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08 septembre 2024 à 01:21:39
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Le Monde de L'Écriture » Coin écriture » Textes courts (Modérateur: Claudius) » [Troubleciel#2] La Vieille Aventure (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)

Auteur Sujet: [Troubleciel#2] La Vieille Aventure (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)  (Lu 10429 fois)

MillaNox

  • Invité
Salut les gens,

voici la contribution de Rémi de Lille et moi-même au projet Ville :)
c'est aussi une réponse à un AT SFFF ayant pour thème l'eau, on doit envoyer ça avant le 31 mai donc vos avis sont ultras bienvenus !
Merci de vos lectures par avance !  ^^

cliquez sur l'image des calligrammes ça les agrandit  ;)


La Vieille Aventure

     La poussière urbaine brûle la gorge d’Edmond tandis qu’il se traîne le long du fleuve. Un petit nuage sec suit le frottement de ses pas et vibre dans l’air déjà chaud. Il n’a parcouru que quelques dizaines de mètres, pourtant la douleur envahit son corps usé. Dans sa poche, sa main triture une enveloppe encore cachetée qu’il a mise là sans faire attention. Son facteur la lui a donnée un quart d’heure plus tôt, avec le sourire qu’il lui offre chaque matin. Nul besoin d’ouvrir le pli pour en connaître la teneur : mieux vaut s’accrocher à la voix chantante d’un ami.
— Monsieur Edmond ! Content de vous voir ! C’est encore une belle journée qui s’annonce. Juste une lettre du labo pour vous aujourd’hui !
— Bonjour, Romain, vous allez bien ?
— Très bien ! Vous avez l’air en meilleure forme vous aussi, vous allez vous promener ?
— Je monte à la vieille ville, déposer une lettre.

C’est à ce moment-là qu’il a glissé le courrier du laboratoire dans sa poche, se souvient le vieillard, pour s’en libérer et saisir l’autre fermement. Aussi fermement que des doigts tremblants le peuvent.
— Je m’en charge pour vous ? Je passe là-haut à la fin de ma tournée.
— C’est gentil, Romain, mais je préfère porter ce pli à son destinataire moi-même.
— Comme vous voudrez, n’hésitez pas en tout cas !


« Quel brave garçon ce Romain, il n’est pas responsable des mauvaises nouvelles qu’il transmet », se dit Edmond en retirant le poing de sa poche. Son autre main tient la seconde lettre. Celle qu’il a écrite lui-même, dont il a léché la colle de l’enveloppe et qu’il ne laissera personne porter à sa place.
« Après tout, les deux lettres sont liées », songe-t-il.

À présent, il sent une grande lassitude l’envahir. Un picotement naît dans ses orteils, l’ascenseur émotionnel se met en mouvement. La mélancolie qui monte gonfle comme son lait oublié sur le feu au petit déjeuner. À son âge, c’est bien normal d’oublier des choses. Mais le chagrin continue de s’élever dans son corps, la crue le remplit jusqu’au cou et s’apprête à déborder par les yeux. Edmond n’aime pas pleurer. Il déteste la brûlure des larmes sous les paupières. Edmond n’aime pas avoir mal. Il peut bien se l’avouer, à son âge, qu’il a peur de souffrir.
Son chapeau élimé sur la tête, il longe l’Aubrume. La présence de l’eau n’est qu’un fragile apaisement, et pourtant c’est un bien précieux pour lui. Edmond s’arrête à l’ombre d’un platane et regarde la masse en mouvement, lente et puissante. Il se remémore son enfance, avant la construction des nouveaux quartiers sur l’autre berge. Un peu plus en aval, il se baignait souvent avec ses frères et Arthur, le voisin. Et puis avec Luigi, et puis avec les autres. Que de plaisirs partagés ! Les sauts au bout des pontons, la caresse de l’eau sur la morsure du soleil, les courses poursuites et les tasses avalées. Une fois, ils avaient même bricolé un radeau et vogué jusqu’à Chassemagne. Edmond revoit tous les efforts déployés par la troupe pour tenter de ramener l’embarcation jusqu’au ponton. Vaines tentatives de gamins, ils avaient de l’énergie à revendre. À la tombée de la nuit, ils étaient rentrés à pied, leurs chaussures chantant des bruits d’éponge.
« Ils ont presque tous disparu, mais tu es encore là, toi, le fleuve. »
Courbé par son siècle, Edmond reprend sa marche, avisant le banc qui sera sa première halte avant la Montée de la Vieille Aventure. À grand’ peine, il réussit à s’asseoir sans trop se laisser tomber sur le bois dur. Son banc l’attendait, face à l’Aubrume au cours calme, face au soleil. La lumière plonge sur l’eau qui refuse de l’avaler, espiègle. Scintillements des vaguelettes paisibles et rassérénantes. Éblouissement surtout, qui remplit les yeux d’Edmond et refoule sa tristesse jusque dans ses semelles. De son enveloppe, il brasse un peu d’air sur son visage et reprend son souffle. Il la pose sur ses genoux et ne peut en détacher le regard.
« Mon testament. Je tiens mon testament entre mes mains. »
Edmond analyse cette pensée.
« Pourvu que je puisse grimper là-haut sans rendre l’âme ! »
Il a toujours aimé les mots et les situations cocasses. Mourir en allant chez le notaire ! Edmond sourit maintenant, l’œil humide.

Ses prunelles se perdent à nouveau sur les flots, des mouettes s’activent à la surface, un cormoran plonge. Le clocher de la vieille ville sonne onze coups. Comme s’ils en avaient été dérangés, des pigeons s’envolent, et le claquement de leurs ailes pétarade dans le ciel. Le vieillard contemple le fleuve. Souvenirs des balades à vélo sur ses rives, avec ses enfants et petits-enfants. De leurs rires. Des pique-niques sur les quais d’amarrage. Le temps et le cours d’eau se sont écoulés depuis. Edmond n’accompagne plus ces promenades, incapable de suivre la cadence.
Des deux mains, il serre la lettre contre sa poitrine et soupire. Lui qui vit sans compagne depuis si longtemps ne parle pourtant jamais seul, mais cette fois, ses pensées s’échappent par ses lèvres alors qu’il se lève.
— Quand ma vie s’arrêtera, ils profiteront de ce que j’ai à leur laisser.
Sa voix tremble, émue. L’Aubrume croit qu’il s’adresse à lui et répond par de petits clapotis, trop légers pour que le vieillard les remarque. Les doigts se crispent sur l’enveloppe, la pinçant sans la froisser. Précieux pli à mener au sommet de la ville.
— Voilà ce que je possède, lance encore Edmond au vent en s’éloignant. De quoi assurer une belle vie à mes enfants !

À la surface de l’eau, un remous déclenche une onde. Une première vague lèche le quai. Une deuxième en éclabousse le sol avant que la dernière ne mouille le banc. Le fleuve, curieux, cherche une réponse.
 

*

J’ai au creux de mes eaux des ouïes attentives
Qui entendent vos mots, vos paroles lascives,
Les plus grands de vos maux et vos clameurs festives.
Sentez-vous mon regard sur vos gestes étranges ?
Intuition de ma part : vous n’êtes pas des anges.

Vieillard, dont la vie est l’art de ne pas mourir,
Que viens-tu de dire ?
Profit, pour filles et fils, dans tes possessions ?
J’ai quelques questions.


Les humains sont sans peur tant leur folie est grande,
Ils sèment le malheur, prennent et jamais ne rendent.
Quand ils viennent à moi, ces vils larrons pillent
Crustacés de grand choix et beaux poissons qui brillent.
Que voulez-vous, faux rois, seigneurs de pacotille ?

Mon mouvement vous plaît et vous le chevauchez,
Vos bateaux font ballet sur mes flots argentés,
Moi je vous le permets, immense est ma bonté.
Ogres inassouvis, qui semblez insatiables,
Vous prenez l’énergie de ma fougue ineffable.

Croyez-vous respecter celui qui vous vit naître ?
Ce que vous me donnez, je ne peux m’en repaître,
Des corps de suicidés, des mètres et des mètres
De vos déchets abjects épanchés dans mes flots.
Seriez-vous sans affect, violeurs de mes canaux ?

Vieillard, dont la vie est l’art de ne pas mourir,
Que viens-tu me dire ?
Profit, pour filles et fils, dans tes possessions ?
J’ai quelques questions.


