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28 mars 2024 à 09:35:52
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Auteur Sujet: Plus jamais, David Lynch  (Lu 3564 fois)

Hors ligne trompette sournoise

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Plus jamais, David Lynch
« le: 11 octobre 2019 à 18:48:57 »
« Divorcer, c'est comme être renversé par un camion,
Si on en réchappe, on regarde bien à gauche et à droite avant de s'engager à nouveau »

Jean Kerr

Mardi 2 octobre 2019.
"Mémoires d'une tragédie domestique mineure"
Quelque part en Moselle.
De nos jours.
Je m'appelle Philippe P.
J'ai 37 ans.
J'habite seul avec maman.
Dieu nous garde.

1.

T'as toujours pensé que ma mère pouvait pas te saquer, pas vrai ? Et moi je te disais « Mais non, c'est dans ta tête tout ça. Ça doit être une histoire d'assaisonnement de la vinaigrette. Ou un truc dans le genre. Rien de grave, quoi ».
Tu parles...
J'étais loin d'imaginer. Tout ce que je peux dire aujourd'hui c'est que ma mère te hait. Disons qu'elle nourrit une franche aversion contre toi. Bon. Elle te maudit, pour être plus précis.

Hier soir, elle avait fait un gratin dauphinois aux patates douces. On mangeait dans le plus grand des calmes. On se passait le sel. C 'était bon,
Et puis elle a relevé la tête et elle a dit  : « Cette rupture est sans doute la meilleure chose qui te soit arrivée depuis que qu'on t'a enlevé l'appendicite » Comme ça, voilà. Juste comme ça. Zéro contexte. Et tu te souviens à quel point j'ai morflé avec cette appendicite....
Elle exagère, quoi.
C'était pas si mal, nous deux.
Plus tard, elle m'a demandé si je comptais reprendre de la tarte aux pommes. Bref, tu avais raison.T'as eu souvent raison, en fait. Je voulais que tu le saches.
Concernant les déclarations de maman, j'aimerais pouvoir dire que j'ai activement défendu activement ton honneur. En mémoire des bons moments qu'on a partagés. Quand même. Sans parler des enfants. Mais pour être honnête, j'ai fait comme si j'avais rien entendu. Et pour finir, j'ai repris une part de tarte.
Voilà, tu sais tout.
Ce qu'il faut piger, c'est que si maman prend la mouche, si elle me fout dehors pour une raison ou une autre, et ça peut déraper à tout moment avec cette dingue, eh bien je me retrouve à la rue, moi.
J'ai nulle part où aller.

T'es bien placée pour savoir que je ferais un très mauvais sans abris.
Tu te souviens comme j'ai paniqué quand il y a eu cette coupure de courant? Enfin merde Marla...Tu me connais, non ? Suffisait qu' y ait plus de confiture au frigo pour que je commence à angoisser. Tu me vois survivre dehors, franchement ? Me battre pour mon morceau de trottoir avec un type qui me fout une raclée à coups de moignons ? Je ne crois pas, non.
Quoi qu'il en soit, ça fait longtemps que j'avais pas vu la vieille aussi heureuse. Elle n'arrête pas de cuisiner. Elle s'est même remise à faire du rameur. Je pense qu'elle veut être dans la meilleure forme possible, si jamais toi et moi on finissait par divorcer. J'suis sûr qu'elle a une robe dans sa penderie, tu vois, un truc horrible avec des fleurs qu'elle voudrait pouvoir porter le jour où on signera les papiers.

Voilà au moins tu sais où je suis. Je suis chez ma mère.Tout va bien. Elle t'embrasse. Non je plaisante. Bref, tout va aussi bien que possible.J'espère que tu comprendras. Je vais me planquer ici un moment, en attendant que ça se tasse.

2.

J'ai rédigé mon profil Tinder aujourd'hui. J'ai pas l'intention de refaire ma vie avec une esthéticienne, rassure toi. C'est pas d'ça qu'il s'agit. J'ai aucune intention de refaire ma vie, point final. Ma vie ressemble aux soufflés au fromage ratés de maman. Ils sont irrécupérables. Non, c'est surtout l’exercice de style qui m'a attiré. Je veux dire... la rédaction de mon profil. Je voulais écrire quelque chose qui me définisse parfaitement à l'instant T.
Enfin, Le mieux, c'est encore que je te le lise, je crois :

« J'en ai rien à foutre des voyages.
Rien à foutre du cinéma.
Et le sexe...
Ça me fatigue d'avance, le sexe.
Je préfère encore jouer à la pétanque avec ces cons de voisins,
Ou me brosser les dents.
Je n'en ai rien à foutre des bouquins,
Et des promenades en forêt.
Je préfère encore conduire, la nuit, en état d'ivresse.
Ou tirer sur les pigeons, avec la carabine à air comprimé de maman.

Enfin bref, j'aimerais que l'on se rencontre.
Pour boire.
J'aime toujours boire.
Tiser. Picoler. Me beurrer la gueule comme un petit Lu.

Toi, moi et l'ivresse. Qu'en penses-tu ?

On se moquera des autres gens, attablés autour de nous.
Tu porteras des vêtements qui ne t'iront pas.
Enfin pas particulièrement...
Parce que tu n'seras là, toi aussi,
Que pour te flinguer à la bière.
Au Gin Tonic.
A la Margarita.
Peu importe.
Ensuite, je te ramènerai en voiture,
Pété.

