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19 avril 2024 à 04:55:36
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Auteur Sujet: Le Pèlerin du Temps (complet)  (Lu 763 fois)

Hors ligne Nikwakwa

  • Plumelette
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Le Pèlerin du Temps (complet)
« le: 07 février 2021 à 19:57:45 »
Bonjour à tous !

Je vous propose ici une nouvelle plutôt orientée SF "light", que j'ai rédigée pour mon propre plaisir. Je l'ai fait relire à quelques proches, qui m'ont fait des retours plutôt bons, mais je sais pertinemment que ces gens ne sont pas les plus objectifs du monde, donc je me tourne aujourd'hui vers vous.  :)

Ce que j'attends en termes de commentaires : eh bien un peu de tout, en réalité. Le texte est toujours en phase de correction avancée, donc n'hésitez pas à tout casser et à me fendre le coeur si besoin !  :'(

L'objectif derrière ce serait, si effectivement les retours sont corrects, de publier sur Amazon Kindle. Non pas pour faire de l'argent (soyons honnête, ça n'arrivera pas !) mais plutôt pour faire découvrir et pour pouvoir aisément imprimer à la demande (Mamie serait si contente d'avoir un "vrai" bouquin publié !).







Madame Chaumine prit le feutre noir posé sur le bureau, se tourna face au tableau blanc et y inscrivit « Austerlitz : le chef-d’œuvre tactique de Napoléon Bonaparte ».
—   Voici le sujet de votre premier devoir maison. Il sera noté, bien évidemment. J’attends de vous une dissertation d’au moins deux mille mots sur la tactique employée par l’empereur Napoléon 1er au cours de la bataille d’Austerlitz en 1805. Je vous laisse jusqu’à la fin du mois pour m’envoyer vos rédactions par e-mail.
Un timide bourdonnement réprobateur s’éleva des rangs de l’amphithéâtre clairsemé.
—   Et n’oubliez pas de me fournir en annexe une bibliographie digne de ce nom, poursuivit-elle malgré le bruit des étudiants rangeant leurs affaires de cours. Wikipédia est un outil pédagogique incroyable, j’en conviens, mais j’attends de vous des recherches plus approfondies.
En sortant du premier cours d’histoire générale moderne, Lucas avait clairement perdu l’enthousiasme habituel du début d’année.
Première journée de cours et déjà des devoirs, pensa-t-il en parcourant l’un des couloirs de l’Université Jean-Moulin. Il prenait la direction de la bibliothèque universitaire. Pour ne pas se retrouver sous pression à quelques jours de la date butoir — comme c’était souvent le cas —, il avait décidé de s’atteler aussitôt à la tâche.
Je sens que Mme Chaumine va nous gâter toute l’année, à cette allure !
En pénétrant dans l’immense bâtiment de quatre étages, l’odeur caractéristique des livres anciens lui rappela la maison de campagne de sa grand-mère en Bretagne. Il se tenait au rez-de-chaussée, balayant la tête des deux côtés. Sur sa gauche se trouvaient des centaines d’étagères remplies d’ouvrages académiques, techniques ou historiques, qui faisaient face à une enfilade de tables blanches et de chaises en bois. Pas un seul étudiant n’était présent.
Pas étonnant, qui vient travailler à la bibliothèque le jour de la rentrée ?
Il parcourut les allées à la recherche de précieuses sources documentaires. Nombreux étaient les livres recouverts d’une épaisse couche de poussière ; preuve, s’il en est, de la désuétude du papier à l’heure du numérique.
Alors que le soleil commençait à passer sous l’horizon, Lucas était plongé dans le cinquième tome de Correspondance générale de Napoléon Bonaparte. Pour étoffer son futur essai, il s’était mis en tête d’apporter quelques éléments personnels de l’Empereur, en plus des faits historiques.
Dans une lettre adressée à sa femme Joséphine et datée du 1er décembre 1805 — la veille de la bataille d’Austerlitz —, le jeune étudiant s’arrêta sur un passage, qu’il relut encore et encore.
Citer
Ne t’en fais pas, tout va bien se passer ; le Pèlerin m’a informé que demain, les Russes ne verraient pas arriver les divisions de Soult, cachées par le brouillard. La reprise du plateau de Pratzen, que j’aurai préalablement abandonné à l’ennemi, ne nous occasionnera que quatre cent trente-sept pertes. L’issue sera glorieuse.

