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Auteur Sujet: Le trille du diable  (Lu 2295 fois)

Hors ligne Julien-Gracq

  • Aède
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Le trille du diable
« le: 24 août 2019 à 20:23:27 »
Une nouvelle, ou sorte de conte d'inspiration nitzschéenne et romantique, un poil ambivalente, qui m'est venu à l'esprit lors d'une écoute de la sonate en G mineur de Tartini, couramment appelé la "trille du diable", entre deux lectures d'un roman d'aventure et de la "généalogie de la morale".

(Je vous laisse apprécier la musique, version moderne qui atteint des sommets de lyrisme : https://www.youtube.com/watch?v=z7rxl5KsPjs)


Texte :

Une nuit de glace, un soir de solstice d'hiver, s'efforçait vainement un vieillard à trouver le sommeil dans sa chambre, sous un toit humide au premier étage d'une maison d'artisan où ne brûlait aucune bûche dans la cheminée, où seul demeurait du vieux bois dans l'âtre, calciné en cendres depuis belle lurette. Virevoltaient la poussière et le suif dans le vent violent qui s'abattait contre les carreaux et s'infiltrait dans les encoignures trop larges des vitres, frigorifiant l'habitacle et faisant danser des bactéries partout dans la pièce. Le vieillard à la triste mine, rompu et usé par la vie, par les rhumatismes et le gel scintillant, ne parvenait pas sous ses nombreuses couvertures à trouver le sommeil. Grelotteux et inquiet - pour son mal, pour son argent et son devenir -, l'homme au nez crochu, aux traits osseux et aux jointures du cou saillantes, s'aidant de ses coudes, se dressa assis sur son lit et se maintint dos à l'oreiller. Il regardait tantôt la cheminée vide, en face de lui, tantôt la nuit hivernale, au dehors. La lune brillante qui cognait sur le blanc de neige des murs et du sol, alimentait la pièce d'une lumière de teinte bleue-nuit, reposante et glaçante - ambivalence classique d'une langueur mélancolique, douloureuse mais si doucement douloureuse qu'une sensation de tranquillité en émane.

Sans doute à cause de cette transe dans laquelle il se perdait, ne vit-il pas avant longtemps la brume d'un rouge rosé qui se répandait à droite de l'âtre, lentement, onctueusement. Lorsqu'une forme se distingua nettement dans le brouillard, un bipède à taille humaine, seulement là s'écria le vieillard, et porta un regard inquisiteur et troublé dans cette direction. Une main tendue d'où des doigts fins marquaient les extrémités se dégagea distinctement du rideaux de fumée, suivie la seconde suivante d'une patte inhumaine à l'articulation inversée au niveau de la rotule. C'était une jambe recourbée de chèvre mais à dimensions humaines.

L'horreur prit le vieillard. Il hurla : "démon!", et sitôt émergea tout à fait le diable, bête robuste aux ailes de chauve-souris, aux onglons de chèvre, aux cornes de bélier, aux dents inférieures proéminentes de cerbère, à la queue en pointe dans le bas du dos, à la barbichette de bouc. Il était de proportion humaine et le reste de ses membres indiquait fortement la ressemblance avec les fils d'Adam. Il était cependant démoniaque, de couleur vermillonne plus prononcée encore que celle de la brume par laquelle il était apparu, mais en dépit de cela et de ses membres animaliers, il conservait une édifiante beauté dans l'azur de son iris, dans la finesse de ses doigts et dans la musculature parfaite de son torse. Beauté qui détonnait pour le vieillard, illusionné par le folklore chrétien de son temps voulant qu'une créature diabolique ne puisse être belle, que l'antithèse de l'harmonie rendue par ce corps composite ne puisse être admirable!

Pire encore que cela, cette beauté inharmonieuse trouvait sens en ce corps corrompu abritant une âme jadis merveilleuse, tombée en déchéance aux yeux de Dieu! Un héros ou un ange de jadis, cela seul expliquait cette beauté encore prégnante. Plus malin que le malin originel, Lucifer, l'ange déchu lui-même! Voila ce que se dit le pauvre homme en proie au délire.

Lucifer en face, sans se mouvoir et nullement menaçant, l'observait en silence d'un tendre regard. Il attendait patiemment que le bougre reprenne ses esprits. Quand ce fut chose faite, lorsque sur un mode plus posé le vieillard lui demanda ce qu'il souhaitait, le démon l'enjoignit au silence d'un index apposé gracieusement devant la bouche puis, lentement, dans un ample mouvement, s'ouvrit l'abdomen de Lucifer comme deux portes d'armoires, sans qu'aucun sang ni odeur malpropre ne jaillisse, et se fit entendre en contraste la jolie note prolongée d'un violon qui jouait sur une paisible harmonie une timide pavane. Aussitôt bercé par la musique, le vieillard en oublia son étonnement et sa crainte. Il ne fit pas mine de s'inquiéter lorsque Lucifer arracha soigneusement le violon de ses entrailles, l'apposa entre son épaule et son menton, sortit un archet d'on ne sait où et entama une chaleureuse mélodie. La bise au dehors se tue, le froid à l'intérieur s'évanouit. Depuis les cordes caressées sur un mode mineur, rayonnait toute la tendresse que Dieu avait refusé aux hommes. Les rhumatismes du vieillard s'évaporèrent, il se leva face à Lucifer les yeux grands ouverts, béât d'admiration pour le démon qui, les yeux fermés, était immergé dans la propre mélodie de son coeur. De sa vie il ne vit ni n'entendit rien de plus beau. Lucifer pouvait bien être son maître, et Dieu son ennemi, voilà qui ne l'effraierait pas.