Je suis tissé de flux emmêlés en courants,
Vous n’avez jamais vu à quel point je suis grand,
Craignez mes doigts aqueux, qui viendront vous reprendre
Vos larcins crapuleux, au centuple les rendre.
Je vais suivre ce vieux, essayer de comprendre.

*

     Voitures et vélos s’avèrent inutiles pour conquérir le centre historique de Troubleciel. La Montée de la Vieille Aventure serpente jusqu’à l’église au sommet de la cité médiévale ; Edmond en gravit les premières marches, nargué par les mollets alertes et les sacs à dos colorés des touristes bien plus rapides que lui. Les escaliers entre les maisons accolées sont un obstacle qu’il devra surmonter : le destinataire de sa lettre se trouve là-haut. Peu importe le temps nécessaire, la douleur et le souffle court, Edmond veut atteindre son but.
Tandis qu’il appréhende chaque pas, chaque élévation, un homme costumé le dépasse, suivi de deux policiers.
— C’est quand même moi le propriétaire, nom de Dieu !
Le braillard transpire. Sa peau est moite et son crâne rasé brille au soleil. Malgré la chaleur accablante, il a gardé sa cravate et sa veste. En dépassant Edmond sans un regard, il interpelle les gardiens de la paix.
— Vous allez me virer ces parasites, j’espère !
— Restez calme, Monsieur, répond le plus âgé des policiers.
— Rester calme ? Cette situation est inacceptable.
— Monsieur, je dois vous le répéter une fois de plus : c’est à nous de faire respecter la loi.
— La loi est de mon côté ! Le droit de propriété existe toujours, oui ou non ?
Le propriétaire poursuit sa diatribe tandis qu’il traverse le premier palier de la montée en compagnie des deux agents. Toute la rue profite de ses sonores revendications. Edmond l’observe disparaître puis lève les yeux au ciel. Ce genre de personnage l’agace autant qu’il l’attriste. Le vieux se crispe, son nez se serre.
— Atchoum !
Ses mains recueillent un éternuement tonitruant.
« Probablement mon allergie aux idiots qui me reprend ! » songe-t-il en pouffant.
Mais aussitôt une douleur lui transperce les côtes et efface son sourire. Il faut avancer, péniblement, en s’accrochant à la rampe rouillée qui passe au milieu de l’escalier.
Edmond atteint le palier et s’assied enfin sur un banc de pierre, à côté d’une fontaine où il compte se désaltérer. Habillé d’un survêtement aux couleurs criardes, un plombier s’y affaire. Il maugrée en brandissant sa clef à molette.
— Saleté de vieillerie ! Y a rien de standard, deux heures que je bidouille !
Edmond lève un sourcil, il l’aime beaucoup cette fontaine. Il ne saurait dire le nombre de fois où il y a épanché sa soif. Depuis des siècles, la vasque en coquille reçoit l’eau d’une gargouille grimaçante. Mais aujourd’hui, l’eau ne chante pas. Elle refuse de s’offrir, au grand dam de l’homme en baskets à coussins d’air. À chaque geste d’énervement, une paire de lunettes hors de prix s’agite sur ses cheveux gominés.
Edmond a repris son souffle. Une comptine enfantine parvient à ses oreilles et il aperçoit un gamin qui descend la rue avec sa mère. La fontaine semble intéresser le marmot qui s’en approche pour voir ce qui s’y passe.
— Hé ! Recule, petit ! lui lance le plombier. Va pas m’empirer la situation !
L’enfant ne répond pas et s’éloigne. La caisse à outil rutilante attire son attention. Il veut contempler les clés brillantes et les tournevis comme ceux de Papa, alors il s’accroupit pour se mettre à leur hauteur.
— Pas toucher ! rugit le plombier.
La mère soupire et s’impatiente. Son fils la rejoint en boudant, un peu vexé. Ses pieds traînent sur le pavé en soulevant de la poussière, puis soudain, le môme sursaute. Voilà que le rabat-joie cogne un tuyau avec une clé et jure à voix haute.
— Misère de misère ! Deux cents balles pour cette fichue réparation… Sans compter que j’ai dû laisser mon 4x4 en bas.
Edmond trouve l’homme bien antipathique, mais, après quelques instants, il se lève et s’adresse à lui.
— Bonjour. Je vous prie de m’excuser…
— Oui, quoi ?
Cet individu ne sait qu’aboyer dirait-on.
— Il se trouve que je dois encore grimper jusqu’à la place et j’avais prévu de boire un peu ici avant de repartir.
— Ben c’est mal barré, papi, cette foutue tuyauterie refuse de cracher la moindre goutte de flotte.
— Puis-je au moins tremper mon mouchoir pour me rafraîchir ?
— Allez-y, moi je fais une pause de toute façon.

Le plombier s’allume une cigarette tandis qu’Edmond range son enveloppe dans son gilet et sort son mouchoir de sa poche. Il le déplie pour s’en tamponner le front.
La fumée s’étire en bras nuageux qui se dissipent juste sous le nez du vieillard. Un goût intrusif agresse sa langue. Un picotement arrache une larme à ses yeux. Il s’apprête à protester, mais le plombier souffle une nouvelle bouffée sur son visage. Sans égards pour Edmond, il râle à nouveau.
— Vous vous rendez compte ? On me paye une misère pour réparer cette fontaine pourrie. Je vous dis pas, quand j’ai fini de payer mes impôts, c’est quasi du bénévolat !
Edmond ne peut retenir une remarque bien sentie :
— Ce sont les impôts qui financent les réparations des fontaines publiques… Vous devriez être content !
— Très drôle ! Mais moi je bosse, j’ai des frais ! Et n’empêche que celle-là de fontaine, elle commence à me gonfler.
— Et quel est le problème ?
Edmond plonge le tissu à carreaux dans l’eau fraîche, le tord et l’applique sur ses tempes.
— Le problème ? Va savoir ! Elle s’arrête quand elle veut cette cochonnerie, pas moyen de comprendre pourquoi.
— Dans le temps, elle était reliée à la Source des Bienheureux. Même en plein été, elle fournissait toujours une eau limpide.
— Ouais ben aujourd’hui, la source, c’est La Grande Compagnie des Eaux. Mais c’est pas un problème de réseau, j’ai vérifié.

Edmond termine ses ablutions. Alors qu’il range son mouchoir, la fontaine se met à couler inexplicablement. Du creux des mains, il recueille le précieux liquide et le porte à sa bouche. La mâchoire du plombier se décroche un instant avant qu’il n’éructe :
— Tin ! C’est quoi ce délire ?
— Je n’en ai aucune idée, mais cette eau est vraiment la bienvenue.
— C’est n’importe quoi ! J’ai actionné toutes les vannes, curé toute la tuyauterie sans qu’une goutte ne sorte de cette bestiole en pierre. Et vous, là, vous vous penchez et l’eau se met à pisser ?!?

Le plombier écarte Edmond brutalement pour inspecter la fontaine. Alors qu’il approche son visage de la gargouille pour y regarder de plus près, l’eau l’asperge. Un jet double et horizontal, sous la casquette, en plein dans les yeux.
— Merde ! C’est quoi ce délire ?
L’eau s’est à nouveau tue. Le plombier aveuglé se frotte les paupières et s’essuie du revers de la manche.
— Vous avez vu ça ? Elle va me rendre fou cette saleté de fontaine.
Plissant les yeux et se protégeant de la main, il veut comprendre et se penche à nouveau, sur ses gardes.
— Alors, saloperie, tu marches ou tu marches pas ?
Cette fois, c’est un jet puissant qui repousse la main et gifle le visage du plombier. Le torrent lui emplit la bouche, frappe son torse et le projette plusieurs mètres en arrière. Trempé, sur les fesses, il regarde la fontaine qui chante joyeusement.
Edmond rit sans discrétion. Il salue l’homme à terre et reprend son chemin.

En bas, sur le quai, la flaque nourrie par le fleuve s’étend autour du banc. L’eau mouille les pieds forgés puis l’assise en bois. À la recherche d’une réponse, elle ondule et prend la direction de la Montée de la Vieille Aventure.


*

Celui-là méritait que je nettoie sa bouche.
Voilà bien un forfait, cette petite douche,
Que je m’en vais garder dans le creux de mon onde,
Indicible attardé, souvenir de ton monde.

Prison que vos tuyaux ! Vauriens qui m’exploitez.
Horreur de vos ego, cessez de vous vanter.
Toi qui veux nous montrer tout ce que tu possèdes,
Vois, je t’ai aspergé, j’ai ri, je le concède.

