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Auteur Sujet: 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident (V2)  (Lu 4257 fois)

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8 - Rubicon, ou les déserts qui décident (V2)
« le: 31 août 2021 à 19:38:26 »
Rubicon, ou les déserts qui décident

Peu de véhicules ont eu une aura aussi importante que les Jeeps classiques. Austères et rustiques, elles semblent toutes pouvoir se démonter avec une clé à molette et un peu de mécanique. Symboles de sobriété efficace, ou au contraire sources de frustration, elles ne laissent jamais leurs propriétaires indifférents.
Cette Jeep-ci était particulièrement cagneuse, la plupart de ses pièces étaient cannibalisées d’autres Jeeps rachetées pour pièces, trouvées à la casse, ramassées dans les rallyes. Ce patchwork curieux de tôle et de vieilles roues donnait vraiment l’impression qu’elle ne tenait que par une vis rouillée quelque part sous la calandre. Le côté droit du capot, qui venait d’une ancienne voiture de rallye, portait en lettres sobres et puissantes “Rubicon”. Sandro ne savait pas si c’était le nom du modèle ou bien celui d’une équipe ou, pourquoi pas, du coureur. Tout ce qu’il savait, c’est que Rubicon était désormais le nom de la Jeep, sa Jeep.

Sandro adorait cette voiture. Elle faisait partie de sa vie depuis qu’il avait seize ans. Il avait d’abord joué avec les mécaniques rudimentaires sans trop d’espoir, avant de pouvoir la faire rouler, succès inespéré. Un après-midi de mai, cahotant sur un chemin de campagne, Rubicon reprenait vie après des années de silence, pétaradant sous la conduite exhalée d’un jeune mécano aux anges, sous le soleil gracieux qui inondait la plaine. Au fil des réparations et des remplacements, il se sentait fin prêt pour traverser ce qu’il appelait le “milieu naturel” de sa Jeep : les déserts.

Son premier voyage avait commencé après avoir présenté son projet de fin d’étude en architecture. Il avait conduit la voiture jusqu’en Espagne et avait visité les déserts d’Andalousie et de Castille. Il y avait rencontré Amina, qui avait grandi à Marrakech, aux portes du désert, et la fascination qu’ils partageaient pour les étendues arides les avait rapprochés. Avec elle, il reprit la route des déserts pour fêter ses premiers dessins pour des appels d’offres.
Le style architectural de Sandro pouvait être qualifié de minimaliste. Il aimait les lignes claires et libres, les formes géométriques, le monochrome. Ses bâtiments sont comme formés d’un seul bloc, et chaque surface est soigneusement lissée ou polie. Ses jardins sont de graviers bicolores de calibre 12 mm, étendus de façon homogène sur une surface de pente limitée. Pour éviter les meubles, les armoires, étagères, et mêmes les cadres de lits font déjà partie du gros-œuvre. Il poussait le minimalisme en tout point de sa vie : habits, objets, bibelots non-essentiels étaient systématiquement donnés lors de purges régulières. Une belle maison, disait-il, a beaucoup d’espace mais peu de vide.
L’exception flagrante, c’était Rubicon. Même si l’intérieur était propre et dépouillé — il avait modifié la console pour qu’elle soit nivelée, en se débarrassant de l’auto-radio et ne laissant que quelques boutons— il gardait le patchwork à l’extérieur, chaque pièce ayant une couleur, un état et un revêtement différent, veiné de marques de soudures, de renflements et de coups.

Après ses premiers voyages européens, il l’emmenait dans un nouveau désert de plus en plus éloigné. Il avait pris l’habitude de parcourir les sentiers et les bivouacs à chaque fois qu’il avait une décision importante à prendre ou une étape cruciale à franchir. Avant d’emménager avec Amina, avant d’acheter sa maison, avant de débuter avec un nouveau cabinet.
Il envoyait la voiture quelques semaines avant de partir, puis prenait l’avion, réceptionnait le véhicule là-bas et pouvait enfin commencer son pèlerinage.
Il aimait s’abreuver des rayons brûlants du Soleil, et goûter à la nudité impalpable des immensités. Il lui semblait — à tort, car Amina, biologiste, lui avait parlé extensivement des occupants des déserts — que l’absence hurlante de vie, et l’inhospitalité irrévocable de l’endroit, en faisait un lieu vide et sec, lisse et simple, comme un drap de poussière jeté sur la terre froide, l’établi parfait pour débuter vraiment une réflexion construite.
À chaque fois il prenait trois jours de carburant, une semaine d’eau, un duvet chaud et sa question. Il préférait conduire la nuit, s’arrêter vers dix heures du matin avant que le moteur ne surchauffe, dormir dans la voiture, repartir quand le soleil était plus bas. Au coucher du soleil, Sandro s’adossait au marchepied, mangeait son repas au réchaud et méditait. Ensuite, il reprenait la route, dans un écrin d’étoiles.
Il ne roulait presque jamais en ligne droite. Comme si elle suivait ses pensées, Rubicon zig-zagait, tournait, s’enchevêtrait jusqu’à ce qu’il eût trouvé sa réponse ; alors, comme son esprit rendu droit et clair, Rubicon allait vers le port pour être emmenée à la maison.
Il l’avait emmenée dans les regs mauritaniens, tracé ses roues dans les chott asséchés, le désert de Namib, les steppes d’Orient, le quart vide d’Arabie, l’outback australien, un pré de savane, quelques étendues polaires.

Amina ne venait normalement pas dans ses retraites désertiques. Elle l’avait accompagné une fois dans la vallée de la Mort ; elle devait assister à une conférence dans la région la semaine suivante et s’était laissée séduire par l’appel du désert l’espace d’une journée. Ils avaient conduit dans un silence complet et serein, guidés par le GPS plutôt que les constellations.
Sandro appréciait Amina pour sa placidité et sa quiétude. Elle savait avoir des silences longs et calmes, pas les silences catastrophés qui prenaient toute la place. Avec Amina les choses devenaient simples et épurées ; elle savait lisser les incertitudes.

