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07 février 2025 à 15:22:50
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » Le journal intime d'un escroc

Auteur Sujet: Le journal intime d'un escroc  (Lu 338 fois)

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Le journal intime d'un escroc
« le: 29 juin 2024 à 18:26:13 »
Le journal intime d’un escroc

Par le velux, la lumière laiteuse du matin tombe sur la petite table. C’est le moment où Felix Bonneau décide de s’y asseoir. Cela fait plusieurs semaines que l’idée trottait en lui, sans pouvoir s’y résoudre. L’idée d’écrire. De commencer une sorte de journal intime. Le cahier est ouvert comme les bras d'une fille s'apprêtant à recevoir une déclaration. Felix prend son stylo, il s’applique aux premières phrases qui s’apparentent sourdement à un besoin plus profond de comprendre. Il commence ainsi ;
« Je suis intéressé par tous les mécanismes. Pas ceux des moteurs et des machines, mais par celui des humains. Plus spécialement le mécanisme qui relie les humains avec les systèmes et leurs valeurs. Je suis intrigué par un esprit qui veut altérer un mécanisme. Il en cherche d’abord la faille par laquelle il se glissera pour échafauder un plan. Cet esprit a une imagination redoutable, entièrement au service de son intérêt. Cette imagination, il est sans doute immoral de la qualifier intelligente, pourtant aucun autre mot ne convient. Et cette imagination néfaste mérite l’admiration. »
A ce moment Felix Bonneau mate le ciel à travers le velux. Sur la gazinière est en train de chauffer l’eau pour un thé noir du Sri Lanka, le préféré de Felix, qui tortille nerveusement son stylo entre ses doigts pour continuer son journal.
« Je peine à écrire à la première personne. Il est indéniable que je partage cette admiration. Il est probable que je me compte parmi ces esprits qui se glissent dans la faille. Je me dois d’observer tous les besoins de mes congénères. Ces besoins qui sont autant de faiblesses. Ces besoins respectivement sont l’objets de mécanismes qui régissent la relation de l’individu avec un système. La famille, les banques, l’automobile, les loisirs, l’emploi, le sexe, la religion, mais aussi d’autres activités qui rassemblent les individus. J’observe ce qui fait dévier la trajectoire de ces besoins institués et de leurs usagers. L’objectif de cette déviation est bien sûr d’en tirer profit, comme une victoire personnelle sur tous les systèmes. Est-ce une revanche ? »
La bouilloire sifflote, l’eau frémit. Felix verse l’eau dans une théière en terre qu’il s’est fait directement expédier de Yixing. Quelques nuages ourlent le ciel, ombrant un peu les pages blanches du cahier.
« Si c’est une revanche, c’est celle sur mon passé. Je ne suis pas un gamin de pauvres. Il ne m’a rien manqué de matériel. Faut-il incriminer d’autres raisons ? Ai-je manqué d’amour ? comme diraient les manuels psychologiques. Tout le monde peut s’engouffrer dans cette carence. Se plaindre, geindre, s’apitoyer. Je n’accepte pas de me joindre au chœur des lamentations. C’est trop facile. Les adultes transmettent à leur descendance ce qu’ils peuvent. Eux-mêmes sont aussi les descendants et les dépositaires des manques de leurs ancêtres. Subvertir les systèmes est une addiction qui remonte à plus loin. Un sentiment d’étouffement, d’enfermement. Le gamin que j’étais ouvrait le ventre de son réveil matin, et tous les autres jouets à ma disposition. Le gamin voulait savoir comment c’était fichu là-dedans, sous les garnitures qui cachent le comment ça marche. Avec un canif, un tournevis, on démonte. On évite le marteau qui n’est qu’un accessoire de colère et d’impuissance. Détecter par la pointe d’une lame la fente où les parties se rejoignent pour compléter l’ensemble, produit une griserie formidable. Et quand les parties s’ouvrent sous l’effet de votre geste, le moteur des choses se révèle à vous. Les rouages du mécanisme. Le pourquoi c’est comme ça. La compréhension magique d’un mystère… »
Sur le velux s’est posé un oiseau. Felix le contemple, bénéficiant de sa position en dessous du volatil, dont chaque usager d’un velux a le privilège. Voir le monde sous un autre angle. Ni de face, ni de côté, ni de biais, mais par en-dessous. Le dessous de l’être. En l’occurrence ici le dessous de l’oiseau. Un autre le rejoint, de même espèce semble-t-il. Mais Félix ne sait pas laquelle. Agacé, il cherche dans ses encyclopédies. Pas l’ordinateur, c’est trop facile. Dans l’encyclopédie, il y a toute la genèse d’un travail pour parvenir à la réponse. D’après le plumage, les couleurs, le gabarit de l’oiseau, Félix présume qu’il s’agit d’un cochevis huppé.  Il est ravi d’apprendre que des cochevis huppés choisissent son velux comme base d’atterrissage. Pour une fois il ne devra pas saisir de bistouri pour démonter la garniture et découvrir l’intérieur, l’intime, l’enfoui. Pendant ce temps le thé noir infuse dans la théière en terre. Félix, déterminé, reprend son stylo.
« Quelle aubaine d’habiter sous un velux ! Ce n’est pas un hasard si cette chambre privée de fenêtre s’est offerte à moi. Je vois ce qui ne pense pas être vu. Je surveille. Je surprends. Sous un angle inédit à l’insu de tout le monde. Je vois la neige tomber et fondre en cristaux. Je vois les feuilles des arbres se coller à ma vitre et leurs nervures translucides mouillées sécher et se craqueler avant de repartir en poussières dans le vent. Je vois les pattes, leurs doigts, leurs griffes, coccyx, croupion, des oiseaux qui se posent. Je vois leurs mœurs, leurs échanges, jusqu’à leurs états d’âme lorsqu’ils découvrent que par en dessous mon œil les espionne. Quelques brefs coups de bec viennent heurter le carreau du velux. Je ne sais si c’est d’approbation ou de colère d’avoir été surpris dans leur halte sur mon toit. Je ne parle pas des papillons ou autres insectes qui visitent mon velux d’un modèle horizontal à pente minima. Une récompense aussi m’est offerte. Si le visiteur me convient, j’ouvre cette étrange lucarne et le visiteur ne peut résister à la douce inclinaison qui le fait glisser illico presto sur la moquette de ma chambre, à moins que ce ne soit dans mes bras s’il s’agit d’une hirondelle, d’une mésange, ou un chaton qui s’est aventuré sur ma toiture. Cela dépend de mon humeur du jour. Empathie ou cynisme à épier sans jamais partager. Mais une lucarne en verre au-dessus de ma tête réserve le meilleur comme le pire. Je reçois aussi les déjections de la nature. Fiente ou autres cochonneries. Crasse industrielle. Papiers gras déposés par le vent. Linges qui se décrochent de leur séchoir. Bave, urine des animaux qui se lâchent sans précaution. »
Un peu dégouté, Felix Bonneau à son tour fait une pause. Il boit une lampée de thé. Il en retient le plus longuement possible dans la gorge la saveur poivrée qui le réconforte. Une hésitation semble retenir son retour à l’écriture, comme si de celle-ci dépendait un aveu. Le journal intime devient le confident de ce qu’on redoute. Le défrichage d’un secret par les mots. La lecture des mots forment comme une voix qui parle. Elle s’adresse à tous. Felix écrit ;
« Après la lame de la pensée qui ouvre les systèmes, ne reste plus que le choix. La décision d’utiliser la connaissance qu’on acquiert d’un système pour son profit. C’est en ce sens que le génie de l’escroquerie commence à ourdir sa toile. Je dois trouver des masques, des ruses. Me protéger. Me cacher dans des chambres à velux pour piéger la société. J’entends des bruits dans le couloir. Mon thé a refroidi, mais je le bois pour retarder ce moment où je dois ouvrir la porte. Pour l’escroc que je suis chaque bruit banal est une menace, c’est le prix à payer. Sur ma porte j’ai changé mon nom. Je ne m’appelle pas Félix Bonneau, mon identité est incertaine dans la confrérie des arnaqueurs, des brouteurs, des hackeurs, des bidouilleurs, et autres lézards malveillants, où tout le monde et personne ne se reconnaît. »
C’est alors qu’alias Félix Bonneau croit subitement apercevoir par le velux des ombres passer. Celles de la loi policière ou celles de malfaiteurs encore plus filous que Félix, puisque dans ce milieu aucune frontière n’est visible. Mais une voix flûtée derrière la porte demande « Pardon de vous déranger monsieur, c’est moi, Babette, votre voisine. J’ai des bonnes conserves de confit de canard, auriez-vous un ouvre-boîte à me prêter ? Bien sûr après je vous invite à partager le confit avec moi ».
Félix est toujours bien outillé, et de plus Babette est une jeune femme qui ne laisse pas indifférent un escroc. 


