Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

05 décembre 2023 à 07:32:43
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Le monologue de Frantz S.

Auteur Sujet: Le monologue de Frantz S.  (Lu 231 fois)

Hors ligne LOF

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Le monologue de Frantz S.
« le: 09 novembre 2023 à 15:44:03 »
                                                         Le monologue de Frantz S.

C’est Josef Huber qui m’a ramassé dans la rue tard dans la nuit, je racontais des bêtises, plusieurs fois j’ai prononcé le nom de Theresa, une femme qui s’est mariée à un gros cochon de boulanger, si Josef ne m’avait pas ramassé je me serais jeté dans le fleuve,

maintenant je loge chez Josef près de la Stubentor, c’est une ancienne porte qui conduit au cimetière Saint-Marx, pour les funérailles de Mozart le cortège s’était arrêté à la porte, chez Josef Huber je suis bien, mais demain je dois repartir chez le comte pour donner des cours à sa fille à deux cents kilomètres de Vienne, j’ai un permis de voyage de la police et le comte me paie cent florins par mois,

ça m’agace car sa fille est très jolie et je ne peux lui donner mes cours tranquillement comme je le devrais, je lui ai composé une fantaisie pour piano à quatre mains en fa mineur, et quand nous sommes assis l’un à côté de l’autre devant le clavier nos mains ne doivent pas se frôler, sinon cela ferait dévier la musique, ma musique que Caroline aime beaucoup, et aussi son père le comte Eserhazi,

dans son grand palais à Zseliz, il y a aussi Pepi, c’est une femme de chambre, je parle beaucoup avec elle, je crois qu’elle apprécie également de parler avec moi, elle est jeune et d’origine hongroise, Pepi Poekelhofer, mais je l’appelle Pepi, cela me suffit, toutefois quand j’assiste aux Schubertiades chez mon ami Josef von Spaun, au-dessus du piano il y a un portrait de Caroline, comme si elle me poursuivait toujours, même à Vienne aux Schubertiades, elle pose son regard de braise sur moi, ce n’est pas celui de Pepi bien sûr, parce que pour elle personne n’a voulu faire son portrait, j’ai bien demandé à mon ami peintre Schwind, il m’a répondu que c’était plus intéressant pour lui de peindre une comtesse plutôt qu’une femme de chambre,

sans parler de Sophie Müller, une tragédienne au Burgteater, elle a une maison de campagne à Hietzing où elle nous invite souvent, elle chante mes lieder et nous déclame des belles tirades de Roméo et Juliette, tout ça pour dire que Theresa peut bien épouser son gros bonhomme de boulanger, ça ne me fait pas plus de peine que de voir une bande de macaques se disputer un régime de bananes,

et Josef Huber exagère quand il dit que devant la taverne cette nuit dans la rue je chantais des vieilles chansons des bords du Rhin, genre La Lorelei, vu que le Rhin c’est la région de naissance de Metternich, et que Metternich et sa police sont venus un matin arrêter en plein sommeil mon ami Johann Senn qu’ils ont tabassé et nous avec, ils ont jeté Johann en prison pour le déporter ensuite dans le Tyrol, Metternich aussi a empêché que je me marie avec Theresa parce que je n’avais pas le sous pour constituer une dot, alors Josef comment peux-tu dire que je chantais une chanson du Rhin, ce triste pays de Metternich,

ce n’était pas non plus une chanson paillarde parce que je n’en connais aucune, tu ne comprends pas mes paroles Josef, tu ne comprends pas ma douleur Josef, c’est inutile, tu as raison, je suis là assis sur ton sofa napoléonien, je parie que tu l'as chipé à Napoléon pendant qu’il sillonnait nos campagnes, il y a de quoi être fier de poser ses fesses dans un canapé de l’empereur,

