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29 mars 2024 à 05:36:17
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Auteur Sujet: The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)  (Lu 62900 fois)

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  • Traducteur de The Wanderin Inn par Piratebea
Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #180 le: 05 décembre 2021 à 15:47:53 »
3.02 H Partie 2
Traduit par EllieVia
6450 mots

“Pour quoi faire ?”
 
Il hésita. Pisces fixa ses pieds, et le vent glacé fit voler sa robe autour de lui.
 
“Pour…”
 
En contrebas, dans le fossé qu’ils avaient creusé, l’un des squelettes leva sa pelle et la plongea dans une motte de terre. La terre autour de lui s’effondra, et le mort-vivant disparut.
 
La terre gronda et de la terre et des cailloux se mirent à glisser. Instantanément, Ceria et Pisces reculèrent, et sentirent le sol sous leurs pieds bouger légèrement.
 
Un effondrement ! Mettez-vous en sécurité !”, cria à Ceria à Yvlon et Ksmvr lorsque les secousses s’amplifièrent. Elle recula en chancelant, cherchant une zone sûre des yeux, et attrapa Pisces qui trébuchait derrière elle.
 
Les effondrements représentaient un grave danger dans les vieux donjons et les endroits de ce genre. Il était tout à fait possible de se faire avaler par la terre. Ceria vit Yvlon et Ksmvr courir vers un gros affleurement rocheux dans l’espoir d’être en sécurité sur la roche. Elle essaya de les rattraper.
 
Et alors, aussi vite qu’il était apparu, l’affreux grondement cessa. Ceria se retourna en tremblant et vit Pisces se relever. Il épousseta sa robe puis se retourna pour regarder lui aussi.
 
“Chancre. Regarde-moi ça.”
 
Un immense gouffre béant s’était ouvert sous les pieds des squelettes. Ceria en voyait deux remonter, mais pas les quatre autres.
 
“Piège magique ! À terre !”, hurla Pisces, et Ceria plongea immédiatement au sol. Elle vit Yvlon et Ksmvr qui se précipitaient en courant vers eux faire de même. Elle se retourna pour regarder et vit ce qui avait alerté Pisces.
 
De gigantesques rubans de flammes qui se tordaient et s’entrelaçaient comme des serpents brûlaient sur les gravats qui étaient retombés. Les flammes n’étaient pas rouge et orange ; elles étaient bleues, et faisaient déjà fondre la pierre et s’envoler la terre en fumée qui commença à s’élever du trou.
 
“Pisces. Est-ce qu’il nous vise… ?”
 
“Non. Laisse-moi voir.”
 
Le mage leva sa tête et se concentra. Deux de ses squelettes approchèrent du trou.
 
“J’ai perdu trois squelettes. Deux ont été incinérés, l’autre a été écrasé. Le dernier est coincé sous un tas de terre. Les deux autres ne sont pas visés - on dirait qu’on a déclenché un piège de zone.”
 
“Remercions les fleurs pour cela.”
 
Ceria soupira et laissa se dissiper un peu de la tension qui l’avait saisie. Elle avait espéré qu’il se passerait quelque chose, mais elle ne s’était pas attendue à ça.
 
“On a creusé juste au-dessus de ce couloir secret, pas vrai ? Et on dirait que ça mène aux quartiers d’un [Mage].”
 
“On dirait, oui.”
 
Pendant un instant, les deux mages contemplèrent les flammes dansantes. Ceria était déjà en train d’essayer d’analyser le sort : la quantité de mana qu’elle sentait dans les flammes et la façon dont elles consumaient instantanément l’énorme quantité de pierre et de terre sur leur passage lui indiquait qu’ils venaient de tomber sur un sort incroyablement puissant. Quel Échelon ? Échelon 5 ? 6 ?
 
“Ceria ! Pisces ! Tout va bien ?”
 
La voix d’Yvlon résonna et Ceria réalisa que Ksmvr et elle ne pouvaient sans doute pas voir comme elle ce qu’il se passait. Elle se releva tant bien que mal et agita la main vers les deux silhouettes à plat ventre en train de ramper vers eux.
 
“Tout va bien ! Les squelettes ont traversé le toit d’une nouvelle zone ! Les pierres ont dû déclencher des protections magiques en tombant. Restez tous vigilants !”
 
Yvlon et Ksmvr se relevèrent. Ils vinrent à la rencontre de Pisces et Ceria qui étaient en train d’essayer de s’épousseter.
 
“Nous avons juste entendu un grondement lorsque la terre s’est mise à s’effondrer. Heureusement qu’on n’était pas plus près.”
 
“En effet. Cela aurait sans doute résulté en une immolation douloureuse pour nous tous.”
 
Les deux humains et la Demi-Elfe regardèrent fixement Ksmvr. Il soutint leur regard.
 
“À moins que Pisces ou Ceria ne connaissent des sorts ignifuges très puissants ?”
 
“Non.”
 
“Nope.”
 
“Tu as probablement raison, Ksmvr. Merci d’avoir partagé ton opinion.”
 
Les quatre aventuriers se focalisèrent de nouveau sur le gouffre. Yvlon siffla.
 
“Les flammes ne se sont toujours pas éteintes ? Ça doit être un sacré piège magique. Ils cherchaient à tuer qui ? Des Aventuriers Légendaires ?”
 
“Ah. C’est…”
 
“C’est probablement…”
 
Ceria et Pisces s’interrompirent. Ils avaient tous deux parlé en même temps. Ils échangèrent un regard puis Ceria expliqua.
 
“Nous avons touché la matrice de liaison du sort. C’est pour ça qu’il ne s’est pas encore arrêté. Tout le mana est en train d’être vidé et il ne se rechargera pas quand ce sera fini.”
 
“Oh. Je vois.”
 
Ksmvr regarda dans le gouffre.
 
“Est-ce que je peux me permettre de demander la nature de ce sort ? Il a l’air d’être principalement tourné sur de la magie de proximité. Est-ce qu’il possède des composants inhabituels ?”
 
C’était ce que Ceria avait cherché à comprendre. Elle se frotta le menton.
 
“Je ne suis pas sûre. C’est un piège pyromancique, c’est sûr. Mais des flammes bleues ? On dirait une variation du sort de [Serpent de Flammes] dont on avait lu la description, tu te souviens ?”
 
Pisces hocha la tête d’un air absent.
 
“Une version améliorée. Les flammes bleues et la chaleur extrême en attestent très clairement.”
 
“Clairement. Probablement impossible à bloquer s’il nous tombait dessus d’un coup.”
 
“En effet. Les murs sont probablement renforcés pour éviter une fuite subite. Est-ce qu’un mur piégé aurait pu bloquer l’issue ?”
 
“Peut-être…”
 
Yvlon regarda les deux mages.
 
“Alors, verdict ?”
 
Ceria hocha la tête.
 
“Excellent. C’est un sort puissant. Et il était tout frais. Personne ne l’a jamais déclenché ou nous aurions vu des traces de brûlures. Il y a de bonnes chances que personne avant nous n’ait jamais exploré cet endroit. Et mieux encore…”
 
“Ce qu’ils protégeaient était sans doute tout aussi précieux.”
 
Pisces sourit, et Yvlon aussi. Ksmvr souleva légèrement ses mandibules.
 
“C’est une bonne chose, n’est-ce pas ? Est-ce que nous devrions descendre lorsque les flammes se seront éteintes ?”
 
“Pour sûr. Préparez-vous, tout le monde ! On y va !”
 
Saisie d’un regain d’énergie, Ceria se mit à invoquer davantage de mana dans sa main squelettique en révisant ses sorts. Yvlon mit un heaume et se mit à balancer légèrement son épée. Ksmvr s’arma de son épée courte et d’un couteau pour les combats rapprochés. Pisces rappela ses deux squelettes.
 
L’humeur du groupe avait complètement changé en l’espace de quelques secondes. La pression de leur mort imminente - mais, plus encore, l’idée qu’ils aient peut-être trouvé quelque chose de vraiment important - les avait emplis du même espoir brûlant qu’ils avaient eu au début de leur aventure. Ceria pouvait à peine contenir son enthousiasme en attendant que le sort s’achève.
 
“Inutile d’entrer avant au moins une demi-heure après que les flammes ne se soient éteintes. La chaleur là-dessous doit être intense.”
 
En effet, les pierres fumantes irradiaient d’une chaleur intense qui semblait complètement ignorer l’air glacé. Ceria était déjà en train de s’échauffer alors qu’elle était loin du gouffre. Pisces contempla l’entrée du tunnel, contenant à grand-peine son excitation.
 
“Je pourrais jeter [Vent Glacé] pour accélérer le processus de refroidissement.”
 
“Économise ton mana. Nous ne savons pas ce qui se trouve là-dessous. D’ailleurs… on va commencer le leurre. Je pensais utiliser la méthode de la boule d’argile, mais pourquoi ne pas prendre un de tes squelettes.”
 
“Pas bête. Allons-y.”
 
Même Yvlon ne protesta pas lorsque Ceria et Pisces se mirent à préparer l’un des squelettes. Seul Ksmvr était décontenancé. Il contempla les deux mages en train de donner des objets au squelette et de marmonner des idées d’enchantements.
 
“Excusez-moi. Que se passe-t-il ?”
 
Ceria s’interrompit en tendant un gros caillou au squelette. Pisces était occupé à préparer une torche qu’il essayait d’allumer.”
 
“Oh. Tu n’as jamais vu d’aventuriers pénétrer dans un donjon piégé, pas vrai Ksmvr ?”
 
“Non. Par conséquent, quel est l’intérêt d’équiper ainsi un squelette ?”
 
Cette fois-ci, Yvlon se chargea des explications. Elle montra le squelette du doigt tandis que Ceria y jetait un enchantement. Une boule de lumière se mit à briller autour de la tête du squelette, émettant une lumière qui s’ajoutait à la lumière de la torche dans son autre main.
 
“Quand on entre dans des donjons, on fait toujours attention aux pièges. Ils tuent davantage que les monstres, la plupart du temps. Si on avait un [Roublard] ou un [Éclaireur], on pourrait s’appuyer sur leurs Compétences de détection de pièges, mais nous n’en avons pas. Et même là, c’est très risqué pour la personne qui passe devant. La plupart des aventuriers qui mènent la marche… ne survivent pas.”
 
Ceria hocha la tête d’un air sombre. Elle ne voulait pas penser au nombre d’amis qu’elle avait dû enterrer après qu’ils aient rencontré un piège ou la griffe d’un monstre. Yvlon affichait la même expression lorsqu’elle reprit la parole.
 
“Et c’est pour cette raison qu’on essaie de trouver des moyens de déclencher les pièges avant d’entrer. L’une des méthodes les plus communes est de tirer une flèche sur un fil piège ou un piston lorsqu’il est visible, mais de nombreux pièges sont magiques. Les aventuriers font donc rouler quelque chose dans un couloir suspect - on utilise des boules d’argile si on n’a rien d’autre. Mais beaucoup de pièges possèdent des détecteurs beaucoup plus sophistiqués.”
 
“D’où l’idée d’utiliser les morts-vivants. Ils ne déclencheront peut-être pas les pièges qui détectent les êtres vivants, mais en lui donnant une source de chaleur et le poids d’un aventurier normal, celui-ci déclenchera sans doute la plupart des pièges. Et l’équipement magique déclenche aussi un bon nombre de pièges.”, expliqua Pisces en faisant avancer le squelette au bord du couloir exhumé. Ceria hocha la tête.
 
“Avec un peu de chance, ce n’est pas un piégeur trop expérimenté. Si ce sont les quartiers personnels d’un mage - eh bien, ils sont rarement doués pour différencier les mécanismes d’activation des sorts. ON aura peut-être tous les pièges de cette façon.”
 
“Excusez-moi. Je suis de nouveau perturbé. Je croyais que c’était un donjon. Pourquoi parlez-vous des quartiers personnels d’un mage ?”
 
“C’est… difficile à expliquer, Ksmvr. On parle de 'donjon', mais cela ne signifie pas forcément qu’il s’agissait d’un château fort. Je crois qu’Albez était une ville qui s’est enfoncée dans la terre au fil des ans.”
 
“Oh. Je vois.”
 
L’Antinium réfléchit.
 
“Nous sommes donc, en fait, très probablement en train d’entrer par effraction dans les quartiers personnels d’un individu ?”
 
Ceria, Pisces et Yvlon échangèrent des regards.
 
“En quelque sorte.”
 
“Avec un peu de chance.”
 
“Ou le trésor d’une guilde ou d’un riche. C’est toujours sympa.”
 
“Alors, pourquoi tous ces pièges ? Le sort dont nous venons d’être témoins me paraît excessif ?”
 
Ceria haussa les épaules.
 
“La paranoïa. C’est d’ordinaire parce que les gens possèdent quelque chose d’important qu’ils ne veulent pas se faire voler. Et les mages puissants, d’un niveau avoisinant les 50 ? Ils devaient avoir accumulé beaucoup d’ennemis, beaucoup d’artefacts et d’objets de valeur au fil des ans. Leurs maisons ont tendance à se transformer en lieu d’épreuves miniature jusqu’à leur mort.”
 
Yvlon acquiesça.
 
“Dans certains cas, les protections sont justifiées. Imagine à quel point les objets qu’ils possèdent peuvent être puissants ? Mais par ailleurs, les donjons artificiels - ceux que les gens créer dans le but exclusif de protéger un objet très rare - sont les pires. Là, c’est plus comme placer quelques wards privés dans sa maison. Mais les donjons construits pour tuer un grand nombre d’individus ? Ce sont de véritables pièges mortels.”
 
“Vraiment ? Comment cela ?”
 
Ksmvr n’eut presque pas à les lancer sur le sujet. Même Pisces connaissait des histoires au sujet des horreurs que des aventuriers avaient trouvées dans des ruines.
 
“J’ai entendu parler d’un donjon où les créateurs avaient placé un piège de brume empoisonnée invisible à l’entrée. Et les aventuriers nettoyaient le donjon en mourant lentement. Des centaines d’équipes entraient sans problème, mais aucune n’en ressortait.”
 
“Et celui avec les douches acides ? Vous en avez entendu parler ? Il se déclenchait à cinq cents mètres de l’entrée et inondait tous les couloirs. Si son temps de réactivation n’avait pas été si long, il aurait éliminé toutes les équipes qui y pénétraient.”
 
“J’ai entendu parler d’un mage qui se contentait de téléporter les gens dans un piège au fond d’un gouffre au milieu du substrat rocheux. Ils n’avaient aucun moyen de sortir et finissaient par mourir de faim.”
 
“J’ai entendu parler de celui-là moi aussi ! Les [Mineurs] qui ont fini par localiser le piège - ils ont trouvé des aventuriers encore en vie, non ? Ils avaient mangé tous leurs amis et survivaient en mangeant leurs bottes.”
 
“Ce n’est qu’un mythe. Personne n’aurait assez d’oxygène pour survivre là-dessous.”
 
“J’ai entendu dire qu’ils avaient une amulette.”
 
“D’accord, mais même…”
 
Médusé, Ksmvr les regarda tous tour à tour.
 
“Vous avez l’air d’un optimisme inhabituel face à des situations graves auxquelles nous sommes nous-mêmes susceptibles de faire face.”
 
“C’est en partie ce que cela signifie d’être aventurier, Ksmvr. Nous risquons tout, donc autant rire un peu au cas où le pire advienne.”
 
Ceria éclata de rire. Même Yvlon sourit à l’Antinium.
 
“Nous remontons le moral des troupes avant d’entrer dans le donjon. Ne t’inquiète pas - nous sommes tous inquiets. Mais mieux vaut dire des blagues plutôt qu’attendre en silence.”
 
Ksmvr réfléchit à ces paroles, puis hocha la tête.
 
“J’apprendrai donc de cette expérience. Merci de me l’avoir expliquée.”
 
Bizarrement, cela les fit rire encore plus fort. Parce que c’était bizarre et qu’ils s’apprêtaient à pénétrer dans un lieu où ils allaient peut-être mourir. Ceria jugea bientôt le gouffre suffisamment refroidi pour pouvoir y entrer, et une fois qu’ils y eurent envoyé le squelette, le reste de l’équipe glissa sur la roche fondue et pénétra dans le tunnel abandonné.



***




“D’accord, ça, c’était un sale piège à flèches. Pisces, c’est toi qui marches devant, maintenant.”
 
Ceria regarda fixement la flèche empoisonnée qui avait proprement traversé les côtes du squelette avant de voler en éclats sur le mur, loin derrière. Elle ne voulait même pas toucher la flèche au cas où elle serait toxique, elle aussi.
 
Pisces secoua la tête. Il pointa un doigt et le squelette se remit à avancer en trottinant.
 
“Je vais rester derrière les deux guerriers, merci bien. Ils ont une armure. Moi pas.”
 
“Tu as ton anneau. Il t’aurait probablement sauvé la vie.”
 
Ceria regarda le squelette avancer encore d’une quinzaine de pas dans les ténèbres et tourner à l’angle. Le tunnel qu’ils avaient trouvé était long et sinueux et c’était le deuxième piège sur lequel ils tombaient. Le premier s’était facilement déclenché lorsque Ksmvr y avait tiré une flèche et avait relâché un redoutable jet d’acide. Le deuxième avait été déclenché par le squelette et Ceria avait peur qu’il y en ait d’autres.
 
Il s’était écoulé plusieurs heures depuis que les Cornes d’Hammerad avaient pénétré dans le tunnel. Malgré cela, ils n’avaient pas fait plus de quatre-vingts pas, car tous les quatre prenaient un soin épouvantable à vérifier que chaque centimètre de couloir était dépourvu de pièges.
 
Ils étaient tous équipés de longs bâtons avec lesquels ils tâtaient le mur, le plafond, et le sol, et Pisces envoyait régulièrement ses deux squelettes devant pour marcher et taper sur les murs dans l’espoir de déclencher quelque chose. Même lorsqu’ils se croyaient en sécurité, les Cornes d’Hammerad marchaient à la file indienne, en laissant Ksmvr et Yvlon avancer un bon moment avant que les deux autres ne les rattrapent prudemment.
 
“Ce tunnel ne peut pas être encore bien long. La carte montre qu’il mène à un grand espace droit devant, pas vrai ?”
 
Ceria n’eut même pas besoin de jeter un œil à la carte dans son sac. Elle acquiesça.
 
“Tout à fait. Avec un peu de chance, on y arrivera avant la nuit. Sinon… on pourrait monter le camp ici.”
 
Là encore, ce fut Yvlon qui accepta calmement ce fait ; elle s’y était probablement attendue, et Ksmvr s’en remit immédiatement à sa décision. Mais Pisces fronça les sourcils.
 
“Monter le camp ici ? Mais ce couloir est complètement à découvert ! Nous devrions tâcher d’en atteindre le bout avant la nuit - je ne veux pas qu’on se fasse coincer par un monstre ici.”
 
“Mieux vaut camper ici que trop se précipiter, Pisces.”
 
Pisces lui rendit au quintuple le froncement de sourcils que Ceria lui adressa. Elle détestait la façon qu’il avait de toujours remettre ses décisions en question. Elle savait bien qu’il avait hâte - elle se souvenait avoir connu le même sentiment et avoir eu la même conversation par le passé. Mais elle avait déjà été témoin de ce qu’il se passait quand on agissait dans la précipitation.
 
Pisces claqua ses dents lorsque Ceria répondit.
 
“Nous ne prenons aucun risque. Même si cela signifie que nous devions prendre deux jours au lieu d’un - même si nous devons quitter cet endroit et revenir avec des provisions plutôt que de prendre le risque d’avancer sans risque, on le fera. En l’état, nous sommes encore beaucoup trop près du rayon du piège si nous tombons sur un piège de zone. Nous risquons déjà beaucoup en ce moment même, Pisces. Je ne nous ferai pas nous précipiter vers la mort.”
 
Il claqua encore quelques fois des dents, de toute évidence mécontent. Mais il finit par soupirer.
 
“Très bien. Je m’en remets à ton expérience.”
 
Cela surprit Ceria ; elle avait été tellement sûre qu’il allait se battre bec et ongles contre cette décision.
 
“Vraiment ? Bien.”
 
“Oui, eh bien…”
 
“Pisces marqua une pause et claqua de nouveau ses dents. Cette fois-ci, Yvlon fronça les sourcils.
 
“Est-ce que tu veux bien arrêter ça ? Ça me déconcentre.”
 
“Moi ? Je ne fais rien. Je croyais que c’était Ksmvr…”
 
Tout le monde se retourna vers l’Antinium. Il fit volte-face. Ses mandibules s’ouvrirent et le claquement s’accentua soudain lorsqu’ils comprirent que cela ne venait pas d’eux.
 
Attaque !”
 
Quelque chose surgit des ténèbres et plaqua le squelette détecteur de pièges au sol. Ceria aperçut brièvement des pattes en formes de faux en train de tourbillonner, des mandibules et des pinces prêtes à claquer et elle pointa du doigt.
 
“[Stalactite] !”
 
Elle lança son sort en même temps que Pisces jeta une boule de feu. Ils n’entrèrent pas comiquement en collision pour manquer la cible - la stalactite de Ceria explosa d’abord sur la créature, la repoussant en arrière, puis la boule de feu magique de Pisces frappa le squelette. Les jets de flammes n’atteignirent pas la créature, mais elles permirent de l’éclairer.
 
Ceria aperçut de longues pattes à l’allure très arachnéenne recouvertes d’armure, et une silhouette longue et trapue. Mais ce n’était pas une araignée cuirassée. Elle avait trop de pattes, et ces pattes étaient recouvertes de piques. Et elle… coulait. La carapace rouge et violette et les organes internes exposés se mirent en mouvement lorsque la créature ouvrit sa mâchoire remplie de rangées de dents circulaires. Elle croqua le morceau qu’elle avait arraché au squelette et deux de ses congénères commencèrent à sortir des ténèbres.
 
“Oh merde ! Des Crelers !”, hurla Ceria en pointant d’autres Crelers du doigt. Les petites créatures s’engouffrèrent dans le couloir et se jetèrent sur les aventuriers pour essayer de les griffer, de les mordre, de se creuser un passage à travers leurs ennemis.
 
“Couvrez-moi !”
 
Yvlon se précipita en avant et son épée s’abattit sur le Creler de tête. Sa lame aplatit la créature au sol, mais même son acier acéré ne put que trancher les organes exposés de la créature. Le reste - sa chitine dure et le reste de ses substances pseudo-osseuses, trop solide, résista à l’assaut et la créature tenta de monter sur la jambe d’Yvlon.
 
“Périssez.”
 
Ksmvr fit tourbillonner ses trois bras lorsque les deux autres Crelers fondirent sur lui. Il en attrapa un, sans se soucier de ses bords tranchants qui mordirent dans sa main et se mit à tailler dans le tas avec les deux autres armes qu’il possédait. Comme Yvlon, il ne put pas immédiatement couper la créature en deux, mais il avait suffisamment d’appui pour transpercer lentement le corps de la créature de ses lames en la sciant.
 
L’autre Creler tenta de bondir sur son dos, mais Ceria lui jeta un sort bien placé qui l’envoya rouler plus loin. Elle couvrit les deux autres en jetant des [Stalactites] rapides qui, s’ils repoussaient les Crelers, ne leur infligeaient toutefois pas de dégâts critiques.
 
“Springwalker ! Derrière toi !”
 
Ceria plongea hors de portée. Pisces leva sa main et une bourrasque glacée gela le Creler qui lui avait bondi dessus. La créature tomba au sol, étourdie, et un squelette se précipita sur elle et se mit à la piétiner.
 
Ceria s’aperçut alors que les trois squelettes étaient en train de se battre. Ils avaient pris des cailloux et essayaient d’écraser les Crelers avec. Mais ces derniers n’étaient presque faits que de lames et de bords tranchants. Il fallait une masse d’armes - Calruz en avait tué la plupart avec sa hache !
 
“Gèle-les, Ceria !”, entendit-elle Pisces hurler, mais un Creler s’était jeté sur son visage. Ceria recula d’un bond, et la gueule pleine de lames de rasoir claqua à une dizaine de centimètres de son visage lorsqu’elle la saisit dans sa main squelettique. Le Creler tenta immédiatement de dévorer ses os et Ceria réagit au quart de tour.
 
“Crève, vermine !”
 
Elle ne lui jeta pas vraiment un sort, mais un concentré de magie de glace. L’air autour de sa main gela et Ceria en sentit un froid extrême envahir sa main squelettique qui gela le Creler. Il poussa des cris perçants et se tortilla, mais elle refusa de le lâcher. Les pattes et les griffes de la monstruosité s’agitèrent au bout de son bras tendu, menaçant de lacérer sa chair. Cinq secondes plus tard, elle se raidit et mourut de froid dans son poing.
 
Ceria la relâcha en tremblant. Mais elle n’avait pas le temps de se reposer. Elle fit volte-face et se mit à bombarder les Crelers qui tentaient de grimper sur l’armure d’Yvlon. Cette dernière absorba les coups, comme son armure déviait les [Stalactites] - elle jeta un Creler au sol et le piétina dans un concert de cris perçants.
 
Ceria se précipita en avant et bombarda un Creler d’une [Stalactite] bien placée. Cette fois-ci, l’onde de choc brisa la créature en deux ; elle s’effondra, plusieurs de ses pattes se détachèrent de son corps et une substance jaune gluante se mit à sourdre de ses blessures. Ceria frissonna et se tourna en quête d’une autre cible.
 
Une seconde plus tard, tout était terminé. Pisces carbonisa le dernier Creler que ses squelettes avaient entravé et Ksmvr finit d’en écraser un autre avec sa lame de fer enchantée. Les Crelers tressautèrent en émettant des râles bulleux là où ils avaient été occis, mais leur agonie était bien trop avancée pour qu’ils ne puissent bouger.
 
Ceria avança d’un pas titubant, haletante, le visage dégoulinant de sueur, et l’épuisement de tant de magie la rattrapa. Elle s’accrocha à Yvlon et cette dernière tituba.
 
“Yvlon. Est-ce qu’ils t’ont blessée ?”
 
La Capitaine aux cheveux d’or haletait, elle aussi, mais elle secoua la tête.
 
“Ils ne sont pas entrés dans ma tête. Je crois que quelques-uns ont transpercé mon plastron, mais ils n’ont pas touché ma peau”.
 
“Désolée pour les [Stalactites]. Est-ce que je t’ai blessée, ou percé ton armure ?”
 
“Elle est un peu cabossée. Je vais bien. Merci.”
 
Ceria hocha la tête. Elle aurait pu percer l’armure d’Yvlon et la tuer si ses sorts de [Stalactites] avaient été jetés à bout portant ou avaient atteint un point faible. Mais dans tous les cas, mieux valait cela plutôt que de laisser un Creler atteindre la tête nue d’Yvlon. Il se serait creusé un chemin à coup de dents dans son armure à travers le col en moins d’une seconde.
 
“Eh bien, voilà la raison pour laquelle nous n’avons pas croisé de monstres ou de morts-vivants récemment. Des Crelers.”
 
“Dieux morts.”
 
Les deux femmes se tournèrent vers Ksmvr et Pisces. Pisces était sain et sauf, bien que pâle et visiblement secoué, mais Ksmvr avait été blessé. Elles allèrent l’examiner.
 
“Ce n’est rien. Mais main a été lacérée à plusieurs endroits, mais Pisces a pansé mes blessures. Cela guérira.”
 
“Tu es sûr ?”
 
Ceria jeta un regard sur le bandage déjà taché de vert que Pisces avait noué autour de la main de Ksmvr. L’Antinium hocha la tête.
 
“Je vais bien.”
 
“Les Crelers ont des crocs et des griffes empoisonnées…”
 
“Ces toxines ne m’affecteront pas. Merci de t’en inquiéter.”
 
“Dieux morts, Ksmvr ! Je n’avais jamais vu quelqu’un maintenir un Creler au sol pour le tuer ! Tu es fou ou quoi ?”
 
“Je me suis contenté de les combattre à la manière des Antiniums. Je suis soulagé qu’il n’y ait eu que des petits.”
 
“Oui. Oui. Pisces, ça va, toi ?”
 
“Je… je déteste ces trucs.”
 
Pisces frissonna en contemplant un Creler agité de spasmes. Ceria acquiesça. Yvlon aussi. Et Ksmvr également.
 
“Dieux morts. Des Crelers. Imaginez seulement s’il y en avait eu d’autres…”
 
“Les squelettes nous sont sauvés. Les Crelers s’en prenaient à nous, mais ils ont réussi à les tenir à distance. Ils ont été grignotés. Regardez-moi celui-là…”
 
“Chh. Chh. Est-ce qu’il y en a d’autres dans le coin ?”
 
Aussitôt, tout le monde se tut. Ceria écouta le bruit de son cœur qui battait à cent à l’heure, mais Ksmvr secoua la tête.
 
“Nous avons réveillé ce groupe-là, mais il n’y en a plus dans les environs. Toutefois, c’est une preuve indubitable qu’il y a un nid dans le coin.”
 
Il montra les Crelers agonisants au sol. Un squelette s’était armé d’un caillou avec lequel il s’appliquait à les réduire en bouillie.
 
“Ceux-ci sont au stade juvénile. Si un Creler adulte se trouvait à proximité, il nous aurait déjà attaqués. Je recommande une extermination immédiate.”
 
“Exterminer ? Un nid ?”
 
Pisces regarda Ksmvr d’un air horrifié, mais l’Antinium se contenta de hocher la tête. Il était extrêmement concentré.
 
“Ils représentent un danger. Une menace. S’ils restent ici sans surveillance, certains atteindront une taille adulte. Nous ne pouvons pas le permettre.”
 
Ceria était complètement d’accord, mais elle ne voulait pas être celle qui allait devoir chasser des Crelers.
 
“Normalement, on peut être récompensé juste en les signalant. Traquer un nid… champignons pestiférants, je ne veux pas y penser, Ksmvr. Ils ont une grosse récompense sur leurs têtes, certes, mais…”
 
“Je pense qu’il n’y en aura pas plus qu’ici. Et ils seraient sous leur forme larvaire, pas dans leur forme d’attaque.”
 
Yvlon nettoya sa lame en regardant fixement une pince de Creler qui n'avait pas cessé de trembler.
 
“C’est sans doute faisable, Ceria. Il suffit d’un bon coup pour les tuer dans leur forme larvaire. Si on les prend par surprise…”
 
“Non ! Vous n’avez donc pas vu ce qu’ils peuvent faire sur de la chair ?”
 
Pisces était pâle et tremblant. Ceria regarda tour à tour lui, puis Ksmvr.
 
“Je crois que Ksmvr a raison, Pisces.”
 
“Quoi ?”
 
“Est-ce que toi, tu as vraiment envie qu’une bande de Crelers soit dans notre dos s’ils prennent faim ou qu’ils se réveillent ? Si on continue d’avancer comme ça, ils risquent de nous attaquer dans le dos au pire moment. Il faut qu’on s’en débarrasse.”
 
“Je… d’accord. D’accord. Mais les squelettes passent en premier !”
 
Le groupe se remit en marche. Il ne leur fallut que quelques secondes pour faire le tour du couloir et repérer la zone du mur où les Crelers avaient creusé un trou pour sortir. C’était un gros trou, qui menait à une bulle naturelle dans la terre. Et c’est là qu’ils trouvèrent…
 
“Dieux morts.”, murmura Yvlon lorsque les quatre aventuriers et les trois squelettes se faufilèrent au cœur d’un nid de Crelers. En toute franchise, il était minuscule, mais Ceria repéra pas moins de huit Crelers à leur stade larvaire, leur stade d’incubation.
 
Lorsqu’ils n’étaient pas qu’un fouillis d’organes à l'air libre, de membres vicieux et tranchants et de dents, les Crelers ressemblaient à d’affreuses chenilles, grasses et rouges, qui luisaient faiblement de l’intérieur. À travers leurs “peaux” semi-translucides, Ceria apercevait des lignes jaunes et des organes décolorés qui se déplaçaient. Ils grandissaient. Comme l’avait dit Ksmvr, si on leur laissait quelques mois et de la nourriture, ils risquaient de devenir adultes, le cauchemar auquel même les équipes de rang Or ne voulaient pas se frotter.
 
L’un des Crelers se trouvait sur le mur le plus proche de Ceria. Elle s’avança prudemment dans le nid, tentant de garder ses mouvements et même sa respiration au minimum. Yvlon avança sur la pointe des pieds, son visage recouvert d’un masque de dégoût, l’épée au clair.
 
Le sac rouge luisant et translucide coula lentement dans leur direction, attiré par l’odeur de leur viande et de leur sang. Ceria retint sa respiration. Le moindre mouvement brusque risquait de tous les alerter de leur présence. Il fallait qu’ils les tuent avant qu’ils ne puissent s’évaginer pour passer à leur forme d’attaque mortelle.
 
Elle leva trois doigts pour que les autres puissent voir puis commença le décompte. Les squelettes de Pisces se tenaient prêts, armés de leurs cailloux, et Yvlon leva son épée, visant le Creler le plus proche.
 
“Maintenant !”
 
Aussitôt, Ksmvr planta deux lames dans les deux Crelers dont il était le plus proche. Pisces jeta du feu sur un autre en vociférant des malédictions tandis qu’Yvlon abattait son épée sur le sien. Les Crelers renâclèrent, et leurs sacs externes charnus tentèrent de se retirer pour exposer leurs entrailles vicieuses dans d’ignobles bruits de gargouillis. Mais il était trop tard.
 
Ils étaient beaucoup plus faciles à attaquer sous leurs formes plus molles. Ceria lança une [Stalactite] sur un Creler et vit son sang et ses boyaux jaunâtres exploser au sein du ballon que formait son corps. Les trois squelettes broyèrent leurs Crelers à l’aide de leurs cailloux, les martelant avec une frénésie fiévreuse en répandant des fluides jaunes de partout.
 
En fin de compte, seuls deux d’entre eux parvinrent à adopter leur forme d’attaque et ils furent rapidement écrasés par le soleret d’Yvlon et le caillou d’un des squelettes de Pisces. Ceria regarda avec les autres le squelette abattre à de maintes reprises son caillou sur le Creler agité de spasmes jusqu’à ce qu’il soit réduit en bouillie.
 
“Venez, on ne fait plus jamais ça.”, déclara Ceria, pantelante, en ressortant avec les autres du nid. Yvlon et Pisces acquiescèrent, et Ksmvr lui-même frissonna légèrement en essuyant ses lames. Personne n’aimait combattre les Crelers. C’était une chose d'explorer un donjon souterrain rempli de pièges mortels et de possibilités d’effondrement, mais les Crelers ?
 
Pas les Crelers.



***




“C’est la porte.”, murmura Ceria d’un air triomphant lorsqu’elle jeta un œil avec les autres derrière le dernier tournant du tunnel.
 
On aurait dit qu’une éternité s’était déroulée, mais ils n’avaient pas fait plus d’une vingtaine de pas, guettant le moindre piège - apparemment, le temps en avait déclenché un autre, d’après les pans lisses de murs fondus et les marques de brûlure - avant de voir la porte.
 
C’était une bête porte en bois, qui paraissait inoffensive dans son cadre de roche sombre. Ceria ne s’y fiait absolument pas. Il pouvait s’agir d’une illusion, d’un piège, de n’importe quoi. Mais en essayant d’actionner la poignée, le squelette n’était parvenu qu’à faire cliqueter inutilement le mécanisme. Il avait même essayé d’enfoncer la porte, sans succès.
 
“Ce ne serait qu’une simple porte enchantée ? Je n’y crois pas une seconde.”
 
“Eh bien, elle pourrait quand même être bourrée de pièges. Il faut soit qu’on la force, soit qu’on essaie de l’ouvrir autrement. Mais si on se retrouve dans sa ligne de mire…”
 
“On essaie d’y lancer des sorts de loin ?”
 
“Ça pourrait marcher. Mes [Stalactites] doivent pouvoir infliger quelques dégâts.”
 
“C’est la meilleure option qu’on ait pour rester à distance. À moins que tu n’aies appris un meilleur sort, Pisces ?”
 
“Non. Vas-y.”
 
Ceria hocha la tête. Elle pointa son doigt derrière le mur, se tapissant derrière ce dernier, et le reste de l’équipe recula. Le squelette qui leur servait de leurre regarda la scène d’un air impassible, debout à côté de la porte, future victime de ce qui allait se passer.
 
Bon. Une [Stalactite], puis se préparer à courir si besoin. otre examen. Ceria prit une grande inspiration, puris jeta son sort.
 
“[Stalactite] !”
 
La dague de glace magique jaillit de son doigt et se brisa contre la porte. Ceria et le reste de l’équipe se tendirent, mais rien ne se produisit. Lentement, ils se détendirent.
 
“Il n’y a peut-être que des fortifications dessus ?”
 
“Probablement. Et le couloir ?”
 
“Le squelette l’a traversé trois fois.”
 
“Je me porte volontaire pour le tester.”
 
“Ksmvr, ne dis pas de bêtises…”
 
“Nous sommes assis ici depuis une heure. Nous devons tenter quelque chose. Si vous le permettez.”
 
“Attends…”
 
Yvlon tenta de le rattraper, mais l’Antinium posa un pied dans le couloir. Il patienta, mais nul sort ne jaillit. Lentement, il s’avança vers la porte.
 
“Rien. Je vais tenter de la briser.”
 
Il leva son épée enchantée et la planta dans le bois. La porte résista au coup, comme elle avait résisté au [Stalactite]. Et cela ne déclencha pas de contresort.
 
“Qu’en pensez-vous ?”
 
Ksmvr se tourna vers le reste de l’équipe qui discutaient entre eux. Ceria se tirait les cheveux, tentant de comprendre s’il s’agissait d’un piège diaboliquement intelligent, ou juste d’une porte faite pour durer à jamais.
 
“Elle pourrait peut-être s’activer uniquement lorsque nous l’aurons ouverte.”
 
“Possible, possible.”
 
“Il faut qu’on s’en approche, Pisces. On l’étudiera de plus près, puis on reculera et on essaiera de loin, d’accord ?”
 
Il acquiesça. Ceria et Pisces échangèrent un regard, puis les quatre Cornes d’Hammerad avancèrent sur la pointe des pieds vers la porte.
 
Rien ne se produisit. Ils poussèrent un soupir de soulagement, mais Ceria prévint Yvlon et Ksmvr.
 
“Okay, on va juste inspecter le sort qui scelle la porte. Si c’est un sort de renforcement de haut Échelon, eh bien, il nous faudra peut-être trouver un autre moyen d ‘entrer. Peut-être en se frayant un passage dans la roche. Mais n’y touchez pas tant qu’on n’a pas terminé, d’accord ?”
 
Les deux autres hochèrent la tête et se tinrent prêts. Ceria se tourna vers Pisces, puis ils tendirent la main et inspectèrent magiquement la porte. Ils froncèrent tous deux les sourcils à peu près au même moment.
 
“Étrange. Regarde comme cet enchantement est délicat, Pisces.”
 
