée.
 
Dommage. Si elle avait rencontré Erin en premier…
 
Je ferme les yeux. Tout est douloureux.
 
Je m’appuie contre une table d’Erin, épuisée. Ma main se déploie et Erin baisse les yeux. Elle pousse une exclamation.
 
“Ta main...”
 
Je grimace. C’est encore difficile pour moi de regarder les moignons. Je les ai enrubannés dans des bandages, mais…
 
“C’est sans importance. Je te raconterai plus tard.”
 
“Me raconter plus tard ? Ryoka, que s’est-il pass... “
 
“Donne-lui d’abord à manger. Elle n’a rien mangé aujourd’hui.”
 
Je pointe Mrsha du doigt. Mon estomac est vide, et je suis sur le point de m’évanouir de faim. Mrsha doit être dans un état pire encore. Ses oreilles pointent lorsque je dis le mot “manger”.
 
Erin hésite encore. Elle regarde ma main, et cela… m’agace. Je sais que c’est grave. Est-ce que je n’ai pas moi-même passé mon temps à la regarder, tous les jours ? Mais ce n’est pas l’important.
 
“Erin. À manger.”
 
Mon amie sursaute et Mrsha bondit en arrière. Erin regarde autour d’elle d’un air affolé.
 
“À manger ? On a à manger. Il y a des restes de viande… euh… où est-ce que Toren l’a mise ?”
 
Elle hausse la voix pour appeler ce maudit squelette.
 
”T…”
 
“Stop.”
 
Je suis obligée de crier à moitié et j’effraie à la fois Erin et Mrsha. Elles se tournent toutes les deux vers moi.
 
“Quoi ?”
 
“N’appelle pas Toren. Tu vas lui faire peur.”
 
Je n’arrive pas à croire qu’il faut que je lui explique ça. Ma colère… s’enflamme puis s’éteint. Ce n’est pas la faute d’Erin. Erin cligne des yeux, puis regarde Mrsha.
 
“Oh, c’est vrai !”
 
Je grince des dents. Erin se précipite dans la cuisine pour nous trouver à manger. Pourquoi est-ce que je suis en colère ? Je veux dire, pourquoi contre elle ? Ce n’est pas la faute d’Erin si elle est irréfléchie…
 
Contrôle-toi. Je ne peux pas me fier à mes émotions en ce moment. Je prends quelques grandes inspirations et sens le froid quitter mon corps, l’épuisement remplir mes membres. Tout va bien. Tout va bien à présent.
 
Pas du tout, en réalité, mais je me raconte ça jusqu’au retour d’Erin. Elle a de la nourriture enveloppée dans un tissu dont elle époussète la neige. Apparemment, elle a de la viande - de la volaille rôtie et quelques tranches de viande, du pain froid, et du fromage.
 
Elle a dû mettre tout ça dans la neige pour que ça se conserve. Ne sait-elle donc pas que ça risque d’attirer les charognards et les monstres ? Si elle se posait une minute pour réfléchir...
 
Calme-toi.
 
Erin rajoute du bois dans le feu et déballe la nourriture.
 
“Désolée… vous pouvez réchauffer tout ça près du feu. Et ,euh, je ne crois pas que Toren soit à l’auberge. Il a dû sortir.”
 
“Très bien.”
 
La viande est froide et dure d’être restée dehors. Je la savoure à peine et l’engloutis. Mrsha mange aussi vite que moi. Erin nous regarde nous empiffrer et va chercher d’autres choses à manger.
 
“Ça suffit.”
 
Je déclare ceci au bout de quelques minutes de gloutonnerie. Mrsha lève les yeux sur moi.
 
“Ne mange pas trop ou tu vas être malade.”
 
De la nourriture riche dans un estomac vide. Je me sens déjà un peu nauséeuse, mais je suis vivante. Vivante.
 
Erin s’approche de Mrsha et moi, un pichet de lait chaud dans les mains. Je sais qu’elle veut poser des questions, et je ne veux rien raconter. Je veux juste dormir. Dormir et ne pas avoir à m’occuper de tout ça. Mais il faut que je m’en occupe.
 
“Pourquoi est-ce que vous n’avez rien mangé ? Je veux dire, tu n’avais plus de provisions ?”
 
Non, on s’est affamées pour le plaisir. Je me mords la lèvre. Calme-toi.
 
“On est tombée à court de provisions il y a un jour.”
 
C’était soit s’arrêter pour chercher de quoi manger, soit continuer la route. Je n’étais pas certaine de pouvoir trouver quoi que ce soit - ni de pouvoir nous mettre hors de danger si nous croisions un monstre - donc nous avions continué d’avancer.
 
Mrsha frissonne. Elle tend la patte vers un verre de lait et l’engloutit avec avidité. Je la contemple et sens mon cœur se serrer de nouveau. Voilà encore une chose pour laquelle je dois payer.
 
Erin me voit la regarder. Je ne sais pas ce qu’elle voit sur mon visage. je ne veux pas le savoir. Voir son expression est déjà bien assez douloureux.
 
“Ryoka, que s’est-il passé ?”
 
Erin finit par poser le pichet sur la table et s’assied à côté de moi en me dévisageant. Mrsha hésite, mais la Gnolle se contente de s’éloigner un peu d’Erin en mâchonnant quelques morceaux qui restaient dans son assiette. je soupire.
 
“C’est une longue histoire.”
 
“Raconte-moi. S’il te plaît ? Je sais juste que tu étais partie pour une longue livraison, mais que les Fées de Givre t’ont pourchassée. Est-ce que ce sont elles qui t’ont fait ça ?”
 
“Non.”
 
Peut-être que si. Mais... elles sont malveillantes, fourbes, hostiles… et pourtant, je sais qu’elles aiment les enfants. Non, elles n’auraient jamais orchestré ça, même si elles le pouvaient.
 
Et Erin me dévisage. Elle me dévisage, tout simplement. je veux lui raconter, mais je me tais. Je veux enterrer ces souvenirs à jamais, et pourtant une part de moi veut avouer mon échec.
 
J’hésite. Mrsha est encore assise avec nous. Mais elle ne va pas me laisser la mettre au lit si facilement. Et il faut que je raconte. Je lève donc les yeux sur Erin.
 
“D’accord.”
 
Personne d’autre n’a besoin de savoir. Je ne raconterai peut-être plus jamais la totalité des événements. Mais Erin me connaît. Je connais Erin. Nous ne nous connaissons pas depuis longtemps, mais je lui fais confiance. Plus qu’à n’importe qui d’autre dans ce maudit monde. Elle m’a aidée à sauver Ceria. Elle…
 
Peut peut-être comprendre.
 
Lentement, je commence à parler. Je raconte à Erin tout ce qu’il s’est passé depuis que je me suis enfuie de son auberge avec les fées à mes trousses. Je lui raconte certains détails sans importance. Les longues journées pendant lesquelles elles m’ont tourmentées - aucune importance, à présent. Ce sont presque des souvenirs heureux par rapport à ceux qui arrivent.
 
Et je ne peux pas décrire ce qu’il s’est passé dans le campement Gnoll. J’explique simplement à Erin que j’ai diverti les fées avec des histoires et m’arrête à ça. Ce que j’ai ressenti alors est trop précieux pour le découper avec de simples mots.
 
Vient alors le récit de la bataille entre les deux armées. Et le Nécromancien. Erin m’écoute, pose des questions auxquelles je ne réponds pas, étonnée, et émet des suppositions. Mais tout cela n’est qu’un prélude.
 
Lorsque je parle de la nuit où Mrsha a tout perdu, l’enfant Gnolle s’écrase par terre et se couvre les yeux de ses pattes en tremblant. Des larmes coulent le long de ses joues. Erin la regarde mais je continue.
 
Il faut que ce soit dit. Et c’est tellement facile, finalement.
 
“J’ai passé un marché avec les fées. Elles ont aidé à nous sauver, Mrsha et moi, mais la tribu des Lances de Pierre - tous les membres… on les a abandonnés derrière nous avec les Gobelins. L’armée était en train de battre retraite et j’ai couru avec les fées. Elles ont tout gelé sur notre route. Je ne sais pas ce qu’il est advenu des autres.”
 
Les souvenirs effacent presque le monde vivant à mes yeux. Je vois des fantômes, du sang, et la mort. Mais le monde revient dans mon champ de vision lorsque j’entends Erin pleurer.
 
Elle pleure. Mes yeux sont secs. Les épaules d’Erin sont agitées de sanglots et elle me regarde. Ça fait mal.  Sa compassion me fait mal. Je détourne le regard.
 
Erin essuie ses larmes. Elle tente de caresser Mrsha, mais la Gnolle se dérobe. Elle se faufile sous une table et se roule en boule.
 
Cœur brisé. Mes yeux sont secs, et mon âme saigne. Je regarde Erin.
 
“Nous sommes revenues. Les fées sont toujours dans le coin. Mrsha n’a nulle part où aller. Est-ce que tu peux prendre soin d’elle ici, dans ton auberge ?”
 
“B… bien sûr. Absolument. Aucun problème.”
 
Erin cherche quelque chose pour se moucher. Elle finit par se précipiter à la cuisine et ressortir avec un torchon sale. Je la regarde essuyer la morve de son visage.
 
“Je suis tellement, tellement désolée.”
 
“Tu l’as déjà dit. C’est arrivé, c’est comme ça.”
 
Rien ne peut changer ça. Je m’assieds à la table et contemple mes doigts. C’est tant et pourtant si peu. Un prix bien dérisoire, et pourtant…
 
Ils sont partis. Pour toujours. Aucune potion ne les ramènera. Pas même l’amie guérisseuse de Magnolia ne peut régénérer des membres, elle ne peut que réparer ceux qui sont endommagés.
 
Partis pour toujours. Un maigre prix à payer.
 
“Le Seigneur Gobelin est toujours dehors.”
 
Je serre le poing, sans me préoccuper de la douleur. Je sens Erin s’immobiliser à côté de moi. Je me tourne vers elle.
 
“Il faut que tu fasses attention. Son armée est à plusieurs jours de marche au sud d’ici, mais il pourrait venir au nord. Si c’est le cas…”
 
“Si c’est le cas, nous verrons. Mais pour le moment, tu es en sécurité. Je vais verrouiller les portes et Toren devrait être rentré. Je lui dirai de monter la garde.”
 
“Très bien.”
 
Erin s’agite sur sa chaise. Je la regarde. Pourquoi est-elle si facile à déchiffrer ? N’a-t-elle donc aucun…
 
“Qu’est-ce qu’il y a, Erin ?”
 
Elle hésite.
 
“Hum. Loks est dans le coin. Avec un autre Gobelin.”
 
Silence. Dans mon cœur. Je sens mes doigts pulser.
 
“Ne la laisse pas entrer. Si je vois un Gobelin, là, je vais le tuer.”
 
Je croise le regard d’Erin. J’ai l’impression que mes yeux sont en feu. Elle paraît surprise, mais pas effrayée. Est-ce que j’ai déjà vu Erin avoir peur ? Mais son expression s’assombrit et je vois… de la déception.
 
Cela me met en colère. Comment peut-elle me juger, alors que je viens de lui expliquer ce qu’il s‘était passé ? Comment peut-elle laisser des Gobelins venir ici ?
 
Comment peut-elle…
 
J’ai besoin d’elle. J’essaie d’étouffer la folie qui enfle dans ma poitrine, mais elle ne cesse de remonter à la surface. Des bulles de folie.
 
“Qu’est-ce qu’il s’est passé ici ?”
 
Je pose la question pour me distraire. Je ne suis pas sûre que cela m’intéresse vraiment. Erin hésite. Elle a l’air inquiète, à présent.
 
“Oh, rien. Rien de… trop important.”
 
“Erin.”
 
“Eh bien… okay, il s’est passé quelques trucs.”
 
“Raconte.”
 
Elle hésite. S’agite. Elle regarde Mrsha, puis ses mains. Je la dévisage. Enfin, Erin abandonne et se met à raconter d’un air nerveux.
 
“Oh, j’ai rencontré un aventurier Or après avoir accueilli cette fille. Elle est un peu agaçante mais ils allaient la laisser mourir dans le froid si je ne l’aidais pas. Et du coup, il y a eu une bagarre puis je me suis rendu compte que les fleurs de fées étaient utiles et j’ai jeté Relc dehors après qu’il se soit emporté contre l’ami de Loks et peut-êtrequejesuisalléevoirLadyMagnoliaaujourd’hui et…”
 
On dirait que quelqu’un vient de m’électriser la colonne vertébrale au taser. Mes yeux s’ouvrent en grand, et mon cœur se remet à battre. La colère bouillonne dans ma poitrine, une chose sombre qui se tortille.
 
“Qu’est-ce que tu viens de dire ?”
 
“J’ai rencontré Lady Magnolia. Écoute, elle a envoyé une calèche à mon auberge, Ryoka, et j’ai pensé…”
 
“Tu y es entrée, pas vrai ? Juste comme ça, sans réfléchir une putain de seconde ?3
 
“Je…”
 
Erin ouvre les mains d’un air impuissant. Comme pour dire ‘que voulais-tu que je fasse ?’. Cela m’énerve encore plus. Je hausse la voix, et Mrsha, à moitié en train de s’assoupir, lève les yeux.
 
“Qu’est-ce que tu lui as raconté ?”
 
“Hum.”
 
Erin se gratte la tête. Elle ne s’en souvient même pas.
 
“Rien de particulier… ? Mais elle sait que je suis de notre monde. Je veux dire, d’un autre monde. Et, euh, elle a d’autres gens.”
 
“D’autres gens de notre monde ?”
 
Maudite femme. Mon cœur bat de plus en plus vite. Erin acquiesce.
 
“Ouaip, elle a un tas de filles et de mecs. Ils sont plus jeunes que nous, mais ils veulent devenir aventuriers. Mais, euh, Magnolia ne veut pas qu’ils partent. Elle a peur qu’ils répandent les secrets de notre monte.”
 
“Et elle connaît ces secrets ? Elle sait tout ?”
 
Erin n’arrive pas à croiser mon regard.
 
“... Ouaip. Elle sait pour les armes à feu, ce genre de choses.”
 
Merde.”
 
Je cogne la table de ma main valide. Erin a l’air inquiète. Elle essaie de poser sa main sur mon épaule, mais je la balaie d’un revers de la main.
 
“Je ne lui ai rien raconté d’important, Ryoka ! Elle voulait juste savoir si on pouvait me faire confiance. Elle a essayé d’utiliser une Compétence contre moi, mais ça n’a pas marché…”
 
Tu n’aurais pas dû te trouver près d’elle pour commencer !”
 
Je plante un doigt dans les côtes d’Erin. Elle a l’air indignée.
 
“Pourquoi pas ? Tu l’as rencontrée, toi !”
 
“Avant de savoir à quel point elle était dangereuse. Mais toi… tu aurais dû réfléchir avant d’aller lui parler ! Est-ce que tu as seulement hésité ? Ou est-ce que tu as vu une jolie calèche et tu as simplement décidé d’entrer dedans ?”
 
“Ryoka, ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Écoute-moi.”
 
Erin fronce les sourcils, mais j’en ai assez d’écouter. La bête dans ma poitrine, et la furie consument mon esprit. Trop tard.
 
“Non. C’est toi qui va m’écouter. Elle ne voulait que ça, que tu ailles la voir. Elle sait que tu viens d’un autre monde à présent, espèce d’idiote ! Elle n’avait aucun moyen de le savoir, mais tu lui l’as révélé - probablement dès l’instant où elle a suggéré qu’elle le savait ! Et à présent elle sait que je te connais, et elle va t’utiliser contre moi !”
 
“Elle ne ferait pas…”
 
Erin hésite. Même elle reste incapable de finir cette phrase. Je la fusille du regard. Quelque chose est tapi dans ma poitrine et a pris le contrôle de ma langue.
 
“Tu ne réfléchis pas. Tu te contentes de danser sous ses ficelles comme une putain de marionnette, espèce de crétine.”
 
La fille fronce instantanément les sourcils.
 
“Ne dis pas ça comme ça. Je n’ai rien fait de mal ! Je crois que Magnolia est de notre côté.”
 
“De nôtre côté ?”
 
Quelque chose se brise en moi. Toute la haine, la colère, la frustration, la peur et la peine… tout jaillit hors de moi, comme un poison.
 
“Putain d’idiote. Tu ne réfléchis jamais ? Non. Jamais. Tu te contentes de foncer tout droit et de faire tout ce qui passe dans ta tête creuse sans réfléchir un seul instant aux conséquences. À cause de toi, l’une des personnes les plus dangereuses du monde connaît ton secret et elle ne te lâchera jamais. Tout est de ta faute, espèce de morveuse sans cervelle.
 
Je n’arrive pas à endiguer le torrent. Je n’en ai même pas envie. Erin me dévisage, tout d’abord sous le choc, blessée, puis outrée.
 
“Je ne suis pas une idiote ! Ryoka, écoute-moi…”
 
“La ferme.”
 
“Non ! C’est toi qui vas la fermer et m’écouter !”
 
“Pour pouvoir entendre le reste des mensonges que Magnolia t’a fourrés dans la tête ? Mais tu as gobé tout ce qu’elle t’a dit sans rien remettre en question. Tu es idiote ou quoi ?”
 
Je vais trop loin. Je le sais, mais je suis incapable de m’arrêter. Le visage d’Erin se fige.
 
“Ne me traite pas d’idiote.”
 
“Pourquoi pas ? Tu es la personne la plus conne que j’aie jamais rencontrée.”
 
“Ryoka. Je te préviens…”
 
“Oh ? Et qu’est-ce que tu vas faire ?”
 
“Arrête juste de m’insulter ! Écoute-moi une seconde !”
 
“Non. Va te faire mettre. Tu es une bouffonne incompétente.”
 
Je cogne Erin en pleine poitrine, fort. Je vais trop loin. Arrête. Erin m’attrape la main.
 
“Ne me touche p…”
 
Je la pousse. Erin s’écrase sur la table et je comprends que je suis allée trop loin. Elle se relève d’un coup. Je lève les mains.
 
Je veux me battre. Je veux cogner quelque chose. Mais le reste de mon esprit veut arrêter. Une voix hurle sous mon crâne, la même voix qui a crié lorsque je me suis battue contre Calruz.
 
Mais il y a trop de bruit. Tout me fait mal. Mon cœur est en pièces. Je veux juste cogner quelque chose, et prendre des coups en retour. Peut-être qu’alors…
 
Erin me lance un coup de poing. Lent. Maladroit. Je recule et la cogne. De ma main blessée. Mes moignons entrent en collision avec sa poitrine et j’attrape ma main tant la douleur est forte.
 
Pendant que je suis pliée en deux, Erin serre le poing. Elle vise ma poitrine. Je vois le coup venir à des kilomètres. Je lève les bras pour la bloquer…



***



Vlam.
 
L’impact était tellement fort que le monde de Ryoka disparut un instant. L’impact la fit s’envoler. Ryoka renversa la table et atterrit au sol. Elle resta étendue là pendant quelques secondes, silencieuse, le souffle coupé, avant de prendre une grande inspiration et rouler sur le côté.
 
Erin était debout, tremblant en dévisageant Ryoka. [Attaque du Minotaure]. Elle n’avait pas prévu de l’utiliser. Elle hésita. Est-ce qu’elle devait aller l’aider…
 
Quelque chose de pointu s’enfonça dans la cheville d’Erin. Elle hurla de douleur lorsque l’objet mordit dans sa chair, comme des aiguilles en train de s’enfoncer dans sa peau.
 
”Aaaah !”
 
Erin hurla et agita les bras, paniquée, en essayant de faire tomber la chose qui était en train de la mordre. Elle parvint à lui faire lâcher prise et vit Mrsha s’envoler dans les airs. La petite Gnolle s’écrasa sur une table et tomba au sol, gémissant de douleur.
 
“Oh non, je suis tellement désolée...”
 
Sans se préoccuper de sa cheville ensanglantée, Erin se précipita vers Mrsha. Cette dernière cligna des yeux en se mettant à quatre pattes, puis ses yeux se focalisèrent sur Erin. Elle claqua des mâchoires et Erin faillit perdre un doigt. Mrsha bondit sur Erin, et la fille hurla de douleur lorsqu’elle se mit à essayer de lui griffer le visage.
 
Mrsha ! Arrête !
 
La Gnolle hésita. Elle se tourna et vit Ryoka se relever. La fille se tenait la poitrine en grimaçant, mais elle n’était pas blessée. Elle pointa Erin du doigt.
 
“Lâche-la.”
 
La Gnolle hésita. Puis elle s’écarta d’Erin d’un bond, ses griffes acérées plongeant une dernière fois dans la chair d’Erin. Elle se précipita vers Ryoka et fit un tour autour d’elle d’un air inquiet.
 
Lentement, Erin se releva et dévisagea Ryoka. Cette dernière croisa son regard. La colère qui avait couvé dans ses yeux avait soudain disparu, douchée par le bref combat. Elle baissa les yeux sur Mrsha, puis les ramena sur Erin.
 
Aucune des deux filles ne paraissait savoir quoi dire. Erin se leva et dévisagea Ryoka, la poitrine encore douloureuse du coup que cette dernière lui avait porté. Ses oreilles étaient encore rouges, et elle était en colère…
 
Jusqu’à ce qu’elle regarde les doigts de Ryoka. Et la furie de Ryoka était passée aussi. Elle s’affaissa, et parut soudain avoir cent ans.
 
“Je suis désolée, Erin.
 
“Non, je suis désolée moi aussi.”
 
Mal à l’aise, Erin s’approcha et aida Ryoka à s’asseoir. La jeune Asiatique grimaça en s’asseyant et toucha sa poitrine.
 
“C’était quoi, ça ?”
 
“Euh, [Attaque du Minotaure]. C’est… une compétence. Je n’aurais pas dû l’utiliser. Je suis désolée.”
 
“C’est une attaque puissante. Si je n’avais pas bloqué, j’aurais eu les côtes fêlées. Ça a quand même failli être le cas.”
 
Ryoka prit quelques grandes inspirations en grimaçant. Elle indiqua Mrsha qui tournait autour de ses jambes d’un signe de tête0
 
“Désolée que Mrsha t’ait attaquée.”
 
“Non… c’était de ma…”
 
“C’était de ma faute. Je n’aurais jamais dû dire ce genre de choses.”
 
Ryoka regarda la table d’un air vacant. Erin ne savait pas quoi dire. Enfin, Ryoka leva les yeux.
 
“Puissant. J’imagine que c’est ce qu’offrent les niveaux, pas vrai ? Du pouvoir.”
 
“Oui ?”
 
Erin ne voyait pas ce que voulait dire Ryoka, mais la fille acquiesça. Elle contempla de nouveau la table, puis ses mains.
 
“Si j’avais des niveaux, j’aurais pu les sauver. Peut-être.”
 
D’une armée ? Erin ouvrit la bouche et la referma. Les yeux de Ryoka s’embuèrent lorsqu’elle regarda Mrsha. La Gnolle était en train de la regarder. Lentement, la fille se pencha en avant et lui caressa la tête. Elle se lova autour des pieds de Ryoka. Frissonnante.
 
Le silence s’abattit de nouveau sur le duo assis à la table. La respiration saccadée de Mrsha ralentit lorsqu’elle s’enroula autour de Ryoka, et, avec le temps, son corps se détendit. Sa respiration ralentit encore, puis devint régulière. Mrsha s’endormit.
 
Ryoka baissa les yeux sur le corps endormi de Mrsha. Elle regarda Erin, et vit que la jeune fille était à peine blessée. Mais Ryoka sentait encore ses poumons peiner à trouver de l’air, et sentait encore la douleur du coup qu’elle lui avait porté dans sa poitrine. Elle sourit amèrement.
 
“J’imagine que je suis faible, hein ?”
 
Tellement faible. Même Erin était plus forte qu’elle. Ryoka contempla ses mains. Elles tremblaient. Le bandage ensanglanté qu’elle avait enroulé autour de ses moignons se défaisait. Erin la regarda lever les mains.
 
“Je suis tellement faible. Je n’ai pu sauver personne. Je les ai juste regardé mourir, Erin.”
 
“Je sais.”
 
Erin savait ce que voulait dire Ryoka. Cette dernière la regarda. Elle tremblait de partout, à présent. Ryoka était en train de s’effondrer. Ses yeux étaient pleins de liquide. Des larmes.
 
“J’ai essayé…”
 
“Je sais.”
 
“J’ai vraiment essayé...”
 
“Je sais, Ryoka. Je sais.”
 
Ryoka saisit le bras d’Erin. Sa poigne était ferme, mais elle tremblait.
 
“Je n’ai rien pu faire, Erin. Rien. Ils sont tous morts par ma faute.”
 
“Ce n’est pas de ta faute, Ryoka. Vraiment pas.”
 
“Si. C’est moi qui ai causé tout ça.”
 
“Non.”
 
“Je n’ai rien pu faire.”
 
Erin serra Ryoka dans ses bras. Elle la sentit se figer, puis Ryoka s’écroula. Elle se mit à sangloter, lentement, puis dans le t-shirt d’Erin. Erin serra Ryoka et les larmes coulèrent enfin, le barrage se brisa, les chagrins retenus s’écoulèrent enfin, en sécurité dans l’auberge d’Erin.
 
Dans le silence de la nuit, Erin tint Ryoka contre elle et Ryoka pleura dans ses bras. Les larmes coulèrent sur les joues de la jeune fille. Elle serra Erin contre elle, s’agrippant à son t-shirt comme s’il s’était agi d’une bouée de sauvetage.
 
“Je n’ai rien pu faire, Erin. Je n’ai rien…”
 
“Je sais. Chut. Je sais.”
 
Du haut des escaliers, une autre fille contempla les deux filles assises dans la salle commune. Elle ne dit rien. Dehors, dans le paysage enneigé, un squelette rôdait, chassait, tuait. Il faisait cela pour se sentir vivant.
 
Et sur le sol de l’auberge, une petite Gnolle dormait. Elle n’entendit pas l’agonie dans la voix de Ryoka et ne remarqua pas non plus les larmes qui tombèrent sur sa fourrure d’un blanc de neige. Elle dormit, sans se soucier de vivre ou de mourir lorsqu’elle se réveillerait.
 
Ryoka sentit le monde tournoyer autour d’elle. Rien n’allait. Mais il y avait quelqu’un qui la tenait dans ses bras, une ancre dans un monde empli de douleur. Elle pleura dans les bras d’Erin, laissant jaillir toute sa douleur, sanglotant en priant pour que les quelques jours qui venaient de s’écouler ne soient jamais arrivés. Priant pour avoir le pouvoir de changer le passé. Priant pour être plus forte. Se remémorant les morts.
 
Dehors, la neige se remit à tomber. Toujours plus, jusqu’à ce que le monde paraisse pouvoir être englouti sous les flocons. Sur Izril, Terandria, et même Baleros et Chandrar. La neige tomba et Ryoka pleura.
 

 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 14 février 2021 à 10:05:10

 
2.40 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Erin se réveilla en entendant des reniflements. Elle ouvrit rapidement les yeux ; lorsqu’on entend quelque chose de gros et d’inconnu bouger autour de son visage, on a tendance à moins se préoccuper de son sommeil.
 
À son grand soulagement, Erin vit qu’elle n’était pas en train de se faire attaquer par des monstres cochons chenilles mutants. Au lieu de cela, elle vit Mrsha, la petite Gnolle à la fourrure blanche, fouiller dans ses placards. Elle baladait ses pattes sur les étagères méticuleusement organisées d’Erin, et reniflait ses trouvailles.
 
“Coucou.”
 
Erin n’avait pas parlé fort, mais Mrsha fit tout de même un bond. La Gnolle fit volte-face et s’enfuit de la cuisine, les poils au garde-à-vous.
 
“Non, attends, je ne voulais pas…”
 
La jeune femme se dégagea de ses couvertures, essaya de se lever, trébucha, et s’écrasa l’orteil contre le placard.
 
Lorsqu’Erin eut terminé de gémir, elle trouva Mrsha dans la salle commune, en train de se cacher sous une table en observant Erin. Elle avait l’impression d’avoir un animal sauvage dans son auberge, sauf que les yeux de Mrsha étaient beaucoup plus intelligents que ceux de n’importe quel animal qu’Erin avait jamais vu. Elle regarda Erin avec méfiance et la fille s’immobilisa.
 
“Salut Mrsha. Tu es réveillée, hein ? Tu as faim ? Tu veux à manger ?”
 
Erin parlait d’une voix douce et calme. Mrsha ne fit pas mine de se lever, mais elle recula légèrement lorsqu’Erin avança. La fille s’immobilisa.
 
Que pouvait-elle faire ? Ryoka dormait à l’étage en ce moment, et Erin n’avait aucune envie de la réveiller. Erin retourna à la cuisine sur la pointe des pieds et chercha de quoi faire un petit déjeuner.
 
Le nez de Mrsha tressaillit lorsqu’Erin ressortit quelques minutes plus tard avec des saucisses grillées et des œufs brouillés. Elle regarda fixement la nourriture, mais alla se cacher sous une autre table en essayant de se dissimuler derrière les pieds de chaise pendant qu’Erin s’approchait d’elle.
 
Doucement, sans faire de gestes brusques, Erin posa l’assiette par terre. Mrsha regarda l’assiette, puis Erin qui retournait dans la cuisine. Erin se cacha derrière la porte et attendit.
 
Mrsha resta quelques secondes à regarder l’assiette et la tête à moitié visible d’Erin, puis elle se mit en mouvement. Elle se précipita de dessous la table et s’arrêta devant l’assiette. Elle se mit à dévorer la nourriture, en se léchant les pattes avec avidité tout en engloutissant son plat.
 
Erin trouva adorable la façon dont Mrsha lécha son assiette et se nettoya le visage et les pattes. Adorable, et à fendre le cœur. Ryoka lui avait raconté ce qui était arrivé à la tribu de Mrsha. Elle était toute seule à présent.
 
Que devait-elle faire à présent ? Mrsha rota et Erin décida d’essayer de nouveau d’établir un contact. La morsure que Mrsha lui avait faite la veille à la cheville lui faisait encore mal, mais elle avait été en train de cogner Ryoka à ce moment-là.
 
Lorsqu’Erin s’approcha de nouveau, cette fois-ci avec un verre d’eau à la main, Mrsha se tendit, mais ne s’enfuit pas.
 
“Coucou ma puce. Voici un verre d’eau. Tu as soif ?”
 
Mrsha jeta un regard soupçonneux à Erin. Elle accepta le verre d’eau et but en s’en mettant de partout. Elle était encore maladroite et renversa beaucoup d’eau par terre, mais Erin n’en avait cure. Mrsha tressaillit légèrement lorqu’Erin s’assit à côté d’elle, jusqu’à ce qu’Erin lui tende la main.
 
“Désolée de t’avoir donné un coup de pied hier soir. Ryoka et moi nous disputions juste. Mais je ne suis pas méchante, d’accord ?”
 
La petite Gnolle cilla en regardant la main tendue d’Erin. Puis elle la renifla. Erin resta très immobile lorsque les moustaches de Mrsha lui chatouillèrent la peau. La Gnolle attrapa la main d’Erin dans ses pattes, et Erin fut rassurée de sentir non pas ses griffes tranchantes, mais plutôt les doux coussinets des pattes de la Gnolle sous sa peau.
 
Mrsha inspecta chacun de ses doigts avec un vif intérêt, les plia, joua à les écarter puis à les coller, et les caressa même un peu. Puis elle hésita, et lécha la peau d’Erin.
 
“Hey ! Ça chatouille !”
 
Erin éclata de rire et retira sa main. Mrsha eut l’air inquiète, mais lorsqu’elle vit Erin rire quelque chose changea dans son regard. La Gnolle posa ses pattes sur la jambe d’Erin et la regarda d’un air inquisiteur.
 
“Vas-y. Je ne bougerai pas.”
 
Erin fit de son mieux, mais elle n’était pas prête pour la curiosité de Mrsha. La Gnolle tourna autour d’elle, tâtant le corps d’Erin, ses flancs, et lui caressa même les seins, ce qui lui tira un glapissement surpris. La petite Gnolle finit carrément par grimper sur Erin, et cette dernière riait en peignant la fourrure de Mrsha aux doigts lorsque Ryoka descendit les escaliers.
 
Ryoka Griffin était encore sous le choc, mais elle allait mieux. Incomparablement mieux que la veille, pour dire la vérité. Elle se souvenait de la tristesse vide qui avait envahi son âme comme s’il s’était agi d’un cauchemar. Elle se sentait encore creuse, à présent, mais il y avait quelque chose en elle. Quelque chose de chaud qui provenait d’une bonne nuit de sommeil dans un lit douillet et d’un repas chaud.
 
Elle descendit doucement les escaliers et vit Mrsha assise sur les genoux d’Erin qui faisait courir ses mains dans la douce fourrure de Mrsha. Erin fredonnait une chanson, et Mrsha se balançait au rythme de la mélodie.
 
Ryoka s’arrêta pour contempler la scène un petit moment. Erin chantait la chanson Do-Ré-Mi.
 
Mi, c’est la moitié d’un tout. Fa, c’est facile à chanter…
 
Mrsha avait fermé les yeux. L’enfant ne souriait pas, mais son visage était… paisible. Ryoka s’essuya les yeux et attendit qu’ils aient cessé de piquer avant de descendre les dernières marches.
 
“Ryoka !”
 
La Gnolle ouvrit brusquement les yeux en entendant le nom de Ryoka. Elle sauta des genoux d’Erin et galopa à quatre pattes autour de Ryoka.
 
“Mrsha. Salut.”
 
Ryoka leva les mains en l’air en voyant Mrsha bondit autour d’elle comme un chien surexcité. Mrsha se leva et tendit les bras. Ryoka hésita.
 
“Tiens.”
 
Erin souleva Mrsha. La Gnolle se tortilla, mais se mit alors à lécher le visage de Ryoka et à la renifler. Ryoka eut un mouvement de recul, mais resta debout devant le regard d’Erin.
 
“Bonjour, Erin.”
 
“Bien dormi ?”
 
“Ouaip. Merci.”
 
Ryoka se gratta les cheveux. Elle évita le regard d’Erin. Elles se tinrent ainsi, mal à l’aise, jusqu’à ce que Mrsha se dégage en tortillant des mains d’Erin. Le charme fut rompu.
 
“Tu veux manger ? J’ai plein de bonnes choses.”
 
“Je veux bien.”
 
Ryoka s’assit à une table, un peu gênée, et Erin disparut dans la cuisine. Mrsha essaya de suivre Erin, mais Ryoka la rappela. Mrsha s’assit par terre et s’agita jusqu’à ce qu’Erin revienne, à la grande surprise de Ryoka, avec des crêpes. Ryoka regarda fixement les crêpes fumantes jusqu’à ce qu’Erin ramène du beurre et un bol de sucre.
 
“Comment… ?”
 
Ce n’était pas qu’Erin ait fait les crêpes qui la perturbait, mais plutôt le fait qu’elle soit resté moins de vingt minutes en cuisine et qu’elle en ait déjà fait suffisamment pour Ryoka, Mrsha et elle-même. Et elle avait réussi à griller quelques rondelles de saucisse supplémentaires qu’elle avait mises dans une autre assiette.
 
“Oh, j’ai [Cuisine Avancée] et j’ai trouvé comment faire les pancakes un peu plus tôt. Essaie-les, ils sont super bons !”
 
Erin tendit une fourchette à Ryoka et attaqua sa propre assiette. Mrsha était déjà en train de tapoter l’une de ses crêpes chaudes d’une patte, et attendait qu’elle soit suffisamment refroidie pour qu’elle puisse la manger.
 
“Non, tiens, ma chérie.”
 
Erin enroula délicatement la patte de Mrsha autour d’une fourchette et lui montra comment couper et manger ses crêpes. Mrsha était maladroite, mais elle se mit rapidement à transpercer d’énormes morceaux de crêpe, de les tremper dans le beurre et le sucre avant de les transférer dans sa bouche.
 
Normalement, ce genre de gloutonnerie excessive aurait fait lever quelques sourcils - ou du moins dans la maison de Ryoka. Mais Erin faisait exactement pareil et Ryoka elle-même enfourna un sacré nombre de crêpes avant de commencer à être rassasiée.
 
“C’était bon. Vraiment bon.”
 
“Je suis contente. Vous en avez mangé plus que prévu, mais on a des restes. J’imagine que Lyon pourra les manger.”
 
Erin couvrit l’assiette avec un torchon et Ryoka fronça les sourcils.
 
“Lyon ? C’est qui ?”
 
“Oh… oh, c’est vrai ! J’avais oublié que tu n’avais pas encore fait la connaissance de Lyon ! Elle dort probablement encore à l’étage.”
 
Ryoka jeta un regard furtif en direction des escaliers. Elle n’avait même pas remarqué qu’il y avait du monde à l’auberge. Mais à présent que son cerveau fonctionnait de nouveau, des centaines de questions et d’idées se pressaient sous son crâne.
 
Elle ne pouvait pas s’en empêcher. C’était dans sa nature. Mais une petite partie de Ryoka avait l’impression qu’elle ne devrait pas être en train de se poser des questions, de tout planifier. Tout ce qu’elle faisait finissait par blesser quelqu’un. À quoi servaient donc son avis ?
 
Mais Ryoka regarda alors Erin qui était en train de rire devant les tentatives de Mrsha de voler du sucre dans le bol. Elle avait ses défauts, certes, mais elle pouvait toutefois aider Erin qui ne réfléchissait pas toujours à tout.
 
“Alors comme ça, Lyonette est une nouvelle employée ? Est-ce que tu as aussi embauché Ceria, ou est-ce qu’elle est en ville ?”
 
Erin marqua une pause.
 
“Hum. Non. Ceria est partie au nord. Elle est retournée à l’aventure.”
 
Ryoka se tint très immobile et son train de pensée s’interrompit. Elle ne poussa pas de juron, et elle étouffa la première réponse qui lui vint en tête. Parce Mrsha était assise sur sa chaise, joyeuse et le ventre rond. Ryoka préférait se couper les doigts qui lui restaient plutôt que de troubler la paix de l’enfant.
 
“J’imagine qu’il s’est passé pas mal de choses. Il vaudrait mieux que tu me racontes tout ça, Erin.”
 
“Oh… bien sûr. Mais, euh…”
 
Erin jeta un regard en coin à Mrsha. La petite regardait fixement une miette sur la table.
 
“Hum, qu’est-ce que tu vas faire d’elle, Ryoka ?”
 
“Je n’en sais rien.”
 
“Tu as dit qu’elle était toute seule ? Elle n’a… elle n’a personne… ?”
 
Ryoka ferma les yeux. Quelque chose de sombre lui serra le cœur.
 
“Je n’en sais rien. J’en… j’en doute. Et je ne vois pas à qui demander.”
 
Des souvenirs surgirent sous son crâne.
 
“Et ton amie Gnolle ? Krshia, c’est ça ? Est-ce qu’on pourrait lui demander de l’aide ?”
 
Les oreilles de Mrsha se redressèrent lorsqu’elle entendit le mot “Gnoll”. Elle se tourna vers les deux humaines .Elles échangèrent un regard.
 
“Hum, eh bien, c’était bien bon, hein, Ryoka ?”
 
“En effet.”
 
“Et si je trouvais une activité pour Mrsha ? Hey, Mrsha, tu dois t’ennuyer. Est-ce que tu veux jouer avec, euh, des trucs, ma puce ?”
 
Mrsha regarda Erin, la tête penchée sur le côté. Ryoka la dévisagea elle aussi, haussant les sourcils en silence. Erin hésita, puis se précipita dans la cuisine. La Gnolle et l’Humaine l’entendirent toutes deux faire des bruits de casserole et de portes qui claquent, puis elle ressortie, armée de louches, de rouleaux à pâtisserie, et d’autres ustensiles de cuisine.
 
Ryoka songea que cela n’allait jamais réussir à distraire Mrsha. Mais elle avait oublié que Mrsha n’était pas une enfant née dans l’un des premiers pays du monde, et qu’elle avait probablement été interdite d’accès aux casseroles de la tribu des Lances de Pierre. Elle se précipita immédiatement sur les ustensiles de cuisine et se mit à les inspecter avec intérêt.
 
Erin soupira et elle alla se poser à une table un peu plus loin avec Ryoka. Elles continuèrent de parler à voix basse, au cas où la jeune Gnolle décide de les écouter.
 
“Bonne idée, Erin.”
 
“J’imagine qu’elle va s’amuser avec un petit moment. Mais je ne sais pas quoi faire, Ryoka. Elle a besoin que quelqu’un s’occupe d’elle, de vrais jouets, de trucs comme ça. Pas de…”
 
“Je sais.”
 
“Et elle est tellement triste, Ryoka.”
 
“Tu arrives à t’en rendre compte ?”
 
Ryoka contempla Mrsha. La petite Gnolle était en train d’inspecter les différents ustensiles de cuisine qu’Erin avait ramenés. Elle ressemblait à moitié à une bambine ordinaire car elle portait tout à sa bouche, mais elle était clairement plus vieille et plus petite. C’était peut-être une caractéristique des Gnolls de tout vouloir humer et goûter.
 
Erin hocha la tête.
 
“On dirait une enfant. Je veux dire, une enfant Humaine. Elle est très curieuse, mais de temps en temps, quand je jouais avec elle, elle… c’était affreux à quel point ?”
 
“Affreux affreux.”
 
Ryoka revit les Gnolls tomber autour d’elle, et les Gobelins hurler en démembrant Drakéides et Gnolls à tours de bras. Elle frissonna. Erin la dévisagea, puis regarda Mrsha.
 
“Que doit-on faire d’elle ?”
 
On. C’était bien Erin, de se mettre immédiatement au cœur du problème et de chercher une solution. Ryoka esquissa un demi-sourire.
 
“J’imagine qu’on va devoir parler à Krshia. Elle va probablement accepter d’aider, non ?”
 
Elle se souvenait vaguement qu’Erin entretenait de bonnes relations avec la Gnolle, mais elle paraissait hésiter, à présent. Erin regardait la table en jouant avec ses pouces.
 
“Hum. J’ai un petit souci avec Krshia.”
 
“C’est-à-dire ?”
 
“Eh bien…”
 
Erin se mit à expliquer une histoire plutôt confuse au sujet de Gnolls et d’échoppes en flammes lorsque Ryoka entendit quelque chose bouger à l’étage. Elle se retourna, et Lyon apparut.
 
La jeune femme regardait la pièce du haut des escaliers. Mrsha avait cessé de s’agiter lorsqu’elle était apparue en haut des escaliers, mais Lyonette regardait fixement Ryoka et Erin. Elle dévisagea les deux filles puis s’adressa à elles d’un ton hautain.
 
“Je suis réveillée. Où est le petit déjeuner ?”
 
Ryoka vit l’expression d’Erin changer en un instant. Son sourire lumineux disparut et elle soupira. Ryoka regarda la deuxième fille qui venait de faire irruption.
 
“C’est qui, cette fille ?”
 
“Oh… c’est Lyon.”
 
La fille l’avait entendue. Elle descendit les escaliers, le menton levé.
 
“Je m’appelle Lyonette du Marquin, pouilleuse.”
 
Elle portait une tenue de voyage passablement élimée, et ses mains étaient sales car elles avaient travaillé. Mais elle se conduisait quand même comme l’une de ces filles hautaines qu’Erin avait parfois croisées, nées avec une cuillère d’argent dans la bouche.
 
“Ryoka, je te présente Lyonette du… machin. Elle est, euh, une employée que j’ai embauchée.”
 
“Je suis ravie de faire ta connaissance, Ryoka. J’espère que tu te conduiras de manière appropriée en ma présence ?”
 
Ryoka dévisagea Lyon et Erin fronça les sourcils. Elle haussa les épaules.
 
“Peut-être.”
 
Lyonette fronça instantanément les sourcils, mais avant qu’elle n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit, Erin l’interrompit.
 
“J’ai mis des crêpes à la cuisine, Lyonette. Tu peux te servir, ou prendre un peu de porridge. Ou des céréales. Sers-toi.”
 
La fille hautaine renifla, mais elle partit sans un mot. Ryoka regarda fixement Erin.
 
“Une employée ?”
 
“En quelque sorte. Je veux dire, oui, mais elle n’est pas très douée.”
 
Erin se frotta les yeux et Lyonette pointa la tête dans l’embrasure de la porte de la cuisine.
 
“Où sont les fourchettes ?”
 
“Dans le tiroir à côté de la planche à découper.”
 
“Fort bien.”
 
“Bon, c’est une espèce de noble, c’est ça ?”
 
“Oui, elle dit ça…”
 
“Où sont les verres ?”
 
L’œil gauche d’Erin tressauta.
 
“Je te l’ai déjà dit, dans le placard au-dessus des fourchettes.”
 
“Ah.”
 
Ryoka regarda Lyonette repartir. Mrsha avait cessé de jouer avec la louche et regardait la cuisine avec intérêt.
 
“Elle me fait penser à Pisces, en fille.”
 
“Même lui n’était pas aussi fatigant.”
 
“Donc pourquoi ne l’as-tu pas encore renvoyée ?”
 
Erin haussa les épaules d’un air impuissant.
 
“Parce que je ne peux pas. Elle n’a nulle part où aller, Ryoka. Et si je l’envoie au nord, elle se fera manger par un monstre. Et elle ne peut pas aller en ville parce que les Gnolls veulent la tuer.”
 
Ryoka haussa les sourcils. Erin secoua la tête.
 
“C’est une longue, très longue histoire. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne parle plus avec Krshia.”
 
“Alors raconte-moi. Commence avec… non, raconte-moi depuis le début. Faisons ça comme il faut.”
 
Il fallut un long moment pour qu’Erin raconte toute l’histoire, mais pour une fois, Ryoka parvint à l’écouter sans trop l’interrompre. Lyonette revint avec son petit déjeuner et le mangea dans un coin. Mrsha abandonna son jeu pour regarder fixement Lyon. Les deux jeunes filles se tendirent lorsque Mrsha vint renifler les jambes de Lyonette et qu’elle se figea, mais, étonnamment, Lyonette laissa Mrsha la tâter sans crier ni afficher ouvertement de dégoût.
 
“... et donc à présent, je ne peux rien acheter chez des Gnolls, et je n’ai pas reparlé à Krshia. Je voulais, mais ensuite, tous ces aventuriers ont débarqué et Magnolia voulait papoter…”
 
Erin écarta les mains d’un air impuissant. Ryoka hocha la tête d’un air absent en regardant Lyonette. Elle ne lui avait pas vraiment fait bonne impression dès le départ, mais la jeune fille se trouvait à présent juste au-dessus de Persua sur la liste des gens que Ryoka n’aimait pas.
 
“Et elle est comme ça tout le temps ? Juste…”
 
Ryoka désigna Lyon d’un geste de la main. Cette dernière regardait Mrsha et la Gnolle lui rendait son regard. Erin hocha la tête d’un air misérable.
 
“Erin…”
 
“Je sais. Mais je ne savais pas qu’elle était comme ça !”
 
Les deux filles regardèrent Mrsha se rapprocher de Lyonette. Elle hésita, mais elle finit par lui caresser gentiment la tête. Elle se mit à la gratter derrière les oreilles et l’enfant s’adossa contre ses jambes. Pour une fois, Lyonette ne fronçait pas les sourcils.
 
“C’est bizarre. D’habitude, elle part en courant dès qu’il y a quelqu’un avec de la fourrure ou des écailles. Ou des mains sales.”
 
Ryoka hocha la tête. Puis elle dit tout haut l’idée qui s’était formée dans sa tête depuis qu’Erin lui avait décrit sa rencontre avec Lyonette.
 
“C’est une princesse.”
 
Erin marqua une pause. Puis elle se retourna et dévisagea Ryoka.
 
“Quoi ?”
 
Ryoka indiqua Lyonette d’un signe de tête.
 
“C’est une princesse qui a fugué. C’est obligé.”
 
“Eh bien, je sais qu’elle dit être noble, mais une princesse ?”
 
Ryoka ne se démonta pas devant son regard incrédule. Elle secoua la tête.
 
“C’est une princesse. Tu ne le vois pas ?”
 
“Comment tu vois ça, toi ?”
 
La fille se mit à faire une liste sur les doigts de sa main.
 
“S’enfuit d’une famille royale, traite les gens de pouilleux, possède un nombre incalculable d’artefacts magiques, attitude hautaine.”
 
Elle regarda Erin.
 
“Tu connais combien d’histoires où une princesse prend la fuite ? Regarde ses manières… sans parler du fait qu’elle pensait croire que Magnolia allait l’accueillir juste comme ça. Nous sommes dans un monde de dragons et de magie, Erin. Lyonette est une princesse de Terandria. Ils ont plein de familles royales là-bas.”
 
Une véritable leçon d’expressions faciales se déroula sur le visage d’Erin. L’incrédulité laissa place à un air pensif et contemplatif, puis à une suspicion gênée qui tourna au choc et de réalisation, qui finirent par se mélanger pour devenir une expression d’acceptation réticente et de profond regret.
 
“Oh mon dieu.”
 
Ryoka tapota l’épaule d’Erin qui venait de s’écrouler sur la table.
 
“Elle n’est peut-être pas une princesse. Mais elle fait probablement au moins partie des hautes sphères de l’aristocratie.”
 
“Comment ai-je pu ne pas le voir ?”
 
“Ce qui compte, c’est ce qu’il se passe maintenant.”
 
Erin leva les yeux.
 
“Comme quoi ? La renvoyer chez soi ? Comment suis-je censée… ? Tu as dit qu’elle vient probablement de Terandria ? C’est un autre continent. Je ne peux pas la renvoyer là-bas !”
 
“Je ne propose pas que tu fasses ça. Mais il faut que tu fasses quelque chose à son sujet. Elle te met en danger en restant ici.”
 
“Parce que quelqu’un va venir la chercher ?”
 
Ryoka acquiesça. Son esprit réfléchissait déjà à toutes les possibilités.
 
“Pour la ramener chez elle… ou la tuer. Ou la prendre en otage. Dans tous les cas, tu seras le témoin à éliminer. Elle n’est peut-être pas si importante que ça, si Magnolia ne s’intéresse pas à elle, mais elle est clairement une fille de riche.”
 
Nooooooooooooon…”, gémit Erin en enfouissant son visage dans ses mains.
 
“Pourquoi faut-il que ma vie soit si compliquée ? Je fais quoi, maintenant ? Je n’ai pas besoin de ça !”
 
Elle baissa ses mains ses regarda Ryoka droit dans les yeux.
 
“Je fais quoi ? Qu’est-ce qu’on peut faire ?”
 
“Réfléchis.”
 
“Quoi ?”
 
Ryoka tapota la table.
 
“Calme-toi. Réfléchis. Lyonette est un problème, mais de ce que tu m’as raconté, elle n’est pas le seul. Tu as beaucoup de problèmes.”
 
Erin baissa les yeux.
 
“Je sais.”
 
“Et je vais t’aider à les résoudre.”
 
Il y eut une pause, puis Erin leva les yeux. Ryoka ne croisa pas vraiment son regard. Elle s’éclaircit la gorge, mal à l’aise. Son visage était bouillant, mais elle savait ce qu’elle devait dire. C’était juste difficile.
 
“J’ai dit… beaucoup de choses que je n’aurais pas dû dire hier soir, Erin. Je suis désolée.”
 
“Quoi ? Non, Ryoka, je sais que ça a été très dur. Je suis désolée de t’avoir frappée.”
 
Ryoka se frotta la poitrine. Elle avait toujours mal aux côtes.
 
“Non, c’était de ma faute. C’est juste… il s’est passé beaucoup e choses. Cette armée de Gobelins est une véritable menace. Mais d’après ce que t’a raconté Magnolia, c’est peut-être la chose la moins dangereuse qui s’apprête à frapper le continent. Et nous sommes sur le point de nous faire happer par tout ça.”
 
Erin retint son souffle. Lorsque Ryoka disait cela comme ça, tout avait l’air tellement insolvable. Elle n’avait aucune idée de quoi faire, et elle le dit.
 
“Que devons-nous faire, alors ? Je veux dire, tous ces problèmes… que vas-tu faire, Ryoka ? Tu as un plan ?”
 
Elle n’avait rien qui ressemble à un plan. Ryoka regarda sa main. Elle n’avait rien. Elle ne savait pas quoi faire. Mais à présent, Erin comptait sur elle, elle aussi. Elle devait continuer. Elle ne pouvait pas flancher. Pas maintenant.
 
“Ensuite ? J’imagine qu’il faut que j’aille chercher ma récompense chez Teriarch. Une fois que ce sera fait, il faudra que je règle l’histoire avec Lady Magnolia. Ensuite… je ne sais pas.”
 
Ryoka garda les yeux baissés sur sa main mutilée.
 
“Il faut que je termine cette livraison. Quand ce sera fait, je reviendrai t’aider.”
 
Elle regarda Mrsha. Mais elle sentit quelque chose, alors. Erin toucha délicatement ses doigts valides.
 
“N’y vas pas. Reste un peu ici.”
 
La grande fille secoua la tête. Ses jambes étaient de plomb et son esprit était encore embrumé. Mais elle devait terminer ça. Elle n’avait pas raconté à Erin qui était vraiment Teriarch. Un Dragon. Il aurait peut-être des réponses à tout ça. Peut-être…
 
“Il faut que j’y aille. J’ai un boulot, Erin.”
 
“Oui, mais tu n’es pas obligée de partir aujourd’hui. Ni même demain. Ryoka, tu avais l’air à moitié morte lorsque tu es rentrée ! Et puis, il y a Mrsha, et tout ce qu’il se passe en ce moment… reste ici.”
 
Ryoka hésita. Elle regarda de nouveau Mrsha. La Gnolle était appuyée contre la table où était assise Lyon, les yeux clos. Pouvait-elle vraiment laisser Mrsha ici et reprendre sa course ?
 
Non. Bien sûr que non. Ryoka ferma les yeux et acquiesça.
 
“C’était stupide de ma part. Je vais rester. Au moins pour une journée.”
 
“Bien ! Alors on peut aller faire un truc ensemble !”
 
Ryoka ouvrit un œil et dévisagea Erin.
 
“Du genre ?”
 
“Quelque chose. N’importe quoi !”
 
Erin regarda Ryoka. Elle sourit d’un air excité.
 
“Nous n’avons jamais vraiment fait quoi que ce soit ensemble. Je veux dire, on est allées en ville la dernière fois et j’ai chanté sur le toit de l’auberge, mais à part ça…”
 
Ryoka hocha lentement la tête. Elle regarda Mrsha, puis l’auberge. Cette auberge. Ce lieu où elle se sentait en sécurité. Un endroit où elle pouvait rentrer. Lentement, elle se mit à comprendre ce qu’elle devait faire.
 
“Okay. Allons faire un truc.”
 
L’[Aubergiste] sourit.
 
“Super ! Que devrions-nous faire ? On pourrait aller prendre un bain. Toi et Mrsha, vous, euh, sentez un peu. Ou on peut aller visiter la ville. Ou…”
 
“Allons voir Krshia.”
 
Erin se figea.
 
“Quoi, maintenant ? Mais…”
 
“Tant que Lyonette reste ici, elle sera un problème. Ces Gnolls ne lâcheront pas l’affaire après une seul tentative. Ou du moins, pas ce Brunkr. Je veux m’assurer que tu sois en sécurité. Et… je dois leur raconter ce qu’il s’est passé.”
 
Erin hocha lentement la tête. Ryoka se leva, et regarda par la fenêtre. Le ciel était dégagé, mais il y avait eu beaucoup de neige dans la nuit. Son corps était fatigué, mais elle resta en mouvement. Il fallait qu’elle reste en mouvement.
 
Elle avait un devoir, à présent. Une mission.
 
Ryoka se leva, et endossa sa dette. Elle l’alourdit et lui donna un objectif. Elle regarda Mrsha et sut ce qu’elle devait faire.


***


Erin descendit la Rue du Marché de Liscor en ayant l’impression que rien n’avait changé. Et pourtant, elle avait le sentiment, au fond, d’être une voyageuse qui revenait chez elle après de nombreuses années.
 
Depuis combien de temps n’avait-elle pas parcouru ces échoppes à la recherche de cette fourrure brune familière et de sa voix ? Trop longtemps. Il ne s’était passé qu’une semaine ou deux et pourtant…
 
Son amie lui manquait.
 
Il fallut un moment à Erin pour repérer l’échoppe de Krshia. C’était aussi parce qu’elle marchait avec Ryoka et Mrsha ; Ryoka pouvait facilement soutenir le rythme, mais Mrsha n’était pas aussi rapide. La petite Gnolle ne cessait de s’arrêter pour regarder le marché ou se précipiter à la suite d’une odeur ou d’un objet intéressant, et Ryoka et Erin ne cessaient de devoir aller la chercher. Ryoka finir par traîner une Mrsha réticente par la patte.
 
Mais elles avaient enfin traversé le marché et se trouvaient à l’intersection lorsqu’Erin vit deux silhouettes familières. Krshia était derrière le comptoir de son échoppe, et se disputait avec son neveu Brunkr.
 
Rien n’avait changé. Et pourtant, ce n’était plus pareil. Plus du tout.
 
Erin se souvenait que Krshia avait toujours été au centre de la Rue du Marché, avec l’une des plus grandes échoppes et beaucoup de clients. Mais à présent…
 
À présent, elle avait un petit étal, avec peu de marchandises. La vision était tellement loin de l’échoppe bien remplie qu’elle avait toujours maintenue approvisionnée que le cœur d’Erin se serra. Et la Gnolle ne souriait pas, ne riait pas avec ses clients. Ses oreilles étaient plaquées contre son crâne et elle sermonnait Brunkr.
 
“... partir si tu es tellement impatient ! Va leur raconter, oui, va leur raconter mon échec ! Mais je reste encore la cheffe ici, non ? Si tu vas à l’encontre de mes désirs, c’est la Cheftaine que tu défies !”
 
“Tu n’es pas la seule à diriger ici, Tante !”
 
Brunkr ne portait pas son épée et son bouclier, mais il restait plus grand que Krshia. Il serrait les poings, et les Drakéides et les Gnolls qui passaient à côté de lui gardaient leurs distances. Erin s’arrêta à la vue du duo d’un air incertain.
 
Quelqu’un lui rentra dedans. Ryoka poussa un juron étouffé lorsque Mrsha essaya de l’attirer dans une file de gens en train de faire la queue à un stand de viande grillée qui sentait merveilleusement bon dans l’air glacé.
 
“Mrsha, non ! Tu ne peux pas... .Erin ! Est-ce que tu peux la tenir ?”
 
Ryoka se retourna et vit Krshia et Brunkr. Elle s’interrompit, mais ne lâcha pas Mrsha qui était pratiquement en train de baver.
 
“C’est Brunkr ?”
 
Krshia était en train de gronder sur Brunkr, et il faisait le même bruit. On aurait dit qu’ils étaient sur le point de s’attaquer. En somme, ce n’était pas l’ambiance idéale pour des retrouvailles, selon Erin.
 
“Ouaip. Est-ce qu’on… ?”
 
Ryoka hésita un instant. Puis elle fourra la patte de Mrsha dans la main d’Erin. Erin souleva la Gnolle dans ses bras et regarda Ryoka. La jeune femme se dirigea droit au cœur de la dispute entre les deux Gnolls.
 
‘Krshia Silverfang ? Je m’appelle Ryoka Griffin. Il faut qu’on parle.”
 
Les deux Gnolls se turent et dévisagèrent Ryoka. Erin retint son souffle et Mrsha regarda fixement la scène. Ryoka faisait face aux deux Gnolls sans une once de peur. Elle avait beau être grande, les deux Gnolls étaient encore plus grands et larges qu’elle.
 
Brunkr fusilla Ryoka du regard.
 
“Encore une Humaine ? Va-t’en. Nous sommes occupés. C’est une affaire entre ma Tante et moi.”
 
“Je suis une amie d’Erin Solstice.”
 
Ryoka montra Erin d’un pouce. Krshia écarquilla les yeux lorsqu’elle aperçut Erin et Mrsha, mais Brunkr se contenta de gronder;
 
“Je m’en fous. Va-t’en.”
 
Il essaya de se pencher d’un air menaçant sur Ryoka, mais elle ne cligna même pas des yeux.
 
“Et tu es censé être qui ?”
 
“Je suis Brunkr, guerrier de la Tribu des Crocs d’Argent. Et je…”
 
“Okay. Dégage. Il faut que je parle avec quelqu’un de haut placé.”
 
La mâchoire d’Erin se décrocha. Les oreilles de Mrsha s’aplatirent et c’était soudain elle qui s’accrochait à Erin. Brunkr plissa les yeux et ouvrit la bouche.
 
“Tu oses ? Tu oses m’insulter ? Toi ?”
 
Une sueur froide coula le long du dos d’Erin. Elle avait cru que Ryoka s’était améliorée - ou du moins qu’elle n’était plus folle de rage comme avant. Mais elle ne présentait pas beaucoup de signes qu’elle était saine d’esprit en ce moment. Que devait-elle faire ?
 
Mais Ryoka avait l’air d’avoir un plan. Elle dévisagea calmement Brunkr qui retroussait les lèvres pour dénuder ses dents.
 
“J’ose. J’ose parce qu’il y a des choses plus importantes que toi, petit Gnoll. Krshia Silverfang. La tribu des Lances de Pierre a été massacrée.”
 
La rue se tut. La voix sonore de Ryoka avait engendré un silence et une pause lorsque tous les Gnolls à portée de voix - et cela représentait un sacré rayon - tournèrent la tête pour la dévisager. Brunkr avait pris une grande inspiration pour rugir, mais il se figea, les yeux écarquillés.
 
Krshia dévisagea Ryoka. Ses yeux passèrent brièvement sur Erin, et ne semblèrent remarquer Mrsha que maintenant. Elle recula d’un pas, et pendant un instant, ses yeux furent emplis de peur.
 
Puis l’instant passa. Elle regarda Ryoka, et secoua la tête.
 
“Tu dis la vérité ?”
 
“À ma connaissance. J’ai été témoin de leur fin.”
 
Krshia hocha la tête. Elle se tourna vers Brunkr.
 
“Ferme le magasin. Je dois entendre ça.”
 
Il ne discuta pas. La rue était emplie de silence lorsque Krshia fit un signe de tête à Ryoka. Cette dernière la suivit en silence. Erin hésita, mais se précipita derrière elles, Mrsha dans ses bras. Elle sentit des Gnolls la suivre. Et à présent que tous les regards étaient focalisés sur Ryoka et elle, ils virent Mrsha aussi. Elle entendit des murmures, et sentit un pincement de malaise serrer son cœur.
 
C’étaient tous des Gnolls, et Krshia était son amie, même après l’incident avec Lyonette. Elle n’avait pas l’air d’être en colère contre Erin, même si Brunkr était un imbécile. Mais alors pourquoi les Gnolls dévisageaient-ils donc Mrsha ? Et pourquoi serrait-elle si fort Erin ? Et pourquoi…
 
Pourquoi avaient-ils tous l’air si effrayés ?
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 14 février 2021 à 10:06:55

2.40 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia
***

Je crois que j’ai compris. Je suis Ryoka Griffin. Je suis une Coursière, et une jeune femme arrogante qui se croyait meilleure que ce qu’elle ne l’était. Des gens sont morts à cause de ma stupidité.
 
Je n’aurais peut-être pas pu les sauver, dans tous les cas. Mais j’aurais pu être plus forte, et cela aurait peut-être fait la différence. Qu’importe, toutefois, ils sont morts. Les gens qui m’ont aidée sont morts. Ce n’est peut-être pas de ma faute, mais j’ai une dette à honorer.
 
Une dette envers les morts.
 
Une personne a survécu. Une gamine, une enfant. Je vais la garder en sécurité. Mais je rembourserai également ma dette. Et pour ce faire, je dois tout d’abord me confesser.
 
Je suis assise dans l’appartement de Krshia Silverfang, une tasse de thé étrangement amer dans les mains. Il y a un bol de morceaux de viande sur la table, mais je pense qu’elle est peut-être crue donc je n’en prends pas. Erin et Mrsha ont déjà mangé plusieurs cubes.
 
Krshia est assise en face de moi, Brunkr à ses côtés. C’est clairement elle qui dirige : elle a été la seule à poser des questions pendant que je lui racontais les événements. Qu’importe leurs querelles, Brunkr est clairement son subordonné en ce qui concerne tout ça.
 
Et il y a des Gnolls dehors. Je jette un regard par la fenêtre et aperçois un bout de fourrure disparaître derrière un mur. Des Gnolls se tiennent devant l’appartement, peut-être même sur les toits, et je doute que ce soit pour nous tendre une embuscade. Je crois qu’ils écoutent notre conversation.
 
Ce n’est pas étonnant. J’apporte de mauvaises nouvelles, les pires qu’il soit. Je le sais rien qu’en regardant l’expression de Krshia et Brunkr.
 
“Un Seigneur Gobelin.”
 
Voilà ce que dit Krshia à la fin de mon récit. Elle baisse les yeux sur sa tasse de thé, qu’elle n’a pas touchée, et son neveu serre les poings. Elle me regarde avec gravité, et je hoche la tête.
 
“Un Seigneur Gobelin. Et il a une armée.”
 
Une armée suffisamment puissante pour vaincre Zel Shivertail. C’est atroce. Pire encore, il a massacré la tribu des Lances de Pierre jusqu’au dernier.”
 
Krshia lance un regard furtif en direction de Mrsha. Mrsha est assise à côté d’Erin, mais elle n’a pas l’air à l’aise avec Krshia. Mais pas plus que Krshia et Brunkr n’ont l’air mal à l’aise avec elle, toutefois. Ils ne cessent de lui jeter des regards en coin.
 
À cause de sa fourrure ?
 
“Ce sont de bien sombres nouvelles que tu nous apportes, Ryoka Griffin. Mais je te suis reconnaissante de nous en avoir parlé plutôt que d’avoir laissé le soin à d’autres que toi de répandre la nouvelle.”
 
Je hoche la tête, et me concentre de nouveau sur Krshia. À vrai dire, je ne connais pas du tout cette Gnolle. Je connaissais Urksh, plutôt bien pour quelqu’un qui n’a passé que quatre jours en sa compagnie. Mais Krshia m’est étrangère, même si Erin dit qu’elle est sympa. Il faut que je la surveille, et en même temps, il faut que je l’aide. Pour bien commencer, autant être honnête.
 
“Je leur suis redevable. La tribu des Lances de Pierre m’a sauvé la vie. Leur Cheftain a été gentil avec moi.”
 
Krshia hoche la tête. Elle ferme brièvement les yeux, et je vois un éclair de douleur traverser ses traits.
 
“Je connaissais Urksh. Il n’était pas le plus puissant des Cheftains, ce n’était pas un guerrier, mais il était sage. Sa mort est une véritable perte.”
 
“Que la tribu ait disparu est un désastre.”, gronde Brunkr en serrant le poing. Pas de thé pour lui. Il me regarde, ses yeux emplis de passion et de furie.
 
“Et l’expédition minière ? Ils sont peut-être encore en vie. Les Gnolls ne meurent pas si facilement sous les coups des Gobelins.”
 
Je m’agite et secoue la tête.
 
“J’ai pensé la même chose. Mais il y avait plus d’une centaine de Hobgobelins dans cette armée. Même si l’expédition minière n’a pas été trouvée…”
 
Krshia hoche la tête. Son visage est sombre.
 
“Ils se seraient jetés sur les Gobelins plutôt que de vivre sans leur tribu. Ils ne sont plus de ce monde, Brunkr.”
 
“Tous, sauf une.”
 
Je montre Mrsha d’un signe de tête. Elle cligne des yeux sous le poids des regards des deux Gnolls. Erin lui caresse l’épaule d’un air rassurant, mais Mrsha se contente de se rapprocher d’elle pour s’éloigner de Brunkr.
 
“Hrr. Oui. La jeune Mrsha.”
 
Krshia se lève de sa chaise. Elle se penche et Mrsha recule, mais le visage de la Gnolle n’est que gentillesse. Elle gronde quelque chose d’une voix basse et rassurante et Mrsha relâche petit à petit sa poigne de fer sur le bras d’Erin.
 
Mrsha ne parle pas - elle en est incapable - mais elle lève une patte. Krshia laisse Mrsha poser une patte sur sa joue, puis elle lui touche gentiment le nez. La fourrure blanche effleure la fourrure d’un brun sombre et je détourne le regard.
 
“Humaine.”
 
Brunkr me dévisage d’un air sérieux. Je soutiens son regard. Je n’aime pas Brunkr. C’est probablement un type solide, sérieux, mais il ne m’a pas vraiment l’air malin. Et j’ai besoin de gens malins, en ce moment. Malins, et prêts à discuter et à faire des compromis.
 
“Et les autres tribus ? Est-ce que tu as couru les prévenir ? Ou sont-elles à la merci de cette armée de Gobelins ?”
 
Krshia s’écarte un peu de Mrsha et regarde son neveu d’un air désapprobateur.
 
“Si c’est Shivertail, il aura dit aux Gnolls de son armée de hurler, oui ? Les tribus seront prévenues. Cette armée de Gobelins ne les aura pas si facilement.”
 
Elle secoue la tête.”
 
“Non, elles ont été prévenues, mais il faut organiser une réunion. Les tribus doivent soit s’enfuir, soit s’allier pour détruire cette menace avant qu’un Roi Gobelin ne soit créé.”
 
“Je vais mener les guerriers au sud, pour défendre notre tribu…”
 
Brunkr se lève, mais Krshia le fait rasseoir d’un regard noir.
 
“Et faire quoi ? Une poignée de lances ne fera aucune différence face à une telle horde. De plus, tu es à des semaines de voyage et notre tribu est en sécurité. On a besoin de toi ici.”
 
“Pour faire quoi ? Protéger des cendres ?”
 
Brunkr dévisage sa tante et ses poils se dressent autour de son cou. Elle lui renvoie un regard noir, et l’humeur de la salle tourne de nouveau au vinaigre. Mrsha s’écarte légèrement, et Erin parait soucieuse. Elle n’a pas dit grand-chose - j’imagine qu’elle a peur de faire une bourde.
 
Mais moi ? Je m’en fiche que l’ambiance ne soit pas au beau fixe. Je veux juste résoudre tout ça. Je m’éclaircis donc la gorge et force donc les deux Gnolls à abandonner le concours de regard.
 
“C’est la deuxième chose donc je voulais te parler, Krshia Silverfang…”
 
Elle agite une patte.”
 
“Tu es une amie d’Erin. Appelle-moi Krshia.”
 
Je hoche la tête.
 
“Krshia, Mrsha se retrouve sans toit. Je ne connais rien aux coutumes des Gnolls, mais tu es la seule Gnolle qu’Erin connaisse. Est-ce qu’il serait possible qu’elle vive ici ?”
 
Je n’étais pas préparée au regard horrifié de Mrsha. Elle essaie de se dégager de l’étreinte d’Erin pour se précipiter sur moi, mais la fille la retient. Elle me regarde bizarrement, elle aussi. Quoi ?
 
Krshia hésite. Elle jette un regard à Mrsha, et je vois son expression lorsqu’elle avise sa fourrure blanche.
 
“Brunkr. Est-ce que tu veux bien aller donner quelque chose à manger à Mrsha ? J’ai quelques goûters de chez nous qu’elle aimera peut-être.”
 
C’est le plus vieux tour du monde, mais les oreilles de Mrsha se dressent sur sa tête lorsqu’elle entend les mots “à manger”. Le regard de Brunkr s’assombrit, mais il se lève et se dirige vers la cuisine. Erin est la seule à protester.
 
“Mrsha a eu un gros petit déjeuner, et elle a mangé plein de cubes de viande. Elle devrait peut-être…”
 
Je la fusille du regard et montre la cuisine d’un signe de tête. Son visage se fige et je m’empêche à grand-peine de me frapper le front en la voyant comprendre l’astuce.
 
“Oh. Je, euh, allons manger un truc, Mrsha !”
 
Elle guide Mrsha à la cuisine. Mais l’enfant me regarde toutefois deux fois par-dessus son épaule en s’y rendant, et je la vois jeter un dernier coup d’œil pour s’assurer que je ne suis pas en train de partir.
 
Bordel. Je ne voulais pas dire que j’allais juste partir en courant. Je voulais juste dire que…
 
Krshia s’approche de moi et baisse la voix. Je me concentre de nouveau sur elle, cessant mes récriminations internes pendant un instant.
 
“Ryoka Griffin. La situation est plus compliqué qu’il n’y paraît, oui ?”
 
“En effet.”
 
Je parle à voix basse et la Gnolle s’assied à côté de moi pour discuter. Je sens sa chaleur corporelle, et sa fourrure me donne l’impression d’être assise à côté d’un ours. Mais ses yeux… ses yeux ressemblent à ceux de n’importe qui. Je me concentre là-dessus.
 
“Tu apportes de terribles nouvelles. Mon cœur saigne pour Mrsha. Et pourtant, la situation ici est compliquée.”
 
Je hoche la tête.
 
“Je sais. Ton peuple veut tuer Lyonette, qui est sous la protection d’Erin.”
 
Krshia acquiesce.
 
“Entre autres. Lyonette a fait quelque chose de terrible.”
 
“Elle a détruit ton échoppe, oui. Et elle a fait beaucoup de dégâts aux autres échoppes Gnolles. Mais il y a autre chose, n’est-ce pas ?”
 
Tout cela avait l’air affreux lorsqu’Erin me l’avait raconté, mais je ne vois pas vraiment en quoi cela justifie que les Gnolls envoient un groupe tuer Lyonette. Krshia hésite, et je la dévisage.
 
“Je ne suis pas Erin, Krshia. Parlons franchement.”
 
Ses lèvres se relèvent en un sourire amer.
 
“J’aurais aimé le faire avec elle. Mais les circonstances ont conspiré contre moi, et je n’ai pas pu discuter plus tôt, oui ? Tu dis la vérité. La voleuse a détruit plus que mon échoppe. Elle a détruit quelque chose de… précieux, pour mon clan. Quelque chose que nous avons travaillé dur pour accumuler toutes ces années.”
 
Merde.  Ce n’est pas ce que je voulais entendre. Mais je rassemble les pièces du puzzle. Je hoche la tête.
 
“Et Erin, en sauvant Lyonette, vous a aussi empêchés de vous venger.”
 
“Elle a endossé la dette, oui.”
 
Krshia hoche la tête. Je fronce les sourcils.
 
“C’est n’importe quoi. Ce n’était pas de sa faute. Elle n’a rien fait qui justifie une attaque.”
 
Krshia croise calmement mon regard.
 
“Non, en effet. C’était mal. Mais la dette de la voleuse ne peut être effacée que dans le sang, et Erin Solstice en assumera le coût tant qu’elle la protégera.”
 
Les coutumes Gnolles. Pendant mon séjour dans la tribu des Lances de Pierre, Urksh m’avait expliqué quelques-unes de leurs coutumes. Ils prennent les dettes de ce genre très sérieusement, et l’idée qu’ils se font de la culpabilité est transférable. Je fronce les sourcils en regardant ma tasse de thé, et en bois une gorgée. Pas mauvais, et ça me laisse une seconde pour réfléchir.
 
“Est-ce que tous les Gnolls de Liscor pensent comme ça ?”
 
“Certains. Les jeunes. Nous qui sommes plus vieux comprenons Erin Solstice. Mais même là, cela reste difficile à accepter. La voleuse doit être punie. La dette doit être payée.”
 
“Mais elle n’a rien.”
 
“Rien d’autre que sa vie.”
 
Les vieilles coutumes. Le sang règle toutes les dettes. La plus ancienne des coutumes. Parfois, j’ai l’impression que les Gnolls sont exactement comme nous… mais enfin, qu’est-ce que je raconte ? Ils sont exactement comme nous.
 
Bordel. Très bien. Regardons à quel point on est dans la merde.
 
“Et combien vous a coûté Lyonette ? Combien de pièces d’or équivaudrait à ce que vous avez perdu, par exemple ?”
 
“Cinquante mille pièces d’or.”
 
Je cligne des yeux, et regarde fixement Krshia. Elle soutient mon regard. J’ouvre la bouche, et la referme. Si je disais quelque chose du genre “tu n’es pas sérieuse” ou “ça doit être une erreur”, il faudrait probablement que je me poignarde pour cacher ma honte.
 
Krshia est sérieuse. Et je vais donc lui répondre. Je plonge mon regard dans le sien.
 
“Tant qu’Erin portera cette dette, tu ne l’aideras pas, n’est-ce pas ?”
 
“Ce sera… plus difficile pour moi, oui. Nous avons déjà aidé Erin Solstice par le passé, et nous t’avons aidée aussi.”
 
Je me souviens des Gnolls qui nous avaient aidées à combattre Scruta et hoche la tête.
 
“Tu sais qu’elle vient d’un autre monde. Et tu voulais qu’elle t’offre quelque chose d’utile. Quelque chose que tu puisses rapporter à ta tribu.”
 
Krshia inhale doucement. J’entends Brunkr gronder quelque chose à Mrsha qui entrechoque des objets dans la pièce voisine.
 
“Tu comprends vite, n’est-ce pas ? Tu réfléchis différemment d’Erin.”
 
“Pas forcément mieux.”
 
“Non. Mais tu as raison. Nous avions espéré. Nous avons offert beaucoup dans l’espoir de recevoir davantage. Mais…”
 
Krshia haussa les épaules.
 
“La voleuse nous a coûté trop cher. C’était un coup de malchance, mais ma tribu va devoir en payer le prix. Je ne crois pas qu’Erin soit capable de m’offrir quelque chose de suffisant pour payer cette dette.”
 
“Et c’est pour ça que tu essaies d’empêcher Brunkr de tuer Lyonette.”
 
Le regard de Krshia devient fuyant.
 
“Très intelligente. Cela anéantirait des années de travail à Liscor et ferait plus de mal que de bien. Mais la dette demeure.”
 
“Très bien. Je crois que je comprends le problème.”
 
Je soupire, et repose la tasse de thé. Puis je fais face à Krshia, et hausse la voix de manière à ce que les Gnolls qui écoutent aux portes et aux fenêtres puissent m’entendre.
 
“J’endosse la dette d’Erin. Et je la paierai.”
 
La Gnolle cligne des yeux. Une fois. Deux fois. Je souris, du large sourire de l’idiote qui parie tout sans un seul atout dans sa main.
 
“Tu es confiante, oui ? Est-ce que tu possèdes quelque chose de valeur ?”
 
Huit cents pièces d’or, que je n’ai pas en ce moment. 1.6% de la dette d’Erin. Je ne le dis pas à voix haute, cela dit.
 
“Je trouverai une solution. Je viens d’un autre monde, comme Erin.”
 
Krshia me regarde en cillant. Mais elle n’a pas l’air surprise.
 
“Mm. Mais cela ne veut pas dire que tu aies quoi que ce soit de plus qu’Erin Solstice, oui ? Et cela n’est-il pas censé être un grand secret ?”
 
“Les choses ont changé.”
 
Un certain groupe d’imbéciles sous la tutelle de Magnolia en atteste.
 
“Je rembourserai la dette. Je trouverai quelque chose qui effacera la dette d’Erin. Je le promets.”
 
Krshia m’examine.
 
“Tu es confiante, oui ?”
 
“Oui.”
 
Je soutiens son regard. Elle finit par hocher la tête.
 
“Vite. Si tu veux effacer la dette, alors tu dois le faire vite.”
 
“Très bien.”
 
Je suis tellement foutue. Mais ce n’est qu’une partie de la dette que je dois. Je jette un regard vers la cuisine où j’entends Brunkr gronder et Erin rire.
 
“Et Mrsha ?”
 
Krshia hoche la tête.
 
“Nous allons l’accueillir. Ma tribu est loin au sud, mais nous l’élèverons ici jusqu’à ce que nous y retournions.”
 
J’hésite. C’était ce que j’avais prévu, mais je me souviens du regard de Krshia et de Brunkr.
 
“Et elle sera en sécurité ?”
 
“Oui.”
 
Ce n’est qu’un éclat bref dans son regard. Mais il est là. Je regarde fixement Krshia.
 
“Sa fourrure est blanche. Je croyais que c’était à cause des Fées de Givre qui nous ont sauvées, mais est-ce que cela a une signification particulière dans la culture Gnolle ?”
 
Le regard de Krshia vacille. Elle prend un cube de viande et le met dans sa bouche avant de l’avaler sans me regarder.
 
“Il y a… une signification.”
 
“Tu veux dire qu’une superstition y est associée. Ou un mauvais présage.”
 
“... Oui.”
 
“Et cela signifie quoi, exactement ?”
 
Krshia marque une pause.
 
“Ne me mens pas, Krshia Silverfang.”
 
Elle me fusille du regard. Je lui renvoie un regard noir. Krshia soupire et se gratte le cou.
 
“Trop intelligente. Tu es épineuse, comme un buisson de ronce, oui ? Mais tu as raison. La fourrure blanche a une signification pour mon peuple. Aucun Gnoll ne possède de fourrure blanche, sauf ceux qui ont été frappés par le désastre.”
 
“Le désastre ?”
 
“Ceux qui ont perdu leur tribu. Ceux qui ont survécu à la catastrophe. Et, parait-il, ceux qui l’apporte.”
 
Ma gorge se serre. Je suis soudain très, très contente que Mrsha soit dans une autre pièce.
 
“Rien de ce qu’il s’est passé n’a été de la faute de Mrsha.”
 
Krshia trace un motif sur sa jambe.
 
“Je suis sûre que tu dis la vérité. Mais mon peuple croit en ce genre de choses. Est-ce que tu peux être certaine que rien de tout cela n’a été causé par elle ?”
 
Les Fées de Givre. Je serre le poing et sens mes ongles plonger dans ma peau et la transpercer.
 
“Non. Mais elle reste innocente.”
 
Krshia m’observe et finit par hocher la tête.
 
“Je vais la prendre avec moi. Elle sera en sécurité à mes côtés.”
 
Je secoue la tête. La situation a de nouveau changé.
 
“Non. Elle va rester avec Erin. J’ai vu la manière dont Brunkr la dévisageait.”
 
“Il est jeune.”
 
“Mais s’il agit ainsi, d’autres Gnolls le feront aussi. Est-ce que Mrsha serait vraiment en sécurité à Liscor ?”
 
Krshia acquiesce, mais seulement au bout d’un moment. Je suis abattue. Littéralement abattue.
 
“Si tu ne peux pas être absolument certaine qu’elle sera en sécurité, elle restera avec Erin. Et quiconque tentera de lui faire du mal devra me passer sur le corps, et sur celui de tous les gardes que je pourrai trouver.”
 
“Elle ne sera pas mise en danger, Ryoka Griffin. Mais c’est peut-être préférable, en effet, qu’elle reste à l’auberge.”
 
“D’accord.”
 
Je secoue la tête. C’est vraiment la merde, mais au moins je peux me concentrer sur quelque chose. Que diable vais-je pouvoir offrir aux Gnolls ? Je sais que je peux trouver quelque chose.
 
Si on oublie la poudre à canon, il y a forcément quelque chose. Des avancées en termes d’archerie ? J’ai vu les Gnolls utiliser des arcs courts et longs, mais qu’en est-il des armes composites ou des arcs à poulies ? Est-ce qu’on peut en fabriquer, d’abord ?
 
Une espèce d’avancée médicale ? D’éducation ? Mais il faut que ce soit quelque chose qui ait vraiment de la valeur. Bordel, comment vais-je faire pour protéger Mrsha ? Je n’ai pas vu le squelette d’Erin - elle va devoir le garder aux alentours de l’auberge non-stop. Et “vite” à quel point ?
 
Krshia interrompt le tourbillon de pensées sous mon crâne.
 
“Pourquoi proposes-tu de reprendre la dette d’Erin Solstice, Ryoka ? Est-ce qu’il s’agit simplement d’amitié ou y a-t-il autre chose ?”
 
Je la regarde. La réponse brûle dans ma poitrine. C’est tout ce que je peux faire. Ce que je dois faire.
 
“J’ai une dette personnelle envers la tribu des Lances de Pierre. C’est la raison pour laquelle j’aide Erin et que j’offre quelque chose de valeur à ta tribu. Toutefois, ma dette envers Mrsha est bien plus grande. Souviens-t ’en.”
 
“Et que dois-tu à Mrsha ?”
 
Les yeux bruns de Krshia sont fixés sur moi. Je crois son regard avec gravité.
 
“Tout.”
 
***

Un autre événement survint avant qu’Erin et Ryoka ne quittent la maison de Krshia. Ryoka était juste en train de terminer sa discussion avec Krshia lorsqu’elle entendit un glapissement, puis un hurlement en provenance de la cuisine. Elle bondit du canapé et se précipita vers la cuisine sans réfléchir.
 
Brunkr était en train de secouer son bras et de hurler de douleur. Ryoka vit Mrsha en train de lui mordre la main, ses dents d’enfonçant dans sa chair alors qu’il essayait de la faire lâcher prise. Erin le retenait.
 
“Mrsha !”
 
“Enlevez-la moi !”
 
“Mrsha, lâche-le !”
 
Je me précipite sur Mrsha et aide Brunkr à la faire lâcher prise. Sa bouche est pleine de sang et elle se débat comme un chat sauvage dans mes bras, grognant silencieusement sur Brunkr.
 
“Ça fait mal !”
 
Il rugit sur elle et dénude ses dents. Je pousse Mrsha derrière moi, mais Erin et Krshia sont en train de lui bloquer le passage.
 
“Cesse, neveu.”
 
“Elle m’a mordu jusqu’au sang !”, gronde Brunkr à Krshia, mais Erin se dresse devant lui. Elle lève le poing.
 
“Si tu t’approches d’elle, je te cogne.”
 
À ces mots, Brunkr hésite. Il lui jette un regard méfiant, et je pousse Mrsha dans l’autre pièce. Je suis prêt à lui crier dessus lorsque je vois son visage.
 
Les dents de Mrsha sont couvertes de sang et elle est toujours en train de gronder. Mais elle pleure, aussi. Les larmes roulent sur ses joues alors qu’elle se débat dans mes bras pour essayer de se libérer.
 
Au final, Brunkr retourne dans le salon et Erin et moi restons avec Mrsha. je ne sais pas ce qu’a dit Krshia, mais quelques mots de sa part dans la langue grondante des Gnolls et Mrsha a cessé d’essayer d’attaquer Brunkr.
 
“Que s’est-il passé ?”
 
“Je ne sais pas !”
 
Erin accepte le linge humide que lui tend Krshia et elle essuie le visage de Mrsha. La Gnolle commence d’abord par essayer de se dégager, mais elle finit par la laisser nettoyer le sang qui lui couvre le visage. Elle crache sur le linge et je lui propose un peu de thé pour faire passer le goût du sang.
 
“Tout ce que je sais, c’est que Mrsha allait bien, et d’un coup Brunkr lui a grondé quelque chose et… et elle l’a attaqué !”
 
Brunkr a l’air sur la défensive lorsqu’Erin s’interrompt pour le fusiller du regard. Krshia lui jette un regard lourd de menaces et ses oreilles s’aplatissent sur son crâne.
 
“Brunkr. Qu’as-tu donc fait ?”
 
Il regarde le sol d’un air sombre en marmottant sa réponse.
 
“Je lui ai juste dit que… sa tribu a disparu. Qu’elle a disparu, et qu’elle ne reviendra jamais. Disparu, parce qu’elle a apporté le désastre avec elle. Parce qu’elle est maudite.”
 
Silence. Je regarde Erin, puis Mrsha. Elle s’est remise à pleurer.
 
Erin se lève. Elle ne dit rien. Elle se contente de cogner Brunkr suffisamment fort pour l’envoyer s’écraser contre un mur. Krshia hocha la tête d’un air approbateur.
 
“Je te présente mes plus sincères excuses, Erin Solstice.”
 
“Je pense qu’on devrait y aller.”
 
Erin baisse tristement les yeux sur Mrsha. Elle pleure, et s’accroche à moi. Je sens ses griffes transpercer ma peau, mais je ne la lâche pas. Krshia nous contemple avec tristesse, et ses yeux s’attardent sur la fourrure blanche de Mrsha.
 
Aussi blanche que la neige. Une couleur pure. Le blanc, la couleur de la pureté, de l’innocence.
 
Mais aussi de la mort.


***

Nous rentrons lentement. Je porte Mrsha sur mes épaules, bien qu’elle soit lourde. Elle pleure toujours. Je dois m’arrêter deux fois pour qu’elle puisse vomir. Elle régurgite tout ce qu’elle a mangé et se contente de s’accrocher à moi encore plus fort.
 
Encore un échec de ma part. Je ne mérite même pas de rester à ses côtés. Mais si Krshia ne peut pas la protéger, il faut que je trouve un moyen.
 
N’importe lequel.
 
Erin et moi ne parlons pas beaucoup sur le chemin du retour, nous pataugeons juste à travers la couche épaisse de neige. On dirait qu’il va encore en tomber ce soir.



 “Haha ! Je vois que la mortelle imbécile a rencontré celle qui sert à manger ! C’est une bonne chose !”
 
“Mais elles vont si lentement ! Comme des fourmis ! Comme des insectes !
 
“Est-ce qu’on devrait leur faire tomber plus de neige sur la tête ? Une avalanche ? De la grêle ?”


 


Les Fées de Givre descendent du ciel. Je lève les yeux sur elles. Ce n’est pas le moment, mais elles rigolent et sourient comme si tout allait bien.



 “Ho, voyageuses ! Donnez-nous votre or ou nous vous ensevelissons !”
 
“Nous sommes des bandites ! Vous, nos victimes !”
 
 




Erin grimace, mais elle ne répond pas aux provocations des fées. Je n’ai pas ce genre de scrupules.
 
“Dégagez. Ce n’est pas le moment.”
 
Ryoka !”, me siffle Erin, mais je me contente de regarder les fées. Elles marquent une pause.



 “Ooh, la mortelle a des crocs ! Est-ce qu’on vous dérange ?”



Je pointe Mrsha du doigt. Elle a enfoui son visage dans mes vêtements et ne bouge plus. Je sens ses larmes me mouiller la peau à travers les épaisseurs de tissu.
 
“Vous la dérangez, elle. Allez-vous-en.”
 
Les fées de givre hésitent un instant. Elles regardent fixement Mrsha et paraissent se concerter. Puis, sans un mot, elles s’envolent.
 
Erin me regarde, bouche-bée.
 
“Comment est-ce que tu as fait ça ? Elles ne m’écoutent jamais, moi !”
 
Je hausse les épaules, et ajuste ma prise sur Mrsha.
 
“Mets le doigt là où ça fait mal. Elles aiment bien les enfants.”
 
Comme pour me contredire, je sens quelque chose me frapper gentiment à l’arrière de la tête. Erin essuis la neige et je serre les dents.
 
“Petits monstres.”
 
Une autre boule de neige me cogne légèrement le dos. Erin secoue la tête.
 
“Je crois qu’elles t’aiment bien.”
 
“Nous sommes arrivées à un… accord.”
 
“C’est tellement… euh, eh bien, tant mieux, non ?”
 
“Qui sait ?”
 
Nous poursuivons notre route. Quelques minutes plus tard, nous apercevons la porte de l’auberge d’Erin au sommet de la colline, et quelque chose d’autre.
 
“Il y a une foule devant ton auberge.”
 
“Oh ! J’imagine que tout le monde se disait que j’allais y être !”
 
Erin se précipite en avant, et je l’entends appeler les gens devant moi. Je ne reconnais presque aucune des personnes devant l’auberge. Une Drakéide… Selys ? Et l’Antinium, soit Pion, soit Klbkch - non, Klbkch est le seul avec deux bras, donc ça doit être lui. Et il y a un mec plus vieux, dans la trentaine, que je sais que je n’ai jamais vu. Il porte une armure de cuire et il a l’air d’un combattant. Et…
 
Des Gobelins. Je m’arrête et mon cœur se glace dans ma poitrine. La petite Gobeline - Loks est debout à côté d’un Hobgobelin dans la neige, à l’écart du reste. Je jette un regard furtif à Mrsha, mais elle est encore déconnectée du monde, et s’agrippe à ma poitrine.
 
Erin se retourne un grand sourire aux lèvres.
 
“Tout le monde est là ! On dirait qu’on va être complet, ce soir… qu’est-ce qu’il y a ?”
 
Elle ne voit mon expression que maintenant. Je pointe les Gobelins du doigt.
 
Eux. Fais-les partir d’ici.”
 
“Qui ?”
 
Erin se retourne. Puis elle me jette un regard troublé.
 
“Ryoka. Ce sont des clients. Je…”
 
“Je ne te pose pas la question !”
 
Je pointe Mrsha du doigt et Erin change d’expression. Elle remonte la colline avec réticence. Je la vois discuter avec les deux Gobelins en nous pointant du doigt, Mrsha et moi. Je ne sais pas ce qu’elle leur dit, et je m’en fiche. Je gravis la colline, en me tenant loin des Gobelins. Lorsque j’atteins le sommet, ils n’y sont plus.
 
Erin a l’air déçue, mais je m’en fiche. Je pousse la porte de l’auberge en ignorant les gens qui essaient de me saluer. Je ne regarde autour de moi qu’une fois que j’ai reposé Mrsha.
 
“Salut ! Tu es… Ryoka, c’est ça ?”
 
J’entends une voix amicale et me retourne. Selys, la Drakéide, me sourit. Elle baisse les yeux sur Mrsha. Elle est roulée en boule sur une chaise.
 
“Aw ! Qui est-ce ?”
 
“Mrsha. Elle a passé une mauvaise journée.”
 
Selys acquiesce, et s’éloigne doucement de Mrsha pour pouvoir me parler.
 
“Je sais que nous avons à peine eu le temps de discuter, mais Erin m’a brièvement raconté ce qu’il s’était passé.”
 
“Oh, vraiment ?”
 
Je pousse un juron silencieux en entendant les mots franchir mes lèves. Je suis encore d’humeur massacrante à cause des deux Gobelins, mais Selys me sourit.
 
“Ne t’inquiète pas. Je comprends. Erin n’a pas beaucoup de tact, mais si tu veux en parler, je veux bien t’écouter.”
 
Je la dévisage. Ça alors.
 
“J’imagine que les [Réceptionnistes] doivent gérer pas mal de merde, hein ?”
 
Elle pouffe de rire.
 
“Ça fait partie du boulot. Et maintenant que j’ai entendu parler de ce Seigneur Gobelin… Par mes ancêtres, quelle horreur. Est-ce que cette petite Gnolle… ?”
 
“C’est la seule survivante, oui.”
 
Les yeux de Selys sont remplis de pitié.
 
“Pauvre gamine. Dis-moi si je peux aider, d’accord ?”
 
Est-ce que ça peut vraiment être aussi facile ? Est-ce qu’on peut vraiment offrir son aide comme ça ? J’hésite, puis hoche la tête d’un air gêné.
 
“Merci.”
 
“Tiens-moi au courant. Et je crois qu’elle - comment s’appelle-t-elle ? Mrsha ? - que ce dont elle a vraiment besoin, en ce moment, c’est de sommeil et de calme.”
 
Mais lorsque nous essayons toutes les deux de monter Mrsha à l’étage, elle se met à essayer de nous griffer. Elle me mord même lorsque j’essaie de m’asseoir à côté d’elle. Et apparemment, ses griffes font mal même lorsqu’on possède des écailles. Nous n’avons pas d’autre choix que de la laisser tranquille. Selys et moi battons en retraite au même moment où Erin passa à côté de nous en discutant avec Klbkch et l’Humain.
 
“Oh. Ryoka ! Est-ce que tu as déjà rencontré Halrac ? Non ? Voici Halrac. Hum, c’est un aventurier Or.”
 
Je salue d’un signe de tête l’homme grisonnant. Il me salue à son tour. Type peu sympathique*. Il jette des regards en coin à Mrsha en s’asseyant à une table.


*Attends, qu’a dit Erin à son sujet ? Un aventurier Or ?


“Ryoka Griffin. Je te présente toutes mes condoléances.”
 
Je me retourne. Klbkch, l’un de ces maudits Antiniums… non. C’est un ami d’Erin et il est mort une fois pour la sauver. Je le salue d’un signe de tête.
 
“Klbkch ?”
 
“Oui. Permets-moi de te promettre que je conduirai personnellement des patrouilles au sud de Liscor dès que ce sera possible pour assurer la sécurité de Mrsha et de cette auberge.”
 
“Vraiment ?”
 
Voilà qui est… suspect. Pourquoi Klbkch s’intéresse-t-il tant à Erin ? C’est sans doute lié à cette histoire d’individus Antiniums et de Pion. Bordel, Erin.
 
Mais toute aide est la bienvenue, et je hoche donc la tête. Klbkch regarde Mrsha. Elle s’est remise à pleurer. Son petit corps est agité de tremblements, et je sens mon cœur se serrer.
 
“Je regrette ce qu’il s’est passé. Je te promets que si l’armée du Seigneur Gobelin passe devant l’une des Colonies, elle sera détruite.”
 
Il n’y a rien à répondre à ça. Je hoche donc la tête. Mais les pleurs de Mrsha assombrissent même l’humeur solaire d’Erin. Elle fait de son mieux, fait à manger et insiste pour que nous nous asseyions tous ensemble à table, mais elle ne peut pas faire bouger Mrsha et Lyonette nous apporte donc à boire - de l’eau chaude pour Klbkch et moi et de la bière pour Selys - en silence.
 
Je jette un regard en coin à Halrac. Il est assis seul, mais il ne cesse de jeter des regards à Mrsha. Est-ce qu’elle le dérange ? Enfin, bien sûr qu’elle le dérange. Il attrape Erin qui passe devant une table et pointe Mrsha du doigt. Puis, pour une raison qui m’échappe, je le vois pointer du doigt un pot de fleur sur une table devant une fenêtre.
 
“Des fleurs ? Pourquoi diable y a-t-il des fleurs ici ?”
 
Selys se tourne en prenant une bouchée de spaghettis aux boulettes de viande.
 
“Oh, celles-là ? Je crois que ce sont des fées qui lui les ont données. C’est ce que dit Erin, en tout cas.”
 
Klbkch et moi la dévisageons fixement.
 
“Les Fées de Givre les lui ont données ? Pourquoi ?”
 
“Je n’en sais rien. Un dîner qu’elle leur a préparé. Ça avait un peu énervé Erin à l’époque.”
 
Oh mon dieu. Elle n’a pas fait ça. Elles n’ont pas fait ça. Je regarde les fleurs, frappée d’horreur. Erin s’approche du pot. Des fleurs dorées. Est-ce que ce serait tirer des conclusions hâtives que de croire que… ?
 
“Est-ce qu’elle les a prises pour des pièces d’or ?”
 
Klbkch me regarde comme si j’étais folle, mais Selys acquiesce. Elle aspire une nouille.
 
“C’est ça, oui ! C’est ce qu’avait dit Erin ! Comment as-tu su ?”
 
J’enfouis mon visage dans mes mains et gémis. Est-ce qu’Erin avait tout simplement oublié toutes les vieilles histoires sur les fées ? J’espère qu’elle n’a pas trop gaspillé de nourriture pour ces bâtardes*.
 
*Est-ce que bâtardes est le bon terme à utiliser, ici ? Putes est peut-être un peu trop genré, mais cela ne résume pas vraiment à quel point je déteste parfois ces maudites fées.
 
“Excusez-moi. Est-ce que je dois comprendre que ces fleurs avaient été enchantées pour ressembler à des pièces d’or ?”
 
Je fais signe à Klbkch que oui. C’est vraiment bizarre d’être assise en compagnie d’un Antinium et de papoter avec lui, sans parler du fait qu’il s’agisse ici de Klbkch le Tueur. Je veux lui parler, mais pas quand Selys est dans le coin.
 
“C’est le genre de choses que font les fées. Elles piègent les gens pour qu’ils acceptent de l’or qui se transforme en fleurs ou disparaît le jour suivant. Erin s’est faite avoir.”
 
“Je vois. C’est regrettable.”
 
“Oui, mais Erin dit que les fleurs sont utiles, en fait.”
 
“Quoi ?”
 
Nous nous tournons tous les trois vers les fleurs. Erin est en train d’en cueillir et de les… presser ? Oui, elle les presse dans une chope et Halrac la regarde avec une expression pleine d’intensité. Que se passe-t-il, bon sang ?
 
Mais Erin s’avance alors vers Mrsha avec une chope de bière mélangée à quelques gouttes de ce nectar de fleurs. Je fronce les sourcils lorsqu’elle touche doucement l’épaule de Mrsha.
 
“Mrsha ? Ça va, ma chérie ?”
 
Mrsha essaie d’écarter Erin, mais elle se tient à distance. Erin touche de nouveau l’épaule de Mrsha.
 
“Écoute, je ne veux pas te déranger, ma puce, mais j’ai une boisson pour toi. Ça va t’aider à te détendre, d’accord ?”
 
“Qu’est-ce qu’elle fout, bordel ?”
 
Est-ce qu’Erin essaie de soûler Mrsha ? Je me lève en fronçant les sourcils, mais Klbkch me tire sur le bras.
 
“Je t’en prie, attends, Ryoka Griffin. je crois qu’Erin Solstice est en train d’essayer de faire quelque chose de bénéfique.”
 
J’hésite. Mais là encore, c’est Erin. Je regarde de nouveau les fleurs, et la manière dont Halrac regarde fixement la chope. Des fleurs. Des illusions.
 
Des hallucinogènes ? Ce ne serait pas la chose la plus étrange que j’aie entendue.
 
Sous mes yeux, Erin cajole Mrsha jusqu’à ce qu’elle se déplie. La Gnolle renifle la chope mais, curieuse comme à son habitude, elle goûte la boisson. Je la regarde avaler quelques gorgées de la boisson avec des papillons dans le ventre. Mrsha écarquille les yeux, puis elle pousse un soupir. Elle ferme les yeux, puis se détend d’un coup.
 
“Mrsha ?”
 
Erin se tourne vers moi à mon approche. Elle me laisse prendre Mrsha. Je la tâte avec inquiétude.
 
“Elle est juste endormie, Ryoka. Ou… en transe. Halrac dit que la boisson peut l’aider. Je l’ai déjà testée, et en effet, on se sent mieux après.”
 
“Je confirme.”
 
Je me retourne. Halrac, l’aventurier Or, se tient derrière nous. Il me fait un signe de tête.
 
“Miss Griffin ? Erin Solstice a une boisson unique. Il s’agit de souvenirs liquides.”
 
“Des souvenirs ? Une espèce de drogue, tu veux dire ?”
 
Je fusille Erin du regard. Elle lève les mains, sur la défensive.
 
“Ce sont juste des fleurs avec un peu d’alcool ! Cela fait partie des compétences que j’ai apprises, Ryoka ! Ça s’appelle [Mets Prodigieux] et Halrac dit qu’on se sent mieux après ! Il en a eu plein !”
 
Erin se tourne vers lui et l’aventurier hoche la tête. Il regarde fixement la boisson sur la table.
 
“Ça… ramène des souvenirs heureux. Pour un temps. J’imagine que la petite Gnolle va dormir après avoir bu, dans tous les cas.”
 
Je regarde fixement Erin. Les fleurs de fées peuvent servir à faire une boisson magique ? Pourquoi n’y ai-je pas pensé ? Non… Erin est-elle un génie ou est-elle juste folle ?
 
“Tu es sûre que ça ne risque rien ?”
 
“Essaie, si tu veux ?”
 
Erin me tend le vers. Je le prends et regarde à l’intérieur. Halrac contemple le liquide couleur pisse comme si c’était de l’or liquide, mais je ne suis pas sûre que ce soit vraiment buvable.
 
“Ce n’est pas mauvais ?”
 
“C’est de la piquette, mais je me porte garant des effets. Je vais en prendre un aussi, et je te paierai ce que tu veux.”
 
“Vraiment ? Ooh, qu’est-ce que je pourrais bien te faire payer ?”
 
“Est-ce que c’est une boisson pour tout le monde ? J’aimerais bien tester si tu fais tourner des échantillons.”
 
Selys se lève et regarde fixement la chope,  imité par Klbkch. Erin va cueillir d’autres fleurs pendant que je continue de regarder le liquide au fond de mon verre.
 
Ce n’est pas comme si je n’avais jamais testé…. certaines herbes médicinales… par le passé. Mais ça n’a été qu’une fois, et je n’ai jamais fumé ni pris de drogues dures. J’adore courir, pas foutre mon corps en l’air. Mais si Erin avait suffisamment confiance pour en donner à Mrsha…
 
Je devrais au moins voir quel effet ça a. J’hésite, mais Erin est déjà en train de préparer trois autres chopes. Je goûte prudemment ma boisson.
 
Yep. C’est vraiment de la piquette. Est-ce qu’Erin a acheté l’alcool le moins cher du marché ? Je fronce les sourcils et avale. Je ne sens aucun goût particulier, mais elle n’a mis que quelques gouttes. Combien de temps faut-il attendre avant que ça ne fasse eff…


Le monde se dissout autour de moi. Devient un courant d’air. De la brume, de la fumée qui s’élève d’un feu.
 
Je regarde fixement Urksh. Mrsha est assise à côté de moi et me regarde. Les Gnolls dans s’affairent dans le campement, rient, discutent, et je le dévisage. Il lève les yeux de son morceau de poisson chaud et me sourit.
 
“Tu as l’air choquée, Ryoka Griffin. N’est-ce donc pas cela que tu souhaitais voir ?”
 
“Non. Non, je…”
 
J’hésite. Mrsha me regarde d’un air inquisiteur, sa fourrure brune luisant à la lumière du feu. Urksh éclate de rire.
 
“Tant mieux. Repose-toi ici un moment avant de reprendre ta route.”
 
“Oui. Je voulais juste…”
 
Un morceau de poisson chaud - du maquereau, peut-être, est posé sur ma main. Suffisamment chaud pour que cela me brûle presque la peau, mais tout juste. Tellement chaud et tendre que mordre dedans permet de chasser le froid de la nuit. Le feu devant moi me réchauffe la peau, et Mrsha soupire en se blottissant contre moi.
 
Je regarde Urksh. Il me sourit, assis dans l’air froid de l’hiver. Les Gnolls rient en se préparant pour aller se coucher.
 
“Je voulais juste dire que je suis désolée. Je suis tellement désolée.”
 
Il acquiesce.
 
“Je sais. Mais ce n’est pas à toi de t’excuser, oui ? Nous avons payé le prix comme nous l’avions souhaité.”
 
“Oui. C’est juste que…”
 
Il secoue la tête.
 
“Mange, Ryoka Griffin. Et ensuite, peut-être, raconte-nous une autre histoire. Celle avec le [Roi] à l’épée était particulièrement à mon goût.”
 
Mrsha hoche la tête. Elle se redresse, impatiente, et je lève le poisson ç mes lèvres. L’odeur me met l’eau à la bouche, et je vois des Gnolls s’approcher du feu. Ils s’asseyent tous ensemble, chauds, heureux, rassasiés. L’air froid souffle sur nous, mais la chaleur qui nous entoure le chasse. J’ouvre la bouche, et mes dents mordent dans la nourriture chaude…

 
“Ryoka ? Tu as les yeux dans le vague. Ça va ?”
 
“Oh.”
 
La vision s’efface. Je dévisage Erin. Elle me sourit d’un air nerveux.
 
“Ce n’est pas bon ? Tout le monde s’est tu. J’ai testé, mais je n’en ai bu qu’un tout petit peu et je me suis juste senti heureuse en me rappelant une partie d’échecs avec Pion. est-ce que c’est trop fort ou est-ce que ça va comme ça ?”
 
Je regarde fixement la boisson. Mon verre est encore à moitié plein. Je le porte à mes lèvres et avale le reste. Le monde tourne autour de moi, et je me sens tomber à la renverse. Et alors, pendant quelques instants, je suis de nouveau assise autour du feu de camp. Je ris. Je suis heureuse. Et je leur demande pardon et je connais la paix.
 
Jusqu’à mon réveil.


***

À l’extérieur de l’auberge, les Fées de Givre virent Ryoka Griffin tomber à la renverse et Erin se précipiter pour la rattraper. Elles flottèrent dans le froid, regardant par une fenêtre. Ce n’était pas qu’elles ne pouvaient pas entrer ; c’était simplement qu’elles ne craignaient pas le froid et qu’elles ne voulaient pas qu’on entende leur conversation.



“La boisson est conçue à base de fleurs. C’est l’aubergiste qui l’a concoctée.”
 
“Ce n’est pas censé se passer comme ça. Les mortels n’utilisent pas les fleurs qu’on leur offre ! Ils sont censés les jeter !
 
 
 
Les fées regardèrent Erin allonger Ryoka par terre puis observèrent le reste des clients de l’auberge. Ils avaient tous la même expression vacante.




“Est-ce qu’on devrait lui enlever les fleurs ?”
 
“Mais c’était un cadeau ! On ne peut pas le reprendre !”
 
“Et si on lui offrait vraiment de l’or à la place ? Est-ce que ça suffirait ?”





À l’intérieur de l’auberge, Erin frôla Klbkch. L’Antinium était devenu parfaitement immobile après avoir bu sa chope, comme Selys et Halrac. La légère poussée le fit tomber à la renverse, et, comme des dominos, la Drakéide et l’Humain tombèrent eux aussi. Les fées virent Erin se mettre à paniquer.




“C’est rigolo.”
 
“Oui.”



Les fées marquèrent une pause. Elles se dévisagèrent.






“Je me demande quel goût a cette boisson ?”
 
“C’est de la piquette, d’après ce que j’ai entendu dire.”
 
“De la bonne piquette ?”
 
 




Il n’y avait qu’une seule manière d’en avoir le cœur net. Les fées se précipitèrent dans l’auberge.





“Aubergiste ! Une chope de ta meilleure piquette !”



Et Ryoka et Mrsha dormirent à poings fermés, rêvant à des temps meilleurs. C’est-à-dire, jusqu’à leur réveil. Mais le rêve eut beau se dissiper, une petite partie de sa chaleur resta en elles. Réparant les fissures de leurs cœurs. Comme une fleur, poussant dans la neige.
 
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 17 février 2021 à 10:14:51
2.41
Partie 1
Traduit par Maroti

Comme elle s’était levée de bonne heure, Erin décida de faire un bon petit pour tout le monde. Ils étaient tous encore en train de dormir.

Ryoka et Mrsha étaient à l’étage, mais Erin n’avait pas réussi traîner Klbkch et Selys en haut de l’étroit escalier, elle les avait donc laissés dans la salle commune avec des couvertures et des oreilles.

Faire un bon petit déjeuner n’était pas compliqué. Erin sortit une casserole et fouilla ses placards pour les ingrédients. Elle prit de la farine, et trouva un peu de graisse de bacon qu’elle avait laissé refroidir dans de la neige mise dans un chaudron. La neige avait presque entièrement fondu, mais elle avait gardé la nourriture au frais, quoiqu’un peu humide.

Erin eut le temps de mettre la table en ayant préparé un bon petit déjeuner constitué d’une sauce accompagnée d’une purée de patates et de biscuits sec quand Ryoka tituba en descendant les escaliers, suivit par Mrsha. Cela coïncida avec Selys et Klbkch se réveilla au sol. Erin sourit alors que ses invités se frottèrent la tête en gémissant.

« Salut ! »

Selys frotta son front.

« Combien ai-je pris de verre la nuit dernière ? »

« Hum… Quatre chopes ? Non, attends… Six ? Oui ? »

Erin avait arrêté de compter. Elle avait continué de servir l’alcool de fleur de fée jusqu’à ce qu’ils commencent à tomber dans les pommes. Cela avait été une longue et stressante nuit pour elle. Tout le monde avait passé la soirée à boire, regarder dans le vide pendant une dizaine de minutes, avant de continuer à boire. À la fin, ils s’étaient tous endormis, sauf pour Halrac. Il avait marché vers la ville, légèrement titubant. Erin s’était inquiété, mais il était un aventurier de Rang-or.

« Par mes ancêtres. »

Selys grogna et se massa les tempes. Elle essaya de se lever et se rassit aussitôt.

« J’ai un goût de… D'alcool de seconde zone dans ma bouche Erin, par les dieux morts. »

« Hey ! »

Erin ouvrit la bouche, et la ferma.

« … J’achèterai quelque chose de mieux la prochaine fois, d’accord ? »

« Il ne devrait pas y avoir de prochaine fois. »

Ryoka se laissa tomber sur la table alors que Klbkch lutta pour se relever. Mrsha jappât et s’éloigna de l’Antinium. Il semblait en mauvais état. Même si son apparence était la même, l’Antinium n’avait pas vraiment de peau ou de vêtement à froisser, mais il semblait… Désordonné.

« Bonjour, Klbkch ! »

Erin sourit à Klbkch. Il la regarda, lentement.

« Je ne suis pas retourné à ma Colonie. Cela n’est jamais arrivé auparavant. »

« Oh non. C’est une mauvaise nouvelle ? »

Klbkch hocha lentement la tête.

« Je dois… Veuillez m’excuser. »

Il mit une main à sa tête et s’arrêta. Il n’avait pas de paupière, mais Erin sentit qu’il se concentrait. Après un moment, il hocha la tête.

« J’ai informé ma Reine. Elle a rappelé les groupes de recherche. »

« Groupes de recherche ? »

Klbkch secoua la tête. Il regarda la nourriture sur la table alors que Mrsha essaya d’attraper un biscuit avec sa main. Silencieusement, Ryoka s’empara d’une assiette et commença à se servir de la purée et des biscuits avant de tout recouvrir d’une sauce à la viande. Elle posa l’assiette sur la table et donna une cuillère à Mrsha qui essaya de tout dévorer.

« Donc. Hum. »

Tout le monde la regardait. Erin sourit nerveusement.

« Comment s’est passé votre nuit ? Est-ce que la boisson à la fleur de fée est vraiment aussi bonne ? »

Erin ne comprenait pas la fascination d’Halrac avec cette boisson. Elle s’était simplement remémorée de bons moments quand elle l’avait essayé, mais c’était tout. Et pourtant, entre les quatre personnes dans son auberge (sans compter Mrsha), ils avaient vidé un baril entier de son alcool.

Ryoka, Selys et Klbkch échangèrent un regard et secouèrent leurs têtes d’un même mouvement.

« C’est une terrible boisson. »

« Épouvantable. »

« Ne la ressers pas, s’il te plait. »

La mâchoire d’Erin se décrocha.

« Quoi ? Pourquoi ? »

Selys était toujours en train de masser son front quand elle commença à grignoter un biscuit. Elle vida un grand verre d’eau et grimaça.

« Au début, je pensais que tout était bien. Je me souviens de m’être amusé avec mon oncle quand il avait le temps de visiter. Et j’étais tellement heureuse… Puis les souvenirs ont continué de venir, et j’avais l’impression que j’avais besoin de continuer à boire. Dès que je me réveillais de ce… Rêve, je buvais de nouveau pour y retourner. »

« Et quel est le problème ? »

« Se souvenir d’un peu n’est pas un problème. Mais après quelque temps… Il est possible de devenir trop nostalgique, tu vois ? »

« Tu peux te perdre dans les souvenirs. »

Ryoka hocha la tête. Elle regarda la purée, ignorant les bruits de mastication que Mrsha faisait à côté d’elle.

« C’est comme une addiction. Tu veux continuer de revenir. Remets une choppe en fasse de moi et je vais continuer de boire, encore et encore. »

« Pour se remémorer. »

Klbkch était silencieuse. Il n’avait rien mis sur son assiette. Ryoka leva les yeux vers Erin.

« Dilue la boisson. N’offre que la version non diluée que de temps en temps, mais arrête de nous la servir, bon sang ! »

Erin se rabougrie sous la force du regard de Ryoka.

« Oups. Désolé. »

Les trois retournèrent à leur petit-déjeuner en silence. Mrsha mangea joyeusement, dévorant la purée jusqu’à ce qu’elle ait le ventre plein. Elle, au moins, n’avait pas d’effet secondaire de la boisson, vu qu’elle n’avait pris que quelques gorgées.

Erin se gratta la tête. Elle se posait des questions sur la boisson, mais bien sûr, les fées étaient arrivées et elle avait dû leur donner plusieurs pintes avant de la chasser. Elles étaient parties en se cognant dans les murs en riant avant de passer la porte.

« Donc… Est-ce que je peux vous servir autre chose ? »

Klbkch secoua la tête. Selys posa sa tête sur la table et gémit et Ryoka se frotta les yeux.

« Je, huh, oh ! Lyonette ! »

La possible princesse descendit les escaliers et s’arrêta en regardant Selys et Klbkch. Elle inspira.

« Je suis levée. Qu’est-ce qu’il y a pour le petit-déjeuner ? »

« De la purée avec de la sauce. Et des biscuits ! »

Ryoka regarda Lyonette en silence alors que l’autre fille se servit. Silencieusement, les invités mangèrent jusqu’à ce que Selys regarde par la fenêtre.

Klbkch hocha lentement la tête.

« Je crois que je vais… M’abstenir de mes devoirs pour aujourd’hui. C’est nécessaire. »

« Oh, huh, c’est une bonne chose, pas vrai ? »

La Drakéide et l’Antinium regardèrent silencieusement Erin. Ils semblaient mélancoliques. Tout comme Ryoka. Elle était juste en train de regarder son assiette.

C’était comme si… Tout le monde était soudainement devenu dépressif. Les yeux d’Erin passèrent sur tout le monde avant de s’arrêter sur Mrsha qui était en train de s’agiter sur sa chaise.

« Hey Mrsha, quelque chose ne va pas ? »

L’enfant Gnoll s’agitait de manière familière. Erin réalisa le problème.

« Nous avons des toilettes dehors. Viens, je vais te montrer. »

Elle prit la main de Mrsha et la Gnolle bondit de sa chaise pour suivre Erin. Ils arrivèrent à la porte quand Erin ressentit une familière sensation. Quelqu’un s’approchait de l’auberge. Elle s’arrêta et la porte s’ouvrit.

Le ciel matinal était encore gris, mais la lumière emplie l’auberge. Cette lumière baignait autour de la silhouette qui venait d’entrer, et malgré le ciel clair, les orbites béantes du crâne de Toren étaient toujours sombres, seulement illuminé par deux flammes brûlantes qui observaient Erin et Mrsha.

Le squelette portait l’armure de bronze abîmée qu’il avait trouvé, sauf qu’elle semblait encore plus abîmée qu’auparavant. Il avait une épée entaillée et un bouclier dans ses mains, et de légères traces de sang couvrait la lame.

« Toren ! Tu es là ! Où est-ce que tu étais ?! »

Erin fronça les sourcils en regardant le squelette alors qu’il se tenait silencieusement dans l’ouverture de la porte. Il la regarda, toujours aussi silencieux. Elle sentit quelque chose tirer sur sa main, et baissa les yeux.

Mrsha était en train d’essayer de s’éloigner d’Erin. Sa fourrure était courbée, et elle essayer d’avancer sur le parquet le plus rapidement.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Mrsha ? Oh, c’est Toren qui te fait peur ? Tu ne l’as jamais rencontré, pas vrai ? Il est vraiment sympa et… »

Erin s’arrêta. Elle renifla. Quelque chose sentait mauvais. Puis elle remarqua la flaque autour de Mrsha. Il semblait que l’arrivée du squelette avait eut un effet sur la vessie de la Mrsha.

« Aw, Mrsha ! »

Elle lâcha sa main, et la Gnolle se dépêcha de rejoindre Ryoka, gémissant de peur. Ryoka posa sa tête dans ses mains alors qu’Erin regarda la flaque. Elle regarda autour d’elle et sourit de manière gênée vers Toren.

« Hey Toren. J’ai du boulot pour toi. »

***

Il y avait des jours où j’avais envie de frapper Erin. Elle me botterait probablement le cul, mais je suis quand même tenté*. Il me faut presque une demi-heure pour calmer Mrsha après l’apparition de Toren, et même après cela, elle refuse de s’approcher du squelette.


*A quel point Erin est forte, d’ailleurs ? Je sais qu’elle a l’[Attaque du Minotaure] comme compétence, mais est-ce qu’il y a une limite sur la puissance de la compétence ? Et si elle doit toucher la cible, ce n’est pas si efficace que ça. De plus, est-ce qu’elle ne se casserait pas la main en attaquant une armure ?


Je la comprends. Toren me fait aussi flipper, et je n’arrive pas à comprendre comment Erin peut-être aussi calme avec lui. Elle continue de lui donner des ordres alors que je termine mon petit-déjeuner.

« Merci pour le repas, Erin. »

« Oh, ce n’est pas un problème ! C’était comment ? »

« Bon. Comment est-ce que tu as fait ton roux ? »

« Mon quoi ? »

« Ton roux. »

« Non… C’était de la sauce. »

« Mais… Erin, est-ce que tu sais ce qu’un roux est ? »

« … Non. »

Je me frotte le visage.

« C’est pas grave. Je suppose que ta compétence te dit quoi faire, c’est ça ? »

« Ouaip ! J’ai [Cuisine Avancée]. C’est trop cool, pas vrai ? »

Erin bombe le torse et à l’air fière. Selys semble impressionnée et Klbkch hoche la tête alors que je hausse les épaules.

« Je suppose. C’est une importante compétence, c’est ça ? »

« C’est très bien pour une [Aubergiste] ! La plupart des [Cuistot] et [Aubergiste] en ville on [Cuisine élémentaire], mais [Cuisine Avancée] est plus rare. »

Selys explique en terminant son assiette. Je me frotte la tête. J’ai toujours mal, mais je crois qu’il est temps pour moi d’aller travailler. C’est l’heure de réfléchir et de planifier. Selys est une native, et elle connait beaucoup de chose que tout le monde sait. Donc je lui pose la question évidente.

« Si c’est le cas, il y a supposément une compétence de [Cuisine Experte], pas vrai ? Combien de personnes auraient cette compétence ? »

« [Cuisine Experte] ? Eh bien… Personne en ville ne possède cette compétence. Tu dois être un [Chef] de très haut niveau pour l’obtenir. J’ai entendu dire que certaines Villes Emmurées ont des gens avec cette compétence. Ils sont toujours engagés par la noblesse. »

Donc. Il est possible de classer les compétences par leurs raretés, qui correspond généralement au niveau. Cela à du sens. Et je suppose que c’est parallèle à notre monde.

« Tu dirais que cette compétence peut apparaître à quel niveau ? »

« Hum… Niveau 40 ? Peut-être Niveau 30 avec de la chance. Il y a des Compétences qui sont mieux, enfin c’est ce que j’ai entendu, mais elles sont rares. »

« D’accord. Parce que la majorité des gens ne dépasse pas le Niveau 30 ? »

« Cela est correct. »

Klbkch hocha la tête alors qu’il nettoya délicatement son assiette. J’essaye de ne pas le regarder manger… Je fais de mon mieux pour garder l’esprit ouvert, mais les Antiniums me font flipper d’une manière que les Drakéides et les Gnolls ne le font pas. Bon sang, même Selys me dérange légèrement. Je ne sais pas comment Erin fait pour être naturel autour d’eux.

Mais je suis là, assis avec Klbkch le Pourfendeur et une [Réceptionniste] Drakéide, discutant comme si nous nous connaissions depuis des années. Ils sont tellement amicaux.

« Je n’arrive pas encore à croire que tu ne saches pas tout cela. Est-ce c’est parce que tu n’as pas de niveaux ? »

Selys me regarde, et j’ai un léger moment de méfiance. Elle ne sait pas que je viens d’un autre monde. Mais merde, je dois savoir comment les niveaux et les classes marchent. Je ne les utilise pas, et je ne peux plus désormais, mais ne pas savoir les règles de ce monde va m’attirer des problèmes. Allez Ryoka, ment comme jamais.

« C’est vrai. Et je n’y ai jamais prêté attention, je suppose. »

« Erin était aussi comme ça, tu sais. Est-ce que vous venez de la même nation ? Vous semblez vous connaitre. »

« Quelque chose du genre. »

Klbkch hocha la tête.

« Je suis familier avec leur nation d’origine, Selys Shivertail. Leur peuple a des traditions différentes des nôtres. »

Ceci fait que fusille Klbkch du regard, même si Selys accepte ce mensonge sans broncher. Il vient de me couvrir, pas vrai ? Erin avait dit que Klbkch savait qu’elle était d’un autre monde. Et Erin s’approchait. J’essaye de lui faire signe avec mes yeux de dire la même chose que nous, mais elle ne remarque rien.

« Oui, c’est comme… heu, là ou je viens. Je veux dire, il y a de quelques grosses différentes, mais aussi de nombreuses choses en commun, pas vrai Ryoka ? Genre, c’est tout comme Donjon et Dr… »

« C’est un peu similaire, mais j’avais envie d’être certaine sur certains détails. »

Je coupe la parole à Erin et la fusille du regard. Elle me regarde sans comprendre.

« Quoi ? Je ne suis pas une joueuse, mais tu m’as dit que tu comprenais quelque chose à propos de ce système, pas vrai ? Tu as dit que c’était comme Diablo. »

« Diablo ? »

Selys nous regarde et je secoue la tête.

« C’est… Rien. Un jeu de là ou nous venons. »

« Oh, je vois. »

Je vais botter le cul d’Erin. Je couvre mon visage alors que Selys et Erin commence à parler de Mrsha. Je lève les yeux pour voir que Klbkch me regarde.

Et merde. Est-ce qu’il… Non, qu’est-ce qu’il a récupéré comme information en nous écoutant ? Erin dit qu’il sait qu’elle vient d’un autre monde. Mais qu’en est-il de moi ?

Je vais tuer Erin. Mais garder un œil sur lui. Klbkch le Pourfendeur. J’ai lut l’histoire des Guerres Antiniums, bordel j’aurais dû lire plus que la première partie. Ils ne mentionnaient pas grand-chose sur les Prognugators, mais ce type est là depuis des décennies. Il a affronté le General Sserys, il est dangereux.

Mais l’Antinium assit en face de moi se trouve dans l’auberge d’Erin, à manger de la purée. Et il a été tué par des Gobelins, d’après ce qu’Erin dit. Des Prognugators s’affaiblissant. Hum. Et la relation entre les Antiniums et Erin est spéciale. Elle peut créer des Individus, ce qui veut dire…

Gah. J’ai mal à la tête, et ce n’est pas dû qu’à l’alcool. Je pensais que ma vie était complexe, mais celle d’Erin est dix fois plus complexe. Non seulement elle est impliquée dans les affaires des Antiniums, elle a aussi attiré l’attention de Magnolia Reinhart, et elle a aussi une dette envers les Gnoll tellement massive que seule la mort pour l’effacer… À moins que quelqu’un est cinquante mille pièces d’or qui traînent.

Bordel de merde. Je ferme les yeux pendant quelques instants. Qu’est-ce que je devrais faire. Qu’est-ce que je peux faire ? Normalement, je serais en train de courir pour recevoir mon argent de la part de Teriarch, mais…

Non. Je regarde plus loin et voit Mrsha, tournant autour de Lyonette pour une quelconque raison. Elle est en train de donner des restes à Mrsha en la grattant derrière les oreilles.

Oh, c’est vrai, et Erin à une princesse ou une noble de haut-rang dans son auberge. Bordel de merde.

Je masse mes tempes. Selys me regarde avec sympathie.

« Tu as toujours mal à la tête ? Une potion de soin réglera ça. Je connais une marchande qui les vends pour pas chère. »

« Non merci. Je suis juste très occupée. J’ai plusieurs trucs de mer… Plusieurs trucs dont je dois m’occuper. »

« Comme quoi ? Je suis libre pour aujourd’hui, dit le-moi si tu as besoin d’aide pour quelque chose. Les amis d’Erin sont mes amis. »

Selys me sourit et j’hésite.

« Rien de bien important. Je ne voudrais pas te déranger. »

« C’est comme tu veux. Je veux voir si Erin veut se relaxer dans les bains publics. Tu es la bienvenue si tu veux nous rejoindre. »

« … Merci. »

Selys se lève pour aller discuter avec Erin. Je reste à la table, pensive. Les gens bougent autour de moi. Klbkch est toujours assis, il ne mange pas, mais je suppose que les Antiniums doivent s’asseoir pour digérer ? Je le sors de mon esprit et réfléchis.

Je dois vraiment réfléchir, parce que je suis en train de gérer trop de choses en même temps. Je ne vais pas dire que la situation est terrible mais… Non, à part les moments ou j’étais véritablement en danger de mort, cette situation est probablement l’une des pires.

Cinquante mille pièces d’or. Concentrons-nous sur ça. J’ai dit, hier, que j’allais repayer la dette d’Erin. J’ai dit ça pour plusieurs raisons.

Premièrement, il est clair que les Gnolls ont du pouvoir. Erin a été aidée par le passé, et ils sont peut-être des alliés. Ils peuvent être le groupe en qui Erin et moi pourrions avoir confiance. Mais Krshia semble intelligente, et il est préférable d’avoir quelqu’un de son côté plutôt qu’en tant qu’ennemi. Ce qui m’amène à mon second point.

Nous avons besoin que les Gnolls effacent leur dette, ou sinon Erin et Lyonette sont en danger, et donc Mrsha si elle reste avec eux. Est-ce que cet endroit est adapté pour une jeune Gnolle ? Comment Erin peut l’élever ? Je… Je ne peux pas rester avec elle. Mais elle a besoin d’une maison. D’une famille. Si Krshia pouvait…

Troisième point. Krshia est peut-être capable de mitiger le stigma lié à la couleur de fourrure de Mrshia, mais pas si son autorité est contestée. La dette de Lyonette est en train de saper son influence tant qu’elle n’est pas effacée. Cet imbécile de Brunkr semble vouloir usurper sa position, et il deviendra un danger s’il prend le contrôle. Pour faire court, cela veut dire que résoudre cette dette est vraiment important.

La seule question est… Comment ? J’ai quelques idées. Je pourrais donner de la technologie aux Gnolls, c’est ce que j’ai dit, mais maintenant que j’y pense…

Merde. Je suis foutue. Complètement foutue.

Mettons tout en perspective. J’ai besoin de donner aux Gnolls une technologie valant plus de 50 000 milles pièces d’or. En même temps, je ne peux pas déstabiliser ce monde en leur donner de la poudre.

Non.

All flesh is grass.

Non.

Qu’est-ce que je dois faire ? Cela semble simple. Mais qu’est-ce que je peux physiquement donner aux Gnolls à part des armes ? La révolution industrielle ? Qu’est-ce qu’une société nomade ferait avec ce genre d’infrastructure ? Et de toute façon ils ne seraient pas capables de l’utiliser.

Non, pense. Quelque chose de plus simple. Une technologie pratique ou révolutionnaire. Pense, Ryoka.

Hum. Des trébuchets, mais c’est une arme de siège… Pas quelque chose qu’un peuple de nomades à besoin ! Premièrement, est-ce que les trébuchets existent déjà dans ce monde ? Ils sont des inventions médiévales, et ce monde à de la technologie équivalent à notre renaissance.

Premièrement, ils ont du verre. Hum. Des loupes ? Mais c’est technologie dépend de la préparation du verre pour que le verre puisse servir de loupe, et je ne sais pas comment elles sont faites.

Merde. Donc pas de télescope. Quoi d’autre ?

Des… Radios ? Hah. Même si j’avais la capacité de travailler avec des fils et du métal à ce point… Qui a besoin de radio quand les mages ont des sorts de longue distance ou la capacité de communiquer par hurlement ? La communication à distance n’est pas un problème pour eux.

Des arcs. Les Gnolls utilisent des arcs. Je les ai vu utiliser des arcs en composite et des arcs courts… merde. Ils n’ont pas d’arc à poulies. Mais est-ce que je pourrais en faire un ? Non. J’ai besoin d’une technologie post-révolution industrielle.

Merde, merde merde. D’accord… l’acier. Mais ce monde à déjà de l’acier. De l’autre côté, je n’ai jamais vu une tribu Gnolle utilisant de l’acier, ce qui veut dire que seul un [Forgeron] de haut niveau peut probablement en faire. Mais ce n’est pas une technologie révolutionnaire.

J’aimerai savoir comment faire de l’acier de Damas. Il y a procédé de Bessemer bien sûr, mais cela demande de nouveau un technologie datant de la révolution industrielle.

Une imprimerie ? Ce monde a encore des livres écrit à la main mais…

Deux raisons pour lesquelles je ne peux pas donner ça au Gnoll. Non, trois. Premièrement, je ne sais pas comment faire une imprimerie. Avec des vis, bien sûr, en adaptant a partir d’un pressoir…. Mais bon sang, il va me falloir des mois pour trouver comment en créer une. Deuxièmement, le coût en ressource et espace est de nouveau difficile à utiliser pour les Gnolls, et troisièmement…

Tu ne peux pas recopier des livres magiques avec une imprimerie. C’est évident. J’ai vu les sorts et ils existent en trois dimensions, pas que sur le papier. Ma théorie est qu’il est impossible d’en recopier avec une imprimante, donc cela rend l’une des plus grandes révolutions de notre monde inutile aux Gnolls.

Ils avaient besoin de quelque chose d’immédiatement utile, mais plus j’y pense, moins j’ai de bonnes idées. A part des armes, que je ne donnerais à personne.

« Merde. »

Je mets la tête entre mes mains en restant assis. Puis j’entend quelqu’un délicatement racler sa gorge.

« Tu sembles être dans un état de détresse. Puis-je demander quel est ton problème ? »

Je le regarde. Je ne dois faire confiance à personne.

« Je vais bien, merci. »

Klbkch s’arrête.

« Est-ce que cela est en lien avec la dette que Lyonette du Marquin envers les Gnolls ? »

C’est quoi ce bordel ? Klbkch ne fait que me regarder. Mon rythme cardiaque s’accélère, mais mon visage reste de marbre.

« Comment est-ce que tu sais ça ? »

« Les Antiniums sont en courant de ce qui arrive à Liscor. »

« .. Étais-tu en train d’écouter la conversation d’hier ? »

L’Antinium secoue la tête.

« Non, mais le nombre de sujet de conversion nécessitant ce type de discussion est limitée. Et cette affaire entre les Gnolls, Erin et Lyonette est une urgence. »

« Pour vous ? Pourquoi les Antiniums devraient se soucier de ça. »

« Erin Solstice est… Importante pour la Colonie. Et pour moi. »

Quelle étrange chose venant d’un Antinium. Je regarde Klbkch.

« Qu’est-ce que tu veux ? »

Ses yeux à multiples facettes sont concentrés sur moi.

« Je souhaite te parler, Ryoka Griffin. Cela fait plusieurs temps que j’aimerai te parler. Mes observations de ton comportement me laissent croire que je peux te faire confiance. »

Il… Avait attendu ? Pour me parler ? Il m’observait ? Je suis naturellement paranoïde, mais cette situation fait sonner toutes les alarmes instinctives. Je hausse les épaules avec méfiance.

« Je suis libre. De… Quoi est-ce que tu veux parler ? »

« J’aimerais parler franchement, Ryoka Griffin. Tu es méfiante ; cela est compréhensible. Mais je ne souhaite pas te causer des problèmes, à toi ou à Erin. J’aimerai vous venir en aide, et j’espère que tu pourras me voir en tant qu’alliée, et non en tant qu’ennemi. »

Je… Merde. Ca sort de nulle part. Je pensais que j’étais déjà en eaux trouble, mais cela me prend vraiment par surprise. Je cherche une réponse. Pour le tester.

« Est-ce que tu essayes de dire que nous sommes du même côté ? »

Klbkch penche légèrement sa tête.

« Est-ce qu’il y a des côtés, Ryoka Griffin ? Les Antiniums ne sont pas tes ennemis. »

« Je ne suis pas d’accord. »

« Tout comme moi. Car si les Antiniums étaient tes ennemis, Ryoka Griffin, tu serais déjà morte. Tu n’as pas d’importance pour la Colonie ou ma Reine. Erin Solstice est un outil à utiliser. Et tant que cela reste le cas, toutes les interactions envers elle et toi sont sous ma responsabilité. »

Je m’arrête. Klbkch parle soigneusement, et si je lis entre les lignes…

« Tu offres de l’aide. Pourquoi ? »

« Car Erin Solstice doit survivre. Elle doit vivre pour aider les Antiniums. Et tu essayes de la protéger car vous venez du même monde. »

Il sait. Mon cœur s’arrête pendant une seconde. Il sait.

Je regarde autour de moi, mais l’auberge est vide. Où est-ce que tout le monde est passé ? Et pourquoi est-ce qu’il fait jour ?

Klbkch ne dit rien. Il me regarde. Il m’observe. Il veut savoir comment je vais réagir.

Est-ce que je peux le battre ? Il a deux épées et des classes. Donc… Non. Ma main droite est toujours blessée et je n’ai pas d’armes.

« J’aimerai que cette discussion reste civile. Tu n’as rien craindre, je ne vais pas te blesser, ni Erin. C’est la dernière chose que je souhaite. »

Merde. Mais au moins je ne vais pas mourir aussitôt. J’essaye de maîtriser le volume de ma voix en répondant. Concentre-toi. C’est… Les Antiniums sont aussi terribles que Magnolia. S’ils le savaient…

« Pourquoi perdre du temps en politesse ? Est-ce que tu es en train d’essayer de nous convaincre d’être dans le même camp pour qu’on puisse aider ta Colonie ? »

Le regard de Klbkch ne faiblit pas.

« Erin aidera ma Colonie tant qu’elle est en vie. Mais pour répondre à ta question : ma Reine n’est pas au courant du fait qu’Erin et toi venez d’un autre monde, Ryoka Griffin. Si elle l’était, vous seriez rapidement capturé et interroger. »

Je frissonne. Mais, attend une seconde. Klbkch est en train de dire… Qu’il est en train de mentir à sa Reine ? Pour nous ? Non, pour Erin ?

« Tu n’es supposé être le bras droit des Reines Antiniums, ou quelque chose du genre ? Je pensais que les Prognugators étaient loyaux. »

« Je le suis. Mais la loyauté prend de nombreuses formes, et je commence à remettre en question la direction que sont en train de prendre les Antiniums. Je crois que vous laisser en vie est préférable à votre mort. Non… Je sais que c’est le cas. »

Mon dieu. Est-ce que c’est… Le théorème d’Erin ? Elle a créé des individus Antiniums, mais affecté l’allégeance d’un Prognugator ? Où est-ce que c’est quelque chose qu’était déjà en train d’arriver ? Je lève ma chope pour boire quelque chose. Mes mains sont en train de trembler. Klbkch hocha la tête, voyant ma réaction.

« Je n’ai pas informé Erin à cause des dangers. »

« Mais tu me le dis ? Pourquoi ? »

« Car tu sais garder un secret. Laisse-moi être clair, Ryoka Griffin. Ton statut en tant que voyageuse entre les mondes n’a pas d’importance pour moi. Si ma Reine était au courant, elle vous interrogerait sans merci. Mais seule Erin Solstice est importante. Elle est celle avec de la valeur. »

« Les Individus Antiniums. »

« Exactement. »

Klbkch hoche la tête.

« Erin Solstice ne doit pas mourir. Elle doit vivre, et aidé ma Reine à changer les Antiniums de l’intérieur. »

« Mais… Tu veux nous aider. L’aider. »

« Je t’aiderai au mieux de mes capacités et t’informerai des dangers que tu ignores. Je relèverai les secrets de ma Colonie. J’utiliserai mon autorité sur les Soldats et les Ouvriers pour défendre cette auberge et ses habitants si nécessaire. Je mentirai même à ma Reine pour toi. »

« Car Erin est importante. »

« Elle est notre salut, Ryoka Griffin. »

« Pourquoi ne pas lui avoir dit ? Pourquoi ne pas lui avoir offert de lui dire… Tout ça ? »

Klbkch semble inconfortable pour la première fois. Il s’arrête et fait délicatement claqué ses mandibules.

« J’ai considéré cette option, mais il est clair qu’Erin Solstice est incapable de garder un secret. Tout ce que je lui dis serait inévitablement répété à tous. Tu es plus subtile. »

Donc il ne pouvait pas faire confiance à Erin car elle était incapable de se taire, mais il me fait confiance ?

Ou est-ce vraiment le cas ? Est-ce que cela n’est pas une ruse ? Est-ce que je dois le tester ? Ah, comme si j’avais le choix. Il est un Prognugator Antinium ou… Revalantor, ou qu’importe ce qu’il est maintenant, offrant de me parler de sa Colonie. Je ne peux pas lui tourner le dos.

Respire, Ryoka, et plonge. Je ne sais pas ou descendent ces eaux troubles, mais si c’est le cas… Je regarde Klbkch.

« D’accord. Dis-moi ce que tu sais. À propos des Gnolls et de leur dette, par exemple. Tu as dit que tu savais quelque chose ? »

Il hoche la tête.

« Les Gnolls de Liscor sont menés par Krshia Shilverfang. Ils sont arrivés il y a presque une décennie pour supposément faciliter le commerce, mais leur véritable motif est d’acquérir des informations ou des objets de valeur pour améliorer la situation de leur tribu. La réunion décennale des tribus Gnolles implique d’apporter un cadeau partager avec tous les Gnolls, et la tribu des Crocs d’Argents espérant gagner quelque chose de valeur pour améliorer leur condition et leur influence à cet événement. »

Bordel de merde. Je regarde Klbkch.

« Tu comptais me le dire depuis le début, pas vrai ? Tu voulais me le dire. »

Il s’arrête ?

« Mon but est de garder Erin Solstice en vie. Il est logique que je t’informe de tous les dangers la menaçant, et la situation des Gnolls a été étudié de près par ma Colonie. »

« D’accord, d’accord, continue. »

J’écoute avec attention alors que Klbkch continue.

« Sous l’influence de Krshia, les Gnolls commencèrent à rassembler leurs profits et à acheter des tomes magiques dans toutes les boutiques qu’ils ont trouvé. Ils ont rassemblé de nombreux livres de sort, la majorité contenant des sorts allant du 1er au 3ème Échelon, dans l’espoir qu’ils allaient pouvoir les offrir comme cadeaux pour les autres tribus. »

Des Gnolls apprenant de la magie ? Je n’avais jamais entendu parler d’un [Mage] Gnoll, que des [Shamans]. Mais… Attends, je crois qu’Erin avait mentionné le fait qu’il y avait une querelle entre les Gnolls et Wistram ?

« Donc les Gnolls veulent entraîner leur propre [Mage]. »

« C’est correct. Les livres de sorts étaient cachés dans le magasin de Krshia Shilverfang, pour éviter d’être trouvées et, je suspecte, pouvoir être transporté avec facilité. Il y a quelques semaines, Krshia Shilverfang à envoyé un message à sa tribu demandant des guerriers pour les transporter hors de la ville. Je pense que les gardes arrivaient aussi pour protéger Erin Solstice, que les Gnolls avaient identifié comme ayant de la valeur. Cependant, Scruta l’Omnisciente à tué le premier groupe envoyé. »

Les Gnolls sur la route. Je m’en souviens.

« Le prochain groupe est arrivé trop tard. Les livres avaient été détruits lorsque Lyonette du Marquin a détruit le magasin de Krshia Shilverfang en utilisant un puissant artéfact magique qui a passé les protections normales installées pour protéger les livres. »

« … Merde. »

C’est encore pire que ce que je pensais. Klbkch hocha la tête.

« C’est une malheureuse situation, mais sans cadeau pour les tribus Gnolles, les Crocs d’Argents perdront beaucoup de leur réputation. »

« Et c’est pour ça que la dette vaut cinquante mille pièces d’or, pas vrai ? »

« Une considérable comme a été dépensé pour accumuler les livres de sorts sur plusieurs années. Je crois que les Gnolls ignoraient les dangers qu’un tel sort pouvait poser à de tels livres.« Une considérable comme a été dépensé pour accumuler les livres de sorts sur plusieurs années. »

Je ferme les yeux.

« Bordel. »

« Je suppose que tu as accepté la responsabilité de cette dette avec Erin Solstice. Elle sait ce qu’il s’est passé, mais pas le coût, mais elle sera incapable de résoudre ce problème seul. »

« Et je suppose que les Antiniums ne vont pas aider ? »

Klbkch secoue la tête.

« Erin Solstice est certainement importante à la Colonie, mais ma Reine n’autorisera jamais une telle dépense pour une seule personne. Elle ne comprend pas l’importance d’Erin. Pour l’instant. »

« Et elle est très importante. Tu penses différemment de ta Reine. Est-ce que tu te rebelles contre elle ? »

« Non. »

Le mot est sec et rapide. Klbkch me regarde et je suis aussitôt consciente qu’il est armé et que je ne le suis pas. Puis il semble se relaxer, et j’arrive aussi à le faire.

« Je ne trahirai jamais ma Colonie, ou ma Reine. Mais je crois qu’elle peut faire des erreurs. L’une d’entre elle est de refuser de faire confiance aux autres. Ma colonie, Ma Reine, nous avons besoin d’alliés pour changer les Antiniums. »

« Changer les Antiniums ? Comment ? »

Klbkch hésite, avant de lever un doigt.

« Permet moi de vérifier si nous sommes vraiment seuls. »

Je me tourne sur ma chaise, mais c’est stupide. Klbkch est clairement en train de faire quelque chose. Il lève les yeux après une minute et hocha la tête.

« L’auberge est vide, et il n’y a personne d’autre à plus de deux cents mètres autour de nous. J’ai confirmé que les [Assassins] et [Scouts] envoyé par Magnolia Reinhart sont caché plusieurs kilomètres à l’est de notre position et ne possède pas d’artefact ou de sort d’écoute. Selys Shivertail est avec Mrsha à Liscor… »

Attends une seconde, qu’est-ce qu’il vient de dire ?

« Quoi ? Avec Mrsha ? Ou es Erin ? »

« Elle est en train d’explorer les terres sauvages avec Toren et Lyonette. Je crois qu’elle t’a prévenu de ce fait. »

Je… Me souviens vaguement de quelque chose comme ça ? J’étais en train de penser aux Gnolls et je me souviens qu’Erin avait dit quelque chose. Je devrais plus faire attention à ce qui m’entoure.

… Est-ce que Klbkch est resté assis pendant tout ce temps ? En me regardant ? Puis je réalise autre chose. Je m’arrête et regarde longuement Klbkch.

« Tu… Sais où elles sont ? Erin et Selys ? N’importe quand ? Est-ce que tu les fais suivre ? »

Je ne peux pas croire que les Soldats et Ouvriers sont doués pour se cacher. À moins que… Est-ce que la Colonie est autant étalée sous terre ? Klbkch secoua la tête.

« Nous n’avons pas besoin de scouts sur le terrain. Une espèce spécialisée d’Antinium développé dans notre Colonie est capable d’écouter tous les mouvements et sons sur de très longues distances. Ils sont capables de surveiller des individus, avec des ordres et du temps. »

‘Il y a d’autres types d’Antiniums différent des Soldats et Ouvriers.’

« Vous avez plus que les Soldats et Ouvriers ? »

« Ils sont connus sous le nom de Tympans. Notre Colonie en comporte quelques-uns. Leur existence n’est pas un secret, ils furent dévoilés lors de la Seconde Guerre Antinium avec d’autres types. Cependant, seuls les Soldats et les Ouvriers peuvent rentrer dans l’enceinte de Liscor. »

« Pourquoi cela ? »

« Car ma Reine est la plus basse hiérarchiquement parmi les six Reines sous la Grande Reine. Son travail est expérimental, tout comme ses idéaux. Et elle est donc limité d’utiliser le plein potentiel de la Colonie, lui refusant certaines ressources et équipement. »

Une lutte de pouvoir entre les Antiniums ? Impossible. Cela voulait dire…

« Est-ce que les Reines sont en compétition ? Est-ce qu’il y a des rivalités ? Est-ce que les Colonies s’affrontent. »

Klbkch secoua la tête.

« La compétition est strictement basée sur les réussites. Les Reines et les Antiniums ont le même objectif, mais les points de vue diffèrent entre les Reines sur la meilleure manière d’atteindre cet objectif. »

Comme avoir plusieurs PDG travaillant dans le même but. Je hoche lentement la tête.

« Et tu veux que ta Reine réussisse. »

« Je crois en sa mission. »

« Qui est de créer des Individus Antiniums capables de gagner des niveaux, ce qui rendra les Antiniums plus forts. »

Et plus meurtrier. Qui pourraient renverser le continent. Klbkch hoche simplement la tête.

« Bien vu. Ma confiance n’est pas mal placée. »

« Mais si Erin t’aide, nous mourrons tous. Nous rendons les Antiniums plus forts, et vous nous tuez tous à la fin. »

Klbkch secoue la tête.

« Ma Reine est la seule à chercher des alliés et à forger des relations. Mais elle-même est… Limitée dans sa vision. Elle traite les autres espèces comme des pions. J’aimerais qu’elle les voie comme des gens. »

Donc la Reine de Liscor est plus progressive que les autres Reines, et son Prognugator l’est encore plus qu’elle. Je pense que je comprends.

« Tu penses que tu peux faire changer ta Reine d’avis. Mais dans tous les cas, elle doit avoir plus d’influence. »

« Exactement. Et la preuve de ses efforts se trouvent dans les Individus Antiniums. »

« Ce qui fait qu’Erin est essentielle. »

« Cela est correct. »

Mon cœur bat la chamade. Je dois me calmer en buvant plus d’eau avant de pouvoir parler de nouveau.

« D’accord. D’accord, disons que tout cela est la vérité. Qu’est-ce qui se passe si ta Reine fait ses preuves ? Elle a des Antiniums spéciaux ? »

« Elle gagnera accès aux… Ressources pour créer les Antiniums qu’elle désire. »

« Donc les autres Colonies ont déjà accès à ces Antiniums spéciaux. »

Ceux qui ont tué le General Sserys lors de la première guerre Antinium. Klbkch hocha la tête.

« La Reine de chaque Colonie à la possibilité de créer leur propre type d’Antinium unique. La Grande Reine garde précieusement les secrets de la Colonie, mais à part elle, chaque Reine garde jalousement son type unique d’Antinium et les méthodes pour améliorer notre espèce. »

La journée était remplie de révélation qui changeait la donne.

« Donc ce que tu es en train de me dire est que les Antiniums ne sont pas unis. Ou plutôt, qu’il y a une lutte de pouvoir dans les Colonies pour savoir comment les Antiniums doivent évoluer ? »

Klbkch me regarde.

« Si une Reine, ou autres Prognugators, apprend que l’un d’entre-nous à partager cette information, nous mourrons tous les deux. »

Un moment de silence. Je lis ce qui n’est pas dit.

« Est-ce que cela veut dire que tu veux que j’en parle à quelqu’un ? Lady Magnolia ? »

« Je préférerais que ma Reine gagne en puissance. Cela fait longtemps qu’elle travaille sans la permission de créer son propre type ou de dévié des Soldats et Ouvriers normaux. »

« Car elle est une renégate ? Car elle est en disgrâce ? »

« Car elle veut créer des Individus, oui. »

« Qu’est-ce qui se passe si elle succède ? Ou plutôt, si Erin succède ? Est-ce qu’elle a besoin de le prouver aux autres Reines ? »

Klbkch est droit dans son siège. Il bouge à peine, silencieux. Il est un autre type de personne, plus comme un robot qu’une véritable personne. Oui, un robot. Un fait de chitine plutôt que de métal. Un homme de fer blanc, un homme insecte. Avec un cœur.

« Une délégation d’Antinium arrivera sous peu. Ils verront si Pion et les autres Individus sont véritablement des Individus. Puis les Reines débattront et la Grande Reine décidera de ce qu’il faut faire avec cette information. »

« Et ensuite ? »

Klbkch haussa les épaules.

« Cela changera tout. Ou cela ne changera rien. La Grande Reine décidera si les Individus rendront les Antiniums plus fort et nous déciderons alors de la suite. »

« Et pourquoi les Antiniums doivent être forts ? Pour conquérir le continent ? »

« Si nécessaire. »

La réponse est glaciale et me coupe dans mon élan. Klbkch me regarde et secoue la tête.

« La Grande Reine est plus ouverte à continuer la paix pour l’instant, du moins jusqu’à ce qu’elle soit certaine que la victoire n’affaiblira pas les Antiniums. Cependant, je crois que je peux convaincre ma Reine de parler contre ce genre d’action. Ce continent n’est pas ce que les Antiniums recherchent. Nous avons besoin de force pour reprendre nos terres natales. »

« Vos terres natales ? Quelqu’un vous a chassé ? »

Mon dieu, le livre… J’ai besoin de lire la seconde partie. Ce qu’il est en train de dire change tout. Klbkch hoche la tête.

« C’est pour cela que nous avons fui Rhir. Et c’est pour cela que nous continuons de construire nos forces. Nous sommes partis, car nous étions en train de perdre, Ryoka Griffin. Et maintenant que nous sommes partis, l’ennemi sortira bientôt une nouvelle fois de terre. Ce Royaume Maudit est fort, mais il n’est pas prêt. »

« Pas prêt pour quoi ? »

« Nous devons devenir plus forts. Je dois devenir plus fort. »

Klbkch me regarde. Je suis paralysé. Pendant un instant, il semble plus grand que la vie. Ancien. Je suis comme l’insecte à ses yeux.

« C’est pour cela que tu dois m’aider. Pourquoi je sais qu’Erin et toi devez être protégées. Les Antiniums doivent changer. Ou les Antiniums disparaîtrons de la surface de la terre. »

« Qu’est. Ce. Qu’il. S’est. Passé ? »

Klbkch s’arrête. Il regarda sa chope. Puis il me regarde.

« Les Guerres Antiniums ? Ce que les Drakéides, Humains et Gnolls redoutent ? Ce ne sont que des contrecoups. De la poussière. La véritable tragédie est arrivée en mer quand nous avons perdu notre peuple. Même maintenant, nous ne sommes qu’une fraction de ce que nous étions. »

Je prends une grande inspiration. Mon cœur. Je peux entendre mon cœur et sa voix. Rien d’autre.

« Si c’est le cas, pourquoi avoir fui ? Qu’est-ce qui était si terrifiant que vous avez duit fuir plutôt que combattre ? »

Klbkch s’arrête. Il est assis en silence dans l’auberge d’Erin, mais ses yeux révèlent ce qu’il est. Il y a quelque chose d’intemporel, proche du regard de Ceria. Ou de Teriarch. Ne regarde pas Klbkch en voyant un insecte. Regarde le pour ce qu’il est. Une créature datant de plusieurs siècles. Un ancien héros des Antiniums, peut-être. Quelque chose d’ancien. Et ce n’est qu’à ce moment que je réalise à quel point ce qu’il dit est terrifiant.

Les Antiniums. Des créatures qui sont des centaines de milliers. Voir des millions. Pourquoi est-ce qu’ils ont fui Rhir ? Qu’est-ce qui a pu les faire fuir ?

La voix de Klbkch est la seule chose dans le monde. Douce. Et pourtant les mots qu’il prononce sont si bruyants que je peux les sentir faire trembler mon âme.

« Nous avons fui un Dieu, Ryoka Griffin. Il y a un Dieu enterré en Rhir. Et il essaye de se réveiller. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 17 février 2021 à 10:44:34
2.41
Partie 2
Traduit par Maroti

C’est… C’est presque drôle. J’ai envie de vomir, de hurler, de poser mille et une question. Mais cette situation avec les Gnolls et la dette de cinquante mille pièces d’or ? Ce n’est pas un problème maintenant.

