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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Par amour [théâtre]

Auteur Sujet: Par amour [théâtre]  (Lu 5272 fois)

Hors ligne Elisedu18

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Par amour [théâtre]
« le: 13 octobre 2018 à 19:18:52 »
Deux textes que j'ai écrit à l'atelier d'écriture du conservatoire^^

Consigne n°1: écrire une scène de dialogue débutant par ces deux didascalies: "Nuit" et "Une plage".

I
Nuit.
Une plage.
Une fillette, vêtue d’un ciré rose et de bottes en caoutchouc beaucoup trop grandes pour elle, entre en courant.
Elle tient une peluche qui se balance au gré des mouvements de ses bras.
Un homme, voûté par les années, entre à sa suite.
Le phare les éclaire par intermittence.


El – Un, deux, trois, nous irons au bois ! Quatre, cinq, six, cueillir des cerises !

L’homme la couve de ses yeux attendris.
Elle le regarde, dans l’attente.


Lui – Sept, huit, neuf…

El – Dans un panier neuf ! Dix, onze, douze, elles seront toutes rouges !

Elle rit et court près de la mer, en suivant le flux et reflux des vagues.
Elle saute par-dessus les coquillages.
L’homme la regarde de loin, attristé.


El – Regarde, un crabe !

Le crabe la pince.
Elle ne réagit pas et soulève sa main, le crabe suspendu à son doigt.


El – Sois gentil. Arrête de me manger.

Elle secoue légèrement la main ; le crabe tient bon.

El – Papi ! T’avais dit que les petites bêtes mangeaient pas les grosses !

Il sourit doucement, les mains dans les poches.
Le crabe lâche et retombe au sol.
La petite le regarde un instant.
Une mouette crie.
Elle lève la tête et se met à courir dans sa direction.
Elle se prend les pieds dans un rocher et tombe violemment.
L’homme ne dit rien, ne fait rien.
Elle se relève rapidement en riant.
Elle saigne de la tempe.


El – Papi ! T’as vu la mouette ?

Lui – Oui.

El – Elle vole. Pourquoi je peux pas voler, moi ?

Lui – Tout le monde peut voler.

Elle le regarde en silence, puis joue dans le sable.
Elle exécute quelques pas de danse hésitants.
L’homme s’avance derrière elle et se laisse tomber à genoux.
Il l’enlace.
Elle se laisse faire, le regard levé vers la mouette.
L’homme se relève et s’éloigne.


El – Papi ?

Silence.
Il se tourne vers elle.


Lui – Reste ici. Je reviens.

Il sort.
Elle le suit du regard.
Noir.
La mouette crie.
Silence.



Consigne n°2: s'inspirer de la phrase: "L'homme qui a tué regarde la mer et pleure." pour écrire un monologue ayant un rapport avec le dialogue précédent.

II
Nuit d’été.
Le tonnerre gronde furieusement.
Des éclairs trouent le ciel obscurci de nuages noirs.
Les vagues rageuses semblent vouloir renverser le monde, elles balaient le sable avec fureur.
Le vieil homme se tient devant la mer.
Son regard transperce l’horizon.
Ses yeux sont remplis de larmes qui refusent de couler.
Il tient une peluche contre lui, qu’il serre comme si sa vie en dépendait.
L’eau lui fouette les pieds avec violence.
Il reste droit, solide comme un roc.
Une mouette solitaire hurle de douleur.


Lui – Je t’aime.
Je t’aime tellement fort.
Je t’aime à en souffrir.
Je t’aime à en mourir.
A n’en plus pouvoir.
Respirer.
D’un amour qui me consume.
Tu le sais ?
Que je t’aime.
Malgré.
Tout.
Là.
Dans mes mains moites.
Dans mes yeux fatigués.
J’ai passé ta vie à t’aimer.
Comme si je n’étais né que pour ça.
Comme si l’amour.
Triomphait de tout.
Ces années auprès de toi.
Ont été les meilleures.
Et les pires de toute ma vie.
Quand je t’ai tenu.
Pour la première fois.
Dans mes bras.
Là.
Tu étais si petite.
Déjà si fragile.
Tes yeux grands ouverts scrutaient avidement.
Là.
Tout.
Et ton regard.
Si particulier…
En un sens, c’était un présage.
Ton regard.
Tes yeux déjà fatigués.
Alors que tu venais à peine de naître.
J’aurais dû savoir.
Au fond.
Là.
Au fond de moi.
Que tu étais née sous de mauvais hospices.
De terribles hospices.
Que tout était déjà écrit.
 Je suis désolé !
Tellement.
Ça me ronge.
Ça me tue.
Je l’ai fait.
Oui.
Parce que je t’aimais.
A en souffrir.
A en mourir.
A n’en plus pouvoir.
Respirer.
Parce que je t’aimais trop.
Pour demeurer aveugle.
Plus longtemps.
Et pour ignorer.
Ignorer tout ça.
Si je n’avais rien fait.
J’aurais été égoïste.
Tu comprends ?
Tu comprends ?!
Je t’aime.
Je t’ai aimé.
Dés ton premier regard.
Dés ton premier sourire.
Dés ton premier mot.
Dés ton premier pas.
Je t’ai aimé dés les premières souffrances.
Je t’ai aimé malgré cette obsession.
Je t’ai aimé malgré les nuits blanches.
A te surveiller.
A t’empêcher.
A te maintenir de force malgré tes cris.
Malgré tes suppliques.
Tes hurlements.
De rage.
Tes yeux.
Mes yeux.
Cernés.
Je t’ai aimé même couverte de sang.
Les bras déchirés.
Les ongles arrachés.
Les poings explosés.
Les joues décharnées.
Les lèvres en lambeaux.
La gorge déchiquetée.
Je t’ai aimé.
Je t’aime.
Alors oui !
C’est parce que je t’aimais.
Pour toi.
Et un peu pour moi.
Peut-être.
Parce que je ne pouvais plus.
Peut-être que je suis un monstre.
Mais je ne pouvais plus continuer.
Et toi non plus.
Je le sais.
Tu le sais.