Il acquiesça en traçant du doigt les symboles et les courants magiques scintillants qu’eux seuls pouvaient voir.
 
“En effet. Ce n’est pas un renforcement ordinaire. Il y a un piège. Mais quel en est le déclencheur ?”
 
La magie scintilla devant Ceria. Ou plutôt, ne scintilla pas. Il était impossible de décrire à quoi ressemblait la magie à ses yeux par de simples mots. C’était plus une sensation qu’autre chose. Elle observa délicatement la magie, et sentit quelque chose d’étrange.
 
“Est-ce que ça… bouge ?”
 
En effet. Le sort stationnaire bougeait, réagissait. Le cœur de Ceria manqua immédiatement un battement et elle se leva pour s’éloigner de la porte. Yvlon leva instantanément son bouclier.
 
“Qu’y a-t-il ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”
 
“Oh non. Oh… il réagit à notre examen. Fuyez ! Fu...
 
Elle venait de faire demi-tour lorsque quelque chose gémit et l’engloutit. Ceria tomba tête la première, puis s’écrasa contre quelque chose, qui se brisa.
 
Des os.
 
Un squelette ? La création de Pisces ?
 
Non. Pas le squelette de Pisces. Des os. Des monticules d’os.
 
Ceria regarda autour d’elle. Ils avaient atterri dans une fosse. Une fosse aux murs recouverts d’immondices. Yvlon, Ksmvr, Pisces… pas les squelettes. Ils regardèrent autour d’eux, peinant pour se relever.
 
“On nous a téléportés ! Un piège ! Tenez-vous prêts !”
 
Ceria tournoya, à l’affût du moindre mouvement, un sort mortel, un monstre, n’importe quoi. Mais elle ne vit rien.
 
Puis quelque chose brilla. Elle se tourna et vit quelque chose sur l’un des murs. Il… dansait devant elle. Elle le regarda fixement. Un mot ? Une inscription ?
 
Non. Une rune magique. Ceria tenta immédiatement de détourner le regard, mais il était trop tard. Elle l’avait déjà vu ! Elle essaya de fermer les yeux, mais…
 
“Rien ?”
 
Elle regarda autour d’elle. Il ne s’était rien passé. Elle se tourna vers Ksmvr. Il regardait fixement les mots magiques. Puis il se tourna vers elle.
 
“Ksmvr ? Tout va bien ?”
 
Il hésita. Puis l’Antinium acquiesça. Puis il secoua la tête.
 
“Quoi ?”
 
Il marqua une pause.
 
“Je… je suis une Aberration. Non. Je suis Antinium.”
 
“Qu’est-ce que tu veux dire ? Une Aberration ? Ksmvr ?”
 
Il hésita.
 
“Je… je… je… je…”
 
Il répéta le mot en boucle. Ceria le dévisagea. Est-ce qu’il y avait un problème ? Mais Ksmvr était toujours comme ça, non ? Oui ? Non ?
 
Pourquoi était-elle en train de discuter avec un Antinium ?
 
Soudain, quelqu’un la saisit par-derrière. Ceria hurla et se retourna, mais ce n’était que Pisces. Il la regarda fixement d’un air furieux.
 
“Pisces, qu’est-ce que…”
 
“Comment se fait-il que tu sois encore au lit, garçon ? ”, lui hurla-t-il, postillonnant, le visage cramoisi. Ceria eut un mouvement de recul, mais la main de Pisces la serrait comme dans un étau. Il hurla dans ses oreilles.
 
"L’entraînement d’escrime commence à l’aube !  Bouge-toi, et je te jure que si tu essaies de te dérober, je tannerai la peau du dos !”
 
Quelque chose n’allait pas. Tout allait bien. Ceria écarta brutalement la main de Pisces et recula précipitamment. Elle balaya la fosse du regard. Yvlon. Qu’était donc un Yvlon ?
 
“Qui es-tu ?”
 
Elle était nez-à-nez avec la pointe d’une épée. Une grande femme blonde contemplait Ceria de toute sa hauteur, le menton levé d’un air impérieux en pointant son épée sur le nez de Ceria.
 
“Expliquez-moi immédiatement ce comportement fruste. Que m’avez-vous fait ?”
 
“Vous ? Qui êtes-vous… Yvlon ?”
 
“Yvlon ? C’est ma nièce, jeune fille. Je suis Yenelaw Byres, et j’exige de savoir ce que vous avez fait. Quel genre de sorcellerie est-ce là ?”
 
“Je ne sais pas. Je…”
 
Ceria hésita. Quelque chose n’allait pas. Tout allait bien. Pas bien. Bien. Lorsqu’un bien coule de deux maux, qui tient le marteau ?
 
“Allez, on se bouge !”, brailla Pisces en pointant Yvlon du doigt. Elle tourna son épée vers lui et il recula d’un pas dansant, soudain sur ses gardes.
 
“Oh ? Tu es en colère, pas vrai ? Tu me testes ? Il faudra faire mieux que ça, morveux.”
 
“Je suis Yennais Byres. Et vous, qui êtes-vous ?”
 
“Je… je… je… aidez-moi… je… je…”
 
Ksmvr avait pris sa tête entre ses mains. Pisces et Yvlon hurlaient en même temps. Il fallait que quelqu’un intervienne ! Ceria ouvrit la bouche, mais elle réalisa alors quelque chose d’affreux.
 
Elle avait oublié comme respirer.
 
Il fallait qu’elle le dise aux autres. Mais elle ne pouvait pas respirer ! Ceria se griffa la gorge. Elle allait la déchirer ! Comme ça, elle pourrait respirer par le trou !
 
Ksmvr avança vers elle, la tête entre ses mains. Ses mains à lui ou ses mains à elle ?
 
“je reJEtte. aBErRation N’est PaS… Je suis Antinium. JE ReFUSE. je…”
 
Pisces tapota l’épaule de Ceria. Elle prit une grande goulée d’air puis regarda, frappée d’horreur, le Creler de taille humaine vêtu d’une robe sale.
 
“L’escrime est un art noble, jeune homme. Ne crois-tu pas ? Eh bien, voyons si tu en maîtrises les fondamentaux, sinon, tu seras privé de dîner ce soir.”
 
Un papillon d’acier se tourna vers Ceria et ouvrit la bouche dans le visage souriant d’Erin.
 
“Qu’est-ce que je fais ici ? Réponds-moi ! Toi, là, avec le froc !”
 
Elle devait faire quelque chose. Les tuer ! Se tuer ! Elle n’avait pas un squelette sous la main ?
 
Ceria chercha une dague, mais elle avait également oublié ce qu’étaient ses mains. Elle regarda fixement le morceau de chair palpitant sur sa main et se retint de crier. Sa paume s’ouvrit, et de petits yeux avec des pattes comme des brindilles se mirent à sortir du trou dans son corps.
 
Tout était normal. C’était ça. Sa tête se tourna — presque de son propre chef, et elle contempla la pièce sombre.
 
Qu’y avait-il donc sur le mur ? C’était passé tellement vite dans son esprit qu’elle n’avait pas eu le temps de le lire. Tandis que le reste du monde fondait et disparaissait autour d’elle, Ceria aperçut de nouveau la lumière vive. Cette fois-ci, elle la comprit parfaitement.
 
[Folie].
 
Le mot, c’était folie, écrit en magie, pulsant dans le cerveau de Ceria. Elle lui sourit puis vomit. Sa vomissure se transforma en petits insectes dansants qui tentèrent de la manger jusqu’au moment où elle les écrasa du pied.
 
Bien sûr.
 
C’était parfaitement logique.




La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #181 le: 12 décembre 2021 à 18:21:38 »
3.03 H Partie 1
Traduit par EllieVia
8900 mots

Pour certains, je suis une messagère. Pour d’autres, une coureuse va-nu-pieds. Ou encore une folle. Certains disent que je suis une livreuse… de messages. Quelques personnes me connaissent sous le pseudo [batman]. Je pense être raisonnablement saine d’esprit, mais la plupart des gens ne sont pas d’accord. Ils me donnent de nombreux surnoms. Mais le petit monstre qui me bloque la route se contente juste de m’aboyer dessus.

Les chiens. Je les déteste tellement. Le chien galeux, à la fourrure d’un blanc sale tachetée de marron, aboie de nouveau en me montrant les dents. Il y a définitivement un grondement dans sa voix – il n’est pas seulement en train de m’avertir, il m’explique de surcroit qu’il n’hésitera pas à attaquer si je lui en laisse l’opportunité.

Ce n’est pas grave. S’il m’attaque, je lui donnerai un coup de pied et au diable les conséquences. J’ai toujours voulu donner un coup de pied à un chien. Ce n’est pas que je déteste les animaux, c’est simplement que je déteste les chiens.

Mettez-vous à ma place. Moi, Ryoka Griffin, me retrouve plantée dans la neige, à quelques milles de la charmante ville de Celum, un petit paquet dans les mains, face à un chien qui me barre le chemin pour accéder à la maison devant moi. Ce n’est pas ma faute si je suis ici ; je suis venue pour une livraison. Et je n’ai pas envie de me faire mordre.

J’ai déjà été mordue par des chiens. Deux fois, en réalité. Les deux fois en courant. Quand j’étais encore chez moi, ou plutôt dans mon monde, certaines personnes aimaient à croire que leurs chiens n’avaient pas besoin de laisse. Je respecte leur opinion, et je les invite à la partager avec l’officier de contrôle des animaux local. Les chiens qui ne sont pas tenus en laisse aiment courir après les objets en mouvement comme moi. Et ils mordent.

Ce n’est peut-être qu’un facteur génétique, ou quelque chose chez moi que les chiens n’aiment pas. Ou peut-être que c’est parce que je représente souvent une menace inconnue couverte de sueur et chargée d’adrénaline, qui envahit ce qu’ils perçoivent comme leur espace personnel à toute vitesse et qui déclenche leur instinct de chasse et d’attaque. Je n’en sais rien. Mais tout ce que je sais, c’est que tous les coureurs détestent les chiens en liberté.

Sans compter que je suis une coureuse va-nu-pieds. Ce qui signifie que j’ai encore plus peur des morsures, parce que je possède, après tout, dix saucisses appétissantes à mordre pour un chien. J’ai le même problème au niveau de mes mains, bien qu’il ne me reste plus que huit en-cas à mordiller. Un Gobelin m’a mangé deux doigts une semaine plutôt. Une anecdote amusante. Je ne suis pas fan à l’idée de la réitérer.

Le chien m’aboie de nouveau dessus, et accompagne cette fois-ci ses aboiements d’un grondement sonore. Je reste immobile, et je croise son regard tandis qu’il s’aplatit, le poil dressé. Il me barre la route. J’ai besoin d’entrer dans cette maison pour livrer mon colis, mais le propriétaire n’est pas sorti et j’ai peur que l’appeler ne fasse bondir le chien sur moi. Donc. Que faire ?

Donner un coup de pied au chien. C’est ce qu’environ 90% de ma personne souhaite faire. Les 10% restants soutiennent que le chien ne fait que protéger sa maison et qu’il est innocent et que je devrais m’entraîner à plus de retenue. Je n’ai pas envie d’écouter cette opinion, mais je n’ai pas spécialement envie de me battre dans la neige avec un chien là tout de suite. Ce n’est pas un gros chien ; ou plutôt, ce n’est ni un mastiff, ni un dogue allemand, mais ce n’est pas non plus un caniche.

Ce n’est qu’un chien. Il mérite que je le prenne en pitié.

Mais j’ai vraiment envie de coller un coup de pied à un chien. Il va essayer de me mordre dès que je me mettrai en mouvement. Donne le coup de pied d’abord, pose les questions après.

Et si je lui donne un coup de pied, je serai obligée de lui faire très mal et le propriétaire ne sera pas content. Mauvaise idée.

D’un autre côté, il, ou possiblement elle, est clairement en train de violer l’accord de longue date que j’ai passé avec la nature* et je n’ai aucune envie de découvrir si oui ou non il a la rage. Je ne suis pas encore sûre que les potions de soin soient capables de soigner les maladies.

*L’Accord entre Ryoka et la Nature est le suivant : si tu te mets en travers de mon chemin, je te tue, et je te bouffe.

Voilà le début de ma journée. Tout bien considéré, j’ai connu de meilleurs jours.

“Hark ! Regardez, un cabot et un truc Humain qui ment !”

“Fille contre chien ! Aussi bien que fille contre Dragon ! Aurons-nous droit à d’autres énigmes ?”


Et ma journée vient d’empirer. Je lève les yeux en entendant les voix aigues familières au-dessus de ma tête. Descendant en spirale des cieux gris, de petites créatures ailées se moquent en nous pointant du doigt, le chien et moi.

J’imagine qu’on pourrait dire qu’elles ressemblent à des versions d’Humaines miniatures, qu’on aurait réduites, peintes en bleu et auxquelles on aurait attaché des ailes. Mais cette description échouerait complètement et totalement à décrire ces êtres. Car ce sont des fées. Les fae. Et nous ne pouvons pas les comparer à nous si aisément.

Certes, les Fées de Givre, ou Esprits de l’Hiver, ont une apparence humanoïde. Mais leurs corps sont composés à moitié de cristal et à moitié de glace. Et elles possèdent des ailes, sauf que ces dernières sont plus proches de celles des insectes que de celles de anges. Et chaque facette, chaque ligne qui compose leur être sont d’une beauté à couper le souffle.

Une beauté d’un autre monde. Voir les Fées de Givre, c’est croire en la magie, car elles en sont la personnification. Sous mes yeux, elles volent autour de moi, riant en parlant avec des voix qui sont elles aussi à moitié réelles et à moitié immortelles.

“Regardez, mes sœurs ! Le chien protège sa maison !”

“Mangeons-le !”

“Nae, accordons-lui une faveur ! Le pouvoir de détruire n’importe quel intrus :”

“Est-ce qu’il y a des chats dans le coin ?”


Elles volent autour du chien et moi en nous asticotant. Elles me jettent de la neige dans les yeux et en font tomber sur le pauvre cabot. Oh, oui. J’oublie parfois, mais les fées ne manquent jamais de me le rappeler : elles ont beau être des merveilles immortelles, elles sont également sacrément agaçantes.

Sauf que dans ce cas précis, l’arrivée des fées eut un effet positif inattendu. Le chien leur jeta un regard, puis se précipita vers la maison en jappant. Je ne sais pas s’il peut voir les Fées de Givre – ce sont plus ou moins des boules floues pour les gens de ce monde grâce à la magie qu’elles contiennent – mais il est trop malin pour rester à leur portée.

Je n’ai pas sa chance. Les fées tournent autour de moi et rient, me lancent des injures, et se moquent de moi. Quelques-unes atterrissent sur mes cheveux qui se raidissent instantanément sous l’effet du froid, et d’autres me jettent de la neige dans les yeux. L’une d’elles ma lâche un scarabée gelé sur la tête.

Je crois qu’elles m’aiment bien. J’ai déjà vu ce que ça donnait quand elles ne m’aimaient pas, et cela reste préférable. Mais c’est agaçant. Je pousse un juron et essaie de les chasser de ma main blessée. Celle qui n’a plus que trois doigts.

“Allez-vous-en ! Je bosse !“

“Ooh ! Ça fait peur ! Et si on n’en a pas envie ?”

“Oui, menace-nous ! Qu’est-ce que tu vas faire ?”


Les fées savent que je ne peux faire que des menaces en l’air, je ne cherche donc même pas à en trouver. Je soupire et écarte ma main de ma ceinture. J’avais pris une bouteille à la main, le pouce sur le bouchon, lorsque j’avais fait face au chien. Si le coup de pied n’avait pas marché, j’étais prête à lui lancer une potion remplie de concentré de poivre qui arrache les yeux, même si pour le coup, ça, ça aurait été de la cruauté envers les animaux.

J’entends les aboiements effrayés du chien qui s’est réfugié dans la maison, puis je le vois pointer son museau à travers l’embrasure de la porte d’où il était sorti pour me foncer dessus. Les fées lui jettent de la neige et il gémit de peur mais, rendons à César ce qui est à César, il ne veut toujours pas me laisser tranquille.

“Jappy !”, crie une jeune voix de l’intérieur de la maison. La porte s’ouvre un peu plus et une fille en sort précipitamment. Elle a peut-être huit ou neuf ans et le chien s’empresse de la suivre, inquiet, en tournant autour d’elle. La fille ne remarque pas les fées, mais elle me dévisage.

“Qui êtes-vous ? Est-ce que vous voulez faire du mal à Jappy ?”

Je regrette instantanément mes velléités de maltraitance canine. Un peu. La petite fille me regarde avec de grands yeux ronds qui me mettent mal à l’aise.

“Que venez-vous faire ici ?”

“Je suis une Coursière. Est-ce que tes parents sont dans le coin ?”

“Une Coursière ?”

Elle a l’air d’en douter, je plonge donc ma main dans ma bourse et en sort mon propre Sceau. Le cercle de métal et de pierre magiques forgés scintille lorsque je le tends à la fille. C’est la preuve que je suis une Coursière de Ville ; sans cela, elle aurait bien raison de se méfier.

“Une Coursière !”

“En effet. J’ai un colis pour ton père. Il est là ?”

“Non… mais j’ai un Sceau ! Je vais aller le chercher !”

La fille se précipite dans la maison. Le chien nous jette un regard puis se précipite sur ses talons. Les fées et moi-même patientons et je me dandine d’un pied nu à un autre dans la neige. Au bout de quelques secondes, la porte s’ouvre de nouveau et la fille en sort en courant.

“Voilà, Madame la Coursière !”

“Merci.”

Je tends le colis à la petite fille. Elle s’en saisit avec précautions ; il est volumineux et lourdement enveloppé. Je n’ai aucune idée de ce qu’il y a à l’intérieur, mais au moins je suis sûre qu’elle ne va pas le lâcher.

“Très bien, alors. Prends soin de toi.”

“Au revoir, Madame la Coursière !”

La fille m’adresse un sourire béat, et le chien aboie. J’essaie de sourire ; j’échoue. Puis elle regarde mes pieds et pousse une exclamation.

“Vous n’avez pas froid aux pieds ?”

Je baisse les yeux sur mes pieds nus. Ils sont posés sur la neige qui les recouvre presque totalement et font fondre le sol froid, mais je le sens à peine. Je lui souris.

“Nope. J’ai des pieds magiques.”

“Vraiment ?”

Elle me dévisage, bouche-bée, et je pars en courant avant qu’elle ne puisse me poser davantage de questions. Le chien aboie encore un peu au loin, mais je veux bien lui accorder cette victoire. Tant qu’il ne se lance pas à ma poursuite. Je vérifie encore quelques fois par-dessus mon épaule, mais il reste aux côtés de la fille.

Bon chien. Les fées, de leur côté, ne sont pas aussi bien élevées.

“Hah ! La misérable a un chien loyal ! Comme le roi et le Limier de Culann !”

“Qu’est-ce qu’elle a dit ? Des pieds magiques ?”

“Comment est-ce possible ? Où les as-tu pris, mortelle !”

“Oui, raconte ! Raconte !”[/color}

Elles se mettent à sauter sur ma tête tandis que j’accélère. J’essaie de les ignorer.

Malgré l’air glacé et la neige épaisse, je ne sens presque pas le froid alors que je m’éloigne de la ferme où je viens de livrer mon colis. Au loin, les murs relativement élevés de Celum m’appellent. L’aube s’est levée depuis peu et il me reste encore des livraisons à faire. Et je vais les faire en un temps record grâce à…

“Raconte !”[/color}

Quelqu’un me tire les cheveux et je serre les dents.

“Arrêtez ! Je n’ai pas de pieds magiques. J’ai bu de la soupe, d’accord ? De la soupe magique.”

“Oh.”

La minuscule voix sur ma tête a l’air déçue. Et le reste des fées aussi. J’imagine qu’une soupe magique, ça sonne moins bien que des pieds magiques. Mais j’entends alors une autre voix.

“J’ai envie d’y goûter.”

“Moi aussi !”

“Donne-nous la soupe, Humaine !”

“La soupe ! La soupe !”


Elles se remettent à me harceler. J’essaie de ne pas leur prêter attention en poursuivant ma course vers la ville.

De la soupe magique. Ouaip.

Est-ce que je vous ai déjà précisé que j’étais dans un autre monde ?

***

Après l’incident du chien, j’atteins Celum en un temps record. Ce n’est pas comme si j’étais si loin de la ville que ça, et ne me restait que deux autres livraisons à faire dans les banlieues externes de la ville.

Anecdote intéressante : contrairement aux cités drakéïdes au sud, les cités humaines peuvent avoir des murs, mais la majeure partie de la population vit à l’extérieur des murailles, dans de charmantes banlieues qui se nichent tout contre les murs par endroit. C’est cette vieille méthode de construction médiévale qui permet aux villes d’abriter une population importante. Si des monstres attaquent, les gens se contentent de se réfugier derrière les murs jusqu’à ce qu’ils partent puis reconstruisent ensuite si c’est nécessaire.

Je me demande à quel point ça a fonctionné à Esthelm. Etant donné que toute la ville a été plus ou moins rasée, j’imagine que ce système doit avoir quelques petites lacunes.

Mais ce n’est pas mon job de donner des conseils d’architecture aux gens. D’ailleurs, je ne parle qu’au moment où les gens m’ouvrent la porte.

“As-tu une idée de l’heure qu’il est ? Qui es-tu ?”

“Je suis Coursière, et j’ai un colis pour vous. Vous avez un Sceau ?”

“Quoi ? Tu es Coursière des Rues ?”

“Coursière de Ville. Je fais les livraisons locales. Vous avez un Sceau ?”

“C’est… rapide. D’habitude, on reçoit le courrier tard.”

“C’est ce qu’on m’a dit. Votre Sceau ?”

Je finis par récupérer mon Sceau et à tendre la lettre à la personne dans l’encadrure de la porte, puis je repars en courant. C’est le cœur de mon boulot. La discussion, l’esquive de chiens… c’est le pire. Je ne fais ça que pour la course.

Dommage que tout semble vouloir se mettre en travers de mon chemin. Bien sûr, c’est mon opinion objective ; qu’est-ce qui pourrait donc être plus important que le fait que je livre des lettres aux gens ? Des gardes en patrouille ? Des marchands et des fermiers avec leurs chariots ?

Bah. Tout ça reste moins important que la Coursière toute-puissante. J’esquive et me glisse entre les piétons, descends les petites ruelles moins encombrées à toute allure et garde mes putains de distances avec tous les chariots qui roulent en cahotant dans les rues mouillées, tout cela accompagnée de ma désagréable escorte de fées.

Je dois bien admettre que j’ai beau détester leur fascination à mon égard, elles m’aident bien à écarter la foule. Dans ce monde, les Fées de Givre sont principalement connues comme était d’étranges créatures qui aident à apporter l’hiver chaque année. Comme ils ne peuvent pas les entendre et à peine les voir, les gens les traitent de manière générale comme des risques naturels à éviter à tout prix.

Dommage que je puisse les voir. Je ne suis pas encore sûre de savoir pourquoi, mais cela m’a conduite à entretenir une bien étrange relation avec les fées. C’est-à-dire qu’elles me suivent de partout en espérant que je fasse quelque chose de divertissant.

Comme glisser. Je fais de grands moulinets avec mes bras, mais je m’étale tout de même rudement au sol. Les fées – et certains Humains aux alentours – pouffent de rire, mais je me relève sans un mot et reprends ma course. Je parie que cette plaque de glace n’était pas là une seconde plus tôt.

“Comment as-tu trouvé ta chute ? Fais plus attention la prochaine fois !”

“Prends garde à ne pas glisser, Humaine.”

“On t’a fait un croche-patte ! Hah !”


Maudites fées. Je poursuis ma course, en les ignorant du mieux que je peux. Les gens me regardent bizarrement quand je leur réponds, de toute façon.

“Ooh. Elle est tellement occupée ! Trop occupée pour discuter ! ”

L’une des fées posées sur ma tête me tape le crâne pour attirer mon attention. Je serre les dents et l’ignore, même si ça fait mal. Puis elle me tire la paupière.

“Va te faire foutre ! Dégage !”

Je la gifle et elle s’envole en poussant une exclamation de joie. J’imagine que me faire réagir compte pour une victoire chez elle. Une autre fée descend à ma hauteur et vole autour de mon visage, me brouillant la vue en riant.

“Cette mortelle est tellement occupée. Mais pas assez occupée pour faire une partie d’énigmes, cependant ! ”

“Elle a triché, par contre ! Elle a utilisé des chiffres et des mensonges plutôt que la ruse ! Quelle honte !”


Les autres fées me huent et me crient dessus. Je garde une expression neutre, bien que le fait que je me fasse réprimander par ces idiotes insupportables pour avoir triché soit hilarant. Ce sont les créatures les plus impénitentes, vicieuses, méchantes et trompeuses que je connaisse, et ce sont les qualités que j’apprécie chez elles.

Les Fées de Givre continuent de m’insulter alors que j’entre dans la ville à proprement parler. J’ai la sensation que malgré leurs tons odieux, je les agace davantage aujourd’hui que le reste du temps. Comment le sais-je ? Un peu plus de glace dans les boules de neige qu’elles me lancent, et un poil trop de pincements et de coups qu’à l’accoutumée.

D’ordinaire, les fées respectent – enfin, elles sont aussi serviables qu’agaçantes. Deux fois plus agaçantes que serviables, mais elles ont leurs limites. Mais je crois qu’elles ont été déçues par ma partie d’énigmes avec Teriarch, le Dragon, quelques jours plus tôt.

Ouaip. Un Dragon. J’arrive à peine à y croire, mais je l’ai bel et bien rencontré. Je n’arrête pas de me le dire, même si la seule preuve que j’en ai soit le sac d’or à ma ceinture et le grimoire de sorts magiques. Dieux, je n’arrive toujours pas à croire que je sois partie avec une portion du trésor d’un Dragon.

C’était une rencontre merveilleuse, magique. Mais les fées se sont énervées parce qu’au lieu d’avoir une partie d’énigmes à la Sméagol et Bilbon, j’ai bombardé Teriarch d’énigmes logiques de mon monde. Apparemment, ça ne compte pas et elles m’en veulent.

Ou quelque chose dans le genre. Je me débarrasse enfin des fées en me rendant dans un lieu où elles ne peuvent entrer : l’intérieur. Lorsque je me mets à courir en direction d’un bâtiment familier, les fées sifflent et s’envolent de ma tête. Elles me jettent de la neige dessus lorsque j’ouvre la porte de la Guilde des Coursiers et que je me glisse à l’intérieur. Le bâtiment est construit avec des clous de fer et il contient du fer de manière générale à l’intérieur ; par conséquent, les fées ne se sentent pas les bienvenues et ne me suivent pas. Leurs règles sont étranges, mais je suis ravie qu’elles existent.

“J’ai fini mes livraisons.”

La [Réceptionniste] au comptoir lève les yeux et m’adresse un sourire que je ne lui rends pas. Je lui tends les Sceaux que l’on m’a donné et elle valide que toutes mes livraisons ont été faites.

“C’était rapide, Miss Ryoka ! Je vous les ai confiées il y a moins d’une heure, n’est-ce pas ?”

Je hausse les épaules. On m’a donné cinq adresses différentes. Je me suis rendue à chacune d’entre elles, et j’ai récupéré les sceaux. Et j’ai fait ça rapidement, aussi.

“Yep. Tu en as d’autres ?”

La [Réceptionniste] lance un regard gêné vers le panneau des livraisons. Je me tourne moi aussi et remarque que quelques Coursiers se sont agglutinés devant. Ils ne sont cependant qu’un ou deux, aujourd’hui.

D’ordinaire, le panneau affiche des livraisons plus longues – c’est-à-dire des courses intercités, ce que je fais d’habitude. Mais il n’y a ni beaucoup de requêtes, ni beaucoup de Coursiers suffisamment doués pour pouvoir éviter ou distancer les bandits et les monstres – des Coursiers de Ville – dans le coin. C’est à cause des Gobelins. Personne n’a envie de tomber dessus, même si personne n’en a encore repéré sur les routes pour le moment.

“J’ai bien peur qu’il ne me reste plus de livraisons de Coursiers de Rues. Toi et le reste des Coursiers de Ville…”

Je tourne la tête pour suivre le regard de la réceptionniste. La Guilde des Coursiers est munie de tables et de sièges qui sont actuellement occupés par un groupe de jeunes Coursiers à l’air irrité. Ce sont tous des Coursiers de Rues, à leurs têtes. Ils ne sont pas aussi rapides que les Coursiers de Ville, ils ont beau très bien connaitre les rues, moi et le reste des Coursiers de Ville pouvons toujours les battre en termes de vitesse. Nous sommes enfermés dans la ville depuis un bon moment, et nous avons donc commencé à leur piquer leurs livraisons habituelles.

Est-ce que je me sens mal pour eux ? Non, pas vraiment. Courir, livrer, tout ça, c’est de la compétition en un sens. Je cours vite, et donc je reçois davantage d’argent. Peut-être que j’essayerais de leur laisser plus de boulot si j’avais eu l’intention de rester un moment, mais je pense que c’est ma dernière journée à me cantonner aux livraisons autour de la ville.

Je me retourne vers la réceptionniste et hoche la tête.

“D’accord, je reviendrai plus tard. Est-ce que Garia Strongheart est dans le coin ?”

“Miss Garia ? Je ne l’ai pas encore vue. Est-ce que tu veux lui laisser un message ?”

“Dis-lui simplement que j’aimerais discuter avec elle si elle passe par là. C’est tout.”

“Je le ferai. Passez une bonne journée, Miss R…”

Le temps que la [Réceptionniste] finisse sa phrase, je suis déjà dehors. Est-ce que c’était malpoli ? Oui, probablement. Elle ne faisait que son travail, mais je n’ai pas envie d’échanger des civilités. C’est une de mes mauvaises habitudes, mais je m’améliore, dernièrement.

Mais aujourd’hui ? Aujourd’hui est un jour légèrement… frustrant pour moi. Non, effacez-ça, je viens de me réveiller donc je ne peux pas encore dire que ce soit un jour frustrant. Disons plutôt que j’ai des problèmes depuis quelques jours et qu’aujourd’hui, c’est simplement…

Je descends les rues à petites foulées, guettant les Fées de Givre du coin de l’œil. Elles sont probablement en train d’embêter quelqu’un d’autre en ce moment, mais j’ai envie d’atteindre ma destination avant qu’elles ne reviennent me voir. J’aperçois enfin le bâtiment familier et pousse la porte.

Contrairement à la Guilde des Coursiers, un brouhaha de voix me parvient et je me retrouve face à une salle pleine à craquer. Des serveuses – trois – s’activent dans la pièce, remplissent les verres et les chopes et servent à manger dans une salle pleine de gens occupés à prendre leur petit déjeuner.

C’est plutôt normal, pour une auberge. Mais cette auberge est spéciale, ne serait-ce que parce qu’il y a eu un remaniement à la direction. J’en ai la preuve formelle en apercevant ce que l’une des serveuses est en train de servir à un client.

“Des crêpes ?”

Yep. Ce sont bien des crêpes, soupoudrées de sucre, et d’une grande quantité de beurre. Pas de sirop ; j’imagine que cela ne rentre pas dans le budget de cette auberge. Mais si l’on y ajoute les œufs et le bacon, le repas est nourrissant – et, choix du plat mis à part, je remarque que chaque crêpe est d’un brun doré, cuite à la perfection.

La petite auberge où je réside, le Lièvre en Folie, est pleine à craquer aujourd’hui, et c’était déjà le cas hier. Nous ne sommes en ville que depuis quelques jours, et pourtant la rumeur d’une nouvelle [Aubergiste] et de ses super plats a déjà circulé et la salle commune est depuis tous les jours pleine à craquer.

Là encore, grâce au changement de direction. Je ne suis pas certaine qu’elle soit devenue propriétaire de l’auberge, mais elle fait comme si c’était le cas et tout le monde la laisse faire parce que franchement, elle rapporte de l’argent par seaux. Je pénètre dans la cuisine et aperçois le cerveau derrière le petit déjeuner d’aujourd’hui, en train de faire sauter une crêpe. Elle tend une assiette pour la rattraper, et la crêpe s’écrase dans le saladier de pâte. Je lève les mains pour éviter de me faire éclabousser et elle pousse une exclamation.

“Beurk ! J’imagine que [Cuisine Avancée] n’aide pas pour ça.”

Elle essuie un peu de pâte sur son tablier et la lèche. Puis elle se retourne et me voit.

“Salut Ryoka ! Tu veux une crêpe ?”

J’essuie la pâte sur mes mains et mon haut sur un tablier, et réalise soudain qu’il ne faudrait sans doute pas que je rentre dans la cuisine comme ça, avec mes pieds sales et mouillés. Tant pis.

“Je vais manger un bout, Erin. Tu veux qu’on prenne le petit déjeuner ensemble ou est-ce que tu as déjà mangé ?”

“Hum… j’ai préparé le petit déjeuner, mais je n’ai pas encore mangé. Attends juste une seconde, que je fasse le dernier tas… je pense que tout le monde a presque fini ! J’arrive dans un instant.”

“Ça marche.”

Je retourne dans la salle commune et part en quête d’une table libre. L’une des serveuses dont je n’arrête pas d’oublier le prénom s’approche avec une assiette de crêpes.

“Vous voulez boire quelque chose, Miss Ryoka ? Ou est-ce que je vous mets de l’eau chaude, comme d’habitude ?”

“De l’eau chaude. Erin prendra probablement du lait. Elle sera là dans un instant.”

“Je reviens avec vos boissons dans une seconde !”

La jeune femme me sourit et passe à une autre table. Je commence à découper ma crêpe et à la manger. Elle est délicieuse, et les œufs et le bacon que j’arrive à obtenir d’une autre serveuse sont tout aussi bons. Mais mes yeux sont fixés sur la porte de la cuisine, et je la vois bientôt en sortir.

Erin Solstice. L’auberge ne se fige pas vraiment à son arrivée, mais elle arrive tout de même à faire son propre effet. Dès qu’elle sort, elle jette un regard dans ma direction. Je lève la main, mais elle se fait intercepter avant de me voir.

La véritable propriétaire du Lièvre en Folie, Agnès, a une assiette pleine dans une main et un énorme sourire sur le visage. Elle fait le service plutôt que l’aubergiste, mais elle ne pourrait pas être plus heureuse, à en croire son expression lorsqu’elle fait s’asseoir Erin à une table. Elle papote avec elle avec animation et d’autres clients s’approchent.

Cela fait partie du charme d’Erin, j’imagine. Elle est amicale, ouverte, et franchement intéressante. Comme [Aubergiste], je dirais qu’elle est d’un niveau plutôt élevé, surtout pour son âge. On pourrait sans exagérer dire qu’elle est prodige, ou du moins selon les critères d’évaluation de ce monde.

Erin a de nombreuses Compétences associées à sa classe d’[Aubergiste] qui la rendent utile dans n’importe quelle auberge où elle met les pieds, et en combat. Elle a aussi énormément de charisme, ce qui est la raison pour laquelle je termine deux assiettes et son verre de lait avant même qu’elle ne termine sa première assiette. Elle est tellement occupée à papoter avec Agnès et d’autres gens qu’il faut que je patiente quelques minutes avant de ne serait-ce qu’attirer son attention.

“Oh, hey Ryoka ! Désolée, j’ai dû te rater ! Agnès me disait juste qu’il faudrait que je reste ici pour l’aider à gérer l’auberge à vie !”

La femme pouffe de rire, assise à côté d’Erin, et mange des crêpes.

“Ce serait vraiment charmant de ta part. Tu es tellement douée en cuisine et honnêtement, ma chérie… tu as une façon de faire qui, je le pense, rendrait même Jerom jaloux. Il est encore tellement malade… mais même lorsqu’il ira mieux, je te vois bien rester la véritable gérante de l’auberge. Tu sais, tu es presque comme une deuxième fille pour moi… non pas que j’en aie déjà eu une. J’aimerais tellement que tu y réfléchisses.”

Je lève les yeux au ciel tandis qu’Erin sourit et répond quelque chose de poli et d’amical. Une deuxième fille, bien sûr. Une fille qui peut faire le boulot d’Agnès et de son mari sans même avoir besoin d’eux. Erin est une poule aux œufs d’or, et ils veulent juste la garder pour qu’elle leur fasse gagner des tonnes d’argent à jamais. Même si elle partage les bénéfices avec Agnès, il est certain qu’ils gagnent davantage depuis quelques jours que ce qu’ils se feraient en un mois.

Mais je suis peut-être trop dure. Agnès a sincèrement l’air heureuse d’avoir Erin ici, et les autres gens aussi. Mais je ne vais pas attendre qu’ils terminent leur conversation mondaine. Je m’éclaircis la gorge.

“Erin. Tu aurais un moment ?”

Elle lève les yeux et acquiesce. Tous les autres ont l’air déçu.

“Bien sûr, Ryoka ! Attends juste que je mange une dernière crêpe… mmh, c’est vraiment bon ! Tu en veux une autre ?”

Je secoue la tête en signe de dénégation et patiente le temps qu’Erin termine de s’empiffrer. Bien sûr, cela ne signifie en aucun cas que nous arrivions à discuter tout de suite. Agnès traîne dans le coin et Erin papote avec elle… puis avec d’autres clients… jusqu’à ce qu’enfin, elle ait le temps de discuter avec moi à une table dans un coin.

“Que se passe-t-il, Ryoka ? Tu as tes livraisons ?”

“Il y a un bon moment. Mais je me disais qu’aujourd’hui, il fallait qu’on réfléchisse un peu au plan toutes les deux. Il faut encore qu’on te ramène chez toi.”

Le sourire d’Erin, accroché sur son visage depuis le moment où je l’ai aperçue pour la première fois aujourd’hui, s’efface. Elle me regarde sérieusement.

“Tu as raison. Il faut encore qu’on rentre. Mais n’as-tu pas dit que ça allait être dangereux ? Tu m’as dit hier que c’était une mauvaise idée de partir.”

J’acquiesce. Erin et moi sommes à Celum, une ville Humaine du continent d’Izril. Et nous avons beau survivre correctement, Erin n’est pas chez elle ici. Il faut qu’elle rentre à Liscor, une cité à une centaine de milles au sud, et c’est un problème auquel je cherche une solution depuis que je l’ai trouvée ici.

“Oui, partir plus tôt n’était pas une bonne option. Les portes étaient fermées le premier jour, et il y a encore des informations qui nous parviennent sur les événements d’hier. Mais il n’y a pas eu de rapports mentionnant des mouvements de grands groupes Gobelins aujourd’hui, donc si on décide de chercher à te faire rentrer à Liscor, autant s’y prendre maintenant.”

Liscor est le foyer d’Erin. Ou du moins, c’est là que se trouve son auberge. Et ses amis. Elle y est chez elle, en un sens, et nous le savons toutes les deux, qu’importe à quel point son séjour ici lui plaît.

