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Auteur Sujet: La Règle du jeu (Jean Renoir)  (Lu 4933 fois)

Hors ligne Champdefaye

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La Règle du jeu (Jean Renoir)
« le: 14 août 2022 à 20:36:00 »
Critique aisée n°234

La Règle du jeu
Jean Renoir – 1939
Marcel Dalio, Nora Grégor, Jean Renoir, Roland Toutain, Paulette Dubost, Julien Carette, Gaston Modot...

La première fois
La première fois que j’ai vu La Règle du jeu, c’était au Champollion. Pas à l’Actua-Champo, non, dans la grande salle, au Champo.
La grande salle du Champollion ! Cent places ? Cent cinquante ? Légèrement en pente, elle était si petite que, pour pouvoir projeter sur un écran de taille acceptable, le propriétaire avait fait installer un système très particulier : par le truchement d’un périscope, le film était projeté sur le mur du fond de la salle où un miroir renvoyait les images sur l’écran. L’Actua-Champo, dont la salle était encore plus petite, ne bénéficiait pas, je crois, de ce système ; c’est dire la taille de l’écran.
Mais la première fois que j’ai vu La Règle du jeu, c’était bien au Champollion, dans la grande salle.
Je devais avoir 17, 18, 19 ans tout au plus. C’était l’été, les vacances... le mois d’août plus précisément. Il faisait chaud, sûrement. J’étais seul. À ce moment-là, je n’avais pas de petite amie, ou alors elle n’était pas là, je ne sais plus. Il devait être 4 heures de l’après-midi et je passais rue des Écoles, probablement à la recherche d’une âme sœur. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans et qu’on a des platanes verts sur le Boulevard Saint-Michel.
Il devait faire chaud, je l’ai dit. Je crois même qu’il y avait de l’orage dans l’air, pas au sens figuré, de l’orage, du vrai. L’affiche au-dessus de l’entrée annonçait "La Règle du jeu". Elle n’était pas bien tentante. C’était l’affiche originale sans doute. On y voyait surtout deux visages, celui d’une femme, douloureux, les yeux levés vers le ciel, et celui d’un homme, au regard un peu méprisant. À l’ombre de ce qui ressemblait à un château, quelques petites silhouettes s’agitaient en arrière-plan. La Règle du jeu... Sans doute encore une histoire d’amour, un peu mélo, avec, comme disait ma mère, «des messieurs et puis des dames», avec des téléphones blancs, des voitures décapotables, et un passionné mais chaste baiser final. Pas un truc pour moi. Peut-être un autre jour, avec une nouvelle amie, un film pour embrasser dans le noir... Mais certainement pas un truc à voir tout seul.

Ma vie de cinéphile
A ce stade de cette critique très personnelle et pas si aisée que ça, il faut sans doute que je précise ce qu’était ma vie de cinéphile à cette époque. Les mois qui suivirent cet été-là l’établirent définitivement : je vivais la fin d’une intense période de cinéma. Je fréquentais très régulièrement les cinémas du Quartier Latin, le Champo, le Latin, le Sorbonne, le Studio des Écoles... mais aussi du côté des Champs-Élysées, le Marbeuf, le Mac-Mahon, le Napoléon, le Balzac... Dans la nouvelle bande d’amis que je venais d’intégrer, nous allions tous très souvent au cinéma, ensemble ou séparément. Nous avions établi une sorte de concours de cinéphilie. Pour cela, nous tenions le compte du nombre de films que nous voyions. J’atteignis mon record pendant l’année de ma seconde Math-Élem. Il fut de 110 films. Le dimanche, il m’arrivait de voir trois films d’affilée. Je m’en souviens encore, pas des films, mais du nombre. Pour mieux apprécier la fréquence, il suffit de se rappeler qu’une année scolaire s’étend plus ou moins sur 8 mois. Ça fait quand même une moyenne de 4,3 films par semaine.
Avec le recul, je dois reconnaitre que c’est surtout le cinéma américain qui nous attirait ; pas ce qu’on appelle aujourd’hui les blockbusters, à cette époque bien plus rares qu’à présent et considérés par nous comme presque vulgaires, mais le vrai cinéma américain, les westerns de John Ford et Anthony Mann, les comédies de Frank Capra et Ernst Lubitsch, les séries noires de Raoul Walsh et John Houston, les comédies musicales de Stanley Donen et Vincente Minelli, les drames de Nicholas Ray et Joseph Mankiewicz, les films de guerre de Robert Aldrich et Fred Zinnemann... tout, nous allions tout voir, jusqu’aux péplums, jusqu’à la science-fiction... Parfois, nous faisions un détour vers le cinéma anglais, italien ou suédois, mais toujours, nous revenions au cinéma américain.
Et le cinéma français dans tout ça ? Bien sûr, suivant en cela les recommandations de mes parents, j’avais vu depuis longtemps Les Visiteurs du soir, Les Enfants du Paradis, Hôtel du Nord, Quai des Orfèvres, Drôle de drame et un certain nombre d’autres de ces films tournés avant ou pendant la guerre. Mais d’une part, ces rares chefs d’œuvre étaient noyés dans une abondante production de mélodrames avec des messieurs et puis des dames, des téléphones blancs et des décapotables — voir plus haut — productions qui nous ennuyaient quand elles ne nous faisaient pas ricaner au fond des salles obscures. D’autre part, pour avoir revu depuis, et plusieurs fois, chacun de ces chefs d’œuvres, je réalise aujourd’hui qu’à l’époque, je n’avais pas l’esprit à ça. Mis à part Drôle de Drame, en fait plus anglais que français et qui m’avait enchanté, je n’étais pas, pas encore, sensible au jeu des comédiens, à la façon de filmer, aux dialogues, aux thèmes mêmes de ces films, tellement différents de ceux du cinéma auquel nous revenions toujours, le cinéma américain.

