Gardiennage à Granville. Fin Janvier début Février 2017
J'ai besoin de calme, de repos et de changement de cadre.Cette maison de bord de mer à Granville fera l'affaire. C'est mon premier gardiennage en France.
Un rideau opaque s'est abaissé sur le plancher de la terrasse.Des gouttes d'eau trouent sa surface comme l'impact de balles.
Un collier de perles transparentes ornent la balustrade qui surplombe la mer. L'horizon se fond dans le brouillard… La mer qu'on devine gronde en permanence pour donner le change au vent.
Les frontières entre la mer et la terre sont annulées.
Le ciel s'égoutte en pointillé sur la grande baie vitrée et les joncs continuent de ployer sous les assauts du vent.
«Pelouse», la chatte qui m'a été confiée, sait se faire comprendre sans jamais miauler. Elle vient me chercher, de temps à autre, pour me conduire à la cuisine où l'attend sa gamelle.
Plus les jours passent, plus elle se rapproche de moi mais sans jamais se laisser totalement caresser.
Sans doute un reste de traumatisme de chat abandonné, récupéré par la fille des propriétaires sur une pelouse.
Le vent a redoublé d'intensité et la pluie s'est invitée de plus bel sur cette scène hivernale.Un caboteur rentre au port.
Mais les turbulences des éléments affectent peu mon moral. La mer n'a pas encore entamé son flux ascendant, mais je sais qu’elle sera au rendez-vous dans son cycle immuable des marées, sa promesse n'ayant jamais été brisée.
Une trouée dans le ciel donne au paysage une lumière dorée et des contours nets. Le tableau n'est plus le même. La marée montante accompagnée du vol de centaines d'oiseaux se rapproche de la grève en vagues successives toujours plus intrusives.
La lumière baisse. La mer, comme un caméléon, prend la couleur des nuages sombres qui planent au-dessus d'elle. Grise, comme les toits d'ardoise normands ou la route qui serpente vers la plage.Des nuances de gris dans un écrin vert de sapins et de feuillages persistants.
Aujourd'hui, les éléments sont toujours à leur place et c'est plutôt rassurant. Mais ce matin, la mer est haute et des vagues blanches déferlent en cascade, toutes dans la même direction, pour se fracasser au pied de la falaise dans un vrombissement continu. Cette obstination sans trêve ressemble à un rendez-vous collectif suicidaire...qui, en fait, n'en est pas un puisque d'autres vagues se régénèrent aussitôt.
La mort n'est définitive que pour les hommes.
Les éléments se sont calmés . La mer s'est retirée. Le vent retient un peu son souffle et les nuages ne menacent plus d'ouvrir leurs vannes pour se décharger de leur excédent d'eau.
Ils laissent même filtrer, dans leur mansuétude, un soleil qui a du mal à s'imposer très longtemps.
Pourtant la lumière qu'il diffuse a suffi à donner vie et relief même aux choses les plus banales.
Pelouse est une chatte très discrète qui ne dort jamais dans ses moelleux paniers pour chats mais sous le grand arbre de Noël décoré et laissé là depuis Décembre dernier. Elle se love sur un tapis de ouate rugueuse censée représenter la neige, derrière la crèche de Jésus entourée des rois mages. Quand elle dort ou qu'elle rêve, elle émet des sons feutrés qui me rappellent sa présence délicate.
Sur le pont supérieur de mon bateau, les joncs dans le joli pot bleu en grès vernissé bordé de stries rouges, flottent, comme une chevelure blonde décoiffée par le vent.
Rien n'est immuable. Tout est en perpétuel mouvement. La nature ne connaît pas l'inaction. Elle a toujours quelque chose à dire. Elle déborde d'imagination. Il n'y a qu'à l'écouter ou à l'imiter si on peut.
Pelouse a ses moments de folie. Elle joue avec elle-même. Tout est prétexte à sauter, bondir, se glisser sous les franges du tapis, s'inventer des jeux. C'est comique de la voir faire. Mais qu'elle soit en mouvement ou au repos, ces gestes sont toujours empreints de grâce et d'élégance.
J'aime cet œil stoïque et tranquille qu'elle jette parfois autour d'elle me signifiant qu'il est vain de s’affairer plus que nécessaire. Cette force d'inertie et capacité à ne rien faire m'ont toujours intriguée chez les chats. Savourer patiemment des moments de quiétude sans en attendre autre chose que le bien-être qu'ils vous procurent.
Des grêlons se sont abattus soudainement sur la terrasse comme des myriades de perles d'un collier brisé. Ils ont rebondi sur les planches et tapissé les lames du parquet d'une couche de petites boules de naphtaline puis ont disparu aussi brusquement qu'ils étaient venus. Tout ce tapage pour rien . Histoire de faire impression...
Les bateaux s’immobilisent à l'entrée du port. Pas assez de tirant d'eau. Le signal rouge sur la paroi de la jetée est trop haut par rapport au niveau de la mer. Il faut attendre. Les marins ont l'habitude. On n'impose pas ses volontés à la mer. Et si on s'y risque, on est souvent perdant. Alors, on s'arme de patience. On s'adapte et on cale ses horaires à celles des marées. On négocie et tout va pour le mieux.
La maison est calme, vide de ses propriétaires absents. Elle ne leur appartient plus. Après une semaine, j'ai posé les jalons et pris possession des lieux. Dans la grande chambre d'amis où je dors, je me suis dépêchée de recouvrir d'un drap le tableau de Staline s'adressant à son peuple qui l'acclame. Quelle drôle d'idée! Le propriétaire me dit que c'était pour faire une blague à ses hôtes.C'est une blague qui dure, me dis-je. Et les meilleures sont les plus courtes..
J'ai fait connaissance avec ma charmante voisine qui m'a invitée à prendre un café chez elle.
Maison de rêve lumineuse et dégagée comme je les aime, avec une vue magnifique surplombant la mer. Mobilier moderne de bois clair agrémenté de plantes vertes réparties aux bons endroits.
On a parlé de choses et d'autres et du carnaval de Granville qui allait avoir lieu la semaine prochaine. Fête traditionnelle qui allait durer quatre jours, bloquer les axes routiers et attirer une foule colossale et bruyante. Ouf! Je l'ai échappé belle!
Ma retraite solitaire d'une semaine m'a rendu le retour à la civilisation difficile. Il va falloir que je me réadapte.
JK