Le Monde de L'Écriture

Salon littéraire => Salle de lecture => Théâtre et poésie => Discussion démarrée par: Ashka le 13 août 2018 à 19:36:47

Titre: [Poésie]La Géographie absente (Jeanne Benameur)
Posté par: Ashka le 13 août 2018 à 19:36:47
Avec La Géographie absente, Jeanne Benameur pose des mots sur le départ qui a marqué son enfance quand elle quitta l'Algérie pour la France.
Il ne s'agit pas de traiter de la colonisation, mais de parler ici du déracinement, de la séparation qui rattache cette femme à la fragilité de ceux qui partent seuls, portant leurs valises à travers le monde.

L'exil, la perte de la langue, et aussi, un magnifique regard sur les mères qui ont été de là-bas, avec en creux, la transmission, tout sonne très justement. 
En ce qui concerne la perte de la langue, j'ai été enfin heureuse de trouver dans ces mots, l'insaisissable que l'auteur parvient à saisir de cet abandon mais de ce non oubli. De nombreuses fois j'ai entendu ce sentiment douloureux si difficile à transmettre du bannissement du breton, à l'époque où le français a été imposé.

Un petit livre de 59 pages (pas remplies, mise en page épurée de quelques lignes) encore touchant de cette collection ( Bruno Doucey) à laquelle je prend goût.

Extraits, mais il faut vraiment le lire en entier:



                *


L'enfance de nos mères
est une terre sans aveu

nous y marchons pieds nus.



                *


Trouver pour chaque mot
sa forme véritable

c'était le lent travail
des mères

elles apprêtaient le monde
pour nous.

Nous ne savions rien
de leur besogne silencieuse


 
                 *


Chaque chose était nouvelle

et pour la première fois
nos mères portaient au front
un souci qui n'était pas le nôtre.



                 *


Nous restions bouche bée
orphelins d'une langue qui se dérobe



                  *



exils
des mains que nous avons lâchées
des maisons où nous ne sommes pas
demeurés
exils

nous avons appris
à tourner le dos
au monde familier.



                  *


comment traverser la mer ?
Il a bien fallu.



                  *


la langue ancienne
vient rythmer notre souffle

nous découvrons
que rien n'est oublié

au fond de nous
la langue sauvage de nos mères
la seule grammaire
des corps
vivants.