Le diable joua la tristesse sitôt rattrapée par la tendresse, la nostalgie s'imposant aux réminiscences d'un sombre passé. Marcello, notre vieillard à la grise mine, se souvint de sa jeunesse dorée et de sa blonde Alessia, vieillie et décédée l'an passé. Il revit les morts successives de ceux qu'il enterra et le trépas progressif de ses aspirations de jadis. Il vit le commerce couler, la famille s'écrouler, l'être aimé s'échouer, et lui-même écrouer, en ce corps et cette maison déjà raidis par le glas. Et puis, sur un long crescendo passant de l'allant au presto, du piano au forte, par-delà jeunesse et échecs, la vie rejaillit; la lutte, la lutte heureuse pour le surpassement de l'être au-delà des limites fixées par Dieu, ce Dieu cruel et sans amour, attentif uniquement à la soumission à son ordre, Dieu perfide qu'il faudrait occire!

Sans autre parole que la musique, les pensées de Lucifer entraient en parfaite résonance avec celles de Marcello. Sur une trille de quatre temps, le démon demanda à Marcello, sans ambages davantage, s'il voulait bien lier son sort à la mélodie de ce violon qui jouait en continu, même au repos, dans le ventre de Lucifer, en lieu et place du coeur et des poumons, et qui n'était autre que le reflet lyrique des affects et de la fortune de l'ange déchu. A la fin du mouvement, sur un quart de gamme descendante, Marcello entendit distinctement ceci : "Ta vie sonneras pareillement à ce violon" et, charmé par cette douce conclusion qui assurait la victoire de l'homme et de l'ange sur le joug divin dans le paradis retrouvé pour l'homme sur une arpège de septième, accepta l'offre sans conditions et lia son âme au démon.

Le démon sourit et remballa son violon, retourna l'instrument entre ses omoplates tandis que se refermaient les portes de son torse. Quelques notes innocentes se faisaient encore entendre, elles sonnaient depuis l'intérieur de Lucifer comme une sonnate infantile de Mozart, lequel n'existait pas encore. Puis le brouillard regagna de son opaque et disparut Lucifer dans une fumée d'un rouge chatoyant. Enfin le rouge disparut pareillement et le bleu de la nuit reconquit la pièce qui, bien que froide, ne paraîssait plus telle aux rhumatismes devenus muets du vieillard. Il fit quelques tours de poignet, de coudes et d'épaules; il décrivit des cercles avec le bassin, se tenant les mains sur les hanches; pour finir il tournait et retournait ses chevilles, fragiles articulations devenues bien solides. Il se mit à bondir dans les escaliers. Ses membres avaient retrouvés une vigueur de jeunesse, il comprit qu'il n'aurait plus jamais à souffrir.

Les jours qui suivirent, fort de sa santé et de sa sérénité nouvelles, il déambula gaiement dans les rues de Péronne, ville non-illustre de l'Italie florentine, si méconnu qu'on ne songea jamais, à ce jour, à en toucher un mot dans les chroniques. Ce devait bientôt changer.

Pour l'heure, notre Marcello rajeuni, au teint de miel et aux cheveux blonds, au nez toujours vilain mais aux rides nouvellement absentes et aux jambes sportives, marchait dans les rues d'un pas allègre le jour et faisait des expériences dans sa demeure la nuit. Il testait sa fortune, celle de Lucifer, en s'exposant volontairement nu dans le froid glacial de son antre et, avant même un frisson, il ne manquait jamais, par la collision entre deux charrues, de tomber quelques buches de bois sec devant la porte de sa maison, pour le feu, et quelques bougies de qualité supérieures qui ne mettaient pas de graisse et de suif partout- des provisions également de même que des couvertures. Une fois, c'est une voisine charmante qui vint lui rendre visite avec du pain et du fromage frais, avec ses tétons pointant par-dessous son corsage déficelé et son chemisier absent, avec la promesse également que nul ne l'a vu venir, que son mari n'en saura rien.

Tous ses désirs de confort et de luxure rassasiés, sa vie suivait le cours de l'allégresse dans laquelle évoluait Lucifer en sa quête du surpassement de soi et de Dieu, devenant toujours plus beau, plus fort, et plus chanceux.
Des semaines de joie s'écoulèrent ainsi. Un jour c'est une bourse remplie d'or qui tomba au bas de sa porte, un autre c'est la femme du maire qui l'invita à dîner secrètement chez une amie, un soir où nulle oreille n'était présente, où seuls la dentelle et les chandelles agrémentaient une vaste chambre d'étoffes et de draps rouges. Au final, devenu beau, fort, attirant et naturellement riche sans travail, il se complut quelque temps dans la jouissance d'une vie qui offrait un avant-goût du paradis. Un simple avant-goût, volatile et non-acté pour toujours comme le lui indiqua une chute raide d'un demi-ton dissonant à l'oreille. Il y avait danger que les choses ne soient pas toujours ainsi; qu'à l'instar de son alter-ego Lucifer, il devait chercher le surpassement pour continuer à jouir des bienfaits qu'offre le fait d'être un luciférien; pour accroître également le pouvoir de ce dernier, car Lucifer se nourrissait du surpassement des fidèles en échange de sa mélodie qui les guidait et les aidait sur la voie du progrès.

