[Michael Sherwood]

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Difficile de décider où se trouve le cœur de Larnaca. Il y a d’un côté, à proximité de la mer, le vieux fort et la mosquée. Vu de la plage on a même l’impression que le minaret est planté au milieu du fort. Un peu plus loin se trouve l’église Saint-Lazare, une église orthodoxe au centre d’une large place pavée un peu désertique. Il y a encore les vieilles maisons du quartier Ottoman, la place du marché en centre-ville, la promenade Finikoudès le long de la plage, jusqu’à la Marina. Tout ça manque un peu d’unité, on passe en quelques minutes du moderne à l’ancien, du McDo aux petits restaurants de quartier. Du faux chic au délabré. C’est une ville agréable à vivre, mais sans âme véritable, ou alors il faut aller la chercher dans des coins secrets, ignorés des badauds.

J’espérai saisir cette âme secrète en me rendant à l’église Saint-Lazare. C’est son nom surtout qui m’attirait, me faisant inévitablement penser à la gare Saint-Lazare à Paris ! J’avais certes quelque appréhension car je n’étais jamais entré dans une église orthodoxe et ne savais pas les usages du lieu. Je décidai d’en faire simplement le tour, comme un touriste égaré. Immédiatement je fus comme étouffé par tout ce mobilier de stalles sculptées et de bancs de bois noir alignés à l’intérieur entre les lourds piliers de pierre sombres, ébloui par toutes les dorures, les argenteries, les candélabres, toutes les icônes multicolores qui miroitaient au fond. Les volutes d’encens qui noyaient l’ensemble sous un épais brouillard finirent par me chasser de ces lieux oppressants. Restait-il encore un espace à l’intérieur de cet édifice pour que les prières des hommes puissent s’élever jusqu’à Dieu ?


J’en étais là de mes diverses pérégrinations en ville quand une personne rencontrée sur l’avenue du front de mer m’indiqua qu’il y avait, en sortant de Larnaca en direction de l’aéroport, un lac salé, avec des flamants roses. Ce sont, entre les cigognes et les paons, mes oiseaux préférés ! Mais en juillet, ce n’était pas la saison, il faudrait pour ça que je revienne en décembre. Je décidai donc un matin d’aller me promener en direction de l’ouest, jusqu’au lac salé. Sur le talus caillouteux au bord des eaux sur lesquelles les plaques de sel reflétaient la lumière vive du soleil et le blanc bleuté du ciel se trouvait un panneau avec la silhouette d’un flamand rose dessinée dessus. Remplaçant celle de l’oiseau, un trou était aménagé pour y mettre sa tête. Si vous vous risquiez à y passer le cou, vous étiez vraiment le dindon de la farce !

Mon but ce jour-là était de voir ce lac salé, puis d’aller visiter la petite mosquée Hala Sultan Teke, que j’apercevais au loin, de l’autre côté du lac. La ligne la plus courte pour la rejoindre aurait été de traverser à pied les eaux saumâtres peu profondes du lac aux plaques de sel réfléchissantes, mais cela me semblait une aventure risquée et je me résignai à faire le tour par le chemin de terre qui contournait sa droite. J’estimais la distance à 6 ou 7 Miles. J’étais tenté de rebrousser chemin pour aller chercher en ville un taxi pour m’y rendre, mais où aurait été le mérite ? Donc 7 Miles à parcourir à pied sous le cagnard de midi, augmenté par la réverbération impitoyable du lac. Au fur et à mesure que j’approchais, mon but semblait reculer. La soif se faisait sentir. À un moment le chemin de terre déboucha enfin sur une route goudronnée. Tel un mirage un camion glacier s’est matérialisé qui circulait dans le sens opposé. Pas question de lui demander un lift… Mais j’aurais dû le stopper pour demander une glace !

J’arrive enfin en vue de la mosquée. Il y a une grille et des oliviers sur le côté gauche du chemin montant où sont accrochés des centaines de bouts de tissus ou de plastique, au milieu des oliviers. Un homme a aussi accroché là son pantalon, une fille son écharpe rose ! Je tends machinalement la main pour tâter l’étoffe. Un vieux Chypriote arrive à ce moment dans ma direction et me crie dans un anglais approximatif :
     -   Don’t touch it! It bring evil eye!
Je devine qu’il veut me mettre en garde, que toucher à ces tissus me portera le mauvais œil. Sans doute les gens qui les ont accrochés ont-ils voulu se débarrasser d’une maladie ou d’un mauvais sort !

