Le Monde de L'Écriture – Forum d'entraide littéraire

05 décembre 2023 à 12:36:37
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes mi-longs » M. Jacques - Jeanne moreau -

Auteur Sujet: M. Jacques - Jeanne moreau -  (Lu 1595 fois)

Hors ligne Vincent Duarté

  • Tabellion
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M. Jacques - Jeanne moreau -
« le: 01 mai 2023 à 14:30:22 »
   M. Jacques avait, face à lui, alors même qu’il retirait son tendre béret pour apprécier la pluie, béret à nuances de gris et de rouge ayant, toujours, sa forme originelle, une belle demeure parisienne. Il restait là, trempé, le béret dans sa main droite humide, tandis que sa longue et belle barbe brune, incarnation de son orgueil, s’affaissait sous le poids de l’eau. Comme le fait que les poils se tordaient et fusionnaient était agréable ! De même, un instant durant, il se mit à apprécier la douce berceuse. De temps en temps, une goutte, telle Emily Brontë, se faisait plus bruyante que ses sœurs, plus énigmatique, et alors, M. Jacques y consacrait toute son attention. Au retentissement sourd d’un éclair, après avoir, timidement, sursauté, il se plu à imaginer, tout autour de lui, un opéra ; l’éclair n’était plus, alors, qu’une jolie, jeune, chanteuse, M. Jacques l’imaginait rousse, élégante. Il eut un léger rictus, lui qui, depuis quelques minutes désormais, sous un froid déluge de bonheur, s’approchait du paradis. S’approchait car, malgré cet instant de jubilation, — M. Jacques se mit à pâlir —, il lui manquait certaines choses, de belles et tendres choses.

« Un jour lointain, je n’aurai plus à attendre, plus jamais à espérer, mon âme de génie sera libre, je me marierai à une magnifique dame, une rousse, la plus belle et influente de toutes les rousses, et j’aurai le monde », murmura-t-il, la bouche épousée par la ruine du ciel. L’espoir, tel un tortionnaire, gardait en captivité le sombre homme. L’eau de pluie qu’il chérissait tant, fraîche, porteuse de bonheur, abondante, s’écoulait, notamment, le long d’un feuillage près de la demeure. Les feuilles, verdâtres, légèrement usées par le temps, se tordaient sous le poids des gouttes. Il y avait plusieurs gouttes sur chaque feuille, petites et grandes, et, sur l’une des feuilles, à droite de la plante, elles formaient un parfait arc de cercle qui, un instant durant, émut davantage M. Jacques. Peu après, le vent se mit à souffler et, tel un dieu, emporta le bonheur auquel le sombre homme s’accrochait. De ses abrupts yeux noirs, il l’observa se fondre dans l’air. Il enfila, de nouveau, son tendre béret.

M. Jacques ne se plaisait pas totalement quant à sa condition de marchand d’étoffes ; un travail stable, il en convient, capable d’alimenter la plus confortable des routines, mais aussi le plus éphémère des bonheurs. Le jeune homme aspirait au temps, à la richesse, à la grandeur, à une carrière de peintre ou d’auteur, à une existence loin de la sienne.


Deuxième écrit : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42281.msg651694#msg651694

Réécriture du premier extrait + ensemble d'extraits : https://monde-ecriture.com/forum/index.php?topic=42281.msg652100#msg652100
« Modifié: 23 mai 2023 à 21:38:04 par Vincent Duarté »

Hors ligne Pierre

  • Plumelette
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Re : M. Jacques
« Réponse #1 le: 01 mai 2023 à 17:06:07 »
Bonjour Vincent !

Ton texte est-il le début d'une nouvelle ?  :) En tout cas, le tableau est bien posé. ^^

Cependant, pour ma part, j'ai eu un peu de mal avec certaines phrases qui comportent beaucoup de virgules. Peut-être devrais-tu découper ces phrases en plusieurs ? (ce n'est qu'un conseil, tu en fais ce que tu veux bien entendu ;) ) Sinon, je n'ai pas repéré de fautes ! :D J'ai simplement vu une répétition avec "un instant durant" qui apparaît deux fois.