***

Le lendemain matin, Lucas se rendit à l’Université un peu avant le début des cours. Les locaux, qui dataient du début du XXème siècle, étaient vétustes mais pleins de charme. Le calme emplissait les lieux.
Il alla trouver Mme Chaumine dans son bureau au deuxième étage. La professeure lui ouvrit amicalement la porte et l’invita à s’asseoir en face d’elle. Le local était étroit et sombre, mais parfaitement arrangé pour laisser la place à une imposante bibliothèque en bois foncé, posée contre le mur du fond.
Seul son bureau n’était pas soigneusement rangé. Alors que Lucas attrapait le dos de la chaise, Mme Chaumine s’empressa de réunir toutes les feuilles volantes qui traînaient et de les fourrer à la va-vite dans un tiroir. Lucas eut uniquement le temps de discerner ce qui ressemblait à un plan de bataille, ainsi qu’une lettre avec, en guise d’en-tête, un sceau représentant un aigle surmontant un sablier.
Visiblement, elle se renseigne également sur la campagne d’Allemagne de 1805. Peut-être pour s’assurer qu’on ne lui raconte pas n’importe quoi.
—   Que puis-je faire pour toi…
—   Lucas. Lucas Boffin.
—   Que puis-je faire pour toi, Lucas Boffin ? demanda Mme Chaumine en souriant.
   Lucas se tenait droit sur sa chaise, plutôt mal à l’aise. Sa professeure le fixait directement de ses yeux azurés, sans jamais lâcher son sourire.
—   Eh bien voilà… Hier, en faisant des recherches sur la bataille d’Austerlitz pour mon devoir, je suis tombé sur une lettre écrite par Napoléon à sa femme la veille des combats. Un paragraphe en particulier m’a perturbé.
Il lui tendit une photocopie de la lettre en question. Il avait pris la peine de surligner le curieux passage en jaune. Se tenant silencieux pendant que sa professeure lisait, le jeune homme lui demanda finalement si elle savait de quoi il s’agissait.
—   « Le Pèlerin », répéta Mme Chaumine à haute voix, tortillant ses cheveux blonds, le regard toujours posé sur la feuille de papier. Non, cela ne me dit rien. Peut-être le surnom d’un de ses proches conseillers.
—   Et l’affirmation sur les pertes ? À en croire la date, la bataille n’avait même pas encore commencé. D’où est-ce qu’il a pu sortir cette information ?
—   Le plus probable, c’est que dans un élan de fatigue ou de doute, Napoléon ait consulté un oracle ou pratiqué les arts divinatoires. Certains ouvrages — largement discrédités depuis — affirment effectivement qu’il se livrait régulièrement à diverses techniques de divination. Bien sûr, il s’agit ici de sornettes écrites par des ignorants qui n’ont jamais accepté que ce soit le talent, et rien d’autre, qui ait mené l’Empereur sur le toit de l’Europe. Cela étant dit, il n’est pas impossible que Napoléon se soit tout de même adonné à quelque pratique occulte dans son intimité.
Lucas fronçait les sourcils.
Ça m’étonnerait qu’un personnage aussi terre-à-terre ait pratiqué un quelconque art divinatoire.
—   Peut-être, mais il n’empêche que la prédiction s’est révélée vraie, j’ai vérifié ! s’irrita-t-il. Comment on peut expliquer ça ?
L’enseignante paraissait embarrassée, comme si elle regrettait de ne pouvoir répondre aux questions de son élève.
—   Un coup de chance, j’imagine. Ou peut-être s’agit-il d’un canular : Napoléon a très bien pu écrire cette lettre après la bataille et l’antidater. Sans doute a-t-il voulu impressionner Joséphine, sans imaginer une seule seconde que, deux siècles plus tard, son énigme allait passionner un étudiant curieux. Ne t’attarde pas trop dessus, Lucas.
Mme Chaumine regarda alors sa montre d’un geste de poignet et haussa les sourcils.
—   Il est déjà huit heures ! fit-elle. Il faut que j’aille en classe. N’as-tu pas cours, toi aussi ?
—   Si effectivement, acquiesça le jeune homme en se levant hâtivement de son siège. Merci pour votre temps, Mme Chaumine.
Même si ça ne répond pas vraiment à mes questionnements. Mais bon, c’est elle l’experte, pas moi.
Le reste de la matinée passa relativement vite. En classe d’histoire médiévale, ils brossèrent le portrait de l’Europe occidentale au Moyen Âge. Entre la chute de l’Empire romain d’Occident et l’avènement de Charlemagne, l’esprit de Lucas vagabonda et se porta à nouveau sur la curieuse lettre de la veille.
Après tout, peut-être que c’est juste une farce placée là volontairement par des années supérieures. Comme un subtil bizutage, pour se moquer de la naïveté des étudiants de première année. En guise de bizutage, je préfère toujours ça à aller à la fac habillé en sac poubelle ! 
Au restaurant universitaire, alors qu’il s’était installé seul face à son assiette de cordon bleu et petits pois, une fille brune et élancée vint s’asseoir en face de lui, sans rien lui demander.
—   Salut, moi c’est Marie, mais tu peux m’appeler Mimi.
—   Euh… enchanté, murmura-t-il, pris au dépourvu.
—   T’es en L1 Histoire toi aussi, c’est ça, hein ?
—   Oui c’est euh… c’est exact.
—   C’est chaud le devoir que nous a donné Mme Chaumine, tu trouves pas ? En plus le premier jour de cours quoi, non mais j’hallucine.  Moi qui pensais que j’allais me la couler douce pendant le premier mois, c’est râpé. On m’avait prévenue que ce serait plus dur que le lycée mais franchement, j’y croyais pas trop, tu vois ?
Marie avait un débit de parole incroyable. Elle eut le temps de lui raconter l’intégralité de ses vacances d’été avant même que Lucas ait pu lui dire son nom.
Alors qu’elle se tut — enfin ! — pour boire son verre d’eau, il profita de la pause pour lui poser la question qui lui trottait dans la tête depuis déjà un bon quart d’heure.
—   Dis-moi Marie…
—   Mimi !
—   Pardon… Mimi. Est-ce que tu as déjà entendu parler d’un proche de Napoléon 1er qui se serait fait appeler « le Pèlerin » ?
Elle réfléchit un moment, regardant le plafond et se grattant du bout du doigt le menton.
—   Ouais, je crois bien que j’ai déjà entendu des étudiants de troisième année parler de ce gars. Apparemment c’est un bobard qui se transmet d’année en année. ‘Paraît même que c’est Thierry Lentz, le dirlo de la Fondation Napoléon, qui l’a monté de toute pièce pendant ses études ! Non mais tu te rends compte ?
Alors qu’il écoutait distraitement le cours de culture et civilisation gréco-romaines de l’après-midi, Lucas chercha sur son smartphone une version numérique de la série des Correspondances générales. Grâce à Internet, il trouva une numérisation floue mais lisible. Par curiosité, il se mit en quête d’autres mentions de ce Pèlerin et de ses divinations.
À sa propre stupéfaction, il finit par trouver une trace de ce personnage dans une correspondance d’octobre 1805, juste avant la bataille d’Ulm. Puis, en remontant encore le temps, une nouvelle indication dans une lettre de juin 1800, la veille de la décisive bataille de Marengo.
Bon sang de bonsoir ! pensa Lucas. Cette expression, quelque peu désuète, lui venait de son grand-père qui avait coutume de l’utiliser à tort et à travers.
Mais enfin c’est impossible, il doit s’agir d’une erreur ! Aucun étudiant n’irait à ce point déformer les livres d’histoire.
Le jeune homme, troublé, tenta de remonter plus loin encore pour trouver l’origine de cette curieuse histoire, mais les Correspondances ne comportaient plus d’autres indices. Il arriva jusqu’à la couverture et c’est là que le sous-titre lui sauta aux yeux :
Citer
PUBLIÉ PAR LA FONDATION NAPOLÉON
Si Marie — non, Mimi ! — ne m’en avait pas parlé, je ne me serais jamais arrêté sur ça ! Il s’agit donc bien d’un canular organisé. Alors ça…
En attendant, il faut que je me concentre sur le cours. Ce serait tout de même dommage de me retrouver largué dès la première semaine à cause de cette histoire ridicule.

