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07 septembre 2024 à 19:17:05
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Alvaro Ortiz - SF

Auteur Sujet: Alvaro Ortiz - SF  (Lu 164 fois)

Hors ligne william

  • Tabellion
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Alvaro Ortiz - SF
« le: 30 juillet 2024 à 18:42:05 »
Alvaro Ortiz

Alvaro se fraya un chemin à travers la foule de passagers pour descendre du wagon surchargé. L’air lourd et saturé de sueur semblait s’épaissir autour de lui alors qu’il luttait contre la forêt humaine ; ses maigres excuses noyées par la cacophonie indistincte des conversations matinales. En posant sa botte de travail sur le marchepied, il aspira vaillamment une grande goulée d’air qu’il aurait voulu rafraîchissante, mais la situation sur le quai n’avait rien de plus agréable. Au contraire peut-être. Des centaines de mineurs en combinaison traînaient le pied vers la sortie. La lumière, éternellement couchante sur Ithaque, filtrait à travers les vitraux crasseux de la gare et projetait des ombres dansantes dans la poussière ocre soulevée par la foule en transit. Seuls les haut-parleurs parvenaient à couvrir d’une voix grésillante la cohue et le sifflement des souffleries des trains magnétiques.

- “ En raison d’un accident d’exploitation sur La Voie, seules les lignes secondaires sont desservies jusqu’à Capamento central. Le gouvernement colonial fait tout son possible pour résoudre la situation dans les délais les plus rapides.”

Incident ou sabotage ? Difficile de le dire. Ce n’était pas la première fois que la ligne était fermée ces dernières semaines, avec seule cette justification vague pour en expliquer la cause. Et La Voie était d’ailleurs une cible idéale. En étant l’unique source de trafic reliant la capitale au reste de la ceinture, toute perturbation assurait d'exacerber le mécontentement déjà grondant des ithacais. Perdu dans ses pensées, il faillit rater l’horloge numérique qui trônait en clé de voûte du hall de la station. 6h15. Il était en retard. Mais exceptionnellement ce jour-ci, Alvaro n’en s’en inquiéta pas.

Il s’attendait à trouver les vestiaires vides, mais il fut surpris d’y découvrir tous les membres de son quart écouter docilement leur superviseur. Ce dernier, debout sur un banc, surplombait de son menton gras et de sa bedaine huileuse le petit attroupement.

- “ Cependant, je dois attirer votre attention sur un problème grave qui menace notre communauté toute entière. Les récents troubles politiques ont indéniablement affecté notre production. Notre rendement a chuté de manière inquiétante, mettant en péril notre contrat avec le gouvernement, et par conséquent, notre avenir ici. Nous sommes la seule source de bauxite pour les fonderies de cratère city et comprenez que chaque tonne de minerais que nous n'extrayons pas est une menace directe à notre survie collective. »

Cause toujours ! Envoûté par ses propres paroles et son obsession autoritaire, chaque syllabe qu'il prononçait se propageait en onde de choc sur les bourrelets adipeux de son cou pour disparaître sous une chemise à carreaux, décolorée par des traînées de transpiration aigre. Alvaro aurait parié que ce discours impromptu avait été méticuleusement préparé par les fonctionnaires de l’administration. Il suffirait de revenir dans huit heures pour voir la prochaine équipe souffrir sous les mêmes postillons. Et puis ils étaient inévitables ces “troubles politiques” ! Quelle idée incongrue d’accepter une nouvelle vague de colons. Les dômes pressurisés de Capamento s’enfonçaient chaque jour plus profondément dans la misère, les mineurs comme lui pataugeait dans la boue estivale pour subvenir aux besoins d’une industrie aux abois, et les accidents ne cessait de se répéter dans les hameaux de pionniers à la frontière nord, noyés sous les tempêtes de neige et de glace. Non ils les méritaient bien ces troubles, et ce n’était certainement pas une nouvelle cargaison de passagers en sommeil cryogénique qui allait améliorer la situation. Leur supérieur s’arma enfin d’un large sourire satisfait. Le flot de paroles ineptes tari, Alvaro récupéra pour la dernière fois ses outils et suivit la troupe vers le monte-charge du puit de mine.