Les quinze ans de Rubicon se manifestèrent par l’interdiction de circuler en zones de basses émissions. Le vieux moteur n’était pas aux normes et, bien que les pièces soient soigneusement entretenues, la consommation du V6 de 3 litres était impressionnante. Un problème de fuites répétées garda Rubicon longuement immobilisée. Si le coût en temps, énergie et réparations devenait intenable pour Sandro, l’idée d’abandonner son drôle de char était au-delà de ses capacités.
Les jours et les semaines suivantes, il ne pouvait pas aller se coucher sans descendre dans le garage, s’installer sur le siège conducteur, mettre ses mains sur le volant et rester là pendant des heures. Il ne dormait pas, mangeait peu, et était irritable toute la journée. De plus en plus confus et perdu dans ses réflexions stériles, il se retrouvait paralysé par le choix impossible qui courait vers lui.

Un soir alors qu’il ruminait dans Rubicon, Amina entra dans la voiture, en robe de chambre. Elle ne dit rien, mais posa la main sur celle qu’il avait placée sur le levier de vitesse. Elle démarra la voiture sans rien dire. Rubicon sortit du garage et se mit à rôder dans les avenues désertes de la ville, dans un silence contemplatif.
“ Tu penses que je devrais la vendre ?, commença-t-il en brisant le silence.
— Avant, tu devrais décider ce qu’elle vaut vraiment.
— Je sais que je devrais m’en séparer. Mais…
— J’ai une idée, proposa-t-elle. Je me charge de tout. On va t’en éloigner un moment. “
Elle lui demanda. Quelques jours après elle lui annonçait une date ; le jour dit la voiture disparaissait.

Sandro reçut une voiture du cabinet, qui était ravi qu’il puisse enfin se présenter à ses clients dans un véhicule acceptable. Mais toute autre voiture lui semblait sans âme et sans vie. Il voulait voir Rubicon partout, quittant son champ de vision juste quand il tournait la tête. Ouvrir le capot et examiner le moteur ne lui donnait pas la même satisfaction, il ne pouvait pas changer les joints ou les écrous. Il n’avait pas la console de bord limpide et vide de toute distraction. Il ne pouvait pas prévoir d’escapade désertique et libératrice. Il était bloqué dans les limbes urbaines des routes déjà tracées, des choix déjà faits, de la réalité encombrée.
Ses pensées tournaient et revenaient toujours au même endroit. Le soir, il restait debout dans le garage à l’occupante étrangère, se demandant où était sa Rubicon.
Il prit des jours de congé. Il tenta de se mettre à la cuisine, de jouer des jeux de rallyes, regarder des documentaires, quoique ce soit qui pourrait le distraire. Mais le soir venu, après le dîner silencieux, il n’avait que des regrets pour son carrosse disparu.

“ Je suis trop mal, dit-il précipitamment. Je ne peux pas. Il faut que je la voie. “
Amina ne dit rien. Là encore, son silence n’était pas catastrophé, c’était juste un silence doux et assuré. Elle mit la télévision en pause et déposa sur la table basse un petit dossier fermé par un trombone. Il l’ouvrit : une photo de Rubicon, dans une rue inconnue. Il était écrit, sur l’envers “Le désert décidera. Uyuni, Bolivia”. Sandro leva un œil interrogateur vers Amina avant de découvrir des documents de transfert, des factures de fret, des homologations et deux billets d’avion pour la Bolivie.
“ Je t’ai dit que je m’occuperais de tout. Eau, nourriture, carburant, équipement, téléphones satellites, j’ai tout prévu. Tu n’as plus qu’à y aller. Demander au désert.
— Demander au désert, répéta Sandro, abasourdi. “

C’était le premier désert de sel que Sandro faisait. Il n’avait jamais exploré ces régions car elles étaient rarement réellement abandonnées. Il n’y avait pas de véritable éloignement, de disjonction suprême avec toute présence, cette certitude qu’à cinquante kilomètres dans chaque direction il n’y ait que du sol et aucun être vivant. On trouvait souvent des villes établies près des exploitations de sel, des bâtiments touristiques.
La région était assez peu occupée quand ils arrivèrent, du fait d’une grosse période de pluie qui avait fait fuir les touristes. Il restait encore un film d’eau sur l’immense croûte, qui luisait et reflétait tout à perte de vue. Il donnait l’impression de rouler sur un miroir éclatant, sur l’émail luisant de la dent d’un monstre chthonien. Le jour était éblouissant et malgré les vitres et les lunettes polarisées, Sandro et Amina furent vite aveuglés par la lumière qui venait de toute direction.
Ils dormaient autour de minuit et autour de midi, sous un tarp. Ils conduisaient chacun à leur tour, toujours à tourner en rond jusqu’à ce qu’il arrivât à une décision. Sandro eut la réflexion en conduisant qu’en vérité, c’était une fausse décision ; c’était l’acceptation d’un fait quasi accompli : Rubicon devait quitter leur vie.
La voiture fut vaillante malgré le soleil qui cognait. Les mécaniques s’échauffaient vite et Sandro n’osait pas laisser le moteur tourner trop longtemps. Les seules périodes de très longs tracts de route étaient la nuit, tous feux éteints, à la lumière des étoiles diffractées par le terrain. Quand la fatigue était trop pesante pour la personne qui conduisait, ils s’arrêtaient et montaient un camp rapide, mangeaient des raviolis en boîte, et dormaient presque immédiatement.