Fort des meilleurs attributs de la vie humaine, l'argent et la vigueur, il décida de progresser et de mettre en suspens sa vie de voluptés et de mondanités. Il entreprit pour cela une petite aventure : un voyage vers le sud, vers les Etats du pape et du duc de Naples, de Sardaigne et des deux Sicile; pour explorer les chefs d'oeuvres des grandes villes du Latium et de Campanile, découvrir les terres paysannes et arriérés des grandes îles rocheuses et volcaniques - pour trouver peut-être de nouveaux éléments à sa puissance.

Il vit les restes du colisée de Rome, là où jadis les païens venaient se nourrir du spectacle de la lutte et de la mort, de la folle tragédie du guerrier dans toute sa splendeur. Une croix remplaçait à présent le sang et les glaives sur le sol, le christianisme avait arbitrairement décidé de mettre un terme aux passions, aux instincts les plus dominateurs de l'homme. Marcello pesta et poursuivit son voyage, il n'avait rien à apprendre de la ville chrétienne qui fit du mausolée d'Hadrien, illustre empereur païen qui voulut être sâge et se surpasser, un vulgaire château dans lequel s'était réfugié de nombreux papes couards des siècles derniers.

Agacé par les oeuvres toutes morales de cette péninsule chrétienne, il n'alla pas visiter Naples et se rendit directement sur la terre des barbares, sur la grève des insulaires siciliens, gens d'élevage et de bocage en étage, de village côtiers et de mansardes perchées à flanc de colline. S'ils étaient rustres et bourrus, tantôt farouchement inamicaux, tantôt franchement sympathiques et amusant, ils demeuraient cependant les indignes descendants d'une race sans éclat, d'une race servile de lâche face aux arabes et aux milanais, aux génois et aux napolitains; une race d'éleveurs et de montagnards impuissants et arriérés qui se complaisent dans la servitude depuis trois-mille ans. Il apprécia les arrêtes poussiéreuses de l'Etna, gigantesque démon de flamme duquel sortit Lucifer au retour de sa première chute des cieux, ainsi qu'une cadence arpégé du violon le lui indiqua quand Marcello approcha du cratère et put voir en contrebas une croûte carmin de lave refroidie par l'hiver.

En revenant de Sicile, accostant sur le front de mer d'une bourgade proche de Naples, Marcello vit le ciel immaculé depuis quelques jours se voiler soudain de vastes nuages gris qui tendaient au violet, annonçant l'orage. La musique entonna alors quelques violentes saccades qui lui firent comprendre, aux soubresauts de l'archet sur le violon, que Lucifer grandissait en puissance, qu'il parvint même à faire sien le foudre de Zeus, lequel se déchaînait dans les nuages contre quelques anges visiblement décrépits. Détenteur d'une force païenne, par-delà la morale et la lame chrétienne, le païen Lucifer gagnait en puissance et s'apprêtait à défier Dieu.

Sitôt que la sonatine lui révéla le devenir du démon, Marcello compris que le temps de lutter était proche. Il sortit le stylet derechef de son fourreau attaché sur l'aine ainsi qu'une petite masse qui pendouillait à son ceinturon, et les brandit comme un maraudeur. Il avait perçu de l'agitation dans les fourrés, vu une traînée de fumée qui s'élevait par-delà la forêt à quelques deux-cents pieds, ainsi que les restes sur le sentier d'une forteresse ou d'une tourelle de garde tombée en ruine. Tout indiquait des brigands. Et en effet, la seconde suivante, lui tombèrent dessus trois lascars, mercenaires quelconques à la solde mal versée, des suisses vagabonds sur les routes d'Italie s'en revenant d'un front armés de leur pique et de leur bouclier rond.

Aucune chance de victoire pour un individu normal. Trois soldats de métier, munis d'armes de guerre à longue portée, habitués à batailler de façon coordonner en groupe, c'était bien trop pour un seul homme. Mais Marcello était plus qu'un homme. Fort de son lien avec Lucifer et de ses propres progrès, il était déjà en passe de devenir un surhomme. Aussi plongea-t-il sur l'ennemi, d'un pas habile esquiva une pique portée en estoc, se désaxa sur le flanc du premier adversaire et lui asséna un violent coup de masse remonté en crochet dans la mâchoire à nue. L'homme au cartilage et à l'os brisé s'écroula de tout son poids dans une boue infect de gros sang, de glaviots et de dent arrachées. Suite à quoi beuglèrent et bondirent les deux autres dans sa direction et fendirent d'un bras rageur leur lance en pleine direction des viscères. Marcello, effectuant quelques pas arrière vifs, efficaces et gracieux, sut parfaitement esquiver les deux lances à la fois et, ennuyé au bout d'un moment, décida entre deux coups ennemis trop parfaitement coordonnés de briser la distance, de s'introduire entre une lance tendue et une deuxième rétractée en vu d'un second coup, et fit tâter de son stylet dans la carotide du gros suisse aux bras raidies qui s'écroula dans un violent torrent de sang. Il contempla ensuite la trouille visible dans les guiboles tremblantes du dernier des Suisses. Il surprit un regard de haine mêlée de crainte et, au lieu de jouir de sa puissance, d'un air de dépit, Marcello rangea sa lame et sa masse et repris la route sans mot dire, avec même l'audace de tourner le dos à l'adversaire trop faible et froussard pour contre-attaquer, tout juste capable de se tenir arqué et branlant.

