Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

05 décembre 2023 à 13:19:22
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Auteur Sujet: Le Voyage  (Lu 414 fois)

Hors ligne Sylph

  • Plumelette
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Le Voyage
« le: 29 septembre 2023 à 17:48:41 »
Bonjour à tous,

Je m'improvise nouvellement auteur de nouvelle du dimanche.  Ayant cruellement besoin de retours et d'avis je le confies a vos yeux avisés.
Quelques uns de vos avis feront certainement écho a des réflexions que je me suis déjà faites. Ou peut être mettrez vous de nouvelles choses en lumière.
C'est non sans anxiété que je vous la soumets ci dessous.
(Oui, j'ai dit "nouvelle" 3 fois.)

Cordialement !


Le Voyage


                   Dans la pâleur de la nuit se cachait patiemment l'allégresse du renouveau, bercé par la croissance de la lune balançante.
Comme au creux de la main de l'oubli, une douce caresse de l’inexorable.
Et au-delà… l'insondable du néant.





Il est des histoires que l'on se raconte au coin du feu, ces soirs de campement sauvage. Espérant chasser l'ennui par quelques récits pittoresques visant à extirper divers tressaillements ou gloussements d'étonnement des auditeurs les plus frêles et les plus naïfs. Un divertissement enfantin que l'on se plaît à perpétuer.

Mais il est d'autres histoires que l'on se doit de taire. D'autres contes grondant, condamnés au silence car le fil nous en coudrai les lèvres. Dont la courbe même des mots trancherait le voile immatériel qui sépare le réel de l’inconcevable.
Des hymnes glaçants de hardis voyageurs qui se sont perdus trop loin. Dont la silhouette s'est dissoute dans la ligne de l'horizon.


- I -

J'ai toujours voulu voyager.
Envieux du courage d’autres qui avaient sauté le pas, je restais bloqué, ancré par la cheville à cette ville de province qui m’avait vu naître.
Mais je rêvais de grandeur.
Comme nous tous j'imagine, dès notre plus jeune âge nous nous voyons sauveurs, héros ou visionnaires. Appelés à marquer au fer rouge l'histoire des Hommes par des exploits admirables. Nous voudrions être des gros poissons dans une petite mare.
Mais le temps, à renfort de sagesse et de désillusion, nous apprend qu'il est puérile de nourrir de telles aspirations. Et qu’une vie apaisée n'est pas plus mal.

Et bien qu’accablé par l’inaction, je rêvais de voyage, modestes ou grandioses. De me perdre moi et cette vérité dans l'inconnu du grand large. Plus de passé dans ce mouvement constant vers l'aventure.
A y songer maintenant, j'aurais rêvé d'une vie paisible et anodine.

Loin d'un génie excentrique, j'avoue n'avoir été qu'un astucieux marginal tout au plus. A la manière d'une touche de couleur en trop sur l’oeuvre d'un artiste naissant, balbutiant ses premières toiles. Une teinte superflue et dérangeante qui ne semble pas avoir sa place.

Il n'en a pas toujours été ainsi, pendant un temps paraître en société et en manier les usages et les jeux m'était naturel.
J'étais de ces joyeux passereaux vaquant nonchalamment de gens à d’autres, de conversations en réjouissances. Léger et insouciant.
Mais les vicissitudes de la vie me parurent peu à peu comme nimbées d'un superficiel qui ne m'inspirait qu'un sentiment diffu de futilité.
Si bien qu'un ennui morne me poussait de débauches en débauches aussi variées que diverses. Incapable de détterrer de sensations ailleurs ou par d’autres moyens, ne sachant peut etre plus faire autrement, ou ayant renoncé a trouver d’autres alternatives pour souffler sur ces braises de vivacité qui s’étouffaient.
Et les années passant, je me sentais me perdre.

Il y eu des moment lors de ces nuits de fêtes où j'ai souvenir que mon regard était happé par quelque chose. Un nuage glissant sur la pâleur du ciel. Un renfoncement étriqué dans un coin de la pièce, par un reflet sur un mobile ou une étincelle crachée par un briquet.
Et quelquefois, fixant simplement dans le vide, dans une ombre. Ayant l’air de discerner une présence, juchée derrière l'épaule d'un ami.