Amina réveilla Sandro avant l’aube. Elle le secoua doucement, murmurant “Réveille-toi… dans une heure il fera jour.”
Une fois bottés, ils s’aventurèrent en dehors de leur abri. Sous le ciel qui blêmissait, ils attendirent le lever du soleil au milieu des étoiles, avec aucune autre lumière, à perte de vue. C’était le moment que Sandro préférait : le froid mordant du désert, la pureté du matin qui se ressentait jusqu’à son odeur. L’élévation lente et patiente du soleil, comme une promesse complice de la chaleur à venir. Il serra Amina dans ses bras, l’étreinte rassurante fut d’autant plus agréable. Il eut là la certitude que quoiqu’il ferait, tout allait s’arranger, tout irait bien.
Sandro aborda le nouveau jour avec plein de détermination, même s’il n’était pas encore psychologiquement prêt à laisser Rubicon.
La tergiversation continua, la dialectique se poursuivant entre Sandro, Amina et Rubicon pendant deux jours et une nuit. À la fin de la troisième nuit, toujours embaumé par les étoiles, dans un écrin de constellations australes, alors que le Soleil allait commencer son rugissement silencieux, il accepta. Il allait rentrer chez lui en laissant Rubicon derrière, et il serait en paix.

Il décida de ne pas ménager les mécaniques, pour s’assurer que la voiture s’éteigne dans son “milieu naturel”. Il fit gronder le moteur sous les rayons ardents, tournant et se retournant pour rester le plus proche possible de la ville. Une frénésie cathartique le prit et il poussa la voiture jusqu’à ces derniers retranchements, alors qu’Amina gloussait d’excitation.
Le moment où les cylindres rendirent enfin l’âme, il eut comme une jubilation. Il resta longtemps au volant de la voiture fumante, indolent alors qu’Amina se précipitait sur l’extincteur. Il resta toujours immobile quand elle appela une dépanneuse de la ville proche. De sa cérémonie intérieure, il ne montra aucun mouvement et aucune parole.

Ils rentrèrent, comme ils étaient partis, les mains dans les poches et le cœur léger. Du drôle d’objet ne restait qu’une photo, avec comme commentaire “Le désert décidera (au milieu des étoiles). Uyuni, Bolivia”