Plombier, tu me déçois, enfermé dans tes codes,
À ne penser qu’à soi la possession érode
Les liens, les sentiments, ne reste que l’argent.
Plus d’amis, plus d’amants, plus rien entre les gens.

Est-ce que tous les humains sont emplis de cette âme,
Amasser dans leurs mains, sans se soucier des drames ?
Dans le cuivre et le plomb, parfois vous m’emmurez,
Je croupis – c’est si long – ne puis plus l’endurer.

Je suis libre en mon lit, là je peux m’exprimer,
Vous m’avez tant sali, trop longtemps opprimé.
J’envahis la montée, il est temps de savoir :
Votre priorité, est-ce l’être ou l’avoir ?

Toi, vieillard assidu, tu risques la syncope,
À grimper cette rue, portant ton enveloppe,
Quels secrets gardes-tu au creux de ton veston ?
Quels trésors caches-tu pour ceux qui resteront ?

Vieillard, dont la vie est l’art de ne pas mourir,
Qu’as-tu à me dire ?
Quels biens légueras-tu, valeurs ou possessions ?
J’ai quelques questions.


*

     Les marches défilent au ralenti sous les pieds ambitieux. Avec sa peau sèche et rugueuse, Edmond ressemble à une tortue qui escalade des dunes. Ne lui manque qu’une carapace pour parfaire le tableau et l’empêcher de se rompre les os s’il tombe dans cet escalier de misère. Interminable. Et il n’en est même pas à la moitié.
Au loin, les mouettes crient au-dessus du fleuve. Il ne se retourne pas pour les voir, mais puise dans leur cacophonie un peu de force pour s’envoler lui aussi. Sans ailes et sans quitter le sol, il s’élève tout de même de marche en marche. Bientôt, la Montée de la Vieille Aventure bifurque vers la gauche, et ce virage forme un large aplat, propice pour une halte. Pas de fontaine cette fois, mais de nouveau un banc salutaire pour qu’Edmond y reprenne son souffle. Il s’assied, un peu tremblant. Il était temps.
Autour de lui, des jardinières débordent de fleurs aux pétales grillés par le soleil. Quelques arbustes en pots se répandent en maigres ombres. Des passants grimpent en discutant joyeusement, sans remarquer le vieillard. Tout à coup, une quinte de toux le secoue. L’air déferle dans ses poumons, maintenant qu’il s’est arrêté, et ce flux d’oxygène semble doté de mains griffues qui le lacèrent, le déchirent de l’intérieur. Du monde passe encore sans lui prêter attention. Edmond se sent invisible. Sa poitrine flambe, explose. Il a envie de crier, mais n’a pas accès à sa voix.
— Hé, M’sieur Edmond ! Ça va ?
Une main vient de se poser sur son épaule. Un homme se baisse pour se mettre à sa hauteur, capter son regard embué. Même si des spasmes agitent l’image, le vieillard reconnaît son facteur.
— ‘ttendez, j’ai ce qu’il vous faut !
Romain n’a jamais d’eau sur lui, il dégaine néanmoins une flasque de sa poche intérieure. Souriant de toutes ses dents, il accompagne le mouvement d’Edmond qui se penche en arrière pour prendre une longue rasade de whisky. Aux grands maux, les grands remèdes. L’alcool brûle la gorge du vieux, chauffe son estomac fragile, mais étonnamment, sa toux cesse.
— Doucement ! Faut pouvoir marcher droit après ça ! plaisante le postier.
En aval, derrière le banc, une porte s’ouvre au rez-de-chaussée d’un immeuble. C’est une entrée à part, qui donne directement sur un appartement. La femme qui sort sur le perron cherche quelque chose du regard. Ses yeux balayent la rue-escalier vers le haut, puis vers le bas. Elle croit distinguer une ondulation brillante sur le quai lointain, comme si une fine couche d’eau recouvrait le goudron. Toutefois elle n’en fait pas cas : ce n’est pas l’objet de sa quête et elle scrute désormais la placette. Enfin elle trouve le facteur qu’un laurier dissimulait. Il parle avec un vieillard visiblement soulagé qu’on lui fasse la conversation. Ne pourrait-il pas plutôt se presser de lui apporter son courrier ? Pour quoi le paye-t-on, après tout ? La brune au brushing parfait s’agace. Son impatience prend le dessus, et elle décide de rejoindre le duo. Mais il faut être présentable : passer le palier c’est déjà sortir. Deux pas en arrière, la voilà de nouveau dans son hall. Elle sourit au grand miroir qui couvre le mur, vérifie son maquillage, tapote sa coiffure. Ne lui donnerait-on pas dix ans de moins ? Satisfaite, elle s’observe des pieds à la tête, puis lâche un petit soupir. Sa robe estivale lui sied comme un gant multicolore ; la dernière marque à la mode est bien visible, brodée sur le creux des reins. Une vraie couverture de magazine : taille fine, sourire ravageur et décolleté sans fin entre les deux. Enfin, elle franchit sa porte d’entrée pour la seconde fois et fonce sur son postier.
— Vous avez du courrier pour moi, s’il vous plaît ?
Elle n’a pas dit bonjour, mais son ton est poli.
— Comme tous les matins, Madame Dubreuil ! Ça ne manque jamais pour les abonnés des journaux quotidiens !
Romain est de ceux qui se moquent avec le sourire, auxquels on ne peut rien rétorquer. Il tend deux lettres et Le Bon Vent de Troubleciel emballé dans un plastique.
— Ah ! Ma lettre !
La brune frémit de joie, puis se ressaisit, semble un peu gênée même. Elle fait déjà demi-tour pour rentrer chez elle quand Romain l’interrompt.
— ‘ttendez, Madame Dubreuil. Vous me rendriez un p’tit service ? J’ai payé pour des annonces dans ce canard, j’aimerais bien vérifier qu’elles sont publiées…
Elle se fige dans son élan et grogne un peu.
— Vous pourriez l’acheter, non ?
— L’prenez pas mal, hein, mais y a pas assez de choses intéressantes dedans pour ça…
Une moue enfantine s’affiche sur le visage de la quadragénaire. Elle déballe le journal et le tend à son facteur. Même s’il l’a un peu vexée, elle l’aime bien. Il lui sourit même quand elle a des cernes et les yeux gonflés de larmes récentes. Un jour où elle avait envie de mourir, il lui avait fait un origami en forme de grenouille, dans une publicité, comme s’il avait deviné qu’elle avait besoin de légèreté.
Edmond observe la scène, contemple Romain avec affection et se demande pourquoi il n’a pas pensé à lui dans son testament. Après tout, il le voit plus souvent que sa famille. Et même si c’est son fils qui lui a demandé de sonner à sa porte chaque jour pour lui remettre son courrier – une façon d’aérer l’appartement ou plutôt de vérifier que ça ne sente pas la mort, dedans – eh bien Romain le fait. Il refuse qu’on le paye pour ça. Il a juste dit d’accord et n’a jamais failli depuis. Edmond sent ses forces revenir petit à petit. Ses membres ont cessé de trembler.
— Ah voilà ! Mes annonces ! Télé, micro-onde, lit et sommier ! De l’inutile et du non indispensable quand ça peut payer un bout de loyer… J’espère que ça trouvera vite preneur.
Le facteur écarte grand les bras, la faute à cette manie d’imprimer les journaux sur des formats de géant. Il entreprend de plier les pages sans qu’elles glissent et se mélangent, pour obtenir quelque chose de plus petit. Madame Dubreuil ne tient plus et ouvre la lettre tant attendue en catimini. Elle fourre ses mains et son nez dans un laurier pour déchirer l’enveloppe. Ça sent bon, une forte odeur d’été. Un balcon la surplombe, chargé de pots de fleurs. L’eau dans leurs coupelles s’agite. Curieuse, elle s’étire jusqu’à apercevoir la lettre qui se déplie. Une grosse goutte tombe sur le coin du papier et se laisse boire pour en lire le contenu, alors que Madame Dubreuil s’irrite contre ce « ploc » importun.
C’est le rapport d’un détective privé. D’après lui, Monsieur Dubreuil n’était pas chez une maîtresse les deux fois où il a découché la semaine précédente, mais chez un ami. Ils ont bu jusqu’à être ivres morts et s’endormir sur le canapé. Un extrait de leur discussion est retranscrit par écrit :
— C’est même pas que je l’aime plus, c’est qu’elle m’étouffe. Elle me prend pour un objet qu’on possède.
— T’as besoin d’air, mon pote.
— Être bien à deux, c’est pas s’emprisonner, si ? Au contraire moi je voulais explorer tous les horizons avec elle.
— Elle a peur. Ça rend con la peur. Tiens, je te ressers un coup.