C'était comme un appel, une voix qui me tirait vigoureusement et inexorablement vers elle. Peu importe la conversation, fis de l'interlocuteur ou de la pagaille d'une rixe sur un air endiablé. J'étais aspiré, exalté. Enlevé à ces moments de tous les jours comme par une invitation irrévocable ou une impulsion délibérée.
À la manière d'un limier à l'arrêt, à qui on aurait fermement tiré sur la laisse.

Je le sais maintenant.
J'étais captivé comme une biche surprise sur l’autoroute, aveuglée par la lumière des phares. Ne voyant pas le semi-remorque qui se rapproche à pleine vitesse.

J'étais absorbée par ces voix sifflant dans la brise. Caressant mon âme en un murmure cristallin, qui, à la manière d'une fissure courant sur une fine couche de glace, gravait peu à peu les contours détraqués de ce qui jadis était mon esprit.

Si j’avais pû le voir venir. Là, debout depuis le point fixe juché dans l'ombre par-dessus une épaule familière, cette silhouette ou ou se plantait mon regard. J’aurais dû apercevoir le pare-chocs derrière les phares.

Mais quel bonheur a l’insouciance…
Petit déjà je n'avais rien d'un dormeur paisible, nombreuses sont les fois où j'avais éprouvé la patience de mes proches à renfort de hurlement horrifiés dans la nuit.
Mais je n'y voyais pas une parodie de l'archétype de l'enfant effrayant sorti tout droit des films à frissons d'hollywood. J'étais comme tout un chacun, bien plus posé et docile que d’autres à mon âge, insouciant parfois capricieux et puérile. Un enfant heureux bien qu’esclave des fantaisies perverses de son subconscient, plein d’imagination, en proie aux rêveries et la tête dans les nuages. Un enfant, en somme.

Au fil du temps mes rêves de jeunesse, fantasmes de capes et d'épées et de pays féeriques se turent. Et les sciences et leurs concepts firent de moi un homme profondément cartésien. Même si les concepts ésotériques et occultes auxquels je m'étais initié dans mon adolescence restaient l'objet de fascination et demeuraient vivaces dans quelques réflexions.
La simple considération de lois et de forces inconnues impalpable et nous dépassant restait terriblement séduisante.
Toutes connaissances étaient alors bonnes à prendre et ma curiosité naturelle ainsi que l’esprit critique d’adulte que j’eus développé avec l'âge firent de moi un touche à tout.

Mais rien de toutes ces choses ne m'aurait préparé aux événements qui suivirent.
 
Oh, comme je tremble à la simple pensée d'y apposer des mots. Je ne sais si ma main restera sûre et ne laissera pas ma mine lui échapper tandis que je grelotte vigoureusement de peur. Si bien que je jurerais que tous les vents de l’hiver s'engouffrent dans mon salon et à travers les murs.

Je devins alors un individu bien désorienté, éreinté par l’insipidité des choses mondaines, de ces moments fugaces auxquels je m’enlevais. Éloigné du monde de par moi même et des problématiques qui s’imposaient naturellement à moi. Tout un univers semblait me séparer du reste du monde et de ses carcans. Avançant en perdition, et ne sachant de quelle façon employer mes efforts afin de bâtir ma vie et mon avenir. Balloter de désillusions en désillusions. J'avais cédé aux plus bas excès que l'humain à pu concevoir.
Psychotropes variés, liqueurs en tout genre et bassesses animales avaient peu à peu malmené l'humain que j'étais. Je me perdais, ou plutôt je cherchais à me perdre.

Il me plaisait de m'acoquiner à des groupuscules aux croyances des plus saugrenues et de parfaire mes connaissances les plus singulières au travers de long échanges entre illuminés, glanant les récits de légendes, m’amusant à troquer de sordides manuscrits contre d'autres. Trompant mon ennui de tant de récurrences aussi passionnantes que dérisoires, m'abreuvant de rites trouvés au cœur d'ouvrages occultes et de pseudo grimoires arcaniques. Peut-être était-il là, ce feu nouveau qui ne demandait qu’à se nourrir de forêts de pages, pour brûler comme d’antan

Le temps faisant nous fûmes plusieurs à réaliser que nous partagions ce goût du dérangeant et cette soif d'expériences incongrues.