mais moi aussi j’ai mon Napoléon de la musique, je le croise souvent vers la Karlsplatz, il marche tête baissée coiffé d’un chapeau haut de forme à bord étroit, sa redingote est crasseuse, son pantalon effiloché, je le suis jusqu’à ce qu’il s’arrête brusquement, il sort de sa poche un gros carnet auquel est attaché un crayon, il note quelque chose qui ressemble à des notes de musique, comme j’aimerais voir ces notes de musique, brouillonnes, jetées là sur le papier au hasard, sans portée ni clé, plusieurs fois nos regards se sont croisés mais jamais il ne me voit, sauf que moi j’entends sa musique tout le temps et lui aussi il connaît la mienne, même qu’un jour il aurait dit il y a une étincelle divine dans ce que j’écris, alors que ma musique n’est que l’imitation déguisée de ce qu’il fait,

maintenant il n’est plus, à son enterrement j’étais l’un des trente-six porte-flambeaux, dans mon âme j’aurai dû être le premier, mais le soir nous sommes allés boire des bières et nous avons porté un toast à la mémoire du surhomme, mon Napoléon de la musique, tout ça est un peu grotesque, lui il ressemble à un ciel d’orage tandis que je ne suis que la branche où chante le loriot, que faire, comment écrire encore de la musique après lui,

oh, mais je me rappelle que je dois composer un quatuor vocal promis à des camarades, je dois vite trouver un poème, une ode ou même une chanson à boire, ça pourrait faire l’affaire, je vais vite l’écrire, on dit que j’ai une belle écriture de maître d’école, c’est vrai que mon père était instituteur et que mon père avait dit tu seras instituteur mon fils, alors je me suis sauvé, je suis devenu un wanderer, partout un wanderer, on m’appelle aussi l’Eponge à cause de mes qualités de buveur, et aussi le Champignon à cause de ma petite taille, mais jamais on m’appelle le Fou, ça c’était réservé au surhomme qui marchait dans la rue en gesticulant comme un fou, moi c’est le Champignon, le Champignon, un champignon amoureux de la comtesse Esterhazi, on marche sur un champignon ou on l’écrase par erreur, suis-je un Bolet de Satan ou l’Amanite-tue-mouches, je n’ai pas la beauté ni l’élégance d’une Girolle,

Josef où est-tu, tu m’as oublié sur ton canapé Napoléon, Josef Huber c’est un ami de Josef von Spaun, mais beaucoup moins  fortuné que lui, tous les deux comptent pour moi, j’ai connu Spaun avant Huber, j’ai connu Spaun au séminaire quand j’avais douze ans, Huber m’a connu seulement après que je connaisse Spaun, Spaun m’a payé du papier pour écrire ma musique, Spaun a envoyé mes chansons au grand écrivain Goethe, mais Goethe n’a jamais daigné me répondre, Spaun m’a présenté à Vogl qui a bien voulu chanter tous mes lieder, Spaun ma présenté à Mayrhofer et j’ai mis en musique les poèmes de Maryrhofer, Spaun m’a fait connaître Schober, lui me faisait rire beaucoup, et puis Spaun a reçu le titre de baron Josef Freiherr von Spaun,

mais Huber, Josef Huber, lui, il m’a ramassé dans la rue parce que l’Eponge a bu trop de bière et que le Champignon est trop laid devant les femmes qui préfèrent épouser des boulangers, Huber ne m’abandonne pas sur ton canapé, il fait froid, je sens l’hiver en moi, la neige, les chemins, le vent qui fait tourner les girouettes, les fleurs sont mortes et dans l’écorce des tilleuls je grave des souvenirs douloureux, dans l’eau du fleuve coule mon image, les corbeaux sur les maisons font tomber des grêlons sur mon chapeau, je voudrais tellement regarder en arrière, le givre a soupoudré mes cheveux et fait de moi le visage d’un vieux, seuls les corbeaux m’accompagnent, sur mon passage les chiens aboient, leurs chaînes cliquettent, je suis arrivé au bout de tous les rêves, ce n’est rien d’autre que l’hiver Josef, un poteau indicateur m’indique le chemin de la ville, mais je dois suivre ma route d’où encore personne n’est revenu, je vois trois soleils dans le ciel, le troisième seulement m’abuse, je serai mieux dans le noir, sur les hauteurs derrière le village, il y a un joueur de vielle, ses doigts sont transis, il joue ce qu’il peut, personne n’a envie de l’écouter, personne ne le regarde, les chiens grognent, le vieil homme tourne sa manivelle, indifférent à tout, merveilleux vieil homme, devrais-je partir avec toi, veux-tu pour mes chansons tourner encore ta vielle ?
« Modifié: 09 novembre 2023 à 19:32:52 par LOF »
Lof