Paris au mois d’août
Après cette longue digression qui n’était destinée qu’à expliquer pourquoi à cet âge, je n’avais pas encore vu La Règle du jeu, il est temps de revenir à cette chaude après-midi solitaire au Quartier Latin.
Il est donc aux environs de 4 heures de l’après-midi. La Règle du jeu, c’est dans dix minutes. L’affiche n’est pas très tentante et il y a un début de file d’attente qui remonte la rue Champollion. Mais il va probablement pleuvoir. Et puis je réalise que Jean Renoir, j’ai déjà vu un film de lui : La Grande illusion. J’étais plus jeune encore et j’avais trouvé ça pas mal, un peu bavard pour un film de guerre, mais pas mal. Alors, c’est décidé, ce sera La Règle du jeu.
Je m’ajoute à la file qui avance doucement, j’achète mon ticket. La salle est presque pleine. Je fais lever tout un rang pour atteindre un des derniers sièges libres tandis que Jean Mineur lance sa pioche vers l’écran... Balzac 00 01... « Un peu plus, il avait pas le téléphone ! » lance quelqu’un. Quelques rires répondent à cette vieille plaisanterie dont j’ai toujours aimé le coté absurde. Et puis les dernières lumières s’éteignent, l’écran blanchit et c’est tout de suite le film.

Ça tourne !
Scène de nuit, noir et blanc, la foule, grande confusion, c’est un aérodrome, une femme parle dans un micro, d’une voix aiguë, datée, l’excitation grandit, on entraperçoit un petit avion qui se pose, la foule court vers l’avion, la femme au micro aussi, l’avion s’immobilise, tout le monde parle en même temps...
Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Les images sont confuses, les dialogues aussi, on voit à peine l’avion, et le héros, le pilote qui vient de traverser l’Atlantique en solitaire, se répand en jérémiades à peine descendu de son appareil ! Eh bien, ça commence bien, ce Renoir ! En plus, il y a des sous-titre anglais ! Ah ! C’est vrai ! On est au mois d’Août, il y a des touristes.
Une heure et demie plus tard, le film s’achève avec la fin d’un long weekend de chasse. Il y a quelques minutes, il y a eu un drame, un homme en a tué un autre d’un coup de fusil. Mais tout va rentrer dans l’ordre, tristement. La vie normale des personnages va reprendre, dès demain, dès ce soir.
Fondu au noir...
Fin...

État de choc
Je suis sur le trottoir dans la lumière au milieu de cette petite foule qui se disperse à regret. Il a dû pleuvoir, mais maintenant il fait beau. J’allume une cigarette. Le bitume n’a pas eu le temps de sécher. Il sent bon la ville. Il est noir et brillant. Il reflète les silhouettes des passants et des autobus. Je remonte la rue Champollion vers la Place de la Sorbonne. Étourdi, je ne sais pas quoi penser. Je ne pense pas. Les sons et les images de la fête sont encore dans ma tête. Je respire la fraicheur que l’étroite rue a conservée, j’avale la fumée tiède de la Gitane. Petit à petit, en moi, tout se tait, mes épaules s’abaissent, je me détends. Et je pense : c’est le plus grand film que j’ai jamais vu.
Aujourd’hui, je comprends que j’étais en état de choc, un choc émotionnel en même temps qu’un choc esthétique, disons plutôt cinématographique, le premier, et probablement le plus grand et le plus long de ce que sera ma vie de spectateur.
Avant cette première vision de La Règle du jeu, j’avais connu par le cinéma bien d’autres émotions mémorables, d’autres enthousiasmes : le discours de Marc Antoine dans Jules César, la danse dans les flaques d’eau de Gene Kelly dans Chantons sous la pluie, le récit de l’éclosion des œufs de tortues dans Soudain l’été dernier... Plus tard, j’en connaitrai encore bien d’autres... la découverte de Wadi Rum dans Laurence d’Arabie, le débarquement à Omaha Beach dans le Soldat Ryan, la scène d’ouverture de West Side Story, et tant d’autres qui ne me reviennent pas à l’esprit en cet instant. Mais jamais encore je n’avais été et jamais plus je ne serai pris à ce point dans un film, enveloppé, transporté par lui, du début jusqu’à la fin. Tous mes visionnages ultérieurs de La Règle du jeu ont confirmé, et même parfois, grâce à une meilleure connaissance du cinéma, renforcé cette première impression.

Pourquoi ?
Par la suite, j’ai souvent été tenté de faire partager ma passion pour La Règle du jeu à d’autres, parents, amis, tous plus ou moins cinéphiles, mais jamais je n’ai rencontré de véritable âme sœur sur ce sujet. J’obtenais surtout deux types de réactions à mon enthousiasme : d’abord celle que j’appellerai la réaction Proustienne, et ensuite l’autre, la réaction Alternative.
Le nom de la première vient de ce qu’elle ressemble à la position de beaucoup devant qui on évoque À la Recherche du temps perdu : « Ah oui ! La Recherche...il parait que... il faudrait que je me décide un jour à... »  c’est-à-dire « Ah oui ! La Règle du jeu ! Bon film paraît-il… Il faut vraiment que je me décide à le voir un de ces jours… »
La seconde réaction, l’Alternative, consiste à dire :« Ah oui ! La Règle du jeu ! Renoir… Pas mal, oui… Mais je préfère La Grande illusion… »
Et je ne vous parle pas des idées toutes faites, des clichés recueillis ici ou là et resservis d’un air entendu, tels que : « Ah oui ! La Règle du jeu ! Une critique virulente de la Haute Société… un film contre la chasse… contre la guerre… un monde qui n’existe plus… un sacré échec commercial…»
ni des jugements plus nuancés tels que : « un peu long, non ? … trop compliqué, on ne sait pas vraiment sur quel pied danser… on ne sait pas vraiment que penser… »
Et, pour éviter de me mettre en colère, je n’évoquerai pas les : « trop long... trop compliqué... rien compris... pas mon genre de film… » parfois rencontrés.
Alors pourquoi François Truffaut a-t-il dit de La Règle du jeu que c’est « le film des films , le credo des cinéphiles ». Pourquoi Eric Rohmer disait-il que « Renoir contient tout le cinéma » ? Pourquoi depuis cinquante ans le film est-il cité dans tous les classements effectués par les professionnels du cinéma parmi les cinq ou six meilleurs films au monde ? Pourquoi, soixante-dix ans après sa création, La Règle du jeu (1939) arrive-t-elle en deuxième position ex æquo avec La Nuit du chasseur (Charles Laughton-1955), derrière Citizen Kane (Orson Welles-1941), dans le classement du Figaro de 2008 ? Pourquoi Alain Resnais a-t-il écrit qu’au sortir de la salle de cinema où il venait de voir La Règle du jeu « tout était sens dessus dessous, toutes mes idées sur le cinéma avaient été mises au défi. » Et pourquoi, moi, cours-je la campagne en répétant partout que, sauf le respect dû à Welles et à Laughton, La Règle du jeu est le plus grand film jamais réalisé ?

