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Auteur Sujet: L'envers  (Lu 7846 fois)

Hors ligne Feather

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L'envers
« le: 26 février 2021 à 19:33:23 »




deuxième partie

troisième partie

quatrième partie

cinquième partie

sixième partie

septième partie

huitième partie

neuvième partie

dixième partie


L’ENVERS

Le dessous de l’envers est comme une spirale qui jaillit de l’enfer, qui tournoie sur elle-même pour s’extirper de l’ombre et me laisse ce goût amer d’un destin fractionné.
Mon corps est charnellement attiré vers l’impensable réalité, celle-là même qui m’a guidée aujourd’hui vers toi. Comment aurais-je pu comprendre mon monde sans m’attacher à ton être tout entier? Traversant la lumière, mon désir s’est perdu dans une impression de déjà-vu. Alors que mon esprit naviguait entre indécision et confiance, mon corps vagabondait en suspension. Ton visage me retrouvait dans un nuage de vapeur, où ta voix me murmurait comme un son imperceptible, des douceurs nostalgiques.
Les mouvements de tes gestes m’enveloppaient d’une aura délicieuse. Tu étais là, mon héros, mon aimé.

Tout débuta un jour de printemps, je n’étais alors qu’une jeune femme pleine de rêves et d’ardeur.
La vie m’appartenait, ou du moins son apparence, car fragile était cette existence ; passionnée et amoureuse des instants fortuits, je savais saisir les moindres de ses délices.
J’avais pour habitude d’en déchiffrer les subtilités qui me transportaient vers un eldorado sans frontière. Comme un espace de permissives fantaisies où les plaisirs se livraient simplement avec des envies incommensurables.
 Assise au bord d’une rivière, les jambes ballantes au-dessus du vide, les bras reposés sur le muret de pierre, je rêvassais … et c’est alors que je t’ai vu sur l’autre rive. Grand, la silhouette svelte, tu portais un pantalon et un pull beige, sur une de tes épaules était négligemment jetée une veste kaki, à tes pieds des derbies marrons venaient soutenir cette démarche élégante. L’eau coulait paisiblement faisant écran entre toi et moi. Puis, au hasard d’un moment, j’ai croisé ton regard, j’y ai vu toute ma vie … oui, toute ma vie. Moi : perdue dans ma rêverie ne sachant pas comment m’inscrire dans un avenir proche. Car à l’époque tout se dérobait sous mes pieds, mon attirance pour les sensations douces n’était alors que mensonge et espièglerie.
Une facétieuse  tromperie.
Tu étais maintenant là, face à moi. J’étais électrifiée, comme tétanisée par ce frisson qui me parcourait tout le corps, des pieds à la tête. Et puis tu m’as laissée seule avec cette impression. Pourtant, je savais, au fond de moi, qu’une certaine révélation avait figé cette belle journée de printemps, tel un tableau impressionniste dont l’expression ne demande qu’à s’extirper des contours du tableau pour devenir une réalité transfigurée, palpable. Les rameaux des peupliers cambraient au vent, le verdoyant des feuillages virevoltants étourdissait, m’étourdissait. À la surface, un mirage se formait, vaporeuse était l’atmosphère.
J’aurais voulu te décrire mon être à ce moment-là, pour laisser une empreinte au travers de l’écho de ma voix, pour figer et donner à toute cette scène mythique un semblant de vérité.
Un soupçon de légèreté planait autour de moi. Cette suavité de l’air m’enveloppait et me réconfortait par un sentiment agréable et familier. Loin des futiles banalités des romances d’adolescent, je savais que quelque chose allait bouleverser mon existence.
Etait-ce ta présence immortalisée par cet espace doux et incalculable, ou ton charme opérant sur mon être insolent livré à mon rêve diurne ?
Je ne le saurai jamais… Cependant, l’évènement exprimait de par sa furtivité et son intensité un acte précieux, un signe prédestiné à mon bonheur naissant.

