[Arsinor]

Ivanovitch

à Flora Fournet pour l'anniversaire de ses neuf ans

Dans les profondeurs d'une forêt enchantée, près d'un marécage affreux, plein de moustiques et de larves, vivait un crapaud mélancolique. Ce crapaud, un jour, vit passer un cortège royal, et tomba amoureux de la princesse Vassilissa-la-Sage. Celle-ci avait refusé les prétendants les plus intéressants.
 
Puis, ayant regardé le cortège jusqu'à ce qu'il disparaisse sous la ligne d'horizon, le crapaud se regarda dans la mare et se dit : « Je suis bien trop laid pour séduire qui que ce soit, à plus forte raison une Princesse. » Alors, il pleura et rentra dans sa mare.

Un jour, il vit un escargot qui voulait faire le tour de la Terre. « Vous n'y pensez pas, » rétorqua le crapaud. « Je le veux, » répondit l'escargot, « et vous invite à en faire autant. À présent, écartez-vous de mon chemin. » Le crapaud était situé à un mètre de l'escargot et celui-ci ne risquait pas de lui rouler dessus. Mais, intrigué, il regarda l'escargot passer, jusqu'à ce qu'il disparaisse derrière un gros caillou.

Le lendemain, le crapaud se rendit dans le Jardin royal, où se trouvait un Oiseau de paradis. Il lui dit d’une voix plaintive : « Aide-moi, je suis presque mort. » Mais l'oiseau de paradis ne daigna pas répondre et tourna très légèrement la tête. Le crapaud mit les formes :

— Veuillez me pardonner d’avoir adressé à votre personne, sur un ton si cavalier, une demande confuse, et me permettez, je vous prie, de la reformuler dans un ramage le plus apparenté au vôtre. Oiseau de paradis, qui connaissez le bien, le beau et le bon, de grâce, daignez entendre ma complainte ; car je suis amoureux d'une princesse, comme un caillou le serait d'une étoile. Donnez-moi la mort, ou donnez-moi l’amour.
— Oh ! fit l'oiseau de paradis, scandalisé. Je ne m'attendais guère à entendre un crapaud parler un tel dialecte. C’est un ramage, sans doute. Mon ami, je veux vous apprendre à devenir un Prince. Prenez cette plume enchantée. Quand vous la toucherez une fois, vous deviendrez lapin. Quand vous la toucherez une deuxième fois, vous serez un lion. Il vous incombe de trouver comment devenir un homme.
— Merci infiniment, ô oiseau de toute beauté ; et vous êtes meilleur qu'un ange, car les anges ont des épées. Vous n'avez que le charme.
— J'accepte un tel compliment, mon ami, venant de vous ; car, d'ordinaire, je n'accepte pas les flagorneries, et je vois clair dans votre cœur. Prenez donc cette plume magique, et allez votre chemin. Quel est votre nom, afin que je sache qui épousera Vassilissa-la-Sage ?

Le crapaud n'avait pas de nom, mais avait entendu parler d'une libellule qui avait été amoureuse du Tsar Ivan.

—   Ivanovitch.

Ivanovitch était pressé d’utiliser la plume enchantée. Une fois revenu dans la forêt, il toucha la plume et se transforma en lapin. Sans plus tarder, tout réjoui, il fit des bonds de joie ! Cela n'avait plus rien à voir avec des sauts de grenouille ! Quelle joie d'être un lapin, et il continua à bondir dans tous les sens !

Ainsi, Ivanovitch passa la journée à manger de la nourriture pour lapin, troquant les larves du marécage pour de beaux légumes tout frais, bien plus délicieux. Mais voilà que, dans son élan, il tomba dans le piège d'un chasseur ! La mâchoire en métal du piège s’était refermée sur sa patte. Devait-il la ronger pour pouvoir s’échapper et sauver le reste de son corps, comme le font les vrais lapins ? Il ne put se résoudre à un tel sacrifice.

Au petit matin, le chasseur vint pour le prendre par les oreilles. Ivanovitch se réveilla en sursaut et s’empressa de toucher une seconde fois la plume magique pour se transformer en Lion musculeux et magnifique. Il rugit à la tête du chasseur pour l'épouvanter, et le chasseur cria au secours :

— Sainte Marie de la Providence, pardonnez mes péchés !

Le Lion n'avait qu'à plonger sa patte dans le cœur de l'homme pour le tuer. Mais il n'en fit rien, car il le trouvait beau, et pensa se servir de lui. Il posa doucement sa patte sur son torse et le mit à terre. Puis il regarda, c'était la première fois qu'il voyait un homme de près et il le scruta toute l'après-midi.

Puis, il dit à l'homme : « Chevauche-moi et guide-moi jusqu'au Château royal, et je te laisserai la vie sauve. ». L'homme n'avait pas le choix. « Viens-tu de la forêt enchantée ? », demanda-t-il, mais le Lion ne daigna pas répondre. Quoique impressionné, il monta sur le Lion, qui se mit à marcher doucement. Et le chasseur disait : « à droite » ou « à gauche » ou encore « derrière la colline ». Et c'est alors que le cortège arriva au pied du Château, dans le Jardin royal.