Et Au pied de ton immeuble,
J'essaierai de t'embrasser sur la bouche,
Tu sais...
L'habitude.
Alors, on se mettra à rigoler.

Ce sera pas la meilleure soirée de ta vie.
Mais enfin y'en aura eu des pires.
Après tout, j'ai encore les yeux bleus.
Et les gens disent que j'suis  plutôt gentil »

Voilà. Y'a plus qu'à attendre qu'une boulangère au bord du suicide tombe sur mon profil, raccroche le fusil de chasse et décide de s'accorder une dernière tournée des bars avec un authentique nihiliste.
Ça va, j'suis plutôt confiant.
Ça doit pas manquer d'hommes et de femmes au bord du point de rupture, dans le coin.
Ni d'ivrognes.
Et franchement, je suis même prêt à faire une ballade en forêt, s'il le faut.
 
3.

Rien n'a bougé dans ma chambre d'ado. Maman n'a même pas passé un coup de chiffon. Elle a du prendre un sacré coup sur la tête quand je suis parti. C'est exactement comme dans ces films, tu sais... quand un enfant est porté disparu... et qu'on rouvre l'enquête vingt ans plus tard.
T'as cet inspecteur, un peu moins demeuré que les autres, et son collègue,
à trois semaines de la retraite. Enfin bref, ils ont plein de photos et de symboles bizarres accrochés au mur, reliés par des fils rouges. Et ils pensent pouvoir établir un lien entre les crimes qui ont sévit dans la région, y'a des années de ça. Alors les mecs se garent devant une baraque délabrée.
Et t'as le vieux qui fait : «Hey. Vous êtes sûr que c'est ici, Cooper ? Ça m'a tout l'air d'être un trou à rat votre truc ». Et le jeune il répond : « Sergent Truman, croyez-moi, j'ai vu pire... ». Il répond ça parce qu'il a grandi dans un bled vachement défavorisé du Kansas. Mais il parle jamais de son enfance. Bref, les mecs frappent à la porte et c'est une femme entre deux âges qui ouvre, l'air complètement cramée.
Et alors ils se font payer un café instantané, tout le monde tire une gueule pas possible, et le flic qui est à deux doigts de la retraite, vu qu'il pense déjà plus qu'à pêcher à la mouche, il fait comme ça : « Ok. Madame. Il est vraiment bon votre café. Sans blague. On passe un chouette moment... Mais est-ce qu'on pourrait jeter un œil à la chambre de Rudy ? ». Et l'autre flic, celui qui est moins demeuré, il dit : « Ce ne sera pas long, je vous assure ». Et donc ils montent à l'étage et la mère ouvre la porte aux inspecteurs et elle dit : « Je n'ai rien touché. Tout est exactement comme... Enfin, vous voyez... bon ben moi j'vais refaire du café alors faites comme chez vous ». Et elle part en se mouchant dans dans son vieux pull crocheté à la main et on comprend que c'est pas de la tarte, sa vie,
depuis que son fils s'est fait égorger dans une cave par un maniaque. Enfin c'est ce qu'elle pense. Et alors l'inspecteur Cooper et son acolyte entrent dans la chambre... Les stores sont tirés. Et y'a cette lumière...
très tamisée... Et un peu de poussière qui vole comme ça... pour qu'on comprenne bien que l'âme de Rudy est encore un peu là. Et le parquet craque. Tout le monde marche sur des œufs. Et l'inspecteur Cooper touche le bord d'un cadre emprisonnant une photo de Rudy. Rudy qui pose fièrement sur un vélo. Il a l'air si insouciant, le gamin.
Tout le monde secoue la tête parce que c'est quand même un beau gâchis, non ?  Je veux dire...
Même à l'échelle du Kansas...

Enfin tout ça pour dire que ma chambre est exactement telle que je l'avais laissée quand je me suis tiré.1997 pour toujours, tu vois ? Le cauchemar absolu. Y'a ce poster de Trainspotting sur lequel on voit Ewan Mc Gregor émerger des pires toilettes d’Écosse, trempé jusqu'à l'os, à bout de souffle,
ses précieux suppositoires à la main. J'adore ce poster.
Y' a mon magnétoscope VHS Panasonic et sa télécommande sans pile
et sa prise péritel tordue, exactement comme je les avais laissés.
Y'a Tous mes films de l'époque.
Et ma grosse télé, évidemment.
Y'a aussi mes revues porno, au dessus de l'armoire.
Et ce vieux magnétophone à cassettes sur lequel je m'enregistrais à la guitare.

Bref, dans cette chambre, on a pas encore gagné la coupe du monde,
je suis toujours puceau, tu ne peux pas sortir de chez toi sans qu'on te refile un CD AOL avec une demie heure gratuite de connexion pourrie à Internet. Et tant pis si ça coupe quand quelqu'un se sert du téléphone.
Dans cette chambre, Jacques Chirac est en pleine forme. Il vient même de dissoudre l'assemblée nationale tellement il est au taquet. Dans cette chambre, il ne peut rien m'arriver, tu vois... Mon avenir est dégagé.
Je m’apprête à faire une entrée fracassante dans le monde. Un peu comme Ewan Mc Gregor, jeune, qui s'extrait de la cuvette infâme des pires toilettes d'Edimbourgh.