En conclusion, le détective répond à la question vraisemblablement posée par Madame Dubreuil.
Nous pouvons ainsi considérer que Monsieur Dubreuil vous aime encore.
Honoraires à régler sous cinq jours.

L’eau gicle, éclabousse, et de nouvelles perles tombent sur le rapport. Elles s’écrasent dans de petits éclats mouillés qui tachent le papier d’auréoles grises. La brune sursaute et recule. Elle n’a pas vu le plombier qui passait derrière elle, le bouscule et s’entrave dans sa caisse à outils. Tous deux tombent à la renverse. Les clefs, pinces, joints et embouts de tuyauterie se déversent sur la placette dans un grand fracas. Le rire de Romain éclate, tout autant dénué de tact que d’hostilité. Il pose le journal sur le banc pour aller les aider à se relever.
— Pourriez pas faire attention, non ? braille le plombier. Mais c’est vous, Madame Dubreuil ? Et en plus vous m’avez toujours pas payé ma dernière facture !
— Aïe ! Ma lettre ? Où est ma lettre ?
— Je vais pas ramasser ce bazar tout seul ! C’est pas vrai ! Aidez-moi, allez !
— Faut vous détendre, suggère Romain, fumez un de vos joints !
Le facteur rit tout seul de sa blague et passe sa sacoche sur son épaule. Il a pris beaucoup de retard, mieux vaut filer que d’assister à la crise du plombier. Il salue l’assemblée et reprend sa tournée.
Edmond saisit le journal et parcourt les annonces.
« Et le mois prochain, quand il n’aura plus de sommier à brocanter, avec quoi Romain payera-t-il son loyer, s’il en est là ? se demande-t-il silencieusement. Il a de la bonne humeur à revendre, mais ça ne suffit pas dans ce monde. »
Douche. Une gerbe d’eau vient de s’abattre sur le plombier et Madame Dubreuil, venue de nulle part, ou peut-être de cet arrosoir sur le balcon qui n’a pourtant pas l’air de bouger.
— Rhaaa ! Marre ! Marre ! rage l’artisan.
D’autres jets tombent du ciel. Pas de nuages, non, il ne s’agit pas de pluie. Les giclées sont maintenant dirigées sur le journal qui se détrempe entre les mains d’Edmond. Le papier se brouille, se déchire. La brune l’arrache au vieux qui, étrange miracle, n’est pas mouillé. À l’inverse, une trombe s’abat sur elle et achève de massacrer son brushing. Elle court en pleurant vers la porte de sa demeure.
— Qu’est-ce que…  Qu’est-ce que c’est que ça ?! s’écrie le plombier.
Des touristes et des citadins remontent l’escalier rapidement. La surprise peint leurs visages, ainsi qu’une légère appréhension.
— Le fleuve est en crue ! disent-ils. Le quai est noyé !
Et les yeux du plombier s’écarquillent car le goudron a disparu sous les flots, en bas. Des vaguelettes se jettent sur les premières marches de la Montée de la Vieille Aventure. Edmond s’est levé et s’étonne à son tour. Durant sa longue vie, il n’a jamais vu l’Aubrume déborder de son lit.

*


*

     L’eau curieuse et désabusée des hommes veut percer le secret d’Edmond. Sur le quai, elle a broyé le 4x4 du plombier. Lui laver les yeux et la bouche n’était pas suffisant. La voilà qui bondit de marche en marche, enfle et se jette sur le premier palier. Jaillissant de la fontaine, une colonne liquide se torsade et rejoint l’eau libre qui bouillonne puis se redresse à la recherche du vieux.
Edmond continue son ascension. Obstiné, il grimpe et puise dans ses dernières ressources. Son corps se plie en avant, les paumes de ses mains pressent ses genoux à chaque élévation. Il souffle bruyamment. Son visage grimace de douleur et ses poumons sont en feu.
La grande courbe qui monte jusqu’à la place de l’église s’offre enfin à lui. À quelques pas, il reconnaît les deux policiers et l’homme en costume qui l’avaient dépassé au début de la montée. Le désagréable personnage braille de plus belle. Romain s’est arrêté à la hauteur du trio, face à la porte d’un immeuble de quatre étages. Devant l’entrée, une jeune femme paniquée tient un bébé dans ses bras ; à ses côtés, trois jeunes gens défient les policiers de leurs regards farouches. Edmond halète, son souffle est rauque, mais il perçoit quand même les cris de l’homme au crâne rasé. La haine de sa voix de crécelle se déverse sans retenue.
— C'est chez moi ici, vous n'avez rien à y faire !
L’enfant a commencé à pleurer, et la mère le calme par quelques caresses dans les cheveux. D’une voix hésitante et teintée d’un accent guttural, elle demande :
— Où allons-nous aller ?
— Ça n’est pas mon problème ! Maintenant vous allez dégager, bande de profiteurs !
Un des jeunes prononce tout bas :
— T’es vraiment un grand malade, toi, hein ?
— Qu’est-ce que tu dis, toi ? Répète un peu pour voir ?
Le propriétaire postillonne vers les policiers.
— Vous avez entendu ? Voilà qu’ils m’insultent maintenant ! Vous allez me les foutre dehors oui ou non ?
— Monsieur, encore une fois, laissez-nous faire notre travail dans le calme et l’ordre.
L’homme dégoulinant de transpiration brandit son titre de propriété sous le nez des agents. Les yeux exorbités, il s’agite en tous sens.
— Je me calmerai quand vous aurez viré ces parasites !
Romain intervient :
— Hé ! Faut se détendre, gros ! Ça fait des années que personne n’habite ici. J’ai jamais eu de courrier à déposer. Ça change quoi si des gens s’abritent quelque temps ?
— Ce que ça change ? Ça dévalorise mon immeuble si je le laisse envahir par la vermine !
— Ah ouais ? Et la vermine, c’est le mec qui cherche un refuge ou le spéculateur ?
Le propriétaire grimace, et explose de colère.
— Bon maintenant le facteur, tu t’occupes de ton courrier et tu me fous la paix ! C’est pas un fonctionnaire qui va m’apprendre à gérer mes affaires.
Romain lâche sa sacoche qui s’aplatit au sol. Sous sa bonne humeur habituelle se cachent des nuits d’insomnies à s’inquiéter des loyers impayés. Il a les nerfs à vif et serre brusquement les poings en s’avançant. Le propriétaire retrousse les lèvres, la rage suinte par tous les pores de son visage. Un des policiers s’interpose entre les deux hommes prêts à en venir aux mains. Il hausse le ton :
— Calmez-vous ou tout le monde va finir au poste !

Pas tout le monde, non. Les trois jeunes ont profité que l’un des policiers s’affairait à poser un nouveau verrou sur la porte et que l’autre séparait les deux hommes énervés pour détaler discrètement.

En bas, avant le virage, une poignée de touristes téméraires filment la progression du fleuve, encore lente. Les rêves de gloire sur internet font oublier toute prudence. L'eau se redresse soudain. Prenant appui sur les façades de la montée, elle s'élève, prête à frapper. Les inconscients tentent de s'échapper, leurs hurlements résonnent entre les murs. Ils ne peuvent détacher les yeux de ce monstre aquatique et courent la tête tournée vers lui. Ils trébuchent,  montent la côte en s'aidant de leurs mains. L'eau les empoigne, les soulève dans les airs, s’empare de leurs smartphones et recrache les malheureux au sol, meurtris. Ils déboulent dans le virage, leurs sacs à dos dégoulinants, aperçoivent les policiers et se mettent à hurler de plus belle.
— Au secours ! Au secours ! L’eau nous poursuit ! L’eau arrive !
Leur folle course s'emballe et ils ont tôt fait de disparaître, laissant une traînée d’effroi humide derrière eux.
— Putain, c’est quoi cette histoire ?
Le policier se retourne et voit la masse d’eau qui progresse et vient d’entamer la courbe.

