La route est libre
La campagne est riante dans le Maine-et-Loire.
C’est le joli mois de mai.
Les canards secouent leurs nageoires.
En mai fait ce qu’il te plaît.
Ils tirent des charrettes, des poussettes,
Parfois ils ont des drôles de mines,
Poussant leur barda dans les brouettes,
D’autres à bicyclette ou camionnette,
Avec les meubles et les matelas.
Des vieux, des jeunes, des enfants sans trottinette.
Tous ont l’air un peu las.
Personne ne pousse la chansonnette.
Dans le Maine-et-Loire les poiriers sont en fleurs.
Les grappes mûrissent dans les vignes.
La Loire est pleine de couleurs.
Puis dans le ciel de curieux loopings.
Puis un avion, puis deux avions, puis trois avions,
En piqué sur la route, leur affreuse sirène,
ils bombardent, ils mitraillent, de leurs ailes pleuvent
des crottes mortelles visant les colonnes humaines sur les routes,
les voitures explosent, les corps déchiquetés des chevaux,
les gens plongent dans les talus, sous les arbres, des bras,
des jambes sautent en l’air, un feu d’artifice de sang inonde
les chemins, puis ils reviennent pour bien finir le travail,
les stukas, sirène hurlante, ciblant le ventre des rescapés
avec l’œil cruel de leur hélice, leurs décibels arrachant les
tympans jusqu’à cinquante mètres, quand ils repartent c’est
qu’ils ont vidé leur sac de merde sur les colonnes de réfugiés.
Mère, où es-tu ?
Si j’étais dans ton ventre je le saurais.
Une pédale de ton vélo
A heurté ta jambe violemment.
Ce n’est pas de sitôt
Que tu oublieras ce tourment.
Chleuh-boche-vautours à croix gammée-frisé-teuton-chemise brune-charognard
fureur-führer-national socialiste-vert de gris-fritz-casque à pointe-nazi
Dans les asiles on abandonne les fous.
Les vieillards sont laissés seuls dans les hôpitaux.
Les détenus s’évadent de leur trou.
Le sauve-qui- peut l’emporte illico presto.
Mère, où es-tu ?
En direction de Vendée,
Te voilà dépourvue.
Je n’en ai pas idée.
Il neigeait. Les blessées s’abritaient dans le ventre des chevaux morts.
On n’avait pas de pain et l’on allait pieds nus.
Une procession d’ombre sous le ciel noir.
La solitude vaste, épouvantable à voir.
Waterloo ! Waterloo, Waterloo, morne plaine !
Tiens, je me suis trompé de poème.
Des réfugiés croisent la route
De soldats en pleine déroute.
Les enfants orphelins sont perdus
Sur les routes. Des milliers d’avis
De recherche placardés dans les rues.
De l’exode voici la dramaturgie.
Les fils d’Israël errent dans le pays. Le désert s’est refermé sur eux.
Les Egyptiens et leur Pharaon, ses guerriers, son armée, se lancent
à leur poursuite. Moïse étendit le bras sur la mer, il mit la mer à sec,
les eaux se fendirent. Les fils d’Israël s’introduisirent entre les deux
murailles d’eau qui se refermèrent ensuite sur les Egyptiens, pour les
engloutir quand ils passèrent.
Je me suis encore trompé de poème.
L’exode en moi devient un problème.
Mère, où es-tu ?
Tu arrives à Parthenay.
Mais dans ton ventre perdu
Etais-je déjà né ?
Les Ukrainiens quittent leur foyer,
Et fuient leur pays.
Être libre, manger, travailler,
C’est la meilleure thérapie.
Exode rural, exode urbain.
On n’en peut plus.
Il faut changer son destin ?
Mais pour suivre quel flux ?
Ils reviennent dans leur maison,
Brûlée, réquisitionnée, squattée, rasée.
Ne reste plus que l’horizon,
Peut-être un pot de fleurs séchées.
Dans des baraquements
Collectifs, provisoires,
Ils s’installent patiemment,
Pour passer de nombreux soirs.
Des immeubles rapides
Sont construits en ville,
Dans des géométries stupides.
Tout ça pour éviter l’asile.
Mère, où es-tu ?
Dans l’une de ces villes ?
Mais je ne t’ai pas vue.
Là sans doute est mon véritable exil.