« De nouveau, je regrette de ne pas pouvoir directement vous aidez avec la dette des Gnolls. Mais je suis d’accord dans le fait que leur aide serait précieuse pour toi et Erin Solstice. Les Gnolls possèdent un degré de connaissance et de compétences que les Antiniums ne possèdent pas, et ils sont des fidèles alliés envers ceux qui les ont aidés. »

Klblkch et moi sommes en train de parler dans l’auberge d’Erin. Calmement. Il est calme. Je… Enfin, j’essaye de me calmer.

J’ai… un peu péter les plombs après la révélation à propos du Dieu. Un tout petit* pétage de plomb. Mais maintenant nous somme tous calme. Klbkch est en train de ma parler du futur, et franchement, je pense que je vais l’écouter.

*C’était quelque chose. Je crois que je suis devenu hystérique, pour la première fois de ma vie.


Les Antiniums. Je n’en avais pas la moindre idée, étrangement, ce qu’il m’a dit est plein d’espoir. Certes, il y a cinq autres Reines qui voulaient tuer les autres espèces, mais il y a des désagréments chez les Antiniums. Un espoir pour le changement et la paix. Mais est-ce que je partage cette information. Est-ce que j’aide Klbkch ou je protège Erin ?

« Puis-je demander comment tu vas effacer cette dette ? »

Je cligne des yeux, et me reconcentre sur la conversation. J’ai besoin de réfléchir. Je ne peux pas me permettre d’être inutile, pas maintenant. Il y a trop en jeu, même si je dois le dire, la dette des Gnolls ? C’est du vent.

« Je ne suis pas encore certaine. Je suis en train de réfléchir à mes options, mais je n’ai rien qui puisse vraiment aider les Gnolls pour l’instant. »

« D’après ce que tu m’as dit, il y a de nombreuses technologies utiles provenant de ton monde, mais peu sont celle que tu peux reproduire. Ma Colonie pourrait aider dans la collecte de ressources, mais les Antiniums ne travaillent pas le métal, du moins, la majorité des Colonies ne le font pas. »

« Une Colonie le fait ? »

« Je le crois. »

Il y a des secrets entre les Colonies ? Hum. C’est plus une rivalité et non une compétition. C’est bon à savoir.

« Ouais, je ne pas faire grand-chose pour l’instant. Bordel, je connais toutes sortes de technologies utiles et de technique de métallurgie, de constructions, et les avancées en médecine… Mais il faut quelque chose d’existant pour le faire. Le titane, par exemple, est un métal plus solide que l’acier, mais il est impossible de le forger sans… Bon sang, je suppose qu’un sort du 6eme Échelon pourrait faire quelque chose… »

« Ce qui n’est pas pratique pour les Gnolls. »

« Ouais. Et des choses comme les mathématiques… Cela changerait le monde, mais ce n’est pas immédiatement utile. »

« En effet. »

Je soupire.

« Putain. Je pense que ça doit être un artefact. Magique. Je vais devoir demander à Lady Magnolia ou… Teriarch. »

J’ai dit beaucoup de chose à Klbkch. Pas tout, mais une grosse partie de ce que j’ai dit et fait. Et ce que je sais. L’Antinium hoche la tête.

« Un choix dangereux. Ces deux individus sont très puissants et il y a beaucoup à perdre en approchant l’un deux. Malgré les capacités de Teriarch, je te conseille d’approcher Magnolia Reinhart avec la même prudence. »

Une autre surprise. Non, je ne devrais pas être surprise, pas vrai ?

« Tu le connais ? Teriarch ? »

« Nous savons qu’il est un Dragon. Il a incinéré deux armées que nous avons envoyées contre lui lors de la Seconde Guerre Antinium. C’était une erreur de l’attaquer. J’étais contre, mais les Reines n’ont pas écouté. »

Trouve le livre. Lit le livre. À moins que cela soit une partie de l’histoire que personne ne connaît. Ouais, je pense que les gens sauraient si un Dragon serait sur le continent. Un autre secret à garder.

« Si tu arrives à le convaincre de se séparer d’un de ses trésors… Oui. Cela satisferait sûrement les Gnolls. »

« Si. Un conseil ? »

« Ne l’attaque pas. »

« Merci. »

Je regarde Klbkch. Il est calmement assis dans son siège, m’observant. Si seulement je pouvais lire son expression pour savoir à quoi il pensait. Est-ce qu’il était vraiment aussi calme ? Il doit être nerveux. Mais le fait est le suivant : je suis incapable de lire le visage des insectes.

« Je suis surpris que tu ne veux pas que je te dise comment faire les armes de mon monde. Même si je ne te le dirais pas. »

« Malgré l’avantage que cela apporterait, je crois que cela serait l’inverse de mon objectif. De nouvelles armes ne feraient que pousser ma Reine à abandonner son actuel plan et d’utiliser ses armes pour commencer la troisième guerre. Je ne souhaite pas voir un tel bain de sang arrivé. Je… Ne souhaite pas voir les habitants de Liscor mourir. »

Un homme de fer blanc avec un cœur. Une partie de moi à envie de le serrer dans mes bras. L’autre veut s’asseoir dans un coin et me balancer en avant et en arrière pendant quelques heures.

« Donc. C’est quoi le plan ? »

Klbkch penche la tête.

« Je te confie des informations, des ressources, et de la protection. Tu dois aider Erin Solstice à ta manière. Et si tu as un moyen d’aider la Colonie… »

« Oui. Je comprends. »

Je me lève. Je commence à faire les cent pas. Je dois bouger.

« Mais il y a encore tellement de questions que je veux poser. Toutes les choses que les Antiniums savent… »

« Je partagerai ce qui est nécessaire. Mais certains secrets ne doivent pas être dévoilés. Si tu es capturé pour être torturé ou charmé… »

« D’accord. D’accord. »

Ce n’est pas un idiot. Je regarde Klbkch. Non, ce n’est pas du tout un idiot. Il est un Prognugator, l’un des Généraux Antinium. Il est probablement plus intelligent que moi. Mais qu’est-ce que je peux demander.

« Si tu ne peux pas me donner quelque chose pour les Gnolls, nous pouvons échanger des informations. »

« Exactement. Je crois que cela possède aussi une grande valeur. »

Il n’a pas tort. J’ouvre les bras.

« Est-ce que tu souhaites savoir quelque chose sur mon monde ? »

« Beaucoup de choses m’intrigue. Mais si je peux me permettre… Plus tôt dans la journée, Erin a mentionné le fait que notre système de gain de niveau est similaire que celui de votre monde ? »

« Ah. »

Je grimace. Erin et sa grande bouche. Comment est-ce que je peux lui expliquer ?

« Nous… Ne gagnons pas de niveau dans notre monde. Pas du tout. Nous devenons meilleurs avec de l’entraînement, mais nous ne gagnons pas de niveau. »

« Pas du tout ? Erin a mentionné un jeu qui contredit ce fait. ‘Diablo’. »

Je suis complètement perturbé par le fait qu’un Antinium commence à parler d’un jeu de mon monde. Je secoue la tête.

« C’est… Ce n’est qu’un jeu vidéo. Quelque chose que les gens jouent pour s’amuser, comme les échecs. Ce n’est pas… »

J’hésite. Comment le dire.

« Il y a des parallèles avec ce monde. Erin et moi l’avons remarqué. La manière avec laquelle ce monde opère avec les gens gagnant des niveaux… C’est parallèle au jeu. Mais beaucoup de choses sont différentes. »

« Je vois. Mais les mécaniques sont proches ? »

« C’est ça. Je connais le jeu… »

Bordel, j’avais vécu pour Diablo III pendant un temps. J’étais addicte jusqu’à ce que mes parents me fassent quitter le jeu.

« … Mais je ne pourrais pas le comparer à ce monde. Je ne sais pas comment le système de classe marche, ou comment gagner des niveaux. »

« C’est aussi considéré un élément mystique de notre monde. La majorité des gens comprennent les mécaniques, mais il y n’y a pas de consensus sur la raison derrière notre gain de niveau. »

Vraiment ? Je fronce les sourcils.

« Est-ce que tu peux m’expliquer certaines choses ? De ta perspective, enfin, du point de vue d’un natif. »

Klbkch hocha la tête. Il tape un doigt sur son bras plusieurs fois, un bruit sec, un cliquètement. Puis il parle.

« Gagner des niveaux est un moyen de devenir plus fort. Nous gagnons des classes en nous intéressant à certaines activités. Nous gagnons plus de niveaux dans une classe en poursuivant cette activité. Cependant, gagner des niveaux devient exponentiellement plus difficile avec le temps. »

Je hoche la tête. Ça je l’avais compris.

« La plupart des gens atteindront le Niveau 20 dans une classe durant leur vie. Quelques-uns peuvent atteindre le Niveau 30. Une poignée dans chaque village ; quelques douzaines dans une ville. Peu atteindront le Niveau 40 ; ceux qui le font sont considéré célèbre dans leur milieu. Ce qui dépasse le Niveau 50 sont généralement connu dans le monde entier. »

Ce sont encore des choses que je connais, mais le fait que Klbkch le dise est pratique.

« Est-ce que quelqu’un à déjà atteint in… Niveau maximum ? Le Niveau 100, par exemple ? »

Klbkch semble froncer les sourcils. Il n’a pas de sourcils mais, est-ce que c’est mon imagination ? C’est comme ça que je l’interprète.

« Je ne connais pas d’individu ayant approché le niveau 100. Les légendes parlent d’individus avec des niveaux supérieurs à 80 voir 90, mais pourquoi est-ce qu’il y aurait une limite au 100ème niveau ? »

« Parce que… »

Je m’arrête. Parce que c’est un nombre rond ? Non ; il y a une autre raison.

« Attends. C’est un concept de mon monde. De là ou je viens… Les jeux vidéo ont généralement une limite de niveau. Niveau 100 ou 99 est généralement cette limite. »

Diablo III n’avait pas ce système. La limite était au Niveau 70 avec les niveaux Paragon, mais il semblerait que le Niveau 100 soit ce qui s’en rapproche le plus. Klbkch secoue la tête.

« C’est étrange, mais très intriguant. Je n’ai jamais connu d’individu avec un niveau aussi élevé. La plupart devienne trop vieux pour dépasser le Niveau 60 dans la majorité des cas. »

« Attends. Vieux ? Qu’est-ce que l’âge à voir avec les niveaux ? »

Je fronce les sourcils. Est-ce que le gain de niveau est… Limité par l’âge ? Cela me perturbe.

« L’âge est un facteur connu dans le gain de niveau. Ceux qui vieillissent gagnent des niveaux plus lentement, indépendamment du niveau de leur classe. »

« Cela ne ressemble pas aux jeux auquel j’ai joué. Est-ce que tu es certain que cela arrive ? »

Klbkch hocha la tête.

« Je suis un exemple de cette occurrence. J’ai… Décliné dans mes capacités pendant ma longue vie. J’ai perdu des niveaux, ce qui est une occurrence qui n’arrive que chez les Antiniums. »

« Tu as perdus des niveaux ? Parce que tu es mort, c’est ça ? »

« Correct. Durant la Première et Seconde guerre Antinium, et encore avant, j’ai de nombreuse fois fait l’expérience de la mort. Je suis capable de ressusciter grâce à ma Reine, mais je perds dix niveaux dans mes classes chaque fois que cela se produit. »

Cela ressemble à une mécanique de jeux vidéo. Revenir à la vie en perdant des niveaux ? Je gratte la table avec mon ongle.

« Tu es en train de me dire que tu as plus de mal à gagner des niveaux car tu es… Vieux ? »

Klbkch hoche de nouveau la tête. Il semble hésiter, puis il parle.

« Ceci est une information secrète. Pour l’instant, je suis un [Pourfendeur] de Niveau 21, un [Commandant] de Niveau 18, un [Diplomate] de Niveau 11 et un [Assassin] de Niveau 14. Mais a mon apogée, j’étais un [Pourfendeur] de Niveau 44 et un [Assassin] de Niveau 26. »

Ma mâchoire se décroche. En ajoutant tous ses niveaux, Klbkch a déjà eut plus de soixante-dix niveaux ! N’est-ce pas l’équivalent d’un héros de légende ? No… Un Aventurier Légendaire est autour du Niveau 40. Il était encore plus fort ? Attend, une seconde, si tu rajoutes les niveaux qu’il possède maintenant…

« C’est… Incroyable. »

Klbkch hocha la tête. Ce n’est pas de l’arrogance.

« Mes compétences sont pratiques. Cependant, tu remarqueras que je suis actuellement bien plus faible que ce que j’étais. Récemment, j’ai des difficultés à récupérer les niveaux que j’ai perdu, et il est de plus en plus difficile de gagner des niveaux dans la classe de [Pourfendeur]. »

« D’accord, mais tu as toujours plus de soixante niveaux au total, pas vrai ? »

« Correct. Mais cela n’est que cumulatif. Comme je l’ai dit, je gagne plus lentement des niveaux due à mon âge avancé. Je suis vieux, et c’est un fait établi que les individus vieillissants gagnent des niveaux plus lentement. »

Attends, je n’arrive pas à comprendre ce que Klbkch est en train de me dire. Je tape la table en parlant.

« Qu’en est-il de tes niveaux cumulatifs ? Je veux dire, tu étais au Niveau 70 auparavant, et maintenant tu es au Niveau 64. Est-ce que ça n’expliquerait pas pourquoi tu gagnes des niveaux plus lentement. »

Klbkch s’arrête. J’ai de nouveau l’impression qu’il fronce les sourcils.

« Pourquoi est-ce que mes niveaux cumulés affecteraient ma progression ? »

« Parce que tu t’approches du cap du centième niveau. S’il existe dans ce monde. Écoute, dans un jeu vidéo gagné des niveaux demandent plus d’expérience avec chaque niveau. Et si c’était la même chose dans ce monde ? Mais le coût est aussi basé sur la totalité de tes niveaux, et non pas que sur les niveaux d’une seule classe. »

Est-ce qu’ils ne le savent pas dans ce monde ? Est-ce que cela explique les niveaux bas ? Mon dieu, c’est peut-être le cas. L’Antinium me regarde de manière septique.

« Cette conclusion demande un nombre de suppositions que ne peut pas être vérifié. Je ne suis pas certain que ta croyance envers une limite de niveau soit correcte. De plus, pourquoi est-ce que toutes les classes compteraient dans ce total ? »

« Alors pourquoi l’âge compterait ? »

Je lui pose aussitôt la question. D’accord, c’est une vieille astuce de débat, mais j’ai l’impression d’être sur quelque chose.

« Le problème que j’entend est que tout ton monde assume que tu ralentis avec l’âge en gagnant des niveaux. Mais est-ce que le cas ne serait pas que les plus vieilles personnes ont juste plusieurs classes ? »

L’Antinium reste silencieux pendant un long moment.

« La plupart des individus ne dépasse pas le Niveau 20 pour commencer. Peut atteigne un niveau cumulatif dépassant la barre des cinquante, même avec d’autres classes. »

« C’est parce que c’est de plus en plus difficile de gagner des niveaux ! Et les gens pensent que c’est l’âge, mais… D’accord, imaginons que tu es un [Boucher] de Niveau 20 et que tu as dix niveaux dans… Je ne sais pas, [Danseur]. Cela veut dire que le système te comptera comme au Niveau 30 quand il faut monter de niveau, te ralentissant. Et cela veut aussi dire que les aventuriers, les généraux… Tout le monde est en train de ralentir sa progression et son niveau maximum en prenant des classes inutiles ! »

Je pointe Klbkch du doigt. Mon cœur bat la chamade sous le coup de l’excitation.

« Tu ne gagnes plus de niveaux parce que tu as des classes inutiles. Tu étais plus fort lorsque tu étais plus jeune parce que tu n’avais que deux classes, et que tu te concentrais sur l’une en particulier. Réfléchit Klbkch. Est-ce que tu peux nommer un autre individu avec peu de classe ? »

Il reste silencieux pendant un long moment, puis il lève la tête.

« La première Grande Reine. Elle… Elle était au Niveau 76. Elle était une [Matriarche Supreme], une classe spéciale gagnée en progressant dans sa classe de [Reine] pendant des siècles. Elle… Elle était extraordinaire parmi notre peuple parce qu’elle continuait de gagner des niveaux même dans ses plus vieilles années.

« Mon dieu. »

J’ai tellement de questions. Mais je dois continuer.

« D’accord. Alors, bordel, nous avons besoin de plus d’information. Est-ce que tu sais si ta Grande Reine avait arrêté de gagner des niveaux ? Ou si elle continuait de gagner des niveaux ? Est-ce qu’elle avait d’autres classes ? »

Klbkch s’arrête. Il baisse la tête et il semble… Souffrir ? Comme si les souvenirs lui faisaient mal.

« Elle était concentrée. Elle ne voulait qu’une seule classe, et rien d’autre. Elle était tellement dédiée à nous mener qu’elle… Oui ; elle n’avait qu’une seule classe, même si je peux à peine m’en souvenir. »

« C’est pour cela qu’elle avait un niveau aussi élevé. Le gain de niveau se complique de manière exponentielle, bien sûr, mais la seule raison pour laquelle elle a atteint ce niveau est parce qu’elle avait qu’une seule classe. »

Je pense que je suis en train de sourire. Je n’ai pas de niveau, je n’en aurais peut-être jamais, mais nous avons trouvé quelque chose qui changeait la donne. Cette information, est-ce que je pourrais la donner aux Gnolls ? Attends, ce n’est pas si pratique à moins d’avoir des gens qui ont un niveau élevé, mais… C’est quand même quelque chose de gros.

Klkbch se lève soudainement. Je sursaute, même s’il ne me regarde pas. Il regarda par la fenêtre.

« Je… Dois le confirmer. Cette information, si elle est vraie, change beaucoup de choses. Cela n’était pas découvert… »

« Je suppose que c’est parce peu de gens montent aussi haut. Et quelqu’un avec un niveau assez élevé peut réaliser qu’il approche de son cap de niveau. De plus, cela pourrait être un soft cap ? »

« Un softcap ? »

« C’est une autre idée des jeux de mon monde. Cela veut dire qu’il n’y a pas de véritable arrêt après un certain point, le Niveau 100 par exemple, mais qu’il est incommode de continuer après. Disons qu’il y a un softcap au Niveau 100. Cela veut dire que tu peux quand même continuer à gagner des niveaux, mais il sera encore plus difficile de continuer. »

Klbkch commence à faire les cent tours, tout comme moi. Je le regarde bouger, il est clair qu’il est agité.

« Cela rajoute de la crédence à ta théorie. Une fois un certain âge atteint, gagner un niveau devient une raison de célébrer. »

« Est-ce qu’il y a un moyen de vérifier cette information ? De la prouver ? »

« Ma situation est unique due à ma nature, et je n’ai pas accès aux informations des autres Prognugators et Reines. »

« Pourquoi ne pas demander aux locaux, alors ? Tu as dit que Selys était à Liscor. »

Il hocha la tête.

« Elle est dans le parc avec Mrsha. »

« Le parc ? Est-ce qu’on peut lui parler ? »

« Partons tout de suite. »

***

Je cligne des yeux en regardant le paysage enneigé après que Klbkch m’est ouvert la porte. La neige m’arrive aux genoux dehors.

« Qu’est-ce qui s’est passé ici ? »

L’Antinium marche avec moi, se déplaçant à travers la neige alors que je ferme la porte de l’auberge d’Erin.

« Je crois que les effets de l’alcool sur les Fées de Givres a causé cette augmentation du niveau de la neige durant la nuit. »

« Erin, je jure sur dieu que si tu continues comme ça… »

« J’apprécierais que tu n’utilises pas cette expression. »

J’hésite, et regarde Klbkch.

« Oh, c’est vrai. »

Les dieux sont réels. Quand je repense à ça… Cela me fait presque oublier la révélation sur le gain de niveau. Je n’arrive pas encore a croire que personne dans ce monde n’a réalisé qu’il y avait un niveau max. Mais si la majorité des gens n’atteignent jamais ce niveau, et que le peu qui y arrive pense que c’est lié à l’âge…

« Qu’est-ce que tu peux me dire sur ce Dieu ? »

« Très peu. Seulement ce que mon peuple fait. Et je préférerai ne pas en parler dans tous les cas. »

« Pourquoi ? »

Klbkch me regarde.

« Car évoquer son existence lui donne du pouvoir. »

American Gods. De Neil Gaiman. Ou, en alternative, Les Petits Dieux, de Terry Pratchett. Je réfléchis à cent à l’heure. Je… Je ferme ma bouche et marche avec Klbkch dans la neige, pensif.

Nous atteignons les portes de Liscor en quelques minutes malgré la forte neige. Les gardes reconnaissent Klbkch et l’appellent. Il fait signe de la main, et nous continuons. Klbkch m’amène dans les rues de Liscor, et j’observe la ville.

Difficile de croire que cette ville il y a quelques semaines. Cet endroit n’est pas New York, mais ce n’est pas une petite ville. La ville donne l’impression… D’être grande. Habitée. Liscor est plus grand que Celum ou Esthelm, malgré le fait qu’elle soit encerclée par quatre de ces massifs murs*.


*De sacrée fortifications. Apparemment toutes les villes Drakéides ont ces gigantesques murs, même si ceux de Liscor sont derrière ceux des fameuses Villes Emmurées. Si les portes n’avaient pas été gardées ouvertes lors de l’attaque des morts-vivants… Je ne pense pas qu’un millier d’entre eux auraient pu passer les murs. Même avec des armes de siège. Des armes de sièges zombies… ? Un géant ?


C’est soit parce que Klbkch est Antinium ou un Garde Senior, probablement les deux, mais Klbkch et moi marchons dans l’espace laissé par la foule qui se sépare devant nous, même dans les rues les plus occupées. Et c’est une surprise de voir que tous les regards qu’il reçoit ne sont pas hostiles. Certains Drakéides et Gnolls lui font un hochement de la tête, et Klbkch échange des salutations avec des gens qu’il connaît de nom. Je suis plutôt celle qui reçoit des regards noirs.

L’Antinium s’engouffre dans une autre rue.

« Où est-ce que nous allons ? »

« Dans une aire de jeu, je crois. Dans un parc. Selys y a amené Mrsha. »

Les rues s’ouvrent et je me retrouve à regarder le plus étrange des paysages. Au centre de la ville se trouve… Un parc. Un grand parc, en plus, pour une ville entourée de mur. Et il y a une aire de jeux occupant une partie.

« C’est quoi ce bordel ? »

C’est une aire de jeu. Et il y a des… Arbres. Et de l’herbe, poussant à côté des pavés pour former le parfait périmètre circulaire du parc. C’est normal. Ouais, un parc, des arbres dans une ville avec des murs. Je peux le voir.

Mais l’aire de jeu attire mon regard. Car elle n’est pas comme une aire de jeu Humaine. Les aires de jeu Humaines ne sont pas aussi cools.

C’est… un Jungle Gym. Au du moins ça l’avait été. Mais un architecte fou avait regardé les plans et décider de construire une aire de jeu qui donnerait des arrêts cardiaques aux parents anxieux.

De longs tunnels de bois polis connectés à des tours montant en spirale comme un château miniature. Des barres d’exercices se trouvant à six mètres du sol, au-dessus d’un sol nécessitant de grimper une longue corde pour l’atteindre. Même alors que je regarde, des chiots Gnolls glissent le long d’un toboggan d’environ neuf mètres, laissant tomber les enfants dans une longue descente en spirale ;

La construction de bois et de pierre fait quatre étages de hauteurs. Il y a des pièces différentes avec des fenêtres en verre pour occuper les enfants et les faire jouer dans des murs d’escalades qui rendrait jaloux les gymnases de mon monde, il y avait même un grand pont de corde pour se balancer juste au-dessus de ma tête.

Je sais que je suis bouche bée. Je regarde la tour géante et je veux la grimper. Mais alors que l’enfant en moi rêve de me balancer et de sauter là-haut, la partie pratique de mon esprit se demande ce qui se passe si quelqu’un tombe ? Il y a tellement de moyens de trébucher, ce foutu pont de corde à des trous ! Une chute de cette hauteur est mortelle même sur de l’herbe.

Et alors que je suis entre d’imaginer ce scénario, un gamin glisse. Je vois un enfant Drakéide perdre l’équilibre et tomber sur le côté. J’ouvre la bouche et je me jette en avant, mais je sais que je serais trop lent, je le sais.

Mais alors, le corps du jeune Drakéide s’arrête en tombant dans l’air. Je regarde avec incrédibilité alors que l’air autour de lui semble se figer, et sa chute ralentie. Il se pose doucement au sol en riant.

Je le regarde, et j’entends des rires. Certains Drakéides rient en me voyant, pas le gamin. Je suppose que je dois tirer une tête hilarante.

« Ne sois pas alarmé, s’il te plait. Les sorts magiques de cette zone ont été lancés par un mage de Wistram et sont vérifiés chaque année. »

Klbkch me rejoint alors que je le regarde. Il hocha la tête en regardant l’aire de jeu et les Drakéides et Gnolls marchant et appréciant ce bout de nature au centre de la ville.

« C’est une coûteuse construction, mais une pour laquelle le conseil à dévouée des fonds au nom du bien-être de la population. J’ai entendu dire que les Villes Emmurées ont des constructions similaires, mais avec un plus grand degré d’enchantements magiques. »

« Pourquoi est-ce que vous avez besoin de quelque chose comme ça ? »

Je pointe l’aire du jeu du doigt. L’un des parents Drakéides me lance un regard noir, et je ferme ma bouche.

« Les résidents ont besoin d’un endroit ou se relaxer et s’amuser quand ils sont confinés dans l’enceinte de la ville à cause de l’unique géographie de Liscor lors du printemps. »

« D’accord, j’ai lut à ce sujet. Mais… Heu. C’est comme dans mon monde. Nous avons des parcs dans nos villes. Mais… pas aussi proche des autres bâtiments. »

« Vraiment ? Cela est intéressant. Ah, voilà Selys. »

Klbkch pointe une Drakéide familière et un tas de fourrure blanche. Mrsha est en train de se balancer sur une barre bien trop haut pour que je sois confortable, riant avec d’autres enfants Gnolls. Deux groupes de parents regardent leurs enfants joués avec Mrsha sans crainte, je vois les parents Gnolls regarder sa fourrure, mais ne pas faire de commentaire.

« Ryoka ! Klbkch ? »

Selys nous salue tous les deux, légèrement surprise.

« Est-ce que vous êtes venus pour savoir si Mrsha va bien ? Je vous ai dit que j’allais l’occuper pour la journée. A moins… Qu’Erin est terminé son exploration ? »

« Non, pas encore. En réalité, Selys, nous aimerions te parler. »

« Me parler ? »

Selys me regarde, surprise, et je hoche la tête.

« Est-ce qu’on peut s’asseoir quelque part ? »

« Oh, bien sûr. Il y a des bancs là-bas. Mrsha ? On va par-là ? »

Bien au-dessus de nous, Mrsha retire une main de la barre et nous fait coucou de la patte. Elle a l’air tellement heureuse là-haut, comme tous les autres gamins, immergée dans l’aventure d’une vie. Comme tous les autres Gnolls… À l’exception de sa fourrure.

Je la laisse derrière moi et m’assoie avec Selys et Klbkch. C’est une froide journée, mais au moins, il y a un peu de soleil derrière les nuages. C’est drôle, mais j’ai l’impression qu’il fait plus chaud dans le parc. C’est surement tous les enfants qui courent… Ou un enchantement sur le parc ? Ou peut-être que c’est juste mon imagination.

« Donc, qu’est-ce que je peux faire pour vous aider ? »

Klbkch me regarde. Je suppose qu’il veut que je lui explique. Tout cela a du sens pour moi, mais pour les natifs de ce monde, je suppose que c’est comme trouver que la terre est ronde, ou… Ou que la terre tourne autour du soleil.

Bordel, je ne m’attendais pas à être Galileo en me réveillant ce matin.

J’explique lentement ma théorie à Selys. Elle me regarde avec une incrédulité grandissante jusqu’à ce qu’elle s’esclaffe lorsque j’arrive à la partie cumulative des niveaux.

« Quoi ? Tu es sérieuse, Ryoka ? Les niveaux ne marchent pas comme ça ? Tout le monde sait que c’est l’âge qui ralentit les niveaux… C’est parce que nous manquons d’énergie, pas à cause d’une limite bizarre ! »

Elle agite une griffe dans ma direction, toujours en train de rire. Je fronce les sourcils.

« Comment est-ce que tu le sais ? Qu’est-ce qui fait que tu en es certaine ? »

« Je le sais parce que… Écoute, ce n’est pas parce que les gens ne montent pas de niveaux quand ils sont vieux qu’il existe une limite ! »

Selys fait la moue, avant de s’illuminer.

« Prends exemple sur le vieux Peslas. Il est un [Aubergiste], comme Erin. Tu as entendu parler de lui ? »

Cela me rappelle quelque chose.

« Il est le gérant de l’autre auberge, c’est ça ? Celle où les aventuriers de rang Or restent ? »

« C’est ça. Il est au-dessus du Niveau 30 dans sa classe d’[Aubergiste], donc son auberge est l’une des meilleures de la ville. Mais il n’a pas arrêté de gagner des niveaux car il ne le peut plus ! Il est juste vieux, et il ne travaille plus autant. »

« Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »

Selys lève ses yeux au ciel et enroula sa queue autour d’une des jambes du banc.

« Tout le monde ne peut pas se donner à fond jusqu’à obtenir un niveau élevé, Ryoka. Certaines personnes décident qu’elles sont à un bon niveau et s’arrête. Par exemple, Peslas a une bonne auberge et beaucoup de clients, mais il ne travaille pas tant que ça. Et il est vieux. Donc il gagne un niveau toutes les poignées d’années. Il a gagné un niveau il y a six ans et il a fait une grande fête. Ma grand-mère et moi étions invités. »

« Mais il a peut-être gagné des niveaux plus lentement à cause de son cumul de niveau, non pas parce qu’il se la coule douce et qu’il est vieux. »

« Oui, mais… Enfin, il n’a pas tellement de niveaux dans ses autres classes. »

Selys semble incertaine et je secoue la tête.

« Mais chaque niveau compte, Selys, tu vois ? Quelqu’un qui n’a qu’une seule classe comme Erin peut gagner rapidement des niveaux. Elle m’a dit qu’elle avait quelques niveaux en tant que [Chanteuse] et [Guerrière], mais combien est-ce que tu en as ? Combien Peslas en a ? »

Maintenant la [Réceptionniste] est en train de froncer les sourcils. Elle murmure quelque chose alors que Klbkch et moi regardons Mrsha courir avec les autres enfants.

« Eh bien… Je sais qu’il se vantait, il parle beaucoup de sa classe, je sais qu’il a dit qu’il était un [Guerrier] étant plus jeune. Il est Niveau 16 grâce à son service dans l’armée, donc c’est là. Il a aussi des niveaux en tant que [Cuistot] et [Barman] car il a dû le faire avant de devenir aubergiste… Mais cela n’est pas beaucoup. Juste quelques niveaux. »

« Est-ce qu’il a d’autres classes ? »

« Oh ! Je me souviens ! Il a aussi quelques niveaux en [Chanteur] et [Danseur] ! Il était tellement heureux… Il a une Compétence qui lui permet de chanter… »

Le visage de Selys devient pale. Je hoche la tête, tout comme Klbkch.

« Un ou deux niveaux ici et là. Dans ce monde, ce n’est pas tellement. En vérité, les gens aiment gagner des niveaux, pas vrai ? »

« C’est tellement pratique. Et nous avons des Compétences même pour un ou deux niveaux. »

Selys murmure les mots. Je hoche la tête.

« Mais cela te ralentit. Cela retire du niveau maximum que tu peux obtenir. Cela te ralentit, mais personne ne le réalise car tout le monde pense que c’est dû à l’âge. »

« Et peu de gens ont le désir d’atteindre les plus hauts niveaux dans tous les cas. Donc personne ne remarque le problème. Dans tous les cas pourquoi est-ce que quelqu’un considérerait qu’il y a une limite artificielle. »

Seulement une personne venant d’un autre monde dirait cela, et c’est parce que les anciens jeux comme Pokemon avaient mis des limites dans le code de leurs jeux pour éviter de dépasser le niveau 100. Pourquoi est-ce qu’un système dans ce monde aurait ce genre de limite ? Cela n’aurait du sens que si quelqu’un avait créer le système…

Klbkch me regarde. Mon cœur bat la chamade. Je hoche la tête.

Selys secoue plusieurs fois la tête, comme confuse.

« C’est une grosse information. C’est… Tu te rends compte de ce que cela veut dire si c’est la vrai ? »

« Cela touchera tout le monde à petite échelle, et peu de gens à grande échelle. »

Klbkch prononce doucement les mots alors que Mrsha mordille la queue d’un Drakéide, obtenant un cri de la part de l’enfant et de ses parents. Je considère ce qu’il dit.

Pour beaucoup, cette information ne sera pas très facile. Pas sans l’ambition de monter plus vite. Mais peut-être que cela permettra à tous le monde d’atteindre le Niveau 30, plutôt que de perdre leurs premiers niveaux dans des classes inutiles. Cela mènera à une spécialisation, mais plus important, cela permettra aux gens avec un niveau déjà élevé de devenir encore plus fort.

« Cette information pourrait changer le monde. »

Je regarde Klbkch. Il me regarde.

« Cinquante mille pièces d’or ? »

« Possible. »

« De quoi est-ce que vous parlez ? »

Selys nous regarde. Elle tremble. Son monde doit être en train de s’effondrer. Je me sens un peu coupable, mais cette information l’aidera.

Klbkch hocha la tête. Deux fois.

« Ce qui Ryoka est exactement ce que je suis en train de vivre. Je craignais que s’était dut à mon âge, ou au fait que je devenu plus faible, mais je ne gagne plus de niveau dans ma classe principale parce que j’ai trop de classes secondaires. Cela peut être l’âge, mais la théorie de Ryoka est tout aussi plausible, voir crédible en considérant… Certains facteurs. Je pense qu’elle est correcte. »

« Par les dieux morts.

Selys laisse échapper les mots comme une prière, sauf que personne ne prie dans ce monde dans les dieux sont morts. Sauf qu’il y en a un.

Klbkch hoche la tête une dernière fois. Il est comme booblehead flippant.

« Je dois confirmer cela. C’est une information que ma Colonie sera capable de vérifier avec nos données. Données sur des guerriers, des personnes d’importance, des classes inhabituelles, et ainsi de suite. Je vais vérifier plusieurs centaines d’individus pour voir si les résultats concordent avec ta théorie. Ryoka Griffin. Si cela est correct, le secret que tu as découvert pourra avoir une valeur inestimable. »

Je hoche la tête. Mon cœur bat la chamade. Quelque chose qui pourrait changer le monde. Klbkch regarde Selys.

« Ce savoir ne doit pas se propager avant d’être confirmé, et même après cela, devra rester discret. Pour l’instant. Sommes-nous d’accord ? »

Selys hoche vigoureusement la tête.

« Bouche cousue. Complètement. »

Mais son visage s’effondre.

« Ah ! Mais j’ai tellement de classes ! Je pensais… Tout le monde a quelques niveaux dans une ou deux classes mais personne ne se fiche de ça ! Personne… Est-ce que cela veut dire que je ne vais jamais atteindre un haut niveau ? »

Son visage est en ruine. Klbkch hoche lentement la tête.

« Cela sera aussi… Difficile pour moi. Je dois rectifier la situation si je suis vraiment incapable d’atteindre mon ancienne puissance. »

Je regarde Klbkch. Il est le seul qui peut perdre des niveaux, mais s’il suggère ce qu’il est en train de suggérer…

« Pour l’instant, ne monte pas de niveau si tu ne le veux pas. Tu peux refuser de gagner un niveau ou prendre une classe. »

Selys secoue sa tête, distraire.

« Je n’ai jamais compris pour cela était possible. Je pensais qu’il fallait être fou pour refuser de prendre un niveau ou de gagner une classe. »

Je hoche la tête. Ce n’est pas quelque chose que les gens comprendraient s’ils ne comprenaient pas le jeu. Est-ce un piège pour les gens de ce monde ? Une erreur ? Est-ce que quelqu’un connaît ce secret ? Certaines personnes doivent le connaître, mais ils le cacheraient car cela est trop important, pas vrai ?

« Je pense… Ouais, je pense que si mes suspicions sont vraies, c’est la raison exacte pour laquelle tu peux refuser de gagner un niveau. »

Un système basé sur un jeu, mais personne ne connaît les règles. J’ai des frissons. Mon dieu. L’un est encore vivant.

Nous restons silencieux après ça. Selys et Klbkch se regardent alors qu’elle murmure quelque chose à propos des classes alors qu’il… Parcourt les informations de sa Colonie. Je ne sais pas comment il le fait. Est-ce que c’est entreposé quelque part, ou est-ce que les Antiniums portent tous des informations.

Je ne demande pas pour l’instant. Mais après une trentaine de minutes Klbkch se tourne vers l’un des murs.

« Quelque chose est en train de se passer. »

Des gens, des Drakéides et des Gnolls, et même quelques Humains, sont en train de pointer une direction du doigt. Je regarde Selys et Klbkch.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

« Je ne sais pas. Vous voulez aller voir ? »

Klbkch et moi nous lançons un regard. Nous pensons à la même chose sans le dire à voix haute. S’il y a une foule ou quelque chose qui attire l’attention, il y a probablement une personne… Une certaine fille qui en est à l’origine.

Des gens se rassemblent à la porte sud, et j’entends des gens s’exclamer et rire. Klbkch, Selys et moi marchons à travers la foule. Selys tiens Mrsha pour que la petite Gnolle ne se perdre pas dans la foule. Nous nous approchons des murs sud, assez proche pour entendre les rires et exclamations, mais les gens sont tellement rassemblés autour des portes que nous n’arrivons pas à passer.

« Là-haut. »

Klbkch pointe vers les baraques. Les citoyens n’ont pas assez à cette partie, mais son rôle de Garde Senior lui permet de monter. Et c’est alors que nous le voyons.

« Oh mon dieu. »

Au début, c’est juste une forme étrange marchant dans la neige. Il est possible de voir assez loin depuis les baraques, et c’est comme ça que je vois Erin. Et Toren. Et puis, en plissant les yeux, je le vois.

Les [Gardes] sur les murs sont tellement hilares qu’ils ont du mal à se tenir debout. Je baisse les yeux pour voir Erin et Toren… Traverser la neige. Ouaip. Juste quand je pense qu’elle ne peut pas devenir plus bizarre, Erin fait quelque chose comme ça.

Je regarde Selys. Elle se couvre la bouche en essayant de ne pas rire. Klbkch est en train de regarder. Je pense qu’il est sous le choc.

Quelqu’un doit le dire. Je baisse les yeux vers Erin et secoue la tête.

« C’est la chose la plus stupide que j’ai jamais vu de ma vie. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 21 février 2021 à 22:12:23
2.42 Partie 1
Traduit par Maroti

Elle était une [Princesse]. Elle était de sang royal. Elle était la scion d’un des glorieux royaumes de Terrandria, et elle avait vu plus de choses lors au cours de ses dix-huit années de vie que les roturiers ne pouvaient espérer entrevoir toute leur vie.

Et elle comprenait les gens. Les gens étaient mornes, ennuyeux, et la plupart avaient de petites ambitions et des esprits plus petits encore. Mais Lyonette du Marquin ne pouvait pas comprendre la personne nommée Erin Solstice. Elle était un mystère.

Bien sûr, en regardant Erin, il était simple d’immédiatement remarquer son visage banal. Elle avait, peut-être, une once de beauté ; ses dents étaient droites et elle n’était pas défigurée, mais elle n’était pas une grande beauté digne de la cour.

Et, en effet, sa classe était tout aussi mondaine. Elle était une [Aubergiste]. Mais… Elle n’était pas juste une aubergiste.

Elle jouait aux échecs, le jeu des [Stratégistes] et de la noblesse. Elle le jouait mieux que toutes les personnes que Lyonette avait rencontrées, et rien que cela était inconcevable. Mais plus que ça, elle traitait les races inférieures comme si elles étaient des gens, et elle employé un vicieux, horrible épouvantable squelette mort-vivant comme si ce n’était la plus odieuse des choses !

Et pourtant, et pourtant. Elle était aussi gentille. Lyonette devait l’admettre alors qu’elle déjeuna en mangeant des biscuits et de la purée de patates. Elle trempa un morceau de biscuit fumant dans l’épaisse sauce et la dévora.

Ce n’était pas l’élégante nourriture qu’elle avait savourée chaque soir dans sa demeure. Mais c’était… Un acceptable remplacement. C’était un petit bon point en la faveur d’Erin.

Quelque chose bougea aux pieds de Lyonette et elle baissa les yeux. La jeune Gnolle était assise sous la table, la regardant avant de grands yeux curieux.

Un autre bon point. Au moins, Erin Solstice, malgré ses nombreux défauts, était gentille avec les enfants. Même une enfant Gnolle n’était pas sous mérite.

Et celle-ci…

Lyonette regarda autour d’elle, mais la Drakéide et Solstice était en train de parler, et l’étrange Coursière de ville était en train de discuter avec l’horrible Antinium. Et le squelette était dans la cuisine. Donc Lyonette brisa un peu de son biscuit, le trempa dans la sauce, et le baissa sous la table.

Mrsha mordit immédiatement le biscuit et commença à lécher la main de Lyonette, qui laissa échapper un léger rire silencieux. Elle avait toujours aimé les chiens que le [Maître du Chenil] élevait, et l’enfant Gnolle était bien plus qu’un simple animal. Elle…. Son cœur s’était brisé en entendant son histoire. Non pas pour la tribu Gnoll, bien sûr, ils n’étaient que de terrifiantes bêtes. Mais la pauvre enfant avait eu l’air si triste

Qu’est-ce qu’elle faisait ici ? Lyonette fronça les sourcils et essuya ses doigts avant de continuer à manger. Elle devrait se diriger vers le nord. Lady Magnolia allait sûrement l’héberger, malgré les mensonges d’Erin. De plus…

Et puis, Lyonette allait pouvoir trouver sa véritable voie autre part. Elle pourrait chercher l’aventure, plutôt d’être constamment prise au piège dans la mondanité.

Cependant, elle n’allait pas s’échapper sans affront. L’humiliation qu’elle avait déjà subie était au-delà de l’impardonnable, et pire… Elle avait une autre classe.

[Serveuse]. Niveau 3. Et elle avait gagné une compétence. [Endurance Mineure]. Cela compliquait sa sieste, mais cela lui donnait aussi l’énergie de compléter de finir les nombreuses tâches que Solstice lui imposait.

C’était de loin le pire des affronts. Sa classe royale avait été ruinée par l’addition d’une classe commune. C’était impardonnable, Lyonette avait été souillée. Si son père venait à l’apprendre…

L’estomac de Lyonette se serra. Pourquoi s’inquiétait-elle de son père ? Il ne s’inquiétait pas pour elle, après tout. Les groupes de recherche qu’il avait envoyée n’avait probablement pas dépassé les plages de Terrandria, n’imaginant pas qu’elle aurait le courage de prendre le bateau pour Izril. Et elle avait survécu aux monstres, à la faim, et même à la terrible foule qui l’avait banni de Liscor.

Elle restait dans cette maudite auberge car elle n’avait pas le choix. Mais bientôt, elle allait pouvoir revenir au statut qui lui était dut. Et peut-être qu’elle se vengerait de ce maudit squelette.

Une classe de [Serveuse]. Quelle insulte ! Lyonette fronça les sourcils alors que Mrsha renifla ses pieds et recula. C’était inacceptable ! Elle n’était pas destinée à attendre les commandes des roturiers comme une inutile paysanne !

Mais elle avait gagné des niveaux. C’était un fait. Lyonette regarda son repas, soudainement moins affamé. Cela n’était pas arrivé depuis si longtemps. Elle avait presque oublié ce que cela faisait. C’était agréable.

« Peut-être que… »

Lyonette hésita, et secoua la tête. Non, c’était ridicule. Mais une pensée continua de la déranger alors qu’elle éloigna son assiette. Recevoir des ordres était intolérable, bien sûr. Le fait qu’elle puisse gagner des niveaux dans une autre classe que [Princesse] était intolérable. Mais…

Mais c’était mieux qu’être inutile.

***

« Donc, j’y pensais, j’ai besoin que mon auberge soit plus populaire, tu vois ? »

Erin désigna son auberge d’un mouvement de la main en parlant à Selys. Elle n’essayait pas d’être méchante, elle avait une bonne auberge. Tout avait été bâti par des Antiniums et elle avait même des fenêtres. Même l’auberge de Peslas n’avait pas de fenêtres en verre. Mais… Ce n’était pas suffisant.

« Je veux dire, j’ai la boisson de fleur de fée, mais j’ai besoin de travailler dessus. Je réfléchissais, et je me dis que j’ai besoin d’être truc. »

« D’autre truc ? »

Selys regarda Erin sans comprendre. Erin hocha la tête et essaya de s’expliquer.

« Tu te souviens des mouches acides ? Les Antiniums les adoraient. L’auberge est parfois complète, et je me suis fait plein d’or ! Mais c’est l’hiver, et je n’ai rien de spécial à vendre. Et je n’ai pas autant de clients. De plus, je me suis fait un petit pécule à vendre l’acide des mouches, tu te rappelles ? »

« Ne m’en parle pas. »

« Mais Selys, réfléchit ! C’était tellement pratique, ça a aidé face à Écorcheur et tu peux rapidement faire fondre des morts-vivants avec. Même si ça pue. »

« Et où est-ce que tu veux en venir, Erin ? »

« Eh bien… Je pensais que je pourrais vendre des trucs aux aventuriers. »

Selys regarda Erin avec suspicion.

« Quel genre de trucs ? »

« Tu sais, comme des noyaux. Il m’en reste et ça fait fuir les Crabroches. De plus, je pourrais aussi retrouver de l’écorce explosive pour en vendre. »

« Toren n’a pas explosé ton auberge avec ça ? »

« Ok, peut-être pas d’écorce explosive. Mais je pourrais faire mon affaire, tu sais ! J’ai juste besoin d’explorer. »

Selys regarda par la fenêtre. Les chutes de neige de la nuit dernière s’étaient arrêtées, mais la couche de neige était tellement épaisse qu’il n’y avait pratiquement aucun lieu de repère dans le paysage. Ouvrir les portes de l’auberge avait demandé un sacré effort de la part d’Erin.

« Explorer ? Par ce temps ? Erin… »

« Je vais laisser Toren me guider. En plus, je pense que Mrsha a peur de lui. »

Les deux femmes se tournèrent et virent que Mrsha évitait Toren alors que ce dernier balayait de manière mécanique la salle. Dès qu’il se tournait vers elle, Mrsha se précipitait sous une table en continuant de l’observer avec méfiance.

« Ton squelette me faire peur, Erin. D’accord, s’il est avec toi je suppose que tu peux le laisser combattre les monstres en t’enfuyant. Mais sois prudente, d’accord ? Les Araignées Cuirassées sont toujours en train de faire leurs nids, et [Instinct de Survie] ne protège pas des pièges. »

« Bien sûr, pas de problème. Mais cela veut dire que je vais devoir laisser Mrsha avec Ryoka. »

Erin regarda Ryoka. Elle était toujours en train de regarder son assiette, même si elle avait terminé de manger. Klbkch la regardait, et il semblait que Ryoka était perdu dans ses pensées.

« Est-ce que tu penses que c’est une bonne idée ? »

« Ryoka à tout de même amené Mrsha jusqu’ici. »

« Non, je veux dire, regarde là. »

Selys pointa Mrsha du doigt. La petite Gnolle avait perdu une partie de sa peur envers Toren. Elle s’approcha lentement lorsque le squelette se retourna, et attrapa curieusement sa cheville. Toren se retourna aussitôt, et Mrsha prit la fuite, gémissant de terreur.

« Toren ! Ne lui fais pas peur ! »

Erin prit Mrsha dans ses bras et regarda Selys.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Elle a besoin de se dégourdir, Erin. Elle ne peut pas rester enfermer dans l’auberge toute la journée, et elle à besoin de quelqu’un pour la surveiller, pas… »

Selys hocha la tête vers Ryoka. L’autre fille était toujours immobile. Toren s’approcha d’elle avant d’approcher sa main de son assiette. L’autre fille ne répondit pas, même quand ce dernier passa une main osseuse devant ses yeux.

« Bon. D’accord, qu’est-ce que je devrais faire ? Peut-être que je pourrais la laisser avec Krshia ? »

Mais cela voulait dire qu’elle allait être proche de Brunkr, et Erin n’aimait pas cela.

« Laissez-là moi. »

Selys et Erin se tournèrent. Lyonette venait de se lever. Elle leva son nez de manière dédaigneuse dans leur direction.

« Qu’est-ce qu’il y a, Lyon ? »

Quelque chose passa dans les yeux de la fille, mais ne fit pas de commentaire sur son nom. De plus, Erin préférait Lyon à Lyonette.

« Je m’ennuis. Je surveillerai l’enfant, Mrsha. »

Erin et Selys échangèrent un regard. Erin essaya de s’assurer que son ton était amical.

« C’est… Vraiment sympathique de ta part, Lyonette. Mais, heu, je pense que… Non. »

Lyonette fronça les sourcils.

« Pourquoi pas ? Je suis parfaitement capable de m’occuper d’une enfant. »

Elle regarda à la Drakéide et l’Humaine alors qu’elles échangèrent un regard. Selys toussa dans ses griffes.

« Je peux m’occuper de Mrsha, Erin. J’ai quelques jours de repas, et il y a une aire de jeu en ville. Elle va pouvoir s’amuser avec les autres enfants là-bas. »

« Une aire de jeu ? »

Erin n’avait jamais rien vu de tel, mais elle n’avait pas vraiment cherché à explorer la ville. Selys hocha la tête.

« Elle sera en sécurité avec moi. Et je suis certaine qu’elle aimerait s’amuser, pas vrai, Mrsha ? »

La petite Gnolle leva les yeux vers Selys alors que la Drakéide la gratta derrière les oreilles. Selys haussa les épaules.

« Les enfants Gnolls ont un comportement proche des animaux. Et Mrsha est jeune, je ne m’inquiéterai pas. A cet âge, les enfants Drakéides mordent tout ce qui peut rentrer dans leur bouche. Est-ce que les humains sont différents ? »

Erin repensa au bébé hurlant et autres bambins qui mangeaient des insectes, du sable et du caca. Elle hocha la tête.

« Eh bien… Si cela ne te dérange pas, ça serait super, Selys ! Merci ! Alors Lyonette peut m’aider Toren et moi à rechercher des trucs cools. »

Lyonette fronça les sourcils.

« Qu’est-ce que cela veut dire ? »

« Hey Toren ! »

Erin appela son squelette qui la regarda.

« On sort ! Prends ton épée et occupe-toi de la vaisselle, d’accord ? Lyonette vient avec nous ! »

Le squelette sembla relever la tête lorsqu’Erin mentionna l’épée, mais perdit son enthousiasme en entendant que Lyonette allait venir. Il marcha dans la cuisine alors qu’Erin s’approcha de Ryoka.

« Hey Ryoka, est-ce que ça te convient si Selys s’occupe de Mrsha pour la journée ? »

« Mm. »

Ryoka ne regarda pas Erin. Erin hésita.

« Et, huh, je vais dehors. Avec Lyonette et Toren ? Je pars explorer. »

« Mhm. »

Le visage de l’autre fille ne changea pas. Elle était clairement perdue dans ses pensées, et en train de dormir avec les yeux ouverts. Erin hésita.

« Je l’informerai, Erin Solstice. »

Klbkch hocha la tête depuis son siège et Erin lui fit un sourire.

« Oh, merci Klbkch ! Mais est-ce que tu es certain de vouloir rester ? »

L’Antinium hocha la tête.

« J’aimerais parler avec Ryoka Griffin. Prends soin de toi en explorant, n’hésite pas à fuir. »

Klbkch regarda Erin, elle mit son pouce en l’air avec un sourire.

« A plus tard ! »

***

« C’est humide. Et froid. »

Lyonette se plaignit bruyamment en suivant Erin et Toren à travers la neige. Le squelette était en train de tailler un chemin à travers l’épaisse neige, mais en faisant cela, Erin devait lutter pour continuer d’avancer. La neige était profonde, même pour quelqu’un habitué aux hivers du Michigan.

Erin avait déjà vu de la neige qui allait jusqu’aux genoux, mais elle ne se souvenait pas d’avoir vu de la neige qui allait jusqu’à la taille. Mais dans certaines vallées, la neige s’était tellement accumulé qu’il était impossible d’avancer.

« Pourquoi est-ce qu’on est dehors, déjà ? »

Lyonette se plaignit encore plus fort alors que Toren glissa et tomba la tête la première dans la neige. Erin soupira. Elle regrettait déjà d’avoir pris Lyonette avec elle, mais c’était soit ça, soit la laisser avec Ryoka. Et Ryoka allait probablement lui mettre des coups de pied dans le visage.

Pourquoi est-ce qu’elle n’avait pas laissé Lyonette avec Ryoka ?

« Allez Lyon, ce n’est pas si terrible. »

Le pied d’Erin s’enfonça dans la neige et elle fit des tours de bras pour garder l’équilibre. Lyon la regarda avec dégoût. Mais au lieu de ses habituelles remarques, elle se contenta de croiser les bras.

« Ne te méprends pas ; je suis reconnaissante que tu m’as aidé lorsque j’en avais le plus besoin. Mais je ne suis pas ton esclave que tu peux ordonner pour écouter tes caprices. »

« Je n’ai jamais dit ça. Mais nous sommes tous en train de travailler dans cette auberge, Lyon. Je suis propriétaire, mais j’ai besoin de ton aide. »

« Et en quoi cela aide ton auberge, dit-moi ? »

Lyon fit un geste pour désigner le paysage blanc. Elle regarda Toren alors que le squelette continua d’avancer.

« Il nous faudra une bonne partie de la journée pour aller quelque part. Et qu’est-ce que nous sommes en train de chercher ? »

Erin haussa les épaules.

« Je ne sais pas. Des monstres à chasser ? Des champignons à ramasser ou des trucs rares ? Peut-être qu’il y a une mine quelque part. »

Erin n’avait pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire dans une mine. Et le regard que lui lança Lyonette lui disait qu’elle n’était pas près de trouver des gemmes.

« Toi. Tu souhaites chasser des monstres ? »

« Souhaiter est un bien grand mot. Mais Toren a une épée. Et une armure. »

Erin pointa Toren du doigt. Le squelette s’était arrêté pour regarder les deux filles se disputer. Il était lentement en train de s’enfoncer dans la neige alors que son armure l’alourdissait. Lyonette renifla.

« Je ne fais pas confiance à cette chose. »

« Eh bien… J’ai une poêle à frire. »

Erin la leva pour prouver son point. Lyonette regarda la poêle à frire.

« … Est-ce que quelque chose ne va pas bien dans ta tête ? Comment est-ce qu’une poêle à frire peut tuer des monstres ? »

« Hey ! J’ai tué une tonne de zombie avec une poêle à frire ! Enfin, pas cette poêle parce qu’après la cervelle s’incruste et que c’est impossible à net… »

« Attends, tu as tué un zombie ? Toute seule ? »

« J’avais de l’aide. Il y a eu cette attaque de morts-vivants et j’ai dû tuer quelques zombies. Des Ouvriers Antiniums m’ont aidé, et beaucoup de gens sont morts. Oh, et il y avait aussi cet horrible gros ver de chair qui a attaqué. Et beaucoup de zombies et goules et même ces Seigneurs des Cryptes qui ont essayé de me tuer, donc ouais. »

Erin savait que Lyonette la regardait, bouche bée. Elle racla sa gorge, légèrement embarrassée.

« Dans tous les cas, si ce sont juste des Araignées Cuirassée ou un Crabroche, il n’y a pas de problème. Je peux faire fuir les Crabroches et Toren et moi pouvons tuer des Araignées Cuirassées. »

« Tu peux ? »

« Oui. Il suffit de les frapper et d’éviter leurs crocs. Et jambes. Oh, et il ne faut pas tomber dans leurs nids. »

C’était normal pour Erin. Mais Lyonette la regarda comme si c’était la première fois qu’elle apprenait ce genre de chose. Ce qui, pour être franche, était probablement le cas.

« Mais… Des aventuriers de rang Argent s’occupe des requêtes pour tuer des Araignées Cuirassées ! »

« Ouais ? »

Erin se gratta la tête. Lyon la regarda. Le silence continua jusqu’à ce qu’Erin sente qu’il était temps de bouger.

« D’accord, on doit avancer. Toren, amène-nous à l’endroit où tu as trouvé les champignons ! »

Elle se retourna et commença à suivre Toren, Lyonette les suivit après quelques secondes. »

Un paisible silence dura quelque temps, mais Erin commença à suspecter que Lyonette, même si elle était ennuyeuse, avait raison. Après une demi-heure dans la neige, il n’avait pas fait une centaine de mètres depuis l’auberge.

« D’accord, nouveau plan ! Nous allons en ville ! »

Bien sûr, quand les portes et les gardes les protégeant devinrent visibles, Erin réalisa un autre problème.

« Oh, c’est vrai. Lyonette et toi ne pouvez pas rentrer, Toren. »

Le squelette et la [Princesse] regardèrent Erin. Elle sourit et se gratta l’arrière de la tête.

« Hum. D’accord, Lyonette, tu restes dehors avec Toren. Je reviens bientôt ! »

Lyonette regarda Erin alors que la fille secoua ses bottes et s’avança dans les rues fraîchement nettoyées de Liscor. Puis elle regarda Toren.

Le squelette resta là ou Erin l’avait laissé. Il était en train de regarder la neige. Rien que regarder. Lyonette savait que les traits du squelette ne changeaient jamais, mais elle avait la distincte impression qu’il était vexer. Il tenait fermement son épée.

Elle s’éloigna lentement du squelette et regarda le garde. Le Drakéide en poste regardait en face de lui, l’ennui écrit sur chaque centimètre du son visage et sa queue se balançant lentement. Il jeta un regard à Toren, mais apparemment les gardes savaient qu’il était l’aide mort-vivant d’Erin. Il se gratta lentement le derrière.

Lyonette décida de rester debout là ou elle se trouvait. Après une dizaine de minutes dans la neige froide, elle éternua.

***

« Des raquettes ? »

Krshia regarda Erin sans comprendre. L’Humaine éternua de nouveau et hocha la tête.

« Ouais. Est-ce que tu en as ? »

Krshia frotta son menton. Brunkr était introuvable, et elle avait dit à Erin qu’il était en train de bouder.

« Il n’y a pas tellement à faire dehors, oui ? Les routes, elles sont réchauffées par de la magie et de nombreux pieds. Et la neige est inhabituellement haute. »

« Ouais. Hum. Oups. »

Erin se souvint de plusieurs fées alcoolisées riant en sortant de son auberge. Elle avait l’impression qu’elle avait précipité l’abrupte changement de météo.

Krshia regarda Erin avant de hausser les épaules.

« Je peux peut-être t’en trouver. Mais aucune qui irait à des pieds d’Humain, oui ? Il faudra les modifier. Et il n’y en aura certainement pas qui iront aux pieds de ta… Chose morte-vivante. »

« Oh, j’ai la compétence d’[Artisanat Avancé] et j’ai juste besoin d’une paire pour moi et une autre pour L… Heu, deux paires. Toren peut courir rapidement dans la neige car il ne se fatigue pas. »

Et la neige avait bien moins à contraindre dans son cas. Les squelettes étaient minces.

Krshia hocha la tête.

« Mais tu seras tout de même lente, oui. »

« Oui ? Je veux dire, oui, c’est le problème ? »

Erin fronça les sourcils. Elle voulait se déplacer, au du moins être en mesure de faire un peu d’exploration et de récolter quelques champignons rares comme ceux que Toren avait trouvé. Peut-être qu’elle pouvait les vendre aux fées pour obtenir du véritable or cette fois, ou les utiliser dans un plat. Mais c’était difficile d’explorer en allant aussi lentement.

La [Marchande] Gnolle réfléchit alors qu’elle et Erin se tinrent en face de son magasin. C’était agréable de nouveau pouvoir parler à Krshia. Elle avait toujours de bons conseils à donner à Erin.

Voyons voir. Si les raquettes étaient trop lentes, qu’est-ce qui était plus rapide ?

« Pourquoi pas des skis ? »

« Des skis ? »

Erin essaya d’expliquer. Krshia la regarda sans comprendre.

« Nous avons des raquettes, mais ces… Pièces de bois semblent bien trop fragiles. Les Gnolls ne les utiliseront pas. Peut-être qu’un Drakéide en possède. »

Le ton de sa voix suggérait que seul un Humain serait assez fou pour en utiliser, ou qu’Erin était la seule Humaine assez folle pour s’en servir.

« Eh bien… Zut. Peut-être que je pourrais en faire. Est-ce que je peux avoir un bois ? je veux dire, ça sera difficile car Lyonette ne sait pas skier. Et Toren non plus… C’est dommage qu’on ne puissent pas tous… »

Erin s’arrêta. Elle repensa à ce qu’elle venait de dire et changea de méthode de transport. D’accord, peut-être que skier n’était pas pratique, mais il y avait un autre moyen de voyager dans la neige, pas vrai ?

Une idée germa dans l’esprit d’Erin.

« Dit Krshia, est-ce que tu as un traîneau ? Est-ce que je peux en acheter ? Non, est-ce que je peux en acheter un et beaucoup de bois ? Et des clous ? J’ai un marteau. Ooh, et un cuir, ou peut-être de la corde, est-ce que tu as des cloches ? »

La Gnolle fronça les sourcils.

« Le bois est coûteux en hiver, Erin Solstice. Je ne préférerais pas demander, mais je n’ai pas l’argent pour faire des promesses aux autres marchands. Est-ce que tu es certaine que tu as l’argent ? »

« J’ai de l’or. Beaucoup d’or. »

Erin mit la main à sa bourse et sortit une poignée de pièces d’or. Elle les posa sur le comptoir de Krshia.

Krshia écarquilla les yeux et Erin lui fit un grand sourire.

« J’ai économisé. Et Halrac est généreux sur les pourboires. Donc, à propos de ces clochettes… »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 21 février 2021 à 22:29:53
2.42 Partie 2
Traduit par Maroti

« T-te voilà ! »

Toren leva la tête au son de la voix de Lyonette. L’impatience affûtée et le ressentiment mijotant qui auraient été dans son cœur, s’il en avait eu un, disparurent lors d’un instant quand il vit Erin. Au moins, son idiote de maîtresse allait lui donner un ordre et il allait bientôt être libre.

Mais ses espoirs fuirent réduits en cendres quand il vit ce qu’Erin portait. La fille était en train d’essayer de trainer un traîneau sur lequel était entreposé un gros tas de différents types de bois alors. Elle avait des boites de clous et de vis posées de manière précaire sur le reste du traîneau.

« Hey Lyonette ! Hey Toren ! Désolé je suis en retard ! J’ai pris du temps à tout trouver ! »

Lyon tituba en avant, claquant des dents.

« Je suis gelé. Cela fait presque une heure que tu es parti ! »

« Désolé, désolé. Je suis vraiment désolé. Mais regarde ! Nous avons juste besoin de ramener ça à l’auberge et nous allons pouvoir construire un truc cool avec ! »

« Construire ? Construire quoi ? »

Toren voulait aussi le savoir. Erin était en train de sourire d’une étrange manière, et il n’aimait le sourire qu’elle lui faisait. C’était comme si elle le mesurait, et le sang inexistant du squelette se figea quand il vit les clochettes.

Il voulait courir. Quelque chose dans le regard d’Erin lui donnait envie de courir.

« Hey Toren, vient ici, s’il te plaît. »

***

C’était une journée froide et enneigé à Liscor, et sur le continent d’Izril en général. La neige avait lourdement tombé la nuit dernière, et même les plus déterminés des voyageurs comme les Coursiers de villes et les caravanes allait à une vitesse d’escargot sur la route principale.

Les Fées de Givre considérait cela divertissant. Elles rirent et lancèrent des boules-de-neige sur un Gnoll tirant une luge pleine de marchandise à travers la neige. Oui, la neige ne pouvait pas être évité. Elle était partout, rendant les gens misérables. Les Fées de Givre adoraient ce fait.

Mais soudainement, du mouvement. Depuis leur position en hauteur, les fées virent quelque chose d’étrange tracé sa route à travers les plaines enneigées. Elles descendirent, intriguées par tout ce qui sortait de l’ordinaire. Et alors qu’elles s’approchèrent leurs petites mâchoires se décrochèrent et leurs yeux s’écarquillèrent.

Ils avaient déjà vu des traîneaux auparavant, bien sûr. Les tribus Gnolles les utilisaient pour transporter beaucoup de choses. Mais… C’était différent. Il n’y avait pas de chevaux pour tirer le traîneau monté sur des skis, et en effet, ce drôle d’engin avançait rapidement dans la neige grâce à ce qui le tirait.

Un cheval, aussi rapide qu’il pouvait être, ne pouvait voyager que sur des routes relativement dégagées. Cela était pareil pour des chiens, et même les meilleurs chiens de traîneaux allaient avoir des difficultés de la neige arrivant à la taille. Mais il y avait une créature qui ignorait les températures, qui pouvait sprinter durant des heures sans se fatiguer, et plus important encore, ne pouvait pas désobéir aux ordres.

« Mush, mush ! »

Erin cria joyeusement alors que Toren tira le traîneau qu’elle avait construit. Le long et large véhicule qu’elle avait construit avec l’aide sa compétence d’[Artisanat Avancé] faisait un mètre quatre-vingts et était assez large pour que Lyonette et elle puisse s’asseoir confortablement.

Les skis qu’elle avait montés sur le traîneau lui permettait de voyager rapidement dans la neige, et Toren faisait marcher le tout. Le squelette battait des bras alors qu’il courrait dans la neige, et Erin rit alors que les rênes qu’elle avait installées sur son corps tintèrent et sonnèrent dans l’air froid.

Un harnais de cuir pour son squelette, un traîneau pour Erin et Lyonette… Et il accélérait à travers le paysage enneigé à une respectable vitesse. En vérité, Toren atteignait la même vitesse qu’Erin pouvait atteindre en joggant, mais c’était plaisant, et plus important encore, Erin n’avait pas à se battre contre la neige pour avancer.

Erin donna un coup de rêne et Toren fit de son mieux pour accélérer. Elle regarda Lyonette et vit que la fille avait la même expression que les Fées de Givre au-dessus d’elle. Une sorte de regard ébahi avec les yeux perdus dans le vide.

« C’est super, pas vrai ? »

Lyonette regarda Erin. Ses yeux fixés sur Toren. Le squelette était en train de se battre à travers une autre épaisse couche de neige, sa mâchoire mâchant furieusement alors qu’il tira le traîneau en haut d’une colline.

« Fonce, Toren ! »

Depuis sa position à la tête du traîneau, Erin regarda le paysage ouvert. Voilà, c’est ça qui lui avait manqué. C’était fun. Elle avait soudainement envie de chanter, et c’est ce qu’elle fit. Sa voix portant à des kilomètres.

« Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver ! Qui s’en va, avec un squelette, dans les grands sapins verts ! »

La voix d’Erin fit écho dans le paysage enneigé alors que le vent souffla autour d’elle. Elle pointa du doigt.

« Là-bas ! Par là-bas, Toren ! »

Elle pointa vers une cave au loin. Toren changea de direction, et Erin poussa un cri de joie alors qu’elle sentit le traîneau changer de trajectoire sur la neige.


 « Laisse-nous monter ! Nous demandons de monter ! »


Erin leva les yeux et Lyonette hurla alors que les Fées de Givre s’approchèrent, riant et pointa Toren du doigt. Elles s’installèrent sur les bords du traîneau et, pour une fois, Erin n’était pas dérangé par leur présence.


 « Quelle est cette chanson ? Nous devons chanter nous aussi ! »

« Chante ! Chante pour nous ! »


« D’accord ! Tous en cœur ! »

Les fées poussèrent des cris de joie alors que Lyonette regarda l’une d’entre-elle se poser sur la tête d’Erin. La jeune femme pensa à quelques chansons de noël qu’elle connaissait par cœur, et commença à chanter.

« Tu ferais bien de faire attention, tu ferais bien de ne pas pleurer, tu ferais bien de ne pas bouder, je t'explique pourquoi : le Père Noël arrive en ville. »


 « Ooh, des menaces ! Bien ! »

« Qui est ce Père Noel ? Est-ce qu’il mange les enfants ? »

« Cours plus vite, chose morte ! »


Toren tituba alors qu’une boule-de-neige rebondit à l’arrière de son crâne. Erin regarda les Fées de Givre avec surprise.

« Vous n’avez pas entendu parler du Père Noel ? Santa Claus ? Lyonette ? »

Personne. Et il y avait un peu trop de neige pour expliquer qui était le Père Noel, donc Erin changea de chanson.

« Nous filons sur la neige blanche, car notre squelette, il avance ! À travers les grands sapins verts ! C’est l’hiver, c’est l’hiver, c’est l’hiver ! »

C’était une chanson que les Fées comprenaient. Elles poussèrent des cris de joie et rirent en commençant à chanter avec Erin.


 « C’est l’hiver ! »

« Plus de neige ! Recouvrons les montagnes mes sœurs ! »


« Quoi ? Attendez ! Ne faites pas ça ! »

Erin cria sur les fées alors que d’autres flocons, lourds et épais, commencèrent à tomber d ciel. Les fées la regardèrent, tout comme Lyonette.

« Mais à qui est-ce que tu parles ? »

Erin pointa une Fée du Givre.

« Elle ! »

Lyonette regarda la Fée de Givre, puis Erin avec le regard de quelqu’un qui venait de décider qu’elle partageait un siège avec quelqu’un de fou à lier. Erin se souvint que Lyonette ne pouvait pas voir les fées.

« Ce sont des fées ! Tu ne peux pas le voir, mais… Elles sont de petits êtres bleus ! Elles sont des ailes et me parlent à Ryoka et moi ! Ce sont elles qui font tomber la neige, mais je leur demande d’arrêter ! »

L’autre fille s’éloigna d’Erin, mais la neige avait commencé à tomber et s’était arrêté quand Erin l’avait demandé. Le reste de la sortie en traîneau fut constitué de plus de chansons hivernale, la plupart chantées avec les fées. La seule qu’elle détestait était Rudolph, le Renne au Nez Rouge, parce qu’il pensait qu’il était un monstre.

Alors qu’elles arrivèrent à la cave, Erin bondit hors du traîneau, continuant de discuter avec les fées.

« Ce n’était pas un monstre ! Il avait juste un nez rouge… Qui brillait, c’est tout ! C’était probablement de la magie ! »


 « Bah ! Il était une abomination ! C’est pour cela que les autres rennes ne voulaient pas de lui ! »

« A quel point son nez était lumineux ? Assez lumineux pour illuminer le ciel ? »

« Qui est le Père Noel ? »


« Oh hey, c’est l’une des caves où Toren à trouver tous ces champignons, pas vrai Lyonette ? »

La [Princesse] regarda Erin.

« Hum. Oui ? »

« Bien ! Allons chercher des champignons empoisonnés ! »

Les fées poussèrent des cris de joie et Erin marcha dans la cave. Elle en sortit en courant quelques secondes plus tard.

« Ours ! »

Il y avait un ours qui dormait, mais c’était suffisant pour qu’Erin fasse demi-tour vers le traîneau. Elle pointa Toren du doigt. Le squelette s’était arrêté pour s’asseoir dans la neige, probablement profitant de la pause après avoir tiré le traîneau, et pour savourer le silence maintenant que les clochettes s’était tut.

« Toren, il y a un ours ! Va là-dedans ! »

Le squelette s’illumina aussitôt. Il se dirigea vers son épée, Erin lui avait fait déposer son arme et son armure pour qu’il puisse aller plus vite. Elle fronça les sourcils.

« Ne fais pas de mal à l’ours ! Va juste chercher les champignons ! Et soit silencieux, ne réveille pas l’ours si possible ! »

Erin écouta les fées rirent au-dessus d’elle alors qu’elle et Lyonette s’installèrent dans le traîneau. Lyonette regarda les formes bleues qu’elle identifia comme les dangereux et imprévisibles Fées de Givre et baissa la tête dés que l’une d’entre elle s’approcha.

« Est-ce que nous sommes juste en train de récolter des champignons ? »

« Pour commencer, oui. Nous allons visiter toutes les caves que Toren à trouvé et voir si nous allons trouver quelque chose de cool, d’accord ? »

Lyonette haussa les épaules et renifla. Elle s’essuya le nez, et regarda Toren alors que le squelette sortit de la cave, tenant deux poignées de champignons décolorés.

« Est-ce que nous allons prendre tous les champignons ? Comment est-ce que nous allons faire pour tous les transporter ? »

Erin claqua des doigts.

« Tu as raison ! »

Elle fit signe à Toren.

« Toren ! Va rapidement chercher le reste des champignons, d’accord ? Nous retournons à ‘auberge ! Nous avons besoin de jarres ! De beaucoup de jarres ! Ooh, et je peux nous préparer le déjeuner ! »

Le squelette tressaillit.

***

« Est-ce que ce sont… Des abeilles ? »

La troisième cave qu’Erin et Lyonette trouvèrent après un solide déjeuner était étrange. Erin regarda avec précaution l’entrée de la caverne et regarda les formes bougeant dans les ténèbres.

Lyonette resta en arrière. Erin lui fit signe d’approcher, ce que la fille fit avec réluctance. Elle tenait une balle de lumière, car elle connaissait le sol, même si elle n’avait pas la classe de [Mage].

« Je pense que ce sont des abeilles. Qu’est-ce que tu en penses Lyonette ? »

La fille hésita. Elle eut un mouvement de recul alors que l’une des ombres vola plus proche.

« Ce sont… Ce sont des insectes ! Je ne pensais pas qu’il y en avait en hiver ! Et qu’est-ce que cela peut te faire ? Ils sont horribles ! »

« Ouais, mais est-ce que ce sont des abeilles ou des guêpes ? »

Erin fronça les sourcils en regardant les abeilles. Elle pensait que s’était des abeilles. Elle pouvait vaguement apercevoir quelque chose de duveteux chez elles, et les frelons ne ressemblaient pas ça ça. Ils avaient l’air plus maléfique. Donc. Des abeilles en hiver. C’était certainement quelque chose qu’elle ne pensait pas voir, surtout dans une cave. Mais, elle supposait que les abeilles devaient bien vivre quelque part. Elles ne migraient pas, après tout. Où est-ce qu’elles le faisaient ? Est-ce qu’elles étaient des abeilles hivernales ?

Les trois dernières caves qu’elles avaient visitées avaient été vide sauf pour quelques plantes et champignons. Erin fit gratter la mousse et les fungi à Toren et demanda qu’il les mette dans des jarres. Elle doutait qu’elle allât pouvoir faire quelque chose de la mousse, mais elle se sentait d’humeur scientifique. Et aventurière, ce qui était la raison pour laquelle elle n’avait pas immédiatement pris la fuite en voyant les insectes volants dans la pénombre de la cave.

L’une des fées qui avaient décidé de faire son nid dans le chapeau de laine d’Erin siffla sur les insectes. L’abeille sembla l’entendre et s’approcha. Erin et Lyonette, en voyant la discernant mieux, partirent rapidement en arrière ?

C’était une abeille. Une grosse abeille. En fait, c’était la plus grosse et la plus terrifiante abeille qu’Erin avait vu de sa vie. Elle avait entendu parler des frelons géants japonais qui pouvaient devenir plus gros qu’un doigt humain, mais ces abeilles étaient dans une autre catégorie.

Elles étaient aussi grosse… Non, plus grosse que sa main. L’abeille s’approcha en bourdonnant et Erin vit l’énorme dard et de longues jambes, et la familière carapace noire recouverte de duvet jaune. Elle se figea sur place alors qu’il s’approcha, semblant regarder la Fée de Givre sur la tête d’Erin.

Et elle n’était pas seule. Comme si elles avaient senti les intrus, un essaim d’abeilles vola vers eux. Ils sortaient d’un grand nid qui bloquait une bonne partie de la cave. L’immense ruche clouée aux murs de pierre, et Erin pouvait entendre un bourdonnement s’en échapper.

L’abeille en tête s’approcha de nouveau et Lyon et Erin se figèrent sur place. Toren regarda l’abeille avec curiosité, mais sans la moindre trace de peur. Dans une situation comme celle-ci, Erin considéra que la meilleure chose à faire était de ne pas énerver l’insecte. Le moindre geste brusque pourrait l’énerver, mais heureusement Toren ne semblait pas agressif et Lyonette était paralysé par la peur. Ils pouvaient lentement reculer sans provoquer…


  « Misérable insecte ! Reste à ta place ! Disparait ! »


La Fée de Givre sur la tête d’Erin s’envola et gifla la tête de l’abeille. Du gel se forma là où elle avait touché l’insecte et ce dernier eut un mouvement de recul. Les abeilles s’agitèrent soudainement, et la Fée de Givre vola vers eux en hurlant des insultes.

Erin n’avait pas besoin d’en voir plus. Elle se retourna.

« Courez ! »

Lyonette était déjà partie. Toren regarda Erin fuir la cave en hurlant alors que la Fée de Givre bâta en retraite, continuant d’insulter les abeilles alors qu’elles l’entourèrent. Le squelette marcha tranquillement de la cave ; les abeilles l’ignorant alors qu’ils chassèrent les deux Humaines et l’immortel.

Erin se jeta dans la neige et essaya de s’ensevelir sous la neige alors que Lyonette fit de même. Au-dessus d’elle, elle entendit le reste des fées pousser des cris d’outrages ainsi qu’un horrible et terrifiant bourdonnement.

Après ce qui sembla être une éternité de petites voix et de bourdonnement confus, Erin osa émerger de la neige. Elle trouva plusieurs abeilles mortes gisant dans la neige, toutes gelées, et des fées triomphantes riant et chassant les quelques abeilles dans leur ruche.


 « Prenez ça, bande d’imbécile ! »

« Ne cherchez pas des noises aux fées ! »


Il semblait qu’il y avait un grief entre les deux espèces. Alors qu’Erin les observa, les fées commencèrent à manger l’une des abeilles. Elles la déchirèrent et…

Il était probablement temps de sortir Lyonette de la neige. L’autre fille hurla de nouveau et essaya de creuser plus profondément dans la neige quand Erin la toucha. Son visage était rouge et vif quand elle sortit de la neige.

« Je ne retourne pas là-dedans ! Tu ne peux pas me forcer ! Je refuse ! »

Erin essaya de calmer Lyonette. L’autre fille réussit à reprendre ses esprits, et Erin prit plusieurs grandes inspirations pour se calmer.

« Ouais. Ce sont de terrifiantes abeilles. Et même si les Fées de Givres peuvent les battre… »

 « Sans problème ! »

« Nous ne craignons pas les dards ! »

« Qu’ils amènent leur Reine ! Nous allons la battre en duel ! »


« … Je n’ai vraiment pas envie de me faire piquer. Donc. Toren ! »

Le squelette leva la tête. Il était en train de ramasser les abeilles mortes et de la mettre dans une jarre en verre, un ordre qu’Erin n’était pas sûr d’approuver. Enfin, elle lui aurait probablement dit de le faire, mais les abeilles étaient encore plus terrifiantes une fois ratatinées dans des jarres.

Erin trouva une grosse jarre et la lança sur Toren.

« Va dans le nid et va me chercher du miel ! Et un rayon de miel. Ne fais pas trop de dégât à la ruche et ne fais pas de mal aux abeilles si possible. D’accord ? »

Son squelette lui lança ce qui semblait être un regard affligé avant de hocher la tête et de marcher dans la cave. Erin s’installa sur le traîneau et regarda Lyonette.

« Il ira bien. Je pense. Je veux dire, il est mort et c’est un squelette. Elles ne peuvent pas vraiment lui faire de mal, pas vrai ? »

Lyonette regarda Erin. Elle n’était pas blessée, mais sa respiration était rauque.

« Tu es folle ! Je pensais que tu n'étais simplement pas normale, mais tu es clairement… Folle ! »

« Non, c’est faux. »

Erin était blessée par l’accusation. Lyonette secoua la tête. Erin se tourna de nouveau vers la cave et écouta.

« Wouah. Tu peux les entendre bourdonner d’ici. »

Le bourdonnement venant de la cave avait un véritable vrombissement qui pouvait être ressentit de là ou elles étaient, comme pour une basse. Erin et Lyonette attendirent une autre minute, et puis le bourdonnement changea. Il devint soudainement plus bruyant et il y avait une audible note de menace.

« Oh oh. Je crois que Toren vient d’atteindre la ruche. »

« E-est-ce qu’on devrait se cacher ? »

« Pourquoi ? C’est lui qui récupère le miel. »

Erin se sentait plutôt confiante. Même Winnie l’Ourson ne pouvait pas le faire aussi bien qu’elle et son aide squelettique. Lyon secoua la tête.

« Mais même s’il n’a pas d’arme, qu’est-ce qui se passera si elles sortent et qu’elles nous trouvent ? »

Erin regarda Lyonette. La fille lui rendit son regard.

« On se tire ! »

Dans le traîneau, les Fées de Givre rirent alors que les deux filles bondirent dans la neige et recommencèrent à se recouvrir.

 « Hah ! Imbécile de mortels ! Laissons les choses bourdonnantes venir ! »

« Oui, nous allons geler leurs ailes ! Nous n’allons pas fuir devant des mouches obèses ! »

Elles rirent alors que le bourdonnement se changea en rugissement, et les fées s’arrêtèrent alors que les abeilles sortirent de la cave. Non pas une, ni une centaine ; des milliers d’abeilles se déversèrent de l’entrée, recouvrant quelque chose au centre qui s’agitait et luttait.

Les fées regardèrent les milliers d’abeilles entourant Toren, un essaim tellement gigantesque qu’il commençait à éclipser le soleil. Elles échangèrent un regard et s’engouffrèrent dans la neige avec Erin et Lyonette.

Erin jeta un coup d’œil aux abeilles. Elle ne pouvait pas voir Toren au milieu de l’essaim. Ou est-ce qu’il était ? Est-ce qu’il essayait de revenir au traîneau ? Mais ses yeux s’écarquillèrent quand elle vit où il était.

Son squelette était au centre de l’essaim. Et il n’était pas au sol… Il était en l’air ! Elles étaient en train de le soulever ! Les abeilles colériques levèrent Toren qui lutta, ignorant ses coups, jusqu’à ce qu’il ne soit qu’un point dans le ciel. Puis elles le lâchèrent.

Erin, Lyonette et les fées virent Toren tomber vers le sol. Elles sentirent le bruit qu’il fit en s’écrasant au sol, la neige ne faisant rien pour amortir sa chute. Ils virent ses os s’éparpiller en l’air, et elles se baissèrent toute alors que les abeilles retournèrent dans leur ruche.

Un long moment passa avant que l’une d’entre elles ose de nouveau bouger. Puis, Erin se leva et regarda Toren, ou plutôt les os éparpillés qu’étaient Toren. Ils étaient en train d’essayer de se regrouper dans un radius de quinze mètres.

Elle racla plusieurs fois sa gorge, regardant Lyonette. La fille avait trouvé la jarre de miel que Toren avait extrait, à l’endroit où il l’avait lâché dans la neige. Un massif rayon de miel flottant dans du miel. Un asticot, ou plutôt un bébé abeille en train de s’agiter dans le liquide collant.

Erin regarda l’asticot. Elle regarda autour d’elle, et trouva la tête de Toren. Le squelette la regarda avec un regard chargé de reproche. Les fées regardèrent la larve d’abeille et se léchèrent la babine. Lyonette vomit.

« Hum. Alors, beau boulot tout le monde. On prend cinq minutes de pause, d’accord ? Et est-ce que tout le monde peut chercher les bouts de Toren ? Je crois que sa main est là-bas. »

***

Le retour à travers les plaines de Liscor fut relativement plaisant, à l’exception des abeilles. Une fois que le Toren fut rassemblé et que les fées aient… Mangé… La larve d’abeille, il continua d’avancer et Erin et Lyonette essayèrent de se relaxer et de se réchauffer. Le miel était délicieux et, avec le recul, elles se sentaient bien. Même l’attaque du Golem de Neige ne les dérangea pas tant que ça.

« Aaaaah ! Au secours ! »

Lyonette hurla alors qu’Erin se retrouva soulever du traîneau par un bonhomme de neige qui faisait deux fois sa taille. Erin le frappa plusieurs fois avec sa poêle à frire, mais la neige compactée résistait à ses coups. Le Golem de Neige ouvrit sa mâchoire, et des bâtons faisant office de dent se refermèrent sur le ventre d’Erin.

« Aie ! »

Erin cria de douleur et frappa le Golem dans la tête. Sa morsure ne faisait pas mal, enfin, pas aussi mal que prévu. Ses ‘dents’ étaient juste des branches mortes après tout, donc même si elle commença à saigner et qu’elles percèrent les vêtements d’Erin, elles ne firent pas de véritables blessures.

« T’es méchant ! Toren, aide-moi ! »

Le squelette essaye de se précipiter pour aider Erin, mais deux autres Golems bloquaient son chemin. Ils le frappèrent avec des mains faites de neige, et il essaya de creuser dans leurs corps. Et c’était tout. C’était tout ce qu’ils pouvaient faire.

Erin leva son poing et frappa le Golem dans le visage. Son [Poing du Minotaure] changea la forme du visage du Golem, mais sa main n’était pas la meilleure arme contre un monstre fait de neige.

Ce dont elle avait vraiment besoin était une pelle. Et une fois qu’Erin réalisa cela, elle contenta de creuser la neige pour se libérer de l’emprise du Golem. Toren était trop occupé à découper les deux autres Golems avec son épée, mais Erin n’eut pas trop de problème pour désassembler son Golem. Le seul moment vraiment dangereux fut quand il essaya de l’étouffer dans son corps, mais ce fut quand elle réalisa qu’il avait un cerveau sous la forme d’un amas lisse et blanc de neige. Elle frappa cet amas et la tête du Golem explosa et devint de la poudreuse.

Haletante, Erin remonta sur le traîneau et que Toren mit son pied dans la tête de l’un des Golems de Neige et essaya de le ressortir alors que le second le frappa plusieurs fois avec un caillou. Lyonette offrit une serviette à Erin.

« Merci. »

Erin lança un regard plein de reproche aux Fées de Givre. Elles étaient en train de rire et de faire des paris pour savoir si Toren allait tuer le Golem de Neige avait ou après qu’il ne lui fasse tomber sa tête.

« Vous auriez pu aider, vous savez ? »


 « Bah. Ces boules-de-neige enchantées ne sont pas une menace. »


L’une des feux agita une petite main dédaigneuse vers Erin. Puis elle poussa un cri de joie alors que Toren décapita le dernier Golem avec un coup de son épée. Le squelette le fit de manière théâtrale, il esquiva le Golem qui venait de lui bondir dessus et son corps devint flou. Erin cligna des yeux alors que l’épée trancha la tête du Golem et que le reste de son corps s’écroula.

« Wouah, ça ressemblait à une Compétence, pas vrai Lyonette ? Je me demande comment il a fait ça ? Est-ce que les morts-vivants peuvent gagner des niveaux ? »

La fille trembla et regarda l’abominable bonhomme de neige. Elle regarda Erin.

« Comment est-ce que tu peux être aussi calme ? Ils ont essayé de te tuer ! »

« Ouais mais ils ne sont pas si dangereux. De plus, c’est cool, non ? »

Lyon regarda Erin, Erin lui rendit son regard avec un sourire.

« Certains monstres sont horribles, mais là c’est de la magie. Et nous sommes en pleine aventure, pas vrai ? »

« … Vraiment ? »

« Ouais ! Oh hey, Toren, attend ! »

Toren s’arrêta, son pied levé et prêt à écraser la tête du Golem de Neige. Erin agita ses bras dans sa direction.

« Attends ! Donne-moi une jarre ! »

La neige bien trop pure pour être naturelle constituant la cervelle du Golem de Neige gela les mains d’Erin à travers ses gants alors qu’elle la mit dans une jarre. Mais c’était définitivement magique, donc elle remplie une autre grande jarre de neige. Toren regarda le visage du Golem de Neige alors qu’Erin termina d’extraire le contenu de sa tête.

Erin sourit et leva la lourde jarre. La neige allait peut-être fondre, mais elle allait pouvoir voir si c’était magique. Ou peut-être qu’elle allait le laisser dehors au frais. Est-ce que cela allait recréer un Golem de Neige si elle le laissait dehors ? Comment est-ce qu’ils se formaient ? Est-ce qu’ils mangeaient des gens ? Est-ce qu’ils mangeaient tout court ? Elle souffla sur le verre et retira la condensation avant de regarder la neige brillante à l’intérieur.

« De la neige cervelle de Golem de Neige. »

Erin y réfléchit pendant un instant.

« Beurk. »

***

Ils étaient assez éloignés de l’auberge, plus loin qu’Erin ne s’était jamais aventuré, quand ils trouvèrent le cadavre de Corusdeer. Erin ordonna à Toren de s’arrêter et descendit pour regarder le cadavre découpé gisant dans la neige.

« C’est terrible. Qu’est-ce qui aurait pu faire ça ? »

La biche avait été découpée en morceaux, et il y en avait au moins une dizaine qui avait subi le même sort. Ils salissaient la neige de rouge, mais les dernières chutes de neige avaient recouvert le cadavre d’une fine couche de blanc. Seule la zone autour des bois avait vraiment fondu ; et même alors qu’elle le regardait, elle pouvait voir que les cornes émettaient de la vapeur.

« Quelque chose l’a tué, sans le manger. Qu’est-ce que cela aurait pu être ? Un aventurier ? »

Elle ne pouvait pas s’imaginer Halrac attaquer de pauvres animaux, mais peut-être que la biche l’avait attaqué. Toren détourna le regard alors que Lyonette regarda le cadavre et que les fées débattaient pour savoir si elle avait encore de la place pour de la biche après les abeilles.

Erin s’approche et regarda les bois de la biche. Elle était certaine qu’elle ne pouvait pas utiliser la viande ; elle était peut-être gelée, mais quelque chose aurait pu l’infecter ou… Ou elle avait tout simplement pourri. Elle tendit la main vers les bois et les toucha.

« C’est chaud ! »

Erin se brûla les doigts quand elle retira ses gants pour les toucher. Elle suça son doigt et fit signe à Toren de s’approcher.

« Je veux ces cornes. Hum, trouve quelque chose à enrouler autour où elles vont peut-être mettre feu au traîneau. »

Toren regarda l’une des Corusdeers qu’il avait tuées et donna un coup de pied dans la tête de la biche. Puis il claqua ses mâchoires et s’affaira à séparer les bois du crâne. Il ne voulait pas vraiment que le traîneau prenne feu. À ce point du voyage, il souhaitait simplement tomber par accident dans un nid d’Araignée Cuirassée et que tout le monde meurt.

***

« C’était fun ! »

Erin s’étira alors que Lyonette tituba dans l’auberge avant de s’effondrer près du feu. La fille gémit doucement, alors qu’Erin et Toren portèrent la grosse collection de jarre et les bois chaud de Corusdeer dans l’auberge. Les fées entrèrent à leur tour, riant et de très bonne humeur.

« Où sont Ryoka et Klbkch ? »

L’Humaine et l’Antinium étaient partis. Ryoka devait avoir terminé sa réflexion, et Klbkch devait probablement être de nouveau dans sa Colonie. Et Selys et Mrsha n’étaient pas encore rentrées. Erin regarda son auberge, et soupira légèrement. Il n’y avait personne avec qui partager ses incroyables trouvailles. Elle regarda les jarres que Toren avait mises sur la table.

« Non, pas comme ça Toren. »

Il était de les empiler pour former une pyramide précaire, comme s’il voulait que les jarres se brisent. Erin fronça les sourcils et commença à les ranger de manière plus stable.

« Voyons voir. Qu’est-ce que nous avons ? »

Elle avait plusieurs petites jarres remplie de différents types de champignons. Certains étaient verts, d’autre violets… L’un était un très grand champignon qui lui arrivait au genou avec un chapeau de la taille d’un pneu. Elle avait eu le casser un peu pour le mettre dans la jarre. Et un autre était un petit champignon qui brillait dans le noir. Ils étaient tous prometteurs, s’ils n’étaient pas comestibles.

Elle avait aussi du miel que Toren avait volé, une grosse jarre que Toren devait porter à deux mains, une autre jarre remplie d’abeilles mortes. Et elle avait les bois de Corusdeer et une jarre de neige de Golem de Neige.

Erin se frotta joyeusement les mains. Toren déposa les bois dans un coin et croisa les bras. Lyonette gémit.

« C’est une super journée. »

Maintenant elle allait devoir expérimenter avec ça, et elle avait un nouveau moyen de voyager. Maintenant Erin pouvait aller partout, tant que Toren la tirait. Elle n’arrivait pas à croire qu’elle n’y avait pas pensé plus tôt, mais un mort-vivant pouvait la tirer sans se fatiguer ! Pourquoi personne n’avait pas des… Des chevaux morts-vivants ou un truc du genre ? Peut-être que Pisces pouvait lui faire un cheval mort-vivant pour elle.

L’esprit d’Erin tournoyait sous les possibilités, mais une chose la dérangeait. Elle marcha jusqu’à une de ses fenêtres et regarda le traîneau. Moitié luge, moitié traineau si elle voulait être honnête. Et c’était tellement pratique. Mais…

Ouais. Il y avait une chose à faire dans l’hiver qu’Erin n’avait pas encore fait, n’est-ce pas ? Elle en avait tellement eu ras le bol de la neige et des Fées de Givres qu’elle avait oublié. L’hiver était supposé être fun ! Elle se souvenait des innombrables jours passé à envoyé des boules-de-neige, à faire des anges dans la neige, et de faire de la luge. Bien sûr, cela prenait du temps, Erin préférait le snow tubing. Ça c’était drôle.

Bien sûr, c’était drôle uniquement s’il y avait quelque chose sur quoi accroché le snow tube. Cela deviendrait rapidement épuisant s’il fallait toujours remonter la pente. C’était dommage que rien dans ce monde ne soit comme ça.

Toren s’avança vers la porte de l’auberge, cachant son épée derrière son dos alors qu’Erin regarda le traîneau. C’était dommage. Car cela serait sûrement très drôle de pouvoir descendre une colline dans ça. Mais elle allait devoir le remonter.

« A moins… Que quelqu'un le fasse pour moi. »

Les yeux d’Erin se dirigèrent lentement vers Toren qui se figea alors qu’il essaya d’ouvrir lentement la porte. Elle sourit.

« Hey Toren ? J’ai une autre mission pour toi ! »

***

Les [Gardes] se trouvant sur les murs de Liscor s’ennuyaient souvent, mais aujourd’hui était une mauvaise journée car ils s’ennuyaient et ils avaient froid. Ils tremblaient, gelés malgré le peu de protection que les créneaux face au vent mordant. Une boisson chaude les réchaufferait, mais malheureusement il allait devoir attendre avant de pouvoir profiter de ce genre de luxe.

Occasionnellement, la Capitaine Zevara ou Garde Senior Klbkch viendrait les approcher pour offrir une boisson chaude à tous ceux qui étaient en poste, mais cela ne semblait pas être l’un de ces jours. Relc était passé il y a une heure, et un seul regard vers son visage avait découragé ce genre de suggestion. De plus, le Drakéide ne payait jamais pour rien s’il pouvait s’en empêcher.

Donc les [Gardes] étaient légèrement intrigué quand ils virent la jeune Humaine qui avait gagné une certaine renommé dans Liscor assise en haut d’une colline. Son squelette venait de se libérer de son harnais et elle regardait la pente raide.

Ils l’avaient vu passé sur son traîneau plus tôt dans la journée, bien sûr, et ils avaient remarqué à quel point cela avait été étrange. Mais maintenant l’Humaine faisait quelque chose de différent. Elle baissa les yeux vers la colline, et appela son squelette. Il courut vers le traîneau et le poussa, puis les [Gardes] entendirent un cri, quelque peu délayé, alors que la fille descendit la colline.

C’était le truc. Un traîneau était fait pour glisser pour une raison. Mais c’était plus lent qu’une luge ou que des skis. Ce qui était important ; même si la vitesse était préférable, il ne fallait pas atteindre le point ou il y avait trop de vitesse.

Les gardes regardèrent la fille descendre la colline plus rapidement que le galop d’un cheval, et entendirent ses cris de terreur se changer en rire. Ils la regardèrent appeler son squelette qui descendit la colline.

Bien sûr, chaque Drakéides et Gnolls en poste pensèrent à la même chose : c’était certes marrant de descendre, mais l’Humaine allait devoir remonter le traîneau, et cela allait être épuisant. Mais ils virent le squelette courir jusqu’au traîneau et le tirer jusqu’en haut de l’auberge et ils réalisèrent ce qui était en train de se passer. Erin hurla et fit des signes à son squelette alors qu’il la fit monter la pente, et elle glissa de nouveau, allant encore plus vite sur la neige écrasée. Et elle le fit encore, et encore, et encore…

***

Ryoka ne savait pas si son cœur était plein d’envie ou d’incrédulité en regardant Erin. Elle l’avait fait. Elle avait finalement trouvé un moyen de trivialiser l’existence de Toren. Il était passé d’un guerrier mort-vivant à un lave-vaisselle et nettoyeur. Mais maintenant il n’était même plus cela.

Il était un tire-fesse.

« C’est la chose la plus stupide que j’ai jamais vu de ma vie. »

Ryoka murmura les mots alors qu’elle et la foule de [Gardes], et ainsi que de nombreux citoyens Drakéides et Gnolls, regardèrent Erin rire alors qu’elle descendit de nouveau la colline.

Selys souleva Mrsha pour qu’elle puisse voir. La Gnolle regarda Erin avec fascination, et Klbkch regarda le spectacle, perplexe.

« C’est tellement stupide. »

Ryoka sentit qu’elle devait se répéter, parce que personne ne lui avait répondu. Elle baissa les yeux vers le traîneau d’Erin et hésita.

« … Je veux monter sur ce truc. »

Elle était déjà partie faire du ski et du snowboarding avant, mais le véhicule fou d’Erin était à un autre niveau. Il avait la vitesse du ski, en rajoutant une bonne part de poids et d’élan à la descente. De plus, il n’y avait aucun moyen de freiner, on ne pouvait que s’accrocher et prier de ne pas s’écraser.

Il aurait suffi qu’Erin rajoute un tigre en peluche à l’arrière et tout aurait été parfait.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Je n’ai jamais rien vu de tel. »

Selys fronça les sourcils en regardant le véhicule d’Erin. Klbkch hocha la tête.

« C’est n’est pas une luge, mais ce n’est pas aussi un traîneau. C’est une sorte d’hybride entre les deux. »

« C’est un foutu sledge. »

« Un quoi ? »

« C’est quelque chose… Enfin, cela vient de là ou Erin et moi venons. »

Klbkch regarda Ryoka et elle croisa son regard. Il hocha légèrement la tête.

« Ah. Je vois. Et c’est utiliser pour le divertissement ? »

« Je suppose. C’est comme cela qu’elle l’utilise. »

« Wheeee ! »

Sa voix était perceptible depuis là où ils se tenaient. Les autres regardèrent Erin donner des ordres à Toren. Elle lui donna l’ordre de la pousser. Le squelette fit plusieurs pas en arrière, puis courut vers le traîneau.

« Woauh. Il n’y est pas allé de main morte. »

En effet, c’était presque comme si le squelette essayait de pousser Erin le plus fort possible. Elle se précipita le long de la pente, allant encore plus vite sur la neige compactée.

Erin cria et rit alors qu’elle descendit la pente, et elle hurla d’une autre manière quand elle remarqua le caillou. Depuis leur position sur le mur, Selys, Ryoka et Klbkch virent Erin s’écraser.

« Wouah. Elle vient de faire un tonneau. »

« Les patins en l’air. C’est la première fois que je vois ça. »

« Elle ne bouge pas. Est-elle sérieusement blessée ? »

« Non… Je pense qu’elle est juste sonnée. Regarde, elle commence à bouger. »

L’Humaine était en train de faire un ange de neige involontaire au sol. Ryoka regarda Mrsha et vit l’excitation briller dans ses yeux. Oui, c’était le genre de glissade qui donnait envie aux enfants de faire des bêtises.

La foule regarda Erin, mais Ryoka pouvait déjà voir des gens retourner en ville.

« Il semblerait qu’elle vienne de débuter une nouvelle mode. »

Et en effet, plusieurs adultes étaient déjà de retour avec des luges et d’autre chose sur lesquels glisser. Ryoka sourit. C’était stupide. C’était dangereux. Mais bordel, elle allait descendre et l’essayer.

« Hey Mrsha, tu veux faire un tour ? »

La petite Gnolle regarda Ryoka. Klbkch regarda Ryoka. Selys regarda Ryoka.

« Je monte à l’avant ! »

***

« Quemesancêtresm’aidentjevaismourir… »

Erin s’assit sur la colline et regarda Selys la dépasse à fond la caisse, hurlant à pleins poumons. Klbkch se tenait à ses côtés, regardant les Drakéides et les Gnolls bondir hors du chemin de l’incontrôlable traîneau.

« Je crains que ce véhicule est trop dangereux. Les autres personnes en luges doivent évacuer la colline pour le laisser passer ou un accident mortel risque de se produire. »

« Ouais. »

Erin hocha la tête et grimaça alors qu’elle sentit les bleus dans son dos et sur son derrière. Elle avait volontiers laissé sa place sur la traîneau après son second accident. Et désormais d’innombrables autres Drakéides et Gnolls faisaient la queue pour faire un tour. Toren tirait le traineau sans relâche, et il avait déjà effectué une dizaine d’aller-retour pour satisfaire Ryoka.

Ironiquement, Mrsha avait été banni d’utiliser le traîneau. À la place, ils avaient donné à la petite Gnolle une des petites luges que Krshia avait commencé à vendre aux citoyens. Certaines personnes avaient leur propre luge, mais il était rare d’autant s’amuser dans la neige.

« Je veux dire, c’est dangereux de se trouver hors des murs. De plus, c’est beaucoup de travail. Mais ton squelette est vraiment pratique, Erin ! »

C’est ce Selys dit après être revenue essoufflée mais saine et sauve de sa descente. Erin lui fit un sourire et lui offrit la jarre de miel. Selys écarquilla les yeux en voyant la massive jarre de sucre.

« Ou est-ce que tu as trouvé ça, Erin ? »

« Dans une grande ruche ! En fait, c’est Toren qui est allé récupérer le miel mais les abeilles l’ont lâché depuis le ciel. C’était de la folie ! Et nous nous sommes fait attaquer par des Golems de Neige ! Et nous avons trouvé ces bois ! »

La bouche de la Drakéide s’ouvrit quand Erin lui montra les bois qu’il avait pris de la biche. Elle avait dû retirer un peu de… Chair, mais maintenant cela la gardait au chaud alors qu’elle était assise dans la neige. Le bois dégageait de la chaleur, ce qui était très pratique.

« Est-ce que ce sont des bois de Corusdeer ? Où est-ce que tu les a trouver Erin ? »

« J’ai trouvé plein de cadavres dans la neige. Ils étaient juste là, donc j’ai ramassé ce que je pouvais. Ce sont des bois de biches. »

Ryoka remonta la colline, tremblante, avec Mrsha sur les talons. La Gnolle était joyeusement en train de se rouler dans la neige en traînant sa petite luge derrière elle, mais elle sentit l’air et fonça vers le miel dès qu’elle vit la jarre.

« Qu’est-ce que c’est encore que ça, Erin ? »

Erin dut expliquer ce qu’elle avait fait à Ryoka, Selys et Klbkch alors qu’elle laissa Mrsha lécher le miel de ses pattes. Selys secoua sa tête, incrédule, une fois qu’Erin termina son récit.

« Tu es folle, tu le sais ? Tu aurais pu tomber dans un nid d’Araignée Cuirassée, sans parler de ces abeilles qui sont extrêmement agressives ! Et ces cornes, c’est une chance que tu les as trouvé ! Même des aventuriers de rang-Or n’aiment pas affronter un troupeau de Corusdeer, et leurs bois son très pratique ! Environ quatre pièces d’argent par bois. La Guilde des Aventuriers les revend aux [Alchimistes] et [Forgerons]. »

Ryoka fronça les sourcils.

« Cela ne me semble pas être beaucoup. »

« La Guilde prend un pourcentage, après tout. Ce n’est pas comme si nous voulions voir les gens provoquer des Corusdeer en espérant se faire un peu d’argent. »

Selys s’expliqua sur la défensive alors que Mrsha essaya de tremper toute sa patte dans la jarre de miel. Erin attrapa gentiment le bras de Mrsha, et puis la petite Gnolle remarqua quelque chose grouillant dans le miel.

« Pourquoi ne pas aller directement les voir ? Tu peux probablement gagner le double du prix en allait directement les voir. »

Selys regarda Ryoka, mais Erin secoua la tête.

« Je veux essayer de les utiliser. »

Elle vit les yeux de Mrsha suivre le mouvement, mais à l’exception de Klbkch et de Mrsha, personne ne l’avait remarqué. Ryoka leva ses yeux au ciel, mais haussa les épaules. Elle se pencha et trempa son doigt dans le miel.

« C’est très bon. Tu peux sûrement faire plein de sucrerie avec ça. »

Elle lécha son doigt et Erin ouvrit la bouche avant de s’arrêter.

« C’est quoi ce… ? »

Lentement, Ryoka mit la main dans la jarre de miel et attrapa le truc grouillant. Selys couvrit sa bouche et Mrsha recula alors que Ryoka sortit une grosse, épaisse, et grouillante larve d’abeille. L’Asiatique regarda la larve essayer de monter sur sa main. Elle regarda Erin, et l’autre fille lui fit un sourire gêné.

Le visage de Ryoka vira au vert. Klbkch regarda la larve avec intérêt, et il parla en même temps qu’une fée qui venait de descendre. Ils posèrent la même question ?


  « Est-ce que tu comptes manger ça ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 24 février 2021 à 20:35:08
Bien le bonsoir à tous! Ellie étant en déménagement, il n'y aura pas de chapitres ce soir, désolé du dérangement et à dimanche!
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 01 mars 2021 à 00:39:44
2.43
Traduit par Maroti

Erin mit les bouchées doubles lors de cette nuit. Elle avait plus de visiteurs que d’habitude ; des Drakéides et des Gnolls entrèrent dans son auberge en grand groupe, principalement pour manquer quelque chose après une journée passée à jouer dans la neige.

Erin était heureuse de pouvoir tester les limites de ses compétences. Et il semblait que [Cuisine avancée] lui donnait un avantage ; car elle avait de nombreux clients satisfaits.

Mais son auberge se vida et se calma rapidement. Cela était probablement dû à ses clients tardifs.

Ryoka était assise avec Klbkch, chuchotant et fusillant du regard tous ceux qui s’approchait. Elle était dans une profonde conversation avec l’Antinium, et il semblait tout autant engagé. C’était sympa. Ryoka s’était fait un ami !

Il y avait d’autres Antiniums dans l’auberge. Klbkch les avait ramenés. Ils étaient tous des ouvriers, à l’exception de Bird. Erin supposait qu’il était désormais leur… Gardien, ou surveillant. Mais elle était déçue de voir que Pion n’était pas là.

Ils étaient tous venu pour les abeilles. Klbkch avait été intéressé par la larve grouillante, même si c’étaient les Fées de Givre qui l’avaient emportées. Donc Erin avait décidé d’utiliser l’une de ses trouvailles.

« Ce soir ! Une promotion sur les abeilles ! Des grosses abeilles ! Bien chaudes ! »

Toutes les commandes des Antiniums furent pour des abeilles, donc Erin ouvrit une jarre et sortit délicatement l’abeille gelée que les Fées de Givre avaient tuées.

Après cela Lyonette, qui avait passé la journée à retrouver ses forces, dût aller servir des boissons dans la salle commune plutôt que de regarder Erin cuisiner. Elle avait été utile aujourd’hui, dans le sens qu’elle avait véritablement aidé. Elle avait servi des Drakéides, évité les embêtants clients Gnolls, et elle n’avait… Elle n’avait fait tomber que deux verres !

Erin était heureuse de ce fait, mais son attention était concentré sur les abeilles. Elle les retira délicatement de la jarre, regardant leurs jambes recroquevillées et se demanda si elle avait choisi le mauvais type de client.

Mais non, les Antiniums étaient ses invités ! Ils étaient sympas et polis et…

Et ils aimaient manger des insectes.

Elle pouvait le faire. Erin pouvait s’occuper des abeilles. Étrangement, elles comptaient pour sa [Cuisine Avancée]. Découper la chitine et les faire frire n’était pas dégoutants. C’était horrifiant, mais Erin arriva à ne pas vomir.

Une fois cela fait, elle décida de mettre un peu de miel et de fromage râpé sur les abeilles, ça serait probablement délicieux. Probablement.

Erin baissa les yeux vers les abeilles luisantes et trembla. Elle ne semblait toujours pas bonne pour elle. Elle se tourna vers Lyon qui venait d’entrer dans la cuisine.

« Oh hey, Lyon. Les commandes des Antiniums sont là. »

La fille devint pale en regardant les abeilles.

« Est-ce que je dois… ? »

« Je vais les apporter. Ne t’en fais pas. »

Erin prit deux assiettes dans chaque main et sortit de la cuisine. Après une seconde, elle vit Lyon prendre une assiette et la tenir loin devant elle en suivant Erin. Wouah. Elle était en train d’essayer ! Pourquoi ?

Peut-être qu’elle réalisait qu’elle devait être plus reconnaissante pour le travail, et qu’il était plus pratique d’être utile que de ne rien faire. Peut-être que Lyonette était soudainement devenu une meilleure personne et voulait aider ! Ou… Peut-être qu’elle était en train de l’aider pour qu’elle n’est plus à faire d’exploration.

Dans tous les cas, cela voulait dire que les Antiniums obtenaient plus rapidement leurs abeilles. Bird se redressa quand il vit les abeilles et fit cliquer ses mandibules. Même les autres Ouvriers arrêtèrent de jouer aux échecs pendant un instant pour regarder la nourriture.

« Cela semble délicieux, Erin Solstice. Merci de nous l’avoir préparé. »

« Oh, c’était juste quelque chose que j’avais. Il y a une ruche pas loin, tu sais. »

Bird hocha la tête.

« Elles sont considérées comme une menace de rang-Argent. Elles sont pratiquement impossibles à tuer sans la présence d’un mage. »

Erin regarda les autres Antiniums alors que Lyonette servit son assiette à un Ouvrier et prit la fuite. Bird cassa délicatement une aile et commença à la grignoter. Erin essaya de ne pas le regarder.

« Hum, ou est Pion ? Je pensais qu’il serait avec vous. »

« Il est en train de réfléchir. Et de parler aux Ouvriers de la Colonie. Il a des devoirs sous la surface. Ce qu’il fait est important. »

Bird parla solennellement. Les Ouvriers hochèrent tous la tête et Erin cligna des yeux.

« Oh ? C’est… Une bonne chose. Je vais vous apporter le reste de votre repas. Et ensuite on pourra peut-être jouer aux échecs ! »

« Cela serait la bienvenue. »

Erin vit Toren en retournant dans la cuisine. Le squelette était penché sur une pile de vaisselle. Il était encore trempé de ses activités extérieures. Il avait passé presque huit heures d’affilée à faire remonter des luges. Erin était un peu fière de lui, et fière d’elle pour avoir pensé à cette idée.

« Hey Toren, aide Lyonette à transporter les assiettes, veux-tu ? Je dois refaire des assiettes. »

Le squelette se tourna. Il regarda Erin et se dirigea vers les assiettes. Il poussa les mains de Lyon et s’empara de deux assiettes avant de marcher abruptement hors de la cuisine.

Erin fronça les sourcils. Elle pourrait presque croire qu’il était malpoli. Lyon renifla en se frottant la main.

« Cette chose me perturbe. »

« Qui, Toren ? Il est probablement juste fatigué. Ou un truc du genre. »

Est-ce que les squelettes pouvaient manquer de mana ? Erin décida de poser la question à Pisces après son retour. Elle soupira et ramassa la poêle à frire qu’elle avait utilisé pour faire cuire les abeilles. Puis elle la regarda.

Elle n’était pas exactement sale, mais des morceaux d’abeilles s’étaient cassé en passant dans l’huile. Et certains fluides internes avaient fuis. Erin posa lentement la poêle. Elle enroula soigneusement un morceau de laine rouge à la poignée et la pointa vers Lyonette.

« C’est désormais la poêle à insecte, d’accord ? Poêle à insecte. »

Lyonette hocha faiblement la tête.

Erin la posa sur la pile de vaisselle que Toren allait laver. Puis elle commença à cuisiner. Elle avait faim, et elle avait un bon sentiment pour cette soirée. Elle avait invité Krshia, et Mrsha et Selys semblait être devenu amie.

« Lyon ? Va demander à Selys ce que Mrsha veut. J’ai des hamburgers, et je peux faire de la pizza… Ooh ! Dit à Mrsha que je vais mettre un peu de miel dans un bol pour elle, d’accord ? »

Erin chantonna joyeusement alors que Lyon passa la porte. Aujourd’hui était une bonne journée. Et demain serait encore mieux ! Elle regarda Toren alors qu’il entra dans la cuisine.

« Hey Toren, demain on ressort chercher d’autres trucs ! Prépare-toi, car nous allons y passer toute la journée ! »

Le squelette la regarda. Erin se retourna pour continuer à cuisiner en continuant de chantonner. Le squelette regarda le dos d’Erin pendant une seconde et s’empara d’une assiette avec une abeille. Il marcha vers la porte et trébucha. Volontairement.

***

Je lève les yeux en entendant le crash de la céramique se cassant, mais c’est juste le squelette de compagnie d’Erin. Toren vient de faire tomber l’une des horribles abeilles qu’Erin était en train de cuire pour les Antiniums et cette dernière est en train de rouler sur le plancher.

C’est le truc avec Erin. Ouaip. Je pense que j’ai le cœur solide, mais je ne toucherai jamais l’une de ses abeilles géantes, et en cuisiner une ? Mais Erin arrive à les frire sans problèmes.

 « Aha! De la nourriture gratuite ! »


L’un des fées descend depuis l’une des poutres du plafond. Elle attrapa l’abeille et remonte sans effort. Le groupe de fées assises au plafond commencé à la déchiqueter et je détourne les yeux.

Klbkch regarde les Fées de Givre. Il ne peut pas les voir comme moi, mais tout le monde vient de voir l’abeille s’envoler en l’air.

« Les Antiniums n’ont pas de connaissances sur ces Fées de Givre. Je suis intrigué de savoir que tu peux les voir et discuter avec elles. »

Je hoche la tête. Intrigué, n’est clairement pas proche du mot que j’utiliserai.

« Elles ont laissé supposer qu’il y a un glamour ou une sorte de magie d’illusion sur elles. Je pense que Teriarch peut les voir, mais c’est l’exception. »

L’Antinium hocha la tête. Lui et moi sommes assis à la table dans l’un des coins, éloigné des oreilles curieuses. Je suis méfiant des Gnolls, mais ils sont occupés dans leur propre conversation donc j’essaye de ne pas trop les regarder. L’important en discutant est de donner l’impression que la conversation n’est pas importante.

« Elles sont considérées comme un phénomène naturel par les habitants de Liscor. Le fait que tu puisses outrepasser leurs sorts est peut-être le résultat de ta provenance d’un autre monde. »

« C’est probablement le cas. »

Je lève les yeux vers les fées. Elles sont étranges. Elles sont toujours en train de joyeusement dévorer l’abeille, je n’arrive pas à voir les détails à cause des poutres, mais elles ne sont pas ce à quoi je m’attendais. Elles sont surprenantes attentives aux problèmes des enfants, et même si elles suivent des règles et des contrats, elles peuvent briser ses règles pour interférer et aider les gens.

Étrange.

« Je vais essayer de discuter avec elles. Mais se faire écouter par une fée est difficile. Tu peux me faire confiance sur celle-là. »

Klbkch hocha la tête.

« Je te souhaite bonne chance. Mais je crois que nous étions en train de discuter ta théorie sur les niveaux. Et j’ai des nouvelles. »

Je me retourne vers l’Antinium, aussitôt concentré sur lui. Ouais. C’est la raison pour laquelle nous sommes assis ensemble. Maintenant que j’ai une autre personne en qui je peux faire confiance, autre qu’Erin, j’ai d’innombrables choses à lui demander*.



*Je ne suis pas encore complètement certaine du fait que je peux avoir confiance en Klbkch, bien sûr. Il avait un passé, et il était encore loyal à sa Colonie, bien sûr. Mais il présente bien son cas. S’il le voulait, il pouvait facilement me capturer ou capturer Erin et nous forcer à tout dire. De l’autre côté, s’il voulait notre coopération, eh bien, il était préférable d’avoir une pièce utile plutôt qu’une pièce brisée.


Qu’as-tu appris ? Est-ce que les données de ta Colonie concordent avec ma théorie ? »

Klbkch hocha la tête.

« J’ai passé en revue plusieurs centaines d’individus avec des niveaux élevés, et leurs niveaux cumulatifs approchent rarement du centième niveau. Plus encore, les individus avec plus de deux classes dépassent rarement le Niveau 30. »

Je me laisse tomber sur ma chaise et soupire.

« Corrélation, mais pas causalité. »

« Je ne suis pas familier avec ces termes. »

« Cela veut dire que… »

J’essaye de lui expliquer la base de la théorie scientifique. Il hocha la tête.

« Cela semble être exact. Même s’il y a des nuances dans ce que tu proposes, il y a de fortes chances que l’accumulation des niveaux compte dans le processus de gain de niveau plutôt que l’âge. »

« Et cela veut dire… »

Je m’arrête. Qu’est-ce que cela veut dire ?

« Cela veut dire que nous allons devoir le dire à Erin. Et que j’ai quelque chose à dire à Krshia et aux Gnolls. »

« Mais personne d’autre ? »

« Est-ce que tu comptes le dire à des Antiniums ? »

Klbkch secoue la tête.

« Les Antiniums ne gagnent rarement des niveaux. Seules les Reines gagnent des niveaux et elles gagnent exclusivement des niveaux dans la classe de [Reine]. Je pourrai informer les autres Prognugators, mais cela ferait que toutes les Colonies seraient aussitôt mises au courant. Je vais peut-être prévenir les Individus, mais je les observerai avant de le faire. »

Je fronce les sourcils en regardant Klbkch.

« Pourquoi est-ce que les Antiniums ne gagnent pas autant de niveaux ? Est-ce que c’est parce que votre espèce à un esprit commun ? »

« C’est ce que ma Reine a spéculé. Même les Soldats ne gagnent pas de niveau dans la classe de [Soldat]. Elle croit que cela était due au fait que les Antiniums ne peuvent pas prendre de décisions, dont son désir de créer des individus Antiniums. »

« Il semblerait que cette information n’aide pas vraiment les Antiniums. »

« En effet. Je suggère que tu l’utilises pour combler la tribu des Crocs d’Argent. Si tu penses que cette information mérite d’être partagée. »

« Hum. »

Est-ce qu’elle à tant de valeur ? Mais Selys le sait, et une fois que quelqu’un est au courant l’information ne peut que se propager. Et nous avons besoin des Gnolls, Erin et moi. Ou au moins, ils ne peuvent pas être nos ennemis. Je pense à Brunkr et… Non.

« Je vais leur dire. Mais toi et moi avons besoin de continuer à parler »

« De quoi aimerais-tu parler, Ryoka Griffin. »

Je regarde le visage de Klbkch.

« Tout. Je… Erin et moi, vivons dans ce monde ignorant tout ce qui s’est produit. Nous ne connaissons pas la géographie, l’histoire, ou la politique. Je veux savoir comment la magie marche, comment les potions de soin sont faites, quelles sont les espèces dangereuses dans le monde… ? »

« Je te dirais ce que tu veux savoir. Mais je crains que je ne serais pas capable de répondre à toutes tes questions. »

« Pourquoi ? »

Klbkch tape lentement la table.

« Pour commencer, ma Colonie a sa propre source d’information que nous ne partageons pas avec les autres Colonies. Et même si nous avons accumulé bien des connaissances, la majorité est… Spécifique. »

Ce n’est pas une bonne nouvelle.

« Cela veut dire que vous ne faites pas attention aux événements mondiaux ? »

« Ma Reine le fait, et j’entends les conversations. Mais je crois que les Reines sont les seules qui regardent par-delà le continent. La plupart de ce que ma Colonie connaît sont les locations des veines de métaux, la fertilité des sols, les nids de monstres et le donjon, et ainsi de suite. »

Je me laisse tomber dans ma chaise et fronce les sourcils. Je serre mon nez entre mon pouce et mon index en réfléchissant.

« Je vois. Bordel. »

« Cependant, j’ai de nombreuses informations que tu trouveras utile. Je me suis rendu compte qu’il y a cette autre facette du système de gain de niveau qui peut s’avérer crucial.

J’ouvre subitement les yeux.

« Pardon ? »

L’Antinium hoche lentement la tête.

« Je crois que je t’ai informé de mes niveaux ? Je possède une large variété de classe, ce qui deviendra problématique envers mon gain de niveau. Cependant, il y a aussi une autre spécificité à adresser. Je serais peut-être capable de fusionner mes classes. »

Quoi ? Je regarde Klbkch.

« Tu peux faire ça ? »

« Je suis conscient que cela arrive rarement. Deux classes peuvent fusionner et créer une autre classe hybride. Par exemple, une classe de [Guerrier] et une classe de [Stratégiste] peuvent fusionner pour créer une classe de [Commandant]. »



« Mais, attend une seconde. Tu as la classe de [Commandant], pas vrai ? Et de [Pourfendeur. Pourquoi ne pas mélanger les deux ? »

« Je ne peux que spéculer. Mais j’ai reçu ma classe de [Pourfendeur] bien avant que je devienne un [Commandant]. De plus, ma classe de [Pourfendeur] est une progression de ma classe de [Guerrier]. Cela veut peut-être dire que ces deux classes sont… »

« Incompatible ? »

« Oui. Oui j’ai simplement souhaité garder une classe de combattant plutôt que de me concentrer sur mon rôle de leader. »

« Je comprends. »

Je hoche la tête en me rasseyant dans ma chaise. Des fusions de classes ? Quels sont les autres secrets cachés dans ce système ? Des classes prestiges ? Est-ce que certaines classes peuvent uniquement être obtenues sous certaines conditions ? Klbkch m’étudie pendant une seconde avant de parler.

« La fusion de classe est rare, et jusqu’à ce jour, je le voyais comme un phénomène négatif. »

Oui. Même si une classe unique peut être pratique, deux classes seraient supposément mieux qu’un, pas vrai ? Deux fois plus de compétence. Mais si ça aide vers le cap de niveau…

« J’ai une question pour toi Klbkch. Quelle est la différence entre le Niveau 20 de [Pourfendeur] et le Niveau 44 ? Quelle était ta puissance à ton apogée ? »

Pour faire court, à quel point un Aventurier Légendaire est-il dangereux ? J’ai déjà vu Scruta se battre, mais était-ce parce qu’elle avait un œil enchanté ?

Klbkch s’arrête, et se redresse sur sa chaise. Il ouvre ses mandibules, et s’arrête de nouveau. Je lève les yeux. Toren s’approche de nouveau. Il pose brusquement une assiette contenant une abeille morte devant Klbkch, assiette qui manqua de tomber de la table, et se retourna pour marcher dans la cuisine.

« Ah. »

Klkbch inspecte l’assiette et j’essaye de ne pas la regarder. C’est moi ou le squelette d’Erin est étrange dernièrement ? Est-ce que les squelettes peuvent penser ? Bordel. Je devrais poser la question à Pisces.

« Excuse-moi. Je mangerai en discutant, si cela n’est pas malpoli. »

Je lui fais signe de la main, et j’essaye de ne pas regarder alors qu’il découpe l’abeille. Je ne pense pas avoir le courage de manger en face de lui, son repas me perturbe trop l’estomac.

« Pour répondre à ta question, la différence entre mes capacités et celle de mon apogée est… Immense. Au summum de mes niveaux, j’étais capable d’affronter les plus puissants des monstres. »

Klbkch regarde par-delà moi, comme s’il se remémorait. Je dois continuer de me rappeler à quel point il est ancien. Je ne suis pas en face de quelqu’un de mon âge, ou de deux fois mon âge. Il est comme un vieux homme.

« Quel type de compétence avais-tu ? Est-ce qu’elle devenait progressivement plus puissante ou est-ce que certaines étaient inutiles ? »

« J’obtenais occasionnellement des compétences moins efficaces, mais elles devenaient progressivement plus puissantes. Une Compétence que j’ai reçu au Niveau 30, en même temps que ma classe de [Pourfendeur], me permettait de parer un coup avec mon épée, même si j’étais assailli par une considérable puissance. Je l’ai déjà utilisé pour parer une baliste à bout portant. »

Je siffle. C’est terrifiant.

« Gagner des niveaux dans une classe semble préférable à obtenir plusieurs classes. »

« Je le pense. Ma compétence de Niveau 40 était nommée [Taillade Continue]. J’étais capable de vaincre des ennemis à une telle vitesse que je pouvais éradiquer des régiments entiers, seul, lors d’une bataille. »

Un régiment ? C’est une unité de… Cinq cents soldats ? Mon torse se serre.

« Klbkch le Pourfendeur. »

« Tel était mon nom. Mais je crois que tu le sais déjà, mes compétences étaient inférieures à celle du General Sserys. Il m’a vaincu et je n’ai jamais regagné mes anciens niveaux. »

Woauh. De nouveau, je suis en plein conflit interne. Les Niveaux sont tellement pratiques. Mais… Bah. Cela n’a plus d’importance, pas vrai ? J’ai le sentiment que les fées sont amicales avec moi car je n’ai pas de niveaux. Et si leur amitié est basée sur mon absence de niveau, eh bien c’est déjà un très bon point pour ne pas commencer à en gagner.

Même si les Compétences ont l’air vraiment cool.

Je bouge ma chaise pour me rapprocher de la table, même si cela me rapproche de l’abeille de Klbkch. Même s’il ne mange pas l’exosquelette.

« Est-ce que cela te suffit vraiment comme repas. ? »

Klbkch semble surprit alors que je pointe l’abeille du doigt. Il aspire quelque chose dans sa ‘bouche’ et hésite.

« Cela n’est pas complétement adéquat avec mes besoins diététiques. Mais il y a une différence entre la nourriture de la Colonie et cette… Gâterie. »

« Erin m’a dit que les Antiniums ne peuvent pas manger de gluten. Qu’est-ce que vous mangez ? »

« Nous cultivons de la viande et la transformons en pâte avec d’autres substances. Nous cultivons aussi des plantes, nous les utilisons pour nourrir les espèces que nous élevons pour consommer. »

Ah. Super. Les Antiniums ont perfectionné l’élevage intensif. Je secoue la tête.

« D’accord. »

« Hey vous deux ! »

Nous levons tous les deux la tête. Erin s’approche de la table, souriante.

« Comment est-ce que vous allez ? Désolé pour l’attente Klbkch, et, heu, désolé de ne pas m’être encore occupé de ta commande, Ryoka. J’ai beaucoup de monde ce soir ! »

Je hausse les épaules. Klbkch fait un hochement poli de la tête à Erin.

« Ce plat est très satisfaisant, Erin. Merci. »

« Y’a pas de quoi ! Est-ce que tu en veux une autre ? je crois qu’il me reste encore des abeilles. Et je peux aussi te faire un petit truc à côté. Ooh, pourquoi pas un rayon de miel ? Et Ryoka, est-ce que tu veux un hamburger ? »

Carrément. Donne-moi de la bouffe grasse et huileuse. Mes artères peuvent le supporter*.


Probablement.


« Je vais prendre un hamburger. En fait, deux. Saignant. »

« Cela serait un plaisir à essayer un rayon de miel, si cela ne te dérange pas. »

« Super ! Je reviens avec vos commandes ! »

Erin sourit et s’en va. Quelques secondes plus tard Lyonette appairait avec quelques boissons.

« J’ai de l’eau, du lait et de la bière. Qu’est-ce que vous voulez ? »

« Je vais prendre la bière. »

« De l’eau pour moi. »

Elle pose les verres sur la table et s’en va. Je regarde son dos. Huh. Erin est parvenue à la rendre utile. C’est quelque chose que je ne pensais jamais voir.

« Tu sembles intéressé par l’ancienne voleuse. »

Je regarde Klbkch et hocha la tête.

« Je, heu, pense qu’elle est spéciale. »

« il est vrai qu’elle possédait de nombreux artefacts puissants. Et qu’elle clame connaître Magnolia Reinhart. »

« Oui. Elle est peut-être plus que cela. »

« Comment ça ? »

« C’est compliqué. Je l’expliquerai plus tard. Maintenant, j’aimerais poser quelques questions sur ce qui se passe à Liscor. »

« Je vois. J’y répondrais au mieux de mes capacités. »

Honnêtement, Lyonette n’a pas beaucoup d’importance comparé à tout ce dont nous avons discuté. Je la sors de mes pensées et me concentre sur des choses plus importantes.

« Apparemment, tous ces aventuriers de rang-Or sont en ville à la recherche d’un moyen d’explorer le donjon sous terre. Mais les Antinium doivent déjà savoir ce qu’il y a. Est-ce qu’il y a un donjon, et s’il y en a un, qu’est-ce qu’il contient ? »

Klblkch se penche en arrière dans sa chaise, il regarda la carcasse d’abeille et la repousse.

« Il y a un donjon sous Liscor. Cela fait plusieurs années que ma Colonie affronte les monstres émergeant de ce donjon. Certains sont attiré par l’endroit ; beaucoup semblent avoir des nids dans le donjon. Mais il y a aussi des pièges et des défenses magiques. Jusqu’à récemment, ma Reine désirait sécuriser le donjon pour elle, pour que notre Colonie puisse s’emparer des récompenses qu’il contenait. Cependant, cela à prouver être impossible et elle a donc décidé d’ouvrir le donjon dans l’espoir que des aventuriers puissent éliminer certains pièges… »

***


Erin sourit en regardant la pièce. Il y avait des Antiniums qui mangeaient, des Drakéides, des Gnolls… Son auberge était complète ! Et tout le monde semblait heureux.

Enfin, la vérité était que les Antiniums n’avaient pas d’expression et que Lyon prenait une teinte verte dès qu’elle les voyait dévorer les insectes, tout comme les Drakéides et les Gnolls, mais le point était qu’elle avait de la clientèle !

Et pour couronner le tout, Krsha entra après qu’une famille de Drakéide est quitté l’auberge en ayant payé Lyonette.

« Oh, salut Krshia ! Je suis heureux que tu es pu venir ! Brunkr ne vient pas ? »

Krshia lui offrit un bref sourire.

« Il est en train de soigner la morsure que la jeune Mrsha lui a donnée. Je crois qu’il a peur de toi, oui ? »

Erin rit. Au fond d’elle, elle était heureuse que Brunkr n’était pas avec Krshia. Il était une sacrée andouille. Du coin de l’œil, Erin vit Ryoka et Klbkch se tourner dans leurs sièges. Krsha hocha gravement la tête et fit un léger sourire alors que Mrsha s’avancer vers elle en battant la queue.

« Te voir est une bonne chose, Erin Solstice. Et toi aussi, jeune Mrsha, oui ? »

Elle se baissa et caressa délicatement la tête de la Gnoll. Mrsha renifla dans la direction de Krshia et Krshia renifla en retour. Puis elle regarda Erin.

« Cela fait trop longtemps depuis ma dernière visite. J’aimerais manger ici, à moins que cela ne soit pas possible ? »

« Oh, non, non. Entre ? À moins que… »

Erin regarda la pièce, soudainement dos au mur, et vit Lyonette. La fille s’était figée contre un mur, les yeux écarquillés en regardant Krshia. La Gnolle renifla.

« Je ne serais pas dérangé par la voleuse, non. Et j’aimerai m’asseoir avec Ryoka Griffin et Klbkch s’ils me le permettent. »

« D’accord. »

Ryoka se leva et Klbkch fit de la place pour que Krshia puisse s’asseoir à leur table. Les deux semblaient avoir l’intention, mais Erin semblait juste heureuse de pouvoir prendre la commande de Krshia, des entrecôte enrobées au miel, avant d’aller dans la cuisine.

Elle était tellement occupée ! Lyon et Toren étaient en train de remplir des verres et de servir à manger, mais Erin continuait de cuisiner des plats. Cela ne la dérangeait pas, mais ce fut un plaisir de pouvoir s’asseoir après quelque temps et jouer une partie ou deux contre Bird et les autres Ouvriers. Elle gagna, bien sûr ; mes les parties étaient amusante, surtout quand elle joua sans regarder les échiquiers.

L’échiquier fantomatique appelait Erin, et après quelque temps elle joua une partie avec son adversaire mystère. Il ou elle semblait toujours être éveillé ; une fois qu’Erin bougeait une pièce elle recevait la réponse dans l’heure au plus tard, et ils jouaient le plus longtemps possible. Elle se demandait encore qui était de l’autre côté.

Mrsha erra dans la pièce alors que Selys mangea et rit avec des Drakéides qu’elle connaissait la jeune Gnolle regardant les échiquiers, et après avoir surmonté sa peur des Ouvriers Antiniums, renifla leurs abeilles, essaya de manger une pièce d’échec, et se posa sur les genoux d’Erin, épuisée.

« Oh oh. Quelqu’un doit aller se coucher. »

Erin porta Mrsha à l’étage et l’installa dans un petit lit qu’elle avait fait dans la chambre de Ryoka. La Gnolle se roula en boule dans ses couvertures et Erin eut mal au cœur durant un instant.

Ce n’était pas la place pour une jeune Gnolle, qu’importe ce que Ryoka pensait. Elle devait trouver une maison pour Mrsha, peut-être avec Krshia ou une autre famille Gnolle. Si seulement cette andouille de Brunkr n’était pas là, et si Mrsha n’avait pas ce pelage blanc. C’était malchanceux. Son pelage était… Magnifique.

« Peut-être avec un pot de peinture. »

Erin murmura doucement les mots alors qu’elle ferma la porte et descendit les escaliers sur la pointe des pieds. Elle entra dans la salle commune avec un grand sourire, juste à temps pour entendre Ryoka prononcer une insulte. Et Erin était contente que Mrsha ne soit pas là pour entendre ce genre de langage.

***


«Putain »

Je sais que ce n’est pas original. Je sais qu’il y a des milliers d’autres insultes et mots que je pourrais utiliser pour exprimer mon agacement. Mais il y a quelque chose de simple à propos de ce mot. Et je suis agacé, donc je ne suis pas d’humeur à l’insulte poétique.

« Je suis désolé, Ryoka Griffin. »

Krshia s’assit à la table et me regarde gravement par-dessus son entrecôte. Elle lève délicatement un morceau et mâche la viande tendre. Je regarde les restes de mon second hamburger et je fronce les sourcils.

« Tu es certaine que ce n’est pas suffisant ? Absolument certaine ? »

La Gnolle haussa ses larges études.

« Ce cadeau à de la valeur. Mais ce n’est pas assez, oui ? Ce que tu offres est un secret, un qui pourra changer le monde. Mais il le changera trop lentement, et c’est… »

Elle hésite. Krshia tape ses griffes sur la table, pensive.

« Pardonne-moi. Je ne connais pas le mot. Ce n’est pas assez. »

« Inadéquat ? »

« Hrm. Oui. C’est inadéquat par rapport à ce qui dois être rapporté au rassemblement des tribus. C’est un cadeau avec de la valeur, mais gagné trop facilement. »

« Je ne suis pas certain de comprendre le sens de cette phrase, Krshia Silverfang. »

Klbkch s’adresse à Krshia et elle hoche la tête dans sa direction. Ils sont très polis envers l’un l’autre. J’ai l’impression qu’il y a un respect mutuel, mais ils ne semblent pas apprécier la compagnie de l’autre.

« Il est difficile de l’expliquer au non-Gnolls. Je vais faire de mon mieux. »

Elle dépose l’os, complètement nettoyé de la moindre miette de viande, et bois une gorgée de sa bière. Je me masse les tempes et écoute.

« Chaque tribu sait que le rassemblement se produit chaque décennie. Et donc chaque tribu travaille dans le but de ramener quelque chose qui fera avancer l’espèce Gnolle, oui ? Certaines tribus amassent de la richesse à partager ; mais c’est un moyen facile de faire les choses. D’autre amasse de la nourriture ou des armes, ma tribu a reçu un set d’arme Naine au dernier rassemblement. La tribu collecte ce genre d’arme pour chaque tribu s’est élevé dans la hiérarchie. »

« Et ta tribu voulait rassembler des livres de sorts. »

Je comprends cette partie. Krsha fronce les sourcils et souffle longuement.

« Oui. C’était supposé être un secret, mais il est difficile de cacher des choses en Liscor. Dans tous les cas, cela aurait été un grand cadeau, un digne de reconnaissance parmi les tribus. »

« Et pourtant, cette information que Ryoka vient de partager à le potentiel de changer l’intégralité de ta race, n’est-ce pas ? »

Krshia hocha de nouveau la tête.

« C’est le cas. Mais il y a deux raisons pour lesquelles ce n’est pas suffisant. La première, c’est que ce n’est pas un bon secret à avoir, oui ? Cela pose de nombreux problèmes. »

« Comme ? »

« Mrr. Quand je pense à ce que tu as dit, cela veut dire que pour gagner un meilleur niveau, l’un ne doit prendre qu’une seule classe. Cela est… Problématique. Si l’un ne doit prendre qu’une seule classe, cela veut dire que les Gnolls doivent choisir une classe dès le plus jeune âge sans jamais en changer. Cela compliquera la vie dans les tribus. »

Je suppose que je vois le problème. Les tribus Gnolles sont très terre-à-terre ; tout le monde contribue vers l’amélioration de la tribu. Quelqu’un peut être un chasseur lors d’une journée, mais un cuisinier lors de la seconde. Si tout le monde n’a qu’une seule classe, alors cela veut dire que tout le monde est un spécialiste. Et, pour cité Robert A. Heinlein, la spécialisation est pour les insectes.

« Je vois le problème. »

« Et ce n’est pas tout. Le second problème est que le choix de la classe devra être fait très jeune, à peine plus grand que des chiots, oui ? »

Krshia semblait troubler. Elle secoua la tête.

« Forcer nos jeunes à faire ce qu’ils ne veulent pas faire, ce n’est pas ce que moi ou une tribu veut. Et pourtant, cela sera nécessaire. Nous devrions décider du destin de la future génération. Et cela est… Troublant. »

« Oh. »

Oh. Oh. Je comprends. Klbkch semble confus, mais c’est un propos du libre-arbitre. Gnolls déteste probablement forcer leurs enfants à faire quelque chose ; c’est une question de choix. Forcer quelqu’un dans une carrière peut marcher en Chine avec une mer tyrannique, mais cela n’arrivera pas chez des parents Gnolls.

Eh bien, merde.

« Je vois le problème, Krshia. Mais cette information peut quand même aider dans tous les cas. Même si tu ne décides pas de choisir l’unique classe de tes enfants, au moins les Gnolls seront au courant de ce qui se passe. »

Elle hocha la tête.

« Cela est vrai, et même avec ces problèmes, c’est un important cadeau. Un secret du monde. Il faudra que toutes les tribus décident si ce savoir doit être partagé ou doit rester secret. »

« Seul Selys connait le secret, donc vous avez une chance que cela ne se sache pas. Est-ce que tous les Gnolls seraient aussi, hum, discret à ce sujet ? »

« Si cela est décidé, ils ne trahiront pas le pacte. »

Hmm. C’est beaucoup de confiance. Je secoue la tête.

« D’accord, quelle est la seconde raison pour laquelle mon secret n’est pas suffisant ? »

« C’est trop peu. C’est trop peu pour un travail de dix ans. Je suis désolé. »

Krshia pose ses mains sur la table. Elle nous regarde, moi et Klbkch.

« C’est un secret important, mais toi et Klbkch l’avait découvert en quelques jours, oui ? Les autres tribus ont travaillé durant une décennie pour rapporter ce qui a le plus de valeur. Comment est-ce la Chef de ma tribu peut lever la tête avec fierté si elle n’a qu’un petit secret à offrir ? »

Quand elle le dit comme ça… Je regarde Klbkch. Bordel. J’avais vraiment pensé que nous avions résolu le problème.

« Je comprends. Je…. Je vais trouver autre chose, d’accord ? »

Krshia hocha gravement la tête.

« Le fait que tu es fait une découverte aussi importante aidera, Ryoka Griffin. Je partagerai ce que tu m’as dit avec les Gnolls de la ville. Cela leur fera plaisir et fera qu’ils resteront obéissants. Pour l’instant. »

Et c’est ainsi que le secret se propage. Qu’importe ce que Krshia dit, j’ai l’impression que dans une année, tout le monde sera au courant de cette particularité du système. Tant pis. Je vais prendre le moindre avantage que je peux me procurer. J’ai aussi besoin d’en parler à Erin. Mais…

Je met la tête entre mes mains alors que Krshia et Klbkch me regarde. Bon sang. Je pensais vraiment l’avoir cette fois. Mais je n’avais rien résolu.

Qu’est-ce que je vais faire ? Je pense à Teriarch, et je sais que je vais bientôt devoir partir. Mais Mrsha est toujours là, et les espions de Magnolia sont tout autour de cet endroit et il y a des gens de mon monde dans sa maison…

Qu’est-ce que je vais faire ?

***

Ryoka semblait avoir une longue conversation avec Krshia et Klbkch, donc Erin les laissa tranquille. Elle était occupée à jouer aux échecs, nettoyer des assiettes, parler à des clients…

 « Aha! Je vois que ce tonneau n’est pas protégé ! Je déclare qu’il est à nous ! »

« Une tournée ! Offerte par la maison ! »

… Et repousser les Fées de Givre.

« Elles ne sont pas gratuites ! Arrêtez, bande de petits voleurs ! »

Erin hurla en poursuivant les Fées de Givre. Elles rirent en descendant avec des chopes dans leurs mains, elles devaient être incroyablement fortes pour porter des choses aussi lourdes aussi facilement.

Des échiquiers, des fées alcoolisées, de l’argent à récupérer… Erin continua de courir jusqu’à avoir mal au pied et jusqu’à ce que minuit passe. Et ce fut après cela que son dernier client quitta l’auberge.

Bird s’en alla avec Klbkch et les autres Ouvriers alors qu’Erin leur souhaita une bonne nuit, ou un bon matin. Krshia était déjà parti, et Ryoka était assise à l’une des tables, la tête entre ses mains.

« Hey Ryoka. Je vais fermer, d’accord ? »

L’autre fille hocha silencieusement la tête, et Erin ferma son auberge. Ryoka semblait stresser, mais Erin se sentait complète en se roulant en boule dans son coin de la cuisine. Elle avait fait un beau boulot aujourd’hui, et avait trouvé beaucoup de trucs cools avec lesquels elle voulait expérimenter demain.


[Aubergiste Niveau 26]


Et pour une fois, il semblait que le monde était d’accord avec elle.

***

Le lendemain, Erin se réveilla de bonne heure car elle devait aller aux toilettes. Elle tituba, se cognant à des casseroles et manquant de faire tomber la jarre de neige du Golem de Neige, avant de finalement atteindre les toilettes. Elle s’assit, tremblante, et fit son affaire, avant de retourner dans l’auberge en essayant de se rendormir.

Le seul problème était que le froid avait eut l’effet d’une tasse de café, et qu’importe à quel point Erin se tournait et se retournait, elle n’arrivait pas à se rendormir. Elle se leva, malgré le fait qu’elle n’avait pas eut que deux heures de sommeil au total.

« Mrshbvg ? »

Lyonette cligna des yeux en regardant Erin alors qu’elle descendit les escaliers, de bonne heure, et trouva que le petit-déjeuner était déjà fait. Erin regarda son assiette et fronça les sourcils alors que Lyonette ouvrit la bouche.

« J’ai encore gagné un niveau dans cette classe de… [Servante]. »

« Je suis content pour toi. »

« Et j’ai gagné une Compétence ! [Cuisine élémentaire] ! »

So ton suggérait que cela était outrageant au lieu d’être une bonne chose. Erin regarda Lyonette avec méfiance depuis sa table alors que Toren entra dans l’auberge. Elle lui avait dit de revenir au matin.

« C’est un outrage ! Pourquoi aurais-je besoin de cette Compétence ! »

« … Pour cuire des trucs ? »

Erin mit sa tête entre ses mains. Elle soupira alors qu’elle rajoute du délicieux miel sur ses délicieuses crêpes. Au moins ça, c’était toujours bon.

« Franchement, Lyon. Cela m’aiderait si tu pouvais cuisiner. Et tu pourrais faire tourner l’auberge quand je ne suis pas là. »

La fille s’arrêta avant de manger un gros morceau de crêpes.

« Je pourrai ? »

« Oui ? Non ? Peut-être ? Je vais sortir et aller chercher des abeilles. C’est ce que je vais faire. Les Antinium les aiment. »

Erin soupira dans son repas et regarda Toren.

« Hey. Toi. »

Il se retourna et la regarda. Il semblait presque… Agacé, ou angoissé. Il continuait de bouger sur place, comme s’il était ennuyé. Mais Erin était trop fatigué ou agacé pour s’en soucier.

« Prépare le traîneau. Et prends quelques jarres. Nous retournons explorer. »

Il la regarda, et puis tapa du pied en passant la porte, ne prenant même pas la peine de fermer la porte derrière lui jusqu’à ce qu’Erin le rappelle. Lyonette regarda le squelette et puis Erin.

« Moi ? Tu veux dire, je serais à la tête de l’auberge ? »

« Pas à la tête. Mais tu serais, heu, une aubergiste temporaire. Cela serait ton château, et tu serais comme la princ… »

Erin mordit sa langue. Lyonette la regarda.

« Ahahaha. Je veux dire, heu, Oui ! Comme une princesse dans son château, sauf que….Non. Ouais. »

Elle regarda autour d’elle, paniqué ? Ryoka et Mrsha étaient toujours en train de dormir, mais elle savait que la jeune Gnolle allait bientôt se lever, et donc, Ryoka allait suivre.

« Je, heu, vais chercher d’autres abeilles avec Toren. Je reviens bientôt, tiens l’auberge en mon absence. Il y a plein de crêpes et si quelqu’un arrive, tu peux leur servir des hamburgers. Je t’ai montré comment les faire, et [Cuisine Élémentaire] fera le reste. À plus ! »

Elle s’enfuit de l’auberge avant qu’elle ne puisse dire quelque chose. Dehors, Toren se tint à côté du traîneau. Il n’était pas en train de porter les rênes avec les grelots. Erin fronça les sourcils.

« Allez, met le harnais, Toren ! Nous n’avons pas toute la journée. »

Et bientôt, elle était dans le traîneau et Toren était en train de le tirer. Erin lui dit d’aller vers la cave des abeilles. Elle le sentit distinctement hésité, mais ils arrivèrent à la cave.

« Okay, voilà le plan. »

Erin s’agenouilla dans la neige alors que Toren la regarda. Elle avait choisi un endroit éloigné de la cave avec beaucoup de neige pour se cacher. Elle le pointa du doigt.

« Tu vas dans la cave avec deux jarres à la fois. Essaye d’avoir le plus de miel possible et le plus d’abeilles possibles. En fait, prends quatre jarres, d’accord ? Je veux deux jarres de miel et des rayons de miel, et deux jarres d’abeilles. »

En y réfléchissant, elle aurait pu lui dire de tout faire tout seul, mais il y avait quelque chose de satisfaisant dans le fait d’être ici pour faire le travail. En quelque sorte. Erin se cacha dans la neige et regarda Toren courir et finir lever dans le ciel et brisé par les abeilles. Mais il revint avec plein de miel et beaucoup d’abeilles.

« Beau boulot, Toren ! »

Elle le dit en l’aidant à se reformer. Le squelette regarda Erin alors qu’elle souleva la jarre qu’il avait remplie d’abeille vivante. Certaines étaient encore en train de bourdonner contre le couvercle.

« Flippant. D’accord, ensuite il nous faut des champignons, d’accord ? »

Erin avait la vague idée qu’elle pouvait nourrir les Fée de Givre, mais elle voulait juste faire des réserves avant de retourner dans l’auberge. C’était à peine le début du matin, elle avait encore du temps.

Le traîneau était très confortable alors qu’Erin remonta dedans. Elle avait ajouté une couverture et un oreiller hier, et maintenant elle s’installait confortablement, laissant les jarres d’abeilles mortes le plus loin possible alors que Toren commença à tirer le traîneau.

Oui, c’était la belle vie. Être une [Aubergiste] était compliquée quand il fallait faire toute la cuisine, mais Lyonette était désormais capable de l’aider et que Toren allait continuer de l’aider.

Le paysage passa sous le regard lourd d’Erin alors qu’elle changea de position dans le traîneau. Il était tellement confortable. Et il y avait quelque chose d’hypnotique dans cette manière de voyager. C’était comme être sur un ferry, mais avec de la neige à la place de l’eau. Et Erin dormait toujours lors des voyages en voiture.

Elle bailla. Elle était tellement fatigué. Une sieste ne pouvait pas faire de mal, pas vrai ? Erin leva la voix, fatiguée.

« Hey Toren, dit moi quand est-ce qu’on arrive à la prochaine cave, d’accord ? Je vais faire un petit somme. »

La tête du squelette tourna sur ses épaules alors qu’il la regarda en silence. Erin fit un signe de la main.

« Ne cogne rien et ne tombe pas dans un trou, d’accord ? »

Elle ferma les yeux et bailla de nouveau. C’était tellement plaisant, chevauchant le traîneau. Oui, il faisait froid, mais elle avait plusieurs couches de vêtement, et il n’y avait pas de bosses sur le chemin pour la réveiller.

Erin commença à somnoler. Et en quelques instants elle commença à doucement ronfler dans l’air frais.

***

Quand Toren entendit les mots d’Erin, il ne voulait pas en croire ses oreilles. Certes, il n’avait pas d’oreilles. Donc il n’arrivait pas à en croire les trous qui lui servait d’oreille.

Quand il se retourna et la vit allongé sur le traîneau avec ses yeux fermé, il ne voulait pas y croire. Quand elle commença à ronfler, il commença le croire, et cela l’énerva énormément.

Elle était en train de dormir ! L’émotion que Toren ressentit n’était pas que de la colère, c’est de l’indignation. Elle était en train de dormir, et il… Il était en train de tirer ce stupide traîneau !

Le sentiment s’amplifia et se battit pour dominance dans le torse du squelette alors qu’il continua d’avancer. Il n’était pas fatigué, pas physiquement, mais une partie de lui était malade et fatigué à l’idée de continuer de tirer Erin sur ses inutiles courses. Il ne voulait pas se faire casser une nouvelle fois par les abeilles, et il trouvait que rassembler ces champignons était… Fastidieux.

Et puis il y avait le son. Ce terrible, interminable son.

Ting. Ting-ting.

Les cloches du traîneau continuaient de sonner. Elles étaient le truc le plus agaçant qu’il avait entendu depuis sa création. Elles sonnaient avec le harnais. Sur sa chaîne. Elles étaient un bruit capable de rendre n’importe quelle créature folle.

Ting ting ting.

Il était en colère. Non ; il était furieux. Toren était contrarié par tous les ordres venant de la bouche d’Erin. Les interminables sorties en traîneaux ou il avait été forcé de remonter la pente pour porter des Drakéides et des Gnolls avaient été une torture, la goutte d’eau.

Toren commença à lutter contre les ordres d’Erin. Elle lui avait donné des ordres, mais il n’était pas les bons. Non, pire encore, ils étaient inacceptables.

Une partie de lui lui disait d’obéir. C’était son devoir, ce pourquoi il avait été créé. Mais, non, il ne voulait pas faire ça ! Toren voulait être libre, libre de se battre et de tuer et…

Ting. Tingting.

Il détestait ça. Il détestait les ordres, il détestait tirer ce stupide véhicule. Toren voulait prendre son épée et réduire le traîneau en miette. Ou, ou il pouvait l’utiliser sur Erin pour…

Non. Il ne pouvait pas le faire. La magie l’empêchait encore de faire ça. Mais il commençait à ressentir les limitations de son âme. Oui, il devait obéir aux ordres. Mais il pouvait mal les interpréter. Il pouvait agir lentement. Il pouvait…

Qu’est-ce qu’elle avait dit ? Qu’elle voulait qu’il lui dise quand est-ce qu’ils allaient atteindre la prochaine cave. Et elle voulait qu’il tire le traineau. Toren pensa à ces mots. Erin voulait dire autre chose quand elle avait prononcé ces mots, bien sûr, mais la manière dont elle les avait prononcé lui laissait de la marge de manœuvre.

Mais qu’est-ce qu’il voulait faire ? Toren regarda Erin. Elle était sa Maîtresse. Mais elle n’était pas digne de ce titre. Il voulait…

Ting. Ting ting.

Il voulait être libre. Il voulait prendre sa liberté, même si cela voulait dire qu’il devait se débarrasser d’Erin. Il ne pouvait pas la blesser, mais il y avait d’autres moyens de se débarrasser d’ordre inconvénient, n’est-ce pas ?

Mais qu’est-ce qu’il pouvait faire ? Toren lutta contre lui-même. Il voulait être libre. Mais il avait des ordres. Mais il voulait être libre. Et pourtant, est-ce qu’il…

Tin…

Snap.


Toren entendit le bruit de câble se rompant dans son esprit et dans réalité. Il regarda les clochettes dans ses mains. Jamais. Plus jamais. Il ne sera plus jamais un esclave. Il allait être libre.

Qu’importe ce qu’il allait devoir faire.

Lentement, le squelette changea sa trajectoire. Il lança un regard à Erin et vit qu’elle était profondément endormie. Il commença à courir vers le nord, loin de Liscor, loin de l’auberge, le plus vite possible. Il avait un plan.

Le traîneau continua vers le nord, s’éloignant de l’auberge et des montagnes. Il allait clairement dans la mauvaise direction, mais qui serait dehors sitôt le matin pour le voir ? Et qui allait y prêter attention ?

Deux Gobelins s’assirent au sommet d’une colline. L’un d’entre eux soupira en réajustant son arbalète. Elle voulait manger à l’auberge, mais elle avait été banni pour des raisons qui n’étaient pas sa faute, même si elle pouvait les comprendre. L’autre Gobelin s’ennuyait. Mais ses yeux étaient fins, il vit le squelette, et vit le traîneau changer de direction.

Le Gobelin vit tout cela. Et il sourit. Mais il ne dit rien à l’autre Gobeline.

