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15 mai 2024 à 09:44:58
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Odeur de nuit

Auteur Sujet: Odeur de nuit  (Lu 219 fois)

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Odeur de nuit
« le: 29 mars 2024 à 15:23:53 »
                                                                Odeur de nuit

Le samedi soir est suivi d’une nuit qui conduit au dimanche. Le samedi soir est comme un embarcadère pour un voyage qu’on attend toute la semaine. Voici l’histoire de quelques personnages au lendemain matin de l’une de ces nuits fiévreuses tant attendues et rêvées.

C’était un dimanche matin. Le soleil de février filtrait à travers le fer forgé des carreaux de la porte d’entrée. Des formes étranges d’ombre et de lumière se dessinaient sur le carrelage de la salle de séjour. La plupart des invités se retrouvait là pour le petit déjeuner. Les visages étaient endormis et fripés. Les regards absents. Personne ne parlait. Personnes ne voulait raconter ses aventures de la nuit. Et il y en avait eu. Du moins c’est ce que ne pouvait s’empêcher de penser Delphin Fossart, invité parmi les autres. Eulalie de Beauchamp, la maîtresse de maison apportait les bols, servait le café chaud. Elle circulait entre les invités avec nonchalance. Ses gestes étaient empreints de douceur et d’attention. On l’observait avec discrétion. Certains n’osaient s’attarder sur les détails de son comportement, d’autres au contraire étaient subjugués par son attitude qui ne pouvait laisser indifférent.

Delphin Fossart mangeait silencieusement ses viennoiseries, il vit alors un personnage qui s’approcha de sa table. Par courtoisie nous tairons son nom. Ce personnage resta longtemps ainsi debout, près de Delphin. Rien de lui ne pouvait échapper à Delphin. Le soleil le prenait juste dans ses rayons. Le personnage devait le sentir et profiter de l’agréable tiédeur. Delphin ne parvenait plus à avaler son abricotine à la crème. Il n’avait rien maté de pareil aussi longtemps et d’aussi près. Un fourmillement général le saisit. Puis quelque chose tomba. Une cuillère ou un couteau. Le personnage se pencha pour ramasser l’objet. Il portait une robe de chambre légère. Delphin détourna les yeux. Il comprit que l’objet était tombé par pure intention.

Sa voisine de table, Morgane Le Gras, avait remarqué le manège. Delphin croisait son regard qui n’attendait que sa complicité. Morgane mâchouillait une chouquette lentement. Sa langue apparaissait par moment comme une fleur brillante, large et rose. Morgane fixait Delphin avec une intensité insupportable. Sa chevelure opulente disparaissait dans l’entrebâillement de sa chemise. Ses doigts étaient épais, elle buvait de longues gorgées de café, sans cesser de toiser l’homme. Delphin tentait de baisser les yeux. Il tomba sur les pieds nus de Morgane sous la table. Le vernis de ses ongles négligemment craquelé. Ses orteils écartés aussi d’une certaine amplitude. Alors Delphin décida de rompre le silence.

Je vous ai vu cette nuit, dit-il. Vous mentez, répliqua Morgane. Son visage s’empourpra, son regard fuyant soudain libérant celui de Delphin. La femme grignotait à grand peine la nouvelle chouquette qu’elle avait entamée, rentra la tête dans les épaules, ramenant sur son cou le décolleté excessif de sa chemise. A dire vrai, Delphin Fossart ne savait pas si c’était bien Morgane Le Gras cette nuit qu’il avait surpris dans l’une des chambres. Il entendait encore les râles d’une ombre qui se mouvait dans l’obscurité. Mais cette remarque eut son effet, puisque Delphin put enfin laisser errer son attention sur l’ensemble des convives qui nonchalamment se restaurait dans la salle.
Un feu de bois avait été allumé dans la cheminée. Les frileux se pressaient devant. Les flammes ravivaient leur teint blafard. Certains découvraient leurs jambes jusqu’en haut des cuisses. Delphin faisait aller sa curiosité sur les corps sans retenue.

Puis une cloche sonna. Eulalie de Beauchamp annonça que c’était la messe de dix heures. L’église se trouvait sur le trottoir d’en face. Les fidèles lentement se dirigeaient vers le porche de l’édifice. Silhouettes noires enchapeautées. Derrière les fenêtres les convives débraillés, indécents, observaient le monde pieux comme des fantômes sous le soleil d’hiver. Un sourire émerveillé éclaira un instant les visages ravagés par les excès de la nuit.

Ce fut alors qu’une ombre dehors s’approcha de la porte d’entrée. Elle frappa. Un frisson parcourut l’assemblée.
N’ayez pas peur, c’est mon ami le sacristain qui vient me rendre visite, dit Eulalie. Elle ouvrit la porte. C’était un homme imposant. Il regarda gravement les gens avachis autour des tables, dans un silence pétrifiant.

Je vous ai préparé un beau bouquet de pivoines, dit vivement la maîtresse de maison, vous le mettrez au pied de l’autel. Le sacristain avança au milieu de la pièce. Une femme éclata en sanglot. Le personnage, en robe de chambre, avait entourait ses reins d’une nappe de table. Morgane, qui me tuait du regard tout à l’heure, marmonna une prière, ses gros genoux sur le carrelage froid. Le sacristain prit le bouquet.

Aurez-vous le temps de boire une tasse de café avec nous, avant la messe ? demanda la maîtresse de maison. Le sacristain s’assit. On sentait que tous les regards fusillaient la maîtresse de maison, était-elle folle de retenir ainsi le bedeau dans une maison où les remugles du dévergondage imprégnaient chaque meuble et stigmatisaient les hôtes de passage.

On ne vous verra pas à la messe, dit sévèrement le sacristain à Eulalie. Je ne peux pas laisser mes invités, vous comprenez, répondit elle. Un petit rire fusa de l’assistance. Le sacristain se leva et baissa la tête pour franchir la porte.
Un soupir de soulagement se répandit dans la pièce. Une femme à la voix enfantine fit alors remarquer, Tiens, il a oublié le bouquet de pivoines ton curé !

En effet, le sacristain l’avait reposé sur la table pour boire son café noir. Morgane Le Gras se releva, se dirigea vers Delphin, pour lui murmurer à l’oreille, Nous l’avons échappé belle. Delphin fut happé par l’odeur de Morgane, une odeur de nuit, elle ne ressemblait pas à celle de l’encensoir que balancent les prêtres pour purifier le pain et le vin avant la communion, pensa rêveusement Delphin Fossart.

La particularité du dimanche est d'être destinée au repos. Tous plaisirs fatiguent et demandent une fin. Le jouisseur redevient travailleur le lundi matin, triste besogneux attendant le samedi soir quand l'odeur de la nuit se fera parfum d'ivresse, quand toutes les Eulalie de Beauchamp ouvriront leur maison d'hôtes.
« Modifié: 01 mai 2024 à 16:30:48 par LOF »
Lof

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Re : Odeur de nuit
« Réponse #1 le: 31 mars 2024 à 17:15:32 »

 Le texte n'est pas très moral
 on est un peu embarrassé pour le commenter
Lof

Hors ligne Kwak'

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Re : Odeur de nuit
« Réponse #2 le: 30 avril 2024 à 21:03:18 »
Aussi souvent - ou rarement - que je revienne, une des rares constantes : Lof n'a rien perdu de son talent

 


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