En fin d’après-midi, après des cours péniblement suivis, il se rendit à nouveau à la bibliothèque pour avancer sur son devoir. Il s’était mis en tête de se renseigner sur les premiers succès militaires de l’Empereur pour donner du contexte à son essai.
Un café chaud dans la main, il éplucha cette fois le poussiéreux Mémorial de Sainte-Hélène, dicté par l’Empereur dans les dernières années de sa vie et compilé par Emmanuel de Las Cases.
Aucune chance que je tombe sur une mention du Pèlerin, cette fois ! Je vais enfin pouvoir me concentrer.
Alors qu’il lisait le chapitre dédié à la campagne d’Égypte, il lâcha soudainement un cri aigu et renversa son café sur la table, ce qui lui valut une réprimande de la bibliothécaire. Au détour d’une page, il était tombé sur ce à quoi il ne s’attendait plus : 
Citer
En 1798 – l’an VI, tel qu’on l’appelait alors —, quelque temps avant que j’affronte les mamelouks au pied des Pyramides, mon cher ami le Pèlerin m’apparut pour la première fois. Il me présenta le plan de la bataille à venir ; il me conta ensuite qu’en suivant scrupuleusement ses conseils, je deviendrais Empereur des Français.
Naturellement, je le considérai alors comme un esbrouffeur ; ce n’est que lors de l’affrontement que je compris l’importance que cet homme allait avoir sur l’Histoire.

***

Lucas ne ferma quasiment pas l’œil de la nuit. À la place, il n’eut de cesse de tourner en rond dans son lit étroit et froid. Le sommeil échappait à son emprise, mais il n’en avait que faire. Il devenait clair pour lui que l’affaire du Pèlerin n’était pas un canular, quoi qu’en pensent les étudiants de troisième année.
Bon sang de bonsoir ! En fait, la raison pour laquelle Napoléon a souvent donné l’impression d’être au bon endroit au bon moment, c’est qu’il a fréquemment reçu une aide extérieure !
Se pourrait-il que l’Empereur ait réellement eut recours à un oracle ? Ou bien — encore plus fou — à l’aide d’une forme d’intelligence inconnue ?
Rien ne permettait en l’état de privilégier une piste plus qu’une autre.
Mais s’il avait accès à cette source de connaissances, pourquoi est-ce qu’il s’est engagé dans la désastreuse campagne de Russie en 1812 ? Et comment est-ce qu’il s’est retrouvé perdant à Waterloo en 1815 ?
Bien avant que son réveil ne sonne, il se décida à allumer la lumière et se redressa sur son lit.
Son studio étriqué ne comprenait qu’un lit simple, un bureau et une kitchenette. Le lino usé arborait encore les traces de vie des précédents locataires. Pour tenter d’égayer la pièce, il avait apposé des posters de ses sagas préférées sur les murs blancs : Le Seigneur des Anneaux, Star Wars, Indiana Jones
Il attrapa du bout du bras l’ordinateur portable qui se trouvait sur son bureau en mélaminé et se plongea à nouveau dans les Correspondances, épluchant cette fois les écrits postérieurs à Austerlitz. Maintenant qu’il avait compris que cette histoire n’était pas une blague, cette documentation redevenait une source fiable d’informations.
Iéna, Eylau, Friedland, Wagram… Toutes les grandes victoires des guerres des Quatrième et Cinquième Coalitions tournèrent invariablement à l’avantage des Français grâce, une nouvelle fois, à l’apport tactique du Pèlerin. Mais suite à la paix signée en 1809 avec l’empire d’Autriche, l’inconnu sembla s’être volatilisé. Au grand dam de l’Empereur, qui écrit même en novembre 1813 :
Citer
Il faudrait que l’ennemi fût fou pour aller attaquer du côté de Strasbourg. C’est sur Cologne qu’il est naturel de penser que l’ennemi doit se porter. Quel malheur que le Pèlerin ne me soit point revenu depuis Schönbrunn ; je l’ai fait quérir aux quatre coins de l’Empire, mais nul ne m’en apporte de nouvelles.
Voici ce qui explique les revers des dernières années du Premier Empire, pensa Lucas, stoïquement assis sur son lit, seul dans sa chambre d’étudiant. Le soleil commençait juste à chatoyer les toits des immeubles d’en face. Dehors, les premières feuilles commençaient à tomber des arbres pour marquer la fin de l’été. Quelques passants s’affairaient, innocents, incapables de se rendre compte de la découverte que Lucas avait faite.
Pendant ses cours du matin, le jeune homme fit preuve d’encore moins d’application que la veille. Armé de son PC, il entreprit de documenter ses recherches via une série d’articles publiés sur un forum de férus d’histoire. Il avait bien essayé d’en parler à ses camarades de promotion, mais aucun ne le prit au sérieux.
—   Tu délires complet, mon vieux, lui rétorqua Marie à la pause. Tu ferais mieux de bosser sur le devoir plutôt que de tomber dans des thèses complotistes. Je dis ça pour toi, hein. Une fois, un pote de ma cousine m’a raconté que son père était devenu absolument persuadé que sa pizzéria du coin hébergeait en réalité un réseau de pédophiles. Eh ben ça l’a rendu tellement dingo qu’il est allé voir par lui-même et…
—   Oui d’accord Mimi, c’est bon, coupa sèchement Lucas. Je vois où tu veux en venir, tu peux t’arrêter là.
Marie, outrée, ouvrit grand la bouche, puis tourna les talons et retourna dans l’amphithéâtre. Il savait qu’il venait de manquer de délicatesse, mais il était frustré que personne d’autre que lui ne se soucie de cette affaire.
Tout le monde est tellement persuadé qu’il s’agit d’un canular qu’ils n’essaient même pas de comprendre. À tous les coups, je suis sûr que même les historiens professionnels ne s’y intéressent pas à cause de cette absurde rumeur concernant la Fondation Napoléon.