Lentement, le traîneau disparu derrière une colline. Garen sourit pour lui-même, et se demanda quand est-ce que Loks allait retourner dans sa tribu. Elle avait encore beaucoup à apprendre, et cet endroit relaxant qui avait cette étrange [Aubergiste] n’était pas l’endroit ou elle devait être. Elle devait être forte, solide. Elle devait mener des tribus. Elle pouvait devenir une Seigneuresse des Gobelins, il le savait. Et moins il y avait d’humain agaçant pour la ralentir, mieux cela sera.

***

Toren se réveilla lentement. Elle avait froid, et était engourdie, et elle ne bougeait plus. Ce fut quand elle réalisa qu’elle s’était arrêtée. Le soleil était éblouissant, et Erin avait l’impression qu’elle avait fait une bonne sieste.

« Toren ? »

Elle cligna des yeux, regarda le ciel, et laissa échapper un cri de surprise. Le soleil était haut dans le ciel ! Elle avait dû dormir pendant des heures !

« Toren ! Pourquoi est-ce tu ne m’as pas réveillé ? »

Erin hurla en se relevant, cherchant son squelette. Mais elle resta sans réponse. Alors qu’elle regarda autour d’elle, Erin réalisa que quelque chose n’allait vraiment pas.

Le traîneau se tenait au milieu de nulle part, entouré par la neige. C’était normal. Mais le paysage autour d’elle ne l’était pas. Erin regarda autour d’elle. Attends une seconde, où étaient les montagnes. Liscor était entouré de montagne, mais elle ne pouvait pas en voir. À l’exception des petites montagnes qui se trouvaient là…bas…

Son estomac se serra. Erin regarda à sa gauche. Il y avait des arbres. Une forêt. Il n’y avait pas de forêt près de Liscor, sauf pour celle des arbres explosifs sur une colline. Et pourquoi est-ce que le sol si plat ?

« Toren ? Où sommes-nous ? »

Erin regarda autour d’elle, paniqué, mais son squelette avait disparu. Elle prit quelques grandes inspirations. Réfléchis. Qu’est-ce qu’elle avait ?

Elle avait : Une jarre d’abeille morte, deux jarres de miel, un oreiller, une couverture et un traîneau. Oh, et sa fildèle poêle à frire qu’elle gardait en cas de danger. Et sa bourse ? Peut-être ?

Ce qu’elle n’avait pas était Toren, et l’idée de où il était, ou de l’argent.

« Toren ? Hey, Toren. »

Erin leva la voix avec espoir. Peut-être que son squelette était proche, et qu’il ne l’avait pas entendu. Ou peut-être… Peut-être qu’il s’était perdu en essayant de trouver une cave,e t qu’il s’était éloigné pour faire du repérage. C’était ça, pas vrai ?

« … Toren ? »

Il allait bientôt apparaître. Bientôt. Erin leva les voix.

« Toren ! Ou est-tu ? »

Pas de réponse. Le froid mordant souffla autour d’elle, et Erin se sentit très seule. Elle regarda les terres sauvages l’entourant. Et c’est là qu’elle remarqua le loup mort.

C’était juste un loup. Non pas un Loup Carnassier ; c’était plus petit, avec une fourrure grise, et avait été brutalement décapité. Sa tête gisait dans la neige, regardant Erin. Elle lui rendit son regard, trop choqué pour trouver ses mots. Et elle réalisa qu’elle était seule. Perdue et seule.

« Oh oh. »

***

Ryoka se réveilla lentement quand elle sentit quelque chose lui lécher le visage. Elle repoussa la chose velue et ignora ses complaintes quand elle toucha le sol. Deux secondes plus tard, Ryoka se réveilla rapidement quand Mrsha percuta son estomac.

Bon sang, Mrsha ! »

La Gnolle courut hors de la pièce, apeurée, et Ryoka se débattit pour sortir de son lit, se libérant des couvertures. Elle descendit les escaliers pour trouver Mrsha se cacher derrière Lyonette. La fille regarda Ryoka avec un air de reproche alors que Mrsha trembla derrière elle.

Ryoka se frotta le visage. Splendide. Elle avait déjà foutu le bazar en moins de cinq minutes après s’être réveillé.

« Je suis désolé, Mrsha. Je ne voulais pas crier. Mais… Ne me frappe pas dans l’estomac, d’accord ? »

Elle frotta son estomac et s’assit sur le sol. Lentement, Mrsha s’approcha et fit un câlin à Ryoka. Parfois elle se frotta et léchait, et parfois elle était vraiment une enfant.

« Où est Erin ? »

Ryoka posa la question après avoir mangé quelques crêpes. Mrsha avait éparpillé du miel partout sur son visage et était occupé à se nettoyer. Lyonette haussa les épaules.

« Elle a pris cet horrible squelette pour sortir en traîneau. Elle dit qu’elle va chercher d’autres abeilles. »

« Super. »

Ryoka soupira, mais mangea ses crêpes et se demanda quand Erin allait revenir. Elle avait beaucoup à discuté avec Erin.

Selys passa dans la matinée, principalement pour dire bonjour à Mrsha et manger quelques crêpes. Il n’y en avait pas assez, mais à la grande surprise de tous, Lyonette en fin de nouveau. L’autre fille fut hautaine en le faisant, mais elle nourrit Mrsha sous la table en pensant que Ryoka ne s’en rendrait pas compte.

Ryoka attendit une autre heure, discutant avec Selys sur comment prendre soin de Mrsha et en jouant avec la petite Gnolle. Elle n’avait pas la moindre idée de comment jouer avec des enfants, mais Selys connaissait beaucoup de jeu, dont le jeu de main, même si les paroles étaient différentes.

Le temps passa. Ryoka sortit pour savoir si elle pouvait trouver Erin chevaucher son traîneau. Elle termina à aller en ville, et Selys l’accompagna, cette fois pour que Mrsha puisse prendre un bain. La Gnolle commençait à sentir.

Ryoka rencontra un Drakéide s’appelant Olesm sur le chemin. il était en train de chercher Erin, et il semblait dépresser quand elle lui dit qu’elle ne l’avait pas vu de la journée. Il décida de rester dans l’auberge et Ryoka alla discuter avec Klbkch.

Elle découvrit qu’il était très occupé en tant que garde., donc Ryoka monta les murs de Liscor pour essayer de trouver Erin. Elle ne la vit pas, ni le traîneau.

Après un déjeuner en ville et midi passé, Ryoka commençait à s’inquiéter. Elle discuta avec Krshia et retourna dans l’auberge pour parler à Lyonette et le Drakéide nommé Olesm. Ils n’avaient pas vu Erin de la journée.

Cette fois Ryoka allait directement voir Klbkch et lui demanda si sa Colonie savait ou elle était. Il lui dit que les Tympans ne pouvait pas détecter Erin, et qu’Erin n’avait pas été repérable depuis qu’elle avait quitté son auberge le matin.

Il n’y avait pas de signe d’Erin proche de la cave aux abeilles en suivant les directions de Lyonette, même si la neige avait été bougé. Ryoka retourna à l’auberge et s’inquiéta.

Quand le soir arriva, Krshia, Klbkch, et tous les amis d’Erin allait Olesm à Selys étaient à la recherche d’Erin. Lyonette jura qu’elle ne savait rien d’autre, mais les traces du traîneau d’Erin avaient été croisé trop de fois pouvoir être suivies.

Pour une fois, les omniprésentes Fées de Givre étaient introuvables et Krshia dit qu’elle les avait repérés vers le sud en train de rependre plus de neige. Ryoka s’assit dans l’auberge, inquiété, jusqu’à ce qu’elle se souvient d’Halrac.

Le rang-Or [Scout] était de mauvaise humeur comme s’il n’appréciait pas d’avoir été dérangé dans sa discussion avec Bird à propos d’un projet de fouille, mais quand Ryoka lui dit qu’Erin avait disparu il accepta aussitôt de la rechercher.

Le [Scout] suivi les trace d’Erin jusqu’à la cave aux abeilles, puis il trouva d’autre trace qui partaient de la cave pour aller au nord. Les traces continuaient, encore et encore, et les yeux fins d’Halrac virent que les traces continuaient sur des kilomètres vers le nord.

Ryoka retourna à l’auberge et fit passer le mot. Elle écouta les amis d’Erin discuter et débattre, et tenta de réfléchir à une raison pour laquelle Erin aurait continué. Elle pensa aux dangereuses abeilles, aux monstres… Même si Halrac n’avait pas trouvé de trace. Et puis au squelette. Elle pensa à Toren, et pensa à une histoire comme celle de Frankenstein.

La nuit fut très longue pour Ryoka. Lyonette fit à manger, légèrement trop cuit, pour Mrsha et Selys, et Ryoka parla quelques instants avec Krshia et Selys en faisant des plans. Elle donna à la Drakéide et à la Gnolle ses pièces d’or et répéta trois fois à Mrsha ce qu’elle allait faire.

Le lendemain matin, Ryoka quitta l’auberge de bonne heure, laissant derrière elle Lyonette, et Mrsha avec Selys. Elle courut vers le nord, cherchant le traîneau, et posant des questions aux voyageurs pour savoir s’ils avaient vu une fille ou un squelette. Mais elle n’apprit rien. Et ne trouva rien.

Alors que Ryoka continua de courir, l’idée qu’un Dragon pouvait scruter les gens en sachant leur nom vient à son esprit. Et elle courut un peu plus rapidement après cela.

Et bien plus loin, un [Chevalier Squelette] poignarda à mort deux voyageurs sur la rouge. Il prit leur pièce dans le vague espoir qu’ils puissent être utile, et continua de marcher. Il allait retourner à Liscor, vers le donjon ou il allait pouvoir gagner des niveaux. Ses yeux violets s’illuminèrent et il sourit.

Il était toujours souriant, mais cette fois c’était parce qu’il était heureux, tellement heureux.

Du sang goutta de ses doigts, coula le long de son armure cabossée et sur la neige. Le squelette laissa une piste sanglante en continuant sa marche. Enfin. Il continua de penser à ce mot.

Enfin.

Il était libre. Et quand il aurait atteint un plus haut niveau… Juste un peu plus haut…

Il serait libre pour l’éternité.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 03 mars 2021 à 09:53:32

 
2.44 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Le continent d’Izril avait été transformé par l’hiver. Les neiges froides avaient enseveli les collines verdoyantes et leur faune, et le monde était devenu blanc et glacé.  Et dans la région juste au nord des célèbres Hautes Passes et des montagnes abruptes, le monde était tombé dans la désolation.
 
Un grand champ avait été recouvert de neige, et c’était là que les vents soufflaient sans merci. Les bourrasques glacées rendaient le froid mordant encore plus dangereux pour le voyageur coincé dehors sans protection.
 
Des paillettes de neige tombèrent de la canopée d’une forêt au loin et tourbillonnèrent dans les airs. Elles volèrent dans le vent, des dagues de glace qui fondait avant de geler de nouveau sur la peau nue. Le champ était silencieux. C’était un pays des merveilles plongé dans un hiver glacial ; un lieu que nulles habitations, nul village n’était venu perturber.
 
Mais une silhouette solitaire traversait le paysage figé. Une Humaine trébucha et se fraya lentement un passage dans la neige, tirant un véhicule semblable à un traîneau derrière elle. L’air froid essayait de la mordre à travers ses vêtements, et l’isolation lancinante aurait sans doute rendu n’importe quelle mortelle folle au bout de quelques jours.
 
Comme Erin était dehors depuis moins de trois heures, elle était encore en forme. Et elle ne se déplaçait pas vraiment dans un silence las. Elle chantait.
 
À cause de mon squelette, je ne peux retrouver mon chemin
 
Voilà pourquoi j’erre sans fin !
 
Il fait tellement froid, que je pourrais mourir gelée
 
C’est pourquoi je ne peux pas me reposer !
 
Bad dum bum bump bum.
 
Je crois que je suis complètement paumée. Mon traineau est tout gelé.
 
Je, euh, je suis très, très énervée.
 
Crétin de Toren !

 
Erin ne se sentait pas vraiment si mal pour le moment. Certes, elle était perdue, abandonnée par son squelette, et elle n’avait aucune idée d’où elle se trouvait, mais elle avait un air entraînant dans la tête et elle se concentrait là-dessus.
 
Sa chanson était dépourvue d’enjolivements comme une véritable mélodie, ou un sens du rythme ; aucun accompagnement mis à part le bruit du traîneau qui glissait derrière elle dans la neige. Elle était entièrement a capella, ce qui entraînait parfois des paroles intéressantes.
 
Où que j’aille, tout reste semblable !
 
Je crois que c’est Toren le coupable ?
 
J’ai vraiment envie de manger, mais je n’ai que du miel et des abeilles décédées,
 
J’aimerais tellement avoir un peu de….
aaaaah ! Des loups !”


Elle repéra par hasard la première silhouette grise en train de s’avancer lentement vers elle dans la neige ; elle tourna la tête et vit le loup, à environ quatre mètres de distance. Erin cessa de chanter et poussa un cri lorsque le loup se redressa pour hurler. D’autres loups se mirent à hurler autour d’Erin, et elle réalisa que son chant - et le loup que Toren avait peut-être tué - avaient attiré une meute.
 
“Reculez ! Reculez !”, hurla Erin sur les loups qui s’étaient mis à l’encercler. Là encore, il ne s’agissait pas de Loups Carnassiers, mais ils restaient gros et effrayants aux yeux d’Erin, qui n’avait vu de loups qu’au zoo, sur National Geographic et Planète Terre.
 
Et à présent ils étaient là, plus gros que…
 
L’un d’eux fonça dans la neige et bondit sur Erin. Elle cria, mais n’essaya pas de l’esquiver ou de se protéger le visage. Elle serra plutôt le poing.
 
[Attaque du Minotaure] !”
 
Son poing cueillit le loup dans l’estomac. L’animal émit un grognement sifflant, s’envolant s’étaler dans la neige sous le coup d’Erin. Un autre loup bondit et Erin l’esquiva avant de lui donner un coup de pied en pleine tête. Elle portait des bottes d’hiver, et le loup glapit puis s’écarta d’un bond.
 
“Prends ça !”
 
Elle leur cria dessus puis recula précipitamment pour se mettre dos au traîneau. Les loups chargèrent de nouveau, mais Erin était prête. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, mais ce n’était pas pire que les morts-vivants. Les loups n’étaient pas aussi dangereux que Scruta, ni aussi nombreux que les Gobelins…
 
Erin mit une baffe à un loup et le força à reculer. Mais ils étaient effrayants, et ils avaient des crocs ! Ils mordirent deux fois dans ses vêtements, mais sans atteindre sa peau. Elle donna un coup de poing à un autre loup. Ce dernier s’écroula au sol un instant avant de se lever et de s’enfuir à toute allure.
 
“Oui, voilà ! Vous voulez tâter de ça ?”
 
La jeune femme hurla et agitant les bras pour essayer d’apparaître plus grosse. Leur faire peur. Faire autant de bruit que possible. Elle vit les loups hésiter et continua de hurler. Elle n’allait pas mourir ici, pas sous l’assaut de loups.



***

La meute de loup était affamée, et c’était la raison pour laquelle elle avait décidé d’attaquer la créature bipède à l’odeur si étrange. D’ordinaire, les loups évitaient ce genre de créatures et s’en prenaient à des proies plus familières, mais les neiges de l’hiver s’étaient épaissies davantage qu’à l’accoutumée dernièrement, et le gibier s’était fait rare. Ils avaient repéré un groupe de Corus migrant au sud plus tôt dans la semaine, mais aucune ne traînait la patte, et les biches étaient beaucoup trop dangereuses pour qu’une meute de loup les attaquent à moins d’être désespérée.
 
Ils avaient donc pris l’Humaine en étau, usant de furtivité pour l’approcher. Mais elle avait repéré l’un d’entre eux et ils l’avaient donc attaquée.
 
Il s’était agi d’une erreur. La créature était chétive, mais elle cognait et frappait les loups comme un arbre en train de tomber. Les adultes ne parvenaient pas à la mordre, qu’importe la manière dont ils lui sautaient dessus. Et la femelle refusait de s’enfuir en courant.
 
Était-elle bien une proie ? Les loups s’étaient dit que oui, mais ils étaient rapidement en train de changer d’opinion. La créature criait et faisait mine d’être effrayée, mais elle était forte, et elle n’avait pas l’odeur de peur d’une proie. Puis Erin attrapa au vol un loup qui lui bondissait dessus et le jeta sur les autres.
 
C’en fut trop pour les loups. Ils battirent en retraite devant les cris de la femelle qui leur jetait de la neige et donna une baffe à un jeune loup et réfléchirent à leurs options. Ils auraient pu rester dans le coin, à distance, pour l’observer et voir si elle faiblissait, mais ils levèrent la truffe et sentirent un danger. Ils firent demi-tour et s’enfuirent. Ils avaient beau avoir faim, ils n’allaient pas essayer de se frotter à ce genre de problème.
 
L’étrange créature à deux pattes resta sur place en poussant des cris de joie. Elle ne vit le grizzly en colère émerger de sa caverne que lorsqu’il fut presque sur elle.



***

Oh mon Dieu ! Un ours ! Un ours ! ”, hurla Erin en poussant son traîneau dans la neige. Elle ne savait pas pourquoi elle l’avait pris avec elle, mais elle n’avait pas pensé à tout simplement s’enfuir en courant.
 
Cela n’aurait pas aidé, de toute façon. L’ours galopait à grand bruit dans la neige, soulevant d’imposants geysers de neige et rugissant en fonçant sur Erin. Elle hurla de nouveau.
 
“M’approche pas ! M’approche pas ! M’APPROCHE PAS !”
 
Elle avait déclenché sa [Voix de Stentor] par accident. L’ours hésita et Erin leva les poings, désespérée. Il dévia de sa course, l’esquiva et finit par s’arrêter pour dévisager Erin. Elle soutint son regard.
 
L’ours était en colère - elle l’avait peut-être sorti de son hibernation. Erin n’avait peut-être jamais rencontré de loups, mais elle connaissait les règles de sécurité avec les ours. Il y en avait dans le Michigan et elle savait que… c’était quoi, déjà ?
 
Ne pas laisser de nourriture à l’extérieur, ne pas s’interposer entre une ourse et ses petits… rester calme si l’on aperçoit un ours au loin… mais que faire face à un ours en rogne en train de charger ?
 
Erin n’en avait aucune idée, mais l’ours était en train de s’énerver de nouveau. Il essaya de charger. Erin lui hurla dessus.
 
“VA-T’EN.”
 
Cette fois-ci, l’ours réagit clairement au son de sa voix. Il se recroquevilla légèrement et Erin comprit qu’il n’aimait pas le bruit.
 
“T’aimes pas ça ? Alors que dis-tu de ça ?”
 
Elle prit une grande inspiration, puis se lâcha.
 
“AAAAAAAAAAAAAAAAA…”


***

À trois cents mètres, un [Chasseur] baissa son arc et leva les yeux. L’oiseau qu’il traquait s’envola - comme tous les oiseaux de la forêt. Ils s’envolèrent dans les airs, paniqués, il visa et décocha sa flèche. Il manqua son coup. Le [Chasseur] poussa un juron, puis regarda autour de lui.
 
“Par les Dragons, c’est quoi ce bruit ?”
 
On aurait dit quelqu’un qui criait, incroyablement fort, et de très loin. L’homme à l’arc - Jerad Riels - hésita, mais finit par courir dans la forêt, sans se soucier de la neige qui craquait sous ses bottes. Il se déplaçait d’ordinaire le plus furtivement possible pour éviter d’alerter sa proie ou d’attirer des prédateurs dangereux, mais ce bruit faisait fuir tous les animaux.
 
Il sortit en courant de la forêt et vit un ours. Jerad connaissait cet ours. C’était un mâle agressif et il s’était tenu très loin de sa caverne le temps de son hibernation. Mais là, l’ours rentrait le plus vite possible en direction de son antre. Il fuyait, oui, fuyait devant… une fille ?
 
Jerad plissa les yeux. Il ne possédait pas de Compétence capable d’améliorer sa vision, mais il avait toujours eu une bonne vue. Il écarquilla les yeux en voyant une jeune femme debout devant une espèce de traîneau. Elle n’avait pas de cheval, mais l’animal s’était peut-être enfui. C’était elle, la source des cris au volume insupportable.
 
AAAAAAAAAAAAAAAAAA... oh, salut, toi !”
 
L’homme mûr frotta ses oreilles, sonné. La jeune femme lui sourit. Elle portait de vêtements d’hiver, et son traîneau avait l’air d’avoir été bricolé à la va-vite. Il y avait plusieurs jarres à l’arrière, et Jerad écarquilla les yeux en s’apercevant que l’une d’elles était remplie d’Abeilles Brûlecendres.
 
“Oh, salut. Je suis perdue. Mon squelette s’est enfui. Est-ce que tu pourrais m’aider ?”
 
Jerad regarda fixement Erin.
 
“Quoi ?”
 
“J’ai dit que mon squelette s’était enfui.”
 
Ses oreilles tintaient encore. Jerad les frotta. Il aurait juré qu’elle avait dit quelque chose au sujet d’un squelette ?
 
“Qu’avez-vous dit ?”
 
“Quoi ?”
 
Quoi ?


***


Environ deux milles au sud-ouest, les Gobelins marquèrent une pause en entendant un cri ténu qui finit par s’éteindre au bout de quelques minutes. Leurs oreilles sensibles tressaillirent et ils se dévisagèrent, mais ils reprirent leur route lorsque leur leader Hobgobelin grogna avec irritation.
 
Ils étaient treize Gobelins au total, et pas des Gobelins ordinaires, avec ça. Chacun avait plus de dix niveaux dans une classe de combat, et ils étaient tous vêtus d’armures et munis d’épées qui n’étaient ni rouillées, ni cassées. Ils faisaient partie de la Tribu du Croc Rouge, et ils étaient en mission d’assassinat.
 
Les douze Gobelins et le Hobgobelin qui marchaient dans la neige n’avait qu’une seule tâche à accomplir : tuer l’[Aubergiste]. Tuer la fille et ne pas le dire à la Cheftaine. Chacun d’entre eux avait reçu cette mission en secret par Garen Rougecroc en personne, et ils avaient donc avancé sans relâche dans la neige, guettant le moindre signe de cette Humaine.
 
Au bout d’un moment, les Gobelins s’arrêtèrent pour faire une courte pause. Ils reniflèrent l’air, étudièrent les traces dans la neige. Puis ils se regardèrent. Aucun ne parla, mais ils pensaient tous la même chose :
 
Quelle [Aubergiste] ? Quelle fille ? À quoi ressemblait-elle ? Où était-elle ? Était-elle forte ? Avait-elle bon goût ?
 
Au bout d’un moment, le Hobgobelin se gratta le dos et pointa une direction aléatoire. Les Gobelins se dirigèrent par là. Garen leur avait dit que la fille était partie au nord, mais aucun d’entre eux ne possédait de classe de traque, et ils avaient donc perdu les traces du traîneau dans la neige près d’une heure auparavant.
 
Les Gobelins poursuivirent leur marche. C’était une bande dangereuse, armée jusqu’aux dents. Chargés d’une mission.
 
Après encore quatre heures de marche dans un cercle sans but, l’un des Gobelins songea que peut-être que le cri et la fille étaient reliés. Ils revinrent au pas de course là d’où étaient provenus les cris, mais le temps qu’ils arrivent, la personne qui avait émis le son avait disparu depuis longtemps.
 
Les Gobelins haussèrent les épaules et continuèrent de chercher. Garen Rougecroc avait beau avoir choisi certains de ses meilleurs guerriers, aucun d’entre eux n’était particulièrement intelligent. Même pour des Gobelins.
 
***


Les Drakéides avaient pris l’habitude de ses moquer des [Gardes] Humains et des forces de l’ordre locales dans les cités Humaines. Une blague Drakéide populaire consistait à comparer les milices et les gardes des villes Humaines à des Gnolls rasés inefficaces - une blague qui supporte mal la traduction et reste considérée comme extrêmement offensante à la fois envers les Humains et les Gnolls.
 
Toutefois, il était universellement admis que si l’on voulait se débarrasser d’un monstre ou appréhender un criminel dans une ville Humaine, il fallait embaucher un aventurier. La garde locale était peut-être capable d’arrêter de vulgaires voleurs, mais la différence de qualité entre les soldats employés par les Drakéides et les Humains était grande.
 
Dans les cités Drakéides telles que Liscor, [Garde] était un poste prestigieux auquel était associée un excellent salaire et un niveau de compétence tout aussi élevé. Dans les villes Humaines, toutefois, ceux qui possédaient beaucoup de niveaux devenaient invariablement des mercenaires, des aventuriers, ou des gardes personnels. Par conséquent, les gardes aux portes des villes telles que Celum s’ennuyaient et ne cherchaient pas le conflit dans la plupart des cas, comme leur boulot consistait la plupart du temps à faire cesser les rixes de taverne et prévenir les vols et les agressions plutôt qu’à repousser des attaques de monstres.
 
Mais ils faisaient tout de même leur boulot, et tout garde aimait voir des choses intéressantes, et c’était la raison pour laquelle ils avaient arrêté la jeune femme qui essayait de pousser son traîneau en ville.
 
“Excusez-moi, Mademoiselle, mais vous ne pouvez pas apporter ça en ville.”
 
Erin repoussa une mèche de cheveux de son visage et essuya un peu de sueur sur son front. Malgré le froid, ses efforts l’avaient réchauffée. Elle avait poussé le traîneau sur des milles et des milles sur la route après que le gentil [Chasseur] l’y ait accompagnée.
 
“Aw. Vraiment ?”
 
“Vous n’avez pas de cheval, et ce truc a l’air de pouvoir se retrouver coincé dans les pavés.”
 
Ils avaient probablement raison. Erin soupira et regarda les alentours. Tout l’étonnait. Par exemple, cette ville avait des remparts bas. Ils ne faisaient que six mètres de haut, et le trafic de la ville était régulier. Et tout le monde était Humain !
 
Erin avait eu une… réaction lorsqu’elle s’était mise à croiser des gens sur la route. Elle s’était mise à serrer des mains et à dire bonjour à tout le monde. Ils l’avaient tous regardé comme si elle était folle, surtout lorsqu’elle leur avait expliqué qu’elle voyageait seule. Elle n’avait même pas mentionné son squelette disparu ; cela ne lui avait pas paru sage.
 
Il y avait un joli espace couvert de neige à gauche des portes de la ville. Erin le pointa du doigt.
 
“Est-ce que je peux laisser mon traîneau ici ?”
 
Les gardes échangèrent des regards et haussèrent les épaules. Erin poussa son traîneau et s’essuya de nouveau le front. À présent qu’elle n’était plus dans le siège conducteur, elle se sentait un peu coupable de l’avoir fait tirer par Toren un peu partout. Mais pourquoi s’était-il enfui ? Erin n’aimait pas envisager le pire, mais…
 
Elle envisageait le pire. Toren s’était enfui comme… comme un chien errant ? Un chien errant mort-vivant avec une armure, une épée et des yeux qui jetaient des sorts de terreur. Elle était un tout petit peu inquiète, mais il fallait pour le moment qu’elle rentre à la maison.
 
“Dites-moi, est-ce que vous savez à quelle distance nous sommes de Liscor ?”
 
Le [Garde] dévisagea Erin qui rapportait les trois énormes jarres avec elle. Elle avait dû faire un baluchon avec sa couverture, et les jarres s’entrechoquaient. Elle espérait vraiment qu’elles n’allaient pas se casser.
 
“Liscor ? Est-ce que vous êtes une [Marchande] de là-bas ?”
 
“Quoi ? Non. Je suis [Aubergiste] et je me suis perdue.”
 
Il la regarda fixement. Il avait une moustache frisée qui ne méritait pas tout à fait ce nom et des cheveux bruns. Il avait l’air d’avoir froid dans son armure. Il regardait également Erin avec des yeux emplis de scepticisme. Erin cligna des yeux.
 
“Quoi ? C’est vrai. Je me suis perdue.”
 
“Liscor est à plus de cent milles au sud d’ici. Comment avez-vous réussi à venir jusqu’ici sans le savoir ?”
 
Quoi ? Cent milles !?
 
Erin porta ses mains sur sa tête. Comment allait-elle rentrer ? Elle n’allait pas faire toute cette route à pieds ! Et elle n’avait pas Toren !
 
Le garde contempla fixement Erin qui gémissait à voix haute. Puis il regarda son baluchon de fortune et ses jarres qui s’entrechoquaient. Elles étaient lourdes, de toute évidence, et tiraient sur le tissu.
 
“Qu’est-ce qu’il y a dans ces jarres ?”
 
“Quoi, ça ? Du miel, et, euh, des trucs associés au miel.”
 
L’homme à la moustache pleine de frisettes fronça les sourcils.
 
“Il faut que j’inspecte ces pots. Il y a une taxe pour apporter des marchandises en ville.”
 
“Aw. Vraiment ?”
 
À ce stade, le reste des gardes aux portes de la ville s’étaient mis à laisser rentrer des gens à l’intérieur. Erin était une attraction que les passants regardaient en entrant. Elle soupira et le garde hocha la tête.
 
Avec réticence, elle plongea la main dans sa sacoche et en sortit prudemment une jarre de miel. Tout le monde se retourna pour regarder fixement la substance dorée. La mâchoire de Frisettes se décrocha.
 
“Est-ce que c’est… où as-tu trouvé ça ?”
 
“Huh ? D’une ruche ? Vous savez, les abeilles ?”
 
L’une des gardes armées qui suivaient une caravane explosa de rire. Frisettes la fusilla du regard lorsqu’elle passa la porte puis scruta le visage d’Erin. Mais elle se contenta de le regarder avec des yeux ronds, l’image même de l’innocence. Il soupira, les joues rouges.
 
“Est-ce que tous ces jarres contiennent du miel ? Il y a une taxe là-dessus - il faut payer une belle somme d’argent.”
 
Le visage d’Erin se décomposa. Elle plongea la main dans son sac et en retira lentement une jarre d’abeilles mortes.
 
“Est-ce qu’elles comptent ?”
 
Le garde s’était retourné pour faire un doigt d’honneur à son camarade en train de pouffer de rire devant les portes. Il se retourna et vit une Abeille Brûlecendres de la taille de sa tête écrasée contre la paroi d’une jarre en verre.
 
Il hurla et porta la main à sa ceinture pour essayer d’attraper son épée. L’autre garde eut un mouvement de recul, puis rit encore plus fort en voyant la jarre.
 
“Comment as-tu eu celles-là ?”
 
“Je les ai attrapées. En quelque sorte.”
 
C’était difficile à expliquer sans mentionner Toren, et encore plus en le mentionnant. Finalement, Erin abandonna l’idée.
 
“Écoutez, j’ai des abeilles. Et du miel ! Et je dois trouver un moyen de rentrer à Liscor. Donc… est-ce que je peux entrer acheter un cheval ou autre ?”
 
Frisettes n’avait pas l’air de passer une bonne journée. Il respirait fort, et il avait dit à Erin de remettre la jarre d’abeilles dans son baluchon. Il s’éclaircit la gorge.
 
“J’imagine que vous pourriez acheter une caravane ou un cheval. Mais les caravanes sont lentes et un bon cheval vous coûterait au minimum trente pièces d’or. Je doute que vous puissiez faire beaucoup de chemin dans toute cette neige, de toute façon. Même sur votre… traîneau.”
 
Le visage d’Erin se décomposa. Elle se gratta la tête. Elle avait un peu d’argent, mais elle ne voulait vraiment pas acheter un cheval, principalement parce qu’elle ne savait pas monter et qu’elle ne savait pas comment le faire aller où elle voulait. Bon. Il fallait commencer par le début.
 
“D’accord. Hum, est-ce que je peux entrer, maintenant ?”
 
“Il faut que vous payiez une taxe d’import. Amenez les jarres ici, s’il vous plaît.
 
Frisettes conduisit Erin à un petit stand dans la loge à côté des portes. À sa grande surprise, elle vit qu’ils possédaient une collection de balances à deux plateaux, d’appareils de mesures primitifs…  ils étaient en train de faire passer chaque objet d’un wagon de marchandise dessus, et un autre garde était en train de tapoter des zones du wagon comme pour trouver des compartiments cachés.
 
Ils durent utiliser une grosse balance pour ses pots. Erin causa un sacré remue-ménage lorsqu’elle ressortit le miel - et Frisettes pesa sa jarre. Il utilisa des pierres colorées pour mettre les plateaux à l’équilibre et il marmotta tout seul lorsqu’il mesura la jarre avec une corde à nœuds.
 
Puis il demanda à Erin de poser la jarre d’abeilles sur la balance. Elle s’exécuta, ignorant les réactions autour d’elles. Frisettes mesura rapidement le pot, et fut pris d’un accès de panique lorsque l’une des abeilles tressauta derrière le verre.
 
“Elles sont vivantes ?”
 
Erin tapota l’abeille avec curiosité. Elle agitait ses palpes dans sa direction.
 
“Bizarre. Je sais que j’ai bien refermé le pot, mais j’imagine qu’il leur reste encore un peu d’air. Huh. Cela doit faire, disons, dix heures. J’ai fait une longue sieste.”
 
Le pauvre garde mesura rapidement la jarre sans toucher le verre. Lorsqu’il eut terminé, il griffonna quelque chose sur un morceau de papier et dit à Erin combien cela lui coûterait de faire entrer ses pots dans la ville.
 
“Quatre pièces d’argent par jarre de mielle et sept pour la jarre de…”
 
Frisettes frissonna.
 
“D’abeilles.”
 
“C’est beaucoup ! Et pourquoi est-ce que les abeilles me coûteraient plus cher que le miel ?”
 
“Elles vous rapporteront plus si vous les vendez à n’importe quel marchand, je pense. Et les [Alchimistes] paient des fortunes pour les morceaux de monstres.”
 
“Vraiment ? Hum…”
 
Elle aurait probablement besoin d’un peu d’argent pour rentrer. Davantage que ce qu’elle avait sur elle, dans tous les cas. Erin plongea les mains dans ses poches.
 
“Où est ma bourse ? Oh oh. Est-ce que je l’ai prise avec moi ?”
 
Frisettes la dévisagea avec une expression douloureuse pendant qu’Erin fouillait toutes les poches de ses nombreuses épaisseurs de vêtements.
 
“Des sous ? Des sous, des sous… aha !”
 
Elle sortit sa bourse et étala quelques pièces dans sa paume d’un air triomphant. Là encore, les gardes la regardèrent avec des yeux ronds lorsqu’ils aperçurent les pièces d’or qu’Erin avait gagnées pendant ses bonnes journées d’aubergiste.
 
“Combien de pièces d’argent est-ce que je… ? Oh, attendez, je vais vous en donner une. Tiens !”
 
Erin tendit une pièce d’or à Frisettes. Il la prit en la regardant fixement ranger le reste de ses pièces dans sa bourse. Il dut tester la pièce en y pratiquant une encoche avec sa dague pour s’assurer qu’elle était vraie. L’or attira plus d’un regard, et le [Garde] dut fouiller dans sa propre bourse pour lui rendre sa monnaie.
 
“Voilà. Et voilà votre reçu d’entrée signé. Présentez-le si on vous le demande.”
 
Erin attrapa avec maladresse le morceau de papier tamponné. Elle sourit au garde.
 
“Merci ! Est-ce que vous pouvez me dire où trouver un [Alchimiste] ?”
 
“Descendez la rue principale et prenez à gauche lorsque vous verrez la Guilde des Aventuriers. Il y a beaucoup d’échoppes dans cette rue.”
 
“Merci !”
 
“Ah, avant que vous ne partiez…”
 
Frisettes toussota, et Erin se retourna. Les gardes et lui - hommes comme femmes - la dévisageaient.
 
“Vous avez dit venir de Liscor ? Et vous êtes [Aubergiste] ?”
 
“Tout juste !”
 
“Mais… il n’y a que des Drakéides et des Gnolls, là-bas. J’ai entendu parler d’un nouveau donjon… est-ce que vous êtes également aventurière ?”
 
Erin fronça les sourcils.
 
“Non… j’ai une auberge. Elle s’appelle ‘L’Auberge Vagabonde’.”
 
“Ah. Parce qu’elle vagabonde par magie ?”
 
“Non. C’est, disons, une espèce de blague. Et j’ai trouvé l’auberge par hasard en… vagabondant. Vous voyez l’idée ?”
 
Erin essaya d’expliquer. Elle finit par abandonner.
 
“Bref, je la dirige, mais je suis sortie faire, euh, un tour, et je me suis perdue. Je me suis donc retrouvée ici et à présent, je dois rentrer. Avec un cheval ou un truc du genre.”
 
“Je vois ?”
 
“Yeah ! Bref, dans tous les cas, merci pour votre aide !”
 
Erin sourit à la cantonade. Elle agita la main et sortit de la loge. Les [Gardes], plusieurs hommes et deux femmes, se dévisagèrent. Frisettes gratta sa moustache peu fournie.
 
“C’est quoi, la blague ?”
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 03 mars 2021 à 09:58:15

2.44 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

***


Celum était incroyable. On aurait dit une véritable ville médiévale, avec des tonnes de charrettes roulant cahin-caha sur les pavés, des gens habillés avec des vêtements épais, et des vendeurs à la criée. Liscor avait des éléments semblables, mais les Drakéides et les Gnolls étaient différentes et Liscor n’avait pas du tout le même flux de visiteurs. Erin parcourut les rues, émerveillée.
 
“Wow. Et ils sont tous Humains !”
 
C’était quelque chose qui ne pouvait que l’étonner dans ce monde. Et pourtant, presque tous ceux qui passaient devant Erin étaient Humains, et… blancs. Ils avaient tout un panel de peaux pâles, et une grande partie avaient l’air Européens. Erin trouva cela un peu étrange, mais elle se demandait déjà si elle pouvait patienter ici une journée avant de rentrer à son auberge.
 
Cela faisait si longtemps - elle voulait juste discuter avec d’autres gens. Mais les jarres de verre étaient lourdes et elles menaçaient à tout moment de tomber de sa couverture-baluchon. Erin se résolut donc à commencer par les vendre. Elle pourrait probablement vendre le miel à peu près n’importe où, mais elle devait trouver un [Alchimiste] pour les abeilles.
 
Que lui avait dit Frisettes ? Quelque chose à gauche de la Guilde des Aventuriers ? Erin fronça les sourcils. Elle essaya de se frayer un chemin dans la foule, mais elle ne put pas faire plus de huit pas avant de rencontrer une difficulté.
 
Plus exactement, la foule. Elle n’avait rencontré beaucoup de difficultés là-dessus à Liscor, mais Celum était pleine d’embouteillages de gens à pieds et de wagons qui passaient à côté. Personne ne voulait se faire écraser le pied par une roue de charrette, et même les chevaux n’appréciaient guère de devoir se frayer un passage dans la foule. Erin fit par conséquent bousculer et dut avancer très lentement.
 
Elle avait peur que les pots de verre tombent de son baluchon. Erin fronça les sourcils et se demanda si elle devait essayer de se trouve run autre chemin lorsque quelqu’un lui tira son haut.
 
“Hey, Miss, je peux vous emmener voir un [Alchimiste] !”
 
Erin baissa les yeux et vit un jeune garçon lui adresser un sourire berchu. Elle lui rendit son sourire.
 
“Salut, toi ! Comment tu t’appelles ?”
 
Le jeune garçon ne pouvait pas être âgé de plus de treize ans. Il était toutefois maigre pour son âge, et il avait l’air sous-alimenté. Mais il lui adressa un sourire tellement charmant qu’Erin l’apprécia aussitôt.
 
“Je suis Grev, Miss. Et vous avez besoin d’aller voir un [Alchimiste] pour vendre vos abeilles, pas vrai ?”
 
“Comment sais-tu que j’ai des abeilles ?”
 
Erin était surprise, mais le garçon se contenta de hausser les épaules.
 
“J’attends à la loge de l’entrée. Je suis un guide local ; je peux vous mener là où vous avez besoin d’aller sans avoir à attendre dans les embouteillages !”
 
Cela lui semblait être une bonne idée. Erin regarda le flot de gens - et les lourdes charrettes et les crottins de chevaux - et sourit à Grev.
 
“Eh bien,  si tu connais le chemin, j’imagine que je pourrai te payer un petit quelque chose. Disons une pièce d’argent ?”
 
“Je le ferais pour la moitié, mais si vous le proposez…”
 
La mâchoire de Grev se décrocha lorsqu’Erin posa une pièce d’argent dans sa main. Il leva les yeux vers elle, et Erin lui sourit.
 
“Allez, passe devant ! Et tu pourras me faire visiter, après ? Je n’ai jamais été à Celum.”
 
Son enthousiasme sincère et la confiance qu’elle lui accordait faillirent presque faire changer le garçon d’avis. Mais il finit par remettre son [Faux Sourire] sur son visage et pointa une autre rue du doigt.
 
“Bien sûr ! Par là, Miss. Je connais un raccourci.”
 
Erin suivit Grev avec joie. Elle descendit dans des petites rues à l’écart de la route principale, regardant autour d’elle d’un air joyeux. Son sourire était large, et il ne se figea que légèrement lorsqu’il la mena dans une ruelle. Lorsqu’elle vit les trois hommes en habits sombres, son sourire n’était plus éclatant, mais restait résolument accroché à son visage. Lorsqu’ils sortirent leurs épées et leurs dagues de leurs fourreaux, son sourire disparut.



***

“Hey, attends une seconde. Tu m’as piégée !”
 
Erin fusilla Grev du regard, mais le garçon se précipita en avant et passa sous le bras de l’un des hommes. Il tendit une main et l’homme y lâcha quelques pièces d’argent. Il s’arrêta et hésita toutefois, regardant Erin par-dessus son épaule. Il s’adressa à l’homme à l’épée.
 
“Ne lui faites pas de mal ! Son argent est dans une bourse.”
 
L’homme vêtu d’une cape et d’un capuchon poussa un juron et frappa Grev.
 
“Dégage, morveux.”
 
Grev s’enfuit, jetant un dernier regard à Erin. Elle dévisagea les hommes qui lui faisaient face - deux devant et l’un derrière elle - et qui commençaient lentement à s’approcher d’elle. Elle n’était pas certaine de devoir être effrayée ou non, mais Erin était résolument contente. Elle fusilla les hommes du regard en faisant glisser les jarres sur le côté d’un geste protecteur. Le couvercle fermé de la jarre d’abeilles effleura son doigt et elle examina ses options. Elle avait laissé sa poêle dans le traîneau, et ils étaient armés. Que devait-elle faire ?
 
“Donnes-nous ton argent et tes pots et nous ne te ferons aucun mal.”
 
L’homme de tête était celui à l’épée. Erin y jeta un œil et il lui sourit, dévoilant ses dents pourries. Il avait une voix grave et rauque, même si on aurait dit qu’il le faisait exprès. L’homme à ses côtés était plus petit, et il souriait d’un air déplaisant en observant Erin d’une manière qui lui déplut fortement.
 
“Crie et ce sera très rapide. Mais si tu ne bouges pas, cela ne fera pas… trop mal.”
 
Erin regarda par-dessus son épaule. L’autre homme se rapprochait lui aussi. Ils n’avaient pas peur d’elle.
 
“Non. Allez-vous-en et je ne vous ferai pas de mal.”
 
Les agresseurs éclatèrent de rire. L’homme de tête avança d’un pas.
 
“Ne rends pas les choses plus diff…”
 
Erin lui donna un coup de poing. Elle s’était rendu compte qu’elle n’avait pas besoin de crier pour utiliser ses Compétences, mais ça défoulait.
 
“[Attaque du Minotaure] !”
 
Son poing cueillit l’homme par surprise. Erin sentit quelque chose s’écraser avec un bruit horrible lorsqu’elle lui cogna le nez, et il s’étala par terre en hurlant. L’autre homme cligna des yeux, mais il tenta de taillader Erin.
 
“Aah !”
 
Elle recula et il la manqua de quelques centimètres. Calruz lui avait enseigné à se battre contre quelqu’un d’armé, toutefois, et elle le laissa donc tenter de l’atteindre à nouveau avant de lui donner un coup de pied dans l’entrejambe. Il poussa un juron et Erin lui assena un coup de poing en pleine figure. Sa tête partit en arrière et il recula.
 
Un bras énorme encercla la gorge d’Erin. Elle tenta de respirer et de donner des coups de pieds, mais le troisième homme la souleva, essayant de l’étrangler. Erin attrapa désespérément son bras. Il avait des muscles épais, et elle avait déjà besoin de reprendre son souffle. Elle le sentit lever sa dague de son autre main.
 
Erin attrapa dans un geste désespéré la main de l’agresseur. Il était fort - plus fort qu’elle, même avec  [Force Mineure]. Mais elle ne pouvait pas le faire lâcher prise avec cet angle-là. Elle attrapa sa main, puis tâta son pouce. Erin l’attrapa et le tordit en arrière jusqu’à ce qu’il se brise.
 
Il hurla et la lâcha. Erin prit une vive inspiration, puis plongea lorsqu’il tenta de la poignarder. Elle lui donna un coup de pied à l’estomac et se tordit sur sa gauche lorsqu’il essaya de lui transpercer le ventre.
 
C’était comme lorsque Calruz l’avait faite se battre contre Toren. C’était dangereux et mortel - mais Erin savait se battre ! Elle pouvait le faire ! Elle n’aimait juste pas ça.
 
Elle écrasa le pied de l’homme et lui donna un coup dans la trachée lorsqu’il poussa un cri de douleur. Il émit un bruit ressemblant à un gargouillis puis s’effondra.
 
“Sale pute.”
 
L’homme à l’épée se relevait. Son nez était écrasé et sa voix était devenue nasillarde à présent, mais il avait le meurtre au fond des yeux. Erin recula lentement, et son pied toucha la jarre de verre remplie d’abeille tandis que l’homme avançait dans la ruelle, l’épée au clair.
 
“Je vais te réduire en lambeaux.”
 
“Non, pas du tout.”
 
Erin plongea et ouvrit le couvercle de la jarre. L’homme s’arrêta et regarda les pots d’un air soupçonneux. Il plongea la main à sa ceinture et en sortit une dague.
 
“N’essaie même pas.”
 
“Ah ouais ? Va-t’en et je ne serai pas obligée de te faire du mal.”
 
Erin serra la chose dans sa main, accroupie près de ses pots. L’homme hésita.
 
“Je vais…”
 
Abeille dans ta gueule !
 
Erin jeta l’abeille morte au visage de l’homme en bondissant sur le côté. Il jeta la dague, mais elle manqua Erin qui roula sur le côté et s’écrasa sur contre le mur de la ruelle. Puis l’agresseur hurla lorsque le [Lancer Infaillible] d’Erin mit une abeille à proximité très intime de son visage.
 
“Prends ça !”
 
Erin se précipita sur l’homme qui arrachait l’abeille morte de son visage. Elle lui donna un coup de poing en pleine poitrine et sentit quelque chose craquer. Il lâcha son épée, et elle écrasa son poing sur sa figure. Il s’écroula et ne se releva pas.
 
Respirant lourdement, Erin recula en titubant, et contempla ses trois agresseurs. Ils étaient à terre et elle était en vie. Yeah. En vie.
 
Quelque chose brûlait. Erin regarda son bras et vit une entaille profonde qu’elle ne se souvenait pas avoir reçue. Et elle avait mal aux côtes, aussi. Quelque chose l’avait coupée là aussi ! Mais à part ça, elle n’était pas blessée.
 
“Oh wow. Oh non. Oh…”
 
Erin eut besoin de s’asseoir une seconde. L’abeille morte était par terre, donc Erin la jeta de nouveau dans la jarre et referma le couvercle. Quelques abeilles s’agitaient devant ce regain d’oxygène. Elle regarda l’un des hommes dont le nez écrasé saignait et essaya de reprendre son souffle.
 
Elle n’avait jamais été attaquée dans le Michigan. Elle n’avait jamais vraiment été dans une bagarre. Bien sûr, elle avait beaucoup combattu des morts-vivants et des monstres, donc elle n’avait pas été terrifiée, mais tout de même… il y avait quelque chose d’effrayant lorsque des gens essayaient de lui faire du mal.
 
Erin soupira et se releva. Elle s’approcha de ses jarres et entendit une exclamation derrière elle. Elle fit volte-face et vit une petite silhouette se lever et se précipiter vers l’entrée de la ruelle.
 
“Hey ! Toi ! Ne bouge plus ou je tire ! Je veux dire, je lance !”
 
Grev se figea, et Erin baissa la jarre de verre qu’elle tenait entre ses mains. Elle regarda fixement le jeune garçon.
 
“Toi ! Hey, viens ici, espèce de petit crétin !”
 
Lentement, le jeune garçon se retourna et s’avança vers Erin. Son visage était presque blanc et il tremblait.
 
“Je ne voulais pas le faire ! Ils m’ont forcé, je le jure ! Ils allaient tuer ma sœur si je ne le faisais pas, miss !”
 
Quoi ? C’est tellement affr… pourquoi est-ce qu’ils te donnaient de l’argent, alors ?”
 
Erin fronça les sourcils. Le visage de Grev devint un ton plus pâle.
 
“Je… je… me tuez pas, s’il vous plaît !”
 
La jeune femme réfléchit à tout cela un instant. Elle songea à la journée qu’elle venait de passer - pendant laquelle elle avait dormi la majeure partie du temps, à la trahison de Toren, à son entrée dans la ville, au moment où elle avait failli mourir et son agression horrible qui avait été la pire expérience de la journée et au rôle de Grev dans tout cela. Elle hocha la tête et serra le poing.
 
Prends ça !
 
Grev hurla. Erin le cogna sur la tête, fort, mais sans user de toute sa force. Il glapit, et essaya de s’enfuit. Erin le rattrapa par sa tunique sale et il cria de peur en essayant de se protéger le visage.
 
S’il vous plaît...”
 
“Je ne vais plus te faire de mal.”
 
Le visage de Grev s’illumina instantanément.
 
“Vraiment ?”
 
Erin essaya de prendre une expression effrayante. Elle dévisagea Grev, essayant de prendre un air menaçant.
 
“Si tu fais quelque chose pour moi.”
 
“Qu… quoi ?”
 
Erin pointa du doigt les agresseurs inconscients. L’un d’eux gémissait, et elle se demanda si elle devait faire quelque chose comme leur donner des coups de pieds ou s’asseoir sur eux. Elle devait au moins ramasser toutes les armes qu’ils avaient faites tomber.
 
“Tu vas aller me chercher la Garde, et je vais m’asseoir ici.”
 
Grev hocha la tête avec enthousiasme. Erin faillit le laisser partir, mais une pensée l’en empêcha. Il allait probablement se contenter de s’enfuit, n’est-ce pas ? Elle regarda les pots par terre et eut une idée. Le visage déjà blanc de Grev devint d’une pâleur spectrale lorsqu’elle leva l’une des abeilles mortes pour la lui montrer.
 
“Tu vas aller chercher la Garde, compris ? Si non, je vais prendre cette abeille et te l’enfoncer…”
 
Erin hésita. Elle regarda l’horrible cadavre d’insecte et le visage pâle de Grev.
 
“... quelque part d’affreux. Va ! Cours !”
 
Il se mit à courir comme si les abeilles étaient à ses trousses. Erin baissa les yeux sur l’abeille. À présent qu’elle y réfléchissait, elles étaient très utiles. Puis l’une des abeilles essaya de sortir du pot et Erin referma violemment le couvercle, lui coupant deux pattes au passage.
 
“Oups. Désolée !”


***


Frisettes avait l’air d’essayer d’arracher son début de moustache de son visage. L’expression incrédule peinte sur le visage était celle qu’Erin était injustement en train d’associer à son caractère de manière générale. Elle avait l’air d’apparaître à chaque fois qu’elle expliquait quelque chose.
 
“Donc, vous avez battu trois agresseurs - dont l’un était un ancien Aventurier Bronze - à mains nues.”
 
Erin acquiesça. Elle regarda avec intérêt l’escadron de gardes forcer les hommes à se lever en étouffant toutes leurs protestations avec des coups précis et efficaces sur des zones sensibles.
 
“Mais vous ne possédez pas d’autres classes de combat mis à part, ah, deux niveaux en [Guerrière].”
 
Grev tremblait dans la rue. L’une des gardes le tenait à l’œil, et il avait l’air terrifié lorsqu’il regardait Erin. Qu’allaient-ils faire de lui ? Elle hocha vaguement la tête.
 
“Mais j’ai quelques Compétences, en revanche.”
 
“Je vois. Et vous les avez tous battus sans vous faire blesser ?”
 
“Eh bien, j’avais quelques entailles mais la potion de soin les a guéries.”
 
Frisettes s’éclaircit de nouveau la gorge.
 
“Je vois. Eh bien, ah, Miss Solstice…”
 
“Appelle-moi Erin !”
 
Elle lui adressa un sourire éclatant. Frisettes rougit légèrement.
 
“Hum… Erin. Eh bien, je suis navré que tu aies rencontré les pires personnes de notre ville si tôt. Mais tu as rendu un service à tout le monde en éliminant cette menace. J’aimerais te donner leur équipement, même si nous allons de toute évidence confisquer leurs armes et leurs armures. Mais je peux te donner quelques pièces et les quelques objets qu’ils avaient sur eux.”
 
Il offrit à Erin une petite bourse dans laquelle il avait ajouté deux pièces d’argent et quatre de bronze, puis trois bouteilles de ce qu’Erin pensait être des potions de soin. Elle les regarda d’un air confus.
 
“Donc tu me donnes toutes leurs affaires ? Parce que je les ai battus ?3
 
Frisettes acquiesça. Erin réfléchit.
 
“Okay.”
 
“Eh bien en ce cas, nous allons te laisser y aller. Je crois que je vais t’escorter chez l’[Alchimiste] moi-même, au cas où il y ait d’autres… attaques. Quant à toi…”
 
Il se retourna et Grev s’enfuit à toutes jambes. Il fit deux pas avant que la femme en armure l’attrape et le traîne durement jusqu’à eux. Son visage était un masque de terreur.
 
“Nous verrons si tes parents peuvent payer l’amende pour tes crimes. Sinon, ce sera le fouet, garçon.”
 
“Quoi ?”, demanda Erin. Grev devint blanc et se mit à pleurer. Frisettes se tourna vers elle.
 
“Désolé, Miss Erin, mais c’est la seule façon de gérer ce genre de gosses.”
 
“Je l’ai déjà frappé. Ce n’est pas une punition suffisante ?”
 
Elle se sentait coupable de l’avouer, mais Frisettes hésita.
 
“Il mérite le fouet, Miss. Impossible de déterminer le nombre de gens qu’il a fait assassiner ou voler.”
 
“Certes. Eh bien hum… eh bien, si je disais que je lui pardonne ?”
 
Les deux gardes regardèrent Erin avec des yeux ronds. Elle contemplait Grev. Il la regardait comme si elle était son dernier espoir. Il cligna des yeux et d’autres larmes coulèrent. Elle n’était pas certaine qu’il ait vraiment compris la leçon, mais elle ne voulait pas qu’il soit fouetté.
 
“Si tu veux abandonner les charges…”
 
Frisettes discuta à voix basse avec sa collègue puis se retourna vers Erin.
 
“Tu es sûre ? Il est tout aussi coupable que ces autres hommes, je te l’assure.”
 
“Eh bien, s’il le refait, je lui enfoncerai une ab… je ne le lui pardonnerai pas. Ça te va ?”
 
Erin croisa les bras et essaya de prendre un air imposant. Frisettes et la garde avaient l’air sceptiques, mais il finit par hocher la tête.
 
“Eh bien, garçon, on dirait que tu t’en tires bien, grâce à Miss Erin.”
 
Grev parut soulagé, mais il pâlit de nouveau lorsque Frisettes posa sa main sur son épée.
 
“Écoute-moi bien toutefois. Je connais ton visage, et si j’entends dire que tu voles ou que tu commets n’importe quel autre crime… ce ne sera pas le fouet, la prochaine fois. Nous t’exilerons de la ville. Compris ?”
 
Le visage du garçon redevint pâle. Il balbutia.
 
“O...oui.”
 
“Alors dégage.”
 
Grev s’enfuit, se retournant une dernière fois pour regarder Erin. Elle le regarda partir, et eut envie de lui faire un petit signe de la main. C’était un sale gosse, mais il restait un gosse. Qui avait essayé de la faire tuer, certes.
 
Au bout d’un moment, Frisettes s’éclaircit la gorge.
 
“Qui veux-tu voir, Miss Erin ? Je connais trois [Alchimistes] réputés en ville. Est-ce que tu as une préférence ou un nom ?”
 
Erin se gratta la tête.
 
“Huh, disons celui qui est le plus susceptible de m’acheter une jarre d’abeilles ? Je veux dire, est-ce qu’ils ont seulement besoin d’abeilles ?”
 
“La Tissée, peut-être.”, marmonna la garde à Frisettes, et il grimaça.
 
“C’est vrai. Cette cinglée achèterait… c’est Octavia qu’il vous faut, Mi… Erin.”
 
“Cool. Tu connais la route ?”
 
“Je vais t’emmener. Ce n’est qu’à quelques minutes de marche.”
 
“Vraiment ? Merci !”
 
Erin se mit à marcher à côté de l’homme, puis elle marqua une pause et se retourna vers le reste des gardes. Elle leur sourit, ignorant délibérément les coups de pied dans le ventre qu’ils donnaient à l’homme à l’épée.
 
“Merci pour votre aide !”
 
Les gardes levèrent la tête, surpris, et l’homme à terre cracha un peu de sang et dit quelque chose qu’elle n’entendit pas lorsqu’il se prit un autre coup de pied. Tout le monde regarda Erin partir avec le garde. Puis les membres de la Garde de la Ville de Celum pour discuter tandis que les trois agresseurs étaient transportés ailleurs.
 
“Une [Aubergiste] a battu trois hommes dans une embuscade ? Tu es sûre que c’est ce qu’elle a dit ?”
 
“Certaine. Et elle vient de Liscor ? Si c’est à ça que ressemblent les [Aubergistes] là-bas, je me demande quel genre de crimes ils ont dans les villes Drakéides ?”
 
“L’Auberge Vagabonde ? Je ne comprends toujours pas la blague.”



***



La balade fut plaisante, car elle ne se fit pas agresser ou horriblement attaquer lorsque Frisette la guida dans les rues de la ville. Ils allèrent d’ailleurs plus vite ; le [Garde] n’avait pas peur de crier pour faire s’écarter les gens, et lorsqu’ils atteignirent la petite rue aux fenêtres barricadées, ils avaient bien papoté.
 
“Donc vous autres n’êtes jamais venus à Liscor ? Vraiment ?”
 
Frisettes toussota en s’arrêtant devant l’échoppe. Erin leva les yeux et lut le panneau.
 
Tissémixe. Potions, toniques, herbes.
 
C’était un nom cool, décida Erin. Elle ne savait pas comment cela s’appliquait à l’[Alchimie], mais peut-être que les alchimistes faisaient des fils magiques ? Il faudrait qu’elle demande.
 
L’homme à côté d’elle toussa, et Erin se retourna et écouta attentivement. Il était plutôt sympa quand on prenait le temps de le connaître, même s’il était terrifié par les insectes et que cogner des gosses ne lui posait pas de problèmes.
 
“Je ne suis pas vraiment un voyageur, pour dire la vérité. Et même les marchands ne se rendent que rarement si loin au sud. Il n’y a pas beaucoup de profit à traiter avec des non-Humains. J’imagine qu’il y a dix ans, nous faisions plus affaires, mais ça, c’était avant la Seconde Guerre Antiniume avec le Nécromancien, avant qu’ils décident d’ouvrir leurs portes à ces insectes.”
 
Il frissonna. Frisettes - qui s’appelait en réalité Wesle - arborait une haine profonde envers les Antiniums que la plupart des humains partageaient. Elle ne fit pas de commentaire, mais sourit de nouveau en regardant l’échoppe de l’[Alchimiste]. Une odeur horrible émanait de l’intérieur.
 
“Eh bien, merci de m’avoir amené jusqu’ici, Fris… Wesle.”
 
Il rougit de nouveau et se caressa furieusement la moustache.
 
“Tout le plaisir était pour moi, Miss Erin. Et si tu as de nouveau besoin d’autre, je suis certain que je serai ravi de t’aider.”
 
Erin hocha la tête et lui sourit une dernière fois avant de pousser la porte de l’échoppe. Elle avança prudemment dans la salle sombre, s’attendant à voir un laboratoire de savant fou.
 
Elle ne fut pas déçue. Il y avait un peu plus d’utilité et un peu moins de folie chez certains des instruments de verre posés sur les paillasses - Ryoka aurait reconnu les versions médiévales de becs Bunsen et d’éprouvettes - mais les liquides lumineux posés sur les étagères, les ingrédients pendus à des crochets et l’ambiance tamisée éclairée uniquement par la lumière magique des potions donnèrent tout de même légèrement envie de faire pipi à Erin. D’angoisse et d’excitation.
 
La seule chose qu’il manquait, c’était cette ‘Octavia’, que Frisettes n’avait pas l’air de vraiment apprécier. Il l’avait traitée de radine et de folle, ce qui lui paraissait dur.
 
“Bonjour ? Il y a quelqu’un ?”
 
Erin avança prudemment dans l’échoppe. Elle était d’un calme inquiétant. Où était la commerçante, l’alchimiste ? Était-elle sortie ? Si oui, pourquoi la porte était-elle ouv…
 
Un visage brun et une queue de cheval tressée apparurent dans le champ de vision d’Erin. Octavia surgit de derrière le comptoir, un morceau de plante à la main. On aurait dit aux yeux d’Erin que la fille était sortie de nulle part.
 
“Bienvenue à Tissémixe !”
 
Erin hurla.
 
Gyaaaaaaah…
 
“Est-ce que ce sont des Abeilles Brûlecendres ?”
 
Erin cligna des yeux et s’interrompit à mi-hurlement lorsque la jarre pleine d’abeilles lui fut ôtée des mains. Octavia souleva la jarre, soufflant sur le verre et l’essuyant pour le nettoyer.
 
“Voyons voir… des abeilles soldates, et des ouvrières… toutes intactes ! Et vivantes ? Comment as-tu trouvé… non, je peux me servir de ça…”
 
Erin cligna des yeux devant la fille à la peau sombre. Son esprit essayait encore de rattraper ce que venait de dire Octavia. La fille parlait à toute allure.
 
“Tu dis que ce sont des Abeilles Brûlecendres ? Pourquoi les appelle-t-on comme ça ?”
 
Octavia s’affaira autour d’Erin et posa la jarre sur une grosse balance. Elle ne cessa de parler ce faisant, et lorsqu’Erin fut face à son dos, le choc de leur rencontre s’estompa, et elle remarqua d’étranges coutures autour des épaules et du cou d’Octavia, coutures rendues d’autant plus visibles par son débardeur.
 
“Hmm… voyons voir. Il y en a vraiment pas mal. Et elles sont grosses, aussi ; intactes. Oui, je peux te faire un super prix. Disons que je te donne cinq pièces d’or la jarre, et je rajoute deux de mes potions de stamina maison. C’est une excellente affaire et je rajoute une réduction de 15% sur n’importe lequel de tes achats. Qu’en penses-tu ? De plus, je peux te faire une super affaire sur le miel !”
 
Erin cligna des yeux. Elle leva la main.
 
“Hum. Je n’ai pas besoin de potions.”
 
“Tu en es sûre ? Si tu n’as pas besoin de potions de stamina, pourquoi pas une potion de soin ? Tout le monde a besoin de ça, même lorsqu’on a le boulot le plus sûr au monde. Écoute… j’ai quelques potions de basse efficacité juste là, parfaites pour les égratignures occasionnelles ou les bleus. Je te les échange pour… disons la moitié du poids de cette jarre ? Tu peux te refaire le prix du marché de tes abeilles voire doubler ou tripler le prix avec un peu d’huile de coude au marché, facile.”
 
Erin hésita de nouveau. Une partie d’elle voulait dire ‘oui’, mais elle n’était pas vraiment sûre de savoir ce qu’on lui offrait.
 
“Ça a l’air bien, en effet. Mais non merci. Pourquoi les appelle-t-on des Abeilles Brûlecendres ?”
 
“Une cliente difficile, hein ?”
 
Octavia n’avait pas l’air d’être entièrement avec Erin. Elle se mit à parler de plus en plus vite en sortant des potions de ses étagères.
 
“Je ne suis pas complètement au top niveau finances, mais que dirais-tu de quelques-unes de mes dernières inventions ? Je les appelle les potions au poivre. Quelques gouttes dans l’œil et ton ennemi devient aveugle. Elles vont cartonner, j’en suis sûre, et je te les cèderais pour pratiquement rien - j’allais les utiliser pour remplir une commande, mais je peux en faire d’autres et j’ajoute aussi quelques potions de mana et de stamina - un set complet. Même si tu n’en as pas besoin, elles vaudront une fortune, qu’en dis-tu ?”
 
“O…”
 
Erin se mordit la langue. Elle voulait ces potions, à présent. Elle pourrait les vendre dans son auberge ! Mais elle avait davantage besoin d’argent en ce moment. Elle s’éclaircit la gorge, mal à l’aise.
 
“Je ne fais pas vraiment de sport. Et je ne me bats pas, donc meh. Les abeilles ? Pourquoi les appelle-t-on comme ça ?”
 
“Les abeilles ?”
 
Pour la première fois, Octavia marqua une pause, et regarda Erin d’un drôle d’air.
 
“Quoi, les abeilles ? Tu veux faire un échange ? Je te débarrasserai de quelques spécimens si tu veux bien faire un échange. Ou...”
 
Erin haussa la voix et interrompit la jeune femme.
 
“Les Abeilles Brûlecendres. Pourquoi les appelle-t-on comme ça ?”
 
Là encore, Octavia cligna des yeux. Puis elle se frappa le front.
 
“Les abeilles ! Bien sûr. Eh bien, les Abeilles Brûlecendres - excellente qualité et parfaitement intacte sauf ces deux-là, d’ailleurs, il faudra que tu me dises quel aventurier les as ramassées - sont connues pour leur capacité à résister à la chaleur, et la façon dont elles peuvent démarrer des feux lorsqu’elles se rassemblent. Pas tant que ça en hiver, mais au printemps, fais attention ! Elles ont déjà brûlé des forêts entières et elles sont plutôt dangereuses, ce qui en fait des grosses cibles pour les aventuriers. Par conséquent, j’en vois rarement autant au même endroit, mais là encore, je veux bien faire n’importe quel échange si tu v…”
 
“Est-ce que leur miel possède des propriétés particulières ?”
 
“Leur miel ?”
 
Octavia écarquilla les yeux en voyant la jarre pleine qu’Erin avait sortie de son sac. Elle disparut avant même qu’Erin ait réussi à cligner des yeux.
 
“Du miel d’Abeille Brûlecendre ? Eh bien, ce n’est pas le meilleur réactif, mais je le vois bien agir comme une base puissante bien que bien sûr ce ne soit pas confirmé comme il n’y a pas vraiment de raison d’utiliser ça alors que c’est si cher… j’imagine que je pourrais te proposer une excellente affaire immédiatement sans que tu n’aies besoin d’aller chercher un marchand. Dis-moi ton prix et je ferai en sorte que tu obtiennes la meilleure affaire tout de suite. D’ailleurs, laisse-moi t’apporter un siège.”
 
La fille aux coutures essaya à la fois d’empêcher Erin de partir ou de récupérer ses jarres tout en cherchant un endroit pour qu’elle s’asseye. Erin était pour sa part tellement médusée et confuse qu’elle finit par s’asseoir sur un tabouret tandis qu’Octavia essayait de lui proposer un nouveau marché.
 
“D’accord, tu as clairement de la bonne marchandise et je serais ravie de t’en débarrasser. Je t’offre donc immédiatement mon meilleur produit, qui est une potion de vitesse de haute qualité que je viens de développer. Elle a quelques effets secondaires mineurs, mais je pense que tu seras d’accord pour dire que le compromis vaut le coup pour la rapidité qu’elle confère.”
 
Elle attrapa une étrange potion - jaune avec des paillettes bleues tourbillonnantes - et la colla sur le visage d’Erin. Le ballet de couleurs était hypnotisant et Octavia poursuivit sans reprendre son souffle.
 
“Je pense que tu remarqueras le mélange ici et les réactifs témoins non absorbés. C’est une potion rare - n’importe quel aventurier Argent en voudrait une. Je peux te donner ça et la moitié de mon stock de…”
 
“Nah, je n’en veux pas. Hey, est-ce que tu crois que ces abeilles sont magiques, ou est-ce que c’est juste une particularité biologique qui les rend si grosses ?”
 
Octavia marqua de nouveau une pause. Erin la regarda d’un air innocent et se mit à poser toutes les questions auxquelles elle avait réfléchi.
 
“Tu vois, je ne m’y connais vraiment pas en abeilles… mais je me suis dit qu’on pouvait utiliser le miel et peut-être quelques potions de mana pour faire quelque chose de cool. D’ailleurs, je voulais juste savoir su les potions de mana rendaient la nourriture… magique. Parce que et si on les ajoutait à de l’alcool ? Est-ce que ça fait simplement de l’alcool au mana ? Ou est-ce qu’il se passe quelque chose d’autre ? Est-ce qu’on peut ajouter des potions à des trucs magiques pour en renforcer les effets ?”
 
“Hum… eh bien c’est une question très intéressante. Je vais devoir émettre des hypothèses…”
 
Octavia hésita. Elle regarda Erin.
 
“On parle de quel type d’ingrédient, là ? Une espèce d’excrétion magique ?”
 
Erin secoua la tête.
 
“Non, j’ai des fleurs de fées, vois-tu. Lorsque j’en rajoute dans de la bière, cela crée ces espèces d’hallucinations bizarres, parfois… si j’en rajoute trop, on voir des choses.”
 
“Des fleurs de fées ?”
 
La manière dont les yeux de la fille se mirent à pétiller fut déconcertante. En un instant, Octavia se retrouva à faire les cent pas autour d’Erin, en parlant à toute vitesse.
 
“Je suis tellement désolée, l’erreur est pour moi. Je n’avais pas compris que tu étais une [Alchimiste] toi aussi… eh bien, je n’ai jamais entendu parler de ‘fleurs de fées’, mais j’imagine que les termes ne sont pas les mêmes d’un endroit à l’autre… est-ce que ce sont des espèces de champignons ? Bien sûr, j’adorerais discuter de leurs effets, mais si nous parlons expérimentations alors que suis sure que nous pouvons trouver un accord.”
 
Elle courut pratiquement jusqu’à ses étagères et se mit à en sortir des ingrédients. Erin regarda fixement ce qui ressemblait à une langue de vache flottant dans un liquide vert et une poignée de feuilles violettes pendant qu’Octavia tentait sans relâche de conclure un marché, qu’importe le marché.
 
“J’ai une belle collection d’ingrédients rares et je serais ravie de t’assister. D’où viens-tu ? Esthelm ? Galles ? Plus loin que ça ? Je suis honorée que tu aies choisi mon échoppe en premier - je ne suis peut-être pas l’[Alchimiste] la plus haut niveau de la région, mais crois-moi, mes expériences ont déjà mené à plusieurs nouvelles innovations. J’ai trouvé une merveilleuse nouvelle manière de faire des sacs à fumée, et tu ne vas pas croire ce que j’ai réussi à développer pour l’autodéfense. Certes, la Garde m’a interdit d’utiliser la potion puante en ville mais… quel type d’alchimie as-tu dit que tu pratiquais ?”
 
“Huh.”
 
Erin avait mal au cerveau. Mais Octavia la regardait avec une telle intensité qu’Erin chercha une réponse.
 
“Je ne suis pas une [Alchimiste].”
 
“Oh, alors tu n’es qu’une amatrice intéressée ? Aventurière ? Marchande ? Si tu cherches quelqu’un pour faire des expérimentations, tu es venue au bon endroit.”
 
“Je, euh, ne suis rien de tout cela. Et je ne veux pas faire de potions. Je veux faire de la nourriture. Je suis [Aubergiste].”
 
“Eh bien, je crois que nous pouvons nous associer pour faire des choses grandioses, toutes les deux. Je pense qu’une petite avance de ta part aiderait si nous utilisons mon laboratoire, et bien sûr, si tu as d’autres ingrédients, je serais ravie de payer un Coursier de Ville pour les importer…”
 
Octavia s’interrompit. Elle marqua une pause, puis tourna lentement la tête pour dévisager Erin, le premier moment non hyperactif qu’Erin l’avait vue avoir.
 
“Qu’est-ce que tu viens de dire ?”
 
Note d’EllieVia : Mille excuses pour le chapitre manquant mercredi dernier, j’étais en plein déménagement et ça a été mouvementé ! Bonne lecture :)

 



Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 07 mars 2021 à 20:45:11

 
2.45 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Pendant qu’Erin Solstice s’asseyait dans une pièce chaleureuse au sein de la ville de Celum en compagnie de l’[Alchimiste] répondant au nom d’Octavia, une autre fille courait dans la neige, loin au sud. Elle courait depuis longtemps - bien avant le réveil d’Erin, en réalité, mais elle courait avec un abandon sauvage.
 
La plupart des coursiers conservaient leur énergie ; ils gardaient un rythme mesuré et réfléchissaient aux distances qu’ils s’apprêtaient à parcourir, faisaient attention, restaient prudents. Ils traitaient leurs corps comme des ressources finies. Mais Ryoka Griffin courait comme si les dix minutes suivantes n’existeraient pas, sans parler de demain. Elle ne pensait à rien d’autre qu’à la foulée suivante ; ses pieds ensanglantés brûlaient la neige tandis qu’elle courait vers le nord sur la route glacée provenant de Liscor.
 
Elle avait déjà connu la douleur. Elle l’avait sentie dans son cœur, dans ses membres fragiles et lors de milliers de courses et de compétitions et de blessures. Mais à présent, l’agonie qui serrait son cœur réduisait au silence le tonnerre pressant et mordant dans ses jambes et sa poitrine. Elle devait poursuivre sa course. Elle devait arriver à temps.
 
Elle courut vers le nord, la respiration hachée. Elle ignora le groupe de Gobelins qui la repérèrent et la poursuivirent pendant quelques foulées. Elle ignora les gens sur la route ; les marchands et même les groupes d’aventuriers qui la hélèrent. Elle courut, avec un seul objectif en tête.
 
Éviter d’arriver trop tard.


***

Plus jamais. Je le jure. Plus jamais, je l’ai juré.
 
Encore et encore, j’ai redit les mêmes choses, fait les mêmes promesses. Mes vœux brisés jonchent mon passé, et les morts me griffent les talons. J’ai l’impression de marcher en rond ; de répéter la même histoire à l’infini.
 
Je ne peux m’en libérer. Je ne peux l’arrêter. Je me fais des amis puis je les perds. Non ; jusqu’alors, je n’avais pas d’amis. J’étais seule, à enfoncer le clou dans ma peau, à attendre que ma peau s’infecte et pourrisse. Je me jetais tête baissée dans les défis et envoyait tout valser au vent parce qu’il n’y avait rien qui vaille la peine de s’y accrocher.
 
Ou du moins, dans ma tête. Mais lorsque j’ai fini par lever les yeux et voir ce qui valait la peine de s’accrocher, cela m’a filé entre les doigts comme la lumière des étoiles devant la lumière crue de la vérité.
 
J’ai couru pour mes amis et n’ai retrouvé que du sang et des os. Des piles de chiffons ensanglantés dans les ténèbres. Des souvenirs dans les ombres. On dirait à peine qu’ils sont partis. L’absence d’au revoir me hante.
 
Je suis tombée et la Tribu des Lances de Pierre m’a soulevée hors du froid. Ils m’ont tendu la main - la patte - et allumé un feu pour éloigner le froid. Ils sont morts face au destin et aux monstres, se sont battus seuls contre une horde menée par le Gobelin aux yeux vides.
 
Et une dernière fois, oui, une dernière fois, je cours. De l’avant, pour sauver une amie qui a créé un endroit où vivre dans un monde rempli de monstres et de magie. Elle a bâti un endroit où garder mon cœur, et j’ai mené la mort à sa porte.
 
Est-ce mon destin ? Est-ce le prix que je paie ? Ce serait le destin le plus cruel qui soit. Si la destinée pouvait lire mon esprit, elle saurait que punir les autres pour mes transgressions serait ce qui me ferait le plus mal. Si c’est le cas, pourquoi ne devrais-je pas courir loin, très loin et trouver un lieu où je serais seule à jamais ?
 
J’ai tenté de le faire une fois. Mais ceux qui m’aimaient m’ont trouvée. Je l’ai tenté une deuxième fois, et ils m’ont ramenée. Était-ce vraiment de l’amour, ou juste le besoin d’accomplir leur devoir de parents et de gardiens dans une société prompte à juger ?
 
J’aurais dû le leur demander, même s’il avait fallu entendre des mensonges en réponse.
 
….
 
Il ne me reste qu’une carte à jouer. Ma main est presque vide. J’avais cru avoir une main pleine de cartes, mais chacune s’est envolée dans un ciel empli de regrets.  Parfois, la nuit, je me retrouve au sommet d’une colline où s’entassent des os jaunâtres et je me demande qui m’enterrera dans la terre sombre à ma mort.
 
J’en fais des cauchemars. Pas de mourir ; cela ne m’est jamais arrivé. Mais à présent, j’ai peur de survivre à tous ceux qui m’entourent.
 
Mes doigts me font mal. Mes poumons me font mal. Mes pieds…
 
À un moment donné, je crois que j’ai décidé que les bottes que j’avais me ralentissaient trop. Je les ai jetées avec mon manteau, mon bonnet et tout le reste à peu près au même moment. Je cours dans la neige. Mes pieds brûlent de froid ; une douleur terrible semblable à des aiguilles dans ma peau qui tend vers l’engourdissement. L’engelure guette, une sombre petite créature tenant serré l’oubli entre ses griffes.
 
Je m’en fous. Je cours, aussi vite que je le peux. Je ne me souviens même plus depuis combien de temps. Je savais qu’il fallait que je me rende immédiatement chez Teriarch ; mais il me faudra encore une journée au moins de course pour y arriver.
 
Trop lente. Je vais peut-être mourir avant de l’atteindre. Tant de choses peuvent arriver. Mais il faut que je coure le plus vite possible.
 
Si Erin est morte, alors je suis vraiment perdue.
 
Comment puis-je être sûre qu’elle a vraiment des ennuis ? Je n’en sais rien. Elle a pu vagabonder et ne pas rentrer immédiatement.
 
Elle est peut-être morte.
 
Il peut y avoir mille et une raisons et aucune à la fois. Mais en y réfléchissant, la terreur me saisit. Quand ai-je jamais… ? Je n’ai jamais eu aussi peur. De rien. Mais l’idée de perdre quelqu’un d’autre me fait encore accélérer le rythme.
 
Courir seule dans la neige, passer en coup de vent devant les gens sur la route qui me dévisagent, surpris. Courir, courir.
 
Mais elles me suivent malgré tout. J’imagine donc que je ne suis pas seule.


“Est-ce qu’elle essaie d’aller vite ?”
 
“Je crois que oui ! Mais elle est si lente, n’est-ce pas, mes sœurs ?”
 
“Oui, si lente ! Lente comme la sève qui goutte et la glace qui fond.”
 
 



Je serre les dents. Mais elles sont avec moi, comme toujours. Je tourne la tête à gauche et vois une fée voler paresseusement à mes côtés. Elle se moque de moi.



“Et ça souffle, et ça souffle. Tu crois que ça t’aide ?”



“Où. Est. Erin ?”
 
La fée me dévisage. Je soutiens son regard. Pour une fois, c’est une compétition que je ne peux pas gagner. Au bout de quelques secondes, je regarde de nouveau la route, juste à temps pour éviter une grosse pierre.



“Humaine. Ne nous as-tu donc pas entendues la dernière centaine de fois où nous te l’avons dit ? Nous n’interférons pas dans les affaires mortelles.”




“Menteuse.”
 
La fée fait un salto et me dévisage.




“Mmh. Certes. Mais nous ne brisons pas si aisément nos vœux.”






“Vous les avez brisés une fois pour Mrsha et moi. Dites-moi simplement si Erin va bien.”






Et pourquoi ferions-nous cela ?“”






Ne craque pas. Ne crie pas. Je prends une grande inspiration et sens le goût du sang lorsque l’air glacé s’engouffre dans mes poumons.
 
“Vous vous en fichez ? Elle vous a fait à manger. Elle vous aime.”




“Elle reste une mortelle. Une parmi un nombre incalculable. Pourquoi aurait-elle la moindre importance ?”





“Elle m’importe, à moi.”




“Et alors ?”






C’en est trop. Je m’arrête dans la neige, ralentissant en essayant de ne pas tomber lorsque je me mets à déraper. Je regarde mes pieds dans la neige et remarque à présent que j’ai laissé une trace derrière moi. Je lève un pied et vois de la chair rose et rouge. Du sang se met à couler des coupures blanc-rouge sur mes pieds, mais lentement. Le froid rend même une hémorragie compliquée.






“Ooh, elle saigne !”





Quelques fées qui volettent autour de moi se rapprochent. J’essaie de les chasser, mais elles se contentent de voler autour de ma jambe en me faisant des grimaces. Je les dévisage.
 
“Aidez-moi. Si vous ne voulez pas m’aider à trouver Erin, aidez-moi à atteindre plus rapidement ma destination. Je sais que vous en êtes capables.”
 
Je me souviens encore du vent autour de moi, du froid au creux de mes os, et de la sensation… de voler. La nuit où j’ai traversé l’armée Gobeline en courant pour nous mettre en sécurité grâce aux fées - quelle distance avais-je alors parcourue ? Chaque pas me donnait l’impression de courir dans l’éternité. Le monde autour de moi paraissait figé et j’avais eu le sentiment de comprendre la course comme je ne l’avais jamais comprise auparavant.
 
J’ai besoin de la même chose à présent. Erin est peut-être blessée, trahie par son maudit squelette. Ou peut-être qu’il n’a pas été de taille face à un monstre qui l’a tuée. Ou peut-être a-t-elle eu un accident de traîneau…
 
Erin gît à terre. Le sang qui coule de sa tête rougit la neige. Elle cherche son squelette du regard, et l’appelle. J’entends un grondement, puis un Loup Carnassier s’approche d’elle. Il la renifle puis la mord, engouffrant sa tête dans son énorme gueule. Bien qu’étouffé, j’entends un cri…


Je frissonne. Mes rêves ressemblaient à cela cette nuit. Je ne cesse de voir…
 
Il faut que je coure plus vite. Je regarde les fées. Elles flottent autour de moi, me regardant avec un mélange de scepticisme et d’incrédulité. L’une d’elle se rapproche de mon visage.



“Tu quémandes une faveur sans rien à nous offrir en échange ? Nay, tu nous supplie d’altérer la destinée ? N’as-tu donc aucune honte ?”



“Je ne connais plus la honte.”
 
Je croise fermement son regard. La fée secoue la tête.




“Rien n’est gratuit. Nous ne sommes pas des dieux ! Ce destin qui t’effraie, il est de ton devoir de le changer, mortelle.”




“Mon nom est Ryoka Griffin.”
 
Elle me regarde bizarrement.




“Poussière que cela.”


:
“Elle vous a nourries. Elle a bâti son auberge avec du cuivre pour vous faire plaisir ! Elle est la seule putain de personne dans ce monde qui vaille la peine d’être sauvée ! N’en avez-vous donc rien à foutre ?”
 
Je leur hurle dessus. Les fées flottent dans l’air glacé, et je le sens devenir encore plus froid. Je ne sens plus vraiment mes pieds. Mais je ne détourne pas le regard.
 
Cette fois-ci, le timbre aigu a disparu. La voix qui surgit du corps de diamant étincelant est plus grave, et elle résonne. Quelque chose d’autre a pris la parole. Ou peut-être s’agit-il de la véritable forme de la fée qui ni moi, ni Erin ne pouvons voir.





“Nous nous en soucions. Prends garde à ce que tu dis, mortelle. Nous nous en soucions. Nous nous en soucions comme de la pluie qui tombe et un nouveau bourgeon. Nous nous soucions de la brûlure du feu et des petits êtres pris dans les orages et les crocs. Nous nous soucions de la terre qui disparaît et du soupir de la brise à l’agonie. Nous nous en soucions.”
 
“Donc arrête de poser la question !
 






Une boule de neige m’atteint en pleine figure. Elle contient des morceaux de glace qui me coupent et me brûlent. J’essuie la neige et sens mon sang couler. Autour de moi, les fées flottent. Observent.
 
“Je sais qu’il y a des règles. Je sais que la destinée nous fait payer chacun de nos actes. Mais si telle est la nature du monde, pourquoi ne pas tricher ? Pourquoi ne pas… enfreindre les règles et agir sans se soucier des conséquences ? Je parie que vous en êtes capables.”
 
Regards méprisants. L’une des fées se rapproche de moi. Je crois que je la reconnais. Je crois que c’est à elle que je parle le plus souvent. Elle ressemble aux autres, mais…
 
Elle me tape sur le nez et tout devient glacé pendant un instant. Je titube en arrière et plaque mes mains sur mon visage. Elle secoue la tête.





“Tu ne connais vraiment rien, pas vrai ? N’as-tu jamais songé que nous avons nous aussi des ennemis ? N’as-tu jamais pensé que les règles existaient pour une bonne raison ? Tu n’imaginerais même pas en rêve la nature de ceux qui osent prendre les fées comme ennemies.”





“Et alors ?”
 
La fée cligne des yeux. Je tente de l’écarter de mon chemin et elle passe par-dessus ma main avec paresse. Elle n’a pas l’air offensée. Je souffle bruyamment par la bouche ; mon nez est tout engourdi.
 
“Quel est l’intérêt des règles si on ne peut rien faire ? Si… si votre version de la morale ne considère pas que les humains sont importants, alors elle est mal foutue. Si c’est ce que vous pensez vraiment, vous pouvez toutes aller en enfer en ce qui me concerne.”
 
Je lève mon majeur et fais un doigt d’honneur à toutes les fées autour de moi. Elles me dévisagent.
 
“Ça importe. Le présent importe. Si nous sommes tellement insignifiants et que vous ne pouvez rien faire, alors pourquoi me suivez-vous ?”
 
Les fées échangent un regard. Puis quatre autres descendent à la hauteur de la première fée. Elles prennent toutes la parole en même temps.
 
“Parce qu’on s’ennuie.”
 
“Parce que tu défie le destin.”
 
“Parce qu’il y a un grain de sable.”
 
“Parce que tu es prête à défier les Dieux.”
 
“Parce qu’on le peut.”
 
 






Je les dévisage.
 
“Alors aidez-moi. Vous ne pouvez pas vous contenter de regarde. Il y a un prix à payer, même pour l’audience.”
 
L’une des fées cligne des yeux. Les autres se grattent la tête.






“Vraiment ?”






Mon cœur bat de nouveau dans ma poitrine. Je l’entends, mais mon esprit va à toute allure. Je cherche des branches auxquelles me raccrocher.
 
“Bien sûr qu’il y en a un. L’audience n’est jamais silencieuse. Elle s’étonne, encourage ou hue les acteurs. Et parfois, elle aide. Parfois, elle change le cours de l’histoire.”





“Mmh. C’est vrai. Elle dit la vérité !”




Déclare l’une des fées. Les autres la frappent, et elle pousse un cri de douleur. La deuxième fée me fusille du regard.




“Tu as déjà demandé beaucoup. Beaucoup trop ! Si nous faisons tout à ta place, quel est ton rôle ?”




Elle a raison. Je la contemple. J’ai beaucoup demandé leur aide. J’aurais dû me charger de tout toute seule.
 
Sans un mot, je me remets à courir. Quelque chose hurle dans mon corps, et je jurerais sentir des choses se briser... se relâcher avec un claquement sec dans mes jambes. Mais je continue tout de même de courir.
 
Plus vite. Il faut que je coure…
 
Une fée vole à mes côtés. La même qu’avant. Elle me regarde.




“Tu es vraiment lente, tu sais.”





“Je sais.”
 
Je ferme les yeux. C’était la seule chose dont j’étais fière. Mais c’est vrai.
 
“Je sais.”
 
Un peu plus vite. J’active mes bras, et mes pieds poussent sur le sol. Je ne les sens pas vraiment. Mais quelle importance ?
 
C’est peut-être ma dernière chance.



Erin recule face à un squelette armé d’une épée. Il lui sourit, ses orbites vides s’éclairant d’une lueur de vie violette. Elle lève les bras, mais il la transperce. Des bulles de sang moussent autour de sa bouche et elle attrape le squelette. Il retire l’épée et des morceaux d’elle ressortent avec. Il lève lentement la lame dégoulinante et…


Plus vite. Je halète, je pleure, je coure. Pour une fois, s’il vous plaît. S’il vous plaît, Dieu, ou quiconque m’écoute. Laissez-moi seulement sauver une personne de plus.
 
Je l’ai fait une fois. Mrsha. J’ai payé un prix. Je le referais. Qu’importe ce qu’il me faut abandonner. Des Fées et des Dragons. Immortels. Je leur offre ce qu’il faudra.
 
Mais comment ? Je connais quelqu’un capable de la trouver. Mais comment puis-je le convaincre de m’aider ?
 
C’est comme si une part de moi hurlait, courait avec un millier d’émotions dans mon cœur. Mais l’autre part de moi reste assise en silence, et écoute le bruit du vent. Cette autre Ryoka en moi réfléchit. Même si je parviens à atteindre Teriarch à temps, comment le convaincre ?
 
Il est fier. C’est un Dragon. Je ne suis rien. Il peut effacer mes souvenirs ou me tuer en un instant. Que pourrais-je lui offrir ?
 
Réfléchis. Dragons. Vieux. Immortels. Hors du temps. Fierté ?
 
Non. Avidité ? Sagesse ? Le désir des immortels, c’est… que peut désirer un Dragon ? Des vierges sur des pieux ? Des steaks de vache ? De l’argent ? Des artefacts magiques ?
 
C’est impossible. Mais il faut que je trouve quelque chose. Quelque chose qui tenterait même un Dragon ?
 
Quelque chose d’ancien. Les jeux les plus anciens. Quelque chose hors du temps. La fierté. Défier le Dragon. Sacrifier, prendre des risques. Une épée magique.
 
Je… vieux. Il est vieux. Et fier ? Oui. Il y a quelque chose, là.
 
Attends. Fierté. Épée magique. Magie ? Magie… les jeux les plus anciens ?
 
Attends.
 
Je crois que je sais ce qu’il faut que je fasse. Si je peux lui demander ça… c’était comment, déjà ? Une maison rouge. Posséder des chats ? Des poissons ?
 
Essaie de te souvenir. Cours de cryptologie. Collège. Il y a tellement longtemps. je peux les reconstruire. Réfléchis.
 
Mon esprit est embrumé. Je suis si fatiguée. Depuis combien de temps est-ce que je cours ? Où sont passées mes chaussures ? Je me sens engourdie. C’est mauvais signe. Mais je cours toujours. On dirait que cela fait plus d’une journée. Ou peut-être quelques heures ?
 
Cela n’a pas d’importance. Je sens le vent glacé toucher mes moignons à moitié guéris. J’ai déjà perdu quelque chose. Je n’ai pas perdu assez. Je donnerai le reste si cela signifie que je n’arriverai pas trop tard, pour une fois.
 
Il faut que j’arrive à temps.
 
Il fait tellement froid.






***





Loin au-dessus de la fille, les fées volent dans le ciel glacé. Elles la regardent en contrebas et réfléchissent à ce qu’elle leur a dit. Elles débattent dans un langage qu’aucun Humain ne pourrais jamais comprendre, et pensent à ce qui pourrait se passer, ce qui pourrait être.
 
Un vent léger se lève. Il pousse la fille, même si elle ne le sent pas. Ce n’est pas un vent qui touche la peau. Il la fait courir loin à travers la neige, et pourtant, d’une certaine façon, son chemin est moins long qu’avant. Elle parcoure la même distance, de la même manière, et pourtant le vent la fait arriver un peu plus vite que si elle avait couru seule. Voilà tout.
 
Les fées volent derrière elle, savourant la brise. Puis elles volent un peu plus haut, et l’une d’elles prend la parole. Elle déclame quelques vers au monde, aux autres, d’une voix haute et claire.





“Nous la voyons si souvent d’en haut qu’elle est comme la pluie
 
La chose dont rêvent les rois mais que possèdent les héros ;
 
Une fin ou le commencement de ces contes, en lesquels les mortels voient une malédiction.
 
Le droit de naissance de la tragédie ; une lueur d’espoir dans les ténèbres.
 
Comme les brins d’herbes écrasés par des pieds insouciants
 
Ainsi s’effondreront et se briseront
 
Les écheveaux des destins tissés
 
Sur cette terre.
 
Et pourtant, pour celle-là, l’étoile brille plus fort que jamais,
 
À la lueur des braises et à l’instant où le marteau s’abat.
 
Elle épellera son destin, à cette misérable enfant
 
Qui jouerait aux dés sur la table des mondes face aux Dieux.
 
Mais vite, poursuivons notre vol !
 
Pour témoigner des prémices d’une amitié.
 
Et faire jaillir de nouveau les plus anciennes histoires.
 
Oyez ! Car nous déclarons ainsi ces mots immortels.”
 







Le reste des fées se dévisagèrent. L’une d’entre elles prit la parole.




“Seigneur, que les êtres mortels peuvent être stupides !”




Elles s’envolèrent derrière Ryoka. Et en quelques temps, quelques heures, juste à temps, elle atteignit les Hautes Passes.




***




”Teriarch !”, cria la fille.
 
Le Dragon l’observa par magie, d’un œil entrouvert au strict minimum. Ses sorts l’avaient sortis de son sommeil, et à présent il contemplait la fille qui courait dans le chemin mortellement dangereux qui sinuait entre les montagnes.
 
En criant.
 
Il avait cru qu’elle était au moins partiellement intelligente. Ne savait-elle pas ce qu’elle pouvait attirer en criant ? Elle n’était même pas en train d’utiliser son atroce potion, cette fois-ci. Déjà les loups la suivaient, et les chèvres avaient commencé à descendre. Encore quelques foulées et elle réveillerait des créatures bien plus ténébreuses avec tout ce bruit.
 
Il soupira. Il n’était pas d’humeur à traiter avec des Humains aujourd’hui. Il s’était déjà fait harceler par les messages de Reinhart. Il voulait simplement dormir. Mais il avait envoyé quelque chose avec celle-là, n’est-ce pas ? Quelque chose d’important ?
 
Oh, oui, la lettre. Il y réfléchit un instant. Était-elle arrivée ? Teriarch songea à Perril Chandler. Oui, le mage causait des soucis, mais la lettre était une chose importante. Il lui fallait savoir si elle était bien arrivée.
 
Le Dragon grommela, mais la fille était en train de tituber. Et ces satanées fées étaient aussi avec elle. Mais il n’avait pas le choix.
 
Il s’étira, dit un mot. Un homme apparut dans la pièce ; une expression irritée sur le visage. Teriarch se concentra, et l’homme fit quelques pas. Là. Il paraissait normal, n’est-ce pas ? Teriarch eut une idée et regarda le mur de la caverne.
 
Ah oui. L’ombre. Il agita sa queue et son ombre disparut. Cela devrait suffire.
 
Il se retourna de nouveau pour regarder son image des hautes passes. Il ne pouvait pas se concentrer sur la fille ; son maudit nom ne marchait toujours pas. Mais il pouvait tout de même l’observer depuis le ciel. Il dit un autre mot. La fille du sort disparut, et elle se retrouva devant lui.
 
Elle tituba ; regarda autour d’elle, sous le choc. Les fées étaient déjà en train de l’assaillir de mots dans leurs petites voix aigues qui lui faisaient mal aux oreilles. Teriarch grommela et dit un autre mot. Les immortelles voletantes ne se figèrent pas, mais la fille, si. C’était déjà ça.
 
Teriarch s’éclaircit la gorge. Sous lui, la copie magique fit de même. Il vit sa représentation Humaine lever la main pour jeter le prochain sort.
 
Il lui suffisait de dire quelques mots. Teriarch ne savait pas comment s’appelait le sort dans le système magique utilisé par les Humains. [Grand Geis] était probablement suffisamment similaire ; il doutait que la fille croise un jour un mage capable de jeter le même sort.
 
Le Dragon prit une inspiration. Il lui suffisait de dire ces mots. Ensuite, il pourrait lui poser toutes les questions qu’il souhaitait. Elle serait incapable de rejeter sa magie s’il usait de davantage de force. Il lui suffisait de faire cela.
 
Mais le Dragon sentit alors le sang. L’odeur était tellement ténue, au début, presque masquée par l’odeur des fae et de la neige et de la sueur et de la glace. Et il avait l’habitude de sentir l’odeur du sang émaner des choses dans les Hautes Passes. Mais ce sang était frais, et proche.
 
Teriarch contempla la fille. Du sang s’accumulait autour de ses pieds, ruisselant dans la chaleur de sa caverne. Il coulait de ses pieds, mais il ne voyait aucune blessure sur son corps. Il regarda fixement ses pieds.
 
Deux mots. il lui suffisait de les dire. Mais Teriarch hésita, et c’est ce qui fit la différence. C’était un détail tellement infime. Mais cela voulait dire…
 
Cela voulait tout dire.







***






“Tes pieds.”
 
Je dévisage le vieil homme, incapable de bouger. Je me jette à corps perdu contre le sort qui me retiens, j’essaie de bouger n’importe lequel de mes muscles. Bon sang, je relâcherais même mes intestins si cela me permettait d’attirer son attention. Mais le sort d’immobilisation gèle même ces muscles-là.
 
Je ne peux pas le laisser me renvoyer. Il faut que je résiste à tout ce qu’il me fait. Je dois résister. Ne te déconcentre pas. N’abandonne pas. Ne…
 
“Qu’est-il arrivé à tes pieds ?”
 
Je cligne des yeux. Je peux de nouveau bouger. Je baisse les yeux sur mes pieds et vois le sang.
 
“Oh.”
 
Il y en a beaucoup. Il tache le marbre parfait et luxueux du sol. Je lève le pied et le regarde, lentement.
 
Détruit. La chair a été arrachée. Je regarde fixement les plantes de mes pieds et essaie de me souvenir à quoi elles étaient censées ressembler. Mes pieds ont toujours été couverts de cals, et Maman disait toujours qu’ils étaient affreusement laids. Mais à présent…
 
“Hah.”
 
Ce n’est pas exactement un rire. Je me contente de regarder ce qui avait été mes plantes de pieds avant de hausser les épaules. Je me tourne vers Teriarch. Le vieil homme contemple mes pieds. Son air hautain a disparu.
 
“C’est sans importance.”
 
Il me dévisage d’un air surpris. Je me contente de soutenir son regard. Ils n’ont vraiment pas d’importance. Pas en ce moment. Mais il secoue la tête.
 
“Suffit. [Réparer].”
 
Il pointe mes pieds du doigt, et je sens une décharge électrique me parcourir l’échine. On dirait qu’une lumière vive traverse mon corps. Si la lumière pouvait être une sensation…
 
Soudain, le terrible engourdissement dans mes pieds et mes jambes disparait. Je sens la douleur, puis plus rien. J’agite mes orteils, comme j’en suis capable à présent que la sensation a disparu.
 
Je cligne des yeux. Deux fois. Mes orteils pataugent dans le sang autour de mes pieds. Teriarch dit un mot, et le sang se met à ruisseler.
 
Je me retourne et vois le sang ruisseler au loin, en direction de l’entrée de la caverne. Une fée éclate de rire et le prend en chasse.
 
“Là. Je te prie de ne plus faire de trace… de ne plus saigner dans mon domaine.”
 
Cette fois-ci, je regarde Teriarch et réalise à quel point j’étais gelée et épuisée. À présent, j’ai l’impression de réfléchir à toute allure. Non… cela fait des années que je ne me suis pas sentie aussi bien. Quel genre de magie est-ce donc là ?
 
Non. Concentre-toi. Devant moi se tient un Dragon. Souviens-t ’en.
 
Mais à présent que je suis devant lui, le vieil homme paraît bien plus réel que mes croyances sur les Dragons. Sa simple vue entame ma confiance en mes souvenirs. Je m’en souviens clairement mais il est…
 
Il est beau, okay ? Genre, vraiment beau*.
 
* Comme le genre de personne qu’on aimerait pouvoir être. Comme un modèle, quelqu’un à imiter. Même s’il s’agit d’une illusion, c’est de l’art à part entière. Il me fait me souvenir de mes imperfections.
 
Mais il faut que je me concentre. Erin.
 
Penser à elle était le choc dont j’avais besoin. Je cligne des yeux et serre les dents tellement fort que mes gencives me font mal. Teriarch me contemple en silence pendant quelques instants. Par où commencer ?
 
“Eh bien, je dois te féliciter pour ta ponctualité, j’imagine. Tu as mis plus de temps que ce que j’avais espéré, mais tu es clairement dévouée à tes devoirs.”
 
Je le regarde fixement. Quoi ? De quoi parle…
 
Oh. C’est vrai. La lettre. Je m’en souvenais à peine.
 
Le Teriarch humain pousse un soupir. Il agite une main et un sac apparaît. Des pièces d’or apparaissent dans les airs et tombent à l’intérieur. Beaucoup de pièces pour un si petit sac*.
 
*Un sac sans fond ? Non… concentre-toi. Pourquoi est-ce que je me sens si… si distraite ? J’étais… est-ce que j’étais déprimée ? Est-ce que ce sort vient de normaliser la chimie de mon cerveau ou quelque chose dans le genre ? Concentre-toi, Ryoka**.
 
**Mais j’ai envie de sourire. J’ai envie de rire. Qu’est-ce que… je me sens tellement bien. Qu’est-ce que c’est ? Je le prends, qu’importe ce que c’est. Je peux le faire.
 
Le vieil homme agite la main et le sac flotte jusqu’à moi. Il me regarde droit dans les yeux, et ses yeux hétérochromatiques sont hypnotisants.
 
“Dis la vérité… messagère.”
 
Est-ce qu’il vient d’oublier mon nom ? Teriarch s’éclaircit la gorge.
 
“Je suppose que tu as accompli ma quête et livré l’anneau et la lettre à Perril Chandler ?”
 
“En effet.”
 
Il hoche la tête.
 
“A-t-il répondu quoi que ce soit ? J’en doute, mais l’homme peut me surprendre.”
 
“Non. Il… a lu la lettre et dit qu’il s’agissait d’un cadeau approprié.”
 
Tout en créant une monstruosité horrifiante au-dessus de ma tête. Ne mentionne pas ça ! Dis simplement la vérité. Mais une demi-vérité. Ouais.
 
Teriarch paraît vaguement satisfait. Il hoche la tête, puis agite ses doigts.
 
“Eh bien, cela a nécessité un peu de réflexion. Et avec ça, je devrais être tranquille pour encore un siècle… bon sang, et Reinhart ? Hmm…”
 
À moins que Magnolia ne soit plus vieille que je ne le croyais, Teriarch est vraiment du genre à prévoir les choses à l’avance, bien plus que les humains. Et il est diablement optimiste, aussi, à moins que les humains d’ici ne vivent plus longtemps que ceux de notre monde.
 
Mais alors, le vieil homme qui fait mine d’être un mage se tourne vers moi, et ma colonne vertébrale se redresse. Ce n’est pas un sort, je suis juste tendue. Il faut que je parle. J’ouvre la bouche, mais le sac vole alors jusqu’à moi. Je l’attrape par réflexe.
 
“Là. Huit cents pièces d’or, comme promis. Je pense qu’elles te seront bien utiles. À présent, je vais te renvoyer dans ta ville, ou ton taudis, ou bien où tu voudras.”
 
Il agite la main puis hésite.
 
“Ah. [Ouvrir Portail] ?”
 
Est-ce qu’il vient juste de faire de la magie sans jeter de sort ? La magie miroitante des particules d’or qui se sont mises à tourbillonner autour de moi a commencé avant qu’il ne prononce ces mots. Mais cela n’a pas d’importance.
 
“Attendez !”
 
Il paraît irrité.
 
“Qu’y a-t-il, encore ? Je ne renégocierai pas…”
 
Est-ce que c’est vraiment le moment ? Non, pas le temps d’hésiter. Je pointe Teriarch du doigt, droit sur sa poitrine.
 
“Vous… vous êtes un Dragon, n’est-ce pas.”
 
Il se fige. L’air se fige. Pendant un bref instant, le monde plonge dans le sil…



“Ooh ! Elle l’a dit !”
 
“Chut ! Silence !




Les voix viennent d’au-dessus de nos têtes. Je n’y prête pas vraiment d’attention, toutefois. Et, apparemment, Teriarch non plus. Il me dévisage. Enfin, il s’éclaircit la gorge.
 
“Un Dragon ? Quoi ? Tu dois être… Je ne suis pas un Dragon. Tu dois te tromper.”
 
Bon sang… il est nul en mensonges ! Je le dévisage. Il soutient mon regard.
 
“Ne me mentez pas. Je sais que vous êtes un Dragon.”
 
“Je ne suis pas un Dragon. Tu te trompes. Je suis, euh, un [Archimage]. Tu as dû confondre ma noblesse pour celle d’un Dragon…  je ne sais comment.”
 
“Je sais que vous m’avez jeté une espèce de sort mémoriel. Il s’est brisé et je me suis souvenue. Vous. Êtes. Un. Dragon.”
 
Le vieil homme fronce ses sourcils blancs.
 
“C’est impossible ! Aucune Humaine ne serait capable de… attends une minute. Est-ce que Magnolia s’en est mêlée ? Est-ce que c’est encore une de ses… blagues ?”
 
“Un Courrier possédait une puissante amulette. Elle a brisé l’enchantement que vous m’aviez jeté.”
 
“Un Courrier ? L’un d’entre eux possédait… mais mes sorts… est-ce que c’était une magie appliquée directement, ou une espèce de sort scellé non renouvelable ? J’imagine qu’il est possible que ma magie ait été être compromise par un sort entrelacé…”
 
Le vieil homme se met à marmonner. Là encore, je suis un peu décontenancée. Il a l’air grognon, à présent, ce qui ne fait pas très Dragon. Mais quelques secondes plus tard, le vieil homme se tourne vers moi. Merde. Il va me…
 
“Bref, dans tous les cas, tu te trompes. Je ne suis pas un Dragon. Je suis juste un…”
 
Teriarch écarquille les yeux lorsque mon poing vient s’écraser sur son nez parfait. C’était un sacré bon coup de poing ; je me suis avancée d’un pas pour lui asséner mon meilleur crochet. De la main gauche. Ma droite n’a pas récupéré ses doigts malgré le sort.
 
Je dois bien admettre que même si une partie de moi s’en veut de cogner quelqu’un qui semble avoir quatre fois mon âge, j’adore la sensation. Rajoutez-le sur ma tombe*.
 
*Ryoka Griffin, 1995 - 2017. ”N’a jamais su quand il fallait la fermer. A également cogné un Dragon.”
 
Le vieil homme recule en chancelant. Je cligne des yeux. Quoi ? Il lève une main à son nez et regarde le sang qui coule d’une de ses narines.
 
Oh non. Oh merde. Je n’ai pas… c’est un humain ? Mais j’avais cru…
 
“Hmf. Les Humains sont tellement violents.”
 
Puis le vieil homme qui me fait face vacille, puis disparaît. Le sang, l’odeur de son corps, même son aura, la sensation ténue que quelqu’un se tient là, tout disparaît en un instant.
 
Puis je vois le Dragon.
 
Il n’y a pas d’autre mots. C’est un Dragon. Que puis-je dire de plus ? Et pourtant, et pourtant… que ces mots sont insuffisants pour le décrire.
 
Un Dragon. Un wyrm. Un être d’écailles et de feu. Une créature immortelle ou du moins, ancienne dans la plupart des mythes. C’est un gros lézard avec des ailes, quand on y pense. Mais le voir en chair et en os n’a rien à voir avec cette simple description.
 
Le Dragon se prélasse dans la caverne caverneuse, un endroit où l’on pourrait facilement faire tenir un hangar d’aviation militaire, et donne tout de même l’impression d’être à l’étroit. Il s’étire, sa queue serpentine s’enroulant autour de quelques artefacts magiques empilés dans sa chambre. Il ne dort pas sur une montagne d’or à la mode Smaug - il est simplement allongé par terre, usant ses serres en guise d’oreiller.
 
Oui, il ressemble plus à un dragon décrit par la culture occidentale qu’orientale. Mais au lieu de cornes, il arbore une énorme crinière qui ressemble à du bronze fondu transformé on ne sait comment en crin vivant.
 
Oh, oui. Ses écailles sont couleur bronze. Un bronze profond - et que l’on soit clair, lorsque je parle de bronze, je ne parle pas de la couleur à laquelle les gens l’associent. Je parle de la couleur du bronze lorsqu’il a été parfaitement travaillé :
 
Doré.
 
Cette lumière. Oh, cette lumière. Le soleil lui-même pâlit devant cette couleur. La lumière ténue de la caverne se reflète sur ses écailles, conférant une étrange lueur à la grotte. Il brille à la lumière, et sa crinière est aussi lumineuse que le reste de son corps.
 
Et à présent, le Dragon - Teriarch lève la tête. Lorsque je l’ai vu pour la première fois, on aurait presque dit qu’il dormait, mais il se redresse à présent, et écarte légèrement ses ailes. Je recule d’un pas et lève la tête haut, très haut, et croise des yeux vairons qui me transperce jusqu’au cœur.
 
Voici le Dragon. Voici la véritable nature de Teriarch, que je peux enfin contempler. Il dépasse encore l’entendement. Nous possédons tellement de mots, mais lequel pourrait vraiment décrire ce que je vois ?
 
Serpent. Wyrm. Drake. Arach. Naga. Ormr. Tann…
 
Attends une seconde, j’ai déjà fait ça avant.
 
Je me libère du sortilège. Je l’ai déjà fait. Oui, j’ai déjà vu Teriarch. Et je pourrais le contempler à jamais, mais je n’ai pas le temps pour ça. Je m’éclaircis la gorge.
 
“Euh…”
 
“Humaine.”
 
Le mot fait vibrer mes os. La voix de Teriarch - sa véritable voix, fait trembler mon âme. Vous vous souvenez de cette histoire de relâchement d’intestins ? Je suis à un doigt de mettre cette menace en pratique.
 
Teriarch baisse sa gigantesque tête et il se retrouve soudain à six mètres de moi. Six mètres, mais sa tête… je suis figée sur place, comme une souris devant un chat. Ou à une souris devant un Boeing 747 embaumant le soufre. Lorsqu’il ouvre la gueule, une odeur de feu emplit mes narines.
 
“Ainsi donc, tu as découvert ma véritable forme. J’imagine qu’il me faut te féliciter. Mais sache ceci : tu as fait une erreur en n’emportant pas ce secret dans ta tombe. Je ne sais pas quel maigre trésor tu t’imaginais obtenir, mais sache que je ne me séparerai pas de la moindre fraction de ma richesse. Si tu es avisée, tu…”
 
“Je ne veux pas de trésor.”
 
Il marque une pause. J’emporterai avec moi l’image d’un Dragon décontenancé.
 
“Comment ?”
 
“Je ne veux pas de trésor. Je ne suis pas venue tenter de vous extorquer quelque chose. Je n’ai aucun désir de dire à qui que ce soit que vous êtes un Dragon.”
 
Silence. Les yeux gigantesques passent sur moi comme des feux de projecteurs.
 
“Oh.”
 
Il cligne des yeux. Bien qu’anodin, cela reste un geste terrifiant sur un être aussi gargantuesque
 
“Alors pourquoi es-tu venue ?”
 
Reste calme. Garde la tête froide. Il a beau être un Dragon, il reste Hu… ce n’est qu’un mort… il est, euh, probablement sur la même longueur d’onde émotionnelle que moi. En tout cas, cela semble être le cas depuis le début.
 
Je m’éclaircis nerveusement la gorge.
 
“J’ai… besoin d’aide.”
 
“Comment ?”
 
Un œil me dévisage. J’ai la bouche aussi sèche que le Sahara pendant une vague de chaleur, mais je reprends tout de même la parole.
 
“Mon amie a disparu. J’ai besoin de votre aide pour la retrouver. J’ai besoin de votre magie. Je vous demande - humblement - votre aide.”
 
Un long regard. Le Dragon se contente de me dévisager. Je veux dire, Teriarch se contente de me dévisager. Est-ce que c’est un truc de lézards ? Mon dos est déjà en nage, mais il détourne les yeux. Teriarch lève les yeux au plafond puis se met à marmonner dans sa barbe.
 
“D’abord Reinhart, et maintenant une Courrier lambda. Est-ce que j’ai vraiment l’air d’avoir le temps de… ?”
 
Il marmonne, mais venant d’un dragon, ses mots me sont clairement audibles. Teriarch paraît s’en rendre compte, parce qu’il se tait et me fusille du regard.
 
Il a l’air… grognon. L’énorme Dragon exhale un panache de fumée en me dévisageant.
 
“Pourquoi devrais-je gaspiller mes vastes pouvoirs pour toi ?”
 
Okay. C’est le moment d’avancer des arguments convaincants. Que je n’ai pas préparés. Devant un Dragon.
 
Je déglutis.
 
“Magnolia Reinhart connaît mon amie. Si Erin Solstice meurt, elle sera mécontente.”
 
Je ne peux dire que la vérité. Ou peut-être qu’il le sent? Est-ce qu’il m’a jeté un sort ? Mais c’est un peu vrai, non ? Erin en avait parlé. Ce n’est pas un mensonge, pas un mensonge, pas un mensonge…
 
Teriarch me dévisage.
 
“Et alors ? Les Humains ne sont jamais contents.”
 
Est-ce qu’il bluffe ? Prends-le au mot.
 
“Oh vraiment ?”
 
J’essaie de lui sourire, mais mes lèvres fonctionnent à peine. J’ai l’impression d’avoir fait une tête vraiment stupide, mais je poursuis.
 
“C’est une perspective intéressante. Souhaitez-vous que l’on discute avec Magnolia Reinhart pour lui expliquer que vous saviez qu’Erin allait mourir et que vous n’avez rien fait ? Je suis sûre qu’elle serait ravie.”
 
Sa paupière s’agite d’un tic. J’ai touché une corde sensible, ou du moins je n’étais pas loin.
 
“Reinhart n’a pas le pouvoir de me commander.”
 
Là, on dirait vraiment qu’il boude ! Je prends une grande inspiration. Le flatter. Les Dragons. La fierté. Tout ça.
 
“Je ne voulais pas vous offenser. C’est juste que mon amie est vraiment importante pour moi, et je sais qu’elle est également importante pour… Magnolia Reinhart. J’ai besoin de votre aide. Je ferais n’importe quoi pour cela.”
 
“Huh. Et que pourrais-tu bien m’apporter ?”
 
Teriarch recule et regarde quelque-chose au-dessus de moi. Quelque chose au plafond. Je lève aussi les yeux.
 
Oh merde. Les Fées de Givre volent au plafond en riant, puis elles poussent des cris aigus en s’apercevant que Teriarch les regarde. Elles n’ont pas du tout l’air intimidées, mais le Dragon a l’air en rogne.
 
“Hrm. Voyons voir. Tu viens ici, accompagnée de ces vermines, tu saignes deux fois dans ma caverne, me fais subir l’odeur de cette potion pestilentielle, m’extorque plus d’argent que tes services ne le valent, puis exige mon aide après avoir insinué que Reinhart me mène peut-être à la baguette ?”
 
Oh oh. Lorsqu’il le dit comme ça… oui, j’aurais peut-être dû y réfléchir à deux fois.
 
Et pour aggraver les chose, les fées ont l’air d’avoir compris qu’il faisait référence à elles. Quelques-unes tournent autour de la tête de Teriarch en poussant des cris perçants.




“Des vermines ! Ce ne sont pas nous, les vermines, espèce de sac d’écailles !”
 
“Nous n’avons pas peur de toi, vieux fou !”
 
“Exactement ! L’autre jour, nous avons massacré une nuée d’abeilles !”





”Disparaissez.”
 
Ce n’est qu’un mot, mais les fées s’enfuient à tire d’aile, paniquée. D’accord, la chaîne d’autorité locale a été établie. Je déglutis, et Teriarch baisse les yeux sur moi.
 
“Je sais que c’est présomptueux, mais…”
 
"Non.”
 
Le mot me fait chanceler. Mais je tiens bon. Non pas pour défendre ma propre dignité ; je crois que je me suis un peu fait dessus, là. Mais Erin…
 
“D’accord. Pas de faveur. Mais j’ai quand même besoin de votre aide.”
 
“Vraiment ?”
 
Il est en colère, à présent. Teriarch se lève pour la première fois depuis le début et bordel de merde qu’il est gigantesque. Il avance d’un pas vers moi et je tressaille. Il baisse encore sa tête jusqu’à ce que je puisse regarder droit dans ses naseaux. On dirait l’entrée d’un canon.
 
“Et pourquoi devrais-je m’empêcher d’effacer ton petit esprit et de te chasser de ma caverne où tu seras mise en pièces, Humaine ?”
 
Oui, il est en colère. Je déglutis, mais je n’ai plus de salive.
 
“Je… je vous défie, Teriarch. Je vous défie à un concours d’énigmes.”
 
Il cligne des yeux. Au-dessus de ma tête, les fées clignent des yeux. Je vois presque ses méninges s’activer.
 
Comment ?
 
C’était une idée stupide. Le genre d’idée stupide qui n’a pu me venir qu’en courant à toute vitesse dans la neige et le froid. Mais c’est tout ce que j’ai.
 
“Vous m’avez entendue. J’ai dit que je vous défiais. À un jeu. D’énigmes. C’est la coutume, non ?”
 
“Vraiment ?”





 
“Oui, vraiment !!”
 
“Le jeu ! Elle l’a défié à l’ancien jeu !”






Les fées crient en jubilant au-dessus de nos têtes. Teriarch et moi levons tous les deux les yeux.
 
“Vous… vous n’en avez jamais entendu parler ? Euh, des énigmes ? Vous ne… vous ne faites pas ça ?”
 
Teriarch prend l’air vexé.
 
“Eh bien, je suppose que j’ai déjà apprécié une ou deux énigmes. Mais est-ce que tu es en train d’insinuer que certains jouent à ce jeu de manière à obtenir des… faveurs ?”
 
“Oui… ?”
 
Je ne devrais vraiment pas tirer toutes mes idées du Hobbit. Teriarch se contente de me contempler quelques secondes. J’essaie de lui expliquer;
 
“Euh, eh bien, je croyais qu’il s’agissait d’un jeu sacré que pas même les monstres les plus horrifiants n’oseraient bafouer. Vous pourriez… euh, vous en servir pour parier sur des choses comme de la vie, des anneaux magiques… c’est un concours…”
 
“Je sais comment marchent les jeux.”
 
Je me tais. Teriarch me regarde fixement, puis jette un regard en coin aux fées au-dessus de nous. Puis il se rassied.
 
“Des énigmes ? Un jeu ? Que c’est… intrigant.”
 
Oh, calme-toi, mon cœur qui tambourine. Sérieusement, calme-toi. Je crois que je n’ai jamais été plus proche de l’arrêt cardiaque qu’en ce moment. Mais Teriarch me regarde alors, et je n’ai plus besoin de m’inquiéter de l’arrêt cardiaque. Il vient d’arriver.
 
“Mais pourquoi devrais-je perdre mon temps à jouer à un jeu auquel je suis sûr de gagner ?”
 
Bonne question. Excellente, même. Est-ce que j’ai une réponse ? Je bafouille.
 
“Eh bien… parce que c’est un défi.”
 
“Et alors ?”
 
Il a l’air perplexe. Et je finis par être un peu agacée. Ma bouche s’ouvre, et prend la place de mon cerveau qui cherche encore une réponse.
 
“Et alors ? Es-tu un Dragon, ou un lézard qui se cache sous un tas de pierre ? C’est un défi, imbécile. Qu’est-ce que tu ne comprends pas là-dedans ?”
 
Teriarch me regarde, bouche-bée. Les fées me regardent, bouches-bées. Ma bouche continue sa tirade en fourrant mon cerveau sur la banquette arrière.
 
“Es-tu donc aussi bête que tu en as l’air ? Un défi n’est pas censé t’apporter quoi que ce soit. C’est une attaque contre ton autorité ! Si tu crois qu’il est si facile de me battre, pourquoi ne pas le prouver au lieu d’agir comme un lâche et de gagner du temps ? Monte-moi de quoi tu es capable !”
 
Je pointe Teriarch du doigt. Ses yeux se fixent sur mon index. Au-dessus de ma tête, j’entends des vivats. Je vois des dents massives être dénudées dans un rictus, puis j’entends des voix, à la limite de mon champ audible.






 
“Elle ose ! Elle ose !”
 
“Pleure ‘ravage !’ et laisse échapper les chiens de guerre !”
 
“C’est le moment ! C’est imminent !”





J’entends quelque chose, ou… sens quelque chose au-dessus de ma tête ? Même Teriarch lève les yeux.
 
“Qu’est-ce qu’elles… ?”
 
Puis quelque chose me frappe, et je me sens… différente. Mais je ne peux pas comprendre ce que j’ai fait.  Les fées, peut-être ? Mais Teriarch me regarde de nouveau, plein de rage.
 
Je croise le regard du Dragon, et incline la tête. Il faut que je le dise correctement. Je n’aurai droit qu’à un essai.



“Saches à présent que je ne cherche qu’à me racheter !
 
Ô clément Dragon, écoute ma supplique.
 
Apaise ton courroux, car en cette heure critique,
 
Je t‘implore de relever le défi qui t’a été lancé.”



Attends, j’ai dit quoi là ?
 

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 07 mars 2021 à 20:48:27



 
2.45 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

***

Ô gracieux lecteurs, permettez-nous de planter le décor et de vous arracher de soupirs et des mots tels que vous n’en avez jamais vus. Les fées dansent et rient et rêvent au-dessus de cette caverne, dans laquelle attend un Dragon, dans laquelle une Humaine défie le destin. Seuls ces mots et ces intrigues peuvent enflammer leurs pensées.
 
Et elles se rassemblent alors, et restent attentives ; ce défi mènera-t-il Ryoka au triomphe ou sonnera-t-il son glas funèbre?
 
Le Dragon rit et son souffle luit d’un éclat soufré. Certain qu’il l’emportera aisément sur l’Humaine. Il la nargue et persifle ; elle reste ferme. Déterminée à piéger ce wyrm archaïque.



“Ton jeu d’énigmes insulte jusqu’à mon nom,
 
Je suis Teriarch ; de quel droit oses-tu me faire perdre mon temps ?”
 
“Je l’ose par amitié, orgueil et autres qualités ;
 
Je vous défie à un jeu antique pour lequel on pariait autrefois des anneaux enchantés.
 
Un loisir drôle et audacieux ; un jeu d’esprit et d’ingéniosité.
 
À moins qu’il ne vous en manque la volonté ?”



Le Dragon cligne des yeux et les fées acclament la pique. Cela fait si longtemps qu’elles n’avaient vu une mortelle ainsi dépourvue de crainte.




“Hrm. Eh bien, j’imagine que je pourrais accéder à ta demande
 
- comprends bien que ce n’est point parce que tu me le quémandes.
 
Mais tout jeu mérite d’être testé.
 
Si je l’emporte, que vais-je gagner ?
 
Tu n’as rien à m’offrir - toi, la va-nu-pieds.”



Elle s’adresse alors à lui, impétueuse et téméraire ; à aucun moment l’idée de ne pas vieillir ne l’effraie



“J’offre ma vie, pour te servir jusqu’au jour où je serai vieille et blême.”



“Un sortilège en ferait de même.”


“Mon âme ?”


“Quel besoin ais-je d’une âme, moi, un Dragon, Seigneur des flammes ?”


Elle réfléchit alors avec ferveur, sachant qu’elle ne peut plus faire d’erreur.



“J’offre alors ce que tu ne connais pas, le secret de mon nom,
 
La seule chose que je puisse t’offrir qui soit pour toi une révélation.”



Un silence s’ensuit et l’assemblée des fées attend. Impatiente de savoir le destin de cette amusante Humaine, si plein de rebondissements.



Puis la mâchoire s’ouvre et une voix profonde retentit. Les mots d’un être ni faible, ni petit.




“Très bien j’accepte ton pari. Mais prends garde…
voulez-vous bien cesser, bande d’abruties ?”




***



Je vois Teriarch lever la tête au plafond, et mon corps me jette à terre une seconde avant qu’il ne crache le feu. J’entends des cris et les fées se mettent à voleter de partout, paniquées. Sont-elles mortes ? Non… juste enflammées. Au sens littéral du terme.
 
La Dragon pousse un grognement offusqué. De la fumée et de l’eau tombent du plafond en cascade tout autour de moi. Je me relève, tremblant légèrement tandis que les fées se cachent dans un coin de la caverne, derrière quelques objets précieux, en lançant des insultes.




 
“Imbécile balourd !”
 
“Gueule puante ! Crétin de serpent à pattes !”
 
“Espèce de vieux plein de graisse !”







Vermines !”, meugle Teriarch, et les fées se dispersent de nouveau. Il pousse un grognement amusé et les fusille du regard lorsqu’elles décident de se cacher derrière moi.
 
Je chancelle. Et porte une main sur ma tête. Et une sur mon estomac pour ne pas vomir. Que s’est-il passé ?
 
“Que diable…”
 
J’étais en train de faire des rimes ? Pourquoi est-ce que j’ai dit… tout paraissait si naturel…
 
“Elles se font une idée étrange de tout ce qui est dramatique.”
 
Teriarch fusille les fées du regard et un nombre incalculable d’aiguilles de glace gèlent mon haut sur mon dos. Mais il a repris un ton badin.
 
“Elles altèrent le sens de… eh bien, j’imagine que tu dirais la perception de la réalité. C’est vraiment fatigant au bout d’un moment. Tout de même, il est rare qu’elles le fassent.”
 
“Oh.”
 
Mes jambes tremblent. Teriarch cligne des yeux. Sa colère… a disparu. Il se contente de me regarder, à présent.
 
“Curieux. Ce fut une journée bien étrange.”
 
C’est lui qui me dit ça ? Je savais que j’allais devoir faire face à un dragon à un moment ou à un autre, mais…
 
“Eh bien, j’ai accepté ton jeu d’une manière ou d’une autre, donc commençons.”
 
“Quoi ?”
 
Attends, juste comme ça ? Mais Teriarch est en train de bouger. Est-ce qu’il… s’assied ? Non ; il ne peut pas vraiment faire ça. Ou s’il le faisait, ce serait vraiment gênant. Il s’allonge comme un chat, en pointant sa tête sur moi.
 
“Un jeu d’énigmes, c’est bien ça ? J’ai encore des doutes concernant ton intellect. Tu ne peux clairement pas être si intelligente que ça si tu penses avoir des chances de gagner.”
 
“Et tu n’as pas l’air si malin que ça étant donné que tu ne cesses de dire que tu vas gagner sans en avoir la moindre preuve. Veux-tu bien la fermer et me poser une question ? Ou alors je commence et…”
 
Ma main vient couper la parole à ma bouche incroyablement suicidaire, étouffant le reste de ma phrase. J’entends les fées s’esclaffer et pousser des exclamations dans mon dos.
 
Pendant une longue minute, Teriarch me dévisage et j’imagine ce qu’il pourrait arriver s’il crachait ne serait-ce qu’une fraction des flammes qu’il a jetées aux fées. Voyons voir. La mort serait instantanée, sauf si la température des flammes n’était pas si élevée que ça, auquel cas mes yeux fondraient et je mourrais dans une agonie douloureuse lorsque chaque partie de mon corps prendrait feu ou s’évaporerait, tout simplement…
 
“Très bien. Comme tu veux.”
 
Le Dragon grogne d’un air amusé et la fumée me fait tousser. Il fronce les sourcils puis roule ses énormes yeux pour les lever au plafond.
 
“Alors, voici une question à laquelle la moitié des Humains ne savent pas répondre. Réponds en dix secondes ou j’efface ta mémoire.”
 
Merde. Je crois que je l’ai énervé.
 
Teriarch marque une pause. Attends un instant, il n’a vraiment pas préparé son énigme ? Sa bouche bouge comme s’il réfléchissait. Est-ce qu’il est vraiment en train de… ?
 
“Je suis ce qui érode les montagnes et abat même les plus grandes constructions. Les rois ne peuvent m’ignorer, et pourtant toute chose se nourrit de moi avant que je ne les dévore lorsque vient…”
 
“Le temps.”
 
Le Dragon marque une pause. Il fixe un œil sur moi.
 
“Quoi ?”
 
Je tremble, mais là encore, ma bouche va plus vite que mon cerveau. Je ne suis qu’instinct, en ce moment, et j’ai juste sorti la réponse tout de go.
 
“La réponse, c’est le temps.”
 
Déjà, il ne connaît pas le jeu des énigmes, puis il m’en sort une du Hobbit ? Bon sang, je suis contente d’avoir vu le film cet été. Mais est-ce que c’est vraiment une énigme normale ? Elle est tellement… facile.
 
Teriarch a l’air décontenancé. Il souffle, et le vent qui sort de ses naseaux me fait presque perdre l’équilibre.
 
“Je vois que tu connaissais déjà cette énigme. Eh bien, elle est simple. Pose ton énigme, alors.”





 
“Ooh ! Est-ce qu’elle va poser son énigme ?”
 
“Que c’est excitant !”
 
“La dernière énigme était vraiment nulle.”






Okay, ignore la galerie des badaudes perchées sur tes épaules et ta tête. Teriarch a un regard noir, dirigé sur elles ou sur moi, je ne sais pas. Je déglutis. Tout va tellement vite. Mais c’est le moment. Il veut une énigme ? J’en ai une juste pour lui. Albert Einstein, ce n’est pas le moment de me laisser tomber.
 
“Ahem. Euh, un village possède cinq maisons. Chacune est peinte d’une couleur différente, et dans chacune d’elle vit une espèce différente. Les cinq personnes qui vivent dans chaque maison mangent chacune un type de nourriture différent, pratiquent des genres de magies différents, et possèdent un animal différent.”
 
Le silence s’installe sur mes épaules. Je suis consciente de tous les petits yeux en train de me dévisager, et des deux yeux énormes posés sur moi. Teriarch s’éclaircit la gorge.
 
“Est-ce que cette énigme est terminée… ?”




“Le Drakéide vit dans une maison magenta.
 
Le demi-Elfe a des Araignées Cuirassées de compagnie.
 
L’Humain pratique la Cryomancie.
 
La maison violette est à côté et à gauche de la maison puce.
 
Le propriétaire de la maison violette pratique la Nécromancie.
 
La personne qui mange les âmes monte des Griffons.
 
Le propriétaire de la maison fulveuse mange des abeilles.
 
La personne qui vit dans la maison centrale pratique la Chronomancie.
 
L’Antinium vit dans la première maison.
 
La personne qui mange de l’herbe vit à côté de celle qui possède des Loups Carnassiers.
 
Le propriétaire qui élève des champignons parlants vit à côté de celui qui mange les abeilles.
 
L’être qui mange des pancakes étudie la Pyromancie.
 
Le Gnoll mange des bagels.
 
L’Antinium vit à côté de la maison couleur ébène.
 
Celui qui mange de l’herbe vit à côté de celui qui fait de l’Aéromancie.
 
La question est la suivante : qui possède le Ver des Cryptes ?”



Et au moment où je termine mon riff désespéré sur une question injuste classique, je réalise enfin à quel point cela a l’air stupide. Ce n’est pas une énigme juste. Il vient juste de m’en poser une sur le temps, bon sang ! Pourquoi donc ai-je cru… ?
 
Je… je vais mourir, tout de suite.
 
Je regarde à ma droite. Les fées - toutes les fées - sont en train de me regarder d’un air incrédule. Je les entends murmurer.







 
“Est-ce que c’est une énigme humaine ? ?”
 
“Je ne la comprends pas.”
 
“Quel Ver des Cryptes ? Elle n’en a jamais parlé avant !”
 
“Ça veut dire quoi, fulveuse ?”






Je tente de regarder Teriarch. Ce sera peut-être la dernière chose que je verrai, après tout. Il est simplement en train de me dévisager. Est-ce qu’il est en train de se demander comment me cuire vivante ? Ou est-ce qu’il réfléchit réellement à la réponse ? Non, impossible. Ce n’est pas si simple. Il lui faudrait du papier et un crayon.? Bon sang, ça m’a pris un temps fou à…
 
“Hmm. Le… Gnoll. Oui, le Gnoll.”
 
Mon cœur s’arrête de battre dans ma poitrine. Oui, pendant un instant, mon cœur s’est littéralement arrêté de battre. Le choc qui vient de me frapper est presque tangible. Comment…
 
Teriarch me sourit. Ses dents pourraient tout aussi bien être mes pierres tombales.
 
“C’était une question intrigante. Tu as fait de ton mieux ?”
 
Les petites bouches des fées s’ouvrent toutes en même temps sous le choc. Moi ? Je commence à paniquer.
 
Oh non. Il est intelligent. Pas juste intelligent ; c’est un génie. C’est évident. Teriarch lève une serre ; ses yeux semblent s’être illuminés, et il a l’air plus animé.
 
“Eh bien, il apparaît que nous avons tous deux répondu correctement à une question. Et tu as l’air de connaître des énigmes intéressantes que je n’avais jamais entendues. Bon, quelle va être la suivante ? Hmm. Hmm… je connais naturellement un certain nombre d’énigmes, mais si tu connais les réponses, il faut que je trouve… voyons voir…”
 
Et : merde. Il est compétitif, avec ça.
 
Je prends quelques grandes inspirations pendant que Teriarch marmonne dans sa barbe comme un moteur d’avion prêt à décoller. Calme-toi.
 
Un discours d’encouragement. Il me faut un discours d’encouragement. Allez, disons que mon cerveau me donne des conseils, parce que j’en ai besoin.
 
Respire lentement. Concentre-toi. Tu ne t’attendais pas à ce qu’il trouve celle-ci, mais tu as d’autres questions à lui poser. Il te faut juste te concentrer. Tu as un avantage, Ryoka. Et c’est que bien que ce monde possède des magies incroyables, des Dragons anciens, et des gens qui peuvent atteindre des pouvoirs dépassant les limites mortelles… leurs énigmes restent pourries.
 
“Hmm. Je l’ai !”
 
Le son de la voix de Teriarch enflamme mes nerfs. Il lève la tête et me dévisage d’un air triomphant.
 
“Humaine, voici une énigme qui devant laquelle ceux de ton espèce sont restés perplexes pendant plus d’un siècle quand ton peuple était encore jeune. Lors d’un voyage, tu tombes à la croisée des chemins, mais devant toi se dressent deux gardiens, un par chemin.”
 
Quoi ? Non. Il ne va pas me demander… vraiment ? Je retiens ma respiration et Teriarch reprend la parole.
 
“Voici l’enchantement qui t’a été jeté : tu ne peux différencier aucune des deux routes, et pourtant l’une mène à la sécurité, l’autre au danger. Une fois que tu auras commencé à marcher sur un chemin, tu ne pourras pas faire demi-tour. Les deux gardiens répondront à une question, mais tu ne peux la poser qu’à l’un d’entre eux. Et l’un dira toujours la vérité, et l’autre des mensonges. Quelle question poses-tu pour prendre le chemin qui te mènera en sécurité ?”
 
Okay, les énigmes de ce monde craignent, c’est officiel. Ou peut-être que c’est l’époque. Ou juste le Dragon. Est-ce qu’il vient de dire que cette question a laissé l’Humanité perplexe pendant cent ans ? Eh bien, s’il s’agit ici des premières énigmes…
 
Teriarch me sourit d’un air triomphant. Les fées murmurent entre elles, clairement impressionnées.
 
“Je vais te laisser un peu de temps pour réfléchir.”
 
“Je n’en ai pas besoin.”
 
Il cligne des yeux.
 
“Comment ? Mais… ah, alors quelle question poses-tu à ces gardiens que tu ne peux pas différencier ?”
 
Je hausse les épaules.
 
“Je donnerais un coup de poing à celui de gauche et lui demanderait si ça fait mal.”
 
Un nouveau silence. Puis j’entends l’une des fées pouffer. Elles se mettent à rire et Teriarch me fusille du regard.
 
“Ce n’est pas une réponse appropriée.”
 
“Tu veux une réponse appropriée ? D’accord.”
 
Je fronce les sourcils.
 
“Voici la question que je poserais au gardien : “Quel chemin me montrerait l’autre gardien si je lui demandais lequel me mènerait en sécurité ?” Et ensuite, je prendrais le chemin opposé à celui que le gardien me montrerait.”
 
“Comment as-tu su ?”
 
“La logique.”
 
Et j’avais déjà résolu ce puzzle au collège. Je n’avais pas trouvé tout de suite au début, mais hey, personne n’est obligé de le savoir. Teriarch me regarde fixement.
 
“Eh bien, je vois que tu possèdes un peu d’intelligence, après tout.”
 
“C’est bon de savoir que tu n’es pas aveugle. À mon tour.”
 
Le Dragon s’étouffe à moitié, et je réfléchis à toute vitesse. D’accord, Einstein n’a pas marché ? Pas grave, j’ai…
 
J’ai, euh…
 
Je…
 
Je n’ai pas le temps de réfléchir à une autre énigme ! Et je ne me souviens pas de beaucoup ! Ce n’était pas mon truc à l’école. Je ne suis restée que deux mois dans ce club ! Je pensais vraiment qu’Einstein allait l’avoir, mais, attends, et celui des fronts bleus ?
 
Ouaip.
 
Je lève les yeux sur Teriarch.
 
“Écoute bien. Cent… non, dix mille personnes sont enfermées dans une pièce. Chaque personne a une couleur peinte sur la tête, mais il n’y a pas de miroir et personne n’a le droit de parler, à cause d’un enchantement. Tous les jours, la porte s’ouvre et quiconque possède un front bleu aura le droit de sortir.”
 
Je marque une pause. Teriarch fronce les sourcils et bouge les lèvres. Les fées me regardent d’un œil vitreux.
 
“La magie qui ensorcèle ces dix mille personnes les empêche de sortir à moins qu’ils ne soient absolument certaines d’avoir un front bleu. Dans cette pièce, il y a 2 459 personnes avec du bleu sur le front, 98 personnes avec du rouge, 12 avec du blanc, 4 421 sans peinture, et enfin, 3 010 personnes avec des fronts vert émeraude. Quinze personnes n’ont pas de nez, et une personne souffre d’incontinence urinaire. Au moins une personne a un front bleu, et les gens le savent. Quel jour la dernière personne avec du bleu sur le front sortira-t-elle ?”
 
Là encore, le silence s’installe. Mais cette fois-ci, Teriarch a l’air intrigué. Il tourne la tête et se met à marmonner. Pendant ce temps, mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je bondis lorsque quelqu’un me donne une claque sur l’oreille.
 
Quoi ?
 
La fée me fusille du regard.





 
“Ce ne sont pas de vraies énigmes ! Quel genre de ruse est-ce là ?”





“Ce sont des énigmes ! Des énigmes logiques !”



 
“Elles sont débiles !”





Toutes les fées se mettent à piailler leur accord. Je les balaye d’un revers de la main et l’une d’elles me mord. J’essaie de ne pas hurler de douleur lorsque Teriarch se tourne de nouveau vers moi.
 
“Toutes les personnes avec le front bleu seront partie le deux-mille quatre-cents cinquantième jour.”
 
Oh…
 
Je m’assieds, alors. Teriarch me regarde glisser lentement au sol d’un petit air supérieur. Il ressemble presque à un chat souriant ; comme Garfield. Mais je suis juste emplie de désespoir. Il ne paraît même pas le remarquer. Sa queue tressaille, renverse quelque chose qui vole en éclats au sol lorsqu’il reprend la parole.
 
“C’est mon tour, j’imagine. Hrmf. Bon, quelle énigme te proposer ? Toutes les énigmes réellement difficiles sont imprononçables dans ta langue. Tu ne parlerais pas la langue magique, par hasard ?”
 
 “... Non.”
 
Il réfléchit et je contemple mes mains. À quoi est-ce que je pensais, bon sang ?
 
“Ah. Alors, voici une simple question, Humaine. J’ai… cinq mille huit cent onze poires en ma possession. Je, euh, il faut que je les paie, mais chaque poire fait huit pièces d’argent. Combien dois-je payer pour…”
 
“Quarante-six mille quatre cent quatre-vingt-huit pièces d’argent.”
 
Je sais que tout le monde me dévisage, mais je m’en fiche. D’accord, j’ai répondu à cette question, mais quelle énigme puis-je lui poser dont il ne trouvera pas la réponse ? Réfléchis. Je ne connais pas tant d’énigmes que ça, et il a l’air de connaitre toutes les vieilles. Une énigme injuste ? Celle du Chapelier Fou… Mais non, il va demander la réponse !
 
J’ai besoin d’une question à laquelle même quelqu’un d’intelligent comme lui ne peut répondre. Une question qui défie toute logique, ou… ou…
 
Et pourquoi pas… c’est ma dernière chance.
 
Teriarch me contemple. Je lève les yeux, et réalise que je n’ai pas écouté sa question.
 
“Quoi ?”
 
“Comment as-tu trouvé la réponse à ça ? Ce n’était pas une énigme.”
 
“Ce n’étaient que des maths.”





 
“Aha !”





Une fée s’envole de mon épaule. Elle nous fusille tous les deux du regard.







 
“Ce jeu est injuste ! Vous trichez tous les deux ! Nous exigeons une autre partie ! Nous voulons… ”





Teriarch souffle. C’est pour lui l’équivalent d’un souffle doux, mais il manque de peux me faire tomber en arrière et les fées sont arrachées de mes épaules. Il secoue la tête.
 
“Il suffit. À présent, pose-moi une autre énigme. Et qu’elle soit bonne !”
 
Il a l’air content. Mais mon cœur a plongé au fond de ma poitrine. C’est l’heure de tricher. C’est tout ce qu’il me reste.
 
“Très bien.”
 
Je le regarde. Pourquoi fallait-il qu’il soit puissant et intelligent ? C’est presque injuste. Mais une partie de moi ne peut s’empêcher de l’admirer. Il a résolu l’énigme d’Einstein en un battement de cœur, et celle des fronts bleus presque aussi rapidement. Il est…
 
“Voici mon énigme. Cette déclaration est faute. Ce que je viens de dire était-il correct ou incorrect ?”
 
Le Dragon me regarde d’un drôle d’air. J’attends le moment où il va me traiter de tricheuse, et j’entends quelqu’un crier avec indignation de l’autre bout de la caverne. Puis… il éclate de rire.
 
“Hah ! Ce vieux paradoxe- ? C’est facile. La réponse est...”
 
Mes oreilles tintent lorsqu’il prononce le mot suivant. Je plaque mes mains contre elles. Teriarch me regarde en clignant des yeux.
 
“Ah. J’oublie que les Humains ne peuvent comprendre cette langue. Mes excuses.”
 
“C’était quoi,  ça ?”
 
Il me sourit. D’un sourire de Dragon.
 
“La réponse à ta question. Ce qui est rendu faut en étant vrai à l’infini. Les Elfes ont trouvé le mot ; ça leur avait mis énormément de temps à trouver, à l’époque.”
 
Bien sûr. Je ferme les yeux. Ce n’est pas que la terre s’ouvre sous moi, non, c’est différent. Je me sens fatiguée. Fatiguée, et frustrée, et impuissante.
 
C’est terminé.
 
Au-dessus de moi, le Dragon parle d’un air surexcité, plus vite qu’avant, sa voix profonde et tonnante remplacée par le ton de la conversation.
 
“Eh bien, j’imagine que c’est mon tour, alors. Que c’est intrigant. Je… hmm. Quelle était cette vieille énigme sur le sable ? Ah, je crois que je l’ai...”
 
“C’est sans importance.”
 
“Je te demande pardon ?”
 
Je me rassieds. Je vois à travers ma vue brouillée que Teriarch a l’air perplexe. Je hausse la voix, en essayant de ne pas m’étouffer.
 
“J’abandonne. J’ai perdu.”







 
Quoi ?
 
“C’est n’importe quoi ! N’IMPORTE QUOI !”
 
“Où sont les énigmes ! Les jeux de ruse et de talent ?”
 
“Il ne devrait pas en être ainsi ! Avons-nous…”





”SORTEZ DE MA CAVERNE !”






 
“Aaah ! Fuyez !”

 
Je vois des silhouettes s’enfuir à toute allure, volant hors de la caverne. Et j’entends des murmures. J’y prête à peine attention.




 
“Cette partie était stupide ! Ce n’était ni bien, ni correct ! C’était… est-ce que nous avons perdu notre temps ?”
 
“Est-ce qu’elle a tort ? Est-ce qu’on a… ?”
 






Même elles pensent que j’ai échoué. Les fées s’en vont et je ne peux plus rien voir, à présent. Tout est sous l’eau.
 
Je pleure. Je pleure, vraiment. Je m’assieds par terre et essaie d’essuyer mes larmes. J’étais tellement sûre. Non… je n’étais pas sûre, je croyais que c’était débile mais je ne voyais que ça.
 
“Je ne peux pas te battre. Je ne peux même pas essayer de te battre.”
 
Qu’importe l’énigme que je lui lancerai, il la résoudra. Il connaît la réponse à un paradoxe. Je n’ai aucune chance, si ?
 
J’ai essayé d’utiliser mon cerveau. J’aurais dû me contenter de le supplier. Je me penche et m’incline devant Teriarch. Il me regarde en silence.
 
“Je ne peux gagner. Juste… s’il vous plaît. J’ai une amie. Je ne sais pas où elle est. Je ferai n’importe quoi, mais s’il vous plaît, s’il vous plaît, aidez-la.”
 
C’est tout ce qu’il me restait. Ma fierté. Je l’abandonne enfin. Je pensais avoir tellement de choses. Autrefois, je pensais être meilleure que ça. Mais ce n’est pas le cas.
 
Je ne suis pas plus forte que qui que ce soit. Calruz et Gerial et les Cornes d’Hammerad m’ont rendue plus humble. Je ne suis pas la plus rapide, non plus ; Val m’a facilement distancée. Je ne suis pas plus courageuse qu’Erin, ni plus intelligente que Teriarch. Je suis juste…
 
Faible. Et ordinaire. Et très petite.
 
Et désespérée.
 
Je suis prostrée au sol, et pleure comme une enfant. Et j’attends que tout soit fini. J’attends de me faire écraser comme un insecte dans une trainée sanglante, ou de me faire effacer la mémoire et envoyer ailleurs pour mourir. Mais rien de tout cela n’advient.
 
J’entends l’air se déplacer, et un ouragan qui ressemble à un soupir. Puis je sens quelque chose me toucher.
 
Une serre gigantesque me relève doucement. Je me retrouve de nouveau assise, puis une énorme tête descend en sinuant à mon niveau. Une voix s’élève.
 
“Assieds-toi. Essuie-toi le visage. Comment as-tu dit que ton amie s’appelait ?”
 
J’écarquille les yeux. Mais l’œil qui me contemple n’est pas en colère, et la voix est douce. Je lève les yeux, et Teriarch souffle un panache de fumée en l’air.
 
“Je… suppose que je pourrais prendre le temps de faire un petit sort. Scruter n’est pas difficile, et il est relativement facile de faire un sort de téléportation si besoin. J’ai seulement besoin de son nom.”
 
“Erin. Erin Solstice.”, lui réponds-je dans un murmure. Teriarch marmonne le nom, puis trace quelque chose dans les airs. Je vois quelque chose miroiter devant moi, et il le renifle. Il regarde quelque chose qui scintille. Son œil s’écarquille.
 
“Oh.”
 
Il me regarde fixement. Je lui rends son regard, mon cœur tambourinant dans ma poitrine. Mais le Dragon hausse alors les épaules. Il me regarde d’un drôle d’air, puis reprend la parole.
 
“Le sort va prendre quelques minutes pour s’activer. Mais il trouvera ton amie, à moins qu’elle ne soit aussi étrange que toi. Je t’accorde l’hospitalité dans mon foyer, Ryoka Griffin. Tu peux attendre ici jusqu’à ce que ce soit terminé. Et tu pourrais peut-être me donner une énigme en attendant.”
 
Je le regarde fixement. C’est un Dragon, un être immortel. Mais lorsqu’il baisse la tête, il a l’air un peu plus Humain, un peu plus comme moi. Il y a quelque chose dans son regard qui me fait penser qu’il est incommensurablement âgé, et insondable. Mais j’aperçois alors un peu de gentillesse.
 
Comme un vieil homme qui essuierait les larmes d’une enfant. Je prends une grande inspiration, puis exhale.
 
Puis je me redresse.
 
“Eh bien. Je connais d’autres énigmes, en effet.”
 
“Excellent. Raconte-m’en une.”
 
“As-tu déjà entendu parler des Enigma ?”
 
“Des quoi ?”
 
“Des codes.”
 
Ses yeux miroitent.
 
“Je connais de nombreux codes.”
 
“Alors résous celui-ci. L’énigme est la suivante :
 
Le plus noble nom gisant sur la page de l’Allégorie,
 
La main qui traça l’inexorable rage…”

 
Et je vois le sourire d’un Dragon.
 
Je souris aussi.





Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 11 mars 2021 à 00:33:47

 
SO3 - Du Temps de Wistram, Partie 1
Première Partie
Traduit par EllieVia

”Vous avez été admise à l’Académie de Wistram. Présentez-vous aux quais du Port Sud, Belan, Terandria dans deux semaines à compter d’aujourd’hui. Ne soyez pas en retard.”
 
Ceria Springwalker se souvenait encore des mots que lui avait dit son examinateur. Et elle était à présent assise sur les quais incrustés de sels du Port Sud, au sein de la cité de Belan, l’une des villes portuaires australes du continent de Terandria. Elle n’était pas en retard.
 
Mais tout de même, la demie-Elfe ne pouvait s’empêcher de regarder nerveusement autour d’elle de temps en temps. Elle n’avait aucune idée de ce à quoi elle devait s’attendre, elle savait juste qu’elle avait attendu ce jour pendant plus de quarante ans et elle était terrifiée à l’idée de commettre une erreur.
 
Elle avait 58 ans, et bien que cela représente un nombre d’années respectable pour une Humaine, Ceria était encore considérée comme une jeune adulte par ceux de son peuple. Mais elle restait tout de même suffisamment vieille pour être indépendante et personne ne l’avait donc accompagnée pour lui dire au revoir le jour de son départ.
 
Ce n’était pas le cas du reste des individus rassemblés sur les quais. C’était un assortiment étrange. Des citoyens ordinaires, habillés de manière respectable, côtoyaient des hommes et des femmes vêtus d’habits luxueux qui puaient presque l’aristocratie.  D’ailleurs, aucun groupe ne se mélangeait vraiment - d’ordinaire, un serviteur bien habillé faisait office de barrage.
 
Mais c’était là que riches et pauvres étaient venus, sans distinction, faire leurs adieux à leur famille et leurs amis. C’était ce jour de l’année où l’île de Wistram ouvrait ses portes et acceptait de nouveaux étudiants.
 
Ceria avait les mains moites. Elle les essuya sur son pantalon en espérant que personne ne le remarquerait. Elle attirait déjà l’attention. Il était rare qu’un futur étudiant ne soit pas accompagné, surtout lorsque l’on connaissait les frais d’entrée à l’académie.
 
Vingt pièces d’or. C’était le prix à payer pour suivre un mois de cours à l’Académie de Wistram. La somme était ridicule, et Ceria avait passé la majeure partie de la dernière décennie à économiser de quoi la payer. Mais cela en avait valu la peine. En vaudrait la peine.
 
Elle savait que les autres familles ne pouvaient probablement pas se permettre de payer autant. Les nobles et les marchands, oui, mais les autres avaient probablement dû vendre des trésors familiaux ou contracter des prêts exorbitants pour pouvoir rembourser les frais. Mais tant qu’on possédait de l’argent, n’importe qui pouvait être admis à Wistram.
 
N’importe qui, à condition d’avoir de la magie.
 
Ceria avait prouvé ses capacités en montrant à l’examinateur quelques sorts qu’elle avait appris en autodidacte. [Aiguille de Roche], [Jet de Flammes] - et, bien sûr, le sort qui lui avait sauvé la vie à de nombreuses reprises. [Caméléon].
 
Ce n’étaient pas des sorts d’Échelon très élevé. À vrai dire, ces sorts n’excédaient pas l’Échelon 2. Mais ils restaient puissants, venus de la part de quelqu’un qui n’avait jamais eu le luxe de posséder un grimoire, et ceci, ajouté aux frais d’entrée exorbitants, lui avait permis de s’assurer une place sur le bateau.
 
C’était un grand vaisseau, la Voyageuse Errante. Les deux voiles gigantesques étaient ferlées et le bateau flottait à son poste d’amarrage. Ceria avait remarqué que les marins et le [Capitaine] s’activaient sur le bateau, elle prévoyait donc qu’ils ne tarderaient pas à lever l’ancre.
 
“Est-ce qu’ils sont sur le point de lever les voiles ?”
 
Les oreilles pointues de Ceria se dressèrent lorsqu’elle entendit un jeune homme - non, un garçon, plutôt - parler d’un ton surexcité à ses parents. Lui et sa famille étaient venus faire leurs adieux à une femme - une fille de marchands, à son allure - et ils scrutaient le bateau avec enthousiasme. Le jeune garçon tira plus fort sur la main de sa mère.
 
“Est-ce que je peux y aller, moi aussi ? Comment vont-ils se rendre là-bas ? Est-ce que le bateau est magique lui aussi ?”
 
“Chut. Laisse ta sœur faire ses adieux tranquillement. Et qui sait si le bateau est magique ? Lorsqu’on est [Mage], j’imagine qu’on s’attend à ce que toutes les choses extraordinaires soient possibles.”
 
À ces mots, Ceria ne put s’empêcher d’esquisser un sourire, bien qu’elle se détournât avant afin que personne ne la remarque. Des bateaux magiques ? Peut-être s’ils étaient enchantés, mais elle doutait vraiment fort que ce soit le cas de celui-ci. La famille semblait croire qu’il s’agissait d’un bateau spécial, mais il avait l’air tout à fait ordinaire aux yeux de Ceria.
 
Après tout, tous les étudiants du monde entier allaient entamer leur voyage pour Wistram aujourd’hui. Plutôt que de se réserver une flotte à eux, les mages avaient sans doute considéré qu’il était plus simple d’embaucher des capitaines pour transporter les étudiants pour eux.
 
Et comme si ses pensées l’avaient fait venir, le [Capitaine] avança soudain à grands pas sur la passerelle en s’adressant à eux d’une voix de stentor.
 
“La Voyageuse Errante est prête à partir ! Tous les élèves doivent monter un par un. Donnez-moi votre nom et je vous rayerai de la liste !”
 
Les gens attroupés sur les quais commencèrent à s’agiter. Plusieurs jeunes hommes et femmes se précipitèrent vers la passerelle, comme si être derniers voulait dire qu’ils ne seraient plus admis à bord. Ceria vit des familles échanger des au-revoirs à la va-vite et se leva.
 
