Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

28 avril 2024 à 13:37:46
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » L'espérance

Auteur Sujet: L'espérance  (Lu 301 fois)

Hors ligne Mic Ester

  • Troubadour
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L'espérance
« le: 13 mars 2024 à 18:10:33 »
L’espérance.

Pendant des années, j’ai vécu avec le souvenir de cette belle soirée.
 Je m’en récitais tous les détails, la tête du serveur, le menu, ce qu’Arthur avait choisi comme vin : cela m’énervait d’habitude car il mettait toujours une éternité pour se décider, et ce final avec le dessert.
– Et si on passait à l’étape suivante ?

Il a dit ça doucement en prenant ma main, un sourire aux lèvres, j’ai compris évidemment, on en avait tellement parlé.
L’étape suivante je l’attendais je ne vivais que pour ça, l’étape suivante comme il disait joliment, c’était un enfant, à nous deux, enfin.
Avec Arthur on est ensemble depuis cinq ans.
Les premières années on alternait les séjours chez les parents, la colocation séparée, on squattait des amis aussi, une vie de couple en pointillé, une vie d’étudiant fauché avec l’espoir d’être un jour chez nous avec un futur qui nous plairait.
Pas un avenir exceptionnel, non, la vie de gens normaux, une maison, un emploi, des enfants.
Mais il faut de l’argent, un salaire louer un appart à Paris, nous on avait rien, puis j’ai obtenu ce poste à la cité des sciences de la Villette.
Arthur, de me voir avec un boulot, ça l’a motivé il courrait partout. Son CV je ne sais pas s’il y a une boite qui ne l’a pas reçu à Paris alors finalement il l’a eu son job aux espaces verts de la mairie.
Évidemment ça allait mieux pour les proprios et on l’a trouvé notre appart, rue des Pyrénées à Belleville au-dessus d’un kebab, rien de bien brillant pourtant on s’y sentait bien.
Jusqu’à cette soirée dans ce restau, où nous avons pris la décision d’être encore plus heureux à trois.

Au fait, je m’appelle Anne, j’ai vingt-huit ans.

Le soir même j’ai viré le patch contraceptif et on a fait l’amour toute la nuit. C’était nul bien sûr car je pense qu’il faut un certain temps pour remettre la machine en route, mais le bonheur il était tellement là.
Et le lendemain aussi et les mois qui ont suivi, au plumard, on n’arrêtait pas. Quand Arthur rentrait le soir on se regardait en riant et il me disait.
— On mange avant ou après ?

Et puis … et puis les mois ont passés avec tous les 28 jours ce rappel immonde de l’échec. Avec ce corps infécond peut-être ensemencé qui ne produit pas,
comme ça sans raisons juste pour faire chier … qui veut se faire prier … qui te dit encore raté tous les mois… Putain ! Mais qu’est-ce que j’ai souffert ces jours-là.

Alors je me suis documenté sur les périodes d’ovulation, les techniques pour enfanter, au boulot j’harcelai les collègues, enfin les mères, pour connaître des trucs.
J’ai arrêté la clope, l’alcool, une vie saine qu’ils me disaient les médecins et vous verrez tout rentrera dans l’ordre. J’y ai cru, je croyais à tout, aux marabouts, aux régimes alimentaires, aux positions inconfortables.
On baisait toujours avec Arthur mais moins spontané, plus dans le calcul, avec ce soupçon de l’autre qui s’installe. J’ai dû être odieuse certains soirs, lui jamais.
De me voir dans cet état il était paumé, mais restait sympa, positif, on choisissait des prénoms, on achetait des bouquins. Moi aussi d’ailleurs je déraillais, on n’est pas préparé à ces choses-là, ça paraît tellement simple.
Le genre humain se renouvelle ainsi depuis des millénaires pourquoi nous on ne participerait pas.
Au bout d’un an, un mauvais soir, on s’est engueulé grave, j’ai dû le traiter d’impuissant, lui d’hystérique. De coucher ensemble comme ça pour rien, ça me gonflait … enfin, ça me gonflait … pas vraiment !

Je suis partie en pleine nuit dormir chez une amie. Qu’est-ce que j’ai dû la fatiguer aussi celle-là avec mes problèmes, quelle patience elle a eu.
Au bout d’une semaine, je suis revenue.
Avec Arthur, on fait semblant d’oublier, mais que le temps est long, il y a ce boulet qu’on traîne, on s’interdit certains mots, certains films, des amis qu’on évite aussi, parce que… parce que.
Puis est venu le temps de la PMA et de ma mère. Mais je n’étais prête ni pour l’une ni pour l’autre. Faut du courage pour persévérer, exhiber ses échecs et ses espoirs à des médecins froids, cliniques qui vous expliquent les ovocytes en culture, le transfert d’embryon, tout ce charabia médical déshumanisé.
C’est pas ça un enfant, c’est pas ça être mère.
Et puis ma mère tiens parlons en qui m’appelle tous les mois pour me demander si ça va, si je n’ai besoin de rien, j’ai fini par la mettre en indésirable, elle me laisse des messages… ma chérie… je m’inquiète… comment lui dire.
Lui dire que je voudrais tellement le réussir toute seule cet enfant, sans sa bienveillance, ses conseils, lui dire un jour comme ça en l’embrassant qu’elle allait être grand-mère.
La première FIV, Arthur, il se voyait déjà avec le biberon, les couches, de le voir autant optimiste, j’y croyais aussi. La deuxième mauvais souvenir, la troisième, je n’y suis pas allée.
J’ai repris la cigarette, enfin je vapote. À la cité je reluque en douce des collègues masculins ou des visiteurs, enfin des jeunes, des costauds.
 En les regardant, je me fais des films. Avec celui-là, bâti comme il est, ça marcherait c’est sûr, et l’autre qui va vers la Géode avec ses trois gosses, bon c’est pas un Apollon, mais les enfants sont mignons, celui-là aussi il saurait s’y prendre pour m’en faire un.