Voilà ! J'espère que mon commentaire aura pu t'aider un peu ! :) Bonne soirée à toi !
La fleur de l'illusion produit le fruit de la réalité. Paul Claudel

Hors ligne jonathan

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  • Désabusé - AVFF
Re : M. Jacques
« Réponse #2 le: 01 mai 2023 à 17:28:42 »
Bonjour. Le début m'a semblé un peu fouillis dans sa formulation.
Citer
M. Jacques avait, face à lui, alors même qu’il retirait son tendre béret pour apprécier la pluie, béret à nuances de gris et de rouge ayant, toujours, sa forme originelle, une belle demeure parisienne.
Je propose :
M. Jacques avait face à lui une belle demeure parisienne. Il retira son antique béret gris rayé de rouge pour mieux apprécier la pluie qui s'était mise à tomber en fines gouttelettes tièdes.
Après, tu fais ce que tu veux. ;)
Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur... [Pierre Augustin Caron de Beaumarchais]
Le silence est l'expression la plus parfaite du mépris... [G.B. Shaw]
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Blog : http://keulchprod.eklablog.fr/

Hors ligne Vincent Duarté

  • Tabellion
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Re : M. Jacques
« Réponse #3 le: 01 mai 2023 à 17:50:23 »
Bonjour,
Merci pour vos remarques et propositions, je prends note ! Je pense écrire un roman à propos d'un petit bourgeois, M. Jacques, qui aspire à une toute autre existence et, notamment, à marier une femme influente : ses espérances se réalisent lorsqu'il rencontre une haute bourgeoise veuve depuis peu. Pour autant, il va devoir sacrifier et son corps et son estime pour arriver au sommet de la société post-révolutionnaire. Beaucoup m'ont dit que ça n'intéressera personne, que c'est démodé, je ne sais, honnêtement, pas trop.
Vincent.

En ligne Michael Sherwood

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Re : M. Jacques
« Réponse #4 le: 01 mai 2023 à 20:34:19 »
Bonjour Vincent Duarté,

C'est dommage tu expliques dans ton commentaire ton projet, du coup ça enlève un peu du mystère de la lecture.
Pour moi ce texte ressemble un peu à une photographie, mais pas un instantané, c'est plutôt un gif légèrement animé. On est à Paris, et il y a un orage. Il est en faction devant une belle demeure. Le "Monsieur" le situe parmi les bourgeois ou riches commerçants (il est dans le commerce des étoffes), je le verrais bien à la Belle Epoque. Il est cultivé, a lu les soeurs Brontë. Il admire une femme rousse dont il voudrait certainement faire sa maîtresse. Lui-même a les cheveux noir, les yeux noirs, la barbe abondante, porte un béret (comme un artiste ?), mais reste timide dans son expression corporelle :

Citer
Au retentissement sourd d’un éclair, après avoir, timidement, sursauté,

Pour le style, il y a du très bon, par exemple cette phrase à la André Pieyre de Mandiargue :
Citer
M. Jacques avait, face à lui, alors même qu’il retirait son tendre béret pour apprécier la pluie, béret à nuances de gris et de rouge ayant, toujours, sa forme originelle, une belle demeure parisienne.
(J'ai vu que Jonathan ne l'appréciait pas, pour moi c'est l'inverse, c'est la marque d'un écrivain qui affirme son style, et puis la lecture, ça se mérite et n'a pas à être facile ! )

Pour le moins bon : la surabondance d'adjectifs : j'en ai compté 36 ou 37 dans un texte très court !
Au même titre que les adverbes, je les considère souvent comme un cache misère : je n'ai rien à dire, alors je le cache sous des adjectifs pour décorer mes phrases et allonger mon texte... (encore plus utilisé en poésie, d'ailleurs...)
Parmi ceux-là,
belle est répété 4 fois
tendre, 3 fois ("tendre béret", 2 fois)
"le sombre homme", 2 fois

Voilà, bilan mitigé,
Sorry  :o !

It's not because you're paranoid that they aren't after you.