Dorénavant, Lucas comptait sur les anonymes amateurs du forum pour l’aider à délier la situation.
Il suffit de peu de temps avant que l’étudiant n’obtienne de premiers éléments de réponse.  Avant même de rentrer chez lui le soir, un utilisateur lui répondit qu’après avoir épluché les mémoires de Winston Churchill — personnage sur lequel cet anonyme avait fait sa thèse originale de doctorat —, il trouva plusieurs mentions troublantes d’un érudit surnommé « Pilgrim ».
Bon sang de bonsoir, est-ce qu’il se pourrait que Napoléon n’ait pas été le seul à bénéficier de cet allié de taille ?
Ce commentaire fut suivi de nombreux autres durant la nuit, ce qui emballa le cœur de Lucas quand il consulta son ordinateur le lendemain matin, après une nuit agitée. Beaucoup expliquèrent ne pas avoir trouvé de telles traces dans leurs propres recherches, mais certains touchèrent au but. Le sujet était devenu particulièrement actif sur le forum, apparaissant même en page d’accueil, ce qui en renforça la viralité.
D’autres témoignages affluent toutes les heures. Le phénomène est vraiment généralisé.
Il griffonna sur un bout de papier une liste sommaire de personnages historiques ayant relaté l’aide du Pèlerin : Gengis Khan, Jules César, Otto von Bismarck, George Washington…
À mesure qu’il rafraîchissait la page du forum, de nouveaux noms apparaissaient sans cesse. Sa tête commença à tourner. Il ferma les yeux et mit son visage dans ses mains. Il tenta de se concentrer sur la conduite à tenir face à de telles révélations, mais un flot ininterrompu de pensées lui empêchait d’avoir les idées claires.
En arrivant en cours, il alla s’asseoir à côté de Marie. Elle ne lui adressa pas un regard jusqu’à ce qu’il s’excuse timidement pour son comportement de la veille.
—   Tu comprends Mimi, cette histoire de Pèlerin me rend fou.
—   Lâche l’affaire, dans ce cas ! pesta-t-elle. Pense à autre chose, mec ! Par exemple, moi, quand je veux me changer les idées, je ferme les yeux et j’imagine dans ma tête un T-Rex en train d’essayer d’enfiler un polo. Ça fait toujours l’affaire !
Lucas laissa échapper un léger rire, à son grand étonnement.
—   Ou sinon il y a la bouffe, poursuivit-elle, ça marche toujours. D’ailleurs, tu veux grailler où, ce midi ?
—   Désolé, cette fois ce sera sans moi. Je vais rentrer à la maison pour faire une sieste. Ces dernières nuits ont été un peu dures pour moi. 
En arrivant chez lui, il s’écroula sur son lit sans même manger et sombra dans un lourd sommeil. Il rêva qu’il était prisonnier d’un sablier géant et que les grains tombaient un à un sur lui, inexorablement, sans qu’il ne puisse rien faire. Il se sentait à bout de souffle, les poumons comprimés par la pression du sable sur son torse.
Il fut brusquement ramené à la réalité lorsque son téléphone sonna. Son front était en sueur. Il avait du mal à récupérer son souffle. Malgré cela, il se leva rapidement et consulta l’écran de son portable. Numéro inconnu. Il prit une grande inspiration et décrocha.
—   Bonjour M. Boffin, je suis rédacteur pour le blog Les Petites Ailes. Je suis tombé sur vos articles sur Internet à propos d’un certain « Pèlerin ». J’aimerais vous poser quelques questions à ce sujet, avez-vous quelques minutes à m’accorder ?
—   Euh… c’est-à-dire que je…
—   Bien, je vous remercie. Tout d’abord, pouvez-vous m’expliquer comment vous avez découvert l’existence de cet inconnu ?
Lucas n’avait pas vraiment la tête à cela, mais il se dit que la publication de son histoire pourrait permettre de communiquer plus globalement que via le forum. Peut-être même cela ferait-il des émules qui l’aideraient dans ses recherches.
—   Alors, tout a commencé lorsque ma prof d’histoire générale moderne…
—   Votre « prof » ? coupa aussitôt le blogueur. Attendez, vous êtes encore à l’école ? Quel âge avez-vous ?
—   Je suis étudiant à l’Université Jean-Moulin, en première année de licence d’histoire. J’ai euh… j’ai dix-huit ans.
—   Ah, très bien. Poursuivons, si vous le voulez bien. Pensez-vous donc que tous les personnages historiques importants que nous connaissons aujourd’hui aient un jour été visités par ce Pèlerin ?
—   Eh bien…
—   Prenons Jeanne d’Arc, par exemple.
Tu parles d’un blogueur, il ne me laisse même pas le temps d’en placer une. Il ferait un épouvantable journaliste.
—   Croyez-vous que les voix qu’elle aurait supposément entendues pourraient être celles de notre inconnu ? poursuivit l’homme au téléphone.
—   Dans l’absolu oui, peut-être, mais rien ne permet…
—   Et qui, selon vous, pourrait être cette personne ? Un extra-terrestre ?
—   Non, je… euh… Pourquoi pas, après tout ? Je n’ai pas encore assez d’éléments pour…
—   Je vous remercie pour votre temps M. Boffin, vous êtes une mine d’informations. Le temps que je mette au propre tout cela, je pense que l’article sera publié d’ici demain matin sur le blog.
—   Euh… d’accord. Au fait, comment est-ce que vous avez eu mon…
—   Bonne après-midi M. Boffin, interrompit une dernière fois le rédacteur avant de raccrocher.
Lucas resta médusé pendant quelques secondes après l’appel, le téléphone toujours à l’oreille, les yeux grands ouverts.
Quel phénomène de foire, ce type. J’espère ne plus jamais avoir affaire à lui.