Hors ligne LOF

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Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #1 le: 11 novembre 2023 à 18:06:22 »
 
 Le monologue de Frantz S. ne trouve pas écho.
 Solitaire dans le désert.
Lof

Hors ligne jonathan

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Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #2 le: 11 novembre 2023 à 18:32:09 »
Citer
Solitaire dans le désert.
Mais bon sang, mais c'est... bien sûr Saint Jean Baptiste  :D :D
Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur... [Pierre Augustin Caron de Beaumarchais]
Le silence est l'expression la plus parfaite du mépris... [G.B. Shaw]
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Hors ligne Cendres

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Re : Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #3 le: 11 novembre 2023 à 19:07:51 »
Merci pour ton texte

Le monologue de Frantz S. ne trouve pas écho.
 Solitaire dans le désert.
Ca reste un monologue comme ca ^^

Ceux sont les pensées de ton héros et il nous raconte sa vie, dont il est déçu. Je ne sais pas trop quoi te dire sur ton texte. Ca se passe dans un époque ancienne que personne n'a connu.
Je n'ai pas compris pourquoi on le voit comme un champignon? Il a une grosse tête en soucoupe ton héros  :P ? Les gens petits on ne surnomme par ainsi.

Hors ligne LOF

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Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #4 le: 11 novembre 2023 à 19:17:14 »
 
 Merci Cendres pour ton commentaire.
 C'est tout simplement la vie du grand musicien Frantz Schubert.
 Tous les détails sont véridiques.
 On le surnommait le Champignon, parce qu'on le trouvait "laid" et petit comme un champignon...
 C'était au 19ème siècle en Autriche.
 Mes deux textes précédents sont sur la bio de ce même personnage. 
Lof

Hors ligne Cendres

  • Palimpseste Astral
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Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #5 le: 11 novembre 2023 à 19:25:20 »
Je ne savais pas que c'était par rapport à cette personne. Tu as fait un grand travail de recherche pour ton texte, et tes précédents alors ;)

Ceci dit, je ne comprends pas pourquoi on comparait une personne jugée comme laide à un champignon. C'est comme un arbre, c'est ni beau ni moche, et ça peut être mignon en fonction de la représentation.


*J'ai vu mes fautes, donc j'ai corrigé. D'où la modification
« Modifié: 12 novembre 2023 à 10:00:07 par Cendres »

Hors ligne Choumi

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Re : Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #6 le: 11 novembre 2023 à 19:46:06 »
C'est tout simplement la vie du grand musicien Frantz Schubert.
Bonjour
Pour le coup, je sais pas pourquoi, j’avais pensais à lui
Mais n’ayant aucune connaissance sur le sujet je n’ai pas compris grand chose au texte
et n’ai pas voulu être à la tête des commentaires
Du coup je l’ai relu et j’ai appris un peu d’histoire sur un grand compositeur
D’où l’utilité d’un forum comme celui-ci
Merci
Amicalement
Michel

Hors ligne Michael Sherwood

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Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #7 le: 12 novembre 2023 à 06:59:01 »
Hello LOF,

Je comprends ta détresse !
Tu as passé des heures, des jours, à faire des recherches sur ton sujet, à peaufiner ton texte, et puis voilà, personne ne le lit, personne ne le commente. Désert - rien - solitude...
C'est là l'un des mystères, ou secrets, de ce forum : il faut que le sujet intéresse le lecteur lambda  :( !