Un temps.
Il prend du sable humide dans ses mains, le hume.
Le lâche.
Il enterre la peluche.


Lui – Alors je t’ai emmené ici.
Tu as dansé dans le sable.
Tu es tombée.
Si petite.
Si fragile.
Petite plume.
Dans une immensité dorée.
Bleue.
Froide.
Insondable.
Qui t’a avalée.
Ta peluche a flotté.
Sur l’eau.
Noire.
Je t’ai délivrée.
Je nous ai délivrés.
Cette souffrance.
C’est à moi de l’assumer.
Pleinement.
Entièrement.
C’est à moi de m’y perdre.
Pas à toi.

La mouette s’éloigne vers l’horizon.
Il la suit et s’enfonce dans la mer.
Noir.

« Modifié: 22 octobre 2018 à 22:36:21 par Elisedu18 »
"Je sais bien que tu es morte, mais je crois qu'il y a dans tout être humain quelque chose qui ne peut pas disparaitre."
"Parfois, on demande à notre corps de parler à notre place de nos douleurs, des histoires qu'on cache en soi."
Ava Dellaira, Love letters to the Dead

Hors ligne Elisedu18

  • Troubadour
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  • Psycho-tarée de la plume
Re : Par amour [théâtre]
« Réponse #1 le: 13 octobre 2018 à 20:18:29 »
Merci  :D

Par contre peux tu développer ce que tu veux dire par "il manque un lien"? :)
"Je sais bien que tu es morte, mais je crois qu'il y a dans tout être humain quelque chose qui ne peut pas disparaitre."
"Parfois, on demande à notre corps de parler à notre place de nos douleurs, des histoires qu'on cache en soi."
Ava Dellaira, Love letters to the Dead

Erlebnis

  • Invité
Re : Par amour [théâtre]
« Réponse #2 le: 14 octobre 2018 à 10:56:34 »
Est-ce-que ces textes ont été joués ?

Sans rentrer dans tous les détails, et pour rebondir sur l'autre commentaire et la question du lien, pour ma part j'ai perdu ce lien avec le personnage de papi. Je trouve que la description qui est donnée de lui dans le premier texte et son monologue dans le second ne s'accordent pas. Il est décrit comme un homme serein, à la voix profonde et réconfortante ; puis il raconte avoir littéralement massacré la petite fille, dans une espèce de fureur passionnelle. Je ne me l'explique pas.

Quelle est ton intention avec ces textes ? Que veux-tu raconter et faire vivre au spectateur ?

Hors ligne Elisedu18

  • Troubadour
  • Messages: 367
  • Psycho-tarée de la plume
Re : Par amour [théâtre]
« Réponse #3 le: 14 octobre 2018 à 11:42:39 »
Non ils n'ont pas été joués, du moins pas encore. Nous travaillons sur un projet d'écriture mais nous ne savons pas si nous allons le jouer^^

Ensuite je pense que tu n'as pas trop compris pour le reste, en fait le lien est assez subtil. L'homme a tué sa petite fille mais il ne l'a pas massacré, c'est elle qui se massacrait. Il l'a tué parce qu'il ne supportait plus qu'elle se fasse du mal.

Citer
Je t’ai aimé dés les premières souffrances.
Je t’ai aimé malgré cette obsession.
Je t’ai aimé malgré les nuits blanches.
A te surveiller.
A t’empêcher.

A te maintenir de force malgré tes cris.
Malgré tes suppliques.