 Ainsi quelques uns d'entre nous entreprîmes de croiser les bribes les plus pertinentes de ces savoirs et de nous consacrer à leurs pratiques. Le ton général était récréatif, nonchalant. Même si quelquefois je croyais voir poindre dans le regard de certains de nos compères, un éclat inquiétant.

De séances de spiritisme, arts transfiguratoires, aux cercles de méditations en passant par des rites druidiques, progressivement, plus rien n'était sujet au ridicule lors de nos réunions. Le badinage avait laissé place au passionnel. Les gens allaient et venaient avant qu'un noyau d'habitués finisse par se former. Si bien qu'au bout d'un moment il en constitua les seuls membres.

Ce petit club restreint dès sa formations avait été la cible des railleries d’autrui. Nous étions les marginaux parmi les marginaux. Supportant les regards et égards changeant de nos pairs, telle la croix que nous nous étions condamnés à porter, pour payer le prix de notre excentricité commune.

Plus le temps passait, plus tout cela nous semblait normal.
A mesure que j'essayais d'accroître mon entendement du monde par la conjugaison de toutes ces sagesses et par des questionnements dérangeant ou contraire à la bien-pensance, j'étais aveuglé par les phares masquant le pare-choc. Alors que je croyais percevoir avec davantage de netteté ce qui se cachait derrière cette lumière.

 
Quelle insouciance.

Je me donnais des airs de nouveau Crowley ou Rasputin...Mais que nous sommes petits.
Que tout ceci est vain. J'en venais à mieux entendre Pascal qui nous parle de divertissement, ce n'était qu'un club, un passe temps futile qui n'avait de saveur que son atypicité.

Je le savais. Avec une lucidité atterrante. Mais je taisais ces voix. Voulant faire perdurer ce semblant d’escapade.

Au soir d'une autre réunion qui ne m'avait laissé qu'une fade et amère sensation d'inconsistance et de ridicule, je prenais le chemin du retour. Écouteurs dans les oreilles, a un volume élevé comme toujours. Calfeutré dans ma veste et le bruit assourdissant de la musique. Isolé, dans ce monde qui m'est propre.

Au fur et à mesure que je progressais dans le chemin boisé, les lueurs du feu de camp que je laissais derrière moi s'amoindrissaient, de même que les bruits parasites de mes comparses s'évanouissaient dans le lointain. Avalés par les lignes de basses d'un de mes morceaux favoris. Tendant la main pour effleurer les feuillages sur mon chemin.

Le regard fixe, j'avançais un pas après l'autre, chacun de mes pas battant la mesure. Jusqu'au moment où le son grésilla. Encore un effort de la batterie des écouteurs ...puis ne restait que le rythme de mes pas, et la mélopée de ma respiration.
Seul avec moi-même, livré au silence assourdissant de mes pensées. Je continuais ainsi un moment, dans l'ombre des arbres et la faible lueur d'un croissant de lune. Puis j'entendis comme un canon dans la cadence de mes pas.
Avec qui donc, je marche ici à l'unisson ?
Un comparse qui emprunte le même chemin ?
Je me retournais pour en avoir le cœur net.

Personne.

J'ai dû rêver, je ne devrais peut-être pas écouter la musique si fort. Ce sont mes tympans fatigués qui doivent me jouer des tours.
Je me retournais, et constatais avoir perdu le sentier. “Je le retrouverais plus en avant, je connais bien ces bois après tout” me dis-je en reprenant la marche.

Puis, après quelques pas, un frisson naquit du sommet de ma nuque. Et descendit langoureusement le long de mon dos. Comme la douce étreinte menaçante d'un serpent se coulant vers sa proie. Je repris mon souffle et fit naître un nuage de buée blanche devant mes yeux.
"Faisait-il si frais il y a un instant ?"

