[Sophie_Dwyge]

Bonjour,

Je pose ici un court texte. J'envisage de l'étoffer plus tard, mais ne sais pas trop quelles parties auraient besoin d'être d'avantage développées pour améliorer mon texte sans trop l'alourdir. Si quelqu'un a des idées sur ce point, ça m'aiderait beaucoup mais je suis aussi preneuse de tout commentaire, autant sur le fond que la forme.


 Ava a cinquante ans. Depuis quelques secondes. La fumée s’échappe encore, en volutes légères, depuis les bougies enfoncées dans le gâteau. Les proches sont béats, trop contents des vidéos et photos retraçant le parcourt de la sinistre pâtisserie actant définitivement le demi-siècle d’existence, du chant macabre entonné comme une condamnation à mort « joyeux anniversaire, joyeux anniversaire ! » , et leurs yeux naïfs pétillent d’excitation. Ava sourit. Ava rit. Prend la pose. Ava se sent déjà vieille.

Ses deux filles, à table, si différentes l’une de l’autre. L’ainée chante et filme, comme tout le monde, mais se dandine mal à l’aise sur sa chaise. Pas à sa place, pas vraiment fière. La cadette, look soigné, air confiant, écouteurs sans fil mal dissimulés derrière sa chevelure brune, ne masque pas son ennui, son dédain. Elle aimerait retourner à ses séries. Elle déteste discrètement sa mère. Toutes deux voudraient quitter la maison. Ava leur en veut.
Elle a pourtant été une bonne mère pour elles. Elle a fait mieux que sa propre mère ne l’avait fait. Tout fait pour leur offrir l’enfance dont elle rêvait. Son ainée lui a dit qu’elle avait échoué. Que de toute façon, elles ne partageaient pas les mêmes rêves.

Certes, Ava a fait des erreurs. Parfois hurlé jusque trois heures du matin sur ses enfants les soirs d’école. Parfois frappé quand elle ne se contenait plus. Il faut la comprendre, à la longue c’est si fatigant de voir des vêtements propres gisant au sol, abandonnés à la poussière des chambres trop peu rangées. À son époque, sa mère à elle la brutalisait pour qu’elle range, à huit ans elle était autonome. Ce n’était pas tant que d’exiger la même chose de ses filles, si ? Parfois, elle leur avait interdit de manger. Mais ce n’était qu’un repas… Parfois, elle les avait forcées à avaler des immondices pour les punir. Elles n’avaient qu’à ne pas laisser les tomates pourrir sur le plan de travail ! Et puis, il fallait comprendre qu’à l’époque, son traitement était mal dosé. Elle souffrait, vidée de joie et d’énergie. Elle a beau aimer ses filles et être malade chronique, quand Ava est honnête avec elle-même, elle réalise qu’elle a été une mauvaise mère. Et elle prie qu’il ne soit pas trop tard pour prétendre au pardon des deux adolescentes. Ava se déteste.

Debout derrière ses filles, son mari pose son téléphone. « C’est dans la boite ! » il s’exclame, son air est joyeux. Parfois, Ava se demande si elle serait restée aussi longtemps si elle avait pu subvenir à ses propres besoins. Sa maladie l’empêche de travailler. Elle aime son mari, mais il l’épuise, à l’occasion. Face à la charge mentale et à l’état de fatigue de la nouvelle cinquantenaire, les plus petites disputes prennent des proportions dramatiques. Il n’est pas assez sévère en tant que père, pas assez perfectionniste, pas assez compréhensif, pas assez attentionné. Et Ava se sent seule.

Elle sait que jusqu’à la fin de sa vie, elle avalera ces petites pilules qui lui donnent la force de se lever chaque jour, mais réduisent son nombre de jours. Qui la rendent obèse et gonflent son visage. Qui lui minent le moral presqu’autant que la maladie. Presqu’autant que sa famille. Elle peut déjà s’estimer heureuse d’avoir vécu si longtemps. À maintenant cinquante ans, elle sait que sa fin est proche.

Et au milieu des proches qui n’en sont pas vraiment, en tranchant une part de gâteau, sourire hypocrite aux lèvres, Ava se met à pleurer.

[Cendres]

Merci pour le partage de ton texte

C'est l'historie triste d'une mère de famille, qui va bientôt mourir, mais qui n'a pas été une bonne mère.

À la fin, ton personnage pleure, mais elle a été maltraitante avec ses filles. Est ce parce qu'elle se rend compte que sa fin est proche et qu'elle fait le bilan de sa vie ?

[Rémi]

Salut Sophie !

Détails et chipotages :

Ava a cinquante ans. Depuis quelques secondes. La fumée s’échappe encore, en volutes légères, depuis les bougies enfoncées dans le gâteau.