Oppressant était probablement le meilleur qualificatif pour son travail. À plus de 50 mètres sous terre, enseveli sous une étouffante couche d’argile compactée, il grattait péniblement les sous-sols en suivant la veine du gisement. À plat ventre sur le sol fangeux, sa combinaison élimée le protégeait à peine des abrasions des pierres, et encore moins du froid. Il était trempé jusqu’aux os. Une fois un premier passage libéré, de monstrueuses machines mécanisées venaient mordre la terre de leurs dents acérées et déversaient leurs godets de terre humide dans des véhicules à bennes basculantes. La bauxite était ensuite transportée en train jusqu’aux usines de Cratère City pour y être fondue en d’épais lingots d’aluminium. Alors qu’il maniait son lourd marteau électrique à bout de bras, Alvaro enrageait. Pourquoi s’épuisait-il allongé dans sa flaque boueuse ? Pourquoi devait-il grelotter dans l’obscurité ? Pourquoi les ithacais s’éreintaient-ils pour que le Trinidad et ses 10 000 colons puissent débarquer sur la planète sans verser la moindre goutte de sueur ? Personne ne leur avait tenu la main lorsqu’ils étaient arrivés. Ils avaient dû tout bâtir, tout découvrir, tout réinventer, parfois même au prix de leur vie. Ils avaient souffert tous les maux, ils s’étaient entassés dans les habitats exiguës et insalubres de Capamento , ils s’étaient battus contre le blizzard pour fondre la glace et irriguer les fermes hydroponiques, toujours effrayés du prochain accident. Ils avaient fait de leur mieux, mais même le mieux n’avait pas suffi. Et ceux-là devraient arriver vingt années plus tard, les mains dans les poches ? Certainement pas.

Enfin la sonnette de fin de quart retentit. Tous les mineurs rampèrent hors de leurs boyaux et abandonnèrent leurs machines pour rejoindre le monte-charge. Alvaro profita du désordre pour se fondre dans l’ombre poisseuse de l’excavation, et lorsque les portes métalliques se refermèrent sur ses coéquipiers il s’élança hors de l’obscurité. Il avait peu de temps. Il faudrait environ une minute et demie pour qu’ils atteignent la surface et autant pour que les prochains ouvriers redescendent. En comptant une courte minute pour charger et décharger l'ascenseur, il avait tout aux plus quatre minutes pour sa besogne. Il avait tout calculé. Les trois piliers bétonnés devant le portail de l’élévateur devraient amplement suffire. Armé de son marteau, il s’attela à la colonne la plus éloignée de la sortie. Les vibrations de la pique en acier se répercutaient le long de ses vertèbres et lui échauffaient le sang. Le son strident sonnait à ses tympans et réveillait en lui un sentiment sauvage trop longtemps contenu. Bonne chance pour construire votre port orbital sans aluminium ! Dieu sait ce qu’il deviendrait du vaisseau colon lorsqu’il ne pourrait pas s’amarrer, et qui s’en souciait ? Alvaro causait peu mais il écoutait beaucoup. Dans le train le matin, lors de la pause avec ses collègues, sous les grincements éraillés du monte-charge en fin de quart, et même involontairement, à travers les cloisons de son studio. Tous partageaient son opinion. Il en faudrait peu pour mettre le feu aux poudres. Enfin le premier support céda. Le ciment poussiéreux s’étalant dans un nuage de fines particules, rapidement absorbé par l’humidité ambiante. Au suivant.