Rassemblant comme à mon habitude mes livres, mon ordinateur et quelques crayons à dessin, je fus surprise par ma désinvolture. En ce jour de printemps, le sifflement des étourneaux dans le tilleul en fleur présageait d’une belle journée. Ravie par cette tonalité insouciante, je me dirigeai vers la bibliothèque du quartier. C’était un endroit précieux où il était possible de s’installer en toute tranquillité sur les tables en teck qui surplombaient un terrassement arboré, où s’élevait majestueusement un Orphée massivement sculpté dans un marbre blanc.
Avant de m’y installer, je passai chez Mochaco, un troquet Italien aux allures florentines pour m’acheter un café que je déversai dans mon thermos puis je remontai les marches d’un pas alangui jusqu’à ma table habituelle.
Je prenais bien soin, avec un tact mesuré, de disposer mes crayons, mon pc et mes quelques bouquins, de façon presque protocolaire. C’était de cette manière que je me donnais cette fausse assurance qui me caractérisait. Je recouvrais mes épaules d’un châle violet qui m’avait été offert par ma mère pour mes 18 ans. C’était en quelques sortes mon fétiche, auquel j’attribuais des pouvoirs métaphysiques. Et je me mettais à écrire, toujours écrire, des banalités, sans aucune inscription vraisemblable. Des fragments de vie sans saveur pour qui aurait eu l’impudeur de lire et d’en comprendre toute l’incongruité.
Mais le délice d’écrire me procurait des sensations érotiques. Mon corps, alors se délitait face aux contraintes de l’écriture. Je retenais toute la fraicheur d’un instant exceptionnel. Je donnais, par cette action, un élan spontané et libérateur. N’ayant jamais ouvert mon cœur à quiconque, cette occupation quotidienne me procurait des impressions pleines de nouveautés. Ma chair vivait, transpirait donnant du sens à ma destinée, j’exultais.
Ce rapport charnel, ouvert sur l’extérieur et exposé au regard des passants me ravissait. La scène était plantée dans ce décor impersonnel et pourtant très familier. Mais il n’en était rien. Bien au contraire, la maitrise avec laquelle je travaillais libérait une sensation digne et respectable.
Aucune  confusion n’altérait la scène.

Ton regard intense et insolent marquait une certaine assurance intimidante. Tu as crevé ma bulle, libérant une certaine nostalgie d’un temps passé où mes souvenirs n’étaient que délires et chimères. Tu étais bien réel. Ton apparition délicieuse. Je me serais livrée à toi corps et âme. Je crois que je t’aurais tout accordé sans difficulté.
Tu t’es installé calmement à une table jouxtant un écriteau sommairement affiché sur le perron de l’établissement, et tu t’es mis à lire un quotidien. Puis après l’avoir feuilleté délicatement de tes longs doigts, tu as levé la tête vers moi, j’ai rougi et faisant comme si de rien n’était, j’ai avalé mon café maladroitement.
Je crois que j’aurais donné mon plus beau des péchés à cet homme qui avait hanté depuis le premier jour mes nuits. Il n’y avait pas un seul instant sans une pensée incarnée de sa présence fantasmatique. Il s’était écoulé une semaine, et je vivais, je le vivais. Son être était devenu un objet de fantasme, sublimé par le plaisir. La jouissance était telle que mon énergie se décuplait sous l’impulsion de mes idées vagabondes. Je le devinais nu, entièrement dévoué à moi.
Curieuse était ma tentation de m’approcher de lui, et de découvrir sa personnalité apparemment sereine et consciencieusement maîtrisée. Mais il n’en fut rien…pour un temps !
J’imprégnais suavement cette stature attirante par mon œil charmé qui réveillait en moi des émois jusqu’alors insoupçonnés. Je vivais enfin au travers d’illusions parfaitement maquillées de rêves et d’espoirs. Le soir, dans mon appartement, je l’imaginais teinté de grâce m’implorant toute l’attention d’un amour naissant. J’étais son esclave. Malgré mon détachement impossible, une liberté s’offrait à moi. Comme un élan imprévisible, une beauté surnaturelle, la vie prenait des tournures neuves.
C’était comme si ma personne demandait d’exister. Comme un affront à ma condition ordinaire, cette rencontre éveillait mon intelligence émotionnelle jusqu’alors mue par des préoccupations insipides. J’ordonnai au ciel de m’offrir plus d’audace, de témérité pour affronter cet élément nouveau empli de poésie.