Je crus que des mains saisissaient ma nuque tant la froideur de la bise paraissait habitée.
Et soudainement, à la manière d'une vieille amie que je ne connaissais que trop, la peur affaissa mes épaules. D'un poids aussi tangible que celui de la fatalité. et l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds.
J'eus pernicieusement le sentiment que le temps, et moi-même étions tous deux suspendus à ce même fil qui retient le couperet de la nuque du condamné.
C'est alors en un grondement sourd que le silence se brisa. A la manière d'un miroir qui se fragmente et promet le malheur.
J’arrachais impulsivement mes écouteurs de mes oreilles mais rien n’y fis.
Un filet chaud et rouge s'écoula de mon nez et caressa la commissure de mes lèvres, tandis que des visions de cordes tendues et de gibier alerte aux pupilles déployées se superposaient dans mon esprit.
C’est alors qu’une silhouette se dessina, immergeant depuis les ténèbres, erratique. Je n'oserais y associer le nom de l'homme, même pour la décrire tant elle m'évoque les plus abjectes chimères.
Tant l'effroi me possédais je n'eu pas la curiosité de la distinguer. Je voulais courir. Me perdre dans la ligne de l'horizon, partout, ailleurs, mais pas ici.

II -

C'est haletant et dans une course effrénée que je repris conscience, l'esprit embrumé. Prenant tout juste la peine de dégager les branches giflant mon visage à mon passage.
Sans souvenir de quand j'avais pris la fuite ni conscience d'où j'allais.
La voie droite était perdue, je chancelais de temps à autre dans les ronces et les crevasses qui parsemaient le bois. Pour me redresser aussitôt et reprendre ma cavalcade de dément.
C'est lorsque je tombais face contre terre une dernière fois que ma fuite s’achevais.

Quel ne fut mon soulagement en sentant ma joue et mes paumes au contact du bitume.
Ce touché familier, preuve irréfutable de civilisation m'apaisa autant que la douceur du baiser d'une mère.
C'est les mains tremblantes et balbutiant comme un nourrisson que j'eus la force de me relever. Tanguant sur le chemin de chez moi. Prenant soin de rester à la lumière des réverbères. Empruntant les rues les plus bondées, pourtant contraire à mes habitudes. Alerte au moindre détail. Le regard courant partout autour de moi.
Cherchant la moindre erre pour accompagner ma nuit jusqu'au lever du soleil.
Moite et grelottant dans le coin de ma couchette, partager entre ressasser les souvenirs de cette nuit et les exhorter, avant de tomber d'épuisement.
Dans ma détresse, ce n'est qu’enfin rassuré par l'aurore qui point que je pu trouver le sommeil.
J'y ai vu le gardien des songes que j'appelais de mes vœux. Espérant trouver repos et accalmie dans cette tempête.
Tout ceci n'était qu'un rêve après tout…
Faites que tout ceci ne soit qu'un rêve, qu’à mon réveil je sois gratifié d'une sensation d'oubli et de la certitude d'avoir fait un mauvais rêve.


-   III   -

Un ciel d'ocre et un désert de sable gris, chatoyant reflets d'argents d'une étoile de lait sur une mer de cendre.
Et tous, pareil aux lamentations d'un millier d'anges , ils chantaient sa gloire.
"Son trône est silence, son royaume invisible.
Il ordonne aux cieux et les vents s'exécutent.
Nuages et ombres se meuvent par sa parole
Il est la rage et l’ordre. Le haut et le bas.
Tous le louerons, chacun sa gloire chantera"

"Lui qui est sans être”
Hein ?

Ce fut un sommeil agité. J'ai déjà été plus reposé. Et je suis sûr de m'être entendu parler au réveil. Mon subconscient a été chamboulé cette nuit. C'est encore vaseux et l'esprit embrumé que je me lève pour traîner ma carcasse jusqu'à la salle de bain. J'enjambe les quelques vêtements et bricoles qui jonchent le sol, puis, laisse couler un filet d'eau pour me rafraîchir le visage. Face à mon reflet, je constate que je fais peur à voir. Les excès de cette nuit ne m'ont pas épargnés, "même la Joconde subit les outrages du temps". La fatigue et les substances de la veille expliquent la crise de panique qui a suivi. “Peut-être devrais-je lever le pied ?” Me dis-je. Je peine à prendre une profonde respiration sans tousser puis débute le ballet du quotidien, tant bien que mal. Chassant de tout mon possible les souvenirs embrumés de la veille. Tout ceci me monte à la tête, partagé entre y voir un ersatz de la preuve que j'avais renoncé à appeler de mes vœux et un événement symptomatique de causes bien rationnelles.
Dédramatisant intérieurement en commentant à haute voix mes actions, cherchant un réconfort dans ma propre voix ainsi qu'a tuer le silence qui ne me rassurait en rien.

