Chers lecteurs, voici le troisième texte que je propose ici. Je recevrai la critique et la désire car cette écriture n'est pas figée, je souhaite retravailler mes textes en fonction de vos retours.
Merci de votre sincérité et de votre bienveillance.
Le texte comporte des scènes à caractère choquants.
Ce texte fait partie d'un recueil de nouvelles en cours d'écriture nommé "Petites passions surréelles". Je les poste ici au fil du temps. Je propose une petite illustration en début de chaque texte et donc l'insère ici.
Bonne lecture !
Ça sent le souffre. (Version 1 du titre : La Fille-poisson)
(https://i.ibb.co/VYC0PND/la-fille-poisson.jpg) (https://ibb.co/r2pK1tM)
— Oh la tronche, je me suis dit quand je l’ai vue.
Dès qu’elle entre dans le bus, je me sens comme foudroyé. De honte ou de désir, je sais seulement que je veux, que je dois la regarder. Mes yeux se posent sur elle et comme à mon habitude, je la fixe sans sourciller. Dans le bus, personne ne se soucie jamais de moi, les autres ont peur de me dévisager. Mais pas elle. Mon regard dévore ses grandes pattes désarticulées dans des chaussures noires à talons bas. De sacrées chevilles quand même, il faut le dire. Je reluque son haut, une sorte de paréo-poncho-pull-over-échancré-sur-le-haut-de-l’épaule, une de ces fringues de baba qui est devenue l’épure de la ligne jusqu'à se retrouver dans les rayons d’Uniqlo. Grotesque. Pourquoi porte-t-elle ce truc ?
Je détourne la tête du poncho, quelque chose a capté mon attention. Il y a un ding-ding que je ne connais pas et qui m’agace. Elle a de nouvelles boucles d’oreilles, des doubles créoles dorées avec du strass rose-argent qui brille au soleil comme des écailles. Elle se dirige vers le conducteur, le port de tête haut. Comme si on pouvait être austère en montrant une épaule pareille ! Comme si on pouvait avoir de la pudeur en exhibant un sternum ! Elle s’incline à la recherche de monnaie dans son sac à main.
Le rituel. La flexion de sa nuque qui lasse germer l’atlas, cette première cervicale qui pointe quand le visage s’affaisse. Le tout se redresse dans une extension de la gorge qui gonfle. Le menton s’étend et creuse les cavités parfaitement dessinées qui encerclent ses clavicules. Avec les créoles dorées, sa longue gorge est si sûre, si grave et si triste. Je veux y poser la tête et sentir son souffle sur mes cheveux.
Elle dit « bonjour » au chauffeur, son grand nez frétille de partout, comme la queue d’un poisson qu’on a sorti de l’eau et qui se débat pour retourner dans son monde tout aqueux. Quand elle file les un euro quinze en pièces de dix centimes que le chauffeur lui réclame, ça m’énerve. Comment fait-elle pour n’avoir tout le temps que des petites pièces ? Peut-être qu’elle le fait exprès pour m’agacer ? Peut-être qu’elle sait que je la regarde et qu’elle se laisse apprécier, qu’elle se pavane avec son atlas pendant que le gars du bus compte les onze pièces de dix et la pièce de cinq. Le moteur redémarre et elle marche ou plutôt, elle titube à chaque virage tombant à moitié sur Jean-Pierre, Pascale et celle dont je ne connais pas le prénom, les trois vieux qui jacassent. Elle s’assoit comme d’habitude, là, pile en face de moi. Elle me fixe, elle aussi. Je vois qu’elle a les yeux rouges, tout rouges. Elle me sourit. Terrible. D’un coup, ça sent le souffre. Je regarde dehors, les formes sont des fluides, il y a du brouillard et tout disparait dans un cillement.
Mes paupières s’ouvrent. Le rouge se dissipe. Les contours s’affinent et l’asticot se débat tant qu’il peut. S’il avait une voix, il serait sûrement en train de me crier des noms d’oiseau. Enfin je sais pas, les vers ont peur des oiseaux qui les mangent. Un son abominable, très aigu, strident. L’hameçon virevolte dans le ciel, accroché à cette mince ligne transparente. Pas de nuage, tout est bleu. Plouf. Et juste après le bouchon. Et juste après. Non. Bien longtemps après, le poisson.
Ce dimanche, j’accompagne l’Oncle Serge à la pêche, pas parce que j’aime ça, parce que comme il dit :
— Un bon gars, ça doit savoir se trouver à manger tout seul, pas juste bouffer des saloperies empaquetées sous plastique. Un gars ça doit savoir pêcher et chasser.
