Bonjour à tous !
Je tenais à partager avec vous le premier chapitre de mon roman en cours d'écriture.
Pour vous faire un petit topo, c'est l'histoire de David, un gars paumé qui se retrouve dans un hippodrome suite à de drôles de circonstances, et se trouve à parier sur le premier cheval qui croise son regard. Il assiste alors, médusé, à l'accident de sa cavalière qui meurt sur le coup. A la suite de ce texte, il apprendra à la connaitre elle, sa famille, ses proches alors qu'elle est déjà décédée. Et tombera petit à petit amoureux d'elle. Amoureux d'une morte.
C'est un premier jet, non corrigé.
Ses jambes tremblaient sur les escaliers, lourdes, terrifiantes, comme muées par une volonté propre. Elles le portaient vers ce lieu qui lui semblait aussi terrifiant que fascinant. Autour de lui, les premiers piétinements des sabots sur l'herbe se faisaient entendre.
Au bar, des amis lui avaient loué les mérites des paris équestres.
“Mise sur le cheval le plus fuselé, celui qui à poil le plus brillant. Attaque-toi au plus musclé de tous et mec, lâche-toi. Balance un max de thune.”
Un max de thune, une grosse blague. Il avait placé cinq maigres euros sur le premier de la liste, abandonnant la possibilité d’avaler un repas frugal le soir même. La guichetière lui avait souri un instant. Surement par pitié. Il ne se souvenait même plus du nom du cheval, ni de la personne qui allait grimper sur cette foutue bestiole.
Et désormais, il fallait se trouver une place au milieu de ces vieilles dames à la peau tannée et bien trop parfumée.
Deauville rayonnait sous le soleil printanier, sous les premiers élans d’une saison à peine lancée dans l’hippodrome bondé. Dans son imaginaire bas de plafond, il s’était imaginé qu’il n’y avait que les anglaises pour porter ces immenses chapeaux colorés, immondes meringues d’un autre âge sur leurs têtes douceâtres. Mais lorsque l’un des bords heurta son nez, il regretta de ne pas avoir vu cela qu’à la télévision. Les regards se tournaient vers lui, l’étranger sur ses propres terres normandes, au milieu de cette bande mouvante de drapeaux d’autres continents.
Il reconnut sans peine le cheval sur lequel il avait placé ses maigres économies. À vrai dire, c’était le reste du budget picole de la veille. Iris, la nouvelle barmaid, sa remplaçante, avait eu pitié de son air défraîchi. Entre ici et là-bas, à peine douze heures s’étaient écoulées. Son pull taché sentait encore les relents de bière qu’il s’était renversée dessus, la veille. Trop tremblant. Trop bourré.
Le cheval.
Il devait se concentrer sur ce maudit cheval.
Sa robe brune était saisissante de beauté. Il resta pantois un moment, observant l’animal comme s’il était le premier équidé qu’il voyait. Pourtant, il observait les ombres de ces foutus canassons chaque jour de sa foutue vie, brouter dans les prés pas loin de sa baraque qui tombait en ruine. Il sentait leur odeur de muscs et de terre jusqu’au fond de son lit. C’était pourtant comme une première impression, comme un premier jeu de regard. Le cheval semblait le voir. Le regarder aussi. David secoua la tête. Impossible. Seulement les restes d’alcool d’hier soir qui embrumaient encore son cerveau. Les cuisses de la cavalière, fuselées de blanc, tranchaient sévèrement sur la robe moirée de sa monture. Une merveille en noir et blanc. Une drôle de douceur se dégageait de ce spectacle, de ce tableau qu’il n’aurait pas voulu plus large. Seulement une cuisse, un carré de pelage, rien d’autre. Il leva les yeux vers le visage de la cavalière, mais dans son mouvement de départ, il n’aperçut que les volutes de ses mèches blondes sous sa bombe d’équitation. Numéro une. Un prénom et un nom aux accents plus nobles, plus froids que les siens. La course s’était lancée sans que David ne parvienne à suivre le mouvement. Des chevaux plus rapides que ses yeux vitreux.
Elsa Melinker et Obsidian pointaient déjà en tête.
Autour de lui, les souffles semblaient s’être coupé. Peu de gens avaient parié sur cette bête plus belle que sportive, sur cette jeune première discrète que l’on n’imaginait pas sur le podium. Pas encore. Pas si vite. Une fille du coin que la chance avait placé là. David, silencieux, avait perdu toute notion du temps et de l’espace, tombé dans la contemplation ahurie de la queue dansante du cheval qu’il tentait tant bien que mal de suivre dans l’action. À sa droite, le rouge à lèvre de la bourgeoise, qui s’était craquelé de rage, se collait en paillettes rouges sur ses dents jaunâtres.