Si l'intensité des évènements de sa vie était proportionnelle à celle ressentie par Lucifer, comme les frottements de cordes qui l'accompagnaient l'indiquaient, il est certain que l'un comme l'autre, vassal comme seigneur, Marcello comme Lucifer s'étaient ennuyés à mourir dans cette lutte. Que faisaient donc ces anges, ces sentinelles du sacré? Etaient-ils si faible que cela? Et les hommes, sont-ils tous si minables? Un doute habitait les deux complices. En effet ils avaient eu chacun, l'un dans le monde des hommes, l'autre dans celui du divin, progressé si aisément que c'en était à se demander si sans s'en rendre compte ils n'étaient pas parvenu déjà au stade du surpassement, si Marcello n'était pas un surhomme et Lucifer le divin. Gardant le doute dans un coin de l'esprit, les deux comparses poursuivirent leur volonté de puissance comme avant, car quel autre chemin leur était-il ouvert, ne croyant ni à la morale, ni à la transcendance?
 
Une nuit qu'il bivouaquait aux côtés d'une jeune vendangeuse rencontrée dans l'après-midi, la mélodie du violon d'un aspect très classique et languissant depuis quelques temps, se mit à s'agiter d'un coup, provoquant le réveil de Marcello en sonnant un mathématique et symétrique air baroque, enchaînant les mordants et les trilles d'une allure et d'une régularité impressionnantes, répétant un même motif entrecoupé de couplet, un pur rondo royal sur un mode français. La royauté, ou le sacré du moins, il se souvint dans son rêve de l'image d'un palais antique enfoui sous terre. C'était aux alentours de Naples, sur les falaises. De la pointe on voyait les remparts de la ville au loin.

Pressé par cette vision, il décampa sans dire au revoir à la jeune fille et lui déroba un cheval dans l'écurie au passage - cheval qu'il talona sans ménagement jusqu'à l'aube. Il se sentit faible face à l'immensité de la mer, arrivé là où les mordants mineurs l'avaient portés. Et pourtant cette mer, encore si vivace lorsqu'elle faisait s'abattre ses vagues sur la craie des falaises, baignait dans une teinte azur sombre et morne, sous un ciel gris maussade et figé. Une puissance morte, une force de jadis qui gardait encore un peu d'éclat, pour peu de temps. Voilà ce que pensa Marcello du haut d'un promontoire sous lequel se trouvait un ancien temple à la gloire du maître des eaux et des chevaux, l'illustre frère de Zeus détenteur du royaume médian.

Marcello confectionna un abris à découvert, proche du site qu'il prévoyait de fouiller, puis passa une petite semaine à creuser le sol, à dégager les pierres et les racines, à butter contre les ruines désirées de sa pioche, à arracher à la terre les vestiges de l'âge antique sur une lente mélodie mourante et pourtant entraînante, dans une atmosphère suspendue de gris-bleu en dégradé de bruine et d'écume, sans jamais d'averses ni de tempêtes. Le dernier jour de son labeur, alors qu'il avait réalisé un travail de cent jours en seulement sept, infatigable travailleur acharné, il exhuma le coeur du temple, le dôme central où devaient se trouver l'oriflamme et les reliques du temps ancien, de l'âge où l'on vénérait encore la troisième génération de Dieux, avant la révolution chrétienne et la domination sans partage de Jéhovah - à l'époque où l'idéal de puissance était encore noble, où la pitié n'était rien, où les illustres hommes, les surhommes se forgèrent eux-même : les Romulus, les Numa, les César, les Trajan et combien en-a-t-on oubliés depuis lors? A quelle point furent-ils grands, distinctement les uns des autres? A quelle vérité et degrés de surpassement sont-ils parvenus, au bout de leur vie?

Marcello souhaitait trouver réponse à ces questions un jour, c'est pourquoi se saisissant d'une égide d'un fer de plomb retrouvé sur l'autel en dessous de la coupole du temple, il déclara solennellement remettre au goût du jour les vestiges de la civilisation païenne, rétablir l'idéal de puissance aristocratique, annihiler la vermine moralisatrice et chrétienne, et se faire grand conquérant, du haut de sa force et de sa cure de jouvence, de sa chance également, fort de bienfaits que Coriolan lui-même ne reçut pas. Il se savait le plus puissant des hommes jamais né, il voulait être Alexandre et Lycurgue tout à la fois, mais sur un mode baroque.
Sanctifiant le site à ses frais, achetant le domaine à grands prix sans que le seigneur de Naples - vautré misérablement dans la débauche - ne sut rien du trésor trouvé, Marcello put extraire une à une les curiosités qu'on y avait retrouvé : des pierres précieuses oubliées, des bijoux et parures taillés à l'ancienne ainsi que des armes d'apparat incrustés de mille carats. Les murs furent aussi l'objet de taillages d'échancrures pour y trouver les orifices, colmatées avec le temps, dans lesquels dormaient trop enfoncés les topazes, les rubis, les saphir et autres ornements muraux. Voyageant sans mot dire à Naples, à Rome, à Florence et Milan, il fit connaître quelques uns de ces biens auprès du gratin italien, si bien qu'une mode des objets et bijoux antiques s'imposa dans les cours, que les courtisanes - personnifications du vice, de l'arrogance et de la vanité - furent prompts à ordonner à leurs vieux amants de leur payer des parures restaurées de chez Marcello. En six mois son nom fut connut partout en Italie, bientôt en France et dans toute l'Europe, et sa fortune fut estimé comme équivalente à celle des Médicis et des Borgia réunis. Il évita finement les manoeuvres de ces grandes familles en s'assurant bien la protection de puissants, en finançant le duché de Naples dans son expédition contre Gênes en déroute, en soutenant la florentine dans sa guerre commerciale contre la perfide Venise tout en s'assurant l'amitié discrète du doge et de quelques grands négociants de la cité submergée. Il manoeuvra habilement, sans pourtant avoir lu Machiavel, si bien qu'il avait les portes ouvertes au Vatican comme au Louvre. Toutes les cours européennes voulaient traiter avec lui tant il était riche, malin et influent, tant cet électron libre et surpuissant, sortit de nulle part, semblait l'allégorie même du génie politique et financier.

