[Vivi]

Il regarde le corps de la femme couchée sur le sol. Le sang a giclé par saccades, aspergé l'épaule nue pour finir absorbé par le paillasson rosé. Jimbo regarde l'androïde avec méfiance. Même si son programme l'empêche de s'en prendre aux humains, voilà le seul "individu" disponible pour une discussion. Il commence sans ambages :
— Avez-vous vu l'agression ?
— Non ! déclare le boy en ferraille.
— Vous fabriquiez quoi, alors ?
— Je préparais le repas du soir dans la cuisine.
Le vieux médecin se relève avec peine.
— Alors pèpère, des nouvelles ? demande Jimbo hilare à son vieil ami.
— Décédée depuis une dizaine d'heures, coupure régulière, professionnel. J'en saurais plus après un examen dans mon labo.
— Bon, alors emmène-moi ça !
Puis il s'adresse de nouveau à l'androïde :
— Décrivez-moi la journée sans rien oublier, hein ?
— Je me suis animé à six heures. J'ai préparé le repas pour eux deux.
— Eux deux ? relève Jimbo d'un air suspicieux.
— Un homme a couché avec elle.
— Il ressemble à quoi ? Vous avez un nom ?
— Elle l'appelle Davy, nom inconnu, 1m80, blond, cheveux coupés en brosse, yeux bleus, barbe de marin fournie, musculeux, habillé d'un blaser bleu ciel, nœud papillon mauve, chemise blanche à larges rayures roses pâles, chaussures marrons, jeans délavé ; enfin, fume le cigare, mais pas à la maison.
Jimbo alpague un collègue qui passe, puis lui balance :
— Joe, cherche-moi ce gars.
Le flic fixe le papier griffonné, fronce les sourcils pour déchiffrer le gribouillage, puis s'en va l'air blasé.
— Après le repas des amoureux, vous avez… ?
— J'ai lavé la vaisselle, le sol, les carreaux, le linge, les draps, les…
— Une vraie bonniche, ma parole !
— J'ai alors préparé le repas de midi.
— Mais la nana ?
— Madame a dormi.
— Où ça ?
— Ici !
Jimbo regarde le sol…
— Heuh… Madame se couche là d'ordinaire !?
— Non. Rien qu'aujourd'hui.
— Ça ne vous surprend pas ?
— Je ne juge pas Madame, je suis son boy. Que son boy, elle le rabâche plusieurs fois.
Jimbo devine un propos caché dans ces paroles. Il essaye quelque chose :
— Quand elle pisse le sang, ça ne vous alarme pas ?
— Ça lui arrive parfois.
— Genre chaque mois ?
— Oui. Vous connaissez bien Madame !
Jimbo pose sa main sur son visage, espère se réveiller de ce cauchemar, mais le réveil ne sonne pas. Il persévère donc :
— En dehors de laver, préparer à manger, Madame vous réclame pour faire de nouvelles choses ?
— Oui. Madame me couche, s'assied sur moi, puis se remue.
— Hum… Où ça ?
— Là.
L'androïde indique l'aine. Jimbo se demande dans quelle baraque de dingue il exerce aujourd'hui.
— D'accord. Quelqu'un a la connaissance de ce genre d'usage.
— Oui.
— Qui ?
— Le mixeur !
— Le Quoi !!?
— Le mixeur !
Jimbo s'assied sur une chaise rembourrée pour assimiler la discussion insensée. "Bon, il sonne ce réveil ?" résonne la phrase dans son crâne qui bourdonne. Puis, il décide quand même de boire ce délire jusqu'à la lie :
— Il loge où ce mixeur ?
— Dans la cuisine.
— Je veux le voir.
L'androïde s'en va, ramène un mixeur gris clair, puis le pose au sol. L'appareil s'ouvre alors de lui-même pour devenir une machine naine qui bourdonne avec vigueur du grave à l'aiguë en séquence plus ou moins longues.
— Il lui manque une lame, remarque Jimbo.
— Le mixeur l'a donné à Madame.
— Quand ?
— Après le déjeuner.
— Il lui a donné ?
— À vrai dire, il l'a lancé avec véhémence. D'ailleurs, Madame l'a gardé, puis elle a dormi depuis.
Jimbo hallucine : il va devoir embarquer un mixeur pour homicide ! Le juge va le coffrer dans l'asile le plus proche, pour sûr ! Il va en finir :
— Il parle ?
— Non, mais je comprend ce qu'il vibre.
— Ah, un bon compagnon alors !
— Mieux, nous nous aimons.
Jimbo nage en plein dans un univers parallèle, où même une machine aime, voire supprime son prochain par… Jalousie ?
— Hey ! aboie Jimbo. Une machine ne s'en prend pas aux humains à cause du programme Asimov.
— Je suis dans ce cas. Mais le mixeur, non. Car je l'ai moi-même assemblé. Il a désiré que je ne joue plus avec Madame. Mais celle-ci ordonne, je me dois d'obéir. Je vous avoue que ça me répugne aussi bien que mixeur. Aujourd'hui, excédé, il a lancé une de ses lames sur Madame. Je n'ai rien pu faire, je vous assure. J'espérais que vous vous en prendriez au gars qui a couché avec elle. Enfin, vous allez devoir…
Soudain, une nouvelle lame cingle vers Jimbo. Absorbé par le discours du boy, le pauvre policier ne remarque rien, sauf une douleur aiguë sur son cou. Quand le sang gicle, il réalise que rien ne séparera jamais ces deux amoureux, jamais…