Vue de l’extérieur, Le Hala Sultan Teke est une petite mosquée de style Ottoman, une coupole principale et quatre coupoles d’angles plus petites, un porche à trois arches, avec un minaret légèrement détaché. Un muret surmonté d’une grille fait tout le tour, sur lequel se reposent au moment où je passe des dizaines de chats dans les rares coins d’ombre disponibles. Faute de place sous les arbres et buissons, certains ont dû s’allonger au sol dans l’ombre d’un grand bac à ordures sur roulettes.

En approchant de la mosquée, je traverse un magnifique jardin, une véritable petite oasis. Et bien sûr voici l’incontournable lieu d’ablutions. Un sol de ciment octogonal, surélevé d’une marche par rapport à l’herbe du jardin, avec huit piliers qui supportent le toit de tuiles. Il n’y a pas de grilles autour. On a accès de plain-pied aux fontaines d’eau qui se trouve au centre. Plusieurs bancs peints en vert foncé délimitent l’espace. Cette structure est commune aux lieux d’ablutions de toutes les mosquées à Chypre, à quelques variations près : un toit de tôles au lieu de tuiles, six pans au lieu de huit, avec ou sans grille… Je profite de l’occasion pour me désaltérer à l’un des robinets de cuivre ouvragés.

Après m’être débarrassé de mes chaussures au seuil de l’entrée je pénètre dans la mosquée toute blanche, toute petite. Aucun pilier de soutien n’entravent la vue intérieure. La voute est supportée par des arches de pierre incorporées dans les murs, tout autour. Bien que quadrilatère, elle donne l’impression d’être ronde. Un tapis rouge fané au motif géométrique blanc se répétant indéfiniment couvre le sol. Le mimbar° peint en vert, surmonté d’un chapiteau blanc aux écritures arabes coraniques "Lâ Ilâha Illa Allah, Muhammad Rasûl Allah"°°  est situé juste à côté d’un petit renfoncement dans le mur, le mihrab°°°, qui indique aux fidèles la direction de la Mecque pour orienter leur prière.

Je pourrais continuer ainsi à vous décrire la petite mosquée par le détail, avec son armoire à Corans, les chaises du fond, les quelques tapis de prières abandonnés au sol, le support pliant en bois pour faciliter la lecture du Saint Livre, le ventilateur, la pendule, la sono pour les prêches, etc. mais je risquerais de vous lasser.

Cependant, le Hala Sultan Teke n’est pas une mosquée ordinaire, car attaché au bâtiment principal se trouve un autre bâtiment, un peu décalé par rapport à son axe, presque aussi grand, répétant la même architecture ottomane à trois arches par façade, et le toit en coupole. C’est le mausolée de Umm Harâm, la nourrice du prophète Muhammad ! Selon la légende, Umm Harâm, déjà vieille, serait tombée de sa mule et serait morte lors du siège de Larnaka en l’an… bref, il y a très longtemps !

L’endroit est solennel : imaginez une sombre pièce caverneuse, avec une pièce plus petite enchâssée en son milieu qui contient la mystérieuse présence du tombeau de Umm Harâm, enveloppé d’un drap épais noir brodé d’or, que vous n’apercevez que par des ouvertures en formes de tiges et de fleurs stylisées pratiquées à travers les murs. Ainsi, comme dans un kaléidoscope, au fur et à mesure de votre progression, vous obtenez à chaque fois une vue partielle mais différente du tombeau. La pièce est baignée d’ombre, car tout autour court une galerie sur trois côtés, contenant des tombes plus simples, recouvertes d’un léger drap vert, ainsi qu’un turban vert encerclant la tête de bois de chaque tombe.

J’en suis là de mon exploration quand du coin de l’œil je crois voir bouger l’épais drap noir qui recouvre le tombeau de Umm Harâm. Je rapproche à nouveau mon regard de l’une des ouvertures. Je ne rêve pas, je ne suis tout de même pas victime d’une illusion, un lent mouvement reptilien semble faire flotter dans l’ombre épaisse le tissu ! Un temps indéfini passe pendant lequel j’observe… et tout à coup cesse le mouvement de lévitation du drap, un jeune chat noir surgit de dessous, saute près de moi toutes griffes dehors par l’une des ouvertures ménagées dans la pierre et part en quelques bonds rapides rejoindre l’extérieur !