Mais voilà...
On sait tous les deux que ça ne s'est pas exactement passé comme ça.
Vingt ans plus tard, cloîtré dans cette chambre,
Et tandis que je passe le plus clair de mon temps à me repasser les films de l'époque, quand je ne joue pas à la Gameboy... Vingt ans plus tard, j'ai l'impression que tout se qui s'est passé depuis n'était un mauvais rêve.
Mais non.
C'était juste ma vie.
Avec toi, la plupart du temps.

4.

Vendredi 4 octobre 2019.
"Mémoires d'une tragédie domestique mineure"
Je m'appelle toujours Philippe P. et je déclare être sain de corps et d'esprit.

J'ai reçu une réponse à mon annonce Tinder aujourd'hui. Cokine du 57 a parcouru mon profil et ça l'a pas mal inspiré.
Enfin, voilà ce qu'elle a à dire :

« Cher Philippe,

Pourquoi ne te jetterais-tu pas tout simplement d'un immeuble de taille moyenne ?
Une fois tes jambes cassées, tu pourras ramper jusqu'au milieu de la route et te faire écraser ensuite à de nombreuses reprises par une voiturette électrique conduite par un octogénaire,
Ce qui ne suffira pas à te tuer mais t'enlèvera quand même de nombreux points de vie.
Cela t'obligera à passer le restant de tes jours dans un état végétatif conscient.
Tu auras alors tout le loisir de revoir ta position en ce qui concerne les voyages, le cinéma, les bouquins et surtout, les promenades en forêt.
Le reste du temps, tu attendras.
Tu attendras que quelqu'un ait la bonté de t'achever.
De te débrancher. Un truc dans le genre.
Ah sacré Philippe...
Tu m'as quand même bien fait marrer.
Tu l'auras sans doute compris, je n'ai aucune envie d'aller boire des Margharitas avec toi.
J'aurais trop peur, en fait, d'attraper la dépression.
Ou que tu me jettes dans ton coffre, espèce de malade !
Et pour finir, sache tout le monde se fout que tu aies les yeux bleus.
Tu devrais d’ailleurs attraper une fourchette et te les crever, là, maintenant. Ça t'évitera de porter sur le monde ce regard dégueulasse qui est le tien »

Les gens sont devenus très méchants, sur Internet, ou c'est moi ? 
A l'époque d'AOL, j'ai l'impression qu'on savait encore se tenir.
Je voudrais pas jouer les réacs de base, mais quand même...
Les gens sont devenus méchants, je trouve.
Et il n'y a aucune immeuble, même de taille moyenne, là où je suis. Pour commencer.
Enfin, je me suis pas laissé faire. J'ai fait quelques recherches et j'ai répondu à cette fille.

« Chère Cokine du 57,

Puisque tu n'as pas pris la peine de configurer ton ordinateur correctement. Et que tu utilises encore une adresse IP non dynamique, Sale petite conne dilettante. J'ai eu tout le loisir de récolter un certain nombre d'informations te concernant. Ainsi donc, après avoir croisé les données récupérées sur les réseaux sociaux et ton blog, j'ai été en mesure de récupérer ton nom, ton prénom, et même la maudite date à laquelle tu es venue au monde. Le logiciel pirate Maltego m'a été bien utile dans cette tâche.
Je sens que tu fais déjà moins la maline.
Mais je ne me suis pas arrêté là.
Non.
Figure toi que j'ai beaucoup de temps libre en ce moment.
La femme avec qui je partageais ma vie depuis une vingtaine d'année m'a foutu dehors et je me suis réfugié chez ma mère. Quelque part en Moselle.
Où il n'existe aucun immeuble de taille moyenne, au passage. Autant dire que je suis un tout petit peu à cran ces derniers temps.
J'ai donc ensuite contacté ton fournisseur d'accès Internet et je me suis fait passé pour toi, 

« Bonjour, j'envisage de déménager bientôt et je voudrais vérifier que vous ayez les bonnes informations me concernant. Est-ce qu'on peut faire le point sur mon adresse actuelle ? »

Bingo.
Je sais maintenant où tu vis, petite cokine du 57. Et je connais la plupart de tes centres d'intérêt. Prépare-toi donc à visiter le coffre de ma voiture dans un délais raisonnable.
Nous irons boire un verre, ça je te le garantie.
Et cela impliquera finalement beaucoup de marche en forêt, tu avais raison.

Cordialement,

Philippe »

Tout est bidon, évidemment. Je n'ai aucune idée de ce que je raconte mais ça m'aura occupé une heure et j'espère qu'une certaine Cokine du 57 est en panique à l'heure où l'on parle. Qu'elle répète inlassablement à son entourage : « Mais c'est quoi en fait, une adresse IP dynamique, merde ? »,
Qu'elle se demande si elle va mourir dans les 24 heures. Moi aussi, je peux être taquin. Il faut apprendre à vivre avec son époque n'est-ce pas ?
Moi aussi, je peux être méchant si j'veux ! Moi aussi, je suis plein de ressources.

Sinon, rien de spécial aujourd'hui. Maman a fait des aubergines.
T'es bien placée pour savoir que je n'ai jamais aimé les aubergines,
Mais j'ai fini mon assiette. J'ai fini ma assiette en imaginant quelle serait ma vie si je me retrouvais dehors cet hiver, sous une montagne de carton que je partagerais avec un certain Francky. Un mec sympa, un ancien marin pécheur,
Un mec adorable avec le scorbut.

