Comme la semaine dernière, avec Ragne, on s'est donné une heure pour écrire sous le thème "Figé Dans Le Temps", c'est le
.
L'artère encore ruisselante du flot des passants m'emporta quelques instants dans son lit impétueux. Je réussis rapidement à me dégager et à atteindre la ruelle que je cherchais. Dans l'ombre des grands immeubles, la rumeur de la rue semblait comme étouffée et je retrouvai rapidement mon calme, étonné que ce coin de quiétude puisse exister si près de cette clameur sourde et assourdissante que je fuyais.
Mais je n'étais pas venu jusqu'à ce calme pour en contempler les ombres. Une petite forme courbée attirait mon attention depuis le début, et je me décidai à m'avancer vers elle. Avant que je n'ai pu faire plus de quelque pas, la forme jaillit soudainement vers moi, me toisant de toute sa hauteur. Une vieille femme, au visage étonnamment lisse et joufflu, un manteau de fourrure la couvrant, me lança un regard condescendant.
— Que me vaut vôtre visite ? me demanda-t-elle d'une voix mielleuse.
— Eh bien ce serait pour un...
— Un filtre d'amour, je suppose. Je ne fais pas de telles choses, me siffla-t-elle sèchement.
— Mais, on m'a dis que vous en faisiez.
— On vous a menti, assurément. Mais je peux faire en sorte qu'elle soit votre, si vous le souhaitez, me souffla-t-elle en me regardant fixement.
— Mienne ?
— Oui, votre.
— Que puis-je répondre à cela ? Oui, évidemment !
— Faites moi d'abord voir l'argent, glapit-elle soudain, perdant un instant de superbe.
Je lui tendis une petite bourse de cuir, spécialement préparée pour l'occasion, contenant deux fois le prix que l'on m'avait indiqué. Elle s'en saisit avec empressement, et jeta un coup d'oeil à l'intérieur.
— Bon, ça ira, dit-elle simplement. Donnez-lui cette petite montre et le maléfice opèrera.
— Le... maléfice ?
— Désolé, on fait pas dans les fioles roses bonbons et les filtres en sucre. Vous trouverez bien peu de fées de nos jours, jeune homme. Et il a de fortes chances pour que sa baguette magique ne se trouve pas exactement entre ses mains. Maintenant prenez la montre et partez.
Je ramassai la montre à gousset en argent dans ma poche, et filai dans l'avenue bruyante sans un regard en arrière.
***
Elise. Elle se tenait là, immobile, dans la cour de l'immeuble, à portée de main. Ça faisait quelques mois qu'on se fréquentait. Je crois que je n'étais qu'un ami à ses yeux, et je n'avais encore rien tenté. C'est pour ça que je m'étais tourné vers la sorcière. Pour enfin goûter à cet amitié que je ne faisais que frôler depuis des semaines.
— Ah, bonjour Serges ! Désolé pour le retard, mais tu sais ce que c'est, le métro...
— Salut Elise, lui répondis-je avec un sourire.
— Bon, on y va ?
— Où ça ?
— Tu sais bien que Paul et Jeanne font une soirée chez eux !
— Ah oui, suis-je bête, reconnu-je, embarrassé et ne sachant comment aborder la montre.
Elle fit mine de se retourner pour partir, quand je lui pris la main, presque inconsciemment.
— A... Attends. J'ai quelque chose à te donner.
Je lui tendis la montre, la regardant presque avidement, sentant mon cœur battre à mesure que ses doigts s'en approchaient. En une seconde, elle l'avait attrapé, avec un sourire. Je crus tout d'abord que rien n'allait se passer, que la sorcière m'avait volé et mentit, quand une lueur grise traversa Elise de bas en haut, l'illuminant légèrement. L'instant d'après, elle se tenais là, figée sur place, le regard dans le vague et les cheveux comme collés à la cire. Je frémis en réalisant ce que je venais de faire. Sans réfléchir une seconde de plus, je la pris entre mes bras pour l'amener à mon appartement, dans l'attitude d'un assassin qui aurait involontairement mis le doigts dans l'engrenage du crime.
Dans les escaliers, je rencontrai un voisin qui descendait rapidement les marches. Je virai au rouge vif en arrivant à balbutier :
— Elle... elle s'est... euh... évanouie.
— Vous voulez de l'aide, me demanda-t-il avec une sollicitude qui m'agaçai.
— Non, non, c'est bon. Ça lui arrive souvent, je sais comment m'en occuper et j'arrive à mon étage, mentis-je avec un aplomb soudain.
Une fois arrivé chez moi, je la posai sur mon lit et m'assis sur une chaise, une multitude de pensées se bousculant et ma tête se bousculant entre mes mains. Je devais aller voir la sorcière, c'était la selue chose dont j'étais certain. Je levai les yeux pour la regarder, figée sur le lit. Elle était belle, Elise, la montre toujours dans sa main, l'air paisible. Est-ce que je devais vraiment aller voir la sorcière ? Je pouvais très bien m'en occuper tout seul. Non, non. Je ne pouvais pas. Dans un effort de volonté, je me levai et fermai la porte à clé.
La forme se tenait toujours dans la même ruelle, et elle jaillit comme la dernière fois quand je me rapprochai.
— Alors, jeune homme, tout va comme vous voulez, s'enquit-elle avec malice.
— Vous saviez ! Vous saviez ce qui allait se passer !
— Bien sûr que je le savais, c'est moi qui ait conçu ce maléfice. Je n'ai jamais dis qu'elle tomberai amoureuse de vous, bien au contraire, j'ai été tout à fait claire, vous avez acheté mon maléfice, c'est votre affaire. Magie Noire et Amour font rarement bon ménage, vous avez voulu jouer à l'apprenti sorcier et vous vous êtes brûlé les ailes, ça arrive. Maintenant, je peux vous vendre un maléfice pour que tout redevienne comme
avant, vous prenez ?
— Euh... Oui... soupirai-je.
La vieille me jeta un sablier entre les mains après avoir vidé le contenu de mon portefeuille avec un sourire.