Elle était suivie de près par un cheval blanc sale, par un homme dressé sur sa monture, comme avide de la poursuivre. Affamé de victoire. L’envie bavait sur ses lèvres, brillante dans ses yeux fous. David qui ne connaissait pas le nom de cette femme quelques minutes auparavant, se le répétait en boucle dans son esprit. Une chanson lancinante qui ne parvenait pas à quitter sa tête, son corps ondulant légèrement dessus sans même qu’il n’en eut conscience. Le même nom, le même prénom, obsédait le cavalier qui remontait la course, dont le nez de son cheval s’approchait dangereusement de la croupe brillante d’Obsidian. Les doigts de David s’étaient crispés sur sa barbe, dont il arrachait un à un, douloureusement, chaque petit poil dru. Les spectateurs s’étaient dressés, beaucoup semblaient avoir misé sur ce canasson toujours en deuxième position. Derrière lui, le souffle agacé d’une femme trop petite pour voir au-dessus de sa tête lui chatouilla sa nuque. Un courant d’air chaud qu’il ne remarqua pas. Un trou de peau lisse commençait à apparaître sur sa joue droite. Il n’y avait désormais plus un poil de barbe sur une surface de la circonférence d’une balle de golf. Les chevaux suants respiraient si fort que l’onde de leurs souffles bouillants semblaient rebondir le long des gradins, sur cette maison luxueuse à l’allure défraîchie typique des stations balnéaires des années 20.
Ce fut alors un déchainement d’informations qui prit David à la gorge. Comme secoué, inconscient, il ne vit la scène qu’une fois que celle-ci s’était déroulée. Obsidian était à terre. Ses jambes cassées s’agitaient encore, perdues, affolées, comme s’il voulait coûte que coûte reprendre sa course effrénée. Il s’était embrouillé, était tombé comme une masse, ses sabots cognant contre ses propres genoux. Impossible de discerner la cavalière, prisonnière quelque part sous cet amas de pelage et d’os. Les autres coureurs ont continué leur chemin, contournant l’animal qui ne parvenait pas à se redresser, sourds aux gémissements qu’ils se contentaient de contourner. Quelqu’un siffla, quelque part dans les gradins. Le second avait passé la ligne d’arrivée en premier. Les sabots avaient enfin arrêté de battre la pelouse détruite, à vif, couverte de terre meuble. Les secours arrivaient enfin vers le cheval qui bougeait par spasmes de plus en plus vifs. David tentait de jeter un regard vers cette masse lointaine, se tordant le cou ne serait-ce que pour apercevoir une mèche de cheveux blonds. En vain. Des hommes en jaune affluaient sur le terrain, s’agitant comme des abeilles autour d’une fleur noire. Il voyait à peine ces éclairs de couleurs, fugitifs, qui s’enfuyaient sous la masse noire du cheval. L’un d’eux se leva alors. Il aperçut son visage fermé. Sa main contre son oreille, il devait être au téléphone. L’agitation ralentissait. Le silence s’était fait, pesant entre ces quelques milliers de personnes. Deux jeunes filles arrivèrent au pas de course, chargées d’un brancard vide qui semblait déjà trop lourd pour elles. Quand elles arrivèrent devant la scène, l’une d’elles se mit à pleurer, si bruyamment qu’elle coupa le silence immense du terrain de course. L’un des hommes en jaune rattrapa in extremis la seconde, qui s’effondra lourdement dans ses bras. Elles avaient vu ce que Dave brûlait de voir. L’image que les gradins ne pouvaient pas voir. Une intimité s’était créée entre les secours et elle, protégé par la masse du cheval qui ne bougeait plus du tout, et dont personne ne semblait avoir que faire. Il vit, fugitivement, le rayon vif d’un tuyau en plastique se refléter dans la lueur bouillante du soleil. Il vit le téléphone du chef de groupe qui ne quittait son oreille que pour composer un nouveau numéro. Il vit la jeune secouriste inconsciente être porté sur le brancard qu’elle avait amené, à la place d’Elsa. Avait-elle disparu ? S'était-elle envolée, comme un ange, comme une héroïne ? Ne l’avait-il tout simplement pas vue se relever ? Possible qu’il ait oublié ce détail, dans la cohue brouillonne de ses souvenirs. Ses mains tremblaient, un filet de bave s’échappait de sa bouche bée. Il était figé. Plus un muscle ne lui répondait.
Autour de lui, pourtant, le monde semblait s’agiter de nouveau. Il percevait des chuchotements dans les gradins. Le bruissement de voix de ceux qui avait compris avant lui ce qui venait de se dérouler. Certains, frustrés, s’en allaient en bougonnant. Leur mise, allait-elle être remboursée ? Une course qui compterait pour du beurre. Une perte de temps monumentale, leur dimanche en était gâché. D’autres se contorsionnaient, téléphone à la main, pour tenter de prendre la meilleure photo possible de l’événement. Sur les réseaux, ils pourront être les premiers à annoncer qu’ils y étaient. Qu’ils avaient tout vu. Tout capturé. Le réel ne percera qu’à travers ses quelques pixels flous indécemment capturés. Le Graal de la journée, qu’eux n’ont pas eu le sentiment de perdre.
Dave est toujours pétrifié.