 

« Modifié: 08 mars 2021 à 12:59:35 par Feather »
Les larmes sans pleur sont une lanterne.

Hors ligne BAGHOU

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Re : L'envers
« Réponse #1 le: 26 février 2021 à 20:38:43 »
Bonsoir,  :) :) :) :)

Que l'absence fut longue, un manque et hop le voilà comblé...ravie de lire de nouveau du Feather et évidemment, je ne suis pas déçue. 8)

Ce début d'histoire est "banal" certes, une rencontre entre deux êtres et tout est possible...et pourtant rien n'est "banal", la richesse des mots, l'introspection du personnage féminin qui nous expose son intérieur pour appréhender ses ressentis, les images renvoyées. Evidemment que l'on veut en savoir plus, surtout que l'on pense deviner la suite, tout en rêvant et même en espérant se tromper et je suis certaine que l'auteure va nous emmener sur un territoire plein de surprises.

J'aime vivre dans la tête d'un personnage et puis cela me rappelle lorsqu'en sixième je prenais le bus tous les matins et j'ai connu mon premier béguin pour un jeune homme, certainement proche de 18 ans, tout de cuir vêtu, il se mettait toujours au fond du bus. J'ai mis des semaines avant de m'y risquer et puis un jour il n'était plus là, nous n'avons échangé que des regards. Mais, je me suis fais des films, des tas de films.

Alors, il faut continuer, je veux tout savoir. 8) 8)
"La critique, art aisé, se doit d'être constructive." Boris Vian dans l'Herbe rouge.

Hors ligne Feather

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Re : L'envers
« Réponse #2 le: 26 février 2021 à 21:05:46 »
Bonsoir Baghou,
Et oui, l'absence fut longue...tellement longue que le doute s'installe.
Je suis heureuse que tu rebondisses sur ce texte et m'encourages à poursuivre.
C'est important pour moi.
Merci , big merci

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Hors ligne txuku

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Re : L'envers
« Réponse #3 le: 27 février 2021 à 18:55:15 »
Bonjour

J ai ete un peu gene par l alternance de reverie romantique et tes descriptions assez froides des decors et des vetements ............
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

Hors ligne Feather

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Re : L'envers
« Réponse #4 le: 27 février 2021 à 19:46:26 »
Merci Txuku pour ta remarque, j'en tiendrai compte pour la suite.
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Hors ligne Feather