Hors ligne Vincent Duarté

  • Tabellion
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Re
« Réponse #5 le: 12 mai 2023 à 11:22:09 »
Bonjour,
désolé de ne pas avoir répondu plutôt, je suis plongé dans mes partiels. Merci beaucoup pour votre retour sincère ! Je prends note de votre remarque sur les premières lignes que je jugeait aussi intéressantes ; je vais y réfléchir davantage. Je vais, par ailleurs, diminuer drastiquement l'usage d'adjectifs et d'adverbes ; je n'avais pas conscience du fait d'en utiliser autant !
Cordialement,
Vincent.

Hors ligne Cendres

  • Palimpseste Astral
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Re : M. Jacques
« Réponse #6 le: 13 mai 2023 à 18:56:48 »
Merci pour ton texte

En le lisant, j'imaginais Jacques comme un homme âgé. Mais c'est un jeune homme.

Si je bien que j'interprétais ton texte comme quelqu'un regardant son passé et vivant d'espoir inaccessible.

Je l'ai donc relut. C'est très descriptif sur la pluie et se qu'il en ressent. Il se projette dans l'avenir, et se voit réussir grâce a son mariage d'une jolie rousse.

Hors ligne Vincent Duarté

  • Tabellion
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Re
« Réponse #7 le: 14 mai 2023 à 22:59:22 »
(Bonsoir, j'ai bientôt terminé de retravailler le premier extrait, et j'ai écrit ces quelques passages qui y font suite. J'ai changé le nom du personnage pour quelque chose de plus adapté : M. Jacques est maintenant Pierre Caron, ou M. Caron. Merci pour vos retours jusque-là qui m'ont véritablement aidé !

PS.: Sadie Hulot = Mme Hulot. Je préfère écrire des passages distincts que, petit à petit, je lie entre-eux.)


   M. Caron, timide dans sa gestuelle, le front humide, sur le point de fondre, les mains tremblantes, en adoration quant au temps, — il aurait aimé être ailleurs, parcourir Londres ou les landes du Yorkshire —, en entrant dans l’appartement, perdit tout orgueil ; sa longue barbe brune, alors, lui échappa et s’égara dans le plus formidable des mondes, l’imaginaire, le possible, l’autrement. Il regarda, un instant durant, par terre et y trouva la réalité de sa condition, celle d’un marchand d’étoffes au milieu d’une tempête. Les lignes sinueuses, entre espoir et mort, incarnaient son aspiration la plus profonde, une parfaite harmonie  quant à l’autre, l’idée d’une existence de lien, et non de confrontation. Comment imaginait-il, au plus profond de lui, Mme Hulot ? Durant ses nuits de tourments, il la voulait contraire à l’idéal romantique, plutôt grande, telle une amazone, l’esprit farouche, le corps guerrier, indompté, de fourrure, la chevelure de feu, flamme de son cœur, les yeux vert émeraude.
« Un homme de l’imaginaire », se dit-il, le sourire aux lèvres.

[...]

Il remarqua, entre deux coups de ciseaux, sur le bureau de Sadie Hulot, un vieil exemplaire des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, femme chère à son cœur, partie de son être. Il lui témoigna, alors, sa surprise. Mais que pouvait admirer Pierre Caron de la misanthrope Emily ? Le paroxysme de la défiance, de la haine, ou la quête d’un monde meilleur, la force d’abandonner le réel pour la fiction ? Pierre ramassa délicatement les deux bouts de tissu vert et revint vers Sadie. La princesse de feu dégagea sa nuque. Un instant durant, il s’arrêta.
« Un portrait romantique », ironisa-t-il.
« Modifié: 14 mai 2023 à 23:01:03 par Vincent Duarté »

En ligne Michael Sherwood

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Re : M. Jacques
« Réponse #8 le: 15 mai 2023 à 07:01:42 »
Hello Vincent Duarté,

J’ai lu ces 2 nouveaux « extraits ».
Cette façon d’écrire un roman pièce par pièce, tels des morceaux de céramiques ou des morceaux de vitrail qu’il faudra ensuite ajuster et coller ensemble me paraît difficile : à raison d’1 ou 2 pièces travaillées par jour, il faudra y consacrer plusieurs années !
La question que je me pose est sur la méthode. Je ne sais pas si tu as déjà tracé à grand trait un plan d’ensemble du roman ou rédigé une grossière ébauche du projet, et si tu réécris maintenant patiemment chaque paragraphe comme des miniatures finement ciselées.