Une longue file s’étendait déjà sur les quais lorsqu’elle rejoignit la queue. Elle ne vit que des Humains. Ceria prit sa place en silence derrière un jeune homme vêtu de vêtements luxueux et essayant d’ignorer les regards que lui adressaient les autres.
 
La queue avançait lentement, mais Ceria tua le temps en songeant à ce qu’il allait se passer ensuite. Le voyage en bateau allait prendre plusieurs jours, si le temps restait au beau fixe. Et lorsqu’ils atteindraient l’île, elle devrait probablement patienter le temps de la présentation de l’école. Ensuite, elle aurait juste un peu plus d’un mois pour faire ses preuves et être acceptée comme élève à part entière…
 
Ou renvoyée chez elle.
 
Suivante !
 
Ceria avança et réalisa qu’elle était debout devant l’entrée du bateau. Le Capitaine regardait Ceria du haut de la passerelle. Ses yeux passèrent rapidement sur ses oreilles, mais il ne fit pas de commentaires.
 
“Ton nom ?”
 
“Ceria Springwalker.”
 
“Oui, je vois ton nom sur la liste. Va te trouver une place dessous. Pas d’embrouilles et pas de magie tant que tu seras sur mon bateau.”
 
Est-ce que cette dernière phrase lui était adressée à elle en particulier ? Mais Ceria se souvenait vaguement que d’autres y avaient eu droit eux aussi. Elle hocha la tête et mit le pied sur le pont du bateau. Il ne lui fallut quelques secondes pour s’habituer au doux roulis.
 
Ceria regarda autour d’elle et vit que quelques nouveaux élèves marchaient en titubant, ce qui amusait fort les marins qui les observaient. Elle regarda par-dessus son épaule et vit qu’il ne restait plus qu’une dizaine de personnes dans la queue. Le Capitaine faisait lentement glisser son doigt sur la liste en regardant fixement le jeune homme maigrichon vêtu de loques qui lui faisait face.
 
Une liste ? Est-ce qu’il n’avait rien d’autre que des noms de gens écrits sur un bout de papier ? Et si Ceria avait prétendu être quelqu’un d’autre ? Était-il donc si facile que ça de voler une place sur le bateau ?
 
La plupart des [Capitaines] savaient bien lire, mais Ceria était surprise qu’on puisse utiliser un système aussi peu fiable. Puis, lorsqu’elle passa devant le Capitaine, elle s’aperçut qu’il tenait un morceau de papier avec son visage imprimé dessus. L’image était tellement réaliste que Ceria faillit pousser une exclamation, mais lorsque le Capitaine descendit son doigt sur la liste, le papier changea, et afficha le visage du prochain étudiant en train d’essayer de monter à bord.
 
De la magie.
 
Elle sourit et descendit dans les cales. L’obscurité soudaine était brutale, mais de la lumière passait à travers les hublots. Et lorsque la vue de Ceria se fut accoutumée, elle vit que ce bateau était bien équipé pour transporter autant de monde. Au lieu des hamacs de marins, de petites couchettes avaient été montées avec des oreillers et des couvertures pour qu’il soit plus facile de dormir sur le bois dur des cales.
 
La plupart des nouveaux élèves s’étaient agglomérés autour du centre et avaient déjà choisi leur place. Ceria chercha un endroit à l’écart. Son arrivée n’était pas passée inaperçue, toutefois, et les jeunes hommes et femmes enthousiastes se retournèrent pour la regarder.
 
C’est à ce moment-là que commencèrent les murmures. Ceria s’y était attendue, mais son estomac se serra tout de même. Les gens qui l’avaient remarquée la pointèrent du doigt en poussant des exclamations, puis se mirent à discuter entre eux.
 
“Hey. Est-ce que c’est… ?”
 
“Non. Sérieux ?”
 
“Je crois que oui. L’une d’eux.”
 
“Ugh. Ils ont admis ça à Wistram ?”
 
“Une demie-Elfe.”
 
Le mot avait été prononcé comme une malédiction. Ceria ignora les voix et laissa tomber ses possessions dans un coin du bateau. La jeune femme qui avait choisi une place à trois couchettes d’écart la contempla avec dégoût et se déplaça. Ceria regarda à travers un hublot, en s’efforçant de garder une expression calme et neutre.
 
Demie-Elfe. C’était ce qu’elle était, et c’était aussi la raison pour laquelle les Humains se méfiaient d’elle. La réputation des demi-Elfes était bien connue sur Terandria. Ils étaient indignes de confiance, des voleurs, des criminels et des bandits, dans le meilleur des cas. Ils mentaient, jetaient des sorts délétères, s’en prenaient aux bonnes gens innocentes et volaient les enfants dans leurs berceaux la nuit.
 
En vérité, tout le monde savait que cette dernière affirmation était fausse. La plupart des demi-Elfes ne voulaient surtout pas croiser d’Humains, et personne ne voulait élever un mioche puant d’Humains. Les demi-Elfes restaient dans leurs propres communautés, en marge de la société, et étaient tolérés parce qu’ils étaient utiles et que quelques demi-Elfes avaient des Compétences de valeur ou de hauts niveaux. Mais ils n’étaient pas aimés.
 
Sur ce continent, du moins. Ceria soupira et les murmures finirent par s’éteindre. Terandria n’était pas tendre envers la plupart des espèces non-humaines, sur un continent où la population était pour la majeure partie Humaine. Peut-être que d’autres continents - Izril ou Baleros - étaient peut-être différents, là où les Humains ne représentaient qu’une espèce parmi d’autres.
 
Mais apparemment, bien que ces Humains soient prêts à abandonner leur foyer et leurs familles derrière eux pour aller apprendre la magie, ils emportaient tout de même leurs haines avec eux. Ceria espérait simplement que Wistram serait plus ouverte d’esprit vis-à-vis d’elle.
 
C’était tellement dur de dissimuler le fait qu’on était un demi-Elfe, de toute manière. Ceria savait que son teint surnaturel l’empêchait de passer inaperçue, et de toute manière, elle avait les oreilles pointues. C’était presque aussi gênant que d’avoir une cicatrice sur le front qui te faisait sortir du lot, et cela l’avait déjà faite se faire ostraciser par le reste du groupe.
 
“Ah, bonjour ? Est-ce que cette place est prise ?”
 
Surprise, Ceria leva les yeux. Elle avait déjà commencé à arranger son petit sac de manière à pouvoir dormir en le mettant derrière son dos au cas où quelqu’un essayerait de le lui voler. Elle leva les yeux et vit le visage d’un jeune homme, un sourire nerveux, et une tignasse brune. C’est surtout le sourire qui surprit le plus Ceria.
 
“Est-ce que cette place est prise ?”, répéta le jeune homme. “Je ne crois pas que ce soit le cas, mais je préfère vérifier avant de poser mes affaires.”
 
Ceria cligna des yeux avant de retrouver l’usage de sa voix.
 
“Quoi ? Non, elle est libre. Mais, euh, tu… “
 
Trop tard. Le jeune homme avait déjà lâché son sac à dos par terre. Ceria regarda ses affaires d’un air sceptique. Elle avait cru n’avoir pris avec elle que le strict minimum, mais ce jeune homme n’avait que quelques changes, une petite barre de savon pour la lessive, une brosse à dents, et…
 
Une rapière.
 
Ceria cligna des yeux. Elle était recouverte d’un long fourreau de cuir, mais elle était certaine qu’il s’agissait d’une rapière, à cause de la forme de sa garde et de la poignée qui dépassait au sommet. Elle n’avait jamais vu de guerrier se servir d’une rapière - c’était l’arme des [Lords] et de l’aristocratie. Que faisait un garçon comme celui-ci avec une telle arme ?
 
Et c’était un garçon. Oh, il avait peut-être seize ou dix-sept ans, mais aux yeux de Ceria, ce jeune homme et la plupart des passagers sous le pont étaient des enfants. Il n’y avait que quelques hommes et femmes parmi les élèves et ils restaient entre eux.
 
“Tu es sûr de vouloir dormir ici ?”
 
Ceria avait dû hausser la voix pour se faire entendre. Tous les élèves étaient à présent sous le pont, et leurs voix s’ajoutait au brouhaha des cris des marins au-dessus de leurs têtes et des craquements du bateau.
 
Le jeune homme parut surpris qu’elle lui adresse la parole. Il faillit lâcher sa rapière et écarta une mèche de devant ses yeux.
 
“Eh bien, oui, je veux dire, je te présente mes excuses si je t’ai dérangée. C’est seulement que j’ai vu que cette place était libre et que je me suis dit que je pouvais la prendre. Si tu veux que je te laisse tranquille, je peux…”
 
Il regarda autour de lui d’un air éperdu, mais presque tous les autres lits étaient pris.
 
“Arrête. Je veux dire, ça te va de m’avoir pour voisine ?”
 
“Toi ? Pourquoi est-ce que je…”
 
Le jeune homme écarquilla les yeux en voyant le visage de Ceria et il vit ses oreilles. Elle soupira intérieurement et attendit son exclamation de dégoût.
 
“Est-ce que tu es une demi-Elfe ? Bon sang, je n’ai jamais… est-ce que je peux te serrer la main ? Je n’ai jamais rencontré de membre de ton peuple. Je suis enchanté de faire ta connaissance ! Je m’appelle Pisces !”
Ceria cligna des yeux devant la main tendue qui lui faisait face. Elle la prit d’un air incertain et sentit qu’on lui serrait brièvement la main.
 
“Je m’appelle, euh, Ceria. Ceria Springwalker.”
 
Pisces lui adressa un grand sourire et s’assit à côté d’elle. Lorsque le bateau leva l’ancre, il se mit à discuter, et Ceria, presque inconsciemment, se mit à lui répondre.
 
“Je dois bien avouer que j’ai été alarmé en voyant que la foule était majoritairement Humaine. Je croyais que toutes les espèces partaient étudier à Wistram, mais j’imagine que ceux qui partent de Terandria sont principalement des Humains, tu ne crois pas ?”
 
“Hum. Oui. J’imagine.”
 
“Est-ce que tu vas essayer d’étudier la magie à Wistram, ou est-ce que tu es dans un autre domaine ? L’alchimie, peut-être ?”
 
“Euh, non. Je veux avancer dans ma classe de [Mage].”
 
Wistram ne faisait pas qu’éduquer les [Mages], même s’ils constituaient la plus grosse proportion de leurs diplômés. Un bon nombre d’étudiants finissaient par se spécialiser dans des classes associées comme [Alchimistes] ou même [Forgerons] - tant que cela impliquait de la magie, tout était acceptable. Mais Ceria voulait seulement devenir plus forte. Augmenter sa magie, gagner en puissance pour pouvoir…
 
“J’ai appris plusieurs sorts, mais je ne suis qu’un [Mage] de Niveau 14 pour le moment. On m’a dit que c’était plutôt élevé étant donné que la plupart des étudiants n’y connaissent rien à la magie, mais j’espère m’améliorer abondamment pendant mon séjour ici. Je me concentre sur la magie élémentaire de base et quelques magies de renforcement mineures en ce moment, mais je veux étudier tous les champs de magie possible. Et toi ?”
 
“Moi ? Je suis juste… je connais beaucoup de sorts d’attaque, c’est tout. Je me concentre principalement sur les sorts de terre et de feu. C’est ma spécialité.”
 
“Vraiment ? Tu es une aventurière, alors ? Tu utilises la magie en combat ?”
 
Pisces avait l’air impressionné. Ceria roula les épaules et acquiesça.
 
“Je suis une aventurière rang Bronze. Je pensais être en mesure de gagner de l’argent si je réussissais à apprendre des sorts plus puissants à Wistram.”
 
Si elle n’était pas acceptée en tant qu’élève, elle pourrait au moins essayer d’apprendre un ou deux sorts d’Échelon 3. Au moins, de cette façon, elle n’aurait pas gaspillé son argent pour rien. Pisces acquiesça avec énergie et le bateau se mit à valser de haut en bas. Il ne parut même pas remarquer le balancement qui donnait légèrement la nausée à Ceria et avait déjà fait vomir l’un des Humains.
 
Ils continuèrent tous deux de parler et le Capitaine apparut sous le pont pour annoncer que le voyage durerait deux jours si le temps restait au beau fixe. Apparemment, ils avaient trouvé un courant rapide et la météo était bonne. Il expliqua aux Humains et à Ceria qu’ils auraient trois bons repas par jour et que s’ils montaient sur le pont, il leur faudrait éviter de traîner dans les pattes des marins. Puis il repartit.
 
Ceria n’avait aucune envie d’aller à l’étage, mais elle remarqua plusieurs personnes enthousiastes à l’idée de regarder l’océan. Un jeune homme - un fils de noble vêtu de vêtements luxueux et même d’une baguette dont elle doutait fort qu’il maîtrise l’usage - était déjà à la tête d’un petit groupe d’adolescents qui montaient les escaliers.
 
“Alors, pourquoi as-tu décidé d’aller à Wistram ? J’ai entendu dire que tous les demi-Elfes sont bien plus talentueux que les Humains en termes de magie.”
 
La demi-Elfe haussa les épaules, mal à l’aise.
 
“Ce n’est qu’à moitié vrai. Les demi-Elfes sont doués pour la magie - nos corps en possèdent davantage - mais nous n’apprenons pas les sorts plus vite pour autant.”
 
Bien sûr, c’était tout à leur avantage de suggérer que les demi-Elfes étaient plus puissants que ce qu’ils ne l’étaient réellement. Ceria savait toutefois qu’elle n’était encore qu’une mage amatrice. Elle était à peine assez forte pour tuer quelques monstres de bas étage avec ses sorts. Elle était encore loin du rang Argent.
 
“Alors tu veux améliorer ta magie ? Je peux respecter ça. Je trouve personnellement que la magie est tellement excitante, pas toi ?”
 
Ceria sourit brièvement.
 
“J’imagine que oui. Mais je veux pouvoir me défendre. Avec mes sorts, je ne peux rien faire d’autre que fuir face à un monstre vraiment dangereux.”
 
“Je ne me suis jamais battu contre un monstre.”, déclara Pisces en s’adossant à la paroi du bateau avec Ceria. Elle jeta un regard en coin à sa rapière. Elle était presque cachée sous son couchage et Pisces n’en avait pas parlé. Il ne lui avait pas dit non plus d’où il venait. Ils mâchonnaient les biscuits de mer et la morue salée qui constituaient leur dîner. À la grande surprise de Ceria, leur repas avait même inclus du fromage et du beurre pour leur pain. Ce n’était pas un festin, mais c’était bien meilleur que les collations rustiques auxquelles elle s’était attendue.
 
“Combien de monstres as-tu tués ? Une centaine ? Ou est-ce que les aventuriers Bronze ne viennent qu’en renforts aux aventuriers plus puissants ?”
 
Ceria toussota pour dissimuler son embarras.
 
“J’ai, eu, tué quelques monstres toute seule. Mais on travaille surtout en équipe.”
 
Elle avait combattu quelques Gobelins et éliminé un sacré nombre de rats, mais elle pouvait compter les véritables monstres qu’elle avait tués sur les doigts d’une main.
 
Bien sûr, cela la plaçait tout de même bien au-dessus des autres nouveaux élèves en termes de capacités.
 
“Extraordinaire. Bon, je sais que nous ne pouvons pas pratiquer la magie tant que nous sommes à bord du navire, mais est-ce que cela te dérangerait que je te pose quelques questions sur l’efficacité de certains sorts en combat ? Je n’en connais que quelques-uns comme [Vent Glacé], mais je me demandais…”
 
Pisces s’interrompit et Ceria leva les yeux lorsqu’ils remarquèrent que quelques personnes s’approchaient d’eux.
 
“Eh bien, j’avais entendu dire que Wistram acceptait tout le monde, mais je pensais qu’ils évitaient tout de même les monstres et la vermine.”
 
Un jeune homme, suivi d’un troupeau d’adolescents, s’approcha d’eux. Ceria avait appris à reconnaître les préludes du harcèlement. Il baissa le nez sur Ceria et Pisces.
 
“Je suis Charles de Trevalier, l’héritier de ma famille. Vous feriez bien de vous adresser à moi avec le respect qui m’est dû.”
 
Il portait des vêtements luxueux assortis à ses manières, et il avait même une épée courte attachée à sa ceinture. Elle paraissait purement ornementale, mais Charles posa une main dessus comme s’il n’aimerait rien de plus que de pouvoir la sortir de son fourreau au besoin.
 
Ceria haussa un sourcil. Charles ne l’intimidait pas, même si elle ne l’aimait pas d’office. De plus, à moins qu’il n’ait un bon nombre de niveaux dans une classe de combat - ce dont elle doutait fort - elle pouvait lui enfoncer une [Aiguille de Roche] dans l’œil avant même qu’il ne puisse sortir son épée de son fourreau.
 
Ce qui rendait ses paroles un peu plus faciles à écouter.
 
“Toi - celui qui a été suffisamment stupide pour fraterniser avec la demi-Elfe. Tu ferais bien de te tenir éloigné de ce genre de créatures.”
 
Pisces regarda Charles en clignant des yeux et fronça les sourcils.
 
“Je mesurerai sa valeur indépendamment des opinions extérieures, merci. De plus, je ne comprends pas la raison pour laquelle tu as considéré qu’il était nécessaire de venir jusqu’à nous pour insulter Miss Springwalker droit dans les yeux.”
 
Sa diction était plus raffinée que celle de Charles. Ceria vit que cela avait pris le jeune lord par surprise, et elle le vit réfléchir à sa prochaine phrase.
 
“Fais-tu partie de la petite noblesse ? Ou es-tu un citoyen ordinaire autodidacte ? Dans tous les cas, il faudrait être idiot pour ne pas savoir à quel point les espèces inférieures sont traîtres et indignes de confiance.”
 
Les espèces inférieures. Ceria serra les dents. Charles parlait d’elle comme si elle n’était pas là. Pisces jeta un regard en coin à Ceria et pinça les lèvres.
 
“Je pense que tu devrais t’en aller. Si ton objectif était de me faire me retirer, tu as échoué. Je te prie de ne plus venir nous déranger.”
 
“Ingrat !”, s’exclama l’un des jeunes hommes debout derrière Charles. Il s’avança, posant lui aussi une main sur son épée. Comment se faisait-il qu’autant d’élèves étaient armés ? Ne savaient-ils donc pas qu’ils venaient ici pour devenir mages ?
 
Le jeune homme fusilla Ceria et Pisces du regard. Il sortit légèrement son épée de son fourreau pour qu’ils puissent apercevoir la coûteuse lame d’acier.
 
“Tu oses insulter un membre de la haute noblesse ? Je devrais avoir ta tête pour cet affront.”
 
Charles fit un sourire narquois et Ceria jura intérieurement. Elle ne connaissait pas les innombrables maisons aristocratiques du continent, mais cela expliquait pourquoi Charles était déjà entouré d’une bande de sycophantes. Sa famille était sans aucun doute aussi riche que puissante ; ses compagnons devaient déjà avoir commencé à lui lécher les bottes.
 
Elle s’attendait à ce que Pisces lâche l’affaire ou essaie d’apaiser sa colère, mais au lieu de cela, il se leva. Sa rapière était entre ses mains.
 
“Je ne crois pas que nous ayons fait quoi que ce soit qui mérite ce genre de menace. Ceci est un lieu pour les mages, pas pour les barbares armés de bâtons métalliques.”
 
Le jeune homme rougit. Il sortit son épée de son fourreau - maladroitement, remarqua Ceria. Il tint l’épée levée devant Pisces d’une poigne incertaine.
 
Mais cela suffit à réduire au silence le reste des élèves réunis sous le pont. Une arme au clair restait dangereuse, et l’épée que tenait le jeune homme pouvait tuer, qu’importe à que point il était inexpérimenté. Ceria serra le poing. Elle sentit la magie envahir sa main. Elle ne voulait pas lancer de sort et prendre le risque de se faire jeter hors du bateau, mais si c’était ça ou risquer que Pisces se fasse blesser...
 
Il n’y eut nul besoin d’en arriver là. Pisces recula d’un pas et sortit sa rapière de son fourreau - beaucoup plus vite que le jeune homme et avec beaucoup plus de fioritures. Charles et ses sbires reculèrent à la vue de la rapière, et l’incertitude étincela dans les yeux du jeune homme à l’épée.*
 
“Si j’étais vous, je reconsidérerais toute tentative d’attaque contre nos personnes. Je vous prie d’observer la lame. J’ai des niveaux dans la classe d’[Escrimeur] et je n’hésiterai pas à me défendre.”
 
Les personnes autour de Charles reculèrent. Il avait la main posée sur son épée, mais il n’était clairement pas prêt à faire face à des violences réelles. Il regarda le garçon à l’épée et se lécha les lèvres avant de faire face à Pisces.
 
“Imbécile. Timor du Habrington est un guerrier expérimenté qui pourrait te découper en rondelles. Il a beaucoup de niveaux dans la classe de [Guerrier].”
 
Timor acquiesça, mais ses yeux étaient rivés sur la rapière de Pisces. Il n’avait pas le port d’un guerrier.
 
“Baisse ton arme, pouilleux.”
 
“Pas avant que tu n’aies baissé la tienne.”
 
“Je suis[Guerrier] et [Lord] !”
 
Sa voix tremblait. Pisces soupira. Il plongea la main dans sa poche.
 
“Si vous ne souhaitez pas changer d’avis - alors écoutez bien.”
 
Il sortit quelque chose de sa poche. Une cloche argentée. Elle sonna, une note pure et aiguë. Une fois, deux fois.
 
Timor pâlit. Il bondit en arrière comme si le jeune homme l’avait frappé. Il rentra dans Charles et ils faillirent tous deux tomber à la renverse.
 
“Reste où tu es ! Nous sommes armés ! Charles et moi pouvons t’affronter, qu’importe ton rang !”
 
Pisces tenait sa rapière calmement et se tenait de profil par rapport au duo. Charles sortit son épée de son fourreau et lui fit face d’un air incertain. Tout cela était allé beaucoup plus loin que Ceria ne l’avait voulu. Elle ne savait pas vraiment ce que signifiait la cloche, mais elle ne pouvait pas laisser les choses continuer comme ça. Elle se leva.
 
“Allez-vous-en. Nous sommes tous sur un bateau qui fait cap sur Wistram. Si vous lancez une bagarre, vous vous ferez débarquer, si le Capitaine ne vous tue pas de ses mains. Et s’il ne le fait pas… c’est moi qui le ferai.”
 
Elle leva les doigts et se concentra. Des flammes surgirent de sa peau et dansèrent dans sa main. Charles et ses acolytes reculèrent tandis que le reste des élèves murmurèrent en la pointant du doigt;
 
“Nous avons de la magie, nous aussi !”
 
Quelques autres personnes levèrent les mains et produisirent des étincelles ou des flammes du bout des doigts. Aucunes n’étaient aussi vives que celles de Ceria. Elle tint sa main enflammée levée vers Charles jusqu’à entendre des bruits de pas.
 
Qu’êtes-vous en train de fabriquer sur mon navire ?
Les flammes autour de la main de Ceria s’éteignirent lorsqu’elle vit le [Capitaine] dévaler les escaliers en vociférant sur les élèves, deux marins musculeux derrière lui. En un instant, tout le monde fut séparé et il se mit à hurler à la fois sur Ceria, Pisces, Charles et Timor, sans se soucier des geignements des deux derniers.
 
“Je devrais tous vous jeter par-dessus bord ! Vous deux, vous avez de la chance que nous soyons loin du port, ou je vous débarquerais et au diable la liste ! Toi, garçon, range ça avant que je ne jette cette lame dans la mer !”, hurla le Capitaine à l’attention de Ceria et Pisces. Ce dernier rangea son épée.
 
“Nous ne faisions que nous défendre.”, protesta Pisces, mais le Capitaine était trop furieux pour lui prêter attention. Il fusilla Ceria du regard.
 
“Pas de magie sur mon navire ! Si tu jettes un autre sort, je te jetterai moi-même par-dessus bord ! Et vous deux, si vous cherchez de nouveau les ennuis ou que vous sortez vos épées, je vous taillerai en pièces, lords ou pas !”
 
Il ignora les bruits outragés des deux garçons et remonta les escaliers en trombes. Charles et Timor hésitèrent mais ils s’éloignèrent d’un pas raide, non sans leur jeter un regard noir au passage.
 
Ceria se rassit dans un soupir, le cœur battant.
 
“Cela aurait pu se terminer bien plus mal.”
 
“Ou bien mieux. Il m’a menacé de jeter ma lame !”, grommela Pisces en se rasseyant à côté de Ceria. Il fusillait toujours Charles et Timor du regard. Ces derniers avaient rejoint le reste des élèves et riaient aux éclats sans regarder Pisces et Ceria.
 
“En même temps, tu menaçais deux de ses passagers.”
 
“Seulement parce qu’ils avaient sorti leur acier devant nous !”
 
Pisces était indigné. Ceria soupira.
 
“Si tu ne leur avais pas tenu tête, ils nous auraient bien vite laissés tranquilles. Fais-moi confiance, j’ai l’habitude.”
 
Le jeune homme jeta un regard en coin à Ceria.
 
“Je n’avais pas l’impression que c’était juste, voilà tout. Nous espérons tous devenir mages, de vrais mages, je veux dire. Si nous ne pouvons pas nous traiter avec la courtoisie la plus élémentaire, nous ne valons pas mieux que les imbéciles ignorants, malgré tous nos pouvoirs.”
 
Ceria lui sourit. Cela la surprit davantage que cela ne surprit Pisces. Elle était là, en train de se lier d’amitié avec un Humain. Il lui rendit son sourire.
 
“Eh bien, j’ai adoré voir leurs têtes lorsque tu leur as fait face. Merci.”
 
Pisces rougit et agita la main.
 
“Ce n’était rien.”
 
Ceria sourit de nouveau. Elle pointa la poche de Pisces du doigt.
 
“Que signifie la cloche ? Ils ont vite fait machine arrière en la voyant.”
 
Il avait encore les joues très rouges, mais Pisces secoua la tête, et cacha la rapière sous son couchage.
 
“C’est un symbole utilisé par les duellistes. Cela signifie que j’ai atteint un niveau reconnu parmi ceux qui pratiquent le même art.”
 
“Oh.”
 
Il était évident qu’il voulait garder le secret, donc Ceria laissa tomber. Pisces marmonna dans sa barbe en réorganisant sa couchette.
 
“J’abhorre les nobles arrogants et leurs semblables. Je croyais m’en débarrasser, mais j’imagine que même à Wistram, la richesse parle.”
 
“Nous verrons si c’est toujours le cas à l’académie.”
 
“On m’a dit qu’il n’y a presque rien sur l’île à part l’Académie de Wistram et une jetée. Je me demande s’ils importent tout ? Comment font-ils pour se nourrir ?”
 
“Ils font sans doute pousser ce dont ils ont besoin par magie. D’une manière ou d’une autre.”
 
“Tout de même. Combien crois-tu qu’il y aura de nouveaux élèves comme nous ?”
 
“Sais pas.”
 
“Et combien réussiront l’examen ?”
 
Ceria resta silencieuse. L’examen. Il hantait ses pensées comme un spectre vague et terrifiant.
 
Il était vrai que quiconque possédant un peu de talent et suffisamment d’argent pouvait se rendre à Wistram. Mais y rester était beaucoup plus compliqué.
 
Le prix à payer était de vingt pièces d’or, mais cela ne permettait aux élèves que d’étudier un mois à Wistram. On leur apprendrait des sorts de base et ils pourraient faire le tour de l’île, mais une fois ce mois-là passé, il leur faudrait prouver leur valeur… ou rentrer chez eux.
 
Vivre à Wistram sans être un mage auquel l’académie avait accordé une bourse était extraordinairement cher. Les élèves devaient payer des centaines de pièces d’or pour étudier là-bas, ce qui était pourquoi la plupart de ceux qui allaient à Wistram espéraient réussir l’examen et rester gratuitement.
 
L’Académie de Wistram était toujours à la recherche de mages talentueux, ce qui était la raison pour laquelle l’examen était prévu pour que les élèves puissent faire la démonstration de leurs talents. Quiconque possédant suffisamment de niveaux ou, encore mieux, un sort ou une Compétence unique, aurait le droit de rester étudier. C’était ce que Ceria et Pisces souhaitaient tous deux : réussir l’examen et devenir des élèves à part entière.
 
Mais ni Pisces, ni Ceria n’avaient la moindre idée de ce en quoi l’examen consisterait, ni ce qu’ils apprendraient entre-temps. Ils ne savaient même pas à quoi ressemblait Wistram ; l’île était au beau milieu de l’océan, et les visiteurs étaient naturellement rares.
 
La lumière traversant les hublots finit par disparaître presque complètement, et Ceria ferma celui qui était le plus proche de Pisces et elle pour qu’ils puissent dormir. Il leur restait encore un peu plus d’une journée de voyage, et elle voulait garder ses forces.
 
Elle dormit d’un sommeil profond, jusqu’à ce que l’orage se déclenche et que la pluie se mette à tambouriner sur le pont.



***


C’était une tempête de mer, un tourbillon horrifiant qui ne surgissait qu’au milieu de l’océan.? De gigantesques vagues se fracassèrent contre la Voyageuse Errante qui voguait à travers les nuages noirs et la pluie diluvienne. Le vent menaçait de faire s’envoler les marins qui se précipitaient pour ferler les voiles et obéir aux ordres du Capitaine tandis que ce dernier combattait les vagues à la proue de son navire.
 
Sous le pont, les élèves terrifiés se serraient les uns contre les autres, écoutant le fracas de vagues et discutant à voix basses. Ceria s’assit avec Pisces, regardant par la fenêtre le bateau se soulever, puis redescendre avec une force à vous retourner l’estomac.
 
“Tu es sûre que ce bateau peut survivre à cette tempête ?”, hurla Pisces à l’oreille de Ceria. Il tenait ses affaires serrées contre lui en regardant l’eau derrière le hublot.
 
“Je n’en sais rien !”, répondit Ceria en criant. Elle tapota la fenêtre.
 
“C’est du verre. Le navire doit être récent, donc il devrait tenir !”
 
“Il a intérêt ! Je ne sais pas nager !”
 
Quoi ?”
 
L’idée qu’on puisse ne pas savoir nager époustoufla Ceria, jusqu’à ce qu’elle se souvienne que la plupart des Humains de Terandria vivaient à l’intérieur des terres et ne voyaient jamais de grandes étendues d’eau. Non pas que cela ait la moindre importance. Ceria avait largement eu le temps d’apprendre à nager pendant ses cinquante ans de vie, mais elle était certaine qu’elle ne tiendrait pas dis minutes dans les eaux couvertes d’écume.
 
“Ça va aller !”
 
Puis, comme pour se moquer d’elle, Ceria entendit la trappe qui menait au pont s’ouvrir en claquant. Un marin descendit les marches d’un pas lourd pendant que le vent et l’eau s’engouffraient à l’intérieur. Il hurla.
 
“Serpent de Mer à tribord ! Restez sous le pont !”
 
Les gens de la cale se mirent à hurler. Le ventre de Ceria se serra de peur, mais le marin se précipita vers elle. Il ignora le bateau qui tanguait et lui saisit le bras.
 
“Toi ! La demi-Elfe ! Tu as des sorts pour combattre le serpent ?”
 
Ceria le regarda fixement, la bouche ouverte !
 
“Pas de quoi combattre un Serpent de Mer !”
 
Les monstres gigantesques de l’océan étaient bien plus terrifiants que ceux sur terre, ou du moins en termes de taille. Un Serpent de Mer faisait deux fois la longueur d’un vaisseau de guerre - en moyenne. Les plus gros spécimens pouvaient s’attaquer à des flottes entières. Les [Aiguilles de Pierre] de Ceria leur feraient l’effet d’un petit crachat.
 
“Très bien. Reste ici et prie pour qu’il se lasse ! Le Capitaine a utilisé un parchemin pour demander de l’aide à Wistram - peut-être que ces maudits mages réussiront à faire quelque chose de là-bas :”
 
Le marin remonta les marches au pas de course. Pisces tourna son visage blanc vers Ceria. Elle était déjà   de nouveau en train de contempler la mer en furie.
 
“Là. Le voilà !”
 
Au loin, Ceria vit une forme ondulante fendre les eaux. Le Serpent de Mer jaillit tête la première de l’eau, et Ceria n’eut que le temps d’apercevoir sa mâchoire gigantesque et ses yeux brûlants avant qu’il ne replonge. Ses anneaux reptiliens suivirent sa tête et le cœur de Ceria se serra dans sa poitrine lorsqu’elle comprit que la créature était quatre fois plus longue que la Voyageuse Errante.
 
“Est-ce qu’il nous voit ?”
 
Pisces agrippa l’épaule de Ceria. Malgré la peur et la panique, son contact révulsa Ceria. Elle regarda fixement sa main et résista à l’envie d’y planter un couteau. C’était un Humain - non, c’était Pisces et il était terrifié. Elle lui fit lâcher prise et secoua la tête.
 
“Pas encore ! Mais il a l’air d’être en train de chasser !”
 
C’était vrai. Le Serpent de Mer était en quête de proie, plongeant dans les vagues comme s’il ne les remarquait pas. Il avait l’air de chercher quelque chose. Il plongea, puis Ceria poussa un cri lorsqu’il remonta, un poisson se débattant entre ses crocs. Le poisson devait être énorme, lui aussi, parce qu’elle le voyait clairement malgré la distance. Il n’était qu’à peine plus gros que la gueule du Serpent de Mer, mais cela signifiait qu’il faisait déjà au moins six mètres de long.
 
Le serpent secoua sa proie puis disparut de nouveau. Ceria pria pour qu’il soit parti, mais alors sa tête ressortit de l’eau et il planta son regard droit sur le navire.
 
Quelqu’un hurla. Le Serpent de Mer plongea vers eux, puis Ceria vit une énorme gueule armée de dents s’élever au-dessus de leur vaisseau.
 
Elle entendit des cris au-dessus de leurs têtes, et vit quelque chose qui ressemblait à des flèches s’écraser sur les écailles du serpent. Deux harpons volèrent dans la pluie diluvienne, mais ils ne s’enfoncèrent que de manière superficielle dans les écailles de la créature, sans même la faire saigner.
 
Tout autour de Ceria et Pisces, les gens hurlaient et pleuraient. Elle se contentait de regarder par le hublot. Pisces marmonnait dans sa barbe, la main serrée sur sa rapière.
 
“... injuste. Je ne voulais qu’une chance. Est-ce qu’il faut vraiment que ça se termine ainsi ? Même pas de corps à utiliser... rien d’assez gros…”
 
“Qu’est-ce que c’est ?”, marmonna Ceria à voix basse. Le serpent rugissait au-dessus de leurs têtes, un cri strident et alien qui ressemblait à la mort. Pisces leva les yeux.
 
“Quoi ?”
 
“Il y a quelque chose dehors. Dans la tempête. C’est…”
 
Un éclair illumina le ciel. Le monde devint blanc pendant une milliseconde avant que Ceria et Pisces ne sentent le tonnerre qui venait de dévier la course du navire vibrer dans leurs os.
 
Boum. On aurait plus dit une sensation qu’un son. Ceria tomba à la renverse et Pisces amortit sa chute. Elle se remit debout, ignorant les cris autour d’elle, et vit le Serpent de Mer se tordre de douleur.
 
“L’éclair l’a frappé !”
 
En effet, une partie des écailles près du cou de la bête étaient noircies et arrachées, exposant une chair rouge et du sang qui colorait l’eau. Le serpent se tordit et ouvrit la gueule en direction du bateau, mais l’éclair le frappa de nouveau.
 
Cette fois-ci, le rugissement de l’éclair qui frappa le serpent coïncida avec la lumière, et Ceria se retrouva aveuglée par la vision d’un éclair d’énergie frappant le Serpent de Mer. Elle fut projetée en arrière par l’onde de choc. Pisces l’aida à se relever en regardant dehors.
 
“Il a l’air blessé ! L’éclair l’a blessé !”
 
Ceria se releva lentement. Elle s’accroupit, faisant de son mieux pour ne pas tomber à la renverse et lui répondit en hurlant.
 
“Ce n’est pas un éclair. C’est un sort !”
 
Quoi ?
 
“Là !”
 
La demi-Elfe pointa du doigt, et Pisces poussa une exclamation. Dans le ciel, loin au-dessus de leurs têtes, les deux mages apercevaient une petite silhouette flottant dans la tempête. La seule raison pour laquelle ils parvenaient à la distinguer était que l’air qui l’entourait était parcouru d’éclairs et que son corps était parcouru de courants électriques.
 
“Une mage ? De Wistram ?”
 
C’était obligé. Ceria regarda Pisces et vit que son visage s’était illuminé du même espoir qui emplissait sa poitrine. Mais son cœur se serra alors.
 
“Ils n’ont envoyé qu’une personne ?”
 
En effet, il semblait que c’était le cas. La petite silhouette était seule et elle - oui, c’était bien une femme - flottait haut dans les airs, face au navire. Mais elle restait tristement petite par rapport à son adversaire, et à présent, le Serpent de Mer l’avait vue, lui aussi. Il rugit et jaillit de la mer, claquant des mâchoires dans sa direction.
 
La femme vola en arrière, et Ceria sentit le serpent heurter la surface de l’océan, manquant sa cible de quelques mètres seulement. La vague qui en résulta transforma la mer et le ciel en un chaos confus et de l’eau retomba autour du bateau, mais elle leva alors les yeux et vit la mage, esquivant les mâchoires du serpent qui la poursuivait.
 
“Regarde-le ! Il ne peut pas la rattraper !”
 
Pisces regardait à travers un autre hublot tandis que la femme fendait l’air, le serpent se propulsant à sa suite sans relâche. Il ne pouvait pas aisément l’atteindre lorsqu’elle volait, et à chaque fois qu’il bondissait hors de l’eau, elle tourbillonnait hors de portée. C’était une danse sauvage et démente, où la mort guettait, mais la mage tournait autour du serpent comme si elle s’amusait.
 
Le serpent se détendit comme un ressort et la femme l’esquiva juste à temps. Elle vola juste à côté du bateau où se trouvait Ceria et la demi-Elfe aperçut brièvement son visage. Elle recula d’un pas.
 
“Qu’est-ce qu’il y a ?”
 
Pisces dévisageait Ceria. Elle regarda fixement la mage qui s’était enfin arrêtée, flottant juste devant le navire, face au serpent. Elle avait levé la main et le serpent fondait sur elle, inarrêtable. Il allait heurter le bateau, mais de l’électricité crépitait de nouveau autour de la femme.
 
“Elle… rit.”
 
Ceria ne voyait que son dos à présent, mais elle savait ce qu’elle avait vu. La femme leva calmement la main lorsque le serpent s’approcha, comme si elle avait tout le temps du monde devant elle. Ceria entendit un cri par-dessus la tempête, et la mage jeta un sort.
 
La foudre jaillit de sa paume, un éclair scintillant d’électricité pure. Ceria vit les images rémanentes après qu’il eut frappé le serpent de mer une fois, deux fois, trois fois, puis avec tellement d’éclairs que le monde entier devint blanc.
 
Ceria se couvrit les yeux lorsque l’explosion fit tanguer le bateau. Elle tomba à la renverse et Pisces la rattrapa. Lorsqu’elle se releva et regarda par la fenêtre, la femme avait disparu. Le corps du serpent de mer flottait, le ventre hors de l’eau, fumant, sous la pluie qui bombardait le cadavre gigantesque.
 
“Dieux morts !”
 
Le serpent était mort. Très mort. Sa tête était presque entièrement noircie, et il ne restait qu’un moignon là où s’étaient trouvées les mâchoires béantes. Ceria et Pisces entendirent des cris de joie à l’étage, et le navire se remit en route.
 
“Elle l’a tué ! Juste comme ça ! Elle ne faisait que s’amuser avec le serpent jusqu’à maintenant !”, hurla Pisces pour se faire entendre par-dessus les bruits de la tempête qui continuait de faire rage autour du bateau. Ceria regarda Pisces. Ses yeux brillaient d’excitation. Elle savait qu’elle-même affichait un sourire gigantesque sur le visage, mais elle ne pouvait s’en empêcher.
 
Presque tous les autres candidats hurlaient ou étaient encore mués dans un silence choqué. Mais la demi-Elfe et le jeune homme s’assirent côte-à-côte, regardant l’énorme bête par la fenêtre. Elle avait paru tellement incroyable, tellement impossible à vaincre. Même un navire rempli de marins entraînés n’avait rien pu contre elle, mais une simple mage l’avait tuée en quelques minutes.
 
Par magie.
 
Le bateau fit de nouveau une embardée et Ceria entendit un bruit d'éclaboussures indiquant que l’un des élèves avait de nouveau perdu son déjeuner. Elle vit quelque chose au loin sur la gauche du bateau - une silhouette sombre qui saillait de la mer. Puis le bateau tourna dans cette direction et continua d’avancer.
 
C’est alors que l’orage se tut. D’un seul coup, le bateau cessa de tanguer en pénétrant dans des eaux d’un calme surnaturel. Le vent et la pluie qui faisaient rage au cœur de la tempête parurent rencontrer un mur, que le bateau traversa, voguant sous un ciel clair et sur des eaux d’un bleu vert qui scintillait à la lumière.
 
La mâchoire de Ceria se décrocha. La Voyageuse Errante pénétra dans l’œil de l’ouragan, une bulle magique à l’intérieur de laquelle le mauvais temps cessait. Les eaux étaient soudain lisses, puis le navire tourna de nouveau et Ceria la vit clairement pour la première fois de sa vie.
 
Wistram. L’Île des Mages.
 
Le grand château se dressait au sommet d’une falaise - non, disons plutôt qu’il était bâti à l’intérieur même de l’île. Les hautes falaises rocheuses se muaient en pierre grise et Ceria s’aperçut que le château ressemblait plutôt à une citadelle, où plusieurs bâtiments étaient interconnectés, reliés par un mur épais et des ponts qui s’élevaient dans le ciel.
 
Les flèches et les bâtiments s’élevaient dans les airs, impossiblement haut. Ceria n’avait jamais vu de structures aussi hautes - elle aurait d’ailleurs parié que c’était impossible, et, d’un point du vue architectural, c’était sans doute le cas. Des dômes ronds et ventrus étaient posés au sommet de flèches étroites et des ailes entières du château se dressaient au-dessus de la mer sans supports apparents;
 
C’était forcément de la magie, et en effet, Ceria apercevait les lumières qui miroitaient dans les airs, et les runes brillantes visibles à l’œil nu qui flottaient autour de certaines fenêtres, et d’autres sortilèges encore. Une des tours paraissait entourée de flammes, et une autre partie du château était gelée, les fenêtres et une partie du mur couverts de vignes rampantes.
 
Ceria sentit le navire ralentir, puis aperçut les quais. Ils se dirigeaient vers un gigantesque quai de pierre blanc. Il y avait déjà deux navires amarrés au port, et un autre se rapprochait, ayant lui aussi clairement subi l’orage. Le mat de ce navire était brisé, mais Ceria vit que des gens étaient montés sur le pont et contemplaient Wistram.
 
Lentement, très lentement, le navire s’arrêta et les marins se mirent à l’amarrer à quai. Le Capitaine criait aux élèves de rassembler leurs affaires. Presque engourdis, les futurs étudiants se mirent à ramasser leurs affaires et sortir en file indienne du bateau.
 
Ceria retint son souffle à l’instant où elle vit le château dans sa totalité. De grands escaliers s’étiraient encore et encore jusqu’à la porte de métal à double battants, et le château se dressait plus haut encore, brillant d’une lumière magique même en plein jour.
 
Pisces vint se placer à côté de Ceria, tout aussi fasciné qu’elle. Ils passèrent devant le Capitaine, et Ceria ne se souvint qu’à ce moment-là de le remercier de les avoir amenés à bon port sains et saufs.
 
“Ne me remercie pas. J’ai été payé pour ce voyage, même si celui-ci valait à peine l’or que j’en ai tiré. Ce Serpent de Mer aurait fendu mon navire en deux et nous aurait tous mis en pièces si les mages n’étaient pas venus à notre rescousse.”
 
Le Capitaine secoua la tête en regardant le deuxième navire entrer à quai. Ceria hésita.
 
“Est-ce que vous savez de quelle mage il s’agissait ? Celle qui a tué le serpent ?”
 
“Cela ne peut être qu’une personne. C’était Archimage Amerys. L’une des Sept du Roi de la Destruction.”
 
Pisces resta bouche-bée. Le Capitaine secoua la tête.
 
“C’était un coup de chance qu’on ait eu l’une des Archimages assez près et volontaire pour nous aider. Et même alors, c’est un signe pour vous autres qui voulez devenir mages. Bon signe ou mauvais signe ? Qui sait. Allez, filez, et bonne chance.”
 
Il se détourna, et les deux mages échangèrent un regard. Il se dépêchèrent de rejoindre le reste des élèves qui montaient les escaliers menant aux portes de Wistram. Elles étaient en train de s’ouvrir lentement, et des gens descendaient pour les accueillir.
 
C’est ainsi qu’ils pénétrèrent à l’Académie de Wistram. Aux yeux des nouveaux élèves, rien ne pourrait surpasser leur premier voyage éprouvant à travers la tempête, mais ils réalisèrent rapidement qu’ils n’avaient eu qu’un bref aperçu des véritables mystères nichés dans l’ancienne citadelle.

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 11 mars 2021 à 00:34:21

 
SO3 - Du Temps de Wistram, Partie 1
Deuxième Partie
Traduit par EllieVia
***


La première chose que Ceria remarqua lorsqu’elle pénétra dans l’enceinte des gigantesques murs de Wistram, c’est que le château était bel et bien gigantesque. D’ailleurs, le mot gigantesque était en lui-même trop petit pour Wistram. Il se serait perdu dans le hall d’entrée, et c’était déjà un endroit suffisamment grand pour accueillir aisément tout un village.
 
“Ça n’avait pas l’air si grand que ça vu de l’extérieur.”
 
“Ça doit être de la magie ! Une espèce de magie spatiale ou… ou nous avons été téléportés !”
 
Pisces contempla le hall gigantesque tandis que Ceria avisait les lumières flottant haut, haut au-dessus de leurs têtes. De nombreux étages surplombaient les élèves qui se rassemblaient au centre de l’immense pièce, et Ceria pouvoir apercevoir des gens sur les passerelles connectant les différents étages au-dessus de leurs têtes.
 
“Chancre. C’est de la pierre, là-haut ! Ils ont bâti des ponts à l’intérieur d’une pièce ! Cet endroit doit être énorme !”
 
“En effet. Wistram est bien plus vaste que ce qu’il apparaît vu de l’extérieur. Les mages ont bâti jusque haut dans les airs et dans les profondeurs de l’île. Il vous faudra du temps pour cesser de vous perdre, et même alors, vous feriez bien de vous cantonner aux zones principales.”
 
Ceria et Pisces se retournèrent, et virent un homme haut de taille qui les regardait de toute sa hauteur. Il n’était vêtu que d’un t-shirt, probablement parce que sa moitié inférieure n’avait pas besoin de vêtements. C’était un Centaure, et il fit un grand sourire devant leurs mines étonnées.
 
“C’est toujours la même chose. Les nouveaux élèves lèvent la tête et ne nous remarquent même pas. Nous pourrions vous voler tout ce que vous possédez et vous seriez encore en train de contempler les lieux. Non pas que ce serait très gentil de vous accueillir comme ça après le voyage que vous avez eu, n’est-ce pas ?”
 
“Vous avez vu le Serpent de Mer ?”, s’exclama Pisces d’un air excité, et le Centaure éclata de rire.
 
“Toute l’académie l’a vu. Nous avons fait des paris pour savoir si Amerys arriverait à temps pour vous sauver. Mais vous vous en êtes tous sortis, ce dont je suis heureux. Je m’appelle Calvaron, jeune mage. Je suis un étudiant à part entière de Wistram, et c’est moi qui vais vous faire visiter les lieux.”
 
Le mage Centaure serra la main de Ceria et Pisces d’une poigne de fer, puis haussa la voix.
 
“Futurs étudiants, par ici ! Votre groupe va me suivre pour aller poser vos affaires. Dépêchez-vous, les Humains ! Le prochain groupe va bientôt arriver !”
 
Les têtes se tournèrent. Ceria fut ravie de voir que Charles et son groupe d’amis hésitèrent visiblement à suivre lorsqu’ils s’aperçurent que leur guide était un Centaure, mais Calvaron ignora leurs regards. Il se mit à trotter en direction de l’un des larges couloirs en parlant d’une voix forte.
 
“Félicitations d’avoir survécu à votre voyage ! Peu de gens ont la chance de faire la rencontre d’un Serpent de Mer et d’en ressortir vivant. Mais vous verrez que la vie à Wistram est tout aussi excitante - si vous restez, je veux dire. Nous allons vous garder un mois, puis l’examen déterminera si vous pouvez rester ou partir. À moins que vous ne puissiez payer votre séjour, je veux dire. J’espère voir au moins quelques-uns d’entre vous après cela.”
 
Ceria dut presser le pas pour rester derrière le Centaure. Il marchait vite, et elle vit que le visage de Pisces était rouge, tant il devait faire d’efforts pour jongler avec ses affaires tout en soutenant la cadence. Il avait posé son sac en entrant, et il essayait de le remettre sur son dos en courant à moitié derrière eux.
 
“Excusez-moi, Calvaron, est-ce que vous pourriez ralentir ?”
 
“Comment ? Oh, excuse-moi.”
 
Calvaron jeta un regard par-dessus son épaule et vit que les Humains peinaient à tenir le rythme. Il s’arrêta et Pisces jeta un regard reconnaissant à Ceria lorsqu’il parvint enfin à remettre son sac sur ses épaules.
 
“J’oublie à quel point vous êtes lents. Mais si vous ne parvenez pas à tenir le rythme à Wistram, autant vous en aller tout de suite. Là encore, d’autres mages peuvent avoir des avis différents. Allez, les lambins ! On y est presque !”, beugla-t-il à l’attention des quelques élèves à la traîne, puis il les conduisit dans une grande pièce. Ceria se figea à l’instant où elle y pénétra et Pisces lui rentra dedans. Elle regarda fixement le visage gravé d’un Golem haut de deux mètres.
 
C’était forcément un Golem. Ceria ne connaissait qu’un seul type de monstre ayant une peau de pierre, et aucune Gargouille n’était sculptée en forme de belle femme vêtue d’habits. Puis le Golem avança, et Ceria poussa une exclamation étouffée en voyant sa robe onduler au rythme de ses mouvements, comme si la roche était véritablement du tissu.
 
“Salutations, jeune mage. Je suppose que tu es l’une des nouvelles élèves ?”
 
“Je… je…”
 
“C’est bien ça, Cognita.”, intervint Calvaron tandis que le reste des Humains entraient dans la pièce en arborant des expressions similaires. Cognita, la gigantesque Golem, salua chacun d’un gracieux hochement de tête jusqu’à ce que tout le monde fût entré, puis elle prit la parole. Sa voix était plus profonde qu’une voix ordinaire, et possédait un poids qui capta même l’attention de Charles et Timor qui l’écoutèrent avec une profonde concentration.
 
“Je suis Cognita. Je suis un Golem Sculpté, ou plutôt, une Cariatide Sageroche construite pour superviser Wistram et ses mages. Mes pairs et moi-même entretenons et préservons ce bâtiment et serons à votre service pendant toute la durée de votre séjour. Dans quelques instants, vous serez menés à vos chambres, mais avant cela, je dois vous énoncer les règles de Wistram.”
 
Elle baissa le regard d’émeraude empreint de sérieux pour le plonger tour à tour dans les yeux de chaque élève.
 
“Premièrement. Vous ne devez jamais vous aventurer dans les étages les plus hauts ou les plus bas du château non accompagnés et même alors, seulement pour une excellente raison. Les dangers sont nombreux à Wistram, car nombreuses sont les anciennes magies, les sortilèges et les créatures appelées ici à ne jamais avoir été détruites. De plus, les enchantements qui maintiennent cette citadelle intacte peuvent parfois s’effilocher. Deuxièmement. Certains Golems ont été faits comme moi, mais la plupart sont dépourvus de toute forme d’intelligence et se contentent d’obéir aux ordres. Ne les attaquez pas ni ne leur faites obstacles d’une quelconque manière que ce soit ou ils pourraient réagir de manière imprévisible. Troisièmement. Quiconque souhaite pratiquer des magies de zone doit tout d’abord me consulter ou consulter un mage expérimenté. Des résultats imprévisibles peuvent survenir si un sort affecte une large zone de l’académie à la fois. Est-ce que c’est compris ?”
 
Elle contempla les élèves puis hocha la tête.
 
“C’est tout. Suivez-moi, et je vous guiderai à vos chambres et vous donnerai vos clefs.”
 
Elle passa la porte et Calvaron indiqua à tout le monde de la suivre. Ceria, Pisces, et Calvaron se glissèrent à l’arrière du groupe d’élèves qui faisaient la queue pour sortir de la pièce.
 
“Je suis surprise qu’elle ne nous ait pas donné d’autres règles. Comme, disons, ne tuez pas d’autres élèves ou ne volez pas.”, murmura Ceria à Pisces. Calvaron éclata de rire en l’entendant.
 
“Ce sont aussi des règles de Wistram, mais Cognita a été créé à une ère différente. Elle ne se soucie de vous que si vous étudiez la magie, et elle ne vous dit ces règles que pour vous éviter de mourir par accident. Nous vous dirons le reste des règles plus tard.”
 
“Calvaron. Est-ce que tu comptes emmener ces élèves au réfectoire maintenant ou plus tard ?”
 
Cognita s’était arrêtée devant une porte. Calvaron acquiesça.
 
“Posez vos affaires et prenez un moment pour vous détendre. Dans quinze minutes, je vous emmènerai tous au réfectoire pour manger.”
 
La procession reprit sa marche, et Cognita mena chacun des élèves devant une porte où elle leur remit une clef, ou une pierre, ou se contenta parfois de murmurer quelque chose à leur oreille. Ceria était perplexe, mais il ne resta bientôt plus que Pisces et elle.
 
“Cette chambre sera la tienne, Ceria Springwalker. Voici la clef du verrou. Il peut être crocheté, donc fais attention.”
 
Cognita tendit à Ceria une clef de fer. Puis elle se tourna vers Pisces;
 
“La porte de ta chambre est ensorcelée. Dis ton nom dans la serrure et elle s’ouvrira pour toi seul. Fais attention à ne pas enfermer un compagnon à l’intérieur.”
 
Elle se détourna, et s’en alla. Médusée, Ceria regarda Pisces qui s’avança vers sa porte et lui parla. La porte s’ouvrit à la volée et Pisces regarda à l’intérieur en cillant.
 
“Pourquoi est-ce que les verrous sont différents ? Et pourquoi est-ce que les chambres sont différentes ?”
 
Ceria s’aperçut que sa chambre était vaste et spacieuse, munie d’un vieux lit à baldaquin, d’un miroir et d’une commode. Pisces avait une chambre beaucoup plus petite, mais pour une raison inconnue, elle était munie d’un balcon qui s’étendait à l’extérieur. Ceria et lui se tournèrent vers Calvaron qui se contenta de hausser les épaules.
 
“Beaucoup de gens ont travaillé pour bâtir Wistram, et chaque personne avait son propre style. Certaines portes ont des verrous, tandis que d’autres utilisent de la magie ou une pierre comme clef. Tu as eu de la chance, Pisces ; c’est plutôt sympa d’avoir un balcon. J’imagine que tu pourrais échanger la tienne si tu voulais.”
 
“Je pense que mon logement va me plaire. Ah, est-ce que tu as parlé de nourriture disponible ?”
 
Calvaron éclata de rire pendant que Ceria jetait ses affaires sur le lit et tournait la clef dans la serrure.
 
“En effet, il y a à manger. Laissez-moi rassembler le reste de votre groupe et nous mangerons. Personne ne peut apprendre la magie le ventre vide, pas vrai ?”




***



Ceria et Pisces levèrent les yeux en arrivant dans la grande salle de Wistram, se tordant le cou pour apercevoir le plafond.
 
“Est-ce que ces lampes de mages sont permanentes, ou est-ce qu’il ne s’agit que d’enchantements temporaires ?”
 
Calvaron leva les yeux. Il était assis à une table avec les deux mages, croquant son repas principalement constitué de carottes, mais qui contenait tout de même pas mal de bœuf. Il enfourna un morceau de carotte dans sa bouche et répondit d’un air pensif.
 
“Je n’ai jamais vraiment demandé. J’imagine que c’est comme un grand nombre des lumières du château. On peut les allumer et les éteindre, mais l’enchantement demeure. Bon, et il y a aussi les globes de lumières que la plupart des mages jettent en l’air quand il fait trop sombre et laissent sur place pendant quelques heures.”
 
“Ou quelques jours.”
 
Ceria se retourna. En face d’eux se trouvait une femme à la peau sombre vêtue d’une armure. Ce qui la différenciait du reste des gens, c’était que sa tête et ladite armure n’étaient pas rattachées. Elle se nourrissait de pudding sa tête qu’elle avait posée sur la table. Calvaron avait l’air parfaitement à l’aise avec ça, mais ni Pisces, ni Ceria n’avait jamais vu de Dullahan en chair et en os par le passé. Elle s’appelait Béatrice, et c’était à peu près la troisième phrase qu’elle avait décrochée depuis le début du repas à par “Salut” et “Ravie de vous rencontrer.”
 
Ceria observa le reste de la vaste pièce où elle était assise en coupant son steak. La grande salle était remplie de longues tables - et de plus petites. Comme dans la majeure partie du château, tous les meubles étaient apparemment utilisés, et c’est ainsi qu’elle s’était retrouvée assise avec Pisces et Calvaron à une table basse sur des canapés, plutôt que sur l’une des chaises placées devant les longues tables où la plupart des élèves mangeaient.
 
C’était probablement parce que la table basse permettait à Calvaron de poser les genoux par terre en mangeant. Ceria n’arrivait tout de même toujours pas à se concentrer sur son repas. Les orbes flottantes de lumières multicolores, les tables où s’entassaient toutes sortes de plats - et surtout les groupes en train de papoter, bavarder, et rire, constituer de toutes sortes d’espèces à chaque table, tout l’écrasait. Elle était entourée de mages, et toutes les deux secondes, Ceria voyait quelqu’un jeter un sort ou illustrer un argument par un enchantement.
 
“Arrête de fixer les gens, Springwalker. Cette assiette ne va pas se manger toute seule et si tu veux du rab, il va falloir que tu manges vite.”
 
Ceria cligna des yeux en se tournant vers Calvaron, puis réalisa que son steak refroidissait. Elle ajouta un peu de beurre, le regarda fondre, puis se mit à dévorer sa viande.
 
Pisces était déjà en train de manger comme s’il était affamée. Ni lui, ni Ceria n’avait les meilleurs manières à tables, mais Calvaron et Béatrice ne parurent pas le remarquer.
 
“D’où vient toute la nourriture ? Pas de la magie, sûrement.”
 
“Hah ! Tu crois qu’elle apparaît juste de nulle part ?”
 
Calvaron avait l’air extrêmement amusé. Il pointa le doigt sur le côté, en direction de la longue table où se tenait le buffet où ils étaient tous allés chercher leur repas.
 
“Les Golems et les [Chefs] font la majeure partie de la cuisine. Wistram embauche les meilleurs, et ce que nous ne mangeons pas est conservé pour un autre jour.”
 
“Ça doit être pratique d’avoir un tas de golems pour faire la plupart des travaux manuels et bosser ici. Je ne sais pas comment vous faites pour vous entretenir aussi facilement avec eux, cependant.”
 
Calvaron haussa les épaules. Il était passé juste devant les deux énormes Golems de Pierre qui les avaient croisés en marchant d’un pas pesant alors que Ceria et le reste des élèves s’en était tenus le plus éloignés possible.
 
“On s’habitue relativement vite quand on reste ici. Béatrice détestait toutes les armures enchantées qui se baladaient dans le coin, au début. Pendant deux ans, elle n’arrêtait pas de les appeler en croyant que c’étaient d’autres Dullahans.”
 
Il éclata de rire et Béatrice arrêta de se nourrir suffisamment longtemps pour froncer les sourcils. Pisces regarda autour de lui.
 
“J’apprécie le fait que nous soyons nourris immédiatement après notre arrivée, mais vous êtes certains qu’il n’y a pas de discours de bienvenue ? Pas de présentation ?”
 
“Tu en veux une ?”
 
Calvaron attendit que Pisces secoue la tête.
 
“La plupart des mages ne se soucient pas des nouveaux élèves. Il n’y a que les Expansionnistes et les Revivalistes qui s’intéressent au fait de garder un système en place, même si toutes les factions contribuent d’ordinaire d’une manière ou d’une autre.”
 
“Les Expansionnistes ? Les Revivalistes ?”
 
Pisces et Ceria échangèrent un regard .Calvaron hocha la tête.
 
“Vous en entendrez davantage parler bien assez tôt. Mais Wistram n’est pas un endroit vraiment uni. Ce que vous apprendrez rapidement, c’est qu’il y a des factions, ici. Les mages décident soit de se regrouper, soit de rester solitaires, selon leurs personnalités.”
 
Ceria en fut surprise.
 
“Alors, il n’y a pas de cérémonie formelle où nous choisissons où nous voulons aller ? Je croyais que nous serions assignés à un groupe ou… à une faction, ce genre de choses.”
 
Calvaron pouffa de rire dans son plat et même la tête de Béatrice se fendit d’un sourire.
 
“Ne sois pas bête. Qui serait assez stupide pour annoncer son camp publiquement ? Sans parler du fait qu’on ne peut pas se contenter de mettre les gens dans des groupes comme ça.”
 
Il pouffa et pointa les nouveaux élèves du doigt.
 
“Si tu es maline, tu choisiras avec sagesse et ne diras à personne si tu rejoins une faction. Attention, le mot circulera bien assez vite, mais au moins, comme ça, tu as une chance. Et j’espère que tu vendras ta loyauté avec sagesse. Un mage doit être fort pour survivre seul à Wistram, mais c’est mieux que de devenir esclave.”
 
Il pointa un petit groupe de mages assis seuls au bout de la salle du doigt. Leurs robes étaient clairement magiques, et l’un d’entre eux haussait la voix en pointant du doigt une illustration qu’il avait faite apparaître dans les airs.
 
“Vous voyez ces types ? Ce sont des Isolationnistes. Ils aimeraient bien qu’on arrête d’accueillir de nouveaux mages à Wistram, et que les mages aspirants se fraient un chemin jusqu’ici. Cela trierait ceux qui ne sont pas sérieux, certes, mais imaginez les pertes économiques !”
 
Béatrice fronça les sourcils.
 
“C’est stupide. Ça gaspille de l’argent.”
 
Calvaron leva les yeux au ciel.
 
“Béatrice est une Revivaliste. Elle appartient à la faction qui pense que nous devrions ouvrir grand nos portes et inaugurer une nouvelle ère de la magie, comme lors des siècles précédents.”
 
“Et toi ? Tu appartiens à quel groupe ?”
 
Le Centaure sourit.
 
“Je ne suis d’aucune faction, du moins pour le moment. Je rejoindrai probablement une faction ou une autre, mais je ne suis pas encore assez important pour qu’ils commencent à me mettre la pression. Et toi, Pisces ? Tu préférerais être Isolationniste ou Revivaliste, si tu en avais l’occasion ?”
 
Pisces hocha la tête en réfléchissant.
 
“Eh bien, je reste encore peu informé sur toutes les nuances de cette discussion, mais j’imagine que je me positionnerais en tant que…”
 
Ceria lui donna un coup de pied sous la table. Il glapit et elle le fusilla du regard. Calvaron éclata de nouveau de rire.
 
“Tu apprends vite, pas vrai ?”
 
Elle était en train de se dire qu’elle allait demander à Calvaron davantage d’informations sur les différentes factions de Wistram lorsqu’elle entendit un bruit. Elle tourna la tête et regarda fixement l’une des entrées de la grande salle. Un jeune homme à la robe en désordre entra en trombe dans la grande salle en hurlant.
 
Des goules ! Elles envahissent les couloirs ouest !”
 
Pendant un instant, un silence choqué s’installa, puis tous les nouveaux élèves se mirent à hurler. Le jeune homme se précipita dans la salle, puis Ceria les vit.
 
Des goules. Elles jaillirent du corridor, leurs corps morts bondissant en avant avec une force et une agilité incroyables. Leurs yeux brûlaient d’une lumière impie.
 
Elle ne s’arrêta même pas pour réfléchir. Ceria se leva et pointa son doigt sur les Goules. Sans baguette, elle ne pouvait pas jeter de magie très puissante, mais elle avait perfectionné ce sort jusqu’à ce qu’il soit aussi mortel qu’une flèche.
 
“[Aiguille de Pierre] !”
 
Un morceau de pierre déchiqueté jaillit de ses doigts et cueillit une Goule en pleine poitrine. Elle trébucha, mais poursuivit sa course. Le cœur de Ceria se serra. Les Goules étaient bien plus dangereuses que les Zombies, et elles approchaient tellement vite ! Elles seraient sur les nouveaux élèves avant qu’ils ne puissent s’enfuir.
 
“Arrêtez de crier. [Lance de Glace].”
 
Quelqu’un avait parlé dans le dos de Ceria. Elle tourna la tête juste à temps pour voir un énorme bloc de glace sculpté en forme de pointe passer devant elle. Le souffle lui souleva les cheveux et Ceria se retourna et vit que la Goule qu’elle avait touchée et trois autres avaient été réduites en bouillie par le sort.
 
“[Faucille Silencieuse] !”
 
Un autre mage de l’autre côté de la salle pointa le doigt sans même se lever. Une des goules fut coupée en petits morceaux par des faux transparentes et une autre perdit ses jambes.
 
“[Canon de Terre] !”
 
“[Flèche Invisible] !”
 
“[Sol Glissant].”
 
Tout autour de Ceria, des mages pointèrent le doigt ou agitèrent leurs baguettes ou utilisèrent leurs bâtons pour jeter des sorts. Les Goules se désintégrèrent pratiquement devant la masse des sorts combinées jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un sol complètement ruiné tandis que les sorts de glace et de feu produisaient de la vapeur et que des substances collantes et glissantes se mélangeaient au sol ou commençaient à se dissiper.
 
Calvaron éclata de rire en faisant se rasseoir Ceria.
 
“Joli sort, la nouvelle. Mais laisse les mages plus vieux s’occuper du combat, d’accord ? On peut se débrouiller.”
 
“C’est normal ? Les Goules ?”
 
Pisces pointa du doigt les restes des Goules - une unique mains et quelques taches sur le sol de pierre. Un Golem était déjà penché sur les dégâts avec une serpillière et un seau à la main.
 
La Centaure et la Dullahan haussèrent tous deux les épaules.
 
“C’est inhabituel que les monstres arrivent jusqu’au réfectoire, mais les accidents, ça arrive. Je me demande comment les morts-vivants sont arrivés jusqu’ici ? Un sort de téléportation qui a mal tourné ?”
 
“Des cadavres ?”
 
Béatrice se gratta la tête. C’était plutôt un massage étant donné qu’elle pouvait gratter tous les endroits facilement. Elle pointa du doigt le mage affolé qui était entré en courant dans la salle.
 
“Probablement une expérience avec quelques cadavres. Trop de magie. Ça a dû les ranimer.”
 
“Ça doit être ça. Je demanderai plus tard. Bref, dans tous les cas, gardez bien ça en tête, vous deux. Si vous voulez rester à Wistram, vous devez être parés à tout. Les Serpents de Mer sont le cadet de vos soucis ici. Est-ce que vous pensez pouvoir gérer ?”
 
Il regarda Ceria et Pisces droit dans les yeux. Elle hésita, mais finit par acquiescer avec conviction.
 
“Je reste.”
 
Pisces hocha la tête. Il avala une énorme bouchée et s’essuya la bouche avec une serviette.
 
“Moi aussi !”
 
“C’est ce qu’ils disent tous.”
 
Calvaron et Béatrice rirent, même si elle se contenta de pouffer. Puis son expression redevint sérieuse.
 
“Malheureusement, j’ai de mauvaises nouvelles à vous annoncer, vous deux. Cette année, il y a presque deux fois plus d’aspirant que d’habitude. J’ai bien peur qu’à moins que vous ne soyez au-dessus du Niveau 20 ou que nous n’ayez une espèce de nouveau sort ou un talent, il va être difficile de réussir l’examen.”
 
Il marqua une pause pendant que les deux nouveaux élèves échangeaient un regard consterné.
 
“Enfin, à moins que vous n’ayez un mentor pour vous sponsoriser.”
 
“Un mentor ?”
 
“Un mage de haut niveau.”, traduisit Béatrice. Calvaron hocha la tête en croquant dans une autre carotte.
 
“Quelqu’un qui se portera garant de vos capacités. Cela vous permettrait de faire sauter l’examen.”
 
Ceria regarda Calvaron d’un air méfiant.
 
“J’imagine que tu ne voudras pas… ?”
 
“Désolé, je n’ai pas l’influence nécessaire pour aider qui que ce soit. Nous sommes tous des mages novices, ici. Seuls l’un des professeurs ou des mages les plus vieux peuvent faire ça, et ils n’interfèrent d’ordinaire pas avec l’examen. De plus, une bonne partie de ceux à qui on a donné des enseignements cette année ne sont pas ravis. »
 
“Comme Illphres. Elle est en colère.”
 
“Qui ?”
 
“La mage qui a jeté le sort de [Lance de Glace]. C’est elle, là-bas.”
 
Ceria se retourna et vit une femme d’âge mûr vêtue d’une robe assise à la même table que le groupe que Calvaron avait identifié comme était les Isolationnistes. Elle fronçait les sourcils pendant qu’un autre mage parlait. Calvaron baissa la voix.
 
“Elle va vous apprendre un peu de magie élémentaire. Mais, ah, elle a… un tempérament. Elle reste l’une des meilleures [Cryomanciennes] de l’académie, en revanche.”
 
“Est-ce qu’une [Cryomancienne] est identique à une [Mage de Glace] ?”
 
“Deux noms différents. Parfois avec des spécialisations différentes, mais ce sont souvent les mêmes.”
 
“Oh.”
 
Ceria ne pouvait détacher son regard d’Illphres. Elle avait jeté un sort d’Échelon 4 - [Lance de Glace] - en quelques secondes, sans même utiliser de baguette ! La magie de glace n’était pas la spécialité de Ceria, mais elle restait impressionnée par le sort.
 
Mais apparemment, tout le monde ne partageait pas son opinion. Réagissant aux paroles de l’un des mages, Illphres dit quelque chose d’un air énervé, ce qui lui valut un sarcasme et un geste dédaigneux de la main de la part du mage bavard. Ceria vit Illphres lever la main puis le mage qui parlait se retrouva soulevé de terre par une explosion de neige.
 
Il s’envola, et se fracassa dans une autre table. Ceria grimaça en voyant le mage s’écraser sur les assiettes et les verres et envoyer valser les gens qui étaient assis devant. Une femme essuya calmement la nourriture de son visage, et le cœur de Ceria rata un battement lorsqu’elle reconnut Amerys, la mage qui avait tué le Serpent de Mer.
 
Amerys regarda Illphres à l’autre bout de la pièce et leva un doigt. Ceria se baissa vivement et l’éclair explosa contre le mur de glace qu’Illphres venait de dresser, envoyant des fragments de glaces dans les airs semblables à de la grêle.
 
De nouveaux cris s’élevèrent lorsque les Isolationniste bondirent sur leurs pieds. Amerys eut un sourire narquois et les mages autour d’elle se mirent à lancer des sorts. Ceria regarda le combat se déclencher entre les mages de la salle et d’autres les rejoignirent. Elle entendait des cris, aussi, de la part d’autres groupes de mages qui se contentaient de se défendre ou de rester hors de portée du conflit.
 
“À couvert !”
 
“Merde ! C’est encore Amerys et Illphres !”
 
“Attention ! Tu as failli renverser mon assiette !”
 
“Que quelqu’un lève un bouclier magique avant que ces élèves ne se fassent tuer !”
 
Calvaron pouffa de rire et Béatrice leva une barrière magique qui intercepta un éclair. Il jeta un regard à Ceria et Pisces qui regardaient fixement la guerre magique qui venait de se déclencher entre les mages.
 
“Ne vous inquiétez pas. Il est rare qu’il y ait des morts. Ils sont juste en désaccord ; je doute qu’ils aient seulement réalisé que vous arriviez aujourd’hui. Ne les dérangez juste pas lorsqu’ils travaillent, ne vagabondez pas dans les zones reculées de l’île, demandez de l’aide, ne choisissez pas tout de suite votre camp, et ne vous retrouvez jamais dans les pattes des Golems.”
 
Il marqua une pause et se gratta la tête pendant que l’un des mages jetait un jet de bulles violettes de sa baguette qui immobilisa toute une table d’élèves.
 
“Autres choses qu’ils devraient savoir, Béatrice ?”
 
Elle haussa les épaules.
 
“Ne mourrez pas. Et bienvenue à Wistram.”
 


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 15 mars 2021 à 01:39:30
2.46 Partie 1
Traduit par Maroti

Je m’assois sur le sol et j’éclate de rire. De manière hystérique. Je n’aurai jamais pensé être hystérique un jour, mais je suppose qu’il y a un début à tout.

Récapitulons. Je suis assise sur le sol au centre d’une caverne remplie de trésors magiques. Le sol est fait de marbre lisse ; des lumières magiques sont en train d’éclairer la pièce. De précieux trésors sont éparpillés au sol, délaissés, et un Dragon allongé sur une moitié de la caverne me regarde avec incertitude.

Pour faire court, tout se passait comme je l’avais imaginé. Je pense que j’ai la larme à l’œil, mais je n’arrive pas à m’arrêter de ricaner comme une demeurée pour les essuyer.

Erin va bien. Bien sûr qu’elle va bien. Pourquoi est-ce qu’elle n’irait pas bien. J’ai couru jusqu’ici, désespéré, et elle allait bien durant tout ce temps. Elle était joyeusement en train de discuter avec Octavia dans l’image que Teriarch m’avait montrée, et elles semblaient passer un bon moment. Octavia semblait s’amuser, au moins.

Elle avait rencontré Octavia. À Celum. Je ne savais pas comment elle était arrivée là, mais Toren avait dû la tirer aussi loin. Je ne sais pas comment.

Cela n’avait pas d’importance. Vraiment pas. Maintenant que je savais qu’elle allait bien, c’était comme si un nuage s’était levé de mon esprit. Je peux penser clairement, juste assez pour réaliser à quel point j’avais été stupide.

‘Hic Sunt Dracones'. Des dragons reposent ici. Enfin, un dragon dans ce cas. Teriarch. Il me regarde avec une expression perplexe sur son immense visage. Cela me donne envie de rire de plus belle.

Comment est-ce que j’en suis arrivé là ?

« Humaine. »

Sa voix grave est impossible à ignorer, mais il doit la lever pour parler au-dessus de mon rire. Teriarch fronce les sourcils en me regardant.

« Non. Ryoka Griffin, c’est cela ? Es-tu bien portante ? »

« Je… Je vais bien. »

Je ne vais pas bien. Le rire veut se changer en larme, et j’ai envie de vomir.

J’ai encore foutu le bordel dans ma vie, pas vrai ? Tout comme le dernier monde, je suppose qu’il est impossible de se changer même avec une seconde chance.

Je suis un peu fatigué. Mais quand je lève la tête, même la tristesse de mon cœur s’allégea.

Après tout, je suis en train de regarder un Dragon.

Un Dragon.

Il vit dans sa cave, luisant comme de l’or vivant. Ses écailles sont brillantes, et elles reflètent la lumière sur les murs au moindre mouvement. Il est un Dragon. Teriarch est un Dragon.

Ils sont réels

Il éclaircit délicatement sa gorge, et je m’essuie le visage. Bien, bien, je vais bien. Je ne peux pas gâcher ce moment. Enfin, pas continuer de la gâcher.

« Désolé. Je, heu, suis désolé pour ça.

Il agite une griffe dans ma direction.

« Cela n’a pas d’importance. Je suis soulagé de te voir aussi… Décomplexé. J’ai cru comprendre que tu étais bien inquiète pour ton amie. »

Est-ce que c’est une manière polie de me dire qu’il est content que je ne sois pas folle ? Pendant une seconde, je suis tenté de lui faire croire que j’ai un problème mental. Je me demande comment il gérerait ça ?

Il me soignerait probablement. Est-ce que tu peux soigner les blessures mentales avec de la magie ? Qu’est-ce qui se passerait si tu étais né avec un problème chimique dans ton cerveau, par exemple ? Est-ce qu’un sort de [Reconstitution] serait inutile ?

Teriarch continue de m’observer alors que la quasi-scientifique en moi se pose ces questions, je m’éclaircis aussi la gorge.

« Je suis désolé pour ça. Les derniers jours ont été difficiles. »

« Je vois. Mes condoléances. »

Il tousse. Je tape le marbre du bout de mon pied.

Oh mon dieu. Je suis là, en train de parler à un Dragon, et j’ai du mal à faire la conversation. Tout comme lui !

Souviens-toi, il est une personne normale. Souviens-toi de ça. Il est juste un Dragon, un être immortel, pas un mammifère, pas quelqu’un qui a grandit confiné par les normes de la société ou les standards moraux, bon sang, nous ne sommes même pas du même genre…

« Oui, ça a été difficile. »

Quelqu’un me lance quelque chose. Mais Teriarch ne fait que hocher la tête et lever les yeux vers le plafond.

« J’ai remarqué que ces pestes te suivaient. Elles ont l’habitude de gâcher la journée de quelqu’un tant que cela les intéresse. »

« Des pestes ? Tu veux dire les Fées de Givres ? »

« Oui. J’étais fort intrigué. Comment peux-tu les voir ? Leur magie est habituellement impénétrable même pour les plus accomplis des mages, à moins qu’ils ne savent ce qu’ils doivent chercher. »

Hum. C’est une très bonne question. Je comptais creuser la question, mais je n’ai jamais trouvé le temps. J’hésite.

« Je ne sais vraiment pas. »

« Ah. D’accord. Je vois. »

Il me lance un regard dédaigneux. Et quand un Dragon le fait, tu te sens vraiment minuscule*. Il se gratte la mâchoire. Il était intéressé quand je lui posais des énigmes, mais je suppose qu’il pense que je suis toujours une idiote.


*Sérieusement. Il a la taille d’un avion de ligne. Pas un 747… Plutôt comme un airbus A380. Bordel, qu’est-ce qui se passerait s’il atterrissait sur un avion ? Il pouvait probablement détruire des avions en les poussant du ciel.

Je serre les dents, et maîtrise mon ton. D’accord, Dragon ou non, je n’aime pas être sous-estimé.

« J’allais dire que je n’en étais pas certaine, mais je pense que cela est lié au fait que je viens d’un autre monde. Quelque chose dans la balance chimique de mon cerveau, ou ce que je mangeais couplé au fait que je viens d’une autre planète, cela peut m’aider à percer leur illusion. Cela pourrait être l’un de ces facteurs. »

Le Dragon s’arrête et me regarde.

« Oui, bien sûr. Ah… Certes, ton origine peut être une raison, mais la magie des fées prend en compte plusieurs mondes. Il doit y avoir une autre raison ; leur magie est généralement brisée par une satisfaisante règle. »

« Une idée de ce que cela peut-être ? »

« Pas en tant que tel. Mais je dois te féliciter sur ton opinion considérée. Il est rare que je rencontre un Humain aussi… Réfléchis. »

« Tu veux dire que c’est plaisant de rencontrer quelqu’un qui n’est pas un idiot. Et ce n’était pas une ‘opinion considérée’. C’est une conclusion logique qui prend plus d’effort à dire qu’à trouver. »

Je lèche mes lèvres dans le silence qui suit. Merde. Je viens de le refaire.

Mais au lieu de m’avaler en une bouchée, Teriarch me regarde et hoche la tête.

« Cela est vrai. Je dois m’excuser. Il est rare que je rencontre un mortel qui est digne de mon temps. Bien sûr, la différence entre nos niveaux de compréhension est si grande que ce genre de maladresse se doit d’arriver. »

Est-ce qu’un Dragon vient de s’excuser ? Certes, c’était une demi-excuse, mais… Je réfléchirai à cela plus tard. Pour l’instant la partie intelligente de mon cerveau qui semblait s’être endormie venait de se réveiller pour taper mon lobe central. J’ai peut-être merdé en venant ici, et avec les énigmes, mais j’ai une opportunité, pas vrai ?

Après tout, je parle à un Dragon. Et j’ai soudainement des questions. Des millions de questions.

Je tousse délicatement. Teriarch me regarde, fronçant les sourcils comme s’il essayait de savoir ce qu’il allait faire de moi. Je devais faire en sorte qu’il m’ait à la bonne, ou du moins, essayer d’obtenir quelques réponses.

« Teriarch. »

Il baisse les yeux vers moi. J’hésite, avant de lui faire une rapide révérence. Le visage du Dragon ne change pas d’expression.

« Qu’y a-t-il ? »

« Merci de m’avoir aidé à localiser mon ami, même si tu es celui qui a gagné notre jeu d’énigmes. »

« Cela n’a pas d’importance. »

Le Dragon fait un mouvement dédaigneux de la griffe, un geste presque humain. Il semble presque embarrassé, mais il lève la tête.

« Ah, oui, j’ai gagné, n’est-ce pas ? Et il est désormais temps que je clame mon prix. Dis-moi, Humaine. Comment es-tu parvenu à éviter mes scrutations pendant tout ce temps ? »

Il baisse la tête et me regarde avec impatience, et je fais un pas en arrière de manière involontaire. J’avais presque oublié que je lui avais promis cela. C’est presque inconséquent, mais…

« Mon nom. Tu n’utilisais pas mon vrai nom quand tu essayais de me scruter. »

« Comment ? »

Il fronce les sourcils en me regardant.

« Cela ne devrait pas être le cas. Je t’ai questionné sous un sortilège de vérité. Cela aurait dû être impossible de mentir sur ton nom. »

« Oui, mais mon nom… Mon véritable nom est Ryoka Griffin. Je ne t’ai pas menti. Mais ‘Ryoka’ est une traduction. J’ai été nommé dans un langage différent. »

A ma grande surprise, Teriarch semble surpris par cette révélation. Il commence à grommeler en levant la tête.

« C’est tout ? Cela n’est véritablement pas… Une technicité mineure comme cela ne fait pas partie… Un design de sort inférieur. J’aurai dû utiliser… Un autre langage ? Mais maintenant tous les gens parlent… Ah. Bien sûr. Tu viens d’un autre monde, après tout. J’aurai dû prendre cela en compte lors de mes calculs. »

Maintenant que j’y pense… Teriarch ne semble même pas troubler d’apprendre que je viens d’un autre monde.

« Tu savais qui j’étais avant de venir, n’est-ce pas ? Lady Magnolia te l’a dit. »

« En effet. »

Teriarch est toujours en train de froncer les sourcils en regardant en l’air. Il se murmure, et cette fois je ne comprends pas du tout ses mots. Ses yeux semblent briller d’une lumière qui n’est pas là, et je sens les poils de ma nuque se hérisser. Est-ce qu’il essaye de changer le sort ? Ou de me scruter ?

« Comment est-ce que tu la connais ? »

« Cela ne te concerne pas. »

Teriarch me regarde ma manière dédaigneuse. Je trésaille légèrement. Je déteste quand les gens me disent ce genre de chose.

« Oh vraiment ? Je dirais que me scruter sans permission est une violation de ma vie privée. Et Magnolia qui envoie des [Assassins] après moi et interfère constamment dans ma vie ? Cela semble me concerner. »

Une pause. Le Dragon me regarde. Et je sens un peu de trépidation alors que je réalise sur qui je viens de m’énerver. Mais sa voix est calme et silencieuse, sans la moindre trace de colère.

« Elle te parlera en temps et en heure. Si tu as des questions, je suggère que tu en parles avec elle. Il m’arrive d’aider occasionnellement, mais ses affaires sont les siennes. Je ne divulguerai pas ses secrets. »

Il détourne les yeux et je respire de nouveau. D’accord, il en gentil, en quelque sorte. Mais… Il reste toujours un Dragon.

Il regarde de nouveau l’image miroitante flottant dans l’air et je réalise qu’Erin et Octavia sont toujours en train de flotter. C’est… Légèrement perturbant de penser au fait qu’il puisse observer n’importe qui quand il le veut. Big Brother n’est rien comparé à un Dragon magique.

Mais Erin ne va pas aux toilettes ou fait quelque chose de privée. Elle est toujours dans la boutique d’Octavia, en un seul morceau et avec tous ses membres. Je regarde ma main droite. Bordel, elle n’est même pas blessée.

Elle semble être heureuse. Je ne sais pas ce qui s’est produit, mais il semblerait qu’Octavia compte se faire quelques pièces d’or et qu’Erin en train de regarder les étagères en touchant à tout. Bon sang, est-ce qu’Octavia est en train d’essayer d’arnaquer Erin ? Elle parle vite, contrairement à Erin. Si elle essaye de l’arnaquer je vais lui botter son cul ficelé.

Teriarch indique l’image.

« Je vais te téléporter à ton amie, après t’avoir effacé la mémoire, bien sûr. »

« Quoi ? Tu vas m’effacer la mémoire ? »

Le Dragon à capté la totalité de mon attention. Il se gratte le côté de la tête et me répond de manière nonchalant.

« Bien sûr. Je ne peux pas avoir quelqu’un se souvenir de notre rencontre. Ne crains rien ; je suis parfaitement capable d’effacer qu’une partie de tes souvenirs. Tu te retrouveras devant la boutique de ton amie avec le vague souvenir d’avoir fait le chemin pour t’y rendre. »

Cela ne semble pas bon. Sauf pour le voyage gratuit. Mais le reste ? Non.

Pense. J’ouvre mes mains en grand pour supplier. Je dois le convaincre de ne pas faire ça.

« Oh puissant Teriarch… »

Je m’arrête. Nah, je ne peux pas faire ça.

« … Écoute, n’efface pas ma mémoire. Je ne dirais rien de ce que j’ai vu. »

Il lève un sourcil dans ma direction. Et oui, les Dragons ont des sourcils. C’est plus comme une protubérance osseuse dans leurs têtes, mais cela donne le même effet.

« J’ai déjà entendu cette phrase d’innombrable fois. Et cela se termine toujours par moi répandant la mort et le feu sur les armées venant me terrasser. »

Il me regarde avec des yeux qui rendraient un basilic fier.

« Pourquoi devrais-je te faire confiance ? »

« De plus, je suis déjà parvenu à trouver qui tu étais. Si je voulais exposer ton secret je l’aurais déjà fait. Et qu’est-ce qui te fait dire que je ne me suis pas laissé des messages disant que j’ai effacé ma mémoire ? »

Note à moi-même : Faire ça la prochaine fois. Au moins Klbkch le sait.

Mais Teriarch ne semble pas être impressionné.

« Dans ce cas, je vais simplement te contrôler avec un sort et te faire effacer toutes les notes que tu t’es laissé et tuer toutes les personnes à qui tu as divulgué mon existence, avant de te trancher la gorge. Est-ce que cela semble plus adéquat ? »

Je croise les bras.

« Ça ne marchera pas. Même si tu arrives à supprimer tous mes plans de secours, les fées me le diront de nouveau. »

Le Dragon s’arrête. Il regarde vers l’entrée de sa cave, presque avec incertitude.

« Elles ne le feront pas. Elles ne choisissent pas de camp. »

« Mais elle sont agaçantes. »

Et je parie qu’elle adorerait faire ça, si cela passait dans leurs petites têtes. Mais l’argument semble marcher. Teriarch fronce les sourcils.

« Je pourrais simplement lancer un sort qui te forcera à ne jamais divulguer mes secrets. Où t’empêcher de parler. Ce que je suis en train de considérer à l’instant. »

Aha. Il ne faut pas chercher le Dragon, Ryoka.

La ferme, Ryoka. Je hausse les épaules dans sa direction.

« Tu peux le faire. Mais cela me semble être une solution particulièrement brusque et simpliste pour un Dragon. »

Il s’arrête.

« Pourquoi cela ? »

« Eh bien, n’es-tu pas un Dragon ? Une créature de légende et de mythe avec une intelligence et une sagesse dépassant le plus grand des mortels ? »

« Mm. Cela est vrai. »

Teriarch sourit. Voyons voir. Les Dragons sont orgueilleux, et aiment bien être flattés, autant continuer.

« Pourquoi tu ne voudrais pas que le monde connaisse ta nature ? J’ai entendu parler des Dragons qui avaient donné conseil au roi-philosophe d’un âge perdu. Pourquoi ne pas répandre la vérité jusqu’au confins du monde ? »

Il fronce les sourcils.

« Cela à tendance à attirer des aventuriers bruyants avec des épées tournant autour de ma cave. Et, éventuellement, des armées, donc cela n’est pas une bonne idée. »

« Alors, une poignée de personnes uniquement ? Lady Magnolia connaît ton existence. N’est-ce pas bénéfique d’avoir une poignée d’être avec qui discuter, des gens qui peuvent t’aider ? »

« Peut-être… Mais je n’ai nullement besoin d’aide. »

« Je viens de livrer une lettre de ta part. »

« Lentement, et cela m’a fortement coûté. Tu as dû revenir pour me demander les directions. »

Teriarch souffle et le vent secoue mes cheveux. Sentir son haleine est comme mettre sa tête à côté d’une fournaise à charbon et d’inhaler.

« S’il avait été adressé à une autre personne, je n’aurais pas eu de problème à utiliser la magie pour transmettre mon message. De plus, je peux voler. »

Il ouvre ses ailes, et je regarde l’épaisse membrane connectant ses ailes. Intéressant. Elles sont définitivement proportionnelles à sa masse, mais il doit y’avoir une forme de magie l’aidant ou sinon il ne décollera jamais du sol à la force de ses muscles. Je hausse les épaules et regarde de nouveau vers l’image d’Erin et Octavia.

Qu’est-ce qu’elles sont en train de faire ? Et jette des trucs dans une… Casserole ? Oui, elle a une casserole mise sur le feu et elle verse une potion dedans, et plusieurs carottes. Octavia semble être en train de s’étouffer. Qu’est-ce qu’elles sont en train de faire ?

Concentre-toi sur le Dragon agacé.

« D’accord. Alors si c’est le cas, qu’est-ce qui se passera si tu dois envoyer une autre lettre à Az’kerash ? Et mes capacités ne sont pas limitées à la course. Je connais plusieurs énigmes qui t’ont intrigué. »

Il grogne et change sa position de manière inconfortable sur le sol de marbre.

« Tu n’es nullement un puit de connaissance. Où est-ce que tu prétends connaître tous les secrets de ton monde ? »

« Pas tous, mais j’en connais beaucoup. »

« Oh, vraiment ? »

Le scepticisme dans sa voix me fait froncer les sourcils.

« J’ai une excellente mémoire et j’étais considéré une excellente élève dans mon monde. Je connais plus de choses sur les mathématiques, la biologie et le fonctionnement du monde que la majorité des gens de mon âge. »

Cela est la vérité, même si la partie ‘d’excellente élève’ est un peu poussée. Mais Teriarch semble déterminer à être obstiné. Il roule ses yeux vers le plafond avant de faire sortir sa langue comme un serpent avant de trouver quelque chose à dire.

« Ah, mais Reinhart a acquis plusieurs enfants comme toi. Ils viennent tous de ton monde ; qu’est-ce qui m’arrête de les questionner ? »

Cette fois je ricane bruyamment. Teriarch semble plus surpris que courroucer.

« Qu’y a-t-il ? »

« Tu penses que tu peux obtenir de bonnes informations de la part de lycéen ? S’ils savent le dixième de ce que je sais, je mangerai une des servantes de Magnolia. »

Là ! Je le vois de nouveau sourire.

« Tu es fière. »

« Pourquoi ne devrais-je pas l’être ? »

Il me sourit en attendant mon ton provocateur.

« La fierté est quelque chose que toutes personnes pensantes ont. Mais elle peut être la vérité ou une illusion ? La tienne se brisera-t-elle si je la teste ? »

Il agita une aile de manière dédaigneuse.

« Dans tous les cas, ton savoir peut-être utile, mais quel sera son intérêt ? Je ne suis pas un Elfe ou un Gnome qui est constamment intrigué par de nouvelles découvertes. Je connais les secrets de la magie et de la véritable nature de ce monde. Je connais les noms des anciens secrets et des trésors ensevelis depuis des millénaires. Les tempêtes et les flammes sont sous mon commandement. Que puisses-tu m’offrir que je ne possède pas ? »

« Des pastilles pour l’haleine ? »

Le Dragon écarquille les yeux. Je lui fais un grand sourire légèrement dérangé. Je ne peux pas m’en empêcher. Il est compétitif et je dois le faire tomber de son piédestal.

« Tu es peut-être un grand et puissant Dragon, mais j’ai vu des choses aussi incroyables que toi. Dis-moi, a quelle vitesse peux-tu voler ? Est-ce que tu peux passer le mur du son ? Jusqu’à quelle altitude ? Est-ce que tu peux voler jusqu’à la lune ? Les Humains ont déjà fait cela ; si nous pouvons le faire, est-ce que cela ne nous rend pas supérieures d’une certaine manière ? »

Je lui fais un sourire, mais à ma grande surprise, Teriarch me rend mon sourire. Ce qui fait que je n’ai plus du tout envie de sourire.

« Je n’ai jamais volé jusqu’à la lune, mais je peux briser l’air. Et vous n’êtes pas la seule espèce à atteindre de telles hauteurs. Les Gnomes et les Elfes ont mis le pied sur les lunes jumelles dans le ciel. »

« Pardon ? »

Impossible. Mais Teriarch me fait de nouveau un regard suffisant. C’est impossible, mais après tout… Nous l’avions fait, pas vrai ? Si tu avais les bonnes connaissances et les sorts…

« Alors je suppose que cela veut dire que les Humains, les Elfes et les Gnomes sont supérieurs aux dragons sur certains point, pas vrai ? »

Cette fois le regard de Teriarch est accompagné d’un battement d’aile. L’air me fait tituber. Je reprends mes appuis et je le vois sourire.

« Mes excuses. Mais je crois que cette conversation commence à tourner en rond. Je ne m’engage pas dans d’inutiles débats qui n’ont pas de but. »

« Chochotte. »

« Est-ce que tu viens de dire quelque chose ? »

Je regarde Teriarch et vois qu’il montre un tout petit peu les dents.

« Rien du tout. »

« En effet. Et notre… Débat provient d’un seul point. Tu ne souhaites pas que j’efface ta mémoire. Je souhaite le faire. Et je suis cela avec l’autorité de décider. »

C’est la vérité, pas vrai ? Je me mords la lèvre, mais je ne peux rien lui dire là-dessus. Je soupire à la place.

« Tu as raison là-dessus. »

Teriarch s’arrête alors qu’il se redresse, me toisant.

« C’est tout ? Pas de plaidoirie ? Pas de supplication ? »

« Ce n’est pas mon truc. Je ne peux pas t’arrêter si c’est vraiment ce que tu veux. Je pense simplement que c’est dommage, c’est tout. »

« Tous les êtres veulent connaître tout ce qu’il y a à savoir. Tu ne perdra pas grand-chose, Ryoka Griffin. Une poignée d’instants. »

Il parle un mot et je sens mes os trembler. Je le regarde. Il baisse les yeux pour croiser mon regard, comme un dieu ancien. Et parce que je ne peux laisser personne avoir le dernier mot, je parle.

« Pas grand-chose ? Vraiment ? Quelques instants valent bien plus que cela. Un instant est suffisant pour mourir. Les quelques peuvent devenir… Un tout. Plus que ça. ’ Voir le monde en un grain de sable, un ciel en une fleur des champs, retenir l’infini dans la paume des mains et l’éternité dans une heure.’ »

Je vois le Dragon écarquillé les yeux. Oui, je n’arrive pas à m’y faire. C’est un Dragon. Donc je continue de parler. Un peu de vérité avant l’oubli.

« Aujourd’hui j’ai rencontré un Dragon. Toi. Et c’était incroyable. Indescriptible. Je ne suis pas un poète, et je n’arrive pas à trouver les mots pour décrire la magnitude de ce que je viens d’apercevoir. Je pense que c’est simplement dommage que je vais oublier quelque chose d’aussi intemporel que cela. En vérité, j’ai du mal à croire qu’il existe un sort qui pourra effacer ce type de rencontre de mon esprit. Donc si tu vas le faire, fais-le. Fais-le, si tu peux vraiment me retirer ce moment sans me changer. »

Je lève les yeux et le regarde, essayant de mémoriser le moindre détail de son visage, chaque seconde. Mais Teriarch hésite.

« Est-ce que ses mots étaient les tiens, Humaine ? »

« Non. Un poète les à écrit. Un poète Humain. »

« Je vois. Mais ce que tu viens de dire à mon sujet… Me-trouves-tu vraiment aussi magnifique ? »

« Oui. Est-ce que ce monde ne possède pas d’histoire sur les Dragons ? C’est le cas du mien. Tu… Ton peuple est l’une des images les plus iconiques de mon monde. Quand ils pensent à la fantasy… Aux épées, aux sortilèges et à l’aventure, ils pensent aux Dragons. »

Ces deux yeux m’observent. Je tremble. Pourquoi est-ce que j’ai l’impression qu’il regarde dans mon âme ? Peut-être que c’est la différence d’âge entre nous.

Mais je ne suis pas en train de mentir. Pour une fois, je dis la vérité. Les compliments et de la flatterie sont mélangés, oui, mais c’est la vérité. Je peux me rappeler lire sur les dragons quand j’étais petite. Je peux me rappeler l’admiration que j’éprouvais en les imaginant. Et la réalité ne m’a pas déçue.

« J’ai grandi en lisant des histoires de dragons protégeant leurs trésors, ou affronter des chevaliers. Un dragon. Est-il terrifiant ? Oui. Dangereux ? Oui, mais pour tous les Humains de mon monde, quand nous rêvons de magie, nous pensons à vous. »

« Vraiment ? Réellement ? »

C’est comme s’il était soudainement pendu à mes lèvres. Et je réalise quelque chose : peut-être qu’il a envie de savoir qu’il a de l’importance, tout comme moi.

Je hoche la tête. Mon cœur bat la chamade.

« Nous vous connaissons, même au travers des histoires. Souviens-toi de cela, Teriarch. »

Pendant une seconde, j’ai l’impression qu’il va quand même lancer le sort. Mais le Dragon ne le fait pas. Il ferme les yeux.

« Des mythes. Des légendes. C’est ce que ma race est devenue. Mais si je te laisse la mémoire… »

« Si tu le fais, je ne le dirai à personne. Je le promets. »

Un autre regard. Plus long cette fois. Puis Teriarch se tourne vers l’image d’Octavia et Erin flottant et réalise que quelque chose est en train de se produire. Les deux sont en train de courir en cercle et j’étais certaine qu’on avait pu entendre leur cri s’il y avait eu de l’audio. Un épais nuage violet est en train de se déverser de la casserole. Et quelque chose est en train de fondre à travers la casserole alors qu’Octavia lance une potion blanche et que quelque chose explose en nuage de fumée blanche.

Une potion neutralisante. Au moins cette [Alchimiste] connaît les plus basiques des mesures de protections. Elles auraient dû mélanger les carottes avec un agent froid, même de la glace aurait été suffisante, avant d’ajouter les Cornes de Corusdeer. Bien sûr, elles ont besoin de quelque chose de plus épais. De la farine, peut-être. »

Teriarch murmure quelque chose alors qu’il manipule l’image et la rapproche de moi. Je regarde la casserole.

« Est-ce que tu as observé ce qu’elles faisaient ? »

« Bien sûr. Nous Dragons sommes capable de faire cela. Cela est trivial comparé à volé et cracher du feu. »

Il sourit, et soudainement, Teriarch semble… Fatigué. Je lève les yeux et sens qu’il est soudainement ancien. Ou qu’il agit comme quelque chose d’ancien.

« Je vais t’envoyer chez tes amis. Avec la mémoire intacte. »

« Vraiment ? »

Je n’arrive pas à le croire. Je n’aurai pas changé d’avis avec mes faibles arguments. Mais Teriarch hoche la tête. Il semble tellement vieux. Est-ce que c’était quelque chose que j’ai dit ?

« Je vais te renvoyer. Ne bouge pas, et tout se passera bien. Je vais vérifier l’altitude cette fois. »

Il sourit. Et quelque chose à son sujet m’agace un peu. Il est d’abord intimidant, puis épuisé. Je veux… J’ai l’envie de dire quelque chose. Et je me tiens au centre d’une cave rempli de trésors.

Je me tourne et regarde les milliers de trésors. Un véritable trésor de Dragon. Et le Dragon en personne, murmurant d’une voix grave. Cela ne peut pas se finir comme ça. Je dois faire quelque chose. Je…

J’ai une idée folle, du niveau d’Erin. Je regarde Teriarch.

« Ahem. Avant que je parte, est-ce que je peux, heu, t’intéresser dans un marché ? »

Il ouvre un œil et fronce les sourcils.

« Je me concentre. Les sorts de téléportation ne sont pas faciles même pour moi. Quel est ton marché ? »

Comment est-ce qu’Erin le présenterait ? Je vais faire de mon mieux.

« Est-ce tu serais… Intéressé de donner un artefact magique au… Heu… FSG ? »

« Le FSG ? »

« Le Fond de Secours pour Gnolls. »

C’est tellement débile. C’est parfait. Erin dirait exactement ça ! Teriarch me lance un regard sans émotion. »

« Laisse-moi t’expliquer. Je, heu, suis en train d’essayer d’aider une tribu Gnolle. »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 15 mars 2021 à 01:50:52
2.46 Partie 2
Traduit par Maroti

J’essaye de l’expliquer du mieux que je peux la situation dans laquelle Erin et moi sommes. La tribu du Krshia, la tribu des Crocs d’Argent, et comment ils ont perdu leurs livres de sorts qu’ils avaient essayé d’amener pour présenter aux autres tribus. Teriarch hoche la tête.

« Je connais cette tradition Gnolle. Elle est utile, bien sûr, ils avaient l’habitude de se rencontrer une fois tous les cent ans, puis tous les cinquante ans. Puis cela devint vingt, mais je suppose que les tribus doivent rester connectées de nos jours. »

Il prend une inspiration ; il ne semble pas apprécier les traditions, je suppose.

« Mais pourquoi cela devrait m’intéresser ? »

« … Tu as beaucoup d’artefacts magique. Est-ce que tu pourrais considérer en donner un à la tribu des Crocs d’Argent ? Un livre de sort, par exemple ? »

Il me regarde. Oui. C’est une idée à la Erin. Mais elle pouvait le vendre de manière plausible. Do…

« Pourquoi est-ce que je considérerais quelque chose d’aussi… Ridicule ? Pourquoi est-ce que je donnerais quelque chose gratuitement ? »

« Ah, mais ça ne sera pas gratuitement. »

« Continue. »

Oui, continue, Ryoka. Dis-lui pourquoi ce n’est pas gratuit*.

*La ferme, moi.

« Alors, considérons les bénéfiques. Une tribu Gnolle te sera endettée. Il sera clair qu’ils te devront à toi, le grand [Archimage] Teriarch, une dette. »

« Une tribu Gnolle m’apportera peu de chose. »

« Oui… Mais ton nom sera vénéré parmi leur tribu. Tu auras un peu d’immortalité parmi eux. Enfin, un peu plus. Tu seras le guide de leur tribu. »

« Hmm. Intriguant. »

Teriarch semble apprécier l’idée d’être honoré. Puis il fronce les sourcils.

« Mais pourquoi un livre de sort ? Je ne savais pas que les Gnolls étaient intéressées dans la magie des mages. Leurs chamans ont une bonne connaissance de la magie shamanique. »

« Je… Je pense que c’est une expérience. »

Un autre froncement de sourcil.

« Une expérience ? »

Teriarch semble très confus alors que je lui explique la rancœur entre les Gnolls et Wistram.

« Pourquoi seraient-ils incapables d’apprendre de la magie ? Les mages de Wistram ne sont pas des imbéciles, du moins, ils ne l’étaient pas il y a deux cents ans. Pourquoi est-ce qu’ils renverraient l’apprenti qui leur a été envoyé ? »

Je regarde Teriarch. Est-ce qu’il vient de dire que… ?

« Attends… Tu veux dire que les Gnolls peuvent apprendre la magie ? Mais les mages pensent que ce n’était pas possible. »

Le Dragon secoue la tête, exaspéré.

« Bien sûr que les Gnolls peuvent apprendre la magie. Certaines races ont une facilité, mais ils ne sont pas dénués de talents magiques ou sont incapables de réfléchir comme les Antiniums. Pourquoi est-ce que Wistram… ? C’est étrange, très étrange. »

Oh woah. Encore un secret pour Krshia. Mon cœur bat la chamade.

« Cela serait un grand don pour la tribu des Crocs d’Argent. Donc si tu leur donnais des livres de sort, disons… Cinquante et… »

«Cinquante livres de sort ? »

Teriarch se redresse et me regarde.

« Non. Absolument pas. »

« Pourquoi ? »

J’ouvre mes mains, légèrement outré. Je regarde autour de la caverne et je pointe une bibliothèque du doigt.

« Ici ! Ne sont-ils pas tous des livres magiques ? Tu as au moins trois bibliothèques dans ce coin. Cinquante livres de sorts, voir juste dix serait… »

« Non. Cela n’est pas envisageable. »

« Pourquoi pas ? »

« Car ils m’appartiennent. »

Le ton de Teriarch est aussi sec que le regard qu’il me lance. Sa queue bouge et s’enroule autour de la bibliothèque que j’ai pointée du doigt, comme s’il avait peur que je m’en empare et que je cours avec.

« Oh allez. Ne sois pas avare. »

« Cela m’appartient. Je ne donnerai pas la collection que j’ai accumulée pour rien. »

Super. La seule chose que les histoires avaient bon était que les dragons étaient avides et possessifs. Je soupire et passe la main dans mes cheveux.

« Alors… Et si tu copiais un livre de sort ? Est-ce que tu peux le faire ? Avec de la magie, je veux dire. »

« Bien sûr que je peux copier un livre de sort. Je peux en écrire autant que je veux. Mais le processus demande plusieurs ingrédients coûteux et du temps que je ne gâcherai pas. »

Teriarch secoue la tête dans ma direction. Mais je continue.

« Un livre de sort. Juste un ? »

Je pense que Krshia en à au moins besoin d’un, probablement dix. Je pourrais en acheter un autre avec l’argent que je toucherai, selon Ceria, mais si je peux en avoir un autre…

« J’ai de nombreux en ma possession, certains sont utiles même pour le plus incapable des lanceurs de sorts. Mais je ne me séparerais pas d’eux. »

« Pourquoi pas ? Tu n’en as pas besoin. Et tu as clairement plus de trésors dont tu as besoin. Pourquoi ne pas les donner ? »

« Car ils m’appartiennent. »

La même réponse. Les yeux de Teriarch brillent. Sa tête s’abaisse vers moi et je tremble alors qu’il me regarde avec ses yeux héliotrope. De l’avarice. D’accord, donc il est un vieil homme qui aime collectionner les choses. Capiche.

« Les Gnolls ont besoin d’un livre de sort, Teriarch. N'as-tu pas quelques livres… Inférieurs dont tu peux te séparer ? »

« Aucun de mes livres de ma collection sont inférieurs. »

« Bon sang. Donc ils ont tous des sorts de haut-échelons ? »

Teriarch semble confus.

« Haut Échelon... ? Oh, votre petit système d’organisation de la magie. Non ; au contraire. Nombres de mes livres contiennent des sorts de bas niveau. Mais ils sont de meilleures qualités en termes de contenu et d’accessibilité pour ceux qui les étudie. »

Je ne comprends qu’une partie de ce qu’il dit. Teriarch remarque mon incompréhension et soupire.

« Je suppose que les Gnolls en savent aussi peu que toi. En vérité, le cadeau des Crocs d’Argent aurait déjà été problématique. S’ils ont véritablement acheté plus de quarante livres de sorts, j’imagine qu’il devait y avoir une certaine redondance pour les sorts les plus communs. Cependant, s’ils étaient assez fragiles pour être détruits en un simple sort, ils devaient plutôt être des références personnelles plutôt que de véritable tome d’instruction. »

Si mes oreilles pouvaient se dresser comme celle de Mrsha…

« Des tomes ? Tu veux dire différents types de livres de sorts ? »

Teriarch me lance un regard et j’essaye de faire l’innocente. De jouer l’idiote. Enfin peut-être pas l’idiote, mais l’étudiante naïve. Il semble apprécier le son de sa voix.

« Bien sûr. N’as-tu pas entendu… Certes, tu n’es pas une mage. Tous les livres de sorts ne sont pas forcément des répertoires de sorts. Certains sont écrit de manière à apprendre la magie à ceux qui ont des difficultés. Laisse-moi te faire une démonstration. »

Il se tourne et s’abaisse au niveau de la bibliothèque que sa queue entoure. Je ne sais pas comment il arrive à lire les petites lettres de là ou il se tient, mais un livre lévite de la bibliothèque et vole vers moi.

Il est immense. J’ai presque un mouvement de recul alors qu’un tome faisant à moitié ma taille et aussi large que moi flotte devant mon visage. Il donne l’impression d’être l’ancêtre de tous les livres, et la couverture est recouverte de lanière de cuir rouge cerné d’or et de ce qui semble être des pierres précieuses fondues qui forme des mots que je n’arrive pas à lire.

« Admire. Une première édition du tome de Rihal. Vieux de trois cents ans et en parfaite condition. »

« Comment est-ce que je lève ce truc ? Est-ce que les gens de Rihal étaient des géants ? »

« Non. C’est un tome magique. Un enfant peut le soulever. »

Le livre tombe soudainement. Je l’attrape et perds mon équilibre quand je découvre que l’immense livre pèse moins qu’un caillou. Il tient da ma main, et je le regarde bouche bée. Teriarch sourit, et le livre recommence à flotter.

« Cela est un véritable livre de magie. C’est un moyen d’apprendre, et non une simple liste. Observe. »

Il ouvre le livre, et je me retrouve à regarder à une page recouverte d’étranges symboles qui semblent bouger ou… Ou qui ont plus de deux ou trois dimensions malgré le fait qu’ils soient écrits.

Cela ressemble au livre de sort de Ceria, au moins dans le fait que c’est de la magie qui est écrite. Mais contrairement à ses sorts, ces symboles ont l’air différents. Ils couvrent la page, et j’ai la distincte impression qu’ils sont connectés. Je passe les pages, notant une certaine continuité parmi les étranges symboles.

Il n’y a rien que je ne puisse pas traduire en anglais ou dans un autre langage que je connais, mais le peu de magie que Ceria m’a enseigné me permet de dire que je peux toujours lire… Quelque chose. Est-ce un sort sur le livre ? Non. C’est… Cela ne ressemble pas à un sort que Ceria m’a montré. À la place, les non-mots luisant de magie semblent presque être…

Bien sûr, le feu est primitif. Bien sûr. Pourquoi. Pourquoi n’ai-je pas compris cela ? Si la chaleur et le froid sont une dualité, alors le feu représente la chaleur tout comme la glace représente le froid. La science dirait que le feu est complexe, mais dans sa nature, le feu est simple. Il dévore.

Et donc, contrairement au sort de [Lumière], j’ai besoin d’offrir une source au feu pour lancer un sort de flamme. La lumière est tellement éthérée qu’elle peut être facilement modelée par la magie ; mais le feu demande du carburant. Donc concentre ton mana sur un doigt, et embrase-le. Laisse ton esprit être l’étincelle et continue de le nourrir, laisse le grandir et grandir…


Des explications.

Je cligne des yeux. Et regarde la flamme brillante dansant au bout de mon doigt. Je prends une inspiration, surprise, et elle s’éteint. De la fumée s’évapore au-dessus de mon doigt.

Teriarch rit. Je le regarde, incrédule.

« Le livre vient de m’expliquer comment lancer le sort… Je l’ai appris en un instant ! »

Je sais désormais comment lancer ce sort ! Non, plus que ça ! Je sais comment la magie de feu marche, du moins au niveau le plus basique. Le sort que j’ai lancé n’est même pas un sort, juste de la théorie appliquée. Si je l’utilisais pour un véritable sort…

Teriarch regarde ma stupéfaction avec suffisance.

« L’art de l’apprentissage magique a été perdu pour beaucoup. Je suspecte que les écoles magiques formalisées comme Wistram et celles des nations ayant duré plusieurs siècles, Terandria par exemple, ont des méthodes comparables. Mais ce livre était une cristallisation des six cents ans de connaissance de L’imperium de Rihal. C’est un livre que les apprentis et novices étudierons, bien sûr. »

Je suis à moitié en train de l’écouter. C’était magique. C’était de la magie. Et ce n’était qu’un sort. J’avais presque laissé tomber l’apprentissage de la magie comme Ceria le faisait car cela semblait dépendant sur les niveaux, mais cela… C’était comme apprendre de la science, ou des math. C’était logique. Cela avait du sens.

« Tu l’as appris rapidement. Certains élèves prennent plusieurs essais avant d’apprendre le plus simple des tours de passe-passe. Mais, après tout, ton espèce à toujours eut une affinité avec le feu. »

Un manuel d’apprentissage. Non pas des notes ou une collection de sorts, mais un livre d’apprentissage pour lancer des sorts*.

*Je le veux. Est-ce que je peux donner autres choses aux Gnolls ? Ou est-ce que je peux le copier sur mon Iphone… Bon sang, ça ne va pas marcher. Je dois le lire en premier. Je dois l’avoir. D’une quelconque manière.

« Eh bien. Je dirais que ce livre de sort serait un excellent cadeau pour la tribu des Crocs d’Argent. Pourquoi ne p… »

« Je t’ai déjà répondu et je te réponds encore : non. »

Je serre les dents. J’ai besoin de ce livre.

« Est-ce que tu accepteras un échange ? Savoir pour savoir ? Ou autre chose ? »

« Tu n’as rien à m’offrir. »

Le livre flotte de nouveau vers la librairie alors que Teriarch sourit de nouveau. Il voulait juste montrer sa collection. Mais j’ai… Je mets la main dans ma poche avec réluctance. L’heure de jouer une carte.

« Accepterais-tu ceci ? »

Teriarch cligne des yeux en regardant mon Iphone.

« Qu’est-ce que cela ? Un morceau de métal ? Non… Il contient de l’énergie. »

J’appuie sur le bouton d’allumage de mon Iphone et l’écran s’allume ? Plutôt que d’avoir un mouvement de surprise comme je l’espérais, Teriarch regarde l’Iphone et écoute mon explication.

« Ah. Un objet contenant des informations. J’ai déjà vu des versions magiques de cet objet. Ils étaient toujours trop petits pour moi quand les Gnomes les faisait. »

« Celle-là est unique, et encore plus rare car seuls les gens de mon monde peuvent l’avoir. »

« Hmmm. Mais elle ne contient pas de magie.

« Oui. Et alors ? C’est plus rare que ton livre de sort. »

« Hmf. Ce n’est qu’une petite chose de métal. »

Comment est-ce qu’un Dragon peut-être aussi intelligent et aussi dédaigneux à la fois ? C’est encore de l’arrogance. Je garde le contrôle de ma voix.

« Il peut faire bien plus que de la lumière. Il peut jouer de la musique. »

Les yeux de Teriarch s’écarquillent quand j’appuie sur le bouton ‘aléatoire’ et je commence à jouer de la musique. Non pas à cause de la capacité à jouer de la musique.

« Je n’ai jamais entendu cette mélodie. »

Mon Iphone est en train de jouer ‘Les 5 secrets de Beethoven’, une musique que j’ai trouvé sur une chaine Youtube et à laquelle j’ai été accro il y a quelques années. C’est une version remasterisé contenant des éléments des quatre mouvements de la 5eme Symphonie de Beethoven. C’est une mélodie complexe utilisant les instruments d’une manière que même un Dragon ne pouvait connaître.

Je souris. La musique est l’une des rares choses dans laquelle mon monde est meilleur. Le génie est du génie, qu’importe l’origine. Je me demande ce que les fées penseraient de cette mélodie.

« As-tu d’autres chansons sur cet objet ? »

« Des milliers. »

« Je vois. Alors cela est pratique ? Je crois que je vais l’étudier. »

« Attends. Quoi ? »

Avant que je puisse réagir, Teriarch tend ses griffes vers moi. Elles sont terriblement rapides pour quelque chose d’aussi gigantesque. Il prend un morceau de mon Iphone. Je hurle alors que l’écran s’éteint et que la musique se coupe subitement.

« Salaud ! Qu’est-ce que tu… »

Teriarch m’ignore. Il tape l’Iphone dans mes mains avec sa griffe. Il est aussitôt réparé. Puis le Dragon tousse.

« Ahem. [Réparation]. »

Il recommence. Je suis certaine qu’il n’a pas besoin de prononcer le sort pour les utiliser. Est-ce que cela veut dire que ce n’est pas nécessaire ou que la magie draconique marche différent de celle des autres espèces ?

Je suis toujours choqué. Je touche mon Iphone, et il s’allume sans problèmes. Bordel, il est sur la même chanson ! Mais je réalise que Teriarch tient toujours le morceau qu’il a arraché. Il le jette en l’air et prononce un autre mot.

« [Reconstruction]. »

Le morceau de silicone arraché s’envole, et un Iphone retombe. Teriarch le fait léviter devant moi, et je regarde le second Iphone fonctionnel.

« Cela a prit bien plus d’énergie que ce dont à quoi je m’attendais. Mais comme tu peux le voir, un objet sans magie peut facilement être répliqué. Donc il n’est pas aussi précieux que tu le penses. »

L’iphone lévite de nouveau et Teriarch l’inspecte.

« Je vais devoir utiliser ma forme Humaine pour l’étudier. Ah, cela voudra peut-être l’effort. »

Rends-moi-ça ! »

Je hurle sur le Dragon, pour la première fois essaye de sauter pour lui arracher des griffes. Il l’éloigne et me regarde avec curiosité.

« Arrête de hurler, jeune Griffin. Ton objet est toujours intact, n’est-ce pas ? Je garderai cette copie. »

« Tu ne peux pas faire ça ! C’est du vol ! Ce n’est pas légal ! »

« Pourquoi pas ? Cela ne t’a coûté ni ton temps, ni ta possession. Je l’ai simplement copié. »

« Mais… Tu… »

Il parle par-dessus mes balbutiements.

« De plus, il n’y a aucune loi contre ce genre de chose. Je suis dans le droit. »

Restes calme Ryoka. Résiste à la tentation de frapper le D…

Je donne un coup de pied dans la jambe de Teriarch. Pivot, balancé sur un pied, side kick. J’ai l’impression d’avoir frappé un mur. Le Dragon fronce les sourcils en me regardant.

« Arrête ça. »

Je lève les yeux vers lui. D’accord, la violence ne va pas marcher. Je vais pour la réponse rationnelle à la place.

« Tu ne peux pas me prendre mon Iphone sans rien me donner en retour. C’est du vol. »

« Comme je viens de le dire, je n’ai rien volé. Tu as toujours ce que tu avais avant ton arrivé ici. »

« Mais tu m’as volé des informations ! Des idées ! De la propriété intellectuelle ! Le vol reste du vol même si tu utilises de la magie pour restaurer ce qui a été pris. Où est-ce que les Dragons sont au-dessus de la moralité de nous, les êtres inférieurs ? »

Il fronce les sourcils en me regardant. Mais je peux voir que j’ai touché un sujet sensible. Il me lance un regard en coin, et son ton s’adoucit.

« Cette petite chose ne peut pas avoir tant de donnée dessus. Surement… »

« Il possède 32 gigabytes de donnée ! Tu pourrais sauvegarder plus de cent mille livres* dessus ! »

*Est-ce que j’ai raison ? Si tu assumes que chaque livre… Oh et puis merde, j’ai raison ! »

Teriarch cligne des yeux, puis regarde mon Iphone.

« Autant ? Mais les Gnomes ne pouvaient… Ahem. »

Il tousse.

« J’admets que cet objet est intéressant. Donc je vais peut-être te payer quelques centaines de pièces d’or. Est-ce que cela te convient ? »

Je le fusille du regard.

« Donne-moi ce livre et nous sommes quittes. »

« Quoi ? Mais c’est une édi… »

« Tu as copié mon Iphone. Tu t’es emparé de ma possession en premier, donc si tu veux la garder, tu me donneras le livre. »

Peut-être que c’est le ton de ma voix, mais Teriarch s’énerve. Il me toise, grognant. Son haleine chaude est comme une fournaise sur mon visage.

« C’est ma magie qui vient de le récréer, petite. N’essaye pas de négocier a… »

« Es-tu un voleur, ‘oh grand Dragon’ ? Es-tu une brute et un voyou qui vole au gens qui ne peuvent pas résister ? »

« Je n’ai jamais dit que… »

« Tais-toi ! »

Je tremble. Je pointe le tome du doigt.

« Donne-moi ça. Donne-le-moi et je m’assurerai que la tribu des Crocs d’argent honorera ton nom, et tu peux avoir un Iphone valant plus que la moitié de ta collection de livres poussiéreux. Mais refuse et je m’en vais avec deux Iphone. »

« Je ne crains pas des menaces d’extorsion, gamine. Je pourrais effacer ta mémoire, tu sais. Ou te réduire en cendre. »

Teriarch ouvre la bouche et je vois une lueur au fond de sa gorge. J’essaye de ne pas avaler ma salive quand je croise son regard.

« Tu pourrais. Mais toi et moi saurons alors que tu es un voleur. Pour le restant de l’éternité. »

Pendant deux longues minutes nous ne détournons pas le regard. Je sens la sueur couler dans mon dos et j’ai les yeux qui pique, mais je n’ose pas cligner des yeux. Puis, il détourne le regard.

« Hah. »

Il ricane. L’intensité de la confrontation disparaît d’un coup. Je regarde le Dragon ricaner, puis commence à rire de vive voix ; un son qui fait vibrer ses écailles.

« Tu es vraiment une Humaine intéressante. Je comprends pourquoi Reinhart est fasciné par toi. »

Je reprends lentement ma respiration. Et je me retrouve à m’asseoir. Teriarch me voit et ricane de plus belle.

« Encore plus d’intensité et tu te serais fait dessus comme tu l’as déjà fait il y a bien longtemps. Ou était-ce sa servante ? Ah, cela n’a pas d’importance. »

Il continue de rire. Moi ? j’essaye de ne pas redevenir un bordel incohérent. Je regarde l’image d’Octavia et d’Erin pour reprendre mes esprits. Oh ? Maintenant elles essayent d’éteindre un feu. Un feu noir qui semble cracher des glaires de magma dans son magasin. Et maintenant une potion vient de bouillir et d’exploser. Bien, bien.

« L’arrogance et la témérité de… Mais c’est pour cela que… Cela fait combien de temps ? À part Reinhart, bien sûr. Mais même elle n’oserait pas… Sauf cette fois… »

Il murmure et je prends mon courage à deux mains en le regardant.

« Alors ? »

Cela le fait revenir sur terre. Teriarch me regarde pendant un long moment, puis soupire.

« Accepterais-tu dix mille pièces d’or ? Vingt mille pièces d’or ? »

Vingt mi… Non, attends, les Gnolls avaient dépensé plus de cinquante mille pièces d’or, pas vrai ? Je regarde Teriarch, je pourrais peut-être faire grimper le prix, mais…

Nah, je veux ce livre de sort.

« Le livre, Teriarch. C’est ça ou rien. »

« Je… Hrgh. Fort bien. »

Teriarch semble vaciller, puis il prend une décision. Il fait léviter le livre hors de la bibliothèque et le dépose dans mes bras.

« Tiens. Prends-le. Nous avons un marché. Et je vais garder cela. »

Il garde l’Iphone dans ses griffes tel un trésor et je souris, de manière presque enfantine. Je l’ai fait !

Puis je réalise quelque chose.

« Comment est-ce que je vais le porter ? »

« Utilise le sac. »

Teriarch me répond de manière sèche en examinant délicatement l’Iphone. Il est en train de le renifler, et même de le lécher du bout de sa langue. Il me faut une seconde pour comprendre qu’il fait référence au sac qu’il m’a donné avec les pièces d'or. Je l’ouvre, et il s’ouvre en grand ou le tome rapetisse, parce qu’il est soudainement dans le sac.

« Un sac sans fond. »

« Oui, bien sûr. Pensais-tu vraiment que toutes les pièces d’or allaient miraculeusement dans un sac ? »

« Mais il ne vaut pas une fo… »

Je me mords la langue juste à temps. A cheval donné on ne regarde pas la bouche. Dans tous les cas Teriarch est trop occupé à observer sa dernière acquisition.

Huh. C’est incroyable comment il a réussi à récréer un second Iphone. Attends. S’il peut le faire, est-ce qu’il…

« Teriarch, est-ce que tu peux considérer dupliquer l’Iphone ? Pour mon amie ? »

« Qu’est-ce qui se passerait si nous pouvions nous appeler ? Bon sang, si je pouvais avoir plus de copie.

Teriarch s’arrête en m’entendant. Il me toise du regard, avant de tourner l’intégralité de son corps. Il abaisse sa tête au niveau de mon corps et prononce un mot.

« Non »

J’ai l’impression que mes tympans ont failli sortir de ma tête.

***

D’accord, les Dragons peuvent se séparer d’une fraction de leur trésorerie, avec beaucoup de réluctances, mais ils détestent l’idée que leur possession puisse être copiée. C’est ce que Teriarch m’expliqua une fois que mes oreilles aient terminé de sonner.

Il était temps de partir. Teriarch est en train de regarder le sac contenant le sort, et il semble de mauvaise humeur. Je pourrais croire qu’il soit fatigué, mais je pense que c’est parce qu’il vient de se séparer de son livre. Au moins il va me téléporter.

« Tiens-toi dans le cercle. Voilà. Ne bouge pas. »

Je me tiens immobile, même si je veux bouger et crier de joie. Je l’ai fait ! Je l’ai vraiment… Il y a tellement de choses que je veux dire et faire que j’ai du mal à me contrôler.

Il y a plein d’autre chose que je veux demander à Teriarch. Mais il semble assez agacé comme ça alors que je l’entends murmurer sur l’absence de coordonnées exacte et ne pas mettre ma forme corporelle à travers un mur. Beurk. Je pense au désartibulement d’Harry Potter et mes mouvements encore nerveux.

Teriarch fronce les sourcils en me regardant.

« Le sort est presque complet. Je te conseillerai de mieux te préparer, mais tu as clairement les capacités suffisantes si tu es parvenu à survivre jusqu’ici. Qu’est-il arrivé à tes doigts ? »

Il le remarque que maintenant ? Je regarde ma main droite.

« Je les ai perdus lors de la livraison.

« Ah. »

Le Dragon se fige et regarda ma main, à moitié en train de lancer le sort. Je hausse les épaules, essayant d’ignorer la sensation au creux de mon estomac.

« C’était ma faute. J’ai fait un pacte avec les fées. Pour sauver une vie, j’ai abandonné ça et une tribu de Gnolls donnèrent leurs vies. »

« Je vois. Je suis désolé. »

Teriarch hésite. Il ouvre sa massive mâchoire plusieurs fois avant de fermer la bouche, comme s’il voulait dire quelque chose. Il regarde quelque chose, mais il reste silencieux. Je souris à moitié.

« Tu sais, j’étais prête à donner mon bras pour aider mon amie, Erin. Je ne savais ce que j’allais devoir donner pour obtenir ton aide. »

Le Dragon secoue la tête, complètement confus.

« Un bras ? Qu’est-ce que je ferais avec un bras. »

« Je ne sais pas. Je pensais juste… Les fées m’ont toujours demandé un sacrifice en échange, quelque chose de précieux. Cela ne m’est jamais venu à l’esprit de demander ou… D’échanger. »

Teriarch ricane et agite une griffe devant mon visage. Pourquoi est-ce qu’un Dragon à des mimiques aussi humaines ? Peut-être qu’il les a appris en les observant ? Ou peut-être que… Ce sont les Humains qui ont appris ? »

« Tu passes trop de temps avec ces pestes. Leurs sens du devoir et leurs obligations… En effet, le prix d’une intervention est bien différent de toi ou moi. Je te conseille de d’éviter de demander de l’aide à moins que cela soit absolument nécessaire. »

Voilà pourquoi je ne devrais pas partir. Je lève les yeux vers Teriarch.

« Vraiment ? Elles sont vraiment si différentes que ça ? Je pensais que vous étiez proche car vous êtes immortels ? »

Le Dragon mord à l’hameçon. Il pouffe dans ma direction, et cette fois la fumée me fait tousser.

« Ah. Mes excuses. Mais ta comparaison est aussi humoristique qu’insultante. Je suis un Dragon, pas un être de la nature. Nous sommes immortels, cela est vrai, mais nos rôles sont grandement différents, tout comme nos compétences. Je suppose que tu sais que les fées ne sont pas de ce plan de l’existence ? »

« C’est le cas. »

« Elles voyagent entre les mondes, et elles ont une perception différente. Dans certains lieux, d’après ce que l’on me dit, la volonté du monde et le destin peuvent conspirer contre les interférences et punir ceux qui oseraient réaliser une telle folie. De la même manière, les Dieux gardent leurs domaines jalousement. Même les fées ne tenteraient pas la colère de tels êtres facilement. Donc, leurs règles et respectés et renforcées parmi leur peuple. »

Oh. Cela a du sens. J’essaye de faire mon regard d’étudiant engagé à Teriarch. Je ne suis pas doué, car je ne prêtais pas vraiment attention en classe si je connaissais le matériel, mais si Teriarch était mon professeur, et bien j’irai à tous ses cours.

« Leurs superstitions et lois internent sont faites pour protéger, mais peuvent parfois devenir redondantes. Dans ce monde, par exemple. Les Dieux sont morts. Ils ont plus d’autorité ici, d’où leur contrôle sur la météo. Dans tous les cas, je suspecte que les fées n’aiment pas l’attachement et les dettes, ce qui est pourquoi elles refusent d’aider. De plus, elles aiment les traditions, et demande un cadeau contre de l’aide. »

Un cadeau ? Est-ce que c’étaient mes doigts ? Ou… Non, c’était un échange. Mais leur donner un cadeau ? Un Iphone ?

« Mais assez parler des fées. Ne t’approche pas d’elles, ou pas, mais apporte mon cadeau aux Gnolls. Dis-leur que… C’est pour leur futur. »

Je regarde Teriarch. Il a de nouveau l’air fatigué. Il touche le cercle de téléportation à mes pieds et les symboles brillent.

« Je te souhaite bonne chance Ryoka Griffin, pour les égnimes et pour l’objet. Cela fait bien longtemps que je ne m’étais pas autant amusé au contact d’un mortel. »

Oh, c’est vraiment terminé. Je regarde ses deux magnifiques yeux et je sens un poids dans mon cœur.

« Est-ce que je dois vraiment partir ? Déjà ? »

« J’en ai bien peur. Je ne garde pas longtemps mes visiteurs. Et cet endroit est trop dangereux pour ce genre de visite occasionnel. »

Je cligne des yeux. Teriarch me regarde. Il a raison, bien sûr, mais je ne suis pas d’accord. Je braverai tous les périls pour pouvoir le revoir. Mais est-ce que je peux revenir ? Est-ce que j’ai la permission de revenir ? Est-ce que j’aurai cette chance ?

« Est-ce que tu penses avoir besoin d’une Coursière dans le futur ? Pour une autre livraison, peut-être ? »

Il rit doucement ; le vent faire bouger mes cheveux alors qu’il regarde sa caverne, vaste pour moi mais presque inadéquat pour lui.

« Je ne reçois pas les lettres comme toi, Humaine. Si Reinhart souhaite me parler, elle utilisera de la magie. Non ; j’en ai terminé avec toi. Réjouis-toi, Ryoka Griffin. Tu as vu un Dragon et survécus. »

Il me sourit, exposant des rangées de dents qui me font demander ce qui pourrait affronter un être de son espèce. Pas une armée, pas un tank… Bordel, même un Tyrannosaurus Rex se roulerait en boule à la vue de ces dents. Mais il semble bien plus gentil que lors de notre première rencontre.

« Pars. Et ne dit rien de cette rencontre. Hmm. Tu le feras peut-être. Mais j’ai envie de croire… Oui, j’ai envie de croire que je peux te faire confiance. »

« Je jure de ne rien dire. Tu es un… Mage que j’ai rencontré. Je garderais ma promesse, Teriarch. »

« Peut-être que tu le feras. »

Il baisse la tête et prononce un dernier mot alors que la lumière comme à luire à mes pieds.

« Huma… Ryoka. Même si cela était de la flatterie, je suis heureux de savoir que ton peuple continue de raconter des histoires de mon espèce. »

Je le regarde dans les yeux, la magie m’enveloppe. Est-ce que je dois partir ? J’ai l’impression d’être en sécurité ici. En sécurité et…

« Chaque mot était sincère. »

Un dernier sourire. J’ai vu un Dragon sourire.

« Adieu, Ryoka Griffin. Nous nous ne reverrons pas. »

Non. Mais je disparais avant de pouvoir répondre. La dernière chose que je vois est le sourire de Teriarch. Et puis…

***

Octavia jette une potion sur Erin. Elle était vide donc Erin n’avait qu’à esquiver une bouteille vide. Mais l’autre fille était la recherche d’autre munitions, et Erin avait déjà esquivé une chaise et des poids.

« Dehors ! »

« Je suis désolé ! Je ne savais pas que ça allait faire ça ! »

Erin dansa et évita alors qu’Octavia s’empara d’une bûche pour s’en servir de batte. La Tissée était en train d’essayer de frapper Erin alors qu’elles tournèrent autour du comptoir quand elle entendit un bruit de courant d’air.

Les deux jeunes femmes se retournèrent pour voir Ryoka apparaître à une vingtaine de centimètres du sol. La fille était figée sur place pendant une seconde jusqu’à ce que la magie l’entourant se dissipe. Puis Ryoka cligna des yeux, essaya de faire un pas, se cogna contre une poutre et tomba au sol.

« Mer… »

Elle atterrit au sol et s’agenouilla pour amortir sa chute. Elle ne trébucha pas. Erin et Octavia la regardèrent, impressionnées, avant de se rappeler d’être choqué.

« Ryoka ? »

« Comment est-ce que… »

Ryoka se leva lentement. Sa tête tournait, et elle avait légèrement envie de vomir. Elle regarda le magasin en pagaille, avec de la fumée dans l’air et des milliers d’horrible chose s’ajoutant au miasme suffocant. Elle regarda Erin, qui semblait gênée et avait les yeux écarquillés et Octavia, folle de rage. Elle hocha la tête et pointa la casserole utilisée plus tôt du doigt. Le liquide était toujours en train de buller dans le métal fondu.

« Hum, essaye de rafraîchir les carottes avec quelque chose avant d’ajouter les bois de Corusdeer. Et utilise aussi de la farine. »

Les deux filles se regardèrent, puis regardèrent Ryoka. Erin leva la main.

« Quel type de farine ? »
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 17 mars 2021 à 16:21:23
 
2.47 - Première Partie
 Traduit par EllieVia

Ryoka savait que son sens de la normalité avait changé. Ses réactions face à des choses telles que les monstres et la magie avaient été tempérées par ses expériences en ce monde, et elle pouvait à présent regarder des Gobelins et des sortilèges sans sourciller.
 
Et bien sûr, Erin et Octavia étaient toutes deux de jeunes femmes indépendantes qui avaient autant d’expérience, voire plus, que Ryoka. Mais il était tout de même légèrement inquiétant qu’Octavia soit la seule des deux à réagir normalement.
 
“Comment est-ce que tu… est-ce que c’était un sort de téléportation ?”
 
“Tu penses à quel type de farine, Ryoka ? La farine de gland, ou celle de blé ? Oh, et d’ailleurs, comment as-tu fait ça ?”
 
Ryoka avait envie de vomir. Elle avait la sensation que quelqu’un avait jeté un batteur électrique dans ses entrailles. Elle se souvenait que cela avait été pareil la dernière fois, même si à ce stade elle s’était retrouvée au-dessus des toits de Celum. Elle s’était davantage souciée de ne pas glisser du toit sur lequel elle avait atterri plutôt que de vomir.
 
L’odeur ne l’aidait pas. Octavia l’observait fixement, choquée, mais Erin s’était, à sa manière, adaptée à la situation en une fraction de seconde. Sa résilience mentale avait quelque chose d’admirable.
 
“C’était un sort, donc ? Oh, attends… tu as l’air sur le point de vomir. Tiens !”
 
Elle tendit un grand pot vide à Ryoka. On aurait dit le contenant d’élimination des déchets des réactions alchimiques ratées. La fille élancée repoussa le pot et prit quelques grandes inspirations.
 
“Je vais bien, Erin. Laisse-moi juste une minute. Je vais prendre l’air.”
 
Elle sortit en titubant de l’échoppe. Erin hésita, puis la suivit. Ryoka dut contourner deux chaises renversées et esquiver deux flaques de potions. Le magasin d’Octavia avait été saccagé. Que s’était-il donc passé ?
 
Oh, c’est vrai. Erin.
 
Il fallut un moment à Ryoka pour retrouver son sens interne de l’équilibre. Sa tête lui tournait encore un peu, mais lorsqu’elle se sentit prête à expliquer les choses sans vomir, elle leva la tête.
 
Erin était debout à côté d’elle et contemplait le ciel gris couvert de nuages. L’air d’hiver agitait sauvagement ses mèches de cheveux, mais elle ne paraissait pas le remarquer.
 
Elle souriait. Cela surprit tellement Ryoka qu’elle continua de la regarder fixement pendant quelques instants. Malgré le fait qu’elle se soit retrouvée catapultée dans une ville inconnue, et tout ce qu’elle avait présumablement vécu, Erin souriait toujours.
 
Ryoka toucha son propre visage. Elle ne souriait pas. Elle souriait rarement.
 
Erin lui décocha un petit sourire joyeux. Elle était clairement heureuse. Puis elle jeta ses bras autour de Ryoka.
 
“Hey !”
 
“Je suis tellement contente que tu m’aies trouvée ! J’étais tellement inquiète… mais tu es juste apparue comme ça, de nulle part ! Comment as-tu fait ça ? C’était de la magie ?”
 
“Non… enfin, un peu, si. J’étais avec un mage. J’ai rencontré un mage pendant une livraison, tu te souviens ? Teriarch ?”
 
“Tu parles du mage grincheux ? Il t’a téléportée ?”
 
Ryoka hésita.
 
“Oui. Il m’a aidée à te trouver et à te rejoindre. J’étais… inquiète. Mais on dirait que tout allait bien. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
“Je n’en sais rien ! Je faisais la sieste et Toren tirait mon chariot, et puis… paf ! Je me suis retrouvée au milieu de nulle part, entourée d’ours et de loups ! Enfin, juste un seul ours.”
 
Ryoka écouta les explications embrouillées d’Erin sur ce qu’il s’était passé. Elle secoua la tête.
 
“Tu as repoussé une meute de loups ? Et fait peur à un ours ?”
 
“Hum. Oui ?”
 
Ryoka aurait voulu ne pas la croire, ou du moins croire qu’Erin exagérait ou se vantait, mais il lui suffit de croiser son regard pour comprendre qu’elle disait la vérité. Cela faisait presque passer l’aventure de Ryoka pour banale.
 
Presque. Le Dragon et les énigmes éclipsaient tout de même le fait de combattre des loups à mains nues. Elle avait encore l’impression d’avoir vécu un rêve, alors même que cela ne faisait que quelques minutes qu’elle avait vécu les faits. Elle avait parlé à un Dragon. Un Dragon. Ils existaient bel et bien. Il existait bel et bien.
 
Ryoka soupira. Elle était de retour dans le monde réel. Elle devait se concentrer. Elle remarqua qu’Erin ne l’avait toujours pas relâchée et fronça les sourcils.
 
“Okay. Ça suffit. Lâche-moi.”
 
Elle se dégagea de l’étreinte d’Erin et cette dernière lui adressa un sourire éclatant.
 
“Je suis juste tellement heureuse que tu sois là ! Tu ne vas pas y croire quand je vais te dire qui je viens de rencontrer ! Cette fille, là - celle qui est énervée - elle s’appelle Octavia et c’est une [Alchimiste] ! Tu y crois, ça ? Et elle a plein de potions cools !”
 
“Je te crois. Je la connais, en fait.”
 
Ryoka se retourna vers l’échoppe. Octavia avait laissé les filles quelques instants pour essayer d’éponger un peu de potion par terre.
 
“Qu’est-ce qu’il s’est passé, bon sang ? J’ai vaguement vu ce que vous faisiez lorsque Teriarch vous a scrutées…”
 
“Whoa ! Il peut scruter les gens ?”
 
“... Mais je n’ai pas bien vu. Erin, qu’est-ce que tu fais ?”
 
“Viens, je vais te montrer !”
 
Erin entraîna Ryoka à sa suite et elles retournèrent dans l’échoppe. À l’instant où elles y pénétrèrent, les sinus de Ryoka furent de nouveau agressés par l’odeur nauséabonde qui se dégageait de la pièce. Son nez était déjà en train de s’engourdir.
 
“Non ! Non !  Dehors ! ”, hurla Octavia lorsqu’elle vit Erin entrer. À la grande surprise de Ryoka, elle pointa la serpillière sur Erin comme s’il s’était agi d’une lance pour essayer de forcer l’ [Aubergiste] à garder ses distances.
 
“Hey ! Attention, Octavia ! Je vais t’aider à nettoyer ! Aïe !”
 
Ryoka attrapa la serpillière et regarda fixement la fille de tissu cousu. Octavia avait l’air normale, si l’on exceptait l’allure Frankeinsteinesque que lui conféraient les coutures sur ses épaules et sur son cou. Elle apparaissait également curieusement à cran. Elle pointa Erin du doigt.
 
“Ryoka, tu connais cette fille ?”
 
“Salut, Octavia. Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
La fille à la peau sombre agita les mains et essaya de pousser Erin hors de son magasin.
 
“Fais quelque chose ! Cette imbécile folle furieuse va finir par toutes nous tuer  !”
 
“Oh, pitié ! Ce n’était qu’un… que deux accidents !”, protesta Erin, mais Octavia était de toute évidence bouleversée. Elle fusilla Erin du regard, les poings serrés.
 
“Tu as fondu un trou dans ma cuisine ! Et ensuite, tu as failli nous empoisonner toutes les deux !”
 
“Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”
 
Ryoka s’interposa entre les deux filles. Elles tentèrent toutes deux de lui expliquer en même temps, en ponctuant leurs phrases de grands moulinets de bras et d’accusations.
 
“Je voulais juste faire quelques trucs magiques ! Comme à manger, ou une potion ! J’ai même donné une sacrée quantité d’or à Octavia pour qu’elle me file un coup de main !”
 
“Je croyais que tu voulais juste faire quelques expériences ! Je ne savais pas que tu étais aussi tarée !”
 
Octavia pointa un doigt tremblant en direction de la zone où l’odeur était la plus prégnante. Ryoka aperçut ce qui semblait être l’épicentre d’un désastre localisé ; un chaudron avait à moitié fondu, et un résidu violet épais s’était accroché à toutes les surfaces environnantes. L’[Alchimiste] se tourna vers Ryoka d’un air implorant.
 
“S’il te plaît, éloigne-là de mes ingrédients et de mes potions ! Elle n’arrête pas de les mélanger sans se soucier du danger !”
 
Les deux filles se tournèrent pour dévisager Erin, qui parut blessée.
 
“C’est pourtant bien comme ça que ça fonctionne, l’alchimie, pas vrai ? Il faut expérimenter pour…”
 
Non !
 
Octavia tira sur ses dreadlocks. Ryoka ne pouvait qu’être d’accord avec elle sur ce point.
 
“Erin, tu ne peux pas te contenter de mélanger des ingrédients et de potions comme ça. Si l’alchimie ressemble de près ou de loin à la science, il faut que tu documentes ton travail. Et tous ces trucs sont magiques. Il te faut des dispositifs de sécurité.”
 
“Quoi, sérieux ?”
 
“C’est ce que je t’ai dit !  Mais tu as créé un nuage empoisonné et fait fondre...”
 
“Octavia, ferme-là une seconde.”
 
Les deux filles se turent et regardèrent fixement Ryoka. Elle avait vaguement le sentiment d’être une institutrice en train de gérer deux morveuses. Mais Ryoka ne pouvait s’empêcher de sourire. Erin était saine et sauve, et elle avait même réussi à énerver Octavia. Et Ryoka avait un sac plein d’argent et un grimoire. Il fallait bien que quelque chose se passe mal à ce moment-là, non ?
 
“On va reprendre depuis le début. Octavia, je viens de terminer une livraison et je suis venue ici pour retrouver Erin.”
 
“Mais comment… je ne connais personne qui ne soit capable de jeter un sort de [Téléportation] qui sorte de nulle part comme ça. Est-ce qu’il y avait un cercle magique ? Personne ne peut juste claquer des doigts et… attends… cette livraison dans les Hautes Passes…”
 
“Secret professionnel, Octavia. Je ne peux rien te révéler.”
 
La tissée parut déçue. Mais elle écarquilla alors les yeux.
 
“Est-ce que c’est celui qui a fait la potion ? Est-ce que tu as une autre…”
 
Ryoka soupira.
 
“Ferme-là. S’il te plaît. Octavia, je te présente Erin. Une amie à moi. C’est une [Aubergiste] qui vient de Liscor, et qui est loin de chez elle.”
 
“Salut.”
 
“Et Erin, voici Octavia, une [Alchimiste] dont la langue trop pendue finira par lui jouer des tours. Elle essaie d’escroquer tous ceux qui la croisent, donc n’accepte aucun de ses marchés.”
 
“C’est…”
 
“À présent, expliquez-moi comment vous vous êtes rencontrées. Et ce qu’il s’est passé. Depuis le début.”
 
Les deux filles échangèrent un regard. Puis elles reprirent la parole pour lui raconter dans l’ordre ce qu’il s’était passé, et Ryoka put enfin suivre leurs péripéties.
 
Voici ce qu’il s’était passé : Erin, en arrivant dans cette ville, avait une jarre pleine d’abeilles et deux jarres de miel. Elle avait également émis le souhait de se débarrasser des jarres sus-citées, et était par conséquent partie chercher une [Alchimiste] à qui les vendre. Octavia, étant connue comme une [Alchimiste] très entreprenante (et agaçante) avait été plus que ravie de prendre la marchandise d’Erin, et son argent aussi, si possible.
 
Le rebondissement intéressant de cette histoire, c’est qu’Erin avait été plus que partante pour donner tout cela à Octavia, à la condition qu’elle l’aide à faire ses propres expériences. Octavia avait accepté avec joie, mais il s’était avéré que le style d’expérimentation d’Erin était complètement fou, et c’était un euphémisme.
 
“Elle a jeté deux potions dans la mixture. Juste comme ça.”
 
Octavia pointa un doigt tremblant là où s’était échappée la fumée empoisonnée. Elle avait été neutralisée par une espèce de poudre blanche, mais Ryoka et Erin se tenaient tout de même loin de la zone.
 
“Et c’était après qu’elle eut fait fondre mon meilleur chaudron en essayant de faire de la soupe avec des cornes de Corus en poudre !”
 
Erin haussa les épaules d’un air impuissant.
 
“Je pensais pouvoir créer quelque chose de bon et de chaud, tu vois ? Quelque chose de magique.”
 
“Je t’ai dit que ça ne pouvait pas marcher. Les cornes de Corus sont tellement chaudes qu’elles peuvent presque tout faire fondre. Les mettre sur le feu, c’est chercher à faire fondre sa cheminée. Et dans une soupe ? Tu pourrais faire fondre ton propre estomac !”
 
“Mais Ryoka a dit…”
 
“Erin, Octavia a raison sur ce point.”
 
“Quoi ?”
 
Erin regarda Ryoka qui secouait la tête. Cette dernière était mal à l’aise avec la description que lui avait faite Octavia des expérimentations d’Erin. Erin aurait facilement pu faire sauter tout le magasin d’Octavia ou se tuer en essayant ses propres mixtures.
 
“Je sais que tu es enthousiaste, mais tu devrais vraiment réfléchir à ce que tu veux faire avant d’expérimenter. Donne-toi un objectif, fais une hypothèse, et ensuite seulement, essaie de faire ton mélange d’ingrédients, d’accord ? Et vérifie les étapes avec Octavia avant.”
 
“Aw.”
 
Erin s’affaissa légèrement. Octavia eut l’air soulagée.
 
“Bien. À présent, j’imagine que tu vas payer pour réparer les dégâts. Je t’enverrai la facture - tu peux y aller, et…”
 
“Quoi ? Je ne vais pas partir maintenant. Je n’ai pas encore testé la moitié des trucs que je voulais essayer !”
 
L’[Alchimiste] se figea.
 
“Quoi ? Tu n’es pas sérieuse.”
 
Erin parut indignée. Elle attrapa sa bourse et la fit tinter devant les yeux d’Octavia.
 
“Je t’ai payée pour expérimenter, non ? D’accord, il y a eu des ratés, mais je peux encore essayer des trucs ! Tu as promis !”
 
Octavia s’étouffa à moitié et essaya de protester, mais Erin était déjà en train de chercher d’autres ingrédients et d’autres potions à mélanger et assembler.
 
Apparemment, ce marché-là s’était retournée contre la tissée de manière spectaculaire. Un tic agita les lèvres de Ryoka. Elle vit Erin inspecter une étagère de potions de mana. Octavia, outrée, tendit la main pour lui attraper l’épaule, mais Ryoka l’intercepta.
 
“N’essaie pas de l’arrêter. Erin se bat mieux que moi ; je l’ai vue tuer des zombies avec une poêle. Elle peut vaincre un Gnoll à mains nues.”
 
Tout cela était vrai, mais Erin rougit et Octavia hésita.
 
“Mais… enfin, je comprends bien qu’un marché est un marché, mais soyons raisonnable, Ryoka. Tu ne peux pas t’attendre à ce que je respecte ma part du marché maintenant, si ? Et les dégâts, et le coût de mes réactifs perdus ? Certes, je l’ai un peu compté dans le prix, mais je devrais être indemnisée pour les dégâts de mon laboratoire et mon traumatisme, vraiment. Tu ne peux pas vraiment justifier le fait de laisser Erin continuer comme si de rien n’était après tout ce qu’elle a fait, pas vrai ? Disons qu’on est quittes et j’ajouterai une… non, deux potions gratos, d’accord ?”
 
Ryoka vit le regard d’Erin les balayer pendant qu’Octavia la cajolait en plaidoyant. Elle haussa un sourcil.
 
“Combien t’a payée Erin, exactement, pour que tu la laisses utiliser ton laboratoire ?”
 
La tissée hésita.
 
“Hum…”
 
“Si c’est plus de dix pièces d’or, elle pourrait probablement payer toute cette étagère de potions. Je sais qu’elles ne sont pas de haute qualité. Et combien coûtent les carottes ? Quelques cornes de Corus ?”
 
“Eh bien… je veux dire… on ne peut pas réduire le coût des ingrédients de base à leur simple valeur pécuniaire, Ryoka ! Tu le sais bien. Toi et moi… nous sommes des femmes d’affaires. Tu sais qu’il y a le coût du transport, et les coûts d’obtention pour les aventuriers et en hiver, les prix montent à une vitesse ahurissante…”
 
Ryoka regarda Octavia droit dans les yeux jusqu’à ce qu’elle se taise. Elle se tourna vers Erin.
 
“Vas-y, Erin. Déchaîne-toi.”
 
Erin leur adressa un sourire solaire. Elle avait déjà une poignée de carottes dans une main et une autre corne de Corus. Octavia pâlit.
 
Arrête ! As-tu la moindre idée du prix de ces c…. non, pas celle-là ! C’est un ingrédient rare ! Je n’en ai qu… Ryoka, fais quelque chose ! Ryoka !




***




C’était vraiment amusant, l’alchimie. Erin ne voulait pas devenir [Alchimiste], et Ryoka lui avait dit qu’elle ne devrait pas accepter d’autre classe, de toute façon, mais elle adorait la sensation que lui procurait le fait de faire des expériences avec tout ce que possédait Octavia.
 
Certes, elle avait failli s’empoisonner à cause de cet affreux nuage, mais c’était une erreur. Ryoka était là, à présent, donc Erin faisait les choses pas à pas. Elle ne mettait même plus de potions dans sa mixture, à présent ; elle faisait quelque chose qu’elle avait toujours voulu essayer. Elle créait de la nourriture magique.
 
Lentement, Erin mélangea ce qu’il restait de poudre de corne de Corus dans la grande marmite de soupe qui bouillonnait sur le feu. Cette fois-ci, la poudre se dissout sans que toute la mixture ne chauffe à blanc et ne fasse fondre la marmite, et Erin considéra que c’était bon signe.
 
“Mmh. Ça sent bon, pas vrai, Ryoka ?”
 
“Mmh.”
 
La réponse provenait du bureau à quelques pas de là. Ryoka avait posé la tête sur le bureau, assise sur l’un des tabourets d’Octavia. Elle avait écarté tout le matériel d’alchimie pour pouvoir s’étaler sur la surface lisse.
 
Elle avait l’air fatiguée. Mais elle tenait compagnie à Erin pendant que cette dernière travaillait, et Erin était contente qu’elle soit là. Elle avait été surprise de voir Ryoka tomber du ciel. Est-ce que c’était de la magie ? Elle n’avait pas vraiment raconté ce qu’il s‘était passé à Erin, mais cela ne la dérangeait pas. Ryoka l’avait trouvée !
 
Avec précautions, Erin ajouta quelques feuilles de thym séché dans la soupe. Cela ne faisait pas partie de sa formule magique ; c’était juste pour le goût.
 
Octavia était partie sangloter quelque part, ou du moins c’était ce qu’Erin supposait. Elle s’était mise très en colère parce qu’Erin ne faisait pas assez attention, mais c’était bien à cela que servait l’[Instinct de Survie], pas vrai ? De plus, Erin n’avait rien détruit de plus après ces deux premières tentatives. Elle avait juste utilisé beaucoup d’affaires d’Octavia, voilà tout.
 
Et apparemment, cela en avait valu la peine. Erin prit une grande inspiration et inhala l’odeur de sa nouvelle soupe. La suggestion de Ryoka avait fonctionné.
 
“Voyons voir. Des carottes froides et de la gélatine, beaucoup de farine de blé, et moins de corne de Corus. Et j’ai lavé la corne, cette fois-ci !”
 
Erin n’était pas certaine que les ingrédients d’Octavia soient comestibles, mais la corne en poudre avait été lavée, et à présent, elle cuisait. Tout allait bien, n’est-ce pas ?
 
Ryoka ouvrit un œil et contempla la soupe bouillonnante.
 
“Pourquoi as-tu ajouté les herbes ? Ça ne risque pas de tout faire foirer ?”
 
“Non… je ne crois pas. Tu vois, si c’était une potion, il faudrait tout mettre tant que c’est chaud et je ne pourrais pas assaisonner. Mais ce n’est qu’un ingrédient normal, donc Octavia a dit que ça allait sans doute bien se passer.”
 