Je suis fatigué. Mes paupières tombent toutes seules. Tout est entrecoupé de cillements noirs entre lesquels il y a la rivière, l’herbe qui gratte et l’Oncle Serge qui parle de son magasin d’outillage.
— Ça marche plutôt bien mais tu sais avec la crise et ce gouvernement à la con, on a plus de charges que de…
Il y a de la brise mais elle est chaude. Tout l’air est brûlant et mon front perle de sueur. A chaque souffle, le foutu bouchon passe son temps à plonger. Et à chaque fois, t’ouvre les yeux et tu te dis : « ça y’est, y’a un poisson ». Et tu tires sur la canne. Mais toujours pas de poisson. Tu sors la ligne. Tu crées un petit remous. Tu la remets.
— Merde. J’ai encore bougé.
Et à chaque fois que tu fais ça, t’as l’Oncle Serge juste à côté qui te regarde, l’œil mauvais parce que t’es en train de tout gâcher. T’es en train d’éloigner son poisson.
— Sois patient putain. Moi, je rentre pas bredouille la queue entre les jambes, garçon ! il beugle bêtement.
Voilà qu’il me fout une bourrade dans le dos.
— Moi je la préfère bien fière ! Au garde-à-vous Capitaine, si tu vois ce que je veux dire ! il me dit avec un clin d’œil complice.
Malgré ses âneries, ma tête tombe. Mon menton plonge. Plonge, plonge…
Merde, ça y est, ça plonge. Le bouchon. Il est plus là.
— Mais tire bon Dieu ! s’égosille l’Oncle Serge.
J’ouvre les yeux pour de bon, j’empoigne la canne à pêche et je tire de toutes mes forces. Je sens le poisson. Je sens son corps qui se débat dessous, qui se débat contre le métal qui lui déchire la gueule. La force de sa longue queue qui rabat l’eau d’un geste puissant. Mais ça lui glisse entre les doigts, pas de prise solide pour s’accrocher et se tirer vers le fond de la rivière, que du liquide impossible. Moi j’ai les pieds sur terre, c’est du sérieux, j’ai ma canne en carbone et mon fil en nylon. Il est baisé. Et il le sait. Je tire de toutes mes forces et ça vient.
L’Oncle Serge, il a le teint pâle quand il me regarde sortir la bête de l’eau.
— Qu’est-ce que…, bredouille-t-il d’une voix blême.
Moi je reste calme. Je la connais. C’est la fille du bus. Je la reconnais parce qu’elle a les yeux rouges. Des yeux de poisson. Tout ronds et qui disent rien. Mais des yeux rouges quand même. Puis, même si elle est couverte d’écailles, je reconnais son corps. C’est pour ça que la ligne était si dure. C’est un corps qui doit faire dans les cent-vingt livres que j’ai sorti de l’eau, un corps avec des branchies sur les seins et une longue nageoire dorsale. On dirait presque un ange qui pourrait voler sous l’eau.
Je me lève, machinalement, on a l’habitude à la pêche et dans le cabas de l’oncle, je prends le couteau dont on se sert pour retirer l’hameçon de la gueule des gardons et des tanches. On ne prend jamais de carpe, il y a trop d’arrêtes, trop fines, ça ne se mange qu’en fumet et l’Oncle il dit qu’il préfère mâcher de la chair blanche.
— La carpe c’est pour les bonnes femmes qui bouffent de la soupe ou quand t’as la chiasse, il dit tout le temps.
Je vais faire pareil avec elle, après tout c’est un poisson. Là pour le coup, l’Oncle Serge, il pipe pas mot. Il est planté là, les bras ballants. Plus question de dresser quoi que ce soit ou de « Mon Capitaine ». Ça fait pas de mal. Je prends le couteau, je fous la lame dans la gueule de la fille et je commence à fouiller pour trouver l’hameçon. C’est une bouche de poisson. J’écarte les lèvres au maximum, elles sont dures, rigides.
À un moment, l’hameçon se décroche. J’entends un petit claquement sec. Un claquement de peau qui s’arrache. Un claquement de chair qui se déchire. L’Oncle Serge, il l’entend aussi. Il trésaille. L’hameçon dans la main, je me relève et je lui lance joyeusement :
— Un bon gars ça doit savoir manger tout seul !
Et je jette l’hameçon par terre à ses pieds, un petit morceau rosi encore accroché à la pointe. Le fil de pêche se pose sur sa botte. Sa pomme d’Adam s’anime, tremblante. Il veut parler. Finalement il n’en fait rien, il se baisse docilement et ramasse l’hameçon. Voilà, c’est bien.