[spoiler=V1]
En règle générale, les Jeep sont assez suspicieuses. Elles semblent toutes pouvoir se démonter entièrement avec une clé à molette et un peu de mécanique ; mais celle-ci était vraiment bancale, la plupart de ses pièces étaient cannibalisées d’autres Jeeps. Ce patchwork curieux de tôle et de vieilles roues donnait vraiment l’impression qu’elle ne tenait que par une vis rouillée quelque part sous la calandre. Le côté droit du capot, qui venait d’une ancienne voiture de rallye, portait en lettres sobres et puissantes "Rubicon". À bien des égards, la voiture était un drôle d’objet.
Sandro ne savait pas si c’était le nom du modèle de voiture ou bien celui de l’équipe de rallye ou, pourquoi pas, celui du coureur du rallye. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il avait appelé la voiture Rubicon.
Sandro adorait cette voiture. Elle faisait partie de sa vie depuis ses seize ans. Il avait d’abord joué avec les mécaniques sans trop d’espoir, avant de pouvoir la faire rouler, succès inespéré. Au fil des réparations et des remplacements, il avait assez confiance pour traverser ce qu’il appelait le milieu naturel de sa Jeep : les déserts.
Il faisait ça à chaque fois qu’il avait une décision importante à prendre.  Il avait commencé avant de monter son projet de fin d’étude en architecture, et puis ses premiers dessins pour des appels d’offres.
Les projets architecturaux de Sandro pouvaient être qualifiés de minimalistes. Il aimait les lignes claires et libres, les formes géométriques, le monochrome. Ses bâtiments sont comme formés d’un seul bloc, et chaque surface est soigneusement lissée ou polie. Il poussait le minimalisme en tout point de sa vie : habits, objets, bibelots non essentiels étaient systématiquement donnés. Une belle maison, disait-il, a beaucoup d’espace mais peu de vide. L’exception flagrante à cela, c’était Rubicon. Même si l’intérieur était propre et dépouillé, il gardait le patchwork à l’extérieur, chaque pièce cannibalisée ayant une couleur, un état et un revêtement différent.
Il envoyait la voiture par bateau quelques semaines avant de partir, puis prenait l’avion pour l’aéroport le plus proche du désert, réceptionnait le véhicule là-bas et pouvait enfin commencer son tour.
Il l’avait emmenée dans les regs mauritaniens, tracé ses roues dans les chott asséchés, le désert de Nanib, les steppes d’Orient, la vallée de la Mort, l’outback australien, un peu de savane, quelques étendues polaires.
À chaque fois il prenait trois jours de carburant, une semaine d’eau, un duvet chaud et sa question. Il préférait conduire la nuit, s’arrêter vers dix heures du matin avant que le moteur ne surchauffe, dormir dans la voiture, repartir quand le soleil était plus bas. Au coucher du soleil, Sandro s’adossait au marchepied, mangeait son repas au réchaut et pensait à sa question. Ensuite, il reprenait la route, guidé par les étoiles.
Il ne roulait presque jamais en ligne droite. Comme si elle suivait ses pensées, la voiture zig-zagait, tournait, s’enchevêtrait jusqu’à ce qu’il eût trouvé sa réponse ; alors, comme son esprit rendu droit et clair, Rubicon allait vers l’aéroport pour être emmenée à la maison.
À la maison, Amina l’accueillait. Elle était l’une des seules décisions importantes qu’il avait prises tout de suite, sans rien demander aux immensités. Ils s’étaient rencontrés par des amis communs ; après trois mois de relation ils emménageaient, six mois ensuite ils se fiançaient. Elle était sa lumière et son roc. Elle avait grandi à Marrakech, aux portes du désert, et comprenait sans le partager cette fascination qu’il avait pour les étendues arides. Elle l’avait accompagné une fois dans la vallée de la Mort ; elle devait assister à une conférence dans la région la semaine suivante et s’était laissée séduire par l’appel du désert l’espace d’une journée.
Sandro appréciait aussi parler avec elle. Elle savait écouter, et surtout lui porter secours en cas de besoin. Elle savait avoir des silences longs et calmes, pas comme ces silences catastrophés qui prenaient toute la place. Avec Amina les choses devenaient simples et épurées ; elle savait même lisser les incertitudes.
La pression de se débarasser de Rubicon venait de partout. Ses supérieurs au cabinet d’architecture ne voulaient pas que Sandro visite des clients dans ce sac à écrous ; sa famille trouvait qu’il se ruinait pour une lubie ; des amis l’admonestaient de vouloir profaner des espaces vierges. Mais l’idée d’abandonner son drôle de char était au-delà de ses capacités.
C’était une période difficile, où il ne pouvait pas aller se coucher sans descendre dans le garage, s’installer sur le siège conducteur, mettre ses mains sur le guidon et tenter de trouver des raisons de la garder. Il ne dormait pas, mangeait peu, et était irritable toute la journée jusqu’à ce qu’il entre dans Rubicon, dans laquelle il groyait du noir.
Un soir alors qu’il ruminait dans Rubicon, Amina entra dans la voiture, en robe de chambre. Elle ne dit rien, mais posa la main sur celle qu’il avait posée sur le levier de vitesse.
« Tu penses que je devrais m’en débarrasser ?, commença-t-il.
— Tu peux t’en séparer sans la considérer comme indésirable.
— Je sais que je devrais m’en séparer, et si je pouvais le faire je la vendrais. Mais… je ne peux pas.
— Alors laisse-moi le faire, proposa-t-elle. Je me charge de tout. Je confierai Rubicon à quelqu’un qui connaîtra sa valeur.
— Je pourrai la voir ? »
Il hésita après avoir posé sa question, comme pour se raviser : peut-être qu’il ne devrait pas tenter de la revoir après l’avoir vendue. L’option lui sembla la moins douloureuse et il accepta. Le lendemain elle lui annonçait une date de vente ; le jour prévu la voiture disparaissait pendant qu’il travaillait.
Le deuil de Rubicon fut particulièrement éprouvant. Les voitures qu’il conduisait lui semblaient sans âme et sans vie. Il croyait la voir partout, quittant son champ de vision juste quand il tournait la tête. Le sentiment d’avoir fait une énorme erreur lui pesait horriblement. Le soir il restait sans comprendre, debout dans le garage, se demandant où était Rubicon.
Il prit des jours de congé pour encaisser le coup. Il tenta de se changer les idées, de se mettre à la cuisine, de jouer des jeux de rallyes, regarder des documentaires, quoique ce soit qui pourrait le distraire. Mais le soir venu, après le dîner silencieux, il n’avait que des remords d’avoir vendu la bête.
« Je regrette d’avoir vendu la voiture, dit-il subitement et rapidement comme pour s’empêcher de se raviser. Je suis trop mal, je ne peux pas. Il faut que je la voie. »
Amina ne dit rien. Là encore, son silence n’était pas catastrophé, c’était juste un silence doux. Elle se mit la télévision en pause, se leva, et déposa sur la table basse un dossier. Il l’ouvrir : c’était une photo Rubicon, dans une rue non familière. Il était écrit, sur l’envers "Le désert décidera. Uyuni, Bolivia". Sandro leva un œil interrogateur vers Amina, qui l’enjoignit de regarder les autres documents du dossier. Il découvrit alors des documents de transfert, des factures de fret, des homologations et deux billets d’avion pour la Bolivie.
« Je t’ai dit que je m’occuperais de tout. Eau, nourriture, carburant, équipement, téléphones satellites, j’ai tout prévu. Tu n’as plus qu’à y aller, les mains dans les poches, et prendre ta décision. Demander au désert.
— Demander au désert, répéta Sandro, abasourdi. »
Tout à coup c’était devenu une évidence : le prétexte de la vente n’était là que pour cacher le trajet de la voiture vers le désert de sel bolivien, et Amina avait en effet tout prévu, jusqu’à une liste de courses qu’il n’avait qu’à confirmer. Il demanda à Amina de l’accompagner, ce qu’elle accepta. Il attendirent  alors la date du départ avec impatience, puis entrèrent dans l’avion "les mains dans les poches".
C’était le premier désert de sel que Sandro faisait. Il n’avait jamais exploré ces régions car elles étaient rarement réellement abandonnées. Le sel était exploité, on trouvait souvent des villes établies près du champ de sel, des bâtiments touristiques. Il n’y avait pas de véritable éloignement, de disjonction suprême avec toute présence, cette certitude qu’à cinquante kilomètres dans chaque direction il n’y ait que du sol et presque aucun être vivant.
La région était assez peu occupée quand ils arrivèrent, du fait d’une grosse période de pluie qui avait fait fuir les touristes. Il restait encore un film d’eau sur l’immense étendue de sel, qui luisait et reflétait tout à perte de vue. Il donnait l’impression de rouler sur un miroir éclatant, sur l’émail luisant d’un esprit chtonien. Le jour était éblouissant et malgré les vitres et les lunettes polarisées, Sandro et Amina furent vite brûlés par le soleil qui se reflétait sous leurs pieds.
Puisqu’Amina était là, l’organisation fut adaptée. Ils dormiraient un peu autour de minuit et autour de midi, dehors sous un tarp.  Ils conduiraient chacun à leur tour, toujours à tourner en rond jusqu’à ce qu’ils arrivent à une décision. C’était en vérité une fausse décision ; c’était l’acceptation d’un fait quasi accompli : Rubicon devait partir, disparaître. C’est l’une des premières choses qui fut posée.
Rubicon fut vaillante malgré le soleil qui cogne. Les mécaniques s’échauffaient vite et Sandro n’osait pas laisser le moteur tourner trop longtemps. Les seules périodes de très longs tracts de route étaient la nuit, tous feux éteints, à la lumière des étoiles diffractées par le terrain. Quand la radio bolivienne cessa de les stimuler, ils s’arrêtèrent et montèrent un camp rapide, mangèrent des raviolis en boîte, et dormirent presque immédiatement.
Amina réveilla Sandro avant l’aube. Elle le secoua doucement, murmurant "Réveille-toi… dans une heure il fera jour."
Une fois bottés, ils s’aventurèrent en dehors de leur abri. Sous le ciel qui blêmissait, ils attendirent le lever du soleil au milieu des étoiles, avec aucune autre lumière, à perte de vue. C’était le moment que Sandro préférait : le froid mordant du désert, la pureté du matin qui se ressentait jusqu’à son odeur. L’érection lente et patiente du soleil, comme une promesse complice de la chaleur à venir. Il serra Amina dans ses bras, l’étreinte chaude et rassurante fut d’autant plus agréable. Il eut là la certitude que quoiqu’il ferait, tout allait s’arranger, tout irait bien.
Sandro aborda le nouveau jour avec plein de détermination. Il avait un sentiment largement positif de la situation, même s’il n’était pas encore moralement prêt à laisser là Rubicon.
La tergiversation continua, la dialectique se poursuivant entre Sandro et Amina pendant deux jours et une nuit. À la fin de la troisième nuit, toujours embaumé par les étoiles, dans un écrin de constellations étrangères, alors que le Soleil allait commencer son rugissement silencieux, il accepta. Il allait rentrer chez lui en laissant Rubicon derrière, et il sera en paix.
Il se décida même à ne pas ménager les mécaniques, pour s’assurer que la voiture s’éteigne dans son élément. Il fit gronder le moteur sous les rayons ardents, tournant et se retournant pour rester à quelques kilomètres de la ville la plus proche. Une frénésie cathartique le prit et il poussa la voiture jusqu’à ces derniers retranchements, alors qu’Amina gloussait d’excitation. Le moment où les cylindres rendirent enfin l’âme, il eut comme une jubilation. Il rit, pleura et se sentit enfin serein.
Ils rentrèrent, comme ils étaient partis, les mains dans les poches et le cœur léger. Du drôle d’objet ne resta qu’une photo, avec comme commentaire "Le désert décidera (au milieu des étoiles). Uyuni, Bolivia".
« Modifié: 14 juin 2022 à 13:54:42 par Opercule »

