Après Noël et ses frimas vint Pâques et sa douceur printanière. Petit polar rural et pascal. Sept heures du mat’ environ à Saint-Léon sur Vézère (Périgord Noir). Les lambeaux d’une brume diaphane s’élèvent lentement de la rivière toute proche. Un pâle soleil d’avril tente de s’immiscer dans les volutes ouatées annonciatrices d’une belle journée printanière.
Le Père Ambroise traverse lentement la vaste pelouse qui entoure l’église à l’architecture romane. Il ne lit pas son habituel bréviaire et chemine, perdu dans ses pensées. Hier soir, il a visionné un DVD, prêté par sœur Agnès.
« Cette Bernadette, tout de même. Elle a réussi à faire gober son histoire à des milliers de gens depuis plus de 150 ans et l’Église se fait un pognon de dingue à Lourdes ! Ah ! Qu’est-ce qu’il me veut ? »
Un homme replet, court sur pattes, arrive en hurlant depuis l’Église Saint-Léonce. C’est le bedeau qui semble passablement agité pour cette heure matinale.
—Aumur, que vous arrive-t-il ? On dirait que vous venez d’apercevoir Satan.
—Bien pire mon Père, bien pire ! Ce matin, comme chaque jeudi Saint, je viens ouvrir la porte vers six heures et là, je la trouve grande ouverte. Je suis pris d’un énorme doute alors je monte. Et que vois-je, le vide total ! ELLES ONT DISPARU !
—Elles en avaient assez d’attendre, alors elles sont tout simplement parties avant votre arrivée.
— IMPOSSIBLE ! Elles ont l’habitude que je leur donne le signal du départ avec un goupillon d’eau bénite. Non, quelqu’un les a enlevées et va exiger une rançon pour les rendre. C’est une catastrophe.
— Bon, vous m’avez convaincu. Je téléphone à la Gendarmerie.
La conversation entre le prêtre et les forces de l’ordre ne dure que quelques instants.
— Ils arrivent. D’ailleurs je les entends déjà.
La Peugeot siglée, sirène hurlante, rampe lumineuse projetant des éclairs bleus, s’engage à toute allure sur l’herbe et disperse les canards qui pratiquaient une grasse matinée dans le calme décor champêtre.
— Bonjour mon Père. Adjudant Chef Calnécreu et brigadier Vatoudou à votre service. Alors qui a constaté la disparition et qui s’agit-il ?
— C’est Aumur le bedeau qui a constaté leur absence en arrivant. Il s’agit de Mélanie, Virginie et Sidonie. Elles sont centenaires et pèsent chacune environ un quintal.
— Ah oui, quand même ! Et que faisaient-elles de si bonne heure à l’église ?
— C’est là qu’elles résident toute l’année. Elles n’ont pas d’autre endroit pour être à l’abri.
— Alors comme ça vous hébergez des SDF sans que j’en sois informé ? Ravi de l’apprendre ! Désolé, mais votre état de curé ne vous donne pas le droit de ne pas respecter les lois de la République.
— Attendez. Il y a méprise. Mélanie, Virginie et Sidonie sont nos trois cloches. Elles devaient s’envoler pour Rome ce matin.
— Ah d’accord. Leur description m’avait interpellé. Mais après tout, on ne choisit pas ses paroissiennes. Oui, brigadier Vatoudou ?
— Venez voir, Chef. Des traces subséquemment suspectes sur le chemin. Ce sont des roues de charrette et là les sabots d’un équidé. Donc les cloches ont été emportées par un véhicule hippomobile. Vu leur poids, une brouette n’aurait pas suffi.
— Judicieusement raisonné, brigadier. Et voyons où ces traces nous conduisent.
Les quatre hommes, tels des Sioux sur le sentier de la guerre, avancent courbés, scrutant la terre rougeâtre. Contorsions inutiles, les deux sillons se voient comme les cratères sur le visage d’un pubère acnéique. Sauf que, arrivés au bord de la route goudronnée, la piste s’arrête net.