Putain Marla, je déconne à plein tube.
J'ai le sentiment que quelque chose est en train de m'arriver.
Une truc inévitable.
Une vraie situation de merde.
Peut-être la vieillesse.

5.

Jeudi 10 octobre 2018.

J'ai bien reçu le courrier de ton avocat. Je l'ai sous les yeux là...
Convention de divorce à l'amiable.
Par consentement mutuel.
Par acte de signature...
Bon.
Apparemment, ça y est.
C'est du sérieux entre nous.

J'ai laissé traîner le courrier au salon. Je voulais que maman en profite.
A son âge, on a pas le cœur de la priver des joies simples de l'existence.
Le rameur a grincé toute la journée, si tu vois ce que je veux dire.

Je t'avoue que j'ai lu ce courrier en diagonale parce que je m'étais prévu un marathon Twin Peaks ces deux derniers jours. En fait, j'ai regardé les 29 épisodes de la saison 1 et 2. A la chaîne. C'est brillant. Rien à dire.Tu sais ce que j'ai remarqué aussi. Tous les couples se trompent, dans Twin Peaks.
Tous.
Et nous, Marla ?
Est-ce qu'on s'est « trompé-trompé » ou est-ce qu'on s'est juste lamentablement gourés ?

Bref, la raison pour laquelle je me suis planifié cette orgie de Twin Peaks, c'est  que tu as toujours détesté David Lynch. A peu près autant que ma mère te hait.Mais c'est ma faute. J'aurais du vérifier. Avant qu'on s'embarque dans tout ça, j'aurais du t'emmener au restaurant,
te regarder droit dans les yeux et te demander : « Marla. Aimes-tu le cinéma de David Lynch ? ». Je sais que ça peut paraître anodin aujourd'hui. Mais le Diable est dans les détails, Marla. Alors tu aurais saisi ton verre... Tu l'aurais porté à tes lèvres. Tu aurais marqué un silence.
Et tu m'aurais répondu : « Philippe, écoute moi attentivement. Je vais être tout à fait franche. Il m'exaspère, ce mec. Ses films, sa musique, sa photographie, ses peintures merdiques... Même sa coupe de cheveux me fout les glandes. Tout ça me débecte à tel point que je préférerais lécher la lunette des toilettes de ce restaurant plutôt que d'avoir à regarder Mulholland Drive une deuxième fois ».
J'aurais compris, tu sais.
J'aurais dit : « Marla. Merci pour ta franchise. Faisons l'amour une dernière fois et quittons nous à jamais. Je ne peux rien construire avec quelqu'un qui déteste autant David Lynch. Je ne peux pas fonder une famille avec quelqu'un qui n'adhère pas avec un personnage comme la dame à la bûche, dans Twin Peaks ». Je suis désolé. J'aurais vraiment du prendre soin de vérifier ce genre de choses...

Maintenant, revenons au courrier de ton avocat...

En ce qui concerne le partage des biens, tu n'as qu'à tout garder voilà. Faisons simple. J'ai ce qu'il faut aussi. Un lit trop court, beaucoup de calme, la cuisine de maman, mes vieilles revues porno, un mobilier d'époque.
Le chant du coq.
Ma guitare, ma gameboy, mon magnétoscope, mes films des années 90 et tout le temps que je veux pour faire le point.

En ce qui concerne les enfants, je suggère qu'on se partage la garde comme ceci : tu prends disons les 7 premiers jours de la semaine, les 4 premières semaines du mois, les congés scolaires évidemment, les jours fériés et les saloperies d'années bissextiles. Disons qu'on fait comme ça au moins les 10 prochaines années. Du coup, on est sûrs de pas trop s'embrouiller avec le calendrier. J'ai le pressentiment que ce sera plus simple pour tout le monde, tu vois ?
Soyons honnêtes.
Les enfants peuvent pas me blairer.
Pas plus que toi.
Dis leur qu'ils ont raison sur toute la ligne d'ailleurs. Dis leur que je suis parti construire le plus grand autoroute du monde. Au Brésil, tiens. En pleine forêt amazonienne. Le plus grand projet de bétonnage jamais vu.
Dis leur ça.
Et s'ils demandent un jour à voir mon diplôme d'ingénieur. Enfin tu vois, s'ils commencent à douter de la version officielle, eh bien envoies-les ici.
Dis leur où je me trouve vraiment.
Je les attendrai.
Je ne bouge pas.

J'étais pas fait pour être père, finalement.
Tu te souviens quand je me suis évanoui dans la salle d'accouchement ?
Tu te souviens de ça ? Je m'étais cassé le nez sur un plan de travail et j'avais foutu du sang partout. Tout le monde était furieux contre moi.
Toi la première.
C'était la peur, Marla.
C'était l'effroi.

J'ai l'impression de m'être encore cassé le nez mille fois avec les gosses, ensuite. Chaque fois que j'ai essayé de faire quelque chose de bien, je me suis vautré tête la première. C'est juste pas pour moi.
Toi, au contraire, t'as toujours été une mère géniale, je trouve. J'aurais certainement du te le dire plus tôt.
Je suis désolé, encore une fois.
Enfin voilà, tu comptes double. Sans problème.
Mon seul souhait, ce serait que tu te mettes en ménage avec une lesbienne, maintenant. C'est tout le mal que je souhaite à notre famille.
Un papa, une maman, c'est que des emmerdes. Les mecs sont des cons.
On ne devrait pas leur confier la responsabilité de leurs gosses.