Ben oui, pourquoi ?
Décortiquer les raisons de la parfaite réussite d’un film, c’est un peu comme expliquer par avance le comique d’un calembour ou les ressorts de l’humour d’un aphorisme absurde ; en général, ça ruine l’effet recherché et la plupart du temps, ça rend la chose très pénible à tout le monde. Un calembour, un nonsense, ça se comprend du premier coup ou jamais.
Et puis, se lancer dans l’apologie d’un tel film, c’est aussi une gageure. Quand on entreprend un truc pareil, on a peur, peur d’en faire trop, ou pas assez, ou d’oublier quelque chose, peur d’être ridicule à force de superlatifs, d’être dissuasif à force de conviction, et surtout peur de ne pas arriver à faire partager sa passion.
C’est risqué, d’accord mais, comme disait John Wayne dans je ne sais plus quel film : " Il arrive un temps dans la vie d’un homme où il doit faire ce qu’il doit faire." Et ce moment, c’est maintenant.

Alors maintenant, voilà pourquoi :

C’est à cause du scénario !
Vous savez que je n’aime pas beaucoup raconter les films. C’est par peur de paraphraser et de gâcher la surprise du futur spectateur. Mais ici, quelle importance ? Il n’y a pas d’évènement extraordinaire, on n’agite ni grands sentiments ni grandes idées. Il n’y a pas de retournement, pas de suspense, presque pas de surprise, juste des histoires qui se croisent. Alors pourquoi ne pas raconter ?
1939 à Paris... Le jeune aviateur André Jurieux vient de traverser l’Atlantique en solitaire. Il l’a fait par amour pour Christine, épouse du Marquis de La Chesnay, mais elle ne semble prêter aucune attention à son exploit. Déçu, il tente de se suicider en lançant sa voiture contre un arbre.
Christine aime son mari, mais elle souffre d’être trompée ouvertement. Elle n’est pas insensible à la fougue amoureuse de Jurieux mais elle n’entend pas lui céder.
Le Marquis de la Chesnay entretient une liaison régulière avec une amie de leur couple. Le flirt entre Jurieux et Christine lui fait réaliser qu’il aime sa femme. Il décide de rompre avec sa maitresse.
Octave est l’ami de Jurieux et de Christine. Il est aussi l’invité permanent, gentil pique assiette et ami du marquis. Il lutine volontiers Lisette, la femme de chambre de Christine. Lisette est mariée au jaloux Schumacher, garde-chasse au château de la Colinière où le Marquis a invité des membres de la bonne société pour quelques jours de chasse.
Pour consoler Jurieux, Octave le fait inviter à la Colinière. Pressentant les intentions de rupture de La Chesnay, sa maitresse s’invite au château.
Voila ce que nous apprennent les 20 premières minutes de projection. Mais le corps du film, c’est le weekend de chasse et la grande fête qui l’achève. Ils vont permettre à l’intrigue de se développer. Pourtant, elle reste assez banale, cette intrigue, des histoires de couples qui se cherchent, se font et de se défont, de façon comique ou dramatique, et ce ne sont pas ses rares rebondissements ni même le drame final qui font l’intérêt du scénario.
Ce qui fait son intérêt, ce sont les entrelacs des amours contrariées de deux couples, constitués comme il se doit chacun de trois personnes, deux hommes, une femme, ceux du monde d’en haut, Christine, le marquis et l’aviateur, et ceux du monde d’en bas, Lisette, Schumacher le garde-chasse, et Marceau, le braconnier devenu valet, deux mondes entre lesquels évolue Octave, ce doux raté, qui tiendra le rôle de messager et d’instrument du destin tragique qui les attend.
Ce qui fait l’intérêt de ce scénario pour le moins classique du mari, de la femme et de l’amant, ce n’est pas uniquement le fait que Renoir l’a dédoublé entre le monde des maîtres et celui des domestiques, suivant clairement en cela l’exemple de Molière et surtout de Marivaux, c’est aussi le fait qu’il l’a traité en passant continuellement de la comédie dramatique à la comédie de mœurs, et même du drame à la Commedia dell’arte avec une incroyable fluidité. On y reviendra quand il sera question de la mise en scène.