S’il avait eu froid, il ne s’en souvenait plus. Son corps bouillonnait, sa nuque tremblait sous l’effort, des spasmes d’excitation agitaient sa maigre musculature de toute part. Il aurait peu de temps pour atteindre la sortie de secours. Quelques secondes au mieux. Il espérait que ce serait assez ; il n’y avait que cinq ou six mètres à parcourir après tout. Et puis le jeu en valait la chandelle. Il fallait un événement fort pour mobiliser les Ithacais contre ce projet insensé et sinistre ; brutalement paralyser l’industrie aérospatiale de la planète lui semblait amplement adéquat. Personne ne pouvait prédire où le mouvement s'arrêterait, mais il pressentait que cette fois, il ne suffirait pas de réprimer les émeutes dans le sang et la violence. Non, cette fois-ci la colère les pousserait plus loin. Il se voyait déjà debout sur les barricades de la capitale, baigné dans les auréoles brumeuses des gaz lacrymogènes, la foule de ses compatriotes dense derrière lui. On ne se souviendrait peut-être pas de son nom, mais on se remémorerait certainement son acte. Celui qui avait embrasé la ceinture. Dans un dernier râle essoufflé, il acheva le second pilier.

La seule colonne survivante était la plus large, mais déjà, il pouvait entendre les craquements du matériau qui peinait sous la charge. De minces fissures striaient la surface bétonnée, montrant que sous une apparence encore solide, l’édifice était prêt à s’effondrer sous son propre poids, sa puissance verticale mis à mal par le travail qu’il continuait d’entreprendre. Alvaro nageait dans sa combinaison de travail. Une coulée de sueur chutait sur son torse congestionné par l’effort et imprégnait son maillot de corps d’une chaleur réconfortante. Il avait attaqué près de la moitié du pilier mais il ne voyait pas que ce serait suffisant. Il ne sentait pas les mottes de terre se décrocher de la voûte et se briser sur ses épaules. Il n’entendait pas le grondement souterrain qui emplissait la mine d’une sirène menaçante. Il ignorait que c’était la caverne toute entière qui tremblait, et pas seulement ses mains sous les chocs rythmés de son outil. Lorsqu’il comprit, il était trop tard.

***

- “Ithaque, ici le Trinidad. Tous les systèmes sont au vert et tous nos passagers dorment paisiblement. Nous sommes dans les temps pour une arrivée en 2247.”
- “Trinidad, ici la république parlementaire d’Ithaque. Passez votre chemin !”

Et voilà, une courte nouvelle (la première que je termine) que j'ai écrite il y a quelques semaines. J'espère sincèrement que vous avez passez un bon moment de lecture et je suis preneur de tous vos retours ! Particulièrement sur deux points:
-Avez-vous (prèsque) immédiatement compris la chute ? J'ai dû faire quelques modifications parce que mes premiers relecteurs avaient eu du mal à comprendre le dialogue de fin.
-Que pensez vous des passages de descriptions ? Si je les ai laissés comme-tel c'est que je les aime bien, mais on m'a dit que je les poussais presque à l'exagération.

Et enfin, toutes mes excuses pour les fautes d'othographe qui auront inexorablement échappées à mes nombreuses relectures.

La bise du William


Hors ligne Cendres

  • Comète Versifiante
  • Messages: 4 212
Re : Alvaro Ortiz - SF
« Réponse #1 le: 30 juillet 2024 à 19:20:23 »
Merci pour ton texte.

Moi-même, je fais des fautes d'orthographe, cela n'est pas grave. De toute façon, je ne les vois même pas.

Je ne suis pas fan de SF, mais ton récit nous raconte une lutte de classe dans un monde ouvrier exploité. Ça pourrait se dérouler n'importe ou, à  n'importe quelle époque.

La fin, je ne l'ai pas compris. Désolée.

Attends de lire des autres commentaires pour te faire un avis surtout.