Erin fronce les sourcils et hoche la tête en prenant une gorgée de sa tasse de lait chaud.

“Je veux rentrer, Ryoka, vraiment. Je sais que Mrsha doit tellement s’inquiéter ! Mais Selys peut s’occuper d’elle, et j’ai vraiment envie de finir mes expérimentations avec Octavia avant.”

Je fronce les sourcils. Elle n’arrête pas de dire qu’elle a envie de finir ses expérimentations, mais elle s’est rendue à l’échoppe de l’[Alchimiste] presque tous les jours sur les trois que nous avons passés ici.

“Tu n’as pas encore fini ? Ou est-ce que tu ne peux pas finir ton travail à Liscor ?”

“Peut-être que si… mais j’ai besoin de l’aide d’Octavia, Ryoka ! Elle connaît tout un tas de trucs alchimiques rares et elle m’aide avec mes plats.”

Des plats magiques. Il n’y avait qu’Erin pour penser à ça. Mais ça fonctionne… elle a créé une soupe qui peut me fournir une immunité partielle au froid. Je serre les dents et réfléchis.

“Si je devais choisir entre te faire partir maintenant ou plus tard… je suis certaine qu’il y a des [Alchimistes] à Liscor, Erin. Et on pourrait peut-être convaincre Octavia de venir avec toi ? Elle ferait n’importe quoi pour avoir de l’or.”

“Peut-être.”

“Dans tous les cas, je veux être certaine qu’on puisse te ramener chez toi, donc je voulais qu’on aille visiter quelques lieux ensemble si tu as un peu de temps avant d’aller chez Octavia. Il y a un marché rempli d’artefacts magiques – je veux voir s’il y en a qu’on pourrait utiliser en cas d’attaque sur la route – et la Guilde des Aventuriers a peut-être une compagnie qu’on pourrait embaucher pour nous escorter.”

Les yeux d’Erin s’illuminent lorsque je mentionne les artefacts magiques. Elle ne s’est pas encore remise du fait que la magie existe en ce monde, et moi non plus, pour être honnête. Elle hoche la tête avec enthousiasme en finissant sa boisson.

“J’adorerais venir avec toi ! Agnès a dit qu’elle pouvait gérer le déjeuner, donc tant que je suis rentrée pour le dîner… je suis sûre qu’Octavia ne m’en voudra pas si j’arrive avec une ou deux heures de retard.”

J’en suis certaine. Je hoche vivement la tête et Erin fait un petit signe de main à Agnès pour l’informer de notre programme.

“Bien. On commence par faire les courses, et ensuite nous demanderons s’il est possible d’avoir une escorte puis nous irons voir Octavia. Ça te va ?”

“C’est parfait !”

“Oh, et pour info, les Fées de Givre sont rentrées.”

“Oh. Hum…”

Il nous faut encore un bon moment avant de parvenir à sortir de l’auberge, et ce n’est qu’une trentaine de minutes plus tard que nous franchissons le pas de la porte où les fées sont en train de nous attendre.

“Oh regardez ! C’est le duo ! La faiseuse de nourriture et la conteuse !”

“Jetons-leur de la neige !”

“Nae, exigeons à manger et une histoire !”


Erin lève les yeux en cillant sur les fées et je gémis. Les clients qui étaient sortis pour discuter et socialiser avec Erin décident immédiatement de rentrer en voyant les minuscules fées se mettre à tourbillonner autour de nous pour nous tirer les cheveux, rire, faire apparaître de la neige…

“Hey, est-ce que vous voulez manger une crêpe ?”

Elles clignent des yeux. Je cligne des yeux. Mais la crêpe fumante se trouve déjà entre les mains d’Erin qui la leur jette dans les airs. Les fées se mettent instantanément à se battre pour la manger.

“Donnez-la moi !”

“Non, à moi !”


En un instant, la crêpe s’envole en tourbillonnant dans les airs et des morceaux en tombent tandis que les fées se battent et la dévorent, arrachant des morceaux de la taille d’une tête et les dévorant telles des… coccinelles affamées. Enfin, elles sont largement plus grosses que des coccinelles, mais vous voyez l’idée.

Erin et moi profitons de leur bagarre pour nous éloigner. Je vois la porte s’ouvrir derrière nous, et à ma grande surprise, quelqu’un dépose une assiette remplie de crêpes fumantes dehors. Je vois Agnès faire un petit signe de la main à Erin avant de fermer la porte et que les fées ne fondent sur leur petit déjeuner.

Je regarde fixement Erin qui sourit en marchant à mes côtés.

“Tu avais prévu tout ça ?”

“Ouaip, elles adorent manger !”

Pourquoi n’ai-je pas pensé à… je suis Erin en secouant légèrement la tête. Soudoyer les fées avec des crêpes. C’est tellement évident, et tellement simple !

C’est le truc, avec Erin. Je ne m’ennuie jamais quand je suis avec elle. Pour tout dire, sa vie est sans doute encore plus folle que la mienne, parfois.

***

“Du coup, tous ces trucs sont magiques ?”

Erin et moi sommes dans ce que j’appellerais un mélange entre un marché aux puces et une rue marchande, et nous contemplons un marchand en train de présenter une petite sélection d’anneaux s’allure ancienne, d’amulettes, et même de quelques parchemins soigneusement noués.

Comme dans tous les marchés, l’offre correspond souvent à la demande, ce qui est la raison pour laquelle trouver quelqu’un qui vend des artefacts magiques à Celum est en réalité une tâche beaucoup plus difficile que ce qu’il y paraît. Il y a très peu de boutiques qui ne vendent que des objets magiques de manière permanente, et la plupart de ces marchands-là voyagent de ville en ville pour trouver leur clientèle.

Erin et moi avons eu pas mal de chance que l’on nous indique ce [Marchand], un homme de bonne réputation qui propose des objets magiques bas de gamme. C’est un homme richement vêtu, arborant un nombre incalculable d’anneaux et de bijoux qui brillent et donnent l’impression d’être magiques – bien que je doute que les anneaux fassent grand-chose d’autre que d’émettre de jolies couleurs. L’effet reste joli, et l’homme en lui-même est plutôt commerçant, et essaie de convaincre Erin et moi d’acheter.

Honnêtement, je ne suis pas sûre que j’achète quoi que ce soit aujourd’hui. J’ai déjà les potions d’Octavia, qui sont plutôt utiles, et je n’ai pas un besoin urgent d’acquérir des artefacts magiques pour le moment. Je regarde juste. Et de plus, d’après ce que j’ai compris du coût de ce genre d’objet enchanté, je ne peux me permettre que des objets de base, même avec les huit cent pièces d’or de Teriarch.

L’homme est assis sur une petite chaise de bois et nous observe, un sourire sur le visage, tandis que ses deux gardes nous surveillent, ainsi que tous ceux qui s’approchent de l’étal, avec un air considérablement moins joyeux. Erin contemple les anneaux avec fascinations ; ils m’ont juste l’air vieux et inintéressants, sauf un anneau qui luit visiblement d’une lumière rouge. J’imagine que la plupart des objets magiques sont conçus pour ne pas attirer l’attention.

“Mesdames, qu’aimeriez-vous acheter ? J’ai une jolie petite sélection aujourd’hui – on m’a tout acheté il y a quelques temps, mais je pense avoir quelques babioles qui pourraient vous aider de bien des façons. D’ailleurs, j’ai même une petite potion romantique qui…”

“Nous ne sommes pas venues acheter des potions d’amour. Je cherche de quoi nous protéger.”

Je n’ai pas envie de savoir s’il existe réellement des potions d’amour dans ce monde. L’homme cligne des yeux.

“Une protection ? À moins que vous n’ayiez besoin d’une arme… non. Vous êtes Coursière ?”

“Bien vu.”

Je lève un pied nu. Le [Marchand] braque son regard sur mes orteils décongelés, et je vois bien qu’il aimerait poser des questions à leur sujet.

“Je cherche un anneau de protection, ou quelque chose de similaire. N’importe quoi qui puisse m’aider à survivre à une course contre des monstres ou des bandits.”

L’homme me souris d’un air pincé, et, à la manière dont ses gardes s’agitent, je vois bien qu’ils sont amusés eux aussi.

“Ah, j’ai bien peur qu’il n’y ait un léger malentendu de votre côté, Miss. La protection est un terme très général. Il n’existe pas d’anneau capable de vous protéger contre tout – ou du moins, rien d’autre que des artefacts valant des centaines de milliers de pièces d’or – mais permettez-moi de vous montrer ce que vous cherchez probablement dans le cadre de votre profession.”

Le [Marchand] m’adresse un sourire absolument-pas-condescendant qui me donne envie de le cogner, et sélectionne un anneau parmi la sélection d’objets qui lui font face. Il me montre l’anneau ; un cercle légèrement fissuré qui m’a l’air fait de pierre.

“Voici une merveilleuse petite babiole que je pourrais vous vendre pour… disons, six cents pièces d’or ? Il dévie les flèches pendant une minute après activation. Les flèches s’écartent légèrement lorsqu’elles s’approchent de vous, ce qui est parfait lorsqu’une Coursière comme vous prend la fuite.”

“Pourquoi est-il fissuré ?”

Erin, qui est à côté de moi, jette un œil à l’anneau. Elle caresse l’anneau le long de la fissure et l’homme le lui arrache pratiquement des mains.

Ne touchez pas à ça, je vous prie. La magie sur cet anneau est légèrement… affaiblie. D’où la réduction. Mais je vous assure qu’il tiendra relativement longtemps s’il n’est pas exposé à une pression excessive.”

“Comme une flèche ?”

Il ignore Erin et me sourit.

“Alors, qu’en pensez-vous ? Vous pourriez survivre à n’importe quelle volée de flèches – surtout celles des archers Gobelins. je suis sûr que vous avez entendu parler de l’attaque à Esthelm ? Tragique. Mais dans votre profession, vous ne pouvez pas vraiment rester cloîtrée derrière les murs des villes, n’est-ce pas ? Cet anneau vous laissera largement assez de temps pour vous échapper.”

“Pendant une minute.”

“Une minute. Oui.”

Erin fronce les sourcils en regardant l’anneau. Je garde un visage impassible et essaie de paraître désintéressée – je sais comment marchander. Mais j’ai encore plus envie de voir Erin s’occuper de ce [Marchand]. Je suis à peu près certaine de ne pas vouloir acheter cet anneau pourri, mais j’ai bien envie d’admirer le spectacle. Erin pointe l’anneau du doigt en questionnant l’homme.

“Une minute, ça n’a pas l’air beaucoup. Combien de temps met-il à recharger ?”

Il serre les dents, bien que son sourire ne l’ait pas encore quitté.

“Deux jours. Mais vous pouvez toujours le recharger vous-même si vous avez ce don, et je vous assure…”

“… Et que vouliez-vous dire tout à l’heure ? Les flèches ‘s’écartent légèrement’ ? Est-ce que ça veut dire que cela ne les dévie pas complètement ? Attendez une seconde, pourquoi est-ce que qui que ce soit voudrait de ce genre d’anneau, d’abord ?”

Mes lèvres tressaillent, et je vois même les gardes afficher un léger sourire. La voix du [Marchand] est grincheuse.

“Il est vrai que l’anneau ne renvoie pas les flèches dans la direction opposée, mais il les repousse bel et bien de votre personne. Si vous courez, je suis certain que les flèches vous manqueraient. Il faudrait que la personne en face possède une Compétence pour contrecarrer la protection qu’offre cet anneau, et là encore, je vous assure que pour cinq cent soixante-dix pièces d’or, cet anneau est une véritable aubaine.”

“Je parie qu’Halrac pourrait tirer une flèche qui battrait votre anneau.”

“Qui ?”

“Halrac ! C’est ce type… un [Éclaireur] que j’ai rencontré à mon auberge. Il est très doué au tir à l’arc, et il a tout un tas de Compétences. Qu’est-ce qu’il se passerait s’il tirait une flèche sur cet anneau ? Est-ce que ça marcherait ?”

L’homme dévisage Erin, le front plissé.

“Halrac ? Vous voulez dire… Halrac de la Chasse aux Griffons ? L’aventurier de Rang Or ?”

“Oui, voilà, c’est lui. C’est un ami à nous. Vous le connaissez ?”

Pendant deux secondes, le [Marchand] dévisage Erin. Puis il jette un œil à quelque chose sur son poignet. Je baisse les yeux. L’une des gemmes sur ses mains recouvertes de bijoux luit d’une douce lumière bleue. Oho. Un sort de vérité sur une pierre ?

Aussitôt, l’attitude de l’homme se transforme. Il écarte grand les bras, et il se lève, toute trace de son irritation précédente effacée, et il essaie à présent de se montrer très accueillant.

“Si vous connaissez Halrac, c’est différent. Vous savez, il a acheté une amulette très sympathique à un ami à moi l’année dernière ? Je vous serais vraiment reconnaissant si vous lui recommandiez ma marchandise. Et à une amie d’Halrac, je peux certainement offrir… ah.”

Il essaie clairement de trouver quel type de réduction et quel discours il devrait nous faire lorsque j’entends des voix familières. Je grogne entre mes dents.

“La voilà ! On l’a trouvée !”

“Elle ne peut pas s’enfuir, cette fois-ci !”

“Ooh ! Est-ce qu’elle cherche des objets magiques ? Regardez comme ils brillent ! Et comme ils sont faibles !”

“Ils luisent à peine de magie !”


Erin se retourne en fronçant les sourcils. J’ai déjà repéré les Fées de Givre – elles s’élèvent d’un nuage au-dessus de l’un des toits. Ni les gardes, ni le [Marchand] ne peuvent entendre les fées, bien sûr, mais ils nous voient lever les yeux et repèrent les fées. Ce ne sont probablement que des formes floues et lumineuses à leurs yeux, mais ils réagissent tous les trois au quart de tour en apercevant les Esprits de l’Hiver.

“Pas eux !”, s’exclame le [Marchand] d’une voix forte, et l’un des gardes lance un avertissement. Étonnamment, tous les commerçants de la rue se mettent soudain en mouvement, et poussent des cris en attrapant leurs marchandises pour essayer de tout rentrer à l’intérieur.

Les fées descendent en voletant, et rient face à cette débandade tandis que l’homme saisit ses anneaux magiques et ses amulettes, le visage soudain hanté. Erin a l’air confuse.

“Hey, attendez, où allez-vous ? Je croyais que vous alliez nous vendre cet anneau pourri !”

L’homme se tourne vers nous, l’air effaré.

“Écoutez, nous négocierons quand les Esprits de l’Hiver seront partis, d’accord ? Si je laisse mes marchandises dehors ils vont les éparpiller et chasser tous mes clients !”

Il se précipite vers la porte la plus proche et ses gardes attrapent le reste de ses marchandises. D’autres commerçants font de même et les piétons se précipitent à l’intérieur aussi, craignant l’ire de ces vermines capricieuses. En quelques secondes, la rue se vide, et il ne reste plus que deux humaines et les fées.

Erin et moi levons les yeux vers les fées. Elles soutiennent notre regard, flottant dans les airs, et nous observent. L’une d’elle nous fait signe.

***

Après notre courte session shopping au marché, Erin et moi décidons de nous rendre en intérieur, où les fées ne pourront pas nous suivre. Et nous nous retrouvons donc à la Guilde des Aventuriers. Erin et moi contemplons la grande salle et elle me murmure :

“On dirait un peu la guilde de Selys, mais en différent, tu ne crois pas ? Je veux dire, c’est plus grand, ici. Beaucoup plus grand.”

Je hoche la tête en contemplant la Guilde des Aventuriers de Celum. C’est certainement beaucoup plus grand, et il y a de la place pour six réceptionnistes à la fois, contrairement à la Guilde de Liscor et son bureau pour deux personnes. Je tapote le bureau pour appeler la réceptionniste et lui demande la procédure pour embaucher une équipe. Elle m’indique les aventuriers assis dans un coin de la pièce. Apparemment, on embauche une escorte en contactant directement les aventuriers ici, pas en passant par la guilde.

Je regarde les groupes d’aventuriers assis tous ensemble. Certains sont de Rang Bronze, la plupart, probablement. Et d’autres sont des Rangs Argent, que ce soit à un niveau individuel ou collectif. Beaucoup d’entre eux ont l’air fatigués, et nettoient leur équipement suite à une mission, et d’autres ont l’air d’être ici principalement pour socialiser.

Bon sang. À qui devrais-je m’adresser ? Quel est le prix moyen pour embaucher une équipe ? Est-ce que je peux faire confiance à une équipe de Rang Argent ? Je n’en ai aucune idée.

Erin non plus, mais elle arbore une attitude tellement désinvolte à ce sujet-là que c’en est presque insultant.

“Viens, on n’a qu’à leur demander. Si l’un d’eux nous dit qu’il peut nous emmener à Liscor, on tente !”

“Tu veux que j’aille là-bas comme ça et que je leur demande comment ça se passe pour les escortes ?”

Je déteste parler à de nouvelles personnes. Je déteste commencer les conversations, et c’est pratiquement mon pire cauchemar. Mais Erin se contente de hausser les épaules. Je serre les dents.

“Tu veux que je leur dise quoi ? ‘Hey, on cherche un groupe d’aventuriers pour nous escorter à Liscor. Vous connaitriez quelqu’un qui pourrait être intéressé ?’”

“Ça m’a l’air bien. Pourquoi pas ?”

Je regarde fixement Erin. C’est vrai que ça pourrait marcher.

“Dis-le, toi. Je crois que c’est mieux si ça vient de toi.”

Erin acquiesce et commence à s’approcher de la table la plus proche où se trouvent deux guerriers musculeux en train de boire. À mi-chemin, elle se retourne et me regarde avec un sourire de celle qui vient de penser à quelque chose.

“Tu sais ce qui serait parfait pour ça, Ryoka ? Les Cornes d’Hammerad ! Pourquoi ne pas juste aller leur demander ?”

Je cligne des yeux. Oh. Bien sûr. Cela nous économiserait pas mal d’argent, ou ils pourraient nous mettre en contact avec une autre équipe. Je m’approche d’Erin, mais l’un des aventuriers assis à une table hausse alors la voix.

“Les Cornes d’Hammerad ? Ils ne sont pas tous morts ?”

Erin leur adresse un large sourire.

“Quoi ? Non ! Non, ils ont reformé l’équipe, vous ne le saviez pas ? Après qu’ils aient, euh… perdu des membres dans les Ruines de Liscor…”

L’un des hommes ricane d’un air méprisant. À son allure, il a presque la trentaine, et il a un duvet d’un jour sur le visage.

“J’ai entendu parler de ce désastre. Quatre équipes d’aventuriers mortes et à peine une poignée de survivants grâce à un tas de Capitaines incompétents. Tu es en train de me dire que quelqu’un a été suffisamment stupide pour conserver le nom après ça ? Ils auraient dû cesser d’être aventuriers avant d’entamer une autre mission.”

Je m’arrête net et me mords la lèvre. Erin se fige, et son sourire gèle sur son visage. Le deuxième aventurier se tourne vers son compagnon.

“Qui a survécu ? J’ai entendu dire que tout le monde s’était fait massacrer là-dessous.”

“Il y en a au moins deux qui s’en sont sorties. La Demi-Elfe et la Capitaine Argent.”

“Ceria Springwalker et Yvlon Byres ? Je ne rejoindrais jamais un groupe avec ces deux-là même si elles étaient la dernière équipe du continent. Quiconque est assez stupide pour bosser avec elle se fera tuer comme leurs derniers groupes.”

Non, ne les cogne pas. Je le sais. Erin répond d’une voix monocorde.

“Ce sont toutes les deux d’excellentes aventurières. Ce sont mes amies.”

Les deux hommes la regardent en secouant la tête.

“Ce sont des idiotes et des lâches qui ont envoyé au casse-pipe de braves gens qui leur faisaient confiance.”

“Tu crois peut-être qu’elles sont de ton côté, mais retiens bien ce que je te dis, ma fille. Si tu leur fais confiance, tu finiras avec une flèche dans le dos.”

Ils n’ont même pas pris la peine de baisser la voix. Les gens aux autres tables lèvent les yeux en entendant les deux hommes commencer à se disputer avec Erin.

“Ce n’est pas vrai ! Ceria est très courageuse ! Et Yvlon aussi !”

“La Demi-Elfe ? Je parie qu’elle a fait demi-tour et s’est enfuie dès qu’elle a rencontré des ennuis. C’est une lâche. Calruz était le seul véritable combattant des Cornes d’Hammerad.”

“Retire ce que tu viens de dire !”

Erin est en train de se mettre en colère, et j’observe les deux hommes assis à leur table. Ils ont l’air beaucoup plus costauds que les aventuriers qu’Erin avait battus dans son auberge. Et ils sont juste en train de parler, pas d’agresser sexuellement qui que ce soit.

Mais mon sang est tout de même en ébullition. Les Cornes d’Hammerad ne méritent pas ça. Ils étaient tous courageux, et je pourrais le leur dire, mais à quoi bon ? Les deux hommes en train de ricaner ne veulent clairement pas nous écouter ; la meilleure chose que je pourrais faire, ce serait de leur donner un coup de pied en plein visage à tous les deux.

Je pourrais déclencher une bagarre…

Mais je serre le poing et sens les moignons de mes doigts. Non. Pas ici. Pas maintenant. Nous avons besoin d’aide d’aventuriers, même si ce n’est pas la leur.

Je pose la main sur l’épaule d’Erin. Elle est tendue et les fusille du regard.

“Viens, Erin. Allons discuter avec quelqu’un d’autre.”

“Si vous voulez une véritable protection, Miss, vous feriez mieux de demander à nous ou à une vraie équipe de Rang Argent. Pas à un tas de demeurés qui ne peuvent même pas tuer quelques morts-vivants.”

Je n’ai pas d’autre choix que de traîner Erin plus loin. Elle me fusille du regard, mais je parviens avec succès à la tirer en arrière. Cinq pas. Puis je rentre dans quelqu’un.

“Oh, désol…”

Je marque une pause et contemple un visage familier couvert de contusions. Un aventurier et ses quatre copains se figent sur leur trajet vers le bureau de la réceptionniste. Ils ont tous l’air de s’être faits tabasser ; les séquelles d’une rixe de tavernes où ils se sont retrouvés du côté des perdants.

L’aventurier de tête me reconnaît sans aucun doute.

Il jette un regard vers Erin et se met à reculer lentement vers la porte. Trop tard. Erin profite d’un relâchement de ma poigne pour se dégager. Elle retourne vers la table des deux aventuriers et leur sourit en posant ses mains sur le bord de la table.

“Vous devriez retirer ce que vous avez dit au sujet de Ceria et Yvlon. Ce sont mes amies et elles ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour garder tout le monde en vie.”

“Nous avons dit exactement ce que tout le monde pensait tout bas, Miss. Les Cornes d’Hammerad – passées et présentes – sont une équipe d’imbéciles.”

Erin prend une grande inspiration. Ses yeux sont écarquillés et elle leur adresse un grand sourire.

“Okay. D’accord. Si vous le prenez comme ça… table, à l’attaque !”

Tout bien considéré, je me demande parfois si Erin n’est pas la plus violente de nous deux.




La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #182 le: 19 décembre 2021 à 18:39:45 »

3.03 Partie 2
Traduit par EllieVia
6477 mots




“Eh bien, nous sommes bannies de la Guilde des Aventuriers, maintenant. Au moins pour un moment.”
 
Je soupire en descendant la rue d’un pas assuré en compagnie d’Erin, un nuage de fées dans notre sillage. Je me suis résignée à leur présence, à ce stade. Elles volent à nos trousses, et se moquent du combat. Erin marche derrière moi en fronçant les sourcils.
 
“Je ne regrette rien ! Ces gars étaient des andouilles !”
 
“Oui, en effet. Mais maintenant, ils ne nous aideront pas si nous avons besoin de rentrer à Liscor.”
 
“Et alors ? On demandera juste aux Cornes d’Hammerad de nous accompagner. Ceria, Pisces, Yvlon et Ksmvr peuvent probablement nous défendre face à n’importe quel monstre qu’on pourrait croiser.”
 
“Peut-être. Mais nous ne savons pas où ils sont. Je peux essayer de faire le voyage jusqu’à Albez… ou de faire passer le mot que je les cherche dans d’autres villes, mais ça prendra plus de temps.”
 
“Ce n’est pas grave.”
 
Erin hoche la tête et je lève les yeux sur les fées en train de voler au-dessus de nos têtes. Elles ont l’air… de s’ennuyer un peu, pour être honnête. Elles rient toujours, et l’une d’entre elles m’envoie un flot continu de flocons poudreux dans les yeux, mais le reste se contente de nous suivre dans le calme, pour une fois.
 
Huh. Apparemment, même les fées peuvent s’ennuyer. Je hausse les épaules et poursuis ma route.
 
“Je vais faire une autre livraison - dans une autre ville, probablement. Je serai rentrée ce soir sauf s’il y a un imprévu. Ça ira jusque-là ?”
 
“Je vais aller faire exploser un truc.”
 
Je souris.
 
“Ça m’a l’air rigolo. Essaie juste de ne pas trop énerver Octavia, d’accord ?”
 
J’essaie de lâcher Erin devant la boutique de l’[Alchimiste], mais à ma grande surprise, Octavia en personne jaillit de la boutique au pas de course et se met  à agiter un bras devant moi comme une massue.
 
“Ryoka ? Ryoka !
 
Erin entre joyeusement dans la boutique et la Tissée se plante devant moi. Octavia a l’air stressée, ce qui est vaguement compréhensible étant donné qu’elle va baby-sitter Erin toute la journée aujourd’hui. Encore une fois.
 
“Salut Octavia. Erin veut faire exploser un truc.”
 
La peau sombre de la jeune femme pâlit et elle se retourne vers sa boutique pour jeter un œil à Erin. Je me sens un peu coupable, et essaie donc de la rassurer.
 
“Elle ne va probablement pas le faire. Elle a hâte d’expérimenter de nouvelles recettes, Octavia.”
 
“Certainement pas !  As-tu la moindre idée de ce qu’elle m’a déjà coûté ? Nous nous étions mises d’accord pour une journée. Je suis d’accord pour deux jours, voire trois étant donnés nos accords passés et pour le bien de nos affaires à venir, mais quatre ? Erin m’a déjà coûté une petite fortune en ingrédients, sans parler de tout le temps que je pourrais passer à concocter mes propres potions. S’il faut que je continue à l’aider, j’insiste pour me faire rembourser d’une manière ou d’une autre. Je sais que nous avions passé un marché, mais là...
 
Je ne peux m’empêcher de reculer d’un pas face à Octavia qui me hurle dessus en agitant les poings. On dirait qu’elle a épuisé toutes ses réserves de patience. Bon sang. Que faut-il que je fasse ?
 
J’hésite, puis prends la décision la plus expéditive. Les vociférations d’Octavia ralentissent puis s’arrêtent net lorsque je me mets à sortir des pièces d’or du sac à ma ceinture. À le voir, comme ça, il ne devrait pas être capable de contenir tout l’or qu’il y a à l’intérieur, mais il est magique. Il y a également un énorme livre à l’intérieur, et cela ne cesse de m’émerveiller.
 
“D’accord. Je comprends. Voilà encore de l’argent pour Erin, d’accord ?”
 
Je verse l’or dans les mains d’Octavia et l’[Alchimiste] me dévisage, bouche-bée. Vingt pièces d’or - plutôt lourdes et scintillant à la lumière, font un clin d’œil à la fille qui nous regarde tour à tour, l’argent et moi.
 
Vingt pièces d’or. Oui, c’est beaucoup, mais ce n’est qu’une fraction de l’argent que Teriarch m’a donné. Et à en croire le silence d’Octavia, c’est bien davantage que ce qu’elle pensait obtenir.
 
“Nous disions donc. Y a-t-il un problème avec Erin ?”
 
“Erin ? Quoi ? Bien sûr que non !”
 
Octavia m’adresse un sourire radieux.
 
“Erin, ma cliente préférée. Je serais ravie de… disons simplement que tant qu’elle veut travailler avec moi, je serai enchantée de l’aider. Ses réussites sont vraiment exceptionnelles, et laisse-moi te dire que je la pense vraiment sur le point d’accomplir…”
 
“Ravie de te l’entendre dire. Trouve-lui juste tout ce qu’elle de te demande, Octavia.”
 
Je laisse l’[Alchimiste] retourner dans sa boutique en sautillant à moitié et m’éloigne en secouant la tête. Les fées me suivent, une moitié imitant mon secouement de tête, l’autre moitié occupée à se demander s’il serait plus intéressant de rester pour voir Erin faire exploser quelque chose dans la boutique.
 
Je ne sais pas. Je suis ravie qu’Erin soit contente, et ça ne me pose aucun problème de la laisser seule ravager la boutique d’Octavia. Elle n’aura sans doute pas d’accident, avec Octavia à ses côtés pour l’empêcher de faire quoi que ce soit de trop dangereux.
 
Mais…
 
Je suis juste un peu fatiguée. Au bout du rouleau, pourrait-on dire. Ce n’est pas que je n’aie rien à faire : j’ai trop à faire.
 
Il est temps de repartir faire une livraison. Je dirige de nouveau mes pas vers la Guilde des Coursiers. Je ne me sens peut-être pas au sommet de ma forme, mais je peux au moins toujours compter sur la course pour soulager mon stress.



***


“Je cherche à faire une livraison dans une autre ville, mais je ne trouve aucune requête. Est-ce que vous en avez ?”
 
La réceptionniste de la Guilde des Coursiers lève les yeux et fronce les sourcils. Elle tapote un doigt sur ses lèvres et finit par hocher la tête.
 
“Nous… avons la livraison de lettres journalière pour Galles si ça t’intéresse.”
 
Son hésitation est justifiée. Personne n’aime cette livraison. Je grimace.
 
“Rien d’autre ?”
 
“Rien. Désolée, Miss Ryoka.”
 
La [Réceptionniste] se recroqueville légèrement sur son siège sous le poids de mon regard. Au bout d’une minute, je finis par hoche la tête.
 
“Bien. Passe-moi le colis.”




***




Je cours à travers la neige, puis sur un sol plus dur et glissant qui a été gelé et pas salé. Je fronce les sourcils et retourne courir dans la neige. C’est peut-être plus contraignant, mais grâce à la soupe d’Erin dont j’ai repris une gorgée avant de partir, c’est plus facile de courir sur l’herbe enneigée que sur la route glissante.
 
Je fais la livraison d’un colis de courrier en vrac pour Galles. C’est… eh bien, pas de quoi casser trois pattes à un canard. Ni à un quelconque autre animal, d’ailleurs.
 
Le courrier en vrac. Comme à la poste, les lettres sont réceptionnées et envoyées dans un grand sac rempli par Coursier de Ville chaque jour dans les autres villes. C’est une livraison standard, et comme c’est vraiment facile, la paie est presque inexistante.
 
Je ne l’avais jamais fait depuis mes débuts en tant que Coursière. Où vont toutes les grosses livraisons ? Est-ce que les gens n’ont juste besoin de rien pendant les mois d’hiver ? Non, c’est impossible. La journée doit juste être calme.
 
Mais, comme toujours, je ne suis pas seule. Un nuage de fées volète autour de moi, et me dévisage avec des paupières mi-closes tandis que je cours à un bon rythme à travers la neige. Mais les visages des fées ne sont pas remplis de leurs expressions calculées habituelles de joie ou d’anticipation. Au lieu de cela, elles semblent toutes s’ennuyer ferme.
 
Pour dire la vérité, ça commence à me travailler. Je jette un œil aux fées. Certaines ont les sourcils froncés, et je ne les vois faire cela que très rarement. Pourquoi ne sont-elles pas parties embêter quelqu’un d’autre ? Mais alors, l’une de celles qui vole le plus loin de moi prend la parole, et j’entends clairement sa voix par-dessus le souffle du vent.





“Non. Je m’ennuie. Je n’ai plus envie de le faire.”




C’est bizarre. Je regarde fixement la fée qui vient de dire cela. Elle a une expression très mécontente peinte sur le visage. Elle vole jusqu’au centre de la horde de fées et hausse la voix en me pointant du doigt.





“Tu es ennuyeuse, à présent. Ennuyeuse. Mortelle, fais quelque chose d’intéressant !”



“Je ne suis le singe savant de personne. Fous le camp.”
 
J’agite les bras et la fée tourne autour de moi. Elle souffle des fragments de glace sur mon visage, ce qui me fait pousser un juron et presque trébucher. Elle se met à crier aux autres fées.




“Vous voyez ? Elle ne fait rien ! Je ne la suivrai plus. Pas même si une Wyverne fondait sur elle et l’emmenait dans les airs en hurlant !”




Toutes les fées lèvent les yeux d’un air plein d’espoir. Moi aussi. Rien ne se passe. La fée émet un bruit dégoûté.




“J’arrête. Il y a d’autres endroits à voir, d’autres mortels à observer et à harceler. Pas elle.”





Cela m’a l’air parfaitement correct. Pourquoi les fées n’iraient-elles pas embêter quelqu’un d’autre si je ne les distrais pas suffisamment ? Elles le faisaient par le passé.
 
Mais cette fois-ci, les mots de la fée semblent avoir beaucoup plus d’importance. Les autres fées se regardent, puis se mettent à se disputer au-dessus de ma tête.






“Mais elle veut qu’on...”
 
“Nae, je me fiche de ça aussi ! Nous faisons cela depuis trop longtemps !”
 
“Ouais ! Elle est allée voir un Dragon et il ne s’est rien passé !”
 
“Je m’en vais !”
 
“Moi aussi !”
 
“Je reste. Non. Attendez. Je pars aussi !”
 
“Allons embêter un Roi ! Ou une Reine !”
 
“Je veux manger des baies dans la jungle !”
 







Les fées… commencent à s’éloigner. Elles montent dans un orage de bruissement d’ailes éclatantes et de mouvements. Je lève les yeux vers elles, mon cœur tambourinant dans ma poitrine pour une raison que j’ignore.
 
Elles s’en vont ? Pour toujours ? Ou vont-elles revenir ? Ce qu’elles ont dit…
 
Je m’en fiche. Vraiment. Si les Fées de Givre me laissent tranquille, je serai la première à sauter de joie…
 
Je trébuche sur quelque chose dans la neige. En levant mon pied, j’aperçois du sang. Je me suis coupée sur un caillou. Bordel.
 
Puis je lève les yeux, et elles ont disparu. Le ciel est dégagé, et les fées…
 
Les Fées de Givre sont parties. L’hiver qu’elles ont apporté avec elles demeure, mais la magie est partie. Je me sens vide. Soulagée ?
 
Non. Pas soulagée. Elles sont parties, et je ne sais pas pourquoi.
 
Je me concentre de nouveau sur ma course. N’y pense pas. Pourquoi sont-elles parties ? Que voulaient-elles dire ? Pourquoi suis-je ennuyeuse ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Qu’est-ce qui leur a tant déplu dans ma partie d’énigmes avec Teriarch ?
 
Un éclair de glace liquide sur ma gauche. Ma tête tourne si vite que j’entends un craquement.
 
Elles ne sont pas toutes parties. Je vois une silhouette d’un bleu pâle voler dans les airs à côté de moi. Une Fée de Givre, qui soutient aisément mon rythme alors que je cours dans le paysage enneigé.
 
L’une d’elle me suit encore. Juste une, qui s’envole au-dessus de moi, puis sur ma droite, assise dans les airs tandis que ses ailes battent avec une lenteur disproportionnée à la vitesse à laquelle elle va. Juste une.
 
Pour une raison que j’ignore, la tension dans mon cœur s’apaise. Je me sens un peu plus légère, même si je ne sais pas pourquoi. Je contemple la fée et manque trébucher de nouveau. Elle me fait un signe de la main et sourit.
 
Pourquoi est-elle ici ? J’ouvre la bouche pour lui poser la question, puis aperçois quelque chose sur ma droite. Quelque chose qui se rapproche à toute vitesse.
 
Je plonge instantanément la main à ma ceinture pour attraper une potion et me focalise là-dessus, sortant complètement la fée de mon esprit.  Je vois un mouvement flou - quelque chose court dans la neige, et… est-ce un rire ? Et je vois un visage pâle et pincé, et aperçois quelqu’un pendant une seconde avant qu’elle ne me dépasse en accélérant sur la route gelée à un rythme que je ne pourrais jamais atteindre.
 
Je m’arrête net dans la neige, et mes pieds font fondre la neige autour d’eaux tandis que je contemple la silhouette lointaine qui m’a dépassée et se dirige vers une autre ville.
 
Impossible. Je n’y crois pas. Mais je le dis à voix haute quand même.
 
“Est-ce que c’était… Persua ?”





***




Je n’en ai aucune idée. Je pense que c’était Persua. Elle avait le même visage étriqué*, le même teint énervant qu’à l’accoutumée, et sa posture de course était pourrie.



* Je sais qu’étriqué n’est pas le bon mot, mais je le garde pour elle. Pincé est probablement un mot plus juste, mais j’aime bien étriqué.



Mais cette manière de bouger ! Elle bougeait plus vite que moi… beaucoup plus vite. Comment ? Non, je sais comment. Une Compétence. Mais est-ce que ça peut vraiment arriver si vite que ça ? Persua était la Coursière de Ville la plus lente que je connaissais, encore plus lente que Garia parce qu’elle se prenait beaucoup de pauses. Et à présent…
 
Je secoue la tête, assise dans la petite chambre que j’ai louée au Lièvre en Folie. Erin a sa propre chambre, et j’en suis reconnaissante ; j’ai besoin de temps pour moi en ce moment.
 
J’ai terminé ma livraison. C’était facile ; je n’ai même pas besoin de chercher individuellement les destinataires moi-même avec les courriers en vrac. Je donne juste le colis à la réceptionniste de la Guilde des Coursiers locale et récupère ma paie.
 
Facile. Et maintenant, je me détends dans ma chambre, prenant les quelques heures que j’ai avant le dîner pour étudier un peu. Pas pour ruminer au sujet de Persua ; pour étudier.
 
Je soupire et baisse de nouveau les yeux sur l’énorme volume devant moi. Un livre - un grimoire magique est posé sur la table devant moi, tellement gros qu’il n’y a plus de place sur la table pour que j’y pose quoi que ce soit.
 
J’étudie la magie. C’est ce que je fais tous les jours, pendant qu’Erin saccage la boutique d’Octavia et vagabonde dans la ville. J’ai ralenti le rythme de mes livraisons pour pouvoir y consacrer du temps.
 
Apprendre la magie. Apprendre des sorts d’un livre de merveilles que Teriarch m’a donné. Et combien de nouveaux sorts ai-je appris aujourd’hui ?
 
Eh bien, aucun, en fait. Et combien en ai-je appris hier ?
 
Aucun, encore une fois. Pour tout dire, depuis que j’ai ouvert le livre à cette page, je…
 
Bloque.
 