C’est parce que c’est une satire de la société et des hommes qui la composent !
C’est exact, c’est une satire de la société, mais elle est tout en demi-teinte, en subtilité. Il y a d’ailleurs chez Renoir une caractéristique permanente essentielle et plus particulièrement encore avec La Règle du jeu, c’est qu’on n’est jamais, jamais, dans le cliché. Voici ce qu’a dit Jean Renoir lui-même à propos du film :
"Je l’ai tourné entre Munich et la guerre et je l’ai tourné absolument impressionné, absolument troublé par l’état d’une partie de la société française, d’une partie de la société anglaise, d’une partie de la société mondiale. Et il m’a semblé qu’une façon d’interpréter cet état d’esprit du monde à ce moment était précisément de ne pas parler de la situation et de raconter une histoire légère, et j’ai été chercher mon inspiration dans Beaumarchais, dans Marivaux, dans les autres classiques de la comédie."
C’est vrai, Renoir a peint la société de son époque, celle de l’immédiat avant-guerre, à travers une classe privilégiée — ô combien ! — égoïste, superficielle, inconsciente, dansant sous le volcan, la Haute Société, mélange d’aristocratie, de grande bourgeoisie, d’industriels et de parasites. Mais il le fait sans manichéisme, sans l’opposer à d’autres classes sociales. D’ailleurs, les relations du monde des maitres avec celui des domestiques sont paisibles, dans un ordre des choses non contesté, à l’instar du monde de Marcel Proust et de Downton Abbey. Dans La Règle du jeu,  le monde d’en bas nous est montré avec autant de soin que l’autre ; ce monde-là, lui aussi, est léger, inconscient et, dans une certaine mesure, privilégié.
Les deux mondes qui se côtoient à la Colinière, le grand monde et le petit, sont incarnés par des personnages faibles, imparfaits, égoïstes, jouisseurs. Seuls Christine et Jurieux sont épargnés, la femme, la marquise, parce qu’elle souffre, trompée, mal intégrée dans une société qui lui est étrangère, et l’homme, l’aviateur, parce qu’il est amoureux et que l’amour excuse tous les aveuglements. Les autres personnages, le Marquis, sa maitresse, Octave, Lisette, Schumacher, Marceau, et aussi le Général, la grosse cousine, l’industriel du Nord, sans oublier le Majordome, le chef cuisinier, ont tous leurs défauts, leurs faiblesses, leurs snobismes, mais aucun n’est traité avec mépris ni méchanceté, ni même avec condescendance, car comme Octave dit à Jurieux : «Tu vois, mon vieux, dans la vie, le problème, c’est que tout le monde a ses raisons». Autrement dit, il ne faut pas juger les gens car ils ont tous leurs raisons... Tolérance, humanisme, c’est toujours le point de vue de Renoir.

C’est à cause des acteurs !
Ah oui ! Les acteurs !
D’abord Marcel Dalio, à contre-emploi, habitué aux rôles de juif ou de personnage trouble, se voit ici confier celui d’un aristocrate, léger, faible mais foncièrement généreux. il trouve ici peut-être son meilleur rôle au cinéma. La scène muette où, ravi aux anges comme seul un enfant peut l’être,  il présente à ses amis l’orgue de barbarie qu’il vient d’acquérir est un monument d’émotion.
Ensuite, Jean Renoir lui-même. Il est absolument parfait dans le rôle d’Octave, l’artiste raté, l’ami de tous, le boute en train des fêtes, le doux pique-assiette, gentil parasite de la société en général et du marquis en particulier. Il faut le voir, comique, empêtré pendant toute la fête au château dans son costume d’ours dont il n’arrive à sortir. Il faut le voir, émouvant, mimer sur une volée de marches le grand chef d’orchestre qu’il a rêvé d’être avant d’y renoncer.
Julien Carette, l’habituel titi parisien, accomplit à contre-emploi la performance de fabriquer un personnage peu crédible mais absolument réjouissant de braconnier à l’accent des faubourgs qui réalise son rêve de devenir domestique « à cause du costume, Monsieur le Marquis, à cause du costume ! ».
Paulette Dubost, morte à 101 ans il y a 11 ans, avait 29 ans au moment du tournage. Elle est parfaite dans un rôle très classique de petite soubrette, gaie, accorte et frivole.
Il n’y a rien de particulier à dire sur la marquise, Nora Grégor, ni sur l’aviateur, Roland Toutain, classiques et bons dans leur personnage.
Mais il faut dire quelque chose de Gaston Modot. Ami et modèle de Modigliani, éternel et modeste second rôle, il joue ici de façon impressionnante de naturel celui de Schumacher, le mari trompé de Lisette, le garde-chasse consciencieux du Marquis.
Sans avoir à donner leurs noms, il faut parler de tous ces petits rôles qui tournent autour des personnages principaux, tous parfaits, le Général, la grosse cousine, le snob idiot, la femme de l’industriel du Nord, le majordome... tous parfaits.

C’est à cause des dialogues !
Bien sûr que c’est à cause des dialogues ! Ils ne sont pas particulièrement brillants, les dialogues ; ce n’est pas du Guitry, du Prévert ou du Jeanson. Ils sont de Charles Spaak et de Jean Renoir. Ils ne sont pas brillants, car ils sont naturels. Le naturalisme est la caractéristique évidente qui marque le film dans tous ses aspects, les situations, la mise en scène, le jeu des acteurs, les dialogues. Et puis il y a la façon de les dire ces dialogues. Naturellement, comme dans la vie, les répliques se chevauchent, les personnages se coupent la parole, parlent parfois les uns sur les autres. Comme dans la vie, le spectateur n’entend pas toujours la totalité des répliques. Il a souvent une impression d’improvisation. Naturalisme...