Une fois apprêté, j'agrippe mon manteau tout juste dépoussiéré et passe timidement ma porte pour traverser ces rues si familières. Le prétexte étant de boire un café dans la brasserie du coin. La terrasse est agréable, et le temps ensoleillé contraste avec la monochromie habituelle de la région. En vérité, c'est la sérénité d’un rituel du quotidien, trouver sécurité dans un rituel familier après le tumulte de mon expérience d'hier qui me pousse à sortir. "Remonter en selle après la chute", j'imagine.

Saluant les badauds réguliers qu’il m’a déjà été donné de côtoyer, prenant place parmi eux sur une chaise, et regardant les cohortes fourmilières de la rue à leurs côtés. Voir les gens qui s'affairent et accourent de part et d'autre frénétiquement. Chacun courant après son objectif journalier, légions de poulets sans tête. Tant de lévriers pour autant de lièvres. Et parmi eux, quelques laissés pour compte vivant dans la rue pour faire la balance. Tant usés par la vie que mâchés et recrachés par elle. Assis par terre ou vagabondant de-ci de-là.
Usant d’énigmes ou de paroles sibyllines qu’ils s’adressent à eux mêmes ou qu’ils crient à la face du monde, comme une tentative désespérée pour que quelqu’un les entendent.
Tant de fulgurances, de paroles qui n’ont pas de sens si ce n’est pour eux. Ou bien en ont-elles mais nous y sommes hermétiques. Sourds et inaptes à l'entendement de leur vérité qui peut-être supplante la nôtre mais que nous ne pouvons appréhendée.

Si l’on s’élève par la souffrance, alors ils sont les sages parmi les sots.

Les mains tremblantes, je saisis une cigarette.
Avachi par le sentiment de vicissitude qui plane dans chacune de mes pensées parasites. Ou apeuré par la considération qu’elles ne soient pertinente.

Retrouvant peu à peu sérénité et atonie, j'expire profondément et porte une flamme à mes lèvres. N’admirant rien, une nouvelle fois.

Trève de futilité et de paroles creuse, ou pleine d’évidence. Ces quelques heures ont défilé a une vitesse folle.
J’abandonne ce qu’il me restait de monnaie sur la table, rassemble mes effets et reprends mon chemin.

Ma sieste de la journée m'a fait rater une grande partie de celle-ci. C’est ainsi que le soleil se couche déjà tandis que je m’éloigne du cœur de ville.
La lumière décroissant un peu plus après chaque rues dépassées tandis que des grondement éparses commencent à se faire entendre à mesure que des nuages épais s’amassent.