Je me prends en exemple (à ne pas reproduire) :
Je lis les premières lignes du "monologue de Frantz S."
Je me dis "mierda ! Encore un texte sur Schubert (c'est le 3ème)"
Et puis voilà, terminée ma lecture.
Car Schubert, je n'en ai rien à f... faire.
Ah, si c'était la vie de Bob Marley par exemple, je dirais YES, ça m'intéresse, je vais le lire en vitesse.
Mais Schubert. Voilà longtemps que je l'ai rangé au placard des vieilles lunes.
Chopin, à la rigueur. A cause de ses amours avec George Sand. Je me dis que j'apprendrais des choses intéressantes, croustillantes...
Mais Schubert, faut pas pousser grand-mère  :o !

Donc, avant tout savoir mesurer son auditoire, ou plutôt son lectorat.
Je sais souvent d'avance quand je propose un texte s'il aura ou non des retours.
Exemple sur mon dernier texte : j'ai accumulé les handicaps :
1. descriptif, pas d'intrigue : ça ennuie !
2. se passe à Chypre : personne ne connaît (un peu comme moi l'Autriche) !!
3. décrit une mosquée et un mausolée : ça intéresse encore moins !!!
Mais je me suis fait plaisir en écrivant mon texte, comme sans doute toi LOF, tu t'es fait plaisir en écrivant sur Schubert, car il fait partie de tes centres d'intérêt.

Voilà : le secret du succès révélé  8) !

 
It's not because you're paranoid that they aren't after you.

Hors ligne Choumi

  • Calliopéen
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Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #8 le: 12 novembre 2023 à 10:13:49 »
Bonjour
Voilà Michael Sherwood une réflexion qui mérite à elle seule sa place dans les textes courts
Je ne sais pas si ça consolera Lof mais nous en sommes tous là quoi que puisse être l’importance de nos actions et activités
Je ne joue pas la langue de bois en disant que le texte m’a intéressé quand j’ai su de qui il parlait et j’ai trouvé la biographie intéressante
Ceci dit je l’ai lu en première lecture sur l’appel de Lof
Bon je retourne à mes écrits qui, je le pressents, auront cette fois ci un certain succès
Sinon comme le dit Renaud : Ma chanson ne leur a pas plus je la remet dans ma culotte, n’en parlant plus
À vous lire toutes et tous
Michel


Hors ligne LOF

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Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #9 le: 12 novembre 2023 à 10:25:00 »
 Oui, Michael, tu dis juste.
 Mais alors comment concilier des thèmes qui nous intéressent, nous motivent, avec l'attente des lecteurs sur le site ?
 Car évidemment nous aimons être lus et commentés. Le besoin d'écrire répond à un appel profond, existentiel souvent.
 Il est difficile d'écrire pour plaire, se soumettre au formatage du moment.
 Moi aussi parfois je sais ce qui va marcher (mais pas toujours).
 La satisfaction vient aussi d'avoir été jusqu'au bout d'une envie. Sans démagogie ni flatterie.
 Explorer nos limites, est un enjeu de l'écriture. 
 Quant au "succès" que tu évoques s'il résulte d'un texte écrit pour que ça marche, ce succès est très minorisé...
 Merci Choumi pour ton commentaire arrivé pendant que j'écrivais le mien.
« Modifié: 12 novembre 2023 à 10:41:36 par LOF »
Lof

Hors ligne Michael Sherwood

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Re : Re : Le monologue de Frantz S.
« Réponse #10 le: 12 novembre 2023 à 11:15:29 »
La satisfaction vient aussi d'avoir été jusqu'au bout d'une envie. Sans démagogie ni flatterie.
 Explorer nos limites, est un enjeu de l'écriture. 
 Quant au "succès" que tu évoques s'il résulte d'un texte écrit pour que ça marche, ce succès est très minorisé...

Tout à fait d'accord avec toi, LOF sur ces points.
Perso, j'écris d'abord pour satisfaire un besoin d'écrire, pas pour que "ça marche". Il y a aussi des choses que je ne publie pas pour différentes raisons (trop personnel, ou trop polémique).
Mais quand j'ai des retours sur un texte avec des commentaires et/ou des corrections, je suis content, car si on publie un texte, c'est dans l'espoir d'être lu  :o ?

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