C’est à cause de la mise en scène !
L’agilité du scénario, la peinture de la société, les caractères des personnages, le jeu des acteurs, tout ça c’est bien beau — c’est même très beau — mais que serait-ce sans la mise en scène ?
Quand, par cette chaude après-midi du mois d’aout, j’avais vu pour la première fois La Règle du Jeu dans la grande salle du Champollion, j’avais été transporté, immergé totalement dans cette intrigue pourtant si étrangère à ma propre vie, au milieu de cette société si différente de la mienne, parmi ces personnages si éloignés de ce que je connaissais, je n’en avais pas compris les raisons. Je n‘avais d’ailleurs certainement pas cherché à les comprendre. Je n’avais pas compris que cette sensation d’être emporté dans un tourbillon, parfois une tornade, était due à la réalisation. Ce n’est qu’au bout de la deuxième ou troisième vision que j’ai commencé à me rendre compte de la parfaite maitrise et de l’incroyable virtuosité de la mise en scène. C’est dans les séquences où interviennent plus de trois ou quatre comédiens que l’on saisit toute sa qualité technique, son originalité et sa complexité. On n’avait encore jamais vu, je crois, dans une caméra de cinéma une telle agilité virevoltante ni une telle profondeur de champ. La longue séquence de la poursuite pendant la fête au château est exemplaire sur ce point : tandis que les invités, inconscients, aveugles, bavardent par petits groupes en buvant du champagne, deux actions parallèles se déroulent simultanément au milieu d’eux, en miroir l’une de l’autre, deux poursuites, l’une comique, celle du garde-chasse poursuivant l’amant de sa femme, l’autre tragique, celle de l’aviateur-amoureux pourchassant le snob imbécile qui a décidé de tenter sa chance en faisant la cour à Christine. Dans chaque image, il y deux ou trois plans, et dans chacun de ces plans, il se passe quelque chose : une scène comique au premier plan, une scène tragique au troisième, tandis qu’un évènement anodin ou ridicule nous est montré au plan intermédiaire. Quand la caméra vous fait suivre le braconnier tentant de fuir Schumacher à travers les salons du château, vous croisez une grosse cousine qui d’un air hagard cherche un partenaire au bridge. Une porte s’ouvre et derrière elle, le temps d’un clin d’œil, vous pouvez voir le Marquis gifler sa maitresse pour la dessouler. Cette scène de la fête, essoufflante,  époustouflante, pour moi le point culminant du film, est d’ailleurs représentative de l’esprit du film, mélange des genres —  comédie et tragédie — mélanges des classes — maitres et valets : tout le monde court après tout le monde, tout le monde veut casser la figure à tout le monde, les portes claques, les plats d’argent tombent au sol avec fracas, les femmes crient, les hommes s’empoignent.
C’est dans cette séquence que j’ai trouvé la réplique qui définit le ton de tout le film : Le Marquis de la Chesnay, excédé par le désordre de la poursuite, ordonne à son majordome Corneille :
— Mais enfin, Corneille, faites cesser cette comédie !
— Laquelle, Monsieur ? » répond Corneille, très digne, qui soutient encore dans ses bras une femme évanouie.

C’est à cause du Patron
Il est probable que ce dithyrambe qui tire à sa fin vous aura laissé dans l’expectative. Vous ne demandiez qu’à être convaincu, mais au bout du compte,  vous restez plutôt sur la réserve. C’est normal. Les mots ne peuvent pas toujours exprimer les sentiments comme on le voudrait, que ce soit en amour, en amitié ou en admiration.
Sachez seulement que la Nouvelle Vague considérait Jean Renoir comme «Le Patron», et La Règle du jeu comme son chef d’œuvre.
Plus tard Renoir dira : « Mon intention première fut de tourner une transposition des Caprices de Marianne à notre époque (...) l'histoire d'une tragique méprise : l'amoureux de Marianne est pris pour un autre et est abattu dans un guet-apens (...) j'avais voulu au départ présenter au public non pas une œuvre d'avant-garde, mais un bon petit film normal. »

Un bon petit film normal...

« Modifié: 15 août 2022 à 19:13:20 par Champdefaye »

Hors ligne txuku

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #1 le: 15 août 2022 à 18:58:27 »
Bonsoir

Bien joue : tu me mets l eau a la bouche ! :)

J ai de plus en plus de mal a me procurer des films anciens. :-[
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

Hors ligne Alan Tréard

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #2 le: 16 août 2022 à 14:26:31 »
Bonjour Champdefaye,


J'avais vu la Règle du jeu il y a quelques années, et j'en avais retenu un certain art pour la mise en scène et l'imagerie cinéma. Jean Renoir avait une finesse dans les prises de vue, la mise en scène du cadrage à la lumière dont auraient pu s'inspirer bien des cinéastes après lui, s'ils avaient osé œuvrer un peu plus plutôt que de flagorner des heures durant.

Malheureusement, je ne trouve pas que le cinéma de Renoir ait suffisamment influencé le cinéma, et aujourd'hui beaucoup de créativité visuelle s'est perdue au profit de conventions peu esthétiques qui font de la mise en scène un outil de communication dialectique plutôt qu'un véritable outil artistique comme le faisait la Règle du jeu. Autrement dit, j'appellerais cela un « beau film », parce que c'est visuellement très agréable ; tout le long du long métrage, les occasions de promener son œil sur l'écran pour découvrir moult détails et éléments scéniques très esthétiques offre un moment de plaisir et d'appréciation pour les véritables cinéphiles.

En revanche, je demeure extrêmement sceptique sur le « scénario » de la Règle du jeu, qui ressemble beaucoup plus à une avalanche de sketchs made in France qu'à un véritable scénario de grand film. Je ne parle pas seulement des dialogues que tu remarques très justement peu convaincants, mais aussi de l'assemblage de blagues rigolotes qui ne laissent jamais entrevoir un propos concret. Ce film se contente de nous montrer ce que nous avons envie de voir pour nous flatter sans vraiment faire attention aux codes classiques de la comédie.

D'accord, ce film présente une satire sur des comportements sociétaux, avec une multitude de personnages caricaturaux qui se disputent piteusement. C'est un peu amusant... Cependant, l'enthousiasme du film, l'accumulation de généralités sur la haute société, le sentiment de convoitise qui règne tout du long, me fait vraiment penser à une mythologie trop éludée, trop forcée, trop raccourcie, trop rapide. Lorsqu'une narration demande au spectateur de faire un gros effort intellectuel pour comprendre le pourquoi du comment, c'est qu'elle est bancale, cette narration.

Je trouve que la narration dans ce film aurait gagné à être mieux travaillée, plus poussée, plutôt qu'à tenter de s'appuyer sur les forces de l'imaginaire en poussant le spectateur à s'imaginer ce qu'il se cache derrière le rideau ou en coulisse. Beaucoup d'éléments scénaristiques de la Règle du jeu ne me paraissent pas crédibles, je n'y crois pas, ça ne me convainc pas, si bien que, pour moi, l'histoire perd en comique autant qu'en justesse.


Pour t'apporter là une critique constructive vis-à-vis de mon propre regard sur la Règle du jeu, je dirais que je trouve que c'est un très beau film visuellement parlant, mais un peu inachevé en ce qui concerne la narration.