“Ah. Il n’y a pas de catalyseur, hein ?”
 
“Hum. Oui ? C’est juste de la nourriture, donc je ne fais pas vraiment de l’alchimie à proprement parler.”
 
“Ça m’a l’air bon. C’est normal que ça bouillonne comme ça ?”
 
Erin se tourna vers la marmite et poussa une exclamation. Les cornes de Corus avaient rendu la soupe extrêmement chaude. Mais la farine et l’épaisseur de la mixture diluaient la chaleur : elle se contentait de cuire à gros bouillons plutôt que de faire fondre la marmite. Elle remua la soupe, souffla dessus et ajouta de la farine et de l’eau sous les yeux de Ryoka.
 
“C’est un peu irréel de te voir ici, Erin.”
 
“Oui, je n’arrive pas à croire qu’il se soit déjà passé tout ça. Bizarre, pas vrai ? Je n’aurais jamais cru que je pourrais visiter une ville Humaine si facilement.”
 
“Moi non plus. Tu sais qu’il y a plus de cent milles d’ici à Liscor ?”
 
Quoi ?
 
“Tu as fait le trajet en une journée. Même si tu dormais, Toren devait être en forme pour courir si loin et si vite. Et tu dis que tu as dormi tout du long ?”
 
Erin se gratta la joue, mal à l’aise.
 
“Je, euh, je n’avais pas beaucoup dormi la nuit précédente, d’accord ? J’ai peut-être dormi longtemps.”
 
Ryoka soupira. Erin décida de se retourner et de regarder si sa soupe était redevenue plus maîtrisable.
 
“Ça va, Ryoka ? Tu n’as pas l’air en forme.”
 
Elle vit les deux épaules de l’Asiatique comateuse tressaillir.
 
“Je suis un peu fatiguée. La journée a été longue.”
 
“Je suis d’accord.”
 
Erin attrapa un bâtonnet et le leva dans les airs. Elle regarda d’un air méfiant la couche rose étalée à son extrémité, puis frissonna et le plongea dans la soupe, priant pour qu’elle n’en gâche pas le goût.
 
Octavia avait une façon intéressante de tester ses potions. Elle avait ce… truc. On aurait dit un morceau de peau sur un bâtonnet, pour dire la vérité. C’était dégueulasse, mais la baguette provenait d’une fiole avec des runes magiques dessus. D’après Octavia, elle imitait la peau humaine et d’autres fonctions physiologiques. Et elle était réactive, donc on pouvait voir ce qu’il arrivait à la peau ou à l’estomac si on les plongeait dans la potion. Si quoi que ce soit se mettait à brûler, à noircir, ou se mettait à mourir, c’était qu’il y avait un problème.
 
Les bâtonnets étaient chers, et Erin avait fait brûler les quatre derniers tests qu’elle avait utilisés dans sa soupe. Quelque chose dans la mixture faisait qu’elle était littéralement trop chaude pour être consommable, même lorsqu’Erin avait sorti la marmite du feu. Mais à présent, elle pensait avoir réussi.
 
“Oh, hey, regarde, Ryoka ! Cette fois-ci, elle ne brûle pas !”
 
Ryoka leva la tête à contrecœur et observa le test charnu dégoulinant qu’Erin avait sorti de la soupe.
 
“C’est dégoûtant. Rappelle-moi pourquoi tu voulais utiliser le laboratoire d’Octavia, Erin ?”
 
Erin hésita. Elle remua encore un peu la soupe puis la sortit du feu. Elle prit la parole en remplissant un bol de sa mixture d’un orange-jaune vif. Des morceaux de thym flottaient dedans, et la [Cuisine Avancée] d’Erin lui soufflait que le goût n’était probablement pas affreux. Mais le véritable test allait commencer lorsqu’elle verrait comment elle affectait quelqu’un.
 
“Je voulais faire quelque chose de magique .Quelque chose… d’utile. Quelque chose que personne ne peut voler et que je sois la seule à pouvoir faire, tu vois ? Peut-être même quelque chose qui puisse aider les gens - pas juste les nourrir. Comme la boisson de fleurs de fées.”
 
Elle tendit le bol à Ryoka.
 
“Tiens. Je crois que c’est bon. Tu veux tester ?”
 
Ryoka regarda fixement le bol de liquide fumant puis leva les yeux sur Erin.
 
“Pourquoi est-ce que tu ne l’essaies pas ? Ce n’est pas plutôt à toi de la goûter, comme tu en es la créatrice ?”
 
Erin hésita.
 
“Parce que… je n’ai pas envie.”
 
“Alors, pourquoi devrais-je essayer ce truc ?”
 
“Aw, s’il te plaît. C’est probablement inoffensif. Le test de chair n’a pas réagi.”
 
“Je ne trouve pas ça rassurant. Je pourrais tout de même m’intoxiquer ou faire une horrible réaction.”
 
“Mon [Instinct de Survie] ne se déclenche pas. Ce qui veut dire que c’est bon, je crois. Et Octavia a dit que les cornes de Corus ne sont pas toxiques. Juste… brûlantes.”
 
Ryoka regarda la soupe comme s’il s’était agi d’une bombe à retardement en train d’entamer lentement son décompte.
 
“Non.”
 
“Aw, allez, Ryoka, je te mets au défi de la manger.”
 
Erin poussa le bol sur la table. Ryoka le repoussa.
 
“J’ai dit non.”
 
“Je te mets doublement au défi.”
 
“Non.”
 
“Je te mets triplement au défi.”
 
“Erin…”
 
“Je te mets triplement doublement sacrément au défi.”
 
“Arrête.”
 
“Je te mets quadruplement sacr…”
 
“D’accord, très bien. Ferme-là. Je vais la goûter.”
 
Ryoka attrapa le bol et hésita en examinant la soupe. Elle plongea un doigt dans la soupe avec précautions puis leva les yeux sur Erin.
 
“Si je meurs…”
 
“Tu ne vas pas mourir. Goûte, c’est tout !”
 
Ryoka se tourna et pointa un mur du doigt.
 
“Les potions de soin sont là-bas.”
 
“Je sais.”
 
“Et la potion de neutralisation d’Octavia est ici. Elle annule la plupart des potions.”
 
“Ryoka, tout va bien se passer ! Goûte !”
 
Ryoka examina la potion, la renifla, soupira, puis en avala de mauvaise grâce une petite gorgée. Elle grimaça aussitôt.
 
“C’est brûlant !”
 
Elle se lécha les lèvres, réfléchit un instant, puis en avala un peu plus.
 
“C’est… plutôt bon, en fait.”
 
“Vraiment ?”
 
Erin lui décocha un sourire radieux. Ryoka hocha la tête en avalant le reste du bol.
 
“Pfiou. C’est chaud. Et ça...reste… chaud. Erin ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
Ryoka se tâta précautionneusement l’estomac et Erin essaya de lui expliquer.
 
“Les cornes de Corus brûlent longtemps. Je me suis dit… tu sais, comme c’est magique, je pourrais la mettre dans un plat pour réchauffer les gens. Parce que… il fait si froid.”
 
Ryoka réfléchit. Elle se tâta l’estomac puis haussa les épaules.
 
“Ce n’est pas douloureux. Et on dirait que la chaleur se répand. J’ai l’impression que je pourrais me balader dehors toute nue sans problème. Mais ce n’est pas désagréable...”
 
“S’il te plaît, ne te mets pas à poil.”
 
Les deux filles éclatèrent de rire. Puis Ryoka se tut. Elle contempla la marmite de soupe puis se tourna vers son amie.
 
“Erin. Est-ce que tu sais ce qu’il s’est passé ? Pourquoi as-tu disparu aussi soudainement ? Où est parti Toren ?”
 
Elle avait bien une idée, mais Erin ne voulait pas la dire à voix haute. Elle hocha lentement la tête et son sourire disparut.
 
“Je crois qu’il a fait quelque chose. Je crois que c’est lui qui m’a abandonnée au milieu de nulle part.”
 
Ryoka hocha la tête. Elle laissa quelques instants à Erin pour regarder le feu, puis elle posa sa deuxième question.
 
“... Tu vas faire quoi ?”
 
Erin haussa les épaules. Elle se sentait bizarre lorsqu’elle songeait à ce qu‘avait fait Toren. C’était une trahison. Elle ne savait ni pourquoi, ni comment… elle ne l’en avait même pas cru capable. Mais lorsqu’elle pensait à son squelette qui l’aurait délibérément abandonnée pour qu’elle se perde ou qu’elle meurt, son cœur se serrait. Elle répondit à voix basse.
 
“Il faudra peut-être que je le tue. Ou bien… s’il se contente de désobéir aux ordres, Pisces pourra peut-être le réparer ? Il faut que je demande à Pisces. Mais s’il est dangereux, je vais devoir m’occuper de lui d’une manière ou d’une autre.”
 
“Est-ce que c’est seulement possible ? Il a l’air immortel et il est dangereux.”
 
“Il n’est pas si fort que ça. Je veux dire, il est un peu plus fort qu’avant, mais si on le met en pièces on peut l’empêcher de se reformer.”
 
Ryoka hocha lentement la tête. Erin sourit, l’amertume se mélangeant à la tristesse.
 
“J’aurai peut-être besoin d’aide, en revanche.”
 
“C’est pour ça que je suis là, pas vrai ? Je vais te filer un coup de main.”
 
Doucement, comme si son visage ne savait pas trop comment ça marchait, Ryoka sourit. Erin lui rendit son sourire.
 
“Tu veux qu’on montre la soupe à Octavia ?”
 
“J’imagine que oui. Je vais la chercher. Elle boude à l’étage.”
 
Erin versa de la soupe dans un autre bol et Ryoka alla chercher Octavia. L’expression de l’[Alchimiste] n’était pas très chaleureuse lorsque Ryoka finit par la convaincre de descendre voir la création d’Erin, mais sa curiosité naturelle prit le dessus et quelques minutes plus tard, elle essayait elle-même la soupe.
 
“C’est chaud, en effet, même lorsqu’on la sort du feu. Regarde - j’ai ajouté de la neige et la température n’a même pas changé. Le goût est plus aqueux, cela dit.”
 
Octavia tapota son corps puis retira l’un de ses bras et en étudia le tissu. Elle le rattacha sous le regard abasourdi d’Erin puis haussa les épaules.
 
“On dirait que l’effet se répand à partir de l’estomac. Cela n’a pas affecté mon bras lorsqu’il était en mode tissu, mais l’effet a repris lorsque je l’ai recousu. J’ai chaud de partout.”
 
“Toi… mais que…”
 
“J’ai chaud. Un peu trop, même. Si j’étais dehors, ce serait parfait. Et… attends, je me demande si l’effet protège vraiment du froid ou s’il ne donne qu’une sensation de chaleur ?”, commenta Ryoka en allant chercher un peu plus de neige à l’extérieur. Elle fit fondre la neige qu’elle tenait en quelques secondes, et sourit.
 
“Je parie que je pourrais courir pieds nus tant que ça dure.”
 
“Je peux carrément vendre ça.”
 
Les yeux d’Octavia brillaient. Elle se tourna vers Erin.
 
“Enfin, c’est quand même très chaud quand on l’avale. Il faudra peut-être que tu ajustes ta recette.”
 
Ryoka acquiesça. Puis elle eut une idée et fronça les sourcils.
 
“Bon sang, Erin. Est-ce que ça va être aussi brûlant à la sortie qu’à l’entrée ?”
 
“Beûrk. J’espère que non. Mais ça te réchauffe, pas vrai ?”
 
Erin écarta le tour de magie du bras d’Octavia quelques instants pour se réjouir de son propre succès. Elle but une petite gorgée de soupe et sentit la chaleur se répande. Oui, elle avait réussi !
 
“Comment as-tu su que ça allait marcher ?”
 
Octavia dévisageait Erin d’un air curieux. Erin haussa les épaules.
 
“J’ai juste cette… compétence. Elle s’appelle [Mets Prodigieux] et elle marche un peu comme [Cuisine Avancée]. J’ai une espèce d’instinct qui me guide pour faire des plats magiques. Je crois.”
 
Ryoka se gratta la tête.
 
“Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi la soupe fonctionne comme ça. Qu’est-ce qui crée cet effet dans les cornes ?”
 
“Sais pas. C’est magique.”
 
Octavia s’éclaircit la gorge.
 
“Les cornes de Corus sont utilisées comme un carburant alternatif par les [Forgerons], les [Chefs]... quiconque a besoin d’un feu vraiment très chaud. Elles brûlent longtemps et tellement chaud qu’il faut les couper pour pouvoir vraiment les utiliser. Une corne peut coûter jusqu’à douze pièces d’argent, voire le double en cas de pénurie - tu veux savoir combien tu en as utilisé ?”
 
Elle regarda Erin d’un œil noir mais cette dernière soutint son regard.
 
“Tu veux savoir combien je t’ai payée ?”
 
“C’est à peine suffisant pour…”
 
Octavia hésita. Apparemment, même elle avait du mal à mentir droit dans les yeux.
 
“La soupe complémentera très bien mon stock. Écris-moi juste la recette et j’améliorerai la mixture. Je peux probablement la vendre pour…”
 
“Attends, c’est la soupe d’Erin. Pas la tienne.”
 
“Oh, elle peut l’avoir. Je n’en ai pas besoin pour le moment ; je sais comment la faire. Mais je ne partagerai pas la recette.”
 
Quoi ?
 
Octavia bougea à la vitesse de l’avarice. Elle se planta devant Erin et lui jeta un regard noir. Ryoka tendit la main vers son épaule, mais cette fois-ci, Octavia la repoussa.
 
“Ça ne faisait pas partie de notre accord ! Je t’ai laissée faire tes expériences ici… je mérite de connaître la recette !”
 
Erin regarda l’alchimiste en clignant des yeux.
 
“Non, ça ne faisait pas partie de notre accord, en effet.”
 
“Exacte… hein ?”
 
“Ça ne faisait pas partie de notre accord. Je voulais juste expérimenter ; je n’ai jamais dit que je te donnerais les recettes.”
 
“Oui… mais… inutile de se précipiter maintenant, Erin. Nous pouvons passer un marché…”
 
“Demain, peut-être. Ryoka a dit qu’il fallait qu’on aille faire d’autres trucs, maintenant. Je reviendrai donc demain, Octavia ! JE veux essayer de faire plein d’autres trucs la prochaine fois.”
 
“Attends, tu…’
 
Ryoka claqua la porte au nez d’Octavia en souriant. Erin sourit aussi et elles descendirent la rue. Ryoka avait déjà quitté ses chaussures et les avait placées dans son sac de Coursière, et elle marchait pieds nus avec précautions sur les pavés gelés. Elle sourit.
 
“Ça marche vraiment bien, ton truc. Toutefois, j’avoue que je suis surprise, Erin. Je ne m’attendais pas à ce que tu sois si malpolie avec Octavia. Elle est insistante, mais c’était surprenant.”
 
Pour tout dire, Erin se sentait coupable. Elle grimaça d’un air mécontent.
 
“Oui, je me suis rendu compte qu’elle essayait de m’avoir assez vite. Je ne voulais pas être méchante, mais elle ne me laisse juste rien faire si je ne fais pas mon truc, tu vois ce que je veux dire ?”
 
“Ça me va, en tout cas. Ça marche bien sur elle.”
 
Ryoka enfonça un pied dans une congère, le retira et le secoua pour en faire tomber la neige. Cette fois-ci, son sourire s’étala sur son visage comme celui du Chat du Cheshire. Erin l’avait rarement vue aussi heureuse.
 
“C’est vraiment incroyable, bordel. Je peux courir grâce à ta soupe, Erin !”
 
“Tu peux bien courir sans, non ? Je t’ai déjà vue courir dans la neige…”
 
“Pas comme ça.”
 
Ryoka agita la main et secoua la tête.
 
“Courir avec ces chaussures ? Je suis lente, là-dedans. Je cours plus vite pieds nus ; c’est vraiment utile, ton truc. Moi, j’achèterai tout ton stock de soupe même si personne d’autre n’en veut.”
 
“Je crois que beaucoup de gens mangeront de ma soupe ! N’est-pas incroyable que personne ne l’ait créée avant ?”
 
“Oui. Incroyable. Ou… impossible.”
 
“Qu’est-ce que tu veux dire ?”
 
Ryoka guida Erin dans la rue, s’attirant de nombreux regards étant donné qu’elle marchait dehors vêtue uniquement d’un t-shirt et d’un short, sans chaussures, un jour d’hiver.
 
“J’aimerais bien savoir si Octavia pourrait reproduire ta soupe, même avec une recette. Il est possible qu’elle en soit incapable, ou du moins pas aussi aisément que toi. Tu as une compétence, pas vrai ? Il est possible que ton [Mets Prodigieux] te permette de faire de la nourriture magique sans avoir besoin de catalyseur ou de sortilège.”
 
“Vraiment ? Ce serait tellement cool !”
 
Erin hâta le pas, peinant à suivre les grandes foulées de Ryoka. Cette dernière le remarqua et ralentit le rythme, menant Erin au cœur de la ville.
 
“Où va-t-on, d’ailleurs ?”
 
Jetant un regard aux panneaux à la croisée de deux rues, Ryoka tourna à droite. Elle ralentit de nouveau pour marcher à côté d’Erin, haussant la voix pour couvrir le bruit d’une charrette en approche.
 
“Pour commencer. Il faut qu’on envoie un message à Liscor pour dire à tout le monde que tu es saine et sauve. Olesm, Selys, Klbkch… même Halrac s’inquiétait pour toi, tu sais. Mrsha n’a pas arrêté d’essayer de me suivre quand je suis partie.”
 
Elles se déplacèrent toutes deux vers le bord de la chaussée pour éviter la charrette qui passait à côté. Ryoka, en particulier, garda ses pieds hors de son chemin. Le conducteur de la charrette regarda fixement Ryoka en passant, manquant de peu renverser un piéton qui poussa un juron.
 
“Tu ne t’es jamais demandé comment les villes faisaient pour communiquer à part avec les Coursiers et les caravanes ?”
 
“Non ?”
 
Erin s’était dit que les Coursiers étaient l’unique moyen de communication. Ryoka secoua la tête et expliqua.
 
“Il y a un sort - [Message]. On peut envoyer, disons, l’équivalent d’e-mails magiques aux gens. Pas de longs messages, et je crois qu’il y a un coût de mana qui varie avec la distance et peut-être même l’atmosphère, mais…”
 
“Oh ! Tu veux dire, comme Twitter ? Un Twitter magique ?”
 
“Oui, un truc dans le genre.”
 
Ryoka soupira.
 
“C’est vraiment cher, par contre. On ne va donc envoyer qu’un seul message pour toi. Réfléchis à ce que tu veux dire ; sois concise. Dans tous les cas, ça coûte quelques pièces d’or.”
 
“C’est beaucoup pour un seul sort !”
 
Erin était outrée, mais Ryoka était résignée.
 
“C’est un seul sort, mais il n’y a pas beaucoup de gens qui se portent volontaires pour jouer au téléphone toute la journée. De plus, tous les [Mages] n’apprennent pas le sort. Ceria m’a dit qu’il n’était d’ailleurs pas facile à jeter. Il faut être au moins Niveau 15, un truc dans le genre. Voilà, on y est. C’est dans la même rue que la Guilde des Coursiers.”
 
Erin admirait tellement la vue qu’elle faillit manquer le bâtiment que Ryoka lui montrait. Cette dernière avait l’air de considérer que tout ceci était normal, mais c’était la première ville où était allée Erin à part Liscor, et même alors, elle n’avait jamais vraiment exploré toutes les ruelles et bâtiments là-bas non plus.
 
Les gens ici avaient l’air tellement normaux que c’en était presque douloureux. Certes, ils portaient des vêtements plus rustiques, avec beaucoup moins de couleurs et de logos que ce à quoi Erin était habituée, mais ils étaient tous Humains. Certes, certains conducteurs de chariots injuriaient les piétons et quelques personnes étaient armées d’épées, mais n’était-ce pas la même chose que les gens qui s’énervaient en voiture et les gens qui ramenaient des pistolets de chez eux ?
 
Les gens restaient des gens. Et bien qu’Erin fût heureuse d’avoir des amis Drakéides, Gnolls et Antiniums, elle se sentait toujours un peu seule à Liscor. Mais ici, tout le monde était Humain.
 
Cela la fit sourire. Et comme elle souriait, l’expérience d’Erin dans les rues de Celum fut bien différente de celle de Ryoka.
 
La Coursière fendait les foules, impatiente, et attendait souvent Erin, les sourcils constamment à moitié froncés. Mais Erin souriait et disait “bonjour” ou “excusez-moi” aux gens lorsqu’elle passait à côté d’eaux. Et pour chaque personne qui la regardait d’un air outré ou qui se contentait de l’ignorer, deux autres lui souriaient ou répondaient, surpris.

Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 17 mars 2021 à 16:25:20

 
2.47 - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia

Erin se démarquait, dans la foule. Ryoka le remarqua en attendant Erin près d’un grand bâtiment avec le symbole d’une baguette ailée peinte sur un panneau. Elle vit que cela ne posait aucun problème à Erin de faire coucou à un aventurier ou à un garde en train de marcher dans la rue. Les autres citoyens gardaient leurs distances avec les gens armés à moins de les connaître, mais Erin était dénuée de peur. Et les guerriers, surpris, lui répondaient d’ordinaire d’un geste de la main ou d’un sourire maladroit.
 
Erin ne remarqua que le regard étrange que lui jeta Ryoka avant d’ouvrir la porte. Elle pénétra à l’intérieur, et le changement de température la fit hoqueter.
 
“Il fait tellement chaud !”
 
En effet, on aurait presque dit qu’elles venaient de changer de climat. Et pourtant, il n’y avait pas de cheminée dans la pièce immense qui leur faisait face. Un grand escalier courait le long d’un mur. Ryoka jeta un œil au chambranle de la porte.
 
“Des runes chauffantes ou un truc du genre. Ça a l’air cher.”
 
Elle laissa Erin avancer dans la pièce. Ni Ryoka, ni Erin n’avait jamais posé les pieds dans un bâtiment de ce genre, et elles admiraient toutes deux les lieux avec surprise, voire admiration.
 
Ce bâtiment, qui n’était pas une Guilde de Mages, était pour le moins luxueux. Le plancher, lisse et constitué d’un bois riche, brillait à la lumière des lampes flottantes magiques qui illuminaient la pièce d’une lumière claire et constante. Au-dessus du hall d’entrée au rez-de-chaussée se tenait un deuxième étage où plusieurs réceptionniste s’affairaient à s’occuper de la file de clients.  La queue n’était pas trop importante, mais ceux qui patientaient semblaient tous riches, ou employés par de riches maisons. Les deux aventuriers patientant seuls dans leur propre file d’attente représentaient l’unique exception à la règle.
 
Ryoka mena Erin à cette file d’attente-là. Erin admira, fascinée, les morceaux de papiers sur lesquels écrivaient les gens au comptoir. Une fois qu’une pile avait été constituée, on les envoyait à l’étage.
 
“Oh. Je comprends. Ils écrivent les messages pour les envoyer !”
 
“On dirait qu’ils préparent des carnets de commandes et que les mages n’arrivent que plus tard dans le processus. Il faudra peut-être un petit moment avant que notre message ne soit envoyé.”
 
L’aventurier qui les précédait venait de finir de poser sa commande, et l’homme au comptoir fit signe à Erin et Ryoka d’avancer.
 
“Vous êtes aventurières ? Cette queue est réservée aux aventuriers et aux coursiers.”, leur déclara-t-il brusquement. Puis il remarqua les pieds nus de Ryoka et fronça brièvement les sourcils.
 
“Je suis Coursière de Ville. Voici mon sceau.”
 
Ryoka plongea la main dans sa besace et en tira un sceau scintillant sur lequel se mélangeaient l’argent et un métal bleu. Erin était fascinée par la façon dont les couleurs se mêlaient et brillaient, mais l’homme n’y accorda qu’un bref regard. Il hocha la tête et le lui rendit.
 
“Est-ce que vous avez un message à envoyer où à récupérer ? Le mage qui s’en occupe n’a pas reçu de messages entrants pour votre guilde.”
 
“Un message à envoyer.”
 
L’homme attrapa un nouveau morceau de papier et trempa sa plume dans l’encrier.
 
“Nom ?”
 
“C’est elle qui va envoyer le premier message.”
 
Ryoka montra Erin d’un geste. Erin sourit.
 
“Salut…”
 
“Nom ?”
 
La réponse abrupte lui donna l’impression d’être dans un aéroport.
 
“Erin Solstice.”
 
“Destination ?”
 
“Hum. Liscor ?”
 
L’homme griffonna sur son morceau de papier, sa plume se déplaçant si vite qu’Erin avait du mal à al suivre des yeux. Il écrivait plus vite que la plupart des gens ne pouvaient taper sur un clavier, et son écriture - loin d’être tachée d’encre ou illisible - était presque douloureusement droite et facile à lire.
 
“Et qui sont les destinataires de votre message ? Je vous prie de donner plusieurs noms si cela est possible.”
 
“D’accord. Selys Shivertail ou Krshia Silverfang. Selys est une Drakéide et Krshia est une Gnolle. Ou, et Klbkch ! Vous pouvez l’ajouter, lui aussi. C’est un Antinium.”
 
À ces mots, la plume marqua une pause. Erin vit du coin de l’œil Ryoka se couvrir les yeux d’une main et tous ceux qui l’avaient entendue se retourner vers elle. Elle rougit.
 
“Bah quoi, c’est vrai.”
 
L’homme au comptoir se remit rapidement de ses émotions.
 
“Très bien. Et le contenu de votre message ? Je vous prie de consulter les prix pour les messages les plus longs.”
 
Il pointa un panneau au-dessus de sa tête. Erin déglutit en voyant à quel point les prix pouvaient monter.
 
“D’accord. Hum… cela ne fait pas partie du message. Je réfléchis juste. Euh, écrivez ceci : “Salut tout le monde, c’est Erin. Je vais bien…”
 
Ryoka interrompit Erin, une expression peinée sur le visage.
 
“Annulez ça.  Écrivez plutôt : “C’est Ryoka. Je suis avec Erin à Celum. Nous allons bien, et nous essayerons de rentrer rapidement.””
 
L’homme écrivit rapidement leur message puis barra les mots qu’Erin avait dit. Il leur tendit le morceau de papier.
 
“Est-ce que tout cela vous paraît correct ? Oui ? Alors, cela fera…”
 
Erin se décomposa, mais Ryoka plongea simplement la main dans sa bourse et posa plusieurs pièces d’or sur le comptoir. L’homme les ramassa, puis, pour une raison inconnue, sortit une loupe pour examiner chacune des pièces.
 
“Que fait-il ?”
 
“Il vérifie qu’elles soient authentiques.”
 
“Oh.”
 
Quand il eut terminé, Ryoka récupéra quelques pièces d’argent.
 
“Un mage enverra votre message dans la journée. S’il y a une réponse, nous la garderons une semaine avant d’en disposer. Merci.”
 
C’était tout. Erin se tourna pour partir, mais Ryoka hésita.
 
“ ...Attendez. Je vais en envoyer un autre.”
 
L’homme leva les yeux.
 
“Très bien. Votre nom ?”
 
“Ryoka Griffin. Le message est également à destination de Liscor, mais l’unique destinataire est Krshia Silverfang.”
 
Erin vit le réceptionniste écrire ces informations sur un nouveau morceau de papier et regarda le reste de la pièce. C’était beaucoup plus fastidieux que d’utiliser un téléphone, mais elle se rendait compte également d’à quel point c’était utile. Pas étonnant que de nombreuses personnes à l’allure de marchands envoyaient des messages. On pouvait recevoir de cette manière de bons conseils sur le marché des autres villes. Ou savoir quel type de monstre horrible s’apprêtait à vous y manger tout cru.
 
“Et le contenu du message ?”
 
Erin se retourna et vit Ryoka prendre une grande inspiration. Elle sembla réfléchir un instant avant de hocher la tête et de prendre la parole.
 
“Envoyez ceci : “Krshia Silverfang, c’est Ryoka. J’ai ce que vous voulez. Dites aux autres d’attendre mon retour.””
 
Le réceptionniste leva les yeux.
 
“Ce sera tout ?”
 
“Oui.”
 
Erin remarqua alors quelque chose, lorsque l’homme montra à Ryoka le morceau de papier. Il avait eu l’air de s’ennuyer lorsqu’elle lui avait parlé, mais il avait eu l’air nettement plus intéressé lorsque Ryoka avait dicté son message cryptique. Ce qui avait d’ailleurs également été le cas de la femme assise au comptoir à côté d’eaux… ainsi que celui de l’homme derrière le comptoir. Ils détournèrent toutefois le regard lorsqu’Erin les fixa.
 
Ryoka paya le deuxième message puis elles se dirigèrent vers la sortie. Erin raconta à voix basse ce qu’elle avait vu à Ryoka mais cette dernière ne fit que hausser les épaules.
 
“Inutile de parler à voix basse, Erin. Je parie qu’il y a des sorts pour enregistrer nos moindres paroles. Et je parie que plusieurs personnes liront ce message ou le feront passer avant que qui que ce soit ne le lise à Liscor.”
 
“Vraiment ? Comment tu le sais ?”
 
Ryoka eut un sourire en coin.
 
“Parce que la connaissance, c’est le pouvoir, ou l’argent. Les sorts de [Message] n’ont pas l’air d’être si bien encryptés magiquement que ça pour commencer, mais le fait que ce soient des secrétaires qui gèrent le courrier signifie que de nombreux secrets sont sans doute vendus ou gardés. La plupart des gens l’ignorent sans doute, mais je parie que tous ces [Réceptionnistes] lisent les messages avant de les envoyer.”
 
Elle n’avait pas pris la peine de chuchoter. Un homme riche et gras en train de se dandiner vers la sortie jeta un regard frappé d’horreur à Ryoka, et Erin grimaça devant les regards noirs que lancèrent les réceptionnistes à Ryoka.
 
“Tu en es sûre ?”
 
“C’est la nature Humaine. Mais je n’ai rien dit qu’ils ne soient en mesure d’utiliser ; tant que nos amis savent que nous allons bien, c’est parfait.”
 
Elles étaient à présent sorties du bâtiment. Le rupin avait fait demi-tour et courait à moitié vers le comptoir pour confronter l’une des secrétaires qui était dans tous ses états. Au cas où, toutefois, Erin baissa la voix.
 
“C’était quoi, ce message à Krshia ? Tu as quoi ? Une livraison ?”
 
Ryoka ne tourna pas la tête, mais elle donna un coup de coude à Erin. Pas trop fort.
 
“C’est privé. N’en parlons pas ; je suis sûre que les sorts peuvent s’étendre en-dehors des bâtiments, et puis, il y a les Compétences.”
 
Erin resta donc inquiète pendant deux rues entières, jusqu’à ce que Ryoka s’arrête pour la rassurer.
 
“Ne t’inquiète pas ; les Coursiers ont l’habitude de transporter toutes sortes de secrets. Je doute qui quiconque se mêle trop de mes affaires, je préfère juste être prudente.”
 
“Tu réfléchis vraiment différemment de moi, Ryoka. J’essaie juste de ne pas me faire bouffer par un monstre et de faire de bonnes choses à manger.”
 
“Chacun ses talents. Ne t’inquiète de rien. Pour l’instant, il faut qu’on te trouve un moyen de rentrer à Liscor.”
 
Erin fit la moue et elles poursuivirent leur route dans la neige. Ryoka ne paraissait toujours pas ressentir le froid alors qu’elle ne portait presque rien et qu’il s’était remis à neiger. Elle donnait froid à Erin.
 
“Je ne sais pas comment on va pouvoir faire ça, Ryoka. J’ai laissé mon traineau hors de la ville, mais il n’y a personne pour le tirer. À moins que tu… ?”
 
“Non. J’imagine que nous pourrions acheter un cheval et que je pourrais courir avec toi, mais c’est risqué.”
 
“Risqué ? Pourquoi ?”
 
Ryoka eut l’air excédée.
 
“Les routes ne sont pas sûres, Erin. Les routes principales, ça va, mais il y a toujours le risque de tomber sur un monstre ou des bandits. Je peux distancer la plupart des monstres et je possède plusieurs objets utiles, mais même à cheval, tu représenterais une cible facile.”
 
Ryoka donna un coup de pied dans un tas de neige en fronçant les sourcils, sans se soucier des regards des piétons.
 
“Ça va être compliqué de te ramener chez toi rapidement et en toute sécurité. Les gens voyagent d’ordinaire en caravane, mais elles sont lentes. On pourrait embaucher des aventuriers pour te protéger, mais ce serait très cher.”
 
“Des aventuriers ? Ce n’est pas un peu exagéré ? Écoute, Ryoka, je ne sais pas monter, mais pourquoi ne pas simplement rentrer toutes les deux ? Tu connais les arts martiaux et j’ai quelques compétences. Si on achète quelques trucs chez Octavia, on pourra probablement s’occuper de la plupart des monstres, non ?”
 
La jeune fille réfléchit à la suggestion d’Erin.
 
“J’ai déjà acheté des potions et des sacs chez elle. J’imagine que c’est une bonne idée, mais… bon sang. Je ne sais pas s’il y a des monstres dangereux ou des bandits dans le coin. La Guilde des Coursiers le saura, j’imagine.”
 
“Oh, tu as besoin d’aller les voir ? Si tu veux, je peux attendre…”
 
Ryoka secoua la tête.
 
“J’y passerai plus tard. Je veux te ramener à Liscor avant de prendre de nouvelles requêtes. Mais je peux aller demander des informations. Okay. Disons qu’on y va toutes les deux. Il nous faudra quand même des provisions, d’autres potions et des sacs de chez Octavia, un putain de cheval… je me demande si on peut en louer un…”
 
Erin gargouilla.
 
“Est-ce qu’on peut en discuter en allant dîner ? Je n’ai rien mangé depuis des lustres.”
 
Ryoka non plus, en fait. Et lorsqu’Erin le lui rappela, les deux filles se rendirent compte qu’elles étaient affamées.
 
“Nous n’atteindrons pas d’autre ville avant la nuit, j’imagine.”
 
Erin acquiesça. Elle était fatiguée ; ce que disait Ryoka allait demander beaucoup d’efforts et elle ne voulait pas en faire là tout de suite.
 
“Il faudra que j’aille embêter… voir Octavia demain, dans tous les cas. Je veux faire d’autres expériences avant de partir. Et il est tard. Pourquoi n’irions-nous pas chercher une auberge ?”
 
“Une [Aubergiste] qui dort à l’auberge ?”
 
L’idée parut amuser Ryoka. Elle guida Erin dans une autre rue, et elles cherchèrent une auberge.
 
“Ça va être super. Tu sais, j’ai vraiment eu peur en me réveillant, mais à présent, je vois plutôt ça comme des vacances.”
 
“Tu vois toujours beaucoup trop le bon côté des choses.”, grommela Ryoka en poussant la porte d’une auberge. Erin la suivit à l’intérieur et sentit une vague de chaleur émanant du feu rugissant dans la cheminée la frapper en même temps que le brouhaha des voix et le fracas du métal contre de la terre cuite. Elle sentit une odeur de viande grillée et brûlée. Elle était dans une auberge.
 
C’était étrange. Bien que ce soit son métier, Erin n’était allée que dans deux auberges en ce monde avant cela, et l’une d’elle lui appartenait. Et ceci, clairement, n’était pas son auberge.
 
Déjà, elle était beaucoup plus délabrée que l’auberge toute neuve d’Erin pourvue de ses fenêtre en verre. Cette auberge n’était pourvue que de volets, pas de vitres, et Erin remarqua immédiatement des taches et de la terre par terre. Il y avait un peu plus de bazar que chez elle et un peu plus de saleté, mais tout cela était compensé par la clientèle.
 
Dans le sens où elle était existante, ici, plutôt qu’absente. La pièce n’était pas vraiment bondée, mais il y avait environ quatorze personnes à l’intérieur, sans compter le personnel. Deux jeunes femmes faisaient le tour de la pièce, servant à manger et à boire aux tables où des hommes et des femmes à l’air épuisé prenaient leurs repas. À l’autre bout de la pièce, un groupe de cinq aventuriers bruyants riaient et buvaient à grands bruits.
 
Oui, l’auberge n’était pas impressionnante, mais elle donnait l’impression à Erin qu’il y ferait bon manger et dormir. Ce n’était peut-être pas son foyer, mais elle était clairement tenue par quelqu’un qui en prenait soin, et cela valait son respect.
 
Ryoka balaya rapidement l’auberge du regard et se tourna pour partir.
 
“Viens, Erin, on y va.”
 
“Quoi ? Mais pourquoi ?”
 
Avant que Ryoka n’ait eu le temps de répondre, l’[Aubergiste], une femme dans la trentaine, se précipita hors de la cuisine. En repérant deux clientes potentielles, elle se précipita en avant avec un grand sourire sur le visage. Son tablier était légèrement effiloché, mais elle avait l’air gentille - bien que stressée. Elle ralentit en reconnaissant Ryoka, puis sourit.
 
“Si ce n’est pas une Coursière de Ville ! Miss Griffin, c’est bien ça ? Je vous en prie, entrez !”
 
Ryoka prit l’air peiné lorsque la femme s’approcha. Erin sourit et le sourire de la femme s’élargit en retour.
 
“Bienvenue au Lièvre en Folie ! Asseyez-vous, je vous prie.  Je m’appelle Agnès ; et je vous connais, Miss Ryoka Griffin. Vous êtes venue dans mon auberge pendant vos débuts. Vous vous souvenez ?”
 
Erin avait déjà remarqué ceci. Lorsque Ryoka ne voulait rien dire ou ne pas parler à quelqu’un, son visage se refermait à l’extrême et elle changeait sa posture pour se placer un peu en retrait. Elle le faisait en ce moment même, alors que la femme avait l’air très gentille.
 
“Désolée. Je ne m’en souviens pas. Je vous en prie, excusez-nous ; nous jetions simplement un œil.”
 
“Oh. Je vois. Mais si vous voulez rester, nous avons des plats tout prêts et déjà chauds.”
 
“Ça m’a l’air parfait !”
 
Erin sourit à Agnès qui lui rendit son sourire.
 
“Oh, et qui êtes-vous ?”
 
“Je m’appelle Erin. Enchantée de faire votre…”
 
“Un instant, je vous prie, Miss Agnès.”
 
Ryoka entraîna Erin plus loin avant qu’elle ne puisse se présenter. Erin la fusilla du regard ; Ryoka avait été très malpolie, mais elle-même paraissait agacée.
 
“Nous n’allons pas dormir ici, Erin. Nous pouvons nous permettre de dormir dans un bien meilleur établissement.”
 
“Quoi ? Mais elle est gentille. Et ça n’a pas l’air d’être une si mauvaise auberge…”
 
“J’ai connu de bonnes auberges, et celle-ci n’en fait pas partie. Ça sentait le brûlé, et il y a un groupe insupportable là-bas, et ce n’est pas bondé alors que c’est l’heure du dîner. Il y a de meilleurs endroits où manger quand on a de quoi se les payer. Allons en trouver un.”
 
Elle n’avait pas tort, mais Erin avait du mal à le reconnaître. Ryoka retourna vers Agnès, dont le sourire s’était légèrement affaissé. Elle avait déjà l’air résignée avant même que Ryoka n’ait pris la parole.
 
“Je suis désolée, Miss Agnès, mais il faut vraiment qu’on y aille.”
 
“Je comprends. Mais si vous voulez vous arrêter un moment, un jour…”
 
La femme avait l’air déçue et un peu blessée. Cela finit de décider Erin.
 
“Nah, viens, on reste.”, interrompit-elle Ryoka. Cette dernière se retourna pour la fusiller du regard en silence, mais Erin l’ignora. Elle sourit à Agnès, qui lui retourna un sourire de surprise beaucoup plus authentique.
 
“J’aimerais savoir ce que vous avez à nous proposer. Et nous aimerions rester dormir aussi, pas vrai, Ryoka ?”
 
Ryoka avait l’air exaspérée, mais elle lâcha l’affaire.
 
“J’imagine que oui. Une table pour deux, Miss Agnès. Loin de ces deux-là, s’il vous plaît.”
 
Elle indiqua d’un signe de tête les aventuriers qui renversaient leur boisson par terre en avalant de grandes lampées. Agnès leur adressa un sourire lumineux et les guida à une table de l’autre côté de la pièce, en discutant avec Erin avec enthousiasme.
 
“Oh, merci. Vous savez, c’est vraiment dur depuis que mon pauvre mari est tombé malade. Il est alité depuis deux semaines, avec une terrible fièvre, et j’essaie de faire tourner la boutique, mais je n’ai tout simplement pas ses niveaux. J’étais [Couturière] de métier avant de devenir [Aubergiste] à ses côtés…”
 
“Vraiment ? C’est tellement bizarre. Vous savez, je suis [Aubergiste] aussi, Agnès.”
 
‘Quelqu’un d’aussi jeune que vous ? Quel accomplissement ! Pas étonnant que vous soyez amie avec Miss Griffin, Miss… Erin, c’est bien ça ?”
 
“Je t’en prie, appelle-moi Erin. Oui, j’ai une auberge à Liscor, mais je suis, euh, en voyage pour le moment…”
 
Le temps qu’Erin s’asseye à une table avec Ryoka et qu’elles commandent du bœuf aux pommes de terre, le plat du jour, elle s’était complètement investie dans les ennuis d’Agnès. Elle avait même rencontré les deux serveuses, Maran et Safry, et elles étaient toutes deux joyeuses et accueillantes, bien que fatiguées. Agnès avait discuté joyeusement avec Erin avant de retourner cuisiner à la cuisine, une scène si familière pour Erin qu’elle se sentit immédiatement très proche de la femme.
 
Ryoka était assise, les bras croisés, et fronçait les sourcils. Elle avait refusé de prendre part aux conversations. À présent, elle attendait son plat, clairement agacée par le choix d’Erin de rester ici.
 
“Aw, allez, Ryoka. Agnès est sympa ! Tu ne crois pas ?”
 
“Ça va, il y a pire.”
 
C’était bien son problème. Ryoka devenait grincheuse quand les choses ne se déroulaient pas à sa façon. Erin était toutefois déterminée à rester de bonne humeur.
 
“Agnès a dit qu’elle te connaît depuis que tu es arrivée ici, Ryoka. Tu ne te souviens vraiment pas d’elle ?”
 
Ryoka haussa les épaules, mal à l’aise.
 
“C’est une [Aubergiste], Erin. Sans vouloir t’offenser, je dors dans un sacré nombre d’auberges, avec mon boulot.”
 
“Tu te souviens de moi, pourtant.”
 
“Tu as tendance à sortir du lot, Erin. Ici…”
 
Ryoka ne termina pas sa phrase. Elle haussa les épaules, l’air sombrement résigné.
 
“Mangeons. On pourra discuter pendant le dîner.”
 
“Ooh ! Je crois que j’aperçois nos assiettes.”
 
Erin se tourna sur son siège et sourit lorsque Safry sortit de la cuisine, tenant en équilibre deux assiettes et deux verres - de l’eau bouillie et du lait. Ryoka soupira.
 
“N’espère pas trop te régaler. Les plats ne sont pas toujours aussi bons qu’à ton auberge, ici.”
 
“Tu es si pessimiste, Ryoka ! Enfin, ça ne peut pas être si mauvais, si ?”
 
“Pitié, dis-moi que tu ne viens pas de dire ça.”



***


C’était en tout point le repas auquel s’était attendu Ryoka, et, clairement, ce n’était pas celui qu’Erin avait imaginé. Elle vit le visage d’Erin réagir ostensiblement à la vue de la viande légèrement brûlée et aux pommes de terre ternes que Safry posa devant elles. Ryoka tâta sa viande du bout de sa fourchette, en se demandant si elle allait réussir à en ôter le gras ou si elle devrait tout simplement commander une autre assiette et prendre les meilleurs morceaux des deux.
 
Safry s’excusa envers Erin en posant les verres. Elle s’entendait déjà très bien avec Erin, ce que Ryoka n’arrivait pas à croire.
 
“Désolée. Agnès n’a pas de Compétences. Tu es sûre de ne pas vouloir boire quelque chose de plus fort ? Ça aide à faire passer le reste.”
 
“Non, c’est bon. Merci, Safry !”
 
Erin sourit à la jeune femme, puis baissa de nouveau les yeux pour contempler son assiette. Ryoka soupira.
 
“Tu vois ce que je veux dire ?”
 
“C’est peut-être bon !”
 
Erin prit un air optimiste, piqua un morceau de viande et le mit dans sa bouche. Ryoka regarda Erin mâcher, essayer d’avaler, puis se retrouver contrainte de mâcher davantage. Son visage se décomposa.
 
“Aw.”
 
Leur viande avait beaucoup trop de gras et de morceaux tendineux. Ryoka piquait sa fourchette dans ses pommes de terre ; elles manquaient de cuisson et étaient aussi fades que des… eh bien, de mauvaises pommes de terre.
 
“On dirait que c’était le mari qui possédait tous les talents culinaires du ménage. Ça, ou alors l’auberge gagne la majeure partie de ses bénéfices en vendant de l’alcool.”
 
“Ryoka ! Ne sois pas malpolie !”
 
Erin avala sa bouchée dans un effort visible. Elle avait l’air vraiment déçue, mais elle essaya de manger un autre morceau de pomme de terre.
 
“D’accord, ce n’est pas bon… mais peut-être qu’Agnès ne connaît tout simplement aucune recette ?”
 
“Je pense plutôt qu’elle n’a jamais eu à s’entraîner avant maintenant.”
 
Ryoka soupira. Elle avait commencé à comprendre l’avantage que conféraient les niveaux, tout comme les désavantages qu’ils créaient.
 
“Son mari… j’imagine qu’il avait toutes les Compétences culinaires. Agnès n’en a pas, et elle n’a donc jamais pris la peine d’apprendre à cuisiner comme elle n’en avait pas besoin tant qu’il était dans les parages. Après tout, quel intérêt ? Quelqu’un qui possède [Cuisine Élémentaire] peut faire tout ce qu’il faut, ce qui signifie qu’à moins de vivre dans une tribu Gnolle où tout le monde se partage les tâches, les gens n’apprennent pas beaucoup de choses à moins qu’elles ne fassent partie de leur boulot.”
 
Ryoka mordit dans une pomme de terre et grimaça.
 
“Ou c’est peut-être juste elle qui est comme ça. On peut toujours trouver une autre auberge, Erin.”
 
“Non, on reste ici. Agnès est gentille.”
 
Erin arborait son expression butée. Ryoka détestait cette expression ; cela signifiait qu’Erin était déterminée à ce que l’on fasse les choses à sa façon. Elle soupira et mâcha la pomme de terre avant de la faire descendre avec une gorgée d’eau. La nourriture restait de la nourriture, après tout.
 
Pourquoi était-elle si mécontente, après tout ? Ce n’était qu’un repas. Après tout ce qu’il s’était passé aujourd’hui, elle pouvait bien manger un mauvais repas et dormir dans un lit plein de bosses. C’était seulement que… Ryoka s’était un peu trop habituée à la cuisine d’Erin, voilà tout.
 
Les deux jeunes filles supportèrent encore deux bouchées avant qu’Erin ne pose sa fourchette d’un air affligé.
 
“C’est vraiment mauvais.”
 
“Je te l’avais dit. On peut s’en aller…”
 
“Non, j’ai dit qu’on restait. Mais je vais aller dire un mot à Agnès.”
 
“Quoi ? Erin. Tu ne peux pas…”
 
Trop tard. Erin s’était levée et était déjà en train de se diriger vers la cuisine. Ryoka grinça des dents. Si Erin les mettait encore dans le pétrin, elle allait… elle allait…
 
Faire quoi, exactement ? Les souvenirs de Ryoka remontèrent à la surface et elle se vit défier un Dragon à un jeu d’énigmes. Comparé à ceci, en quoi se faire jeter à la porte par une [Aubergiste] en colère pouvait-il être bien terrible ?
 
Erin était partie depuis un petit moment, et Ryoka se demandait nonchalamment si elle pouvait trouver un moyen de sortir le grimoire de Teriarch et le lire sous la table. Sachant qu’il faisait pratiquement la taille de ladite table, elle doutait de pouvoir s’en sortir. Les aventuriers étaient toujours en train de rire et de l’agacer de l’autre côté de la pièce, et elle s’apprêtait à commander un verre d’alcool et à boire pour mettre fin à ses misères jusqu’au lendemain lorsque quelqu’un l’appela.
 
“Ryoka ? C’est toi ?”
 
La voix familière fit sursauter Ryoka. Elle se tourna vers l’entrée. Une jeune femme imposante à l’allure familière se tenait dans l’encadrement de la porte.
 
“Garia ?”
 
Garia Strongheart entra dans l’auberge, un large sourire accroché aux lèvres.
 
“Ryoka !”
 
Cela faisait longtemps qu’elles ne s’étaient pas vues, ou Ryoka se serait souvenue de faire attention à la force écrasante de Garia. Elle entendit ses os craquer sous l’étreinte de la jeune fille, mais Ryoka n’y prêta pas attention. Elle sourit même à Garia lorsque cette dernière s’assit à côté d’elle.
 
“Garia, ça faisait longtemps. Comment vas-tu ?”
 
“Oh, tu sais comment c’est. Je fais des livraisons, rien de spécial. Mais toi… ça fait des semaines que je ne t’ai pas vue, Ryoka ! Je ne savais même pas que tu étais en ville - personne, à la Guilde, n’a dit que tu étais là. Que s’est-il passé ? Est-ce que tu étais partie faire une livraison vraiment spéciale ? Je croyais que tu descendais juste à Liscor pour quelques temps !”
 
Ryoka réalisa avec un pincement au cœur qu’elle n’avait pas dit à Garia ce qu’elle s’apprêtait à faire. Elle secoua la tête.
 
“C’est une longue histoire. Je ne fais pas de livraisons en ce moment ; je suis avec une amie, en fait.”
 
“Une amie ? Toi ?”
 
Le visage candide de Garia était un poil trop choqué au goût de Ryoka, mais elle s’installa et Ryoka agita la main pour appeler l’une des serveuse - comment s’appelait-elle, déjà ? - et elles se mirent bientôt à papoter.
 
“Il y a eu du nouveau ? Où est Fals ?”
 
“Oh, il est en livraison. Rien de neuf - à moins que… tu as su pour Persua ?”
 
Ryoka grimaça.
 
“Dis-moi qu’elle est morte.”
 
“Non… en fait…”
 
Garia s’interrompit et renifla l’air. Ryoka leva les yeux, elle aussi.
 
Quelque chose avait changé. L’odeur de l’auberge, tout comme le fond sonore, avaient depuis longtemps cessé d’envoyer des messages d’alerte au cerveau de Ryoka. Mais quelque chose avait changé. L’odeur de viande légèrement brûlée avait changé, et quelque chose de nouveau et d’odorant flottait dans les airs. Le fumet leur mit l’eau à la bouche, et provenait de la cuisine.
 
“C’est quoi, cette odeur ? Oh, est-ce que Jerom est de nouveau sur pieds ? C’est un bon cuisinier, même si ce n’est pas vraiment le cas de Miss Agnès, qui tient l’auberge en ce moment.”
 
Garia prit un air coupable et chercha l’aubergiste des yeux en discutant avec Ryoka.
 
“Je ne m’attendais vraiment pas à te voir ici. Je reste tout le temps là parce que ce n’est pas très cher et qu’Agnès est vraiment gentille, mais les plats ne sont vraiment pas très bons. Tu peux probablement te permettre mieux, Ryoka.”
 
“Sans blague ?”
 
Pourquoi fallait-il que Garia et Erin considèrent que le fait que l’[Aubergiste] soit gentille suffisait à rendre l’auberge acceptable ? Mais Ryoka était encore troublée par la nouvelle odeur. Ses yeux s’étrécirent en voyant l’une des serveuse sortir de la cuisine en apportant un burger à l’allure familière. La serveuse l’offrit à un client et Ryoka grogna.
 
“Elle ne peut pas être sérieuse.”
 
“Qui ? Est-ce que quelqu’un a fait quelque chose ?”
 
Erin. Bordel. Elle et ses idées stupides. Mais Ryoka regarda tout de même d’autres assiettes sortir de la cuisine et Maran et Safry peiner à garder le rythme.
 
“Voici un, euh, hamburger, Miss Ryoka. [Aubergiste] Erin a dit que vous alliez vouloir en prendre un.”
 
Ryoka contempla le burger, son bun toasté et son steak épais et bien grillé. C’était un burger maison avec tous ses assortiments ; apparemment, Erin avait même fait une mayonnaise qu’elle avait mise sur les frites.
 
Comment diable pouvait-elle cuisiner si vite ? C’était sans doute sa compétence de [Cuisine Avancée], mais elle restait tout de même bien trop rapide pour que ce soit humainement acceptable. Ryoka gargouilla lorsqu’elle contempla le merveilleux burger, bien loin de l’assiette qu’elle avait repoussée.
 
“Est-ce que c’est… qu’est-ce que c’est, Ryoka ?”
 
Garia regardait le burger d’un air affamé, et même Safry avait l’air de vouloir en prendre un bout. Ryoka grogna et prit l’assiette.
 
“Dis à Erin d’en faire un autre pour Garia. Et si elle fait encore à manger…”
 
“Oh, c’est le cas. Vive comme l’éclair, celle-là. Elle a [Cuisine Avancée]. N’est-ce pas incroyable ?”
 
“[Cuisine Avancée] ? C’est très impressionnant. Ryoka, tu connais la nouvelle cuisinière ?”
 
“C’est mon amie. Elle a décidé de filer un coup de main à ton aubergiste. C’est une [Aubergiste], elle aussi.”, grommela Ryoka entre deux bouchées de burger pendant que Garia la pressait de questions. La viande juteuse la rasséréna, et Garia faillit se décrocher littéralement la mâchoire lorsqu’elle reçut le sien et le goûta.
 
“C’est délicieux ! Et c’est quoi, ça ? Qu’a dit la serveuse ? Des frites ? Oh ! C’est de la pomme de terre ! Ton amie est incroyable, Ryoka !”
 
Elles dévorèrent toutes deux leur repas et Ryoka vit l’ambiance de la pièce changer. Les dîneurs ne s’étaient pas précipités sur leurs repas, mais à présent, tout le monde, de l’ouvrier fatigué aux aventuriers, avaient trouvé un estomac séparé pour manger les plats de bien meilleure qualité d’Erin. Les plats sortaient à toute allure de la cuisine et, en accord avec la loi du commerce, l’ambiance chaleureuse et les bonnes odeurs attirèrent d’autres clients.
 
“Et voilà qu’elle discute avec les clients, à présent. Merveilleux.”
 
Ryoka essaya de capter l’attention d’Erin, mais cette dernière avait de nouveau quitté la cuisine et discutait avec animation avec les gens, suivie d’Agnès qui lui jetait des regards admiratifs.
 
Garia mâchonnait son deuxième burger, mais elle s’arrêta pour dévisager Erin.
 
“Elle a l’air tellement… tellement normale. Rien à voir avec toi, Ryoka. Comment l’as-tu rencontrée ?”
 
Devait-elle lui dire la vérité ou pas ? Ryoka était en train de se demander si elle allait répondre à la question de Garia lorsqu’elle remarqua qu’il y avait du grabuge à l’autre bout de la pièce.
 
Les aventuriers n’étaient clairement pas un groupe de rang Or comme Halrac et la Chasse aux Griffons, mais ils se vantaient de toute évidence bien assez pour deux groupes de leur taille. Ils riaient, racontaient des blagues grossières et dérangeaient globalement tout le monde depuis que Ryoka était entrée. Ils étaient de plus en plus saouls. Elle les détestait déjà, mais apparemment, même l’équipe entièrement masculine avait apprécié la cuisine d’Erin.
 
Malheureusement, cela n’avait fait que les exciter encore plus. Ryoka vit l’un d’eux attraper Safry par le bras lorsqu’elle vint remplir leurs chopes. Elle essaya de se dégager, mais alors l’un d’entre eux empoigna sa poitrine pendant qu’un autre lui tâtait les jambes.
 
Elle savait que c’était commun à une époque où les poursuites judiciaires et les règles sur le harcèlement sexuel n’existaient pas, mais en voyant cela, le sang de Ryoka ne fit qu’un tour. Safry finit par se dégager, de toute évidence bouleversée, mais les hommes ne firent que rire encore plus fort. Ryoka gronda et essaya de se lever.
 
“Ryoka. Ne commence pas de bagarre, s’il te plaît.”
 
Garia avait vu la même scène que Ryoka, mais elle avait davantage l’air mal à l’aise qu’en colère. Elle essaya de forcer Ryoka à se rasseoir mais cette dernière regardait les aventuriers d’un air mauvais. Ils étaient cinq et deux d’entre eux étaient encore en armure. Ryoka brûlait d’envie de chercher la bagarre, surtout avec le type qui avait donné une fessée à Safry lorsqu’elle était partie.
 
Elle avait deux options. Faire quelque chose, ou ne rien faire. La majeure partie de l’esprit de Ryoka lui disait de se lever et d’aller défoncer la gueule des aventuriers, mais l’autre partie et Garia lui disaient que c’était une mauvaise idée.
 
“Arrête, Ryoka ! Tu vas nous mettre dans le pétrin et tu pourrais te faire blesser !”
 
C’était vrai. Ce n’était pas son combat, et les hommes s’étaient contentés de traiter Safry comme un objet. C’était tout. Parfaitement normal. Ryoka serra le poing, puis sentit les doigts manquants sur sa main.
 
Elle baissa les yeux. Il y avait des moignons à cet endroit. Elle oubliait parfois, à présent, qu’elle avait perdu ses doigts. Garia ne l’avait même pas encore remarqué ; Ryoka avait gardé sa main droite sous la table. Elle avait perdu ses doigts en se surestimant. Une malédiction, peut-être, mais le Gobelin qui les lui avait arrachés l’avait prise par surprise. Et ce n’était qu’un Gobelin. Il suffisait d’une seconde, d’une erreur…
 
Elle contempla sa main. Puis l’homme. Lentement, Ryoka se réadossa à sa chaise. Le moment était passé.
 
Bouillante de colère, Ryoka se rassit. Les aventuriers ne l’avaient même pas remarquée. Elle les observait à présent, et voyait à quel point Maran et Safry ne voulaient clairement pas s’approcher de leur table. Mais, trop vite, leurs chopes se vidèrent, et ce fut Maran qui les approcha cette fois-ci pour leur servir une autre boisson.
 
Cette fois-ci, il y eut davantage de blagues et de mains se baladant là où elles n’avaient rien à faire. Garia serra le bras de Ryoka d’une main assez forte pour la faire tenir en place. Maran rougit lorsque l’un des hommes essaya de tirer sa blouse vers le bas.
 
Là encore, Ryoka lutta pour se dégager, mais cette fois-ci, Erin avait vu la scène alors qu’elle discutait avec Agnès et un homme plus âgé à une table. L’instant suivant, elle était dressée devant Maran, et repoussait les mains de l’homme. Ryoka entendit sa voix résonner dans l’auberge.
 
“Ne recommencez pas, je vous prie.”
 
Le silence s’abattit sur toute la pièce. La bouche de Garia s’arrondit en un “o” d’horreur parfait, et Ryoka vit des hommes et des femmes marquer une pause pour dévisager les aventuriers. Les cinq hommes s’étaient immobilisés. Agnès paraissait horrifiée. Erin était calme.
 
“Hey maîtresse, ce n’était pas méchant. Nous étions juste amicaux !”
 
Ryoka entendit ces mots ivres, qui résonnaient avec d’autres phrases qu’avaient dites des hommes et des femmes pendant des fêtes et qu’elle avait appris à mépriser. Elle serra les dents, mais Erin était toujours calme. Elle adressa un large sourire aux aventuriers.
 
“Je vous prie de ne pas toucher Maran. Elle essaie juste de faire son boulot, d’accord ?”
 
“Sinon quoi ? Nous avons payé en bon argent pour nous asseoir ici. Vous ne savez donc pas qui nous sommes ? Nous sommes les Épées Brillantes de Celum !”, s’exclama l’un des hommes d’un air fier, comme s’il s’attendait à des applaudissements. Erin ne cilla même pas.
 
“Ouais, mais vous restez des invités. Et c’est mon… l’auberge d’Agnès. Mais c’est moi qui m’en occupe ce soir. Si vous ne vous calmez pas, je vous virerai à coup de pieds aux fesses.”
 
Cette fois-ci, tous les aventuriers se figèrent, et Ryoka entendit les gens s’éloigner lentement d’Erin. Mais elle ne cligna même pas des yeux lorsque les hommes, pourtant de grande taille, la dévisagèrent. Puis l’un d’eux éclata de rire, un rire forcé qui paraissait trop jovial pour être honnête.
 
“Très bien. Nous ne la toucherons plus. Je vous le promets, bonne maîtresse.”
 
“Super !”
 
Erin sourit et se détourna pour partir. C’est le moment que choisit l’homme pour tendre la main et lui claquer les fesses.
 
Tout le monde se tut. Ryoka renversa sa chaise, mais Erin réagit au quart de tour. Elle se tourna et regarda l’aventurier qui souriait droit dans les yeux. Il la narguait d’un air goguenard.
 
Le poing qui s’écrasa sur son nez l’envoya bouler au fond de sa chaise. Il s’écrasa au sol et ses copains regardèrent fixement Erin, sous le choc. Toute l’auberge s’était immobilisée ; le sourire de Ryoka aurait pu servir de remède à la dépression.
 
Puis l’un des hommes rugit et se leva de la table. Il tendit la main vers Erin, mais elle saisit une chope sur la table et l’écrasa sur son visage. Il tituba en arrière et elle leva une chaise qu’elle lui assena en pleine poitrine.
 
Une rixe de taverne. Erin donna un coup de pied qui retourna la table puis cogna l’un des hommes suffisamment fort pour qu’il s’étale par terre. Ryoka regarda les clients partir en courant, puis entendit une voix.
 
Garia était assise sur sa chaise et regardait fixement Erin qui affrontait les cinq hommes à la fois avec grand succès. Elle dévisagea Ryoka, le teint pâle.
 
“C’est elle, ton amie, Ryoka ? Elle est encore plus folle que toi !”
 
“Je sais. Elle est géniale, hein ?”
 
Ryoka sourit. Puis elle se tourna, fit voltiger une table et donna un coup de pied dans le dos d’un type. Il tomba sur son pote et Ryoka réussit à assener un coup de pied fouetté au type qui avait claqué les fesses d’Erin. Elle vit Erin donner un coup de pied à l’un des aventuriers à terre et sourit en voyant une assiette de pommes de terre et de viande presque intacte.
 
Elle venait de parvenir à l’écraser sur le visage d’un mec lorsque quelqu’un d’autre essaya de l’attraper. Mais Ryoka le cogna avec des petits coups rapides et il la manqua de son poing maladroit. C’était le chaos, c’était le bazar, mais Ryoka était beaucoup plus entraînée qu’une bande de crétins armés d’épée et complètement ivres. Et Erin assurait ses arrières.
 
Entre les appels de la garde et les cris, Ryoka sentit son sang pulser dans ses veines tandis qu’elle cognait du pied et du poing et esquivait les coups. Le meilleur moment de la bagarre fut lorsque Garia saisit l’un des types et le jeta contre un mur suffisamment fort pour qu’il en perde la totalité de son dîner. Et c’était avant que l’un des clients habituels décide de les rejoindre et d’aider Erin en étalant l’un des aventuriers au sol d’un coup de poing.
 
Ça allait être une bonne soirée, finalement.


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 21 mars 2021 à 22:45:38
2.48
Partie 1
Traduit par Maroti

Loks s’appuya contre un immense Loup Carnassier et contempla un rêve. C’était un rêve que chaque Gobelins faisait une fois dans sa vie. C’était un souhait, une vision pour les mauvaises nuits quand les ventres étaient gonflés par la faim et ou que les Gobelins gisaient, blessés, et se vidant de leur sang au sol en essayant de dormir.

Ils rêvaient de villes en flamme.

Dans le rêve de Loks, les grands murs des villes Humaines et Drakéides tombaient en ruine. Le feu rasait leur ville, et les cris des monstres sans merci résonnaient dans la nuit noire. Pour une fois, ceux qui l’avaient chassé, chassé son peuple, étaient piégés comme des rats par le fer et le feu.

La fumée fit cligner Loks des yeux. Mais la vision en face d’elle resta intacte. Ce n’était pas un rêve.

C’était un cauchemar.

Les Humains fuyaient alors que les Gobelins s’engouffraient dans la ville. Loks les regarda dévaliser les maisons. Les Humains survivants fuirent alors que les Gobelins s’approchèrent. Ceux qui prirent la fuite furent permis de garder leur vie, ses ordres étaient clairs. Mais ceux qui levèrent une épée ou une arme périssaient. C’était aussi simple que cela.

Chaque Gobelins de la petite troupe de Loks était en train de sourire. C’était, après tout, ce dont ils rêvaient quand ils avaient été petits et pourchassés par des Humains, ou au bord de la mort après un coup d’épée d’un aventurier qui venait de brûler leur demeure. Mais Loks n’arrivait pas à sourire.

Tout ça n’allait pas.

Le seul autre Gobelin qui ne souriait pas était Garen Rougecroc. Il chevaucha, laissant son massif Loup Carnassier venir à son niveau. La monture de Loks s’éloigna du plus grand loup, Mais Garen descendit pour que Loks et lui soient au même niveau. Il se tint à ses côtés en regardant le paysage enflammé.

Lui aussi n’était pas content. Il avait dit que son approche était faible et molle, mais la victoire qu’elle avait décrochée. Il aurait préféré brûler l’intégralité de la ville, mais Loks était sa supérieure. Maintenant, il se tenait les bras croisés et s’adressa à elle alors qu’il regarda leur tribu envahir les rues.

« Ils ne nous pardonnerons jamais pour cela. Même ce que tu as fait n’est pas suffisant. »

Loks hocha la tête. Elle regarda les ruines en feu et les corps gisant au sol. Si peu des siens, mais bien trop.

Et il y avait d’innombrable mort. Des Humains gisaient là où ils étaient tombés, recouverts de flèches. Des Gobelins les entouraient ; mais les Humains gisaient en morceau là où les élites de Garen les avaient regroupés avant de les tailler en pièces.

Dans tous les cas, il y avait trop de morts ici. Trop, pour si peu.

Quand est-ce qu’elle avait pensé comme ça ? Loks ne le savait pas. Mais c’était différent, de penser aux choses en termes de perte et de gain plutôt que de vie et de mort.

Il y avait encore une grande partie de Loks qui se fichait de voir tous les Humains mourir. Mais le reste d’elle, la partie d’elle qui avait appris, savait que cela allait compliquer la vie de ses tribus. De plus, cela voulait dire que les Humains allaient envoyer des armées contre elle et non contre le véritable ennemi.

Loks plissa les yeux alors qu’il vit un groupe de Gobelins se séparer du reste pour rentrer dans ce qui semblait être une forge. Bien. Elle espérait qu’ils n’allaient pas essayer de voler l’enclume ; ils en avaient déjà une.

Ses Gobelins n’étaient pas en train de voler de manière chaotique ; ils étaient en train d’essayer de trouver ce qu’elle voulait, courant dans les flammes. Plusieurs Hobs plus audacieux que les autres entrèrent dans les bâtiments en flamme, sortant brûlée, mais avec un précieux butin.

Plus de cris. Loks pouvait entendre des mots depuis sa position. Elle vit un homme juré alors qu’un Hobgobelin avant de perdre sa main. Puis il hurla.

La famille qu’il était en train d’essayer de protéger s’enfuit alors que le Hobgobelin termina l’Humain blessé. Elle vit l’un des enfants trainés derrière. Si lent. Les enfants Gobelins courraient vite, car ils se faisaient piétiner ou tuer en traînant. Mais cet enfant tomba.

Le Hobgobelin ignora l’enfant alors que la mère s’en empara et recommença à courir. Ils n’étaient pas une menace ; ils faisaient simplement partie du troupeau terrifié qui essayait de fuir les Gobelins.

Des milliers d’Humain étaient en train de fuir, mais d’innombrables autres étaient morts. La ville venait de disparaître pour devenir un tas de cendre dénué de sens. Des armées allaient peut-être bientôt la reprendre, mais ce que Garen avait dit était vrai, donc des aventuriers de rang-Or allaient les accompagner. Mais Loks et ses Gobelins n’allaient pas être là.

Garen s’agita aux côtés de Loks. Il avait reçu plusieurs profondes entailles lors du combat, mais même la plus tranchante des épées ne parvenait pas à entièrement tailler sa peau épaisse. Il était véritablement l’équivalent d’un aventurier de rang or. Loks l’enviait, même quand elle réalisait qu’elle ne serait jamais Garen. Sa force se trouvait autre part.

Et maintenant le feu venait d’engloutir le reste de la ville. Les Gobelins s’éloignèrent du pire de l’incendie alors qu’ils terminèrent leur pillage. Loks regarda le feu devenir incontrôlable. Il n’allait pas dévorer les pierres, mais tous les Humains qui auraient put se cacher allait mourir.

Peut-être que, si elle était à l’auberge d’Erin, cela ne serait jamais arrivé. Mais Loks n’avait plus le droit d’y rentrer. Elle avait été chassée.

Les raisons avaient du sens, mais c’était quand même désagréable. Elle avait vu la petite Gnolle et l’Humaine colérique qu’Erin avait pointé et vit un reflet. Elle avait regardé l’enfant qu’Erin avait appelé Mrsha et vit quelque chose de familier dans ses yeux. Elle s’était vue. Cela l’avait rendu confuse. Loks souhaitait avoir eut une dernière chance de s’asseoir et…

Mais c’était trop tard. Bien trop tard. Et cela avait appris à Loks une importante leçon. Les Gobelins étaient seuls. À la fin, il n’y avait personne d’autre qu’eux-mêmes pour les aider.

Quelqu’un bougea à la gauche de Loks. Elle mit la main sur son arbalète, mais ce n’était rien d’inquiétant. Son escorte d’Hob et Garen s’écartèrent pour laisser passer l’un des plus petits Gobelins. Loks le regarda alors qu’il parla à Garen et lui donna quelque chose.

Garen s’approcha de Loks et lui offrit une pièce de métal et de bois. Loks la regarde. C’était rapide. Mais ils avaient le bois et le métal et avec cet équipement Humain, leur [Bricoleur] allaient pouvoir faire du bon travail.

« Ils disent qu’ils ont trouvé de nombreuses pièces dans la ville. Assez pour des centaines. »

La première arbalète brilla à la lumière des flammes alors que Loks la leva et observa l’arme mortelle. Garen la regarda d’un air désapprobateur ; il préférait se battre de manière proche et personnel. Il voyait cela comme une béquille, mais Loks voyait autre chose dans l’arbalète rudimentaire.

Les Gobelins étaient faibles. Tout le monde le savait. Les Gobelins le savaient. Pour survivre, ils devaient submerger, tendre des pièges, tricher. S’ils ne pouvaient pas être fort, alors ils allaient construire leur force.

« Et ensuite ? Attaquons-nous Liscor ? »

Garen sourit, montrant des dents ensanglantées. Il était prêt à se battre, tout comme ses guerriers. Mais Loks le surprit lui et les autres Gobelins en secouant la tête.

« Non. Au nord. »

Les trois mots furent difficiles et gênants sur sa langue. Mais elle les avait bien prononcés. Garen plissa les yeux et essaya de protester, mais Loks lui lança un regard.

La guerre était proche. Et les tribus de Loks n’étaient pas prête. Pas encore. Elle regarda au nord. Il y avait de plus grandes tribus, et plus de villes Humaines, et des lieux parsemé d’endroits qu’elle n’avait jamais vus.

Ce Seigneur des Gobelins avait une armée d’horrible chose. Une armée capable d’écraser sa tribu en quelques instants. Ils n’allaient pas le provoquer.

Pas encore.

La tribu de Loks se rassembla dans l’heure et l’intégralité du groupe se dirigea vers le nrod pour rejoindre le reste des tribus rassemblées. Loks chevaucha à la tête de son armée, ralentissant pour que les Hobs puissent tenir le rythme.

Alors que Loks chevaucha son loup, elle se souvint d’une petite Gobeline assise dans une auberge, jouant aux échecs. Elle souhaita, au plus profond de son cœur et avec des mots qu’elle n’oserait jamais prononcer, qu’elle puisse revenir là-bas.

Mais elle est plus vieille désormais. Elle ne pouvait pas revenir en arrière. Ses objectifs n’étaient plus ce qu’ils avaient été.

Devenir plus fort. Apprendre la vérité. Survivre.

Derrière elle, Esthelm continua de brûler.

***

« Je devrais vous arrêter pour ça. Toutes les deux. »

Ryoka regarda le [Garde] moustachu qui s’adressait à elle et Erin et si demandait ce qui allait se passer si elle lui mettait un coup de poing dans la tronche. Elle allait probablement se faire poignarder.

C’était une mauvaise idée. Mais elle était encore prête à partir après le combat dans le bar. Ryoka le savait. Elle croisa les mains derrière son dos, ne frappa personne, et laissa Erin parler.

« Mais ce n’était pas notre faute, Moust… Wesle. »

Erin pointa les aventuriers gémissants du doigt, seulement la moitié d’entre eux étaient conscient, et agita ses bras tandis que le garde se frotta le visage avant de soupirer.

Il était tard. Le soleil s’était déjà couché, mais les rues étaient éclairées par de nombreux brasiers, et les torches que les membres de la Garde tenaient. Ils étaient nombreux pour un petit combat de bar ; plus d’une dizaine de [Garde] étaient dans la rue, principalement regroupée autour des quatre aventuriers de rang-Bronze et de l’aventurier de rang-Argent.

C’était probablement parce qu’ils étaient nerveux en pensant à l’aventurier de rang-Argent. Mais s’ils s’inquiétaient à cause de cela, ils auraient mieux fait de surveiller Erin. Ryoka l’avait vu s’occuper de l’aventurier de rang-Argent et mettre de sacrer coup de poing aux aventuriers de rang-Bronze sans avoir la moindre égratignure.

Le combat n’avait pas vraiment été équitable. L’intégralité de l’auberge avait pris le côté des filles après que Ryoka et Garia soient intervenus. Résultat, les aventuriers donnaient l’impression de s’être fait rouler dessus par plusieurs tonneaux.

La plupart des clients étaient de nouveau à l’intérieur, buvant et fêtant leur victoire. Seule Agnes se tenait dehors avec Erin et Ryoka, visiblement inquiète. Ryoka n’arrivait pas à deviner ce qui allait se passer.

La Garde de Celum était bien différente de celle de Liscor. Premièrement, ils prenaient beaucoup plus de temps à intervenir. Ils s’étaient montrés une fois que les aventuriers furent jetés dehors comme des malpropres, et tous au même moment. Erin lui avait décrite comment des Gardes Vétérans comme Klbkch ou Relc intervenait, et ils intervenaient en moins de cinq minutes pour arrêter d’une bagarre avec une main dans le dos.

Ce n’était pas le cas ici. Et apparemment il était rare que la Garde soit appelée pour des cas ou des citoyens avaient affronté les aventuriers. Erin devait convaincre Wesle qu’elles avaient été celles qui avaient mit une raclée aux aventuriers, ce qui donnait naissance à cette étrange situation.

« Mademoiselle Erin, Mademoiselle Griffin. Vous ne pouvez pas commencer de bagarre dans cette ville. »

« Mais ils étaient des andouilles. Y’en a un qui m’a mis la main aux fesses ! »

Erin fusilla Wesle du regard. Il semblait vouloir s’arracher la moustache.

« Je comprends. Mais ce n’est pas une raison de commencer une bagarre. »

Ryoka plissa les yeux, mais Erin redoubla son regard.

« Donc est-ce que ça veut dire que tout va bien si je te met la main aux fesses ? Ou si un gars te le faisait ? »

Il s’arrêta.

« Ce n’est pas… Je n’ai pas dit que tu étais dans le mal, mais… »

« Je lui ai dit de ne pas le faire. Et il l’a fait quand même. Qu’est-ce que j’aurai dû faire ? »

« Ce n’est pas si terrible, n’est-ce pas ? »

Le regard lourd de sens que Ryoka et Erin lui donnèrent fut suivi par plusieurs femmes présente dans la Garde. Mais Wesle eut l’intelligence de se rendre compte que continuer sur cette longueur n’allait lui attirer que des ennuis et leva les mains pour se rendre.

« D’accord, d’accord. Je comprends que tu avais une bonne raison. Mais était-ce une raison de les frapper à ce point ? »

Derrière lui, l’un des [Garde] essayait de réveiller l’un des aventuriers. Mais l’homme ne se réveilla pas, probablement pour le mieux, car son visage ressemblait plus à une prune bien mûr.

« J’sais pas. Ils ont essayé de me frapper. J’ai juste mieux frappé en retour. C’était une bagarre. Est-ce que tu dirais la même chose s’ils m’avaient frappé ? C’est quoi le problème ? »

« Je… Qu’importe. »

Derrière lui, l’une des gardes féminins leva son pouce en direction d’Erin. Elle sourit et lui fit un signe de la main alors que Wesle semblait résigné. »

« Donc est-ce que tu vas nous arrêter ? »

Wesle hésita, avant de secouer la tête.

« C’était bien une bagarre, mais Mademoiselle Agnes ne s’est plainte que du comportement des aventuriers, et non du votre. De plus, il y a des lois empêchant les aventuriers d’attaquer des civils. Ils auront de gros problèmes si nous découvrons qu’ils ont commencé, mais tu dis que c’est toi qui a attaqué la première ? »

Erin hocha la tête.

« Mais l’un d’entre eux a dégainé son épée. »

« Pendant deux secondes. Puis Ryoka lui a mis un coup de pied et il l’a lâché. »

Wesle se concentra sur Ryoka et la regarda de manière suspicieuse. Elle ne baissa pas les yeux.

« Tu es une Coursière de ville, c’est ça ? Je t’ai vu entrer plusieurs fois dans l’enceinte de la ville. Tu sais que ta Guilde interdit les combats avec les aventuriers, pas vrai ? »

Ryoka haussa les épaules.

« J’en ai entendu parler. Je défendais une amie. »

Il y avait probablement une règle interdisant les combats contre les aventuriers, mais Ryoka doutait que quelqu’un l’efforçait dans la guilde. Ils allaient probablement fêter le fait que des aventuriers s’étaient fait tabasser. Et elle et Wesle le savait.

Il jeta ses mains en l’air.

« D’accord. Mais je vous préviens : ne recommencez pas. »

« Si quelqu’un me met la main aux fesses, je recommence ! »

« Je pense que personne n’essayera après ce qu’il s’est passé aujourd’hui. »

Ryoka s’agita légèrement. Ses pieds commençaient à être froid à cause des pavés gelés. Wesle la regarda de nouveau.

« Avez-vous besoin de chaussures, hum, Mademoiselle Ryoka ? Nous avons plusieurs [cordonniers] de qualité qui sont ouverts même à cette heure tardive. »

« Quoi ? Non je vais bien. »

Elle avait presque oublié qu’elle était dehors en short et t-shirt sans chaussure. Ryoka sourit devant la réaction de Wesle.

« Elle a bu de la soupe magique que j’ai faite. C’est pour cela qu’elle est dehors dans le froid. »

Le [Garde] regarda Erin, mais elle semblait honnête donc il hocha la tête comme s’il avait compris.

« Alors… Cela conclut nos affaires ici. Nous allons enfermer ces aventuriers pour la nuit et déposer plainte à leur guilde suite à cet accident. »

« Aw. Tu es sûr de vouloir partir ? Pourquoi ne pas d’abord prendre un verre à la taverne ? Et de la nourriture. C’est moi qui cuisine et tout le monde adore ! Est-ce que tu as déjà goûté un hamburger ? »

Ryoka regarda Wesla lors qu’il hésita, déchiré par l’idée de prendre un verre et quelque chose à manger. L’abandon potentiel de son poste pour une poignée de minutes ne se réalisa pas car un Coursier de Rue arriva en trompe, manquant de marcher sur l’un des aventuriers se faisant tirer par les [Gardes]

« Message urgent pour tous les [Gardes] de la ville ! »

Wesle fronça les sourcils alors que lui et deux autres membres de la Garde écoutèrent le jeune homme. Il était à peine plus vieux qu’un ado ; Ryoka le reconnaissait vaguement comme l’un des visages de la Guilde locale. Elle regarda l’expression de Wesle changé, et puis l’homme leva les voix et s’adressa au reste de la Garde.

Les deux autres [Gardes] partirent en courant, et la Garde s’agita soudainement. Le Coursier de Rue s’engouffra dans une autre allée alors que Wesle commença à marcher avec le reste de la Garde.

« Attends ! Qu’est-ce qui se passe ? »

Erin attrapa l’épaule de Wesla alors qu’il s’apprêtait à partir. Il hésita, partagé, avant de s’arrêter alors que les autres s’engouffrèrent dans les rues au pas de course.

« Nous venons de recevoir un [Message]. Une armée Gobeline vient d’attaquer Esthelm et de la raser ! Tous les membres de la Garde vont sur les murs et nous levons aussi la milice au cas ou. Je te conseille de rester à l’intérieur jusqu’à ce que nous soyons sûrs que l’armée Gobeline soit partie. »

« Quoi ? Des Gobelins ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Ryoka attrapa Wesle. Il cligna des yeux alors qu’elle le tire vers elle, concentrée sur chacun de ses mots.

« Qu’est-ce que le message disait ? »

Il cligna des yeux, mais l’intensité de son regard le fit parler.

« Le rapport est confus. Apparemment une armée Gobeline a attaqué Esthelm dans la soirée. Ils ont ouvert les portes et ont commencé à massacrer la ville. Puis une autre armée Gobeline est apparue pour engager l’autre armée. De nombreux citoyens se sont échappés dans la confusion, mais la ville est perdue. »

Un poignard de peur et de panique se planta dans l’estomac de Ryoka, qui lâcha Wesle.

Des Gobelins. L’image du Seigneur des Gobelins, de l’armée qui avait détruit la tribu des Lances de Pierre passa dans son esprit. Pourquoi est-ce que les Gobelins étaient autant au nord ? Est-ce que c’était la même armée ? Et puis, elle continua de s’inquiéter. Qu’est-ce qui était arrivé à Mrsha ? Comment avait-il passé Liscor ? Est-ce qu’ils avaient contourné la ville ?

« Toutes les villes voisines sont en train de lever une armée pour reprendre la ville, mais cela pourra nous prendre des semaines. Et si c’est un raid de la part de ce Seigneur des Gobelins, alors son armée est bien plus grande que ce que nous pensions. »

Wesle était en train de parler de manière anxieuse à Erin. Elle semblait inquiète, mais c’était probablement parce qu’elle s’inquiétait pour son amie Gobeline, Loks. Ryoka ne s’inquiétait pas pour une Gobeline. Elle était en train d’imaginer ce qui se passerait si les Gobelins arrivaient au nord.

Ils avaient des centaines de Hobgobelins. Et des Gobelins morts qui servaient de bombes. Et leur leader, le Seigneur des Gobelins, celui avec les pupilles vides…

Ses yeux. Ryoka trembla en repensant au Nécromancien. Pas Pisces ; le véritable Seigneur de la mort, Az’kerash. Il avait le même type d’yeux.

Elle se demanda ce que cela voulait dire. Derrière elle, Ryoka entendit Erin éternuer et Wesle partir. L’air nocturne était froid, et le ciel était recouvert de sombres nuages. Avec l’absence des gardes et de leurs torches, les rues furent soudainement recouverte d’ombres, la seule lumière venant de celle qui passait la fenêtre. Ryoka trembla, l’effet de la soupe magique venait de commencer à se dissiper.

C’était une nuit d’hiver froid et sombre. Et elle avait l’impression que la nuit allait continuer de s’assombrir.

Et allait devenir plus dangereuse.

***

Venitra était dans son élément, entouré de ténèbres. Elle avait pris vie dans les ténèbres, et dans le château d’Az’kerash, le célèbre nécromancien d’Irzril, la lumière du jour était un lointain souvenir.

La femme morte-vivante faite d’os n’avait pas quitté le château depuis l’impardonnable accident qui s’était déroulé il y a une semaine de cela. L’étrange Humaine avait disparu si rapidement que même elle, Kerash et Bea n’étaient pas parvenus à la capturer. Et parce qu’ils avaient pour ordre de ne pas quitter l’enceinte du château, ils avaient ramassé les Drakéides et Gnolls morts pour les ramener à leur maître.

Maintenant Venitra attendait que son glorieux créateur termine son projet, craignant à moitié ce qu’il allait dire en apprenant son échec. L’autre moitié étant occupé par l’exaltation à l’idée de recevoir de nouveau ses ordres après tout ce temps.

Le pire cauchemar de Venitra de ne pas être à la hauteur. Le décevoir était impensable ; car elle trahirait aussi l’effort qu’il avait fourni pour la créer.

Venitra n’était pas comme Kerash ou Bea. Elle avait été personnellement désignée par Az’kerash ; elle avait pris vie à partir de rien dans son esprit parfait, non pas réanimé depuis un cadavre ou auto-créer comme les deux autres. Elle était unique même parmi les servants d’A’kerash, car elle servait leur maître et recevait ses ordres en personne.

Et maintenant elle allait être témoin de l’une de ses plus grandes créations à ce jour. Venitra regarda l’immense créature de chair et d’os terminant de se former au-dessus d’elle. Cela ne ressemblait plus à l’horrible mélange que Ryoka avait entraperçu ; maintenant la création avait atteint sa véritable configuration, c’était une créature d’une grâce cauchemardesque.

Elle flottait en l’air plusieurs tonnes de chair blanche. Deux énormes orbites béantes abritant une flame verte alors que la création commença à prendre vie. Des… membres immense luttèrent pour se dresser, des appendices de chair qui allaient projeter la créature.

Et sa tête… Une lance d’os en sortait, à moitié enfoncée dans le crâne du mort-vivant, entouré de tendon. Venitra connaissait les os et les muscles, donc elle savait à quoi cette partie allait servir. L’idée lui coupa le souffle, malgré son absence de poumon.

En face d’elle, l’homme ancien qu’elle aimait abaissa sa main. La chose morte-vivante flotta vers le bas, attendant un ordre. Il la regarda pendant plusieurs secondes, puis hocha la tête avant de se tourner vers Venitra.

Il était en train de sourire. Ses rides et ses cheveux gris ne firent rien pour atténuer l’admiration qu’elle ressentait. Ses yeux noirs et ses pupilles blanches la firent frissonner alors qu’il concentra son regard sur elle. Mais elle se baignait principalement de son sourire.

« N’est-ce pas magnifique, Venitra ? Avec cela, mon armée est presque achevée. Même les Villes Emmurées trembleront en voyant cette créature sur le champ de bataille. »

« Cela est magnifique, maître. »

Venitra prononça ces mots avec sincérité et Az’kerash hocha la tête. Il regarda sa création avec fierté, et se concentra de nouveau sur Venitra.

« Je vais avoir besoin de plus de corps, bien sûr. J’ai utilisé l’intégralité de nos réserves limitées pour créer cette créature. Nous allons devoir récupérer autant de corps que possible, mais envoyer un groupe dans l’océan sans être repéré sera difficile. »

« Maître, si vous avez besoin de plus de corps, je me porte volontaire pour… »

L’homme que peu connaissait sous le nom de Perril Chandler agita une main alors qu’elle s’inclina.

« Ne sois pas ridicule, Venitra. Tu couleras au fond de l’océan sans enchantement. Non, je pense que je vais envoyer Bea. Sa peste me permettra de moissonner des troupeaux de baleines sans endommager leur corps. »

Il regarda la monstruosité avec ce qui aurait pu passer pour de la tendresse.

« Oui, nous allons avoir besoin de six autres pour compléter notre armée. Quatorze seraient idéals, mais cela demanderait de moissonner bien plus que ce que le temps nous permet. Dans tous les cas, je testerai les capacités de ma création sous peu. Pour l’instant, fidèle servante, dit moi ce qu’il s’est passé alors que j’étais à l’œuvre. »

C’était sa seule faiblesse, si Venitra aurait admis qu’il avait une faiblesse. Quand il était concentré sur la création d’un nouveau mort-vivant, l’esprit de son maître était presque entièrement concentré sur sa création, ne se laissant pas distraire par le reste. Il pouvait toujours répondre aux questions les plus simples et se défendre si besoin, mais il serait forcé de détourner son attention sur le problème. Le résultat était qu’il… Restait très simple.

Elle s’inclina plus bas, s’attendant au pire.

« Mon maître. Lors de votre sommeil, vos servants ont commis un impardonnable pêché. »

« Vraiment ? »

Az’kerash leva un sourcil. Il regarda la femme faite d’os avec scepticisme.

« Je n’aime pas ce genre de manière théâtrale. En quoi avez-vous échoué ? »

« Nous avons permis une intrue d’entrée dans vos quartiers personnels. Une jeune femme. »

« Vraiment ? Et elle vous a tous passé ? »

« Elle n’était pas seule. Un groupe de puissant guerriers Drakéides et Gnolls la suivait. Ils sont tous morts, mais elle m’a échappé et à forcer son chemin jusqu’à vous. »

« L’ai-je tué ? »

Perril Chandler semblant s’ennuyer alors qu’il regarda sa servante agenouillée. Venitra hésita, craignant ce qu’elle allait dire au-dessus de tout.

« Non. Vous l’avez laissé partir. »

Le [Nécromancien] se figea.

« Vraiment ? »

Venitra regarda le sol, misérable.

« Votre immense sagesse vous a sûrement permit de voir quelque chose que j’ignorais. Elle clamait être une messagère… »

« Je m’en souviens maintenant. Oui… Je lui ai parlé. »

Az’kerash mit ses doigts sur sa tempe et ferma les yeux. Puis il les ouvrit, le regard perçant.

« Je m’en souviens. Oui, elle était une messagère. Elle a livré un cadeau de Teriarch. »

« Le Dragon ? »

Venitra leva la tête, désormais inquiète. Mais Peril lui fit un sourire.

« Cela n’a pas d’importance. Il m’a offert un anneau pour célébrer ma 200ème année d’existence. Il sera peut-être pratique, mais c’est tout. »

La nouvelle affligea autant Venitra que son échec. Elle ouvrit les bras.

« Nous aurions dû vous préparer des cadeaux, maître. Les Elus vont immédiatement… »

« Non. »

Perril Chandler leva une main, ses sourcils venaient de se froncer sans qu’il ne le réalise. Il regarda Venitra, soudainement inquiet.

« L’avez-vous tué ? La messagère ? Je l’ai laissé s’échapper car j’étais concentré, mais elle n’aurait jamais dû avoir le droit de vivre. Est-elle morte ? »

« Non, maître. Nous… »

« Elle s’est enfuite ? Avec la connaissance de ce lieu ? »

Le visage d’Az’kerash se déforma soudainement sous les traits de la furie. Venitra s’agenouilla de peur alors qu’il fit les cent pas devant elle, ses robes magiques se désintégrant en ombre à l’endroit ou elles touchaient le sol.

« Elle pourrait annuler une dizaine d’années de préparation ! Si elle force notre main… »

La main du mage s’illumina d’une lueur sombre et violette. Venitra craint le pire, mais Az’kerash s’arrêta. La colère disparue aussi vite qu’elle était venue.

« Non… Il est trop tard pour qu’elle puisse utiliser cette information. Je vais scruter les chefs des diverses villes. S’ils ne bougent pas vers notre location, cela veut dire que nous sommes en sécurité. »

Il rit avant de tirer sur une de ses boucles de cheveux.

« Quelle maladresse. Mais j’étais tellement confiant. Qu’un mortel puisse outrepasser ma forêt d’illusion, et échapper aussi facilement à mes gardes… »

Peril secoua la tête.

« L’arrogance est ma faiblesse, même aujourd’hui. Bien sûr que Teriarch enverrai un Coursier pour réaliser sa mission. Et ce vieil imbécile insisterait pour me faire livrer un présent, même si nous étions ennemis mortels. »

Lentement, il se tourna vers son servant agenouillé, et s’approcha de Venitra. La femme morte-vivante frissonna quand il la toucha.

« Je me suis égaré, Venitra. Je crains que je dois te demander de corriger mes erreurs. »

« Cela est mon but, maître. »

Az’kerash hocha lentement la tête, étudiant Venitra.

« Prends l’une de mes Elus et trouve cette Coursière, cette humaine. Te souviens-tu de son visage ? Oui, bien sûr. Traque-là ; suis sa trace. Pour cela Ijvani ou Oom sont les plus appropriés pour t’accompagner. »

Venitra hocha la tête et bondit sur ses pieds. Elle était déjà en train de préparer son voyage et les variables, de son point de départ jusqu’à la meilleure manière de tuer l’humaine qui les avait trouvé. De manière lente et douloureuse, bien sûr, mais qui allait aussi leur permettre de cacher le corps.

« Venitra. »

Son maître l’arrêta avec un mot. Il l’étudia et secoua la tête.

« Je n’ai pas besoin de te dire l’importance de cette mission, mais je vais tout de même le faire. Cette Coursière ne doit pas dire ce qu’elle sait, mais si elle n’a rien dit… Les Courriers étaient fameux pour ne pas prendre de côté, du moins lors de ma jeunesse. Elle peut être soudoyée. »

Il ferma les yeux, pensif. Venitra attendit ses ordres même lorsqu’elle voulait arracher la tête de l’Humaine de ses propres mains.

« Dans tous les cas, je te demanderais de prendre cette décision. Je regarderai au travers de temps yeux si besoin, mais si je suis préoccupé ou que mes sorts sont bloqués, tu dois décider si tu seras capable de la tuer ou si le coût est trop élevé. Je te fais confiance, Venitra. Sache-le. »

Venitra haussa la tête. Elle était presque tremblante devant la confiance de son maître. Elle s’éloigna vers la porte alors qu’Az’kerash l’observa, tapant du pied en courant une fois dans le couloir.

« Tellement impatiente. Mais au moins elle possède des artefacts qui l’aideront à se dissimuler. »

Perril Chandler soupira et serra les dents, se réprimandant une fois seul. Mais il mit ses récriminations de côté et considéra les ramifications de cette nouvelle.

Il serait prêt en cas de guerre. Cette dernière était proche, mais il pouvait commencer. Si cela n’était pas le cas… Alors il allait avoir plus de temps. Cette armée qui pouvait être levée contre lui ne l’inquiétait pas plus que cela.

« Teriarch. »

Le Dragon. Son présent était parfaitement aligné avec son personnage et ce qu’Az’kerash savait sur les Dragons. Et pourtant, la messagère avait échappé à ses élites morte-vivantes. Juste pour une livraison ? Et Peril se souvenait vaguement que deux armées avaient combattues aux abords de sa forêt. Et puis ils étaient partie combattre le Seigneur des Gobelins.

Est-ce que tout cela n’était qu’une coïncidence ? Peut-être ; des choses plus étranges étaient arrivées par pure chance. Mais si cela ne l’était pas ?

« Si cela n’est pas une coïncidence et qu’il me l’a amené…. Teriarch. Es-tu enfin en train de choisir ton camp ? Et lequel ? »

Az’kerash se tint dans sa pièce sombre, ignorant la bête flottant à ses côtés. Ses yeux mortels regardèrent les ténèbres et il considéra d’envoyer un message à son apprenti. Mais il serait plus intéressant de le laisser se débrouiller pendant quelque temps.

Et pourtant, Teriarch était le véritable souci. Plus que les Colonies. S’il agissait…

Le Nécromancien se tint dans son château, envoyant deux de ses sbires à la recherche d’une Humaine. Il resta debout et regarda les ténèbres.

Pensif.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 21 mars 2021 à 23:12:34
2.48
Partie 2
Traduit par Maroti

Les ténèbres de la cave étaient illuminées par une lumière presque unique à ce monde. L’écran de LED de l’Iphone copié de Teriarch faisait mal aux yeux de Teriarch, mais il avait déjà appris à changer la luminosité. Et il était trop fasciné par la petite chose pour s’inquiéter d’un peu de douleur.

« Hmm. Hm. Et qu’est-ce que ce bouton fait ? »

Le vieil homme que Teriarch utilisait pour se déguiser toucha impatiemment l’écran de l’Iphone. Il toucha la flèche marqué ‘Aléatoire’ et de la musique commença à jouer.

La forme Humaine de Teriarch leva un sourcil curieux alors qu’un rythme effréné s’échappa de l’Iphone.

« You change your mind like a girl changes clothes… »

Teriarch écouta la chanson en silence pendant cinq minutes. La griffe commença à taper le marbre en rythme vers la fin. Puis, il arrêta la prochaine chanson avant qu’ l’Iphone puisse la jouer.

« Fascinant. Et quelle est cette chanson ? C’est un plaisir de voir que quelqu’un connaît le mot ‘bohémien, mais est-ce qu’une [Reine] a vraiment chanté cette chanson ? Peut-être que je devrais demander des clarifications à l’Humaine… »

Il s’apprêtait à jouer la prochaine chanson quand Teriarch leva les yeux et fronça les sourcils.

« Par la barbe de Tamaroth ! Qu’est-ce qui se passe maintenant ? »

Il n’attendit pas. Il se montra désagréable dès que le papillon rose se matérialisa autour de son visage. Il fusilla l’image magique du regard.

« Reinhart. Je suis occupé. »

La voix terriblement joyeuse qui résonna dans l’oreille de Teriarch n’avait pas la moindre trace de culpabilité.

« Je m’en excuse, Teriarch. Mais vois-tu, j’ai eut un petit incident et j’ai besoin de ton aide. »

« Comment cela ? Qu’est-ce qu’il te… Oh. »

Teriarch s’arrêta, regardant l’image de la chambre privée de Magnolia alors qu’elle lui montra quelque chose. Il fronça les sourcils.

« C’est un problème. Tu vas bien, n’est-ce pas ? Tu n’es pas blessée ? Ils recouvrent leurs lames de poison, si je me souviens bien. »

Le ton de Magnolia était patient quand elle lui répondit.

« Oui Teriarch, je vais bien. »

« As-tu respiré autour d’eux ? Ce que je veux dire, c’est que nombre d’entre eux utilisent du poison qui reste dans l’air, un poison qui peut être sans couleur et sans… »

« J’ai respiré autour d’eux, mais je suis certaine que cela n’affectera pas ma santé. Je vais bien, sauf si je m’effondre soudainement, vieil homme. Mais j’ai besoin que tu vérifie si ma demeure est en sécurité. »

Le regarde plat que Teriarch lui donna n’impressionna pas Magnolia. Il continua de la regarda, mais vu que cela ne marchait clairement pas il se racla la gorge et lui répondit d’un ton acerbe.

« Premièrement, je ne suis pas un simple détecteur de magie que tu peux appeler comme bon te semble petite. Je suis un Dragon, et je dois être traité comme telle. De plus, as-tu oublié les plus simples des politesses pour quelqu’un de ta stature, et encore plus de ta Classe ? Nous avons de nombreuse chose qui doivent être discutés dans une véritable conversation. En vérité, je viens d’avoir une étrange rencontre dernièrement et… »

«Teriarch. »

Cette fois le stress dans la voix de Magnolia eut un impact. Teriarch hésita, se préparant à continuer, avant de s’arrêter.

« Fort bien. Laisse-moi voir. »

Il murmura quelques mots et frappa sa queue au sol. Des symboles magiques et des éclats lumineux apparurent rapidement dans sa vision. Teriarch observa l’étourdissant spectacle comme si cela était normal, et hocha la tête.

« Il n’y a rien d’inhabituel sur tes enchantements. De plus, il y en a un juste derrière ta porte… »

« Je suis au courant. Merci, Teriarch. Nous allons peut-être avoir besoin de discuter plus tard. »

« Pourquoi attendre ? J’ai trouvé cette merveilleuse pe… »

L’image se dissipa en coupa la parole au Dragon. Il regarda l’air vide, indigné. Pendant plusieurs secondes Reinhart considéra le fait qu’il pouvait téléporter Magnolia Reinhart dans sa cave, mais il abandonna après se souvenir de la distance et des sorts de protection la protégeant.

Sa mauvaise humeur fut de courte durée. Il retourna à son observation de l’Iphone, fasciné. Il se murmura, sa queue faisant des aller-retour.

« Hmm. Où en étais-je ? Ah oui. ‘Jouer’. »

***

Magnolia ferma le sort avec un mouvement de baguette magique et la jeta dans la petite boite d’ivoire qui servait à la tenir. Puis elle s’assit sur le resplendissant sofa et soupira bruyamment.

« Hmf. Lui parler est toujours un exercice de patience. Ressa, est-ce que tu penses que je pourrais me distraire avec une de ces fascinantes ‘tablettes’ pendant notre discussion ? »

Se tenant aux côtés de Lady Magnolia, Ressa la [Servante] inclina gracieusement sa tête en parlant d’un ton distingué.

« Je n’oserais pas questionner votre jugement, madame. Mais si cela est votre souhait, je peux immédiatement prendre l’une de ses tablettes à l’un de ses jeunes hommes et femmes. »

« Mm, peut-être plus tard. Pour l’instant, laissons rentrer notre jeune [Assassin]. »

Magnolia se redressa sur le sofa et se para de la plus amicale de ses expressions alors que Ressa ouvrit la porte. Deux Golems argentés laissèrent partir Theofore l’[Assassin] alors que Ressa l’escorta dans la pièce.

L’homme aux vêtements sombres était ligoté, et il avait un hématome sur l’une de ses joues. Il avait aussi l’expression de quelqu’un qui était convaincu qu’il allait mourir, et voulait juste éviter de hurler de douleur avant que cela soit fait. Il regarda Lady Magnolia comme si elle était une bourrelle avec une hache rouillée, ne s’approcha pas de Magnolia alors que Ressa lui tapa plusieurs fois dans le dos pour qu’il avance.

« Oh laisse le garçon se tenir là-bas s’il veut, Ressa. Je peux parler fort et il a de bonnes oreilles. »

Lady Magnolia regarda Ressa retourner vers elle et fit un sourire joyeux à Theofore. Ses yeux partirent vers la servante, puis vers la fenêtre, puis vers elle en un rapide mouvement. Elle s’empara d’une tasse de thé et la sirota avant de s’exprimer.

« Peux-tu essayer d’être un peu plus difficile à lire ? Theofore, laisse moi te parler en toute honnêteté avant que tu ne fasses quelque chose d’imprudent et fatal. Je ne t’ai pas amené ici pour te tuer. Cela serait inutile ; et je ne suis pas ici pour t’interroger, je connais l’existence des protections magiques de ta Guilde t’empêchant de parler. Je suis simplement ici pour te poser quelques questions, et puis te laisser partir. Garde cela en tête, et sait que si tu essayes de me tuer Ressa va te rendre extrêmement mort, et cette conversation recommencera si tu essayes de t’enfuir, mais sans mon humeur guillerette. Sommes-nous clair ? »

Theofore regarda Lady Magnolia et se lécha la lèvre.

« Qu’est… Qu’est-ce que cela veut dire, Lady Magnolia ? »

Magnolia fronça les sourcils, puis regarda sa servante.

« Ressa, la prochaine fois qu’il pose une question stupide, pourras-tu ordonner à un Golem de lui arracher un bras et de le frapper avec ? A moins que tu souhaites t’en charger ? »

Ressa hocha la tête, et Theofore trembla de nouveau. Il ferma la bouche.

Magnolia hocha la tête et tapa sa tasse de thé d’un doigt délicat.

« Mon intention est d’envoyer un message à ta Guilde, mais le messager n’a pas besoin d’avoir tous ses membres. En vérité, je trouve qu’une tête décapitée est un message suffisamment clair. »

« Et quel serait ce message ? »

Magnolia pencha légèrement sa tête sur le côté, et Theofore tressaillit. Mais elle n’ordonna pas à Ressa de lui arracher les membres. À la place, elle pointa simplement un coin de la pièce avec son petit doigt.

« Premièrement, explique-moi ceci, d’accord ? »

Theofore se tourna. Il devint pâle comme un linge. Gisant dans un coin de la pièce était une pile de lambeaux noirs. Du moins, c’est ce que cela semblait être au premier abord, jusqu’au moment où vous vous rendiez compte qu’ils étaient les restes de deux [Assassins]. Qui avaient été éliminés avec extrême préjudice et étaient encore en train de fumer.

« Je ne savais pas que mon contrat avec la Guilde des Assassins avait expiré. Oh, et je trouve cela étrange que tu ne les as pas repérés quand ils sont arrivés. Les [Assassins] ne sont-ils pas supposés être capables de tout repérer dans une pièce ? Je suppose que tu étais… Préoccupés. »

Theofore ne répondit pas immédiatement. Il était toujours en train de regarder ce qui restait de ses comparses. Magnolia se racla légèrement la gorge et il sursauta avant de la regarder.

« Lady Reinhart. Je n’ai pas la moindre idée de pourquoi ces deux ont essayé de vous tuer. S’il vous plaît, laissez-moi vous assurer que je n’avais pas la moindre connaissance de… »

Il s’arrêta lorsque Lady Magnolia leva un doigt de sa tasse de thé. Elle secoua légèrement la tête.

« Les [Assassins] n’en avaient pas après moi. Ils visaient les jeunes hommes et femmes sous ma protection. Est-ce que tu en sais quelque chose ? »

Le visage de Theofore était celui d’une personne essayant d’être le plus honnête et franc possible. Il ouvrit les mains.

« Je n’en savais rien, madame. Je ne suis pas haut placé dans les rangs de la Guilde. »

Lady Magnolia soupira avant de légèrement froncer les sourcils.

« Non, tu ne l’es pas, n’est-ce pas ? Mais pour l’instant, j’ai deux [Assassins] morts dans ma demeure, un groupe de jeunes hommes et femmes terrifiés, et un mystère. Je déteste les mystères. Donc je vais éclaircir la situation avec ta Guilde : Je demande une réponse immédiate. Je renverrai tous les [Assassins] que ta Guilde m’a fourni, et je considérerais chacun d’entre vous s’approchant de moi, ou de mes demeures, servants et alliés en tant qu’ennemis, avec les conséquences que cela a, tant que ta Guilde ne m’aura pas dévoilé la raison de cette attaque. »

Léchant ses lèvres, Theofore regarda les [Assassins] au fond de la pièce avant de répondre précautionneusement à Magnolia.

« Je peux vous assurer, Lady Reinhart, que la Guilde ne cherche pas à rentrer en guerre avec l’une des Cinq Familles… »

« J’en suis certaine. Mais à moins que je reçoive une réponse satisfaisante, c’est moi qui vais rentrer en guerre avec eux. »

Ce que Theofore aurait voulu utiliser en cet instant était un mouchoir pour pouvoir essuyer la transpiration perlant sur son front et dans son dos. N’ayant pas cela, il utilisa une manche sombre. »

« J’espère que vous ne prendrez pas de décision hâtive, Lady Reinhart. Je suis certain que ma Guilde ne souhaite pas vous être hostile une seconde fois. Je peux vous assurer… »

Un bref mouvement de la main lui coupa la parole. Lady Magnolia se leva, et Theofore tressaillit de nouveau. Elle le regarde froidement.

« Assez. Tu as ton message. Retourne à ta Guilde. Ressa, jette-moi le jeune Theofore dehors, s’il te plaît. »

Ressa suivit son ordre. Theofore n’eut qu’une seconde pour crier. Magnolia s’arrêta dans le silence de la pièce. »

« Je crois que tu viens de le lancer par la fenêtre, ma chère Ressa. La porte aurait suffi. »

« Vous n’avez pas spécifié, madame. Et il est en vie. »

« C’est vrai. Oh, et il est déjà en train de courir. Les jeunes sont rapides de nos jours, tu ne trouves pas ? »

Lady Magnolia soupira alors que Ressa ferma la fenêtre. Elle se frotta la tempe et prit une grande gorgée de sa boisson sucrée.

« Des [Assassins] ? Dans ma demeure ? Qui connaissait l’existence des enfants venant d’un autre monde ? Comment, Ressa ? »

La [Servante] se contenta de hausser les épaules en regardant par la fenêtre, suivant la progression de Theofore. Magnolia se marmonna en servant une autre tasse de thé.

« Est-ce encore un coup de Cercle des Ronces ? S’il te plaît dit moi que ce n’est pas le cas. Ma grand-mère à passé toute sa vie à régler ce problème et nous ne pouvons pas nous permettre de l’avoir maintenant. Au moins nous savons que ce n’est pas une manigance de Lord Tyrion. »

Ressa redressa légèrement ses épaules.

« Nous ne pouvons pas en être certains. Il a peut-être mis la main sur une potion lui permettant de refaire pousser son cerveau. »

Magnolia rit.

« Même avec deux cerveaux, le sens de l’honneur de Tyrion ne lui permettrait pas d’employer des assassins. Non, c’est autre chose et je n’aime pas cela. Et c’est arrivé au pire des moments, comme si quelqu’un savait ce qui allait se passer. »

« Peut-être que cela était le cas. »

« Tu n’aides pas. »

Ressa haussa les épaules.

« J’aime penser au pire des scénarios. »

« Et c’est l’un d’entre eux. Nous avons deux crises majeures sur les bras, Ressa. Ce maudit groupe d’Antinium s’approche de Liscor à l’instant même. Des représentants d’au moins trois Colonies sont présents et nous n’avons aucun moyen de les espionner. Du moins pas en personne. Teriarch semble être capable de les observer visuellement, mais il sera incapable de les scruter. Je ne peux pas faire confiance aux [Assassins] pour les espionner, et ils viennent de manger mes deux meilleurs [Scouts]. »

« Nous avons des agents dans Liscor. »

« Mais aucun qui puisse les suivre. »

Magnolia vida sa tasse de thé en fronçant les sourcils.

« C’est un problème. Le second est le même. Les Antinium sont sur le point de révéler l’existence du donjon, maintenant ou dans quelques jours. C’est le pire moment, Ressa. Savons-nous quand les compagnies de rang-Or vont ouvrir les portes ? »

Ressa hocha la tête. Elle avait un sourire que Magnolia n’avait pas.

« Maintenant, si je ne me trompe pas. »

La tasse de Lady Magnolia passa à travers la fenêtre du manoir. Theofore ne savait pas que c’était une tasse de thé, mais cela le poussa à courir encore plus vite. Il sauta par-dessus les murs de la demeure avant que la tasse ne touche le sol.

***

« Est-ce qu’on doit le faire maintenant ? »

Halrac fronça les sourcils ; c’était essentiellement son expression normale, mais le froncement de sourcils d’aujourd’hui était spécial et prononcé.

« L’entrée est devant nous. Pourquoi est-ce que tu te dégonfles ? »

La mage-Tissée hésita. Elle fit un mouvement de ses cheveux noir et regarda la massive porte double devant eux.

« Je suis nerveuse. Tu entends les histoires de ce qui arrive aux premiers groupes entrant dans un donjon non exploré. J’aimerais bien garder mon tissu attaché à mon corps, c’est tout. »

Halrac fronça de nouveau les sourcils et ouvrit la bouche, mais cette fois Ulrien lui donna un coup de coude. Le grand homme abaissa sa claymore et regarda Typhenous. Le vieux [Mage] semblait confiant, mais tous les membres de la Chasse aux Griffons avaient appris à travailler ensemble. Un aventurier qui n’était pas confiant ralentissait le groupe, donc ils devaient en discuter avant d’entrer.

Ils se tenaient au pied d’une immense rampe descendant dans les profondeurs. Plus de soixante mètres de rampe en terre avait mené à un immense mur de pierre et à une immense porte double. Elles semblaient être faites de bronze, mais des inscriptions d’or avaient été sculpté dans le métal. Les reliefs ressemblaient à deux dragons crachant du feu.

Ou… Des Drakéides. Des Drakéides lançant de la magie. Halrac regarda les inscriptions, méfiant.

Telle était l’entrée du donjon sous Liscor. Le véritable donjon, selon les Antiniums. Ils avaient terminé de creuser ce matin, et un Antinium nommé Klbkch avait mené la Chasse aux Griffons jusqu’à ce lieu.

L’Antinium se tenait avec une escorte de Soldats Antiniums, regardant calmement la Chasse aux Griffons. Halrac n’aimait pas la présence Antinium et serra les dents à chaque fois qu’il les voyait. Ulrien était clairement inconfortable, mais il réussissait à ne pas être trop dérangé par les Antiniums. Il avait dû payer une sacrée somme pour qu’ils creusent, mais maintenant la Casse aux Griffons étaient les premiers à l’entrée du donjon.

Tous leurs efforts, toutes les longues journées de discussions avec les Croisés et les autres groupes d’aventuriers pour traiter avec les Antiniums et être les premiers à rentrer dans le donjon avait mené à cette situation. Pendant un instant il avait vraiment eu l’impression qu’Halrac et les autres avaient été au centre des potins de Liscor et qu’ils avaient donnée des pots-de-vin et fait les gros bras pour en arriver là. Halrac avait encore un goût désagréable dans la bouche pour avoir fait affaire avec les Antiniums et cette irritable Capitaine de la Garde.

Mais cela avait payé. La Chasse aux Griffons était là, et les Croisés et les autres aventuriers avaient dû laisser tomber la chance d’être les premiers à entrer dans le donjon. Mais ils étaient en train de vaciller au dernier moment, du moins Revi.

« C’est juste que… Est-ce qu’on ne peut pas avoir les Croisés ? Ou une autre compagnie de rang-Argent ? Si nous formions une alliance avant d’avancer, on serait mieux préparé, pas vrai ? »

Revi regarda le groupe de manière incertaine. En termes d’ancienneté, elle était de loin la plus inexpérience des aventuriers de rang-Or, et aussi la plus jeune.

Cette fois, ce fut Typhenous qui discuta avec Revi. Il prenait habituellement son côté, mais le mage était en train de regarder les images des Drakéides lançant des sorts et étaient clairement impatient de rentrer dans le donjon.

« Tu crois qu’il y a de la force dans le nombre, Revi, mais regarde ce qui est arrivé au dernier groupe d’aventurier qui ont essayé cela. Ce n’est pas la peine, à moins que tu veuilles perdre deux semaines à discuter stratégie avec une autre équipe. »

La Tissée ne semblait pas convaincue.

« Nous pouvons envoyer une équipe partir en repérage. »

« Pour mourir, donc. »

Les visages d’Ulrien et Halrac montrèrent qu’ils y avaient pensé. Revi leva ses mains de manière défensive.

« Je ne voulais pas le dire comme ça… »

« Non. »

Il était commun pour certains aventuriers de rang-Argent et Or d’envoyer des aventuriers inexpériences pour affaiblir les monstres et s’occuper des pièges. En tant que [Scout], Halrac avait été de ce côté plusieurs fois dans sa vie, et Ulrien partageait son avis. Il s’apprêtait à le dire à Revi quand Ulrien l’interrompit, mettant la main sur l’épaule d’Halrac.

« Pas de sacrifice. Personne ne part en premier. Nous entrons, nous nous occupons des monstres et des pièges que nous trouvons. Nous avons l’équipement et l’expérience. »

« Mais nous pouvons attendre et voir si… »

« Non. »

Halrac n’en pouvait plus. Il lui coupa sèchement la parole, ignorant le soupir d’Ulrien. Il regarda Revi.

« Si les Croisés ou une autre compagnie de rang-Or rentre avant nous, ils seront potentiellement capables de nettoyer une grande partie du donjon. Chaque seconde perdue ici est une fortune en artefact qui glisse entre nos doigts. »

Il pointa l’Antinium du doigt. Klbkch regarda Halrac de manière intéressée alors que le [Scout] leva la voix.

« Est-ce que tu penses qu’ils vont nous attendre ? Non. Ils ont une armée prête à rentrée à l’instant ou ces portes s’ouvrent et toutes les autres compagnies d’aventuriers du continent vont vouloir rentrer et vider l’endroit. Tu te souviens du Donjon prêt de Port Fondateur ? Ils sont toujours en train d’en explorer des parties, mais les premiers aventuriers qui y sont rentrés sont désormais des Aventuriers Légendaires. C’est pour ça que nous sommes là. »

Typhenous hocha la tête.

« Le temps joue contre nous, Revi. Si un aventurier légendaire arrive ici, il ou elle sera peut-être capable de nettoyer le donjon par eux-mêmes… Et si c’est une compagnie entière… J’ai entendu dire que des [Mages] de Wistram arrive pour explorer le donjon. L’instant présent est notre meilleure chance. »

Revi semblait incertaine, mais Ulrien posa une main sur son épaule. Le Capitaine, habituellement taciturne, lui adressa la parole de manière rassurante.

« Tu resteras constamment derrière nous. Tu as tes invocations et tu ne prendras pas de risques. »

Il hocha la tête en direction d’Halrac et de Typhenous. Les deux aventuriers hochèrent la tête en retour.

« Nous ne sommes pas de rang-Argent. Nous entrons, et battons en retraite dès que nous tombons sur quelque chose de dangereux. Si quelque chose nous suit, nous le contenons. Nous avons installé assez de pièges pour tuer cinq Griffons. »

« D’accord. D’accord… »

Revi prit plusieurs grandes bouffées d’air. Puis elle hocha la tête en regardant Ulrien. Il lâcha son épaule et s’éloigna. Elle ferma les poings et regarda Ulrien, qui regarda le reste de son équipe.

« Vous êtes prêt ? »

Halrac avait déjà encoché une flèche. Il était prêt pour ce qui allait se passer une fois que son équipe approcherait la porte. Mais il jeta un dernier regard aux Antiniums dans son dos.

C’était étrange. Ils avaient coopéré avec la Chasse aux Griffons pour localiser le donjon, et ils avaient creusé une grande quantité de terre en un rien de temps. Selon les Antiniums, ils avaient trouvé plus d’une entrée vers le donjon ; une dans des parties effondrées d’une ruine, et ce qui aurait put être une entrée secrète. Mais c’était l’entrée principale, épargnée par le temps…

C’était suspicieux. Comment avait-il repéré le donjon ? Et pourquoi y’avait il une si grande escorte attendant autour du donjon ?

Il n’y avait pas un ou deux Soldat Antiniums aux côtés de l’Antinium nommé Klbkch. Halrac avait compté cinquante des massives brutes se tenant derrière leur chef. Il n’avait jamais vu autant de guerrier en dehors d’un champ de bataille.

Halrac savait ce qu’autant de soldats pouvaient accomplir. Ils n’allaient peut-être pas être capables de renverser la Chasse aux Griffons dans un combat, mais ils étaient capables de tuer plusieurs Wyvernes ou Griffons dans un combat. Pourquoi est-ce qu’ils étaient aussi nombreux ?

Cinquante Soldats Antiniums. Et leur supposé Prognugator. Halrac ajouta lentement son carquois et commença à compter ses flèches magiques. Il rangea les flèches normales dans le carquois magique et en dégaina une qui laissait s’échapper quelques étincelles électriques.

Ulrien regarda Halrac. Les deux aventuriers avaient suffisamment de vécu pour pouvoir se comprendre sans un mot. Le Capitaine de la Chasse aux Griffons regarda Revi et Typhenous.

« Nous entrons. Revi, je veux que tu sortes ta plus puissante invocation au premier signe de danger. Typhenous, reste en retrait et utilise tes meilleurs sorts ; ne te retiens pas. »

Les deux aventuriers réagirent à son avertissement, se redressant et se préparant. Halrac regarda Ulrien. Le grand homme s’avança vers la porte double et fit craquer ses doigts.

« Elle est peut-être rouillée. Je vais essayer de l’ouvrir avant de devoir utiliser les cordes. »

Il attrapa les poignées de portes. Halrac vit les muscles des bras d’Ulrien se tendre, puis il entendit les portes grgoner et quelque chose se briser.

De la rouille tomba des portes qui bougèrent d’une fraction alors qu’Ulrien grogna, puis les aventuriers reculèrent.

« Je peux les ouvrir. Préparez-vous. »

Halrac fit deux pas en arrière. Revi et Typhenous avaient déjà reculé d’une dizaine de pas, au cas où quelque chose en sortait. Halrac encocha la flèche et fit un hochement de tête à Ulrien.

Ce dernier attrapa les poignées de portes. Le cœur d’Halrac battait plus rapidement que d’habitude, mais il était prêt. Il avait affronté des Griffons avec rien d’autre qu’une dague. Il allait ouvrir ces portes et en ressortir meilleur. Plus fort.

Urien commença à compter en se préparant à ouvrir la porte. Sa voix était calme et résonna dans la cave.

« Cinq… Quatre… Trois… Deux… »

Son pouls ralenti. Le monde ralenti. Halrac vit Ulrien se préparer, et il banda son arc.

« Un. »

Les portes s’ouvrirent. Ulrien ne les ouvrit pas lentement ; il les ouvrit violemment et fit un bond en arrière, dégainant sa claymore et se préparant. Les yeux d’Halrac percèrent les ténèbres, apercevant un couloir fait de pierre noire. Mais rien d’autre.

Il n’y avait pas de monstres. Pas de pièges visibles, et vu la manière dont Typhenous se relaxa, pas de magie.

Ils étaient en sécurité. Et le donjon était ouvert.

Halrac resta sur ses gardes pendant une autre seconde, avant de légèrement se détendre. Ulrien baissa son épée, et Revi et Typhenous s’approchèrent. Ils se regardèrent et sourirent. La tension n’avait pas disparu, mais le pire était passé.

Halrac s’était attendu à ce qu’il arrive quelque chose après l’ouverture des portes. Il s’était attendu à un monstre ou un sort d’avertissement ou… Quelque chose. Mais ce n’était pas le cas. Il hocha la tête en direction d’Ulrien et s’avança vers la porte. En tant que [Scout], il allait passer le premier. Il sentit son pied entrer dans le donjon. Ulrien ressentit quelque chose de particulier pendant une seconde, puis cela disparu, comme un mauvais souvenir.

Il se tourna vers Typhenous, se préparant à lui demander si quelque chose de magique venait d’être activé. Puis il le sentit.

Le danger.

***

Zel Shivertail se tenait devant un juré d’imbéciles. Techniquement, ils étaient ses semblables, mais il ne respectait aucun d’entre eux.

Ils étaient les dirigeants des cités-états des Drakéides, les Seigneurs des Murailles qui régnaient sur les Villes Emmurées, et même des Capitaines renommés. Il les détestait.

Ils ne comprenaient pas. Ils se tenaient ou s’asseyaient sur de longues chaises moelleuses que les Drakéides appréciaient pour juger son témoignage. Le Seigneur des Murailles Ilvriss se tenait à ses côtés, mais pas avec Zel. Il avait son propre cercle d’autorité et d’amis dans la pièce.

Zel avait une poignée d’alliés précieux et de nombreux ennemis. Mais ils devaient entendre son message. Il regarda la pièce et leva la voix.

« Comme je l’ai déjà dit, le Seigneur des Gobelins est une véritable menace. Si nous l’ignorons, il deviendra un Roi Gobelin, ce n’est qu’une histoire de temps. »

Une Seigneuresse des Murailles leva la voix. Sa queue s’agita de manière irritée alors qu’elle se leva pour s’adresser à Zel.

« C’est ce que vous avez dit, Zel Shivertail. Et nous allons créer une armée de coalition pour s’occuper de cette menace Gobeline quand le temps viendra. Mais je ne vois pas de raison pour que nos villes forment la grande alliance que vous suggérez. Nous sommes et avons toujours été indépendantes de l’une de l’autre ; les Drakéides ne se tiennent pas la main comme des Humains. »

Plusieurs autres leaders ricanèrent à ces mots. Ils se turent quand Zel les regarda. Tous ces puissants Drakéides, et ils se comportaient comme des nouveaux nés dans un parc.

« Je ne suggère pas que nous nous allions uniquement à cause de ce Seigneur des Gobelins. Mais quand est-il des Antiniums ? Sont-ils une menace insignifiante ? Et Flos ? Allez-vous ignorer son retour ou allez vous suivre mes conseils et agir avant qu’il ne soit trop tard ? »

« Nous vous entendons dire les mêmes mots chaque année, Zel Shivertail. Flos s’est peut-être éveillé, mais tous les rapports clament qu’il n’a pratiquement pas d’armée, encore moins une force suffisante pour menacer nos terres. »

Cela venait d’un Captaine de la Garde. Zel serra les dents et sa queue fouetta le sol de pierre. Comment quelqu’un qui passait son temps à défendre une position statique pouvait comprendre le danger que représentait une personne qui bougeait ses troupes comme Flos ?

« Ses forces sont peut-être faibles pour l’instant, mais donnons lui le temps et il deviendra aussi fort qu’avant. »

Une autre voix dédaigneuse.

« L’Empereur des Sables l’écrasera. Le Roi de la Destruction se trouve à un continent de ça, Zel Shivertail. Il n’est pas une menace. »

« C’est ce que vous avez dit la dernière fois, jusqu’à ce que ses bateaux arrivent sur nos côtes ! »

Zel leva la voix, mais cela ne changea rien. Il se contrôla, avec effort.

« Alors les Antinium. Ils deviennent plus fort alors que nous nous battons sans raison. Que faisons-nous à leur sujet ? »

« Ils seront détruits s’ils osent attaquer une troisième fois. Nous avons construit nos armées et nos villes, et nous savons comment les combattre. Ils peuvent devenir plus fort, mais nous grandissons plus vite qu’eux. »

L’arrogance. Zel ferma les yeux, et leva de nouveau la voix.

« Vous êtes aveugle en plus d’être stupide si vous pensez pouvoir battre les Antinium sur le long terme. Je vous le dis, ils sont prêts pour la guerre. Si vous mettiez de côté votre maudite fierté et consi… »

« Silence, Zel Shivertail. »

Cette fois la censure fut accompagnée par un claquement de queue. Zel leva les yeux et vit que l’un des dirigeants des Villes Emmurées venait de parler. La Matriarche Serpentine de Zeres baissa les yeux vers lui avec un air désapprobateur et glacial, les pierres précieuses autour de son cou et sa queue s’agitant alors qu’elle prit la parole.

« Cette assemblée a entendu votre voix depuis que vous êtes un héros de la dernière Guerre Antinium. Mais votre comportement est irrespectueux envers ceux rassemblé ici. De plus, votre défaite face à un simple Seigneur des Gobelins remet en question vos compétences. Ce conflit avec l’estimé Seigneur des Murailles Ilvriss… »

« Vous voulez dire l’imbécile qui a perdu une bataille ! »

Cela vint d’un dirigeant moins puissant d’une ville. Zel vit les yeux de la Matriarche s’illuminer et sut que c’était le début d’une autre rancœur entre deux villes venait de naître. Il regarda, impuissant, l’assemblée faite pour s’unir contre des menaces communes tombées dans un chaos d’insultes et de cris. Comme toujours.

« Silence. Un Seigneur des Murailles est l’équivalent de tous les autres dirigeants d’une ville et sera traité avec… »

« Cette guerre n’est pas terminée ! Zel Shivertail à gagné cette bataille, et a risqué sa queue pour défendre une tribu Gnoll et affronter une menace commune. Si vous voulez une résolution à ce conflit, nous discuterons des termes… »

« Des termes ! Hah ! Vous avez perdu votre grande armée ! Nous pouvons déjà en remettre un sur le champ de bataille. Restez à votre place ! »

Zel regarda, impuissant. Il devait y’avoir quelqu’un de raisonnable pour l’ajouter. Mais il ne vit que des Drakéides trop complaisant pour être sensés. Une dernière fois. Il devait essayer une dernière fois, comme il l’avait fait des centaines de fois.

Le Général de la Ligne, le fameux Brise-marée prit une grande inspiration. Il était un héros du peuple, mais ignorer dans cette pièce. Mais il pouvait toujours crier. Il prit une grande inspiration, et puis écarquilla les yeux.

Quelqu’un dans la pièce hurla. Les deux Capitaines de la Garde jurèrent et mirent la main à leurs armes, et les gardes aux portes se précipitèrent dans la pièce, armes aux clairs. Zel se tourna et regarda au nord. La sensation venait du nord. C’était un sentiment de terreur et de danger, mais cela venait de loin, de très, très loin. Il n’avait jamais rien ressentit avec son [Instinct de Survie].

« Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Qu’est-ce que c’était ? »

Les Drakéides sans [Instinct de Survie] semblaient confus et demandèrent des explications alors que Zel croisa le regard d’Ilvriss. Le Seigneur des Murailles n’avait pas d’[Instinct de Survie], mais il comprenait ce que cela voulait dire.

« Un danger ? »

« Quelque chose. Quelque chose qui se trouve loin d’ici. Quelque chose de très dangereux. Un monstre, peut-être. Ou autre chose. »

« Quoi d’autre ? »

Zel n’avait pas de réponse. Il regarda au nord. Quelque chose dans les terres Humaines ? Qu’est-ce qui pouvait être assez dangereux pour l’affecter d’aussi loin ? Il avait entendu parler des marins être prévenu d’éruption volcanique et des gens prévoyant des tremblements de terre, mais ce n’était pas la même chose. Ces avertissements étaient tranchants et urgents. Cela semblait plus profond, plus silencieux, mais tout aussi inquiétant.

Il ferma ses griffes et regarda la pièce. L’ordre, ou plutôt, le chaos qui ressemblait à de l’ordre était déjà en train de se reformer. Il doutait pouvoir utiliser cela pour persuader les autres dirigeants de lui donner des soldats, et encore moins de s’allier. Il était en train de perdre son temps.

Zel tourna son attention vers le nord. Tout ce qu’il allait recevoir ici était de la censure et des moqueries. Mais au nord…

« Par les Ancêtres, qu’est-ce qu’il se passe ? »

***

Niers était patiemment assis sur une petite chaise sur sa table de guerre dans sa tente. Il regarda le jus de fruit frais qu’il s’était servi, mais qu’il n’avait pas encore bu. C’était un exercice de patience, une récompense pour un travail bien fait.

En vérité, il y avait quelque chose d’ironique sur le fait qu’il attendait ce qui était, en réalité, une goutte de jus frais comparé à son immense fortune personnelle. Niers était une personne facile à nourrir même s’il mangeait le plus coûteux des plats, mais il se rattrapait en dépensant son argent autre part, et de manière spectaculaire.

Pour l’instant, il attendait. Il n’attendait pas que quelque chose se passe, mais il attendait la nouvelle pour savoir si quelque chose venait de se passer. Il avait patiemment attendu durant la journée, mais maintenant il semblait que sa patience allait être récompensé.

Quelqu’un tapa le tissu de la porte de sa tente. Niers leva sa tête et sa voix.

« Entrez. »

La porte s’ouvrit et deux soldats laissèrent entrer dans sa tente un Courrier tenait plusieurs messages. Niers toucha les sceaux offerts et prit la pile de parchemins.

Aucun d’entre eux n’était particulièrement long ; la plupart n’étaient que des morceaux de textes plutôt qu’un véritable document. Le Courrier ne les regarda même pas en partant, même si Niers savait qu’il devait être rongé par la curiosité. Il les avait peut-être lues, même si Niers savait que les Guilde des Coursiers avaient un règlement très strict envers les Courriers.

Cela n’avait pas d’importance. Il serait impressionné si quelqu’un pouvait comprendre ce que Niers allait comprendre à partir de ces bouts de texte. La plupart n’en prendraient même pas la peine. Il aimait s’envoyer des messages à lui-même ou d’envoyer des missives codées sans aucune valeur à des amis, simplement pour agacer les personnes qui l’espionnaient.

Cela faisait que les informations importantes étaient bien plus faciles à obtenir. Niers regarda les bons de parchemins et essayer de les ordonner. Chacun d’entre eux avait un message écrit de manière simple et lisible. Il utilisait le service de message des mages pour recevoir ces petites communications ; il n’avait même pas pris la peine de payer le supplément qui rendait supposément les messages plus sécurisés. Ce n’était qu’une perte de monnaie et cela attirait l’attention.

Il n’y avait rien de spécial à propos de ces messages. Ils n’étaient que des mises à jour, le genre de chose que tous les leaders pouvaient recevoir. La seule différence était la provenance de ces messages.

Le plus long morceau de papier était assez petit pour que Niers le tienne tout seul. Il plia la pièce de papier et la posa sur la table, à côté de la carte d’Izril qu’il avait acheté. Nier recula et regarda la missive. Le message était court et clair :

’Donjon ouvert à Liscor. [Instinct de Survie] enclenché sur la ville’

Donc. Un nouveau donjon venait de s’ouvrir. Niers hocha la tête. Il n’y avait rien d’étrange sur cela. Mais ce qui était étrange fut le message suivant :

’[Instinct de Survie] activé en Galles.’

Alors pourquoi quelqu’un se soucierait de l’activation de l’[Instinct de Survie] de quelqu’un ? Ils se déclenchaient tout le temps ; quand les gens s’apprêtait à marcher sur un parquet moisi, quand un cheval venait de perdre le contrôle d’un wagon, ou qu’un monstre était dans les environs… Cela arrivait souvent.

Mais chaque message était venu en même temps, et avait été transmis selon la requête de Niers. Il posa le premier message et alla au suivant.

’[Instinct de Survie] activé. Zeres.’

D’autre [Messages], avec le même contenu. [Instinct de Survie] rapporté à travers des villes du continent, au même moment. Niers nota l’emplacement après chaque rapport, et traça lentement un cercle au compas autour de la carte. Il regarda au point d’origine.

« Environs le même diamètre qu’avant. Celui-ci est plus grand. »

Il s’éloigna de la carte et s’assit sur son petit tabouret en soupirant.

« Donc ils en ont trouvé un autre, n’est-ce pas ? »

Ce n’était qu’une question de temps. Niers sourit brièvement ; il adorait avoir raison. Mais qu’est-ce que cela allait changer ?

Tout ? Peut-être, s’ils trouvaient des trésors au sein du donjon. Peut-être d autres puzzles ? Peu probable. Cela voulait simplement dire que les ruines étaient anciennes, et possiblement gardées par des gardiens légendaires avec les récompenses les accompagnant. Il se demanda si la ville allait survivre à l’afflux d’aventuriers recherchant des trésors et aux monstres qui allaient être attiré par le donjon.

Mais est-ce que cela avait de l’importance pour lui ? Niers se posa la question. Il poussa les pièces de parchemins et abandonna la carte pendant un instant. il marcha jusqu’à la grande table, et regarda quelque chose qui luisait dans son champ de vision.

C’était une lettre, ouverte. Niers avait déjà lut le contenu de la lettre, mais il la regarda de nouveau. Il ne pouvait pas s’en empêcher.

L’enveloppe était en elle-même une œuvre d’art. Elle sentait la lavande, et les coins luisaient d’or. Niers la regarda, et la regarda de nouveau. Puis il regarda l’échiquier se tenait près de la carte.

Les pièces se tenaient silencieusement dans l’air humide de la tente. Niers soupira et se concentra sur sa boisson. Il regarda les bords gouttant du verre et en vida la moitié d’un coup. Il fronça les sourcils et se concentra sur l’échiquier.

Les pièces ne bougeaient pas. Cela faisait deux jours qu’elles n’avaient pas bougé. Cela dérangeait Niers, même si cela n’aurait pas dû être le cas. Il savait que l’autre joueur avait une vie et des devoirs. Mais après avoir complété ses dernières batailles, Niers avait eu hâte de jouer plusieurs parties. À la place, les pièces avaient arrêté de bouger, et même s’il avait attendu avec espoir, elles n’avaient pas bougé depuis.

Elles n’étaient jamais restées silencieuses aussi longtemps. Niers ne savait pas ce que cela voulait dire. Catastrophe ? Où est-ce que le joueur mystérieux s’était laissé de leur jeu ? Probablement pas. Était-il blessé ? En danger ? Où était-il ?

Il secoua la tête. Mais Niers était désormais irrité, et même sa boisson fraîche ne pouvait pas l’aider. Un donjon à Liscor. De l’aventure. Un défi. Il ne pouvait pas aller là-bas. Cette maudite lettre qu’il n’aurait jamais dû ouvrir, insinuant, alléchant. Et le jeu, la seule chose qu’il voulait, était silencieux.

Niers s’approcha de l’échiquier. Il se frotta la barbe et regarda les pièces.

« Qui es-tu ? Quelle est la pièce manquante du puzzle ? »

Les pièces restèrent silencieuses. Il n’était pas dans une bonne position dans cette partie ; il avait fait une erreur et son adversaire l’avait joyeusement puni pour ça. Mais cela avait été un plaisir, car il ou elle était son égal. Son supérieur.

« Peux-tu m’aider ? Puis-je t’aider ? Puis-je te faire confiance ? Si nous travaillons ensemble… »

Niers s’arrêta et secoua la tête. Des spéculations. C’était tout ce qu’il avait. S’il recommençait à jouer, il allait être certain d’une chose.

S’il retournait. S’il était en train de mourir ? Il pouvait trouver qui était don adversaire. S’il s’y rendait…

Mais il avait des responsabilités. Niers regarda de nouveau la carte, puis la lettre, puis l’échiquier.

Il regarda les pièces silencieuses, puis recommença. Carte. Lettre. Échiquier. Et pour une fois, le petit [Stratégiste] n’était pas certain de ce qu’il devait faire.

***

Erin éternua. Une fois, puis une seconde fois. Elle essuya son nez avec sa manche et savait exactement ce qu’elle devait faire.

« Je vais chercher quelque chose à manger. Tu viens, Ryoka ? »

L’autre fille leva la tête en entendant Erin, mais elle ne répondit pas aussitôt. Erin haussa les épaules et entra de nouveau dans l’auberge d’Agnes.

Des gens l’accueillirent à l’intérieur et elle fut immédiatement bombardée avec des demandes de nourriture. Erin sourit et parla, mais elle n’alla pas aussitôt en cuisine, même si Agnès le supposa sans trop de subtilité. Elle voulait parler à Ryoka, mais l’autre fille alla à une table en silence, un air lointain sur le visage.

Peut-être qu’elle était encore en colère à la nouvelle des Gobelins ? Erin ne savait pas quoi en penser. Elle espérait que Loks et sa petite tribu étaient en sécurité ; ils étaient à Liscor, c’est ça ? Elle espérait qu’ils allaient faire profil bas.

Elle ne se sentait pas de son assiette et en colère pour une quelconque raison. Peut-être qu’elle se sentait coupable d’avoir tabassé les aventuriers ? Non. Peut-être. Un tout petit peu.

Puis la sensation disparue. Erin fronça les sourcils et se frotta de nouveau le nez sur sa manche. Heureusement qu’elle était sortie du froid. Cela lui embrouillait l’esprit.

Ryoka était en train de secouer la tête quand Ryoka s’approcha d’elle. La grande fille avec qui elle était venu était aux toilettes, et Erin était légèrement soulagée ; elle avait semblé terrifiée quand Erin s’était présenté après la bagarre.

« Quelque chose ne va pas, Ryoka ? Ryoka ? »

L’autre fille regarda Erin, le regard dans le vide.

« On est foutue, Erin. Cette nouvelle… On est dans la mouise maintenant. »

Erin fronça les sourcils.

« Vraiment ? Je veux dire, comment est-ce que tu le sais ? »

Ryoka secoua la tête. Elle posa les mains sur la table et les ferma en poing. Le regard d’Erin fut attiré par ses doigts manquant. Ryoka les étudia, et regarda Erin.

« S’il y a des troupes de guerres Gobeline en campagne, te ramener à Liscor vient de devenir cent fois plus difficile. Je ne peux pas te protéger d’eux, et ils sont possiblement des milliers. Il y aura bientôt une guerre, et si c’est le cas, même Celum n’est pas protégé. Liscor est peut-être dans la même situation. »

Erin se gratta la tête. Cela semblait être une mauvaise situation.

« D’accord. Mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? Je veux dire, nous ne pouvons rien faire à l’instant, pas vrai ? Donc reste zen Ryoka. La journée a été longue. »

« Nous ne pouvons pas rester sans rien faire, Erin ! Nous devons réfléchir. Nous sommes toutes les deux en danger ; tu es en danger ! »

« Je sais. Mais tu as besoin de te détendre, Ryoka. Nous avons besoin de nous détendre. D’accord ? Nous sommes en sécurité ici, pour l’instant. Nous nous inquiéterons de tout ça après une bonne nuit de sommeil et pas après une bagarre. »

Lentement, Ryoka regarda Erin et hocha la tête. Elle semblait surprise, mais Erin se concentra de sourire.

« Super. Je vais nous faire à manger. »

La fille asiatique fit un demi-sourire à Erin. Puis ses yeux allèrent vers la porte.

« D’accord. Mais prépare-toi à cuisiner pendant un petit bout de temps ; je crois qu’une foule arrive. »

Erin vit les gens rentrer dans l’auberge, attirée par le bruit, la chaleur, la foule et la récente bagarre. Elle sourit et se redressa, ouvrant la porte à une couple surpris.

« Bienvenue à l’Auberge Itinérante ! Entrez, prenez un siège ; ne faites pas attention aux corps. Est-ce que je peux vous servir à boire ? »

L’homme se tenant devant elle regarda Erin, confus. Il regarda la femme à ses côtés, puis Erin. »

« Je pensais que c’était Le Lièvre en Folie ? Est-ce que nous nous sommes trompé d’auberge ? Où est-ce qu’elle a été vendue ? »

Erin cligna les yeux. Puis se souvint qu’elle n’était pas à Liscor, et que ce n’était pas son auberge. Elle rougit légèrement.

« Oh. Oups. »

Elle regarda l’homme et la femme. Ils lui rendirent son regard. Erin ouvrit lentement la porte.

« Je suis, heu, en train d’aider. Entrez si vous avez faim. Nous avons des hamburgers ! »

Après un moment d’hésitation, les deux entrèrent. Erin ferma la porte, et laissa la chaleur de l’auberge se déverser sur elle.

Dans cette nuit froide, elle se sentit vivante. Heureuse, même. Elle était loin de chez elle, et perdue, mais pas perdue. Ryoka était avec elle, et elle avait trouvé quelque chose de spécial avec Octavia, même si l’autre fille était un peu une andouille.

Les Gobelins étaient une mauvaise nouvelle, et Toren avait disparu, mais Erin gardait espoir. Elle avait connu pire. Elle allait traverser cette crise. Avec Ryoka. Ensemble.

Erin se tint dans l’auberge et inspira. Lentement. L’odeur de bière renversée et de cuisson envahit ses sens, mêlée à la désagréable odeur de la transpiration et du vomi. Elle arrêta de prendre de grandes inspirations. Mais elle se sentait bien.

Ce n’était pas la bonne ville, ce n’était même pas la bonne auberge. Mais elle était là, et Ryoka était là. Et donc, pendant un court instant, elle était à la maison.

À l’intérieur de l’auberge, Erin éternua à nouveau.

Fin du Livre 2.


Note des traducteurs: Et voilà! Un second Livre de bouclé, Ellie et moi allons prendre quelques semaines de repos pour passer un coup de pinceau sur les deux premiers livres et organiser la suite. Nous vous tiendrons au courant!  Merci de continuer de suivre cette traduction!
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 02 avril 2021 à 15:04:03
Note des traducteurs : Bonjour à tous ! Il y a de grands changements en perspective de notre côté pour la traduction, et nous ne pourrons malheureusement pas poster de nouveaux chapitres avant que tout ne soit réglé. Sachez cependant que nous travaillons dur pour vous proposer une meilleure expérience de lecture, sur un support davantage adapté à l'œuvre de Pirateaba ! L'Auberge Vagabonde reviendra donc  très bientôt, en mieux, et on vous tient  bien sûr au courant :). Sur ce, prenez soin de vous, et à très vite !
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 17 avril 2021 à 19:55:52

Note d'EllieVia : Bonjour à tous ! Petit topo rapide : nous sommes toujours en train de chercher à mettre en place un meilleur support pour l'Auberge Vagabonde, toutefois, comme toujours, ce genre de choses prennent du temps. Comme c'est en quelque sorte purement administratif, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour accélérer tout ça. On vous poste donc le premier chapitre du tome 3, histoire de briser un peu cette attente ! Cela ne change rien au plan, c'est purement pour que vous ayez quelque chose à lire, et aussi parce que traduire sans poster, c'est un peu triste^^. Pour le moment, nous allons prendre un rythme d'un chapitre par semaine en attendant de pouvoir implémenter un nouveau support. J'espère que le chapitre vous plaira !
Dans tous les cas, prenez soin de vous et à la semaine prochaine, on vous tient au courant :)



3.00 E
 Traduit par EllieVia

Je ne rêve pas de voir. Mais je rêve bel et bien d’aventures. Je pense que c’est le cas de tous les garçons, et je n’ai jamais oublié ce rêve en grandissant.

Et pourtant, c’est une chose de s’imaginer être transporté dans une autre dimension ou dans un autre monde, mais c’est une chose bien différente de l’être vraiment. Après réflexion, je crois que j’aurais préféré pouvoir manger ma quiche avant de partir, mais on ne peut pas tout avoir.


Jour 1


Lorsque je me suis retrouvé dans un autre monde, je m’en suis immédiatement rendu compte, pour plusieurs raisons. Premièrement : je suis à peu près sûr que les cafétérias ne sont pas recouvertes d’herbe, ni d’arbres. Deuxièmement, les sensations étaient tout simplement différentes.

Je fus immédiatement frappé par le parfum de l’air qui m’entourait. Vous pensiez peut-être que j’allais plutôt remarquer la chaleur du soleil sur ma peau, mais ce fut le changement brutal des odeurs de la brise qui me frappa immédiatement. On aurait dit… honnêtement, on aurait dit que j’avais vécu dans une ville polluée comme New York - non, disons plutôt dans une ville très polluée comme Hong Kong ou Beijing - pendant des mois et que je m’étais soudain retrouvé à un endroit où l’air était pur et frais.

La qualité de l’air est une chose que je remarque. Là où elle est mauvaise, par exemple dans des aéroports, l’air est stérile et sent le renfermé. C’est encore pire dans les avions. Dans des lieux pollués,  cela prend le pas sur tout le reste ; on finit par s’y habituer, mais la pollution se trouve alors dans nos poumons et rend la respiration plus pénible que nécessaire.

La différence entre un air pur et un air pollué est tangible, même pour les gens qui n’y prêtent pas particulièrement attention. Mais la différence entre l’air de la cafétéria parfaitement entretenue où je me trouvais et l’endroit où je viens d’atterrir ?

Elle est inimaginable.

Je regarde autour de moi, ma quiche au bacon toujours dans une main, ma canne dans l’autre. Je sens bien que je devrais paniquer, mais honnêtement, je n’ai pas envie de me mettre à courir partout. Je suis incapable de savoir ce qu’il se trouve autour de moi à part le fait que je suis à présent debout dur de l’herbe, et que je n’ai vraiment pas envie de rentrer dans un arbre, s’il y en a autour de moi.

Si vous ne l’aviez pas encore deviné, je suis aveugle. Pas aveugle au sens de la loi, car la définition comprend de nombreuses variations. Je veux dire que je ne vois rien. Pas de ténèbres, pas de distinction entre la lumière et le noir - rien. Cela me convient très bien, mais la plupart des gens que j’ai rencontrés en font tout un plat.

D’habitude, je m’en sors très bien où que j’aille. J’ai d’excellents amis, mes parents sont surprotecteurs, et je peux toujours demander où me rendre où un coup de main si je suis vraiment coincé.

C’est-à-dire comme maintenant. Le seul problème, c’est que j’ai la nette impression d’être seul. Ma meilleure amie, Zoé, n’est pas assise à la table en face de moi, et j’entends des oiseaux chanter.

Je balaie prudemment le sol autour de moi avec ma canne, et m’interrompt en sentant de la terre et de l’herbe à l’extrémité. Ce n’est de toute évidence pas du carrelage. Soit quelqu’un est en train de me faire une blague extraordinaire, ou…

“Ohé ? Zoé ? Il y a quelqu’un ?”

Pas de réponse. On dirait un cauchemar, comme ceux que je faisais enfant, où j’étais perdu dans un bâtiment gigantesque, sans canne, et sans personne pour m’aider. Sauf qu’alors, je ne cessais d’imaginer que quelque chose essayait de m’attraper et qu’il faisait sombre.

“Ohé ?”

Il y a clairement de la lumière, ici. Je sens le soleil sur ma peau, et je suis à peu près certain que l’aube s’est levée depuis peu, à en juger par l’herbe couverte de rosée. Je sais qu’elle est couverte de rosée parce que je me suis assis par terre.

Certaines personnes paniquent lorsqu’elles sont confrontées à une situation inattendue. Si j’étais un autre, je me mettrais peut-être à courir de partout en hurlant, ou à paniquer. Mais la cécité m’a vite appris que rentrer dans des objets en courant est une mauvaise idée. De plus, j’ai encore ma quiche à la main.

Je la pose sur mes genoux et réfléchis. Bon, je suis ailleurs. Pas dans le centre commercial. J’aurais pu croire à une blague, mais Zoé n’est pas suffisamment cruelle pour faire ça, et ce n’est pas comme si j’avais eu une absence ou m’étais laissé distraire. J’ai simplement fait un pas avant de me retrouver…

Ici.

“Est-ce une forêt ? Ou une clairière ? Un chemin de randonnée ?”

Je touche délicatement l’herbe du bout des doigts. Yep. On dirait de la rosée matinale. L’herbe est longue, et n’a pas été coupée... encore un signe ? Je ne suis pas assis sur la pelouse de quelqu’un. Je finis alors par trouver une fleur.

Elle est douce sous mes doigts. Les pétales collent presque à ma peau, et j’ai un mouvement de recul en réalisant que la fleur est mouillée. Quel genre de fleur est-ce donc ? Est-ce qu’un oiseau ou autre chose y aurait fait caca dessus ?

“...Non. C’est du nectar.”

L’odeur, sucrée et très particulière, ne ressemble en rien à ce que j’ai pu sentir dans mon monde. J’étais déjà arrivé à la conclusion que j’étais dans un autre monde, mais cette fois-ci, j’en suis plutôt sûr.

La fleur dégage un parfum sucré et épicé, mais également sombre, si cela vous parle. Sombre, c’est ainsi que j’imagine que les gens voient l’ombre - non pas que je l’aie déjà vue moi-même. Mais j’arrive à me représenter l’ombre - une chose humide, aussi vaste que l’océan, qui rampe et aspire tous les rayons du soleil. C’est ce qui se rapproche le plus du parfum de cette fleur.

Je n’ai jamais rien senti de tel, et j’ai bonne mémoire. J’ai visité des serres gigantesques, et même des jardins floraux dans tous les pays où je suis allé - le parc de Keukenhof aux Pays-Bas est mon préféré - et je n’ai jamais croisé ce parfum, tellement unique.

Je tends précautionneusement la main et ramasse la fleur. Je culpabilise un peu, mais il faut que je la touche, que je la respire. Je suis conscient qu’elle est peut-être empoisonnée, mais je n’en ai cure. Je la hume de nouveau, et cette fois-ci, je réalise que le cœur de la fleur est bel et bien recouvert d’un nectar collant.

Oserais-je y goûter ? Non, c’est probablement trop risqué. Mais cela renforce mon hypothèse. Je suis ailleurs, et il m’est arrivé quelque chose… d’étrange.

“De la magie ? Une téléportation ? Une espèce d’hallucination hyper réaliste ?”

Cela ne peut être réel. Et pourtant, une partie de moi me murmure ‘si, ça l’est’. Si, ça l’est.

C’est réel. Tu es dans un autre monde.

Et cela me fait sourire. Même si le rideau tombe l’instant suivant ou qu’il s’avère que l’on m’a piégé. Pendant un bref instant, j’y crois.

L’air a une odeur différente. Plus propre. Plus sucrée, même. D’ailleurs, même la lumière du soleil me paraît… étrange. J’aurais juré qu’il faisait plutôt chaud à San Francisco - suffisamment chaud pour que Zoé et moi nous rendions au centre commercial pour nous rafraîchir. Mais j’ai l’impression de vivre ici un matin frais d’automne.

Une brise agite mes cheveux. Je sens l’odeur de l’herbe et le parfum des fleurs d’un autre monde que je n’avais jamais vu. Et j’entends un oiseau gazouiller au loin. Au moins, ce son-là me paraît normal.

C’est une si belle journée. Je pourrais me lever et marcher vers l’incertitude, mais l’herbe est douce, ici. Je suis peut-être assis au bord d’une falaise, je ne le saurai jamais. Mais je suis bien, ici.

Combien de temps suis-je resté assis ici, ma quiche sur les genoux, à écouter le vent et les oiseaux ? Une heure, peut-être. Assis par terre, j’ai écouté les sons qui m’entouraient, renforçant de plus en plus ma conviction d’être ailleurs. À un endroit spécial.

C’est alors que j’ai entendu la voix. Distante d’abord, elle a fini par se rapprocher, accompagnée des bruits de craquements de branches. Quelque chose pleure, et j’entends un bruit sourd quelque part derrière moi à gauche.

Je commence un peu à m’inquiéter. D’accord, pénétrer dans un autre monde est une expérience éprouvante, mais jusqu’alors, je restais calme en essayant de voir cela comme une espèce de Voie 9 ¾. Mais personne n’a envie de tomber sur un monstre.

Ou un ours. Forêt + grosse bestiole = ours, dans ma tête. Mais cet ours a une voix. Et il est bouleversé.

J’entends la chose s’arrêter dans mon dos, avant d’entendre un bruit ressemblant à des sanglots. Cela me rassure, mais je sens alors pratiquement les vibrations de quelque chose en train de frapper quelque chose d‘autre. Probablement un arbre, comme toutes les branches bruissent sous l’impact.

Est-ce qu’il s’agit d’une personne ? J’écoute intensément. Contrairement à une croyance populaire, être aveugle ne m’a pas conféré de sens surnaturels. J’utilise juste ce que je possède avec davantage d’efficacité. Je sais différencier les sons… oui, quelqu’un pleure. Sa voix est grave, c’est pour cette raison qu’elle avait une sonorité étrange. Et elle sanglote.

J’ai déjà un peu d’empathie pour la personne et son chagrin, même si je n’apprécie pas vraiment les bruits de coups. Si la personne est en train de frapper cet arbre, alors c’est bel et bien lui que j’entends se fendre sous les assauts.

Mais je n’ai pas le choix. Je me lève et hausse la voix.

“Ohé ? Il y a quelqu’un, là-bas ? Tout va bien ?”

Les pleurs s’interrompent immédiatement. J’entends la personne reprendre son souffle. Je l’appelle de nouveau, en me tournant dans la direction d’où provenait le son.

“Je crois que je me suis perdu. Désolé, mais est-ce que vous pourriez m’aider ?”

“T’aider ? J’arrive !”

C’est bel et bien quelqu’un ! Je n’aurais jamais cru que voir quelqu’un s’avérerait être le meilleur moment de ma journée. Mais il s’agit non seulement d’une personne, mais apparemment d’une personne de sexe féminin. Ou du moins, j’en ai l’impression. Mais elle a une voix très grave, non pas que cela me déplaise. Sa voix est apaisante.

Juste après avoir parlé, la mystérieuse inconnue se met à courir dans ma direction. Je l’entends s’écraser contre les branches tandis qu’elle se précipite droit sur moi.

“Je suis là ! Quel est le prob… oh !”