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l'envers (suite1)
« Réponse #5 le: 28 février 2021 à 11:08:05 »
Le monde ne se dérobait plus sous mes pieds, il s’ouvrait. Et chaque déplacement était une occasion pour imaginer « la rencontre ». J’avais ainsi nommé ce phénomène nouveau. Ce bel inconnu représentait à lui seul un monde coloré et pimenté de rebondissements. Je vivais pleinement, dans ma chair, ces revers de situations nouvelles.
Lors de mes sorties au parc, à la bibliothèque, mon cœur battait la chamade, l’espoir de « la rencontre » insolite devait arriver tôt ou tard, selon ma croyance interne et mon désir grandissant de croiser à nouveau ce regard salvateur. Ma chaleur corporelle augmentait à chaque pensée sensuelle dirigée vers lui. Je compris bien plus tard que j’avais fabriqué une icône qui sacralisait l’amour que je me portais, lequel s’était nourrit de mes expériences.
 En parfaite amoureuse transie, je priais pour que l’instant d’une déclaration sincère et réciproque advienne.
Je retournais régulièrement à cette même bibliothèque. Les histoires que je m’étais fabriquées avaient un goût fantastique. Cependant, la peur de rompre ce charme par une confrontation me resserrait l’estomac.
Un jour, je le revis assis à la même place, avec cette même prestance délicieuse. Décontenancée, je n’osais bouger, les pensées se brouillaient, allais-je pouvoir parler, inventer un prétexte pour lui adresser un mot, un sourire ?
Mais rien !
Comment rompre cette boucle dans ma tête qui m’étourdissait et me rendais folle d’amour ?
J’étais devenue son pantin malgré lui, une poupée de chiffon qui courbait sous les inflexions du moment.
Seule confrontée à mes sentiments, j’espérais crever la bulle dans laquelle je m’enfermais délibérément. Lui étant l’agréable coupable de mon agonie sensuelle. Il me permettait d’égrainer et de semer des semblants affectifs autour de moi. Mes relations s’en voyaient plus fécondes, plus riches en intensité. Il était devenu, sans le savoir, mon carburant.
Et puis, au détour d’une rue piétonne, alors que je revenais du marché où j’avais acheté mes légumes, et que le soleil avait embelli ma matinée, je le croisai. Sans retenue, avec cette impression familière, je lui souris. Il me sourit, me renvoyant ma politesse. Cette fugacité prit des tournures d’éternité. J’atteignais l’apothéose, le summum de la légèreté bienheureuse. Et je repris mon chemin jusqu’à mon appartement en sous-pente. En passant la porte, la lumière inondait la pièce centrale, le sofa blanc siégeait comme une coquille nacrée, les coussins jaunes, bleu émeraude et vert canard alimentaient les seules touches de couleur de l’endroit immaculé. Sous la fenêtre, une orchidée renvoyait un naturel floral, un grand miroir reposait à même le sol. Dans son reflet, on pouvait apprécier la tranquillité d’une décoration minimaliste.
Dans cet intérieur, ma vie s’inscrivait paisiblement, rythmée de grasses matinées. Je me laissais facilement attendrir par l’aspect vaporeux d’une méditation qui s’imposait à moi. Depuis lui, je savourais les moindres instants, j’accomplissais sans réelle difficulté des actions jusqu’à présent impensables. C’est avec plus de fantaisie, qu’au réveil, je m’exécutais, comme une jeune première, à déchiffrer les mystères de cet intense optimisme. Je sortais tout droit d’une pénombre où rien ne suscitait le désir aussi intensément. Et à ce moment présent tout m’apparaissait idéalisé, revêtant un lyrisme positif. Ce bel inconnu, devenu énigmatique sous mon regard, nourrissait mon quotidien. Il m’était apparu comme mon semblable, à la fois fort et faible, une gémellité improbable et pourtant tellement vraie.
M’adonnant à la peinture, j’avais peint son portrait sur un grand châssis, restant fidèle à mes sentiments, je m’étais exécutée avec une certaine facilité. Comme une évidence, le trait était sûr, l’expression affirmée. Le tableau siégeait maintenant dans mon salon. Il s’imposait à la fois par la nervosité du tracé, et la quiétude du visage dont le regard vert transperçait la toile.
Je crois que je le vénérais. Je lui vouais un culte. Admirative et amoureuse, il m’élevait spirituellement. En lui attribuant un pouvoir de séduction extrême, je focalisais toutes mes préoccupations sur lui.


« Modifié: 28 février 2021 à 22:28:43 par Feather »
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Hors ligne BAGHOU

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Re : l'envers (suite1)
« Réponse #6 le: 28 février 2021 à 15:05:40 »
Bonjour,  ;)

Je bave d'envie pour cette faculté à faire vivre les mots. J'aime beaucoup la personnalité et le mode de pensée du personnage principal, elle est tout ce que je ne suis pas et pourtant elle pourrait être ma meilleure amie, mon complément. Et bizarrement, je me mets facilement à sa place  avec toutefois un petit quelque chose qui ressemble à de la jalousie, non pas dans ce qu'elle ressent, mais dans sa faculté à se l'exprimer. Bluffant.  :-¬?

J'adore et je regrette que d'autres lecteurs ne viennent pas plus lire cette bouffée de romantisme, cette rêverie d'amour, cette mise  à nue...
« Modifié: 28 février 2021 à 17:16:07 par BAGHOU »
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Re : l'envers (suite1)
« Réponse #7 le: 28 février 2021 à 16:11:26 »
Baghou encore une fois tes mots me réconfortent. Merci d'apprécier et de me faire partager tes impressions.
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Hors ligne txuku

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Re : L'envers
« Réponse #8 le: 28 février 2021 à 22:17:36 »
Bonsoir

La description du tableau me laisse une impression de trop de recul - trop froid et impersonnel.
Je ne pense pas que l on puisse avoir ce regard immediat sur son propre travail ???
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