Les gradins se vident. Derrière lui, celle dont il coupait le champ de vision est parti dans les premiers. De toute façon, elle n’avait rien vu. Dans sa voiture, elle tapait déjà un mail frustré adressé à la fédération. Les gradins n’étaient décidément pas assez hauts. C’était inadmissible. Dave ne sentait plus l’odeur affreusement musquée, faussement fleuri de la vieille femme qui avait partagé ce moment à ses côtés. Elle avait disparu, et, entre temps, avait remis une bonne couche de rouge à lèvres. Les vies quittaient peu à peu le lieu, qui devenait de plus en plus vaste. La bouche d’un monstre immense, dont la langue verte de pelouse s’apprêtait à engloutir ceux qui restaient. Ils fuyaient tous, mais Dave restait planté là. Immobile. Abasourdi. Une masse sombre, avachie sur la peinture blanche écaillée des gradins. Un vide absolu s’était fait dans son crâne. Déconnexion de neurones. Il aurait pu être là, comme ailleurs. Il voyait seulement la peau du cheval tressaillir légèrement, comme si une myriade de fourmis avait élu domicile sous sa fourrure. Il pensait à celles qui grouillaient sous son frigo. À celles qui, en quelques jours à peine, avaient dévoré la souris morte qui traînait sur les pavés de sa cuisine. Il vit, du coin de l’œil, une poignée d’hommes s’engouffrer sur le terrain. Certains en uniforme blanc. Il pensa un instant à des bouchers, venu arracher quelques bons morceaux à l’animal. Il lui fallut de longues secondes pour comprendre que ces hommes s’occupaient d’une bien autre boucherie. D’autres personnages, en noir cette fois, firent leur entrée. Quelques instants s’évanouirent encore. Les derniers curieux avaient fini par s’ennuyer. Dave entendait des éclats de voix, le timbre rauque d’hommes sérieux en costume noir. Noir, blanc, jaune. Fourmis, vers, abeilles. Des butineurs, des consommateurs de chairs en fleur. Mais toujours pas d’elle, pas d’éclats blonds, de cuisse blanche, de ce sourire timide qu’il avait aperçu sur écran géant. Tous s’agitèrent alors, un ordre avait été beuglé, impossible à comprendre dans l’écho du lieu. Le soleil se faisait de plus en plus chaud, cuisant, l’air était lourd. La respiration de Dave brûlait sa moustache, rendant humide de sueur ses lèvres asséchées. Il voyait des mains, des coudes, des visages concentrés s’élever derrière la masse morte du cheval. Puis un sac, sur le brancard qui était miraculeusement revenu. Un sac si noir qu’il semblait absorber la lumière, avaler le soleil, concentrer tout le vivant. Un trou noir qu’il espérait empli de vide, mais qu’il savait rempli d’elle. Elle fut évacuée en silence, rapidement, accompagnée des dernières âmes restées sur cette pelouse. Obsidian avait été oublié là. Créature molle, souvenir glacé d’une gloire fauchée en pleine course.
L’accident est d’une gravité sans précédent sur la pelouse lustrée de l’hippodrome de Deauville. C’est du moins ce que les journaux venaient d’annoncer. Le téléphone de Dave s’agitait contre sa cuisse, le journal d’appel commençait à se remplir. Ses potes de boisson de la veille étaient avides de savoir si c’était sur elle qu’il avait jeté son dévolu. Échec, encore une fois. Une mauvaise étoile se serait donc posée sur ses épaules, au point de tuer le moindre de ses espoirs financiers ?
Il est vide. Il attend.
Du coin de l’œil, il aperçut une silhouette s’approcher de lui. Floue, elle semblait venir de plus en plus vite dans sa direction. Mais il n’osa pas tourner la tête. Ce geste lui était impossible. Son cou s’était bloqué, tout son corps refusait obstinément de lui répondre. En entendant une paire de talons cliqueter vivement vers lui, il sentit son cœur s'accélérer. Quelqu’un allait le sortir de là. Quelqu’un s'apprêtait à le faire quitter ses gradins devenus un drôle de refuge. Quelqu’un venait lui faire détourner le regard de la carcasse d’Obsidian. Une main légère s’était posée sur son épaule, mais il ne sentit cette caresse que quelques longues secondes plus tard. Elle ne dit pas un mot, patiente. Leurs souffles s’étaient synchronisés sans qu’ils ne s’en rendent compte. Inconnus physiquement liés, qui n’avait même pas encore vu le visage l’un de l’autre. Un sourire bienveillant était imprimé sur la face immobile de la jeune femme. Il leva alors la tête vers elle. Il fut aveuglé par le ciel blanchi de soleil, des larmes légères perlaient au coin de ses yeux desséchés par une brise saline qu’il n’avait pas senti avant. Il resta scotché devant cette apparition qu’il avait pourtant vu venir de loin. Elle ouvrit alors la bouche, et ses lèvres fraiches, rosées et humides dirent alors :
”- Monsieur, étiez-vous l’un de ses proches ?”
Il hocha alors la tête.