Elle se rapproche, et ses pas font trembler légèrement le sol. Je reste en position et essaie de la sentir de mon mieux.

Elle est lourde. C’est certain. Et grande ; voilà mon impression générale. Et elle sent. Pas exactement mauvais, mais son odeur n’est pas vraiment...normale. J’imagine que je ne pourrai pas mieux la décrire. Elle transpire un peu, c’est sûr, mais ce n’est pas déplaisant.

Puis elle reprend la parole, et j’entends l’inquiétude teinter sa voix. Cette dernière est grave, mais douce, et elle a une excellente prononciation ; c’est rare d’entendre quelqu’un articuler aussi bien.

“Je suis là. Tu es perdu, étranger ? T’es-tu blessé les yeux ? Tu les gardes fermés.”

“Quoi  ? Non. Je suis…”

Je lève légèrement ma canne et je la sens avoir un mouvement de recul. Elle recule d’un pas. Est-ce qu’elle pensait que j’allais la frapper ? Je baisse la canne et lève une main.

“Désolé. Je suis aveugle. C’est ma canne blanche.”

“Tu ne peux rien voir ?”

Sa voix paraît choquée. Elle ne reconnaît pas non plus ma canne. C’est un symbole plutôt universel… suis-je vraiment dans un autre monde ?

“Rien du tout. Je ne peux pas te voir, mais je peux t’entendre.”

Une brève inspiration. J’ai l’impression que la personne debout devant moi est gigantesque ; ou du moins, ses poumons.

“Tu ne peux pas voir mon visage ?”

“Non. Il y a un problème ?”

Un silence. Puis…

“Non. Aucun problème.”

Je souris. Je ne suis pas sûre de sourire dans sa direction, mais ça aide. Toujours.

“Tant mieux. Je t’ai entendue et je ne voulais pas t’interrompre, mais j’ai quelques ennuis. Je m’appelle Laken Godart.”

Je lui tends la main, et je la sens hésiter. Mais une main finit par engloutir la mienne.

Une grande main. Mais elle serre tellement délicatement la mienne que je ne sens presque rien.

“Je m’appelle Durene. Comment êtes-vous arrivés ici, Monsieur Laken ?”

M. Laken ? Que c’est étrange. Est-ce que je connais un pays qui utiliserait ce genre de titre ? Je souris avec tristesse.

“Je ne sais pas vraiment comment je suis arrivé ici. J’étais dans un centre commercial, et j’ai dû me tromper d’allée ? Il s’est passé quelque chose, en tout cas, parce que je me suis soudain retrouvé ici.”

“Un centre commercial ? Je n’ai jamais entendu parler de ça en ville. Désolée.”

Je hausse les sourcils. Soit c’est une actrice talentueuse et il s’agit de la meilleure simulation de tous les temps, soit elle est sérieuse.

“Est-ce que tu peux me dire où je me trouve ?”

Je crois qu’elle acquiesce. J’ai entendu dire que les gens font beaucoup ça, même si je n’ai fini par comprendre le geste que lorsque quelqu’un m’a montré exactement ce qu’il faisait avec sa tête.

“Vous êtes près du village de Rivechamp. Dans la forêt, plus exactement.”

Rivechamp ? Au moins, j’avais raison pour la forêt.

“Est-ce qu’on est près d’une ville ? J’étais à San Francisco il y a quelques instants et je ne sais absolument pas comment j’ai atterri là.”

Encore une pause.

“Je suis désolée, mais je ne sais pas où ça se trouve. C’est une grande ville ?”

“Très grande. Comment s’appelle la plus grande ville du coin ?”

“Bells, je pense. C’est à plus de quarante kilomètres d’ici, en revanche.”

“... est-ce que c’est en Amérique ?”

“En Amérique ?”



Ce n’est probablement qu’un rêve. Ou une dépression nerveuse, même si le psychiatre que ma mère a embauché a dit que mon bilan de santé était correct ces dernières années. Il y a sans doute beaucoup de raisons qui expliqueraient cela, mais ce que je voudrais vraiment, un tout petit peu, c’est que tout ceci soit réel.

“Désolé, Durene, je vais prendre un risque, là, mais… est-ce que tu pourrais me dire quelle année nous sommes ? Et dans quelle nation je me trouve ?”

“Une nation ? L’année ? Je… je ne suis pas trop les années. Je crois qu’on est à peu près autour de 22 après T.P. ? Et, hum, nous ne sommes pas une nation. Personne d’autre que le chef du village ne dirige Rivechamp.”

“Oh mon dieu. Je suis dans un autre monde.”

“Quoi ?”

“C’est obligé. Durene, est-ce que je te semble… étrange ?”

Elle marque une pause. Je la sens se rapprocher lentement. Je n’en suis pas sûr, mais je crois qu’elle me dévisage.

“Eh bien… tu t’habilles un peu bizarrement. Tes vêtements sont inhabituels. Il y a un étrange symbole avec un triangle sur ton haut. Il est… coloré.”

Je souris légèrement. Ma cécité implique que mon sens de la mode est un peu biaisé. Je sais que je porte un short et un t-shirt, apparemment frappé du logo de l’œil des Illuminati. Zoé m’a dit qu’il m’allait bien, mais j’ai quelques raisons de douter de ses goûts en matière de mode.

“Est-ce que tu as déjà vu quelque chose de ce genre auparavant ?”

“Rien d’aussi vibrant. Es-tu un noble ? Un marchand de tissus ?”

“Non. Je suis juste aveugle. Et je crois… oui, je crois que je suis bien loin de chez moi.”

“Oh. Je suis désolée.”

Je hausse les épaules.

“Ce n’est pas de ta faute. Je crois. Et si c’est le cas, alors j’adorerais avoir une explication ?”

“Quoi  ? Non ! Je ne ferais jamais…”

Elle est si vite embarrassée. Je me sens un peu coupable, du coup.

“Je suis désolé. C’était une blague.”

“Oh.”

Que dire ? D’ordinaire, ma conversation est relativement agréable. Ou du moins, je peux toujours trouver un sujet de conversation, même s’il n’est pas bien accueilli.

“Je t’ai entendu pleurer. Est-ce que tout va bien de ton côté ?”

“Moi ?”

J’ai entendu parler des rougissements, aussi. D’après les descriptions des gens et la fois où j’avais touché quelqu’un en train de rougir, j’imagine de la chaleur emplir leur visage. C’est certainement comme ça que je le ressens, et je pense que Durene est en train de subir la même sensation.

“Ce… ce n’était rien. J’étais juste contrariée, voilà tout. Je ne pensais pas qu’il y avait quelqu’un dans le coin.”

Sa voix est rauque d’émotion. Je marque une pause, mais pourquoi ne pas poursuivre cette conversation ? Je n’ai rien à gagner à me retenir de poser mes questions. Je l’ai appris il y a bien longtemps.

“Pas de problème si tu ne veux pas en parler. Mais si tu veux discuter…”

“Non.”

Je hoche la tête. Mais je la sens hésiter. J’attends donc.

“Quelqu’un m’a jeté une insulte. C’est tout.”

“Ah.”

Tellement d’années, tellement de sentiments peuvent se trouver derrière un simple mot. Je me tourne dans sa direction globale, et je sais qu’elle me regarde. Puis j’entends quelque chose de drôle.

Un grondement. Des gargouillis. Un gigantesque estomac. Et je me souviens que j’ai quelque chose dans la main. Je souris en sentant Durene s’agiter et, présumablement, rougir.

“Durene, est-ce que cela te dirait de partager cette quiche avec moi ?”

“Tu en es sûr ?”

“Pourquoi pas ? Asseyons-nous pour discuter. Tu m’as l’air très gentille.”

Je m’assieds par terre. Au bout d’un moment, je sens quelqu’un s’asseoir à côté de moi. Je n’ai pas de fourchette, mais je n’ai aucun mal à sortir la quiche de sa boîte en métal et de la briser en deux. Je donne le plus gros morceau à Durene malgré ses protestations et nous mangeons en papotant.

Voilà comment j’ai rencontré Durene, et découvert un nouveau monde. Comme je l’ai dit, j’aurais aimé pouvoir manger ma quiche avant. Elle était tiède, à ce stade, mais au moins, j’étais en bonne compagnie.



Jour 2



Lorsque je me suis réveillé, j’ai encore une fois confirmé le fait que j’étais dans un autre monde. Je n’ai pas paniqué.

Durene fut vaguement surprise de me voir debout en train d’explorer sa maison en silence. Elle vit dans une maison relativement spacieuse à côté d’un ruisseau. Je ne l’imagine pas encore dans son ensemble, mais mon exploration et ses descriptions du bâtiment me donnent l’impression qu’il s’agit d’une maison de bois et de pierre brute, mais soigneusement colmatée de manière à empêcher les éléments naturels d’y pénétrer. Le sol de pierre n’est qu’à peine rugueux sous mes pieds nus, et l’unique fenêtre n’est pas vitrée.

Pour faire court, il s’agit d’une maison médiévale, et d’après ce que m’a dit Durene pendant notre discussion de plusieurs heures la veille, il s’agit d’un monde médiéval. Où la magie existe. Et où la technologie reste relativement rudimentaire. Elle était impressionnée par ma canne en fibre de carbone ; elle a poussé des exclamations en voyant le matériau, comme s’il était parfaitement alien en ce monde, ce qui était sans doute le cas, en un sens.

Je suis à présent assis à table, avec le sentiment d’être une demi-portion dans la chaise où Durene m’a assis. Elle s’active dans la cuisine. Je sens quelque chose en train de cuire, et on dirait qu’elle prépare des œufs. L’odeur du pain chaud remplit déjà mes narines.

“Voilà, Monsieur Laken. Désolée, c’est un peu brûlé.”

“Ça m’a l’air délicieux. Et appelle-moi Laken.”

J’entends et sens une grande assiette être posée devant moi. En explorant avec délicatesse mon assiette du bout de ma fourchette, je trouve les œufs - à peine coulants - et le pain grillé. Oui, il croustille, mais c’est vraiment bon, et je le lui dis.

“Merci de me laisser dormir ici. Je crois que j’ai pris le seul lit que tu avais. Je m’en excuse.”

“Oh, non ! Ce n’est rien. Et j’aime dormir dehors.”

“Jolie menteuse.”

Eh bien. Je crois que c’est bien la première fois que j’ai tellement pris une personne de court qu’elle s’est tue aussi vite. Je l’entends bouger, s’éclaircir la gorge, puis elle finit par me demander :

“Tu n’es pas inquiet ?”

Je hausse un sourcil. Je ne sais pas du tout si ça rend bien, mais mes amis m’ont assuré que si, et j’ai adoré l’idée après avoir lu une histoire dans laquelle le personnage principal usait de cette expression avec grand succès.

“À quel sujet ?”

“Eh bien, tu disais que tu étais perdu. Seul. Dans un autre… un autre monde ? Comment peux-tu être si calme ?”

Cela me fait sourire. J’ai peut-être l’air calme, mais j’ai passé un bon moment la nuit dernière pendant que Durene ronflait dehors à paniquer et à essayer d’affirmer que je n’étais pas en train d’halluciner. Mon bras est encore sensible tant je l’ai pincé.

“Quel intérêt aurais-je à paniquer ? Je suis surtout excité, en fait. Je suis dans un autre monde, où la magie existe. Il n’y a pas de magie d’où je viens.”

“Mais tu m’as dit que vous aviez tellement de choses étranges. Comme ces “voitures” et ces “centres commerciaux”. Ça a l’air incroyable.”

“Je suis surpris que tu me croies, pour être honnête. Si j’entendais quelqu’un parler de mon monde, je penserais qu’il est fou.”

“Mais lorsque tu en parles, cela paraît si réel. Et ton bâton qui se plie…”

Encore une invention miraculeuse d’après ses standards. Je crois que c’est d’ailleurs ça qui a convaincu Durene que je venais d’un autre monde. Ça, et mon iPhone. Je crois que Siri a fait peur à Durene.

Oui, apparemment, je n’ai pas internet, et comme je n’ai rien pour le recharger, j’ai éteint Siri pour économiser la batterie. Mais avoir un iPhone, même avec une batterie faible, s’avère incroyablement utile dans une situation de survie, dans laquelle je suis.

Ça, et avoir une amie. Je souris à Durene.

“Je ne crois pas que mon monde ait quoi que ce soit de spécial. Mais je suis, en revanche, vraiment heureux que tu m’aies trouvé, Durene. Je me suis rendu compte que je peux faire confiance à la plupart des inconnus.”

Encore une pause. Un autre rougissement hypothétique.

“Vraiment ? Mais tu ne vois même pas… et tu m’as juste fait confiance pour t’aider. Je pourrais être…”

Elle marque une pause.

“Quelqu’un de malintentionné.”

“Mais ce n’est pas le cas. Et j’ai un bon instinct en ce qui concerne les gens, ou du moins, j’aime à le croire. Tu m’as l’air d’être une personne très gentille, Durene.”

“Je… merci. Mais tu ne peux pas voir...’

Je lui adresse un sourire ironique.

“Je remarque tout de même quelques détails. Par exemple, je sais que tu es plus grande que moi. Et plus forte. Et tu as des cals sur les mains, ta table a une fissure ici - et tu as un grand appétit.”

C’est difficile de ne pas remarquer les bruits qu’elle fait en dévorant son assiette, pour être honnête. Durene s’agite sur sa chaise de bois en la faisant craquer.

“Je suis désolée.”

“Quoi ? Pourquoi es-tu désolée ?”

“Hum…”

“J’ai vraiment aimé les œufs et les toasts. C’est toi qui les as faits ?”

Cette fois-ci, je crois qu’elle acquiesce, parce qu’il y a un petit silence avant qu’elle ne prenne la parole.

“Oh ! Oui ! Je mange beaucoup. J’ai donc un grand jardin et je, euh, j’élève des poulets, des cochons et d’autres animaux. Mais je ne sais pas très bien cuisiner parce que je n’ai aucune Compétence.”

“Tu es dure avec toi-même. J’ai beaucoup aimé ce petit déjeuner.”

Un silence. Puis…

“Merci. Mais il faut que j’achète beaucoup de nourriture, de toute façon. Les villageois me vendent beaucoup de choses que je ne peux pas faire moi-même.”

“Tu vis donc dans un village ? Combien y a-t-il d’habitants ?”

Si cela vous paraît étrange que nous n’en ayons pas parlé hier, eh bien, il y a beaucoup d’explications et de confirmations à donner lorsqu’on pense avoir atterri dans un autre monde. D’autant plus lorsqu’il faut convaincre une jeune femme effrayée que l’on n’a pas piégé une personne dans son iPhone.

Est-ce qu’elle est jeune ? Durene a l’air d’être un peu plus jeune que moi. Bien sûr, je suis terriblement mauvais pour estimer les âges et elle peut donc être soit de mon âge, soit encore adolescente. Les filles grandissent plus vite que les garçons, après tout.

Bref, revenons à la conversation. Durene vit apparemment dans un petit village d’une soixantaine d’âmes, et la plupart d’entre elles habitent près les unes des autres. Elles vivent dans une zone charmante de terres cultivables irriguées par une rivière, d’où le nom du village, Rivechamp. Les gens d’ici pratiquent l’agriculture et l’élevage - ils ont un forgeron, et une personne dévouée qui va en ville pour vendre leurs marchandises, la personne la plus compétente en commerce.

Les gens de ce village vivent ensemble au sein de grandes familles. Les enfants partent souvent apprendre un métier dans d’autres villes en grandissant, ou gèrent l’entreprise familiale. Il est rare de rencontrer une nouvelle personne en un mois, et encore moins un groupe de gens, mis à part les aventuriers ou les Coursiers occasionnels.

Oh, oui, ce monde possède des aventuriers et le service postal le plus étrange que je puisse imaginer. Mais ce que je remarque le plus, dans les explications de Durene, c’est une étrange… absence de détails. Principalement en ce qui la concerne.

Durene ne vit pas dans le village. D’après ce qu’elle m’a dit, les seuls autres personnes à vivre seules sont les célibataires, ou les veufs et veuves. Mais Durene est bien trop jeune pour correspondre au moindre de ces critères, et elle me dit qu’elle n’a jamais rencontré d’aventuriers, alors que tous les enfants les adorent.

Je sens qu’il y a anguille sous roche.  Et je sens Durene, aussi. Son odeur m’a toujours l’air… anormale. Si je rencontrais d’autres personnes, j’arriverais peut-être à comprendre ce qu’elle a de si différent, mais en attendant, je maintiens le flot de la conversation et lui parle un peu de là d’où je viens.

C’est moi, Laken Godart, fils aveugle de deux parents relativement bien nantis, une avocate, et un homme d'affaires. J’ai voyagé à davantage d’endroits que Durene n’en connaît, et je suis aveugle. C’est une description assez élémentaire, mais la clef, pour se vendre, c’est d’embellir les choses.

Et bien trop vite, je me rends compte que le copieux petit déjeuner de Durene m’a affecté d’une toute autre manière. Je m’éclaircis poliment la gorge.

“Euh, Durene ? Est-ce que tu pourrais encore une fois m’aider à aller aux toilettes ?”

Oui, c’est embarrassant de demander à quelqu’un que je viens de rencontrer de m’aider, mais j’ai l’habitude. Je ne veux pas me retrouver dans les toilettes des filles, n’est-ce pas ? Mais encore une fois, elles ont été plutôt compréhensives les deux fois où cela s’est produit par accident.

Dans tous les cas, cela reste toujours plus simple de demander de l’aide, surtout lorsqu’il y a un risque de se tromper de porte. Et Durene est ravie de m’aider.

“Pas de problème. Par ici… oups ! Attends, laisse-moi juste pousser ça… la porte est ici.”

Elle est très prévenante. D’habitude, les gens ont beaucoup de mal à me diriger, mais elle a très vite trouvé comment faire. Elle me laisse lui prendre le bras - je sens ses muscles onduler à chacun de ses mouvements - et elle avance à un rythme raisonnablement rapide.

Ce n’est pas comme si j’avais du mal à me déplacer, et je sens si elle entame une pente ou si elle contourne quelque chose. C’est naturel, pour moi, et dès que j’ai expliqué cela à Durene, elle a vite compris comment faire.

Ses toilettes, sèches, sont à l’extérieur, loin du ruisseau. Elle doit m’attendre à une distance respectueuse, mais je ne prends pas longtemps. Il n’y a qu’un seul problème.

“Est-ce que tu aurais du papier toilette ? Euh, quelque chose pour m’essuyer ?”

“Je vais te chercher des feuilles !”

“Des feuilles ? Ohé ? Durene ?”

Apparemment, le papier toilette est un luxe tellement rare que Durene n’en a jamais entendu parler. Mais les feuilles qu’elle me tend font parfaitement l’affaire, et mes fesses ne se plaignent pas trop.

Les toilettes sèches sont définitivement sèches, c’est-à-dire que je sais qu’il n’y a pas d’eau sous moi lorsque je jette les feuilles. Mais elles sentent bon : Durene y a placé des herbes parfumées pour chasser les odeurs. Je lui en parle en sortant.

“Ta maison sent vraiment bon, Durene. Je t’envie.”

“Elle n’a rien de spécial. Vraiment pas. Elle est… rustique.”

“Je ne pense pas. Mais, euh, est-ce que je peux me laver quelque part ? Est-ce que tu as du savon ?”

“Du savon ?”

Transmettre l’idée élémentaire de l’hygiène à Durene me prend un bon moment. C’est ce qui m’inquiète le plus, en ce moment. Mais elle me fait bouillir de l’eau et lorsque je suis certain qu’elle n’est plus bouillante, je l’utilise pour me laver.

“Il faut vraiment que tu te laves les mains, Durene. Dans mon monde, un nombre incalculable de gens sont morts par le passé parce qu’ils ne se lavaient pas assez.”

Sérieusement ?

Je suis époustouflé, flatté, et touché de voir à quel point Durene accepte tout ce que je dis sans le remettre en doute. Je lui raconte la Peste Noire, et quelques minutes plus tard elle me jure qu’elle achètera du savon la prochaine fois que quelqu’un ira en ville.

Et il est déjà l’heure du déjeuner. J’ai faim, c’est certain, et Durene me fait faire le tour du jardin et me laisse toucher les plantes en train de pousser et les pommes de terre qu’elle arrache.

Mais nous nous heurtons alors à un problème. Durene va dans la cuisine pour les préparer et je reste dehors, à écouter. Mais vingt minutes plus tard, je réalise que quelque chose ne va pas. Je l’entends essayer de faire le moins de bruit possible, mais les bruits de casserole et l’odeur de brûlé ne peuvent pas vraiment être dissimulées.

“Tout va bien ? Durene ?”

“Je… je suis désolée.”

Sa voix est pleine de larmes lorsqu’elle sort pour me dire qu’elle a fait brûler les pommes de terre. Je ne comprends pas pourquoi, mais s’il y avait eu une alarme incendie dans sa maison, elle serait en train de hurler. Elle ne me laisse même pas inspecter le plat brûlé ; apparemment, il est tellement carbonisé qu’elle l’a donné aux cochons, dehors.

“Je ne sais pas cuire les pommes de terre. Je suis désolée. D’ordinaire, je les mange crues.”

“Allons, allons, on ne peut pas tolérer ça. Laisse-moi t’aider.”

“M’aider ? Mais tu…”

“Je suis aveugle, mais je sais cuisiner. Allez, viens !”

Je tends la main et lui touche le bras. C’est un gros bras, et elle recule instantanément. Mais je la rassure et la guide vers la cuisine.

C’est étrange de cuisiner en donnant principalement des instructions à quelqu’un. Étrange, mais amusant. Juste pour moi au début, mais Durent finit par se laisser aller.

Nous préparons des patates sautées. La recette n’est pas difficile, mais je dois d’abord montrer à Durene comment couper correctement. Je l’entends se couper deux fois avant de comprendre qu’elle tient mal son couteau.

“Comme ça, tu vois ? Si tu coupes des feuilles, comme ce romarin… fais-le comme ça.”

Durene a un hoquet de stupeur, mais je place le couteau contre mes phalanges et le fait courir sur la planche à découper, hachant lentement les herbes en petits tronçons.

“Simple comme bonjour. Ne t’inquiète pas ; même sans voir, il est impossible de se couper comme ça, tu vois ?”

“Je vois, oui ! C’est incroyable !”

“Non. Vraiment pas. Bon, remettons-nous au travail sur le reste de ces pommes de terre, d’accord ?”

“D’accord. Les pommes de terre coupées sont… ici. On les met à bouillir ?”

“Oui. L’eau bout ? Et tu as ajouté le sel ? Mets-les dedans. Elles y resteront environ quatre minutes, d’accord ? Bon, et maintenant, où est la poêle ?”

“J’y ai mis l’huile.”

“À présent, les pommes de terre. Le côté plat contre la poêle. Ça a l’air bon, pas vrai ?”

L’huile crépitant dans la poêle réveille mon estomac. Je souris et entends Durene faire glisser maladroitement les pommes de terre dans la poêle.

“Est-ce qu’elles sont bien dorées et croustillantes ? D’accord, alors on va baisser le feu. Et maintenant… un peu de beurre. Un tout petit peu… et le romarin… l’odeur n’est-elle pas tout simplement délicieuse ?”

“Si ! Si !”

C’est un succès. Nous nous mettons à table et Durene dévore son assiette comme si c’était le meilleur plat qu’elle ait jamais mangé. Apparemment, c’est le cas.

“Je n’ai jamais rien cuisiné de tel. Est-ce que tu as une Compétence ? C’est obligé !”

“Je ne dirais pas une compétence. J’ai juste appris auprès d’un grand chef cuistot.”

Merci Gordon Ramsay. Je ne peux peut-être pas le voir cuisiner, mais j’adore les chefs qui me racontent exactement ce qu’ils sont en train de faire.

“Est-ce que tu es un [Chef] ? C’est ta classe ?”

C’est une bien étrange façon de voir les choses. Je hausse les épaules, un peu embarrassé.

“Je voulais devenir chef, puis critique culinaire professionnel quand j’étais plus jeune. J’ai abandonné l’idée lorsque j’ai appris qu’un autre aveugle était déjà devenu Masterchef. Et, il faut bien le dire, je ne suis pas si doué que ça pour la cuisine.”

“Mais c’est…”

“Cela n’arrive vraiment pas à la cheville de ce qu’un chef professionnel peut cuisiner, crois-moi. Et tu as fait le plus difficile.”

“Mais tu sais tellement de choses, pourtant.”

J’ai envie de me recroqueviller un peu, tant je suis embarrassé.

“J’ai juste étudié un grand nombre de métiers, c’est tout. Chef, critique culinaire… à un moment, je voulais devenir joueur de billard professionnel, mais ce n’est pas possible, en fait. J’ai voulu essayer tout ce qui n’était pas ennuyeux, donc j’ai essayé beaucoup de choses.”

“C’est incroyable. C’est tellement mieux que moi.”

Je crois qu’elle me dévisage. Je sens sa proximité. Sa voix aussi est beaucoup plus intense… elle a l’air fascinée. Je ne peux m’empêcher de sourire.

“Tu serais surprise de voir tout ce que tu peux apprendre en t’appliquant. Oublie la cuisine - j’ai déjà démonté et remonté un vieil ordinateur à la main. C’est… disons, un appareil compliqué.”

“Je ne le connaîtrais pas, alors. Je… je n’ai que la classe de [Fermière].”

Voilà encore ce mot. Une classe ? Je fronce les sourcils.

“Une classe ? Tu veux dire, un métier ? On t’a imposé un métier ?”

“Non. Je suis juste une [Fermière]. Niveau 6. N’y a-t-il donc pas de classes dans ton monde ?”

“Oh, wow.”

Est-ce que c’est si évident que ça ? Est-ce que je ne l’avais pas remarqué avant parce que je suis aveugle ? Mais Durene m’assure qu’elle n’a pas sa classe ou son niveau en train de flotter au-dessus de sa tête comme dans un MMORPG. Et même alors, je suis sidéré, parce que je me rends compte à présent que je suis dans un jeu vidéo. Ou dans quelque chose qui y ressemble.

“Tu veux dire que tu as joué à des jeux avec le destin des gens ?”

“Non ! Ce n’était qu’un jeu. Mais ça ressemble exactement à ce que tu me décris de ton monde.”

“Oh.”

Nous nous asseyons côte à côte, dans son jardin, et discutons. À ce stade, Durene et moi sommes suffisamment à l’aise pour nous asseoir plus près l’un de l’autre, et oui, elle est grande. Je ne suis pourtant pas petit, apparemment, je fais environ 1m84, ou 6’1’’ pour les gens qui utilisent l’affreux système de mesure américain, mais Durene fait au moins une tête de plus que moi. Possiblement plus ; elle se penche vers moi pour parler.

Et elle est énorme. Et elle en est consciente : elle me traite encore plus comme si j’étais de verre que les gens qui savent juste que je suis aveugle. Je lui en suis reconnaissant dans tous les cas ; on dirait un peu qu’une géante me tient compagnie.

Hmm. Une géante ?

Un dernier détail : la peau de Durene est plus rêche que la normale. L’intérieur de sa paume est relativement lisse, bien que calleuse, mais les rares fois où ma peau a rencontré la sienne, je l’ai trouvée étonnamment rugueuse voire même crevassée par endroits.

Étrange. Mais elle sait écouter, et nous restons assis ensemble jusque tard dans la nuit. Je lui raconte des histoires, et elle me parle de ce monde. De la magie, des aventuriers et un système de jeu.

Le dîner, ce soir, est composé de champignons marinés, là encore grâce à mon marathon de visionnage de vidéos de Ramsay. Heureusement que je me souviens de nombreux plats végétariens ; Durene aime la viande, mais apparemment, c’est une mets luxueux rare pour elle, malgré les cochons qu’elle m’a présentés plus tôt dans la journée.

Nous n’avons pas de vinaigre, mais le jardin de Durene est bien fourni, et tout est d’une qualité si bonne que nous avons à peine besoin d’assaisonner pour que ce soit bon. Nous complétons le repas avec de l’eau fraiche du ruisseau, et Durene mange quatre fois plus que moi. Heureusement que nous avons cuisiné des quantités suffisantes.

Parfois, j’aimerais pouvoir voir. Je n’ai aucune idée de la sensation que ce serait, et d’ordinaire, je n’en ai cure. Mais quand je passe une mauvaise journée ou que je suis frustré et que j’aimerais que les choses soient plus simples, j’aimerais voir.

Mais à présent, je veux juste voir son visage. Bien que Durene soit apparemment complexée par son apparence.

Je me demande pourquoi. Je me demande pourquoi en me couchant dans son lit et en l’écoutant ronfler dehors.

Au moins, je sais qu’elle n‘est pas une Trolle. Ceux du Hobbit se transforment en pierre au matin, n’est-ce pas ? Peut-être que les gens deviennent juste vraiment grands dans ce monde.

Peut-être. Mais elle reste une bonne personne, dans tous les cas.


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 17 avril 2021 à 19:57:14

3.00 E - Deuxième Partie
 Traduit par EllieVia



Jour 3



Apparemment, l’une des obsessions de Durene, c’est le poisson. Je la comprends : elle ne peut pas attraper beaucoup de gibier et elle vend la plupart de ses cochons au lieu de les manger. Le poulet occasionnel n’est mangé qu’à la mort de l’un d’entre eux, et d’après ce que j’ai pu observer, elle a du mal à cuisiner même les plats les plus élémentaires.

Mais le poisson ? C’est difficile de rater le poisson, et Durene possède une canne à pêche rudimentaire avec laquelle elle essaie d’attraper des poissons presque chaque jour. Apparemment, elle n’a pas beaucoup de succès et je comprends rapidement pourquoi.

“Il te faut un appât qui se tortille. Les vers, c’est bien. Et tu bouges trop ta ligne. Laisse le poisson mordre avant de le tirer de l’eau. Tu vois ? La clef, c’est d’être patiente.”

C’est incroyable. Mais personne ne l’avait jamais enseigné à Durene, et elle me regarde pêcher avec une concentration intense. Je suis…

Je suis heureux de lui enseigner des choses, et suprêmement agacé que personne ne lui ait jamais expliqué quelque chose d’aussi simple. Peut-être que les gens de son village ne savent pas pêcher ?

Ou y a-t-il une autre raison pour laquelle elle vit seule ?

J’ai la moitié de ma réponse en arrachant le deuxième petit poisson du ruisseau, au ravissement de Durene. J’entends des voix, des rires ; les bruits de plusieurs enfants. Puis j’entends leurs voix.

“Hé, le Monstre ! Sors de ton trou, le Monstre !”

À côté de moi, sur l’herbe, Durene se fige. Je marque une pause, la chope en terre cuite rustique que Durene m’a donnée à moitié pleine à la main, m’interrompant alors que je prenais de l’eau dans le ruisseau.

“Où est-elle ? Hé, le Monstre !”

J’entends des rires gais, des bruits de course et des cris de joie qui contrastent fort avec les mots et le ton des voix d’enfants. Il ne leur faut pas longtemps pour nous trouver.

“Le Monstre ! Le Monstre ! Le M… qui c’est, ça ?”

Je tourne la tête et les bruits de course s’interrompent. J’ai compté… six enfants ? Tous très jeunes, probablement aux alentours de dix ans. Majoritairement des garçons, même s’il y a une fille avec eux. Ils s’arrêtent d’un air hésitant.

“C’est Laken. Il ne vient pas de la région.”, tente d’expliquer Durene. Je souris et me présente, mais dès l’instant où les enfants se rendent compte que je suis aveugle, leur respect disparaît.

“Il est aveugle !”

“Un monstre ! Le Monstre a trouvé un copain !”

“Les monstres !”

Est-ce qu’il y a quelque chose dans l’eau, ici ? Ou est-ce que c’est juste eux ? Je fronce les sourcils dans leur direction.

“Ce n’est pas un mot que vous devriez utiliser en vous adressant à Durene.”

“Mais c’est un monstre !”, proteste l’un des garçons. Puis j’entends un glapissement et la fille prend la parole.

“Je crois qu’il ne le sait pas. Il ne peut pas la voir !”

“C’est vrai !”

D’autres exclamations s’ensuivent.

“Vous devriez fuir, Monsieur ! Durene va vous manger le cœur !”

“Non, ce n’est pas vrai !”

“Aah ! Fuyez ! Le Monstre est devenu fou !”

Durene se lève, et je sens son désarroi. Puis je l’entends pousser un cri. Quelqu’un lui a jeté une pierre ! Je l’entends retomber dans le ruisseau.

“Bouffe de la terre, le Monstre !”

D’accord, des boules de boue. Une autre s’envole. Durene ne fait rien pour se défendre, je me lève donc. La tasse d’eau est encore dans mes mains. Je suis un instant tenté de la jeter, mais… ce ne serait pas correct. Les enfants se taisent. Que devrais-je leur dire ?

“Ravi de faire votre connaissance. Santé, mes potes.”

Je lève la chope dans leur direction puis bois. Honnêtement, mon eau a un léger goût d’argile. Je regarde les enfants, ou plutôt je vise leur direction globale.

“Maintenant, dégagez.”

Un silence. Mon visage reste impassible. Je n’ai jamais regardé qui que ce soit droit dans les yeux, pour la bonne raison que je pourrais mal viser, et que je peux à peine garder les yeux ouverts pour soutenir un regard dans tous les cas. Mes yeux s’embuent vite, même si je ne peux pas voir.

Mais je sais très bien rester immobile et calme. Ce qui n’est pas le cas des enfants. Au bout de quelques secondes de plus, je les entends s’en aller.

Je me rassieds à côté de Durene. Elle tremble.

“Ça va ?”

Je garde un ton léger en tendant la main vers la canne à pêche. Je ne la trouve pas, mais Durene la presse alors silencieusement dans mes mains.

“Est-ce que tu sais ce que je voulais dire quand j’ai dit ‘santé’ ? C’est une expression venue d’une autre culture. Cela signifie, eh bien, c’est quelque chose que l’on dit avant de boire, ou à une fête.”

“Vraiment ?”

Sa voix tremble, mais elle est curieuse. Je hoche la tête et souris.

“J’ai rencontré un Australien, un jour, qui arrivait à prononcer ce mot comme s’il s’était agi d’une menace. Il l’a dit à un groupe de soldats qui nous embêtaient et… eh bien, ce n’est pas toujours poli. Tout est dans la nuance, tu vois ?”

Un nouveau silence. J’entends Durene déglutir.

“Je… je suis désolée. Ce qu’ils ont dit…”

“... ne me concerne pas. Ces petits crisses étaient insupportables, de toute façon. On ne peut même plus les traiter de morveux. Est-ce qu’ils te harcèlent souvent ?”

C’est bien de connaître plusieurs cultures. Ça aide quand on veut ajouter des insultes à son répertoire. Durene éclate d’un rire tremblant, puis se tait de nouveau.

“De temps en temps. Je veux dire, ils viennent de temps en temps mais ils ne font rien de plus que de jeter des trucs.”

“Comme des pierres ?”

Je n’ai que le silence pour toute réponse. Je m’éclaircis la gorge.

“C’étaient de misérables petits monstres ; ne les écoute pas. Et dans tous les cas, ce ne sont que des gamins, non ? Tu ne peux pas les chasser ?”

“Je ne peux pas faire ça ! Je pourrais blesser quelqu’un, et alors là…”

Elle a l’air sincèrement choquée. Et effrayée. Est-ce qu’elle s’inquiète du stéréotype de la foule de fermiers armés de fourches ? Mais il faut bien que le cliché vienne de quelque part. Elle a peut-être raison de rester passive.

“Je suis désolé de t’avoir causé des ennuis. Mais je ne pouvais pas les laisser te harceler comme ça.”

“Ce n’est pas grave. Je crois. Non, ce n’est pas grave. Mais je suis surprise que tu n’aies pas été plus en colère que ça quand ils t’ont traité de monstre. Tu n’en es pas un, toi.”

Là encore, son ton suggère… quoi ? Une dépression ? Une terrible estime de soi, dans tous les cas. Mais je n’ai pas encore réuni tous les indices, même si je sais à peu près ce qu’il se passe. Quant à moi… je hausse les épaules.

“J’étais beaucoup plus en colère que ça, avant. Mais je suis devenu beaucoup plus calme à présent ; je ne m’emporte plus vraiment. On m’a déjà insulté, moi aussi.”

“Vraiment ?”

Je souris de nouveau, mais cette fois-ci, il s’agit plutôt d’un rictus.

“Tout le monde se fait insulter. Je suis juste une cible plus facile comme je ne vois rien venir. Là encore, je comprends. Quand on est petit, tout ce qui est bizarre représente une cible. Tout ce qui est différent, ou effrayant… c’est plus simple de lancer des insultes que d’apprendre à connaître la personne. Cela ne signifie pas que je pense que ces gosses avaient raison de faire ce qu’ils ont fait, bien sûr. La prochaine fois que l’un d’entre eux t’insulte, frappe-le. Ou insultes-le toi aussi.”

“Je suis incapable de frapper qui que ce soit ! Et je suis nulle en insultes.”

“Quoi ? Les insultes, c’est très facile. Vas-y, essaie. Insulte-moi.”

“Je… je ne sais pas. Comment est-ce que je pourrais les appeler ?”

“Bouton mûr ? Pitoyable tête à claques ? Champignon pleutre ? Les insultes, ça peut être tout ce que tu veux.”

Le rire qui surgit de Durene ressemble davantage à un aboiement amusé, mais il est sincère. Elle rit de bon cœur.

“Tu sais quoi ? On va faire griller ces poissons et je vais t’enseigner quelques-unes des insultes les plus piquantes que je connaisse, d’accord ? Il faudra peut-être que tu te bouche les oreilles, cela dit ; certaines feraient rougir un marin.”

Elle éclate d’un rire ravi et je souris de nouveau. C’est un jour meilleur, malgré l’intervention des enfants. Et le poisson n’est même pas brûlé, cette fois-ci.




Jour 5



Chaque jour, je me retrouve à passer presque tout mon temps avec Durene. Elle est ouverte d’esprit et il est facile de discuter avec elle ; elle préfère écouter que parler, mais elle parvient à m’expliquer ce monde étrange en le fragmentant en des morceaux faciles à comprendre.

Elle est en train de me donner une leçon d’histoire au sujet d’une espèce d’Alexandre le Grand lorsque j’entends un cri. Je suis prêt à recevoir les enfants, cette fois-ci, mais à ma grande surprise, celui qui court à notre rencontre est seul.

“Durene ! Le chariot a perdu une roue ! Viens le soulever, c’est ‘Pa qui l’a dit !”

“Comment ? Le chariot ? J’arrive !”

Durene bondit sur ses pieds avec une agilité incroyable, puis hésite.

“Il faut que j’aille aider, Laken. Ça va aller ? Je peux t’y emmener…”

“Ne t’inquiète pas pour moi. Va. Je m’en sortirai jusqu’à ton retour.”

Là encore, être aveugle ne signifie pas que je sois en sucre. Je laisse Durene partir en courant avec le gosse et réfléchis à ce que je vais faire. Vingt minutes plus tard, Durene arrive en trombe pour me chercher au cottage.

Je suis en train de pêcher.

“Durene, tu es rentrée. Tout va bien ?”

Elle sent un peu le foin et une odeur animale. Et elle a aussi cette odeur musquée que je suppose être celle de sa sueur. Je l’entends sauter par-dessus le ruisseau d’un bond.

“Tout va bien. J’ai aidé Monsieur Prost à réparer son chariot ; voilà tout. L’essieu de la roue s’était cassé, il avait donc demandé à Finnon de venir me chercher.”

“Huh. Ils t’appellent toujours quand ils ont besoin d’aide ? J’ai l’impression qu’ils auraient eu besoin de beaucoup de gens pour déplacer un chariot en panne.”

Elle s’agite à côté de moi. Elle est mal à l’aise ? Il est étonnamment facile de savoir quand quelqu’un me cache quelque chose, même si je ne peux pas voir leur expression.

“Oh… ce n’était pas très difficile. J’ai juste dû aider à le soulever un peu, voilà tout.”

Elle n’a même pas l’air essoufflée. Mais elle a fait l’aller-retour en moins de dix minutes et aidé un paysan à remplacer sa roue ?

Étrange. Étrange, étrange, étrange, étrange…

“Tu fais souvent des réparations, alors ? C’est plutôt serviable de ta part.”

“Eh bien, je n’ai pas de classe. Mais s’ils ont besoin d’aide pour, disons, monter une grange…”

“Je comprends. Alors, il y avait beaucoup de dégâts ?”

“Ils vont devoir la réparer plus tard, mais on dirait que ce n’est que l’essieu qui s’est cassé. Je leur ai juste ramené le chariot chez eux pour qu’ils puissent laisser la vieille Evera se reposer. C’est leur cheval de trait, et elle se fatigue vite.”

D’accord, elle a donc tiré un chariot qui était peut-être rempli de foin sur une distance non spécifiée. Hmm.

C’est peut-être simplement sa classe. Durene a dit qu’elle était une [Fermière] de niveau 6, mais elle a déjà acquis [Force Majeure]. Apparemment,  cela la rend bien plus forte que la normale ; lorsque je lui ai demandé une démonstration, elle m’a soulevé d’une main comme si j’avais été une plume.

Mais sa peau ? Et les choses que les enfants ont racontées ? Qu’est-ce que cela sign…

Bah. Depuis quand suis-je devenu détective ? La réponse est : jamais, parce que j’arrive à peine à résoudre une énigme de Sherlock Holmes, sans parler de résoudre ces maudits casse-têtes en fil de fer. Et Durene mérite au moins mon respect, si ce n’est celui des autres.

Elle me le dira quand elle sera prête.


Jour 6


“Il me faut une classe.”

Voilà ce que j’ai déclaré à Durene à son réveil. Je me lève avant elle ; non pas que nous soyons du genre à nous lever tard. Nous sommes tous deux du matin, en fait, bien que j’aie tendance à être tout aussi fonctionnel la nuit que le jour, pour une raison évidente.

Mais j’aime entendre les oiseaux chanter et sentir les rayons du soleil sur mon visage. J’aime bien me détendre seul pendant une heure ou deux le matin. Comme me l’a un jour dit Zoé, je suis l’aveugle le plus zen qu’elle connaisse, c’est-à-dire que je suis le seul aveugle qu’elle connaisse. Elle connaît une aveugle - Teresa, mais nous ne nous entendons pas bien.

Je déteste Teresa.

Durene reste silencieuse un long moment après que je lui ai dit cela. Nous avons préparé des crêpes épaisses, ce matin, et y avons ajouté des baies sauvages, mais elle vient d’arrêter de les manger.

“Pourquoi ?”

“N’est-ce pas ce que font les gens dans ce monde ? Tu m’as dit que tu ne connaissais personne qui soit dépourvu de classe.”

“C’est vrai. Mais…”

J’attends, mais elle ne termine pas sa phrase. Je lui explique mon raisonnement en essayant de comprendre ce qui la gêne.

“J’y ai bien réfléchi, et il va me falloir une classe pour survivre dans ce monde. Je ne peux pas me contenter de vivre à tes crochets à jamais.”

“Mais une classe… ça veut dire que tu vas aller chercher du boulot, pas vrai ? Tu vas… partir.”

Oh. Oh. Je me sens crétin.

“Je ne veux pas être un fardeau pour toi, Durene. Je te fais déjà dormir dehors et à présent, tu dois nourrir deux personnes au lieu d’une.”

“Ça ne me pose aucun problème !”

Durene s’agite et fait bouger la table. Elle s’excuse, puis son ton devient suppliant.

“Je dors très bien dans l’herbe ! Vraiment ! Et tu manges beaucoup moins que moi. Ça ne me gêne pas que tu restes ! Je… j’aime bien que tu sois là.”

Que dire ? Que faire ? Qu’importe, il faut que ce soit quelque chose qui ne brise pas son cœur fragile.

“Tu sais que j’ai une maison, Durene, et une famille. Ils s’inquiètent probablement terriblement pour moi. Je veux retourner à leurs côtés.”

Je la sens presque s’affaisser à l’autre bout de la table. Je m’éclaircis la gorge et reprends la parole.

Mais j’aime beaucoup vivre ici avec toi. Si tu es sûre que je ne suis pas un fardeau pour toi, j’adorerais rester ici. J’ai juste mentionné cette histoire de classe parce que je trouve ça fascinant, tout simplement.”

“Tu vas rester ici ? Tu en es sûr ?”

Son enthousiasme, son ton plein d’espoir ne sont pas pathétiques. Ils me brisent le cœur. Qui a donc pu abandonner cette fille ? Je hoche la tête.

“Je doute qu’il y ait beaucoup de travail pour un aveugle dans ton monde, de toute façon. À moins que je ne puisse apprendre la magie ? J’adorerais apprendre.”

“Je ne sais pas. J’ai entendu parler des grimoires, mais je ne sais pas si les mages peuvent apprendre autrement.”

Je grimace, vaguement outragé en mangeant une autre crêpe. Même dans ce monde, l’absence de livres en braille m’handicape ? Et je doute fort qu’il existe des livres audio.

“Eh bien, une idée en moins. J’imagine qu’il faudra que j’y réfléchisse cette nuit.”

Puis j’ai une autre idée. J’en parle à Durene en l’aidant à faire la vaisselle des assiettes en terre cuite. Elle n’utilise pas de savon, mais l’eau chaude fonctionne plutôt bien. Elle supporte bien mieux la chaleur que moi, en revanche. Mais ses mains sont moins habiles, et nous travaillons donc tous deux lentement mais sûrement.

“Pourquoi ne me ferais-tu pas faire le tour du village ?”

Durene manque presque de lâcher la tasse qu’elle tient dans les mains. Je la repousse dans le seau d’eau juste à temps ; l’eau m’éclabousse de la tête aux pieds.

“Qu’est-ce qu’il y a ? Je ne me suis pas présenté, et je suis sûr qu’ils sont curieux à mon sujet.”

“Je… je ne voudrais pas t’embêter avec ça.”

“Ne t’inquiète pas. J’aime bien rencontrer des gens. De plus, il va bien falloir que je les rencontre un jour ou l’autre, pas vrai ?”

“J’imagine, oui.”



Jour 8


Il me faut encore deux jours pour parvenir à convaincre Durene de m’amener au village. Elle résiste, refuse d’en parler… pas tant par réticence d’y aller elle, que de peur que les villageois ne me traitent mal, je pense.

Et comment me traitent les villageois ?

Avec gentillesse.

Oh, ils savaient qu’un étranger était chez Durene, mais personne n’était venu. Je crois qu’ils étaient plus craintifs que curieux, et Durene elle-même leur avait peut-être dit de garder leurs distances. Ce n’est pas comme si nous étions toujours ensemble ; elle s’est rendue plusieurs fois au village avant que je n’y vienne moi-même, et j’imagine que j’étais l’objet de nombreuses rumeurs.

Lorsque Durene m’emmène enfin au village, j’entends quelques murmures, mais Prost, le [Fermier] que Durene a aidé quelques jours plus tôt,  est le premier à me serrer la main.

“Tu as une bonne poigne, fiston. Tu ferais un bon fermier.”

“Ah, mais je passerais mon temps à essayer de traire le taureau, et cela ne se finirait bien pour personne, n’est-ce pas ?”

Une plaisanterie, un rire, et je passe d’inconnu effrayant à quelqu’un d’abordable, voire sympathique. Une mère donne une claque à son fils pour m’avoir insulté, et je me présente bientôt comme un voyageur venu de loin, dont un sort a dévié la trajectoire et que Durene a beaucoup aidé.

Cette petite fiction est approuvée par tous les villageois, mais un peu plus tard, Prost me prend à part pendant que Durene aide un fermier à soulever quelques tonneaux.

“Je n’ai pas grand-chose à dire au sujet de Durene - elle aide bien quand il y a besoin, mais elle est un peu…”

“Elle m’a tout l’air d’une jeune femme gentille et parfaitement normale. Vous n’êtes pas d’accord ?”

Je le fais taire instantanément. Je ne veux pas savoir. Pas par lui. Pas de la part de quelqu’un qui ne soit pas Durene qui aurait choisi de m’en parler. La conversation s’arrête là, et la gêne s’installe un instant jusqu’à ce que je pose des questions sur les cultures du coin. Apparemment, ces fermiers ont une grande variété de semences, et ils sont fascinés lorsque je leur parle de serres et de rotation des cultures. Quelques [Fermiers] de haut niveau possèdent des Compétences qui imitent ces effets, et je me retrouve bientôt à donner des conseils vagues sur des techniques d’agriculture dont je me souviens à moitié. Dommage que je ne puisse leur donner une moissonneuse-batteuse.

Durene restait près de moi, inquiète, au début, mais elle finit par se relaxer avec le temps. Le reste des villageois la traitent… bien, j’imagine. Ils lui offrent un énorme verre de lait, et elle les aide à traîner un arbre gigantesque qui était tombé. Mais…

Nous quittons les villageois quelques heures plus tard, avec pour ma part des invitations à dîner ou à discuter chez plusieurs personnes quand je le voudrai. Je peux raconter des histoires sur les lieux où je me suis rendu, si j’omets de parler de choses qu’ils ne comprendraient pas, et dans ce petit village, je suis l’équivalent d’une célébrité, ou d’une nouveauté.

Les villageois m’aiment bien. Je crois que je peux l’affirmer sans peur de me tromper. Ils pensent que je suis gentil, charmant, et, d’accord, fou à lier. Mais la femme du Fermier Prost, Yesel, m’a donné un panier plein de bonnes choses à ramener chez Durene - ou plutôt, elle l’a donné à Durene, et j’ai rencontré beaucoup de gens aujourd’hui. D’une manière générale, cette sortie a été un succès.

Je me demande juste pourquoi ils apprécient si peu Durene. À moins que ce ne soit pas de l’animosité ? Elle les a clairement connus toute sa vie. Mais il y a un mur entre eux, et qu’importe à quel point les villageois sont gentils avec elle, et qu’importe à quel point elle essaie d’être la plus serviable et docile possible, ils gardent tout de même leurs distances avec elle. Je l’entends dans leurs voix et le constate par leurs actions.

Je les hais pour cela, juste un peu.


Jour 11


Je me suis réveillé en sachant quelle classe j’allais avoir. J’étais si nerveux pendant le petit-déjeuner que j’ai failli poser ma main sur la poêle à frire tant j’étais distrait. J’ai annoncé la nouvelle à Durene alors que nous mangions nos œufs brouillés au fromage.; nous ne savons ni l’un ni l’autre faire d’omelette.

“Je crois que je vais devenir [Empereur]. Est-ce que tu sais s’il faut que je le déclare ? Ou est-ce qu’il suffit de faire quelque chose qui t’accorde la classe ?”

Durene s’étouffe sur ses œufs et je dois l’écouter bafouiller un moment avant qu’elle ne soit capable de sortir une phrase cohérente.

“C’est impossible ! Laken ! Qu’est-ce que tu racontes ?”

“Je vais devenir [Empereur]. Ça m’a tout l’air d’être la classe la plus simple que je puisse prendre, et peut-être que j’obtiendrai des compétences utiles.”

Honnêtement, cela a été la première classe qui me soit apparue comme une option viable. Mais Durene m’a répondu immédiatement que c’était impossible. Je lui ai répondu qu’elle avait tort.

“Tu peux devenir [Impératrice], Durene. Tu en es capable, et moi aussi.”

“Ce n’est pas possible. Pour faire ça… il faut un royaume, et un palais et un cheval blanc et… et…”

Elle ne termine pas sa phrase, tant elle se sent incapable de décrire ma folie. Je ne peux m’empêcher de sourire.

“Mais bien sûr que si, c’est possible, Durene. J’ai entendu parler d’un homme, un homme ordinaire, qui est devenu Empereur. Tout seul, alors qu’il était pauvre et n’avait ni château, ni cheval.”

“Vraiment ? Qui donc ?”

Sa voix contient autant de scepticisme que de curiosité et d’enthousiasme. Elle adore entendre les histoires de mon monde. Celle-ci me fait sourire lorsque je la lui décris.

“Il était connu sous le nom d’Empereur Norton 1er d’Amérique. C’est un homme qui a existé et qui est devenu Empereur juste en s’autoproclamant Empereur. J’ai toujours adoré cette histoire.”

“Un empereur ? Mais tu as dit que personne ne régnait sur l’Amérique. Qu’il n’y avait qu’un type avec la classe de [Président].”

Mes explications sur le fonctionnement de mon monde ont peut-être été un peu embrouillées. Je secoue la tête.

“C’est vrai. Mais Norton n’avait que faire des règles. Un jour, il s’est déclaré Empereur. Et il a vécu jusqu’à sa mort en agissant comme tel.”

C’est une histoire incroyable, à laquelle j’ai du mal à rendre justice. Comment expliquer à Durene le conte de Joshua Norton, un homme d'affaires raté qui s’est un jour levé et s’est mis à envoyer des lettres à tous les journaux de San Francisco en se proclamant Empereur des États-Unis ?

Eh bien, à peu près comme ça, en fait.

“Il a fait ses proclamations et envoyé des ordres à l’armée - ordres qui ne furent jamais suivis - et il a même créé sa propre monnaie. Je sais que ça paraît ridicule, Durene, et je parie que tu souris, mais voilà le plus fort : ça a marché ! Les gens l’ont laissé se balader en se proclamant Empereur, et avec le temps, ils se sont mis à le traiter en tant que tel.”

“Impossible.”

“Si, je t’assure. Pas tous, bien sûr, mais il a fini par créer sa propre monnaie et est devenu connu dans toute la ville. Les gens de San Francisco ont accepté sa monnaie, et il dînait dans les meilleurs restaurants et se rendait au théâtre voir les pièces les plus célèbres où ils lui réservaient un siège. Lorsqu’il est mort, plus de trente mille personnes se sont rendues à ses funérailles.”

Durene écoute en silence, parfaitement concentrée sur l’histoire. Je ne peux qu’’imaginer la scène. Son histoire avait capturé mon cœur.

“Certains disent qu’il était fou. Et c’était peut-être le cas, sans doute, même. Mais il a aussi osé rêver. Et c’est quelque chose que j’ai toujours admiré chez lui.”

Il a osé rêver. Il y a pire comme souvenir à laisser de sa vie. Et contrairement aux riches hommes d’affaires et aux stars célèbres et aux politiques de l’époque, Norton 1er a tout de même marqué l’histoire comme le premier et unique Empereur des États-Unis. Cela peut paraître drôle pour la plupart des gens, mais je crois que c’est lui qui a eu le dernier mot, finalement.

“Si un homme peut se déclarer Empereur, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas l’imiter; Les rois sont peut-être nés pour régner, mais les premiers rois n’étaient que des hommes avec une armée qui se sont forgé des couronnes. Je n’ai peut-être ni armé, ni couronne, mais ça vaut le coup d’essayer.”

“Peut-être.”

Elle a beau être impressionnée par l’histoire, j’entends le doute suinter dans chaque mot de Durene. Mais je me contente de sourire.

“Je suis dans un autre monde, Durene, et d’après ce que tu m’as raconté, les classes règnent en maître ici. Pourquoi ne pas prendre la meilleure ? C’est pourquoi je te demande d’être témoin.”

Je me lève d’un air théâtral, priant pour ne rien renverser par accident lorsque je me mets à gesticuler avec exagération.

“Note bien mes paroles, qu’elles puissent être transmises pour la postérité. Note qu’à compter de ce jour, moi, Laken Godart, me déclare Empereur de l’Inapparent, seigneur souverain et gouverneur de tout ce qui se trouve sous ma supervision. Mais je ne suis pas seulement un Empereur ; je me déclare également Protecteur de la Maison de Durene.”

Pendant un instant, je maintiens ma pose, puis j’entends Durene pouffer. Avec sa voix grave, le son est incroyable. Je souris et me rassieds.

“Tu ne peux pas faire ça ! Et si quelqu’un t’entendait ?”

“Eh bien en ce cas, je leur demanderai de faire preuve du respect qui m’est dû. Et je leur demanderai de payer leurs impôts. Tu me dois une dîme, je pense. Ton [Empereur] exige tes meilleures crêpes.”

Pouffant comme une gamine, Durene m’en fait passer une. Je la mange d’un air triomphant, et lui raconte d’autres blagues qui la font rire.

Et c’est très bien. Son rire vaut bien cette folle tentative. Mais en dormant, cette nuit, je ne peux m’empêcher de penser que ça pourrait être une bonne chose que je sois [Empereur]. Je ferai de ce monde un monde meilleur, ou du moins, j’essaierais.

J’aimerais entendre bien davantage le rire de Durene, et faire en sorte qu’elle n’ait plus jamais à s’endormir en pleurant.

Dans mon cœur, en laissant le sommeil me gagner, je crois vraiment que j’en serais capable. Je le crois. C’est ce que j’ai appris à faire. Je crois que je pourrais devenir davantage que ce que les gens attendent de moi.

Mes yeux se ferment. J’expire. Puis j’entends une voix dans ma tête.


[Classe d’Empereur Obtenue !]

[Empereur Niveau 1 !]

[Compétence - Aura de l’Empereur Obtenue !]


Das war ja einfach !




Jour 12


Durene est complètement paniquée ; je suis calme.

À peu près calme. Je panique, mais plutôt en bien. Durene est juste en train de péter un câble.

Je cligne des yeux lorsqu’elle passe en trombe devant moi et manque de peu me cogner la jambe. Elle parle d’une voix forte et tendue.

“C’est impossible ! Tu n’as pas de beaux habits ! Comment peux-tu être un… un… [Empereur] ? Ça n’a aucun sens !”

Je ne sais pas. Et pourtant, je sais. Je me redresse. Je ne sais pas comment fonctionne cette nouvelle Compétence que j’ai reçue, mais je me sens un peu… différent. Un peu plus affirmé. J’avais raison. J’ai rêvé, et j’avais raison.

“Durene. Un [Empereur] se définit-il par ses habits ? Un roi reste roi même vêtu de loques, après tout. Cela peut paraître bête, mais en ce monde, les gens deviennent ce qu’ils pensent être, je crois. Tu n’es pas devenue [Cuisinière] parce que tu ne crois pas pouvoir en devenir une. Mais moi ? Je pense que je peux faire tout ce que je veux. Et je crois que toi aussi.”

Elle s’arrête de marcher. Je la sens se tourner vers moi.

“Je… je dois sortir. Je dois… sortir.”

Elle arrache pratiquement la porte de ses gonds pour s’enfuir. Je m’assieds sur une chaise et réfléchis, tentant de comprendre ce que tout cela signifie. Quelque chose. Que peut faire un [Empereur] ? Que peuvent faire mes compétences ? Est-ce qu’elles sont pratiques, au moins ? Comment vais-je faire pour rentrer à la maison ?

Je veux rentrer un jour. Même si Durene est ici, je…

Je dois retrouver ma famille.

Lorsque la porte s’ouvre de nouveau, Durene entre en silence, mais elle est calme, à présent. Elle évite le sujet de ma classe et je suis son exemple, au moins un moment.

“Tu as une très jolie maison, Durene. Mais j’adorerais visiter une ville un jour, voire une cité.”

Elle hésite.

“Je… moi aussi, j’ai envie. Mais c’est compliqué…”

Je ne lui demande pas pourquoi. Je me contente de hocher la tête.

“Tu as dit qu’il y avait d’autres continents dans ce monde, remplis d’espèces différentes.”

“... Oui.”

“Où sommes-nous ? Sur quel continent nous trouvons-nous ?”

“Izril. Nous sommes en Izril.”

“Huh. Ça me dirait presque quelque chose.”


Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 28 avril 2021 à 14:45:50
3.01 E
 Traduit par EllieVia



Jour 13
 
Je suis [Empereur]. C’est un fait.
 
Mais je ne sais pas ce que cela signifie. Après une journée entière de conjectures et d’inquiétude, Durene n’a plus de réponses à me donner. Je suis pour ma part juste heureux de découvrir ce qui m’attend.
 
J’imagine que c’est à cause de ma classe que Durene panique autant. À mon sens, ce n’est qu’un titre qui n’a pas beaucoup de signification ; quelque chose qui s’est produit parce que j’ai essayé une idée novatrice. Mais aux yeux de Durene, cette classe m’accorde automatiquement un titre de royauté.
 
Non… un [Empereur] n’est-il pas d’un rang encore plus élevé qu’un [Roi] ? Un roi peut régner en vertu de sa lignée, mais un empereur pourrait en théorie régner sur plusieurs pays, et par conséquent sur des rois.
 
Huh.
 
Wow.
 
J’imagine que c’est énorme, mais là encore, je ne suis que Niveau 1, et je n’ai qu’une compétence bizarre. Quand j’en ai parlé à Durene, elle a dit qu’elle ne voyait pas d’aura autour de moi, mais les Compétences ne marchent pas forcément tout le temps. Certaines, comme sa compétence de [Force Majeure] sont essentiellement des changements passifs, mais certaines doivent être utilisées consciemment.
 
À ce que j’ai compris, il n’y a pas de mot ou de formule qui permette d’activer l’[Aura de l’Empereur]. Croyez-moi, j’ai essayé en ayant probablement eu l’air très stupide. Quel que soit son effet, cette compétence, tout comme ma classe, reste un mystère qui devra attendre.
 
Je soupire en marchant prudemment sur le sentier de terre dans la forêt près de la maison de Durene. Cela fait longtemps que je n’ai pas été seul, et pour être honnête, j’avais besoin d’une pause. Ma charmante hôtesse s’est inquiétée pour moi toute la journée, et elle ne voulait même pas me laisser sortir seul.
 
Elle n’avait aucune chance de remporter cette bataille. Son inquiétude est touchante, mais je ne suis pas tétraplégique ; j’ai besoin de me dégourdit les jambes et je déteste être chaperonné tout le temps. Le sentier de terre est relativement facile à suivre, et j’ai peu de chances de me perdre. Durene m’a montré la route, et je l’ai mémorisée.
 
“Quelle pagaille.”
 
Vraiment. Je me suis habitué à vivre dans ce monde grâce à Durene, mais à présent, j’ai un tas de questions qui tournent sous mon crâne. Comment vais-je pouvoir rentrer ? Est-ce que c’est seulement possible ?
 
Duren est convaincue que ce qui m’est arrivé est lié à la magie. Je suis plutôt d’accord avec elle, mais si n’importe quel sort peut me téléporter d’un monde à un autre, je suis prêt à manger mon chapeau. Non, il s’est passé quelque chose d’énorme, quelque chose qui m’a traîné ici, et il faut que je découvre ce que c’est.
 
Et je ne pourrai pas le découvrir à Rivechamp. J’ai besoin de voir le reste du monde. Un type aveugle et seul se baladant dans un monde plein de monstres et de magie.
 
J’en mourrais. Mais dans le cas d’un [Empereur], c’est différent, non ? Quelle peut être la différence entre un aveugle et un [Empereur] aveugle ?
 
Cela fait probablement toute la différence. Parce que l’un d’eux est un [Empereur].
 
Norton 1er d’Amérique. Est-ce que vous savez pourquoi j’ai adoré cette histoire ? Parce qu’il était Empereur des États-Unis dans sa tête, et rien ne pouvait le lui enlever.
 
C’est parfois vraiment nul d’être aveugle. Pour moi, c’est naturel, mais il y a des jours où j’en suis frustré. Frustré, parce que les autres peuvent accomplir sans efforts certaines choses qui m’en demandent énormément. Je n’attraperai jamais une balle, ne conduirai jamais, ne peindrai jamais. Je ne peux pas expérimenter certaines choses dont les gens parlent.
 
C’est un peu injuste. Et quand j’étais jeune, je détestais la manière dont j’étais traité. Parfois, oui, parfois, j’avais l’impression d’être inférieur, parce que certains pensaient que je l’étais. Oh, regardez, un gamin aveugle. Lui[/i] ne peut pas apprécier ceci, ou faire cela. Il est différent. Pas pareil.
 
Mais je suis aveugle. J’ai une valeur qui m’est propre, qu’importe que les gens veuillent bien la reconnaître.
 
Je m’arrête. Je suis là, au milieu d’une forêt que je ne peux pas voir. Dans un monde totalement différent du mien. Certains pourraient dire qu’il n’est pas si différent que cela pour quelqu’un qui ne peut pas le voir, mais je sens la différence à chacun de mes pas. Je sens le même sentiment d’émerveillement en entendant le chant d’un nouvel oiseau, ou lorsque je touche les mains de Durene et sais alors qu’elle est différente.
 
Je suis un [Empereur]. Personne ne pourra me l’enlever. J’ai peut-être obtenu cette classe facilement - en me contentant de me déclarer en tant que tel. Mais je le crois, et même alors. J’y ai cru. Lorsqu’on est aveugle, parfois, le monde est incertain. Je dois avoir confiance, le matin au réveil, lorsque je me déplace dans mon appartement, en le fait que tout est resté à la même place que la veille.
 
Je fais confiance aux choses que je touche du bout de ma canne, tout comme une personne voyante fait confiance à ses yeux. Mais je suis préparé pour les fois où je rate une branche ou quelque chose avec ma canne et fonce droit dans un arbuste. Je suis prêt, en somme, à tomber d’une falaise un jour parce que je ne peux jamais être sûr à 100% que quelque chose se trouve devant moi. Mais je dois croire que je vais poser le pied sur la terre ferme.
 
Et je crois donc ceci : je suis [Empereur]. Je devrais commencer à agir en tant que tel au lieu de me demander ce que cela signifie.
 
Que devrais-je faire, alors ? Que ferait un Empereur ? Je réfléchis un instant en poursuivant ma promenade en forêt.
 
“Je suis un [Empereur]. Ergo, tout ce que je veux faire sont des choses qu’un [Empereur] ferait. Il n’y a pas de mauvais choix.”
 
Mais y a-t-il des choix encore meilleurs ? Je me souviens avoir étudié l’histoire de Charlemagne. C’était un impérialiste ; d’après mes souvenirs, il était plus ou moins impliqué personnellement dans des guerres de conquête. Et pourtant, il a également instauré d’énormes réformes à travers son empire.
 
Norton aussi, ou du moins en théorie. Il voulait abolir le Congrès pour sécuriser son empire, et d’après les rumeurs, il s’était dressé devant une foule en colère pour protéger des immigrants chinois pendant les émeutes raciales. Qu’importe si cela est historiquement véridique ou non, les devoirs d’un [Empereur] sont envers son empire et ceux qu’il dirige. Il les garde en sécurité, les protège ; les améliore.
 
J’aimerais faire la même chose pour Durene. Elle est mon unique sujette, que puis-je faire pour elle ? Je marche en réfléchissant, et ne m’arrête qu’en remarquant que Durene essaie de me filer dans la forêt de manière peu subtile. Elle ne sait vraiment pas se cacher. Mais elle est attentionnée, et c’est la raison pour laquelle je l’aime.
 
Je l’aime vraiment beaucoup. J’aimerais juste qu’elle me raconte tout.



Jour 14



Que ferait un bon [Empereur] ? Que ferait n’importe quelle personne sensée en se retrouvant dans un autre monde, sans parler d’un monde de jeu ? Aujourd’hui, j’ai posé un nombre incalculable de questions à Durene au sujet de Rivechamp et du monde. Je lui en avais déjà posé beaucoup, mais aujourd’hui, je les ai toutes compilées dans ma tête.
 
“Tu n’as donc jamais voyagé plus de quelques kilomètres hors du village ?”
 
“Non. Jamais.”
 
Durene et moi sommes assis ensemble et sirotons une tisane de menthe maison. Elle est plutôt forte, comme nous avons fait infuser de véritables feuilles de menthe. Dommage que nous ne puissions pas y ajouter de miel ou de sucre, mais Durene n’a ni l’un ni l’autre.
 
Elle n’est pas riche. Ceci, au moins, est évident, bien qu’il me faille tourner autour du pot lorsque nous en parlons.
 
“Donc comme ça, tu gagnes quelques pièces en vendant tes récoltes et tes animaux de temps en temps. Mais tu n’es jamais allée en ville avec le chariot de marchandises ?”
 
“Non.”
 
Elle s’agite sur sa chaise et boit sa tisane. Elle est mal à l’aise. Je soupire.
 
“Tu sais, Durene. Je m’en fiche vraiment si tu es un peu différente des autres. Tu es une jeune femme très gentille ; qu’importe qui tu es, je ne te jugerai pas.”
 
Un silence. Puis, elle prend la parole, et sa voix grave tremble.
 
“Est-ce que tu… ? Est-ce que quelqu’un… ?”
 
“Non. Mais je suis suffisamment intelligent pour savoir que tu me caches quelque chose. Mais je ne te demanderai pas de quoi il s’agit tant que tu ne seras pas prête. J’espère que tu sais que tu peux me faire confiance, cela dit.”
 
“Je sais. Je sais ! C’est juste…”
 
On dirait qu’elle est au bord des larmes. Je tends la main et touche sa tasse à la place de ses doigts. Durene rit en voyant ma grimace et je trouve sa gigantesque main.
 
“Prends ton temps. Je ne vais partir nulle part. À présent, dis-moi. C’est comment, de vivre ici ? Est-ce que tu croises des monstres de temps en temps ?”
 
“Eh bien…”
 
Les monstres. Je ne peux même pas en imaginer un. D’après Durene, ils ne sont pas si terribles dans le coin. Les Gobelins sont le seul véritable problème, et le village envoie immédiatement des aventuriers s’en charger s’ils en repèrent dans le coin.
 
Mais… oui, selon où l’on vit dans ce monde, on peut être exposé à des degrés de danger extrêmement différents. Parfois, dans mon monde, on peut avoir des ours, ou des agresseurs, ou la guerre à craindre, mais jamais des petites créatures vertes avec des dents acérées comme des couteaux.
 
Bon dieu, elles me donnent la chair de poule.
 
“Quand les Gobelins viennent, c’est toujours embêtant. Tout le monde doit donner de l’argent pour mettre une récompense pour les tuer, mais les aventuriers mettent toujours quelques semaines à arriver, et je ne sais pas ce que nous ferions si un Cheftain Gobelin pointait son nez.”
 
Les Gobelins représentent apparemment une plus grande menace dans la partie septentrionale d’Izril qu’au sud. C’est une question de densité des populations, j’imagine. Les humains occupent davantage le nord que le sud, qui appartient aux Drakéides et aux Gnolls et à des créatures qu’ils appellent Antiniums. Les monstres apparaissent donc plutôt au nord comme il y a davantage à manger. Étrange ; je me serais attendu à ce qu’ils soient plus nombreux là où il y avait moins d’Humains, mais apparemment, ces monstres ne sont pas nos proies, mais nos prédateurs.
 
Rivechamp n’est pas si loin au nord - le village reste suffisamment éloigné des Hautes Passes, une immense chaîne de montagne similaire à l’Himalaya qui sépare le continent en deux. Apparemment, la grande ville la plus proche est Invrisil ; la cité des aventuriers, ainsi nommée car c’est là que l’on trouve la plus grande population d’aventuriers, actifs et retraités, du continent.
 
“Ils ont des compagnies Or là-bas. On peut même y trouver des Aventuriers Légendaires de passage, parfois ! Et ils disent que les marchés sont remplis d’objets magiques et de choses merveilleuses, comme des morceaux de monstres et des gemmes et artefacts rares.”
 
La voix de Durene est émerveillée lorsqu’elle décrit la ville. Je dois bien avouer que l’image me transporte moi aussi. Bien sûr, Rivechamp ne peut pas se permettre d’embaucher ce genre d’élite.
 
Tous les villageois, Durene comprise, sont franchement pauvres. Durene, en particulier, est très pauvre, mais les villageois ne roulent pas sur l’or non plus. Ils gagnent quelques pièces d’or chaque année lorsque le temps le permet et que les récoltes sont bonnes. Au mieux. Lorsque les temps sont durs, ils mangent leur gagne-pain, ou ils meurent de faim.
 
“Les gens économisent leur argent. Monsieur Prost économise tout son argent, par exemple ; il n’en dépense que lorsqu’il doit acheter de nouveaux outils ou réparer son chariot. Il va devoir acheter un nouveau cheval de trait sous peu ; je les aide, mais Evera - la jument - est vieille. Et ils veulent se mettre à l’élevage de cochons, mais c’est un investissement, et ils préféreraient garder de quoi réparer la maison…”
 
“Est-ce qu’il y a des gens riches dans ton village ? Le [Forgeron] ?”
 
“Pas vraiment. Il n’a pas tant de niveaux que ça tu sais, il reste encore un [Fermier], aussi. Il y a un autre [Forgeron] en ville qui a plus de niveaux. De temps en temps, des gens d’autres villages vienne lui faire une commande, mais jamais quoi que ce soit qui ne vale plus de quelques pièces d’argent.”
 
“On dirait que ton village ne se débrouille pas trop mal.”
 
“Certaines années, oui. L’année dernière s’est bien passée, mais l’année d’avant, on a eu faim. Si les récoltes sont mauvaises, ou si l’hiver arrive trop tôt, ça peut être très dur. Les villageois font de leur mieux, mais parfois, il y a quand même des ennuis. Et depuis qu’ils m’ont accueillie…”
 
Elle s’interrompt. Je crois comprendre le problème. Durene est énorme. Elle n’est pas forcément grosse : elle ne me laisse pas la toucher, mais je sais qu’elle peut se déplacer à une vitesse étonnante, elle est plus rapide que moi. Elle n’est donc probablement pas grosse, mais elle est grande. Elle mange environ quatre fois plus que moi à chaque repas, minimum.
 
“J’essaie d’aider au maximum. Mais je ne peux que tirer et soulever des trucs. Je n’ai aucune Compétences.”
 
“Tu as dit que tu étais une [Fermière] de Niveau 6, c’est bien ça ?”
 
“Oui. Je ne suis pas d’un niveau trop faible pour mon âge - il y a quelques personnes qui atteignent le Niveau 15, mais je n’ai pas fait d’apprentissage et j’ai appris toute seule, donc j’ai gagné des niveaux plus lentement.”
 
“Et ton père ? Ta mère ? Que faisaient-ils quand tu étais petite ?”
 
Durene hésite. J’attends en silence, la tasse vide de tisane de menthe à la main, profitant des derniers vestiges de chaleur. Puis elle marmonne.
 
“Maman est morte quand j’avais quatre ans. Je n’ai jamais rencontré mon père. Il est mort lui aussi.”



Jour 16



Je crois que Durene est encore déprimée après notre dernière conversation. Nous ne parlons pas beaucoup - c’est-à-dire, pas sur des sujets importants. Je passe la majeure partie de mon temps à aider Durene à finir ses récoltes. La plupart de ses plantes ont fini de grandir, et nous ramassons plusieurs courges aujourd’hui.
 
Elle veut se préparer pour l’hiver, même si je n’ai pas l’impression qu’il soit si proche que ça. Là encore, je ne connais pas ce monde, le temps peut donc changer beaucoup plus vite ici.
 
Je sens aussi que Durene est en proie à une lutte intérieure, probablement pour savoir si elle doit me parler de son passé. On dirait que c’est sur le bout de sa langue parfois, lorsqu’elle s’interrompt pendant une conversation.
 
Mais pas encore. J’attends. J’ai appris la patience, et pendant ce temps, je peux lui transmettre quelques connaissances.
 
“Tu vois, ton cœur envoie du sang au reste de ton corps. De ta tête jusqu’à tes pieds. Tu pourrais donc perdre un bras ou une jambe si tu t’assurais de stopper l’hémorragie, mais ton cœur est essentiel.”
 
Durene se gratte la tête.
 
“Mais il ne se fatigue pas, le cœur ? Je me fatigue en marchant tous les jours. Comment un cœur pourrait-il continuer de battre sans s’arrêter ?”
 
Je souris.
 
“C’est le muscle le plus puissant de notre corps. Et si, il se fatigue. Il arrive que les gens aient des arrêts cardiaques - des moments où le cœur s’arrête - lorsqu’ils vieillissent. Il y a une raison pour laquelle nous ne sommes pas immortels ; nos corps s’affaiblissent au fur et à mesure que les organes lâchent.”
 
“Oh. C’est logique.”
 
“Je ne sais pas quelle est l’espérance de vie dans ce monde, mais les plus vieilles personnes de mon monde ont environ une centaine d’années. Rarement davantage.”
 
“Cent ? C’est énorme ! Le vieux Schnel est mort à 62 ans, et il était vieux.”
 
“Eh bien, certaines choses affectent la durée de vie. Parfois, c’est juste le hasard, ou ton corps, mais ce qu’on mange, notre mode de vie… tout cela peut avoir une influence sur ta santé. Comme la nourriture. Tu te souviens de ce que je te disais au sujet des repas équilibrés ?”
 
“Hum…”
 
C’est amusant d’enseigner à Durene les bases de la biologie, de la science, et cætera. Je n’ai pas vraiment l’impression que les maths soient importantes et elle parle très bien - elle ne sait pas écrire, toutefois, et je ne peux pas l’aider avec ça.
 
Personne ne lui a jamais rien appris. Mais moi, je vais lui enseigner. Toutes ces connaissances ne sont pas forcément pragmatiques, mais j’espère qu’une partie pourra l’aider. Durene absorbe mes leçons comme une éponge pendant que nous ramassons les légumes et cuisinons. L’aider à grandir me rend heureux. C’est ce qu’un [Empereur] ferait. Ce que je ferai.


Jour 17


Encore des récoltes. Apparemment, le reste des villageois font aussi les dernières récoltes de la saison. Ils pourront peut-être obtenir un rendement de plus de leurs champs, mais peut-être pas. Nous stockons une grande partie des marchandises de Durene dans la cave.
 
… Je n’avais aucune idée que sa maison possédait une cave, mais elle a cave à légumes relativement spacieuse dehors ! C’est l’une des choses qui m’épate ; je n’aurais jamais deviné qu’il y avait une trappe juste là.



Jour 19



J’ai gagné des niveaux la nuit dernière ! Je suis à présent un [Empereur] de Niveau 2. Qu’est-ce qui a initié le changement ? Durene n’en a aucune idée, mais je crois le savoir. Elle est ma sujette. Lui enseigner des choses, prendre soin de ce petit cottage que j’ai proclamé comme étant ma propriété revient à améliorer mon empire, dans sa totalité, d’ailleurs. Tout est une histoire de perception. Peut-être y a-t-il une limite à la quantité d’exp que je peux obtenir ainsi, mais pour le moment, je prends ce que je peux.
 
Aucune idée de ce à quoi va me servir ce nouveau niveau, toutefois. Je n’ai pas reçu de compétence et je n’ai toujours pas compris comment fonctionnait mon [Aura de l’Empereur].
 
Hmm…




Jour 20



Je me réveille en entendant un son des plus étranges. Des bruits de pas ; ceux de Durene. Des crissements.
 
Bon, les bruits de pas, d’ordinaire, je les distingue bien. Je peux différencier les gens selon leur façon de marcher. Leurs rythmes sont différents, et bien sûr, le poids fait également varier les bruits. Ceux de Durene sont très distincts.
 
Mais sur quoi est-elle en train de marcher ? Impossible que ce soit ce à quoi je pense.
 
“De la neige ?”
 
C’est bien de la neige ! Apparemment, le monde entier a décidé de changer pendant mon sommeil. Durene me dit que les Esprits de l’Hiver doivent avoir apporté de la neige dans la région, et je me dis qu’elle n’a peut-être pas compris comment fonctionnait la météo.
 
Mais non… apparemment, en ce monde, d’étranges lumières dansantes, les Esprits de l’Hiver, peuvent manipuler la météo. Apparemment, ils sont aussi un peu dangereux, d’après Durene. Ils te jettent de la neige dessus si tu les embêtes ou te joue des tours.
 
Cela semble un peu insensé, mais une chose importante est claire : c’est l’hiver. Et bon sang, qu’il fait froid !
 
J’aide Durene à allumer un feu dans la cheminée du cottage. Elle a dû courir aller chercher du bois pour le feu tôt ce matin.
 
“D’ordinaire, je fais un tas à l’intérieur, mais j’ai complètement oublié cette année. Le bois est un peu mouillé, mais je pense qu’il devrait prendre.”
 
Durene ponctue sa phrase d’un éternuement. Elle a l’air gelée. Et une dose désagréable de froid a profité de l’absence d’un bon feu dans la cheminée pour s’insinuer dans la maison. J’ai dit plus tôt que sa maison était confortable, mais il est évident que Durene serait bien mieux dans une meilleure maison, peut-être une de celles du village, par exemple.
 
C’est frustrant. Voilà ce que c’est. J’aide à préparer une soupe épaisse tandis que Durene déblaie la neige, rapporte du bois pour le feu, et ainsi de suite, puis nous partageons un repas copieux. Mais je ne peux m’empêcher de penser que je suis un fardeau à présent que la neige rend le fait de m’orienter dehors pratiquement impossible.
 
Le feu prend du temps à s’allumer, mais les flammes nous réchauffent vite. Durene est sûre de pouvoir couper suffisamment de bois pour l’hiver et elle a bon espoir que nous aurons suffisamment à manger - elle dit que la récolte a été bonne, mais la situation est trop précaire à mon goût. Il n’y a pas de supermarchés ici.
 
Au moins, nous avons des vêtements chauds. Les villageois nous ont envoyé des vêtements par l’intermédiaire de la femme de Prost, Yesel. Elle est venue vers midi, avec des manteaux et d’autres vêtements pour moi. Heureusement, d’ailleurs - je commençais à me lasser de ne porter qu’un seul ensemble.
 
L’étiquette exige que nous lui offrions quelque chose à manger et un peu de notre tisane de menthe à présent merveilleusement chaude. Je discute avec Yesel ; elle est ravie de papoter avec moi et de laisser Durene nous écouter. C’est bien gentil, mais je sens bien la façon dont elle parle à Durene. Et les indices qu’elle essaie de me glisser.
 
“Nous serions ravis de vous accueillir chez nous pour quelques jours. Au moins en attendant que le premier froid s’en aille. Je suis sûre que les enfants pourront se partager une chambre.”
 
Elle n’est même pas vraiment en train d’essayer d’être subtile. Elle me dit tout net qu’elle veut que je rentre avec elle au village. Et Durene est de toute évidence mécontente, mais elle ne veut pas protester.
 
Je sirote calmement ma tisane. Quelle est la meilleure réponse à donner dans ce cas précis ? Eh bien, de toute évidence : non.
 
“Mes excuses, Madame Yesel, mais Durene m’a si bien accueilli ici - nous venons juste d’installer le deuxième couchage. J’aimerais beaucoup me joindre à vous pour dîner un de ces jours, mais pour le moment, je préfère rester ici. Je n’aimerais pas prendre la route dans mon état, vous savez.”
 
“Oh, oui. Je suis bien installée ici, Madame Yesel. Et je peux trouver tout ce dont Laken a besoin ici…”
 
“Mais bien sûr, Durene.”, l’interrompt poliment Yesel. J’ai le sentiment qu’elle n’est pas vraiment en train de sourire, mais son ton paraît amical et elle se penche pour me toucher la main. Je sursaute et elle la retire. Je déteste quand les gens me touchent sans me prévenir.
 
“Je vous prie de m’excuser. Mais je suis sûre que nous pourrions demander à Durene de tirer le chariot si vous ne souhaitez pas marcher. Le voyage ne prendrait pas plus de quelques minutes.”
 
Tellement polie. Tellement amicale. Je sens les regards invisibles qu’elle lance à Durene. Ma peau est parcourue d’un frisson, mais je lui souris.
 
“Qu’importe, je n’ai vraiment pas envie de vous priver de l’une de vos chambres. Il est important que les enfants aient beaucoup d’espace, et je ne voudrais pas que vous manquiez de place par ma faute.”
 
Elle hésite, à présent. Je sais pertinemment que mon visage est parfaitement impassible ; mais elle n’est pas vraiment sûre de savoir si je suis juste obtus ou si je suis en train de refuser son offre. Elle tente donc une autre approche.
 
“Eh bien… les Beetrs seraient également ravis de vous avoir à dîner. Et une de leurs chambres s’est tristement libérée après la mort de leur fille l’été passé. Vous pourriez aller chez eux. Qu’en pensez-vous ?”
 
“Mm… eh bien…”
 
“Il y aurait tellement plus d’espace qu’ici. Je sais que Durene a fait de son mieux, mais n’est-ce pas un peu trop petit pour deux personnes, ici ?”
 
“Je… je pourrais dormir dehors ! Ou dans la cave à légumes. Ça me va très bien que…”
 
“J’apprécie plutôt cette proximité, à vrai dire.”
 
Cette fois-ci, c’est à mon tour d’interrompre Durene. Je souris d’un air placide, même si ma colère monte graduellement. Je sens la réaction de Yesel à l’autre bout de la table.
 
“Je pense que je suis très bien ici, vraiment, Madame Yesel. Durene est une excellente hôtesse. Elle m’a aidée de manière incommensurable, et je suis persuadée qu’elle continuera.”
 
Durene reste silencieuse, possiblement embarrassée, et Yesel reste coite. Puis elle s’adresse directement à Durene.
 
“Durene ? Pourquoi n’irais-tu pas nous chercher un peu plus de bois pour le feu ? Je suis sûre que Monsieur Laken est frigorifié.”
 
Je me mords la lèvre en entendant Durene se lever sans un mot pour exécuter les ordres de Yesel. Monsieur Laken va très bien, merci. Et Durene ne devrait pas avoir à obéir aux ordres de qui que ce soit dans sa propre maison.
 
Mais comme Yesel nous a apporté un cadeau et comme je ne connais pas tous les détails de la situation - ou du moins pas encore -, je me contente d’écouter. Yesel se penche pour me parler pendant que j’entends Durene s’activer dehors.
 
“Durene est une bonne petite, Monsieur Laken. La plupart du temps. Mais nous l’avons placée ici afin qu’elle ne nous cause pas d’ennuis si… vous a-t-elle expliqué ce qu’elle est ?”
 
“Non. Je pense qu’elle m’en parlera quand elle se sentira à l’aise.”
 
“Oui, mais… je ne crois pas que vous compreniez vraiment l’ampleur du problème.”
 
Je hausse un sourcil.
 
“Un problème ? Je n’ai eu aucun problème avec Durene, Madame Yesel. À moins que vous ne soyez persuadée du contraire ?”
 
“Non...”, répond-elle en pensant clairement le contraire. Je l’entends déglutir, puis elle reprend la parole.
 
“Mais certains d’entre nous, au village… Durene a été bien bonne de vous accueillir, mais vous - surtout une personne dans votre état - ne devriez pas être enfermé avec elle tout l’hiver. Ce serait mieux pour tout le monde que vous restiez au village. Nous serions ravis de vous accueillir.”
 
Et je détesterais probablement vivre chez eux. J’écoute Durene soulever quelque chose en poussant un grognement, puis secoue la tête.
 
“Je n’ai aucun problème avec Durene, Madame Yesel. Je vais rester ici.”
 
La voix de la femme se teinte à présent de frustration.
 
“Je ne pense vraiment pas que ce soit sage. Durene est…”
 
“... est Durene. Je pense que c’est ce que vous vouliez dire, Madame Yesel. Je vous prie de ne rien me révéler d’autre. Je préfère laisser les gens garder leurs secrets.”
 
“Mais… !”
 
Cela a assez duré. Je me lève.
 
“Bonne journée, Madame Yesel. Merci pour les vêtements.”
 
Elle n’a pas grand-chose d’autre à répondre après ça. Je la chasse pratiquement de la maison, et Durene, couverte de neige et médusée, a à peine le temps de lui dire au revoir.
 
D’accord, c’était peut-être malpoli de chasser cette femme aussi vite, mais elle était incroyablement malpolie. Je sais que Durene a un secret, mais pourquoi ne lui font-ils pas confiance pour m’accueillir ? J’ai dormi sous son toit pendant deux semaines à présent sans qu’il n’y ait eu de souci.
 
Après le départ de Yesel, le cottage de Durene devient chaud et douillet. Je suis parfaitement satisfait, et le soulagement de Durene que je reste ici est presque pathétique. Elle ne cesse de papoter nerveusement de tout sauf de la signification de la conversation qui vient de se dérouler.
 
Je comprends plus tard le problème. Je n’ai pas de problème avec Durene, qu’importe son identité. Mais Yesel et le reste des villageois n’aiment pas le fait que je me fiche de qui est Durene.
 
Ils n’aiment pas ça du tout.




Jour 22





Je viens de commencer à m’acclimater au froid glacial de l’hiver. Il m’est impossible de vraiment m’orienter dehors sans Durene, mais je peux tout de même me balader dans la neige. Bien sûr, je suis obligé de m’emmitoufler comme une saucisse, mais ce n’est pas grave.
 
Et ce n’est pas comme si nous manquions de choses à faire à l’intérieur. Il reste encore beaucoup de choses que Durene n’a jamais apprises - que ce soit parce que ce monde ne possède pas de système d’éducation ou parce que personne ne les lui a enseignées à elle spécifiquement, et j’aime parler avec elle.
 
Mais parfois, nous avons besoin de sortir, ne serait-ce que pour soulager quelques besoins vitaux. Les toilettes sèches de Durene ont beau avoir été bien construites, elles me gèlent toutes mes parties à chaque fois que j’essaie de faire ma petite affaire. Ce qui ralentit tout le processus, mais elle m’attend patiemment pendant que j’essaie d’accélérer les fonctions naturelles de mon organisme.
 
C’est alors que j’entends les rires, et les voix pleines de méchanceté. Les enfants - ceux du villages - dévalent le chemin menant au cottage de Durene à toutes jambes pendant que je suis assis sur les toilettes.
 
“Hé, le Monstre ! Sors de ton trou, le Monstre !”
 
“Elle est là ! Tire-lui dessus !”
 
J’ai l’impression d’écouter un film, sauf que je suis assis dans un cinéma glacé et que je n’ai pas de popcorn. Et tout cela est réel, et mon cœur se met immédiatement à battre plus fort lorsque j’entends la voix de Durene.
 
“Aïe ! Arrêtez !”
 
Qu’est-ce qu’il se passe ? J’entends des bruits de coups étouffés, comme de la neige qui tombe sur…
 
Des boules de neige. Ces petits cons lui jettent des boules de neige ! À ce que j’entends, Durene ne fait rien, elle essaie juste de se protéger. Mais les enfants poussent des cris de joie.
 
“Tirez-lui dessus ! C’est une [Sorcière] !”
 
“Elle a piégé l’aveugle ! Tuons le Monstre !”
 
“Ce n’est pas vrai ! Je… aïe !
 
Ils rient de plus belle, et j’entends d’autres boules de neige s’envoler. Je remets mon pantalon en toute hâte, en essayant de trouver quoi faire au cas où la situation dégénère.
 
Ces espèces de petits… il y a une différence entre s’amuser et être des petits démons vicieux. Il faut que je fasse quelque chose. Mais quoi ?
 
Pendant un instant, je m’inquiète des conséquences et des répercussions. Durene entretient une relation qui lui est propre avec les villageois. Qui suis-je pour intervenir ?
 
Qui suis-je ?
 
Un [Empereur].
 
Oh.
 
Bien sûr.
 
Comment ais-je pu l’oublier ? Cette maison est mon empire ; Durene est ma sujette. Et ces petits morveux insupportables sont en train de la harceler. Il est de mon devoir de la sortir de là.
 
Je n’ouvre pas la porte des toilettes d’un coup de pied, mais je la pousse avec davantage de force qu’à l’accoutumée. Honnêtement, je n’aimerais pas casser la porte, même si je suis en colère. Personne n’a envie que du vent et des particules de glace ne viennent souffler droit sur ses parties génitales pendant un moment intime.
 
Les rires s’évanouissent dès que je pose un pied dans la neige. Je me tourne en direction des gamins.
 
“Hey. Vous. Arrêtez ça tout de suite.”
 
Ce ne sont pas vraiment des mots provocateurs, mais je suis mortellement sérieux. Et ce ne sont que des gamins. J’entends des piétinements gênés, puis des voix.
 
“Qu’est-ce qu’on doit… ?”
 
“Il ne sait rien ! Il est aveugle !”
 
“Oui ! Il faut qu’on chasse le Monstre !”
 
Je pointe le doigt dans leur direction.
 
“Je n’aime pas le harcèlement. Laissez Durene tranquille. Si je vous reprends à lui jeter de la neige dessus,  il y aura des conséquences.”
 
Je crois un bref instant que cela va marcher. Puis l’un des enfants éclate d’un rire incertain. Il se moque de moi.
 
“Tu ne peux rien nous faire ! Tu ne vois rien !”
 
“Ouais ! Il préfère le Monstre aux vraies gens !”
 
“Tirez-lui dessus !”
 
Un objet passe à toute vitesse devant mon visage et j’ai un mouvement de recul. Merde. D’un seul coup, toute l’animosité du gang d’enfants s’est retournée contre moi. Une boule de neige remplie de glace explose contre mon manteau et je me demande ce que je fais, maintenant.
 
Arrêtez !
 
Quelque chose d’immense s’interpose entre les enfants et moi. Je sens Durene devant moi, comme un bouclier protecteur.
 
“Regardez ! Le Monstre nous empêche de l’avoir !”
 
“Tirez-lui dessus !”
 
“Jetez-leur ça ! Bouffe des pommes de pin, le Monstre !”
 
Quelque chose rebondit sur Durene qui pousse un glapissement. C’est à ce moment-là que je perds patience.
 
Ça suffit.
 
J’écarte Durene et le mot jaillit comme un cri. Mais ce n’est pas vraiment un cri. C’est… quelque chose d’autre.”
 
La rage brûlant dans ma poitrine s’enflamme, et se lie au mot. Il explose hors de moi, et je le sens me quitter comme s’il s’était agi de quelque chose de tangible.
 
Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que je viens de faire ?
 
J’entends des cris, puis le bruit de quelqu’un qui vomit. Puis j’entends des bruits de pas, puis de course, la confusion, des cris…
 
Puis le silence.
 
“Durene ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
Je tends la main et touche un dos épais couvert de tissu. Je sens la peau glacée de Durene frissonner, puis elle prend ma main entre ses paumes calleuses.
 
“Laken ? Je… je ne sais pas. Tu viens de faire quelque chose. Les gamins… ils se sont tous enfuis !”
 
“J’ai fait ça, moi ?”
 
Forcément. Et c’est sans doute mon…
 
“[Aura de l’Empereur]. Durene, raconte-moi ce qu’il s’est passé.”
 
Nous restons plantés dans la neige et Durene me raconte les événements qui viennent de se dérouler. D’après elle, c’est comme si j’avais soudain crié et que quelque chose avait frappé les enfants. Elle avait senti une présence - et soudain, la peur. Mais ce que j’avais fait n’était pas dirigé contre elle, et elle ne l’avait donc ressenti que brièvement.
 
La réaction des enfants avait de toute évidence été plus violente. Ils avaient pris leurs jambes à leur cou. Je ne sais pas exactement ce que j’ai fait, mais j’ai quelques idées.
 
“J’étais en colère. Vraiment énervé. J’ai dû utiliser ma colère pour leur faire peur. L’aura… je pourrai peut-être l’utiliser de différentes façons.”
 
Je me souviens encore de la sensation. C’était quelque chose de physique ; comme si j’avais envoyé une partie de moi dans le monde. C’était à la fois incroyable et terrifiant. Je n’avais jamais rien ressenti de tel, mais je suis content.
 
Oui. Je suis content de l’avoir fait. Et Durene aussi. À sa manière !
 
“Tu n’aurais pas dû faire ça. Vraiment ! On va avoir des ennuis…”
 
“S’il doit y avoir des ennuis, ce seront nous qui les créerons. Ces enfants n’avaient pas le droit de te harceler.”
 
“Mais ils étaient juste…”
 
“C’étaient des imbéciles intolérants. Je ne laisserai plus personne agir de la sorte. Ce temps est révolu.”
 
Comment ? Et je songe, pendant que Durene et moi allons nous sécher, que la seule chose que je sais, c’est que j’ai pesé chacun de mes mots. Comment vais-je empêcher ces gosses de continuer à harceler Durene, sans réutiliser cette compétence ?
 
Une barrière ? Trop compliqué, et ils se contenteraient de grimper par-dessus ou de la contourner. Un piège à ours ? Probablement pas.
 
“J’imagine que nous pourrions nous contenter de les plonger tête la première dans la neige s’ils reviennent. Je leur tiens les jambes, toi, tu creuses le trou.”
 
Durene glousse nerveusement, et je souris et lui raconte d’autres bêtises pour la faire rire. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir le sentiment d’avoir enclenché quelque chose.
 
Et j’ai raison. Moins de trente minutes plus tard, j’entends quelqu’un approcher. Durene se crispe et me dit que Prost viens nous voir. Nous l’invitons à entrer, et il entre tout de suite dans le vif du sujet.
 
“Les gosses ont dit que vous aviez fait quelque chose, Monsieur Laken. Ils n’étaient pas blessés, juste bougrement terrifiés. Mais nous aimerions savoir ce qu’il s’est passé.”
 
“Oh, voyez-vous, Monsieur Prost. Je les ai entendu jeter des boules de neige et des pommes de pin sur Durene et je leur en ai touché un mot. On ne peut pas laisser des enfants courir de partout en attaquant des gens, n’est-ce pas ?”
 
“Non, j’imagine. Tout de même, c’était une sacrée réaction pour un si petit incident, n’est-ce pas ? Je suis sûr que les enfants ne pensaient pas à mal. Ils taquinent Durene, mais ce n’est pas méchant.”
 
Je garde un ton léger et amical, comme le calme avant la tempête.
 
“Je suis sûr que vous avez raison, Monsieur Prost. Je suis certain qu’ils ne pensaient pas à mal en lui jetant des boules de neige. Ou en l’insultant.”
 
Il s’agite, et j’entends Durene déglutir.
 
“Monsieur Laken, vous m’avez l’air d’un jeune homme très gentil. Mais il y a quelque chose que vous ignorez au sujet de Durene.”
 
“C’est ce que m’ont déjà dit vos enfants, votre femme et vous-même. Je croyais avoir clairement exprimé le fait que cela ne m’intéresse pas.”
 
“Tout de même, monsieur. Durene n’est pas comme vous et moi.”
 
“Monsieur Prost... !”
 
Je sens presque Durene se recroqueviller. Et je suis à présent encore plus en colère qu’avec les enfants.
 
“Cessez. Oui, je parle à vous, Monsieur Prost. Durene a été extrêmement bienveillante depuis mon arrivée. Vos enfants, en revanche, l’ont attaquée, avant de s’en prendre à moi.”
 
“Je suis au courant, monsieur, et je vais m’assurer qu’ils retiennent bien la leçon. Ils ne pourront plus marcher droit, vous avez ma parole. Mais Durene…”
 
“Quel est votre problème avec Durene ?”
 
Je craque. Je ne peux plus m’en empêcher.
 
“Durene n’est pas comme vous et moi. J’ai compris. Mais en quoi est-ce que c’est important ? C’est une amie. Mon amie. Si elle a un secret, elle me le dira en personne. Je pense qu’il est temps pour vous de vous en aller, à présent.”
 
Prost hésite, mais il ne se lève pas.
 
“Vous pensez peut-être que Durene ne pose pas de problème, mais vous ne la voyez pas comme nous. Durene, tu es une bien bonne fille, mais…”
 
Je me lève.
 
“Il suffit. Je pense que vous devriez vous en aller, Monsieur Prost. Tout de suite.”
 
L’homme se lève. Il est en colère, à présent.
 
“Vous ne comprenez pas la situation, Monsieur Laken. Durene est le problème de notre village, et nous n’avions aucun mal à la gérer avant votre arrivée.”
 
“Je…”
 
J’avais presque oublié que Durene était avec nous. Elle tente de prendre la parole d’une voix de - grosse - souris.
 
“Je ne fais rien de mal ! Je veux simplement aider Laken !”
 
L’homme lui répond d’un ton inflexible.
 
“Tu n’as rien à faire avec les gens de notre espèce. Tu es serviable - mais nous te laissons loin du village pour une bonne raison. Tu te souviens de ton père ? Si d’autres membres de son espèce se pointaient, ou si tu perdais le contrôle… tu n’es pas comme nous, Durene. Et Monsieur Laken n’est pas au courant !”
 
“Il m’aime bien ! Il s’en fiche ! En quoi est-ce une si mauvaise chose ?”
 
Pour une fois, Durene se défend. Je ne réponds pas et la laisse hausser le ton. Mais Prost se met alors à hurler.
 
“Je t’interdis de me parler sur ce ton ! As-tu oublié qui t’a recueillie, qui t’a nourrie ? Nous avons risqué notre peau pour toi !”
 
“Vous ne vous êtes occupés de moi que parce que ma mère vous l’avait demandé ! Et vous me donniez vos restes ! Je devais dormir à l’étable avec le reste des animaux ! Je n’ai jamais… je n’ai jamais mangé avec vous ! Et maintenant, vous essayez de me retirer le seul ami que j’ai !”
 
Elle dit enfin ce qu’elle a sur le cœur. La voix de Durene est chargée d’émotions, et j’entends ses mains serrer la table et en faire craquer le bois. Un craquement résonne, et je sens la table devant moi se briser.
 
Prost renverse sa chaise en arrière et recule en direction de la porte. Durene s’est levée - sans faire mine d’aller vers lui - mais je me lève avant que qui que ce soit ne puisse passer à l’action.
 
“Il suffit. Prost, vous devez partir, à présent. Je reste avec Durene, et rien de ce que vous pouvez me dire ne pourra changer cela.”
 
“Mais vous ne comprenez pas !”
 
On dirait presque que Prost est en train de s’arracher les cheveux - s’il en a - tant il est frustré. Mais il a aussi peur de Durene, c’est évident.
 
Durene prend la parole d’une voix glaciale.
 
“Si Laken en a décidé ainsi, il reste ici. Je m’occuperai de lui ici. À présent, vous devez partir, Monsieur Prost. Ceci est ma maison, et vous n’y êtes plus le bienvenu.”
 
Elle avance, et j’entends l’homme se précipiter dehors. Je suis Durene à l’extérieur, et entends la voix de Prost. Il est déjà loin, mais il crie pour se faire entendre.
 
“Mais savez-vous seulement ce qu’elle est ? Une bête ! Un monstre !”
 
Le sang pulse dans mes veines. Je lance un regard furibond dans sa direction.
 
Je m’en fous. Allez-vous-en et cessez de nous importuner !”
 
“Tu ne sais rien, garçon ! Elle se joue de toi en faisant mine d’être amicale, mais son espèce est indigne de confiance ! C’est un monstre. Elle n’est pas Humaine, c’est une…”
 
“Une Trolle !”
 
Ce n’est pas Prost qui a prononcé le mot. C’est Durene. qui a crié. Mon cœur manque un battement, puis je l’entends crier.
 
“Une Trolle ! Voilà, je l’ai dit ! Une Trolle, une Trolle, une Trolle !”
 
Sa voix est immense. Immense et grave, et si forte que je jurerais que de la neige tombe des arbres. Elle hurle sur Prost, le laissant sans voix.
 
“Pourquoi ne pouvais-tu pas me laisser avoir ça ? Pourquoi a-t-il fallu que tu le lui dises ? En quoi était-ce mal que je…”
 
Durene est en train de pleurer, elle sanglote en criant le plus fort qu’elle peut. Elle invective Prost, le maudis. J’entends un impact et sens qu’elle est tombée à genoux. Dans le silence qui suit, j’écoute et entends des crissements lointains dans la neige.
 
“Il s’enfuit.”
 
Quel lâche. Mon cœur bat beaucoup trop vite, et je sens quelque chose l’enserrer. Je suis furieux, mais Durene est plus mal en point que moi.
 
J’avance lentement vers elle en tendant la main. Je la touche - et sa peau rugueuse glisse sous mes doigts. Elle ne bouge pas : elle se contente de sangloter sous ma caresse.
 
Un bras. Un gros bras, qui tend à l’extrême les coutures de son vêtement maladroitement cousu. Puis, son épaule, deux fois plus large que la mienne. Ses muscles sont aussi denses que la pierre, et sa peau ressemble à une peau d’éléphant.
 
Puis son cou, sa tête. On dirait celle d’une Humaine, mais proportionnelle par rapport à son corps. Son nez est… large, et elle a des sourcils. Et des cheveux. Plus longs et plus rêches que ceux d’une Humaine, mais pas tant que ça.
 
Voilà son secret. Voilà ce dont elle avait peur. Son terrible et insignifiant secret. Mais elle a menti une fois, et, en touchant son visage, je sens la vérité. Je la vois toute entière.
 
Je lui murmure ces mots dans la neige en touchant ses larmes du bout des doigts.
 
“Demie-Trolle.”


[Empereur Niveau 4 !]
 
[Compétence - Trésor Royal obtenue !]
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 03 août 2021 à 21:55:28
(https://aubergevagabonde.files.wordpress.com/2021/05/cropped-tablebanner2.png)


Une grande nouvelle arrive bientôt pour la traduction de l'Auberge Vagabonde !

Rendez vous le 16 Août pour la suite des aventures d'Erin, de Ryoka et de bien plus encore !

Maroti & Ellie
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: licorne le 04 août 2021 à 11:17:38
.
Bonjour,

(supprimé)

Bonne journée,
licorne
.
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 16 août 2021 à 20:04:00
https://aubergevagabonde.wordpress.com/



Bonsoir à toutes les personnes qui suivent cette traduction depuis presque deux ans ! Aujourd'hui est un grand jour, car c'est le jour où nous ouvrons le site de l'Auberge Vagabonde, traduction officielle de The Wandering Inn de Pirateaba ! :excited:

Qu'est-ce que cela signifie pour cette traduction ?

Cela signifie que nous avons désormais un site officiel ! Avec une belle présentation, un système de commentaires sous les chapitres, et plein de bonnes choses ! Il n'y aura pas de pub sur le site, et les nouveaux chapitres arriveront chaque mercredi et dimanche comme avant !

Les deux premiers tomes sont en train d'être relus et corrigés, et cette nouvelle version est régulièrement postée sur le nouveau site ! Il nous reste encore 17 chapitres à relire et à poster, mais le nouveau Livre 1 sera disponible dans son intégralité dans la semaine !

Comment nous soutenir ?

En continuant de lire l'œuvre, et en nous soutenant sur Patreon (le lien sera sur le site). L'œuvre reste entièrement gratuite et libre d'accès, mais vous pouvez nous soutenir pour obtenir des chapitres en avance et avoir des nouvelles sur l'évolution du projet ! Attention à ne pas spoiler les autres!

Encore mille mercis de nous avoir soutenus dans ce projet, et d'avoir été aussi nombreux à lire cette traduction. En cadeau, le prochain chapitre est déjà disponible pour tout le monde ! Et d'autres chapitres sont disponibles pour les Patreon !

Ce topic est considéré comme ouvert ! N'hésitez pas à nous poser des questions, ou à exprimer votre ressenti sur l'œuvre, ou mieux encore, faites-le sur le site !
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 28 novembre 2021 à 13:46:43
Surprise, et bonjour !

La traduction de The Wandering Inn revient sur le Monde de l'Ecriture !

 Le rythme n'est plus le même, il y aura désormais un demi-chapitre tous les dimanches. La suite du chapitre, et de la traduction, se trouve sur notre site à l'adresse suivante :

https://aubergevagabonde.wordpress.com/

Bonne lecture !

3.02 H Partie 1
Traduit par EllieVia
7700 mots

Ceria Springwalker baissa les yeux sur sa main squelettique et pendant un bref instant, se demanda ce qu’il se passerait si elle se tirait une [Aiguille de Glace] en plein visage à bout portant. Elle mourrait probablement instantanément ; dans le pire des cas, l’épine se logerait dans sa chair et son cerveau sans la tuer.
 
Ce n’était qu’une idée en passant, mais elle songeait à moitié à passer à l’acte. Même une affreuse mutilation resterait préférable à sa situation actuelle.
 
Elle leva les yeux sur les deux autres membres des Cornes d’Hammerad assis autour du petit feu qu’ils avaient allumé. Une fumée brumeuse s’en échappait, et risquait d’attirer des monstres en quête d’un repas chaud. Avec un peu de chance, aucun ne s’approcherait d’eux ; Ceria avait essayé de monter le camp suffisamment loin des Ruines d’Albez pour limiter les risques, mais les aventuriers devaient toujours être prêts à affronter les mauvaises surprises.
 
De l’autre côté du feu, Pisces était assis par terre, et marmonnait dans sa barbe en compulsant son grimoire personnel rempli de notes et de sorts qu’il étudiait. Sa robe - rarement propre même dans ses beaux jours - était crasseuse, et il empestait. Pour tout dire, il sentait tellement mauvais que même Ksmvr, qui n’avait pas vraiment d’odorat, se tenait loin de lui.
 
L’Antinium n’avait pas besoin du feu. D’ailleurs, Ceria se demandait si les flammes ne le dérangeaient pas. Malgré le froid de l’hiver, l’ancien Prognugator restait assis, le dos tourné vers le feu, et scrutait le paysage. Il ne dormait pas, comme il montait la garde, mais il était tellement immobile qu’on aurait dit une statue.
 
Bien rangés à côté de l’Antinium se trouvaient un arc court et des flèches plantées dans le sol, prêtes à être tirées. Il avait posé l’un des couteaux de cuisine d’Erin devant lui, et l’épée de fer courte enchantée à côté. On aurait dit que Ksmvr s’attendait à être attaqué à tout moment.
 
Ceria soupira. Puis elle baissa de nouveau les yeux sur sa main squelettique. Elle n’était pas douloureuse. Plus maintenant. Parfois, cependant, elle avait encore l’impression qu’elle était recouverte de chair. Mais il lui fallait encore user de magie - laisser couler le mana dans son membre amputé - pour la faire bouger. Et le pire, c’était de toucher des choses. Elle avait alors la sensation de toucher quelque chose, mais ce n’était que son imagination.
 
Le feu toussa et Pisces éternua dedans. Ceria grimaça lorsqu’un nuage de fumée flotta dans sa direction. Pisces avait vraiment besoin d’un bain. Elle pouvait probablement conjurer de l’eau, mais ce serait gâcher du mana. De plus, si elle voulait le laver, lui, elle ferait mieux de commencer par se laver elle-même.
 
Ceria avait l’habitude de vivre à la dure. Elle avait passé un nombre incalculable de nuits à la belle étoile avant d’avoir atteint la vingtaine, et elle avait participé à un nombre incalculable d’expéditions avec les Cornes d’Hammerad d’origine, à traquer des monstres, à se préparer à entrer dans des donjons, et cætera.
 
Mais elle ne se souvenait pas d’avoir déjà campé dans des conditions aussi misérables. Ceria savait qu’elle sentait au moins moitié aussi mauvais que Pisces, et la sueur séchée, la crasse et ses vêtements sales rendaient sa propre expérience désagréable.
 
Au moins, ils ne campaient plus dans la neige. Ceria et Pisces avaient déblayé le sol, et il ne neigeait plus autant qu’hier. Normalement, Ceria aurait préféré camper dans une caverne, mais les Ruines d’Albez étaient nichées au creux d’une cuvette naturelle loin des montagnes ou des collines. Les ruines s’étaient enfoncées dans la terre, et tous les groupes d’aventuriers normaux prévoyant de rester plus d’une journée dans la zone amenaient des tentes avec eux.
 
Mais ils n’en avaient pas, parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’en acheter. Pour tout dire, les Cornes d’Hammerad n’avaient pas prévu de rester longtemps, dans tous les cas. Ils avaient pris suffisamment de provisions pour leur tenir deux jours.
 
C’était leur huitième nuit sur place. Ils n’avaient pas encore mangé.
 
L’estomac de Ceria gargouilla et elle grimaça. Elle s’était également habituée à la faim dans sa jeunesse, mais elle ne se souvenait pas d’avoir jamais été à court de provisions lorsqu’elle était avec les Cornes d’Hammerad. Calruz avait beau avoir eu un tempérament problématique, c’était un excellent soldat et meneur dans le sens où il savait garder son groupe bien nourri et vêtu, et Gerial avait toujours laissé une marge d’erreur lorsqu’ils achetaient de l’équipement.
 
Son cœur se serra à leur souvenir. Ceria plongea de nouveau son regard dans les flammes et Pisces claqua la langue. Son estomac gronda de nouveau.
 
Sauf que… ce n’était pas un gargouillis. C’était le bruit de quelque chose qui s’enfonçait dans la neige. Ceria leva instantanément les yeux et se mit à concentrer du mana dans sa main squelettique. Elle vit Ksmvr attraper son arc et ses flèches. Pisces resta assis devant le feu, inconscient du danger, en se mordillant un ongle sale.
 
“Pisces.”, siffla Ceria à voix basse. Pisces ne lui prêta aucune attention. Ceria était sur le point de le recadrer sèchement; même si cela devait alerter ce qui approchait de leur présence, lorsqu’elle entendit une voix.
 
“C’est moi, Ceria.”
 
Ceria se détendit instantanément. Ksmvr baissa son arc et Yvlon s’approcha. La femme en armure se dirigea vers le feu de camp et laissa tomber un sac à ses pieds d’un air épuisé.
 
“De la nourriture et une autre pelle.”
 
Elle jeta aussi la pelle au sol, manquant de peu de la faire tomber dans le feu. Pisces leva les yeux et renifla en avisant l’outil. Puis il retourna à sa lecture.
 
Yvlon jeta un regard mauvais au mage, puis s’assit laborieusement. Elle commença à essayer d’enlever son armure argentée, tout aussi sale qu’eux à force de vivre dehors. Ceria alla l’aider ; elle avait assisté ses compagnons d’aventure à de nombreuses reprises et elle savait comment s’y prendre.
 
Ksmvr s’approcha lui aussi. Il était assis à une distance respectueuse de tout le monde, et c’était sans doute pour le mieux.
 
“Camarade Yvlon. Notre équipe a-t-elle obtenu la permission de retourner dans les ruines demain ?”
 
La nouvelle manière de s’adresser à elle de Ksmvr ne perturba presque pas Yvlon. Elle hocha la tête d’un air las.
 
“C’est ce que la Coursière de Ville m’a dit. Aucune équipe n’a prévu d’entrer dans les ruines ; elles sont toutes occupées avec les requêtes locales, ou elles se préparent à entrer dans le donjon de Liscor.”
 
“Je vois. Les conditions sont optimales.”
 
Ksmvr hocha plusieurs fois la tête. Le visage de Ceria ne s’éclaira pas vraiment d’un sourire ; ses lèvres ne firent que se tordre en un rictus étrange. Yvlon affichait la même expression.
 
“Apparemment, le pic d’[Instinct de Survie] que nous avons ressenti venait de ce donjon. On n’a pas eu d’autres nouvelles ; les mages auraient envoyé un message s’il en était sorti quelque chose de dangereux.”
 
“Tout de même. Il faut que ce soit sacrément dangereux là-dessous si c’est ce qu’il se passe juste en ouvrant les portes.”, marmonna Ceria en aidant Yvlon à enlever son plastron. Cette dernière hocha la tête.
 
“De nouvelles équipes arrivent du nord. De grands noms. La Chasse aux Griffons et les Croisés vont avoir de la compétition s’ils ne nettoient pas rapidement le donjon.”
 
“Mmh.”
 
Ceria avait trop d’émotions et de sentiments associés au nouveau donjon pour en parler. Yvlon ressentait de toute évidence la même chose, parce qu’elle n’entra pas dans les détails. Ceria venait de finir de l’aider à ôter sa dernière pièce d’armure lorsqu’elle poussa une exclamation agacée.
 
Pisces ! Bas les pattes de la bouffe !”
 
Le jeune homme marqua une pause en sortant un saucisson du sac qu’Yvlon avait rapporté. Il renifla d’un air méprisant à l’attention de Ceria.
 
“Je me nourris, Springwalker.”
 
“On va faire à manger pour tout le monde dans un instant. Tes mains sont repoussantes.”
 
“J’ai faim.”
 
Yvlon ne pipa mot, mais Ceria dut vraiment se faire violence pour éviter de foudroyer Pisces d’un sort tout de suite et maintenant. Elle modifia légèrement son ton.
 
“Comme nous tous. Mais on mange et on travaille ensemble, en équipe. Repose la nourriture.”
 
Pisces soutint son regard un bref instant, puis laissa échapper un son irrité. Il jeta le saucisson dans le sac mais manqua son coup. Il atterrit dans la terre, à côté du feu.
 
Yvlon tressaillit. Mais elle tint sa langue. Ceria compta jusqu’à cinq avant de ramasser le saucisson séché et de le laver. Un jet d’eau coula de son doigt squelettique sur le saucisson et en ôta la terre.
 
“Quelle distance as-tu parcourue pour trouver la Coursière, Yvlon ?”
 
Quatre, cinq milles ? Elle n’a pas voulu s’approcher davantage.”
 
“Cinq milles ?”
 
Ceria grinça des dents. Yvlon se contenta de hausser les épaules d’un air las.
 
“Ça donne envie d’avoir Ryoka dans le coin, pas vrai ?”
 
En effet. Les Coursiers de Ville étaient connus pour refuser de s’approcher des monstres ou des zones dangereuses pour ravitailler les aventuriers - ils restaient utiles, parce qu’ils évitaient d’avoir à voyager une journée voire davantage pour refaire ses provisions, mais ils faisaient payer au prix fort les aventuriers qui devaient de plus aller à leur rencontre.
 
“Si j’avais su que tu allais devoir marcher autant de temps dans la neige, j’aurais envoyé Ksmvr avec toi.”
 
“Et la Coursière se serait juste enfuie en courant.”, l’interrompit inutilement Pisces en contemplant le pain et le reste des vivres que Ceria avait achetés avec ses maigres économies. La Demi-Elfe fronça les sourcils en sortant un morceau de fromage et le regarda fixement.
 
“Je leur avais demandé un demi-fromage. Qui livre les messages dans cette maudite guilde ?”
 
La coutume voulait que les aventuriers envoient des sorts de [Message] pour commander de l’équipement, des provisions, ou même des potions à la Guilde des Mages locale ou aux autres structures spécialisées. Selon l’urgence de la requête - qui augmentait naturellement le prix de la livraison de manière exponentielle), la guilde transmettait la requête à la Guilde des Coursiers locale où, avec un peu de chance, quelqu’un l’accepterait.
 
C’était vraiment un pari, parfois. Les prix des livraisons étaient très élevés, mais la plupart des Coursiers de Ville n’aimaient pas prendre le risque de s’approcher d’un repaire de monstres dans tous les cas. Et quand ils acceptaient tout de même, ils attendaient la plupart du temps loin de la zone de livraison demandée, et se contentaient de faire briller des lanternes sourdes pour informer les aventuriers qu’il fallait qu’ils viennent chercher leur colis. Et le coût...
 
“Combien nous reste-t-il, Yvlon ?”
 
“Tu veux la bonne ou la mauvaise nouvelle ?”
 
“La bonne.”
 
“Il nous reste une pièce d’or.”
 
Yvlon leva la bourse vide et la secoua. Même Pisces parut consterné.
 
“C’est tout ? Combien t’a demandé la Coursière ?”
 
“Le prix était dans la moyenne. Mais nous n’avions pas grand-chose pour commencer, et nous n’avions pas d’autre choix pour récupérer rapidement des vivres.”
 
Ceria grinça des dents en acceptant la bourse que lui tendait Yvlon. C’était leur dernière pièce, ce qui signifiait que leur avenir était plutôt simple.
 
“On a suffisamment à manger pour deux jours, alors. Si nous ne trouvons pas ce que nous cherchons d’ici là, c’est terminé.”
 
Terminé. Ceria regarda les différentes réactions de ses coéquipiers en apprenant la nouvelle.
 
Celle d’Yvlon fut la meilleure. C’était une aventurière chevronnée et une ancienne Capitaine de Rang Argent. Elle se contenta de hocher la tête, résignée. Elle n’était pas ravie, de toute évidence ; ses yeux étaient tirés, mais elle savait qu’ils n’avaient pas le choix.
 
Celle de Ksmvr fut intrigante. La nouvelle ne parut pas vraiment le gêner. Il se contenta de hocher la tête et se remit à scruter le paysage. Est-ce qu’il s’en moquait ? Ou est-ce qu’il était persuadé qu’elle prendrait la meilleure décision ? Dans tous les cas, Ceria aurait préféré le voir afficher davantage d’émotions.
 
Et elle aurait préféré que Pisces en affiche moins. Le jeune homme fronça furieusement les sourcils.
 
“Et ensuite, quoi ? On abandonne ? Juste comme ça ?”
 
“S’il le faut. Nous n’avons pas assez d’argent pour continuer les fouilles, Pisces.”
 
“Alors que fait-on, Springwalker ? On rentre et on commence à accepter de nouvelles requêtes ?”
 
“Peut-être. S’il le faut. À moins que tu n’aies une meilleure idée ?”
 
Pisces la regarda fixement. Il était grognon, fatigué, et affamé. Pour résumer, il était exactement dans le même état que tout le reste du groupe. Mais il était également agaçant, et il n’hésitait jamais à exprimer ses opinions.
 
“Je ne sais pas si je resterai associé à ce groupe par la suite. J’ai dernièrement commencé à remettre en question le mérite de louer mes services à cette équipe.”
 
Yvlon fronça les sourcils, probablement pour décoder le commentaire de Pisces, puis sous l’effet de la colère. Ceria ne mordit pas à l’hameçon. Elle se contenta de hocher la tête.
 
“Très bien. Si tu veux abandonner ? Attends après-demain.”
 
Pisces hésita.
 
“Nous fouillerions bien mieux si tu suivais mes conseils.”
 
“On a déjà essayé. Ça n’a pas marché.”
 
Ceria tira un couteau du fourreau à sa ceinture. Elle se mit à découper le saucisson en morceaux pour préparer le repas. Ksmvr la rejoint pour l’aider. Pisces fronça les sourcils et continua d’argumenter.
 
“Une simple erreur ne suffit pas à disqualifier ma méthode. Nous aurions peut-être déjà trouvé la chambre secrète si nous avions…”
 
“On ne l’a pas trouvée. Et on a cherché dans un foutu bon nombre d’endroits. Lâche l’affaire, Pisces.”
 
“Je suis venu en partant du principe que nous trouverions…”
 
“Comme nous tous.”, l’interrompit Yvlon. Elle regardait Pisces d’un air dur. Cela faisait longtemps que Ceria ne l’avait pas vue s’impliquer activement dans une dispute. Mais même sa patience avait des limites. Elle fusilla Pisces du regard, mais le mage ne parut pas impressionné.
 
“Nous avons tous pris un risque en entreprenant cette expédition, Pisces. Si elle échoue, ce ne sera la faute de personne. Nous aurons juste joué de malchance.”
 
“Ou peut-être d’inefficacité.”
 
“Tu crois pouvoir mieux te débrouiller qu’un groupe de quatre ?”
 
“Si j’avais des morts-vivants…”
 
Yvlon fronça les sourcils. Ceria les interrompit en finissant d’enfoncer un peu de fromage dans le pain dur avec du saucisson.
 
“Si tu en avais, la Garde locale t’aurait criblé de flèches à Esthelm. Et même si tu avais réussi à les amener ici, ces Araignées Cuirassées t’auraient bouffé la jambe avant que tes mollassons de zombies ne parviennent à s’approcher suffisamment pour te sortir de leur nid.”
 
Ceria fusilla Pisces du regard. Elle était fatiguée de l’entendre se plaindre à longueur de journée. Au début, ce n’était pas si affreux ; il n’avait commencé à bouder qu’autour de la quatrième journée. Mais alors, ses plaintes n’avaient été qu’un nouveau fardeau à traîner. Sauf qu’aujourd’hui, il n’avait jamais cessé de geindre.
 
La Demi-Elfe qui était incidemment l’infortunée Capitaine des Cornes de Hammerad se frotta le front en cherchant une réponse modérément diplomatique.
 
“Nous sommes tous fatigués. Nous sommes tous frustrés. Mais tu ne cesses de te plaindre. Pourquoi ne pas te taire un moment, Pisces ?”
 
Même Ksmvr hocha la tête. Il tendit précautionneusement le sandwich qu’il avait préparé à Yvlon. L’Humaine hésita, mais l’accepta avec réticence. Elle examina son sandwich et hésita une bonne poignée de secondes avant de mordre à l'intérieur. Ceria vit Yvlon jeter un regard en coin à Ksmvr, mais l’Antinium ne parut pas le remarquer.
 
“Ksmvr. Est-ce que tu veux un autre sandwich ?”
 
“Je ne prendrai que du fromage dans le mien, si c’est acceptable.”
 
“Bien sûr.”
 
L’Antinium remplit immédiatement son sandwich d’une double dose de fromage. Ceria, suivant son exemple, prit une double ration de saucisson dans le sien plutôt que du fromage. Depuis que l’Antinium avait vaincu son allergie au gluten grâce à son amulette, il ne mangeait presque exclusivement que des sandwiches au fromage.
 
Pisces ne s’était pas encore fait de sandwich. Ceria se mit à en préparer un, même si en son for intérieur, elle aurait préféré le laisser faire. Mais il serait alors capable de manger davantage qu’ils ne pouvaient se le permettre pour cette nuit, donc elle le fit quand même. Pisces l’observa préparer le sandwich et finit par émettre un commentaire d’un ton acerbe alors qu’elle avait presque terminé.
 
“Pour ton information, je n’animerais jamais de zombie pour commencer. Ils utilisent le mana de manière inefficace, à moins d’être utilisés comme des boucliers immédiats. Alors que des goules ou des squelettes…”
 
Dieux morts, Pisces ! Ferme-la ! Mange et on en discutera demain, d’accord ?”
 
Son humeur fragile s’enflamma. Ceria jeta le sandwich qu’elle avait préparé sur Pisces. Il attrapa son dîner d’une main au vol avec un air offensé. Mais il se tut tout de même.
 
Les sandwiches étaient froids, relativement difficiles à mâcher, et auraient pu passer un peu de temps près du feu. Mais les quatre aventuriers avaient tellement faim qu’ils engloutirent leur repas en quelques secondes. Ceria aurait bien aimé un deuxième service, mais elle savait qu’ils ne pouvaient se permettre de manger davantage.
 
Ensuite, ils se contentèrent de rester assis autour du feu. Misérables. Ils étaient vraiment misérables. Tout le monde puait plus ou moins, mais personne ne voulait se laver par ce temps glacial. Ils étaient épuisés, mal installés, mais au mois ils avaient mangé.
 
Personne ne parla, mais ayant tous les quatre atteint un était d’épuisement complet, ils prirent leurs couvertures dans leurs bagages.  Ceria frissonna en s’enveloppant dans son bout de tissu froid et râpeux. Elle se rapprocha du feu et vit que Pisces et Yvlon avaient fait de même.
 
Personne ne parla. Ksmvr défit soigneusement sa couverture puis marqua une pause. Il regarda les trois autres, deux humains et une Demi-Elfe.
 
“Nos préparations se sont avérées décentes. Et notre objectif avait beaucoup de mérite. Notre approche était correcte, et nous avons entrepris beaucoup d’approches optimales. Et pourtant, nous avons jusqu’à présent échoué à atteindre nos objectifs. Que s’est-il passé ?”
 
Personne ne sut lui répondre. Ils s’enroulèrent dans leurs couvertures, et Ksmvr s’assit sur la sienne en l’enroulant sur ses épaules. La nuit était glacée.



***



L’aube glacée du jour suivant se leva tôt. Ceria se réveilla en frissonnant sous sa couverture. Elle songea qu’elle aurait dû utiliser un sort de résistance au froid, mais il lui avait fallu économiser son mana. De plus… elle ne les avait jamais vraiment étudiés à Wistram. Ironique, vraiment.
 
Yvlon sortit de son couchage à peu près en même temps que Ceria, et Ksmvr était déjà réveillé, s’il avait seulement dormi. Seul Pisces continua de ronfler, ignorant incroyablement le froid, ce qui convenait parfaitement aux trois autres.
 
“Du porridge chaud. Pas d’épices, pas de fruits.”
 
Yvlon tendit un bol à Ceria. La Demi-Elfe réchauffa sa main valide en tenant son bol et haussa les épaules.
 
“J’ai connu pire. Tu veux qu’on examine la carte en mangeant ?”
 
La jeune Humaine fit la moue.
 
“J’imagine.”
 
Ceria redoutait de regarder la carte elle aussi, si elle était honnête. C’était comme regarder un morceau de tarte tout juste hors de portée. Tout paraissait parfaitement aisé à première vue.
 
Tu vois le trésor ? Tu vois la chambre secrète ? Il est là. Mais pour le trouver…
 
“Alors, on a essayé de creuser autour du dôme en ruine hier, mais il n’y a rien qui ne ressemble même de loin au reste des structures de la carte. Il faut donc qu’on parte du principe que cette zone est perdue ou complètement enfouie.”
 
Ceria pointa une zone de la carte où une structure en dôme familière était reliée à ce qui ne pouvait qu’être une chambre secrète. Yvlon hocha la tête et Ksmvr et elle se penchèrent sur la carte, en se concentrant furieusement sur le point qu’avait entouré Ceria.
 
“Nous avons entrepris à de nombreuses reprises de visiter la deuxième cache, en vain. Il est possible que cette section ait déjà été explorée par d’autres aventuriers.”
 
C’était bien le problème : ils avaient une carte. Et elle était précise ; elle montrait Albez telle qu’elle avait été, une ville tentaculaire où des chambres et des passages secrets dissimulaient sans doute des trésors. Mais la carte ne reflétait pas la réalité actuelle.
 
Les trois Cornes de Hammerad étaient au sommet d’une petite falaise qui surplombait les ruines. Contrairement à la carte soignée de la ville, les ruines étaient, eh bien, un vrai fouillis.
 
De la poussière et des végétaux séchés constituaient le paysage de la tombe d’Albez. Mais Ceria ne pensait pas que la ville en elle-même soit tombée sous les coups de la magie ou de l’épée. Elle avait simplement… disparu dans la terre.
 
Peut-être qu’elle avait été recouverte par une coulée de boue. Ou qu’un séisme avait englouti la ville. Mais elle avait coulé sous la terre, et avait été recouverte par le temps et la poussière jusqu’à ce qu’une expédition l’exhume. Depuis l’or, toute la zone était devenue un bassin rempli de murs à moitié enterrés et de charmants gouffres qui reliaient le paysage souterrain au reste du monde. Et après ces nombreuses centaines d’années, ces milliers d’années, tout avait changé.
 
Une partie des ruines s’était inexplicablement retournée dans le sol. Des passages entiers s’étaient déplacés, et certains bâtiments sur la carte de Ceria se trouvaient au mauvais endroit. Pire encore, d’autres étaient au bon endroit, d’après ses analyses, ce qui rendait la fouille encore plus déroutante.
 
“Nous savons que le passage ici mène à une chambre secrète. Mais si on le suit, il ne nous mène à rien. Que des gravats et de la poussière. On pourrait peut-être trouver la pièce si nous avions une équipe d’[Excavateurs] et de [Mineurs], mais nous n’en avons pas.”
 
Ceria raya un autre site de trésor potentiel sur la carte avec un morceau de charbon. Elle contempla les zones restantes qu’ils avaient entourées presque une semaine plus tôt. Honnêtement, elle avait l’impression que cela faisait des décennies. Tout l’espoir qu’ils avaient eu s’était rapidement dissipé alors qu’ils allaient de zone en zone, creusant le sol friable dans l’espoir de trouver des traces d’un trésor qu’ils n’avaient jamais trouvé.
 
Yvlon plissa les yeux en regardant le morceau de tissu bleu en lambeaux accroché à un poteau de bois. Elle pointa du doigt.
 
“Nous avons trouvé ce marqueur juste au-dessus de la chambre que nous avions entourée là. Tu vois ? Je crois que quelqu’un a déjà dû s’approprier la zone.”
 
C’était probablement vrai. Ceria hocha la tête d’un air maussade. Les chercheurs marquaient souvent leurs trouvailles avec des drapeaux ou des signes magiques qu’eux seuls pouvaient lire au cas où ils tomberaient sur un butin plus imposant par la suite.
 
Ksmvr paraissait dérouté. Ou du moins, Ceria imaginait qu’il était dérouté. Il en avait tout l’air, en tout cas.
 
“Comment quiconque pourrait-il localiser une pièce secrète sans posséder une telle carte ? À moins que d’autres groupes n’aient obtenu des sources d’informations similaires ?”
 
“Pas nécessairement. Ils avaient peut-être un [Chasseur de Trésor]. C’est une classe rare, mais s’il était de haut niveau, il avait peut-être une compétence qui lui permettait de dénicher un gros magot.”
 
“Faut-il alors que nous partions du principe que tout a été pillé ?”
 
Ceria et Yvlon secouèrent instantanément la tête. Si cela avait été le cas, elles n’auraient pas ainsi risqué le tout pour le tout sur cette mission.
 
“Même ceux qui possèdent des compétences ne peuvent pas tout trouver. Surtout si les zones sont protégées. Nous n’avons juste pas eu de chance, ou sommes tombés sur des zones qui avaient déjà été fouillées. Il faut qu’on aille ailleurs aujourd’hui.”
 
“Et pourquoi pas par là ? Il y a plusieurs pièces qui devaient appartenir à une espèce de complexe. Et un passage là, et là... ça vaut peut-être le coup ?”
 
En examinant les zones qu’Yvlon avait pointées, Ceria dut admettre qu’il semblait y avoir un passage secret par là aussi. Elle hocha la tête.
 
“Je crois que cette zone correspond à la cuvette à l’est, pas vous ? On ira là-bas une fois que Pisces sera réveillé, alors.”
 
Il fallut lui donner plusieurs coups de pied avant que le mage ne daigne se réveiller. Il fut contrarié lorsqu’il se rendit compte qu’il ne lui restait qu’un tout petit peu de porridge pour le petit déjeuner, et encore plus lorsqu’il comprit qu’ils avaient décidé de leur prochaine étape sans le consulter.
 
“Je croyais que les aventuriers écoutaient toutes les opinions et prenaient des décisions éclairées, plutôt que de sauter sans réfléchir à une conclusion sans avoir toutes les cartes en main.”
 
“On aurait fait ça si tu t’étais levé plus tôt. Si tu as un endroit plus plausible que tu veux qu’on fouille, trouve-le.”
 
Il en fut incapable, ce qui le mit encore plus de mauvaise humeur. Les Cornes d’Hammerad levèrent le camp et se mirent à tracer précautionneusement leur chemin dans la neige en direction des Ruines, en laissant Ksmvr passer devant.
 
Le groupe circulait lentement dans les ruines, en guettant le moindre mouvement dans la neige ou le moindre bruit étrange. Les monstres étaient monnaie courante dans les sites magiques et Albez était une zone connue pour ses dangers.
 
Toutefois, mis à part une mauvaise rencontre avec un nid d’Araignées Cuirassées, les Cornes d’Hammerad n’avaient pas croisé beaucoup de monstres. Cela gênait Ceria. Elle n’aimait pas l’absence d’ennuis, surtout ici.
 
Sous Calruz, les Cornes d’Hammerad étaient allées par quatre fois dans les ruines d’Albez, en quête de trésors, comme toutes les autres équipes Argent. C’était pratiquement un rite de passage ; si on survivait à Albez, on était prêt à accepter des requêtes plus difficiles.
 
Mais même lors de leur expédition la plus facile - ils n’avaient croisé qu’un Mitours puis un groupe de Flâneurs Jaunes - Ceria ne se souvenait pas d’avoir déjà vu les ruines aussi… vides.
 
Elle s’éclaircit la gorge lorsque Ksmvr se jucha en haut d’un rocher pour scruter la zone, l’arc à la main. Il se tourna vers Yvlon et elle et Pisces s’arrêta pour écouter.
 
“Gardez l’œil ouvert et restez à l'affût des monstres. Inutile de les laisser nous prendre par surprise.”
 
C’était sans doute inutile de le répéter. Pisces ne se gêna pas pour renifler avec mépris et reprit sa route. Mais Yvlon et Ksmvr hochèrent la tête et redoublèrent de vigilance.
 
Et ils atteignirent enfin le site de fouilles qu’ils avaient choisi. Ceria contempla la pièce effondrée en contrebas et essaya de comparer les dimensions des gravats à l’une des pièces de la carte. Cela correspondait… vaguement.
 
“On dirait qu’on peut peut-être atteindre une autre pièce en avançant encore un peu. Vous voyez ?”
 
Les trois autres se serrèrent autour de la carte pour tenter de trouver un bon endroit où pénétrer dans l’hypothétique tunnel secret. Il était censé mener hors de l’une des pièces - des chambres résidentielles, d’après leur allure - dans une autre pièce plus vaste. Ce qui, pour résumer,  ressemblait exactement à une pièce secrète, mais trouver l’endroit exact allait s’avérer difficile.
 
À ce stade, bien sûr, les quatre membres de l’équipe savaient quoi faire. Yvlon et Ksmvr saisirent tous deux une pelle et choisirent deux zones séparées avant de se mettre à creuser, dans l’espoir de trouver un toit de pierre ou une autre partie du bâtiment.
 
Ceria les observa travailler, en montant la garde. À moitié optimiste. L’autre moitié…
 
“Nous ne trouverons jamais rien comme ça.”
 
Elle se tourna vers la droite. Pisces était debout à côté d’elle, et regardait Yvlon et Ksmvr avec un air dégoûté. Le premier jour, ils s’étaient relayés pour creuser jusqu’à avoir des ampoules aux doigts. À présent, les plus forts creusaient jusqu’à ce qu’ils pensent avoir trouvé quelque chose, auquel cas Pisces et Ceria venaient leur donner un coup de main.
 
“As-tu la moindre idée d’à quel point les pièces secrètes sont peut-être enfouies ?”
 
“Je sais. Normalement, on engagerait une équipe d’excavateurs, on aurait deux fois plus d’aventuriers et on aurait peut-être fait une alliance avec une autre équipe. Mais on n’a pas le temps pour ça - et n’importe quel autre groupe exigerait un partage égal du trésor, et essaierait peut-être même de se l’approprier dans sa totalité. Et… ni Yvlon, ni moi n’avons suffisamment de crédibilité pour persuader qui que ce soit de s’associer à nous, de toute façon.”
 
Ceria grimaça. Ils avaient été… mal accueillis à Esthelm. Les aventuriers qu’ils y avaient croisés leur avaient soit adressé leurs condoléances, soit affiché un franc mépris voire de la colère, envers elle, mais surtout envers Yvlon. Tous les aventuriers locaux avaient connu quelqu’un qui était mort dans la crypte.
 
“Au lieu de cela, nous avons donc deux ouvriers inexpérimentés et deux mages non spécialistes de la magie de la terre ? Ce n’est guère mieux.”
 
Pour une fois, elle ne pouvait pas réfuter son argument. Ceria grimaça.
 
“Nous sommes partis sans préparer de plan. On aurait dû faire davantage de préparations, planifier tout ça.”
 
C’était l’excitation d’avoir trouvé la carte. Il avait supplanté leur bon sens et même Yvlon et Ceria avaient ignoré leur instinct qui leur dictait de prendre au moins un mois pour se préparer et d’attendre d’avoir trois fois plus d’argent au moment où elles avaient fait un emprunt à Erin. Mais elles avaient espéré.
 
Pisces hocha la tête d’un air sombre. Il avait une tache fraîche de porridge sur le col de sa robe.
 
“Je m’en veux.”
 
“Oh, vraiment ?”
 
“J’aurais dû prévoir ce qui allait se passer. Et insister pour que nous utilisions mes créations pour accélérer le processus.”
 
“Pisces. On en a déjà discuté.”
 
“En effet. Mais tu ne m’as pas encore réellement écouté.”
 
Ceria soupira. Elle s’était déjà pris le bec plusieurs fois avec Pisces, mais cette fois, il avait l’air déterminé à se faire entendre. Impossible de le distraire à ce stade-là.
 
“Tu sais l’opinion que se fait Yvlon des morts-vivants.”
 
“Je sais.”
 
“Invoquer les morts reste un crime dans le nord, à moins d’avoir conclu un accord avec les villes locales - ce qui n’est pas ton cas.”
 
“Très vrai.”
 
“Et donc ?”
 
“Sans mes morts-vivants, nous ne creuserons jamais suffisamment. Nous ne ferons qu’exhumer des structures déjà trouvées par des équipes précédentes, ce que nous avons fait toute la semaine. Il te faut une main-d’œuvre inépuisable ; j’ai les moyens d’en créer une. Tout ce qui m’en empêche est ton dégoût.”
 
C’était un argument rationnel, délivré d’un ton calme et posé. Cela ressemblait tellement au Pisces qu’elle avait connu que Ceria ne put s’empêcher de lui jeter un regard en coin.
 
Oui. Si on passait outre les cheveux et les vêtements sales, il restait des traces du jeune homme qu’elle avait connu. Toujours à l’état de traces. Elle hésita.
 
“Tout de même.”
 
“Springwalker, je sens des cadavres sous nos pieds. Il y en a suffisamment pour que j’anime plusieurs squelettes, au minimum. Probablement plus si besoin est.”
 
Pisces regarda Ceria droit dans les yeux, comme il le faisait à l’époque. Ses yeux étaient focalisés sur elle, et il avait cette ancienne intensité, cet ancien regard à moitié fou de détermination dans ses yeux.
 
“Qu’est-ce qui importe le plus ici, Ceria ? Ta fierté ou le succès ?”
 
Cela réglait la question. Ceria ferma les yeux et haussa la voix.
 
“Yvlon !”
 
Lorsque l’aventurière s’approcha, Ceria expliqua l’argument de Pisces en quelques mots. Le visage d’Yvlon se ferma et elle regarda Pisces. Il soutint calmement son regard.
 
“Pisces a raison. Nous ne cessons d’exhumer des ruines déjà vidées. IL va peut-être falloir que nous creusions plus profondément et notre temps est presque écoulé. Ses morts-vivants représentent peut-être notre seule chance. Qu’en penses-tu ?”
 
La guerrière aux cheveux d’or paraissait mécontente. Elle n’avait pas été ouvertement hostile envers Pisces pendant le voyage, mais là encore, elle ne l’avait pas non plus laissé invoquer des morts. Elle repoussa une mèche de cheveux sale de son visage.
 
“C’est toi la Capitaine, Ceria. Si tu penses que ça vaut le coup, je ferai avec.”
 
Son ton et sa position indiquaient clairement qu’elle ne voulait pas que Ceria accepte. Mais Ceria avait déjà pris sa décision.
 
“D’accord, Pisces. Vas-y.”
 
Pisces hocha la tête. Il se leva et leva les mains. Il ne gesticula pas avec grandiloquence, il ne fanfaronna pas. Mais Ceria sentit son mana se concentrer et sonder le sol sous leurs pieds. Elle frissonna, consciente de ce qu’il cherchait.
 
“Ceria ? Est-ce qu’il fait quoi que ce soit de… mal ?”
 
La voix d’Yvlon était calme, mais elle fixait intensément le visage de la Demi-Elfe. Ceria savait ce qu’Yvlon devait ressentir - ce n’était pas comme si elles avaient aimé les morts-vivants avant les ruines. Et à présent…
 
“Rien de mal, ou du moins magiquement parlant.”
 
“Tu es sûre que c’est le seul moyen ?”
 
“Le meilleur que l’on possède. Je n’en suis pas ravie non plus. Tu le sais. Mais c’est sa classe principale, Yvlon. C’est un bon mage, mais il a toujours été extrêmement doué sur ce qui le passionnait. En tant que [Nécromancien], il est puissant. Laisse-le faire, juste une fois.”
 
Les lèvres de l’ancienne Capitaine se tordirent, mais elle ne voulait clairement pas remettre en question la décision de Ceria en public. Elle secoua la tête et planta sa pelle dans la terre.
 
“Je vais monter la garde avec Ksmvr. S’il lève les morts, autant les laisser bosser.”
 
Ceria hocha la tête avec gratitude, et regarda Yvlon rejoindre Ksmvr. Quelques secondes de discussion plus tard, ils s’éloignèrent pour faire le guet, la laissant seule avec Pisces.
 
“Levez-vous. Levez-vous, quittez votre lieu de repos à ma demande. Creusez la roche et la terre de vos mains pour me rejoindre et obéir à mes ordres…”
 
Il parlait à la terre, sa voix basse et audiblement infusée des échos qui résonnent lorsque l’on jette un enchantement. Ceria secoua la tête en sentant la magie le quitter et pénétrer dans la terre.
 
“Est-ce que c’est nécessaire ? Tu ne peux pas simplement jeter une [Ressuscitation] ?”
 
Pisces frissonna et cligna des yeux en sortant de la transe au sein de laquelle il avait jeté le sort. Ceria le rattrapa avant qu’il ne s’effondre et le relâcha immédiatement. Il cligna des yeux puis hocha brièvement la tête.
 
C’était tellement… difficile de faire comme si de rien n’était avec lui. Au moins, cette fois, Pisces ne renifla-t-il pas d’un air méprisant.
 
“Ce n’est pas si simple lorsque l’on ne se cantonne pas aux sorts préexistants. Tu devrais le savoir, Ceria. je te l’ai dit, si tu jettes toujours un sort de la même façon, tu n’apprends rien.”
 
“D’accord. Tu as donc improvisé. J’imagine que tu jettes plusieurs sorts de ressuscitation à distance ?”
 
“[Ressuscitation de Squelettes], plus exactement. Je me suis rendu compte que ce sont les plus efficients en ce qui concerne le rapport qualité/mana.”
 
“Oh, très bien.”
 
Pisces pointa un carré de terre devant eux.
 
“Il y a un groupe de cadavres conséquent sous nos pieds. Cela indique peut-être qu’une pièce secrète se trouve bel et bien ici.”
 
“Cela signifie peut-être qu’elle a déjà été vidée.”
 
“Peut-être. Ou qu’elle a été découverte, mais que personne n’a jusqu’alors réussi à y pénétrer. Dans tous les cas, j’ai invoqué plusieurs squelettes qui vont pouvoir nous assister pour creuser.”
 
Ceria regarda fixement le sol. Elle ne vit pas les secousses dans la terre ni les mains griffues sortant du sol qui précédaient d’ordinaire un zombie avant qu’il n’essaie de la bouffer.
 
“Il y a un truc qui les ralentit ? Ou tu leur as juste dit de prendre leur temps ?”
 
Pisces fronça les sourcils en entendant la pique et Ceria regrettant immédiatement ses mots. Le sort était puissant ; elle le voyait suer légèrement malgré le froid.
 
“Ils doivent parcourir une distance considérable. Dommage que tu n’aies pas pu te souvenir d’où se trouvait la Liche, Springwalker.”
 
“Tu ne peux pas animer de Liches, Pisces.”
 
“Peut-être pas à partir de rien. Mais si j’avais les os de l’une d’elles…”
 
“Tu pourrais l’animer ? Vraiment ?”
 
“Peut-être. J’aimerais étudier son sort d’animation, dans tous les cas.”
 
La Demi-Elfe jeta un regard en coin à celui qui avait été son ami qui marmonnait dans sa barbe. Il se pensait capable de créer une Liche ? Ou bien d'apprendre le sort pour en créer une ?
 
C’était… inquiétant. Une Liche n’était pas un mort-vivant de très haut niveau, loin de là. Mais c’était un monstre puissant. Suffisamment puissant pour que, si Pisces pensait pouvoir en animer une à lui seul, il soit plus fort que ce que pensait Ceria.
 
“Tu en es à quel niveau, maintenant ? Dans ta classe de [Nécromancien], je veux dire.”
 
Le mage cessa de marmonner dans sa barbe. Il se tourna pour la regarder fixement.
 
“Qu’est-ce que cela peut bien te faire ? Ne m’as-tu pas dit, la dernière fois où nos chemins se sont séparés, que tu ne voulais plus jamais entendre parler de moi ?”
 
“C’était alors. Nous nous retrouvons finalement à travailler de nouveau ensemble.”
 
“Oui. J’imagine que je dois remercier Erin Solstice pour cela.”
 
“Peut-être bien. À moins que tu ne comptes la maudire pour cela ?”
 
“Ce n’est pas moi qui avais des réserves pour travailler avec toi, Springwalker. C’est toi qui m’as dit que tu ne voulais pas voyager avec moi.”
 
“Oui. C’est vrai.”
 
Ceria aurait beaucoup aimé utiliser un bâton comme celui que Sostrom traînait partout avec lui. Certes, ce serait encombrant, mais cela aurait été tellement agréable de s’appuyer dessus. Elle se contenta de s’asseoir sur un rocher.
 
“Je n’ai pas vraiment changé d’avis sur la nécromancie depuis lors. Ne sais-tu donc pas que les morts-vivants ont tué mon équipe et celle d’Yvlon ? Ils ont tué nombre de mes amis.”
 
Pisces se contenta de secouer la tête.
 
“Les morts-vivants n’ont pas de conscience. Ou plutôt, la plupart. Ceux qui sont sous mon commandement n’ont rien à voir avec ces créatures errantes.”
 
“Certains diraient qu’il n’y a guère de différence. Si tu perds le contrôle, ou que tu te fais tuer, ils restent dénués de conscience.”
 
“Seulement si je n’atteins pas mes objectifs.”
 
“Tu es encore là-dessus ? Je pensais que tu aurais abandonné l’idée. Tu n’as certainement pas l’air d’avoir fait beaucoup de progrès.”
 
À sa grande surprise, Pisces sourit au lieu de se vexer à sa pique. Cela la rendit méfiance. Mais il se tourna vers le carré de terre et elle entendit des bruits de creusement. Le premier squelette était en train de s’exhumer du sol.
 
“Oh, parfait. Les excavateurs sont arrivés. Mets-les au travail, tu veux bien ?”
 
Yvlon et Ksmvr regardèrent la scène de leurs positions et cinq squelettes s’arrachèrent à la terre pour rejoindre le premier que Pisces avait invoqué. Deux se saisirent d’une pelle, les autres se contentèrent de creuser la terre à mains nues.
 
Yvlon se détourna lorsque les squelettes aux yeux de flammes se mirent au travail. Ksmvr se contenta de les regarder avec intérêt. Ceria s’assit sur un rocher à côté de Pisces et ils discutèrent dans l’air glacé.
 
“Cela paraît étrange que Ksmvr ne creuse pas mieux que ça.”
 
“Il n’a pas été créé pour ça, Springwalker. Il a peut-être le même corps qu’un ouvrier, mais il lui en manque clairement l’expérience.”
 
“Toutes choses doivent obéir à leur objectif premier, hein ? Je suis étonnée que tu dises cela.”
 
“Je ne suggère pas que c'est efficace. Je ne fais qu’énoncer des faits. Ne mésinterprète pas mal mes paroles.”
 
“… Désolée.”
 
Ils restèrent un moment assis en silence en regardant les squelettes se mettre au travail. Ils se déplaçaient avec une vitesse louable malgré le froid et, s’ils étaient plus faibles que Ksmvr et Yvlon, ils étaient infatigables Ceria était déjà en train de se demander pourquoi ils ne s’en étaient pas servis plus tôt, avant de se rappeler la raison exacte pour laquelle elle n’en avait pas eu envie.
 
“On dirait qu’ils vont pouvoir creuser sur une bonne distance avant la tombée de la nuit. Ça va peut-être marcher.”
 
“Nous ne pouvons que l’espérer.”, grogna Pisces en contemplant ses créations. Son estomac émit un gargouillis parfaitement audible malgré le vent. Comme pour lui répondre, celui de Ceria fit de même.
 
“C’est drôle, non ? Quelques années plus tôt, on aurait été dans la grande salle, en train de nous empiffrer en lisant des grimoires.”
 
“Certes.”
 
“... Est-ce que ça te manque ?”
 
“Bien sûr.”
 
Sa voix était douce. Pisces contempla ses morts-vivants, se remémorant cette époque tout comme elle.
 
“Mais le passé est le passé. Je l’ai abandonné pour vivre ma passion. Inutile de regarder en arrière.”
 
“Pour toi, peut-être. Je me demande ce qui aurait pu se passer si… tu étais un meilleur mage autrefois, quand tu ne pratiquais pas la Nécromancie.”
 
Les mots, amers malgré le temps qui s’était écoulé, venaient d’un recoin sombre du cœur de Ceria. Mais elle ne put s’empêcher de les prononcer. Cette fois-ci, Pisces ne lui répondit pas d’un ton sec. Il se contenta de hausser les épaules d’un air las.
 
“Certains le pensent. Mais j’étais un généraliste à cette époque ; un valet sans spécialité. La Nécromancie a toujours été ma passion. J’avais peut-être l’avantage du soutien populaire, mais c’est tout. Qui acclamerait un mage sans spécialité ni vocation ?”
 
Moi, je te respectais. Mons aussi, et un tas d’autres gens.”
 
“Ah.”
 
Il n’avait pas grand-chose à répondre à ça. Pisces regarda les mottes de terre voler et deux squelettes en train d’essayer de soulever une grosse pierre d’un trou qu’ils avaient creusé.
 
“Mons. Oui. Que lui est-il arrivé ? Je n’ai pas entendu parler de mages qui t’auraient rejoint lorsque tu as quitté Wistram. Est-ce qu’elle est…”
 
“Elle est restée étudier à Wistram. Qui sait ? Elle est peut-être une meilleure [Mage] que toi ou moi, à présent.”
 
“Hah. Peut-être. Elle connaît sans aucun doute davantage de sorts, au moins.”
 
Ils éclatèrent de rire à l’idée. Puis ils se turent. Ceria sentait ce qui allait se passer, mais sa langue ne cessait de la pousser vers l’avant.
 
“Tu sais, même si tu étais devenu un [Nécromancien], cela n’aurait peut-être pas été grave si tu n’avais pas…”
 
“Je te l’ai dit, j’avais un objectif lorsque j’ai fait ça.”
 
“Mais tu n’as même pas demandé la permission.”
 
“Je n’en avais pas besoin. Cognita me l’avait dit. Les règles qu’ils avaient créées…”
 
“C’est le principe du truc, Pisces. Tu leur as craché à la figure et leur as dit…”
 
Le mage l’interrompit. Son visage était tendu, creusé, et Ceria savait qu’il revivait le même moment qu’elle.
 
“J’ai… fait une erreur. Mais j’ai fait ce que je pensais être le mieux. C’est du passé, à présent. Reprendre la même vieille dispute n’aurait aucun intérêt. Tu ne parviens pas à comprendre ma position, comme à l’époque.”
 
“J’imagine, oui. Mais tu dois bien admettre que cela ne s’est pas terminé comme tu l’espérais.”
 
“Non. En effet. Je l’ai compris, à présent.”
 
C’était la première fois qu’elle l’entendait admettre qu’il avait eu tort. Ceria dévisagea Pisces, surprise.
 
“Vraiment ?”
 
Il haussa les épaules.
 
“Des événements récents m’en ont fait… regretter la manière dont cela s’est terminé. C’est tout.”
 
“Oui. Oui. Ni toi ni moi ne sommes vraiment dignes du diplôme de Wistram, pas vrai ?”
 
“Non. Mais j’ai été stupéfié de recevoir un message de ta part. Je ne savais même pas que tu étais encore sur le même continent que moi. Qu’est-ce qui t’a décidé à venir ici ?”
 
“Je suis venue en Izril pour gagner de l’argent. Pour devenir une meilleure aventurière, comme je ne pouvais pas rester à Wistram.”
 
“Pourquoi pas Baleros ? Ou Chandrar ?”
 