Edmond ne s’est pas arrêté, il n’a toutefois gravi que quelques marches au-delà de l’attroupement. Il sent la brûlure dans ses jambes qui flageolent. Sa respiration est sonore, et il poursuit sa fuite au ralenti. Dans son dos, les cris du propriétaire se mêlent à ceux des touristes qui le dépassent en gesticulant. Il voit passer la mère affolée et son enfant. D’un regard en arrière, il aperçoit la montagne d’eau qui approche. La terreur le saisit. Il voudrait accélérer, mais ses pieds buttent contre les pavés. Sa vue se trouble, il chancelle un instant et finit par tomber à genoux.

Devant l’immeuble, il n’est plus question d’expulsion. Les policiers restent figés un instant avant de réagir. Le plus âgé porte son téléphone à l’oreille et donne l’alerte tandis que l’autre remonte pour mettre en sécurité les habitants qui pointent le nez à leur porte.
Tombant du ciel bleu, une gigantesque goutte s’abat sur le propriétaire. Il se retrouve affalé au milieu d’une flaque, défait par cette tonne d’eau qui dévale maintenant la pente. La nuque endolorie, il regarde son titre de propriété flottant sur le ruisseau qui rejoint le mur liquide à l’abord du virage. Il écarquille les yeux en se redressant face au fleuve, titube et porte ses mains à sa tête. Une nouvelle masse aqueuse le terrasse et le plaque au sol. Cette fois, elle ne s’écoule pas, elle prend forme et lui arrache ses chaussures pour lui jeter à la figure. Avant qu’il ne réagisse, elle s’infiltre entre son corps et ses vêtements. Il gémit, se débat, et agite ses membres. Son pantalon et sa veste gonflent sous la pression puis craquent sur les coutures, le tissu s’éparpille autour du propriétaire. Sur les fesses, en haillons, il frappe l’eau en hurlant. Chaque éclaboussure qu’il génère prend vie, lui asperge les yeux, lui envahit la bouche et le nez. Il abandonne la lutte et  parvient à escalader les marches, ses chaussettes glissant sur les pavés. D’autres gouttes pleuvent et le frappent au visage à chaque pas. Il s’enfuit à moitié nu en claudiquant et disparaît dans la courbe, bras en l’air et le crâne ballotté dans tous les sens par les gifles liquides.
Romain s’est élancé dans la montée, il est choqué de trouver le vieil homme à genoux.
— Monsieur Edmond !
Edmond pivote sur ses genoux et s’assied lourdement. Romain l’entoure de son bras et le soutient. Il sort sa flasque.
— Tenez, buvez !
Le vieil homme avale une gorgée dans un rictus. Sa bouche se tord de douleur ; les yeux mi-clos, il pointe un doigt tremblant vers le fléau tout proche. Sa respiration est sifflante, il articule difficilement :
— L’eau ! L’Aubrume est en crue. L’eau est devenue folle !
— Je sais, il faut pas rester là !
Romain tourne la tête. La vague, immense, avance avec lenteur. Les flots s’élèvent avant de s’abattre sur les marches. L’eau écume et gronde. Le fracas torrentiel résonne entre les murs de la montée. Tant bien que mal, Edmond se redresse, un bras autour des épaules de Romain. Le rouleau s’immobilise un instant. L’eau tourne sur elle-même au sommet de la vague géante. Sous les flots, une force précise arrache le verrou de l’immeuble sans pour autant y pénétrer.

*

Ce n’est donc que ça !
Votre engeance est tombée bien bas.
Vous ignorez les gens, possédez toujours plus,
Amassez de l’argent, pavanez en crésus !
Sentez-vous mon humeur changeante ?
Ma sève violente ?


Sale individu,
Je t’offre la vie.
Richesses indues,
Tout pour ton profit.

Tandis qu’un vieux se meurt,
Sur le sol agonise.
Tu cries, furieux, tu pleures,
Ne veillant qu’à ta mise.

Vois ton corps exsangue,
Sans moi.
Même plus de langue,
Sans moi
Pour goûter ta mort.

L’eau coule en vos veines,
Vous m’emplissez de peine.
Vieillard au bout du chemin,
J’ai rêvé d’autres humains.
Avant de mourir
Qu’as-tu à me dire ?

*

     Shlik ! Shlak ! La crue croque l’escalier de ses dents d’eau. Les vagues déferlent contre les murs de la Montée de la Vieille Aventure, et gobent les marches goulûment. Enfants, femmes et hommes courent vers le haut de la vieille ville. Sur le quai, ils ont cru se faire engloutir et se sont réfugiés dans cette rue sans savoir que l’eau la choisirait pour s’insinuer à leur suite. Perchés sur les toits, des habitants paniqués appellent le ciel à l’aide. Le fleuve déborde en une longue langue qui se déploie derrière Edmond, gagne en vitesse, en violence. Des hurlements fusent, et les gens se bousculent en fuyant. L’eau leur claque les fesses de pichenettes mouillées qui les envoient valdinguer jusqu’au palier suivant. Insatiable, la crue submerge tout sur son passage. Son onde ne cesse d’avancer, accélère.

— M’sieur Edmond ! Faut pas rester là !
Romain secoue le grand-père figé sur les marches, terrorisé par l’eau qui grimpe maintenant comme si elle était dotée de jambes. La foule autour d’eux a grossi, rabattue par la crue, et file à toute allure vers le sommet de la colline. Les policiers intiment aux gens de se presser alors qu’ils cavalent déjà furieusement. La situation les déborde, et leurs ordres les aident à canaliser leur peur.
— Allez ! C’est dangereux ici ! J’vais vous aider ! lance Romain.
Le facteur empoigne le vieillard et lui fait faire demi-tour. Passant son bras sous le sien, il le tire de toutes ses forces dans l’escalier. Le bruit de l’eau se rapproche à une vitesse vertigineuse dans leur dos. Edmond halète. Il pousse sur ses pieds, mais ses jambes tremblent. Un reflux s’abat sur leurs chaussures et leur fait perdre l’équilibre : Romain rattrape son compagnon de justesse. L’effroi lui donne des ailes, et il l’entraîne une vingtaine de marches plus haut, le portant presque complètement.
— Stop ! crie Edmond en s’affalant par terre. Je n’en peux plus ! Laissez-moi, Romain ! Je ne veux pas aller plus loin !
À quoi bon retarder son ami et le mettre en danger ? Tant pis pour le testament. Y a-t-il seulement quelque chose d’encore intact dans son appartement, après cette crue dévastatrice ?
— Allez, mon vieux !! Relevez-vous ! Faut pas mollir là !
— Non, non ! Partez, sauvez-vous ! C’est mon choix.
Les deux policiers reviennent en arrière et attrapent le vieillard chacun sous une aisselle. Ils font signe à Romain de passer devant tandis que celui-ci les fusille du regard. Pas trop tôt.
— Lâchez-moi ! proteste Edmond. C’est trop tard pour moi !
L’Aubrume entend ses propos. Le fleuve déteste qu’on le prive de sa liberté et veut qu’on respecte celle de ce vieux. Deux bras s’étirent de son flot, lances aqueuses d’une transparence étincelante. Brusquement, des poings se forment et fondent sur les policiers, les propulsent contre des murs cinq mètres plus loin. Leurs corps volent comme poussière au vent, puis s’écrasent sans douceur dans des craquements dissonants. Edmond se retourne, fait face à l’eau avec de grands yeux écarquillés. Elle se dresse devant lui, gigantesque, informe. Une sculpture abstraite en mouvement.
— M’sieur Edmond ! hurle Romain. Reculez ! Reculez !!!
Un tentacule jaillit de la masse et fuse en direction du postier. Il le touche sans violence et l’englobe aussitôt, l’enferme dans une bulle qu’il envoie rouler jusqu’au sommet de la colline. Romain suffoque, ses sens sont sens dessus-dessous. Il s’agite, s’épuise, mêle ses pleurs de peur à sa prison d’eau. Enfin la sphère éclate contre la boîte aux lettres d’un immeuble. L’homme pantelle, tremblant, puis perd connaissance.
Edmond est seul devant le fleuve qui a cessé sa course. L’Aubrume caresse les pieds âgés, se façonne en main de géant et saisit le vieillard en douceur. Il l’élève sur une vague. Edmond s’assied, confiant. La solidité de la matière l’étonne, mais pas autant que sa propre absence d’angoisse. Comment peut-il être aussi serein, subitement, et dans pareille situation ?
Il y avait eu la peur de ne pas arriver à porter sa lettre parce que son corps était vieux et noueux.
Il y avait eu l’angoisse de savoir qu’en bas le fleuve débordait et emporterait peut-être le banc qu’il aimait tant.
Il y avait eu l’effroi de voir l’eau monter plus haut qu’il ne l’aurait jamais imaginé ; la terreur, car il n’avait pas les jambes pour fuir.
Et enfin, il y avait eu la résignation : comprendre qu’il n’était plus temps d’avancer, avec ou sans crue.
Puis soudain, la certitude. L’Aubrume était là pour lui.