Je contemple la page couverte de mots qui sont un mélange de magie et de langage. Ils brillent devant moi, et énoncent des secrets dans la langue magique que je ne peux comprendre qu’à une vitesse d’escargot. Mais je peux lire les mots…
 
Je ne peux simplement pas accepter ce qu’ils disent.
 
Je lève la main, et inspire. Il ne fait pas très chaud dans ma chambre ; il n’y a pas vraiment de chauffage central dans ce bâtiment, même si la chaleur monte bel et bien du rez-de-chaussée. Mais il fait quand même froid, et j’ai ouvert la fenêtre pour aérer, malgré le froid glacial du dehors. Aucune des fenêtres de l’auberge ne sont équipée de vitre, donc j’ai le choix entre garder les volets fermés et suffoquer, ou affronter la météo.
 
N’y fais pas attention. Concentre-toi. Je concentre toute mon attention sur ma main et tente de pousser une force invisible au bon endroit. Laisse-la se condenser, comme de la pluie. Crée un courant et pousse...
 
“[Jet d’Eau].”
 
Je prononce les mots, et essaie d’utiliser la magie. Mais rien ne se produit. Je contemple ma main, et répète les mots.
 
“[Jet d’Eau].”
 
Là encore, ma main et l’air qui l’entoure sont parfaitement immobiles.
 
“Bordel.”
 
Ça ne marche pas. Je regarde de nouveau la page du livre et serre les poings. Encore un échec.
 
“Ça ne fait aucun sens. Ce n’est pas…”
 
Je prends une autre inspiration, et essaie d’exhaler lentement. Non. Ça ne veut vraiment pas marcher, pas vrai ? Je n’arrive pas à comprendre. C’est…
 
Ça ne marche pas.
 
Je me lève et fais lentement le tour de ma petite chambre. Oui. J’essaie d’esquiver cette conclusion depuis un bon moment. Jour après jour, j’ai réessayé, mais je ne suis pas davantage prête à trouver la réponse aujourd’hui que je ne l’étais la veille.
 
“J’en suis incapable.”
 
Voilà la véritable raison pour laquelle mes journées ne sont pas au top. Le stress, les Gobelins, tous mes soucis sont une chose, mais je crois que j’aurais pu les gérer s’il n’y avait pas eu cela.
 
Je ne peux pas apprendre la magie. Je pensais en être capable, mais non. Teriarch m’a donné ce livre, un guide complet pour débutants qui devrait me permettre d’apprendre tous les sorts facilement et rapidement. Bon sang, j’ai acquis l’un des sorts de ce bouquin en quelques minutes ! Mais j’ai essayé de lire d’autres sorts avant de livrer le livre à Krshia et… ça ne marche tout simplement pas pour moi.
 
Les deux premiers sorts étaient faciles. J’ai appris un petit tour de magie de télékinésie - la capacité à soulever des choses dans les airs comme Ceria et Pisces. Quelque chose d’accessible, et j’ai vraiment dû bosser pour réussir à soulever davantage que les quelques flocons sur la table, mais c’était relativement facile à comprendre. Et ensuite, j’ai compris comment faire des courants d’air, encore un petit tour rigolo. Mais ensuite, j’ai commencé à lire un autre sort - [Jet d’Eau], un sort vraiment simpliste qui doit probablement être d’Échelon 0, et je me suis retrouvée bloquée.
 
Je regarde de nouveau la page. Il n’y a pas d’images, probablement parce que la magie n’est pas quelque chose que l’on peut décrire avec des mots. Mais je regarde les explications décrites sur la page et je sais exactement ce qu’il faut faire.



Laissez la magie se condenser, se fondre dans un liquide, une chose réelle. Laissez-la s’accumuler et croître en un torrent, puis un océan qui lui est propre. Tenez-la, puis laissez-la se manifester en la poussant vers l’extérieur dans la forme que vous désirez. La magie est, comme l’eau, un courant à guider, mais à ne surtout jamais forcer. Vous ne pouvez obliger la mer à bouger, mais vous pouvez lui offrir un canal…




Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à saisir cela ? Eh bien, parce que je n’arrive pas à croire que ça marche. Tout simplement. Je comprends comment fonctionne le sort et comment je fais apparaître de l’eau dans les airs mais…
 
Je n’y arrive pas. Ça viole les lois de base de la physique. Pour lancer [Jet d’Eau], j’ai besoin de transformer la magie en eau, l’ancrer dans une forme puis utiliser la magie pour la transformer en jet. Facile.
 
Mais je sais que c’est impossible. Transformer la magie en matière ? Ça ne marche pas comme ça. Ça viole les lois de la thermodynamique ! Et la conservation de l’énergie ? L’eau se dissipe vite, mais est-ce qu’elle s’évapore ou est-ce qu’elle redevient de la magie ?
 
Et le feu, alors ? Comment peut-il mimer une réaction naturelle s’il brûle… de la magie ? Est-ce qu’il brûlerait encore dans une pièce sous vide ?
 
Je serre ma tête entre mes mains. Rien ne va. Ça devrait être facile. Je comprends comment ça marche, mais à présent…
 
Je n’arrive pas à croire que ça marche. C’est le problème. Toute la science que je connais, toutes les lois de ma réalité avec lesquelles j’ai grandi… me disent que ce que j’essaie de faire est impossible, me font douter de ce que je fais et poser des questions auxquelles le livre ne peut pas répondre.
 
Et la magie, c’est en partie de la foi. C’est obligé. Si je ne crois pas que ce que je fais va fonctionner, cela ne fonctionnera pas. Et je ne crois pas que je peux jeter ce sort. Je suppose que je n’y avais tout simplement pas réfléchi avec le sort de [Lumière] ni même lorsque j’avais appris à faire du feu. Mais fabriquer de l’eau à partir de rien ne…
 
Le problème devient une boucle d’erreurs dans ma tête tandis que je lutte pour me convaincre que je peux créer de l’eau à partir de rien. Mais ça ne m’aide pas. Je peux essayer de jeter le sort, mais ça ne marchera pas. il faut que je sache. Il faut que je comprenne, et je pense que…
 
“Je ne peux pas le faire.”
 
Pas avec ce livre. Je baisse les yeux sur ce dernier, et j’ai envie de vomir, ou de le jeter par ma fenêtre. C’est tellement facile d’apprendre avec ce livre. Cela devrait l’être. Mais comme je suis allée à l’école et que j’ai suivi toutes ces satanées leçons sur le fonctionnement du monde, je ne peux pas croire en ces sorts.
 
“L’éducation a tué la magie.”
 
Je ne veux pas croire que ce soit vrai, mais je suis coincée sur ce sort. Je ne pourrai pas avancer avant de l’avoir saisi… je ne peux pas. Même lorsque je regarde d’autres sorts, tous les doutes qui ont surgi sous mon crâne à cause de celui-ci me suivent de page en page.
 
Peut-être que si je le regarde encore un moment, il se passera quelque chose. [Jet d’Eau]. Transformer la magie en eau, l’eau apparaît. Je ne peux pas…
 
Bordel.
 
Je me sens tellement misérable, tellement en colère contre moi-même que j’ai envie de transpercer quelque chose avec moi poing. Un mur, peut-être. Je serre les doigts de ma main droite et contemple mon poing déformé.
 
Encore une chose à rajouter à la dépression de ma journée. Je contemple le livre et ma main.
 
Ce n’était pas une mauvaise journée, aujourd’hui. Pas vraiment. J’ai fait quelques livraisons. J’ai pu voir Erin coller un coup de poing à un aventurier en pleine face. J’ai vu Persua…
 
Et les fées pensent que je suis ennuyeuse. Elles sont parties.
 
Toutes sauf une.
 
Je regarde par la fenêtre. Le ciel est gris et les toits sont couverts de neige. Mais est-elle dehors ? Ou est-ce qu’elle est partie elle aussi ?
 
Elle est là. Je ne m’en étais même pas rendu compte au début. Mais je vois quelque chose flotter juste derrière ma fenêtre. Une silhouette bleu ténue, qui se tient si immobile dans les airs que je n’avais même pas remarqué qu’elle m’observait.
 
Une Fée de Givre croise mon regard. Je la regarde fixement et manque de peu tomber de mon siège. Mais elle se moque de moi alors que je la contemple et je sens le vent souffler dans ma chambre.
 
“Salut ?”
 
Elle me sourit et flotte un peu vers moi. Le vent souffle fort, mais elle n’a même pas l’air impactée par l’air qui souffle dans mes cheveux et fait tourner les pages du grimoire. Elle est dans un petit monde à elle, mais elle s’arrête tout au bord du rebord de ma fenêtre.
 
Oh. C’est vrai. Je la regarde, puis je regarde la chambre où je me trouve. Les fées sont un peu comme les vampires. Elles ne peuvent pas entrer à moins d’être invitées. Est-ce que j’ai le droit de le faire ? Je ne possède pas cette auberge…
 
Mais je loue cette chambre. Je toussote et m’éclaircis la gorge.
 
“Entre. Si tu veux.”
 
La fée me dévisage un bref instant, puis acquiesce. Elle pose le pied sur le rebord de ma fenêtre et entre en dansant dans la pièce, tourbillonnant et se posant sur mon bureau d’un bond d’une grâce naturelle. Le bois givre au contact de ses pieds, et je sens le froid qui émane d’elle.
 
La fée est parcourue d’un frisson, ce qui n’est pas mon cas. Elle regarde la pièce d’un air sombre.




“Trop de fer glacé ici. Ce n’est pas un bon endroit pour pratiquer les magies véritables, ni pour les représentantes de mon espèce. Mais là encore, tu ne peux même pas réussir à faire quelques tours de magie, donc le fer ne doit pas trop te ralentir.”
 





Ce sont les premiers mots qu’elle me dit. Pas de “Salut” ou de “Comment vas-tu ?” ni même de “Désolée de t’avoir espionnée tout ce temps”. Elle se contente de bondir droit au cœur de la conversation, juste comme ça. J’aime bien ça chez les fées.
 
“Tu veux dire que le fer interfère avec les sorts ? Est-ce la raison pour laquelle je ne parviens pas à apprendre celui-ci ?”
 
La fée secoue la tête en se moquant du gros tome sur ma table. Elle marque sur l’une des pages et donne un coup de pied au parchemin.





“Pshou. La magique que t’enseigne ton livre n’est qu’un fragment de la magie véritable. Tu devrais le savoir.”
 






“En effet. Mais je ne connais pas de magie véritable. Un fragment, c’est mieux que rien.”
 
La fée hoche la tête, puis me lève les yeux vers moi.




“Certes. Mais tu ne peux même pas apprendre cela, n’est-ce pas ? Je t’ai observée, et un crapaud réussirait à comprendre ce sort plus vite que toi.”
 





Je me mords la langue. Mais elle a raison.
 
“Je n’arrive pas à le comprendre.”






“Et tu ne le comprendras pas. Tu réfléchis trop et ressens beaucoup trop peu. Tu cherches des règles là où il n’en existe aucune, et crées les tiennes pour te faire obstacle. Tu n’apprendras pas la magie ainsi.”
 






Je n’ai pas envie d’entendre ça. Mais les mots de la fée sonnent juste. Je serre de nouveau les dents, mais… elle n’essaie pas d’être malpolie. D’accord, elle ne réfléchit pas trop avant de parler, mais j’en connais suffisamment sur les fées pour savoir qu’elle est directe avec moi, et aussi serviable que possible.
 
“Merci du conseil.”
 
Elle incline la tête avec une dignité royale. Je sais que je ne devrais jamais remercier une fée, si j’en crois la légende du moins, mais elle n’a pas l’air malveillante. Bon sang, les fées connaissent mon nom complet et elles ne m’ont rien fait.
 
Que veulent-elles ? Je m’éclaircis la gorge de nouveau, mal à l’aise, tandis que la fée examine ma petite chambre. Je suis là, avec une fée dans ma chambre. Il faudrait… c’est la dernière. Il faut que je pose des questions. Mais d’abord, il faut que je la fasse se sentir la bienvenue.
 
“Est-ce que je peux t’offrir quelque chose ? À boire, à manger ?”


“Est-ce que tu as quoi que ce soit ?”
 



“... Non.”




“Alors n’offre rien, imbécile.”
 



Okay, cette conversation a mal commencé. Je regarde fixement la fée qui bondit dans les airs au niveau de mes yeux et s’assied là, comme s’il y avait un coussin invisible sous elle.
 
“Pourquoi es-tu ici ? Toute seule, je veux dire. Toutes tes amies se sont envolées.”



“En effet. Elles se sont lassées de toi, et sont parties chercher de l’effervescence ailleurs.”
 




Une réponse franche. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi.
 
“Est-ce à cause de la partie d’énigmes que j’ai faite avec Teriarch ? Est-ce la raison pour laquelle elles sont toutes parties ?”



“Entre autres.”
 




La fée hoche la tête en grattant le dessous de son pied d’un minuscule doigt. Elle baille largement, exposant ses dents acérées.




“Mes sœurs pensent que c’était mal joué. Elles n’apprécient pas les ruses des nombres, mais ces dernières sont tout aussi bonnes que les ruses des mots, à mon sens.”
 




“Tu n’es pas d’accord ?”



“J’apprécie ce genre de choses de temps en temps, et c’était bien joué de ta part de réussir à gagner même en perdant. Nous ne sommes pas toutes les mêmes, au sein de mon espèce. Est-ce que cela te surprend que l’une d’entre nous aime autant la danse des pensées que celle des langues ?”
 




Non. J’aurais dû savoir que toutes les fées n’étaient pas les mêmes. Je me disais juste… d’accord, peut-être que c’était relativement raciste. Spéciste ? Comment se fait-il que les espèces immortelles, Dragons et Faes, aient tendance à me laisser stupéfaite et sans voix ? C’est comme si tout mon cynisme et toutes mes questions complexes fondaient en leur présence. Il est impossible de douter de leur présence lorsqu’ils sont en face de vous.
 
La fée pointe du doigt un objet sur le point de tomber au bord de mon bureau. Le sac sans fond rempli de pièces d’or a l’air anodin ; il a l’air tout juste assez grand pour une poignée de pièces au mieux, certainement pas assez gros pour contenir ce livre magique. Mais il peut contenir un espace gigantesque - je me suis rendue compte que je pouvais y rajouter tous mes draps et deux chaises en plus de ce qu’il contient.  Ensuite, il se comporte comme un sac normal jusqu’à ce que je me mette à en sortir des trucs. Je n’ai pas encore trouvé le courage d’y rentrer la tête.
 
 
 
 
 
 
“Ci-gît ta récompense pour un duel avec un Dragon. Des pièces d’or et un sac magique pour les garder. N’est-ce pas là le rêve de tous mortels ? Où aurais-tu préféré obtenir autre chose du vieux couvert d’écailles et de fumée ?”
 




 
 
“Je ne sais pas. Peut-être ?”
 
La fée vole droit sur moi et me gifle le nez avant que j’aie eu le temps de cligner des yeux. Je pousse un glapissement et touche ma chair gelée - elle me fusille du regard.



“Soit c’est oui, soit c’est non. Ne réponds pas à une question par une autre question, espèce d’imbécile.”
 




Là encore, je dois contenir mon envie de rendre les coups. Je perdrais, probablement, et je sais que les fées sont susceptibles. Et elle a raison. En quelque sorte.
 
“Désolée. Je ne sais pas ce que je voulais obtenir de lui. Peut-être que j’aurais pu lui demander de m’enseigner la magie.”



“Il aurait dit non. C’est un balourd paresseux, ce wyrm.”
 






“Peut-être. Mais j’ai obtenu la plupart des choses que je voulais.”
 
Elle hoche la tête, et je me tais quelques instants. La véritable question brûle sur ma langue. Il faut que je sache, et je lui pose donc la question.
 
“Qu’as-tu dit lorsque les autres sont parties ? Que veulent vraiment de moi les Faes ? De ce monde ?”
 
Elle me dévisage d’un air condescendant.



“Pourquoi me poser une question à laquelle tu sais que je ne répondrai pas ? Tu veux connaître plus de choses que tu ne le devrais. Tu poses une question à laquelle je pourrais répondre avec dix mille mots comme si c’était facile.”
 





“Et alors ? Je suis curieuse. Est-ce que ma question était trop large ? Pourquoi tu me suis ?”
 
La fée soupire avec une patience exaspérée.



“Pourquoi est-ce que je suis qui que ce soit ?”
 





“Je croyais que tu avais dit qu’il ne fallait pas répondre à une question par une autre question.”’
 
Cette fois-ci, je suis prête et je tente de la gifler lorsqu’elle vole vers mon visage. La fée virevolte au-dessus de ma main avec une grâce agile et me donne un coup de pied sur le front. Pour une si petite créature, elle cogne fort.




“Tu es maligne comme un cul, dis-moi ? Je te suis et t’observe au cas où tu accomplisses un acte valeureux. Tu nous as raconté des histoires, à mon peuple et à moi, et nous as demandé d’oser défier le destin. Tu as marchandé avec un Dragon, et rencontré un être qui règne sur la mort. Y a-t-il un ou une autre mortelle que je devrais m’embêter à suivre qui ait accompli davantage ?”
 




Lorsqu’elle dit ça comme ça… je rougis presque. Je m’éclaircis la gorge. C’est tellement gênant, mais la fée n’a pas l’air le moins du monde embarrassée, et cela m’embarrasse d’autant plus. Elle ne ment pas ; elle dit simplement ce qu’elle pense.
 
“Tu me suis depuis un bon moment, pas vrai ? Je pensais que tu m’étais familière… est-ce que j’ai déjà parlé avec toi en particulier avant ?”
 
Elle acquiesce et se fend d’un bref sourire.





“Oh oui. Je t’ai suivie avec les autres pendant ta course, et je suis celle que tu as frappée. J’ai écouté tes contes des Humains de ton monde, et c’est moi qui t’ai prévenu de la présence des armées et qui t’ai guidée dans la forêt. J’étais là lorsque tu as passé ton marché, et j’ai accepté le deuxième prix. Je suis surprise que tu l’aies remarqué ; la plupart des êtres ne peuvent pas nous différencier.”
 






Je me disais, aussi. Pendant très longtemps, je pensais que toutes les fées étaient interchangeables, mais celle-ci… nous avons discuté beaucoup plus que ce que je le pensais, elle et moi. Je contemple la petite fée, et sens une connexion soudaine se créer entre nous.
 
“Et donc, toutes tes sœurs sont parties parce que je suis trop barbante et tu restes encore dans le coin. Que veux-tu ?”



“Que crois-tu que je veuille ?”
 





La fée me regarde droit dans les yeux, me défiant presque de pointer du doigt à quel point elle reste évasive. Je ne le fais pas, cette fois-ci. Au lieu de cela, je réfléchis. Elle ne me répond pas parce qu’elle ne peut pas me répondre. Ou elle n’en a pas envie. Alors, quelle est la réponse ?
 
“Peut-être... parce que tu veux quelque chose de moi. Ou que je peux faire quelque chose pour toi ?”
 
La minuscule fée lève les yeux au ciel.



“Hah !”
 





Okay, ce n’est pas ça. Alors, il y a quelque chose d’autre. Ou…
 
“Est-ce que c’est juste parce que tu veux voir ce qui va se passer ensuite ?”




“Une réponse évidente. J’imagine que tu as raison.”
 





La fée secoue sa petite tête, déçue. Je me sens coupable, comme si j’avais échoué à un test facile. Mais que peut-elle vouloir ?
 
J’aimerais qu’Erin soit là pour répondre. Elle aurait cette putain de réponse en une seconde, d’une manière ou d’une autre. Elle est plus douée avec les gens que moi. Elle deviendrait amie avec la fae en un battement de cœur - elle pourrait probablement se lier d’amitié avec un ours enragé.
 
Mais là encore… même elle a eu des problèmes avec les fae par le passé. Elle m’a raconté leur arnaque avec les fausses fleurs. Je suis vraiment la seule personne à les avoir supportées pendant une longue période. Les fées sont restées avec moi, et j’ai même réussi à gagner leur respect.
 
Et celle-ci m’a suivie longtemps. Même après le départ de ses amies, elle est restée ? Pourquoi ?Elle est presque comme…
 
Comme…
 
“Une amie.”
 
La fée lève les yeux sur moi. Elle était en train de virevolter dans les airs, mais elle s’immobilise soudain, la tête en bas, et me dévisage.





“Quoi ?”
 





“Est-ce que c’est ce que tu veux ? Une amie ?”
 
C’est une question stupide. Et une conclusion stupide. Nous ne sommes pas dans un programme télé pour enfant, mais peut-être… non.
 
Si.





“Amies ? Tu serais amie avec les Faes ?”
 




Elle se moque de moi en pouffant. Mais le visage de la minuscule fae n’est pas aussi sincèrement agacé qu’à l’accoutumée, et je vois quelque chose ressemblant à un sourire pétiller derrière ses sourcils froncés. Je lui souris.
 
“Peut-être. Je ne serais pas mécontente que l’une de vous flotte à mes côtés. J’ai entendu parler d’un certain héros à qui c’est arrivé pendant un sacré bout de temps.”






“Je ne suis pas un animal de compagnie, mortelle.”
 





“Non, mais je t’intéresse. Et si tu as décidé de me suivre, pourquoi ne pas apprendre à se connaître ?”
 
La fée est allongée sur le côté dans les airs et pose sa tête sur une main en me dévisageant. Sérieusement, cette fois-ci.





“Sais-tu ce qui se produirait si tu osais te mêler aux fae ? Il y a des lois, mortelle. Des lois qui ne devraient pas être enfreintes.”
 





J’hésite. À présent, j’ai l’impression d’être soumise à un test. Mais je ne peux me fier qu’à ce que je connais d’elle. J’ai beaucoup vu les fae, et je pense que je comprends la réponse à cette question. Je hoche la tête, tout aussi sérieusement qu’elle.
 
“Il y a des conséquences. Je sais. De graves conséquences. Mais une amie ne serait-elle pas prête à tout risquer pour une autre amie ? Je serais honorée d’apprendre à te connaître, si tu le voulais bien.”
 
Pendant une seconde, le visage de la fée demeure impassible. Elle me dévisage de la tête aux pieds. Puis elle me sourit.





“Bien ! Tu comprends enfin un peu. Tu es tellement bête, toi, que j’ai cru que tu ne le comprendrais jamais.”
 




Je cligne des yeux. Mais la fée se rapproche d’un coup d’ailes, et me sourit de nouveau.




“Je me suis intéressée de nouveau à ton espèce, après si longtemps. Si tu veux me parler, j’imagine qu’il est préférable d’être des amies que des inconnues, eh ?”
 





Je n’arrive pas à y croire. Mais soudain, mon cœur bat la chamade, et je sens un élan de passion et de vie envahir ma poitrine. Je me sens de nouveau vivante.
 
“Je… bien sûr. J’en serais honorée, comme je le disais. Je m’appelle Ryoka Griffin, mais tu le savais déjà. Est-ce que je peux te demander ton nom ou est-ce que c’est mal ?”
 
La fée réfléchit.






“Mon nom - mon véritable nom - est un secret pour tous. Et tu ne pourrais pas le prononcer de toute manière. Mais tu peux m’appeler… Ivolethe.”
 





Ivolethe. Le nom résonne dans mes oreilles un bref instant. Mais la fée n’en a pas terminé. Prudemment, elle tend une petite main dans ma direction. C’est une main tellement petite, mais je tends un doigt et la laisse le serrer. Pendant une seconde, une seconde infime, je sens du froid, une froideur des plus profondes, et en même temps un frais merveilleux, une brise rafraîchissante et le goût de l’hiver sur ma peau. Ce n’est pas du tout déplaisant ; j’aurais pu rester ainsi à jamais. Mais son toucher cesse soudain.
 
Mais la fée est restée. Ivolethe s’envole et se pose sur la table. Je la dévisage, et la voit sourire de nouveau. Des dents pointues, et un regard plus vieux que le monde. Ses ailes insectiles s’agitent, et elle se met à geler le bois sous ses pieds. Mais elle est là, et elle et moi sommes amies.
 
Je suis amie avec une fée.
 
Soudain, tout va bien de nouveau.
 




La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #183 le: 26 décembre 2021 à 22:03:16 »
3.04 Partie 1
Traduit par Maroti
5899 mots

Erin eut une crise de panique quand je descendis avec Ivolethe sur mon épaule.

« Oh mon dieu ! Une fée ! »

Elle ne faisait pas dans la subtilité. Tout le monde se tourne vers moi et je regarde Ivolethe. La petite fée est simplement assise sur mon épaule, et regarde autour d’elle avec intérêt.

Elle n’est même pas si froide que ça ; elle est évidemment partiellement constituée de glace, mais elle ne me donne pas des engelures, ce qui est une nette progression. Pour être franche, c’est comme avoir un climatiseur miniature sur son épaule. Pas idéal en hiver, mais je ferai tout pour avoir quelque chose du genre en été.

« Comment est-elle rentrée ? Ne refais pas d’avalanche ! S’il te plait ? Ce n’est même pas mon auberge ! »

Je suis obligé de sourire alors qu’Erin essaye de se protéger en utilisant un plateau comme bouclier. Elle n’est vraiment, vraiment incapable d’être subtile. J’attends que quelqu’un demande à Erin ce qu’elle voit…

Jusqu’à ce que je réalise qu’ils sont toujours en train regardés. Tout le monde. Agnès, les clients, les deux serveuses, tout le monde. Et ils sont directement en train de regarder Ivolethe.

Lentement, je me tourne vers la fée sur mon épaule. Elle semble normale, mais…

« Dis Ivolethe. Est-ce que les autres… Peuvent te voir ? »

La fée hausse les épaules alors qu’elle regarde la pièce.

« Peut-être. Il y a trop de fer ici. Trop pour que je puisse utiliser mon glamour. »

Elle regarde l’un des visages ébahis.

  « Oui. Je pense qu’ils peuvent, sinon ils ne seraient pas en train de gober les mouches. »

« Ça parle ! »

Agnès s’exclama avec un air horrifié. Ouaip. Ils peuvent entendre Ivolethe. Je regarde Erin. Elle me rend mon regard.

« Attends, où est le reste, Ryoka ? »

Je regarde la pièce. Tout le monde est toujours en train de regarder. Cela devient incroyablement gênant.

« Je, heu… Vais t’expliquer. Est-ce que nous pouvons nous asseoir, Erin ? Agnès ? »

Cela brise le sort. En quelques secondes je suis assise au centre de la pièce, alors que tout le monde essaye de s’approcher de moi en me posant des questions. Je déteste ça. J’essaye de bouger vers un des coins de la pièce, mais Erin ne veut rien entendre et Agnès est souriante. Elle est probablement en train de se dire qu’elle vient de trouver une nouvelle attraction pour son auberge.

Ivolethe ne semble pas concerné. Elle regarde les Humains autour de nous, principalement des femmes et de vieux hommes, probablement des couples mariés ou des voyageurs, et renifla. Je dois dire qu’elle et toutes les fées ont cet air de petites reines, avec l’arrogance qui vient avec.

  « Alors ? Qu’est-ce que vous êtes tous en train de regarder ? »/color]

Personne ne bouge. Même Erin regarde Ivolethe avec fascination alors qu’elle reste assise sur mon épaule. Je me racle la gorge.

« Elle a raison. C’est une affaire privée, donc est-ce que vous pouvez nous laisser en paix ? »

  « Oui, hors de ma vue où je vais vous maudire avec ma magie féérique ! »

Personne ne bouge. Ivolethe fronce les sourcils. Pour ma part, je suis perdue. Normalement mon… Charmant tempérament est suffisant pour effrayer les plus amicaux des curieux, mais ces personnes sont trop fascinées par elle. L’un d’entre eux, un homme de forte carrure avec d’immenses avant-bras, parle.

« Est-ce que c’est réellement un Esprit de l’Hiver ? Vraiment ? »

« Ouaip ! Elle est super cool, pas vraie ? Je suppose que les fées ne peuvent pas se camoufler quand elles sont à l’intérieur, hein ? »

Encore plus de confusion et de regard parmi les curieux.

« Des fées ? Qu’est-ce que sont les fées ? »

J’ouvre la bouche au même moment qu’Erin, mais nous nous arrêtons toutes les deux. Ce monde ne connait pas les fées ? Même quand il y a de véritables fées qui viennent régulièrement ? Ivolethe se redresse sur mon épaule, indignée.

  « Enfants ! Imbéciles ignares ! Je suis un membre de la Cour d’Hiver ! Je demande le respect qui m’est dû ! »

L’homme la regarde avec curiosité. Je pressens… Des ennuis.

« Elles sont les créatures qui amènent l’hiver chaque année ? »

« Et qui nous jettent de la neige depuis le ciel ? »

« Et qui tourmente les animaux ? »

Quelques-uns des autres curieux se concentrent sur Ivolethe. Je dois l’admettre, elle ne montre pas une once de peur. Est-ce que les fées peuvent avoir peur ? Est-ce que je les ai déjà vues effrayées ? Oh, oui. C’était quand elles avaient attiré le courroux d’un Dragon cracheur de fée. Merde.

« Je ne pense pas que l’agacer soit une bonne idée. »

Erin semble effrayée. Elle m’a déjà dit que les fées avaient enseveli son auberge sous une avalanche, car Pisces les avaient agacés. Je… Ne veux pas que cela arrive ici.

Mais Ivolethe semblait se retenir plus qu’à l’habitude malgré son net agacement. Pourquoi ? Le côté analytique de mon esprit prend moins d’une seconde avant de fournir une réponse à mon triste cerveau.

Normalement, n’importe quelle fée aurait lancé de la neige ou gelé les personnes autour de nous pour les avoir énervés à ce point. Mais Ivolethe n’avait pas encore fait cela, car elle en était incapable. Le fer sapait la force des fées et les rendait mortelles. Elle ne pouvait pas utiliser sa magie.

Ce qu’elle pouvait utiliser était ses paroles. Et elle ne se gêna pas.

  « Va-t’en, imbécile, ou je te ferais souffrir ! C’est une promesse de fée ! »

Ce n’est pas bon signe ! J’ouvre ma bouche, mais le baraqué n’est pas impressionné.

« Tu ne peux rien faire. Tu es comme l’un de ces Korrigans sur Baleros. Minuscule. »

Il la tapote prudemment du doigt là où ses seins auraient été si elle avait des tétons. J’ouvre la bouche et je recule ma chaise, mais Ivolethe bouge avant moi. Sa petite bouche s’ouvre et elle mords.

Le cri est immédiat et bruyant. Ivolethe est peut-être petite, mais elle est assez grande pour arracher un bout du doigt de l’homme. Mais c’était plus qu’un bout, elle mord assez fort pour que je puisse voir l’os de son doigt lorsqu’il retire sa main. Ses dents ont traversé la chair comme du beurre.

L’homme hurle de nouveau alors qu’il tient son doigt ensanglanté. Tout le monde, moi y compris, regarde Ivolethe avec horreur. La fée semble suprêmement s’en moquer alors qu’elle tourne sa tête pour dévoiler ses joues gonflées. Elle mache, avale, et nous fait un sourire ensanglanté. Puis elle fait signe à Agnès, dont le sourire s’est figé.

  « Aubergiste ! Ta meilleure viande et ta meilleure boisson ! Je suis une cliente en ces lieux, n’est-ce pas ? Je demande à être servie ! »

Les curieux désertent notre table en une poignée de seconde. Le baraqué aurait pu revenir pour se venger, mais Agnès l’éloigne avec la promesse d’une potion de soin. Erin et moins regardons Ivolethe alors qu’elle saute de mon épaule pour arriver sur la table. Après quelques instants, Erin se tourne vers moi.

« Donc… Ryoka. Est-ce que tu peux me présenter ton amie ? »

Je hoche la tête. Ivolethe bondit de joie alors qu’une des serveuses s’approche avec du ragout. Erin a dû le faire, car l’odeur est alléchante. La fée plonge dans le bol comme si c’était une baignoire et commence aussitôt à mordre sur ce qui l’entoure. Je bouge délicatement le bol au milieu de la table et me racle la gorge.

« C’est… Ivolethe, Erin. L’une des Fées de Givre qui me suit depuis que je les ai rencontrés. Et elle est mon amie. »

« Oui. C’est ce que j’ai dit. »

« Non, ce que je veux dire c’est qu’elle est mon amie. Je suis amie avec une fée. »

Est-ce que je l’ai dit avec trop de révérence ? Peut-être. Mais les mots que je viens de prononcer sont magiques à leur manière. Une fée. J’ai vraiment une fée assise en face de moi, en train de mordre un morceau de pomme de terre qui a la taille de sa tête dans un bol de soupe. Mon amie.

« Oh mon dieu. »

Erin comprend enfin. Elle met ses mains sur ses joues de ravissement.

« Tu t’es fait une amie ! Ryoka s’est fait une amie ! Je suis vraiment ravie de te rencontrer, Ivolethe ! Toute amie de Ryoka est aussi mon amie ! Je suis certaine que nous allons bien nous ent… »

  « Non. »

« Pardon ? »

Ivolethe ne regarde même pas Erin. Elle prend une autre bouchée de sa pomme de terre et roule le reste en boule avec ses deux mains. Puis elle trempe le morceau dans la sauce et le dévore. Sa manière de manger est à la fois dégoutante et fascinante.

  « Je ne serais pas ton amie, Humaine. Je me suis déjà fait une amie, et elle est la raison pour laquelle je suis entré dans cet endroit de fer et de sac de chair. Je n’ai pas besoin d’un autre ami, et si c’était le cas, cela ne serait certainement pas toi. »

Le visage d’Erin se décompose. Je ne la regarde pas vraiment, et je ne suis pas vraiment en train de sourire derrière ma main. Il semblerait qu’elle est rencontrée quelqu’un qu’elle ne peut pas immédiatement charmé. Hah !

« Quoi ? Mais vous m’aimez, pas vrai ? »

  « Pourquoi est-ce que moi, ou l’une de mes consœurs aimerions un gâchis d’espace comme toi ? »

« J’ai… J’ai fait un grand festin pour vous toutes ! Vous l’avez adoré ! Et vous m’avez payé en or, qui s’est révélé être des fausses fleurs, mais vous avez dit que c’était un bon repas ! C’est la vérité ! »

Je tousse.

« Je ne pense pas qu’Ivolethe était présente, Erin. Toutes les fées n’étaient pas dans ton auberge. Certaines d’entre elles sont toujours restées avec moi. »

« Oh. Mais j’ai fait de la nourriture ! De la nourriture magique ! J’ai même eu une Compétence pour ça ! »

Ivolethe semble légèrement impressionné. Elle arrête de manger pour étudier Erin de haut en bas.

  « Vraiment ? Un banquet de fée ? Je n’étais pas présente, mais mes consœurs en ont parlé. Ma réponse reste non. »

J’interromps Erin avant qu’elle puisse réessayer. Je ne sais pas vraiment comment Ivolethe réagirait si Erin continuait d’essayer de la convaincre, et je n’ai pas envie qu’elle perde un doigt.

« Je suis certaine qu’Erin respecte ta décision, Ivolethe. Mais elle est aussi mon amie. Ma meilleure amie Humaine. J’ai, heu, je me demandais juste si nous pouvions parler. À moins que tu sois occupée ? »

Erin me lance un regard blessé, mais Ivolethe secoue la tête. Elle s’enfonce dans sa soupe ; je remarque qu’il n’y a plus de fumée qui sort du bol, et il semblerait que la sauce est en train de geler à cause de la présence glaciale d’Ivolethe.

  « Si j’avais quelque chose à faire, je serais en train de le faire. Et nous sommes déjà en train de parler, imbécile. »

Aïe. Ivolethe est mon amie, mais elle est clairement le genre d’amie qui continue de t’insulter malgré la proximité. Je me suis toujours demandé ce que cela faisait d’avoir un ami comme ça.

Je me suis aussi demandé ce que cela faisait d’avoir un véritable ami. Peut-être que c’est pour ça que je n’arrive pas à arrêter de sourire. Erin nous lance un regard étrange.

« Tu as l’air vraiment flippante, Ryoka. »

« La ferme, Erin. Ivolethe ? Pourquoi est-ce que tout le monde peut te voir à l’intérieur ? Est-ce que c’est à cause du fer ? »

Ivolethe se redresse dans son bol alors que deux autres arrivent pour Erin et moi, accompagnés avec du pain doux et moelleux. Elle regarda les autres tables, et tous les autres clients se concentrent de nouveau sur leur repas.

  « Hmf. C’est le fer. Il y a trop d’interférences avec notre magie. Cela n’aurait pas d’impact à l’extérieur, mais l’intérieur est une sorte de cage. Je ne peux pas utiliser mes sorts. Mais je peux mordre. »

Elle me sourit de nouveau, montrant ses dents aiguisées. Erin frissonne.

« Intéressant. Mais Erin et moi pouvons vous voir à l’extérieur comme à l’intérieur. Pourquoi cela ? »

Un petit haussement d’épaules.

  « Je ne sais pas. Si vous aviez des yeux de chat ou de dieu… Où que vous étiez des grands maîtres de la magie comme Myrddin, cela aurait du sens. Mais vous n’êtes rien de cela. »

Erin semble confuse.

« Qui est Myrddin ? »

« Merlin, Erin. »

« Oh. Oh. Merlin ! Il est réel ? Comment était-il ? Est-ce qu’il avait un bâton magique qui le rendait cool ? Quel genre de magie fai… »

Je coupe Erin, même si j’ai aussi envie de savoir. Le truc avec les fées était qu’il fallait rester sur le même sujet et continuer de leur poser des questions. Il était facile de se laisser distraire et de suivre une piste de miette de pain, sans jamais trouver la vérité.

« Nous n’avons pas ce genre de magie, Ivolethe. Donc comment pouvons-nous vous voir ? Est-ce qu’il y a des mortels qui peuvent voir les fées ? »

Elle hausse de nouveau les épaules.

  « Bien sûr. Si tu te tiens au bon endroit sous une pleine lune, ou que tu nous surprends à danser sans glamour… Ou si tu as bu la boisson des fées, tu serais capable de nous voir, mais je le saurais si c’était le cas pour vous. »

« La boisson ? Des fées ? »

Erin semble de nouveau confuse, donc je lui explique. Comment cela se fait qu’elle ne connaisse rien sur les mythes des fées ?

« La boisson des fées est donnée aux personnes en qui les fées ont suffisamment confiance pour pouvoir rentrer dans un fort de fées. Ils seront capables de voir le monde secret en buvant cette boisson. C’est bien ça ? »

Un ricanement narquois.

  « Pas du tout. Tu ne peux pas simplement faire une boisson des fées par chance. Tu as besoin de l’essence d’innombrable chose inconnue des humains. Des poisons et substances néfastes qui dépassent votre espèce. »

« Comme… ? »

Ivolethe soupire de manière dramatique. Mais il y a quelque chose de malicieux dans son regard.