Légèrement vêtu et voulant rentrer au plus vite chez moi, je décide d'emprunter une artère étriquée afin d’échapper à la pluie qui vient de s'abattre avec vigueur.
À un tournant, je rencontre une silhouette adossée contre un mur sale.
Certainement un mendiant qui espère trouver un abri précaire à la pluie battante.
Alors que j’avance, je crois l’entendre murmurer, mais n’y prête pas attention.
Les tonnements se font de plus en plus nombreux et rapprochés, invitant des instants de plein jour à la pénombre.
Plus en avant, tandis que je dépasse le badaud, sa main robuste saisit mon bras.
“Il faut…il faut voir..” à ses mots, et tandis que nos regards se plantent l’un dans l’autre. La pluie cessa, et nul grondement ne se succéda aux éclats de lumière alors.
Je tire violemment mon bras afin d'échapper à son emprise.
“Son trône est dans le silence. reprend-t-il
- Lâche moi !”
Je récupère mon bras et commence à lui tourner le dos afin de m’en aller, quand il se jette sur moi et me plaque contre un mur, me saisissant à la gorge.
L’homme fait preuve d'une force insoupçonnée, malgré ce que laisse présager son gabarit. Poussant de tout mon possible sur ses épaules, je peine à me dégager.
Il continue à grommeler des choses inintelligibles, et alors que mes forces m'abandonnent, il saisit frénétiquement un objet de sa poche.
Un reflet argenté brillant enlève tout doute sur sa nature.
Alors qu’il approche la lame de mon visage je ne peux qu'à peine respirer, la trachée comprimée par la force qu'exerce sa main.
“Vois son Royaume, vois le…Tu dois le voir !”
Alors que ses intentions sont claires je me sens sur le point de défaillir.
Dans une dernière tentative désespérée, je lui assène un violent coup de pied à l'entrejambe qui le fait lâcher prise, suivi d’un autre à la tempe et commence à m'enfuir en dehors de la ruelle à toute allure. Et c'est alors que sa voix retentit:
“Hahaha, bientôt ils chanteront aussi. Ils verront. Soupire t-il alors que je m'éloigne
Vois…
A cette dernière parole dont je ne saurais décrire la voix qui les prononce, je stoppe soudainement ma course. Stupéfait alors que je réalise la réminiscence de ses mots tirés de mes souvenirs nébuleux. Puis me retourne vers l’homme encore au sol qui rit à gorge déployée, répétant sa comptine.
Alors, je devine une silhouette dans l’ombre de la ruelle derrière lui. Sombre et massive, elle me toise, tyrannique.
Je reste tétanisé et hébété. Babillant quelques sons et ne pouvant plus réfléchir tandis que le rire éclatant commence à se mêler à des chants de voix indénombrables et résonnantes, dans un crescendo tonitruant.
Mon agresseur se redresse sur ses genoux, toujours aux prises de sa folie alors qu’une large main d’une couleur ébène émerge de la pénombre pour se poser tendrement sur sa tête avant qu’il ne retourne la lame vers lui,
“Chantons sa gloire..” dit-il avant de se plonger à jamais dans les ténèbres.

Alors que la main voilée de ténèbres se relève de sa tête, je commence une foulée de tous les diables, creusant l'écart entre moi et l'horreur qui vient de naître dans ce dédale sordide.
Ne me préoccupant plus du meilleur itinéraire, je progresse à grandes enjambées. Tant haletant de par l'effort que de par le choc de la scène qui vient de se produire. Sans certitude de là où je vais. Les tournants et les allées se succédant à une vitesse folle. La saturation d'oxygène liée à la panique me rendant de moins en moins lucide et ternissant peu à peu les couleurs à mes yeux tandis que le refrain de l'homme semble me persécuter comme un air populaire à mes oreilles. Renforçant la terrible migraine qui venait de me saisir et qui martelait mes tempes. Je crois passer de couloirs a des chemins de forêts, avant de sentir mes pieds se poser lourdement et être avalés par un sol meuble.
Je baisse les yeux et réalise que je tiens debout dans du sable, gris et insidieux. J'essaie alors de m'extirper afin de reprendre ma route, regardant derrière moi je vois un horizon dégagé et vide de tout. Une mer de sable s'étendant à perte de vue alors que le chant de plus tôt semble s’être démultiplié, à revenir de plus en plus fort à mes oreilles.
Un pas après l'autre je progresse fournissant les mêmes efforts démesurés visant à m'extirper de cette horreur.
La fatigue prenant de plus en plus de terrain, la douleur me courant de façon plus concrète à travers les veines et les muscles. Lancinante et absolue, forçant ma capitulation.
Quel est cet endroit ? La conséquence d’une commotion suite à un mauvais coup ? Certainement au moment où le dément m'a projeté contre le mur. L'adrénaline s’est chargée de rendre le choc imperceptible. J’en ai la certitude à présent.
Voilà la cause de ma contemplation de ces montagnes hallucinées.
Je dois garder la tête froide, appeler les secours. Mais, alors que j’entreprend de rassembler mes effets, la déception est immédiate : plus rien. Ni moyen de communication ni portefeuille.
Perdus dans l’altercation ou bien pendant la course qui a suivi. Impossible de les retrouver. Me fier à mes yeux n’est désormais plus envisageable.
Si seulement je pouvais faire taire ces voix qui me harassent sans discontinuer.
J’avance sans savoir ou aller dans ce grand rien poussiéreux aux teintes monochromes.
Je ne sens même plus la pluie de plus tôt dans l’air ou sous mes pieds. Je dois trouver quelqu’un, n’importe qui pourrait m’épauler et me sortir de ce mauvais pas.
Je progresse alors, vociférant avec désespoir, dépossédé. La tête assaillie d’échos mortifères grondant dans mon crâne, allié à cette forte migraine qui ne cesse de me lancer, tandis qu’une sensation de picotements désagréable grandit dans mon dos, comme si mon esprit somatisait la peur d’être rattrapé. Je tourne la tête derrière mon épaule et c’est alors que le fourmillement s’empare du reste de mon corps, grouillant plus fort de mon buste à mes pieds. Apercevant subrepticement une silhouette macabre, sibylline, ténébreuse et me dominant.
La terreur, mordante et implacable telle la mâchoire d’un prédateur enserrant sa proie m’emplit et me terrasse, un bras menaçant s’étend vers moi et frôle mon cou. Dès lors je perds pied et m'effondre sur le dos pour constater que personne ne se tient derrière moi en réalité.
Moite et grelottant, je n'essaye pas de me relever. Comme un boxeur accusant le coup, je demeure ici, affalé sur le sol, contemplant le ciel bistre.
Exténué, je reprend progressivement mon souffle, le sang redescend et la douleur s’estompe, ma conscience aussi.
Je peine à rester alerte et la torpeur se fait plus grande, je ne perçoit presque plus les voix avec autant de vigueur. Elles sont maintenant une douce berceuse qui m'entraîne malgré mes vains efforts et je crois m’enfoncer dans ces sables accueillant. Puis, plus rien.