Milla

  • Invité
Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #1 le: 02 septembre 2021 à 18:30:34 »
Salut !

au fil de la lecture...
Citer
En règle générale, les Jeep sont assez suspicieuses
je ne comprends pas comment une voiture peut être suspicieuse ???  :o

Citer
la plupart de ses pièces étaient cannibalisées d’autres Jeeps.
je vois tout à fait l'idée, mais je trouve ça vraiment alambiqué de le dire comme ça

Citer
Il faisait ça à chaque fois qu’il avait une décision importante à prendre.
inutile

Citer
Il avait commencé avant de monter son projet de fin d’étude en architecture, et puis ses premiers dessins pour des appels d’offres.
problème dans la formulation il me semble. tel quel, je ne comprends pas la deuxième moitié

Citer
Ses bâtiments sont comme formés d’un seul bloc, et chaque surface est soigneusement lissée ou polie.
imparfait, pas de raison de basculer au présent

Citer
Il l’avait emmenée dans les regs mauritaniens, tracé ses roues dans les chott asséchés, le désert de Nanib,
ça ne va pas avec "il l'avait"

Citer
mangeait son repas au réchaut et pensait à sa question
réchaud

Citer
Elle avait grandi à Marrakech, aux portes du désert, et comprenait sans le partager cette fascination qu’il avait pour les étendues arides.
la

Citer
Il ne dormait pas, mangeait peu, et était irritable toute la journée jusqu’à ce qu’il entre dans Rubicon, dans laquelle il groyait du noir.
broyait ?

Citer
jusqu’à ce qu’il entre dans Rubicon, dans laquelle il groyait du noir.
Un soir alors qu’il ruminait dans Rubicon, Amina entra dans la voiture,
répétitif

Citer
Il tenta de se changer les idées, de se mettre à la cuisine, de jouer des jeux de rallyes,
à

Citer
Elle se mit la télévision en pause,

Citer
Il l’ouvrir : c’était une photo Rubicon, dans une rue non familière.
ouvrit

Citer
Il allait rentrer chez lui en laissant Rubicon derrière, et il sera en paix.
serait

hop, tout lu !
Sur le global, je dois dire que je suis très détachée émotionnellement des voitures, et que du coup, j'ai pas vraiment réussi à vivre les émotions de ton perso avec autant d'intensité que lui... Ce n'était pas trop un texte pour moi au niveau de l'histoire, donc....

merci pour ce texte,

Milla
 



Hors ligne holden5

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  • Messages: 767
Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #2 le: 03 septembre 2021 à 13:27:04 »
Cher Mout-8,

Je ne rentrerai pas longtemps dans une correction de détails, Milla ayant déjà relevé les points qui m'ont chiffonnés.

Je tiens juste à dire que je la rejoins sur la première phrase : l'adjectif choisi - suspicieuse - me paraît inadapté, en tout cas la suite du paragraphe ne vient pas justifier cet adjectif-là, mais plutôt celui de "suspecte".

Citer
celle-ci était vraiment bancale
En remplaçant "celle-ci" par "la sienne" par exemple, on comprendrait directement que tu décris une voiture déjà connue par le personnage principal, et non un objet qu'il viendrait de découvrir, ce que j'ai cru à première lecture.


Mon avis sera plus positif que celui de Milla, bien que je ne sois pas un grand fan de bagnole non plus. Le texte communique très bien la passion du personnage pour un "objet" qui a cessé (par cette passion-même) d'être un simple objet et qui apparaît comme un prolongement de lui-même. Il y a un côté très doux dans ce texte qui nous rappelle tous ces objets qui ont acquis une valeur sentimentale au fil des années et dont il nous faut pourtant parfois nous séparer. Et cette douceur est renforcée par celle de la compagne Amina, toute en empathie par rapport à cette passion.

Peut-être le texte serait-il plus facile à lire si tu aérais un peu sa présentation et allégeais les descriptions de paysages, moins maîtrisées à mon goût (le plus beau paysage du texte, n'est-ce pas au fond la jeep elle-même ?)