Je le recommanderais plus particulièrement à des cinéphiles ou des photographes qui aiment les belles images afin de se faire une idée de la très belle qualité du cinéma d'alors, car c'est un régal pour les yeux. ^^
Mon carnet de bord avec un projet de fantasy.

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #3 le: 16 août 2022 à 15:47:06 »
Bonjour,

Citer
Je fréquentais très régulièrement les cinémas du Quartier Latin, le Champo, le Latin, le Sorbonne, le Studio des Écoles... mais aussi du côté des Champs-Élysées, le Marbeuf, le Mac-Mahon, le Napoléon, le Balzac...

Bof ! C'était pas les meilleurs cinoches parisiens loin de là  :o Les plus bobos certainement.  Je préférais le 18, le 10 et  le 13 -ème arrondissement, plus populaires et beaucoup moins...  .
Dieu et la nature vont bien ensemble, ça va de paire, c'est Dieu le père.

Hors ligne txuku

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #4 le: 16 août 2022 à 17:47:16 »
Bonsoir

Je l ai trouve ici https://ia801704.us.archive.org/27/items/regle-du-jeu-la-jean-renoir-1939/R%C3%A8gle%20du%20Jeu%2C%20La%20%28Jean%20Renoir%2C%201939%29.avi

Mais il est sous titre en anglais et cela me derange un peu...............
Je ne crains pas d etre paranoiaque

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #5 le: 17 août 2022 à 09:04:43 »
Bonjour Alan,
long time, no see
autrement dit : ça faisait longtemps etc…
Mais ça a beau faire longtemps, les choses n’ont pas beaucoup changé : nous ne sommes toujours pas d’accord sur grand chose. En particulier sur La règle du jeu.
Sur l’influence de Renoir sur le cinema que tu trouves trop faible : il faut tout d’abord réaliser que La Règle du jeu a été tourné il y a plus de 80 ans e que dans un art aussi récent que celui du cinema, les choses évoluent vite. Cependant, il faut rappeler que Renoir a eu une énorme influence sur le cinéma de la Nouvelle Vague qui lui même a changé la façon de faire les films en France à partir de 1960. Renoir et la Nouvelle Vague sont enseignés dans toutes les écoles de cinema, en particulier aux USA. Tous les grands réalisateurs américains y font référence, même s’ils ne suivent pas son exemple : Spielberg en est un bon exemple.
Ce qui te séduit dans Le Règle, c’est le coté esthétique, visuel, et c’est vrai que quelques images sont très réussies. Pourtant, je ne vois pas de recherche esthétique dans ce film,  pas de recherche de belles images, et si les cadrages sont admirables, c’est par la multiplicité des actions montrées, parfois de façon subliminale, dans un seul cadrage.
Pour ce qui est du scénario, et bien loin d’être un film à sketches, il est bâti comme une pièce de Musset, de Marivaux ou de Beaumarchais, fait d’intrigues, de vire-voltes et de stratagèmes. C’est un genre assumé pour ce film par Renoir lui-même dans ses déclarations sur La Règle du jeu. Il faut admettre le genre.
Quant aux dialogues, la volonté évidente de Renoir était de rechercher le naturel. C’est pourquoi les dialogues ne comportent pas de « punchline » à chaque réplique, dans le genre de ce qu'aurait fait quelqu'un comme Jeanson pour Jean Gabin. Ce naturalisme a fait école, pas chez tout le monde, et pas partout, mais il suffit de voir certains films de Howard Hawks pour s’en apercevoir (La dame du Vendredi). Dans ma critique de La Grande Illusion, j’ai donné deux liens qui permettent de voir deux scènes, l'une« théatrale » et ul'autre « naturelle ». Ici, dans la Règle du jeu, où les dialogues se chevauchent, où ils sont parfois partiellement inaudibles, quelque fois sans importance, on est en plein dans le naturalisme.
La Règle du jeu ne nous montre pas « ce que nous avons envie de voir » (d’ailleurs, l’échec public et critique lors de sa sortie le montre bien)  car le film n’est jamais dans le cliché : les personnages ne sont jamais blancs ou noirs, jamais tout mauvais ou tout bons. Ils ont des défauts et des qualités, ils ne sont jamais condamnés. Par exemple, ceux qui ne voient dans le garde-chasse qu’un cocu ridicule ne comprenne que la moitié du film.
Et justement, dans cette subtilité de la présentation des caractères, je ne vois aucune « généralité sur la haute société » et surtout aucun sentiment de convoitise, si ce n’est celui de deux hommes (l’aviateur et le braconnier) pour deux femmes (la marquise et la soubrette)
En tout cas, Alan, merci pour ton commentaire approfondi qui, comme d’habitude, et bien que je ne sois pas d’accord sur grand chose, me donne toujours du grain à moudre.

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #6 le: 17 août 2022 à 09:49:20 »
Bonjour txuku,
on doit pouvoir trouver le film en location ou en achat sur des sites comme La Cinetek ou Molotov.
Pour ce qui est des sous-titres, c’est dans ces conditions que je l’ai vue pour la première fois. C’est gênant car il faut une grande force de caractère pour ne pas lire les sous-titres. 
Bon courage .
« Modifié: 17 août 2022 à 12:37:45 par Champdefaye »

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #7 le: 17 août 2022 à 10:22:06 »
Bonjour Flag,