Hors ligne Feather

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Re : L'envers
« Réponse #9 le: 28 février 2021 à 22:39:38 »
Txuku,

Pour le second texte, je me suis appuyée sur ta première remarque et j'ai tenté d'approfondir mes descriptions notamment des espaces pour les rendre plus vivants.  Je vais tâcher de faire de même pour le passage du tableau, encore merci. ( l'impression de détachement vient peut-être d'un manque de focus sur mon écriture, un manque de concentration).
Bonne soirée
« Modifié: 28 février 2021 à 22:41:40 par Feather »
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Re : L'envers (suite2)
« Réponse #10 le: 01 mars 2021 à 13:11:11 »
La confluence des sentiments autour d’un même homme. Retour peut-être à une situation originelle, quand autrefois le plaisir se délectait du sein maternel et me berçait d’une extase infantile. J’aimais cette impression féconde de bien-être, de cette élévation vers un monde intérieur jouissif. Ce parallèle à un ressenti primitif devenait une évidence. Les jours à venir revêtaient davantage de curiosité intellectuelle et sensitive. J’explorais un univers nouveau, mes moindres gestes s’emplissaient d’étonnement. Chaque matin, boire un verre de lait frais prenait des allures de rituel. Sa blancheur en faisait un breuvage sacré, me fortifiant l’esprit par son évocation maternelle. Délicatement, je m’amusais à me lécher les lèvres et à en éprouver la succulence sucrée. Ce qui jusqu’à présent me paraissait acceptable ou plaisant, devenait une alchimie pleinement active. Mon corps exultait. L’eau de parfum avec laquelle j’avais l’habitude de me parfumer, n’avait plus la même odeur. Mes sens, excités par cet homme, laissaient à la surface de ma peau une agréable fragrance sensuelle. Ce rapport que j’entretenais avec mon corporel était surprenant et inédit. Loin de m’imaginer étrangère à cette nouvelle vie, je l’apprivoisais sous toutes ses formes. Je ne me déplaçais pas de la même façon. Mes manières vestimentaires d’ordinaires masculines avaient laissé place à une révélation féminine dont les attributs, talons, jupes, cheveux détachés, remplissaient leur fonction nouvelle. Mes formes un peu trop généreuses fondaient au gré d’un appétit modifié. Ma gestuelle plus maîtrisée s’exécutait dans un espace plus présent.
Attachée à cette figure fantasmée, je voyageais inlassablement vers des découvertes oniriques. Louvoyant entre l’irréel et le réel, je me remplissais d’un bonheur singulier. Je n’aspirais plus à conquérir des plaisirs inassouvis, mais à conquérir l’homme qui s’affichait dans mon esprit. Je lui inventais une vie parallèle. Je sculptais un être extraordinaire, son profil fictionnel rendait grâce à l’amour inaccessible. J’accomplissais chaque jour, avec une rigueur minutieuse et une attention scrupuleuse, une mise au point de mon état affectif. Je lui dédicaçais mes journées et le remerciais d’exister. Il était mon Apollon, fier, inébranlable, avec une part mystérieuse. Je m’étonnais de m’appréhender si patiente devant tant de joie, à rêvasser sur une éventuelle vraie rencontre. J’en scénarisais le moment. J’avais fabriqué un mythe. Etait-ce dans mon intérêt de franchir la frontière de mon imagination et rendre à ce mythe une dimension plus rationnelle ? Il était l’objet de toutes mes interrogations. Pourtant, une certitude m’envahissait, c’était de ne pas perdre mon objectif d’adorer cette personne intrigante. Car il était devenu mon mentor, ma source inspirante. Je m’attelais donc, chaque minute écoulée, à entretenir ma fervente illusion. Mon obsession devenant, sous l’attrait passionné, une adoration.
Ces jours-ci, je sortais motivée, je courais le long des berges afin de masquer les conséquences de mon âge. Approchant la quarantaine, je n’étais plus convaincue de plaire, d’être séduisante. Cependant, avec lui, je me redécouvrais différente, passionnée, pleine d’entrain et d’audace. Il me permettait cet ancrage dans une réalité en phase avec moi-même. J’en devenais accro, comme une patelle accrochée à son rocher. Mes pensées me rendaient consistante en apparence, ce roman imaginaire n’était pas un substrat littéraire mais bien quelque chose de vivant, complétement addictif. Comme un shoot d’adrénaline rendant à mes instants d’incertitude une beauté hallucinée. Je faisais preuve de plus de créativité dans ma façon d’aborder mes journées. Un optimisme bonifiant régnait en maître au-dessus de ma tête. Heureusement, cette positivité, bien qu’excessive par moment, n’atteignait pas l’euphorie maladive, qui aurait pu me faire sombrer dans une dissociation où une perdition de tous mes repères.
Certes, je transférais peut-être sur cet homme une affection débordante, jusqu’alors tu par une timidité que j’essayais de combattre. Ces sensations faisaient écho, d’une certaine manière, à une frustration ancienne. Quand jeune j’aspirais à une vie autre, pleine d’utopies. Bercée par des archétypes de contes de fée.   