  « Tu veux véritablement le savoir ? Soit, alors prennent le plus d’insectes possible, Humaine ! Écrase-les dans ta bouche, car l’un des ingrédients est la carapace d’un insecte qui peut être utilisé pour faire du sang à partir de l’eau. »

« Beurk ! Vous devez manger ça ? »

Ivolethe hocha la tête, satisfaite, alors qu’Erin fait la grimace. Mais je m’arrête. Du sang à partir d’eau ? C’était comme une énigme ; probablement la partie d’un poème pour présenter la boisson des fées. Du sang à partir de l’eau. Une teinture ?
« Quand tu parles d’insectes qui peuvent être utilisés pour créer du sang à partir de l’eau… Est-ce que tu parles de carmin ? Si c’est le cas, Erin et moi en avons déjà beaucoup mangé. »

« Quoi ? C’est vrai ? »

Erin me lance un regard horrifié. Ivolethe lève soudainement les yeux vers moi alors que je hoche la tête.

« Le carmin est un ingrédient commun dans tout ce qui est rouge, Erin. Des skittles, de la limonade… Si tu es déjà eu des trucs comme ça par le passé, tu as mangé des carapaces d’insectes broyées. »

Un tout petit peut, mais c’est la vérité. Mais Erin devint pale alors qu’Ivolethe…

  « Il y a plusieurs autres choses qui sont nécessaires pour cette concoction. Il n’y a pas que… Cela. »

« Peut-être que nous avons déjà mangé tous les ingrédients. »

« Vraiment ? Comme des insectes ? »

« Nous mangeons d’innombrables insectes chaque année, Erin. Ils sont broyés dans notre nourriture. Et les compagnies les utilisent dans de nombreux conservateurs… »

Je réfléchis à voix haute alors qu’Erin met la main devant sa bouche en regardant son assiette.

« Le gouvernement des États-Unis à commencer à mettre du fluorure dans l’eau il y a des décennies de cela. Et nous respirons de nombreux polluants qui n’existaient pas par le passé. Rajoute ce qui est mis dans la majorité de la nourriture sous la forme de conservateur et pour changer le gout… Ivolethe, qu’est-ce qui va dans ta mixture ? »

  « Comme si j’allais te le dire ! Cette mixture est un secret pour les mortels ! Et tu ne devineras jamais en un million d’année ! »

« Vraiment ? Laisse-moi lister quelque chose et dis-moi si je m’approche. Du sodium de nitrate ? Du propylène glycol ? Du… Heu…. Comment ça s’appelle déjà… De l’olestra ? Du glutamate monosodique ? Du benzoate de sodium ? »

  « Je ne connais pas la moitié de ces noms ! Tu dois les inventer ! »

« Vraiment ? Alors, le benzoate de sodium vient du benzoïne, une résine trouvée dans les arbres. C’est un ingrédient dans les encens… »

Je vois les yeux d’Ivolethe s’écarquiller pendant une fraction de seconde, puis elle tourne la tête.

  « J-je ne connais rien de tel ! Cette conversation m’ennuie ! »

Erin et moi échangeons un regard. Mais Ivolethe reste de marbre. Erin se penche vers moi, encore légèrement pâle.

« Tu penses que c’est vrai ? »

« Quoi, que nous ayons mangé tous les ingrédients de la boisson des fées ? C’est possible. Nous mangeons de nombreux trucs bizarres, Erin. »

« Pas ça ! Est-ce que nous mangeons vraiment des insectes ? »

Je soupire.

« Oui, Erin. Tu es au courant de ce que les multinationales mettent dans les bonbons et le fast-food. Pourquoi est-ce que tu es surprise ? »

« Je pensais qu’ils étaient juste des agents chimiques et des trucs empoisonnés ! Si je savais qu’il y avait de l’insecte dans les skittles, je n’en mangerai jamais ! »

« Ce n’est… Pourquoi est-ce que tu serais d’accord pour qu’ils… ? Tu sais quoi, c’est pas grave Erin. Ivolethe ? »

  « ITu n’obtiendra rien de moi ! Je ne dévoile pas les secrets de mon peuple aussi facilement ! »

La fée s’enfonça dans sa soupe jusqu’aux oreilles. Je lève ma main.

« Je ne vais pas te poser d’autre question. J’étais simplement curieuse. Pourquoi ne pas discuter autre part ? »

« Oui ! Bonne idée ! »

Erin attrapa son verre de lait et le termina en quelques grandes gorgées. Avec un peu de négociation, je convaincs Ivolethe de sortir de sa soupe. Elle s’essuie sur une tranche de pain, et puis s’assoit sur la table avec Erin et moi. Puis nous discutons.

« Donc, qu’est-ce que tu as fait après que je t’ai quitté, Erin ? »

« Oh, j’ai juste fait quelque truc chez Octavia. Tu sais, plus d’expérimentations. »

« Huh. Et où est Octavia maintenant ? Je ne la vois jamais manger… Est-ce qu’elle mange chez elle ou est-ce qu’on devrait l’inviter de temps en temps ? »

Je pense que cela serait la chose polie à faire, mais Erin secoue sa tête.

« Je ne sais pas, mais Octavia ne veut pas manger aujourd’hui. Elle est clouée au lit à cause d’une intoxication alimentaire. »

Je m’arrête.

« C’est grave ? »

« Très grave. »

« … Et comment est-ce qu’elle est devenue malade ? »

L’autre fille n’ose pas me regarder dans les yeux.

« Je, heu, lui ai donné quelque chose qui n’a pas aussi bien passé que je l’espérais. »

« Je vois. »

  « J’aimerais essayer ! »

« Oh non, c’est impossible. Je l’ai jeté, ça commence à attaquer la marmite. C’était juste un autre échec. »

Erin soupira, je lui lance un regard.

« Tu passes chez Octavia tous les jours. Tu essayes toujours de faire de nouvelles recettes ? »

« Ouaip ! Je ne veux pas retourner à Liscor tant que je n’ai pas trouvé le moyen de faire d’autre truc cool. »

« Et ton auberge ? »

« Qu’est-ce qu’elle a ? Mrsha est en sécurité avec Selys, et je ne sais pas où Toren se trouve. Mon auberge va rester ou elle est pas vraie ? »

« Mais Lyonette est à l’intérieur. »

« Oh. C’est vrai. »

Erin se frappa doucement le front. Je secoue la tête alors qu’elle hésite.

« Elle va probablement bien. Je veux vraiment rester ici encore un peu plus longtemps, Ryoka. Je peux faire des expériences avec Octavia tous les jours, et je peux aider Agnès la nuit ! »

« Et tu ne t’ennuies pas ? Ça te convient ? »

Erin me regarde sans comprendre.

« Oui. Pourquoi ? »

Ivolethe et moi haussons toutes les deux les épaules.

« Cela n’a pas d’importance. »

  « C’est ton choix si tu décides de mourir d’ennui. »

Erin fronce les sourcils en nous regardant, mais elle fait un grand sourire en regardant de nouveau Ivolethe.

« Dooooonc… Ivolethe ! Cela doit faire longtemps que tu es en vie, pas vraie ? »

La fée regarda Erin de manière suspicieuse.

  « Cela est évident. »

« Et tu as rencontré tout plein de personnes cool, comme Merlin et le Roi Arthur, pas vrai ? »

  « Peut-être. Pourquoi cette question, mortelle ? » »

Erin leva ses mains.

« Raconte-moi des histoires ! Parle-nous de Merlin, et des chevaliers de la Table ronde. »

Ivolethe considéra cela, une petite main sur son menton.

  « Non. »

« Pourquoi pas ? »

  « Je n’ai pas envie. »

« S’il te plait ? »

« Erin… »

  « Non. Ces histoires sont bien trop grandioses pour vous. » »

« Mais… »

Je pose une main sur l’épaule d’Erin.

« Tu l’as entendu, Erin. Ivolethe ne veut pas en parler, donc tu devrais respecter son souhait. De plus, elle n’a probablement pas vu les bonnes parties. »

  « Pardon ? »

Ivolethe se lève d’outrage. Elle s’envole vers mon visage.

  « Tu penses que je n’ai pas été témoin de leur légende ?  »

« Eh bien, tu ne voulais pas en parler. Donc j’assumais que… »

  « Imbécile ! J’étais là quand le garçon est devenu roi ! J’ai été témoin de l’instant où le véritable roi est mort, et j’ai vu d’innombrables miracles ! J’ai vu les trois rois mourir des lances de Lugaid ! Comment oses-tu ! »

« Je dis juste que, tu parles beaucoup, mais si tu veux partager une histoire… »

  « Hah ! Je te raconterai la plus grandiose des légendes !  »

Ivolethe s’envola en l’air et leva la voix.

  « Soyez témoin ! Je vais vous raconter l’histoire du véritable roi de Camelot ! Son épée se trouve toujours en Avalon, attendant sa main pour dégainer cette lame légendaire ! Soyez attentif, mortel ! »

Toutes les têtes se tournent vers la petite fée alors qu’elle lève la voix. Elle a une incroyable portée, et l’histoire…

Je vais écouter l’histoire du Roi Arthur. J’ai l’impression d’être redevenue une enfant. C’était incroyable… Erin me lance un regard ravi, et je lui fais un clin d’œil. Qu’est-ce que je peux dire.

Je connais quelques trucs sur les fées. Ou du moins, sur une fée en particulier.
 
 
***

 
L’aube du lendemain était écblouissante. Enfin je suppose. Pour une fois je fais la grâce mat.

Tout comme Erin. Et le reste des clients de l’auberge pour le coup. En fait, il y en a certains qui sont toujours en train de ronfler lorsque je descends, étendu par terre ou sur les tables.

Nous avons découvert qu’Ivolethe connaissait vraiment la légende du Roi Arthur, l’intégralité de la légende. La véritable légende. Et elle nous l’a raconté la nuit dernière, avec de nombreux effets dramatiques et une bonne dose d’embellissement, mais c’était toujours la véritable légende. Jusqu’au dernier mot. Les fées ne mentent pas, et il suffisait de regarder Ivolethe pour y croire.

C’était la vérité. Et si j’étais un écrivain, j’aurai essayé de capturer le moindre de ses mots sur le papier. Ou peut-être que cela aurait été impossible, car son histoire était l’une des grandes histoires.

En fin de compte, nous nous sommes tous endormis en écoutant la fin tragique de la légende du Roi des Chevaliers. Son royaume en ruine, ses chevaliers agonisant sur le champ de bataille, ne laissant que l’espoir de son éventuel retour en période troublée derrière lui. Et donc, le Roi des Chevaliers ferma ses yeux et laissa échapper son dernier soupir.

Et moi qui pensais être maline en copiant les poètes de mon temps. Ce n’était pas étonnant que les fées toisaient les mortels, car nous étions incapables de créer des histoires comme les leurs. Si tu as l’éternité pour vivre, tes normes envers ce que tu considères un bon récit change en conséquence.

Bien sûr, c’était hier. Tout ce que je veux aujourd’hui, c’est de manger un morceau et partir courir. Mais vu la fatigue d’Erin, c’est peut-être trop demander.

Elle a [Cuisine Avancée] comme compétence, mais apparemment il faut autre un tant soit peu concentré pour que ça marche. Car même cette compétence ne peut rien faire quand on verse un sac de farine dans une poêle. Au moins nous avons réussi sauver la poêle avant que la farine ne s’enflamme.

Une fois mon expérience de mort imminente de la journée faite, je me suis finalement fait des œufs en laissant Erin dormir dans la cuisine. J’ouvre la porte et…

Je trouve Ivolethe qui m’attend dehors. La fée me sourit, flottant dans l’air hivernal. Honnêtement, je ne m’étais même pas rendu compte qu’elle était partie quand je me suis trainé hors ma chambre à l’étage.

« Ivolethe. Comment est-ce que tu vas ? »

  « Je vais bien, mortelle ! »

Elle s’envole aussitôt vers mon épaule et se pose dessus. Puis elle s’agite et vole jusqu’à ma tête. Je lève les yeux vers ses jambes qui pendent et soupire. Je ne fais pas de commentaire.

Je commence à descendre la rue quand une petite jambe gelée me tape la tempe.

  « Donc, que faisons-nous aujourd’hui ? Encore de la lecture et des jurons ? Ou est-ce que tu vas recommencer à courir comme un escargot ?  »

« Tu peux toujours partir si tu t’ennuies. Tu n’as pas à me suivre tout le temps. »

  « Bah. Il y a une chance que je manque quelque chose d’intéressant. De plus, il y a bien des choses à faire qui m’amuseront en attendant. »

Je hausse les épaules, mais je me sens un peu mieux. J’essaye de ne pas trop sourire ; mais cela ne semble pas naturel.

« Fais comme tu veux. »

C’est une petite course jusqu’à la Guilde des Coursiers, mais je l’arrête à la porte. Ivolethe sent mon attention et se raidit, mais elle ne descend pas de ma tête.

« Je rentre. Est-ce que tu veux attendre autre part ? »

  « Je reste là où je suis. »

« Le fer ne va pas te déranger ? »

  « Pas autant que ça. L’intérieur est une chaîne, mais ce n’est pas une aiguille qui perce ma chair. Même si cela est la même sensation. »

Huh. Je me demande à quel point c’est inconfortable ? Est-ce que les fées sont allergiques au fer, ou est-ce que c’est comme de la kryptonite ?

« Si tu ne veux pas rentrer, ça ne me dérange pas. »

  « Je reste. »

« Non, je pense que tu ne devrais vraiment pas aller à l’intérieur. »

Après sa dernière interaction avec d’autres personnes qu’Erin et moi, j’ai vraiment un mauvais pressentiment à l’idée de la laisser rentrer. Mais elle se penche pour me regarder.

« J’insiste ! Je ne crains pas le fer ! »

Je soupire. Même si elle s’appelle mon amie, Ivolethe semble incapable de changer d’avis. Ou peut-être qu’elle considère le fait d’être têtue une partie de son amitié.

« Ne cause pas de problème, d’accord ? Et… Est-ce que je peux te persuader de te cacher dans ma sacoche ? »

La fée est silencieuse sur ma tête pendant quelques secondes.

  « Peut-être. Est-ce qu’il y a de la nourriture dans cette sacoche ? »

« Allons en chercher. »

Et c’est ainsi que je me suis retrouvé à mettre de la viande grillée et des pains à la confiture dans ma sacoche, pour le plus grand plaisir d’Ivolethe, en rentrant dans la Guilde des Coursiers. Je ferme la sacoche ; Ivolethe m'affirme qu’elle ne s’étoufferait pas dedans, et honnêtement je ne suis pas certaine que les fées respirent.

J’ai une Fée de Givre dans ma sacoche. En voilà quelque chose. J’entre dans la Guilde des Coursiers et je m’arrête quand je vois un visage familier.

« Garia ! »

La fille aux épaules larges se tourne et me fait un grand sourire. Mais son expression devint incrédule.

« Ryoka ? Je ne savais pas que tu étais là… Aujourd’hui. »

Je m’avance, les sourcils froncés. Garia semble nerveuse. Et je regarde par-dessus son épaule pour voir une mer de gens, des Coursiers de Ville et de Rue, autour d'une personne. Elle avait un visage familier, cireux, comme je l’appelais, même si pincé serait plus approprier.

« Persua. »

Elle se tient au centre de la pièce, entouré par de nombreuses personnes, toutes les personnes présentes dans la guilde en fait. Même les [Réceptionnistes] sont sorties de derrière leur comptoir, et un autre vieil homme se tient aux côtés de Persua. Je crois… Qu’il est le Chef de la Guilde. Je ne sais pas. Normalement, il ne sort jamais de son petit office.

Persua est en train de se prélasser dans l’attention, parlant bruyamment de sa voix aigüe et n’arrêtant pas de rire. Quand elle rit, les autres rient avec elle. C’est ce qu’elle fait habituellement avec les gens qu’elle veut mousser, mais cette fois tout le monde le fait. Elle est tellement distraite par l’attention qu'elle reçoit qu’elle ne m’a pas encore remarqué, et vu la manière dont Garia me tire vers l’un des coins de la pièce, c’est peut-être une bonne chose.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Je murmure à Garia en regardant Persua. Elle ne me semble pas différente, de nouveaux vêtements ou un nouvel équipement de course peut-être, mais elle est toujours la même insupportable personne qui est responsable de ce qui est arrivé à ma jambe. Mon poing à juste envie de lui briser quelques os du visage.

Je ne vois pas Fals. Il est normalement dans la même pièce que Persua, généralement parce qu’elle le suit dès que possible. Il n’est pas là aujourd’hui, et son absence est quelque peu déconcertante.

« Ryoka, pourquoi est-ce que tu es là ? Tu ne sais pas ce qui se passe aujourd’hui ? »

« Non, je ne sais pas. »

Je fronce les sourcils en direction de Garia alors que je tire une chaise à la table la plus éloignée du groupe. Personne ne me dit rien. Principalement parce que je n’écoute pas si c’est une invitation à écouter les derniers potins. Mais… J’aurais probablement dû faire plus attention à ça.

« Qu’est-ce qui se passe, Garia ? »

« C’est Persua. Aujourd’hui est sa fête de départ. Elle bouge à Invrisil ou… Une autre ville au nord. Elle reviendra peut-être dans le coin, mais elle ne restera pas donc tout le monde lui a préparé une fête ! »

Persua ? Allant au nord ? C’est la meilleure nouvelle de la journée, et je viens à peine de me lever. Je souris en direction de Garia avec une apparente joie.

« Qu’est-ce qui ne va pas avec ça ? Si elle s’en va, je la féliciterai en l’aidant à partir. »

Garia ne sourit pas à ma réponse. Elle n’aime pas la violence de toute manière, mais elle semble inquiète. Il y a une étrange émotion dans sa voix que je ne peux pas vraiment identifier. Elle baisse de nouveau la voix.

« Ryoka… Elle va devenir une Courrière. »

« Quoi ? »

Je n’en crois pas mes oreilles. Persua ? Une Courrière ? Elle n’est pas assez rapide pour en devenir une. Je le sais, j’ai vu Valceif et Faucon courir, et ils sont comme de la foudre comparée à moi. Persua est à peine assez rapide pour être une Coursière de Villes, en plus d’être feignante.

Mais Garia est sérieuse comme la mort alors qu’elle hoche la tête. Et je me souviens du moment où j’avais juré qu’elle m’avait passé sur la route…

Non. Ce n’est pas possible. Pas vrai ?

« Comment ? »

« Elle a gagné un niveau et obtenu une Compétence, Ryoka ! Une Compétence rare, elle n’est même pas Niveau 20, je le sais, mais elle a obtenu une puissante Compétence de mouvement. Tout le monde en a entendu parler ! Après ça, elle complète les livraisons tellement vite que personne n’a le temps de suivre. »

Une Compétence. Bien sûr. Je me sens un peu malade. Persua n’a pas une bonne forme de course, a une mauvaise endurance, et aucune raison de s’entrainer ou de dépasser ses limites. Mais elle obtient une compétence et elle peut soudainement dépasser tout le monde.

« Est-ce que c’est de la chance ? Ou… Comment est-ce que tu obtiens des Compétences ? »

Garia semble misérable en hochant les épaules. Non, pas que misérable. Jalouse. C’est l’émotion que je vois en elle.

« Normalement les bonnes compétences arrivent tous les dix niveaux. Mais tu entends des histoires, ou c’est de la chance, et Persua a eu de la chance. Beaucoup de chance. »

« D’accord, qu’est-ce qu’elle a obtenu ? »

« [Foulées Doubles]. C’est l’une des compétences clefs que la plupart des Courriers ont. Ça et [Vivacité], c’étaient celle que Valceif avait, tu te souviens ? Si tu les obtiens, les gens disent que tu as déjà fait les deux tiers du chemin pour devenir Courrier ! »

Merde. Je me souviens que Valceif courrait comme s’il faisait deux enjambées pour chacune des miennes. Garia a raison ; obtenir l’une de ces compétences aucun Humain de mon monde n’était à ton niveau. C’est… Complètement injuste.

« Alors pourquoi est-ce qu’elle va au nord ? Il semblerait qu’elle pourrait rester ici et se la couler douce. »

« Eh bien, les Courriers se font bien plus d’argent et sont plus respectés au nord. Et, c’est ce que Persua a fait ! Elle a complété presque la moitié des requêtes de la guilde toute seule. Ils vont bientôt devoir la faire devenir Courrière où nous n’allons plus avoir de travail ! »

Je tape mes doigts sur la table, ma bonne humeur complètement oubliée. Persua la Courrière. Je voulais en devenir une, mais je ne peux pas courir assez vite. Valceif m’a dit que je pouvais peut-être en devenir une si je faisais mes preuves, mais Persua ? Avant moi ?

Cela me fout vraiment, vraiment en rogne. Mais… Je dois penser au bon côté des choses, ou moins elle ne va pas me déranger. Et si elle prend des livraisons haut placées, peut-être que quelqu’un va mettre sa tête à prix et qu’elle va mourir. Je peux toujours rêver.

Mais pour l’instant, je pense que je vais m’éloigner avant de devoir revoir Persua. J’allais demander à Garia si elle voulait me rejoindre à la nouvelle auberge d’Erin pour que je puisse laver le gout amer de ma bouche quand Garia me fait de grands gestes. Je n’ai même pas besoin de deviner que Persua arrive vers moi, c’est tout simplement logique. Quand je mets le pied dans la merde en courant, il y a souvent un second tas qui attend mon autre pied*.

*Traduction : Un train peut en cacher un autre. De plus, Persua est un petit monstre rancunier, donc elle utilisera la moindre opportunité de m’énerver.

« Ryoka, je ne t’avais pas vu ! Tu es venu me féliciter lors de ce jour très spécial, pas vrai ? »

Garia se fige, et devient pâle. Je la regarde, calculant ma prochaine action. Je ne me tourne pas. Je ne change pas mon expression.

« Salut, Persua. »

La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #184 le: 02 janvier 2022 à 16:19:44 »
Chapitre 3.04 Partie 2
Traduit par Maroti
5000 mots

Les autres Coursiers se taisent. Je sens un pic d’émotion dans mon estomac. Mes doigts. Garia prend une inspiration horrifiée lorsqu’elle les remarque pour la première fois, mais je refuse de réagir. Je regarde calmement Persua, croisant ses yeux petits yeux maléfiques.

« Est-ce que tu vas rester planter là ou est-ce que tu vas faire quelques livraisons, Persua ? Car si tu veux rester debout et parler, tu peux le faire dans un autre coin de la pièce. »

Elle cligne des yeux. Je ne cligne pas des yeux en retour. Je tiens son regard ; je l’ai déjà battu dans des combats de regard et j’adorerai l’humilier de nouveau. Mais elle ne joue plus à mes jeux. À la place, elle sourit et me regarde.

Merde. Je n’aurais pas dû réagir. Elle sait qu’elle m’agace. Je ne peux rien y faire.

« Je suis tellement désolée que ma petite fête te dérange. Je suppose qu’une grande Coursière de Ville comme toi est trop occupée pour te faire des amis, pas vrai ? Tu es trop doué pour nous, les petits Coureurs ? »

Je hausse les épaules.

« C’est ça. »

Le visage de Persua s’écroule, et des petits éclairs de rage apparaissent dans son regard. Elle me fait un sourire.

« C’est juste que… Je sais que tu ne veux pas paraitre malpolie, mais tu es… Tu ne m’as toujours pas dit à quel point tu étais heureuse. Et tu ne veux pas paraitre malpoli, pas vrai ? »

Elle veut que je la félicite ? Je ne lâche pas son regard.

« Allez. Tu n’as vraiment rien à me dire ? »

Non. Mais elle s’en ira peut-être. Mais non, et pas dans un million d’années.

« Tu n’arrives pas à m’entendre, Ryoka ? Est-ce que tu as perdu tes oreilles en plus de tes doigts ? »

« Je t’entends. Félicitations. Va te faire foutre. »

Les mots m’échappent avant que je puisse les arrêter. J’entends des inspirations de stupeur de la part de la galerie, et à certains endroits, des rires rapidement étouffés. Le visage pâle de Persua rougit.

C’était une erreur. Je viens de l’humilier, et au lieu de reculer, elle va essayer de faire de moi un exemple plutôt que de perdre fait. Je connais la routine. Je serre les dents et me demande comment je peux gérer ça.

Peut-être que je pourrais m’en aller ? Mais non, elle va croire que c’est une victoire ou m’empêcher de partir. Et je ne tourne pas le dos à ce genre de pimbêche. Voyons voir ce qu’elle va faire.

Persua regarde autour d’elle, et croise le regard de certains Coursiers qui l’entoure. Sa clique, ceux qui lui peignaient le cul avant qu’elle n’obtienne Compétence. Elle bouge sa tête et ils sortent de la foule. Je les compte. Quatre, six… Sept…

« C’est tellement malpoli de dire ça, Ryoka. Lors de cette journée très spéciale ! Je suis devant toi, Courrière en devenir, et tu… Tu n’es qu’une Coursière. Je pense que tu devrais t’excuser. En fait, j’insiste. »

Oh ? Elle appelle ses amis pour me tabasser ? Je suis impressionné, la majorité des filles attendent quelques mois avant d’en arriver là. Mais il est vrai que c’est un autre monde, et Persua est une démone avec une apparence humaine dégueulasse.

Les autres Coursiers font un pas en arrière en voyant ce qui va se passer. Le vieil homme essaye d’intervenir, mais sa voix est tremblante.

« Persua, je pense… »

Sa tête se tourne et le Chef de la Guilde se tait. J’ai un instant de sympathie pour lui ; il ne va probablement pas gagner beaucoup de respect après son départ. Tout le monde va se souvenir qu’elle lui a marché dessus. Mais après je me souviens qu’il est censé être en charge, et qu’il est un lâche. Les autres Coursiers me flanquent, comme s’ils étaient des mafieux et que j’étais une victime tremblante.

« Alors, j’attends mes excuses. »

Persua me regarde, suprêmement confiante désormais qu’elle a quelques Coursiers derrière elle. Mais bon sang. La majorité d’entre eux n’ont même pas de classe de combat ! Je suis plus grande que tout le monde à une exception près, et elle m’a déjà vue battre un aventurier de rang Bronze.

D’accord, ils sont dix. Plus Persua. Mais j’ai un peu changé depuis notre dernière rencontre. Je suis passé chez Octavia le lendemain de mes retrouvailles avec Erin, et elle a refait mon stock de potions et de sacs d’alchimistes. J’ai deux de tout prêt ça être utilisé, et je connais plusieurs tours de magie.

Je reste figé. Il y a plus impressionné à faire, mais je ne vais pas réagir à sa petite foule.

« Je ne vais m’excuser de rien. Et si tu ne fais pas partir de détestables petits sbires, je vais les faire souffrir. »

De toutes les choses que je sais que Persua attendait, elle ne s’attendait pas à ça. Son visage devient pâle, et les gens autour de moi s’agitent. Garia me regarde comme si j’étais folle et essaye de me faire signe de m’excuser, mais je suis calme.

S’ils veulent un combat, je suis totalement prête. Persua a peut-être une compétence qui la rend plus rapide, mais j’aimerais bien la voir esquiver une potion au poivre au visage. Si elle essaye de faire quoi que ce soit j’utiliserai [Grenade Assourdissante] et je le tiendrai jusqu’à verser la potion dans ses yeux. J’espère qu’elle va mordre à l’hameçon.

Elle ne mord pas. Persua me regarde, regarde ses compagnons, et décide de ne pas le risquer. Elle tourne la tête et fait demi-tour.

« Tu n’en vaux même pas mon temps. »

« Lâche. »

Je balance l’insulte et je vois son dos se raidir. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça ; ma bouche ne sait pas se tenir dans ce genre de situation. Persua se retourna, un sourire de haine sur le visage. Nous n’essayons même plus d’être civiles désormais.

« Insecte dépourvu de doigt. Mon dos est la seule chose que tu verras désormais. »

« C’est mieux que voir ta gueule. »

« Tu as couché avec combien de chiens et de lézards à Liscor ? »

« Oh tu sais, un ou deux. C’est déjà plus que tu coucheras dans toute ta vie. »

« Je ne toucherai jamais l’un de ces macaques ou monstres à écailles. »

« Ils s’enfuiront en criant en voyant ta gueule. »

« Salope. »

« Pétasse. »

« Tu resteras coincé ici à jamais, espèce de pathétique limace sans classe. »

« Et tu ne deviendras jamais une Courrière même après un millier d’années. »

Nous soutenons nos regards, et puis Persua se tourne. Je la laisse partir vers l’autre côté de la pièce et ne bouge pas avant qu’elle ne commence à rire bruyamment avec eux. Je soupire et me retourne vers Garia. Elle me regarde comme si elle avait avalé sa langue.

Bon, c’était marrant. Maintenant je dois aussi prévenir Erin de Persua.

Je déteste ma vie.

« Je me tire. Garia, est-ce que tu veux me rejoindre au Lièvre en Folie ? J’ai besoin d’une boisson. »

Garia ouvre la bouche et balbutie en me regardant.

« Je heu, je… »

Elle ne veut pas se retrouver du mauvais côté de Persua. D’accord. Je soupire et je me lève. Mon cœur bat la chamade, mais je suis sortie au-dessus de Persua. Qu’importe à quel point elle rit….

J’ai fait la moitié de la pièce quand je sens quelque chose se précipiter vers moi. Persua semble disparaitre de l’autre côté de la pièce, et je sens son pied me faire trébucher. Elle est trop rapide pour que je réagisse ; je trébuche…

Et me rattrape, grâce à de grands battements de bras. On m’a déjà fait trébucher, mais je sais garder l’équilibre. Dans tous les cas, je titube en avant et entends le rire moqueur de Persua.

« Comme tu es maladroite. Qu’est-ce qu’il s’est passé Ryoka ? »

Je me tourne et la regarde. Elle sourit, me mettant en défi de faire quelque chose. Je considère mes options, et décide de ne rien faire. C’est sa petite victoire, si elle le refait, elle est morte.

Je continue de marcher, ajustant ma sacoche. Persua est toujours en train de rire, mais je vérifie qu’elle ne m’a rien pris. Potions ? Check. Le sac sans fond de Teriarch ? Check. Ma ceinture de sacoche ?

L’une des sacoches se défait. Je la tâte, et je trouve de la viande froide et des miettes recouvertes de confiture dans ma sacoche. Rien d’autre. Je me retourne.

 « Vengeance ! »

Le cri vient de la petite Fée de Givre qui vole vers le visage de Persua. La fille n’a qu’un moment pour hurler avant qu’Ivolethe ne s’abatte sur elle. La fée vole autour de Persua, criant de triomphe tandis que Persua hurle et que les gens cri de surprise.

  « Prends ça ! Et puis ça, détestable mortelle ! »

Elle tire les cheveux de Persua, arrachant des mèches et lui griffant la figure. La fille hurle, agitant ses bras pour repousser la petite créature, mais Ivolethe est partout. Mais la main de Persua connecte par pure chance avec la fée, et Ivolethe est projeté au sol.

« Qu’est-ce que c’est ? Tuer ce truc ! »

Persua hurle et un autre Coursier s’élance et attrape Ivolethe. Elle lui hurle dessus et essaye de le mordre, mais il a un doigt sous son menton. Tout le monde devient silencieux lorsqu’ils voient pour la première fois ce qu’Ivolethe est.

« Quelle est cette créature ? »

« C’est… C’est un monstre ? Un Korrigan ? C’est trop pâle ! Et ça a des ailes ! »

« Laisse -là partir. »

Je m’avance, mais Persua et ses sbires me bloquent immédiatement le chemin. Elle me regarde, du sang coule des griffures qui parsèment son visage et des endroits où Ivolethe a arraché des cheveux.

« Tu a fait ça. »

J’ignore Persua et regarde le Coursier qui la tiens. Il est incertain, mais sa poigne sur Ivolethe est serrée et même s’il se débat, elle ne peut clairement pas se libérer. Et elle n’est pas en train de le geler ; elle ne doit pas être capable d’utiliser sa magie.

« Ce n’est pas un monstre. C’est un Esprit de l’Hiver. Laisse-la partir, tout de suite. »

« Un Esprit de l’Hiver ? »

Il regarde Ivolethe, confus. Elle essaye de bouger sa tête, mais son ongle est sous son menton. Elle le foudroie du regard et crache sur son pouce, mais c’est tout ce qu’elle peut faire.

« Tue -là. »

Persua siffle vers l’autre Coursier. Il hésite. Mon cœur se serre, et je lève ma voix.

« Blesse-là, et je te tue. Je le jure. »

Le Coursier me regarde. Il est l’un des sbires Persua, mais je sais que mes yeux sont sérieux. Que je dis la vérité. Persua me regarde, puis regarde la fée. Puis elle sourit de manière maléfique.

« C’est ton amie ? Est-ce que tu dois devenir amie avec des monstres, car personne ne t’aime ? »

J’ignore Persua et tends la main.

« Donne-la-moi. »

« Ne l’écoute pas. »

Persua s’interpose entre le Coursier et moi. Elle fait un signe, et ses sbires sont autour de moi. Je ne les regarde même pas ; mes yeux sont sur Ivolethe.

« Je n’ai jamais vu un Esprit de l’Hiver. Est-ce qu’elles ressemblent vraiment ça ? Ils doivent être les plus rares des monstres ; comment est-ce que tu l’as attrapé ? »

J’essaye d’étouffer la voix de Persua. Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce qui se passerait si j’essaye d’attraper Ivolethe et qu’elle est blessée ? Comment est-ce que je peux convaincre Persua ? Non, c’est le Coursier qui l’a. Je dois me concentrer sur lui.

Mais Persua bloque ma vue du Coursier. Elle me regarde, et je vois la haine dans ses yeux, tout simplement. Elle se tourne et regarde les autres Coursiers.

« Est-ce que l’un d’entre vous a déjà entendu parler d’une Fée de Givre se faire capturer ? Non ? Je suis certain que si nous la vendions à un [Marchand] ou un [Alchimiste], ils payeront des centaines, non, des milliers de pièces d’or pour elle. »

Les Coursiers autour d’elle s’agitent. La mention d’une telle somme change leur regard, et certains marchent lentement vers la foule autour de moi.

Merde. Ce n’est pas bon. Mais je dois libérer Ivolethe. Je regarde par-dessus Persua et lève ma voix.

« Si tu la blesses, tu en souffriras. Je me fous du nombre de personnes que tu as, je ne te laisserai pas la prendre. Elle est un être vivant. »

« Elle m’a attaqué ! »

« Et donc ? »

Persua siffle de furie. Elle fait un pas en avant et son épaule tape le Coursier qui tenait Ivolethe. Aussitôt. Ivolethe hurle, sa voix résonante dans la Guilde.

 « Mes sœurs ! Mes sœurs, entendez mon appel et châtiez… »

Sa voix se coupe tandis que le Coursier fait de nouveau pression sous son menton. Mais le mal est fait. Je vois les autres Coursiers regarder nerveusement et j’essaye de capitaliser sur ça.

« Tu as entendu ? Elle vient d’appeler ses sœurs. Tu as vu ce que les Fées de Givre et ce qu’elles font quand elles sont en colère. Qu’est-ce que tu penses qu’il va se passer si tu tus l’une des leurs ? »

Cela fait réfléchir les Coursiers. Certains d’entre eux reculent un peu. Personne ne veut subir la vengeance des créatures qui apporte l’hiver, qu’importe ce qu’ils peuvent gagner.

Persua semble mal à l’aise, mais elle est trop stupide pour réfléchir. Elle se tourne et hurle sur le Coursier.

« Fais-la taire ! Écrase là ! »

« Ne le fais pas. »

Le Coursier qui tenait Ivolethe hésite. Sa main tremble et la fée est en train de s’étouffer, mais il ne la lâche pas. Je m’avance.

« Laisse -là partir. Maintenant. »

« Espèce de lâche ! Donne-là moi ! Je vais le faire. »

Persua perd patience. Elle essaye d’attraper Ivolethe, mais le Coursier s’éloigne d’elle. J’avance, pensant qu’il a finalement retrouvé la raison, mais il la lève. Je m’arrête, la main tendue. Persua foudroie le Coursier du regard.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Il lèche ses lèvres. Mais il me regarde. Il ouvre la bouche et croit deux mots.

« De l’argent. »

« Quoi ? »

« Tu… Tu la veux, alors tu dois payer. »

Je le regarde avec incrédulité. Il n’est pas sérieux. Mais oh oui, il l’est. Je m’arrête de nouveau, mais il tient fermement Ivolethe en me regardant.

« Tout le monde sait que tu gagnes beaucoup. Alors… Donne-nous l’argent. Et je la laisse partir. Sinon… »

Il serre un peu plus fort et Ivolethe hurle. Mon sang bouillonne, mais Persua est en train de sourire.

« C’est vrai ! Donne-nous tes sacoches, et tes potions, et nous quitte. D’accord ? »

Ces salauds avides. Mais les yeux du Coursier sont sérieux, et Ivolethe souffre. Qu’est-ce que je dois faire ? Si je leur donne l’argent de Teriarch… Mais Ivolethe…

Je regarde Persua. Je regarde le Coursier. Je regarde Ivolethe, et je prends une décision.

« Eh puis merde. [Grenade Assourdissante] ! »

Le monde et le son autour de moi explosent dans un chaos confus. Je ferme les yeux, mais la vague sonique me frappe comme quelque chose de physique. Mes oreilles sonnent et se tuent, mais je suis déjà en train de charger le Coursier, le plaquant au sol.

Il n’y a pas le temps de réfléchir ou pour autre chose. Je tends le bras vers sa main. Je dois libérer Ivolethe. Lui faire lâcher. Attrape son bras. Brise ses os. Arrache-lui les doigts, avec tes dents si besoin. Je le frappe plusieurs fois tandis que je cherche la petite forme bleue parmi les points qui dansent dans mon champ de vision. Où est-elle ?

Nulle part. Disparue. Elle est libre ! Je vois une forme bleue voler vers la porte, et puis quelqu’un me frappe par-derrière.

Persua est sur moi, me griffant, me mordant, me donnant des coups de pied. Elle est comme un lynx, et certaines de ses amis sont aussi en train d’essayer de me frapper. Je roule, et je sors l’une des potions d’Octavia.

La potion de poivre serait plus efficace en tant que spray. Mais une bonne lancée permet d’en mettre dans beaucoup de visages et d’yeux, incluant Persua. Je protège mon visage et je sens le liquide chaud toucher ma peau, mais les cris valent le coup. Je titube en me relevant et vois Persua s’éloigner de moi sur des jambes tremblantes, hurlant en se frottant les yeux.

Quelque chose en moi se casse. Ses petites insultes, son croche-pied, ma jambe broyée, et Ivolethe, tout cela explose dans un poing qui percute sa joue et l’envoie au sol. Persua essaye de se relever, mais je la fais tomber et la chevauche lorsqu’elle essaye de se défendre et commence à donner des coups de poing.

Frappe là. Fais-la souffrir. Mes oreilles sonnent, mais j’entends le hurlement du sang, et c’est tout ce que je veux dans ce monde ou dans n’importe quel autre monde est de lui brisé le visage. Je frappe et je frappe, quelque chose me tire en arrière. Je lutte, frappant, mais celui qui me tient est trop fort.

