La boite rouge
Mardi j’ai mis mon costume de princesse et Jules s’est habillé en ninja et puis on est allé à l’hôpital voir Nonna. Nonna, c’est ma grand-mère, mais on l’appelle comme ça parce qu’elle est italienne.
Même Maman avait mis sa robe rouge de vampiresse et Papa une perruque fluo et tout le monde nous regardait en riant dans les couloirs. Granpa nous attendait dans la chambre avec Nonna, toute petite et jaune dans son grand lit blanc. Nonna elle a souri en nous voyant et papa m’a poussée en avant. J’avais un peu peur de l’embrasser parce que Nonna elle avait des tubes qui lui sortaient d’un peu partout comme des tentacules. Elle en avait même un sous le nez parce qu’elle respirait mal. Moi j’ai pensé que le tuyau sous le nez, ça devait surement lui boucher les narines et que c’est pour ça qu’elle suffoquait. On n’est pas resté très longtemps parce que Nonna était fatiguée, mais avant de partir, Nonna nous a attirés contre elle, Jules et moi pour un énorme câlin. Puis elle nous a donné une boite en métal rouge qui ressemblait à un livre. Quand j’ai voulu l’ouvrir, Nonna m’a fait un clin d’œil et a chuchoté : pas maintenant
tesoro, c’est une surprise pour plus tard.
Le lendemain Papa et Maman nous ont accompagnés à l’école a pied. Ils sont venus tous les deux parce qu’ils avaient pris un jour de vacances pour retourner voir Nonna. Ils avaient l’air un peu triste. C’était bizarre : d’habitude ils sont toujours contents de ne pas aller au travail.
Après le goûter, Papa et Maman nous ont dit que Nonna était morte dans l’après-midi. Au début, Jules pensait que c’était une blague et j’ai bien vu qu’il avait envie de rire. Mais Papa s’est mis à pleurer dans les bras de Maman et alors lui aussi il s’est mis à pleurer et à crier :
— Mais vous aviez dit que les docteurs allaient la soigner !
Maman a reniflé et a dit d’une toute petite voix :
— Ils ont fait tout ce qu’ils ont pu, mais elle était vraiment trop malade.
Moi je tournais sur moi-même dans le salon comme une toupie. De plus en plus vite jusqu’à ce que tout devienne flou, mêmes les visages de Maman, Papa et Jules. Et puis j’ai perdu l’équilibre et je suis tombée sur le dos.
— Ça va, Béa ? Tu es triste toi aussi ?
J’ai répondu que oui parce que voir Papa pleurer, c’est la chose la plus horrible du monde, mais je n’ai pas pleuré. J’ai juste demandé :
— On va où quand on est mort ?
— Je ne sais pas ma chérie, a répondu Maman. Personne ne sait.
Jeudi Papa et Maman sont encore restés à la maison mais Jules et moi avons dû aller à l’école. J’ai dit à la maitresse que Nonna était morte et elle m’a dit :
— Ta grand-mère est au ciel maintenant, avec les anges .
J’ai pensé que si c’était ça la mort, ça devait lui plaire à Nonna, parce que les nuages ont l’air tout moelleux. Mais j’ai aussi pensé qu’il ne devait pas faire bien chaud là-haut et Nonna elle a souvent mal à la gorge. Qui sait si elle avait pensé à emporter son foulard avant de mourir.
À la récréation Toby m’a donné un coup de pied et je lui ai dit que c’était pas le bon jour pour m’embêter parce que Nonna était morte et que c’était déjà bien suffisant sans les coups de pieds. Toby il a rigolé et il a dit qu’il s’en fichait de Nonna et que de toute façon les vers allaient la manger parce que c’est ce qui se passe quand on est mort. Je me suis mise à pleurer, un peu pour le coup de pied mais surtout pour Nonna et la maitresse a puni Toby. Toby, il dit toujours des mensonges pour énerver les autres.
Le jour d’après personne n’est allé à l’école ou au travail, mais on est tous allé au cimetière. Il y avait beaucoup de monde à l’entrée et une grosse voiture marrante que Jules a beaucoup regardé. Grandpa était déjà là, tout élégant. Quatre monsieurs ont sorti une grande boite de la voiture qui semblait vraiment lourde avec plein de fleurs jaunes dessus, l’ont déposée sur un charriot qu’ils ont fait rouler dans le cimetière. Tout le monde se mouchait et pleurait en marchant doucement derrière le charriot.
— Tu crois qu’on va savoir ce qu’il y a dans la boite à la fin ? j’ai demandé à Jules.
— Idiote, c’est Nonna.
Moi je crois qu’il n’en savait rien lui non plus et qu’il a tout inventé. Nonna elle aurait jamais réussi à rester dans la boite si longtemps, même pour nous faire une surprise. Quand on jouait à cache-cache elle sortait toujours de sa cachette avant la fin du jeu parce qu’elle n’y tenait plus.
Les monsieurs ont descendu la boite dans un trou, on a mis les fleurs dessus et on est rentrés à la maison avec Grandpa.
J’ai demandé à Grandpa.
— Elle est où Nonna maintenant ?
— Elle est avec son Papa et sa Maman. Elle n’a plus mal nulle part maintenant.
— Elle va revenir ?
— Non ma puce.
— Elle me manque Granpa.
— À moi aussi, il a soupiré et il avait les yeux tout rouges.
Alors je suis monté dans ma chambre avec une grosse envie de pleurer et j’ai vu la boite rouge en forme de livre que m’avait donnée Nonna. Je l’ai ouverte et il y avait des tas de petits biscuits aux raisins secs et une petite feuille. Jules a dit que c’était la recette des biscuits de Nonna et qu’elle avait écrit « Pour Jules et Béa »
J’en ai mangé un. C’était doux comme un bisou de Nonna et j’ai compris que Nonna elle serait toujours encore un peu là.