« Modifié: 05 mars 2021 à 16:31:33 par Feather »
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Hors ligne Aizenmajnag

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Re : L'envers
« Réponse #11 le: 01 mars 2021 à 14:48:39 »
bonjour, belle manière de retranscrire vos sentiments pour cet homme (on dirait presque de la fascination??)
on reconnaît toutefois l'amour passionnel que vous lui portez
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Hors ligne BAGHOU

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Re : L'envers
« Réponse #12 le: 01 mars 2021 à 15:30:09 »
Bonjour,

 :banane: J'ai trouvé une coquille dans toute cette quasi perfection :
Citer
J’en devenais accroc
Pas de c, ce n'est pas l'accroc d'un vêtement.

A l'exception d'une phrase qui ne m'a pas interpelé, je trouve tout cela prenant et même envoutant, une sorte de mélopée reposante à la lecture. Me retrouver ainsi dans la tête du personnage me sort de mon quotidien et pendant ce temps mon thé refroidit.  ::)

Par contre cette introspection sauf si elle est voulue, doit soit évoluer vers autre chose, soit être nourrie par des évènements extérieurs. En effet, dans mes devoirs de philo j'usais et abusais de dire une même idée de plusieurs façons, cela donne une sorte de redondance qui certes n'est pas préjudiciable, en l'espèce,  tellement c'est bien écrit, mais lorsqu'on s'approche un peu plus, cela se voit et donc cela devient inutile et dessert le texte pour les lecteurs attentifs.

Au plaisir de lire la suite.  8)
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Re : L'envers
« Réponse #13 le: 01 mars 2021 à 15:53:59 »
Baghou,
(Merci pour la correction.)
Je comprends ce sentiment de lourdeur et de redondance, ceci dit, l'histoire est à son début...( je relis très  peu mes textes, je ne me méfie pas assez des répétitions)j'espère que l'inspiration à venir permettra d'étayer le contenu de rebondissements plus croustillants 😉
Bien à toi.