Un jour d'hiver, un an après son départ, arrivé au premier sommet de sa puissance, il décida de rentrer à Péronne et de rehausser la modeste ville qui se vautrait dans la soumission à Florence. Il s'était surpassé en de nombreux points, avait dominé ses désirs et ses instincts, enterré ses valeurs et ses vertus, était parvenu à projeter sa volonté dans l'avenir proche et lointain, à se faire maître de sa fortune, anticipant aisément l'évolution dramatique de l'harmonie violonée de Lucifer. Il ne prit conscience tout de suite, cependant, qu'il était encore trop attaché à son passé, à la ville de ses amours et de sa jeunesse, au cimetière des siens et de sa tendre, à sa mémoire de faible pour le dire simplement.

Un évènement dût pourtant lui mettre la puce à l'oreille si en l'instant il n'était pas trop porté sur la corde sensible des battements nerveux de son coeur. De retour à Péronne sous un ciel immaculé de bleu timide de janvier, il fit la connaissance de la jeune fille, envoyée par un ami à sa demande, qui avait gardé sa maison au propre jusqu'alors. Elle s'appelait Alessandra, version hellénisante d'Allessia, épouse sous marbre de Marcello, et ressemblait comme deux goûtes d'eau à cette dernière dans sa prime jeunesse. Elle fit une révérence gracile qui découvrit un charmant décolleté ainsi que de brillantes tiffes blondes qui tombaient en cascade sur son front et ses tempes lorsqu'elle s'inclinait ainsi - Marcello revit sa première nuit d'amour avec Allessia, il bredouilla quelques mots de convenance, la voix si noble encrassée par l'émotion, le violon de Lucifer si mièvre alors.

Ils firent ensemble le tour de la maison, de la cour, de la façade, des chambres, du grenier, et Marcello ne voulut pas comme avec les autres femmes l'étreindre virilement de son corps puissant. Non, il souhaitait plutôt lui jouer un air de sérénade tel qu'il le fit gauchement du temps de son grand amour. Ainsi lui suffit-il d'un visage réminiscent couplé à de belles manières dans un même être pour retrouver les passions immatures de son âme nubile. Il aima profondément Alessandra si bien qu'il lui proposa sans ambage de travailler comme intendante chez lui, de se faire la gestionnaire des affaires ordinaires de la maison et du commerce. La jeune fille, se sachant jeune et vierge de tout travail de cet ordre, lui expliqua poliment qu'elle ne s'en sentait pas capable suite à quoi Marcello, pour lui donner un zeste de confiance en elle, lui assura qu'il lui apprendrait tout ce qu'il faut savoir, qu'ainsi elle obtiendrait une vie meilleure, qu'avec lui elle ne cesserait d'être joyeuse, et peut-être vieilliraient-ils heureux ensemble.
Alessandra rougie, se laissa conquérir par l'homme de puissance au discours romantique qui n'avait d'yeux que pour sa ville et sa belle aimée -  qui paradoxalement gardait aussi des vues grandioses pour lui-même et le reste du monde. Restait à savoir comment ces deux facettes allaient s'arranger pour entrer en harmonie et poursuivre tant bien que mal la route du surpassement mais déjà le timbre du violon devenait mièvre, les cordes semblaient de miel et couinaient une idylle candide. Sans doute Lucifer s'engluait-il lui aussi dans une passion réémergeant de sa jeunesse.

Les années qui suivirent furent celles des grands travaux pour Péronne : Marcello devenu maire, il mit sa fortune au service de la communauté et des élites si bien que le pavement de la voirie concurrençait en éclat celui de l'allée du Vatican, que la façade de la mairie, des bâtiments de la milice, des basiliques des cours de justice et des places du commerce délimitées de prestigieux bâtiments ostrogothiques ornés au goût du jour de parure et dorure de luxe, concurrençaient Venise et Milan réunies. Que dire encore des artistes, des artisans et intellectuels géniaux dont il se fit le mécène, privant Florence, Vienne et Paris de leur prestige. En dix ans la ville crût de plus de trente-cinq-mille âmes, les constructions se multiplièrent à un rythme affolant mais dans un plan savamment ordonné, les gains du commerce ne cessèrent d'augmenter si bien que Péronne écrasa un jour Florence, en fit sa sujette, et projetta de marcher sur le milanais.

Mais il y avait plus que cette grandeur économique et militaire. Péronne devenait la ville du grand retour à l'antique, la nouvelle Rome païenne contre l'hideuse Rome chrétienne qui se dégradait dans la luxure, les intrigues et les vices. Une statue fut élevée en l'honneur de Jupiter tout puissant, un panthéon fut dressé sur une colline rappelant l'acropole athénienne, des temples païens où l'on chantait l'airain, la beauté et la gloire, se construisirent dans tous les coins de la cité, et furent réintroduites les cérémonies des lupperchales, des gymnopédies et des grandes panathénées, tout un folklore gréco-romain oublié. Les jeux du cirque furent même remis au goût du jour, provoquant un tollé d'indignation dans le monde chrétien, Rome multipliant ses bulles pontificales, la Sorbonne multipliant ses brulots contre Péronne, mais nul n'osait attaquer le tout puissant Marcello - ni le prince spirituel, ni le prince temporel de l'Europe - , prince illustre qui se fit lui-même, qui avait des agents infiltrés dans toutes les cours, des financements dans tous les états, il était maître des finances avant d'être celui de la guerre, ayant compris avant tout le monde que la maîtrise du premier le rendait d'office maître du second.