***

À son réveil le lendemain matin, il fut surpris de découvrir une dizaine de messages et d’appels en absence sur son portable. La plupart provenait de Marie.
Soit ça sent très bon, soit ça pue.
Il ouvrit le dernier texto en date.
Citer
T’aurais jamais dû faire ça, t’as grave foiré ! Fais-moi signe quand t’auras émergé et on ira lancer du PQ sur la maison de ce mariole.
Paniqué, il alluma rapidement son ordinateur portable et se rendit sur le blog des Petites Ailes. Quelle ne fut pas sa surprise en découvrant le gros titre :
Citer
L’ALIEN QUI MURMURAIT AUX OREILLES DE JEANNE D’ARC
Bon sang de bonsoir !
Il commença à lire l’article, les yeux rivés sur son écran, sans jamais cligner des yeux.
Citer
C’est en tout cas ce qu’annonce Lucas Boffin, un écolier juvénile qui prétend avoir trouvé la clef de voûte qui lie tous les évènements de nos manuels d’histoire.
Selon ses dires, c’est un extra-terrestre qui aurait guidé les pas de la Pucelle d’Orléans. Il en irait de même pour Jules César, George Washington ou même Napoléon Bonaparte, toujours d’après le candide auteur. Les rares historiens ayant accepté de commenter parlent de « propos grotesques » et « délirants ».
Ah le fumier ! Il n’a écrit que ce qui l’intéressait pour faire le buzz avec son torchon !
Lucas ferma brutalement le capot de son ordinateur sans même prendre le temps de lire la suite de l’article. Il était furieux.
Quand je pense que j’ai cru qu’il m’aiderait à partager ma découverte, pensa-t-il en se levant de sa chaise. Dans un terrible accès de rage, il envoya valser tous les livres et documents qui s’amoncelaient sur son bureau.
Il alla dans sa salle de bains exiguë et se jeta de l’eau à la figure. Tremblant de colère, il releva la tête et se regarda droit dans les yeux. Il arborait une mine épouvantable. Des cernes s’étaient creusées sous ses yeux verts, ses cheveux bruns étaient tout ébouriffés et sa barbe naissante manquait cruellement d’entretien.
Comment est-ce que je vais faire pour être pris au sérieux, maintenant ? Cette ordure m’a fait perdre toute crédibilité !
Toujours bouillonnant, il décida de ne pas se rendre en cours ce jour-là. Il ne souhaitait pas être la cible de railleries de la part de ses camarades de promo.
De toute façon, vu ma concentration en cours, ça ne changera pas grand-chose.
À la place, il passa la journée à déplorer les répercussions de ce ridicule article. Il commença par découvrir le lien du blog partagé sur certains forums d’amateurs d’Histoire qu’il appréciait particulièrement. Sur l’un d’entre eux, il tenta de défendre sa vision des choses, mais l’administrateur préféra supprimer ses messages et bloquer son compte. L’affaire s’accéléra lorsqu’il reçut un appel inquiet de Marie, qui lui apprit que l’article avait été partagé sur Instagram et TikTok par de multiples « influenceurs » autoproclamés. Le pire arriva en fin d’après-midi, lorsque la nouvelle fut diffusée par plusieurs personnalités publiques sur Twitter, telles de vulgaires fake news.
Et ainsi s’acheva ma brève carrière d’historien, droit dans les égouts, se lamenta-t-il. Tout ça à cause d’un article mensonger.
Il était exténué par toute la colère accumulée pendant la journée. Il aurait voulu se défendre, mais il se s’en sentait plus la force. Marie tenta de l’appeler, mais il préféra ne pas répondre. Après avoir appuyé sur « Raccrocher », il lâcha son téléphone et fondit en larmes.
Peu après le coucher du soleil, quelqu’un toqua à sa porte. Quand il l’ouvrit, il trouva un couloir silencieux et vide. Il baissa ensuite les yeux et découvrit une enveloppe scellée sur son paillasson dégarni. Le sceau qui cachetait la lettre ne lui était pas inconnu : un aigle surmontant un sablier.
Il arracha à moitié l’enveloppe en l’ouvrant frénétiquement, son cœur battant la chamade. À l’intérieur se trouvait une unique note, dactylographiée.
Citer
Si tu souhaites avoir les réponses à tes questions, rendez-vous demain à dix-huit heures au pied de la fontaine de la place Maréchal-Lyautey.