IV -

Une inspiration gutturale marque un violent retour à moi. La tête baignant dans l’eau stagnante de la rue, les yeux écarquillés et les pupilles déployées. Je reprends pieds à la façon d’un pantin désarticulé, sans mains qui tirent les ficelles. Sans aucun lien, je titube et chancelle. Une turbulente sensation d’inconfort m’anime. Trempé de la tête aux pieds, me voilà pris d’une violente quinte de toux que je ne peux réfréner.
Frappant le sol du poing tant l’effort devient insoutenable, tant et si bien qu’il semblerait que frustration et colère se mêle au sang de mes expectoration qui viennent perler sur mes mains et joindre l’écume de la rue, aussitôt emporté plus en bas de l’avenue par l’eau ruisselante des pavés.
Je parviens enfin à tenir sur mes jambes, me soutenant à la moindre prise à ma portée, reconnaissant l’endroit ou j’ai repris conscience, enfin. Rassemblant mes esprits, si ce n’est tentant d’y parvenir. Les lumières de la ville ont été coupées, et cette dernière semble s’être revêtue à merveille du manteau de la nuit, presque méconnaissable, ainsi parée de pénombre

C’est donc ici que ma cavalcade fantasmée m’a conduit. Aucun paysage de songes ni de ciel orangé, si ce n’est de chœurs suppliants.

Seulement la triste et douloureuse sensation de l’éveil et du sol humide escorté d’un atterrant tête à tête avec soi.
Je reprends la marche. Feulant plus que respirant, je suis désormais de ces erres que la rudesse de la vie polie de son souffle.
« Modifié: 01 octobre 2023 à 15:47:17 par Sylph »

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  • Modo
  • Calame Supersonique
  • Messages: 2 325
Re : Le Voyage
« Réponse #1 le: 30 septembre 2023 à 07:17:30 »
Bonjour,

les rubriques longs et mi longs sont assez peu fréquentées par les lecteurs, elles demandent un investissement plus important, donc, si tu souhaites avoir des échanges sur ton travail, il est utile de fréquenter les autres textes de ces rubriques, juste pour créer des liens.
Dans le cadre de cette entraide, voici un commentaire sur ton texte. Enigmatique, des clins d'oeil vers les débuts du fantastique. Effectivement, ton post est long, peut-être poster plus court mais avec une préparation un peu plus fouillée serait plus efficace pour que tes commentateurs se concentrent sur le fond.