C’est une notion des plus intéressantes que celle des cinémas bobos.
Voyons voir. La locution bobo (bourgeois-bohème) est apparue en l’an 2000, en même temps que le fameux Bug éponyme.
Selon le très actuel dictionnaire toupie.org , "le terme bobo désigne de manière plutôt péjorative une catégorie socioprofessionnelle de personnes aisées habitant les grands centres urbains et politiquement situées plutôt à gauche et sensibles à l’écologie."
Comme mes aventures cinéphiliques se sont passées une quarantaine d’années avant l’apparition du mot, je ne crois pas que l’on puisse qualifier "mes" cinémas de "bobos". Quoi qu’il en soit, je ne suis pas certain que les gens choisissent leurs salles pour des raisons politiques ou écologiques. A moi, il me semble plutôt qu’ils les choisissent en fonction de la proximité, du confort, du programme, des horaires ou du hasard.
Mais quand je dis ça, je dis rien, comme dit l’autre.
J’aurais bien fréquenté les cinémas que tu cites, mais à cette époque aucun ne passait les films en version originale, et, à part l’Escurial (13°Ardt, j'ai habité en face pendant des années), ils étaient plutôt loin de chez moi.
Enfin, comme je l’ai dit dans ma critique, j’étais passionné de films américains, Série B y compris, que pratiquement seuls mes cinémas programmaient.
C’est aujourd’hui, maintenant que je suis devenu vraiment bobo, que je vais chercher mes cinémas dans des quartiers vraiment exotiques tels que Belleville, la République, Italie. C’est tellement plus chic.
A un de ces jours, Flag, et merci pour ta contribution à la critique de La Règle du jeu.
« Modifié: 17 août 2022 à 10:23:39 par Champdefaye »

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #8 le: 17 août 2022 à 13:52:14 »
Bonjour Champdefaye,


Ah ! Ça, effectivement, nos critiques divergent tellement qu'on pourrait avoir l'impression que nous n'avons pas vu le même film, toi et moi.

Pourtant, je confirme que nous parlons bel et bien de la Règle du jeu de Jean Renoir qui est devenu : un film culte pour les uns ; une source d'inspiration intarissable pour les autres ; un ovni pour les derniers. ^^


En ce qui concerne « l'influence » de ce film, je dirais que je ne suis pas tellement convaincu par les cinéastes qui s'en revendiquent sans pour autant en honorer l'art photographe.

La Nouvelle Vague, ce sont des films de beatniks, d'action ou d'intuition. Le naturel est abandonné au profit du surréalisme poétique. Une scène égale une action. Pas de cadre large, théâtral, dans lequel des foultitudes de détails se produiraient au même moment. L'hypothétique influence libératrice de la Règle du jeu où l'on détourne les conventions au profit d'une dialectique impertinente et provocatrice, je la conçois à la limite. J'imagine que l'audace théâtrale de Renoir a suscité l'enthousiasme de certains cinéastes. Cependant, si on parle de mise en scène, de cadrage cinéma, de décors ou de lumières, la ressemblance n'y est pas !

Aujourd'hui, héritier de la Nouvelle Vague, le cinéma français se contente de plans resserrés, intimistes, où le comédien prend tout l'écran pour être montré en train de faire une seule action à la fois. Deux actions simultanées montrées dans un seul et même plan seraient presque devenues un sacrilège... C'est quasi-enfantin ! Rien à voir avec l'art de Renoir qui mettait en scène tant de personnages multiples dans un seul et même plan, fort d'un bel impressionnisme émouvant.


Voici un débat, ma foi, particulièrement passionnant.

Ce n'est pas tous les jours que nous avons l'occasion de parler de cinéma par ici. :)
« Modifié: 17 août 2022 à 15:37:18 par Alan Tréard »
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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #9 le: 17 août 2022 à 15:49:38 »
Allons bon !
Beatnik, la Nouvelle Vague ? Beatniks, Resnais, Varda, Rohmer, Resnais ?
Surréalistes poétiques Chabrol, Truffaut, Melville ?
Allons donc !
L’art qui consiste, grâce à une grande profondeur de champ, à mettre en scène plusieurs actions dans plusieurs champs d’un même cadre est un style propre à Renoir, et encore, ne l’utilise-t-il pratiquement que dans la Règle du jeu. Par ailleurs, je ne me souviens pas d’autres réalisateurs utilisant cette technique, à part peut-être Truffaut dans La Nuit américaine.

Renoir, cinéaste d’avant hier,  n’influence probablement plus grand monde aujourd’hui, mais tous les cinéastes d’hier l’ont étudié. C’est maintenant essentiellement Truffaut que les cinéastes d’aujourd’hui ont étudié, comme ceux de demain sont en train d’étudier Tavernier, Sautet et quelques autres, pour ne parler que des réalisateurs français.

La Nouvelle Vague non plus n’influence plus personne : elle a plus de soixante ans. Elle a été une étape dans l’évolution du cinema, en s’opposant au « cinema de papa » de Carné, Clément, Autant-Lara, Clair, cinéma classique, bien fait, bien écrit. Cette opposition a donné quelques chefs d’oeuvre, on les connait, et pas mal aussi de nanars. Le cinéma actuel intimiste a donné quelques bonnes choses aussi et tout autant de nanars. Mais, comme avant, le cinema  n’est pas qu’intimiste ou poétique ou d’action ou politique ou comique, il est multiple.
Renoir n’a pas fondé d’école ou de mouvement et, en dehors de ses techniques particulières, une chose le caractérise, plus évidente dans la Règle du Jeu et dans la Grande illusion, c’est son humanisme. Autrement dit, il aime l’humanité et ses personnages en particulier, quels qu’ils soient.
Ce n’est pas le cas de tous les cinéastes, ce qui ne les empêche pas, pour certains d’être bons ou très bons.

 

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #10 le: 17 août 2022 à 16:23:14 »
Qu appelles tu cineastes exactement? ::)

Dans le cinema on fini par ne plus savoir qui est responsable du resultat final !!! >:D :-¬?
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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #11 le: 17 août 2022 à 16:43:01 »
Bonjour, Champdefaye,  :)
Quand je parlais des cinés bobos, je ne parlais pas de tes habitudes de cinéphile. Mais d'un certain cinéma et de certains lieux. "La règle du jeu"  n'est pas le film de Renoir que je préfère. Le film qui me fait chialer, c'est la grande illusion, je ne sais pas pourquoi ?  ;) 
Dieu et la nature vont bien ensemble, ça va de paire, c'est Dieu le père.