Allez, trouve-toi une meuf, meuf.
Je suis sérieux.
Soyez heureuses.

Enfin, en ce qui concerne la paperasserie, j'ai tout signé et envoyé ce matin par la poste.

6.

Lundi 14 octobre 2019.
Mémoires d'une tragédie domestique mineure.
Quelque part en Moselle.
De nos jours.
Je m'appelle Philippe P.
J'ai 37 ans et j'habite seul avec maman.
Dieu nous garde.

Bon. J'en ai assez.
Je veux en finir avec tout ça.
Cet enregistrement.
Moi.
Nous.
Alors on va faire comme dans les films des années 90, Marla.
On va faire un montage.
Une succession de scènes rapides exposant les 10 années qui m'attendent,
Ma crise de la quarantaine en go-fast,
Nous allons créer une distorsion du temps, de l'espace et de la narration,
Sur une musique libre de droit.
J'espère que tu es prête.
Moi pas.

« Dans les semaines qui suivent cet enregistrement,
Philippe fait une grosse rechute amoureuse,
Suite à une annonce publiée sur Tinder,
Il rencontre une esthéticienne Borderline,
Mère de deux enfants en échec scolaire.
L'esthéticienne jure n'avoir jamais entendu parler de David Lynch
Et affirme n'avoir aucun avis sur la Question.
Philippe est tout à fait rassuré quand l'esthéticienne indique que son film préféré est « Bienvenue chez les Ch'tis »
Ils emménagent ensemble dans un appartement de location dans la banlieue de Forbarch
6 mois plus tard, pourtant, l'esthéticienne demande à Philippe si ça le dérangerait beaucoup qu'ils partagent le même tiroir à chaussettes.
Philippe ne se formalise pas sur le coup mais il perd tous ses cheveux pendant la nuit.
Philippe comprend que quelque chose cloche.
Au matin, il écrit Sur le miroir de la salle de bain
avec un tube de rouge à lèvre,  :

« Retranche tous ces engagements que tu voyais s'imposer à toi
et qui sont autant de bagages qui t’entraînent au fond de la mer »

Il enfourche ensuite son vélo pour aller chercher des cigarettes
On ne le reverra plus jamais en Moselle.

Philippe passe trois mois sur la route,
Buvant aux fontaines,
Se nourrissant de Pom Potes qu'il arrache aux enfants qu'il croise.

Se dessine au fil des jours le projet de rejoindre un ashram à bicyclette,
Quelque part en Inde,
Philippe veut suivre à la lettre les 4 stades de la vie du Brahmane.

Malheureusement, ivre de fatigue, il percute un tramway à Zagreb.
L'accident est terrible.
Philippe se fracture les deux poignets, la clavicule, la mâchoire
6 côtes et l'astragal.
Son poumon droit est perforé.
Son pronostic vital, comme on dit, est engagé.

Philippe passe six mois à l'hôpital et devient accro à la morphine,
Il passe les trois années suivantes dans différentes villes de Croatie.
Il livre des médicaments à des malades en fin de vie,
Ce qui lui permet de se servir au passage.

Au cours de cette période, Philippe publie un essai sur la clochardisation

Le 6 février 2023, il apprend que sa mère a été retrouvée morte sur son rameur,
Dans une tenue en lycra,
Le compteur de l'appareil de fitness est arrêté sur 5 859 km.

Philippe rentre au pays.
Au cours des obsèques, il revoit brièvement ses trois enfants,
Qui lui demandent comment ça se passe avec l'autoroute.
Mais sans véritablement parvenir à donner le change.

Philippe revoit aussi Marla, désormais en couple avec une volleyeuse professionnelle.
Marla a l'air heureuse. Elle affirme que ses crises d'eczéma ont totalement disparu.

Philippe supporte mal le deuil de sa mère.
Les années qui suivent, il se consacre essentiellement au bénévolat
Dans le cadre de festival de musiques électroniques.
Le 10 mai 2027, Philippe s'écroule sur le bar,
Ayant préalablement ingéré un ecstasy chinois contrefait.

Philippe plonge alors dans une sorte de coma.

Quand il reprend conscience, il a 49 ans,
Il est employé dans une boite d'assurance.
Il a un salaire fixe et des horaires de bureau.
Il prend soin de lui.
Il dort à horaires fixes.
Il ne sourit plus jamais.
Il est fichu.
Mais pour la première fois de sa vie,
Le vide qui l'habite lui paraît réconfortant.
Philippe est prêt pour l'âge mûr.
Il ne veut plus entendre parler de David Lynch.
Plus jamais.
« Modifié: 12 octobre 2019 à 10:07:14 par trompette sournoise »

Hors ligne txuku

  • Palimpseste Astral
  • Messages: 2 544
    • BEOCIEN
Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #1 le: 12 octobre 2019 à 17:55:22 »
Bonjour

Un texte glauque a souhait qui m a bien fait rire !!!  ;D

Une coquille en passant :
Citer
J'ai fini ma assiette
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

Hors ligne True Duc

  • Calliopéen
  • Messages: 442
Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #2 le: 13 octobre 2019 à 02:50:15 »
Bonjour TS

Citer
Je ne peux pas fonder une famille avec quelqu'un qui n'adhère pas avec un personnage comme la dame à la bûche,
On est d'accord.