Car ce que je lis témoigne d’un minutieux travail d’écriture, qui permet de suivre les circonvolutions de la pensées et des aspirations du « héros » dans le moindre détail, y compris les plus incongrus, comme vouloir systématiquement rattacher son monde à l’univers littéraire des sœurs Brontë – et à travers elles à l’Angleterre.

Citer
il aurait aimé être ailleurs, parcourir Londres ou les landes du Yorkshire

un vieil exemplaire des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, femme chère à son cœur, partie de son être.

Mais que pouvait admirer Pierre Caron de la misanthrope Emily ?

Le héros semble s’être fabriqué un univers et un idéal féminin à partir de la fiction, de ses lectures. Pas sûr que le lecteur ordinaire y trouve son compte (j’ai essayé de lire « Les Hauts de Hurlevent » au moins 2-3 fois, en français et en anglais, je l’ai vu aussi en film (plusieurs versions), et je serais aujourd’hui incapable d’en retracer l’intrigue ! Je n’ai jamais accroché à ce livre, beaucoup moins qu’à Jane Eyre.)

Ce M. Caron est un timide qui (pour compenser ?) s’est construit un imaginaire guerrier :
Quant au temps ( « au temps pour moi » ?)
Confrontation, amazone, esprit farouche, corps guerrier, indompté,
Défiance, haine, quête, force, princesse de feu.
Qu’il oppose au romantisme : (sans doute associé dans son esprit à une forme de faiblesse, de laisser aller, même si rien ne le confirme dans ces 2 extraits.)

Citer
il la voulait contraire à l’idéal romantique,
Un portrait romantique », ironisa-t-il.

Pour conclure, j’aime le style, le travail. Mais ce sera dur à tenir sur la distance !

Bonne journée  8) !

It's not because you're paranoid that they aren't after you.

Hors ligne Vincent Duarté

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Re : M. Jacques
« Réponse #9 le: 15 mai 2023 à 11:53:26 »
Bonjour Michael,
merci pour votre retour qui, une fois de plus, m’aide énormément. J’ai l’impression que tout ce que je peux dire à propos de mon écrit desservira mon propos, donc je ne suis pas sûr de vouloir y répondre. J’aime beaucoup votre analyse ! Dans tous les cas, ce doit être, depuis le début, un projet de plusieurs années, trois maximum. Sera-t-il fructueux ? Nous verrons. Je prends note de vos remarques et interprétations. Merci !

Hors ligne Vincent Duarté

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Re : M. Jacques
« Réponse #10 le: 23 mai 2023 à 21:32:52 »
Bonsoir, j'ai pour vous quelques extraits, plus conséquents, et doutes sur le projet, ayant l'impression d'écrire un récit trop confus, amateur, et lyrique, presque mauvais. Je ne sais plus trop vers quoi tendre. Peut-être, aussi, faut-il déplacer le sujet vers la catégorie « textes mi-longs ».

Extrait N°1.