“Trop loin, et trop violent. Pour les deux, honnêtement. Je ne voulais pas rejoindre une Compagnie ; je voulais faire mes propres choix.”
 
“Hmm.”
 
Ceria jeta un regard en coin à Pisces.
 
“Et toi ? Pourquoi as-tu décidé de devenir aventurier ? Ne m’avais-tu pas juré que tu allais tracer ta propre route ?”
 
“Je… j’ai besoin de gagner des niveaux. Voilà tout.”
 
“Vraiment ? Mais tu ne vas pas en gagner beaucoup juste en jetant des sorts.”
 
“Certes. Mais… eh bien, je cherchais peut-être autre chose.”
 
“Quoi donc ?’
 
“Une dernière chance.”
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 05 décembre 2021 à 15:47:53
3.02 H Partie 2
Traduit par EllieVia
6450 mots

“Pour quoi faire ?”
 
Il hésita. Pisces fixa ses pieds, et le vent glacé fit voler sa robe autour de lui.
 
“Pour…”
 
En contrebas, dans le fossé qu’ils avaient creusé, l’un des squelettes leva sa pelle et la plongea dans une motte de terre. La terre autour de lui s’effondra, et le mort-vivant disparut.
 
La terre gronda et de la terre et des cailloux se mirent à glisser. Instantanément, Ceria et Pisces reculèrent, et sentirent le sol sous leurs pieds bouger légèrement.
 
Un effondrement ! Mettez-vous en sécurité !”, cria à Ceria à Yvlon et Ksmvr lorsque les secousses s’amplifièrent. Elle recula en chancelant, cherchant une zone sûre des yeux, et attrapa Pisces qui trébuchait derrière elle.
 
Les effondrements représentaient un grave danger dans les vieux donjons et les endroits de ce genre. Il était tout à fait possible de se faire avaler par la terre. Ceria vit Yvlon et Ksmvr courir vers un gros affleurement rocheux dans l’espoir d’être en sécurité sur la roche. Elle essaya de les rattraper.
 
Et alors, aussi vite qu’il était apparu, l’affreux grondement cessa. Ceria se retourna en tremblant et vit Pisces se relever. Il épousseta sa robe puis se retourna pour regarder lui aussi.
 
“Chancre. Regarde-moi ça.”
 
Un immense gouffre béant s’était ouvert sous les pieds des squelettes. Ceria en voyait deux remonter, mais pas les quatre autres.
 
“Piège magique ! À terre !”, hurla Pisces, et Ceria plongea immédiatement au sol. Elle vit Yvlon et Ksmvr qui se précipitaient en courant vers eux faire de même. Elle se retourna pour regarder et vit ce qui avait alerté Pisces.
 
De gigantesques rubans de flammes qui se tordaient et s’entrelaçaient comme des serpents brûlaient sur les gravats qui étaient retombés. Les flammes n’étaient pas rouge et orange ; elles étaient bleues, et faisaient déjà fondre la pierre et s’envoler la terre en fumée qui commença à s’élever du trou.
 
“Pisces. Est-ce qu’il nous vise… ?”
 
“Non. Laisse-moi voir.”
 
Le mage leva sa tête et se concentra. Deux de ses squelettes approchèrent du trou.
 
“J’ai perdu trois squelettes. Deux ont été incinérés, l’autre a été écrasé. Le dernier est coincé sous un tas de terre. Les deux autres ne sont pas visés - on dirait qu’on a déclenché un piège de zone.”
 
“Remercions les fleurs pour cela.”
 
Ceria soupira et laissa se dissiper un peu de la tension qui l’avait saisie. Elle avait espéré qu’il se passerait quelque chose, mais elle ne s’était pas attendue à ça.
 
“On a creusé juste au-dessus de ce couloir secret, pas vrai ? Et on dirait que ça mène aux quartiers d’un [Mage].”
 
“On dirait, oui.”
 
Pendant un instant, les deux mages contemplèrent les flammes dansantes. Ceria était déjà en train d’essayer d’analyser le sort : la quantité de mana qu’elle sentait dans les flammes et la façon dont elles consumaient instantanément l’énorme quantité de pierre et de terre sur leur passage lui indiquait qu’ils venaient de tomber sur un sort incroyablement puissant. Quel Échelon ? Échelon 5 ? 6 ?
 
“Ceria ! Pisces ! Tout va bien ?”
 
La voix d’Yvlon résonna et Ceria réalisa que Ksmvr et elle ne pouvaient sans doute pas voir comme elle ce qu’il se passait. Elle se releva tant bien que mal et agita la main vers les deux silhouettes à plat ventre en train de ramper vers eux.
 
“Tout va bien ! Les squelettes ont traversé le toit d’une nouvelle zone ! Les pierres ont dû déclencher des protections magiques en tombant. Restez tous vigilants !”
 
Yvlon et Ksmvr se relevèrent. Ils vinrent à la rencontre de Pisces et Ceria qui étaient en train d’essayer de s’épousseter.
 
“Nous avons juste entendu un grondement lorsque la terre s’est mise à s’effondrer. Heureusement qu’on n’était pas plus près.”
 
“En effet. Cela aurait sans doute résulté en une immolation douloureuse pour nous tous.”
 
Les deux humains et la Demi-Elfe regardèrent fixement Ksmvr. Il soutint leur regard.
 
“À moins que Pisces ou Ceria ne connaissent des sorts ignifuges très puissants ?”
 
“Non.”
 
“Nope.”
 
“Tu as probablement raison, Ksmvr. Merci d’avoir partagé ton opinion.”
 
Les quatre aventuriers se focalisèrent de nouveau sur le gouffre. Yvlon siffla.
 
“Les flammes ne se sont toujours pas éteintes ? Ça doit être un sacré piège magique. Ils cherchaient à tuer qui ? Des Aventuriers Légendaires ?”
 
“Ah. C’est…”
 
“C’est probablement…”
 
Ceria et Pisces s’interrompirent. Ils avaient tous deux parlé en même temps. Ils échangèrent un regard puis Ceria expliqua.
 
“Nous avons touché la matrice de liaison du sort. C’est pour ça qu’il ne s’est pas encore arrêté. Tout le mana est en train d’être vidé et il ne se rechargera pas quand ce sera fini.”
 
“Oh. Je vois.”
 
Ksmvr regarda dans le gouffre.
 
“Est-ce que je peux me permettre de demander la nature de ce sort ? Il a l’air d’être principalement tourné sur de la magie de proximité. Est-ce qu’il possède des composants inhabituels ?”
 
C’était ce que Ceria avait cherché à comprendre. Elle se frotta le menton.
 
“Je ne suis pas sûre. C’est un piège pyromancique, c’est sûr. Mais des flammes bleues ? On dirait une variation du sort de [Serpent de Flammes] dont on avait lu la description, tu te souviens ?”
 
Pisces hocha la tête d’un air absent.
 
“Une version améliorée. Les flammes bleues et la chaleur extrême en attestent très clairement.”
 
“Clairement. Probablement impossible à bloquer s’il nous tombait dessus d’un coup.”
 
“En effet. Les murs sont probablement renforcés pour éviter une fuite subite. Est-ce qu’un mur piégé aurait pu bloquer l’issue ?”
 
“Peut-être…”
 
Yvlon regarda les deux mages.
 
“Alors, verdict ?”
 
Ceria hocha la tête.
 
“Excellent. C’est un sort puissant. Et il était tout frais. Personne ne l’a jamais déclenché ou nous aurions vu des traces de brûlures. Il y a de bonnes chances que personne avant nous n’ait jamais exploré cet endroit. Et mieux encore…”
 
“Ce qu’ils protégeaient était sans doute tout aussi précieux.”
 
Pisces sourit, et Yvlon aussi. Ksmvr souleva légèrement ses mandibules.
 
“C’est une bonne chose, n’est-ce pas ? Est-ce que nous devrions descendre lorsque les flammes se seront éteintes ?”
 
“Pour sûr. Préparez-vous, tout le monde ! On y va !”
 
Saisie d’un regain d’énergie, Ceria se mit à invoquer davantage de mana dans sa main squelettique en révisant ses sorts. Yvlon mit un heaume et se mit à balancer légèrement son épée. Ksmvr s’arma de son épée courte et d’un couteau pour les combats rapprochés. Pisces rappela ses deux squelettes.
 
L’humeur du groupe avait complètement changé en l’espace de quelques secondes. La pression de leur mort imminente - mais, plus encore, l’idée qu’ils aient peut-être trouvé quelque chose de vraiment important - les avait emplis du même espoir brûlant qu’ils avaient eu au début de leur aventure. Ceria pouvait à peine contenir son enthousiasme en attendant que le sort s’achève.
 
“Inutile d’entrer avant au moins une demi-heure après que les flammes ne se soient éteintes. La chaleur là-dessous doit être intense.”
 
En effet, les pierres fumantes irradiaient d’une chaleur intense qui semblait complètement ignorer l’air glacé. Ceria était déjà en train de s’échauffer alors qu’elle était loin du gouffre. Pisces contempla l’entrée du tunnel, contenant à grand-peine son excitation.
 
“Je pourrais jeter [Vent Glacé] pour accélérer le processus de refroidissement.”
 
“Économise ton mana. Nous ne savons pas ce qui se trouve là-dessous. D’ailleurs… on va commencer le leurre. Je pensais utiliser la méthode de la boule d’argile, mais pourquoi ne pas prendre un de tes squelettes.”
 
“Pas bête. Allons-y.”
 
Même Yvlon ne protesta pas lorsque Ceria et Pisces se mirent à préparer l’un des squelettes. Seul Ksmvr était décontenancé. Il contempla les deux mages en train de donner des objets au squelette et de marmonner des idées d’enchantements.
 
“Excusez-moi. Que se passe-t-il ?”
 
Ceria s’interrompit en tendant un gros caillou au squelette. Pisces était occupé à préparer une torche qu’il essayait d’allumer.”
 
“Oh. Tu n’as jamais vu d’aventuriers pénétrer dans un donjon piégé, pas vrai Ksmvr ?”
 
“Non. Par conséquent, quel est l’intérêt d’équiper ainsi un squelette ?”
 
Cette fois-ci, Yvlon se chargea des explications. Elle montra le squelette du doigt tandis que Ceria y jetait un enchantement. Une boule de lumière se mit à briller autour de la tête du squelette, émettant une lumière qui s’ajoutait à la lumière de la torche dans son autre main.
 
“Quand on entre dans des donjons, on fait toujours attention aux pièges. Ils tuent davantage que les monstres, la plupart du temps. Si on avait un [Roublard] ou un [Éclaireur], on pourrait s’appuyer sur leurs Compétences de détection de pièges, mais nous n’en avons pas. Et même là, c’est très risqué pour la personne qui passe devant. La plupart des aventuriers qui mènent la marche… ne survivent pas.”
 
Ceria hocha la tête d’un air sombre. Elle ne voulait pas penser au nombre d’amis qu’elle avait dû enterrer après qu’ils aient rencontré un piège ou la griffe d’un monstre. Yvlon affichait la même expression lorsqu’elle reprit la parole.
 
“Et c’est pour cette raison qu’on essaie de trouver des moyens de déclencher les pièges avant d’entrer. L’une des méthodes les plus communes est de tirer une flèche sur un fil piège ou un piston lorsqu’il est visible, mais de nombreux pièges sont magiques. Les aventuriers font donc rouler quelque chose dans un couloir suspect - on utilise des boules d’argile si on n’a rien d’autre. Mais beaucoup de pièges possèdent des détecteurs beaucoup plus sophistiqués.”
 
“D’où l’idée d’utiliser les morts-vivants. Ils ne déclencheront peut-être pas les pièges qui détectent les êtres vivants, mais en lui donnant une source de chaleur et le poids d’un aventurier normal, celui-ci déclenchera sans doute la plupart des pièges. Et l’équipement magique déclenche aussi un bon nombre de pièges.”, expliqua Pisces en faisant avancer le squelette au bord du couloir exhumé. Ceria hocha la tête.
 
“Avec un peu de chance, ce n’est pas un piégeur trop expérimenté. Si ce sont les quartiers personnels d’un mage - eh bien, ils sont rarement doués pour différencier les mécanismes d’activation des sorts. ON aura peut-être tous les pièges de cette façon.”
 
“Excusez-moi. Je suis de nouveau perturbé. Je croyais que c’était un donjon. Pourquoi parlez-vous des quartiers personnels d’un mage ?”
 
“C’est… difficile à expliquer, Ksmvr. On parle de 'donjon', mais cela ne signifie pas forcément qu’il s’agissait d’un château fort. Je crois qu’Albez était une ville qui s’est enfoncée dans la terre au fil des ans.”
 
“Oh. Je vois.”
 
L’Antinium réfléchit.
 
“Nous sommes donc, en fait, très probablement en train d’entrer par effraction dans les quartiers personnels d’un individu ?”
 
Ceria, Pisces et Yvlon échangèrent des regards.
 
“En quelque sorte.”
 
“Avec un peu de chance.”
 
“Ou le trésor d’une guilde ou d’un riche. C’est toujours sympa.”
 
“Alors, pourquoi tous ces pièges ? Le sort dont nous venons d’être témoins me paraît excessif ?”
 
Ceria haussa les épaules.
 
“La paranoïa. C’est d’ordinaire parce que les gens possèdent quelque chose d’important qu’ils ne veulent pas se faire voler. Et les mages puissants, d’un niveau avoisinant les 50 ? Ils devaient avoir accumulé beaucoup d’ennemis, beaucoup d’artefacts et d’objets de valeur au fil des ans. Leurs maisons ont tendance à se transformer en lieu d’épreuves miniature jusqu’à leur mort.”
 
Yvlon acquiesça.
 
“Dans certains cas, les protections sont justifiées. Imagine à quel point les objets qu’ils possèdent peuvent être puissants ? Mais par ailleurs, les donjons artificiels - ceux que les gens créer dans le but exclusif de protéger un objet très rare - sont les pires. Là, c’est plus comme placer quelques wards privés dans sa maison. Mais les donjons construits pour tuer un grand nombre d’individus ? Ce sont de véritables pièges mortels.”
 
“Vraiment ? Comment cela ?”
 
Ksmvr n’eut presque pas à les lancer sur le sujet. Même Pisces connaissait des histoires au sujet des horreurs que des aventuriers avaient trouvées dans des ruines.
 
“J’ai entendu parler d’un donjon où les créateurs avaient placé un piège de brume empoisonnée invisible à l’entrée. Et les aventuriers nettoyaient le donjon en mourant lentement. Des centaines d’équipes entraient sans problème, mais aucune n’en ressortait.”
 
“Et celui avec les douches acides ? Vous en avez entendu parler ? Il se déclenchait à cinq cents mètres de l’entrée et inondait tous les couloirs. Si son temps de réactivation n’avait pas été si long, il aurait éliminé toutes les équipes qui y pénétraient.”
 
“J’ai entendu parler d’un mage qui se contentait de téléporter les gens dans un piège au fond d’un gouffre au milieu du substrat rocheux. Ils n’avaient aucun moyen de sortir et finissaient par mourir de faim.”
 
“J’ai entendu parler de celui-là moi aussi ! Les [Mineurs] qui ont fini par localiser le piège - ils ont trouvé des aventuriers encore en vie, non ? Ils avaient mangé tous leurs amis et survivaient en mangeant leurs bottes.”
 
“Ce n’est qu’un mythe. Personne n’aurait assez d’oxygène pour survivre là-dessous.”
 
“J’ai entendu dire qu’ils avaient une amulette.”
 
“D’accord, mais même…”
 
Médusé, Ksmvr les regarda tous tour à tour.
 
“Vous avez l’air d’un optimisme inhabituel face à des situations graves auxquelles nous sommes nous-mêmes susceptibles de faire face.”
 
“C’est en partie ce que cela signifie d’être aventurier, Ksmvr. Nous risquons tout, donc autant rire un peu au cas où le pire advienne.”
 
Ceria éclata de rire. Même Yvlon sourit à l’Antinium.
 
“Nous remontons le moral des troupes avant d’entrer dans le donjon. Ne t’inquiète pas - nous sommes tous inquiets. Mais mieux vaut dire des blagues plutôt qu’attendre en silence.”
 
Ksmvr réfléchit à ces paroles, puis hocha la tête.
 
“J’apprendrai donc de cette expérience. Merci de me l’avoir expliquée.”
 
Bizarrement, cela les fit rire encore plus fort. Parce que c’était bizarre et qu’ils s’apprêtaient à pénétrer dans un lieu où ils allaient peut-être mourir. Ceria jugea bientôt le gouffre suffisamment refroidi pour pouvoir y entrer, et une fois qu’ils y eurent envoyé le squelette, le reste de l’équipe glissa sur la roche fondue et pénétra dans le tunnel abandonné.



***




“D’accord, ça, c’était un sale piège à flèches. Pisces, c’est toi qui marches devant, maintenant.”
 
Ceria regarda fixement la flèche empoisonnée qui avait proprement traversé les côtes du squelette avant de voler en éclats sur le mur, loin derrière. Elle ne voulait même pas toucher la flèche au cas où elle serait toxique, elle aussi.
 
Pisces secoua la tête. Il pointa un doigt et le squelette se remit à avancer en trottinant.
 
“Je vais rester derrière les deux guerriers, merci bien. Ils ont une armure. Moi pas.”
 
“Tu as ton anneau. Il t’aurait probablement sauvé la vie.”
 
Ceria regarda le squelette avancer encore d’une quinzaine de pas dans les ténèbres et tourner à l’angle. Le tunnel qu’ils avaient trouvé était long et sinueux et c’était le deuxième piège sur lequel ils tombaient. Le premier s’était facilement déclenché lorsque Ksmvr y avait tiré une flèche et avait relâché un redoutable jet d’acide. Le deuxième avait été déclenché par le squelette et Ceria avait peur qu’il y en ait d’autres.
 
Il s’était écoulé plusieurs heures depuis que les Cornes d’Hammerad avaient pénétré dans le tunnel. Malgré cela, ils n’avaient pas fait plus de quatre-vingts pas, car tous les quatre prenaient un soin épouvantable à vérifier que chaque centimètre de couloir était dépourvu de pièges.
 
Ils étaient tous équipés de longs bâtons avec lesquels ils tâtaient le mur, le plafond, et le sol, et Pisces envoyait régulièrement ses deux squelettes devant pour marcher et taper sur les murs dans l’espoir de déclencher quelque chose. Même lorsqu’ils se croyaient en sécurité, les Cornes d’Hammerad marchaient à la file indienne, en laissant Ksmvr et Yvlon avancer un bon moment avant que les deux autres ne les rattrapent prudemment.
 
“Ce tunnel ne peut pas être encore bien long. La carte montre qu’il mène à un grand espace droit devant, pas vrai ?”
 
Ceria n’eut même pas besoin de jeter un œil à la carte dans son sac. Elle acquiesça.
 
“Tout à fait. Avec un peu de chance, on y arrivera avant la nuit. Sinon… on pourrait monter le camp ici.”
 
Là encore, ce fut Yvlon qui accepta calmement ce fait ; elle s’y était probablement attendue, et Ksmvr s’en remit immédiatement à sa décision. Mais Pisces fronça les sourcils.
 
“Monter le camp ici ? Mais ce couloir est complètement à découvert ! Nous devrions tâcher d’en atteindre le bout avant la nuit - je ne veux pas qu’on se fasse coincer par un monstre ici.”
 
“Mieux vaut camper ici que trop se précipiter, Pisces.”
 
Pisces lui rendit au quintuple le froncement de sourcils que Ceria lui adressa. Elle détestait la façon qu’il avait de toujours remettre ses décisions en question. Elle savait bien qu’il avait hâte - elle se souvenait avoir connu le même sentiment et avoir eu la même conversation par le passé. Mais elle avait déjà été témoin de ce qu’il se passait quand on agissait dans la précipitation.
 
Pisces claqua ses dents lorsque Ceria répondit.
 
“Nous ne prenons aucun risque. Même si cela signifie que nous devions prendre deux jours au lieu d’un - même si nous devons quitter cet endroit et revenir avec des provisions plutôt que de prendre le risque d’avancer sans risque, on le fera. En l’état, nous sommes encore beaucoup trop près du rayon du piège si nous tombons sur un piège de zone. Nous risquons déjà beaucoup en ce moment même, Pisces. Je ne nous ferai pas nous précipiter vers la mort.”
 
Il claqua encore quelques fois des dents, de toute évidence mécontent. Mais il finit par soupirer.
 
“Très bien. Je m’en remets à ton expérience.”
 
Cela surprit Ceria ; elle avait été tellement sûre qu’il allait se battre bec et ongles contre cette décision.
 
“Vraiment ? Bien.”
 
“Oui, eh bien…”
 
“Pisces marqua une pause et claqua de nouveau ses dents. Cette fois-ci, Yvlon fronça les sourcils.
 
“Est-ce que tu veux bien arrêter ça ? Ça me déconcentre.”
 
“Moi ? Je ne fais rien. Je croyais que c’était Ksmvr…”
 
Tout le monde se retourna vers l’Antinium. Il fit volte-face. Ses mandibules s’ouvrirent et le claquement s’accentua soudain lorsqu’ils comprirent que cela ne venait pas d’eux.
 
Attaque !”
 
Quelque chose surgit des ténèbres et plaqua le squelette détecteur de pièges au sol. Ceria aperçut brièvement des pattes en formes de faux en train de tourbillonner, des mandibules et des pinces prêtes à claquer et elle pointa du doigt.
 
“[Stalactite] !”
 
Elle lança son sort en même temps que Pisces jeta une boule de feu. Ils n’entrèrent pas comiquement en collision pour manquer la cible - la stalactite de Ceria explosa d’abord sur la créature, la repoussant en arrière, puis la boule de feu magique de Pisces frappa le squelette. Les jets de flammes n’atteignirent pas la créature, mais elles permirent de l’éclairer.
 
Ceria aperçut de longues pattes à l’allure très arachnéenne recouvertes d’armure, et une silhouette longue et trapue. Mais ce n’était pas une araignée cuirassée. Elle avait trop de pattes, et ces pattes étaient recouvertes de piques. Et elle… coulait. La carapace rouge et violette et les organes internes exposés se mirent en mouvement lorsque la créature ouvrit sa mâchoire remplie de rangées de dents circulaires. Elle croqua le morceau qu’elle avait arraché au squelette et deux de ses congénères commencèrent à sortir des ténèbres.
 
“Oh merde ! Des Crelers !”, hurla Ceria en pointant d’autres Crelers du doigt. Les petites créatures s’engouffrèrent dans le couloir et se jetèrent sur les aventuriers pour essayer de les griffer, de les mordre, de se creuser un passage à travers leurs ennemis.
 
“Couvrez-moi !”
 
Yvlon se précipita en avant et son épée s’abattit sur le Creler de tête. Sa lame aplatit la créature au sol, mais même son acier acéré ne put que trancher les organes exposés de la créature. Le reste - sa chitine dure et le reste de ses substances pseudo-osseuses, trop solide, résista à l’assaut et la créature tenta de monter sur la jambe d’Yvlon.
 
“Périssez.”
 
Ksmvr fit tourbillonner ses trois bras lorsque les deux autres Crelers fondirent sur lui. Il en attrapa un, sans se soucier de ses bords tranchants qui mordirent dans sa main et se mit à tailler dans le tas avec les deux autres armes qu’il possédait. Comme Yvlon, il ne put pas immédiatement couper la créature en deux, mais il avait suffisamment d’appui pour transpercer lentement le corps de la créature de ses lames en la sciant.
 
L’autre Creler tenta de bondir sur son dos, mais Ceria lui jeta un sort bien placé qui l’envoya rouler plus loin. Elle couvrit les deux autres en jetant des [Stalactites] rapides qui, s’ils repoussaient les Crelers, ne leur infligeaient toutefois pas de dégâts critiques.
 
“Springwalker ! Derrière toi !”
 
Ceria plongea hors de portée. Pisces leva sa main et une bourrasque glacée gela le Creler qui lui avait bondi dessus. La créature tomba au sol, étourdie, et un squelette se précipita sur elle et se mit à la piétiner.
 
Ceria s’aperçut alors que les trois squelettes étaient en train de se battre. Ils avaient pris des cailloux et essayaient d’écraser les Crelers avec. Mais ces derniers n’étaient presque faits que de lames et de bords tranchants. Il fallait une masse d’armes - Calruz en avait tué la plupart avec sa hache !
 
“Gèle-les, Ceria !”, entendit-elle Pisces hurler, mais un Creler s’était jeté sur son visage. Ceria recula d’un bond, et la gueule pleine de lames de rasoir claqua à une dizaine de centimètres de son visage lorsqu’elle la saisit dans sa main squelettique. Le Creler tenta immédiatement de dévorer ses os et Ceria réagit au quart de tour.
 
“Crève, vermine !”
 
Elle ne lui jeta pas vraiment un sort, mais un concentré de magie de glace. L’air autour de sa main gela et Ceria en sentit un froid extrême envahir sa main squelettique qui gela le Creler. Il poussa des cris perçants et se tortilla, mais elle refusa de le lâcher. Les pattes et les griffes de la monstruosité s’agitèrent au bout de son bras tendu, menaçant de lacérer sa chair. Cinq secondes plus tard, elle se raidit et mourut de froid dans son poing.
 
Ceria la relâcha en tremblant. Mais elle n’avait pas le temps de se reposer. Elle fit volte-face et se mit à bombarder les Crelers qui tentaient de grimper sur l’armure d’Yvlon. Cette dernière absorba les coups, comme son armure déviait les [Stalactites] - elle jeta un Creler au sol et le piétina dans un concert de cris perçants.
 
Ceria se précipita en avant et bombarda un Creler d’une [Stalactite] bien placée. Cette fois-ci, l’onde de choc brisa la créature en deux ; elle s’effondra, plusieurs de ses pattes se détachèrent de son corps et une substance jaune gluante se mit à sourdre de ses blessures. Ceria frissonna et se tourna en quête d’une autre cible.
 
Une seconde plus tard, tout était terminé. Pisces carbonisa le dernier Creler que ses squelettes avaient entravé et Ksmvr finit d’en écraser un autre avec sa lame de fer enchantée. Les Crelers tressautèrent en émettant des râles bulleux là où ils avaient été occis, mais leur agonie était bien trop avancée pour qu’ils ne puissent bouger.
 
Ceria avança d’un pas titubant, haletante, le visage dégoulinant de sueur, et l’épuisement de tant de magie la rattrapa. Elle s’accrocha à Yvlon et cette dernière tituba.
 
“Yvlon. Est-ce qu’ils t’ont blessée ?”
 
La Capitaine aux cheveux d’or haletait, elle aussi, mais elle secoua la tête.
 
“Ils ne sont pas entrés dans ma tête. Je crois que quelques-uns ont transpercé mon plastron, mais ils n’ont pas touché ma peau”.
 
“Désolée pour les [Stalactites]. Est-ce que je t’ai blessée, ou percé ton armure ?”
 
“Elle est un peu cabossée. Je vais bien. Merci.”
 
Ceria hocha la tête. Elle aurait pu percer l’armure d’Yvlon et la tuer si ses sorts de [Stalactites] avaient été jetés à bout portant ou avaient atteint un point faible. Mais dans tous les cas, mieux valait cela plutôt que de laisser un Creler atteindre la tête nue d’Yvlon. Il se serait creusé un chemin à coup de dents dans son armure à travers le col en moins d’une seconde.
 
“Eh bien, voilà la raison pour laquelle nous n’avons pas croisé de monstres ou de morts-vivants récemment. Des Crelers.”
 
“Dieux morts.”
 
Les deux femmes se tournèrent vers Ksmvr et Pisces. Pisces était sain et sauf, bien que pâle et visiblement secoué, mais Ksmvr avait été blessé. Elles allèrent l’examiner.
 
“Ce n’est rien. Mais main a été lacérée à plusieurs endroits, mais Pisces a pansé mes blessures. Cela guérira.”
 
“Tu es sûr ?”
 
Ceria jeta un regard sur le bandage déjà taché de vert que Pisces avait noué autour de la main de Ksmvr. L’Antinium hocha la tête.
 
“Je vais bien.”
 
“Les Crelers ont des crocs et des griffes empoisonnées…”
 
“Ces toxines ne m’affecteront pas. Merci de t’en inquiéter.”
 
“Dieux morts, Ksmvr ! Je n’avais jamais vu quelqu’un maintenir un Creler au sol pour le tuer ! Tu es fou ou quoi ?”
 
“Je me suis contenté de les combattre à la manière des Antiniums. Je suis soulagé qu’il n’y ait eu que des petits.”
 
“Oui. Oui. Pisces, ça va, toi ?”
 
“Je… je déteste ces trucs.”
 
Pisces frissonna en contemplant un Creler agité de spasmes. Ceria acquiesça. Yvlon aussi. Et Ksmvr également.
 
“Dieux morts. Des Crelers. Imaginez seulement s’il y en avait eu d’autres…”
 
“Les squelettes nous sont sauvés. Les Crelers s’en prenaient à nous, mais ils ont réussi à les tenir à distance. Ils ont été grignotés. Regardez-moi celui-là…”
 
“Chh. Chh. Est-ce qu’il y en a d’autres dans le coin ?”
 
Aussitôt, tout le monde se tut. Ceria écouta le bruit de son cœur qui battait à cent à l’heure, mais Ksmvr secoua la tête.
 
“Nous avons réveillé ce groupe-là, mais il n’y en a plus dans les environs. Toutefois, c’est une preuve indubitable qu’il y a un nid dans le coin.”
 
Il montra les Crelers agonisants au sol. Un squelette s’était armé d’un caillou avec lequel il s’appliquait à les réduire en bouillie.
 
“Ceux-ci sont au stade juvénile. Si un Creler adulte se trouvait à proximité, il nous aurait déjà attaqués. Je recommande une extermination immédiate.”
 
“Exterminer ? Un nid ?”
 
Pisces regarda Ksmvr d’un air horrifié, mais l’Antinium se contenta de hocher la tête. Il était extrêmement concentré.
 
“Ils représentent un danger. Une menace. S’ils restent ici sans surveillance, certains atteindront une taille adulte. Nous ne pouvons pas le permettre.”
 
Ceria était complètement d’accord, mais elle ne voulait pas être celle qui allait devoir chasser des Crelers.
 
“Normalement, on peut être récompensé juste en les signalant. Traquer un nid… champignons pestiférants, je ne veux pas y penser, Ksmvr. Ils ont une grosse récompense sur leurs têtes, certes, mais…”
 
“Je pense qu’il n’y en aura pas plus qu’ici. Et ils seraient sous leur forme larvaire, pas dans leur forme d’attaque.”
 
Yvlon nettoya sa lame en regardant fixement une pince de Creler qui n'avait pas cessé de trembler.
 
“C’est sans doute faisable, Ceria. Il suffit d’un bon coup pour les tuer dans leur forme larvaire. Si on les prend par surprise…”
 
“Non ! Vous n’avez donc pas vu ce qu’ils peuvent faire sur de la chair ?”
 
Pisces était pâle et tremblant. Ceria regarda tour à tour lui, puis Ksmvr.
 
“Je crois que Ksmvr a raison, Pisces.”
 
“Quoi ?”
 
“Est-ce que toi, tu as vraiment envie qu’une bande de Crelers soit dans notre dos s’ils prennent faim ou qu’ils se réveillent ? Si on continue d’avancer comme ça, ils risquent de nous attaquer dans le dos au pire moment. Il faut qu’on s’en débarrasse.”
 
“Je… d’accord. D’accord. Mais les squelettes passent en premier !”
 
Le groupe se remit en marche. Il ne leur fallut que quelques secondes pour faire le tour du couloir et repérer la zone du mur où les Crelers avaient creusé un trou pour sortir. C’était un gros trou, qui menait à une bulle naturelle dans la terre. Et c’est là qu’ils trouvèrent…
 
“Dieux morts.”, murmura Yvlon lorsque les quatre aventuriers et les trois squelettes se faufilèrent au cœur d’un nid de Crelers. En toute franchise, il était minuscule, mais Ceria repéra pas moins de huit Crelers à leur stade larvaire, leur stade d’incubation.
 
Lorsqu’ils n’étaient pas qu’un fouillis d’organes à l'air libre, de membres vicieux et tranchants et de dents, les Crelers ressemblaient à d’affreuses chenilles, grasses et rouges, qui luisaient faiblement de l’intérieur. À travers leurs “peaux” semi-translucides, Ceria apercevait des lignes jaunes et des organes décolorés qui se déplaçaient. Ils grandissaient. Comme l’avait dit Ksmvr, si on leur laissait quelques mois et de la nourriture, ils risquaient de devenir adultes, le cauchemar auquel même les équipes de rang Or ne voulaient pas se frotter.
 
L’un des Crelers se trouvait sur le mur le plus proche de Ceria. Elle s’avança prudemment dans le nid, tentant de garder ses mouvements et même sa respiration au minimum. Yvlon avança sur la pointe des pieds, son visage recouvert d’un masque de dégoût, l’épée au clair.
 
Le sac rouge luisant et translucide coula lentement dans leur direction, attiré par l’odeur de leur viande et de leur sang. Ceria retint sa respiration. Le moindre mouvement brusque risquait de tous les alerter de leur présence. Il fallait qu’ils les tuent avant qu’ils ne puissent s’évaginer pour passer à leur forme d’attaque mortelle.
 
Elle leva trois doigts pour que les autres puissent voir puis commença le décompte. Les squelettes de Pisces se tenaient prêts, armés de leurs cailloux, et Yvlon leva son épée, visant le Creler le plus proche.
 
“Maintenant !”
 
Aussitôt, Ksmvr planta deux lames dans les deux Crelers dont il était le plus proche. Pisces jeta du feu sur un autre en vociférant des malédictions tandis qu’Yvlon abattait son épée sur le sien. Les Crelers renâclèrent, et leurs sacs externes charnus tentèrent de se retirer pour exposer leurs entrailles vicieuses dans d’ignobles bruits de gargouillis. Mais il était trop tard.
 
Ils étaient beaucoup plus faciles à attaquer sous leurs formes plus molles. Ceria lança une [Stalactite] sur un Creler et vit son sang et ses boyaux jaunâtres exploser au sein du ballon que formait son corps. Les trois squelettes broyèrent leurs Crelers à l’aide de leurs cailloux, les martelant avec une frénésie fiévreuse en répandant des fluides jaunes de partout.
 
En fin de compte, seuls deux d’entre eux parvinrent à adopter leur forme d’attaque et ils furent rapidement écrasés par le soleret d’Yvlon et le caillou d’un des squelettes de Pisces. Ceria regarda avec les autres le squelette abattre à de maintes reprises son caillou sur le Creler agité de spasmes jusqu’à ce qu’il soit réduit en bouillie.
 
“Venez, on ne fait plus jamais ça.”, déclara Ceria, pantelante, en ressortant avec les autres du nid. Yvlon et Pisces acquiescèrent, et Ksmvr lui-même frissonna légèrement en essuyant ses lames. Personne n’aimait combattre les Crelers. C’était une chose d'explorer un donjon souterrain rempli de pièges mortels et de possibilités d’effondrement, mais les Crelers ?
 
Pas les Crelers.



***




“C’est la porte.”, murmura Ceria d’un air triomphant lorsqu’elle jeta un œil avec les autres derrière le dernier tournant du tunnel.
 
On aurait dit qu’une éternité s’était déroulée, mais ils n’avaient pas fait plus d’une vingtaine de pas, guettant le moindre piège - apparemment, le temps en avait déclenché un autre, d’après les pans lisses de murs fondus et les marques de brûlure - avant de voir la porte.
 
C’était une bête porte en bois, qui paraissait inoffensive dans son cadre de roche sombre. Ceria ne s’y fiait absolument pas. Il pouvait s’agir d’une illusion, d’un piège, de n’importe quoi. Mais en essayant d’actionner la poignée, le squelette n’était parvenu qu’à faire cliqueter inutilement le mécanisme. Il avait même essayé d’enfoncer la porte, sans succès.
 
“Ce ne serait qu’une simple porte enchantée ? Je n’y crois pas une seconde.”
 
“Eh bien, elle pourrait quand même être bourrée de pièges. Il faut soit qu’on la force, soit qu’on essaie de l’ouvrir autrement. Mais si on se retrouve dans sa ligne de mire…”
 
“On essaie d’y lancer des sorts de loin ?”
 
“Ça pourrait marcher. Mes [Stalactites] doivent pouvoir infliger quelques dégâts.”
 
“C’est la meilleure option qu’on ait pour rester à distance. À moins que tu n’aies appris un meilleur sort, Pisces ?”
 
“Non. Vas-y.”
 
Ceria hocha la tête. Elle pointa son doigt derrière le mur, se tapissant derrière ce dernier, et le reste de l’équipe recula. Le squelette qui leur servait de leurre regarda la scène d’un air impassible, debout à côté de la porte, future victime de ce qui allait se passer.
 
Bon. Une [Stalactite], puis se préparer à courir si besoin. otre examen. Ceria prit une grande inspiration, puris jeta son sort.
 
“[Stalactite] !”
 
La dague de glace magique jaillit de son doigt et se brisa contre la porte. Ceria et le reste de l’équipe se tendirent, mais rien ne se produisit. Lentement, ils se détendirent.
 
“Il n’y a peut-être que des fortifications dessus ?”
 
“Probablement. Et le couloir ?”
 
“Le squelette l’a traversé trois fois.”
 
“Je me porte volontaire pour le tester.”
 
“Ksmvr, ne dis pas de bêtises…”
 
“Nous sommes assis ici depuis une heure. Nous devons tenter quelque chose. Si vous le permettez.”
 
“Attends…”
 
Yvlon tenta de le rattraper, mais l’Antinium posa un pied dans le couloir. Il patienta, mais nul sort ne jaillit. Lentement, il s’avança vers la porte.
 
“Rien. Je vais tenter de la briser.”
 
Il leva son épée enchantée et la planta dans le bois. La porte résista au coup, comme elle avait résisté au [Stalactite]. Et cela ne déclencha pas de contresort.
 
“Qu’en pensez-vous ?”
 
Ksmvr se tourna vers le reste de l’équipe qui discutaient entre eux. Ceria se tirait les cheveux, tentant de comprendre s’il s’agissait d’un piège diaboliquement intelligent, ou juste d’une porte faite pour durer à jamais.
 
“Elle pourrait peut-être s’activer uniquement lorsque nous l’aurons ouverte.”
 
“Possible, possible.”
 
“Il faut qu’on s’en approche, Pisces. On l’étudiera de plus près, puis on reculera et on essaiera de loin, d’accord ?”
 
Il acquiesça. Ceria et Pisces échangèrent un regard, puis les quatre Cornes d’Hammerad avancèrent sur la pointe des pieds vers la porte.
 
Rien ne se produisit. Ils poussèrent un soupir de soulagement, mais Ceria prévint Yvlon et Ksmvr.
 
“Okay, on va juste inspecter le sort qui scelle la porte. Si c’est un sort de renforcement de haut Échelon, eh bien, il nous faudra peut-être trouver un autre moyen d ‘entrer. Peut-être en se frayant un passage dans la roche. Mais n’y touchez pas tant qu’on n’a pas terminé, d’accord ?”
 
Les deux autres hochèrent la tête et se tinrent prêts. Ceria se tourna vers Pisces, puis ils tendirent la main et inspectèrent magiquement la porte. Ils froncèrent tous deux les sourcils à peu près au même moment.
 
“Étrange. Regarde comme cet enchantement est délicat, Pisces.”
 
Il acquiesça en traçant du doigt les symboles et les courants magiques scintillants qu’eux seuls pouvaient voir.
 
“En effet. Ce n’est pas un renforcement ordinaire. Il y a un piège. Mais quel en est le déclencheur ?”
 
La magie scintilla devant Ceria. Ou plutôt, ne scintilla pas. Il était impossible de décrire à quoi ressemblait la magie à ses yeux par de simples mots. C’était plus une sensation qu’autre chose. Elle observa délicatement la magie, et sentit quelque chose d’étrange.
 
“Est-ce que ça… bouge ?”
 
En effet. Le sort stationnaire bougeait, réagissait. Le cœur de Ceria manqua immédiatement un battement et elle se leva pour s’éloigner de la porte. Yvlon leva instantanément son bouclier.
 
“Qu’y a-t-il ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
“Oh non. Oh… il réagit à notre examen. Fuyez ! Fu...
 
Elle venait de faire demi-tour lorsque quelque chose gémit et l’engloutit. Ceria tomba tête la première, puis s’écrasa contre quelque chose, qui se brisa.
 
Des os.
 
Un squelette ? La création de Pisces ?
 
Non. Pas le squelette de Pisces. Des os. Des monticules d’os.
 
Ceria regarda autour d’elle. Ils avaient atterri dans une fosse. Une fosse aux murs recouverts d’immondices. Yvlon, Ksmvr, Pisces… pas les squelettes. Ils regardèrent autour d’eux, peinant pour se relever.
 
“On nous a téléportés ! Un piège ! Tenez-vous prêts !”
 
Ceria tournoya, à l’affût du moindre mouvement, un sort mortel, un monstre, n’importe quoi. Mais elle ne vit rien.
 
Puis quelque chose brilla. Elle se tourna et vit quelque chose sur l’un des murs. Il… dansait devant elle. Elle le regarda fixement. Un mot ? Une inscription ?
 
Non. Une rune magique. Ceria tenta immédiatement de détourner le regard, mais il était trop tard. Elle l’avait déjà vu ! Elle essaya de fermer les yeux, mais…
 
“Rien ?”
 
Elle regarda autour d’elle. Il ne s’était rien passé. Elle se tourna vers Ksmvr. Il regardait fixement les mots magiques. Puis il se tourna vers elle.
 
“Ksmvr ? Tout va bien ?”
 
Il hésita. Puis l’Antinium acquiesça. Puis il secoua la tête.
 
“Quoi ?”
 
Il marqua une pause.
 
“Je… je suis une Aberration. Non. Je suis Antinium.”
 
“Qu’est-ce que tu veux dire ? Une Aberration ? Ksmvr ?”
 
Il hésita.
 
“Je… je… je… je…”
 
Il répéta le mot en boucle. Ceria le dévisagea. Est-ce qu’il y avait un problème ? Mais Ksmvr était toujours comme ça, non ? Oui ? Non ?
 
Pourquoi était-elle en train de discuter avec un Antinium ?
 
Soudain, quelqu’un la saisit par-derrière. Ceria hurla et se retourna, mais ce n’était que Pisces. Il la regarda fixement d’un air furieux.
 
“Pisces, qu’est-ce que…”
 
“Comment se fait-il que tu sois encore au lit, garçon ? ”, lui hurla-t-il, postillonnant, le visage cramoisi. Ceria eut un mouvement de recul, mais la main de Pisces la serrait comme dans un étau. Il hurla dans ses oreilles.
 
"L’entraînement d’escrime commence à l’aube !  Bouge-toi, et je te jure que si tu essaies de te dérober, je tannerai la peau du dos !”
 
Quelque chose n’allait pas. Tout allait bien. Ceria écarta brutalement la main de Pisces et recula précipitamment. Elle balaya la fosse du regard. Yvlon. Qu’était donc un Yvlon ?
 
“Qui es-tu ?”
 
Elle était nez-à-nez avec la pointe d’une épée. Une grande femme blonde contemplait Ceria de toute sa hauteur, le menton levé d’un air impérieux en pointant son épée sur le nez de Ceria.
 
“Expliquez-moi immédiatement ce comportement fruste. Que m’avez-vous fait ?”
 
“Vous ? Qui êtes-vous… Yvlon ?”
 
“Yvlon ? C’est ma nièce, jeune fille. Je suis Yenelaw Byres, et j’exige de savoir ce que vous avez fait. Quel genre de sorcellerie est-ce là ?”
 
“Je ne sais pas. Je…”
 
Ceria hésita. Quelque chose n’allait pas. Tout allait bien. Pas bien. Bien. Lorsqu’un bien coule de deux maux, qui tient le marteau ?
 
“Allez, on se bouge !”, brailla Pisces en pointant Yvlon du doigt. Elle tourna son épée vers lui et il recula d’un pas dansant, soudain sur ses gardes.
 
“Oh ? Tu es en colère, pas vrai ? Tu me testes ? Il faudra faire mieux que ça, morveux.”
 
“Je suis Yennais Byres. Et vous, qui êtes-vous ?”
 
“Je… je… je… aidez-moi… je… je…”
 
Ksmvr avait pris sa tête entre ses mains. Pisces et Yvlon hurlaient en même temps. Il fallait que quelqu’un intervienne ! Ceria ouvrit la bouche, mais elle réalisa alors quelque chose d’affreux.
 
Elle avait oublié comme respirer.
 
Il fallait qu’elle le dise aux autres. Mais elle ne pouvait pas respirer ! Ceria se griffa la gorge. Elle allait la déchirer ! Comme ça, elle pourrait respirer par le trou !
 
Ksmvr avança vers elle, la tête entre ses mains. Ses mains à lui ou ses mains à elle ?
 
“je reJEtte. aBErRation N’est PaS… Je suis Antinium. JE ReFUSE. je…”
 
Pisces tapota l’épaule de Ceria. Elle prit une grande goulée d’air puis regarda, frappée d’horreur, le Creler de taille humaine vêtu d’une robe sale.
 
“L’escrime est un art noble, jeune homme. Ne crois-tu pas ? Eh bien, voyons si tu en maîtrises les fondamentaux, sinon, tu seras privé de dîner ce soir.”
 
Un papillon d’acier se tourna vers Ceria et ouvrit la bouche dans le visage souriant d’Erin.
 
“Qu’est-ce que je fais ici ? Réponds-moi ! Toi, là, avec le froc !”
 
Elle devait faire quelque chose. Les tuer ! Se tuer ! Elle n’avait pas un squelette sous la main ?
 
Ceria chercha une dague, mais elle avait également oublié ce qu’étaient ses mains. Elle regarda fixement le morceau de chair palpitant sur sa main et se retint de crier. Sa paume s’ouvrit, et de petits yeux avec des pattes comme des brindilles se mirent à sortir du trou dans son corps.
 
Tout était normal. C’était ça. Sa tête se tourna — presque de son propre chef, et elle contempla la pièce sombre.
 
Qu’y avait-il donc sur le mur ? C’était passé tellement vite dans son esprit qu’elle n’avait pas eu le temps de le lire. Tandis que le reste du monde fondait et disparaissait autour d’elle, Ceria aperçut de nouveau la lumière vive. Cette fois-ci, elle la comprit parfaitement.
 
[Folie].
 
Le mot, c’était folie, écrit en magie, pulsant dans le cerveau de Ceria. Elle lui sourit puis vomit. Sa vomissure se transforma en petits insectes dansants qui tentèrent de la manger jusqu’au moment où elle les écrasa du pied.
 
Bien sûr.
 
C’était parfaitement logique.




La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 12 décembre 2021 à 18:21:38
3.03 H Partie 1
Traduit par EllieVia
8900 mots

Pour certains, je suis une messagère. Pour d’autres, une coureuse va-nu-pieds. Ou encore une folle. Certains disent que je suis une livreuse… de messages. Quelques personnes me connaissent sous le pseudo [batman]. Je pense être raisonnablement saine d’esprit, mais la plupart des gens ne sont pas d’accord. Ils me donnent de nombreux surnoms. Mais le petit monstre qui me bloque la route se contente juste de m’aboyer dessus.

Les chiens. Je les déteste tellement. Le chien galeux, à la fourrure d’un blanc sale tachetée de marron, aboie de nouveau en me montrant les dents. Il y a définitivement un grondement dans sa voix – il n’est pas seulement en train de m’avertir, il m’explique de surcroit qu’il n’hésitera pas à attaquer si je lui en laisse l’opportunité.

Ce n’est pas grave. S’il m’attaque, je lui donnerai un coup de pied et au diable les conséquences. J’ai toujours voulu donner un coup de pied à un chien. Ce n’est pas que je déteste les animaux, c’est simplement que je déteste les chiens.

Mettez-vous à ma place. Moi, Ryoka Griffin, me retrouve plantée dans la neige, à quelques milles de la charmante ville de Celum, un petit paquet dans les mains, face à un chien qui me barre le chemin pour accéder à la maison devant moi. Ce n’est pas ma faute si je suis ici ; je suis venue pour une livraison. Et je n’ai pas envie de me faire mordre.

J’ai déjà été mordue par des chiens. Deux fois, en réalité. Les deux fois en courant. Quand j’étais encore chez moi, ou plutôt dans mon monde, certaines personnes aimaient à croire que leurs chiens n’avaient pas besoin de laisse. Je respecte leur opinion, et je les invite à la partager avec l’officier de contrôle des animaux local. Les chiens qui ne sont pas tenus en laisse aiment courir après les objets en mouvement comme moi. Et ils mordent.

Ce n’est peut-être qu’un facteur génétique, ou quelque chose chez moi que les chiens n’aiment pas. Ou peut-être que c’est parce que je représente souvent une menace inconnue couverte de sueur et chargée d’adrénaline, qui envahit ce qu’ils perçoivent comme leur espace personnel à toute vitesse et qui déclenche leur instinct de chasse et d’attaque. Je n’en sais rien. Mais tout ce que je sais, c’est que tous les coureurs détestent les chiens en liberté.

Sans compter que je suis une coureuse va-nu-pieds. Ce qui signifie que j’ai encore plus peur des morsures, parce que je possède, après tout, dix saucisses appétissantes à mordre pour un chien. J’ai le même problème au niveau de mes mains, bien qu’il ne me reste plus que huit en-cas à mordiller. Un Gobelin m’a mangé deux doigts une semaine plutôt. Une anecdote amusante. Je ne suis pas fan à l’idée de la réitérer.

Le chien m’aboie de nouveau dessus, et accompagne cette fois-ci ses aboiements d’un grondement sonore. Je reste immobile, et je croise son regard tandis qu’il s’aplatit, le poil dressé. Il me barre la route. J’ai besoin d’entrer dans cette maison pour livrer mon colis, mais le propriétaire n’est pas sorti et j’ai peur que l’appeler ne fasse bondir le chien sur moi. Donc. Que faire ?

Donner un coup de pied au chien. C’est ce qu’environ 90% de ma personne souhaite faire. Les 10% restants soutiennent que le chien ne fait que protéger sa maison et qu’il est innocent et que je devrais m’entraîner à plus de retenue. Je n’ai pas envie d’écouter cette opinion, mais je n’ai pas spécialement envie de me battre dans la neige avec un chien là tout de suite. Ce n’est pas un gros chien ; ou plutôt, ce n’est ni un mastiff, ni un dogue allemand, mais ce n’est pas non plus un caniche.

Ce n’est qu’un chien. Il mérite que je le prenne en pitié.

Mais j’ai vraiment envie de coller un coup de pied à un chien. Il va essayer de me mordre dès que je me mettrai en mouvement. Donne le coup de pied d’abord, pose les questions après.

Et si je lui donne un coup de pied, je serai obligée de lui faire très mal et le propriétaire ne sera pas content. Mauvaise idée.

D’un autre côté, il, ou possiblement elle, est clairement en train de violer l’accord de longue date que j’ai passé avec la nature* et je n’ai aucune envie de découvrir si oui ou non il a la rage. Je ne suis pas encore sûre que les potions de soin soient capables de soigner les maladies.

*L’Accord entre Ryoka et la Nature est le suivant : si tu te mets en travers de mon chemin, je te tue, et je te bouffe.

Voilà le début de ma journée. Tout bien considéré, j’ai connu de meilleurs jours.

“Hark ! Regardez, un cabot et un truc Humain qui ment !”

“Fille contre chien ! Aussi bien que fille contre Dragon ! Aurons-nous droit à d’autres énigmes ?”

Et ma journée vient d’empirer. Je lève les yeux en entendant les voix aigues familières au-dessus de ma tête. Descendant en spirale des cieux gris, de petites créatures ailées se moquent en nous pointant du doigt, le chien et moi.

J’imagine qu’on pourrait dire qu’elles ressemblent à des versions d’Humaines miniatures, qu’on aurait réduites, peintes en bleu et auxquelles on aurait attaché des ailes. Mais cette description échouerait complètement et totalement à décrire ces êtres. Car ce sont des fées. Les fae. Et nous ne pouvons pas les comparer à nous si aisément.

Certes, les Fées de Givre, ou Esprits de l’Hiver, ont une apparence humanoïde. Mais leurs corps sont composés à moitié de cristal et à moitié de glace. Et elles possèdent des ailes, sauf que ces dernières sont plus proches de celles des insectes que de celles de anges. Et chaque facette, chaque ligne qui compose leur être sont d’une beauté à couper le souffle.

Une beauté d’un autre monde. Voir les Fées de Givre, c’est croire en la magie, car elles en sont la personnification. Sous mes yeux, elles volent autour de moi, riant en parlant avec des voix qui sont elles aussi à moitié réelles et à moitié immortelles.

“Regardez, mes sœurs ! Le chien protège sa maison !”

“Mangeons-le !”

“Nae, accordons-lui une faveur ! Le pouvoir de détruire n’importe quel intrus :”

“Est-ce qu’il y a des chats dans le coin ?”

Elles volent autour du chien et moi en nous asticotant. Elles me jettent de la neige dans les yeux et en font tomber sur le pauvre cabot. Oh, oui. J’oublie parfois, mais les fées ne manquent jamais de me le rappeler : elles ont beau être des merveilles immortelles, elles sont également sacrément agaçantes.

Sauf que dans ce cas précis, l’arrivée des fées eut un effet positif inattendu. Le chien leur jeta un regard, puis se précipita vers la maison en jappant. Je ne sais pas s’il peut voir les Fées de Givre – ce sont plus ou moins des boules floues pour les gens de ce monde grâce à la magie qu’elles contiennent – mais il est trop malin pour rester à leur portée.

Je n’ai pas sa chance. Les fées tournent autour de moi et rient, me lancent des injures, et se moquent de moi. Quelques-unes atterrissent sur mes cheveux qui se raidissent instantanément sous l’effet du froid, et d’autres me jettent de la neige dans les yeux. L’une d’elles ma lâche un scarabée gelé sur la tête.

Je crois qu’elles m’aiment bien. J’ai déjà vu ce que ça donnait quand elles ne m’aimaient pas, et cela reste préférable. Mais c’est agaçant. Je pousse un juron et essaie de les chasser de ma main blessée. Celle qui n’a plus que trois doigts.

“Allez-vous-en ! Je bosse !“

“Ooh ! Ça fait peur ! Et si on n’en a pas envie ?”

“Oui, menace-nous ! Qu’est-ce que tu vas faire ?”

Les fées savent que je ne peux faire que des menaces en l’air, je ne cherche donc même pas à en trouver. Je soupire et écarte ma main de ma ceinture. J’avais pris une bouteille à la main, le pouce sur le bouchon, lorsque j’avais fait face au chien. Si le coup de pied n’avait pas marché, j’étais prête à lui lancer une potion remplie de concentré de poivre qui arrache les yeux, même si pour le coup, ça, ça aurait été de la cruauté envers les animaux.

J’entends les aboiements effrayés du chien qui s’est réfugié dans la maison, puis je le vois pointer son museau à travers l’embrasure de la porte d’où il était sorti pour me foncer dessus. Les fées lui jettent de la neige et il gémit de peur mais, rendons à César ce qui est à César, il ne veut toujours pas me laisser tranquille.

“Jappy !”, crie une jeune voix de l’intérieur de la maison. La porte s’ouvre un peu plus et une fille en sort précipitamment. Elle a peut-être huit ou neuf ans et le chien s’empresse de la suivre, inquiet, en tournant autour d’elle. La fille ne remarque pas les fées, mais elle me dévisage.

“Qui êtes-vous ? Est-ce que vous voulez faire du mal à Jappy ?”

Je regrette instantanément mes velléités de maltraitance canine. Un peu. La petite fille me regarde avec de grands yeux ronds qui me mettent mal à l’aise.

“Que venez-vous faire ici ?”

“Je suis une Coursière. Est-ce que tes parents sont dans le coin ?”

“Une Coursière ?”

Elle a l’air d’en douter, je plonge donc ma main dans ma bourse et en sort mon propre Sceau. Le cercle de métal et de pierre magiques forgés scintille lorsque je le tends à la fille. C’est la preuve que je suis une Coursière de Ville ; sans cela, elle aurait bien raison de se méfier.

“Une Coursière !”

“En effet. J’ai un colis pour ton père. Il est là ?”

“Non… mais j’ai un Sceau ! Je vais aller le chercher !”

La fille se précipite dans la maison. Le chien nous jette un regard puis se précipite sur ses talons. Les fées et moi-même patientons et je me dandine d’un pied nu à un autre dans la neige. Au bout de quelques secondes, la porte s’ouvre de nouveau et la fille en sort en courant.

“Voilà, Madame la Coursière !”

“Merci.”

Je tends le colis à la petite fille. Elle s’en saisit avec précautions ; il est volumineux et lourdement enveloppé. Je n’ai aucune idée de ce qu’il y a à l’intérieur, mais au moins je suis sûre qu’elle ne va pas le lâcher.

“Très bien, alors. Prends soin de toi.”

“Au revoir, Madame la Coursière !”

La fille m’adresse un sourire béat, et le chien aboie. J’essaie de sourire ; j’échoue. Puis elle regarde mes pieds et pousse une exclamation.

“Vous n’avez pas froid aux pieds ?”

Je baisse les yeux sur mes pieds nus. Ils sont posés sur la neige qui les recouvre presque totalement et font fondre le sol froid, mais je le sens à peine. Je lui souris.

“Nope. J’ai des pieds magiques.”

“Vraiment ?”

Elle me dévisage, bouche-bée, et je pars en courant avant qu’elle ne puisse me poser davantage de questions. Le chien aboie encore un peu au loin, mais je veux bien lui accorder cette victoire. Tant qu’il ne se lance pas à ma poursuite. Je vérifie encore quelques fois par-dessus mon épaule, mais il reste aux côtés de la fille.

Bon chien. Les fées, de leur côté, ne sont pas aussi bien élevées.

“Hah ! La misérable a un chien loyal ! Comme le roi et le Limier de Culann !”

“Qu’est-ce qu’elle a dit ? Des pieds magiques ?”

“Comment est-ce possible ? Où les as-tu pris, mortelle !”

“Oui, raconte ! Raconte !”[/color}

Elles se mettent à sauter sur ma tête tandis que j’accélère. J’essaie de les ignorer.

Malgré l’air glacé et la neige épaisse, je ne sens presque pas le froid alors que je m’éloigne de la ferme où je viens de livrer mon colis. Au loin, les murs relativement élevés de Celum m’appellent. L’aube s’est levée depuis peu et il me reste encore des livraisons à faire. Et je vais les faire en un temps record grâce à…

“Raconte !”[/color}

Quelqu’un me tire les cheveux et je serre les dents.

“Arrêtez ! Je n’ai pas de pieds magiques. J’ai bu de la soupe, d’accord ? De la soupe magique.”

“Oh.”

La minuscule voix sur ma tête a l’air déçue. Et le reste des fées aussi. J’imagine qu’une soupe magique, ça sonne moins bien que des pieds magiques. Mais j’entends alors une autre voix.

“J’ai envie d’y goûter.”

“Moi aussi !”

“Donne-nous la soupe, Humaine !”

“La soupe ! La soupe !”

Elles se remettent à me harceler. J’essaie de ne pas leur prêter attention en poursuivant ma course vers la ville.

De la soupe magique. Ouaip.

Est-ce que je vous ai déjà précisé que j’étais dans un autre monde ?

***

Après l’incident du chien, j’atteins Celum en un temps record. Ce n’est pas comme si j’étais si loin de la ville que ça, et ne me restait que deux autres livraisons à faire dans les banlieues externes de la ville.

Anecdote intéressante : contrairement aux cités drakéïdes au sud, les cités humaines peuvent avoir des murs, mais la majeure partie de la population vit à l’extérieur des murailles, dans de charmantes banlieues qui se nichent tout contre les murs par endroit. C’est cette vieille méthode de construction médiévale qui permet aux villes d’abriter une population importante. Si des monstres attaquent, les gens se contentent de se réfugier derrière les murs jusqu’à ce qu’ils partent puis reconstruisent ensuite si c’est nécessaire.

Je me demande à quel point ça a fonctionné à Esthelm. Etant donné que toute la ville a été plus ou moins rasée, j’imagine que ce système doit avoir quelques petites lacunes.

Mais ce n’est pas mon job de donner des conseils d’architecture aux gens. D’ailleurs, je ne parle qu’au moment où les gens m’ouvrent la porte.

“As-tu une idée de l’heure qu’il est ? Qui es-tu ?”

“Je suis Coursière, et j’ai un colis pour vous. Vous avez un Sceau ?”

“Quoi ? Tu es Coursière des Rues ?”

“Coursière de Ville. Je fais les livraisons locales. Vous avez un Sceau ?”

“C’est… rapide. D’habitude, on reçoit le courrier tard.”

“C’est ce qu’on m’a dit. Votre Sceau ?”

Je finis par récupérer mon Sceau et à tendre la lettre à la personne dans l’encadrure de la porte, puis je repars en courant. C’est le cœur de mon boulot. La discussion, l’esquive de chiens… c’est le pire. Je ne fais ça que pour la course.

Dommage que tout semble vouloir se mettre en travers de mon chemin. Bien sûr, c’est mon opinion objective ; qu’est-ce qui pourrait donc être plus important que le fait que je livre des lettres aux gens ? Des gardes en patrouille ? Des marchands et des fermiers avec leurs chariots ?

Bah. Tout ça reste moins important que la Coursière toute-puissante. J’esquive et me glisse entre les piétons, descends les petites ruelles moins encombrées à toute allure et garde mes putains de distances avec tous les chariots qui roulent en cahotant dans les rues mouillées, tout cela accompagnée de ma désagréable escorte de fées.

Je dois bien admettre que j’ai beau détester leur fascination à mon égard, elles m’aident bien à écarter la foule. Dans ce monde, les Fées de Givre sont principalement connues comme était d’étranges créatures qui aident à apporter l’hiver chaque année. Comme ils ne peuvent pas les entendre et à peine les voir, les gens les traitent de manière générale comme des risques naturels à éviter à tout prix.

Dommage que je puisse les voir. Je ne suis pas encore sûre de savoir pourquoi, mais cela m’a conduite à entretenir une bien étrange relation avec les fées. C’est-à-dire qu’elles me suivent de partout en espérant que je fasse quelque chose de divertissant.

Comme glisser. Je fais de grands moulinets avec mes bras, mais je m’étale tout de même rudement au sol. Les fées – et certains Humains aux alentours – pouffent de rire, mais je me relève sans un mot et reprends ma course. Je parie que cette plaque de glace n’était pas là une seconde plus tôt.

“Comment as-tu trouvé ta chute ? Fais plus attention la prochaine fois !”

“Prends garde à ne pas glisser, Humaine.”

“On t’a fait un croche-patte ! Hah !”

Maudites fées. Je poursuis ma course, en les ignorant du mieux que je peux. Les gens me regardent bizarrement quand je leur réponds, de toute façon.

“Ooh. Elle est tellement occupée ! Trop occupée pour discuter ! ”

L’une des fées posées sur ma tête me tape le crâne pour attirer mon attention. Je serre les dents et l’ignore, même si ça fait mal. Puis elle me tire la paupière.

“Va te faire foutre ! Dégage !”

Je la gifle et elle s’envole en poussant une exclamation de joie. J’imagine que me faire réagir compte pour une victoire chez elle. Une autre fée descend à ma hauteur et vole autour de mon visage, me brouillant la vue en riant.

“Cette mortelle est tellement occupée. Mais pas assez occupée pour faire une partie d’énigmes, cependant ! ”

“Elle a triché, par contre ! Elle a utilisé des chiffres et des mensonges plutôt que la ruse ! Quelle honte !”

Les autres fées me huent et me crient dessus. Je garde une expression neutre, bien que le fait que je me fasse réprimander par ces idiotes insupportables pour avoir triché soit hilarant. Ce sont les créatures les plus impénitentes, vicieuses, méchantes et trompeuses que je connaisse, et ce sont les qualités que j’apprécie chez elles.

Les Fées de Givre continuent de m’insulter alors que j’entre dans la ville à proprement parler. J’ai la sensation que malgré leurs tons odieux, je les agace davantage aujourd’hui que le reste du temps. Comment le sais-je ? Un peu plus de glace dans les boules de neige qu’elles me lancent, et un poil trop de pincements et de coups qu’à l’accoutumée.

D’ordinaire, les fées respectent – enfin, elles sont aussi serviables qu’agaçantes. Deux fois plus agaçantes que serviables, mais elles ont leurs limites. Mais je crois qu’elles ont été déçues par ma partie d’énigmes avec Teriarch, le Dragon, quelques jours plus tôt.

Ouaip. Un Dragon. J’arrive à peine à y croire, mais je l’ai bel et bien rencontré. Je n’arrête pas de me le dire, même si la seule preuve que j’en ai soit le sac d’or à ma ceinture et le grimoire de sorts magiques. Dieux, je n’arrive toujours pas à croire que je sois partie avec une portion du trésor d’un Dragon.

C’était une rencontre merveilleuse, magique. Mais les fées se sont énervées parce qu’au lieu d’avoir une partie d’énigmes à la Sméagol et Bilbon, j’ai bombardé Teriarch d’énigmes logiques de mon monde. Apparemment, ça ne compte pas et elles m’en veulent.

Ou quelque chose dans le genre. Je me débarrasse enfin des fées en me rendant dans un lieu où elles ne peuvent entrer : l’intérieur. Lorsque je me mets à courir en direction d’un bâtiment familier, les fées sifflent et s’envolent de ma tête. Elles me jettent de la neige dessus lorsque j’ouvre la porte de la Guilde des Coursiers et que je me glisse à l’intérieur. Le bâtiment est construit avec des clous de fer et il contient du fer de manière générale à l’intérieur ; par conséquent, les fées ne se sentent pas les bienvenues et ne me suivent pas. Leurs règles sont étranges, mais je suis ravie qu’elles existent.

“J’ai fini mes livraisons.”

La [Réceptionniste] au comptoir lève les yeux et m’adresse un sourire que je ne lui rends pas. Je lui tends les Sceaux que l’on m’a donné et elle valide que toutes mes livraisons ont été faites.

“C’était rapide, Miss Ryoka ! Je vous les ai confiées il y a moins d’une heure, n’est-ce pas ?”

Je hausse les épaules. On m’a donné cinq adresses différentes. Je me suis rendue à chacune d’entre elles, et j’ai récupéré les sceaux. Et j’ai fait ça rapidement, aussi.

“Yep. Tu en as d’autres ?”

La [Réceptionniste] lance un regard gêné vers le panneau des livraisons. Je me tourne moi aussi et remarque que quelques Coursiers se sont agglutinés devant. Ils ne sont cependant qu’un ou deux, aujourd’hui.

D’ordinaire, le panneau affiche des livraisons plus longues – c’est-à-dire des courses intercités, ce que je fais d’habitude. Mais il n’y a ni beaucoup de requêtes, ni beaucoup de Coursiers suffisamment doués pour pouvoir éviter ou distancer les bandits et les monstres – des Coursiers de Ville – dans le coin. C’est à cause des Gobelins. Personne n’a envie de tomber dessus, même si personne n’en a encore repéré sur les routes pour le moment.

“J’ai bien peur qu’il ne me reste plus de livraisons de Coursiers de Rues. Toi et le reste des Coursiers de Ville…”

Je tourne la tête pour suivre le regard de la réceptionniste. La Guilde des Coursiers est munie de tables et de sièges qui sont actuellement occupés par un groupe de jeunes Coursiers à l’air irrité. Ce sont tous des Coursiers de Rues, à leurs têtes. Ils ne sont pas aussi rapides que les Coursiers de Ville, ils ont beau très bien connaitre les rues, moi et le reste des Coursiers de Ville pouvons toujours les battre en termes de vitesse. Nous sommes enfermés dans la ville depuis un bon moment, et nous avons donc commencé à leur piquer leurs livraisons habituelles.

Est-ce que je me sens mal pour eux ? Non, pas vraiment. Courir, livrer, tout ça, c’est de la compétition en un sens. Je cours vite, et donc je reçois davantage d’argent. Peut-être que j’essayerais de leur laisser plus de boulot si j’avais eu l’intention de rester un moment, mais je pense que c’est ma dernière journée à me cantonner aux livraisons autour de la ville.

Je me retourne vers la réceptionniste et hoche la tête.

“D’accord, je reviendrai plus tard. Est-ce que Garia Strongheart est dans le coin ?”

“Miss Garia ? Je ne l’ai pas encore vue. Est-ce que tu veux lui laisser un message ?”

“Dis-lui simplement que j’aimerais discuter avec elle si elle passe par là. C’est tout.”

“Je le ferai. Passez une bonne journée, Miss R…”

Le temps que la [Réceptionniste] finisse sa phrase, je suis déjà dehors. Est-ce que c’était malpoli ? Oui, probablement. Elle ne faisait que son travail, mais je n’ai pas envie d’échanger des civilités. C’est une de mes mauvaises habitudes, mais je m’améliore, dernièrement.

Mais aujourd’hui ? Aujourd’hui est un jour légèrement… frustrant pour moi. Non, effacez-ça, je viens de me réveiller donc je ne peux pas encore dire que ce soit un jour frustrant. Disons plutôt que j’ai des problèmes depuis quelques jours et qu’aujourd’hui, c’est simplement…

Je descends les rues à petites foulées, guettant les Fées de Givre du coin de l’œil. Elles sont probablement en train d’embêter quelqu’un d’autre en ce moment, mais j’ai envie d’atteindre ma destination avant qu’elles ne reviennent me voir. J’aperçois enfin le bâtiment familier et pousse la porte.

Contrairement à la Guilde des Coursiers, un brouhaha de voix me parvient et je me retrouve face à une salle pleine à craquer. Des serveuses – trois – s’activent dans la pièce, remplissent les verres et les chopes et servent à manger dans une salle pleine de gens occupés à prendre leur petit déjeuner.

C’est plutôt normal, pour une auberge. Mais cette auberge est spéciale, ne serait-ce que parce qu’il y a eu un remaniement à la direction. J’en ai la preuve formelle en apercevant ce que l’une des serveuses est en train de servir à un client.

“Des crêpes ?”

Yep. Ce sont bien des crêpes, soupoudrées de sucre, et d’une grande quantité de beurre. Pas de sirop ; j’imagine que cela ne rentre pas dans le budget de cette auberge. Mais si l’on y ajoute les œufs et le bacon, le repas est nourrissant – et, choix du plat mis à part, je remarque que chaque crêpe est d’un brun doré, cuite à la perfection.

La petite auberge où je réside, le Lièvre en Folie, est pleine à craquer aujourd’hui, et c’était déjà le cas hier. Nous ne sommes en ville que depuis quelques jours, et pourtant la rumeur d’une nouvelle [Aubergiste] et de ses super plats a déjà circulé et la salle commune est depuis tous les jours pleine à craquer.

Là encore, grâce au changement de direction. Je ne suis pas certaine qu’elle soit devenue propriétaire de l’auberge, mais elle fait comme si c’était le cas et tout le monde la laisse faire parce que franchement, elle rapporte de l’argent par seaux. Je pénètre dans la cuisine et aperçois le cerveau derrière le petit déjeuner d’aujourd’hui, en train de faire sauter une crêpe. Elle tend une assiette pour la rattraper, et la crêpe s’écrase dans le saladier de pâte. Je lève les mains pour éviter de me faire éclabousser et elle pousse une exclamation.

“Beurk ! J’imagine que [Cuisine Avancée] n’aide pas pour ça.”

Elle essuie un peu de pâte sur son tablier et la lèche. Puis elle se retourne et me voit.

“Salut Ryoka ! Tu veux une crêpe ?”

J’essuie la pâte sur mes mains et mon haut sur un tablier, et réalise soudain qu’il ne faudrait sans doute pas que je rentre dans la cuisine comme ça, avec mes pieds sales et mouillés. Tant pis.

“Je vais manger un bout, Erin. Tu veux qu’on prenne le petit déjeuner ensemble ou est-ce que tu as déjà mangé ?”

“Hum… j’ai préparé le petit déjeuner, mais je n’ai pas encore mangé. Attends juste une seconde, que je fasse le dernier tas… je pense que tout le monde a presque fini ! J’arrive dans un instant.”

“Ça marche.”

Je retourne dans la salle commune et part en quête d’une table libre. L’une des serveuses dont je n’arrête pas d’oublier le prénom s’approche avec une assiette de crêpes.

“Vous voulez boire quelque chose, Miss Ryoka ? Ou est-ce que je vous mets de l’eau chaude, comme d’habitude ?”

“De l’eau chaude. Erin prendra probablement du lait. Elle sera là dans un instant.”

“Je reviens avec vos boissons dans une seconde !”

La jeune femme me sourit et passe à une autre table. Je commence à découper ma crêpe et à la manger. Elle est délicieuse, et les œufs et le bacon que j’arrive à obtenir d’une autre serveuse sont tout aussi bons. Mais mes yeux sont fixés sur la porte de la cuisine, et je la vois bientôt en sortir.

Erin Solstice. L’auberge ne se fige pas vraiment à son arrivée, mais elle arrive tout de même à faire son propre effet. Dès qu’elle sort, elle jette un regard dans ma direction. Je lève la main, mais elle se fait intercepter avant de me voir.

La véritable propriétaire du Lièvre en Folie, Agnès, a une assiette pleine dans une main et un énorme sourire sur le visage. Elle fait le service plutôt que l’aubergiste, mais elle ne pourrait pas être plus heureuse, à en croire son expression lorsqu’elle fait s’asseoir Erin à une table. Elle papote avec elle avec animation et d’autres clients s’approchent.

Cela fait partie du charme d’Erin, j’imagine. Elle est amicale, ouverte, et franchement intéressante. Comme [Aubergiste], je dirais qu’elle est d’un niveau plutôt élevé, surtout pour son âge. On pourrait sans exagérer dire qu’elle est prodige, ou du moins selon les critères d’évaluation de ce monde.

Erin a de nombreuses Compétences associées à sa classe d’[Aubergiste] qui la rendent utile dans n’importe quelle auberge où elle met les pieds, et en combat. Elle a aussi énormément de charisme, ce qui est la raison pour laquelle je termine deux assiettes et son verre de lait avant même qu’elle ne termine sa première assiette. Elle est tellement occupée à papoter avec Agnès et d’autres gens qu’il faut que je patiente quelques minutes avant de ne serait-ce qu’attirer son attention.

“Oh, hey Ryoka ! Désolée, j’ai dû te rater ! Agnès me disait juste qu’il faudrait que je reste ici pour l’aider à gérer l’auberge à vie !”

La femme pouffe de rire, assise à côté d’Erin, et mange des crêpes.

“Ce serait vraiment charmant de ta part. Tu es tellement douée en cuisine et honnêtement, ma chérie… tu as une façon de faire qui, je le pense, rendrait même Jerom jaloux. Il est encore tellement malade… mais même lorsqu’il ira mieux, je te vois bien rester la véritable gérante de l’auberge. Tu sais, tu es presque comme une deuxième fille pour moi… non pas que j’en aie déjà eu une. J’aimerais tellement que tu y réfléchisses.”

Je lève les yeux au ciel tandis qu’Erin sourit et répond quelque chose de poli et d’amical. Une deuxième fille, bien sûr. Une fille qui peut faire le boulot d’Agnès et de son mari sans même avoir besoin d’eux. Erin est une poule aux œufs d’or, et ils veulent juste la garder pour qu’elle leur fasse gagner des tonnes d’argent à jamais. Même si elle partage les bénéfices avec Agnès, il est certain qu’ils gagnent davantage depuis quelques jours que ce qu’ils se feraient en un mois.

Mais je suis peut-être trop dure. Agnès a sincèrement l’air heureuse d’avoir Erin ici, et les autres gens aussi. Mais je ne vais pas attendre qu’ils terminent leur conversation mondaine. Je m’éclaircis la gorge.

“Erin. Tu aurais un moment ?”

Elle lève les yeux et acquiesce. Tous les autres ont l’air déçu.

“Bien sûr, Ryoka ! Attends juste que je mange une dernière crêpe… mmh, c’est vraiment bon ! Tu en veux une autre ?”

Je secoue la tête en signe de dénégation et patiente le temps qu’Erin termine de s’empiffrer. Bien sûr, cela ne signifie en aucun cas que nous arrivions à discuter tout de suite. Agnès traîne dans le coin et Erin papote avec elle… puis avec d’autres clients… jusqu’à ce qu’enfin, elle ait le temps de discuter avec moi à une table dans un coin.

“Que se passe-t-il, Ryoka ? Tu as tes livraisons ?”

“Il y a un bon moment. Mais je me disais qu’aujourd’hui, il fallait qu’on réfléchisse un peu au plan toutes les deux. Il faut encore qu’on te ramène chez toi.”

Le sourire d’Erin, accroché sur son visage depuis le moment où je l’ai aperçue pour la première fois aujourd’hui, s’efface. Elle me regarde sérieusement.

“Tu as raison. Il faut encore qu’on rentre. Mais n’as-tu pas dit que ça allait être dangereux ? Tu m’as dit hier que c’était une mauvaise idée de partir.”

J’acquiesce. Erin et moi sommes à Celum, une ville Humaine du continent d’Izril. Et nous avons beau survivre correctement, Erin n’est pas chez elle ici. Il faut qu’elle rentre à Liscor, une cité à une centaine de milles au sud, et c’est un problème auquel je cherche une solution depuis que je l’ai trouvée ici.

“Oui, partir plus tôt n’était pas une bonne option. Les portes étaient fermées le premier jour, et il y a encore des informations qui nous parviennent sur les événements d’hier. Mais il n’y a pas eu de rapports mentionnant des mouvements de grands groupes Gobelins aujourd’hui, donc si on décide de chercher à te faire rentrer à Liscor, autant s’y prendre maintenant.”

Liscor est le foyer d’Erin. Ou du moins, c’est là que se trouve son auberge. Et ses amis. Elle y est chez elle, en un sens, et nous le savons toutes les deux, qu’importe à quel point son séjour ici lui plaît.

Erin fronce les sourcils et hoche la tête en prenant une gorgée de sa tasse de lait chaud.

“Je veux rentrer, Ryoka, vraiment. Je sais que Mrsha doit tellement s’inquiéter ! Mais Selys peut s’occuper d’elle, et j’ai vraiment envie de finir mes expérimentations avec Octavia avant.”

Je fronce les sourcils. Elle n’arrête pas de dire qu’elle a envie de finir ses expérimentations, mais elle s’est rendue à l’échoppe de l’[Alchimiste] presque tous les jours sur les trois que nous avons passés ici.

“Tu n’as pas encore fini ? Ou est-ce que tu ne peux pas finir ton travail à Liscor ?”

“Peut-être que si… mais j’ai besoin de l’aide d’Octavia, Ryoka ! Elle connaît tout un tas de trucs alchimiques rares et elle m’aide avec mes plats.”

Des plats magiques. Il n’y avait qu’Erin pour penser à ça. Mais ça fonctionne… elle a créé une soupe qui peut me fournir une immunité partielle au froid. Je serre les dents et réfléchis.

“Si je devais choisir entre te faire partir maintenant ou plus tard… je suis certaine qu’il y a des [Alchimistes] à Liscor, Erin. Et on pourrait peut-être convaincre Octavia de venir avec toi ? Elle ferait n’importe quoi pour avoir de l’or.”

“Peut-être.”

“Dans tous les cas, je veux être certaine qu’on puisse te ramener chez toi, donc je voulais qu’on aille visiter quelques lieux ensemble si tu as un peu de temps avant d’aller chez Octavia. Il y a un marché rempli d’artefacts magiques – je veux voir s’il y en a qu’on pourrait utiliser en cas d’attaque sur la route – et la Guilde des Aventuriers a peut-être une compagnie qu’on pourrait embaucher pour nous escorter.”

Les yeux d’Erin s’illuminent lorsque je mentionne les artefacts magiques. Elle ne s’est pas encore remise du fait que la magie existe en ce monde, et moi non plus, pour être honnête. Elle hoche la tête avec enthousiasme en finissant sa boisson.

“J’adorerais venir avec toi ! Agnès a dit qu’elle pouvait gérer le déjeuner, donc tant que je suis rentrée pour le dîner… je suis sûre qu’Octavia ne m’en voudra pas si j’arrive avec une ou deux heures de retard.”

J’en suis certaine. Je hoche vivement la tête et Erin fait un petit signe de main à Agnès pour l’informer de notre programme.

“Bien. On commence par faire les courses, et ensuite nous demanderons s’il est possible d’avoir une escorte puis nous irons voir Octavia. Ça te va ?”

“C’est parfait !”

“Oh, et pour info, les Fées de Givre sont rentrées.”

“Oh. Hum…”

Il nous faut encore un bon moment avant de parvenir à sortir de l’auberge, et ce n’est qu’une trentaine de minutes plus tard que nous franchissons le pas de la porte où les fées sont en train de nous attendre.

“Oh regardez ! C’est le duo ! La faiseuse de nourriture et la conteuse !”

“Jetons-leur de la neige !”

“Nae, exigeons à manger et une histoire !”

Erin lève les yeux en cillant sur les fées et je gémis. Les clients qui étaient sortis pour discuter et socialiser avec Erin décident immédiatement de rentrer en voyant les minuscules fées se mettre à tourbillonner autour de nous pour nous tirer les cheveux, rire, faire apparaître de la neige…

“Hey, est-ce que vous voulez manger une crêpe ?”

Elles clignent des yeux. Je cligne des yeux. Mais la crêpe fumante se trouve déjà entre les mains d’Erin qui la leur jette dans les airs. Les fées se mettent instantanément à se battre pour la manger.

“Donnez-la moi !”

“Non, à moi !”

En un instant, la crêpe s’envole en tourbillonnant dans les airs et des morceaux en tombent tandis que les fées se battent et la dévorent, arrachant des morceaux de la taille d’une tête et les dévorant telles des… coccinelles affamées. Enfin, elles sont largement plus grosses que des coccinelles, mais vous voyez l’idée.

Erin et moi profitons de leur bagarre pour nous éloigner. Je vois la porte s’ouvrir derrière nous, et à ma grande surprise, quelqu’un dépose une assiette remplie de crêpes fumantes dehors. Je vois Agnès faire un petit signe de la main à Erin avant de fermer la porte et que les fées ne fondent sur leur petit déjeuner.

Je regarde fixement Erin qui sourit en marchant à mes côtés.

“Tu avais prévu tout ça ?”

“Ouaip, elles adorent manger !”

Pourquoi n’ai-je pas pensé à… je suis Erin en secouant légèrement la tête. Soudoyer les fées avec des crêpes. C’est tellement évident, et tellement simple !

C’est le truc, avec Erin. Je ne m’ennuie jamais quand je suis avec elle. Pour tout dire, sa vie est sans doute encore plus folle que la mienne, parfois.

***

“Du coup, tous ces trucs sont magiques ?”

Erin et moi sommes dans ce que j’appellerais un mélange entre un marché aux puces et une rue marchande, et nous contemplons un marchand en train de présenter une petite sélection d’anneaux s’allure ancienne, d’amulettes, et même de quelques parchemins soigneusement noués.

Comme dans tous les marchés, l’offre correspond souvent à la demande, ce qui est la raison pour laquelle trouver quelqu’un qui vend des artefacts magiques à Celum est en réalité une tâche beaucoup plus difficile que ce qu’il y paraît. Il y a très peu de boutiques qui ne vendent que des objets magiques de manière permanente, et la plupart de ces marchands-là voyagent de ville en ville pour trouver leur clientèle.

Erin et moi avons eu pas mal de chance que l’on nous indique ce [Marchand], un homme de bonne réputation qui propose des objets magiques bas de gamme. C’est un homme richement vêtu, arborant un nombre incalculable d’anneaux et de bijoux qui brillent et donnent l’impression d’être magiques – bien que je doute que les anneaux fassent grand-chose d’autre que d’émettre de jolies couleurs. L’effet reste joli, et l’homme en lui-même est plutôt commerçant, et essaie de convaincre Erin et moi d’acheter.

Honnêtement, je ne suis pas sûre que j’achète quoi que ce soit aujourd’hui. J’ai déjà les potions d’Octavia, qui sont plutôt utiles, et je n’ai pas un besoin urgent d’acquérir des artefacts magiques pour le moment. Je regarde juste. Et de plus, d’après ce que j’ai compris du coût de ce genre d’objet enchanté, je ne peux me permettre que des objets de base, même avec les huit cent pièces d’or de Teriarch.

L’homme est assis sur une petite chaise de bois et nous observe, un sourire sur le visage, tandis que ses deux gardes nous surveillent, ainsi que tous ceux qui s’approchent de l’étal, avec un air considérablement moins joyeux. Erin contemple les anneaux avec fascinations ; ils m’ont juste l’air vieux et inintéressants, sauf un anneau qui luit visiblement d’une lumière rouge. J’imagine que la plupart des objets magiques sont conçus pour ne pas attirer l’attention.

“Mesdames, qu’aimeriez-vous acheter ? J’ai une jolie petite sélection aujourd’hui – on m’a tout acheté il y a quelques temps, mais je pense avoir quelques babioles qui pourraient vous aider de bien des façons. D’ailleurs, j’ai même une petite potion romantique qui…”

“Nous ne sommes pas venues acheter des potions d’amour. Je cherche de quoi nous protéger.”

Je n’ai pas envie de savoir s’il existe réellement des potions d’amour dans ce monde. L’homme cligne des yeux.

“Une protection ? À moins que vous n’ayiez besoin d’une arme… non. Vous êtes Coursière ?”

“Bien vu.”

Je lève un pied nu. Le [Marchand] braque son regard sur mes orteils décongelés, et je vois bien qu’il aimerait poser des questions à leur sujet.

“Je cherche un anneau de protection, ou quelque chose de similaire. N’importe quoi qui puisse m’aider à survivre à une course contre des monstres ou des bandits.”

L’homme me souris d’un air pincé, et, à la manière dont ses gardes s’agitent, je vois bien qu’ils sont amusés eux aussi.

“Ah, j’ai bien peur qu’il n’y ait un léger malentendu de votre côté, Miss. La protection est un terme très général. Il n’existe pas d’anneau capable de vous protéger contre tout – ou du moins, rien d’autre que des artefacts valant des centaines de milliers de pièces d’or – mais permettez-moi de vous montrer ce que vous cherchez probablement dans le cadre de votre profession.”

Le [Marchand] m’adresse un sourire absolument-pas-condescendant qui me donne envie de le cogner, et sélectionne un anneau parmi la sélection d’objets qui lui font face. Il me montre l’anneau ; un cercle légèrement fissuré qui m’a l’air fait de pierre.

“Voici une merveilleuse petite babiole que je pourrais vous vendre pour… disons, six cents pièces d’or ? Il dévie les flèches pendant une minute après activation. Les flèches s’écartent légèrement lorsqu’elles s’approchent de vous, ce qui est parfait lorsqu’une Coursière comme vous prend la fuite.”

“Pourquoi est-il fissuré ?”

Erin, qui est à côté de moi, jette un œil à l’anneau. Elle caresse l’anneau le long de la fissure et l’homme le lui arrache pratiquement des mains.

Ne touchez pas à ça, je vous prie. La magie sur cet anneau est légèrement… affaiblie. D’où la réduction. Mais je vous assure qu’il tiendra relativement longtemps s’il n’est pas exposé à une pression excessive.”

“Comme une flèche ?”

Il ignore Erin et me sourit.

“Alors, qu’en pensez-vous ? Vous pourriez survivre à n’importe quelle volée de flèches – surtout celles des archers Gobelins. je suis sûr que vous avez entendu parler de l’attaque à Esthelm ? Tragique. Mais dans votre profession, vous ne pouvez pas vraiment rester cloîtrée derrière les murs des villes, n’est-ce pas ? Cet anneau vous laissera largement assez de temps pour vous échapper.”

“Pendant une minute.”

“Une minute. Oui.”

Erin fronce les sourcils en regardant l’anneau. Je garde un visage impassible et essaie de paraître désintéressée – je sais comment marchander. Mais j’ai encore plus envie de voir Erin s’occuper de ce [Marchand]. Je suis à peu près certaine de ne pas vouloir acheter cet anneau pourri, mais j’ai bien envie d’admirer le spectacle. Erin pointe l’anneau du doigt en questionnant l’homme.

“Une minute, ça n’a pas l’air beaucoup. Combien de temps met-il à recharger ?”

Il serre les dents, bien que son sourire ne l’ait pas encore quitté.

“Deux jours. Mais vous pouvez toujours le recharger vous-même si vous avez ce don, et je vous assure…”

“… Et que vouliez-vous dire tout à l’heure ? Les flèches ‘s’écartent légèrement’ ? Est-ce que ça veut dire que cela ne les dévie pas complètement ? Attendez une seconde, pourquoi est-ce que qui que ce soit voudrait de ce genre d’anneau, d’abord ?”

Mes lèvres tressaillent, et je vois même les gardes afficher un léger sourire. La voix du [Marchand] est grincheuse.

“Il est vrai que l’anneau ne renvoie pas les flèches dans la direction opposée, mais il les repousse bel et bien de votre personne. Si vous courez, je suis certain que les flèches vous manqueraient. Il faudrait que la personne en face possède une Compétence pour contrecarrer la protection qu’offre cet anneau, et là encore, je vous assure que pour cinq cent soixante-dix pièces d’or, cet anneau est une véritable aubaine.”

“Je parie qu’Halrac pourrait tirer une flèche qui battrait votre anneau.”

“Qui ?”

“Halrac ! C’est ce type… un [Éclaireur] que j’ai rencontré à mon auberge. Il est très doué au tir à l’arc, et il a tout un tas de Compétences. Qu’est-ce qu’il se passerait s’il tirait une flèche sur cet anneau ? Est-ce que ça marcherait ?”

L’homme dévisage Erin, le front plissé.

“Halrac ? Vous voulez dire… Halrac de la Chasse aux Griffons ? L’aventurier de Rang Or ?”

“Oui, voilà, c’est lui. C’est un ami à nous. Vous le connaissez ?”

Pendant deux secondes, le [Marchand] dévisage Erin. Puis il jette un œil à quelque chose sur son poignet. Je baisse les yeux. L’une des gemmes sur ses mains recouvertes de bijoux luit d’une douce lumière bleue. Oho. Un sort de vérité sur une pierre ?

Aussitôt, l’attitude de l’homme se transforme. Il écarte grand les bras, et il se lève, toute trace de son irritation précédente effacée, et il essaie à présent de se montrer très accueillant.

“Si vous connaissez Halrac, c’est différent. Vous savez, il a acheté une amulette très sympathique à un ami à moi l’année dernière ? Je vous serais vraiment reconnaissant si vous lui recommandiez ma marchandise. Et à une amie d’Halrac, je peux certainement offrir… ah.”

Il essaie clairement de trouver quel type de réduction et quel discours il devrait nous faire lorsque j’entends des voix familières. Je grogne entre mes dents.

“La voilà ! On l’a trouvée !”

“Elle ne peut pas s’enfuir, cette fois-ci !”

“Ooh ! Est-ce qu’elle cherche des objets magiques ? Regardez comme ils brillent ! Et comme ils sont faibles !”

“Ils luisent à peine de magie !”

Erin se retourne en fronçant les sourcils. J’ai déjà repéré les Fées de Givre – elles s’élèvent d’un nuage au-dessus de l’un des toits. Ni les gardes, ni le [Marchand] ne peuvent entendre les fées, bien sûr, mais ils nous voient lever les yeux et repèrent les fées. Ce ne sont probablement que des formes floues et lumineuses à leurs yeux, mais ils réagissent tous les trois au quart de tour en apercevant les Esprits de l’Hiver.

“Pas eux !”, s’exclame le [Marchand] d’une voix forte, et l’un des gardes lance un avertissement. Étonnamment, tous les commerçants de la rue se mettent soudain en mouvement, et poussent des cris en attrapant leurs marchandises pour essayer de tout rentrer à l’intérieur.

Les fées descendent en voletant, et rient face à cette débandade tandis que l’homme saisit ses anneaux magiques et ses amulettes, le visage soudain hanté. Erin a l’air confuse.

“Hey, attendez, où allez-vous ? Je croyais que vous alliez nous vendre cet anneau pourri !”

L’homme se tourne vers nous, l’air effaré.

“Écoutez, nous négocierons quand les Esprits de l’Hiver seront partis, d’accord ? Si je laisse mes marchandises dehors ils vont les éparpiller et chasser tous mes clients !”

Il se précipite vers la porte la plus proche et ses gardes attrapent le reste de ses marchandises. D’autres commerçants font de même et les piétons se précipitent à l’intérieur aussi, craignant l’ire de ces vermines capricieuses. En quelques secondes, la rue se vide, et il ne reste plus que deux humaines et les fées.

Erin et moi levons les yeux vers les fées. Elles soutiennent notre regard, flottant dans les airs, et nous observent. L’une d’elle nous fait signe.

***

Après notre courte session shopping au marché, Erin et moi décidons de nous rendre en intérieur, où les fées ne pourront pas nous suivre. Et nous nous retrouvons donc à la Guilde des Aventuriers. Erin et moi contemplons la grande salle et elle me murmure :

“On dirait un peu la guilde de Selys, mais en différent, tu ne crois pas ? Je veux dire, c’est plus grand, ici. Beaucoup plus grand.”

Je hoche la tête en contemplant la Guilde des Aventuriers de Celum. C’est certainement beaucoup plus grand, et il y a de la place pour six réceptionnistes à la fois, contrairement à la Guilde de Liscor et son bureau pour deux personnes. Je tapote le bureau pour appeler la réceptionniste et lui demande la procédure pour embaucher une équipe. Elle m’indique les aventuriers assis dans un coin de la pièce. Apparemment, on embauche une escorte en contactant directement les aventuriers ici, pas en passant par la guilde.

Je regarde les groupes d’aventuriers assis tous ensemble. Certains sont de Rang Bronze, la plupart, probablement. Et d’autres sont des Rangs Argent, que ce soit à un niveau individuel ou collectif. Beaucoup d’entre eux ont l’air fatigués, et nettoient leur équipement suite à une mission, et d’autres ont l’air d’être ici principalement pour socialiser.

Bon sang. À qui devrais-je m’adresser ? Quel est le prix moyen pour embaucher une équipe ? Est-ce que je peux faire confiance à une équipe de Rang Argent ? Je n’en ai aucune idée.

Erin non plus, mais elle arbore une attitude tellement désinvolte à ce sujet-là que c’en est presque insultant.

“Viens, on n’a qu’à leur demander. Si l’un d’eux nous dit qu’il peut nous emmener à Liscor, on tente !”

“Tu veux que j’aille là-bas comme ça et que je leur demande comment ça se passe pour les escortes ?”

Je déteste parler à de nouvelles personnes. Je déteste commencer les conversations, et c’est pratiquement mon pire cauchemar. Mais Erin se contente de hausser les épaules. Je serre les dents.

“Tu veux que je leur dise quoi ? ‘Hey, on cherche un groupe d’aventuriers pour nous escorter à Liscor. Vous connaitriez quelqu’un qui pourrait être intéressé ?’”

“Ça m’a l’air bien. Pourquoi pas ?”

Je regarde fixement Erin. C’est vrai que ça pourrait marcher.

“Dis-le, toi. Je crois que c’est mieux si ça vient de toi.”

Erin acquiesce et commence à s’approcher de la table la plus proche où se trouvent deux guerriers musculeux en train de boire. À mi-chemin, elle se retourne et me regarde avec un sourire de celle qui vient de penser à quelque chose.

“Tu sais ce qui serait parfait pour ça, Ryoka ? Les Cornes d’Hammerad ! Pourquoi ne pas juste aller leur demander ?”

Je cligne des yeux. Oh. Bien sûr. Cela nous économiserait pas mal d’argent, ou ils pourraient nous mettre en contact avec une autre équipe. Je m’approche d’Erin, mais l’un des aventuriers assis à une table hausse alors la voix.

“Les Cornes d’Hammerad ? Ils ne sont pas tous morts ?”

Erin leur adresse un large sourire.

“Quoi ? Non ! Non, ils ont reformé l’équipe, vous ne le saviez pas ? Après qu’ils aient, euh… perdu des membres dans les Ruines de Liscor…”

L’un des hommes ricane d’un air méprisant. À son allure, il a presque la trentaine, et il a un duvet d’un jour sur le visage.

“J’ai entendu parler de ce désastre. Quatre équipes d’aventuriers mortes et à peine une poignée de survivants grâce à un tas de Capitaines incompétents. Tu es en train de me dire que quelqu’un a été suffisamment stupide pour conserver le nom après ça ? Ils auraient dû cesser d’être aventuriers avant d’entamer une autre mission.”

Je m’arrête net et me mords la lèvre. Erin se fige, et son sourire gèle sur son visage. Le deuxième aventurier se tourne vers son compagnon.

“Qui a survécu ? J’ai entendu dire que tout le monde s’était fait massacrer là-dessous.”

“Il y en a au moins deux qui s’en sont sorties. La Demi-Elfe et la Capitaine Argent.”

“Ceria Springwalker et Yvlon Byres ? Je ne rejoindrais jamais un groupe avec ces deux-là même si elles étaient la dernière équipe du continent. Quiconque est assez stupide pour bosser avec elle se fera tuer comme leurs derniers groupes.”

Non, ne les cogne pas. Je le sais. Erin répond d’une voix monocorde.

“Ce sont toutes les deux d’excellentes aventurières. Ce sont mes amies.”

Les deux hommes la regardent en secouant la tête.

“Ce sont des idiotes et des lâches qui ont envoyé au casse-pipe de braves gens qui leur faisaient confiance.”

“Tu crois peut-être qu’elles sont de ton côté, mais retiens bien ce que je te dis, ma fille. Si tu leur fais confiance, tu finiras avec une flèche dans le dos.”

Ils n’ont même pas pris la peine de baisser la voix. Les gens aux autres tables lèvent les yeux en entendant les deux hommes commencer à se disputer avec Erin.

“Ce n’est pas vrai ! Ceria est très courageuse ! Et Yvlon aussi !”

“La Demi-Elfe ? Je parie qu’elle a fait demi-tour et s’est enfuie dès qu’elle a rencontré des ennuis. C’est une lâche. Calruz était le seul véritable combattant des Cornes d’Hammerad.”

“Retire ce que tu viens de dire !”

Erin est en train de se mettre en colère, et j’observe les deux hommes assis à leur table. Ils ont l’air beaucoup plus costauds que les aventuriers qu’Erin avait battus dans son auberge. Et ils sont juste en train de parler, pas d’agresser sexuellement qui que ce soit.

Mais mon sang est tout de même en ébullition. Les Cornes d’Hammerad ne méritent pas ça. Ils étaient tous courageux, et je pourrais le leur dire, mais à quoi bon ? Les deux hommes en train de ricaner ne veulent clairement pas nous écouter ; la meilleure chose que je pourrais faire, ce serait de leur donner un coup de pied en plein visage à tous les deux.

Je pourrais déclencher une bagarre…

Mais je serre le poing et sens les moignons de mes doigts. Non. Pas ici. Pas maintenant. Nous avons besoin d’aide d’aventuriers, même si ce n’est pas la leur.

Je pose la main sur l’épaule d’Erin. Elle est tendue et les fusille du regard.

“Viens, Erin. Allons discuter avec quelqu’un d’autre.”

“Si vous voulez une véritable protection, Miss, vous feriez mieux de demander à nous ou à une vraie équipe de Rang Argent. Pas à un tas de demeurés qui ne peuvent même pas tuer quelques morts-vivants.”

Je n’ai pas d’autre choix que de traîner Erin plus loin. Elle me fusille du regard, mais je parviens avec succès à la tirer en arrière. Cinq pas. Puis je rentre dans quelqu’un.

“Oh, désol…”

Je marque une pause et contemple un visage familier couvert de contusions. Un aventurier et ses quatre copains se figent sur leur trajet vers le bureau de la réceptionniste. Ils ont tous l’air de s’être faits tabasser ; les séquelles d’une rixe de tavernes où ils se sont retrouvés du côté des perdants.

L’aventurier de tête me reconnaît sans aucun doute.

Il jette un regard vers Erin et se met à reculer lentement vers la porte. Trop tard. Erin profite d’un relâchement de ma poigne pour se dégager. Elle retourne vers la table des deux aventuriers et leur sourit en posant ses mains sur le bord de la table.

“Vous devriez retirer ce que vous avez dit au sujet de Ceria et Yvlon. Ce sont mes amies et elles ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour garder tout le monde en vie.”

“Nous avons dit exactement ce que tout le monde pensait tout bas, Miss. Les Cornes d’Hammerad – passées et présentes – sont une équipe d’imbéciles.”

Erin prend une grande inspiration. Ses yeux sont écarquillés et elle leur adresse un grand sourire.

“Okay. D’accord. Si vous le prenez comme ça… table, à l’attaque !”

Tout bien considéré, je me demande parfois si Erin n’est pas la plus violente de nous deux.




La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

https://aubergevagabonde.wordpress.com/
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 19 décembre 2021 à 18:39:45

3.03 Partie 2
Traduit par EllieVia
6477 mots




“Eh bien, nous sommes bannies de la Guilde des Aventuriers, maintenant. Au moins pour un moment.”
 
Je soupire en descendant la rue d’un pas assuré en compagnie d’Erin, un nuage de fées dans notre sillage. Je me suis résignée à leur présence, à ce stade. Elles volent à nos trousses, et se moquent du combat. Erin marche derrière moi en fronçant les sourcils.
 
“Je ne regrette rien ! Ces gars étaient des andouilles !”
 
“Oui, en effet. Mais maintenant, ils ne nous aideront pas si nous avons besoin de rentrer à Liscor.”
 
“Et alors ? On demandera juste aux Cornes d’Hammerad de nous accompagner. Ceria, Pisces, Yvlon et Ksmvr peuvent probablement nous défendre face à n’importe quel monstre qu’on pourrait croiser.”
 
“Peut-être. Mais nous ne savons pas où ils sont. Je peux essayer de faire le voyage jusqu’à Albez… ou de faire passer le mot que je les cherche dans d’autres villes, mais ça prendra plus de temps.”
 
“Ce n’est pas grave.”
 
Erin hoche la tête et je lève les yeux sur les fées en train de voler au-dessus de nos têtes. Elles ont l’air… de s’ennuyer un peu, pour être honnête. Elles rient toujours, et l’une d’entre elles m’envoie un flot continu de flocons poudreux dans les yeux, mais le reste se contente de nous suivre dans le calme, pour une fois.
 
Huh. Apparemment, même les fées peuvent s’ennuyer. Je hausse les épaules et poursuis ma route.
 
“Je vais faire une autre livraison - dans une autre ville, probablement. Je serai rentrée ce soir sauf s’il y a un imprévu. Ça ira jusque-là ?”
 
“Je vais aller faire exploser un truc.”
 
Je souris.
 
“Ça m’a l’air rigolo. Essaie juste de ne pas trop énerver Octavia, d’accord ?”
 
J’essaie de lâcher Erin devant la boutique de l’[Alchimiste], mais à ma grande surprise, Octavia en personne jaillit de la boutique au pas de course et se met  à agiter un bras devant moi comme une massue.
 
“Ryoka ? Ryoka !
 
Erin entre joyeusement dans la boutique et la Tissée se plante devant moi. Octavia a l’air stressée, ce qui est vaguement compréhensible étant donné qu’elle va baby-sitter Erin toute la journée aujourd’hui. Encore une fois.
 
“Salut Octavia. Erin veut faire exploser un truc.”
 
La peau sombre de la jeune femme pâlit et elle se retourne vers sa boutique pour jeter un œil à Erin. Je me sens un peu coupable, et essaie donc de la rassurer.
 
“Elle ne va probablement pas le faire. Elle a hâte d’expérimenter de nouvelles recettes, Octavia.”
 
“Certainement pas !  As-tu la moindre idée de ce qu’elle m’a déjà coûté ? Nous nous étions mises d’accord pour une journée. Je suis d’accord pour deux jours, voire trois étant donnés nos accords passés et pour le bien de nos affaires à venir, mais quatre ? Erin m’a déjà coûté une petite fortune en ingrédients, sans parler de tout le temps que je pourrais passer à concocter mes propres potions. S’il faut que je continue à l’aider, j’insiste pour me faire rembourser d’une manière ou d’une autre. Je sais que nous avions passé un marché, mais là...
 
Je ne peux m’empêcher de reculer d’un pas face à Octavia qui me hurle dessus en agitant les poings. On dirait qu’elle a épuisé toutes ses réserves de patience. Bon sang. Que faut-il que je fasse ?
 
J’hésite, puis prends la décision la plus expéditive. Les vociférations d’Octavia ralentissent puis s’arrêtent net lorsque je me mets à sortir des pièces d’or du sac à ma ceinture. À le voir, comme ça, il ne devrait pas être capable de contenir tout l’or qu’il y a à l’intérieur, mais il est magique. Il y a également un énorme livre à l’intérieur, et cela ne cesse de m’émerveiller.
 
“D’accord. Je comprends. Voilà encore de l’argent pour Erin, d’accord ?”
 
Je verse l’or dans les mains d’Octavia et l’[Alchimiste] me dévisage, bouche-bée. Vingt pièces d’or - plutôt lourdes et scintillant à la lumière, font un clin d’œil à la fille qui nous regarde tour à tour, l’argent et moi.
 
Vingt pièces d’or. Oui, c’est beaucoup, mais ce n’est qu’une fraction de l’argent que Teriarch m’a donné. Et à en croire le silence d’Octavia, c’est bien davantage que ce qu’elle pensait obtenir.
 
“Nous disions donc. Y a-t-il un problème avec Erin ?”
 
“Erin ? Quoi ? Bien sûr que non !”
 
Octavia m’adresse un sourire radieux.
 
“Erin, ma cliente préférée. Je serais ravie de… disons simplement que tant qu’elle veut travailler avec moi, je serai enchantée de l’aider. Ses réussites sont vraiment exceptionnelles, et laisse-moi te dire que je la pense vraiment sur le point d’accomplir…”
 
“Ravie de te l’entendre dire. Trouve-lui juste tout ce qu’elle de te demande, Octavia.”
 
Je laisse l’[Alchimiste] retourner dans sa boutique en sautillant à moitié et m’éloigne en secouant la tête. Les fées me suivent, une moitié imitant mon secouement de tête, l’autre moitié occupée à se demander s’il serait plus intéressant de rester pour voir Erin faire exploser quelque chose dans la boutique.
 
Je ne sais pas. Je suis ravie qu’Erin soit contente, et ça ne me pose aucun problème de la laisser seule ravager la boutique d’Octavia. Elle n’aura sans doute pas d’accident, avec Octavia à ses côtés pour l’empêcher de faire quoi que ce soit de trop dangereux.
 
Mais…
 
Je suis juste un peu fatiguée. Au bout du rouleau, pourrait-on dire. Ce n’est pas que je n’aie rien à faire : j’ai trop à faire.
 
Il est temps de repartir faire une livraison. Je dirige de nouveau mes pas vers la Guilde des Coursiers. Je ne me sens peut-être pas au sommet de ma forme, mais je peux au moins toujours compter sur la course pour soulager mon stress.



***


“Je cherche à faire une livraison dans une autre ville, mais je ne trouve aucune requête. Est-ce que vous en avez ?”
 
La réceptionniste de la Guilde des Coursiers lève les yeux et fronce les sourcils. Elle tapote un doigt sur ses lèvres et finit par hocher la tête.
 
“Nous… avons la livraison de lettres journalière pour Galles si ça t’intéresse.”
 
Son hésitation est justifiée. Personne n’aime cette livraison. Je grimace.
 
“Rien d’autre ?”
 
“Rien. Désolée, Miss Ryoka.”
 
La [Réceptionniste] se recroqueville légèrement sur son siège sous le poids de mon regard. Au bout d’une minute, je finis par hoche la tête.
 
“Bien. Passe-moi le colis.”




***




Je cours à travers la neige, puis sur un sol plus dur et glissant qui a été gelé et pas salé. Je fronce les sourcils et retourne courir dans la neige. C’est peut-être plus contraignant, mais grâce à la soupe d’Erin dont j’ai repris une gorgée avant de partir, c’est plus facile de courir sur l’herbe enneigée que sur la route glissante.
 
Je fais la livraison d’un colis de courrier en vrac pour Galles. C’est… eh bien, pas de quoi casser trois pattes à un canard. Ni à un quelconque autre animal, d’ailleurs.
 
Le courrier en vrac. Comme à la poste, les lettres sont réceptionnées et envoyées dans un grand sac rempli par Coursier de Ville chaque jour dans les autres villes. C’est une livraison standard, et comme c’est vraiment facile, la paie est presque inexistante.
 
Je ne l’avais jamais fait depuis mes débuts en tant que Coursière. Où vont toutes les grosses livraisons ? Est-ce que les gens n’ont juste besoin de rien pendant les mois d’hiver ? Non, c’est impossible. La journée doit juste être calme.
 
Mais, comme toujours, je ne suis pas seule. Un nuage de fées volète autour de moi, et me dévisage avec des paupières mi-closes tandis que je cours à un bon rythme à travers la neige. Mais les visages des fées ne sont pas remplis de leurs expressions calculées habituelles de joie ou d’anticipation. Au lieu de cela, elles semblent toutes s’ennuyer ferme.
 
Pour dire la vérité, ça commence à me travailler. Je jette un œil aux fées. Certaines ont les sourcils froncés, et je ne les vois faire cela que très rarement. Pourquoi ne sont-elles pas parties embêter quelqu’un d’autre ? Mais alors, l’une de celles qui vole le plus loin de moi prend la parole, et j’entends clairement sa voix par-dessus le souffle du vent.





“Non. Je m’ennuie. Je n’ai plus envie de le faire.”




C’est bizarre. Je regarde fixement la fée qui vient de dire cela. Elle a une expression très mécontente peinte sur le visage. Elle vole jusqu’au centre de la horde de fées et hausse la voix en me pointant du doigt.





“Tu es ennuyeuse, à présent. Ennuyeuse. Mortelle, fais quelque chose d’intéressant !”



“Je ne suis le singe savant de personne. Fous le camp.”
 
J’agite les bras et la fée tourne autour de moi. Elle souffle des fragments de glace sur mon visage, ce qui me fait pousser un juron et presque trébucher. Elle se met à crier aux autres fées.




“Vous voyez ? Elle ne fait rien ! Je ne la suivrai plus. Pas même si une Wyverne fondait sur elle et l’emmenait dans les airs en hurlant !”




Toutes les fées lèvent les yeux d’un air plein d’espoir. Moi aussi. Rien ne se passe. La fée émet un bruit dégoûté.




“J’arrête. Il y a d’autres endroits à voir, d’autres mortels à observer et à harceler. Pas elle.”





Cela m’a l’air parfaitement correct. Pourquoi les fées n’iraient-elles pas embêter quelqu’un d’autre si je ne les distrais pas suffisamment ? Elles le faisaient par le passé.
 
Mais cette fois-ci, les mots de la fée semblent avoir beaucoup plus d’importance. Les autres fées se regardent, puis se mettent à se disputer au-dessus de ma tête.






“Mais elle veut qu’on...”
 
“Nae, je me fiche de ça aussi ! Nous faisons cela depuis trop longtemps !”
 
“Ouais ! Elle est allée voir un Dragon et il ne s’est rien passé !”
 
“Je m’en vais !”
 
“Moi aussi !”
 
“Je reste. Non. Attendez. Je pars aussi !”
 
“Allons embêter un Roi ! Ou une Reine !”
 
“Je veux manger des baies dans la jungle !”
 






Les fées… commencent à s’éloigner. Elles montent dans un orage de bruissement d’ailes éclatantes et de mouvements. Je lève les yeux vers elles, mon cœur tambourinant dans ma poitrine pour une raison que j’ignore.
 
Elles s’en vont ? Pour toujours ? Ou vont-elles revenir ? Ce qu’elles ont dit…
 
Je m’en fiche. Vraiment. Si les Fées de Givre me laissent tranquille, je serai la première à sauter de joie…
 
Je trébuche sur quelque chose dans la neige. En levant mon pied, j’aperçois du sang. Je me suis coupée sur un caillou. Bordel.
 
Puis je lève les yeux, et elles ont disparu. Le ciel est dégagé, et les fées…
 
Les Fées de Givre sont parties. L’hiver qu’elles ont apporté avec elles demeure, mais la magie est partie. Je me sens vide. Soulagée ?
 
Non. Pas soulagée. Elles sont parties, et je ne sais pas pourquoi.
 
Je me concentre de nouveau sur ma course. N’y pense pas. Pourquoi sont-elles parties ? Que voulaient-elles dire ? Pourquoi suis-je ennuyeuse ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Qu’est-ce qui leur a tant déplu dans ma partie d’énigmes avec Teriarch ?
 
Un éclair de glace liquide sur ma gauche. Ma tête tourne si vite que j’entends un craquement.
 
Elles ne sont pas toutes parties. Je vois une silhouette d’un bleu pâle voler dans les airs à côté de moi. Une Fée de Givre, qui soutient aisément mon rythme alors que je cours dans le paysage enneigé.
 
L’une d’elle me suit encore. Juste une, qui s’envole au-dessus de moi, puis sur ma droite, assise dans les airs tandis que ses ailes battent avec une lenteur disproportionnée à la vitesse à laquelle elle va. Juste une.
 
Pour une raison que j’ignore, la tension dans mon cœur s’apaise. Je me sens un peu plus légère, même si je ne sais pas pourquoi. Je contemple la fée et manque trébucher de nouveau. Elle me fait un signe de la main et sourit.
 
Pourquoi est-elle ici ? J’ouvre la bouche pour lui poser la question, puis aperçois quelque chose sur ma droite. Quelque chose qui se rapproche à toute vitesse.
 
Je plonge instantanément la main à ma ceinture pour attraper une potion et me focalise là-dessus, sortant complètement la fée de mon esprit.  Je vois un mouvement flou - quelque chose court dans la neige, et… est-ce un rire ? Et je vois un visage pâle et pincé, et aperçois quelqu’un pendant une seconde avant qu’elle ne me dépasse en accélérant sur la route gelée à un rythme que je ne pourrais jamais atteindre.
 
Je m’arrête net dans la neige, et mes pieds font fondre la neige autour d’eaux tandis que je contemple la silhouette lointaine qui m’a dépassée et se dirige vers une autre ville.
 
Impossible. Je n’y crois pas. Mais je le dis à voix haute quand même.
 
“Est-ce que c’était… Persua ?”





***




Je n’en ai aucune idée. Je pense que c’était Persua. Elle avait le même visage étriqué*, le même teint énervant qu’à l’accoutumée, et sa posture de course était pourrie.



* Je sais qu’étriqué n’est pas le bon mot, mais je le garde pour elle. Pincé est probablement un mot plus juste, mais j’aime bien étriqué.



Mais cette manière de bouger ! Elle bougeait plus vite que moi… beaucoup plus vite. Comment ? Non, je sais comment. Une Compétence. Mais est-ce que ça peut vraiment arriver si vite que ça ? Persua était la Coursière de Ville la plus lente que je connaissais, encore plus lente que Garia parce qu’elle se prenait beaucoup de pauses. Et à présent…
 
Je secoue la tête, assise dans la petite chambre que j’ai louée au Lièvre en Folie. Erin a sa propre chambre, et j’en suis reconnaissante ; j’ai besoin de temps pour moi en ce moment.
 
J’ai terminé ma livraison. C’était facile ; je n’ai même pas besoin de chercher individuellement les destinataires moi-même avec les courriers en vrac. Je donne juste le colis à la réceptionniste de la Guilde des Coursiers locale et récupère ma paie.
 
Facile. Et maintenant, je me détends dans ma chambre, prenant les quelques heures que j’ai avant le dîner pour étudier un peu. Pas pour ruminer au sujet de Persua ; pour étudier.
 
Je soupire et baisse de nouveau les yeux sur l’énorme volume devant moi. Un livre - un grimoire magique est posé sur la table devant moi, tellement gros qu’il n’y a plus de place sur la table pour que j’y pose quoi que ce soit.
 
J’étudie la magie. C’est ce que je fais tous les jours, pendant qu’Erin saccage la boutique d’Octavia et vagabonde dans la ville. J’ai ralenti le rythme de mes livraisons pour pouvoir y consacrer du temps.
 
Apprendre la magie. Apprendre des sorts d’un livre de merveilles que Teriarch m’a donné. Et combien de nouveaux sorts ai-je appris aujourd’hui ?
 
Eh bien, aucun, en fait. Et combien en ai-je appris hier ?
 
Aucun, encore une fois. Pour tout dire, depuis que j’ai ouvert le livre à cette page, je…
 
Bloque.
 
Je contemple la page couverte de mots qui sont un mélange de magie et de langage. Ils brillent devant moi, et énoncent des secrets dans la langue magique que je ne peux comprendre qu’à une vitesse d’escargot. Mais je peux lire les mots…
 
Je ne peux simplement pas accepter ce qu’ils disent.
 
Je lève la main, et inspire. Il ne fait pas très chaud dans ma chambre ; il n’y a pas vraiment de chauffage central dans ce bâtiment, même si la chaleur monte bel et bien du rez-de-chaussée. Mais il fait quand même froid, et j’ai ouvert la fenêtre pour aérer, malgré le froid glacial du dehors. Aucune des fenêtres de l’auberge ne sont équipée de vitre, donc j’ai le choix entre garder les volets fermés et suffoquer, ou affronter la météo.
 
N’y fais pas attention. Concentre-toi. Je concentre toute mon attention sur ma main et tente de pousser une force invisible au bon endroit. Laisse-la se condenser, comme de la pluie. Crée un courant et pousse...
 
“[Jet d’Eau].”
 
Je prononce les mots, et essaie d’utiliser la magie. Mais rien ne se produit. Je contemple ma main, et répète les mots.
 
“[Jet d’Eau].”
 
Là encore, ma main et l’air qui l’entoure sont parfaitement immobiles.
 
“Bordel.”
 
Ça ne marche pas. Je regarde de nouveau la page du livre et serre les poings. Encore un échec.
 
“Ça ne fait aucun sens. Ce n’est pas…”
 
Je prends une autre inspiration, et essaie d’exhaler lentement. Non. Ça ne veut vraiment pas marcher, pas vrai ? Je n’arrive pas à comprendre. C’est…
 
Ça ne marche pas.
 
Je me lève et fais lentement le tour de ma petite chambre. Oui. J’essaie d’esquiver cette conclusion depuis un bon moment. Jour après jour, j’ai réessayé, mais je ne suis pas davantage prête à trouver la réponse aujourd’hui que je ne l’étais la veille.
 
“J’en suis incapable.”
 
Voilà la véritable raison pour laquelle mes journées ne sont pas au top. Le stress, les Gobelins, tous mes soucis sont une chose, mais je crois que j’aurais pu les gérer s’il n’y avait pas eu cela.
 
Je ne peux pas apprendre la magie. Je pensais en être capable, mais non. Teriarch m’a donné ce livre, un guide complet pour débutants qui devrait me permettre d’apprendre tous les sorts facilement et rapidement. Bon sang, j’ai acquis l’un des sorts de ce bouquin en quelques minutes ! Mais j’ai essayé de lire d’autres sorts avant de livrer le livre à Krshia et… ça ne marche tout simplement pas pour moi.
 
Les deux premiers sorts étaient faciles. J’ai appris un petit tour de magie de télékinésie - la capacité à soulever des choses dans les airs comme Ceria et Pisces. Quelque chose d’accessible, et j’ai vraiment dû bosser pour réussir à soulever davantage que les quelques flocons sur la table, mais c’était relativement facile à comprendre. Et ensuite, j’ai compris comment faire des courants d’air, encore un petit tour rigolo. Mais ensuite, j’ai commencé à lire un autre sort - [Jet d’Eau], un sort vraiment simpliste qui doit probablement être d’Échelon 0, et je me suis retrouvée bloquée.
 
Je regarde de nouveau la page. Il n’y a pas d’images, probablement parce que la magie n’est pas quelque chose que l’on peut décrire avec des mots. Mais je regarde les explications décrites sur la page et je sais exactement ce qu’il faut faire.



Laissez la magie se condenser, se fondre dans un liquide, une chose réelle. Laissez-la s’accumuler et croître en un torrent, puis un océan qui lui est propre. Tenez-la, puis laissez-la se manifester en la poussant vers l’extérieur dans la forme que vous désirez. La magie est, comme l’eau, un courant à guider, mais à ne surtout jamais forcer. Vous ne pouvez obliger la mer à bouger, mais vous pouvez lui offrir un canal…




Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à saisir cela ? Eh bien, parce que je n’arrive pas à croire que ça marche. Tout simplement. Je comprends comment fonctionne le sort et comment je fais apparaître de l’eau dans les airs mais…
 
Je n’y arrive pas. Ça viole les lois de base de la physique. Pour lancer [Jet d’Eau], j’ai besoin de transformer la magie en eau, l’ancrer dans une forme puis utiliser la magie pour la transformer en jet. Facile.
 
Mais je sais que c’est impossible. Transformer la magie en matière ? Ça ne marche pas comme ça. Ça viole les lois de la thermodynamique ! Et la conservation de l’énergie ? L’eau se dissipe vite, mais est-ce qu’elle s’évapore ou est-ce qu’elle redevient de la magie ?
 
Et le feu, alors ? Comment peut-il mimer une réaction naturelle s’il brûle… de la magie ? Est-ce qu’il brûlerait encore dans une pièce sous vide ?
 
Je serre ma tête entre mes mains. Rien ne va. Ça devrait être facile. Je comprends comment ça marche, mais à présent…
 
Je n’arrive pas à croire que ça marche. C’est le problème. Toute la science que je connais, toutes les lois de ma réalité avec lesquelles j’ai grandi… me disent que ce que j’essaie de faire est impossible, me font douter de ce que je fais et poser des questions auxquelles le livre ne peut pas répondre.
 
Et la magie, c’est en partie de la foi. C’est obligé. Si je ne crois pas que ce que je fais va fonctionner, cela ne fonctionnera pas. Et je ne crois pas que je peux jeter ce sort. Je suppose que je n’y avais tout simplement pas réfléchi avec le sort de [Lumière] ni même lorsque j’avais appris à faire du feu. Mais fabriquer de l’eau à partir de rien ne…
 
Le problème devient une boucle d’erreurs dans ma tête tandis que je lutte pour me convaincre que je peux créer de l’eau à partir de rien. Mais ça ne m’aide pas. Je peux essayer de jeter le sort, mais ça ne marchera pas. il faut que je sache. Il faut que je comprenne, et je pense que…
 
“Je ne peux pas le faire.”
 
Pas avec ce livre. Je baisse les yeux sur ce dernier, et j’ai envie de vomir, ou de le jeter par ma fenêtre. C’est tellement facile d’apprendre avec ce livre. Cela devrait l’être. Mais comme je suis allée à l’école et que j’ai suivi toutes ces satanées leçons sur le fonctionnement du monde, je ne peux pas croire en ces sorts.
 
“L’éducation a tué la magie.”
 
Je ne veux pas croire que ce soit vrai, mais je suis coincée sur ce sort. Je ne pourrai pas avancer avant de l’avoir saisi… je ne peux pas. Même lorsque je regarde d’autres sorts, tous les doutes qui ont surgi sous mon crâne à cause de celui-ci me suivent de page en page.
 
Peut-être que si je le regarde encore un moment, il se passera quelque chose. [Jet d’Eau]. Transformer la magie en eau, l’eau apparaît. Je ne peux pas…
 
Bordel.
 
Je me sens tellement misérable, tellement en colère contre moi-même que j’ai envie de transpercer quelque chose avec moi poing. Un mur, peut-être. Je serre les doigts de ma main droite et contemple mon poing déformé.
 
Encore une chose à rajouter à la dépression de ma journée. Je contemple le livre et ma main.
 
Ce n’était pas une mauvaise journée, aujourd’hui. Pas vraiment. J’ai fait quelques livraisons. J’ai pu voir Erin coller un coup de poing à un aventurier en pleine face. J’ai vu Persua…
 
Et les fées pensent que je suis ennuyeuse. Elles sont parties.
 
Toutes sauf une.
 
Je regarde par la fenêtre. Le ciel est gris et les toits sont couverts de neige. Mais est-elle dehors ? Ou est-ce qu’elle est partie elle aussi ?
 
Elle est là. Je ne m’en étais même pas rendu compte au début. Mais je vois quelque chose flotter juste derrière ma fenêtre. Une silhouette bleu ténue, qui se tient si immobile dans les airs que je n’avais même pas remarqué qu’elle m’observait.
 
Une Fée de Givre croise mon regard. Je la regarde fixement et manque de peu tomber de mon siège. Mais elle se moque de moi alors que je la contemple et je sens le vent souffler dans ma chambre.
 
“Salut ?”
 
Elle me sourit et flotte un peu vers moi. Le vent souffle fort, mais elle n’a même pas l’air impactée par l’air qui souffle dans mes cheveux et fait tourner les pages du grimoire. Elle est dans un petit monde à elle, mais elle s’arrête tout au bord du rebord de ma fenêtre.
 
Oh. C’est vrai. Je la regarde, puis je regarde la chambre où je me trouve. Les fées sont un peu comme les vampires. Elles ne peuvent pas entrer à moins d’être invitées. Est-ce que j’ai le droit de le faire ? Je ne possède pas cette auberge…
 
Mais je loue cette chambre. Je toussote et m’éclaircis la gorge.
 
“Entre. Si tu veux.”
 
La fée me dévisage un bref instant, puis acquiesce. Elle pose le pied sur le rebord de ma fenêtre et entre en dansant dans la pièce, tourbillonnant et se posant sur mon bureau d’un bond d’une grâce naturelle. Le bois givre au contact de ses pieds, et je sens le froid qui émane d’elle.
 
La fée est parcourue d’un frisson, ce qui n’est pas mon cas. Elle regarde la pièce d’un air sombre.




“Trop de fer glacé ici. Ce n’est pas un bon endroit pour pratiquer les magies véritables, ni pour les représentantes de mon espèce. Mais là encore, tu ne peux même pas réussir à faire quelques tours de magie, donc le fer ne doit pas trop te ralentir.”
 




Ce sont les premiers mots qu’elle me dit. Pas de “Salut” ou de “Comment vas-tu ?” ni même de “Désolée de t’avoir espionnée tout ce temps”. Elle se contente de bondir droit au cœur de la conversation, juste comme ça. J’aime bien ça chez les fées.
 
“Tu veux dire que le fer interfère avec les sorts ? Est-ce la raison pour laquelle je ne parviens pas à apprendre celui-ci ?”
 
La fée secoue la tête en se moquant du gros tome sur ma table. Elle marque sur l’une des pages et donne un coup de pied au parchemin.





“Pshou. La magique que t’enseigne ton livre n’est qu’un fragment de la magie véritable. Tu devrais le savoir.”
 





“En effet. Mais je ne connais pas de magie véritable. Un fragment, c’est mieux que rien.”
 
La fée hoche la tête, puis me lève les yeux vers moi.




“Certes. Mais tu ne peux même pas apprendre cela, n’est-ce pas ? Je t’ai observée, et un crapaud réussirait à comprendre ce sort plus vite que toi.”
 




Je me mords la langue. Mais elle a raison.
 
“Je n’arrive pas à le comprendre.”






“Et tu ne le comprendras pas. Tu réfléchis trop et ressens beaucoup trop peu. Tu cherches des règles là où il n’en existe aucune, et crées les tiennes pour te faire obstacle. Tu n’apprendras pas la magie ainsi.”
 





Je n’ai pas envie d’entendre ça. Mais les mots de la fée sonnent juste. Je serre de nouveau les dents, mais… elle n’essaie pas d’être malpolie. D’accord, elle ne réfléchit pas trop avant de parler, mais j’en connais suffisamment sur les fées pour savoir qu’elle est directe avec moi, et aussi serviable que possible.
 
“Merci du conseil.”
 
Elle incline la tête avec une dignité royale. Je sais que je ne devrais jamais remercier une fée, si j’en crois la légende du moins, mais elle n’a pas l’air malveillante. Bon sang, les fées connaissent mon nom complet et elles ne m’ont rien fait.
 
Que veulent-elles ? Je m’éclaircis la gorge de nouveau, mal à l’aise, tandis que la fée examine ma petite chambre. Je suis là, avec une fée dans ma chambre. Il faudrait… c’est la dernière. Il faut que je pose des questions. Mais d’abord, il faut que je la fasse se sentir la bienvenue.
 
“Est-ce que je peux t’offrir quelque chose ? À boire, à manger ?”


“Est-ce que tu as quoi que ce soit ?”
 


“... Non.”




“Alors n’offre rien, imbécile.”
 


Okay, cette conversation a mal commencé. Je regarde fixement la fée qui bondit dans les airs au niveau de mes yeux et s’assied là, comme s’il y avait un coussin invisible sous elle.
 
“Pourquoi es-tu ici ? Toute seule, je veux dire. Toutes tes amies se sont envolées.”



“En effet. Elles se sont lassées de toi, et sont parties chercher de l’effervescence ailleurs.”
 



Une réponse franche. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi.
 
“Est-ce à cause de la partie d’énigmes que j’ai faite avec Teriarch ? Est-ce la raison pour laquelle elles sont toutes parties ?”



“Entre autres.”
 



La fée hoche la tête en grattant le dessous de son pied d’un minuscule doigt. Elle baille largement, exposant ses dents acérées.




“Mes sœurs pensent que c’était mal joué. Elles n’apprécient pas les ruses des nombres, mais ces dernières sont tout aussi bonnes que les ruses des mots, à mon sens.”
 



“Tu n’es pas d’accord ?”



“J’apprécie ce genre de choses de temps en temps, et c’était bien joué de ta part de réussir à gagner même en perdant. Nous ne sommes pas toutes les mêmes, au sein de mon espèce. Est-ce que cela te surprend que l’une d’entre nous aime autant la danse des pensées que celle des langues ?”
 



Non. J’aurais dû savoir que toutes les fées n’étaient pas les mêmes. Je me disais juste… d’accord, peut-être que c’était relativement raciste. Spéciste ? Comment se fait-il que les espèces immortelles, Dragons et Faes, aient tendance à me laisser stupéfaite et sans voix ? C’est comme si tout mon cynisme et toutes mes questions complexes fondaient en leur présence. Il est impossible de douter de leur présence lorsqu’ils sont en face de vous.
 
La fée pointe du doigt un objet sur le point de tomber au bord de mon bureau. Le sac sans fond rempli de pièces d’or a l’air anodin ; il a l’air tout juste assez grand pour une poignée de pièces au mieux, certainement pas assez gros pour contenir ce livre magique. Mais il peut contenir un espace gigantesque - je me suis rendue compte que je pouvais y rajouter tous mes draps et deux chaises en plus de ce qu’il contient.  Ensuite, il se comporte comme un sac normal jusqu’à ce que je me mette à en sortir des trucs. Je n’ai pas encore trouvé le courage d’y rentrer la tête.
 
 
 
 
 
 
“Ci-gît ta récompense pour un duel avec un Dragon. Des pièces d’or et un sac magique pour les garder. N’est-ce pas là le rêve de tous mortels ? Où aurais-tu préféré obtenir autre chose du vieux couvert d’écailles et de fumée ?”
 



 
 
“Je ne sais pas. Peut-être ?”
 
La fée vole droit sur moi et me gifle le nez avant que j’aie eu le temps de cligner des yeux. Je pousse un glapissement et touche ma chair gelée - elle me fusille du regard.



“Soit c’est oui, soit c’est non. Ne réponds pas à une question par une autre question, espèce d’imbécile.”
 



Là encore, je dois contenir mon envie de rendre les coups. Je perdrais, probablement, et je sais que les fées sont susceptibles. Et elle a raison. En quelque sorte.
 
“Désolée. Je ne sais pas ce que je voulais obtenir de lui. Peut-être que j’aurais pu lui demander de m’enseigner la magie.”



“Il aurait dit non. C’est un balourd paresseux, ce wyrm.”
 





“Peut-être. Mais j’ai obtenu la plupart des choses que je voulais.”
 
Elle hoche la tête, et je me tais quelques instants. La véritable question brûle sur ma langue. Il faut que je sache, et je lui pose donc la question.
 
“Qu’as-tu dit lorsque les autres sont parties ? Que veulent vraiment de moi les Faes ? De ce monde ?”
 
Elle me dévisage d’un air condescendant.



“Pourquoi me poser une question à laquelle tu sais que je ne répondrai pas ? Tu veux connaître plus de choses que tu ne le devrais. Tu poses une question à laquelle je pourrais répondre avec dix mille mots comme si c’était facile.”
 




“Et alors ? Je suis curieuse. Est-ce que ma question était trop large ? Pourquoi tu me suis ?”
 
La fée soupire avec une patience exaspérée.



“Pourquoi est-ce que je suis qui que ce soit ?”
 




“Je croyais que tu avais dit qu’il ne fallait pas répondre à une question par une autre question.”’
 
Cette fois-ci, je suis prête et je tente de la gifler lorsqu’elle vole vers mon visage. La fée virevolte au-dessus de ma main avec une grâce agile et me donne un coup de pied sur le front. Pour une si petite créature, elle cogne fort.




“Tu es maligne comme un cul, dis-moi ? Je te suis et t’observe au cas où tu accomplisses un acte valeureux. Tu nous as raconté des histoires, à mon peuple et à moi, et nous as demandé d’oser défier le destin. Tu as marchandé avec un Dragon, et rencontré un être qui règne sur la mort. Y a-t-il un ou une autre mortelle que je devrais m’embêter à suivre qui ait accompli davantage ?”
 



Lorsqu’elle dit ça comme ça… je rougis presque. Je m’éclaircis la gorge. C’est tellement gênant, mais la fée n’a pas l’air le moins du monde embarrassée, et cela m’embarrasse d’autant plus. Elle ne ment pas ; elle dit simplement ce qu’elle pense.
 
“Tu me suis depuis un bon moment, pas vrai ? Je pensais que tu m’étais familière… est-ce que j’ai déjà parlé avec toi en particulier avant ?”
 
Elle acquiesce et se fend d’un bref sourire.





“Oh oui. Je t’ai suivie avec les autres pendant ta course, et je suis celle que tu as frappée. J’ai écouté tes contes des Humains de ton monde, et c’est moi qui t’ai prévenu de la présence des armées et qui t’ai guidée dans la forêt. J’étais là lorsque tu as passé ton marché, et j’ai accepté le deuxième prix. Je suis surprise que tu l’aies remarqué ; la plupart des êtres ne peuvent pas nous différencier.”
 





Je me disais, aussi. Pendant très longtemps, je pensais que toutes les fées étaient interchangeables, mais celle-ci… nous avons discuté beaucoup plus que ce que je le pensais, elle et moi. Je contemple la petite fée, et sens une connexion soudaine se créer entre nous.
 
“Et donc, toutes tes sœurs sont parties parce que je suis trop barbante et tu restes encore dans le coin. Que veux-tu ?”



“Que crois-tu que je veuille ?”
 




La fée me regarde droit dans les yeux, me défiant presque de pointer du doigt à quel point elle reste évasive. Je ne le fais pas, cette fois-ci. Au lieu de cela, je réfléchis. Elle ne me répond pas parce qu’elle ne peut pas me répondre. Ou elle n’en a pas envie. Alors, quelle est la réponse ?
 
“Peut-être... parce que tu veux quelque chose de moi. Ou que je peux faire quelque chose pour toi ?”
 
La minuscule fée lève les yeux au ciel.



“Hah !”
 




Okay, ce n’est pas ça. Alors, il y a quelque chose d’autre. Ou…
 
“Est-ce que c’est juste parce que tu veux voir ce qui va se passer ensuite ?”




“Une réponse évidente. J’imagine que tu as raison.”
 




La fée secoue sa petite tête, déçue. Je me sens coupable, comme si j’avais échoué à un test facile. Mais que peut-elle vouloir ?
 
J’aimerais qu’Erin soit là pour répondre. Elle aurait cette putain de réponse en une seconde, d’une manière ou d’une autre. Elle est plus douée avec les gens que moi. Elle deviendrait amie avec la fae en un battement de cœur - elle pourrait probablement se lier d’amitié avec un ours enragé.
 
Mais là encore… même elle a eu des problèmes avec les fae par le passé. Elle m’a raconté leur arnaque avec les fausses fleurs. Je suis vraiment la seule personne à les avoir supportées pendant une longue période. Les fées sont restées avec moi, et j’ai même réussi à gagner leur respect.
 
Et celle-ci m’a suivie longtemps. Même après le départ de ses amies, elle est restée ? Pourquoi ?Elle est presque comme…
 
Comme…
 
“Une amie.”
 
La fée lève les yeux sur moi. Elle était en train de virevolter dans les airs, mais elle s’immobilise soudain, la tête en bas, et me dévisage.





“Quoi ?”
 




“Est-ce que c’est ce que tu veux ? Une amie ?”
 
C’est une question stupide. Et une conclusion stupide. Nous ne sommes pas dans un programme télé pour enfant, mais peut-être… non.
 
Si.





“Amies ? Tu serais amie avec les Faes ?”
 



Elle se moque de moi en pouffant. Mais le visage de la minuscule fae n’est pas aussi sincèrement agacé qu’à l’accoutumée, et je vois quelque chose ressemblant à un sourire pétiller derrière ses sourcils froncés. Je lui souris.
 
“Peut-être. Je ne serais pas mécontente que l’une de vous flotte à mes côtés. J’ai entendu parler d’un certain héros à qui c’est arrivé pendant un sacré bout de temps.”






“Je ne suis pas un animal de compagnie, mortelle.”
 




“Non, mais je t’intéresse. Et si tu as décidé de me suivre, pourquoi ne pas apprendre à se connaître ?”
 
La fée est allongée sur le côté dans les airs et pose sa tête sur une main en me dévisageant. Sérieusement, cette fois-ci.





“Sais-tu ce qui se produirait si tu osais te mêler aux fae ? Il y a des lois, mortelle. Des lois qui ne devraient pas être enfreintes.”
 




J’hésite. À présent, j’ai l’impression d’être soumise à un test. Mais je ne peux me fier qu’à ce que je connais d’elle. J’ai beaucoup vu les fae, et je pense que je comprends la réponse à cette question. Je hoche la tête, tout aussi sérieusement qu’elle.
 
“Il y a des conséquences. Je sais. De graves conséquences. Mais une amie ne serait-elle pas prête à tout risquer pour une autre amie ? Je serais honorée d’apprendre à te connaître, si tu le voulais bien.”
 
Pendant une seconde, le visage de la fée demeure impassible. Elle me dévisage de la tête aux pieds. Puis elle me sourit.





“Bien ! Tu comprends enfin un peu. Tu es tellement bête, toi, que j’ai cru que tu ne le comprendrais jamais.”
 



Je cligne des yeux. Mais la fée se rapproche d’un coup d’ailes, et me sourit de nouveau.




“Je me suis intéressée de nouveau à ton espèce, après si longtemps. Si tu veux me parler, j’imagine qu’il est préférable d’être des amies que des inconnues, eh ?”
 




Je n’arrive pas à y croire. Mais soudain, mon cœur bat la chamade, et je sens un élan de passion et de vie envahir ma poitrine. Je me sens de nouveau vivante.
 
“Je… bien sûr. J’en serais honorée, comme je le disais. Je m’appelle Ryoka Griffin, mais tu le savais déjà. Est-ce que je peux te demander ton nom ou est-ce que c’est mal ?”
 
La fée réfléchit.






“Mon nom - mon véritable nom - est un secret pour tous. Et tu ne pourrais pas le prononcer de toute manière. Mais tu peux m’appeler… Ivolethe.”
 




Ivolethe. Le nom résonne dans mes oreilles un bref instant. Mais la fée n’en a pas terminé. Prudemment, elle tend une petite main dans ma direction. C’est une main tellement petite, mais je tends un doigt et la laisse le serrer. Pendant une seconde, une seconde infime, je sens du froid, une froideur des plus profondes, et en même temps un frais merveilleux, une brise rafraîchissante et le goût de l’hiver sur ma peau. Ce n’est pas du tout déplaisant ; j’aurais pu rester ainsi à jamais. Mais son toucher cesse soudain.
 
Mais la fée est restée. Ivolethe s’envole et se pose sur la table. Je la dévisage, et la voit sourire de nouveau. Des dents pointues, et un regard plus vieux que le monde. Ses ailes insectiles s’agitent, et elle se met à geler le bois sous ses pieds. Mais elle est là, et elle et moi sommes amies.
 
Je suis amie avec une fée.
 
Soudain, tout va bien de nouveau.
 




La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

https://aubergevagabonde.wordpress.com/
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 26 décembre 2021 à 22:03:16
3.04 Partie 1
Traduit par Maroti
5899 mots

Erin eut une crise de panique quand je descendis avec Ivolethe sur mon épaule.

« Oh mon dieu ! Une fée ! »

Elle ne faisait pas dans la subtilité. Tout le monde se tourne vers moi et je regarde Ivolethe. La petite fée est simplement assise sur mon épaule, et regarde autour d’elle avec intérêt.

Elle n’est même pas si froide que ça ; elle est évidemment partiellement constituée de glace, mais elle ne me donne pas des engelures, ce qui est une nette progression. Pour être franche, c’est comme avoir un climatiseur miniature sur son épaule. Pas idéal en hiver, mais je ferai tout pour avoir quelque chose du genre en été.

« Comment est-elle rentrée ? Ne refais pas d’avalanche ! S’il te plait ? Ce n’est même pas mon auberge ! »

Je suis obligé de sourire alors qu’Erin essaye de se protéger en utilisant un plateau comme bouclier. Elle n’est vraiment, vraiment incapable d’être subtile. J’attends que quelqu’un demande à Erin ce qu’elle voit…

Jusqu’à ce que je réalise qu’ils sont toujours en train regardés. Tout le monde. Agnès, les clients, les deux serveuses, tout le monde. Et ils sont directement en train de regarder Ivolethe.

Lentement, je me tourne vers la fée sur mon épaule. Elle semble normale, mais…

« Dis Ivolethe. Est-ce que les autres… Peuvent te voir ? »

La fée hausse les épaules alors qu’elle regarde la pièce.

 « Peut-être. Il y a trop de fer ici. Trop pour que je puisse utiliser mon glamour. »

Elle regarde l’un des visages ébahis.

  « Oui. Je pense qu’ils peuvent, sinon ils ne seraient pas en train de gober les mouches. »

« Ça parle ! »

Agnès s’exclama avec un air horrifié. Ouaip. Ils peuvent entendre Ivolethe. Je regarde Erin. Elle me rend mon regard.

« Attends, où est le reste, Ryoka ? »

Je regarde la pièce. Tout le monde est toujours en train de regarder. Cela devient incroyablement gênant.

« Je, heu… Vais t’expliquer. Est-ce que nous pouvons nous asseoir, Erin ? Agnès ? »

Cela brise le sort. En quelques secondes je suis assise au centre de la pièce, alors que tout le monde essaye de s’approcher de moi en me posant des questions. Je déteste ça. J’essaye de bouger vers un des coins de la pièce, mais Erin ne veut rien entendre et Agnès est souriante. Elle est probablement en train de se dire qu’elle vient de trouver une nouvelle attraction pour son auberge.

Ivolethe ne semble pas concerné. Elle regarde les Humains autour de nous, principalement des femmes et de vieux hommes, probablement des couples mariés ou des voyageurs, et renifla. Je dois dire qu’elle et toutes les fées ont cet air de petites reines, avec l’arrogance qui vient avec.

  « Alors ? Qu’est-ce que vous êtes tous en train de regarder ? »/color]

Personne ne bouge. Même Erin regarde Ivolethe avec fascination alors qu’elle reste assise sur mon épaule. Je me racle la gorge.

« Elle a raison. C’est une affaire privée, donc est-ce que vous pouvez nous laisser en paix ? »

  « Oui, hors de ma vue où je vais vous maudire avec ma magie féérique ! »

Personne ne bouge. Ivolethe fronce les sourcils. Pour ma part, je suis perdue. Normalement mon… Charmant tempérament est suffisant pour effrayer les plus amicaux des curieux, mais ces personnes sont trop fascinées par elle. L’un d’entre eux, un homme de forte carrure avec d’immenses avant-bras, parle.

« Est-ce que c’est réellement un Esprit de l’Hiver ? Vraiment ? »

« Ouaip ! Elle est super cool, pas vraie ? Je suppose que les fées ne peuvent pas se camoufler quand elles sont à l’intérieur, hein ? »

Encore plus de confusion et de regard parmi les curieux.

« Des fées ? Qu’est-ce que sont les fées ? »

J’ouvre la bouche au même moment qu’Erin, mais nous nous arrêtons toutes les deux. Ce monde ne connait pas les fées ? Même quand il y a de véritables fées qui viennent régulièrement ? Ivolethe se redresse sur mon épaule, indignée.

  « Enfants ! Imbéciles ignares ! Je suis un membre de la Cour d’Hiver ! Je demande le respect qui m’est dû ! »

L’homme la regarde avec curiosité. Je pressens… Des ennuis.

« Elles sont les créatures qui amènent l’hiver chaque année ? »

« Et qui nous jettent de la neige depuis le ciel ? »

« Et qui tourmente les animaux ? »

Quelques-uns des autres curieux se concentrent sur Ivolethe. Je dois l’admettre, elle ne montre pas une once de peur. Est-ce que les fées peuvent avoir peur ? Est-ce que je les ai déjà vues effrayées ? Oh, oui. C’était quand elles avaient attiré le courroux d’un Dragon cracheur de fée. Merde.

« Je ne pense pas que l’agacer soit une bonne idée. »

Erin semble effrayée. Elle m’a déjà dit que les fées avaient enseveli son auberge sous une avalanche, car Pisces les avaient agacés. Je… Ne veux pas que cela arrive ici.

Mais Ivolethe semblait se retenir plus qu’à l’habitude malgré son net agacement. Pourquoi ? Le côté analytique de mon esprit prend moins d’une seconde avant de fournir une réponse à mon triste cerveau.

Normalement, n’importe quelle fée aurait lancé de la neige ou gelé les personnes autour de nous pour les avoir énervés à ce point. Mais Ivolethe n’avait pas encore fait cela, car elle en était incapable. Le fer sapait la force des fées et les rendait mortelles. Elle ne pouvait pas utiliser sa magie.

Ce qu’elle pouvait utiliser était ses paroles. Et elle ne se gêna pas.

  « Va-t’en, imbécile, ou je te ferais souffrir ! C’est une promesse de fée ! »

Ce n’est pas bon signe ! J’ouvre ma bouche, mais le baraqué n’est pas impressionné.

« Tu ne peux rien faire. Tu es comme l’un de ces Korrigans sur Baleros. Minuscule. »

Il la tapote prudemment du doigt là où ses seins auraient été si elle avait des tétons. J’ouvre la bouche et je recule ma chaise, mais Ivolethe bouge avant moi. Sa petite bouche s’ouvre et elle mords.

Le cri est immédiat et bruyant. Ivolethe est peut-être petite, mais elle est assez grande pour arracher un bout du doigt de l’homme. Mais c’était plus qu’un bout, elle mord assez fort pour que je puisse voir l’os de son doigt lorsqu’il retire sa main. Ses dents ont traversé la chair comme du beurre.

L’homme hurle de nouveau alors qu’il tient son doigt ensanglanté. Tout le monde, moi y compris, regarde Ivolethe avec horreur. La fée semble suprêmement s’en moquer alors qu’elle tourne sa tête pour dévoiler ses joues gonflées. Elle mache, avale, et nous fait un sourire ensanglanté. Puis elle fait signe à Agnès, dont le sourire s’est figé.

  « Aubergiste ! Ta meilleure viande et ta meilleure boisson ! Je suis une cliente en ces lieux, n’est-ce pas ? Je demande à être servie ! »

Les curieux désertent notre table en une poignée de seconde. Le baraqué aurait pu revenir pour se venger, mais Agnès l’éloigne avec la promesse d’une potion de soin. Erin et moins regardons Ivolethe alors qu’elle saute de mon épaule pour arriver sur la table. Après quelques instants, Erin se tourne vers moi.

« Donc… Ryoka. Est-ce que tu peux me présenter ton amie ? »

Je hoche la tête. Ivolethe bondit de joie alors qu’une des serveuses s’approche avec du ragout. Erin a dû le faire, car l’odeur est alléchante. La fée plonge dans le bol comme si c’était une baignoire et commence aussitôt à mordre sur ce qui l’entoure. Je bouge délicatement le bol au milieu de la table et me racle la gorge.

« C’est… Ivolethe, Erin. L’une des Fées de Givre qui me suit depuis que je les ai rencontrés. Et elle est mon amie. »

« Oui. C’est ce que j’ai dit. »

« Non, ce que je veux dire c’est qu’elle est mon amie. Je suis amie avec une fée. »

Est-ce que je l’ai dit avec trop de révérence ? Peut-être. Mais les mots que je viens de prononcer sont magiques à leur manière. Une fée. J’ai vraiment une fée assise en face de moi, en train de mordre un morceau de pomme de terre qui a la taille de sa tête dans un bol de soupe. Mon amie.

« Oh mon dieu. »

Erin comprend enfin. Elle met ses mains sur ses joues de ravissement.

« Tu t’es fait une amie ! Ryoka s’est fait une amie ! Je suis vraiment ravie de te rencontrer, Ivolethe ! Toute amie de Ryoka est aussi mon amie ! Je suis certaine que nous allons bien nous ent… »

  « Non. »

« Pardon ? »

Ivolethe ne regarde même pas Erin. Elle prend une autre bouchée de sa pomme de terre et roule le reste en boule avec ses deux mains. Puis elle trempe le morceau dans la sauce et le dévore. Sa manière de manger est à la fois dégoutante et fascinante.

  « Je ne serais pas ton amie, Humaine. Je me suis déjà fait une amie, et elle est la raison pour laquelle je suis entré dans cet endroit de fer et de sac de chair. Je n’ai pas besoin d’un autre ami, et si c’était le cas, cela ne serait certainement pas toi. »

Le visage d’Erin se décompose. Je ne la regarde pas vraiment, et je ne suis pas vraiment en train de sourire derrière ma main. Il semblerait qu’elle est rencontrée quelqu’un qu’elle ne peut pas immédiatement charmé. Hah !

« Quoi ? Mais vous m’aimez, pas vrai ? »

  « Pourquoi est-ce que moi, ou l’une de mes consœurs aimerions un gâchis d’espace comme toi ? »

« J’ai… J’ai fait un grand festin pour vous toutes ! Vous l’avez adoré ! Et vous m’avez payé en or, qui s’est révélé être des fausses fleurs, mais vous avez dit que c’était un bon repas ! C’est la vérité ! »

Je tousse.

« Je ne pense pas qu’Ivolethe était présente, Erin. Toutes les fées n’étaient pas dans ton auberge. Certaines d’entre elles sont toujours restées avec moi. »

« Oh. Mais j’ai fait de la nourriture ! De la nourriture magique ! J’ai même eu une Compétence pour ça ! »

Ivolethe semble légèrement impressionné. Elle arrête de manger pour étudier Erin de haut en bas.

  « Vraiment ? Un banquet de fée ? Je n’étais pas présente, mais mes consœurs en ont parlé. Ma réponse reste non. »

J’interromps Erin avant qu’elle puisse réessayer. Je ne sais pas vraiment comment Ivolethe réagirait si Erin continuait d’essayer de la convaincre, et je n’ai pas envie qu’elle perde un doigt.

« Je suis certaine qu’Erin respecte ta décision, Ivolethe. Mais elle est aussi mon amie. Ma meilleure amie Humaine. J’ai, heu, je me demandais juste si nous pouvions parler. À moins que tu sois occupée ? »

Erin me lance un regard blessé, mais Ivolethe secoue la tête. Elle s’enfonce dans sa soupe ; je remarque qu’il n’y a plus de fumée qui sort du bol, et il semblerait que la sauce est en train de geler à cause de la présence glaciale d’Ivolethe.

  « Si j’avais quelque chose à faire, je serais en train de le faire. Et nous sommes déjà en train de parler, imbécile. »

Aïe. Ivolethe est mon amie, mais elle est clairement le genre d’amie qui continue de t’insulter malgré la proximité. Je me suis toujours demandé ce que cela faisait d’avoir un ami comme ça.

Je me suis aussi demandé ce que cela faisait d’avoir un véritable ami. Peut-être que c’est pour ça que je n’arrive pas à arrêter de sourire. Erin nous lance un regard étrange.

« Tu as l’air vraiment flippante, Ryoka. »

« La ferme, Erin. Ivolethe ? Pourquoi est-ce que tout le monde peut te voir à l’intérieur ? Est-ce que c’est à cause du fer ? »

Ivolethe se redresse dans son bol alors que deux autres arrivent pour Erin et moi, accompagnés avec du pain doux et moelleux. Elle regarda les autres tables, et tous les autres clients se concentrent de nouveau sur leur repas.

  « Hmf. C’est le fer. Il y a trop d’interférences avec notre magie. Cela n’aurait pas d’impact à l’extérieur, mais l’intérieur est une sorte de cage. Je ne peux pas utiliser mes sorts. Mais je peux mordre. »

Elle me sourit de nouveau, montrant ses dents aiguisées. Erin frissonne.

« Intéressant. Mais Erin et moi pouvons vous voir à l’extérieur comme à l’intérieur. Pourquoi cela ? »

Un petit haussement d’épaules.

  « Je ne sais pas. Si vous aviez des yeux de chat ou de dieu… Où que vous étiez des grands maîtres de la magie comme Myrddin, cela aurait du sens. Mais vous n’êtes rien de cela. »

Erin semble confuse.

« Qui est Myrddin ? »

« Merlin, Erin. »

« Oh. Oh. Merlin ! Il est réel ? Comment était-il ? Est-ce qu’il avait un bâton magique qui le rendait cool ? Quel genre de magie fai… »

Je coupe Erin, même si j’ai aussi envie de savoir. Le truc avec les fées était qu’il fallait rester sur le même sujet et continuer de leur poser des questions. Il était facile de se laisser distraire et de suivre une piste de miette de pain, sans jamais trouver la vérité.

« Nous n’avons pas ce genre de magie, Ivolethe. Donc comment pouvons-nous vous voir ? Est-ce qu’il y a des mortels qui peuvent voir les fées ? »

Elle hausse de nouveau les épaules.

  « Bien sûr. Si tu te tiens au bon endroit sous une pleine lune, ou que tu nous surprends à danser sans glamour… Ou si tu as bu la boisson des fées, tu serais capable de nous voir, mais je le saurais si c’était le cas pour vous. »

« La boisson ? Des fées ? »

Erin semble de nouveau confuse, donc je lui explique. Comment cela se fait qu’elle ne connaisse rien sur les mythes des fées ?

« La boisson des fées est donnée aux personnes en qui les fées ont suffisamment confiance pour pouvoir rentrer dans un fort de fées. Ils seront capables de voir le monde secret en buvant cette boisson. C’est bien ça ? »

Un ricanement narquois.