Une seule lecture. Percutant. Pas de critique plus élaborée. Mais, boudiou, que j'aime le style, les références culturelles, la géographie (Forbach et non pas Forbarch), les mères qui cuisinent....

Encore!!!
« Tu veux t'asseoir sur le trône ? Faudra t'asseoir sur mes genoux.»(Elie Yaffa)

Hors ligne Dieter

  • Palimpseste Astral
  • Messages: 2 789
  • Orthographe réformée = Histoire déformée
    • Dieter
Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #3 le: 13 octobre 2019 à 13:33:37 »
Oh bah merde ! Le retour de Trompette Sournoise, mon idole depuis que je suis inscrit ici ! Celui dont j'ai lu tous les textes sous les deux pseudos... Et toujours autant de génie. Quel bonheur !
On n'a rien inventé de mieux que la bêtise pour se croire intelligent.
Amélie Nothomb

Hors ligne trompette sournoise

  • Scribe
  • Messages: 90
Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #4 le: 13 octobre 2019 à 17:58:50 »
Hey ! Merci pour vos retours.
En particulier pour les coquilles. Que les habitants de Forbach me pardonnent (ils ont déjà assez de problèmes, les pauvres).

Salut Dieter. C'est vrai que ça faisait un bail.
Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir rester cette fois ci. On verra bien.

Soyez bénis.

Hors ligne Aleshanee

  • Tabellion
  • Messages: 32
Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #5 le: 14 octobre 2019 à 11:49:40 »
C'est la toute première fois que j'écris sur ce forum et je suis contente d'être tombée sur ce texte pour mon arrivée.
J'ai trouvé qu'il était vraiment pas mal et cela m'a touché à certains égards.  Pardon pour ce pavé et mes maladresses d'expression à l'avance !

J'ai aimé ton idée de faire de ton texte "un enregistrement"à la Cooper qui rend le texte très facile à lire et permet d'être plus proche du personnage. C'est intéressant parce que du coup on a deux récits qui s'opposent : celui du "maintenant" qui se trouve dans le huit clos de la maison maternelle et celui du "avant", qui sont des souvenirs de son mariage. Les deux se parlent et se répondent continuellement comme dans une autobiographie. Du coup, même si le destinataire du texte est Marla, on comprend vite que le narrateur s'adresse d'abord à lui même et cette perspective rend le texte plus intense et touchant.

J'ai aimé le thème que je trouve bien traité.  Les regrets et peines du personnages n'ont pas la forme d'une réflexion ou d'un récit comme dans la plupart des romans, c'est un enchaînement de petits souvenirs et anecdotes insignifiants ou d'apostrophes à Marla. Cet entassement devient de plus en plus écrasant au fil de la lecture et cela m'a étouffé comme ce que devait vivre le personnage.  Plus le personnage fait état de sa vie actuelle, plus le tableau devient glaçant et suscite la compassion. Cette solitude et ce cynisme permanents dans le texte deviennent de plus en plus insupportables au fil des événements. Tu as donc réussi à "faire monter la sauce" plutôt que de rester sur la même teinte ou sur le même niveau d'émotion tout au long du texte. Tu vois ce que je veux dire?

Ton texte a donc une belle plume, une belle énergie et sa construction permet sa fluidité. Ça se lit très bien et c'est intéressant. Ça aurait même du potentiel pour devenir un texte plus achevé voire un roman si à la fin, plutôt que de choisir la mort des personnages, tu choisissais de penser la suite de ces événements. Que fait-on après un divorce? Comment vit on avec cette sensation de s'être tout à fait perdu, d'avoir tout râté? Stagner et regretter ne sont-ils que la seule issue?


Après, le texte a deux petits bémols selon moi, cependant. (Je me permets de le dire très modestement, je ne suis pas foutue d'écrire comme toi.)

Le thème Twin Peaks reste trop anecdotique. Au fond, tout le titre de ton histoire tient au fait que Marla n'aimait pas Twin Peaks et que c'était un indice à l'époque de l'incompatibilité des personnages. C'est dommage car étant fan de cette série, (j'écoute d'ailleurs en ce moment même la B.O car ton texte m'en a donné l'envie) j'aurais aimé plus de références ou d'éléments inspirés de cet univers. Peut être l'idée d'un meurtre ou d'un suicide en lien avec cet enregistrement, des scènes plus oniriques ou des éléments fantastiques dont on ne sait s'ils sont le fruit de l'esprit malade du narrateur ou de la réalité ? La couleur rouge n’apparaît même pas ! Je ne sais pas, mais à mon sens, compte tenu du titre, ton texte manque "d'un truc" qui laisse le lecteur (moi!) sur sa faim.  Tu me diras sans doute que tu ne voulais peut être pas "trop en faire" et je le comprends, mais pourquoi ce titre alors ? Même si tu ne voulais pas t'inspirer de cet univers, il aurait peut être fallu montrer en quoi l'oeuvre de David Lynch était profondément liée au personnage, à leur mariage puis divorce ? Cela aurait crée une harmonie sous-jaçente qui aurait pu être très intéressante.