— Brigadier ? Appelez le gendarme Moudujnou. Qu’il vienne avec Cajou, son malinois et urgemment sans tarder.
Le bedeau consulte la montre-gousset qu’il tient de son grand-père. Il pousse un soupir de soulagement. Le Père Ambroise l’interroge du regard.
— Ça va, mon Père, nous sommes encore dans les temps…
— … en espérant que l’auxiliaire à quatre pattes renifle dans la bonne direction. Ah, j’aperçois un museau.
En effet, un superbe chien noir et feu arrive ventre à terre, langue pendante, trainant au bout d’une longe un gendarme rougeaud, visiblement hors d’haleine. L’adjudant prend alors les choses en mains, il s’empare de la longe et emmène l’animal sur les dernières traces visibles.
— Cherche Cajou, cherche.
Le chien marque un léger temps d’arrêt puis file, truffe au ras du bitume. Il s’arrête net au bout de quelques mètres et se met à lécher le sol. L’adjudant à beau tirer sur la longe, le prendre par le collier, le chien avance doucement, se délectant visiblement de ce qu’il a trouvé.
— Brigadier, faites comme lui et dites-moi ce qui l’intéresse à ce point.
Le gendarme se positionne devant le chien, mouille son doigt, le frotte dans la ligne de progression des traces et porte son index à sa bouche.
— Chef ! C’est du chocolat.
— Du chocolat sous les roues de la charrette ? Alors, nous n’avons plus besoin du canidé. Gendarme Moudujnou, vous pouvez rentrer et reprendre votre activité habituelle. Mais mollo, la journée ne fait que commencer. Vous autres, suivez-moi.
— Adjudant ? Vous connaissez le coupable ?
— La coupable ! Élémentaire, mon cher Père. Ma perspicacité clairvoyante nous conduit directement et sans détour, à l’objet du larcin. Suivez-moi.
Ils se heurtent à une devanture fermée par un rideau de fer. L’adjudant tambourine en braillant « Ouvrez ! Je sais que vous êtes là ! ».
— Brigadier, faites le tour et… pas la peine…
Un grincement métallique accompagne la remontée du rideau. La porte vitrée qui jouxte la vitrine s’ouvre pour laisser passer une femme grisonnante à l’air revêche. Elle toise les quatre personnes qui se tiennent devant elle.
— Mon Père, je vous présente Ginette Grougnard, chocolatière et voleuse de cloches. Dites-nous ce qui vous a poussé à les dérober ?
— Parce que j’en ai plus que marre qu’elles distribuent gratuitement des confiseries, œufs, lapins, poules, aux enfants le dimanche de Pâques et que mes kilos de chocolat Cépatoi* et Sucechar* blanchissent dans ma vitrine. Alors mon fils m’a donné un coup de main mais on en a bavé pour les amener ici. Je vous souhaite bien du plaisir pour les ramener. Elles sont derrière, dans la remise.
— Ne vous tracassez pas pour ça. Bedeau, avez-vous votre goupillon ?
— Oui mon Père.
— Alors, accomplissez votre office !
Aumur revient quelques minutes après, la mine radieuse.
— C’est fait. Le temps a repris son cours un instant interrompu.
— Parfait, nous pouvons célébrer la messe l’esprit en paix. Merci messieurs de votre intervention.
— Mon Père, vous ne portez pas plainte ?
— Adjudant, Jésus a dit qu’il fallait pardonner les péchés, alors je pardonne.
Les deux gendarmes retournent à leur véhicule. Ginette Grougnard court derrière le Père Ambroise et le retient par la manche.
— Hé ! Et moi, qu’est ce que j’en fais de vos cloches, elles m’encombrent. Reprenez-les.
— Mes cloches ? Quelles cloches ?
* Les noms des marques de chocolat ont été modifiés pour que je ne sois pas accusé de faire du placement de produit au travers de mes textes.