***

Lucas passa la matinée du lendemain dans son minuscule appartement à répondre du mieux qu’il pouvait aux sollicitations de quelques journalistes et influenceurs. Ils se montraient enthousiasmés à l’idée d’augmenter le taux d’engagement de leurs publications en surfant sur sa mauvaise publicité.
À l’approche de midi, l’appétit lui manquait mais il se força tout de même à avaler quelques bouts de pain. Même s’il n’avait pas faim, il savait aussi très bien qu’avec le peu de sommeil qu’il avait emmagasiné ces derniers jours, il risquait le malaise à tout moment s’il ne prenait pas un peu de forces.
Il passa ensuite les heures suivantes à faire les cent pas, ressassant constamment tout ce qu’il avait appris en si peu de temps.
Qui est ce Pèlerin ? Qui m’a laissé cette note ? Pourquoi est-ce que tout ça arrive à moi et pas à quelqu’un d’autre ? Il me faut des réponses.
Agité comme il était, Lucas décida finalement de se rendre à la convocation près d’une demi-heure en avance. Quitte à ne rien faire, il se dit que l’air frais de l’automne pourrait lui mettre les idées au clair.
Il arriva sur la place par le nord, passa devant l’aire de jeux pour enfants et se trouva face à la fontaine monumentale. Elle était composée d’un bassin surmonté par cinq vasques, recevant les jets d’eau crachés par cinq têtes de lion. L’élément central de la fontaine était la grande statue d’une femme, coiffée d’une couronne murale et drapée d’une longue robe à la romaine.
Lucas s’assit sur la margelle du bassin et regarda les passants défiler. Une vieille dame, assise sur un banc, lançait des miettes de pain aux pigeons. Plus loin, un couple d’adolescents se bécotait sans se soucier des regards extérieurs.
Il vit arriver au loin une femme d’âge mûr aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Elle avançait d’un pas décidé vers la fontaine. Lucas se redressa d’un coup.
Mais c’est Mme Chaumine ! Bon sang de bonsoir, est-ce qu’il se pourrait que…
—   Bonsoir Lucas, dit-elle en approchant, interrompant ses pensées.
—   Mme Chaumine, je… qu’est-ce que vous faites là ? balbutia-t-il.
—   Suis-moi, je dois te montrer quelque chose d’important.
Elle se mit en mouvement sans même attendre la réponse de Lucas. Le jeune homme hésita un instant, puis se leva pour la suivre.
Elle le mena vers l’une des extrémités de la place, puis ils descendirent ensemble un escalier en métal menant au parking souterrain.
Mais où est-ce qu’elle m’emmène ? Après tout, je ne la connais pas si bien que ça. Peut-être que je devrais me méfier…
Ils avancèrent en silence à travers les allées de voitures. Le parking, gris et froid, était rempli de véhicules, mais ils ne rencontrèrent pas âme qui vive. Seul l’écho répondait à leurs bruits de pas.
Lucas se risqua à rompre la quiétude des lieux.
—   C’est vous qui m’avez adressé cette lettre ? demanda-t-il en tendant la mystérieuse note reçue la veille.
—   Oui, répondit-elle froidement.
—   Comment vous avez eu mon adresse ?
—   À ton avis ? Je fais partie du corps enseignant de ta fac, donc j’ai accès à ton dossier.
—   Ah, oui. Et on va où, comme ça ?
—   Tu verras.
Bon, j’ai compris, je n’en tirerai rien pour l’instant.
Ils s’arrêtèrent finalement face à une porte grise en métal, poinçonnée d’un simple panneau rouge « Accès réservé au personnel ». Le genre de portes discrètes auxquelles le quidam moyen ne prête jamais attention. Mme Chaumine frappa quatre coups distincts et la porte s’ouvrit dans un lourd grincement.
La pièce, toute en longueur, était beaucoup plus grande qu’il n’y paraissait au premier abord. Elle était aussi bien plus obscure que le parking, lui-même convenablement éclairé. Le plafond était peint en noir et les murs étaient recouverts de draperies de velours rouge. Au sol, un lino en forme de damier noir et blanc avait été posé par-dessus la résine du parking. À droite et à gauche, deux rangées de chaises en bois se faisaient face. Tous les sièges, une vingtaine au total, étaient occupés par des femmes et des hommes — à l’exception d’un seul. Une petite table du même acabit trônait seule au milieu. Un modeste stylo en métal gris reposait dessus. Au fond de la pièce se trouvait un épais rideau gris anthracite.
Mme Chaumine l’invita à entrer, ferma lourdement la porte derrière eux et alla s’asseoir sur la chaise laissée libre. Tout le monde le regardait en silence. Il pouvait entendre son propre cœur taper contre sa poitrine.
Il analysa tous les visages un par un et s’arrêta soudain sur celui d’une jeune fille brune.
—   Mimi ! cria-t-il, à la fois rassuré et perplexe. Mais qu’est-ce que tu fous ici ?
Elle lui adressa un sourire en coin, puis serra les poings et baissa silencieusement le regard.
—   Bienvenue, Lucas, annonça solennellement un homme inconnu assis sur sa gauche. Nous sommes la Confrérie du Temps.
Le jeune homme était seul debout au milieu de la pièce. Malgré la présence inattendue de Marie, il se sentait particulièrement mal à l’aise.
Hormis ceux de Mimi et de Mme Chaumine, aucun de ces visages ne m’est familier. Pourtant, je jurerais avoir déjà entendu cette voix.
—   Au vu de l’expression de ton visage, j’en déduis que tu commences à deviner, continua-t-il. Je suis effectivement le blogueur qui t’a appelé avant-hier soir.
—   Vous ! s’indigna l’étudiant. Pourquoi est-ce que vous m’avez fait ça ? Pourquoi vous m’avez descendu publiquement ?
—   Pour jeter le discrédit sur tes recherches. Pour que le grand public te considère comme un illuminé. Notre communauté est secrète et doit le rester.
—   Je… je ne comprends pas, marmonna Lucas.
Il sentait que tout son corps s’était raidi. Sa gorge devenait sèche. Il recula à petits pas jusqu’à ce que ses talons heurtent la porte en métal. Dans son dos, il attrapa discrètement la poignée et la tourna pour s’échapper.
Bon Dieu, elle l’a verrouillée, la sorcière !
—   Tu vas vite comprendre, s’exclama une voix puissante derrière le rideau gris.
Un homme d’une cinquantaine d’années fit son apparition. Lucas ne l’avait jamais vu de sa vie — ou du moins, si tel était le cas, il ne s’en souvenait pas. L’inconnu paraissait tout à fait ordinaire. Il portait un pantalon beige et une simple chemise bleue en denim. Ses traits étaient creusés par le temps, mais ses yeux verts dégageaient un sentiment de jeunesse et de vitalité. Sans réellement comprendre pourquoi, l’étudiant se sentit rassuré par la présence de cette figure.
—   Vous êtes qui, vous ?
—   On m’a appelé de bien des façons tout au long de mon existence, mais le surnom qui semble le plus coller à ma peau — encore plus maintenant — est le Pèlerin.
Lucas recula d’un coup sa tête, comme s’il avait reçu un uppercut. Il revint lentement à sa position initiale, ferma fort les yeux et leva la paume de sa main gauche en direction du Pèlerin, comme pour lui demander de s’arrêter un instant.
—   Quoi ? s’écria-t-il enfin. Qu’est-ce que vous me chantez, là ?
—   Je sais que tu vas avoir du mal à comprendre, mais je vais prendre le temps de t’expliquer. Vois-tu, je suis un voyageur temporel.
Non mais je nage en plein délire !
—   J’ai passé le plus clair de ma vie dans des époques antérieures à la mienne, poursuivit le Pèlerin. C’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui. Selon ma propre temporalité, je viens de l’année 2056.
L’auditoire demeurait religieusement silencieux, se contentant uniquement de tourner la tête en direction de la personne qui s’exprimait, tel le public d’un match de tennis.
—   Le monde tel que tu le connais aujourd’hui a été largement façonné par cette Confrérie.
—   C’est-à-dire ?
—   Disons que nous avons régulièrement donné des coups de pouce aux personnes qui en avaient le plus besoin. Parfois d’illustres personnages, mais parfois aussi des anonymes. Prenons l’exemple de Napoléon 1er. Je sais que c’est grâce à ses correspondances que tu as découvert mon existence.
—   En effet.
—   Eh bien sans notre influence sur l’Histoire, il serait resté un ambitieux jeune général sans réel pouvoir politique, tel qu’il l’avait été avant la campagne d’Égypte. Seulement voilà, la France post-Révolution était dans un état socio-économique déplorable, au bord de l’implosion. La Nation avait besoin d’une figure autoritaire pour rétablir l’ordre, un personnage fort capable d’unir les royalistes et les Jacobins derrière un même drapeau. Nous lui avons donné cette opportunité.