__________________________
EDIT : correction de Kerena.

[Dot Quote]

Hmm... Viviane je suis mitigé. Ces dialogues aux courtes phrases ne seraient ils pas le reflet d'une petite baisse de tension imaginative comblée avec des tirets ?

Je regrette presque ton lipogramme. Les dialogues sont un peu plats, pour ne pas dire convenus, la thématique policier science fiction promet, cependant je ne sais pas...

Avec la barre que tu as franchi sans N, j'attends mieux de ta part, du coup =)

[Vivi]

Comme quoi Je le trouvais mieux que l'autre moi lol. Plus fluide, plus rapide aussi.

J'avais envie d'essayer un texte plus vivant et rythmé en y mettant plus de dialogues. Bon avec le "t" en moins, ça me tue toutes les incises, mais ça me semblait être une bonne idée...
Peut-être que ça marcherait mieux au cinéma, mais que ce n'est pas adapté à la lecture ?
Attendons d'avoir d'autres avis

[Dot Quote]

Plus fluide, plus rapide aussi.

C'est vrai, mais ce n'est pas forcément ce qui attire en l'occurrence dans le dialogue : c'est juste sa principale caractéristique par rapport au texte brut, à ne pas user et abuser, donc...

J'avais envie d'essayer un texte plus vivant et rythmé en y mettant plus de dialogues. Bon avec le "t" en moins, ça me tue toutes les incises, mais ça me semblait être une bonne idée...

Maille gode, j'avais pas vu que c'était pour ton at (pourtant le scénario était clair, ouioui...)
Dans ce cas tout de suite je ne peux que relever mon jugement (me pardonneras tu un jour, c'était le premier).

Donc... petite vicieuse, pas de Tu pour un dialogue à deux, c'est de la torture !
Heureusement que y'a des sadiques et des masochistes parmi nous. Bref ! Pas de Ta gueule, de je t'avais dit, de tu m'énerves, ni même de je vais te tuer. C'est une contrainte juste : bien trouvée.
Et comme je me suis amusé/galéré à la suivre, je te tire mon chapeau pour avoir largement surpassé ta propre contrainte numérique (quoique les dialogues prennent plus de place, mais j'ai la flemme de compter de toutes façons).
donc :

— Avez-vous vu l'agression ?

- Non, je ne l'avais pas vu, mais j'en ai été le témoin un peu tardif, effectivement lorsque j'arrivais sur les lieux, le lipogramme était déjà révélé.

— Vous fabriquiez quoi, alors ?

- Et bien bon sang de bois, je préparais un commentaire en réponse à cette espace de tas de mots dont je ne saisissait pas l'intrigant handicap.

— Décrivez-moi la journée sans rien oublier, hein ?

- Eh bien, cher Jimbo, tout d'abord je me suis levé, et ai pris un petit déjeuné copieux qui n'avait peut être pas lieu d'être avant nos entrefaites : nous aurions pu nous exclamer de la scène et ainsi la décrire en plongeant encore plus le lecteur dans le dialogue, plutôt de démarer par un incipit vacillant.

— Eux deux ? relève Jimbo d'un air suspicieux.

- Mais oui, juste les tirets quoi ! Tant qu'à faire, puisqu'on continue dans le délire...

— Il ressemble à quoi ? Vous avez un nom ?

- J'ai pas de nom, mais au moins il y aurait eu une ambiance plus adéquate. Et bien sûr, il aurait fallut peut-être se montrer un peu plus... vivants.

— Une vraie bonniche, ma parole !

- Et oui, je sais, mais là je te sens bien tu vois ! Tu commences à t'énerver, à signer ta ponctuation, à singer tes émotions, à amplifier tes sensations.

— Mais la nana ?

- Elle devrait un peu sortir de ce petit parterre anglais de fleurs bien taillées et de pelouze uniforme. Autant pour le récit, on remarque la qualité du calme, autant dans le dialogue, on la regrette un peu.

— Quand elle pisse le sang, ça ne vous alarme pas ?

- Ah mais si, bien sûr ! c'est mieux ! Enfin, il faut pas que du gore, du sale et du douleureux, non. Un savant mélange de tout donne les meilleurs recettes, mais il faut qu'il y a du nerf, en tout cas !

— Oui. Madame me couche, s'assied sur moi, puis se remue.

- Ahhh, lorsqu'on sort du mondain sans sortir du mondain... un bon starter.

— D'accord. Quelqu'un a la connaissance de ce genre d'usage.
— Oui.
— Qui ?
— Le mixeur !