La rage bouillonnant dans toutes les parties de mon corps s’éteint petit à petit, et j’arrête de lutter. C’est alors que je peux entendre et penser à nouveau, et je réalise que je suis retenu par deux épais bras.

« Garia ? »

Je regarde autour de moi et vois mon amie, son nez en sang, me tiens tandis que Persua git au sol. Les gens sont en train de crier de douleur, je vois des Coursiers qui cache leurs yeux tandis que d’autres, sourds, lèvent la voix. Deux personnes sont avec Persua, et je vois la fille git au sol.

Son visage est… Je commence à sentir la douleur au niveau de mes mains. Mes doigts me font terriblement mal, et je sens les petits lacérations et bleus sur ma peau. Je vois que la marque de mes phalanges est visible sur le visage de Persua.

Son visage est déjà en train de se gonfler. Je peux à peine voir ses traits, et il y a du sang. Beaucoup de sang. Je lui ai cassé le nez, même des parties de son visage. Elle pleure et tremble, et la [Réceptionniste] tenant la potion de soin ne sait pas par où commencer. Mais tandis que les hématomes disparaissent un peu, l’un de ses yeux se concentre sur moi. Et j’entends sa voix.

« Toi. »

Elle lutte, mais les deux femmes la retiennent. Le visage de Persua est recouvert de sang, de morves, de larmes et qui sait quoi d’autre. Mais sa voix est intacte. Elle tremble sous les émotions ; ce n’est pas un hurlement, mais un murmure, perçant.

« Je vais te tuer. »

Je suis assez proche pour entendre les lèvres malformées de Persua laisser s’échapper les mots. Ses yeux sont fixés sur moi, fous, et les mots se déversent, la haine imbibant chaque syllabe. Des larmes coulent à travers le sang sur ses joues, mais elle continue de me regarde.

« Je vais te tuer. Je le jure. Je vais te faire violer et tuer. Tu vas mourir en hurlant. »

« Ryoka… »

Garia essaye de me tirer en arrière, et la [Réceptionniste] essaye de nous séparer. Mais Persua se débat et je refuse de bouger. Elle hurle.

« Je vais te tuer ! Tu crèveras dans d’atroces souffrances ! Il ne restera pas un morceau de toi ! Je vais te tuer toi et tous ceux que tu aimes, tu… »

La [Réceptionniste] essaye de mettre la potion dans sa bouche, mais Persua crache une dent cassée avec la potion et continue de me hurler dessus.

Il y a quelque chose de fou dans son regard. Garia me retient et je regarde Persua. Elle continue de parler, à moitié en train de parler, à moitié en train de m’insulter. Il n’y a rien que je puisse le dire, rien à dire. Donc je lui donne un coup de pied dans l’estomac et la regarde vomir lorsque Garia me tire en arrière.

***

Deux heures plus tard, je me tiens dehors dans le froid. Je le sens à peine, même si je n’ai pas eu de la soupe d’Erin. Je sens l’air froid s’engouffrer mes vêtements et je m’en fiche.

« Ivolethe. »

La fée flotte dans l’air proche de moi, semblant anormalement sérieuse. Je suis habillé, elle est nue. Mais c’est moi qui ai le plus froid. Mon cœur est très froid. Figé.

Je m’assois lentement dans la neige, et la fée descend à mes côtés. La neige est humide, je m’en fiche. Je n’ai pas quelque part ou me rendre, et je ne peux pas me tenir. Pas maintenant.

Après quelque temps, la fée parle.

  « C’était une rencontre inattendue, n’est-ce pas ? »

Je la regarde. Ivolethe me rend mon regard.

« Qu’est-ce que je suis censé répondre à ça ? »

  « Je n’en suis pas certaine. Mais est-ce que cela s’est terminé comme tu l’attendais ? »

Je laisse échapper un rire sec.

« Qu’est-ce que tu crois ? Je suis banni de la Guilde des Coursiers, peut-être de toutes les Guildes. Ils vont peut-être porter plainte, ou me faire payer pour ce qu’il du bâtiment. »

Peu de temps après mon départ, les autres Fées de Givre sont apparues. Elles ont créé une avalanche dans le bâtiment. S’il n’avait pas été déserté… Mais comme il l’était, presque la totalité de l’intérieur du bâtiment avait été détruite. Le bâtiment était tellement rempli de neige que les gens étaient en train de creuser la neige compacte.

« Quel bordel. »

La version courte de ce qui s’était passé est que Persua a été envoyée au meilleur Guérisseur du coin pour soigner les blessures que les potions ne pouvaient pas régler. Les Coursiers se sont dispersés, principalement grâce aux Fées de Givres les ont bombardés de pics de glace, les ont gelés, et ainsi de suite. Je pense que lorsque les membres de la Guilde auraient aimé me tenir responsable, mais ils ont eu des doutes quand ils ont vu les fées littéralement rasées la Guilde en l’espace d’un instant. Tout comme la Garde, c’est pourquoi ils m’ont cordialement demandé de quitter la ville plutôt que de me jeter dehors.

J’aurais pu probablement rester. Mais je ne voulais pas être proche de Persua, encore moins dans la même ville. Je me souviens encore de ce qu’il y avait dans ses yeux.

Ce n’est pas terminé. Je n’ai jamais vu quelqu’un avec ce regard, et je savais sans l’ombre d’un doute qu’elle pensait ce qu’elle avait dit. Une partie de moi regrettait de ne pas pouvoir revenir en arrière pour la poignarder. Elle n’allait jamais oublier. Mais je n’étais pas un meurtrier.

Même si j’ai failli le devenir il y a peu.

« Quel bordel. Quel terrible, horrible… »

La fée lève les yeux vers moi. Je baisse les yeux vers elle. D’une certaine manière, c’est sa faute. Persua m’aurait laissée seule si je m’en étais allé. Mais je ne peux pas la détester pour ce qu’elle a fait. C’est ce que j’aurai fait pour Erin, la même chose.

« À partir de maintenant, je ne te prends plus avec moi dans un bâtiment. Compris ? »


Désolé pour le mauvais formatage du chapitre, je de pas mon ordinateur sous la main! Les codes seront rajouté quand je reviendrai dans 2 semaines, merci de votre compréhension et bonne année!

La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

https://aubergevagabonde.wordpress.com/


Hors ligne Maroti

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  • Messages: 122
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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #185 le: 09 janvier 2022 à 15:54:30 »
3.05 L – Partie 1

Traduit par Maroti

5200 mots


La journée suivant la rencontre entre Ryoka et Persua et avant que tout cela n’arrive, un [Message] fut envoyé à Celum pour Ryoka et Erin. Deux sorts, en fait. Ils furent dûment enregistrés et c’est quand Ryoka se rappela qu’elle devait passer par la Guilde des Mages qu’ils furent livrés aux deux filles au comptoir sans incident.

Erin et Ryoka regardèrent le petit morceau de papier et l’écriture précise et lisible du scribe. C’était un message court, mais qui toucha tout ce dont Erin s’inquiétait en privé.

Erin, Mrsha est avec moi et Olesm garde un œil sur ton auberge. M est inquiet, mais s’adapte. Tout va bien ; pas de coup de poignard par un Gobelin. J’ai prévenu Klbkch et Relc. Soit prudente,

— Selys.

Erin laissa échapper un soupir de soulagement en voyant le message pendant que Ryoka regarda la courte réponse de Krshia.

Nous attendrons ta livraison. Les autres n’agiront pas avant.

L’autre fille ne soupira pas de soulagement, mais cela la rassura. Les deux jeunes femmes quittèrent la Guilde des Mages sans envoyer de message en réponse, et se retrouvèrent avec Yvolethe et Garia pour le reste de la journée. La situation n’était pas idéale, Erin et Ryoka étaient d’accord pour dire qu’elle n’allait pas pouvoir rentrer de sitôt.

Cependant, tous ceux qui se trouvaient à Celum et Liscor avaient omis une personne dans leurs échanges. Selys l’avait complètement oublié, occupée par une Mrsha colérique et déboussolée, et Krshia était trop occupée à prendre en charge son neveu Brunkr, qui gisait dans son lit en se plaignant de sa patte. Erin était distraite après ce qui s’était passé avec Toren pour s’en rappeler, et Ryoka s’en fichait. Donc, personne n’avait mentionné le dernier détail encore irrésolu de l’auberge d’Erin.

Ils avaient complètement oublié Lyonette.  

***

Lyonette s’assit dans l’auberge vide qui appartenait à Erin Solstice et regarda les volets fermés. Il faisait sombre. La pièce était vide et silencieuse et la neige tombant à l’extérieur ne perturbait pas l’étouffante immobilité du bâtiment. Mais Lyonette resta immobile, refusant de bouger. Elle n’était pas en train de pleurer, ou de devenir hystérique. Elle n’avait pas les mêmes réactions que la plèbe.

Mais elle avait peur. Elle pouvait voir des flocons s’engouffrer par l’ouverture d’un volet mal fermé. C’était l’une des fenêtres qui n’étaient pas couvertes par une vitre de verre. Elle savait qu’elle devait se lever pour le fermer, mais elle ne voulait pas le faire. La peur la retenait.

Lyonette, ou Lyon quand elle y répondait de manière désagréable, regarda la neige lentement tomber à l’extérieur. Des flocons tombaient du ciel nuageux, disparaissant dans le paysage blanc. Elle regarda la neige et se demanda quand allait-elle s’arrêter. Une partie d’elle voulait qu’elle ne s’arrête jamais, comme si le temps était lié à la neige. Tant qu’il continuait de neiger, le temps ne s’écoulerait pas et elle n’aurait pas à affronter la vérité.

Erin Solstice avait disparu. Elle avait soudainement quitté l’auberge et n’était jamais revenue. Elle avait disparu, tout comme la mignonne petite enfant Gnolle nommée Mrsha. La hargneuse Coursière de ville, Ryoka Griffin, avait aussi disparu et les clients avaient arrêté de venir. L’auberge était désormais déserte, à l’exception de Lyonette. Et si les Gobelins revenaient, un cadavre allait être la dernière chose dans cette auberge. Ou pire.

Lyonette frissonna à cause du froid grandissant. Elle n’avait pas osé allumer un feu, même si le froid hivernal la forçait à se recroqueviller dans tous les vêtements qu’Erin lui avait donnés. Elle avait même traîné une couverture depuis l’étage, mais cela ne l’empêchait pas de trembler. Elle pouvait parfois voir sa respiration après avoir retenu son souffle.

C’était une découverte pour Lyonette. Elle ne s’était jamais retrouvée dans un endroit aussi froid. Des servants qui écoutaient le moindre de ses ordres l’avaient toujours aidé, être exposé à un froid potentiellement mortel était impensable.

Mais ses servants étaient sur un autre continent et Lyonette était seule. Et Erin, l’unique personne qui avait pris soin d’elle, avait disparu. Elle avait peut-être été tuée par l’armée Gobeline. Ils étaient partis au nord, pas vrai ?

Lyonette frissonna de manière incontrôlable et manqua de tomber de sa chaise. L’armée Gobeline. Une immense armée qui avait traversé la passe de Liscor, comme celle menée par les Seigneurs des Gobelins du passé. Elle n’avait jamais vu un Seigneur des Gobelins, mais l’armée avait été suffisante pour lui donner des cauchemars.

Elle se rappelait clairement cette nuit. Elle avait été dans son lit après que Selys ne parte avec Mrsha. Lyonette avait mal dormi ; elle était à peine sortie du lit après que la Drakéide ne traîne la petite Gnolle hors de l’auberge, ignorant les hurlements de détresse que l’enfant Gnolle avait poussés. Et puis elle avait entendu le cri perçant, la tirant hors de son sommeil. Une minute plus tard, Lyonette réalisa que ce n’étaient pas des cris qu’elle entendait, mais des Gobelins.

Une armée était en marche dans la pénombre, à travers les flocons de neige, des centaines, des milliers d’entre eux. Certains tenaient des torches, mais la majorité d’entre eux n’avaient été que des ombres, traversant rapidement la neige, riant et hurlant tandis que le métal de leur arme reflétait la lumière des torches.

Une armée Gobeline. Le fléau de la civilisation. Lyonette avait été trop terrifiée pour les compter et vérifier s’ils étaient vraiment des milliers comme dans l’armée du Roi des Gobelins. Elle barricada la porte et monta à l’étage quand elle réalisa qu’il se dirigeait vers Liscor.

Lyon s’était caché dans sa pièce à l’étage, se cachant sous le lit avec son cœur battant la chamade en écoutant les Gobelins passer. Sa première pensée fut que les Gobelins allaient attaquer Liscor. Mais ils ne l’avaient pas fait. Ils avaient contourné la ville par l’est. Ils se dirigeaient au nord, vers les terres Humaines, et avaient été forcés de passer par Liscor.

Les Gobelins avaient passé par les murs en un seul groupe, envoyant des flèches sur les protecteurs de la ville tandis que les [Gardes] tinrent les remparts. Plusieurs volées de flèchent furent tirer sur la ville, et la contre-attaque apparut sous la forme d’un orbe luisant et craquelant de foudre. Le sort avait envoyé plusieurs éclairs dans les rangs des Gobelins, qui s’était dispersé et avait battu en retraite.

Lyonette avait reconnu l’enchantement. Elles étaient standards dans toutes les grandes villes courant le risque de se faire attaquer par des monstres. Et elles étaient suffisantes pour convaincre l’armée Gobeline de ne pas attaquer, car la masse de monstres ne s’arrêta pas et disparut en prenant la route vers le nord. Lyonette avait regardé les formes noires disparaitre et avait attendu que le dernier hurlement ne s’éteigne dans le silence. Mais elle resta cacher jusqu’au petit matin, et plusieurs heures après cela.

Puis, ce fut le silence. Lyonette resta dans l’auberge pendant deux jours, n’ouvrant la porte qu’à l’étrange Drakéide qu’elle reconnaissait vaguement quand il essaya de rentrer. Il ne dit pas grand-chose, son nom était Okresm ou quelque chose du genre, et il s’en alla dès qu’il réalisa que Lyon était toujours là. Ou plutôt, elle dut le faire partir.

Lyonette était en train de le regretter, légèrement. Cela faisait des jours que l’armée était passée, et la jeune femme n’avait pas entendu de nouvelles d’Erin. Elle avait totalement disparu.

Qu’est-ce qui s’était passé ? Ryoka était partie avec quelques mots en disant qu’elle allait la chercher. Puis Selys avait décidé de prendre Mrsha en ville. Et puis…

Rien. Où était Erin ? Est-ce que Ryoka l’avait trouvée, ou est-ce qu’elle était encore en train de chercher ? Lyonette n’en avait pas la moindre idée, et ses peurs étaient les seules personnes qui s’adressaient à elle, la rendant de plus en plus paranoïaque.

Erin n’allait jamais revenir. Elle allait peut-être revenir, mais elle pouvait être blessée. Qu’est-ce qui se passerait si un monstre l’avait tué ? Ou son squelette ? Peut-être qu’il avait dévoilé sa véritable nature et l’avait poignardé dans le dos, ou l’avait simplement abandonnée au milieu de nulle part. Elle pouvait avoir été tuée ! Ou dévorée ! Ou…

Lyonette imagina les Gobelins faire toutes les horribles choses que sa [Gouvernante] lui avait dit, ou ce qu’elle avait entendu en écoutant les conversations du palais. Erin avait peut-être croisé le chemin de l’armée. Elle était peut-être en train de mourir à cet instant même.

Cela ne donna pas le courage nécessaire à Lyon pour qu’elle parte à la recherche d’Erin comme cette malpolie de Ryoka avait fait. Elle ne savait même pas par où commencer, et les Gobelins l’avaient probablement mangée. De plus, Lyon ne lui devait rien. Erin Solstice était une grossière paysanne qui ne traitait personne avec le respect nécessaire et qui faisait trop facilement confiance. Tout ce qui lui arrivait était probablement sa faute.

Mais Lyonette devait l’admettre, l’auberge n’était jamais aussi sombre quand Erin Solstice était là. Elle n’avait jamais été aussi…

Vide.

C’était comme si la vie de l’auberge s’en était allée avec Erin. Les clients avaient arrêté de venir le lendemain de son départ. Cela était peut-être dû au passage des Gobelins et au manque de lumière, Lyonette avait arrêté de nourrir le feu dans la cheminée, mais toute l’agitation s’était totalement éteinte.

Lyonette avait d’abord été impatiente, attendant le retour d’Erin. Puis effrayée. Maintenant, après plusieurs jours, elle était… Silencieuse. Lyonette s’assit dans l’auberge, jour après jour, ne se levant que pour trouver quelque chose à boire ou aller aux toilettes. Mais plus elle restait assise dans ce bâtiment mort, plus elle se rendait compte que quelque chose devait changer.

Elle mit du temps à s’en rendre compte. Une réalisation qui venait de ses longues nuits à observer la porte sans trouver le sommeil, à tressaillir au moindre bruit. Ou quand elle trouva la petite réserve de pièce d’Erin en réalisant que la majorité de ses pièces d’or avaient été données aux Cornes d’Hammerad ou se trouvaient sur Erin. Et quand elle regarda les placards vides et sentit le petit creux dans son estomac qui n’avait jamais connu la faim.

Lyonette s’était endormi en pleurant la première fois qu’elle s’était couchée sans avoir mangé. Puis elle avait arrêté de pleurer la nuit suivante, l’épuisement empêchant les larmes de couler. Six jours après la disparition d’Erin, Lyonette savait ce qu’elle devait faire. Elle regarda l’Auberge Vagabonde devenir encore plus glaciale. Elle le savait.

Erin Solstice n’allait pas revenir. Ou si elle le faisait, cela pouvait être demain, dans une semaine, ou dans des mois. Dans tous les cas, il serait bientôt trop tard. Donc. Lyonette savait ce qu’elle devait faire pendant l’absence d’Erin.

Elle devait travailler. Ou mourir de faim.

C’était un concept étranger pour elle, et quelque chose qu’elle détestait. Mais cela ne changeait pas les faits. Elle allait bientôt être à court de pièces, et il y avait encore moins de nourriture dans l’auberge. Elle devait travailler. L’auberge d’Erin marchait en servant de la nourriture aux clients, elle devait faire la même chose.

Il n’y avait pas d’autre option à laquelle Erin pouvait penser. Elle ne pouvait pas s’imaginer faire la route vers le nord à travers la neige…. Et avec les Gobelins… Non. Et elle était bannie de la ville, donc il ne lui restait plus que l’auberge.

Ce n’était une conclusion qu’elle accepta facilement, mais après deux jours passés à manger les derniers morceaux de fromage gelés et de pain dur qui restaient au fond du garde-manger, Lyonette était désespérée.  Et elle se trouva donc à attendre à la porte quand Olesm, le Drakéide, tailla un chemin à travers la neige jusqu’à l’auberge.

« Toi ! Toi là-bas, le Drakéide ! »

Il sursauta quand Lyonette claqua la porte pour l’ouvrir. Elle avait vu le Drakéide venir tous les jours ou presque. Il se contentait généralement de regarder à travers l’une des fenêtres pendant quelques minutes avant de partir. Elle savait qu’il partait encore plus vite quand il la voyait à travers la fenêtre.

« Oh. C’est toi. Hum, Lyon, c’est ça ? »

Lyonette fit un grand sourire au Drakéide et se retint de le corriger sur son nom.

« C’est bien ça. Et tu es… Olesm, correct ? »

« Oui, c’est ça. »

Le Drakéide toussa et regarda l’auberge sombre avec espoir.

« Est-ce, heu, est-ce qu’Erin est de retour ? »

« Non. Elle n’est pas là. »

« Ah. Je vois. »

Le Drakéide hésita.

« Alors, je ne vais pas te déranger. Je, heu, reviendrai demain. »

« Non ! Ne fais pas ça ! Enfin, pourquoi est-ce que tu ne restes pas ? »

« Quoi ? »

Lyonette ouvrit un peu plus la porte. Le Drakéide cligna des yeux en voyant la porte sombre, et Lyonette réalise qu’il ne pouvait probablement pas voir ce qu’il y avait à l’intérieur.

« Il fait un peu sombre, mais je vais démarrer un feu. Tu peux rester et… Commander quelque chose ! »

Le Drakéide la regarda, dubitatif, tandis qu’elle lui fit un sourire désespéré.

« Mais Erin n’est pas là. Et elle est l’aubergiste. »

« Oui, mais je suis là, n’est-ce pas ? »

« Je suppose que c’est vrai. »

« Alors, pourquoi ne pas rentrer ? L’auberge d’Erin… C’est toujours son auberge même pendant son absence, pas vraie ? »

« C’est… Peut-être vrai ? »

Olesm fronça les sourcils. Il regarda vers la ville comme s’il considérait partir, puis haussa les épaules avec réluctance.

« Je suppose que je peux rester quelques instants… »

« Bien ! »

Lyonette manqua de laisser échapper un soupir de soulagement. Elle ouvrit la porte et le Drakéide entra. Il frissonna ; l’intérieur de l’auberge était à peine plus chaud que l’extérieur.

« C’est glacial là-dedans ! Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de feu ? »

« J’ai… Oublié. »

Lyonette fit semblant de raviver quelques braises. Puis elle frappa quelquefois le briquet et créa quelques étincelles et le feu se ralluma. Olesm regarda les petites flammes dévorer le bois sec et attaquer les plus grosses buches que Lyonette avait mises dans l’âtre et il regarda le bâtiment vide.

« Il fait si sombre et maussade. Heu, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Je suppose que lorsqu’Erin est absente… »

Il racla sa gorge.

« Tu… Tu as dit qu’il y avait quelque chose à manger ? J’ai un petit creux. »

« À manger ? Maintenant que tu le dis… »

Lyonette se tourna aussi désinvolte que possible et donna sa meilleure expression contrite à Olesm.

« Je suis désolé, mais j’ai oublié… Il n’y a plus rien dans le garde-manger. Erin était la seule capable de faire les courses. »

« Pas toi ? »

Le Drakéide fronça les sourcils en regarda Lyon. Elle hésita.

« Je ne peux pas aller en ville. Je suis bannie. »

« Oh, c’est vrai. Tu es la voleuse. »

« Je… »

Lyonette hésita. Puis ferma lentement la bouche. Elle était la voleuse, même si elle n’avait pas la classe de [Voleuse]. Elle ne s’était pas vue ainsi, mais les Drakéides et Gnolls l’avaient désignée comme telle. Elle devait jouer dans leur jeu.

« C’est vrai. Je suis la voleuse. »

Elle essaya de paraitre le plus désolée possible.

« C’est ma faute, bien sûr. J’irai bien faire des courses, mais ce n’est pas possible. Donc il n’y a plus rien à manger. »

« Ah. »

Le Drakéide regarda Lyonette. Elle racla de nouveau sa gorge. 

« Je ne sais pas ce que je vais faire sans nourriture. Si je ne peux pas servir à manger aux clients, comment est-ce que je vais garder l’auberge d’Erin ouverte ? »

« Toi ? Tu vas garder l’Auberge Vagabonde ouverte ? »

Le regard qu’Olesm fit à Lyon était incrédule. Elle serra les dents, mais hocha la tête.

« C’est mon travail. Je suis une [Serveuse] après tout. Et employée par Erin Solstice. C’est ce qu’elle a dit. Et quelle sorte d’employée je serais si je ne… Gardais pas l’auberge ouverte sans lui apporter de l’argejt durant son absence ? »

« Je suppose que ça a du sens. »

Olesm fronça les sourcils et se gratta le menton. Lyonette hocha la tête, le sourire désespéré toujours sur son visage.

« Donc j’ai besoin d’aide pour livrer de la nourriture à l’auberge pendant l’absence d’Erin. Je payerai, bien sûr, et tu pourras manger ici ! »

« Attends, quoi ? Tu veux que je fasse tes courses ? »

Le Drakéide se leva de sa chaise et fronça les sourcils. Elle hocha la tête, le fixant du regard.

« Tu dois le faire. Pas des plats déjà faits ; je vais vendre ce qu’Erin faisait d’habitude. Mais tu dois me ramener les ingrédients pour que je puisse les cuisiner. Ou je vais mourir de faim. Et ce n’est pas ce que tu veux, pas vrai ? »

Le Drakéide regarda Lyonette d’un air qui était moins rassurant qu’elle le souhaitait. Mais il accepta finalement de trouver un moyen d’apporter de la nourriture à Lyonette.

« Je suppose que je peux faire quelques voyages… Mais comment est-ce que tu vas garder l’auberge ouverte ? Est-ce que l’endroit ne va pas perdre son, ah, attraction sans Erin ? Pourquoi est-ce que quelqu’un irait aussi loin ? »

« Parce que je peux bien cuisiner, et servir les clients avec finesse et raffinement ! »

« Vraiment ? Toi ? »

Olesm ne semblait pas convaincu. Lyonette serra les dents, mais lui fit un sourire.

« J’ai une Compétence de cuisine. »

« Vraiment ? »

« Absolument. Et cela fait un mois que je m’occupe de table. Apporte les ingrédients, et je vais les cuisiner. En réalité, pourquoi est-ce que tu ne m’en rapportes pas maintenant ? J’ai de l’argent et une liste… »

« En fait, il fait un peu froid dehors… Dès maintenant ? Et qu’est-ce… »

Olesm cligna les yeux lorsque Lyonette lui tendit un morceau de parchemin et quelques pièces dans ses griffes et le jeta presque dehors. Elle le regarda de manière anxieuse lorsqu’il se retourna vers l’auberge, et puis le regarda repartir vers la ville, le cœur battant la chamade.

Elle l’avait fait ! Mais la véritable épreuve allait être quand il allait revenir. Lyonette regarda la forme lointaine d’Olesm par la fenêtre tandis qu’il se dirigea vers la ville, et s’assit à la fenêtre pour observer la ville tandis que l’air commença à se réchauffer.

Elle eut l’impression qu’une éternité et demie passa avant qu’elle ne voit une silhouette alourdie quitter la ville et se diriger vers elle. Elle eut l’impression que cela dura encore plus longtemps lorsque le Drakéide lutta pour gravir la colline et posa les sacs remplis de course de manière épuisée sur le pas de la porte tandis qu’elle l’ouvrit en grand.

« Merci d’avoir tout ramené ici ! »

« Quoi ? Ce n’est rien. Enfin c’est un peu lourd, est-ce que tu as quelque chose à boire ? »

« Je dois d’abord cuisiner. »

Lyonette était déjà occupé à ouvrir les sacs. Olesm hocha la tête et s’affaissa dans une chaise.

« Dans ce cas, je pourrais définitivement manger quelque chose. Quelque chose de chaud. »

« Oh. Maintenant ? »

L’Humaine regarda le Drakéide qui lui rendit son regard.

« Oui. Je veux dire, tu vas faire à manger, pas vrai ? »

« Bien sûr. Mais… »

Lyonette hésita.

« … Je dois travailler sur quelques recettes d’abord. Pourquoi est-ce que tu ne reviendrais pas dans deux jours ? J’aurai probablement besoin de nouveaux ingrédients. Ou, tu pourras revenir ce soir si tu veux acheter quelque chose. »

Le Drakéide regarda les sacs qu’il avait achetés de manière outrée.

« Quoi ? Mon repas n’est pas offert par la maison ? »

« Non ! »

Lyon le regarda, le Drakéide lui rendit son regard.

« D’accord, je crois que je vais revenir plus tard. Je veux dire, si tu n’es pas occupé. »

« Je ne vais pas te retenir. Et souviens-toi, faudra bientôt refaire les courses ! Et passe le mot à tes… Amis. L’Auberge Vagabonde est de nouveau ouverte ! »

Lyon entendit à peine Olesm claquer la porte en sortant. Elle était trop occupée à regarder le splendide contenu du sac. Des œufs, enroulé avec précaution pour ne pas les casser, du fromage frais, de la farine, son estomac gargouilla de manière incontrôlée et les mains de Lyonette tremblèrent.

Une partie d’elle voulait engloutir tout sans prendre le temps de cuisiner, mais elle traîna le tout dans la cuisine et rangea d’abord les ingrédients. Elle devait le faire.

De manière presque mécanique, la fille sortit les ingrédients et les posa sur le comptoir lorsque le feu qu’elle avait allumé dans la cuisine commença à réchauffer l’air à son tour. Elle souffla sur ses mains, ignorant son estomac vide tandis qu’elle se préparait. Elle allait cuisiner. Elle, Lyonette du Marquis, s’apprêtait à cuisiner.

De la honte et de l’envie la secouèrent telles des vagues, mais le vide de son estomac écrasa ses sentiments. Lyonette regarda les ingrédients et imagina quelque chose de simple. Des pâtes. Elle se souvenait des délicieuses pâtes beurrées qu’Erin lui avait servies à elle et aux autres clients un soir. Elle pouvait certainement le faire ?

Lyon avait désormais [Cuisine Élémentaire] comme Compétence, un fait qui la couvrait de honte et la rendait secrètement joyeuse. C’était la compétence d’une paysanne, oui, mais c’était sa Compétence. La sienne.

C’est ainsi qu’elle se trouva à cuisiner de la farine, du sel, des œufs et de l’eau dans la cuisine. Lyonette mélangea d’abord la farine et le sel, et puis fit une cheminée pour rajouter l’œuf battu. Puis elle mélangea l’œuf et la pâte jusqu’à ce qu’elle se mélange. Et comme par magie, l’étrange mélange d’œufs et de farine se transforma en autre chose. De la pâte !

C’était de la pâte, la même chose que Lyonette avait vu des boulangers transformer en pain ! Elle regarda la petite boule sur le comptoir et regarda ses mains recouvertes de farine avec incrédulité.

« C’est comme ça que c’est fait ? C’est… Tellement simple ! »

Elle s’attendait à ce que cela soit un long et laborieux processus, ou un mélange convoluté d’ingrédients ? Mais ceci ? A peine quelques minutes d’effort et elle avait pratiquement terminé de cuisiner ! Une partie de Lyonette était ravie, une autre était indignée que les gens payassent autant les [Boulangers] et les [Chefs]. Il n’y avait rien de compliqué !

Mais Lyonette réalisa qu’elle n’avait pas terminé lorsque sa compétence lui indiqua qu’elle devait continuer. Elle devait masser la pâte pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que ses faibles mains soient endolories et pleines de crampes sous l’effort. Puis, elle dut trouver le rouleau à pâtisserie dans l’un des tiroirs et aplatir la pâte. Puis elle dut les couper en longs morceaux, et faire bouillir de l’eau.

Puis, Lyonette ajouta les pâtes et un peu de sel et regarda les nouilles tourner tandis qu’elle touilla anxieusement la casserole. Et après deux minutes, les pâtes étaient cuites. Lyonette jeta l’eau dehors et secoua le pot pour retirer les dernières gouttes. Puis elle posa la pile de pâte dans une assiette et commença à manger.

Dans l’auberge tiède, près du feu mourant, la jeune [Princesse] utilisa une fourchette légèrement pliée pour apporter la première bouchée de pâte à sa bouche d’une main tremblante. Elle mordit, Macha, et avala la nourriture avec une telle vitesse qu’elle n’avait presque pas le temps de sentir le gout. Puis elle prit une seconde bouchée, et une troisième, et son visage s’effondra avec chaque bouchée.

Ce n’était pas possible. Et pourtant c’était le cas. tandis que le manque dans son estomac s’amenuisa, Lyonette mâcha lentement les nouilles humides et sut que c’était la vérité. Son plat n’était pas super, il n’était même pas bon. C’était fade. Non, pire, c’était simplement médiocre. En vérité, elle avait fait les pâtes grâce à sa compétence, mais c’était bien loin de ce qu’Erin pouvait faire.

Lyonette avait été affamé, mais même elle ne pouvait pas finir sa grande assiette. Elle termina deux tiers et regarda les nouilles pâles, à la fois dégoutées et déçues.

Ce n’était pas du tout la même chose. Elle pouvait se souvenir des magnifiques pâtes qu’Erin avait faites il n’y a pas si longtemps de cela, chaudes et beurrées, et délicieusement épicées avec quelques herbes. Cela avait été délicieux sans la viande. Lyonette y repensa et eut l’eau à la bouche.

Mais ceci ? C’étaient juste des pâtes, à peine dignes d’être servies. C’était une disgrâce pour n’importe quelle auberge, et pire, c’était le résultat d’une Compétence. La Compétence de Lyonette. Était-ce vraiment tout ce qu’elle pouvait faire, même avec [Cuisine Élémentaire] ?

Lyonette voulait de nouveau pleurer. Ce n’était pas juste. Pourquoi est-ce que sa cuisine était aussi terrible ? Elle se souvenait d’avoir demandé à une de ses [Servantes] qui avait [Cuisine Élémentaire] de lui faire une collation, et même si elle n’avait pas été délicieuse, ce n’était pas… ça. Qu’est-ce qu’elle avait mal fait ?

Puis elle se souvint de ce que l’un de ses tuteurs avait dit lors de l’une des rares journées où elle avait prêté attention. Les Compétences pouvaient grandement améliorer les talents de quelqu’un et même leur permettre de faire quelque chose d’habituellement impossible pour eux, comme pêcher, travailler le métal, ou se battre. Mais une Compétence améliorer ce qui était déjà là.

Si deux [Guerriers] avec les mêmes Compétences se battaient, celui qui s’était entrainé depuis plus longtemps et qui avait le plus d’expérience allait obligatoirement gagner. De la même manière, même avec [Cuisine Elémentaire], si Lyonette n’avait jamais cuisinier, tous ces plats allaient être comme ça : basique.

Pendant deux minutes Lyonette regarda l’assiette de nouille froide, et entendit quelqu’un frapper à la porte. Son corps se figea sous l’effet de la peur et de l’appréhension, mais des Gobelins ne frapperaient pas, pas vrais ? Cela n’était pas un monstre, mais un client. Un client !

Elle se leva subitement et ouvrit la porte en grand. Elle pensa à plusieurs choses en peu de temps. Est-ce qu’il faisait trop froid dehors ? Elle aurait dû ouvrir les volets pour indiquer que l’auberge était ouverte ! Et sa cuisine ? Elle ne pouvait pas servir de la nourriture comme… Qu’est-ce qu’elle devrait dire ? Qu’est-ce qu’Erin pouvait dire à ses nouveaux clients ? « Bienvenue, puis-je vous tirer une chaise ? » ou est-ce que c’était « laissez-moi prendre votre manteau » ?

La personne se tenant dans l’ouverture de la porte que Lyonette ouvrit n’avait pas de manteau à prendre. Un massif Drakéide, bien plus grand qu’Olesm, cligna des yeux vers Lyonette lorsqu’elle le regarda. Il toussa après quelques instants.

« Salut… Toi. »

« Hum, bienv… Avez-vous un siège pour votre manteau ? »

« Quoi ? »

Lyonette rougit. Le Drakéide gratta de manière géné les pics à l’arrière de sa tête et regarda la jeune femme dans l’auberge. Ses yeux remarquèrent l’assiette solitaire et le feu avant de retourner sur elle.

« Est-ce qu’Erin est de retour ? »

Lyonette avala sa salive. Elle reconnaissait vaguement le Drakéide ; il était Relc, celui qu’Erin avait jeté hors de l’auberge. Mais il était aussi un client, pas vrai ? Elle essaya de sourire le plus amicalement possible tandis qu’elle ouvrit un peu plus la porte.

« Pas encore. Mais si tu veux rester et manger quelque cho… »

« Nan. À plus. »

Le Drakéide se tourna avant que Lyonette soit le temps de finir sa phrase. Désespérée, elle ouvrit la porte en grand pour l’appeler, mais son souffle se coupa quand elle vit le sombre Antinium proche du Drakéide. Il avait été si immobile, si silencieux, qu’elle ne l’avait même pas vu.

Klbkch regarda Lyonette pendant une seconde et se retourna pour s’éloigner avec le Drakéide. Lyonette resta dans l’encadrement de la porte, regardant le dos des deux [Gardes]. Ils attendirent de s’éloigner avant de discuter, mais le vent porta leurs voix.

« Il semblerait qu’Erin ne soit toujours pas de retour. »

« En effet. »

« Mais qui était cette Humaine ? Je ne l’ai jamais vu auparavant, et toi ? »

« Je crois que c’est la voleuse qu’Erin Solstice emploie. »

« Qui ? »

« Je crois que c’est celle qui a brûlé l’étale de Madame Krshia. Celle exilée de la ville. »

« Qui ? »

« L’Humaine. »

« Il y en a beaucoup des… »

« Celle qui t’a appelé “balourd écailleux”. »

« Oh ! Elle. Hey, est-ce qu’on peut retourner dans l’auberge et la frapper un peu ? »

Lyonette se fit toute petite dans derrière la porte, mais l’autre voix arrête la première.

« Cela serait de l’inconscience. Erin te bannira probablement à vie si elle revient et découvre que tu as attaqué son employé. »

« Mince. Tu en es certain ? »

« Absolument. Tu devras attendre avant de lui donner ton cadeau d’excuse. Même si tu n’as pas encore acheté ce cadeau. »

« Hrgh. Je sais, je sais. Mais qu’est-ce que les femmes Humaines aiment, en plus ? Est-ce que je devrais lui acheter de la viande ? Des joyaux ? Je ne suis pas riche, tu sais. »

« Je te conseille de demander autour de nous. Il y a des Humains en ville. Demandons-leur. »

« Ouais, je suppose. Si nous le devons. Hey, ou est-ce qu’on mange ce soir… ? »

Les voix s’éloignèrent lorsque le vent changea de direction. Lyonette frissonna lorsqu’elle resta dans l’encadrer de la porte, regardant la neige sombre. Puis elle ferma la porte. Elle se sentait… Mal à l’aise, même si elle ne pouvait pas dire pourquoi. Mais l’auberge était pleine de lumière et chaleur et semblait presque être comme avant, même si son diner était fade. Mais ce n’était pas la même chose.

Ce n’était pas du tout la même chose.

***

Une autre personne passa cette nuit. Lyonette était dans la cuisine, essayant de trouver comme améliorer le gout de ses pâtes quand elle entendit la porte s’ouvrir. Elle se précipita dans la salle commune et vit un homme qui portait un manteau noir usé et pratique observer la pièce. Une dague était la seule arme qu’il possédait, mais il marchait comme si son regard perçant était la seule chose qu’il lui fallait pour tuer ceux qui pouvaient le déranger.

Lyon le reconnaissait aussi. L’homme semblait toujours agacé, aujourd’hui encore plus que d’habitude. Son expression était sombre, et il rappelait à Lyonette les plus ronchons des anciens soldats de son royaume. Elle savait qu’il était, un aventurier de rang -Or. Cela le rendait digne de son respect, même si elle venait d’une famille royale. Ce n’était certainement pas parce qu’elle avait peur de lui. Enfin, un tout petit peu.