—   Donc vous avez modifié le cours de l’Histoire, c’est ça ?
—   Pas vraiment, c’est plus compliqué que cela. Oublie les histoires de voyages temporels à dormir debout que Hollywood t’a servies toute ta vie. En réalité, il est impossible de modifier le passé. As-tu déjà entendu parler du concept de « boucle de causalité » ?
Le jeune homme ne savait pas quoi répondre. Il en avait certes déjà entendu parler dans une de ses séries de science-fiction préférées, mais il préféra faire « non » de la tête pour en savoir plus.
—   Une boucle de causalité est un paradoxe temporel dans lequel un évènement passé influe sur un évènement futur, qui lui-même influe sur ce même évènement passé, formant ainsi une boucle sans fin. Prenons un exemple simple : supposons que je copie la partition de la Symphonie n° 9 de Beethoven, puis que je retourne dans le passé pour la donner au compositeur avant qu’il ne l’élabore. Ainsi, la carrière de Beethoven se retrouverait influencée par le futur. Or, la raison pour laquelle je suis capable de copier cette partition aujourd’hui est qu’elle a déjà été écrite par le passé. On rentre donc dans une boucle infinie.
—   Mais du coup, dans ce cas de figure, qui serait le réel auteur de cette symphonie ?
—   Eh bien personne, justement. Cette composition n’aurait, pour ainsi dire, aucune origine.
La tête de Lucas sembla sur le point d’exploser. Le manque de sommeil n’aidait pas. 
—   OK, soit. Quel rapport avec cette communauté ?
Le Pèlerin marqua une pause. Il prit une grande inspiration, puis reprit son explication.
—   Cette Confrérie, tout comme la Symphonie, n’a pas de commencement. Vois-tu, ce que je cherche à te faire comprendre, c’est que nous vivons au quotidien dans une telle boucle causale. Voilà pourquoi il nous est impossible de modifier le cours de l’Histoire : ce qui s’est passé s’est déjà passé. Il n’existe pas de chronologie alternative. Le passé est unique, en revanche les perspectives peuvent potentiellement être multiples. Si je reviens dans mon propre passé, il existera la perspective de mon moi jeune, mais aussi celle de mon moi actuel. Ainsi, un voyageur temporel n’est pas tout à fait libre de ses actions lorsque qu’il se rend dans le passé. Il ne peut pas faire ce qui n’a jamais été fait, par contre il peut — et il doit — répéter ce qui s’est déjà produit.
—   Mais alors, qu’est-ce qu’il se passe si je reviens dans mon propre passé pour tuer mon grand-père avant qu’il ne rencontre ma grand-mère ?
—   Le continuum t’en empêchera car cela n’a jamais eu lieu. Quelque chose viendra nécessairement entraver tes plans. Par exemple, ton pistolet va s’enrayer, ou bien tu vas arriver trop tard et rater ta cible.
—   Donc vous êtes en train d’insinuer que l’Histoire est dotée de volonté propre ?
—   Pas du tout. Il s’agit là d’une lecture un peu naïve des évènements.
« Naïve » ? Excuse-moi d’essayer de mettre de l’ordre dans ce charabia !
—   Si ton arme s’enraye, reprit le Pèlerin, ce n’est pas le fait d’une forme d’intelligence supérieure, c’est qu’il s’est déjà enrayé dans le passé. Car si cela n’avait pas été le cas, ton grand-père n’aurait pas eu d’enfant et tu n’existerais pas.
Tellement de questions passaient par la tête de Lucas qu’il avait du mal à les prioriser, puis à les articuler.
—   Mais alors, vous qui venez de l’année 2056, ça veut dire que selon votre point de vue, la discussion que nous avons maintenant s’est déjà passée. Correct ?
—   Exactement. De la même manière que j’ai fondé cette Confrérie car elle a déjà été fondée — par moi-même.
—   Et qui sont ces gens autour de nous ? demanda le jeune homme en les balayant du regard. Que viennent faire Mimi et Mme Chaumine dans cette affaire ?
—   Ces personnes que tu vois sont toutes des professionnels de l’Histoire — professeurs, chercheurs, étudiants, documentalistes, archéologues… Leur rôle est de relever, puis de documenter toutes les actions perpétrées par mes soins tout au long de l’Histoire.
—   Comment vous pouvez être sûrs de ne pas avoir raté l’une de vos altérations ?
—   Pour la même raison que précédemment : ces altérations ont déjà eu lieu, donc nécessairement, cela implique que nous ne les avons pas ratées. Si elles nous avaient échappé, elles n’auraient pas eu lieu. Tu comprends ? Il faut que tu te mettes en tête que dans le cas de voyages temporels, le libre arbitre n’est qu’une illusion.
—   J’ai un peu de mal… Pourquoi est-ce que vous tenez tant à documenter tout ce que vous faites ?
—   Eh bien justement de manière à fournir à mon moi jeune des informations sur ce qu’il devra réaliser quand il sera en possession de la machine à voyager dans le temps.
Lucas réalisa soudain qu’il ne s’était même pas encore demandé comment l’inconnu parvenait à faire des bonds dans le passé.
Une « machine » ? J’espère que c’est une DeLorean !
—   Je suis navré mais ce n’est pas une DeLorean, rétorqua le Pèlerin, comme s’il avait lu dans ses pensées. Laisse-moi te montrer.
Il avança vers le centre de la pièce, au plus près de la table. Il se saisit du cylindre en métal, puis le lui présenta.
Bon sang de bonsoir ! Ce n’est pas un stylo, c’est la machine !
L’une des extrémités émettait une faible lumière rouge. Au milieu de l’objet, un renfoncement abritait cinq molettes grises pour régler respectivement le jour, le mois, l’année, l’heure et la minute du voyage. Juste en dessous des molettes se trouvait un gros bouton vert.
L’inconnu l’actionna. L’appareil se mit à siffler. La faible lumière rouge émit un bref flash qui aveugla temporairement l’auditoire. Quand il recouvra la vue, Lucas découvrit avec stupéfaction une sphère noire, approximativement de la taille d’une bille, flottant face au cylindre.
—   Ceci est un pont d’Einstein-Rosen, également connu sous le nom de « trou de ver ». En courbant l’espace-temps, il permet de voyager instantanément d’un point à l’autre de celui-ci. Si tu le touches, tu seras soudainement aspiré par le pont, comme si tu passais à travers le hublot fissuré d’un avion volant à haute altitude.
Lucas fixait la sphère noire sans cligner des yeux. Comme hypnotisé, il avança lentement son doigt en sa direction. Le Pèlerin appuya derechef sur le bouton vert et la sphère disparut dans un nouveau flash rouge. L’étudiant reprit alors ses esprits.
—   Mais pour quelle raison vous me racontez tout ça ?
—   Parce que je te l’ai déjà raconté. Rappelle-toi que je viens du futur, donc tout ce qu’il se passe actuellement a, selon mon point de vue, déjà été écrit.
Le Pèlerin prononça ces mots tout en avançant progressivement, pas après pas, en direction de Lucas. Ce dernier se trouvait toujours contre la porte en métal, mais n’avait plus pour objectif de fuir. Il voulait en savoir plus. Il avait besoin d’en savoir plus.
—   Il y a une autre raison pour laquelle nous t’avons fait venir ici ce soir, ajouta l’inconnu.
Le cœur de Lucas était sur le point d’exploser.
Avec ma chance, si ça se trouve, cette Confrérie est une secte qui pratique le sacrifice humain…
Le Pèlerin se trouvait maintenant à quelques centimètres de l’étudiant, face à lui. La salle résonnait d’un silence de plomb. Il prit la main du jeune homme, la tourna paume vers le haut. Le front de Lucas perlait de sueur. Il ne quittait pas l’inconnu des yeux. Puis il tressaillit quand il sentit un objet métallique froid dans sa main.
Une lame ! Je suis foutu ! J’aurais dû m’échapper avant d’entrer dans cette maudite pièce !
Il baissa le regard et constata que le Pèlerin lui avait déposé la machine à voyager dans le temps dans sa paume.
—   Mon temps ici est révolu. Les voyages temporels affectent grandement la santé, tu le découvriras par toi-même. Il est l’heure pour moi de prendre ma retraite. Désormais, c’est toi le chef de la Confrérie.
Lucas tomba des nues.
—   Moi ? Mais enfin, pourquoi moi ? s’exclama-t-il en panique.
—   Car ceci s’est déjà passé.
—   Mais comment vous le savez ? Vous l’avez lu quelque part, ça aussi ?
—   Je n’en ai pas eu besoin : je m’en rappelle.
Le jeune homme s’arrêta une nouvelle fois de parler afin de se remettre les idées en place.
—   Comment ça, vous vous en rappelez ? Mais vous êtes qui, au juste ? lança Lucas, décontenancé.
—   Bon sang de bonsoir, ne le comprends-tu donc pas ?

