[Loïc]

Pierre était perplexe devant le très fourni rayon des insecticides du Supermarché Central. Pour un peu, il aurait préféré être chargé d’aller récupérer une boite de tampons : depuis cinq ans qu’il sortait avec Juliette, il avait fini par savoir s’y repérer et ce que sa petite amie attendait de lui. Là, il était perdu : ni Internet, ni les magazines de jardinage ne l’avaient préparé à un tel choix ; le rayon craquait sous le poids des tubes, bombes et autres bidons, tous voués à la destruction d’insectes plus ou moins dangereux et dévastateurs. Une chose lui semblait certaine (après tout, cela faisait bien dix minutes qu’il était planté là) : la roténone prescrite pour éliminer les frelons extrême-orientaux qui avaient élu domicile dans son jardin ne se trouvait pas là.
Résigné, Pierre se résolut à aller demander conseil à un vendeur qui passé par là. Il détestait cela. À chaque fois, il se sentait assisté et, à vrai dire, un peu stupide. Souvent, l’objet de ses recherches était là où il regardait depuis le début et Pierre n’avait pas manqué de surprendre les regards exaspérés des courageux travailleurs qu’il emmerdait ainsi.
Ca ne manqua pas.
« La roténone ? C’est très simple monsieur, c’est toute cette partie du rayon.
— Ah ben, merci. Bonne journée. »
Pas de réponse de l’intéressé et Pierre, un peu rouge, toujours aussi perplexe, hésitait. Que devait-il prendre dans la quinzaine de bidons qui s’étalaient sous ses yeux ?

[Rémi]

Désolé, je fais moins glauque à la prochaine.

Ces connards me font gerber. De toute la journée, pas un instant sans qu'ils ne sortent une ineptie, un truc glauque, une horreur. Dès le matin, ça commence, plutôt soft, ils commentent la télé de la veille. Ils exhibent la haine ordinaire du petit écran.
_ T'as vu comme elle s'est fait jarter la pouffiasse ?
_ Ouais normale, pas assez de seins. Fallait l'éliminer.
_ La brune, elle, elle est bonne.
Et puis, ça continue sur les derniers potins provenant de sources plus douteuses les unes que les autres.
_ Putain, t'as vu les assistés ! La prime de Noël qu'on leur donne maintenant !
_ Et ouais, prime de rentrée, prime de Noël, prime pour les gosses...
Vont-ils fermer leurs gueules ? N'ont-ils jamais vu la misère ? Le pire c'est qu'ils la connaissent la misère, ils la croisent dans le petit bled pourri désindustrialisé. Mais eux, le maigre salaire, ils le claquent dans des pompes à cent cinquante euros ou des smartphones dernier cri.
_ Et tous les migrants, là ! T'as vu, y en a qui sont assez cons pour se planquer dans un pare-choc de camion pour passer en Angleterre.
_ Faut vraiment être taré !
Je fulmine, c'est qui le taré ici ? Ils ne connaissent pas trois pays du monde extrême-oriental, n'ont aucune connaissance réelle des malheurs de la guerre.
_ Et t'as vu hier dans le journal ?
_Quoi ?
_ Le mec à moto... Sur la rocade. Sa gamine a été décapitée et lui écrabouillé par un camion.
Ils se repaissent dans le sanglant, ils sont prêts pour les jeux du stades, gladiateurs et lions affamés.
_ Et la vieille qui a buté son mari, t'as entendu ?
_ Ouais, à la John Lennon qu'ils ont dit.
La roténone, abruti.
Et dire qu'ils sont aides-soignants. Si je pouvais bouger...

[barnacle]

Je suis ici pour vous décrire la voix de Dieu.
Elle est surprenante.
Elle surprend parce que tout le monde avant moi vous a menti. Tous ceux qui ont recevoir la parole divine n'ont reçu que l'écho de leur égo : et je parle des occidentaux aux oreilles choisisseuses, des orientaux au cerveau ouroboros, des extrême-orientaux au nez sélectif ; tous vous ont menti parce qu'ils croyaient dire vrai.
Ils vous ont dit comment ils y sont arrivés - mensonge. Ils se sont dits assistés de longues années de prière et d'ascétisme, d'opium ou je ne sais quoi - autant prendre de la mort-au-rats, de la roténone, de l'arsenic ; s'ils mettent tant de soucis à trouver, bien sûr qu'il va leur falloir se donner quelque chose, une réponse.
La voix de Dieu m'est venu à moi, et à moi seul, et vous savez pourquoi ?
Parce que je n'en voulais pas, que je ne la méritais pas.
Parce que j'étais dans l'ascenseur, que c'était bondé de monde, que je descendais au dixième et n'étais pas sûr de pouvoir atteindre la porte. Dieu était bien loin de mes pensées à ce moment-là ; toutes mes pensées étaient dans l'attente de ce ding symbolique, qui me libérerait si j'arrivais à traverser l'épreuve des épaules à bousculer.
Sa voix vient du plus profond de votre être ; elle impose le silence à tous l'entourage et reste suspendue, tandis qu'un ange passe.
Enfin, c'est ça ou c'est un pet.