« B-bienvenue monsieur ! Miss Solstice n’est pas encore de retour, mais si vous voulez rester, je peux vous faire quelques pâtes… »

Le regard perçant d’Halrac figea Lyon. Il la regarda, puis regarda l’auberge. Il secoua la tête et grogna de manière agacée.

« Hmph. »

Il se retourna et partit sans un mot. Lyonette le regarda l’aventurier repartir vers la ville en tapant du pied à travers la fenêtre. Elle ne savait pas quoi penser de ça, mais elle imagina l’argent qu’un aventurier de rang -Or aurait pu dépenser et son humeur s’assombrit.

Dans l’ensemble, ce fut presque un soulagement quand Olesm revint. Le Drakéide était toujours irrité, mais il vint pour le diner. Il devint tout de suite plus joyeux quand Lyonette lui dit qu’il allait manger sans payer ; mais son expression changea après qu’il prit une bouchée des pâtes trop salées qu’elle avait faites. Il prit quatre bouchées, et ne retoucha plus à son assiette durant le reste de son passage à l’auberge.

Mais il ne resta pas longtemps. Olesm resta pour dire à Lyonette que l’armée Gobeline avait saccagé Esthelm, la nouvelle qu’Erin était vivante à Celum, et qu’elle n’allait pas être de retour de sitôt. Elle lui posa de nombreuses questions, mais il n’avait pas de réponse.

« Je ne sais pas quand elle va revenir, d’accord ? »

Il s’énerva contre elle tandis qu’il buvait de l’eau chaude qu’elle avait bouillie en grimaçant sous le gout. C’était la même eau qu’elle avait utilisée pour cuire les pâtes, et il poussa le verre sur la table après une autre gorgée.

« Mais… Quand est-ce qu’elle va revenir ? Est-ce qu’elle peut revenir ? »

Lyonette serra ses mains. Olesm haussa les épaules, semblant mécontent.

« Les routes sont dangereuses, et franchement, elle est peut-être plus en sécurité là où elle est. Zevara fait surveiller l’entrée du donjon de manière permanente avec tous les gardes disponibles après que le [Instinct de Survie] de tout le monde se soit déclenché en ville. »

« Le donjon ? »

La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

https://aubergevagabonde.wordpress.com/

Hors ligne Maroti

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #186 le: 16 janvier 2022 à 17:30:31 »
3.05 L – Partie 2
Traduit par Maroti
5454 mots


Lyonette n’avait pas d’[Instinct de Survie] ; elle n’avait même pas réalisé que l’entrée du donjon avait été sortie de terre. Olesm hocha la tête en expliquant.

« Aucun des aventuriers ne veut aller à l’intérieur. La Chasse aux Griffons n’a même pas franchi l’entrée, et tous les autres groupes attendent. Personne ne sait ce qui peut en sortir, ou si quelque chose va en sortir. Quelqu’un doit rentrer, mais tant qu’un groupe n’a pas trouvé le courage, ça restera une menace dont la ville doit se méfier. Ça et les Gobelins. »

Il soupira et se leva. Lyonette le regarda anxieusement. Olesm regarda la nourriture et l’eau avant de secouer la tête et de mettre la main dans sa poche.

« Tiens. »

Il posa quelques pièces de bronze sur la table et hocha la tête.

« Pour la nourriture. Je suppose que je n’ai pas très faim. »

« Tu t’en vas déjà ? »

Le ton de sa voix surpris Lyonette. Normalement elle aurait apprécié le silence, mais Olesm était la seule personne à entrer dans l’auberge après le départ d’Erin.

Le Drakéide hocha la tête, fatigué.

« Je dois faire des plans pour Zevara et… Je suis occupé. Mais je reviendrais demain… »

« Mais pourquoi ne pas rester ici ? Encore un peu plus longtemps, je veux dire ? »

Olesm s’arrêta, l’air gêné.

« Je dois vraiment partir. Je dois man… Enfin, j’ai beaucoup à faire… »

Il s’arrêta et regarda quelque chose dans le coin de la pièce. L’échiquier fantomatique reposant sur l’une des tables attira le regard de Lyonette. Aucune pièce n’avait bougé depuis le départ d’Erin, mais les yeux du Drakéide se concentrèrent sur elles pendant quelques secondes. Il se retourna vers Lyonette.

« Tu ne jouerais pas aux échecs, à tout hasard ? »

Lyon secoua la tête avec réluctance. Elle se souvenait que cela était la dernière mode à la cour, mais elle n’avait jamais commencé à jouer. Olesm semblait déçu.

« Oh. »

Il s’en alla peu de temps après, malgré les tentatives de Lyonette de le faire rester. Après, Lyonette regarda l’assiette de mauvaises pâtes et les jeta dans le feu avec l’assiette. Une répugnante odeur de brûlé se rependit dans l’auberge lorsque le feu dévora les pâtes. Puis Lyon resta immobile au centre de la pièce.

Elle était perdue. Lyonette essaya de ravaler ses larmes pendant plusieurs minutes, mais elles commencèrent à tomber tandis qu’elle resta immobile dans l’auberge vide, les laissant couler sur ses joues et goutter au sol.

C’était fini. Elle ne pouvait pas le faire. Elle ne pouvait pas cuire, personne ne l’aimait. Lyonette le savait, elle avait même savouré ce fait. Mais maintenant, elle savait que cela allait la condamner. Personne n’allait acheter ce qu’elle cuisinait. Elle allait mourir de faim et Erin trouverait ses os à son retour.

Elle était un échec. C’est tout ce qu’elle allait être. La pitoyable troisième fille d’un petit royaume, mourant seule dans une auberge qui n’était pas la sienne. Elle n’était rien.

La fille se roula en boule sur le sol tandis que les cendres du feu commencèrent à s’éteindre. Elle arrêta de pleurer, car même cela ne servait à rien, et resta ici, attendant sa mort. Elle se roula en boule, miséreuse. Puis la porte s’ouvrit, et l’Antinium entra.

***

Pion ne savait pas pourquoi il se rendait à l’Auberge Vagabonde. Ses pieds l’ont simplement amené ici. L’Antinium n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire ni où aller ; il savait juste qu’il allait peut-être trouver les réponses à ses questions s’il écoutait une certaine jeune femme pendant quelque temps.

Cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu. En réalité, il n’avait rien voulu de tel ce matin. Pion s’était réveillé assis dans son petit espace de repos et avait crû que cette journée allait être comme les autres. Vide et incertaine.

Les Antiniums ne s’allongeaient pas pour dormir. Ce n’était pas qu’ils ne le pouvaient pas, mais leur dos ne se courbait pas comme ceux des mammifères. Le dos de Pion ressemblait à celui d’un scarabée de bien des manières, et il n’aimait pas le mouvement de bascule qui s’effectuait dès qu’il essayait de s’allonger. C’était pour cela que les Ouvriers et les Soldats dormaient assis. Cela économisait de l’espace, et Pion eut six adéquates heures de sommeil dans l’immense zone de repos ressemblant à une caserne qui contenait cinq cents Antiniums.

C’est ainsi que commença la journée de Pion. Il s’extirpa de son petit cubicule de terre avec ses quatre bras et rentra dans le rang avec les autres Ouvriers lorsqu’ils quittèrent la pièce au même moment pour recevoir leur nutrition matinale.

C’était plus facile pour Pion de faire ça aujourd’hui qu’il y a quelques semaines. Ses doigts s’étaient presque entièrement reconstruits, et les membres sectionnés avaient presque entièrement régénérés grâce aux substances de guérison unique aux Antiniums. Alors qu’il se tenait derrière un Ouvrier, Pion fléchit ses doigts et s’émerveilla légèrement devant le fait que cette simple action le faisait se sentir tellement mieux.

Les Ouvriers devant et derrière Pion ne regardaient pas leurs mains, et ne faisaient rien d’autre qu’avancer. Ils étaient différents de Pion. Ils gardaient leur regard fixe et ne parlaient pas. Et ils donnaient plus d’espace que nécessaire à Pion.

Il était celui qui sortait du lot. Pion le savait, mais il essayait de ne pas profiter de sa position. L’Ouvrier lui donna la même quantité de pâte marron et grise qu’au reste des Ouvriers. Peut-être que s’il en avait demandé plus, il l’aurait reçu, mais la ration avait été calculé pour être suffisante pour le soutenir tout au long de la journée. De plus, personne ne demanderai plus de nourriture d’Ouvrier que nécessaire.

Pion resta debout dans la zone de consommation de nourriture tandis qu’il ingéra lentement la pâte qu’il lui avait été donné. Il n’y avait pas de siège sur lesquels les Antiniums pouvaient s’asseoir ; ils mangeaient simplement leur ration dans des bols de bois et mangeaient de la manière la plus efficace possible avant de déposer les bols pour qu’ils soient de nouveau utilisés par de nouveaux Ouvriers remplissant la pièce.

Les Ouvriers et les Soldats mangeaient séparément. Ce n’étaient pas parce qu’un groupe mangeait de la nourriture de meilleure qualité que l’autre, ils mangeaient tous la même pâte hautement calorique, mais les Soldats mangeaient trois fois plus que les Ouvriers, et utilisaient donc d’autres récipients, nécessitant des pièces différentes pour se nourrir. Pion regarda le mélange qui formait la pâte de… quelque chose… Lorsqu’il l’a mis entre ses mandibules et mâcha. La nourriture s’avala rapidement, mais le gout…

Il s’y était habitué. Malgré tout, il ne pouvait pas dire que c’était facile. Les Ouvriers mangèrent rapidement leur nourriture, ne montrant pas de signe de dégout même si Pion savait qu’ils goutaient exactement la même chose. S’ils avaient un réflexe nauséeux, ou une autre source de nourriture, cela aurait peut-être été différent.

Mais la nourriture était de la nourriture, et il n’y avait pas d’autre alternative. Sauf à l’auberge d’Erin. Pion pouvait se rappeler des délicieux repas, et dut se forcer à manger le reste de sa pâte. Il croqua dans quelque chose lors de sa dernière bouchée. Quelque chose qui n’avait pas été entièrement traité ? Il l’avala quand même. C’était un plaisant interlude du reste de la pâte. Peut-être que cela avait été un fragment d’os.

Puis, directement après avoir fini leurs repas, les Ouvriers sortirent de la large caverne qui servait à distribuer la nourriture préparée et s’engouffrèrent dans les tunnels d’un même mouvement pour commencer leur devoir journalier. Pion les suivit, ne s’arrêtant pas pour baisser la tête même si le plafond du tunnel se trouvait à moins de dix centimètres du sommet de son crâne.

C’était une autre spécificité de la Colonie Antinium de Liscor. Certaines des pièces caverneuses avaient beau être véritablement caverneuses, construites pour contenir un grand nombre d’Antinium, plusieurs parties de la Colonie avaient optimisé pour prendre le moins d’espace possible. Donc, les tunnels uniquement utilisés par les Ouvriers étaient à peine assez grands pour les laisser passer. Il n’avait qu’une dizaine de centimètres au-dessus d’eux tandis qu’ils marchaient dans les couloirs étroits construits pour accueillir exactement deux Ouvriers à la fois. Et donc le flux d’Ouvrier continua de se diriger vers leur devoir journalier…

N’importe quelle créature avec un soupçon de claustrophobie aurait grandement souffert. Pion s’en fichait, c’était ce à quoi il était habitué. Il marcha avec des centaines d’autres Ouvriers dans un flux parfait et synchronisé qui ne s’arrêtait jamais et ne perdait pas de temps. Des centaines d’Ouvriers marchaient dans chaque direction, allant vers la surface pour travailler en ville, ou vers les profondeurs pour creuser ou réparer les tunnels effondrés, remplir leur devoir dans la Colonie, et ainsi de suite.

Ce n’était que l’un des nombreux quarts que les Ouvriers faisaient dans la journée. Pion était l’un des Ouvriers qui dormait juste avant minuit et jusqu’à l’aube, donc il se considérait être proche d’un rythme de sommeil « normal ». Mais il y avait d’autres Ouvriers qui dormaient au milieu de la journée. Cela n’avait pas d’importance, c’était la même chose pour la Colonie.

Pion marcha dans les étroits tunnels pour Ouvrier jusqu’à arriver à l’une des intersections principales de la Colonie. Ici, le trafic divergeait et de nouveaux corps rentrèrent dans la continuelle cascade de mouvement. De grands Soldats marchaient en formant de longues colonnes de corps, allant renforcer les points faibles de la Colonie, manger, ou pour se reposer jusqu’à ce qu’ils soient de nouveau appeler. C’est ici que les Ouvriers joignaient d’autres flux, s’enfonçant dans la Colonie, ou allant à la surface.

Pion s’avança, suivant l’Ouvrier devant lui jusqu’à ce qu’il arrive à une séparation du trafic. Il s’arrêta, incertain. L’Ouvrier derrière lui s’arrêta, ainsi que celui derrière lui, et celui derrière lui et ainsi de suite. En un instant, des milliers de corps s’arrêtèrent pendant une cruciale seconde jusqu’à ce que l’Ouvrier derrière Pion le contourne de manière maladroite. L’Ouvrier derrière lui suivit le mouvement, tout comme l’Ouvrier derrière lui, et ainsi de suite.

Aussitôt, le flux du trafic reprit son cours. Contrairement au trafic du monde d’Erin, les Ouvriers n’hésitèrent pas. Ils bougèrent en parfaite synchronisation, et après cette initiale pose, le flux continua sans nouvelle interruption. Malgré cela, cet incident avait causé à tous les Ouvriers derrière Pion une précieuse seconde d’inactivité. Pion savait qu’il aurait dû se sentir coupable, mais il ne l’était pas.

Il regarda les corps marcher autour de lui. Voilà les Ouvriers, réalisant leur devoir. En face de lui, un autre flux de Soldat avançait rapidement le long du couloir, presque en train de courir. Ils allaient peut-être affronter des monstres.

Une partie de Pion se demanda ce qui se passerait s’il se mettait dans leur chemin. Est-ce que les Soldats allaient simplement le piétiner ? Ils le faisaient quand un Ouvrier se mettait accidentellement sur leur chemin. Mais est-ce que son statut en tant qu’Individu voulait dire qu’ils allaient l’éviter ?

Il décida de ne pas tester sa théorie. À la place, Pion recommença à marcher, résultant en une microseconde de délai tandis qu’il rejoint le flux d’Ouvriers. Il monta, vers une pièce spéciale battit proche de la surface de la Colonie.

Une grande pièce avait été mise à part avec un nouveau but. À la place d’une autre salle de nutrition, la zone au plafond bas avait été remplie de coussins, de petit rectangle de bois recouvert de pièce, et même une chaise qui se démarquait du reste. Des Antiniums, tous des Ouvriers, se tenaient autour de ses plateaux, jouant aux échecs.

Ils s’arrêtèrent quand Pion entra dans la pièce. Les Ouvriers le regardèrent, et recommencèrent à jouer. Son regard passa dans la pièce, regardant les Antiniums assis et jouant aux échecs.

Il y avait autour de soixante Ouvriers dans la pièce, tous en train de jouer aux échecs. Ils ne levaient pas la tête de leur jeu, et ils jouaient à intervalle régulier. Les clik rythmiques des pièces de bois délicatement posées sur l’échiquier apaisa Pion. Mais il ne s’assit pas devant un échiquier vide comme à son habitude. S’il le faisait, il allait trouver un adversaire en quelques secondes. Mais ce n’était pas ce que Pion voulait aujourd’hui.

À la place, il s’assit contre l’un des murs de terre. Pion regarda en face, sans vraiment voir les joueurs d’échecs. Ils étaient tous de nouveaux Individus, les rares qui avaient survécu et ceux qui n’étaient pas devenus des Aberrations comme les autres. Ils avaient choisi des noms, et étaient en train d’apprendre à jouer aux échecs, suivant les recommandations que Pion avait données à Klbkch.

Mais ils n’étaient pas… Comme lui. Pion le savait. Ces nouveaux Individus n’étaient pas comme il était. Ni comme les Individus d’origine, les Ouvriers d’origines qui avaient choisi leurs noms.

« Hah. »

Pion rit devant le ridicule de cette pensée. Aussitôt, les Ouvriers présents dans la pièce s’arrêtèrent dans leurs parties et le regardèrent d’un même mouvement. Il se figea, ne sachant pas quoi faire. Après une seconde les Ouvriers recommencèrent à jouer comme si rien ne s’était passé.

C’était exactement ça. Pion ferma ses mandibules en s’assurant de ne pas faire un autre son tandis que les bruits de parties recommencèrent. Ces nouveaux Individus avaient des noms, mais ils n’avaient pas ce que lui et les autres avaient. Ils obéissaient toujours aux ordres comme les autres Ouvriers, et ils ne prononçaient pas leur avis. Ils n’avaient pas développé de personnalité comme lui, Bird, Belgrade, Anand et Garry, les seuls survivants des Individus d’origine. Ce n’était pas la faute de ces nouveaux Individus, bien sûr. Ils avaient été forcés dans ce choix, ils ne l’avaient pas fait d’eux-mêmes. Ils n’avaient pas… Erin.

Les choses avaient été plus simples il y a quelques mois. À l’époque, la Colonie avait du sens pour Pion. Il y avait les Ouvriers et les Soldats, le Prognugator, et la Reine. C’était ainsi. Mais maintenant il y avait les Ouvriers et les Soldats, oui, et la Reine, mais il y avait aussi un Revelantor qui se comportait comme un Prognugator en la personne de Klbkch. Il avait mis à la porte l’ancien Prognugator, qui était aussi le nouveau Prognugator, Ksmvr, hors de la Colonie. Et il y avait un nouveau groupe d’Antinium.

Les Individus. Plus d’une centaine d’Ouvriers qui avaient choisi des noms et qui avaient passé le test d’individualité sans devenir une Aberration. Mais dans ce groupe d’Individus, il y avait cinq… Leaders.

Non, ils n’étaient pas des leaders. Ils étaient cinq exceptions. Cinq des Individus d’origine qui étaient devenus ainsi de leur plein gré, pour sauver une Humaine nommée Erin Solstice. Ils avaient été le club d’échec, son club d’échec, les Ouvriers qui jouaient tous les jours dans son auberge. Et qui avaient donné leurs vies, presque tous, pour la protéger des morts-vivants.

Tel était le véritable changement dans la Colonie. Cinq Antiniums avaient choisi et étaient devenus des Individus, prenant des classes, des noms et une véritable personnalité. Ils avaient commencé à rapidement gagner des niveaux comme les autres espèces, et ils étaient devenus…

Uniques. Et cela devait être dit, des cinq, l’un d’entre eux se démarquait en particulier.

Pion.

Il était le premier. Pion le savait. Il avait été le premier à choisir un nom, le premier à choisir. Et tout le monde le traitait comme s’il était spécial à cause de cela. Klbkch, sa Reine, ils ne lui donnaient pas de devoir, pas de responsabilité. Ils le regardaient pour voir ce qu’il allait faire. Et Pion n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire, donc la plupart des jours il montait jusqu’à la pièce d’échec et jouait ou restait assit contre le mur.

Il ne fit pas grand-chose. Pion resta là, jour après jour. Pensif, vraiment. C’était tout ce qu’il pouvait faire. Il n’était pas un guerrier inné comme Bird, et les autres classes ne l’intéressaient pas contrairement Garry, Belgrade et Anand. Les quatre autres avaient déjà commencé à se spécialiser dans des rôles comme sa Reine l’avait espérée. Bird avait commencé à utiliser son arc pour récolter un bon nombre de gibiers à plumes même dans le climat hivernal, et Garry avait appris à les frire et transformer leur carcasse en délectable gourmandise.

Belgrade et Anand avaient continué de s’améliorer dans leur classe de [Tacticien]. Ils avaient déjà combattu dans de nombreux engagements contre les monstres du donjon souterrain. Ils étaient tous en train de devenir des avantages pour la Colonie. Mais Pion était différent.

Tous les Ouvriers le savaient. Pion le savait. Il était différent. Il était le premier Ouvrier à qui Erin avait parlé, le premier Ouvrier à choisir son nom. Même les quatre autres Ouvriers le traitaient différemment. Parce qu’il était le premier. Qu’il était spécial. Il n’était pas que choisi, il avait été choisi par Erin.

Il était unique. Mais Pion n’avait pas la moindre idée de ce que cela voulait dire.

Il savait ce que sa Reine voulait, il savait ce que Klbkch voulait. Il voulait qu’il devienne un utile guerrier, ou un avantage pour la Colonie. Ils voulaient qu’il se spécialise, qu’il gagne des niveaux dans une classe et surpasse les Antiniums normaux, mais Pion n’avait pas fait cela.

Oui, il avait la classe de [Tacticien]. Mais son niveau n’était pas élevé. En vérité, sa progression stagnait depuis des semaines. Pion aimait toujours jouer aux échecs, et il était de loin le meilleur joueur parmi les Ouvriers. Mais comme Erin, il avait cessé de gagner des niveaux.

Et il ne voyait pas l’intérêt d’utiliser un arc comme Bird. Il n’aimait pas cuisiner, seulement manger, et il n’avait pas d’autre désir brûlant de faire quelque chose pour la Colonie. Pion était certain que s’il marchait quelque part dans la Colonie, à l’exception de la chambre de la Reine, il trouverait quelque chose à faire.

Il y avait toujours du travail dans la Colonie. Vu qu’ils avaient été autorisés à aller à la surface, Pion avait appris quelque chose des traditions des autres espèces. Apparemment l’ennui était quelque chose qu’ils devaient lutter contre. C’était un concept étranger dans la Colonie.

Que faire après avoir réalisé votre travail ? Dans ce cas, il y avait toujours du temps passé à traiter la pâte nutritionnelle que les Antiniums mangeaient, mâchant de la nourriture pour la régurgiter dans de grande cuve pour être mélangés avec de longs pôles. Ou il était aussi possible de se retrouver à monter la garde contre les monstres du donjon sous Liscor, aidant les soldats dans leur interminable combat.

Et si ces deux options n’étaient pas viables, il était toujours possible d’être assigné à la surveillance des larves, ou pour creuser. Il y avait toujours du temps pour creuser. Creuser un tunnel qui s’était effondré, creuser un nouveau tunnel, creuser plus profondément un tunnel, creuser une pièce, creuser un filon prometteur, creuser un trou pour les excréments…

De temps en temps, les Ouvriers construisaient quelque chose. C’était rafraichissant. Ils taillaient des poutres de bois pour tenir la titanesque quantité de terre au-dessus d’eux, ou faisaient de grossières flèches de bois. Mais même cela devenait épuisant après plusieurs heures de travail monotone.

Ce n’était pas pour Pion. Il le savait. Il savait qu’il voulait quelque chose de différent. Et peut-être qu’il l’avait trouvé. Peut-être.

Mais il n’en était plus certain. Cette certitude, la foi qui l’avait envahi il y a plusieurs semaines de cela l’avait quittée, et maintenant Pion pouvait uniquement s’appuyer sur des souvenirs incertains pour remplir le vide dans son cœur. Est-ce que cela s’était vraiment produit ? Est-ce que cela avait été vrai ?

Était-il réellement un [Acolyte] ? Qu’est-ce que cela voulait dire ?

« Je ne sais pas. »

Une autre pause, et les Ouvriers levèrent la tête Cette fois Pion leur rendit leur regard, juste pour voir ce qui allait se passer. Ils baissèrent les yeux d’un même mouvement, et il recommença à réfléchir.

Il était une fois, un Antinium qui avait été questionné. Il avait été demandé qu’il était, et il n’avait pas de réponse. Il s’était demandé pourquoi tous ses… Amis… Étaient morts, si cela n’avait rien changé. Et il avait reçu une réponse. Un rayon de lumière.

« La foi. »

C’était ce que la fille lui avait dit. Elle s’était enfoncée dans son désespoir et lui avait offert quelque chose à quoi s’accrocher. Elle lui avait parlé de quelque chose qui dépassait sa compréhension. Un Dieu. Et un endroit… Un endroit où les morts allaient se reposer. Un merveilleux endroit.

« Le Paradis. »

Pion soupira et serra son poing encore guérissant. Il le regarda. Oui, il avait cru durant cette nuit. Et sa croyance était devenue une réalité ! Il avait gagné une compétence, et une classe. [Acolyte], et la Compétence, [Prière]. Cela avait de l’importance à l’époque, il en avait été certain.

Il y avait un Dieu. Il y avait quelque chose en quoi croire. Mais depuis, la foi de Pion avait vacillé. Il n’avait pas gagné de niveau, et il n’avait pas prié. Car… Car il avait peur.

Il y avait un Dieu. Erin lui avait dit cela. Mais pas qu’un Dieu. Des Dieux. Elle avait parlé d’un Dieu qui était né et mort dans son monde, mais apparemment ce Dieu n’était pas le seul. D’autres gens croyaient dans un Dieu qui était pareil, mais différent, qui n’avait jamais dit certaines choses.

« Est-ce que vous êtes vraiment là ? Allez-vous me répondre ? Suis-je digne de vous demander de telles choses ? »

Pas de réponse. Les Ouvriers levèrent les yeux vers Pion avant de se reconcentrer sur leurs échiquiers. Il leva les yeux vers le plafond, dans la direction où Erin lui avait dit que le Paradis était. Il ne vit que de la terre.

Le Paradis. La foi et les Dieux étaient tous confus pour Pion, mais l’idée du Paradis, l’idée du pardon et d’un endroit ou être heureux était ce à quoi il s’accrochait. Il devait croire en cela, et donc être récompensé. Mais s’il devait prier, comme sa compétence l’indiquait, qui devait être le réceptacle de ses prières ? Le Dieu d’Erin ? Seulement…. Il n’était pas son Dieu. C’était ce qu’elle avait dit. Donc, qui devait-il prier ?

Et prier pour quoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui allait le faire ? Et est-ce qu’il allait avoir une réponse ? Est-ce que quelqu’un allait l’écouter, ou est-ce ses mots n’allaient pas être entendu ?

Pion ne le savait pas. Cela faisait plusieurs semaines qu’il ne savait pas, et rester assis dans la salle d’échec ne l’avançait pas. Une partie de lui ne voulait pas savoir. Une autre partie lui disait de parler à Klbkch et à sa Reine, leur dire qu’il avait une nouvelle classe. Mais la dernière partie voulait croire. Elle voulait connaitre ce Dieu, et dédier son être à croire en ce Dieu. Pour attendre cet endroit, appelez le « Paradis ».

Mais il avait peur. Peur de connaitre la vérité. Donc Pion s’assit dans la pièce en se demandant ce qui se passerait s’il priait. Est-ce qu’il n’allait rien se passer ? Ou est-ce quelque chose, ou quelqu’un allait répondre ? Qu’est-ce qui serait pire ?

Pion ne voulait pas le savoir. Mais il le voulait, désespérément. Il craignait que s’il retournait voir Erin, elle allât lui dire qu’il avait tort. Que ça classe était une erreur. Que Dieu n’existait que dans son monde. Ou…

Ou qu’il y avait un Dieu, mais qu’il n’était pas pour lui.

C’était sa plus grande peur. Il y avait un Dieu. Probablement. La classe qu’il avait reçue semblait l’indiquer. Et Pion voulait croire en un Dieu. Mais qu’est-ce qui se passerait si Dieu ne voulait pas de lui ? Pion avait trop peur de lui demander.

Tandis que les jours passèrent, il resta assis dans la pièce d’échec, pensif. Son esprit tourna en rond dans sa tête, encore et encore. Des Ouvriers entrèrent dans la pièce, jouèrent aux échecs, et s’en allèrent. C’était leur devoir. Mais Poon n’avait rien. Rien du tout. Il n’avait qu’une question, et une réponse qu’il craignait.

Et puis, juste après s’être réveillé, il faisait déjà nuit. Pion le savait grâce à l’horloge dans sa tête et grâce aux Ouvriers qui travaillaient, non pas grâce à un changement de la lumière ambiante. Il se leva, s’étira ; les autres Ouvriers attendirent qu’il dise ou fasse quelque chose. Mais Pion décida de marcher hors de la pièce.

Cette fois il alla vers le haut. Vers la ville. Ce n’était pas son choix ; Pion avait l’impression que ses pieds l’amenaient dans cette direction. Il monta, hors du tunnel qui était l’une des entrées de la Colonie. Il marcha dans les rues de Liscor, parmi les Drakéides, les Gnolls et les Humains qui lui laissèrent de l’espace. Il passa les portes de Liscor, et traversa la neige, grimpant vers l’auberge dont les fenêtres laissaient échapper une lumière réconfortante et attrayante.

Il devait le savoir. Il devait au moins demander. Pion sentait la certitude dans son corps. Il avait gagné une classe et une Compétence et cela voulait dire quelque chose. Il y avait un Dieu. Mais est-ce que ce Dieu allait accepter Pion ? Il devait le savoir, donc il devait demander à Erin. Elle allait savoir quoi faire. Elle savait toujours quoi faire.

Mais Erin n’était pas là. Pion frappa à la porte et l’ouvrit, et vit la fille qui gisait au sol. Elle leva les yeux vers lui, et elle n’était pas Erin.

« Excusez-moi ? Est-ce qu’Erin Solstice est là ? »

« Erin ? »

La fille avait été roulée en boule. Elle venait de se redresser et était en train d’essuyer ses larmes. Ses joues étaient humides, et ses yeux étaient rouges.

« Qu’est-ce que tu… Tu es cet Antinium, c’est ça ? Pion ? »

« C’est cela. Est-ce qu’Erin est là ? J’aimerais discuter avec elle. »

« Erin ? Tu ne connais pas la nouvelle ? »

La fille rit de manière presque hystérique. Pion aurait froncé les sourcils s’il en avait été capable.

« Quelle nouvelle ? Est-ce que quelque chose est arrivé à Erin Solstice ? »

« Elle… N’est plus là. »

« Plus là ? »

Pion écouta, incrédule, lorsque la jeune femme lui expliqua ce qui s’était passé. Erin avait disparu ? Comment a-t-on pu permettre ça ?

Une partie de lui voulait courir vers la porte, pour aller chercher Bird et Garry et les autres et immédiatement partir à la recherche d’Erin. Est-ce qu’elle était en sécurité ? Dans une autre ville ?

« Elle est en sécurité. Mais elle ne va pas revenir toute de suite. Je ne pense pas qu’elle puisse le faire avec tous les Gobelins dans le coin. »

L’esprit de l’Antinium s’emballa lorsqu’il considéra les implications. Les armées Gobelines. Bien sûr que la sécurité d’Erin était prioritaire, mais si elle ne pouvait pas revenir… Est-ce que quelqu’un devait envoyer une escorte ? Est-ce que Klbkch était au courant ? Il devait l’être, mais est-ce qu’il enverra des Soldats pour la protéger ? Et qu’est-ce…

« Donc… Est-ce que tu es là pour quelque chose ? »

Pion regarda la jeune femme avec surprise. Oui, elle était restée là, pas vraie ? Qui était-elle ? Quelqu’un de nouveau ?

Lyonette. C’était son nom. Il se rappelait vaguement Erin l’embaucher, mais est-ce qu’elle n’était pas une mauvaise employée ? Maintenant la jeune femme était seule. Elle essuya son nez et pointa la cuisine du doigt.

« Est-ce que tu veux… Manger quelque chose ? »

Le premier instinct de Pion était de refuser, mais cela voulait dire qu’il allait devoir quitter l’auberge. Et il n’était pas prêt à redescendre dans la Colonie. Pas encore. Donc il hocha la tête, mais dit à Lyonette qu’il ne pouvait pas digérer le gluten. Cela la surprit, mais elle lui offrit des œufs et du bacon.

Pion avait l’impression que ce genre de plat était réservé au petit-déjeuner, du moins selon Erin, mais il accepta. Il avait encore les pièces que Klbkch lui avait données. Assez pour beaucoup de repas.

L’Ouvrir s’assit à une table vide tandis que Lyonette se précipita dans la cuisine et commença à faire du bruit. Il regarda la table, essayant de réfléchir. Tout n’était que chaos dans son esprit.

« Erin est partie. »

Il n’y avait pas de réponse à sa question. Pion se sentit immédiatement soulagé, mais aussi horrible. Il n’était pas plus proche de sa réponse, et la question le déchirait de l’intérieur. Si Erin ne pouvait pas lui répondre, alors…

« Voilà ton repas ! »

Une assiette arriva sous les yeux de Pion. Il la regarda, ainsi que la main la qui la tendait. Lyonette regarda Pion anxieusement lorsqu’elle la déposa devant lui.

« Désolée. C’est un peu… »

Le bacon était légèrement brûlé. Les œufs n’étaient pas entièrement cuits et ils coulaient. Pion toucha sa nourriture avec une fourchette quand Lyonette se souvint de lui en donner une. Il prit une bouchée du bacon huileux et mâcha.

C’était entièrement différent de la pâte que les Ouvriers mangeaient. Cela faisait si longtemps que Pion avait presque oublié le gout de la nourriture chaude. Et du sel ! Pion termina son assiette et se resservit quand Lyonette lui proposa une seconde assiette.

Puis il resta assis dans l’auberge, regardant le feu s’éteindre. C’était drôle. Il était venu ici à la recherche de réponses, et n’avait rien trouvé. Mais même sans elles, il avait trouvé une sorte de réponse.

Erin était partie. Elle était peut-être en danger, mais Pion n’avait pas de moyen de l’aider. Pas comme il l’était. Il était inutile, un Ouvrier isolé. Mais s’il y avait un Dieu…

Il n’y avait pas d’Erin. Donc il n’y avait qu’une personne à qui il pouvait poser la question. Une personne qui allait peut-être savoir ce que tout cela voulait dire. Klbkch. Il avait été assigné le devoir de guider Pion, et c’était le devoir de Pion de l’informer des classes qu’il obtenait. Il ne l’avait pas fait auparavant, car il était hésitant. Mais maintenant ? Il était temps.

Il allait parler de sa classe au Revalantor Klbkch et lui demander ce que cela voulait dire. Peut-être que Klbkch savait quelque chose sur les Dieux. Pion mit la main à la ceinture qu’il portait autour de la taille et laissa ce qu’il considéra être un paiement approprié. Erin lui offrait généralement son repas.

Lentement, Pion quitta la pièce et marcha dans la neige. Il n’était pas moins perdu qu’auparavant, mais au moins il avait quelque chose de chaud en lui. Il leva les yeux vers le ciel nuageux. Il ne pouvait pas sentir le paradis. N’y savoir s’il y avait un Dieu.

Mais peut-être qu’il y en avait un. Et s’il existait, Pion allait le trouver. Lentement, il commença à marcher à travers la neige, vers la ville, vers sa Colonie.

Les Dieux. Le Paradis. Il essaya d’y croire. Cette fois, Pion eut l’impression qu’il aurait pu réussir.

***

Lyonette regarda Pion partir en silence, marchant dans la neige tandis qu’il leva les yeux au ciel. L’Antinium avait à peine prononcé quelques mots de la nuit. Il était resté assis, regardant le feu. Mais il avait aussi mangé deux assiettes et était parti…

Elle regarda le tas de pièces sur la table. Des pièces d’argent et de bronze brillaient au clair de lune. Tremblante, Lyonette ramassa la pile de pièces. Elle les compta. Une fois, deux, encore.

C’était assez. Plus qu’assez. Avec ceci elle allait pouvoir se nourrir pendant plusieurs jours. Et s’il revenait…

Le cœur de Lyonette manqua un battement. Une partie d’elle voulait hurler de dégoût pour avoir touché la même chose qu’un Antinium avait touchée. Elle se souvenait encore des histoires de ce qu’ils avaient fait, les horribles atrocités qu’ils avaient commises. Mais celui-ci, Pion, l’avait payé.

Peut-être que ce n’était qu’une fois. Mais Lyon se souvenait que les Antiniums venaient dans l’auberge d’Erin en suivant un paterne bien précis. Et ils n’étaient pas difficiles à nourrir ; ils aimaient même les abeilles, aussi dégoûtant que cela soit. Ils étaient une source de revenu stable. Si elle trouvait le courage de les servir alors, peut-être, juste peut-être, qu’elle allait survivre.

La [Princesse] regarda par la fenêtre la forme solitaire de l’Antinium qui s’éloignait en direction de la ville. Elle pouvait le faire. Elle pouvait vivre jusqu’au retour d’Erin. Elle allait le faire, et montrer à Erin de quoi elle était capable. Elle allait gérer cette auberge, et cela allait devenir son château, son sanctuaire jusqu’au retour d’Erin.

Tout allait bien se passer. Lyonette devait y croire.

La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

https://aubergevagabonde.wordpress.com/

Hors ligne EllieVia

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Re : The Wandering Inn de Piratebea (Anglais => Français)
« Réponse #187 le: 23 janvier 2022 à 21:32:09 »

1.00 M

Traduit par EllieVia


Elle avait eu un hamster, autrefois. C’était la raison pour laquelle elle avait voulu devenir médecin. Plus tard, elle trouva d’autres raisons, mais le jour où elle décida de soigner des gens fut le jour où elle se retrouva assise dans le jardin devant sa maison à essayer de sauver son ami mourant.
 
Naturellement, elle avait voulu être vétérinaire, mais ses parents l’en avaient dissuadée. Et sa tante était morte lorsqu’elle avait douze ans. Elle avait contemplé le cercueil fermé en rêvant d’être capable de sauver même les gens qu’il fallait enterrer en plusieurs morceaux.
 
Et pendant ses dernières années de lycée, elle avait eu les notes qu’il fallait. Et elle aimait la biologie, elle ne vomissait pas dans sa grenouille comme le garçon assis à côté d’elle en cours, et elle n’avait rien envie de faire d’autre.
 
Elle avait donc pris des cours de préparation à la médecine lorsqu’elle ne faisait pas la fête avec ses amis et qu’elle apprenait à vivre seule. Et elle avait été diplômée à temps, était partie en Médecine, et s’était rendu compte qu’il était difficile de gérer un loyer et un job à temps partiel, mais pas trop difficile d’apprendre. Puis un jour, elle était allée aux toilettes pendant un cours et n’en était jamais revenue.
 
Geneva Scala s’était retrouvée dans un autre monde. Et là, elle avait appris une chose : elle ne voulait pas être médecin. Ne voulait plus être médecin. Elle était [Médecin] à présent, mais elle ne faisait que regarder les gens mourir.



***



La personne allongée sur la table d’opération de fortune que Geneva avait fabriquée hurlait de douleur. La lame avait profondément pénétré son flanc, et il se vidait de son sang devant ses yeux. Si elle ne refermait pas rapidement ses blessures, il mourrait.
 
D’une main, Geneva tenait un objet en bois rustique qui ressemblait à une pince. Elle s’en servit pour fermer l’artère qu’elle avait trouvée et pria pour réussir à agir assez vite.
 
Suture !”, hurla-t-elle au soldat qui la regardait, les yeux écarquillés. Il la dévisagea fixement. Elle pointa l’aiguille et le fil du doigt.
 
“Il faut que je referme la plaie !”
 