Le problème c’est qu’il ne faut jamais gâcher. Si tu pêches un poisson, que tu l’as trop abimé et que tu peux pas le remettre à l’eau, t’es obligé de le manger. Ça se fait pas. Ça se fait pas juste de jeter. Prendre la vie à un être, la lui ôter et le laisser crever sur la berge. Comme si le seul but de son existence, ça avait été de te distraire quelques instants en lui donnant la mort. Au moins tu le bouffes. Tu le bouffes et tu le respectes.
Alors avec le couteau, je commence à la découper la fille du bus. D’abord je coupe le nez, c’est ce que je préfère. En plus, il est long le sien. Puis, je coupe la dorsale. Ça vient tout seul, il y a pas d’os. Il y a des arrêtes, c’est vrai, mais il y a pas d’os. Je retire délicatement les créoles dorées pour ne pas abimer les lobes de ses oreilles. Alors que les quatre anneaux sont dans le creux de ma main, le strass rose-argent scintille de mille feux et je les embrasse tendrement.
Je coupe pas les seins. Déjà parce qu’avec les branchies, je pourrai pas les manger mais surtout parce que les seins c’est sacré. On coupe pas un sein. On coupe pas un sein. Enfin, je commence à couper les cuisses. Bien haut, au niveau de la haine, à côté du sexe. On dirait qu’il respire. On dirait que ses lèvres s’ouvrent pour aspirer un filet d’air et le rejeter presque aussitôt. Je pose mon oreille pour écouter la musique de son ventre, le va-et-vient de l’air dans le vagin. C’est sibyllin, doux comme la peau d’une pêche. J’ai la tête qui s’enfonce dans son ventre, il m’aspire à chaque inspiration. Dans son souffle, tout est fluide et l’espace se confond d’ombre. Vais-je crier ? Va-t-elle m’entendre crier son nom dans chacune de mes respirations ?
Pendant que je m’enfonce toujours plus profondément au sein de son ventre, dans le bus, personne ne regarde le garçon qui fixe et personne ne peut imaginer le désir qui guide mes pensées.
Un clapotis me fait ouvrir les yeux. J’ai la tête posée comme ça, parallèle au sol, parallèle au ventre. Je vois la rivière et je vois l’Oncle Serge qui marche lentement, l’eau à mi-cuisse. Il a l’hameçon dans la bouche et le petit fil de nylon scintillant qui en sort. Une fumée ocre s’élève de la surface de l’eau devenue sombre. Ça sent le souffre et les arbres retirent leurs racines de l’eau en s’ébrouant lentement. L’Oncle Serge continue de marcher, doucement, jusqu'à disparaitre complètement. Il y a six bulles qui s’échappent. Juste six. Ça fait une de plus que le nombre de lettres dans son prénom. À la dernière bulle qui claque sur la surface de l’eau, les lèvres de la fille prennent une dernière inspiration et, comme retenant son souffle, j’entre dans une apnée profonde et sans sommeil.
Bonjour,
Pour ce qui est de la forme, je trouve ça bien écrit dans l'ensemble. J'ai tendance à relever beaucoup de petits détails donc ne soit pas surpris si malgré cette qualité je formule de nombreuses petites remarques pinaillantes.
Désolé, vous n'êtes pas autorisé à afficher le contenu du spoiler.
Au total : Sur la forme, je trouve que tu écris plutôt bien ; malgré tout, le style qui oscille entre familier et courant ou un peu + soutenu ne me semble pas totalement assuré, totalement fixé. Il y a plusieurs tournures un peu maladroites et la ponctuation ou la construction des phrases laisse parfois place à des ambiguïtés qui ralentissent la lecture. Malgré ça je trouve ton style plutôt immersif, on est vraiment placés dans la peau et les pensées du narrateur.
Sur le fond, je ne saisis pas tout à fait toute l'histoire (mais peut-être que je cherche trop à décortiquer et qu'il faut pas chercher plus loin...). Par exemple, le lien entre le bus et la partie de pêche ? Il imagine la partie de pêche tandis qu'il reste assis en face de la fille ? Idem pour la fin avec l'Oncle Serge... Je reste un peu perplexe, esthétiquement je trouve ça pas mal mais je vois pas trop comment ça s'intègre à l'histoire... Je crois que c'est ça, dans l'ensemble je trouve certaines images, bien que glauques, plutôt originales et intrigantes, mais il me manque un truc au niveau du sens...
Bonne continuation !