Remis de ma surprise, je retraverse la mosquée, puis revenu au grand jour je termine mon inspection des lieux par la visite du petit cimetière situé sur une esplanade à l’extérieur, un large espace d’herbe rase grillée par le soleil, entouré d’un long muret bas de pierres, où reposent seulement deux ou trois tombes en ruine. Je ressors ensuite par la grille principale, et rencontre plusieurs bénévoles de la mosquée qui apportent des récipients remplis de croquettes, encerclés par la meute impatiente des chats qui les suivent, c’est l’heure de leur déjeuner ! Je m’arrête un moment à ce spectacle des chats qui se pressent confiants autour d’eux et leur font fête et m’émerveille de cette compassion naturelle des hommes de foi pour les bêtes.

Une longue marche m’attendait encore pour le retour en ville…

° mimbar : sorte d’escalier ou de chaire surélevée d'où l’imam fait son sermon lors de la prière du vendredi dans une mosquée.
°° Lâ Ilâha Illa Allah, Muhammad Rasûl Allah : profession de foi islamique : Il n’y a de Dieu que Dieu, Mohamed est son prophète.
°°° mhirab : niche architecturale pratiquée dans le mur d'une mosquée pour indiquer la qibla, c'est-à-dire la direction de la Kaaba à La Mecque vers où se tournent les fidèles pendant la prière.

[Cendres]

Merci pour ton texte.

Comme pour ton  texte précèdent, tu nous décris un lieu et les émotions que tu as ressentis. On voit ton amour pour les chats vu que tu te souviens bien d'eux et de ce qu'ils faisaient.

C'est un récit de voyage descriptif. Tu mets en parallèle deux bâtiments cultuels et ce que tu as ressentis lors de ta visite.

[Michael Sherwood]

Hello Cendres,

Merci pour ta lecture attentive.
Il n'y a en effet pas grand chose à ajouter à ton résumé  !

Bon weekend...

[Dot Quote]

yoyo Michael,

j'ai promené avec toi dans ce que tu dis être une description, avec pourtant l'impression qu'il s'y passe de légères actions, pas vraiment des événements trépidant de péripéties, mais oui, un peu comme une balade contemplative, curieuse de l'environnement, son histoire, son contexte...

une petite question m'est venue pour gloser, entre le mauvais œil du pantalon et le chat dans la tombe, je me disais qu'il n'y a que l'humain pour se figurer des actions profanatoires, est-ce dû à son âme consciente de la méta ?! si le chat ne risque rien à pénétrer le lieu sacré et si ton personnage serait maudit par un tel acte, alors je me demande ce qu'il vaut mieux être, innocent chat ou humain salissable...

je n'ai pas vu d'autre faute que celle-ci que je te souligne :
"Les volutes d’encens qui noyaient l’ensemble sous un épais brouillard finirent par me chasser de ces lieux oppressants."
et puis ce doute à propos de la majuscule suivant le deux-points :
"L’endroit est solennel : Imaginez une sombre pièce caverneuse, avec une piè"

agréable dépaysement qui se lit fluidement pour moi ; merci

cordialement
=)

[Michael Sherwood]

une petite question m'est venue pour gloser, entre le mauvais œil du pantalon et le chat dans la tombe, je me disais qu'il n'y a que l'humain pour se figurer des actions profanatoires, est-ce dû à son âme consciente de la méta ?! si le chat ne risque rien à pénétrer le lieu sacré et si ton personnage serait maudit par un tel acte, alors je me demande ce qu'il vaut mieux être, innocent chat ou humain salissable...

Sans aucun doute innocent chat  ! (mon choix - en cas d'improbable réincarnation...)
Merci pour ta lecture bienveillante.
J'ai corrigé les fautes 

[Stevius A]

Bonjour Michael,

Je te propose un petit relevé de coquilles pour ton histoire :

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

[Michael Sherwood]

Merci beaucoup Stevius A,

Pour ta lecture attentive et correction des fautes.
J'ai corrigé les fautes les plus criantes, mais suis resté résistant aux appels des virgules 

2 points malgré tout où je n'ai pas suivi tes suggestions :

"J'avais certes quelque appréhension" = J'avais une certaine appréhension. (Je conserve le singulier.)

"Je décidai donc un matin..." = le "donc" est une façon de couper court à la digression sur les oiseaux, comme si je mettais cette phrase entre parenthèses, pour suivre la suggestion de cette personne de visiter le lac. Il n'y a pas d'opposition avec le contenu de la phrase précédente.

Bye  !