  « Pas du tout. Tu ne peux pas simplement faire une boisson des fées par chance. Tu as besoin de l’essence d’innombrable chose inconnue des humains. Des poisons et substances néfastes qui dépassent votre espèce. »

« Comme… ? »

Ivolethe soupire de manière dramatique. Mais il y a quelque chose de malicieux dans son regard.

  « Tu veux véritablement le savoir ? Soit, alors prennent le plus d’insectes possible, Humaine ! Écrase-les dans ta bouche, car l’un des ingrédients est la carapace d’un insecte qui peut être utilisé pour faire du sang à partir de l’eau. »

« Beurk ! Vous devez manger ça ? »

Ivolethe hocha la tête, satisfaite, alors qu’Erin fait la grimace. Mais je m’arrête. Du sang à partir d’eau ? C’était comme une énigme ; probablement la partie d’un poème pour présenter la boisson des fées. Du sang à partir de l’eau. Une teinture ?
« Quand tu parles d’insectes qui peuvent être utilisés pour créer du sang à partir de l’eau… Est-ce que tu parles de carmin ? Si c’est le cas, Erin et moi en avons déjà beaucoup mangé. »

« Quoi ? C’est vrai ? »

Erin me lance un regard horrifié. Ivolethe lève soudainement les yeux vers moi alors que je hoche la tête.

« Le carmin est un ingrédient commun dans tout ce qui est rouge, Erin. Des skittles, de la limonade… Si tu es déjà eu des trucs comme ça par le passé, tu as mangé des carapaces d’insectes broyées. »

Un tout petit peut, mais c’est la vérité. Mais Erin devint pale alors qu’Ivolethe…

  « Il y a plusieurs autres choses qui sont nécessaires pour cette concoction. Il n’y a pas que… Cela. »

« Peut-être que nous avons déjà mangé tous les ingrédients. »

« Vraiment ? Comme des insectes ? »

« Nous mangeons d’innombrables insectes chaque année, Erin. Ils sont broyés dans notre nourriture. Et les compagnies les utilisent dans de nombreux conservateurs… »

Je réfléchis à voix haute alors qu’Erin met la main devant sa bouche en regardant son assiette.

« Le gouvernement des États-Unis à commencer à mettre du fluorure dans l’eau il y a des décennies de cela. Et nous respirons de nombreux polluants qui n’existaient pas par le passé. Rajoute ce qui est mis dans la majorité de la nourriture sous la forme de conservateur et pour changer le gout… Ivolethe, qu’est-ce qui va dans ta mixture ? »

  « Comme si j’allais te le dire ! Cette mixture est un secret pour les mortels ! Et tu ne devineras jamais en un million d’année ! »

« Vraiment ? Laisse-moi lister quelque chose et dis-moi si je m’approche. Du sodium de nitrate ? Du propylène glycol ? Du… Heu…. Comment ça s’appelle déjà… De l’olestra ? Du glutamate monosodique ? Du benzoate de sodium ? »

  « Je ne connais pas la moitié de ces noms ! Tu dois les inventer ! »

« Vraiment ? Alors, le benzoate de sodium vient du benzoïne, une résine trouvée dans les arbres. C’est un ingrédient dans les encens… »

Je vois les yeux d’Ivolethe s’écarquiller pendant une fraction de seconde, puis elle tourne la tête.

  « J-je ne connais rien de tel ! Cette conversation m’ennuie ! »

Erin et moi échangeons un regard. Mais Ivolethe reste de marbre. Erin se penche vers moi, encore légèrement pâle.

« Tu penses que c’est vrai ? »

« Quoi, que nous ayons mangé tous les ingrédients de la boisson des fées ? C’est possible. Nous mangeons de nombreux trucs bizarres, Erin. »

« Pas ça ! Est-ce que nous mangeons vraiment des insectes ? »

Je soupire.

« Oui, Erin. Tu es au courant de ce que les multinationales mettent dans les bonbons et le fast-food. Pourquoi est-ce que tu es surprise ? »

« Je pensais qu’ils étaient juste des agents chimiques et des trucs empoisonnés ! Si je savais qu’il y avait de l’insecte dans les skittles, je n’en mangerai jamais ! »

« Ce n’est… Pourquoi est-ce que tu serais d’accord pour qu’ils… ? Tu sais quoi, c’est pas grave Erin. Ivolethe ? »

  « ITu n’obtiendra rien de moi ! Je ne dévoile pas les secrets de mon peuple aussi facilement ! »

La fée s’enfonça dans sa soupe jusqu’aux oreilles. Je lève ma main.

« Je ne vais pas te poser d’autre question. J’étais simplement curieuse. Pourquoi ne pas discuter autre part ? »

« Oui ! Bonne idée ! »

Erin attrapa son verre de lait et le termina en quelques grandes gorgées. Avec un peu de négociation, je convaincs Ivolethe de sortir de sa soupe. Elle s’essuie sur une tranche de pain, et puis s’assoit sur la table avec Erin et moi. Puis nous discutons.

« Donc, qu’est-ce que tu as fait après que je t’ai quitté, Erin ? »

« Oh, j’ai juste fait quelque truc chez Octavia. Tu sais, plus d’expérimentations. »

« Huh. Et où est Octavia maintenant ? Je ne la vois jamais manger… Est-ce qu’elle mange chez elle ou est-ce qu’on devrait l’inviter de temps en temps ? »

Je pense que cela serait la chose polie à faire, mais Erin secoue sa tête.

« Je ne sais pas, mais Octavia ne veut pas manger aujourd’hui. Elle est clouée au lit à cause d’une intoxication alimentaire. »

Je m’arrête.

« C’est grave ? »

« Très grave. »

« … Et comment est-ce qu’elle est devenue malade ? »

L’autre fille n’ose pas me regarder dans les yeux.

« Je, heu, lui ai donné quelque chose qui n’a pas aussi bien passé que je l’espérais. »

« Je vois. »

  « J’aimerais essayer ! »

« Oh non, c’est impossible. Je l’ai jeté, ça commence à attaquer la marmite. C’était juste un autre échec. »

Erin soupira, je lui lance un regard.

« Tu passes chez Octavia tous les jours. Tu essayes toujours de faire de nouvelles recettes ? »

« Ouaip ! Je ne veux pas retourner à Liscor tant que je n’ai pas trouvé le moyen de faire d’autre truc cool. »

« Et ton auberge ? »

« Qu’est-ce qu’elle a ? Mrsha est en sécurité avec Selys, et je ne sais pas où Toren se trouve. Mon auberge va rester ou elle est pas vraie ? »

« Mais Lyonette est à l’intérieur. »

« Oh. C’est vrai. »

Erin se frappa doucement le front. Je secoue la tête alors qu’elle hésite.

« Elle va probablement bien. Je veux vraiment rester ici encore un peu plus longtemps, Ryoka. Je peux faire des expériences avec Octavia tous les jours, et je peux aider Agnès la nuit ! »

« Et tu ne t’ennuies pas ? Ça te convient ? »

Erin me regarde sans comprendre.

« Oui. Pourquoi ? »

Ivolethe et moi haussons toutes les deux les épaules.

« Cela n’a pas d’importance. »

  « C’est ton choix si tu décides de mourir d’ennui. »

Erin fronce les sourcils en nous regardant, mais elle fait un grand sourire en regardant de nouveau Ivolethe.

« Dooooonc… Ivolethe ! Cela doit faire longtemps que tu es en vie, pas vraie ? »

La fée regarda Erin de manière suspicieuse.

  « Cela est évident. »

« Et tu as rencontré tout plein de personnes cool, comme Merlin et le Roi Arthur, pas vrai ? »

  « Peut-être. Pourquoi cette question, mortelle ? » »

Erin leva ses mains.

« Raconte-moi des histoires ! Parle-nous de Merlin, et des chevaliers de la Table ronde. »

Ivolethe considéra cela, une petite main sur son menton.

  « Non. »

« Pourquoi pas ? »

  « Je n’ai pas envie. »

« S’il te plait ? »

« Erin… »

  « Non. Ces histoires sont bien trop grandioses pour vous. » »

« Mais… »

Je pose une main sur l’épaule d’Erin.

« Tu l’as entendu, Erin. Ivolethe ne veut pas en parler, donc tu devrais respecter son souhait. De plus, elle n’a probablement pas vu les bonnes parties. »

  « Pardon ? »

Ivolethe se lève d’outrage. Elle s’envole vers mon visage.

  « Tu penses que je n’ai pas été témoin de leur légende ?  »

« Eh bien, tu ne voulais pas en parler. Donc j’assumais que… »

  « Imbécile ! J’étais là quand le garçon est devenu roi ! J’ai été témoin de l’instant où le véritable roi est mort, et j’ai vu d’innombrables miracles ! J’ai vu les trois rois mourir des lances de Lugaid ! Comment oses-tu ! »

« Je dis juste que, tu parles beaucoup, mais si tu veux partager une histoire… »

  « Hah ! Je te raconterai la plus grandiose des légendes !  »

Ivolethe s’envola en l’air et leva la voix.

  « Soyez témoin ! Je vais vous raconter l’histoire du véritable roi de Camelot ! Son épée se trouve toujours en Avalon, attendant sa main pour dégainer cette lame légendaire ! Soyez attentif, mortel ! »

Toutes les têtes se tournent vers la petite fée alors qu’elle lève la voix. Elle a une incroyable portée, et l’histoire…

Je vais écouter l’histoire du Roi Arthur. J’ai l’impression d’être redevenue une enfant. C’était incroyable… Erin me lance un regard ravi, et je lui fais un clin d’œil. Qu’est-ce que je peux dire.

Je connais quelques trucs sur les fées. Ou du moins, sur une fée en particulier.
 
 
***

 
L’aube du lendemain était écblouissante. Enfin je suppose. Pour une fois je fais la grâce mat.

Tout comme Erin. Et le reste des clients de l’auberge pour le coup. En fait, il y en a certains qui sont toujours en train de ronfler lorsque je descends, étendu par terre ou sur les tables.

Nous avons découvert qu’Ivolethe connaissait vraiment la légende du Roi Arthur, l’intégralité de la légende. La véritable légende. Et elle nous l’a raconté la nuit dernière, avec de nombreux effets dramatiques et une bonne dose d’embellissement, mais c’était toujours la véritable légende. Jusqu’au dernier mot. Les fées ne mentent pas, et il suffisait de regarder Ivolethe pour y croire.

C’était la vérité. Et si j’étais un écrivain, j’aurai essayé de capturer le moindre de ses mots sur le papier. Ou peut-être que cela aurait été impossible, car son histoire était l’une des grandes histoires.

En fin de compte, nous nous sommes tous endormis en écoutant la fin tragique de la légende du Roi des Chevaliers. Son royaume en ruine, ses chevaliers agonisant sur le champ de bataille, ne laissant que l’espoir de son éventuel retour en période troublée derrière lui. Et donc, le Roi des Chevaliers ferma ses yeux et laissa échapper son dernier soupir.

Et moi qui pensais être maline en copiant les poètes de mon temps. Ce n’était pas étonnant que les fées toisaient les mortels, car nous étions incapables de créer des histoires comme les leurs. Si tu as l’éternité pour vivre, tes normes envers ce que tu considères un bon récit change en conséquence.

Bien sûr, c’était hier. Tout ce que je veux aujourd’hui, c’est de manger un morceau et partir courir. Mais vu la fatigue d’Erin, c’est peut-être trop demander.

Elle a [Cuisine Avancée] comme compétence, mais apparemment il faut autre un tant soit peu concentré pour que ça marche. Car même cette compétence ne peut rien faire quand on verse un sac de farine dans une poêle. Au moins nous avons réussi sauver la poêle avant que la farine ne s’enflamme.

Une fois mon expérience de mort imminente de la journée faite, je me suis finalement fait des œufs en laissant Erin dormir dans la cuisine. J’ouvre la porte et…

Je trouve Ivolethe qui m’attend dehors. La fée me sourit, flottant dans l’air hivernal. Honnêtement, je ne m’étais même pas rendu compte qu’elle était partie quand je me suis trainé hors ma chambre à l’étage.

« Ivolethe. Comment est-ce que tu vas ? »

  « Je vais bien, mortelle ! »

Elle s’envole aussitôt vers mon épaule et se pose dessus. Puis elle s’agite et vole jusqu’à ma tête. Je lève les yeux vers ses jambes qui pendent et soupire. Je ne fais pas de commentaire.

Je commence à descendre la rue quand une petite jambe gelée me tape la tempe.

  « Donc, que faisons-nous aujourd’hui ? Encore de la lecture et des jurons ? Ou est-ce que tu vas recommencer à courir comme un escargot ?  »

« Tu peux toujours partir si tu t’ennuies. Tu n’as pas à me suivre tout le temps. »

  « Bah. Il y a une chance que je manque quelque chose d’intéressant. De plus, il y a bien des choses à faire qui m’amuseront en attendant. »

Je hausse les épaules, mais je me sens un peu mieux. J’essaye de ne pas trop sourire ; mais cela ne semble pas naturel.

« Fais comme tu veux. »

C’est une petite course jusqu’à la Guilde des Coursiers, mais je l’arrête à la porte. Ivolethe sent mon attention et se raidit, mais elle ne descend pas de ma tête.

« Je rentre. Est-ce que tu veux attendre autre part ? »

  « Je reste là où je suis. »

« Le fer ne va pas te déranger ? »

  « Pas autant que ça. L’intérieur est une chaîne, mais ce n’est pas une aiguille qui perce ma chair. Même si cela est la même sensation. »

Huh. Je me demande à quel point c’est inconfortable ? Est-ce que les fées sont allergiques au fer, ou est-ce que c’est comme de la kryptonite ?

« Si tu ne veux pas rentrer, ça ne me dérange pas. »

  « Je reste. »

« Non, je pense que tu ne devrais vraiment pas aller à l’intérieur. »

Après sa dernière interaction avec d’autres personnes qu’Erin et moi, j’ai vraiment un mauvais pressentiment à l’idée de la laisser rentrer. Mais elle se penche pour me regarder.

 « J’insiste ! Je ne crains pas le fer ! »

Je soupire. Même si elle s’appelle mon amie, Ivolethe semble incapable de changer d’avis. Ou peut-être qu’elle considère le fait d’être têtue une partie de son amitié.

« Ne cause pas de problème, d’accord ? Et… Est-ce que je peux te persuader de te cacher dans ma sacoche ? »

La fée est silencieuse sur ma tête pendant quelques secondes.

  « Peut-être. Est-ce qu’il y a de la nourriture dans cette sacoche ? »

« Allons en chercher. »

Et c’est ainsi que je me suis retrouvé à mettre de la viande grillée et des pains à la confiture dans ma sacoche, pour le plus grand plaisir d’Ivolethe, en rentrant dans la Guilde des Coursiers. Je ferme la sacoche ; Ivolethe m'affirme qu’elle ne s’étoufferait pas dedans, et honnêtement je ne suis pas certaine que les fées respirent.

J’ai une Fée de Givre dans ma sacoche. En voilà quelque chose. J’entre dans la Guilde des Coursiers et je m’arrête quand je vois un visage familier.

« Garia ! »

La fille aux épaules larges se tourne et me fait un grand sourire. Mais son expression devint incrédule.

« Ryoka ? Je ne savais pas que tu étais là… Aujourd’hui. »

Je m’avance, les sourcils froncés. Garia semble nerveuse. Et je regarde par-dessus son épaule pour voir une mer de gens, des Coursiers de Ville et de Rue, autour d'une personne. Elle avait un visage familier, cireux, comme je l’appelais, même si pincé serait plus approprier.

« Persua. »

Elle se tient au centre de la pièce, entouré par de nombreuses personnes, toutes les personnes présentes dans la guilde en fait. Même les [Réceptionnistes] sont sorties de derrière leur comptoir, et un autre vieil homme se tient aux côtés de Persua. Je crois… Qu’il est le Chef de la Guilde. Je ne sais pas. Normalement, il ne sort jamais de son petit office.

Persua est en train de se prélasser dans l’attention, parlant bruyamment de sa voix aigüe et n’arrêtant pas de rire. Quand elle rit, les autres rient avec elle. C’est ce qu’elle fait habituellement avec les gens qu’elle veut mousser, mais cette fois tout le monde le fait. Elle est tellement distraite par l’attention qu'elle reçoit qu’elle ne m’a pas encore remarqué, et vu la manière dont Garia me tire vers l’un des coins de la pièce, c’est peut-être une bonne chose.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Je murmure à Garia en regardant Persua. Elle ne me semble pas différente, de nouveaux vêtements ou un nouvel équipement de course peut-être, mais elle est toujours la même insupportable personne qui est responsable de ce qui est arrivé à ma jambe. Mon poing à juste envie de lui briser quelques os du visage.

Je ne vois pas Fals. Il est normalement dans la même pièce que Persua, généralement parce qu’elle le suit dès que possible. Il n’est pas là aujourd’hui, et son absence est quelque peu déconcertante.

« Ryoka, pourquoi est-ce que tu es là ? Tu ne sais pas ce qui se passe aujourd’hui ? »

« Non, je ne sais pas. »

Je fronce les sourcils en direction de Garia alors que je tire une chaise à la table la plus éloignée du groupe. Personne ne me dit rien. Principalement parce que je n’écoute pas si c’est une invitation à écouter les derniers potins. Mais… J’aurais probablement dû faire plus attention à ça.

« Qu’est-ce qui se passe, Garia ? »

« C’est Persua. Aujourd’hui est sa fête de départ. Elle bouge à Invrisil ou… Une autre ville au nord. Elle reviendra peut-être dans le coin, mais elle ne restera pas donc tout le monde lui a préparé une fête ! »

Persua ? Allant au nord ? C’est la meilleure nouvelle de la journée, et je viens à peine de me lever. Je souris en direction de Garia avec une apparente joie.

« Qu’est-ce qui ne va pas avec ça ? Si elle s’en va, je la féliciterai en l’aidant à partir. »

Garia ne sourit pas à ma réponse. Elle n’aime pas la violence de toute manière, mais elle semble inquiète. Il y a une étrange émotion dans sa voix que je ne peux pas vraiment identifier. Elle baisse de nouveau la voix.

« Ryoka… Elle va devenir une Courrière. »

« Quoi ? »

Je n’en crois pas mes oreilles. Persua ? Une Courrière ? Elle n’est pas assez rapide pour en devenir une. Je le sais, j’ai vu Valceif et Faucon courir, et ils sont comme de la foudre comparée à moi. Persua est à peine assez rapide pour être une Coursière de Villes, en plus d’être feignante.

Mais Garia est sérieuse comme la mort alors qu’elle hoche la tête. Et je me souviens du moment où j’avais juré qu’elle m’avait passé sur la route…

Non. Ce n’est pas possible. Pas vrai ?

« Comment ? »

« Elle a gagné un niveau et obtenu une Compétence, Ryoka ! Une Compétence rare, elle n’est même pas Niveau 20, je le sais, mais elle a obtenu une puissante Compétence de mouvement. Tout le monde en a entendu parler ! Après ça, elle complète les livraisons tellement vite que personne n’a le temps de suivre. »

Une Compétence. Bien sûr. Je me sens un peu malade. Persua n’a pas une bonne forme de course, a une mauvaise endurance, et aucune raison de s’entrainer ou de dépasser ses limites. Mais elle obtient une compétence et elle peut soudainement dépasser tout le monde.

« Est-ce que c’est de la chance ? Ou… Comment est-ce que tu obtiens des Compétences ? »

Garia semble misérable en hochant les épaules. Non, pas que misérable. Jalouse. C’est l’émotion que je vois en elle.

« Normalement les bonnes compétences arrivent tous les dix niveaux. Mais tu entends des histoires, ou c’est de la chance, et Persua a eu de la chance. Beaucoup de chance. »

« D’accord, qu’est-ce qu’elle a obtenu ? »

« [Foulées Doubles]. C’est l’une des compétences clefs que la plupart des Courriers ont. Ça et [Vivacité], c’étaient celle que Valceif avait, tu te souviens ? Si tu les obtiens, les gens disent que tu as déjà fait les deux tiers du chemin pour devenir Courrier ! »

Merde. Je me souviens que Valceif courrait comme s’il faisait deux enjambées pour chacune des miennes. Garia a raison ; obtenir l’une de ces compétences aucun Humain de mon monde n’était à ton niveau. C’est… Complètement injuste.

« Alors pourquoi est-ce qu’elle va au nord ? Il semblerait qu’elle pourrait rester ici et se la couler douce. »

« Eh bien, les Courriers se font bien plus d’argent et sont plus respectés au nord. Et, c’est ce que Persua a fait ! Elle a complété presque la moitié des requêtes de la guilde toute seule. Ils vont bientôt devoir la faire devenir Courrière où nous n’allons plus avoir de travail ! »

Je tape mes doigts sur la table, ma bonne humeur complètement oubliée. Persua la Courrière. Je voulais en devenir une, mais je ne peux pas courir assez vite. Valceif m’a dit que je pouvais peut-être en devenir une si je faisais mes preuves, mais Persua ? Avant moi ?

Cela me fout vraiment, vraiment en rogne. Mais… Je dois penser au bon côté des choses, ou moins elle ne va pas me déranger. Et si elle prend des livraisons haut placées, peut-être que quelqu’un va mettre sa tête à prix et qu’elle va mourir. Je peux toujours rêver.

Mais pour l’instant, je pense que je vais m’éloigner avant de devoir revoir Persua. J’allais demander à Garia si elle voulait me rejoindre à la nouvelle auberge d’Erin pour que je puisse laver le gout amer de ma bouche quand Garia me fait de grands gestes. Je n’ai même pas besoin de deviner que Persua arrive vers moi, c’est tout simplement logique. Quand je mets le pied dans la merde en courant, il y a souvent un second tas qui attend mon autre pied*.

*Traduction : Un train peut en cacher un autre. De plus, Persua est un petit monstre rancunier, donc elle utilisera la moindre opportunité de m’énerver.

« Ryoka, je ne t’avais pas vu ! Tu es venu me féliciter lors de ce jour très spécial, pas vrai ? »

Garia se fige, et devient pâle. Je la regarde, calculant ma prochaine action. Je ne me tourne pas. Je ne change pas mon expression.

« Salut, Persua. »

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Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 02 janvier 2022 à 16:19:44
Chapitre 3.04 Partie 2
Traduit par Maroti
5000 mots

Les autres Coursiers se taisent. Je sens un pic d’émotion dans mon estomac. Mes doigts. Garia prend une inspiration horrifiée lorsqu’elle les remarque pour la première fois, mais je refuse de réagir. Je regarde calmement Persua, croisant ses yeux petits yeux maléfiques.

« Est-ce que tu vas rester planter là ou est-ce que tu vas faire quelques livraisons, Persua ? Car si tu veux rester debout et parler, tu peux le faire dans un autre coin de la pièce. »

Elle cligne des yeux. Je ne cligne pas des yeux en retour. Je tiens son regard ; je l’ai déjà battu dans des combats de regard et j’adorerai l’humilier de nouveau. Mais elle ne joue plus à mes jeux. À la place, elle sourit et me regarde.

Merde. Je n’aurais pas dû réagir. Elle sait qu’elle m’agace. Je ne peux rien y faire.

« Je suis tellement désolée que ma petite fête te dérange. Je suppose qu’une grande Coursière de Ville comme toi est trop occupée pour te faire des amis, pas vrai ? Tu es trop doué pour nous, les petits Coureurs ? »

Je hausse les épaules.

« C’est ça. »

Le visage de Persua s’écroule, et des petits éclairs de rage apparaissent dans son regard. Elle me fait un sourire.

« C’est juste que… Je sais que tu ne veux pas paraitre malpolie, mais tu es… Tu ne m’as toujours pas dit à quel point tu étais heureuse. Et tu ne veux pas paraitre malpoli, pas vrai ? »

Elle veut que je la félicite ? Je ne lâche pas son regard.

« Allez. Tu n’as vraiment rien à me dire ? »

Non. Mais elle s’en ira peut-être. Mais non, et pas dans un million d’années.

« Tu n’arrives pas à m’entendre, Ryoka ? Est-ce que tu as perdu tes oreilles en plus de tes doigts ? »

« Je t’entends. Félicitations. Va te faire foutre. »

Les mots m’échappent avant que je puisse les arrêter. J’entends des inspirations de stupeur de la part de la galerie, et à certains endroits, des rires rapidement étouffés. Le visage pâle de Persua rougit.

C’était une erreur. Je viens de l’humilier, et au lieu de reculer, elle va essayer de faire de moi un exemple plutôt que de perdre fait. Je connais la routine. Je serre les dents et me demande comment je peux gérer ça.

Peut-être que je pourrais m’en aller ? Mais non, elle va croire que c’est une victoire ou m’empêcher de partir. Et je ne tourne pas le dos à ce genre de pimbêche. Voyons voir ce qu’elle va faire.

Persua regarde autour d’elle, et croise le regard de certains Coursiers qui l’entoure. Sa clique, ceux qui lui peignaient le cul avant qu’elle n’obtienne Compétence. Elle bouge sa tête et ils sortent de la foule. Je les compte. Quatre, six… Sept…

« C’est tellement malpoli de dire ça, Ryoka. Lors de cette journée très spéciale ! Je suis devant toi, Courrière en devenir, et tu… Tu n’es qu’une Coursière. Je pense que tu devrais t’excuser. En fait, j’insiste. »

Oh ? Elle appelle ses amis pour me tabasser ? Je suis impressionné, la majorité des filles attendent quelques mois avant d’en arriver là. Mais il est vrai que c’est un autre monde, et Persua est une démone avec une apparence humaine dégueulasse.

Les autres Coursiers font un pas en arrière en voyant ce qui va se passer. Le vieil homme essaye d’intervenir, mais sa voix est tremblante.

« Persua, je pense… »

Sa tête se tourne et le Chef de la Guilde se tait. J’ai un instant de sympathie pour lui ; il ne va probablement pas gagner beaucoup de respect après son départ. Tout le monde va se souvenir qu’elle lui a marché dessus. Mais après je me souviens qu’il est censé être en charge, et qu’il est un lâche. Les autres Coursiers me flanquent, comme s’ils étaient des mafieux et que j’étais une victime tremblante.

« Alors, j’attends mes excuses. »

Persua me regarde, suprêmement confiante désormais qu’elle a quelques Coursiers derrière elle. Mais bon sang. La majorité d’entre eux n’ont même pas de classe de combat ! Je suis plus grande que tout le monde à une exception près, et elle m’a déjà vue battre un aventurier de rang Bronze.

D’accord, ils sont dix. Plus Persua. Mais j’ai un peu changé depuis notre dernière rencontre. Je suis passé chez Octavia le lendemain de mes retrouvailles avec Erin, et elle a refait mon stock de potions et de sacs d’alchimistes. J’ai deux de tout prêt ça être utilisé, et je connais plusieurs tours de magie.

Je reste figé. Il y a plus impressionné à faire, mais je ne vais pas réagir à sa petite foule.

« Je ne vais m’excuser de rien. Et si tu ne fais pas partir de détestables petits sbires, je vais les faire souffrir. »

De toutes les choses que je sais que Persua attendait, elle ne s’attendait pas à ça. Son visage devient pâle, et les gens autour de moi s’agitent. Garia me regarde comme si j’étais folle et essaye de me faire signe de m’excuser, mais je suis calme.

S’ils veulent un combat, je suis totalement prête. Persua a peut-être une compétence qui la rend plus rapide, mais j’aimerais bien la voir esquiver une potion au poivre au visage. Si elle essaye de faire quoi que ce soit j’utiliserai [Grenade Assourdissante] et je le tiendrai jusqu’à verser la potion dans ses yeux. J’espère qu’elle va mordre à l’hameçon.

Elle ne mord pas. Persua me regarde, regarde ses compagnons, et décide de ne pas le risquer. Elle tourne la tête et fait demi-tour.

« Tu n’en vaux même pas mon temps. »

« Lâche. »

Je balance l’insulte et je vois son dos se raidir. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça ; ma bouche ne sait pas se tenir dans ce genre de situation. Persua se retourna, un sourire de haine sur le visage. Nous n’essayons même plus d’être civiles désormais.

« Insecte dépourvu de doigt. Mon dos est la seule chose que tu verras désormais. »

« C’est mieux que voir ta gueule. »

« Tu as couché avec combien de chiens et de lézards à Liscor ? »

« Oh tu sais, un ou deux. C’est déjà plus que tu coucheras dans toute ta vie. »

« Je ne toucherai jamais l’un de ces macaques ou monstres à écailles. »

« Ils s’enfuiront en criant en voyant ta gueule. »

« Salope. »

« Pétasse. »

« Tu resteras coincé ici à jamais, espèce de pathétique limace sans classe. »

« Et tu ne deviendras jamais une Courrière même après un millier d’années. »

Nous soutenons nos regards, et puis Persua se tourne. Je la laisse partir vers l’autre côté de la pièce et ne bouge pas avant qu’elle ne commence à rire bruyamment avec eux. Je soupire et me retourne vers Garia. Elle me regarde comme si elle avait avalé sa langue.

Bon, c’était marrant. Maintenant je dois aussi prévenir Erin de Persua.

Je déteste ma vie.

« Je me tire. Garia, est-ce que tu veux me rejoindre au Lièvre en Folie ? J’ai besoin d’une boisson. »

Garia ouvre la bouche et balbutie en me regardant.

« Je heu, je… »

Elle ne veut pas se retrouver du mauvais côté de Persua. D’accord. Je soupire et je me lève. Mon cœur bat la chamade, mais je suis sortie au-dessus de Persua. Qu’importe à quel point elle rit….

J’ai fait la moitié de la pièce quand je sens quelque chose se précipiter vers moi. Persua semble disparaitre de l’autre côté de la pièce, et je sens son pied me faire trébucher. Elle est trop rapide pour que je réagisse ; je trébuche…

Et me rattrape, grâce à de grands battements de bras. On m’a déjà fait trébucher, mais je sais garder l’équilibre. Dans tous les cas, je titube en avant et entends le rire moqueur de Persua.

« Comme tu es maladroite. Qu’est-ce qu’il s’est passé Ryoka ? »

Je me tourne et la regarde. Elle sourit, me mettant en défi de faire quelque chose. Je considère mes options, et décide de ne rien faire. C’est sa petite victoire, si elle le refait, elle est morte.

Je continue de marcher, ajustant ma sacoche. Persua est toujours en train de rire, mais je vérifie qu’elle ne m’a rien pris. Potions ? Check. Le sac sans fond de Teriarch ? Check. Ma ceinture de sacoche ?

L’une des sacoches se défait. Je la tâte, et je trouve de la viande froide et des miettes recouvertes de confiture dans ma sacoche. Rien d’autre. Je me retourne.

 « Vengeance ! »

Le cri vient de la petite Fée de Givre qui vole vers le visage de Persua. La fille n’a qu’un moment pour hurler avant qu’Ivolethe ne s’abatte sur elle. La fée vole autour de Persua, criant de triomphe tandis que Persua hurle et que les gens cri de surprise.

  « Prends ça ! Et puis ça, détestable mortelle ! »

Elle tire les cheveux de Persua, arrachant des mèches et lui griffant la figure. La fille hurle, agitant ses bras pour repousser la petite créature, mais Ivolethe est partout. Mais la main de Persua connecte par pure chance avec la fée, et Ivolethe est projeté au sol.

« Qu’est-ce que c’est ? Tuer ce truc ! »

Persua hurle et un autre Coursier s’élance et attrape Ivolethe. Elle lui hurle dessus et essaye de le mordre, mais il a un doigt sous son menton. Tout le monde devient silencieux lorsqu’ils voient pour la première fois ce qu’Ivolethe est.

« Quelle est cette créature ? »

« C’est… C’est un monstre ? Un Korrigan ? C’est trop pâle ! Et ça a des ailes ! »

« Laisse -là partir. »

Je m’avance, mais Persua et ses sbires me bloquent immédiatement le chemin. Elle me regarde, du sang coule des griffures qui parsèment son visage et des endroits où Ivolethe a arraché des cheveux.

« Tu a fait ça. »

J’ignore Persua et regarde le Coursier qui la tiens. Il est incertain, mais sa poigne sur Ivolethe est serrée et même s’il se débat, elle ne peut clairement pas se libérer. Et elle n’est pas en train de le geler ; elle ne doit pas être capable d’utiliser sa magie.

« Ce n’est pas un monstre. C’est un Esprit de l’Hiver. Laisse-la partir, tout de suite. »

« Un Esprit de l’Hiver ? »

Il regarde Ivolethe, confus. Elle essaye de bouger sa tête, mais son ongle est sous son menton. Elle le foudroie du regard et crache sur son pouce, mais c’est tout ce qu’elle peut faire.

« Tue -là. »

Persua siffle vers l’autre Coursier. Il hésite. Mon cœur se serre, et je lève ma voix.

« Blesse-là, et je te tue. Je le jure. »

Le Coursier me regarde. Il est l’un des sbires Persua, mais je sais que mes yeux sont sérieux. Que je dis la vérité. Persua me regarde, puis regarde la fée. Puis elle sourit de manière maléfique.

« C’est ton amie ? Est-ce que tu dois devenir amie avec des monstres, car personne ne t’aime ? »

J’ignore Persua et tends la main.

« Donne-la-moi. »

« Ne l’écoute pas. »

Persua s’interpose entre le Coursier et moi. Elle fait un signe, et ses sbires sont autour de moi. Je ne les regarde même pas ; mes yeux sont sur Ivolethe.

« Je n’ai jamais vu un Esprit de l’Hiver. Est-ce qu’elles ressemblent vraiment ça ? Ils doivent être les plus rares des monstres ; comment est-ce que tu l’as attrapé ? »

J’essaye d’étouffer la voix de Persua. Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce qui se passerait si j’essaye d’attraper Ivolethe et qu’elle est blessée ? Comment est-ce que je peux convaincre Persua ? Non, c’est le Coursier qui l’a. Je dois me concentrer sur lui.

Mais Persua bloque ma vue du Coursier. Elle me regarde, et je vois la haine dans ses yeux, tout simplement. Elle se tourne et regarde les autres Coursiers.

« Est-ce que l’un d’entre vous a déjà entendu parler d’une Fée de Givre se faire capturer ? Non ? Je suis certain que si nous la vendions à un [Marchand] ou un [Alchimiste], ils payeront des centaines, non, des milliers de pièces d’or pour elle. »

Les Coursiers autour d’elle s’agitent. La mention d’une telle somme change leur regard, et certains marchent lentement vers la foule autour de moi.

Merde. Ce n’est pas bon. Mais je dois libérer Ivolethe. Je regarde par-dessus Persua et lève ma voix.

« Si tu la blesses, tu en souffriras. Je me fous du nombre de personnes que tu as, je ne te laisserai pas la prendre. Elle est un être vivant. »

« Elle m’a attaqué ! »

« Et donc ? »

Persua siffle de furie. Elle fait un pas en avant et son épaule tape le Coursier qui tenait Ivolethe. Aussitôt. Ivolethe hurle, sa voix résonante dans la Guilde.

 « Mes sœurs ! Mes sœurs, entendez mon appel et châtiez… »

Sa voix se coupe tandis que le Coursier fait de nouveau pression sous son menton. Mais le mal est fait. Je vois les autres Coursiers regarder nerveusement et j’essaye de capitaliser sur ça.

« Tu as entendu ? Elle vient d’appeler ses sœurs. Tu as vu ce que les Fées de Givre et ce qu’elles font quand elles sont en colère. Qu’est-ce que tu penses qu’il va se passer si tu tus l’une des leurs ? »

Cela fait réfléchir les Coursiers. Certains d’entre eux reculent un peu. Personne ne veut subir la vengeance des créatures qui apporte l’hiver, qu’importe ce qu’ils peuvent gagner.

Persua semble mal à l’aise, mais elle est trop stupide pour réfléchir. Elle se tourne et hurle sur le Coursier.

« Fais-la taire ! Écrase là ! »

« Ne le fais pas. »

Le Coursier qui tenait Ivolethe hésite. Sa main tremble et la fée est en train de s’étouffer, mais il ne la lâche pas. Je m’avance.

« Laisse -là partir. Maintenant. »

« Espèce de lâche ! Donne-là moi ! Je vais le faire. »

Persua perd patience. Elle essaye d’attraper Ivolethe, mais le Coursier s’éloigne d’elle. J’avance, pensant qu’il a finalement retrouvé la raison, mais il la lève. Je m’arrête, la main tendue. Persua foudroie le Coursier du regard.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Il lèche ses lèvres. Mais il me regarde. Il ouvre la bouche et croit deux mots.

« De l’argent. »

« Quoi ? »

« Tu… Tu la veux, alors tu dois payer. »

Je le regarde avec incrédulité. Il n’est pas sérieux. Mais oh oui, il l’est. Je m’arrête de nouveau, mais il tient fermement Ivolethe en me regardant.

« Tout le monde sait que tu gagnes beaucoup. Alors… Donne-nous l’argent. Et je la laisse partir. Sinon… »

Il serre un peu plus fort et Ivolethe hurle. Mon sang bouillonne, mais Persua est en train de sourire.

« C’est vrai ! Donne-nous tes sacoches, et tes potions, et nous quitte. D’accord ? »

Ces salauds avides. Mais les yeux du Coursier sont sérieux, et Ivolethe souffre. Qu’est-ce que je dois faire ? Si je leur donne l’argent de Teriarch… Mais Ivolethe…

Je regarde Persua. Je regarde le Coursier. Je regarde Ivolethe, et je prends une décision.

« Eh puis merde. [Grenade Assourdissante] ! »

Le monde et le son autour de moi explosent dans un chaos confus. Je ferme les yeux, mais la vague sonique me frappe comme quelque chose de physique. Mes oreilles sonnent et se tuent, mais je suis déjà en train de charger le Coursier, le plaquant au sol.

Il n’y a pas le temps de réfléchir ou pour autre chose. Je tends le bras vers sa main. Je dois libérer Ivolethe. Lui faire lâcher. Attrape son bras. Brise ses os. Arrache-lui les doigts, avec tes dents si besoin. Je le frappe plusieurs fois tandis que je cherche la petite forme bleue parmi les points qui dansent dans mon champ de vision. Où est-elle ?

Nulle part. Disparue. Elle est libre ! Je vois une forme bleue voler vers la porte, et puis quelqu’un me frappe par-derrière.

Persua est sur moi, me griffant, me mordant, me donnant des coups de pied. Elle est comme un lynx, et certaines de ses amis sont aussi en train d’essayer de me frapper. Je roule, et je sors l’une des potions d’Octavia.

La potion de poivre serait plus efficace en tant que spray. Mais une bonne lancée permet d’en mettre dans beaucoup de visages et d’yeux, incluant Persua. Je protège mon visage et je sens le liquide chaud toucher ma peau, mais les cris valent le coup. Je titube en me relevant et vois Persua s’éloigner de moi sur des jambes tremblantes, hurlant en se frottant les yeux.

Quelque chose en moi se casse. Ses petites insultes, son croche-pied, ma jambe broyée, et Ivolethe, tout cela explose dans un poing qui percute sa joue et l’envoie au sol. Persua essaye de se relever, mais je la fais tomber et la chevauche lorsqu’elle essaye de se défendre et commence à donner des coups de poing.

Frappe là. Fais-la souffrir. Mes oreilles sonnent, mais j’entends le hurlement du sang, et c’est tout ce que je veux dans ce monde ou dans n’importe quel autre monde est de lui brisé le visage. Je frappe et je frappe, quelque chose me tire en arrière. Je lutte, frappant, mais celui qui me tient est trop fort.

La rage bouillonnant dans toutes les parties de mon corps s’éteint petit à petit, et j’arrête de lutter. C’est alors que je peux entendre et penser à nouveau, et je réalise que je suis retenu par deux épais bras.

« Garia ? »

Je regarde autour de moi et vois mon amie, son nez en sang, me tiens tandis que Persua git au sol. Les gens sont en train de crier de douleur, je vois des Coursiers qui cache leurs yeux tandis que d’autres, sourds, lèvent la voix. Deux personnes sont avec Persua, et je vois la fille git au sol.

Son visage est… Je commence à sentir la douleur au niveau de mes mains. Mes doigts me font terriblement mal, et je sens les petits lacérations et bleus sur ma peau. Je vois que la marque de mes phalanges est visible sur le visage de Persua.

Son visage est déjà en train de se gonfler. Je peux à peine voir ses traits, et il y a du sang. Beaucoup de sang. Je lui ai cassé le nez, même des parties de son visage. Elle pleure et tremble, et la [Réceptionniste] tenant la potion de soin ne sait pas par où commencer. Mais tandis que les hématomes disparaissent un peu, l’un de ses yeux se concentre sur moi. Et j’entends sa voix.

« Toi. »

Elle lutte, mais les deux femmes la retiennent. Le visage de Persua est recouvert de sang, de morves, de larmes et qui sait quoi d’autre. Mais sa voix est intacte. Elle tremble sous les émotions ; ce n’est pas un hurlement, mais un murmure, perçant.

« Je vais te tuer. »

Je suis assez proche pour entendre les lèvres malformées de Persua laisser s’échapper les mots. Ses yeux sont fixés sur moi, fous, et les mots se déversent, la haine imbibant chaque syllabe. Des larmes coulent à travers le sang sur ses joues, mais elle continue de me regarde.

« Je vais te tuer. Je le jure. Je vais te faire violer et tuer. Tu vas mourir en hurlant. »

« Ryoka… »

Garia essaye de me tirer en arrière, et la [Réceptionniste] essaye de nous séparer. Mais Persua se débat et je refuse de bouger. Elle hurle.

« Je vais te tuer ! Tu crèveras dans d’atroces souffrances ! Il ne restera pas un morceau de toi ! Je vais te tuer toi et tous ceux que tu aimes, tu… »

La [Réceptionniste] essaye de mettre la potion dans sa bouche, mais Persua crache une dent cassée avec la potion et continue de me hurler dessus.

Il y a quelque chose de fou dans son regard. Garia me retient et je regarde Persua. Elle continue de parler, à moitié en train de parler, à moitié en train de m’insulter. Il n’y a rien que je puisse le dire, rien à dire. Donc je lui donne un coup de pied dans l’estomac et la regarde vomir lorsque Garia me tire en arrière.

***

Deux heures plus tard, je me tiens dehors dans le froid. Je le sens à peine, même si je n’ai pas eu de la soupe d’Erin. Je sens l’air froid s’engouffrer mes vêtements et je m’en fiche.

« Ivolethe. »

La fée flotte dans l’air proche de moi, semblant anormalement sérieuse. Je suis habillé, elle est nue. Mais c’est moi qui ai le plus froid. Mon cœur est très froid. Figé.

Je m’assois lentement dans la neige, et la fée descend à mes côtés. La neige est humide, je m’en fiche. Je n’ai pas quelque part ou me rendre, et je ne peux pas me tenir. Pas maintenant.

Après quelque temps, la fée parle.

  « C’était une rencontre inattendue, n’est-ce pas ? »

Je la regarde. Ivolethe me rend mon regard.

« Qu’est-ce que je suis censé répondre à ça ? »

  « Je n’en suis pas certaine. Mais est-ce que cela s’est terminé comme tu l’attendais ? »

Je laisse échapper un rire sec.

« Qu’est-ce que tu crois ? Je suis banni de la Guilde des Coursiers, peut-être de toutes les Guildes. Ils vont peut-être porter plainte, ou me faire payer pour ce qu’il du bâtiment. »

Peu de temps après mon départ, les autres Fées de Givre sont apparues. Elles ont créé une avalanche dans le bâtiment. S’il n’avait pas été déserté… Mais comme il l’était, presque la totalité de l’intérieur du bâtiment avait été détruite. Le bâtiment était tellement rempli de neige que les gens étaient en train de creuser la neige compacte.

« Quel bordel. »

La version courte de ce qui s’était passé est que Persua a été envoyée au meilleur Guérisseur du coin pour soigner les blessures que les potions ne pouvaient pas régler. Les Coursiers se sont dispersés, principalement grâce aux Fées de Givres les ont bombardés de pics de glace, les ont gelés, et ainsi de suite. Je pense que lorsque les membres de la Guilde auraient aimé me tenir responsable, mais ils ont eu des doutes quand ils ont vu les fées littéralement rasées la Guilde en l’espace d’un instant. Tout comme la Garde, c’est pourquoi ils m’ont cordialement demandé de quitter la ville plutôt que de me jeter dehors.

J’aurais pu probablement rester. Mais je ne voulais pas être proche de Persua, encore moins dans la même ville. Je me souviens encore de ce qu’il y avait dans ses yeux.

Ce n’est pas terminé. Je n’ai jamais vu quelqu’un avec ce regard, et je savais sans l’ombre d’un doute qu’elle pensait ce qu’elle avait dit. Une partie de moi regrettait de ne pas pouvoir revenir en arrière pour la poignarder. Elle n’allait jamais oublier. Mais je n’étais pas un meurtrier.

Même si j’ai failli le devenir il y a peu.

« Quel bordel. Quel terrible, horrible… »

La fée lève les yeux vers moi. Je baisse les yeux vers elle. D’une certaine manière, c’est sa faute. Persua m’aurait laissée seule si je m’en étais allé. Mais je ne peux pas la détester pour ce qu’elle a fait. C’est ce que j’aurai fait pour Erin, la même chose.

« À partir de maintenant, je ne te prends plus avec moi dans un bâtiment. Compris ? »


Désolé pour le mauvais formatage du chapitre, je de pas mon ordinateur sous la main! Les codes seront rajouté quand je reviendrai dans 2 semaines, merci de votre compréhension et bonne année!

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Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 09 janvier 2022 à 15:54:30
3.05 L – Partie 1

Traduit par Maroti

5200 mots


La journée suivant la rencontre entre Ryoka et Persua et avant que tout cela n’arrive, un [Message] fut envoyé à Celum pour Ryoka et Erin. Deux sorts, en fait. Ils furent dûment enregistrés et c’est quand Ryoka se rappela qu’elle devait passer par la Guilde des Mages qu’ils furent livrés aux deux filles au comptoir sans incident.

Erin et Ryoka regardèrent le petit morceau de papier et l’écriture précise et lisible du scribe. C’était un message court, mais qui toucha tout ce dont Erin s’inquiétait en privé.

Erin, Mrsha est avec moi et Olesm garde un œil sur ton auberge. M est inquiet, mais s’adapte. Tout va bien ; pas de coup de poignard par un Gobelin. J’ai prévenu Klbkch et Relc. Soit prudente,

— Selys.

Erin laissa échapper un soupir de soulagement en voyant le message pendant que Ryoka regarda la courte réponse de Krshia.

Nous attendrons ta livraison. Les autres n’agiront pas avant.

L’autre fille ne soupira pas de soulagement, mais cela la rassura. Les deux jeunes femmes quittèrent la Guilde des Mages sans envoyer de message en réponse, et se retrouvèrent avec Yvolethe et Garia pour le reste de la journée. La situation n’était pas idéale, Erin et Ryoka étaient d’accord pour dire qu’elle n’allait pas pouvoir rentrer de sitôt.

Cependant, tous ceux qui se trouvaient à Celum et Liscor avaient omis une personne dans leurs échanges. Selys l’avait complètement oublié, occupée par une Mrsha colérique et déboussolée, et Krshia était trop occupée à prendre en charge son neveu Brunkr, qui gisait dans son lit en se plaignant de sa patte. Erin était distraite après ce qui s’était passé avec Toren pour s’en rappeler, et Ryoka s’en fichait. Donc, personne n’avait mentionné le dernier détail encore irrésolu de l’auberge d’Erin.

Ils avaient complètement oublié Lyonette.  

***

Lyonette s’assit dans l’auberge vide qui appartenait à Erin Solstice et regarda les volets fermés. Il faisait sombre. La pièce était vide et silencieuse et la neige tombant à l’extérieur ne perturbait pas l’étouffante immobilité du bâtiment. Mais Lyonette resta immobile, refusant de bouger. Elle n’était pas en train de pleurer, ou de devenir hystérique. Elle n’avait pas les mêmes réactions que la plèbe.

Mais elle avait peur. Elle pouvait voir des flocons s’engouffrer par l’ouverture d’un volet mal fermé. C’était l’une des fenêtres qui n’étaient pas couvertes par une vitre de verre. Elle savait qu’elle devait se lever pour le fermer, mais elle ne voulait pas le faire. La peur la retenait.

Lyonette, ou Lyon quand elle y répondait de manière désagréable, regarda la neige lentement tomber à l’extérieur. Des flocons tombaient du ciel nuageux, disparaissant dans le paysage blanc. Elle regarda la neige et se demanda quand allait-elle s’arrêter. Une partie d’elle voulait qu’elle ne s’arrête jamais, comme si le temps était lié à la neige. Tant qu’il continuait de neiger, le temps ne s’écoulerait pas et elle n’aurait pas à affronter la vérité.

Erin Solstice avait disparu. Elle avait soudainement quitté l’auberge et n’était jamais revenue. Elle avait disparu, tout comme la mignonne petite enfant Gnolle nommée Mrsha. La hargneuse Coursière de ville, Ryoka Griffin, avait aussi disparu et les clients avaient arrêté de venir. L’auberge était désormais déserte, à l’exception de Lyonette. Et si les Gobelins revenaient, un cadavre allait être la dernière chose dans cette auberge. Ou pire.

Lyonette frissonna à cause du froid grandissant. Elle n’avait pas osé allumer un feu, même si le froid hivernal la forçait à se recroqueviller dans tous les vêtements qu’Erin lui avait donnés. Elle avait même traîné une couverture depuis l’étage, mais cela ne l’empêchait pas de trembler. Elle pouvait parfois voir sa respiration après avoir retenu son souffle.

C’était une découverte pour Lyonette. Elle ne s’était jamais retrouvée dans un endroit aussi froid. Des servants qui écoutaient le moindre de ses ordres l’avaient toujours aidé, être exposé à un froid potentiellement mortel était impensable.

Mais ses servants étaient sur un autre continent et Lyonette était seule. Et Erin, l’unique personne qui avait pris soin d’elle, avait disparu. Elle avait peut-être été tuée par l’armée Gobeline. Ils étaient partis au nord, pas vrai ?

Lyonette frissonna de manière incontrôlable et manqua de tomber de sa chaise. L’armée Gobeline. Une immense armée qui avait traversé la passe de Liscor, comme celle menée par les Seigneurs des Gobelins du passé. Elle n’avait jamais vu un Seigneur des Gobelins, mais l’armée avait été suffisante pour lui donner des cauchemars.

Elle se rappelait clairement cette nuit. Elle avait été dans son lit après que Selys ne parte avec Mrsha. Lyonette avait mal dormi ; elle était à peine sortie du lit après que la Drakéide ne traîne la petite Gnolle hors de l’auberge, ignorant les hurlements de détresse que l’enfant Gnolle avait poussés. Et puis elle avait entendu le cri perçant, la tirant hors de son sommeil. Une minute plus tard, Lyonette réalisa que ce n’étaient pas des cris qu’elle entendait, mais des Gobelins.

Une armée était en marche dans la pénombre, à travers les flocons de neige, des centaines, des milliers d’entre eux. Certains tenaient des torches, mais la majorité d’entre eux n’avaient été que des ombres, traversant rapidement la neige, riant et hurlant tandis que le métal de leur arme reflétait la lumière des torches.

Une armée Gobeline. Le fléau de la civilisation. Lyonette avait été trop terrifiée pour les compter et vérifier s’ils étaient vraiment des milliers comme dans l’armée du Roi des Gobelins. Elle barricada la porte et monta à l’étage quand elle réalisa qu’il se dirigeait vers Liscor.

Lyon s’était caché dans sa pièce à l’étage, se cachant sous le lit avec son cœur battant la chamade en écoutant les Gobelins passer. Sa première pensée fut que les Gobelins allaient attaquer Liscor. Mais ils ne l’avaient pas fait. Ils avaient contourné la ville par l’est. Ils se dirigeaient au nord, vers les terres Humaines, et avaient été forcés de passer par Liscor.

Les Gobelins avaient passé par les murs en un seul groupe, envoyant des flèches sur les protecteurs de la ville tandis que les [Gardes] tinrent les remparts. Plusieurs volées de flèchent furent tirer sur la ville, et la contre-attaque apparut sous la forme d’un orbe luisant et craquelant de foudre. Le sort avait envoyé plusieurs éclairs dans les rangs des Gobelins, qui s’était dispersé et avait battu en retraite.

Lyonette avait reconnu l’enchantement. Elles étaient standards dans toutes les grandes villes courant le risque de se faire attaquer par des monstres. Et elles étaient suffisantes pour convaincre l’armée Gobeline de ne pas attaquer, car la masse de monstres ne s’arrêta pas et disparut en prenant la route vers le nord. Lyonette avait regardé les formes noires disparaitre et avait attendu que le dernier hurlement ne s’éteigne dans le silence. Mais elle resta cacher jusqu’au petit matin, et plusieurs heures après cela.

Puis, ce fut le silence. Lyonette resta dans l’auberge pendant deux jours, n’ouvrant la porte qu’à l’étrange Drakéide qu’elle reconnaissait vaguement quand il essaya de rentrer. Il ne dit pas grand-chose, son nom était Okresm ou quelque chose du genre, et il s’en alla dès qu’il réalisa que Lyon était toujours là. Ou plutôt, elle dut le faire partir.

Lyonette était en train de le regretter, légèrement. Cela faisait des jours que l’armée était passée, et la jeune femme n’avait pas entendu de nouvelles d’Erin. Elle avait totalement disparu.

Qu’est-ce qui s’était passé ? Ryoka était partie avec quelques mots en disant qu’elle allait la chercher. Puis Selys avait décidé de prendre Mrsha en ville. Et puis…

Rien. Où était Erin ? Est-ce que Ryoka l’avait trouvée, ou est-ce qu’elle était encore en train de chercher ? Lyonette n’en avait pas la moindre idée, et ses peurs étaient les seules personnes qui s’adressaient à elle, la rendant de plus en plus paranoïaque.

Erin n’allait jamais revenir. Elle allait peut-être revenir, mais elle pouvait être blessée. Qu’est-ce qui se passerait si un monstre l’avait tué ? Ou son squelette ? Peut-être qu’il avait dévoilé sa véritable nature et l’avait poignardé dans le dos, ou l’avait simplement abandonnée au milieu de nulle part. Elle pouvait avoir été tuée ! Ou dévorée ! Ou…

Lyonette imagina les Gobelins faire toutes les horribles choses que sa [Gouvernante] lui avait dit, ou ce qu’elle avait entendu en écoutant les conversations du palais. Erin avait peut-être croisé le chemin de l’armée. Elle était peut-être en train de mourir à cet instant même.

Cela ne donna pas le courage nécessaire à Lyon pour qu’elle parte à la recherche d’Erin comme cette malpolie de Ryoka avait fait. Elle ne savait même pas par où commencer, et les Gobelins l’avaient probablement mangée. De plus, Lyon ne lui devait rien. Erin Solstice était une grossière paysanne qui ne traitait personne avec le respect nécessaire et qui faisait trop facilement confiance. Tout ce qui lui arrivait était probablement sa faute.

Mais Lyonette devait l’admettre, l’auberge n’était jamais aussi sombre quand Erin Solstice était là. Elle n’avait jamais été aussi…

Vide.

C’était comme si la vie de l’auberge s’en était allée avec Erin. Les clients avaient arrêté de venir le lendemain de son départ. Cela était peut-être dû au passage des Gobelins et au manque de lumière, Lyonette avait arrêté de nourrir le feu dans la cheminée, mais toute l’agitation s’était totalement éteinte.

Lyonette avait d’abord été impatiente, attendant le retour d’Erin. Puis effrayée. Maintenant, après plusieurs jours, elle était… Silencieuse. Lyonette s’assit dans l’auberge, jour après jour, ne se levant que pour trouver quelque chose à boire ou aller aux toilettes. Mais plus elle restait assise dans ce bâtiment mort, plus elle se rendait compte que quelque chose devait changer.

Elle mit du temps à s’en rendre compte. Une réalisation qui venait de ses longues nuits à observer la porte sans trouver le sommeil, à tressaillir au moindre bruit. Ou quand elle trouva la petite réserve de pièce d’Erin en réalisant que la majorité de ses pièces d’or avaient été données aux Cornes d’Hammerad ou se trouvaient sur Erin. Et quand elle regarda les placards vides et sentit le petit creux dans son estomac qui n’avait jamais connu la faim.

Lyonette s’était endormi en pleurant la première fois qu’elle s’était couchée sans avoir mangé. Puis elle avait arrêté de pleurer la nuit suivante, l’épuisement empêchant les larmes de couler. Six jours après la disparition d’Erin, Lyonette savait ce qu’elle devait faire. Elle regarda l’Auberge Vagabonde devenir encore plus glaciale. Elle le savait.

Erin Solstice n’allait pas revenir. Ou si elle le faisait, cela pouvait être demain, dans une semaine, ou dans des mois. Dans tous les cas, il serait bientôt trop tard. Donc. Lyonette savait ce qu’elle devait faire pendant l’absence d’Erin.

Elle devait travailler. Ou mourir de faim.

C’était un concept étranger pour elle, et quelque chose qu’elle détestait. Mais cela ne changeait pas les faits. Elle allait bientôt être à court de pièces, et il y avait encore moins de nourriture dans l’auberge. Elle devait travailler. L’auberge d’Erin marchait en servant de la nourriture aux clients, elle devait faire la même chose.

Il n’y avait pas d’autre option à laquelle Erin pouvait penser. Elle ne pouvait pas s’imaginer faire la route vers le nord à travers la neige…. Et avec les Gobelins… Non. Et elle était bannie de la ville, donc il ne lui restait plus que l’auberge.

Ce n’était une conclusion qu’elle accepta facilement, mais après deux jours passés à manger les derniers morceaux de fromage gelés et de pain dur qui restaient au fond du garde-manger, Lyonette était désespérée.  Et elle se trouva donc à attendre à la porte quand Olesm, le Drakéide, tailla un chemin à travers la neige jusqu’à l’auberge.

« Toi ! Toi là-bas, le Drakéide ! »

Il sursauta quand Lyonette claqua la porte pour l’ouvrir. Elle avait vu le Drakéide venir tous les jours ou presque. Il se contentait généralement de regarder à travers l’une des fenêtres pendant quelques minutes avant de partir. Elle savait qu’il partait encore plus vite quand il la voyait à travers la fenêtre.

« Oh. C’est toi. Hum, Lyon, c’est ça ? »

Lyonette fit un grand sourire au Drakéide et se retint de le corriger sur son nom.

« C’est bien ça. Et tu es… Olesm, correct ? »

« Oui, c’est ça. »

Le Drakéide toussa et regarda l’auberge sombre avec espoir.

« Est-ce, heu, est-ce qu’Erin est de retour ? »

« Non. Elle n’est pas là. »

« Ah. Je vois. »

Le Drakéide hésita.

« Alors, je ne vais pas te déranger. Je, heu, reviendrai demain. »

« Non ! Ne fais pas ça ! Enfin, pourquoi est-ce que tu ne restes pas ? »

« Quoi ? »

Lyonette ouvrit un peu plus la porte. Le Drakéide cligna des yeux en voyant la porte sombre, et Lyonette réalise qu’il ne pouvait probablement pas voir ce qu’il y avait à l’intérieur.

« Il fait un peu sombre, mais je vais démarrer un feu. Tu peux rester et… Commander quelque chose ! »

Le Drakéide la regarda, dubitatif, tandis qu’elle lui fit un sourire désespéré.

« Mais Erin n’est pas là. Et elle est l’aubergiste. »

« Oui, mais je suis là, n’est-ce pas ? »

« Je suppose que c’est vrai. »

« Alors, pourquoi ne pas rentrer ? L’auberge d’Erin… C’est toujours son auberge même pendant son absence, pas vraie ? »

« C’est… Peut-être vrai ? »

Olesm fronça les sourcils. Il regarda vers la ville comme s’il considérait partir, puis haussa les épaules avec réluctance.

« Je suppose que je peux rester quelques instants… »

« Bien ! »

Lyonette manqua de laisser échapper un soupir de soulagement. Elle ouvrit la porte et le Drakéide entra. Il frissonna ; l’intérieur de l’auberge était à peine plus chaud que l’extérieur.

« C’est glacial là-dedans ! Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de feu ? »

« J’ai… Oublié. »

Lyonette fit semblant de raviver quelques braises. Puis elle frappa quelquefois le briquet et créa quelques étincelles et le feu se ralluma. Olesm regarda les petites flammes dévorer le bois sec et attaquer les plus grosses buches que Lyonette avait mises dans l’âtre et il regarda le bâtiment vide.

« Il fait si sombre et maussade. Heu, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Je suppose que lorsqu’Erin est absente… »

Il racla sa gorge.

« Tu… Tu as dit qu’il y avait quelque chose à manger ? J’ai un petit creux. »

« À manger ? Maintenant que tu le dis… »

Lyonette se tourna aussi désinvolte que possible et donna sa meilleure expression contrite à Olesm.

« Je suis désolé, mais j’ai oublié… Il n’y a plus rien dans le garde-manger. Erin était la seule capable de faire les courses. »

« Pas toi ? »

Le Drakéide fronça les sourcils en regarda Lyon. Elle hésita.

« Je ne peux pas aller en ville. Je suis bannie. »

« Oh, c’est vrai. Tu es la voleuse. »

« Je… »

Lyonette hésita. Puis ferma lentement la bouche. Elle était la voleuse, même si elle n’avait pas la classe de [Voleuse]. Elle ne s’était pas vue ainsi, mais les Drakéides et Gnolls l’avaient désignée comme telle. Elle devait jouer dans leur jeu.

« C’est vrai. Je suis la voleuse. »

Elle essaya de paraitre le plus désolée possible.

« C’est ma faute, bien sûr. J’irai bien faire des courses, mais ce n’est pas possible. Donc il n’y a plus rien à manger. »

« Ah. »

Le Drakéide regarda Lyonette. Elle racla de nouveau sa gorge. 

« Je ne sais pas ce que je vais faire sans nourriture. Si je ne peux pas servir à manger aux clients, comment est-ce que je vais garder l’auberge d’Erin ouverte ? »

« Toi ? Tu vas garder l’Auberge Vagabonde ouverte ? »

Le regard qu’Olesm fit à Lyon était incrédule. Elle serra les dents, mais hocha la tête.

« C’est mon travail. Je suis une [Serveuse] après tout. Et employée par Erin Solstice. C’est ce qu’elle a dit. Et quelle sorte d’employée je serais si je ne… Gardais pas l’auberge ouverte sans lui apporter de l’argejt durant son absence ? »

« Je suppose que ça a du sens. »

Olesm fronça les sourcils et se gratta le menton. Lyonette hocha la tête, le sourire désespéré toujours sur son visage.

« Donc j’ai besoin d’aide pour livrer de la nourriture à l’auberge pendant l’absence d’Erin. Je payerai, bien sûr, et tu pourras manger ici ! »

« Attends, quoi ? Tu veux que je fasse tes courses ? »

Le Drakéide se leva de sa chaise et fronça les sourcils. Elle hocha la tête, le fixant du regard.

« Tu dois le faire. Pas des plats déjà faits ; je vais vendre ce qu’Erin faisait d’habitude. Mais tu dois me ramener les ingrédients pour que je puisse les cuisiner. Ou je vais mourir de faim. Et ce n’est pas ce que tu veux, pas vrai ? »

Le Drakéide regarda Lyonette d’un air qui était moins rassurant qu’elle le souhaitait. Mais il accepta finalement de trouver un moyen d’apporter de la nourriture à Lyonette.

« Je suppose que je peux faire quelques voyages… Mais comment est-ce que tu vas garder l’auberge ouverte ? Est-ce que l’endroit ne va pas perdre son, ah, attraction sans Erin ? Pourquoi est-ce que quelqu’un irait aussi loin ? »

« Parce que je peux bien cuisiner, et servir les clients avec finesse et raffinement ! »

« Vraiment ? Toi ? »

Olesm ne semblait pas convaincu. Lyonette serra les dents, mais lui fit un sourire.

« J’ai une Compétence de cuisine. »

« Vraiment ? »

« Absolument. Et cela fait un mois que je m’occupe de table. Apporte les ingrédients, et je vais les cuisiner. En réalité, pourquoi est-ce que tu ne m’en rapportes pas maintenant ? J’ai de l’argent et une liste… »

« En fait, il fait un peu froid dehors… Dès maintenant ? Et qu’est-ce… »

Olesm cligna les yeux lorsque Lyonette lui tendit un morceau de parchemin et quelques pièces dans ses griffes et le jeta presque dehors. Elle le regarda de manière anxieuse lorsqu’il se retourna vers l’auberge, et puis le regarda repartir vers la ville, le cœur battant la chamade.

Elle l’avait fait ! Mais la véritable épreuve allait être quand il allait revenir. Lyonette regarda la forme lointaine d’Olesm par la fenêtre tandis qu’il se dirigea vers la ville, et s’assit à la fenêtre pour observer la ville tandis que l’air commença à se réchauffer.

Elle eut l’impression qu’une éternité et demie passa avant qu’elle ne voit une silhouette alourdie quitter la ville et se diriger vers elle. Elle eut l’impression que cela dura encore plus longtemps lorsque le Drakéide lutta pour gravir la colline et posa les sacs remplis de course de manière épuisée sur le pas de la porte tandis qu’elle l’ouvrit en grand.

« Merci d’avoir tout ramené ici ! »

« Quoi ? Ce n’est rien. Enfin c’est un peu lourd, est-ce que tu as quelque chose à boire ? »

« Je dois d’abord cuisiner. »

Lyonette était déjà occupé à ouvrir les sacs. Olesm hocha la tête et s’affaissa dans une chaise.

« Dans ce cas, je pourrais définitivement manger quelque chose. Quelque chose de chaud. »

« Oh. Maintenant ? »

L’Humaine regarda le Drakéide qui lui rendit son regard.

« Oui. Je veux dire, tu vas faire à manger, pas vrai ? »

« Bien sûr. Mais… »

Lyonette hésita.

« … Je dois travailler sur quelques recettes d’abord. Pourquoi est-ce que tu ne reviendrais pas dans deux jours ? J’aurai probablement besoin de nouveaux ingrédients. Ou, tu pourras revenir ce soir si tu veux acheter quelque chose. »

Le Drakéide regarda les sacs qu’il avait achetés de manière outrée.

« Quoi ? Mon repas n’est pas offert par la maison ? »

« Non ! »

Lyon le regarda, le Drakéide lui rendit son regard.

« D’accord, je crois que je vais revenir plus tard. Je veux dire, si tu n’es pas occupé. »

« Je ne vais pas te retenir. Et souviens-toi, faudra bientôt refaire les courses ! Et passe le mot à tes… Amis. L’Auberge Vagabonde est de nouveau ouverte ! »

Lyon entendit à peine Olesm claquer la porte en sortant. Elle était trop occupée à regarder le splendide contenu du sac. Des œufs, enroulé avec précaution pour ne pas les casser, du fromage frais, de la farine, son estomac gargouilla de manière incontrôlée et les mains de Lyonette tremblèrent.

Une partie d’elle voulait engloutir tout sans prendre le temps de cuisiner, mais elle traîna le tout dans la cuisine et rangea d’abord les ingrédients. Elle devait le faire.

De manière presque mécanique, la fille sortit les ingrédients et les posa sur le comptoir lorsque le feu qu’elle avait allumé dans la cuisine commença à réchauffer l’air à son tour. Elle souffla sur ses mains, ignorant son estomac vide tandis qu’elle se préparait. Elle allait cuisiner. Elle, Lyonette du Marquis, s’apprêtait à cuisiner.

De la honte et de l’envie la secouèrent telles des vagues, mais le vide de son estomac écrasa ses sentiments. Lyonette regarda les ingrédients et imagina quelque chose de simple. Des pâtes. Elle se souvenait des délicieuses pâtes beurrées qu’Erin lui avait servies à elle et aux autres clients un soir. Elle pouvait certainement le faire ?

Lyon avait désormais [Cuisine Élémentaire] comme Compétence, un fait qui la couvrait de honte et la rendait secrètement joyeuse. C’était la compétence d’une paysanne, oui, mais c’était sa Compétence. La sienne.

C’est ainsi qu’elle se trouva à cuisiner de la farine, du sel, des œufs et de l’eau dans la cuisine. Lyonette mélangea d’abord la farine et le sel, et puis fit une cheminée pour rajouter l’œuf battu. Puis elle mélangea l’œuf et la pâte jusqu’à ce qu’elle se mélange. Et comme par magie, l’étrange mélange d’œufs et de farine se transforma en autre chose. De la pâte !

C’était de la pâte, la même chose que Lyonette avait vu des boulangers transformer en pain ! Elle regarda la petite boule sur le comptoir et regarda ses mains recouvertes de farine avec incrédulité.

« C’est comme ça que c’est fait ? C’est… Tellement simple ! »

Elle s’attendait à ce que cela soit un long et laborieux processus, ou un mélange convoluté d’ingrédients ? Mais ceci ? A peine quelques minutes d’effort et elle avait pratiquement terminé de cuisiner ! Une partie de Lyonette était ravie, une autre était indignée que les gens payassent autant les [Boulangers] et les [Chefs]. Il n’y avait rien de compliqué !

Mais Lyonette réalisa qu’elle n’avait pas terminé lorsque sa compétence lui indiqua qu’elle devait continuer. Elle devait masser la pâte pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que ses faibles mains soient endolories et pleines de crampes sous l’effort. Puis, elle dut trouver le rouleau à pâtisserie dans l’un des tiroirs et aplatir la pâte. Puis elle dut les couper en longs morceaux, et faire bouillir de l’eau.

Puis, Lyonette ajouta les pâtes et un peu de sel et regarda les nouilles tourner tandis qu’elle touilla anxieusement la casserole. Et après deux minutes, les pâtes étaient cuites. Lyonette jeta l’eau dehors et secoua le pot pour retirer les dernières gouttes. Puis elle posa la pile de pâte dans une assiette et commença à manger.

Dans l’auberge tiède, près du feu mourant, la jeune [Princesse] utilisa une fourchette légèrement pliée pour apporter la première bouchée de pâte à sa bouche d’une main tremblante. Elle mordit, Macha, et avala la nourriture avec une telle vitesse qu’elle n’avait presque pas le temps de sentir le gout. Puis elle prit une seconde bouchée, et une troisième, et son visage s’effondra avec chaque bouchée.

Ce n’était pas possible. Et pourtant c’était le cas. tandis que le manque dans son estomac s’amenuisa, Lyonette mâcha lentement les nouilles humides et sut que c’était la vérité. Son plat n’était pas super, il n’était même pas bon. C’était fade. Non, pire, c’était simplement médiocre. En vérité, elle avait fait les pâtes grâce à sa compétence, mais c’était bien loin de ce qu’Erin pouvait faire.

Lyonette avait été affamé, mais même elle ne pouvait pas finir sa grande assiette. Elle termina deux tiers et regarda les nouilles pâles, à la fois dégoutées et déçues.

Ce n’était pas du tout la même chose. Elle pouvait se souvenir des magnifiques pâtes qu’Erin avait faites il n’y a pas si longtemps de cela, chaudes et beurrées, et délicieusement épicées avec quelques herbes. Cela avait été délicieux sans la viande. Lyonette y repensa et eut l’eau à la bouche.

Mais ceci ? C’étaient juste des pâtes, à peine dignes d’être servies. C’était une disgrâce pour n’importe quelle auberge, et pire, c’était le résultat d’une Compétence. La Compétence de Lyonette. Était-ce vraiment tout ce qu’elle pouvait faire, même avec [Cuisine Élémentaire] ?

Lyonette voulait de nouveau pleurer. Ce n’était pas juste. Pourquoi est-ce que sa cuisine était aussi terrible ? Elle se souvenait d’avoir demandé à une de ses [Servantes] qui avait [Cuisine Élémentaire] de lui faire une collation, et même si elle n’avait pas été délicieuse, ce n’était pas… ça. Qu’est-ce qu’elle avait mal fait ?

Puis elle se souvint de ce que l’un de ses tuteurs avait dit lors de l’une des rares journées où elle avait prêté attention. Les Compétences pouvaient grandement améliorer les talents de quelqu’un et même leur permettre de faire quelque chose d’habituellement impossible pour eux, comme pêcher, travailler le métal, ou se battre. Mais une Compétence améliorer ce qui était déjà là.

Si deux [Guerriers] avec les mêmes Compétences se battaient, celui qui s’était entrainé depuis plus longtemps et qui avait le plus d’expérience allait obligatoirement gagner. De la même manière, même avec [Cuisine Elémentaire], si Lyonette n’avait jamais cuisinier, tous ces plats allaient être comme ça : basique.

Pendant deux minutes Lyonette regarda l’assiette de nouille froide, et entendit quelqu’un frapper à la porte. Son corps se figea sous l’effet de la peur et de l’appréhension, mais des Gobelins ne frapperaient pas, pas vrais ? Cela n’était pas un monstre, mais un client. Un client !

Elle se leva subitement et ouvrit la porte en grand. Elle pensa à plusieurs choses en peu de temps. Est-ce qu’il faisait trop froid dehors ? Elle aurait dû ouvrir les volets pour indiquer que l’auberge était ouverte ! Et sa cuisine ? Elle ne pouvait pas servir de la nourriture comme… Qu’est-ce qu’elle devrait dire ? Qu’est-ce qu’Erin pouvait dire à ses nouveaux clients ? « Bienvenue, puis-je vous tirer une chaise ? » ou est-ce que c’était « laissez-moi prendre votre manteau » ?

La personne se tenant dans l’ouverture de la porte que Lyonette ouvrit n’avait pas de manteau à prendre. Un massif Drakéide, bien plus grand qu’Olesm, cligna des yeux vers Lyonette lorsqu’elle le regarda. Il toussa après quelques instants.

« Salut… Toi. »

« Hum, bienv… Avez-vous un siège pour votre manteau ? »

« Quoi ? »

Lyonette rougit. Le Drakéide gratta de manière géné les pics à l’arrière de sa tête et regarda la jeune femme dans l’auberge. Ses yeux remarquèrent l’assiette solitaire et le feu avant de retourner sur elle.

« Est-ce qu’Erin est de retour ? »

Lyonette avala sa salive. Elle reconnaissait vaguement le Drakéide ; il était Relc, celui qu’Erin avait jeté hors de l’auberge. Mais il était aussi un client, pas vrai ? Elle essaya de sourire le plus amicalement possible tandis qu’elle ouvrit un peu plus la porte.

« Pas encore. Mais si tu veux rester et manger quelque cho… »

« Nan. À plus. »

Le Drakéide se tourna avant que Lyonette soit le temps de finir sa phrase. Désespérée, elle ouvrit la porte en grand pour l’appeler, mais son souffle se coupa quand elle vit le sombre Antinium proche du Drakéide. Il avait été si immobile, si silencieux, qu’elle ne l’avait même pas vu.

Klbkch regarda Lyonette pendant une seconde et se retourna pour s’éloigner avec le Drakéide. Lyonette resta dans l’encadrement de la porte, regardant le dos des deux [Gardes]. Ils attendirent de s’éloigner avant de discuter, mais le vent porta leurs voix.

« Il semblerait qu’Erin ne soit toujours pas de retour. »

« En effet. »

« Mais qui était cette Humaine ? Je ne l’ai jamais vu auparavant, et toi ? »

« Je crois que c’est la voleuse qu’Erin Solstice emploie. »

« Qui ? »

« Je crois que c’est celle qui a brûlé l’étale de Madame Krshia. Celle exilée de la ville. »

« Qui ? »

« L’Humaine. »

« Il y en a beaucoup des… »

« Celle qui t’a appelé “balourd écailleux”. »

« Oh ! Elle. Hey, est-ce qu’on peut retourner dans l’auberge et la frapper un peu ? »

Lyonette se fit toute petite dans derrière la porte, mais l’autre voix arrête la première.

« Cela serait de l’inconscience. Erin te bannira probablement à vie si elle revient et découvre que tu as attaqué son employé. »

« Mince. Tu en es certain ? »

« Absolument. Tu devras attendre avant de lui donner ton cadeau d’excuse. Même si tu n’as pas encore acheté ce cadeau. »

« Hrgh. Je sais, je sais. Mais qu’est-ce que les femmes Humaines aiment, en plus ? Est-ce que je devrais lui acheter de la viande ? Des joyaux ? Je ne suis pas riche, tu sais. »

« Je te conseille de demander autour de nous. Il y a des Humains en ville. Demandons-leur. »

« Ouais, je suppose. Si nous le devons. Hey, ou est-ce qu’on mange ce soir… ? »

Les voix s’éloignèrent lorsque le vent changea de direction. Lyonette frissonna lorsqu’elle resta dans l’encadrer de la porte, regardant la neige sombre. Puis elle ferma la porte. Elle se sentait… Mal à l’aise, même si elle ne pouvait pas dire pourquoi. Mais l’auberge était pleine de lumière et chaleur et semblait presque être comme avant, même si son diner était fade. Mais ce n’était pas la même chose.

Ce n’était pas du tout la même chose.

***

Une autre personne passa cette nuit. Lyonette était dans la cuisine, essayant de trouver comme améliorer le gout de ses pâtes quand elle entendit la porte s’ouvrir. Elle se précipita dans la salle commune et vit un homme qui portait un manteau noir usé et pratique observer la pièce. Une dague était la seule arme qu’il possédait, mais il marchait comme si son regard perçant était la seule chose qu’il lui fallait pour tuer ceux qui pouvaient le déranger.

Lyon le reconnaissait aussi. L’homme semblait toujours agacé, aujourd’hui encore plus que d’habitude. Son expression était sombre, et il rappelait à Lyonette les plus ronchons des anciens soldats de son royaume. Elle savait qu’il était, un aventurier de rang -Or. Cela le rendait digne de son respect, même si elle venait d’une famille royale. Ce n’était certainement pas parce qu’elle avait peur de lui. Enfin, un tout petit peu.

« B-bienvenue monsieur ! Miss Solstice n’est pas encore de retour, mais si vous voulez rester, je peux vous faire quelques pâtes… »

Le regard perçant d’Halrac figea Lyon. Il la regarda, puis regarda l’auberge. Il secoua la tête et grogna de manière agacée.

« Hmph. »

Il se retourna et partit sans un mot. Lyonette le regarda l’aventurier repartir vers la ville en tapant du pied à travers la fenêtre. Elle ne savait pas quoi penser de ça, mais elle imagina l’argent qu’un aventurier de rang -Or aurait pu dépenser et son humeur s’assombrit.

Dans l’ensemble, ce fut presque un soulagement quand Olesm revint. Le Drakéide était toujours irrité, mais il vint pour le diner. Il devint tout de suite plus joyeux quand Lyonette lui dit qu’il allait manger sans payer ; mais son expression changea après qu’il prit une bouchée des pâtes trop salées qu’elle avait faites. Il prit quatre bouchées, et ne retoucha plus à son assiette durant le reste de son passage à l’auberge.

Mais il ne resta pas longtemps. Olesm resta pour dire à Lyonette que l’armée Gobeline avait saccagé Esthelm, la nouvelle qu’Erin était vivante à Celum, et qu’elle n’allait pas être de retour de sitôt. Elle lui posa de nombreuses questions, mais il n’avait pas de réponse.

« Je ne sais pas quand elle va revenir, d’accord ? »

Il s’énerva contre elle tandis qu’il buvait de l’eau chaude qu’elle avait bouillie en grimaçant sous le gout. C’était la même eau qu’elle avait utilisée pour cuire les pâtes, et il poussa le verre sur la table après une autre gorgée.

« Mais… Quand est-ce qu’elle va revenir ? Est-ce qu’elle peut revenir ? »

Lyonette serra ses mains. Olesm haussa les épaules, semblant mécontent.

« Les routes sont dangereuses, et franchement, elle est peut-être plus en sécurité là où elle est. Zevara fait surveiller l’entrée du donjon de manière permanente avec tous les gardes disponibles après que le [Instinct de Survie] de tout le monde se soit déclenché en ville. »

« Le donjon ? »

La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

https://aubergevagabonde.wordpress.com/
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: Maroti le 16 janvier 2022 à 17:30:31
3.05 L – Partie 2
Traduit par Maroti
5454 mots


Lyonette n’avait pas d’[Instinct de Survie] ; elle n’avait même pas réalisé que l’entrée du donjon avait été sortie de terre. Olesm hocha la tête en expliquant.

« Aucun des aventuriers ne veut aller à l’intérieur. La Chasse aux Griffons n’a même pas franchi l’entrée, et tous les autres groupes attendent. Personne ne sait ce qui peut en sortir, ou si quelque chose va en sortir. Quelqu’un doit rentrer, mais tant qu’un groupe n’a pas trouvé le courage, ça restera une menace dont la ville doit se méfier. Ça et les Gobelins. »

Il soupira et se leva. Lyonette le regarda anxieusement. Olesm regarda la nourriture et l’eau avant de secouer la tête et de mettre la main dans sa poche.

« Tiens. »

Il posa quelques pièces de bronze sur la table et hocha la tête.

« Pour la nourriture. Je suppose que je n’ai pas très faim. »

« Tu t’en vas déjà ? »

Le ton de sa voix surpris Lyonette. Normalement elle aurait apprécié le silence, mais Olesm était la seule personne à entrer dans l’auberge après le départ d’Erin.

Le Drakéide hocha la tête, fatigué.

« Je dois faire des plans pour Zevara et… Je suis occupé. Mais je reviendrais demain… »

« Mais pourquoi ne pas rester ici ? Encore un peu plus longtemps, je veux dire ? »

Olesm s’arrêta, l’air gêné.

« Je dois vraiment partir. Je dois man… Enfin, j’ai beaucoup à faire… »

Il s’arrêta et regarda quelque chose dans le coin de la pièce. L’échiquier fantomatique reposant sur l’une des tables attira le regard de Lyonette. Aucune pièce n’avait bougé depuis le départ d’Erin, mais les yeux du Drakéide se concentrèrent sur elles pendant quelques secondes. Il se retourna vers Lyonette.

« Tu ne jouerais pas aux échecs, à tout hasard ? »

Lyon secoua la tête avec réluctance. Elle se souvenait que cela était la dernière mode à la cour, mais elle n’avait jamais commencé à jouer. Olesm semblait déçu.

« Oh. »

Il s’en alla peu de temps après, malgré les tentatives de Lyonette de le faire rester. Après, Lyonette regarda l’assiette de mauvaises pâtes et les jeta dans le feu avec l’assiette. Une répugnante odeur de brûlé se rependit dans l’auberge lorsque le feu dévora les pâtes. Puis Lyon resta immobile au centre de la pièce.

Elle était perdue. Lyonette essaya de ravaler ses larmes pendant plusieurs minutes, mais elles commencèrent à tomber tandis qu’elle resta immobile dans l’auberge vide, les laissant couler sur ses joues et goutter au sol.

C’était fini. Elle ne pouvait pas le faire. Elle ne pouvait pas cuire, personne ne l’aimait. Lyonette le savait, elle avait même savouré ce fait. Mais maintenant, elle savait que cela allait la condamner. Personne n’allait acheter ce qu’elle cuisinait. Elle allait mourir de faim et Erin trouverait ses os à son retour.

Elle était un échec. C’est tout ce qu’elle allait être. La pitoyable troisième fille d’un petit royaume, mourant seule dans une auberge qui n’était pas la sienne. Elle n’était rien.

La fille se roula en boule sur le sol tandis que les cendres du feu commencèrent à s’éteindre. Elle arrêta de pleurer, car même cela ne servait à rien, et resta ici, attendant sa mort. Elle se roula en boule, miséreuse. Puis la porte s’ouvrit, et l’Antinium entra.

***

Pion ne savait pas pourquoi il se rendait à l’Auberge Vagabonde. Ses pieds l’ont simplement amené ici. L’Antinium n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire ni où aller ; il savait juste qu’il allait peut-être trouver les réponses à ses questions s’il écoutait une certaine jeune femme pendant quelque temps.

Cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu. En réalité, il n’avait rien voulu de tel ce matin. Pion s’était réveillé assis dans son petit espace de repos et avait crû que cette journée allait être comme les autres. Vide et incertaine.

Les Antiniums ne s’allongeaient pas pour dormir. Ce n’était pas qu’ils ne le pouvaient pas, mais leur dos ne se courbait pas comme ceux des mammifères. Le dos de Pion ressemblait à celui d’un scarabée de bien des manières, et il n’aimait pas le mouvement de bascule qui s’effectuait dès qu’il essayait de s’allonger. C’était pour cela que les Ouvriers et les Soldats dormaient assis. Cela économisait de l’espace, et Pion eut six adéquates heures de sommeil dans l’immense zone de repos ressemblant à une caserne qui contenait cinq cents Antiniums.

C’est ainsi que commença la journée de Pion. Il s’extirpa de son petit cubicule de terre avec ses quatre bras et rentra dans le rang avec les autres Ouvriers lorsqu’ils quittèrent la pièce au même moment pour recevoir leur nutrition matinale.

C’était plus facile pour Pion de faire ça aujourd’hui qu’il y a quelques semaines. Ses doigts s’étaient presque entièrement reconstruits, et les membres sectionnés avaient presque entièrement régénérés grâce aux substances de guérison unique aux Antiniums. Alors qu’il se tenait derrière un Ouvrier, Pion fléchit ses doigts et s’émerveilla légèrement devant le fait que cette simple action le faisait se sentir tellement mieux.

Les Ouvriers devant et derrière Pion ne regardaient pas leurs mains, et ne faisaient rien d’autre qu’avancer. Ils étaient différents de Pion. Ils gardaient leur regard fixe et ne parlaient pas. Et ils donnaient plus d’espace que nécessaire à Pion.

Il était celui qui sortait du lot. Pion le savait, mais il essayait de ne pas profiter de sa position. L’Ouvrier lui donna la même quantité de pâte marron et grise qu’au reste des Ouvriers. Peut-être que s’il en avait demandé plus, il l’aurait reçu, mais la ration avait été calculé pour être suffisante pour le soutenir tout au long de la journée. De plus, personne ne demanderai plus de nourriture d’Ouvrier que nécessaire.

Pion resta debout dans la zone de consommation de nourriture tandis qu’il ingéra lentement la pâte qu’il lui avait été donné. Il n’y avait pas de siège sur lesquels les Antiniums pouvaient s’asseoir ; ils mangeaient simplement leur ration dans des bols de bois et mangeaient de la manière la plus efficace possible avant de déposer les bols pour qu’ils soient de nouveau utilisés par de nouveaux Ouvriers remplissant la pièce.

Les Ouvriers et les Soldats mangeaient séparément. Ce n’étaient pas parce qu’un groupe mangeait de la nourriture de meilleure qualité que l’autre, ils mangeaient tous la même pâte hautement calorique, mais les Soldats mangeaient trois fois plus que les Ouvriers, et utilisaient donc d’autres récipients, nécessitant des pièces différentes pour se nourrir. Pion regarda le mélange qui formait la pâte de… quelque chose… Lorsqu’il l’a mis entre ses mandibules et mâcha. La nourriture s’avala rapidement, mais le gout…

Il s’y était habitué. Malgré tout, il ne pouvait pas dire que c’était facile. Les Ouvriers mangèrent rapidement leur nourriture, ne montrant pas de signe de dégout même si Pion savait qu’ils goutaient exactement la même chose. S’ils avaient un réflexe nauséeux, ou une autre source de nourriture, cela aurait peut-être été différent.

Mais la nourriture était de la nourriture, et il n’y avait pas d’autre alternative. Sauf à l’auberge d’Erin. Pion pouvait se rappeler des délicieux repas, et dut se forcer à manger le reste de sa pâte. Il croqua dans quelque chose lors de sa dernière bouchée. Quelque chose qui n’avait pas été entièrement traité ? Il l’avala quand même. C’était un plaisant interlude du reste de la pâte. Peut-être que cela avait été un fragment d’os.

Puis, directement après avoir fini leurs repas, les Ouvriers sortirent de la large caverne qui servait à distribuer la nourriture préparée et s’engouffrèrent dans les tunnels d’un même mouvement pour commencer leur devoir journalier. Pion les suivit, ne s’arrêtant pas pour baisser la tête même si le plafond du tunnel se trouvait à moins de dix centimètres du sommet de son crâne.

C’était une autre spécificité de la Colonie Antinium de Liscor. Certaines des pièces caverneuses avaient beau être véritablement caverneuses, construites pour contenir un grand nombre d’Antinium, plusieurs parties de la Colonie avaient optimisé pour prendre le moins d’espace possible. Donc, les tunnels uniquement utilisés par les Ouvriers étaient à peine assez grands pour les laisser passer. Il n’avait qu’une dizaine de centimètres au-dessus d’eux tandis qu’ils marchaient dans les couloirs étroits construits pour accueillir exactement deux Ouvriers à la fois. Et donc le flux d’Ouvrier continua de se diriger vers leur devoir journalier…

N’importe quelle créature avec un soupçon de claustrophobie aurait grandement souffert. Pion s’en fichait, c’était ce à quoi il était habitué. Il marcha avec des centaines d’autres Ouvriers dans un flux parfait et synchronisé qui ne s’arrêtait jamais et ne perdait pas de temps. Des centaines d’Ouvriers marchaient dans chaque direction, allant vers la surface pour travailler en ville, ou vers les profondeurs pour creuser ou réparer les tunnels effondrés, remplir leur devoir dans la Colonie, et ainsi de suite.

Ce n’était que l’un des nombreux quarts que les Ouvriers faisaient dans la journée. Pion était l’un des Ouvriers qui dormait juste avant minuit et jusqu’à l’aube, donc il se considérait être proche d’un rythme de sommeil « normal ». Mais il y avait d’autres Ouvriers qui dormaient au milieu de la journée. Cela n’avait pas d’importance, c’était la même chose pour la Colonie.

Pion marcha dans les étroits tunnels pour Ouvrier jusqu’à arriver à l’une des intersections principales de la Colonie. Ici, le trafic divergeait et de nouveaux corps rentrèrent dans la continuelle cascade de mouvement. De grands Soldats marchaient en formant de longues colonnes de corps, allant renforcer les points faibles de la Colonie, manger, ou pour se reposer jusqu’à ce qu’ils soient de nouveau appeler. C’est ici que les Ouvriers joignaient d’autres flux, s’enfonçant dans la Colonie, ou allant à la surface.

Pion s’avança, suivant l’Ouvrier devant lui jusqu’à ce qu’il arrive à une séparation du trafic. Il s’arrêta, incertain. L’Ouvrier derrière lui s’arrêta, ainsi que celui derrière lui, et celui derrière lui et ainsi de suite. En un instant, des milliers de corps s’arrêtèrent pendant une cruciale seconde jusqu’à ce que l’Ouvrier derrière Pion le contourne de manière maladroite. L’Ouvrier derrière lui suivit le mouvement, tout comme l’Ouvrier derrière lui, et ainsi de suite.

Aussitôt, le flux du trafic reprit son cours. Contrairement au trafic du monde d’Erin, les Ouvriers n’hésitèrent pas. Ils bougèrent en parfaite synchronisation, et après cette initiale pose, le flux continua sans nouvelle interruption. Malgré cela, cet incident avait causé à tous les Ouvriers derrière Pion une précieuse seconde d’inactivité. Pion savait qu’il aurait dû se sentir coupable, mais il ne l’était pas.

Il regarda les corps marcher autour de lui. Voilà les Ouvriers, réalisant leur devoir. En face de lui, un autre flux de Soldat avançait rapidement le long du couloir, presque en train de courir. Ils allaient peut-être affronter des monstres.

Une partie de Pion se demanda ce qui se passerait s’il se mettait dans leur chemin. Est-ce que les Soldats allaient simplement le piétiner ? Ils le faisaient quand un Ouvrier se mettait accidentellement sur leur chemin. Mais est-ce que son statut en tant qu’Individu voulait dire qu’ils allaient l’éviter ?

Il décida de ne pas tester sa théorie. À la place, Pion recommença à marcher, résultant en une microseconde de délai tandis qu’il rejoint le flux d’Ouvriers. Il monta, vers une pièce spéciale battit proche de la surface de la Colonie.

Une grande pièce avait été mise à part avec un nouveau but. À la place d’une autre salle de nutrition, la zone au plafond bas avait été remplie de coussins, de petit rectangle de bois recouvert de pièce, et même une chaise qui se démarquait du reste. Des Antiniums, tous des Ouvriers, se tenaient autour de ses plateaux, jouant aux échecs.

Ils s’arrêtèrent quand Pion entra dans la pièce. Les Ouvriers le regardèrent, et recommencèrent à jouer. Son regard passa dans la pièce, regardant les Antiniums assis et jouant aux échecs.

Il y avait autour de soixante Ouvriers dans la pièce, tous en train de jouer aux échecs. Ils ne levaient pas la tête de leur jeu, et ils jouaient à intervalle régulier. Les clik rythmiques des pièces de bois délicatement posées sur l’échiquier apaisa Pion. Mais il ne s’assit pas devant un échiquier vide comme à son habitude. S’il le faisait, il allait trouver un adversaire en quelques secondes. Mais ce n’était pas ce que Pion voulait aujourd’hui.

À la place, il s’assit contre l’un des murs de terre. Pion regarda en face, sans vraiment voir les joueurs d’échecs. Ils étaient tous de nouveaux Individus, les rares qui avaient survécu et ceux qui n’étaient pas devenus des Aberrations comme les autres. Ils avaient choisi des noms, et étaient en train d’apprendre à jouer aux échecs, suivant les recommandations que Pion avait données à Klbkch.

Mais ils n’étaient pas… Comme lui. Pion le savait. Ces nouveaux Individus n’étaient pas comme il était. Ni comme les Individus d’origine, les Ouvriers d’origines qui avaient choisi leurs noms.

« Hah. »

Pion rit devant le ridicule de cette pensée. Aussitôt, les Ouvriers présents dans la pièce s’arrêtèrent dans leurs parties et le regardèrent d’un même mouvement. Il se figea, ne sachant pas quoi faire. Après une seconde les Ouvriers recommencèrent à jouer comme si rien ne s’était passé.

C’était exactement ça. Pion ferma ses mandibules en s’assurant de ne pas faire un autre son tandis que les bruits de parties recommencèrent. Ces nouveaux Individus avaient des noms, mais ils n’avaient pas ce que lui et les autres avaient. Ils obéissaient toujours aux ordres comme les autres Ouvriers, et ils ne prononçaient pas leur avis. Ils n’avaient pas développé de personnalité comme lui, Bird, Belgrade, Anand et Garry, les seuls survivants des Individus d’origine. Ce n’était pas la faute de ces nouveaux Individus, bien sûr. Ils avaient été forcés dans ce choix, ils ne l’avaient pas fait d’eux-mêmes. Ils n’avaient pas… Erin.

Les choses avaient été plus simples il y a quelques mois. À l’époque, la Colonie avait du sens pour Pion. Il y avait les Ouvriers et les Soldats, le Prognugator, et la Reine. C’était ainsi. Mais maintenant il y avait les Ouvriers et les Soldats, oui, et la Reine, mais il y avait aussi un Revelantor qui se comportait comme un Prognugator en la personne de Klbkch. Il avait mis à la porte l’ancien Prognugator, qui était aussi le nouveau Prognugator, Ksmvr, hors de la Colonie. Et il y avait un nouveau groupe d’Antinium.

Les Individus. Plus d’une centaine d’Ouvriers qui avaient choisi des noms et qui avaient passé le test d’individualité sans devenir une Aberration. Mais dans ce groupe d’Individus, il y avait cinq… Leaders.

Non, ils n’étaient pas des leaders. Ils étaient cinq exceptions. Cinq des Individus d’origine qui étaient devenus ainsi de leur plein gré, pour sauver une Humaine nommée Erin Solstice. Ils avaient été le club d’échec, son club d’échec, les Ouvriers qui jouaient tous les jours dans son auberge. Et qui avaient donné leurs vies, presque tous, pour la protéger des morts-vivants.

Tel était le véritable changement dans la Colonie. Cinq Antiniums avaient choisi et étaient devenus des Individus, prenant des classes, des noms et une véritable personnalité. Ils avaient commencé à rapidement gagner des niveaux comme les autres espèces, et ils étaient devenus…

Uniques. Et cela devait être dit, des cinq, l’un d’entre eux se démarquait en particulier.

Pion.

Il était le premier. Pion le savait. Il avait été le premier à choisir un nom, le premier à choisir. Et tout le monde le traitait comme s’il était spécial à cause de cela. Klbkch, sa Reine, ils ne lui donnaient pas de devoir, pas de responsabilité. Ils le regardaient pour voir ce qu’il allait faire. Et Pion n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire, donc la plupart des jours il montait jusqu’à la pièce d’échec et jouait ou restait assit contre le mur.

Il ne fit pas grand-chose. Pion resta là, jour après jour. Pensif, vraiment. C’était tout ce qu’il pouvait faire. Il n’était pas un guerrier inné comme Bird, et les autres classes ne l’intéressaient pas contrairement Garry, Belgrade et Anand. Les quatre autres avaient déjà commencé à se spécialiser dans des rôles comme sa Reine l’avait espérée. Bird avait commencé à utiliser son arc pour récolter un bon nombre de gibiers à plumes même dans le climat hivernal, et Garry avait appris à les frire et transformer leur carcasse en délectable gourmandise.

Belgrade et Anand avaient continué de s’améliorer dans leur classe de [Tacticien]. Ils avaient déjà combattu dans de nombreux engagements contre les monstres du donjon souterrain. Ils étaient tous en train de devenir des avantages pour la Colonie. Mais Pion était différent.

Tous les Ouvriers le savaient. Pion le savait. Il était différent. Il était le premier Ouvrier à qui Erin avait parlé, le premier Ouvrier à choisir son nom. Même les quatre autres Ouvriers le traitaient différemment. Parce qu’il était le premier. Qu’il était spécial. Il n’était pas que choisi, il avait été choisi par Erin.

Il était unique. Mais Pion n’avait pas la moindre idée de ce que cela voulait dire.

Il savait ce que sa Reine voulait, il savait ce que Klbkch voulait. Il voulait qu’il devienne un utile guerrier, ou un avantage pour la Colonie. Ils voulaient qu’il se spécialise, qu’il gagne des niveaux dans une classe et surpasse les Antiniums normaux, mais Pion n’avait pas fait cela.

Oui, il avait la classe de [Tacticien]. Mais son niveau n’était pas élevé. En vérité, sa progression stagnait depuis des semaines. Pion aimait toujours jouer aux échecs, et il était de loin le meilleur joueur parmi les Ouvriers. Mais comme Erin, il avait cessé de gagner des niveaux.

Et il ne voyait pas l’intérêt d’utiliser un arc comme Bird. Il n’aimait pas cuisiner, seulement manger, et il n’avait pas d’autre désir brûlant de faire quelque chose pour la Colonie. Pion était certain que s’il marchait quelque part dans la Colonie, à l’exception de la chambre de la Reine, il trouverait quelque chose à faire.

Il y avait toujours du travail dans la Colonie. Vu qu’ils avaient été autorisés à aller à la surface, Pion avait appris quelque chose des traditions des autres espèces. Apparemment l’ennui était quelque chose qu’ils devaient lutter contre. C’était un concept étranger dans la Colonie.

Que faire après avoir réalisé votre travail ? Dans ce cas, il y avait toujours du temps passé à traiter la pâte nutritionnelle que les Antiniums mangeaient, mâchant de la nourriture pour la régurgiter dans de grande cuve pour être mélangés avec de longs pôles. Ou il était aussi possible de se retrouver à monter la garde contre les monstres du donjon sous Liscor, aidant les soldats dans leur interminable combat.

Et si ces deux options n’étaient pas viables, il était toujours possible d’être assigné à la surveillance des larves, ou pour creuser. Il y avait toujours du temps pour creuser. Creuser un tunnel qui s’était effondré, creuser un nouveau tunnel, creuser plus profondément un tunnel, creuser une pièce, creuser un filon prometteur, creuser un trou pour les excréments…

De temps en temps, les Ouvriers construisaient quelque chose. C’était rafraichissant. Ils taillaient des poutres de bois pour tenir la titanesque quantité de terre au-dessus d’eux, ou faisaient de grossières flèches de bois. Mais même cela devenait épuisant après plusieurs heures de travail monotone.

Ce n’était pas pour Pion. Il le savait. Il savait qu’il voulait quelque chose de différent. Et peut-être qu’il l’avait trouvé. Peut-être.

Mais il n’en était plus certain. Cette certitude, la foi qui l’avait envahi il y a plusieurs semaines de cela l’avait quittée, et maintenant Pion pouvait uniquement s’appuyer sur des souvenirs incertains pour remplir le vide dans son cœur. Est-ce que cela s’était vraiment produit ? Est-ce que cela avait été vrai ?

Était-il réellement un [Acolyte] ? Qu’est-ce que cela voulait dire ?

« Je ne sais pas. »

Une autre pause, et les Ouvriers levèrent la tête Cette fois Pion leur rendit leur regard, juste pour voir ce qui allait se passer. Ils baissèrent les yeux d’un même mouvement, et il recommença à réfléchir.

Il était une fois, un Antinium qui avait été questionné. Il avait été demandé qu’il était, et il n’avait pas de réponse. Il s’était demandé pourquoi tous ses… Amis… Étaient morts, si cela n’avait rien changé. Et il avait reçu une réponse. Un rayon de lumière.

« La foi. »

C’était ce que la fille lui avait dit. Elle s’était enfoncée dans son désespoir et lui avait offert quelque chose à quoi s’accrocher. Elle lui avait parlé de quelque chose qui dépassait sa compréhension. Un Dieu. Et un endroit… Un endroit où les morts allaient se reposer. Un merveilleux endroit.

« Le Paradis. »

Pion soupira et serra son poing encore guérissant. Il le regarda. Oui, il avait cru durant cette nuit. Et sa croyance était devenue une réalité ! Il avait gagné une compétence, et une classe. [Acolyte], et la Compétence, [Prière]. Cela avait de l’importance à l’époque, il en avait été certain.

Il y avait un Dieu. Il y avait quelque chose en quoi croire. Mais depuis, la foi de Pion avait vacillé. Il n’avait pas gagné de niveau, et il n’avait pas prié. Car… Car il avait peur.

Il y avait un Dieu. Erin lui avait dit cela. Mais pas qu’un Dieu. Des Dieux. Elle avait parlé d’un Dieu qui était né et mort dans son monde, mais apparemment ce Dieu n’était pas le seul. D’autres gens croyaient dans un Dieu qui était pareil, mais différent, qui n’avait jamais dit certaines choses.

« Est-ce que vous êtes vraiment là ? Allez-vous me répondre ? Suis-je digne de vous demander de telles choses ? »

Pas de réponse. Les Ouvriers levèrent les yeux vers Pion avant de se reconcentrer sur leurs échiquiers. Il leva les yeux vers le plafond, dans la direction où Erin lui avait dit que le Paradis était. Il ne vit que de la terre.

Le Paradis. La foi et les Dieux étaient tous confus pour Pion, mais l’idée du Paradis, l’idée du pardon et d’un endroit ou être heureux était ce à quoi il s’accrochait. Il devait croire en cela, et donc être récompensé. Mais s’il devait prier, comme sa compétence l’indiquait, qui devait être le réceptacle de ses prières ? Le Dieu d’Erin ? Seulement…. Il n’était pas son Dieu. C’était ce qu’elle avait dit. Donc, qui devait-il prier ?

Et prier pour quoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui allait le faire ? Et est-ce qu’il allait avoir une réponse ? Est-ce que quelqu’un allait l’écouter, ou est-ce ses mots n’allaient pas être entendu ?

Pion ne le savait pas. Cela faisait plusieurs semaines qu’il ne savait pas, et rester assis dans la salle d’échec ne l’avançait pas. Une partie de lui ne voulait pas savoir. Une autre partie lui disait de parler à Klbkch et à sa Reine, leur dire qu’il avait une nouvelle classe. Mais la dernière partie voulait croire. Elle voulait connaitre ce Dieu, et dédier son être à croire en ce Dieu. Pour attendre cet endroit, appelez le « Paradis ».

Mais il avait peur. Peur de connaitre la vérité. Donc Pion s’assit dans la pièce en se demandant ce qui se passerait s’il priait. Est-ce qu’il n’allait rien se passer ? Ou est-ce quelque chose, ou quelqu’un allait répondre ? Qu’est-ce qui serait pire ?

Pion ne voulait pas le savoir. Mais il le voulait, désespérément. Il craignait que s’il retournait voir Erin, elle allât lui dire qu’il avait tort. Que ça classe était une erreur. Que Dieu n’existait que dans son monde. Ou…

Ou qu’il y avait un Dieu, mais qu’il n’était pas pour lui.

C’était sa plus grande peur. Il y avait un Dieu. Probablement. La classe qu’il avait reçue semblait l’indiquer. Et Pion voulait croire en un Dieu. Mais qu’est-ce qui se passerait si Dieu ne voulait pas de lui ? Pion avait trop peur de lui demander.

Tandis que les jours passèrent, il resta assis dans la pièce d’échec, pensif. Son esprit tourna en rond dans sa tête, encore et encore. Des Ouvriers entrèrent dans la pièce, jouèrent aux échecs, et s’en allèrent. C’était leur devoir. Mais Poon n’avait rien. Rien du tout. Il n’avait qu’une question, et une réponse qu’il craignait.

Et puis, juste après s’être réveillé, il faisait déjà nuit. Pion le savait grâce à l’horloge dans sa tête et grâce aux Ouvriers qui travaillaient, non pas grâce à un changement de la lumière ambiante. Il se leva, s’étira ; les autres Ouvriers attendirent qu’il dise ou fasse quelque chose. Mais Pion décida de marcher hors de la pièce.

Cette fois il alla vers le haut. Vers la ville. Ce n’était pas son choix ; Pion avait l’impression que ses pieds l’amenaient dans cette direction. Il monta, hors du tunnel qui était l’une des entrées de la Colonie. Il marcha dans les rues de Liscor, parmi les Drakéides, les Gnolls et les Humains qui lui laissèrent de l’espace. Il passa les portes de Liscor, et traversa la neige, grimpant vers l’auberge dont les fenêtres laissaient échapper une lumière réconfortante et attrayante.

Il devait le savoir. Il devait au moins demander. Pion sentait la certitude dans son corps. Il avait gagné une classe et une Compétence et cela voulait dire quelque chose. Il y avait un Dieu. Mais est-ce que ce Dieu allait accepter Pion ? Il devait le savoir, donc il devait demander à Erin. Elle allait savoir quoi faire. Elle savait toujours quoi faire.

Mais Erin n’était pas là. Pion frappa à la porte et l’ouvrit, et vit la fille qui gisait au sol. Elle leva les yeux vers lui, et elle n’était pas Erin.

« Excusez-moi ? Est-ce qu’Erin Solstice est là ? »

« Erin ? »

La fille avait été roulée en boule. Elle venait de se redresser et était en train d’essuyer ses larmes. Ses joues étaient humides, et ses yeux étaient rouges.

« Qu’est-ce que tu… Tu es cet Antinium, c’est ça ? Pion ? »

« C’est cela. Est-ce qu’Erin est là ? J’aimerais discuter avec elle. »

« Erin ? Tu ne connais pas la nouvelle ? »

La fille rit de manière presque hystérique. Pion aurait froncé les sourcils s’il en avait été capable.

« Quelle nouvelle ? Est-ce que quelque chose est arrivé à Erin Solstice ? »

« Elle… N’est plus là. »

« Plus là ? »

Pion écouta, incrédule, lorsque la jeune femme lui expliqua ce qui s’était passé. Erin avait disparu ? Comment a-t-on pu permettre ça ?

Une partie de lui voulait courir vers la porte, pour aller chercher Bird et Garry et les autres et immédiatement partir à la recherche d’Erin. Est-ce qu’elle était en sécurité ? Dans une autre ville ?

« Elle est en sécurité. Mais elle ne va pas revenir toute de suite. Je ne pense pas qu’elle puisse le faire avec tous les Gobelins dans le coin. »

L’esprit de l’Antinium s’emballa lorsqu’il considéra les implications. Les armées Gobelines. Bien sûr que la sécurité d’Erin était prioritaire, mais si elle ne pouvait pas revenir… Est-ce que quelqu’un devait envoyer une escorte ? Est-ce que Klbkch était au courant ? Il devait l’être, mais est-ce qu’il enverra des Soldats pour la protéger ? Et qu’est-ce…

« Donc… Est-ce que tu es là pour quelque chose ? »

Pion regarda la jeune femme avec surprise. Oui, elle était restée là, pas vraie ? Qui était-elle ? Quelqu’un de nouveau ?

Lyonette. C’était son nom. Il se rappelait vaguement Erin l’embaucher, mais est-ce qu’elle n’était pas une mauvaise employée ? Maintenant la jeune femme était seule. Elle essuya son nez et pointa la cuisine du doigt.

« Est-ce que tu veux… Manger quelque chose ? »

Le premier instinct de Pion était de refuser, mais cela voulait dire qu’il allait devoir quitter l’auberge. Et il n’était pas prêt à redescendre dans la Colonie. Pas encore. Donc il hocha la tête, mais dit à Lyonette qu’il ne pouvait pas digérer le gluten. Cela la surprit, mais elle lui offrit des œufs et du bacon.

Pion avait l’impression que ce genre de plat était réservé au petit-déjeuner, du moins selon Erin, mais il accepta. Il avait encore les pièces que Klbkch lui avait données. Assez pour beaucoup de repas.

L’Ouvrir s’assit à une table vide tandis que Lyonette se précipita dans la cuisine et commença à faire du bruit. Il regarda la table, essayant de réfléchir. Tout n’était que chaos dans son esprit.

« Erin est partie. »

Il n’y avait pas de réponse à sa question. Pion se sentit immédiatement soulagé, mais aussi horrible. Il n’était pas plus proche de sa réponse, et la question le déchirait de l’intérieur. Si Erin ne pouvait pas lui répondre, alors…

« Voilà ton repas ! »

Une assiette arriva sous les yeux de Pion. Il la regarda, ainsi que la main la qui la tendait. Lyonette regarda Pion anxieusement lorsqu’elle la déposa devant lui.

« Désolée. C’est un peu… »

Le bacon était légèrement brûlé. Les œufs n’étaient pas entièrement cuits et ils coulaient. Pion toucha sa nourriture avec une fourchette quand Lyonette se souvint de lui en donner une. Il prit une bouchée du bacon huileux et mâcha.

C’était entièrement différent de la pâte que les Ouvriers mangeaient. Cela faisait si longtemps que Pion avait presque oublié le gout de la nourriture chaude. Et du sel ! Pion termina son assiette et se resservit quand Lyonette lui proposa une seconde assiette.

Puis il resta assis dans l’auberge, regardant le feu s’éteindre. C’était drôle. Il était venu ici à la recherche de réponses, et n’avait rien trouvé. Mais même sans elles, il avait trouvé une sorte de réponse.

Erin était partie. Elle était peut-être en danger, mais Pion n’avait pas de moyen de l’aider. Pas comme il l’était. Il était inutile, un Ouvrier isolé. Mais s’il y avait un Dieu…

Il n’y avait pas d’Erin. Donc il n’y avait qu’une personne à qui il pouvait poser la question. Une personne qui allait peut-être savoir ce que tout cela voulait dire. Klbkch. Il avait été assigné le devoir de guider Pion, et c’était le devoir de Pion de l’informer des classes qu’il obtenait. Il ne l’avait pas fait auparavant, car il était hésitant. Mais maintenant ? Il était temps.

Il allait parler de sa classe au Revalantor Klbkch et lui demander ce que cela voulait dire. Peut-être que Klbkch savait quelque chose sur les Dieux. Pion mit la main à la ceinture qu’il portait autour de la taille et laissa ce qu’il considéra être un paiement approprié. Erin lui offrait généralement son repas.

Lentement, Pion quitta la pièce et marcha dans la neige. Il n’était pas moins perdu qu’auparavant, mais au moins il avait quelque chose de chaud en lui. Il leva les yeux vers le ciel nuageux. Il ne pouvait pas sentir le paradis. N’y savoir s’il y avait un Dieu.

Mais peut-être qu’il y en avait un. Et s’il existait, Pion allait le trouver. Lentement, il commença à marcher à travers la neige, vers la ville, vers sa Colonie.

Les Dieux. Le Paradis. Il essaya d’y croire. Cette fois, Pion eut l’impression qu’il aurait pu réussir.

***

Lyonette regarda Pion partir en silence, marchant dans la neige tandis qu’il leva les yeux au ciel. L’Antinium avait à peine prononcé quelques mots de la nuit. Il était resté assis, regardant le feu. Mais il avait aussi mangé deux assiettes et était parti…

Elle regarda le tas de pièces sur la table. Des pièces d’argent et de bronze brillaient au clair de lune. Tremblante, Lyonette ramassa la pile de pièces. Elle les compta. Une fois, deux, encore.

C’était assez. Plus qu’assez. Avec ceci elle allait pouvoir se nourrir pendant plusieurs jours. Et s’il revenait…

Le cœur de Lyonette manqua un battement. Une partie d’elle voulait hurler de dégoût pour avoir touché la même chose qu’un Antinium avait touchée. Elle se souvenait encore des histoires de ce qu’ils avaient fait, les horribles atrocités qu’ils avaient commises. Mais celui-ci, Pion, l’avait payé.

Peut-être que ce n’était qu’une fois. Mais Lyon se souvenait que les Antiniums venaient dans l’auberge d’Erin en suivant un paterne bien précis. Et ils n’étaient pas difficiles à nourrir ; ils aimaient même les abeilles, aussi dégoûtant que cela soit. Ils étaient une source de revenu stable. Si elle trouvait le courage de les servir alors, peut-être, juste peut-être, qu’elle allait survivre.

La [Princesse] regarda par la fenêtre la forme solitaire de l’Antinium qui s’éloignait en direction de la ville. Elle pouvait le faire. Elle pouvait vivre jusqu’au retour d’Erin. Elle allait le faire, et montrer à Erin de quoi elle était capable. Elle allait gérer cette auberge, et cela allait devenir son château, son sanctuaire jusqu’au retour d’Erin.

Tout allait bien se passer. Lyonette devait y croire.

La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

https://aubergevagabonde.wordpress.com/
Titre: Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
Posté par: EllieVia le 23 janvier 2022 à 21:32:09

1.00 M

Traduit par EllieVia


Elle avait eu un hamster, autrefois. C’était la raison pour laquelle elle avait voulu devenir médecin. Plus tard, elle trouva d’autres raisons, mais le jour où elle décida de soigner des gens fut le jour où elle se retrouva assise dans le jardin devant sa maison à essayer de sauver son ami mourant.
 
Naturellement, elle avait voulu être vétérinaire, mais ses parents l’en avaient dissuadée. Et sa tante était morte lorsqu’elle avait douze ans. Elle avait contemplé le cercueil fermé en rêvant d’être capable de sauver même les gens qu’il fallait enterrer en plusieurs morceaux.
 
Et pendant ses dernières années de lycée, elle avait eu les notes qu’il fallait. Et elle aimait la biologie, elle ne vomissait pas dans sa grenouille comme le garçon assis à côté d’elle en cours, et elle n’avait rien envie de faire d’autre.
 
Elle avait donc pris des cours de préparation à la médecine lorsqu’elle ne faisait pas la fête avec ses amis et qu’elle apprenait à vivre seule. Et elle avait été diplômée à temps, était partie en Médecine, et s’était rendu compte qu’il était difficile de gérer un loyer et un job à temps partiel, mais pas trop difficile d’apprendre. Puis un jour, elle était allée aux toilettes pendant un cours et n’en était jamais revenue.
 
Geneva Scala s’était retrouvée dans un autre monde. Et là, elle avait appris une chose : elle ne voulait pas être médecin. Ne voulait plus être médecin. Elle était [Médecin] à présent, mais elle ne faisait que regarder les gens mourir.



***



La personne allongée sur la table d’opération de fortune que Geneva avait fabriquée hurlait de douleur. La lame avait profondément pénétré son flanc, et il se vidait de son sang devant ses yeux. Si elle ne refermait pas rapidement ses blessures, il mourrait.
 
D’une main, Geneva tenait un objet en bois rustique qui ressemblait à une pince. Elle s’en servit pour fermer l’artère qu’elle avait trouvée et pria pour réussir à agir assez vite.
 
Suture !”, hurla-t-elle au soldat qui la regardait, les yeux écarquillés. Il la dévisagea fixement. Elle pointa l’aiguille et le fil du doigt.
 
“Il faut que je referme la plaie !”
 
Elle laissa un autre homme prendre le relais pour appuyer sur l’artère et tendit la main pour prendre l’aiguille. Le soldat saisit maladroitement l’aiguille et faillit la faire tomber sur le sol de terre battue. Geneva la lui arracha des mains et regarda le fil.
 
Ce n’était que du coton ; et même pas de bonne qualité. Elle l’avait fait bouillir, mais elle se demandait à présent s’il supporterait la tension qu’elle s’apprêtait à lui faire subir. Mais l’homme hurla alors et elle sut que son temps était écoulé.
 
“Immobilisez-le.”
 
Les deux hommes obéirent à ses ordres, et plaquèrent l’homme en train de hurler contre la table pendant que Geneva le recousait avec désespoir. C’était une vision d’horreur ; l’aiguille qu’elle avait achetée n’était pas assez aiguisée et elle était obligée de faire d’énormes trous dans la chair pour essayer de refermer la plaie béante sur son flanc. Et le sang…
 
“Maintiens cette artère fermée !”, lança-t-elle d’un ton sec à l’un de ses assistants. Il essaya de s’exécuter, mais le forceps qu’il tenait était en bois, et grossier ; sculpté en une journée, plus proche d’une paire de baguettes que d’une véritable pince. Il glissa, et du sang jaillit sur l’estomac de l’homme.
 
“Refermez l’artère !”
 
Geneva était obligée de hurler par-dessus les cris de l’homme. Il hoquetait de douleur, encore à moitié conscient. Mais elle n’avait pas d’anesthésiants, rien à lui donner. Et à présent, l’autre homme essayait de récupérer l’artère et ne parvenait plus à la trouver dans la plaie qui s’agitait.  Geneva tendit la main vers le forceps et hésita. L’homme avait cessé de bouger.
 
Lentement, elle regarda l’hémorragie. Le flux s’amenuisait. Elle regarda les yeux grands ouverts du soldat, puis parcourut du regard ses assistants regroupés sous la tente. Ils la dévisagèrent. Geneva prit une grande inspiration, puis prit la parole.
 
“Il est mort.”
 
Une part d’elle voulait ajouter l’heure de la mort, mais c’était sans importance. Il n’y avait personne pour l’enregistrer, et de plus, il n’y avait pas d’intérêt. Lorsqu’elle lâcha le forceps et l’aiguille dans le bol d’eau bouillie et regarda le liquide se teinter de rouge, elle sut qu’elle n’avait même pas le temps de pleurer la mort du soldat.
 
“Emmenez-le dehors. Enterrez-le. Je sortirai dans un instant.”
 
Les soldats suivirent ses ordres d’un air hésitant. Geneva contempla ses mains. Elles étaient tellement rouges. Elle n’avait pas de gants chirurgicaux, et elle s’était coupée plus tôt dans la matinée. Elle n’était pas en conditions stériles.
 
Lentement, la jeune femme regarda autour d’elle. Elle était dans une tente ; pas hermétique, juste des murs de toile et un sol de terre battue. Sa ‘table d’opération’ était un morceau de bois dur. Ses instruments chirurgicaux se résumaient à une dague affûtée, une aiguille à coudre courbe et un fil de mauvaise qualité, et des instruments en bois qui étaient déjà couverts de sang. Les hommes et la femme qui l’assistaient n’avaient aucun entraînement ; ils n’étaient même pas propres. Ils étaient couverts de sang et de viscères.
 
Et elle avait laissé un autre homme mourir devant ses yeux. Geneva pouvait encore l’entendre crier. Elle avait déjà oublié son visage, mais elle se souvenait de ses suppliques lorsqu’ils l’avaient amené dans sa tente. Il lui avait demandé de lui sauver la vie.
 
Et elle avait échoué.
 
C’était la cinquième personne qu’elle avait vu mourir devant ses yeux. Mais elle entendait des éclats de voix, et, au loin, des cris. Elle savait qu’elle verrait d’autres cadavres avant la fin de la journée. Geneva pria pour qu’ils ne meurent pas par sa faute.



***




Presque une semaine plus tôt, Geneva avait pénétré dans une ville bâtie au bord d’un lac. Elle avait contemplé les hautes bâtisses, les ponts interconnectés qui couraient au-dessus de sa tête, et surtout les personnes-lézards et les Centaures qui marchaient aux côtés d’Humains. Mais elle n’était pas restée trop longtemps pour contempler tout ça. Au lieu de cela, Geneva avait pénétré plus profondément dans la ville, jusqu’à entendre des gens crier et le rat-tat-tat de quelqu’un en train de taper sur un tambour.
 
Les recruteurs pour les groupes de mercenaires locaux et les compagnies plus grandes s’étaient déjà mis au travail, malgré la chaleur de la journée. Des humains vêtus d’armure en cuir légère étaient debout devant de petits stands aux côtés de Centaures qui étaient pratiquement dépourvus d’armure si l’on exceptait un pourpoint en tissu ou deux, et de Dullahans, d’étranges créatures humanoïdes entièrement vêtues d’armure et qui levaient haut leurs têtes en hélant de potentielles recrues.
 
Des combattants et - non, des guerriers de chaque espèce discutaient avec ces recruteurs et discutaient entre eux pour savoir quel groupe rejoindre. Geneva contempla fixement un Minotaure armé d’une gigantesque massue cloutée et frissonna en imaginant ce qu’il se produirait s’il la cognait avec. Elle pria pour ne pas être en train de commettre une erreur. Mais elle n’avait pas le choix. Elle avait l’estomac vide, et même l’odeur de la sueur et d’autres odeurs corporelles lui donnaient faim.
 
“Toi, là ! Rejoins les Combattants Raveriens !”
 
Un homme haut de taille vêtu d’une armure de plate héla Geneva de l’autre côté de la place. Elle s’approche de lui, et remarqua à quel point son front était couvert de sueur. Il devait être en train de cuire avec cette chaleur, mais il faisait son petit effet parmi les guerriers plus légèrement vêtus.
 
“Je m’appelle Thriss. Je suis un [Sergent] enrôlé dans le 4ème Bataillon de la Compagnie des Combattants Raveriens. Si tu as le courage de combattre à mes côtés, nous t’offrirons huit pièces d’argent pour chaque journée de combat, et une pièce d’argent par journée où tu ne te battras pas. Reste à nos côtés et tu auras un repas chaud tous les soirs, des camarades de confiance pour assurer tes arrières, et tout le butin que tu pourras emporter avec toi !”
 
Geneva avait entendu tous les recruteurs faire le même speech, mais elle écouta tout de même attentivement. Thriss l’observa de la tête aux pieds en s’adressant à elle et à la foule de manière générale d’une voix de stentor. Il avait une voix incroyablement forte - c’était peut-être une Compétence ?
 
“Nous nous spécialisons dans le combat rapproché, mais nous embauchons n’importe qui tant qu’il a une classe intéressante.”
 
Il la dévisagea d’un air sceptique.
 
“Tu ne ressembles pas à une [Guerrière]. Es-tu une espèce de [Mage] ? Il faudra que je te demande une liste de tes sorts disponibles. Et nous te fournirons une armure et une arme, sauf si cela interfère avec tes sorts.”
 
Elle dut secouer la tête tant le brouhaha était envahissant. Geneva avança d’un pas et s’adressa en criant à Thriss, qui était descendu de son tabouret pour l’entendre.
 
“Je suis Médecin ! Je soigne les blessés ! Est-ce que vous voudriez bien m’embaucher ?”
 
“[Médecin] ?”
 
Il avait dit cela comme si c’était spécial. Geneva savait qu’il croyait qu’elle avait une classe, même si elle n’en avait pas vraiment. Mais il l’examina et haussa les épaules.
 
“N’importe qui peut arracher une flèche ou verser une potion de soin sur une blessure, mais parfois, une potion de soin ne suffit pas. Quelqu’un capable de sauver quelques blessés - ou amputer un membre sans qu’il y ait trop de sang - peut nous être utile. Si tu as une signature, fais-la sur ce papier.”
 
Elle fut surprise. Geneva avait cru qu’elle aurait à discuter avec de nombreux recruteurs et défendre sa candidature avant d’être engagée.
 
“Juste comme ça ?”
 
Thriss haussa ses larges épaules.
 
“Il faut être bizarre pour mentir sur le fait d’avoir une classe de [Médecin]. Nous n’avons pas d’artefacts magiques pour voir ta classe ni qui que ce soit avec la Compétence d’[Évaluation], mais tu n’as pas prétendu avoir un quelconque niveau. Et c’est le genre de chose qu’on découvre rapidement. Si tu peux te faire ta place et ne nous cause pas d’ennuis, tu nous seras utile, même si tu dois faire la vaisselle la plupart du temps. Si tu ne peux pas combattre, eh bien, tu apprendras bien assez vite.”
 
Il soutint son regard avec intensité.
 
“Mais j’ai entendu parler de la classe de [Médecin], même si je n’en ai jamais vu. Tu es une espèce de [Guérisseuse], c’est ça ?”
 
“Quelque chose dans le genre.”
 
Geneva avait menti. Elle n’avait jamais croisé de [Guérisseuse] dans ce monde, mais elle espérait que c’était proche de ce qu’elle faisait. Thriss la dévisagea, puis hocha la tête.
 
“Si tu me mens, nous t’utiliserons comme bouclier à flèches. Mais si ce n’est pas le cas, nous aurons plein de boulot pour toi. Tu pourras peut-être même gagner quelques niveaux. Va voir le Lézaride derrière moi pour qu’il te donne tes instructions. Bienvenue chez les Combattants.”
 
Ensuite, Thriss lui avait indiqué où signer et on avait assigné à Geneva une place où dormir dans le campement, un repas chaud de quelque chose ressemblant à du sable et du maïs bouilli mélangé à de la viande, et même une épée et une dague. Geneva avait dormi, se demandant avec inquiétude ce que le destin lui réservait, jusqu’à ce qu’elle se réveille au milieu de la nuit avec une réalisation soudaine.
 
Thriss ne voulait pas d’une [Médecin]. Ou plutôt, il prenait un risque avec elle. Mais ce qu’il voulait, réellement, c’étaient des corps. Les Combattants Raveriens partaient à la bataille, et mis à part l’argent dépensé pour la nourrir et l’équiper, elle n’était rien d’autre qu’une nouvelle épée à lancer contre l’ennemi.
 
Son cœur avait alors battu la chamade, mais Geneva s’était rendormie. Elle était tellement fatiguée qu’elle ne se réveilla qu’une seule fois dans la nuit, pour écraser les moustiques qui tentaient de festoyer sur elle. Puis elle s’était rendormie. Elle était tellement fatiguée qu’elle avait oublié de demander à Thriss de lui fournir de l’équipement chirurgical.




***



Le jour suivant, Geneva se réveilla en entendant Thriss mugir. Elle s’était réveillée paniquée et, en se dépêtrant de ses couvertures rêches, elle s’était rendue compte que les soldats autour d’elle étaient également en train de se leveri.
 
Thriss le [Sergent] était entré accompagné de soldats ordinaires et d’officiers et avait fait lever le ramassis de guerriers qu’il avait recruté la veille. Geneva s’était tenue, mal à l’aise, aux côtés d’une Dullahane qui tenait sa tête entre ses mains, et elles avaient regardé Thriss. L’homme n’était pas porté sur les discours. Il les avait accueillis brièvement, puis leur avait dit qu’ils allaient s’entraîner à combattre.
 
“Mon boulot, c’est d’ordinaire de vous former avant qu’il ne nous faille rejoindre le reste de nos forces au combat. Le souci, c’est que nous sommes déjà engagés au sud-est d’ici, et je n’ai donc qu’une journée pour voir ce que vous avez dans le ventre avant que nous n’entamions notre marche.”
 
Ils étaient donc bels et bien des mercenaires. Geneva s’était engagée parce qu’elle avait eu désespérément besoin de nourriture, mais la réalité ne la frappa réellement que lorsque Thriss leur annonça qu’ils allaient rejoindre une bataille dans quelques jours seulement.
 
“Nous sommes contre plusieurs groupes cette fois-ci. Un clan centaure local s’est allié avec la Compagnie des Magemarteaux. Ils ont envoyé deux bataillons et engagé quelques groupes de mercenaires. Nous allons nous battre contre eux, pour soutenir la Compagnie de la Marche Enflammée. Ne vous inquiétez pas pour les détails ; sachez simplement que nous attendons de vous que vous vous battiez de votre mieux. Nous combattrons dans la jungle ; s’il y en a parmi vous qui soient dotés de compétences de terrain ou de connaissances de la géographie locale, parlez-en à moi ou à l’un des officiers.”
 
Geneva entendit quelques gémissements, mais le reste des recrues parut accepter cette information comme si elle était normale. Certaines personnes qui s’étaient engagées avaient l’air jeunes - qu’importe la race, Geneva pouvait reconnaître des adolescents lorsqu’elle en voyait. Mais d’autres ressemblaient à des vétérans, comme le Minotaure et sa massue cloutée qui dépassait tout le monde d’une tête mis à part les quelques Centaures qui s’étaient enrôlés.
 
“Allez, vous autres, avec moi ! Nous allons voir ce que vous avez dans le ventre, et si vous ne savez pas vous battre, vous obtiendrez votre classe de [Guerrier] d’ici la fin de la journée, croyez-moi !”
 
Une grande Dullahane à l’œil barré d’une cicatrice se mit à hurler sur les recrues et emporta un groupe avec elle. Geneva hésita. Elle n’était pas soldate et elle ne pouvait - ne voulait - pas se battre. Que devait-elle faire ?
 
Elle trouva Thriss lorsque les autres officiers se mirent à faire combattre le reste des guerriers pour les entraîner. Le [Sergent] ouvrit la bouche pour lui hurler dessus, avant que la mémoire lui revienne.
 
“Tu es la [Médecin], c’est ça ? Qu’est-ce que tu veux ?”
 
“J’ai, hum, besoin de quelques fournitures s’il me faut pratiquer des opérations.”
 
Geneva expliqua son problème d’un air mal assuré. Elle savait comment fonctionnait ce genre d’armée ; on recevait sa solde au bout d’un mois ou deux, et elle arrivait souvent avec du retard pour empêcher les désertions. Mais elle il lui fallait du matériel.
 
Thriss l’écouta, et elle fut soulagée qu’il ne se mette pas à lui crier dessus ou à l’ordonner de retourner se battre.
 
“Tu as besoin d’outils, hein ? Comment est-ce que je peux être sûr que tu ne vas pas t’enfuir avec l’argent ?”
 
“Je vous l’ai déjà dit, je suis [Médecin]. J’ai besoin d’instruments pour recoudre la chair, et je n’en ai aucun. Ne me dites pas que vous n’avez jamais vu une médecin travailler ?”
 
Geneva s’était exprimée d’une voix la plus assurée possible. Thriss haussa les épaules.
 
“C’est assez rare. La plupart des gens appliquent des potions de soin, mais j’ai vu des guérisseurs recoudre une plaie. Cela dit, pourquoi n’as-tu pas déjà tout ce dont tu as besoin, ?”
 
“J’ai perdu tout ce que je possédais.”
 
Ceci, au moins, était vrai. Elle avait tout perdu en marchant dans le couloir de son école avant de tourner et de se retrouver entourée d’un feuillage vert tout avec de la terre sous ses pieds plutôt que des carreaux stériles.
 
Thriss la scruta d’un œil sceptique.
 
“Hum. Prouve-le.”
 
“Comment ?”
 
Il montra du doigt un groupe de soldats surveillé par les officiers.
 
“On a toujours quelques blessures, même avec des armes émoussées. Voyons voir si tu peux aider à soigner les leurs.”
 
L’estomac de Geneva se noua, mais elle acquiesça. Intérieurement, elle révisait frénétiquement les notes et les travaux pratiques qu’elle avait eus en médecine. Elle n’était pas diplômée - elle n’était qu’en troisième année - ! Mais il était trop tard pour reculer à présent.
 
Bien assez vite, Geneva eut l’opportunité de montrer son talent. Un jeune homme - un adolescent roux avec davantage de confiance en lui que de véritable talent - ne parvint pas à relever le bouclier qu’on lui avait fourni à temps. Son adversaire lui cogna l’épaule et Geneva vit le jeune homme tomber par terre et hurler en sentant son épaule se déboîter.
 
“Que personne ne bouge ! Retournez à vos postes !”
 
Thriss joua des coudes pour traverser le cercle de soldats et fit signe à Geneva d’approcher. Il regarda le jeune homme qui se tordait de douleur par terre puis se tourna vers elle.
 
“La lame d’entraînement a dû casser quelque chose. Est-ce que tu peux réduire la fracture ?”
 
Geneva secoua machinalement la tête en regardant le jeune homme. Il essayait à la fois de toucher et de ne pas toucher son bras blessé.
 
“L’os n’est pas cassé. Son épaule a été luxée ; il faut la lui remettre en place.”
 
Les yeux de Thriss pétillèrent et Geneva vit ses lèvres tressaillir un bref instant. C’était un test, elle en était sûre.
 
“Est-ce que tu peux le soigner ?”
 
“Oui, s’il ne bouge pas.”
 
“Tu l’as entendue ! Ne bouge plus, garçon ! C’est juste une luxure ; pas de quoi chouiner !”
 
Thriss gifla le jeune homme et le maintint en place tandis que Geneva lui attrapait prudemment le bras. La peau du jeune homme était glissante de sueur et il tremblait, mais elle savait quoi faire. Il hurla et geignit, mais Geneva avait appris comment remettre une épaule en place. Du premier coup, elle parvint à remettre le bras en place et l’homme cessa de geindre et regarda fixement son bras d’un air incrédule.
 
“Il lui faudra quelques semaines pour se remettre.”
 
“Pas le temps. Tiens. Prends ça.”
 
Thriss sortit une fiole de verre remplie d’un liquide vert qui clapotait à sa ceinture. Geneva la regarda d’un air sceptique.
 
“C’est une potion de mauvaise qualité, mais ça devrait suffire. Vas-y. À moins que tu n’aies une Compétence ou un sort qui puisse faire mieux ?”
 
Geneva n’en avait pas, mais elle n’avait jamais vu de potion de soin agir auparavant. Elle ne pouvait toutefois pas laisser qui que ce soit se rendre compte de cela, et elle retira donc le bouchon. Le liquide vert avait une odeur incroyablement répugnante, mais le jeune homme le regardait avec espoir.
 
Précautionneusement, Geneva versa un peu de liquide vert sur l’épaule, et regarda avec incrédulité la chair déjà enflée dégonfler et l’homme pousser un soupir de soulagement. La zone avait toutefois encore l’air à vif, et Geneva ajouta donc un peu de potion jusqu’à ce que tout lui paraisse être rentré dans l’ordre.
 
“Bien !”
 
Thriss récupéra la potion aux deux tiers pleine que Geneva lui tendait et se leva. Il tendit la main au jeune homme qui la saisit. Il se mit à rouler des mécaniques et à rire comme s’il ne s’était rien passé.
 
“Je n’aurais pas gaspillé de potion pour toi, mais on a une bataille qui nous attend, et tu ne nous sers à rien si tu n’as qu’un bras !”
 
La voix de Thriss résonna dans le campement et les soldats interrompirent leur entraînement pour l’écouter.
 
“Écoutez-moi bien, restez avec nous et vous n’aurez pas besoin de chercher de potion lorsque vous aurez une flèche dans le ventre ! Nous avons du matériel de premiers secours pour vous soigner de tout sauf d’une décapitation - à moins que vous ne soyez un Dullahan - et nous avons même une [Médecin] au cas où les potions de soin ne fonctionneraient pas !”
 
Il pointa Geneva du doigt, et elle sentit les yeux se poser sur elle. Geneva rougit légèrement, mais elle ne chercha pas à se dérober aux regards. La partie rationnelle et calme de son esprit réfléchissait, toutefois. Thriss avait eu la potion de soin prête à l’emploi, et il s’était attendu à ce que quelqu’un soit blessé. Elle regarda le soldat qui avait combattu le jeune homme. C’était un vétéran, pas une nouvelle recrue. Ils avaient probablement orchestré tout cela pour booster la confiance des jeunes recrues, et tester l’engagement de Geneva n’avait fait qu’améliorer la mascarade.
 
Ses soupçons furent confirmés lorsque Thriss la ramena à sa tente et rangea la potion de soin dans un coffre qu’il ferma à clef. Il la regarda fouiller dans le matériel et lui tendit un sac dans lequel il fourra quelques pièces.
 
“C’était rapide. J’ai déjà vu des hommes déchirer la chair en essayant de remettre un os en place, mais cela ne t’a pris que quelques secondes.”
 
Il lui jeta le sac et Geneva regarda à l’intérieur. Une poignée de pièces d’argent scintillèrent sous ses yeux.
 
“Prends-le et achète ce qu’il te faut. Je vais demander à l’un des garçons du coin de te faire visiter.”
 
Histoire qu’elle ne s’enfuie pas avec l’argent. Geneva accepta le petit sac avec reconnaissance. Puis elle dut attendre que Thriss trouve un jeune Lézaride pour la guider. Pendant tout ce temps, elle continua de lutter pour accepter l’irréalité de ce qui l’entourait.
 
Des potions magiques qui pouvaient accomplir en en quelques secondes une guérison de plusieurs semaines ? Des soldats qui se battaient à l’épée ? Des Lézarides, des Centaures, et un peuple qui pouvait enlever leurs têtes comme des chapeaux ?
 
Dans quoi s’était-elle donc embarquée ?





***





Il fallut à Geneva une bonne partie de la journée pour réussir à réunir ce qu’il lui fallait, c’est-à-dire, une aiguille adaptée pour exécuter la plupart des opérations. À la vérité, elle aurait aimé trouver des antibiotiques, des anesthésiants locaux et généraux, une réserve d’aiguilles, du désinfectant…
 
Mais elle savait qu’elle ne trouverait rien de tout cela ici. Geneva prit donc ce qu’elle savait pouvoir obtenir, c’est-à-dire une aiguille, courbe, qui pouvait lui permettre de recoudre la chair. Des aiguilles ordinaires, droites, ne feraient tout simplement pas l’affaire.
 
Tout de même, même trouver ce simple instrument en ville représenta un défi. Ce n’était pas comme si ce monde - une espèce de monde médiéval rempli de magie - possédait quoi que ce soit qui se rapproche de près ou de loin à de l’équipement moderne. Geneva dut parler à trois [Couturières] avant qu’une vieille Lézaride ne lui trouve ce qu’il lui fallait.
 
“C’est une aiguille que j’utilisais pour coudre des tapis, Humaine, pas de la chair.”
 
La vieille Lézarides aux écailles décolorées scruta Geneva d’un air suspicieux, mais finit par lui vendre trois aiguilles courbes, avec du fil. Tout était extrêmement cher, mais Geneva avait encore assez d’argent pour acheter un peu de tissu et des ciseaux. Il lui fallait des bandages, et les ciseaux étaient indispensables.
 
Thriss avait examiné les achats de Geneva à son retour et pouffé de rire. Il avait récupéré les quelques pièces de cuivre qu’il lui restait.
 
“Des bandages ? Utiles si on n’a pas de potion de soin sous la main, j’imagine. Mais si tu as besoin de tissu, on a bien assez de chiffons. Demande à l’intendant s’il te manque encore des choses et prépare-toi pour la marche de demain. Il faudra qu’on parcoure au moins vingt-quatre kilomètres et tu auras ton sac à porter.”
 
Ensuite, Geneva s’assit avec des mâles et de femelles de différentes espèces et ils mangèrent avant d’aller dormir. L’air était chaud et humide, comme il l’était depuis le jour où Geneva était arrivée ici, et les insectes tentèrent de la mordre ou de boire son sang. Mais la nourriture dans son assiette était nourrissante, et elle pouvait même sourire et accepter les remerciements du jeune homme dont elle avait remis le bras en place.
 
Et lorsque la deuxième nuit était arrivée, et que les nouvelles recrues épuisées étaient allées se coucher, Geneva s’était roulée en boule sous ses couvertures et avait couvert son visage pour que personne ne la voit. Ce fut le moment où elle s’autorisa à trembler et à s’étouffer sur ses peurs.
 
Qu’était-elle en train de faire ? Elle n’avait pas de véritable équipement. Elle avait besoin de vrai matériel chirurgical, pas d’aiguilles à coudre et de morceaux de tissu. Elle avait besoin de forceps, d’un bloc opératoire stérile, de désinfectant, d’antibiotiques, d’anesthésiants…
 
“Mais je n’ai pas le choix.”, murmura-t-elle jusqu’à ce que la personne qui dormait à côté d’elle grogne d’un air irrité. Elle se tut donc. Elle n’avait pas le choix. Elle devait survivre.
 
C’était Baleros, et les jungles étaient emplies de monstres et les espèces se battaient sans cesse. Si elle n’avait pas de travail, elle mourrait de faim ou se ferait tuer. Et une [Médecin] n’avait pas vraiment d’utilité, dans un monde rempli de potions de soin magiques.
 
Geneva Scala contempla l’aiguille et le fil dans son sac et les bandages, la bouteille d’eau, et la marmite qu’elle avait demandée à l’intendant. Ses mains tremblèrent en s’imaginant devoir sauver la vie de qui que ce soit avec un équipement si limité. Elle contempla l’épée et se souvint de son Serment D’Hippocrate.
 
Pas l’ancien serment grec qui interdisait l’utilisation d’un couteau en médecine, mais celui qu’elle s’était juré à elle-même. Elle avait adopté son homonyme, la Déclaration de Genève, et créé son propre serment.
 
Elle le murmura alors, moitié dans sa tête, moitié à voix haute.
 
“Je jure solennellement de consacrer ma vie au service de l’humanité. J’exercerai ma profession avec conscience et dignité ; la santé de mon patient sera ma priorité ; je respecterai les secrets qui me seront confiés. Je n’userai pas de mon savoir médical pour violer les droits humains et les libertés civiles, même sous la menace…”
 
Elle s’endormit avant d’avoir terminé. Mais les mots résonnèrent dans ses rêves. Seulement, à présent, le mot humanité n’était plus adapté. Elle devait protéger les gens. Mais elle était aussi soldate. Il lui faudrait peut-être se battre.
 
Elle ne pouvait faire ça. Elle avait prêté un serment plus important. Même si elle était dans un autre monde, un autre lieu où la magie existait et où les gens gagnaient des niveaux comme dans un jeu vidéo, elle avait son serment.
 
C’était tout ce qu’il lui restait.


[Classe : Médecin Obtenue !]
 
[Médecin Niveau 1 !]
 
[Compétence - Résistance Mineure : Maladie Obtenue ]



***




“Tu es donc [Médecin] ?”
 
C’était la question qu’on posa à Geneva au moins une dizaine de fois le jour suivant, où elle se retrouva à marcher sur une route de terre qui s’enfonçait dans un sous-bois de plus en plus épais. Le 4e Bataillon des Combattants Raveriens s’était mis en marche pour rejoindre le combat.
 
À la vérité, Geneva n’avait aucune idée d’où ils se trouvaient sur ce continent, ni où ils se rendaient. Elle n’était même pas sûre de savoir pour quoi ils se battaient, ce qui étonnait beaucoup les soldats qui avaient décidé de lui parler pendant la marche.
 
Elle était dans la 6e Escouade, sous le commandement de Thriss lui-même. Leur groupe - et, pour tout dire, la majeure partie du bataillon - était humain. Oh, il y avait bien quelques Centaures, Dullahans, Lézarides et même un Minotaure qui marchaient avec eux, mais Geneva comprit que les espèces restaient d’ordinaire entre elles, même au sein des groupes de mercenaires.
 
“C’est plus facile de coordonner les attaques si tout le monde est majoritairement de la même espèce. Et puis, eh, il faut bien qu’on se serre les coudes entre Humains, pas vrai ?”, déclara le jeune homme roux qui avait été le premier à rejoindre Geneva pendant la marche. Il portait le sac à dos qu’on lui avait fourni sans grande peine et ne cessait de caresser la garde de son épée avec une excitation évidente. Geneva entendit quelqu’un pouffer et vit que les trois hommes et les deux femmes qui marchaient avec eux se moquaient de lui.
 
“Ne prête pas attention à Lim. Il ne sait pas de quoi il parle. Nous serions bien mieux lotis si nous avions quelques Dullahans de plus dans notre compagnie. Ils ont de l’armure en guise de peau ; tout ce que possède Lim, c’est une grande bouche et une épaule branlante.”
 
“Hey !”
 
Lim parut blessé lorsque Geneva éclata de rire. La femme qui avait parlé - Clara - avait la peau sombre, semblable à celle d’une Amérindienne, ce qui ne fit que convaincre davantage Geneva que ce n’était qu’une version tordue des Amériques. Quelque part au Brésil, ou encore en Amazonie - comme la végétation et la chaleur et l’humidité constantes et intrusives semblaient le suggérer.
 
“En revanche, je suis surprise que tu aies eu envie de te joindre aux Combattants, Geneva. Les [Guérisseurs] ne se tiennent-ils d’ordinaire pas loin des combats ?”
 
“Je suppose que si. Mais je n’ai plus d’argent, et c’était ma seule option.”
 
Clara hocha la tête d’un air compatissant.
 
“Mais tout de même, si tu ne participes pas aux combats, tu devrais mieux t’en sortir que Lim. À quoi servent les [Médecins], de toute façon ? Les potions de soin n’ont-elles pas rendu ta classe obsolète ?”
 
“Peut-être que si.”
 
C’était ce qui inquiétait Geneva. Elle secoua la tête.
 
“Mais les potions de soin ne fonctionnent pas sur tout, pas vrai ?”
 
“C’est vrai.”
 
Un homme avec une barbe épaisse et un crâne chauve hocha sagement la tête. Il possédait plusieurs cicatrices et Geneva se demandait si elles avaient guéri naturellement ou si la potion de soin n’avait pas complètement fonctionné.
 
“Une bonne potion de soin peut te ressouder quelques os et réparer ta peau, voire même tes boyaux, mais les mauvaises ne font que te guérir en partie. Et puis, eh, tu crois vraiment qu’on a suffisamment de potions pour soigner tout le monde ? Thriss a monté un joli spectacle tout à l’heure, mais si tu comptes te faire soigner à chaque fois que tu prends un coup, alors tu ferais mieux de t’enfuir tout de suite. La seule manière de rester en bonne santé, c’est de ne pas prendre de coups.”
 
Les autres soldats hochèrent la tête et Lim parut brièvement inquiet.
 
“Mais on ne sera pas tant en danger que ça, si?”
 
“Hah ! Contre des Centaures ? Ils galèrent peut-être dans la jungle, mais trouve-leur une plaine dégagée et ils te bourreront de flèches tellement vite que tu n’auras même pas le temps d’attraper ton bouclier.”
 
“Ce ne sont pas les Centaures le problème, là. Je m’inquiète plus de la Compagnie des Magemarteaux. Ils ont des mages salement doués.”
 
“Ce ne seront pas tous des mages, si ?”
 
Là encore, tout le monde se moqua de Lim. Il rougit violemment, mais jeta un regard en coin à Geneva. Elle fit mine de ne pas l’avoir remarqué - il ne pouvait pas avoir bien plus de seize ans, et elle en avait vingt-quatre, bientôt vingt-cinq.
 
“Ils ont probablement une majeure partie de guerriers et une poignée de mages par escouade, voire moins. Et nous avons nos propres mages, donc on ne sera pas seuls. Mais retiens bien ce que je te dis, il y aura de sales sorts là-bas.”
 
“Mais on ne va pas se battre contre eux tout le temps, si ?”
 
“Bien sûr que non ! Tu crois vraiment qu’on va tous les tuer jusqu’au dernier ? Non, on essaie de repousser leur compagnie. Si on en tue suffisamment - ou qu’on conquière suffisamment de terres, leur Commandant signera probablement un traité de paix. Et ensuite, on récupérera tous notre solde et on pourra aller s’enivrer pendant une semaine ou deux.”, répondit Clara à Lim sous l’oreille très attentive de Geneva. Elle était dans ce monde, à Baleros, depuis une semaine, et elle avait survécu surtout en faisant mine de connaître les principes de base de ce monde. Mais elle restait encore tristement peu éduquée, et les gens qui marchaient à ses côtés étaient les premiers auxquels elle pouvait poser franchement ses questions.
 
“La Compagnie des Magemarteaux essaie de protéger une mine d’or trouvée par une tribu centaure. C’est ce que j’ai entendu dire. Ils vont partager les bénéfices, mais surprise, la Compagnie de la Marche Enflammée affirme que la mine est à eux parce qu’ils ont un contrat sur cette zone.”
 
Plusieurs personnes hochèrent la tête d’un air docte. Lim parut décontenancé.
 
“Mais qui a raison ?”
 
“Qu’importe ? On est payés pour se battre, pas pour choisir un camp. Ne te mets pas une Compagnie à dos, garçon.”
 
Le soldat chauve assena une taloche à Lim. À ce qu’avait compris Geneva, Baleros était un continent unique dans le sens où malgré la présence de nations, de pays, de royaumes et autres, la plupart des combats étaient menés par des mercenaires, qui pouvaient être soit de petites troupes comme les Combattants Raveriens, soit des Compagnies énormes composées de multiples régiments de soldats qui étaient presque constamment impliqués dans des conflits.
 
“Bien sûr, les Compagnies sont plus ou moins des nations en elles-mêmes.”
 
Clara parut surprise lorsque Geneva lui posa une question à ce sujet.
 
“Tu es nouvelle sur Baleros, c’est ça ? Eh bien, il y a un nombre incalculable de compagnies qui possèdent leurs propres cités et villes où elles tiennent leur quartier général. Elles ont des contrats et gagnent de l’argent en protégeant des zones, et elles envoient leurs propres armées au combat. Les plus grandes ont de l’influence, des représentants dans d’autres nations, voire des organisations mercantiles entières qui les approvisionnent exclusivement !”
 
Geneva hocha la tête.
 
“J’ai entendu dire que les Quatre Compagnies de Baleros sont les plus grandes. Mais je ne sais rien sur elles… pourquoi est-ce que tout le monde ne les rejoint pas ?”
 
“Les Quatre Compagnies ? Bien sûr, si tu es un officier ou un vétéran, elles te traitent bien. Mais tu peux avoir un meilleur salaire et de meilleures opportunités de remporter du butin et des niveaux dans un groupe de mercenaires. Et en plus, quand elles partent en guerre, les gens meurent par dizaines de milliers.”
 
Le chauve secoua la tête et cracha. Beaucoup de soldats l’appelaient “Le Vieux”, mais son véritable nom était Fortum. Il discutait en se servant de la lance qu’il tenait entre les mains comme bâton de marche, et sa bouche était un assortiment de dents jaunes et de trous clairement visibles.
 
“Elles sont plus ou moins à égalité - enfin, ce n’est pas comme si elles se battaient entre elles la plupart du temps. Cela bouleverserait l’équilibre, et si deux Grandes Compagnies combattaient, les deux autres attaqueraient la vainqueuse, s’il y en avait une. Mais maintenant qu’on en parle… Lim, tu connais les Quatre Grandes Compagnies, pas vrai ? Parles-en à la jeune fille, d’accord ?”
 
“Moi ?”
 
Lim sursauta et rougit. Il s’éclaircit nerveusement la gorge.
 
“Eh bien, il y a la Légion Cuirassée - les Dullahans...”
 
“Les Dullahans sont une bande de salauds en armure. Ils sont principalement basés au nord. Ils ont au moins dix-huit cités sous leur protection.”, l’interrompit Fortum.
 
“Eh bien, oui, mais leur chef est un Dullahan, pas vrai ?”
 
“Comme si ça changeait quelque chose ! Ils prennent n’importe qui, tant qu’il a une bonne armure. Je doute que tu trouverais beaucoup de boulot chez eux, Geneva. Toutes leurs troupes sont des dures à cuire et leurs Dullahans ont des armures de métal.”
 
Le Vieux indiqua d’un signe de tête quelques Dullahans en train de marcher dans une escouade devant eux. Geneva tourna la tête, et vit que la “peau” de ces Dullahans était faite de bois et non de métal. Elle avait été surprise de remarquer que bien qu’apparemment, les Dullahans étaient tous couverts d’armure sauf au niveau de la tête, la qualité de leur armure variait de l’un à l’autre.
 
“Il n’y a pas grand-chose à soigner chez des gens en armure, pas vrai ?”
 
“Peut-être.”
 
Geneva ne pouvait qu’imaginer les blessures qui pouvaient en résulter. Des os broyés, des armures transpercées… elle frissonna en s’imaginant essayer de reconstituer une main écrasée sans équipement. Elle n’était même pas sûre de pouvoir aider quelqu’un qui se ferait transpercer par une épée ici.
 
“Bref, ils se querellent toujours avec la Compagnie du Vent qui Souffle. Principalement des Centaures, mais ils ont aussi beaucoup de soldats à cheval. Ils sont spécialisés dans les attaques éclairs - tu te crois en sécurité, et une seconde plus tard, leurs armées te fondent dessus dans la nuit. Pas si doués que ça dans la jungle et les hauteurs, cela dit.”
 
Baleros n’était pas composée uniquement de forêts profondes et de jungles. Il y avait aussi de larges plaines ouvertes et des paysages merveilleusement pittoresques - ou du moins, c’était ce que Geneva avait entendu dire. Si cela ressemblait un tant soit peu aux Amériques, elle s’attendait à ce que la partie septentrionale du continent soit bien plus froide.
 
Elle était née dans le Wisconsin, et elle avait beau descendre d’une lignée italienne et avoir régulièrement visité son pays d’origine… cette humidité la tuait. Elle donnerait n’importe quoi pour un peu de neige. Apparemment, c’était l’hiver, mais pour une raison inconnue, il avait été retardé. Elle avait entendu les Esprits de l’Hiver être mentionnés dans ce contexte, mais Geneva n’avait encore aucune idée de ce dont il s’agissait.
 
“La Légion Cuirassée et la Compagnie du Vent qui Souffle sont spécialisées, mais les deux autres ont des méthodes plus diversifiées. L’Aile Oubliée, par exemple…”
 
“C’est l’armée menée par le Fadet, c’est ça ?”
 
“Le Titan en personne. Oui, ils se sont hissés sur le devant de la scène il y a de cela une vingtaine d’années. Ils ont écrasé un nombre incalculable d’autres compagnies, et leur numéro deux est le Titan, le plus grand [Stratégiste] du monde.”
 
Fortum hocha la tête, et Geneva se demanda ce qu’était un Fadet. Le Vieux se racla la gorge.
 
“Cela dit, leur Commandante est tout aussi terrifiante. Le Titan mène leurs armées tandis que la Traqueuse aux Trois Couleurs élimine les officiers ennemis. Ils n’ont pas autant de contrats sur le long terme que les autres, mais ils représentent une force grandissante, et ils se sont battus avec la Légion de Fer. Et enfin, la dernière compagnie…”
 
Une embuscade ! Des centaures dans les arbres !, hurla quelqu’un plus loin devant eux. Geneva leva les yeux, et soudain, elle aperçut les flèches.





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