« Modifié: 06 juillet 2024 à 19:00:24 par LOF »
Lof

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Re : Le journal intime d'un escroc
« Réponse #1 le: 02 juillet 2024 à 19:11:05 »
 
 Les médias nous balancent tellement d'infos sur les escroqueries,
 et chacun nous pouvons en être victime,
 j'ai voulu (à ma manière) aborder ce sujet, comprendre le processus de l'escroquerie de l'intérieur,
 subjectivement.
 Je ne sais pas si tout cela est compréhensible...
« Modifié: 03 juillet 2024 à 09:47:31 par LOF »
Lof

Hors ligne Esmée

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Re : Le journal intime d'un escroc
« Réponse #2 le: 05 juillet 2024 à 18:12:13 »
Salut Lof,

Ton texte est dense, complexe et évoque complétement les pensées divagantes qu'on offre à un journal intime. La comparaison entre le système mécanique et l'esprit est juste et bien menée. Les oiseaux, qu'on présente habituellement comme étant les obserateurs silencieux, sont ici les observés et ça aussi, c'est bien trouvé.

Deux remarques sur la plume en elle-même :

- Par le velux, la lumière laiteuse du matin tombe sur la petite table. C’est le moment où Felix Bonneau décide de s’y asseoir. Cela fait plusieurs semaines que l’idée trottait en lui, sans pouvoir s’y résoudre. L’idée d’écrire. De commencer une sorte de journal intime. Le cahier est ouvert sous la clarté du petit jour qui filtre par le velux de la chambre.
Il y a une redite ici sur l'ambiance dans la pièce. Peut-être est-ce voulu mais ça ne me semble pas utile d'insister sur le cadre.

- "un thé noir du Sri Lanka, le seul préféré de Felix" : c'est bizarre d'adjoindre ces deux adjectifs. Plutôt "le préféré de Félix" ou "le seul que Félix aime" ?

Y'aura-t-il une suite ? On a envie de savoir ce qui va arriver à ce héros de film en noir et blanc  ;)


Hors ligne LOF

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Re : Le journal intime d'un escroc
« Réponse #3 le: 10 juillet 2024 à 08:15:51 »

 Merci Esmée pour tes remarques, j'ai fait les corrections.
 Tu es la seule à avoir osé la lecture du journal d'un escroc !
 
 Quant à une suite, je suis sur les formats courts en ce moment, et l'intrigue n'est pas mon fort.
Lof

 


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