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Le Monde de L'Écriture » Salon littéraire » Salle de débats et réflexions sur l'écriture » Karim Akouche

Auteur Sujet: Karim Akouche  (Lu 2602 fois)

Hors ligne Marcel Dorcel

  • Calliopéen
  • Messages: 410
Karim Akouche
« le: 26 juin 2019 à 05:09:23 »
Parce qu'à quelque chose près, ses réflexions s'inscrivent au centre de ma pensée.


Écrire, c’est coudre ses blessures avec la pointe de son stylo

Il y a des écrivains qui libèrent et ceux qui emprisonnent. Quand j’étouffe, gagné par le chagrin ou le doute, il me suffit de lire quelques feuillets de Don Quichotte, Ainsi parlait Zarathoustra, Cent ans de solitude ou Voyage au bout de la nuit et me voilà soulagé, revivifié, comme ce tournesol oublié par le jour qui reçoit soudainement au crépuscule sa dose de lumière. En revanche, le fait d’ouvrir le livre d’un auteur, dont je sais d’emblée qu’il a un style étriqué, me procurera une sensation de déprime.
L’écriture doit être l’exercice qui libère l’esprit. Elle est le contraire de la contrainte. Si l’écrivain se soumet à celle-ci, il produira des textes ampoulés et boiteux. Le lecteur le sentira dès les premières lignes. Rebuté, il fermera non seulement le livre, mais également son cœur.
L’écrivain qui pratique l’autocensure est un semi-écrivain. Il affectionne les lieux communs. Il prend toutes les précautions pour ne pas blesser ses lecteurs. Il aime les caresser dans le sens du conformisme. Il adapte ses paroles en fonction de son auditoire. Sacrifiant son éthique, il n’hésite pas à fouler aux pieds la plus fondamentale des valeurs : la liberté. Ce faisant, il assassine la vérité. À cet égard, il doit être banni de la « communauté des poètes ».
L’écrivain ne doit pas écrire pour plaire. Il ne doit surtout pas avoir peur de déplaire. Il doit jouir totalement de la liberté que lui procurent sa plume, la solitude, la paix des forêts. Il ne doit obéir à personne, sauf à ses mots, à sa musique intérieure, à son intuition, à ses révoltes. Son métier est d’esquisser les contours vagues de l’être. Son rôle est de déchirer le voile du silence. Son art est de composer la complainte de ses longues nuits blanches ou obscures.
L’écrivain est un agitateur des mots. Il est le gardien de la libre parole. Rien ni personne ne peut le faire taire. Il a le droit de secouer les endormis, de heurter les belles âmes, de choquer les bonnes consciences.
Écrire, c’est peindre les yeux fermés. Écrire, c’est tremper son pinceau dans l’encre, dans du café, dans des larmes, dans la boue, dans du foutre, dans du sang. C’est selon l’alchimie du moment. C’est selon le rythme du pouls. Si l’on trouve l’homme beau, qu’on le fasse comme le David de Michel-Ange. Si on le découvre violent, qu’on s’inspire de Caligula et d’Ubu Roi.
L’homme est un caméléon. Il peut être lourd, léger, misérable, lucide, sadique, doux, enfant, fou. Les adjectifs s’opposent et se neutralisent en lui pour enfin démontrer qu’il est d’une insignifiance et d’une légèreté qui frisent la bouffonnerie. L’écriture consiste précisément à capter ces humeurs changeantes, à les fixer sur des toiles complexes, à les faire passer dans des labyrinthes glauques.
L’art naît de l’incessante danse de l’être humain sur ses ruines. Celui-ci rêve d’incarner Dieu, mais finit toujours par habiter le Diable. Étrange dilemme d’un animal qui échappe à la logique. Étrange marche d’un mortel qui se prend pour l’éternité. Étrange machine qui complique les idées et les choses.
La quête de l’écrivain doit être l’art et non la raison. C’est l’esthétique qui précède le discours. C’est le discours qui s’efface devant le flot des images. L’art qui blesse et non la raison qui dicte. L’art qui fascine et non la raison qui calcule. L’art qui taquine et non la raison qui affecte.
Écrire, ce n’est pas convaincre. Écrire, ce n’est pas prêcher. Écrire, c’est dénoncer la tyrannie de la pensée unique. Écrire, c’est tenter de comprendre. Comprendre, c’est chercher des réponses à des questions qui n’en ont pas forcément. Comprendre, c’est essayer de capter la vérité qui fuit. En Haïti, on dit que la vérité est comme la fumée, elle finit toujours par trouver une issue. La vérité de l’écrivain ne doit pas être un slogan que l’on fixe au fronton des Églises et des Cours de justice. La vérité de l’écrivain est une idée inachevée, sans cesse recomposée et sans arrêt remise en cause, comme ce forgeron qui s’obstine à rendre parfait un bijou fétiche, refusant d’admettre que la perfection est mirage.
Écrire, c’est interroger son cœur qui bat. Écrire, c’est se murmurer des mélodies fragiles. Écrire, c’est dessiner les fantômes qui hantent l’enfant que l’on n’a jamais cessé d’être. Écrire, c’est planter un scalpel dans sa chair pour en sentir la douleur. Écrire, c’est coudre ses blessures avec la pointe de son stylo. Écrire, c’est saisir les failles de l’histoire qui triche. Écrire, c’est noyer le mensonge dans le fleuve absurde de la vie. Écrire, c’est insuffler de la chaleur dans le cœur glacé des hommes.
Écrire, c’est répandre la lumière sur les yeux aveugles du monde.