Elle laissa un autre homme prendre le relais pour appuyer sur l’artère et tendit la main pour prendre l’aiguille. Le soldat saisit maladroitement l’aiguille et faillit la faire tomber sur le sol de terre battue. Geneva la lui arracha des mains et regarda le fil.
 
Ce n’était que du coton ; et même pas de bonne qualité. Elle l’avait fait bouillir, mais elle se demandait à présent s’il supporterait la tension qu’elle s’apprêtait à lui faire subir. Mais l’homme hurla alors et elle sut que son temps était écoulé.
 
“Immobilisez-le.”
 
Les deux hommes obéirent à ses ordres, et plaquèrent l’homme en train de hurler contre la table pendant que Geneva le recousait avec désespoir. C’était une vision d’horreur ; l’aiguille qu’elle avait achetée n’était pas assez aiguisée et elle était obligée de faire d’énormes trous dans la chair pour essayer de refermer la plaie béante sur son flanc. Et le sang…
 
“Maintiens cette artère fermée !”, lança-t-elle d’un ton sec à l’un de ses assistants. Il essaya de s’exécuter, mais le forceps qu’il tenait était en bois, et grossier ; sculpté en une journée, plus proche d’une paire de baguettes que d’une véritable pince. Il glissa, et du sang jaillit sur l’estomac de l’homme.
 
“Refermez l’artère !”
 
Geneva était obligée de hurler par-dessus les cris de l’homme. Il hoquetait de douleur, encore à moitié conscient. Mais elle n’avait pas d’anesthésiants, rien à lui donner. Et à présent, l’autre homme essayait de récupérer l’artère et ne parvenait plus à la trouver dans la plaie qui s’agitait.  Geneva tendit la main vers le forceps et hésita. L’homme avait cessé de bouger.
 
Lentement, elle regarda l’hémorragie. Le flux s’amenuisait. Elle regarda les yeux grands ouverts du soldat, puis parcourut du regard ses assistants regroupés sous la tente. Ils la dévisagèrent. Geneva prit une grande inspiration, puis prit la parole.
 
“Il est mort.”
 
Une part d’elle voulait ajouter l’heure de la mort, mais c’était sans importance. Il n’y avait personne pour l’enregistrer, et de plus, il n’y avait pas d’intérêt. Lorsqu’elle lâcha le forceps et l’aiguille dans le bol d’eau bouillie et regarda le liquide se teinter de rouge, elle sut qu’elle n’avait même pas le temps de pleurer la mort du soldat.
 
“Emmenez-le dehors. Enterrez-le. Je sortirai dans un instant.”
 
Les soldats suivirent ses ordres d’un air hésitant. Geneva contempla ses mains. Elles étaient tellement rouges. Elle n’avait pas de gants chirurgicaux, et elle s’était coupée plus tôt dans la matinée. Elle n’était pas en conditions stériles.
 
Lentement, la jeune femme regarda autour d’elle. Elle était dans une tente ; pas hermétique, juste des murs de toile et un sol de terre battue. Sa ‘table d’opération’ était un morceau de bois dur. Ses instruments chirurgicaux se résumaient à une dague affûtée, une aiguille à coudre courbe et un fil de mauvaise qualité, et des instruments en bois qui étaient déjà couverts de sang. Les hommes et la femme qui l’assistaient n’avaient aucun entraînement ; ils n’étaient même pas propres. Ils étaient couverts de sang et de viscères.
 
Et elle avait laissé un autre homme mourir devant ses yeux. Geneva pouvait encore l’entendre crier. Elle avait déjà oublié son visage, mais elle se souvenait de ses suppliques lorsqu’ils l’avaient amené dans sa tente. Il lui avait demandé de lui sauver la vie.
 
Et elle avait échoué.
 
C’était la cinquième personne qu’elle avait vu mourir devant ses yeux. Mais elle entendait des éclats de voix, et, au loin, des cris. Elle savait qu’elle verrait d’autres cadavres avant la fin de la journée. Geneva pria pour qu’ils ne meurent pas par sa faute.



***




Presque une semaine plus tôt, Geneva avait pénétré dans une ville bâtie au bord d’un lac. Elle avait contemplé les hautes bâtisses, les ponts interconnectés qui couraient au-dessus de sa tête, et surtout les personnes-lézards et les Centaures qui marchaient aux côtés d’Humains. Mais elle n’était pas restée trop longtemps pour contempler tout ça. Au lieu de cela, Geneva avait pénétré plus profondément dans la ville, jusqu’à entendre des gens crier et le rat-tat-tat de quelqu’un en train de taper sur un tambour.
 
Les recruteurs pour les groupes de mercenaires locaux et les compagnies plus grandes s’étaient déjà mis au travail, malgré la chaleur de la journée. Des humains vêtus d’armure en cuir légère étaient debout devant de petits stands aux côtés de Centaures qui étaient pratiquement dépourvus d’armure si l’on exceptait un pourpoint en tissu ou deux, et de Dullahans, d’étranges créatures humanoïdes entièrement vêtues d’armure et qui levaient haut leurs têtes en hélant de potentielles recrues.
 
Des combattants et - non, des guerriers de chaque espèce discutaient avec ces recruteurs et discutaient entre eux pour savoir quel groupe rejoindre. Geneva contempla fixement un Minotaure armé d’une gigantesque massue cloutée et frissonna en imaginant ce qu’il se produirait s’il la cognait avec. Elle pria pour ne pas être en train de commettre une erreur. Mais elle n’avait pas le choix. Elle avait l’estomac vide, et même l’odeur de la sueur et d’autres odeurs corporelles lui donnaient faim.
 
“Toi, là ! Rejoins les Combattants Raveriens !”
 
Un homme haut de taille vêtu d’une armure de plate héla Geneva de l’autre côté de la place. Elle s’approche de lui, et remarqua à quel point son front était couvert de sueur. Il devait être en train de cuire avec cette chaleur, mais il faisait son petit effet parmi les guerriers plus légèrement vêtus.
 
“Je m’appelle Thriss. Je suis un [Sergent] enrôlé dans le 4ème Bataillon de la Compagnie des Combattants Raveriens. Si tu as le courage de combattre à mes côtés, nous t’offrirons huit pièces d’argent pour chaque journée de combat, et une pièce d’argent par journée où tu ne te battras pas. Reste à nos côtés et tu auras un repas chaud tous les soirs, des camarades de confiance pour assurer tes arrières, et tout le butin que tu pourras emporter avec toi !”
 
Geneva avait entendu tous les recruteurs faire le même speech, mais elle écouta tout de même attentivement. Thriss l’observa de la tête aux pieds en s’adressant à elle et à la foule de manière générale d’une voix de stentor. Il avait une voix incroyablement forte - c’était peut-être une Compétence ?
 
“Nous nous spécialisons dans le combat rapproché, mais nous embauchons n’importe qui tant qu’il a une classe intéressante.”
 
Il la dévisagea d’un air sceptique.
 
“Tu ne ressembles pas à une [Guerrière]. Es-tu une espèce de [Mage] ? Il faudra que je te demande une liste de tes sorts disponibles. Et nous te fournirons une armure et une arme, sauf si cela interfère avec tes sorts.”
 
Elle dut secouer la tête tant le brouhaha était envahissant. Geneva avança d’un pas et s’adressa en criant à Thriss, qui était descendu de son tabouret pour l’entendre.
 
“Je suis Médecin ! Je soigne les blessés ! Est-ce que vous voudriez bien m’embaucher ?”
 
“[Médecin] ?”
 
Il avait dit cela comme si c’était spécial. Geneva savait qu’il croyait qu’elle avait une classe, même si elle n’en avait pas vraiment. Mais il l’examina et haussa les épaules.
 
“N’importe qui peut arracher une flèche ou verser une potion de soin sur une blessure, mais parfois, une potion de soin ne suffit pas. Quelqu’un capable de sauver quelques blessés - ou amputer un membre sans qu’il y ait trop de sang - peut nous être utile. Si tu as une signature, fais-la sur ce papier.”
 
Elle fut surprise. Geneva avait cru qu’elle aurait à discuter avec de nombreux recruteurs et défendre sa candidature avant d’être engagée.
 
“Juste comme ça ?”
 
Thriss haussa ses larges épaules.
 
“Il faut être bizarre pour mentir sur le fait d’avoir une classe de [Médecin]. Nous n’avons pas d’artefacts magiques pour voir ta classe ni qui que ce soit avec la Compétence d’[Évaluation], mais tu n’as pas prétendu avoir un quelconque niveau. Et c’est le genre de chose qu’on découvre rapidement. Si tu peux te faire ta place et ne nous cause pas d’ennuis, tu nous seras utile, même si tu dois faire la vaisselle la plupart du temps. Si tu ne peux pas combattre, eh bien, tu apprendras bien assez vite.”
 
Il soutint son regard avec intensité.
 
“Mais j’ai entendu parler de la classe de [Médecin], même si je n’en ai jamais vu. Tu es une espèce de [Guérisseuse], c’est ça ?”
 
“Quelque chose dans le genre.”
 
Geneva avait menti. Elle n’avait jamais croisé de [Guérisseuse] dans ce monde, mais elle espérait que c’était proche de ce qu’elle faisait. Thriss la dévisagea, puis hocha la tête.
 
“Si tu me mens, nous t’utiliserons comme bouclier à flèches. Mais si ce n’est pas le cas, nous aurons plein de boulot pour toi. Tu pourras peut-être même gagner quelques niveaux. Va voir le Lézaride derrière moi pour qu’il te donne tes instructions. Bienvenue chez les Combattants.”
 
Ensuite, Thriss lui avait indiqué où signer et on avait assigné à Geneva une place où dormir dans le campement, un repas chaud de quelque chose ressemblant à du sable et du maïs bouilli mélangé à de la viande, et même une épée et une dague. Geneva avait dormi, se demandant avec inquiétude ce que le destin lui réservait, jusqu’à ce qu’elle se réveille au milieu de la nuit avec une réalisation soudaine.
 
Thriss ne voulait pas d’une [Médecin]. Ou plutôt, il prenait un risque avec elle. Mais ce qu’il voulait, réellement, c’étaient des corps. Les Combattants Raveriens partaient à la bataille, et mis à part l’argent dépensé pour la nourrir et l’équiper, elle n’était rien d’autre qu’une nouvelle épée à lancer contre l’ennemi.
 
Son cœur avait alors battu la chamade, mais Geneva s’était rendormie. Elle était tellement fatiguée qu’elle ne se réveilla qu’une seule fois dans la nuit, pour écraser les moustiques qui tentaient de festoyer sur elle. Puis elle s’était rendormie. Elle était tellement fatiguée qu’elle avait oublié de demander à Thriss de lui fournir de l’équipement chirurgical.




***



Le jour suivant, Geneva se réveilla en entendant Thriss mugir. Elle s’était réveillée paniquée et, en se dépêtrant de ses couvertures rêches, elle s’était rendue compte que les soldats autour d’elle étaient également en train de se leveri.
 
Thriss le [Sergent] était entré accompagné de soldats ordinaires et d’officiers et avait fait lever le ramassis de guerriers qu’il avait recruté la veille. Geneva s’était tenue, mal à l’aise, aux côtés d’une Dullahane qui tenait sa tête entre ses mains, et elles avaient regardé Thriss. L’homme n’était pas porté sur les discours. Il les avait accueillis brièvement, puis leur avait dit qu’ils allaient s’entraîner à combattre.
 
“Mon boulot, c’est d’ordinaire de vous former avant qu’il ne nous faille rejoindre le reste de nos forces au combat. Le souci, c’est que nous sommes déjà engagés au sud-est d’ici, et je n’ai donc qu’une journée pour voir ce que vous avez dans le ventre avant que nous n’entamions notre marche.”
 
Ils étaient donc bels et bien des mercenaires. Geneva s’était engagée parce qu’elle avait eu désespérément besoin de nourriture, mais la réalité ne la frappa réellement que lorsque Thriss leur annonça qu’ils allaient rejoindre une bataille dans quelques jours seulement.
 
“Nous sommes contre plusieurs groupes cette fois-ci. Un clan centaure local s’est allié avec la Compagnie des Magemarteaux. Ils ont envoyé deux bataillons et engagé quelques groupes de mercenaires. Nous allons nous battre contre eux, pour soutenir la Compagnie de la Marche Enflammée. Ne vous inquiétez pas pour les détails ; sachez simplement que nous attendons de vous que vous vous battiez de votre mieux. Nous combattrons dans la jungle ; s’il y en a parmi vous qui soient dotés de compétences de terrain ou de connaissances de la géographie locale, parlez-en à moi ou à l’un des officiers.”
 
Geneva entendit quelques gémissements, mais le reste des recrues parut accepter cette information comme si elle était normale. Certaines personnes qui s’étaient engagées avaient l’air jeunes - qu’importe la race, Geneva pouvait reconnaître des adolescents lorsqu’elle en voyait. Mais d’autres ressemblaient à des vétérans, comme le Minotaure et sa massue cloutée qui dépassait tout le monde d’une tête mis à part les quelques Centaures qui s’étaient enrôlés.
 
“Allez, vous autres, avec moi ! Nous allons voir ce que vous avez dans le ventre, et si vous ne savez pas vous battre, vous obtiendrez votre classe de [Guerrier] d’ici la fin de la journée, croyez-moi !”
 
Une grande Dullahane à l’œil barré d’une cicatrice se mit à hurler sur les recrues et emporta un groupe avec elle. Geneva hésita. Elle n’était pas soldate et elle ne pouvait - ne voulait - pas se battre. Que devait-elle faire ?
 
Elle trouva Thriss lorsque les autres officiers se mirent à faire combattre le reste des guerriers pour les entraîner. Le [Sergent] ouvrit la bouche pour lui hurler dessus, avant que la mémoire lui revienne.
 
“Tu es la [Médecin], c’est ça ? Qu’est-ce que tu veux ?”
 
“J’ai, hum, besoin de quelques fournitures s’il me faut pratiquer des opérations.”
 
Geneva expliqua son problème d’un air mal assuré. Elle savait comment fonctionnait ce genre d’armée ; on recevait sa solde au bout d’un mois ou deux, et elle arrivait souvent avec du retard pour empêcher les désertions. Mais elle il lui fallait du matériel.
 
Thriss l’écouta, et elle fut soulagée qu’il ne se mette pas à lui crier dessus ou à l’ordonner de retourner se battre.
 
“Tu as besoin d’outils, hein ? Comment est-ce que je peux être sûr que tu ne vas pas t’enfuir avec l’argent ?”
 
“Je vous l’ai déjà dit, je suis [Médecin]. J’ai besoin d’instruments pour recoudre la chair, et je n’en ai aucun. Ne me dites pas que vous n’avez jamais vu une médecin travailler ?”
 
Geneva s’était exprimée d’une voix la plus assurée possible. Thriss haussa les épaules.
 
“C’est assez rare. La plupart des gens appliquent des potions de soin, mais j’ai vu des guérisseurs recoudre une plaie. Cela dit, pourquoi n’as-tu pas déjà tout ce dont tu as besoin, ?”
 
“J’ai perdu tout ce que je possédais.”
 
Ceci, au moins, était vrai. Elle avait tout perdu en marchant dans le couloir de son école avant de tourner et de se retrouver entourée d’un feuillage vert tout avec de la terre sous ses pieds plutôt que des carreaux stériles.
 
Thriss la scruta d’un œil sceptique.
 
“Hum. Prouve-le.”
 
“Comment ?”
 
Il montra du doigt un groupe de soldats surveillé par les officiers.
 
“On a toujours quelques blessures, même avec des armes émoussées. Voyons voir si tu peux aider à soigner les leurs.”
 
L’estomac de Geneva se noua, mais elle acquiesça. Intérieurement, elle révisait frénétiquement les notes et les travaux pratiques qu’elle avait eus en médecine. Elle n’était pas diplômée - elle n’était qu’en troisième année - ! Mais il était trop tard pour reculer à présent.
 
Bien assez vite, Geneva eut l’opportunité de montrer son talent. Un jeune homme - un adolescent roux avec davantage de confiance en lui que de véritable talent - ne parvint pas à relever le bouclier qu’on lui avait fourni à temps. Son adversaire lui cogna l’épaule et Geneva vit le jeune homme tomber par terre et hurler en sentant son épaule se déboîter.
 
“Que personne ne bouge ! Retournez à vos postes !”
 
Thriss joua des coudes pour traverser le cercle de soldats et fit signe à Geneva d’approcher. Il regarda le jeune homme qui se tordait de douleur par terre puis se tourna vers elle.
 
“La lame d’entraînement a dû casser quelque chose. Est-ce que tu peux réduire la fracture ?”
 
Geneva secoua machinalement la tête en regardant le jeune homme. Il essayait à la fois de toucher et de ne pas toucher son bras blessé.
 
“L’os n’est pas cassé. Son épaule a été luxée ; il faut la lui remettre en place.”
 
Les yeux de Thriss pétillèrent et Geneva vit ses lèvres tressaillir un bref instant. C’était un test, elle en était sûre.
 
“Est-ce que tu peux le soigner ?”
 
“Oui, s’il ne bouge pas.”
 
“Tu l’as entendue ! Ne bouge plus, garçon ! C’est juste une luxure ; pas de quoi chouiner !”
 
Thriss gifla le jeune homme et le maintint en place tandis que Geneva lui attrapait prudemment le bras. La peau du jeune homme était glissante de sueur et il tremblait, mais elle savait quoi faire. Il hurla et geignit, mais Geneva avait appris comment remettre une épaule en place. Du premier coup, elle parvint à remettre le bras en place et l’homme cessa de geindre et regarda fixement son bras d’un air incrédule.
 
“Il lui faudra quelques semaines pour se remettre.”
 
“Pas le temps. Tiens. Prends ça.”
 
Thriss sortit une fiole de verre remplie d’un liquide vert qui clapotait à sa ceinture. Geneva la regarda d’un air sceptique.
 
“C’est une potion de mauvaise qualité, mais ça devrait suffire. Vas-y. À moins que tu n’aies une Compétence ou un sort qui puisse faire mieux ?”
 
Geneva n’en avait pas, mais elle n’avait jamais vu de potion de soin agir auparavant. Elle ne pouvait toutefois pas laisser qui que ce soit se rendre compte de cela, et elle retira donc le bouchon. Le liquide vert avait une odeur incroyablement répugnante, mais le jeune homme le regardait avec espoir.
 
Précautionneusement, Geneva versa un peu de liquide vert sur l’épaule, et regarda avec incrédulité la chair déjà enflée dégonfler et l’homme pousser un soupir de soulagement. La zone avait toutefois encore l’air à vif, et Geneva ajouta donc un peu de potion jusqu’à ce que tout lui paraisse être rentré dans l’ordre.
 
“Bien !”
 
Thriss récupéra la potion aux deux tiers pleine que Geneva lui tendait et se leva. Il tendit la main au jeune homme qui la saisit. Il se mit à rouler des mécaniques et à rire comme s’il ne s’était rien passé.
 
“Je n’aurais pas gaspillé de potion pour toi, mais on a une bataille qui nous attend, et tu ne nous sers à rien si tu n’as qu’un bras !”
 
La voix de Thriss résonna dans le campement et les soldats interrompirent leur entraînement pour l’écouter.
 
“Écoutez-moi bien, restez avec nous et vous n’aurez pas besoin de chercher de potion lorsque vous aurez une flèche dans le ventre ! Nous avons du matériel de premiers secours pour vous soigner de tout sauf d’une décapitation - à moins que vous ne soyez un Dullahan - et nous avons même une [Médecin] au cas où les potions de soin ne fonctionneraient pas !”
 
Il pointa Geneva du doigt, et elle sentit les yeux se poser sur elle. Geneva rougit légèrement, mais elle ne chercha pas à se dérober aux regards. La partie rationnelle et calme de son esprit réfléchissait, toutefois. Thriss avait eu la potion de soin prête à l’emploi, et il s’était attendu à ce que quelqu’un soit blessé. Elle regarda le soldat qui avait combattu le jeune homme. C’était un vétéran, pas une nouvelle recrue. Ils avaient probablement orchestré tout cela pour booster la confiance des jeunes recrues, et tester l’engagement de Geneva n’avait fait qu’améliorer la mascarade.
 
Ses soupçons furent confirmés lorsque Thriss la ramena à sa tente et rangea la potion de soin dans un coffre qu’il ferma à clef. Il la regarda fouiller dans le matériel et lui tendit un sac dans lequel il fourra quelques pièces.
 
“C’était rapide. J’ai déjà vu des hommes déchirer la chair en essayant de remettre un os en place, mais cela ne t’a pris que quelques secondes.”
 
Il lui jeta le sac et Geneva regarda à l’intérieur. Une poignée de pièces d’argent scintillèrent sous ses yeux.
 
“Prends-le et achète ce qu’il te faut. Je vais demander à l’un des garçons du coin de te faire visiter.”
 
Histoire qu’elle ne s’enfuie pas avec l’argent. Geneva accepta le petit sac avec reconnaissance. Puis elle dut attendre que Thriss trouve un jeune Lézaride pour la guider. Pendant tout ce temps, elle continua de lutter pour accepter l’irréalité de ce qui l’entourait.
 
Des potions magiques qui pouvaient accomplir en en quelques secondes une guérison de plusieurs semaines ? Des soldats qui se battaient à l’épée ? Des Lézarides, des Centaures, et un peuple qui pouvait enlever leurs têtes comme des chapeaux ?
 
Dans quoi s’était-elle donc embarquée ?





***





Il fallut à Geneva une bonne partie de la journée pour réussir à réunir ce qu’il lui fallait, c’est-à-dire, une aiguille adaptée pour exécuter la plupart des opérations. À la vérité, elle aurait aimé trouver des antibiotiques, des anesthésiants locaux et généraux, une réserve d’aiguilles, du désinfectant…
 
Mais elle savait qu’elle ne trouverait rien de tout cela ici. Geneva prit donc ce qu’elle savait pouvoir obtenir, c’est-à-dire une aiguille, courbe, qui pouvait lui permettre de recoudre la chair. Des aiguilles ordinaires, droites, ne feraient tout simplement pas l’affaire.
 
Tout de même, même trouver ce simple instrument en ville représenta un défi. Ce n’était pas comme si ce monde - une espèce de monde médiéval rempli de magie - possédait quoi que ce soit qui se rapproche de près ou de loin à de l’équipement moderne. Geneva dut parler à trois [Couturières] avant qu’une vieille Lézaride ne lui trouve ce qu’il lui fallait.
 
“C’est une aiguille que j’utilisais pour coudre des tapis, Humaine, pas de la chair.”
 
La vieille Lézarides aux écailles décolorées scruta Geneva d’un air suspicieux, mais finit par lui vendre trois aiguilles courbes, avec du fil. Tout était extrêmement cher, mais Geneva avait encore assez d’argent pour acheter un peu de tissu et des ciseaux. Il lui fallait des bandages, et les ciseaux étaient indispensables.
 
Thriss avait examiné les achats de Geneva à son retour et pouffé de rire. Il avait récupéré les quelques pièces de cuivre qu’il lui restait.
 
“Des bandages ? Utiles si on n’a pas de potion de soin sous la main, j’imagine. Mais si tu as besoin de tissu, on a bien assez de chiffons. Demande à l’intendant s’il te manque encore des choses et prépare-toi pour la marche de demain. Il faudra qu’on parcoure au moins vingt-quatre kilomètres et tu auras ton sac à porter.”
 
Ensuite, Geneva s’assit avec des mâles et de femelles de différentes espèces et ils mangèrent avant d’aller dormir. L’air était chaud et humide, comme il l’était depuis le jour où Geneva était arrivée ici, et les insectes tentèrent de la mordre ou de boire son sang. Mais la nourriture dans son assiette était nourrissante, et elle pouvait même sourire et accepter les remerciements du jeune homme dont elle avait remis le bras en place.
 
Et lorsque la deuxième nuit était arrivée, et que les nouvelles recrues épuisées étaient allées se coucher, Geneva s’était roulée en boule sous ses couvertures et avait couvert son visage pour que personne ne la voit. Ce fut le moment où elle s’autorisa à trembler et à s’étouffer sur ses peurs.
 
Qu’était-elle en train de faire ? Elle n’avait pas de véritable équipement. Elle avait besoin de vrai matériel chirurgical, pas d’aiguilles à coudre et de morceaux de tissu. Elle avait besoin de forceps, d’un bloc opératoire stérile, de désinfectant, d’antibiotiques, d’anesthésiants…
 
“Mais je n’ai pas le choix.”, murmura-t-elle jusqu’à ce que la personne qui dormait à côté d’elle grogne d’un air irrité. Elle se tut donc. Elle n’avait pas le choix. Elle devait survivre.
 
C’était Baleros, et les jungles étaient emplies de monstres et les espèces se battaient sans cesse. Si elle n’avait pas de travail, elle mourrait de faim ou se ferait tuer. Et une [Médecin] n’avait pas vraiment d’utilité, dans un monde rempli de potions de soin magiques.
 
Geneva Scala contempla l’aiguille et le fil dans son sac et les bandages, la bouteille d’eau, et la marmite qu’elle avait demandée à l’intendant. Ses mains tremblèrent en s’imaginant devoir sauver la vie de qui que ce soit avec un équipement si limité. Elle contempla l’épée et se souvint de son Serment D’Hippocrate.
 
Pas l’ancien serment grec qui interdisait l’utilisation d’un couteau en médecine, mais celui qu’elle s’était juré à elle-même. Elle avait adopté son homonyme, la Déclaration de Genève, et créé son propre serment.
 
Elle le murmura alors, moitié dans sa tête, moitié à voix haute.
 
“Je jure solennellement de consacrer ma vie au service de l’humanité. J’exercerai ma profession avec conscience et dignité ; la santé de mon patient sera ma priorité ; je respecterai les secrets qui me seront confiés. Je n’userai pas de mon savoir médical pour violer les droits humains et les libertés civiles, même sous la menace…”
 
Elle s’endormit avant d’avoir terminé. Mais les mots résonnèrent dans ses rêves. Seulement, à présent, le mot humanité n’était plus adapté. Elle devait protéger les gens. Mais elle était aussi soldate. Il lui faudrait peut-être se battre.
 
Elle ne pouvait faire ça. Elle avait prêté un serment plus important. Même si elle était dans un autre monde, un autre lieu où la magie existait et où les gens gagnaient des niveaux comme dans un jeu vidéo, elle avait son serment.
 
C’était tout ce qu’il lui restait.


[Classe : Médecin Obtenue !]
 
[Médecin Niveau 1 !]
 
[Compétence - Résistance Mineure : Maladie Obtenue ]



***




“Tu es donc [Médecin] ?”
 
C’était la question qu’on posa à Geneva au moins une dizaine de fois le jour suivant, où elle se retrouva à marcher sur une route de terre qui s’enfonçait dans un sous-bois de plus en plus épais. Le 4e Bataillon des Combattants Raveriens s’était mis en marche pour rejoindre le combat.
 
À la vérité, Geneva n’avait aucune idée d’où ils se trouvaient sur ce continent, ni où ils se rendaient. Elle n’était même pas sûre de savoir pour quoi ils se battaient, ce qui étonnait beaucoup les soldats qui avaient décidé de lui parler pendant la marche.
 
Elle était dans la 6e Escouade, sous le commandement de Thriss lui-même. Leur groupe - et, pour tout dire, la majeure partie du bataillon - était humain. Oh, il y avait bien quelques Centaures, Dullahans, Lézarides et même un Minotaure qui marchaient avec eux, mais Geneva comprit que les espèces restaient d’ordinaire entre elles, même au sein des groupes de mercenaires.
 
“C’est plus facile de coordonner les attaques si tout le monde est majoritairement de la même espèce. Et puis, eh, il faut bien qu’on se serre les coudes entre Humains, pas vrai ?”, déclara le jeune homme roux qui avait été le premier à rejoindre Geneva pendant la marche. Il portait le sac à dos qu’on lui avait fourni sans grande peine et ne cessait de caresser la garde de son épée avec une excitation évidente. Geneva entendit quelqu’un pouffer et vit que les trois hommes et les deux femmes qui marchaient avec eux se moquaient de lui.
 
“Ne prête pas attention à Lim. Il ne sait pas de quoi il parle. Nous serions bien mieux lotis si nous avions quelques Dullahans de plus dans notre compagnie. Ils ont de l’armure en guise de peau ; tout ce que possède Lim, c’est une grande bouche et une épaule branlante.”
 
“Hey !”
 
Lim parut blessé lorsque Geneva éclata de rire. La femme qui avait parlé - Clara - avait la peau sombre, semblable à celle d’une Amérindienne, ce qui ne fit que convaincre davantage Geneva que ce n’était qu’une version tordue des Amériques. Quelque part au Brésil, ou encore en Amazonie - comme la végétation et la chaleur et l’humidité constantes et intrusives semblaient le suggérer.
 
“En revanche, je suis surprise que tu aies eu envie de te joindre aux Combattants, Geneva. Les [Guérisseurs] ne se tiennent-ils d’ordinaire pas loin des combats ?”
 
“Je suppose que si. Mais je n’ai plus d’argent, et c’était ma seule option.”
 
Clara hocha la tête d’un air compatissant.
 
“Mais tout de même, si tu ne participes pas aux combats, tu devrais mieux t’en sortir que Lim. À quoi servent les [Médecins], de toute façon ? Les potions de soin n’ont-elles pas rendu ta classe obsolète ?”
 
“Peut-être que si.”
 
C’était ce qui inquiétait Geneva. Elle secoua la tête.
 
“Mais les potions de soin ne fonctionnent pas sur tout, pas vrai ?”
 
“C’est vrai.”
 
Un homme avec une barbe épaisse et un crâne chauve hocha sagement la tête. Il possédait plusieurs cicatrices et Geneva se demandait si elles avaient guéri naturellement ou si la potion de soin n’avait pas complètement fonctionné.
 
“Une bonne potion de soin peut te ressouder quelques os et réparer ta peau, voire même tes boyaux, mais les mauvaises ne font que te guérir en partie. Et puis, eh, tu crois vraiment qu’on a suffisamment de potions pour soigner tout le monde ? Thriss a monté un joli spectacle tout à l’heure, mais si tu comptes te faire soigner à chaque fois que tu prends un coup, alors tu ferais mieux de t’enfuir tout de suite. La seule manière de rester en bonne santé, c’est de ne pas prendre de coups.”
 
Les autres soldats hochèrent la tête et Lim parut brièvement inquiet.
 
“Mais on ne sera pas tant en danger que ça, si?”
 
“Hah ! Contre des Centaures ? Ils galèrent peut-être dans la jungle, mais trouve-leur une plaine dégagée et ils te bourreront de flèches tellement vite que tu n’auras même pas le temps d’attraper ton bouclier.”
 
“Ce ne sont pas les Centaures le problème, là. Je m’inquiète plus de la Compagnie des Magemarteaux. Ils ont des mages salement doués.”
 
“Ce ne seront pas tous des mages, si ?”
 
Là encore, tout le monde se moqua de Lim. Il rougit violemment, mais jeta un regard en coin à Geneva. Elle fit mine de ne pas l’avoir remarqué - il ne pouvait pas avoir bien plus de seize ans, et elle en avait vingt-quatre, bientôt vingt-cinq.
 
“Ils ont probablement une majeure partie de guerriers et une poignée de mages par escouade, voire moins. Et nous avons nos propres mages, donc on ne sera pas seuls. Mais retiens bien ce que je te dis, il y aura de sales sorts là-bas.”
 
“Mais on ne va pas se battre contre eux tout le temps, si ?”
 
“Bien sûr que non ! Tu crois vraiment qu’on va tous les tuer jusqu’au dernier ? Non, on essaie de repousser leur compagnie. Si on en tue suffisamment - ou qu’on conquière suffisamment de terres, leur Commandant signera probablement un traité de paix. Et ensuite, on récupérera tous notre solde et on pourra aller s’enivrer pendant une semaine ou deux.”, répondit Clara à Lim sous l’oreille très attentive de Geneva. Elle était dans ce monde, à Baleros, depuis une semaine, et elle avait survécu surtout en faisant mine de connaître les principes de base de ce monde. Mais elle restait encore tristement peu éduquée, et les gens qui marchaient à ses côtés étaient les premiers auxquels elle pouvait poser franchement ses questions.
 
“La Compagnie des Magemarteaux essaie de protéger une mine d’or trouvée par une tribu centaure. C’est ce que j’ai entendu dire. Ils vont partager les bénéfices, mais surprise, la Compagnie de la Marche Enflammée affirme que la mine est à eux parce qu’ils ont un contrat sur cette zone.”
 
Plusieurs personnes hochèrent la tête d’un air docte. Lim parut décontenancé.
 
“Mais qui a raison ?”
 
“Qu’importe ? On est payés pour se battre, pas pour choisir un camp. Ne te mets pas une Compagnie à dos, garçon.”
 
Le soldat chauve assena une taloche à Lim. À ce qu’avait compris Geneva, Baleros était un continent unique dans le sens où malgré la présence de nations, de pays, de royaumes et autres, la plupart des combats étaient menés par des mercenaires, qui pouvaient être soit de petites troupes comme les Combattants Raveriens, soit des Compagnies énormes composées de multiples régiments de soldats qui étaient presque constamment impliqués dans des conflits.
 
“Bien sûr, les Compagnies sont plus ou moins des nations en elles-mêmes.”
 
Clara parut surprise lorsque Geneva lui posa une question à ce sujet.
 
“Tu es nouvelle sur Baleros, c’est ça ? Eh bien, il y a un nombre incalculable de compagnies qui possèdent leurs propres cités et villes où elles tiennent leur quartier général. Elles ont des contrats et gagnent de l’argent en protégeant des zones, et elles envoient leurs propres armées au combat. Les plus grandes ont de l’influence, des représentants dans d’autres nations, voire des organisations mercantiles entières qui les approvisionnent exclusivement !”
 
Geneva hocha la tête.
 
“J’ai entendu dire que les Quatre Compagnies de Baleros sont les plus grandes. Mais je ne sais rien sur elles… pourquoi est-ce que tout le monde ne les rejoint pas ?”
 
“Les Quatre Compagnies ? Bien sûr, si tu es un officier ou un vétéran, elles te traitent bien. Mais tu peux avoir un meilleur salaire et de meilleures opportunités de remporter du butin et des niveaux dans un groupe de mercenaires. Et en plus, quand elles partent en guerre, les gens meurent par dizaines de milliers.”
 
Le chauve secoua la tête et cracha. Beaucoup de soldats l’appelaient “Le Vieux”, mais son véritable nom était Fortum. Il discutait en se servant de la lance qu’il tenait entre les mains comme bâton de marche, et sa bouche était un assortiment de dents jaunes et de trous clairement visibles.
 
“Elles sont plus ou moins à égalité - enfin, ce n’est pas comme si elles se battaient entre elles la plupart du temps. Cela bouleverserait l’équilibre, et si deux Grandes Compagnies combattaient, les deux autres attaqueraient la vainqueuse, s’il y en avait une. Mais maintenant qu’on en parle… Lim, tu connais les Quatre Grandes Compagnies, pas vrai ? Parles-en à la jeune fille, d’accord ?”
 
“Moi ?”
 
Lim sursauta et rougit. Il s’éclaircit nerveusement la gorge.
 
“Eh bien, il y a la Légion Cuirassée - les Dullahans...”
 
“Les Dullahans sont une bande de salauds en armure. Ils sont principalement basés au nord. Ils ont au moins dix-huit cités sous leur protection.”, l’interrompit Fortum.
 
“Eh bien, oui, mais leur chef est un Dullahan, pas vrai ?”
 
“Comme si ça changeait quelque chose ! Ils prennent n’importe qui, tant qu’il a une bonne armure. Je doute que tu trouverais beaucoup de boulot chez eux, Geneva. Toutes leurs troupes sont des dures à cuire et leurs Dullahans ont des armures de métal.”
 
Le Vieux indiqua d’un signe de tête quelques Dullahans en train de marcher dans une escouade devant eux. Geneva tourna la tête, et vit que la “peau” de ces Dullahans était faite de bois et non de métal. Elle avait été surprise de remarquer que bien qu’apparemment, les Dullahans étaient tous couverts d’armure sauf au niveau de la tête, la qualité de leur armure variait de l’un à l’autre.
 
“Il n’y a pas grand-chose à soigner chez des gens en armure, pas vrai ?”
 
“Peut-être.”
 
Geneva ne pouvait qu’imaginer les blessures qui pouvaient en résulter. Des os broyés, des armures transpercées… elle frissonna en s’imaginant essayer de reconstituer une main écrasée sans équipement. Elle n’était même pas sûre de pouvoir aider quelqu’un qui se ferait transpercer par une épée ici.
 
“Bref, ils se querellent toujours avec la Compagnie du Vent qui Souffle. Principalement des Centaures, mais ils ont aussi beaucoup de soldats à cheval. Ils sont spécialisés dans les attaques éclairs - tu te crois en sécurité, et une seconde plus tard, leurs armées te fondent dessus dans la nuit. Pas si doués que ça dans la jungle et les hauteurs, cela dit.”
 
Baleros n’était pas composée uniquement de forêts profondes et de jungles. Il y avait aussi de larges plaines ouvertes et des paysages merveilleusement pittoresques - ou du moins, c’était ce que Geneva avait entendu dire. Si cela ressemblait un tant soit peu aux Amériques, elle s’attendait à ce que la partie septentrionale du continent soit bien plus froide.
 
Elle était née dans le Wisconsin, et elle avait beau descendre d’une lignée italienne et avoir régulièrement visité son pays d’origine… cette humidité la tuait. Elle donnerait n’importe quoi pour un peu de neige. Apparemment, c’était l’hiver, mais pour une raison inconnue, il avait été retardé. Elle avait entendu les Esprits de l’Hiver être mentionnés dans ce contexte, mais Geneva n’avait encore aucune idée de ce dont il s’agissait.
 
“La Légion Cuirassée et la Compagnie du Vent qui Souffle sont spécialisées, mais les deux autres ont des méthodes plus diversifiées. L’Aile Oubliée, par exemple…”
 
“C’est l’armée menée par le Fadet, c’est ça ?”
 
“Le Titan en personne. Oui, ils se sont hissés sur le devant de la scène il y a de cela une vingtaine d’années. Ils ont écrasé un nombre incalculable d’autres compagnies, et leur numéro deux est le Titan, le plus grand [Stratégiste] du monde.”
 
Fortum hocha la tête, et Geneva se demanda ce qu’était un Fadet. Le Vieux se racla la gorge.
 
“Cela dit, leur Commandante est tout aussi terrifiante. Le Titan mène leurs armées tandis que la Traqueuse aux Trois Couleurs élimine les officiers ennemis. Ils n’ont pas autant de contrats sur le long terme que les autres, mais ils représentent une force grandissante, et ils se sont battus avec la Légion de Fer. Et enfin, la dernière compagnie…”
 
Une embuscade ! Des centaures dans les arbres !, hurla quelqu’un plus loin devant eux. Geneva leva les yeux, et soudain, elle aperçut les flèches.





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