L’Aubrume est là. Pour lui.

Alors au point où il en est, il s’installe en remuant des fesses, creuse sa place, puis tire l’enveloppe de sa poche pour relire son testament. Mais entre ses mains flétries, ce n’est pas le bon courrier. Celui-ci, il l’a reçu le matin même et ne l’a pas ouvert. Son doigt glisse dans l’interstice et déchire le papier. Trois pages d’analyses sanguines aux chiffres nébuleux apparaissent. Il pense à son rendez-vous de mardi, avec l’oncologue. Pourquoi s’y rendre ? Pour qu’on lui dise quoi au juste ? Qu’annonce-t-on après « votre cancer est en phase terminale » ? « Vous êtes arrivé en phase terminale de la phase terminale de votre cancer, Monsieur » ? Que mardi existe ou que tout s’arrête dans les secondes qui viennent, cela ne changerait rien à sa vie. Il l’a construite et savourée jusque-là, l’a laissée le guider parfois plutôt que de vouloir tout contrôler. Le monde qui l’entoure ne lui a paru ni bon ni mauvais, débordé par sa sottise peut-être.
— Et ce n’est pas cette crue qui amoindrira les inégalités ! lance-t-il à l’eau. Les plus riches toucheront des assurances et les pauvres n’auront plus rien.
Le fleuve, un peu honteux, se meut en vaguelettes autour du vieil homme. Du bout d’un tentacule, il lui lèche les mollets et prend la forme d’un chat. L’eau-animal se frotte contre son pantalon avant de se coucher en rond sur ses genoux. Edmond le caresse, imperturbable. De son autre main, il fouille et tire une enveloppe de sa seconde poche. Le testament. Au fond, quelle importance, ces possessions ? Il s’apprête à le jeter à l’eau quand le chat se relève, s’enroule autour de sa main et se disloque en milliers de gouttelettes. Les perles brillantes dévalent les doigts, pénètrent le papier, l’imbibent pour le lire.

Que mes enfants et petits-enfants se partagent, et s’échangent durant les longues vies qui les attendent, les biens de valeur que je possède, cités ci-dessous :
- Ma guitare, dont chaque corde qui résonne est une invitation au plaisir et au bonheur. Nombre de fois, je lui ai confié ma peine et l’étreindre a été une douce consolation.
- Mon livre d’astronomie, qui m’a appris ma petitesse tout autant que la grandeur des rêves, quand nous reliions les constellations, mon père et moi, couchés dans l’herbe les nuits d’été.
- Mon coupe-papier d’ébène, souvenir de ma chère Hélène. C’est avec lui que j’ai ouvert toute sa correspondance avant notre mariage. Cet objet est empli d’amour.

L'Aubrume s'abreuve des derniers trésors de la liste, il frémit de joie et des cercles se dessinent à sa surface. Ces possessions ne cherchent à dominer personne. Elles veulent au contraire transmettre du bien-être, libérer des humains de leur tristesse. Quand il entend le chant des oiseaux au-dessus de ses flots, le fleuve se sent plus fluide et rêve de dire aux bateliers qu’ils se doivent d’écouter cette musique. Il comprend enfin ce vieux, songe à la lumière des étoiles qui se perd dans ses vagues la nuit, et s’apaise.
L’enveloppe pleure des larmes, l’eau s’en extirpe et les boucles tremblantes de l’écriture se reforment. La lettre a retrouvé son aspect originel, une main aqueuse la saisit avec précaution. Elle se faufile dans l’escalier et vole jusqu’en haut de la Montée de la Vieille Aventure. Sous les regards ébahis de la foule agglutinée, l’Aubrume pousse le courrier dans la boîte aux lettres du notaire. Puis le bras se retire en éclaboussant les gens sur son passage. Leur terreur emplit l’air de son tumulte. Des êtres qui ne se seraient pas regardés en se croisant s’accrochent maintenant les uns aux autres, se serrent dans un irrépressible besoin de contact. Étranges sensations.

— Je veux me reposer, gémit Edmond plus bas. Emporte-moi, crue ! Ma vie ne fait que m’encombrer. Tu me rendrais service si tu me la prenais…
Le fleuve acquiesce de tout son débordement d’eau. Il trouve le vieux bien sage de vouloir se déposséder de son existence.

— Monsieur Edmond ! crie Romain en accourant.
Le facteur a repris connaissance et descend les marches quatre à quatre. Les policiers l’ont laissé passer en le traitant de fou. Mais il est déjà trop tard. Un cercle d’eau jaillit autour du vieillard et fonce vers le ciel, colonne creuse. Le tube tourbillonne, souffle un violent crachin. Romain recule tout en se protégeant le visage. Essayer d’avancer ou abandonner le vieux à son triste sort ? Un pas contre le déluge. La pluie se matérialise en cordes et enserre soudain ses pieds pour l’empêcher de bouger. Devant ses yeux exorbités, la colonne s’effondre sur elle-même, happe Edmond  et l’emporte. Le vieux disparaît. Le fleuve reflue et entreprend de regagner son lit. Romain, impuissant, regarde l’eau qui se retire.
— Edmond, murmure-t-il.
Dans une aspiration lente, le fleuve atteint le virage, hors de vue. Il ne reste du vieillard que son nom sur des résultats d’analyses sanguines, collés au sol détrempé. Et des souvenirs.
Romain pleure en silence, il se sent un peu orphelin.

*


Vient le repos, je suis repu.

Rescapés heureux
Vous devez au vieux,
Pauvre fou sans hargne,
Que je vous épargne.

Vient le repos, je suis repu.
Apaisées mes eaux ne vous ont pas bus.

Mon cours s’écoulera,
L’humain se tarira,
Et de vos possessions
Restera seul le nom.

Vient le repos, je suis repu.
Apaisées mes eaux ne vous ont pas bus.
Si vous n’êtes moins sots, je ne vous verrai plus.
Apaisées mes eaux, ne vous ont pas bus.
Vient le repos, je suis repu.



Je suis repu.

« Modifié: 22 mai 2020 à 14:32:13 par Milla »

kindofcreepy

  • Invité
Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #1 le: 07 mai 2015 à 22:00:24 »
(bon je vais inaugurer la section des commentaires)
Si vous le permettez, (ceci est un pluriel, non un vous de politesse, vu que le texte a plusieurs auteurs) ce ne sont que mes premières impressions, vu que le texte est assez long, plutôt dense d'un point de vue narratif.

J'ai bien aimé le rythme du texte, la manière dont le fil rouge (autour de la double ascension du vieil homme et de l'eau) structurait le récit de manière efficace.
Mettre la parole de l'eau sous forme de poème était une très bonne idée, ceci-dit, les vers réguliers du début ont un côté un peu artificiel peut être à cause du côté figé, rigide et formel de cette forme de vers. Pour de l'eau, on attendrait quelque chose de plus coulant, plus irrégulier et plus fluide (à mon humble avis). Les calligrammes par contre, étaient très bien trouvés.
Je trouve que le texte est un peu sévère avec le personnage du plombier. Ce pauvre type est présenté comme antipathique, mais honnêtement, comparé au propriétaire voulant expulser une famille entière d'un logement qu'il n'occupe pas, son seul crime est de passer une sale journée et de pas être d'une humeur accommodante. L'eau le voit peut être comme un ennemi parce qu'il est ( au sens propre) l'agent chargé de la canaliser mais auquel cas, peut être vaudrait-il mieux expliciter cet état d'esprit.
Sinon, bonne idée pour traiter le thème! =)

Soliflore

  • Invité
Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #2 le: 08 mai 2015 à 09:54:28 »

J'ai apprécié ce texte pour sa belle écriture, pour ses allures de conte et de fable en même temps et pour l'insertion des poèmes qui le rythment.
Bravo pour l'arrosoir en calligramme. C'est très réussi. de même que le parcours virevoltant de l'eau en calligramme aussi.