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #12 le: 17 août 2022 à 16:56:25 »
@txuku
Pour moi, le cinéaste c'est celui qui réalise le film, le metteur en scène, le réalisateur. Les anglo-saxons disent le directeur.
Celui qui tient la caméra, on l'appelait autrefois le cameraman, on dit aujourd'hui le cadreur.
Il y a des intervenants dont je n'ai jamais compris ce qu'ils faisaient précisément : le producteur, le producteur délégué, le producteur exécutif, etc...
@flag
La grande illusion est admirable par le jeu des acteurs et la mise en présence de quelques grands comédiens, Gabin, Fresnay, Von Stroheim, Carette, incarnant des personnages typiques, et même archétypiques (l'aristocrate français, l'aristocrate allemand, l'ouvrier, le professeur, le juif, etc...) tous très différents et réunis dans un lieu clos dans des circonstances héroïques. Le film et la situation sont d'un grand classicisme. Le tout est très réussi et émouvant. Il n'y a pas de personnage négatif, tous ont leurs raisons d'agir, honorables, innées ou acquises, selon l'humanisme permanent de Renoir.
Dans ma critique de la Grande illusion publiée dans le MdE, tu trouveras les liens pour accéder à deux scènes très différentes, l'une est presque d'une comédie de boulevard, est l'autre, d'un drame. Magnifique film, généralement le préféré dans l'oeuvre de Renoir. Mais pour moi, le plus grand pour toutes les raisons que j'ai exposées plus haut, c'est La règle du jeu.

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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #13 le: 17 août 2022 à 22:41:27 »
Bonsoir Champdefaye,


Je reviens vers toi pour t'apporter une réponse digne de ce nom. :)

C'est un audacieux panthéon que tu nous présentes-là, avec toute la crème de la crème, les idoles de toujours !! ^^

Pour autant, je n'ai pas vu de lien concret entre la mise en scène des réalisateurs que tu cites et celle de Renoir ; on pourrait imaginer un lien sacré entre les plus vieux et les plus jeunes, une sorte de force de transmission spirituelle par la pensée ou l'enthousiasme véhiculé, mais ça n'a malheureusement aucune valeur artistique, du point de vue de la critique.

Je ne nie pas le fait qu'il se fasse actuellement quelques prouesses d'effets trois dimensions numériques qui émerveillent les yeux éblouis des plus jeunes, que ce soit hypothétiquement une époque faste pour la comédie française... Cependant, je maintiens mon impression selon laquelle le très émouvant idéal esthétique que nous présentait Renoir, à travers son film, avec tant de créativité visuelle et d'audace scénique, ne s'est pas perpétué dans la tradition nationale.

Je trouve fort dommage qu'on insiste tant sur les têtes d'affiches starisées pour faire bouger les spectateurs plutôt que de donner plus de place à la mise en scène, à l'art du photographe, au visuel complexe et fin. Tellement d'éloges sont faits actuellement en faveur du jeu d'un comédien seul en stand up solitaire... qu'on ne voit plus trop ce que pourrait apporter un chef opérateur sur le plateau !

L'art de Renoir était un soigneux mélange dont chaque rouage donnait à voir tant de précision selon un œil visionnaire. Ainsi, beaucoup de réalisateurs ont surtout cité ce metteur en scène avec tant d'emphase parce que cela leur permettait de s'imposer face aux producteurs, s'imposer en tant que chefs des plateaux de tournage ; pourtant ils ont eu tendance à délaisser la technique au profit du gain (de temps, d'argent car tournages moins coûteux, mais aussi de visibilité car ils pouvaient tourner plus de films dès lors que la technique se simplifiait). Avec ces réalisateurs à la technique modeste et délaissée au profit du jeu d'un acteur starisé dont les échecs nombreux sont effacés pendant la phase de montage, les films paraissaient beaucoup plus faciles à fabriquer, et les événements bien moins coûteux.

Une Bardot ou un Rochefort suffisaient, pas besoin de plus d'efforts scénaristiques en ces temps reculés ! Tant de raison d'abandonner la difficulté de la mise en scène aux multiples acteurs dirigés avec génie. Et c'est à cela que se sont habitués les spectateurs depuis, les goûts ont diminué avec l'offre ; « Comme toujours », me diras-tu.

Parfois on voit quelques prouesses spectaculaires faire mouche dans le public aujourd'hui, car quelques machines, ingénieuses créations et techniques nouvelles ont remplacé les anciennes. Le cinéma se transforme, or il faut faire avec son temps ! paraît-il.

Pourtant, je me replonge parfois dans les inspirations d'autrefois qui peut-être montraient un horizon plus ambitieux. La Règle du jeu en fait partie. J'observe donc le cinéma d'aujourd'hui avec un œil critique, sévère, parfois inquiet. Je ne vois malheureusement nulle part des arguments comme les tiens, Champdefaye, qui nous invitent à relativiser le tout comme s'il se cachait quelque part l'influence secrète de Jean Renoir dans le cinéma français.


Je pense que les critiques auraient davantage besoin de s'appuyer sur des notions techniques, artistiques ou esthétiques plutôt que de se réjouir sans cesse du jeu des acteurs. Sinon ça les rend ennuyeux...

Le film dont tu as décidé de nous parler ici montre très bien combien on peut faire de belles choses sans jamais sombrer dans l’idolâtrie stérile, je le pense, car quand on veut être considéré comme un artiste, ça demande d'adopter les formes de l'art et non celles des publicités. ^^
« Modifié: 17 août 2022 à 22:45:31 par Alan Tréard »
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Re : La Règle du jeu (Jean Renoir)
« Réponse #14 le: 19 août 2022 à 16:00:15 »
Bonjour

Je suis arrive au bout de cette histoire mal ficelee - mal contee a mon sens ..........

Je n ai pas apprecie le cote foutoir et grand guignolesque de la fin.

La des personnages sans envergure et peu attachants.

Mais j avoue avoir du mal souvent a comprendre les films actuels si je n ai pas lu un resume avant............... :'(
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