M. Caron avait, face à lui, une belle demeure parisienne. Il retira son béret pour apprécier la pluie, béret à nuances de gris et de rouge ayant, toujours, sa forme originelle. Il restait là, trempé, le béret dans sa main droite humide, tandis que sa longue et belle barbe brune, incarnation de son orgueil, s’affaissait sous le poids de l’eau. Comme le fait que les poils fusionnaient et se tordaient était agréable ! De même, un instant durant, il se mit à apprécier la berceuse. De temps en temps, une goutte, telle Emily Brontë, se faisait plus bruyante que ses sœurs, plus énigmatique, et alors, M. Caron y consacrait toute son attention. Au retentissement sourd d’un éclair, après avoir, timidement, sursauté, il se plu à imaginer, tout autour de lui, un opéra ; l’éclair n’était plus, alors, qu’une jolie, jeune, chanteuse, M. Caron l’imaginait rousse. Il eût un léger rictus, lui qui, depuis quelques minutes désormais, s’approchait du paradis. S’approchait car, malgré cet instant de jubilation, — M. Caron se mit à pâlir —, il lui manquait certaines choses.
« Un jour lointain, je n’aurai plus à attendre, plus jamais à espérer, mon génie sera libre, je me marierai à une magnifique dame, une rousse, la plus belle et influente de toutes les rousses, et j’aurai le monde », murmura-t-il, la bouche épousée par la ruine du ciel. L’espoir, tel un tortionnaire, gardait en captivité le sombre homme. L’eau de pluie qu’il chérissait tant, porteuse de bonheur, s’écoulait le long d’un feuillage, près de la demeure. Il y avait plusieurs gouttes sur chaque feuille, petites et grandes, et, sur l’une des feuilles, à droite de la plante, elles formaient un arc de cercle, parfait, qui, un instant durant, émut davantage M. Caron. Peu après, le vent se mit à souffler et, tel un dieu, il emporta le bonheur auquel l’homme s’accrochait. De ses abruptes yeux noirs, il l’observa se fondre dans l’air. Il enfila, de nouveau, son béret. De quoi pouvait bien avoir l’air cette demeure, perdue dans l’horreur de Paris ? Imaginez Haworth, au milieu du Yorkshire, où règnent solitude et mort, et ses rues de pierre qui culminent vers le presbytère, lieu de tout, marquées par une surabondance de verdure. Imaginez les sœurs Brontë, enfants, insoumises, Charlotte au devant, Emily en retrait, parcourant, battant, cette verdure. Emily, à la chevelure mi-longue, l’air défiant, arborant une robe bleue abîmée, incarnation de sa haine, lutte, les lèvres très légèrement gercées, marche aux côtés d’Anne, ardente. Branwell Brontë, artiste maudit par le temps, arpente la terre seul, bien qu’essayant, timidement, de se rapprocher de la tumultueuse Charlotte. Mêlez-y un sentiment d’amertume, et alors, transformez cette vision en demeure. Les rues de pierre donnent à voir la plus jolie des structures, la verdure d’Haworth, les fleurs les plus attendrissantes, le sentiment d’amertume, le plus terrible des orages, les Brontë, l’horreur du temps. Propriété de la famille Hulot depuis des temps immémoriaux, bien avant l’Empire, M. Caron y devait ajuster une robe à portée uniquement de bourgeois tels que M. Hulot et sa femme, Sadie. Le sombre homme, timide dans sa gestuelle, le front humide, sur le point de fondre, les mains tremblantes, en adoration quant au temps, — il aurait aimé être ailleurs, parcourir Londres ou les landes du Yorkshire —, en entrant dans l’appartement, perdit tout orgueil ; sa longue barbe brune, alors, lui échappa et s’égara dans le plus formidable des mondes, l’imaginaire, le possible, l’autrement. Il regarda, un instant durant, par terre, et y trouva la réalité de sa condition, celle d’un marchand d’étoffes au milieu d’une tempête. Les lignes sinueuses, entre espoir et mort, incarnaient son aspiration la plus profonde, une parfaite harmonie quant à l’autre, l’idée d’une existence de lien, et non de confrontation. Comment imaginait-il, au plus profond de lui, Mme Hulot ? Durant ses nuits de tourments, il la voulait contraire à l’idéal romantique, plutôt grande, telle une amazone, l’esprit farouche, le corps guerrier, indompté, de fourrure, la chevelure de feu, flamme de son cœur, les yeux vert émeraude.
« Un homme de l’imaginaire », se dit-il, le sourire aux lèvres.

Extrait n°2.