Le poète et le politique

De récurrentes questions se posent à tout un chacun. Pourquoi la naissance, la vie et la mort ? Pourquoi le mal ? Est-il l’antipode du bien ? L’avenir est-il le rival du passé ? Pourquoi l’amour, la séduction, le chagrin, le crime, le théâtre de la vie, le commerce des petites gens et des grandes causes ? Que signifie pouvoir ? Est-ce gouverner, dominer, diriger, libérer ?

Les chiffres ne me sont d’aucune utilité, je les ai testés à maintes reprises, ils m’échappent comme les hirondelles fuyant les grandes chaleurs. Par instinct, je me suis rabattu sur les lettres. En les enfilant, je crée des amulettes imaginaires qui m’aident à dissiper la grisaille de décembre. Je ne détiens pas la vérité, je la cherche dans le cœur des êtres et des ombres. Elle ressemble à un caméléon, elle prend la couleur de l’endroit où elle passe. La vérité chez le colon est un leurre chez le colonisé ; le mensonge d’hier pourrait se révéler une vérité demain ; la morsure pourrait être perçue comme un baiser de vipère.

Si j’écris, c’est parce que j’ai suspendu mon jugement, banni mes certitudes et j’ai des doutes sur tout et tous : le temps est l’adversaire de la montre, la beauté se fane et les amours ne sont pas éternelles. Tout vieillit pendant que les bourgeons éclosent. Je ne choisis pas les questions à traiter, elles se présentent à moi dans des linceuls ou des robes de princesse ; elles me demandent de les défaire, les pétrir, les massacrer, les coudre. Elles sont des argiles à modeler, des pièces à visser, des langages à défendre. Les mots et les sons obéissent à une logique, à une mécanique rodée, à un bal d’anges et de fantômes. Comment parler de sujets abstraits avec des mots qui désignent des formes ? Comment dire le passé et le futur à travers des paroles du présent qui fuit à chaque battement de paupière ? Comment décrire la mort et le néant alors que celui qui écrit fait partie du plein de la vie ? Dostoïevski a bien décelé l’énigme : ce qui compte dans le roman, c’est le poème. Le poème, autrement dit la musique des mots, aide à expliquer ce qui échappe à l’œil, à l’oreille et au nez. Le poème n’est crédible que s’il atteint la plus haute dimension, au-delà de l’espace et du temps, quand il supplante la prose, la monotonie et le va-et-vient des mouches et des nuages.

Les mots sont minés, derrière chaque syllabe se cache une douleur ou un rire avorté. Apprendre un mot de plus, c’est se risquer au métier de la tristesse. J’écris parce que je porte en moi le cadavre de l’enfant que j’étais ; me souvenir des jeux de marelle et de saute-mouton est un exercice qui brouille le regard, qui comprime le cœur. J’écris pour accepter les rides qui ont pris le dessus sur la fraîcheur de ma chair d’antan. J’écris pour dire que vieillir est un verbe assassin et que la mort est le prolongement circulaire de la vie. Tout ce qui se dit compose le monde et celui-ci n’est qu’un miroir brisé et embué qui oscille entre le tragique et le comique. Accepter ce qui vient est la tâche des sages ; rejeter ce qui ne va pas est la mission des révoltés ; dire la violence, la paix, le sang, le miel, les défaites et la folie est le métier des poètes.

Je n’oppose pas le poète au politique, le forgeron au militant, le peintre au tyran. Tout choc entre entités est une bataille inutile. Le politique charme : il utilise la prose, les sondages, le micro, le poing fermé et les bras ouverts. Il a lu Machiavel, il est fasciné par Napoléon, Hannibal et Alexandre le Grand. Chez lui, tout est stratégie, tout est calcul, tout est résultat. Son horizon est court, il est borné d’urnes. Il oublie le peuple quand il gouverne et ne se souvient de celui-ci que lorsqu’il sollicite son vote. Le poète, quant à lui, n’additionne pas les têtes, il s’en approprie les voix ; il n’a de perspective que les étoiles et de discours que le rythme des mots.

J’aime le désordre des choses. Je ne suis ni la meute, ni le sens du fleuve, ni la ligne d’un parti ou d’un journal, ni le protocole des chapelles ou les flatteries des salons. Je n’obéis ni à quelqu’un ni à quelque chose. Je n’ai besoin ni d’un drapeau, ni d’un hymne, ni d’un trophée pour dire ce qui chavire ou ce qui rame. Un stylo, du papier et ma musique intérieure me suffisent pour créer mon monde, loin du bruit des idées mâchées, près des vérités têtues, quelque part entre ce qui devrait être et ce qui ne sera jamais. Je suis écrivain et cela me suffit. Le poète a réussi à tuer en moi l’ingénieur, il refuse à présent de se laisser abattre par le politique. L’écrivain peut dire des vérités avec des mensonges contrairement au politique qui utilise l’illusion de vérité pour débiter parfois ou souvent des mensonges. Chacun son métier, tout le monde a des cibles. Le premier ne cherche pas à convaincre, il soulève des questions. Quant au second, rusé ou séducteur, faux ou sincère, son rôle est d’apporter des réponses.
« Modifié: 26 juin 2019 à 05:21:00 par Marcel Dorcel »
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Re : Karim Akouche
« Réponse #1 le: 15 septembre 2019 à 19:55:06 »
L'instrumentalisation de l'écriture ne fait que desservir et appauvrir, selon moi, l'art.
Les larmes sans pleur sont une lanterne.

 


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