Bonsoir Aizenmajnag,
Merci d'être passé par là et d'y avoir laissé un commentaire.
Cet homme est certainement dans ces trois premiers textes un prétexte à l'élaboration de l'amour de soi. Et oui il reste fascinant. Pourtant, Il pourrait  n'est qu'un miroir à l'éveil, finalement,du personnage principal.
(Ceci reste une tentative)
« Modifié: 02 mars 2021 à 08:12:52 par Feather »
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Re : L'envers (suite3)
« Réponse #14 le: 02 mars 2021 à 17:50:23 »
Naïvement, je continuais à croire à la somptuosité des évènements, qui comme une croisée des chemins, allait parsemer mon existence d’imprévus. C’est alors qu’arriva l’impensable destin.
Quelques années après, «  la rencontre » m’habitait encore.
Je n’imaginais pas mon pouvoir, mon ingéniosité, quand un soir, prise d’une fièvre, je succombai à la folie délirante. Mon pygmalion me hantait au point de m’affranchir de ma raison. Toute cette mascarade illusionnée n’était qu’un rêve. Je n’étais que moi-même, en prises avec mes craintes et mes peurs. C’est donc en déambulant comme un revenant dans mon espace feutré qu’une ombre vint me caresser le visage. C’était comme un nuage de fumée, puis la forme m’enveloppa énergiquement, me laissant livide et morte d’effroi.  Je tressaillis  sur place, suffocante. J’essayais de crier, mais aucun bruit ne sortait de ma bouche. Sur mon front, des gouttelettes perlaient et m’embrouillaient la vue. Je ne savais que faire. Me débattre, contre quoi ? Contre un fantôme ?
Non, mon instinct me commandait… je fermai les yeux et, implorant Dieu de me sauver de cet emprisonnement mental, je me mis à sangloter et à perdre du sang dans l’entre-jambe. Je me vidais de tout mon être. Le sol vermeil se dérobait sous mes pieds, je m’enfonçais avec lui vers une béance lugubre.
Et puis on frappa à la porte. Je fis un bond, et sortis soudainement de mon sommeil.
Je n’avais pas connu de cauchemar si intense. Etait-ce un signe, un appel à l’aide ? Ou était-ce un revenant ? Ma conscience me fatiguait à tel point que je n’arrivais plus à respirer calmement. La personne qui frappait à la porte était une femme accompagnée de son fils qui sollicitait de l’argent pour le financement d’un voyage scolaire. Cette requête me ramena à la réalité, et poliment, n’ayant jamais d’espèce avec moi, je leur souhaitai bonne chance.
En m’entendant dire le mot chance, un rictus se forma sur l’une des commissures de ma bouche. Ça chantait comme le chant d’un merle dans un cerisier en fleurs.
Le printemps venait tout juste de faire surface, et cette panique était dérisoire au vu des merveilles qui allaient s’offrir à moi.
Travestissant mes sentiments en de pures tentations charnelles, mon rapport corporel avec l’espace décuplait de telle manière que les stimuli extérieurs impactaient sur ma motricité. J’étais une tout autre personne. J’enjambais mes travers identitaires comme une alchimiste démoniaque. Une nouvelle révélation s’offrait au jour prenant une forme particulièrement inattendue. Alors que je n’étais pas retournée à la fameuse bibliothèque depuis quelques années, pour des raisons que je ne saurais dire, je pris la décision de m’y rendre à une heure propice, quand le soleil est au zénith.
Et là, à ma grande surprise, cet homme vêtu à l’identique, lisait.
J’étais terrifiée par la coïncidence, les choses n’avaient pas bougé depuis mes habitudes passées. À l’exception d’un soliflore contenant une rose pourpre qui siégeait au centre de chaque table. Le cadre était presque parfait. Je pris donc place. Un silence monacal rayonnait entre lui et moi. Nous aurions pu être des humanoïdes programmés par un quelconque fantaisiste, tant la probabilité de revivre à présent « la rencontre »  outrepassait l’espace-temps rationnel.
Mon regard se porta sur l’éditorial du journal où je pus lire le titre en lettres capitales qui annonçait « la crise de la société française et du monde capitaliste ». Mon attention se porta sur la date figurant à la gauche de l’article 10 juin 1975. Je vérifiai à nouveau… C’était bien cela. En panique, j’apostrophai l’homme pour l’interroger…lui demander la date de parution…lui demander quelle était l’année en cours … il restait de marbre… je lui criai dessus pour en savoir plus…mais rien, rien ne semblait signifier un mouvement ! Sa posture était figée, je remarquai la blancheur de sa peau lisse comme de la soie. Tout était réglé au centimètre près, le pli parfait du pantalon malgré la cambrure de la jambe, le vernis étincelant des chaussures lequel ne montrait aucune marque d’usure. Que se passait-il ? Où étais-je ?
Telle une nébuleuse, l’image se floutait. Au risque de me perdre dans cette invraisemblable ambiance, je m’accrochai à ma lucidité pour ne pas m’oublier dans une angoisse mortifère. J’essayai de froncer les yeux, d’éclaircir ce mystère. J’étais malgré tout perdue par cette hallucination. Je me délitais, impuissante face à cette figure que j’avais tant fantasmée, qui avait nourri mes nuits d’un érotisme sensuel. Et m’avait ouvert sur une nouvelle perception du bonheur.

Les larmes sans pleur sont une lanterne.

 


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