Pour finir, j'ai pas trop apprécié la fin. Le personnage veut "bâcler" son enregistrement et pour moi, c'est le texte qui le devient. Il y a  beaucoup d'éléments contradictoires et nouveaux dans ce "dernier chapitre" que je n'arrive pas à raccorder à l'ensemble du texte pour trouver une cohérence et une interprétation satisfaisante.

Tout d'abord, le dernier chapitre tranche bizarrement avec l'ensemble du texte. Nous étions dans le monde fermé de l'introspection et soudain, le personnage veut s'en libérer. Pourquoi ? Que s'est il passé? Sans transition, sans explication, ce changement soudain de tonalité me laisse sur ma faim.

Ensuite, le personnage semble avoir amorcé une thérapie tout au long de ce texte. Il est capable d'analyser avec sensibilité et pertinence tout un tas d'éléments de sa vie. Il en a la force et l'intelligence. Il était attachant et crédible dans ses propos. Or, à la fin, il semble se laisser sans raison par le cynisme et la dépression. Il passe donc de la finesse de l'esprit à la caricature des sentiments.

Ses prospections fantasques sur son futur qui le font devenir Julia Roberts dans Mange Prie Aime dans un ashram, une sorte de Jessie Pinkman en Croatie ou un pauvre type blasé, assureur, séparé d'une esthéticienne sont risibles par rapport à la qualité de ses remarques précédentes. L'élément central qui me chagrine c'est la mort de sa mère. Nous étions face à une figure envahissante et autoritaire qui semblait depuis toujours avoir pollué la vie du personnage et notamment envenimé son mariage. Il imagine celle-ci mort en lycra sur son rameur ? Cette description parait si potache par rapport à son envergure, c'est un peu décevant.

De fait, en seulement quelques lignes, le personnage perd d'un coup toute sa superbe et conclut son discours par un épanchement misérabiliste qui le dessert et pourrait même être interprété comme une longue tirade culpabilisante envers son ex-femme. (Ouin Ouin, regarde ce que je vais devenir sans toi ! Tu as gâché ma vie  ou non, c'est moi qui suis le gros nul...)  Cette dimension est malsaine et trop banale à mon sens par rapport à l'intégrité et identité du personnage.
Au fond, je me demande alors comment j'aurais réagi si j'avais été son ex-femme en recevant ce message ? Ce que je ressens en tant que lectrice d'ailleurs ? Est-ce vraiment ce que ce personnage mérite ? Ne pourrait-on pas aller plus loin?

Dernière remarque, je me demande quelque part si tu n'as pas voulu faire un parallèle entre les soufflés au fromage de la mère qui sont irrattrapables et la vie du personnage. Cela donnerait donc une cohérence à cette fin du texte cynique qui parait faire "tout retomber".   L'idée est bonne, mais je crois humblement qu'il faudrait retravailler ça au niveau de l'écriture et du texte pour que l'effet soit plus visible et que cela crée un vraie chute avec plus d'éclat et de force.

Enfin voilà, j'ai pris beaucoup de plaisir à te lire. J'espère que mes remarques de simple lectrice ne te paraîtront pas déplacées.

Bonne journée et merci pour la lecture !

ps : Je suis aussi d'accord pour dire que le personnage de la femme à la bûche est grandiose !
« Modifié: 14 octobre 2019 à 11:52:39 par Aleshanee »

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Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #6 le: 14 octobre 2019 à 11:58:29 »
Bonjour

Je pense que ses contradictions donnent plus de realite au personnage Aleshanee ??? :)
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

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Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #7 le: 14 octobre 2019 à 13:03:19 »
Peut être ! Pourquoi penses tu cela?

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Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #8 le: 14 octobre 2019 à 13:04:30 »
Pour moi cela correspond a la vie........... :)
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

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Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #9 le: 14 octobre 2019 à 13:36:39 »
Je comprends.

Disons qu'ici, pour moi, toutes ces contradictions ne tendent justement pas à créer de la complexité mais à renchérir sur le cynisme ambiant et l'absurdité de la vie qu'il dépeint.

Elles ne servent qu'à montrer le côté paumé et impuissant du personnage face à ce qui lui arrive, c'est à dire une dépression post mariage.  La conclusion c'est qu'il pense avoir tout gâché et n'être pas fait pour cette vie, ni une autre d'ailleurs, parce que tout est vain. C'est très nihiliste comme vision.

Et au final, derrière ce masque plein de négativité, on peut simplement y lire une" lettre "pleine de rancoeur et d'aigreur toute bête et banale à l'encontre de son ex-femme voire de sa vie elle même. Tu sais, comme une lettre d'adieu qui s'adresse à qui voudra bien la lire et qui aura été une thérapie bilan un peu noire et égocentrée.

Je trouve cela dommage car pour moi le personnage pourrait être davantage qu'un esprit aigri qui regrette son passé et par avance son avenir. Franchement, à la fin, j'avais de la peine pour lui car j'ai imaginé ce que son ex femme aurait pu y voir et le fait qu'il fait de lui même une caricature alors qu'il pourrait, malgré sa dépression, être lui même et davantage que cela.

 Le texte est trop bien écrit et assez intelligent pour que l'auteur n'en tire pas quelque chose de mieux.  Il manque le regard de quelqu'un d'extérieur, du narrateur en sourdine notamment, pour donner de la nuance et de l'envergure à ce discours. Cela pourrait être bien plus qu'une lettre de regrets, qu'un flot cynique à l'encontre du monde et de soi.