Bravo pour ce texte qui va au delà de l'antithèse Matérialisme/Profondeur !

H.


« Modifié: 03 septembre 2021 à 14:02:45 par holden5 »

Hors ligne Rémi

  • ex RémiDeLille
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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #3 le: 03 septembre 2021 à 19:01:03 »
Salut Mout,

Je rejoins Holden, c'est un texte doux, je dirais curieusement doux. On s'attendrait à ce que cette passion dévorante génère des problèmes, des tensions, mais non, seul le narrateur est affecté par sa dépendance à sa Jeep. Point de vue intéressant.

Milla a pointé pas mal de coquilles, il me semble que celle-ci est aussi à traiter :
Citer
Il l’ouvrir : c’était une photo Rubicon,
de Rubicon

Donc, un moment de lecture assez doux, avec un amour d'Amina qui est presque irréel, suspendu. Bon le texte n'est pas non plus hyper marquant, mais on finit "le cœur léger".

A+
Rémi
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

Hors ligne Aponiwa

  • Calame Supersonique
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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #4 le: 04 septembre 2021 à 12:28:44 »
Hello Mout8,

J'ai bien aimé ce texte. Je ne suis pas non plus fan de voiture, mais j'ai trainé 10 ans avec une 106 vendue il y a cinq ans, et je la regrette toujours. C'était une bonne petite voiture, on a eu plein d'aventures ensemble...  :'(
Bref, je peux comprendre ce genre d'attachement.
L'histoire est une petite tranche de vie, sereine, tranquille.
J'ai quelques remarques, outre celles déjà formulées :
- À chaque fois il prenait trois jours de carburant, une semaine d’eau, un duvet chaud et sa question. : peut-être préciser le coup de la question? ou j'ai loupé quelque chose...
- Elle était l’une des seules décisions importantes qu’il avait prises tout de suite : je comprends l'idée, mais ça se décide pas tout seul, m'enfin je pinaille! :)
- Sandro appréciait aussi parler avec elle. Elle savait écouter, et surtout lui porter secours en cas de besoin. Elle savait avoir des silences longs et calmes, pas comme ces silences catastrophés qui prenaient toute la place. Avec Amina les choses devenaient simples et épurées ; elle savait même lisser les incertitudes. : ça fait un peu l'image de la femme "soumise" souvent véhiculée. Peut-être décrire Amina avec ses autres qualités?
- Il prit des jours de congé pour encaisser le coup. : effectivement, on voit que c'est un coup dur... ;)
- Là encore, son silence n’était pas catastrophé : le silence catastrophé, j'ai du mal à imaginer ce que c'est.
- puis entrèrent dans l’avion "les mains dans les poches". : hé hé!  :-¬?
-  mangèrent des raviolis en boîte, : je comprends pourquoi, mais quelle dommage de manger du ravioli en boîte en Bolivie! :)
- L’érection lente et patiente du soleil : alors le terme "érection" pour moi c'est plutôt un monument (ou autre...) pour le soleil, je suis pas sûre, mais c'est à vérifier.

Merci pour ton joli texte qui fait rêver! :)
« Noone will know my name until it's on a stone » Eels, Lucky day in hell

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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #5 le: 05 septembre 2021 à 13:49:57 »
Bonjour Mout8,

J’ai lu ton texte avec grand plaisir.
Quelques formulations obscures qui, je pense, ont toutes été relevées.
J’ai du mal à comprendre que le narrateur accepte de se séparer de sa voiture chérie et surtout pourquoi il veut s’en séparer (uniquement la pression extérieure ?).
Mais puisque l’histoire se termine bien, je passerai sur ce détail.

Merci
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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #6 le: 06 septembre 2021 à 11:45:54 »
Salut à mes lecteurices, merci d’avoir relevé mes coquilles et mes formulations douteuses. Je pense que j’ai beaucoup à retravailler.

Milla, si tu n’as pas compris la voiture, est-ce que tu as compris le personnage ? Tu peux remplacer la voiture par un vélo d’enfance, ou bien une figurine encombrante ?

holden5, j’ai longtemps hésité à introduire soit Sandro soit la voiture en premier, je me suis dit qu’étant l’objet du texte je commencerais par la voiture. Je vais tester des permutations. Quand tu dis descriptions de paysages, c’est juste à la fin ? j’ai pas l’impression d’en avoir fait beaucoup...

Rémi, je trouve ça satisfaisant que tu aies trouvé le texte léger et doux, même si ça parle d’un adieu. C’est le but ultime de mon texte (en plus que c’était un genre défi aussi).

Aponiwa, je comprends l’image de la femme véhiculée, et étant "la troisième roue" j’ai eu du mal à trouver sa place à Amina, à la fois essentielle et effacée. j’avais envie d’élaborer un peu à côté sur sa vie, j’ai un peu de place, pour montrer ce qu’elle fait aussi sans lui.

Earth son, c’est vrai que je n’ai pas élaboré sur le chemin intérieur pour commencer à accepter que sa voiture devient "indésirable". Peut-être que je devrais caser un paragraphe ou l’autre.

J’ai jusqu’au 19 pour corriger tout ça, n’est-ce pas ? Il y a pas mal de travail :/
Mais je vois des choses assez positives et ça me fait plaisir, merci.

Milla

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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #7 le: 06 septembre 2021 à 12:27:40 »
Citer
Milla, si tu n’as pas compris la voiture, est-ce que tu as compris le personnage ? Tu peux remplacer la voiture par un vélo d’enfance, ou bien une figurine encombrante ?
non, justement, je crois qu'aucune des objets que j'aime (ma guitare par exemple) ne m'est cher et irremplaçable à ce point. Du coup, son émotion me parvient mal ! Mais comme je disais, c'est du coup juste pas une histoire pour moi, ce qui n'empêche pas que de nombreux autres lecteurs ont trouvé de l'écho dans ton texte et ont su l'apprécier !  :)

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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #8 le: 06 septembre 2021 à 19:05:20 »
Yo, Mal-aimé Obstinément Unanimement et Terriblement.