A suivre des commentaires de ton texte jusqu'au III
B

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.
Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso ( sommaire des textes sur le forum) : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

blog d'écriture : https://terredegorve.blogspot.com/

Hors ligne Sylph

  • Plumelette
  • Messages: 6
Re : Le Voyage
« Réponse #2 le: 01 octobre 2023 à 15:28:27 »
Merci beaucoup pour ta réponse,

Quelques points auxquels je m'attendais mais je suis content d'avoir confirmation. Je ne caches pas ma honte à la vue de certaines fautes, j'aimerais accuser le correcteur automatique mais je ne peux pas tout lui mettre sur le dos ! Je me relirais plus attentivement à l'avenir.

Merci encore pour tes lumières et la rapidité de ton retour, je me suis déjà attelé à réviser tout ça !

Je vais lire les autres contributions et échanger avec les autres membres.

Hors ligne Basic

  • Modo
  • Calame Supersonique
  • Messages: 2 325
Re : Le Voyage
« Réponse #3 le: 01 octobre 2023 à 16:24:48 »
Bonjour,

pas de honte à avoir, peut-être te dire que relire une fois de plus ou faire relire avant de poster, pour permettre une lecture plus basée sur le fond... mais après, des coquilles, on en fait tous.

la suite.

B

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


Tout a déjà été raconté, alors recommençons.

Page perso ( sommaire des textes sur le forum) : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42205.0

blog d'écriture : https://terredegorve.blogspot.com/

Hors ligne Lilii

  • Tabellion
  • Messages: 39
Re : Le Voyage
« Réponse #4 le: 02 octobre 2023 à 15:30:36 »
Bonjour Sylph,
Merci pour cette nouvelle, c'était un plaisir !
Je n'ai pas grand chose à dire, comme Basic a déjà relevé beaucoup de choses  :mrgreen:

Comme nous tous j'imagine, dès notre plus jeune âge nous nous voyons sauveurs, héros ou visionnaires. Appelés à marquer au fer rouge l'histoire des Hommes par des exploits admirables. Nous voudrions être des gros poissons dans une petite mare.
Mais le temps, à renfort de sagesse et de désillusion, nous apprend qu'il est puérile de nourrir de telles aspirations. Et qu’une vie apaisée n'est pas plus mal.

Au fil du temps mes rêves de jeunesse, fantasmes de capes et d'épées et de pays féeriques se turent. Et les sciences et leurs concepts firent de moi un homme profondément cartésien.

Ces deux passages se ressemblent beaucoup, entre les deux, on a le suspens qui monte, puis qui retombe quand on évoque à nouveau l'enfance. Peut être faudrait-il rassembler ces deux passages. Après c'est peut être moi qui suis trop impatiente  :mrgreen:

Sinon je ne peux m'empêcher de noter la référence à Lovecraft, est ce que c'est ce qui t'a inspiré cette nouvelle ?

Au plaisir de lire prochainement un autre de tes écrits ;)

Hors ligne Sylph

  • Plumelette
  • Messages: 6
Re : Le Voyage
« Réponse #5 le: 06 octobre 2023 à 17:56:32 »
Bonjour Lilii,

Merci également pour ton retour, j'ai déjà bien rectifié les différents "couacs" relevés par Basic.  Je remplacerais le post original par cette version corrigée si cela vous intéresses.

Effectivement je suis d'accord avec toi, j'avais rédigé une version ou ces passages sont regroupés et je compare souvent les deux, ce serait plus clair et plus logique en termes de construction.
J'ai soumis cette version par caprice, voulant conservé l'espacement entre certains moment ou des métaphores se répondent d'une partie a l'autres. J'hésite encore à laisser tel quel ou de plutôt partir sur la "V2"...

Au sujet de la référence à Lovecraft qui ne fait pas dans la finesse : Oui en effet, je suis très féru d'horreur de manière générale et j'ai pas mal lu de lui ces dernières années.
En profane, je n'écrivais que de la prose, un peu de poésie, plus dans les tons du romantisme jusque là. C'est le style de Lovecraft qui m'as motivé a m'essayer a de l'horreur/fantastique. Un peu maladroitement, j'en conviens !

 


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