Trouvé ce charmant petit "manifeste" par Xavier Lecœur :
« Depuis quand n'avez-vous pas reçu de lettre ? Une semaine ? Un mois ? Un an ? Je ne parle évidemment pas des désagréables factures, ni des prospectus publicitaires, ni des demandes de dons, qui font l'ordinaire de notre courrier. Je parle simplement des bonnes vieilles lettres « à l'ancienne », comme on le dit des tartes aux pommes ou des blanquettes de veau ! Force est de constater que, malmenées par le développement fulgurant des courriels et autres SMS, elles tendent à se raréfier dangereusement… Les formes modernes de communication écrite ont certes des atouts : la rapidité, la simplicité, l'efficacité. Mais, pour rester « digestes », les messages se doivent de ne pas être trop longs. De plus, quelle que soit la chaleur des mots employés, ces messages électroniques restent curieusement toujours assez froids, comme désincarnés...
Rien de tel avec une lettre écrite à la main, en bon français, sur une ou plusieurs feuilles d'un beau papier. Son auteur a pris du temps pour la rédiger ; parfois, il a été contraint de s'interrompre quelques heures ou quelques jours avant de pouvoir la terminer. Par respect pour lui, vous allez à votre tour vous asseoir et prendre le temps de la lire attentivement. Peut-être même la relirez-vous plusieurs fois. Votre correspondant vous parle de lui et de vous, de son existence et de la vôtre ; il vous raconte ses bonheurs, ses déboires, ses espoirs. Il vous révèle des goûts, des humeurs, des pensées, que, par timidité, il n'aurait peut-être pas osé vous dévoiler face à face. C'est drôle, émouvant, surprenant, profond, banal ou subtil. Comme la vie.
Les lettres de cet acabit, on les garde et on y répond. C'est ainsi que naissent parfois de savoureuses correspondances qui, lorsqu'elles concernent des gens célèbres, sont souvent publiées après le décès de leurs auteurs. Heureusement, d'ailleurs, que Madame de Sévigné, Voltaire ou Flaubert, pour ne citer que ces trois grands épistoliers, ne connaissaient pas les courriels ! Les chercheurs auraient été privés d'une passionnante source documentaire, et les amateurs de littérature d'un grand bonheur !
On peut à ce propos se demander comment les biographes de demain réussiront à reconstituer les échanges écrits entre les hommes d'aujourd'hui… Car les disques durs traverseront probablement moins bien les siècles que les feuilles de papier… En attendant, il est cocasse de constater que, pour être original de nos jours, il suffit de se remettre à pratiquer un art qui allait de soi pour nos ancêtres : celui de la correspondance ! Ce qui était banal autrefois est devenu rare et donc d'autant plus appréciable. Envoyer une belle lettre désormais ne revient-il pas à offrir un véritable petit cadeau à son destinataire ? »