Il n'y a plus que le vent qui puisse me faire frémir. Mon corps, victime de sa paranoïa habituelle, a considérablement réduit la place de l'émotion dans mon esprit. Il a remplacé mon visage par une plaque rigide sur laquelle les larmes ne coulent plus, les rires non plus. De toute évidence, ma raison a préféré l'indifférence à la sanction sentimentale. Dorénavant, je n'ai que l'écriture qui me permette de prouver que les choses me touchent, que je tiens compte de mon malheur, que je cherche une solution. J'écris pour rassurer tous ceux que mon silence effraie. A commencer par toi.
J'aime toujours sentir la chaleur du soleil brûler ma peau. Je suis déçu quand je m'aperçois qu'il pleut. Je vibre quand mon équipe préférée marque un but. Je tremble quand tu me dis que tu m'aimes. Je pleure quand tu m'en veux d'être si égoïste, d'être muré dans le déni. J'ai senti mon corps s'éveiller quand tu as commencé à te déshabiller. Mais l'angoisse l'a endormi, et encore une fois, je n'ai plus osé te regarder. Je culpabilise de désirer, je m'impose le mépris, l'arrogance, la pureté du malheur solitaire. Il est difficile pour toi d'abolir les frontières que je me suis constitué sans avoir l'impression de me détruire. J'ai mal de ne pas pouvoir te donner tort.
Ce matin, avant de prendre ma douché, j'ai augmenté le volume de la musique. Je me suis observé dans la glace géante de la salle de bain puis j'ai dansé. J'ai dansé l'entièreté de la chanson, sans jamais sourire, mais en libérant une énergie qui ne demandait que ça depuis plusieurs mois. Sur mon front, quelques gouttes de sueur ont perlé. Une sueur agréable, bien loin de celle sécrétée par la peur, le vide, et la chaleur des cauchemars. Je l'ai laissée dégouliner sur mes joues et rejoindre le coin de mes lèvres. La sensation frôlait l'irréel : je vivais. Mais très vite, la pub a remplacé la mélodie, et je me suis renfermé dans la lutte quotidienne qui consiste à attendre la nuit.
Le plus triste de ces moments-là tient dans leur incroyable banalité. Je suis conscient que je ne vis rien d'extraordinaire, je me souviens avoir lu cent fois ce genre de descriptions, et les avoir violemment critiquées, justement pour la monotonie du récit, et le nombre faramineux de textes de ce genre. Je poursuis le cliché, poète maudit moins talentueux que Baudelaire, corps muet emprisonné dans la détresse, adolescent paniqué à l'entrée du monde adulte. Et toi, lectrice admirative seulement parce que le texte parle de toi, et parce que c'est moi qui l'ai écrit. Tu espères naïvement qu'un jour, cette lettre sera imprimée, présentée comme un chef d’œuvre. Tu crois qu'il s'agit d'un pansement magnifique que les autres jalouseront plus tard. Mes mots n'ont ni la grandeur poétique, ni la nécessaire réflexion qui fait les élites littéraires. Mes mots à moi sont des tentatives influencées, dépourvues d'idées. Je n'écris ni pour soigner, ni pour être admiré, j'écris seulement pour te rassurer sur ma capacité à ressentir.
Et dans un dernier sursaut, l'oiseau demande à l'Homme d'inventer les tempêtes pour se donner une raison de mourir.