Hors ligne Corsaire

  • Scribe
  • Messages: 62
Re : Le Pèlerin du Temps (complet)
« Réponse #1 le: 11 février 2021 à 10:53:44 »
bonjour Nikwakwa

Petit avis rapide, j'ai bien aimé ta nouvelle. Cela se lit bien et le pitch est original.

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.
"Puisque les événements nous échappent, feignons d'en être les organisateurs." (Jean Cocteau)
un peu de pub: une histoire qui pour le coup n'a aucune prise sur les événements... Périple d'un grain de sable

Hors ligne Nikwakwa

  • Plumelette
  • Messages: 9
Re : Le Pèlerin du Temps (complet)
« Réponse #2 le: 19 février 2021 à 12:53:41 »
Merci Corsaire pour ton avis, c'est appréciable !  ^^

Hors ligne Quaedam

  • Calliopéen
  • Messages: 468
  • Jean-Michel Palaref
Re : Le Pèlerin du Temps (complet)
« Réponse #3 le: 23 février 2021 à 21:23:33 »
Salut Nikwakwa,
Bienvenue sur le forum et merci pour ton texte  :calin:

Comment je n’ai jamais eu l’occasion de te commenter, je précise avant tout chose que je suis une critique amatrice et qu’il ne faut pas prendre mes conseils pour argent comptant. Je peux me tromper, tu as le droit de ne pas être d’accord avec moi, de faire librement le tri dans ce que je peux te rapporter et de comparer en fonction des autres retours.
Ca fait un peu peur comme introduction, mais je préfère insister pour ne pas te faire peur ou fuir :D
Je te préviens, mes commentaires sont loooooooooooooongs   :noange:

Voilà mon avis subjectif:

Partie 1
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


Partie 2 :
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


Partie 3 :
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


Partie 4
:
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


Bilan :
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

« Modifié: 23 février 2021 à 21:34:20 par Quaedam »

Hors ligne Nikwakwa

  • Plumelette
  • Messages: 9
Re : Le Pèlerin du Temps (complet)
« Réponse #4 le: 27 février 2021 à 18:53:43 »
OMG merci beaucoup Quaedam pour cette super critique, très honnêtement je n'en attendais pas tant !   :D

Non sérieusement c'est de loin la critique la plus constructive qu'on m'ait faite. Déjà parce que tu m'expliques ce qui ne colle pas dans la narration (ce qui était mon objectif numéro 1 en postant ici), mais aussi tu mets le doigt sur mes problèmes de forme et ça c'est un gros gros plus qui me servira probablement toute ma vie ! Bon okay je m'enflamme peut-être un peu, mais tu vois ce que je veux dire.  ;D

A l'occasion, il faudra que je te fasse lire la nouvelle que je trouve la plus aboutie jusque-là (que j'ai d'ailleurs autoéditée sur Amazon, pour le fun). Je la posterai sur MdE un jour.  :)

Bon, maintenant j'ai du pain sur la planche. Merci encore et bonne soirée !

Hors ligne Quaedam

  • Calliopéen
  • Messages: 468
  • Jean-Michel Palaref
Re : Le Pèlerin du Temps (complet)
« Réponse #5 le: 28 février 2021 à 12:30:00 »
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OMG merci beaucoup Quaedam pour cette super critique, très honnêtement je n'en attendais pas tant
Hahaha mais de rien, je suis contente que tu le prennes aussi bien ^^ Je me suis dit que c’était un peu dur d’avoir dans ses premiers commentaires quelqu’un d’aussi tatillon que moi.  :noange:

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Non sérieusement c'est de loin la critique la plus constructive qu'on m'ait faite. Déjà parce que tu m'expliques ce qui ne colle pas dans la narration (ce qui était mon objectif numéro 1 en postant ici), mais aussi tu mets le doigt sur mes problèmes de forme et ça c'est un gros gros plus qui me servira probablement toute ma vie ! Bon okay je m'enflamme peut-être un peu, mais tu vois ce que je veux dire
Hahaha mon égo va atteindre des sommets  :D J’espère qu’effectivement c’est petit tips vont t’aider. Après j’ai une façon très classique d’écrire, je prends peu de liberté avec la langue, donc je ne suis pas utile pour tous les types d’écrivains.

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A l'occasion, il faudra que je te fasse lire la nouvelle que je trouve la plus aboutie jusque-là (que j'ai d'ailleurs autoéditée sur Amazon, pour le fun). Je la posterai sur MdE un jour.
Je serais très curieuse de la lire sur le forum si un jour tu la postes. Tu peux aussi n’en donner que des extraits dans les textes cours si tu préfères.
Citer
Bon, maintenant j'ai du pain sur la planche. Merci encore et bonne soirée !
Bon courage à toi et amuse toi bien (c’est le plus important \o/)

 


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