Quelque petites remarques, dont vous tiendrez compte ou pas :
=>Comme fragment de douceur : j'aurais peut-être mis : comme un fragment de douceur
=> Que de plaisirs partagés. Un point d'exclamation au lieu du point, non ?
=> à pieds : je n'aurais pas mis d's, mais vérification faite, les deux orthographes sont valables
=> paire de lunette : avec un s à lunette, je crois
=> Vas (le premier) sans s. Mais je vois que c'est une coquille de votre part puisque quelques lignes plus bas vous l'écrivez bien. N'empêche qu'il vaut mieux le corriger.

Vous avez écrit ce texte à deux ? Eh bien bravo pour la cohérence à la lecture.

Hors ligne Infinwil

  • Tabellion
  • Messages: 46
Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #3 le: 08 mai 2015 à 10:55:42 »
Ouah... Lire ce texte au réveil avec un petit café rend la lecture encore plus agréable !
L'histoire est belle (oui, j'ai eu une petite larme à la fin...), bien trouvée, et les transitions entre les poèmes de l'eau et la dure ascension du vieillard sont toujours bien placées.
L'écriture est fluide, légère, et on le lit d'une traite, sans pause, et c'est quand je suis arrivé à la fin, j'étais en même temps déçu que ce récit ce termine, mais aussi heureux de trouver une belle fin (car j'avais un peu peur que la fin soit bâclée, et que ça nous gâche le reste de l'histoire).
De mon côté, je n'ai rien d'autre a dire, je trouve ce texte magnifique, et merci pour cette belle lecture au réveil.
"-How long is forever ?
-Sometimes just one second."

MillaNox

  • Invité
Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #4 le: 08 mai 2015 à 19:14:13 »
Merci beaucoup de vos lectures de notre looong texte, kindofcreepy, Soliflore et Infinwil !!  ^^

- ouip c'est vrai qu'il y a peut-être un déséquilibre entre le propriétaire et le plombier, peut-être aussi car il est deux fois sur le chemin de l'eau alors que le proprio une seule fois (la première fois qu'on le croise tout en bas l'eau n'est pas encore là) à voir du coup.

- pour les poèmes ils ont des structures de plus en plus pas classique, ils débordent petit à petit de la poésie carrée, donc finalement ça colle avec l'eau qui déborde et devient de plus en plus déstructurée et fantastique non ? On verra si d'autres ont aussi ce ressenti de manque de fluidité pour parler de l'eau en poésie :)

-merci pour les coquilles soliflore ! je plaide coupable pour l'impératif foireux  >< j'aime bien ton "!" pour "que de plaisirs...", j'attends l'avis de rémi :)

- c'est trop cool si on sent pas que c'est écrit à deux ! ^^

Merci beaucoup pour vos retours positifs et encourageants !

Milla

Hors ligne Rémi

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Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #5 le: 08 mai 2015 à 19:59:49 »
Merci beaucoup pour vos retours, ça fait plaisir.
Ok avec Milla sur l'évolution des poèmes.
Concernant le plombier, il a un 4x4... Et j'y suis allergique. En fait, c'est peut-être le propriétaire qui prend pas assez cher ! Ok pour le "!" Proposé, c'est une bonne idée.

 Cool si l'écriture est homogène !

Reste 5 ou 6 trucs qui nous chagrinent, les trouverez-vous ?

Encore merci
Rémi
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

MillaNox

  • Invité
Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #6 le: 09 mai 2015 à 19:31:27 »
Hey !
Merci Lucie de ton passage et de ton retour détaillé !! Du boulot encore dis donc !
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.


alors alors, je vais pas répondre à tout, j'ai l’impression que t'as quand même bien aimé le texte et j'en suis fort heureuse ^^  On va se skypter (fabuleux pour dire capter sur skype non ?  :mrgreen:) avec RDL pour traquer les trucs que tu nous as signalés...
tout de même :
- C'est rémi qui a voulu appeler Romain Romain ! Pour ma part j'utilise souvent ce prénom parce que je le trouve beau, que c'est aussi celui de Romain Gary, et qu'il ne correspond à personne de mon entourage :) C'est terrible, mais des prénoms masculins que j'aime et qui sont pas dans mon entourage, je rame pour en trouver... du coup je tourne un peu en rond dans mon bocal, c'est pas faux   :D
- Pour l'arrosoir, c'est de là que ça gicle sur le plombier et la trentenaire, on parle d'un arrosoir qu'ils n'ont pourtant pas vu bouger, puisqu'en fait c'est l'eau qui s'anime toute seule...
-Pour cette histoire de Troubleciel en France, je pense effectivement qu'on a écrit France par habitude, je préférerais que ce soit sans pays nommé, partout et nulle part. on verra si RDL est d'ac avec moi ! La procédure de l'expulsion est pas super réaliste si c'est en France effectivement, mais ça n'aurait aucun intérêt dans la scénario si ça suivait le protocole, donc vraiment, faut qu'on vire cette idée de France pour pas avoir à se justifier ^^
-l'origami c'était juste un geste gentil :D je fais quoi je dis origami tout court ? On verra aussi ce que dit RDL !
-le plombier bosse depuis deux heures sur la fontaine, qu'est-ce qui t'a fait penser qu'il venait de s'y mettre ?

merci beaucoup de ton super comm détaillé !!!  :coeur:

Milla

Hors ligne Kath

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Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #7 le: 10 mai 2015 à 01:00:13 »
Malheureusement je pars en congés pour plusieurs jours demain, pas le temps de commenter!
Mais je passe le texte en epub et le mets sur ma liseuse pour travailler dessus si j'ai un peu de temps, et je vous livre mon décorticage à mon retour, promis!
Relectrice-Correctrice pro, et fière et enthousiaste correctrice du Mout'!

Hors ligne Loïc

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Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #8 le: 13 mai 2015 à 10:02:54 »
Citer
  Sa voix tremble, émue. L’Aubrume croit qu’il s’adresse à lui et répond par de petits clapotis, trop légers pour que le vieillard les remarque.

:coeur:

Citer
Qui entendent vos mots, vos paroles lascives,
Les plus grands de vos maux et vos clameurs festives.

La répétition de mots/maux n'est pas heureuse.

Citer
Vieillard, dont la vie est l’art de ne pas mourir,
Que viens-tu me dire ?
Profit, pour filles et fils dans tes possessions ?
J’ai quelques questions.

J'aime beaucoup cette strophe en forme de refrain

Citer
    « Probablement mon allergie aux idiots qui me reprend ! » songe-t-il en pouffant.

 :coeur:

Citer
    — Dans le temps, elle était reliée à la source des bienheureux. Même en plein été, elle fournissait toujours une eau limpide.
     — Ouais, ben aujourd’hui, c’est La Grande Compagnie des Eaux qui est la source. Mais c’est pas un problème de réseau, j’ai vérifié.

Tellement vrai  ::)

Citer
Plombier, tu me déçois, enfermé dans tes codes,
À ne penser qu’à soi la possession érode
Les liens, les sentiments, ne reste que l’argent.
Plus d’amis, plus d’amants, plus rien entre les gens.

Pas convaincu par le message. Y a un moment, faut bouffer aussi, ce qui est plus le problème que vous décrivez.

Citer
Au loin, les mouettes crient au-dessus du fleuve. Il ne se retourne pas pour les voir, mais puise dans leurs chants un peu de force pour s’envoler lui aussi.

Le chant des mouettes ?  :o

Faudra faire gaffe aux liserets verts dans le calligramme

Dans la dernière image : planète aquatique [...] je t'ai portée ?

Il est choueeeeeeeeeeeeeette ce texte ! Pas convaincu par l'ensemble du fond/de la morale/whatever parce que des fois je trouve que ça manque son but, mais il se dégage beaucoup de choses de ce texte. De la douceur, de la beauté, etc. L'écriture est au poil avec l'ambiance.

Merci pour cette belle lecture.
"We think you're dumb and we hate you too"
Alestorm

"Les Grandes Histoires sont celles que l'on a déjà entendues et que l'on n'aspire qu'à réentendre.
Celles dans lesquelles on peut entrer à tout moment et s'installer à son aise."
Arundhati Roy

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Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #9 le: 13 mai 2015 à 22:04:38 »
Salut Lucie,
Merci beaucoup beaucoup de ton commentaire très détaillé et pertinent.
On est en cours de modif avec Milla mais je peux déjà te dire que nous avons quitté judicieusement la France  grâce à ta remarque, et ça le fait mieux. On a changé aussi la trentenaire, la grue (  :D ), l'eau est vivante, l'eau est en colère... bref, de nombreux points qui méritaient réflexion et amélioration.