Par exemple par un autre type d'humour, des réflexions, un récit à la troisième personne. Je ne sais pas. Mais toute seule, cette lettre, aussi bien écrite soit elle, se cantonne trop au cynisme.

Sans une autre tonalité/sans un autre registre, sans une autre voix que celle du narrateur pour la contrecarrer ou lui répondre simplement, cela tombe pour moi dans quelque chose de trop enfermé dans sa négativité et trop personnel.

Cela n'est plus un texte destiné à des lecteurs étrangers où il y a une construction qui cherche à faire sens mais à partager un sentiment vécu ou une thérapie. Vous voyez ce que je veux dire ou pas? J'essaye de prendre le temps de m'expliquer, j'espère que je ne suis pas maladroite. Le sujet m'intéresse vraiment et si j'ai pris le temps de développer c'est que je trouve ce texte vraiment pas mal.


« Modifié: 14 octobre 2019 à 13:38:39 par Aleshanee »

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Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #10 le: 14 octobre 2019 à 14:11:29 »
Si vous comptez sur moi pour trancher, pardon, mais j'ai un cours de Pilate à 15 heures et je n'arrive déjà pas à mettre la main sur mon lycra (je suis quelqu'un de dynamique et plutôt coloré dans la vraie vie).
Quoi qu'il en soit, je ne saurais assez te remercier, Aleshanee (allez Shanee !!!) pour ton vif intérêt et cette réflexion pleine de sens face à la fin torpillée de ce texte.
Dans mon esprit, il y avait deux choses :
1. une tendance profonde à systématiquement bousiller mes textes avant leur terme. C'est un truc de gamin qui crame ses Playmobil un par un après avoir joué avec eux tout l'après midi. Une vieille névrose, quoi.
2. ….

non, en fait, y'avait qu'une seule chose. Pardon.

Sérieusement, je sais pas, j'y ai pas réfléchi plus que ça. J'ai besoin de faire le point.
Je voulais que le narrateur parte en torche. Comme un parachutiste. 
Je pense qu'il avait besoin de se projeter dans un avenir cauchemardesque, pour mieux toucher le fond et peut-être rebondir.
Peut-être.

Mais au fond du fond, je voulais juste jouer avec l'idée du "montage", comme dans les films des années 90. Je sais pas si tu vois le genre de scènes, Rocky Balboa s'entrainant dans la montagne avec une grosse buche sur le dos par exemple. C'est aussi con que ça, pour l'instant.

Cela dit, j'avais besoin d'une fin rapide pour des impératifs de format dont je vous parlerai peut-être plus tard (les négociations sont en cours avec les frères Cohen et je ne peux pas, contractuellement, en dire plus à ce stade)

Mais…

Il ne s'agit là que d'un premier jet et il n'est pas exclu que je développe cette trame dans les semaines qui viennent. Enfin si mes cours de Pilates me le permettent.
En l'état, le narrateur manque encore de profondeur mais je sens que ça va venir, oh bordel je le sens.
Si c'était le cas et si je ne mourrais pas d'un cancer entre temps, je trouve très intéressante cette idée que tu as, Aleshanee, de développer ce parallèle avec Twin Peaks. Je vois très bien ce genre de personnage sombrer dans une sorte d'obsession malsaine. bref, c'est une excellent idée et je m'engage ici même à te verser 0.2236 % des droits négociés avec Cohen et Cohen.
C'est cadeau. Je sais que le pourcentage ne paie pas de mine, comme ça, mais imagine ce que ça donne sur 6 millions d'entrées.
On est d'accord.

Je vous remercie une fois encore pour le temps que vous avez investi dans le commentaire de cette ébauche.
Ca me sera très utile pour la suite je vous le garantie.




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Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #11 le: 14 octobre 2019 à 14:25:02 »
Hum.................

Je me dois d avouer que j ignore completement qui est ce Lynch ! ;D
Je ne crains pas d etre paranoiaque

"Le traducteur kleptomane : bijoux, candelabres et objets de valeur disparaissaient du texte qu il traduisait. " Jean Baudrillard

Hors ligne Manu

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Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #12 le: 14 octobre 2019 à 16:06:34 »
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« Modifié: 11 juillet 2022 à 19:33:53 par Manu »

Hors ligne Champdefaye

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Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #13 le: 14 octobre 2019 à 18:59:34 »
Je ne sais pas quoi dire de ce texte, sauf qu'il m'a ravi. Le récit lamentable de ce mari et père complètement déboussolé par son divorce et sa mère, la lâcheté consciente de ce pauvre bonhomme, sa dégringolade, sa façon brutale de passer en deux phrases d'un chose grave à une chose futile, son mépris affiché (ou affecté ?) pour la recherche de l'éventuelle âme sœur, son tragique destin d'employé d'assurances, tout ça et d'autres choses m'ont beaucoup fait penser à l'humour et à la désespérance des héros de Houellebecq. Ce fût un vrai plaisir.

Hors ligne Aleshanee

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Re : Plus jamais, David Lynch
« Réponse #14 le: 14 octobre 2019 à 19:04:30 »
Je me permets d'intervenir juste pour dire qu'en effet, ChampdeFaye a raison, on dirait bien du Houellebecq !

 


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