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Auteur Sujet: Shirley (Charlotte Brontë)  (Lu 967 fois)

Hors ligne Milora

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Shirley (Charlotte Brontë)
« le: 20 février 2016 à 10:00:24 »
Cette année sera bontrësque  :huhu: Après Les Hauts de Hurlevent et Agnès Grey, j'ai attaqué le gros pavé Shirley et, ma foi, je pense que je vais continuer sur ma lancée, parce que je ne suis pas déçue.

Et pour l'anecdote, c'est depuis la parution de ce livre que "Shirley" est devenu un prénom de fille ; avant ça c'était un nom masculin ^^

Déjà, ce qu'il y a de génial avec les Brontë, c'est que vous savez jamais à quelle sauce vous allez être mangé. Roman psychologique et tourmenté plein de force de caractère avec Jane Eyre, truc à l'eau de rose avec Agnès Grey (ouais, pas leur meilleur  |-| ), roman de fous furieux plein de rage avec Les Hauts... du coup j'ai entamé Shirley sans savoir à quoi m'attendre. Alors certes, oui, dans tous (sauf dans Les Hauts mais ce roman-là est un ovni), vous avez des éléments factuels communs : le Nord de l'Angleterre, le début du XIXe siècle, des personnages de jeunes femmes qui ont à se débrouiller dans un contexte hostile, des questions religieuses, une ou plusieurs figures de préceptrices. Mais la façon dont tout ça est mélangé et raconté se renouvelle beaucoup à chaque fois.

Du coup, Shirley, c'est un roman... j'ai envie de dire "labile". Un peu comme le personnage qui lui donne son titre, il a plein de facettes et il arrête pas de changer, si bien que 100 pages avant la fin (sur 700 et quelques, hein), vous savez toujours pas comment ça va tourner et où veut en venir l'auteur.  ::)
L'histoire, c'est celle de... ben en fait je sais pas :D Y a plusieurs histoires qui s'entrecroisent. Y a pas vraiment de personnage principal : on passe par le point de vue de plusieurs personnages, certains centraux dans l'histoire (Caroline, Robert), certains totalement périphériques (Malone, Martin), et d'ailleurs on n'a absolument jamais le point de vue de Shirley. Disons donc que c'est l'histoire d'un groupe de personnes dans une localité du Nord de l'Angleterre dans les années 1810. (Ça vous aide, hein ?). Les trois principaux c'est Robert Gérard-Moore, descendant d'une bonne famille belgo-anglaise ruinée, qui a décidé de faire passer son usine de drap avant toute autre chose dans sa vie, quitte à se montrer implacable avec ses ouvriers et même avec la fille qui se meurt d'amour pour lui. Ensuite vous avez Caroline Helstone, sa cousine (ladite fille qui se meurt d'amour pour lui), jeune, douce, rêveuse, mais qu'on n'arrive pas à trouver cloche non plus parce qu'à part cette manie de soupirer pour Robert, elle a de la suite dans les idées et une certaine force tranquille de caractère. Et puis Shirley, qui donne son titre au roman mais n'arrive qu'en page 200. C'est la jeune et riche héritière qui revient dans la région pour prendre les rênes du domaine de feu son père. Sauf que voilà, on est au XIXe siècle, où les femmes bien ne devraient avoir pour but dans la vie que d'être une bienséante épouse soumise, et Shirley, elle colle pas à ce schéma. Du tout. Elle s'emporte si on ne lui témoigne pas autant de respect qu'à un homme, elle a plein d'idées sur comment Moore devrait gérer sa fabrique, elle refuse absolument que quiconque lui dicte sa conduite, et elle renvoie un à un tous ses prétendants parce qu'elle refuse de confier sa liberté à quelqu'un qu'elle épouserait par convenance. Tout l'inverse de Caroline, qui devient pourtant rapidement sa meilleure amie. Et manque de bol pour les trois, Robert se dit que Shirley, elle est quand même bigrement riche, et que mettre la main sur son pactole en l'épousant, ça ferait du bien à son usine sur le point de faire faillite.