Salut Loïc,
merci de ton appréciation, ça fait plaisir.
On discute avec Milla du chant des mouettes et on te tient au courant !

Bref, dernières modifs (ou pas, selon vos commentaires !) et on poste une nouvelle version bientôt.

Merci encore,
Rémi
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Hors ligne Kath

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Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #10 le: 17 mai 2015 à 20:23:04 »
Voilà, de retour de congés, je vous livre ce que j'ai fait:

Tout d’abord, je dois dire que j’ai vraiment adoré lire ce texte plein de poésie. La lecture est très fluide et prenante, les petites touches d'humour bienvenues.
L’idée de faire parler Aubrume en vers est vraiment bien trouvée, ainsi que d’en faire un être vivant et curieux capable de se mouvoir comme il le veut.
Edmond et Romain sont vraiment des personnages attachants, surtout par contraste avec les autres « méchants ».
Un grand bravo pour ce texte, Milla et Rémi !
PS : on devrait peut-être commencer une sorte d'Atlas de Troubleciel ?
Bon, maintenant, place à mes corrections/suggestions/ remarques :
Citer
Dans sa poche, une autre enveloppe est encore cachetée.
Je n’aurais pas mis le verbe dans cette phrase.
Citer
Un picotement nait dans ses orteils,
naît
Citer
leurs chaussures chantant des bruits d’éponge.
que c’est poétique, j’adore !
Citer
Courbé par son siècle,
J’aime vraiment beaucoup !
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À grand peine,
grand-peine ou grand'peine (comme la grand'place)
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ne peut en détacher ses yeux.
« Les yeux » plutôt que « ses yeux »
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Seriez-vous sans affect d’abimer mes canaux ?
abîmer
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La montée de la vieille aventure
est-ce le nom que lui donne Edmond ou le vrai nom de la rue ? Dans ce dernier cas, il faudrait mettre des majuscules : La Montée de la Vieille Aventure.
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Le droit de propriété existe toujours en France, non ?
Plutôt qu’ « en France », pour ne pas donner de pays à Troubleciel, « dans ce pays » pourrait fonctionner.
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Il veut contempler les clés brillantes et les tournevis comme ceux de Papa, s’accroupit pour se mettre à leur hauteur.
IL me semble qu’il manque un petit élément de liaison entre « Papa » et « s’accroupit »
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Quels biens lègueras-tu,
légueras-tu
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le vieillard reconnait son facteur.
reconnaît
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J’ai payé pour des annonces dans ce canard, j’aimerai bien
j’aimerais : conditionnel !
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un origami en forme de grue dans une pub.
« pub » est plus pour la télévision à mon sens. Je préférerais « prospectus » ou « publicité »
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En conclusion, le détective répond à la question vraisemblablement posée par Madame Dubreuil.
à mon sens cette phrase ne devrait pas être en italique puisqu’elle n’est pas écrite dans la lettre
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Honoraires : 450 €
Euros ? Il faudra peut-être définir une monnaie pour Troubleciel ?
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La voilà qui bondit de marches en marches,
J’aurais mis « marches » au singulier ici, puisque l’eau saute d’une marche à l’autre.
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aperçoivent les policier
Il manque un “s” aux policiers.
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une trainée
traînée
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Il sent la brûlure dans ses jambes qui flagellent.
ce ne serait pas plutôt « flageolent » ? flageller = fouetter, flageoler = trembler.
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il chancèle
chancelle
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Devant l’immeuble, il n’est plus question d’évacuation.
Il vaudrait mieux parler d’expulsion, le terme serait plus juste et éviterait aussi une confusion avec l’évacuation à cause de la crue.
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Amassez de l’argent, pavanez en crésus !
Crésus : ne pas oublier la majuscule, puisqu’il s’agit d’un nom propre.
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et gobent les marches goulument.
goulûment
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Je ne veux pas allez plus loin !
aller
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L’homme pantèle,
pantelle
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L’eau-animal
Superbe ! J’adore l’idée du fleuve qui prend la forme d’un matou
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Mon coupe papier
coupe-papier
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Vient le repos, je suis repue.
est-ce l’eau ou le fleuve ? Dans les poèmes précédents il s’agissait du fleuve, il faudra juste faire attention à la cohérence.
Relectrice-Correctrice pro, et fière et enthousiaste correctrice du Mout'!

MillaNox

  • Invité
Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #11 le: 18 mai 2015 à 20:47:13 »
Salut Kath !

Merci beaucoup pour tes remarques, tes encouragements et tout le temps que tu as passé sur ce texte !!! c'est rvaiment chouette ! merciiii !  :)
je vais corriger les coquilles ! a priori crésus marche comme nom commun :) Pour les €, je trouve que c'est une bonne idée de supprimer cette indication (comme pour la France on l'a viré mais j'ai pas encore eu le temps de mettre à jour le texte ici,ça devrait se faire ce soir ou demain je pense :) ) Je vais proposer à Rémi de changer par "honoraires à payer dans les cinq jours", je pense que ça serait mieux !
Les jambes qui flagellent, je crois qu'on s'est effectivement trompé de mot, c'est marrant !!  :D merci de ton œil de lynx !
Pour  dernier poème, je crois aussi qu'il faut qu'on mette "repu" car c'est le fleuve qui parle, on avait mis ça au début puis on a corrigé en pensant à l'eau, et là j'ai relu ça me parait plus cohérent que ce oit "le fleuve" puisqu’à un moment il dit "mes eaux" !

voilà !  ^^

Milla


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Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #12 le: 18 mai 2015 à 22:15:09 »
Salut Kath,
Comme Milla, je te remercie pour ton oeil de lynx et le temps passé.
Concernant les coquilles, merci beaucoup et pour le modifs je suis d'accord avec Milla.

Merci, merci beaucoup.

A+
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(je me flagelle  :mrgreen: )
Le paysage de mes jours semble se composer, comme les régions de montagne, de matériaux divers entassés pêle-mêle. J'y rencontre ma nature, déjà composite, formée en parties égales d'instinct et de culture. Çà et là, affleurent les granits de l'inévitable ; partout les éboulements du hasard. M.Your.

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Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #13 le: 19 mai 2015 à 13:05:56 »
n'aurait-il pas mieux sa place dans texte longs?
je n'ai pas tout lu....désolé!:)
donc je ne m'hasarderai point dans des remarques!
ce qui nous reste finit par nous rendre tout ce qu'on a perdu...

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Re : [Troubleciel#2] En montée (duo RémiDeLille et Milla) (pour AT)
« Réponse #14 le: 19 mai 2015 à 14:13:51 »
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« Quel brave garçon ce Romain, il n’est pas responsable des mauvaises nouvelles qu’il transmet »[/i], se dit Edmond.
j'ai du mal avec cette phrase. Enfin, ça me paraît assez évident que les courriers merdiques ne sont pas dus aux facteurs. (je relève surtout parce que ça fait beaucoup d'évidences après le dialogue assez banal)

Je trouve les poèmes assez fluides mais les derniers vers pourraient peut-être être un peu plus punchy (je pense à celui sur les questions et à celui sur le fait de comprendre le vieillard)

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     — Saleté de vieillerie ! Y’a rien de standard ! Va falloir bidouiller encore.
pas besoin de l'apostrophe : Y a

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L’eau leur claque les fesses de pichenettes mouillées qui les envoient valdinguer jusqu’au palier suivant.

une pichenette, ça fait pas valdinguer quand même, même une pichenette d'eau  :\?

j'aime pas trop le titre

Sinon, j'ai bien aimé, j'ai bien aimé l'alternance poème/récit/calligramme. Votre texte m'a rappelé le tsunami avec la mention des mecs trop occupés à filmer, Noé bien sûr et aussi un livre que j'ai lu tout petite où un gamin chargé de surveiller le lait s'assoupissait et dans son rêve transformait le lait en génie qui devenait de plus en plus excité qui submergeait toute la ville avant que le gamin rétablisse la situation en l'enfermant dans sa casserole.
Bref. J'ai trouvé la lecture fluide et agréable, j'ai trouvé un peu facile de dénigrer toute la population pour ne mettre en avant que deux personnages (mais c'est aussi le mythe du déluge qui veut ça). Dans l'ensemble, j'ai bien aimé et j'aurai adoré avec un poil plus de nuances pour les personnages.
Bon courage pour l'AT !  ^^
"Je crois qu'il est de mon devoir de laisser les gens en meilleur état que je ne les ai trouvés"
Kennit, Les Aventuriers de la Mer, Robin Hobb.

 


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