M. Pierre Caron, minutieusement, maître de son art, entoura le bras droit, frêle, d'Emily de son mètre. Il sentait son regard de lionne prête à mordre, de guerrière, sur lui, son magnifique regard brun, de chaleur, qui lutte contre le monde. M. Caron s'imaginait sous la plume de Léon Tolstoï, et alors, sa parfaite Emily n'était plus que la jolie Anna Karénine. Il entendait, tout autour de lui, vivre l'Empire russe, les voitures parcourir la terre. Son tendre parfum, un mélange d'amertume et d'espoir, porteur du temps, des terres anglaises, un instant, enivra l'appartement. La belle Brontë perturbait-elle M. Caron ? Les doigts abîmés, usés, par le désir, il effleura la perfection de la jeune sœur. La pluie, au-dehors, toujours aussi intense, porteuse de bonheur, se mit, petit à petit, à chauffer, à fumer, à bouillir, et M. Pierre ne put y voir qu'une allégorie de son cœur, une parfaite symbiose entre la nature et lui, un abandon de la lutte, aux côtés d'Emily. Il parcourut intensément la peau de la jeune femme, — elle brûlait de désir —, sur le point de toujours lui appartenir. Qu'avaient-ils, Brontë, à y gagner de cette lutte de l'âme ? La possibilité de dominer l'autre, de l'écraser, de faire triompher l'imaginaire, l'autrement, le propre de l'Homme, sa condition ontologique ?
« N'est-ce pas trop romantique, deux êtres, âmes, perdues dans l'infinité du temps ? » M. Caron, aux portes de la passion et de la mort, s'imagina comme une incarnation parfaite du tragique M. Heathcliff, de l'horreur du temps, de son autorité, de son influence. Le fait que Pierre correspondait presque parfaitement à la projection fantasmatique d'Emily sur l'autre le confortait dans son monde d'illusions, d'artifices. Et alors, dans ce rapprochement, cette comparaison, il se nourrit de la lutte de la jeune sœur, s'emplit de courage. Et Mme Hulot ? M. Pierre Caron, sans doute, grand machinateur, maître hors du temps, de l'ailleurs, lui assignait-il Catherine, paroxysme de l'amour, forme pure de l'imaginaire d'Emily, incarnation horrible, infâme, de la mort, tourment de M. Heathcliff et de sa lutte. Était-ce un moyen pour ce Branwell Brontë, homme maudit, de fuir un temps trop dur, étranger, autre, ou d'asseoir une domination ?

Extrait N°3 (ne faites pas attention aux noms. Je ne sais pas quoi faire de cet extrait).

La demeure, entre les rues Vesale et Scipion, dans un carrefour, non loin d'un petit jardin grillagé habité de corbeaux s'apparentant à une serre, en pierre de taille, — une demeure, donc, aux normes haussmanniennes —, arborant un petit cœur entouré de deux serpents, était sur six étages, au bon vouloir du baron. Au même titre qu'une demeure sous la plume d'Émile Zola, comme dans Pot-Bouille, les combles du bâtiment étaient habités par les domestiques, ici, ceux des Hulot, Mme Dawson, jeune gouvernante en quête d'approbation quant à son père, et M. Bradley, majordome depuis de nombreuses décennies. Dans une optique de verticalité, le cinquième étage appartenait à des familles un tant soit peu plus aisées, aux McDowell, bien établis dans le commerce d'étoffes, propriétaire d'une route marchande entre Londres et Paris, et aux Milton, dont le patriarche est policier. Le quatrième étage, tout comme le troisième, ordinairement biens de la petite bourgeoisie, demeuraient, depuis quelques temps, inoccupés et lugubres, — Lorsque Mme Dawson, pour descendre travailler dans l'appartement des Hulot, était contrainte de le traverser, elle pouvait s'empêcher de se hâter —, de quoi attirer des aspirants à la grandeur comme M. Caron. Enfin, le deuxième étage, le premier n'étant qu'un entrepôt de divers meubles, était habité par M. Hulot et sa femme, Sadie. Le deuxième étage, en l'occurrence, avait, à son balcon, de belles fleurs, des tulipes vraisemblablement, fleurs qui, dès lors, rayonnaient à travers la rue.

Extrait N°4 (je pense l'éliminer, je l'inclus pour vous montrer la démarche).