Je deviens con, ça me rend méchante. Je me suis pris le chou avec une amie d’enfance rencontrée par hasard qui me parlait de patience, de sa sœur qui a attendu trois ans, de l’adoption, comme si je ne les avais pas entendus toutes ces rengaines.
Puis on s’est séparé avec Arthur, il a repris une coloc, moi je suis resté rue des Pyrénées, il m’aide pour le loyer, je reçois un texto de temps en temps, c’est toujours plein de gentillesse, il parle encore d’avenir.
Sa sœur est enceinte, je l’ai su par hasard, il a la bonté de ne pas me le dire.

Aujourd’hui j’ai trente ans. En arrêt de travail depuis trois mois, j’erre dans Paris, seule. Mon médecin traitant me somme de consulter d’urgence un psychiatre, j’y pense, mais j’ai perdu sa lettre d’examen.
Cet après-midi, je suis assise sur un banc dans le square de la Roquette.
Le printemps est là, des vieilles dames promènent leurs chiens, beaucoup se connaissent et échangent sur leur animal ou sur ce beau soleil d’avril.
De l’école maternelle toute proche, une nuée de bambins investit les jardins, les mères se regroupent près des balançoires, des enfants s’amusent ensemble dans le bac à sable.
D’autres jouent seuls, sans surveillance, éloignés des parents …
Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt.
« Modifié: 13 mars 2024 à 18:31:01 par Mic Ester »

Hors ligne ClaireC

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Re : L'espérance
« Réponse #1 le: 13 mars 2024 à 19:53:46 »
Un texte qui met en scène une situation plus que fréquente dans notre société hélas, on sent bien la descente aux enfers, et ça met mal à l'aise.

Je ne suis pas sûre d'avoir compris la fin :
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

Hors ligne jonathan

  • Calame Supersonique
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  • Rasta désabusé Calamité Supercaustique
Re : L'espérance
« Réponse #2 le: 14 mars 2024 à 10:28:03 »
Salut Michel. Tu me connais, je vais pinailler (juste un brin) Lequel des deux était stérile ? Où alors, y'avait-il une incomparabilité ? Bon, à la fin du texte, on comprend la suite et sans avoir lu Claire. Joli pan d'existence pour un couple qui s'écroule.Mais lorsque l'on s'aime vraiment, un enfant doit-il être l'unique ciment du couple ? Perso, j'suis mal placé, je suis père de quatre.  :D J'ai bien aimé. À +
Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur... [Pierre Augustin Caron de Beaumarchais]
Le silence est l'expression la plus parfaite du mépris... [G.B. Shaw]
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Hors ligne Mic Ester

  • Troubadour
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Re : L'espérance
« Réponse #3 le: 14 mars 2024 à 19:10:49 »
Bonsoir Claire et Claude
Merci d’être passés sur cette triste histoire, encore courante aujourd’hui. Quand on voit le calvaire de ces couples qui cherchent des mères porteuses ou qui vont adopter à l’étranger.
Anne la narratrice refuse la réalité et au lieu de se faire aider, elle coupe les ponts, quitte son ami, rompt avec sa mère, lâche son emploi, trop fière, trop libre.
Mais son cerveau ne suit pas, son obsession la rend folle, elle en est presque à commettre l’irréparable, enlever un enfant !
Une tranche de vie comme ça en passant, eh oui la science n’a pas tout résolu !
Mic

Hors ligne jonathan

  • Calame Supersonique
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  • Rasta désabusé Calamité Supercaustique
Re : L'espérance
« Réponse #4 le: 14 mars 2024 à 20:17:13 »
Encore une question : est-ce une histoire vécue dans ton entourage, familial ou relationnel ?
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Hors ligne Mic Ester

  • Troubadour
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Re : L'espérance
« Réponse #5 le: 15 mars 2024 à 10:54:30 »
Vécue non, c’est un texte de fiction.
Mais j’ai vu dans mon cercle de connaissances des couples prêts à tout pour adopter. En mettant en péril leur vie sociale, professionnelle, financière !
Partir au bout du monde et revenir avec un enfant de cinq, six ans, d’une autre culture, il faut en vouloir et que le couple tienne le coup !!
Bien sûr c’est un beau geste humanitaire et cela résout leur mal-être. Perso je n’ai pas eu besoin de ça et je me demande si j’aurais tenté l’aventure ?
Mais bon on n’est pas dans leurs têtes !!
A+

Hors ligne jonathan

  • Calame Supersonique
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  • Rasta désabusé Calamité Supercaustique
Re : L'espérance
« Réponse #6 le: 15 mars 2024 à 20:26:57 »
D'accord avec toi, Michel, lorsque l'on n'est pas confronté à un problème de cette dimension, difficile d'analyser et surtout de juger les personnes qui y sont confrontées. Excellente analyse et excellent texte.
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Hors ligne ClaireC

  • Scribe
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Re : L'espérance
« Réponse #7 le: 16 mars 2024 à 10:19:25 »
Merci pour tes explications et ton témoignage !

 


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