Deux textes que j'ai écrit à l'atelier d'écriture du conservatoire^^
Consigne n°1: écrire une scène de dialogue débutant par ces deux didascalies: "Nuit" et "Une plage".I
Nuit.
Une plage.
Une fillette, vêtue d’un ciré rose et de bottes en caoutchouc beaucoup trop grandes pour elle, entre en courant.
Elle tient une peluche qui se balance au gré des mouvements de ses bras.
Un homme, voûté par les années, entre à sa suite.
Le phare les éclaire par intermittence.El – Un, deux, trois, nous irons au bois ! Quatre, cinq, six, cueillir des cerises !
L’homme la couve de ses yeux attendris.
Elle le regarde, dans l’attente.Lui – Sept, huit, neuf…
El – Dans un panier neuf ! Dix, onze, douze, elles seront toutes rouges !
Elle rit et court près de la mer, en suivant le flux et reflux des vagues.
Elle saute par-dessus les coquillages.
L’homme la regarde de loin, attristé.El – Regarde, un crabe !
Le crabe la pince.
Elle ne réagit pas et soulève sa main, le crabe suspendu à son doigt.El – Sois gentil. Arrête de me manger.
Elle secoue légèrement la main ; le crabe tient bon.El – Papi ! T’avais dit que les petites bêtes mangeaient pas les grosses !
Il sourit doucement, les mains dans les poches.
Le crabe lâche et retombe au sol.
La petite le regarde un instant.
Une mouette crie.
Elle lève la tête et se met à courir dans sa direction.
Elle se prend les pieds dans un rocher et tombe violemment.
L’homme ne dit rien, ne fait rien.
Elle se relève rapidement en riant.
Elle saigne de la tempe.El – Papi ! T’as vu la mouette ?
Lui – Oui.
El – Elle vole. Pourquoi je peux pas voler, moi ?
Lui – Tout le monde peut voler.
Elle le regarde en silence, puis joue dans le sable.
Elle exécute quelques pas de danse hésitants.
L’homme s’avance derrière elle et se laisse tomber à genoux.
Il l’enlace.
Elle se laisse faire, le regard levé vers la mouette.
L’homme se relève et s’éloigne.El – Papi ?
Silence.
Il se tourne vers elle.Lui – Reste ici. Je reviens.
Il sort.
Elle le suit du regard.
Noir.
La mouette crie.
Silence.Consigne n°2: s'inspirer de la phrase: "L'homme qui a tué regarde la mer et pleure." pour écrire un monologue ayant un rapport avec le dialogue précédent.II
Nuit d’été.
Le tonnerre gronde furieusement.
Des éclairs trouent le ciel obscurci de nuages noirs.
Les vagues rageuses semblent vouloir renverser le monde, elles balaient le sable avec fureur.
Le vieil homme se tient devant la mer.
Son regard transperce l’horizon.
Ses yeux sont remplis de larmes qui refusent de couler.
Il tient une peluche contre lui, qu’il serre comme si sa vie en dépendait.
L’eau lui fouette les pieds avec violence.
Il reste droit, solide comme un roc.
Une mouette solitaire hurle de douleur.Lui – Je t’aime.
Je t’aime tellement fort.
Je t’aime à en souffrir.
Je t’aime à en mourir.
A n’en plus pouvoir.
Respirer.
D’un amour qui me consume.
Tu le sais ?
Que je t’aime.
Malgré.
Tout.
Là.
Dans mes mains moites.
Dans mes yeux fatigués.
J’ai passé ta vie à t’aimer.
Comme si je n’étais né que pour ça.
Comme si l’amour.
Triomphait de tout.
Ces années auprès de toi.
Ont été les meilleures.
Et les pires de toute ma vie.
Quand je t’ai tenu.
Pour la première fois.
Dans mes bras.
Là.
Tu étais si petite.
Déjà si fragile.
Tes yeux grands ouverts scrutaient avidement.
Là.
Tout.
Et ton regard.
Si particulier…
En un sens, c’était un présage.
Ton regard.
Tes yeux déjà fatigués.
Alors que tu venais à peine de naître.
J’aurais dû savoir.
Au fond.
Là.
Au fond de moi.
Que tu étais née sous de mauvais hospices.
De terribles hospices.
Que tout était déjà écrit.
Je suis désolé !
Tellement.
Ça me ronge.
Ça me tue.
Je l’ai fait.
Oui.
Parce que je t’aimais.
A en souffrir.
A en mourir.
A n’en plus pouvoir.
Respirer.
Parce que je t’aimais trop.
Pour demeurer aveugle.
Plus longtemps.
Et pour ignorer.
Ignorer tout ça.
Si je n’avais rien fait.
J’aurais été égoïste.
Tu comprends ?
Tu comprends ?!
Je t’aime.
Je t’ai aimé.
Dés ton premier regard.
Dés ton premier sourire.
Dés ton premier mot.
Dés ton premier pas.
Je t’ai aimé dés les premières souffrances.
Je t’ai aimé malgré cette obsession.
Je t’ai aimé malgré les nuits blanches.
A te surveiller.
A t’empêcher.
A te maintenir de force malgré tes cris.
Malgré tes suppliques.
Tes hurlements.
De rage.
Tes yeux.
Mes yeux.
Cernés.
Je t’ai aimé même couverte de sang.
Les bras déchirés.
Les ongles arrachés.
Les poings explosés.
Les joues décharnées.
Les lèvres en lambeaux.
La gorge déchiquetée.
Je t’ai aimé.
Je t’aime.
Alors oui !
C’est parce que je t’aimais.
Pour toi.
Et un peu pour moi.
Peut-être.
Parce que je ne pouvais plus.
Peut-être que je suis un monstre.
Mais je ne pouvais plus continuer.
Et toi non plus.
Je le sais.
Tu le sais.
Un temps.
Il prend du sable humide dans ses mains, le hume.
Le lâche.
Il enterre la peluche.Lui – Alors je t’ai emmené ici.
Tu as dansé dans le sable.
Tu es tombée.
Si petite.
Si fragile.
Petite plume.
Dans une immensité dorée.
Bleue.
Froide.
Insondable.
Qui t’a avalée.
Ta peluche a flotté.
Sur l’eau.
Noire.
Je t’ai délivrée.
Je nous ai délivrés.
Cette souffrance.
C’est à moi de l’assumer.
Pleinement.
Entièrement.
C’est à moi de m’y perdre.
Pas à toi.
La mouette s’éloigne vers l’horizon.
Il la suit et s’enfonce dans la mer.
Noir.