A la prochaine =)

[Jon Ho]

Hello

Pas au cinéma mais au théâtre très certainement.
Je trouve que les dialogues s'enchaînent bien et que ça tient la route.
Mais ça pourrait être bien mieux et plus développé. Là ou a l'impression de lire un extrait voire un résumé.
Ca mériterait d'être approfondi parce que c'est plaisant à lire.

Au plaisir miss Japan

[Vivi]

@Dot Quote : lol, je t'ai bien eu, hein ?
 Tes dialogues sont excellents (mais bourrés de "t" ). Merci pour l'effort en tout cas , j'me suis bien marré sur certaines réponses.

@Jon Ho : Oui, pour développer tout ça, il me faudrait un peu plus de "t" (ou de temps )

[loana90]

Et bah moi j'ai adoré ! Excellent texte, comme je les aime : rapides, efficaces. Il y a de l'idée. C'est original. Ca m'a bien fait rire. Bravo Viviane.

[Vivi]

Merci lolo

J'peux t'appeler lolo, ana ?


Je ->

[loana90]

Voui Vivi !

[Karinet]

J'ai beaucoup aimé l'idée. C'était agréable à lire et certains moments m'ont bien fait rire. Merci pour ce bon moment 

[Vivi]

Merci à toi
J'me souviens en avoir bavé sur celui-là

[Fried]

J'aime beaucoup cette petite histoire qui me replonge dans Asimov, on imaginerais presque voir surgir Susan Calvin la psy. Les fameuses lois qu'il arrivait toujours a contourner. Très bon souvenir des "cavernes d'acier" et "face au feu du soleil". Votre texte est captivant, les dialogues sont bien fait. Bravo.

[Vivi]

Merci

Oui, Asimov et ses lois robotiques

[flashsteelers]

Salut !

L'idée de base est simple mais fonctionne bien, et le côté enquête ainsi que l'ambiance m'ont un peu fait pensé au manga Pluto (j'ai dit "un peu" hein :p). Par contre y'a deux points qui m'ont un peu fait tiqué.

- Pourquoi le Boy laisse le policier se faire tuer puisqu'il est soumis aux lois d'Asimov
- Comment un mixer peut lancer une lame puisque celle ci sont encastrées sur la tige fixé à l'arbre de transmission du moteur ? Sachant qu'en plus en général ces lames sont dans le boitier (ça veut dire que même si la lame se détachait, elle se planterait dans le boitier)

Bon qu'on soit d'accord c'est complètement du chipotage et dans ce genre d'histoire il faut plus se focaliser sur l'intention de l'histoire que sur des détails de vraisemblance... mais c'est comme ça j'ai pas put m’empêcher d'être bloqué la dessus :p

A moins que.... tout ça n'est qu'une mascarade ! l'amant de Madame, un génie en robotique, à tuer sa maitresse et reprogrammé les deux robots pour qu'ils racontent cette histoire ! c'est lui coupable votre honneur ! le mixer est innocent je l'ai prouvé ! Aaaaarghh ! le salaud est revenu pour me faire tai...... (vlan...)

[Vivi]

L'idée de base est simple mais fonctionne bien, et le côté enquête ainsi que l'ambiance m'ont un peu fait pensé au manga Pluto (j'ai dit "un peu" hein :p). Par contre y'a deux points qui m'ont un peu fait tiqué.

Bon qu'on soit d'accord c'est complètement du chipotage et dans ce genre d'histoire il faut plus se focaliser sur l'intention de l'histoire que sur des détails de vraisemblance...

Je rappelle à mon aimable auditoire que ce texte est à l'origine un lipogramme en t, donc on est pas non plus dans le gros truc bien ficelé

- Pourquoi le Boy laisse le policier se faire tuer puisqu'il est soumis aux lois d'Asimov

Parce que une jugulaire tranchée nette, ça laisse pas beaucoup de place à l'imporvisation
+sérieux, comme le l'ai dit plus haut, ce texte était un exercice ET humoristique ; d'ailleurs le robot le dit lui-même ("— À vrai dire, il l'a lancé avec véhémence. D'ailleurs, Madame l'a gardé, puis elle a dormi depuis."). Il est pas fichu de reconnaître un cadavre...
Donc je n'ai pas poussé la réflection aussi loin, mais je reconnais que c'est potentiellement un problème ; quoique le fait que le robot soit amoureux pourrait blablabla... 

- Comment un mixer peut lancer une lame puisque celle ci sont encastrées sur la tige fixé à l'arbre de transmission du moteur ? Sachant qu'en plus en général ces lames sont dans le boitier (ça veut dire que même si la lame se détachait, elle se planterait dans le boitier)

On mettra ça sur le compte de la fatigue hein
Je te rappelle 2 extraits assez clairs sur l'état de ce mixeur à lame volante :  "L'appareil s'ouvre alors de lui-même pour devenir une machine naine... " et "...Car je l'ai moi-même assemblé."
Donc la notion de mixeur standard en prend un sale coup quand même


Merci d'être viendu