Malgré ce que ce résumé simplificateur pourrait laisser entendre, le roman est plein de circonvolutions et de thématiques différentes. Roman social par moments, avec les revendications des ouvriers et une réflexion sur les classes sociales, roman bien propret du XIXe siècle avec pique-niques dans l'herbe et belles réceptions à d'autres, c'est aussi une galerie de portraits de femmes. Shirley, féministe avant l'heure ; Caroline qui expérimente amèrement la vie étouffante des femmes à qui on demande de ne rien faire de leur vie et de rester à la maison à coudre et broder ; mais aussi ces vieilles filles qui n'ont pas réussi à se marier quand elles étaient jeunes et que la société considère comme des ratées alors qu'elles ont des qualités insoupçonnées ; Hortense Moore et Mme Yorke en femmes au foyer accomplies ; les filles Yorke et leurs rêves de voyage et d'insoumission : les filles Sykes qui partent à la pêche aux maris et aux mondanités ; et Mme Pryor et son passé de femme battue. On a aussi quelques exemples de machismes effarants, comme Joe Scott qui est incapable d'imaginer qu'une femme puisse penser par elle-même, le brave Helstone bien paternaliste, ou le petit Martin un chouia ridicule qui méprise toute la gent féminine du haut de ses 15 ans sans reconnaître qu'il a un gros béguin pour Caroline... Bien sûr, les problématiques sur la situation des femmes ont un peu changé : de nos jours, le droit de travailler ou d'épouser qui l'on veut ne sont plus polémiques. Mais pour l'époque ça devait être assez virulent. En plus, toute la réflexion sur la valeur attribuée à la beauté d'une femme, sur la naïveté de chercher un prince charmant, c'est pas si dépassé...

Ceci dit, la fin a un peu de mal à passer chez moi, surtout le destin de Shirley.  ::)
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Bon, sur la fin, j'ai aussi eu un peu de mal avec le fait que subitement, tout s'arrange et finisse non seulement bien mais mieux que ce qu'on pensait puisque Robert fait fortune et devient bon avec les ouvriers, clément à l'extrême, doux et, disons-le franchement un peu Gary Sue, alors que c'était pas franchement un enfant de choeur pendant tout le roman. Ça fait quand même un peu remake de Jane Eyre sur ce plan-là ::). Mais bon, l'auteur le dit à la fin : c'est peut-être pas ce qu'on voulait lire mais c'est ce qu'elle avait envie d'écrire, elle  :D

Ah, et puisqu'on en est à la rubrique des reproches, j'ai quand même eu du mal avec le côté conservateur des considérations sociales développées dans le roman. Sur le statut des femmes, rien à dire : c'est intéressant et c'est quasiment un roman engagé, pour son époque. Mais sur le statut des ouvriers, des riches et des pauvres, on est quand même dans une morale très "chacun à sa place". Les pauvres doivent être des parangons de probité (genre l'ouvrier de Moore, William Farren), et dans ce cas on leur fait la charité et ils s'en sortent pas trop mal dans la vie, mais ceux qui revendiquent un changement social sont des alcooliques violents qui ne visent que le désordre...  ><
(Et puis bon, le roman est quand même vachement plus moralisateur que Jane Eyre sur le plan religieux, mais vu que l'auteur est la fille d'un pasteur en plein siècle victorien, je lui pardonne ; on va dire que ça fait couleur locale).
Mais bon voilà, le roman est ambivalent, entre conservatisme et virulente remise en cause de l'ordre social, mais dans l'ensemble ça n'a pas suffi à me gâcher la lecture (ne serait-ce qu'Alexandre Dumas est davantage horripilant dans le genre ;D )

Son ton arrête pas de surprendre, aussi. On passe de descriptions de la nature en scène d'action avec des morts, on alterne des passages fleurs bleu (pitié, le point de vue de Caroline...  >< ) et des passages cyniques, y a des grands sentiments tragiques et y a de l'humour et de la satire sociale... Le livre est écrit dans un style très XIXe siècle, vous savez, avec des phrases à rallonge pleines de métaphores et d'hyperboles. Mais en même temps, il est parfois drôle à la Jane Austen, et parfois tout déconcertant pour sa façon de raconter. Le narrateur (c'est pas un personnage, c'est tout à la 3e personne) prend souvent la parole et nous guide littéralement dans la scène qu'il raconte comme si on s'y trouvait. Il nous invite à nous rapprocher de tel personnage pour écouter ce qu'il dit, à se pencher au-dessus de l'épaule de tel autre pour lire ce qu'il est en train d'écrire, à visiter telle pièce de la maison... Il s'adresse parfois à ses personnages pour leur dire de se pousser parce qu'ils volent la vedette aux autres et qu'il en a assez dit sur eux, voire les appelle pour qu'ils viennent devant le lecteur parce que c'est leur tour. À la fin, il a même le toupet de dire au lecteur que c'est tant pis s'il aurait voulu une autre histoire, mais que c'est celle-là qu'il avait envie de raconter  :D



BREF, j'ai beaucoup écrit (quelle surprise  ::) ) mais c'est parce que le roman est plein de facettes différentes, j'ai eu du mal à rentrer dedans mais je l'ai finalement vraiment bien aimé. Il est intrigant et le narrateur nous balade bien pour qu'on n'arrive pas à voir le fond des choses avant la fin. Faisons comme lui : Shirley, va-t-en, maintenant, j'ai déjà assez parlé de toi et le lecteur patient commence à manifester des signes d'ennui, ne l'importunons pas davantage.
« Modifié: 20 février 2016 à 10:54:52 par Milora »
Il ne faut jamais remettre à demain ce que tu peux faire après-demain.

 


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