Ces années-là furent également celle d'une passion hors du commun entre deux êtres d'exception. Alessandra, d'une main de fer dans un gant de velours, dirigeait Péronne de toute son intelligence et sa bienveillance tandis que Marcello s'affairait à soumettre l'Italie et l'Europe. Sous l'enseignement de Marcello, elle devint un démon pour les hommes, une gardienne pour ses concitoyens, un ange pour son époux. Elle avait pour lui la reconnaissance que l'on doit à son précepteur, l'admiration que l'on ressent pour son aîné en maîtrise, ainsi que l'amour que l'on éprouve pour l'homme puissant et charmant, dur et grand en publique, sensible et doux au temps des intimités, des dîners en tête à tête et des soirées au coin du feu. Ils formaient un couple parfait, nul citoyen de Péronne n'en doutait et, tandis qu'Alessandra s'efforçait à planifier avec les membres du conseil une nouvelle carte électorale plus juste pour la ville qui ne cessait de croître, Marcello s'agenouillait devant le pape dans son palais nouveau de Péronne où il avait fait ramener le prélat suprême sous la menace des armes, après la prise de Rome, pour se faire sacrer prince temporel de l'Eglise.
Devenu empereur, défiant la légitimité de l'espagnol régnant sur le Saint-empire, contestant le titre tacite de premier prince d'Europe au roi de France, Marcello s'engagea sur la voie des armes contre les nations européennes, sans même requérir l'aide de l'Ottoman, prévoyant à l'avenir une lutte contre ce dernier, ne souhaitant pas s'imposer par les intrigues et la diplomatie vaines mais par la puissance martiale, seule chose pour laquelle il avait encore de l'estime.

Ainsi la musique évoluait en demi-teinte, tantôt calme et douceâtre sur un air de romance, tantôt agitée et puissante sur un air de violence et de marches militaire. La mélodie du violon évoluait ainsi qu'une polonaise endiablée du siècle romantique et moderne qui n'existerait pas avant dans trois siècles. La volonté de puissance était exalté dans tous les coeurs européens, et les cors de batailles tonnaient de leur cuivre dans toutes les contrées d'Europe.

L'âge d'argent succédant à l'âge d'or, la mélodie s'enlisa dans un marasme de dissonance et la guerre dans un bourbier de cadavres. Avant l'heure des tranchées, le conflit était embourbé et de nature mondiale, de volonté à changer la face du monde. L'ottoman s'était allié au français et était entré en guerre contre le péronnais, sachant bien que ce dernier étant un conquérant comme Mahomet, il ne manquerait pas de poursuivre sa route jusque sur les terres d'Orient après avoir mis à mal les princes chrétiens. Vienne était conquise et l'ancien empereur germanique s'était réfugié sur les terres d'Espagne. Il prévoyait de concorde avec le roi de France de coordonner leurs actions avec les ottomans pour frapper un grand coup sur la botte par mer, sur la Lombardie et la Vénétie par terre, planifiant d'opérer une jonction des trois armées sur Péronne, capitale où ne manquerait pas de se réfugier Marcello une fois en déroute, ses spoliations germaniques reprises.

Mais ce plan ne trouva pas de réussites : l'aide anglaise à la flotte ne fut prête à temps, le français se montra orgueilleux et dominateur dans l'alliance et l'ottoman fit le sourd lorsque l'espagnol lui implora de ménager les populations germaniques. La guerre était totale, son issue incertaine. Une chose était sûre néanmoins : l'Europe était à feu et à cendres. L'enfer semblait s'être abattu sur terre et l'ardeur des peuples du temps des premières escarmouches s'était éteinte. La peste ne tarda pas à reparaître également, décimant des millions d'hommes et de femmes dans toutes les contrées jusqu'en Chine, de même que les pillages et incendies répétés amenèrent sur les routes son lot de populations entières, fléau propageant les maladies, aggravant la famine et les conflits locaux.

Une nuit d'hiver dans le palais de Habsbourg, près de vingt ans après la rencontre avec Lucifer, s'effondrait Marcello dans son fauteuil. Il pleurait, cet homme aspirant au surpassement de soi gémissait comme une fillette la mort d'un chaton. Une main sur le front, une lettre à la main, il adressait de lourds regards au sol turbulent sur la couleur orange duquel dansaient les ombres d'un feu crépitant dans l'âtre. Alessandra s'était effondré voilà huit jours de cela, épuisée par une troisième fausse couche, on rapportait qu'elle était devenue comme apathique et murmurait de sinistres mots depuis le lit de sa chambre qu'elle ne quittait plus.

Un dilemme pour l'homme supérieur et romantique à la fois, poursuivre activement les plans du siège de Lyon qui s'annonçait difficile mais essentiel pour briser les forces des grands de France? Ou retourner auprès de son âme soeur et la baiser sur les pieds et les mains et le front et les seins de toute la tendresse de son coeur brûlant? Il écouta le chant du violon. La neige virevoltait rageusement dans le vent nocturne. Les notes s'enchevêtraient dans une complexe harmonie douloureuse et plaintive, trop vive et hurlante, Lucifer brûlait de quelque émoi semblable et, sur une trille folle de cinquante temps! le ciel s'embrasa au loin d'une lueur rouge et mauvaise, ô combien terrible, déchirant le toit du monde de ces griffes désespérées.