Le fait de ne pas le dire explicitement est un choix parce qu'au théâtre, en général quand on dit explicitement ce qui se passe ça gâche tout, mais la petite est atteinte d'une forme d'autisme autodestructeur. Et comme il l'aime il n'en peut plus de la voir se détruire alors il la tue. C'est pour ça qu'il est réconfortant dans la première partie, pour que ses derniers instants ne soient pas dans la peur.
D'une première lecture c'est vrai que c'est peut être difficile de saisir ces ambiguïtés mais dans ce cas je pense qu'il faut le relire en analysant chaque phrase :)
"Je sais bien que tu es morte, mais je crois qu'il y a dans tout être humain quelque chose qui ne peut pas disparaitre."
"Parfois, on demande à notre corps de parler à notre place de nos douleurs, des histoires qu'on cache en soi."
Ava Dellaira, Love letters to the Dead

Erlebnis

  • Invité
Re : Par amour [théâtre]
« Réponse #4 le: 14 octobre 2018 à 12:25:45 »
Effectivement, je n'avais pas compris.
Alors, on va pousser plus loin dans l'analyse de chaque phrase comme tu dis. Si cette enfant est "atteinte d'une forme d'autisme auto-destructeur", elle semble pourtant très bien comprendre le drame qui va se jouer sur cette plage, elle interpelle son grand-père, elle pleure. Ce qui, en tant que spectateur, me fait penser qu'il y a de l'espoir pour ce petit bout de femme, aussi, pourquoi la tuer ?
Je reviens sur cette question : quelle est l'intention de ce texte qui, potentiellement, pourrait être joué et montré ?

Hors ligne Elisedu18

  • Troubadour
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  • Psycho-tarée de la plume
Re : Par amour [théâtre]
« Réponse #5 le: 14 octobre 2018 à 14:25:49 »
Tout simplement parce que l'espoir n'a jamais vraiment empêché une catastrophe de se produire, tout comme il ne signifie pas qu'elle arrêtera de se faire du mal. Je ne cherche pas une histoire qui carbure à l'espoir pour empêcher la catastrophe et qui se finit bien alors que selon moi il n'y a aucun moyen que ça arrive avec ces personnages. De même que la vie est injuste, ce que je veux montrer ici, et que dans la vraie vie même s'il y a de l'espoir l'injustice se produit pour plein de raisons: ici l'homme est tout simplement à bout et ne voit pas la fin du tunnel.
Ensuite il n'y a pas d'intention particulière: je suis de ceux qui pensent que ce n'est pas au dramaturge de truffer son texte d'intentions, mais qu'il doit au contraire laisser le champ libre à l'acteur de jouer ces intentions, ou au lecteur de se faire les siennes.
"Je sais bien que tu es morte, mais je crois qu'il y a dans tout être humain quelque chose qui ne peut pas disparaitre."
"Parfois, on demande à notre corps de parler à notre place de nos douleurs, des histoires qu'on cache en soi."
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Erlebnis

  • Invité
Re : Par amour [théâtre]
« Réponse #6 le: 15 octobre 2018 à 10:04:02 »
Par intention j'entendais ce qui t'avais poussé à écrire cette histoire-là, et je crois que tu l'as très bien décrite en première partie de ton dernier message.
Je trouve qu'il y a un ton très romantique dans ton écrit, notamment avec cette osmose entre l'état intérieur de ton personnage papi et le paysage extérieur. Il y a une recherche esthétique très marquée. Tu abordes plusieurs problématiques très sensibles dans ton texte (l'autisme, l'auto-destruction, la mort, le meurtre d'un enfant, le deuil puis, si j'ai bien compris, le suicide). Le risque je pense, et c'est pour cela que je questionnais ton intention, est de faire vivre un moment très pénible au spectateur. Personnellement j'ai vécu un moment très pénible en lisant ton texte, malgré ses qualités d'écriture, et en l'imaginant interprété. Donc, en tant que théâtre vecteur d'émotions, quelles qu'elles soient, je trouve que c'est réussi. Mais c'est lourd, c'est dur.
Il me semble, et je m'y raccroche pour ne pas rester dans l'émotion brute que ton texte véhicule, qu'il y a second niveau de lecture. Dans le sable on enterre ce que l'on veut oublier ou bien ce qui nous est précieux. Ce vieil homme enterre peut-être le souvenir de sa petite-fille avant de l'abandonner, faisant ainsi le deuil de l'enfant espéré. J'ai perçu une attitude très maternelle chez ce grand-père.
J'espère que tu auras l'occasion de le mettre en scène.

Hors ligne Elisedu18

  • Troubadour
  • Messages: 367
  • Psycho-tarée de la plume
Re : Par amour [théâtre]
« Réponse #7 le: 15 octobre 2018 à 16:45:19 »
J'espère aussi, bien que ce ne soit pour le moment qu'une amorce de projet, tout juste un embryon...
"Je sais bien que tu es morte, mais je crois qu'il y a dans tout être humain quelque chose qui ne peut pas disparaitre."
"Parfois, on demande à notre corps de parler à notre place de nos douleurs, des histoires qu'on cache en soi."
Ava Dellaira, Love letters to the Dead

 


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