— Oh ! un Lion ! s'exclama la Princesse, enchantée, du haut de sa terrasse toute fleurie. Merci mon père, dit-elle au Tsar Ivan, vous avez exaucé mes désirs les plus ardents ! Car je veux pour ami un Lion.

Le Tsar n'osa pas répondre, tant la princesse tenait à croire qu'il y était pour quelque chose. Elle descendit dans le Jardin royal et s'avança, en voyant bien que le Lion n'était pas dangereux. Puis, elle caressa le Lion, sous toutes les coutures.

— Comme il est beau, fort et noble ! s'exclama-t-elle.
— Je sais, dit le Lion, fier de lui. Et vous, d'une beauté merveilleuse et d'une sagesse sans pareilles. Les princesses sont plus courageuses que les hommes. Je m’appelle Ivanovitch et suis amoureux de vous, depuis l’aube des temps. Vous êtes plus resplendissante encore que dans mes rêves, et viens vous demander la main.
— Ma main ? dit la Princesse, confuse.

Elle se ravisa soudain, et dit à son père :

— Le Protocole et l'Étiquette de notre Lignée permettent-ils à une Princesse d'épouser un animal ?
— Bien entendu, ma chère fille, dit le Tsar Ivan, et je me réjouis de vous voir si heureuse.

La Reine était restée stoïque jusqu’à ce moment-là. Elle prit la parole et dit :

— Comment auraient-ils des enfants ? Vous vous moquez. Ce Lion n'est pas mal et vient de la forêt enchantée, de toute évidence ; mais ce n'est qu'un animal.
— Embrassez-moi, Princesse : je deviendrai un homme !
— Je préfère les Lions, dit la Princesse en embrassant le Lion, qui se changea en Prince d’une splendeur étourdissante. J’aime les hommes aussi, avoua-t-elle en rougissant.
— Vassilissa, voulez-vous m'épouser ?
— Oui !

Cela dit, Vassilissa et Ivanovitch se marièrent, le Tsar organisa des fêtes somptueuses, et ils vécurent éternellement heureux, avec leurs enfants.

[Cendres]

Merci pour ton texte. J'ai bien aimé le lire.

Je les trouve rigolos, surtout le moment où le lion veut épouser la princesse.
Souvent, dans les contes de fées, les personnages ont le coup de foudre, et s'aiment d'un amour pur.

[Lune]

Bonjour Arsinor,

Ton histoire est bien drôle, surtout ce passage  Merci !

"Il posa doucement sa patte sur son torse et le mit à terre. Puis il regarda, c'était la première fois qu'il voyait un homme de près et il le scruta toute l'après-midi. "

La fin de l'histoire est plus courante, j'aurais préféré un Lion et une Lionne, comme dans Shrek 

[william]

Hello Arsinor !

Merci pour cette histoire, ça m'a fait rire et j'aime bien le style d'écriture qui convient parfaitement au récit.

En effet la fin est moins originale, mais rien d'alarmant à mes yeux.

La bise du William

[Arsinor]

Merci beaucoup, cendres, Lune et William 

[Arsinor]

J'ai offert ce conte à ma nièce Flora qui a neuf ans.
Sa mère, ma belle-soeur, m'a envoyé une vidéo ou de bonne grâce, Flora me remercie.

Ces gens-là, la famille de mon frère, se foutent de ma gueule à uin degré que je ne saurais qualifier.
Je tiens ce conte pour un chef-d'oeuvre et ce que je récolte c'est même pas des remerciements sincères.

Si vous avez un commentaire pour ça, je veux bien l'entendre.

[Béatrice M]

Bonjour Asino, je trouve ce conte touchant bien écrit dans un beau style, bravo, c'est un cadeau touchant que voila pour votre nièce.
Belle journée à vous

[Joachès]

Bravo à toi pour cet exercice réussi et assez inhabituel de nos jour qu'est le conte.

[Lune]

Bonjour,

Arsinor, ne sois pas trop sévère.
Les enfants aiment les princes et les princesses vers 6 - 7 - 8 ans.
A 9 ans, on entre dans la catégorie des 9 - 10 - 11 ans et ils lisent leurs propres histoires choisies.
Après 12 - 13 - 14 ans, il faut atteindre les 15 - 16 - 17 - 18 etc ... pour apprécier les contes, les poésies ...
 

[Impa Dhacor]

Bonsoir,
C'est Lune qui m'a suggéré de lire ton conte, je l'en remercie. Il respecte les codes du genre tout en possédant une réelle originalité.
Pour ce qui est de la réaction des destinataires, il faut reconnaître que certains sont peu sensibles à la beauté d'un écrit et qu'on doit peut-être leur expliquer la beauté d'une métaphore ou la puissance  d'une hyperbole. Heureusement, il existe de nombreux amateurs de conte de fées, ils nous changent tellement du quotidien !
Continue à nous amuser.