Marcello se leva à la fenêtre pour contempler cette splendeur infernale : les cieux rougeoyèrent et semblaient se consumer. Le lendemain on parla du jugement dernier, ou du triomphe du malin. Marcello seul comprit la vérité derrière ce cri rageur de Lucifer : Dieu était mort depuis longtemps, enfer et paradis somnolaient dans une triste torpeur, anges et démons, immortels en tous genre tombaient en poussière.

Fort de cette vérité mais n'en comprenant pas de suite l'ampleur, Marcello se reprit un instant et examina de nouveau ses plans de bataille, au milieu de la nuit. Il n'y avait rien à faire : que ce soit lui ou l'ennemi, qui triompherait deviendrait roi d'une terre brûlée. Il n'y aurait aucune gloire, ni richesse, ni puissance à acquérir. Seul un charnier infertile et noirâtre, celui des hommes  et de leurs aspirations, qu'elles visent le surpassement ou la transcendance, tout était vain et le monde retournerait bientôt au néant. Le nihilisme triompherait, l'homme ne deviendrait pas surhomme, et le simple immortel ne deviendrait pas divin. Il n'y avait pas de sens à vivre sur terre, comme en enfer, comme dans les cieux. Le nihilisme triomphera, le sommeil et l'oubli pareillement, le néant remplacera les ruines de la création.

Fin de l'espoir et de la vaine quête de sens. Marcello se déchira les chairs de ses ongles, lacéra ignominieusement la peau de ses joues, puis s'offrit un vin délicat et partit seul de nuit sur un cheval apprêté par un loyal fidèle. Il remis à l'homme de nombreux écus sans savoir pourquoi, assez pour qu'il vive paisible le reste d'une vie, et partit au galop vers Péronne, en tenue de voyageur.
En dépit de ce désespoir, de ces routes et de ces hommes usés rencontrés sur le chemin, de ces cieux et de ces éléments mourants dans lesquels il baignait, il voulut, attentif à ses passions, être auprès de sa femme pour la fin de tout. Puisque son oeuvre n'avait aucun sens, puisque Lucifer et lui mourraient sous peu - avant même la chute du monde! -, puisque la raison ne servait plus à rien -disons le clairement! -, il fouetta sa monture jusqu'au sang pour arriver au plus vite dans la ville de ses affects, là où il s'effondrera en torrents de chaudes passions.

Des semaines s'écoulèrent dans les cours en émoi, dans les peuples au chaos. Le despote italien avait disparu, le pape et les ducs réinvestis, Péronne et Florence purgée. L'alliance bataillait encore dans les alentours de Vienne, dernier bastion des parvenus du régime Marcelinien qui bientôt tomberait. Le Habsbourg reprendrait ses terres, il lutterait ensuite contre les musulmans et les français alliés contre son trop plein de puissance... La géopolitique classique reprendrait son cours.

Un après-midi livide de fin d'hiver, dans les terres éloignées des hauteurs de Sicile reposait un vieillard éprouvé auprès de sa belle épouse mourante. Lui, marqué par la mort à venir et le désespoir, elle, frappée par les stigmates d'une vie de femme. Ils écoulaient des jours paisibles dans leur ermitage, entre le soin du jardin et les veillés en vieux amoureux, forts d'un amour naquit des splendeurs des premiers jours, d'une tendresse sanctifiée par les grandeurs et les déceptions du courant de vie. Ils étaient adulés par les rustres du coins, le coeur desquels était attendri par le spectacle de ce vieillard plein de soin pour sa plus jeune aimée qui la berçait comme une enfant, assis tous deux l'un contre l'autre sur un fauteuil devant leur cahute, les après-midi un peu chaud. Ils vivaient de derniers deniers emportés le soir où Marcello déboula au palais de Péronne et mena son amour dans ses bras encore vigoureux jusqu'à l'exil lointain où ils mourraient tranquillement sous une identité couverte; couverte par la maladie de l'impératrice, belle certes, mais méconnaissable et vieillie tout de même; moins vieille d'aspect néanmoins que Marcello qui, depuis leur fuite, voyait jour après jour son corps se raidir, son dos se voûter, ses doigts se couvrir d'artrose, et ses rhumatismes délaissés de vingt ans revenir.

La mélodie presque aphone du violon, perdu quelque part dans les cieux ou les limbes, résonnait encore faiblement, parfois, dans l'oreille de Marcello assourdie par la vieillesse. C'était une musique triste avec un brin de tendresse, lascive et mourante, condamnée de fait à mourir, résolue à vivre paisible, un dernier instant.

Un après-midi de vide bleu dans le ciel, un rustre entendit l'épouse du vieillard pleurer depuis sa cahute. Alessandra était là, à genoux devant un lit de poussière et de sable agglutinés en tas. Elle baisait tendrement quelques grains par moment. Le rustre la pensa folle, les villageois de même mais ils aimaient tellement Alessandra qu'ils s'assurèrent toujours, la vie de la veuve durant, de lui porter à manger et parfois de lui faire une visite chaleureuse pour la réconforter un peu. Elle était muette et sourde, où plutôt voulait-elle l'être et le paraissait si bien. Avant de clore sa voix pour toujours, elle avait dit à une paysanne le matin suivant la mort de Marcello : "je n'écouterai plus jamais la musique, n'en jouerai plus non plus. Elle est trompeuse, non pas qu'elle soit vilaine, elle est seulement ignorante. Elle ne sait rien de la vacuité de son propos, elle ne comprend pas qu'il ne transcendera pas la faible portée que la nature lui a octroyée, qu'il disparaîtra sous peu, qu'il était vain de naître pour bredouiller". Et puis elle se tut. Une comète rouge s'était écrasé dans l'océan depuis le très haut, le jour de la mort de Marcello où les cordes du violon furent brisées.
« Modifié: 31 août 2019 à 17:15:18 par Julien-Gracq »

Hors ligne Manu

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Re : La trille du diable
« Réponse #1 le: 29 août 2019 à 22:05:10 »
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« Modifié: 12 juillet 2022 à 10:44:06 par Manu »

Hors ligne gage

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Re : La trille du diable
« Réponse #2 le: 29 août 2019 à 22:46:52 »
Juste le temps d'un mini-passage, et j'en demande humblement pardon, Julien.