Mme Hulot était brune, un brun de forêt, un brun d'ailleurs, comme sa mère et grand-mère avant elle, la famille des Tyson. Une femme, donc, bien éloignée du fantasme de M. Caron, de la magnifique dame influencée par les sœurs Brontë à la chevelure de feu. Elle avait, tout comme Pierre, les yeux d'un noir profond, à la limite du malveillant, sans âme. Cependant, Sadie était habillée de beaux atours, que ce soit de boucles d'oreilles en diamant, d'un collier d'émeraude ou d'une robe bleutée que, dès lors, M. Caron associa maladroitement à sa jolie Emily. Il faut dire que, de loin, Mme Hulot pouvait, pour un esprit tordu, en conflit avec le réel, s'apparenter à l'autrice des Hauts de Hurlevent. Mais alors, comment, pour quelqu'un comme M. Caron, dissocier le réel de la fiction ? Comment reprendre ses droits légitimes jusque-là partagés entre pulsion de vie et pulsion de mort ? Était-il possible que la petite taille de Sadie Hulot puisse favoriser le comportement obsessionnel de M. Pierre Caron, la placer, dès lors, en position du vulnérabilité quant à l'homme ?

Vincent.
« Modifié: 23 mai 2023 à 21:35:10 par Vincent Duarté »

Hors ligne Vincent Duarté

  • Tabellion
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Re : M. Jacques
« Réponse #11 le: 26 mai 2023 à 22:11:15 »
Bonsoir, je ne sais pas si l'on peut considérer cela comme un double message, auquel cas supprimez ce commentaire. Je vous avoue être un peu déçu du fait de n'avoir eu aucun retour sur mes écrits et je ne sais pas vraiment comment le prendre. J'ai davantage d'extraits autour du projet dont certains que je trouve intéressants, la question du narrateur me dérangeant depuis le début. J'ai, tout d'abord, pensé, comme dans Frankenstein, à un narrateur en quête de découverte qui s'intérèsse à l'histoire de M. Caron et aux ravages de la passion, dans une époque où les classes sociales culminent dans la vertu et le vice. J'ai, aussi, pensé à un narrateur mesquin, extrêmement présent, qui transforme le réel et se superpose au travestissement du réel de M. Caron, un peu comme Lolita, avec un narrateur non fiable. Je proposerai, d'ici une semaine à peu près, une version claire du projet, les extraits, alors, liés.

Extrait n°1.

M. Caron, délicatement, colla la paume de sa main à celle de Mme Hulot, — sa peau était douce et sentait drôlement bon, une odeur envoûtante, parfaite —, leurs doigts fusionnèrent, et alors, Pierre sût que jamais il ne voudrait la quitter, sa femme guerrière, farouche, la plus belle et influente de toutes les rousses, sa magnifique dame.
« Emily, Ô douce Emily, enfin, je t’ai oubliée », se dit-il.

Extrait n°2.

Pierre admirait les traits d’Emily, que ce soit la simplicité de son regard, profondément naturel, d’un autre monde, de Glass Town ou d’Angria, la beauté de sa chevelure rousse, légèrement bouclée, en petits serpents, ou ses lèvres gercées, incarnation de son orgueil : messagère du divin, souveraine de son cœur, Emily.

Extrait n°3.

Mme Hulot crut son monde, toute son existence, se fourvoyer. L’aimait-il pour ce qu’elle était vraiment ou pour l’image qu’il voulait bien se donner d’elle ? Emily Brontë incarnait le début comme la fin, l’absolu comme le néant, sans aucune place, dès lors, pour une autre conception du réel, seulement du possible, de l’autrement. Pourtant, Sadie ne put s’empêcher de prendre le pauvre Pierre en pitié, prisonnier de l’espoir ou du divin, de l’autorité du temps, de son absolu, sans aucune échappatoire. Les yeux larmoyants, rougeâtres comme douloureux, elle contemplait l’infortuné, son Branwell Brontë, son artiste déchu.

Extrait n°4.

En s’approchant de la demeure, M. Caron ne manqua pas de trébucher et de tomber, son béret, de ce fait, parcourant quelques mètres et attendant patiemment son maître sous une voiture. Il ne lui manquait que la parole !
« C’est pas vrai, c’est pas vrai, que tu es maladroit, Pierre ! Le monde n’est, décidément, pas fait pour toi ! De quoi vas-tu avoir l’air devant Mme Hulot, la belle Sadie, et son mari maintenant ? Maudit ! » M. Caron, alors debout et en quête de son béret, craignit que, par pure inadvertance, Mme Hulot ne l’ait vu. Et si elle venait à sortir tout de suite ? M. Caron ne ressemblait guère, désormais, à un petit bourgeois dans le commerce d’étoffes ou à un génie du paraître. Non, il ne véhiculait plus que l’image d’une pauvre âme détruite par la passion, d’un personnage d’Émile Zola ou de La Cousine Bette, d’un condamné par le temps ou le destin. Peut-être était-ce sa véritable condition, peut-être transformait-il la réalité en l’exagérant. M. Caron s’approcha d’une flaque d’eau rayonnante. Le souffle du vent sur l’eau déformait, alors, ses traits.