Bon, j'avais un super commentaire (un des meilleurs que j'ai jamais fait), mais j'ai changé de page sans faire exprès en cours de rédaction, et quand je suis revenu il avait disparu.
Je vais pas refaire le relevé détaillé du coup, mais Milla l'a très bien fait de toute façon et tu ne sembles pas avoir modifié le texte depuis. En parlant de Milla, je suis assez d'accord avec son ressenti : j'ai pas été emporté par cette histoire de voiture. Au début, j'étais assez prêt à m'investir émotionnellement, la première description m'a vraiment séduite (les pièces cannibalisées c'est chouette comme image si c'est de toi !). Mais j'avoue que j'ai eu par la suite plus du mal à accrocher, avec ce personnage qui emmène sa Jeep un peu partout pour on ne sait combien d'argent et de kérosène, dans des déserts qui n'ont probablement rien demandé. On a juste l'impression qu'il aime rouler tranquille sans personne, pas qu'il est amoureux de ces paysages désertique, on n'a jamais vraiment d'explication de côté. L'énumération des lieux qu'il a visité est assez parlante, je crois, on a juste l'impression d'une check-list, mais qu'aucun désert ne lui est particulier, qu'il n'y a pas fait de rencontre (avec la nature, les animaux, les gens, jsais pas) mais c'est difficile en Jeep tu me diras (et c'est bien le problème, te répondré-je huhu).
J'ai aussi eu un peu de mal avec le traitement d'Amina, très superficiel, qui est un peu là en faire valoir et rien d'autre : elle passe après la voiture visiblement, mais elle est à l'écoute, elle cuisine (puisque lui ne le fais pas), elle s'occupe d'organiser ce petit voyage, etc. Lui, en revanche ne semble pas vraiment faire de concessions (ce n'est pas pour elle qu'il abandonne sa Jeep). Je peux pas m'empêcher de quand même relever cette phrase :
Citer
Sandro appréciait aussi parler avec elle.
J'espère bien ! Ce serait rigolo d'être fou amoureux de quelqu'un mais de détester lui parler. C'est probablement surtout une maladresse, mais je trouve que c'est assez révélateur du traitement d'Amina : il aime lui parler parce qu'elle l'écoute et qu'elle l'aide.

Bon enfin là j'ai pas trop accroché, alors que c'est pas mal écrit franchement :)

A une autre fois !
aucun : les artichauts n'ont aucun rapport avec le Père Noël. Ce ne sont pas des cadeaux et on ne peut pas faire de Père Noël en artichaut.

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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #9 le: 06 septembre 2021 à 21:16:56 »
J'ai aimé la lecture de ton texte. Je n'ai pas tellement de commentaire à faire dessus (bonne ou mauvaise chose ?!)

J'ai ressenti parfois une certaine tristesse et certain attachement pour la voiture, comme celui que l'on aura pour un chat.

Bonne soirée

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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #10 le: 07 septembre 2021 à 23:38:42 »
Bien le bonjour Mout ! ;D

Citer
En règle générale, les Jeep sont assez suspicieuses. Elles semblent toutes pouvoir se démonter entièrement avec une clé à molette et un peu de mécanique ; mais celle-ci était vraiment bancale, la plupart de ses pièces étaient cannibalisées d’autres Jeeps.
Pour le coup, je suis un peu en désaccord avec ce qui a été dit plus haut, le fait de personnifier les Jeep ne me dérange pas plus que ça. Par contre, je ne vois pas le rapport de manière claire entre ta première phrase et la suite du paragraphe : si tu pars là-dedans, pour moi, il faudrait expliquer plus clairement ce qui rend ces Jeep suspicieuses.

Citer
Ses bâtiments sont comme formés d’un seul bloc, et chaque surface est soigneusement lissée ou polie.
Il y a un présent sauvage qui se balade librement dans cette phrase ! ;)

Citer
La pression de se débarasser de Rubicon venait de partout.
"débarrasser".
Sinon, je trouve ici qu'il manque une transition plus claire : jusqu'à ce moment, on dirait que tu campais le décor et que tu expliquais aux lecteurs qui était Sandro et ce que Rubicon représentait pour lui, et à partir de cette phrase on rentre dans l'"histoire/l'intrigue" proprement dite, mais ça n'est pas très clairement mis en avant, on ne le sent pas, on ne s'en rend compte qu'en lisant les paragraphes suivants.

Je rejoins Zag' par rapport à Amina. J'ai l'impression que Sandro l'aime pour tout ce qu'elle peut lui apporter plutôt que pour ce qu'elle est, je trouve ça dommage. Je la trouve assez effacée, assez impersonnelle. C'est dommage, parce que ça pourrait être un personnage assez fort, dans ce trio.

Je trouve aussi dommage que la "tension", ou "l'élément déclencheur" soit si vite traité. Si j'ai bien compris, il s'agit ici de la pression qui est mise à
Sandro pour se débarrasser de Rubicon mais au final, j'ai l'impression que tu listes rapidement un série de gens et une série de raisons, sans trop nous faire comprendre les choses, on est dans le "tell" et pas dans le "show". Et puis on passe directement au moment où Sandro prend sa décision.
Je pense qu'en ré-arrangeant le texte, déjà, tu pourrais améliorer les choses : je trouve que le dilemme de la vendre ou pas, de même que les raisons, pourraient se trouver en début de texte, avant même de nous dire pourquoi c'est un tel dilemme pour Sandro et ce que cette voiture représente pour lui. J'ai l'impression que ça te permettrait de commencer au plus près de l'action et d'embarquer plus efficacement ton lecteur !

Par ailleurs sur l'écriture elle-même, pas grand chose à redire, je trouve ça bien écrit...

Bonne soirée, à plus ! ;)
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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #11 le: 08 septembre 2021 à 19:32:57 »
Dans la première partie tu nous parles de la Jeep, ensuite de la rencontre avec sa compagne , puis sa "séparation" avec sa voiture. Pour finir avec son aventure dans un désert.