[SoDeb]

Marc et Camille s’étaient installé au Bangladesh trois mois plus tôt. Le contraste avec la France avait été radical, surtout pour Camille. Marc avait l’habitude des voyages dans ces contrées lointaines. Depuis qu’il avait été nommé responsable des importations de la région Asie pour « Baygor, l’insecticide qui tue plus fort », il avait visité la plupart des pays du monde extrême-oriental. La mission qu’il menait actuellement consistait à extraire la roténone, une substance insecticide puissante, d’une plante locale. Dans son travail auprès des autochtones, il exigeait désormais d’être assisté de Camille. Mais elle détestait cela. Il l’incitait à mentir, à tricher et à soudoyer les populations pour réussir son business. Alors ce matin là, elle décida de tester ce Baygor si fort et en arrosa son pain aux épices qu’il adorait manger au petit déjeuner.

[Rémi]

@ Loïc
pas méga intéressant, mais bien écrit, on y est dans ce super marché et dans la tête du mec paumé.
@ Barnacle
La chute est bien poilante ! Un ange passe ! énorme !
(du plus profond de votre être !  )
@SoDeb
Miam !
C'est un peu abrupt sur la fin, mais ça fait son effet (mortel ?) !

[SoDeb]

Loïc, bien trouvée, la tranche de vie !
Rémi, ça sent le vécu ! J'aime beaucoup.
Barnacle, poilante, ta chute.

[barnacle]

Loïc : prend le second moins cher, puis réalise que ça n'est pas assez bon et que t'es quitte pour revenir et prendre le plus cher. C'est ce que je fais toujours.
Rémi : la chute me déprime, donc bien joué ?
SoDeb : comme dit Rémi, un peu abrupt encore, mais pas mal.

[Aléa]

Mince complètement zappé j'étais dans mes origamis 

Ils sont cool vos textes! tous un bon réel (teinté cynique), à part barnacle dont je soupconne un trauma avec les ascenceurs ahaha 


781?

[Rémi]

En espérant que Ben et Exta nous rejoignent : 357

Edit : ah ! voilà Ben !

[barnacle]

Ben G. : il y a de ça, je prends toujours l'escalier.

937

[Loïc]

Barnacle très belle chute x)
Rémi : les mots sont pas forcément bien placés (à part roténone) mais le texte se tient et est bien fait.
Court et sympa SoDeb


stratifié
écharper
pompier

[Loïc]

Le feu avait pris en pleine nuit et personne n’était prêt. Des incendies, ça faisait longtemps qu’il n’y en avait plus vraiment. Bien sûr, la ville finançait encore une caserne de pompiers — et ses occupants — mais il n’étaient plus intervenus depuis toute une génération. Seul le vieux colonel avait encore vécu un véritable incendie. Rien d’étonnant, alors, à ce qu’il soit le seul prêt à partir quand les alarmes avaient retenti. Il avait sauté du canapé où il se reposait, sonné la cloche et couru jusqu’au terminal d’embarquement, son transmetteur vissé à l’oreille.
« C’est vrai ? » il avait demandé. « Pas une blague ? »
« Non, c’est vrai, » on lui répondit. « Centre-ville, autour de la cathédrale. »
Il entra dans le vaisseau anti-incendie et… se rendit compte qu’il ne savait pas le piloter. À son époque, on roulait encore en camion et il ne s’était jamais soucié de passer les nouveaux permis. Tout allait trop vite et, à 102 ans, il avait passé l’âge. Il klaxonna sans relâche — au moins, il savait faire ça — jusqu’à ce que ses jeunes collègues prennent enfin place, tout ensommeillés.
Le vieux colonel ne tarda pas à les écharper.
« Alors, c’est comme ça que vous bossez ? Je vais vous en faire voir, maintenant dépêchez-vous, c’est la cathédrale qui brûle. »
Les gyrophares s’activèrent et la sonnerie stridente aussi. Dix minutes plus tard, ils étaient là.
Le feu avait déjà mangé plusieurs strates de la cathédrale ; et s’attaquait maintenant à l’édifice médiéval. S’ils ne se dépêchaient pas, tout brûlerait jusqu’aux fondations.
« Équipe une, bombardez moi ça. Équipe deux, sécurisez les lieux. Équipe trois, avec moi ! »
Alors qu’il courait en tirant un tuyau vers la cathédrale en flammes, le vieux colonel sentit son cœur battre à tout rompre. Enfin ! semblait-il dire.