Hors ligne Basic

  • Modo
  • Palimpseste Astral
  • Messages: 3 210
Re : Alvaro Ortiz - SF
« Réponse #2 le: 31 juillet 2024 à 08:34:44 »
Bonjour William,

n'hésite pas à participer aux activités du forum ( en ce moment il y a pas mal de propositions), et à t'inviter sur les textes des autres, pour les commenter, donner ton ressenti... tisser des liens, c'est la bonne idée.
Dans le cadre de l'entraide et du travail du texte, mon commentaire sur ton texte.

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


B
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso ( sommaire des textes sur le forum) : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

blog d'écriture : https://terredegorve.blogspot.com/

Hors ligne Delnatja

  • Grand Encrier Cosmique
  • Messages: 1 214
  • Ailleurs et au-delà
Re : Alvaro Ortiz - SF
« Réponse #3 le: 31 juillet 2024 à 09:26:39 »
Bonjour william, j'ai bien aimé ton texte.
J'ai trouvé le premier paragraphe un peu lourd et convenu, mais à partir du second, on est pris par l'histoire.
Aimant beaucoup la SF, je suis plutôt critique envers ce genre de récit et je suis friande de nouveauté.
Je pense que tu pourrais un peu plus travailler sur les méthodes d'extractions et ajouter quelques données techniques afin de donner du poids au récit.
Belle journée.
Michèle

Hors ligne william

  • Tabellion
  • Messages: 28
Re : Alvaro Ortiz - SF
« Réponse #4 le: 31 juillet 2024 à 11:46:54 »
Bonjour à vous trois et un grand merci pour vos retours !


La fin, je ne l'ai pas compris. Désolée.

Le dialogue de fin se déroule quelques semaines / mois après le récit et le Trinidad  est le vaisseau colon contre lequel Alvaro est remonté. C'est manifestement pas encore assez clair, je vais réfléchir à ce qui pourrait être changé !


Bonjour William,

Avez-vous (presque) immédiatement compris la chute ? J'ai dû faire quelques modifications parce que mes premiers relecteurs avaient eu du mal à comprendre le dialogue de fin. : dans le récit, je trouve (presque) qu’il y a une petite tromperie au niveau de la narration. La focalisation sur le personnage devrait peut-être nous permettre dès le début de percevoir un peu mieux son état de révolte intérieur. Il a du déjà penser à son action ( ce n’est pas une impro) donc, il devrait peut-être être dans un état plus tendu, plus visible, et le narrateur devrait focaliser sur ça aussi.
-Que pensez vous des passages de descriptions ? Si je les ai laissés comme-tel c'est que je les aime bien, mais on m'a dit que je les poussais presque à l'exagération. : effectivement, peut être parfois un peu lourde et parfois aussi, manquant de clarté dans le choix de certains mots. Parfois, je me suis arrété sur certains passages qui (pour moi) sont des exemples… mais, on est bien d’accord, ce n’est que mon appréciation.

B
Une critique particulièrement détaillée que je vais prendre le temps de relire. Merci pour ce travail !
Pour répondre à une partie de tes commentaires, j'ai l'habitude de me lancer dans des projets d'écriture trop ambitieux pour ma motivation. Cette fois j'ai donc décidé de segmenter le projet en de courtes nouvelles comme celle-ci pour que je puisse m'y mettre quand j'en ai l'envie. Certains élèments du récit seront probablement plus développés dans les prochains textes du projet !

Bonjour william, j'ai bien aimé ton texte.
J'ai trouvé le premier paragraphe un peu lourd et convenu, mais à partir du second, on est pris par l'histoire.
Aimant beaucoup la SF, je suis plutôt critique envers ce genre de récit et je suis friande de nouveauté.
Je pense que tu pourrais un peu plus travailler sur les méthodes d'extractions et ajouter quelques données techniques afin de donner du poids au récit.
Belle journée.
Merci Delnatja. En effet je partage ton avis sur le premier paragraphe. J'ai déjà passé du temps à chercher comment le ré-écrire sans grand succès, donc je me suis dit qu'il suffirait  ::)

 


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