Extrait n°5.

Suis-je, cher lecteur, compagnon du temps, en tant qu'instance narratoriale de ce roman, capable d'en assumer la beauté ou l'horreur infinie ? Pure production de papier éphémère, de l'imaginaire, d'un esprit tourmenté, suis-je à même d'en comprendre l'enjeu, de m'incarner, juste un temps, en M. Caron ? Est-il vrai que, enfant de Chagrin, je puisse en tirer de la légitimité ?

Extrait n°6.

Cher lecteur, stupide que je suis ! Je crois m'être, involontairement, laissé porter par la beauté du romanesque, bercer par la passion. J'ai, hélas, — ne vous fâchez pas —, inventé. Dans quelle mesure ? Je n'en ai aucune idée ; ce peut être quelques éléments comme le tableau entier. Comme c'est indigne de mon statut et de la confiance que, généreusement, vous m'accordez ! Je prie pour que le temps puisse faire son œuvre ! Voilà ce qui est réellement arrivé.

Extrait n°7.

Cher lecteur, je voulais, avant l'entrée de M. Caron dans l'appartement de Mme Hulot, tournant de l'intrigue et tableau génial, vous prendre à part pour vous rappeler à quel point est-ce que je prends au sérieux ma mission. Je ne laisserai pas M. Caron fausser le roman ! Je ne vous décevrai pas !

Extrait n°8.

Quelques mots, lecteur, pour vous partager ma joie de savoir notre relation de confiance, presque d'amitié, — peut-être le serons-nous d'ici la fin du roman —, de nouveau stable.

Vincent.

Hors ligne Docal

  • Aède
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Re : M. Jacques
« Réponse #12 le: 10 juin 2023 à 18:42:54 »
Bonjour Vincent,

Le double post c'est pas terrible en effet. Tu peux utiliser la fonction "éditer" pour éviter ça.

Faire remonter le sujet avec un commentaire vide, c'est pas terrible du tout.

Pour avoir de nouveaux avis sur de nouveaux extraits/suites, je te conseille plutôt de démarrer un nouveau sujet. Sur ce forum les commentaires n'ont pas forcément vocation à fournir une suite et la coutume est plus d'avoir le texte à commenter en sujet et de réserver l'espace commentaire à la critique. Rien ne t'empêche de mettre un lien vers ce sujet en début de l'autre pour ceux qui ont raté le premier.

Pour ce qui est du nombre de retours, c'est assez standard sur ce forum d'avoir entre 2 et 5 retours, et encore, des fois c'est 0. C'est la vie.

Pour le texte en lui même : c'est absolument pas mon registre et je ne saurais pas y apporter de retour constructif.

Hors ligne Vincent Duarté

  • Tabellion
  • Messages: 42
Re : M. Jacques
« Réponse #13 le: 10 juin 2023 à 18:49:29 »
Bonjour,
au début, mon commentaire n'était pas vide, j'avais posté une nouvelle version, mais étant sans réponse, je l'ai supprimé. C'est frustrant, surtout quand le projet se forme, mais je ne veux pas polluer le forum avec mon roman. Merci pour tes conseils !
Vincent.

Hors ligne Docal

  • Aède
  • Messages: 195
Re : M. Jacques
« Réponse #14 le: 10 juin 2023 à 19:37:45 »
En tant qu'extraits ça ne pollue pas. Et c'est mieux vu que de remonter toi même un sujet.

Sinon pour vraiment travailler sur ton roman de manière plus conséquente, il y a une section "textes longs" qui pourrait mieux convenir et où tu trouvera peut être des gens dans la même démarche.

 


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