Ton texte est riche en description. Je me demandais en le lisant si tu ne parlais pas de tes propres voyages.

Pour moi, la fin est étrange. Tu dis :

"Il fit gronder le moteur sous les rayons ardents, tournant et se retournant pour rester à quelques kilomètres de la ville la plus proche. (...) il poussa la voiture jusqu’à ces derniers retranchements, (...)Le moment où les cylindres rendirent enfin l’âme, il eut comme une jubilation. Il rit, pleura et se sentit enfin serein.(...)Ils rentrèrent, comme ils étaient partis, les mains dans les poches et le cœur léger. (...)"

Si je comprends bien, ils sont quelque kilomètre de la ville la plus proche et leur voiture est en panne. Ils sont contents ? Ils n'ont pas peur de la situation ?

Surtout qu'il me semble qu'un désert de sel réfléchi beaucoup la lumière(J'ai vu ça dans un documentaire) et qu'il n'y a a rien dessus.



Il me semble que tu as fait une erreur ici :
"(...)mettre ses mains sur le guidon et tenter de trouver des raisons de la garder". Une Jeep, c'est une voiture, donc c'est un volant.

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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #12 le: 13 septembre 2021 à 18:03:04 »
Bonjour chameau-mout,


Me voici à la fin de ma lecture, et je garde le sentiment d'avoir lu un texte sur le consumérisme, décrivant les déserts comme tant de produits touristiques à consommer, selon le regard d'un homme réduisant l'exploration des terres sauvages à un banal passage de la vie aux souvenirs flous et purement épicuriens. Cette lecture m'a bel et bien éloigné d'un supposé désir que tu aurais eu de nous faire aimer les voitures, ça m'a plutôt fait penser aux égarements et excès de la technologie, or je ne suis pas choqué que l'on puisse avoir des impressions différentes du thème abordé selon le point de vue duquel on se place, selon quelle lectrice ou lecteur on est.


J'aurais bien aimé découvrir tes premières modifications du texte avant de commenter, afin de mieux comprendre ton parti pris esthétique (Vas-tu favoriser l'action en général ou bien favoriser les descriptions personnifiant cette voiture ?) ; pourtant il te reste un peu moins d'une semaine pour apporter à ce texte sa version finale, donc je me suis dépêché de te proposer deux ou trois idées de modifications avant qu'il ne soit trop tard. ^^

Je me rapproche pas mal du sentiment d'Ocubrea à propos du cheminement intérieur de Sandro : en l'état, le texte me paraît encore un peu décousu, comme une vague idée de ce que tu pourrais écrire sur ce thème du doute (par rapport au temps que prend ton personnage avant d'officialiser sa décision), sans avoir approfondi vraiment ce que tu pourrais en dire. C'est comme si l'action tardait à se mettre en place (enfin, là, je parle de la réflexion autour de ses amours passagères plutôt que de l'action en elle-même), c'est comme si on attendait trop avant d'entrer dans le cœur du sujet.

Démarrer le texte par une question toute simple : « Fallait-il que je me sépare de Rubicon ? », nous informerait immédiatement de l'enjeu qui va se présenter à Sandro afin que nous nous préparions d'office à comprendre ce qui le motive à se questionner.


Voici pour un commentaire qui tente de trouver un certain équilibre : c'est vrai que je n'ai probablement pas compris toutes les nuances de cette histoire d'amour entre un homme et sa voiture (avec quelques apparitions subreptices de sa compagne) ; s'il n'y avait pas de temps imparti pour l'AT, j'aurais attendu la nouvelle version du texte avant de commenter. :)

Au plaisir de connaître ton propre sentiment à propos de ce que tu as écrit.
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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #13 le: 14 septembre 2021 à 11:11:53 »
Bonjour Chameau !

Je ne reviendrai ni sur "suspicieuse" que j'aurais remplacé par "suspecte", ni sur "cannibalisé", tout a déjà été dit là-dessus.
Je trouve aussi "érection" discutable, mais c'est la licence poétique, si je puis dire.
Par contre"embaumé par les étoiles", bah en vrai, c'est une image que je ne comprends pas.

Pour le reste, je comprends le cheminement du personnage. Ce qui heurte sans doute, c'est que les décisions qu'il prend lui sont très personnelles. Pour ma part, je n'aurais rien fait pareil, mais je ne suis pas le personnage.

Reste un texte efficace, particulier du fait de cette obsession, bien écrit, et qui justement questionne sur la manière de gérer une passion.

Merci !
"Tous ceux qui survenaient et n'étaient pas moi-même
Amenaient un à un les morceaux de moi-même". Apollinaire

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Re : 8 - Rubicon, ou les déserts qui décident
« Réponse #14 le: 14 septembre 2021 à 16:11:57 »
Bonjour !

Comme d'autres, je ne suis pas fan de voiture et j'ai eu du mal à accrocher au début...
Puis, j'ai apprécié le passage dans le désert, cette douceur qui a été déjà relevée. Même si j'ai trouvé dommage qu'il bousille sa voiture (au lieu de la revendre), je crois qu'il y a dans cette action quelque chose de symbolique.

Le personnage d'Amina est en effet très discret, soumis. Il est peut-être trop tard pour faire des modifications à ce sujet mais par contre, la mention du fait qu'il "aime discuter avec elle" m'a faite sursauter ! Heureusement qu'il aime parler avec son épouse ! Je te demande solennellement de faire quelque chose ici, s'il te plait !  :D

Contrairement à un autre lecteur, j'aime l'image du "silence catastrophé qui prend toute la place".

J'ai bien aimé l'écriture, quelques jolies images mais je crois qu'il m'a manqué un peu d'émotions. Peut-être que la raison de se séparer de la voiture devrait être plus "douloureuse". Fan de mécanique ou pas, on aurait sans doute plus d'empathie pour Sandro si le dilemme auquel il fait face contenait plus d'enjeu.

Merci pour ce voyage !

 


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