Il faut savoir que trille est masculin. Ça ne saute pas aux yeux, parce que l'on emploie souvent le mot au pluriel...

Voilà, bisous !
"Tous ceux qui survenaient et n'étaient pas moi-même
Amenaient un à un les morceaux de moi-même". Apollinaire

Hors ligne Julien-Gracq

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Re : Le trille du diable
« Réponse #3 le: 31 août 2019 à 17:14:20 »
Manu : Merci d'avoir lu et de m'en avoir fait un retour. Un peu long c'est clair. :D

Pour répondre un peu dans l'ordre à tes remarques et suggestions :

"s'ouvrit l'abdomen de Lucifer comme tu reprends cet inversion plusieurs fois, j'imagine donc que c'est voulu.Cela répond à ma question sur le style.  Personnellement, je trouve que cela alourdit le récit un peu inutilement."


Comme tu le dis, ce genre de tournure est voulu, j'ai essayé de faire quelque chose d'un peu alambiqué pour tenter de faire émerger la voix particulière d'une autre époque dans la narration. J'imagine du coup que l'effet rendu n'est pas des plus réussis.

"qu'une sensation de tranquillité en émane.  qu'une sensation de tranquillité en émanait."

Pour le coup j'édictais une sorte de règle général concernant la mélancolie, je pense pouvoir utiliser le présent en ce cas-là.


"L'horreur prit le vieillard. Il hurla : "démon!", et sitôt émergea tout à fait le diable, bête robuste aux ailes de chauve-souris, aux onglons de chèvre, aux cornes de bélier, aux dents inférieures proéminentes de cerbère, à la queue en pointe dans le bas du dos, à la barbichette de bouc.   Ici, cette longue description est un peu fastueuse. Pourquoi ne pas essayer d'intégrer quelques détails lors de la suite des événements ?"


Je voyais mal comment le décrire petit à petit. Je voulais poser les choses directement, un peu à la manière d'un inventaire ce qui marque d'emblée le personnage lorsque le diable se découvre. Du coup oui, c'est clairement fastueux mais je me vois très mal l'inclure par morceaux au fil du récit.

"le démon l'enjoignit au silence, apposa son index gracile     le démon l'enjoignit au silence en apposant son index gracile "

Merci, j'ai corrigé ce passage.  ;)


"voilà qui ne l'effraierait pas.   Peut-être plus à la place de pas ?"

Oui je pourrais utiliser "plus" pour marquer une rupture avec ses croyances d'avant, mais ça me dérangerait car dans mon idée, je n'imagine pas que le personnage ait imaginé une seule seconde rencontrer un jour Lucifer, qu'il ne l'ait jamais conceptualisé donc de fait, n'en ait jamais été effrayé.


"Dieu perfide qu'il faudrait oscir!   Dieu perfide qu'il faudrait occire !"

Corrigé, merci bien.  ;)


"Globalement j'ai bien aimé le côté original de la signature du pacte avec le diable. Toute la partie avec le violon donne une belle ambiguïté à cette scène revisitée. Bravo pour cela.  D'un autre côté, je n'ai pas trop aimé le côté un peu trop pompeux du style d'écriture, j'aurais mieux gouté le récit avec des phrases moins ampoulées. Je crois que c'est par tes images ( le violon et l'apaisement) que tu trouveras ton originalité et pas par des tournures de phrases un peu tordues. Pour autant ce n'est que mon petit avis de rien du tout.

Au plaisir de te lire."

Je vois, l'histoire en tant que telle fonctionne mieux que certaines formulations (j'imagine que tu fais notamment part des inversions entre sujet et verbe). J'en prends note, je ne réécrirais pas le texte mais c'est très bien d'avoir ça en tête pour la suite des écrits car la nouvelle sur laquelle je bosse, bien que le sujet en soit très éloigné, reprend entre autre ce type de phrases.  Je serai plus vigilent à ne pas créer de lourdeur sur ces dernières. :mrgreen:


gage : Une faute dès le premier mot du titre, je crois que j'ai fait une prouesse là.   ::)
Merci pour cette correction, j'ai réparé ça.

Hors ligne Manu

  • Calame Supersonique
  • Messages: 1 536
Re : Le trille du diable
« Réponse #4 le: 02 septembre 2019 à 14:41:10 »
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« Modifié: 12 juillet 2022 à 10:43:11 par Manu »

Hors ligne Feather

  • Prophète
  • Messages: 925
Re : Le trille du diable
« Réponse #5 le: 02 septembre 2019 à 21:58:50 »
Bonsoir,
Bien évidemment, j'ai mis le double écran pour profiter en même temps de cette musique et de cette lecture que je souhaiterais reprendre lorsque j'aurai plus de temps devant moi.
Je le conseille car cela rajoute du corps à ce texte dense  et riche. Belle réussite
À bientôt
Les larmes sans pleur sont une lanterne.

 


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