Pour Rimbaud, la femme est semblable à une messagère de l’infini, parée de sa beauté, et dont la mission est d’élever l’âme humaine de la prison terrestre à la clarté du jour.
C’est ainsi que je veux voir J.
Je désire de toute mon âme parvenir à la considérer non plus comme un être dont je serais épris mais comme une muse inaccessible, siégeant au Parnasse : Une muse équivoque, équanime dans sa part inatteignable, au-delà de tout défaut, sans souillure ni avilissement matériel terrestre, mais tout à la fois accessible et bienveillante en tant qu’amie et confidente.
J’ai pensé à elle comme à ma « Dulcinée du Toboso », moi pauvre Don Quichotte, pétri d’amour courtois moyenâgeux, imprégné des déboires de Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir ; m’imaginant à la conquête de la belle Mathilde, figure inaccessible de l’aristocratie. J. ressemblerait d’ailleurs bien davantage à Madame de Rênal, douce, modeste et sage. Prenant courage afin de lui remettre la lettre que je lui ai remise, je me souvins de Julien Sorel se jurant que s’il ne prenait la main de Madame de Rênal dans la sienne avant minuit, il monterait dans sa chambre se brûler la cervelle ! Image romanesque et romantique s’il en est !
J. doit être au-delà de tout cela…
Elle est l’élégance même. Je suis parvenu à discerner la fragilité de son cœur, qu’elle a alors protégé de sa pâleur. J’ai senti poindre la colère sous sa douceur si touchante. Son âme est à fleur de peau. Son charme en est exacerbé. Elle est capable de souffrir énormément, cela se ressent. Sa sensibilité est telle que la souffrance qu’elle pourrait me provoquer sans l’avoir voulue la rendrait malade. Elle est délicatesse et indulgence. Elle est inspiration.
La colère dont elle pourrait être capable serait sans doute feinte, volontairement ou non, dans un but de protection mutuelle.
Comment ! Moi pauvre fou ! Je pourrais être cause de sa souffrance ? Comment pourrais-je l’assumer ?
Je la pense également forte : dans son petit corps de femme plein de noblesse et dont le port est sans pareil, existe une puissance intérieure insoupçonnée et belle…
« Je est un autre » : Cet aphorisme de Rimbaud, ce poète qui m’inspire tant, qu’il écrit dans une lettre à son ami Demeny le 15 mai 1871, parmi d’autres fulgurances, et de laquelle bien des érudits ont tenté de faire l’exégèse, reflète mon état d’esprit actuel. Je ne me reconnais plus. Quel est donc cet autre qui parle en moi, et dont toute l’énergie semble se prolonger en une direction unique ?
Ces vers me sont venus :
De tréfonds en tréfonds et plus au fond encor,
Je me noie en une eau si huileuse et si noire ;
Rhumatisant mon cœur, brutalisant mon corps,
Le désespoir me serre en sa robe de moire…