Deux phrases courtes, dont une non verbale, puis l'image du gâteau, ça marche bien on entre dans le texte avec une certaine brutalité et une image claire.

Les proches sont béats, trop contents des vidéos et photos retraçant le parcourt de la sinistre pâtisserie

parcours
le "retraçant" m'a sorti du texte. Retracer le parcours de la pâtisserie, ce serait partir de la farine et du sucre jusqu'à ce moment de la scène
Mais la phrase longue avant :

Ava sourit. Ava rit. Prend la pose. Ava se sent déjà vieille.

ces petites phrases cinglantes, ça marche bien.

Le rythme est donc pas mal sur cette entame, on a déjà aussi un certain malaise qui s'installe.

Ses deux filles, à table, si différentes l’une de l’autre. L’ainée chante et...

Là, je trouve que la phrase non verbale n'a pas trop d'intérêt
(et pas la suite, tu n'explicites pas cette différence)

Elle déteste discrètement sa mère. Toutes deux voudraient quitter la maison.

j'ai tiqué ; grammaticalement, le "toutes deux" renvoie à "elle déteste sa mère" donc à la fille et sa mère

Elle a pourtant été une bonne mère pour elles.

alors... si le point de vue est celui de la mère (ce que je pressens en lisant le texte, dès les premières phrases), alors ça colle pas, puisqu'il est écrit plus bas :

quand Ava est honnête avec elle-même, elle réalise qu’elle a été une mauvaise mère.

Certes, Ava a fait des erreurs.

à partir de ce moment et jusqu'à la fin du texte, on est dans les pensées d'Ava, et la scène disparaît (à part le mari qui apparait dans une phrase et la découpe du gâteau à la fin).
Je pense que le texte serait plus puissant si on avait des échanges entre la mère et les filles (des regards, quelques mots...). Là, on a une "rétrospective" et une introspection de la mère, sans que le vive la scène en cours.

Et puis, il fallait comprendre qu’à l’époque, son traitement était mal dosé.

j'aime bien que tu nous fasse comprendre la maladie d'Ava à travers cette phrase, c'est subtile

Elle a beau aimer ses filles et être malade chronique, quand Ava est honnête avec elle-même

du coup, pas la peine de dire "malade chronique"

Elle aime son mari, mais il l’épuise, à l’occasion.

pourquoi "à l'occasion" ?

Au global :
L'écriture est maîtrisée, y a pas pb
Tu joues avec le rythme (j'ai pas tout relevé, mais tu t'amuses bien avec ça et ça fonctionne), il y a des formules qui font mouche (Elle déteste discrètement sa mère !!!).
Mais je crois que tu peux faire une chouette nouvelle plutôt que ce petit texte court.

Tu écris :

J'envisage de l'étoffer plus tard, mais ne sais pas trop quelles parties auraient besoin d'être d'avantage développées pour améliorer mon texte sans trop l'alourdir. Si quelqu'un a des idées sur ce point, ça m'aiderait beaucoup mais je suis aussi preneuse de tout commentaire, autant sur le fond que la forme.

Je ne sais pas à quel point tu as envie d'étoffer ou de développer le texte.
Perso, un truc que je verrais bien, ce serait un ou plusieurs flashback d'Ava, qui revivrait des scènes vécues avec ses filles. Tu nous montrerais une engueulade après une journée d'école jusque tard le soir, tu nous montrerais la mère qui oblige ses filles à manger une tomate pourrie etc.
Et tu pourrais le faire en déclenchant ces souvenirs à partir de la scène actuelle. Par exemple, Ava regarde les téléphones qui filment et elle pense au premier Smartphone de son ainée et de la crise qui a eu lieu lorsqu'elle a dû l'empêcher de l'utiliser trop tard le soir. Par ailleurs, les deux filles, ce serait pas mal de leur donner des prénoms, si tu allonges ce texte court.

Voilà pour mon avis.

A+
Rémi

[Mic Ester]

Etoffer le texte pourquoi pas mais ce sera autre chose, dans l’état c’est un texte coup de poing, brutal, insupportable par moments, sa force est dans sa densité.
Tu peux bien sur l’adoucir en l’allongeant avec un rappel sur ces cinquante ans, description des filles, du mari, un peu de dialogue, des choses comme ça.
Après faut voir ce que tu veux en faire, il y a aussi cette maladie de la mère pour justifier sa violence etc …
Rien à dire sur la forme, d’autres le font mieux que moi.
Bon courage
Mic

[HELLIAN]

Je fais mienne les observations pertinentes de Rémi, mais je veux souligner l'étrange et singulière impression générée par ton texte qui, malgré les maladresses signalées, relève d'une belle faculté d'évocation et d'un style prometteur. Le personnage est bien campé et la problématique familiale superbement posée. Le malaise est au rendez-vous. N'était-ce pas le but recherché ?