[Rémi]

Petite pensée pour Zag qui n'est pas là et pour Gérard qui nous manque. 

Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.

Vous aurez beau classer, ranger et stratifier,
La bêtise est trop forte et sait vous mystifier.
Vous cherchez le gagnant ? C'est notre ami Gérard.
Tous les dimanches soir, il rapplique et sans fard,
Déguisé en pompier, en loubard de banlieue,
En géant de papier, il me sort de mon pieu.
Je ne peux me coucher sans que Zag le consacre,
Écharpé dans un texte où il nous le massacre.

[barnacle]

Je n'aime pas les descriptions, alors je veux tenter l'exercice de décrire un homme de la tête au pied sans m'endormir.
Ca va être difficile, mais commençons. Jetons-nous dans le bain, ou sur son crâne. Peut-être une mauvaise idée de commencer par là, c'est peut-être le plus important, le reste va m'ennuyer et je... Commençons. Il a des cheveux posés sur un visage qui a un nez, une bouche, deux yeux.
Pardon, pardon. Je vais faire un effort et dire les choses dans l'ordre, avec des adjectifs.
Il a des cheveux moux, posés sur un visage las, avec des sourcils drus-charmeurs, des yeux gris-sales-cernés, le nez pompier (ça se relève), la bouche pompeuse, le menton toujours avancé, prêt à se cogner le premier pour protéger le reste.
Quel brave homme, ce menton.
Mais poursuivons. Dans l'ordre, choses, adjectifs, verbes.
Il a le cou écharpé qui... supporte ? Les épaules ambitieuses qui abandonnent, la poitrine relevé qui respire.
Et ça ne marche pas non ; parce que c'est stratifié tout ça, il complique les choses. Il a des vêtements sur cette poitrine, sur ces épaules - on a déjà cité l'écharpe. Il veut juste me compliquer la vie.
Son écharpe descend entre les deux pans de son manteau noir sur son pull classieux, qui cache une chemise mal repassée qu'il n'a pas l'intention de montrer. Il fait des efforts, comme moi, mais seulement juste assez.
Je l'aime bien au fond, ce gars.
Le pull a juste la bonne taille pour cacher un peu l’embonpoint, le manteau la bonne coupe pour donner une allure plus sportive aux épaules. C'est comme cette ceinture-là en fait : elle soutient le pantalon beige comme les vêtements soutiennent son image. Le pauvre gars, personne n'y croit. On a commencé par la description de sa tête, on sait pour les cheveux mous, on connait le secret profond de son être. Il fallait mettre un chapeau.
Jetons un dernier coup d'oeil, par politesse, aux chaussettes, aux chaussures : elles ne surprennent pas. Rien ne surprend plus.
C'est un échec ; non, pas cette description. Je me suis vaguement amusé, l'espace d'une phrase ou deux. Mais Jean-Luc, vraiment, reprends ta vie en main mec. Merde.
Change de shampoing, fais un peu de gym, quelque chose.
Là, personne n'y croit à ton acte.

[Aléa]

Stratifions la population par starification de fiction : degré un.
Star stupéfiante on en statufierai le popotin : au feu les pompiers j'ai la pinède qui flambe (merci franck dubosc -degré cinq-)
Degré deux.
Strass au stade d'ambition s'écharpant dans les soirée mondaines à coup de "tu sais pas ce qu'il a dit" et d'amis interposés
Degré trois.
Drogues stupéfiantes et acclimatation studieuse au médias s'autoautodafant l'estime.
Degré quatrième dimension classé secret par jugement de valeur positif.
Degré cinq crypté reptilien par jugement de mauvais gout.
Méandres.
Degré cent quarante quatre approximations humaine et fictive sur la fiction d'une vie dans la fiction.
Terminé.